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Full text of "Voyage dans la haute Pensylvanie et dans l'état de New-York : Par un Membre adoptif de la Nation Onéida"

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in  2010  witii  funding  from 

Boston  Public  Library 


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VOYAGE 

DANS 

LA  HAUTE  PENSYLVANIE 

ET  DANS  L'ÉTAT  DE  NEW-YORK. 


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VOYAGE 

DANS 

LA  HAUTE  PENSYLVANIE 

ET  DANS  L'ÉTAT  DE  NEW-YORK, 

Par  un  Membre  adoptif  de  la  Nation  Onéida. 
Traduit  et  publié  par  Fauteur  des  Lettre  s  d'uîc 

CULTIVATEUR    AMERICAIN. 

TOME    TROISIÈME. 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  CRAPELET. 

/ 

A  PARIS, 

Chez  Maradaiî,"  Libraire,  rue  Pavée  S.  André- 

des-Arcs^  11°  16.  ^ 

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SOMMAIRES  DES  CHAPITRES 

CONTENUS    DANS    CE    VOLUME. 

CHAPITRE    PREMIER. 

Histoire  du  moine  Don  Joan  de  Bragansa ,  long- 
temps connu  sous  le  nom  del  Padre  Jeronimo ,  écrite 
par  lui-même  pour  M.  Joseph  May,  en  1769,    page  1 

CHAPITRE     II. 

Excursion  dans  l'Etat  de  Délaware.  —  Rencontre  de 
M.  Wining,  sénateur  des  Etats-Unis.  —  Ce  qu'il  dit  re- 
lativement à  la  situation  de  cet  Etat ,  à  sa  petitesse ,  aux 
incorporations  formées  pour  conserver  ,  réparer  les 
digues  de  dessèchement.  —  Ravages  des  rats  musqués. 
-—Richesse  des  herbages  desséchés. — Moulins  de  Brandy- 
Wine.  -—  Visite  à  M.  Hazen ,  anciennement  aide-de- 
camp  du  général  Bouquet.  — Histoire  des  malheurs  qu'il 
a  éprouvés  en  Suisse.  —  Retour  dans  ce  pays.  —  Il 
achète  une  plantation  dans  cet  Etat.  —  Chute  de  che- 
val. —  Hospitalité  d'une  famille  Quaker.  —  Détails  sur 
cette  société  religieuse.  — Pépinières.  — Heureux  effets 
de  rirrigation.  —  Caractère  et  moeurs  des  habitans  de 
ce  Hundred 36 

CHAPITRE     III. 

liE  lendemain,  M.  Hazen  raconte  aux  voyageurs  son 
voyage  au  Mississipi,à  travers  la  basse  et  la  haute  Vir- 
ginie. —  Le  Ténézée.  -^Beauté  de  ce  pays»  —  Détails 


Vj  SOMMAIRES 

sur  quelques-uns  des  principaux  étabîissemens.  —  Ce 
que  lui  dit  un  chef  Chérokée.  —  Passe  les  montagnes  à 
Kéowée.  —  Arrive  à  Augusta,  capitale  de  la  Géorgie.— 
Désastres  occasionnés  par  les  principes  démocratiques 
de  la  constitution  de  cet  Etat.  —  Départ  pour  le  pay? 
des  Muscogulges.  — Traverse  plusieurs  magnifiques  ri- 
vières. —  Hospitalité  de  cette  nation.  —  Détails  de  sa 
civilisation,  de  sa  culture,  de  son  bonheur.  — Traverse 
3e  pays  des  Chectaws.  -—  Beauté  de  cette  partie  de  la: 
Floride  occidentale.  —  Hospitalité.  —  Abondance.  — 
Arrivée  à  la  Mobile,  ancienne  colonie  française.  —  Dé- 
tails sur  la  navigation  intérieure.  —  La  rivière  aux 
perles.  —  Arrivée  aux  Natchées  sur  le  Mississipi.  — - 
Fertilité  de  cette  partie  de  la  Louisiane.  —  Salubrité. 
—  Sa  position  géographique.  —  Impression  produite 
par  la  première  vue  du  Mississipi.  — Réflexions  ins- 
pirées par  ce  vaste  horizon  de  plaines  herbées.  — 
liongueur  connue  de  son  cours.  —  Fertilité  de  ses 
plaines.  —  Beauté ,  élévation  des  arbres.  —  Manchaa. 
' —  Delta.  - —  Son  progrès  dans  l'espace  d'un  siècle.  — 
Voyage  à  la  rivière  des  Arcansas.  —  Observations  sur 
les  mœurs  des  familles  acadiennes  qui  se  sont  établies 
sur  ses  bords.  —  M.  Herman  demande  à  M.  Hazen  quel- 
ques détails  sur  les  scènes  qui  eurent  lieu  lors  du  traité 
que  fit  le  général  Bouquet  aux  fourches  de  Muskinglium 
avec  les  nations  de  l'Ohio ,  en  1764.. 56 

C  H  A  PI  T  R  E    I  V. 

Quelques  jours  après,  M.  Hazen  envoyé  aux  deux 
voyageurs  les  détails  suivans  : 

Coalitiodi  des  nations  de  l'Ohio  et  des  grands  lacs 
contre  les  Anglais,  après  la  conquête  du  Canada,  — 


DES       CHAPITRES.  Vi) 

Le  général  Bouquet  est  nommé  commandant  de  l'armée 
destinée  à  faire  lever  le  blocus  du  fort  Pitt.  —  Dévas- 
tation des  frontières.  —  Déplorable  état  de  l'intérieur 
de  la  Pensylvanie.  —  Le  général  arrive  à  Carlisle.  — 
Effroi  des  habitans.  —Le  général  atteint  le  défilé  de 
Bushy-Run  dans  les  montagnes  d'AHéghénys.  —Bataille 
sanglante  contre  un  corps  d'indigènes.  —Il  les  défait 
après  un  combat  de  sept  heures ,  et  arrive  au  fort  Pitt. 

—  Passe  rOhio.  —Pénètre  à  travers  les  forêts  jusqu'à 
Tuskaraway.  —  Propositions  de  paix.  — Est  mécontent 

des  premiers  discours  des  chefs Il  parvient  jusqu'aux 

fourches  du  Muskinghum.  —Traité.  -—Discours  de  quel- 
ques chefs.  —  Arrivée  de  plusieurs  centaines  de  pri- 
sonniers.—Scènes  touchantes.  —Répugnance  de  quel- 
ques prisonniers  à  être  rendus.  —  Ce  que  dit  un  des 
chefs  au  généra^  en  lui  délivrant  quelques  enfans.  — 
Délire  sublime  des  mères  qui  retrouvent  ceux  qu'elles 
croyoient  avoir  perdus.  — Effets  irrésistibles  de  la  sym- 
pathie. —  Un  soldat  du  Maryland  re<;onnoît  sa  femme. 

—  Effet  de  sa  première  exclamation.  — Inquiétudes  sur 
le  sort  d'un  enfant  de  trois  ans. — Unnouveau  convoi  ar- 
rive. —  Egarement  de  cette  femme, qui,  en  le  revoyant, 
laisse  tomber  celui  qu'elle  avoit  au  sein.  — Puissant  effet 
des  larmes  pour  calmer  les  grandes  secousses  de  l'ame. 

—  Affection  des  indigènes  pour  leurs  prisonniers.  —  Dé- 
vouement d'un  jeune  guerrier  Mingo.  —  Eloignemenfc 
de  quelques  eûfans  pour  leurs  parens.  —  Plusieurs  pri- 
sonniers s'échappent  pour  aller  rejoindre  les  indigènes. 

—  Discours  d'une  des  femmes  au  général.  —^  Retour  au 
fort  Pitt.  —  Réflexions  sur  les  indigènes 77 


rilj  SOMMAIRES 

CHAPITRE     V. 

Etonne  MENT  d'un  jeune  guerrier  Shawanèse  en 
voyant  transcrire  sur  une  feuille  de  bouleau  ce  qu'il 
a  voit  dicté.  — Réflexions  intéressantes  sur  l'art  de  faire 
parler  les  hommes  là  où  ils  ne  sont  pas,  et  même  après 
leur  mort.  —  Réplique  du  général  Butler.  —Il  craint 
que  le  morceau  suivant  ne  mérite  pas  d'être  envoyé. 
—  Les  guerriers  plus  communs  parmi  ces  nations  que 
les  prosateurs.  —  Regrets  l'une  aussi  belle  nation  so 
refuse  à  tout  ce  qu'on  a  fa'  pour  la  civiliser. — Devoir 
de  conserver  les  noms  ind  ^ènes  ,  plus  sonores  que  la 
plupart  de  ceux  donnéspar.?s  Européens.  — Difficultés 
de  traduire  leurs  harangues.  — Nécessité  d'introduire 
des  mots  nouveaux.  —  Moins  susceptibles  d'amitié  que 
les  blancs.  —  Causes.  —  Réflexions  sur  leur  genre  de  vie. 
' — Observations  de  plusieurs  chefs  sur  la  prévoyance  et 
les  inquiétudes  de  l'avenir.  —  Leur  étonnement  en 
voyant  les  blancs  travailler  le  jour  et  la  nuit. — Com- 
plainte de  Panima,  assis  au  pied  d'un  grand  bouleau  au 
clair  de  la  lune,  adressée  à  Ganondawé  ,  son  ami,  qui 
étoit  parti  pour  aller  dans  la  Peusylvanie  ,  en  huit 
strophes 106 

CHAPITREVI. 

SÉJOUR  chez  le  chancelier  Livingston.  —Départ  de 
Clermont  pour  Albany  et  Skénectady.  —  Les  voyageurs 
remontent  le  Mohawk  jusqu'à  l'embouchure  de  l'Oris» 
kany.  —Réflexions  sur  les  grands  changemens  qui  ont  eu 
lieu  depuis  1789. — ïlsprennent  quatre  indigènes  pour  leur 
servir  de  guides  el  de  pourvoyeurs.  —  Ils  arrivent  à  Li- 
SAndre^un  des  districts  de  la  grande  concession  militaire. 


DES      CHAPITRES.  îx 

—  Rencontre  d'une  famille  nouvellement  arrivée  sur 
son  terrain.  — Services  qu'ils  lui  rendent.  —  Ils  partent 
pour  aller  à  la  Nouvelle-Genève.  — Arrivent  à  la  plan- 
tation d'un  colon  du  Nouveau-Jersey.  —  Inquiétudes 
de  sa  femme  à  la  vue  des  quatre  chasseurs.  — Elle  sonno 
de  la  trompe.  —Son  mari  arrive.  —  Conversation  inté- 
ressante de  ce  colon.  — 11  leur  indique  le  camp  de  l'ar- 
penteur-général.  — Départ 127 

CHAPITRE     VIL 

Ils  traversent  des  cantons  c     verts  de  pins  et  de  hem- 
locs.  — Jeunesse  des  défriche,    ens.  — Stérilité  du  sol. 

—  Rencontre  de  quelques  chef  Cayugas.  — Ils  arrivent 
sur  les  bords  du  lac  Sénecca.  — Réflexions  que  fait  naître 
la  vue  de  l'humble  bourgade  de  Genève.  — Ils  traversent 
ie  lac.  —  Ils  trouvent  à  l'auberge  abondance  et  propreté. 

—  Conversation  d'un  des  fondateurs  de  ce  nouvel  éta- 
tablissement.  — Motifs  qui  les  déterminèrent  à  quitter 
leur  ancienne  patrie.  —  Eloges  du  colonel  Williamson, 
dont  ils  ont  acheté  leurs  terrés.  —  Les  voyageurs  s'em- 
barquent sur  le  premier  slôop  qui  ait  été  construit  à 
Genève.  —  Départ.  — Ils  traversent  le  district  d'Ovide, 
le  lac  Gayuga,  et  arrivent  au  camp  de  l'arpenteur-géné- 
ral. —  Détails  sur  l'apprentissage  ,  la  subdivision  des 
terrÊFS  ,  les  noms  romains  donnés  aux  districts  de  cette 
concession  militaire.  — Tableau  des  canaux  terminés, 
commencés,  ou  projetés  dans  les  Etats-Unis.  —  Tableau. 
de  la  population  de  ces  Etats  à  différentes  époques.  — 
Tableau  du  progrès  annuel  de  cette  population.  —  Er- 
reur de  ceux  qui  croj^'ent  qu'elle  dépend  des  émigrations 
de  l'Europe.  —  Progrès  des  défrichemens  dans  le  nord 
et  le  nord-ouest  de  l'Etat  de  New-York  depuis  dix-huit 


X  SOMMAIRES 

ans.  —  Réflexions  de  M.  Hermaii.  —  Retour  à  Skénec- 
tady i54 

CHAPITRE     VIII. 

Anciennes  pyramides,  cirques  et  chaussées  décou- 
verts dans  la  Géorgie  et  les  deux  Florides.  — Réflexions 
de  M.  B. ,  membre  du  sénat  des  Etats-Unis  sur  les  traces 
évidentes  d'une  ancienne  population,  ainsi  que  sur  les 
camps  retranchés  et  les  tombeaux  situés  à  l'ouest  des 
Alléghénys  :  les  anciens  Floridiens  ont  dû  long-temps 
jouir  de  la  paix  ;  les  anciens  peuples  Trans- Alléghéniens 
ont  dû  au  contraire  exister  dans  un  état  de  guerre  con- 
tinuel.—  Tradition  des  Cherokees.  Ces  ouvrages  étoient 
dans  le  même  état  il  y  a  deux  siècles.  —  Bancs  énormes 
d'écailles  d'huître.  —  Huîtres  fossiles  dans  le  pays  des 
Chicassaws 1 84 

CHAPITREIX. 

DÉTAILS  sur  les  actes  d'incorporation.  —  Sur  l'esprit 
public  qu'elles  ont  fait  naître.  —  C'est  à  cet  esprit  que 
Ton  doit  tout  ce  que  l'on  voit  d'utile  dans  les  Etas-Unis. 
E"lises,hôpitaux,  collèges,  académies,  sociétés  littérai- 
res, ponts,  canaux,  &c.— Inviolabilité  de  ces  chartes  :  — 
aussi  respectées  que  la  propriété.  —  Sujettes  à  la  forfai- 

tuï-P, Détails  des  choses  fondées  à  New- York  et  dans 

l'intérieur  de  l'Etat  par  des  sociétés  incorporées.  —  A 
Philadelphie  ,  dans  le  Connecticut  et  le  Massachussets. 
Origine  du  grand  hôpital  de  New- York  et  de  la  so- 
ciété de  marine 220 

CHAPITRE     X. 

SÉJOUR  chez  M.  G. ..  sur  les  bords  de  la  rivière  Pas- 
saïck. Retour  de  M.  Héinian  de  l'île  de  Nantukel. — 


DES      CHAPITRES.  xj 

Détails  sur  les  ccwnmunications  intérieures  et  le  cabotage 
clés  Etals-Unis.  — Tableau  de  ce  cabotage.  —  Autres  dé- 
tails sur  ce  que  ce  continent  fournit  annuellement  aux 
Antilles.  —  Tableau  de  ki  navigation  intérieure  et  exté- 
rieure du  port  de  New- York  pour  l'année  1788. — Ap- 
perçus  des  progrès  faits  depuis  cette  époque.  —  Excel- 
lence et  célérité  des  radoubs.  — Tableau  de  construction 
et  de  radoubs  depuis  1784  jusqu'en  1788.  — Epoque  des 
j)remiers  établissemens  du  nouveau  Jersey.  —  Cidre  de 
New-Ark.  —  Détails  relatifs  à  la  vie  privée  du  général 
Washington.  —  Vaisseaux  submergés  avant  la  guerre, 
relevés  et  reparés  à  la  paix.  —Détails.  —  Durabilité  de 
Facacia.  — Avantages  d'en  planter.  — Vaisseaux  sciés  en 
deux  et  alongès.  —  Motif.  —  Détails  de  cette  opération. 

—  Excellence  des  pommes  de  Pippin  et  de  Spitzenberg. 

—  Nouveaux  ponts  de  la  Passaïcket  de  Hakinsac ,  cliau^- 
sée  de  Bergen  •—  Huîtres  d'une  grandeur  énorme  dé- 
couvertes en  fondant  ces  ponts, — Historique  de  la  décou- 
verte de  la  mine  de  Scîiuyler.— *  Richesse  du  minerai, — 
On  commence  à  platiner  le  cuivre.  —  Mai'ais  de  cèdres 
blancs.  —  Utilité  de  ce  bois.  —  Prompt  accroissement, 

—  Terrein  sur  lequel  il  aime  à  être.  — Facilité  d'en  éle- 
ver des  forêts  en  Europe  ainsi  que  de  cèdres  rouges.  245 

CHAPITRE     XI. 

DÉTAILS  géographiques  sur  l'état  de  Ténèzée.  —  Con- 
cession militaire  de  la  Caroline  septentrionale.  —  Le  fils 
de  M.  G. . .  forme  le  projet  d'aller  s'établir  dans  ce  nou- 
veau pays.  —  Ce  que  lui  dit  M.  G. .  .  — -  Collège  de  Dart- 
mouth  ;  sa  situation  éloignée.  —  Zèle  de  son  fondateur. 
Destiné  à  instruire  et  à  civiliser  la  jeunesse  indigène.—^ 
Inconvéniens  des  collèges  de  New- York  et  de  Phiîadel- 


iVj  SOMMAIRES   BES    CHAPITRES. 

phié.  —  Question  relative  au  nom  inctigène  du  fleuve 
Hudson. —  Ignorance  des  premiers  colons  Hollandais  qui 
fondèrent  New- York.  —  L'enfance  de  celte  colonie  peu 
intéressante.  — -  Bien  différens  des  colons  qui  s'établirent 
dâtts  l'état  de  Massachussets.—  Traits  de  leur  conduite, 
de  leur  fanatisme.  —  Fondation  de  l'université  de  Har- 
vard, la  plus  ancienne  du  continent.  —  Difficultés  que  ces 
colons  eurent  à  vaincre.— Coalition  de  toutes  les  nations 
de  ces  cantons  contre  eux.  —  Mort  de  Métacomet ,  chef 
de  cetle  coalition.  —  Parallèle  entre  les  premiers  navi- 
gateurs qui  découvrirent  ce  continent ,  les  fondateurs  de 
ces  colonies  ,  et  ces  oonquêraiis  à  qui  l'histoire  a  donné 
le  nom  de  héros.  — La  colonisation  de  ce  continent  do- 
pais la  première  origine  jusqu'à  ce  jour,  beau  sujet  d'his- 
toire. —  Collection  de  cartes  anciennes  et  modernes.  — 
Publication  des  chartes  de  toutes  les  colonies.  —  M.  G... 
aime  les  antiquités  de  son  pays.  — Plan  des  principales 
villes  dti  continent  à  différentes  époques.  —  Un  quart 
du  terrcin  sur  lequel  New- York  est  construite  ,  a  été 
envahi  stir  les  eaux.  —  Détails  sur  les  procédés  de  cet 
envahissement.  —  Recônnoissance  de  M.  Herman  pour 
tout  ce  que  M.  G...  venoit  de  nous  dire.  —  Autres  dé- 
tails sur  l'acquisition  de  sa  terre  des  derniers  indigènes. 
—  Son  goût  pour  la  horticulture.  —  Son  jardinier  est  de- 
venu son  ami. —  Moyens  dont  il  s'est  servi  pour  attacher 
son  fils  à  cette  terre.  —  Antiquité  .des  cèdres  qui  for- 
ment son  berceau. —  Ombres  harmoniques.  —  Musique 

aérienne.  —  Méditations.  —  Départ. a-jj 

X«ettro  contenant  les  adieux  de  M.  Herman 3i8 


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VOYAGE 

DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE 

E  T 
DANS  L'ÉTAT  DE  NEW-YORK. 

CHAPITRE    PREMIER. 

Histoire  de  Jean  de  Bragansa, 

«vous  exigez  que  je  retrace  les  principaux 
événemens  de  ma  vie,  depuis  îe  riant  crépuscule 
de  Tadolescence  jusqu^aux  sombres  teintes  du 
soir,  au  milieu  desquelles  je  me  trouve.  Quelle 
tâche  douloureuse  et  pénible  votre  amitié  m^im- 
pose  !  Comment  rappeler  le  souvenir  de  tant 
d^injustices  et  d^outrages-,  sans  accuser  de  nou- 
veau cette  aveugle  destinée  qui  me  les  a  fait 
éprouver?  lime  reste  encore  quelques  idées,  il 
est  vrai  ,  comme  on  trouve  des  étincelles  au 
milieu  d'un  tas  de  cendres  j  mais  ^instrument 
de  la  parole  j  ou^  plutôt  ^  le  moule  est  usé.  N^ 
ïïl,  A 


3  VOYAGE 

savez-vous  pas  que  le  style ,  qui  n'est  que  la 
physionomie  de  l'esprit  ^  s'échauffe  ou  s'élève  ^ 
se  refroidit  ou  s'abaisse,  suivant  les  affections 
de  l'ame  ou  les  différens  périodes  de  la  vie  ? 
Est-ce  à  mon  âge,  lorsque  les  glaces  de  l'hiver 
ont  paralysé  l'imagination  ,  refroidi  la  mé- 
moire 5  éteint  ce  feu  élémentaire  et  sacré  qui 
aliime  notre  intelligence,  qu'on  peut  s'occuper 
d'écrire  ?  Non  ,  semblable  à  ces  fleurs  dont  les 
frimats  ont  flétri  l'éclat ,  que  le  poids  des  orages 
incline  vers  la  terre  ,  je  suis  parvenu  à  cette 
époque  où  la  vie  n'est  plus  qu'un  reste  de  végé- 
tation. Mais  votre  amitié  l'exige,  je  ne  mets 
d'autres  conditions  à  mon  acquiescement  que 
celle  du  secret  ;  car  vous  n'ignorez  pas  quelle 
seroit  la  conséquence  de  la  plus  légère  indis- 
crétion )). 

((  Après  avoir  été  nourri  et  tendrement  soi- 
gné, jusqu'à  l'âge  de  trois  ans ,  par  Dona  Thé- 

résa  H ,  soeur  de  l'évéque  de  B. . . . ,  ma  mère ^ 

qui  étoit  en  Angleterre, m'appela  auprès  d'elle^ 
et,  quelque  temps  après,  m'envoya  à  la  cam- 
pagne, où  je  restai  jusqu'à  ce  que,  devenugrand, 
j'entrai  au  collège  d'Eaton.  Soit  que  j'eusse  reçu 
de  la  nature  quelques  talens  ,  ou  qu'on  eût  pris, 
un  soin  particulier  de  mon  éducation  ,  je  ne  tar- 
dai pas  à  faire  des  progrès  rapides ,  et  à  mériter 
4'estime  de  mes  supérieurs.  Un  jour,  que  le  chan-' 


DANS   LA   HAUTE   PENS YLVANÎE.  5 

celier  étoit  venu  ,  suivant  l'usage ,  faire  au  col- 
lège sa  visite  annuelle ,  à  mon  grand  étonne- 
ment ,  je  lui  fus  présenté  comme  un  des  écoliers 
qui  méritoient  la  protection  du  roi  (Georges  I" 
vivoit    alors  ).   Cette  circonstance  flatteuse  et 
inattendue  fut  si  agréable  à  ma  mère ,  qu'elle 
forma  le  projet  de  me  faire  entrer  dans  la  ma- 
rine royale  ;  et  dès  l'année  suivante,  je  fus  admis 
à  l'école  de  Greenwich,  Après  y  avoir  étudié 
avec  succès  pendant  trois  ans ,  je  fus  honoré ,  par 
sa  majesté,  d'un  brevet  de  garde-marine  à  bord 
de  V  Alfred  y  commandé  par  le  capitaine  Wal- 
lon ,  frère  de  ma  mère  ,  sur  les  registres  duquel 
je  fus  inscrit  sous  mon  nom  de  John  Bragansa , 
nom  fatal ,  auquel ,  comme  vous  le  verrez ,  j'ai 
dû ,  dans  la  suite ,  tous  les  malheurs  qui  me  sont 
arrivés.  Quand  on  observe  combien  sont  imper- 
ceptibles les  causes  premières  qui  influent  sur 
notre  sort,  et  les  pivots  sur  lesquels  tournent  les 
destinées  des  hommes ,  il  semble  évident  que  nous 
sommes  sur  la  terre  les  jouets  de  ce  que  les  uns 
appellent  hasard,  d'autres  fatalité.  Hélas  î  com- 
bien ne  serions-nous  pas  efîrayés ,  si ,  en  entrant 
dans  les  sentiers  obscurs  de  la  vie ,  nous  pou- 
vions pressentir  l'influence  de  nos  premières 
démarches  ,   distinguer  les    anneaux  de  cette 
chaîne  indestructible  qui  lie  tous  les  événemens 
humains  ))  ! 

2 


4  VOYAGE' 

c(  Peu  de  temps  après  mon  entrée  à  bord  de 
r Alfred  y  ce  vaisseau  fut  envoyé  en  station 
dans  la  Méditerranée,  où  il  resta  trpis  ans.  Nous 
visitâmes  les  différentes  échelles  de  ce  pays, 
jadis  si  célèbre ,  Smyrne,  Alexandrie,  les  îles  de 
Chypre  et  de  Candie,  les  ports  de  l'Afrique  et 
de  la  Morée  5  nous  parvînmes  même  jusqu'aux 
Dardanelles  ,  d'où  nous  allâmes  plusieurs  fois  à 
Constantinople ,  dans  le  cutter  du  vaisseau.  Je 
relis  encore  quelquefois  avec  plaisir  les  détails 
de  ces  courses  ,  et  les  observations  que  la  vue 
de  tant/d'objets  nouveaux  m'inspira;  car  mal- 
gré les  dissipations  de  la  jeunesse,  je  ne  négli- 
geai point  de  les  écrire  tous  les  soirs ,  et  dans  la 
suite  5  de  les  mettre  au  net.  Plein  de  santé  .  de 
forces  ,  d^espérances  ,  la  joie  et  le  plaisir  circu=- 
loient  dans  mes  veines  et  brilloient  dans  mes 
yeux  :  j'étois  heureux  du  bonheur  d'être  w. 

ce  Tout  ce  que  je  voyois  de  grand  ,  de  beau  ^ 
fixoit  mes  regards  avides,  enllammoit  mon  ima- 
gination 3  cette  colonne  étonnante  d'Alexan- 
drie, les  édifices  d'Athènes,  les  ruines  véné- 
rables que  l'on  rencontre  sur  les  deux  rives  de 
l'Hellespont ,  et  dont  l'origine  se  perd  dans  la 
nuit  des  temps.  Mon  admiration  alloit  jusqu'à 
l'extase,  en  réfléchissant  au  goût,  à  la  hardiesse, 
àl'esprit  patriotique,  à  la  richesse  de  ces  anciens 
peuples  qui ,  bien  mieax  que  les  modernes  ^ 


BANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.  5 

savoient  imprimer  à  leurs  édifices  un  caractère 
d^immortalité.  Mais  c'étoit  sur -tout  dans  les 
sociétés  grecques  que  je  me  rappelois  ce  que  l'his- 
toire  nous  a  transmis  de  cette  rration  célèbre,  que 
j'admirois  ces  nez  aquilins  ,  premier  type  de  la 
beauté,  ces  bouches  à  lèvres  vermeilles,  ces 
dents  d^émail ,  ces  yeux  étincelans,  mille  fois 
plus  expressifs  que  la  parole.  Il  me  sembloit 
reconnoître  ces  figures  que  le  génie  des  Praxi- 
tèles  et  des  Phidias  transmettoit  au  marbre,  il  y 
a  trois  mille  ans  ,  et  dont  quelques-unes  ont  été 
conservées  jusqu^à  nos  jours  )). 

((  A  Fépoque  prescrite,  nous  reçûmes  l'ordre 
de  retourner  en  Angleterre,  et  en  passant,  de 
relâcher  à  Gibraltar  et  à  Lisbonne.  Le  lende- 
main de  notre  arrivée  dans  cette  dernière  ville 
(en  1756)  ,  il  y  eut  à  la  Cour  un  gala,  auquel, 
suivant  l'usage ,  les  officiers  du  vaisseau  furent 
invités.  A  peine  étions-nous  entrés  dans  la  pre- 
mière salle  du  palais ,  qu^un  des  majordomes 
vint  au-devant  de  nous ,  et ,  d\in  ton  très-poli , 
nous  dit  :  —  (C  Messieurs ,  l'étiquette  exigeant 
que  je  présente  vos  noms  au  secrétaire  d'Etat, 
je  vous  prie  de  me  les  indiquer)).  —  Au  lieu 
d'écrire  le  mien  comme  il  avoit  fait  celui  des 
autres ,  il  me  considéra  attentivement  et  dis- 
parut. La  foule  étoit  si  grande,  que  je  suivis 
mes  camarades  sans  y  faire  beaucoup  d'atten- 


6  VOYAGE 

tion.  J^eus  été  à  peine  une  demi-heure  dans  le^ 
grand  salon ,  que  je  fus  arrêté  et  conduit  dans 
une  des  secrétaireries  du  palais,  où  je  subis  un 
long  interrogatoire  relativement  au  nom  que  je 
portois  ,  à  ma  mère,  à  ce  que  j^avois  fait  depuis 
l'âge  de  raison ,  etc.  En  vain  je  réclamai  la 
protection  de  mon  capitaine,  celle  du  lord  Kin- 
noul,  alors  ambassadeur  d'Angleterre  :  on  me 
conduisit  je  ne  sais  plus  dans  quel  endroit,  où^ 
environ  sept  mois  après ,  un  homme  parut  dans 
ma  chambre  ,  et  me  dit  :  —  «  Ne  vous  ennuyez- 
vous  point  ici  ?  —  Comment  peut-on  faire  une 
semblable  question  à  celui  qui  gémit  depuis  si 
long-temps  dans  une  captivité  dont  il  ignore  les 
motifs  ?  Qui  êtes-vous  ?  qui  vous  envoie  ici  ?  — 
Ceux  qui  s'intéressent  à  votre  sort ,  vos  supé- 
rieurs et  les  miens.  —  Je  ne  connois  d'autres 
supérieurs  que  Sa  Majesté  Britannique  et  le 
capitaine  de  son  Ynisseaii  l^ Alfred.  — Jusqu'ici 
vous  avez  eu  raison  5  mais  les  choses  ont  bien 
changé  à  votre  égard  :  sachez  que  vous  ne  tenez 
à  la  nation  anglaise  que  par  votre  mère,  et  que 
votre  "père  est  un  seigneur  portugais.  Il  vous 
réclame  et  vous  adopte  comme  son  fils,  mais  à 
condition  que  vous  servirez  dans  la  marine  de 
ce  pays  :  un  brevet  de  lieutenant  vous  attend  à 
bord  d'une  frégate  prête  à  partir  pour  Goa  ; 
voulez-vous  l'accepter  ?  —  Si  réellement ,  lui 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.  7 

dis-je,  ce  seigneur  me  réclame  comme  son  fils , 
pourquoi  m^a-t-il  retenu  si  long-temps  entre 
ces  quatre  murs?  Quel  reproche  peut -il  me 
faire  ?  Que  ne  me  permet-il  de  le  voir ,  de  mé- 
riter ses  bontés?  De  quel  droit  m'a-t-il  privé  de 
ma  liberté  ?  Pourquoi  veut- on  m'envoyer  à 
Goa?  Tout  cela  est  une  énigme  que  je  ne  puis 
comprendre. — Il  ne  m^est  pas  permis  de  vous 
en  dire  davantage,  me  répondit-il ,  mais  cepen- 
dant, si  je  pouvois hasarder  un  conseil,  ce  seroit 
celui  d'accepter  ces  propositions.  Ne  vaut-il  pas 
mieux ,  après  tout ,  être  lieutenant  d'une  fré- 
gate en  activité,  que  de  languir  ici  victime  de 
considérations  qui  vous  seront  long-temps  in- 
connues ))  ?  —  Il  me  quitta ,  en  me  disant  qu^il 
viendroit  le  lendemain  apprendre  quel  seroit  le 
résultat  de  ma  détermination  )). 

c(  Je  passai  la  nuit  dans  une  effervescence  qui 
approchoit  du  délire ,  occupé  à  me  rappeler  ce 
que  cet  étranger  m'avoit  dit ,  à  chercher  quelle 
pouvoit  être  cette  personne  qui  me  réclamoit 
comme  son  fils ,  et  par  quel  hasard  mon  père 
étoit  un  seigneur  portugais,  moi,  dont  la  mère, 
dame  de  qualité  ^  étoit  anglaise.  Abandonné  à 
moi-même ,  l'impatience  et  l'ennui  me  déter- 
minèrent à  suivre  les  conseils  de  ce  messager. 
Arrivé  à  Lisbonne ,  je  ne  tardai  pas  à  m^apper- 
cevoir  que  j^étois  strictement  surveillé  ^  quoique 


^  VOYAGE 

plus  poliment  traité.  On  me  permit  cependant 
d'écrire  à  ma  mère ,  ainsi  qu^à  mes  amis  de  Lon- 
dres ^  mais  à  peine  avois-je  envoyé  mes  lettres, 
que  je  fus  conduit  à  bord  de  la  frégate  et  pré- 
senté au  capitaine ,  qui  m'attendoit  sur  le  pont. 
J^étois  occupé  à  parcourir  et  examiner  les  effets 
ainsi  que  les  papiers  que  j'ayois  laissés  à  bord 
de  V Alfred ,  lorsque  j^apperçus  une  lettre  du 
capitaine  Walton  ,  écrite  trois  jours  après  mon 
arrestation 5 dans  laquelle  il  peignoit  ses  regrets, 
les  démarches  inutiles  qu^il  avoit  faites  ,  et  pro- 
mettoit  d^instruire  Famirauté  de  ce  qui  m^étoit 
arrivé.  Aussi-tôt  que  j^eus  endossé  Puniforme 
portugais  >  on  lut  ma  commission  à  l'équipage  ; 
mais  quel  fut  mon  étonnement  d^entendre  qu^au 
lieu  de  mon  nom ,  on  me  donnoit  celui  de  Jéro- 
nimo  de  Sousa.  —  «  Pourquoi  ce  changement 
de  nom  ?  demandai-je  au  capitaine.  —  Ce  n'est 
pas  ici  que  cette  question  peut  être  répondue, 
me  dit- il  5  j'obéis  à  mes  instructions  ».  —  Après 
avoir  épuisé  toutes  les  ressources  des  conjec- 
tures ,  et  sondé  en  vain  le  capitaine  dans  les 
longues  conversations  que  nous  eûmes  ensem- 
ble, je  pris  mon  parti,  et  laissai  au  temps  à 
développer  ce  mystère.  Je  m'associai  avec  mes 
camarades ,  et  m'occupai  sérieusement  de  mes 
devoirs.  Je  regrettois  néanmoins  la  société  de 
ceux  avec  lesquels  j'avois  servi  dans  la  Médi-= 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.  9 

terranée ,  dont  la  langue ,  les  mœurs  et  les  con- 
noissances  nautiques  étoient  si  différentes  de 
celles  de  mes  nouveaux  compagnons  ». 

((Notre  frégate,  carénée  à  la  liâte,  fit  tant 
d'eau,  que  le  capitaine  fut  obligé  de  relâcher  à 
Mosambique ,  dont  le  gouverneur  étoit  nègre. 
Enfin  ,  après  i02  jours  de  traversée  ,  nous  arri- 
vâmes à  Goa  ,  dans  File  de  Salsette.  Fatigué 
d'un  aussi  long  passage,  je  me  disposois  à  faire 
une  excursion  à  la  ville ,  lorsque  le  capitaine 
me  dit  :  —  a  J'ai  reçu  les  ordres  les  plus  positifs 
de  vous  retenir  à  bord  j  mais  que  cela  ne  vous 
chagrine  pas ,  j'aurai  fi^équemment  de  la  com- 
pagnie ,  et  nous  irons  à  la  pêche  toutes  les  fois 
que  cela  vous  fera  plaisir.  Je  vous  en  conjure, 
prenez  cette  petite  gêne  avec  patience  et  cou- 
rage )) . 

((  Au  nom  du  ciel ,  lui  dis-je ,  qui  a  pu  vous 
donner  des  ordres  aussi  inconcevables  ?  Ne  suis- 
je  pas  lieutenant  de  cette  frégate  ?  Comme  tel, 
et  en  ma  qualité  d'homme ,  n'ai-je  pas  le  droit 
et  le  privilège  de  faire  ce  que  je  veux ,  après 
avoir  rempli  mes  devoirs  ?  Est-ce  là  l'intérêt 
que  prend  à  moi  celui  qui  se  dit  mon  père ,  et 
ne  semble  l'être  que  pour  m'enchainer  et  me 
tenir  dans  la  servitude  ?  Sont-  ce  là  les  marques 
de  son  affection?  Que  ne  me  laissoit-il  à  bord  de 
V Alfred  ?  là  seulement  j'ai  été  libre  et  heureux. 


10  VOYAGE 

Non,  cet  homme  nV.st  point  un  Portugais,  mais 
un  Arabe ,  un  Maure.  —  Vous  êtes  plus  heu- 
reux que  vous  ne  pensez  ,  imprudent  jeune 
homme,  répliqua-t-il 5  car  si  ce  que  vous  venez 
de  dire  étoit  connu  d^un  autre  que  de  moi,  vous 
seriez  perdu  :  soyez  plus  discret ,  ou  vous  me 
forcerez  d^étre  plus  sévère  5  entendez-vous  ?  Le 
désespoir  est  le  partage  de  la  vieillesse  ;  mais  à 
votre  âge  »  !  î  ! 

((  Parmi  les  personnes  que  le  capitaine  invi- 
toit  souvent  à  bord  ,  étoient  deux  Indiens,  per- 
sonnages graves  ,  vénérables  jpar  leur  âge,  ainsi 
que  par  la  douceur  inaltérable  de  leurs  physio- 
nomies. —  «  Etes-vous  père  ?  leur  demandai-je 
un  jour  qu^ils  étoient  seuls  avec  moi  sur  le  pont. 
—  Oui,  nous  le  sommes,  répondirent-ils ,  et  il 
y  a  bien  des  années.  —  Quel  âge  ont  vos  pre- 
miers-nés?—  Trente  ans  et  plus.  —  Pourquoi 
ne  les  amenez-vous  pas  quelquefois  ici?  j'au- 
rois  bien  du  plaisir  à  connoître  les  fils  de  pères 
aussi  respectables.  — Les  plus  jeunes  sont  à  Bé- 
narès,  les  autres  en  Perse.  N^auriez-vous  point 
dans  Fesprit  quelque  chose  que  vous  leur  auriez 
plus  volontiers  communiqué  qu'à  nous  ?  S'il  en 
est  ainsi ,  que  la  différence  de  nos  âges  ne  vous 
inspire  ni  timidité,  ni  méfiance  j  nos  coeurs  vous 
sont  ouverts  comme  nos  mains  ;  soulagez  votre 
ame  ,  allégez  j  par  l'épanchement ,  le  poids  et 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  11 
l'amertume  de  vos  chagrins,  si  vous  en  avez  )). 
—  Entraîné  par  un  début  si  touchant ,  je  leur 
racontai  Fhistoire  de  ma  vie,  jusqu'à  mon  ar- 
rivée à  Goa.  —  ((  Brave  et  intéressant  jeune 
homme  !  me  dirent-ils,  né  d'un  père  portugais 
et  inconnu,  qui,  à  ce  que  vous  croyez,  jouit 
d'une  grande  considération  ^  et  d'une  mère  ap- 
partenante à  une  des  premières  castes  de  l'An- 
gleterre ,  la  justice  du  ciel,  celle  des  hommes  ni 
votre  conscience,  n'ont  pas  le  plus  léger  i^- 
proche  à  vous  faire  ,  et  vous  êtes  malheureux . 
En  Europe ,  comme  ici ,  la  destinée  ne  semble 
appeler  les  hommes  sur  ce  grand  théâtre  ,  que 
pour  en  faire  les  jouets  de  ses  caprices.  Que  faire? 
Quitter  la  vie  ,  ou  apprendre  à  en  supporter  les 
dégoûts  et  les  amertumes.  Nous  connoissons  le 
capitaine  d'un  vaisseau  destiné  pour  Lisbonne  j 
le  jour  de  son  départ,  nous  vous  procurerons 
les  moyens  de  sortir  de  cette  frégate ,  votre  nom 
sera  Gasparo  Vitello ,  que  vous  garderez  jusqu'à 
votre  arrivée  en  Angleterre.  Occupez-vous  des 
moyens  d'y  passer,  dès  que  vous  serez  en  Por- 
tugal j  par-tout  ailleurs,  le  malheur  vous  at- 
tend )) . 

«  Le  jour  même  que  je  débarquai  à  Lisbonne, 
j'apperçus  celui  qui  étoit  venu  me  parler  dans 
ma  prison  d'Evora.  La  foudre,  tombant  à  mes 
pieds,  ne  m'auroit  pas  causé  plus  d'effroi.  Toutes 


13  VOYAGE 

mes  précautions  pour  l'éviter  furent  inutiles. 
Le  lendemain  ,  je  fus  arrêté  sur  le  quai  où  j'ai- 
lois  m'embarquer  j  et  conduit  à  la  prison  com- 
mune. Irrité  de  ce  nouvel  attentat,  ne  con^sidé- 
rantplusce  pays  que  comme  celui  de  l'esclavage 
et  de  l'injustice,  je  m'associai  avec  un  Irlandais 
accusé  de  quelques  irrévérences  devant  une  ma- 
done de  village;  et  trois  jours  après,  à  l'aide 
d'une  corde  faite  avec  les  débris  de  nos  draps , 
nous  parvînmes  au  pied  de  la  muraille  située  au 
bord  de  la  rivière ,  que  nous  traversâmes  à  la 
nage  jusqu'au  paquebot  anglais.  Heureusement 
le  capitaine ,  qui  se  trouva  à  bord,  nous  reçut  et 
nous  traita  avec  beaucoup  d'humanité  )). 

((  Quel  jour,  quel  moment  que  celui  où ,  libre 
enfin ,  je  débarquai  à  Faîmoutli  !  Combien  la 
verdure  de  ce  beau  pays  me  parut  fraîche  et 
douce  !  Ces  prairies  émaillées ,  ces  vergers  de 
Pomone ,  la  physionomie ,  le  teint ,  les  vête- 
mens  des  habitans  ,  quelle  joie  inexprimable  la 
vue  de  tous  ces  objets  n'excita-t-elle  pas  dans 
mon  coeur  !  Mais  je  ne  desirois  voir  que  Lon- 
dres ,  où ,  peu  de  jours  après ,  je  me  trouvai 
serré  dans  les  bras  et  mouillé  des  larmes  de  la 
plus  tendre  des  mères.  Appuyé  sur  ses  genoux  , 
mes  mains  dans  les  siennes,  je  fus  consolé  par 
la  perspective  d'un  avenir  plus  heureux.  En 
effet  3  dès  le  lendemain ,  elle  me  présenta  à  la 


DANS    LA    HAUTE    PENSYLVANIE.        l5 

reine  Caroline ,  qui ,  deux  mois  après ,  me  lit 
nommer  un  des  sous-secrétaires  du  lord  Stairs , 
ambassadeur  à  Paris  )). 

((  Dés  que  je  fus  dans  cette  capitale  ,  je  m'oc- 
cupai de  l'astronomie ,  dont  j 'a vois  appris  les 
élémens  à  Malte ,  pendant  les  difFérens  séjours 
qu'y  avoit  faits /^^//r^û?.  Mais  la  foudre  grondoit 
et  alloit  éclater  sur  ma  tête.  Après  avoir  passé 
dix-huit  mois  à  Paris ,  je  fus  instruit  que  ma 
mère  étoit  à  toute  extrémité.  Déchiré  par  les 
plus  noirs  pressentimens  ,  je  revins  à  Londres  , 
où  je  n^arrivai,  hélas  I  que  pour  lui  fermer  les 
paupières.  Et  j'ai  pu  survivre  à  cette  cruelle 
perte  1  Et  les  angoisses  du  désespoir  n'ont  point 
brisé  mon  cœur  !  O  ma  tendre  mère  !  ombre 
respectable  et  chérie  !  je  vois  encore  les  traits  de 
ton  visage  ,  siège  de  la  beauté  5  que  la  mort  n'a 
pu  détruire  5  j'entends  encore  le  son  de  ta  voix , 
organe  de  cette  douceur  inaltérable  qui ,  avec  la 
bonté ,  formoit  la  base  de  ton  caractère.  Je  me 
rappelle  encore  tes  premières  leçons ,  ces  épan- 
chemens  si  doux  de  l'affection  maternelle.  Nos 
esprits  se  réuniront-ils  un  jour  ?  Un  jour  ,  sera- 
t-il  donné  à  ton  malheureux  fils  de  partager  ton 
bonheur,  celui  des  justes?  Mais  pourrois-je 
admettre  ce  doute  cruel  ?  Non ,  il  flétrir  oit  mon 
coeur  ainsi  que  mes  espérances  les  plus  chères; 
il  anéantiroit  le  courage  et  la  résignation  avec 


l4  VOYAGE 

lesquels  je  supporte  les  rigueurs  du  sort  et  les 
peines  de  la  vie.  Ah  !  si  je  pouvois  croire  que  le 
crime  audacieux  et  prospère,  que  la  vertu  pros- 
ternée et  souffrante ,  ne  fussent  que  des  noms  ; 
que  les  remords  n'eussent  leur  source  que  dans 
l'éducation  ;  que  tout  dût  également  disparoître 
dans  les  ténèbres  de  la  mort  5  alors  je  dirois  :  — 
«  De  tous  les  êtres  qui  respirent ,  Tliomme  est  le 
plus  malheureux,  puisqu'il  ne  doit  espérer  au- 
cune compensation  pour  les  innombrables  sacri- 
fices qu'exige  son  passage  sur  la  scène  du  monde. 
Le  Dieu  de  la  nature,  ce  père  des  êtres  sen- 
sibles ,    que   nous    invoquons  journellement  , 
n'existe  pas  ,  ou  n'est  que  l'organisateur  passif 
de  la  matière  )). 

((  Deux  jours  après  ce  fatal  événement ,  les 
exécuteurs  des  dernières  volontés  de  lady  Anne 
Fitz...  me  remirent  une  copie  authentique  de 
son  testament,  et  une  lettre  toute  entière  de  son 
écriture ,  qui  m'informoit  que  le  roi  Jean  V  de 
Portugal  étoit  mon  père.  Ce  secret,  comme  un 
trait  de  lumière ,  m'éclaira  sur  les  causes  et  les 
motifs  de  la  sévérité  avec  laquelle  on  m'avoit 
traité  ;  mais  au  lieu  de  flatter  ma  vanité ,  la 
révélation  de  ce  mystère  me  fit  trembler ,  car  les 
rois  ont  souvent  des  opinions  et  des  préjugés 
particuliers  à  leur  état.  Par  son  testament,  ma 
mère  me  légua  sa  maison  et  le  montant  de  ses 


DANS    LA    HAUTE   PENSYLVANIE.        l5 

fonds,  qui  5  quoique  peu  considérables,  n'eu 
étoient  pas  moins  précieux,  puisque  c'étoit  le 
dernier  témoignage  de  sa  tendresse.  Elle  quitta 
la  vie  au  moment  où  la  mienne  alloit  être  abreu- 
vée de  nouvelles  amertumes  )). 

((  Le  roi  .Toseph  Y^ ,  piqué  de  mon  évasion  , 
ainsi  que  de  la  protection  que  j'avois  obtenue 
du  Gouvernement  anglais  ,  chargea  son  ambas- 
sadeur de  lui  transmettre  tontes  les  observations 
qu^il  pourroit  obtenirrelativementàmon  emploi 
sous  le  lord  Stairs ,  ainsi  qu^à  Fépoque  de  mon 
retour.  Cet  ambassadeur  sut  si  parfaitement 
tous  ces  détails,  qu^à  peine  me  laissa- 1~ il  le 
temps  de  sécher  mes  premières  larmes.  Il  repré- 
senta au  secrétaire  d'Etat  que  ,  par  respect  pour 
la  mémoire  du  roi  Jean  ,  qui  venoit  de  mourir, 
son  successeur  vouloit  pourvoir  à  la  fortune  et  à 
Tavancement  du  fils  que  son  père  avoit  eu  de 
lady  Anne  Fitz. . .  5  que  malgré  les  efforts  réitérés 
et  les  offres  de  bonté  ,  ce  jeune  homme  s'y  étoit 
constamment  refusé  ,  sans  qu'on  pût  en  deviner 
lemotif^  que,  dans  le  cas  où  ses  refus  dédaigneux 
viendroient  de  son  affection  pour  sa  mère,  on 
l'excusoit  •  que  par  respect  pour  elle  ,  le  roi 
avoit  fermé  les  yeux  sur  sa  résistance  opiniâtre; 
mais  que  cette  dame  n'étant  plus ,  il  vouloit  que 
les  intentions  de  son  père  fussent  accomplies, 
et  qu'en  conséquence  il  le  chargeoit  de  le  ren- 


l6  VOYAGE 

voyer  dans  sa  véritable  patrie  ^  où  il  seroit 
avancé  dans  le  service,  et  honorablement  traité. 
Le  lord  *^^  ,  alors  secrétaire  d'Etat,  trompé 
par  ces  belles  promesses  ,  en  fut  la  dupe,  et  moi 
la  déplorable  victime  ,  car  à  peine  fus-je  débar- 
qué à  Lisbonne ,  qu'on  me  conduisit  en  prison, 
comme  coupable  d'avoir  résisté  aux  volontés 
du  roi.  Et  si  ce  roi  eût  été  dey  d'Alger  ou  empe- 
reur de  Maroc  ,  que  m'auroit-il  donc  fait  ))  ? 

«  Il  n'y  avoit  pas  encore  une  semaine  que  j'y 
languissois,  lorsque  le  geôlier,  d'un  air  mysté- 
rieux ,  entra  dans  ma  chambre  et  me  dit:  —  c(  Je 
sais  que  je  cours  le  risque  de  ma  vie  en  vous  ap- 
portant cette  lettre,  mais  je  n'ai  pu  résister  aux 
sollicitations  d'un  saint  évêque  qui  m'a  chargé 
de  vous  la  remettre  :  si  vous  êtes  discret ,  ce  ne 
sera  pas  la  dernière.  Elle  étoit  de  Dona  Térésa 
Hen...)). 

a  Je  suis  celle  qui  ,  il  y  a  26  ans ,  vous  nourrit 
))  du  lait  de  son  sein  ,  et  quoique  je  ne  vous  aie 
))  jamais  vu  depuis,  le  ciel  m'est  témoin  que  je 
))  n'ai  pas  cessé  un  seul  jour  de  m'intéresser  à 
))  votre  sort.  Tant  qu'il  a  été  heureux ,  je  me  suis 
))  contentée  de  m'en  réjouir  en  secret  5  mais  au- 
))  jourd'hui  que  vous  avez  encouru  la  colère  du 
))  roi ,  et  q  ue  vous  avez  perdu  votre  mère ,  je  veux 
))  la  remplacer  :  comptez  sur  mon  zèle.  On  a  fait 
))  trouver  mauvais  à  ce  persormage  foible  et  im- 


DANS    LA   HAUTE    PENSYLYANIE.        If 

))  périeusement  gouverné  par  son  confesseur  et 
))  son  ministre ,  qu'un  homme  dans  les  veines 
))  duquel  circule  le  sang  de  son  père,  ait  osé  vivre 
))  ailleurs  qu'ici ,  et  porter  son  nom  en  Angle- 
))  terre.  Soyez  tranquille  ^  on  vous  remettra  4oo 
»  crusados  novos  et  quelques  livres.  Comptez  sur 
ï>  le  tendre  intérêt  et  TafFection  de  votre  bonne 
3k)  nourrice  et  amie.  Dona  Térésa  Hen..  .  ». 

((  Le  voyageur  excédé  de  fatigues  et  mourant 
de  soif  au  milieu  des  déserts,  ne  ressent  pas  une 
j  oie  plus  vive  lorsqu'il  rencontre  un  puits  et  quel- 
ques arbres  touffus  à  l'ombre  desquels  il  puisse 
se  reposer ,  que  celle  dont  la  lecture  de  cette  let- 
tre remplit  mon  coeur  et  mon  esprit.  Tout  s'illu* 
mina  autourdemoi^  ma  prison  n'étoit  plus  aussi 
sombre,  ni  le  passage  du  temps  aussi  lent  et  aussi 
douloureux.  L'espérance  revint  humecter  mes 
paupières  brûlantes.  Toutes  les  semaines,  jerece- 
vois  les  lettres  les  plus  consolantes  de  cette  res-* 
pectable  femme.  Enfin  ,  j'appris  que  son  frère^ 
Févéque  de  Ba« . .  avoit  su  alarmer  la  conscience 
du  roi  en  lui  représentant  l'injustice  de  ma  dé* 
tention ,  la  nécessité  de  traiter  avec  moins  de 
sévérité  un  jeune  homme  à  qui  on  ne  pou  voit 
faire  aucuns  reproches  5  il  osa  même  lui  conseil- 
ler de  m'envoyer  à  l'abbaye  de  M. . ..  où  je  joui- 
rois  de  plus  d'aisance  ;  que,  là ,  on  s'occuperoit  de 
;pion  salut  et  des  instructions  dont  avoit  besoin 

III.  B 


î8  VOYAGE 

un  homme  qui  avoit  passé  tant  d'années  parmi 
les  hérétiques.  J'y  fus  transféré». 

«Ainsi  l'aveugle  destinée,  le  hasard,  ou  je  ne 
sais  quelle  cause  inconnue,  se  joue  du  bonheur, 
de  la  vie  des  hommes  grands  ou  petits ,  pauvres 
ou  riches  ,  vertueux  ou  médians.  D'un  des  pays 
les  mieux  cultivés  de  FEurope,  du  sein  d'une 
nation  renommée  pour  ses  richesses,  son  indus- 
trie ,  son  commerce  et  sa  puissance,  je  me  trou- 
vai transporté  etenchaînédansun  des  plus  arides, 
des  plus  incultes,  parmi  le  peuple  le  plus  igno- 
rant, çnfin  dans  un  couvent  portugais.  En  pen- 
sant à  la  mort  de  ma  mère  et  à  tout  ce  qui  m'étoit 
arrivé  depuis,  je  me  rappelai  Fapologue  que 
j'avois  entendu  répéter  aux  bons  Indiens  de 
Goa». 

((  Bien  avant  le  temps ,  Visnou  existoit  dans 
»  sa  pensée,  et  sa  pensée  s'étendoit  sur  tout  l'es- 
»  pace.Pour  le  remplir,  il  le  divisa  en  cinquante- 
»  deux  firmamens.  Aussi-tot  qu'il  fut  parvenu 
))  à  celui  de  la  terre  ,  il  appela  ses  deux  dragons 
»  ailés  ;  l'un  étoit  rouge ,  et  l'autre  blanc.  Crée- 
»  moi ,  dit-il  au  premier ,  un  sol  ferme  et  solide 
))  qui  puisse  porter  des  arbres  et  des  moissons , 
))  sur  lequel  tu  placeras  des  hommes  à  deux  pieds , 
))  des  animaux  à  quatre  ,  des  oiseaux  ,  des  in- 
))  sectes  et  des  reptiles.  Et  au  second  il  dit  :  — 
»  Crée-moi  une  mer  qui  soit  profonde  pour  con- 


DANS    LA   HAUTE    PENS YLVANTE.        19 

))  tenir  des  eaux,  et  qu'elles  soient  salées.  Tu  la 
))  rempliras  de  poissons  grands  et  petits  ,  à  co- 
))  quilles  et  sans  coquilles.  Que  tous  aient  des 
))  yeux  pour  voir,  des  oreilles  pour  entendre ,  et 
))  des  facultés  pour  se  conduire.  Mais  comme  il 
))  disoit  cela,  parut  l'irrévocable (Pétern elle  né- 
))  cessité);  elle  présenta  à  chacun  des  dragons 
))  une  caisse  remplie  des  feuilles  de  l'arbre  du 
»  bien  et  du  mal.  —  Pourquoi  mêler  l'un  avec 
))  l'autre  ,  lui  demanda  Visnou  ?  —  Parce  qu'ils 
))  sont  inséparables.  —  Satisfait  de  cette  réponse, 
))  ils  s'en  allèrent  vers  un  des  plus  hauts  firma- 
»  mens  pour  y  ordonner  la  création  d'un  autre 
»  monde  ;  mais  à  peine  y  furent-ils  arrivés  qu'un 
))  ouragan  affreux  dévasta  la  plus  grande  partie 
))  du  continent  que  le  dragon  rouge  venoit  de 
»  former,  ce  qui  le  jeta  dans  une  si  grandecolère, 
))  qu'il  alla  trouver  Visnou, — La  première  feuille 
))  qui  est  sortie  de  la  caisse  du  dragon  blanc ,  lui 
))  dit-il,  ayant  été  celle  du  mal,  la  moitié  démon 
))  ouvrage  n'existe  plus.  —  Tu  vas  être  satisfait , 
))  répondit  Visnou  ;  et  à  l'instant  il  parut  sur  la 
))  terre  bouleversée.  Il  siffla ,  et  les  vents  se  turent  ; 
))  il  siffla  encore ,  et  le  continent  submergé  repa- 
))  rut.  De-là  il  prit  son  essor  vers  la  lune,  où  la 
»  nécessité  étoit  déjà  arrivée  ;  là,  ils  résolurent 
)vque  le  jour  où  le  dragon  rouge  laisseroit  tom- 
»  ber  une  feuille  du  bien  sur  son  élément ,  le 


SO  VOYAGE 

))  blanc  en  feroit  autant  sur  le  sien ,  et  même 
))  pour  les  feuilles  du  mal.  A  peine  avoient-ils 
»  vidé  la  moitié  de  leurs  caisses ,  qu'il  arriva 
»  une  explosion  terrible  dont  les  débris  rompi- 
))  rent  ces  boîtes.  Alors  le  hasard,  qui  s'étoit 
))  tenu  caché ,  arrangea  si  bien  les  choses  ,  que 
))  le  plus  grand  nombre  des  premières  feuilles 
))  furent  perdues  dans  le  vague  de  l'espace ,  et 
))  que  les  secondes ,  portées  par  les  vents ,  se  ré- 
))  pandirent  sur  la  terre  et  les  mers.  Voilà  pour- 
))  quoi,  depuis  les  temps  anciens,  il  y  a  beaucoup 
))  plus  de  mal  que  de  bien  sur  la  terre ,  et  que 
))  quelquefois  l'un  et  l'autre  y  arrivent  en  parts 
»  égales  )). 

«  C'étoit  à  l'abbaye  de  M. . . .  que  devoit  végé- 
ter pendant  six  longues  années,  sans  en  mourir, 
un  homme  qui ,  par  sa  naissance,  son  éducation 
et  ses  talens ,  s'étoit  cru  destiné  à  parvenir  un 
jour  dans  la  marine  anglaise.  Cette  abbaye  jouis- 
soit  d'un  revenu  de  60,000  crusades^  et,  chose 
rare  !  on  y  voyoit  une  bibliothèque ,  contenant 
des  décrétâtes ,  des  légendes ,  des  histoires  de 
miracles  opérés  sur  les  côtes  d'Afrique  par  des 
missionnaires,  et  plusieurs  éditions  de  la  Vie  des 
saints  ,  vies  un  peu  différentes  de  celles  du  bon 
Plutarque.  Quelle  dépense  pour  loger,  nourrir, 
entretenir  quarante-deux  personnes  dans  l'oisi- 
yeté  !  Semblable  à  un  gouffre  sans  fond,  cette 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  21 
maison  absorboit  la  plus  grande  partie  des  sucs 
nourriciers  des  cantons  voisins,  et  cela  dans  un 
pays  où  la  moitié  des  terres  est  en  friche,  et 
Tautre  cultivée  par  les  mains  les  plus  mal-habiles. 
Lorsque  les  pluies  manquoient ,  l'espérance  des 
habitans  étoit  perdue ,  et  ils  n'avoient  plus  d'au- 
tres ressources  que  les  portes  de  l'abbaye,  où  on 
leur  donnoit  de  l'ail  et  du  pain  )). 

«A  cette  époque,  chaque  communauté,  comme 
chaque  église,  avoit  son  saint  favori,  ses  manies 
religieuses  ,  ses  formules  et  ses  miraclçs.  La 
-  maison  que  j^habitois  étoit  célèbre  pour  les  styg- 
mates  :  tous  les  moines  avoient  reçu  ces  faveurs 
nocturnes ,  et  ceux  dont  lesblessures  étoient les 
plus  profondes ,  passoient  pour  être  favorisés  du 
ciel.  Tout  cela  me  parut  bien  extraordinaire  et 
bien  nouveau  ;  mais  en  réfléchissant  sur  la  na- 
ture de  l'homme ,  à  qui  dans  cette  vallée  de 
larmes  et  de  misères  ,  il  faut  des  consolations  et 
des  espérances ,  dont  les  yeux  ne  peuvent  con- 
templer le  soleil  ni  la  vérité ,  qu'à  travers  les  nua- 
ges et  les  illusions,  je  m'accoutumai  à  cette  forme 
de  culte  avec  beaucoup  moins  de  répugnance. 
De  tous  ces  moines,  je  ne  voyois  que  le  prieur  et 
le  maître  des  novices.  Le  premier  avoit  constam- 
ment les  yeux  élevés  vers  le  ciel  ou  fixés  sur  la 
terre,  emblème,  disait -an,  d'une  extase  séra- 
phique,Les  marques  de  respect  que  l'usage  avoit 


22  VOYAGE 

consacrées  approchoient  de  Fadoràtion.  Ce  béat 
avoitsixnoms,  ce  qui  ajoutoit  le  même  nombre 
de  fêtes  au  calendrier  de  Fabbaye  ;  ces  jours-là 
on  jetoit  des  fleurs  sous  ses  pas  ,  on  fléchissoit 
le  genou  devant  lui  après  l'avoir  encensé», 

«  Le  second ,  hypocrite ,  astucieux ,  fourbe 
quand  il  croyoit  nécessaire  de  FétrOj  gouvernoit 
la  maison ,  le  prieur  et  les  novices.  Quoique  de 
sa  tête  féconde  découlassent  les  idées  mystiques 
i^elatives  au  culte  de  la^Vierge  ,  et  que  quelques- 
unes  fussent  extrêmement  douces  et  portassent 
le  caractère  de  l'amour ,  il  étoit  dur ,  irascible  ^ 
impitoyable  :  malheur  à  qui  pouvoitlui  déplaire  y 
aualheur  sur-tout  à  ceux  en  qui  il  croyoit  apper- 
cevoir  du  doute  ou  de  l'incrédulité  j  ils  étoient 
sûrs  d'expier  leurs  fautes  dans  le  cachot  le  plus 
obscur.  Les  autres  religieux  ,  malpropres  par 
habitude,  ignorans  par  éducation,  et,  suivant 
leur  tempérament,  fanatiques  ou  superstitieux, 
vivoient  ensemble  non-seulement  dans  la  plus 
parfaite  indifférence ,  mais  souvent  au  milieu 
des  brigues ,  des  haines  et  des  jalousies.  On  au- 
roit  plutôt  introduit  la  sève  delà  végétation  dans 
le  tronc  desséché  d'un  arbre,  que  les  sensations 
de  l'amitié  ou  quelque  mouvement  d'affection 
dans  Iccoeur  de  ces  moines.  La  plupart  étoient 
adonnés  aux  passions  les  plus  brutales,  qui, 
sous  ce  climat  ardent ,  ne  sont  que  plus  actives 


DANS   LA   HAUTE   PENS YLVANIE.        25 

pour  être  cloîtrées.  Tels  étoient  les  hommes 
avec  lesquels  j'ai  vécu  six  ans  sans  pouvoir 
y  perdre  ni  la  raison,  ni  la  vie:  cependant  à 
force  d'instructions  je  devins  éclairé,  savant 
même». 

c(  Mais  au  milieu  de  ces  catéchismes ,  on  s'ap- 
perçut  que  j'avois  des  livres  anglais  et  français  , 
ainsi  que  quelques  cartes  terrestres  et  célestes. 
Cette  découverte  occasionna  une  fermentation 
générale  dans  toutes  les  têtes,  car  jamais,  depuis 
la  fondation  du  couvent ,  pareil  événement  n'y 
avoit  eu  lieu.  Je  fus  accusé  d'étudier  les  sciences 
occultes  prohibées  par  les  saints  canons ,  d'être 
athée,  incrédule  et  impie,  et  dès  le  lendemain, 
tous  ces  détails  furent  envoyés  au  tribunal  du 
saint-office,  et  jusqu'à  ce  qu'il  eut  prononcé, 
je  fus  enfermé  dans  un  cachot.  Après  que  j'eus 
passé  douze  jours  dans  les  ténèbres  et  dans  le 
désespoir  ,  on  me  lut  devant  la  communauté  as- 
semblée la  sentence  suivante  ))  : 

((  Il  est  défendu  à  Jeronimo  de  Sousa  de  s'ap- 
))  pliquer  à  l'étude  de  la  géographie  et  de  l'astro- 
))  nomie  sous  les  peines  prescrites  par  le  saint- 
))  office  ;  ces  connoissances  n'appartiennent  qu'au 
»  saint-siège, qui,  seul,  peut  connoître  les  diffé— 
))  rentes  parties  du  monde  dont  il  est  le  chef  visi- 
))  ble.  Quant  à  l'étude  de  l'astronomie,  il  est  cou- 
))  pable  de  croire  que  la  terre  tourne  autour  du 


si  V   O   T   A   G   E 

»  soleil  ;  c'est  le  système  des  hérétiques ,  qne 
»  Dieu  damne  à  jamais.  Il  lui  est  défendu  de  pré- 
I)  dire  les  éclipses  ;  il  n'appartient  qu'à  un  athée 
»  de  chercher  à  savoir  ce  qui  n'est  point  encore, 
))  Quant  à  l'étude  des  étoiles ,  c'est  pure  sorcel- 
i)  lerie  ^  on  ne  lit  dans  le  ciel  que  pour  dépraver 
)>  son  ame.  Que  ses  livres  et  ses  cartes  soient  con- 
»  sûmes  par  le  feu ,  et  lui  condamné  à  six  mois 
J>  de  prison  conventuelle.  Que  cette  sentence  du 
))  tribunal  de  clémence  et  de  justice  soit  lue  à  la 
»  communauté  assemblée  ,  pour  que  chacun  en 
»  fasse  son  profit  )). 

((  Le  roi ,  à  qui  on  parla  de  ces  misères ,  en 
fut  si  courroucé,  qu'il  dit  :  —  ((Ce  Jeronimo  de 
Sousa  n'est  qu'un  réfractaire,  un  hérétique  5 fut- 
il  mon  fils,  je  ne  lui  pardonnerois  pas.  Qu'on  le 
transporte  à  Angola  )).  — -Cette  cruelle  sentence 
auroit  été  exécutée  sans  l'intercession  du  pa- 
triarche et  de  l'évêque  de  B. . ..  — ■  ((  Eh  bien  I 
dit  le  roi  au  premier ,  qu'il  embrasse  l'état  mo- 
nastique ;  je  lui  ferai  donner  une  pension  de 
mille  crusades  :  je  ne  veux  plus  qu'on  me  parle 
de  cela». 

((  Les  paroles  que  la  colère  inspire  aux  rois 
consument  et  détruisent  comme  la  foudre.  Lors- 
que j'appris  cette  fatale  résolution,  tout  ce  qui 
me  restoit  de  force  et  de  courage  m'abandonna. 
Hélas  l  pourquoi ,  las  de  la  vie ,  ne  sait-on  pas 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.        25 

ïa  quitter,  comme  on  sort  d'une  maison  prête  à 
tomber,  comme  on  abandonne  un  vaisseau  prêt 
à  couler  bas  ?  Enfin  je  me  soumis,  et  ne  pou- 
vant mourir,  je  fis  profession  d'ignorance  et  de 
superstition  pour  le  reste  de  mes  jours.  Quel 
sort  pour  le  fils  naturel  du  roi  Jean  et  de  lady  . 
Anne  Fitz. . .  ))  ! 

«  Après  avoir  goûté  pendant  quelques  jours 
les  délices  de  la  liberté ,  je  me  hâtai  d'aller  voir 
Dona  Térèsa  ,  dont  j'avois  souvent  reçu  des 
lettres  durant  mon  séjour  dans  Fabbaye  de  M.... 
En  l'embrassant  pour  la  première  fois  de  ma 
vie,  je  mouillai  ses  vénérables  joues  des  larmes 
de  la  plus  vive  reconnoissance;  elle  daigna  hono- 
rer les  miennes  des  mêmes  marques  de  sa  sensi- 
bilité. Mon  cœur  desséché ,  flétri  par  l'adversité 
et  par  l'impitoyable  dureté  des  hommes,  n'avoit 
pas  ressenti  depuis  long-temps  d'aussi  douces 
impressions.  —  «  Vous  vous  rappelez,  lui  dis-je, 
lady  Anne  Fitz. ...  ?  —  Si  je  m'en  rappelle  !  Elle 
'  étoit  la  plus  belle  des  femmes  que  j'aie  jamais 
vues.  —  Et  moi ,  son  malheureux  fils,  je  n'ou- 
blierai jamais  qu'elle  étoit  la  meilleure.  Ces 
amers  et  tristes  souvenirs  sont  tout  ce  qui  me 
reste  de  ces  jours  propices,  lorsqu'à  l'ombre  de 
ses  ailes  ,  je  parcowroîs  gaîment  les  premiers 
sentiers  de  la  vie.  Quelle  différence,  chère  Dona 
Térèsa,  du  sort  qui  m'attendoit  alors,  et  de  celui 


26  VOYAGE 

que  j'éprouve  aujourd'hui  !  — Oubliez,  me  dit- 
elle  ,  ce  que  vous  auriez  pu  devenir ,  pour  pou- 
voir supporter  avec  plus  de  résignation  ce  qu'on 
vous  a  fait.  Appelez  à  votre  secours  le  courage 
et  la  fermeté ,  ils  viendront  vous  aider ,  sou- 
tenir vos  pas  chancelans,  jusqu'à  ce  que  l'éponge 
du  temps  et  le  baume  de  l'habitude  aient  adouci 
l'amertume  de  ces  premiers  momens.  — La  rai- 
son 5  chère  Dona  Térèsa,  est  muette ,iJe  courage 
sourd  à  ma  voix ,  sous  cette  livrée  avilissante  ; 
mais  mon  sort  n'étant  point  encore  irrévocable, 
pourquoi  m'y  soumettrois-je  ?  Je  n'ai  besoin  que 
d'un  seul  remède ,  je  sais  où  le  trouver.  —  Cette 
livrée  que  vous  méprisez  tant ,  me  dit-elle ,  est 
cependant  celle  qui  conduit  ici  à  la  puissance , 
aux  richesses  et  à  la  considération.  Que  vous 
importent  les  bases  sur  lesquelles  tout  cela  est 
fondé  !  Pensez  aux  voeux   que  vous  venez  de 
prononcer  ,   et  craignez  au  moins  le  parjure. 

—  Quand  le  coeur,  Famé  et  l'esprit,  contre- 
disent à-la-fois  ce  que  la  bouche  passive  a  été 
forcée  de  prononcer,  peut-on  craindre  le  par- 
jure? Un  serment  absurde  peut-il  être  obliga- 
toire ?  Le  ciel  et  ma  conscience  m'ont  absous. 

—  Craignez  au  moins  la  colère  du  roi,  les  sbires 
du  eaint-office,  et  la  vengeance  du  patriarche 
qui  vous  a  sauvé  des  prisons  d'Angola,  —  Ar- 
rivé au  Bengale  ou  à  Philadelphie  ,  je  braverai 


BANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        27 

leur  haine  ainsi  que  leurs  menaces ,  et  bientôt 
ils  m^oublieront.  —  Mais  5  mon  cher  Don  Joan , 
comment  sortir  de  ce  pays  ?  Ignorez^vous  donc 
qu^il  est  défendu  de  le  quitter  sans  permission  , 
et  que  ces  ordres  sont  exécutés  avec  la  plus 
grande  sévérité?  —  Oui,  je  sais  que  les  nobles 
Portugais ,  écrasés  sous  le  joug  de  la  plus  hon- 
teuse servitude,  ne  sont  maîtres  ni  de  leurs 
volontés ,  ni  de  leurs  actions  :  et  ce  sont  là  les 
descendans  des  anciens  conquérans  de  l'Inde, 
qu'on  est  parvenu  à  renfermer  dans  un  parc 
comme  un  vil  troupeau  !  Avec  de  l'argent  et  de 
la  prudence ,  je  saurai  bien  en  franchir  les  pa- 
lissades. —  Mais  si  le  hasard  ne  vous  favorise 
pas ,  savez-vous  quelle  en  sera  la  conséquence? 

—  Le  sort ,  cher  Dona  Térèsa ,  est  las  de  me  pour- 
suivre ,  puisqu'il  m'a  fait  moine.  —  Mais  n'êtes- 
vous  pas  de  la  classe  de  ceux  parmi  lesquels  on. 
choisit  les  chefs  d'abbayes,  les  prélats ,  les  évé- 
ques  ?  —  Si  les  richesses  attachées  à  la  crosse  et 
à  la  mitre  pouvoient  me  séduire,  ce  seroit  alors 
que  je  serois  véritablement  parjure. — Vous  ne 
le  seriez  pas  plus  que  mon  frère  et  tant  d'autres. 

—  Votre  frère,  ainsi  que  vos  autres  évêques, 
ont  reçu  une  éducation  bien  différente  de  la 
mienne  ;  nous  n'avons  pas  respiré  le  même  air. 
— Puisque  la  destinée ,  qui  dirige  tout  sur  la 
terre ,  l'a  voulu  ainsi,  soumettez-vous  à  son  em- 


SS  VOYAGE 

pire 5  il  est  irrésistible  ;  profitez  des  circonstances 
qui  vous  appellent  aux  richesses  et  aux  dignités 
sacerdotales.  Mais,  vieille  comme  je  suis,  que 
puis-je  dire  qui  vous  console  et  vous  persuade? 
Il  y  a  quinze  ans ,  je  vous  aurois  fait  ouvrir  les 
portes  de  ce  pays ,  et  pardonner  d^avoir  porté  en 
Angleterre  le  nom  de  votre  père  :  j'ai  cependant 
encore  assez  d'influence  pour  obtenir  le  choix 
du  couvent  dans  lequel  vous  voudrez  habiter, 
des  jouissances,  quelques  privilèges  analogues  à 
vos  goûts.  Je  possède  une  somme  considérable 
dans  l'église  Saint-Antoine,  nous  en  partagerons 
le  revenu ,  et  à  ma  mort ,  je  vous  la  léguerai.  Au 
nom  de  ce  grand  saint ,  ne  vous  exposez  pas  à 
de  nouveaux  dangers  !  Ressouvenez- vous  qu^au 
moindre  soupçon ,  les  donjons  d'Angola  vous 
attendent.  Comptez  que  d'ici  à  quelques  années  , 
vos  démarches  seront  strictement  surveillées, 
car  c'est  ici  le  pays  des  espions  :1e  Gouverne- 
ment ,  le  patriarche,  le  ministre,  le  saint-office, 
ont  chacun  les  leurs,  et  il  n'y  a  point  de  stipen- 
diaires  mieux  payés  ». 

c(  Entraîné  ,  sans  être  convaincu ,  par  ce  que 
venoit  de  me  dire  cette  respectable  femme , 
affoibli ,  épuisé  parle  délabrement  de  ma  santé, 
qui ,  seule  ,  eût  soutenu  ma  force  et  mon  cou- 
rage, je  me  résignai  aux  décrets  de  l'impérieuse 
nécessité.  Ah  !  combien  de  fois  n'ai-je  pas  re- 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        Sg 

gretté  j  depuis ,  la  patience  avec  laquelle  je  me 
soumis  !  J'aurois  du  périr  ou  rompre  mes  fers  )). 
({  D'après  les  conseils  de  Dona  Térèsa,  j'allai 
voirie  patriarche,  qui  m'accorda  la  permission 
de  choisir  le  couvent,  ou  plutôt  la  prison  dans 
laquelle  je  devois  passer  le  reste  de  mes  jours.  Je 
me  reproche  encore  les  adulations  ,  les  men- 
songes ,  les   honteux  subterfuges  dont  je  fus 
obligé  de  faire  usage  :  c'étoit  la  première  fois  de 
ma  vie  que  je  m'étois  avili  à  mes  propres  yeux. 
Je  vins  voir  ce  rocher  célèbre  ;  sa  situation  éle- 
vée ,  imposante,  le  petit  nombre  de  moines  qui 
occupoient  cette  maison  ,  la  foiblesse ,  ou  plutôt 
l'ineptie  de  celui  qui  la  gouvernoit,  le  voisinage 
de  la  mer,  celui  de  la  capitale ,  où,  par  le  moyen 
des  étrangers ,  je  pouvois  faire  venir  de  Londres 
et  de  Paris  les  livres  et  les  instrumens  dont 
j'avois  besoin ,  l'espérance  enfin  de  tenir  encore 
au  monde  par  le  récit  des  voyageurs ,  et  par 
quelques  instans  passés  dans  la  société  d'hommes 
éclairés  ;  tels  furent  les  motifs  qui  me  détermi- 
nèrent à  y  fixer  ma  résidence.   Abandonnant 
enfin  l'espoir  et  presque  le  désir  de  revoir  l'An- 
gleterre ,  je  plaçai  dans  les  fonds  publics  de  ce 
royaume  ce  que  ma  mère  m'avoit  légué ,  et  Don 
Joan  de  Bragansa,  en  se  résignant  à  la  provi- 
dence qui  l'avoit  si  rigoureusement  traité,  s'en- 
ferma pour  le  reste  de  ses  jours  dans  ce  petit 


5o  VOYAGE 

monastère.  Ma  pension  ,  ce  que  m'ont  laissé  ma 
mère  et  ma  respectable  nourrice ,  me  mirent  à 
même  d'obliger  nos  moines;  j'adoucis  leur  du- 
reté en  leur  faisant  connoître  des  jouissances 
auxquelles  ils  n'étoient  point  accoutumés.  Pour 
en  obtenir  quelque  considération  ,  je  ne  négli- 
geai aucuns  moyens  de  leur  être  utile.  D'un 
autre  côté ,  convaincu  qu'en  évitant  de  les  scan- 
daliser, j'améliorerois  mon  sort  et  en  assurerois 
la  tranquillité,  je  fis  tous  mes  efforts,  malgré  ma 
répugnance,  pour  remplir  les  devoirs  de  l'état 
qu'on  m'avoit  forcé  d'embrasser.  Mais  quand  la 
trompette  du  départ  sonnera,  qu'importe  que 
j'aie  été  moine  ou  pontife ,  esclave  ou  empe- 
reur ;  que  j'aie  vécu  dans  un  palais  ou  sur  le 
sommet  de  ce  rocher  ))  ? 

((  Au  moment  où  la  main  tremblante  de  votre 
vieil  ami  est  occupée  à  tracer  ces  lignes,  les  der- 
nières qui  sortiront  de  sa  plume  desséchée,  j'ac- 
complis ma  75^ année,  et  la  46^  de  ma  captivité; 
j'atteins  l'époque  où  les  langueurs,  les  infirmités 
du  corps,  et  l'engourdissement  des  facultés, 
nous  font  désirer  le  repos  éternel ,  comme  le 
bûcheron  ,  épuisé  de  fatigue,  soupire  après  le 
sommeil  balsamique  de  la  nuit.  Bien  différent 
de  vous,  mon  respectable  voisin,  que  la  nature, 
par  un  miracle  extrêmement  rare ,  a  exempté 
de  ce  douloureux  tribut ,  et  pour  qui  elle  fait 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.       5l 

encore  épanouir  quelques  fleurs  au  milieu  des 
glaces  de  Fhiver  ». 

c<  Le  délassement  de  la  lecture,  le  soin  de 
mon  jardin  ,  rempli ,  comme  le  vôtre  ,  de  tout 
ce  que  le  règne  végétal  offre  de  plus  curieux  et 
de  plus  rare ,  la  conversation  de  voyageurs  et 
de  personnes  instruites,  ainsi  que  l'étude  du 
mouvement  des  astres  pendant  nos  belles  nuits 
chaldéennes ,  ont  beaucoup  contribué  à  remplir 
le  néant  de  ma  vie  monacale  ,  à  abréger  et  adou- 
cir le  passage  du  temps.  En  effet,  quelle  source 
inépuisable  d'idées  ,  de  réflexions ,  de  conjec- 
tures  propres  à  nous  élever   au-dessus  de  la 
sphère  ordinaire  de  nos  désirs,  de  nos  chagrins 
et  de  nos  misères  ))  ! 

((  Quel  champ  pour  la  contemplation  ,  quelle 
carrière  pour  l'essor  de  la  pensée,  le  spectacle 
du  système  solaire  ne  présente-t-il  pas  à  nos 
yeux,  lorsqu'à  l'aide  d'un  bon  télescope  ,  nous 
portons  nos  regards  audacieux  vers  ces  régions 
éloignées  ,  et  franchissons  les  espaces  au  milieu 
desquels  circulent  les  planètes  dont  il  est  com- 
posé !  Las  de  ces  dernières  limites ,  nous  nous 
élançons  dans  les  profondeurs  de  l'univers,  et 
en  admirons  l'ordre  et  les  mouvemens  »  ! 

((  Combien  de  fois  ne  me  suis- je  pas  enor- 
gueilli en  réfléchissant  à  la  nature  de  l'esprit 
humain ,  qui ,  à  l'aide  de  la  puissance  merveil- 


B2  VOYAGE 

leuse  au,  calcul,  peut  saisir,  suivre  la  marclie 
rapide,  annoncer  les  apparences,  connoître  les 
distances ,  déterminer  la  vélocité  de  globes  aussi 
éloignés,  et  même  prédire  le  retour  de  quelques 
comètes,  dont  les  routes  elliptiques  et  mysté- 
rieuses ,  si  différentes  des  autres  corps  célestes , 
paroissent  étïre  placées  bien  loin  au-delà  de  nos 
recherches  ». 

((  Une  intelligence  qui  ,  des  régions  obscures 
et  brumeuses  de  la  terre ,  peut  parvenir  jusqu^à 
d'aussi  grandes  hauteurs  ,  et  est  susceptible 
d'aussi  vastes  conceptions,  seroit-elle  périssable 
comme  la  matière  qui  lui  sert  d'enveloppe  ?  Le 
génie  d'un  New^ton  n'annonce-t-il  pas  que  cette 
intelligence  est  une  émanation  de  cet  esprit,  de 
ce  feu  divin  qui  anime  l'univers,  puisqu'elle  a 
pu  s'élever  jusqu'à  son  auteur,  et  découvrir 
quelques-unes  des  loix  d'après  lesquelles  il  le 
régit  »? 

((  Cet  univers  seroit-il  un  tout  existant  par 
lui-même ,  et  non  l'effet  d'une  cause ,  l'ouvrage 
d'une  puissance  créatrice,  conservatrice  ?  L'or- 
dre immuable  de  ce  merveilleux  ensemble  n'in- 
dique-t-il  pas ,  au  contraire ,  le  dessein  et  la 
présence  vivifiante  d'un  Dieu ,  dont  la  main  en 
conserve  l'équilibre  et  la  durée,  et  en  maintient 
les  forces  motrices  ?  Sans  l'énergie  toujours  agis- 
sante de  ce  premier  principe  des  choses ,  l'irré- 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLYANIE.  55 
gularité  dans  quelques-uns  des  mouvemens  n^au- 
roit-elle  pas  nécessairement  entraîné  le  désordre 
général  et  replongé  la  nature  dans  la  nuit  du 
chaos  ))  ? 

({ En  observant  que,  comme  la  terre,  les  pla- 
nètes ont  un  double  mouvement ,  celui  d'une 
rotation  diurne  sur  elles-mêmes,  et  celui  d'une 
révolution  périodique  autour  du  soleil ,  et  que, 
comme  le  nôtre ,  elles  ont  leurs  pôles  inclinés  ; 
que  plusieurs  sont  accompagnées  de  satellites  j 
qu'elles  doivent  conséquemment  avoir  une  suc- 
cession de  jours  et  de  nuits,  de  saisons  et  d'années, 
dont  la  longueur  est  proportionnée  à  la  grandeur 
des  orbites  qu'elles  parcourent,  on  doit  croire 
qu'il  existe  quelqu'affinité ,  quelques  rapports 
^ntre  nous  et  leurs  habitans.  Car  l'analogie  des 
causes  doit  produire  celle  des  effets.  Nous  ne 
sommes  donc  pas lesseuls  qui  naviguions  à  travers 
les  plaines  de  l'espace?  Semblable  aux  vaisseaux 
qui  sillonnent  les  mers,  chaque  planète  dont  n  otre 
système  est  composé ,  porte  donc  sa  cargaison 
particulière  d'êtres  sensibles  et  pensans  ,  d'ani- 
maux ,  d'oiseaux ,  de  végétaux ,  dont  les  formes 
et  l'organisation  sont  adaptées  à  leur  distance 
du  soleil  et  à  la  densité  de  leurs  terres,  et  comme 
notre  globe,  sans  doute,  est  soumise  aux  chances 
de  la  destinée  et  aux  vicissitudes   de  la  vie  ! 
Ainsi  je  m^élève  et  m'associe  en  imagination 

III.  c 


54  V   O   Y    A    G   E 


avec  ces  compagnons  inconnus  de  Inexistence  »• 
c(  Souvent,  portant  plus  loin  encore  l'égare- 
xnent  de  mes  rêveries,  je  me  demande  : — ((  L^em- 
brasementdu  soleil  a-t-il  précédé  la  formation  des 
planètes  ?  En  est  il  contemporain  ou  lui  est-il  pos- 
térieur? Ses  feux  ont-ils  eu  un  commencement? 
S'éteindront-ils  un  jour?  Si  jamais  cela  arrive, 
que  deviendront  ces  planètes  ?  Entraînées  par 
le  poids  énorme  de  leurs  masses,  arriveront- 
elles  des  extrémités  de  l'univers  pour  se  préci-  ' 
piter  dans  ce  centre  commun  de  leur  gravita- 
tion, et  rallumer  de  nouveau  ses  feux?  Les^ 
mêmes  causes  qui,  dit-on,  les  en  séparèrent, 
il  y  a  des  milliers  de  siècles ,  les  en  détaclieront- 
elles  encore  ppur  reprendre  leurs  anciens  sta- 
tions ,  parcourir  leurs  anciennes  orbites ,  et 
redevenir  5  comme  aujourd'hui,  le  séjour  de 
l'existence  et  de  la  vie  ?  Cette  catastrophe  n'est- 
elle  point  déjà  arrivée  dans  quelques-uns  des 
systèmes  solaires  dont  nous  sonunes  environnés? 
Est- elle  du  nombre  des  choses  probables  ou 
possibles  »? 

((  Pénétré  d-e  la  plus  vive  admiration ,  ébloui 
à  la  vue  de  tant  de  magnificence,  de  merveilles 
et  de  prodiges,  dont  les  plaines  illimitées  de 
l'espace  sont  remplies,  j'en  adore  la  cause  in- 
connue ,  que  j'ose  appeler  père  de  la  nature , 
et  je  m'-élève  en  tremblant  jusqu'au  pied  d-^  son 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  55 
îrone.  A-t-il  daigné  s'occuper  du  sort  de  ses 
enfans  ?  Leur  a-t-il  prescrit  des  devoirs  ?  A-t-il 
promis  des  récompenses  à  ceux  qui  les  rempli— 
roient  ?  Ai-je  eu  le  bonheur  de  les  connoître  et 
de  m'en  acquitter?  Conservateur  de  cet  uni- 
vers ,  ne  seroit-il  pas  aussi  le  protecteur  de  l'in- 
nocence opprimée  ?  La  vie  ne  seroit-elle  qu'un 
accident  fortuit?  N'est-elle  pas,  au  contraire, 
un  passage ,  un  anneau  de  la  longue  chame  des 
existences  auxquelles  nous  sommes  appelés  ))? 

«  Tels  sont  quelques-uns  des  objets  de  mes 
fréquentes  méditations  ,  et  des  essors  de  ma 
foible  intelligence.  Convaincu  que  celle  qui 
m'anime  survivra  aux  débris  des  corps,  j'oublie 
les  rigueurs  de  ma  destinée,  l'injustice  des  hom-- 
mes,  et  me  prépare  à  paroître  devant  ]e  grand 
juge,  qui,  aussi  équitable  qu'il  est  puissant, 
récompensera  la  vertu  souffrante  et  punira  le 
crime  w* 


'2 


36  VOYAGE 


CHAPITRE     II. 

Pendant  notre  séjour  à  Wilmington  (i), 
nous  eûmes  le  plaisir  de  rencontrer  M.  Wynin g, 
qui  5  après  avoir  été ,  depuis  l'origine  du  nou- 
yeau  Gouvernement ,  un  des  plus  éloquens  ora- 
teurs du  Congrès ,  venoit  d'être  nommé  sénateur 
des  Etats-Unis.  C'est  à  cet  heureux  hasard  que 
nous  avons  dû  le  bonheur  d'apprendre  tout  ce 
qui  a  rapport  à  la  culture  et  à  l'industrie  de  ce 
petit  Etat ,  et  à  l'art  d'élever  les  digues  destinées 
à  préserver  des  eaux  les  vastes  prairies  qu'inon- 
doit  jadis  la  Delaware.  Il  nous  entretint  aussi 
des  avantages  qui  résultent  de  l'incorporation 
des  propriétaires ,  pour  la  prompte  réparation 
des  dommages  occasionnés  par  les  rats- mus- 
qués (2)  ou  par  la  crue  des  eaux.  —  ((  Il  en  est 
de  même  j  nous  dit-il ,  à  Salem,  à  Svreed'sbourg  y 
à  Goshem,  etc.  dans  les*  comtés  de  Glocester  et 
de  May ,  situés  sur  le  rivage  méridional  de  la 
Delaware.  Avant  qu'on  eût  pensé  à  solliciter  du 
Gouvernement  ces  chartes  qui  réunissent  les 
intérêts  des  propriétaires,  il  arrivoit  souvent  des 
dommages  et  des  pertes  considérables.  C'est  aux 
quakers  de  Salem  ,  possesseurs  d'une  grande 
étendue  de  ces  fonds  jadis  submergés ,  qu'est  du 


DANS    LA    HAUTE   PENSYLVANIE.      Of 

cet  utile  exemple.  La  péninsule  formée  par  le 
confluent  des  eaux  de  la  Skuylkill  et  de  la  Delà- 
Avare ,  qui  n^étoit ,  il  y  a  quarante  ans  ,  qu'un 
vaste  marais  ,  est  devenue  depuis  plusieurs  an^ 
nées,  au  moyen  de  ces  digues  construites  et 
réparées  à  frais  communs  ,  un  terrein  solide , 
couvert  de  bestiaux,  et  d'un  très  -  grand  rap- 
port :  tant  il  est  vrai  que  de  l'union  vient  la 
force  ». 

Il  nous  fit  voir  les  moulins  de  Brandywine  , 
dont  la  construction  et  le  mécanisme  surpassent 
en  perfection  tout  ce  qu^on  a  vu  jusqu'ici ,  et 
dans  lesquels  plus  de  5oo,ooo  boisseaux  de  bled 
(180,000  quintaux)  (^)  ,  sont  annuellement 
convertis  en  farines  marchandes.  —  «  Nous 
sommes  leplusfoible  des  Eî^ats  de  l'Union,  nous 
dit-il  y  mais  comme  membres  de  cette  grande  et 
belle  association  ,  nous  avons*  la  même  repré- 
sentation dans  le  Sénat  dès  Etats-Unis ,  et  nous 
jouissons  des  mêmes  droits,  des  mêmes  privi- 
lèges que  ceux  qui  sont  plus  nombreux.  Notre 
situation  sur  la  Delaware ,  le  voisinage  de  Phi- 
ladelphie, la  qualité  supérieure  de  nos  farines ,  la 
richesse  denos  herbages  (5),  nous  dédommagent 
de  notre  foiblesse  politique.  Quant  à  moi ,  je  ne 

f^)  Le  boisseau  des  Etats-Unis  contient  60  livres  ée 
I>led. 


38  Y   O   T   A    G   E 

la  regrette  pas  ;  j^aime  la  médiocrité  ;  c^est  en  élis 
seuiement  qu'on  trouye  la  vertu  et  le  repos  )). 

«  Demain,  je  vous  ferai  connoitre  l'homme  le 
plus  intéressant  de  ce  canton  ,  habile  cultiva- 
teur, qui  a  servi ,  pendant  la  guerre  du  Canada^ 
sous  le  général  Bouquet,  dont  il  étoit  aide-de-- 
eamp.  Profondément  affecté  des  pertes  domes- 
tiques qu'il  fit  en- Europe ,  où  il  étoit  retourné  à 
îa  paix  de  1765 ,  il  revint  sur  ce  continent  quel- 
que temps  après,  pour  se  soustraire  à  Fimpres- 
sion  de  tant  de  souvenirs  amers.  Le  hasard 
l'ayant  conduit  dans  cette  partie  de  l'Etat  (4) , 
il  fut  si  frappé  de  l'industrie  exemplaire ,  de  la 
tempérance ,  de  la  sagesse  des  colons ,  qu'il  y 
acheta  une  plantation  bien  bâtie ,  et  passable- 
ment cultivée  :  —  «  Car ,  me  dit-il ,  je  sais  trop 
quels  senties  fatigues  et  les  dégoûts  d'un  nouvel 
établissement,  pour  oser  m'y  exposer  à  mon 
âge  :  ces  pénibles  défrichemens  ne  sont  ni  des 
champs  El3'^sées,  ni  des  bocages  de  laThessalie, 
ainsi  que  l'imagination  d'un  Européen  nou- 
vellement arrivé  se  le  représente  quelquefois , 
parce  qu'il  juge  d'après  ce  qu'il  a  vu  et  ce  qu'il 
connoît  ». 

<(  Son  exemple  et  ses  leçons  nous  ont  été  infi- 
niment utiles.  A  une  pratique  sage ,  il  joint 
"beaucoup  de  théorie,  dans  laquelle  il  puise  une 
foule  d'essais  iiouveaux  dont  il  occupe  ses  Iqi- 


DANS    LA   HAUTE    PEN  S  YLVANIE.        5^ 

sirs.  Pendant  ses  voyages ,  son  frère  le  remplace 
avec  une  intelligence  vraiment  européenne. 
Tous  deux  excellent,  comme  les  Chinois,  dans 
Fart  des  arrosemens.  Nous  devons  à  cet  indus- 
trieux colon  ,  presque  toutes  les  plantations  de 
mûriers  ,  d^ acacias,  de  platanes,  de  hycoris  (5) , 
qui  ombragent  nos  chemins ,  et  commencent  à 
occuper  les  terreins  inutiles  ;  car,  accoutumés  à 
ne  considérer  les  arbres  que  comme  des  intrus 
et  des  êtres  nuisibles  ,  les  habitans  de  ces  Etats 
ont,  jusqu'ici,  trop  négligé  de  réparer  Finat^ 
tention  de  leurs  ancêtres.  L'estime  publique 
Fauroit  envoyé  au  Congrès  depuis  long-temps, 
s'il  avoit  voulu  y  consentir.  Il  arrive  d'un  grand 
voyage ,  dont  il  vient  de  présenter  l'intéressant 
journal  au  président  des  Etats-Unis.  Quoiqu'ac- 
cablé  des  travaux  épineux  de  la  magistrature 
suprême  ,  le  général  Washington  s'intéresse 
vivement  aux  progrès  des  établissemens  de  Fin- 
térieur ,  particulièrement  à  ceux  de  l'agricul- 
ture. Il  a,  dans  ce  moment ,  deux  personnes  en 
Europe ,  chargées  de  lui  transmettre  le  fruit  de 
leurs  observations  sur  tout  ce  qui  a  rapport  à  ce 
premier  des  arts ,  qu'il  considère ,  à  bien  juste 
titre,  comme  la  source  la  plus  pure,  la  plus 
abondante  et  la  plus  intarissable  de  la  richesse  , 
du  bonheur  et  de  la  splendeur  d'un  Etat  î>. 
«  Nous  irons  ^  demain ,  voir  un  ancien  mili- 


'4ô  VOYAGE 

taire  j  que  dis-je ,  le  voir  ?  y  passer  quelques 
jours;  car  il  n'aime  pas  les  courtes  visites.  Si 
nous  pouvons  parvenir  à  dissiper  les  nuages  de 
la  mélancolie  qui ,  souvent ,  enveloppent  son 
esprit,  vous  verrez  avec  quelle  élégance  il  ra- 
conte ce  qu'il  a  vu ,  et  combien  les  âmes  hon- 
nêtes et  sensibles  se  trouvent  heureuses  de  con- 
verser avec  la  sienne  !  Notre  président  a  pour 
lui  une  estime  particulière ,  dont  il  lui  donne^ 
des  marques  toutes  les  fois  qu'il  en  est  visité  ^ 
soit  à  Philadelphie ,  soit  au  Mont-Vernon  ,  où 
on  peut  dire  qu'en  fait  d'agriculture  ,  ainsi  que 
sous  tant  d'autres  rapports ,  ce  grand  homme 
prêche  d'exemple  » , 

Le  lendemain,  après  avoir  voyagé  pendant 
quinze  milles  à  travers  un  des  cantons  les  mieux 
cultivés  que  M.  Herman  et  moi  eussions  encore 
vus,  orné  de  maisons  décentes  et  bien  peintes, 
de  beaux  vergers  ,  et  d'herbages  couverts  de 
bestiaux ,  nous  arrivâmes  chez  M.  Hazen  (6). 

a  Voici  deux  voyageurs  que  je  vous  amène, 
lui  dit  M,  Wyning  :  quoiqu'ils  aient  beaucoup 
vu  et  observé  dans  tous  les  lieux  qu'ils  ont  par- 
courus ,  il  leur  reste  encore  bien  des  choses  à 
connoître  5  j'espère  que  vous  leur  permettrez  de 
puiser  dans  vos  intéressans  récits  les  lumières 
dont  ils  ont  besoin  )). 

K  Je  voyage  souvent  5  répondit  M.  Hazen  3 


DANS  liA  HAUTE  PENSYLVANIE.  4l 
pour  me  distraire  et  pour  alléger  un  poids  qui 
augmente  dans  la  solitude  et  le  désoeuvrement. 
Je  ne  suis  tant  soit  peu  à  mon  aise,  que  quand 
je  m'occupe  5  le  travail  et  Taction,  vous  le  savez, 
sont  les  consolateurs  des  peines  de  la  vie.  Mais, 
comme  je  ne  connois  rien  de  plus  agréable  que 
la  communication  des  idées,  j'échangerai  vo- 
lontiers les  miennes ,  telles  qu'elles  sont ,  contre 
celles  de  ces  messieurs  ».  —  Et ,  après  quelques 
questions  réciproques  ,  il  continua  ainsi  : 

((  Aussi-tôt  que  la  paix  de  1763  fut  conclue, 
je  sentis  le  besoin  de  revoir  le  lieu  de  ma  nais-' 
sauce,  celui  de  tous  les  pays  dont  le  gouver- 
nement, les  loix,  les  usages  et  les  moeurs, 
m'étoient  le  plus  agréables,  celui  où  j'avois  le 
plus  grand  nombre  d'amis  3  je  brùlois  du  désir  de 
revoir  cette  patrie  si  chère ,  dont  le  nom  seul 
avoit  souvent  gonflé  mon  coeur  des  plus  douces 
affections ,  d'errer  encore  sur  ces  montagnes 
où  notre  industrie  a  porté  la  culture  aussi  haut 
qu'elle  pouvoit  s'élever  ;  de  traverser  ces  vallons 
qu'embellissent  et  enrichissent  les  rayons  du 
soleil,  ces  glaciers  enfin,  au  pied  desquels  la 
charrue  trace  souvent  des  sillons,  et  où  l'on 
voit  paître  les  bestiaux.  Que  vous  dirai-je  ?  Je 
revis  le  canton  de  Glaris  avec  un  plaisir  inex- 
primable ,  et  dès  mon  arrivée,  je  formai  le  projet 
de  traîner  les  pas  chancelans  de  ma  vieillesse 


é2  VOYAGE 

et  de  mourir  sur  la  même  colline  où  j'étois  né^; 
et  où  jWois  passé  mes  premières  années.  C^étoit 
là  que  le  bonheur  m'attendoit ,  sans  que  je  m^en 
doutasse.  J'épousai  celle  qui  devoit  m^en  faire 
éprouver  toutes  les  nuances  ;  je  devins  père  de 
trois  enfans.  Mais  peut-on  analyser,  définir  ces 
jouissances  si  douces,  si  ineffables,  qui  naissent 
de  Funion  €^t  accompagnent  la  paternité?  Tout 
mesourioit,  tout  s'embellissoit  autour  de  moi, 
dans  l'intérieur  de  ma  maison  comme  dans  mes 
champs  j  car  j'étois  devenu  cultivateur.  Le  chan- 
gement des  saisons ,  les  orages  et  les  neiges , 
n'avoient  plus  pour  moi  rien  de  désastreux 
comme  auparavant ,  parce  que  le  bonheur  dont 
|e  jouissoîs  compensoit  tous  ces  inconvéniens. 
La  compagnie  d'une  femme  chérie,  qui  m'avoit 
choisi  entre  tous  les  hommes  pour  la  rendrer 
heureuse  j  la  présence  de  nos  enfans ,  le  plaisir 
de  voir  le  germe  de  leur  raison  et  de  leurs  talens 
se  développer,  étoit  pour  moi  une  suite  de  jouis- 
sances que  la  satiété  ne  pouvoit  flétrir.  Hélas  ! 
ce  temps,  ces  années,  se  sont  envolés  sur  les 
ailes  de  l'épervier  ». 

a  Aveugles  que  nous  sommes  !  nous  marchons 
avec  confiance  jusqu'au  bord  du  précipice,  sans 
Fappercevoir.  J'ignorois  que  plus  on  est  heu- 
reux ,  et  plus  on  doit  trembler  5  que  le  bonheur 
é\m  père  et  d'un  mari  sur-tout,  fondé  sur  un 


©ANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.       43 

pltrs  grand  nombre  de  rapports ,  est  extrême- 
nient  fragile.  Je  bénissbis  le  ciel ,  lorsqu'un  ca- 
tarre  épidémique  vint  anéantir  des  espérances 
si  belles  et  des  jouissances  si  douces  :  mes  trois 
enfahs succombèrent^  et,  comme  si  mes  pertes 
ai'eussent  pas  été  assez  grandes  ni  les  blessures 
de  mon  coeur  assez  profondes,  l'impitoyable 
destinée  frappa  aussi  leur  mère.  Et  on  survit  à 
tm  pareil  déchirement  !  Et  après  avoir  perdu  les 
quatre  cinquièmes  de  son  bonheur  et  de  sa  vie, 
on  peut  encore  respirer  l'air  vital  et  voir  la 
lumière  du  jour  !  Notre  frêle  constitution,  qu'un 
léger  accident ,  un  rhume  détruit  dans  un  court 
espace  de  temps ,  résiste  aux  tourmens  du  déses-^ 
poir ,  à  l' amertume  de  regrets  aussi  cuisans  et 
aussi  longs  !  La  vie  n^est  donc  qu^une  mer  ora- 
geuse, dont  les  ports  même  ne  sont  point  à 
l'abri  des  tempêtes  !  Ou  plutôt ,  ce  n'est  qu'un 
rêve  funeste,  une  suite  de  chimères ,  une  com- 
binaison fortuite  et  passagère  de  biens  illu- 
soires et  de  maux  réels.  11  faut  en  convenir, 
ce  n'est  pas  une  tâche  légère  que  celle  de  pa- 
roître  sur  le  théâtre  du  monde,  et  d'y  vivre 
jusqu'à  un  âge  avancé  ,  sur-tout  dans  ces  épo- 
ques où  les  hommes ,  par  leurs  guerres  insen- 
sées et  leurs  discordes ,  ajoutent  encore  aux 
calamités  inévitables  de  la  nature.  Qui  a  donc 
appelé  la  race  humaine  sur  ce  globe  y  pour  jr 


44  Voyage 

être  la  victime  de  tant  de  fléaux  et  de  mal- 
heurs ))  ? 

((  Ayant  été  assez  lâchepour  n'avoir  pas  rendu 
à  la  nature  le  misérable  souffle  qu'elle  m'avoit 
prêté,  j'abandonnai  des  lieux  où  tout  me  rappe- 
loit  des  objets  aussi  chers  et  des  souvenirs  aussi 
douloureux  5  je  revins  sur  ce  continent,  devenu 
depuis  long- temps  l'asyle  des  malheureux  que 
l'Europe  rejette,  comme  la  mer  rejette  sur  ses 
bords  les  débris  des  naufrages.  J'errai  long-temps 
sans  savoir  où  je  me  fixerois  5  je  redoutois  même 
l'idée  d'un  établissement.  Cependant,  quand  je 
parcourois  des  cantons  cultivés  que  jadis  j'avois 
vus  couverts  d'épaisses  forêts,  lorsque  je  conver- 
sois  avec  des  hommes  dont  les  travaux,  quelques 
années  auparavant,  leur  rapportoient  à  peine 
le  pain  de  lajournée,  et  leur  coùtoient  des  sueurs 
et  des  peines  infinies,  et  que  je  les  voyois  devenus 
tout-  à-coup  par  l'émigration  ,  de  bons  et  utiles 
colons,  jeTavoue,  mon  coeur  s'ouvroit  à  des 
sensations  plus  douces  :  en  partageant  leur  bon- 
heur, je  devenois  moins  malheureux  ;  car  peut- 
on  s'empêcher  de  sourire  aux  premières  lueurs 
d'espérances  fondées  sur  la  protection  des  loix , 
sur  la  possession  de  la  terre  et  sur  l'industrie  de  la 
culture?  Quel  spectacle  plus  propre  à  émouvoir  la 
sensibilité  !  Le  commerce  des  personnes  instrui- 
tes, la  vue  de  tant  d'objets  intéressans  ^  le  chan- 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  45 
gement'd'air 5  toutes  ces  causes  qui,  sans  doute, 
eurent  beaucoup  d'influence  sur  ma  santé,  rap- 
pelèrent aussi  mon  courage ,  et  dissipèrent  un 
peu  les  sombres  teintes  de  cette  mélancolie  que 
j^avois  apportée  avec  moi  )). 

«Je  pârcourois  cette  partie  de  l'Etat,  lors- 
qu'une chute  assez  grave  m'obligea  de  passer 
quelques  semaines  dans  la  maison  dans  le  voisi- 
nage de  laquelle  j'étois  tombé.  La  bonne  et  sainte 
hospitalité  avec  laquelle  j'y  fus  reçu  et  traité , 
les  soins  assidus  qu'on  prit  de  moi ,  l'extrême 
propreté,  la  sérénité  ,  la  douce  gaîté,  l'aisance 
quiy  régnoient,  me  séduisirent  et  me  frappèrent 
beaucoup  j  oui ,  tout  jusqu'au  langage ,  car  le 
tutoiement  dont  elle  faisoit  usage  et  qui  me  pa- 
rut celui  de  l'amitié ,  avoit  quelque  chose  d'in- 
finiment doux.  Les  rapports  des  domestiques 
aux  chefs  étoient  plutôt  ceux  de  la  déférence 
que  de  la  subordination.  J'appris  bientôt  que 
cette  respectable  famille  étoit  membre  de  la  so- 
ciété religieuse  des  Quakers  ou  amis ,  ainsi  que 
le  plus  grand  nombre  de  celles  qui  habitoient  ce 
canton.    Curieux   d'approfondir  les  principes 
d'une  secte  qui  n'admettoit,  me  dit- on,  que  le 
seul  mystère  de  l'incarnation  du  Christ ,  et  qui 
n'exigeoit  pas,   comme  tant  d'autres,  une  foi 
aveugle  et  sans  bornes,  voici  ce  que  j'appris  de 
personnes  instruites  », 


46  VOYAGE 

((  Fondée  dans  le  sein  même  de  îa  liberté ,  elle 
ne  connoît  point  la  hiérarchie  des  pouvoirs ,  ni 
conséquemment  les  foudres  spirituelles  et  les  pei- 
nes de  rexcommunication.  Les  anciens  de  cha- 
que église  se  contentent ,  après  plusieurs  admo-^ 
nitions  ,  de  rayer  du  tableau  des  menîbres  qui 
la  composent ,  le  nom  de  ceux  dont  la  conduite 
est  immorale  ou  qui  désirent  quitter  la  secte.  Le 
seul  culte  extérieur  qu'ils  pratiquent  est  de  s'as- 
sembler tous  les  dimanches  dans  un  édifice  de  la 
plus  simple  architecture ,  où  rien  ne  frappe  les 
yeux,  que  la  blancheur  des  murailles  et  la  pro- 
preté des  sièges.  Là,  ils  passenlsouvent  des  heu- 
res entières  dans  le  recueillement  et  la  médita- 
tion, jusqu'à  ce  qu'un  d'entre  eux,  homme  ou 
femme ,  se  lève  pour  disserter  sur  quelques  pas- 
sages de  l'Ecriture ,  ou  sur  quelque  sujet  reli- 
gieux. N'admettant  aucun  sacrement ,  quel  usage 
pourroient-ils  faire  des  dogmes  ?  La  pratique  des 
bonnes  actions,  l'exercice  constant  delà  justice, 
de  la  charité  et  de  la  bienveillance ,  sont  les  seuls 
actes  qu'ils  croient  agréables  à  l'Etre  suprême. 
Un  culte  aussi  raisonnable  et  aussi  simple  n'a 
pas  besoin  d'être  appuyé  sur  les  bases  de  la  théo- 
logie ni  de  la  controverse:  c'est  un  devoir  ins- 
piré plutôt  qu'écrit.  Voilà  pourquoi  ils  ne  con- 
noissent  point  ce  zèle  amer  et  brûlant,  source 
de  tant  de  guerres ,  de  discordes  et  de  haines.  11^ 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        k^ 

considèrent  et  traitent  tous  les  hommes  comme 
frères  ;  de-là  ce  tutoiement  et  l'appellation  géné^ 
raie  d'ami  dont  ils  se  servent  dans  leurs  conver- 
sations 5  de-là  leur  aversion  pour  les  procès ,  les 
dissentions ,  les  querelles  et  la  guerre ,  et  leur 
amour  pour  la  paix ,  qu'ils  con&idèrent  comme 
le  premier  des  biens  (7).  Les  habitans  de  ce  can- 
ton sont  des  artisans  aisés,  ou  de  bons  cultiva- 
teurs. Contens  de  leur  sort ,  ils  ne  connoissent 
point,  comme  tant  d'autres,  cette  fièvre  d'in- 
quiétude, ce  désir  éternel  d'être  mieux,  qui,  si 
couvent,  empêche  qu'on  se  trouve  jamais  bien. 
Chacun  suit  sa  profession  ou  cultive  sa  terre 
avec  propreté,  in telli  gence  et  industrie.  Survient- 
il  quelque  cause  de  contestation?  Les  anciens  de 
l'église,  arbitres  nés,  les  terminent  sans  délai  et 
sans  frais.  Ils  n'ont  d'autre  ambition  que  de 
vivre  dans  l'aisance,  de  bien  élever  leurs  enfans, 
de  leur  laisser  un  héritage  suffisant,  soit  dans 
le  partage  de  leurs  plantations,  soit  dans  l'achat 
de  terres  boisées,  ou  par  la  connoissance  d'un 
métier  qu'ils  commencent  à  apprendre  dès  l'âge 
de  quatorze  ans)). 

