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Full text of "Des Säuglings Pflege und Ernährung"

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VOYAGE 
DANS 
L’EMPIRE OTHOMAN, 
LD’EGYPTE ET LA PERSE, 


Fait par ordre du Gouvernement, pendant les 
six premidres annees de la Republique; 


PAR G. A. OLIVIER, 


Doeteur en Medecine , membre de l’Institut national, de 
la Societe d’Agriculture du departement de la Seine , des 
Societes philomatique et d’Histoire naturelle de Paris; 
associe correspondant de la Societe linneenne de Londres, 
de la Societe d’&mulation du Var , de la Societe libre 
d’Agriculture, Commerce et Arts du Doubs , de la Societs 

- libre des Sciences, Lettres et Arts de Nanci, etc. etc. 


AVEC ATLAS. 


TOME SIXIEME. 





A PARIS, 


CHEZ'H. AGASSE, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, 
RUE DES POITEVINS, N®. 6. 


1807. 


m I nn 


.. 





Class ef 1920 


EFVOYAGE 


BFe12 


EN PERSE. 


CHAPITRE PREMIER. 
Nouveaux troubles. Y. oussef- Ali, Myr- 


Alim et Djaffar veulent s’emparer 


du powoir. Achmed-Chah paratt 
sur la scene, sempare de Mesched et 


envoie une armee. dans le Mazande- 


ran. Origine de Mohammed-Hassan. 
Guerre entre Teymouras et Azad. 
Ali-Merdan se fait un parti dans le 
Loristan,s ’empare d’Ispahan, veut 
faire. declarer roi un petit-fils de 
Chah-Hussein et se faire nommer 
regent.: sa conduite a l’egard de Ke- 


rim: il est assassine. 


Csanoxz, dernier et unique rejeton de la fa- 

mille de Nadir et de’celle de Chah-Hussein ‚' 

ötant aveugle, et comme tel exclu du tröne 
Tome VI. A 





2 VOYAGE EN PERSE 


par les lojs et les usages, on yit paraftre, sur 
tous les points de l’Empire , des ambitieux 
qui se flattärent de lui succeder. Comme per- 
sonne n’y ayait des droits, et que c’etait & la 
force ou & l’adresse qu’ils en appelaient, en 
un moment toutes les tribus s’armdrent dans 
Vintention de favoriser un de leurs chefs. 
Toutes les provinces furent agitees par les 
khans, et obligees de se’ declarer en faveur 
de quelqu’un d’entr’eux. Toutes les villes fu- 
rent mises & contribution. Ceux des gouver- 
neurs qui ne porterent pas leurs pretentions 
jusqu’au tröne, voulurent, pour la plupart, 
se rendre independans. Les plus faibles et les 
plus timides ne purent se dispenser de pren- 
dre les armes, etde se ranger sous la. banniere 
de cehui qu’ils devaient le plus craindre ,. ou 
dont ils avaient le plus A esperer. j 

Dans cet tat de'choses, on peut bien croire 
que la Perse souflrit encore plus que dans les 
dernieres anndes du r&gne de Nadir; elle fut 
bien plus devastee que durant les troubles sus- 
citös par ses neveux Apres sa wort. 

_ N’ayant pas l’intention: d’ecrire une his- 
toire detaillee de tous les attentats qui se sont 
eotmhis, de toutes les entreprises: qui ont .eır 
lieu et'qui Se sont: succddees avec rapidite, ni 
de signalerici tous les ambitieux obscurs qui 


CHAPETRE PREMIRE. 5 


sont Wontres un inelant.sur. laiscöne;, nous 
2008 cöntönterons deipärler suocinctement de 
veux yaiiscnt parrenus up supröme pouvoir; 
öw'quß'6nt- Iutie pour gehd üniee quelgu espoir 
de succ#s. AN eg 

- Aprös la more‘ de’ Bed Mohmmined 'yerb Ia 
fin de Phiver i766, Wohssef ne royantı pas 
&ütour. de lui de rirmix: qu’il jagt dahge- 
retix,, crat powvoin froilechent se rendre mal- 
tre du Khorassan et ‘deitöutes les: provinces 
 de-lä’Perse s’il pupvonukt & agir au. nom d'un 
&öüverain legitime‘: 1} cdnnaisssit les. preju- 


. pes de sa nation Aa Pepgetd. des plus! proches - 


färens de-ses rois; il en voulut tirer par, 
en proposant aut deignkurs qui se trdüvalent 
ä Mesched, de teplaekt' 'Chärokli-; gquoique 
&veuple; sür le tröne; £r dd Mi donner in re 
sent jusqu’ä ve - er ehe En fils ei‘ age de 
Zouveriier. re tl... 

' Sa propositior &talf Akötivee Sifr : eraie.k ce 
Pfince, etant 1e'setil Kiritid de Nadr!igug 
Avait'cöhquis le Perse sr les Alghahs; ;'ötle 
keulheritier de Chah-Hüßseih ; & Hua ver Af- 


6‘ 


ghans Pavalent enlevöe;ils ne: peuveicht eh: 


wichhrä es descendans sans ijustiek;,etisans 
Plotiger te toyatime dans des wonbier done. a 
Yıe'serdit pas MAR de kortir.  i: an 
- Youssef, A.la täte' d’aiie arihee vieieriehse, ; 
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: -MVWOYAGE 
= | DANS | 
 L’EMPIRE OTHOMAN, 


WDEGYPTE ET LA PERSE. 


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6 VOYAGCH EX PERS, 
jours en bautte Asa mauvaise fortane , fut en- 
core une fois preeipite‘ ‚dür tröne et  conduit 
däns une ötrölte prison. ur 2 

- Mir:Alım et Djeffar avaient l’un er "’antre 
irop d’a d’ambition et'trop.de inauvaise fol pour 
vivre loiig: :tems en bionne intelligence. Unis 
dinteret contre Yonssef tant que celui-ci fut 
puissant, is se desunirent lorsqw'il s’agit Bu 
partager entr’eux l’autorite ou de la o@der !’u 

& Pauire. Egaux ı en :fordes ,-ils le furent en 
pretehtions ; ; ils ne voularent point travail- 
ler de concert pour 'soumettre le reste de la 
Perse, ni’en venir & un, arrangement -amical 
du sujet du Khorassan, dont ils etaient: dej& 
les maltres. A peine eurent-ils fait leur entree 
ä Mesched, qu’ils rompirent leurs liaisons ‚ec 
gu "ls rösolurent de'recourir aux armes pour 
decider A qui resterait le supr&me pouvoir. 

Ils sortirent de la ville en juin de la m&me 
annde par deux portes Opposees, camperent. 
quelques jours ädeux ou trois liewes.des murs , 
et en vinrent aux mains avec un acharnement 
tel qu 'on peut le supposer entre deux hommes. 
quiont la perspective du tröne ou du oercuell. 
Les Curdes, plus robustes, plus aguerris, fu- 
rent un moment sur le point de triompher. 
Les Arabes plierent au premier choc et se 
debandrent en partie ; mais’ bientöt ils se 





% 


CHAPITRE PREMIER, 7 


ralliörent & la voix de leur chef; ils firent 
des prodiges de valeur,, et Rxörent enfm la 
victoire. Les Curdes, vivenent presses a.leur 
tour , dans tous les points , c&derent le chamıp 
de bataille. Diaffar ft pris en combattant, et 
amene aux pieds de son ennemi, qui eut la 
cruaute de hıi faire arracher les yeux. 

Mir-Allm, par cette victoire, se voyamt 
maltre des tresors de Charokh , d’Youssef et 
de Djaffar, ainsi que de tous. les revenws du 
Khorassan , put soudoyer toutes les troupea 
qui se trouyaient eparses dans la’province. 
Les Tureomans qui ayaient combattu pour 
Youssef, les Curdes de Djaflar et quelques 
Ouzbegs que ses proımesses seduisirent , toug 
vinrent se ranger sous ses drapeaux : ses for- 
ces reunies Se montaient. a plus de soixante 
mille hommes. 

Deja il meditait la conqu£te de la Perse ; 
deja il:se disposait & prendre la route du Ma- 
zanderan pour combattre Mohammed-Has- 
san-Khan qui s’y. fortifiait,, lorsqu’il apprit 
qu’un ennemi plus dangereux le menacait. 

Achmed , que nous avons dit &tre all& dans 
le Kandahar apres la: mort. de Nadir ‚. et s’y 
etre fait proclamer roi,.ne devait pas toujours 
rester indifferent aux dissentions de ses voi- 

sins : il ayait & ses ordres une’arınde aguerrie 


_ 


8 ‚VOYAGE EN: PERSE. 

qu’il fallait oecuper ; il venait d’eriger en 
royaume une simple province; il avait l’am- 
bition d’etendre son pouvoir. La Perse 
etait livree & plusieurs chefs : la famille de 


.Nadir se detruisait entr’elle ; celle de Chah- 


Hussein etait depuis long-tems eteinte. Ja- 
mais il ne pouyait se presenter une plus belle 
occasion de reunir encore une fois le Kanda- 
har ä la Perse, et de ne faire qu’un seul et 
meme Empire de tous les pays compris entre 
le Tigre et l’Indus, entre la Caspienne et le 
golfe Persique. ö 0 

Achmed n’avait pas tous les talens de Na- 
dir, mais il etait devore de la m&me ambi- 
tion : il ne sayait pas, comme lui, faire plier 
toutes les volontes et maitriser en quelque 
sorte tous les evenemens; mais c’&tait un ge- 
neral habile, un chef audacieux. Cheri de 
ses soldats, & la t&te desquels il combattait. 
toujours, il pouvait compter sur leur zele et 


sur leur devoüment. 


‘ Apres avoir bien affermi son pouvoir et 


'Pavoir conhie A un de ses plus proches parens, 


il avait _quitte Kandahar dans le courant de 
V’annee 1749, avait soumis le Segestan. sans 
combattre, et etait venu mettre le siöge de- 
vant Herat A la fin dela m&me anndee. 
. Cette ville n’ayait pas alors une forte gar- 


+ 


CHAPITRE PREMIER. öÖ 
nison ; neanmoinselle etait en dtat deresisterz 
' elle etait pourvue de vivres : ses murailles 
avaient ete reparees, et les habitans s’etaient 
arınds ‚et avaient jure de s’ensevelir sous les 
ruines de leurs maisons,, plutöt que de passer. 
sous un joug Etranger. D’ailleursCharokh, qui 
avait regarde cette place comme une digue 
propre A arräter les Afghans ‚ s’etait.empresse 
_d’envoyer A son secours un de ses meilleurs g&- 
neraux. Achmed se serait vü force de lever le 
siege, et de porter ses forces ailleurs sile mal- 
heureux evenement qui avait rappele Youssef 
n’eüt laisse cette ville sans defense. 
Apres son depart, le gouverneur, reduit 
& ses propres forces, resista encore quelque 
tems, et ne songea & se rendre que lorsqu’il 
eut consomme tous ses vivres : il fallut alors 
ceder ä la necessit@, et se mettre & la merci 
de ses ennemis. Les Afghans enträrent dans 
Herat a la fin du printems 1750, en prirent 
possession et s’y fortifirent : ils ne maltrai- 
terent point les habitans; ils n’en firent perir 
aucun, mais ils en exigerent une somme d’ar- 
gent assez forte. | 
Mir-Alim avait vu sans inquietude les Af- 
ghans se repandre dans la province de la Perse 
la plus voisine du Kandahar; il avait regärde 
 Herat comme’devant £tre le terme de l’am- 


10 VOYAGE EN PERST. 

bition d’Achmed ; mais lorsqw'il apprit que 

ge guerrier se disposait ‚ apres la prise de cette 

ville, & penetrer dans le Khorassan., il se häta 
_ d’approvisionner Mesched ‚ et de mettre cette 

place.dans un ben etat. de defense.. 

Rassure de. ce cöte, Mir-Alim vint 4 la ren- 
contre de son ennemi vers la fin de l’ete,ave@ 
des forces & peu. pres Egales aux siennes par 
‚le nombre ; mais Achmed commandait. aux 
meilleures, troupes.que Nadir ayait eues, Som 
arımde , toute composee d’Afghans,, n’ayait 
jamais combattu sous d’autres generaux ; : aC- 
 coutuinee A vaincre:sous les ordtesd’ Achmed, 
pouvait-elle ne pas Etre superieure a.celle.de 
Mir-Alim, qui etait formee & la häte, de di- 
“ verses tribus qui differaient entr’elles quant 
aux opinions religieuses, qui se haissaient, 
et dont. quelques-unes n’aimaient ni n’esti< 
maient assez leur chef pour lui. obeir aveu- 
glement. 

Mir- Alim avait sans doute autant de cou- 
rage et autant de talent que son ennemi; mais 
& quoi serventle courage et le talent d’un chef 
lorsqu’iln’est point seconde , lorsque ses trou- 
pes n’attendent que le signal du combat pour 
quitter ses drapeaux. Mir-Alim, au premier 
choc, se vit abandonne des Turcomans et dea 
QOuzbegs;;.il fit en vain tous ses. efforts pour 

> 


CHAPITRE PREMIER. 11 
les ramener au combat; en vain il leur promit 
tout le butin de l’ennemi, il ne put les gagner; 
.ils refus&rent avec obstination: de tirer le sa- 


bre contre un homme quwils etaient accoutu- 


mes A respecter, qui les ayait commandes, qui 
les avait conduits plusieurs fois A la victoire 
sous le r&egne de Nadır. 
.Iks Arabes et les Curdes, bien plus nom- 
breux que les Turcomans et les Ouzbegs, tin- 
- zent bon et se battirent avec le plus grarid cou- 
rage. Mir-Alim, & la t&te des premiers , fit 
- mordre la poussiere & un grand nombre d’Af- 
ghans ; il.combattait encore vers le milieu du 
jour, et tenait la victoire incertaine lorsqu’il 
fut atteint dans la poitrine par- le fer d’une 
lance. Sa mort fit cesser aussitöt le combat: 
les Arabes et les Curdes se retirerent en bon 
ordre. Achmed ne jugea point & propos de 
les poursuivre : content de les voir ceder le 
champ de bataille‘, il leur fit seulement pro- 
. mettre de quitter.le Khorassan et de se. ren- 
dre dans leurs provinces respectives. 
Lorsqu’il se fut assur& que ses ennemis se 
retiraient par. des chemins divers, il prit la 
route de Mesched, et arriva au pied de ses 
murs en octobre de la m&me annee ı75o. 
Cette ville avait alors sept ou. huit mille 


& 


hommes de garnison, tous de la secte. d’Ali, | 


12 NOXYAGE EN:PERSP.: 


tous ennemis des Afghans, tous decides Aa pe- 
rir plutöt que de se rendre: 

Achmed hit: diverses tentatives pour pren- 
dre la ville d’assaut,, mais il fut toujours re- 
. pousse avec perte ; ce qui l’obligea & se con- 
tenter.de la.bloquer etroitement pour l’em- 
pecher de recevoir aucun secours. | 

Cependant il detacha une partie de ses för- 
ces pour detruire ou saumettre tous les partis' 
qui se trouvaient dans la pravince, lever par- 

‘tout des contributions et lui faire passer des 
subsistances. Ä 2 

Apres cette operation , jugeant que la ville 
ne pouvaitpasttarder äse rendre,, ilenvoyaun 
corps de dix-huit ä vingt mille hommes dans 
le Mazanderan pour combattre Mohammed- 
Hassan-Khan, et s’ouvrir par cette province 
la route de U’Irak-Adjem et de la x sapitale de 
la Perse. 

‚Mohammed - Hassan - Khan , instruit des 
mouvemens d’Achmed, vint attendre les Af- 
shans au defile de Keramly, situe a Porient 
d’Aster-Abad, les repoussa, en fit un grand 
carnage, et les poursuivit jusqu’au-delä dw 
dehile. 

Au retour de cette armee; Mesched tenait 
tonjours : la garnison avait fait plusieurs sor- 
ties ou elle s’etait signalde; elle etait m&me 


CHAPITRE PREMIER. ı3 


parvenue A enlever quelques vivres aux’assie- 
geans; mais A la fin, se voyant reduite de 
moitie par les maladies ou le fer de Yennemi, 
n’ayant plus rien Amanger, ne pouvantcomp- 
ter sur aucun secours, pressee d’ailleurs par 
les habitans, que la faim tourmentait, elle 
ouvrit ses portes. apres huit‘ mois'de resis- 
tance , et se mit & la merci 'de son vain- 
queur. BEE 
Achıned se contenta de faire perir quelques 
chefs, de faire enfermer gıtelques habitans, et 
de lever sur les autres’ une forte contribution; 
il fit sortirCharokh de sa prison ‚le recut avec 
les plus grands Egards,, et le fit loger ä cdte 
de lui dans le 'm&me palais. 
Mohammed-Hassan-Khan , que’ hous de! 
vons faire connattre- plus particulierement; 
etait de la tribu des Kagiars (1). Son'pere, Fe- 
tah-Ali-Khan , un! des’ ’generaux de’ Chäh: 
Tahmasy füt notmine er 1723 gouverneur du 
Mazanderan ‚et envoydäverun eörps de Fur: 
comansetde Kagiars potirich asser les Afgharis 
de Teheran, dont ils s’etaient eınpäres: cEurx- 
ci vinrent- au. devanı, de 'Fetah - -Alı- ‚Khan, ‚ 


FO w; Dr 





El a 


\ ( R FERNENIERE qus, ;rögne aujourd’hui en,Perse , 
et quia sutcede A son oncle Mehemet-Khan est te ‚Be 
tit-hls de Mohammed-Hassah-Khan. te 


DE Su ee 


v4 


14 .VOYAGE EN PERSE. 
le rencontrerent & Ibrahim - Abad, le batti- 


- rent,etleforcdrent de seretirer A Aster-A bad. 


Lorsque 'Tahmas-K.ouli-Khan: eut chasse 


les Afghans d’Ispahan et de toute la Perse, le 


Mazanderan, sous les ordres de Fetah-Ali- 
Khan ‚etait en rebellion. Tahmas-K.ouli-Khar 
y envoya son frere Ibrahim avec des forces 
considerables : celui-ci battit Fetah-Ali, s’em- 
para de lui et le fit mourir. 

Mohammed - Hassan - Khan son fils. Ft 
nomme quelque tems apres, par Nadir-Chah, | 
gouverneur d’Aster-Ahad; il commandait en 
1743 un corps de troupes au siege de Mossul. 


‚En 1744, les principaux de la tribu des Ka: 


siars s’etaient joints a la tribu de. Yerhout, 
race de Turcomans‘, et etaient seditieusement 
entres a Aster-Abad. Le vice-gouyerneur ; ; 


'nomme Hussein, fils aine de Moharnhniedr 


Hassan, fit quelques eflorts. pour Jes faire ren- 
trer, dans le devoir et punir.les, plus ooipa* 
bles; mais il ne put en yenir & baut z al fur 
m&me oblige de quitter la ville et de se sauver 
avec sa garde. Mohammed-Hassan., qui. de 
trouvait alors au camp.imperial, ebtint la 
permission de marcher avec quelques corps 
de troupes au secours de son fils; il battit les 
rebelles et les punit d’une manidre tres-se- 
vere, mettant a mort un grand nombre d’ ha- 


% 


CHÄPITRE PREMIER. ı5 
bitans, et confondant ainsi l’innooent avec le 
coupable (1). 

Quant & la tribu des Kagiars, voici ce que 
jai pu recueillir a son egard. 
. Sous le rögne de:Chah-Abbas Ier., il s’etait 
forme sur les frontieres de la Perse, du cöte 
de l’Armenie, un tres-grand rassemblement 
de deserteurs et de fugitifs turcs, qui vinrent 
Jui demander du service: Chah-Abbas les ac- 
cueillit, leur assigna la .m&me paie qu’ä ses 
autrestroupes, et les enaplpya dans les guerres 
qu’il entreprit. Mais craignantensuite que ces 
etrangers n’excitassent des troubles apr&s sa 
morts’ils restaient-reunis, il les divisa en plu- 
sieurs Corps; il ep envoya un grand ‚noimbre 
dans le Mazanderan pour faire tte.aux Tur- 
comans et: aux. Tartares ouzbegqs ; il en fit 
passer dans le Kermesir,, situe:.le long du 
golfe Persique, pour ’gontenir les: Arabes; il 
porta les autres aux. environs de Candjea et 
d’Urinia, Ces.ötramgers furent nommks Kad- 
chiars , d'un mot -türc. qui .signihte: fugızif. 
La prononciation s’etant ensuite alt£ree, on 
les anommes Kaggiars ou Kagiars.:Gomme 
ils etaient tressnonibreux dans le Mazande- - 








- (1) Histoire de :Nadir-Chal , traduite: d6 persak par 
3. Jones, 2°. paxtia, .pag. 162. Pr “ r 


16 VOYAGE EN PERSE.: 


ran, ils purent y former une tribu qui devint 
bientöt fort nombreuse. Sous Chah-Hussein 
et sous Chah-Tahmas, Fetah-Ali, dont nous 
avons parle, se trouva en ötre un des chefs. | 
‚Les Kagiars, moinsnombreux,, moins puis- 
sans dans les autres provinces, se fondirent 
avec le reste de la population, et n’eurent 
bientöt plus d’existence propre. ' 
Apres lamort d’Adeletd’Ibrahim ,Moham- 
med-Hassan s’etaitrendu Ason gouvernement 
d’Aster-Abad, ety avait leve des troupes dans 
Y’intention d’attaquer le gouverneur du Ma- 
zanderan ‚nomme Mahum,qu’il avait & coeux 
de detruire ou de mettreen fuite; ce qui de- 
vait lui fournir les möoyerıs d’essayer si la for- 
tune lui serait favorable pour arriver au su- 
pr&me pouvoir , ou se former au 'möius un 
Etat independant autour de la Caspienne. 

. Däs’ quiilise vitä la t&te de cinq ou six mille 
hommes ‚il marcha vers Sarou, livra bataille. 
aupres.de cette ville Mahum-Khan ,:le battit. 
et dissipa son armee. Mahumm fut prisen-fuyant 
et livre.ä son ennemi, ‚qui eut la cruaute de 
_ le faire 'perir. nn | 

Maitre, par cette victoire, de tout le Ma- 
zanderan , Mohammed-Hassan s’empressa 
de se procurer de l’argent et de lever de.nou-: 
velles troupes; il fit mettre en bon Etat toutes: 

| les 


* 


! 


en 


CHAPITRE BHREMPER. ‘17 


les places fortes, et garder soigneusement les 


-defilds qui y aboutissent A l’orient et au‘ midi. 
Lorsque les troupes d’Achined vinren?T’a 
daguer, ilavait dejä ä-ses ordres plus’de ai 
milte cavaliers. La victoire qu'il- remport@dur 
les Atghans qui passaient:alors pour'les mäl- 
leures troupes de la’ Perse';' attird’ saus’ des 
drapeaux un. grand nombre de Türcomans'jdk 


Cürdes: et de Kagiars';:ge: qui‘ je mit en dat 


d’etendre ‘ses conquätes,, comme: nduste dil 
rons biemtöt. arts inlen 

ı Bendant: nıe.divers partis cherchäiert’ä se 
detruire' dans le Khorassan, et gue Möhani! 
med-Hassan se fortifiait’dans le Mazanderan |, 
toutes les provinces A: Poccident 'de' la Casi 
pienne «taient dans la plus vivei'agifatibn. 


. Les Lezguis, maitres du, Daghestan er: du 


Tahesseran: ,s’etaient plusieurs foisı ayanoes 
jusqu’&::Chamaki et Candjea, et.epft:6taient 
venus aux) mains.avec les divers Gouverneurs 
de ces cöntrees. wenn." else 

Teymonras‘, prince de. Georgien; jalowk 
d’ agrandir ses: ‚Etats .er.de se: soustralre‘ ‚BorBr 


toujours au tribut et & ’hommape gut apkt 


‚au roi de Perse, s’etait.eımpar® d’une partie 


du Chyrvan: ‚ et avait prik ensuite A soH per) 


ige umicorps.de dix mille:Afghans ; atesıls 
quel il’ avdıt soumis la provinch I’Erivan.. a 


Tome VI. B 


wor 
. 
.. 


18 ‚sVOYAGE EN PERSEnN * u | 


e Ce corps, avant ja .mert de Nadır,:avait 

ete;enyoye vers les, frontieres de Y’Armenie | 
‚pour y observer les "Turcs.. Revolte , comme 

toys-geix.de sa nation,„.dela kondaite.d’Adel- 
Chah , il.s’etalt soumis en apparence.d.ce.höw- 
YEAR Zt, mais il.l'gvait abandanndl bidntalt 
Apres pour se ranger spusles drapeaun d’Ihrai- 
Jim. Mecontent d:Ihrahish , qui ne ‚paya pas 
:$p8, segvites autant quiil l’avait espene, Un - 


talt-anl. cantre: lui avec, Emir-Aslan. „Lorsque . 


celui-ci fut tue, ces Afghans se: durigärent 
vers Hrn , s’y.empenrerent de:gette:plaes et 
da.:qtelgues ‚villages; et se rendirent redow 
tables, Ara. epntree..G’est la.pee-Teyruburas 


les Avdit.hris:4 sa solde :.: or geol astıı si 


.n.dl$ 3!6taient;pas kestds long-temzran ‚serviog 
dy puineside Georgid,: sort amour dag pillage} 
soitgesir He congüusrir la Perse pgwr:lear pro- 
Dre nampte:, ilsı.aYanent quitts: les: drapeaum 
sons..lesqnels.ils: venaient :de oombatsre ‚et 
s’etaient empares de Tauris. .Heraclius ‚fl 
de ‚Feymohras „avakt marche .cantme::enx', et 
lemaveit; ebliges .d’abaudanner-la ville: dans 
kaqualle il Etait enttä a. son tour. 3. un. ci 
„iEranybı, les. Akgharis s’stant uriis avec ler 
Lezguis:, ceuxg-«4 attaquerent. lei: prince: de; 


‚Gaosgie par leChyrvan, tandis:quesles,pre- 


niers., ayant alex; Asad-K.han 2 'leur!täper,: 


N re Ge 


°. " 


CHAPITRE PREMIER. 17 


les places fortes, et garder soigneusement les 
 defiles qui y aboutissent & l’orient et au midi. 
Lorsque les troupes d’Achmed vinrent l’at- 
. taquer ‚il’avaitdeja& sesordres plus dequinze 
mille cavaliers. La victoire qu’il remporta sur 
les Afghans qui passaient alors pour les meil- 
leures troupes de la Perse, attira sous seg’ 
drapeaux un grand nombrede Turcomans, de 
Curdes et de Kagiars ; ce qui le mit en etat 
‚d’etendre ses conqu&tes, comme nous le di- 
rons bientöt. 

Pendant que divers partis cherchaient & se 
detruire dans le Khorassan, et que Moham- 
med-Hassan se fortifiait dans le Mazanderan, 
toutes les provinces & l’occident de la Cas- 
pienne etaient dans la plus vive agitation. 
Les Lezguis , maitres du Daghestan et du Ta- 
besseran , s’etaient plusieurs fois avances jus- 
qu’&ä Chamaki et Candjea,, et en etaient venus 

‚ aux mains avec les divers gouverneurs de ces 
contrees. 

Teymouras , prince de Georgie, jaloux 

ı d’agrandir ses Etats et de se soustraire pour 
toujours au tribut et A ’hommage qu’il doit 
au roi de Perse, s’etait empare d’une partie 
du Chyrvan, et avyait pris ensuite & son ser- 
vice un corps de dix mille Afghan avec le-: 
quelil ayait soumis la proyince d’ Bi 
Iome VI. 


\ 


18. ‚WOYAGE EN PERSE. 


Ce corps, avant la mort de Nadir, avait 
ete envoye vers les frontieres de l!’Armenie 
pour y observer les Turcs. Revolte, comme | 
tous oeux.de sa nation, de la conduite d’Adel- 
Chah, il s’etait soumis en apparence A ce nou- 
veau roi, mais il l’avait abandonne bientöt 
apr&s pour seranger sousles drapeaux d’Ibra- 
him. Möcontent d’Ibrahim, qui ne paya pas 
665 services autant quw'il l’avait espere , il s’e- 
tait uni contre Iui avec Emir-Aslan. Lorsque 
celui-ci fut tuE, ces Afghans se dirigärent 
vers Urmia, s’y empar£ärent de cette place et 
de quelques villages, et se rendirent redou- 
tables a la contree. C’est lä que Teymouras 
les avait pris a sa solde. 

Ils n’etaient pas restes long-tems : au service 
du prince de G£orgie : soitamour du pillage s 
soit desir de conquerir la Perse pour leur pro- 
pre compte, ils.avaient quitte les drapeaux | 
sous lesquels ils venaient de combattre , et 
8’etaient empares de Tauris. Heraclius, fils 
de Teymouras, avait marche contre eux, et 
les avait obliges d’abandonner la ville dans 
laquelle il etait entre & son tour. 