(c  Chaque  église  ou  congrégation  possède  une 
somme  appelée  trésor  de  souffrance ,  formée  de 
la  dixième  partie  volontairement  donnée  du  re- 
venu annuel  des  membres  ;  il  est  destiné  à  pré- 
venir ou  à  réparer  les  malheurs,  ou  à  assister  les 


48  1r  o  Y  A  &  E 

foibles.  Un  jeune  homme  sort-il  de  son  appren- 
tissage sans  moyens  de  subvenir  aux  avances 
nécessaires  pour  commencer  son  métier  ?  Ce  tré- 
sor les  lui  fournit  pour  un  temps  stipulé  et  sans 
intérêt.  Un  colon  a-t-il  perdu  quelques  bestiaux  j 
sa  grange  ou  sa  maison  ont-elles  été  brûlées; 
vient- il  d'essuyer  une  maladie  dispendieuse ,  ou 
est-il  devenu  infirme?  il  trouve  dans  le  trésor 
de  son  église  une  prompte  ressource.  Il  n'y  a 
point  parmi  eux  de  dette  plus  sacrée.  Mais  sHl 
arrive  que  la  même  personne  éprouve  de  nou- 
veaux malheurs ,  la  dette  lui  est  remise;  ce  n'est 
plus  un  prêt ,  mais  un  don.  Voilà  pourquoi  on 
ne  voit  jamais  parmi  eux  d'indigens,  ni  d'hom- 
mes assujétis  à  des  travaux  serviles.  Semblable 
aux  pluies  de  Tété  après  une  longue  sécheresse, 
aux  premières  rosées  du  printemps  après  les  ri- 
gueurs de  l'hiver  ,  cette  admirable  institution 
féconde  et  fait  éclore  les  plus  beaux  germes  ^). 

((Quelle  somme  de  bonheur  individuel  et  de 
prospérité  générale  n'a-t-elle  pas  produite  parmi 
les  branches  de  cette  société  répandues  dans  ces 
Etats?  Cela  est  incalculable.  Je  connois  des  can- 
tons tout  entiers  dont  les  terreins  furent  achetés, 
encore  boisés  _,  des  deniers  de  ces  petits  trésors , 
et  donnés  aux  jeunes  essaims  de  la  congrégation 
qui  alloient  y  fonder  de  nouveaux  établisse- 
mens.  Combien  de  malheurs  et  de  dévastations 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  49 
commises  par  les  troupes  anglaises  pendant  la 
révolution  ,  ont  été  réparés  par  ces  fonds  d'une 
charité  inépuisable  !  Comme  moi  il  faut  Tayolr 
vu  de  près  pour  pouvoir  l'apprécier  )) . 

((  Un  autre  trait  caractéristique  de  cette  so- 
ciété est  le  soin  religieux  qu'ils  prennent  de 
l'éducation  de  leurs  enfans ,  de  l'établissement 
d'écoles  pourvues  des  meilleurs  maîtres ,  dans  les 
campagnes  comme  dans  les  villes.  Quand  vous 
retournerez  à  Philadelphie ,  allez  voir  l'édifice 
où  ceux  des  riches  comme  ceux  des  moins  for- 
tunés sont  élevés ,  et  les  filles  aussi  bien  que  les 
garçons.  Ils  considèrent  l'entretien  de  ces  écoles , 
comme  un  devoir  indispensable  et  sacré  qu'ils 
seroient  coupables  de  ne  pas  remplir.  Voilà  pour- 
quoi on  voit  quelques-uns  d'eux  constamment 
occupés  à  visiter  les  cantons  les  plus  éloignés , 
pour  porter  des  secours  aux  colons  qui  ne  sont 
pas  encoi^  en  état  d'entretenir  les  leurs  comme 
elles  dévoient  l'être.  Depuis  long-temps  Warner 
Mifflin  et  sa  femme  y  consacrent  leur  temps  et 
leur  fortune:  anges  de  bonté  et  de  bienveillance, 
on  les  voit  tantôt  dans  le  midi,  tantôt  dans  le 
nord  de  l'Union  ,  vivifiant  par  leurs  conseils  et 
leur  argent ,  tous  les  lieux  où  quelques  mem- 
bres de  cette  société  se  sont  établis  )) . 

<(  Vous  savez  «ans  doute  que  ce  sont  les  amis 
qui,lespremiers;  prêchèrent  et  recommandèrent 

III,  V 


5o  V    O   Y   A    G   K 

la  liberté  des  nègres  ;  ils  font  plus  encore  pour 
ces  Africains ,  ils  les  rendent  dignes  de  ce  bien- 
fait 5  en  élevant  leurs  enfans  dans  les  principes 
de  la  morale  et  de  la  religion,  et  en  leur  faisant 
apprendre  à  un  certain  âge  une  profession  ou 
un  métier.  Peut-être  avez-vous  entendu  parler 
d^4ntoine  Benezet ,  qui ,  non  content  de  consa- 
crer une  partie  de  sa  fortune  à  l'établissement  de 
ces  écoles ,  est  mort  Finstituteur  de  celle  qu'il 
fonda  à  Philadelphie  )). 

a  Un  autre  trait  non  moins  frappant  de  ces 
sectaires ,  c'est  l'ordre,  la  régularité,  la  persévé- 
rance qu'ils  mettent  dans  leurs  administrations 
particulières ,  comme  dans  leurs  alFaires  domes- 
tiques et  leurs  travaux  agricoles.  Ce  sujet  me 
rappelle  un  fait  arrivé  lorsque  les  Anglais  étoient 
à  Philadelphie.  Un  officier  fut  chargé  d'aller  à 
la  tête  d'un  parti  incendier  la  maison  de  Char- 
les Thompson  membre  de  cette  secte,  qui,  de  la 
grande  école  quaker  de  cette  ville  ,  dont  il  étoit 
premier  instituteur ,  avoit  été  appelé  pour  être 
secrétaire  du  Congrès.  Arrivé  à  cette  plantation, 
qui  n'en  étoit  pas  éloignée ,  la  maison ,  la  dispo- 
sition des  haies,  des  palissades ,  des  clôtures,  des 
champs  et  des  vergers,  tout  lui  parut  si  différent 
de  ce  qu'il  avoit  vu  jusqu'alors ,  qu'il  ne  voulut 
point  exécuter  ses  ordres  :  peut-être  aussi  étoit-il 
trop  généreux  pour  devenir  un  incendiaire.  A 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.       5l 

une  justesse,  à  une  mesure  particulière  dans 
leurs  idées  comme  dans  leurs  actions  ,  ils  unis- 
sent une  simplicité  aussi  respectable  que  tou- 
chante. Leurs  dispositions  habituelles  sont  à  la 
fois  douces  et  sérieuses ,  humaines  et  sensibles. 
Ils  aiment  le  travail  et  l'industrie.  Leur  esprit 
ni  leurs  capitaux  ne  sont  jamais  oisifs  ,  sur-tout 
dans  les  villes  où  ils  contractent  dès  leur  jeune 
âge  Fhabitude  des  affaires.  Il  est  rare  qu'on  ne 
voye  pas  les  noms  de  quelques  membres  de  cette 
société  sur  les  listes  de  ces  nombreuses  souscrip- 
tions ,  au  moyen  desquelles  oh  exécute  tant  de 
choses  utiles  dans  ce  pays.  Ils  ne  sont  pas  moins 
distingués  pour  leurs  dispositions  charitables , 
et  il  n'y  a  point  de  secte  plus  tolérante. —  ((Pour- 
quoi souscris-tu  avec  tant  d'empressement  à  la - 
construction  de  cette  église  qui  n'appartient  pas 
à  ta  croyance,  demandai-je  un  jour  à  un  mem- 
bre de  cette  société?  —  Puisqu'on  doit  y  adorer 
le  créateur  de  toutes  choses  ,  me  répondit-il , 
que  m'importe  le  nom  qu'on  lui  donnera  et  le 
culte  qu'on  doit  y  observer»  ?  —  Ils  ont  un  grand 
respect  pour  les  loix  j  le  Gouvernement  n'a  point 
de  citoyens  qui  lui  soient  plus  attachés  et  qui 
redoutent  plus  qu'eux  les  innovations.  Que  vous 
dirai-je?  Ils  adorent  avec  sincérité  un  Dieu  qui, 
dans  sa  bonté  et  sa  justice ,  récompensera  la 
vertu  et  punira  le  crime.  C'est  pourquoi  ils  re- 


5'2  VOYAGE 

poussent  des  emplois  publics  ceux  qui  ne  voient 
que  le  néant  après  une  vie  exemplaire  ou  cou- 
pable. —  ((  Il  se  peut ,  disent-ils ,  qu'ils  soient 
de  bons  cultivateurs  ,  des  citoyens  paisibles  , 
d^excellens  pères  de  famille  ^  mais  une  moralité 
qui  n'est  pas  fondée  sur  cette  salutaire  croyance, 
ïi'offre  àaxcune  garantie  » . 

((  Eh  bien  !  ce  culte  si  simple  et  si  peu  dis- 
pendieux j  dénué  de  faste  et  de  cérémonies ,  qui 
n'admet  ni  autels  ,  ni  pontifes  ;  qui  ne  connoît 
ni  gacromens,  ni  expiations ,  ni  dogmes,  ni  mys- 
tères ,  et  qui  ne  recommande  que  les  bonnes 
cx3uvres  ;  ce  culte  uni  à  une  éducation  soignée , 
fortifiée  par  l'exemple  des  parens ,  a  cependant 
sur  la  conduite  et  sur  les  moeurs  la  plus  heureuse 
influence.  —  «  C'est  le  chef-d'œuvre  de  l'esprit 
humain ,  dit  vivement  M,  Herman  :  si  j'étois  des- 
tiné à  m'établir  sur  ce  continent,  je  deviendrois 
dès  demain  membre  de  cette  respectable  société. 
D'après  ce  que  j'ai  observé  à  Philadelphie  dans 
l'asyle  de  leurs  indigens  et  de  leurs  vieillards  , 
il  me  paroît  impossible  de  pousser  plus  loin  la 
charité  chrétienne  et  l'humanité  3  ils  y  jouissent 
à  la  fois  d'une  douce  aisance  et  de  logemens 
commodes  tenus  avec  la  propreté  la  plus  recher-^ 
chée.  C'est  au  zèle  infatigable  de  quelques  mem- 
bres de  cette  société  qu'on  doit  l'origine  de  plu-» 
#ieurâ  établissemens  utiles  ainsi  que  la  prime 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.       53 

pour  encourager  Textraction  du  sucre  d'érable^ 
îa  réforme  du  code  pénal ,  le  nouveau  règle- 
ment des  -prisons  j  le  s olitary  confinement,  etc.  )). 

((  Tels  furent  les  détails ,  continua  M.  Hazen , 
qui  me  déterminèrent  à  fixer  mon  séjour  dans 
cet  heureux  voisinage  de  paix  et  d'industrie, 
où  par  le  moyen  de  quelques  amis  J'ai  BUrîeTbon- 
heur  d'acheter  une  plantation.  La  maison  étant 
assez  commode  et  les  champs  en  bon  état ,  mon 
frère  et  moi  n'avons  eu  qu'à  suivre  l'ordre  des 
récoltes  qu'avoit  établi  mon  prédécesseur  5  mais 
sachant  par  expérience  combien  l'irrigation  et 
les  arrosemens  sont  utiles ,  l'humidité  et  la  cha- 
leur étant  les  premiers  agens  de  la  végétation ,  je 
fis  creuser  un  grand  puits  vers  le  sommet  de  la  col- 
line que  vous  voyez ,  dans  lequel  j'ai  établi  trois 
pompes  :  une  machine  aussi  simple  que  peu  dis- 
pendieuse 5  mise  en  mouvement  par  le  vent  (8), 
élève  quarante  tonneaux  par  vingt-quatre  heu- 
res. Cette  eau  retenue  dans  un  réservoir ,  est 
aisément  conduite  à  mon  potager ,  au  pied  des 
arbres ,  dans  mes  herbages  y  et  par-tout  où  elle 
peut  être  utile.  Je  l'enrichis  autant  que  je  le  puis 
avec  le  tan  qu'on  rejette  des  fosses ,  avec  du  sel , 
que  nous  avons  ici  en  grande  abondance ,  de  la 
chaux  5  et  enhn  tout  ce  qui  peut  la  saturer  do 
parties  convenables  à  la  végétation  )). 

(i  Le  bois  étant  rare  dans  ce  canton ,  je  plan- 


54  VOYAGE 

tai  un  taillis  considérable  dès  la  seconde  année 
de  mon  établissement  :  c'étoit  le  premier  qu'on 
eût  encore  vu.  Tel  a  été  TefFet  de  l'arrosement 
des  tombes ,  qu'au  lieu  de  neuf  années,  il  est 
bon  à  couper  dès  la  sixième.  Mon  exemple  et 
mes  succès  ont  ouvert  les  yeux  de  mes  voisins, 
et  mes  pépinières  leur  ont  fourni  les  moyens 
d'environner ,  comme  moi ,  leurs  champs  d'ar- 
bres à  la  fois  utiles  et  agréables.  Jusqu'alors  ,  ils 
n'avoient  connu  que  la  nécessité  d'en  abattre , 
ils  ignoroient  le  plaisir  d'en  planter  et  celui  de 
les  voir  croître.  Déjà ,  comme  vous  avez  pu  l'ob- 
server 5  le  mûrier ,  le  platane ,  l'acacia ,  le  hy- 
cori  élèvent  leurs  têtes  le  long  des  chemins ,  et 
commencent  à  prêter  leurs  ombres  rafraîchis- 
santes aux  voyageurs  fatigués.  Je  leur  ai  fait 
connoître  l'usage  du  plâtre  crud  et  moulu ,  pour 
l'amélioration  des  herbages ,  l'accroissement  du 
bled^  et  la  culture  du  maïs.  Quel  dommage  qu'on 
n'en  ait  point  encore  découvert  dans  cet  Etat  î 
Avant  moi ,  ils  n'avoient  jamais  entendu  parler 
du  goudron  de  charbon  de  terre ,  pour  garan- 
tir de  la  piqûre  des  vers  les  bois  dont  on  se  sert 
dans  la  construction  des  vaisseaux,  des  moulins, 
des^ usines  et  des  digues.  Quelle  heureuse  décou- 
verte pour  les  pays  maritimes  î  II  préserve  aussi 
le  fer  de  la  rouille.  Aussi ,  depuis  plusieurs 
années  ,  s'en   sert -on  dans  les  chantiers   de 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        55 

Boston  5  de  New -York  et  de  Philadelphie  )), 
((  Je  Favoue,  c'est  pour  moi  une  jouissance 
bien  douce  de  penser  que  j'ai  pu  être  utile  à 
ces  paisibles  et  industrieux  colons,  dont  l'esprit, 
non  encore  assujetti  à  l'empire  des  vieilles  habi- 
tudes et  de  la  routine ,  s'ouvre  facilement  à  la 
vérité.  Il  y  en  a  parmi  eux  un  assez  grand  nom- 
bre qui  sont  très-instruits  ;  plusieurs  même  ont 
voyagé.  Je  ne  connois  rien  de  plus  respectable 
qu'un  cultivateur  aisé ,  qui  sait  adoucir  le  tra- 
vail par  l'étude ,  et  qui ,  lorsqu'il  est  fatigué  de 
conduire  sa  charrue  ou  de  semer  son  bled ,  se 
délasse  en  lisant  l'histoire  de  la  révolution  à 
laquelle  il  doit  la  liberté  et  l'indépendance  de 
sa  patrie 5  les  journaux  du  Congrès,  auquel  il 
est  redevable  des  loix  qui  maintiennent  la  paix 
et  le  bon  ordre,  encouragent  l'agriculture,  les 
pêcheries ,  les  manufactures  et  le  commerce  ;  et 
les  gazettes  de  l'Europe,  qu'il  ne  peut  parcourir 
sans  se  féliciter  d'en  être  à  douze  cents  lieues  », 
La  soirée  étant  très-avancée ,  le  lendemain  , 
M.  Hazen  nous  raconta  ce  qui  suit. 


56  V   O   Y    A    G 


C  H  A  P  I  T  R  E     I  I  I. 

«Presque  tous  mes  étés  sont  consacrés  aux 
voyages ,  et  les  hivers  employés  aux  soins  domes- 
tiques :  c'est  alors  que  les  jours  sont  trop  courts 
pour  Fhomme  actif,  et  qu'il  prenct  soin  d'abré- 
ger les  nuits.  J'arrive  de  Philadelphie ,  où  j'ai 
présenté  au  président  des  Etats-Unis  le  journal 
de  celui  que  je  viens  de  faire  à  travers  la  basse 
et  la  haute  Virginie,  le  Ténèzee,  la  Géorgie,  le 
pays  des  Muscogulgès,  des  Checta^vs  et  des  Chi- 
kasaws  (i),  jusqu'aux  Natchées  (2),  sur  les 
bords  du  Mississipi.  C'est  un  hommage  de  mon 
respect  et  de  ma  vénération  pour  celui  (Je  tous 
les  hommes  que  je  connoisse,  qui  en  est  le  plus 
digne.  Avec  quel  admirable  talent  ne  sait-il  pas 
partager  son  temps  entre  les  devoirs  de  la  magis- 
trature suprême  ^  les  soins  qu'exige  la  grande 
culture  du  Mont-Vernon  (culture qu'il  dirige, 
quoique  le  siège  du  Gouvernement  général  en 
soit  à  cent  lieues) ,  et  la  lecture  de  tout  ce  qu'on 
lui  envoie  de  relatif  aux  progrès  des  colonies 
intérieures,  à  la  perfection  des  arts,  des  manu- 
factures et  des  défrichemens.  Quoique  froid  et 
réservé,  sa  conversation  n'en  est  pas  moine  inté- 
ressante j  car  sans  être  éloquent^  il  a  une  énergie 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.       5j 

ûe  profondeur  et  d^ évidence,  qui  fait  jaillir  la 
vérité  et  porte  la  conviction.  L^ autre  jour,  en 
parlant  d^objets  politiques  à  quelques  étrangers 
qui  lui  avoient  été  présentés ,  il  leur  disoit  ))  : 

«La  vertu  et  la  justice  sont  pour  un  bon 
))  Gouvernement  comme  le  soleil  pour  la  nature 
))  vivante 5  il  existe,  dans  l'ordre  qu'elle  a  établi, 
))  une  union  indissoluble  entre  elles  et  le  bon- 
))  heur,  entre  le  devoir  et  le  véritable  intérêt, 
))  entre  les  maximes  pures  d'un  peuple  honnête 
))  et  généreux  ,  et  les  solides  récompenses  de  la 
))  prospérité  et  de  la  félicité  publique.  Le  ciel 
))  ne  laisse  jamais  tomber  un  regard  favorable 
»  sur  une  nation  qui  foule  aux  pieds  les  loix 
))  d'ordre  et  de  justice  qu'il  a  lui-même  éta- 
))  blies  )). 

((  Quel  motif  avoit  pu  vous  déterminer  à  en- 
treprendre un  aussi  long  voyage  ?  demanda 
M.  Wyning  à  M.  Hazen  ;  car  je  crois  qu'il  n'y  a 
pas  moins  de  i5oo  milles  d'ici  aux  Natchées, — 
Depuis  long-temps,  répondit-il ,  j'avois  le  plus 
grand  désir  de  voir  le  Ténèzee  (3) ,  ce  pays  si 
moderne  ,  dont  la  population  s'est  élevée,  dans 
l'espace  de  peu  d'années,  à  près  de  4o,ooo  hom- 
mes, malgré  les  orages  et  les  difficultés  qui 
ont  accompagné  son  enfance ,  et  qui  ont  été 
occasionnées  par  les  attaques  successives  des 
Chérokees,  et  les  discordes  qui  s'élevèrent  entre 


58  VOYAGE 

les  premiers  fondateurs.  Je  voulois  parcourir  ce 
pays  montueux  qui  ressemble  un  peu  à  la  Suisse,, 
trayersé  par  ce  beau  fleuve  dont  il  a  emprunté 
le  nom,  et  qui  est  navigable  pendant  900  milles, 
à  Fexception  du  Musleshoal  et  du  Whirl  (4)  : 
je  savois  d'ailleurs  qu'on  avoit  ouvert  une  route 
depuis  Riclimont  en  Virginie  jusqu'à  Knoxville 
sur  le  Holston  (5) ,  et  de-là  même  jusqu'à  Nash- 
ville  (6)  sur  le  Shawanèse  ou  Cumberland,  dans 
lin  espace  de  64o  milles.  Quelle  fut  ma  surprise, 
après  avoir  suivi  cette  route ,  de  trouver  sur  la 
première  de  ces  rivières,  une  fournaise  et  trois 
gros  marteaux  en  activité  !  Sans  la  découverte 
de  cette  mine ,  les  progrès  de  cette  belle  colonie 
auroient  été  bien  plus  lents  ,  car  qu'est-ce  que 
î'iiomme  sur  la  terre ,  lorsqu'il  ne  connoît  pas 
îe  fer,  ou  qu'il  ne  peut  pas  s'en  procurer  ?  Les 
sources  salées  fournissent  déjà  une  grande  quan- 
tité de  sel  j  il  l^ur  manquoit  encore  du  charbon 
de  terre ,  et  on  vient  d'en  découvrir  sur  les  bords 
du  Clink  ))» 

«  J'ai  souvent  logé  dans  des  villages  Ché- 
rotees ,  où  habitent  les  restes  de  cette  nation  si 
long-temps  formidable  ,  mais  qui,  comme  tant 
d'autres,  va  bientôt  s'éteindre.  Les  chefs  sentent 
aujourd'hui  combien  ils  ont  eu  tort  de  s'être 
mêlés  des  querelles  des  blancs ,  d'avoir  négligé 
Tagriculture  5  vers  laquelle  néanmoins  tout  les 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        ÔQ 

portoit,  fécondité  du  sol,  rivières  navigables , 
situation  charmante,  et  l'exemple  de  leurs  voi- 
sins )) . 

((  Placés ,  comme  nous  Tétions ,  au  centre  du 
continent  (me  dit  Owèecomewèe,  un  des  saga- 
mores  du  grand  village  de  Cussatèe) ,  maîtres  de 
cette  vaste  chaîne  de  montagnes ,  nous  aurions 
pu  en  fermer  les  barrières ,  si  nous  avions  voulu 
en  mieux  cultiver  les  vallées  ;  et  le  torrent  des 
blancs  ne  nous  auroit  pas  engloutis.  Nous  mar- 
chions 5  nous   dormions  sur  le  fer  ,  et  nous 
n'avons  jamais  su  nous  armer ,  comme  eux ,  de 
sa  puissance.  Combien  de  fois  n'ai-je  pas  dit  à 
nos  guerriers  : —  ((  Enterrons  les  os  de  nos  morts 
si  avant ,  que  la  soif  du  sang  et  le  désir  de  la 
vengeance  ne  puissent  plus  germer  dans  nos 
coeurs  :  nous  nous  sommes  assez  repus  de  la  chair 
et  du  bouillon  de  nos  ennemis  5  plantons  Farbre 
de  la  paix ,  faisons-la  avec  tout  ce  qui  nous  en- 
vironne 5  que  la  tête  élevée  de  cet  arbre  ombrage 
les  wigwhams  de  nos  villages,  depuis  Kéowèe 
jusqu'à  Nagutchèe.  Alors  nos  jeunes  gens  péche- 
ront ,  chasseront ,    et  nos  vieillards   fumeront 
sous  son  épais  feuillage  ;  que  chacun  ,  dans  ses 
jeux  et  ses  exercices ,  prenne  garde  d'en  blesser 
l'écorce  !  car,  semblable  à  la  piqûre  d'un  ser- 
pent ,  qui  d'abord  ne  paroit  rien ,  et  pourtant 
est  mortelle ,  une  blessure  légère  devient  plus 


6o  VOYAGE 

profonde,  et  bientôt  gagne  jusqu^àu  cœur.  L^ar- 
bre  tombé ,  tu  verras  comme  la  fureur  de  la 
guerre  nous  dévorera ,  oui,  comme  par  le  passé. 
Qu^avons  -  nous  gagné  à  exterminer  les  gens 
d'Ouasioto  (7)  ?  à  traiter  comme  des  femmes  les 
chasseurs  de  l'Ohio  ?  à  poursuivre  les  blancs  du 
Kentukey  ?  à  faire  trembler  les  deux  Carolines  ? 
Le  sang  de  nos  guerriers  est  devenu  la  pâture 
des  mouches,  et  leurs  corps  celle  de  nos  ennemis 
ou  des  loups.  Après  avoir  eu  la  force  du  chêne  j 
nous  ne  sommes  plus  que  des  roseaux  desséchés , 
que  la  première  étincelle  peut  consumer.  Qu'est 
devenu  le  souvenir  de  nos,  victoires  et  de  nos 
triomphes?  Il  a  passé  comme  le  vent  qui  souffle, 
comme  la  voix  de  Técho  qui  va  se  perdre  dans 
les  montagnes  j  mais  ce  qui  ne  passera  jamais ,  est 
le  regret  d'avoir  été  ,  pendant  si  long-temps , 
aveugles  et  insensés,  et  de  n'être  plus  ce  que 
nous  avons  été,  la  première  des  nations». — - 
Voilà  ce  que  je  leur  disois.  Leurs  oreilles  étoient 
ouvertes,  mais  leurs  coeurs  et  leurs  esprits  étoient 
bouchés.  Tu  vois  ce  qui  reste  dans  nos  villages  ; 
eh  bien  !  dans  quelques  lunes  encore ,  il  n'y 
aura  plus  que  des  vieillards  et  des  femmes  ; 
quelques  lunes  encore,  il  n'y  aura  plus  per- 
sonne 3  la  charrue  des  blancs  sillonnera  le  lieu 
où  mon  feu  brûle  aujourd'hui ,  où  ma  peau 
d'ours  est  étendiue  5  le  brillant  soleil  des  Ché- 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.       6i 

k-okees  est  sur  son  déclin ,  et  va  bientôt  se  cou- 
cîier  pour  toujours  )). 

((  Le  sol  du  Ténèzee  est  si  heureusement 
varié ,  les  expositions  en  sont  si  différentes ,  les 
Las- fonds  si  riches,  qu'un  jour  ses  habitans  cul- 
tiveront à-la-fois  le  bled  ,  le  coton ,  les  vers-à- 
soie  5  FoKvier  et  la  vigne  ;  ils  auront  des  bes- 
tiaux en  abondance.  J'aime  les  pays  montueux, 
non  -  seulement  parce  qu'ils  ressemblent  à  la 
Suisse  ,   mais  parce  que  les  hommes  y  valent 
mieux  que  dans  les  plaines.  Plus  tiers ,  plus  in- 
domptables 5  ils  sont  plus  dignes  de  la  liberté. 
L'histoire  a   consigné   dans  ses  fastes  ce  que 
firent  ces  braves  montagnards,  lors  de  l'inva- 
sion d'un  corps  formidable  de  Chérokees  et  de 
troupes  royales  à  King^s-Mountain ,  ainsi  qu'à 
Guilford,  dans  la  Caroline  septentrionale.  Cette 
belle  colonie ,  qui  touche  au  moment  d'être  re- 
connue comme  seizième  Etat,  et  d'entrer  dans 
la  confédération ,  leur  doit  peut-être  son  exis- 
tence ;  car  si  ces  fiers  ennemis  eussent  triom- 
phé ,  c'en  étoit  fait  de  la  colonie  du  Ténèzee  5  ils 
en  auroient  incendié  toutes  les  habitations ,  et 
massacré  tous  les  habitans.  J'observai  avec  plai- 
sir que   les  fondateurs   avoient  consacré    leur 
reconnoissance  envers  les  généraux  et  les  chefs 
de  la  révolution  ,  en  donnant  leurs  noms  aux 
yilles  et  aux  subdivisions  de  ce  grand  pays.  J'ai 


62  VOYAGE 

consigné  dans  mon  journal  tout  ce  qui  est  relatif 
à  son  étendue ,  à  la  hauteur  des  montagnes,  à  la 
distance  des  chaînes,  à  la  température,  aux 
minéraux,  à  la  culture,  etc.». 

((  Après  avoir  pénétré  aussi  loin  que  les  éta- 
blissemens  me  le  permirent,  je  pris  le  parti  de 
passer  les  montagnes  à  Keowèe,  pour  me  rendre 
dans  la  Géorgie.  J'arrivai  à  Augusta,  la  capitale, 
quelque  temps  après  que  le  Gouvernement  eut 
concédé  à  plusieurs  compagnies  l'immense  ter- 
ritoire qu'il  réclame,  depuis  les  frontières  Creeks 
jusqu'au  Mississipi.  On  ne  conçoit  que  difficile- 
ment comment  des  concessions  aussi  vastes  ont 
pu  devenir  la  propriété  de  quelques  particuliers, 
car  d'après  la  constitution  ,  le  Gouvernement 
fédéral  auroit  du  en  être  investi,  puisqu'elle 
l'avoit  chargé  d'éteindre  les  dettes  de  cet  Etat 
contractées  pendant  la  guerre  (8).  Quoi  qu'il  en 
soit,  les  Séminoles  s'opposèrent  vigoureusement 
à  l'invasion  de  leur  territoire  j  et  plus  d'une  fois, 
la  Géorgie  a  eu  à  déplorer  les  malheurs  de  leurs 
cruelles  déprédations.  Cette  imiiiense  région  qui 
s'étend  depuis  la  rivière  de  Savannah  jusqu'au 
Mississipi ,  contenant  au  moins  neuf  degrés  de 
longitude,  rapportera  un  jour  presque  toutes 
les  productions  du  tropique.  La  beauté  du  cli- 
mat ,  la  profondeur  du  sol ,  les  prairies  natu- 
relles si  semblables  à  celles  de  la  Floride  orien- 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  65 
taie  ,  le  grand  nombre  de  rivières  douces  et 
navigables,  dont  les  unes  tombent  dans  TOcéan , 
les  autres  dans  le  golfe  du  Mexique ,  les  ruis- 
seaux qu'on  rencontre  sur-tout  dans  le  pays  des 
Creeks  ,  telles  sont  les  causes  qui  promettent  à 
cette  vaste  région  une  grande  prospérité  )). 

((  Accompagné   de  plusieurs  voyageurs  qui 
alloientàUclié,  capitale  de  la  tribu  de  ce  nom  (g), 
nous  traversâmes  FOckonee  et  l'Ockmulgee, 
branches  superbes  de  FAlatamaha  (lo)  et  quel- 
que temps  après  TApalacliicola  (i  i)  ,  le  Flint, 
le  Chatta-Uché ,  la  Talapoosa  ,  FAlibama  et  le 
Tombéchée,  branches  de  la  Mobile,  sur  les  bords 
de  laquelle  nous  nous  arrêtâmes  quelques  jours 
chez  un  français ,  petit-fils  d'un  des  premiers 
colons.    Il  nous    entretint   de  la  communica- 
tion qui  s'établiroit  un  jour  avec  les  Etats  de 
l'intérieur  entre  les  sources  du  Tombéchée  et 
celles  de  l'Occochappo  qui  tombe  dans  le  Ténè- 
zee,  ce  qui  abrégeroit  considérablement  les  dis- 
tances. Il  nous  fit  voir  l'esquisse  du  pays  intermé- 
diaire ,  d'après  laquelle  il  nous  parut  qu'un 
intervalle  de  5o  milles  seulement ,  séparoit  les 
eaux  navigables  de  ces  deux  rivières  ». 

((  Munis  des  informations  dont  nous  avions 
besoin  pour  le  logement  (car  le  sentier  étoit  bien 
frayé),  nous  traversâmes  une  partie  du  pays  des 
ChikasawS;  pays  frais  et  délicieux,  arrosé  par  un 


64  VOYAGE 

grand  nombre  de  ruisseaux,  jusqu^àla  rivière 
aux  Perles  (i  ii) ,  où  nous  nous  reposâmes  vingt- 
quatre  heures  ,  pour  éviter  un  orage  des  plus 
terribles  que  j'eusse  encore  vus.  De-là,  nous  arri- 
vâmes heureusement  aux  Natchées  à  80  milles 
de  distance  j  après  en  avoir  fait  586  en  trente- 
sept  jours  de  marche  depuis  Augusta.  Nous 
eûmes  beaucoup  à  nous  louer  de  Fhospitalité 
des  indigènes  et  des  blancs,  chez  qui  nous  trou- 
vâmes des  rafraîchissemens  pour  nous  et  pour 
nos  chevaux,  et  la  réception  la  plus  fraternelle, 
comme  on  nous  l'avoit  prédit  à  Augusta  )) . 

ce  De  tous  les  aborigènes  du  continent ,  les 
Creeks  et  les  Chectaws  sont  les  plus  civilisés  ;  ils 
cultivent  le  maïs ,  élèvent  des  bestiaux  dans 
leurs  immenses  savannes  ,  ainsi  que  des  che- 
vaux 5  et  vivent  dans  l'abondance.  Ils  ont  des 
chefs,  une  justice  distributive,  quelques  loix, 
sinon  écrites,  du  moins  bien  connues.  Leur 
pays,  orné  de  belles  collines,  de  prairies,  de 
lacs ,  de  vallons  fertiles ,  où  coulent  des  rivières 
et  des  ruisseaux  sans  nombre ,  et  passablement 
bien  cultivé ,  deviendra  un  jour  FArcadie  de  ce 
continent.  Leur  grand  chef  Macgillivry  (i5)  , 
étant  allé  à  Saint-Augustin  (i4),  nous  ne  pûmes 
le  voir». 

<(  Après  m' être  reposé  chez  M.  B.  Lintot,  un 
des  premiers  colons  des  Natchées,  je  parcourus 


DANS   LA   HAUTE   PENS YLVANIE.      65 
à  loisir  toutes  les  parties  de  cette  belle  et  fertile 
colonie  ,  qui  j  bien  que  située  beaucoup   au- 
delà  des  limites  de  la  Floride  occidentale  (i5), 
est  occupée  par  une  garnison  espagnole  de  la 
Nouvelle-Orléans.  Son  élévation  au-dessus  du 
Mississipi,  estimée  être  de  200  pieds,  la  fertilité 
de  son  sol,  la  richesse  de  ses  productions,  la 
facilité  des  communications  avec  la  capitale  , 
dont  cet  endroit  n^est  qu^à  81  lieues, tout  a  con- 
couru ,  depuis    l'anéantissement  de  la  nation 
Natchée ,  en  17^7  ,  à  y  attirer  des  colons  fran- 
çais ,    anglais  ,    allemands   et  américains.   Les 
Géorgiens  la  réclament  comme  étant  dans  leurs 
limites  5  les  Espagnols  la  possèdent  )>. 

((  D'un  des  bastions  du  fort  Rosalie ,  construit 
sur  une  écore  très-élevée ,  situé  à  116  lieues  de 
la  mer  et  à  486  de  la  cataracte  de  Saint-Antoine, 
j'apperçus  le  Mississipi,  roulant  majestueuse- 
ment ses  eaux  profondes  et  tranquilles  au  milieu 
d'une  plaine  sans  bornes ,  ornée  d'îles ,  inter- 
rompue de  distance  en  distance  par  les  rivages 
de  ce  fleuve  5  j'admirai  ces  rivages  couverts  de 
sycomores,  de  cyprès,  de  magnolias,  de  tuli- 
piers de  la  plus  grande  hauteur,  et  d'un  dia- 
mètre tel  que  je  n'en  avois  jamais  vu  de  pareil. 
En  réfléchissant  à  la  longueur  de  son  cours 
(car  ses  sources  sont  peut-être  à  mille  lieues  du 
point  où  j'étois)  ,au  grand  nombre  de  rivières 
III.  E 


66  VOYAGE 

qui  lui  apportent  le  tribut  de  leurs  eaux ,  à  la 
prodigieuse  étendue  de  cette  navigation  inté- 
rieure, au  commerce  dont  ce  fleuve  sera  un  jour 
le  centre  ,  à  la  fécondité  de  cette  belle  partie  du 
globe,  mon  imagination  s'élança  dans  Favenir , 
pour  y  contempler  tout  ce  que  l'industrie ,  la 
population ,  les  lumières  et  la  liberté  y  feront 
un  jour.  Déjà  il  me  sembloit  voir  cette  immense 
surface  divisée  ,  comme  l'ancienne  Egypte ,  en 
nomes  liés  par  des  chaussées ,  environnés  de  ca- 
naux, plantés  d'arbres  dont  l'ombre  et  la  fraî- 
cheur seront  si  salutaires.  Plus  heureux  que  les 
îiabitans  de  l'Egypte,  ceux  de  la  Louisiane  n'au- 
ront pas  besoin  que  leurs  terres  soient  couvertes 
des  eaux  du  fleuve;  car  telle  est  la  profondeur  et 
la  fertilité  du  sol ,  que  leurs  récoltes  ne  dépen- 
dront pas  de  ses  débordemens.  Ils  seront  nés  à 
l'époque  où  les  hommes  auront  atteint  le  plus 
haut  degré  de  civilisation ,  où  les  arts,  lesscien-^ 
ces  ,  la  mécanique  ,  dirigeront ,  accéléreront 
leurs  travaux.  Ainsi  je  m'égarois  dans  l'immen- 
sité et  la  variété  d'une  perspective ,  qui  peut-r 
être  se  réalisera  avant  deux  siècles.  Dites-moi^ 
lie  vaut-il  pas  mieux  occuper  sa  pensée  d'un  si 
bel  avenir  et  de  créations  nouvelles ,  si  intéres- 
santes pour  l'humanité ,  que  d'errer  à  travers 
les  routes  incertaines  et  douteuses  de  l'anti-» 
quitéjpour  y  contempler  des  ruines  menaçantes, 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANI^.         67 

des  édifices  mutilés ,  ou  les  effets  des  révolutions 
dévastatrices  »  ? 

«  Le  spectacle  de  ces  plaines  lierbées  ou  cou- 
vertes de  roseaux  ,  étoit  encore  plus  intéressant 
pour  un  homme  comme  moi,  né  au  milieu  des 
montagnes  et  des  glaciers  delà  Suisse ,  et  arri- 
vant des  climats  septentrionaux,  où  les  rigueurs 
et  les  frimats  enchaînent ,  pendant  quatre  mois, 
le  mouvement  et  la  végétation.  A  la  Louisiane , 
la  terre ,  rafraîchie  presque  toute  l'année  par  les 
zéphyrs  de  Fêté ,  échauffée  par  la  puissance  fé- 
condante du  soleil  et  des  pluies,  laisse  voir  à 
peine  un  intervalle  où  la  nature  engourdie  cesse 
de  produire  ;  son  sein  comme  sa  bonté  semblent 
inépuisables.  En  Suisse,  ainsi  que  dans  les  Etats 
du  Nord  ,  les  cantons  boisés  ont  une  apparence 
agreste  et  sauvage  qui  déplaît  et  repousse;  là,  au 
contraire  ,  ces  plaines  vertes  ,  ces  îles  et  ces 
beaux  rivages  couverts  de  magnifiques  futaies, 
portent  une  empreinte  plus  douce,  qui  séduit, 
attire, invite  aux  améliorations.  Quelle  richevsse, 
quand,  ces  terreins ,  aujourd'hui  vagues  comme 
la  mer  ,  seront  peuplés  d'habitations  ombragées 
par  les  sycomores  et  les  cyprès  du  Mississipi  (1 6), 
dont  l'énorme  grosseur  atteste  la  fraîcheur  du 
sol  !  Alors  la  Louisiane  deviendra  l'émule  de 
Tancienne  Egypte ,  si  renommée  par  la  sagesse 
de  ses  loix  et  par  ses  progrès  dans  les  sciences  : 

5? 


68  '  T   O   Y    A    G   E 

que  dis-je  !  elle  la  surpassera  par  son  étendue  ^ 
parle  nombre  de  ses  habitans ,  ainsi  que  par  la 
navigation  et  le  commerce,  dont  elle  sera  le 
centre.  Quelle  différence ,  en  effet ,  entre  les 
étroites  limites  de  celle-ci ,  resserrées  par  les 
rochers  de  la  Thébaïde  et  les  sables  brùlans  de 
la  Nubie,  et  l'immense  et  fertile  région  à  travers 
laquelle  coule  et  serpente  le  Mississipi  !  Elle 
s'étend ,  en  largeur ,  de  la  rivière  aux  Perles 
sur  le  côté  oriental ,  jusqu'au  Rio-Norte,  dans 
le  fond  du  golfe  du  Mexique ,  dans  un  espace  de 
plus  de  120  lieues  5  et  en  longueur,  depuis  la 
balise,  à  rextrémité  de  la  principale  bouche, 
jusqu'au-delà  du  saut  Saint-Antoine,  à  566  lieues 
géométriques  de  distance.  Les  cinq  neuvièmes , 
dit-on ,  de  cette  immense  surface ,  consistent  en 
terres  hautes  et  boisées  5  le  reste  ,  estimé  à 
2i8,4oo,ooo  acres  ,  en  plaines  fertiles  ou  en. 
prairies  naturelles,  dont  à  peine  la  moitié  est 
exposée  aux  inondations  (17).  Tel  est  l'apperçu 
du  vaste  champ  ouvert  à  l'industrie  de  la  pos- 
térité)). 

c(  L'Egypte  n'est  arrosée  que  par  le  Nil  5  tout 
ce  que  ses  eaux  ne  couvrent  pas  est  aride  et 
inculte  :  le  Mississipi  ,  au  contraire,  reçoit  des 
fleuves  et  des  rivières  sans  nombre,  qui  ne  lui 
portent  leurs  eaux  qu'après  avoir  fertilisé  de 
yastes  régions.  Tels  sont,  sur  le  rivage  oriental, 


DANS   liA   HAUTE   PENSYLVANIE.        6g 

3e  petit  Yasoo,  venant  du  pays  des  Cliectawsj  le 
grand  Yasoo ,  de  celui  des  Chikasaws ,  FOliio  et 
ses  branches ,  qui  a  plus  de  4oo  lieues  de  cours  ; 
miinois,  le  Ouisconsing ,  le  Chippaway,  etc.: 
sur  Foccidental ,  les  rivières  Rouge  et  Noire , 
FArcansa  ,  le  Missouri ,  dont  les  eaux  viennent 
du  Nouveau-Mexique,  celle  des  Nadooassés,  du 
Wadappa-Ménésoter,  etc.  Quelle  prodigieuse 
quantité  de  denrées  ,  de  bois,  de  minéraux,  de 
productions  de  toute  espèce,  les  eaux  de  ce  grand 
fleuve  ne  transporteront- elles  pas  un  Jour  à  la 
mer ,  lorsque  ces  vastes  régions  seront  peuplées  î 
Ce  parallélogramme,  dont  la  surface  cultivable 
est  au  moins  de  67,9520  lieues  quarrées,  se  trouve 
sous  les  plus  belles  latitudes,  depuis  le  29^  jus- 
qu'au 45^  degré)). 

«  Je  ne  connois  point  d'objet  de  contempla- 
tion plus  intéressant  ni  plus  digne  d'occuper 
l'esprit  d'hommes  qui,  comme  nous,  se  trouvent 
au  berceau  des  nations  dont  la  postérité  cou- 
vrira un  j  our  cette  partie  de  riiémisphère  sep- 
tentrional. Quels  qu'en  soient  le  nombre  et  la 
puissance,  j'espère  que  jamais  la  superstition  et 
l'esclavage  n'élèveront  sur  le  sol  de  la  Louisiane 
d'orgueilleuses  pyramides  ,  ces  témoins  de  tant 
de  révolutions,  qui  ont  survécu  à  l'histoire,  et 
même  à  la  tradition.  Semblables  à  celles  du  Nil, 
les  bouches  du  Mississipi  sont  d'un  accès  difficile, 


yO  V    O    Y    A    G   15 

sujettes  à  changer  ,  et  quelquefois  même  dange- 
reuses ;  depuis  la  balise  jusqu'à  la  Nouvelle- 
Orléans  5  les  vaisseaux  sont  obligés  de  s'amarrer 
contre  le  rivage ,  dans  la  crainte  d'être  entraînés 
par  les  arbres  que  ce  fleuve  cliarie.  Mais  la  ri-^ 
vière  Manchac ,  ou  Iberville  (18)  (laquelle  est  un 
écoulement  des  eaux  du  Mississipi  vers  les  lacs 
Pontchartrain  et  Maurepas,  pendant  les  crues , 
qui  souvent  s'élèvent  jusqu'à  90  pieds) ,  offre  à 
l'industrie  des  générations  futures,  un  atterris- 
sement  beaucoup  plus  sûr  et  plus  court  :  ce  sera 
comme  le  canal  qui ,  d'Alexandrie ,  conduit  au 
grand  Caire.  Alors  le  siège  de  la  capitale  sera 
nécessairement  transféré  sur  ce  rivage  ,  plus 
élevé  ,  plus  salubre  que  l'emplacement  de  la 
Nouvelle-Orléans,  trop  bas  et  trop  humide.  C'est 
sur  ce  confluent  que  les  Anglais,  durant  leur 
séjour  dans  ce  pays,  avoient  construit  de  beaux 
magasins  et  quelques  jolies  maisons.  Tel  que  le 
fleuve  de  l'Egypte ,  celui-ci  a  un  Delta  considé- 
rable (19)  5  qui  augmente  tous  les  ans  par  l'ac- 
cumulation des  arbres,  des  roseaux,  des  feuilles, 
ainsi  que  par  la  prodigieuse  quantité  de  limon 
qu'il  charie  )). 

((  Un  jour  que  je  le  remontois  dans  un  bateau 
de  la  rivière  des  Arcansas  (20) ,  nous  étions  à 
Lança ,  près  le  riv^age  occidental ,  lorsque  j'ap- 
perçus  une  fumée  qui  paroissoit  s'élever  du 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        7X 

milieu  d^une  vaste  plaine.  — ■  ((  Elle  vient ,  me 
dit  un  des  passagers  français,  des  habitations  de 
plusieurs  familles  acadiennes  (21) ,  que  les  An- 
glais chassèrent ,  en  1745  ,  .de  leur  pays ,  situé 
sur  une  des  îles  dont  la  nature  a  -embelli  ces 
plaines.  Elles  sont  nomades  5  car,  à  l'exception 
du  maïs  et  du  coton  ,  qu'elles  ne  cultivent  qu'en 
petite  quantité  ,  leurs  richesses  ne  consistent 
que  dans  le  nombre  de  leurs  bestiaux.  Mais  au 
lieu  de  les  élever  péniblement ,  comme  dans  les 
pays  septentrionaux  et  dans  le  territoire  res- 
serré d'une  commune,  elles  les  font  jouir  de  la 
vaste  étendue  de  ces  plaines.  Tout  ce  qui  les 
environne  est  grand  et  libre;  les  bornes  de  leurs 
domaines  sont  celles  de  l'horizon  ,  ou  quelques- 
uns  de  ces  canaux  naturels  ,  qui  ,  dans  le  temps 
des  crues ,  servent  d'écoulement  aux  eaux  du 
fleuve.  Il  ne  manque  à  leurs  bestiaux  que  de 
l'ombre  ,  qu'ils  viennent  souvent  chercher  sur 
l'île  boisée  de  leur  maître,  ou  sous  les  sycomores 
que  ces  habitans  prennent  quelquefois  la  peine 
de  planter. Ici ,  comme  chez  vous ,  on  gouverne  et 
on  retient  ces  animaux  par  le  besoin  et  l'appât  du 
sel.  Hélas  !  si  les  hommes  pouvoient  être  heureux 
sur  la  terre  ,  ils  le  seroient  ici  ;  il  leur  faut  si  peu 
pour  être  bien  !  et  de  ce  peu,  ils  en  ont  avec  pro- 
fusion. Ils  se  nourrissent  du  lait,  du  fromage, 
ainsi  que  de  la  chair  de  leurs  bestiaux  ^  et  souvent 


72  VOYAGE 

aussi  du  produit  de  leurs  chasses  et  de  leurs 
pêclies.  Les  différentes  préparations  du  maïs 
leur  tiennent  lieu  de  pain.  Les  femmes  filent  le 
coton ,  et  tissent  les  vétemens  dont  leurs  familles 
ont  besoin.  Ils  vivent  sans  soins,  sans  inquié- 
tudes 5  sans  être  exposés  à  ces  fatigues ,  sans  ré- 
pandre ces   sueurs  avec   lesquelles  on   achète 
ailleurs  Faisance  et  l'indépendance.  Mais  d'un 
autre  coté,  n^ayant  ni  obstacles  à  surmonter ,  ni 
difficultés  à  vaincre,   ces  hommes  deviennent 
souvent  imprévoyans  et  paresseux.  Quand  ils 
se  plaignent  (  car  c'est  le  sort  de  Fhomme) ,  je 
leur  dis  :  —  ((  Vous  êtes  coupables  et  ingrats,  et 
vous  ne  méritez  pas  le  bonheur  dont  vous  jouis- 
sez :  apprenez  à  le  connoître  et  à  le  sentir  ;  c'est 
tout  ce  qui  vous  manque».  —  Nous  avons  une 
colonie  de  ces  paisibles  Acadiens  établie,  depuis 
plusieurs  années ,  sur  le  haut  de  notre  rivière. 
Plusieurs   de   leurs   familles  ,    devenues   opu- 
lentes, et  non  contentes  du  sol  de  leurs  îles,  ont 
fait  entourer  de  larges  fossés  quelques  parties 
des  plaines  du  voisinage,  sur  lesquelles  elles 
cultivent  le  maïs ,  le  sainfoin  de  Malte,  etc.  et 
nulle  part  on  ne  voit  un  pareil  luxe  de  végéta- 
tion :  mais  ce  qui  est  plus  frappant  encore ,  ce 
sont  les  doubles  rangs  de  cyprès  et  de  peupliers 
du  Mississipi ,  dont  elles  ont  garni  le  revers  de  ces 
fossés*  Dans  un  jour  de  chaleur,  l'œil  çt  rimagi- 


DANS   LA    HAUTE   PENSYLVANIE.       70 

nation  se  reposent,  avec  un  plaisir  inexprimable, 
à  l'ombre  de  ces  beaux  arbres ,  auxquels  la  fer- 
tilité du  sol  donne  une  vigueur  d'accroissement 
qui  ne  se  voit  que  dans  la  Louisiane.  Ce  sont  de 
pareils  ombrages  qui  manquent  à  Fintérieur  de 
ces  belles  plaines  -,  ils  existeront  un  jour  ». 

«  Pai  été  toute  ma  vie  occupé  du  commerce, 
continua  ce  passager  français,  après  m'avoir 
beaucoup  parlé  de  ses  voyages  dans  la  haute 
Louisiane  5  mais  depuis  que  la  guerre,  que  dis-je? 
depuis  que  l'ébranlement  général  de  l'Europe  l'a 
anéanti,  je  vis  sur  les  rivages  de  l'Arcansa,dans 
un  heureux  éloignement  des  hommes  et  des 
choses.  Mes  livres,  que  j'avois  si  long -temps 
négligés,  sont  devenus  mes  amis.  Je  reçois  de 
temps  en  temps  les  gazettes  des  Etats-Unis  :  car, 
à  la  Nouvelle-^ Orléans  ,  on  ne  permet  pas  d'en 
imprimer.  De  combien  de  doutes  et  de  réflexions 
ne  remplit  pas  quelquefois  mon  esprit  la  vue  de 
ces  événeraens  inattendus,  qui,  tout-à-coup, 
changent  le  sort  des  empires  et  dos  nations  !  En 
vain  cherche-t-on  à  en  démêler  les  causes,  on 
ne  peut  appercevoir  que  les  effets.  Eh  !  qui  pour- 
roi  t  ne  pas  verser  des  larmes  à  l'aspect  des  mal- 
heurs dont  ces  révolutions  inondent  la  terre  ? 
Comment  concevoir  qu'elles  entrent  dans  les 
vues  du  grand  Ordonnateur?  Et  s'il  est  trop, 
puissant  ^  trop  élevé  pour  s'intéresser  à  notre 


7^  VOYAGE 

sort,  quelle  autre  puissance  y  préside  donc»? 

«  Voilà,  messieurs,  tout  ce  que  ma  mémoirQ 
me  rappelle  dans  ce  moment  -,  les  détails  parti- 
culiers ,  les  esquisses  géographiques  que  voulut 
bien  me  donner  don  Pedro  de  Casanorte,  arpen- 
teur général  de  la  Louisiane ,  les  informations 
des  personnes  instruites,  les  observations  que  je 
faisois  journellement,  sont  consignés  dans  mon 
journal  3  car  quelque  peu  commodément  que  je 
lusse  logé  d'ordinaire,  j'y  travaillois  tous  lessoirs, 
dans  la  crainte  de  donner  aux  impressions  le 
temps  de  s'eiFacer ,  ayant  souvent  éprouvé  qu'on 
ne  voit  bien  que  les  obj  ets  présens  et  le  jour  mém  e, 
et  que  ceux  de  la  veille  sont  déjà  oubliés.  Mon 
voyage  a  exigé  huit  mois,  et,  pendant  cet  inter- 
valle, je  n'ai  pas  essuyé  la  plus  légère  incommo- 
dité, quoique  presque  tous  les  habitans  des  bords 
de  la  Mobile  (22)  fussent  attaqués  de  la  fièvre, 
lorsque  j'y  passai.  J'ai  du.  beaucoup  à  l'hospita- 
lité des  colons  chez  qui  j'ai  logé,  ainsi  qu'à  celle 
des  Muskogulgès ,  des  Séminoles,  des  Chectaws  et 
des  Chikasaws,  par  qui  je  fus  reçu  et  traité  comme 
un  frère  et  un  ami.  Ils  étoient  bien  étonnés  d'ap- 
prendre que  la  curiosité  étoit  le  seul  motif  de 
mon  voyage.  —  a  Qu'est-ce  que  la  curiosité  »  ? 
me  demandèrent  plusieurs  d'entr'eux.  C'est,  en 
effet,  un  sentiment  dont  ils  n'ont  pas  d'idée  ». 

.{(  Ah  !  dit  M,  Herman ,  si  j'avois  eu  le  bonheur 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.       76 

de  vous  connoître  alors,  très-certainement  je 
vous  aurois  accompagné.  Quelle  jouissance  de 
remettre  au  net,  dans  le  calme  et  le  repos,  cette 
foule  d'observations  qu'avoit  fait  naître  la  vue  de 
tant  d'objets  nouveaux;  de  décrire  ces  solitudes  si 
étendues,  ces  forets  si  belles,  ces  rivières ,  ces  sols 
si  variés ,  ces  climats  si  doux ,  destinés  à  être  un 
jour  le  théâtre  de  Findustrie,  du  mouvement  et 
de  l'activité  ,  le  séjour  de  Fopulence  et  du  bon- 
heur !  Ailleurs  ,  les  hommes,  comprimés  dans 
des  espaces  trop  resserrés ,  s'entre-nuisent ,  se 
gênent  et  s'étouffent  :  ici ,  ils  pourront  multi- 
plier, s'étendre  pendant  bien  des  siècles.  En 
parcourant ,  il  y  a  quelque  temps ,  un  recueil 
d'anciennes  gazettes,  je  trouvai  des  détails  rela- 
tifs à  la  célèbre  campagne  du  général  Bouquet , 
dont  M.  Wyning  m'a  dit  que  vous  étiez  alors 
aide-de-camp  :  pourrois-je  vous  demander  si 
vous  vous  rappelleriez  quelques  traits  des  scènes 
si  intéressantes  qui  eurent  lieu  lors  de  l'arrivée 
des  prisonniers  au  camp  du  Muskinghum ,  dont 
le  docteur  Smith ,  alors  président  de  l'Université 
de  Philadelphie,  publia  plusieurs  morceaux 
que  je  n'ai  jamais  pu  trouver  chez  les  Libraires  »? 
(c  Quoique  l'impression  de  ces  scènes  ne 
puisse  jamais  s'efl'acer  de  ma  mémoire  ,  ré- 
pondit M.  Hazen,  je  ne  vous  en  ferois  aujour- 
d'hui qu'un  récit  bien  imparfait  j  parce  que 


76  VOYAGE 

j^aurois  à  me  rappeler ,  non  pas  tant  les  objets 
que  je  vis,  qu^une  foule  de  sensations  que  j^ai 
éprouvées  j  et  qu^il  me  seroit  maintenant  impos- 
sible de  peindre.  J^en  traçai  une  esquisse  pour 
le  Général ,  aussi-tôt  après  que  les  interprètes 
m'eurent  donné  la  traduction  des  discours  sau- 
vages ,  dont  ils  avoient  fait  des  minutes  sur  le 
lieu  de  la  conférence  ,  elle  mérita  son  approba- 
tion, ainsi  que  celle  de  mes  amis  parmi  les  offi- 
ciers de  Farmée.  Mais  tel  est  le  désordre  de  mes» 
papiers ,  que  je  perdrois  un  temps  considérable 
à  la  chercher.  Si  vous  desiriez  la  voir,  je  me 
ferois  un  vrai  plaisir  d'en  faire  un  extrait,  que  je 
vous  enverrois  dans  quelques  jours)). — 11  tint 
sa  promesse  ^  et,  peu  de  temps  après  notre  re- 
tour à  Philadelphie,  nous  reçûmes  les  détails 
suivans. 


DANS  LA  HAUTE  PliNSYLVANIE.      77 


CHAPITRE    IV. 

«  La  conquête  du  Canada  produisit  dans  l'esprit 
et  dans  les  opinions  des  grandes  nations  de  FOhio 
et  des  Lacs, une  révolution  bien  extraordinaire, 
qui  fut  à  la  veille  d'avoir  les  suites  les  plus  fu- 
nestes pour  la  Pensylvanie,  le  Maryland  et  la 
Virginie.  Comme  si  un  rayon  de  lumière  leur 
eiit  tout -à-coup  fait  appercevoir  que,  jus- 
qu'alors ,  elles  av oient  été  dupes  ou  victimes  des 
blancs ,  leurs  chefs  résolurent  d'en  réunir  les 
forces,  et  de  s'affranchir  de  ce  joug.  Pour  cet 
effet,  ils  formèrent  le  vaste  projet  de  s'emparer 
de  tous  les  forts  de  l'intérieur  ,  jadis  construits 
dans  leur  pays  pour  commander  les  portages , 
les  détroits ,  ainsi  que  les  principaux  rendez— 
TOUS  de  chasseurs  ;  et  ils  l'exécutèrent  avec  une 
promptitude,  un  accord  et  un  courage  dont  on 
ne  les  avoit  pas  cru  susceptibles.  L'unanimité, 
la  constance  de  leurs  efforts ,  ainsi  que  l'incon- 
cevable fureur  de  l'attaque,  démontrèrent  évi- 
demment que  si  ,  trente  ans  plutôt,  ils  avoient 
su  que  de  l'union  vient  la  force,  ces  colonies  se 
seroient  étendues  beaucoup  plus  tard  au-delà 
des  montagnes.  La  réunion  de  ces  nations,  alors 
nombreuses  j  conduites  par  des  chefs  audacieux 


78  VOYAGE 

et  habiles  (ils  en  avoient  d\me  forte  trempe)  ^ 
aiiroit  pu  former  une  république  fédérative  , 
semblable  à  celle  des  Sémin oies.  Peut-être  même, 
instruits  par  Fexpérience,  seroient-ils  parve- 
nus à  diriger  une  partie  de  l'industrie  nationale 
Vers  l'agriculture ,  et  bientôt  ils  auroient  eu  des 
laboureurs  et  des  guerriers.  Alors  tout  eût 
changé  de  face  sur  ce  continent.  Le  progrès  de 
ces  colonies  auroit  été  extrêmement  retardé  ; 
elles  auroient  perdu  pour  long-temps  la  navi- 
gation des  grands  lacs ,  ainsi  que  la  possessioii 
des  beaux  pays  Trans-Alléghéniens  )>. 

«  Les  uns  attribuèrent  cette  irruption  formi- 
dable à  la  suppression  des  présens  ordinaires  5 
les  autres,  à  l'usurpation  de  grandes  portions 
de  terreins  qui  n'avoient  point  été  préalable- 
ment achetées.  La  crainte  d'être  les  esclaves 
d'une  Puissance  qui ,  depuis  la  conquête  du  Ca- 
nada, leur  parut  devoir  devenir  tjrannique  et 
oppressive ,  en  fut  la  véritable  cause,  et  sur-tout 
l'idée  que  les  garnisons  anglaises  de  ces  petits 
forts  français,  deviendroient  bientôt  les  germes 
d'autant  de  colonies  (1)  ;  car  ils  redoutent  nos 
charrues  encore  plus  que  nos  armes.  En  effet,  le 
gibier  disparoît  aussi-tôt  qu'un  canton  com- 
mence à  être  défriché  ». 

«  Les  nations  Sandusky ,  Munsy,  Cagnawaga , 
Qutawa,  Wyandot,  Winébago,  conjointement 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.      79 
avec  celles  de  l'Ohio ,  jouèrent  le  principal  rôle 
dans  cette  guerre ,  dont  la  première  idée  fut , 
dit-on,  conçue  par  Pondiack,  chef  Outawa, 
long-temps  célèbre  par  sa  sagesse  et  son  élo- 
quence dans  le  conseil,  ainsi  que  par  son  intré- 
pidité et  son  courage.  Pour  affamer  plus  effica- 
cement les  forts  et  les  postes  d^en  haut,  et  leur 
couper  toute  espèce  de  communication  avec  le 
corps  des  provinces    cultivées  ,  ils  résolurent 
qu'une  partie  de  leurs  forces  seroit  occupée  à 
les  soumettre  5  tandis  que  l'autre,  au  moment 
de  la  récolte ,  feroit  une  irruption  générale  sur 
les  frontières  de  la  Pensylvanie ,  du  Maryland 
et  de  la  Virginie ,  dont  ils  dévoient  massacrer 
les  habitans ,  les  bestiaux,  et  incendier  les  mai- 
sons et  les  granges  w . 

({  Conformément  à  ce  projet  hardi  et  sangui- 
naire ,  ils  se  saisirent  de  tous  les  marchands  qui 
étoient  dans  leurs  villages,  dont  un  grand  nom-^ 
bre  périt  pour  avoir  osé  résister  :  au  même  ins- 
tant, les  frontières  furent  inondées  de  partis 
qui,  armés  de  la  torche  et  du  toméhawk,  détrui- 
sirent tout  dans  leur  passage.  J'ai  parcouru  des 
Districts  où  il  n'étoit  pas  resté  un  seul  habitant 
ni  une  seule  maison.  Ces  tigres  convertirent  en 
déserts  des  pays  qui  commençoient  à  être  bien 
cultivés.  La  plume  se  refuse  à  tracer ,  et  l'ima-^ 
gination  à  se  rappeler  de  semblables  horreurs.. 


8o  VOYAGE 

Presqu^à  la  même  époque ,  ils  s'emparèrent  des 
forts  le  Boeuf  5  Vénango  et  Presqu'île ,  sur  le  lac 
Erié  y  de  la  Baie ,  sur  le  Michigan  ;  de  Phéakiky , 
sur  la  rivière  du  même  nom  5  de  Myamy ,  sur  le 
Miamy;  d'Ouyatauon,  sur  le  Wabash  ;  de  San- 
dusky ,  sur  le  lac  Junondat,  et  enfin  de  Michil- 
limakinac  )). 

«  Se  reposant  sur  la  paix  générale  qui  venoit 
d'être  terminée,  éloignées  des  secours ,  séparées 
des  proyinces  cultivées  par  des  distances  im- 
menses 5  ces  foibles  garnisons  succombèrent ,  et 
leur  sort  offre  à  l'histoire  des  pages  sanglantes 
et  des  récits  terribles.  Ces  affligeantes  nouvelles, 
ainsi  que  les  ravages  inouis  commis  sur  cette 
longue  ligne  de  frontières  ,  répandirent  la  cons- 
ternation dans  tous  les  coeurs.  Ceux  des  colons 
qui  purent  échapper  aux  flammes  dévorantes  et 
au  couteau  meurtrier,  abandonnèrent  leurs  ha- 
bitations ,   et  se  réfugièrent  dans   l'intérieur  : 
ces  Districts,  séjour  de  la  paix,  de  Fheureuse 
industrie  et  de  l'abondance ,   ne  présentèrent 
bientôt  plus  que  l'image  de  la  désolation,  de  la 
misère  et  des  ruines.  Jamais,  depuis  la  fondation 
de  ces  colonies,  elles  n'avoient  essuyé  un  malheur 
aussi  grand,  aussi  inattendu  et  aussi  déplorable  : 
jamais,  auparavant,  l'implacable  inimitié,  la 
haine  cruelle ,  la  vengeance  féroce  des  indigènes^ 
îi'ayoient  déployé  un  semblable  caractère  )), 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        8l 

«  Le  Détroit  et  le  fort  Pitt  furent  les  seules 
places  qui  purent  résister  j  leurs  garnisons , 
beaucoup  plus  nombreuses  ,  possédoient  des 
moyens  de  défense  dont  elles  firent  usage  :  d^ ail- 
leurs, elles  connoissoient  trop  bien  le  sort  qui 
les  attendoit ,  pour  ne  pas  périr  plutôt  que  de  se 
rendre.  Elles  durent  4eur  salut  à  l'intelligence 
des  commandans ,  ainsi  qu'à  la  patience  et  au 
courage  avec  lequel  elles  supportèrent  tous  les 
genres  possibles  de  détresses  et  de  misères,  avant 
qu'on  eût  pu  leur  envoyer  des  secours.  Niagara , 
défendu  par  une  artillerie  formidable,  ne  fut 
point  attaqué  ». 

«  La  conduite  de  la  petite  armée  destinée  à 
faire  lever  le  siège  du  fort  Pitt ,  fut  confiée  au 
général  Bouquet,  dont  j'étois  l'aide-de-camp. 
—  ((  Dès  que  vous  serez  à  Carlisle  ,  lui  dit -on 
avant  son  départ ,  on  vous  fournira  les  provi- 
sions et  les  chevaux  nécessaires  pour  continuer 
votre  route  ».  — -  Mais  quel  fut  son  étonnement, 
lorsqu'arrivé  dans  cette  partie  de  la  Pensyl- 
vanie ,  il  en  trouva  les  habitans  plongés  dans  la 
plus  grande  consternation ,  et  près  d'abandon- 
ner leurs  foyers.  Toute  espèce  d'industrie  avoit 
cessé  5  la  crainte  et  l'effroi  avoient  glacé  les 
esprits  et  paralysé  les  bras  ;  de  toutes  parts ,  les 
moissons  attendoient  la  faucille  ,  et  il  n'y  avoit 
point  de  moissonneurs  ». 

III.  F 


82  VOYAGE 

((  Les  chemins  étoient  couverts  de  familles 
éplorées,  qui  manquoient  des  objets  de  pre- 
mière nécessité.  Au  lieu  donc  de  recevoir  les 
secours  auxquels  le  Général  devoit  s'attendre  ^ 
et  qui ,  dans  un  moment  moins  désastreux  ,  au- 
roient  été  fournis  avec  empressement ,  la  voix  ^ 
ou  plutôt  le  cri  de  Thumanité,  l'obligea  d'en 
donner  à  ces  infortunés  )). 

((  Cependant  il  n'avoit  pas  un  seul  jour  à 
perdre,  car  le  fort  Pitt  étoit  si  étroitement  as- 
siégé 5  que  la  garnison  ne  pouvoit  recevoir  ni 
lui  envoyer  la  moindre  nouvelle.  Ce  fut  au  mi- 
lieu de  circonstances  aussi  affligeantes,  qu'il 
entreprit  d'atteindre  les  forts  Bedfort  et  Ligo- 
iiier  (2) ,  avant  que  ces  postes  importans  fussent 
tombés  entre  les  mains  des  sauvages.  Arrivé  à 
la  dernière  de  ces  places ,  située  sur  le  Loyal- 
hanning  (branche  du  Késkiminètas) ,  il  réso- 
lut d'y  laisser  son  convoi  de  chariots  pour 
prendre  des  chevaux  de  bât.  Devant  lui ,  étoit 
le  dangereux  défilé  de  Turtle-Creek ,  commandé 
par  des  hauteurs  escarpées  5  mais  à  peine  fnt-il 
arrivé  à  Bushyrun  ,  quelques  milles  en-deçà , 
que  les  sauvages  ,  en  poussant  des  hurlemens 
effroyables ,  l'attaquèrent  en  tête  et  sur  les  flancs. 
Ce  combat  opiniâtre  et  sanglant  dura  depuis 
une  heure  jusqu'à  la  nuit.  Il  ne  fallut  rien  moins 
que  la  bravoure  et  le  sang-froid  des  troupes,  et 


DANS    LA    HAUTE   PENSYLVANIE.       83 

l'habileté  du  Général  à  tromper  l'infatic^able 
vigilance  ,  et  à  éluder  les  pièges  des  ennemis 
pour  résister  à  l'étonnante  impétuosité  avec  la- 
quelle ils  fondirent  sur  nous  à  plusieurs  reprises» 
Jamais  auparavant  ils  n'avoient  été  aussi  auda- 
cieux ni  aussi  formidables.  Après  cette  victoire 
signalée,  qui  fut  remportée  le  5  août  1763,  à 
laquelle  la  Pensylvanie  dut  son  salut ,  l'armée , 
quoique  considérablement  diminuée  ,  arriva 
heureusement  dans  les  environs  du  fort  Pitt , 
dont  les  sauvages  levèrent  le  siège  à  notre  ap- 
proche )). 

a  Voulant  profiter  de  la  terreur  que  cette  mé- 
morable défaite  avoit  dû  occasionner  parmi  eux, 
le  Général  résolut  de  passer  la  Belle -Rivière 
(FOhio)  5  et  de  pénétrer  jusqu'aux  Fourches  du 
Muskinghum  (3) ,  d'où  il  pourroit  attaquer  les 
villages  Mingos  ,   Wyandots  ,   Délawares ,   et 
même  ceux  des  Shawaneses ,  du  Scioto,  quoique 
situés  à  80  milles  plus  loin»  Après  avoir  fait 
monter  plusieurs  forges  ambulantes ,  et  s'être 
muni  des  provisions  et  des  outils  nécessaires,  il 
partit  à  la  tête  de  i5oo  hommes  d'infanterie  et 
d'un  corps  de  chasseurs  à  cheval.  C'étoit  la  pre- 
mière fois  5  depuis  l'origine  de  ces   colonies , 
qu'un  aussi  grand  nombre  de  troupes  réglées 
osoient  s'enfoncer  dans  la  profondeur  des  forêts , 
à  une  aussi  grande  distance  des  provinces  cui-- 

2 


84  VOYAGE 

tivées.  Au  bout  de  seize  jours  de  marcîie ,  pen- 
dant lesquels  nous  fûmes  obligés  d'ouvrir  des 
chemins ,  d'établir  des  ponts ,  de  combler  des 
ravins,  nous  parvînmes  àTuskaraway  (4),  sans 
interruption  de  la  part  de  nos  ennemis  » . 

«Profondément  étonnés  de  se  voir  au  mo- 
ment d'être  attaqués  dans  leurs  foyers ,  que , 
jusqu'à  ce  jour  5  ils  avoient  cru  inaccessibles  aux 
troupes  européennes ,  ces  fiers  enfans  de  la  na- 
ture se  déterminèrent  enfin  à  solliciter  un  con- 
grès :  le  Général  y  consentit.  A  dessein  de  rendre 
cette  cérémonie  plus  imposante,  il  fit  construire 
au  milieu  du  camp ,  une  vaste  cabane  couverte 
d'écorce  et  ouverte  de  tous  côtés ,  où  il  se  rendit 
au  jour  convenu,  environné  de  toute  la  pompe 
militaire ,  ainsi  que  la  plus  grande  partie  de  ses 
officiers  », 

c(  Les  Senneccas  y  envoyèrent  Kiashuta ,  leur 
cbef ,  accompagné  de  quinze  guerriers  j  les  Dé- 
lawareSjCustàlogaetleGrand-Castor,  avec  vingt 
guerriers  ;  les  Shawaneses ,  Kèyssinocta ,  un  de 
leurs  principaux  sachems,  avec  trente  guerriers  5 
et  Piancachas ,  chef  des  Mingos ,  suivi  de  trente 
guerriers.  Les  Tuscaroras  et  les  Wyandots  n'y 
parurent  que  quelques  jours  après.  Dès  la  pre- 
mière séance,  les  Mingos  délivrèrent  onze  pri- 
sonniers, et  donnèrent  au  Général  quatre-vingt- 
trois  morceaux  de  bois,  pour  exprimer  le  nombre 


DANS  LA  HAUTE  PEN3YLVANIE.  85 
de  ceux  qu^ils  promettoient  encore.  Mais  le  dis- 
cours de  Kèyssinocta ,  prononcé  avec  l'accent 
de  la  sombre  colère  et  de  l'orgueil  humilié, 
ainsi  que  ceux  des  autres  chefs ,  n^ayant  paru 
au  Général  qu'un  moyen  de  gagner  du  temps 
pour  pouvoir  affamer  l'armée  et  nous  attaquer 
pendant  notre  retour ,  il  se  détermina  à  pénétrer 
encore  plus  avant  ;  et  huit  jours  après ,  nous  ar- 
rivâmes enfin  aux  fourches  du  Muskinghum , 
situées  à  70  milles  de  l'embouchure  de  cette 
rivière  dans  l'Ohio,  et  à  100  milles  du  fortPitt; 
emplacement  beaucoup  plus  commode  et  plus 
central ,  puisque  quelques-uns  des  principaux 
villages  n'étoient  qu'à  sept  ou  huit  milles  de 
distance.  Cette  démarche  hardie  ne  contribua 
pas  peu  à  déterminer  enfin  ces  nations  à  écouter 
plus  favorablement  les  conditions  raisonnables 
que  le  Général  leur  avoit  faites  au  camp  de 
Tuskaraway  ».  * 

ce  II  fit  construire  quatre  grandes  redoutes , 
dont  l'espace  intermédiaire  fut  soigneusement 
nettoyé  ;  on  construisit  aussi  un  magasin  pour 
les  provisions,  et  plusieurs  maisons  et  barraques 
pour  loger  les  ojfficiers  et  les  prisonniers  qui  dé- 
voient arriver  ;  et  bientôt  ce  petit  camp  devint 
comme  une  ville ,  dans  laquelle  régnoient  l'ordre^ 
la  propreté ,  et  la  police  la  plus  exacte  ». 

«Pendant  près  de  quinze  jours  que  dura  ce 


86  VOYAGE 

congrès ,  le  Général  vit  souvent  les  chefs ,  en- 
tendit leurs  discours ,  reçut  et  envoya  des  mes- 
sagers et  des  paroles  dans  les  villages  voisins , 
relativement  aux  conditions  du  traité,  et  parti- 
culièrement à  Fexacte  délivrance  des  prison- 
niers, objet  principal  de  ses  sollicitudes  :  85  ar-^ 
rivèrent  enfin  de  chez  les  Mingos  ,  206  de  chez 
les  Cagnawagas ,  io4  de  chez  les  Shawaneses,  et 
87  de  chez  les  Délawares.  Pour  vous  donner 
une  idée  du  style,  ainsi  que  des  sentimens  ex- 
primés dans  les  discours  que  firent  les  chefs 
en  les  délivrant,  je  me  contenterai  de  répéter 
ce  que  dit  Kiashuta ,  grand  chef  des  Sen- 
neccas  » . 

«  Père  des  guerriers  blancs ,  conformément  à 
nos  promesses ,  voici  ta  chair  et  ton  sang  que 
nous  te  remettons.  Quelques-unes  de  ces  per-- 
sonnes  nous  sont  unies  depuis  long -temps  par 
les  liens  de  Fadoption  ;  quoiqu'elles  te  soient 
rendues ,  ces  liens  ne  sont  pas  rompus  j  nous  les 
considérerons  toujours  comme  nos  parens  et  nos 
amis.  Nous  avons  pris  d'eux  le  même  soin,  nous 
avons  eu  pour  eux  les  mêmes  égards  que  s'ils 
eussent  été  de  notre  chair  et  de  notre  sang.  Les 
voilà  'j  demande-leur  s'ils  ne  se  sont  pas  chauffés 
à  nos  feux,  s'ils  n'ont  pas  vécu  à  même  nos 
chaudières  ,  et  s'ils  n'ont  pas  couché  sur  nos 
peaux  d'ours.  Qu'ils  répondent  !  » . .  Entends-tu 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        87 

ce  qu'ils  te  disent?...  Aie  donc  de  rindul^^ence 
pour  eux ,  car  ils  ont  oublié  tes  coutumes  et  tes 
«sages,  et  quelques-uns  même  ton  langage;  ils 
vont  retourner  dans  leur  pays,  où  peut-être 
n'ont -ils  plus  d'amis,  et  ils  abandonnent  le 
nôtre,  où  ils  n'en  manquoient  pas.  Que  feront- 
ils  alors  ?  ils  regretteront  le  jour  où  tu  es  venu 
de  si  loin  nous  forcer  de  te  les  rendre.  Traite-les 
donc  avec  bonté ,  nous  t'en  conjurons  ;  c'est  ce 
qui  les  engagera  peut-être  à  rester  parmi  tes 
gens.  Tiens ,  voici  une  branche  de  wampun  bleu 
et  blanc,  pour  que  mes  paroles  soient  toujours 
présentes  à  ton  esprit ,  et  que  tu  n'oublies  pas 
de  les  envoyer  à  leurs  parens  et  amis ,  s'ils  en 
ont  encore  dans  leur  ancienne  patrie  )) . 

((Tous les  prisonniers  ayant  enfin  été  délivrés, 
et  les  conditions  du  traité  acceptées  et  ratifiées 
suivant  leurs  usages ,  le  Général  résolut  d'étein- 
dre le  feu  du  congrès.  Pour  cet  efTel ,  accompa- 
gné de  ses  officiers  et  de  la  musique  militaire  , 
il  entra  dans  la  salle  de  la  conférence ,  située  au 
milieu  du  camp ,  et  pour  la  quatrième  fois  prit 
les  chefs  par  la  main  et  fuma  avec  eux  dans  le 
grand  oppoygan  de  paix.  Cependant,  extrême- 
ment mécontent  delà  conduite  deNettohatway, 
chef  de  la  tribu  de  la  Tortue  de  la  nation  Wyan- 
dot,  qui  jusqu'à  ce  jour  n'avoit  pas  voulu  pa- 
roîtrej  il  força  cette  tribu  d'en  élire  un  autre  i 


88  VOYAGE 

ce  fut  le  dernier  acte  d'autorité  qu^il  exerça 
parmi  eux  )) . 

((  Que  ceci  ne  vous  fasse  pas  sourire  ;  car  quoi- 
que cette  démarche  n'ait  point  été  accompagnée 
de  circonstances  aussi  fastueuses  que  celles  de  la 
déposition  d'un  Nabab ,  elle  prouve  à  quel  degré 
d'humiliation  ces  fiers  guerriers  étoient  réduits^ 
et  quels  étoient  les  talens,  l'adresse  et  le  courage 
du  Général  qui  sut  pénétrer  aussi  loin  dans  la 
profondeur  de  ces  forets  solitaires  ,  séjour  de  la 
puissance  des  chefs ,  et  en  imposa  à  ces  hommes 
indomptés ,  au  point  de  faire  décheoir  de  son 
autorité  un  de  leurs  premiers  Sachems  ». 

(c  L'orateur  le  plus  distingué  fut  l'épervier 
ïouge  (Red-Hawk.) ,  chef  des  Délawares  ;  son 
discours  offrit  un  mélange  si  frappant  d'orgueil 
et  de  soumission,  que  je  ne  puis  me  refuser  de 
vous  en  citer  quelques  traits  )). 

((  Père  des  guerriers  barbus,  chef  des  hommes 
au  court  et  long  couteau  (5) ,  écoute  y  ma  voix 
court  à  tes  oreilles.  Voudras-tu  nous  entendre, 
nous,  tes  jeunes  frères?  Voyant  dans  tes  yeux  les 
signes  du  mécontentement,  nous  les  essuyons 
avec  ce  collier  de  wampun  bleu  et  blanc,  pour 
que  tu  puisses  voir  plus  distinctement  ce  que 
nous  avons  été  et  ce  que  nous  sommes  encore. 
On  t'a  dit  bien  des  mensonges  à  notre  sujet  5 
avec  ce  second  collier  nous  nettoyons  tes  oreilles^ 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLYANIE.       89 

pour  qu^elles  puissent  mieux  entendre  ce  qui 
est  vrai,  et  rejeter  au  loin  ce  qui  ne  Fest  pas. 
Nous  purifions  ton  coeur  avec  la  fumée  de  cet 
oppoygan ,  afin  qu'il  ressemble  à  celui  d'Onas 
(  Guillaume  Penn  ) ,  de  qui  le  mal  n'approchoit 
pas.  Tu  es  parvenu  jusqu'ici,  parce  que  ton  to- 
méhawk  a  été  plus  fort  et  plus  long  que  le  nôtre  ; 
nous  n'avons  cependant  épargné  ni  nos  vies,  ni 
notre  sang  ;  il  t'en  souvient  bien  encore.  Mais 
peut-être  ta  victoire  vient-elle  de  la  volonté  du 
grand  Esprit ,  qui  depuis  long-temps  favorise  les 
blancs.  Nous,  tes  jeunes  frères,  aussi  bons  guer- 
riers ,  aussi  braves  que  les  tiens  ,  quoique  mal- 
heureux, nous  arrachons  ce  toméhaAvk  de  tes 
mains  pour  le  jeter  vers  celui  qui  réside  au-des- 
sus des  nuages ,  afin  qu'il  en  dispose  suivant  sa 
volonté;  soit  qu'il  l'enfouisse  bien  avant  sous 
terre,  soit  qu'il  le  laisse  tomber  dans  les  lacs 
sans  fond  j  alors ,  père  des  guerriers  du  pays 
d'Onas,  nous  te  disons  ))  : 

«Prends  une  extrémité  de  cette  branche  de 
paix  et  d'amitié,  et  que  l'autre  en  soit  tenue  par 
les  députés  des  tribus  ici  présens.  Toi ,  chef  des 
braves  parmis  les  barbus ,  voudrois-tu  brûler  les 
wigwhams,  détruire  les  provisions  de  nos  fem-*» 
mes ,  de  nos  vieillards  et  de  nos  enfans  qui  ne 
t'ont  jamais  fait  de  mal  ?  Eh  bien  !  ce  sont  eus 
qui  te  parle  par  ma  bouche.  Quant  à  nos  guer- 


90  V    O   T    A    G   E 

riers,  ils  peuvent  se  passer  de  ta  pitié,  puisqu'ils 
savent  vivre  de  leurs  chasses.  Mais  la  vieillesse  5 
la  foiblesse  et  l'enfance  ! . . . .  Ici  comme  parmi 
les  tiens  ,  elles  exigent  le  repos  et  craignent  la 
disette.  Prends  donc  pitié  d'eux ,  puisque  tu  as 
pu  arriver  si  près  de  nos  villages  5  que  la  guerre 
finisse  ,  et  que  la  paix  commence  dès  ce  mo- 
ment )) . 

«Mais  de  quel  langage  me  servirai-je,  ou  plu- 
tôt sur  quelle  palette  trouverai-je  les  couleurs 
et  les  teintes  propres  à  peindre  le  spectacle  le  plus 
touchant  dont  j'aie  jamais  été  témoin  ?  Je  veux 
parler  du  moment  où  les  colons  qui  avoient  ob- 
tenu du  Général  la  permission  d'accompagner 
l'armée  après  la  bataille  de  Bushyrun  (*)  ,  re- 
connurent parmi  les  prisonniers  que  délivrèrent 
les  indigènes,  les  uns,  leurs  femmes  ou  leurs  en- 
fans  ,  les  autres ,  des  frères ,  des  soeurs  ou  des 
amis.  Comment  transmettre  dans  votre  coeur  la 
profonde  impression  que  firent  sur  le  mien  la 

(^)  Après  la  victoire  deBusliyrun,  un  grand  nombre 
des  colons  qui  avoient  échappé  à  la  fureur  des  sauvages ^ 
obtinrent  du  général  Bouquet  la  permission  d'accompa- 
gner l'armée,  espérant  que,  dans  le  traité  de  paix,  qui 
devoit  nécessairement  en  être  la  suite  ,  tous  les  prison- 
niers seroient  rendus.  Plusieurs  femmes  qui  s'étoient 
réfugiées  dans  le  fort  Pitt,  l'accompagnèrent  aussi  jus- 
qu'à Tustaraway. 


DANS   LA    HAUTE   PENSYLVANIE.       Qî 

manifestation  et  les  premiers  accens  cVun  bon- 
heur à  la  fois  aussi  grand  et  aussi  inespéré?  Elans 
sublimes  delà  nature,  expressions  des  plusbeaux 
sentimens  dont  elle  ait  orné  le  cœur  de  l'homme  ! 
Ici,  on  en  voyoit  dont  les  pas  chancelans  et  les 
yeux  égarés  annonçoient  l'extrême  inquiétude, 
rencontrant,  au  milieu  de  la  foule,  des  épouses 
qu'ils  avoient  cru  massacrées,  s'élancer  dans 
leurs  bras  et  les  inonder  de  leurs  larmes  :  là ,  des 
frères  ou  des  amis  échappés  à  l'incendie  de  leurs 
habitations  et  au  toméhawk  de  la  fureur,  se  re- 
connoissant  après  quelques  instans  de  doute  , 
s'appelant  de  nouveau  par  leurs  noms,  expri- 
mant, sous  mille  nuances  indescriptibles,  le 
bonheur  d'avoir  échappé  à  tant  de  dangers ,  et 
celui  de  se  retrouver  au  milieu  de  ces  sombres 
forêts  :  plus  loin,  des  mères  qui,  dans  l'ivresse  de 
leurs  transports,  A^enoient  d'enlever  leurs enfans 
des  bras  de  leurs  parens  adoptifs ,  succombant 
sous  Fexcès  de  la  tendresse  maternelle ,  en  pres- 
sant ces  êtres  chéris  contre  leur  sein  palpi- 
tant » . 

((  Ah  !  combien  dans  la  contemplation  de  ce 
spectacle  solemnel ,  le  poète ,  le  peintre ,  le  phi- 
losophe n'auroient-ils  pas  trouvé  d'objets  dignes 
de  leurs  pinceaux  et  de  leurs  profondes  médita- 
tions !  Que  la  nature  humaine  me  parut  alors 
belle  et  sublime  !  Non  ,  je  ne  crois  pas  qu'il 


Q3  VOYAGE 

puisse  exister  un  être  sur  la  terre ,  dont  le  coeur 
et  les  entrailles  n'en  eussent  été  émus  )> . 

«  Parmi  les  prisonniers  qui  s'empressèrent  de 
témoigner  leur  reconnoissance  au  Général ,  les 
uns  étoient  si  agités,  qu'ils  purent  à  peine  arti- 
culer quelques  paroles  ;  les  autres ,  plus  éloquens, 
ne  versèrent  que  des  larmes  silencieuses  :  ici,  on 
voyoit  des  groupes ,  les  yeux  élevés,  remerciant 
à  haute  voix  l'Etre  suprême  du  bonheur  d'avoir 
retrouvé  leurs  proches  ou  leurs  amis  :  là  ,  d'au- 
tres rassemblemens  qui ,  pour  se  soustraire  aux 
questions  importunes  ,  s'enfuyoient  dans  les 
bois.  Mais  j'étois  si  attendri,  qu'il  n'est  pas  éton- 
nant qu'une  foule  de  scènes  m'aient  échappé. 
Et  comment  aurois-je  pu  les  peindre?  Semblable 
à  un  aimant  puissant,  la  sympathie  exerçoit  son 
action  sur  les  âmes  des  spectateurs ,  avec  une 
force  irrésistible  )) . 

c(  Ceux  des  enfans  qui  avoient  en  partie  ou- 
blié leur  langue  maternelle ,  parurent  presqu'in- 
sensibîes  au  bonheur  de  revoir  leurs  parens  et  à 
celui  d'en  être  caressés.  Ceux  qui  l' avoient  en- 
tièrement perdue,  refusoient  de  quitter  leurs 
amis  adoptifs,  ou  ne  se  soumettoient  à  cette  sé- 
paration qu'après  plusieurs  efforts.  Souvent  il 
arrivoit  que  cette  répugnance  faisoit  naître  les 
doutes  les  plus  afïligeans ,  dont  les  malheureux 
parens  n'étoient  soulagés  qu'après  avoir  décou- 


DANS    LA    HAUTE   PENSYLVANIE.        q5 

vert  quelques  unes  de  ces  marques  que  les  colons 
des  frontières  leur  impriment  en  naissant  :  à 
peine  les  avoient-ils  apperçues,  que  les  excla- 
mations du  bonheur  se  faisoient  entendre  5  mais 
lorsque  Finstinct  de  la  nature  étoit  muet  ou 
ne  découvroit  rien  qui  confirmât  leurs  pre- 
miers soupçons ,  alors  l'air  retentissoit  des  gé- 
missemens  de  la  douleur.  C'étoit  au  contraire 
un  triomphe  pour  les  indigènes  à  qui  on  avoit 
promis  d'abandonner  ceux  qui  ne  seroient  ni 
réclamés,  ni  reconnus  )). 

({  Mais,  si  d'un  coté,  les  nuances  du  plus  beau 
coloris  embellissoient  ces  heureuses  reconnois- 
sances  ,  de  l'autre ,  les  traits  et  les  ombres  des 
plus  cruelles  inquiétudes  paroissoient  sur  le  vi- 
sage de  ceux  qui  ne  retrou  voient  ni  leurs  femmes 
ni  leurs  enfans.  On  les  voyoit ,  à  l'arrivée  de 
chaque  convoi  de  prisonniers ,  courir  çà  et  là 
pour  s'informer  de  leur  sort ,  quoique  tremblant 
de  l'apprendre.  Ceux  dont  les  douteuses  espé- 
rances venoient  d'être  dissipées ,  immobiles  de 
douleur  ,  la  tête  appuyée  contre  un  arbre ,  fon- 
doient  en  larmes  » . 

(( Cette  variété  de  circonstances,  ce  mélange 
de  bonheur ,  d'incertitudes ,  d'espérances  et  de 
regrets  excitèrent  dans  nos  coeurs  tant  de  mou- 
vemens  et  d'agitations  diverses,  qu'ils  en  étoient 
gonflés.  Officiers,  soldats,  pionniers ,  tous  paru- 


94  VOYAGE 

rent  profondément  émus  de  ce  déchirant  spec- 
tacle, qu^il  est  impossible  de  peindre.  Quelques- 
uns  incapables  d'en  supporter  les  effets  ,  furent 
obligés  de  se  retirer  ,  et  les  autres  de  mettre  un 
mouchoir  devant  leurs  yeux.  Le  général  Bou- 
quet lui-même ,  qui ,  lors  du  long  et  sanglant 
combat  de  Bushyrun ,  ne  perdit  jamais  son  sang- 
froid  j  dont  le  visage ,  pendant  sept  heures  d'un 
conflit  long-temps  douteux ,  n'avoit  pas  éprouvé 
la  moindre  altération  ,  comme  tant  d'autres,  fut 
prodigieusement  agité  ,  et  ne  put  résister  aux 
larmes  qui  le  suiFoquoient,  et  qu'il  ne  rougit  pas 
de  verser  en  abondance.  Jamais  auparavant  je 
n^avois  senti  combien  elles  ont  de  puissance  pour 
calmer  les  grandes  secousses  de  l'ame.  Un  vieux 
soldat  auprès  duquel  j'étois  ,  et  qui  me  dit  n'en 
avoir  jamais  versé  depuis  son  enfance,  comme 
moi  y  trouva  un  grand  soulagement  )) . 

(cLes  sauvages  eux-mêmes,  ces  enfans  d'une 
nature  si  agreste ,  oubliant  leurs  opinions  et  leur 
férocité  ordinaire  ,  contribuèrent  beaucoup  à 
rendre  ce  spectacle  encore  plus  touchant.  Qui 
auroit  cru  que  des  cœurs  aussi  endurcis  par  l'édu- 
cation et  par  l'exemple,  eussent  recelé  des  senti- 
mens  aussi  doux  et  aussi  généreux? Ils  ne  délivrè- 
rent leurs  adoptés  qu'avec  la  plus  grande  répu- 
gnance ,  et  en  versant  aussi  des  larmes  abon- 
dantes 3  ce  fut  une  lutte  sublime  de  tendresse 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.        qS 

entre  eux  et  les  parens  de  ces  enfans. — Sois 
sûr,  osa  dire  un  des  chefs  Shawaneses ,  en  regar- 
dant fièrement  le  Général ,  sois  sûr  qu'il  ne  fal- 
loit  pas  moins  que  ta  victoire  de  Busliyrun,poiir 
me  forcer  au  sacrifice  que  je  fais  aujourd'hui  )). 
((  Avec  quel  empressement  ils  les  recomman- 
dèrent à  sa  protection  î  Leurs  attentions  pour 
ces  adoptés  ne  se  bornèrent  pas  là,  elles  se  ma- 
nifestèrent envers  eux  pendant  tout  le  temps 
qu'ils  restèrent  campés  :  chaque  jour,  ils  ve- 
noient  les  voir  ,  leur  apporter  du  maïs ,  des 
peaux ,  des  fourrures  ,  enfin  tout  ce  qu'ils  leur 
avoient  donné  pendant  leur  séjour  chez  eux ,  en 
leur  prodiguant  les  marques  de  la  plus  tendre 
affection.   Plusieurs  même  sollicitèrent  et  ob- 
tinrent la  liberté  de  les  accompagner  jusqu'au 
fort  Pitt ,  et  de  leur  donner  tous  les  jours  le  pro- 
duit de  leurs  chasses  et  de  leurs  pèches  )). 

c(  Un  jeune  Mingo  poussa  encore  plus  loin 
son  attachement,  et  donna  à  l'armée  une  preuve 
de  tendresse  et  de  dévouement  bien  rare  dans 
tous  les  pays ,  et  sur-tout  au  sein  de  ces  forets. 
Parmi  les  prisonniers  amenés  au  camp,  il  y  avoit 
unejeuneVirginienne  du  canton  de  Fairfax,dans 
la  Virginie ,  à  laquelle  il  étoit  éperdument  atta- 
ché; il  l'appeloit  sa  femme:  malgré  tout  ce  qu'on 
put  lui  dire  en  arrivant  au  fort,  relativement  au 
danger  d'approcher  des  frontières,  il  résolut 


q6  V  O    Y    A   G  E 

de  la  suivre  pour  lui  être  utile,  au  risque  d'être 
tué  par  les  survivans  de  ceux  qui  avoient  été 
massacrés,  ou  que  les  dernières  dévastations 
avoient  ruiné)). 

((  Dans  le  nombre  des  prisonniers,  il  se  trouva 
une  Mary  landaise  des  environs  du  Potawmack; 
elle  avoit  un  enfant  au  sein  j  à  peine  fut-elle 
introduite  dans  la  salle  de  la  conférence ,  qu'un 
soldat  de  cette  même  province  ,  qui  étoit  de 
garde ,  l'ayant  reconnue ,  s'écria  :  —  ((  Dieu  de 
bonté  !  Dieu  de  miséricorde  !  c'est  ma  femme  ))  ! 
—  Avec  autant  de  rapidité  que  se  propage  la 
commotion  électrique,  cette  exclamation  retentit 
dans  tous  les  coeurs ,  y  excita  les  plus  vives  im~ 
pressions  ,  et  produisit  parmi  les  spectateurs , 
quoique  sous  les  armes ,  le  murmure  de  l'applau- 
dissement et  le  sourire  du  plaisir.  Après  avoir 
félicité  les  deux  époux  à  plusieurs  reprises,  le 
Général  permit  au  soldat  de  conduire  sa  femme 
dans  sa  tente,  où  elle  fut  dépouillée  de  ses  vête- 
mens  sauvages ,  et  habillée  à  l'européenne  ». 

((  Mais  à  peine  commençoient-ils  à  jouir  des 
premières  effusions  du  bonheur  de  s'être  retrou- 
vés après  tant  de  hasards  ,  qu'un  nuage  épais 
vint  tout- à- coup  obscurcir  un  si  beau  soleil  : 
c'étoit  l'inquiétude  sur  le  sort  d'un  autre  enfant, 
âgé  de  trois  ans  ,  pris  avec  la  mère  ,  et  séparé 
d'elle  dans  le  partage  des  prisonniers.  Oubliant 


BANS    LA    HAUTE   PENSYLVANIE.        qj' 

en  un  instant  tout  ce  que  la  providence  venoit 
de  faire  pour  eux ,  ils  se  désoloient ,  ils  gémis- 
soient,  lorsqu'on  vint  les  informer  de  l'arrivée 
d'un  nouveau  convoi  ,  sous  la  conduite  de  quel- 
ques chefs  Wy  an  dots.  A  la  vue  de  ce  couple, 
aux  yeux  égarés  et  avides,  on  leur  présenta  un 
enfant  à-peu-près  de  cet  âge.  La  mère,  pâle  et 
tremblante  ,  l'anxiété  et  l'effroi  peints  sur  le 
visage,  l'ayant  caressé  et  inutilement  appelé  par 
son  nom  ,  se  précipitoit  vers  un  autre  ,  lorsque, 
s'arrêtant  subitement ,  elle  revint  sur  ses  pas , 
et  de  nouveau  ayant  attentivement  considéré  le 
premier  ,  elle  entendit  le  cri  du  sentiment  inté- 
rieur 5  dans  son  transport ,  elle  oublie  l'enfant 
qu^elle  tenoit  au  sein ,  pour  se  saisir  plus  promp- 
tement  de  celui  qu'elle  retrouve,  et  elle  le  serre 
*  dans  ses  bras  en  versant  un  torrent  de  larmes. 
Egarement  sublime  de  la  tendresse  maternelle! 
triomphe  de  l'instinct,  ce  premier  don  de  la 
nature ,  sur  la  froide  prévoyance  de  la  raison  »  ! 
((  Ivre  de  joie  comme  elle,  son  mari  l'accom- 
pagna à  sa  tente  ,  incapables  l'un  et  l'autre  de 
répondre  aux  félicitations  que  les  officiers  et  les 
soldats ,  dont  ils  étoient  environnés ,  leur  pro- 
diguoient  de  toutes  parts.  Elle  dut  le  bonheur 
de  ne  pas  perdre  son  second  enfant  en  retrou- 
vant le  premier  ,  à  l'incroyable  promptitude  du 
capitaine  Perce  val,  qui ,  se  trouvant  à  côté  d'elle^ 
III.  o 


98  VOYAGE 

en  prévint  la  chute.  —  ((  Que  le  ciel  vous  bénisse 
mille  et  mille  fois ,  lui  dit-elle  !  Dans  Fétat  où 
je  suis  5  comment  puis-je  savoir  ce  que  je  fais  ))  ? 

((  Je  fus  souvent  témoin ,  pendant  notre  re- 
tour, du  chagrin  et  de  la  désolation  des  parens 
dont  les  enfans  épioient  le  moment  de  s'en  éloi- 
gner, ou  ne  les  approchoient  qu^avec  répu- 
gnance. Loin  que  ces  enfans  partageassent  leur 
bonheur,  ils  passèrent  les  premiers  jours  à  gé- 
mir ,  et  souvent  refusèrent  les  alimens  qu'on 
leur  offrit.  Si ,  par  hasard ,  ils  appercevoient 
les  indigènes  ,  à  qui  on  avoit  permis  de  chasser 
pour  nourrir  leurs  amis ,  à  peine  pouvoit-on  les 
retenir». 

<(  Quelle  situation  pour  ces  malheureux  co- 
lons, qui  ,  au  risque  de  leurs  vies,  étoient  venus 
pour  les  revoir ,  les  racheter ,  si  cela  eût  été  né- 
cessaire ,  et  les  ramener  dans  leurs  foyers  ^  sur- 
tout pour  ces  tendres  mères  ,  dont  ils  dédai- 
gnoient  ou  repoussoient  les  caresses  !  Ce  n'est 
pas  la  première  fois  que  j'ai  observé  l'éloigné- 
ment  presqu'invincible  et  l'aversion  pour  la  vie 
civilisée  ,  que  conservent  toujours  les  jeunes 
blancs  qui  ont  passé  une  partie  de  leur  enfance 
parmi  les  indigènes:  ce  séjour,  cette  seconde  ha- 
bitude, éteignent  pour  jamais  l'ancien  caractère, 
et  leur  en  impriment  un  nouveau  qui  devient 
indélébile 3  ils  sont  perdus  pour  la  société,  ainsi 


DAN3   LA   HAUTE    PENSYLVANIE.         99 

que  pour  leurs  parens ,  qu'ils  abandonnent  dès 
qu^ils  en  trouvent  Foccasion.  Combien  d'exem- 
ples semblables  Fhistoire  de  ces  colonies  n'ofFre- 
t-elle  pas  ?  Et  même  parmi  les  prisonniers  plus 
avancés  en  âge ,  que  nous  remenions  dans  leur 
patrie,  un  assez  grand  nombre  regrettoit  hau- 
tement les  indigènes ,  à  la  société  desquels  on 
les  avoit  arrachés ,  et  qu^ils  appelpient  leurs 
meilleurs  amis.  Vous  seriez  bien  étonné ,  si  je 
répétois  ici  tout  ce  que  je  leur  ai  entendu  dire 
relativement  au  bonheur  dont  ils  jouissoient 
pai'mi  eux  5  un  des  chefs  Shawanèses  avoua  au 
Général ,  qu'il  avoit  été  obligé  d'en  lier  plu- 
sieurs avant  d'arriver  au  camp.  Malgré  la  vigi- 
lance des  officiers  et  des  soldats,  quarante-sept 
de  ces  hommes ,  à  qui  nous  croyions  rendre  le 
plus  grand  service ,  rejoignirent  leurs  nou- 
veaux compatriotes  j  et  ce  qui  vous  paroîtra  en- 
core plus  étonnant,  c'est  que  les  femmes,  rete- 
nues par  leur  foiblesse,  déploroient,  comme  les 
hommes ,  leur  malheureux  sort ,  qui  les  éloi- 
gnoit  des  villages  sauvages  ». 

((  Quel  ample  sujet  de  méditations  pour  ceux 
qui  ont  conçu ,  des  moeurs  et  du  genre  de  vie 
de  ces  enfans  de  la  nature ,  des  idées  si  extraor- 
dinaires et  si  effrayantes  !  Cette  propension  in*- 
concevable  qu'on  observe  depuis  plus  d'un  siècle^ 
dans  le  midi  comme  dans  le  nord ,  ne  semble- 

2 


ÎOO  VOYAGE 

roit-elle  pas  indiquer  que  les  forets  ont  été  le 
premier  berceau  de  la  nature  humaine ,  que  ce 
goût  inné,  étouffé  par  Féducation  sociale,  n^at- 
tend  que  des  circonstances  favorables  pour  se 
manifester  ?  Parmi  les  femmes  qui  furent  ame- 
nées au  camp ,  il  y  en  eut  une  qui ,  plus  coura- 
geuse que  les  autres,  osa  tenir  au  Général  le 
discours  suivant  :  elle  étoit  née  en  Irlande,  et 
avoit  été  prise  sur  les  bords  du  Toby'screek  ^ 
dans  la  province  d^ïndiana  )).  ' 

c(  Tu  as  vaincu ,  Général,  non  parce  que  tu 
es  plus  brave  que  nos  guerriers ,  mais  parce  que 
tes  armes  étoient  meilleures  que  les  leurs ,  et 
parce  que  tu  commandois  à  des  hommes  au  long 
couteau.  Nos  gens  ont  dévasté  tes  frontières , 
parce  que  ces  terres  leur  appartiennent  ;  ils  ont 
pris  quelques-uns  de  tes  forts,  parce  que  tu 
voulois  t'emparer  de  leur  commerce.  Si  tu  dis 
qu^ils  ont  eu  tort,  moi,  je  te  répondrai  que  leurs 
ancêtres  marchoient  sur  ce  sol ,  y  chassoient,  le 
possédoient  long-temps  avant  l'arrivée  des  tiens. 
Tes  cultivateurs  ont  besoin  de  paix  et  de  repos 
pour  réparer  leurs  pertes;  eh  bien  !  tu  auras 
Fun  et  l'autre ,  si  tu  n'exiges  de  nos  gens  rien 
qui  les  humilie.  Tu  les  connois,  sans  doute  ;  une 
des  conditions  du  traité  de  Tuskaraway,  est 
qu'ils  rendront  leurs  prisonniers:  ne  sais -tu 
pas  qu'ils  n'en  ont  point ,  et  que  les  blancs  qui 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  loV 

vivent  parmi  eux,  sont  leurs  parens  ou  leurs 
amis  adoptifs  ?  Je  fus  prise  il  y  a  onze  ans  ;  j^ai 
été  heureuse  depuis  5  je  suis  mère.  Situ  me  forces 
à  te  suivre,  je  reviendrai  aussi-tôt  que  j'en  trou- 
verai Toccasion  ;  car ,  une  fois  dans  ma  pro- 
vince ,  je  serai  aussi  libre  que  toi.  Telles  sont 
mes  intentions  :  ce  sont  aussi  celles  d'un  grand 
nombre  de  ceux  que  tu  as  forcé  nos  chefs  à  te 
délivrer.  A  la  gloire  que  tu  viens  d'acquérir  par 
les  armes  ,  il  est  beau  d'ajouter  celle  que  donne 
l'humanité;  mais  puisqu'elle  détruit  notre  bon- 
heur ,  sois  assez  généreux  pour  nous  permettre 
de  retourner  aux  villages  de  nos  amis  )>. 

(c  Etonné  ,  frappé  de  la  hardiesse  de  cette 
femme  et  de  ce  qu'elle  venoit  de  dire ,  il  nous 
consulta  :  presque  tous  les  officiers ,  pensant  que 
chacun  étoit  maître  de  son  sort ,  et  de  chercher 
le  bonheur  là  où  il  croyoit  le  trouver ,  le  Général 
lui  permit  de  s'en  aller  » . 

«  Eh  bien  !  ces  habitans  des  forêts ,  que  nous 
appelons  enfans  puînés  de  la  nature  ,  parce 
qu'ils  ne  veulent  pas  quitter  leur  état  de  chas- 
seurs ,  n'ont-ils  pas,  au  milieu  de  leur  ignorance 
et  de  leur  barbarie ,  des  qualités  qui  méritent 
l'estime  et  le  respect?  Oui,  sans  doute.  Quel 
volume  ne  feroit-on  pas  de  leurs  belles  actions? 
Rappelez-vous  ce  qui  arriva  au  colonel  Bird , 
en  1774.  Durant  le  temps  de  son  ambassade  chez 


102  V    O   T   A    G  13 

les  Cliérokees  iiltramontains ,  quelques  Virgî- 
niens  ayant  tué  deux  guerriers  de  cette  nation , 
la  jeunesse  exigea  des  chefs  l'exécution  de  la  loi 
du  talion  ;  elle  leur  fut  accordée.  Shiloué ,  un 
des  premiers  sachems  ,  s'y  opposa.  —  «  Avant 
de  tuer  ce  blanc ,  leur  dit-il ,  qui  a  fumé  dans 
mon  oppoygan  ,  couché  sur  ma  peau  d'ours,  et 
que  tu  as  reconnu  comme  envoyé  du  chef  de  la 
Virginie ,  tu  me  tueras,  moi  ».  —  En  effet ,  il  le 
couvrit  de  son  corps  ,  et  la  jeunesse  le  respecta. 
Cette  fureur  qui  les  anime  pendant  la  guerre  ^ 
ces  dispositions  sanguinaires  et  féroces  qui  en 
font  des  tigres,  doivent  être  attribuées  aux  effets 
de  leur  pernicieuse  éducation  ,  qui  leur  inspire 
des  idées  si  fausses  de  ce  qu'ils  regardent  comme 
courage  et  héroïsme.  Considérons  la  douceur 
invariable  de  caractère,  dont  ils  sont  le  plus 
parfait  modèle  dans  leurs  villages,  leur  hospi- 
talité inviolable  ,  leur  fidélité  dans  les  pro- 
messes ,  l'amitié ,  le  désintéressement  dont  nous 
connoissons  de  si  beaux  traits  5  considérons 
leurs  vertus  (car  ils  en  ont),  et  nous  reconnoî- 
trons  que  la  nature  les  a  rendus  susceptibles , 
comme  nous,  de  culture,  et  de  ce  que  nous  ap- 
pelons civilisation  ,  et  qu'ils  seroient  dignes  de 
devenir  nos  frères,  nos  voisins  et  nos  amis  ». 

((  N'oublions  pas  ces  sentimens  si  dignes  d'élo- 
ges, leur  respect  pour  la  vieillesse ,  ainsi  que 


DANS  liA  HAUTE  PENSYLVANTE.  105 
pour  la  mémoire  et  les  cendres  de  leurs  ancêtres. 
Voici  ce  que  dit,  en  1696,  Tongaskoutack , 
chef  d\ine  tribu  d^Aniers ,  au  marquis  de  Vau- 
dreuil,  alors  gouverneur  du  Canada:  —  «  Onon- 
thyo,  tu  as  dit  aux  Aniers  :  — Vends  aux  blancs 
les  terres  qui  bordent  la  rivière  Misiskouy  (6) , 
depuis  les  eaux  du  lac  jusqu^aux  grandes  chutes, 

—  Voici  ce  qu'ils  te  répondent  par  ma  bouche  : 

—  Ces  terres  sont  l'emplacement  de  nos  villages, 
dans  lesquels  naquirent  les  pères  de  nos  ancêtres, 
et  nos  ancêtres  aussi ,  et  où  vivent  encore  quel- 
ques-uns de  leurs  fils,  dont  nous  sommes  les 
enfans  5  pouvons -nous  dire  à  chacun  de  ce^ 
vieillards  :  —  Roule  ta  peau  d'ours ,  éteins  ton 
feu,  embarque-toi  dans  ton  canot,  et  viens  avec 
nous  élever  ta  wigwham  bien  loin  d'ici  ?  — Pou- 
vons-nous dire  à  ces  os  vénérables ,  qui  reposent 
à  l'ombre  des  arbres  voisins  :  —  Lève-toi,  quitte 
tes  tombeaux ,  et  suis-nous  sur  une  terre  étran- 
gère ))  ? 

«  Ils  sont ,  il  est  vrai ,  cruels  et  terribles  envers 
leurs  ennemis ,  par  l'habitude  et  l'exemple  5 
néanmoins  ,  toutes  les  fois  qu'excités  par  quel^ 
ques  motifs,  ils  écoutent  les  inspirations  de  la 
compassion  et  de  l'humanité ,  dont  la  nature  a 
placé  le  germe  dans  tous  les  cœurs ,  en  accordant 
la  vie  ,  ils  ne  manquent  jamais  d'accompagner 
ce  présent  de  tout  ce  qui  peut  le  rendre  agréable. 


lo4  V   O   Y   A   C   E 

—  ((  Prends  courage,  dit  le  guerrier  à  celui  doni 
il  a  sauvé  les  jours  ;  de  prisonnier  que  tu  étois, 
je  t^ai  délié;  n'aie  pas  le  cœur  mauvais  :  bientôt 
tu  te  consoleras  d'avoir  perdu  tes  proches,  et 
d'être  éloigné  de  ton  pays.  Dès  aujourd'hui,  con- 
sidère mon  feu  comme  le  tien  ,  et  ma  chaudière 
comme  si  elle  étoit  la  tienne  )) .  —  Lorsqu'à  leur 
retour  d'une  expédition  ,  quelques-uns  de  leurs 
prisonniers  sont  adoptés,  ce  qui  arrive  souvent: 

—  ((  Tiens,  disent-ils  à  l'adoptant,  voilà  de  quoi 
réparer  ta  perte  ;  soit  que  tu  veuilles  boire  îe 
bouillon  de  cette  chair  vivante ,  ou  la  placer  sur 
ta  peau  d'ours,  tu  peux ,  quand  tu  voudras  ^  dis- 
poser de  ce  captif  à  ton  gré  ». 

«  S'ils  épargnent  les  jours  d'une  femme,  ce 
n'est  que  diaprés  des  motifs  de  générosité ,  puis- 
qu'on ne  connoît  pas  d'exemple  qu'ils  aient 
jamais  attenté  à  son  honneur.  Quant  aux  enfans, 
ils  les  aiment,  les  traitent  et  les  élèvent  comme 
les  leurs.  L'idée  d'un  esclavage  perpétuel,  celle 
même  de  se  faire  servir  par  leurs  prisonniers , 
n'est  jamais  entrée  dans  la  tête  des  nations  sep- 
tentrionales. Celui  que  leur  affection,  le  caprice, 
lin  rêve ,  ou  tout  autre  motif  détermine  à  épar- 
gner, sur-le-champ  devient  membre  de  la  fa- 
mille du  vainqueur ,  ainsi  que  de  la  tribu  dont 
elle  fait  partie  5  il  vit  comme  elle  et  avec  elle.  Je 
€s  ai  vu  sévèrement  réprimander  les  enfans  à 


DANS   liA   HAUTE   PENSYLVANIE.     105 

qui  il  étoit  échappé  quelques  paroles  insultantes 
ou  quelques  signes  de  mépris  envers  ces  nou- 
veaux adoptés.  Telle  est  chez  eux  la  puissance 
de  l'adoption ,  que  souvent  ce  lien  m'a  paru  plus 
difficile  à  rompre  que  celui  du  mariage  (7)  )>. 

c(  Cette  expédition  du  général  Bouquet ,  aux 
succès  de  laquelle  la  Pensylvanie  a  dû  son  salut, 
conduite  avec  autant  de  courage  que  de  sagesse, 
ferma  le  temple  de  Janus  dans  cet  hémisphère. 
Les  dévastations  des  frontières  furent  bientôt 
réparées.  Depuis  long-temps ,  la  population  a 
franchi  les  Alléghénis,  et  est  parvenue  bien  au- 
delà  deFOhio.  La  charrue  trace  aujourd'hui  des 
sillons  5  on  récolte  aujourd'hui  des  moissons  sur 
l'emplacement  même  de  nos  deux  camps  deTus- 
karaway  et  des  fourches  du  Muskinghum  (8). 
Tout  cela  a  été  l'ouvrage  de  trente-deux  ans, 
durant  sept  desquels  ce  pays  a  eu  à  soutenir  la 
guerre  qui  Fa  séparé  de  la  Grande-Bretagne  Ç^)  » . 

Christiana-Hundred. 

Frédéric  Hazen. 

(*)  Les  voyages  du  lieutenant  Henri  Timberlake,  chez 
les  Cherokees ,  et  ceux  du  trafiquant  John  Long ,  chez 
diverses  tribus  d'indigènes  de  l'Amérique  septentrio- 
nale ,  renferment  une  foule  de  détails  absolument  con- 
firmatifs  de  ceux  donnés  ici  par  M.  Frédéric  Hazen. 
Voyez  les  traductions  des  uns  et  des  autres,  publiés  en 
l'an  2  et  en  l'an  5,  par  le  C.  Billecocq.  {Note  de  VEditS) 


lo6  VOYAGE 


C  H  A  P  I  T  R  E    V. 

Conformément  à  vos  désirs  et  à  ma  promesse, 
je  vous  envoie ,  sous  Fenveloppe  de  M.  Jay ,  mi- 
nistre des  affaires  étrangères,  le  petit  morceau 
dont  je  vous  parlai ,  l'année  dernière  ,  à  Phila- 
delphie. C'est  le  fruit  d'un  sauvageon ,  qui ,  aidé 
de  la  greffe,  en  auroit  peut-être  rapporté  de 
meilleur.  Si  sa  nouveauté  ne  supplée  pas  au  mé- 
rite (  ce  que  je  crains  bien) ,  puisset-il  du  moins 
avoir  celui  qu'on  accorde  aux  choses  rares  et 
qui  viennent  de  loin;  car  rappelez -vous  que 
parmi  ces  nations ,  on  trouve  plus  de  chasseurs 
et  de  guerriers  que  de  prosateurs  ou  de  poètes , 
et  que  de  ce  village  à  New-York ,  on  compte  au 
moins  5oo  lieues.  Je  l'ai  écrit  sous  la  dictée  de 
l'auteur ,  si  j'ose  me  servir  de  cette  expression  : 
c'étoit  un  jeune  guerrier  Shawanèse,  du  village 
de  Waccakala ,  établi  dans  celui  de  Chillichaté. 
S'il  parut  étonné  lorsque  je  le  priai  de  se  rap- 
peler cette  complainte,  il  le  fut  bien  plus  encore 
lorsque  je  lui  lus  ce  qu'il  venoit  de  me  dicter. 

c(  Quoi  !  me  dit-il  fièrement ,  avec  la  plume 
d'une  oie ,  tenue  par  trois  doigts  seulement ,  tu 
peux  dire  à  mes  paroles  :  —  Arrête-toi  sur  cette 
écorce  de  bouleau  (i)  !  —  et  elles  s'y  arrêtent  ! 


DANS   LA   HAUTE   PENS YLVANIE.     I07 

Toutes  les  fois  qu'il  t'en  prendra  fantaisie ,  tu 
pourras  lui  dire  encore  :  — Répète-moi  ces  pen- 
sées !  —  et  elle  te  les  répétera  !  Pourquoi ,  avec 
nos  dix  doigts ,  n'en  pouvons-nous  pas  faire  au- 
tant ?  Comment  ces  lignes ,  mortes  comme  celles 
que  nos  enfans  tracent  sur  le  sable  du  rivage, 
peuvent-elles  redire  les  paroles  vivantes  d'un 
homme  absent  ou  parti  pour  l'ouest  ?  C'est  le 
faire  parler  sans  qu'il  ouvre  la  bouche,  et  même 
après  que  ses  yeux  ont  cessé  de  voir  le  soleil  de 
la  vie.  Que  distinguent-ils  donc,  les  tiens,  dans 
ces  petites  figures  noires  que  tu  traces  avec  tant 
de  rapidité  ?  Pourroient-ils  voir  quelque  chose 
là  où  les  miens ,  qui  valent  bien  les  tiens,  ne 
voient  cependant  rien  ?  Comment  peuvent-elles 
émettre  un  son  ,  une  idée?  Auroient-elles  donc 
une  ame ,  une  voix  ?  Ou  bien  est-ce  toi  qui  leur 
prêtes  la  tienne  ?  Mais  peut-être  parlent-elles  à 
tes  oreilles  ?  Voyons  ! ...  Je  ne  les  entends  pas  : 
les  entends-tu,  toi  ?  —  Non.  —  Eh  bien  !  si  elles 
sont  aussi  muettes  pour  toi  que  pour  moi ,  corn-* 
ment  as -tu  donc  fait  pour  répéter  ce  que  je 
t'avois  dit  ?  Mais  ne  seroit-ce  point  ta  mémoire 
qui ,  plus  vive  que  la  mienne ,  te  l'auroit  sug- 
géré ?  Non ,  dis-tu  :  eh  bien  !  je  n'y  comprends 
rien.  Peut-être,  comme  la  rosée  du  printemps 
après  les  longs  frimats  de  l'hiver ,  comme  les 
fruits  après  les  chaleurs  de  l'été,  comme  le  soleil 


lo8  VOYAGE 

après  l'orage,  cela  vient-il  du  grand  Esprit ,  qiîî 
a  enseigné  cet  art  aux  blancs  ?  S'il  en  est  ainsi, 
pourquoi  n'auroit-il  pas  dit  de  même  auxNisliy- 
norbais  :  —  Prends  une  plume  d'oie ,  écris  les 
pensées  de  ton  esprit  sur  l'écorce  de  bouleau  ; 
cette  écorce  les  répétera  à  ta  postérité ,  et  elle 
deviendra  savante  )>, 

«  Comme  les  Nishynorbais ,  lui  répondis-je, 
les  premiers  hommes  du  Point-du-Jour  (*)  na- 
quirent dans  les  forets ,  et  furent  long-temps 
chasseurs.  En  fouillant  la  terre,  Je  hasard  leur 
fit  découvrir  le  fer ,  et  la  nécessité  leur  apprit  à 
le  forger.  Telle  ,a  été  la  première  source  des 
sciences  qu'ils  ont  acquises,  et  l'origine  de  leurs 
forces  militaires.  Sans  la  connoissance  de  ce 
métal ,  comme  tes  gens  ,  ils  navigueroient  en- 
core dans  des  pirogues,  chasseroient  encore  dans 
les  forêts,  et  n'auroient  jamais  traversé  le  grand 
lac  salé ,  ni  découvert  ton  pays.  Pourquoi ,  ins- 
truits par  notre  exemple  ,  tes  compatriotes 
n'ont-ils  pas  armé  leurs  bras  de  cette  puissance, 
sans  laquelle  l'homme  n'est  rien,  dans  les  plaines 
comme  dans  les  forêts  ))  ? 

((  Peut  être ,  répondit-il ,  le  grand  Génie  ha- 
bite-t-il  celles  du  soleil  levant,  comme  étant  la 

(^)  L'Europe ,  qui ,  relativement  à  l'Amérique  ,  est  à 
l'est. 


DANS   LA   HAUTE    PENSYLVANIE.     I09 

source  de  la  lumière,   et  aime- 1- il  mieux  les 
hommes  qui  sont  plus  près  de  lui.  Peut  être  ceux 
du  soleil  couchant  ne  sont -ils  pas  ses  enfans , 
puisqu'il  leur  a  refusé  la  connoissance  de  ce  mé- 
tal 5  d'où,  dis-tu  5  émanent  la  force  et  les  scien- 
ces :  ou  bien  il  y  a  au-dessus  des  nuages  deux 
Okémawsj  l'un  grand  comme  une  montagne, 
puissant  comme  le  nord-ouest  de  l'hiver  (2), 
dont  la  demeure  seroit  sur  le  rivage  oriental  de 
ce  lac  3  l'autre  plus  petit  et  plus  foible,  qui  oc- 
cuperoit  celui-ci.  Tout  cela  est  une  nuit  noire, 
à  travers  les  ombres  épaisses  de  laquelle  les  yeux 
de  mon  esprit  ne  peuvent  rien  appercevoir  ». 

((  Avant  mon  départ  pour  Chillichaté ,  con- 
tinua-t-il,  j'exige  que  tu  me  donnes  une  copie 
de  ce  que  tu  viens  d'écrire  sur  cette  écorce. 
Peut-être  un  jour  me  parlera-t-elle  ,  comme 
celle-ci  te  parle  aujourd'hui.  Peut-être,  lorsque 
je  serai  vieux,  me  fera-t-elle  souvenir  des  pen- 
sées qui  me  vinrent  à  l'esprit  au  pied  du  grand 
Némenshéhélas  (bouleau  noir),  ainsi  que  de 
toi  ,  Pématuning  ,  envoyé  du  grand  chef  du 
pays  d'Onas  ("*^),  qui  m'as  donné  de  sa  part  une 
carabine  et  du  vermillon  ». 

«  Telle  est  la  conversation  que  fit  naître  , 
entre  ce  jeune  guerrier  et  moi .  la  transcription 

O  La  Peïisylvauie. 


ÎIO  VOYAGE 

de  cette  complainte,  et  à  laquelle  participèrent 
aussi  plusieurs  autres  habitans  du  village,  que 
le  bruit  de  cette  curiosité,  ou  plutôt  de  cette 
nouveauté  ,  avoit  attirés  chez  moi.  Combien 
vous  paroîtroient  bizarres  les  mille  et  une  ré- 
flexions dont  ils  m'assaillirent,  et  dont  je  n^ai 
pas  voulu  vous  ennuyer  »  ! 

a  Malgré  toutes  mes  recherches ,  ce  foible 
essai  est  le  seul  qui  soit  venu  à  ma  connoissance 
depuis  que  je  réside  ici  comme  agent  du  Gou- 
vernement, excepté  cette  Cosmogonie  (^),  re- 
cueillie il  y  a  près  d^un  siècle,  par  Kèlappama, 
ancien  chef  Shawanèse ,  que  William  Penn  ap- 
pela auprès  de  lui,  dont  la  famille  Pemb"^*  a  du 
vous  donner  une  copie.  Peut-être  même  trou- 
verez-vous ,  en  le  lisant ,  qu^il  ne  méritoit  pas 
la  peine  d'être  traduit.  J'ai  long-temps  balancé, 
je  Favoue  ;  mais  en  considérant  que  vous  exi- 
giez quelque  chose ,  faute  de  mieux ,  je  me  suis 
déterminé  à  vous  l'envoyer  », 

((  Quel  dommage  que  cette  nation ,  une  des 
plus  nombreuses  du  continent ,  parmi  laquelle 
on  voit  un  grand  nombre  d'hommes  d'une  taille 


(*)  Ce  chapitre ,  dont  on  n'a  retrouvé  que  la  préface, 
est  probablement  du  nombre  de  ceux  qui ,  comme  tant 
d'autres ,  ont  été  perdus  par  la  négligence  des  pilotes  de 
Hellégaland.  (^Note  du  Traducteur.^ 


DANS   LA    HAUTE   PENSYLVANIE.     111 

élevée,  dont  la  langue  est  harmonieuse  et  douce, 
se  soit  constamment  opposée  à  tous  les  efforts 
qu^on  a  faits  pour  lui  inspirer  le  goût  de  la  vie 
sédentaire  et  cultivatrice  !  Comme  tant  d'autres, 
elle  disparoîtra,  et  ne  laissera  après  elle  que  les 
noms  qu'elle  donna  jadis  aux  rivières  et  aux 
montagnes  de  ce  beau  pays ,  et  que  nos  Géo- 
graphes ont  soigneusement  conservés  )). 

((  C'est  un  soin  que  j'ai  fréquemment  recom- 
mandé aux  fondateurs  des  nouvelles  colonies 
Trans-Alléghéniennes  d'Indiana ,  de  Washing- 
ton ,  du  grand  Ménéamy,  du  Kentukey,  du 
Wabash ,  du  Ténèzee ,  etc.  Ce  respect  pour  ces 
noms  auroit  même  dû  être  prescrit  par  la  loi  ; 
car  enfin,  puisque  la  destinée  a  voulu  que  les 
nations  européennes  aient  été  civilisées  depuis 
des  siècles  ,   que   nos   charrues  remplaçassent 
l'arc  et  la  flèche  des  indigènes,  que  nous  con- 
vertissions ces  régions  ,   jusqu'ici  incultes   et 
couvertes  de  forêts,  en  prairies  et  en  champs 
fertiles ,  transmettons  à  la  postérité  leurs  noms 
originaires;  alors  nous  empêcherons  que  le  sou- 
venir de  ces  tribus  ne  se  perde  entièrement  dans 
la  nuit  des  temps,  et  nous  éterniserons  le  seul 
témoignage  de  reconnoissance  que  nous  puis- 
sions donner,  et  que  très -certainement  nous 
devons  aux  anciens  possesseurs  de  ce  continent, 
que  nous  avons  si  fréquemment  séduits  et  trom- 


Î12  VOYAGE 

pés,  D'ailleurs  ces  noms,  déjà  consacrés  par  le 
passage  et  par  l'empreinte  de  plusieurs  siècles,  ne 
sont-ils  pas  plus  convenables  sous  tous  les  rap- 
ports ,  et  infiniment  plus  sonores  que  ceux  de 
notre  nomenclature  vulgaire  ?  Quelle  différence 
entre  ceux-ci ,  par  exemple  :  rivière  Margo ,  à 
la  Moelle  ,  à  la  Franche ,  à  la  Trippe  (  dans  le 
Canada)  ,  Liking  ,  Sandy,  Muddy,  Turkey 
(dans  le  Kentukey);  et  ceux  de  Potawmack, 
Ténèzee  ,  Monongahéla ,  AUéghény ,  Keskémi- 
nétas,  Cahyahoga  j  Junondat,  etc.  rivières  de 
Virginie  et  de  Pensylvanie  )) . 

a  Malgré  tous  mes  efforts  pour  traduire  ce 
petit  morceau  aussi  littéralement  qu'il  m'a  été 
possible,  j'avoue  que  j'ai  été  obligé  de  me  servir 
de  quelques  mots  qui  ne  sont  pas  dans  leur  lan- 
gue ,  tels ,  par  exemple ,  que  celui  d'ame ,  qu'ils 
remplacent  par  vie  ,  animation  j  celui  d'ombre, 
par  ligure  noire  ;  absence ,  par  éloignement.  C'est 
faute  d'aptitude  à  concevoir  les  idées  métaphy- 
siques attachées  à  quelques-uns  de  nos  mots , 
qu'ils  n'ont  jamais  pu  comprendre  plusieurs  des 
vérités  et  des  points  historiques  de  la  religion. 
—  c(  Nous  ne  sommes  point  des  enfans ,  mais  des 
guerriers ,  répondent-ils  dans  leur  orgueil  ».  — 
Et  ils  en  ont  plus  que  vous  ne  le  croyez.  Voilà 
pourquoi  nos  missionnaires  n^ont  pu,  jusqu'ici, 
en  christianiser  qu'un  petit  nombre.  Leur  goût 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  Il5 
pour  la  vie  errante  est  un  autre  obstacle  non 
moins  insurmontable.  Quel  souvenir  d^instruc- 
tion ,  en  effet ,  des  hommes  qui  passent  six  mois 
de  Fannée  loin  de  leurs  villages ,  à  la  poursuite 
des  castors,  des  ours  et  des  loups,  peuvent-ils 
conserver  ?  Et  d^ailleurs ,  quelle  confiance  pou- 
vons-nous nous  flatter  d^inspirer  à  ceux  qui  se 
méfient  de  tout  ce  que  nous  leur  disons ,  et  qui 
ont  pour  nous  autant  de  mépris  que  de  haine  ))?, 

«  Vous  reconnoîtrez  aisément  dans  les  ex- 
pressions de  Panima  ,  celles  de  la  nature  ,  telle 
qu'on  Fobserve  dans  les  forêts  j  un  mélange  de 
buissons  et  de  quelques  arbres  droits  et  élevés  ; 
de  quelques  fleurs  odorantes ,  et  d'un  grand 
nombre  de  stériles  et  d'inodores.  Vous  avez  dû 
cependant  remarquer  dans  leurs  harangues  pu- 
bliques, un  genre  d'éloquence  qui ,  quelquefois, 
brille  et  s'élève  à  l'aide  des  métaphores  puisées 
dans  tout  ce  qui  frappe  leur  imagination.  J'en 
connois  qui ,  dans  l'expression  du  sentiment , 
approchent  même  du  sublime  ;  la  harangue  du 
Mingo  Logan,  à  la  paix  de  177^;  la  réponse  de 
Tongaskootack  au  gouverneur  du  Canada,  en 
1696;  et  plusieurs  autres  qui,  heureusement, 
ont  été  recueillies  )). 

((  Quoique  leur  genre  de  vie ,  et  les  moeurs 
qui  en  résultent,  empêchent  que  l'amitié  ne  soit, 
jparrai  eux,  un  sentiment  aussi  vif  et  aussi  cul-, 
m,  ^   H 


Il4  VOYAGE 

tivé  qu'il  l'est  chez  nous ,  j'en  ai  vu  des  exemples 
touchans,  dont  je  vous  enverrai  quelques  beaux 
traits  par  la  première  occasion.  Il  est  impossible 
de  concevoir ,  sans  avoir  long-temps  résidé  au 
milieu  d'eux,  jusqu'à  quel  point  l'état  de  leur 
civilisation  contribue  à  rétrécir  le  cercle  de  leurs 
affections  et  de  leur  existence  morale.  A  peine 
connoissent-ils  les  plaisirs  de  l'amour ,  qu'ils  les 
considèrent,  au  contraire,  comme  indignes  d'un 
chasseur  et  d'un  guerrier. — «Qui  veut  frapper 
son  ennemi  fort  et  dur,  disent-ils,  doit  avoir 
long-temps  tourné  le  dos  à  la  peau  d'ours  de  la 
femme  w .  —  L'inertie,  l'inactivité  de  ce  premier 
mobile  de  notre  existence ,  rend  leur  imagina- 
tion froide ,  stérile  et  muette  5  rien  ne  lui  parle  , 
rien  ne  l'échauffé  ni  ne  l'anime.  Quoique  sou- 
vent oisifs  ,  ils  ne  sentent  jamais  cette  surabon- 
dance de  vie,  d'où,  parmi  nous ,  provient  quel- 
quefois l'ennui ,  origine  de  tant  d'ouvrages  et 
de  découvertes  utiles.  Voilà  pourquoi  on  n'a 
trouvé  chez  ces  nations  ni  contes,  ni  fables,  ni 
apologues.  Ils  n'ont  que  des  chansons  destinées 
à  célébrer  leurs  victoires  et  l'assouvissement  de 
leurs  implacables  vengeances  :  ce  sont  les  hur- 
lemens  de  la  férocité ,  ainsi  que  de  leur  barbare 
orgueil ,  plutôt  que  les  accens  du  bonheur  et  du 
plaisir.  Tranquilles  sur  leurs  peaux  d'ours ,  lors- 
que la  faim ,  la  chasse,  les  fureurs  de  la  guerre, 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     Il5 

OU  la  frénésie  de  Fivresse  ne  les  excitent  pas ,  ils 
paroissent  être  sans  passions  comme  sans  désirs 
et  leurs  esprits  aussi  vides  d^idées  que  s'ils  étoient 
plongés  dans  le  plus  profond  sommeil,  ou  ense- 
yelis  sous  les  glaces  de  la  vieillesse  ». 

«  Quels  rapports ,  en  effet ,  peuvent  attacher 
un  homme  de  cette  espèce  à  son  semblable  ?  Se 
suffisant  à  lui-même  par  son  adresse  à  la  chasse 
et  à  la  pêche ,  uniquement  occupé  de  remplir  sa 
chaudière,  il  n'est  rien  pour  son  voisin,  et  ce 
voisin  n'est  rien  pour  lui  ;  c'est  comme  s'ils 
vivoient  sur  deux  iles  séparées  par  un  bras  de 
rivière.  La  seule  jouissance  dont  ils  aient  une 
idée  et  dont  ils  aiment  à  parler,  est  le  repos ,  ou 
plutôt  l'inactivité  la  plus  entière  :  car  vous  devez 
savoir  que  leurs  femmes  sont  exclusivement 
chargées  des  soins  du  ménage  )). 

((Ah!  mon  frère,  me  disoient  l'autre  jour 
Nangooarcala ,  Nimwha,  Maratanza,  et  quel- 
ques autres  chefs  qui  dînoient  avec  moi ,  tu  ne 
connoîtras  jamais  comme  nous  le  bonheur  de 
ne  penser  à  rien  et  de  ne  rien  faire  :  après  le 
sommeil,  c'est  ce  qu'il  y  a  de  plus  délicieux. 
Voilà  comme  nous  étions  avant  d'avoir  eu  le 
malheur  de  naître  ;  voilà  comme  nous  serons 
après  la  mort.  Qui  a  mis  dans  la  tête  de  tes  gens, 
continua-t-il ,  ce  désir  perpétuel  d'être  mieux 
nourris ,  mieux  vêtus ,  et  de  laisser  tant  et  tant 

2 


Îl6  VOYAGE 

de  terres  et  d'argent  à  leurs  enfans  ?  Craignent-  | 
ils  donc  que  le  soleil  et  la  lune  ne  se  lèvent  pas 
pour  eux  ?  que  la  rosée  des  nuages  cesse  de  tom- 
ber 5  que  les  rivières  tarissent ,  quand  ils  seront 
partis  pour  l'ouest  ?  Comme  la  fontaine  qui  sort 
du  rocher,  comme  les  eaux  de  nos  rapides  et 
de  nos  chutes,  ils  ne  se  reposent  jamais  :  dès 
qu'ils  ont  récolté  un  champ,  tout  de  suite  ils  en 
labourent  un  autre  ;  après  avoir  abattu  et  brûlé 
un  arbre  ,  ils  vont  en  renverser  et  en  brûler  un 
autre  3  et  comme  si  le  jour  du  soleil  n'étoit  pas 
assez  long,  j'en  ai  vu  qui  travailloient  au  clair 
de  la  lune.  Qu'est-ce  donc  que  leur  vie  com- 
parée à  la  notre,  puisque  le  présent  n'est  rien 
pour  eux  ?  Il  arrive  ,  aveugles  qu'ils  sont  !  ils  le 
laissent  passer.  Nous  autres,  au  contraire,  ne 
vivons  que  de  cela ,  après  être  revenus  de  nos 
guerres  et  de  nos  chasses.  Semblable  à  la  fumée 
que  le  vent  dissipe  et  que  l'air  absorbe ,  le  passé 
n'est  rien ,  nous  disons-nous  5  quant  à  l'avenir , 
où  est-il?  Puisqu'il  n'est  point  encore  arrivé, 
peut-être  ne  le  verrons-nous  jamais.  Jouissons 
donc  aujourd'hui  du  présent 5  demain,  il  sera 
déjà  loin  )î. 

a  Tu  nous  parles  souvent  de  prévoyance ,  ce 
tourment  de  ta  vie  :  eh  !  ne  sais-tu  pas  que  c'est 
le  mauvais  génie  qui  l'a  donnée  aux  blancs, 
3pour  les  punir  d'être  plus  savans  que  nous? Sans 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  II7 

cesse  elle  les  blesse  et  les  aiguillonne ,  sans  ja- 
mais pouYoir  les  guérir,  puisqu'elle  ne  peut 
jamais  prévenir  Farrivée  du  mal,  qui  s'attache 
aux  enfans  de  la  terre  comme  les  ronces  aux 
jambes  du  voyageur  ». 

((  C'est  ainsi  que  raisonnent ,  ou  plutôt  que 
sentent  ces  liabitans  des  forêts ,  et  dans  leur  fol 
orgueil ,  ils  se  croient  plus  sages  et  plus  heureux 
que  nous.  Pen  ai  connu  qui  poussoient  leur  mé- 
pris jusqu'à  la  pitié  ^  ce  qui  prouve  que  le  bon- 
heur peut  prendre  toutes  les  formes,  habiter 
sous  tous  les  climats ,  et  se  plaire  sous  l'écorce 
de  bouleau  comme  sous  de  beaux  lambris.  Com- 
ment faire  comprendre  à  de  pareilles  têtes  la 
nécessité  et  les  avantages  qui  résultent  de  l'agri- 
culture et  de  l'industrie  ?  Quant  aux  études  de 
cette  langue ,  que  vous  m'avez  demandées,  elles 
sont  entre  les  mains  de  M.  Maddisson ,  membre 
du  Congrès  pour  la  Virginie,  qui  m'a  promis  de 
vous  les  communiquer  )). 

Au  village  de  Kispoko,  le  4  juillet  1786. 

Richard  Buttleh. 


Il8  VOYAGE 

P anima  )  assis  au  pied  du  grand  Némenshé- 
hélas  ^  la  lune  étant  belle  et  resplendissante^ 
à  Ganondawé  ^  son  ami. 

c(  Le  seuil  de  ta  porte  a  donc  été  enlevé ,  les 
cendres  de  ton  âtre  dispersées ,  et  ton  feu  éteint, 
brave  Ganondawé  !  Tu  as  donc  abandonné 
ta  wigwbam  et  le  yillage  ,  pour  aller  au  pays 
d^Onas  ,  dont  les  blancs  ont  fait  disparoître 
Tombre  et  la  fraîcheur  !  Que  ne  savent- ils  ^ 
comme  nous,  vivre  de  chasse,  de  pêche,  cou- 
cher sur  une  peau  d^ours,  et  boire  Feau  du  ruis- 
seau !  ils  n^auroient  pas  tant  de  soif  de  nos 
terres ,  et  nous  serions  voisins  et  amis  ». 

c(  Méfie-toi  de  leurs  courtes  et  longues  pa- 
roles !  Comme  les  glaces  de  nos  rivières  au  retour 
du  printemps  ,  est  perdu  celui  qui  s'y  confie  : 
comme  les  remoux  perfides  de  TAlléguipy ,  est 
en  gloutiFimprudent  voyageur  qui  en  approche. 
Jamais  ils  ne  nous  disent  ce  qu'ils  pensent,  et 
jamais  ils  ne  pensent  ce  qu'ils  nous  disent.  Sais- 
tu  pourquoi  ?  parce  que  la  ruse  et  le  mensonge 
découlent  de  leurs  lèvres ,  comme  la  sève  pu- 
tride d'un  arbre  dont  le  cœur  est  creux  et 
pourri  ». 

((  Mais  à  qui  parlé-je,  puisque  tu  n'es  plus 
ici  pour  entendre  mes  paroles?  Ma  voix  pour- 
roit-elle  parvenir  jusqu'à  toi  ^  et  la  tienne^ 


DANS   LA   HAUTE   TENSYLVANIE,     lig 
comme  celle  de  Técho ,  arriver  jusqu'à  moi  ?. . . 
J'écoute....  ce  n'est  que  le  bruit  du  vent  qui 
passe  5  ou  celui  de  la  chute ,  qui  va  mourir  dans 
les  forêts  du  voisinage.  Il  ne  dit  rien  à  l'oreille 
de  mon  ame  attentive.  J'écoute  encore....  ce 
n^est  que  celui  du  pivert  qui  frappe  contre  le 
tronc  desséché  d'un  arbre  ,  ou  le  faisan  qui  ap- 
pelle sa  compagne  en  agitant  ses  ailes.  Je  veux 
cependant  m' entretenir  avec  le  Toi  qui  vit  dans 
ma  pensée  ,  dont  les  yeux  de  mon  e&prit  voient 
l'image  )) . 

«Ganondawé,  où  es-tu?  Ne  pouvois-tu  pas 
entendre  la  voix  de  Panima  ton  ami  )>  ? 


c(  Que  je  te  parle  donc  en  moi-même, puisque 
ton  absence ,  comme  l'épaisseur  d'une  mon- 
tagne 5  te  cache  à  mes  yeux  5  et  que  ,  comme  la 
gelée  de  l'hiver,  elle  a  fermé  ma  bouche.  Quand 
je  pense  àtoi,  mon  bras  s'étend,  ma  main  s'ouvre 
pour  rencontrer  et  serrer  la  tienne.  Pendant  la 
clarté  du  jour,  je  te  cherche  et  ne  te  trouve  plus  j 
ton  ombre  même  m'a  quitté.  Pendant  le  silence 
des  nuits ,  mon  esprit  songe  à  toi ,  et ,  comme  la 
surface  des  eaux ,  il  réfléchit  ta  présence.  Mal- 
heureux et  contristé  que  je  suis ,  mes  flèches 
n'atteignent  plus  le  gibier  5  le  poisson  passe ,  et 
ne  voit  plus  l'hameçon  de  Panima»  J'embouche 


fl20  VOYAGE 

l'oppcygan  ;  mais,  semblables  aux  eaux  du  ruis- 
seau ,  qui ,  arrêtées  par  la  digue  du  castor ,  ces- 
sent d'être  bonnes  et  douces ,  mes  pensées,  que 
ton  absence  retient  dans  ma  tête ,  deviennent 
tristes  et  lugubres  ». 

((  Ganondawé ,  où  es-tu  ?  Ne  pouvois-tu  pas 
entendre  la  voix  de  Panima  ton  ami  ))  ? 


«  Depuis  que  tu  n'es  plus  ici ,  combien  l'es- 
pace qui  sépare  le  matin  du  soir  ne  me  paroît-il 
pas  ennuyeux  et  long  !  Et  sans  l'oubli  du  som- 
meil et  régarement  des  rêves,  combien  celui  qui 
sépare  le  soir  du  matin  ne  seroit-il  pas  plus  long 
encore  !  Quand  reviendras-tu  donc  rapporter 
la  gaîté  qui  t'a  suivi,  l'adresse  et  la  patience 
dont  j'ai  besoin  pour  vivre  ?  Quand  reviendras- 
tu  ôter  les  feuilles  de  mon  sentier ,  et  chasser  le 
vent  du  malheur  que  je  rencontre  pm:-tout  ?  Si 
je  parcours  les  forêts ,  je  m'égare  ;  si  je  vais  sur 
les  eaux ,  je  ne  puis  plus  diriger  mon  canot;  si 
j'allume  du  feu  sur  mon  âtre,  il  donne  plus  de 
fumée  que  de  chaleur  5  si  je  quitte  ma  wigwham^ 
les  reptiles  de  la  terre  et  les  oiseaux  de  la  nuit 
s'en  emparent;  si  je  m'exerce  à  lancer  le  tomé- 
hawk,  il  tombe  avant  d'arriver  à  l'écorce  de 
l'arbre  ». 

«  Ganondawé,  quand  reviendras-tu  ?  Ne  pou- 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.      121 

vois -tu  pas  entendre  la  voix  de  Panima  ton 
ami  ))  ? 


«  Lorsque  tu  parles ,  disent  nos  vieillards , 
les  oreilles  des  auditeurs  s'agrandissent. — ((  Oui, 
))  disent-ils ,  sa  voix  est  sonore  comme  le  reten- 
))  tissement  des  forêts,  comme  la  voix  de  la  grue 
))  du  milieu  des  nuages ,  ou  celle  du  courlis  du 
»  milieu  des  sa  vannes.  Semblables  aux  gouttes 
))  d'une  chute  ,  chacune  de  ses  paroles  a  son 
y)  poids,  il  a  le  coeur  de  Poohagan  son  aïeul,  et 
y>  la  langue  de  Sagagoetchè  son  père  5  jamais  le 
))  mensonge  noir  n'est  sorti  de  ses  lèvres  ver- 
•>?  meilles.  Il  est  sage  et  tranquille  comme  le  cas- 
))  tor  des  marais  ,  rusé  comme  le  renard  terrier, 
))  brave,  et  audacieux  comme  la  panthère  afFa- 
))  mée,  léger  à  la  course  comme  le  cerf  pour— 
))  suivi  :  sa  vue  vaut  bien  celle  de  l'aigle  chauve, 
»  et  son  ouie  celle  de  l'elke  au  bois  fourchu. 
»  Ainsi  que  sa  carabine,  son  jugement  ne  manque 
»  jamais  le  but.  Que  les  feuilles  de  son  arbre  de 
))  vie  ombragent  pendant  long-temps  les  wig- 
»  whams  du  village  et  celles  de  nos  tribus  ))  ! 

(c  Voilà  ce  que  disent  tous  ceux  qui  te  con- 
noissent ,  depuis  les  fourches  du  tranquille 
Scioto  jusqu'aux  eaux  du  grand  Fleuve  (l'Ohio), 
et  par-delà». 


122  VOYAGE 

«  Ganondawé ,  où  es-tu  ?  Ne  pouvois-tu  pas 
entendre  la  voix  de  Panima  ton  ami  »? 


<(  Te  ressouviens-tu  que  depuis  nos  premières 
lunes,  nous  avons  toujours  pagayé  le  même 
canot ,  poursuivi  le  même  gibier,  et  partagé  les 
mêmes  dangers  ?  Que  quand  Furt  disoit  oui  y 
Tautre  le  disoit  aussi  ?  Que  quand  nous  allu- 
mions du  feu  sur  ton  âtre  ou  sur  le  mien ,  l'ami- 
tié étoit  toujours  là  pour  le  souffler  ?  Te  ressou- 
viens-tu  que  je  t^avois   donné  ma  confiance 
comme  le  malade  la  donne  à  son  guérisseur , 
comme  le  voyageur  au  courant  sur  et  fidèle  qui 
entraîne  son  canot  ?  Que  quand  on  venoit  f  en- 
tendre 5  le  silence  fermoit  la  porte ,  et  que  Fat- 
tention  toute  nue  se  tapissoit  au  fond  de  nos^ 
oreilles  ?  Te  ressouviens-tu  que,  dans  la  crainte 
de  t'interrompre ,  on  négligeoit  même  de  mettre 
du  bois  au  feu  ?  Que  nos  paroles  se  réunissoient 
en  sortant  de  nos  bouches ,  comme  la  fumée  de 
nos  oppoygans?  Te  ressouviens -tu  que  tous 
s'écrioient?  disant  :  —  ((  Suivons-le  par-tout  où 
))  la  terre  et  les  eaux  portent.  Il  sait  penser ,  par- 
))  1er  et  conduire ,  pendant  la  clarté  du  jour 
y)  comme  pendant  les  ténèbres  de  la  nuit  ». 

«  Ganondawé,  où  es-tu?  Ne  pouvois-tu  pas 
entendre  la  voix  de  Panima  ton  ami  »  ? 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.      120 


((  Je  suis  brave  et  intrépide,  tu  Tes  aussi.  Je 
ne  crains  ni  la  mort  ni  les  souffrances,  tu  ne  les 
crains  pas  non  plus.  Je  suis  chasseur  patient, 
adroit ,  infatigable  j  et  toi  aussi.  Je  suis  homme , 
comme  tel  je  ne  redoute  ni  le  toméhawk,  ni  la 
chaudière  de  Fennemi  ^  il  en  est  de  même  de  toi. 
Quand,  fatigué ,  je  chancelle  à  travers  les  pierres 
du  sentier ,  je  m'appuie  sur  ton  épaule  5  tu  en 
fais  autant.  Quand  mon  courage  fléchit ,  tu  me 
regardes ,  et  tout  de  suite  tes^eux  rappellent  le 
mienj  je  deviens  le  double  de  ce  que  j'étois. 
Quand  j'entonne  ma  chanson  de  guerre,  je  la 
chante  avec  plus  d'énergie  lorsque  je  pense  à 
toi.  Que  deux  hommes  sont  forts ,  lorsqu'ils  ne 
font  qu'un  !  C'est  comme  les  ailes  qui  supportent 
l'oiseau  ,  comme  un  canot  pagayé  par  deux 
braves  au  milieu  d'un  rapide  :  s'il  n'est  dirigé 
que  par  un  seul ,  bientôt  la  fatigue  et  l'inquié- 
tude le  poursuivent  et  l'atteignent  ;  il  perd  le 
fil  sauveur  du  courant ,  chancelle  et  chavire  ;  et, 
faute  d'un  ami,  le  malheureux  devient  la  pâture 
des  poissons  ». 

«  Ganondawé ,  où  es -tu  ?  Ne  pouvois-tu  pas 
entendre  la  voix  de  Panima  ton  ami  )>  ? 


«  Je  voudrois  savoir  si ,  quand  le  soleil  se 
lève  dans  le  pa3'-s  d'Onas  ,  ses  premiers  rayons 


124  VOYAGE 

te  réjouissent,  comme  lorsque  tu  sortois  de  fa 
wigwliam  pour  le  saluer;  si,  comme  ici,  les 
ombres  de  la  nuit  couvrent  la  terre  de  rosée  et 
tes  yeux  de  sommeil.  Je  voudrois  savoir  ce  que 
tu  penses  de  ces  barbus  qui  se  tuent  de  travail 
et  ne  sont  jamais  contens;  à  qui  il  faut  tant  de 
choses  pour  vivre,  et  qui  ne  vivent  pas  plus  que 
nous,  qui  n'avons  que  nos  carabines.  Quelle 
idée  ton  esprit  se  fait-il  de  leur  Dieu ,  auquel  ils 
parlent  si  souvent ,  et  qui  ne  leur  défend  pas  de 
labourer  nos  terres  et  d^en  éloigner  le  gibier  ? 
C'est  un  mauvais  Dieu ,  puisqu'il  leur  permet 
d'envahir  nos  villages ,  d'exposer  les  os  de  nos 
ancêtres  à  la  pluie  et  au  vent ,  de  nous  donner 
des  eaux  de  fureur  et  de  feu  pour  nous  consu- 
mer ,  et  de  belles  paroles  pour  nous  tromper  ». 

«  Ces  tristes  pensées,  comme  un  jour  d'hiver, 
en  font  naître  de  bien  plus  tristes  encore.  Si 
Panima  va  à  la  guerre,  qui  le  soustraira  à  la 
dent  de  son  ennemi  ?  Si  son  canot  chavire ,  qui 
l'aidera  à  le  relever  ?  Si  le  malheur  lui  en  veut , 
qui  lui  donnera  de  la  viande  et  du  poisson  ?  S'il 
fait  de  mauvais  rêves  ,  qui  lui  aidera  à  en  dissi- 
per le  souvenir  ?  Si  l'Esprit  d'en  haut  le  frappe 
de  sa  grande  flèche ,  qui  couvrira  son  corps  de 
terre?  Quoi  que  je  fasse  pour  chasser  ces  idées 
de  ma  tête ,  la  mélancolie,  qui,  lorsque  tu  étois 
ici,  se  cachoit  derrière  la  montagne ,  arrive 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     125 

pour  me  les  renvoyer  plus  tristes  et  plus  lugubres 
encore.  Depuis  ton  départ,  mon  visage  est  som- 
bre comme  l'eau  qui  coule  sous  de  noirs  sapins  5 
mon  esprit  s'égare  au  milieu  des  ténèbres  , 
comme  le  chasseur  au  milieu  des  forets  ;  le  si- 
lence ferme  ma  bouche,  mes  oreilles  n'entendent 
plus  le  ramage  du  muskawiss  (5)  ,  et  mes  yeux 
voient  sans  voir  )). 

((  Ganondawé ,  où  es-tu  ?  Ne  pouvois-tu  pas 
entendre  la  voix  de  P  anima  ton  ami  »  ? 


c(  Je  te  parle ,  et  tu  ne  m'entends  pas  !  Je 
regarde,  et  ne  vois  que  moi  assis  au  pied  du 
Nemenshéhélas  !  Qui  servira  donc  de  témoin  à 
la  prononciation  de  mes  paroles  vivantes  ?  La 
lune,  cette  fille  modeste  du  soleil  radieux 5  c'est 
à  elle  que  je  les  confie.  Mais  qui  te  portera  la 
voix  de  mes  plaintes  et  l'idée  de  mes  souvenirs? 
L-e  vent,  souffle  du  grand  Manitoo,  ce  messager, 
souvent  inconstant  et  léger ,  te  les  transmettra- 
t-il  fidellement  ?  Je  l'en  conjure  ». 

((  Hâte-toi  de  revenir  les  entendre  de  la  bouche 
de  ton  ami ,  et  nous  dire  comment  ces  Cherry- 
hum-Sagat  t'auront  reçu  et  nourri ,  comment 
ils  t'auront  dix  fois  pris  par  la  main ,  ou  auront 
fumé  avec  toi ,  pour  te  tromper  dix  fois  mieux 
4ans  tes  échanges ,  comme  cela  m'est  si  souvent 


126  VOYAGE 

arrivé.  Hâte-toi  de  te  rapprocher  de  ta  femme  ^ 
de  tes  enfans ,  de  Panima ,  qui  t^attendent  assis 
sur  le  seuil  de  ton  père  » . 

«  Viens  replacer  le  tien  j  rallumer  ton  feu ,  et 
suspendre  ta  chaudière.  Puissent  mes  oreilles 
entendre  ton  cri  d^ appel,  et  mes  yeux  apperce- 
voir  ton  canot  doublant  la  pointe  de  Kittàgà- 
mick,  long-temps  avant  que  le  maïs  ne  soit 
mûr  »  ! 

c(  Ganondawé,  où  es-tu  ?  Ne  pouvois-tu  pas 
entendre  la  voix  de  Panima  ton  ami  »  ? 


«  Telles  sont  mes  paroles,  que  je  confirme  par 
trois  tailles  sur  Fécorce  du  Nemenshéhélas  ,  au 
village  de  Chillichaté ,  le  quatrième  jour  de  la 
lune  des  écureuils  ». 

Panima. 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.    12/ 


CHAPITRE    VI. 

Nous  étions ,  M.  Herman  et  moi,  depuis  quel- 
que temps  à  Clermont,  chez  M.  Livingston, 
chancelier  de  l'Etat  de  New- York,  où  nous 
jouissions  de  l'intéressante  conversation  de  ce 
respectable  personnage  (*) ,  Fun  des  fondateurs 
de  l'indépendance  et  de  la  liberté  de  sa  patrie.  Du 
portique  de  sa  belle  maison ,  bâtie  sur  le  rivage 
oriental  duHudson,  nous  contemplions  ce  grand 
nombre  de  vaisseaux ,  qui  sans  cesse  remontent 
ou  descendent  ce  beau  fleuve ,  et  leurs  manoeu- 
vres si  différentes  , suivant  le  vent  ou  la  marée  5 
nous  réfléchission  sur  la  prodigieuse  quantité 
de  denrées  que  produisent  déjà  l'agriculture  et 
l'industrie ,  dans  un  pays  où  naguère  on  ne 
voyoit  que  des  chasseurs  et  des  indigènes  ,  lors- 
que mon  compagnon  reçut  une  lettre  qui  Fin- 
formoit  qu'une  compagnie  dans  laquelle  sa 
famille  étoit  intéressée,  desiroit  acquérir  un 
des  districts  de  la  concession  militaire ,  le  plus 
avantageusement  situé  relativement  à  la  navi- 


C^)  Il  a  été  ministre  des  affaires  étrangères  pendant  la 
révolution. 


128  VOYAGE 

gation  du  lac  Ontario ,  ou  aux  communications 
intérieures. 

Il  nous  falloit  un  guide  ;  heureusement  M.  Li- 
vington ,  qui  avoit  conçu  une  estime  particu- 
lière pour  M.  Herman  ,  et  desiroit  le  voir  se 
fixer  dans  son  voisinage ,  lui  indiqua  un  jeune 
homme  qui  avoit  accompagné  Farpenteur  gé- 
néral, lors  de  la  fixation  des  limites  de  cette 
grande  concession ,  et  qui  en  connoissoit  Lien 
toutes  les  subdivisions.  Au  bout  de  peu  de  jours, 
nous  partîmes  pour  Albany,  d'où,  vingt-quatre 
heures  après  notre  arrivée,  nous  parvînmes  ai- 
sément à  Skénectady.  Là  ,  on  nous  fournit  un 
bateau  très-commode,  qui  nous  transporta,  en 
sept  jours,  à  Fembouchure  de  FOriscany.  Ayant 
formé  le  projet  de  A^oyager  avec  célérité  à  tra- 
vers les  bois ,  nous  y  prîmes  quatre  indigènes 
qui  dévoient  à-la-fois  nous  servir  de  guides 
et  nous  fournir  du  gibier  ,  et,  comme  le  disoit 
M.  Herman  en  souriant,  être  notre  auberge 
ambulante. 

Quels  changemens  depuis  notre  voyage  à 
Onondaga,  en  1789  I  Le  canal  de  Little-Falls  , 
dont  on  ne  parloit  même  pas  à  cette  époque , 
étoit  presque  terminé.  Déjà  on  avoit  tracé,  à 
quelque  distance  de  ces  rapides ,  une  jolie  ville, 
où  nous  vîmes  plusieurs  maisons  élégantes  :  un 
§uperbe  moulin  à  farine,  construit  à  Fentrée, 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.      1 29 

venoit  d^étre  achevé;  ontravailloit  déjà  au  nou- 
veau canal  de  Stanwick.  Je  comptai  trente-deux 
maisons  dans  la  petite  ville  de  Wliite'stown , 
fondée  à  l'extrémité  de  la  navigation  du  Mo- 
haAvk.  Les  Onéidas  avoient  vendu  leurs  terres, 
à  Fexception  de  cent  mille  acres.  Les  Onondagas 
ne  s'en  étoient  réservé  que  soixante-cinq  mille, 
elles  Cayugas  à-peu-près  la  même  quantité  , 
vers  la  partie  septentrionale  du  lac  de  leur  nom. 
((  Ainsi  se  sont  vérifiées ,  dis-je  à  M.  Herman, 
les  paroles  du  vieux  Kèskètomah,  et  celles  bien 
plus  anciennes  encore  du  Missisagè - Korey- 
hoosta  'j  ainsi  ont  disparu  les  espérances  des 
chefs  Onéidas  ;  ainsi ,  avec  leurs  traités  et  leurs 
marchandises ,  et  sans  user  d'aucune  violence, 
les  blancs  sont  toujours  sûrs  d'étendre  leurs 
possessions  à  mesure  que  leur  population,  ou 
plutôt  leur  cupidité  augmente.  Si,  à  cette  con- 
cession militaire  d'un  million  cinq  cent  mille 
acres,  on  ajoute  l'acquisition  du  colonel  Wil- 
liamson,  qu'on  dit  être  presqu' aussi  considé- 
rable ,  et  celles  de  quelques  compagnies  hol- 
landaises et  flamandes,  voilà  un  pays  aussi  grand 
que  la  Silésie,  qui  n'a  pas  coûté  20,000  liv.  sterl. 
Et  la  célèbre  ligue  Mojiawk  n'existe  plus  !  Et, 
chose  inconcevable  !  de  tant  de  familles ,  pas 
une  n'est  devenue  propriétaire  et  cultivatrice  ^ 
pas  une  ne  s'est  dit  :  —  ce  Je  yeux  me  réserver 


î3o  VOYAGE 

»  douze  cents  acres  de  terre  sur  les  "bords  de 
^  telle  rivière  ;  j^en  vendrai  la  moitié,  ce  qui  me 
))  procurera  deux  mille  piastres,  avec  lesquelles 
))  je  ferai  bâtir  une  habitation ,  et  me  procurerai 
:))  des  chevaux  et  des  ustensiles  d'agriculture  ; 
»  comme  les  blancs  ,  je  labourerai,  je  sèmerai, 
»  je  récolterai 3  comme  eux,  j'élèverai  mes  en- 
))  fans  au  travail ,  à  l'industrie  ;  comme  eux ,  je 
))  leur  transmettrai  mes  vergers ,  mes  champs  et 
))  mon  nom ,  et  comme  le  leur ,  mon  sang  se 
})  multipliera  sur  la  terre.  —  Qui  ne  verroit 
»  pas  dans  cette  aveugle  obstination  la  volonté  ^ 
))  le  doigt  de  la  destinée  ))  ? 

Pourvus  d'une  excellente  carte  de  cette  partie 
de  l'Etat ,  que  M.  Duv^itt  venoit  de  publier  ,•  et 
précédés  de  nos  guides,  nous  parvînmes  au  dis- 
trict de  Camille ,  situé  à  l'extrémité  septentrio-" 
nale  du  joli  petit  lac  Oxaruatètes,  non  sans  avoir 
éprouvé  tous  les  inconvéniens  qui  résultent  de 
la  nécessité  de  coucher  dans  les  bois ,  et  du 
malheur  d'avoir  quelquefois  plus  de  provisions 
que  nous  ne  pouvions  en  consommer  ,  et  d^au- 
très  fois  de  n'en  point  avoir  assez  ,  malgré 
l'adresse  et  la  bonne  volonté  de  nos  chasseurs. 

Ainsi  qu'on  nousl'avoit  dit,  noiis  trouvâmes 

sur  les  bords  de  la  petite  rivière  qui  conduit  les 

eaux  de  ce  lac  dans  celui  connu  sous  le  nom  de 

Cross  j  une  faïnille  nouvellement  arrivée  :  elle 


DANS   LA    HAUTE   PENSYLVANIE.     l5l 

avoit  de  la  farine ,  du  lard  et  des  pois ,  deux 
vaches ,  deux  paires  de  bœufs,  quelques  poules , 
dont  les  renards  se  régal  oient  parfois  ;  mais  elle 
n'avoit  point  encore  de  maison.  Comptant  faire 
de  ce  lieu  notre  quartier-général ,  nous  réso- 
lûmes de  venir  à  son  secours ,  car  nous  étions 
sept  de  notre  bande  ,  et  dans  Fespace  de  quatre 
jours,  elle  eut  un  asyle  de  i4  pieds  de  largeur 
sur  25  de  longueur.  Ce  bâtiment  étoit  grossier  ^ 
à  la  vérité ,  n'étant  composé  que  de  troncs  d'ar- 
bres de  moyenne  grandeur ,  mais  il  étoit  bien 
calfeutré ,  et  couvert  de  bonne  écorce  de  chêne , 
que  nos  chasseurs  levèrent ,  et  fixèrent  sur  les 
chevrons,  avec  beaucoup  d'adresse  et  de  zèle  ; 
car  il  n'y  a  pas  d'hommes  sur  la  terre  plus  obli- 
geans  ni  plus  serviables,  quand  on  sait  les  ex- 
citer et  les  conduire  :  alors  ils  font  pour  leurs 
amis  ce  qu'ils  ne  feroient  pas  po'ur  eux-mêmes, 
parce  que  ce  genre  de  travail  ne  leur  paroît  pas 
déshonorant. 

Après  avoir  passé  dix  jours  à  examiner  atten- 
tivement la  nature  du  sol,  la  qualité  des  arbres, 
les  ruisseaux  et  les  chutes,  les  marais  et  les 
terres  basses  des  districts  du  voisinage ,  M.  Her- 
man ,  déterminé  par  les  conseils  du  jeune  arpen- 
teur que  le  chancelier  lui  avoit  procuré ,  fixa 
toute  son  attention  sur  celui  de  Lisandre,  borné 
au  sud  par  la  rivière  Sénecca  5  au  nord  par  1@ 

2. 


Î02  VOYAGE 

district  d'Annibal,  à  l'ouest  par  celui  de  Caton  j 
et  à  l'est  par  la  rivière  Oswégo  ou  Onondaga  ^ 
qui  se  jette  dans  FOntario  ,  et  par  laquelle ,  dans 
le  printemps  et  Tautomne  j  on  peut  facilement 
communiquer  avec  le  lac  Onéida  et  la  rivière 
Moliawk.  Enfin  5  munis  de  tous  les  renseigne- 
îîiens  nécessaires ,  ainsi  que  de  la  carte  topogra- 
phique de  ce  canton ,  nous  allions  retourner  à 
Oriskany,  en  suivant  le  sentier  que  nos  guides 
avoient  eu  soin  de  marquer,  lorsque ,  pour 
ajouter  aux  observations  que  nous  voulions 
faire  sur  cette  nouvelle  et  intéressante  partie  de 
FEtat  5  il  fut  résolu  d'aller  jusqu^à  la  Nouvelle- 
Genève  ,  bâtie  à  l'extrémité  septentrionale  du 
beau  lac  Sénecca  ou  Canodérago ,  k  55  milles  de 
liisandre ,  d'où  il  nous  seroit  facile ,  en  suivant 
la  route  que  le  Gouvernement  faisoit  ouvrir, 
de  nous  rendre  a  Scliuyler ,  ou  à  Palatine  sur  le 
Mohawk.  Nous  devions  traverser  les  districts  de 
Brutus ,  de  Caton  ,  d'Aurélius  ,  la  réserve  de 
Cayuga ,  et  le  district  de  Romulus ,  baigné  par 
les  eaux  du  lac  Sénecca. 

Pendant  les  premiers  jours  de  notre  voyage, 
toujours  accompagnés  de  nos  bonnes  gensd'Oris-  Jj 
kan^?-  5  nous  eûmes  à  lutter  contre  cette  foule 
d'obstacles  qu'on  rencontre  plus  communément 
dans  les  pays  couverts  de  hemlocs  et  de  pins  : 
car  quoique  ces  arbres  acquièrent  une  grandeuf 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  l55 
énorme  ,  cette  élévation  n'indique  pas  toujours 
la  fertilité  du  sol.  Les  sentiers  étoient  obstrués 
par  ceux  qu^un  violent  coup  de  vent  avoit  ren- 
versés 5  les  marais  étoient  d^un  accès  difficile  ; 
le  soir ,  nous  étions  tourmentés  par  des  insectes 
microscopiques,  connus  sous  le  nom  de  knats  ; 
les  familles  que  nous  rencontrions ,  nouvelle- 
ment arrivées,  ne  pouvoient  nous  donner  que 
des  gâteaux  de  maïs. 

Nous  réfléchissions  sur  la  cause  de  cette  éton- 
nante variété  qu^on  remarque  dans  le  sol ,  non- 
seulement  du  même  canton  ,  mais  du  même 
champ  ;  sur  Fusage  qu^on  feroit  un  jour  des 
nombreuses  chutes  qui  se  trouvoient  sur  notre 
route ,  sur  la  nature  des  rochers  du  haut  des- 
quels elles  se  précipitent  ^  sur  le  dessèchement 
prochain  de  tant  de  marais ,  et  la  grande  quan- 
tité de  pâturages  qui ,  un  jour ,  dédommage- 
roient  les  habitans  du  peu  de  valeur  de  leurs 
terres  boisées,  lorsque  nous  entrâmes  dans  celui 
de  Brutus ,  couvert  de  châtaigniers ,  d'ormes , 
de  chênes  ,  de  hycoris  et  d'érables  à  sucre ,  in- 
dice d'un  sol  beaucoup  plus  fécond:  aussi  étoit-il 
plus  habité  que  le  précédent.  En  approchant  du 
confluent  de  la  petite  rivière  Owasco  avec  la 
Sénecca,  nous  découvrîmes  une  habitation,  gros- 
sière à  la  vérité,  comme  on  les  bâtit  en  mettant 
pied  à  terre,  mais  couverte  d'un  toitde  bardeaux. 


lr^4  VOYAGE 

La  maîtresse,  décemment  vêtue,  la  tête  ornée 
d^un  joli  chapeau  de  paille  des.Bermudes ,  sur- 
prise de  notre  arrivée ,  et  sur-tout  de  l'appa- 
rence de  nos  quatre  chasseurs ,  ne  répondit  à 
nos  questions  et  ne  nous  invita  à  descendre 
qu'avec  beaucoup  de  timidité  et  d'embarras.  Ce- 
pendant elle  voulut  conduire  nos  chevaux  sous 
ce  qu'elle  appeloit  le  liangard»  C'étoit  un  toit 
d'écorce  monté  sur  quatre  perches ,  et  surchargé 
de  pierres,  pour  empêcher  le  vent  de  l'em- 
porter. 

((  Ceci  n'est  pas  brillant ,  dirent  mes  deux 
compagnons  ;  mais  dans  la  saison  où  nous  som- 
mes ,  il  faut  si  peu  pour  être  passablement  bien  ^ 
et  ce  bien  nous  est  offert  de  si  bonne  grâce,  que 
nous  devons  être  satisfaits  et  reconnoissans  )><, 
—  Nous  causions  avec  cette  jeune  et  jolie  Amé- 
ricaine, qui  nous  préparoit  du  thé  (car  on  en 
trouve  par-tout)  ,  lorsque  son  mari,  qui  avoit 
entendu  le  bruit  perçant  de  la  conque ,  arriva 
couvert  de  sueur  et  noir  comme  le  charbon. 

«  D'où  venez-vous  donc  ?  lui  demanda  M.  Her- 
man.  -—  De  consumer  par  le  feu  des  tas  énormes 
de  racines ,  de  buissons  et  de  mauvaises  herbes , 
dont  la  nature  a  couvert  ce  sol.  Quelle  puissance 
que  celle  qui ,  de  rien ,  fait  croître  tant  de  pro- 
ductions inutiles  !  Encore ,  si  la  surface  de  la 
terre  n'étoit  remplie  que  d'arbres ,  notre  tâche 


DANS   I.A   HAUTE   PExMSYLVANIE.     l55 

seroit  beaucoup  moins  dégoûtante  et  moins  pé- 
nible :  en  cernant  leur  écorce,  on  en  arrête  la 
sève,  et  ces  géans  meurent  sur  pied  sans  faire 
aucune  résistance  ;  mais  cette  quantité  prodi- 
gieuse d^arbustes  ,   de  liannes  traînantes  ,  de 
ronces,  de  plantes  grimpantes,  dont  les  rejetons 
repoussent  avec  une  incroyable  vigueur  pen- 
dant deux  à  trois  ans  ,  voilà  ce  qui  retarde  nos 
progrès ,  et  souvent  amène  le  découragement. 
C^est  l'ouvrage  de  Pénélope ,  que  la  destruction 
de  ces  plantes  vivaces.  Heureux  ceux  qui  vien- 
dront après  nous  !  ils  paieront  la  terre  un  peu 
plus  cher,  il  est  vrai ,  mais  ces  grands  et  pénibles 
travaux  de  dépouillement,  d^essartement  et  de 
combustion  seront  finis;  le  sol  sera  net  5  ils  n'au- 
ront qu^à  perfectionner  nos  ébauches ,  à  bien 
enclore  leurs  champs,  labourer  et  jouir.  Je  vous 
assure  qu'il  faut  plus  que  du  courage  pour  oser 
quitter  son  canton  natal ,  et  s'éloigner  pour 
toujours  de  l'exemple  et  des  secours  de  ses  voi- 
sins et  de  ses  amis.  Encore,  si  on  étoit  sûr  de 
réussir  î  Mais  non  ;  ici  y  même  plus  qu'ailleurs  , 
nous  sommes  exposés  aux  hasards  des  accidens, 
aux  atteintes  du  malheur,  dont  la  funeste  in- 
fluence accompagne  l'hommepar-tout  où  il  va  :  et 
néanmoins,  aveuglés  par  les  illusions  de  l'espé- 
rance, et  oubliant  l'infortune  de  ceux  qui  n'ont 
pas  réussi,  nous  osons  entreprendre  de  nouveaux 


a56  VOYAGE 

établissemens,  et  lutter  contre  tant  d'obstacles)). 
c(  Si  ce  n^est  pas  le  courage ,  quel  est  donc  le 
motif  qui  vous  excite  et  vous  soutient?  demanda 
M.  Herman. — Un  sentiment  ^  ou  plutôt  une 
impulsion  qui,  heureusement,  n^est  pas  le  fruit 
de  laréflexion,  mais  émane  del'instinct.  L^amour 
de  nos  femmes  et  de  nos  enfans,  ce  qui  est  syno- 
nyme à  l'amour  de  nous-mêmes  :1e  désir  de  vivre 
dans  l'aisance  et  l'indépendance  ,  telle  est  chez 
moi  la  source  de  Tindustrie  et  de  la  persévé- 
rance j  peut-être  en  ai -je  plus  besoin  qu'un 
autre,  ayant  passé  les  premières  années  de  ma 
vie  5  les  livres  et  non  la  hache  à  la  main.  Au 
moment  où  j'allois  entrer  dans  le  ministère, 
J'eus  le  malheur  de  perdre  un  père  chéri  5  cet 
événement  affecta  tellement  mon  coeur  et  mon 
esprit,  que  je  m'éloignai  du  toit  paternel,  et 
devins  baleinier.  J'ai  aidé  pendant  cinq  ans  à 
poursuivre ,  à  harponner  cet  énorme  poisson  5 
je  le  poursuivrois  encore ,  si  cette  bonne  et  jolie 
ménagère  ne  se  fût  pas  avisée  un  jour  de  me  le 
défendre.  Peut-être  a-t-elle  eu  raison  5  elle  de- 
siroit  mon  bonheur  et  le  sien  ,  nous  l'avons 
trouvé  en  nous  unissant.  Je  l'avoue  cependant , 
sans  elle  et  les  enfans  qu'elle  m'a  donnés ,  je  ne 
serois  pas  aussi  industrieux  que  je  le  suis.  Mais 
quand  je  sens  que  mon  courage  fléchit,  je  fais 
de  nouveaux  efforts  pour  la  convaincre  que  je 


DANS  LA  HAUTE   PENSYLVANIE.     l37 

méritois  d^étre  son  mari.  De  son  coté,  quoi- 
qu'elle ne  m'en  dise  rien  ,  elle  en  fait  autant,  je 
le  sais  ;  et  cependant  elle  n'étoit  pas ,  non  plus 
que  moi,  destinée  à  mener  une  vie  aussi  pé- 
nible ». 

«  Hélas  !  continua~t-il ,  que  deviendroit  un 
colon  dans  ces  tristes  solitudes,  s'il  n'avoit  pas 
avec  lui  une  compagne  chérie  pour  alléger, 
adoucir  ses  peines,  exciter,  entretenir  son  ému- 
lation et  son  courage ,  préparer  ses  alimens  ? 
Pourroit-il  jamais  résister  à  l'ennui,  aux  dé- 
goûts qu'inspirent  ces  lieux  reculés  et  déserts , 
sur-tout  pendant  les  premières  années,  que  la 
vue  d'un  liomme  est  une  chose  rare,  et  qu'il 
faut  aller  à  de  grandes  distances  pour  rencontrer 
un  voisin  ?  Le  vide  qu'il  éprouveroit  dans  sa 
maison,  celui  sur-tout  qu'il  sentiroit  dans  son 
coeur,  le  porter  oit  sans  cesse  à  chercher  quel- 
qu'objet  qui  pût  le  remplir.  Quel  motif  stimu- 
leroit  son  industrie ,  puisqu'il  ne  travailleroit 
que  pour  lui  seul  ?  Pour  peu  qu'il  fût  sensible , 
il  ne  tarderoit  pas  à  rougir  de  posséder  un  cer- 
tain degré  d'aisance  et  de  bonheur  qu'il  ne  pour- 
roit  partager  avec  personne:  oui,  si  je  n'avois 
ni  femme  ni  enfans  (et  je  rends  grâces  à  la  Pro- 
vidence d'avoir  une  aussi  digne  compagne), 
au  lieu  d'endurer  journellement  les  fatigues  de 
la  vie  cultivatrice  5  j'embrasserois  la  vie  sau- 


j58  voyage 

vage  3  beaucoup  plus  douce  et  plus  natureîlef 
qu'on  ne  pense ,  et,  comme  ces  indigènes,  je 
vivrois  dans  une  heureuse  imprévoyance,  du 
produit  de  la  chasse  et  de  la  pêche,  à  Fabri  de 
ces  soins  continus  ,  de  ces  inquiétudes  de  Fave^ 
nir,  qui  naissent  de  la  propriété,  et  qu'entraînent 
nécessairement  les  devoirs  et  les  charges  de 
l'état  social.  Je  ferois  par  réflexion ,  et  d'après 
un  dessein  prémédité ,  ce  que  ces  enfans  de  la 
nature  font  par  instinct.  Si  on  pouvoit  bannir 
de  leurs  villages  ces  eaux  de  fureur,  source 
unique  des  dissentions  et  des  querelles  sanglantes 
qui  s'élèvent  si  souvent  parmi  eux,  aujourd'hui 
sur-tout,  que  les  motifs  de  leurs  guerres  et  de 
leurs  implacables  vengeances  n'existent  plus  , 
on  verroit  la  paix  et  le  bonheur  descendre  du 
ciel,  et  se  réfugier  parmi  eux  ». 

ce  Acquérir,  par  la  possession  d'une  certaine 
quantité  de  terre ,  les  droits  de  citoyen ,  ceux 
d'élire  ou  d'être  élu  j  participer  à  la  confection 
des  loix ,  remplir  les  différens  emplois  munici- 
paux des  districts  5  obtenir  ,  par  la  culture , 
l'aisance ,  l'indépendance  et  la  considération  5 
devenir  mari  et  père  ;  tels  sont  les  principaux 
motifs  qui ,  tous  les  ans ,  déterminent  tant  de 
jeunes  ménages  à  quitter  les  foyers  pater- 
nels, pour  aller  au  loin  fonder  de  nouveaux 
établissemens  ,    et  leur    donnent    le   courage 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     1% 

d'en   supporter  les   dégoûts  et  les  fatigues  )). 

«  Quelque  pénibles  que  soient  vos  travaux , 
lui  dit  M.  Herman ,  vous  êtes  néanmoins  dans 
le  chemin  du  vrai  bonheur,  s^il  y  en  a  sur  la 
terre.  Soyez  sûr  qu'il  est  plus  facile  à  obtenir , 
qu^il  est  plus  durable  et  moins  précaire  pour 
l'homme  qui  laboure  ses  propres  champs,  que 
pour  tout  autre  :  encore  quelques  années  de 
courage  et  de  persévérance ,  il  sera  assuré  ;  en- 
core quelques  années ,  votre  grange  sera  rem- 
plie ,  vos  herbages  seront  couverts  de  bestiaux  , 
et  votre  verger  de  fruits.  Ici,  vous  cultivez  des 
terres  franches  et  libres ,  et  ne  travaillez  que 
pour  vous  -  même ,  puisque  vous  ne  payez  ni 
redevances ,  ni  impositions.  Vous  ne  connoissez 
que  les  roses  de  la  liberté  ;  le  sage  Gouverne- 
ment qui  vous  protège,  en  a  écarté  toutes  les 
épines  )). 

«Quelquefois  vos  peines  sont  grandes,  j'en 
conviens ,  mais  ce  ne  sont  que  celles  du  corps  ; 
à  peine  la  tâche  du  jour  est- elle  finie,  que  le 
repos  de  la  nuit ,  ce  baume  restaurateur  ,  vient 
sceller  vos  paupières,  réparer  vos  forces  épui- 
sées ,  et  vous  en  donner  de  nouvelles  pour  sou- 
tenir les  fatigues  du  lendemain.  Si  quelquefois 
Fespérance  ne  vous  suit  que  de  loin  ,  souvent 
aussi  elle  vous  précède ,  vous  appelle ,  vous 
prend  par  la  main ,  et  vous  dit  en  souriant  )j  : 


a4o  VOYAGE 

ce  Tous  les  soirs,  après  avoir  élevé  les  yeux  de 
»  ton  intelligence  vers  le  Souverain  Maître  de 
))  Funivers,  dispensateur  des  rosées  et  des  pluies 
))  fécondantes ,  et  père  des  cultivateurs ,  ima- 
»  gine-toi  voir  les  belles  lisières  de  FOwasco 
))  converties  en  prairies ,  couvertes  de  chanvre 
))  ou  de  maïs  ;  imagine -toi  voir  la  moitié  des 
))  forets  au  milieu  desquelles  tu  t^es  fixé  y  deve- 
))  nues  des  champs  fertiles  bien  enclos ,  et  les 
))  jeunes  arbres  de  tes  vergers  courbés  sous  le 
))  poids  de  leurs  fruits  j  imagine -toi  voir  ton 
»  humble  habitation  devenue  une  maison  spa- 
5)  cieuse  et  commode ,  ton  triste  hangard,  une 
))  belle  et  vaste  grange.  Je  te  le  permets,  flatte- 
»  toi  d^étre  un  jour  aimé,  chéri  de  tes  enfans, 
»  quetu  auras  soigneusement  élevés  dans  Famour 
))  et  dans  la  crainte  salutaire  d^un  Dieu  rému- 
)>  nérateur  et  vengeur,  et  à  qui  tu  auras  inspiré 
))  le  respect  et  la  reconnoissance  que  tu  dois  à 
»  ce  Gouvernement,  qui  assure  ta  vie  et  ta  pro- 
))  priété ,  encourage    et  anime  ton  industrie ," 
»  sans  exiger  un  seul  épi  de  tes  récoltes  ,  ni  une 
))  seule  pomme  de  ton  verger  ;  et  pour  comble 
»  du  plus  grand  bonheur  dont  Fhomme  puisse 
))  jouir  sur  la  terre  ,  toi  et  ta  femme  vous  verrez 
))  arriver  d^un  cours  insensible  le  dernier  de  vos 
))  jours ,  toi ,  en  bénissant  Finstant  qui  te  la  fît 
))  connoître ,  et  elle ,  en  se  glorifiant  de  ne  s'être 


DANS    LA    HAUTE   PENSYLVANIE.      l4î 

))  jamais  repentie  un  seul  moment  de  l'avoir 
))  choisi  pour  époux.  Eh  bien  !  je  te  le  promets , 
))  cette  consolante  perspective  se  réalisera,  et 
.))  cette  époque  n'est  pas  éloignée.  Continue  donc 
))  d'être  laborieux,  religieux  etreconnoissant  ». 

«  Vous  avez  bien  raison  ,  continua  M.  Her- 
nian;  si  jamais  courage  et  industrie  ont  mérité 
d'être  récompensés ,  ce  sont  ceux  des  premiers 
colons ,  qui ,  semblables  aux  pionniers  d'une 
armée 5  frayent  les  premiers  sentiers ,  établissent 
les  premiers  ponts  ,  essartent  les  champs ,  font 
naître  les  premières  récoltes  ,  et  ouvrent  les 
routes  que  doit  bientôt  suivre  le  grand  corps  de 
la  société,  marchant  à  leur  suite.  Mais  pourquoi 
vous  êtes-vous  établi  sur  un  terrein  si  difficile  à 
nettoyer  ))  ? 

«  Parce  qu'une  grande  partie  de  cette  con- 
cession consiste  en  terres  d'alluvion ,  qui  ,  dans 
peu  d'années,  auront  une  Valeur  décuple.  Vingt 
acres  suffisent  pour  enrichir  une  famille.  Ce  don 
de  la  nature  paroît  aA''oir  été  formé  dans  le  cours 
des  siècles  par  la  retraite  et  le  dépôt  des  eaux. 
J'y  ai  creusé  des  trous  à  des  profondeurs  diffé- 
rentes ,  et  dans  l'espace  de  neuf  pieds  ,  j'ai 
compté  jusqu'à  vingt-huit  couches.  Elles  sont 
alternativement  composées  de  marne,  de  sable 
noir ,  d'argile  dissoute ,  de  débris  de  végétaux 
diversement  coloriés,  La  fertilité  produite  par 


î42  VOYAGE  ' 

ce  mélange  est  inépuisable  ;  ces  terres  rappor- 
tent du  maïs  qui  croît  jusqu'à  dix  pieds  de  hau- 
teur ,  du  chanvre ,  du  lin,  de  Tavoine  ,des  pois 
et  du  foin  dans  la  plus  grande  abondance  )). 

((De  quel  Etat  étes-vous  originaire?  —  Du 
Nouveau-Jersey.  —  Pourquoi  avez-vous  quitté 
votre  pays  natal  ?  —  Parce  que  mon  père,  qui 
avoit  neuf  enfans ,  ne  m'a  laissé  que  72  acres  de 
terres.  Quel  homme  voudroit  végéter  sur  une 
aussi  modique  portion  ,  lorsque,  jeune  encore , 
il  peut,  par  l'émigration,  s'en  procurer  une 
quantité  plus  considérable?  Ici ,  avec  ma  hache 
et  le  secours  du  ciel,  j'ai  de  quoi  assurer  ma 
petite  fortune,  c'est-à-dire,  vivre  dans  l'ai- 
sance ,  et  laisser  à  mes  enfans  chacun  cent  acres 
bien  cultivés ,  ou  un  métier  )). 

((  On  ne  connoît  donc  point  ici  cette  affection 
pour  la  maison  paternelle,  cet  attachement  pour 
le  pays  qui  nous  a  vu  naître?  —  Beaucoup 
moins  qu'en  Europe ,  et  cela  doit  être  ainsi  ; 
d'ailleurs  l'habitation  paternelle  est  toujoui's 
réservée  au  plus  jeune  des  enfans ,  qui  a  soin  de 
la  vieillesse  de  nos  parens  :  de  plus,  ne  sommes- 
nous  pas  membres  de  la  grande  famille  des 
Etats-Unis  ?  Le  citoyen  d'un  de  ces  Etats ,  ne 
l'est-il  pas  de  tous  ceux  de  l'Union?  Ne  parlons- 
nous  pas  la  même  langue  ?  n'avons-nous  pas  les 
mêmes  mesures ,  les  mêmes  poids  ?  N'obéissons- 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     l45 

ïious  pas  aux  mêmes  loix?  N^avons-nous  pas  les 
mêmes  usages  et  à-peu~près  les  mêmes  opinions 
religieuses ,  depuis  la  province  du  Main  jusqu^au 
Tènézée ,  depuis  les  bords  de  l'Océan  jusqu'aux 
plaines  du  Scioto  ?  Qu^importe  alors  qu^on  ha- 
bite la  Virginie ,  la  Pensylvanie  ,  ou  le  Mary- 
land  ?  J^irois  au  Kentukey  ,  aux  Illinois ,  sur  les 
bords  du  Wabasli ,  sans  aucune  répugnance , 
pourvu  que  je  puisse  y  être  heureux  par  la  pos- 
session de  quelques  centaines  d'acres  de  terres 
fertiles  )) . 

ce  Et  pourquoi  vous  en  faut-il  tant  pour  Fêtre? 
- — Parce  que  la  main-d'œuvre  est  si  chère  ,  que 
nous  sommes  obligés  de  compenser  la  médio- 
crité et  l'imperfection  de  notre  culture ,  par 
l'étendue  de  nos  champs  3  c'est-à-dire  j  de  gagner 
en  surface  ce  que  nous  perdons  en  moyens.  Eli 
puis!  quand  on  a  des  enfans,  ne  faut--il  pas 
pourvoir  à  leur  établissement  ?  Encore  quatre 
ans  de  santé,  et  Favenirne  m'inquiétera  plus.— 
Est-ce  que  le  montant  de  vos  72  acres  paternels 
a  pu  payer  les  Sao  que  vous  possédez  ici  ?  —  Je 
ne  les  ai  pas  vendus  5  je  tiens  ce  beau  mor- 
ceau-ci du  Gouvernement ,  comme  une  récom- 
pense d'avoir  porté  la  chaîne  sous  l'arpenteur- 
général,  pendant  la  grande  opération  qu'il  vient 
de  terminer,  conjointement  avec  celui  de  la 
Pensylvanie ,  dans  le  tracement  de  la  ligne  qui 


l44  VOYAGE 

divise  aujourd'hui  ces  deux  Etats.  Cet  officier 
étoit  trop  généreux  pour  ne  nous  avoir  pas 
donné  ce  qu^il  y  avoit  de  meilleur  )). 

((  Et  la  justice  distributive ,  et  les  loix,  com- 
ment vont-elles  ? —  On  dit  qu^il  y  a  des  magis- 
trats, des  juges  de  la  Cour  inférieure,  un  sliérif , 
dans  ce  canton  5  c'est  tout  ce  que  j'en  sais  :  la 
paix  règne  parmi  nous  5  nos  voisins  sont  nos 
amis ,  et  mallieûreusement  le  nombre  n'en  est 
pas  considérable.  Chacun ,  occupé  du  nettoie- 
ment de  sa  terre,  l'embellit,  l'ensemence.  Comme 
nous  ,  nos  magistrats  travaillent  et  labourent , 
et  sont  plus  occupés  du  soin  de  leurs  plantations 
qu'à  juger  des  procès.  Dans  cinquante  ans  d'ici, 
ce  ne  sera  pas  la  même  chose;  les  hommes, 
alors  plus  rapprochés  et  plus  nombreux ,  auront 
plus  besoin  que  nous  du  frein  salutaire  des  loix. 
Tout  ce  qui  nous  manque ,  ce  sont  des  commu- 
nications faciles  5  le  Gouvernement  s'en  occupe; 
nous  en  avons  d'autant  plus  de  reconnoissance, 
qu'il  n'exige  aucune  imposition. — D'où  lui  vien- 
nent donc  les  moyens  de  subvenir  aux  dépenses 
indispensables  de  l'administration  ?  —  De  l'in- 
térêt des  fonds  considérables  qu'il  a  déposés  dans 
la  banque  de  l'Union.  Ici,  on  ne  nous  demande 
qu'une  somme  très-modique,  pour  encourager 
la  destruction  des  loups  et  des  panthères  ;  c'est 
une  loi  que  nous  avons  sollicitée  nous-mêmes. 


BANS    LA  HAUTE   PENSYLVANIE.     345 

Quel  dommage,  messieurs,  que  vous  ne  soyez 
pas  arrivés  un  jour  plutôt!  vous  auriez  trouvé 
ici  Farpenteur-général,  M.  André  Duwitt,  qui 
vous  auroit  expliqué  tout  cela  bien  mieux  que 
je  ne  puis  le  faire.  — Habite-t-il  ce  canton  ?  lui 
demandai -je. — Ses  bureaux  sont  à  Albanyj 
mais  il  est  dans  ce  moment  à  trente  milles  d'ici  ^ 
dans  le  district  de  Tully  ^  sur  les  bras  de  la  ri-^ 
vière  de  Owégé ,  occupé  à  terminer  la  subdivi* 
sion  de  cette  grande  concession  militaire,  des- 
tinée au  contingent  de  Tarmée  continentale  j 
que  cet  Etat  a  voit  fourni  pendant  la  guerre  de 
l'indépendance  ». 

Flatté  d\ine  circonstance  qui  me  faisoit  es- 
pérer de  rencontrer  un  homme  aussi  recom^ 
ïiiandable  par  ses  vertus  que  par  ses  talens  y 
j^engageai  mes  compagnons  à  faire  ce  petit  dé- 
tour, après  nous  être  reposés  à  la  Nouvelle- 
Genève.  En  traversant  la  réserve  Cayuga ,  nous 
rencontrâmes  quelques  vieux  chefs  de  cette 
nation  ,  occupés  à  la  pêche  du  lac  5  ils  nous  don^ 
nèrent  du  poisson  ,  et  deux  jours  après ,  nous 
entrâmes  dans  le  district  de  Romulus  ,  dont 
presque  tous  les  colons  avôient  la  fièvre,  ce  qui 
nous  fit  hâter  notre  voyage  jusqu^iaû  rivage 
oriental  du  Canodérago  ou  Sénecca,  cFoù  nous 
découvrîmes  la  ville  j  ou  plutôt  Thumble  bour- 
gade de  Genève. 

m.  K 


l46  VOYAGE 

((  S'il  étoit  permis,  dit  M.  Herman,  de  com-^ 
parer  les  petites  choses  aux  grandes,  je  dirois 
que  ce  spectacle  me  rappelle  Fidée  de  la  nou- 
velle Salente,  fondée,  comme  celle-ci,  au  mi-- 
lieu  des  bois ,  par  des  hommes  qui ,  ainsi  que 
ces  Genevois,  avoient  été  obligés  de  fuir  leur 
patrie.  Combien  doivent  être  puissansles  motifs 
qui  ont  déterminé  ces  familles  à  traverser  FOcéan 
pour  venir  s'établir  parmi  un  peuple  dont  ils  ne 
connoissent  même  pas  la  langue  !  Que  de  sacri- 
fices n^ont-elles  pas  dû  faire,  pour  renoncer  à 
leurs  anciennes  habitudes,  et  devenir  de  labo- 
rieux colons  !  Que  de  privations  n'éprouve- 
ront-elles pas  encore ,  avant  de  vivre  dans  l'ai- 
sance )>  ! 

(f  Ainsi ,  lui  dis-je ,  la  misère ,  les  dissentions  1 
et  les  guerres  si  fréquentes  dans  l'ancien  Monde, 
contribuent  à  peupler  celui-ci.  Sous  combien  de 
rapports  l'Amérique  n'a-t-elle  pas  été  utile  à 
l'Europe  ?  Quelques  parties  de  ce  continent  ont 
servi  de  lieu  d'exil,  et  les  médians  y  sont  de- 
venus meilleurs  5  les  malheureux  y  ont  trouvé 
un  asyls  et  le  repos  5  les  persécutés ,  la  tolé- 
rance j  les  désœuvrés ,  un  nouveau  champ  d'in- 
dustrie; tous,  la  liberté  et  la  protection  des 
loix.  Les  nombreux  obstacles  que  ces  nouveaux 
arrivés  rencontrent  pendant  les  premières  an- 
nées 5  leur  inspirent  le  courage  et  l'adresse  de 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANTE.      14^ 

les  surmonter.  Quant  à  ceux  qui  ne  réussissent 
pas  dans  leurs  projets  de  culture,  ils  n'en  sont 
pas  moins  utiles  en  devenant  des  artisans  ou  des 
ouvriers,  dont  le  travail  est  payé  si  chef  ». 

Après  que  nous  fûmes  débarqués,  on  nous 
indiqua  la  seule  auberge  de  la  ville,  qui  étoit 
aussi  une  boutique  [store  ) ,  où,  à  notre  grande 
satisfaction  ,  nous  trouvâmes  propreté  et  abon- 
dance. —  ((  Vous  êtes  venus  quelques  années 
trop  tôt,  nous  dit  en  français  le  maître  de  la 
maison  ;  nous  sommes  encore  ,  comme  vous 
Voyez ,  au  milieu  des  embarras  et  des  travaux  de 
premier  établissement.  Il  n'y  a  pas  encore  quatre 
ans  que  nous, sommes  ici  ;  les  souches  des  arbres 
existent  encore  :  nous  subissons  le  sort  de  tous 
les  nouveaux  colons  ;  mais  avec  l'aide  du  ciel , 
comme  tant  d'autres ,  nous  jouirons  un  jour  des 
fruits  de  nos  travaux ,  et  nos  enfans  après  nous» 
Oui ,  il  faut  plus  de  courage  qu'on  ne  peut  se 
l'imaginer  en  Europe  ,  avant  d'être  ici  décem- 
ment logé  ,  avant  que  nos  champs ,  nos  basses- 
cours  et  nos  jardins  soient  nettoyés  ,  enclos,  et 
en  état  de  rapporter  des  grains,  des  légumes  et 
des  fruits.  A  moins  qu'un  colon  ne  vive  long- 
temps, ce  n'est,  en  général,  que  la  seconde  gé-^ 
nération  qui  peut  jouir  d'une  terre  ameublie , 
d'un  verger  en  plein  rapport ,  et  de  chemins 
passables  ». 


•r48  V    OTAGE 

«  Quels  motifs  ont  pu  vous  déterminer  à  for- 
mer un  établissement  si  loin  de  la  mer  ?-^La 
facilité  des  communications  ,1a  fertilité  du  sol , 
et,  vous  le  dirai-je,  la  réputation  du  colonel 
Williamson  ,  propriétaire  d'une  immense  con- 
cession qui  s'étend  jusqu'au  lac  Ontario ,  et 
couvre  une  vaste  étendue  de  pays.  Outre  les 
vertus  de  l'homme ,  il  possède  tous  les  talens  , 
toute  l'activité,  la  générosité  et  la  franchise, 
ainsi  que  toutes  les  qualités  nécessaires  au  fon- 
dateur d'une  aussi  grande  colonie.  C'est  de  lui 
que  nous  avons  acquis  à  Township.  Il  nous  a 
donné ,  dans  ce  marché ,  200  acres  de  terre , 
dont  100  sont  destinées  à  l'église  que  nous  allons 
fonder  ,  et  les  100  autres  à  l'usage  de  l'école  qui 
est  déjà  instituée.  Il  pense  à  tout,  prévoit  tout,  j 
jusqu'à  l'amélioration  des  espèces  de  chevaux  et 
de  bétail.  Heureux  les  honnêtes  colons  qui  ont 
à  traiter  avec  lui  3  nous  le  respectons  comme 
notre  père ,  il  nous  aime  comme  ses  enfans. 
Aussi  le  prix  de  ses  terres  augmente-t-il  tous 
les  jours.  Nous  savons  qu'il  a  sollicité  du  Corps 
législatif,  et  qu'il  doit  en  obtenir  à  sa  prochaine 
séance,  une  charte  d'incorporation  pour  cette 
ville  naissante  ,  ce  qui  contribuera  beaucoup  à 
sa  prospérité  )). 

((  De  quel  avantage  pourra- t-elle  vous  être , 
^ette  charte  ?   demanda  M.  Herman.  —  Elle 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     li«7 

assurera  la  régularité  de  nos  travaux,  prévien- 
dra la  divergence  des  intérêts,  réunira  nos  ef- 
forts ,  maintiendra  la  police ,  le  bon  ordre ,  la 
régularité  des  rues ,  transmettra  à  nos  magis- 
trats la  propriété  des  rivages  du  lac  jusqu'à  une 
certaine  distance  sous  les  eaux ,  ainsi  que  les 
quais  que  nous  avons  déjà  construits  ;  et,  vous 
le  dirai-je?  elle  flattera  notre  amour-propre, 
en  nous  identifiant  plus  particulièrement  à  cette 
ville  que  nous  avons  fondée ,  au  sol  que  nous 
avons  acheté ,  ainsi  qu^à  ce  pays  ,  devenu  notra 
nouvelle  patrie  )). 

ce  Pourquoi  avez -vous  quitté  les  bords  du 
Léman ,  pour  venir  vous  établir  sur  ceux  du 
Canodérago  ?  —  La  crainte  que  les  explosions 
volcaniques  qui,  en  1790  ,  se  firent  sentir  sur 
tous  les  points  de  la  France  ,  ne  vinssent  ré- 
pandre leurs  laves  funestes  sur  notre  ville  ,  qui^ 
comme  vous  le  savez ,  n'est  qu'un  point  dans 
l'immensité.  Les  événemens  subséquens  n'ont 
que  trop  évidemment  justifié  notre  prudence 
et  nos  pressentimens.  Quand  les  flammes  dé- 
vorent la  maison  de  son  voisin ,  n'est-il  pas  pru- 
dent d'abandonner  la  sienne,  et  d'en  emporter 
les  effets  les  plus  précieux?  Nous  ne  vivions  que 
de  commerceet  d'industrie  j  les  sources  en, furent 
bientôt  taries,  et  les  rapports  de  notre  ville  avec 
le  reste  de  l'Europe  entièrement  anéantis  w. 


1^0  VOYAGE 

«  D'ailieurs ,  fatigués  d'un  régime  démocra- 
tique ,  dont  les  orages  ne  nous  permettoient  pas 
de  jouir  plus  de  dis  à  douze  ans  consécutifs  du 
calme  et  du  repos  ,  nous  cherchions  depuis 
long-temps  un  pays  où  il  j  eût  de  Tespace  ^  dont 
le  Gouyernement  et  les  loix  fussent  stables  et 
protectrices ,  où  chacun  put  vivre  de  son  indus- 
trie sans  être  exposé  à  des  impositions  arbi^ 
traires,  où  enfin  nous  pussions  être  éloignés 
pour  jamais  des  fureurs  du  démagogisme,  ainsi 
que  du  foyer  des  guerres ,  des  alarmes ,  qui  ont 
lieu  si  souvent  dans  l'ancien  Monde.  Ici,  nous 
nous  flattons  d'avoir  trouvé  ces  avantages  ^  ils 
nous  ont  coûté  bien  cher ,  il  est  vrai  ,  mais  il 
faut  savoir  appliquer  des  remèdes  proportionnés 
à  la  grandeur  des  maux,  avoir  le  courage  d'en 
supporter  la  violence  ,  ou  périr.  De  quoi  n'est- 
on  pas  capable,  quand  on  a  des  femmes  et  des 
enfans  ,  à  qui  on  doit  protection  ,  sûreté ,  sub- 
sistance ?  S'il  y  a  dans  la  vie  un  motif  d'action 
impérieux,  irrésistible ,  c'est  celui-là  ^  jusqu'ici, 
grâces  à  la  Providence,  nous  n'avons  eu  que 
des  fatigues ,  et  point  encore  éprouvé  de  pertes  )) . 

«  Cette  nouvelle  Genève  ,  continua-t-il ,  est ^ 
comme  l'ancienne,  située  sur  les  bords  d'un 
Jàfe^,  égal  en  longueur  au  Léman,  mais  moin- 
dre en  largeur;  et  comme  il  n'est  point  envi- 
ronné de  montagnes  ,  les  orages  y  sont  plus 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.      l5l 

rares.  Déjà  ses  bords  commencent  à  être  passa- 
blement cultivés  ;  on  y  voit  même  quelques 
vergers  dont  le  cidre  est  excellent  ;  celui  que 
vous  buvez,  vient  du  canton  d'Ovide,  où  l'on 
construisit ,  l'année  dernière ,  une  belle  goélette 
de  70  tonneaux,  qui  apporte  dans  nos  magasins 
les  productions  de  l'agriculture  destinées  à  être 
embarquées  sur  la  Sènecca.  Cette  rivière,  comme 
vous  le  savez  peut-être ,  tombe  dans  l'Osv^égo 
ou  rOnondaga ,  d'où  les  bateaux  remontent  le 
lac  Onéida ,  et  entrent  dans  le  Mohawk  par  le 
nouveau  canal  de  Stanwick ,  à  270  milles  de 
distance  )). 

«  Cette  jeune  ville  doit,  par  sa  position  ,  de- 
venir un  jour  l'entrepôt  de  toutes  les  denrées 
des  pays  circonvoisins ,  dont  la  quantité  aug- 
mente avec  la  population.  Au  moyen  d'un  canal 
très-court,  destiné  à  réunir  les  eaux  de  la  petite 
Sènecca  y  qui  tombe  dans  la  partie  méridionale 
de  ce  lac ,  et  celles  du  Tiogo  (^) ,  nous  commu- 
niquerons facilement  avec  l'intérieur  de  la  Pen- 
sylvanie.  Le  colonel  Williamson,  qui  en  a  fait 
prendre  les  nivèlemens ,  n'estime  le  coût  de  la 
confection  de  ce  canal  qu'a  20,000  liv.  sterl.  )). 

((  Revenez  ici  dans  dix  ans  ,  vous  ne  recon- 
noîtrez  plus  ce  pays,   qui ,  sans  doute,  vous 

(*)  Brancîie  de  la  Susquéhannali  orientale. 


l5-2  V   O    Y    A    G   E 

paroît  bien  agreste  et  sauvage.  Nos  humbles 
logg-houses  seront  alors  remplacées  par  de 
bonnes  maisons.  Nos  champs  seront  bien  en- 
clos ,  les  souches  des  arbres  auront  disparu  )>. 

c(  D'ici  5  comme  d\in  port  tranquille ,  nous 
contemplons,  non  sans  effroi,  les  orages  qui 
désolent  le  pays  que  nous  avons  abandonné  pour 
toujours.  Puissent  les  victimes  de  tant  d'inno- 
vations et  de  bouleversemens ,  ainsi  que  celles 
des  longues  et  sanglantes  guerres  de  religion  ^ 
qui  jadis  dévastèrent  l'Europe,  aborder  sur  cette 
terre  hospitalière,  et,  comme  nous,  y  trouver 
le  repos  et  des  champs  à  cultiver  »  ! 

Il  nous  parla  ensuite  de  la  nouvelle  ville  de 
Ganandarqué,  chef-lieu  du  comté  d'Ontario, 
située  25  milles  à  l'ouest  de  Genève,  vers  l'ex- 
trémité septentrionale  du  beau  lac  connu  sous 
le  même  nom  ^  des  bourgades  de  Bath ,  de  Ca- 
nanwaga ,  d'Ontario ,  etc.  dernièrement  fon- 
dées non  loin  de  la  rivière  Jènézée  ^  des  nom- 
breux établissemens  qui  s'étoient  formés  dans 
ce  pays  depuis  un  petit  nombre  d'années  ;  de  la 
fertilité  des  plaines  que  traverse  cette  rivière  ; 
d'une  colonie  que  le  colonel  Williamson  venoit 
d'envoyer  au  grand  Sodus,  port  considérable 
sur  le  rivage  méridional  de  l'Ontario,  à  5o milles 
d'Oswégo ,  et  à  90  de  Niagara  5  des  fièvres  bi- 
lieuses auxquelles  les  colons  étoient  beaucoup 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.     1 55 

plus  exposés  que  dans  les  autres  parties  de 
FEtat  ;  de  ses  conjectures  sur  les  causes  de  cette 
maladie  5  de  ses  espérances  que  le  dessèchement 
des  marais  et  la  culture  des  terres  boisées  assai- 
niroient  ce  pays.  Il  nous  entretint  aussi  des  an- 
ciens propriétaires  de  cette  contrée  ,  de  l'abru- 
tissement 5  de  la  dégradation  dans  laquelle  les 
avoit  plongés  Tabus  des  liqueurs  spiritueuses , 
abus  qui  les  conduisit  rapidement  à  l'anéan- 
tissement. 

Toutes  les  réflexions  de  ce  colon  nous  pa- 
rurent si  vraies  et  si  sages  ,  son  langage  étoit  si 
pur,  que  nous  ne  tardâmes  pas  à  voir  qu'il  n'étoit 
pas  né  pour  tenir  une  auberge.  Mais  à  quoi 
l'impérieuse  nécessité  ne  soumet -elle  pas  les 
hommes  doués  de  courage  et  d^énergie, sur-tout 
à  l'époque  de  ces  tempêtes  des  passions ,  qui  bou- 
leversent les  empires ,  ou  allument  les  guerres 
civiles  ! 


l54  VOYAGE 


CHAPITRE     VII. 

Après  que  nous  nous  fûmes  reposés  trois  jours 
dans  cette  ville  naissante,  quelques-uns  des 
fondateurs  nous  proposèrent ,  pour  abréger  | 
notre  route,  d'aller  par  eau  jusqu'au  district 
d'Ovide  ,  à  vingt  milles  de  distance  :  charmant 
trajet  que  nous  fîmes  sur  la.*  seule  goélette  du 
lac,  dont  elle  portoit  le  nom.  Ayant  traversé 
ce  canton,  où  nous  rencontrâmes  plusieurs  fa- 
milles établies  depuis  deux  ans ,  nous  parvînmes 
au  Cayuga ,  qui  n'a  que  deux  milles  de  largeur,  J 
situé  cinq  lieues  à  l'est  du  Canoderago  ou  Se-  1 
îiecca.  Après  avoir  parcouru  ,  toujours  accom- 
pagnés de  nos  chasseurs ,  les  districts  de  Milton, 
de  Locke  et  de  Sempronius ,  nous  arrivâmes 
enfin  à  Tully ,  où  campoit  l'arpenteur-général. 
C'étoit  un  camp ,  en  effet  ;  quatre  tentes  éle- 
vées à  l'ombre  de  grands  chênes  formoient  une 
enceinte  à  quelque  distance  des  bords  de  la  pe- 
tite rivière  Oswègé,  dont  les  eaux  coulent  dans 
le  lac  Oxaruatétès.  Nous  vîmes,  sous  l'une  de 
ces  tentes,  plusieurs  personnes  occupées  à  tra- 
cer des  subdivisions  sur  la  carte  générale  de 
cette  grande  concession  militaire.  —  Est-ce 
^insi,  demanda  M.  Herman ,  que  toutes  les 


DANS   LA   HAUTE    PENSYLVANTE.     1 55 

terres  sont  arpentées?  —  Cette  forme  particu- 
lière, répondit  M.  Duwitt,  n^a  été  introduite 
que  depuis  Tindépendance  :  aussi-tôt  que  les 
limites  de  ces  patentes  sont  constatées  et  déter- 
minées par  quelques  marques  durables,  on  les 
divise  en  districts  de  siît  milles  quarrés,  connus 
sous  le  nom  de  Townships ,  contenant  25,4oo 
acres.  Chacun  de  ces  cantons  est  ensuite  subdi- 
visé en  trente-six  lots  d\in  mille  quarré  ,  con- 
tenant ô5o  acres.  Cette  sage  méthode ,  qui  met 
beaucoup  d'ordre  dans  les  propriétés,  nous  est 
veijue  des  arpenteurs  du  Connecticut  et  de  Mas- 
sachussets  ,  et  étoit  inconnue  dans  le  temps  co- 
lonial. Rien  alors  n'étoit  plus  arbitraire  ni  plus 
irrégulier  que  la  forme  et  le  partage  des  terres , 
fit  grand  nombre  de  procès  en  ont  été  la  consé- 
quence. Depuis  Tindépendance,  la  division  par 
quarrés  ou  parallélogrammes  a  été  adoptée. 
Quelle  différence  de  Tépoque  présente  ,  où  tout 
est  franc  et  libre,  à  celle  où  la  couronne  bri- 
tannique exigeoit  une  vente  annuelle  de  sept 
deniers  par  acre  !  Les  acquéreurs  des  terres  nou- 
velles ne  paient  au  Gouvernement  ni  droits  ni 
redevances  au-delà  du  prix  de  Fachat  5  elles  ne 
sont  assujetties  qu'à  l'impôt  territorial,  et  jus- 
qu'ici, cet  Etat,  qui  jouit  d'un  revenu  consi^ 
dérable ,  provenant  de  fonds  qu'il  a  placés  dans 
la  banque  de  l'Union ,  n'en  a  point  exigé. 


2  56  V    O    Y    A    G   E 

Tout  ce  qui  est  concession  militaire,  conti- 
nua M.  Duwit ,  connue  sous  le  nom  de  military 
hountj  y  est  également  donné   sans   droits  ni 
redevances,  à   Fexception  cependant  de  trois 
lots  par  districts ,  de  65o  acres  chacun ,  destinés 
à  encourager  les  écoles  et  les  établissemens  reli- 
gieux ^  mais  ces  réserves    étant  par -tout  les 
mêmes,  Tacquéreur,  ou  celui  à  qui  cette  dona- 
tion est  faite,  sait  bien  qu'au  lieu  de  2o,4oo  acres 
par  district ,  il  n'en  achète  ou  n'en  reçoit  que 
2i,45o.  Je  suis  occupé  à  diviser  cette  conces- 
sion en  vingt -cinq  cantons  ou  townships  de 
dix  milles  qnarrés  ,  contenant  conséquemment 
chacun  65,ooo  acres.  Le  pays  qu'elle  embrasse 
est  situé  entre  les  ^i2  deg.  26  min.  et  les  43  deg. 
5o  min.  de  latitude.  Toutes  les  eaux  des  lacs  et 
des  rivières  qu'il  contient,  coulent  dans  l'On- 
tario par  l'Onondaga,  qui  tombe  dans  la  baie 
d'Oswégo.  C'est  la  région  la  plus  élevée  de  cet 
Etat,  et  celle  dont  le  sol  végétal  est  le  plus  pro- 
fond. A  l'aide  de  quelques  canaux ,  on  pourra 
un  jour  pénétrer  dans  la  Pensylvanie  par  la 
Sasquéhannah  ,  et  aller  jusqu'à  New-York  par 
le  Mohawk  et  le  Hudson.  D'après  l'inspection 
de  cette  carte  ,  jugez  s'il  n'est  pas  bien  arrosé  \ 
on  y  compte  quinze  lacs  depuis  dix  jusqu'à  qua- 
rante milles  de  long ,  et  depuis  deux  jusqu'à  cinq 
de  large.  Un  de  ces  petits  lacs ,  dont  les  eaux 


BANS   LA   ÏÎAUTE    PÊNSTLVANIE.     tB^ 

îjont  salées,  fournit  déjà  du  sel  en  grande  abon- 
dance )). 

«  Pourquoi  cette  concession  militaire  ?  de- 
manda M.  Herman.-^Le  Congrès,  répondit 
M.  Duwitt  j  ayant  promis  aux  officiers  et  aux 
soldats  de  l'armée  continentale  une  certaine 
quantité  de  terres,  qui,  à  la  paix,  devoit  leur 
être  donnée  comme  récompense  de  leurs  ser- 
vices, les  Etats  dans  le  territoire  desquels  il 
s'en  trouvoit  de  vacantes,  prirent,  peu  de  temps 
après  ,  les  mêmes  engagemens  en  faveur  des 
troupes  qu^ils  envoyèrent  à  cette  armée.  On  a 
depuis  mis  en  vente  plusieurs  autres  portions 
considérables  de  terre  ,  connues  sous  le  nom  de 
donation-  lands y  pour  pouvoir  éteindre  deux 
à  trois  espèces  de  certificats  militaires ,  dont  la 
valeur,  avant  l'acceptation  de  la  nouvelle  cons- 
titution ,  étoit  presque  nulle.  Mais  ces  détails , 
qui  tiennent  au  chaos  dans  lequel  étoient  nos 
finances  avant  cette  mémorable  époque,  seroient 
trop  longs  et  trop  ennuyeux  :  c'est  aux  grands 
et  rares  talens  du  colonel  Alexandre  Hamilton 
que  nous  devons  cette  émersion  de  l'abîme  dans 
lequel  nous  avoit  plongés  la  foiblesse  de  notre 
première  confédération  j  c'est  à  la  sagacité  du 
général  Washington  qu'est  due  la  nomination 
de  ce  jeune  et  habile  financier.  Ce  qui  rend 
M.  Hamilton  un  homme  vraiment  extraordi- 


l5B  VOYAGE 

îiaire,  c'est  qu'il  est  considéré  comme  im  des 
premiers  orateurs  et  un  des  plus  savans  juris- 
consultes du  continent.  Etant  sorti  de  ce  minis- 
tère aussi  peu  fortuné  qu'il  y  étoit  entré,  il  a 
repris  sa  profession  d'avocat  )). 

(c  L'objet  de  cette  belle  concession  que  je  suis 
occupé  à  subdiviser,  est  de  remplir  les  engage- 
mens  de  cet  Etat  envers  son  contingent  de  Tar^ 
mée  continentale.  Si  les  services  de  ces  braves 
militaires  ont  été  longs  et  pénibles  ,  d'un  autre 
côté,  jamais  auparavant  on  n'avoit  accordé  des 
récompenses  plus  amples  ni  plus  honorables  : 
c'est  à'ia-fois  l'acquittement  d'une  dette  sacrée , 
et  le  témoignage  de  la  reconnoissance  pu- 
blique ». 

((  Pourquoi  a-t-on  donné  des  noms  grecs  et 
romains  à  ces  subdivisions  ?  demanda  M.  Her^ 
man.  —  Le  Gouvernement ,  qui ,  pour  faciliter 
l'administration  de  la  justice  et  l'établissement  9 
desloix  municipales,  a  voulu  que  toute  la  surface 
de  l'Etat  fût  divisée  en  townships  de  six  milles 
ou  de  deux  lieues  quarrées,  abandonne  aux 
propriétaires,  aux  arpenteurs,  et  souvent  même 
au  hasard ,  la  faculté  de  leur  donner  des  noms* 
ISos  militaires  ayant  une  grande  vénération 
pour  les  anciens  héros  et  les  autres  grands  per- 
sonnages de  la  Grèce  et  de  Rome  ,  m'ont  envo^^é 
cette  liste.  Dans  quelques  années,  un  voyageur 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     l5f) 

pourra  déjeûner  chez  Annibal,  dîner  chez  Li- 
sandre  ,  et  coucher  chez  Camille  ;  le  lendemain 
il  en  pourra  faire  autant  chez  Fabius  ,  Homère 
et  Virgile.  Assurément  il  seroit  difficile  de  trou- 
ver sur  sa  route  une  meilleure  compagnie  ». 