En ı751, les Afghans s’etant unis avec les 
Lezguis, ceux-ci attaquerent.le prince de. 
Georgie Rar le Chyrvan, tandis que les pre- 
miers , ayant alors Azad-Khan & leur t&te, 





CHAPITRE PREMIER. ge) 
obligdrent' Höracliad d’e Evacuer Tauris et 
tonte 1A prbvince: @’Etivari. Azad’, apres ce 
succäs; se fendit mäitre de tont "”Aderbidjan A 
et trayailla de tows ses moyens’ä attirer sous 
ses drapeküx des soldats de toutes les tribus; 
6e qui porta biehitöt sort &rinde a piss de Yingt 
mille hörimes. _ 

' Azad-Khan, Afghan, Etaitne aux environs 
de Kaboul, et &tait entre Au’ service de Nadir 
avec le corps de troupes que sa nation ‘ avait 
offert A ce conguerant lorsqwil revenait de 


VInde. Jeune alors et simple cavalier , il n’a- 


vait pas tarde de se faire remärquer et Wobte- 
nir de l’avancement: il &tait dans la: province | 
d’Erivan, etycommandait mille hormmes sous 
kes otdres d’un general divisionnaire lorsque 
Nadir fut tue. 

Azad, dans des temsÖrdinaires, n’eht dtd 
qu’un bon offitier toujours soutmis A Yuelque 
chef ; dans ces tems de troubles, il’ devait se 
distinguer et atteindte aux preimiers rah8s. 
Doud, comme il Petäit, d’ane ame forte, d’ut 
caractere-ardent‘, d'une imagination vive, il 
ne pöuvait tester tranquille spectareur dep. 
evenemens qui se pässaient et se succkdaient 
avec rapiditd. Vehermnent dans ses desirs , 
timpetueuk tHaris ses actions, familiarise'ayec 
les dangers , & peine'est-il A la’ täte d’une 

Ba 


30. VOYAGER, EN PERSE., 


troupe de revoltes , qu’il ge met plug.de bor- 
. nes & son ambition ::il ‘yoit la carriere du 
Ä tröne ouverte ; il s’y elance avec audace, et 
y marche,d’un pas rapide et assure.‘ _ 
‚Si, en dernier. resultat, il.düt quitter: Pa- 
röne et cöder Ja palme,ä .un;autre,. c’est.que. 
les Persans ayant une repugnance: invincible 
pour les Afghans, il ne pouvait se regruter 
que. da rebut.de la nation, tandis que ses en- 
nemis Ini opposaient, toujours de nouvelles . 
troupes tirdes: des.tribus les plus Bnerrieren 
et. les plus. considrees. , 
N ous verrons bientöt < que, malgre ces ‚s obs- 
tacles ‚3 Al fut un moment sur le point d’ob- 
tenir un triomphe complet. | 
Telle etait la situation de la Perse, au nord, 
dans les deux annees qui suivirent. la mort 
d’Adel et d’Ibrahim. | 
Au midi, les montagnes du Loristan ı n’e- 
taient pas ‚plus tranquilles. Ali-Merdan-Khan, 
un des chefs de la tribu‘des Bakhtiaris, race 
de Curdes, travaillait de toutes ses forces & 
$’y faire un parti. C’etait un homme d’un 
äge ayance : il s’etait trouve , en 1722 , au. 
‚comhat de Gulnabad , et avait ete ensuite 
| nomm& par Chah-Hussein , generalissime des 
troupes qui devaient venir au secours de la... 
‘capitale, assiegee par Mahmoud; il avait fou- 








Di 57 DE EEE es Meer. JE De 


| CHAPITRE PREMIER. 31" 
jours combattu sons Nadir , & la täte d’un’ 
corps plus ou moins nombreux: Nous avons 
vu que, mecontent de la conduite d’Adel, £ u 
avait quitte - -Mesched: avec 'trois ou ‚qüatre 
inille hommes qufil commandait, potr se’ren- 
dre dans sa patrie.  . BE 

- Le credit qu ’avaient tous ses parens Baht 
les Curdes du Löristan et ‘de Peria,' ih %ön- 
sideration. personnele' dönt if’ jouigsäit“ "les 


_ $randes'richesses qu’il 'possedait,: ; Vanarehiie. 


dans lagüelle ’Empire etait plonge;'tout'lul 


ir 


'avait inspire.le desir de profiter des ircons- 


tanoes "qui Jui päraissaietit? träs'®’ "favoräbles 
pohr‘ Sermpater', sinon du tröne ‚du Mög 
poin reger au nom d’un soverair qui YHr 
appete 'Pär'sd Hiaissante.’ Mi 1; 

MY draft 'alöts sut ces montagnes un jeune 
seigheur ‚homıhe Ismaßl, ‘dont la'mere, fille 
de Chah:Hüssein‘ dyait Epouse , ‚apres Ie de- 
part des Afghans, Seyd-Moustapha‘, "sfficier 
distitigie pär-sa ndläande et le‘ räng qui 
ayait’du &lalcbur. | ec 

" Get dffitier ; dans les dernieres anndes du 
röghe-de Nadir‘ avaitjüge Brudent. de qüftter 
la: capftale:, '&t de veraP' Chercher aupres des 
Bakhtiäris’ wi dsyle pour Iti et pour sd’ fa- 
mölle. Ar eräitmort pew de tems apres, ‚lälssäht 


? 











22. VOYAGH EN -PERSEB«,ı 
deux Alsqu:ud avait zeoammpandes & on breves' 
montagnarde.., ... 

‚One got, Ismagl,, ägs alors de hait 0Y- new 
ans „ füt r£ellement. le filk de Seyd-Moustapha 
ou. non „il imponte assez.peu: AlixMerdan le 
fit passer pour tel , le prit sou$ sa protegtion 5. 
puhlia partout qu'il.etait petit-äls:de Chah- 
tinssein ‚eb que d’etait,A ce prince qu’appar- 
tenait; ‚Empire. ges, gmmigsaires, Fepandus est 


nation. tächaient de leur persuader qu N en. 


'resultergit de-grands ayantages. pour elleg sie 


Barum generenz daypüment de laur part, un 
BrERoR igsu, du sang,royal manzaif. sur .um 
ung auqpel il ne pauvait esperer. de,parvenir: 
si elles lui refusaient leyr secaurs. ‚Les ‚Cprdeg 
SE HBSEENt, entradner.;. ils pfirent, ‚les armes. 
em: faveur d’Ismael ‚et sengagerent de mars, 


| cher ; vers ‚Ispaban, sank. les enter 4 Ali 


Merdan., : Neal 

„Un Gurde: de, la, ‚tribn. de ‚Zend; B3 Aommd 
Mohammed-K. erim. ‚qui par sa forge v 5es ta- 
legs, et. spn Courage 5" 'stait fait uge.grande 
Fepufation ‚etqui; dans ces teıms d’anarchie, 
ge troyvait a. la töte de. deux on nie ‚mille 
hommes; aussi. braves „.ausgl. entfeprenans que - 


In, Berne a Ali-Merdan un seenura Jlont il 





CHAPITRE PREMIER. 23 


ne devait pas se passer. Il lui fit proposer de 
venir lejoindre, Juj promettant toute lafaveur 
du nouveay rai ‚et Je partage du butin en pro» 
portion du nombre des troupes qu’ül, faprni- 
rait. - 
‚Kerim dtait ne a.Peria, capitale dy district 
de ce nom ; il ayait fait la guerre soug.Nadıir., 
erquokpuil w’eüt jamais tammande an chef, 
Ali-Merdan , sous les; yayx duquel il avaif 
plusieurs fois soidnät.da faibles detachamens, 
Vavsit juge capable-.de deenir un An pre 

Sniers.capitainen. | 

Kerim avait trop: ‚de pöndtrarion pour ne 
pas entrevbjr qu’il;dependeit de lui de jauer 
un grand sole : Ismael-ätgit:encore eufant ; 
Ali-Merdan ayait attelnt le dernier äge- de la 
- vie. Le premier ne 'poluvait ge passer d'HR tur 
ieur lorsque llausre-tosserait d’tre. La Parse, 


livree.& ,tonses les. karneuns'de ’anarchie, der 


wait tendre.des bzas. 3. celwi qui paraigsait le 
plus. propse Aadıshlir N’ordse : ke penple etait 
irep mEegansent, des-Afghens pour Aaxokiger 
Azad ;oui: Achaned ; ame powvait vie dans 
Mobhammed-Hassan qu’un: khan:rebelle : Isr 
mael', queiqne jene, devait reumar chung 
petit-fils:de ‚Hussein, Ion außlragee de tausılas 
hammeg de bien, deisons cpux qua n'Aysgien; 
pas inzörft de pralonger le Jlesprdze;: Bexim 


a ui — — 


24 'VOYAGE EN PERSE 
accepta donc avec empressement Höffre d’Ali 
Merdan , et'vintse ranger'avec sa petite troupe 
sous les drapeaux de ce chef. L’arnee';'förte 
. "alörsd’environ dix mille hommes, ‚prit lenom 
 d’armee royale. Ismael fut proclame chah 
dans le camp, et reconnu pour tel dans tout 

le Loristan. ARE EEE 

-" Ali-Merdan se prösenta, en mars ı756, aux 
nöhtes d’Ispahan; ; elles lui furent fermees. En, 
vain il Ppretexta quiil n’ayait pas d’autre in- 
tention: que de placer sar.le tröne un petit-fils 
de Chah-Hussein , et de mettre fin par-lä aux 
troubles qui desolaient sa patrie; en: vain il 
promit de respeeter’une ville qui, la premidre 
en rang , seralt: aussi läpremiere &.donrier 
Vexertiple de'la 'sounilssion. que tout Persan 
devkit & son scuVerditl legitirne. 'Selim-Khan, 
sisinrhddepüis peu par Charokh ou par Yous- 
sef, z :gbuverneur d'Ispahan, ne voulut se pre&- 
| ter & abcun arrangement ni ecouter' aucune 
Proposition. Charökh ivivait.: 6m distib indme 
quil n 'avait. pas-entierement- perdw la vue; 
cette Wille, la plus importante :de. l’Einbire‘, 
devait'lni &tre religieusement coiserwee, ou 
devait &tre remise & celui-lA seulement que la 
| nation’ zurait, reconnu comme chak. Selm 
enhägenr döne "Ali-Merdan «4 se Fetffer'etä 
dongedier ses troupes.s’il ne.vowlait: Yexpo- 





CHAPITRE PREMIER. 25 
ser A perdre la vie sur un Champ“ ‚de bataille 
ou sur un echafaud. 

- Ali-Merdan, trop ambitienx pour renoncer 
ä.ses projets,. trop faible pour entreprendre 
quelqu’attaque contre une ville immense et 
populeuse, prit le parti de s’etablir A Gaza; 
village situ& & trois lieues d’Ispahan ,‚:et de 
continuer de lA ses negociations, tant avec le 
gouvernenr, qu’avec lesprincipaux habitans. 

Il esperait venir A bout de les gagner, ou 
'totataumoins de faire passer chaque jour dans 
la ville quelgues,nouveaux &missaires qui tra- 
vailleraient & lui faire des amis,, et qui. l’inst 
truiraient, & tout evenement, dece qui pour- 
rait Etre tent6 contre lui. 
' 'Selim, qui penetra les desseins de cet am- 
bitieix, et quiine voulut pas d’ailleurs ui don: 
ner le’ tems de se fortifier ‚. sortit avec'se& 
troupes etun grand nombre de: seifmeurs, ‚et 
vint l’attaquer dans ses retrarichemene.: ' 

Ali-Merdan 's’y:defendit peitdant dix jours 
avec courage; 'niais craignant& la fin: d’dtre 
force , il fıt Proposer, ä Penneimi-une suspen! 
sion d’armes pour traiter de la paix ‚et arreter 
par-lA, disait-il', le sang qui coulait malgre 
lui. Il retint de oette maniere le bras des as- 
kidgeans , et du moment ot il fallait conclure 
et signer un’ traite, il-s’echappa danuit, et 


% 


- — =} urn — —_—- 
. 


26 ‚NOFAGE-EN-PERGE.. 


prit avec son arınee le chemin des manta- 
gues, ou il ne resta pas lang-tems. Il reparut 
en mal, avec une Armde-beencoup plus nom- 
brreuse et des pretentions beauconp plus for- 
tes. I] maenhgd. nette fois d’assieger la ville, et 
de la livrer au ‚pillage st oa. ne lui, en ouvrait 
les portes & Y’instant meme.. 

Le gouverneur, qui s’etait attendu- y Kon 
retonr, y'ayait fait entrer des vivres; il avait 
zepare lea rempazxts, mis l’artillerie en bon 
tat, et. enrölg tous. cenx des habitans qui 
avaient youlu se ranger saus sei drapeanx. 
La plupart.des seigneurs, indignes dal’axro- 
gance de ce Curde, ou sesmitament lies aves 
ses ennemis , offrirent volessairement leurs 
services & Solim;.de sorte:que calui-ei se vit 
en.etat de sortir de.la.ville-& la’ te de vingt 
«ing mille hommes, et de livrdr .betaille aux 
Gurdes quäl.stait urgent se lpigner, attendy 
qu’ils ravageaient. la eampagne et quiils in- 
jerceptaient tautes les, subsistamans, 

o: Ali-Mendan „axerti.du jour ot le ‚geuver- 
eur devaitsörtir.ge dlisposaA le'biem recevpir: 
Ilse postq A cing en six’ liewes des wars, vers 
l’ovcident,'sur un terrain faydrable, et placa 
quelgues corps de troupes.& posteede la ville, 
avec. ordre,, des que l’ennezi, paraitrait, de 
ysnir le joindre saus epgagan, augung action, 





CHAPITRE PREMIER. a7 


‚Cette ruse reussit. Les traupes de Selim, sq 
persuadant :qu’il fuyait, coururent sur lu . 
taute bride, et l’attaquerent avant de.s’tirg 
ralliees : elles furent reponssees, misesen der 
raute et vivernent poursuivies, Leur exemple 
entraina celles qui s’etaient moing avanoges 
elles rentrerent toutes precipitamment, aban; 
donnant leur artillerie et laigsant sur la place 
un grand nombre de morts. .. ! 
, Ali-Merdan :e servit des canons qu’il avajg 
pris pour attaquer la ville sur plusieurs points, 
Ü en. ptessä vivement le siege, et ne cessa de 
menacer les habitans de tout detruire s’ils fair 
saient une plus longue resistance. - . - . ; 
- Ispahan, plus qu’aucune autre. ville,de la 
Perse, etait.depuis long-tems livree A tauteg 
lea factioris. Tous les ambitienx qui n’avaienf. 
pu., dans les.provinces,, se. mettro.4 la töte 
d’une armee ou d’une troupe: de gens-armes, 
' talent venus dans cette capitale aveg Pinten- 
tion, .de fayoriser: par leurs intrignes ; ’elgvar 
tior de celui aupres de qui is erperaiont abr 
tenir des eımplois, 

;. ‚Le parti de Mohemmed-Hassan- Khan %ait 
paht-ätre alars- le plus nombratix x c’6tait celui 
qui Avait engage deux fois les habitans 2 a prenr 
dive les armes, Ceux qui tenaient peur Ach- 
med avatent monire le märhe enipressement; 


“ 


»8’ NVOYAGE EN PERSE. 


Sls avaient les uns et les autres trop & cour 
Ü’empächer que les Cardes ne ge rendissent 
maitres de la capitale, pour n’avoir r pas cher- 
che & les repousser. 

'Charekh avait aussi son parti; mais il vaf- 
Keiblissait.de; jour en jour. Les ministres de la. 
religion et tous les zeles Persans le haissaient 
&omme heretique et comme descendant d’un 
homme dont la memoire 6tait encore en hor; 
reur. Onisäveit d’ailleurs qu’il &tait aveugle, 
et comrhe-tel exclu du tröne. ' | 
. * Ali-Merdan comptait dans’la ville plusieurs 
_ ainis, et un-grand nombre.de partisans trs- 
empresses A chänter ses louanges et & faire 
valoir Ies- 'avantages qu'on Tetirerait de l’exe- 
eution de ses projets : mais ce qui plaida le 
mieux en sa faveur, ce fut sa victeire; ce fut 
14 terreur que son nom inspirait; ce furent 
ses menaces. Les habitans d’Ispahan:le con- 
Haissaientirascible,, vindicatif;; ils se determi- 
nerent & le recevoir dans leur ville, de crainte 
ü@il’ne se'portät A tous les excds de rage et 
de vengeance s’il y entrait de vive force. '! 
’ Les portes Iui furent ouvertes le.3ı mai 

ı75o, malgre P’opposition d’un srand norhbre 
de seigneurs qui craignaient pour leur vie, et 
% qui il ne resta d’abord que la ressource-de 
s’enfermer dans la citadelle. Ali-Merdatı fit 


r 
‘ 





& 
CHAPITRE PREMIER. .29 


- entrer ses troupes et leur liyra la ville : el 
se repandirent en un moment dans tous Jes 
quartiers, et y commirent pendant deux jours 
les plus horribles desordres ; elles ne massa- 
_ ererent point les habitans; cela leur &tait tres- 
expressement defendu ; mais elles les depouil- 
lerent; elles les maltraiterent; elles les toar- 
menterent de toutes les manieres pour leur 
arracher tout oe quils avaient de precieux. 
Le pillage fut au point, qu’aucune maison 
de la ville ne fut exempte de recherches ; 
aucune. personne ‚. quels que fussent son 
rang, son äge et son sexe, ne fut respectee, 
Julfa , le plus grand et le plus riche des fau- 
bourgs , fut le seul pargne : Kerim-Khanen 
avait obtenu le commandement, et s’y &tait 
etabli. Jaloux d’obtenir l’estime des Arme-: 
_ niens et.des Persans, il n’avait pas permis que 
sestroupes commissent le moindre desordre, 
ni qu’elles enlevassent la moindre chose. , 
Les seigneurs qui s’etaient enfermes dans. 
la citadelle obtinrent une honorable capitu- 
lation, et en sortirent le premier juin. Ali- 
Merdan fit son entree le 2, et fut loger avec 
le jeune Ismaäl dans le palais des rois.'Des ce; 
_ moment tout rentra dans l’ordre ; les troupes 
furent casernees , etspumises A la surveillance, 
des chefs. Les marchands purent ouvrir leurs 


4 


do. -VOYAGE EN PERsk. 
gutiques ‚ et les ouvriers se livrer au travail 
tabs plus rien craindre. | 

' Ali-Merdan ne se vit pas plutöt maftre de 
1a capitale ‚qu’ilassembla dans son palais tous 
les seigneurs, tous les hommes. constitues en 
dignite, tous les chefs de tribus qui se troü- 
vaient & portee de la ville; il se rendit en 
&rande pompe au milieu d’eux, et leur parla 
des malhetrs de l’Etat , suite indvitable de 
P’anarchie qui regnait depuis la mort de Na- 
dir ‚, depuis surtoutqu’Adel et Ibrahim avaient 
allüme les torches de la guerre civile. Le ta- 
bleau qu’il en fit, ne pouvait manquer de pro- 
duire un grand effet sur ceux qui desiraient 
&incerement le bonheur de leur patrie. 

Le Kandahar , separ& de l’Empire et erigs 
en röyaume par les Afghans, donnait & tous 
tes les provinces un exermiple d’autant plus 
dangereux', qu'il etait seduisant et d’une fa- 
cile execution. Ces -Afghans, ayant leur nou- 
veau roi & leur t&te, s’etaient rendus maltres 
du Segestan ; ; ils attaquaient Herat, et mena- 
caient-de s’avancer jusqu’& l’Oxus et la Cas- 
pienne. Le Khorassan &tait lefoyer de toutes _ 
‚les intrigues, et le theätre des plus affreux de- 
sordres. Le gotiverneur d’Aster-Abad etait 
‚en rebellion; il s’etait empar& du Mazande- 
fan ‚du Taberistan , etil se disposait A porter 





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CHAPITRE: PREMIER °' 31 
Ja.guerre parmi tous ses yoising. Ie prince-de 


"Georgie avait pris las arfmes;,at.ayait pdnetze 


dans .le Chyrran,, dans Erivan', dans Nacsi- 
van, et avait mine ‚traversd .’Araxe pour 


entrer dans l’Aderbidjan, Les! Lezguis, tour 


jours avides: de 'pillages. Hcgupsisht. et rävar 
geaient le Daghestani, la Tabesseran,, le Hauf- 
Chyrvau. ‚Une, troupe de: ‚brigdads ,‚leurs :alr 
lies, portajt le ‚desplation: „l:epauvante.et, ig 
mort.dang Urmia, dans Tauris ‚Jans Ardehil, 

Te Gyilan ‚en, prdie A direzges. facfiays, voyait 
sälever. der oheis-dont'L’axistehce etait Eplact 
faere, et dont la chute n’asait. lieu qu’A.tren 
vers ddew, gAdavras et des ruines.: Les Arabeg 
s'etaient: nenılus indepentlans A Kemrbouckyre 
du Schat-el-Arab et dans toutle Karmssir, 1a 
keaarestaw ‚depuis: Faron: jusw’& Gomazüh , 
Etait AORMis..A:ın. :guuvermaur'gui:s'y-.Elaiß 
plate de wire $oroej& larmartı de;Nadır ‚ es.s gl 
Streit mdäntenu-malgre: det. reikforts ‚qu’ Adels 
Ibrahim ‚et4Gharokh ‚avaientidaite:ppur. ben! 
ohasser; LehKarıman Ktait da nläme gauvenin 
par un rehelle. quna’eh ataitt;eidpare.lcs.arrueg 
4 la main, Dans l’ihterieur, Sultanie, Casbin, 


Teheran, Kom, Cachan, Yesd,;Chiras, Ner 


kavend ‚, Amadan',. Kermanchah;; en un met, 
toutes les villes; sons led distvictesnetafenit zum 
rebellion „du n’obeissaient qu’ä des.chefs tom-, 


32° ° -vVorAGE EN PERSE. 
urs pröts A soulever les habitans et & les: ar- 
mer les uns contre les autres. - 

Dans cet &tat deplorable‘, Ali- Merdan ne 
voyait d’autre parti & prendre, Charokh etant 
aveugle et-Suleyman ayant &t& tue, que de 
placer sur le tröne un petit-Als de Chah-Hus- 
sein ; il ajoüta qu’il avait'reuni en divan les 
grands de/’Eimpire pourreconnaftre-les droits 
d’Ismael, et lui nommer un regent jusqu’a ce 
qu'il füt en’ äge de goüverner. Ceux-ci n’a- 
vaient rien ä objecter A un’homme qui tenait 
leur destinde dans ses marks. Qui d’entre eux 
aurait ose contredire celui qui, d’un mot; 
d’un'signe, pouyait leur arracher la vie, leur 
ravir la liberte, ou les plonger dans: la’ plus . 
affreuse misere?: : 


‚e'Tous les‘ seigneurs., toutes les} ‚personnes 


dus se.trouvaient dans l’assemblee, non-seu- 
lement applaudirent aux proposirions d’Ali- 
Mrdan ‚ mäis plusleürs d’entre eux &leverene 
la voix pour offrir'la courorine'ä'celui , de 
saient-ils , qui la meritait & tant de titres, et 
quiavait la moderation dene vouloir se placer: 
qw'au second rang lorsque ta victoire lui avait 
assigne le premier. . Ze Ä 
. Ali-Merdan 6tait trop clairyoyant pour ne. 
pas fuger que , dans leg circonstances presen- 
tes , le moyen le plus s sür et le plus prompt 
d’arriver 





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CHAPITRR PREMIER. ' 1 
la guerre parmi tous ses voisins. Leprince da. 
Georgie avait pris les armes et avaif penetr& 
dans le Chyrvan , dans Erivan, dans Nacsi- 
van, et avalt m&me traverse l’Araxe pour 
. entrer dans l’Aderbidjan. Les Lezguis , tou- 
jours avides de pillage’, occupaient et rava- 
geaientle Daghestan , le Tabesseran , le Haut- 
Chyrvari. Une troupe de brigands, leurs al- 
lies, portait la desolation , l’epouvante et la 
mort dans Urmia, dans Tauris, dans Ardebil. 
Le Guilan , en proieä diverses factions, voyait 
s’elever des chefs dont l’existence etait ephe- 
mere, et dont la chute n’avait lieu qu’a tra- 
vers des cadavres et des ruines. Les Arabes 
s’etaient rendus independans A l’embouchure 
du Schat-el-Arab et dans tout le Kermesir. Le 
Laarestan , depuis Taron jusqu’& Gomron, 
etait soumis A un gouverneur qui s’y etait 
place de vive force & la mort de Nadir,, et s’y 
etait maintenu malgre les.eflorts qu’Adel, 
Ibrahim et Charokh avaient faits pour Yen 
chasser. Le Kerman £tait de möıne gouvern& 
par un rebelle qui s’en etait empare& les armes 
A la main. Dans l’interieur,, Sultanie, Casbin, 
Teheran, Kom, Cachan, Yesd, Chiras, Ne- 
havend, Amadan , Kermanchah; en un mot, 
toutes. les villes , tous les districts, @etaient en 
rebellion , ou n’obeissaient qu’& des che:s tou- 


32 vorier EN PRRSE. 


- jours pröts & soulever les habitans et & ‚les ar- 
mer les uns contre les aütres. . 

Dans cet etat deplorable, Alı-Merdan ne 
voyait d’autre partiä& prendre, Charokh etant . 
aveugle et Suleyman ayant et tu&, que de’ 
placer sur le tröne un petit-fils de Chah-Hus- 
sein ; il ajouta qu/il avait reuni en divan les 
grands de !’Empire pour reconnaftre les droits 
d’Isma@l , et lui nommer un regent jusqu’a ce 
qu il füt en Age de gouverner. 

Que peut-on objecter & ’homme qui tient 
dans ses mains la destinee des autres? Qui 
osera contredire celui qui, d’un mot, d’un. 
signe, peut vous arracher la vie, vous ravir 
la liberte ou vous plonger dans la plus affreuse 
misere? | | 

Tous les seigneurs, toutes les personnes 
qui se trouvaient dans l’assemblee, non-seu- 
lement applaudirent aux propositions d’Ali- 
Merdan , mais plusieurs d’entr’eux @leverent 
la voix pour offrir la couronne A celui, di- 
saient-ils, qui la meritait A tant de titres, qui 
joignait la moderation de ne vouloir se placer 
qu’au second rang lorsque la victoire lui avait 
assigne le premier. . 

Ali-Merdan etait trop clairvoyant pour ne 
pas juger que, dans les circonstances presen- 
tes , le moyen le plus sür et le plus prompt 

d’arriver 


CHAPITRZIPREMIEN. 33. 


d’arrives! &la,premsege:place et de 8’y main- 
tenir, c’etait,par linterıißde,d’un enfant.dont 
les-droita.seraient reconnus: lögitimes.: :Iire- 
jeth: demc l’affre qui Iui.etait faite ,'eri,disant 
qu'oa sie: phrviendzait:.ä ;,dejouer toutes les 
Ppretentions,.:et; äuresuener Ja paix et la tran- 
quillit& danstous lespointsde !’Empire);qir’em 
plagant sur:le tröse celmi que la: naissande- Y 
appelait.- DIR RATE . 
- Toute: llassetnhiee; ‚applandit N cet avisiz Hi 
Ismagl dur.unanigttmant ‚prbelame nölset.lä 
regeheg caulerde d Ali-Merdan. : .:; ; 
Pendesa. plus d’un: an. Ispahan et, tont:le. 
midi: de la Perse jouirent:de,la plus: grande 
tranquillite..‚Presque t6us les khans se soub 
mirenit,: et naonsırentsolennellemant.lä ler 
gitungte. des droits. d’Ismael. Les Arabes Pro 
mireht de.payer:le,tribiit auquel ils samt.soir+ 
mig:: LE peuple, persuade que les promesses' 
dırıegsut eraishtsinoeres;, se flattait de jouar; 
enfinysousun gonvelnementstabld,, tlurrepos: 
& du,bonhemz! apzas desspielssäl soupiraitide-. 
prislongriteme- AlısMerdan, quoigse dur et: 
SBYRES ‚- passait pur juste,..er Kerim;) quion: 
regssdeit. anmime.son; leutenant ;:comuiekp 
Pelneinal arenitean;‘ je 1sehordres; ;ı 86 fdisait: 
egalemesit Kherin set: Has guändsiet du penpley; 
Ray sa rdamgenr, susuakiaknlits ka dran; 
Tome VI. 