((  Je  l'avoue ,  continua-t-il ,  cette  idée  m'a 
singulièrement  plu  5  elle  me  rappelle  une  foule 
de  souvenirs  relatifs  à  ces  temps  anciens ,  dont 
Fhistoire  lit  les  délices  de  ma  jeunesse  :  je  suis 
flatté  de  Theureux  hasard  qui  me  permet  de  re- 
placer dans  la  mémoire  et  la  bouche  des  hommes, 
et  de  consacrer  de  nouveau  des  noms  aussi  res- 
pectables ,  en  les  donnant  à  des  portions  d'un 
continent,  dont  les  philosophes  grecs  et  romains 
n'avoient  pas  la  plus  légère  idée  )>. 

«Je  vois  par  les  gazettes,  que  l'on  construit 
dans  le  nouvel  Etat  du  Tènèzée,  une  ville  desti- 
née à  être  la  capitale  d'une  autre  concession  mili* 
taire  accordée  par  la  Caroline  septentrionale,  à 
son  contingent  de  l'armée  continentale  ,  et  à 
laquelle  on  a  donné  le  nom  de  Cincinnati.  Nous 
apprendrons  bientôt  quels  sont  les  noms  célè- 
bres de  l'antiquité,  donnés  aux  subdivisions  de 
cette  grande  concession  )). 

«  Mais  comment  se  fait-il,  répliqua  mon  com- 
pagnon ,  que  la  Caroline-nord  puisse  concéder 
des  terres  dans  le  Tènèzée,  Etat  souverain ,  indé- 
pendant ,  qui  vient  d'être  reconnu  comme  le 


l6o  VOYAGE 

16®  anneau  delà  confédération  des  Etats-Unis? — ' 
Parce  que  ,  dans  son  acte  de  cession  ,  la  Caro- 
line-nord s'est  réservé  le  droit  de  confirmer  tou- 
tes les  locations  de  terres,  ainsi  que  les  engage- 
mens  qu'elle  avoit  pris  avant  d'avoir  émancipé 
cette  partie  ultramontaine  de  son  territoire.  Il 
en  a  été  de  même  dans  le  Kentukey  (  démem- 
brement de  la  Virginie)  ainsi  que  dans  la  cession 
que  plusieurs  Etats  ont  faite  à  Y  Union,  de  toutes 
les  terres  fédérales,  situées  sur  les  deux  rives  de 
l'Otliio  et  ailleurs  )). 

«Si je  pouvois,  continua  M. Duwitt,  convertir 
ma  volonté  en  loi ,  ce  seroit  dans  Fhistoire  an- 
cienne 5  parmi  les  indigènes  ,  d'après  l'aspect 
des  lieux,  ou  enfin  d'après  quelque  circonstance 
locale,  qu'on  prendroit  les  dénominations  des 
nouveaux  établissemens  5  notre  langue  en  four-» 
niroit  une  inépuisable  variété.  Cela  mortifieroit 
un  peu  l'amour-propre  de  nos  petits  fondateurs 
de  villes  et  de  cantons ,  qui  ne  manquent  jamais 
de  joindre  à  leurs  noms,  quelque  mal  sonnans 
qu'ils  soient ,  ceux  de  bourg ,  de  town ,  ou  de 
ville  ^  tels  que  Cooper'stown ,  White'stown  , 
Harrisbourg,  Nasli  ville,  etc.;  ou  qui  ont  recours 
aux  appellations  les  plus  triviales  encore  deNew- 
town,Newbourg,  Newlondon,  New' York ,  etc. 
Que  pensera  la  postérité,  lorsqu'elle  sera  obligée 
d'ajouter  l'adjectif  7202/^^//^  ou  nouveau  au  nom 


DANS   LA    HAUTE   PENSYLVANIE.    l6l 

d'une  capitale  ou  d'un  pays  qui  aura  5oo  ans 
d'existence  ?  Il  pouvoit  être  convenable  d'em- 
prunter quel  ques  noms  de  notre  ancienne  patrie , 
lorsque  nous  n'en  étions  que  des  colonies  5  mais 
aujourd'hui  l ...  il  est  temps  que  nous  ayons  une 
nomencla.ture  nationale  ,  comme  nous  avons  un 
Gouvernement  et  des  loix  qui  nous  sont  propres» 
J'ai  entendu  faire  les  mêmes  observations  à  plu- 
sieurs de  nos  députés  au  corps  législatif;  il  faut 
espérer  qu'un  jour  il  s'occupera  de  cet  objet  ». 

((  Les  frais  d'arpentage  sont  ils  considérables  ? 
demanda  M.  Herman.  —  Beaucoup  plus  qu'ils 
ne  le  seroient  dans  un  pays  découvert  5  la  diffi- 
culté de  tracer  des  lignes  à  travers  des  forêts 
épaisses  ou  des  marais  fangeiix  5  les  obstacles  de 
tous  les  genres,  et  les  nombreux  inconvéniens 
dont  ceux-là  seuls  peuvent  se  faire  une  idée, 
qui  ont  long-temps  arpenté  j  les  procès  verbaux , 
les  observations  sur  la  qualité  du  sol,  l'espèce  des 
arbres ,  les  ruisseaux ,  les  ch  utes  ;  les  cartes  qu'exi- 
gent les  co-propriétaires  d'une  concession,  telles 
sont  les  raisons  qui  rendent  ici  cette  opération 
beaucoup  plus  chère  qu'en  Europe.  Il  faut  être 
jeune  et  vigoureux ,  pour  pouvoir  résister  aux 
\  fatigues  d'une  longue  campagne.  Vous  seriez 
I  bien  étonné  si  je  vous  faisois  voir  la  longue  suite 
^  d'observations  et  le  détail  de  toutes  les  opéra- 
tions qu'il  a  fallu  faire  pour  déterminer  les  limi* 


lCr2  VOYAGE 

tes  extérieures ,  ainsi  que  celles  des  subdivisions 
de  cette  grande  concession  :  elles  forment  un 
volume  in-folio  ». 

M.  Dtiwitt  nous  montra  une  carte  hydrogra- 
phique des  lacs ,  des  rivières  et  des  creeks  qui  se 
troavent  dans  TEtat ,  dressée  par  ordre  du  Gou- 
vernement y  pour  mettre  à  portée  de  juger  de 
l'utilité  et  de  la  possibilité  des  canaux  dont  il 
médite  Ja  confection.  Il  nous  parla  ensuite  des 
opérations  difficiles  qu^il  avoit  été  obligé  défaire 
pour  com.plèter ,  depuis  le  point  où  le  45""  de- 
gré de  latitude  coupe  le  fleuve  Saint-Laurent , 
Farpentage  de  cet  Etat  dont  il  estime  la  surface 
à  55,474,000  acres. 

Il  nous  fit  voir  aussi  la  grande  ligne  de  démar- 
cation qui  divise  les  Etats  de  New- York  et  de 
Pensylvanie ,  tracée  sur  un  rouleau  de  papier 
qui  avoit  5o  pieds  de  long  sur  18  pouces  seule- 
jnent  de  largeur.  On  y  distinguoit  les  pierres 
milliaires,  les  hauteurs  et  les  vallons,  les  creeks , 
les  ruisseaux  et  les  rivières  ,  à  dix  toises  de  cha- 
que côté  de  cette  ligne.  La  beauté  du  dessin ,  la 
précision  des  observations  astronomiques  répon- 
doient  à  la  nouveauté  de  l'idée.  Cette  ligne  a 
près  de  260  milles  de  longueur  (  86  lieues  ). 

ce  Quoique  cet  Etat ,  reprit  M.  Duwitt ,  dont 
la  capitale  a  été  pendant  sept  ans  au  pouvoir  àes 
Anglais,  ait  plus  souffert  que  les  autres,  il  est 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLTANÎE.     l65 

néanmoins  un  de  ceux  qui  ont  le  plus  prompte- 
înent  réparé  leurs  pertes,  ce  qui  est  dû  à  Fim- 
niensité  de  son  territoire ,  à  la  navigation  du 
beau  fleuve  du  Hudson  ,  ainsi  qu'à  rexcellent 
esprit  de  notre  législature ,  bien  différent  de  ce 
qu'il  étoit  dans  le  temps  colonial.  L'émulation 
inspirée  par  le  développement  des  lumières,  par 
l'esprit  public  et  les  progrès  étonnans  de  la  Pen- 
sylvanie,y  ont  aussi  beaucoup  contribué.  Voilà 
pourquoi  notre  Gouvernement  prodigue  tant  de 
secours  ,  et  encourage  les  compagnies  qui  en- 
treprennent la  construction  des  ponts  ,  l'ouver- 
ture des  routes  et  des  canaux.  De  tous  ceux  de 
l'Union  ,  cet  Etat  est  le  premier  qai  ait  imité  le 
bel  exemple  de  la  Pensylvanie  dans  la  réforme 
du  code  pénal  et  l'administration  des  prisons. 
Celle  qu'il  vient  de  faire  construire,  est  très-cer- 
tainement îa  plus  belle  de  cet  bémisphère  :  son 
emplacement  est  de  64o  perches  carrées  et  a 
coûté  gôojooo  piastres  (4,987,500  francs  ),  Ainsi 
qu'à  Philadelphie,  les  inspecteurs  sontdes  mem- 
bres de  la  société  des  amis  (  quakers  )»  Cette 
prison  est  destinée  à  recevoir  les  criminels  des 
différens  districts  de  l'Etat.  Notre  législature 
vient  aussi  d'accorder  1600  acres  de  terres  choi- 
sies au  nouveau  collège  qu'on  va  ériger  à  Ské- 
nectady  (1),  ainsi  qu'une  charte  d'incorpo- 
ration aux  souscripteurs  des  és^ooo   piasti-es 


l64  V    O    Y    A    G   E 

destinées  à  la  construction  de  cet  édifice.  Vous 
devez  savoir  ce  qu'elle  fit  à  Fépoque  de  Fac- 
ceptation  de  la  nouvelle  constitution  en  1789, 
pour  embellir  la  maison-de- ville  de  notre  capi- 
tale çt  la  rendre  plus  digne  de  recevoir  le  nou- 
veau Congrès  ;  il  faut  en  convenir ,  celle-ci  étoit 
bien  inférieure  à  celle  de  Philadelphie ,  connue 
sous  le  nom  de  State-House  (2).  On  vient  d'é- 
tablir un  Dispensarj  (5),  aux  souscripteurs 
duquel  on  a  accordé  une  charte  d'incorporation 
des  plus  honorables.  Cet  établissement  est  fondé 
sur  les  mêmes  bases  que  de  celui  qui  existe  à 
Philadelphie  depuis  long-temps ,  et  qui  rend 
annuellement  de  si  grands  services  à  l'humanité 
souffrante  )). 

<(  Qui  l'auroit  cru?  poursuivit- il  r  l'indus- 
trie 5  l'activité  ,  les  succès  des  fondateurs  de  la 
ville  de  Hudson  ,  les  sages  mesures  que  viennent 
d'adopter  ceux  d'Espéranza  (4) ,  ont  enfin  ou- 
vert les  yeux  des  habitans  d'Albany  (5)  ,  et  les 
ont  fait  sortir  de  leur  longue  léthargie.  L'ex- 
trême prudence ,  ou  plutôt  la  timidité  ,  cette 
disposition  à  la  plus  rigide  économie ,  que  leurs 
ancêtres  avoient  apportée  de  Hollande ,  devoit 
sans  doute  être  nécessaire  dans  un  pays  où  tout 
étant  plein  ,  la  plus  légère  imprudence  pouvoifc 
avoir  des  conséquences  funestes  j  mais  ici,  où  il 
y  a  encore  tant  d'espaces  à  remplir,  où  tout  s'ac-^ 


BANS   LA    HAUTE   P ENS YLVANII!.     l65 

^roît  et  marche  avec  une  étonnante  rapidité,  ou 
doit  se  permettre  dans  les  spéculations  plus  d'au- 
dace ,  d'activité  et  d'énergie.  Pour  que  l'agri- 
culture fleurisse  ,  il  est  nécessaire  que  l'intelli- 
gence et  les  entreprises  des  négocians  lui  offrent 
sans  cesse  de  nouveaux  débouchés  ;  c'est  ce  qui 
commence  à  avoir  lieu.  On  travaille  à  enlever 
xcs  vases  de  FOver-Slaugh  (6)  ,  et  bientôt  on. 
verra  en  Europe  ,  à  la  Jamaïque ,  à  Saint-Do- 
mingue, des  vaisseaux  construits  et  chargés  à 
Albany.  La  présence  du  Corps  législatif  a  beau- 
coup contribué  aussi  aux  heureux  changemens 
qu'on  remarque  dans  cette  ville  depuis  quelque 
temps.  A  quel  degré  de  prospérité  n'est-elle  pas 
appelée,  lorsque  les  ponts,  les  canaux  et  les  rou- 
tes déjà  commencés  seront  finis,  et  que  la  popu^ 
lation  de  cette  partie ^"TEtat  sera  décuplée,  ce 
qui  ne  tardera  pas  d'arriver,  vu  le  grand  nom- 
bre d'étrangers  et  de  colons  qui  y  viennent  tous 
les  ans  ! 

((  Les  mêmes  progrès  se  manifestent  aussi  dans 
beaucoup  d'autres  Etats  de  l'Uni  on,  particulière- 
ment dans  ceux  du  nord.  Le  Gouvernement  de 
Massachussets  s'occupe  sans  relâche  de  tout  ce 
qui  peut  contribuer  aux  améliorations  intérieu- 
res et  aux  établissemens  utiles.  Où  voit- on  dans 
ces  Etats  d'aussi  beaux  ponts  que  ceux  de  Char- 
lestown  5  de  Cambridge  j  de  Winésimet ,  de  Sa- 


l66  VOYAGE 

lem,  de  Piskataqua,  etc.  Ce  dernier  a  2290 
pieds  de  longueur  5  5o  de  largeur,  62  au-dessus 
du  niveau  de  la  rivière ,  et  Tarclie  du  milieu  en 
a  245  d'ouverture.  Celle  du  pont  de  Merrymack 
près  de  Newburyport  en  a  i5o.  Ces  beaux  ou- 
vrages ont  été  élevés  par  un  homme  (John  Coxe) 
qui  n'ayant  reçu  aucune  instruction  ,  doit  tout 
ce  qu'il  sait  à  la  nature)). 

c(  L'année  dernière,  M.  Osgood ,  directeur  gé- 
néral des  postes,  me  dit  que  le  revenu  qui  n'étoit 
que  de  4, 000  piastres  en  1 790 ,  époque  de  la  nais- 
sance du  nouveau  Gouvernement ,  s'étoit  élevé 
en  1 796  ,  à  75,000  'y  et  cela ,  malgré  les  dépenses 
considérables  faites  par  ordre  du  président  des 
Etats-Unis  ,  pour  en  établir  les  branches  dans 
des  cantons  encore  peu  habités.  Il  me  dit  aussi 
que  le  nombre  des  gazettes  imprimées  chaque 
semaine  dans  ces  mêmes  Etats ,  se  montoit  à 
67,000,  sans  y  comprendre  celles  de  Pitt'sbourg 
sur  l'Ohio  ,  de  Lexington  dans  le  Kentukey ,  et 
de  Knoxville  dans  le  Tènèzée.  Encore  quelques 
années  ,  continua-t-il ,  en  me  faisant  voir  la 
note  des  canaux  terminés,  commencés  et  pro- 
jetés (7) ,  la  plupart  de  ces  Etats  jouiront  d'une 
navigation  intérieure  depuis  les  sunds  d'Albe- 
niarle ,  de  Pamlico ,  de  Currituck  ,  jusqu'à  la 
baie  de  Massachussets  (8)  j  et  depuis  l'Océan  jus- 
qu'aux lacs  Erié  et  Ontario  ». 


Tome  Iir,   page  i6G. 

INDICATION  DES  CANAUX  TERMINÉS,  COMMENCÉS  OU  PROJETÉS  DANS  LES  DIFFÉRENS  ÉTATS  DE  L'UNION. 


K  T  A  T    DE     N  E  AA'  -  Y  O  R  K.. 


CAROLINE     MERIDIONALE. 


Projeté. . 
Projeté. . 
Projt-tc. . 


Canal  de  Staiiwick. 


Canal  de  Little-Falls |  Pour  éviter  un  rapide  sur  le  Moliawfc. 

f  Pour  unii'  le?  eaux  duMohawk  avec  celles  du  Wood- 

l    .  Creek  et  de  lOnéida. 

Canal  d'Onondaga j  Pour  éviter  les  chutes  de  l'Onondaga. 

Canal  des  Troia-Rivières Pour  éviter 

Canal  de  Sfcénectady j  Pour  unir  le- 

Canal  de  Soulh-Bay 


Hudson. 


rapide  de  h 

.uxdu  MoLawk  avec  celles  du  Hudson. 

;aux  du  lac  Champlain  avec  celles  du 


DE     LA     P  E  N  S  Y  L  V  A  N  I  E. 


Terminé .  . . 
Demi-terra. . 

Commencé. . 

Projeté 

Projeté 

Tracé 


Canal  de  Swatara. . 


Canal  de  Conéwago [  Pour  éviter  un  rapide  dans  la  Susquéhannab. 

I  Pour  unir  les  eaux  de  cette  rivière  avec  le  Tulpé- 

I      Iioken,  branche  de  la  Schuylkill. 

^      11    1    oi      n -n  (Pour  unir  les  eaux  de  cetterivière  avec  laDélaware, 

Canal  de  la  Schuylkill {       -,       ,        .  .  j   tu  -i   i  i  i  ■ 

-'  l      dans  le  voisinage  de  Philadelphie. 

C       t  d    la  I      'fa  fPour    éviter    les  obstacles  qui   se   trouvent  dans  la 


Canal  de  Presqu'île . 
Canal  de  Bohémia .  . 


I      Susquéhannab ,  depuis  la  Swatara. 
(Pour   unir  les  eaux  de  l'Erié  avec  celles  de  PAUé- 
■j      ghény  ,  par  le  Vénango. 

f  Pour  unii-  les  eaux  de  la  Chésapeak  avec  celles  de  la 
I      Délaware. 
J 


DU     M  A  R  Y  L  A  N  D. 


Canal  du  Maryland . 


!Pour  unir  les  eaux  de  la  Susquéhannab  avec  ce] 
de  la  Chésapeak  ,  huit  milles  au-dessus  du  llav 
de  Grâce  ,  entrepris  pai-  le  Gouvernement. 


DE     LA     VIRGINIE. 


Terminé . 

Terminé . 
Terminé . 


Canal  de  Washington. 
Canal  du  Potawmack. , 
Canal  de  Richmond.  .  , 


Pour  éviter  les  premicres  cbutcs  du  Potawmack. 
Pour  éviter  les  secondes  chutes  du  même. 
Pour  éviter  les  longs  rapides  de  la  rivière  James. 
Pour  unir  les  eaux  de  la  Chésapeak  avec  celles  de 
l'Albémarle-Sund,  dans  la  Caroline  septentrionale. 
I 


DE    LA    CAROLINE    SEPTENTRIONALE. 


Canal  de  Skupernong. . 


I 
/Pou 


Projeté.. 
Projctù. . 


Projeté. . 
Projeté.. 


Canal  de  Cliarlcstown . 


{Pour  miir  les  eaux  de  la  riv 
Cooper. 

Canal  de  Poedee |  Ponr  unir  cello.i  du  Feedee  av< 

Canal  de  Waleree Poxu:  unir  celles  du  Wateree  a 


:  Santee  à  cellea  de 


L  E     N  E  W-H  A  M  P  S  H  I  R  E. 


Terminé .  .  .    Canal  de  Hainpton Pour  conduire  les  eaux  dans  le  Méri-imack. 


LE     CONNEGTICUT. 


Canal  de  Hadley. . 


Pour  éviter  un  rapide  sur  le  Connecticut. 


DE    VERMONT. 


Canal  de  BelWs P"'"'  T''"  ""^/l""":  ^e  trente  piejs  de  Lauleu 

(      sur  le  L'Onnecticul. 


DE     j\I  A  S  S  A  C  H  U  S  S  E  T  .S. 


;  la  baie  Buzzard  a 
^       ,  J    „       J      .     _  )      la  rivière  des  Harcnes,  qui  tombe  dans  la  baie  de 

Canal  de  Bowdouin  " s      n.        t.        .  *■'   ■.  „„„ 

'      Massachussetfi  ;  ce   qm  évitera  une  cuxomnaviga- 


Canal  de  Massachussct^ . 


tion  de  pins  de  ïoo  lieues  autour  du  Cap-Cod. 
fPoiur  unir  les  eaux  de  la  rivière  Coimccticut  av( 
l        ceUcs  Je  la  riviôrc  Ch^U-^. 


D  E     N  E  W-J  E  R  S  E  Y. 


I 
Pour  imir  les  eaux  de  la  Délaware  avec  celles  de  la 
rivière  RaritoH,  ce  qui  compléteroit  une  comniu- 

Canal  d'Assompink ^      nication  intérieure  de  plus  de  35o  henes,  depxiis 

EdentoUjdaus  la  Caroline  septentrionale,  jusqu'à 
Boston. 
J . 


i  le  plan  et  les  nivellcmens  en  1-787  ,  enti 


ns  de  feu  M.  Bowdomn  ,  ^lù  ,  alors ,  i-toit  Gouverneur 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.     167 

Le  lendemain  M.  Duwitt  nous  proposa  une 
excursion  sur  le  petit  lac  Oxaruatétès,  dont  son 
camp  n'étoit  éloigné  que  de  quatre  milles,  en 
suivant  le    cours  de  la  rivière  Owégé  5   nous 
partîmes   accompagnés   de   deux   de   nos   gens 
d^Oviskany,  qu^il  avoit  souvent  employés  comme 
chasseurs    pendant   ses    premières  campagnes. 
Ce  joli  lac  n^a  que  1000  à  1200  toises  de  large  , 
et  verse  ses  eaux  dans  le  Crooked,  qui  n^est 
qu'une  extension  de  la  rivière  Sénecca  5  à  Fex- 
ception  de  quelques  points  élevés,  ses  rivages 
sont  unis,  et  principalement  composés  de  ce 
qu^on  appelle  ici  Bottom-lands,  Mais  quelle  fut 
notre  surprise ,  lorsqu'au  lieu  d'un  canot  nous 
nous    trouvâmes    embarqués    sur    un    radeau 
environné  d'un  petit  parapet,  muni  d'un  dais 
de  feuilles,  pour  nous  garantir  des  ardeurs  du 
soleil,  et  d'un  âtre  sur  lequel  on  devoit  faire 
cuire  le  poisson  ! 

((Qui  a  imaginé  et  construit  ce  charmant 
petit  plancher  flottant  ?  demanda  M.  Herman. 
— •  Un  de  mes  apprentifs ,  répondit  M.  Duwitt  j 
un  jeune  homme  qui  unit  à  beaucoup  de  con, 
noissances  mathématiques,  une  adresse  et  une 
bonne  volonté  très-particulières.  Ce  radeau, 
composé  de  plusieurs  tiges  de  cèdres  blancs  ^ 
n'a  été  l'ouvrage  que  d'un  seul  jour  :  j'avoue 
cependant,  que  si  j'eusse  dû  rester  longjtemps 


l68  VOYAGE 

dans  ce  canton ,  je  me  serois  fait  construire 
un  canot,  avec  un  des  beaux  pins  qui  croissent 
sur  les  bords  de  cette  rivière,  ce  qui  auroit 
exigé  huit  à  dix  jours  de  travail.  Mais  cet  ingé- 
nieux supplément  me  suffit». 

((  Un  de  vos  apprentifs  ?  avez-vous  dit  , 
reprit  M.  Herman.  —  Oui  ;  qu^y  a-t-il  en  cela 
qui  puisse  vous  surprendre  ?  Parmi  les  jeunes 
gens  que  vous  avez  vus  dans  mon  camp ,  les 
uns  sont  mes  députés-arpenteurs ,  les  autres 
des  apprentifs,  auxquels,  par  un  acte  légal,  je 
suis  tenu  d'enseigner  le  peu  que  je  sais ,  et 
qui ,  par  le  même  acte ,  sont  obligés  d'arpenter , 
de  dessiner  et  d'écrire  pour  moi,  pendant  un 
certain  nombre  d'années.  —  Cela  n'est-il  pas 
gênant?  —  Non  5  pendant  l'hiver,  ils  appren- 
nent la  trigonométrie ,  le  dessin ,  l'usage  des 
instrumens,  un  peu  d'astronomie^  et  pendant 
l'été ,  ils  mettent  en  pratique  ce  qu'ils  ont 
appris.  Je  n'ai  que  d'exceilens  sujets ,  dont 
l'éducation  a  été  très-soignée  ;  d'ailleurs ,  s'il 
y  a  des  inconvéniens ,  ils  sont  compensés  par 
la  prime  de  cent  guinées  qu'ils  me  donnent. 
Il  en  est  de  même  parmi  les  médecins  et  les 
avocats.  Quant  aux  artisans,  ils  sont  au  contraire 
tenus  d'habiller  complètement  leurs  apprentifs 
à  l'expiration  de  leur  temps ,  et  quelquefois 
même   de   leur    donner  une   somme    d'argent 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  169 
plus  OU  moins  considérable ,  suivant  les  stipu- 
lations qui  ont  été  faites  par  leurs  parens ,  leurs 
tuteurs ,  leurs  amis ,  ou  par  les  sociétés  cha- 
ritables qui  les  ont  mis  en  apprentissage  )) . 

«  C^est  donc  un  usage  général  dans  ce  pays? 
—  Oui  ;  particulièrement  dans  nos  Etats  sep- 
tentrionaux. On  considère  comme  un   devoir 
indispensable  et  sacré,  de  faire  apprendre  aux 
jeunes   gens   un    métier    ou    une    profession  , 
connoissances  souvent  plus  utiles  qu^un  foible 
héritage.  Que  deviendroit  la  jeunesse  dans  un 
pays  comme  celui-ci ,  où  le  grand  nombre  d' en- 
fans  et  la  médiocrité  des  fortunes  exigent  néces- 
sairement l'acquisition  de  quelque  talent  qui 
puisse  les  conduire ,  sinon   aux  richesses ,  du 
moins  à  une  honnête  subsistance?  D'ailleurs, 
pendant  la  saison  orageuse  de  la  vie ,  n'est-il 
pas  nécessaire  d'être  retenu ,  occupé  ?  c'est  sou- 
vent la  seule  fortune  que  le  père  d'une  nom- 
breuse famille  puisse  léguer  à  ses  enfans;  cela 
est  si  vrai  ,  que  la  connoissance  d'un  métier 
est  toujours  considérée  dans  leurs  testamens , 
comme  égale  à  100  acres  de  terres.  C'est  une 
ressource  contre  les  revers  de  la  fortune.  Si  au 
contraire  elle  leur  sourit ,  ils  quittent  le  métier 
qu'ils  avoient  appris.  Je  connois  un  homme, 
célèbre  pendant  la  révolution,  qui,  depuis,  a 
iait  une  fortune  considérable  dans  le  commerce^ 


170  VOYAGE 

dont  le  nom  se  trouve  au  milieu  de  toutes  les 
associations  qui  ont  pour  but  le  bien  public  : 
eh  bien  !  loin  de  rougir  de  ce  qu'il  a  été  ,  il  dit 
à  tous  ceux  qui  lui  parlent  de  ses  succès ,  qu'il  a 
servi  son  temps  chez  un  maréchal.  Je  répète 
ses  propres  paroles  ». 

«  Si,  par  quelque  révolution  extraordinaire, 
il  arrivoit  que  cet  usage  fût  tout-à-coup  inter- 
rompu, l'état  actuel  de  notre  société  seroit  entiè- 
rement bouleversé,  nous  cesserions  d'être  ce  que 
nous  sommes,  une  nation  laborieuse,  active ,  en- 
treprenante ;  nous  tomberions  dans  un  état  de 
paralysie ,  et  nos  progrès  vers  un  ordre  de  choses 
plus  respectable ,  seroient  retardés.  D'ailleurs,  on 
observe  que  les  enfans  qui,  dès  leur  jeunesse , 
ont  été  accoutumés  à  employer  utilement  leur 
temps,  deviennent  presque  toujours  des  hommes 
industrieux ,  des  citoyens  utiles ,  de  bons  pères 
de  famille.  L^apprentissage  est  la  grande  pépi- 
nière ,  d'où  sortent  annuellement  nos  avocats, 
nos  médecins,  nos  négocians ,  ainsi  que  les  manu^ 
facturiers,  les  marins^  les  pilotes  et  les  artisans  )>. 

c(  Quelle  est  la  manière  d'engager  les  jeunes 
gens  dans  les  liens  de  l'apprentissage?  demanda 
mon  compagnon  —  Nous  avons  pour  cela  une 
législation  particulière ,  à  laquelle  président  les 
maires  des  villes,  ou  quelque  chef-juge.  C'est  de- 
vant eux  que  se  font  ces  engagemens ,  connus 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.      I7I 

SOUS  le  nom  à^ Indentures ,  et  que  son  t  décidées  les 
contestations  qui  surviennent  entre  les  maîtres  et 
les  apprentifs.  Tout  est  prévu  et  réglé  par  ces  ac-  . 
teSjFinstruction ,  la  nourriture,  le  nombre  d'an- 
nées, le  temps  du  repos,  laprime,  et  l'habillement 
que  les  maîtres  sont  obligés  de  donner  aux  appren- 
tifs à  l'expiration  de  l'apprentissage ,  ainsi  que  les 
heures  qui  leur  sont  accordées ,  pendant  les  six 
mois  d'automne  et  d^hi ver  5  pour  aller  aux  écoles 
apprendre  à  lire,  à  écrire  et  à  compter.  N'avez- 
vous  pas  observé  dans  les  villes ,  des  écriteaux 
placés  au-dessus  de  certaines  portes,  avec  ces 
mots,  Epening  schools?  Eh  bien  !  ce  sont  les  écoles 
destinées  aux  apprentifs,  qui  appartiennent  aux 
classes  inférieures.  Quel  bonheur,  par  exemple, 
pour  le  fils  d'un  pauvre  émigrant ,  qui  dans  son 
ancienne  patrie  a  mené  une  vie  inutile ,  désœu- 
vrée, de  pouvoir  apprendre  un  métier,  avec 
lequel,  s'il  est  sage,  il  sera  sur  de  faire  sa  fortune, 
sur- tout  dans  un  pays  comme  celui-ci ,  où  les 
ouvriers  sont  si  rares  et  si  chers ,  vu.  son  accrois- 
sement rapide  ))  ? 

<(  Puisque  vous  parlez  d'accroissement ,  dit 
M.  Herman,  puis-je  vous  demander  quels  sont  les 
progrès  de  votre  population,  sur  laquelle, jus- 
qu'ici, je  n'ai  pu  obtenir  que  des  informations 
vagues  et  incertaines  ?  —  Volontiers ,  reprit 
M.  Duwitt.  Lapartie  de  cet  hémisphère  qu'occu- 


17^  ^    O   Y    A    G    E 

pentles  Etats-Unis,  bornée  au  nord  par  la  rivière 
Sainte-Croix,  qui  la  divise  de  l'ancienne  Acadie 
française  (^),  et  au  sud,  par  celle  de  Sainte- 
Marie  ,  qui  la  sépare  de  la  Floride  orientale  C^*) , 
et  qui  au  commencement  du  siècle,  ne  contenoit 
que  quelques  milliers  d^habitans ,  en  a  aujour- 
dliui  un  peu  plus  de  cinq  millions.  ïVopinioii 
généralement  répandue  ,  que  nous  devons  cet 
accroissement  aux  émigrations  de  l'Europe,  n'est 
rien  luoins  que  fondée ,  comme  vous  le  verrez 
bientôt.  Les  quatorze  quinzièmes  viennent  de 
notre  propre  fonds.  Mais,  demanderez-vous  , 
€|uelles  peuvent  être  les  causes  de  ces  progrès  ? 
Les  voici  :  nos  mœurs ,  nos  habitudes ,  qui  sont 
celles  d'un  peuple  nouveau  et  cultivateur  dès 
son  origine  j  la  facilité  d'acquérir  des  terres  et  de 
devenir  propriétaire;  l'absence  des  hiérarchies 
féodale  et  sacerdotale  5  les  nombreuses  branches 
d'industrie,  qui,  de  tous  côtés,  offrent  les  moyens 
de  s'établir  et  d'élever  une  famille;  la  modicité  des 
impositions  ;  l'état  florissant  de  notre  commerce, 
de  notre  agriculture,  et  joint  à  tout  cela,  la  forme 
de  notre  Gouvernement,  si  propre  à  encourager, 
exciter  et  développer  tous  les  germes  de  prospé- 
rité et  d'accroissement  ». 

(*)  Aujourd'hui,  la  Nouvelle-Ecosse. 
(*'^)  Possédée  par  les  Espaguob. 


t 


Tome  III,  page  iyD. 


La  Pensylvanie 
contenoit  en 


1760 
1760 
1780 
1790 
1798 


89,945 

i59,945j 
52g,o45/>  colons. 

434,7731 
666,455 


Les  quatre  Etats  du 
nord  j  conjointement 
avec  celui  de  New- 
Yorkj  contenaient  en 


1760 
1790 


444,000 

1,348,000. 


colons. 


Les  comtés  occiden- 
taux de  la  Virginit 
contenoient  en 


1780 
1790 


45,760 

i5i,235 


Massachussets  conte- 
noit par  mille  quar- 
ré ,  en 


1760 

a  790 


32 


Connecticut  contenoit 
par  mille  quarré,  en 


1760 
1790 


Khode-lfland  conte- 
noit par  mille  quar- 
ré ,  en 


1760 
1790 


colons. 


colo 


colons. 


23 
52  j 


colons. 


En  i/SOj  nombre  des  colons. 


Massacliussets. . . 

Connecticut 

B-hode-Island .  . . 
New-Hampsliire . 

New-York 

New- Jersey 

Pensylvanie 

Délaware 

Maryiand 

Virginie 

Nord-Caroline. . . 
Sud-Caroline. . . . 
Géorgie 


197,685 
io4,ooo 
2g,5oo 
3'i,ooo 
78,782 
66,000 
89,945 

12,224 

102,545 
254,545 

82,300 
1  io,4oo 

io,5oo 


Populal.  de  New- 
York  aux  épo- 
ques suivantes  : 


1766 
1771 
1773 
1776 
1784 
1786 
1790 
1798 


96,775 
l52,420 

168,007 

178,840 

212,468 

258,897 

354,120 
5o2,658 


Total. 


^,235 


Les  treize  Etats  contenoient  atix 
é23oques  suivantes  : 


1750. 
1774. 
1782. 
1790. 
1798. 


1,168,255 

2,i4i,3o7 
2,38g,5oo 
4,000,000 
5,267,001 


Taxables  dans  la  Pensylvanie, 
aux  époques  suivantes  : 


1760. 

1770. 

1779- 
1786. 


51,667 
39,765 
54,683 
66,925 


Nombre  des  babi- 
tansdela  villede 
New-York,  en 


1697 
1756 
1771 
1786 
1790 
1798 


45o2 
10,881 
21,865 
23,6i4 
53,1 3 1 
37,420 


Populat.  du  New- 
3ersej\ 


1738 
1745 
1784 
1790 
1798 


47,569 

6i,4o3 
i_4o,435 
1 84,1 39 
237,290 


Nombre  des  franc- 
tetianciers  de 
Massacliussets  , 
en 


Populat.  du  Con- 
necticut aux  épo 
ques  suivantes  : 


1756 
1774 
1776 
1782 
1785 
1790 
1795 
1798 


129,994 

197,856 
204,935 
208,870 
217,524 
23i,4oo 
249,  i4o 
272,241 


1772 
1777 
1783 

1787 


71,779 

82,962 

90,575 

101,220 


Population  de  l'île 
de  Rbode  ,  aux 
époques  suiv. 


1774 
1783 
1790 
1798 


51,897 
59,678 

52,543 
64,4oo 


Population  de  Mas- 
sacbussets  aux 
épocjues  suiv. 


1763 

1776 
1784 
1790 
1798 


24l,024 

549,094 
557,510 
44o,56i 
560,79 


DANS    LA    HAUTE    PENSYLVANÎE.     lyS 

C(Le  plus  grand  nombre  d'Européens,  arrivés 
dans  une  année,  ne  s'est  monté  qu'à  10,000;  ce 
fut  en  1792  ,  deux  ans  après  la  nouvelle  consti- 
tution j  Faccroissement  de  notre  population  , 
cette  même  année,  fut  de  1 49,97 1 .  En  examinant 
avec  attention  le  tableau  ci-contre,  résultat  de 
longues  recherches ,  puisées  dans  les  meilleures 
sources  ,  vous  verrez  que  nos  progrès  ne  dépen- 
dent d'aucunes  causes  étrangères  ;  qu'ils  ont  été 
difFérens ,  à  diiférentes  époques  ;  plus  rapides  dans 
quelques  Etats ,  beaucoup  moins  dans  d'autres. 
Par  exemple,  l'établissement  si  soudain  des 
Comtés  occidentaux  de  la  Virginie,  dontla  popu* 
lationn'étoit,  en  17B0,  que  de  46,760  personnes, 
et  qui  se  montoit ,  dix  ans  seulement  après ,  à 
i5i,235,  venoit  du  grand  nombre  de  familles 
allemandes ,  qui  quittèrent  la  Pensylvanie.  Il  en 
a  été  de  même  dans  le  Kentukey ,  qui  s'est  peu- 
plé principalement  aux  dépens  de  la  Virginie 
sa  métropole,  et  des  deux  Carolines,  quoiqu'il 
ait  reçu  aussi  un  grand  nombre  de  colons  de 
l'Europe,  ainsi  que  de  toutes  les  parties  de 
ITJnion.  Le  premier  arbre  du  Kentukey  ne  fut 
renversé  qu'en  1776  ,  et  aujourd'hui  cet  Etat 
contient  167,425  habitans  )). 

((  En  examinant,  dis-je,  avec  attention  ce  ta- 
bleau ,  vous  verrez  qu'à  certaines  époques ,  et 
dans  quelques  cantons  ,  la  population  a  doublé 


17-4  V  O  Y  A   G  S 

dans  l'espace  de  16  et  de  18  ans;  ailleurs  dans 
celui  de  20, 22  et  24  :  qu^elle  a  éprouvé  beaucoup 
de  diminution  pendant  la  guerre,  sur-tout  dans 
les  Etats  de  New- York,  Connecticut ,  Massa- 
chussets  5  et  File  de  Rliode ,  qui  avoient  fourni 
les  deux  tiers  de  l'armée  continentale  :  que  la 
même  cause  a  produit  les  mêmes  effets  dans  la 
population  générale,  depuis  1774  jusqu'en  1782; 
que  le  nombre  des  habitans  de  l'île  de  Rhode  ^ 
n'a  augmenté  que  de  huit  mille  dans  le  cours  de 
neuf  ans,  c'est-à  dire,  depuis  i774jusqu'en  1785, 
ce  qui  est  du ,  non-seulement  aux  grandes  pertes 
qu'il  essuya  durant  la  guerre,  mais  aussi  à  la 
forme  trop  démocratique  de  son  Gouvernement, 
qui  en  a  dégoûté  peut-être  dix  mille  familles, 
aujourd'hui  répandues  dans  tous  les  Etats  voi- 
sins )). 

«  Je  suis  bien  fâché  de  n'avoir  pu  me  procurer 
des  renseignemens  assez  surs,  pour  compléter 
ce  tableau;  il  en  seroit  plus  intéressant,  mais 
je  n'ai  voulu  le  composer  que  de  faits  authen* 
tiques  et  sur  lesquels  vous  pouvez  compter. 
Voilà  pourquoi,  par  exemple  ,  je  n'ai  inséré  le 
montant  de  la  population  du  nouveau  Jersey , 
que  pour  l'année  1785,  n'ayant  pu  avoir  des  dé- 
tails certains  de  celle  des  années  subséquentes  ». 

«  Il  résulte  de  ces  différons  examens ,  que  la 
terme  moyeu  de  vingt  années,  ou  phitôt,  en 


DANS  LA   HAUTE   PEN3YLVANIE.      1^5 

calculant  comme  font  les  négocians ,  qui  ajou- 
tent Fintérét  annuel  au  capital ,  que  le  taux  de 
trois  et  demi  pour  cent ,  est  celui  qui ,  d'après 
plusieurs  épreuves ,  me  paroît  être  le  plus  appro- 
ximatif, sur-tout  depuis  l'établissement  du  Gou- 
vernement fédéral ,  et  celui  sur  lequel  on  peut 
calculer  les  progrès  annuels  de  notre  accroisse- 
ment. C'est  celui,  m'a-t-on  dit,  que  le  général 
Washington  a  adopté  dans  le  grand  travail  qu'il 
vient  de  faire  sur  cet  objet  important: je  suis 
extrêmement  flatté  de  me  trouver  d'accord  avea 
lui  dans  mes  calculs  et  dans  mes  conjectures  ». 


1^6 


VOYAGE 


PROGBES  DE  LA  POPULATION  DANS  LES  ETATS-U>riS. 


1790. 

Accroissement  d'vme  année ,  à  3  J  | . . , . 

Idem,  d'une  anne'e ,  à  3 1  f 

1792  • 
Idem,  d'une  année  ,k3{^ 

1793. 
Idem,  d'une  année  ^à3|J 

179^- 
Idem,  d'une  année  jà3f| 

1795. 
Idem,  d'une  année  y  k  3{^ 

1796- 
Idem,  d'une  année  ,à3|| 

1797. 
Idem.,  d'une  année  ;à3{|^ 

A  la  fin  de  l'année  1 798 . 
Idem,  d'tine  année  ,à3|^ 

A  la  fin  de  l'année  1799. 
Idem,,  d'une  année  yk'6\~ 

A  la  fin  de  l'année  1800 . 


4,000,000 
i4o,ooo 


4,i4o,ooo 
144,900 


4,s84,900 
i'i9;97i 


4,434,871 
i55,iio 


4,589,981 
160,649 


4,75o,63o 
166,172 


4,916,802 
172,088 


5,088,890 
178,111 


5,267,001 
184,345  '. 


5,451,345 
i90'797 


5, 64  2,1 42 


«  Le  second  tableau ,  ci  -  après ,  fondé  d'un 
coté  sur  le  recensement  de  1790 ,  de  Fautre,  sur 


DANS  LA  HAÛ'TE  ÎPENS YLVANÎE.  I77 
le  résultat  des  derniers  renseignemeils  qui  ont 
été  mis  sous  les  yeux  du  président  du  Congrès  , 
paroît  en  effet  donner  le  taux  de  trois  et  demi 
pour  cent.  Quelquefois  même,  ce  taux  a  été  plus 
considérable  dans  certains  Etats  :  par  exemple  , 
la  population  de  la  Pensylvanie,  qui  en  1760 
étoit  de  159,645  ,  s'est  montée  en  1780  à 
5yg,o45,  ce  qui  donne  une  différence  de  9,  i65 , 
en  plus  :  en  1790,  elle  étoit,  au  contraire ,  eu 
îiioing,  de  29,891 ,  ce  qui  avoit  été  occasionné  par 
l'émigration  dans  la  haute  Virginie,  le  Kentukey 
et  le  Muskinghum.  J'attends  avec  impatience 
quelques  détails  ultérieurs,  pour  savoir  si  elle  se-^ 
ra,  celte  année,  supérieure  ou  inférieure  à  ce  taux. 
Si  mes  calculs  sont  justes ,  la  population  de  la  Pen- 
sylvanie doit  être,  à  la  fin  de  cette  année  (1798), 
de  566^^55.  Je  sais  qu'à  la  fin  de  l'année  dernière^ 
le  nombre  de  la  milice,  étoit  de  1 22,000  hommes. 
Cette  proportion  est  encore  confirmée  par  les 
progrès  de  la  population  de  cet  Etat  (New-York) , 
malgré  une  guerre  de  sept  ans ,  par  la  possession 
de  sa  capitale  par  les  Anglais,  et  les  dévastations 
qu'ils  commirent  dans  plusieurs  de  ses  plus 
riches  comtés  )). 

«  On  estime  à  5i, 602, 000  acres,  la  quantité 

de  terres  défrichées,  dans  toute  l'étendue  des 

Etats-Unis  ;  voici  sur  quelles  bases  est  fondé 

l'apperçu  du  progrès  de  ces  conquêtes  annuelles* 

m,  M 


3178  V    O    Y    A    G   E 

Prenons  pour  exemple  Faccroissement  de  ]a 
population  générale  de  1796  à  1797  ,  qui  étoit 
de  172,0885  j'en  déduis  la  moitié  pour  les  filles, 
reste  86,o44  pour  les  mâles  j  de  ce  nombre  j'en 
ote  un  tiers  pour  ceux  qui  deviennent  des  arti- 
sans ou  des  marins  5  reste  57,363 ,  dont  j'estime 
que  la  moitié  s'établit  sur  des  terres  neuves ,  et 
qu'une  partie  de  l'autre  va  travailler  dans  les  nou- 
veaux établissemens ,  où  les  gages  sont  très-hauts  ; 
car  depuis  long-temps ,  on  remarque  qu'aussi-tôt 
qu'il  y  a  vingt  personnes  par  mille  quarré,  ou 
52  acres  par  tête,  ou  de  i5o  à  200  par  famille, 
l'excédant  de  cette  population  émigré  :  je  sup- 
pose (ce  qui  est  d'ailleurs  estimé  la  quantité  ordi- 
naire )  que  chaque  individu  ne  défriche  que  six 
acres  la  première  année  de  son  établissement, 
alors  le  nombre  d'acres  bien  ou  mal  ensemencés , 
ou  couverts  de  graminées,  sera  de  171,786.  En 
supposant  encore  que  moitié  seulement  de  ces 
57,065  émigrans,  en  état  d'acheter  des  terres 
neuves ,  soient  mariés  (  et  il  est  très- rare  qu'ils 
aillent  former  de  nouveaux  et  ahlissemens ,  sans 
l'être  ),  alors  il  y  aura  eu  cette  année  28,6.^1 
chaumières,  ou  Logg-houses  ^  construites  dans 
toute  l'étendue  des  Etats-Unis,  et  autant  de 
je  unes  ménages  d'établis  )). 

ce  Tel  est,  si  je  ne  me  trompe,  l'apperçu  de 
nos  progrès  annuels  relativement  à  la  population 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  If^ 
et  aux  nouveaux  défricîiemens ,  fondés  sur  des 
données  depuis  long-temps  approfondies  par  nos 
meilleures  têtes ,  et  que  j'ai  moi-même  suivis 
avec  toute  l'attention  dont  je  suis  capable.  Voilà 
donc,  dans  l'espace  de  dix  ans,  près  de  deux  mil- 
lions d'acres  soumis  à  la  charrue  et  à  la  faulx , 
et  286,3 lo  ménages  de  plus,  sans  parler  des  ma- 
riages qui  se  sont  faits  pendant  le  même  in- 
tervalle dans  les  autres  Etats  ». 

<(  Il  n^est  donc  pas  étonnant  que  le  prix  des 
terres  neuves  augmente  ,  sinon  dans  la  même 
proportion  que  le  nombre  des  petits  colons ,  du 
moins  très-considérablement.  Celles  qui  valoient 
deux  piastres  il  y  a  quatre  ans  j  se  vendent  au- 
jourd'hui de  trois  à  trois  et  demi  ,  et  même 
quatre  et  cinq ,  suivant  la  fertilité  du  sol ,  et  la 
proximité  des  rivières  et  des  chemins.  En  géné- 
ral ,  on  considère  celles  qui  ont  vingt  habitans 
par  mille  quarré,  comme  valant  i4  piastres 
ou  trois  guinées  l'acre.  D'un  autre  côté,  l'ac- 
croissement des  richesses  métalliques  et  les  bou- 
leversemens  de  l'Europe ,  ont  aussi  beaucoup 
contribué  à  cette  augmentation  ». 

((  On  estime  à  43i  ,662,556  acres,  les  terres  qui 
ne  sont  encore  ni  occupées  ni  vendues,  dont  plus 
de  la  moitié  sont  situées  au-delà  de  l'Ohio ,  ce  qui 
donne  100,000  acres  par  11 59  personnes.  D'a- 
près l'accroissement  annuel  de  la  population  j 

2 


ï8o  VOYAGE 

en  raison  de  trois  et  demi  pour  cent ,  le  tableau 
ci-dessous  indique  Fépoque  probable  à  laquelle 
ces  terres  vacantes  seront  habitées  à  raison  de 
vingt  personnes  par  mille  quarré  ,  ou  de  3^ 
acres  par  personne;  bien  entendu  ,  après  avoir 
été  acquises  des  Indigènes  (g)  i?. 


ANNEES. 

Habitans. 

Terres  vacantes. 

17q6 

4,916,802 
5,088,890 
Ç,  2  67, 001 

5,451,587. 
5,657,592 
7,178,581 

10, 125,81 4 
i4,285,46i 
i8,4o6,i5o 

431,662,536 
426,155,520 
420,555,968 
414,456,672 
4o8,44i,524 
559,291,808 
264,975,952 
i5j,929,248 
0000000000 

^  /zJ 

17Q7 

^  /  J  f 

1708 

^  lu     

17QQ 

/yy 

1800 

1807 

1817 , 

1827 

i854 

. ~ - 

((  Je  conviens  que  ces  résultats  ne  sont  ni 
ne  peuvent  être  mathématiquement  vrais  ;  mais 
ils  sont  probables  et  suffisans  ,  je  Tespère ,  pour 
vous  faire  appercevoir  le  point  d^où  nous  som- 
mes partis  5  celui  à-peu-près  où  nous  nous  trou- 
vons ,  et  celui  enfin  vers  lequel  nous  marchons 
avec  rapidité.  Il  est  vraisemblable  que  vers  la 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  l8l 
moitié  du  siècle  qui  approche,  notre  population 
sera  de  28  à  5o  millions.  Long-temps  avant 
cette  époque ,  les  bras  étant  devenus  moins 
rares  et  moins  chers ,  on  s^occupera  sérieuse- 
ment d'établir  des  manufactures ,  dont  nous 
avons  en  abondance  les  matières  premières , 
telles  que  le  fer  ,  le  cuivre  ,  le  plomb ,  les  sables 
yitrifiables ,  la  cire ,  le  coton ,  la  soie ,  la  vi- 
gne ,  &c.  Alors  la  culture  sera  plus  soignée 
qu'elle  ne  le  peut  être  aujourd'hui,  vu  la  cherté 
de  la  main  d'oeuvre  ;  car  l'homme  ne  devient 
véritablement  industrieux,  que  quand  le  besoin 
le  poursuit  et  l'aiguillonne  )). 

M.  Duwitt  nous  lit  voir  ensuite  quelques'^uns 
des  rapports  qu'il  avoit  faits  au  Gouvernement , 
et  par  lesquels ,  il  paroît  que,  depuis  18  ans,  plus 
de  22,000  familles  s'étoient  établies  dans  le  nord 
et  dans  l'ouest  de  cet  Etat  ;  que  1,175,000  acres 
de  terre  avoient  été  défrichés ,  2  grosses  forges 
construites,   65  moulins  à  bled,  102   à  scies, 
47  à  foulon  ,  et  1 1  à  huile  ;  sans  parler  des  nom- 
breuses manufactures  de  potasse  et  de  sucre  d'é- 
rable :  qu'on  avoit  élevé  des  ponts ,  ouvert  des 
communications  passables  dans  un  pays  qui ,  en 
1780  ,  à  l'exception  de  quelques  petits  cantons  , 
n'étoit  habité  que  par  des  ours  et  des  loups. 

ce  Combien ,  dit  M.  Herman ,  ces  détails  des  con- 
quéte:j  faites  sous  les  auspices  d'un  Gouverne- 


l8i2  VOYAGE 

ment  aussi  paternel,  sur  la  nature  sauvage  et 
agreste  d'an  sol  marécageux  ou  couvert  d'é- 
paisses forets  ,  ne  sont-ils  pas  plus  intéressans 
que  ceux  de  la  vie  de  ces  hommes  qui  ont  dévasté 
la  terre ,  qui  Font  remplie  de  ruines  ,  de  crimes 
et  de  malheurs ,  et  qui,  au  lieu  d'employer  leur 
puissance  à  imiter  la  nature,  en  élevant ,  fécon- 
dant et  faisant  croître ,  ne  s'en  sont  servis  que 
pour  détruire  et  ravager  !  On  frissonne ,  le  cœur 
se  serre  ,  en  parcourant  les  pages  sanglantes  de 
l'histoire  5  il  se  dilate  au  contraire  et  s'épanouit  ^ 
à  la  vue  de  tant  de  créations  nouvelles,  et  des 
développemens  rapides  de  cette  jeune  nation, 
qu'à  peine  connoissoit-on  il  y  ^  5o  ans.  Son  pas- 
sage de  l'état  colonial  à  l'indépendance,  est 
devenu  une  époque  doublement  mémorable ,  et 
par  l'essor  qu^elle  a  pris  depuis,  et  par  l'in- 
fluence que  cet  événement  a  déjà  eue  sur  les  desti- 
nées de  l'Europe,  et  qu'il  aura  probablement  un 
jour  sur  celles  du  monde.  Comme  tout  est  lié, 
comme  tout  est  enchaîné  dans  la  vie  des  indivi- 
dus et  dans  celle  des  nations  !  Qui  auroit  pu  pré- 
voir, en  1 766,que  le  mécontentement  des  colonies, 
alors  si  fortement  attachées  à  leur  métropole,  et 
si  hères  de  lui  appartenir ,  mécontentement  occa- 
sionné par  l'envoi  de  quelques  rouleaux  de  papier 
timbré  et  par  quelques  caisses  de  thé ,  les  en  au- 
roit détachées  pour  jamais?  Qui  auroit  pu  prévoir 


DANS    LA    HAUTE    PENSYLVANTE.      î85 

qu'une  cause  aussi  foible  dût  produire  tout  ce 
que  nous  voyons  aujourd'hui?  Que  sera-ce  donc 
dans  un  temps,  seulement  égal  à  celui  qui  s'est 
écoulé  depuis  le  jour  où  ces  premières  étincelles 
furent  allumées ,  étincelles  que  la  Grande -Bre-- 
tagne  eût  pu  si  facilement  éteindre ,  en  mettant 
dans  sa  conduite  un  peu  plus  de  justice  et  un  peu 
moins  d'orgueil  ))  ? 

«  Moi,  reprit  M.  Duwitt,  qui  ai  été  témoin 
oculaire  de  la  naissance  et  du  développement  de 
tous  ces  germes ,  je  n'en  pourrois  parler  plus 
sciemment.  Il  est  probable  que  si  nous  n'éprou-' 
vons  point  de  grands  revers,  que  si  nous  avons 
le  bonheur  de  voir  notre  sage  Gouvernement 
obteni  r  insensiblement  la  conservation  du  temps 
et  l'ascendant  de  l'habitude  ;  que  si  la  dangereuse 
manie  de  la  perfection  idéale  se  passe ,  manie 
fondée  sur  la  prétendue  dignité  de  la  nature  hu- 
maine ;  que  si  enfin  le'génie  tutélaire  de  quelque 
grand  homme  peut  un  jour  faire  succéder  le 
calme  et  le  repos  aux  agitations ,  ou ,  pour  mieux 
dire,  aux  tempêtes  qui  bouleversent  l'Europe; 
il  est  probable ,  dis-je ,  que  nous  remplirons  nos 
destinées,  qui  nous  appellent  à  peupler ,  à  défri- 
cher, à  embellir  ce  continent  jusqu'à  ses  der- 
nières limites  cultivables  )). 


l84  VOYAGE 

CHAPITRE     VIII. 

Je  tiens  les  détails  suivans ,  relatifs  aux  pyra- 
mides, aux  montagnes  artificielles,  et  aux  arènes, 
qu'on  voit  dans  la  Géorgie  et  dans  les  deux 
Florides ,  de  M.  B^^^  ,  élu  membre  du  Congrès 
dès  la  naissance  du  nouveau  Gouvernement,  et^ 
depuis  quatre  ans,  sénateur  des  Etats-Unis.  Au 
risque  de  répéter  quelques-unes  des  réflexions 
qui  ont  déjà  paru  dans  le  cours  de  cet  ouvrage^ 
je  ne  changerai  rien  au  récit  de  ce  respectable 
personnage.  Ses  observations  sont  d'autant  plus 
précieuses ,  qu'il  habite  la  Géorgie  depuis  trente 
ans,  et  qu'il  a  vu  lui-même  quelques-uns  de 
ses  anciens  monumens. 

Je  terminerai  ces  détails  en  copiant  fidèlement 
ce  que  quelques  autres  personnes  m'ont  dit,  ou 
ce  qui  a  été  publié  de  relatif  aux  fortifications , 
aux  camps  retranchés  et  aux  tombeaux  der- 
nièrement découverts  sur  les  bords  de  l'Ohio  , 
ainsi  que  dans  le  voisinage  du  lac  Erié.  Le  lec- 
teur aura  alors  sous  les  yeux  le  tableau  de  tout 
ce  que  j'ai  appris  sur  un  sujet  aussi  nouveau  et 
aussi  intéressant. 

c(  En  examinant  ces  pyramides,  ces  chaussées, 
€es  amphithéâtres   creusés  dans  la  terre,  ces 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.     l85 

montagnes  artificielles  ,  et  les  cantons  dans  les- 
quels ils  sont  situés  ,  la  première  observation 
qui  se  présente  à  Fesprit  est  que  ces  ouvrages 
sont  tous  à  une  distance  considérable  de  la  mer, 
placés  dans  des  sites  remarquables  par  leur 
fertilité ,  et  qui  paroissent  avoir  été  des  chefs- 
lieux  ,  et  enfin  que  ce  ne  sont  point  des  ouvrages 
militaires  )). 

((  Quel  en  a  donc  été  Tobjet?  Ces  monumens 
étoient  -  ils  religieux  ,  ou  de  pur  agrément  ? 
Etoient-ce  des  observatoires,  des  autels  ou  des 
tombeaux  ?  Quant  aux  chaussées ,  il  est  évident 
qu'elles  furent  élevées  pour  contenir  les  eaux 
des  rivières  ou  former  de  petits  lacs.  La  seconde 
réflexion  est  que  les  formes  de  ces  ouvrages 
étant  les  mêmes  depuis  les  montagnes  du  Té- 
nézée  jusqu'à  la  Floride  occidentale,  il  est  hors 
de  doute  que  cette  partie  du  continent  a  du.  être 
habitée  par  une  nation ,  ou  par  la  réunion  de 
plusieurs  grandes  tribus  qui  parloient  la  même 
langue ,  et  qui  avoient  les  mêmes  usages  et  les 
mêmes  opinions  religieuses  ;  que  ces  tribus  ont  du 
jouir  des  avantages  de  la  paix  pendant  plusieurs 
siècles,  puisque,  quoiqu'elles  aient  su  élever  des 
pyramides  aussi  considérables,  elles  n'ont  laissé 
après  elles  aucunes  traces  de  travaux  militaires  ; 
et  enfin  qu'elles  ont  dû  être  nombreuses,  civi- 
lisées 5  soumises  à  un  Gouvernement  coërcitif, 


lS5  V    O    Y    AGE 

qui  pouvoit  former  ,  exécuter  d^aussi  vastes 
projets ,  réunir  et  alimenter  un  aussi  grand 
nombre  de  travailleurs  )). 

((  Mais  ,  d'un  autre  côté ,  nos  Colons  n'ayant 
trouvé,  en  détruisant  quelques-uns  de  ces  ou- 
vrages, ni  instrumens  de  fer ,  ni  pierres  taillées, 
ni  fragmens  de  briques ,  comment  concevoir 
que,  sans  le  secours  du  fer ,  on  ait  pu  élever  ces 
pyramides  jusqu'à  une  si  grande  hauteur,  former 
et  consolider  ces  chaussées  ?  Si  ces  anciennes 
nations  ne  se  connoissoient  pas  (  ce  qui  est 
cependant  vraisemblable  ) ,  à  quel  degré  de  civi- 
lisation étoient  -  elles  parvenues  ?  c'est  ce  qu'il 
est  impossible  de  conjecturer ,  placés  comme 
nous  le  sommes  à  une  aussi  grande  distance 
d'elles  ». 

«Nous  savons ,  par  la  tradition  des  Cherokéçs , 
qu'à  l'époque  de  l'arrivée  de  leurs  ancêtres  ^ 
venus  des  montagnes  du  Mexique ,  ces  grands 
ouvrages  existoient  tels  à-peu- près  qu'on  les  voit 
aujourd'hui ,  et  que  les  plus  anciens  ,  parmi  les 
Savannucas  vaincus  (*) ,  ignoroient  quand  et 
par  qui  ils  avoient  été  élevés.  Cette  invasion 
eut  lieu  vers  la  lin  du  quinzième  siècle.  Si  l'on 
suppose  que  parmi  les   nations  de  chasseurs , 

(*)  C'étoitle  nom  des  anciens  indigènes  de  la  Géorgie 
et  des  montagnes  du  Tcnézée. 


DANS    LA    HAUTE   PENS YLVANIË.      187 

5oo  ans  suffisent  pour  effacer  jusqu'aux  derniers 
souvenirs  de  la  tradition ,  alors  l'existence  de 
ces  inonumens  remonte  jusqu'au  douzième.  Com- 
bien n'est-il  pas  à  regretter  que  ses  plus  foibles 
lueurs  soient  éteintes  !  Quelle  peut  être  la  cause 
de  cet  absolu  silence  ?  Vient-il  de  la  haute  anti- 
quité de  ces  ouvrages ,  ou  de  la  stupide  igno- 
rance de  nos  indigènes  ))  ? 

((  Cet  ancien  peuple  étoit-il  aborigène  ?  Com- 
bien de  siècles  a-t-il  dû  exister  en  corps  de 
nation ,  avant  d'avoir  pu  élever  ces  pyramides 
et  creuser  ces  arènes  ?  A  quel  usage  étoient-ils 
destinés?  Quel  est  le  degré  de  civilisation  auquel 
l'homme  puisse  parvenir  sans  la  connoissance  et 
l'usage  du  fer?  Quelles  étoient  les  opinions  reli- 
gieuses auxquelles  ces  pyramides  étoient  adap- 
tées ?  Quel  a  été  le  sort  de  ces  anciennes  nations? 
Auront-elles  été  détruites  par  quelques  grandes 
catastrophes  de  la  nature  ?  cela  n'est  pas  vrai- 
semblable ,  puisque  leurs  ouvrages  entièrement 
construits  en  terre  existent  encore.  Auront-elles 
été  exterminées  par  des  barbares  venus  de  l'in- 
térieur du  continent?  Si  cela  est,  comment  con- 
cevoir qu'un  peuple  nombreux ,  capable  d'en 
élever  d'aussi  imposans  et  d'aussi  massifs ,  ait 
pu  être  entièrement  détruit ,  et  que  les  lumières 
et  les  connoissances  qu'il  avoit  acquises  aient 
péri  avec  lui,  sans  que  ceux  qui  auront  échappé 


l88  V    O    Y    A    G   13 

aient  porté  ailleurs  ses  lumières  et  ses  connois^ 
sauces ,  ou  enfin  ,  que  les  vainqueurs  en  aient 
conservé  quelques  étincelles  ))  ? 

ce  L^époque  de  son  existence  est  -  elle  pos- 
térieure, ou  est- elle  antérieure  à  celle  de  cet 
ancien  peuple  qui  éleva  sur  les  bords  de  FOhio 
et  ailleurs,  les  camps  retranchés  qu'on  a  décou- 
verts depuis  plusieurs  années  ?  D'après  Pexamen 
attentif  de  ces  ouvrages,  également  faits  en  terre  ^ 
et  dans  lesquels ,  ainsi  que  dans  les  premiers  ,  il 
ne  se  trouve  aucun  indice  de  fer  ni  aucunes 
pierres  taillées ,  on  pourroit  les  croire  contem- 
porains. Si  l'on  conçoit  qu'un  peuple  pacifique , 
tel  que  celui  qui  habitoit  cet  Etat  et  les  deux 
Florides ,  ait  été  détruit  par  des  nations  bar- 
bares ,  à  quelle  cause  attribuera-t-on  la  dispa- 
rition entière  des  nations  belliqueuses  del'Ohio , 
qui  pouvoient  élever  des  boulevards  aussi  for- 
midables et  choisir  des  positions  aussi  militaires? 
Si  ces  ouvrages  datent  de  la  même  époque  (  ce 
qui  me  paroît  très -vraisemblable),  la  même 
cause  inconnue  aura  donc  détruit  à-la-fois  le 
peuple  guerrier  et  la  nation  pacifique,  quoi- 
que séparés  par  une  distance  de  plus  de  200 
lieues  »  ? 

«  Semblables  aux  pyramides  d'Egypte ,  ces 
traces  de  l'existence,  de  l'industrie,  de  la  civi- 
lisation de  ces  anciens  peuples ,  ne  sont  plus  qus 


DANS   LA   HAUTE   Î'ENSTLVANIE.     389 

des  témoins  inutiles  et  muets ,  dont  les  rapports 
avec  l'ancien  état  de  cette  partie  du  monde  et 
des  choses,  sont  enveloppés,  sont  perdus  dans 
le  vague  ténébreux  du  passé.  Cependant,  quoi- 
que ces  camps  retranchés,  ces  ouvrages  ne  soient 
que  comme  des  points  imperceptibles ,  des  mon- 
ticules ,  comparés  à  la  grandeur  de  ces  rivales 
des  siècles  élevées  sur  les  bords  du  Nil ,  ils 
offrent  aux  yeux  de  l'observateur  ce  que  l'Amé- 
rique septentrionale  recèle  de  plus  ancien  ,  de 
plus  e:xtraordinaire  ,  et  de  plus  digne  d'être 
attentivement  examiné  ». 

((  Je  considère  ces  respectables  ruines  comme 
le  fond  d'un  grand  tableau  ,  a  travers  les  teintes 
légères  et  vaporeuses  duquel  on  peut  à  peine 
distinguer  les  objets,  et  dont  le  devant  repré- 
sente Farrivée  moderne  des  Européens  dans  ce 
pays,  ainsi  que  tout  ce  qu^iîs  y  ont  fait  depuis 
un  siècle.  Mais  malheureusement,  semblable  à 
un  horizon  maritime,  dans  lequel  on  n'apper-- 
çoit  ni  rochers,  ni  brisans,  ni  aucuns  objets  à 
l'aide  desquels  on  puisse  apprécier  les  distances, 
l'espace  qui  sépare  ces  deux  grandes  époques, 
dépourvu  de  points  intermédiaires,  n'est  que 
comme  un  vaste  désert  sans  arbres  ni  buissons 
sur  lesquels  l'œil  de  l'observateur  puisse  se 
reposer.  L'une  paroit  avoir  été  la  fin,  et  l'autre 
être  le  renouvellement  des  choses  ». 


iga  VOYAGE 

((  Je  serois  bien  curieux  de  savoir  te  que 
penseroient  les  savans  de  l'Europe,  dont  les 
lumières ,  les  ouvrages  et  les  méditations  vien- 
nent souvent  à  travers  l'Océan  m^éclairer  et 
m^instruire,  si ,  comme  moi,  ils  considéroient 
attentivement  ces  anciens  ouvrages,  marclioient 
sur  la  même  terre  que  cultiva ,  que  foula  dans 
des  temps  inconnus  une  nombreuse  population  j 
si,  comme  moi,  ils  observoient,  admiroient  ces 
chênes  d'une  énorme  taille,  croissant  aujour- 
d'hui sur  un  sol  qui  jadis  a  du  être  couvert  de 
moissons  » . 

((  Mais  puisqu'enfin  nous  ne  pouvons  pas 
former  de  conjectures  plus  vraisemblables,  il 
faut  donc  croire  que  ces  nations  industrieuses  et 
paisibles  auront  été  exterminées  par  quelques 
hordes  barbares  de  l'intérieur  du  continent, 
lesquelles  ,  dans  la  suite  des  siècles ,  auront  été 
détruites  par  d'autres  tribus  non  moins  féroces  ; 
celles-ci  par  les  Cherokées  chassés  des  monta^ 
gnes  du  Mexique  ;  ces  derniers  enfin  par  des 
hommes  venus  d'Europe.  Tel  a  été  le  sort  de 
presque  toutes  les  nations.  Toutes  ont  subi  à-peu- 
près  les  mêmes  vicissitudes,  toutes  ont  eu  à 
lutter  ou  ont  été  le  jouet  et  les  victimes  des 
caprices  de  cette  puissance  redoutable ,  in- 
connue ,  que  nous  appelons  destinée,  fatalité  ou 
hasard  )> . 


DANS   LA    HAUTE   PENS YLVANIE.     I9I 

«Vingt -cinq  milles  à  Fouest  de  Wright's- 
bourg  5  non  loin  des  bords  de  la  rivière  Little ^ 
on  voit  au  milieu  d'une  plaine  fertile  plusieurs 
jîiontagnes  artificielles  ,  dont  les  bases  ont  de 
7  à  800  pieds  de  circonférence ,  et  de  5o  à  4o  de 
hauteur  ;  une  pyramide  dont  les  dimensions 
sont  beaucoup  plus  considérables  ;  quatre  ter- 
rasses de  forme  quarrée,  ayant  dix  à  douze 
pieds  d'élévation  5  et  enfin  une  arène  creusée 
avec  quatre  rangs  de  banquettes,  qui,  autant 
que  je  puis  en  juger,  pouvoit  contenir  5ooo 
spectateurs  j  et  plus  loin  encore  les  marques 
évidentes  de  tranchées  et  d'anciennes  cultures , 
sur  lesquelles  ont  crû  des  chênes  énormes  ;  j'en 
ai  mesuré  quelques-  uns  qui  avoient  4  pieds  sept 
pouces  de  diamètre.  La  pyramide  seule ,  dont  la 
hauteur  peut  être  de  bb  pieds ,  a  du  exiger  le 
travail  de  quelques  milliers  d'hommes  pendant 
plusieurs  années  :  grâces  à  sa  forme,  aux  buis- 
sons épais  ainsi  qu'aux  racines  des  arbres  qui  la 
couvrent ,  elle  existe  encore  presqu'en  tout  son 
entier  » . 

«  Plus  loin  ,  vers  l'ouest ,  sur  les  bords  d'une 
grande  prairie  naturelle  ,  on  voit  des  ouvrages 
entièrement  semblables  à  ces  derniers,  mais 
dont  les  dimensions  sont  plus  petites ,  ou  qui 
ont  été  plus  détériorés  par  l'édacité  du  temps  )). 
c(  A  quelque  distance  des  bords  de rOakmuîgéj 


\ 


iga  VOYAGE 

dont  la  réunion  avec  l'Oconée  forme  TAlata- 
maha ,  on  voit  aussi  des  traces  évidentes  du 
séjour  et  de  la  longue  et  persévérante  industrie 
d'un  ancien  peuple,  telles  que  quelques  restes  de 
terrasses,  d'arène ,  de  monticules  et  d'élévations 
P3rraniidales ,  auprès  desquelles  on  a  trouvé  des 
tessons  de  poterie  d'une  espèce  beaucoup  plus 
perfectionnée  que  celle  dont  nos  indigènes  se 
servent  )) . 

«  Les  plus  considérables  ouvrages  et  les  plus 
dignes  d'exciter  la  curiosité,  se  trouvent  dans 
le  voisinage  du  fort  Dartmouth,  sur  les  bords 
du  Kéowée  (  branche  orientale  de  la  Savannah  )  ^ 
loo  milles  au-dessus  de  la  ville  d'Augusta  (*)* 
Le  premier  objet  qui  frappe  les  yeux  du  voj^a- 
geur  est  une  pyramide  circulaire  dont  la  base  a 
mille  pieds  ou  environ  de  circonférence ,  dont 
la  hauteur  est  de  70  pieds ,  autant  que  j'ai  pu  en 
juger  sans  le  secours  d'instrumens,  et  dont  le 
sommet  est  couronné  de  cèdres.  On  y  monte  par 
un  sentier  en  spirale ,  sur  lequel ,  à  des  hau- 
teurs différentes  et  en  regard  des  quatre  points 
cardinaux ,  on  trouve  quatre  niches.  Du  haut 

(*)  Capitale  de  la  Géorgie ,  bâtie  dans  une  belle  plaine, 
à  l'extrémité  de  la  navigation  maritime  de  la  rivière 
Savannah ,  à  100  lieues  de  la  mer ,  sur  la  route  qui  con- 
duit chez  les  nalious  Creeks  et  au  Mississipi, 


DANS   LA   HAUTE   I^ENSYlVANIE.      1  qS 

de  cette  pyramide  ou  découvre  plusieurs  autres 
élévations  moins  considérables.  Les  unes  sont 
quarrées  ,  les  autres  en  forme  de  parallélo- 
grammes 'j  quelques-unes  ont  200  pieds  de  long , 
et  depuis  5  jusqu'à  12  pieds  de  hauteur.  Mais 
ce  qui  paroît  encore  plus  étonnant ,  est  une 
chaussée  de  plus  de  5  milles  de  longueur,  que 
les  eaux  de  la  rivière  ne  surmontent  jamais , 
quoiqu'elles  baignent  le  pied  de  la  pyramide 
dans  les  fréquentes  inondations.  Comment  cet 
ancien  peuple  se  défendoit-il  contre  ces  débor- 
démens ,  qui  ont  lieu  trois  ou  quatre  fois  dans 
certaines  années  5  avant  d'avoir  élevé  cette  chaus* 
sée  au-dessus  de  leur  niveau  ?  Par  quel  motif 
a-t-il  construit  cette  pyramide  ?  Si  c'étoit  pour 
se  mettre  à  Fabri  des  eaux ,  où  étoit  la  nécessité 
de  lui  donner  une  si  grande  hauteur  ?  Ces  vastes 
terrasses  et  la  chaussée  n'étoient-elles  pas  suffi- 
santes ?  et  d'ailleurs  pourquoi  ce  peuple  avoit-il 
choisi  un  lieu  aussi  bas  ))  ? 
T'  «  Six  milles  plus  loin,  on  entre  dans  une  autre 
vallée  aussi  belle  et  aussi  fraîche ,  connue  sous 
le  nom  de  Cullsaté,  au  milieu  de  laquelle  on 
voit  de  grandes  et  longues  terrasses ,  et  deux 
pyramides  de  5o  à  55  pieds  de  hauteur.  Cette 
vallée  n'est  point  exposée  aux  inondations  du 
Kéowée)). 

((Plus  avant  encore  dans  les  montagnes ^  non 

ÏIT.  N 


394fe  VOYAGE 

loin  de  l'emplacement  de  l'ancienne  ville  de 
Sticoé,  on  voit  une  autre  pyramide  dont  la  cir- 
conférence est  de  800  pieds  et  la  hauteur  de  48 , 
avec  une  terrasse  très-considérable.  Les  mêmes 
objets  se  trouvent  à  Cowée,  chef-lieu  d'une  des 
plus  belles  et  des  plus  fertiles  vallées  duTénézée, 
ainsi  que  plusieurs  tombeaux  coniques  :  un  vieux 
chef  Chérokée  me  dit  qu'à  l'époque  de  l'inva- 
sion de  ses  ancêtres ,  ces  tombeaux  et  ces  mon- 
ticules artificiels  existoient  à-peu-près  dans  le 
même  état». 

«  A  quelques  milles  du  fort  Prince  George 
de  Kéow^ée,  on  voit  aussi  plusieurs  élévations 
coniques  qu'on  croit  être  des  tombeaux  ,  et 
quatre  montagnes  artificielles  couvertes  d'arbres 
et  de  buissons.  A  Watoga ,  ville  Chérokée  très- 
considérable  5  il  y  a  une  pyramide  dont  les  habi- 
tans  ont  réduit  la  hauteur  à  20  pieds,  sur  laquelle 
ils  ont  élevé  leur  rotonde ,  ou  lieu  du  conseil. 
Le  vieux  Owéekamwée  me  répéta  ce  que  j'avois 
entendu  direàCowée  relativement  à  la  tradition 
des  anciens  Savanuccas  )) . 

<(  Non  loin  de  la  ville  de  Kéowée  on  a  der- 
nièrement découvert  quelques  autres  ouvrages 
anciens,  les  seuls  qui  portent  l'empreinte  du 
marteau  :  ils  sont  composés  de  quatre  pierres 
tle  six  pieds  de  long  et  de  trois  de  large  ^  deux 
de  ces  pierres  sont  placées  de  champ  et  dans  une 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANlE.  lC^5 
direction  parallèle  ,  une  troisième  les  recouvre  j 
et  la  quatrième  ferme  une  des  extrémités  ». 

«  On  a  découvert  depuis  long-temps  dans  les 
deux  Florides  des  monumens  semblables  aux 
premiers,  ainsi  que  des  chaussées  qui  paroissent 
avoir  été  élevées  pour  former  des  étangs  ,  des 
chemins  alignés  et  d^un  niveau  parfait  qui  con*- 
duisoient  à  des  savannes  voisines  3  quelques  frag- 
mens  de  vases  et  de  poterie  élégante.  Les  plus 
considérables  de  ces  ouvrages  sont  situés  non 
loin  du  lac  George  sur  la  rivière  San  Joan ,  ainsi 
qu'à  Taënza  sur  la  Mobile ,  à  Otassée ,  à  Ufalée, 
Talassée ,  Muclassée  sur  la  Talapoosa  ou  Oak- 
fuska ,  à  Kiolégé  sur  la  Coosa ,  à  Uché  sur 
l'Apalachucla ,  &c.  N'est-il  pas  surprenant  que 
les  indigènes  considèrent  avec  la  plus  grande 
indifférence  ces  anciens  et  respectables  témoins 
du  long  séjour  et  de  l'industrie  des  nations  qui 
les  ont  précédés,  et  qui ,  dans  des  temps  reculés, 
habitèrent ,  cultivèrent  cette  belle  partie  du 
continent  ?  Il  en  est  de  même  des  Blancs  qui 
font  la  traite  ou  résident  parmi  eux.  Un  jeune 
homme,  bon  géomètre  et  passable  dessinateur , 
avoit  entrepris  d'en  lever  les  plans  et  d'en^ 
esquisser  les  vues  ;  mais  malheureusement  plu- 
sieurs chasseurs  Séminolles  l'ayant  rencontré 
et  pris  pour  quelqu'un  qui  venoit  furtivement 
arpenter  leurs  terres  (  ce  qui  à  leurs  yeux  est  ua 


196  VOYAGE 

crime  irrémissible  ) ,  alloient  le  tuer  ,  lorsqu'il 
eut  la  présence  d^esprit  de  leur  montrer  ses  des- 
sins: ils  le  conduisirent  au  Myco  du  village  ,  qui 
le  relâcha  5  mais  par  condescendance  pour  ces 
chasseurs ,  on  jeta  au  feu  ses  dessins  et  ses  plans , 
et  il  lui  fut  défendu  de  reparoître  chez  eux  avec 
aucun  instrument  ». 

Détails  d^  anciennes  fortifications  situées  sur 
la  rivière  Huron  ou  Bald-Eagle  ^  qui  verse 
ses  eaux  dans  le  sud  du  lac  Krié ,  envoyés 
au  général TVashington  le  29  juin  lySg  ,pctr 
^.  Steiner. 

«  La  première  de  ces  fortifications ,  n""  1 ,  est 
située  à  220  toises  du  rivage  oriental  de  cette 
rivière  ,  à  huit  milles  au-dessus  de  son  embout 
chure  dans  ce  lac.  C^est  un  plateau  A  de  5oo 
pieds  de  diamètre  et  d'une  médiocre  élévation  , 
environné  d'un  terre-plein  circulaire  de  3  pieds 
et  demi  à  5  de  hauteur ,  et  de  7  à  8  d'épaisseur. 
Vingt-quatre  pieds  au-delà  de  ce  premier  rem- 
part j  on  en  voit  un  autre  B ,  ayant  la  même 
hauteur  et  la  même  épaisseur,  mais  qui  n'est 
qu'un  demi- cercle.  Ainsi  que  le  premier,  il  est 
environné  d'un  fossé  de  4  à  6  pieds  de  largeur, 
encore  rempli  d'eau.  Il  n'y  a  sur  cette  esplanade 
ni  pierres,  ni  aucuns  vestiges  d'anciens  édifices. 


J'/JC.Tomjn.J:u 


fOMlJIFirATIÛIf s  BE  S  Aî^€IE:^S    MBIGE  IfE  8 , 


Cc/h'EsfliiJ\re^/iif  e/iDoi/CL-  ,m  t^i'neral' 


'a. S teiuer  /<■  jSJIm  i7<1,i 


Fxg.II. 


rie-.I 


Eolicllo    (le    loo.  Toises. 


'/•/■■/■„,,/,,■„,/ 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  I97 

L'entrée  C  n^est  défendue  par  aucun  ouvrage 
avancé.  Vers  le  nord-est ,  on  voit  54  tombeaux  D, 
de  60  à  70  pieds  de  circonférence,  et  dé  3  à  4  de 
hauteur,  dont  les  formes  sont  en  partie  circu- 
laires et  elliptiques.  Les  premiers  ne  sont  qu'à 
5  pieds  du  fossé  :  il  y  en  a  quatre  autres  D  vers  le 
nord-ouest,  dont  les  dimensions  senties  mêmes)). 
«Deux  milles  plus  bas  5  sur  les  bords  de  l'es- 
carpement E  du  petit  ruisseau  qui  se  jette  dans  le 
Huron  ,  on  voit  un  monticule,  n°  2,  environné 
d'un  double  terre-plein  et  de  fossés  qui  commen- 
cent et  se  terminent  sur  les  bords  de  ce  même 
escarpement  :  la  seule  différence  est  qu^au  lieu, 
d^une  entrée,  ce  petit  camp  retranché  en  a 
trois  G.  Vers  le  sud  il  y  a  un  autre  terre-plein  H, 
également  accompagné  de  son  fossé ,  mais  dont 
la  forme  n^est  pas  un  cercle  parfait ,  et  qui  ne 
{Varoît  avoir  été  élevé  que  pour  couvrir  les  deux 
principales  entrées.  Non  loin  de  la  plus  méri- 
dionale, sont  deux  élévations  en  terre  K,  I,  qui 
touchent  à  la  muraille  ou  terre*  plein.  La  pre- 
mière ,  qui  est  circulaire ,  a  5o  pieds  de  dia^ 
mètre  et  2  et  demi  seulement  de  hauteur;  la 
seconde  est  un  quarré  de  même  hauteur  et  de 
70  pieds  de  côté.  Les  tombeaux  qui  se  trouvent 
dans  le  voisinage  de  ce  camp  retranché  sont 
peu  nombreux  5  on  en  voit  quelques  autres  plus 
éloignés  et  dans  la  même  direction  ». 


igp  VOYAGE 

((Ces  anciennes  fortifications  sont  couvertes  de 
buissons  et  d'arbres ,  dont  les  troncs  ont  depuis 
18  jusqu^à  26  pouces  de  diamètre.  Sur  la  cime 
d'un  des  tombeaux  j'observai  un  cbêne  mort  qui 
en  avoit  trente.  La  terre  dans  ce  canton  est  une 
glaise  sur  laquelle  il  n'y  a  qu'une  couche  très- 
mince  de  sol  végétal.  Les  forêts  sont  composées 
de  chênes  blancs  et  rouges ,  de  hêtres  et  de  til- 
leuls. Les  indigènes,  qui  sont  un  mélange  de 
Chippaways ,  de  Delawares  et  de  Wyandots , 
me  dirent  que,  d'après  la  tradition,  ces  ou- 
vrages  militaires  avoient   été    élevés  par  desv 
hommes  beaucoup   plus  grands  et  plus  forts 
qu'eux  ;  qu'alors  toutes  les  nations  étoient  dans 
un  état  de  guerre  continuel,  que  leurs  chasseurs 
avoient  découvert  plusieurs  autres  fortifications  ; 
les  unes  semblables  à  celles  -  ci ,  les  autres  plus 
considérables  ;  et  que  ces  anciens  indigènes  oe 
servoient  de  l'omoplate  du  cerf  et  de  l'élan  (1)  ^ 
comme  nous  nous  servons  de  pelles  de  fer  »• 


Tl.XI.T.mM.^a^.iqg 


Grave f, a  T t  TarJu  u ^/„„  <fe  /■£,„■„/,.„/,  .y'jS 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANTE.     1    .. 

Hjpport  de  J.  Harty  capitaine  dans  le  i^""  ré- 
giment ^  relatif  aux  anciennes  fortifications 
découpertes  sur  les  bords  du  jMushinghum  , 
à  un  demi-mille  du  confluent  de  cette  rivière 
avec  rOhio, 

«  Pour  plus  de  clarté,  j'appellerai  ville  len°  i, 
fortifications  le  n°  2 ,  et  pyramide  le  n°  3.  La 
ville  est  un  quarré  de  220  toises  environné  de 
terre-pleins  qui  ont  depuis  6  jusqu'à  10  pieds 
de  hauteur ,  et  de  20  à  4o  de  largeur.  Trois 
ouvertures  divisent  ces  terre- pleins  en  quatre 
parties  presqu'égales.  Celles  qui  regardent  la 
rivière  m'ont  paru  être  un  peu  plus  grandes. 
Ri^n  ne  couvre  les  quatre  angles  de  cette  ville  ; 
une  des  ouvertures  du  coté  occidental  sert  d'is- 
sue à  un  chemin  M,  large  de  120  pieds,  qui 
conduit  aux  terres  basses  de  la  rivière  par  une 
pente  douce  de  60  toises  :  ce  chemin  est  fermé 
des  deux  côtés  par  un  terre  -  plein  O  qui  com- 
mence à  60  pieds  de  celui  de  la  ville ,  et  s'élève 
à  mesure  que  ce  passage  descend,  de  manière  à 
en  conserver  le  niveau.  La  voie  de  ce  chemin 
paroit  avoir  été  faite  en  dos-d'âne,  et  accom- 
pagnée de  deux  égoûts  qui  peut-être  servoient 
à  l'écoulement  des  eaux  de  la  ville  ». 

((  Vers  l'angle  nord-ouest  de  cette  même  ville. 


200  VOYAGE 

on  voit  une  élévation  B,  d'une  forme  oTblongue^ 
qui  a  57  toises  de  long,  22  de  large ,  et  6  pieds 
de  hauteur  ;  la  surface  en  est  parfaitement  unie» 
Quatre  rampes  ou  plans  inclinés  I,  placés  au 
centre  des  quatre  côtés ,  y  conduisent ,  ils  pa- 
roissent  correspondre  exactement  avec  les  ou- 
vertures des  terre  -  pleins  ou  murailles  de  la 
ville». 

«  Non  loin  de  cette  muraille  vers  le  sud-ouest, 
on  voit  une  autre  élévation  G ,  de  26  sur  20  toises  ; 
mais  au  lieu  de  quatre  rampes  elle  n'en  a  que 
trois  I,  I,  I.  L^emplacement  de  la  quatrième  R 
paroît  avoir  été  creusé.  Un  peu  plus  au  nord  est 
encore  une  élévation  circulaire  L,  accompagnée 
de  quatre  petites  excavations  K ,  placées  à  des 
distances  égales.  Vers  la  partie  sud -est  on  en 
voit  une  autre  H,  dont  la  forme  est  en  parallélo- 
gramme, et  qui  a  9  toises  de  large  et  1 8  de  long  : 
elle  est  beaucoup  plus  détériorée  que  les  autres. 
L'angle  le  plus  méridional  de  la  ville  est  couvert 
par  un  ouvrage  très-particulier  ;  c'est  un  mon- 
ticule assez  élevé  N ,  accompagné  de  deux  pa- 
rapets X  semi-circulaires.  Il  est  probable  que 
les  trois  autres  angles  de  cette  ville  étoient  dé-» 
fendus  par  quelques  ouvrages  semblables  à  celui- 
ci ,  que  le  temps  aura  détruits  ». 

«  Les  fortifications,  n°2,  forment  un  ensemble 
presque  quarré,  qui ,  comme  la  ville ,  est  entouré 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     201 

de  terre-pleins  dont  les  ouvertures  sont  défen- 
dues par  des  monticules  S.  Ceux  des  ouver- 
tures TT  sont  doubles.  Entre  ces  fortifications 
et  la  ville ,  on  voit  des  excavations ,  quelques 
hauteurs  circulaires  Z ,  et  des  tombeaux  W , 
n°  o.  La  pyramide  B  est  presque  circulaire 5  elle 
a  5o  pieds  de  hauteur  et  590  de  circonférence  ; 
elle  est  environnée  d'un  fossé  de  5  pieds  de  pro- 
fondeur sur  i5  de  largeur  ,  ainsi  que  d'un  pa- 
rapet extérieur  A  qui  en  a  769  de  tour.  Cette 
enceinte  n'a  qu'une  ouverture  R ,  et  est  pré- 
cédée, du  côté  de  l'Ohio,  par  quelques  ouvrages 
avancés  C ,  D  )) . 

((  On  a  découvert  plusieurs  autres  monticules, 
excavations  et  terre-pleins  couverts  de  buissons 
et  d'arbres  ,  dont  l'ensemble  échappe  à  la  vue  ; 
c'est  ce  qui  m'a  déterminé  à  ne  les  point  tracer 
sur  le  plan  )) . 

^  (c  Les  arbres  qui  couvrent  ces  anciens  ouvrages 
sont  des  chênes  de  2  à  4  pieds  de  diamètre ,  des 
hycoris ,  érables  à  sucre ,  frênes ,  sycomores  , 
acacias  ,  platanes  ,  pins ,  etc.  Le  sol  végétal  sur 
lequel  ils  croissent,  paroît  être  aussi  profond 
que  celui  du  voisinage.  Les  tombeaux  sont  de 
petites  élévations  dans  lesquelles  on  a  trouvé 
des  ossemens  humains.  Il  paroît  que  les  corps 
avoient  été  inhumés  avec  beaucoup  de  soin  ,  et 
placés  dans  la  direction  de  Fest  à  l'ouest.  On  a 


Sb3  VOYAGE 

trouvé,  sur  la  poitrine  de  quelques-uns,  des 
morceaux  de  talc.  Les  os  de  quelques  autres  ont 
été  calcinés  ou  desséchés  pour  en  prolonger  la 
durée.  On  y  a  aussi  découvert  des  pierres  qui 
portent  Fempreinte  du  feu ,  ainsi  que  des  char- 
bons, des  flèches  et  des  tessons  de  poterie  ». 

((  D'ailleurs  on  n'a  point  trouvé  de  fer,  ni  rien 
qui  puisse  faire  conjecturer  que  cet  ancien  peu- 
ple ait  connu  ce  métal.  I/uniformité  ,  la  régu- 
larité de  ces  boulevards  ,  leur  situation  avanta- 
geuse, la  hauteur ,  la  largeur  de  ces  terre- pleins, 
tout  atteste  qu^ils  ont  été  élevés  par  une  nation 
nombreuse  ,  puissante  ,  et  considérablement 
avancée  dans  la  civilisation.  Le  docteur  Cuttler, 
célèbre  botaniste,  qui  a  soigneusement  examiné 
les  chênes  tombés  de  vétusté,  ainsi  que  ceux  qui 
sont  encore  dans  toute  leur  vigueur ,  croit  que 
ces  derniers  sont  une  seconde  génération ,  ce 
qui  porteroit  l'époque  de  la  construction  de  ces 
fortifications  peut-être  à  mille  ans  )) . 

((Jugez  de  ma  surprise,  lorsqu'en  débarquant 
pour  la  première  fois  au  milieu  de  ces  antiques 
et  vénérables  forêts,  la  vue  de  ces  prodigieux 
ouvrages  m^annonca,  qu'à  une  époque  très-re- 
culée ,  ces  lieux,  aujourd'hui  solitaires,  avoient 
été  animés  par  la  présence  et  les  travaux  d'un 
peuple  nombreux  ,  industrieux  et  guerrier.  La 
régularité  de  ces  fortifications,  l'énorme  quan- 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  20D 

tité  de  terre  dont  ces  remparts  et  cette  pyramide 
ont  été  formés  ,  tous  ces  objets ,  quoique  certai- 
nement très-frappans ,  m'étonnèrent  cependant 
beaucoup  moins  que  l'entière  disparition  de  cet 
ancien  peuple  ,  et  le  silence  de  la  tradition  )). 

((  Il  est  probable  que  cette  partie  du  continent 
a  été  très-peuplée  ;  car ,  si  Fétendue  de  ces  re- 
tranchemens  étoit  proportionnée  au  nombre  de 
ceux  qui  les  défendoient,  elle  l'étoit  aussi  à  celui 
des  assaillans.  Si  jamais  ils  ont  été  attaqués  ,  je 
ne  crois  pas  que  le  nombre  des  assiégés  et  des 
assiégeans  ait  pu  être  moindre  que  de  dix  mille  ; 
et  si  un  sur  dix  étoit  alors  soldat ,  les  pays  cir- 
convoisins  dévoient  donc  contenir  10O5OOO  ha- 
bitans.  Le  même  raisonnement  pouvant  s'ap- 
pliquer aux  autres  camps  retranchés  qu'on  a 
découverts  dans  le  Kentukey ,  sur  les  deux  ri- 
vières Miamis  et  ailleurs ,  il  est  évident  que  le 
pays,  arrosé  par  l'Ohio  et  ses  branches,  en 
contenoit  un  grand  nombre.  Qu'est  devenue 
cette  population  ?  Comment  est-il  arrivé  que  les 
nouveaux  venus,  qui  n'étoient  et  ne  sont  encore 
que  des  barbares,  n'aient  conservé  aucuns  des 
arts  ni  des  connoissances  que  la  nation  vaincue 
devoit  avoir  acquis?  Comment  concevoir  qu'une 
aussi  vaste  et  fertile  région  ne  soit  aujourd'hui 
habitée  que  par  quelques  hordes  de  chasseurs 
disséminées  à  de  grandes  distances  les  unes  des 


2o4  V    O   Y   A    G   K 

antres,  chez  lesquelles  on  ne  voit  nulles  traces 
de  culture  et  d^industrie  ,  excepté  quelques 
clianips  de  maïs  plantés  par  les  femmes?  J'aban- 
donne ces  vagues  conjectures  aux  recherches  et 
aux  méditations  des  savans  de  l'Europe  et  de  nos 
villes  capitales ,  qui  ont  mille  fois  plus  de  con- 
noissances  et  de  loisir  que  moi  )) . 


Cross-Creek  ,  sur  l'Ohio  ,  4  mai  ijSg, 

<(  (^)  Il  vous  paroîtra  sans  doute  étonnant , 
))  monsieur ,  d'apprendre  qu'un  pays  que ,  jus- 
»  qu'ici,  nous  avons  cru  n'avoir  jamais  été  habité 
)>  que  par  nos  indigènes  et  leurs  ancêtres ,  offre 
»  cependant  aux  yeux,  des  preuves  indubitables 
»  de  l'existence  et  du  long  séjour  d'anciennes 
ï>  nations,  qui  ont  du  être  nombreuses  et  beau- 
»  coup  plus  civilisées  que  celles  d'aujourd'hui. 

))  Sur  le  rivage  sud- ouest  de  l'Ohio,  presque 
»  vis-à-vis  de  cette  petite  colonie ,  on  a  décou- 
))  vert  des  fortifications  en  terre  dont  les  formes 

(*)  Cette  lettre,  écrite  au  docteur  Wetlierspoon,  pré- 
sident du  collège  de  Princeton,  par  un  des  habitans  de 
la  petite  colonie  de  Croos-Creek,  sur  l'Ohio,  est  une 
nouvelle  preuve  que  ce  continent  a  dû  être  ancienne- 
ment habité  par  des  nations  nombreuses.  Je  l'ai  trans- 
crite avec  tant  de  fidélité,  que  je  n'ai  pas  même  voulu 
enretrancher  quelques  autres  observations,  quoiqii'étran- 
gères  à  la  découverte  des  anciennes  fortifications. 


l  DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     2o5 

,  »  sont  très-régulières  ,  quoique  bien  différentes 
^  »  de  celles  de  l'Europe  :  je  les  vis  pendant  Fau- 
»  tomne  de  Fannée  1787  5  mais  les  arbres,  les 
))  buissons  et  les  herbes  dont  elles  étoient  cou- 
»  vertes ,  m'empêchèrent  d'en  examiner  Fen- 
))  semble  avec  autant  de  succès  que  je  Faurois 
»  désiré  :  je  me  propose  de  les  revoir  au  prin- 
))  temps  avant  l'ouvert ure  des  feuilles ,  et  de  vous 
))  en  envoyer  des  détails  plus  particuliers. 

))  Non  loin  de  l'embouchure  du  Grave-Creek, 
))  on  voit  deux  tombeaux  ou  élévations  coni- 
))  ques  5  dans  lesquels  on  a  trouvé  des  ossemens 
))  humains.  M.  Worth,  homme  instruit,  qui  a 
))  parcouru  ces  cantons, m'a  dit  avoir  découvert, 
7)  dans  ce  même  voisinage,  les  ruines  d'une  ville 
))  ainsi  que  celles  des  nvirailles  ou  terre- pleins 
))  dont  elle  étoit  enviroftée  :  ces  deux  élévations 
))  coniques  n'en  étant  qu'à  une  petite  distance, 
))  de  même  que  quelques  autres  retranchemens  ^ 
))  il  croit  qu'elles  étoient  destinées  à  y  placer  des 
))  frondeurs  qui  pouvoient  en  effet  incommoder 
))  les  habitans  de  cette  ville. 

))  Sur  une  des  branches  du  petit  Ranhàwa , 
))  on  a  trouvé  deux  meules  de  moulin ,  les  restes 
»  d'une  digue ,  et  les  vestiges  d'un  petit  canal 
;  ))  qui  y  conduisoit  l'eau,  M.  Worth  m'a  dit  aussi 
))  avoir  vu ,  sur  un  des  rivages  de  la  Mononga- 
h  héla,  un  rocher  dont  la  surface  paroissoit  avoir 


2ô6  y  O  Y  A  (^  iù 

))  été  polie  avec  soin ,  et  qui  portoit ,  gravées  eïi 
))  six  colonnes ,  des  figures  d'hommes ,  d'ani- 
»  maux,  d'oiseaux  et  de  poissons,  au-dessous 
))  desquelles  on  voyoit  plusieurs  lignes  écrites 
))  en  caractères  qui  lui  étoient  inconnus ,  ainsi 
»  qu'à  ceux  qui  les  ont  vus  depuis.  On  a  décou- 
))  vert,  dans  quelques  autres  canton  s, 'plusieurs 
))  tombeaux  contenant  des  corps  humains  ,  en- 
))  fermés  dans  des  cercueils  de  terre  cuite  et  ver- 
))  nie,  et  dont  les  bras  et  les  jambes  l'étoient 
))  aussi  dans  des  espèces  de  cylindres  de  la  même 
))  terre,  soudés  par  leur  extrémité  supérieure  au 
))  corps  du  cercueil.  Les  étuis  de  ces  jambes 
))  étoient  écartés  de  18  pouces. 

y)  En  creusant  dans  une  saline,  sur  les  bords 
))  du  Yo^'ogliény ,  on  *  découvert ,  à  six  pieds 
»  sous  terre ,  un  pot  deil|^rosse  faïence  et  un  en-- 
))  tonnoir  de  bois  ,  ainsi  que  plusieurs  fragmens 
))  de  vases  et  de  jattes.  Il  paroît,  dans  certains 
))  cantons ,  que  la  terre  a  dû  être  anciennement 
))  défrichée.  Tous  les  arbres  qui  la  couvrent  sont 
))  jeunes  et  en  pleine  croissa||ce  j  on  n'en  voit 
V  point,  comme  par-tout  ailleurs, qui  soient  sur 
))  le  déclin ,  couronnés ,  ou  tombés  de  vétusté. 
))  Quelle  étoit  donc  cette  nation,  aujourd'hui 
))  éteinte,  qui  a  habité  cette  région  pendant  plu- 
w  sieurs  siècles? Suivant  la  tradition  Shawanèse, 
))  c'étoit  une  colonie  Mexicaine.  Mais  d^un  autre 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     207 
»  coté,  il  est  évident  qu^il  y  avoit  alors  un  autre 
))  peuple ,  soit  aborigène  ,  soit  venu  de  quel- 
))  qu'autre  partie  de  FAmérique  méridionale, 
))  et  que  Fétat  de  guerre  continuel  dans  lequel 
))  ils  ont  long  -  temps  vécu ,  les  obligea  d'avoir 
))  constamment  les  armes  à  la  main;  car,  sans 
))  parler  de  ces  camps  retranchés ,  de  ces  fortifi- 
))  cations  régulières  qu'on  a  découverts  dans  plu- 
7)  sieurs  endroits ,  on  rencontre ,  sur  presque 
))  toutes  les  hauteurs  qui  avoisinent  les  eaux , 
))  des  traces  de  redoutes,  des  lignes  de  défense 
))  d'une  étendue  considérable. 

))  Tout  ce  que  nous  savons ,  est  que  les  indi- 
-))  gènes,  qui  occupoient  ce  pays  il  y  a  200  ans, 
))  ignoroient  par  qui  ces  retranchemens  avoient 
))  été  élevés  ,  et  qu'il  éiîoit  inhabité  lors  de  leur 
))  arrivée.  D'où  ces  nouvelles  hordes  venoient- 
))  elles?  c'est  une  question  à  laquelle  leurs  des- 
))  cendans  ne  peuvent  répondre.  On  s'égare  dans 
))  les  conjectures  que  fait  naître  l'inspection  de 
))  ces  vénérables  témoins ,  ainsi  que  la  contem- 
))  plation  de  cet  ancien  état  de  choses. 

))  Nous  n'avons  rien  ici  qui  mérite  l'attention 
))  des  voyageurs,  que  nos  fontaines  et  nos  ar- 
))  bres.  Parmi  les  premières,  il  y  en  a  plusieurs 
»  dont  les  eaux  sont  extrêmement  salutaires  ; 
))  mais  qui ,  parmi  nous,  est  en  état  de  les  ana- 
))  lyser  ?  L'élévation  et  la  grosseur  des  arbres  de 


2o8  VOYAGE 

»  nos  forêts  sont  vraiment  extraordinaires  ;  on 
))  n'en  voit  point  de  semblables  dans  votre  pays 
»  septentrional  5  les  espèces  principales  sont  le 
))  chêne  blanc,  noir  et  rouge,  le  noyer  blanc, 
))  le  frêne  noir  et  blanc,  le hycori  jaune  et  blanc, 
»  le  hêtre  aquatique  et  sec  ,  l'orme ,  le  tilleul , 
»  Férable  à  sucre ,  le  sassafras ,  le  peuplier  ,  le 
»  mûrier  sauvage ,  le  sycomore ,  etc.  Presque 
))  toutes  les  plantes  et  les  fleurs  qu^on  cultive 
»  chez  vous  avec  tant  de  soin,  croissent  ici  spon- 
))  tanément  j  le  buisson  à  épice  (  u^ild  ail  spice  ) , 
»  le  ginseng ,  la  salsepareille ,  la  snake-root ,  le 
))  gingembre  ,  plusieurs  espèces  de  baume,  de 
))  menthe ,  la  sauge ,  etc. 

))  On  voit  j  sur  les  bords  du  petit  Kanhawa^ 
))  une  source  inflammable  très-singulière  ;  elle 
))  ne  coule  point  5  elle  émet  des  évaporations  qui 
»  s'attachent  aux  objets  environnans,  et  don- 
))  nent  à  Tair  qu'on  respire  une  odear  sulfu- 
»  reuse.  Mais  ce  n'est  pas  à  la  troisième  année  de 
))  la  fondation  de  ces  colonies  ultramontaines , 
))  que  vous  devez  attendre  des  détails  intéressans 
))  sur  tout  ce  que  ce  climat  et  cette  belle  nature 
))  offrent  de  nouveau  et  de  curieux  aux  yeux 
»  du  botaniste  et  du  naturaliste.  Il  faut  d'abord  , 
»  comme  vous  le  savez ,  défricher,  semer,  ré- 
))  colter,  construire  des  habitations,  planter  des 
))  vergers,  creuser  des  puits,  ayant  de  s'occuper 


Dans  la  haute  pensylvanie.  209 
))  d'objets  scientifiques.  Nous  ne  sommes  encore 
))  qu'au  premier  période  de  notre  existence  , 
))  c'est  celui  du  trayail  et  de  l'industrie.  Combien 
))  d^années  ne  s'écoulera-t-il  pas,  avant  que 
))  nous  ayons  parmi  nous  des  hommes  à  qui  le 
))  loisir  ait  permis  d'acquérir  la  science,  et  qui 
))  soient  en  état  de  répondre  à  toutes  vos  ques- 
))  tiens  d'une  manière  satisfaisante  w  I 


Dans  la  crainte  d'être  accusé  de  légèreté  ou 
de  manque  de  jugement,  j'ai  cru,  avant  de  mettre 
le  récit  du  capitaine  Isaac  Stuart  sous  les  yeux 
du  lecteur,  devoir  Finformer  des  détails  suivans. 
D'après  une  ancienne  tradition  du  pays  de 
Galles  {W'ales)  ^  il^paroît,  qu'à  une  époque 
inconnue ,  quelques  chefs  de  cette  nation  con- 
duisirent une  colonie  de  leurs  compatriotes  à 
travers  l'Océan ,  et  débarquèrent  dans  le  pays 
connu  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Louisiane, 
Depuis  quelques  années,  plusieurs  voyageurs  ont 
assuré  avoir  découvert  la  postérité  de  ces  Gal- 
lois j  je  ne  sais  comment  cela  est  arrivé,  mais 
leurs  récits  ont  bientôt  été  oubliés.  Cependant 
les  soupçons  de  l'existence  de  cette  ancienne 
colonie  pouvant  avoir  quelques  rapports,  ou 
jeter  quelques  lumières  sur  l'époque  à  laquelle 
les  anciens  monuniens  dont  je  viens  de  parler 

III.  o 


210  VOYAGE 

furent  élevés,  j'ai  cru  devoir  transcrire,  dans 
son  entier,  le  récit  du  capitaine  Stuart,  après 
avoir  préalablement  informé  le  lecteur  des  diffé- 
rens  degrés  d^authenticité  qui  en  accompagnè- 
rent la  publication. 

M.  Stuart,  officier  dans  un  corps  de  cavalerie 
colonial  de  la  Caroline  du  sud ,  ayant  embrassé 
le  parti  royaliste  dès  la  première  époque  de  la 
révolution,  s'embarqua  à  bord  du  vaisseau  de 
guerre  anglais  le  Peacock ,  et  à  la  recommanda- 
tion du  lieutenant  colonel  Cruger,  obtint  le 
commandement  du  détachement  de  marine  de 
ce  vaisseau.  Les  détails  qu^il  donna  au  capitaine, 
de  ses  anciens  vo3?"ages  dans  Fintérieur  du  conti- 
nent, relatifs  à  la  découverte  d'une  nation  d'in- 
digènes qui  parloit  le  welsli ,  parurent  si  inté- 
ressans  à  cet  officier,  qLie,  de  retour  à  Charles- 
Town ,  il  les  publia  dans  les  gazettes  de  cette 
ville.  Ce  récit  ayant  excité  la  curiosité  publique  5 
le  certificat  suivant  fut  inséré  dans  celle  de  New- 
York,  alors  occupée  par  les  troupes  anglaises. 

((  Moi  soussigné  certifie  que  la  narration  du 
))  capitaine  J.  C.  Ecuyer  (^)  ,  commandant  le 
))  vaisseau  de  Sa  Majesté  le  Peacock,  publiée 
))  dans  les  gazettes  de  la  Caroline  en  mars  1782, 

(*)  C'est  ainsi  que  le  nom  da  commandant  du  vais- 
seau le  Peacock  étoit  désigné  dans  les  gazettes. 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.      211 

»  est  conforme  aux  détails  que  je  lui  ayois  don- 
))  nés  5  et  en  est  Texposé  A'éritable. 

))  Fait  à  New-York ,  le  2  juin  1785. 

y>  Signé  y  Isaac  Stuart». 

Un  autre  certificat  du  capitaine  de  ce  même 
vaisseau,  daté  de  Sainte -Marie  dans  la  Floride 
orientale  le  17  octobre  1784,  ajoute  encore 
quelque  poids  à  l'authenticité  de  cette  décou- 
verte. 

Quoique,  depuis  cette  époque,  je  n'aie  rien  oui 
dire  qui  y  soit  relatif,  j'ai  cru  cependant  ne  pas 
devoir  négliger  de  copier  fidèlement  cette  nar- 
ration ,  très-exacte  d'ailleurs  ,  relativement  à  la 
fertilité,  à  la  fraîcheur  et  à  la  grandeur  des 
plaines,  à  travers  lesquelles  coulent  toutes  les 
rivières  qui  tombent  sur  le  rivage  occidental  du 
Mississipi. 

On  sera  sans  doute  étonné  que,  ni  le  Gouver- 
nement des  Etats-Unis,  ni  les  sociétés  littéraires 
n'aient  point  conçu  le  projet  de  dissiper  ces 
doutes ,  s'ils  ne  sont  pas  fondés ,  ou  de  vérifier 
une  découverte  aussi  intéressante.  Peut- être  les 
dépenses  d'un  voyage  jusqu'aux  sources  des 
rivières  Rouge  et  Arcansa  ,  qui  ne  sont  qu'à  7  ou 
800  lieues  de  Philadelphie,  ne  se  seroient-elles 
pas  montées  à  plus  de  4  à  5oo  guinées.  Avec 

2 


«213  V   O   1r   A    G  E 

quel  empressement  les  savans  de  l'Europe  n'aii^ 
roient-ils  pas  envoyé  des  personnes  instruites , 
voir  si  j  en  effet,  cette  nation  welche  existoit,  et 
leur  rapporter  des  détails  sur  l'étendue,  la  fécon- 
dité de  ces  plaines  herbées  ,  sur  les  plantes  d'un 
sol  placé  sous  les  plus  belles  latitudes ,  sur  l'es-- 
pèce  des  arbres  qui  composent  les  forêts  dont 
cette  partie  de  l'Amérique  est  ombragée ,  trésors 
inconnus  aux  Espagnols ,  maîtres  de  tant  de  ré- 
gions qui  leur  seront  long-temps  inutiles.  Il  faut 
en  convenir,  celle  qui,  du  Mississipi,  s'étend 
jusqu'aux  montagnes  du  nouveau  Mexique ,  de 
Santa-Fé ,  de  la  Californie,  est  presqu'aussi  peu 
connue  que  l'intérieur  de  l'Afrique,  quoique 
traversée  par  plusieurs  grandes  et  magnifiques 
rivières. 

On  sera  moins  étonné  de  cet  oubli  ,  ou  plutôt 
de  cette  indifférence ,  en  se  rappelant  que  l'exis- 
tence politique  de  ces  Etats  date  à  peine  de 
22  ans  ;  que  celle  du  Gouvernement  fédéral  ^ 
véritable  époque  de  leur  union  et  de  leur  pros- 
périté, n'a  commencé  qu'en  17905  que  cet  âg@ 
est  celui  de  la  jeunesse ,  du  mouvement,  des  en- 
treprises y  que  personne  ici  n'est  oisif;  que  clia- 
cun  s'occupe  d'affaires  ,  de  spéculations ,  de 
commerce ,  de  moyens  d'augmenter  sa  fortune 
(et  jamais,  auparavant,  un  aussi  vaste  champ 
â'industrie  et  d'activité  ne  s'étoit  offert  aux 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     2l3 

hommes  )  5  que  l'esprit  du  Gouvernement  est 
plutôt  de  protéger  que  d'agir;  et  qu'enfin  les 
sociétés  littéraires  ne  sont  composées  que  d'in- 
dividus qui,  comme  les  autres,  occupés  de  leurs 
affaires ,  ont  à  peine  le  temps  d'assister  aux 
séances  :  il  n'en  sera  pas  ainsi  dans  un  demi- 
siècle. 

Narration  de  M.  Isaac  Stuart^fubliée  dans 
la  gazette  de  Charlestown ,  en  mars  1^82 , 
par  le  commandant  du  vaisseau  de  guerre 
anglais  ^  le  Peacock. 

ce  Je  fus  fait  prisonnier  par  les  Sauvages,  il  y  a 
environ  1 8  ans ,  étant  à  5o  milles  vers  l'ouest  du 
fort  Pitt,  et  je  fus  conduit,  avec  plusieurs  autres 
Blancs  ,  à  un  de  leurs  villages  situé  sur  le  Wa- 
bash.  Peu  de  jours  après,  mes  infortunés  com- 
pagnons furent  massacrés  avec  la.  plus  horrible 
barbarie.  Ma  bonne  fortune  ayant  voulu  que. 
j'inspirasse  quelqu'intérêt  à  une  des  femmes  de 
ee  village ,  elle  m^ adopta ,  et  donna  un  cheval 
pour  ma  rançon.  Après  un  séjour  de  deux  ans, 
arriva  un  Espagnol,  se  disant  venir  du  nouveau 
Mexique,  et  voyageant  pour  faire  des.  décou- 
vertes :  ayant  besoin  de  deux  rameurs,  il  obtint 
des  chefs  la  permission  de  me  prendre  à  son  ser- 
vice, ainsi  qu'un  nommé  John  Davey,  Gallois 


âl4  VOYAGE 

de  nation.  Peu  de  temps  après,  nous  nous  em-^ 
barquâmes  ,  et  descendîmes  l'Ohio  et  le  Missis- 
sipi  jusqu'à  Femboucliure  de  la  rivière  Rouge 
(  Red  River  ).  Après  nous  y  être  reposés  quel- 
ques jours ,  nous  la  remontâmes  pendant  l'es- 
pace de  700  milles  (  253  lieues),  et  entrâmes 
dans  une  de  ses  branches  ( Post- river  ) ,  où,  à 
notre  grand  étonnement ,  nous  nous  trouvâmes 
au  milieu  d'une  nation  dont  la  peau  étoit  blan- 
che et  les  cheveux  roux  )) . 

((Dès  le  lendemain  de  notre  arrivée ,  John 
Davey  vint  me  trouver  pour  me  dire  que  ces 
indigènes ,  parlant  assez  bien  la  langue  de  son 
pays,  il  étoit  déterminé  à  rester  parmi  eux.  Ex- 
trêmement étonné  de  ce  qu'il  venoit  de  me  dire, 
je  fus  chez  Fun  des  chefs,  dont,  en  eflfet,  le  lan- 
gage me  parut  bien  différent  de  celui  des  autres 
nations  chez  lesquelles  j'avois   résidé.   Ils  me 
dirent ,  par  l'organe  de  John  Davey  ,  que  leurs 
ancêtres  étoient  venus  habiter  les  bords  de  cette 
rivière  quelque  temps  après  la  conquête  du  Mexi-  ^ 
queparles  Espagnols ,  et  l'invasion  de  la  Floride 
occidentale ,  où  ils  étoient  fixés  à  cette  époque  j 
et  pour  me  convaincre  de  la  vérité  de  ce  récit, 
ils  me  montrèrent  plusieurs  rouleaux  de  par-- 
chemin  enfermés  dans  des  peaux  d'outre ,  sur 
lesquels  étoient  tracés  un  grand  nombre  de  ca- 
ractères écrits  avec  de  l'encre  bleue  5  mais  ne 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     i2l5 

connoissant  pas  le  welsh ,  et  mon  camarade  ne 
sachant  pas  lire ,  je  ne  pus  savoir  ce  qu'ils  con- 
tenoient ,  ni  vérifier  ce  que  les  chefs  m'avoient 
dit  )) . 

«  Cette  nation  est  composée  de  deux  classes , 
celle  des  guerriers ,  et  celle  des  cultivateurs.  Les 
premiers   sont  braves  et  intrépides  ,  et  leurs 
femmes  beaucoup  plus  belles  que  celles  des  autres 
nations.  Après  avoir  passé  quelque  temps  parmi 
ces  Welches ,  l'Espagnol  et  moi ,  nous  nous  em- 
barquâmes de  nouveau ,  et  continuâmes  à  re- 
monter la  rivière  Rouge  jusqu^aux  villages  d'une 
autre  nation  appelée  Wyandot,  qui  nous  dit 
n'avoir  jamais  auparavant  vu  de  Blancs  ni  d'ar- 
mes à  feu.  En  examinant  un  ruisseau  qui,  ayant 
traversé  une  grande  plaine,  va  se  perdre  dans  le 
creux   d'une   montagne ,  nous  découvrîmes  le 
squelette  d'un  animal  qui  a  du  être  d'une  gran- 
deur énorme,  si  l'on  en  juge  par  la  grosseur  et  la 
longueur  de  ses  côtes,  celle  des  vertèbres ,  et  le 
poids  de  ses  mâchelières.  Cette  nation  habite 
dans  le  voisinage  de  la  rivière  Rouge,  non  loin 
de  ses  sources.  Ce  fut  là  que  l'Espagnol  décou- 
vrit de  la  poudre  d'or ,  ce  qui  me  surprit  beau- 
coup ,  n'en  ayant  jamais  vu  auparavant  5  il  étoit 
occupé  à  en  ramasser ,  lorsqu'on  lui  dit  que , 
plus  loin  vers  l'ouest,  habitoit  une  nation  che2f 
laquelle  ce  métal  étoit  si  commun,  que  les  guer- 


S2l6  VOYAGE 

riers  en  armoient  la  pointe  de  leurs  flèches. 
Avant  d^  arriver,  nous^fimes  plus  de  5oo  milles  : 
il  nous  fallut  franchir  une  chaîne  de  montagnes 
dont  tous  les  ruisseaux  couloient  à  Test.  Satis- 
fait et  content  5  mon  Espagnol  résolut  de  ne  plus 
voyager  ,  et  de  se  fixer  dans  ce  pays  5  moi ,  qui 
a  vois  femme  et  enfans  ,  je  le  quittai,  de  concert 
avec  un  autre  Blanc  de  la  Louisiane ,  et  nous 
traversâmes  plusieurs  plaines  immenses  qui  nous 
conduisirent  à  une  des  branches  du  Missoury, 
d'où,  en  descendant  ce  fleuve  ,  nous  parvînmes 
au  Mississipi.  Après  nous  être  reposés  à  Pan- 
core,  je  gagnai  le  pays  des  Chikasaw^s  sur  les 
bords  du  grand  Yazou,  de-là  chez  les  Chectaws  , 
et  enfin  chez  les  Cherokées ,  d^où  je  me  rendis 
au  fort  Ninetysix ,  dans  la  Caroline  méri- 
dionale», 

({  Je  ne  sais  comment  décrire  les  pays  que  j^ai 
parcourus  à  Touest  du  Mississipi  ;  il  faudroit 
être  astronome  et  géographe  pour  pouvoir  en 
déterminer  Fétendue.  Quelle  idée  puis-je  donner 
de  ces  plaines  si  fraîches  et  si  fertiles  ?  Les  unes 
sont  couvertes  de  roseaux  à  travers  lesquels  un 
homme  à  cheval  s'égare  ou  se  perd  souvent  :  les 
autres,  de  graminées,  dont  je  ne  connois  pas  le 
nom,  et  sur-tout  de  trèfle  jaune  et  rouge  qui  a 
trois  pieds  de  hauteur.  Les  arbres  des  forêts  an- 
noncent, par  leur  hauteur,  la  fertilité  du  sol 


DANS    LA   HAUTE   l'ENS YL VANIË.    217 

sur  lequel  ils  croissent.  C'est  Fasyle  d'un  nombre 
prodigieux  de  daims,  de  chevreuils ,  d'ours,  de 
buffles,  qui  viennent  y  passer  la  nuit,  après 
avoir  parcouru,  pendant  le  jour,  ces  savanes  à 
perte  de  vue.  J'ai  quelquefois  rencontré  des  vi- 
gnes appuyées  sur  des  arbres ,  des  pruniers ,  des 
pommiers  et  des  orangers  sauvages,  dont  lefruit, 
à  une  aussi  grande  distance  des  pays  cultivés  , 
me  parut  délicieux.  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait , 
sur  la  terre  ,  de  terrein  plus  propre  à  rapporter 
du  maïs,  du  tabac,  de  l'indigo  et  du  riz.  Une 
colonie,  placée  vers  les  sources  des  rivières. 
Rouge  et  Arcansa ,  pourroit  facilement  en  four- 
nir à  toute  l'Europe.  Comparé  au  sol  de  nos 
colonies,  celui-ci  est  comme  le  jardin  d'Eden. 
Quant  au  transport  de  ces  denrées,  rien  ne  seroit 
plus  facile;  on  construiroit,  avec  les  beaux  bois 
du  pays,  de  grands  bateaux  plats  qui  les  porte- 
roient  au  Mississipi  ,  et  même  à  la  nouvelle  Or- 
léans. J'observai ,  dans  plusieurs  endroits ,  des 
rochers ,  dans  la  formation  desquels  il  y  a  beau- 
coup de  sel ,  que  tous  les  animaux  du  pays 
viennent  lécher  durant  les  chaleurs  de  l'été.  Les 
formes  des  excavations  qu'ils  ont  faites  avec 
leurs  langues  dans  le  long  cours  des  siècles,  sont 
si  bizarres,  qu'à  une  certaine  distance  elles  res- 
semblent à  des  bas-reliefs,  et  offrent,  à  Fimagi- 
xiation,  des  représentations  d'hommes,  d'ani- 


21  s  VOYAGE 

Riaux,  d'arbres,  de  paysages,  et  souvent  celles 
d^objets  fantastiques  )>. 

Quoique  les  détails  suivans  n'aient  aucun 
rapport  avec  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  cepen- 
dant ,  persuadé  qu'ils  peuvent  en  avoir  avec 
Fétat  du  continent  dans  des  temps  très-reculés , 
et  d'ailleurs ,  ayant  vu  dans  le  cabinet  de 
M.  Edwards  de  Stock  -  Bridge ,  l'objet  dont  je 
vais  parler ,  j'ai  cru  devoir  les  insérer  ici. 

On  a  retiré ,  du  fond  de  la  rivière  Chémung , 
ou  Tiogo  (branche  de  la  Susquéhannah  orien- 
tale) ,  dix  milles  au-dessus  de  son  confluent  ^ 
l'os  ou  la  corne  d'un  animal  inconnu.  Elle  a  six 
pieds  neuf  pouces  de  longueur,  21  pouces  de 
circonférence  à  une  extrémité,  et  i5  seulement 
à  l'autre.  On  voit ,  à  la  plus  grosse  de  ces  extré- 
mités ,  un  creux  qui  a  six  pouces  de  profondeur 
et  deux  et  demi  de  diamètre,  et  semblable  à 
celui  d'une  corne  de  boeuf  qu'on  auroit  arrachée  : 
tout  le  reste  est  solide.  L'extérieur  est  uni  et 
blanc  comme  de  l'ivoire,  un  peu  rembruni  à  un 
endroit  seulement.  La  couleur  de  l'intérieur  res- 
semble à  celle  delà  chaux  calcinée,  mais  non 
encore  détrempée.  La  forme  en  est  ronde,  sans 
aucune  empreinte  qui  indique  l'origine  de  bran- 
ches collatérales.  D'après  l'apparence  fracturée 
des  deux  extrémités ,  il  paroit  que  la  longueur 


DANS   I.A  HAUTE  PENSYLVANIE.    219 

totale  de  cette  corne  devoit  être  considérable. 
Sa  courbure  est  celle  d^un  grand  cercle.  Lors- 
qu'elle est  frottée,  elle  exhale  une  odeur  qui 
ressemble  à  celle  de  la  corne  ou  d'un  os  brûlé. 


220  VOYAGE 


CHAPITRE     IX. 

Ij^incorporation  est  un  bill  ou  acte  de  la  légis- 
lature ,  qui ,  sous  un  nom  indicatif,  réunit  en 
corps  politique  {^body  corporate)  un  nombre 
quelconque  de  personnes  ,  et  consacre  Fexécu- 
lion  du  projet  ou  l'institution  de  lacliose  qu'elles 
ont  sollicitée.  Ce  bill  est  contenu  en  une  charte 
scellée  du  grand  sceau  de  l'Etat,  et  dont  le  préam- 
bule annonce  toujours  l'objet  ou  le  motif,  de  la 
manière  la  plus  précise. 

On  en  connoit  plusieurs  espèces.  Les  chartes, 
destinées  à  incorporer  des  colonies  naissantes, des 
villes,des  bourgs,  descomtés,  sont  bien  différentes 
de  celles  qui  sanctionnent  les  associations ,  dont 
le  but  est  la  propagation  des  connoissances  ou 
du  bien  public ,  telles  que  les  collèges  de  mé- 
decins ,  les  sociétés  littéraires ,  religieuses  ou 
philosophiques  ;  la  fondation  d'églises  ,  d'hô- 
pitaux, de  bibliothèques,  de  chambres  de  com- 
merce ,  sociétés  de  marine  ou  charitables ,  gran- 
des écoles,  caisses  d'épargne,  &c. ;  ou  celles, 
enfin  ,  qui  n'ont  pour  objet  que  l'intérêt  parti- 
culier ,  telles  que  chambres  d'assurance ,  ban- 
ques ,  construction  de  ponts  ,  de  canaux,  de 
grandes  routes ,  &c. 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     221' 

Elles  accordent  aux  souscripteurs  ou  mem- 
bres de  ces  associations  5  la  faculté  de  s'assem- 
bler, de  délibérer,  d'enregistrer  leurs  délibéra- 
tions, d'élire  un  président,  un  trésorier,  un  ou 
plusieurs  secrétaires  5  celle  de  faire  tous  les  ré- 
glemens  (  connus  sous  le  nom  de  by-laws)  ,  né- 
cessaires pour  l'administration  et  l'exécution 
de  la  chose.  Elles  fixent  le  montant  de  la  pro- 
priété mobilière  et  immobilière  que  ces  sociétés 
peuvent  posséder;  leur  accordent  un  sceau  dont 
leurs  actes  doivent  nécessairement  être  revêtus; 
et  enfin,  suivant  les  circonstances,  investissent 
les  sociétaires  de  la  perpétuité,  ainsi  que  du  droit 
de  transmettre,  vendre,  léguer  leurs  intérêts  ou 
leurs  mises. 

Lorsqu'il  s'agit  d^ouvrages  publics,  ces  chartes 
en  prescrivent  les  conditions  ouïes  redevances  , 
en  concèdent  les  péages  ou  les  usufruits,  soit 
pour  un  temps  limité  ou  pour  toujours,  sui- 
vant les  difficultés  de  l'entreprise  ou  la  volonté 
du  législateur.  Mais  les  motifs  pour  lesquels  on 
sollicite  et  on  obtient  ces  chartes,  sont  si  variés, 
qu'il  seroit  difficile  d'en  définir  toutes  les  nuan  ces; 
Aussi -tôt  que  les  signataires  ou  souscripteurs 
ont  été  incorporés,  ils  ne  forment  plus,  aux 
yeux  de  la  loi ,  qu'un  seul  corps  ou  individu 
politique,  qui,  par  l'organe  d'un  président  ou 
d'un  comité  5  peut   attaquer,  ou  se  défendre 3 


22i2  VOYAGE 

être  poursuivi  devant  les  tribunaux ,  placer  des 
fonds ,  prendre  des  engagemens ,  recouvrer  des 
dettes,  acquérir  ou  vendre  comme  le  feroit  un 
particulier.  Chaque  membre  n'est  responsable 
que  pour  le  montant  de  sa  souscription. 

L'usage  de  ces  chartes  est  très-ancien ,  ainsi 
qu'on  le  voit  dans  l'histoire  d'Angleterre.  Elles 
ont  servi  de  bases  à  l'établissement  de  la  plu- 
part des  colonies ,  ainsi  qu'à  la  fondation  des 
villes  et  des  comtés  ;  et  même  aujourd'hui ,  la 
constitution  du  Connecticut ,  par  exemple  , 
n'ayant  éprouvé  aucuns  changemens,  quoique, 
comme  les  autres ,  cet  Etat  soit  devenu  indé- 
pendant et  souverain,  on  peut  dire  qu'elle  re- 
pose encore  sur  les  mêmes  droits  contenus  dans 
la  deuxième  charte,  accordée  en  1662  à  ses  fon- 
dateurs par  Charles  11. 

On  ne  connoît  rien  de  plus  inviolable  ni  de 
plus  sacré  que  ces  chartes.  Ce  sont  des  con- 
cessions, des  pactes  solennels,  irrévocables  entre 
les  Gouvernemens  et  les  citoyens,  que  les  loix 
et  les  tribunaux  ne  peuvent  annuller,  excepté 
dans  les  cas  de  forfaiture.  Parmi  le  grand  nom- 
bre de  griefs  que  le  Congrès  allégua  comme  mo- 
tifs de  la  célèbre  déclaration  de  l'indépen- 
dance (*) ,  la  violation  de  ces  chartes ,  sur  la 

(*)  Le  4  juillet  1776, 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.    223 

foi  desquelles  les  premiers  colons  avoient  quitté 
FAngleterre  ,  en  étoit  un  des  plus  considé- 
rables. 

Quant  à  celles  qui  sont  destinées  à  incorporer 
des  villes  (^) ,  Fobjet  en  est  relatif  au  mode 
d^élire  les  officiers  municipaux,  de  nommer  aux 
justices  de  paix,  aux  magistratures,  à  la  police, 
à  l'administration  de  la  justice,  aux  prisons,  à 
la  perception  des  taxes  municipales,  à  la  conces- 
sion de  différens  privilèges ,  tels  que  ceux  d'en- 
voyer au  corps  législatif  un  certain  nombre  de 
députés;  à  la  suzeraineté,  à  la  conservation  de 
la  navigation ,  des  rivières  et  des  eaux  ;  à  la 
possession  de  terreins  inondés  et  de  commu- 
nes ,  au  pouvoir  de  les  inféoder  ;  car  les  pro- 
priétés municipales  sont  considérées  comme 
main-mortables.  Celle  de  la  ville  d'Albany  est 
de  12,600  acres,  et  celles  de  New- York,  très- 
considérables  aussi.  En  général  l'incorporation. 
des  grandes  villes ,  d'où  émanent  leur  pros- 
périté, et  les  droits  des  citoyens,  sont  des  actes 
de  la  plus  haute  importance.  La  charte  de  Phi- 
ladelphie est  lin  modèle ,  un  chef-d'oeuvre  de 
sagesse ,  de  lumières  et  de  convenance  ,  par- 


(^)  Avant  d'être  incorporées ,  elles  ne  sont  connues 
que  sous  le  nom  de  Towns  ;  et  après  l'incorporation ,  sous 
celui  de  Cities, 


224  VOYAGE 

faitemeiît  adapté  à  l'esprit  du  nouveau  Gou- 
vernement, dont  elle  est  ^  s'il  m'est  permis  d'em- 
ployer cette  expression,  une  miniature  :  elle  suffi- 
roit  à  régir  un  pays  d'une  étendue  considérable. 

La  prospérité  publique  n'étant  que  l'ensemble 
de  celle  des  familles  et  des  individus,  ces  chartes, 
qui  réunissent  et  concentrent  les  efforts,  les 
moyens  et  les  intérêts  d'un  grand  nombre  de 
personnes,  et  les  dirigent  vers  un  même  but; 
qui  autorisent  et  sanctionnent  les  A^ues  pieuses 
et  louables,  ou  les  projets  utiles  de  ces  associa- 
tions 5  ces  chartes  ,  dis-je,  ont  beaucoup  contri- 
bué, dans  ce  pays  naissant,  aux  développe- 
mens ,  aux  progrès  et  au  perfectionnement  des 
choses  j  et,  pour  comble  de  bonheur, l'esprit  du 
Gouvernement ,  même  dans  le  temps  colonial , 
a  toujours  été  plus  disposé  à  protéger  qu'à  gou- 
verner. 

Après  les  loix  de  sûreté  et  de  justice,  on  n'en 
connoît  point  de  plus  utiles.  Combien  d'églises, 
d'institutions  religieuses  ,  de  sociétés  charita- 
bles ;  combien  de  caisses  d'épargne  à  l'usage  des 
veuves  et  des  orphelins  ;  combien  d'asyles  pour 
Tindigence,  de  sociétés  littéraires,  d'écoles  con- 
nues sous  le  nom  d'académies ,  n'ont  pas  éta 
richement  dotés  (  1  )  ?  Combien  de  ponts ,  de 
canaux  et  d'autres  créations  intéressantes ,  la 
facilité  d'obtenir  ces  chartes  p  et  la  confiance 


DANS   liA   HAtJTE   PENSYLVANIE.     225 

qu'elles  inspirent,  n'ont-elles  pas  fait  naître, 
sur-tout  depuis  l'indépendance  et  l'adoption  du 
Gouvernement  fédéral  ? 

On  peut  dire  que  la  plus  grande  partie  des 
institutions  religieuses,  civiles,  commerciales, 
littéraires  et  charitables,  dans  les  Etats-Unis, 
doivent  leur  origine  à  ces  a-sociations  particu- 
lières, sanctionnées  par  la  loi,  et  consacrées 
par  des  chartes  d'incorporation,  églises,  hôpi- 
taux ,  manufactures  ,  canaux  ,  dispensaries  , 
collèges ,  &c. 

Le  Gouvernement  colonial ,  ainsi  que  celui 
qui  lui  a  succédé,  n'ayant  presque  jamais  exigé 
que  les  impositions  indispensables  pour  les  frais 
de  l'administration,  a  confié  la  formation  de 
ces  étàblissemens  utiles,  de  ces  belles  institu- 
tions à  l'esprit  public ,  dont  ces  chartes  sont  un. 
des  principaux  soutiens  ;  car  ce  sont ,  ainsi  que 
la  propriété,  des  arches  saintes ,  placées ,  par  l'o- 
pinion et  les  loix ,  au-dessus  des  atteintes  du 
Gou^'ernement,  aussi  long-temps  que  les  asso- 
ciés se  conforment  au  texte  de  ces  chartes,  qui, 
dans  le  cas  contraire  _,  sont  susceptibles  d'être 
annullées. 

Sans  cet  heureux  expédient,  que  seroit  ce 
pays  ,  dont  plusieurs    Etats  n'ont  pas  encore 
trente  ans   d'existence  politique,  dont  les  can- 
tons les  plus  anciennement  habités  n'ont  guère 
III.  p 


2i26  VOYAGE 

plus  d'un  siècle,  et  dont  enfin  les  neuf  dixièmes 
sont  encore  couverts  de  forêts?  Très-certaine-- 
ment  les  choses  n^y  seroient  pas  aussi  avancées , 
quoiqu'elles  soient  encore  bien  inférieures  à  ce 
qu'elles  seront  un  jour.  Trop  jeune  pour  suppor- 
ter le  fardeau  des  impositions,  qu'auroit  fait  le 
Gouvernement  pour  élever  ces  édifices,  fonder 
ces  sociétés,  élever  ces  ponts,  creuser  ces  ca- 
naux ?  L'esprit  public,  ce  singulier  mélange 
d'amour  du  bien,  de  zèle,  d'intérêt  personnel 
et  de  vanité,  y  a  suppléé. 

Et  qu'importe  d'où  il  vienne ,  ce  bien  ,  si  rare 
sur  la  terre,  et  si  difficile  à  obtenir  ?  Si  les  eaux 
démon  ruisseau  sont  bonnes  et  limpides,  si  elles 
sont  assez  abondantes  pour  désaltérer  mes  ar- 
bres, et  humecter  mes  herbages  pendant  les  jours 
caniculaires ,  il  m^intéresse  peu  de  savoir  que  sa 
source  découle  du  flanc  d'une  montagne,  ou  sort 
du  sein  d'un  marais. 

Et  quand  même  ces  Gouvernemens  auroient 
pu  prélever  les  sommes  nécessaires,  quelle  dif- 
férence entre  donner  volontairement ,  ou  être 
forcé  de  paj^er  ?  On  offre  avec  plaisir  ce  qui  au- 
Toit  été  exigé  avec  violence.  Quelle  différence, 
sur-tout ,  entre  la  nullité  civile  la  plus  entière, 
et  le  noble  orgueil  de  contribuer  aux  divers 
établissemens  de  son  pays  5  de  participer  aux 
avantages  qui  en  proviennent ,  ou  au  bien  qu'ils 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLTANIE.     227 

font  naître?  C'est  alors  qu'on  est  doublement 
citoyen ,  puisqu'on  tient  à  sa  patrie  ,  à  son 
canton,  à  sa  ville  natale,  par  un  plus  grand 
nombre  de  liens. 

Il  faut  avoir  vécu  dans  des  contrées  où  l'homme 
n'est  rien  et  le  Gouvernement  est  tout,  pour  sen- 
tir l'heureuse  influence  qu'ont  nécessairement 
ces  associations  sanctionnées  par  la  loi.  Quel 
bien  ne  feront-elles  pas  un  jour,  lorsque  les  pro- 
grès de  la  population  ,  de  la  culture  et  de  l'in- 
dustrie, exigeront  un  plus  grand  nombre  de 
créations  nouvelles,  et  lorsque  les  richesses,  les 
lumières  ,  les  sciences  et  les  arts  auront  multi- 
plié les  ressources  et  les  moyens  de  perfection- 
nement ? 

Un  court  précis  des  institutions,  fruits  de  la 
piété ,  de  la  charité  ou  de  l'esprit  public ,  dans 
la  ville  et  l'Etat  de  New- York ,  consacrées  par 
ces  chartes,  contribuera  peut-être  à  rendre  plus 
intelligible  ce  que  je  viens  de  dire. 

Presque  tout  ce  qu'on  y  voit  de  bon  et  d'utile 
est  l'ouvrage  d'associations  incorporées ,  excepté 
les  trois  églises  anglicanes,  fondées  et  dotées 
par  la  reine  Anne;  les  autres  (et  il  y  en  a  seize  ) 
ont  été  construites  par  des  sociétés  auxquelles  ces 
chartes  en  ont  transmis  la  propriété  indivise, 
ainsi  que  l'administration  ;  c'est-à-dire ,  celle 
des  biens  qui  ont  été  donnés  ou  pourront  être 

5i 


228  VOYAGE 

légués  par  la  suite  à  ces  églises.  Tels  sont  * 
Le  magnifique  hôpital  fondé^  dès  le  temps  co- 
lonial par  une  souscription ,  considérablement 
augmenté  par  de  nouveaux  dons  et  par  le  Gou- 
vernement 5  qui  en  a  assuré  l'existence ,  et , 
d'après  les  avis  de  la  société  des  médecins,  en  a 
prescrit  la  sage  administration  qu'on  voit  au- 
jourd'hui (2). 

La  société  de  marine,  dont  le  but  est  de  don--- 
lier  des  pensions  aux  veuves ,  d'élever  les  enfans 
de  ceux  qui  périssent  en  mer  ,  ou  une  annuité 
proportionnée  aux  sommes  qu'on  a  placées  dans 
la  caisse.  La  plupart  des  étrangers  se  font  un 
devoir  d'en  devenir  membres  honoraires,  moyen- 
nant une  souscription  annuelle  de  42  francs  ;  et 
les  marins  que  la  fortune  favorise,  abandonnent 
leurs  mises  pour  augmenter  les  fonds  de  la  so- 
ciété,  et  mettre  les  administrateurs  à  même 
de  faire  plus  de  bien  (5). 

La  société  des  pilotes,  pour  assurer,  comme 
les  autres ,  par  le  sacrifice  annuel  d'une  somme 
modique ,  la  subsistance  de  leurs  femmes  et  de 
leurs  enfans.  Le  chef  du  port  (Port-TJ^arden)  ^ 
choisi  parmi  les  marins  les  plus  respectables , 
en  est  le  président  né.  Cette  institution  est  pla- 
cée sous  l'inspection  particulière  du  Gouverne- 
ment, duquel  émanent  les  commissions  connues 
sous  le  nom  de  branches  ^  scellées   du  sceau 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  22() 
privé  de  TEtat,  sans  lesquelles,  et  sans  un  ap- 
prentissage de  sept  ans  et  plusieurs  examens 
préalables ,  il  n'est  permis  à  aucun  marin  de  se 
présenter  comme  pilote  à  bord  des  vaisseaux. 

Rien  n'est  plus  sagement  organisé  que  cette 
association.  Les  pilotes  sont  divisés  en  un  cer- 
tain nombre  de  classes ,  possédant  chacune  une 
goélette  de  60  pieds  de  quille  et  de  60  de  mâ- 
ture, dont  la  construction ,  le  gréement ,  sont 
le  fruit  d'une  longue  expérience.  On  ne  con- 
noit  point  de  vaisseaux  qui  marchent  mieux 
ni  plus  près  du  vent  5  ils  tirent  huit  pieds  d'eau 
sur  l'arrière,  et  quatre  seulement  sur  l'avant; 
portent  la  voile  comme  des  rochers,  et  coûtent 
de  16  à  17,000  francs.  Chacune  de  ces  goélettes 
donne  son  nom  à  la  classe  qui  la  monte  3  c'est 
sous  ce  nom  qu'en  sont  tenus  les  comptes  , 
arrêtés  tous  les  mois  sous  les  yeux  du  Port- 
Warden.  D'abord  on  prélève  ce  qu'a  coûté  l'es- 
palmage  et  l'entretien 5  ensuite  la  somme  que, 
d'après  les  régies  de  l'association  ,  chaque  pilota 
doit  à  la  caisse  d'épargne  :  le  reste  e&t  partagé 
entr'eux. 

Les  sociétés  religieuses  connues  sous  le  nom 
de  congrégations  (il  y  a  dix  sectes).  Outre  l'admi- 
nistration du  temporel  de  ces  églises ,  accordée 
parleurs  chartes  d'incorporation,  chacune  d'elles 
dirige  une  école^  dans  laquelle  les  principes  dq 


25o  VOYAGE 

la  religion ,  la  lecture ,  l'écriture.et  Tarithmé- 
tique ,  sont  enseignés  aux  enfans.  Les  plus  ri*  { 
elles  de  ces  sociétés  habillent  ceux  des  indigens, 
et  souvent  se  chargent  de  les  mettre  en  appren- 
tissage. 

Société  irlandaise  ,   dite  de  Saint  -  Patrice ,  J 
destinée  à  secourir  les  émigrdns  de  cette  nation, 
qui  arrivent  dans  le  dénuement ,  ou  ont  besoin 
de  conseils. 

Société  écossoise ,  dite  de  Saint-André ,  dont 
l'objet  est  le  même  pour  ceux  qui  viennent  de 
l'Ecosse  ,  ainsi  que  celle  de  Saint-George  pour 
les  Anglais. 

Société  des  artisans,  chargée  d^administrer 
la  caisse  économique ,  dans  laquelle  les  membres 
de  cette  association  sont  tenus  de  placer  tous  les 
mois  une  certaine  somme ,  et  d^où  l'on  tire  les 
secours  dont  ils  ont  besoin  dans  leurs  mala- 
dies. 

Société  pour  encourager  la  manumission  def 
nègres ,  et  protéger  ceux  qui  sont  devenus  li- 
bres. Elle  a  fondé  une  école  où  Fon  enseigne  aux 
enfans  les  principes  de  la  religion  ,  à  lire,  écrire 
et  compter.  Le  gouverneur  actuel  de  TEtat  en 
est  président. 

Société  pour  assister  les  prisonniers,  et  payer 
les  dettes  de  ceux  qui  n'ont  été  arrêtés  que  pour 
des  sommes  modiques. 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.   23l 

Société  de  la  bibliothèque,  détruite  pendant 
la  guerre  et  renouvelée  depuis.  Elle  fut  formée 
de  nouveau  en  17B6,  par  un  grand  nombre  de 
souscripteurs,  auxquels  le  Gouvernement  ac- 
corda, peu  de  temps  après  ,  une  charte  d'incor- 
poration ,  et  la  municipalité  un  bel  appartement 
dans  l'hôtel-de-ville  (  ci-devanifédé rai- hall). 

Collège  de  Colombia,  fondé  en  17Ô4  par  les 
personnes  les  plus  respectables  de  cette  colonie, 
assistées  par  le  corps  législatif  d'alors ,  et  par 
l'église  métropolitaine.  Le  Gouvernement  Va 
richement  doté  depuis,  et  lui  a  accordé  une 
nouvelle  charte,  qui  en  fait  une  université, 
dont  plusieurs  académies,  fondées  par  l'esprit 
public  dans  différens  comtés  de  l'Etat ,  sont 
constituées  membres.  Ces  académies  sont  : 

Celle  de  Fiat-Bush ,  fondée  en  1786  par  les 
habitans  de  ce  beau  district  de  l'Ile  Longue; 
elle  est  connue  et  a  été  incorporée  sous  le  nom 
d'Erasme. 

Celle  de  East-Hampton ,  fondée  en  1787  par 
les  colons  du  comté  de  Southampton  ,  à  l'extré- 
mité orientale  de  la  même  île ,  connue  et  in- 
corporée sous  le  respectable  nom  de  Clinton, 
qui ,  alors ,  étoit  gouverneur  de  cet  Etat. 

Celle  deGoshem,  fondée  en  1787  par  les  ha- 
bitans du  comté  d'Orange,  connue  et  incorporée 
sous  le  même  nom. 


^52  VOYAGE 

Hait  antres  fondées  dans  différentes  parties 
de  FEtat,  qui,  comme  les  précédentes  ,  sont 
sous  la  surveillance  d^un  comité  permanent, 
nommé  tous  les  quatre  ans  par  la  masse  des  sous- 
cripteurs. 

Société  littéraire,  établie  en  1788;  elle  n'a 
encore  rien  publié. 

Société  de  médecine,  une  des  plus  utiles  et 
des  mieux  organisées  du  continent. 

Société  d'agriculture ,  dont  les  députés  à  la, 
législature  sont  membres  nés. 

Société  pour  encourager  les  manufactures. 

Société  àxiDispensary  ^  c'est  une  apothicaire- 
rie  qui  fournit  des  drogues,  des  médecines  et  des 
cordiaux  à  tous  ceux  qui  se  présentent  munis, 
du  certificat  d'un  des  souscripteurs»  Cette  so- 
ciété paye  un  apothicaire  et  un  médecin,  char- 
gés de  donner  des  consultations  et  d'aller  voir 
les  malades.  Le  nombre  de  ceux  qu'elle  assista 
dès  la  première  année  de  son  établissement  étoit 
de  97?.  La  petite  souscription  est  de  cinq  pias- 
tres ( 26  francs);  la  grande,  de  5o  ( 262 francs)» 
Elle  fut  incorporée  peu  de  temps  après  sa  nais- 
sance. 

Le  Gouvernement  incorpora  aussi,  en  1792^ 
une  association  qui  avoit  formé  le  projet  d'ou- 
vrir une  communication,  par  eau,  d'Albany  au 
lac  Ontario  (il  est  en  partie  exécuté) ^  et  la  même 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     ^33 

année,  une  autre  compagnie,  qui  doit  unir  les 
eaux  du  lac  Champlain  à  celles  du  Hudson ,  et 
perfectionner  la  navigation  de  cette  haute  partie 
du  fleuve, 

Il  vient  d^accorder  une  charte  à  une  troisième 
association  qui  ,  du  district  de  Cortland ,  doit 
amener  à  la  ville  une  partie  des  eaux  du  Brunks, 
ruisseau  considérable,  situé  à  25  milles  de  dis- 
tance ,  et  qui ,  au  moyen  d'un  aqueduc ,  tra- 
versera la  rivière  de  Harlem ,  dont  la  largeur 
est  de  170  toises. 

Toutes  les  églises  des  petites  villes  de  l'inté- 
rieur, ainsi  que  celles  des  comtés,  sont  le  fruit 
de  la  piété  et  du  zèle  d'associations  qui  ont  été 
incorporées.  Plusieurs  de  ces  églises  ont  été  do- 
tées par  le  Gouvernement  ou  par  des  particu- 
liers; c'-est- à-dire,  qu'elles  jouissent  de  presby- 
tères et  de  glèbes,  plus  ou  moins  considérables  j, 
à  l'usage  de  leurs  pasteurs.  En  1 775,  on  comptoit 
dans  cette  colonie  192  églises  incorporées. 

Il  y  a  plusieurs  autres  petites  associations  cha- 
ritables et  littéraires  ,  dont  je  ne  parle  point 
comme  n'étant  point  incorporées. 

Ces  établissemens  sont  bien  plus  nombreux 
à  Philadelphie  (4)  et  à  Boston  (5).  On  est  ce- 
pendant étonné  de  ne  point  encore  voir  de  dis- 
pensarj  dans  cette  dernière  ville  y  il  est  probable 
que  le  bien  que  font  ceux  de  Philadelphie  et  de 


25^4  VOYAGE 

de  New -York  5  déterminera  les  habitans  de 
toutes  les  villes  de  FUnion  à  imiter  un  si  bel 
exemple. 

Puisqu'enfin  ce  n'est  qu'en  s'associant  avec    f 
ses   semblables  que  l'homme  peut  trouver  des 
appuis  àsafoiblesse  et  des  secours  dans  l'adver- 
sité, n'est- il  pas  étonnant  que  ces  insdtutions,     | 
ces   caisses   d'épargnes  soient  si  rares  ?  Que  le    | 
désir  de  se  forger   soi-même  un  bouclier   qui 
pourroit  garantir  des  attaques  du  malheur  ;  que 
celui  de  faire  jaillir  des  sources  balsamiques  où 
les  malades  puiseroient  des  eaux  salutaires ^  ne 
soient  pas  plus  prédominans  parmi  les  différen-    ^ 
tes  classes  de  la  société,  surtout  dans  les  mé- 
tropoles de  l'Europe  ?  ^ 

Là  5  rien  n'est  plus  commun  que  de  voir  îea 
ouvriers  de  ces  capitales ,  semblables  aux  indi- 
gènes, dépenser,  dans  de  bruyantes  orgies  ,  les 
fruits  de  leur  industrie.  Ces  derniers,  pour 
se  délasser,  disoient-ils,  de  leurs  longues  et  pé- 
nibles chasses  d'hiver ,  se  plongent  dans  le  délire 
de  l'ivresse,  et  même  s'en  font  gloire  ;  les  au- 
tres, sous  des  prétextes  aussi  frivoles  ,  consom- 
ment souvent  dans,  un  jour  les  ressources  de 
l'avenir  et  la  subsistance  de  leurs  familles.  Quoi- 
qu'élevés  au  milieu  de  sociétés  policées,  envi- 
ronnés  dès  leur  enfance  de  préceptes  religieux  j 
et  de  conseils  salutaires^  ils  sont  aussi  insoucians, 


DANS   LA    HAUTE   PENSYLVANIE.     5235 

aussi  imprévoyans  que  ces  enfans  de  la  nature 
placés ,  par  elle ,  dans  le  sein  des  forêts.  Cette 
disposition  est  donc  dans  la  nature,  puisqu'elle 
résiste  à  l'ascendant  de  l'éducation  et  à  l'in- 
fluence de  l'exemple. 

Rien  cependant  ne  me  paroît  plus  facile  à 
créer  que  ces  institutions  ,  qui  ,  tôt  ou  tard , 
deviendront,  dans  tous  les  pays  civilisés,  l'ap- 
pui dufoible,  la  consolation  des  malheureux, 
et  la  ressource  des  personnes  peu  fortunées.  Je 
suppose  que  5oo  ouvrie  rs  déposent  dans  une 
caisse  chacun  deux  soujs  par  jour  (et  il  n'y  en 
a  point,  sur-tout  dans  le  s  capitales,  qui  ne  puis- 
sent faire  ce  petit  sacrifice),  voilà,  dès  la  pre- 
mière année ,  une  écon  omie  de  56  francs  par 
tête,  et  conséquemment  un  capital  de  1 8,000  fr. 
qui  peut  être  avantageusement  placé  dans  les 
fonds  publics  j  et  si  dans  cette  ville  il  y  avoit  un 
dispensary f  et  que  cette  association  y  souscrivît 
5oo  fr, ,  par  exemple ,  c'e^st-à-dire  20  sous  par 
chaque  associé ^  il  est  évident  que,  pouvant  ob- 
tenir de  cette  apothicairerie  les  consultations  et 
toutesles médecines  nécessaires,  un  grandnom- 
hxe  de  malades  seroient  soulagés  ou  guéris  â 
très-peu  de  frais,  et  chez  eux ,  ce  qui  est  d'un 
avantage  inappréciable.  Les  mêmes  réflexions 
peuvent  s'appliquer  à  tous  les  autres  établisse- 
mens ,  soit  de  charité,  soit  d'économie ,  qui^  en 


S56  V   O   Y   z\    G   1^ 

réunissant  un  grand  nombre  de  petits  moyens  ^ 
formeroient  une  masse  inépuisable  de  secours  , 
pour  subvenir  aux  besoins  des  nécessiteux ,  et 
alléger  le  poids  des  misères  de  la  vie.  L^idée 
seule  d'être  soigné  au  sein  de  sa  famille,  et  non 
à  Fhôpital,  ne  devroit-elle  pas  faire  naître 
dans  tous  les  coeurs  le  désir  de  voir  ces  bien- 
faisantes réunions  devenir  générales? 

Combien  d'autres  avantages  ne  résulteroit-il 
pas  de  la  création  de  ces  caisses  d'épargnes  ? 
Activité,  industrie,  sobriété,  émulation,  moeurs 
plus  pures.  Comme  un  moniteur  fidèle ,  le  désir 
d'augmenter  la  somme  économique  du  mois  , 
feroit  soigneusement  éviter  tout  ce  qui  pourroit 
conduire  au  dérèglement  et  à  la  dissipation  : 
ces  associés  deviendroient  meilleurs  pères ,  meil- 
leurs maris,  et  conséquemment  des  citoyens  plus 
respectables  et  plus  utiles. 

Pourrois-je  terminer  cette  foible  esquisse  san& 
parler  de  la  promulgation  du  nouveau  code 
pénal,  et  du  nouveau  régime  des  prisons  delà 
Pensylvanie  en  1793?  Non  ^  les  détails  suivans 
suffiront ,  je  l'espère ,  pour  en  donner  une  idée. 

La  prison  qu'on  a  construite  depuis  quelques 
années  à  Philadelphie ,  est  un  édifice  considé- 
rable. Une  des  ailes  contient  les  cellules  exé- 
cutées d'après  le  plan  suggéré  à  la  législature 
par  quelques  membres  de  la^  société  des  anxjs. 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLTANIE.    lZj\ 

(quakers) .  Des  cours  spacieuses ,  remplies  d'ate- 
îiers,  en  occupent  l'intérieur. 

Conformément  au  nouveau  code  pénal ,  la 
peine  de  mort  n'est  plus  infligée  que  pour  le  meur- 
tre prémédité  5  les  autres  crimes,  même  celui  de 
haute  trahison ,  sont  punis  par  Femprisonne- 
ment  solitaire  (  solitary  confinement  ) ,  dont  la 
durée  est  proportionnée  à  Fénormité  de  l'action^ 
châtiment  que,  d'après  une  heureuse  expérience 
de  plusieurs  années ,  on  a  observé  avoir  beau- 
coup plus  d'effet ,  inspirer  un  plus  grand  degré 
de  terreur  que  la  mort. 

En  effet,  le  criminel,  plongé  dans  ce  séjour 
des  ténèbres,  du  silence  et  de  la  solitude,  en. 
proie  au  désoeuvrement  et  à  l'ennui,  ne  tarde 
pas  à  ressentir  l'aiguillon  des  remords  et  l'amer- 
tume du  repentir.  Ainsi  la  sagesse  de  la  législa- 
ture est  parvenue  au  but  qu'elle  s'étoit  proposé  , 
celui  de  réformer,  plutôt  que  de  punir  le  cou- 
pable: idée  sublime  qu'aucun  législateur  n'avoit 
encore  conçue,  et  qu'aucun  code  criminel  n'avoit 
encore  mise  en  pratique  ! 

Aussi-tôt  qu'un  prisonnier  est  entré,  on  lui 
coupe  les  cheveux ,  on  le  lave ,  on  lui  donne  des 
vêtemens  nouveaux ,  et  il  est  enfermé  dans  l'es- 
pèce de  cellule  prescrite  par  le  tribunal  qui  l'a 
condamné.  Son  crime  est-il  du  nombre  de  ceux 
qui  emportoient  jadis  la  mort?  Cette  cellule  est 


â58  Y    p    Y   A    G   E 

profondément  obscure  5  il  ne  voit  et  n'entend 
plus  rien  :  c'est  le  néant  du  tombeau.  Tous  les 
matins  le  geôlier  ,  auquel  il  est  strictement  dé- 
fendu de  parier ,  lui  apporte  sa  pitance  de  pain 
et  d'eau.  Là  il  expie ,  pendant  le  temps  pres- 
crit, au  milieu  des  plus  cruelles  réflexions,  le 
crime  qu'il  a  commis ,  ou  les  torts  qu'il  a  eus 
envers  la  société. 

Tel  est  le  dernier  degré  de  sévérité  que  les 
nouvelles  loix  de  la  Pensylvanie  permettent 
d'exercer  pour  tous  les  délits  qui  ne  sont  pas 
meurtre  prémédité.  Le  second  degré  est  une  cel- 
lule également  solitaire,  mais  éclairée.  Le  troisiè- 
me ,  une  cellule  plus  grande,  dans  laquelle  il  est 
permis  au  prisonnier  de  lire  et  de  s'occuper.  Le 
quatrième,  enfin,  est  de  travailler  avec  les  autres. 

A  l'exception  de  l'aile  occupée  par  ces  cel- 
lules ,  tout  le  reste  de  cette  prison  ressemble  à 
nne  grande  manufacture  dans  laquelle  personne 
n'est  oisif:  ici  on  voit  des  tailleurs  ,  des  cordon- 
niers, des  tisserands  ;  là  des  armuriers,  des  ser- 
ruriers ,  des  cloutiers.  Avec  le  prix  de  leur  tra- 
vail, qui  est  celui  de  la  ville,  ils  payent  à  la 
maison  leur  modique  dépense  :  le  reste  est  pour 
eux.  On  en  a  vu  sortir  plus  riches  qu'ils  ne 
Favoient  jamais  été.  Par-tout  régnent  le  silence 
et  la  décence;  il  ne  leur  est  permis  ni  de  rire  ni 
de  chanter,  pas  même  de  parler  5  si  ce  n'est  pour 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANlE.     2$^ 

des  choses  indispensables.  La  terreur  inspirée 
par  le  solitary  confinement  ^  ainsi  que  le  ré~ 
gime  diététique  auquel  les  prisonniers  sont  sou- 
mis ,  adoucit  les  caractères  les  plus  farouches  , 
et  maintient  tout  dans  Tordre  le  plus  parfait. 

Cette  prison  est  gouvernée,  ou  plutôt  admi- 
nistrée par  douze  directeurs,  annuellement  élus 
parmi  les  citoyens  de  la  ville  ;  et  ce  sont  toujours 
les  plus  respectables  sur  lesquels  ce  choix  tombe. 
Trois  de  ces  directeurs  forment  un  comité  d'ins- 
pection 5  qui  la  visite  deux  fois  la  semaine,  et 
souvent  tous  les  jours.  La  nouvelle  loi  criminelle 
a  voulu  que  le  Gouverneur  de  FEtat,  le  Maire 
de  la  ville  et  les  Juges  de  la  haute  Cour,  en 
fussent  aussi  les  inspecteurs  nés.  Du  rapport  que 
fait  le  comité  à  l'assemblée  générale  des  direc- 
teurs, lorsqu'il  est  appuyé  par  Fopinion  des 
Juges ,  dépend  le  sort  de  chaque  prisonnier  ^  ces 
rapports,  plus  ou  moins  favorables ,  sont  fondés 
sur  sa  conduite  et  sur  les  progrès  de  son  repentir  ; 
car  la  douce  espérance  n'a  pas  été  bannie  de 
cette  maison ,  devenue  un  lieu  de  retraite  plutôt 
que  de  châtiment.  Quels  heureux  effets  ce  puis- 
sant ressort  ne  produit-il  pas  tous  les  jours  ? 

Les  prisonniers  changent  de  linge  et  sont 
rasés  deux  fois  la  semaine ,  et ,  autant  de  fois  par 
mois,  on  les  mène  au  bain.  Leur  nourriture  jour- 
nalièi'e  est  du  bouillon  et  du  pudding  fait  avec 


iî45  V  d  Y  A  <:>  E 

de  la  farine  de  maïs  j  ils  ne  mangent  de  la  viande 
que  le  dimanche  et  le  jeudi,  et  sous  quelque 
prétexte  que  ce  puisse  être,  ils  ne  boivent  ja- 
mais que  de  Feau  :  admirable  régime,  qui  main- 
tient l'esprit  et  le  corps  dans  un  état  de  quiétude 
et  de  calme  extrêmement  utile  aux  progrès  de 
leur  régénération  î  Idée  digne  de  Pythagore  ! 

Les  femmes,  séparées  des  hommes,  se  livrent 
aux  occupations  convenables  à  leur  sexe,  le 
nombre  en  est  petit.  Tous  les  dimanches ,  les 
prisonniers  libres  assistent  au  service  divin  , 
qui,  suivant  Fusage,  est  toujours  suivi  d^un ser- 
mon. Les  ministres  ne  se  bornent  point  à  ce  de- 
voir ,  ils  se  mêlent  avec  les  prisonniers ,  con- 
versent avec  eux,  les  consolent,  les  encouragent 
et  les  instruisent.  Il  est  difficile  de  se  former  une 
idée,  sans  en  avoir  été  le  témoin,  du  bien  que 
fait  la  pénétrante  et  vivifiante  onction  de  ces 
entretiens  :  c'est  la  rosée  du  ciel  qui  ranime  des 
plantes  depuis  long-temps  flétries  ;  c'est  le  baume 
de  la  Mecque  appliqué  sur  des  ulcères  vieillis. 

Et  ces  anges  d'inspecteurs,  dont  j'ai  si  sou- 
vent admiré  le  zèle  et  l'inépuisable  charité  ^ 
combien  ne  contribuent-ils  pas  aussi,  par  le  puis- 
iBant  attrait  de  l'espérance,  dont  seuls  ils  sont 
les  dispensateurs  ,  ainsi  que  par  la  vénération, 
qu'inspirent  leurs  vertus, à  ramener  ces  hommes 
égarés  ausentimentde  lapénitence,  et  à  la  crainte 


DANS    Lzi    HAUTE   PENSYLVANIE,     24l 

^e  Dieu ,  et  à  les  rendre  dignes  de  redevenir  des 
membres  utiles  de  la  société  ?  Car  lorsque  la 
conduite  d'un  prisonnier  a  long-temps  mérité 
leur  approbation  ,  non-seulement  ils  se  font  un 
devoir  de  le  recommander  et  de  le  placer  avan- 
tageusement aussi- tôt  que  le  temps  de  son  ex- 
piation est  fini,  mais  quelquefois  ils  contribuent 
à  en  abréger  la  durée. 

Personne  ne  peut  entrer  dans  cette  prison 
sans  une  permission  expresse,  signée  d'un  des 
inspecteurs,  et  ils  en  accordent  difficilement. 
On  y  voit  aussi  une  grande  et  belle  infirmerie  , 
où  les  malades  sont  bien  soignés^  mais  ils  y  sont 
rares.  Le  travail ,  la  propreté ,  et  le  régime  de 
sob  riété  auxquels  ils  sont  soumis ,  sont  devenus 
un  admirable  préservatif  de  leur  santé. 

Je  me  croirois  coupable ,  si  je  terminois  ce 
foible  récit  sans  parler  de  celui  à  qui  FAmé-î 
rique-Unie,  et  un  jour  FEurope,  je  Fespère, 
devra  la  réforme  du  code  pénal  et  celle  des  pri-- 
sons ,  dont  les  dispositions  et  le  régime  ont  été 
jusqu'ici  si  barbares.  Pourrois-je  ne  pas  nom- 
^ner  Caleb-Lowndes,  ce  vertueux,  ce  respec- 
table membre  de  la  société  des  Quakers ,  à  qui 
la  piété,  fondée  sur  les  plus  sublimes  principes, 
ainsi  que  Famour  de  ses  semblables  ,  ont  inspiré 
le  zèle,  la  constance,  la  persévérance  nécessaires 
pour  amener  un  aussi  grand  changement  ?  Car 

III.  *  Q 


243  Voyage 

le  bien  ne  se  fait  que  difficilement  dans  tous  les 
temps  et  dans  tous  les  lieux.  Combien  d'obs- 
tacles n'a-t-il  pas  eus  à  surmonter  !  Avec  quelle 
douce  patience  n'a-t-il  pas  supporté  les  refus , 
les  dégoûts  et  les  contradictions  ? 

A^T^anteu  enfin  le  bonheur  de  transmettre  dans 
l'esprit  d'un  des  amis  (*) ,  l'intime  conviction 
dont  il  étoit  pénétré ,  et  à  enflammer  son  cœur 
du  désir  de  faire  un  grand  bien,  ces  deux  per- 
sonnes 5  dont  les  noms  ne  doivent  jamais  être 
oubliés,  parvinrent  à  persuader  les  juges  et  à 
éclairer  le  corps  législatif,  qui  s'empressa ,  à 
r unanimité ,  de  donner  la  sanction  de  la  loi  à 
cette  double  réforme,  l'une  des  plus  importantes 
et  des  plus  mémorables  de  ce  siècle. 

Qu'il  soit  donc  permis  à  un  étranger,  long- 
temps témoin  de  leur  courage  et  de  leurs  efforts  ^ 
Ion  g -temps  admirateur  de  leur  généreux  dé- 
Vouement  ,  de  les  citer  comme  l'ornement  de 
leur  patrie,  et  méritant  la  reconnoissance  des 
hommes. 

Ne  verrai-je  jamais  quelques-uns  de  ces  ger- 
mes transplantés  dans  ma  patrie  ?  Son  sol,  qui  ^ 
depuis  des  siècles ,  nourrit  tant  de  plantes  indi- 
gènes et  exotiques ,  leur  seroit  pour  le  moins 
aussi  favorable  que  celui-ci.  Si  la  mer  etles  venta 

Km  ■  ■  ' I      .  .  ■ 

C^)  M.  Bradford  ^  avocat  général  de  la  Pensylvanie^ 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLTANIE.     21^ 

me  sont  propices  ,  je  la  reverrai  avant  un  an, 
cette  terre  natale  ,  de  qui  je  tiens  la  vie  et  l'édu- 
cation ,  et  qui  conserve  en  son  sein  les  cendres 
de  mes  ancêtres  ,  auprès  desquelles  les  miennes 
seront  déposées. 

Semblable  à  une  abeille  qui ,  partie  de  sa 
ruche  dès  l'aube  du  jour ,  n^j  revient  que  vers 
le  soir,  et  y  rapporte  ce  qu'elle  a  soigneusement 
recueilli  de  plus  précieux ,  de  retour ,  après  une 
absence  de  tant  d'années ,  j'oserai  ,  quoiqu'in- 
connu  5  parler  de  ce  que  j'ai  vu  ,  de  ce  que  j'ai 
observé  d'utile  dans  mes  longs  voyages.  Ma  trop 
foible  voix  ne  sera  pas  entendue  ,  je  le  crains  5 
mais  qu'importe  !  j'aurai  rempli  un  devoir  sa- 
cré, acquitté  une  dette  imprescriptible.  D'autres 
voyageurs ,  plus  distingués  que  moi  par  leurs 
talens  ,  et  non  par  leur  zèle  ,  écriront  et  seront 
favorablement  écoutés:  je  ne  désespère  donc  pas 
de  voir  adopter  le  code  criminel  de  la  Pensyl- 
vanie  ,  le  nouveau  régime  de  ses  prisons ,  les 
sociétés  de  marine ,  les  caisses  d'épargnes  ,  les 
dispensaries y^c.  dans  un  pays  où  l'on  n'a  qu'à 
vouloir  pour  opérer  des  prodiges. 

D'ailleurs  ,  ne  touclions-nous  pas  à  la  fin  du 
18^  siècle  ?  Tout  ne  nous  annonce-t-il  pas  que 
celui  qui  arrive  sur  les  ailes  du  temps  ,  amène 
à  sa  suite  une  de  ces  grandes  et  mémorables 
époques^  destinées  à  faire  naître  des  concep- 

42 


244  VOYAGE 

tions  et  des  choses  jusqu'ici  ignorées,  inap- 
perçues ,  ainsi  que  tout  ce  que  les  facultés  et 
rindustrie  humaine  peuvent  enfanter  de  bon  et 
d'utile  ? 


DANS  LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     245 


CHAPITRE    X. 

J'ÉTois  depuis  quelque  temps  chez  M.  G., 
chef  d'une  des  premières  familles  de  New-York, 
et  mon  ancien  ami ,  dont  la  plantation  est  si- 
tuée sur  les  fertiles  rivages  de  la  Passaïck  (i), 
dans  FEtat  de  New- Jersey  ,  lorsque  M.  Her^ 
man ,  que  je  croyois  encore  à  Nantuket ,  où  il 
devoit  séjourner  plusieurs  semaines ,  vint  me 
retrouver  ,  et  partager  la  douce  hospitalité ,  et 
les  instructives  conversations  dont  je  jouissois 
chez  ce  respectable  colon.  Quoiqu'élevé  dans  le 
commerce,  et  ayant  passé  une  partie  de  sa  vie  à 
Ste-Croix  (2)  ,  M.  G. ,  plus  sage  que  tant  d'au- 
tres négocians,  que  la  cupidité  ou  l'habitude 
retiennent  dans  leurs  comptoirs  jusqu'aux  ap- 
proches delà  vieillesse,  s'étoit  prescrit  un  maxi- 
mum de  fortune,  auquel  il  ne  fut  pas  plutôt 
arrivé  ,  qu'il  abandonna  les  affaires ,  et  vint 
dans  cette  charmante  retraite  jouir  de  ses  ri- 
chesses 5  et  d'une  douce  oisîveté  ;  si  on  peut 
appeler  oisif  celui  qui  s'occupe  des  soins  de  la 
culture  5  des  combinaisons  de  l'irrigation ,  de 
l'éducation  de  pépinières ,  de  l'inspection  d'un 
grand  jardin,  et  enfin,  de  la  lecture  de  bons 
livres ,  cette  délicieuse  nourriture  de  l'ame. 


246  VOYAGE 

M.  Herman  nous  entretint  des  nombreuses 
observations  qu'il  avoit  faites  pendant  son  séjour 
à  Nantuket ,  île  de  sable ,  fécondée  ,  enrichie 
par  l'industrie  et  les  entreprises  maritimes  des 
pêcheurs  qui  l'habitent.  C'est  un  prodige ,  en 
effet  5  que  d'avoir  pu  s'élever  dans  l'espace  de 
70  ans  5  de  la  possession  de  quelques  Whale-- 
Boats  (3) ,  avec  lesquels  leurs  pères  allôient  à 
îiuit  ou  dix  milles  des  côtes  attaquer  la  baleine  5 
à  celle  d'une  flotte  de  5o  voiles  ,  qui  vont  au- 
jourd'hui sous  toutes  les  latitudes  poursuivre  et 
harponner  cet  énorme  poisson. 

Quoique  mon  compagnon  connut  très-bien 
tout  ce  qui  a  rapport  à  la  société  des  Quakers  , 
il  fut  cependant  si  frappé  de  ce  qu'il  vit  parmi 
les  habitans  de  cette  île  de  25,000  acres,  de  leur 
intelligence  j  de  l'audace  de  leurs  entreprises  et 
de  leurs  succès  3  qu'il  ne  cessa  de  nous  en  entre- 
tenir pendant  les  deux  premiers  jours.  Ce 
voyage  avoit  si  considérablement  enrichi  son 
journal,  que  M.  G.  ne  pouvait  concevoir  com- 
ment ce  petit  monceau  de  sable  avoit  pu  faire  naî- 
tre tant  d'idées,  et  ces  idées  remplir  tant  de  pages. 

Cela  ne  m'étonne  point ,  lorsque  je  me  rap- 
pelai l'effet  que  la  contemplation  des  mêmes 
objets  avoit  produit  sur  mon  esprit ,  il  y  a  plus 
de  20  ans.  M.  Herman  nous  dit  que  les  fa- 
îîiilles  de  Sherburn  ,  qui  s'étoient  établies   à 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     Slij 

Dunkerque  en  1786 ,  ven oient  d'en  arriver ,  1q 
but  de  leur  séjour  dans  cette  ville  ayant  été  dé- 
truit par  la  guerre  ,  et  qu^à  la  paix  elles  comp- 
toient  y  retourner.  Il  nous  parloit  des  paquebots 
qui  vont  et  viennent  le  long  de  cette  île  au  conti- 
nent, des  commodités,  de  la  propreté  de  celui  qui 
Favoit  porté  à  New- York ,  lorsque  M.  G.  nous 
communiqua  les  observations  suivantes. 

((  Il  faut  en  convenir ,  le  nombre  de  ces  bâti- 
mens  s'est  considérablement  accru,   depuis  la 
consolidation  du  nouveau  Gouvernement  5  cela 
est  vraiment  étonnant.  Ce  n'est  qu'à  cette  épo- 
que ,  qu'il  s'est  établi  une  liaison ,  un  rapproche- 
ment intime  entre  ces  Etats,  par  mer  et  par 
terre.  De  tous  côtés,  particulièrement  dans  ceux 
du  centre  et  du  nord  ,  on  ouvre  des  routes  ,  on 
améliore  celles  qui  existent ,  on  construit  des 
ponts  ,  on  voit  circuler  des  diligences.    Dans 
tous  les  ports  ,  on  a  établi  des  paquebots ,  sans 
cesse  occupés   à  transporter  aux  capitales  les 
denrées  de  l^wc  canton ,  ainsi  que  les  voyageurs. 
Ces  vaisseaux  forment  une  navette ,  qui  s'étend 
d'une  extrémité  des  Etats-Unis  jusqu'à  l'autre, 
c'est-à-dire,  depuis  la  baie  de  Passamoquidy  , 
au  nord  ,  jusqu'aux  rivières  Alatamaha  et  Ste- 
Marie,  au  sud  (^).  Le  nombre  et  le  tonnage  de 

{J^ )  D'après  les  regi^res  ^e  la  poste,   on  compte 


S48  VOYAGE 

ces  vaisseaux  sont  beaucoup  plus  considérables 
qu'on  ne  pense  )). 

((  En  1785 ,  il  entra  à  Philadelphie  1068  bâ- 
timens,  dont  667  étoient  des  caboteurs  venant 
de  différons  Etats.  En  1788 ,  il  y  en  entra  867  j 
4 10  de  ce  nombre  étoient  aussi  des  caboteurs. 
Nous  avons  trois  embarcadères  sur  cette  rivière, 
qui  est  à  peine  navigable  pendant  1 5  milles  ,  et 
chacun  en  a  au  moins  deux,  employés  toute 
Fannée  à  transporter  à  New-York  les  produc- 
tions de  l'industrie  et  de  la  culture.  Il  en  est  de 
même  sur  tous  les  creeks  qui  tombent  dans  la 
grande  baie ,  ou  débouchent  dans  l'Océan.  Aussi 
en  voit-on  des  centaines  arriver  et  repartir  de 
New- York  ,  à  chaque  marée.  Les  uns  viennent 
du  Connecticut ,  de  Massachussets  ,  de  File  de. 
Rhodes ,  de  File  Longue ,  &c.  Les  autres  des 
Etats  méridionaux  de  Nantuket ,  de  Philadel- 
phie, d'Albany,  ainsi  que  des  différons  embar- 
cadères de  la  rivière  Hudson  ,  qui  en  fournis- 
sent plus  de  3oo  ». 

<(  Mais  pour  vous  donner  une  idée  plus  pré- 

1710  milles  (5 10  lieues)  depuis  îa  baie  de  Passamoquidy, 
dans  le  fond  de  laquelle  tombe  la  rivière  Sainte-Croix^ 
qui  sépare  les  Etats-  Unis  de  la  Nouvelle-Ecosse,  jusqu'à 
îa  rivière  Sainte-Marie,  qui  sépare  la  Géorgie  de  la. 
Floride  orientale. 


DANS   liA    HAUTE   PENSYLVANIE.     249 

cise  de  Fimportance  de  ce  cabotage  ,  et  de  celle 
delà  pèche  de  la  morue  sur  les  grands  bancs  , 
je  veux  vous  faire  voir  le  tableau  que  j'en  ai 
tracé  sous  les  yeux  d^un  homme  très-instruit 
dans  tous  les  détails  de  notre  économie  {consul- 
tez le  tableau  ci-après  )  ;  vous  ne  verrez  peut- 
être  pas  sans  quelqu^étonneraent,  que  le  ton- 
nage des  goëlettes  pêcheuses  et  des  vaisseaux 
caboteurs  ,  constitue  presqu'un  tiers  de  celui  de 
notre  navigation.  Ces  deux  branches  d'industrie 
forment  une  pépinière  ,  ou  plutôt  une  école  , 
d^où  sortent  annuellement  un  grand  nombre 
d'excellens  marins  y> . 


25o 


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o       -I       CStC^LOCD       r--oo 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  25i 
«  Je  suis  fâché  de  n'avoir  pas  pu  obtenir  des 
renseignemens  assez  surs  ,  pour  pouvoir  distin- 
guer parmi  les  vaisseaux  expédiés  de  nos  ports , 
ceux  qui  sont  destinés  pour  les  Antilles  (4)  :  la 
quantité  et  la  variété  des  objets  que  nous  four- 
nissons à  ces  îles,  sont  prodigieuses  5  car  c'est  à 
ce  continent  qu'elles  doivent  en  partie  leur  pros- 
périté 5  fondée  sur  la  facilité  de  nourrir  leurs 
nègres  )). 

c(  En  1788  ,  la  seule  ville  de  Philadelphie  en- 
voya aux  Antilles  Anglaises  68,287  barils  de  fa- 
rines ;  et  l'exportation  entière  de  la  Pensylvanie 
ne  fut  cette  même  année ,  que  de  22o,6o5  :  jugez 
de  ce  que  les  iles  Françaises  ,  Danoises ,  Espa- 
gnoles, &c.  ont  dû  recevoir  des  autres  Etats, 
On  évalue  ces  fournitures  annuelles  à  6  ou 
700,000  liv.  sterling  )). 

«Voici  un  autre  apperçu  de  la  navigation 
intérieure  et  extérieure  du  port  de  New- York , 
pour  cette  même  année  1788  (  voyez  le  tableau 
ci-contre  )  ,  deux  ans  avant  l'établissement  du 
nouveau  Gouvernement ,  époque  où  je  me  re- 
tirai du  commerce  ;  vous  y  verrez  joint  celui 
des  constructions  ,  depuis  1784  jusqu'à  la  fin  de 
cette  même  année  1788.  Je  sens  combien  vous 
seriez  encore  plus  en  état  de  juger  de  nos  pro- 
grès ,  si  je  pouvois  vous  faire  voir  les  mêmes 
détails  pour  cette  année-ci  3  mais  ne  le  pouvant 


203  V   O   Y    A    G   B 

pas  depuis  que  je  m'occupe  de  la  culture  de* 
mes  champs  et  de  mes  acacias  ,  vous  jugerez  du 
point  où  nous  étions  il  y  a  dix  ans ,  et  de  celui 
d'où  nous  étions  partis  quatre  ans  auparavant  : 
ce  point  de  départ  et  oit  zéro  ;  car  les  Anglais,  en 
abandonnant  notre  ville  le  26  novembre  1785 , 
ne  nous  laissèrent  pas  un  seul  vaisseau,  pas  une 
goélette  ni  un  sloop  ». 

((  Imaginez  que  la  plupart  de  ces  objets  sont 
triplés  ,  les  autres  doublés  ,  et  alors  vous  aurez 
une  idée  assez  juste  des  progrès  de  notre  com- 
merce 5  de  notre  cabotage ,  ainsi  que  de  notre 
agriculture  et  de  notre  population  (6).  Je  suis 
persuadé  que  le  tonnage  des  vaisseaux  apparte- 
nans  à  la  ville  de  New- York ,  se  monte  aujour- 
d'hui à  22O5O00  tonneaux.  La  navigation  seule 
du  Hudson  emploie  plus  de  5oo  sloops  ,  depuis 
4o  jusqu'à  70  tonneaux.  Cette  ville,  d'ailleurs, 
est  renommée  pour  la  solidité  et  la  promptitude 
avec  laquelle  on  y  fait  les  réparations  et  les  ra- 
doubs.  Voilà  pourquoi  il  y  entre  annuellement 
un  si  grand  nombre  de  vaisseaux  Européens  ». 

a  En  réfléchissant  à  la  cherté  de  la  main- 
d'œuvre  ,  dit  M.  Herman ,  on  conçoit  difficile- 
ment comment  cela  peut  arriver^  je  croirois,  au 
contraire ,  qu'on  les  répareroit  à  meilleur  compte 
dans  les  ports  de  l'Europe  ». 

«  Il  y  a  cependant  bien  de  la  difTérence ,  ré-= 


Tome  1 1 1 ,  page.  a^Q. 


Tableau  de  la  Navigation  inLérieure,  extérieure,  et  du  Commerce  de  la  ville 
de  New- York,  pendant  l'année  1788,  deux  ans  avant  l'établissement  et 
kl  consolidation  du  nouveau  Gouvernement. 


Nombre  de  sli)ops  qui  laisoionl  alors  le  cabotage  de  la  rivière  do  Iludson 

Ils  l'ont  conununéiiienl  dix  voyages  par  im,  ce  qui  donne  un  tonnage  de.  .  .  . 

Nombre  de  sloops  allant  et  venant  de  Tile  Longue  à  New- York 

Ils  l'ont  pai-  an  de  huit  à  quatorze  voyages 

Nombre  de  vaisseaux  exjicdiés  des  ports  de  l'île  Longue,  destinés  à  la  pêche  de 

la  morue  ,  de  la  baleine  ,  on  aux  Antilles • 

Nombre  de  sloops  de  Tîle  des  Etats  [*)  ,  occupés  de  la  pèche  du  poissonfrais  pen- 
dant l'cté  ,  et  allant  pendant  l'hiver  faire  le  cabetagc  des  Etats  méridionaux. 

Grand  Cabûtct^e. 


1788. 


'  Nombre  de  vaisseaux  caboteurs ,  venant  des  Etats   septentrionaux , 

entrés  à  New-York 

Sortis  de  New-York .  allant  à  ces  mêmes  Etats 

Nombre  de  bàtimens  caboteurs  venant  des  Etats  méridionaux 

""Sortis  de  New- York  pour  ces  mêmes  Etats 


1-84, 
17S5. 

irS6. 

1787. 


ni»- 

[Nombre  de  voiles  entrées  à  New-York  .  y  compris  les  bàtimens  cabo- 

/        teurs 

[^      Idem  ,  sorties 

f  Nombre  de  voiles  enti'ées  à  New- York,  idem 

\      Idem ,  sorties 

(  Nombre  de  voiles  entrées  à  New-York,  idem 

1      Idem, ,   sorties 

f  Nombre  de  voiles  entrées  à  New- York  ,  idem 

1      Idem  ,  sorties 

{  Nombre  de  voiles  entrées  à  New- York  ,  idem 

\      Idem, ,  sorties v 


Nombre  des  brigantins  ,  sloops  et  goélettes  expédiés  de  New-York  ,  du  New- 
Jersey  et  de  G^nnecticut ,  pour  les  îles  françaises,  chargés  de  merrain,de 
planches  ,  de  comestibles  ,  de  chevaux  .  bœufs  ,  moutons ,  etc. 


Alontant  des  exportations  pour  cette  année,  <m\  y  comprenant  les  cspùccs. 

L'article  seul  de  la  potasse  se  montoit  à 

Celui  des  jambons  ,  bœuf  et  lard  salé  ,  à.      17442  barils  ,  valant 

i   Celui  du  bled  et  autres  grains ,  à. 5 1 5,ooo  boisseaux 

Celui  des  farines  ,  à 61 1 25  barils 

Celui  du  biscuit ,  à 42gG5  barils 

Celui  de  la  graine  de  lin  ,  à 42o42  barils 

Ivlontant  des  impositions  pour  cette  même  année 

Elles  ont  cessé  depuis  l'établissement  du  Gouvernement  général. 


(*)  Staten-Iiland. 


l45 
C4 

18 

54 


91 

25G 
228 
180 


Cil 

743 

C69 

925 
1009 

788 
7G8 

9^4 
954 


19G 


Tenu, 

5():^H 

5oi)()() 

28H00 

28S0 

21  Go 


54no 
12200 

24b00 

18700 


65io5 
66870 
7i4io 
67925 
8525o 
90810 

70970 
72120 

8883o 

90760 


17  6^0 


Piastres. 

3,ooo,ooJ 

7)00,0(0 

i42,4o7 

440,187 

290,542 

94,G45 

60;OÛO 


Tome  m  ,  pa 


TABLEAU 


Des  Constructions  et  des  Radoubs  faits  à  New- York  et  dans  l'Etat,  depuis  le  premier  janvier  i'784  ,  jusqu'au  dernier  décembre  i' 


C  O   A  S  T  R  U  C  T  I  O  N  S. 


VAISSEAU  X. 


B  R  I  G  A  N  T  I  N  S. 


P  I  L  O  T     B  O  A  T  S. 


RADOUBS. 


et  alongés. 


Augnienlat. 
d'un  pont. 


Bordag 
hauts  n 


Réparations 
ordinal 


Greyhounti. .  .  , 

Le  York 

Total . 


Construit  à  New-Rochelle. 


c-Brancli. . 
,  Espagnol. 


Sur  les  chantiers, 
vaisseau  de  25o  tomleaux. 


à  Kaat's-Kill. 


La  Sally I  320 


895 


Construits  à  Hudson. 


4oo  oak. 

(i  biigunliua Wlei5oài8ol      ggo  \  idem. 

G  stoojis I  —  f)5  —  70  I     <i02  I  idem. 

Total  tin  Umnafie 


A  Jluntington  , 

ur  l'iU  Longue. 

4  brigaïUins |  ile  i5oà 

180  1     (5Go  1    oak. 

4  5 

-•/  Cow-Bay,  s 

ir  l'île  Longue. 

2  bi'igantiiis de  !  20  à 

70        290       oak. 

4.8 

Dans  ics  autres  /un 

rcs  de  Vile  Longue. 

71  sloops de  45  à  70       4047       oak.       3 


RÉCAPITULATION. 
TOTAL  DES   CONSTRUCTIONS   DEPUIS   LA   PAIX, 


4  pilot-boats. . 


A  Eusopus. 


A  Hudmn. 
£  j  C  brigantins,  fisloops. 
A  Kaat'B-Kill. 


A  New -Rochelle. 
1  vaisseau.  .  ^ jaugeant. 

Ii>le  Longue. 

6  brigaatîjis ,  71  sloops 

Hii^ière  du  Nord. 

1 35  sloops 

Isle  dei  Etatti. 
25    sloops 


RESULTAT  DU   TONNAGE. 


1  »   brigailtill».  . 

a.38  sloops 

4  pi  lot-boa  ta. 
1  soclctle.  .. 


Total  du  tonnage 
Augmentation  de  tonnage  sur  lo  brigantins  sciés  en  di 


..leshiinescilcsvei 


,  do  la  Caiolir. 

nuàtiiitdator 
lé  il!  Icr  qui  do. 


,ei)ten[riouaIe.  Le  i 


RADOUB, 


N"    1. — Vaisseaux  de  100  à  i5o  tonneaux. 

_   2.  _  Idem de  100  à  3oo 

—    3.  — Idem,  de  toutes  les  gi-andeurs 


Le  pound  de  New-York  étant  composé  de  2oschcIUiigs ,  le  schelling  étant  la  haitième  partie  d'une  piastre  ,et  cette  piastre  valai 

'■      ''  ■    urnoi3,lepoundoulalivredeNew-Yorkest<it>alcài31iv.  6  sous  tournois.  Au  moyen  de  ce  calcul ,  on  verra  que  le  pr 

■  '    ""  à  i35  liv.  le  tonneau.  Quant  à  ce  ciuVn  appelle  bateaux-pilotes,  ces  belles  fioêlettes  étant  desiiuéi 


51iv.  6 


nposé  de  20  schcIUiics ,  le  schellinE  étant  la  hait 

lalivredeNew-Yo  ■     '--'--'- 

..  ài35liv.  letonnea 
che  la  plus  rapide  à  une  grande  force  de 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     5t53 

pîiqua  M.  G. ,  cela  vient  de  celle  du  prix  des 
mâtures  ,  du  goudron  et  du  bois  y  objets  que  ce 
continent  fournit  à  beaucoup  meilleur  marché 
qu'on  ne  les  trouve  en  France  ou  en  Angleterre, 
La  Pensylvanie,  la  Virginie  ,  le  Maryland  et  le 
Massachussets  5  jouissent  des  mêmes  avantages  j 
mais  New-York  étant  située  au  centre  du  con- 
tinent et  à  1 1  lieues  seulement  de  la  mer  ,  il  est 
beaucoup  plus  facile  d'y   arriver.  D'ailleurs  , 
nous  jouissons  de  l'inappréciable  avantage  de 
tirer  de  la  Géorgie  le  chêne  verd ,  et  de  la  Vir- 
ginie le  cèdre  et  le  mûrier,  dont  nous  avons  be- 
soin ,  et  c'en  est  un  bien  grand  pour  un  peuple 
maritime.  Les  vaisseaux  dans  la  construction 
desquels  on  s'en  sert,  sont  plus  chers,  à  la  vé- 
rité ,  comme  vous  pouvez  le  voir  dans  le  tableau 
ci-contre,  et  cela  doit  être  ainsi,  attendu  la  force 
et  la  longue  durée  de  ces  bois.  Un  vaisseau,  dont 
les  hauts  sont  de  cèdre  ,  de  pin  résineux  ou  de 
mûrier,  marche  presque  toujours  mieux,  parce 
qu'ils  sont  beaucoup  légers  ,  quoiqu' aussi  forts 
que  si  on  y  avoit  employé  du  chêne  ordinaire  » , 
Après  avoir  parcouru  les  champs  de  M.  G.  , 
couverts  de  froment ,  de  maïs  ou  de  trèfle  ,  et 
être  revenus  au  bord  de  la  Passaïck,  qu'un  sloop 
remontoit  à  pleines  voiles  ,  nous  parlions  de 
l'agrément ,  de  l'avantage  d'habiter  dans  le  voi- 
sinage de  cette  jolie  rivière,  et  de  n'être  qu'à 


254  VOYAGE 

une  si  petite  distance  de  New -York  ,  lorsque 
M.  Herraan  lui  dit  :  combien  ne  devez-vous 
pas  vous  applaudir  d'avoir  su  de  si  bonne  heure 
préférer  la  tranquillité,  la  douce  indépendance 
de  la  vie  champêtre,  au  chaos,  aux  inquiétu- 
des du  commerce  et  des  affaires  !  Voilà  la  vraie 
philosophie  :  faire  sa  fortune  lorsqu'on  est  jeune, 
en  jouir  pendant  le  déclin  de  la  vie.  Je  connois 
sur  les  bords  du  Hudson  ,  du  Mohawk  et  du 
Connecticut ,  des  situations  plus  imposantes  que 
celle-ci  ^  mais  je  n'en  ai  point  encore  vu  d'aussi 
douce  ,  ni  d'aussi  agréable.  Chaque  marée  vous 
apporte  le  poisson  dont  vous  avez  besoin,  au 
moyen  de  ces  filets  ingénieux  placés  à  l'extrémité 
de  ce  treillage.  Il  n^arrive  rien  de  l'Europe,  que 
TOUS  ne  puissiez  en  être  informé  dans  l'espace 
de  quelques  heures  :  tout  ce  que  vous  envoyez 
au  marché  s'embarque  à  votre  quai ,  avec  une 
extrême  facilité  j  vous  jouissez  ,  sans  aucun  in- 
convénient ,  de  tous  les  avantages  que  procure 
le  voisinage  d'une  grande  ville. 

«  J'en  conviens ,  reprit  M.  G. ,  les  contours , 
la  pente  douce  des  bords  de  cette  rivière ,  leur 
fertilité,  l'état  d'amélioration  du  pays  à  travers 
lequel  elle  serpente  ,  depuis  sa  cataracte  jusqu'à 
son  embouchure  ,  tout  cela  ressemble  un  peu  à 
ce  que  j'ai  vu  en  Europe.  Vous  n'êtes  pas  les 
premiers  étrangers  qui  ayez  paru  étonnés  de  voir 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     255 

des  habitations  aussi  riantes ,  des  champs  et  des 
Tergers  aussi  bien  soignés.  Savez-vous  qu^àl^ex- 
ception  de  quelques  établissemenssur  les  bords 
du  Cohansey,  à  Ténécum,  Christiana  ,  Wi- 
coco  (^) ,  &c.  5  fondés  vers  le  commencement  du 
16**  siècle  5  par  les  Suédois  et  quelques  familles 
finlandoises ,  le  défrichement  de  ce  canton  est 
un  des  plus  anciens  de  cette  partie  des  Etats- 
Unis?  Il  y  a  près  de  1 68  ans  que  le  premier  arbre 
en  fut  abattu.  La  bonté  du  sol ,  le  voisinage  de 
New- York,  où  l'on  peut  aller  en  moins  de  trois 
heures,  depuis  que  les  ponts  et  la  chaussée  de  Ber- 
gen sont  terminés ,  la  proximité  de  New-Ark  (6), 
le  plus  beau  village  du  continent,  où  Ton  trouve 
facilement  des  ouvriers  et  des  artisans  5  telles 
sont  les  causes  qui  ont  contribué  à  rendre  cette 
partie  du  New-Jersey  très-habitée,  et  beaucoup 
plus  soigneusement  cultivée  par  l'intérieur. 

Ce  pays  est  rempli  de  cèdres  rouges  et  blancs, 
avec  le  bois  desquels  on  fait  ici  une  tonnellerie 
très-reclierchée  ;  les  vases  de  la  rivière ,  la  terre 
que  Von  tire  des  fossés  de  ces  vastes  prairies  de 

(*)  C'est  le  nom  que  les  anciens  Lénopys  avoient 
«lonné  à  la  péninsule  sur  une  partie  de  laquelle  Pliila- 
d.elphie  a  été  construite  :  cet  emplacement  étoit  occupé, 
lors  de  l'arrivée  de  William  Penn,  par  plusieurs  familles 
suédoises  ^  hollandaises  et  indigènes. 


256  V    O   y    AGE 


New-Ark ,  ainsi  que  le  foin  salé  qu'elles  pro~ 
duisent,  sont  devenus  depuis  long-temps  une 
source  intarissable  d'engrais  ,  que  nous  trans- 
portons sur  nos  terres  pendant  les  neiges  de 
l'hiver.  D'ailleurs ,  notre  sol  végétal  y  qui  est 
profond  ,  reposant  sur  une  couche  de  glaise  , 
par-tout  on  rencontre  des  ruisseaux,  dont  l'in- 
dustrie tire  un  grand  parti  ;  voilà  pourquoi  les 
arbres  de  haute-futaie  et  les  vergers  croissent  ici 
avec  tant  de  rapidité,  et  sont  si  productifs.  Vous 
devez  avoir  entendu  vanter  la  bonté  du  cidre  de 
ce  canton ,  dont  on  envoie  annuellement  des 
quantités  considérables  dans  les  Etats  méridio- 
naux. J'en  ai  bu  en  Géorgie  qui  m'a  paru  encore 
meilleur  qu'ici.  J'eus  le  plaisir  d'en  faire  goûter 
au  général  Washington ,  il  y  a  deux  mois,  lors- 
qu'il vint  à  New-Ark,  à  l'époque  où  les  vergers 
de  ce  canton  étoient  en  fleurs  :  il  le  trouva  près- 
qu'aussi  délicat  que  celui  que  l'on  fait  en  Vir-- 
ginie  avec  des  pommes  sauvages ,  et  qui  est  connu 
sous  le  nom  de  Crabb-Apple-Cyder. 

Quoi  !  s'écria  M,  Herman,  vous  avez, -eu  le 
bonheur  de  recevoir  ce  grand  homme  sous  votre 
toit  5  et  celui  de  vous  entretenir  avec  lui  !  Le  vif 
intérêt,  le  respect  qu'inspirent  son  nom  et  ses 
Tertus,  m'ont  fait  chercher  ,  depuis  que  je  suis 
sur  ce  continent,  tous  les  moyens  de  lui  être 
présenté  5  mes  efforts  ont  été  inutiles  3  je  n'ai 


DANS   liA   HAUTE   PENSYLVANIE.     267 

pu  Fappercevoir  qu'à  l'église.  Plus  heureux  que 
moi  ,  un  jeune  négociant  de  S.-Malo  ,  dont  le 
voyage  à  travers  l'Océan  n'avoit  point  d'autre 
but,  ayant  été  chargé  d'une  commission  inté- 
ressante de  la  part  d'une  société  d'agriculture  , 
eut  le  bonheur  de  lui  être  présenté,  et  même 
d'être  invité  à  dîner  chez  lui.  Tout  cela  n'a  été 
l'ouvrage  que  de  dix  à  douze  jours,  après  l'ex- 
piration desquels  il  s'embarqua  pour  retourner 
clans  sa  patrie.  Un  peintre  qu'il  avoit  amené 
avec  lui  s'étant  placé  à  l'église  en  face  du  Gé- 
néral ,  parvint  à  en  faire  un  portrait  très-res- 
semblant. Si  vous  connoissez  quelques  détails 
sur  sa  vie  privée ,  vous  m'obligeriez  infiniment 
de  vouloir  me  les  communiquer  5  car  combien 
ne  doit  pas  être  intéressant  tout  ce  qui  a  rapport 
à  la  conduite  particulière  ,  aux  usages  et  à  la 
manière  de  vivre  d'un  homme  aussi  célèbre  ! 
Quant  à  sa  vie  publique  ,  j'ai  lu  avec  la  plus 
grande  attention  ce  que  l'Histoire  en  a  déjà 
consigné  dans  ses  fastes  )). 

«  Voici  ce  que  j'en  ai  entendu  dire,  répondit 
M.  G.,  et  ce  que  j'en  sais  par  moi-même.  Per- 
sonne n'a  jamais  mieux  connu  le  prix  du  temps, 
et  l'art  de  l'employer,  que  le  général  Washing- 
ton (7)  'j  il  est  très-laborieux ,  sans  cependant 
être  l'esclave  de  son  travail.  —  Ce  n'est  pas , 
dit-il ,  en  faisant  trop  à-la-fois,  mais  en  faisant 

ITT,  '  R 


«58  VOYAGE 

régulièrement  ce  que  chaque  jour  exige^  que  Von 
parvient  à  faire  beaucoup.  —  Toute  Fannée,  il 
ge  lève  à  cinq  heures  du  matin  ;  aussi-tot  levé,  ii 
s'habille,  et  fait  ses  prières  avec  un  grand  re- 
cueillement. Quelque  temps  après ,  il  va  voir  ses 
chevaux ,  les  examine  avec  soin ,  souvent  les  fait 
sortir,  et  donne  ses  ordres  aux  palefreniers.  Après 
la  visite  de  ses  écuries,  il  se  retire  dans  son  cabi- 
net, où  il  travaille  jusqu'au  déjeuner,  qui  est 
presque  toujours  du  thé  avec  des  galettes  de  maïs, 
dans  lesquelles  il  met  lui-même  du  beurre.  Il 
n'est  pas  le  seul  parmi  les  Virginiens  que  j^aie 
vu  préférer  Fusage  du  maïs  à  celui  du  froment. 
De-là  il  retourne  dans  son  cabinet ,  appelle  ses 
secrétaires  ,  et  parcourt  attentivement  leur  tra- 
vail )). 

a  Quant  à  ses  proclamations,  ses  discours  aux 
deux  chambres  du  Congrès ,  ses  réponses  aux 
nombreuses  adresses  qui  lui  sont  présentées ,  et 
aux  lettres  qu'il  reçoit ,  il  les  écrit  lui-même ,  ce 
dont  il  est  facile  de  se  convaincre,  lorsque  l'on 
connoît  son  style,  qui  a  une  mesure  et  une 
nuance  très-particulière.  Son  premier  discours, 
comme  Président  des  Etats-Unis,  est  un  modèle, 
non  de  déclamation  et  d'éloquence,  mais  de  sa- 
gesse ,  de  profondeur  et  de  grandes  pensées  )). 

ft  II  a  presque  tous  les  jours  à  diner,  des  délé- 
gués au  Congrès,  des  sénateurs ,  des  officiers  pu- 


DANS   LA  HAUTE    PENSYLVANIE.     269 

Lîics  ,  ainsi  que  ceux  des  étrangers  qui  lui  ont 
été  présentés.  Tout  ce  qui  sort  de  sa  table,  des- 
tiné à  l'usage  des  prisonniers  les  plus  indigens  y 
est  sur-le-champ  porté  à  la  geôle  :  cette  règle  a 
été  constamment  observée  pendant  tout  le  temps 
qu'il  a  résidé  à  New- York  en  qualité  de  Prési- 
sident  des  Etats-Unis  5  car  c'est  pendant  son 
séjour  dans  cette  yille,  que  j^ai  eu  de  fréquentes 
occasions  de  le  voir,  et  de  connoître  l'intérieur 
de  sa  famille.  Il  n'a  jamais  eu  d'enfansj  ceux 
qu^on  voit  chez  lui  sont  les  petits-fils  desa  femme, 
qui  étoitveuve  lorsqu'il  l'épousa.  De  mon  temps, 
il  n'alloit  jamais  au  spectacle  sans  les  avoir  avec 
lui  y  je  les  ai  même  vus  souvent  sur  ses  genoux  )). 
((  Presque  toujours  grave  et  sérieux,  ce  n'est 
qu'après  avoir  bu  deux  ou  trois  verres  de  vin  et 
avoir  été  excité  parla  conversation,  qu'il  prend 
une  nuance  de  gaîté ,  et  que  son  visage  s'anime. 
On  dit  que  pendant  la  guerre,  personne  ne  l'a 
jamais  vu  rire,  et  que,  même  dans  son  intérieur, 
il  ne  sourit  que  rarement.  Sa  taille  élevée  (*) ,  le 
froid,  ou  plutôt  la  dignité  de  sa  contenance,  lui 
donnent,  les  j.purs  d'audience,  une  apparence 
extrêmement  imposante.  Il  paroît  beaucoup 
moins  grave  aux  thés  de  madame  Washington  : 
alors ,  mêlé  dans  la  foule ,  il  converse  plus  fami- 

(*)  Il  a  5  pieds  9  pouces  et  demi  anglais. 


126o  V    O    Y    A    G    3^ 

lièrement  avec  les  personnes  qu'il  connoit,  et 
quelquefois  avec  les  clames.  Je  Fai  vu  souvent, 
dans  les  beaux  jours  de  Fêté,  sortir  de  la  ville, 
accompagné  de  quelques  amis,  pour  aller  se 
promener  dans  les  champs  ». 

«  Il  porte  constamment  des  habits  de  drap  du 
pays  ,  et  ne  se  sert  à  sa  table  que  de  linge ,  d'as- 
siettes et  d'ustensiles  provenant  de  manufac- 
tures américaines,  dont  les  entrepreneurs  s'em- 
pressent de  lui  envoyer  les  prémices.  Il  ne  manque 
jamais  ,  les  dimanches  ,  d'assister  au  service  di- 
vin ,  accompagné  de  sa  famille.  Son  esprit  étant 
plus  solide  que  brillant ,  il  paroît  se  conduire 
d'après  les  inspirations  d'un  sens  droit  et  d'une 
sagacité  naturelle ,  plutôt  que  d'après  des  lu- 
mières acquises  par  la  lecture.  C'est  à  l'école  de 
l'expérience  et  de  la  méditation  qu'il  s'est  formé 
à  l'administration  et  aux  affaires.  La  révolution 
lui  ayant  procuré  l'occasion  de  faire  la  connois- 
sance  ou  d'entendre  parler  d'un  grand  nombre 
de  personnes ,  et  d'apprécier  leurs  talens ,  ses 
choix  ont  tous  été  heureux.  Cependant,  par 
égard  pour  ceux  qui  lui  recommandoient  quel- 
ques amis ,  il  en  écrivoit  la  notice  sur  un  registre 
particulier.  C'est  ce  que  je  lui  ai  vu  faire  plu- 
sieurs fois  )). 

((  Brave  sans  ostentation,  humain  sans  foi- 
blesse,  généreux  sans  profusion,   combien  de 


DANS    LA    HAUTE    PENSYLVANIE.      2^1 

fois ,  dans  le  cours  de  la  révoliiLion  ,  n.-est-il  pas 
venu  au  secours  de  Finfortune,  et  ii'a-t-il  pas 
récompensé  le  courage  et  les  belles  actions  ? 
Combien  de  larmes  n'a-t-il  pas  taries  dans  le 
silence  et  l'obscurité  du  m^^stère  !  mystère  qui 
n'a  été  révélé  depuis  que  par  la  voix  de  la  re- 
connoissance  !  Il  réunit  les  qualités  et  les  vertus 
qui  honorent  l'homme,  le  citoyen  et  le  grand 
magistrat ,  sagesse  et  modération ,  lumières  , 
humanité,  modestie;  vertus  qui  lui  ont  mérité 
l'estime  et  la  vénération  de  ses  compatriotes  ,  et 
lui  assurent  celle  de  ses  contemporains  ainsi 
que  de  la  postérité  ». 

«  Tel  il  fut  comme  Général  en  chef,  depuis 
1775  jusqu'en  1783^  comme  simple  particulier, 
depuis  1780  jusqu'en  1789  ;  et  enfin  comme  Pré- 
sident des  Etats-Unis  ,  depuis  cette  dernière 
époque  jusqu'à  son  abdication  de  la  présidence, 
en  1796  )). 

((  Dès  sa  nomination  au  commandement  de 
l'armée  continentale,  il  eut  le  bonheur  d'im- 
poser silence  à  la  calomnie  ^  d'émousser  les  traits 
de  la  jalousie,  de  réunir  les  opinions  de  ses 
compatriotes  5  et  par  la  confiance  qu'il  leur  ins- 
pira ,  il  sut  diriger  leurs  efforts  vers  un  seul  et 
même  but,  l'émancipation  de  sa  patrie  (8).  Ce 
bonheur  unique  fut  plus  remarquable  encore 
lors  de  l'acceptation  de  la  nouvelle  constitution. 


QoQ  Voyage 

Eh  !  qui  peut  dire  aujourd'hui  ce  qui  seroit 
arrivé ,  si,  par  un  prodige  d'unanimité,  il  n'eût 
été  porté  au  fauteuil  de  la  présidence  ;  et  parti- 
culièrement 5  si  5  pendant  la  première  enfance 
de  cette  constitution  ,  le  Magistrat  suprême 
n'eût  pas ,  comme  un  aimant  puissant ,  attiré 
vers  lui ,  concentré  tant  de  volontés  éparses  ,  et 
insensiblement  afFoibli  l'influence  de  ceux  qui 
redoutoient  la  réunion  des  grands  intérêts  de  ce 
pays  sous  un  gouvernement  effectif  »  ? 

«  Que  n'auroit  pas  donné  PAngleterre  pour 
l'empêcher,  et  peut-être  même  l'Espagne  ?  Que 
n^auroient  pas  fait  tant  d'autres  personnes  dont 
les  moeurs  et  les  principes ,  l'aisance  et  la  for-^ 
tune  avoient  été  détruits  par  la  guerre?  Le  nom- 
bre en  étoit  considérable.  Combien  n'en  ai -je 
pas  vu  calculer  avec  avidité  toutes  les  probabi- 
lités de  la  non  -  acceptation  de  cette  nouvelle 
forme  de  gouvernement  )>  ? 

«  Jamais  je  ne  pense  à  cette  époque  mémora- 
ble ,  à  cet  événement  inp^tendu  qui  a  enfin  in- 
vesti ce  continent  de  la  puissance  législative , 
sans  bénir  mille  et  mille  fois  ce  merveilleux  en- 
chaînement de  circonstances  et  de  hasards ,  que 
j'ai  Ion  g- temps  observés  avec  tout  l'intérêt  et 
l'attentive  inquiétude  d'un  bon  citoyen.  Il  est 
probable  qu'après  avoir  pu  résister  aux  dangers 
de  la  nouveauté,  ainsi  qu'aux  crises  dont  il  a  été 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.     265 

assailli  depuis ,  ce  même  Gouvernement ,  qui  a 
réparé  tant  de  malheurs,  comblé  tant  d^espé- 
rances,  ouvert  tant  de  nouvelles  sources  d^in- 
dustrie  ,  d^entreprises  et  de  prospérité  ,  se  con- 
solidera et  méritera  enfin  le  respect  et  la  recon- 
noissance  des  habitans  ;  à  moins  qu'aveuglés  par 
.les  passions,  par  la  démence  et  la  fureur  des 
partis ,  au  risque  de  s'ensevelir  sous  ses  ruines  , 
ils  ne  détruisent  leur  propre  ouvrage  :  alors  il 
faudroit  désespérer  de  la  nature  humaine,  et, 
comme  tant  d'autres,  croire  qu'elle  n'est  pas 
digne  de  jouir  des  bienfaits  de  la  liberté,  et 
qu'enfin  un  gouvernement  populaire  et  sage 
est  une  chimère  )). 

«  Le  lendemain  ,  en  descendant  la  rivière 
pour  aller  pécher  l'alose  vers  son  embouchure 
dans  la  baie  de  New-Ark  ,  la  belle  pirogue  de 
M.  G.  toucha  sur  un  obstacle  à  fleur- d'eau ,  que 
l'homme  du  gouvernail  n'avoit  point  observé, 
La  marée  baissant  rapidement,  il  nous  fallut 
beaucoup  de  travail  et  de  temps  avant  de  pou- 
voir nous  remettre  à  flot.  —  C'est  bien  ma  faute , 
dit  M.  G.  5  si  cet  accident  nous  est  arrivé,  car  il 
y  a  vingt-  deux  ans  que  je  connois  cet  écueiî , 
dont  j'ai  vainement  espéré  que  la  violence  des 
glaces  de  l'hiver  nous  débarrasseroit.  Ce  n'est 
point  un  rocher,  mais  l'étambord  d'un  des  vais- 
seaux qui  furent  submergés  ici  quelque  temps 


264  T    O    Y   A    G   B 

avant  que  l'arinée  anglaise  débarquât  sur  Vile 
Longue  en  1776.  Parmi  les  armateurs  de  New- 
York  ,  les  uns  envoyèrent  les  leurs  vers  le  haut 
de  la  rivière  Hudson  ;  les  autres ,  plus  heureux, 
les  amenèrent  dans  cette  rivière  ,  où  ,  après  les 
avoir  démâtés,  ils  les  coulèrent  bas  dans  ving- 
sept  pieds  d'eau,  sur  un  fond  de  vase.  En  1784 
on  les  releva ,  on  les  épuisa ,  et  on  les  ramena  à 
New  -  York ,  où  ils  ne  tardèrent  pas  à  être  ré- 
parés )). 

«  N^ayant  jamais  entendu  parler  de  ces  opé- 
rations ,  dit  M.  Herman ,  j'apprendrois  avec 
plaisir  par  quels  moyens  tout  cela  a  pu  se  faire; 
voudriez- vous  m'en  instruire?  Ces  opérations 
me  paroissent  devoir  être  dangereuses  et  diffi- 
ciles » . 

((  Rien  de  plus  simple  à  concevoir  que  la  pre- 
mière ,  répondit  M.  G.  ;  au  moyen  de  quelques 
trous  percés  dans  le  fond  de  calle,  ces  vaisseaux 
disparurent  en  moins  de  deux  heures ,  bien  en-- 
tendu  après  qu'on  les  eut  complètement  dégréé» 
et  démâtés.  Quant  à  celle  de  les  relever,  vous 
concevez  qu'elle  dut  être  beaucoup  plus  difficile. 
Les  propriétaires  accompagnés  de  leurs  amis^ 
vinrent  ici  munis  d'allèges  ,  de  cables,  de  pom- 
pes ,  qu'ils  avoient  empruntés  de  la  ville  :  des 
plongeurs  ayant  attaché  une  des  extrémités  de 
ces  cables  aux  crampons  dont  on  avoit  eu  soin 


DANS  LA  HAUTE  PEN3 YÎ.V ANTE.  ^65 

de  munir  ces  vaisseaux,  et  Fautre  au  cabestan 
de  ces  allèges,  après  bien  des  efforts  et  le  secours 
delà  marée,  ils  les  élevèrent  à  fleur  d'eau,  à 
l'exception  cependant  de  celui  sur  Fétambord 
duquel  nous  avons  touché.  A  l'aide  des  pompes , 
le  pont  fut  bientôt  assez  desséché  pour  qu'on 
pût  y  entrer.  Cette  opération  exigea  beaucoup 
de  temps  et  de  peine ,  parce  que  le  plus  léger 
ébranlement  du  vaisseau  y  faisoit  rentrer  l'eau 
delà  rivière.  Aussi -tôt  que  cela  fut  fini,  les 
tuyaux  de  ces  mêmes  pompes  ayant  été  placés 
au  panneau  de  la  grande  écoutille,  la  calle  fut 
vidée  dans  l'espace  d'un  jour ,  et  les  trous  promp- 
tement  rebouchés.  A  la  marée  du  troisième  jour, 
on  les  conduisit  à  New -York,  où  ils  furent 
replacés  sur  leurs  chantiers  ,  et  étayés  jusqu'à 
ce  que  le  soleil  les  eut  desséchés.  Vous  jugez  de 
quelle  énorme  quantité  de  vase  ils  dévoient  être 
couverts  et  remplis.  L'effet  de  cette  immersion 
fut  de  durcir  les  pièces  de  leurs  membrures  à  un 
tel  degré,  qu'elles  existent  encore)). 

((  Quant  au  doublage,  déjà  usé  à  cette  pre- 
mière époque ,  il  fut  remplacé  par  un  nouveau  ^ 
ainsi  que  quelques  pièces  des  hauts  /  mais  ce 
qui  vous  paroi tra  peut-être  étonnant ,  c'est  que 
les  chevilles  C^)  qui  étoient  d'acacia ,  n^avoient 

O  Trunnels» 


sGG  V   O   Y   A    G   s 

point  été  endommagées.  En  effet,  ce  bois  est 
éternel ,  particulièrement  sous  l'eau  5  voilà  pour- 
quoi on  en  fait  ici  un  si  grand  usage  ;  voilà 
pourquoi  on  plante  annuellement  une  si  grande 
quantité  de  ces  arbres ,  dont  le  rapport ,  au  bout 
de  quelques  années,  est  très- considérable.  En 
vous  promenant  sur  ma  terre,  vous  avez  du  voir 
avec  quel  soin  j^en  couvre  tout  ce  que  la  charrue 
ne  peut  pas  labourer.  Je  connois  un  médecin 
qui,  dans  sa  jeunesse,  eut  le  bon  esprit  d^en 
planter  un  champ  de  5o  acres  (^) ,  dont  il  retire 
aujourd'hui  de  mille  à  douze  cents  piastres  par 
an ,  sans  autres  frais  que  ceux  de  l'entretien  des 
clôtures.  C'est  sur  Fîie  Longue  et  dans  l'Etat  de 
Rhodc'Island ,  qu'on  en  voit  des  forets  plantées 
de  main  d'homme  (9)  ». 

«  Après  que  ces  vaisseaux  submergés  eurent 
été  doublés  à  neuf,  remâtés  et  peints ,  on  n'au- 
roit  jamais  pu  croire  qu'ils  eussent  été  pendant 
huit  ans  au  fond  de  la  Passaïck.  Deux  de  ces 
brigantins  qui  furent  sciés  et  alongés  de  douze 
pieds,  sont  encore  à  présent  des  paquebots  em- 
ployés dans  le  commerce  de  la  Caroline  méri- 
dionale». 

«  Comment,  sciés  en  deux  ?  dit  M.  Herman. 
Quel  pouvoit  être  le  motif  d'une  opération  qui 

(*)  A  Hyde-Parfc  ;  sur  la  rivière  Hudson; 


DANS    T. A  HAUTE    PENSYLVANIE.     5^67 

doit  nécessairement  les  avoir  afFoiblis  et  avoir 
été  très -dispendieuse  ?  —  Celui  de  leur  donner 
un  port  plus  considérable ,  et  souvent  même 
d'accélérer  la  vitesse  de  leur  marche.  —  Cela  me 
paroît  devoir  être  très  -  dangereux  ;  car,  en  ac- 
quérant une  plus  grande  longueur  de  quille  _,  et 
conservant  la  même  largeur  de  hau  ,  il  me  sem- 
ble qu^ils  ne  dévoient  plus  porter  la  voile  comme 
auparavant  ». 

((  On  ne  fait  cette  opération ,  très  -  fréquente 
ici  5  qu'à  ceux  qui  avoient  une  trop  grande  lar- 
geur relativement  à  leur  longueur  de  quille. Vous 
devez  voir,  dansletableau  page  255,  que,  dans 
l'espace  de  quatre  ans,  dix  brigantins  furent  sciés 
et  alongés , .  et  que  leur  port ,  qui  n'étoit  que  de 
895  tonneaux,  se  monta  à  i4io  en  conséquence 
de  cette  opération.  Que  penseriez  -  vous  donc 
d'un  négociant  deNevv^-York,  dont  les  vaisseaux 
sont  renommés  pour  la  vitesse  de  leur  marche 
(je  ne  parle  que  de  ceux  d'une  moyenne  gran- 
deur ),  et  qui,  au  retour  de  leurs  premiers  voya- 
ges, leur  fait  toujours  subir  cette  opération  ?  La 
prospérité  de  son  commerce  étant  fondée  su^ 
cette  célérité,  il  n^épargne  ni  dépense  ni  soins 
pour  avoir  les  meilleurs  voiliers  possibles.  C'est 
lui  qui  fournit  aux  habitans  de  la  Havane ,  de 
la  Jamaïque,  ainsi  qu'à  ceux  de  plusieurs  au- 
tres des  Antilleis ,  ces  pommes  de  Newtowu-pipr 


±^B  VOYAGE. 

pins  (lo)  5  dont  Fodeur  et  le  goiUsontsi  çléli- 
eieux,  sur  tout  sous  la  zone  torride.  Je  ne  crois 
pas  que  les  jardins  des  Hespérides  en  aient  ja- 
mais produit  d'aussi  bonnes.  Lorsqu'elles  arri- 
Tent  fraîches  et  bien  conservées,  chacune  daiis 
ieur  enveloppe  de  papier^  elles  se  vendent  sou- 
vent de  six  à  huit  piastres  la  douzaine.  Il  en  est 
de  même  des  aloyaux  et  autres  morceaux  de 
bœuf,  choisis,  on  les  arrange  ici  dans  de  petits 
vases  de  cèdre,  bien  hermétiquement  fermés  et 
remplis  d'une  saumure  particulière,  au  moyen 
de  quoi  ils  se  conservent  jusqu'à  leur  arrivée 
dans  ces  îles  :  vous  voyez  combien  il  est  impor- 
tant d'avoir  des  vaisseaux  fin -voiliers)). 