SE  NVOTACGETEN DBERSE- 
son desiritteressemient.: gouverneilr'de:Julfa , 
il ayalt. pris plus particulierement sous sa pro- 
tection.tes Armdniens qui l’habitaient, nor & 
cause de-leur religion, iusis parce:gue plus 
opprinmes ils Jui avaient inspird plas de pitie. 
2: plaida fortement 'en: leur faveur, comme al 
le faisait egalement A. l’ögemd des Persans tou- 
tes les-fais que le:rögens'worlut exiger de:leur 
faubourg des contributiong extraordinairpg.- 
I s’intöressa de m&me; por: les: cultivarehrs 
des environs de la:capitale, et chetcha, au- 
tant qu’ille put, &. allegeir le fardeau qui pe- 
sait'sun eux d’une.maniere efirayante.' > ı 
 Alt-Merdan he prit.d’abord audun onibrape 
de Ja eonduite de Kierim ::i} ie laissa gouver- 
net Alsun gre: ke fauboüurgıde: Julio; il le'laissa' 
plaider ‚:.comme il'voulut, la cause desiop-> 
primes ; il n’en suivit pds-hroins:ses plans. 
Tont. occupe de faire la guegre & toug led prö- 
tendans , :de sountettre: toutes les: pröwinpes & 
ses lois dt.de uonserwer l’Empire dans sozt in-. 
tegritö ‚. il.ne Iuiivige jumeis dans idee que 
les sources:.da: la prosperite pabligue sont; 
toutes dansıles mains de vehil qui gauveraez 
que.le:meilleur:möyenl poar’iui de’se proctf- 
rer: ds Y’argent ‚odlest od’awementer Isuanlas 
produits dw solärıda l’industrie, de leur don- 
ner an.debouche seisäitl, Dans. son tenoranos,, 


8° i ... a“ 





CHAÄPITRE PREMIER. 35 
il crut n’avoir rien de mieux A ıaire, pour 
venir & bout de ses desseins , que de frapper 
les proprietes , industrie et le commerce par 
des taxes exorbitantes : il voulait prompte- 
ihent une armee; ıl fallait avant tout se pre. 
curer l’argent necessaire & son entretien. 

A peine se vitil Alat&tede quaränte ou cin- ' 
quante ınille hommes, qu’il resolut d’en lais- 
set une partie dans la capitale, et d’aller avec 
" Pautre A Taurisafin d’en chasser les Afghans. 

Azad venait de faire sa paix avec le roi de 
Ge£orgie. Lasses de se battre saris pouvoir se 
detruire, ils avaıent fix& leurs limites & V’A- 
raxe A la fin de l’annde 1751 , et s’&taient'en- 
gages A ne jamais passer le’ fleuve pour piller 
ou ravager les possessions }’un de l’autre. 

'Maitre, par ce traite, d’Urmia, de Tanris, 
d’Ardebil et de tout P’ Aderbidjan,, Azad vint 
zussitöt.s’emparer de Sultanie et de Casbin: 
3}l se preparait & entrer dans le Guilanı afın 
d’arracher cette riche provinceau gouverneur- 
du Mazanderan , avec lequel il voulait se me- 
surer avant de porter ses pas vers la capitale. - 

Mohammed-Hassan venait de s’en empa«' 
rer (1), eten ayait confi& le gouvernement A: 
Hideat, fils de Hadschi- Schamal , Yun des. 





G)n y eEtait entre au coMnteticemment de l’arihee 1732.° 
| Ca 





ne \" 7 


36 VOYAGE.EN- PERSE, 


plus riches habitans du Guilan. Cet Hadschi+_ 
Schamal , apres la mort d’Ibrahim, avait en- 
trepris de se former un parti 4 Reicht, et. de 
se rendre,maitre de toute. la province ; mais, 
‚dayait. ‚te assassind quelques mois avant l’ar-. 
rivee de-Mohammed-Hassan , par un ambi-, 
tVeux qui. ayait voulu l’imiter, et que Mo- 
hammed-Hassan fit mourir ä son tour. . . 

Apres la prise de Mesched en juin .1751 a. 
Achmed resta encore quelque tems dans le 
Khorassan, tant pour s’assurer la possession 
de cette vaste province , que. pour observer, 
ce qui’ se passait & Ispahan et dans tout le, 
reste de l’Empire. Son intention, en quittant, 
le Kandahar, ne‘ pouvait etre douteuge :. la. 
conqu£te de la Perse , apres la mort d’Adel et, 
d’Ibrahim, l’avait tente, et luiavait paru d’une 
facile ex&cution. Mais l’etat de trouble et d’a=, 
gitation dans lequel il voyait.toutle royaume., 
Y’esprit de revolte qui s’etait introduit par- 


‚tout,. le,firent hesiter, ‚quelque teıms sur. le, 


parti .qu’ il prendrait. Son armee etait fort : af-, 
faiblie par les differens combatg qu’elle avait. 


soutenus: :'il voyait toute la repugnanoe que 


les Persans devaient naturellement avoir pour 
un'joug €tranger. Une region plus riche ‚plus. 
populeuse s’offrait A ses il se decida 
& y porter ses forces, et ä ne garder de ses 








LS 


— 


CHAPITRE PREMIER. 37 


j "conqüuätes sur la Perse, que Herat' et le S&- 


gestan; mais avant de’partir il exigea de tous 
les seigneurs et chefs de tribus du Khorassan,, 
que Charokh ‚, quoiqu’aveugle, füt proclame 
roi, et qwil regnät sur la province ot son 
aieul avait regu le jour, et qu’il avait conquise 
la premiere; ce qui fut unanimement adopte 


avec des transports de joie. 


I fut donc convenu que le Khorassan 9 
avec toutes ses dependances, serait detache de 
la Perse , et qu’il resterait comme apanage A 
'Charokh,, lequel prendrait le titre de chah 
‘ou de roi , battrait monnaie , leverait des 
troupes, jouirait A son’gre de tous les reve- 
'nus appartenans A la couronne, percevrait les, 
"impöts, et ne serait’jämais, sous aucun pr&- 
texte, tributaire de la Perse ni d’aucun autre 
Etat. Il fut convenu, 'en un mot, d’eriger 


| pour lui et pour sa posterite cette province 


en royaume independant. 
“ Les seigneurs iuferent de prendre les armes 
et de defendre leur roi toutes les fois qu’ils 


“en seraient requis, et Achmed promit:de vo- 


ler & son secours s’il en avait jamais be- 
soin. 

Apres ces dispositions ‚le roi de Kandahar 
laissa une partie de ses forces 4 Herat et dans 
le Segestan quwil venait d’acquerir , et il se 





38 YVOYAGE EN PERSR. 


rendit dans sa capitale avec' Pautre dans le | 


sourant de l’annee 1752. 
Nous ne le suivrons pas dans ses expedi- 
tions & l’orient du Kandahar, ot il porta la 


guerre pour reculer les limites de son Em- 


pire. Nous ne dirons rien non plus de son 
entree ä Delhi qu’il pilla en 1762, & l’imita- 
tion de Nadir. On trouvera quelgties details 
sur la viedece prince dans un ouvrage anglais 


publie parM. Vansitart(ı), et dans le 7 eyage j 


de M. Foster (2), 

 Ali-Merdan ne s’etait point encore permig 
de mettre des impositions extraordinaires sur 
le fanbourg de Julfa ; mais se trouvant sur le 
point de quitter la capitale pour l’expedition 
qu'il meditait, et Kerim etant sorti par son 
ordre „ dans le courant de l’hiver 1752 , avec 
an petit corps de troupes pour battre la cam- 
pagne et contenir quelques tribus qui pa- 
raissaient s’agiter A l’orient de la ville, Ali- 
Merdan profita de cette absence pour exiger 
des Armeniens du faubourg une somme d’ar- 
gent trös-considerable. L’ordre portait de 





(1) History of Abmed-Schah king of abdallies, trans- 
dated from a persian biography. 

(2) Voyage du Bengale a Petersbourg , traduit de 
Vanglais par M. Langles , de !’Institut national. 





CHÄPITRE PREMIEB. ag 


payer.lejaur m&me sion ng vqulait Somposer 
aux plus.rudes traitemens. 

Larsque Kerim apprit.ce qui Pötait pass 
a Julfa, il ne put. retenir sa colere : dans sa 
juste.indignation , il laissa-&chapper des pro- 
pos.qui oflensörent oeluji;qui en etait P’objet, 
Sa perte .dös-lors fut juree ; le regent ne vig 
plug dans Karim P’honyne.qu’il avait eleve et 
qud'la-raennnalssanee, devait.lwi attacher. ; il 
le regarda; ,.sles.ce moment, comme un riyal 
Aantent plus dangereux, qu’A une deucenr, 
uneaflabilitg qui Iui gagnaient tous les cyeurs, 
il jOigneit de.la bravoure, de energie et une 
pergevgrance dans ses resolytions , quilyidai- 
salent|ordinairement surmenter tous les. obs- 
tacles. 
Les:treubles qui avgient force Karim Zapit- 
ter la:capitale, etant appaises, il revint A som 
poste, On s’attendait dans la ville et dans l’ar- 
mee,.A une rupture entre lui.et le regent.,. gt 
<chacun pregait parti en fayeur de l'un d’ceux. 


. Leurcaractäre bien connu ne permetlait pas 


‚desupposer qu’ils feindraientl’un pour l’autre 
des sentimens qu’ils n’avaient plus. L’entre- 
vue qu’ils 'eurent fut telle qu’on l’avait pre- 
yue. Keim, aptes ayoir rendu compte da 
resultat de sa mission‘, voujut se plaandre des 
ordres qui. avaient Eie donnee & l’egard d’un 


r 


'4o ‚voYiach ei PensE" 


faubourg qui luı etaft dchu en partage. ’Alı- 
Merdan parla en majtre, et ajouta qu’il agi- 
rait dor&navant comme. ‚tel. Kerim se relira 
sans dire mot. DE EEE Eee 
** Cependant le peuple, inecontentdu ndgent, 
prenait parti en faveur de Kerim ; l’armee 


'@lle’m&ime se divisait.: Ali- Merdan, informe 


des'progres que son rival faisait sur Pöpiniony 
donna: ordre de Parräter ou de le.tuer sil:re- 


- sistait.’Cet ordre.ne put &tre’exdcute. Kerim, 


averti du danger qui le-menacait;' disparut A 
propos); ‚et le jour'mäme un 'de'ses mis , 
Mökatnmed- Khan ‚ poignarda le- rögent dans 
‚son: 'palais et’au inilieü de sa garde; sarıs que 
persohne songeät'& V’arräter et’@ punir cet 
ati tentat. 


Cette mort, arrıvee &la fin del’hiver a6 R 


a excitä aucun trouble dans li ville: -Kerim 


n’eut quwä se presenter pour‘ qu’A Tinstant 
Parmee se soumit A ses ordres.-Quelgques of- 
ficiers’- generaux que leurs liaisons avec Ali- 


'Merdan pouvaient rendre suspeets;voulu- 


reht se soustraire par la fuite au chätiment 
“qu’ils redoutaient: Kerim leur fit:dire de re- 
"venir A leur poste sans rien craindre; ils 06- 
derent a cette invitation , et seryiret. leur 
'nouveau chef avec fidelite. : - 


: Les parens du tegent se retirerent ä& Chi- 





CHAPITRE'PREMIER. dr 
ras ou dans le Loristan , sans qu’ils fussent 
inquietes. Quelgues-uns meme eurent part 
dans la sujte. aux bienfaits de celui quils 
avaient d’abord regarde coınme leur ‚plus. re- 
doutable ennemi, mais qui ne pouvait leur 
en vouloir puisqu’ils n’avaient en aucune ma- 


‚niere contribue A l’ordre qu’Ali- Merdan avait 
donne ‚de V’arröter. 


Io 


42 VOYAGE EN PERSE 
CHAPITRE IL. 


Dispositions de Kerim : il va combat- 
{re Mohammed-Hassan; ilest battu; 
il repare ses pertes, et marche contre 
Azad; il ne peut. s’emparer de Cas- 
bin, oi celui-ci s’est retird; il.y re- 
vient un an apres ‚est battu et pour- 
suivi Jusque dans le Kermesir. Les 

 Arabes viennentä son secours. Per- 
tes d’Azad; ilse retire a Ispahan, 
puis & Tauris. Mohammed-Hassar 
et Kerim veulent s’emparer d’Is- 
pahan. Kerim, abandonne par les 
Arabes, se retire a Chiras; il y est 
attaqud par Mokammed-He assan ; id 
le repousse : celui-ci entre dans P’A- 
derbidjan , et s’en empare. Azad se 
relire en Georgie. Mohammed-Has- 
sarı veut prendre Chiras; il est aban- 
donne de ses troupes , attaque a son 
tour dans le Mazanderan, vaincu 
et tue. 


Kırınm , se voyant par la mort d’Ali-Mer- 
dan, ä la t&te de toutes les forces qui se trou- 


CHAPITRE II. -, 43 


vaientröuniesä lacapitale, ne voulut pourtant 
rien entreprendre qu’il n’eüt gagne entiere- 
ment la confiance de tous les habitans ; qu’jl 
ne les eht tous forces en quelque sorte A ap- 
prouver le choix que l’armee venait de faire. 
Les tr&esors que son predecesseur avait amas- 
ses, lui permirent de moderer un peu les im- 
pöts, et de faire m&me quelques sacrifices en 
faveur de l’agriculture et du commerce qu’il 
etait urgent de ranimer. Il reprima la licence 
des troupes, dont le peuple se plaignait avec 
raison ; il etablit dans Ispahan une police tres- 
active, et il eut soin de faire publier qu’il n’a- 
vait accepte le commandement de !’armde que 
pour reunir & la couronne les provinces qui 
s’en Etaient separees, desarmer tous les rebelles 
qui mimploreraient pas la clömence du roi, 
et ramener dans tout l’Empire la tranquillite - 
dont tousles citoyens avaient besoin. | 
Il ne negligea pas non plus de se rendre 
tavorables les habitans de Chiras et de tout 
le Farsistan. I] savait que ce pays, un des plus 
productifs et des plus peuples de la Perse, 
pouvait, dans toutes les occasions , lui faire 
passer beaucoup de subsistances, et lui four- 
nir, en cas de defaite, un grand nombre de 
gens de guerre. | 
Les Arabes du Kermesir pouvaient aussi 


44 "  VoYAGE EN PERSE. 


"Ini ötre utiles: il envoya aupr&s d’eux "un de 
‘ses freres (1) pour tächer de les Tamener a 
V’obeissance, ou tout au moins pour en tirer, 
dans le besoin , des secours en hommes et en 
argent. 

Les gouverneurs du Kerman et’ du Laares- 
"tan fixerent aussi son attention : il chercha & 
'gagner leur amitie, en attendant qu’il püt les 
'reduire ou de gr& ou de force. 

Lorsqu’ il crut avoir assez fait dans le midi 
"pour y etablir son credit et s’ y menager Ües 
ressources, il tourna ses regards vers le nord. 
Il prit avec son armee laToute de Cachan , 
Kom et Teheran , et se rendit & Damegan 

sans rencontrer unennemi. Mohammed-Has- 
'san-Khan 6tait venu l’attendre sur les bords 
‘de la petite riviere de Mehmandost, au möme 
'lieu oh Nadir autrefois avait triomphe des 
Afghans. Ä 

Ces deux rivaux desiraient depuis long- 
'tems d’en venir aux mains; ils regardaient la 
bataille quils allaient se livrer, comme devant 
etre decisive, comme devant assurer le pou- 
voir au vainqueur. 

L’armee de Mohammed-Hassan, forte de 





 c) Den avait trois : : Sadek - Khan, Zeki- Khan "et 
Sagdiani-Khan. 











CHAPITRE 11. 45 
trente-cing & quarante mille hommes, etait. 
compösee de Kagiars, de Turcomans, d’Ouz- 
beqgs et de quelques Persans leves dans le. Gui-. 
lan et.dans le Mazanderan. Il y avait dans 
celle de Kerim environ vingt-cing mille Cur- 
desetBakhtiaris du Loristan ‚, cing ou sixmille. 
Arabes du Kermesir, et sept ou huit mille Per-ı 
sans.tires.du Farsistan et de !’Irak-Adjem. 

" On avait rarement vu denx armdesssi egales. 
par le nombreet la bravoure des troupes ‚.par 
Y’'habilete et le courage des chefs. Mahasnmed- 
Hassan , plus äge que son rival, avait sur lub 
l’avantage d’etre plus exeroe dansl’art.decom- 
mander; il connaissait mieux les resources 
de la guerre ; ıl savait mieux tirer parti de la 
disposition -d’un' terrain, mais Kerim :avait 
un eöurage plus soutenu ; il conservaitimi&ux 
dans le danger , sa presence d’esprit;'il savait 
mieuxs’attacher le'soldat. Beten 
Les’ -deux-armees s’&tant trouvees: en prer 
sence’& la fin du jour, elles passerent la-nuib 
& s’observer. Le lendemain, elles attendaient 
avec ichmatience le signal-.du combat : Kevin 
le,dorba au moment .ou le soleil pärut. sun 
V’horizon. Toutes ses troupes y- repondirent 
par le'cri terrible’de.güerre,, et se disposerent 
aussitöt A passer. la.riyiere : elle:n’ Etdit-pas 
assez considerable pour les. arrkter. gen un. 


l 


46. VOYAGE EN PERSE. 


moment elles furent & l’autre bord , et le ecom- 
'bat s’engagea. Les Curdes du centre se batti- 

rent avec tant de courage, ils chargärent plu- 

sieurs fois avec tant d’impetuosite, qu’ils ren-. 
verserent enfin tout ce qu’ils renconträrent;. 
ils crurent la bataille gagnee. L’aile gauche , 
ou combattaient les Bakhtiaris, venait d’ob-. 
tenir le m&me succds; mais l’aile droite', od. 
se trouvaient les Arabes, fut repoussde avec 
perte par un corps plus nombreux de Tur- 
comans .et d’Ouzbegs, et obligee de repasser 
en desordre la riviere. 


- Cet echec qu’eprouya l’aile droite, n’aurait 


pas eu lieu, et la victoire se serait probable- 
ment decidee en faveur de Kerim si une di- 
vision de six mille Persaris qu’il avait detachee. 
pendant: la nuit, avec ordre de passer la ri- 
viere, et:de tomber sur l’ennemi des que le 
coınbat serait engag@, avait pu executer pouie- 
tuellemertt sesordres. Arr&tee dans sa marche 
par quelques ruisseaux ‚.et obligee enisuite de 
tourner des champs inondes, elle- ne put ar+ 
river assez töt pour soutenir les Arabes, et 
faire‘ subitement pencher la balance de leur: 
ehre. | ie 

Ce contre-tems, qu il etait sarıs doute dif- 
ficile de'prevoir ‚ fut fatal & Kerim. Le centre: 
ot it combattait, ne put conserver ses avan- 





CHÄPITRE IE. 47 
fages; Mohamimed-Hassarı y avait porte l’e- 
lite de ses troupes. Les‘ Turcomans et les 
Ouzbegs; qui venalent deculbuter les Arabes, 
sejoignirent,, pourla phıpart, aux Kagiars du 
centre, ettomberent de toutes leurs förces sur 
es Curdes. Ceuxici rösistärent quelque'tems; 
mais ä 3a fin, ne’ se’ voyant pas soutenus, ils 
plierent & leur tour: les Bakhrlaris en firent 
bientöt autänt. 
: Kerim apprenait Hans le möme moment, 
que les six mille Persans qu'il avait detaches 
Aurant ld nnit, venaient d’arriver.’Cette nou- 
velle‘, en! lui donnant l’esperance d’une utile 
diversion , le porta & faire les plus grands ef- 
forts potir retenit ses tfotıpes et les rarnener‘ 
au combat. Ce fut'en vain: P’epouvante s’en 
&tait emparee. TI eut de la peine & rallier au- 
tour de ‘ii les plus braves, et ehpöcher la 
ruirie «ötäle de son arimıee. Pendant‘ plus 
d’äne "Heure qu’if‘ cormbattit encore 'äpres 
Ta perte «de la bataille, A assüra & divers 
Corps, et entr’autres aux six mille Persans, 
une retraite qu BR Hdurgeit pu. effectuet Sans 
ch. Aus 
"Kerih .arriva “Pöheran sarıs cönnäftre 
tonte P&tendue ad ses’ pertes : il attendit quel- 
ques jöhrs dans eette ville les fuyards; il ne 
Put »&unir que quätlzd mille hommes avec les- 


"45 VOYAGE.EN.PERSE. 


quels il prit la route d.Ispahan, oü il arrıva. 


a la fin de mai 1753. ad 
Mohammed-Hassan le poursuivit deux gm 
trois jours; mais il n’osa pas sortir de;sa. pro- 


Yince ‚encore moins s’avancer jugqu’A la car 


pitale.: il avait appris qu il; allait avoir.sun leg 
bras ‚un autre ennemi, tout aussi. ‚redoutable, 


quele premier... |. Her 


Äzad &tait entre dans le Guilan var.do PER 
file dePyl-Rubar, 4 la täte de. vingt-cing, ‚mille 
hommes, un peu avant. que Kerim, peneträh 
dans le, Hant- Mazanderan par le. defile de, 
Guilas, Le, :gouvernenr, .qui. n’avait pas. denx 


mille homines A opposer aux ‚Afghans ;avait, 


pris la fuife‘, et etait yenu jeindre Karma 
Mohammed-Hagsan-Khan., .. 


ve. tsdmon u 


Azad., n’&pfouvant aucyne resistange,dapı, 


le; Guilan „.leva partout de: ‚Zortes, spatrihu-. 
tions ,, enröla. ‚quelgues montagnarde ». Shise: 
disposa 2 a penetrer dans lg; Mazandenan ,‚g4, 
cötoyant | la ‚Caspienne, ; malgre toug les ‚absı 
tacles.que . ‚devait lui oppasgr , dans ggtte, Eph-, 
son, une cöte basse- et marfpageuge,, tr nt, 

Use flattait, äuelle que füt l’issue du ca, 
bat: qui allaiı avoir lien dans cette. preowinge , 


de „powvoir. tomber sur, ‚sell, qui se IramvgrAlt 


maltre ‘du champ de ‚bataille, « et de le ‚V@IUGTE, 
alors ‚gu il ‚Serait ‚affgihli BE, une hutte‘ guil, ” 


.- 


supposait 


— 


— 





CHAPITRE II. - 49 


supposait, avec raison, devoir &tre tres-san- 
glante entre deux ennemis egalement braves, 
egalement forts , egalement animes du desir 
‘ de vaincre ou de perir. 

Dans cette attente, il s’etait dejä avancs 
jusqu’aux environs .d’Amul lorsqu’il apprir 
la. defaite totale. des Curdes, et l’intention 
qu’ayait manifestee Mohammed-Hassan . de 
venir le combattre et le forcer d’evacuer le 
Guilan. Les avis qu’il recevait en m&me tems 
Pinformaient du nombre des troupes que son 
ennemi avait, et de la bonne disposition dans 
laquelle elles se trouyaient. 

Azad ne jugea pas & propos d’aller plus 
loin , nide hasarder un combat dansle lieu ou 
il se trouvait. Battu, comme il pouyait l’@tre, 
il ne lui restait aucun espoir de salut: il avait 
& sa gauche la Caspienne, A sa droite de tres- 
hautes montagnes qu’il &tait impossible de 
franchir, et derriere lui un peuple guerrier 
qu’il avait mecontente par de trop-fortes im- 
positions. Il prit doncle parti de se retirer ; il . 
€vacua assez promptement le territoire de son 
ennemi, et prit laroute de Sultanie,, ou il vint 
attendre que la fortune lui füt plus favorable. 

Mohammed, qui avait marche sur ses tra- 
ces , ne crut pas devoir le poursuivre; il re- 
plaga & Reicht lem&me gouverneur qu’Azad- 

. Zome VI. D 


50 VOYAGE EN PERSE. 

avait mis en fuite, et lui eonfia huif ou dix 
mille hommes de tröupes , avec ordre de gar- 
der soigneusement le defile ‚.et de se trouver 
toujours pr&t A s’opposer & toute entreprise 
d’un ennemi qu’il savait £tre tres-actif et tres- 
entreprenant. Lorsque .cela fut fait, il re- 
tourna dans ke Mazanderan y ou il continua ä 
se fortifier. 

Kerim ne fat pas plutöt rendu ala capitäle; ; 
qu'il s’occupa & r&parer ses pertes. Les tre- 
sors qu’Ali-Merdan avait amasses , n’etant 
pas encore epuisds, il put retenir sous les 
drapeaux les troupes qui lui restaient, et en 
tirer d’autres de tous les pays qui hi etaient 
soumis. Moyennant l’activit€ qu’il y mit, l’ar- 
gent qu’il y employa et la bonne volonte des 
habitans du midi, il eut, A la fin de l’hiver, 
une armee aussi nombreuse et des troupes 
tout aussi aguerries que celles qu’il avait per» 
dues; mais sa reputation , comme-general, 
n’etait plus la m£ıne ; il aurait bien desire‘. la 
retablir en prenant sa revanche , en battant 
& son tour le khan du Mazanderan. Son 
amour-propre le portait & marcher contre 
lui , son intör&t l’y invitait : la prudence lu: 
suggera une autre idee. 

Il pensa qu’il lui serait plus facile d’ 'obtenir 
den sucoes contre Azad, dont les troupes n’c- 


. 





CHAPITRE IL. sr. 
taient pas, & beaucoup pres , si nombreuses 
que celles de Mahammed-Hassan. La con- 
quete de l’Aderbidjan et du district d’Urmia 
que cet Afghan occupait, Jui auraitdonne, sur 
le khan du Mazanderan , une tres- grande 
superierite; lni aurait permis de se mesurer 
de nouveau avec lui, &t:mäme de lui enlever 
les provinces qu’il possedait. 

Conforıadmentäce plan, ilsortit d’Ispahan 
en avrıl 1754 , avec environ quaraute mille 
hommes, et se porta, sur Casbin, ol Azad 
$tait venu s’etablir 4 la fin de Vautomne pre 
‚cedent. 

Casbin n’est point une ville de guerze: : elle 
n’anı murailles ni citadelle ; neanmoing Azad\ 
avait trouve le moyen‘ de la fortifier, Hayaiz 
fait crenser des fosses le long’ des avenues .et 
de tous leg lieux accsssibles, et avart place du 
canon sur des buttes ou des especes de tours 
Jaites en terre, qu’il avait Slevoes de > distannp | 
en distance. | = 

Kärim ze connaissait. -pas :mieux que sog 
‚öfticiers et tous les-guerriers de l’Orient, art 
d’attaquer les places. Casbin , avec ses.‚bytteg 
et ses fossss , Iui parut si difficile A prendre, 
qu’il fit d’abord quelques tentatives pour af 
tirer l’ennemi en rase campagne ; mais il u@ 
put en venir 4 bout. Azad, qui n’avait nag 

Da 


52 VOYAGE EN PERSE. 
trente mille hommes & Iui’opposer, s’obstina 
‘Aa rester dans Casbin. Kerim fit dresser alors 
‘ges batteries,, et il commanda diverses at- 
'taques contre la ville, qui furent toujours 
‘plus on moins malheureuses. Il essaya d’y 
faire entrer quelques @missaires ; ils furent 
'pris et mis & mort : il voulut ‘intercepter les 
| vivres qu’on y apportait; des sorties faites.& 
‘propos en’ favoriserent toujours l’entree : il 
envoya des detachemens poür ravager la cam- 
'pagne; plusieurs d’emtr’e eux fürent battus. En 
"in mot; les assieges n’avaient &prouve aucune 
perte bien sensible , et Kerim avait laisse morts 
autour dela ville troison quatre mille hommes. 
Desesperant de reduire cette place avant lere- 
tour de la mauvaise saison ‚ilabandonna. pour 
3e moment son entreprise, et reyint 'passer 
| Yhiver a Ispahan avec toute son arınde. 
"Honteux de ne pouvoir r&epondre par des 
victoires au voeu des habitans et-au choix 
de larmee, Kerim fit tous ses efforts, durant 
‚.eet hiver, pour souläger les uns du fardeau | 
Hles'impoösitions, et pour rendre les autres 
aussi'contens de leur sort, ‚que les circons- 
tances le perinettaient. I fr divers reglemens 
pour faciliter lecommerce interieur : il tourna 
un moment tous ses regards vers la justice , 
äu’il tächa de rendre prompte, impartiale et 


« 


CHAPITRE II. ., 53 


digne du beau nom qu. ‚elle porte; ıl repara, 
les elifices publics qui avaient souffert ; il 
appela. aux premieres fonctions les hommes 
les plus eelairds et lesplus vertueux ; il voulut, | 
enunmot, puisqu’ilnepouvait eblouir par des 
succ&s militaires, qu’on n’eüt du moins rien. 
4 lui reprocher quant.& son administration.. 

Au retour de la belle saison, il reprit son 
epee, etmarcha de youveau. contre Azad, Ce- 
ui-ci ayait.eu les moyens et le tems, de faire 
des levees dans tons les pays qui ui etajent 
soumis. Il avait pris en,outre & sa Salde-un 
grand noınbre de ces mömes Lezguis avec. les- 
quels il’avait combattu, quelques anndes au-. 
parayant, le prinoe de Georgie. Son;armee, 
par ce moyen, s’eleyait & plus de ‚quarante. 
mille hommes. - . . BE 

Desqu’ilapprit que son ennemi s "avangait ; 
il sortit de Casbin, et vint l’attendre pres du 
village de Membere. Le combat fut tres-san- 
glant : les deux armees se battirent ayec une 
egale valeur, avec un egal devofiment. Celle 
d'’Azad A la fin triompha : Kerim se vit force 
de.prendre la fuite‘, et de revenir & Ispahan 
avec les troupes qu’il put sauver. Azad le 
pouzsujvit; et le serra de träs-pres. , rn 

. Kerim ; considerablement affaibli par. %k 
nombre demortsqwilayait laisses surle chaınp 


54 VOYAGE'EN PERSE. 


de batäilfe ‚ etencore plus par la desettior qui 
a toujours lieu en Perse apres une defaite, ne: 


jugea pas A propos de s’enfermer dans une 
ville'qwil ne pouvait defendre long-tems sans 
exposer les habitans & Eprouver les horreurs 
d’ume farnine, sarıs s’exposer lui-m&me & &tre 
pris : il en sortit done presqu’aussitöt qu’il y 
| far eritie, et prit le chemin’de Chiras. 

* Azad he harcela dans cette retraite , ‘et le 
fürga güelquefois a se battre. Il lat tua beau- 
couip de inonde , sans ponvoir neanmoins de- 
trüire du äissiper eritiefernent les troupes qui 
fi talent restees fidelles, | 

Kerim ne voulut point entrer ä Chiras ; il 
prefärk de se rendre darıs le Kermesir ; ou 
fe ctoyalt pas que son ennermi osät le suivre, 
et oü il esperait d’ailleurs retablir plus Haci- 
Jement ses affaires, oo 

Mafs' rien encore ne pouvait arröter Finfa- 
figabte Azad, rien encore ne pouvait lui faire 
Fächer prise. Resolu de faire-tomber la tete 
de son adversaire, ou de lul öter du moins 
tout moyen de pouvoir jamais reparaftre & la 


tete d'une arınee , il'marcha toufours sur'ses‘ 


traces , et le serra toujours de tres- -pres : il 
etait sur le point de l’atteindre ‚lorsgud' les 
Aräbes du Dachistan , petit district'‘du Ker- 
inesir , s'arındrent A propos pour le sauver, 





CHAPITRE II. 55 


Leur exemple fut suivi de tous les aufres 
Arabes de ces contrees. Au seul nom des Af- 
ghans, tous coururent aux armes, tous quit- 
terent leurs tentes ou leurs cabanes pour voler 
zu combat. . 

- En peu de jours ils furent assez nombreux 
pour forcer Azad ä se retirer. Il se rendit & 
Chiras, y leva ä la häte de trds-fortes con- 
tributions , enleva tous les vivres qui s’y trou- 
vaient ,.et vint se fortihier & Ispahan. 

- Mohammed -Hassan , jusqu’alors, n’avait. 
pas.juge & propos de sortir de sa province ; 
il’avait vu s’engager la Iutte entre Kerim et 
Azad sans vouloir la troubler. Les succds de 
ce’ dernier , qu’il jugeait le moins redoutable 
des deux ‚,.lui avaient fait plaisir ; ılavait es- 
pere un moment qu’au lieu.de deux ennemis, 
il ne lui en resterait' qu’un, et il s’etait bien 
propose de tomber sur oelui-ci des qu’il le 
verrait seul. u 

‚  Lessecours qu’avait obtenus Krim , ne de- 
‚ tneisaient pas les esperances de Mohamined- 
‘Hassan. Il pensalt bjen que les Arabes ne s’e- 

taient armes tous ensemble que pour Eviter de 
passer sous la domination des Afghans, qu’ila 
abhorraient entore plus que les Persans. Cette 
conduite, plus interessee que gendreuse ‚avait 
emp&che la chute de Kerim, mais ne Iui avait 


TEN 


56 VOYAGE EN _PERSE. 


pas rendu ses forces. L’armee d’Azad, dejä 


fort affaiblie par les. coambats qu’elle avait li- 
vres A l’ennemi, et par les marches forcöes 


qu’elle avait faites en le poursuivant, dut 


perdre bien plus lorsqu’elle fut repoussde. Au 


fer des Arabes se joignirent des maladies ter- 


ribles que la fatıgue , la chaleur et la mau- 
vaige nourriture occasionnerent. Cette arınde 
Etait.reduite & vingt mille hommes .lorsqu’elle 
rentra dans Ispahan Ala fin de!’ete. Ainsidong 
cette lutte, fatale aux deux ennemis , ne pou- 
yait tourner qu’a l’avantage du traisieme. 
Azad vit bien qu’il ne pourrait pas se sou- 


tenir dans une.ville ennemie , s’il ne recevait . 
promptement des secöurs ; il connaissait les 
forces que Mohamıned- Hassan ayait rassem+ 
blees. dansle Mazanderan , contre la capitale „ 


„etil etait bien persuade que Kerim viendrait 
8’y presenter’au retour de la belle saison. Il se 
häta.donc de donmner des ordres pour. qu’on 
levät promptement‘, dans les provinces qui 
lui etaient soumises ‚tous les hommes en tat 
de porter les armes , et qu’ön les lui amenät 
'ä Ispahan 'avant la fin de’l’hiver ; mais on 
eut beau employer , & cet effet,, les moyens 
les plus violens, le pays etait.trop epuis@,, et 
l’emigration avait et6 trop considerable pour 
qu’il recüt les renforts qu/il attendait. 


ul 





CHAPITRT ın. ' dy 


. -Mohammed-Hassan ne doutait pas que le 
moment de frapper les grands coups qu’il me&- 
ditait , ne füt arrive. Abattre Azad et detruire 
Kerim lui parurent &tre l’affaire d’une cam- 
pagne. Azad, selon lui, ne pouvait tenir un 
mois & Ispahan : cette ville etait la. moins 
propre de la Perse & soutenir un siege ; ou- 
verte de toutes parts, on pouvait l’atteindre 
de partout. D’ailleurs, sa grande population 
la forgait necessairement de se soumetire & 
quiconque .etait assez fort pour la bloquer. 
Kerim', de’ son cöte, avait ete trop aflaibli 
pour resister long-tems. S’il se renfermait 
dans Chiras avec le peu de monde qui ki 
restait, il s’exposait & &tre pris ; s’il se sau- 
vaıt dans le Kermesir ou dans le Loristan , 
il abandonnait la partie , et se mettait dans 
Vimpossibilit6 de la reprendre. D’ailleurs, 
rien n’empechait de l’atteindre et de le forcer 
jusques dans ses derniers retranchemens. 


.- Aipsitlonc,, auretour du printems, enlian- 


nee 1756 , Mohampmned-Hassan sortit d’Aster- 
Abad, et se dirigea vers Ispahan avec toute 
la confiance que lui inspiraient ses forces et 
la faiblesse presumee de ses ennemis. Son ar- 
mee, qu'il avait eu le tems de bien disci- 
pliner , de bien &quiper , de bien approvi- 
sionner , ayait ete portee A plus de cinquante 


58 VOYAGE EN PRESE. 

iille horınnes. Personnte,, en la voyant, ne 
pouvart douter que le sort de la Perse ne füt 
bientöt. fixe. 

Les calculs que Mohammed-Hassarn avait 
faits sur les forces d’Azad , etaient parfaite+ 
ment justes; mais ceux a l’egard de K:erim se 
trouvaient faux, coinme on va en juger. 

Ce Curde,, apres la retraite d’Azad, n’a- 
vait pas nerdu un moment pour se procurer 
de nouvelles troupes : il avait envoye.un- de 
ses freres dans le Loristan ;„ pour demander 
du secours aux Zends, aux Bakhtiaris et A 
toutes les tribus curdes qui. habitent eette 
province ; il en ayait fait solliciter A Kaseröun 
et & toutes les villes du Farsistan ; il- avait 
parcouru lui-mäme, durant P’hiver , le Ker- 
mesir, pour iınplorer de nohveau P’assistänce 
des Arabes , sans lesquels il voyait bien‘ qufil 
ii &tait impossible de s6 remettr& sur pied: 

Partout on s’etait pr@te de la meilleure gräce 
& kui procurer l’argenit, les vivres et’ les Köm- 
_ mes dont'il avait besoin.- Les Arabes.qui Fa- 
vaierit secouru quelqgues miopis auparavant, 
prirent de nouveau les armes, ets'engagdrent 
a ne pas les quitter qu'ils: n’eussent chasse 
les Afghans de la capitale, et ne les eussent 
me£me obliges d’evacuer le'territoire persan; 
Mir-Nasr et Mir-Mahenna , deux freres qui 


CHAPITRE II ° 59 
se dispütaient la souverainete du petit district 
de Bender-Rik , avaient de m&me consentti & 
suspendre leurs querelles, et A. le suivre.avee 
leurs troupes , dans l’espoir que !’un d’eux 
entrerait sans trouble dans la possession qui 
fui etait contestde , et que l’autre obtiendraid 
le gouvernement d’une riche provimce. 

Toutes les forces de Kerim se tröwverent 
reunies & Chiras vers la fin de P’hiver ::elles 
consistaierit en dix ou douze mille Curdes:qui 
ne l’avaiemt pas abandonne,, dix ou. dewze 
mälle hommes de difierentes tribus, que le 
Farsistan lui avait fournis , et vingt mille 
Arabes du Kermesir. Il les passa tous en rei 
vie dans les premiers jours de mars, et le 15 
fl se mit & leur tete et marcha vet Js- 
pahan, | | 

Azad .n’attendit pas l’arrivee de ces deux Ä 
armees; ;il &vacua promptement la ville A'la 
premiere nouvelle de leur marche ‚.es se ren- 
dit ä Tauris, tant pour ve refaire que. pour 
attendre l’issue du combat qui ne'pauvait 
manquer d’avoir lien entre les deux 'enmemis, 
qui allaient se trouver en presence. | 
' Krim arriva le premier : il entra sans dif- 
ficulte dans Ispahan, et en prit de nouveau 
possession au nom d’Isma&l-Chah qui-y Etait 
rest€ sans Etre inquiche par les Alghans, 


66 VOYAGE. EN PERSE. 
' Mohammed-Hassan arriva.huitjoursapres; 
il &tablıt son camp & quelques lieues de la 
ville ‚. et it töutes ses dispositions pour une 
attaque: . nd 

Les Arabes avatent appris en route la fuite 
 d’Azad,, et s’en etaient rejouis : ils n’avaient 
montre aucun desir de retourner: dans leur 
patrie.; bien au contraire, ils avaient conti- 
nue gaiment leur marche , et ayaient meme _ 
paru. decrdes & aller fäire la guerre dans ’A- 
derbidjan si Kerim le jugeait A propos. Mais 
lorsqwils virent qu’ils auraient & faire & un 
autre ennemi plus puissant ‚, soit qwils en 
fussent efärayes , soit: qw’ils voulussent ‚mettre 
leurs services A um plus haut prix , ils deman- 
derernt hautement qu’il leur füt. permis:de 
quitter l’armee , et de retourner dang leurs 
| proxänfes ‚„attendu queleur engagemnent: avait 
Gni,. . 
- Kerim: eut;de la ‚peine: a tes retenir j i r 
parvint neanınoins en caressant beauconp les 
 chefs,,.eni leur faisant des presens‘, en leur. 
promettant des recgmpenses ‚,. en röpandant 
quelqu’argent parmi les soldats , en 'persua-. 
dant- surtout & ceux -ci que les fortes de 
Mohammed - Hassan etaient inferjeures, aux 
sienng. Ä | Pe 

Des qu/il crut les r murmures ‚ appaiads et la, 








CHAPITRE II. 61 


confiance retablie, il. se disposa & sortir de.la 
‚ville et & livrer bataille; ıl savait bien que les 
troupes de l’ennemi etaient dans lesmeilleures 
_ dispositions, et il n’etait pas tout-&-fait sür des 
siennes; il connaissait les forces qu’il ayait & 
‚combattre, mais il jugeait que tout retard ne 
_ pouvait manquer de lui @tre funeste ; il crai- 
'gnait de ne pouvoir pas retenir long-tems les 
Arabes ‚et il avait l’espoir qu’ilsferaient , dans 
ce moment, leur devoir; qu’ils seconderaient 
‚sesefforts ; qu’ils contribueraient de tousleurs 
moyens ä le faire triompher. Ce qui le deter- 
_ minaitd’ailleurs a tenter le sort d’uncombat, 
c’est quil n’avait pas de vivres pour huit 
jours, et quiil ne pouvait se dissimuler la dif- 
ficulte de s’en procurer. 
Mohammed-Hassan ayant eu connaissance 
de la resolution que Kerim venait de prendre, 
‚songea & profiter de tous les avantages que 
_Iai donnaient le choix du terrain , lenombre 
de ses troupes et leur bonne volonte; ıl at- 
“ tendit de pied ferme son ennemi, le laissa 
avancer jusqu’& la portee du trait , ettomba 
‚sur lui avec la plus grande impetuosite. Le 
"‚combat ne füt ni bien long ni bien sanglant. 
“A peine fut-il engage,, que. les Arabes quit- 
terent tous & la fois le champ de bataille, et 
“quiils se retirerent en bon ordre. Le reste de 


62. : VOYiGE EN PERSE. 

Varmee ne fit plus des-lors aucune resistänice4 
chacun söngea A se tirer d’eınbarras par une 
retraife precipitee. Kerim se voyant aban- 
donne de toutes parts, dutsonger A son salut; 
ıl prit le chemin de Chiras „en invitant ses 
Curdes.et ses Persans ä venir le joindre dans 
cette ville. | 

Mohammed - Hassan poursuivit quelque 
 tems les füyards , apres quoi il entra dans"Is- 
pahan, et en prit possession au nom du jeune 
chäh ; et comme s’il n’ebt ete anime que du 
‚desir de conquerir ’Empire pour le lui re» 
anettre, comme s’il n’eft eu que la noble am- 
bition de terminer glorieusement cette entre= 
 prise, il promit solennellement de deposer les 
" armes des qu’il aurait soumis tous les rebelles. 
A l’imitation de Nadir, d’Ali-Merdan et de 
Kerim, il se dit l’esclave de son roi; il ne 
parut jamais devant lui qu’en se prosternant 
a ses pieds ; il ne donna plus aucun ordre 
qu’au nom d’Isma@l-Chah. 

Pour. plaire encore mieux aux habitans, 
il n’exigea d’eux, pour le moment, rien 
que des vivres; il fit observer & ses troupes 
la plus ezacte discipline ; il punit severement 
tous les delits qu’elles commirent; en unmot, 
il se conduisit comme un homme qui veut 
plaire , ou, s’il faut le dire, comme un am- 





CHAPITRE im: - De 1% 
‚ .bitieux adroit qui cherche A endormir ceux 
qu’il veut charger de chaines. 

. Lorsqu’il eut fait, dans lesadministrations, 
tous les changemens qu’il crut necessaires , 
et que tout fut organise selon ses desirs, il 
ne songea plus qu’& porter le dernier coup & 
- Kerim. 

Il quitta Ispahan dans le courant.de juin, 
apres y avoir laisse dix mille hommes de gar- 
nison, et il prit la route de Chiras, dont iA 
esperait de s’emparer facilement. Kerim s’y 
etait enferme avec le reste de ses troupes , 
consistant en une vingtaine de mille hommes. 
Il avait en outre interesse les habitans en sa 
faveur, et les ayait fait arıner ; de sorte qu’jl 
‚se trouva en 6tat de tenir tete 4 Mohammed» 
' Hassan lorsqu’il parut. 

Celui-ci etablit son camp A peu de distanoe 
de la ville, et se mit bientöt en &tat de l’as- 
sieger. Il ayait une artillerie formidable qu’üd 
eleva sur divers points ; mais comme per- 
sonne , dans son arınde,, n’etait en etat de la 
bien diriger , elle ne fit pas un grand mal aux 
assieges : les dommages quelle occasionnait 
aux remparts etalent repares sur le champ. 


Les sorties que Kerim ordonna pour detruire 


ce3 batteries et se procurer des viyres, furent 
‚ bier plus meurtrieres : on se tua beauconp 


64 VOYAGE EN PERSE. 


; de monde de part et d’autre, sans obtenir 
pourtant de resultat. Mais vers la fin de l’ete, 
cing cents Curdes du Loristan e&tant par- 
venus A faire entrer Jans la ville un convoi 
tres - considerable qu’ils y amenaient, Mo- 
hammed - Hassan ne jugea pas A propos de 
_ continuer le siege; il se retira avec toutes ses 
troupes , et vint passer ’hiver & Ispahan. 

Au retour de la belle saison, l’dn 1757, 
_ persuade que Kerim n’etait pas en etat de se 
mettre en campagne, ni de rien entreprendre 
contre lui pendant son absence , il prit avec 

son armee la route de Tauris, r6solu de ne 
| ‚pas quitter l’Aderbidjan qu'il n’eüt soumis 
‚cette province, et qu’il n’edt öte a Azad tout 
espoir de se relever s’il ne pouyait avoir sa 
16te. . | 

Le voisinage d’un ennemi aussi actif, aussi 

entreprenant lui- faisait toujours craindre 
-qu’il ne profität de son eloignement pour tom- 
ber sur ses possessions; il craignait surtout 
pour le Guilan, quil avait affaibli en retirant 

-Yannee d’auparavant une partie des troupes 
qui s’y trouvaient. 

Ces craintes etaient peu fondees; Azadetait 
reduit aux dernieres extremites : ses troupes, 
‚mal payees, menagaient de le quitter. "Les 

habitans, fatigues de leurs brigandages ‚, ap- 
| pelaient 


— 





_— 1. 


CHAPITRE I1. 65 


pelalent a grands cris un liberateur. Les Lez- 
guis, qu’iletait dans l’impuissance de solder, 
luı refusaient toute assistance. Hors d’etat de 
tenter un coup de main, encore moins de se 
mesurer en Tase caınpagne avec un ennemi 
tres-superieur ennombre, Azad voulut s’en- 
fermer dans Tauris, mais il n’avait ni les vi- 
vres ni toutes les munitions qui lui etaient 
necessaires pour soutenir un siege. 

Les ofhciers-generaux de son armee, qui 
connaissaient son embarras, et qui n’en au» 


‚guraient rien de bon, n’attendirent pas que 


Mohammed-Hassan füt aux portes de la ville 
pour traiter avec lui : la plupart d’entr’eux 
deserterent avec leurs troupes, et vinrent se 
ranger sous les drapeaux du plus fort et du 
plus riche, avant m&me.d’avoir recu sa r& 


.ponse. Mohammed-Hassan lesreguttres-bien,, 


et les prit A sa solde. 

‚Azad vit cette desertion sans s 'eflrayer : : 
Fetah-Ali-Khan son ami, et le plus considere 
de ses generaux, lui restait attache avec sept 


‚ouhuitmille hommes ; cela lui suffhisait. Ill’en- 


voya A Urmia avec ordre d’attendre dans cette 


‚place les secours qu’il esperait lui amener bien- 


töt, et avec cent hommes seulement il prit 
le chemin de Bagdad. - 
U s’etait-flatt€ de,trouver auprös des Turcs 
Tome VI. E 


66 VOYAGE EN PERSE. 
Vassistänce dont il ayait besoin. ]l ayait es- 
pers qu’au moyen d’une cession qu’il s’enga- 
gerait Aa faire du cöte de Kermanchah ou 
dans le Haut-Curdistan , Suleyman , pacha de_ 
Basdad, favoriserait sa rentree dans l’Ader- 
bidjan, et möme l’aiderait & conquerir toute 
la Perse. | 

‘ Dans cette esperance il fit, pourse rendre 
aupres de lui, toutela diligence dont sa petite 
trpupe futcapable , etil setrouva dans Bagdad 
presqu’aussitöt que Suleyman fut informe de 
‚8a marche: il avait suivi de tres-pr&s les cou- 
riers que l’on avait expedies des frontidres, 
tant il Etait presse de mettre ses projete A exe- 
eution. 

Le pacha ne jugea point 4 propos de four- 
nir a Azad les secoursqu'il demandait; il avait 
besoin de ses troupes pour contenir les Arabes 
et les Curdes de son pachalik. D’ailleurs, il 
lui 6tait trös-expresgement: defendu par la. 
‚Porte, de prendre jamaisaucune part aux'que- 
relles de ses voisins. 

Azad insista beaucoup sur les avantages 
que la Porte othomane'retirerait de son union 
avec la Persesil fit valoir l’uniformite de re- 
ligion qui en resulterait pour les deux Etats, 

- et parla longuement des sacrifices qu’il etait. 


‚dispog6 & faire envers le pacha s’il voulait se 


CHAPITRE II. 67 


präter A ses vues. Suleyman opposa toujours 
les ordres du sultan. Quant aux offres qui lul 
£taient personnelles, il dit que , satisfait de 
gouverner en souveralri de vastes contrees, il 
_ n’avait nullement envie de courir apr&s de 
nouvelles possessions. Dureste, Hinvita Azad 
-& quitter le plus töt possible le territoire otho- 
man, afın de ne pas donner aux Persans le 
 pretexte de faire un jour la guerre aux Turcs. 

Azad prit alors le parti de se rendre en 
Georgie, et d’essayer s’il ne serait pas plus 
heureux aupres d’un prince chretien, dont il 
avait ete l’ennemi, mais avec lequel il avait 
vecu en assez bonrie intelligence depuis la paix 
qu’ils avaient faite. 

Teymouras etait mort; Heraclius son fils 
lui avait succede : il regut träs-bien Azad, 
lui permit de vivre comme simple particulier 
dans Tiflis, lui accorda un revenu honnöte, 
mais il ne voulut jamais ecouter aucune pro- 
position tendante a faire la guerre A la Perse. 

Les secours qu’ Azad demandait au prince 
de Georgie seraient probablement venus trop 
tard. Mohammed-Hassan s’etait dejä empar& 
de tout l’Aderbidjan et des villes de PIrak- 
"Adjem que son ennemi avaitoccupees. Casbin, 
Sultanie, Ardebil, Tauris, Khoi, avaient ou- 
"vert leurs portes : la conqu£&te de toute cette 

E2% 





\ [| 
[3 


68 VOYAGE: EN PERSE. 

contree n’avait donne que la peine de la par- 
courir. Urmia seule avait resiste. Cette ville, 
nommee Ouroumi par les Turcsetles Persans, 
est peu.considerable :-elle est-situde A peu de 


‚distance du lac du, m&me noni, vers le sud- 
ouest ; elle a;une citadelle que sa position sur 
‚des ‚rochers eleves' rend imprenable de vive 


force , chez un peuple qui ignore l’art d’at- 


 taquer ‚les places; elle fut. blogüee par une 


partie de l’armee, tandis que l’autre courait 
‚apres quelgues corps detaches, qui exergaient 
des 'brigandages dans la province. 

-. Fetah-Ali'ne voyant pas arriver, &'la fin 
de l’ete , les secours qui lui.aväient etd pro- 


‚mis, ne voulut point attendre d’&tre reduit A 


‚la derniöre extremite; il traita avec l’ennemi, 
et lui ouyrit les portes de la ville et de la for- 


. teresse .- 


. Fetah-Ali passait pour.un.des meilleurs ge- 
neraux qu’il y eüt en Perse. Mohammed-Has- 


. san se l’attacha par des presens ‘et par la pro- 
‚messe de lui donrer un des premiers gouver- 


nemens du royauıne. Enattendant, ille laissa 
a .Urimia avec qnatre mille Kagiars, dont la 
fidelite ‚ne pouvait ötre equivoque, et il.em- 
ınena toute. la garnison quäl incorpora dans 
l’armee. 0 | 
Il ne restait, ‚ dans tout le nord de la Perse ; 


I 


CHAPITRE:TT. 7 6ä 
plus d’ennemis A-combattre, plus de’ villes & 
söumettre , plus de brigands a detruire. De- 
puis l’Araxe et la mer Caspierine jusqu’ aux 
environs 'de Chiras, tout &tait' soumis A Mo? 
hammed-Hassan. La cäpitale etait A ses :or- 
dres : le sort du jeune chah dependait de lni; 
ses forces se montaient & plus de cent: mille 
hommes; rien ne semblait devoir hat resister ; 
encore an etlort, "encore un suceds, et tote 
la Perse ne reconnaissait plus d’autre maltre 
gue.inir  : ee fr Bin 

.‚L’Aderbidjan ötait "une conquäte trop- im> 
portänte pour que :Mohammed-Massan' n'y 
fit Pas‘ quelquesejour. Il'y pässa-IEhiver;; er 
eınploya ‚cette isaison ‘A: pärcourir les -villes; 
pfinipales ; ; A metire-en bon: etat les-Tortifi- 
cations, bt A s’assurer. de ia fidelirede: döud. 
ceux & qui il confia des‘ troupes et : acodrda des 
pouvoirs.: =» EEE se Yon 

.: Au retour de la belle saison,, en I? EEREY 
que les routes:fürent°pruticables;; il se: rendib 
A Ispahan, et y resta quelques jolurs; ‚. mdins: 
pour passer en revie 5on arınde, ‘que. pour: 
faire etalage de ses forces. 1 

adeds avaient telldinent'entke: Yorgübil 
de f wg «il marchait. & un ıtriomphe siicer»[ 
taan, quäl'necrut paadbvoir s’astreihdre, pen-: 
dantle sejour quilifin dans cette ville ‚ Atomt lel 





ee 


zo VOYAGE BN REASR. 


seremoninl qu’il s’eteit auparAvant imptise oh- 
vers le jeune chah. Quedis-je ?Ilne daignapas 


“zaömele voir; il ai retira la garde d’honneur 


qu’Ali-Merdan lui avait donnee, que.Kerim 
lui.ayait conservee , et-A.laquelle Azad n’avait 
pas touch, et il en substjtua une autre qui 
ne devait pas le perdre de yue. Ismael cessa 
pour lors d’etre roi; il fut son prisonnier.. 
Les habitans d’Ispahan ne furent pas traites 
non plus avec la douceur, aveo les.menape- 
mens qu’il avait mis jusqu’alors : il en'ekigea 


. de fortessommes d’argent , et leur ahlevra tdus 


leywviwres:quils avaient; il fit arr&ter plusieurs 
. seigneuts;'etles depnuilla de leurs biens, so1id 
pretexte qu’ils entretenaienit une sorrespan- 
dance. avec ses ennemis; Les Armenhiens de 
Julfa furent'plus parsiculienement ’objetde ses 
zeihehehes,. IL rangonna foriemenf tous oeux 
qu’il crut riches ou seulement dans l’aisance. 
Säs.träupes:cammirent, sank en @tre punies, 
des-crimes.qui dürent:revolter; elles exerce-. . 
rerit:. dans la perception des tazes,:dds vior 
leuces qui. acheverent Hirriter was. Ten 08- 
prits. | en 

1!.Gette'canduite, & läquelke on ne s’attegdait 
pas, füt tres-fayvorable  Kerim. La« Pal 
sorrqu’ah faisait.de:cesdour: rhefs, erhtoneeh 
8 'dvantage du Carde: Jamadis sehukei ne #’dtait 


! 






#® 7 GCHAPITRE AI | y! 


demenei envers le penple; jamais il h’avait 
abuse de sa force; jamais sucun de ses oflı- 
ciers n’avait 0s& commettre une injustice ati 
exercer une violence sans.en ötre panl. 
Mohammed-Hassan sortitd’Ispahan A la fih 
d’avril 1758 , accompapne de toutes les male- 
dictions des habitans; mais il s’en mognäät : ı 
etait Ala töte de quatre- vingt mille hommes; il 
en laissait dix mille pour Contenir la capitale ) 
il en avait dixautres dansl’Aderbidjan,leGur- 
lan et le Mazanderan. Jamais, deptsis. la indrt 
de Nadir-Chah , on n’ayait vu tant da:fortes 
reunies dans la.memıe main ; jatlais Onn’avait 
vu une si belle armde. .. 1 
. Elle arriva, ‚vers la fin de mai, sous led 
mars de Chiras. L’abondance etait pattont « 
. hommes et thevauz trouvdient aisfmemt: de 
quoi pourveir & leurs besoins ; leg ohatıpa 
giaient couverts de plamtes sereales ; les or- 
ges .dtaient deja märs ; les fromene eteient 
sur le point da l’ätre; Khetbe n’arsit:jarmeie 
dte. si haute ni sı touffue. Partotut:.des. trö 
peauz.nombreux de. moutons, de baufs, de 
chamgaux. zassurgient: les. seldats, siir let 
subsistances. Il n 'yavalt pas a la.vdräidiang 
txas. AAsgasins que:ceus, des champs ‚mais ils 
‚seinblaientftreinepuigables, Moyannentgeal, 
‚ ques detschemens envoyes dans tom kt.wile 


„2 VOYAÄGE EN'PERSE. “ 
lages de la’ contree, les vivres ne pouvaient 
manquer d’arriver au camp ‚et dy proouter 
l’abondance. 