«  Ce  continent,  continua  M.  G. ,  est  le  père 
nourricier  de  ce  grand  archipel.  Non-seulement 
il  fournit  aux  habilans  les  comestibles ,  les 
matériaux  nécessaires  à  la  construction  de  leurs 
maisons  et  de  leurs  moulins,  les  chaudières  et 
les  cylindres  de  leurs  sucreries  j  mais  aussi  les 
chevaux  et  les  voitures,  tels  que  carosses,  phaé- 
tons ,  cabriolets  ,  &c.  La  dernière  fois  que  je 
fus  à  Carthagène  et  à  la  Havane,  j'observai  avec 
plaisir  qu'il  n'y  avoit  pas  dans  ces  villes  une 
seule  voiture  qui  n'y  vînt  de  Boston,  de  New- 
York  ou  de  Philadelphie  » . 

Insensiblement  conduits  par  la  marée,  nous 
découvrîmes  bientôt  un  pont  qui  venoit  d'être 


DANS    LA    HAUTE    PENSYLVANTE.    269 

eonstriiiî:  sur  cette  rivière  par  la  même  compa- 
gnie incorporée,  aux  travaux  de  laquelle  on  de- 
voit  aussi  celui  deHakinsack,  ainsi  que  la  chaus- 
sée qui  s'étend  depuis  Bergen  jusqu'à  New-Ark , 
dans  une  longueur  de  quatre  milles. 

((  Le  sol  sur  lequel  ces  deux  ponts  ont  été 
élevés ,  reprit  M.  G. ,  est  si  mou  et  si  tremblant) 
que  la  fondation  des  culées  a  été  très-dispen- 
dieuse. Qui  croiroit  que  ce  terrein  maritime, 
couvert  à  toutes  les  hautes  marées,  a  vingt  pieds 
de  profondeur  ?  Cela  est  cependant  bien  vrai  5  il 
repose  sur  une  couche  de  sable  blanc,  dont  la 
surface  ondulée  atteste  encore  l'action  des  eaux, 
qui  jadis  l'inondèrent.  Sept  pieds  au-dessous  de 
ce  lit  de  sable ,  on  rencontre  un  terrein  glai- 
seux ,  dont  l'odeur  est  extrêmement  fétide , 
rempli  de  débris  de  coquillages  bien  difFérens , 
quant  à  la  forme  et  à  la  grosseur,  de  ceux  que 
nous  voyons  aujourd'hui  sur  les  bords  de  la 
mer.  Le  gouverneur  de  cet  Etat  conserve  dans 
5on  cabinet  les  deux  écailles  d'une  huître,  qui 
contient  un  peu  moins  d'une  pinte  d'eau  ;  on 
en  a  découvert  de  plus  grandes  encore  en  creu- 
sant un  puits  dans  le  comté  de  Monmouth ,  à 
5o  pieds  de  profondeur.  Ce  qu'il  y  a  d'étonnant , 
c'est  que  le  terrein  sur  lequel  on  a  trouvé  ces 
dernières ,  paroît  avoir  été  un  ancien  marais. 
Quels  changemens  la  surface  de  ce  continent ^ 


S70  VOYAGE 

ainsi  que  le  niveau  des  mers,  n^ont-ils  pas  dâ 

subir  à  une  époque  inconnue  ))  ! 

a  Cette  nouvelle  route,  dontle  Gouvernement 
a  concédé  le  péage  à  perpétuité,  est  la  seule  qui 
conduise  de  New- York  à  Philadelphie;  aussi 
est-elle  très-fréquentée.  On  dit  que  cette  entre- 
prise a  coûté  000,000  piastres,  et  que  les  sous- 
cripteurs en  retirent  un  intérêt  considérable. 
Jamais  taxe  dé  route  n'a  été  payée  avec  plus  de 
plaisir;  car  auparavant  ce  n'étoit  pas  chose  fa- 
cile que  de  traverser  ces  vastes  prairies,  et  de 
passer  les  rivières  Hakinsack  et  Passaïck.  Cette 
nouvelle  route  est  devenue  très- utile  au  village 
de  New-Ark,  d^où  partent  et  où  arrivent  au- 
jourd'hui les  diligences  qui  vont  aux  Etats  mé- 
ridionaux, ou  en  viennent.  C'est  un  passage 
continuel  ;  c'est  aussi  celui  des  malles  et  des  cou- 
riers.  Voilà  pourquoi  on  y  voit  un  aussi  grand 
nombre  d'auberges  ». 

Après  avoir  joui  d'une  pêche  abondante , 
nous  remontions  la  rivière  avec  la  marée  du 
soir  ,  lorsqu'il  survint  un  orage  si  violent ,  que 
nousfùmes  obligés  de  débarquer  précipitamment 
au  quai  de  M.Schuyler,  propriétaire  d'une  mine 
de  cuivre  en  exploitation  depuis  d'un  plus  siècle, 
et  chez  lequel  on  nous  engagea  à  passer  la  nuit. 
Ce  quai  est  situé  vis-à-vis  le  village  d'Acqua- 
ianunck ,  sur  le  rivage  oriental  de  la  Passaïck. 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     Î27I 

Xi  Cette  mine  fut  découverte ,  nous  dit  un  des 
Bis  de  M.  Scliuyler,  cinq  ans  après  l'arrivée  des 
premiers  Hollandais  à  NeAV-York  ,  c'est-à-dire 
vers  Fan  i6^4.  Quelques  matelots  qui  avoient 
débarqué  à  Sandy-  Hook  (11)  5  ayant  été  pris 
par  les  indigènes,  furent  conduits  à  ce  même 
village  d^Acquakanunck ,  et,  suivant  l'usage, 
mis  au  poteau  pour  être  brûlés ,  à  l'exception 
cependant  de  l'un  d'eux,  qui  eut  le  bonheur 
d'être  adopté  par  une  des  femmes  du  village. 
Quelque  temps  après  ,  cette  indienne  ayant  jeté 
les  yeux  sur  les  boucles  qui  attaclioient  les  sou- 
liers de  son  nouveau  mari ,  elle  lui  fit  entendre 
que  de  l'autre  côté  de  la  rivière  elle  connois- 
soit  un  endroit  entièrement  rempli  de  ce  même 
métal ,  et  dès  le  lendemain  elle  l'y  conduisit  à 
l'insu  du  village  ». 

((  Cet  homme  ,  tout  ignorant  qu'il  étoit ,  ne 
tarda  pas  às'appercevoir  que  ce  sol  verd  devoit, 
en  effet ,  receler  une  riche  mine  dans  ses  en- 
trailles. Revenu  chez  lui ,  il  se  fit  des  amis  , 
s'engagea  à  leur  apporter  des  vêtemens  sembla- 
bles aux  siens,  de  l'eau -de-vie  et  des  fusils,  s'ils 
le  laissoient  aller  chez  ses  compatriotes  à  la  nou- 
velle Amsterdam  (*)  :  les  chefs  y  consentirent. 
Cet  intelligent  matelot  remplit  sa  promesse  avec 

^^)  Aujourd'hui  la  Nouvelle -York. 


27  â  VOYAGE 

tant  de  zèle  et  de  fidélité ,  qu'ils  lui  accordè- 
rent une  seconde  et  même  une  troisième  per- 
mission. Profitant  de  son  ascendant  sur  l'esprit 
de  ses  nouveaux  amis,  il  eut  le  bonlieur  de  faire 
la  paix  entre  les  deux  nations ,  et  celui  d'ob- 
tenir des  sachems  d'Acquakanunck ,  la  conces- 
sion de  la  péninsule  sur  laquelle  cette  mine 
étoit située,  et  qui,  aujourd'hui,  comme  vous 
l'avez  pu  voir ,  est  couverte  de  bonnes  planta- 
tions et  de  vergers  magnifiques.  Mais  au  lieu 
de  cultiver  la  terre  que  Fon  venoit  de  lui  don- 
ner ,  et  d'y  introduire  les  nouveaux  grains  de 
l'Europe ,  il  travailla  à  exploiter  cette  mine , 
fit  venir  des  ouvriers  de  Hollande ,  et  ne  tarda 
pas  à  éprouver  des  pertes  considérables.  Forcé 
par  ces  circonstances  ,  il  la  vendit  à  un  de  mes 
ancêtres  ,  revint  à  son  village,  où  il  fit  cons- 
truire une  maison  sur  l'emplacement  delà  Wig- 
wham,  dans  laquelle  il  avoit  été  adopté  en 
1618;  elle  est  encore  possédée,  ainsi  que  les 
terres  qui  l'avoisinent ,  par  la  postérité  de  ce 
matelot,  dont  l'arrière-petit -fils  a  servi  ,  avec 
beaucoup  de  distinction  ,  pendant  la  guerre  de 
la  révolution ,  et  est  aujourd'hui  un  excellent 
agriculteur  et  magistrat  de  son  canton», 

c(  Si  la  compagnie  anglaise  de  Liverpool  n'eut 
pas,  à  ce  qu'on  dit  alors  à  mon  père,  fait  mettre 
If  feu  à  notre  pompe,  cette  mine  seroit  encore 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.      syS 

exploitée  j  mais  les  dévastations  de  la  guerre , 
la  mort  de  mon  père  et  la  perte  de  cette  pompe, 
nous  ont  jusqu'ici  empêchés  de  reprendre  ces 
utiles  travaux.  Nous  allons  faire  construire  une 
fournaise  à  réverbère,  destinée  à  fondre  Tim- 
mense  quantité  de  minerai  qui  est  resté  épars, 
depuis  un  grand  nombre  d'années ,  dans  le  voi- 
sinage de  cette  mine;  déjà  on  commence  à  pla-* 
tiner  le  cuivre  sous  les  gros  cylindres  de  Charlot- 
te'sbourg  ». 

Le  lendemain,  au  lieu  de  suivre  le  chemin 
ordinaire,  que  Forage  avoit rendu  impraticable, 
BOUS  traversâmes  le  grand  marais  de  Cèdres 
blancs,  qui  appartient  à  cette  même  famille,  et 
lui  apporte  un  revenu  considérable.  J'observai 
qu'une  partie  de  ce  marais ,  brûlée  quatre  ou 
cinq  ans  auparavant,  étoit  déjà  couverte  d'une 
innombrable  quantité  de  cèdres,  venus  sponta- 
nément, et  qui  avoient  quatre  pieds  de  hauteur  j 
que  le  terrein  sur  lequel  ils  croissoient  étoit  noir, 
marécageux ,  un  peu  fétide,  et  presque  sembla- 
ble ,  quoique  plus  sec  ,  à  celui  des  prairies  ma- 
ritimes du  voisinage. 

Avec  quelle  facilité  n'en  propagera-t-on  pas 
la  culture  dans  le  voisinage  de  la  mer,  et  dans 
certains  bas -fonds  de  l'intérieur  ,  sur  les- 
quels je  les  ai  vus  croître  aussi  bien  qu'ici?  Les 
deux  espèces  de  cèdres,  l'acacia,  le  mûrier,  sans 


J274  V   O   Y   A   G   ÏT 

parler  da  cliêne,  sont  des  arbres  précieux  pour 
la  construction  des  vaisseaux,  dont  les  Gouver- 
nemens  de  ce  pays  encourageront  un  jour  la 
propagation.  Et  pourquoi  ne  cultiveroit-on  pas 
aussi  les  trois  premières  espèces  dans  les  parties 
maritimes  et  sablonneuses  de  TEurope  ?  Vingt 
ans  suffiroient  pour  la  croissance  de  ces  arbres  ^ 
qui  viennent  en  graines  aussi  promptement  que 
Foignon  (12).  Quelle  force  végétative  le  cèdre 
blanc  ne  doit-il  pas  avoir,  puisque  plus  ils  sont 
rapprochés,  et  plus  promptement  ils  s'élèvent? 
On  en  compte  généralement  de  deux  à  trois 
mille  par  acre  ;  on  s'en  sert  à  plusieurs  usages  à 
bord  des  vaisseaux,  ainsi  que  pour  faire  des 
échelles,  des  gouttières ,  des  bardeaux,  des  plan- 
ches, des  clôtures,  &c.  Leur  bois  entre  aussi 
dans  la  belle  tonnellerie  de  ce  pays,  d'où  l'on  en 
exporte  une  grande  quantité  jusqu'aux  Indes 
orientales. 

De  retour  chez  M.  G.,  il  nous  parla  de  l'ar- 
rivée des  premiers  colons  hollandais,  en  161 4, 
parmi  lesquels  étoient  deux  de  ses  ancêtres.  Il 
nous  dit  qu'originairement  Français,  ils  av oient 
été  chassés  de  leur  patrie  pour  avoir  adressé 
leurs  prières  à  Dieu  dans  leur  langue,  et  noii  j 
dans  celle  d'un  ancien  peuple  qui  n'existoitplus 
depuis  des  siècles  ;  que  l'un  d'eux ,  homme  ins- 
truit;; avoit  été  le  premier  greffier  de  la  ville  de 


DANS    LA   HAUTE    PEN3YLVANIE.     2^5 

New-York,  et  avoit  été  conservé  dans  cette 
place  après  la  conquête  de  cette  colonie  par  les 
Anglais  en  i665. 

«Je  vois  enlisant  les  gazettes,  ajouta-t-ily 
combien  les  choses  sont  différentes  aujourd'hui; 
le  Gouvernement  ne  s'occupe  plus  de  la  croyance 
des  hommes  ;  l'empire  des  loix  ne  s'étend  plus 
qu'aux  affaires  de  ce  monde;  chacun  peut  ado- 
rer Dieu  à  sa  manière,  et  pourvu  qu'il  l'adore , 
c'est  tout  ce  qu'on  doit  exiger.  Qui  auroit  pupré- 
voir  un  changement  aussi  subit  et  aussi  inatten- 
du? Est-cie  le  fruit  d'unesage  politique  ou  de  la 
philosophie?  Combien  l'état  des  choses  ne  seroit^ 
il  pas  différent  aujourd'hui,  si  telles  eussent  été 
les  opinions  régnantes  il  y  a  200  ans!  Quelle  dif- 
férence en  Europe ,  comme  dans  ce  pays,  si ,  à 
l'époque  des  guerres  de  religion ,  le  calvinisme 
eut  obtenu  la  supériorité  ?  La  puissance  royale 
qui  régissoit  la  France  auroit  été  restreinte  dans 
dés  bornes  plus  étroites ,  et  la  forme  du  Gou- 
vernement , auroit  considérablement  changé. 
Alors  5  avec  quelle  rapidité  cette  même  France 
ne  seroit-elle  pas  devenue  puissance  maritime 
et  manufacturière  ?  Elle  auroit  devancé  l'An- 
gleterre de  plus  d\in  siècle ,  puisque  ce  sont  des 
Français,  expulsés  de  leur  patrie,  qui,  les  pre- 
miers, y  introduisirent  l'art  de  faire  des  cha- 
peaux ^  du  papier,  ^du  fer -blanc,  des  étoffes  de 

2 


276  VOYAGE 

soie;  et  les  Flamands  protestans,  celui  de  faire 
du  drap  ^j  . 

«  A  quoi  cela  a-t-il  tenu?  A  quelques  coups 
d'arquebuses  mieux  dirigés ,  ou  plutôt  à  la  con- 
quête du  Mexique,  dont  VoT  procura  au  Néron 
du  midi ,  ce  brûleur  d'hommes,  tant  de  moyens 
de  soudoyer  et  de  corrompre.  A  quoi  a  tenu  la 
conquête  d'un  empire  aussi  puissant  ?  Aux  expé- 
riences et  aux  découvertes  d'un  obscur  moine 
allemand.  Tels  sont  les  imperceptibles  ressorts 
des  destinées  humaines.  Et  l'on  veut  prévoir,  on 
veut  organiseras  événemens  de  l'avenir,  comme 
s'ils  n'étoient  pas  nécessairement  préordonnés , 
engendrés  par  ceux  du  passé  !  Il  falloit  cepen- 
dant que  toutes  ces  combinaisons  eussent  lieu , 
pour  que  mes  ancêtres  fussent  obligés  de  fuir 
leur  patrie  comme  des  criminels  ;  pour  qu@ 
j'eusse  le  plaisir  de  vous  recevoir  sous  mon  toit, 
et  celui  d'entendre  les  intéressans  récits  de  vos 
voyages  dans  l'intérieur  du  continent,  qui  m'est 
aussi  inconnu  que  si  j'étois  né  en  Europe  ». 

M.  G, ,  informé  de  l'arrivée  d'une  goélette 
au  quai  de  débarquement ,  ayant  remis  au  len- 
xlemain  à  terminer  son  instructive  conversa- 
tion ,  se  hâta  d'aller  recevoir  la  compagnie  qu'il 
attendoit  de  New- York  5  car  ce  jour  étoit  un. 
dimanche. 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  277 


CHAPITRE    XL 

4jcIiORSQUEJe  me  rappelle  tout  ce  que  je  vous 
ai  entendu  dire  de  l'intérieur  du  continent ,  de 
nos  grands  lacs ,  des  colonies  de  TOhio ,  reprit 
M.  G.  5  dès  que  la  nombreuse  et  bruyante  com- 
pagnie qui  étoit  venue  dîner  chez  lui  fut  repar- 
tie, je  me  sens,  je  vous  l'avoue,  un  peu  mor- 
tifié. Mais  le  temps  de  la  curiosité ,  qui  suppose 
du  loisir ,  de  l'aisance  et  quelque  instruction  , 
n'est  pas  encore  arrivé  :  nous  sommes  et  serons 
encore  long-temps  dans  un  état  d'agitation ,  je 
pourrois  même  dire  d'effervescence  ,  qui  ne 
nous  permet  de  penser  qu'aux  moyens  de  ré- 
parer nos  pertes  et  d'acquérir  de  la  fortune  ; 
c'est  le  désir  universel.  De-là  tant  de  mouve- 
mens,  d'entreprises,  de  projets  et  de  spécula- 
tions 5  de-là  aussi  cet  esprit  de  cupidité  qu'un 
grand  nombre  d'étrangers  nous  reprochent.  Ne 
savent-ils  donc  pas  qu'il  en  est  de  l'existence 
des  nations  comme  de  celle  des  hommes  ;  que 
chaque  période  de  cette  existence  a  ses  goûts , 
ses  passions  et  ses  erreurs  ?  Ignorent-ils  donc  la 
situation  critique  dans  laquelle  ces  colonies, 
devenues  indépendantes,  se  trouvèrent  en  lySS, 
lorsqu'après  tant  de  sacrifices  faits  pour  chasser 


278  VOYAGE 

l'ennemi  coramun,  mille  germes  imprévus  de 
rivalités ,  de  jalousies ,  de  discordes  ,  et  même 
de  guerres  intestines,  se  manifestèrent  de  tous 
côtés.  La  guerre  et  le  papier-monnoie  avoient 
anéanti  toutes  les  fortunes  j  onze  de  nos  villes, 
détruites  par  Fennemi,  fumoient  encore;  nos 
finances  n'étoient  qu'un  chaos  5  les  li^ns  qui  y 
pendant  le  moment  du  danger,  avoient  uni  ces 
treize  Etats ,  n'étoient  plus  qu'un  fil  prêt  à  se 
rompre;  le  poids  des  anciennes  dettes  contrac- 
tées en  Europe  ,  accabloit  les  maisons  de  com- 
merce, qui  cherch oient  à  se  relever  ;  il  n'y  avoit 
plus  de  crédit,  ni  public , ni  particulier  5  le  Con- 
grès n'étoit  qu'une  ombre  prête  à  s'évanouir  ; 
notre  pavillon  étoit  insulté;  et  nos  moeurs  se 
trouvoient  détériorées  par  le  fléau  du  papier- 
monnoie,  ainsi  que  par  l'habitude  de  la  guerre» 
Telles  furent  quelques-unes  des  principales  cir- 
constances qui  rendirent  ce  long  interrègne  si 
alarmant,  qu'un  grand  nombre  de  personnes^ 
considérant  comme  illusoires  les  brillantes  espé- 
rances qu'elles  avoient  fondées  sur  l'indépen- 
dance du  continent ,  gémissoient  dans  l'amer- 
tume de  leurs  cœurs,  et  regrettoient  que  tant 
d'efforts  eussent  été  faits,  et  que  tant  de  sang 
eût  été  versé  inutilement  » . 

<c  A  quoi  a-t-il  tenu  que  leurs  craintes  n'aient 
été  justifiées  ?  Il  faut  avoir  connu ,  comme  moi^ 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     279 
les  desseins ,  les  projets  formés  pour  renverser 
la  nouvelle  forme  de  Gouvernement  que  la  Con- 
vention des  députés  assemblés  à  Philadelphie 
proposa  à  la  fin  de  17 87; il  faut  avoir  vu,  comme 
moi ,  les  moyens,  les  artifices  mis  en  usage  pour 
tromper  les  habitans  des  campagnes ,  particu- 
lièrement dans  les  Etats  qui  regrettoient  de  voir 
les  revenus  considérables  de  leurs  douanes  \^} 
prés  de  passer  dans  le  trésor  continental ,  pour 
pouvoir  apprécier  les  chances  et  les  risques  que 
ces  Etats  ont  courus  de  n'être  jamais  unis,  et 
peut-être  de  retomber  sous  le  joug  de  leur  mé- 
tropole. Et  même,  malgré  la  force  des  circons- 
tances les  plus  urgentes  ,  malgré  Fénergie  et 
l'unanimité  des  bons  citoyens,  leur  espoir  auroife 
été  déçu,  l'anarchie  auroit  triomphé,  sans  le 
dernier  article  de  cette  Constitution,  qui  déclare 
qu'aussi-tot  que  neuf  Etats  l'auront  acceptée, 
elle  sera  mise  en  activité ,  et  aura  lieu  pour  ces 
Etats.  Sans  cette  clause,  celui  de  New- York, 
dont  les  députés  à  la  Convention  de  Philadel- 
phie s'étoient  retirés  de  bonne  heure  (^*) ,  et 

(^)  La  douane  de  New- York  se  monta,  en  1788,  à 
72,000  pounds^  égaux  à  180,000  piastres  (954^000  fr.). 

(^'^J  De  tous  les  députés  de  cet  Etat ,  il  ne  resta  à  Phi- 
ladelphie que  le  colonel  Hamilton  ;  aussi-tôt  revenus  , 
les  premiers  justifièrent  leur  conduite  dans  une  longue 


sSo  VOYAGE 

dont  la  Convention  particulière  s'assembla  ex- 
près très-tard ,  l'auroit  rejetée ,  conformément 
au  projet  de  la  majorité ,  projet  bien  connu 
long-temps  avant  l'ouverture  des  débats  ». 

((  Les  nombreux  mécontens  de  Massachussets 
et  de  la  Pensylvanie  ^  et  probablement  aussi 
ceux  de  Rhode-Island  et  de  la  Caroline  septen- 
trionale, dont  les  législateurs  n'avoient  pas  voulu 
envoyer  de  députés  à  Philadelphie,  et  parmi 
lesquels  l'opposition  avoit  des  agens,  auroient 
bientôt  repris  les  armes  pour  en  soutenir  les 
desseins.  D'un  autre  coté ,  les  anciens  militaires 
de  Farmée  continentale j  les  habitans  des  villes 
maritimes,  un  grand  nombre  parmi  ceux  des 
campagnes  se  seroient  réunis  pour  s'opposer  à 
ceux  qui  vouloient  prévenir  l'union  de  ces  Etats  ; 
alors  cette  nouvelle  guerre  civile  auroit  anéanti 
tout  ce  que  celle  de  la  révolution  n'avoit  pas 
renversé.  Quelles  eussent  été  les  conséquences 
de  ce  nouveau  conflit  ?  Un  paragraphe  de  trois 
lignes  dérangea  toutes   ces  combinaisons.   Le 

lettre  qu'ils  adressèrent  à  la  Législature  et  au  Gouver- 
neur ,  par  laquelle  ils  désapprouvoieiit  la  nouvelle  forme 
et  les  principes  du  Gouvernement  proposé.  La  plupart 
de  ces  délégués  ayant  été  réélus  membres  de  la  Conven- 
tion de  l'Etat  de  New- York  ^  qui  de  voit  en  décider  l'ac- 
ceptation ou  le  refus, il  est  évident  que,  dès  l'origine^ 
on  avoit  formé  le  projet  de  la  rejeter. 


BANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  2§l 

New-Hampshire,  comme  neuvième  Etat,  ayant 
inopinément  accepté  la  nouvelle  Constitution 
pendant  les  séances  de  la  Convention  de  New- 
York  (*)  y  elle  se  trouva  forcée ,  quoique  bien 
à  regret ,  de  la  ratifier  aussi.  Voilà  à  quoi  tien- 
nent  les  événemens  humains. 

De  ce  long  état  de  crise ,  de  confusion  et  d'in- 
quiétude 5  est  résulté  celui  dans  lequel  vous  nous 
voyez  aujourd'hui,  comme  les  vagues  de  la  mer 
roulent  encore  long-temps  après  que  la  tempête 
a  cessé  :  ajoutez  à  tout  cela  les  obstacles  et  les 
difficultés  qui  accompagnent  naturellement  la 
nouveauté  et  la  jeunesse  d'un  Gouvernement 
populaire ,  la  naissance  et  la  fougue  des  partis , 
l'ébranlement  qu'il  a  éprouvé  par  la  réaction 


C^)  Il  étoit  d'une  si  haute  importance  que  l'on  fût 
informé  à  Pougliepsie  (lieu  des  séances  de  la  Convention 
de  l'Etat  de  New- York  )  de  la  ratification  du  Nouveau- 
Hampshire,  dont  les  députés  étoient  assemblés,  avant 
la  majorité  de  ceux  de  New- York,  qui,  sûrs  de  la 
victoire,  pressoient  la  clôture  de  leurs  séances,  qu'un 
grand  nombre  de  jeunes  gens,  dans  les  Etats  de  New- 
York  ,  Connecticut ,  Massacliussets  et  New-Hampshire, 
montés  sur  leurs  propres  chevaux  ,  se  placèrent  sur  la 
route  de  dix  en  dix  milles,  au  moyen  de  quoi  la  nouvelle 
de  la  ratification  de  New-Hampshire  (le  neuvième  Etat 
ratifiant)  fut  transmise  en  cinquante-quatre  heures.  La 
distance  étoit  de  124  lieues. 


S83  VOYAGE 

des  dogmes  qui  ont  failli  bouleverser  Fancien 
Monde;  les  liens  d'un  commerce  presqu'exclusif 
que  nous  sommes  obligés  de  faire  arec  notre 
ancienne  métropole,  depuis  que  la  guerre  a 
anéanti  presque  toutes  les  manufactures,  et  nous 
a  fermé  presque  tous  les  ports  de  l'Europe  ; 
Firritation  occasionnée  par  la  prise  d'un  grand 
nombre  de  vaisseaux  ;  l'arrivée  parmi  nous 
d^une  foule  d'étrangers  de  toutes  les  castes  et  de 
toutes  les  nuances  ;  la  création  de  fonds  publics  j 
telles  sont  quelques-unes  des  causes  auxquelles 
il  faut  attribuer,  d\m  côté,  ce  délire  de  spécula- 
tions ,  cette  soif  de  richesses ,  cet  esprit  d'agio- 
tage, auquel  cependant  l'avarice  n'a  aucune 
part  ;  de  l'autre ,  cette  tiédeur ,  cette  indifférence 
pour  les  sciences  et  les  arts  )). 

a  Ainsi  que  les  Européens ,  nous  soupirons 
après  la  paix,  et ,  comme  eux ,  nous  en  sentons 
de  plus  en  plus  le  besoin  :  elle  seule  peut  replacer 
le  commerce  de  l'univers  sur  ses  anciennes  bases, 
restreindre  nos  spéculations  maritimes  dans 
leurs  justes  limites ,  calmer  l'aigreur  des  partis, 
et  consolider  insensiblement  notre  Gouverne- 
ment ,  nos  belles  institutions ,  et  notre  carac- 
tère natioual.  Alors ,  nous  aurons  parmi  nous  des 
savans ,  des  littérateurs  ,  des  géologistes ,  des 
amateurs  de  botanique  et  d'histoire  naturelle. 
Alors  j  nous  connoitrons  tout  ce  que  les  forêts  et 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     1285 

les  entrailles  de  ce  continent  recèlent  de  nou- 
yeau  pour  nous,  et  d^intéressant  :  c^est  Fou- 
vrage  de  quelques  années  de  tranquillité.  Aux 
égaremens ,  aux  orages  de  la  jeunesse,  succé^ 
^  deront  le  phlegme  et  la  raison  de  Fâge  mur  )>. 
«  Si  mon  long  séjour  dans  les  Antilles,  si  les 
circonstances  subséquentes  à  mon  retour  ne 
m'ont  pas  permis  de  parcourir  Fintérieur  de  nos 
Etats  maritimes  ni  les  pays  trans-alléghéniens  5 
si  je  n'ai  point  encore  vu  nos  grands  lacs,  la 
chute  de  Niagara ,  ni  le  pont  naturel ,  il  n'en 
sera  pas  ainsi  de  mon  fils.  Il  arrive  du  Ténè- 
zée  (1) ,  où  il  étoit  allé  voir  la  concession  mili- 
taire de  trois  millions  d'acres ,  que  la  Caroline 
septentrionale  accorda,  il  y  a  quelques  années, 
à  son  contingent  de  l'armée  continentale,  ainsi 
que  pour  obtenir  les  titres  de  la  partie  de  cette 
concession  qui  lui  appartient,  comme  ayant 
épousé  la  fille  unique  d'un  colonel  de  ce  même 
Etat ,  mort  il  y  a  trois  ans  » , 

((  Il  a  été  si  épris  de  la  douceur ,  de  l'égalité 
du  climat  de  ce  nouveau  pays,  qu'il  avoit  formé 
le  projet  d'aller  s'y  fixer.  Surpris  d'un  projet 
aussi  extraordinaire,  je  lui  fis  voir  quels  étoient 
les  inconvéniens  de  fonder  un  établissement 
dans  un  canton  aussi  éloigné  de  la  mer,  où  tout 
ce  qui  vient  de  l'Europe  et  des  Etats  maritimes 
doit  nécessairement  être  très-cher,  et  où  les 


I 


â84  VOYAGE 

ÎDras  seront  rares  pendant  bien  des  années, 
puisque  chacun  ne  travaille  que  pour  soi  ;  et  où 
enfin  les  hommes  conservent  pendant  long-temps 
la  rusticité  que  leurs  pères  ont  contractée  dans 
les  travaux  et  la  solitude  de  leurs  établissemens 
isolés.  J'ai  calmé  cette  première  effervescence, 
si  naturelle  à  la  jeunesse ,  dont  les  yeux ,  faute 
d^expérience ,  ne  voient  que  le  coté  séduisant 
des  choses  ». 

«  Ces  colonies  éloignées ,  lui  ai-jedit,  ne  con- 

))  viennent  qu'à  des  hommes  qui  possèdent  un 

))  métier,  et  ont  été  accoutumés  au  travail  5  ils 

))  se  trouvent  heureux  et  contens ,  par-tout  où 

))  ils  peuvent  acquérir  de  la  terre  à  bon  marché  ; 

))  mais  vous,  à  qui  j'ai  donné  l'éducation  la  plus 

))  soignée  que  l'on  puisse  recevoir  dans  ce  pays; 

))  vous ,  qui  êtes  destiné  à  jouir  d'une  fortune 

))  honnête ,  il    seroit  de  la  plus  haute  impru- 

))  dence  de  vous   exposer  à  courir  des  risques 

))  aussi  graves.  Eh  puis!  ne  comptez- vous  pour 

))  rien  la  distance  à  laquelle  vous  seriez  de  moi , 

»  dont  vous  faites  la  consolation.  Conservez  vos 

))  terres  militaires ,  témoignage  précieux  de  la 

))  reconnoissance  publique  envers  votre  beau- 

))  père;   mais  restez  ici,  où  vous  n'aurez  qu© 

))  des  arbres  à  planter ,  des  champs  bien  enclos 

))  de  bonnes  haies  vives ,  à  cultiver ,  et  des  ver- 

))  g  ers,  en  plein  rapport,    à  soigner.  Etabli  à 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.    5285 

»  trois  lieues  de  New- York ,  vous  jouirez  des 
))  agrémens  de  la  vie ,  vous  participerez  aux 
y)  progrès  de  Fesprit  humain ,  et  cultiverez  les 
))  sciences  ;  car,  je  Fespère ,  vous  serez  trop  sage 
})  pour  exposer  jamais  une  fortune  bien  assurée 
))  aux  hasards  du  commerce». 

((  Sa  tendre  affection  pour  moi,  ainsi  que  mes 
raisonnemens,  ont  eu  tout  Feffet  que  j'espérois; 
il  fermera  mes  paupières  5  je  ne  mourrai  pas 
éloigné  de  ce  qui  me  reste  de  plus  cher  ici-bas , 
ayant  malheureusement  pexdu  sa  mère  il  y  a 
long-temps ,  car ,  vous  le  savez ,  on  n'avance  pas 
inpunément  dans  la  vie,  chaque  année  voit  dis- 
paroître  un  parent, un  ami;  et,  si  on  atteint  un 
âge  avancé,  on  se  trouve  seul,  isolé,  comme  les 
vieux  chênes  qui  ont  survécu  â  tous  les  arbres 
de  leur  voisinage». 

Xi  y  ai  envoyé  le  fils  de  ma  fille  ,  duquel  je 
suis  tuteur ,  au  collège  de  Dartmouth  (2) ,  dans 
la  partie  occidentale  du  New-Hampshire.  L'éloi- 
gnement  des  villes,  la  salubrité  du  climat ,  le 
zèle  des  instituteurs  ,  qui  paroissent  être  re- 
connoissans  de  ce  qu'on  leur  envoie  des  élèves 
d'une  aussi  grande  distance  j  tels  ont  été  les  mo- 
tifs qui  m'ont  déterminé  à  me  séparer  de  cet  en- 
fant. Jugez  de  leur  force ,  puisque  je  ne  suis  qu'à 
trente  milles  du  collège  de  Princetown ,  et  bien 
pluë-rapproché  encore  de  celui  de  New- York  ». 


28(5  VOYAGE 

«Combien  n^est-ilpas  à  regretter  que  ce  der- 
nier ait  été  placé  dans  une  ville  maritime,  où 
les  affaires ,  les  dissipations ,  le  mouvement  du 
commerce,  sont  pour  les  muses  des  perturba- 
teurs extrêmement  incommodes  ^  elles  qui  ai- 
ment la  solitude,  le  silence  des  campagnes,  la 
vue  des  chutes  et  des  cascades ,  l'ombre  des  ar- 
bres, au  pied  desquels  on  trouve  presque  tou-r 
jours  le  recueillement ,  père  de  la  méditation  l 
A  l'époque  de  la  fondation  de  ce  collège ,  cette 
ville,  j'en  conviens,  n'étoit  qu'une  grosse  bour- 
gade 5  il  étoit  cependant  facile  de  prévoir  que, 
située  au  centre  du  continent,  à  l'embouchure 
d'un  fleuve  danslequella  marée  remonte  jusqu'à 
5o  lieues ,  elle  s^àccroîtroit  avec  rapidité  5  c'esrt 
ce  qui  est  arrivé  du  vivant  de  quelques-uns  des 
généreux  fondateurs.  On  a  commis  la  même 
erreur  à  Philadelphie.  Je  ne  vas  jamais  àNcw- 
York,  sans  que  la  vue  de  ce  bel  édifice  ne  renou- 
velle mes  regrets,  et  le  désir  de  le  voir  trans-^ 
porté  à  Eusopus,;dans  le  voisinage  des  mon- 
tagnes Bleues ,  oa  à  Hamptoù  ^  i  à^ l'extrémité 
orientale  de  l'île  Longue  ,  à  la  vue  du  grand 

-Océan)).        ■;.!.>::-.,•  .   ,    ;^iï^:.>;,    .--u^j;,   'mjï/.î 

<c  Puisquevos  ancêtres  étoietit  id  tt  nomBî'ê  âës 
premiers  colons  qui  vinrent  de  Hollande,  de- 
manda M.  Herman,  pourriez-vous  me  dire  quel 
étoit  le  nom  que  les  indigènes  avoient  donné  au 


DANS   LA   HAUTE   PENS YL VANIE.      287 

fleuve  Hudsoii  ;  je  l'ai  inutilement  cherché  dans 
vos  archives  publiques  ?  Je  le  crois  perdu,  ré- 
pondit M.  G. ,  de  même  que  celui  de  plusieurs 
autres  rivières  et  montagnes  de  cet  Etat.  La  plu- 
part des  hommes  qu'envoie  ici  la  compagnie 
occidentale  d'Amsterdam ,  à  qui  ce  pays  avoit 
été  concédé,  n'étoient  point  des  Hollandais  ^ 
mais  des  Wallons,  des  Liégeois,  des  hommes  de 
toutes  les  petites  principautés  qui  avoisinent  les 
Provinces-Unies.  Quelques-uns  de  leurs  chefe 
étoient  instruits ,  j'en  conviens  ;  mais  soumis  à 
un  Gouvernement  auquel  il  ne  leur  étoit  pas 
permis  de  participer ,  chacun  ne  s'occupa  que 
de  ses  intérêts  et  des  moyens  d'améliorer  son 
sort  :  voilà  pourquoi  on  ne  trouve  dans  nos  ar- 
chives que  des  actes  de  concession  de  terres,  de 
fondation  d'église ,  de  bacs ,  de  guerres  contre 
les  indigènes ,  et  rien  qui  ait  rapport  à  la  géogra- 
phie et  à  l'histoire  naturelle  du  pays,  ni  qui  soit 
digne  des  fastes  de  l'histoire)). 

((  Le  premier  gouverneur  étoit  un  officier  cour^ 
landais,  à  qui  on  donna  cette  chétive  commis- 
sion ,  pour  le  récompenser  de  la  perte  d'une 
jambe  emportée  au  siège  delà  ville  deDordrecht. 
Sans  la  cérémonie  de  leur  baptême,  la  plupart  de 
ces  premiers  colons  n'auroient  pas  même  eu  de 
nom.  Leurs  descendans  ne  sont  encore  connus , 
dans  quelques  cantons ,  que  par  des  sobriquets, 


288  VOYAGE 

et  ce  qui  vous  paroîtra  sans  doute  extraordi- 
naire ,  est  que  chaque  individu  en  a  trois  ;  le 
premier,  sous  lequel  il  est  connu  dans  les  champs; 
le  second ,  à  l'église  ;  le  troisième,  lorqu'il  re- 
çoit chez  lui  ses  voisins  » . 

«  Il  y  a  environ  quarante  ans  qu^un  aventu- 
rier arrivé  de  Hollande ,  qui  avoit  apporté  une 
longue  liste  de  noms ,  s'avisa  de  les  mettre  à  l'en- 
chère. Ceux  qui  étoient  précédés  du  van  y  mon- 
tèrent à  deux  piastres ,  et  les  autres  à  une  seu- 
lement. De  cette  singulière  spéculation ,  il  est 
résulté  une  foule  de  procès  relatifs  à  l'identité  des 
individus ,  procès  qui  ont  coûté  bien  plus  cher 
que  ces  noms ,  et  dont  la  génération  actuelle  ne 
verra  peut-être  pas  la  fin.  Quelles  observations 
utiles  pouvoit-on  espérer  d'hommes  dont  la  pos- 
térité en  étoit  encore  à  ce  point  d'ignorance  il 
y  a  quarante  ans  »? 

«  Cependant ,  combien  ne  seroient  pas  ins- 
tructifs les  détails  de  l'arrivée  des  premiers  co- 
lons, de  ce  qui  précéda  et  suivit  leur  débarque- 
ment !  Avec  quel  intérêt  ne  liroit-on  pas  au- 
jourd'hui ceux  de  leurs  premières  entrevues 
avec  les  indigènes ,  ceux ,  enfin ,  des  moyens 
dont  ils  firent  usage  pour  se  loger  et  vivre  sur 
la  pointe  stérile  de  l'île  de  Manhatan  ?  Car,  de 
même  que  l'espace  intermédiaire  des  distances, 
environne  d'illusions  les  objets  éloignés,  celui 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  289 
iclu  temps  ajoute  beaucoup  à  l'importance  deâ 
événemens,  excite  la  curiosité ,  et  même  la  mé- 
ditation ,  lorsqu^on  considère  Finfluence  qu^ils 
ont  eue  sur  Fenfance  de  cette  colonie.  Ce  n'est 
que  depuis  Fépoque  où  cette  colonie  reçut ,  en 
16835  les  loix  civiles  de  l'Angleterre ,  et  un  corps 
législatif  (*)  j  que  son  histoire  devient  intéres- 
sante )), 

((  L'étroite  alliance  que  la  Grande-Bretagne 
contracta  alors  avec  les  six  Nations  confédérées, 
alliance  qui  a  subsisté  jusqu'au  commencement 
de  la  révolution ,  permit  aux  habitans  d'étendre 
leurs  défrichemens ,  de  bâtir  des  villes  dans  l'in- 
térieur ,  et  de  multiplier  leur  nombre.  Il  reçut 
dans  la  suite  un  grand  accroissement  par  l'ar-^ 
riyée  successive  d'Allemands  ,  d'Irlandais  ,  de 
Flamands  ,  de  Palatins  et  de  Français  chassés 
de  leur  patrie  à  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes, 
tache  indélébile  du  règne  de  Louis  xiv  ». 

((  Quelle  différence  entre  ces  premiers  colons 
dont  je  viens  de  vous  parler  ,  et  ceux  qui  fon-* 
dèrent  la  Nouvelle-Plimouth  dans  la  baie  de 
Massachussets  en  1620,  souche  de  la  popula- 
tion des  quatre  Etats  septentrionaux ,  que  l'on. 


(*j  Vingt  ans  après  la  conquête  qu'en  firent  les  An- 
glais, en  i663 ,  au  nom  du  duc  d'York;  à  ^ui  ce  pays^ 
avoit  été  concédé, 


«?90  VOYAGE 

estime  aujourd'hui  former  le  cinquième  de  celle 
des  Etats  -  Unis  !  Instruits  par  les  révolutions 
dont  ils  sortoient  ;  éclairés  par  les  discussions 
théologiques,  alors  si  générales  ;  ayant  été  per- 
sécuteurs et  persécutés ,  ces  hommes  étoient  bien 
supérieurs  à  ceux  que  la  Hollande  envoya  ici  : 
aussi  ont-ils  soigneusement  conservé  les  traces 
de  leurs  progrès ,  la  forme  du  Gouvernement 
dont  ils  convinrent  entr'eux,  avant  même  de 
débarquer ,  le  serment  solennel  qu'ils  firent  de 
s'y  conformer,  les  loix  qu'ils  promulguèrent, 
leurs  conventions  ,  leurs  discussions  et  leurs 
guerres  avec  les  indigènes  ^  car ,  excepté  dans 
la  Pensylvanie  et  le  Maryland  _,  les  premiers 
champs  de  toutes  ces  colonies  ont  été  teints  de 
sang  humain», 

((La  variété  des  sectes  qui  ne  tardèrent  pas  a 
naître  parmi  eux,  fut  la  source  d'autant  de  petites 
colonies  qui  5  bientôt,  devinrent  des  villes  floris- 
santes, telles  que  Boston,  long-temps  connu 
sous  le  nom  indigène  de  Shawmut  ;  celles  de 
Salem ,  sous  celui  de  Naumkéag  5  de  Charles- 
town,sous  celui  de  Mishawum^  et,  enfin,  de 
Ipswich ,  sous  celui  d'Agawan ,  noms  qu'elles 
ne  perdirent  qu'à  l'époque  de  leur  incorpora- 
tion. Le  temps  n'a  rien  effacé  de  ces  traits  si  ca^ 
ractéristiques  des  opinions  religieuses  d'alors. 
Leur  fanatisme  étoit  si  exalté,  que  le  principal] 


DANS   LA  HAUTE   PENSYLVANIE.     29I 

motif  d'un  grand  nombre  de  ces  colons ,  dis-* 
tingués  par  leur  naissance  et  par  leurs  lumières, 
étoit  moins  de  former  des  établissemens ,  d'ac- 
quérir des  terres,  que  de  jouir  dans  le  sein  de 
ces  sombres  forêts,  de  toute  la  liberté  de  leur 
culte.  Ce  culte  étoit  l'objet  de  leurs  entretiens 
journaliers,  Famé  de  leur  existence,  mais  sou- 
vent aussi  la  cause  de  dissentimens  et  de  sépara- 
tions. L'histoire  ne  parle  jamais  de  la  fondation 
d'un  nouvel  établissement,  sans  indiquer  le 
nom  du  ministre  qui  conduisoit  ce  nouveau 
troupeau  dans  le  désert ,  pour  y  fonder  une  nou- 
velle église.  Ainsi  se  sont  colonisés  la  partie  mari- 
time de  Massacliussets,  toute  l'île  de  Rhodes  et 
le  Connecticut,  sans  parler  du  nouveau  Hamps- 
liire)). 

((  Aujourd'hui  que  Fesprit  du  siècle  est  si  dif- 
férent, les  descendans  de  ces  anciens  Puritains 
peuvent  à  peine  se  former  une  idée  de  l'impor- 
tance que  leurs  pères  attachoient  à  l'interpréta- 
tion de  certains  textes  de  l'écriture  sainte,  ainsi 
qu'aux  formes  rigides  d'un  culte  qui  a  voit  une 
aussi  grande  influence  sur  leur  conduite  et  leur^ 
actions.  On  ne  pouvoit  être  élu  à  aucunes  fonc- 
tions civiles ,  ni  même  être  membre  de  leurs  so- 
ciétés ,  sans  l'être  aussi  de  leurs  congrégations. 
Delà,  l'esprit  d'intolérance  et  d'hypocrisie  qu'on 
leur  a  si  long-temps  ^  et  si  justement  reproché» 


*2g2  VOYAGE 

Quelle  différence  aujourd'hui  !  Des  malionié- 
tans  pourroient  construire  une  mosquée  parmi 
les  arrière-petits-fils  de  ceux  qui,  il  y  a  un  siè- 
cle, firent  exécuter  plusieurs  Quakers  pour 
n'avoir  pas  voulu  renoncer  à  leurs  opinions  re- 
ligieuses. Que  sera-ce  donc  dans  un  siècle  »  ? 

c(  Cependant,  au  milieu  des  ardeurs,  des  élans 
de  ce  brûlant  fanatisme ,  on  voit  briller  des  ver- 
tus éminentes  et  de  grandes  qualités ,  non-seu- 
lement parmi  les  chefs  de  ces  illuminés,  mais 
parmi  ceux-ci  même  :  jamais  colonie  ne  fut 
fondée  par  des  hommes  moins  ignorans.  Très- 
peu  d'années  après  être  arrivés  dans  la  baie  de 
Massachussets,  ils  consacrèrent  leur  désir  de 
propager  les  lumières  et  les  connoissances,  par 
la  fondation  de  l'université  de  Cambridge  (^)  , 
cette  aima  /Tza^^r  pour  laquelle  leurs  descendans 
conservent  encore  le  plus  grand  respect  et  la 
plus  tendre  affection ,  ainsi  que  par  l'institu- 
tion des  écoles  dans  les  campagnes  comme  dans 

— W^—— ^^    III     I  »   I  I    1^1— .^laiwi—    I  ■ —  III  innu,»!      iiiiMi     mil    1      ■  ■■■■  ^.Miiii  iijH  1.1      ii.-ii.i»  ■       i^ii  I  ■       .1        ■■    — 

(*  )  L'université  de  Cambridge, ou  plutôt  de  Harvard 
(du  nom  de  son  principal  bienfaiteur),  fut  fondée  en 
i638,  dix-huit  ans  après  l'arrivée  des  premiers  colons, 
et  reçut  une  cbarte  d'incorporation  en  i65o.  Elle  est 
agréablement  située  à  trois  milles  de  Boston  ;  les  édifices 
en  sont  vastes  et  élégans.  Elle  est  la  plus  ancienne,  la 
plus  ricbement  dotée  ^  et,  sous  tous  les  rapports ,  la  pre- 
mière du  continent. 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.    29I? 

les  villes  (^) ,  grand  et  mémorable  exemple  que 
William-Penn,  lui-même ,  n^a  pas  suivi ,  quoi- 
qu'il arrivât  en  Pensylvanie  62  ans  après  la  pre- 
mière colonisation  de  Massachussets  ». 

((  Je  Favoue ,  je  ne  rencontre  jamais  dans  l'his- 
toire ,  sans  quelques  mouvemens  d'admiration , 
les  noms  de  ces  illustres  fondateurs ,  qui  traver- 
sèrent l'Océan  pour  conduire  leurs  compagnons 
sur  ce  continent,  alors  couvert  d'épaisses  forets, 
sauvage,  agreste,  rempli  d'animaux  féroces, 
habité  par  des  hommes  presqu'aussi  féroces  (3). 
A  combien  de  dangers,  de  fatigues  etd'inconvé- 
niens  de  tous  les  genres,  la  première  génération 
ne  fut-elle  pas  exposée ,  lorsque  les  maisons  n'é- 
toient  que  des  cabanes.,  presque  sans  aucuns 
ameublem^ns ,  et  lorsqu'il  n'y  avoit  ni  che- 
mins, ni  ponts,  ni  communications  (4)?  Qui 
reconnoîtroit  aujourd'hui  cet  ancien  état  de  cho'- 
ses  y  en  voyageant  dans  ce  pays  si  bien  cultivé  , 
et  généralement  si  pittoresque?  S'il  faut  du  cou- 
rage pour  aller  vivre  sur  l'Ohio  ,  à  100  lieues  de 

(*)  La  loi  oblige  les  Iiabitans  des  districts  où  il  y  a 
5o  familles  ,  d'avoir  une  éeole  où  l'on  enseigne  aux  en- 
fans  à  lire,  écrire  ,  l'orthographe  ,  l'aritlunétique  et  la 
langue  anglaise.  Dans  ceux  où  il  s'en  trouve  200 ,  uno 
autre  école  dans  laquelle  on  enseigne  le  grec  ,  le  latin  , 
ainsi  que  la  grammaire  anglaise.  L'amende  est  depuis  2o 
jusqu'à  100  piastres  (160  à  55o  fr.), 


k 


594  VOYAGE 

ses  proches  et  de  ses  amis ,  combien  n'en  falloit- 
il  pas  alors  pour  abandonner  un  pays ,  une  so- 
ciété, que  ces  colons  ne  dévoient  jamais  revoir , 
et  dont  ils  alloient  être  séparés  par  un  vaste 
océan  ?  Quelle  énergie  les  opinions  religieuses 
d^alors  ne  leur  avoient- elles  pas  donnée?  car  la 
plupart  étoient  riches,  et  appartenoient  à  des  fa- 
înilles  distinguées  ^  c'est  peut-être  à  cette  cause 
que  leur  postérité  doit  l'énergie  qui  les  distingue 
encore  du  reste  de  leurs  compatriotes,  et  se  ma- 
nifeste  dans  leur  infatigable  activité,  leur  indus- 
trie ,  et  la  hardiesse  de  leurs  entreprises  et  de 
leurs  spéculations  sur  terre  et  sur  mer  )). 

c(  Cinq  ans  s'écoulèrent  avant  l'arrivée  de  la 
première  vache  :  ce  fut  un  jour  de  fête  dans 
toute  la  colonie.  Sans  compter  les  autres  bes^- 
tiaux  5  il  y  en  a  aujourd'hui  dans  le  seul  Etat 
de  Massachussets  3g  1,2 54  (5)  ». 

«Je  me  rapelle,  je  l'avoue,  les  noms  de  Cabot, 
deRaleigh  ,  d'Argal,dePopham,Darmer,Hud- 
son,  et  de  tant  d'autres  célèbres  navigateurs,  avec 
plus  de  vénération  que  ceux  de  ces  hommes  aux- 
quels l'histoire  a  donné  le  titre  de  héros.  Quelle 
différence  entre  les  souvenirs  que  font  naître  les 
noms  de  Delaware,  Fairfax,  Baltimore  (^)  , 


(*)  Lorsque  le  lord  Baltimore  (  Cécilius  Calvert)  étoiî 
secrétaire  d'Etat ,  en  1622,  il  obtint  de  Jaccj^ues  i  un© 


DANS   LA    HAUTE   PENSYLVANIE.      QqS 

Penn,  Carver,  Indicot,  Vane,  Vintlirop,  &c.  ; 
et  ceux  que  réveillent  les  noms  de  Paul  Emile, 
de  Marins ,  de  Sylla ,   de  Tamerlan ,  d'Attila  , 
et  de  tant   d'autres  conquérans.   Les  premiers 
ont  ouvert  un  asyle  où  les  malheureux  et  les 
opprimés  ont  trouvé   un    refuge  ;    les   autres 
n'ont  mis  leur  gloire  qu'à  détruire  et  ravager. 
Les  premiers  ont  jeté  les  fondemens  de  ce  vaste 
temple  de  la  liberté  civile  et  religieuse,  et  y  ont , 
pour  ainsi  dire,  appelé  les  hommes  du  néant  5  les 
autres  n'ont  conquis  que  pour  soumettre  les  na- 
tions à  leur  joug  de  fer.  Les  premiers  promut* 
guèrent  des  loix  de  justice  et  de  paix,  fondèrent 
des  villes  et  des  bourgades ,  établirent  un  com- 
merce   maritime  ,    défrichèrent    les   premiers 
champs  de  cet  hémisphère,  où  les  sciences  et  les 
arts ,  ces  beaux  fruits  de  la  civilisation ,  com- 
mencent à  être  cultivés ,  encouragés  ;  les  talens 
et  le  génie  des  autres  ne  leur  ont  servi  qu'à  ren- 
verser ,  subjuguer  et  asservir  )). 

concession  très-consiflérable  sur  l'île  cle  Terre-Neuve, 
à  laquelle  il  donna  le  nom  d'Avalon,  d'après  celui  d'un 
manoir  qu^il  avoit  dans  le  comté  de  Sommerset.  Il  y  alla 
deux  fois,  y  fit  bâtir  une  grande  maison,  et  défricher 
une  très-grande  quantité  de  terre ,  et  dépensa  vingt-cinq 
mille  guinées;  mais  les  Français  ayant  dévasté  son  do- 
maine, il  l'abandonna,  et  obtint,  en  i652 ,  de  Charles  i,  la 
concession  du  Maryland,  estimée  contenir  9, 1 70^000  acres. 


/ 


^96  VOYAGE 

((  Pardonnez ,  messieurs ,  la  longueur  et  le  peu 
d^importance  des  détails  dans  lesquels  je  ne  me 
suis  laissé  entraîner  que  pour  répondre ,  tout-à- 
la-fois,  à  vos  nombreuses  questions,  détails  que 
TOUS  devez  à  l'étude  particulière  que  j'ai  faite 
de  Forigine  de  presque  toutes  nos  colonies.  Si 
j^étois  littérateur,  je  serois  digne  d'en  écrire  les 
antiquités  :  j'ai  fait  une  collection  de  tout  ce 
qu^on  a  publié  en  Europe  et  ici  de  relatif  à  la  dé- 
couverte du  continent,  ainsi  que  des  histoires  de 
presque  toutes  les  colonies.  Quel  intéressant  ta- 
bleau un  habile  écrivain  pourroit  faire  de  cette 
longue  suite  d^événemens,  d'efforts  et  d'aven- 
tures  plus  ou  moins   heureuses    ou  malheu- 
reuses 5  depuis  les  premiers  colons  que  sir  Wal- 
ter  Raleigh  conduisit  à  Roanoke  en  1677,  ^^ 
dont  on  n'a  jamais  entendu  parler  depuis,  jusqu'à 
îa  colonisation  de  la  Géorgie,  par  le  général 
Oglethorp  (6),  en  1757,  et  la  fondation    des 
Etats  intérieurs  de  Vermont ,  de  Kentukey  et 
du  Ténézée  !  Je  ne  connois  point  de  sujet  qui 
fût  plus  digne  du  pinceau  d^un  grand  peintre  5 
et  si,  aux.  détails  de  ces  longs  et  pénibles  com- 
mencemens ,  il  ajoutoit  ceux  du  progrès  de  ces 
colonies  jusqu'en  177^,  ceux  de  leur  émancipa- 
tion confirmée  en  1783,  ceux,  enfin,  de  la  pos- 
térité de  ces  Etats  depuis  1790,  je  crois  qu'il  n'y 
a  guère  de  lecteurs  auxquels  cet  ouvrage  n'ins- 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIH.  297 
pirât  un  grand  intérêt.  Ce  seroit  l'histoire  de 
l'événement  le  plus  intéressant  des  temps  mo- 
dernes, la  découverte  et  la  population  de  cet 
îiémisplière,  dontles  nouvelles  destinées  doivent 
nécessairement  influer  sur  celles  de  l'ancien, 
monde  )). 

c(  On  n'a  pas  publié  une  carte  de  ce  pays  en 
Europe ,  qui  ne  se  trouve  dans  ma  collection  ; 
j'ai  même  une  copie  de  celle  que  le  chevalier 
Martin  Béhem  (7)  fit  pour  le  roi  Jean  11  de  Por- 
tugal, il  y  a  plus  de  000  ans,  ainsi  que  celle  de 
Purchas,  publiée  en  Angleterre  en  1625,  sur 
laquelle  furent  tracées  les  premières  décou- 
vertes des  Cabot,  depuis  le  golfe  Saint-Laurent 
jusqu'aux  caps  de  la  Delaware  ». 

«  Après  M.  Hazard,  à  qui  on  doit  la  conser- 
vation de  nos  anciennes  chartes  (^) ,  celle  des 
actes  de  Parlement,  des  arrêtés  du  Conseil,  des 
décisions  des  ministres  ,  relatifs  aux  colonies  5 
des  traités  avec  les  indigènes,  enfin ,  de  ce  qu'on 
appelle  state-j)apers  ,  je  suis  peut-être  une  des 
personnes  du  continent  qui  se  soit  le  plus  soi- 

(*)  C'est  aux  connoissances ,  au  zèle  et  à  l'infatigable 
persévérance  de  ce  respectable  personnage^  que  les  Etats- 
Unis  doivent  la  belle  collection  in  -folio  des  chartes  et 
des  actes  du  Gouvernement ,  depuis  l'origine  des  colonies 
jusqu'à  la  révolution.  Cette  précieuse  colleclion  ne  sera 
livrée  toute  entière  au  public  que  vers  la  lin  du  siècle. 


2g8  VOYAGE 

gneusement  occupée  de  tout  ce  qui  a  rapport  à 
nos  antiquités  :  aussi  suis-je  devenu  membre  de 
la  société  des  antiquaires,  fondée  à  Boston  en 
1782.  J'ai  fait  plus  encore  :  je  me  suis  procuré ,  à 
grands  frais,  le  plan  de  nos  capitales,  telles  qu'elles 
étoient  à  différentes  époques.  Pour  cela  j'ai  été 
obligé  d'avoir  recours  à  la  mémoire  de  leurs  plus 
anciens  habitans.  C'est  vraiment  une  chose  très- 
curieuse  devoir  aujourd'hui  ce  qu'étoient  Char- 
lestown,  Philadelphie,  Boston,  New -York, 
&c.  5o,  4o,  5o  ans  après  leur  fondation.  J'ai  fait 
dessiner  sur  la  même  carte ,  au  moyen  de  feuil- 
lets qu'on  peut  facilement  soulever,  celui  de 
cette  dernière  ville  (8),  telle,  à-peu-près,  qu'elle 
étoit  en  1660  ,  à  l'époque  de  sa  conquête  par  les 
Anglais  ;  en  i685,  lorsque  le  Gouvernement  de 
cette  colonie  devint  royal  ;  en  1710,  1764  5  en 
1776,  lorsqu'elle  fut  prise  par  le  lord  Corn- 
wallis ,  et  en  partie  brûlée  ;  et ,  enfin ,  telle  qu'elle 
est  aujourd'hui  (9).  Quel  prodigieux  accroisse- 
ment !  A  peine  puis-je  en  croire  mes  yeux.  Elle 
ne  ressemble  plus  à  ce  qu'elle  étoit  dans  ma  jeu- 
nesse. Les  fermes  de  Bayard  et  Délancey ,  jadis 
couvertes  de  moissons,  de  bestiaux  et  d'her- 
bages, le  sont  aujourd'hui  déniaisons  élégantes, 
de  rues  accompagnées  de  trottoirs  et  de  pompes, 
La  grande  prison  que  le  Gouvernement  vient 
de  faire  construire ,  occupe  quatre  acres  de  la 


DANS   LA   HAUTE  PENSYLVANIE.     29g 

dernière  :  ce  quartier  est  un  des  plus  beaux  de 
la  ville  )). 

«Quelle  âpre  et  stérile  apparence  devoit  avoir 
la  pointe  occidentale  de  File  de  Manliatan,  sur 
laquelle  nos  ancêtres  débarquèrent  !  La  crête 
(aujourd'hui  Broad-way),  n'avoit  pas  4oo 
toises  de  largeur,  depuis  les  eaux  du  Hudson, 
jusqu'à  celles  du  Sund  :  tout  le  reste,  vers  le  sud, 
n'étoit  qu'un  atterrissement  fangeux,  sur  lequel 
croissoient  des  herbes  aquatiques  et  maritimes. 
Broad-Street  étoit  un  canal  naturel  inaborda- 
ble ,  dans  lequel  la  marée  montoit  jusqu'à  la 
maison-de- ville.  Le  surplus  du  terrein  sur  le- 
quel la  ville  a  été  construite,  n'ofFroit  aux 
yeux  que  des  lagunes  couvertes  des  eaux  de 
la  mer  )). 

«  Quant  à  la  belle  rue  de  Greenwich,  qui  a 
60  pieds  de  large  et  deux  milles  de  long ,  il  n'y 
a  pas  encore  onze  ans  que  les  eaux  du  Hudson 
couvroient  une  partie  de  l'emplacement  qu'elle 
occupe  ;  c'étoit  le  rendez-vous  de  toutes  les  pi- 
rogues huîtrières  de  la  ville  :  les  maisons  s'éten- 
dent 4oo  pieds  encore  plus  avant  dans  cette 
rivière.  En  ne  considérant  cette  ville  que  telle 
qu'elle  étoit  en  1784 ,  je  crois  que  l'on  peut  as- 
surer qu'un  quart  du  terrein  sur  lequel  elle  est 
bâtie,  a  été  fait  de  main  d'homme  (10).  Voilà 
pourquoi  l'eau  des  puits  n'est  pas  bonne  j  voilà 


5oa  VOYAGE 

pourquoi,  plutôt  que  de  rétablir  la  pompe-à-feu 
que  les  Anglais  détruisirent  pendant  la  guerre  ^ 
on  a  cru  qu^il  seroit  préférable  d'y  amener,  de 
25  milles,  un  gros  ruisseau  ;  c'est  ce  que  va  faire 
exécuter  une  compagnie  à  laquelle  le  Gouverne- 
ment vient  d'accorder  une  charte  d'incorpora- 
tion qui  concède  à  perpétuité  l'usufruit  de  cette 
entreprise.  Je  suis  curieux  de  voir  comment  ils 
élèveront  l'aqueduc  qui  doit  conduire  les  eaux 
de  ce  ruisseau  à  travers  la  rivière  de  Harlem , 
et  sur-tout  comment  ils  en  garantiront  les  piles 
de  la  violence  des  glaces.  Cette  entreprise  sera 
dispendieuse,  et  est  digne  du  génie  des  per- 
sonnes que  les  souscripteurs  ont  choisies  parmi 
eux  pour  en  être  les  directeurs ,  entre  lesquelles 
on  distingue  le  colonel  Burr,  avocat  célèbre, 
long-temps  sénateur  des  Etats-Unis,  et  qui, 
pendant  la  guerre,  a  été  un  de  nos  plus  braves 
officiers.  Son  père  est  mort  président  du  collège 
de  Princetown  ». 

((  Comment  s'empare-t-on  ici  avec  tant  de  fa- 
cilité de  ces  terreins  inondés ,  demanda  M.  Her- 
man ,  par  quel  moyen  rend-on  un  sol  aquati- 
que assez  solide  pour  pouvoir  y  élever  des  mai- 
sons? Il  faut  donc  transporter  des  rochers ,  des 
montagnes  toutes  entières  ?  Cela  me  paroît  de^ 
voir  être  aussi  coûteux  que  difficile  à  exécuter. 

(c  Ces  opérations  le  sont  cependant  beaucoup 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIS.     5oi 

moins  que  vous  ne  l'imaginez,  répliqua  M.  G., 
parce  que  nous  avons  le  bois  et  la  pierre  en  grande 
abondance  ,  et  que  tout  vient  par  eau.  La 
nécessité  dans  laquelle  se  trouvèrent  les  pre- 
miers colons  d'élever  leurs  magasins  et  leurs 
maisons  le  plus  près  possible  des  eaux  naviga- 
bles, les  força  d'avoir  recours  à  ces  encaisse- 
mens,  dont,  vraisemblablement,  ils  apportè- 
rent deHollande  l'exemple  et  les  premières  idées. 
De-là  est  venue  l'adresse  qu'ils  ont  acquise  dans 
ce  genre  d'industrie  j  elle  est  aujourd'hui  si  per- 
fectionnée, que  j'en  ai  vu  fonder  dans  4o  pieds 
d'eau  ,  avec  autant  de  facilité  que  dans  lo  )). 

a  On  se  sert  pour  cela  de  troncs  de  sapins  ou 
de  liemlocs  proprement  équarris ,  dont  on  fait 
des  cages  d'après  les  dimensions  des  terreins 
aquatiques  concédés  par  la  corporation  de  la 
ville,  à  laquelle  ils  appartiennent^  on  les  fait 
couler  graduellement  et  perpendiculairement 
jusqu'à  ce  qu'elles  touchent  le  fond  j  alors  on  les 
remplit  de  pierres  apportées  dans  des  barques 
d'une  construction  particulière  :  opération  dans 
laquelle  on  met  une  grande  célérité.  On  a  soin , 
à  mesure  qu'elles  se  remplissent ,  d'en  assurer 
les  côtés  avec  des  jambes  de  force,  placées  dia- 
gonalement,  et  arrêtées  par  des  boulons  de  fer^ 
sur-tout  vers  les  parties  qui  sont  le  plus  fré- 
quemment exposées  à  la  violence  des  glaces» 


5o2  VOYAGE 

Aussi- tôt  qu'elles  ont  été  remplies  au-dessus  de 
la  hauteur  des  marées  de  Féquinoxe,  on  les  re- 
couvre de  gravier  et  de  terre.  Je  me  rappelle 
d^avoir  vu  à  Greenwich ,  dans  ma  jeunesse  , 
une  jetée  de  5o  pieds  de  long ,  qui ,  étant  de- 
venue inutile,  fut  ensemencée  en  luzerne,  et 
cette  luzerne  a  existé  pendant  un  grand  nombre 
d'années  ». 

c(  Dès  que  ces  terreins  artificiels  sont  conso- 
lidés,  on  y  élève  des  magasins  en  charpente^ 
et  quelques  années  après ,  des  maisons  de  bri- 
ques. Telle  a  été  Forigine  de  presque  toute  la 
partie  méridionale  de  la  ville  de  New  -  York, 
L^emplacementsur  lequel  on  a  construit  le  grand 
café,  qui  sert  aujourd'hui  de  bourse,  et  où  se 
tiennent  les  chambres  d'assurances  ,  étoit ,  en 
1765,1e  mouillage  des  Vaisseaux  de  moyenne 
grandeur.  Ce  bel  édifice  est  maintenant  à  5oo 
pieds  de  la  mer.  On  a  formé  au-delà  deux  rangs 
de  maisons  et  deux  rues  (*).  Cet  envahissement 
des  eaux  a  été  si  considérable,  que  les  vais- 
seaux passent  aujourd'hui  entre  File  du  Gou« 
verneur  (^'^)  et  celle  de  Nassau,  espace  que 
j'ai  fréquemment  traversé  à  pied  sec  dans  ma 
jeunesse  :  20  pieds  d'eau  couvrent  cet  endroit 

(^)  Water  et  Front-Street. 

C^*)  Cette  île  forme  le  havre  de  l'est. 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLVANIE.    5o3 

OÙ  jadis  on    voyoit   à  peine   un    ruisseau  ». 

((  Il  en  a  été  de  même  dans  presque  toutes  les 
villes  maritimes  du  continent.  Pour  obtenir  une 
plus  grande  profondeur  d^eau  ,  à  l'extrémité  de 
leurs  jetées  5  les  habitans  ont  formé  des  encaisse- 
niens  plus  ou  moins  considérables.  C^est  à  New- 
port,  dans  l'île  de  Rhodes ,  que  l'on  voit  d'im- 
menses travaux  en  ce  genre,  ainsi  qu'à  Boston. 
La  principale  jetée  de  cette  dernière  ville,  bien 
connue  sous  le  nom  de  Longwarf,  a  i5oo  pieds 
de  long  et  80  de  large  ;  on  y  a  élevé  sur  la  gauclie 
une  longue  suite  de  magnifiques  magasins,  en 
face  desquels  on  charge  et  on  décharge  les  vais- 
seaux :  c'est  là  qu'on  voit,  dans  toute  son  ac- 
tivité*, ce  peuple  marin.  Cette  jetée  a  été  cons- 
truite, il  y  a  4o  ans,  par  une  compagnie  incor- 
porée, aux  agens  de  laquelle  on  paye  les  droits 
de  qua^rage  prescrits  par  la  loi  )). 

«Quel  dommage,  direz-vous,  que  ces  ou- 
vrages n'aient  pas  été  faits  en  pierres  î  Le  coup- 
d'oeil  en  seroit  bien  plus  beau ,  et  peut  -  être 
aussi  les  croiriez-vous  plus  durables  5  mais  rap- 
pelez-vous que  ces  fondations  n^ont  point  été 
entreprises  par  des  rois,  qui,  com^me  le  czar  de 
Moscovie,  37-  auroient  sacrifié  des  tonnes  d'or  et 
des  milliers  d'hommes;  mais  par  de  simples  par- 
ticuliers ,  ou  par  quelques  associations  qui 
n'ont  pu  employer  que  des  moyens  ordinaires. 


5o4  VOYAGE 

D'ailleurs,  je  suis  persuadé  que  les  glaces  au- 
roient  beaucoup  plus  de  prise  sur  des  angles  et 
des  surfaces  en  pierres  que  sur  des  piles  de  bois , 
que  l'on  répare  si  facilement ,  sans  que  Fensem'- 
ble  éprouve  le  moindre  ébranlement  )). 

((  Il  est  probable  que,  dans  un  siècle  ou  deux, 
on  s'occupera ,  plus  qu'aujourd'hui,  de  mettre 
quelque  luxe  dans  la  construction  de  ces  ou- 
vrages :  les  hommes  seront  alors  aussi  nom- 
breux qu'en  Europe;  notre  postérité  jouira  de 
plusieurs  ressources,  que  notre  foiblessenenous 
permet  pas  d'atteindre.  Jusqu'ici  nous  n'avons 
cherché  que  les  moyens  de  pouvoir  charger  et 
décharger  les  vaisseaux  avec  promptitude  et  fa- 
cilité. Vous  conviendrez  que  ces  jetées,  à  côté 
desquelles  ils  viennent  s'amarrer ,  sont  d'une 
grande  commodité,  puisque  les  voitures  peu- 
vent approcher  jusqu'au  passe-avant  des  bâti- 
mens)). 

a  Eh  !  que  sommes-nous  encore ,  pour  nous 
occuper  de  ces  embellissemens,  nous  dont  la 
véritable  émancipation  ne  date  que  de  1790; 
nous  5  dont  le  nom ,  l'existence  nationale  et  le 
Gouvernement  n'ont  pas  encore  reçu  la  consé- 
cration d'un  grand  nombre  d'années  ?  Qu^é- 
tions  -  nous  avant  cette  époque?  Un  peuple 
couvert  de  la  rouille  des  préjugés  qu'il  avoit 
contractés  dans  son  enfance  3  quoique  tout-à- 


BANS   LA   HAUTE   PENSYLTANIE.     0o5 

coup  parvenu  à  sa  majorité  par  les  plus  extraor- 
dinaires des  événemens  5  un  peuple  qui,  na- 
guère, ne  connoissant  d^autres  affections  ni 
d'autres  intérêts  que  ceux  de  la  colonie  qui 
Favoit  vu  naître,  n'a  pas  encore  eu  le  temps  de 
s'élever,  par  l'éducation,  l'opinion  et  le  senti- 
ment ,  au  grand  caractère  qui  doit  distinguer  les 
membres  de  la  nouvelle  famille  des  Etats-Unis. 
Qu'étions-nous,  il  y  a  4o  ans,  lorsque,  dans  l'inté- 
rieur, on  ne  voyoit  que  quelques  habitations  iso- 
lées,  séparées  les  unes  des  autres  par  d'épaisses 
forêts ,  d'immenses  marais ,  ou  des  rivières  sans 
ponts?  Qu'étoient  alors  nos  villes?  De  grosses 
bourgades  habitées  par  des  hommes,  heureux 
à  la  vérité  (car  l'enfance  de  ces  colonies  a  été 
leur  âge  d'or),  mais  peu  instruits ,  dont  les  spé- 
culations et  le  commerce ,  tracés  par  la  métro- 
pole, ne  parcouroient  qu'un  cercle  étroit.  On 
ne  devroit  donc  pas  trouver  extraordinaire , 
comme  le  font  la  plupart  des  voyageurs ,  que 
ce  qu'ils  observent  parmi  nous  soit  si  inférieur 
à  ce  qu'ils  ont  vu  dans  leur  patrie.  Peut-on  es- 
pérer qu'un  arbre  rapporte  du  fruit  avant  d'avoir 
acquis  l'accroissement  nécessaire?  Encore  5o  ans 
de  paix  avec  l'univers,  et  de  tranquillité  chez 
nous ,  alors  ils  verront  combien  tout  sera  per- 
fectionné ». 

((  Depuis  le  long  séjour  que  je  fis ,  il  y  a  deux 
III»  r 


5oG  Voyage 

ans 5  cliez  lecliancelierLivingstoii,ditM.  Her^ 
man,  je  n^avois  point  entendu  de  conversation 
aussi  intéressante.  Quel  bonheur  pour  un  étran- 
ger comme  moi ,  que  d'avoir  été  introduit  auprès 
de  personnes  chez  lesquelles  je  jouis  à-la-fois  des 
charmes  de  l'hospitalité  et  du  plaisir  d'entendre 
des  détails  également  nouveaux  et  instructifs  ! 
A  peine  aurois-je  pu,  après  six  mois  d'étude  et 
de  recherches,  savoir  ce  que  je  viens  d'appren- 
dre? dans  l'espace  de  quelques  heures.  C'est  à  ce 
respectable  compagnon  de  voyage,  continua- 
t-il ,  que  je  dois  l'inappréciable  avantage  d'avoir 
mérité  l'estime  et  l'amitié  de  tant  de  personnes 
instruites.  Ainsi  que  vous,  Monsieur,  il  a  connu 
ce  pays  dans  son  état  colonial  ;  ainsi  que  vous^ 
il  a  vu  naître  et  arriver  ces  événemens ,  ces  chan- 
ces et  ces  hasards  qui  ont  conduit  cette  intéres- 
sante portion  de  l'Amérique  à  l'émancipation. 
S'il  est  douloureux  de  vieillir ,  on  est  un  peu 
dédommagé  du  passage  rapide  de  la  vie,  lors-^ 
que  l'on  a  le  bonheur  de  paroître  sur  la  scène 
du  monde  à  une  époque  aussi  extraordinaire. 
Quels  changemens  dans  les  opinions  des  hom-» 
mes  depuis  1774  1  Ce  court  période  de  24  ans ,  a 
été  plus  fécond  en  grands  événemens,  et  sur-tout 
en  germes  d'événemens  plus  importans  encore, 
que  plusieurs  siècles  antérieurs.  Le  commen- 
cement de  celui-ci  sera  considéré ,  dans  la  suit<^ 


DANS    LA    HAUTE   PENSYLVANIE.     OOJ^ 

des  temps ,  comme  une  nouvelle  ère.  Dites-moi , 
je  vous  prie ,  combien  y  a-t-il  d'années  que  vous 
possédez  cette  belle  et  fertile  plantation,  si  agréa- 
blement ,  si  doucement  assise  sur  les  bords  de 
cette  jolie  rivière  ))  ? 

«  Elle  est  dans  notre  famille,  répondit  M.  G., 
depuis  1680  5  époque  à  laquelle  mon  bisaïeul  en 
fit  l'acquisition  des  derniers  indigènes  du  vil- 
lage d'Acquakanunck.  Cette  possession  est  bien 
légitime,  comme  vous  le  voyez.  Obligé  de  deve- 
nir cultivateur,  après  la  disparition  du  gibier, 
un  des  chefs  de  la  famille ,  Wépeeton ,  vendit , 
pour  une  pension  de  60  piastres,  la  portion  de 
terre  qui  lui  étoit  échue  lors  du  partage  avec  les 
autres  habitans  du  village,  dont  il  ne  restoit 
plus  que  67  individus.  Mon  bisaïeul,  homme 
juste,  lui  fit  construire  une  bonne  cabane  et 
enclore  un  jardin  considérable,  dans  lequel  les 
femmes  plantèrent  leur  maïs.  Avec  ces  ressources 
et  celle  de  la  pêche,  cette  famille  vécut  dans 
l'aisance  jusqu'à  la  mort  de  Skeesakon,  le  der- 
nier descendant ,  qui  mourut  en  175©  )). 

((  Je  suis  si  attaché  à  ce  sol  paternel ,  continua 
M.  Gr. ,  que  je  serois  extrêmement  peiné ,  si  je 
prévoyois  que  mon  fils  conçut  un  jour  l'idée 
de  s'en  défaire.  Dans  l'intention  de  le  lui  rendre 
plus  cher  ,  j'ai  fait  venir  d'Europe  un  grand 
nombre  d'arbres  des  meilleures  espèces  à  fruits , 

2 


BoS  VOYAGE 


et  des  plus  rares  dans  ce  pays ,  où  le  goût  deè 
jardins  est  encore  à  naître.  J^ai ,  comme  vous 
l'avez  vu,  un  excellent  jardinier  hollandais, 
auquel  je  ne  refuse  rien  de  ce  qu'il  me  demande 
pour  améliorer  le  sol  et  garantir  mes  arbres  des 
rigueurs  de  l'hiver  ;  j'ai  même  plusieurs  pieds  de 
vignes,  qui,  déjà,  commencent  à  me  donner  du 
raisin.  Le  croiriez-vous?  cet  homme  est  un  phi- 
losophe-pratique dans  tout  ce  qui  concerne  la  vé- 
gétation et  la  conduite  de  son  jardin  j  ses  lumiè- 
res ,  son  expérience  et  ses  conversations  m'ont 
beaucoup  instruit;  car,  lorsque  je  travaillois  dans 
mon  comptoir  à  Santa-Cruz,  je  ne  pensois  guère 
au  mouvement  de  la  sève  des  arbres ,  ni  aux 
influences  du  soleil  et  des  saisons  )). 

«  A  mon  âge,  cet  homme  m'a  fait  connoître 
lui  nouveau  genre  de  bonheur,  dont  je  n'avois 
pas  la  plus  légère  idée  ;  et  on  va  le  chercher,  ce 
bonheur ,  sous  les  frimats  du  r^ord ,  et  sous  les 
feux  de  la  zone  torride,  tandis  qu'il  est  à  notre 
porte,  sous  nos  fenêtres,  dans  notre  jardin  !  En 
me  mettant  la  serpette  à  la  main ,  mon  jardinier 
m'a  appris  à  sentir  de  l'intérêt ,  et  même  de  l'af- 
fection pour  mes  arbres.  Il  m'a  donné  quelques 
leçons  de  botanique.  Comment  vous  exprimerai- 
je  l'effet  qu'elles  produisirent  sur  in  on  esprit  ; 
l'étonnement ,  le  respect  et  l'admiration  dont 
elles  me  remplirent  ?  Malheureux  que  tu  es  !  m^ 


DANS   LA   HAUTK   PENSYLVANIE.     009 

dis-je  à  moi-même,  tu  as  vécu  jusqu^à  5o  ans, 
et  tu  ne  connois  pas  ce  sanctuaire  sous  les  voiles 
duquel  la  nature  cache  les  mystères  de  la  propa- 
gation et  de  la  reproduction  des  plantes  !  Depuis 
long -temps  je  vais  moins  souvent  à  New- York  5 
j'ai  moins  besoin  des  sociétés  bruyantes,  des 
plaisirs  de  la  table  ;  je  reçois ,  par  préférence  , 
ceux  de  mes  amis  qui  ont  des  inclinations  ana- 
logues aux  goûts  que  cet  honnête  Hollandais  m'a 
inspirés.  Je  passe  avec  lui  une  partie  du  temps 
que  je  ne  consacre  ni  à  la  lecture  ni  aux  soins 
de  la  culture.  Autant  que  je  le  puis,  je  me  fais 
accompagner  par  mon  fils,  auquel  je  tâche  d'ins- 
pirer les  mêmes  goûts,  et  à  qui  cet  excellent 
jardinier  a  enseigné  à  écussonner  et  à  greffer)). 

((Ces  sauvageons,  dis-je  quelquefois  à  mon 
fils ,  qui  vous  doivent  leur  civilisation,  doivent 
aussi  vous  être  plus  chers  que  les  autres  arbres  de 
ce  jardin;  un  jour,  leur  fruit  vous  paroîtrameil- 
leur,  et  vous  ressentirez  un  double  plaisir,  j'en 
suis  sûr,  lorsqu'en  présentant  à  vos  amis  une 
belle  pêche,  ou  une  poire  succulente,  vous  pour- 
rez leur  dire  :  «  C'est  moi  qui,  jadis ,  écussonnai 
)>  ces  arbres  )) . 

((Je  fis  construire,  il  y  a  plusieurs  années,  à 
quelque  distance  de  ma  maison,  un  caveau  que 
j'ai  environné  de  cèdres  rouges  et  d'acacias,  et 
dans  lequel  les  cendres  de  mes  ancêtres  ont  été 


3lO  VOYAGE 

transportées  de  la  vieille  église  hollandaise  de 
New -York,  et  j'ai  ordonné  dans  mon  testa- 
ment que  les  miennes  y  fussent  déposées  un  jour. 
Ayant  inspiré  de  bonne  heure  à  ce  jeune  homme 
lin  respect  religieux  pour  les  lieux  consacrés  au 
repos  des  morts,  je  me  flatte  que  tous  ces  motifs 
contribueront  à  éloigner  de  son  esprit  et  de  son 
coeur  5  Fidée  d'aliéner  ce  domaine,  et  lui  feront 
considérer  une  telle  action  comme  honteuse  et 
sacrilège.  Ce  respect ,  dont  toutes  les  âmes  hon- 
nêtes sont  involontairement  pénétrées ,  est  plu- 
tôt l'effet  de  l'instinct  que  de  la  réflexion ,  puis- 
qu'on le  remarque  parmi  les  indigènes,  dans  la 
mémoire  desquels  les  lieux  où  ont  été  déposés 
les  os  de  leurs  parens  et  de  leurs  amis,  sont  deve- 
nus des  points  géographiques  comme  les  torrens, 
les  chutes  et  les  montagnes.  D'ailleurs,  combien 
de  réflexions  utiles  ne  doit  pas  faire  naître  dans 
l'esprit  d'un  fils ,  la  vue  des  arbres  que  son  père 
a  plantés ,  celle  des  champs  qu'il  a  défrichés , 
ou  des  sources  dont  il  a  conduit  les  eaux  pour 
désaltérer  ses  herbages   et  ses  vergers  y>  ! 

((  Je  crois  le  vôtre  trop  heureusement  né,  dis- 
je  à  M.  G.  5  pour  que  vos  dernières  volontés  et 
des  motifs  aussi  respectables,  ne  l'attachent  pas 
à  cette  possession  dont  il  sera  le  cinquième  pos- 
sesseur ,  de  père  en  fils.  Peut-être  ne  rencontre- 
roit-on  pas  dans  cet  Etat  douze  familles  qui  pus- 


DANS   LA   HAUTE   PJENS YLVANIE.     OU 

sent  justifier  d^une  possession  aussi  ancienne  ». 

((  Cela  est  rare,  en  effet,  reprit-il,  sur-tout  dans 
une  société  naissante  ,  établie  depuis  si  peu  de 
temps  sur  un  si  vaste  continent  :  d'ailleurs ,  outre 
le  penchant  de  mes  compatriotes  pour  Témigra- 
tion,  penchant  déterminé  par  le  désir,  bien  na- 
turel ,  de  devenir  propriétaire,  les  familles  étant 
presque  toujours  très-nombreuses ,  les  enfans, 
à  la  mort  du  père  ,  sont  souvent  obligés  de 
vendre  la  plantation  paternelle  pour  pouvoir 
partager  la  succession  )>. 

«  Combien  cet  état  de  choses  n^influe-t-il  pas 
sur  le  perfectionnement  de  l'agriculture  !  Quel 
liomme ,  en  effet ,  voudroit  soigneusement  éle- 
ver, planter  des  arbres,  améliorer  ses  champs, 
les  enclore  de  haies  vives  ,  s'il  prévoyoit  qu'au 
bout  de  quelques  années  ils  dussent  passer  dans 
d'autres  mains  ?  Telle  est  la  conséquence  inévi- 
table de  la  jeunesse  de  nos  sociétés,  et  non  de 
l'ignorance ,  comme  l'ont  dit  tant  de  voyageurs. 
Dans  d'autres  pays  on  se  plaint  quelquefois  du 
trop  grand  nombre  d'hommes  relativement  à 
leur  étendue  :  ici,  au  contraire,  l'agriculture, 
les  manufactures,  l'achèvement  des  routes  et  des 
canaux,  tout  languit,  tout  est  retardé  faute  de 
bras  :  il  n'en  sera  pas  ainsi  dans  quelques  années» . 

((Aveugles  que  nous  sommes!  nous  gémis- 
sons ,  nous  nous  plaignons  de  l'imperfection  de 


5ï2  VOYAGE 

nos  ébauches,  de  la  lenteur  de  nos  progrés  l  Com- 
bien cependant  notre  sort  n^est-il  pas  plusheu- 
reux  que  ne  le  sera  celui  de  nos  arrière-petits- 
enfans,  lorsque  ce  pays  sera  aussi  peuplé  que 
l'Europe  !  On  se  plaignoit  aussi  dans  le  temps 
colonial  ;  car  c'est  le  sort  de  l'homme  :  ce  temps 
fut  cependant  le  véritable  âge  d'or  de  cette  nou- 
velle partie  du  monde.  Par-tout  régn  oient  l'abon- 
dance, la  paix  et  la  modération  des  désirs  ;  par- 
tout on  voyoit  s'épanouir  les  germes  du  vrai  bon- 
heur 5  les  bienfaits  de  la  liberté  n'avoient  point 
été  souillés  par  ses  délires  ni  par  ses  tempêtes  5 
par-tout  on  voyoit  des  administrations  pater- 
nelles, des  loix  fondées  sur  la  justice,  et  des 
moeurs  pures.  Si  les  yeux  n^étoient  pas  éblouis 
par  le  spectacle  de  grandes  fortunes ,  le  cœur 
n'étoit  jamais  affligé  par  celui  de  la  misère  et 
de  la  pauvreté.  La  faillite  d'un  négociant  étoît 
un  événement  inoui.  Rien  n'étoit  plus  rare  que 
les  exécutions  :  dans  l'espace  de  27  ans,  un  seul 
homme  a  été  conduit  au  supplice  dans  l'Etat  de 
Massachussets,  et  cet  homme  étoit  un  matelot 
génois  )). 

«Telles  ont  été,  à  quelques  exceptions  prés, 
les  heureuses  circonstances  qui  ont  accompagné 
l'enfance  de  ces  Etats  j  telles ,  les  causes  aux- 
quelles il  faut  attribuer  les  progrès  rapides  qu'a= 
y  oient  faits,  dans  le  cours  d'un  siècle,  ces  colo«- 


DANS   LA   HAUTE   PENSYLTANIE.     5l3 

nies,  dont  Forigine  est  due  à  ^intolérance  ,  aux 
longues  et  sanglantes  guerres  de  religion,  qui 
désolèrent  l'Angleterre,  et  une  grande  partie  de 
FEurope ,  dans  le  dix-septième  siècle.  Il  est  pro- 
bable que  ,  si  les  nouvelles  doctrines  de  Lutlier 
et  de  Calvin  n'eussent  jamais  paru,  les  bases  sur 
lesquelles  ces  colonies  furent  fondées  _,  auroient 
été  moins  favorables  à  la  liberté,  et  qu'elles  n' au- 
roient pas  pris  un  accroissement  aussi  rapide. 
A  quoi  a-t-il  tenu  que  ces  doctrines  n'aient  été 
étouffées  pour  Ion  g- temps  ?  A  ce  que  Léon  x  n'eut 
pas  formé  le  projet  d'illustrer  son  règne  en  cons- 
truisant la  basilique  de  S.  Pierre,  ainsi  qu'à 
quelques  degrés  de  sagesse  et  de  modération  dans 
la  tête  de  ce  pontife  et  dans  celles  de  son  con- 
seil ». 

(c  Est -ce  vous,  demanda  M.  Herman,  qui 
avez  planté  ces  beaux  cèdres  sur  le  coteau ,  dont 
les  eaux  de  la  rivière  baignent  l'escarpement  ? 
Non  ,  répondit  M.  G. ,  ils  sont  les  enfans  de  la 
nature  ;  voilà  pourquoi  vous  les  voyez  si  élevés 
et  leurs  têtes  aussi  pyramidales.  D'après  la  tradi- 
tion, continua-t-il,  il  paroît  qu'ils  étoient  dans  le 
même  état  de  grandeur  et  de  fraîcheur ,  il  y  a 
178  ans,  lors  de  l'arrivée  de  nos  ancêtres  5  ce  qui 
prouve  l'étonnante  longévité  de  ces  arbres,  qui , 
semblables  au  chêne,  jouissent  encore  de  plu- 
sieurs siècles  d'existence,  après  avoir  pris  tout 


Hl4  T    O    Y    A    G    E 


leur  accroissement.  Je  n'ai  pas  voulu  permettre 
qu'on  en  abattît  un  seul  depuis  la  mort  de  mon 
père ,  qui ,  comme  moi ,  les  admiroit  et  les  res- 
pectoit,  et  qui  fit  planter  les  tulipiers  qui  les 
accompagnent». 

«  C'est  sous  leurs  ombres  harmoniques  que 
je  vais  quelquefois  rêver,  méditer  sur  notre  des- 
tinée j  sur  la  vie ,  ce  cercle  éternel  de  vicissitudes, 
tantôt  d'ordre,  de  paix  et  de  bonheur,  tantôt 
de  guerres ,  de  malheurs  et  de  désordres  de  tout 
genre  3  sur  cette  succession  rapide  de  naissance 
et  de  mort,  d'anéantissement  etdereproduction. 
Qu'est-ce  que  le  passé,  me  suis  je  souvent  de- 
mandé, dans  le  vague  ténébreux  duquel  les  évé- 
nemens,  les  générations,  les  siècles  vont  se  per- 
dre, comme  les  eaux  des  rivières,  dans  les  abî- 
mies  de  l'Océan  ?  Et  cet  avenir  qui  n'est  rien 
avant  d'arriver ,  et  qui  nous  quitte  au  moment 
où  il  arrive  5  vers  lequel  cependant  notre  imagi- 
nation nous  transporte  à  chaque  instant  pour  y 
fonder  ses  plus  belles  espérances?  Et  le  présent , 
fugitif  comme  le  vent  qui  souffle,  dont  à  peine 
nous  jouissons,  qu'il  n'est  déjà  plus  ?  Placé  entre 
ces  difFérens  points  qui  l'environnent  et  sans 
cesse  lui  échappent,  qu'est-ce  que  Thomme»  ? 

?^cMais  fatigué,  effrayé  même  de  ces  élans  \ 
présomptueux  de  mon  intelligence,  dontlafoi- 
blesse  ne  pourra  jamais  franchir  ses   étroites 


DANS  LA  HAUTE  PKNSYLVANIE.  5l5 

limites  ,  je  m'arrête  et  redescends  vers  la  terre, 
notre  première  patrie.  J'admire  l'élégance ,  la 
beauté  des  couleurs  du  papillon,  de  cet  enfant 
au  soleil ,  qui  arrive  d'une  aile  légère  pour  se  re- 
poser, comme  moi,  à  l'ombre  de  ces  cèdres.  A 
l'aide  d'une  loupe,  j'examine  l'éclat  des  éme- 
raudes  dont  sont  ornées  ces  mouches  féroces  et 
sanguinaires,  qui ,  après  avoir  passé  l'hiver  en- 
sevelies sous  la  vase  de  nos  prairies,  viennent 
effrayer ,  désoler ,  poursuivre  nos  bestiaux  pen- 
dant les  ardeurs  de  la  canicule.  Et  cette  variété 
d'insectes  dont  les  formes  et  les  facultés  sont  si 
diverses  et  si  merveilleuses!  Et  ces  atomes  micros- 
copiques qui ,  cependant ,  paroissent  jouir  de 
tous  les  dons  de  l'existence  !  Animées  par  la  cha- 
leur du  soleil ,  leurs  générations  se  succèdent 
avec  une  extrême  rapidité,  jusqu'à  ce  qu'aver- 
ties des  approches  de  l'automne ,  elles  cherchent 
les  lieux  les  plus  convenables  pour  s'y  enseve- 
lir sous  la  forme  de  chrysalides,  ou  mourir  après 
avoir  pondu  leurs  oeufs.  Et  ce  mouvement  pé- 
riodique des  eaux ,  auquel  nous  devons  la  navi- 
gation de  tant  de  rivières  j  qui,  chaque  jour, 
conduit  silencieusement  à  New^-York ,  et  en  ra- 
mène nos  pirogues  et  nos  sloops  !  Ce  flux  et  re- 
flux est-il  du  à  la  pression  de  la  lune,  ou  à  la 
fonte  des  glaces  polaires?  Et  cette  belle  végéta- 
tion dont  je  suis  environné ^  et  le  développe- 


5i6  VOYAGE 

ment  de  tant  de  germes  !  Quelle  source  inépui- 
sable d^étonnement  et  d'admiration  î 

((  Lorsque  ,  pendant  les  momens  orageux  de 
l'été  5  les  ressorts  de  mon  esprit  sont  détendus , 
relâchés,  mon  ame  devenue,  je  ne  sais  pour- 
quoi, susceptible  des  plus  légères  impressions, 
croit  entendre,  sous  ces  ombres  rafraîchissantes, 
un  concert  aérien ,  dont  les  sons  paroissent  s'ap- 
procher ou  s'éloigner,  naître  ,  s'accroître  oti 
mourir,  suivant  que  la  brise  de  mer  passe  avec 
plus  ou  moins  de  force  à  travers  les  feuilles  ai- 
guës de  ces  arbres.  Tantôt  c'est  le  retentisse- 
ment sonore  de  plusieurs  harpes  5  tantôt  les  sons 
moelleux  de  la  ilùte  ,  ou  le  simple  bourdonne^ 
ment  d'un  basson.  Je  ne  connois  rien  d'aus&i 
voluptueux  que  ce  mélange  de  spns,  quelquefois 
vagues,  incertains,  et  presque  toujours  harmo- 
niques 5  ni  rien  qui  conduise  plus  doucement  , 
plus  insensiblement  à  ce  délicieux  oubli  de  soi- 
même,  qui  n'est  qu'un  sommeil  méditatif». 

c(  D'ailleurs ,  ces  cèdres,  témoins  de  la  prospé- 
rité des  indigènes,  qui  jadis  habitèrent  ce  can-^ 
ton  ,  ainsi  que  de  l'arrivée  des  Européens 5  té- 
ïnoins  aussi  de  l'inconcevable  décadence  des 
premiers ,  et  de  l'accroissement,  non  moins  ra- 
pide, des  seconds,  doivent  paroître  respectables 
aux  yeux  de  l'observateur ,  et  méritent  bien 
d'être  conservés.  Ce  sont  nos  médailles  3  et  quoi- 


DANS  LA  HAUTE  PENSYLVANIE.  Slj 
qu'elles  ne  soient  pas  couvertes  de  la  rouille  des 
siècles,  comme  celles  queFon  voit  dans  les  cabi- 
nets de  l'Europe ,  elles  en  portent  Fécorce  et  les 
mousses  )). 

Le  temps  que  nous  passâmes  sous  le  toit  de 
M.  G.  5  partagé  entre  les  plaisirs  de  la  pêche,  de 
la  promenade  et  de  la  conversation,  s'écoula 
comme  les  jours  de  bonheur,  c'est-à-dire,  avec 
la  rapidité  de  l'éclair.  Outre  l'estime  particu- 
lière que  notre  respectable  hôte  avoit  conçue 
pour  mon  jeune  ami ,  la  facilité  avec  laquelle  ce 
dernier  parloit  hollandais,  avoit  produit  un  si 
grand  rapprochement  entr'eux,  que  notre  sé- 
jour à  Acquakanunck  se  trouva  prolongé  bien 
au-delà  des  bornes  que  nous  nous  étions  pres- 
crites. Quand,  enfin,  il  fallut  partir,  M.  G. , 
pour  dernier  témoignage  de  l'amitié  qu'il  portoit 
à  mon  compagnon,  fit  graver  sur  une  pierre  de 
New-Ark ,  et  placer  dans  son  jardin  les  vers  sui- 
vans ,  que  ce  premier  avoit  écrits  sur  une  des 
Titres  de  sa  chambre  : 

Lieux  enchantes,  séjour  de  paix  et  de  bonheur, 
O  de  la  Passaïck  aimable  et  doux  rivage  ! 
C'est  ici ,  sur  ces  bords ,  qu'un  véritable  sag© 
Eclaira  mon  esprit,  intéressa  mon  cœur. 
Asyle  des  vertus,  demeure  hospitalière, 
Vergers ,  oii  la  nature  étale  ses  bienfaits  ; 
Arbres  majestueux,  fécondante  rivière^ 


5l8  ^  VOYAGE 

Hôte  plus  cher  encore,  adieu  donc  pour  jamais  ! 
•  Je  ne  vous  verrai  plus;  mais  mon  ame  attendrie 
Vous  jure  amitié  sainte,  éternel  souvenir. 
Adieu. .  .  .  Combien  de  fois,  du  sein  de  ma  patrie, 
Ma  pensée  avec  vous  viendra  s'entretenir  ! 

M.  Herman  désirant  depuis  long-temps  voir 
la  machine  à  faire  des  cardes,  que  construisoit 
pour  lui  M.  Cîiittenden  ,  nous  nous  séparâmes 
à  New-Ark,  lui  pour  aller  passer  quelques  jours 
à  New-Haven  ,  où  demeuroit  ce  mécanicien  , 
et  moi  pour  retourner  parmi  mes  amis  à  Sliip- 
penbourg. 


((Je  reçois.  Monsieur,  une  lettre  de  mon 
père,  qui  m^informe  que  sa  santé  ne  lui  permet- 
tant plus  de  supporter  le  fardeau  des  affaires  , 
il  abesoin  de  mon  secours,  et  exige  que  je  quitte 
ce  continent  sans  délai.  Quoique  je  ne  puisse  ba- 
lancer un  seul  instant  entre  Faffection  filiale  et 
Tamitié,  je  ne  vous  annonce  cependant  pas  cette 
nouvelle  sans  éprouver  de  vifs  regrets.  Si  l'ap- 
proche de  Féquinoxe,  et  sur-tout  si  la  grande 
distance  qui  nous  sépare,  n'étoit  pas  aussi  con- 
sidérable ,  je  ne  m'embarquerois  pas  avant  de 
vous  avoir  serré  les  mains,  et  vous  avoir  ex- 
primé, de  vive  voix,  toute  la  reconnoissance 
que  je  vous  dois  pour  les  innombrables  services 


DANS   LA   HAUTE    PENSYLVANIE.      5îg 

que  VOUS  m'avez  rendus ,  et  les  innombrables 
preuves  d'amitié  dont  vous  m'avez  comblé  )) . 

«  Jamais  je  n'oublierai  que  c'est  à  vous  ou  à 
vos  amis  que  je  dois  d'avoir  vu  une  grande  par- 
tie de  ce  que  ce  continent  offre  de  plus  intéres- 
sant^  ces  jeunes  sociétés  agricoles  disséminées  sur 
presque  tous  les  points;  ce  mouvement  général 
depuis  les  rivages  de  la  mer,  jusques  à  ceux  de 
l'Ohio  ;  ces  fleuves  majestueux  ;  ces  prodigieuses 
cataractes  ;  ces  mers  méditerranées  ;  ces  nom- 
breuses colonies  trans-allégliéniennes  ;  ces  ca- 
naux et  ces  routes  que  l'on  ouvre  de  tous  côtés,  et 
cette  longue  suite  d'Etats,  à-la-fois  maritimes  et 
agricoles,  dont  les  capitales  ressemblent  déjà 
trop  à  celles  de  l'Europe.  Ce  vaste  ensemble  est 
comme  un  tableau  animé ,  auquel  chaque  an- 
née ajoute  de  nouveaux  traits  et  de  nouvelles 
couleurs.  Sans  parler  des  autres  Etats,  quels 
changemens  dans  celui  de  New-York,  depuis 
notre  voyage  à  Onondaga,  en  1789!  A  peine 
alors  le  pays  des  Jénézées  étoit-il  connu ,  en- 
core moins  ceux  du  nouveau  Catarakouy,  deCas» 
torland  (1),  d'Osswègatché ,  de  Riohland,  &c.; 
les  villes  de  Littlefalls  ,  de  Whiteston ,  de  Bar- 
newelt ,  de  Roterdam,  de  Rome,  deLeyden,  de 
Castorville,  &c.,  n'étoient  point  encore  fondées, 
ni  les  canaux  de  Wood-Creek  et  de  Stanwick 
exécutés.  On  ne  voyoit  pas  une  seule  habita- 


SùO  VOYAGE 

tion  sur  les  bords  de  la  grande  baie  de  Nia-» 
houré  (2).  Il  en  est  de  même  dans  la  Pensylvanie 
et  dans  les  Etats  du  nord  ;  par-tout  on  observe 
le  mouvement  du  travail  et  de  Tindustrie,  l'ac- 
tivité et  les  spéculations.  Ces  progrès  sont  si 
rapides ,  que  ce  qu'on  espéroit  hier ,  se  trouve 
aujourd'hui  presque  toujours  réalisé,  et  que 
demain  produira  ce  que  l'on  espère  encore  : 
symbole  de  la  jeunesse,  qui,  chaque  jour ,  voit 
ajouter  à  ce  qu'elle  possédoit  déjà». 

«  Si  la  forme  trop  démocratique  du  Gou- 
vernement ;  si  la  réaction  des  nouveaux  prin- 
cipes qui  ont  failli  bouleverser  l'Europe,  ont  fait 
naître  des  partis  ,  ces  fermentations  que  l'on 
observe  plus  particulièrement  dans  les  villes, 
n'ont  aucune  influence  sur  les  progrès  des  dé- 
frichemens  des  colonies  intérieures ,  ni  sur  ceux 
du  commerce.  Ces  discussions ,  ces  différences 
d'opion  n'arrêtent ,  ni  le  départ  des  vaisseaux  , 
ni  l'activité  des  charrues,  ni  enfin  les  émigra- 
tions qui,  tous  les  ans,  sortent  des  ruches  du 
nord,  pour  aller  former  des  établissemens  dans 
l'ouest  et  le  midi  de  l'Union.  On  est  encore  plus 
attaché  à  solliciter  les  faveurs  de  la  fortune, 
qu'à  ce  qui  se  dit  et  à  ce  qui  se  fait  dans  l'en- 
ceinte du  Congrès  ». 

«  Jamais  je  n'oublierai  que  c'est  vous  qui  m'a- 
vez introduit  et  conduit  à  travers  les  grandes 


DANS    LA   HAUTE   PENSYLVANIE.     021 

forets  du  continent  et  sous  les  humbles  cabanes 
des  premiers  colons;  que  c'est  vous  qui  m'avez 
fait  traverser  leurs  premiers  champs,  hérissés  de 
souches,  observer  le  travail  et  les  progrès  de 
leurs  premières  ébauches ,  connoître  les  loix 
municipales  de  ces  sociétés  naissantes,  et,  enfin, 
leurs  premiers  magistrats  )). 

«Jamais  je  n'oublierai  que,  sous  vos  auspices, 
j'ai  vécu  pendant  quinze  jours,  et  conversé  avec 
les  indigènes  d'Onondaga,  ces  enfans  puînés  de 
la  nature,  sur  l'esprit  desquels  le  grand  specta- 
cle de  l'industrie  agricole  et  de  la  civilisation  , 
n'a  fait  aucune  impression  depuis  plus  d'un 
siècle;  ces  hommes  qui,  à  l'anthropophagie,  à  la 
férocité  ,  unissent ,  dans  leurs  sociétés  domesti- 
ques, la  générosité,  la  tranquillité,  la  douceur 
d'hommes  civilisés,  comme  si,  revenus  delà 
guerre  dans  leurs  villages ,  ils  changeoient  tout- 
à-coup  de  nature». 

((  Jamais  je  n'oublierai  le  bonheur  que  j'ai  eu 
de  connoitre  ce  grand  nombre  de  familles ,  chez 
lesquelles  j'ai  partagé  avec  vous  tout  ce  que  l'hos- 
pitalité, l'estime  et  la  confiance  ont  de  plus  doux 
et  déplus  flatteur;  aux  conversations  desquelles 
je  dois  tant  de  détails  intéressans  :  les  guerres 
avec  les  indigènes,  l'éloignement  successif  des 
frontières,  la  naissance ,  les  progrès  de  ces  colo- 
^  nies  ;  ainsi  que  tout  ce  qui  est  relatif  à  la  con- 


Ù22  VOYAGE 

duite  de  T Angleterre  envers  elles,  et  aux  motifs 
de  la  guerre  qui  les  en  a  séparées)). 

a  Que  je  serois  heureux  si ,  des  bords  de  la 
Baltique,  je  pouvois  être  utile  à  ces  respec- 
tables personnages,  et  leur  prouver  que  la  dis- 
tance qui  va  bientôt  nous  séparer,  ne  refroidira  , 
ni  ma  reconnoissance  ni  mon   amitié  ))  ! 

«  Quant  à  vous,  mon  guide  et  mon  ami,  qui 
avez  mûri  ma  jeunesse,  qui  m^avez  appris  à 
apprécier  les  choses  et  la  vie ,  ainsi  qu'à  con- 
îioître  les  hommes;  qui  m^avez  rendu  digne  de 
l'estime  de  tant  de  personnes  éminentes ,  mon 
cœur  se  gonfle,  les  larmes  viennent  obscurcir  mes 
yeux.  Serions-nous  destinés  à  ne  jamais  nous 
revoir  ?  Je  ne  veux  ni  ne  puis  admettre  cette  af- 
fligeante idée.  Si  la  guerre ,  si  les  malheurs  qu'a 
éprouvés  une  des  plus  belles  partie  de  l'Europe, 
vous  ont  tant  contristé ,  songez  qu'à  ces  tempêtes 
viennent  de  succéder  le  repos  et  le  calme  j  que 
la  modération,  la  fermeté,  la  justice,  la  clé- 
mence et  les  lumières,  remplacent  aujourd'hui 
la  férocité ,  le  crime ,  l'aveuglement  et  la  bar- 
barie». 

a  En  attendant  que  celui  au  génie ,  au  bon- 
heur duquel  ces  premiers  miracles  sont  dûs,  ait 
eu  le  temps  d'en  accomplir  bien  d'autres  encore, 
venez  partager  la  maison  d'un  ami,  à  la  ville  et 
à  la  campagne,  au  sein  de  la  confiance,  de  la 


DANS   LA   HAUTE  PENSYLVANIE.     020 

paix  et  de  Fabondance.  Nous  ob  serverons  en- 
semble le  contraste  frappant  que  présentent  les 
moeurs  j  les  loix ,  le  Gouvernement  de  mon  an- 
tique patrie,  avec  celui  qui  régit  cette  jeune  fa- 
mille de  républiques  et  d^Etats.  Je  renouvellerai 
encore,  avant  de  m^embarquer ,  cette  invitation 
que  mon  cœur  vous  adresse,  et,  si  j^en  ai  la 
force,  les  tendres  adieux  de  votre  compagnon 
et  jeune  ami , 

Gustave  Herman, 


53t 


NOTES. 


NOTES   DU    CHAPITRE   II. 