Pendant: que quelques chefs # "occupaient 
- de.cet-objet, Mohammed-Hassan se hätait de 
faire toutes les dispositiens quiil jugeait. ne- 
cessaires pour assieger la place: il traca son 
camp &-une demi-ligtie des remparts; il eleva 
‚des batteries sur plusieurs points, et. fit me- 
‚nacer les habitans de les exterminer tous s 'ils 
- faisaient resistance. : U 

Kerim.de son cöte, trop faible pour sortir 
et: livrer bataille &' Pennemi ‚ emplöya, pour 
le vaincre, un moyen qui reussit'presque tou- 
jours dans ces contrees, olı l’or est la pre- 


miere idole des peüples:: il en offrit, par’des 


espions ,'& ceux des soldats qui deserteraient 
"le$.drapeaux de Mohamnied-Hassanı , et; vien- 
draient se ranger sous les siens. Les troupes 
qui avaient-servi Azad, et-que "Mohammed: 
avalt depuis peu'ä 'sa solde, furent les pre-' 
mleres A en donner Yexemple; les Türeomans 
les imiterent’; les Ouzbegs ‚ au'nombre': ‚de 
wols'nälle, quittärent le camp'töus & Ia fein, > 
Pe deleursiähefs, mi) 

Ce qui. acodldra la desertion , "ce ii ine 
sörtie- qui fut faite de'nuit par ScheikJAH ; 
plische Pürent de Kesint’etle premier de ses’ 


CHAPITRE II 73. 


gendraux. Scheik-Ali etait un de ces hommes 
qu’aucun danger n’effraie, qui joignent adu 
courage et de l’audace , une conception 
prompte, un coup-d’eil juste et une exe&cu- 
tion rapide. A la t&te de cing ou six- mille 
cavaliers curdes, il battit et dispersa tous les 
deiachemens que l’ennemi avaitenvoyes dans 
les villages voisins; illeur enlevatouslesvivres 
qu’ils portaient au camp; il surprit un grand 
nombre de chevaux et de chameaux que l’on. 
faisait paltre dans une vallde couverte de pä- 
turages , et arrosee par le Bender-Emir (1), 
etileut le bonheur de rentrer au bout de neuf 
jours , sans ötre pour ainsi dire appergu. des 
assiegeans. 

Scheik-Ali ne s’etait pas content6 d’enlever 
les vivres destines au camp ennemi: il avait 
mis le feu aux champs de bie qu’il avait ren-. 
contres; ilavait donne ordre aux 'cultiväteurs‘ 
de detruire toutes leurs moissons , d’enlever. 
tout ce qu’ils avaient de precieux,, et de ga- 
gner aved:leurs troupeaux les montagnes qui 
se trowvaient leipius & leur portee; il s’etait. 
engage äles faire mdemniser par Kerim lors- 
due. le siege serait:leve. 

: Kes: ordres. furent pomctuellement exdon.. 





Our Adene au Ankiende. Er 


74 VOYAGE EN PERBE. 


tes. Daris huit: ou dix jours presgtie tonte la 
provinee fut dövaste&, et se trouva deserfe;. 
ce qui priva presque subitement les assae- 
geans des subsistances sıir lesquelles ils comp- 
talent. | En 

Pour favoriser encore plus la desertion; > 
Scheik-Ali eut ordre de coiltinuer ses sorties 
et d’inquieter le camp : il y fut toujours.heu- 
reux ; il obtint chaque fois des suoods ; il de- 
monta ou detruisit presque toutes les batteries 
. de l’erinemi, etilne 'rentra jamais gu’il ne vit 
grossir sa troupe. 

‚Mohammed-Hassan avait voulu arräter le. 
mal dans son principe, mais il n’avast pu en 
. venir a bout : c’etait une epidemie contre la- 
quelle echouext tous les efforts humains. Elle 
ft bieritöt au point, quiil dütsonger lui-nma@me: 
& decamper: s’il ne voulait d’exposer & &trer 
' pris. 1 quitta Chiras & ka. fin de juin, avec. 
une. poignee d’hommes, pour se rendre ä. Is- 
. pahan , oü il esperait trouven intacte et saine: 
la garnison qu’il y avait laissee. Vame espe- 
rance ! La contagion s’y etait glissee.avec im 
nouvelle des mauvais meces qu’il avait es. 

: Ainsi donc cette armee' si nosmhbreuse , si: 
fpamidable , qui faseit trembler tomtea. les. 
provinces,. qui avait enfl&_l’orgueil de. son 
chef, au point de luf faine nägliger tous bes 


CHAPITRE II. 75 


.devoirs , toutes les bienseances, ne put r6- 
sister A une ruse de guerre ; elle fut mise en 
pidces sans combattre, et de ses debris elle 
fut doubler et tripler les forces de celtıi qu’elle 
. semblait devoir Ecraser de sa masse. 

Mohammed-Hassan ne s’arr&ta point’ & Is- 
pahan. U y avait trop de danger pour lui de 
s’enfermer , avec peu de monde, dans une 
ville qu’il avait mecontentee. Il se rendit, 
sans perdre de temg , & Aster- Abad avec di« 
ou douze mille Kagiars qui lui etaient resteh 
fid£les. LA, separe du reste de la Perse par 
de tres- hautes montagnes , il se flattait de 
repousser facilement- taute attäqııe que aon 
ennemi voudrait tenter , et de reparer , dans 
le courant de l’hiver , Ion pertes qu’il venait 
d’eprouver., 

Kerim , ne pauvarit esperer de’ Vattelndlre 
dans sa fuite ‚, ne se donna pas la peine de le 
pourstiyre ; il testa encore quelque iems & 
Chiras , et ne se rehllit , en septembre., & Es- 
pahan , qu’aprös avoir erganise son armde , 
et s’ätre assure d’elle par tous les moyens qui 
etaient en. son pouvoir. 

- A son arriveo ü la capitale, les habitane 

sorlirent avec einpressement de leurs mai- 

sons, et accoururent en foule au devant de 

ini, t£moignant ; par des oris de joie, par des 
[ 


76 VOYAGE EN PERSE. 


chants d’allögresse , toute la satisfaction qu’ils 
eprouvaient de le revoir triomphant. Ils ap- 
portaient des vivres pour l’armee,, et avaient 
pour le chef des pr&sens de peu de valeur sarıs 
doute, mais qui devenaient precieux par la 
maniere dont ils &taient offerts. 

Kerim fut :tres - sensible. A ce temoignage 
unanime et spontane des’ habitans de la pre- 
miere ville du röyaume ; il le regarda comme 
la plus douce et la plus flatteuse recompense 
de tout ce quil avait fait en leur faveur , et 
comme un presage certain d’un succds plus 
glorieux. Pouvait-il , apres cela, ne pas re- 
doubler: d’efforts pour rendre heureux un 
peuple qui exprimait ses sentimens de reeon- 
naissance , d’attachement et de fidelit6 d’une. 
maniere si franche, si genereuse ? . 
* A l’exeinple de la capitale , toutes les villes 
que Mohammed-Hassan avait en dernier liew 
depouillees, sempresserent d’envoyer des de 
putes A Kerim, et de celebrer son retour par 
des f&tes. Gulpaigan , Yesd‘, Cachan, Kom, 
Teheran , Casbin, Amadan, Kermanchah , 
Nehavend, reconnurent, avec des transports 
de jgip-,.la souverainete d’Ismael, et deman- 
derent que la regence restät entre les mains 
de celui qui n’avait cesst de combattre pour 
son roi. I n’y eut que Sultanie, Tauris, Ar« 


CHAPITRE II. Ä 77 


debil et tout le reste de l!’Aderbidjan, oü 
' Mohammed-Hassan avait des troupes, qui 
ne purent exprimer leur vou. Quant au Gui- 
lan et au Mazanderan , le pouvoir du gou- 
‚verneur y etait trop bien etabli pour esperer 
de les soumettre autrement que par laforce. 
: Cette entreprise,, d’une tres-difficile exe- 
-cution, fut confiee a ’homme qui etait sans 
doute le mieux en etat d’en venir & bout. 
Vers la fin de l’'hiver‘, l’an 1759 , 'Scheik- 
Ali eut ordre de s’avancer jusqu’a Teheran 
‚avec dix ou douze millecavaliers,, pour tenter 
de penetrer dans le Mazanderan aussitöt que 
Ja saison le permettrait. Les premiers eflorts 
qu’il fit pour franchir les portes caspiennes 
‚ne reussirent pas; elles etaient gardees par de 
‚tres-forts detacheniens que Mohammed -Hoas- 
san yavaitenvoyes. Pour forcer ces passages, 
il aurait fallu combattr@ long-tems , et se re- 
‚soudre & perdre beaucoup de monde; ce qui 
‚aurait Öte a Scheik-Ali les moyens de pour- 
-suivre ses operations dans le Mazanderan. 
Ces considerations luifirent prendre le parti 
.„d’envoyer secretement des emissaires , pour 
'tächer de corrompre ceux qu'il ne pouvait 
‚combattre sans danger. Le premier & qui ıl 
s’adressa ; senommait Mohammed ;.c’etait un 
‚komme.qui passait pour avoir encore plus 


7B VOYAGE EN PERSE. 

d’ambition que de 6ourage, encore plus de 
souplesse que de talens ; il devait son avan- 
cement et sa fortune & Mohammed-Hassan ; 
al avast gouverne la province en son’absence ; 
il defendait alors , avec quatre mille hommes, 
le passage le plus important. Scheik- Ali kw 
fit offrir une somme d’argent assez forte et le 


gouvernement en chef de la province , avec _ 


le titre de khan,, s’il voulait se joindre & lwi 
pour en faire la conqu&te au nom d’Ismael 
ou de Kerim. 

Mohammed , attach& A son bienfaiteur par 
les liens de la reconnaissance , du devoir et 
de l’honneur , repoussa d’abord avec indigna- 
tion les propositions qui lui &taient faites ; 
mais reflechissant ensuite A la position critique 
dans laquelle il se trouvait , menace par une 
arınde qui ne pouvait manquer d’dtre bientöt 
renforcee , craignant d’&tre entraind dans la 
<hute de son chef‘, desirant aussi de s’avancer 
‚plus rapidement et d’une maniere plus süre, 
" ilse decida A trahir celui qu’il aurait dü servir 


et defendre jusqu’& la imort. Il promit aux. 


‚einissaires d’ouvrir les passages qu’il gardait, 
et de se joindre-& Scheik-Ali des que celui-ei 
lui aurait fait passer.la somme qui lui etait 
offerte, et aurait pris l’engagement par ecrit 


de l’installer dans. le gouvernement de la pro«-. 


\ 





CHAPITRE 1I. 9 


vince aussitöt qu’ils ei auraient chasse Me- 
hammed-Hassan. 

Enchante d’avoir reussi dans son entre- 
prise, Scheik-Ali n’hesita pas ü donner toutes 
les süretes qu’on lui demandait. Lorsque tout 
fut bien arr&te de part et d’autre, Mohammed 
' envoya au devant: de Scheik-Ali quelques-uns 
.de ses principaux officiers, tant pour Iwi ser- 

vir d’otages , que pour lui montrer les che- 
mins qu’il fallait prendre. Par ce moyen, 
‚’armee arriva sans accident A Firuscuh , d’ofı 
elle se dirigea dans le Bas-Mazanderan. 

Mohammed-Hassan etait alors 4 Sarouavec 

huit ou dix mille hommes. Dös qu’il apprit la 
trahison de son general et la marche deScheik- 
Alt, il ne se dissimula pas le danger quil 
courait , mais il n’y avait pas ınoyen de re- 
culer. Le Khorassan lui &tait ferme£; la route 
du Guilan etaitimpraticable dans cette saisor: 
il n’avait point de vaisseaux pour traverser 
‘Ja Caspienne ; il ne pouvait, avec la cava- 
‚lerie, gravir les montagnes du Taberistan ; il 
ne lui restait pas m&me la ressource de s’en- 
'fermer dans une place forte , puisqu’il n’aurait 
pas eu le tems.d’y faire entrer assez de vivres 
pour edutenir un siege. 1 fellut donc se r&- 
soudre A combattre malgre l’inferiorite du 
nombre , et malgre la frayeur que la con- 


8o VOYAGE EN PERSE. 


‚duite de Mohammed avait inspiree & ses 
troupes. | 

Sarou n’est qu’& trois Sourndes de Firus- 
cuh (1), oü se termine le defile; de sorte que 
Mohammed - Hassan se vit l’ehnemi sug les 
bras presqu’aussitöt qu’il eut connaissance de 
la trahison de son general. 

Avant de se presenter & l’ennemi, il ft, 
:pour ranimer ses troupes, tout ce quela pru- 
dence lui dicta ; il employa , pour leur ins- 
pirer une confiance quil n’avait paslui-ındme, 
tous, les moyens qui etaient en son pouvoir. . 
Caresses, liberalites , recompenses , promesses, 
faux rapports , fausses annonces, tout fut mis 
en usage par ce chefintelligent,, pour se tirer 
‘du mauvais pas oü il se trouyait engage. 

Pendant le combat , on le vit commander 
en habile general, et se battre comme le plus _ 
intrepide soldat. On le vit se porter partout 
od sa presence .etait necessaire. Vingt fois il 
affronta la mort pour. soutenir des corps en- 
'tiers qui chancelaient ; vingt fois il se mit ä 
leur t&te pour les ramener ä la charge. 

Tant d’efforts,, tant de courage , tant de 
presence d’esprit , eussent Et€ couronnds du 
succes si Mohammed-Hassan eht et un peu 





. - (a) Envirgn vingt lieues communes. 
mieux 


CHAPITRE 11: 8: 
mieux seconde par ses ofliciers, s’il avait pu 
surtout eflacer , dans le soldat, l’impression _ 
quwavaient produite la defection d’un general 
et l’apparition presque subite d’une armee 
plus nombreuse, et commandee par l’homme 
qu’on jugeait le plus redoutable de la Perse. 

Scheik-Ali remporta donc sur son adver- 
saire la victoire la plus complete. Mohammed- 
Hassan , blesse en plusieursendroits ‚fut oblige 
de chercher son salut dans la fuite, accom- 
pagne seulement de quelques officiers. 

Il prenait la route d’Aster-Abad, et se trou- 
vait dejä aux environs d’Achraf lorsqu’il eut 
le malheur de s’engager dans des marecages, 
d’ou il ne put sortir assez töt. Il y fut atteint 
par une troupe de cavaliers, qui n’avait cesse 
de le poursuivre, et reconnu par un. esclave 
negre de Scheik-Ali, qui le somma de se ren- 
dre. Comme il fit resistance et quil cherchait 
a se faire jour, il futtue, et sa t&te fut portee 
en triomphe au vainqueur. 

Apres cette victoire , Scheik-Ali parcourut 
le Mazanderan et le Taberistan sans trouver 
aucun’ obstacle : il en prit possession au nom 
d’Ismael et de Kerim; illaissa & Aster-Abad, 
pour gouverneur , ’homme ä quiil devait sa 
conqu£te ; il s’empara de tous les tresors de 
Mohammed - Hassan , et emmena & Ispahan 

Tome VI. F 


8u CHAPITRE II. 

tous ses fils en Ötage. Ils dtaient au nombre 
de sept, etsenommaient Hussein-Khan, Aga- 
Mehemet-Khan, Djaffar-Kouli-Khan, Ala- 
Kouli-Khan, Riza-Kouli-Khan, Moustapha- 
Kouli-Khan, et Morteza-Kouli-Khan. 


Tv vv 





YOYAGE EN PERSE 83 





CHAPITRE III. 


Presque toute la Perse se soumet d 
Kerim. Fetah- Ali- Khan s’empare 
. de PAderbidjan; il est assiege dans 
Urmia ; il se rend aupres de Kerim, 
et implore sa clemence. Tentatives 
. d’eloigner Kerim de la regence; il 
convoque un divan, prend letitre de 
vekil, et enferme Ismael dans la 
Jorteresse d’Abada. Kerim füit bä- 
 Zir un palais dä Chiras, et transfere 
dans cette ville le siege de !’ Empire; 
2l fait la guerre au scheik de Bender- 
Rik et au scheik Suleyman. Meurs 
des Arabes du Kermesir. Siege et 
prise de Bassora. Mort de Krim. 


L. mort de Mohammed-Hassan et la retraite 

d’Azad en Georgie semblaient ne plus leisser . 

d’ennemis ä Kerim. Charokh, aveugle, ne 

demandait qu’& vivre en paix dans le Kho- 

rassan , et Achmed , satisfait d’avoir enleve 

anx Persans le Kandahar, le S£gestan et He» 
Fa 





84 "> VOSACE EN-PERSE/ 


rat, ne songeait plus qu’a porter ses armes a 
Porient de ces provinces. 

‚, La soumission du Mazanderan devait ne- 
cessairement entrainer celle du Guilan. Hi- 
deat, qui Etait. gouverneur de cette ‚derniere 
province, ne pouyant esperer de s’y main- 
tenir pär’la force, prit le parti d’envoyer de 
tres-riches presens au vainqueur, et de solli- 
citer la faveur d’ätre confirme dans un poste 
qu’il jurait-de conserver fidellement, et. de 
defendre contre tous. les ennemis.de son neu-- 
veay.maltre , avec le m&me courage, le möme 
zele, le m&me devofment qu’il eüt mis pour 
Vancien s’il eüt vecu. 

Hideat obtint ce qu’il demandait moyen- 
nant des otages quiil. fut oblige de faire passer 
& Ispahan. 

' Les gouverneurs du Kerman et:du'Laares- 
tan, qui jusqu’alors s’etaient maintenus in- 
dependans ‚,.et n’ayaient jamais voulu se de- 
clarer potr aycun parti, se deciderent & faire 
passer des presens a Kerim, et & reconnaltre 
la souverainete d’Isma@l ; mais leur soumis- 
sion etait: accompagnde de. la demande for- 
melle d’&tre maintenus dans le gouvernement ' 
de leurs. provinces, : 

Satisfait de tirer’dorenavant de ces deux 
khans les subsides accoutumes et les’ troupes : 


- 


“ CHAPITRE III. ° © :85 
dont il avait besoin, Kerim leur fit-passer les 
diplömes qu’ils demandaient , en leur enjoi- 
gnant neanmoins de lui envoyer les persornes 
de leurs familles qu’il leur designait, et & qui 
il offrait des grades honorables dans l’armee. 

Les scheiks arabes repandus dans les divers 
districts du Kermesir se soumirent sans difh- 
culte, excepte deux d’entr’eux , Mir-Mahenna 
et Scheik-Suleyman, Aquileregent futoblige, 
par.la suite, de faire la guerre. 

Mir-Mahenna , qui avait et€e un des pre- 
miers , sous les murs d’Ispahan , A engager les 
‚Arabes A quitter les drapeaux de Kerim, et 
qui etait venu s’emparer- de Bender-Rik au 
prejudice de Mir-Nasr son frere , ne refusa 
pas formellement de se soumettre, mais il 
pretexta ses propres besoins pour ne faire 
passer a Kerim ni hommes ni argent. 

Scheik - Suleyman, khiabi, dönt la tribu 
habite a l’est du Schat-el-Arab, et qui se trou- 
vait possesseur de toute la contr6e qui ’s’etend 
depuis l’embouchure du fleuve et la partie la 
. plus septentrionale du golfe jusqu’aux envi- 
rons d’Avisa et de Schuster, refusa aussi d’en- 
‘ voyer'des subsides et son contingent de trou- 
pes, sous pretexte que son pays 6tait Epuise. 

- Mais un ennemi bien plus dangereux se 
montrait dans l’Aderbidjan, Fetah-Ali-Khan , 


u 


85 VOYAGE EN PERBE.. 
‘ce aöneral d’Azad, que nous avons dit dvoir 
ete laisse A Urmhia par Mohammed-Hassan 
avec quatre mille Kapiars, bien loin de quit- 
ter les armes, de eötigedier ses troupes ou de 
les miettre & la disposition de Kerim, ainsi 
&ue celui-ci l’esperait, travailla au contraire 
a en lever de nouvelles , et & se fortifier par 
des alliances. Il s’adressa pour cela au prince 
de Georgie,, aux Lezgüuis, au khan du Gui+ 
lan, & ceux du Kerman et du Laarestan, et 
A tous les scheiks arabes’ de la cöte maritime. 
Le refus du premier de se me£ler des affaires 
de la Perse, la lenteur que les Lezguis mirent 
ä se decider,, la soumission des trois khans et 
telle de presque tous les scheiks arabes ne le 
rebuterent pas. Il parvint par ses intrigues;, 
par ses menaces et par ses armes, & s’emparef 
- detout l’Aderbidjan ; il se crut assez fort pouf 
He plus dissimuler ses prötentions. 

Kerim avait plusieurs fois somme ce nouyel 
ennemi de mettre bas les armes ; il lui avait 
in&me fait offrir in des premiers grades dans 
Varmee, ou une des premieres places du 
röyaume s’il voulait imiter le gouvernetir dü 
Guilan. Fetah-Ali avait toujours fait des re- 
penses Evasives; il avait cherche & gaprier du 
tens , afın d’&tre mieux en mesure de resister 
sil etait.attaqud. 





CHAPITRE IT. dr 
- Lorsque Kerim eut perdu tont espoir de 
_tamener ce general par l’appät des bienfaits, 
il prit le parti de le reduire par la force des 
ärmes. Il partit & cet effet d’Ispahan en avril 
1761, avec une armee considerable, et se di- 
rigea vers l’Aderbidjan par la route de Ca- 
chan, Kom, Sava et Casbin. 
| Fetah-Ali ; qui n’avait guöre plus de dix 
mille hommes & Ini opposer, quitta Tauris & 
la premiere nouvelle de sa märche, et vint 
s’enfermer dans Urmia , qu’il avait bien ap- 
provisionnde et inise dans un bon e&tat de 
defense. 
‘ Arrive & Sultanie, Kerim detacha de söw 
armde dix ou douze mille hommes, dont il 
dönna le commandement & Scheik-Ali, avec 
ordre de se porter sur Tauris et Ardebil, et 
de soumettre ces villes , ainsi que toute la 
province , perdant qu’il irait Jui-mömne faire 
le aiege d’Urmia. 

Scheik-Ali ne trouva aucun obstacle dans 
sa marche : toutesles villes de l’Aderbidjan lui 
ouvrirent leurs portes, et le regurent comme 
un liberateur ; mais Urmia tint bon, et se 
defendit avec courage. Ke&rim ne put ni s’en 
emparer ni faire des.progres sensibles, malgre 
toute P’ardeur qu’il y mit, et la nombirelise’ 
artillerie qu’il y employa : dl perdit-beaucoup' 


88 VOXAGE EN PERSE. 


de, monde dans les diverses attaques quil en- 
treprit ; ce qui lobligea de convertir le siege 
. en; blocus.. 

‚Pendant que les assiögeans ravageaient les 
environs pour Öter toute ressource aux assie- 
gps, et que ceux-ci faisaient defrequentes sor- 
ties pour se procurer des vivres et des fourra- 
ges,lesdeux commandans prirent laresolution 
de se defaire l’un de l’autre par un assassinat. 

. Fetah-Ali voulait se debarrasser prompte- 
ment d’un ennemi. qui. pouvait s’opiniätrer & 
rester-autour de la place, et Kerim ne voyait 
que ce moyen de se rendre maitre d’une ville 
qu’il savait Etre trös-forte et trös-hien appro- 
visionnee. 


. Cette dtrange manidre de se defaire d’un, 


ennemi arme est autorisee dans ce pays’par 
usage, les meurs, P’opinion : on sait qu’elle 
tletrirait en Europe un militaire qui voudrait 
y avoir recours. En Perse, on’ n’a jamais.re- 
garde comme un deshonneur ou comme une 
lächete de plonger un 'poignard dans le sein 
d’un ennemi qui n’est pas en mesure de se 
defendre, et de se servir pour cela de la main 
d’un autre. Celui-lA m&me qui portele coup, 
n'est deshonor& que lersqu’il trahit Pamitie, 
gu qu’il.manque A la reconnaissance. Si c’est 
"un homme du parti ennemi, ou simplement 


7 


\ 
i 


CHAPITRE III. ..dg 


„guelqu un quin’a jamais reyu de bienfait, qui 
ı’a. point contracte d’engagement, son äction 
n’est pas toujours approuvee ; mais elle n’a 
en elle-m&me rien de deshonorant , surtout 
lorsqu’elle &emane d’un ordre qu’on ne peut se 
dispenser d’executer sans risque.. 

. Mais :ici ce sont les ofliciers eux-m&mes qui 
se chargent de cet attentat: ce sont ceux qui 
doivent leur grade ‚leur bien-Etre ä ’homme 
dont ils veulent percer le ceur. 

- Celui qui s’etait engage de porter le coup 
fatal-A’Kerim, etait un de ses generaux : il se 
zommait Ibrahim- han; il avait, Ace qu’on 
croit, eu part & l’ässassinat de Nadir, et s’y 
&tait enrichi ; il esp£rait cette fois monter au 
premier rang en abattant celüi qui l’öccupait. 

Oblige , pour l’execution de son dessein, 
de se confier A quelques personnes dont l’as- 
sistance hui etait necessaire , Ibrahim fut de- 
couvert, convaincu, et execute ä la täte des 
troupes qu’il commandait. u 

Fetah-Ali etait menace par trois officiers 
generaux, qui s’etaient engages, apres l’avoir 
tue,.de rendre la place et de passer au service 
de Kerim. Il les aurait fait arräter sans doute 
et les aurait envoyes au supplice s’ilsn’avaient 
ete fortement soutenus par les troupes qu’ils 
 avaient’& leurs ordres, etsi i celles-ci n’avaient 


96 VOYAGE EN PERSE. 

dejä maniteste plusieurs fois leur rlieconteh-+ 
tement de se battre pour une cause qui leur 
etait devenue etrang&re depuis que Moham- 
med - Hassarı n’ezistait plus. Fetah-Ali, ne 
doutant bientöt plus que toute la garnison ne 
füt gagnee, prit le parti de sortir de la ville 
senl et sans armes, et d’aller se mettre & la 
merci de son enriemi, qu’il redoutaät encore 
- moiss que ses propres soldats. 

Conduit devant Kerim, il se nomma, et se 
jeta & ses pieds en lui disant : « Seigneur, je 
» salb que vous demandez ma tete , je vous 
»Papporte : je merite la mort pour avoie 
» voulu vons combattre lorsque j’aurais dü 
» m’einpresser de vous servir ; je viens la re+ - 
».teyoir de votre main ; frappez , puriissez 
» vous-meine le coupable qui a ose vous of- 
» fenser..... Mais si la generosite vous portait | 
» A me pardonner ‚si par bonte vous me lais- 
» siez une vie qu'il ne tient qu’ä vous de me 
» ravir, vous n’auriez pas daris votre arınee 
» de serviteur plus fidele, de guerrier plus 
» devoue. Quels que fussent les dangers qu’il 
» me fallüt affronter pour vous, ils ne se- 
'» raient jamais en proportion de man zele et 
» de mon attachement. Vous. m’avez depuis 
» long-tems commande l’admiration ; daignez 
» aujourd’hui me forcer & la reconnaissanee. , 


'CHAPITRE IIN. 9E 
» Oti je vous doive la vie; elle ne sera plus 
» employee qu’ä meriter ‘votre estime et & 
» vous faire oublier mes erreurs.» 

Kerim etait trop genereux, trop bienfäisant 
pour frapper l’ennemi quitombait & ses pieds; 
il le releva avec bonte ‚ lui pardonna , le recuf 
dans son armde, et lui donna, peu de tems 
apres, un corps de troupes 4 commander. 

Apres le depart de Fetah-Ali , les officiers- 
generaux , parmi lesquels on remarquait Mir- 
Kurneh-Khan, Arabe, proposerent, dans une 
assemblee qu’ils convoquerent & cet- eflet, 
d’envoyer une deputation A Kerim, pour lui 


fäire part qu’ils avaient resolu de lui ouvrir 


les portes de la ville, et de mettre bas les ar- 


mes ; ce qui fut generalement adopte. Par'ceite 


demarche , officiers et soldats obtinrent la 
faculte de se retirer chez eux avec leurs armes 
etleur bagage , ou de prendre du service dans 
l’armee des assiegeans. 

Toutes les provinces persanies situdes entre 


la Georgie et la Caspienne , depuis le Guilan 


jusqu’aux environs ‘de Terki et du fleuve 
Terek , apparterlaient pour lors au khan de 
Kouba, nomme Fetah-Ali-Khan, quw’il ne 


faut pas confondre avec le general de mäme 


nıom , dont nous venons de parler. ,. 


Kouba est unetres-petite villedu Chyrvan, 


- 


92 . VOYAGE EN PERSE. 
situce sur Ja petite riviere qui serend au port 
de Nizabad ; elle est & cing ou six lieues de 
la Caspienne, a quinze lieues, sud de Der- 
bent, & dix-huit nord-ouest de Bakou. Sous 
ler&gne de Nadir, le khan de Kouba &tait sous 
la dependance de celui de Bakou ; mais F& 
tah-Ali, qui avait succede depuis peu &:son. 
pere Hussein-Ali, avait trouve le moyen de 
s’y rendre puissant, et de soumettre par les 
armes les khans de Derbent et de Bakou. 
K£erim ne fut pas fäche de trouver en. lui 
un.homme en Etat de contenir les. Lezguis , 
qui n’ont jamais cesse d’inquieter le nord de 
la Perse, et d’en imposer gu prince de Geor- 
gie. Fetah-Ali lui ayant envoye sa soumis- 
sion , appuyee sur des presens considerables , 
il le confirma dans le gouvernement general 
des provinces du Mogan, du Chyrvan et du 
Daghestan , apres avoir regle les subsides que 
ce khan lui ferait passer chaque annee, et 
avoir recgu les otages qui devaient repondre de 
sa fidelite. j 
n restait ä soumettre le prince de Georgie, 
ct Öter & Azad tout espoir de se relever. un 
jour.-Kerim fit menacer Heraclius de lui faire. 
la guerre s’il ne se remettait, comme ses aleux, 
sous la dependance de la Perse, s’il n’eva- 
cualt ‚promptement Erivan et tous les pays 





f "  } \ 
“ % 


CHAPITRE IIl. 93: , 
qu’il avait envahis au nord de l’Araxe, et 
s’il ne lui envoyait Arad sous bonne escorte; 

il promettait, & l’egard de telui-ci, de le trai- 
ter d’une maniere honorable, seit qu’il prit 
du service dans l’arınee, soit qu’il voulät vi- | 
vre dans Ispahan ou dans Chiras comme un 
simple particulier. 

Herachius, plus timide ou plus prudent que 
son pere Teymouras n’avait ete, preferade 
s’affermir dans ses Etats, en se soumettant & 
Kerim, plutöt que de risquer de les perdre 
en lui faisant la guerre; ilceda de bonne grace 
‚ tout ce que son pere avait usurpe , sollicita 
le diplöme qui devait le confirmer dans la di- 
gnitd de sultan du Kacket et du Karduel , qui‘ 
forment , A propremient parler,, la Georgie 
persane , et il engagea Azad & se rendre sans 
_ delai aupr&s du regent qui le r&clamait. 

Azad obeit sans murmurer , et parut de- 
vant’Kerim avec ce calme , avec cette noble 
assurance , avec cette fiert€ , apanages de 
V’homme que la crairite ne peut atteindre,, que 
l’adversitö'ne peut ’abattre, que le souvenir 
de ses victoires enorgueillit. 

Kerim;, en le voyant, l’invita ä s’asseoir A 
ses cöt&s, et lui tendit la main 'en sigrie d’a- 
mitie. Azad la baisa respectueusement ‚et s’as- 
sit en lui’disarit: « Que le ciel fävorise toutes ° 


1 


94 VOYAGE EN PERSE 
» vos entreprises; qu/il.mette toujours & vog 
» pieds tous ceux qui, comıne moi, vonudront 
» Foppuser a vos diesseins. J’ai eu l’ambition 
» de regner, non pour faire, comme vous, le 
>» bonheur des ‚peuples, mais: ponr les tour- 
'» ımenter, pour leur rayir le fruit de leyra 
» travaux, pour leur arracher le pluscher de 
»leur bien, leurs enfans ; j’en ai ete puni; 
» ils ont dü m’abandonner: le ciel a dü met-. 
» tre la couronne sur votre t&te, plutöt que 
» sur la.mienne ; je me souınets d ses justes 

. » decrets, et me prosterne‘& vos pieds. Vous 
 » etes des.ce moment mon majtre et milon roiz 

» je ne suis plus que votre esclave: ce nom 

_» me sera doux si vous daignez quelquefois 
» jeter sur moi un regard de bienveillance, et 
».m’accorder l’estime et la confiance | que je 
» ne cesserai de.meriter. » 

. Krim le releva, et lui dit : «Azad ‚jene 
>» vous ai appele .aupräs de moi que ‚parce 
'» que jai espere de vous procurer un sort: 
» plus doux que vous ne pouviez l’avoir en 
» Geogrgie. Qublions nos querelles , soyons 


» amis , et croyez. que ce n’est pas ’homme le. 


» plus eleve qui estle plus heureux. Le bon- 
».heur ne vapas ordinairement se placer dans 


».un coeur que Pambition ou les desirs tour-- 
‚» mentent; ilne sanreit pas non plus ge fizer. 


CHAPITRE 111. 95 


» danscelui qui est dans un etat de satiete. II 
» ne tient qu’& vous de n’avoir rien’ & envier 
» & personne, et de vous mettre dans la po- 
» sition la plus favorable pour fixer le bon- 
» heur autour de vous. Vous avez assez fait 
» pour votre gloire; je m&charge de were 
» fortune , et soit que vous serviez dans l’ar- 
» mee, soit que vous prenies place parmi mes 
» ministres,, soit que vous preferiez mener, 
» dans Ispahan ou dans Chiras, une viedouce 
» et paisible , mes bienfaits vous stteindront. 
» Je vous invite pourtast A rester aupres de 
» moi, vous m’aiderez de vos conseils. » 

Azad y resta, et se montra l’ami le plus 
sincöre et le plus deveue; il refusa tous les 
emplois, toutes les dignites que Kerin lui of 
frit, mais il le servit avec zele etcourage dans 
V’armee, et donna toujours l’avis le plus sage: 
dans le conseil. 

Lorsque le regent ent bien etabli son pou- 


. voir au nord de la Perse, il retourna & Is- 


pahan, gü sa presenee etait tr&s- necessaire. 
Ismadl ayait atteintsa vingtidme annee: quel- 
ques seigneurs qui n’aimaient pas Kerim, ow 


qui avaient interät d’aflaiblir son pouvoir,: 


voulurent profiter de cette. circonstance pour 
engager le peuple a demander que Kerim se 
demit de la regence. « ll est bien tems, di- 


— - 


06 __VOXYAGE EN PERSE. 


» saient-ils, qu’il accomplisge ses promesses ; 


» il est bien tems qu’Isma&l prenne les r&nes 
>» du gouvernement, et qu’il cesse d’etre un 
» simulacre deroi.» N | 

Cette tentative ne. pouvait manquer d’e- 
chouer. Les habitans d’Ispahan n’avaient ja- 
mais euä& se plaindre du regent; sa conduite 
avait dte aussi sage qu’on avait pu le desirer. 


Sil gouverhait l’Etat, s’il disposait de toutes 


les foroes ‚ de tous les revenus de ’’Eimpire ‚ 
c’etait au nom et du consentement d’un prince 


encore jeune. Pourquoi le peuple aurait-il 
inquiete celui qui, dans tous les tems, avait | 
paru.sı dispose A respecter les proprieteset ä 
proteger les personnes ; ;:qui, ayant tout le- 


pouvoir en main, en avait bien moins ‚abuse 
que n ’aurait fait tout autre? 
Dans un divan que Kerim convoqua peu 


de jours apres son arrivee „et od ilappela les. 
seigneurs et les grands dignitaires de laville, ° 


ses partisans fireni untableau de tous les maux 
qui ne mangueraient pas d’aftliger l’Etat s’il 


se retirait avant d’avoir consolide son ou- 


vrage, il abandonnait le navire avant.de!’a- 
voir conduit au port ‚ sil livrait Ismael, en- 
core jeune et sans experience, & des conseils 
qui pourraient l’egarer. 


 Personne 'n’ignorait que ce prince ‚n’avait 


y montre 


. CHAPSTRE II. 97 
-montre jusquw’alore ni Energie , ni talens, nd 
capacite, ni aucune des qualites qu’unroi dait 
avoir, surtout lorsqu’il s’agit d’affermir un 
‚tröne ebranlejusque dans ses fondemens, et 
‚de ramener le calme dans un pays que les 
‚factions' ont long-tems agite. . 

Comme personne n’osa auvertement s’op- 
poser aux vues ulterieures de l’homme qui 
disposait de toutes les places, qui distribuait 
‚les faveurs ou infligeait les chätimens , la ten- 
tative que !’on avait faite de souleven le pen- 

"le contre lui pour luj enlever le:pouvoir , 
‚n’aboutit au contraire qu’a le fortifier dncore 
‚plus. Kerim se fit conceder dans cette assem- 
'blee le.titre de vekil ou de lieutenant-general 

:du royaume, et peu de tems apres il envoya 
Ismael A Abada, forteresse situde entre Is- 

.pahan et Chiras, avec ordre au commandant: 
de le servir et honorer comme roi, et de le 
faire garder comme un prisonnier dont il re- 

':pondait sur sa tete. 

Ce qui avait fait croire aux ennemis de K& 
‚rim qu’ils parviendraient A former un parti 
-redoutable contre lui, c’est que les .habitans 
:d’Ispahan :et.du nord de la Perse voyaient 
‚avec regret les constructions qu’il faisait faire 
‚4. Chiras. On y bätissdit’entr’autres, depuis 
pres de deux ans, un snperbe palais qui an- 

Zome VI. G 








98 VOYAGE EN PERSE. 


| noncait, de sa part, l’intention d’aller habi- 


ter cette ville ‚et d y transierer le siege de 
J’Empire. . Ä Ä 

Ce palais etait moins stendu , moins bean 
:que celui d’Ispahan; mais on jugeait qu'il se- 
rait plus elegant , plus commode : les jardins 
y. etaient plantes avec plus de gofit; ils de- 
:yalent &tre plus arroses, plus ombrages; ils 
‘devaient presenter surtout une plus. grande 

-variet6 d’arbres : les sites y etaient plus.pit- 
-toresques. On voyait deja, au milieu d’un 

..carre fort etendu et consacre & la culture des 
plus belles fleurs et des fruits les plus exquis, 
un pavillon dans le genre 'europeen , otı le 
corps du vekil devaitreposer un jour. Ce pa- 
‚villon seul avait coßte 30,000 tomans ou A peu 
pr&s 1,800,000 francs. 

Les craintes des habitans d’Ispahan etaient 
fondees : le vekilvint habiter ce palais avant 
qu’il füt acheve, et il fixa sa residence A Chiras 
pour &tre plus A portee de la province qui lui 
etaitleplusattachee , etd’ou il tiraitla majeure 
partie de ses forces. Il s’etait approche des 
Arabes.de la cöte, qu’il avait a cosur de soır- 
mettre entierement. Cette ville , d’adleurs plus 
voisine du golfe, lui paraissait plus propre 
‘qu’Ispahan & devenir le point central du cöom- 
-merce de la Perse avec l’Inde. | 








.- CHAPITRE LII. ‚99 
Il ne quitta pourtant pas l’ancidnne capı- 
tale sans faire tous ses eflorts pour y rapper 
ler les Armeniens, qui, dans les tems d’anar- 
chie ou de tyrannie, avaient porteailleurs leur 
industrie et leur commerce. Il donna aux uns 
des secours en argent; il pr&ta aux autres des 
sommmes assez considerables ; il accorda & tous 
les mömes privileges dont ils avaientjoui sous 
Chah-Abbas Ier. Par ce moyen, le faubourg 
de Julfa se repeupla en partie ;.la ville se se- 
rait probablement relevee si Keriın y etait 
‚venu quelquefois durant son regne , ou ai 
‚apres sa mort il n’etait survenu de nauveaux 
troubles qui se prolong£erent, ainsi qu’on 
verra , durant plusieurs anndes. oo 
Comme toutes les villes de la Perse , Chiras 
avait considerablement soufflert dans sa po- 
‘pulation, dans-son industrie, dans tous ses 
edifices. Les remparts dtaient en trds-man- 
vais dtat ; les mosquedes menagaienit ruine; 
les plus beaux palais avaient fait place & de 
.chetives maisons,, ou ayaient disparu au point 
qu’on n’en retrouvait plus la trace. Kerim 
engagea les seigneurs qu'il avait fait venir 
aupres de luj, pour sa sürete, de tous les 
‚points de ’Empire , A recoönstruire ces palais 
ou A en bätir de nouveaux , et ä fournir aux 
depenses qu’gxigeaient les fontaines , les bains 
| Ga 


‘% 


100 VOYAGE EN PERSE. 


publics , les besesteins, les caravanserais , les 
mosequees et les madresses. 
Chiras pourtant fut bien loin d’atteindre & 
. ce degre d’opulence , de beaute et d’6tendue 
_ auquel Ispahan etait parvenu sous le regne de 
Chah-Abbas. La Perse avait trop souffert dans 
‚ces derniers tems;; elle etait trop depeuplee, 
trop appauvrie ; le malheur avait trop abattu 
_ les forces physiques et morales de tous les in- 
dividus ; le ressort de la prosperite publique . 
etait trop affaibli , pour que Kerim operät 
‚les grandes choses qui eurent lieu sous Chah-- 
‚Abbas. D’ailleurs , ces deux hommes ne se 
ressemblaient pas : Chah-Abbas ayait toutes 
‚les qualites d’un grand-homme, et Kerim 
toutes celles d’un homme de bien. Le pre- 
mier sut imprimer aux Persans ou A ceux de 
sa religion , ce caract&re de grandeur et d’he- 
‚ roisme dont le royaume avait beson pour 
's’affermir et s’etendre ; il developpa, dans 
les ‚Armeniens ou les non-Musulmans , cet 
esprit de trafıc , d’industrie et d’ordre qui de- 
‚yait rendre la Perse le pays le plus commer- 
‘cant et le plus riche de. l’Asie. Kerim tra- 
vailla a etouffer toutes les factions ; et A 
.guerir toutes les plaies. que l’anarchie avait 
‘faites. Avec de l’instruction ou une education 
telle qu’il faudrait la donner & tous ceux qui 


\ 


CHAPITRE III. : : 10: 


doivent un jour avoir. dans leurs mains la 
destinee des nations , Kerim eht ete un roi 


' jJuste et bon; Abbas eüt ete un grand roi. 
L’un aurait fait le bien par des moyens doux, 


lents , approuves par. la droiture et l’equite; 


P’antre aurait , comme le 'T'out-Puissant, opere 
le bien general lors m&me qu/il en serait re- 
sulte des maux particuliers. 

Si la Perse doit ä Chah-Abbas tout l’eclat 
dont elle a brılle durant deux siecles , elle 
doit a Kerim de n’avoir pas &te tout-A-fait 
demembree , d’avoir joui pendant pres de 
‚ vingt ans de ce calme , de cette securite qui 
font le bonheur des peuples , et qui contri- 
buent si fort & la prosperite des nations. Les 
moyens que ce dernier employa.pour y par- 
venir , furent violens sans doute , mais ils 
etaient conformes aux maurs du ,peuple qu’il 


gouvernait. En tenant aupr&s de: hui les fils, 


ou les plus proches parens de tous les gou- 
verneurs de provinces , en faisant venir & 
Chiras les chefs.de toutes les trıbus,, c’etau 
les forcer tous a une fidelite qu’ils auraient 
certainement violee sans cette pregaution, Il 
en resulta encore un autre avantage; c’est que 
les grands, dans les contrees eloignees de la.ca- 
pitale, n’oserent jamai$ se permettre-de piller 
ou de mettre A contribution les caravanes. 


- 
‘ 


102 VOYAGE EN PEÄSE. 

* Cette tranquillite n’etait pourtant pas assez 
solidement etablie, pour qu’on ne füt menac6 
de tems en tems de la voir troublee par ceux- 
la möme qui avaient le plus grand inter&t & 
la maintenir. 

Keki- Khan, frere putnd de Kerim , laisse 

& Ispahan en qualird de gouverneur, 0sa, 
avec cing ou six mille hommes qu’il avait, 
Woncevoir le projet, en 1763, de detröner 
son frere , et de se mettre A sa place. Quel- 
ques Haisons qu’il etait parvenu & former 
“ avec des seigneurs .de la cour, le porterent 


& piller Ispahan, et & sc rendre, avec son 


butin , A Shuster , ou il esperait @tre soutenu 


par les Arabes khiabis et par quelques tribus 


curdes du Loristan , dont il avait gagne les 
chefs, | \ 


Des que cette nouvelle parvint A Chiras , 


Fetah-Ali (1), soupgonne d’avoir pris part 
Ala revolte, fut arröte. La correspondance 
qu’on saisit chez lui ne laissant aucun doute 


sur son crime, il eut la täte tranchee. Quel- 


ques autres personnages furent &galement 
punis de mort. 


Par ces executions et les mesures qui furent 
prises & tems , les ‚projets de Zeki-Khan res- 


{ı) Celuj qui avait defendu la ville P’Urmia., 





- 
Mh AM nn nn > 


-CHAPITRE III. 103 


terent sans effet ; Iui-m&me se vit force d’im- 
plorer la misericorde de son frere. Il rentra 
en grace , et revint bientöt a Chiras, ou il 
resta:tranquille tant que Kerim vecut. 

Le Kerman ayant perdu son gouverneur, 
le vekil y envoya son beau-frere Mademi- 
Khan, Charus. Il y futregu, et ils’y installa 
sans que les habitans tEmoignassent le moindre 
mecontentement; il s’y conduisit avec beau- 
coup de prudence ; il montra tout le desin- 
_ teressement que l’on devait attendre d’un 
bomme que Kerim honorait de sa confiance ; 
neanmoins, un des riches seigneurs. de la, 
provinoe parvint A s’y faire un parti et & 
lever des troupes; il luifut facile de mettre 
en fuite Mademi-Khan, et de se faire recon- 
naltre par le peuple comme khan du Kerman, 
Le vekil fut oblige d’envoyer une armee pour. 
mettre A la raison les rebelles, et pour rein- 
tegrer son beau-frere. 

Dans le Mazanderan , la plupart des sei- 
gneuxs faisaient des efforts pour soulever le 
peuple , et chasser le khan d’Aster-Abad. L’e- 
'loignement al est cette province du centre 
du gauvernement , les hautes montagneg qui, 
Pisolent en quelque sorte, la facilits qu’on y 
a de recruter parmi les Turcomans et les Qug- 
becgs, tribus voisines, toujours prötss ANGan, 


DN 


104 VOYAGE EN PERSE. 


battre | pour ceux quiles paient : tout donnait: 
l’espoir & ces seigneurs de se separer. du reste 
de la Perse, et de former un Etat qui, comme 


le Khorassan , aurait son roi particulier. 
Scheik-Ali y'fut envoye, en 1764 , avec des 


'troupes : il devait faire prisonnier , envoyer 
‚au supplice ou mettre en fuite tous les cou- 


pables , et öter au peuple tout pretexte de’re- 


volte. Scheik-Ali parut s’acquitter fort:bien 


de sa commission ; il retablissait la tranquil- 
lite dans le pays , et affermissait 'le pouvoir 
du vekil quand tout a coup ı fut rappele & a 
Chiras. 


On ne sait pas si sa conduite avait fait 


naitre des soupcons & lacour, ou si Kerim 


‚ayait concu des craintes en reflechissant au, 


merite, A la popularite dece chef, et surtout 
& l’affection qu’avaient pour lui tous les sol- 
dats. Quoi qu’ilen seit, sans entendre la jus- 


' tification de son general , sans avoir en main 
aucune preuve de crime , il lui fit arsacher 


les yeux, et il se priva par-la. du plus ferme 
soutien de son pouvoir. 

Ce trait d’ingratitude envers celui de ses 
parens A qui il devait tous les avantages qu 1. 
äyait obtenus sur le plus puissant de ses en- 
nemis., serait-bien fait pour etonner si on.ne: 
säydit'que dans ces regions, ou le despotisme 





CHAPITRE III. 105 


le plus feroce a &tabli son empire , ’homme: 


puissant fait disparaitre & son gre tout ce qui 


peüt lui porter ombrage. N’a-t-on pas vu en- 
tr’autres Chah-Abbas Ier. , que tant de voya- 
geurs ont honore du titre de Grand, faire 
mourir son fils aine , par la seule crainte 


qu’il ne füt trop presse de regner? Ne voit-on 


pas de tems en teıns tous les fröres , tous les 
. parens de celui qui arrive au tröne tties ;' 
aveugles ou enfermes? — 0 

La cöte maritime , depuis les environs de 


Gomron ou Bender-Abassi , ‚ jusqu’au Schat- 


el-Arab ou fleuve des Arabes, est occupee: 
par diverses tribus d’Arabes ordinairement se&- 
dentaires , et rassembles dans de petites villes 
ou dans des villages qu’ils sont toujours pr&ts, 
& quitter au moindre danger qui les menace.: 
Tous ces Arabes sont sunnites, et consdquem- 
ment ennemis des Persans , avec qui ils evi- 
tent de s’allier. On evalue leur population & 


quatre ou cing cent mille individus. Ils sont 


tous soumis au roi de Perse ; ils lui paient un 
tribut annuel,, et lui fournissent des troupes 
lorsqu’ils en sont requis.. ‘Dureste, ils se gou- 
vernent A leur guise , et ils n’ob£issent qu’& 
leurs scheiks ou seigneurs, «ui sont ordinai- 
rement hereditaires, A moins qu’ils ne 'me- 
contentent-trop fortement la tribu. Dans ce 


ER 


106. VOYAGE EN PERSE. 


cas, tous les chefs de famille s’assemblent , 
les deposent ou les chassent, et en elisent 
d’autres, quils prennent.dans la möme fa- 


mille ou parmi celles qui sont les plus distin- 


guees et les plus riches. 


Ces.Arabes onten general peu d’industrie Pu 


parce qu’ils ont peu de besoins et tres-peu de 
desirs : ils sont si sobres dans leur nourri- 
ture , si simples dans leurs habits, si peu re- 
cherches dans leur ameublement , qu’ils se 
procurent , presque sans travail, tout ce qui 
leur est necessaire ; ils ont cependant quel- 
ques faibles navires au moyen desquels ila 
font un petit commerce avec Mascate. avec 
Bassora et avec les divers ports du golfe; 
quelques-uns se livrent A la p&che des perles, 
et se rendent pour cela , tous les ans, aux 
}les de Barrhein ; les autres elevent des trou- 
peaux ou cultivent la terre. 

: La tribu Kiab, qui habite la partie meri- 
dionale du Shusistan, ou’ cette partie de la 
Perse, qui s’etend & plus de vingt lieues & 
Vest du Schat-el- Arab, cultive plus particu- 
lierement la terre. Le pays qu’elle habite, est 
plus arrose,, plus fertile que le Kermesir, od 
3e trouvent les Arabes houles. On y recolte 
du riz, du fröment, de l’orge, du doura, du 


® 


mais, du:coton et des dattes en abondance.._ 


CHAPITRE TIL. 107 


Dans le Kermesir, la terre y est en general si 
peu fertile, si söche, que le soleil detruit ou 
Suspend de bonne heure la vegetation. La 
plupart du tems on nourrit le menu betail 
avec du poisson seche au soleil, et l’on a re- 
cours, pourle chameau, au u noyau de la datte 
qu on met en pouüdre. 

“ Tous ces Arabes sont naturellement portes 
aux armes; ils se font la guerre entr’eux, et se 
battent poyr oucontre les Persans, suivant les 
circonstances ou les inter&ts de leurs scheiks. 
S’ils Eetaient unis entr’eux , s’ils m’obeis- 
Saienttous qu’a un seul chef, ils resisteraient 
facilement au roi de Perse; ils pourraient se 
maintenir independans. Maisla jalousie d’une 
part, et !’ambition de l’autre, font qu’il ya 
toujours parmi eux quelques scheiks qui re- 
cherchent les faveurs de la cour, et qui sacri- 
fient pour cela les interäts de toute la na- 
tion. zu 

Pendant les troubles qui agiterent la Perse, 
la plupart des scheiks cessörent de payer leur 
tribut, ou’ne s’y soumirent que lorsqu’ils se 
trouvärent menaces par des forces conside- 
rables. Le khan du Laarestan avait fait ren- 
trer dans le devoir ceux qui &taient voisins de 
Gomron. KEerim dtait venu A bout de ramener 
velui de Bender-Abouchir, qui est le port de 


‘ 


2108 . VOYAGE EN PERSE. 


Chiras. Il ne songea pas, pour le moment,. 


a inquieter ceux du Kermesir, & quiilavait 
de tres - grandes obligations ; mais il crut 


ne devoir pas souffrir que Mir-Mahenna, 


scheik de Bender-Rik, qui l’avait abandonne. 
sous lesmurs d’Ispahan, et Suleyman, scheik 
de la trıibu Kiab, qui lui avait refuse des se- 
 cours dans le tems ou'il en avait le plus be- 
soin , meconnussent plus long-tems son auto- 
rite, et continuassent A se soustraire au tribut 
qu’ils devaient. - 

Il se decida & attaquer en mäme tems ces 
deux scheiks, et a ne leur accorder aucun 


repos qu’il ne les eht detruits , ou qu’il.ne ° 


les eüt mis & ses pieds. Neanmoins, avant de 
rien entreprendre contre eux, il les fit som- 
mer de nouveau de se soumettre ‚.et de iui en- 
voyer toutes les sommes arrierees qu’ils de- 
. yaient autresorroyal:surleurrefus, ildonna‘, 
en 1765 ‚le commandement d’une partie de 
son armee & Mir-Kuneh-Khan, arabe, avec 
‚ordre d’agir de concert avec le scheik d’A- 
bouchir, et de se porter- sur ‚Bender-Rik ; il 


marcha avec le reste de ses troupes, contre 


Scheik- Suleyman. 

Kuneh-Khan et le vekil agirent avec tant 
de lenteur ‚, que leurs ennemis eurent le tems 
de mettre tous leurs navires en &tat, et qu’ile 


. " CMAPITRE III. 109 


ı furent präts a 8’y embarquer au preınier 
‚signal. 

Kerim vint etablir son camp & peu de dis- 
'tance de Goban, petite ville situce sur le bras 
le. plus oriental du fleuve des Arabes, pres de 
son embouchure : c’etait le port de Scheik- 
'Suleyman, et le lieu de sa residence. | 

Suleyman etait alors fort puissant : il avait 
profite des troubles survenus en Perse pour 
faire la guerre A tous les scheiks de sa tribu, 
-qui occupaient, comme lui, de vastes do- 
maines dans cette contree, et etait venu & 

.bout de les chasser ou de les soumettre ; de 
sorte qu’il possedait presque toute la province 
de Shusistan. ou de l’ancienne Susiane. Il avait 

‚un grand nombre de petits navires avec les- 
quels il faisait- un assez grand commerce , et 

‘dont il s’etait servi pour enlever-aux Turcs 
toutes les iles qui sont a l’embouchure du 
Schat-el-Arab, et m&me le district de Dava- 

:sir ‚situe &la rive occidentale. 

Lorsque -Kerim parut aux environs de Gö- 
ban ‚, Scheik-Suleyman passa avec ses tronpes 
et tout ce quil avait de precieux , sur les iles, 

‚ob il continua son commerce , et ou il vecut 
aussi tranquille que s’il eüt Ete en paix avec 
‚tous ses voisins. 

Kerim ne pouvant le poursuivre faute de 


110 VOYAGE EN PERSE. 


‚navires ‚ invita le mutselim de Bassora , qii 
en avait, de sejoindre& lui pour detrujre leur 
ennemi commun. Mais le mutselim, soit qu’il 
ne voulüt pas compromettre ses forces nava- 
les , soit qu’il füt gagne par les presens de Sw- 
leyman ‚ne se pressa pas delever des troupes, 
et de reparer les navires necessaires pour 
‚ combattre le scheik ; de sorte qu’ennuye d’at- 
tendre inutilernent les secours qu’il deman- 
. dait, Kerim se retira apres avoir touche’'de 
son ennemi une forte somme d’argent, sous 
condition expresse qu’il ne ravagerait pas le 
pays,etqu’il nedetruirait pas les dattiers, qui 
forment la principale ‚ressource des Arabes 
kiabis. | .. a 
Lorsque le pays fut entierement evacus, 
Scheik-Suleyman revint a Goban, et conti- 
nua, comme. par le passe, & inquieter les 
Turcs, et a braver les Persans. Er 
Kuneh-Khan, de son cöte, ne trouva.non 
plüs aucun obstacle; il vint A Bender-Rik sans 


rencontrer un ennemi. Mir-Mahenna s’etait . 


egalement embarque avec toute sa tribu et 
toutes ses troupes, et etait alle s’etablir A une 


tle inhabitee, nommee Khoueri, voisine de 


Bender-Rik. | . ' 
Le scheik d’Abouchir avait bien quelques 


pelits mavires, et l’agent anglais, etehli dans: 





CHAPITRE III. ıı1 


cette ville, avait bien aussi fourni un petit’ bä- 
timent de guerre de sa nation ; mais ces forces 
navales,reunies ne purent venir & bout de 
battre celles du scheik de Bender-Rik, attendu 
que les Anglais se virent abandonneds toutes 
les fois quiil fallut en venir A un combat. 
Kuneh-Khan, voyant qu 'il ne pouvyait attein- 
dre le rebelle, se retira aussi dans le m&me 
tems que Kerim , sans avoir fait d’autre mal 
& l’ennemi, que de l’avoir mis en fuite, et 
avoir occupe sa ville et sa forteresse Dendant 
son absence. 