(  1  )  rVi  LLMiNGTON.  Ville  consiclërable  de  l'Etat  de 
Délaware ,  agréablement  située  sur  une  pente  douce ,  à 
un  mille  et  demi  de  la  rivière  de  ce  nom ,  à  28  de  Phila- 
delphie ,  et  à  une  petite  distance  de  la  rivière  Christian  a 
ou  Christine.  Elle  contient  4oo  maisons  et  plus  deoobo  ha- 
bitans.  J'y  ai  vu  plusieurs  colons  de  Saint-Domingue , 
que  l'incendie  et  le  carnage  occasionnés  par  la  révolution, 
avoient  obligés  d'abandonner  leur  patrie  ,  qui  se  louoient 
beaucoup  de  l'hospitalité  deshabitans;  ainsi  que  de  l'abon- 
dance des  comestibles  et  des  fourrages.  Les  plus  indigens 
y  ont  trouvé  la  bienveillance  et  les  secours  de  la  cliarité 
chrétienne.  On  y  a  fondé  une  académie ,  incorporée  depuis, 
dans  laquelle  il  y  avoit,  l'année  dernière,   cinquante- 
quatre  écoliers  :  le  Gouvernement  va  l'ériger  en  collège. 

Cette  ville  n'est  qu'à  une  petite  distance  de  l'embou- 
chure du  Brandy- Wine  dans  la  Christiana ,  sur  lequel  on  a 
construit  depuis  long-temps  des  moulins  à  farine,  dont 
Fingénieux  mécanisme ,  perfectionné  par  Olivier  Evans , 
dç  Philadelphie ,  est  très-admiré  des  connoisseurs.  Le  pre- 
mier de  ces  moulins  fut  bâti  il  y  a  près  de  70  ans.  On  voit 
avec  plaisir ,  en  passant  le  pont ,  ce  groupe  de  douze  à 
quinze  usines ,  qui ,  avec  les  bizarreries  du  torrent  d'où, 
elles  tiï-ent  leur  mouvement,  la  jolie  bourgade  de  Brandy- 
Wine ,  les  vaisseaux  que  l'on  charge  de  farines,  ceux  d'où 
l'on  tiansporte  le  bled,  etc.  produit  un  point  de  vue 


NOTE  S.  52.^ 

animé ,  intéressant  et  très-pittoresque.  Le  propriétaire  du 
moulin  le  plus  rapproché  du  pont ,  qui  est  aussi  le  pins 
considérable ,  puisqu'il  contient  douze  meules ,  me  dit 
qu'on  avoit  moulu  dans  ce  petit  voisinage  ,  en  1796  , 
600,000  boisseaux  de  bled  *,  lesquels  avoient  produit 
11 4,000  barils  de  farine  superfine  *^,  12000  de  seconde 
qualité,  1 8000  de  troisième,  6000  de  quatrième,  et  1 80,000 
boisseaux  de  son ,  du  poids  de  34  à  56  liv. 

(  2  )  Rats  musqués.  Ainsi  appelés  à  cause  de  l'odeur 
qu'ils  laissent  par- tout  où  ils  ont  séjourné.  Quoique  beau- 
coup plus  vifs  et  plus  gais  que  le  castor ,  ils  ont  la  même 
industrie ,  les  mêmes  talens ,  et  paroissent  en  être  la  minia- 
ture. Mais  n'étant  pas ,  comme  ceux-ci ,  assez  forts  pour 
couper ,  abattre  des  arbres ,  et  élever  des  digues ,  ils  se  con- 
tentent de  construire  leurs  habitations  avec  le  bois  et  la 
terre  qu'ils  apportent  dans  des  lacs  peu  profonds ,  à  une 
petite  distance  des  rivages.  Les  dommages  qu'ils  occa- 
sionnent dans  les  digues ,  sont  souvent  très-considérables , 
et  exigent  les  plus  promptes  réparations.  Leur  duvet  entre^ 
comme  celui  du  castor ,  dans  la  fabrication  des  chapeaux. 

(  3  )  Herbages.  Les  terreins  bas ,  tels  que  les  îles  qui 
remplissent  la  Délaware  depuis  Philadelphie  jusqu'à 
Chester,  la  péninsule  de  Moyomensing,  plusieurs  marais 
maritimes  dans  le  comté  de  Sussex  et  dans  le  Jersey,  que 
depuis  long-temps  on  a  desséchés  et  garantis  des  eaux  de 
la  Délaware ,  au  moyen  des  digues  ,  sont  devenus  d'un 
très-grand  rapport»  On  croit  que  leur  fertilité  provient , 

*  Le  boisseau  dont  on  fait  usage  dans  les  Etats-Unis ,  est  celui . 
ûe  Winchester  :  il  contient  60  livres  de  bled. 

**  D'après  les  dimensions  des  barils  prescrites  par  la  loi , 
chacun  de  ces  barils  de  farine  pesa  un  quintal  et  trois  quarts. 


SqS  notes. 

Kon-seulement  du  limon  dont  ils  ont  été  formés  dans  1© 
iong  cours  des  siècles,  mais  aussi  de  la  salure  des  eaux.  lia 
plupart  de  ces  herbages  produisent  aujourd'hui  un  gra- 
minée  (connu  sous  le  nom  vulgaire  de  black-grass) ,  dont 
on  ignore  l'origine,  et  qui  ne  vient  nulle  part  ailleurs-,  il 
donne  de  trois  et  demi  à  quatre  tonneaux  et  demi  de 
foin  par  acre  (de  7700  à  9900  liv.).  Sans  le  secours  d'aucune 
industrie,  il  a  remplace'  les  glayeuls,  les  herbes  aqua- 
tiques et  le  petit  jonc ,  très-communs  dans  toutes  les  par- 
ties maritimes  des  Etats  du  milieu.  Ces  graminées  sont  si 
salutaires,  que  souvent  on  envoie  des  chevaux  de  l'inté- 
Heur  j  pour  se  refaire  sur  ces  fonds  desséchés.  Ces  foibles 
conquêtes  ne  sont  rien  encore,  comparées  à  la  vaste  éten- 
due de  ces  terreins  humides  ou  inondés  qu'on  voit  sur  les 
bords  de  la  Délaware  et  des  grandes  rivières,  depuis  une 
extrémité  des  Etats-Unis  jusqu'à  l'autre.  Il  faut  attendre 
que  les  progrès  de  la  population  aient  multiplié  les  bras. 
Le  petit  Etat  de  Délaware  pourra  alors  s'enrichir  de  ter- 
reins  extrêmement  féconds  /  dont  la  quantité  est  estimée 
de  6  à  700,000  acres. 

(4)  Ce  petit  voisinage  est  situé  à  cinq  milles  de  la  ri- 
vière Christiana  ou  Christine,  à  sept  de  la  ville,  et  dans 
le  Hundred  du  même  nom. 

(  5  )  Hicory.  Noyer  dont  on  connoît  quatre  espèces  :  le 
sliellbark,  le  pignut,  le  kesketomah  et  le  hicory  franc. 
Il  aime  les  terreins  humides  ;  alors  il  s'élève  comme  le 
chêne.  C'est  le  meilleur  bois  à  brâler  que  l'on  connoisse  : 
mais  quoiqu'aussi  pesant  que  le  premier,  il  est  sujet  à  être 
piqué  des  vers.  Sa  noix  ,  dont  le  goût  est  délicieux ,  a  une 
écorce  très -dure,  qu'il  est  nécessaire  de  briser  avec  le 
ïoarteau.  Les  indigènes  du  midi  en  font  un  lait  dont  ils 
assaisonnent  plusieurs  mets.  On  trouve  cet  arbre  depuis? 


NOTES,  527 

îe  Connectlcut  jusques  dans  la  Floride  occidentale.  Il  sera 
un  jour  soigneusement  cultivé ,  ainsi  (jue  l'érable  à  sucre. 
(  6  )  Quakers  cultivateurs.  On  a  observé  ,  depuis  long- 
temps ,  que  les  colons  qui  habitent  dans  le  voisinage  des 
grands  établissemens  quakers  ou  moraves  ;  sont  beaucoup 
plus  industrieux  et  plus  tranquilles ,  ont  des  mœurs  plus 
douces ,  une  éducation  plus  soignée,  que  presque  par- tout 
ailleurs.  Tel  est  l'heureux  effet  du  bon  exemple  ,  qui,  s'il 
ëtoit  plus  connu ,  serviroit  à  convaincre  ceux  qui ,  dans 
leur  fol  orgueil ,  ont  cru  que  l'enseignement  des  préceptes 
religieux  étoit  inutile ,  combien  ,  au  contraire ,  ils  con- 
tribuent à  rendre  les  hommes  plus  sages ,  plus  indust- 
rieux ,  plus  heureux ,  plus  soumis  aux  loix ,  et  meilleurs 
citoyens. 

J'ai  connu  un  M.  Johnson,  membre  du  Conseil  colonial 
de  New- York,  fondateur  d'un  des  districts  du  comté  de 
Duchesse  "^ ,  dans  l'Etat  de  New- York,  qui ,  bien  instruits 
des  effets  salutaires  d'une  éducation  religieuse,  n'amena 
avec  lui  que  des  colons  de  la  secte  des  Quakers.  Combien 
de  fois,  depuis,  n'ai  -je  pas  partagé  son  bonheur,  en  vovant 
la  prospérité  de  ce  beau  et  fertile  canton  s'accroître  avec 
rapidité,  et  ces  hommes  laborieux ,  modestes ,  intelligens, 
deveniren  peu  d'années  des  propriétaires  aisés  et  opulens? 

(7)  Quahers  des  villes.  Peu  ambitieux  d'obtenir  àes 
emplois  ,  de  remplir  des  magistratures  qui  exigent  un 
serment ,  ils  s'adonnent  presqu'exclusivement  au  com- 
merce et  aux  manufactures.  Sous  plusieurs  rapports,  ils 
doivent  donc  être,  et  ils  sont  en  effet  bien  différens  de 
ceux  qui  cultivent  leurs  terres. 

(8)  Machine  hydraulique.    Le  mécanisme  en   est  si 

*  District  de  Nine-Partnej's» 


5'2S  ÎJ   O   T   E   s. 

simple  et  si  peu  dispendieux ,  qu'il  est  étonnant  de  ne  pas 
le  voir  plus  fre'quemment  employé  dans  les  grands  jardins 
de  l'Europe.  Il  est  composé  de  deux  plates-formes  de  cinq 
à  six  pieds  de  diamètre ,  élevées  sur  quatre  montans  aux- 
quels l'inférieure  doit  être  solidement  fixée.  Celle  de 
dessus  est  retenue ,  et  circule  sur  la  première  au  moyen 
de  trois  pattes  à  queue  d'aronde,  introduites  dans  iine 
raintTre  circulaire  de  deux  pouces  de  profondeur.  Cette 
plate-forme  est  destinée  à  recevoir  un  petit  essieu  de  fer , 
ayant  dans  son  milieu  une  manivelle,  dont  la  hauteur 
doit  être  de  la  moitié  du  jeu  de  la  pompe,  c'est-à-dire, 
d'environ  quatre  pouces  :  on  fixe  des  ailes  à  une  de  ses  ex- 
trémités ;  sous  l'autre,  une  pièce  de  bois  inclinée  vers  la 
terre,  qui  sert  à-la-fois  de  contre-poids  et  à  tourner  le 
moulin.  A  cette  manivelle  est  attachée  la  partie  supérieur© 
de  la  verge  de  la  pompe ,  munie  d'une  virole  en  porte- 
mousqueton-  Il  est  aisé  de  concevoir,  sans  entrer  dans  de 
plus  longs  détails ,  que  les  ailes  de  cet  essieu ,  mises  en 
mouvement  par  l'action  du  vent,  doivent  nécessairement 
faire  agir  cette  pompe.  La  longueur  des  ailes  est  propor- 
tionnée à  la  résistance  ,  qui  n'est  pas  bien  considérable ,  à 
moins  qu'on  ne  veuille  multiplier  le  nombre  des  pompes , 
qui,  si  le  puits  est  assez  abondant,  peut  être  augmenté 
Jusqu'à  quatre. 

NOTES    DU    CHAPITRE    II I. 

(i)  ChectatPs ,  Chikassaws.  La  première  de  ces  nations 
est  formidable  et  nombreuse  :  elle  habite  le  beau  pays 
qu'arrosent  les  branches  du  Tombéchée ,  de  l' Alibama , 
du  Passagoola ,  dont  les  eaux  tombent  dans  le  golfe  du 
Mexique.  De  tous  les  indigènes  de  cet  hémisphère,  ce 
sont  les  plus  a^vancés  dans  la  civilisation  et  dans  la  culture^ 


NOTES.  ^29 

Placés  sur  un  sol  fertile,  environnés  de  forêts  majes- 
tueuses ,  remplies  de  buissons  odorans  et  de  savannes 
peuplées  de  gibier,  ils  mènent  une  vie  douce  et  tranquille. 
Leurs  maisons  sont  bien  bâties  et  assez  commodes^  la 
plupart  sont  entourées  d'orangers,  de  cerisiers  et  de  pru- 
niers. Un  grand  nombre  d'Européens  se  sont  établis  parmi 
eux.  Ils  sont  venus,  de  même  que  les  séminoles  ou  creeks, 
des  pays  situés  à  l'ouest  du  Mississipi.  La  liaine ,  ou  plutôt 
l'antipathie  qui  subsiste  entre  ces  deux  nations  ,  date, 
disent-ils,  de  ces  temps  reculés.  Quelques-unes  de  ces 
tribus  occupent  les  parties  maritimes  qu'arrosent  ces 
belles  rivières.  Ainsi  que  leurs  voisins ,  ils  aiment  pas- 
sionnément la  danse  ;  on  peut  même  dire  qu'ils  Font  per- 
fectionnée ;  et ,  chose  assez  surprenante  !  on  trouve  parmi 
eux  des  poètes  qui,  tous  les  ans  ,  produisent  des  chansons 
pour  la  grande  fête  du  feu  nouveau.  Ils  ont  un  culte  et  plu- 
sieurs cérémonies  nationales.  On  estime  leur  nombre  à 
plus  de  vingt  mille.  Quelques-unes  de  leurs  femmes  pa- 
roîtroient  belles  et  piquantes ,  même  en  Europe  ;  elles  ont 
des  yeux  vifs  ,  des  nez  aquilins ,  et  un  teint  beaucoup 
moins  brun  que  les  indigènes  du  nord.  C'est  parmi  eux 
que  se  réfugièrent  les  Natchées,  qui,  en  ly^o,  eurent  le 
bonheur  d'échapper  à  la  vengeance  des  Français. 

Les  Chikassaws,  venus  des  mêmes  pays  occidentaux, 
occupent  les  sources  des  mêmes  rivières ,  ainsi  que  celles 
du  Yazoo  ,  qui  tombe  dans  le  Mississipi  à  1 63  lieues  géo- 
métriques de  la  balise.  Ils  sont  beaucoup  moins  nombreux 
que  leurs  voisins,  et  moins  avancés  dans  la  civilisation. 
Ces  deux  nations  harcelèrent  long-temps  la  colonie  fran- 
çaise du  Mississipi ,  et  interceptèrent  plusieurs  convois 
en  descendant  ou  en  remontant  le  fleuve ,  de  la  Nouvelle- 
Orléans  aux  minois.    Leur  pays  ,  situé  sous  les  34  et 


oaO  NOTES. 

35^  degrés  de  latitude  ,  arrose'  par  les  nombreux ruisseausi 
qui  forment  l'Alibama ,  le  Tombëcliée  et  le  Passagoola, 
est  un  des  plus  salubres  et  des  pUis  fertiles  qu'on  puisse 
rencontrer.  Je  tiens  tous  ces  détails  d'un  M.  Bernard  Ro- 
mans,  officier  suisse  que  la  Grande-Bretagne  envoya  dans 
ces  cantons  comme  géographe ,  quelques  années  avant  la 
révolution. 

(2)  JVatchées.  Nation  jadis  nombreuse  et  célèbre.  Elle 
ëtoit,  non-seulement  une  des  plus  civilisées,  mais  aussi 
une  des  plus  avancées  dans  les  arts  de  première  nécessité. 
Son  culte  avoit  quelque  affinité  avec  celui  des  Péruviens. 
Le  clief-lieude  cette  nation  étoit  la  belle  et  grande  plaine 
connue  depuis  sous  son  nom,  sur  le  rivage  oriental  du 
Mississipi ,  à  1 24  lieues  géométriques  de  la  balise ,  et  à 
81  de  la  Nouvelle-Orléans ,  sous  la  latitude  de  3i°  4o'. 

Les  Natcliées  reçurent  avec  beaucoup  d'hospitalité  les 
premiers  colons  français  qui  vinrent  s'établir  parmi  eux, 
et  vécurent  pendant  long-temps  en  bonne  intelligence  •, 
mais  quelques  causes  de,  dissention  s'étant  tout-à-coup 
élevées  entre  ces  deux  peuples ,  les  naturels  massacrèrent 
la  plus  grande  partie  de  leurs  nouveaux  voisins ,  dont  ils 
prétendirent  avoir  beaucoup  à  se  plaindre.  Peu  après  cet 
événement ,  un  renfort  de  troupes  étant  arrivé  de  la 
Nouvelle-Orléans ,  la  nation  entière  fut  détruite  ou  dis- 
persée. Depuis  cette  époque,  qui  remonte  à  17^0,  ce  beau 
canton  est  devenu  très-florissant,  et  l'un  des  mieux  cultivés 
de  la  Louisiane.  Les  colons  sont  un  mélange  de  Français., 
d'Anglais ,  d'Allemands  et  d'Américains.  La  salubrité  de 
cette  plaine  est  due  à  sa  grande  élévation,  estimée  être 
200  pieds  au-dessus  du  niveau  des  eaux  de  ce  grand 
.fleuve.  C'est  sur  les  bords  de  cette  Ecore  ,  qu'est  bâti  le 
fort  Rosalie ,  d'où  les  yeux  embrassent  un  vaste  borizoji 


NOTES.  55l 

de  plaines  herbe'es  ou  couvertes  de  roseaux ,  le  cours  ma- 
jestueux du  Mississipi ,  jusqu'à  une  grande  distance  sur 
la  droite  et  sur  la  gauche,  et  les  îles  couvertes  d'arbres 
elevé's  qui  occupent  une  partie  de  son  lit. 

(3)  Le  Ténézée.  Cette  rivière,  qui  après  de  3oo  lieues 
de  longueur,  est  formée  par  la  réunion  de  plusieurs  bran- 
ches ,  le  Clinck ,  le  Holston ,  le  Nolachuky ,  le  French- 
Broad ,  le  Highwassee  ,  etc.  sur  le  bord  desquelles  ont  été 
formés  les  premiers  établissemens  du  nouvel  Etat ,  auquel 
le  Ténézée  a  donné  son  nom.  Ces  branches  coulent ,  d'un 
côté ,  de  la  chaîne  des  AUéghénis  connue  sous  le  nom  de 
Great-Iron-Hills  (grandes  montagnes  de  Fer);  de  l'autre, 
de  celle  des  Chérokées  ou  Cumberland ,  séparées  par  un 
intervalle  de  vingt  à  trente  lieues.  Ce  fleuve  traverse 
cette  dernière  chaîne  à  un  endroit  connu  des  géographes 
sous  le  nom  de  Suck  ou  Whirl.  Ses  eaux  sont  en  général 
rapides  jusqu'à  ce  passage  ;  mais  depuis  lors ,  coulant  à 
travers  un  pays  peu  montueux,  elles  sont  navigables  jus- 
qu'à l'Ohio.  On  voit  encore  vers  les  sources  du  Ténézée 
quelques  restes  d'anciennes  villes  Chérokées ,  Tellico  , 
Chatoga ,  Chata ,  Chillhowee ,  Talazee ,  Cowee ,  ancien 
chef-lieu  de  la  belle  et  fertile  vallée  du  même  nom  ;  Wa- 
toga ,  Nucassée ,  etc.  :  et  sur  celles  du  Highwass  ee ,  les 
villes  de  Chéwassee ,  New  -  Tellico  ,  Nowee  ,  Quanus- 
see .  etc.  On  ne  peut  pas  se  former  une  idée  d'emplace- 
mens  plus  frais,  plus  fertiles  ni  plus  délicieux;  richesse 
du  sol  5  salubrité  de  l'air ,  douceur  de  la  température , 
voilà  quelques-uns  de  ses  avantages. 

(4)  Wussle-Slioals.  On  connoît  sous  ce  nom  une  ex- 
tension du  Ténézée  ,  couverte  d'îles  et  de  bas -fonds  qui 
en  rendent  le  passage  difficile  pour  les  bateaux  dans  cer-? 
taines  saison^  de  l'année.  Ce  petit  laç  est  vers  le  centre  du 


55^  NOTES. 

gi-and  coude  que  forme  ce  fleuve ,  bien  connu  sous  le  nom 
de  Great-Bend. 

(5)  Holston.  Branclie  principale  du  Ténéze'e,  qui  ar- 
rose un  pays  extrêmement  fertile ,  et  sur  les  bords  duquel 
on  a  fondé  plusieurs  villes,  Hawkins,  Green ville ,  Jones' s- 
borougli  *  ;  etc.  On  y  voit  aussi  plusieurs  grosses  forges  , 
quelques  salines  qui  fournissent  aux  colons  tout  le  sel 
tlont  ils  ont  besoin,  et  un  grand  nombre  de  moulins.  C'est 
Ja  partie  de  ce  nouvel  Etat  la  plus  anciennement  cul- 
tivée. 

(6)  NasJiville  '^'^.  Ville  fondée  en  1783,  sur  le  rivage 
me'ridional  du  Cliérokée  ou  Cumberland ,  chef- lieu  du 
district  de  Méro  ^^"^  ,  un  de  ceux  qui  composent  l'Etat  de 
Ténézée.  On  y  voit  une  académie  connue  sous  le  nom  de 
son  fondateur  Davidson ,  près  de  3oo  maisons ,  et  1 4oo  lia- 
bitans  :  c'est  dans  ses  environs  qu'on  cultive  le  plus  beau 
coton  qu'on  connoisse  dans  ces  Etats.  Elle  est  située  à 
3/5  lieues  de  Philadelphie,  23 1  de  Richmond  en  Vir- 
ginie, 61  de  Knoxville ,  capitale  de  ce  nouvel  Etat,  64  de 
Lexington  dans  le  Kentukey,  à  i4  de  Clark's ville  ^^'^^ , 
construite  plus  bas ,  et  à  4o  de  l'embouchure  du  Chérokée 
dans  l'Ohio.  On  a  découvert ,  à  quelque  distance  de  cette 
ville,  une  saline  avec  des  débris  de  fourneaux,  dont  le 
plan ,  le  profil  et  tous  les  détails  furent  envoyés ,  en  1787 , 
à  M.  le  duc  de  la  Rochefoucauld. 

■*^  Noms  des  généraux  qui  se  sont  distingués  pendant  la  guerre- 
de  la  révolution. 

"^^  Ainsi  nommée  d'après  le  général  Nash  ,  tué  à  la  bataille 
de  German-Town. 

**^  Ainsi  nommée  d'après  le  gouverneur  espagnol  de  laNou- 
▼elle-Orléans. 

•¥**-tc  j)^  jjpm  ^^  général  Clark. 


NOTE    h'.  bOJ 

(7)  Ouasioto.  Grande  cliaîue  de  montagnes,  estime'e  être 
de  vingt  lieues  de  large ,  et  séparée  de  celle  d'Allégliéuy 
par  mie  vallée  considérable.  Elle  a  servi  pendant  long- 
temps d'asyie  aux  débris  des  petites  nations  que  les  Clié- 
rokées  ont  détruites  depuis  un  siècle,  et  dont  il  ne  reste 
plus  que  quelques  bandits  sans  villages  et  sans  demeures 
fixes.  Expulsés  de  tous  côtés ,  ils  se  sont  adonnés  au  vol 
et  au  brigandage ,  et  ont  été  long-temps  redoutables  aux 
émigrans  qui  alloient  de  la  Virginie  dans  les  nouveaux 
Etats  du  Kentukey  et  du  Ténézée.  Mais  comme  depuis 
quelque  temps  on  a  cessé  d'en  parler,  il  est  probable  que 
les  colons  des  frontières,  dont  ils  étoient  devenus  le  fléau, 
les  auront  détruits. 

(  8  )  Terres  de  la  Géorgie.  En  1 796  ,  la  législature  de  la 
Géorgie ,  composée  de  ce  qu'il  y  avoit  d'hommes  les  plus 
immoraux  dans  cet  Etat ,  dont  la  constitution  étoit  alors 
entièrement  démocratique  ,  s'avisa  de  mettre  en  vente 
les  terres  comprises  entre  leurs  frontières  et  le  Mississipi , 
qui  se  montoient,  dit-on,  de  46  à  5o  et  quelques  millions 
d'acres  ;  sans  considérer  que  les  deux  tiers  de  ces  terreins 
appartiennent  aux  nations  belliqueuses  desCreeks,  Sémi- 
noles,  Chectaws  et  Cliikassaws,  et  que,  d'après  la  cons- 
titution fédérale ,  ils  doivent  retourner  au  Gouvernement 
général  de  l'Union ,  aussi-tôt  que  les  indigènes  les  auront 
ve-ndus  ;  ce  qui  probablement  n'arrivera  pas  d'ici  à  bien 
des  années.  Le  premier  acte  de  la  législature  qui  remplaça 
celle-ci ,  fut  d'annuller  ce  marché  honteux  ]  il  faut  espérer 
que  la  nouvelle  forme  de  Gouvernement  qui  vient  d'être 
adoptée ,  très  -  semblable  à  celle  de  la  Pensjdvanie  ,  ra- 
mènera l'ordre ,  la  décence  et  le  respect  pour  les  loix ,  sans 
lequel  il  ne  peut  exister  aucune  espèce  de  prospérité  dans 
une  nation  civilisée.  Il  vaudroit  mieux  embrasser  la  vie 


554  NOTES» 

sauvage,  que  d'être  membre  d'une  société  aussi  de'sor'gà^ 
nisée  ^  et  d'obéir  à  un  Gouvernement  sans  frein  et  sans 
contre-poids.  Ces  taches  ;  cet  esprit  de  vertige  ;  disparoî*- 
tront  avec  le  temps. 

(9)  Uchée.  Grande  et  belle  ville  Muscogulge  (ou  Creek), 
peuplée  de  1 5oo  babitans.  Elle  est  située  sur  les  bords  d© 
la  rivière  Cliattauché ,  branche  de  l' Apalachicola ,  à  quel- 
que distance  du  confluent  du  Pinchlucco.  Elle  est  le  chef- 
lieu  d'une  grande  tribu  du  même  nom ,  qui  fait  partie  de 
la  confédération  Creek  ;  on  rencontre  à  chaque  instant  des 
marques  d'une  industrie  cultivatrice ,  ainsi  que  des  bes^ 
tiaux  et  des  chevaux  qui  paissent  dans  les  savannes  du 
voisinage  ;  aussi  vivent-ils  dans  la  plus  grande  abondance. 
Quoique  très-adonnés  à  la  culture  de  leurs  champs ,  ils  ne 
négligent  pas  la  chasse,  qui  paroît  être  leur  occupation, 
favorite ,  et  ils  sont  aussi  adroits  dans  cet  exercice  que  les 
indigènes  du  nord.  Leurs  maisons  sont  construites  en  char'- 
pente ,  bien  doublées  en  dedans  comme  en  dehors.  Nulle 
part,  sur  la  terre,  on  ne  peut  voir  plus  de  gaîté  et  de  bonheur. 

(  10  )  Alataniaha.  Grande  et  magnifique  rivière  de  la 
'  Géorgie ,  qui ,  après  un  cours  de  1 5o  lieues ,  tombe  dans 
l'Océan  par  trois  ouvertures ,  vis-à-vis  les  îles  de  Saint- 
Simon,  de  Jékill  et  de  Sapello,  à  54  lieues  au  sud  de  la 
Savanna.  Cette  rivière ,  navigable  pendant  près  de  60  lieues, 
est  formée  par  la  réunion  de  plus  de  vingt  branches  qui 
descendent  de  la  grande  chaîne  des  AUéghénis  ,  coiniue 
dans  cet  Etat  sous  le  nom  d' Apalaches.  C'est  sur  leurs  bases, 
douces  et  fertiles,  qu'habitent  plusieurs  tribus  de  la  con- 
fédération Muscogulge  ,  connue  sous  le  nom  de  Creeks ,  à 
caïise  des  innombrables  ruisseaux  dont  est  arrosée  cette 
belle  région  ,  qui  ne  le  cède  en  fraîcheur  et  en  beauté;, 
qu'aux  voluptvieuses  vallées  du  Ténézée, 


NOTES.  555 

(il)  Apctlachicola y  ou  Apalacliucla.  Grande  et  belle 
Hvière  qui  tombe  dans  le  golfe  du  Mexique  au  fond  de 
la  baie  des  Apalaclies.  Ainsi  que  l' Alatamaha ,  elle  est 
forme'e  par  la  réunion  de  plusieurs  brandies  considérables, 
dont  les    principales  sont  le  Flint,   la  Chata-Hoospa, 
l'Ucliée,  la  Chatta  -  Ucbée  ,  le   Pinch  -  Lucco ,  &c.   les 
montagnes  d'où  elles  découlent  étant  situées  à  i5o  lieues 
de  la  mer ,  et  le  pays  qu'elles  traversent  peu  montueux  y 
elles  sont  presque  toutes  navigables  jusqu'à  leurs  sources 
pour  des  canots  et  des  pirogues.  C'est  au  confluent  de  quel- 
ques-unes de  ces  brandies  qu'on  voit  plusieurs  villes  de 
ia  confédération  Muscogulge,  d'où  leurs  habitans  com- 
muniquent facilement  avec  le  golfe  du  Mexique ,  et  vont 
vcLç^vix^  à  la  Havane  où  ils  portent  leurs  peaux  de  cerfs, 
leur  miel ,  et  quelques  autres  productions  de  leur  pays.^ 
Cette  rivière  divise  les  deux  Florides.  A  5o  lieues  de  la 
mer   sont    établies   plusieurs   tribus  séminoles,  connues 
sous  le  nom  de  Creeks  inférieurs. 

(12)  Pearl- River.  Cette  rivière,  navigable  pendant 
76  lieues,  verse  ses  eaux  dans  les  lacs  Pont-Chartrain  et 
Borgnes,  situés  vers  la  partie  occidentale  du  golfe  du 
Mexique.  C'étoit  vers  ses  sources  qu'habitoit  jadis  une 
partie  de  l'ancienne  nation  des  Yazoos,  aujourd'hui  étein- 
te ,  dont  il  ne  reste  plus  que  le  nom  donné  à  une  rivière 
considérable,  qui  tombe  dans  le  Mississipi,  à  i65  lieues 
géométriques  de  la  balise. 

(^iZ^Maegillivry.  Son  père^,  irlandais  de  naissance, 
qui  avoit  épousé  une  femme  séminole ,  liabitoit  la  Géor- 
gie long-temps  avant  la  révolution.  Ce  jeune  homme 
ayant  été  obligé  d'abandonner  sa  patrie  au  commencement 
de  la  guerre ,  pour  son  attacliement  à  la  cause  du  Roi  j 
se  retira  cliez  les  Creeks,  parmi  ses  parens  maternels. 


^36  NOTES. 

Irrité  de  ce  qu'à  la  paix ,  an  lieu  de  le  rappeler ,  comme 
cela  s'étoit  fait  dans  les  autres  Etats ,  on  l'avoit  pros- 
crit et  dépouillé  de  son  patrimoine ,  il  devint  Creek ,  et 
peu  de  temps  après  fat  élevé ,  par  ses  nouveaux  com- 
patriotes à  la  dignité  de  Myco,  c'est-à-dire,  de  Roi 
ou  clief  de  la  confédération  Muscogulge  ;  il  en  a  de- 
puis rempli  les  devoirs  avec  beaucoup  d'énergie  et  de 


dignité. 


Invité  en  1791?  par  le  Président  des  Etats-Unis,  à 
envoyer  des  députés  à  Pliiladelpliie ,  pour  terminer  les 
différends  qui  existoient  depuis  long-temps  entre  cette 
nation  et  la  Géorgie ,  il  se  fit  représenter  par  douze  guer- 
riers ,  qui  s'embarquèrent  à  Savannali ,  et  arrivèrent 
heureusement  au  siège  du  Gouvernement.  Le  plus  petit 
de  ces  ambassadeurs  avoit  cinq  pieds  six  pouces.  Leur 
costume ,  la  force,  la  vigueur  athlétique  de  leurs  corps , 
la  noble  fierté  de  leur  conduite,  furent  très -admirés. 
J'eus  le  plaisir  de  dîner  plusieurs  fois  avec  eux  chez  le  gé- 
néral Washington ,  où,  à  quelques  mal-adresses  près ,  ils 
se  conduisirent  avec  beaucoup  de  décence.  Bien  différens 
des  indigènes  du  nord ,  ils  ne  rougirent  point  de  mon- 
trer quelque  degré  d'étonnement  en  contemplant  ces 
églises  ,  ce  marché ,  un  des  plus  beaux  et  des  plus  proj^res 
de  cet  hémisphère  ,  ces  rues ,  ces  trottoirs  et  ces  pompes , 
et  sur-tout  le  grand  nombre  de  vaisseaux  dont  la  Dé- 
laware  étoit  couverte.  Leurs  yeux  étinceloient ,  le  jour 
où.  le  Général,  qu'ils  appeloient  le  Myco  des  Etats-Unis, 
les  reçut ,  dans  une  audience  publique ,  avec  un  heu- 
reux mélange  de  dignité,  de  pompe  et  de  simplicité. 

(x^i)  Sainte- Augustine.  Capitale  de  la  Floride  orien- 
tale ,  construite  au  fond  d'une  baie  du  même  nom ,  dé- 
fendue de  l'Océan  par  l'île  de  Matansa.  Les  maisons  en 


NOTES.  507 

%ônt  toutes  Construites  en  pierres  tirées  de  File  Saiut-Anas^ 
tascSon  port ,  comme  presque  tous  ceux  du  sud  ,  a  son 
entrée  quelquefois  exposée  aux  dangers  des  brisans ,  et 
à  une  barre  que  les  vaisseaux  ne  peuvent  point  franchir 
sans  l'assistance  des  pilotes. 

{1 5)  Floride  occidentale.  Cette  province  espagnole  est 
limitée  au  sud  par  le  golfe  du  Mexique ,  au  nord  par  une 
ligne  qui  commence  au  3l^  degré  de  latitude  sur  le  Missis'* 
sipi,  et  court  parallèlement  dans  un  espace  de  i5o  lieues 
jusqu'à  la  rivière  Apalachicola ,  qui  la  sépare  à  Fest  de 
la  Floride  orientale  ,  et  à  l'ouest  par  le  Mississipi.  A  l'ex- 
ception de  quelques  établissemens  sur  les  bords  de  là  mer, 
elle  est  entièrement  possédée  par  les  différentes  tribus  de 
la  nation  séminole. 

(16)  Arbres  diiMississipL  Ce  n'est  que  dans  la  Géor- 
gie et  dans   certains  cantons  des  deux  Florides,  qu'on 
voit  des  arbres  aussi  élevés  que  ceux  qui  ombragent  les 
rivages  de  ce  grand  fleuve  et  les  îles  dont  il  est  rempli. 
La  plupart  sont  des  magnolias  ^  des  frênes ,  des  chênes 
verds  ,des  sycomores  et  des  cyprès.  J'ai  navigué  dans  une 
pirogue  faite  d'un  tronc  de  cette  dernière  espèce ,  qui  avoit 
61  pieds  de  longueur,  4  pieds  9  pouces  de  largeur,  et 
portoit  4o  hommes.  Il  est  difficile  aux  voyageurs  qui 
viennent  du  nord ,  de  se  former  une  idée  de  l'accroisse- 
ment de   ces  arbres ,  de  leur  hauteur ,  de  l'étendue  de 
leurs  rameaux  ,  de  la  beauté  pittoresque  de  leurs  cimes , 
ainsi  que  de  la  force  végétative  d'un  sol  aussi  gras  j  sous 
un  soleil  aussi  chaud  :  les  sycomores  sont  en  général  plus 
élevés  que  les  cyprès,  mais  ce  bois  étant  léger  et  beau- 
coup moins  durable ,  on  s'en  sert  plus  rarement. 

(17)  Ancienne  hauteur  des  inondations  du  Missouri. 
Comment  ces  vastes  plaines  herbées;  ces  savannes  cou- 
HT,  y 


S58  N  O   T^  E   s. 

vertes  de  roseaux ,  out-elles  été  formées  ?  Qurelqués-tiné.9 
auront  pu  être  des  lacs  semblables  à  ceux  de  la  Floride 
orientale ,  dont  les  eaux  s'écoulent ,  au  printemps ,  par 
des  canaux  souterrains.  Mais  la  plupart  sont  plus  élevées 
que  les  terres  boisées  dont  elles  sont  environnées.  Un 
M.  Wilîing,  major  du  détachement  de  troupes  continen- 
tales, qui  s'empai-a  des  Illinois  pendant  la  guerre  de  l'In- 
dépendance, m'a  dît  qu'à  quelque  distance  de  l'embou- 
chure du  Missouri  dans  le  Mississipi,  on  voit,  sur  ses 
rivages,  des  rochers  vers  la  cime  desquels,  à  70  pieds  au- 
dessus  du  niveau  de  ce  fleuVe ,  il  avoit  observé  des 
marques  horizontales  de  l'ancienne  hauteur  des  eaux.  On 
en  voit  de  semblables  non  loin  du  French-Broad  *,  sur 
lesquels,  à  100  pieds  de  leurs  bases,  des  voyageurs  ont 
cru  distinguer  des  figures  d'animaux  et  d'oiseaux.  En 
remontant  le  Tombèchée  et  l'Alibama  **,  à  plus  de  3oo 
milles  de  la  mer ,  et  dans  plusieurs  parties  méditerranées 
de  la  Géorgie ,  on  â  découvert  des  bancs  énormes  d'écaillés 
d'huîtres ,  dont  lés  Chikassa-ws  font  de  la  chaux  et  de  la 
poterie.  Plus  loin  encore,  vers  les  montagnes,  on  en  voit 
de  fossiles.  Tout  annonce  qtte  la  surface  de  ce  continent 
a  subi  de  grands  changemens  depuis  une  époque  qui  n'est 
pas  très-éloignée',  puisque  ces  écailles  d'huitres  existent 
encore ,  et  que  les  eaux  ont  considérablement  baissé  dans 
l'intérieur,  par  l'effraction  des  montagnes,  ainsi  que  dans 
les  parties  maritimes  par  la  retraite  de  celles  de  l'Oeéan. 

(  1 8)  Manchach.  En  remontant  le  Mississipi  depuis  la 
Nouvelle  -  Orléans ,  on  rencontre  sur  le  rivage  oriental 
de  ce  fleuve,  à  37  lieues  de  cette  capitale  de  la  Eoui- 


^  Branche  du  Ténézée. 
*^  Branche  de  la  Mobile. 


NOTES.  539 

hiâne ,  une  grande  ouverture  dont  le  fond  est  élevé , 
jflendant  la  sécheresse,  à  5o  pieds  au  -  dessus  du  niveau 
de  ce  fleuve.  C'est  Manchack  :  pendant  ses  crues .  qui 
s'élèvent  à  plus  de  90  pieds,  ses  eaux  s'écoulent  par  ee 
canal  dans  la  baie  des  Perles  à  travers  les  lacs  Maurepas 
et  Pont-Chartrain.  La  distance  de  ce  fleuve  aux  eaux 
navigables  de  l'Yberville  et  de  l' Amit  n'étant  que  de  trois 
lieues ,  on  pourra ,  en  creusant  ce  canal ,  qui  est  à  sec 
pendant  six  mois  de  l'année ,  ouvrir  un  jour  une  com- 
munication avec  le  Mississipi  ;  ce  qui  éviteroit  aux  vais- 
seaux les  dangers  de  l'atterrissement  à  la  balise,  et  les 
difficultés  qu'on  rencontre  en  remontant  ce  fleuve  pen- 
dant l'espace  de  4o  lieues. 

Manchack  n'est  pas  le  seul  canal  d'écoulement  à  tra- 
vers lequel  va  se  perdre  l'immensité  des  eaux  du  Mis- 
sissipi dans  la  saison  des  crues.   On  en  voit  un  grand 
nombre ,  particulièrement  sur  son  rivage  occidental ,  en 
le  remontant  jusqu'à  la  Nouvelle-Madrid ,  ville  récem- 
ment construite   vis-à-vis  l'embouchure  de  l'Ohio,  à 
3oo  lieues  de  Manchack*  Aussi-tôt  que  ce  fleuve  aug- 
mente ,  ces  ouvertures  deviennent  comme  des  rivières 
coulant  à  pleins  bords,  qui  conduisent  ces  vastes  inon- 
dations dans  celle  de  San-Bernardo ,  dont  l'embouchure 
est  au  fond  du  golfe  du  Mexique.  Ce  fut  à  cette  emboiv 
chure  que  périt  la  Salle  avec  la  plupart  de  ses  compa.- 
gnons,  qui,  comme  lui ,  la  prirent  pour  celle  du  Mississipi* 
(19)  I)elta  diù  Mississipi.  Si  Fon  peut  en  juger  par 
l'analogie  du  sol ,  ce  Delta  s'étend  à  près  de  vingt  lieues 
vers  l'est  et  autant  vers  l'ouest ,  et  depuis  les  rivages  de 
la  mer  jusqu'à  Manchack.  Dans  toute  cette  étendue  on 
trouve  la  même  espèce  de  limon  et  les  mêmes  débris 
fondés  sur  un@  couche  profonde  de  sable  blanc,  qui  a  été 

2 


34o  NOTES. 

anciennement  battue  par  les  eaux  du  golfe.  Lés  progTè.4 
de  ce  Delta  vers  les  bouches  du  fleuve  sont  estimés  d'une 
lieue  par  siècle,  ou  de  vingt-cinq  toises  par  an  :  cette 
Conjecture  est  fondée  sur  la  distance  à  laquelle  se  trouve 
aujourd'hui  la  balise  que  les  Français  établirent  lors  de 
leur  première  colonisation ,  et  qui  se  trouve   à  plus  de 
2000  toises  de  celle   où  les  Espagnols  ont  fixé  la  leur. 
Cette  augmentation  n'étonnera  pas  ,  si  l'on  réfléchit  à 
l'immense  quantité  d'arbres  ,  de  roseaiix ,  de  cannes  ,  de 
feuilles  et  limon,  que  ce  fleuve  charrie  continuellement^ 
Arrivés  sur  les  bas-fonds ,  ces  arbres  s'arrêtent,  devien- 
nent  des  obstacles  auprès   desquels  les  eaux    déposent 
leurs  innombrables  débris.  Bientôt  élevés  à  fleur-d'eau, 
ces  terreins  peu  solides  produisent  des  plantes  aquatiquei 
qui  périssent  tous  les  ans  et  contribuent  à  élever  ou  con- 
solider ce  nouveau  sol. 

(20)  Arcansas.  Grande  et  belle  rivière  qui  tombe  sur 
le  rivage  occidental  du  Mississipi ,  à  223  lieues  géomé- 
triques de  la   balise.  Ses  sources,  qui,  comme  celles  du 
Missouri ,  sont  encore  peu  connues ,  se  trouvent ,  dit-on  ; 
dans  le  voisinage  des  montagnes  de  Santa-Fé.  Elle  reçoit 
pendant  ce  long  cours  un  grand  nombre  de  rivières  se- 
condaires ;  les  plaines  qu'elles  traversent  sont  habitées 
par  plusieurs  nations  qui  chassent  à  cheval ,  et  viennent 
échanger  les  produits  de  leur  industrie  contre  les  mar- 
chandises de  l'Europe ,  chez  les  Espagnols  qui  ont  un  fort 
vers  l'embouchure  de  cette  rivière.  Ces  plaines  sont  rem- 
plies de  buflles.  On  a  remonté  la  rivière  jusqu'à  plus  de 
200  lieues  ,  dans  le  voisinage  de  Panissas ,  chef-lieu  d'uner 
nation  connue  sous  le  même  nom,  vers  le  c^5^  degré  de 
longitude,  et  le  36^  \  de  latitude.  ^ 
(21)  Acadiens.  Vers  l'an  1/46,  la  Grande-Bretagne,  k 


NOTES.  54l 

laquelle  la  France  veiioit  de  céder  l'Acadic  (aujonrd'lini; 
Nouvelle-Ecosse  )  au  lieu  d'en  conserver  les  anciens  liabi- 
tans,  conformément  à  la  capitulation,  arraclia  de  sa  terre 
îiatale ,  sous  quelques  prétextes  frivoles  de  religion ,  et 
sans  remords  à  la  vue  d'un  si  grand  crime,  cette  race 
douce  et  laborieuse  ,  hommes ,  femmes  ,  enfans  ,  vieil- 
lards ,  et  les  envoya ,  les  uns  au  Canada  ,  les  autres  à 
New- York ,  au  Maryland  et  ailleurs.  Quelques-unes  des 
familles  les  plus  aisées ,  frétèrent  un  vaisseau  et  allèrent 
s'établir  à  la  Louisiane ,  alors  colonie  française ,  où  ils 
introduisirent  le  goût  et  les  habitudes  pastorales  dans  les- 
quelles ils  avoient  été  élevés.  Pauvres,  mais  honnêtes 
et  industrieux,  ils  s'établirent  dans  le  voisinage  de  ces 
plaines  herbées ,  la  plupart  avec  une  seule  vache ,  d'où 
sont  descendus  les  grands  troupeaux  qu'ils  possèdent  au- 
jourd'hui ,  et  qui  sont  devenus  la  principale  source  de 
Jeurs  richesse?.  Ces  bestiaux  vivent  toute  l'année  sur  ces 
fertiles  savannes  ;  on  les  perd  de  vue ,  on  les  oublie ,  sûr 
qu'ils  reviendront  demander  du  sel ,  quand  ce  désir  se 
fera  sentir.  L'horizon  entier  est  leur  commune. 

Un  très-petit  nombre  de  ces  habitans  s'est  élevé  au- 
dessus  de  cet  état  primitif,  qu'ils  paroissent  préférer  encore 
à  la  culture  du  riz ,  de  l'indigo  et  du  tabac  5  ils  conservent 
la  simplicité  de  mœurs  et  les  vertus  hospitalières  de  leurs 
ancêtres.  Satisfaits  et  contens  du  nécessaire,  ils  ne  con- 
noissent  point ,  comme  tant  d'autres ,  cette  fièvre  de 
désirs ,  qui  conduit  quelquefois  à  la  prospérité  à  travers 
mille  hasards  et  mille  dangers,  et  plus  souvent  aux  revers 
et  au  repentir.  J'en  ai  connu  qui ,  sous  ce  beau  ciel  de  la 
Louisiane ,  sur  son  sol  fertile ,  regrettoient  encore  leur 
froide,  humide  et  brumeuse  patrie  (sentiment  indes- 
tructible, sur-tout  parmi  des  hommes  honnêtes  et  ver- 


342  N  o  T  i:  s. 

tueux),  ©t.,  chose  bien  plus  étonnante  !  le  Gouvernement 
français  d'alors  ne  fit  rien  pour  des  sujets  si  respectables 
et  qui  lui  étoient  si  fortement  attaches. 

(22)  Colonie  française  de  la  Mobile.  A  l'époque  où 
les  Français  commencèrent  à  cultiver  les  rivages  du  Mis- 
sissipi ,  plusieurs  familles  de  la  même  nation  fondèrent 
un  établissement  considérable  sur  la  pointe  méridionale 
de  l'île  formée  par  les  rivières  Tombéchée  et  Alibama, 
et,  dans  la  suite ,  défrichèrent  plusieurs  cantons  sur  leurs 
bords  fertiles.  On  voit  encore  à  1 00  lieues  de  cette  ville , 
au  confluent  du  Coosa ,  quelques  pièces  de  canon  et  les 
ruines  du  fort  de  Toulouse ,  ainsi  que  celles  de  plusieurs 
habitations.  La  postérité  d'une  partie  de  ces  familles ,  qui , 
de  la  domination  française,  ont  passé  sous  celle  des  Anglais , 
des  Espagnols ,  coiiserve  encore  leur  langue  et  leurs  an- 
ciens usages. 

Il  n'y  a  pas  sur  la  terre  de  pays  plus  fertile  ni  mieux 
arrosé  que  celui  qui  est  traversé  par  l'Alibama  et  ses  nom* 
foreuses  branches  -,  la  nature  y  est  aussi  productive  que  soua 
la  zone  torride.  On  y  voit  depuis  le  pommier  jusqu'au  pis- 
tachier. Il  est  aujourd'hui  habité  par  des  tribus  Creeks 
chez  lesquelles  les  voyageurs  sont  toujours  sûrs  d'être  bien 
reçus, 

NOTES   DU    CHAPITRE   IV. 

(1)  Canadiens.  Ce  peuple  est  peu  cultivateur.  La  jeu- 
nesse canadienne  étant  presque  constamment  occupée  à 
conduire  les  canots  chargés  de  marchandises  destinées 
pour  \G&pays  d' en-haut ,  et  à  en  rapporter  les  pelleteries  ^ 
connoît  peu  les  détails  de  l'agriculture ,  et  a ,  dans  cette 
partie ,  beaucoup  moins  d'expérience  que  les  colons  amé- 
ricains. Presque  tous  ceux  qyû  passent  leur  vie  dans  çe& 


N  O  T  E  5.  545 

longs  Toyages  parlent  très-bien  la  langue  des  indigènes;, 
et  se  sont  habitue's  à  leurs  usages.  Voilà  pourquoi ,  sous 
ces  rapports  ainsi  que  sous  plusieurs  autres ,  de  tous  les 
blancs  que  ces  indigènes  connoissent ,  ils  aiment  et  esti- 
ment davantage  les  canadiens.  C'est  un  motif  de  préfé- 
rence et  de  protection  que  d'être  né  dans  le  Canada; 
aussi  les  Anglais  n'emploient-ils  pas  d'autres  agens  dana 
leur  commerce.  Par-tout,  au  contraire,  où  les  troupes 
anglaises  sont  envoyées  en  garnison,  les  soldats  s'occupent 
de  la  culture  des  jardins  ;  les  officiers,  pour  se  désennuyer, 
forment  de  petits  établissemens  ruraux,  ce  qui  paroît 
aux  yeux  des  indigènes  comme  une  prise  de  possession  ;> 
qui  d'ailleurs  contribue  à  eflPrayer  le  gibier. 

(2)  Bedfird  et  Ligonier.  Le  premier  de  ces  forts  fut 
anciennement  construit  pour  protéger  le  passage  des  mon- 
tagnes 5  le  second,  pour  défendre  celui  du  Ijoyal-Han- 
ning,  sur  la  route  qui  conduit  de  Philadelphie  à  Pitt's- 
bourg.  Le  voisinage  de  ces  postes  ayant  été  insensible- 
ïiient  cultivé  par  les  différentes  garnisons,  des  colons 
s'y  sont  établis  j  les  loix  municipales  les  y  ont  suivis,  et 
ces  emplacemens  militaires  sont:  devenus  des  ehefs-Heux 
de  canton. 

(3)  Fourches  du  Mushinghum.  On  connoît  sous  ce 
nom  la  réunion  des  deux  principales  branches  de  ce  fleuve, 
qui  est  à  70  milles  de  son  embouchure  dans  l'Ohio* 

(4)  Tuskaraway.  C'est  ainsi  que  les  géographes  dési- 
gnent sur  les  cartes  le  point  où  cette  jolie  rivière  tombe 
dans  le  Muskinghum  ;  il  se  trouve  à  3o  milles  des  four- 
elies,  en  suivant  la  route  que  tint  l'armée  commandée 
par  le  général  Bouquet, 

(5)  Court  et  long  couteau.  Cette  expression  signifie  la 
baïomiette  de  l'infanterie  et  le  sabre  do  la  cavalerie.  C'est 


S44  NOTES. 

avec  le  secours  de  cette  dernière  arme  que  les  colons  mon* 
tagnards  du  Te'nézëe  repoussèrent  à  plusieurs  reprises  les 
vigoureuses  attaques  des  Chérokëes  pendant  la  guerre  dç 
la  révolution ,  et  les  forcèrent  à  faire  la  paix.  La  plus 
grande  difficulté  que  ces  cavaliers  eurent  à  vaincre ^  fut 
celle  de  nourrir  leurs  chevaux  dans  les  bois  pendant 
près  d'un  mois, 

(  6  )  Misiskouy,.  Grande  baie  située  sur  le  rivage  orien- 
tal du  lac  Cliamplain,  aujourd'hui  comprise  dans  le  ter- 
ritoire de  l'Etat  de  Vermont.  Les  limites  du  Canada  3, 
fixées  au  45^  degré  de  latitude ,  n^en  sont  qu'à  une  petite 
distance.  Du  temps  des  Français,  plus  de  la  moitié  de  ce 
nouvel  Etat  faisoit  partie  du  Canada.  Cette  baie  est  navi- 
gable fort  avant  dans  les  terres ,  et  est  très -abondante  en 
poisson  ,  sur- tout  en  saumons ,  qui ,  tous  les  ans ,  remon- 
tent le  ileu-ve  Saint-Laurent ,  la  rivière  de  Richelieu ,  et 
le  rapide  de  Chambiy,  pour  entrer  dans  ce  lac. 

(  7  )  Liens  de  l' adoption.  Etant ,  il  y  a  plusieurs  années , 
dans  un  canot  d'écorce  conduit  par  deux  Abénakis  du  bas- 
Canada  ,  j'eus  le  malheur  de  faire  naufrage  sur  le  Laut  àxk. 
fleuve  Saint-Laurent  ;  dont  nous  venions  de  franchir  heu- 
reusement le  long  saut  qui  a  six  lieues  de  long.  Les  premières 
neiges  étoient  déjà  tombées.  Sans  hache  et  sans  moyens 
d'allumer  du  feu,  réduits  à  manger  cruds  quelques  poissons 
que  nous  avions  eu  le  bonheur  de  prendre,  nous  résolûmes 
de  marcher  vers  le  sud,  et ,  pour  ne  pas  nous  perdre  dans  les 
bois,  de  tenir  la  vue  du  fleuve  sur  notre  gauche.  Mourans 
de  froid ,  consumés  ,  épuisés ,  nous  étions  parvenus  an 
troisième  jour  de  ce  pénible  voyage  y  et  venions  de  man- 
ger les  derniers  morceaux  de  notre  dernier  poisson ,  lors-^ 
qu'à  notre  grande  joie ,  nous  crûmes  appercevoir  dans; 
l'éloignement  quelques  indices  de  fumée,  C  etoit  celle  d'u$L 


NOTES.  545 

grand  village  de  Mohawks  cliristianisés,  situé  à  l'embou- 
chure de  la  rivière  Osswégatclië  ,  bien  connu  alors  sou.s  1© 
même  nom ,  et  aiijourd'liui  compris  dans  le  territoire  des 
Etats-Unis.  Aussi-tôt  que  nous  fûmes  parvenus  à  la  portée 
de  la  voix,  mes  compagnons  s'accroupirent  et  hurlèrent  à 
plusieurs  reprises.  A  ce  cri  de  la  douleur,  quelques  indi-* 
gènes  du  village  vinrent  voir  qui  nous  étions  ,  et  bientôt, 
touchés  de  notre  misère ,  ils  nous  conduisirent  chez  eux 
sans  parler ,  et  nous  placèrent  séparément  dans  trois  dif-« 
férentes  familles.  Le  hasard  voulut  qu'ils  me  menèrent , 
comme  blanc ,  chez  celui  qui  étoit  à-la-fois  le  doyen  et  1© 
sachem  de  ce  village  ,  et  qui,  par  conséquent,  réunissoit  à 
ïa  prééminence  de  l'âge ,  l'autorité  d'un  chef.  Après 
m'avoir  pris  par  la  main  et  fait  fumer  dans  le  grand  op- 
poygan  de  la  famille,  ce  vieillard  me  dit  :  —  «  Sois  le  bien- 
arrivé ,  de  quelque  endroit  que  tu  viennes  !  Repose  tes  os 
sur  cette  peau  d'ours;  chauÊFe-toî,  et  mange». — Il  par- 
loit  un  peu  anglais  et  français  :  sa  famille  étoit  composée 
de  quatre  femmes  et  de  trois  hommes.  Le  lendemain , 
après  que  je  l'eus  informé  d'où  je  venois  et  où  je  comptois 
aller ,  il  me  dit  :  —  (c  L'hiver  approche ,  comme  tu  vois  -^ 
le  grand  fleuve  charrie  déjà  des  glaçons  ;  notre  rivière  est 
prise  •  il  est  impossible  d'aller  à  Montréal  avant  Je  prin- 
temps ;  mets  de  côté  le  peu  de  vêtemens  qui  te  restent, 
et  habille-toi  comme  nous,  nos  gens  t'en  aimeront  mieux  «^ 
'- —  A  peine  y  eus-je  consenti  en  lui  serrant  la  main,  qu© 
les  femmes  s'approchèrent  avec  empressement,  et  tout  en 
riant  coupèrent  mes  cheveux ,  me  peignirent  le  visage, 
m'apportèrent  ce  qui  étoit  nécessaire  pour  me  vêtir  ;  ils 
n'oublièrent  même  pas  de  me  donner  un  nom.  Après  quel-« 
ques  jours  d'habitude,  je  me  trouvai  aussi  bien  logé ,  nourri 
et  vêtu,  que  si  j'eusse  été  parmi  mes  amis  de  Montré^  j 


546  NOTES. 

tant  on  se  fait  facilement  à  tout  ,  lorsqu'on  est  jeune. 
Comme  les  autres,  j'allois  soir  et  matin  pêcher,  tantôt 
sur  la  ^lace,  tantôt  au  iilet ,  suivant  le  degré  du  froid  ou 
l'abondance  de  la  neige ,  et  je  n'étois  pas  peu  fier  de  pou- 
voir contribuer  à  remplir  la  cbaudière.  D'ailleurs  nous 
avions  en  abondance  du  jnaïs  et  des  pommes  de  terre  ;  car 
depuis  que  cette  tribu  étoit  devenue  chrétienne ,  ils  culti^ 
voient  la  terre  avec  plus  de  soin  et  de  prévoyance.  Avec 
l'éporce  intérieure  du  bouleau,  je  m'étois  fait  un  grand 
livre,  sur  lequel  j'ecrivois  avec  soin  tous  les  mots  de 
leur  langue  dont  je  pouvois  deviner  le  sensj  ce  qui  parut 
leur  f9.ire  autant  de  plaisir  que  si  je  leur  eusse  rendu  un 
service  important. 

Le  temps  s'écouloit  sans  ennui  au  milieu  de  ces  occu- 
ipations,  lorsque ,  vers  la  fin  de  janvier,  arriva  un  homme 
chargé  de  pelleteries  et  de  viande  gelée.  C'étoit  un  des 
gendres  du  vieillard  Minickwac ,  et  le  mari  de  la  femme 
qui  s'étoit  le  plus  empressée  de  couper  mes  cheveux  et  de 
me  peindre,  et  même  de  me  tatouer.  J'entendois  déjà 
assez  bien  quelques  phrases  de  leur  langue,  pour  m'ap- 
percevoir  que  ce  nouveau-venu  parloit  le  mohawk  pres- 
qu'aussi  mal  que  moi  :  surpris  de  cela,  j'en  demandai  la 
raison  au  vieux  Minickwack  ;  voici  ce  qu'il  me  dit  :  — 
<(  Cet  homme,  Kittagawmick ,  de  l'ancienne  tribu  Oua- 
sioto ,  fut  fait  prisonnier ,  il  y  a  plusieurs  années ,  par  un 
parti  de  nos  guerriers  :  aiTÎvé  dans  ce  village,  il  fut  adopté 
par  une  de  mes  filles ,  dont  le  mari  avoit  été  noyé  en  des- 
cendant le  long  saut  du  grand  fleuve.  C'est  un  de  nos  plus 
habiles  chasseurs ,  comme  tu  peux  le  voir  par  la  quantité 
de  peaux  de  castors  qu'il  a  apportées.  Après  quelques 
années  de  son  séjour  ici,  sa  première  femme  arriva  dans 
J.e  pays  des  Moha,wks  pour  le  réclamer ,  chose  que  les  plus 


NOTES.  547 

anciens  n'avoient  point  encore  vue  :  on  envoya  ici  des 
paroles  qui  nous  surprirent  beaucoup  ;  on  en  renvoya 
d'autres  pour  servir  de  réponse  j  cela  dura  un  liiver.  Moi  ^ 
je  ne  savois  que  penser ,  et  KLittagawmick  ignoroit  tout 
cela.  Les  missionnaires  s'en  mêlèrent.  Quelques-uns  de 
nos  gens  vouloient  renvoyer  cette  femme  dans  son  pays  -, 
les  autres ,  au  contraire ,  vouloient  qu'elle  reprît  Kitta- 
gawmick ,  son  premier  mari.  Enfin,  pour  ne  faire  que  ce 
qui  ëtoit  juste  ,  Henrique  Nissooassoo  ,  grand  chef  de  la 
tribu  Mohawk,  alluma  le  feu  d'un  conseil  à  Oriskany ,  où. 
il  invita  les  sachems ,  les  vieillards  et  les  penseurs  :  j'y 
étois  aussi.  Malgré  ce  que  dirent  les  prêtres  et  les  blancs , 
voici  ce  qui  fut  résolu  après  avoir  longuement  et  lente-^ 
ment  fumé  plusieurs  oppoygans  ». 

<c  Le  jour  où  Klittagawmick  fut  fait  prisonnier ,  il  auroit 
3)  pu  être  tué  ou  mis  au  poteau ,  suivant  l'usage ,  ce  qui 
5)  auroit  dissous  son  mariage  avec  Catta\7-Wassy  ;  mais 
3)  ayant  été  conduit  au  village  d'Osswégatcliée ,  et  adopté 
■)}  par  Kippokitta  ;  et  jouissant  depuis  d'une  nouvelle  vie 
3)  qu'il  doit  à  sa  seconde  femme  par  l'adoption ,  la  pre- 
5)  mière  ne  lui  est  plus  rien  )) , 

«  Voici  ce  que  j'appris  en  1765.  Après  s'être  long-temps 
désolée  de  ce  jugement,  Cattaw-Wassy  s'en  consola  en 
épousant  un  des  indigènes  d'Oriskany ,  avec  lequel  elle 
vécut  long-temps.  Sir  William  Johnson ,  ainsi  que  plu^ 
sieurs  autres  blancs  qui  admiroient  le  courage  qu'elle  avoit 
montré  en  venant  seule  de  son  pays ,  situé  à  plus  de  200 
lieues  ,  lui  firent  des  présens  considérables.  Elle  fut  la 
première  femme  de  ce  grand  village  qui  eut  une  vache , 
un  cheval  et  une  maison,  et  chez  laquelle  on  trouva  au 
lait ,  du  beurre ,  du  pain ,  de  la  viande  et  deux  lits.  Quel 
est  l'homme  un  peu  insti'uit  qui;  pendant  le  temps  colo-^ 


548  NOTE   s. 

niai ,  n'a  pas  entendu  parler  de  Cattaw- Wassy  ?  Avec  une 
autre  éducation,  elle  seroit  devenue  une  femme  distin- 
gue'e  », 

Je  pouiTois  citer  plusieurs  autres  exemples  du  respect 
cjuont  les  indigènes  pour  l'adoption,  si  cela  étoit  néces- 
saire^ sUr-tout  parmi  les  nations  les  plus  anciennes,  telles 
q[ue  lesOutawas,  les  Shawanèses,  les  Cliérokées,  etc. 

( 8 )  La  concession  militaire  accordée  par  l'ancien  Con- 
grès aux  officiers  et  aux  soldats  de  la  ligue  de  Massaclius- 
sets ,  ainsi  que  les  acquisitions  qu'ils  ont  faites  du  Gou- 
vernement depuis  cette  époque,  comprenant  presque  tout 
le  pays  arrosé  par  le  Muskinglium  et  ses  branclies ,  ces 
deux  anciens  emplacemens  de  l'armée  du  général  Bou- 
quet sont  aujourd'hui  habités  et  cultivés  :  car ,  malgré  la 
guerre  contre  les  indigènes ,  qui  a  duré  trois  ans ,  cette 
colonie  d'anciens  militaires  a  considérablement  augmenté  : 
elle  est  une  des  plus  florissantes  de  toutes  celles  que  l'on 
voit  aujourd'hui  sur  les  bords  de  l'Oliio,  excepté  le  Ken»» 
tukey,  fondé  en  1772. 

NOTES   DU    CHAPITRE    V, 

(  1  )  Ecorce  de  bouleau.  Cet  arbre  est  un  des  plus  beaux 
et  des  plus  majestueux  qu'on  rencontre  dans  les  forêts  ; 
plus  on  avance  vers  le  nord ,  et  plus  il  acquiert  de  hau- 
teur et  de  grosseur.  Il  n'est  pas  rare  d'en  rencontrer  dans 
le  Canada  et  dans  la  province  du  Maine ,  de  trois  à  trois 
pieds  et  demi  de  diamètre.  C'est  avec  son  écorce  que  les 
indigènes  coiivrent  leurs  wigwhams  et  doublent  leurs 
canots.  Ils  ont  le  talent  dé  n'enlever  que  la  première  ,  sans 
blesser  l'arbre,  qui  ,  au  bout  de  quelques  années,  se  re- 
couvre de  nouveau.  J'en  ai  vu  des  rouleaux  qui  avoient 
quatre  pieds  de  large  et  dix  de  long. 


NOTES.  54çî 

(2)  Nofd-ouesi^,de  l'hiver.  L'impétuosité,  le  froid,  la 
durée  de  ce  vent ,  qui  ,  dans  une  seule  nuit ,  consolide  la 
surface  des  rivières,  est  un  phénomène  bien  extraordi- 
naire. J'ai  oui  dire  à  plusieurs  capitaines  de  navires, 
qu'après  avoir  appareillé  de  Sandj^-Ho^ok ,  ils  avoient  été 
chassés  par  ce  vent  j  Lisqu'en  Europe ,  et  prescju'avec  la 
même  violeiice.  Un  jour  que  je  demandois  au  docteur 
Franklin  quelle  pouvoit  être  la  cause  d'un  effet  aussi 
puissant ,  voici  ce  qu'il  jne  répondit  : 

«  Je  crois  que  ce  sont  les  vents  du  sud ,  qui,  après  avoir 
soulevé ,  agité  les  eaux  du  golfe  du  Mexique  avec  tant  de. 
violence ,  parcourent  les  plaines  de  la  Louisiane  jusqu'aux 
soiu^ces  du  Mississipi;  peut-être  même  pénètrent-ils  jus-* 
qu'aux  lacs  Bourbon  et  Assiniboels  ;  là ,  ils  rencontrent 
celui  du  nord ,  non  moinâ  impétueux  :  de  l'équilibre ,  on 
plutôt  du  conflit  de  leurs  forces  provient  nécessairement 
une  direction  diagonale ,  qui  est  celle  du  nord-ouest.  — 
Mais,  lui  dis-je,  pourquoi  ce  vent  est-il  moins  violent 
dans  les  pays  ultramontains  qu'ici  ?  Il  me  paroît  qu'il  de-^ 
Vroit,  au  coiitraii^e  ,  l'être  beaucoup  plus. — C'est,  me 
répondit  le  docteur ,  parce  qu'il  acquiert  un  nouveau 
degré  de  force  et  d'impétuosité  en  s'écbappant  des  mon- 
tagnes d'Alléghény,  du  haut  desquelles  il  vient  fondre  sur 
nos  Etats  atlantiques  septentrionaux  y>* 

(3)  Muscawiss4  Ce  singulier  oiseau,  gros  comme  un 
tiercelet ,  a  un  plumage  brun ,  et  marqué  de  taches  d'un 
blanc  éclatant.  Il  ne  paroît  qu'une  heure  ou  deux  avant  Iç 
coucher  du  soleil  :  alors,  de  tous  côtés  ,  on  entend  le  bruit, 
de  ses  gambolles  ,  de  ses  élans,  de  ses  chutes  soudaines  et 
rapides ,  qui  font  naître  l'idée  de  l'adresse  et  de  la  folie. 
Son  vol  bizarre  ne  ressemble  à  celui  d'aucun  autre  que 
j'aie  jamais  vu;  on  ne  peut  rien  concevoir  déplus  léger: 

\ 


5Bô  NOTÉS. 

iiiais  à  peine  les  ombres  de  la  nuit  commencent-elles  a  c6ii^ 
vrir  la  terre  ^  que  ces  oiseaux  descendent  du  haut  des  airs  y 
se  perchent  sur  lés  branches  inférieures  des  arbres ,  sur  les 
clôtures ,  et  souvent  liiêmé  s'abattent  au  milieu  des  champs^ 
où  ils  passent  la  nuit  à  répéter  leurs  monotones  et  lu- 
gubres accens  ,  que  les  indigènes  représentent  par  le  mot 
muscawiss  y  et  les  colons  par  celui  de  wip-poor-will.  On  le 
connoît  aussi  sous  celui  de  mushito-hawk.  On  ne  sait  de 
quoi  il  vit ,  ni  où  il  fait  ses  pontes ,  ni  ce  qu'il  devient 
pendant  l'hiver.  Itien  n'est  plus  frappant  que  le  contraste 
entre  l'extrême  agitation  de  ses  mouvemens ,  la  légèreté , 
la  rapidité  de  son  vol ,  et  sa  constante  immobilité ,  ainsi 
que  la  tristesse  de  ses  accens  pendant  toute  la  nuit ,  accens 
qui  paroissent  être  ceux  de  la  douleur  ou  d'un  profond 
ennui. 

NOTES   DU    CHAPITRE   VI. 

(i)  Hudson.  Cette  ville  fut  fondée  en  1784,  par  Seth 
et  Thomas  Jinkins ,  quakers  de  l'île  de  Rhodes ,  sur  lé 
rivage  oriental  du  fleuve  dont  elle  a  emprunté  le  nom,  à 
18  lieues  d'Albany ,  et  à  48  de  New- York.  Jamais  spécu- 
lation n'a  été  plus  habilement  combinée ,  et  n'a  plus  com- 
plètement réalisé  les  espérances  des  fondateurs  j  et,  chose 
extraordinaire  !  ils  reçurent  du  Gouvernement  une  charte 
d'incorporation,  et  furent  nommés  chefs  de  ce  nouveau 
corps  municipal,  avant  même  d'avoir  élevé  la  première 
maison  de  cette  ville ,  tant  étoit  grande  l'estime  qu'avoient 
inspirée  la  probité  et  les  talens  de  ces  étrangers  "^  !  L'em- 
placement de  cette  ville ,  dont  les  rues  sont  larges  et  ali- 

^  J'étois  présent  ,  lorsque  le  gouverneur  Clinton  le  leur 
piorait. 


NOTES.  55î 

gnées ,  est  d'environ  mille  toises  qnarrées ,  divisées  entre 
trente  actions.  Chacune  de  ces  subdivisions  contient  deux 
rangs  de  trente  lots  ;  chaque  lot  a  5o  pieds  de  large  et 
1 20  de  profondeur.  Le  premier  ouvrage  dont  ces  habiles 
gens  s'occupèrent ,  fut  d'y  amener  un  ruisseau ,  de  trois 
milles  de  distance  ;  au  moyen  d'un  aqueduc,  peu  fastueux, 
il  est  vrai,  mais  bon  et  solide.  Il  y  a  18  pieds  d'eau  aux 
quais  de  la  ville  ;  elle  contient  déjà  jSo  maisons ,  et  de 
4  à  5ooo  habitans  ;  plusieurs  distilleries,  quelques  manu- 
factures d'huile  de  baleine  et  de  toile  à  voiles,  etc.  La 
pêche  du  hareng ,  qu'ils  savent  fumer  à  la  manière  hollan- 
daise ,  y  est  très-abondante.  On  y  comptoit,  l'année  der- 
nière ,  quatorze  vaisseaux  employés  dans  le  commerce 
étranger ,  quatre  baleiniers  et  six  sloops  occupés  à  trans- 
porter à  New- York  les  denrées  du  fertile  pays  qui  s'étend 
jusques  dans  la  partie  occidentale  du  Massacliussets. 

NOTES   BU    CHAPITRE   VIL 

(1)  Shénectady.  Cette  ville  est  située  à  quatorze  milles 
d'Albany,  sut  le  Mohawk ,  là  ori  il  commence  à  être  na- 
vigable, la  partie  inférieure  de  cette  rivière  jusqu'à  soii 
confluent  dans  le  Hudson,  étant  obstruée  par  la  chute 
du  Cohos ,  ainsi  que  par  une  longue  suite  de  rochers.  Elle 
fut  bâtie  dans  ce  fertile  canton,  il  y  a  près  d'un  siècle, 
par  un  mélange  de  familles  flamandes  et  hollandaises. 
C'est  là  que  l'on  embarque  les  marchandises  destinées  à 
ï*emonter  la  rivière ,  et  que  sont  débarquées  les  produc- 
tions de  toute  la  partie  nord-ouest  de  l'Etat ,  qu'il  faut 
nécessairement  transporter  par  terre  jusqu'à  Albany.  C'est 
pour  faciliter  ce  transport  qu'on  parle  d'ouvrir  un  canal 
qui  imiroit  les  eaux  du  Mohawk  avec  celles  du  Hndsoiu 


3Sâ  K  O  f  É  s. 

JDepuis  qiie  la  Législature  de  cet  Etat  s'est  jBxëe  à  Alijaiiy  ^ 
on  espère  que  le  Gouvernement  encouragera  l'accomplis- 
sement de  cette  grande  et  utile  entreprise. 

(2)  State-House.  Maison  de  l'Etat.  Elle  fut  bâtie  eii 
1746,  soixante- quatre  ans  après  la  fondation  de  Philadel- 
phie :  les  plinthes  et  les  jambages  des  portes  et  des  Croisées . 
qui  sont  de  marbre ,  fureiit  envoyés  par  la  société  des 
amis  de  Londres  ,  à  leurs  frères  de  Philadelphie  :  mais  ceî 
qui  rend  cet  édifice  beaucoup  plus  intéressant  aux  yeux 
de  l'observateur  que  sa  pesante  architecture ,  est  que , 
quatre-vingt-quatorze  ans  après  l'arrivée  de  William 
Penn,  l'indépendance  des  colonies  y  fut  proclamée,  et 
que  j  sous  son  vénérable  toit ,  s'assembla ,  onze  ans  plus 
tard  (en  1787) j  la  Convention  fédérale,  aux  délibéra- 
tions de  laquelle  les  Etats-Unis  doivent  le  sage  Gouver- 
nement qui  les  régit. 

(3)  Dispensary.  Apothicairerie  fondée  et  entretenue 
par  souscription ,  dans  laquelle  on  distribue  gratuitement 
des  médecines  et  des  cordiaux  aux  malades  qui  s'y  pré-^- 
sentent  munis  d'un  certificat  d'un  des  souscripteurs.  Cette 
association ,  qui  vient  d'être  incorporée ,  paie  aussi  un 
apothicaire  et  un  médecin  chargés  de  donner  des  consul- 
tations, et  même  de  visiter  les  malades,  lorsqu'ils  l'exi- 
gent. Il  y  a  deux  espèces  de  souscriptions  annuelles.  La 
première  n'est  que  de  cinq  piastres ,  la  seconde ,  de  cin-* 
quante.  Plus  elles  sont  considérables ,  et  plus  est  grand  le 
nombre  de  malades  que  l'on  peut  y  envoyer.  Le  tableau 
suivant  donnera  une  idée  du  bien  que  peuvent  faire  ces 
admirables  institutions  ;  c'est  celui  du  nombre  des  ma- 
lades qui  ont  été  reçus  au  Dispensary  de  Philadelphie , 
pendant  les  quarante  premiers  mois  de  son  établissement, 
c'est-à-dire,  depuis  le  12  avril  1786,  époque  de  sa  nais- 


N   G   T   ]•:    s.  ÔÔD 

«anoe,  jusqu'au  12  décembre  1789^  Quels  secours  n'a- t-ii 
j)as  prodigués  depuis  ! 

Du  12  avril  iy86  au  /2  décembre  iy86. 

JNombre  de  malades  inscrits  sur  les  registres,  71g, 

Idem,  guéris 562 

Idem.,  morts 32 

Idem,  soulagés 3.5 

Idem,,  renvoyas  pour  mauvaise  conduite 7 

Idem,,  placés  à  l'hôpital 2 

Idem,  incurables 1 

Idem,,  non  encore  guéris 82 


719 


Total 

Du  /2  décemhre  iy86  au  42  décem,bre  lySy. 

Nombre  de  malades  inscrits  sur  les  registres ,  1647. 

Idem,  guéris . , « '^ 2qT 

Idem,  morts 6q 

Idem,,  soulagés i3i 

Idem,  renvoyés  pour  mauvaise  conduite 24 

Idem,  plaqés  à  l'hôpital 6 

Idem,,  incurables 4 

Idem,  non  encore  guéris 116 


Total 1647 

Du  42  décembre  iy8y  au  12  décembre  lySS^ 

Nombre  de  malades  inscrits  sur  les  registres,  i5^6^ 

Idem,  guéris 1204 

Idem,  morts . , . .  .  ^ .        81 

III,  z 


^54  N   O   T    ES. 

De  l'autre  part i5j5 

Idem,  soulages. 84 

Jdem.  renvoyés  pour  mauvaise  conduite. 27 

Idem,  place's  à  l'hôpital.  . i3 

Idem,  incurables ,  o 

Jdem.  non  encore  guéris ^ 97 

Total 1596 

Du  /5  décembre  ^j88  au  12  décembre  -lySg. 

Nombre  de  malades  inscrits  sur  les  registres,  18  65. 

Idem,  guéris i56i 

Idem,,  morts 85 

Idem,  soulagés 88 

Idem,  renvoyés  pour  mauvaise  conduite 19 

Idem,,  placés  à  l'hôpital 12 

Idem,  incurables 2 

Idem,  non  encore  guéris 9G 

Total....:..   i863 

Ainsi,  daus  l'espace  de  quarante -quatre  mois,  voilà 
5825  personnes  qui  ont  reçu  les  secours  de  ce  Dispensary ^ 
et  ont  été  soignées  chez  elles. 

(4)  Spéranza.  Ville  nouvellement  fondée  sur  le  rivage 
occidental  du  fleuve  Hudson  ,  à  49  lieues  de  New-York , 
et  à  17  d' Albany ,  dans  le  district  de  Lunenbourg ,  habite 
par  les  descendans  de  familles  palatines ,  que  la  reine  Anne 
y  envoya  après  la  destruction  du  Palatinat.  On  y  compte 
déjà  27  maisons,  plusieurs  logghouses,  et  deux  sloops, 
destinés  à  transporter  les  denrées  du  pays  à  Ncav- York.  La 
prospérité  de  cette  jeune  ville  dépend  du  progrès  des  dé- 


N   Ô   T  E   S*  355 

frichemens  de  l'intérieur  ,  encore  peu  avances  :  niais  la 
belle  et  longue  route  que  le  GouYernement  fait  ouvrir 
jusques  dans  le  pays  des  Jénézées  ,  les  enTbràncliemens  que 
les  fondateurs  ont  entrepris  et  déjà  commencés,  ne  tarde- 
ront pas  d'y  amener  des  colons  ^  d'étendre  et  de  vivifier  son 
commerce.  La  profondeur  des  eaux  aux  quais  de  la  ville , 
est  de  16  à  18  pieds.  Cette  ville  vient  d'être  incorporée  ; 
la  municipalité  est  déjà  organisée,  comme  si  la  population 
étoit  considérable  ,  et  à  peine  y  a-t-il  3oo  habitans. 

(5  )  Alhany.  Grande  et  belle  ^'^lle ,  la  seconde  de  l'Etat 
de  New- York ,  située  à  l'extrémité  de  la  navigation  mari- 
time de  la  rivière  Hudson,  à  ÇiÇi  lieues  de  cette  capitale ,  et 
à  78  de  la  mer.  Elle  ne  fut,  dans  l'origine  ,  qu'un  petit 
fort ,  long-temps  connu  sous  le  nom  d'Orange ,  destiné  à 
protéger  le  commerce  de  pelleteries  des  premiers  Hollan- 
dais ,  qui ,  en  1 623 ,  fondèrent  la  colonie  ,  connue  depuis 
s<jus  celui  de  New- York.  Elle  fat  incorporée  en  1686.  On 
y  compte  de  i3  à  i4oo  maisons,  et  neuf  mille  habitans. 
Sa  situation  à  la  tête  d'un  aussi  beau  fleuve,  au  centre  d'un, 
vaste  pays,  dont  les  défricliemens ,  la  culture  et  les  amé-- 
liorations  augmentent  tous  les  jours  ,  la  navigation  de  la 
rivière  Mobawk  prolongée  jusqu'au  lac  Ontario  et  au 
pays  des  Jénézées ,  par  l'ouverture  des  canaux  de  Little- 
Falls  et  de  Stanwick  ;  les  routes  que  le  Gouvernement  fait 
ouvrir ,  les  ponts  construits  depuis  quelques  années  ,  l'ar- 
rivée d'un  grand  nombre  de  colons  des  Etats  septentrion 
naux  et  de  l'Europe ,  l'émulation  qu'excite  et  fait  naître  la 
persévérante  activité  des  habitans  de  Troye ,  de  Lansing- 
bourg  et  de  Hudson ,  villes  fondées  depuis  la  paix  \  la 
résidence  du  Gouvernement ,  tout  promet  à  cette  seconde 
capitale  de  l'Etat  une  grande  prospérité.  Il  n'y  a  pas  encore 
vingt  ans  ;  on  n'y  parioit  que  hollandais  ;  tout  y  étoit  mort 


556  NOTES. 

ou  inanimé  j  la  jeunesse  même  n'avoit  aucune  disposition 
pour  les  entreprises  ni  pour  les  connoissances ;  rien  n'étoit 
plus  circonscrit  que  la  sphère  de  leurs  actions  et  de  leurs 
projets.  La  timide  prudence  leur  faisoit  préférer  une  vie 
oisive  et  monotone  ,  aux  hasards  des  plus  foibles  spécula- 
tions ,  disposition  peu  analogue  à  l'esprit  qui  doit  animer 
les  habitans  d'un  pays  otitout  s'accroît  et  marche  avec  une 
étonnante  rapidité.  L'arpenteur-général,  M.  Duwitt,  y 
avoit  fondé  un  cabinet  de  lecture  ;  personne  n'y  alloit. 
Quelle  différence  aujourd'hui  !  le  langage  ,  les  mœurs,  la 
forme  même  des  maisons ,  tout  s'est  amélioré.  Un  seul 
obstacle  gênoit  la  navigation  du  fleuve  (  TOver-Slaugh )  ; 
on  travaille  à  l'enlever  avec  des  machines  ,  telles  que 
celles  dont  on  s'est  servi  depuis  plusieurs  années  sur  là 
rivière  de  Connecticut. 

Oh  a  fondé  à  Albany  une  banque ,  incorporée  depuis. 
Les  terres  fertiles  qui  avoisinent  le  fleuve  ,  sont  d'un 
grand  rapport ,  mais  les  hivers  sont  longs  et  sévères.  Les  1 
environs  de  la  ville  sont  remplis  d'un  grand  nombre 
d'usines  et  de  manufactures ,  que  les  eaux  mettent  en 
mouvement. 

(6)  Oper-Slaugh.  Est  une  barre  considérable  de  vase, 
située  à  six  ou  sept  milles  de  la  ville,  et  occasionnée  par 
la  grande  étendue  du  fleuve  ,  ainsi  que  par  quelques  iles 
basses  et  peu  boisées.  L'esprit  public ,  qui  commence  à 
naître  parmi  les  habitans  d' Albany,  sur -tout  depuis  le 
séjour  du  Gouvernement ,  et  l'arrivée  d'un  grand  nombre 
d'étrangers  ,  s'est  déjà  manifesté  par  une  souscription  con- 
sidérable ,  avec  l'argent  de  laquelle  on  travaille  à  rétrécir 
le  lit  du  fleuve ,  et  à  enlever  cette  barre. 

(7)  Canaux.  Voyez  le  tableau  ci-joint, 

(8)  Navigation  intérieure.  A  l'aide  d'une   carte  des 


NOTES.  557 

parties  maritimea  des  Etats-Unis,  il  est  aisé  de  voir 
qu'aussi-tôt  que  le  canal  de  Norfolk  sera  termine  (  il 
l'est  probablement  dans  ce  moment),  de  l'emboueliure 
de  toutes  les  rivières  qui  tombent  dans  les  sondes  de  la 
Caroline  septentrionale,  on  pourra  facilement  parvenir  au 
détroit  de  Currituck,  et  de-là,  par  le  moyen  de  ce  canal  ^ 
dans  îa  baie  deChésapeak.  Des  eaux  de  ce  golfe  on  entrera 
dans  celles  de  la  Délaware ,  en  remontant  la  rivière  et 
traversant  celui  de  Clioptang  qui  conduit  dans  celle  de 
la  Boliémia  ;  de  l'embouchure  de  cette  dernière ,  il  sera 
facile  de  remonter  la  Dëlaware  jusqu'à  celle  de  l'Assom- 
pink,  de  la  tête  de  laquelle  le  canal  projeté  conduira  le& 
bateaux  dans  la  rivière  de  Rariton  ,  qui  unit  ses  eaux  à 
celles  de  la  grande  baie  de  New- York.  De  ce  point ,  un 
bras  de  mer  défendu  de  l'Océan  par  l'île  de  Nassau ,  ainsi 
que  par  plusieurs  autres ,  conduit  au  fond  de  la  baie 
Buzzard,  située  à  l'ouest  de  la  péninsule  du  cap  Cod.  En 
remontant  la  rivière  des  Harengs ,  on  entreroit  dans  la 
baie  de  Barnstable  (qui  fait  partie  de  celle  de  Massa- 
chussets)  par  le  canal  Bowdouin,  dont  la  pente  des  deux 
côtés  n'e^t  que  de  34  pieds,  et  dont  les  dépenses  n'ont  été 
estimées,  d'après  le  devis  que  j'ai  vu  entre  les  mains  de 
ce  Gouverneur,  qu'à  107, 1 63  piastres  (062,606  francs). 
Tel  est  le  tableau  succinct  de  cette  navigation  de  près  de. 
4oo  lieues,  qui ,  en  temps  de  guerre ,  sera  de  la  plus  grande 
utilité ,  puisqu'elle  pourra  suppléer  le  cabotage  extérieur. 
Outre  davantage  de  raccourcir  considérablement  la  dis- 
tance en  traversant  le  canal  Bow^douin ,  on  éviteroit  la 
circomnavigation  de  la  péninsule  entière  du  cap  Cod;  qui 
est  de  plus  de  cent  lieues ,  et  souvent  dangereuse. 

(9)  On  estime  que  les  terres  possédées  et  acquises  des 
indigènes  par  le  Gouvernement  ;  jusqu'au  commencement 


k 


S58  NOTES. 

cle  la  guerre  de  1791 ,  se  montoit  à  35  millions  d'acres^ 
dans  lesquelles  il  faut  comprendre  la  concession  militaire 
du  Muskinglium ,  de  i,5oo,ooo,  l'acquisition  que  firent 
ensuite  du  Gouvernement  ces  mêmes  militaires ,  et  qui 
ëtoit  de  4,90 1 ,48o  acres  ;  les  trois  districts  de  Salem  ,  Gna- 
den-Hutten,  et  Scliœnburn  ,  accordés  aux  frères  Moraves 
pour  l'usage  de  leurs  prosélytes  indigènes  ,  et  situés  sur 
les  rivières  Muskinglium  et  Némenshéliélas ,  de  22,000  *, 
les  trois  millions  vendus  à  la  colonie  de  Colombia  ,  située 
sur  l'Oliio  entre  les  deux  rivières  Myamis ,  fondée  en 
1784  par  le  colonel  Symmes,  îiinsi  que  plusieurs  autres 
concessions  militaires  et  particulières. 

J'ignore  quelle  est  la  quantité  que  le  Gouvernement  a 
obtenue  par  la  fixation  des  nouvelles  limitées  convenues 
entre  les  Etats-Unis  et  les  nations  Sliawanèse,  Mingos  , 
"Wyandots  ,  lors  de  la  pacification  en  1794.  A  en  juger 
par  la  position  des  forts  Défiance  ,  Recovery ,  Wayne  j, 
liawrence ,  &c.  construits  pour  déterminer  et  assurer  ces 
limites ,  cette  quantité  doit  être  bien  plus  considérable 
que  ce  qu'il  possédoit  avant  cette  guerre,  dans  laquelle 
ces  nations  furent  malheureusement  entraînées  par  la 
politique  anglaise. 

NOTE    DU    CHAPITRE    VIII. 

(1)  JElan,  Cet  animal  ^la  taille  et  le  poil  du  cheval;  sa 
queue  est  très -courte,  ses  cornes  sont  d'une  grandeur 
prodigieuse ,  et  ne  sont  pas  brancliues  comme  celles  du 
daim,  mais  applaties,  et  larges  de  huit  à  dix  pouces.  Il  est 
remarquable  pour  la  vitesse  de  sa  marche.  On  ne  le  voit 
que  dans  les  forêts  des  Etats  septentrionaux  et  dans  Is 
Çg,nadai,. 


NOTES.  359 

NOTES    DU    CHAPITRE   IX. 

\i)  Académies  ou  grandes  écolesdu  Connecticut.  Celles 
de  Greenfield,  Plainfield,  Norwicli,  Windliam  ,  Pom- 
fret,  &c.  sont  toutes  i-icliement  dotées  et  célèbres  pour 
l'instruction.  Deux  écoles  de  grammaires  fondées  en  1657 
par  un  gouverneur  Hopkins,  l'une  à  Hartford,  et  l'autre 
à  Newliaven ,  afin ,  disoit-il  dans  son  testament ,  ce  que  la 
))  jeunesse  de  cette  colonie ,  cette  belle  pépinière  qui 
î)  en  est  l'espérance  et  le  patrimoine ,  piiisse  être  conve- 
3^  nablenient  instruite».  — Outre  ces  académies,  il  y  a 
dans  tous  les  districts  des  écoles  payées  par  le  Gouverne- 
ment. Ces  institutions  sont  si  respectées ,  que  les  sommes 
annuelles  qu'il  leur  destine  ,  sont  toujours  comprises 
dans  ce  qu'on  appelle  la  liste  civile. 

Voici  le  précis  de  la  cliarte  d'incorporation  accordée  au 
collège  de  Newliaven.  Le  Gouvernement  de  l'Etat ,  le 
liieutenant-gouverneur  et  six  des  premiers  membres  du 
conseil  d'Etat,  conjointement  avec  onze  ministres  de 
l'Evangile ,  en  forment  le  corps  délibérant  ;  il  peut  pos- 
séder des  biens-fonds  en  franc-aleu ,  se  perpétuer  par  des 
îiominations ,  promulguer  tous  les  réglemens  nécessaires 
à  l'administration  du  temporel  de  ce  collège ,  ainsi  que 
les  loix  académiques  qui  peuvent  contribuer  à  perfec- 
tionner l'enseignement  des  sciences.  Le  pouvoir  exécu^ 
tif ,  confié  an  président  et  à  un  Certain  nombre  de  pro- 
fesseurs ,  peut  conférer  tous  les  degrés  des  universités. 

(  2  )  Origine  du  grand  hôpital  de  la  ville  de  JSfew-* 
York.  Le  22  mai  1769,  on  célébra  .suivant  l'usage,  dans 
le  collège  de  cette  ville, l'anniversaire^ïsson  établissement. 
Parmi  les  discours  qui  furent  prononcés ,  èelui  de  Samuel 
Baxd;  jeuiie  médecin  qui  arrivoit  d'Edimbourg  où  ses 


56o  NOTE    S. 

parens  l'avoient  envoyé  terminer  ses  études  ,  fixa  l'at- 
tention et  mérita  les  applaudissemens  de  l'auditoire.  lî 
démontra  la  nécessité  de  fonder  un  hôpital  sur  un  lieu 
élevé  ,  spacieux  et  commode  qu'il  désigna.  L'utilité  de  ce 
projet  et  le  style  animé  de  l'orateur ,  firent  une  si  forte 
impression  sur  l'assemblée ,  que  le  gouverneur  d'alors  (sir 
Henri  Moore)  ouvrit  sur-le-champ  une  souscription,  en 
déposant  loo  guinées  ,  et  promettant  au  nom  du  Roi  une 
charte  d'incorporation.  Ses  offres  furent  acceptées  et  soa 
exemple  suivi  avec  empressement. 

Peu  après ,  l'assemblée  législative  de  cette  colonie  ,  en 
donnant  la  sanction  de  la  loi  à  cette  belle  fondation  , 
accorda  aux  souscripteurs  une  somme  considérable ,  et 
dès  l'année  suivante  cet  édifice  fut  commencé.  Telle  est 
l'origine  de  cet  hôpital ,  situé  à  un  mille  de  la  ville  et  à 
peu  de  distance  du  fleuve  Hudson. 

(3)  Origine  de  la  société  de  marine  de  New-  York.  Un 
autre  établissement  non  moins  utile  a  rendu  cette  année 
remarquable  dans  les  fastes  de  cette  ville.  Quelques  jours 
après  qu'un  violent  coup  de  vent  eut  jeté  sur  les  côtes 
voisines  plusieurs  vaisseaux ,  les  veuves  des  marins  qui 
avoient  péri  se  présentèrent  avec  leurs  enfans  à  la  cham- 
bre du  commerce,  pour  implorer  les  secours  dont  elles 
avoient  besoin.  Touchés  de  ce  spectacle  attendrissant ,  les 
membres  se  cottisèrent  et  leur  assignèrent  des  pensions. 

En  réfléchissant  sur  les  dangers  auxquels  les  gens  de  mer 
sont  exposés,  les  membres  de  la  chambre  du  commerce  con- 
çurent l'idée  d'établir  un  fonds  permanent  formé  par  les 
souscriptions  des  citoyens  qui  seroient  disposés  à  encou- 
rager cette  institution ,  ainsi  que  d'une  portion  des  gages  et 
appointemens  des  marins  qui  desiroient  assurer  à  leur» 
familles  une  subsistance  décente  après  leiu:  mort.  Oi% 


NOTES.  56i 

nomma  nn  comité ,  qui ,  après  en  avoir  rédigé  le  plan  ^ 
convoqua, par  les  gazettes,  une  assemblée  de  tous  les  ha- 
bitans  de  la  ville.  Un  grand  nombre  s'empressèrent  de 
souscrire ,  et  les  marins ,  de  faire  enregistrer  la  portion  de 
leurs  gages  qu'ils  y  destinoient.  Deux  mois  après ,  le  Gou- 
vernement leur  accorda  une  charte  d'incorporation.  Telle  a 
été  l'origine  de  la  société  de  marine  de  cette  ville,  dont 
les  capitaux  sont  devenus  très-considérables.  Le  bon  usage 
qu'en  font  journellement  ses  administrateurs  est  au-dessus 
de  mesfoibles  éloges.  Quoique  je  ne  sois  point  marin,  j'ai 
l'honneur  d'être  membre  de  cette  belle  association. 

(4)  Sociétés  littéraires ,  institutions  charitables  de 
Philadelphie.  Je  crois  qu'on  peut  considérer  Philadelphie 
comme  la  ville  du  continent ,  où,  relativement  à  sa  popu- 
lation et  à  ses  richesses,  ainsi  qu'à  l'époque  de  sa  fonda- 
tion ,  il  y  ait  le  plus  d'institutions  et  d'associations  utiles^ 
Le  précis  suivant  le  prouvera. 

L'université ,  fondée  il  y  a  4o  ans  par  le  docteur  Fran- 
klin, conjointement  avec  plusieurs  autres  personnes,  aux 
premières  souscriptions  desquelles  le  Gouvernement  a 
depuis  ajouté  des  sommes  considérables ,  et  accordé  une 
charte  d'incorporation ,  qui  en  a  formé  un  des  corps  les 
plus  respectables  du  continent. 

Société  philosophique^  fondée  en  1769  par  le  docteur 
Franklin  et  d'autres  personnes ,  incorporée  en  1 780.  Sa 
charte  lui  permet  de  jouir  d'un  revenu  net  de  10,000 
piastres  (52,5oo  liv.).  L'esprit  qui  règne  dans  le  préambule 
de  cette  charte  est  si  excellent ,  que  j'ai  cru  devoir  en 
mettre  un  extrait  sous  les  yeux  du  lecteur.  Voyez  ci-après 
la  note  A. 

Collège  de  Dikenson  fondé  à  Carlisle  en  lySS  par  le 
Gouvernement,  à  la  sollicitation  et  pendant  l'administra- 


56*2  NOTES. 

tion  du  respectable  Dikenson,  alors  gouverneur  de  la 
Pensylvanie.  Ilyavoit  i42  écoliers  en  1797. 

Collège  de  Franklin  à  l'usage  de  la  jeunesse  allemande , 
fondé  en  ijSj ,  par  le  Gouvernement  à  Lancaster^  d'après 
les  sollicitations  et  pendant  l'administration  du  docteur 
Franklin ,  alors  gouverneur  de  cet  Etat. 

Académie  de  York,  fondée  en  1783  par  les  habitans 
de  cette  ville ,  incorporée  par  le  corps  législatif.  Il  y  avoit 
92  écoliers  en  1797. 

Académie  de  Germantown,  fondée  avant  la  révolu- 
tion. 

Académie  de  Pitt'sbourg  sur  l'Oliio ,  fondée  et  incor- 
porée en  1787.  Elle  est  la  plus  éloignée  de  la  mer  qu'il 
y  ait  dans  cet  Etat  *.  On  en  connoît  plusieurs  autres , 
qui j  comme  les  précédentes,  ont  été  établies  et  dotées 
par  l'esprit  public.  Le  corps  législatif  vient  d'accorder 
60,000  acres  de  terre  à  l'usage  des  écoles,  et  60,009 
autres  pour  les  institutions  littéraires. 

Société  fondée  en  1787,  qui  a  pour  objet  les  rechercbes 
et  l'étude  de  la  politique. 

Collège  des  médecins,  fondé  en  1787,  incorporé  en 

1789- 

Hôpital  de  Pensylvanie  ,  fondé  par  souscriptions  en 

1760,  augmenté  en  1761  et  lyôG. 

Le  Dispensary,  fondé  en  1786,  pour  fournir  gratuite- 
ment des  médicamens  à  tous  ceux  qui  se  présentent  munis 
du  certificat  d'un  des  souscripteurs.  Un  comité ,  composé 
de  plusieurs  d'entr'eux ,  et  quelques  médecins ,  s'y  trou- 
vent tous  les  jours.  Plus  de  2000  personnes  y  furent  re- 

^  La  ville  de  Pitt'sbourg ,  sur  TOliio  ,  est  à  i4o  lieues  des 
c?ips  de  la  Délaware, 


NOTES.  563 

çues  l'année  dernière.  C'est-là  que  l'on  voit^  non  sans 
e'tonnement  ;  les  miracles  que  la  réunion  des  petits  moyens 
peut  opérer ,  car  la  souscription  n'est  que  d'une  guinée , 
et  on  ne  compte  que  6  à  700  souscripteurs. 

Société  de  Pensylvanie  pour  l'abolition  de  l'esclavage 
et  la  protection  des  Nègres  injustement  retenus  dans  les 
liens  de  la  servitude,  fondée  en  1774,  incorporée  en 
1787. 

Société  Morave,  dontle  but  est  de  propager  les  lumières 
de  l'Evangile  et  de  la  civilisation  parmi  les  indigènes. 
Il  est  impossible  d'avoir  plus  de  zèle  ,  de  courage  et  de 
persévérance  que  ces  pieux  Missionnaires. 

Société  pour  encourager  les  arts  utiles  et  les  manu- 
factures. Elle  est  soutenue  par  les  abondantes  souscrip- 
tions d'hommes  zélés  pour  la  prospérité  de  leur  patrie. 
C'est  un  germe  précieux  qui  a  déjà  produit  d'excellens 
fruits  j  et  qui,  aussi-tôt  que  la  population  sera  augmen- 
tée ,  en  rapportera  de  bien  plus  considérables  encore. 
L'objet  de  cette  belle  et  utile  association  est  d'encourager 
la  culture  de  la  soie ,  les  manufactures  de  coton ,  de  fil , 
de  laine,  de  fer,  de  cuivre,  de  plomb,  de  faïence,  de 
fourrures,  etc.  Elle  est  gouvernée  par  un  président ,  quatre 
vice-présidens,  douze  administrateurs,  deux  secrétaires 
et  un  trésorier  annuellement  élus  )). 

En  1787,  elle  distribua  quinze  prix,  trois  de  5o piastres, 
deux  de  3o  ,  et  dix  de  20  :  total,  4io  piastres  {21 5 2  liv.). 

En  1789  ,  elle  en  décerna  dix- sept ,  savoir  :  quinze  mé- 
dailles d'or,  du  poids  de  cinq  guinées  chacune,  pour  les 
premiers  prix  ;  quinze  d'argent  pour  les  seconds  j  un  de 
200  piastres  (io5o  liv.),  et  un  de  100. 

En  1 790,  elle  proposa  deux  prix,  chacun  d'ime  médaille 
d'or  du  poids  de  dis  guinées  ;  à  ceux,  de  quelque  nation 


NOTES. 

qu'ils  fussent,  qui  lui  doiineroient  le  meilleur  mémoire 
sur  les  sujets  suivans  :  — Quel  est  le  système  d'imposi- 
tions le  plus  convenable  à  un  pays  naissant,  dont  la  pros- 
périté est  fondée  sur  les  progrès  de  l'agricnlture ,  du  com- 
merce et  des  manufactures? — Jusqu'à  quel  point  le  Gou- 
vernement doit -il  faire  des  réglemens  relatifs  à  cette 
brandie  de  l'administration  ? 

'   Cette  société  a  succédé  à  une  autre ,  établie  dans  îe  temps- 
colonial ,  dont  l'objet  étoit  la  culture  delà  soie,  et  dans  les 
registres  de   laquelle  on  voit  les   détails  suivans  ,  pour 
l'année  1771  : 

Soie. 
Reçu  depuis  le  26  juin  jusqu'au  3  juillet.  817  ^^^.  i5  ^^'^,. 
Depuis  le  4  jusqu'au  10,  ....,,,.  =  .  58o         7 

Depuis  le  1 1  jusqu'au  18 ,,......  .    92        10 

Depuis  le  19  jusqu'au  24.  .......  ,  174        10 

Depuis  le  25  jusqu'au  i^'  août 47  2 

Depuis  le  8  jusqu'au  i5. 4i  8 

Société  d'assurance  pour  les  vaisseaux. 

Autre  société  pour  l'assurance  des  maisons.  L'utilité 
de  cette  dernière  s'est  fait  sentir  jusques  dans  les  villes 
de  l'intérieur. 

Société  pour  adoucir  le  sort  des  prisonniers.  Depuis 
l'établissement  du  solitary  confinement ,  et  le  changement 
dans  les  loix  pénales  de  l'Etat ,  elle  est  devenue  moins 
utile. 

Société  dite  d'humanité ,  pour  rappeler  à  la  vie  les  per- 
sonnes qiii  ont  été  quelque  temps  sous  l'eau  ,  fondée  en 
1770. 

Société  de  Saint-Patrice,  de  Saint- André  et  de  Saint- 
George ,  pour  assister  les  émigrans  d'Irlande,  d'Ecosse  et 
d'Angleterre, 


NOTES.  565 

Société  d'agriculture  5  cette  association  est  le  fruit  du 
zèle  le  plus  actif,  et  de  souscriptions  nombreuses.  Les 
récompenses  qu'elle  offrit  en  1789,  étoient  une  plaque 
d'or  du  poids  de  5o  guinées ,  sur  laquelle  étoit  une  ins- 
cription ;  treize  médailles  d'or,  chacune  de  cinq  guinées  , 
et  treize  médailles  d'argent.  Le  local  qu'elle  occupe  est 
très-vaste  et  très-beau,  et  lui  a  été  donné  parle  Gouver- 
nement. 

Société  fondée  en  faveur  des  émigrans  de  l'Allemagne, 

Société  de  marine ,  semblable  à  celle  de  New^-York. 

Société  fondée  en  faveur  des  femmes  et  des  enfans  des 
ministres  du  culte  presbytérien. 

La  société  de  charité  des  Quakers.  Jamais  institution 
n'a  mieux  rempli  le  but  des  fondateurs.  On  n'a  rien  ou- 
blié de  tout  ce  qui  peut  adoucir  le  malheur  et  l'indigence , 
ou  consoler  la  vieillesse.  L'intérieur  de  cet  établissement 
«st  une  des  choses  les  plus  intéressantes  qu'on  puisse  voir 
à  Philadelphie. 

Fondation  du  docteur  Kearsley,  destinée  à  loger,  ali- 
menter et  vêtir  douze  veuves  du  clergé  épiscopal. 

Ainsi  qu'à  New- York ,  chaque  secte  a  des  institutions 
<^haritables  en  faveur  des  veuves  et  des  orphelins  de  son 
clergé  ,  et  de  ceux  qui  ont  placé  des  fonds  dans  sa  caisse. 

Association  des  capitaines  et  oj6G.ciers  de  navires  mar- 
chands ,  pour  s'assurer ,  en  cas  de  malheur ,  une  honnête 
subsistance  ,  et  une  retraite  dans  leur  vieillesse. 

Société  des  pilotes ,  semblable  à  celle  de  New- York. 

Académie  pour  instruire  les  jeunes  demoiselles  dans  les 
belles-lettres  :  celles  dont  les  parens  ne  sont  point  en  état 
de  payer ,  y  sont  reçues  gratuitement.  Le  concours  annuel 
de  cette  belle  institu.tion,  attire  tout  ce  que  la  ville  a  de 
plus  respectable.  Le  discours  de  clôture  est  toujours  fait 


BG6  NOTES. 

par  tiné  personne  ëminente ,  et  dont  les  talens  oratoires 
sont  bien  connus. 

Ecole  à  l'usage  des  jeunes  nègres,  dans  laquelle  on  leur 
apprend  les  principes  de  la  religion,  à  lire,  à  écrire,  et 
l'aritîimétique  ;  et  aux  jeunes  négresses,  à  coudre,  à  tri- 
coter, etc.  Elle  fut  fondée,  en  1780,  par  Antoine  Bénézet^ 
de  pieuse  mémoire  (^voyez  la  note  suivante  B),  qui  lui  a 
légué  près  de  5o,ooo  francs.  Cette  institution  a  reçUj 
depuis ,  des  dons  considérables  des  différentes  parties  du 
continent ,  et  même  de  Londres.  Ce  respectable  citoyen 
en  fut  le  premier  instituteur. 

Ecoles  du  dimanclie ,  pour  prévenir  l'abus  que  les  en- 
fans  font  de  la  liberté  dont  ils  jouissent  ce  jour-là. 

Bibliothèque  publique  ,  fondée ,  il  y  a  près  de  quarante- 
ans ,  par  le  docteur  Franklin  et  un  grand  nombre  d'asso- 
ciés ,  dont  les  souscriptions  annuelles  sont  destinées  à 
l'entretenir  et  à  l'augmenter.  Ee  local  de  cette  biblio- 
thèque est  très-beau. 

Sociétés  des  charpentiers ,  menuisiers ,  cordiers ,  tail- 
leurs, horlogers,  perruquiers,  etc.  dont  l'objet  est  l'éta- 
blissement de  caisses  d'épargne,  destinées  à  secourir  les 
membres  de  ces  associations  dans  leurs  maladies.  En 
1787,  le  Corps  législatif  de  Pensylvanie  passa  quinze  loix 
d'incorporation  d'églises,  d'écoles  et  autres  établissemcns. 
((  Quelque  temps  après  être  arrivé  à  Philadelphie ,  me 
dit  M.  Herman ,  ayant  vu  entrer  chez  moi  un  homme  que 
je  ne  connoissois  pas ,  je  lui  demandai  ce  qu'il  me  vouloit. 
—  Vous  coiffer,  me  répondit-il. — Pourquoi  N.  n'est-il 
pas  venu  ?  —  Ayant  eu  le  malheur  de  faire  une  chute  à 
bord  d'un  vaisseau,  on  m'a  envoyé  ici  pour  le  remplacer , 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  en  état  de  marcher.  —  Qui  vous  en- 
voie ?  —  Le  comité  de  notre  société.  —  De  quelle  société 


NOTE    S.  06'7 

parlez- VOUS  ?  —  De  celle  des  perriKj^uiers.  Pour  remédier 
an  double  mallieur  de  perdre  à-la-fois  la  santë  et  ses  pra- 
tiques ,  ils  ont  formé  une  association ,  dans  la  caisse  de 
laquelle  cliaque  membre  dépose  le  fruit  de  ses  économies , 
qui  cependant  ne  peut  pas  être  moindre  de  deux  sliellings 
par  semaine  (  i  liv.  6s.):  ces  sommes  sont  placées  dans 
les  fonds  publics  ,  où  nous  avons  déjà  près  de  5ooo  piastres 
(26o(X)liv. ).  Lorsqu'un  des  associés  tombe  malade,  il 
est  soigné  aux  dépens  de  la  société,  qui,  sur-le-cbanip,  a 
soin  de  le  faire  remplacer.  Il  est  très-rare  de  rencontrer 
des  personnes  qui  se  refusent  à  ce  petit  acte  de  complai- 
sance.—  Coiffez-moi  bien  vite,  lui  dis- je  ,  et  ne  manquez 
pas  de  revenir  demain.  J'aurois  mauvaise  opinion  de  celui 
qui  n'admireroit  pas  ces  associations  fraternelles,  sources 
intarissables  de  consolations  et  de  bien ,  et  qui  ne  béniroit 
pas ,  comme  moi  ,  celui  qui ,  le  premier,  en  a  conçu  Tidée  j 
ou  l'a  apporté  du  pays  d'où  il  est  venu  ». 