Quelque tems apr&s le depart de ce gene- 
ral, Mir-Mahenna retourna & Bender-Rik , et 
travailla A reparer les dommages que sa ville 
avait souflerts. Ce qui est assez singulier , 
c’est que, pendant que ce scheik etait4K houg- 
ri, iks’empara de.l’ile Karek , qu’occupaient 
depuis long-tems les Hollandais, et ou ils 
s’6taient assez bien fortifies. 

Mir-Mahenna ne jouit pas long-tems du 
plaisir d’Etre rentre dans ses domaines, de les 
avoir meme agrandis par la prise de Karek. 
Ses propres troupes, que sa tyrannie et sa 
ferociteluiavaient depuis long-tems alienees, 
resolurent , peu de tems apres leur arrivee & 
Bender-Rik , de se saisir de lui, et de le livrer 
4 Kerim. Instruit de ce complot , il prit la 





112 VOYAGE EN -PERSE. 


fuite, et vint A Bassora, ou il esperait vivre 
en paix en attendant. qu’il eüt pu conjurer 


Torage; mais il se trompa : le mutsclin , qui 


le regardait comme un ennemi des Turcs, le 


‘fit arräter et 'lui fit trancher la t£te. . ’ 


Apres la mort de Mir-Mahenna ‚ Bender- 


-Rik et les deux fles de Khoueri et de Karek 


rentrörent sous:la domination. de Kerim.: 

Pendant plusieurs annees Ja Perse jpuit de 
la plus’ grande tranquillit&. Moyennant les 
otages que le vekil avait reunis A Chiras et & 
Kaseroun , ou qu’il avait plao&s isolement 
dans l’armee, il n’eut A punir aucune rebel- 


lion, ni & reprimer aucune tribu un peu cor- 


siderable. La precaution qu’il pritde ne jamais 
congedier ses troupes , et de les tenir sans 


'cesse en mouvement , devait rendre‘les khans 


circonspects, et empöcher, parmi les militai- ' 
res, les complots que l’oisivete aurait fait 
naitre. On pense bien qu’il ne. manquait ja- 
mais de pretextes lorsqu’il fallait occuper ses 
troupes : tantöt. il envoyait des detachemens 
vers les provinces dont les gouverneurs lwi . 


paraissaient suspects , ou qui mettajent trop 


de lenteur & faire passer les-sommes d’argent 


‚ destinees pour le tresor royal ;. tantöt il or- 


donnait A divers corps d’aller pour quelques 
mois dans.les contrees les plusabondantes en 
comestibles 


5 CHAPITRE III. - 113 


comestibles ou en fourrages. Si les carayanes 
paraissaient avoir des craintes d’&tre pillces, 

e’dtait un motif pour detacher eing au six 
mille homines vers les endroits qui pouyaient 
Etre ıhenaces. 

Le Mazanderan et V-Aderbidjan furent sur+ 
tout les provinces.pü Kerim fit passer le plug 
frequemment des troupes. Il fallait contenir, 
dans la premiere, les seigneurs qui ne pou- 
vaient s’accoutumer au joug d’un Curde; et 
se tenir en garde contre les entreprises des 
Turcomans et des Ouzbegs, qui pouvaient 
fondre des diverses contrees du Khorassan, 
Il fallait, dans la seconde , surveiller les Lez- 
guis, les Georgiens , les Armeniens et leg 
Turcs, et se tenir toujours pr&t a combattre 
le khan de Kouba s’il s’ecartait de ‚ses de- 
voirs. 

Mais cet etat de paix, qui faisait le bonheur 
des peuples, excitait de tems en tems le mur- 
mure des troupes. Le militaire desirait: la 
guerre , parce que ce n’est que dans le tu- 
multe des armes, et 4 la suite d’une bataille 
gagnee ou apres la prise d’une ville, qu/il 
peut esperer de s’enrichir promptement. Le 
danger n’est rien pour lui; il est toujgurs pr&t 
Ale braver, pouryu quil se flatte de pouvoig 
s approprier tout eequitombera sous samain, 

Tome V- T. H 





214 VOYAGE EN PERSE. 

Kerim resolut de faire cesser ces murmures 
en faisant la guerre aux Turcs. 

Depuis que les Persans sont regis par les 
lois du Coran, ils n’ont jamais cesse de porter 
leurs regards vers cette heureuse contree que 
le Tigre et l’Euphrate arrosent ensemble de 
‚ leurs eaux. C'est le berceau de la religion des 
Chiis ; c’estlä que reposent les depouilles mor- 
telles d’Ali et de quelques-uns des imans le-:» 
gitimes, que la puissance des califes a oppri- 
mes ; c’est sur cette terre que les Persans 
croient devoir se rendre une fois en leur vie, 
et ou ils ordonnent, s’ils le peuvent, que leur 
corps soit transporte apr&s leur mort. Sa- 
marra, Bagdad, Kerbela et Mesched-Ali sont 
des lieux aussi sacres, aussi veneres par eux, 
que Medine et la Mecque par les Othomans, 

_ que Bethleem ‚ Nazareth et Jerusalem par les 
Chretiens. 

Independamment du motifreligieux qui de- 
'yait entrainer une partie de la nation vers 
cette guerre , Kerim y voyait un motif poli- 
tique. Ä 
- Le commerce de la Turquie avec l’Inde, 
qui donnait autrefois de tres-grands benefices 
a la Perse, ne se faisait presque plus que par 
Bassora. Les marchandises qu’on transportait 
par terre, sous le regne des Sophis,.de P’In- ‘ 





: CHAPITRE.III: 115 


doustan en Perse, et.de la Perse.en Turgquie, 
ainsi que celles qu’on deposait A Ormus ou A 
Gomron, et auxquelles on faisait traverser le 
Laarestan et le Farsistan pour les porter de 
lA& Ispahan, & Tauris, A Mossul, A Tocat, 
a Diarbekir ‚A Alep, venaient presque toutes 
remonter le Schat-el-Arab, et se rendaient A 
Damas, a Alep ou & Mossul sans passer par 
la Perse. 

L’ambition dont Nadir avait &t&tourmente, 
‚les guerres qu’il avait entreprises , la tyrannie 
quil avait exercee , avaient presque subite- 
ment tari toutes les sources de la prosperite 
publique. Les Banians , les Armeniens et les 
Juifs, par les mains de qui se faisait ce com- 
mercoe ‚ s’etaientsauves ‚, avec les debris de leur 


fortune , dans les differentes villes de l’Inde - 


et de la Turquie. Un grand nombre d’entr’eux 
etaient venus s’dtablir A Bagdad et A Bassora, 
et y avaient attire directement les marchan- 
. dises qu’ils recevaient auparavyant & Ispahan, 
A Chiras, & Casbin ou a Tauris. 
Kerim n’avait rien neglige, comme nous 
l’avons dit, pour faire revenir ces negocians 
dans leur patrie ; mais soit qu/ils craignissent 
de nouveaux troublgs apr&s sa mort, soitqu’ils 
n’esperassent pas reprendre leur commerce 
avec le m&me ayantage, soit qu’ils fussent 
| H2 


a1a6.  VOYAGE RN PERSE. 

satiefaits de lesır sort, il n’&tait gudre rentre 
&jwe.oaıx qui’se trouvalent sans fortune , sans 
resource, et:oonsequemment hors d’etat de 
faire reprendre aux marchandises leur an- 
Aemie route. 

Korim troyra facilement un urdsexte ( de 
Saire la guerre aux 'Turcs. Quelques demäles 
april evait eusayec:Omar, pacha de Bagdad, 
au sujet des pelerins qui se rendent chaque 
aunde:A Alesched-Ali, au nombre de quatre 
‘ou:ciay-mille ‚et dont on exige- une taxe plus 
-Ou moiss forte , saivant les circonstances , 
svaient :porte Kerim & demander. & la Porte 
othonmane la söte d’Omar, et l’abalition d’un 
‚droit ‘que la religion proscrivait, et auquel 
‚d’ailleursie souverain de la Perse ne pouvait 
_ ‚souscrire sans: deshonneur. 

Sur le refus qui ai fut fait, ou sur les eX- 
‚Plications qu’on lui demanda , le vekil.se pre- . 
‚para & la guerre. Il fit armer, en 1775, dans 
les ports de’ Bender-Abouchir, de Bender-Rik 
et de Goban , toutes les ‚galvettes et autres 
‚petits bätimens .qui 6’y trouvaient,, et leur 
:donna l’ordre de se rendre dans le Schat-el- 
Arab, otı il.envoya par terre cinquante mille 
hommes commandes par son frere Sadek- 
Khen,, beyler-bey du Farsistan. La flotte, 
‚ainsi que l’armee, se trowverent devant Bas- 


> 


CHAPSTREIIE ° 017 
sora au commehdement d’avril, ot sten: em- 
parörent apres treize mois de siege , ainst que 
nous l’avons dit ailleurs- (1). Ä 

Sadek-K.han resta jusyu’en septembre 2997 
a Bassora , sans que le pacha cherchä£# & Yin» 
quieter, ni que la Porte othomane fit aurune 
disposition pour le forcer d’6vacner cetteplace,. 
Rappele aupräs de son fröre avec une partie 
destroupes, pour reprendre 6 gouvernement 
du Farsistan et maintenir le bon ordre & Chi 
ras , ainsi qu’il s’en etalt acquitte euparavant, 
il fut remplace & Bassora par Ali-Mehemert- 
Khan, homme vain , presomptueuzx , facile & 
tromper , adonne au vin et aux femmes, et 
peu propre, sous tous les räpports, & Pemploi 
dont il etait charge. | 

Immediatement apres la prise de Bassore,, 
les Arabes moritefiscs, qui se tronvaient dens 
la ville et qui avaient fait preuve de courage 
pendant le siege, eurent la faculte de se retirer 
dans leurs deserts, oix de demeurer dans la 
ville s’ils le jugeaient & propos. Ils obtinrent 
de Sadek le privilege d’apporter leurs denrees 
a Rassora, et de les y vendre ou &changer 
comme bon leur semblerait sans peyer aucun 
droit ; privilege dont: ils ne manguerent pas 


(1) Tom. IV, pag. 343. 


118 VOLACE EN PERSE. 


de profiter , et dont les habitans se trou- 
verent bien, attendu qu’ils manquaient de 
tout, et que leur ville d’ailleurs s’appro- 
visionne en grande partie par la voie des 
Arabes. 

Peu de tems apres l’arrivee d’Ali-Mehemet, 
la tribu toute entidre se divisa en deux partis: 
ceux qui avaient soutenu le siege et un grand 
nombre d’autres , sous les ordres de Scheik- 
Toueni , resterent attaches aux Persans , et 
continuerent de frequenter la ville ; les autres, 
beaucoup plus nombreux , sous les ordres de 
Scheik-Thamar , se decelarerent contre, et 5e 
disposerent & arröter les subsistances et tou- 
tes les denrees qu’on portait & la ville, et 
meme A ravager les champs cultives des en- 
virons. | 

Ali-Mehemet et Toueni, que Thamar me- 
nacait egalement, s’engagerent & agir de con- 
cert, et & combattre ensemble leur ennemi 
commun. Toueni faisait esperer A son allie 
une victoire facile et un butin considerable : 
il avait, disait-il, des parens et des amis dans 
le partiennemi, qui le serviraient lorsqu’il en 
serait tems; il connaissait le terrain ; il devait 
&tre instruit de tous les mouvemens de Tha- 
mar : tout faisait esperer le succes le plus 
eomplet. 


m mn 0 nn 





> CHAPITAE III. 219 


Alı-Mehemet, plein de confhiance dans ses 
forces , et rassur& par le ressentiment que 
Toueni paraissait &prouver contre son adyer- 
saire , sortit de Bassora avec cinq ou six mille 
Persans et trois ou quatre mille Arabes des 
environs.du golfe , et vint joindre son; allie 
qui l’attendait’& une journee de la ville. avec 
quatre mille Arabes montefises. Des qu’ils fu- 
rent reunis , ils entrerent ensemble dans. le 
desert , et se dirigerent. vers l’endroit ot 
Scheik-Thamar etait campe avec douze mille 
cavalıers. ze 

Les deux armees ne furent pas plutdt en 
presence , qu’elles en vinrent aux mains. Les 
troupes d’Ali-Mehemet se battirent d’abord 
avec Courage ; mais se voyant tout & coup 
abandonnees par les Arabes de Toueni, qui 
. Prirent la fuite un moment apres que l’action 
se trouva bien engagee , la peur les saisit , et 
elles n’opposerent plus qu’une faihle resis- 
‚tance. Leurs ennemis , au contraire, redou- 
blant leurs efforts, elles furent battues, dis- 
‚persees , et obligees de chercher leur salut 
dans la fuite. Ali-Mehemet fut tue un des 
premiers : un grand nombre de Persans res- 
terent sur le champ- de bataille. Tous ceux 
qui, dans leur fuite, se trouverent demontes, 
‚ou qui n’eurent pas la force.de.suivre leurs 


2136 voYfich EN FERSE. 
 &itmarades, firene massaores. I ne rentra pas 
a Balsora KM 'rnditie de V’armee qui er etait 
‚sörtie „et tout ie bapkge, toutes lds prori- 
sions ; tolle les chamedtirz de wandporf fürent 
petdus: 2 

Al iforivelle de dette defaite,, Kerimi donna 
ördre &-Sadek de 4& Yendre & Bassora 'aree 
de fibtirelles tröupes. I hai reeöommanda de 


Yivze en bone ihtelligenoe aveo led Araber, | 


er de tächer imäme de les meftre tous dans 
son pärti; afın de. pouvoir poursuivre. . dass 
cette contree les conqu£tes qu’il mediteit. 


' Sadek, corförmemerit zux yues de sömfräre, 


ne chercha point ä döcawvrir si Touieni avait 
‚servi les Persaris aveo zele et fiddliie , au si 
les Avait trahis : il-contiriug de le volr avec 
"bitnveillänee ; ih Ati paix avbo Thamar , et 
il ässura par ce möyerr les subsistänees aux 
Habitahs dd Bässbrä« : 

Hy ayalt quelgte teind que Kertıt ävait 
nomme dt souverhement d’Aster-Abad Hus- 
‘sein-KKan, "Alk atne de Mohamtned«Hassan- 
"Khän. Ob seigtenn ayait profird de Pähsence 
‘d’une pärtie des trötfres du vekil pour se 
teralier zH aait 'dejk: parvenü & ehtrainer 
dans son parti ta plurpiaft des seigrieurs de la 
partie‘ orientale dit Mazanderan, et menacait 
de se reirdre imaftre de toute la province. K£- 


CHAÄPITRE Item 121 
tim denne quelques troupes A son frere Zeki- 
Khan ‚ ävec l’ordre d’aller chätier tous les 
rebelles, et mettre cette province hors d’etat 
de pouvoir jamais rien entreprendre contre 
lui. Zeki-Khan parvint & battre le rebelle 
Hussein, et & le faire prisonnier : ıl le fit 
cruellement perir , ainsi que tous les seigneurs 
qui s’etaient declares en sa faveur; mais il 
laissa vivre Morteza-Kouli-Khan et Mousta- 
pha-Kouli-Khan , tous les deux freres du re- 
belle Hussein , attendu qu’ils n’avaient pris 
aucune part A la revolte, et quils avaient fait 
au contraire quelques efforts pour l’empe- 
cher. Le premier möme fut nomme par Kerim 
au gouvernement d’Aster-Abad. Zeki-Khan 
retourna A Chiras lorsque tout fut bien tran- 
quille dans le Mazanderan. 

Telle etait la situation de la Perse lorsque 
Kerim fut atteint tout & coup d’une maladie 
qui le conduisit en peu de jours au tombeau. 
Il mourut & Chiras le 13 mars 1779, dans la 
soixante et quatorzieme annde de son äge ‚et 
dans la dix-neuvieme deson regne s’il date du 
. moment qu’il eut detruit Mohammed-Hassan. 
Il avait perdu, le 18 juillet 1778 , Mohammed- 
Rasin-Khan, le second de ses fils; ce qui lui 
avyait cause assez (le chagrin pour alterer sa 


‚122 CHAPITRE: III. 


sante, et pour lui occasionner .peut-&tre la 
maladie a laquelle il succomba. Il en laissait 
deux autres, Aboul-Fetah-Khan, Age d’en- 
viron trente ans, et Mohammed-Ali-Khan, 
\ qui pouyait en ayoir dix-huit ou dix-neuf. 


VOYAGE EN PERSE. 123 





CHAPITRE IV.. 


Eloge deK erim. Zeki-Khan s’empare 
du powvoir. Revolte d’Ali-Murad- 
Khan. Zeki-K han est tu au milieu 
de son armede. Aboul-Fetah-K han en 
prend le commandement, et se fait. 
reconnaftre pour lechef de l’Empire. 
Sadek-Khan se dispose a succeder & 
Kerim ; il fait aveugler Aboul-Fe- 

- tah. Nowvelle revolte d’Ali-Mourad- 
Khan; il assiege Chiras , la prend, 
‚fait massacrer Sadek et tous ses ‚fls; 
et s’empare du powoir. 

L: regne de Kerim n’ayait pas ete aussi bril- 

lant-que celui de Nadir ; ses victoires n’a- 

vaient pas etonne l’Europe ni fait trembler 

la Turquie. Le peuple, moins agite, ne s’etait 
pas autant couvert de gloire ,. mais il avait 
ete plus heureux : il avait pu se livrer sans 

' inquietude & ses occupations, & ses goüts, & 

ses plaisirs ; il n’avait pas craint d’etre de- 

pouille de ses biens ‚ d’&tre transporte de force 
dans quelque province eloignee , ou oblige 
d’aller se battre.pour des inter&ts etrangers 


124 VOYAGCGE EN PEXSE. 


ou contraires aux siens. Les guerres que fit 
Kerim apres s’ötre empare,d’un tröne qui, 
n’appartenant A personne (1), pouvait &tre la 
proie du’plus.brave ou du plus adroit, avaient 
pour objet d’assurer la: tranquillit& de ’Em- 
pire, de maintenir les khans dans le devoir, 
de forcer au tribut. les scheiks arabes qui vou- 
laient s’y sousträire. Ses cönqueätes ne ten- 
‚daient pas, comme celles de Nadir , A ravager 
le Moride pour l’asservir, & deponiller les peu- 
ples pour les subjuguer , A marcher sur des 


<adavres ou sur des ruines afın d’arriver au 


pouvoir absolu; elles avaient un but utile. 
La prise de Bassora , ville. qui avalt autrefois 
appartenu & la Perse,, assurait ä cet Empire 
un commerce plus etendu. La religion eüt'ete 
satisfaite si les contrees qui renferment les 
deponilles des mortels veneres des Persans 
avaient'pu passer sous leur domination , ainsi 
‚que le ‚projetait Kerim lorsque la mort le 
surprit, | | 
Reparer les maux que la tyranno et les 
troubles. cıvils avaient occasionnes , inspirer 
de la confiance aux Persans et. les engager A 
se livrer au travail ‚ les faire jauir de la paix 





(1) On n’a jamais cru en Perse , qu’Ismaäl füt issu de: 


_Chah-Hussein : c’etait une ruse qu’Ali-Merdan avait 
imaginee pour capter les suffrages du peuple. 


CHAPITRE IV: "125 


au dehors, et leur assurer la tranquillite au 
dedans, tel fut le veu constant de Kerim. 
Sous son regne, les caravanes ne furent ja- 
mais pillees , les caravanserais furent repares, 
le commerce fut prot$ge ; le peuple ne fut pas 
€Ecrase par des impöts; ’ordre se retablit par- 
tout , la justice fut prompte et severe, mais 
impartiale; et paur faire, en deux mots, l’e- 
loge de ce prinoe ‚il fut generalementzegrette 
A sa mort, et sa memoire aujourd’hui est en 
veneration. | 

Le respect que cet homme avait imprime 
aux Persans.peur sa personne , et la oerti- 
tude que les grands.avaient de la superiorite 
de ses talens, emap@cherent que son regne ne 
füt tronble ; mais & sa mort , tout prestige 
etant detruit,, toute crainte cessant , les am- 
bitieux s’agitärent de nouveau pour s’em- 
parer du supr&me pouvoir. 

La race des Sophis etait .eteinte ; celle de 


_Nadir n’existait plus.ou etait-indemnisde par 


le Khorassan. ‚Kerim venait de regner en 
Perse avec gloire ;‘il avait.cıcatrise les plaies 


-de ’Etat; & lui devait commencer une nou- 
-velle dynastie ; il devait avair pour successeur 


celui que la naissance , le voeu du peuple et 


de l’armee y appelaient. Aboul-Fetah-Khan 
‚sor "Y alne n’avait-pas son genie, sa gran- 


——n -—-—o 
» 


126 VOYAGER EN PERSE. 

deur d’ame , ses talens militaires ; ndanmoins 
on lui reconnaissait de l’intelligence , de la 
droiture, de la bravoure , et une infinite de 


qualites qui pouvaient faire esperer un regne 


heureux. Le peuple l’aimait ; l’armee: avait 
pour lui de l’estime ; les grands, en general, 
n’etaient pas fäches de le voir monter sur le 
tröne.: rien ne semblait s’y opposer quand 
tout & coup Zeki-Khan son oncle parut pour 
le lui disputer. 

Depuis que Zeki-Khan etait rentre en grace, 


‘il avait constamment joui d’un tres- grand 
credit ; il avait plusieurs fois commande les. 


armees ; il etait & la t&te des troupes qui se 
trouvaient A Chiras; il ne lui fut pas difficile, 
sous pretexte de maintenir l’ordre et de veiller 
a la shrete desprinces, de s 'emparer de toute 


"Yautorite. 


Son premier soin , des que Kerim eut ex- 
pire ‚, fut d’appeler aupres de lui le comman- 
dant de la garde,, pour l’empächer de rien 
entreprendre en faveur des fils du defunt. I 
fit entrer ceux-ci dans le harem de leur pere, 
et fit'mettre une forte garde A la porte; il re- 
pandit ensuite ses troupes dans la ville, leur 
ordonna de s’emparer des portes et d’aller oc- 
cuper la citadelle. . 

‘ Tout reussit au gre de ses desirs, si ce n’est 


y 


CHAPITRE- IV. 127 


‘que le detachement qui se presenta & la cita- 
delle en trouva les portes fermees. Vingt-deux 
ofliciers des plus distingues de l’armee s’y 
etaient deja rendus avec deux cents soixante- 
deux personnes de leur suite, et en avaient 
pris possession aunom d’Aboul-Fetah-Khan. 
Ils avaient espere d’etre secondes par la garde 
du roi et par les troupes; ils ayaient cru que 
le peuple de Chiras s’armerait en faveur du 
fils de Kerim. Zeki-Khan n’etait point aime ; 
il passait pour un homme ayare, cruel et or- 
gueilleux. Les depenses qu/il faisait depuis 
quelque tems , ne pouvaient effacer les mau- 
vaises impressions que sa conduite anterieure 
avait produites. On savait que s’il n’avait pas 
craint le courroux de son frere , plusieurs 
fois il aurait trempe ses mains dans le sang. 
Les grands ne pouvaient lui pardonner son 
air hautain et dedaigneux ; les söldats &taient 
revoltes de son'excessive duret@, et le peuple 
se croyait offense du mepris qu’il affectait & 
son egard. 

Cependant comme Aboul-Fetah- Khan s se 
trouva prisonnier avant märne qu’on se doutät 
des pretentions de son oncle , personne ne re- 
mua en sa faveur. Zeki-Khan yit m&me son 
parti se grossir tous les jours. L’or qu’il re- 
pandait & pleines mains attira sous ses dra- 


+ 


128 . VOYAGE EN PEASE. 


peaux toutes les troupes qui.se trouvaient & 
Chiras et aux environs, etla crainte qu’il sut 
'inspirer au peuple fut si forte, qu’on atten- 
dit en silence le resultat de cette Jutte. 

Zeki-Khan, maätre de la personne de son - 
neveu, ayait fait investir la citadelle,, et avait, 
fait occuper tous les postes importans de la 
‚ville. La citadelle ne pouvait resister long- 
tems; mais il se voyait ablige de lassieger 
en rögle, ou d’attendre que les provisions 
quelle contenait, fussent Epuisees ; il avait 
d’aiNeurs & craindre qu’on ne s’armät contre 
Jlui, dans les provinces , s’il &prouvait de la 
resistance dans la capitale. Ces reflexions lui 
firent prendre le parti d’offrir aux officiers 
qui s’y etaient enfermes , leur pardon , la 
conservation de leur grade , et m£me son 
amitie 's’ils Iui remettaient A l’instant. m&me 
la citadelle. Il-leur apprenait qu’Aboul- 
‚Fetah-Khan e&tait entre ses mains , que per- 
sonne ne s’etait arme en sa faveur,, que Chiras 
&tait soumis, et que tout l’Empire allait suivre 
l’exemple de la capitale. 

Les oflıciers n’eurent pas ä deliberer long- 
tems sur Je parti qu’ils avaient A prendre. 
Prives de tout secours et livres A eux-m&mes, 
ils dürent accepter avec empressement les of- 
fres qu’on leur faisait; ils ouvrirent donc les 

pörtes 


CHAPITRE IV. 129 


portes & la garde que Zeki-Khan yenvoya, 
et se soumirent sans difhculte & leur nouveau 
maitre ; mais des que celui-ci n’eut plus rien 
a craindre de leur part, il les fit saisir , se 
les fit amener, et les fit impitoyablement mas- 
sacrer les uns apre&s les autres en sa presence; 
leurs cadavres furent jetes sur la place pu- 
blique, afın d’intimider ceux qui‘pourraient 
&tre tentes de se declarer en faveur des fils 
de Ke£rim. 
. Les jours suivans, "Zeki-Khan fit perir tous 
les grands de la ville, qui lui parurent sus- 
pects, ou dont il redoutait l’influence. I 
s’empara de leurs propriet£s, de leurs meu- 
bles, de leurs eflets, dont il fit distribuer 
une partie aux soldats, afın de se les atta- 
cher. 

Lorsqu’il se vit le maitre de Chiras , il 
voulut s’assurer des provinces; il expedia , & 
cet eflet, descouriers & tous les gouverneurs, 
pour leur notifier la mort de.Kerim, pour 
les instruire de son elevation A la souverai- 
nete „ et pour les obliger & lui envoyer leur: 





soumission et les presens d’usage. Ceux. qui  . 


lui paraissaient suspects furent destitues , et. 

‚remplaces par des hommes dont il se croyait 

‘ süır. Le gouvernement d’Ispahan , le plus im- 

portant de tous, fut donne A Barstan-Khan, 
' Tome VI. 2 I 


ı30 VOYAGE EN PERSE. 


qui 8’y rendit aussitöt avec cing mille hom- 
mes de troupes. Un autre general eut ordre 
de partir sur-lechamp pour Yesd avec mille 
hommes. Ali-Murad-Khan fut envoye A Te- 
heran & la t&te de dix mille hommes , pour 
s’assurer du nord de la Perse. 

Ali-Murad etait le fils d’un Curde, , cousin- 
germain de Zeki, de Sadek et de Kerim , et 
sa mere, veuve de bonne heure, etait .deve- 
nue l’epouse de Sadek : il avait long-tems 
combattu sous les yeux de ses oncles; il 

s’etait distingue dans plusieurs affaires im« 


portantes; il etait actif, entreprenant,, quel- 


quefois temeraire.. Doue d’un esprit juste , 
d’une sagacite profonde, personne n’etait plus 
prompt & se decider que lui. Genereux , ıma- 


gnifique et enclin aux plaisirs , le soldat l’ai- 


zait,, etla nation entiere ne pouvait Iui re- 
fuser son estime. 