(A)  ((  Considérant  que ,  dans  tous  les  âges  et  dans  tous 
les  pays  civilisés  ,  l'étude  des  connoissances  utiles  a  beau- 
coup contribué  à  perfectionner  l'industrie ,  l'agriculture 
et  le  commerce  ,  à  embellir  la  société ,  augmenter  le  bon- 
heur et  les  commodités  de  la  vie  ». 

<(  Considérant  que  l'immense  étendue ,  la  variété  des 
sols  et  des  climats  ,  les  trésors  intérieurs  de  la  terre  ,  jus- 
qu'ici inconnus ,  ainsi  que  le  grand  nombre  des  lacs  et  des 
rivières  distribués  sur  la  surface  de  ce  continent ,  que  la 
Providence  divine  nous  a  donné  pour  héritage,  promettent 
aux  Etats-Unis  un  des  plus  vastes  champs  de  culture  et 
d'améliorations  qui  ait  jamais  été  offert  à  l'industrie  hu- 
maine ». 

<{  Considérant  que  les  sociétés  composées  de  savans 
réunis  ;  sans  avoir  égard  à  la  nation,  à  la  secte,  ou  au 


56S  NOTE   s. 

parti  auxquels  ils  peuvent  être  attachés ,  contribuent  a 
«tendre  les  connoissances  et  les  lumières ,  à  climin Lier  l'em- 
preinte des  préjugés,  à  propager  l'esprit  pliilosopliic|Lie  et 
humain,  à  exciter  la  jeunesse  à  persévérer  dans  la  car^- 
rière  de  la  sagesse  et  de  la  vertu  «. 

{(  Considérant  que  plusieurs  citoyens  de  la  Pensylvanie 
■et  des  autres  Etats  de  l'Union ,  animés  de  l'esprit  public  et 
du  vrai  patriotisme ,  se  sont  volontairement  unis ,  depuis 
un  grand  nombre  d'années ,  sous  le  nom  de  membres  de  la 
«Société  philosophique  américaine ^  et,  par  leurs  travaux 
eX  leurs  recherches ,  ont  étendu  la  réputation  de  leur 
patrie  jusques  chez  les  nations  les  plus  éclairées  de  l'Eu- 
rope ,  dont  plusieurs  savans  ont  désiré  s'associer  à  leurs 
travaux  ». 

((  Considérant  enfin  que  la  réunion  de  cette  société , 
depuis  long  -  temps  interrompue  par  les  calamités  de  la 
guerre  ,  est  le  vœu  de  l'opinion  publique  ;  mus  par 
tous  ces  motifs  à  les  encourager  ,  les  exciter  à  pour- 
sui^'Te ,  comme  auparavant ,  l'étude  des  connoissances 
qui ,  un  jour ,  contribueront  à  la  gloire ,  à  la  prospérité 
de  notre  patrie ,  ainsi  qu'à  l'honneur  de  l'humanité ,  con- 
tormément  à  leur  requête  de  ce  jour,  nous ,  les  Représen- 
tans  du  bon  peuple  de  la  Pensylvanie ,  constituons  les 
personnes  susdites  en  corps  politique ,  et  les  incorporons 
à  jamais  sous  le  nom.  de  Société  philosophique  améri- 
caine j  et  leur  accordons  tous  les  privilèges  et  immunités 
nécessaires  pour  remplir  ses  vues,  etc.  etc.  ». 

(B)  Extrait  de  i'  Oraison  funèbre  prononcée  par  le  docteur 
Rush  ,  le  jour  de  la  sépulture  d'Antoine  Bénézet. 

a  Cet  Etat  déplorera  long-temps  la  perte  d'un  homme 
chez  qui  la  raison  et  le  sentiment  intérieur  du  bien  avoient 


NOTES.  569 

concouru  à  produire  un  degré  d'excellence  ni  orale ,  tel 
qu'il  en  paroît  rarement.  Cet  estimable  personnage  ,  con- 
sidérant les  hommes  comme  enfans  du  même  père,  soit 
qu'ils  fussent  blancs ,  noirs  ou  basanés ,  soit  qu'ils  par- 
lassent sa  langue  ou  un  idiome  étranger,  soit  enfin  que 
leur  culte  admît  ou  rejetât  les  cérémonies;  cet  estimable 
personnage  ,  dis-je,  les  regardoit  et  les  traitoit  comme  ses 
frères,  et  comme  des  objets  de  sa  bienveillance.  Si  jamais 
les  Etats-Unis  promulguent  des  loix  pour  bannir  entière- 
ment de  ce  pays  l'esclavage;  si  jamais  les  Rois  de  la  terre 
publient  des  édits  pour  abolir  le   commerce  impie   des 
nègres  \  si  jamais  on  établit  en  Afrique  des  écoles  et  des 
églises  ;  si  jamais  on  introduit  dans  ces  malheureuses  con- 
trées les  germes  de  la  civilisation;  les  générations  futures 
se  ressouviendront  que  cette  heureuse  révolution  sera 
due  aux  publications ,  aux  lettres  et  à  la  persévérance 
d'Antoine  Bénézet.  Sa  vie  entière  est  une  preuve  frap- 
pante du  bien  que  peut  faire  à  une  grande  société  un  seul 
individu,  et  combien  les  hommes  vraiment  bons  et  ver- 
tueux perivent  accomplir  de  choses  grandes  et  utiles , 
dans  le  court  espace  de  leur  existence  !  etc.  etc 

(5)  Institutions  de  littérature  et  de  charité  dans  la  vilU 
de  Boston  et  l'Etat  de  Massachussets. 

L'université  de  Cambridge,  fondée  en  i638,  iS  ans 
après  l'arrivée  des  premiers  colons.  C'est  l'institution  lit- 
téraire la  plus  ancienne,  la  plus  respectable  et  la  plus 
richement  dotée  du  continent.  Le  Gouvernement,  dans 
tous  ses  actes ,  ne  la  désigne  que  sous  ïe  nom  ^Alma 
Mater. 

Académie  des  sciences  et  des  arts,  fondée  en  1780  :  elle 
a  déjà  publié  quelques  volumes  de  ses  Transactions. 

Académie  de  Dummer;  fondée  en  1766,  incorporée  ej* 

ïllft  A a 


'^rjo  NOTES. 

1 782  :  elle  est  le  fruit  des  donations  testamentaires  d'uii 
ancien  gouverneur  du  même  nom. 

Académie  de  Philipes,  fondée  en  1778  par  un  citoyen 
de  ce  nom. ,  incorporée  en  1 780.  L'édifice  est  vaste  et  d'une 
architecture  bien  entendue. 

Académie  de  Leicester  ,  fondée  par  sousci'iption  en 
1780,  incorporée  en  1784. 

Les  académies  de  Williamston,  de  Tanton,  de  Der- 
by, etc.  fondées  dans  les  différens  comtés  de  l'Etat  par 
des  souscriptions  particulières,  et  incorporées  par  le  Gou- 
vernement. 

Société  de  médecine ,  incorporée  en  1^81,  dont  le  but 
est  d'étendre  les  connoissances  en  médecine  et  en  cliirur- 
gie,  et  de  correspondre  avec  les  médecins  les  plus  éclai- 
rés du  continent  et  de  l'Europe. 

Société  d'humanité  fondée  et  incorporée  en  1785,  pour 
rappeler  à  la  vie  les  personnes  retirées  des  eaux.  Elle  a 
fait  construire ,  sur  les  îles  et  les  rochers  de  la  baie  de 
Massachussets  les  plus  exposés  aux  naufrages,  huit  à  dix 
petites  maisons  dans  lesquelles  on  a  déposé  des  vêtemens , 
des  subsistances  ,  du  bois ,  de  la  paille ,  et  les  moyens 
d'allumer  du  feu.  Tous  ces  objets  ont  été  placés  sous  la 
sauve-garde  de  l'humanité ,  par  des  avis  publiés  dans  les 
gazettes. 

Société  pour  la  propagation  de  l'Evangile  parmi  les 
nations  indigènes,  fondée  en  1787. 

Société  d'agriculture  ,  incorporée  en  1792.  Elle  possède 
des  fonds  considérables,  et  a  déjà  fait  beaucoup  de  bien. 

Société  d'histoire  ,  dont  le  but  est  de  recueillir  tout  ce 
qui  peut  servir  à  celle  de  cet  Etat ,  depuis  son  origine ,  qui 
date  du  1 1  novembre  1620.  Ses  recherches  doivent  aussi 
Vexndre  à  tout  ce  qui  a  rapport  aux  nations  indigènes. 


]^J    O    T    E    s.  07  5' 

Société  de  botanique  et  d'histoire  naturelle.  Elle  est 
composée  d'un  grand  nombre  de  membres  dont  ]a  plu- 
part habitent  les  différens  comtés  de  l'Etat. Ce  que  j'ai 
vli  de  ces  travaux  chez  le  savant  docteur  Cuttler,  m'n, 
paru,  très -intéressant.  La  première  idée  de  cette  utile 
institution  est  due  à  feu  M.  Bowdouin,  ancien  gouver- 
neur de  cet  Etat ,  mort  en  1789. 

Sept  grandes  écoles  gratuites  établies  à  Boston  depuis 
près  d'un  siècle  ,  sont  placées  sous  l'inspection  immédiate 
d'un  comité  de  la  ville,  et  entretenues  par  uine  taxe  sur 
les  maisons.  On  y  enseigne  le  grec,  le  latin,  l'anglais,  les 
elémcns  de  la  géographie  et  de  la  navigation,  les  comptes 
et  récriture.  Elles  sont  examinées  quatre  fois  l'an  par  ce 
même  comité ,  et  ont  un  concours  auquel  assistent  le 
Gouverneur ,  les  Magistrats ,  les  Juges  et  les  citoyens  les 
plus  respectables.  On  ne  voit  nulle  part  d'écoles  plus  utiles 
ni  mieux  organisées.  En  l 'j^j  elles  conte  noient  5o2  fillea 
et  846  ffarçons. 

Société  charitable  fondée  en  1 724 ,  incorporée  en  1784, 
€n  faveur  du  clergé  épiscopal,  ou  de  telles  autres  per- 
sonnes malheureuses  ,  de  quelque  secte  qu'elles  soient, 
recommandées  par  la  majorité  des  membres. 

Société  charitable  de  Massachussets,  fondée  en  1779. 
C'est  une  grande  caisse  entretenue  par  des  souscriptions 
itnnuelles  ainsi  que  par  des  quêtes  faites  dans  les  églises, 
et  destinée  au  soulagement  des  indigens.  Cette  belle  asso- 
ciation a  dernièrement  établi  une  école  pour  rinstruction, 
de  leurs  enfans ,  et  particulièrement  des  filles. 

Société  des  artisans,  semblable  à  celle  de  New- York»  — ^ 
«  Une  de  nos  plus  grandes  jouissances ,  me  disoit  un  jouî" 
quelques  membres  de  cette  association,  est  de  déposer 
dans  cette  caisse  les  économies  d'un  mois  )  plus  elles  sont 


B72  NOTES.  "^. 

considérables  et  plus  nous  sommes  contens,  parce  que 
l'espérance  qu'après  nous ,  nos  femmes  et  nos  enfans  au- 
ront une  subsistance  plus  assurée ,  rend  l'idée  de  la  mort 
moins  amère  ». 

NOTES    DU    CHAPITRE    X. 

(1)  Passaïck,  Cette  jolie  rivière  ,  qui  soï"t  d'un  marais 
situé  dans  le  comté  de  Morris ,  et  dont  le  cours  tortueux 
arrose  un  pays  fertile ,  traverse  de  belles  prairies  avant 
d'arriver  à  sa  cataracte  connue  sous  le  même  nom.  Cette 
cataracte  est  à  20  milles  de  son  emboucbure  dans  la  grande 
baie  de  New-Ark,  d'où  la  marée  remonte  l'espace  de  12  à 
1 5  milles.  Il  n'y  a  point  dans  cet  Etat  de  canton  plus  agréable 
et  mieux  cultivé  que  celui  qni  s'étend  depuis  ce  beau  vil- 
lage ,  et  même  depuis  Elisabeth  -  Town  jusqu'à  cette 
cliute.  De  tous  côtés  on  voit  des  maisons  en  bon  état, 
des  granges ,  des  vergers  bien  soignés  ^  et  des  champs  fer- 
tiles. J'ai  entendu  dire  à  plusieurs  voyageurs  qu'il  ressem- 
bloit  à  l'Europe.  Un  grand  nombre  de  propriétaires  sont  des 
personnes  aisées ,  qui  se  sont  occupées  d'embellir  leurs  ha- 
bitations,  et  dont  la  culture  est  conduite  avec  intelligence. 

Cette  cataracte,  qui  a  72  pieds  de  hauteur  et  35o  de 
largeur,  est  le  premier  objet  qui  excite  la  curiosité  de 
presque  tous  les  étrangers  :  elle  n'est  qu'à  18  milles  dt^ 
de  New- York.  Le  mélange  de  vergers,  de  parties  culti- 
vées et  d'objets  encore  dans  l'état  de  nature,  contribuent 
avec  les  beautés  de  cette  chute  ,  à  en  rendre  les  environs 
întéressans  et  pittoresques.  L'auberge  du  voisinage  est 
une  des  meilleures  du  pays.  C'est  au  pied  de  cette  chut© 
qu'on  établit  en  1790  des  usines  et  des  manufactures: 
mais  le  haut  prix  de  la  main-d'oeuvre  et  les  bouleverse-- 
3|paens  de  l'Europe  en  ont  empêché  le  succès.  Cet  empla- 


I 

NOTES.  5-75 

cernent  est  si  favorable,  qu'un  jour  cet  utile  projet  sera 
accompli. 

Quoique  cet  Etat  ne  soit  pas  considérable,  puisqu'on 
ne  l'estime  contenir  que  cinq  millions  et  demi  d'acres  ; 
quoique  la  partie  de  son  territoire  qui  avoisine  la  mer 
soit  très-sablonneuse  et  couverte  de  cèdres ,  l'industrie 
des  liabitans  placés  entre  les  deux  grandes  villes  de  Phila- 
delphie et  de  New- York ,  le  rend  annuellement  plus  pro- 
ductif. On  y  compte  près  de  1200  usines ,  dont  la  moitié 
est  destinée  à  convertir  les  grains  en  farines ,  les  autres 
à  platiner  et  fendre  le  fer ,  exprimer  l'huile  de  plusieurs 
graines,  fouler  les  étoffes,  scier  le  bois,  mettre  en  mou- 
vement les  marteaux  d'un  grand  nombre  de  forges  ,  et 
enfin  les  soufflets  de  plusieurs  fournaises.  On  y  'vo^^  aussi 
plusieurs  tanneries  considérables  :  celles  d'Elisabeth- 
Town  et  de  New-Ark  sont  renommées.  Cet  Etat  contient 
aussi  plusieurs  mines  de  cuivre.  Malgré  les  dévastations 
de  la  guerre  et  l'émigration  de  8000  familles ,  qui ,  depuis 
i5  ans  ont  été  s'établir  sur  l'Oliio,  le  Ménéamy ,  le  Mus- 
kinghum  elle  Kentukey ,  on  y  compte  237,290  liabitans. 

(2)  Sainte- Croix.  Cette  île,  tine  des  Antilies,  appar- 
tient au  Danemarck  ;  on  n'y  voit  cependant  qu'un  petit 
nombre  d'individus  natifs  de  ce  royaume.  La  plupart 
des  colons  sont  venus  dii  continent,  et  particulièrement 
de  la  ville  de  New- York  avec  laquelle  cette  île  a  eu  de 
tout  temps  les  liaisons  les  plus  intimes.  On  y  parle  plus- 
communément  anglais  que  danois. 

(3)  Whale-hoats.  Espèce  de  bateaux  à  rames,  d'une 
construction  très-particulière ,  dans  laquelle  on  a  réuni 
les  formes ,  la  coupe  et  la  légèreté  les  plus  convenables  à 
accélérer  leur  marche,  attendu  qu'ils  sont  destinés  à  pour* 
suivre  la  baleine.  Ils  n'ont  que  i8  pieds  de  quille.  Lea 


^74  NOTES. 

courbes  légères  dont  la  membrure  est  composée ,  sont 
de  chêne  -  verd ,  et  le  doublage  de  planches  de  cèdre 
fixées  avec  des  écrous.  Quoique  deux  hommes  les  trans- 
portent aisément,  leur  équipage  consiste  en  quatre  ra- 
meurs ,  un  harponneur  et  le  patron.  La  proue  et  la  poupe 
étant  exactement  semblables,  il  importe  peu  par  quel 
bout  on  les  dirige. 

Après  les  grands  canots  d'écorce  *  dont  se  servent  les 
indigènes ,  on  ne  connoît  rien  qui  marche  aussi  vite  sur 
les  eaux.  C'est  cependant  sur  des  embarcations  si  fra- 
giles et  si  légères,  dont  chaque  vaisseau  baleinier  porte 
toujours  deux ,  que  les  pêcheurs  vont  souvent  à  de  giandes 
distances  à  la  poursuite  de  cet  énorme  poisson ,  qui ,  par  le 
moindre  choc,  peut  les  submerger.  Aussi-tôt  qu'ils  apper- 
çoivent  des  baleines,  ils  mettent  ces  bateaux  à  la  mer, 
afin  qu'en  cas  de  malheur  les  témoins  du  combat  puissent 
aller  au  secours  de  leurs  camarades.  De  toutes  les  ten- 
tatives,  celle  d'approcher  jusqu'à  12  ou  i5  pieds,  et  de 
liarponner  ce  Léviathan,  est  une  des  plus  hardies  :  une 
légère  désobéissance  aux  signes  du  harponneur ,  un  seul 
faux  coup  de  rames  ,  ou  la  plus  petite  erreur  dans  le  ma- 
niement du  gouvernail,  peut  non-seulement  faire  man- 
quer l'entreprise ,  mais  exposer  ces  whaîe  -  boats  à  une 
inévitable  destruction. 

Pour  apprécier  l'audace  et  l'adresse  de  ces  hardis  navi- 
gateurs, il  faut  les  avoir  vus  luttant  contre  la  violence 
des  vents,  dirigeant  leurs  canots  tantôt  sur  la  cime  des 


'*'  Le  plus  grand  canot  d'écorce  que  j'aie  vu  parmi  les  indi- 
gènes ,  avoit  25  pied^s  de  long  ,4  de  large ,  26  pouces  de  profcin- 
deur  ,  porloit  sixtiommes  et  1200  livres  de  marchandises  :  deux 
de  ces  hommes  le  transportoient  facilement  sur  leurs  épaules. 


NOTES.  3jbt 

vagues ,  tantôt  dans  la  profondeur  des  vallons  que  for- 
ment leurs  énormes  roulis.  J'en  ai  vu  des  courses  sur  le 
Sond ,  à  quelques  milles  de  New-York  ;  c'est  alors  que 
l'on  peut  j  iiger  de  toute  la  vélocité  dont  ils  sont  susceptibles. 
(4)  Iles  à  sucre.  J'ai  cru  devoir  insérer  dans  cette  note 
les  détails  suivans ,  pour  prouver  combien  les  comestibles 
et  les  autres  denrées  que  produit  ce  continent,  ont  contri- 
bué à  ^a  prospérité  des  Antilles.  On  estime  que  les  Etats- 
Unis  leur  fournissent  annuellement  170^000  barils  de 
farine,  12^000  de  biscuit,  5o,ooo  de  riz,  18,000 de  lard 
et  de  bœuf  salé,  4oo,ooo  boisseaux  de  maïs,  sans  parler 
des  haricots ,  pois  et  avoine  ,  1 5o,ooo  quintaux  de  poisson 
sec ,  3o,ooo  barils  de  poisson  salé.  Outre  ces  provisions 
essentielles  et  indispensables ,  ce  continent  leur  fournit 
aussi  des  bois ,  tels  que  poutres ,  solives ,  chevrons ,  plan- 
ches ,  rames ,  etc.  valant  à-peu-près  5  liv.  sterl.  le  millier 
de  pieds.  On  en  expédie,  année  commune,  2, 1 50;,ooo  pieds , 
20  à  20  millions  de  bardeaux  de  cèdres  pour  couvrir  les 
maisons ,  16  millions  de  merrain  de  différentes  grandeurs, 
valant  8  liv.  sterl.  le  millier;  de  i4  à  16,000  paquets  de 
douves  apprêtées ,  chandelles  de  spermacettî ,  fer  j  gou- 
dron ,  huiles  de  poisson  ,  moutons  ,  volailles ,  boeufs , 
mulets ,  chevaux ,  etc.  * 

Sans  l'accroissement  de  la  culture  et  de  la  population 
du  continent ,  qu'auroient  fait  ces  îles  ?  D'un  autre  côté , 
sans  elles  les  habitans  des  Etats-Unis  n'auroieut  pas  trouvé 
ailleurs  un  débouché  ailssi  avantageux  pour  une  foule 
d'objets  qui  leur  seroient  devenus  inutiles. 

•^  De  1786  à  1787,  on  exporta  de  la  Nouvelle-Londres  aux 
Antilles  ,  6671  bœufs  et  chevaux;  de  1787  a  1788,6910.  De  la 
ville  de  Middletown ,  2177  chevaux  ,  bœufs  et  vaches» 


BjG  NOTES. 

(5)  Progrès  de  la  population  et  de  la  culture.  Depuis 
cette  éj^oqne  (1784),  tel  a  été  le  nombre  d'émigrans  qui 
sont  venus  des  Etats  septentrionaux ,  et  tels  les  progrès 
de  la  culture  et  des  défrichemens ,  que  le  Gouvernement 
a  été  obligé  d'organiser  six  nouveaux  comtés,  qui  sont 
ceux  de  Herkemer  ,  Otzégo ,  Tyogo  ,  Bath  ,  Ontario  , 
Gnondaga  -,  ce  qui ,  avec  les  1 4  anciens  y  forme  les  20 
grandes  divisions  de  cet  Etat ,  subdivisées  en  1 92  town- 
sîiips  ou  districts,  pour  que  la  justice  distributive  soit 
plus  généralement  et  plus  promptement  exercée  envers 
les  habitans.  La  popu.lation  qui ,  à  la  même  époque , 
n'étoit  que  de  212,468  âmes  "^5  d'après  le  dernier  recense- 
ment, se  montoit  à  5q2,638. 

:  (6)  New-Arh.  Ce  grand  village  situé  non  loin  des  rives 
de:lk  Passaïck  et  dans  le  voisinage  des  vastes  prairies  qui 
séi3arent  la  péninsule  de  Bergen  du  reste  de  l'Etat  de 
Jersey ,  est ,  depuis  long-temps  ,  considéré  comme  un  des; 
plus  beaux  du  continent.  Il  consiste  en  une  rue  bien 
plantée ,  de  7  à  800  pieds  de  largeur,  et  de  près  de  deux 
milles  de  long ,  et  qui  n'est  qu'un  vaste  tapis  verd ,  ter- 
miné à  cliaquc  extrémité  par  une  église  -.  celle  du  sud , 
construite  en  pierre,  est  une  des  plus  belles  de  l'Etat. 
Presque  toutes  les  maisons  sont  séparées  par  des  jardins  et 
des  vergers,  dont  le  cidre  est  très-renommé ,  ainsi  que  tout 
celui  qui  se  Cail  dans  cat  Etat.  Les  dehors ,  les  alentours^ 
le  canton  dont  ce  village  est  le  clief-lieu,  n'offrent  aux 
yeux  que  des  enclos,  des  pentes  douces  couvertes  de 
pommiers  et  de  verdure.  C'est  dans  le  printemps  que 
î^ew-Ark  est  un  séjour   délicieux,  c'est  celui  de  Flore 


^  La  guerre  de  la  révolution  ,  qui  venoit  d'être   terminée  j 
«VQÎt  occasionné  cette  grande  diminution  dans  la  popuiation. 


NOTES.         '  577 

et  de  Pomone.  Un  grand  nombre  de  maisons  sont  bâties 
en  briques  on  en  pierre,  dont  on  trouve  des  carrières  iné- 
puisables dans  les  collines  du  voisinage.  La  quantité  de 
ces  pierres  qu'on  envoie  àNew-\ork  et  ailleurs  est  très- 
considérable  et  occupe  plusieurs  sloops.  Cette  pierre , 
d'une  couleur  rousse ,  prend  un  assez  beau  poli.  On  s'en 
sert  pour  faire  les  encoignures  des  maisons  de  briques , 
pour  les  plintlies  et  les  jambages  des  portes  et  des  fenêtres, 
les  perrons  et  les  trottoirs,  ainsi  que  pour  les  inscriptions 
sépulcrales. 

Les  babitans  da  New-Ark  sont  depuis  long-temps  re- 
nommés pour  leur  activité  et  leur  industrie.  La  tannerie  de 
ce  viUage  fournit  du  cuir  à  la  manufacture  de  souliers  ;  qui 
exporte  annuellement  de  go  à  1  co,ooo  paires.  On  vient 
d'y  en  établir  une  autre  qui  n'est  pas  moins  intéressante , 
c'est  celle  de  cardes  à  carder  le  coton  et  la  laine,  brandie 
d'industrie  considérablement  augmentée  depuis  l'inven- 
tion de  la  machine  de  Chittenden  ,  qui  coupe  par  jour  et 
en  façonne  des  milliers  de  dents  ^. 

A  quelque  distance  de  New-Ark  ,  le  terrein  s'élève  en 
collines  fertiles  et  d'une  pente  douce ,  arrosées  de  plusieurs 
l'uisseaux  qui  mettent  en  mouvement  quelques  moulins. 


■^  Cette  machine,  dont  le  mécanisme  est  très-îngénieux,  fut 
inventée,  en  1782,  par  M.  Chittenden  ,  de  la  ville  de  New- 
Haven  :  elle  coûte  vingt-cinq  gainées.  C'est  à  cette  machine 
que  leshahitans  de  ce  pays  doivent,  de  pouvoir  faire  des  cardes 
à  5o  pour  I  meilleur  marché  qu'on  ne  peut  les  fabriquer  en 
Europe.  Il  y  en  a  de  tous  les  degrés  de  finesse  ,  depuis  le  n°  1 
jusqu'à  12  :  la  quantité  que  l'on  en  exporta  l'année  dernière  ,  de 
Boston  et  des  villes  environnantes  ,  se  montoit  à  71,000  paires. 
Ces  manufactures  emploient  huit  cents  femmes  et  enfans,  et 
en  ont  fait  naître  plusieurs  autres  de  fil  d'archal. 


5j8  N    O    T    E    S. 

C  est  dans  ce  canton  frais  et  salabre ,  que  Ton  voit  des 
maisons  élégantes  ;  agréablement  situées  ,  dont  la  vue 
domine  au  loin  sur  la  baie  ,  le  havre  et  la  ville  de  New- 
York  ,  ainsi  que  sur  plusieurs  des  grandes  îles  et  des  tenues 
qui  s'étendent  jusqu'à  Sandy-Hook.  Les  habitans  de  Ncav- 
Ark ,  comme  ceux  d'Elisabeth  -To wn ,  ont  un  troupeau 
national  qui ,  sous  la  conduite  d'un  berger ,  va  paître  sou- 
vent à  de  gi'andes  distances.  Ce  village  est  le  lieu  d'où 
partent  et  où  arrivent  presque  toutes  les  voitures  pu.- 
bliques  destinées  pour  Philadelphie ,  ainsi  que  les  malles  : 
c'est  ce  qui  fait  qu'on  y  voit  un  si  grand  nombre  d'auberges. 
On  estime  la  population  de  New-Ark  à  2,200  habitans. 

(7)  Washington.  Comme  si  les  Etats-Unis  n'étoient 
pas  dignes  de  lui  avoir  donné  le  jour ,  les  Gazettes  an- 
glaises de  New- York  annoncèrent ,  pendant  la  guerre  , 
qu'étant  né  dans  la  Grande-Bretagne ,  il  étoit  doublement 
rebelle.  Rien  de  moins  vrai  que  cette  assertion  :  ses  an- 
cêtres vinrent  s'établir  en  Virginie  ,  vers  l'an  1667  ; 
il  en  est  la  troisième  génération  ;  il  naquit  le  11  fé- 
vrier 1737,  dans  la  paroisse  de  Washington  ,  un  des 
districts  du  Comté  de  Westmoreland.  La  famille  de  son 
père  étoit  très-nombreuse.  H  fut  l'aîné  d'un  second  lit  ; 
mais  ayant  perdu  ce  père  à  l'âge  de  dix  ans  ,  il  f tit  élevé 
par  son  frère  aîné  du  premier  mariage ,  et  par  sa  mère  , 
qui  n'est  morte  qu'en  1789.  Ce  frère ,  colonel  d'un  régi- 
ment provincial,  envoyé  au  siège  de  Carthagène  en  1745, 
se  conduisit  d'une  manière  si  distinguée ,  qu'il  mérita  les 
éloges  publics  de  l'amiral  Vernon ,  dont  il  donna  le  nom 
à  la  belle  terre  de  1 6,000  acres  qu'il  possédoit  sur  les  bords 
du  Potowmack.  A  sa  mort ,  qui  arriva  peu  après  son  re- 
tour de  ce  siège,  Georg;e  Washington  en  hérita.  Celui-ci 
n'avoit  alors  que  20  ans  :  on  sait  comment  il  se  conduisit , 


NOTES.  579 

en  qualité  de  major  des  troupes  virginiennes  ,  sous  les 
ordres  du  général  Bradock ,  en  1  755  ,  et  avec  qiielle  pré- 
«ence  d'esprit  il  sauva  l'arrière-garde  de  l'armée  anglaise, 
défaite  sur  les  bords  de  la  Monongaliëla,  par  les  Français 
et  leurs  alliés. 

Après  avoir  été^uéri  d'une  pulmonie  que  l'on  crutlong- 
temps  mortelle,  il  épousa  en  1759  madame  Custis  ,  riche 
veuve  née  le  même  jour  que  lui ,  et  dont  il  n'a  point  en  d'en- 
fans.  Depuis  cette  époque  ,  il  a  constamment  été  député 
au  corps  législatif  de  sa  province  ,  magistrat  de  son  dis- 
trict ,  et  juge  d'une  des  cours  inférieures ,  jusqu'au  mo- 
ment où  ses  compatriotes  le  députèrent  au  premier  Con- 
grès de  1774  ,  ainsi  qu'à  celui  qui  s'assembla  Tannée 
suivante  à  Philadelphie ,  par  lequel  il  fut  nommé  com- 
mandant en  chef  de  l'armée  continentale.  On  connoît  le 
discours  qu'il  prononça  à  cette  occasion  ,  et  la  répugnance 
avec  laquelle  il  accepta  cette  importante  commission. 

Après  les  malheurs  qu'il  éprouva  vers  la  fin  de  ijjS  y 
il  s'éleva  une  cabale  contre  lui  ,  qui .  cependant  (  chose 
extraordinaire  )  ^  ne  diminua  point  la  confiance  publique  : 
l'affaire  de  Trentown ,  pendant  le  grand  hiver  de  cette 
même  année ,  étouffa  les  murmures  de  ses  ennemis.  Vint 
ensuite  la  prise  de  Bourgoyne  qui  décida  l'alliance  avec  la 
France  ;  alliance  qui  contribua  si  puissamment  à  la  prise 
de  York-Town  et  à  la  paix.  Il  faut  avoir  connu  quel- 
ques-unes des  personnes  qui  vivoient  dans  son  intimité , 
pour  savoir  avec  quelle  joie  il  apprit  que  ses  travaux 
ëtoient  finis  ;  que  la  liberté  et  Tindépendance  de  sa  pa- 
trie étoient  confirmées  ,  reconnues  ,  et  avec  quel  plaisir 
il  reçut  de  ses  voisins  et  de  ses  amis  tant  de  témoignages 
d'amitié  et  d'intérêt.  On  sait  qu'il  refusa  constamment  les 
dons  considérables  que  voulurent  lui  faire  les  Etats  de 


tOho  NOTES» 

Virginie  et  de  Pensylvanie ,  quoique  offert  cle  la  ma- 
nière la  plus  délicate  :  il  ne  voulut  pas  même  accepter 
les  5o  actions  dans  la  compagnie  incorporée,  pour  per- 
fectionner la  navigation  du  Potowmack ,  que  le  premier 
de  ces  Etats  lui  offrit. 

Le  grand  rôle  qu'il  venoit  de  remplir  sur  la  scène  du 
monde  ;  l'uniforme  et  constante  fermeté  qu'il  avoit  mon- 
trée au  milieu  des  dangers ,  et  sur-^tout  dans  les  situations 
les  plus  désastreuses  \  le  courage  avec  lequel  il  les  avoit 
surmontés";  le  bonheur  d'avoir  pu  atteindre  le  jour  du 
triomphe  et  du  repos  \  sa  modération  lorsqu'il  étoit  chargé 
du  fardeau  de  la  guerre  ;  l'empressement  avec  lequel  il 
venoit  de  quitter  la  vie  publique  ;  tels  furent  les  souve- 
nirs et  les  circonstances  qui  l'accompagnèrent  dans  ses 
honorables  foyers  à  la  fin  de  1783. 

iie  désir  que  l'on  eut  alors  en  Europe  ,  comme  ert 
'Amérique ,  d'avoir  quelques  lettres  de  lui  ,  étoit  si  vif, 
qu'on  lai  écrivoit  de  toutes  parts ,  et  souvent  sous  les 
prétextes  les  plus  frivoles  ;  chaque  auteur ,  avant  de  pu- 
blier son  ouvrage,  s'empressoit  de  lui  en  faire  hommage  ; 
rien  de  nouveau  n'étoit  découvert  sur  le  continent,  que 
les  inventeurs  ne  sollicitassent  son  aprobation ,  ou  ne  lui 
envoyassent  des  échantillons  de  leurs  manufactures.  Il 
en  fut  de  même  en  Europe,  d'où  on  lui  envoya  un  grand 
nombre  d'objets  rares. 

Parmi  les  choses  extraordinaires  qu'il  a  accomplies  ;^ 
on  ne  doit  pas  oublier  l'inépuisable  complaisance  avec 
laquelle  il  répondoit  lui-même  à  toutes  les  lettres  qu'il 
recevoit.  S'il  n'avoit  pas  su  économiser  son  temps  avec 
autant  de  méthode ,  jamais  il  n'auroit  pu  remplir  une  tâclie 
aussi  pénible ,  recevoir  ses  amis  et  vaquer  aux  soins  de 
sa  grande  culture. 


NOTE    S.  58l 

Jusqu'au  moment  où  il  fut  appelé  à  la  magistrature  su- 
prême de  rUnion,  pas  un  étranger,  recommandable  par 
quelque  talent  ou  par  qviel qu'autre  qualité  ,  qui  n'ait  été 
voir  ce  moderne  Cincinnatus  .  et  passer  quelque  temps 
sous  son  toît.  Pas  un  membre  du  Congrès  n'a  été  en 
Virginie ,  qu'il  ne  se  soit  empressé  d'aller  lui  exprimer 
son  tendre  attacliement.  Il  étoit  aussi  grand  ,  aussi  res- 
pecté dans  sa  retraite  qu'à  la  tête  des  armées. 

Si  dans  les  dernières  années  de  sa  présidence  ,  que  tant 
de  circonstances  étrangères  ont  rendues  dijBBciles  et  ora- 
geuses ,  le  souffle  impur  de  la  calomnie  et  du  mensonge  - 
si  la  violence  des  partis  ;  si  des  plumes  mercenaires  , 
payées  on  sait  par  qui ,  pour  remplir  cette  tâche  odieuse  , 
ont  voulu  flétrir  sa  réputation ,  qu'on  se  rappelle  le  sort 
d'Aristide ,  de  Pliocion  ,  et  celui  de  tant  d'autres  illustres 
personnages.  Dans  quelques  lustres  ,  ses  enneuiis  ,  ses 
calomniateurs  seront  oubliés  ,  seront  rentrés  dans  la 
poussière  du  néant  -,  et  les  palmes  que  ce  grand  bomme 
a  si  justement  acquises  fleuriront  sur  sa  tombe  ,  trans- 
mettront à  la  postérité  la  plus  réculée  son  nom  avec 
l'exemple  et  le  souvenir  de  ses  A'^ertus. 

(8)  Preuves  de  confiance.  Parmi  un  grand  nombre  de 
preuves  de  cette  confiance  sans  bornes  que  le  général 
Washington  inspiroit  alors  aux  Gouvernemens  ainsi 
qu'aux  particuliers ,  je  ne  citerai  que  la  suivante  ,  dont 
j'ai  été  témoin.  L'armée  continentale  s'étant  trouvée  à 
la  veiUe  de  manquer  de  viande ,  au  lieu  de  s'adresser  au 
Congrès  ,  ce  qui  auroit  exigé  trop  de  temps  ,  il  se  con- 
tenta d'écrire  au  Gouverneur  de  l'Etat  de  Connecticut  * 


*  Jonathan  Trumbull. 


H83  NOTES. 

Voici  les  derniers  paragraplies  de  cette  lettre  ,  datée  dtt 
camp  de  Morris -Town,  le  \  août  1777^ 

« En  considération  àe^  circonstances  extrê- 

»  mement  impérieuses  dont  je  viens  de  vous  parler ,  je 
»  vous  prie  de  me  faire  expédier  800  boeufs ,  en  autant 
»  de  détacliemens  que  vous  le  jugerez  convenable.  Connois- 
))  sant ,  comme  je  sais,  la  confiance  que  le  Corps  Législatif 
yj  de  votre  Etat  a  dans  son  digne  chef,  je  me  flatte  que 
))  cet  envoi  arrivera  promptement  -,  car  enfin  ,  mon  cher 
»  Gouverneur  ,  il  faut  avant  tout  ,  s'occuper  de  la 
»  subsistance  de  ceux  qui  sont  cliargés  de  défendre  la 
))  Patrie  ». 

Les  huit  cents  boeufs  arrivèrent. 

(  9  )   Usage   de  V acacia.   C'est  sur  l'île  Longue  ,   à 
Rhode  -  Island   et  à  Providence  ,    que    l'on  voit    des 
plantations  considérables  d'acacias  ,   car  il  n'y  a  point 
d'arbres  ,  parmi  les  espèces  sucrées  ,  qui  soient  plus  re- 
cherchés des  bestiaux.  Ceux  dont  les  tiges  et  les  branches 
sont  tortueuses  se  vendent  beaucoup  plus  cher  que  les 
autres  -,  on  a  imaginé  divers  moyens  de  leur  faire  prendre 
l'anf^le  le  plus  convenable  à  faire  des  courbes  :  ceux  dont 
la   hauteur    et   le    diamètre   permettent  d'en   faire  des 
étambots,  se  vendent  aussi  très-cher-,  j'en  ai  vu  un  pour* 
lequel  on  donna  45  piastres  (  338  f.  )  On  en  fait  usage 
aussi  pour  des  cerceaux  :  il  n'y  en  a  point  de  plus  te- 
naces ni  de  plus  durables.  Quant  à  l'usage  de  ce  bois 
pour  des  chevilles  de  doublage  ,  il  est  déjà  très -ancien. 
Les  premiers  qui  furent  plantés  sur  l'île  Longue  vinrent 
de  Rhode  -  Island  ,    dont   les  forêts  primitives   étoient 
remplies.  Avant  la   guerre  ,  tous   les  chemins  de  cette 
dernière  île  en  étoient  bordés  ;  rien  n'étoit  plus  beau  ni 
pi  as  frais  :  les  Anglais  n'en  laissèrent  pas  un.   Je  eon- 


NOTES.  S83 

nois  à  Hamstead  des  barrières ,  dont  les  poteaux  d'acacia 
furent  places  en  1 685 ,  et  sont  encore  sains.  La  rapidité 
avec  laquelle  ces  arbres  croissent  dans  un  terrein  léger  ou 
sabloneux  est  incroyable  ;  j'en  ai  vu  dont  les  racines 
avoient  poussé  des  jets  à  60  pieds  de  distance.  Les  bes- 
tiaux préfèrent  toujours  l'herbe  qui  croît  sous  leur 
ombre  ,  à  celle  du  voisinage.  Je  ne  parle  pas  de  l'ex- 
cellent sirop  que  l'on  fait  avec  leurs  fleurs  ;  après  le  cliêne , 
c'est  l'arbre  le  plus  utile  que  l'on  puisse  cultiver  dan^ 
un  pays  maritime. 

(10)  Pommes  de  Spitzenherg  et  Neîv-Toti^n-Pippins, 
Ces  deux  espèces  de  pommes  sont ,  comme  tant  d'autres 
choses ,  le  produit  du  hasard.  Quelques  familles  Wallones , 
Liégeoises  et  Hollandaises ,  ayant  enté  les  greiTes  qu'elles 
avoient  apportées,  sur  les  sauvageons  qu'elles  découvrirent 
dans  les  forêts  de  leurs  concessions  ,  de   cette  nouvelle 
alliance  sont  venues  les  deux  espèces  de  pommes  con- 
nues ici  depuis  plus  de  80  ans  ,   sous   le  nom  de  Spit- 
zenberg  et  New-Towu-Pippins,du  canton  de  l'île  Longue, 
cil  on  en  voit  ]es  plus  beaux  vergers.  Elles  sont  remar- 
quables ,  sur-tont  la  dernière,  par  la  finesse  de  leur  peau, 
la  délicatesse  de  leurs  pulpes ,  et  une  odeur   extrême- 
ment suave ,  qui  rappelle  celle  de  l'ananas.  J'en  ai  vu  qui 
avoient  i4  pouces  de  circonférence  ;  elles  en  ont  com- 
munément de  9  à  1 1 .  Le  désir  de  manger  ces  beaux  fruits 
étant  devenu  général  parmi  les  habitans  de  la  zone  tor- 
ride ,  on  a  considérablement  propagé  ces  arbres  dans  les 
Etats  du  centre ,  où  ils  croissent  aussi  bien  que  sur  l'île 
de  Nassau  (  île  Longue  )  leur  première  patrie.   Il  n'est 
pas  rare  d'en  voir  sur  les  tables  de  New- York ,  jusqu'au 
mois  de  mai.  Ces  pommiers  sont  remarquables  par  l'uni- 
formité de  leurs  branches  et  la  rotondité  de  leurs  cimes  . 


584  NOTES. 

ainsi  qne  par  l'égalité  de  leur  écorce.  C'est  en  pâ-rqnant 
des  cochons  dans  ces  pi écieux  vergers,  que  l'on  en  entre- 
tient ou  que  l'on  en  renouvelle  la  vigueur.  Ces  pommes 
sont  toujours  cueillies  à  la  main ,  et  séparément  enve- 
loppées dans  du  papier  gris  ,  lorsqu'elles  sont  destinées  à 
être  envoyées  aux  Antilles  :  c'est  toujours  sur  des  vais- 
seaux fins  voiliers  qu'on  les  embarque.  J'en  ai  envoyé 
en  Europe  plus  de  3jOOO  greffes,  dont  les  trois  quarts 
rapportent  depuis  long-temps  des  pommes  aussi  odorantes 
et  aussi  délicates  que  celles  de  ce  pays. 

(il)  Sandy-Uook.  Grande  péninsule  de  sable,  cou- 
verte de  cèdres  rouges  ,  qui  ,  s'avançant  considérable- 
ment du  côté  de  l'ouest,  forme,  avec  les  dunes  de  l'île 
Xiongue  vers  l'est ,  l'entrée  du  port  de  New-York.  C'est 
sur  la  pointe  de  cette  péninsule  que  depuis  long-temps  ^^ 
le  Gouvernement  de  cet  Etat  a  fait  élever  un  phare  de 
loo  pieds  de  hauteur  ,  quoique  cette  partie  du  continent 
appartienne  au  nouveau  Jersey  ,  qui  n'en  a  pas  cédé  la 
iurisdiction.  C'est  vis-à-vis  de  ce  phare  que  se  trouve  la 
première  barre  sur  laquelle  il  n'y  a  que  21  pieds  d'eau 
dans  les  marées  ordinaires  ;  après  l'avoir  passée ,  on  entre 
dans  ce  qu'on  appelle  the  horse-shoe  (  le  fer-à-cheval  ) , 
d'où  on  ne  compte  que  onze  lieues  jusqu'à  la  ville.  C'est 
le  long  d'un  quai  construit  en  dedans  de  cette  pénin- 
sule ,  que  se  tiennent  les  goélettes  des  pilotes  ,  dont  il 
doit  toujours  y  avoir  un  certain  nombre. 

Au  milieu  de  cette  plaine  de  sable ,  couverte  de  hauts 
cèdres  ,  on  rencontre  un  monument  sépulcral  élevé  à  la 
mémoire  de  douze  gardes-marines  du  vaisseau  de  guerre 
anglais  V Assistance  ,  qui  ,  s'étant  'égarés  à  la  poursuite 
de  quelques  déserteurs,  périrent  dans  la  nuit  du  5i  dé- 
cembre  1/85;   accablés  p  ensevelis  squs  le  poids  d'wïie 


NOTE   S.  585 

des  plus  mémorables  chutes  de  neiges  qu'on  eut  vue  de- 
puis 4o  ans.  On  ne  peut  lire  sans  attendrissement  les 
expressions  de  douleur  et  de  regret,  gravées  sur  ce  mar- 
bre blanc,  envoyé  d'une  aussi  grande  distance  par  leurs  pa- 
rens.  L'héritier  de  l'ancienne  famille  écossaise  deslMorton , 
jeune  homme  de  20  ans,  étoit  du  nombre  des  victimes. 

(12)  éducation  des  deux  espèces  de  cèdres  et  de  l'aca- 
cia. Dans  l'espoir  que  les  détails  suivans,  relatifs  au  semis 
et  à  la  culture  de  ces  trois  espèces  d'arbres  pourront  être 
utiles,  je  vais  les  transcrire  d'après  ma  propre  expérience, 
parce  qu'au  lieu  d'en  envoyer  les  gi'aines  en  Em'ope,  j'en 
ai  élevé  dans  de  grandes  caisses  jusqu'à  l'âge  de  trois  ans , 
et  je  les  ai  embarquées  pour  leur  destination.  Rien  n'est 
plus  facile  à  élever  que  les  graines  des  deux  espèces  de 
cèdres  ainsi  que  celles  de  l'acacia.  Le  cèdre  rouge,  qui  exige 
une  terre  forte  et  un  peu  humide  ,  ne  lève  qu'au  bout  de 
deux  ans  5  miais  on  ne  tarde  pas  à  en  être  dédommagé 
parla  vitesse  de  son  accroissement.  Comme  il  a  beaucoup 
de  dispositions  à  buissonner,  il  est  nécessaire  d'élaguer 
tous  les  ans  quelques-unes  de  ses  branches  inférieures ,  en 
prenant  soin  de  ne  les  couper  qu'à  un  pouce  ou  deux  de 
la  tige.  Peu  d'arbres  produisent  une  plus  grande  quantité 
de  racines  et  de  chevelus  ;  c'est  pourquoi  ils  reviennent 
facilement,  lorsque  le  temps  est  venu  de  les  mettre  en 
place  :  mais  alors  ils  craignent  le  soleil,  dont  il  faut  soi- 
gneusement les  préserver  pendant  les  deux  premières 
années.  Quoique  cet  arbre  vienne  dans  des  terres  sablon- 
neuses ,  humides  ou  pierreuses,  ainsi  que  dans  les  fentes 
des  rochers  les  plus  élevés,  uji  coteau  dont  le  sol  e^st  pro- 
fond lui  convient  encore  mieux  ;  car  ce  que  les  hoiKincs 

plantent  exige  beaucoup  plus  de  soin  qiie  ce  qui  a  été 

planté  par  la  nature. 

in.  B^ 


^86  NOTES. 

Tout  ce  que  le  cèdre  blanc  demande ,  est  le  clioix  du 
sol .  parce  qu'il  aime  exclusivement  les  terres  noires ,  fé- 
tides ,  un  peu  marécageuses ,  et  cependant  compactes. 
Celles  qui  paroissent  avoir  été  formées  par  les  anciens 
dépôts  des  eaux  de  la  mer,  ainsi  que  par  la  destruction 
des  plantes  marines,  lui  conviennent  encore  mieux  ;  quoi- 
que j'en  aie  vu  des  forêts  dans  l'intérieur  du  continent , 
croissant  sur  les  bords  de  grandes  prairies  naturelles  :  il 
aime  l'ombre,  sur-tout  pendant  son  enfance;  et  si  on 
veut  le  voir  promptement  poindre  après  avoir  été  semé  , 
il  faut  le  défendre  des  ardeurs  du  soleil  de  l'été  depuis  dix 
heures  jusqu'à  quatre.  Sa  transplantation  exige  plus  de 
soin  que  celle  du  cèdre  rouge  ;  elle  doit  se  faire  pendant 
la  nuit  ;  mais  alors  il  faut  avoir  le  plus  grand  soin  de  son 
pivot ,  d'où  dépend  la  grande  élévation  à  laquelle  il  doit 
parvenir.  Mais  bien  diJOTérent  du  premier ,  qui  aime  l'iso-^ 
lement  et  la  solitude,  ce  dernier  se  plaît  au  milieu  d'une 
compagnie  nombreuse. 

Quant  à  l'acacia ,  si  on  veut  le  voir  s'élever  jusqu'à  1 6 
pouces  de  hauteur ,  dès  la  première  année,  il  faut  lui  donner 
une  terre  meuble  et  chaude,  de  fréquens  arrosemens  du 
soir,  et  beaucoup  d'ombre  dans  le  milieu  du  jour.  On 
peut  le  mettre  en  pépinière  dès  l'âge  de  trois  ans.  J'en  ai 
vu  d'élevés  sur  des  couches  faites  avec  des  feuilles  au  lieu 
de  fumier ,  et  qui ,  dès  la  première  année ,  montèrent  jus- 
qu'à deux  pieds  de  hauteur. 

NOTES   DU    CHAPITRE   XL 

(i)  Ténêzée.  Ce  nouvel  Etat  commence  sur  le  sommet 
d'une  des  montagnes  de  fer,  à  l'intersection  des  limites  de 
la  Caroline  septentrionale  et  de  la  Virginie.  De  ce  point 
'eu  Cîearkfork  du  Cumberland,  on  compte  112  milles; 


NOTES.  587 

de-là  au  premier  gué  près  de  remboucliure  cle  l'Obey  j  io5  ; 
de  cette  emboucliure  au  second  gué  de  cette  même  rivière, 
i3o  ;  de-là  auTènëzéc;  9  J  ;  de-là  enfin  au  Mississipi ,  60. 
Sa  largeur  étant  d'un  degré  et  demi  de  latitude ,  ou  de 
io4  milles,  la  surface  de  cet  Etat  contient 24,670,240 acres. 
Avant  qu'il  eut  été  émancipé ,  sa  métropole  (  la  Caroline- 
Nord)  en  avoit  concédé  aux  premiers  colons  4,484,195; 
à  son  contingent  de   l'armée  continentale  3,ooo,ooo  ;  à 
plusieurs  autres  personnes ,  5oo,ooo  :  il  en  reste  donc  en- 
core entre  les  mains  des  Cliérokées ,   i6,6o6,44d  acres, 
dont  on  déduit  5,ooo,ooopour  la  partie  non-cultivable.  Ce 
nouvel  Etat  en  aura  à  concéder  1  i,6o6,o46,  après  les  avoir 
acquis  de  cette  nation.   Découragée,   liumiliée  ,  depuis 
qu'elle  n'est  plus  guerrière,  environnée  de  blancs  dont  ces 
indigènes  obtiennent ,  avec  une  funeste  facilité  ,  des  eaux 
spiritueuses  ,  elle   disparoitra   comme  les   autres  ;  dans 
vingt  ans  ,  et  peut-êtï-e  moins ,  on  n'en  rencontrera  plus. 
Telle  sera  la  fin  d'une  nation  long-temps  puissante  et  cé- 
lèbre ,  et  l'une  des  plus  nombreuses  de  toutes  celles  qui 
sont  venues  du  Mexique.  La  population  de  ce  seizième 
Etat,  nouvellement  entré  dans  la  confédération,   dont 
l'origine  est  si  moderne ,  et  l'enfance  a  été  si  orageuse , 
se  montoit,  il  y  a  un  an  ,  à  63;8oo  personnes. 

(2)  Dartmoutli.  Ce  collège,  fondé  et  incorporé  en  17%, 
est  situé  sur  les  frontières  du  New-Hampsliire ,  sous  la 
latitude  de  43  deg.  3o  sec.  ,  à  So  milles  de  celles  du  Ca- 
nada ,  au  milieu  d'une  plaine  fertile ,  et  à  une  petite  dis- 
tance des  rivages  du  Connecticut.  Quelle  longue  suite 
d'efforts ,  de  persévérance  et  de  courage ,  sa  tardive  en- 
fance n'a-t-eUe  pas  exigée  du  docteur  Weelock  ,  son  fon- 
dateur !  Il  l'avoit  d'abord  destiné  à  élever,  à  civiliser  la 
jeunesse  indigène  ^  dont  plusieurs  tribus  vivoient  alors 

2 


588  NOTES. 

dans  ces  cantons  éloignes  ;  mais  tous  les  efforts  de  ce  zcl^ 
missionnaire  ayant  été  inutiles ,  et  ses  essais  infructueux , 
il  l'a  consacré  à  l'éducation  des  blancs.  Voilà  pourquoi  il 
le  plaça ,  dans  l'origine ,  si  loin  des  établissemens  euro- 
péens ,  qui  s'en  sont  considérablement  rapprochés  depuis 
la  paix.  Il  contenoit  l'année  dernière  207  écoliers. 

Ce  collège  est  composé  de  deux  corps  de  bâtimens, 
situés  sur  une  éminence  d'où  l'on  découvre,  jusqu'à  une 
distance  considérable ,  les  contours  de  la  rivière ,  ainsi 
que  la  chaîne  des  montagnes  Vertes  qui  traversent  l'Etat 
de  Vermont  dans  toute  sa  longueur.  Cet  édifice  est  pré- 
cédé d'une  immense  pelouse ,  des  deux  côtés  de  laquelle  on 
a  construit  plusieurs  jolies  métairies.  Le  second  des  bâti- 
mens ,  construit  en  1 786  ,  a  i5o  pieds  de  long,  Gode  large, 
et  trois  étages.  La  bibliothèque  de  ce  collège  ne  contient , 
jusqu'à  présent,    que  trois  mille  volumes.   A  quelques 
globes   et  quelques  autres  objets  peu  importans  près ,  le 
cabinet  de  physique  n'est  encore  rien.  Le  pays  est  très- 
salubre ,  et  les  hivers  y  sont  rigoureux.  Les  voyageurs  ne 
sont  pas  peu  étonnés  de  rencontrer  si  loin  de  la  mer ,  et 
dans  un  pays  si  nouvellement  habité,  un  établissement 
littéraire  aussi  considérable.  —  (c  Ce  temple  consacré  aux 
sciences  et  aux  muses,  me  disoit  un  de  mes  amis,  à  son 
retour  de  cette  partie  éloignée  des  Etats-Unis,  m'a  paru, 
comme  un  beau  rosier  au  milieu  d'un  désert  j  et  dans  dix 
ans,  ce  désert  sera  converti  en  herbages,  en  terres  de 
labour  et  couvertes  de  riches  moissons  w. 

Une  chose  très-remarquable  ,  c'est  que  le  docteur  %Vce- 
tock  a  eu  le  bonheur  de  vivre  assez  long -temps  pour 
jouir  de  l'accomplissement  de  ses  espérances,  et  obtenir  la 
récompense  de  tant  de  peines  et  de  sollicitudes.  Dans  uii_^ 
Yoyage  qu'il  fit  en  Angleterre  pour  soliiciter  des  secoiirs ,  - 


NOTES.  389 

^?ux  qu'il  reçut  du  lord  Dartmouth  ,  alors  secrétaire 
d'Etat,  furent  si  considérables,  que ,  dans  le  dessein  de  lui 
en  témoigner  sa  reconnoissance ,  il  donna  son  nom  à  ce 
collège ,  ou  plutôt  à  cette  umversité  ,  puisque  sa  charte 
d'incorporation  lui  en  a  aceordé  tous  les  privilégeset  toutes 
les  immunités. 

(3)   Féroces  indigèjies.  Il  faut  en  excepter  quelques 
cliefs ,  dont  la  recomioissance  a  conservé  les  noms  dans  les 
pages  de  l'histoire  ;   entr'autres  ,  Massasoit ,  sachem  de 
Pakonaket  * ,  et  Maskonomèo  ,  sachem  de  Numkèag  ** , 
qui  accueillirent  les  premiers  colons  aTec  humanité,  et 
leur  furent  d'un  grand  secours:  mais  quelque  pieuses  et 
respectables  que  fussent  ces  premières  familles,  on  connoît 
trop  l'arrogance  si  naturelle  aux  Européens  ,  et  les  effets 
de  la  nécessité ,  pour  croire  que  cette  harmonie  put  subsis- 
ter long- temps.  Plus  ils  accordoient  de  terres  et  de  bois  aux 
blancs  et  plus  ils  en  demandoient.  Les  nouveaux  colons  -, 
pressés  par  le  besoin,  exigeoient  les  mêmes  faveurs  et  les 
mêmes  privilèges  relativement  à  la  pêche  et  à  la.  chasse. 
A  la  suite  d'injustices ,  quelques  actes  de  violence  furent 
commis  :  on  tâcha  de  les  réparer  ;  les  remèdes  furent  in- 
suffisans.  Les  indigènes  se  plaignirent  de  nouveau ,  et  in- 
sensiblement s'irritèrent;  la  vengeance  s'alluma  :  alors  les 
blancs ,  autorisés  par  le  droit  du  talion  ,  sacrifièrent  une 
partie  de  ceux-là  même  qui  les  avoient  si  bien  reçus.  Au 


*  AujourtVhui  New-Ply.iiouth.  C'est  le  lîeu  où  les  premiers 
Anglais  débarquèrent ,  et  où  ils  élevèrent  leurs  premières  mai- 
sons. C'est  le  chef-lieu  du  comté  du  même  nom. 

^'^  Aujourd'hui  connue  sous  le  nom  de  Salem  ;  jolie  ville  conj- 
tenant  12000  habitans  ^  dont  le  commerce  et  la  navigation  sont 
t-iàs-considérabli>$. 


0C]0  NOTES. 

fléau  de  la  guerre  se  joignit  celui  de  la  petite-vérole  •,  et 
bientôt  une  partie  de  ces  tribus  Ichtyopliages  disparut. 

Cependant,  malgré  la  supériorité  que  leur  donnoit 
l'usage  des  armes  à  feu  sur  des  liommes  qui  ne  connois- 
soient  que  Tare  et  la  flèclie ,  il  est  probable  que  les  blancs 
îie  se  seroient  pas  établis  dans  ces  cantons  avec  autant  de 
facilité ,  si  le  nombre  des  indigènes  n'eût  pas  été  considé- 
î^ablement  diminué  par  une  épidémie  terrible  ,  qui  avoit 
emporté ,  1 5  à  1 6  ans  avant  l'arrivée  des  Européens ,  les 
deux  tiers  de  leur  population.  Cette  terrible  calamité  éten- 
dit ses  ravages  depuis  la  baie  des  Chaleurs,  dans  le  golfe 
Saint-Laurent ,  jusques  cliez  les  Pooliatans  de  la  Vir- 
ginie. 

Il  faut  le  dire  :  aussi-tôt  qu'on  eut  établi  une  forme  de 
Gouvernement  assez  eoercitif  pour  réunir  et  contenir  ces 
sociétés  éparses ,  l'objet  des  premières  loix  qu'il  promul- 
sua  ,  fut  d'enlever  aux  individus  la  faculté  d'aclieter  des 
terres  appartenantes  aux  indigènes  ,  et  l'attention  de  cou- 
vrir une  partie  de  celles  que  la  colonie  possédoitpar  des 
actes  revêtus  de  la  signature  des  principaux  Sacbems.  On 
en  voit  encore  quelques-uns  dans  les  archives  de  cet  Etat. 
Xes  missionnaires  réunirent  les  restes  de  ces  tribus  dans 
plusieurs  cantons,  dont  ce  même  Gouvernement  s'em- 
pressa de  rendre  les  terres  inaliénables.  Ils  traduisirent  dans 
la  langue  Nattick,  non-seulement  le  catéchisme  et  des 
livres  de  prières,  mais  aussi  la  Bible  toute  entièx^e  :  j'en  ai 
vu  un  exemplaire  imprimé  à  l'université  de  Harvard 
(Cambridge),  en  i665.  Ils  leur  enseignèrent  quelques 
principes  de  culture ,  ainsi  que  la  morale  de  l'évangile , 
dont  on  avoit  si  peu  observé  les  préceptes  à  leur  égard. 

(c  Puisque  nous  sommes  frères,  dis-tu,  et  que  le  Dieu 
du  soleil  est  le  père  de  tous  les  liommes  qui  habitent  les 


NOTES.  091 

âeux  extrémités  du  grand  lac  salé ,  disoit  un  jour  le  vieux 
Siccacus  au  docteur  EUiot ,  pourquoi  es- tu  venu  de  si  loin 
envahir  nos  terres  et  nos  rivières ,  tuer  notre  gibier  et 
notre  poisson?  Pourquoi  nous  empoisonnes -tu  avec  tes 
maladies ,  et  nous  tues-tu  avec  tes  armes  à  feu ,  toutes 
les  fois  que  nous  voulons,  comme  tes  gens,  faire  notre 
volonté  ?  C'est  cependant  à  cette  volonté  que  tu  dois  les 
premiers  morceaux  de  bois  dont  tu  t'es  chauffé  ,1e  premier 
poisson  dont  tu  t'es  régalé.  Pourquoi  te  comportes-tu 
envers  nous  d'une  manière  si  différente  de  celle  dont  tu 
en  agis  avec  tes  compagnons  ?  Explique-moi  cela  )). 

Lorsque  l'on  réfléchit  aux  effets  que  dévoient  produire 
tant  de  motifs  de  violence  et  d'envahissement,  on  voit 
combien  il  étoit  impossible  qu'il  n'en  résultât  pas  des 
injustices ,  des  dissentions  et  des  guerres.  Si,  comme  dans 
la  Pensylvanie  et  le  Maryland,  ces  différentes  associa- 
tions eussent  été  dirigées  par  tin  chef  qui ,  seul ,  auroit 
acquis  des  terres,  conclu  des  traités,  alors  il  se  seroit  com- 
mis moins  de  violences -,  l'établissement  de  cette  colonie, 
fondé  sur  l'équité  et  la  justice,  auroit  été  plus  légal  et 
plus  conforme  aux  inspirations  de  l'humanité.  Eh  bien  ! 
malgré  la  belle  conduite  de  William  Penn  envers  les  in- 
digènes de  la  Pensylvanie  ,  on  en  voit  encore  un  bien  plus 
grand  nombre  domiciliés  dans  le  Massachussets  que  dans 
ce  premier  Etat  :  j'en  ignore  la  raison. 

(4)  Ponts  et  communications.  Les  quatre  colonies  sep- 
tentrionales ,  ainsi  que  le  Maryland  et  la  Pensylvanie , 
se  sont  élevées  par  leurs  propres  forces,  se  sont  gouver-^ 
nées  elles-mêmes  d'après  les  privilèges  accordés  aux  pre- 
miers fondateurs ,  sans  que  la  métropole  se  soit  mêlée  de 
leurs  affaires  ;  et  voilà  pourquoi  leurs  progrès  ont  été  si 
rapides.  Tout  a  été  l'ouvrage  des  Gouvernemens  qu'elles 


OQ^l  NO    T    lî    S, 

s'etoient  donnés  :  administration,  distribution  des  terres; 
établissement  de  collèges,  d'écoles,  d'académies ,  de  sociétéâ 
littéraires  ;  fondation  de  villes  ,  de  bourgades  ;  police , 
protection  des  frontières ,  ponts ,  canaux  ;  tout  est  émané 
de  la  sagesse  de  ces  Gouvernemens  et  de  l'esprit  public  i 

qu'ils  avoient  fait  naître  et  soigneusement  entretenu. 

L'indépendance  dont  jouissoient  ces  colonies  (excepté 
leur  commerce  ,  dirigé  par  la  métropole) ,  fondée  sur  les 
chartes  qu'elles  obtinrent  des  rois  Jacques  i,  Charles  i  et 
Charles  ii,  étoit  plus  remarquable  encore  dans  le  Connecti- 
cut.  D'après  cela ,  que  dut-on  penser  de  la  conduite  de 
George  m,  lorsqu'en  1774  ,  il  voulut  traiter  avec  sévérité 
des  colonies  auxquelles  ses  prédécesseurs  avoient  accoi'dé 
de  semblables  immunités  un  siècle  et  demi  auparavant? 

Quoique  le  dénouement  de  la  grande  scène  qui  s'ouvrit 
h  Philadelphie  le  4  juillet  1776  fût  impossible  à  prévoir, 
il  étoit  cependant  naturel  de  penser  que  celles  dont  les 
Gouvernemens  étoient  ce  qu'on  appeloit  alors  charter 
gopernments  ^  opposeroient  une  grande  résistance  à  l'in- 
vasion de  leurs  droits  :  en  effet ,  celle  de  Massachossets  fut 
la  première  qui  prit  les  armes.  C'est  à  quelques  milles  de 
Boston  que  le  premier  sang  anglais  et  américain  se 
mêlèrent.  C'étoit  avec  dix  ou  douze  mille  hommes 
que  la  Grande-Bretagne  voulut  alors  soumettre  les  des- 
cendans  de  ces  anciens  puritains  qui  avoient  renversé  le 
trône  de  Charles  i  !  Ceux-ci  ne  tardèrent  pas  à  prouver 
qu'ils  n'avoient  point  dégénéré  ,  et  qu'il  ne  seroit  pas 
aussi  facile  qu'on  l'avoit  assuré  dans  le  parlment ,  de 
traverser  le  continent  avec  un  corps  de  7  à  8000  hommes. 
Pour  se  déclarer  indépendantes ,  ces  colonies  n'avoient 
qu'un  seul  lien  à  rompre,  celui  qui  enchainoit  et  diri- 
seoit  leur  commerce. 

o 


N  o  T  E  îi.  Sga 

(5)  Objets  taxables  dans  l'Etat  de Massachussets. 

Tableau  des  objets  annuellement  taxés  dans 
r Etat  de  Massachussets,  d'après  une  évaluation 
très-basse  y  pour  Vannée  i;;g8. 

Nombre  des  habitans 660,794 

Maisons  d'une  valeur  considérable 72,164 

Granges  et  autres  bâtimens 48,485 

Logg-houses  et  maisons  de  5  pounds  d'évaluation.     1 3, 44o 

Distilleries  et  raffineries ♦  5 1 

Corderies 75 

Manufactures  de  potasse , . , 1 68 

Magasins *  .  94i 

Moulins  de  toute  espèce •. . . .       2,391 

Grosses  forges- 79 

Pieds  superficiels  de  quais ,  jetées  et  autres  terreins  pri» 

sur  les  eaux.  . pieds.    498,785 

Terres  en  labour acres .   389,870 

Prairies idem .   366, 149 

Herbages .  .idem.   270,905 

Prairies  maritimes idem.      62,549 

Pâturages idem.   84o,o47 

Terres  en  bois. idem.    766,344 

Terres  non  encore  défrichées idem.^i:85o,j6o 

Terres  non  susceptibles  de  défrichement. .  idem .    692,390 

Barils  de  cidre 218,870 

Tonnage  des  vaisseaux,  y  compris  celui  des  pêcheurs  de 

morue ,  des  bâtimens  employés  dans  le  grand  et  le  petit 

cabotage 289,600 

Chevaux 64,254 

Boeufs  et  autres  têtes  de  bestiaux  de  différens  âges .... 

334,70^ 


5o4  NOTES. 

Vaches 391,254 

Moutons  et  chèvres 548,6i4 

Cochons 357,013 

Les  taxes  étant  imposées  dans  cet  Etat  sur  toute  espèce  de 
propriété  mobilière  et  immobilière ,  il  en  est  résulté  une 
connoissance  de  ces  objets  plus  particulière  que  dans  les 
autres  Etats ,  où  l'on  a  adopté  des  méthodes  d'impositions 
différentes.  Quelquefois  il  arrive  que  ces  résultats  sont 
publiés  par  ordre  du  Gouvernement  ;  c'est  de  cette  source 
que  le  tableau  ci-annexé,  a  été  tiré.  Ces  objets  taxables 
sont  évalués  à  un  taux  très-foible  ,  et  c'est  sur  le  montant 
de  ces  évaluations ,  que  l'on  prélève  à  tant  du  cent  les  im- 
positions de  chaque  individu. 

(6)  Fondation  de  la  Géorgie.  Dans  le  dessein  de  cou- 
vrir les  frontières  de  la  Caroline  méridionale  contre  les 
fréquentes  invasions  des  nations  Creeks  et  Séminoles,  on 
résolut,  en  1734,  d'acquérir  de  ces  indigènes  ,  une  partie 
du  territoire  qui  compose  aujourd'hui  ce  treizième  Etat 
maritime,  et  d'y  établir  un  Gouvernement  dont  les  ha- 
bitans  seroient  à-la -fois  soldats  et  cultivateurs.  On  y  en- 
voya sous  les  ordres  du  général  Oglethorp  un  grand  nom- 
bre d'Allemands  et  de  Suisses ,  ainsi  que  quelques  familles 
anglaises  auxquelles  on  donna  des  terres  et  on  prescrivit 
un  régime  militaire  ;  mais  on  ne  tarda  pas  à  s'apperce- 
voir  que  cette  forme  ne  convenoit  point  à  un  pays  qu'il 
falloit  défricher  et  peupler  -,  que  cette  colonie  naissante 
avoit  besoin  de  la  paix ,  de  la  liberté  et  sur-tout  de  bon- 
nes loix  civiles.  De  ces  faux  principes  résultèrent  le  dé- 
couragement ,  des  mécontentemens  et  des  dissentions 
que  l'on  ne  put  éteindre  ,  après  l'expérience  de  plusieurs 
années,  que  par  l'établissement  d'un  Gouvernement  royal. 


NOTES.  595 

tel  que  celui  de  la  Caroline  méridionale  et  des  colonies 
qui  n'avoietit  point  été  fondées  sur  des  cliartes  ^  composé 
d'un  Conseil  lé.dslatif  et  d'un  Gouverneur. 

Ce  n'est  que  depuis  cette  époque  ,  que  la  Géorgie  (  ainsi 
nommée  du  nom  de  George  11 ,  qui  régnoit  alors)  a  au- 
gmenté ses  défricliemens  et  sa  population,  et  qu'elle  a 
enfin  commencé  à  prospérer.  Son  immense  territoire  est  un 
des  plus  fertiles  du  continent.  Un  jour,  il  rapportera  du 
vin ,  de  Fhuile ,  du  coton ,  de  la  soie ,  du  tabac,  de  l'indigo, 
et  peut-être  même  du  sucre.  Sans  les  graves  inconvéniens 
qui  résultèrent  des  principes  trop  démocratiques  de  la 
constitution  qu'adoptèrent  les  colons ,  lors  de  la  première 
effervescence,  occasionnée  par  la  déclaration  de  l'indépen- 
dance ,  cet  Etat  seroit  beaucoup  plus  avancé  qu'il  ne  l'est 
aujourd'liui.  Mais  instruits  par  une  longue  suite  de  désor- 
dres et  de  désastres ,  il  vient  d'adopter  une  constitution 
beaucoup  plus  sage,  qui,  à  la  longue ,  réparera  tous  ces  mal- 
heurs ,  et  fera  oublier  les  honteux  écarts  de  sa  démagogie. 

Il  en  a  presque  été  de  même  dans  la  Pensylvanie , 
dont  cependant  le  docteur  Franklin  étoit  le  législateur. 
Son  ouvrage ,  comme  celui  du  célèbre  Locke  ,  (quoiqu'éta- 
bli  sur  des  bases  et  des  principes  bien  diflerens  )  ne  pro- 
duisit que  des  tempêtes  ,  jusqu'au  moment  où  l'anarchie 
arrivant  à  pas  redoublés  ^  les  hommes  éclairés  du  Corps 
législatif  appelèrent  une  convention  composée  de  députés 
envoyés  par  les  diflerens  comtés  de  l'Etat ,  qui  adoptèrent 
les  principes  sur  lesquels  le  Gouvernement  général  de 
l'Union  est  fondé ,  savoir,  deux  chambres ,  un  pouvoir  exé- 
cutif sans  conseil  ,  et  des  juges  inamovibles  aussi  long- 
temps que  leur  conduite  est  irréprochable  j  ce  qui  prouve 
combien  les  choses  paroissent  difiereutes  en  théorie  de  ce 
qu'elles  sont  dans  la  pratique. 


5c)6  NOTES. 

Entraîne  sans  doute ,  comme  tant  d'autres  îe  furent  ai 
cette  époque  mémorable  ,  par  lïdée  que  l'on  se  formoit 
de  l'excellence  et  de  la  dignité  de  la  nature  humaine, Fran- 
klin ,  quoique  parvenu  à  l'âge  de  80  ans  ,  étoit  persuadé 
que  les  hommes  réunis  en  petites  sociétés  ,  pouvoient  sa- 
crifier leurs  intérêts  au  bien  public ,  et  enchaîner  leurs 
passions  avec  des  fils  de  soie.  Sa  chambre  unique  ,  dont 
les  loix  dévoient  être  publiées  et  discutées  pendant  un  an 
avant  d'être  promulguées  \  son  conseil  de  censeurs  qui  pou- 
voit  suspendre  le  cours  de  la  justice  ,  citer  le  Corps  légis- 
latif à  son  tribunal ,  réformer  la  constitution  ,  &c.  -,  son 
pouvoir  exécutif  composé  de  17  personnes,  ses  fréquentes 
élections  ,  tout  cela  prouve  bien  manifestement  la  haute 
opinion  qu'il  avoit  des  hommes ,  et  particulièrement  de 
•ses  compatriotes. 

Chose  bien  plus  extraordinaire  encore ,  c'est  qu'après 
avoir  vu  et  senti  les  dangers  et  les  inconvéniens  de  cette 
forme  de  Gouvernement  durant  les  trois  années  qu'il  fut 
président  de  la  Pensylvanie  * ,  il  porta  ces  mêmes  opi- 
nions à  la  Convention  fédérale ,  dont  il  fut  élu  membre  ! 
Ce  qui  parut  étonnant  à  ceux  qui  connoissoient  la  pro- 
fondeur et  la  sagacité  de  son  génie.  Ce  ne  fut  que  dans 
son  dernier  discours,  moins  célèbre  pour  l'éloquence  que 
par  la  sagesse  des  idées,  qu'il  contribua  à  faire  rectifier  la 
forme  actuelle  du  Gouvernement  général ,  en  sacrifiant 
*es  opinions  particulières. 


^  Peu  de  temps  après  son  retour  de  France,  en  1786,  il  fuÊ 
ôlu  Président  du  Conseil  exécutif  de  la  Pensylvanie  :  le  mot 
gouverneur  ,  à  cette  époque,  étoit  aussi  proscrit  parmi  les  pa- 
triotes exaltée ,  que  celui  ds  basilêos  l'étoit  parmi  les  anciens 
Crac  s. 


NOTES.  397 

(  7  )  Martin  Béliem ,  natif  de  Nuremberg ,  d'où ,  après 
iivoir  long-temps  cultivé  la  géographie ,  il  alla  en  Portugal 
sons  le  règne  de  Jean  11.  H  découvrit  l'île  de  Fayal,  dont 
il  obtint  la  concession ,  et  où  il  vécut  plusieurs  années. 
De  cette  île,  il  parvint  au  royaume  de  Congo,  et  en  i484, 
il  découvrit  les  côtes  du  Brésil,  ainsi  que  le  détroit  de 
Magellan.  Ses  lettres  conservées  dans  les  archives  de  sa 
■ville  natale,  datées  de  i486,  parlent  de  ses  découvertes 
et  de  ses  voyages ,  entrepris  six  ans  avant  celui  de  Chris- 
tophe Colomb,  qui  ne  fit  voile  de  Palos  que  le  3  août  1492. 
Ce  fut  Martin  Béhem  qui  donna  à  ce  célèbre  navigateur 
ïa  première  idée  d'un  continent  occidental. 

Quant  à  Magellan ,  il  ne  forma  le  projet  de  traverser 
ce  détroit ,  qu'après  avoir  vu  entre  les  mains  du  roi  Jean 
une  carte  de  cette  partie  de  l'Amérique,  que  Béhem  avoit 
tracée  et  donnée  à  ce  même  roi.  Jérôme  Benson  parle  de 
cette  carte  dans  l'histoire  de  l'Amérique  qu'il  publia 
en  i55o.  Après  avoir  été  fait  chevalier  en  i486  ,  Béhem 
revint  à  Nuremberg  en  1492  ,  et  y  fit  exécuter  un  globe 
sur  lequel  il  dessina  les  découvertes  qu'il  avoit  faites,  et 
auxquelles  il  avoit  donné  le  nom  de  Terres  occidentales. 
Ce  globe  fut  terminé  la  même  année  que  Christophe  Co- 
lomb partit  pour  son  premier  voyage.  Le  chevalier  Béhem 
quitta  une  seconde  fois  sa  ville  natale  ,  et  revint  à  Lis- 
bonne ,  où  il  mourut  en  1 5o6. 

(8)  Plan  de  New-York.  Le  plan  de  cette  ville,  ainsi 
que  ceux  de  plusieurs  autres  qui  étoient  dans  la  même 
liasse ,  se  sont  trouvés  si  endommagés  par  les  eaux  de  la 
mer ,  que  toutes  les  lignes  en  étoient  efPacées  ,  et  les  cou- 
leurs si  entièrement  confondues,  que  cet  ensemble  ne  re- 
présentoit  plus  rien.  Il  en  auroit  été  de  même  des  autres 
«lecsins  dont  on  voit  la  gravure  dans  cet  ouvrage,  sil'au- 


5g8  NOTES. 

teur  ne  les  eût  pas  place's  auprès  de  leurs  caliiers  respec- 
tifs. 

(9)  Nombre  de  maisons.  On  en  compte  aujourd'hui 
4700 ,  et  37,420  liabitans  dans  cette  ville  où;  en  1763,  il 
n'y  avoit  que  1769  maisons  et  i4,i54  personnes.  Il  ne 
faut  pas  oublier  qu'en  1776  elle  fut  à  moitié  brûlée,  le 
jour  même  que  les  Anglais  s'en  emparèrent,  et  qu'ils  l'ont 
possédée  jusqu'au  25  novembre  1783,  sans  en  réparer  une 
seule  maison. 

(10)  Terreins  envahis  sur  les  eaux.  J'ai  fréquemment 
ouï  dire  à  plusieurs  membres  de  la  corporation  de  cette 
ville  ,  que  ,  d'après  les  relevés  qu'ils  avoient  faits  des  ter- 
reins  concédés  depuis  sa  première  origine ,  mais  particu- 
lièrement depuis  son  incorporation  en  1 683 ,  il  paroissoit 
que  la  surface  de  ces  terreins  formés  de  mains  d'iiomme , 
sur  lesquels  on  avoit  construit  des  quais ,  des  maisons  et 
des  rues ,  étoit  de  432,ooo  pieds  quarrés.  Si  on  multiplie 
cette  surface  par  huit  ou  dix  pieds  de  profondeur,  on 
aura  quelqu'idée  du  travail  qu'a  exigé,  depuis  175».  ans  , 
l'élargissement  du  site  sur  lequel  la  ville  de  New- York 
a  été  construite. 

Jasqu'où.  ne  s'étendra-t-elle  pas  encore  sur  la  rivière 
Hudson?  peut-être  à  2  ou  3ooo  pieds  plus  loin  qu'elle 
ne  l'est  aujourd'hui  ;  car  j'ignore  quelle  est  l'étendue 
aquatique  accordée  à  cette  ville  par  sa  charte  d'incorpo- 
ration ,  au-delà  de  laquelle  ses  Magistrats  ne  peuvent  rien 
concéder  sans  s'exposer  à  une  forfaiture ,  danger  qu'ils  se 
donneront  bien  de  garde  de  courir  ;  car  autant  sont  irré- 
vocables les  immunités ,  les  privilèges  et  les  terres  origi- 
nairement concédées  par  ces  chartes  ,  autant  est-il  dange- 
reux d'en  outre-passer  les  limites  j  ce  qui  conduiroità  une 
procédure,  à  des  amendes ,  ou  à  la  révocation. 


NOTES.  39g 

NOTES    DE    XA    LETTRE    DE    M.    HERMAN*. 

Cette  partie  septentrionale  de  l'Etat  (New- York) ,  dont 
les  trois  grands  districts  sont  connus  sous  les  noms  de 
Ricliland ,  Katarakouy ,  et  Castorland ,  est  bornée  au  sud 
par  le  fleuve  Saint-Laurent  j  à  l'ouest  par  l'Ontario  ,  à  l'est 
par  les  comte's  de  Washington  et  de  Clinton ,  sur  le  lac 
Çliamplain ,  au  midi  par  les  nouveaux  cantons  d'Oswëgo , 
d'Onondaga  et  de  Herkemer  ;  elle  est  traversée  dans  pre£- 
que  toute  sa  longueur  par  la  rivière  Black,  qui  a  45  à 
5o  milles  de  navigation  jusqu'à  ses  cliutes;  situées  à  peu 
de  distance  de  son  emboucliure  dans  la  baie  de  Niahouré , 
sur  le  lac  Ontario  :  cette  rivière  reçoit  dans  son  cours  plu- 
sieurs ruisseaux  et  creeks  considérables ,  remplis  de  sites 
convenables  à  l'établissement  de  différentes  usines. 

Cette  région  est  très-favorablement  située  relativement 
aux  débouchés.  D'un  côté ,  elle  communique  avec  le  Ca- 
nada par  le  Saint-Laurent,  avec  les  établissemens  anglais 
sur  la  rive  droite  du  fleuve,  ainsi  qu'avec  ceux  de  Kings- 
ton dans  la  baie  de  Kg.tarakouy  ;  de  l'autre ,  avec  l'Ontario 
par  les  baies  de  Nialiouré  et  de  Cat-Fisk ,  et  enfin  avec  le 
pays  des  Mohawks  par  une  route  que  l'on  vient  d'ouvrir, 
qui  passe  par  Richland,  Rome  et  Castorville  :  on  vient 
d'en  tracer  une  autre  de  ce  chef-lieu  aux  premières  eaux 
navigables  de  l'Osswègatchée ,  au  confluent  duquel  avec 

■*^  L'Editeur  aj'ant  appris  qu^un  de  ses  amis  venoit  de  recevoir 
une  lettre  de  l'agent  chargé  de  l'établissement  d'une  grande 
concession  de  terres  qu'il  possède  dans  cette  partie  de  l'Etat 
de  New- York  ,  a  pensé  qu'il  ne  seroit  pas  désagréable  au  tra- 
ducteur de  cet  Ouvrage ,  absent  depuis  quelque  temps,  ni  au 
public  j  de  voir  insérer  ici  quelques-uns  des  intéressans  détails 
contenus  dans  cette  lettre  ,  datée  du  4  septembre  dernier. 


4oO  NOTES. 

le  Saint-Laurent ,  le  major  Ford  a  fonde  un  e'tablissement 

considérable.  Le  lac  Long ,  dont  les  eaux  sont  presque 

parallèles  au  grand  fleuve  ,  offre  un  autre  débouché  pour 

ceux  qui  voudroient  aller  à  Ford'sbourg  et  dans  le  bas 

Canada. 

A  l'exception  des  montagnes  ,  le  sol  est  profond  et  fer- 
tile ,  ainsi  que  l'on  peut  en  juger  par  l'élévation  et  la  va- 
riété des  arbres  dont  les  forêts  sont  composées.  Les  terres 
qni  avoisinent  le  fleuve  depuis  notre  Katarakouy  jusqu'cà 
la  ligne  qui  nous  sépare  du  Canada  (le  45''  parallèle), 
abondent  en  chênes ,  arbre  d'autant  plus  précieux ,  qu'il 
est  très-rare  à  Montréal  et  à  Québec.  Dans  les  autres  can- 
tons, on  voit  un  mélange  d'ormes,  de  platanes,  d'éra- 
bles à  sucre,  de  butter-nuts,  de  hycoris,  de  hêtres,  de 
frênes  aquatiques  et  de  tilleuls.  On  y  trouve  aussi  le 
hemlock ,  le  pin  blanc ,  les  différentes  espèces  de  sapi- 
nettes ,  le  cerisier  sauvage ,  le  cèdre  roiige  et  blanc.  Des 
branches  de  sapine tte  on  fait  cette  bière  si  vantée  par  le 
capitaine  Cook,  et  connue  pour  être  un  des  meilleurs 
jinti-scorbutiques  (i).  Quant  à  l'érable  à  sucre,  il  est  très- 


^  Après  avoir  fait  bouillir ,  pendant  deux  heures ,  douze  à 
quinze  livres  de  feuilles  de  cet  arbre  ,  on  en  verse  la  décoction 
dans  une  barique  ,  à  laquelle  on  ajoute  deux  pots  de  sirop  ,  et 
autant  d'eau  qu'il  est  nécessaire  pour  la  remplir.  Mise  en  bou- 
teillt;  après  avoir  fermenté  ,  cette  infusion  acquiert ,  sinon  la 
force,  du  moins  la  vivacité  de  la  bière  de  brasseurs.  J'ai  connu 
des  personnes  qui  ,  pour  la  rendre  encore  plus  salutaire  ,  en 
remplissoient  le  bocal  d'une  de  ces  machines  ingénieuses,  dont 
on  se  sert  à  Londres  pour  remplir  d'air  fixe  une  certaine  quan- 
tité d'eau.  Si  j'étois  médecin,  je  parlerois  des  effets  admirables 
de  cet  air  pris  intérieurement,  ainsi  que  du  grand  nombre  de 
plaies  que  j'ai  vu  guérir  avec  le  seul  secours  de  ce  même  air. 


NOTES.  4oi 

commun  daus  plusieurs  cantons ,  où  il  forme  un  tiers  clés 
arbres.  Non-seulement  nous  en  tirons  tout  le  sucre  dont 
nous  avons  besoin ,  mais  aussi  du  vinaigre  d'une  excel- 
lente qualité  *. 

Ainsi  que  presque  tous  les  pays  septentrionaux,  ce- 
lui-ci est  rempli  de  marais  boisés  et  de  prairies  naturelles , 
dont  nous  obtenons  des  pâturages  pendant  l'été,  et  des 
fourrages  pour  l'hiver.  On  trouve,  dans  beaucoup  d'en-* 
droits  ,  de  la  pierre  à  chaux ,  de  l'argile  et  un  minerai  de 
fer  extrêmement  ductile.  Nous  sommes  trop  jeunes  encore 
pour  penser  à  la  construction  d'une  fournaise  et  de  quel- 
ques grosses  forges.  Il  n'en  sera  pas  ainsi  dans  dix  ans  ;  il 
est  probable  qu'alors  nous  serons  en  état  d'en  fournir  aux 
habitans  du  haut  Canada  ,  qui ,  n'ayant  point  de  contrats 
pour  assurer  la  possession  de  leurs  terres ,  ne  peuvent  pas 
songer  à  de  pareilles  entreprises. 

Déjà,  nous  commençons  à  cultiver  le  maïs,  le  bled ,  le 
lin  et  même  le  chanvre ,  depuis  que  l'on  a  observé  la  liai i- 
teur  à  laquelle  il  parvient  sur  les  terreinsi  jadis  inondés 
par  les  digues  des  castors  ]  mais  n'étant  encore  qu'à  la  qua- 
trième année  de  notre  établissement ,  les  détails  de  no.3- 
progrès  ne  peuvent  pas  être  bien  intéressans. 

Un  événement  aussi  malheureux  qu'inattendu  a  consi- 
dérablement retardé  la  prospérité  de  cette  colonie.  La 
mort  d'un  jeune  homme  plein  de  talens,  que  la  compagnie 
de  Castorland  avoit  envoyé  de  Paris,  pour  rendre  un  pajvs 

^  Lorsque  ,  vers  la  fin  du  mois  d'avril  ,  on  observe  que  la  sève 
s'aflpoibllt,  alors,  au  lieu  d'en  faire  du  sucre,  après  lui  avoir 
donné  une  demi-cuisson  ,  on  en  remplit  une  barique  ,  placée  au 
soleil  ou  sous  le  toît  de  la  maison  :  cette  liqueur  ne  tarde  pas 
à  s'aigrir  et  à  devenir  vinaigre  de  la  première  qualité. 

HT,  C  ^ 


■4l!02    ^  NOTES-. 

sauvage ,  et  jusqu'alors  inconnu ,  propre  à  favoriser  k 
réunion  d'une  société  naissante ,  diviser  les  terres ,  ouvrir 
des  communications  ,  commencer  les  premiers  travaux , 
construire  clés  ponts  et  des  moulins  ,  inventer  des  ma- 
cliines ,  là  où  les  liomme^s  sont  si  rares.  Victime  de  son. 
zèle  pour  accomplir  le  nivellement  d'un  des  coudes 
de  la  rivière  ,  il  périt  en  voulant  la  traverser  au-dessus 
de  ses  grandes  cliutes.  Ses  camarades ,  assez  malheureux 
pour  ne  pouvoir  lui  porter  aucun  secours ,  ont  recueilli 
les  circonstances  de  ce  désastreux  événement ,  dans  \\n 
écrit  que  je  n'ai  pas  .pu  lii-e  sans  attendrissement,  et  que 
je  vous  envoie. 

Nos  rivières  abondent  en  poissons ,  et  nos  ruisseaux  en 
truites.  J'ai  vu  deux  hommes  en  prendre  ji  dans  un 
jour.  De  toutes  les  colonies  de  castors  qui  occupoient  ce 
pays ,  et  y  avoient  élevé  tant  do  digues ,  il  ne  reste  que 
quelques  familles  dispersées  :  nous  ^vons  détruit  ces 
sociétés^  images  du  bonheur ,  au  sein  desquelles  régnoient 
l'ordre  le  plus  parfait,  la  paix  et  la  sagesse,  la  prévoyance 
et  l'industrie.  Lies  loups,  plus  rusés,  plus  aguerris  que 
ces  premiers  ,  vivent  à  nos  dépens  et  ont  jusqu'ici  évité 
notre  plomb  meurtrier. 

Il  en  est  de  même  de  l'élan  (orignal).  On  n'en  voit  plu& 
que  dans  cette  partie  de  l'Etat ,  et  bientôt  nos  chasseurs 
les  auront  fait  disparoître  ;  car,  comme  vous  le  savez, 
par-tout  oii l'homme  s'établit,  ce  tyran  veut  régner  seul. 
Parmi  les  oiseaux,  nous  avons  le  faisan,  la  gélinote  ^ ,  le 
ramier,  les  différentes  espèces  de  oanards,  les  oies,  le 
dinde  sauvage ,  etc.  Notre  chef-lieu  élevé  sur  les  bords  de 
la  jolie  rivière  du  Castor,  et  pour  cela  si  justement  nom- 


^'  Druraraing-partridge. 


NOTE   S.  4o5 

ïsaée  Castor  ville ,  commence  à  s'accroître.  Ce  n'est  en- 
core, comme  vous  le  pensez  bien,  qu'une  collection  de 
maisons  primitives;  mais  enfin  on  y  voit  quelques  fa- 
milles d'artisans ,  dont  les  nouveaux  colons  ont  un  besoin 
si  fréquent.  Plusieurs  magasins  situés  dans  des  lieux  fa- 
vorables commencent  à  avoir  de  la  vogue.  Les  Canadiens 
de  la  rive  droite  du  fleuve,  viennent  y  acheter  les  mar- 
chandises dont  ils  ont  besoin,  ainsi  que  du  sucre  et  du 
rhum ,  qui,  soumis  dans  nos  ports  à  des  droits  plus  modi- 
ques qu'à  Québec,  leur  coûtent  beaucoup  moins  cher  que 
cliez  eux.  Le  voisinage  de  ces  établissemens  français  nous 
sont  infiniment  utiles  sous  plusieurs  rapports.  L<es  bestiaux 
y  sont  moins  cliers  que  parmi  nous,  ainsi  que  la  main- 
d'œuvre.  Telles  sont  les  causes  des  communications  qui 
existent  entre  les  habitans  des  deux  rives ,  et  qu'il  est 
impossible  au  Gouvernement  anglais  de  prévenir. 

Nos  colons ,  comme  par-tout  ailleurs  ,  sont  un  mélange 
de  plusieurs  nations:  nous  avons  quelques  familles  écos- 
eaises  et  irlandaises  ;  mais  le  plus  grand  nombre  vient 
des  Etats  septenti-ionaux ,  qui,  comme  vous  le  savez  ^ 
sont  Vojfflcina  humani  generis  de  ce  continent.  Plusieurs 
de  ces  colons  ont  déjà  fait  des  défrichemens  considérables. 
Une  de  ces  familles  venues  de  Philadelphie  ,  outre  cent 
acres  bien  enclos,  a  élevé  une  manufacture  de  potasse , 
joù  les  cendres  du  voisinage  sont  lessivées;  une  autre ^  de 
la  secte  des  Quakers ,  s'est  établie  sur  la  route  de  Kata- 
rakouy,où,  déjà,  elle  a  élevé  un  moulin  à  scie  ^  et  une 
manufacture  considérable  de  sucre  d'érable;  elle  en  fit 
l'année  dernière  près  de  16  quintaux.  Le  chef  de  cette 
famille  est  un  modèle  d'intelligence  et  d'industrie  :  les 
marchandises  qu'il  a  apportées  lui  procurent  la  facilite 
d'employer  beaucoup  de  bras ,  et  à  bon  compte.  H  donne 


4o4  N  o  T  li  s> 

douze  piastres  l'acre  pour  le  défricliemcnt  de  ses  terres , 
et  la  moitié  des  cendres  ^  ;  outre  cela^  il  fournit  aux  fai- 
seurs dé  potasse  les  grandes  chaudières  de  fer  et  la  main- 
d'œuvre  j  et  en  retire  la  moitié  des  sels ,  dont  la  valeur , 
jointe  à  celle  de  la  première  récolte  de  bled  ,  paie  ,  et 
au-delà ,  tous  les  frais  dé  dëfricliement  ;,  de  clôture  et  de 
moisson.  Le  rapport  moyen  d'un  acre  étant  de  24  à 
28  boisseaux  ;  et  le  prix  du  bled  de  6  à  8  sliellings ,  il 
est  aisé  de  voir  (ju'il  a  encore  de  la  marge  pour  parer 
aux  aocidens/  et  ^ue  la  seconde  récolte  est  toute  entière 
à  son  profit. 

Parmi  ces  familles ,  nous  en  avons  qnelques-unes  qui^ 
cliassées  de  leur  patrie  par  la  frayeur  et  la  tyrannie ,  sont 
venues  chercher  dans  cet  asyle  de  paix  et  de  liberté ,  sinon 
la  richesse^  dn  moins  le  repos ,  la  sûreté  et  la  douce  aisance  « 
L'une  d'elles ,  établie  sur  les  bords  du  Rose-Creek  ,  venue 
de  Saint-Domingue ,  où  elle  possédoit  une  plantation  con- 
sidérable, montre  un  courage  et  un  degré  de  persévérance 
digne  d'admiration.  Un  des  propriétaires  a  une  fille  qui , 
aussi  intéressante  par  sa  ligure  que  par  son  industrie  , 
ajoute  à-îa-fois  à  l'économie  de  la  maison  ,  aux  agrémens, 
ou  plutôt  au  bonheur  de  leur  vie.  Un  autre  encore  est 
Tin  officier  d'un  esprit  orné ,  vif  et  original  ;  né  dans  le 
climat  brûlant  de  l'Inde  ,  ici  sa  santé  s'est  fortifiée.  Il 
préside  au  défrichement  d'une  terre  de  1 200  acres  ^  que 
deux  sœurs ,  dames  françaises  ,  lui  ont  confiée ,  à  laquelle 
il  a  donné  le  nom  de  Sisters's-Grove.  Il  a  déjà  fait  net- 
toyer plus  de  cent  acres  ,  élevé  une  maison  solide ,  et 
enclos  un  jardin  dans^  lequel  il  travaille  avec  une  perse- 

^  Un  acre  donne  communément  200  boisseaux   de   cendre, 
qui  valent  8  sols  le  boisseau. 


NOTE    S.  4o5 

veraiice  tout-à-fait  édifiante.  H  a  deux  Canadiens ,  dont 
les  ancêtres  étoient  originaires  de  la  même  proTince  que^ 
lui.  Loin  de  sa  patrie ,  les  plus  légères  circonstances  de- 
Tiennent  quelquefois  une  cause  de  rapprochement ,  dont 
ceux  qui  n'en  ont  jamais  sorti  ne  peuvent  pas  se  fair© 
une  ide'e. 

Quant  aux  bestiaux,  les  élèves  qui  ne  se  vendent  que 
9  piastres  la  paire  au  bout  d'un  an  ,  en  valent  70  lors- 
qu'ils ont  atteint  leur  quati'ième  année.  Les  boeufs  gras  , 
qui  pèsent  ordinairement  de  7  à  900  livres ,  se  vendent 
en  raison  de  5  piastres  le  cent.  Les  codions  vivant  pres- 
que continuellement  dans  les  bois ,  un  colon  peut  en 
avoir  autant  qu'il  lui  est  possible  d'en  engraisser  dan5 
l'automne.  Il  ne  faut  cependant  pas  qu'il  néglige  de  leur 
donner  de  temps  en  temps  à  chacun  un  épi  de  maïs,  pour 
les  attirer  à  la  plantation  ,  et  les  empêcher  de  devenir 
sauvages  \  car  alors  on  ne  peut  plus  maîtriser  leur  vo- 
lonté y  ils  s'ennuient ,  regrettent  la  vie  errante  ,  et  n'en- 
graissent pas  j  quelque  chose  qu'on  leur  donne.  Le  beurre 
est  aussi  cher  parmi  nous  que  dans  les  pays  anciennement 
cultivés  :  il  se  vend  un  shelling  la  livre  ^. 

Nous  n'avons  point  à  craindre  ,  comme  tant  de  per- 
sonnes le  pensent ,  que  le  voisinage  des  établissemens  ca- 
nadiens nous  enlève  des  colons.  Les  terres  du  Canada 
sont  toutes  dans  les  mains  du  Gouvernement  ou  des  Sei- 
gneurs :  l'an  et  l'autre  les  donnent  gratuitement ,  j'en 
conviens-,  mais  ils  n'accordent  point  de  titres  ;  de-là,des 
difficultés  sans  nombre  lorsque  l'on  veut  les  vendre  ou 
les  transmettre.  D'ailleurs,  elles  sont  grevées  d'un  cens 
assez  considérable,  de  droits  de  mutation,  de  retrait,  de 

*  i3  sous  6  deniers» 


4o6  NOTES. 

retour  au  domaine  faute  d'iie'ritiers  ,de  bannalite,de  dimes 
ou  retenues  pour  le  culte,  de  réserve  de  mines  et  de 
chênes ,  restrictions  inconnues  dans  les  Etats-Unis ,  où. 
toutes  les  terres  sont  franclies  et  libres.  Il  est  donc  pro- 
bable que  les  colons  sensés  préféreront  toujours  à  un  avan- 
tage aussi  précaire  .,  une  possession  sûre  ,  qui  peut  être 
transmise  saûs  droits  ni  formalités. 

Ce  pays  étant  borné  par  le  Saint- Lrinrent  et  l'Ontario  y 
sa  population  augmentera  plus  rapidement  que  là  où.  les 
jiommes  peuvent  s'étendre  à  l'infini,  comme  dans  certains 
cantons  de  la  Pensylvanie ,  sur  l'Oliyo ,  le  Wabasb  ,  &c. 
Ce  que  l'on  appelle  ici  le  Katarakouy  américain ,  ou  le» 
numéros  i ,  2  ^  3  et  4  de  la  grande  concession  de  Macombe, 
seront  toujours  le  dernier  terme,  l'i^/i^/m^  Thule  de  cette 
partie  de  l'Etat  de  New- York ,  et  nous  l'avant-dernier 
échelon  \  voilà  pourquoi  les  terres  qui  ,  en  17^6,  valoient 
de  deux  à  trois  piastres  l'acre  ,  sont  montées  aujourd'hui 
de  trois  à  quatre. 

Les  bords  de  notre  grande  rivière  ne  sont  pas  les  seuls 
où  se  porte  la  population.  Déjà,  ceux  du  Swan's-Creek 
commencent  à  se  remplir.  Sans  la  mort  de  M.  P. ,  nous 
serions  beaucoup  plus  avancés ,  parce  qu'il  a  fallu  attendre 
qu'un  autre  ingénieur  fût  arrivé  pour  terminer  le  grand 
arpentage  et  les  subdivisions.  Nos  hivers  sont  froids, 
moins  cependant  que  ceux  du  nouveau  Hampshire  ;  mais 
les  neiges  bienfaisantes  de  ce  climat,  empêchent  la 
gelée  de  nuire  à  nos  herbages  et  à  nos  bleds.  C'est  une 
chose  vraiment  admirable  que  devoir  la  promptitude  avec 
laquelle  la  végétation  se  développe ,  peu  de  jours  après 
qu'elles  sont  fondues. 

J'ai  placé  votre  habitation  non  loin  des  grandes  chutes  j 
assez  écartée  cependant  pour  n'être  point  incommodé  du 


NOTES.  407 

bruit ,  ou  plutôt  du  fracas  qu'elles  font  en  tombant  de 
trois  hauteurs  différentes.  La  vue  pittoresque  de  la  chaîne 
de  rochers  à  travers  lesquels  ces  eaux  se  précipitent ,  leur 
mouvement  tumultueux ,  les  prairies  naturelles  du  voisi- 
nage, les  grandes  forêts  qui  les  terminent ,  les  établisse- 
mens  formés  sur  la  rive  opposée  ,  le  passage  des  voya- 
geurs qui  arrivent  au  bac  que  j'ai  établi  ,  ces  objets  ren- 
dent la  position  très  -  intéressante  ;  elle  le  deviendra 
bien  plus  encore ,  lorsque  la  culture ,  l'industrie  et  le 
temps  auront  embelli  ce  canton  ,  encore  si  agi-este  et  si 
sauvage ,  et  si  loin  de  ressembler  aux  bocages  de  laThes- 
salie.  La  maison  est  solide  et  commode  j  le  jardin  et  les 
basses-cours  bien  enclos. 

J'ai  placé  une  famille  française  à  la  tête  du  magasin , 
et  j'en  suis  très-content.  Je  crois  cependant  qu'elle  va 
retourner  en  France ,  dont  le  nouveau  Gouvernement 
a  enfin  banni  l'injustice  ,  la  violence  et  le  crime  ,  et  les  a 
remplacés  par  le  règne  de  la  raison,  de  la  clémence  et 
des  loix.  La  pêche  du  grand  lac  (l'Ontario) ,  dans  laquelle 
je  suis  intéressé,  me  fournit  abondamment  l'alose ,  le  sau- 
mon ,  le  hareng  dont  j'ai  besoin,  et  même  au-delà.  Que 
vous  dirai -je  ?  Il  ne  nous  manque  que  des  bras.  Vous 
qui  habitez  un  pays  où  il  y  en  a  tant  d'inutiles ,  ou  dont 
les  travaux  sont  si  peu  fructueux ,  que  ne  nous  envoyez- 
vous  quelques  centaines  de  ces  hommes  !  Le  vide  qu'ils 
laisseroient  seroit  imperceptible  ;  ici ,  ils  rempliroient 
des  espaces  qui  ont  besoin  d'être  animés ,  vivifiés  par 
leur  présence.  Quelles  conquêtes  ne  feroient-ils  pas  dans 
dix  ans  !  et  quelle  différence  dans  leur  sort  !  Bientôt  ils 
deviendroient  des  franc -tenanciers  et  des  chefs  de  fa- 
milles respectables. 

L'autre  jour;  un  jeune  français  ^  mon  voisin,  à  sept 


40S  NOTES; 

milles  de  distance  ,  établi  depuis  ç[iielqties  années  snr  le» 
bords  de  la  rivière,  me  disoit  :  —  «  S'il  est  heureux  de 
jouir  du  repos,  du  fruit  de  ses  travaux  et  de  l'aisance, 
après  avoir  écliappé  aux  dangers  de  la  révolution,  combien 
ne  Fest-il  pas  encore  plus  de  partager  ces  jouissances? 
J'attends  un  ami ,  un  frère  :  c'est  un  de  ces  biens  que  la  na- 
ture seule  peut  nous  donner.  De  quel  plaisir  ne  jouirai-je 
pas  en  lui  montrant  les  traces  de  mes  premiers  travaux  ! 
en  lui  faisant  compter  les  époques  successives  de  leur 
accroissement ,  et  les  progrès  de  ma  prospérité  !  mais  sur- 
tout en  lui  prouvant  qiie  son  souvenir  m'a  toujours  été 
présent.  Les  objets  qui  m'entourent,  lui  dirai-je,  attes- 
tent cette  vérité  :  ce  coteau ,  sur  la  droite ,  couvert  de 
sombres  pins  ,  est  désigné  sur  ma  carte  sous  le  nom  de 
Hyppolite' s-absence  :  le  ruisseau  qui  traverse  ma  prairie , 
sous  celui  de  Brotlier's-Creek ,  le  vieux  cliêne  que  j'ai 
laissé  subsister  à  l'embranchement  des  deux  sentiers  ,  dont 
l'un  conduit  à  ma  maison,  et  l'autre  à  la  rivière,  d'Uni on- 
Creek,  l'emplacement  de  ma  maison,  de  Blooming-Slope  ; 
bientôt  il  va  arriver  de  S.  Domingue,  où  Toussaint- 
XiOuverture  lui  a  permis  de  recueillir  quelques  débris  de 
notre  fortune. ...  ». 
.  (^2)  Baie  de  Niahouré  ^  grande  et  vaste  baie  située 
sur  le  rivage  oriental  de  l'Ontario  ,  à  trente  milles  du 
lieu  où  ce  lac  se  rétrécissant ,  forme  le  commencement 
du  fleuve  Saint-Laurent  ;  elle  a  huit  milles  d'ouverture , 
et  douze  à  quinze  de  profondeur.  C'est  au  fond  de  ce  golfe 
que  tombe  la  rivière  Black,  où  elle  forme  un  havre  à 
l'abri  des  vents  et  des  lames  du  lac,  qui,  pendant  la 
durée  du  sud-ouest,  roulent  comme  celles  de  l'Océan.  Le 
côté  droit  ou  méridional  de  cette  baie  est  extrêmement 
fertile  ;  c'est  un  des  bocages  les  plus  frais  que  l'on  puisse 


K  O  T  E  Si  4*0^ 

Voir  :  celui  de  la  gauche  >  c'est-à-dire  tout  le  pays  qui 
s'étend  au  nord  de  la  baie  de  Niahouré  jusqu'au  Saint- 
Laurent,  et  à  l'ouest  jusqu'à  l'Ostwegatchee ,  n'est  pas 
moins  fertile ,  et  les  colons  commencent  à  s'y  porter  à 
l'envi.  L'embouchure  du  Catfish ,  rivière  assez  considé- 
rable qui  se  jette  dans  cette  baie,  y  forme  le  havre  le  plus 
profond,  le  plus  sûr  que  l'on  rencontre  sur  le  lac.  Une 
chose  remarquable  en  arrivant  à  la  partie  du  Saint-Lau- 
kent,  qui,  au  nord,  baigne  cette  partie  de  terre,  c'est  un  banc 
de  granit  rouge ,  qui  sert  de  Ht  et  d'encaissement  au  fleuve 
ipendant  pUisieurs  milles ,  et  qui  s'élevant  en  petits  rochers 
jusqu'à  l'autre  rive ,  forme  uiie  infinité  d'iles  ,  appelées 
jpour  cette  raison  les  mille  îles.  C'est- là  que  le  luxe  vien- 
dra un  jour  enlever  des  blocs  pour  en  faire  des  bustes  où 
des  obéliisques.  C'est  dans  les  havres  et  les  baies  de  cette 
côte  qu'arrivent  >  au  printemps  ^  les  poissons  de  mer ,  tels 
que  le  hareng  ^  l'alose  et  le  saumon ,  quoiqu'à  près  dé 
3oo  lieues  du  golfe  Saint-Laurent.  Quant  au  maskinongé, 
que  l'on  ne  trouve  que  dans  l'Ontario  ,  les  colons  eii 
prennent  presque  toute  l'année;  Cette  partie  du  Castor- 
land  et  du  Cataraquy  est  appelée  à  jouir  un  jour  au  plus 
haut  degré,  des  avantages  du  commerce >  de  i'agricultur» 
fet  de  la  navigation; 


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E  R  R  ATA. 

Vage  62 ,  ligne  19  :  s^opposèrent ,  Usez  s^opposeroné. 

—    70 ,  — —  27  :  à  l'Anca  ^  lisez  a  l'ancre. 

-_    80,  — -?«-    3,:  Fhéakiky, /wez  Théalciky. 

■^—114,  — —  12  :  de  la  femme  ,  lisez  de  la  fureur. 

— ^  1  ig ,  — «—  13  :  ne  pouvois-tu  pas ,  lisez  ne  pourrois-tu  paSj 

La  même  faute  est  répétée  à  la  fin  des  six  strophes  sui^^. 
vantes. 

•^^  255  f  -*—  18  :  par  l'intérieur ,  lisez  que  rintérieur» 


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