Indigne sans doute de la conduite de son | 


oncle envers Aboul-Fetah , qui se trouvait 


toujours renferme ; revolte du massacre des _ 


ofhicierset desprincipaux habitans de Chiras, 
Ali-Murad ne fut pas plutöt arrive& son gou- 
vernement , que, bien loin de disposer les 
esprits en faveur de Zeki, il songea & lui faire 


la guerre et & placer sur le tröne le fils de 


Kerim. 


| CHAPATRE'IV. . 131 
“ Iltrouva les habitans de Teheran ; de Cas- 
bin, de Kom et de Cachan , tres-portös’a le 
seconder ; car des qu’ils:connurent ses änten- 
tions. ils prirent les:armes , et jurärent’de ne 
pas les 'quitter qu’Aboul - Fetah ne für:& la 
tete du gouvernement:' Ils partägeaient son 
indignationcontrel’'homme quigvait, osd&char- 
ger de chalnes le fils. de Kerim'; ils etaient , 
comme lui, outrds de l’attentat commis.en- 
vers: ces vingt +deuxw:officiers qui-, ‚par. zäle 
pöur leur souveräinildgitime , s’etaient em- 
pares en son nom d£ la ritadelle ‚ et: ne''»- 
vaient: cedee ensuite:que sur:la promesse" de 
Zeki, qu’il ne serait point attente d:lear vie. 
Le.massacre des principaux habitans de Chi- 
ras les revoltait:z ils .craignaient de: voir rer 
nowveler les scönes sanglantes des detnidres 
anndes dw'rögne:de’ Nadir. D’ailleurs , tous 
les Persans devaient-A la mömoire de Körim, 
a la memoire de celui qui avait consaore tous 
les instans de son. regtle a leur bonheur, de 
ne pas permettre que sort Als für dsoiille 
de om’ heritage..in. ges: am 


n 


Alh:Muürad'se vit'‚;en'peu de:joufs ‚ en dtat 


- de ttenir t&te 4’ Zeki, et m&me de le estnbättre 


avecavantage. Douzemille hommesdebonnos 

troupes; bien aguerries ;-vinrentjoindre velles 

quil avait, et l requt en abondance de toutes 
I2 


ı3n VOYAGE:EN. PERSE. 


parts. Vargent et les pravisions necessaires a 


Teurentretien. ne: | r 


(Iaforme qu'il yavait, ä ‚ Ispahan, u un ‚parti 
träsı nombreux en favenr d’Aboul-Fetah , ıl 


‚Vint s’y presenter au cömmencement .de mai 


1799:: Barstan - Khan en. £tait sorti avec sa 
tronpe«spielquies jours auparavant,:et avalt. 
pris leich&min de Chiras. : De 
:: Sadek-Khan &tait, comnie nous Yavons dit, 
a ’Basaora.::D&s qu'il:ewtralppris la mort. de 
Kerim ;.l’emprisonnerherit.:d’Aboul-Fetah , 
et les: pretentions'que Ziki-Kıham, son frere 
shanifestait pour lespouwöir supriäme‘ ‚il se 
disposalä'@vaonuer la ville et.a revenir A Chiras 
ävec toute.som auımee : il’abandonnaitıpar-lä 
sa: conquöte:; il rendait Aux "Turcs une! ville 
qui , , hivree a .:elle-m&me ‚.avait redsist&treize 
mejs .& des forces trds - consid6rables , „et ne 
8’tait rendne. qu’aprds.avoir- Ephise: ses pro- 
visions ı Bassora.d’atlleurs.ouvrait & la Perse 
le chemin- de la Babylonie. nmel 
' Ces considerätions n’arr&terent pas Sadok: 
les evönemens qui se passaient-A Chiras Pin- 
teressaient trop' fortement pour qu’il ne son- 
geät -pas,& tirer parti_ des, troupes quwil avait 
A.ses ordres.: La,perte.de Bassora n’etait rien 
pour lui, si par elle. il pervenait : a supplanter 
son drere.. a 2 4 9» 


.ı%y % 
- .. 


CHAPITRE'IVi-- 133 
: Sadek aurait peut-ätfe vu d’un eil tran- 
quille Aboul-Fetah succeder ä Kerim ; il n’au- 
rait pas ose se r&volter si le peüple et l’arınee,, 
les chefs de tribus et tous les gouverneurs de 
provinces 8’etaient soumis au souverainlegi- 
time ; mais la conduite de Zeki semblait auto- 


riser la sienne ; elle lui fournissait un pretexte 


plausible de faire la 'guerre ;'elle lui donnait 
desesperancesqu’iln’aurait puavoir sans dela. 
Les droits de Sadek au tröne de la Perse n’e- 
taient pas mieux fondes que ceux de Zeki, 
puisque les lois, les usages et la volonte de 
Kerim y appelaient Aboul-Fetah ; mais celui- 
ci etait prisonnier ;.il pouvait d’un moment A 


Yautre avoir les yeux creves, .et ätre par-lä 


exchus de tout gouvernement. Sadek s’etant 
arme en sa faveur., il’ avait l’espoir:de le rem- 
placer si les circonstances devenaient favo- 
rables. ie 0 

 Sadek s’avancait lentement et avec precau- 
tion : il sondait pour ainsi dire le terrain; il 


‚ avait des amis , des partisans A Chiras , qui 


linformaient de ce qui se passait. La haine: 
que le peuple et l’armee avaient pour Zeki lui 
donnait les plus grandes esperances : la re- 
volte d’Ali-Murad avait ralenti sa marche :.il 
voulait voir le resultat de cette lutte avant de 
se decider sur le parti qu'il prendrait. 


134 VOYAGE EN PERSE. 

‚Chemin faisant , il'avait appaise quelques 
troubles dans le Kermesir ,ety avait laisse des 
troupes. H.ayait licencie une bonne partie de 
son armee. ahın de ne:donner aucun soupcon 
a son fräre, et etait venu camper, &, deux 
journees de Chiras, avec trois mille hommes 
seulement. 

Les premiers jours quil ft camp se pas- 
sörent, entre lui et son fräre, en politesses, 
en temoignages reciproques Pamitie. Zeki en- 
voya son fils Akbar-Khan et plusieurs sei- 
‚gneurs aupres de Sadek: pour le complimen- 
ter et lui fatre quelques presens ; celui-ci fit 
accompagner ces seigneurs,, A leur retour‘, par. 
son fils Djatlar , qu’il'chargea de presens en- 
core plus riches. Zeki avait proteste de sa 
soumission, et avait invit& son aine A se ren- 
dre, le plus töt possible, & Chiras, afın.de se 
mettre & la t&te du gouvernement , pour le- 
quel Aboul-Fetah avait moritre, disait-il, de 


l’aversion. Sadek ‚parsesreponses,avaitparu 


tres-€lotgne de s’emparer du pouvoir : degage 
de toute ambition, il-desirait qu’Aboul-Fetah 
succedät & son pere, et, & defaut, que ce füt 
Mohammed-Alı, sous la surveillande de son 
beau-pere. | 

Mohammed-Ali, Age alors de dix-neuf ans, 
ayait Epouse , quelques mois avant la mort:de 


nd 


.. 


CHAPITRE IV. 135 


Kerim , une fille de Zeki-Khan, et avait di6 
nomme commandant-general de la garde de 
nuit, Zeki avait-toujours parn laflectionner 
comme son propre Äils. 

. Djaflar ne fut pas plutöt & Chiras, qu’il fut 
secretement informe que son oncle ne cher- 
chait & attirer Sadek aupr&s de ui que pour 
le faire perir : il sut’que lea fils de Kerim 
Etaient detenüs,malgre eux;; il vit les prepa- 
ratifs que l’on faisait pour attaquer son pere 


sl s’obstinait A rester &loigne de la ville ; ıl 


craignit pour lui-m&me. Invite A un festin que 
Zekidonnait & son occasion , il s’&chappa fur- 


 Gvement, monta & cheval, et courut & toute 


bride informer Sadek de tout ce qu/il avait 
appris. 

Zeki, se voyant decouvert, ne perdit pas 
un moment; il fit courir apres Djaffar ; ıl hit 
arröter trois fils de Sadek qui se trouvaient & 
Chiras , nommes Mataki-Khan, Ali-Nagui- 
Khan et Hassan-Khan ; il ordonna la demo- 
lition de leurs palais et la confiscation de tous 


leurs biens,, etil envoya secretement dans le 
. camp l’ordre & tout oflicier et soldat de se 


rendre sur-le-champ dans la ville, sous peine 
d’avoirleursproprietesconfisqueesetleurspa- 
rens maltraites. On ne put atteindre Djaffar; 
mais ’ordre produisit son effet; presque tau- 


— 


136 VOYAGE EN PERSE. 

“tes les troupes qui restaient ä Sadek ayant 
leurs parens et leurs amis ä Chiras, la deser- 
tion fut prompte et generale; il ne resta que 
trois cents hommes , etrangers & cette ville, 
commandes par Mohammed-Khan, Sistani, 
quijurerentdenepasabandonnerleur general. 

‚Zeki-Khan, qui s’attendait & cette deser- 
"tion, avait donne ordre & trois ou quatre 
cents cavaliers d’elite, de tomber A l’impro- 
viste sur Sadek , de s’en emparer ou de le faire 
mourir; mais ce coup de main echoua par la: 
fidelite des Sistanis, qui se battirent bien, et 
' tuerent m&me le commandant ennemi. 

Sadek se rendit, avec ses trois cents hom- 
mes, dans le Kerman, ot il trouva Seyd- 
Mirza-Aboul-Hassan , seigneur tres-riche, qui 
lui fournit 36,000 tomans (2,160,000 liv.), & 
Y’aide desquels il rassembla de nouvelles trou- 
pes, et se disposa & reparaltre sur la scene. 

Zeki n’eut pas plutöt mis en fuite Sadek, 
qu’il songea A marcher contre Ali-Murad. 

Il avait appris, sans en £tre effraye, la re- 
volte de ce dernier et les dispositions hostiles 
de tout le nord de la Perse. Il se flattait qu’en 
accelerant son depart, il lui serait aise de dis- 
. siper une armee qui n’aurait pas eu le tems 
de s’organiser, qui devait manquer de tout, 
et qui d’ailleurs, par le nombre, ne pouyait 


u an. ui äte sei en Vu 


A —r 


CHAPITRE IV. ‚137 


se mesurer avec la sienne. Il ne lui fallut pas 
huit jours pour &tre en &tat de se mettre en 
campagne, et de marcher vers Ispahan. Il 
laissa A Chiras un de ses fils avec fort peu de 
troupes, et il emmena avec lui Aboul-Fetah,, 
Mohammed-Ali, ses trois nouveaux prison- 
niers, Mataki-Khan, Ali-Nagui-Khan, Has- 
san-Khan, et tous ceux des habitans qui, par 
leurs liaisons avec Sadek ou avec Ali-Murad, 
pouvaient lui faire craindre quelqu’ entreprise 
contre son fils. Ä 

Il arriva , le septi&me jour de son depart, a 
‚Yesdekast, "ville peu etendue , mais assez bien 
fortifiee, etil y sejourna le huiti&me, afın de 
laisser reposer ses troupes ; il n’avait plus que 


. trois ou quatre jours de marche pour se ren- 


dre & Ispahan. Informe qu’il y avait & Yes- 
dekast une somıne de trois cents tomans 
(18,000 liv.) qui appartenait au fisc , et dont 
V’envoi & Chiras avait ete retarde A cause de 
la mort de Kerim, il demanda cette somme.. 
On lui repondit qu’Ali-Murad l’avait exigee 
de vive force, et qu’on la lui avait remise. 
Sur cela il entra en fureur, accusa la ville 
d’avoir voulu favoriser le rebelle, fit saisir 
les principaux habitans au nombre de vingt- 
huit, et les fit precipiter du haut des murailles 
de la citadelle ; il. fit ouvrir le ventre & un 


! 


»38 _"VOYAGE EN PERSE. 


scheik ou emir,parentde Mahomet, etvendre, 
dans toute la contree , comme un saint per- 
sonnage : son crime etait d’avoir assiste A la. 
deliberation qui avait ete prise au sujet de ces 


‚ tröls cents tomans, et d’ayoir ete d’avis qu’on 


ne pouvait se dispenser de les donner & Ali- 
Murad qui les reclamait imperieusement. 

Zeki-Khan ordonna en m&me tems la de- 
molition de la citadelle et des maisons qui y 

nt enfermees, et dans sa rage il fut plusieurs _ 
fois sur le point de raser la ville, et d’en 
egorger tous les habitans. 

Tant de cruaute, tant de sceleratesse dans 
P’hemme qui voulait usurper le pouvoir, re- 
volterent si fort tous ceux qui en furent les 


temoins, qu’a l’instant m&me une partie de sa 
. garde prit la resolution de purger la Terre de 


ce monstre. Le complot ne fut ni long A our- 
dir, ni difficıle A executer : la nuit suivante, 
des que les courtisans de Zeki furent sortis de 
sa tente et qu’il s’y trouva seul, les gardes, & 
un signal convenu , en couperent A la fois tou- 
tes les cordes qui la soutenaient, etl’abattirent 
sur lui. Embarrasse, comme il düt l’Etre,, et 
ne pouvant se defendre, il fut perce de mille 
coups et laisse mort sur la place. 

L’effet que cette nouvelle produisit le len- 
demain sur l’armee , fut tel qu’on devait l’es- 


‘N 


= 


CHAPITRE IV. 139 
perer. A. la pointe du jour le camp retentit de 
mille cris de joie ; on n’entendit de toutes 
parts que des chants d’allegresse : il n’y eut 


‚personne qui n’applaudit au coup qui venait 


de frapper ’homme qu’on regardait deja com- 
me le plusmechant ‚leplus.cruel , leplusferoce 
de la Terre. Tous les soldats se porterent en 
foule A latente de leur general; tous voulurent 
jouir du spectacle qw’offrait le tyran abattu : 
c’etait A qui maudlirait le plus sa memoire ; 
c’etait A qui pourrait arracher un lambeau de 
sa chair. La prise d’un grand convoi lorsqu’on 
manque de subsistances; la reddition d’une 
place importante apr&s un siege long et meur- 
trier ; une victoirecomplete obtenueavectres- 
peu de perte ou une paix honorable & la 
veille d’un'combat , rien de tout cela ne sera 
jamais aussi agreable & une armee, que la 
mort de Zeki ne le fut A la sienne. Ce qui est 
digne deremargque, c’est que, parmi ce grand 
nombre d’hommes accoutumes & le servir, 
prets A braver pour lui tous les dangers, on 
ne vit couler aucune larme, on n’entendit 
aucun sonpir : pas un regret ne fut donne & 
sa memoire ; pas le moindre remords ne tour- 
menta jamais les gardes qui avaient trempe 
leurs mains dans son sang. 
Ces cris de joie, ces t@moignages d’indigna- 


\ 


ı 240 . VOYAGE EN PERSE. 


- tion, ces mouvemens desordonnes, ne furent 
pas de longue duree;; un sentiment plus doux 
rendit bientöt Aelle-m&me cettearmee. Aboul- 


Fetah etait. charge de chaines, et personne 


n’ayait encore songe & les briser. :A. la pre- 
miere reflexion qu’on en fit, au premier mot 
qu’on entendit A ce sujet, tous les soldats, par 
un mouvement spontane et unanime, se por- 
terent vers l’endroit ot les prisonniers etaient 
detenus , et demanderentä grands cris Aboul- 
Fetah. Qu/ilsoit, disaient-ils, notre general et 
notre chah;. il est le digne fils de Kerim; il 
sera, comme lui, bon, genereux et brave. 


Aboul-Fetah ne tarda pas & paraltre, et ä- 


temoigner & l’armee combien il &tait sensible 


ayıx demonstrations d’estime et d’attachement. 


qu’elle ui donnait;; il en prit & l’instant mäme 


le commandement, fit appeler tous les ofhı-. 


ciers-generaux, emobtint avec enthousiasme 
le sermentde fidelite,, passa l’armee en revue, 
Iui fit quelques largesses, et lui permit de ce- 
.lebrer , comme elle lej jugerait & propos , l’e- 
venement qui.venait d’avoirlieu . : » 


Pendant quatre ou cing jours quelle resta 


campee aupres de Yesdekast, ce ne furent 


que fötes, que plaisirs, que divertissemens. 
Il n’etait plus question d’aller se battre contre’ 


. des parens, des amis, des concitoyens, et de 








CHAPITRE IV. 141 
se faire ögorger pour servir l’ambition etire- 
nee d’un maitre dur , inhumain , incapable de 
reconnaissance. Aboul-Fetah avait fait publier 
qu’on prendrait la route de Chiras au retour 
du courier qu’il avait expedie & Ispahan, et 
qu’il accorderait pour quelque tems, ä& tous 
les soldats, la liberte de se rendre dans leurs 
familles.- 

Par sareponse, Ali-Murad t&moigna au fıls 
de Kerim toute la satisfaction qu’il eprouvait 
de ia mort de Zeki. « Mes veux sont rem- 
» plis, lui disait-il; je n’avais pris les armes 
» que pour vous placer sur le tröne': les ha- 
» bitans de !’Irak ne s’etaient armes que pour 
» en eloigner celui qui vous leravissait. Nous 
» rendons mille actions de graces aux braves 
>» qui vous ont delivre quelques jours plus töt 
» de votre ennemi; nous l’aurions vaincu, cet 
» ennemi; nous vous aurions 'arrache.de ses 
».majns, 01 nous aurions tous pdri sou3-'ses 
» coups. A present dites-nous s’il faut remet- 
» trel’Epee dans le fourreau, ou attendre que 
» tout l’Empire vous soit soumis. Je ne doute 
» pas que.tous leg Persans , que toutes les tri- 
» bus ne tombent 3 vos. pieds ; je suis -per- 
» suade que le fils de K.erim ‚ le sucgesseur le- 
» gitime du plusgrand denosrois, ne trouvera 
» plus, aucun obstacle A eeindre un diad£me 





142 VOYAGE EN PERSE. 


» que son pere a conquis avec tant de gloire, ' 
» et qu’il a conserve avec tant de grandeur. 
» S’ilen etait autrement, de quelque part que 

» vint la resistance, vous me trouveriez tol« 
» jours pr&t & voler & vctre secours, & com-+ 

» battre vos ennemis. Que dis-je ? vos enne-: / 
» mis; ils le seraient de la nation entiere ; 
».ils le seraient du bonheur de leur patrie; ils 

» le seraient de leur propre repos.» 

Satisfait de cette lettre, Aboul-Fötah prit la 
route de Chiras, et vint s’y faire reconnaltre, 
le-2ı juin 1779, pour le chef’de la nation, A 
l’exemple de son pere, il ne voulut pas avoir 
le titre de roi ou de chah que les flatteurs, 
cette vermine des cours, ne manquerent pas 
de lui conseiller de prendre‘, afın d’affermir _ 
par-lA son autorite, et d’enimposer aux puis- 
‚sances voisines. Je le prendrai, leur dit-il, 
lorsque je l’aurai merite; lorsque, par mes 
soins assıdus, la Perse sera tranquille et heu- 
reuse. _ 

Elle le füt vendant olus de deux mais. Dejä 
presque tous les Khans lui avaient fait passer 
leur soumission; teütes les villes l’avaient fait 
complimenter ; le pacha de Bagdad lui ayait 
fait demander son amitie' au nom du sultan 
son maltre ; le peuple &tait au comble de ses 
desirs : tout semblait promettre un r&gne long 


CHAPITRE IV. 143 


et heureux , lorsque tout A Coup ce cr&pus- 
cule de bonheur s’obscurcit. Pourquoi faut- 
il qu’il y ait toujours sur la Terre des hommes 
travailles de la manie de commander aux au- 
tres , lorsqu’ils ne savent pas commander & 
eux-memes? \ 
Sadek , ainsi que nous l’avons dit, avait 
trouve dans le Kerman, des amis qui etaient 
venus & son secours, et lui avaient donne 
l’esperance de se relever ; il avait deja reuni 
environ quatre mille hommes lorsqu’il apprit 
la mort de Zeki et l’el&vation d’Aboul-Fetah. 
A cette nouvelle, dont il parut tres-satisfait, 
il contremanda tous les ordres qu’il avait don- 
nes relativement A ses projets de guerre,, et ne 
songea plus qu’& se rendre & Chiras: et pour 
que son neveu füt bien tranquille sur son 
compte , et ne lui soupconnät aucune mau- 
vaise intention, il lui expedia promptement 
un courier pour lecomplimenter , etluit&moi- 
gner toute la part qu’il prenait & son heureux 
avenement au tröne; il lui envoyaiten m&me 
tems sa soumission', et mmettait & sös ordres 
les quatre mille hommes 'qu’il avait leves dans 
le Kerman. en 
Aboul-Fetah ne pritaucune precaution con- 
tre son oncle, quoique sa conduite anterieure 
_eüt dü lui paraitre suspecte : il lui permit 





144 VOYAGE EN PERSE. 


d’entrer dans la ville avec: ses troupes; il lui 
en läissa m&me le commandement; il le‘ rezut 
comme le plus cher de ses parens, et le traita 
comme le plus fiddle et le plus devoue de ses 
sujets; il fut bientöt puni de cet exces de con- 
fiance. Peu de jours apr&s son entree A Chiras, 
Sadek päryint & surprendre son neveu, et & 
le. faire enfermer-le 26 aoüt. 1779. 

Cet eveneimerit plongea les habitans de Chi- 
ras dans la consternatiori. Sadek-K.han jouis- 
sait jusqu’alors d’unereputation de bonte, de 
probite, de magnificence, qui l’avait genera- 


lenient fait aimer. La conqu£te de Bassora , 


quoiquwelle n’eüt offert rien de remarquable, 
V’avait cependant fait regärder comme un 
grand-homme de guerre, et’lui avait acquis 
V’affection du soldat; mais sa conduite envers 
son neveu et son souverain indigna contre 
lui la nation. Quelles que füssent ses qualites, 


personne ne voulait pour roi celui qui, pour 


_ parvenir & l’Etre, avait eu recours & une per- 
fidie. | a Ä 

Or peut dire neanmoins que Sadek borna 
lä tous ses crimes. La deposition de son ne- 
veu s’opera sans troubles, sans .effusion de 
sang. Il est möme probable, avec les qualites 


dont il etait doue, que, nı l’agriculture, mi 


‚Yindustrie , ni le commerce ne se seräient res- 
- / - . 
sentis 





CHAPITRE IV. . 145 


Sentis de cette revolution si personne ne 3e füt 


‘oppose & ses desseins , si Ali-Murad n’eüt 


pris une seconde fois les armes, et n’eüt en- 
traine däns son: parti quelques-unes des pro- 
vinces situdes- au nord et & l’ouest de la 
Perse. . 

Apres la mort de Zeki, Ali-Müred avait 


‚congedie les troupes qui "&taient venues se 


ranger volontairement sous ses drapeaux, et 
s’etait rendu A Teheran avec celles qu’ilavait 


.en premier lieu amendes de Chiras. Tout le 


nord de la Perse, si nous en exceptons le Ma- 
zanderan, dont nous parlerons bientöt, 8’6- 
tait soumis au fils de Kerim , et jouissait d’un 


‚repos qui paraissait ne devoir plus &tre trou- 
‚ble, quand tout & coup la nouyelle de l’em- 


prisonnement d’Aboul-Fetah plongea de 
nouveau ce pays. dans Fagltation et le de- 


.sordre. 


Selfekar-Khan, Kamsai ‚ qui se trouvait 


.pour lors gouverneur de Casbin, pritle pre- 


texte de cet emprisonnement pour.lever des 
troupes , ravager les provinces voisines, et 
menacer la capitale. Dans moins d’un mois 


il eut a sa solde ume armee de plus de vingt 
‚mille hommes, avec laquelle il marcha vers 


Cachan , dontil voulait, avant tout, se rendre 


- maitre. 


Tome VI. K 





146 VOYTAGE EN PERSE. 


. Ali-Murad, qui connaissait l’audace et la 
brävoure de cet homme, n’eut rien de mieux 
A faire que d’appeler & son secours le khan de 
Kermanchah, le khan d’Amadan et le prince 
de Caracciolan , interesses, comme lui, A s’op- 
poser aux entreprises de ce rebelle. Les deux 


_ premiers’lui fournirent chacun quatre mille 


hommes , le troisidcıne lui amena trois mille 
cavaliers curdes. Lorsque ces forces l’eurent 
joint, il marcha droit A sonennemi. Les deux 
armedes se trouyerent en presence l’une de 
Pautre , dans la belle plaine de Cachan, au 
commencement de decembre 1779.: 

Selfekar 'brülait.d’envie de se battre : urle 
victoire lerendait maitre dans peu de Cachan, _ 
de Kom, de Teheran et de tout lenord dek 
Perse; il est vrai que, vaincu, ilne luirestait 
pour retraite que Casbin , ville ouverte, et 
peu propre & resister A un ennemi superieur 
en forces: Ä 

Ali-Murad etait dans une position plus fä- 
vorable : victorieux , toute la Perse devait 
bientöt lui .Etre soumise; vaincu, il serepliait 
sur Ispahan, ou iltrouvait une garnison nom- 
breuse qui l’aurait soutenu. I] avait un autre 
avantage sur son ennemi. Selfekar,, rebelle , 
nie pouyait entretenir son armee que par des 
contributions forcees et par lepillage ; Ali-Mu- 


' CHAPITRE IV. 147 
Tad, cömbattant ponr le souverain lfgitime, 
touchant les revenus de plusieurs provinces, 
devait avoir dans son parti tous ceux qui 
etaient interesses au maintien de l’ordre. Le 
militaire d’ailleurs devait se ranger plus vo- 
lontiers sous les drapeaux des chefs qui com- 
battaient pour le successeur de Kerim , que 
sous ceux d’un Etranger. 

Cette derniere conjecture ne tarda pas a se 
realiser. Desquelesignalducombatfutdonne, 
Ali-Beg, un des generaux de Selfekar, passa, 
avec six mille hommes qu’il commandait, du 
cöte d’Ali-Murad. Lereste de l’armee du re- 
belle, decourage par cette defection, futtaille 
en pieces : six cents hommes resterent sur le 
champ de bataille, cinq mille furent faits pri- 
sonniers , le reste fut entierement disperse. 
Selfekar se sauva,, mais ıl fut pris peu de tems 
apres et mis A mort. 

"Apres cette victojre, Al-Murad tourna ses 
vues vers Ispahan. Sadek y. avait envoy&son 
Hls Djaffar avec sept mille hommes ; Djaflar 
etait le frere uterin dAli- Murad : soit qu’il 
ne se crüt pas en etat de resister aux for - 
ces 'qui le menagaient, soit qu’il ne voulät 
pas combattre un frere auquel il etait attache,, y 
il sortit d’Ispahan aux preinieres sommations 
qui lui furent faites, et vint camper & deux 
| | Ka 


148 VOYAGE.EN PERSE. 


| lieues de la ville, d’ou il se rendit ensuite & 
 Chiras. | 

 Ali-Muräd fit son entree dans la capitale 
vers la fin de decembre 1779, et en prit pos- 
session au nom d’ Aboyl-Fetah. 

“ Sadek-Khan s ’etait d’abord flatte qu’Ali- 
Murad verrait avec plaisir succeder A Kerim. 
J’homme qui Ini avait toujours seryi de pere y 
qui l’avait traite, dans toutes les occasions , 
comme le plus cher de ses fils. L’opposition 
que ce fils avait manifestee pour Zeki, etait 
trop conforme aux inter&ts deSadek pour qu il 
ne la regardät pas comme trös-raisonnable ; 5 
mais lorsqu’il vit, apres la defaite de Seltekar y 
qu’Ali-Muraden voulaitä Ispahan, ilne se dis- 
sirnula plus qu/ilallait avoir sur les bras pres- 
que toutes les pravinces situees au nord et ä& 
Pouest.de la Perse. ILcomptait, Ala verite, sur 
celles du midi. Les Arabes de Kermesir pre- 
naient ses ‚Interäts, et avaient promis, de ve- 
nir , dans toutes les gccagions, ason secöurs, 
Le Farsistan, qui il ‚ayait gouverne du zivant 
de sonfrere, In:  eipit toujours fidele: sa tribu, PB 
. &tablie A Peria et aux environs de cette ville, | 
lui etait devouee. Mohammed-Khan , Sistani, 
‚qui avait &t@nomme& gouverneur du Kerman , 
deyait lui assurer cette province : il. ayait en- 


voye A Yesd son Als. Ali-Nagui-Khan , avec 


3. ....n 


 CHAPITHE ıv. 149 
douzemille hommes ; Bagher-Khan, avectroig 
mille, etait parti pour le Laarestan ; son fils 
Mataki-Khan s’etait rendu avec quatre mille' 
dans le Shusistan. Maitre du tresor de Kerim 
et de tous les joyaux de lacouronne, reconnu 
sarıs opposition pour’le chef supr&me del’Em- 
pire'& Chiras et dans tout le midi, ilse croyait 
bien en etat‘’de tenir t&te A Ali-Murad. Un 
evenement qui se passa & Ispahan vers la fin 
de janvier ı780, hui fit croire qu'il etait de- 
livre' pour toujours de ce dangereux ennemi. 

“ Ali-Murad avait rassembl& dans cette ville 
environ‘ cinquante mille hommes des meil- 
leurestroupes: soldats et ofliciers paraissaient 
etre tr@s-portes & se battre pour lui; les uns 
et les autres attendaient avec 'impatience le 
retour de la belle saison pour serendre & Chi- 
räs, en faire le siege, et soumettre tout le 
midi au fils.de Kerim. Rien ne manquait & 
cette armee: les Provisions etaient abondan- 
tes , etla paye du soldat 'n’etait point en re- 
tard; ni Ali-Murad, ni’ aucun de ses gene- 
raux, ne lui ayait ohne sujet de plainte ; 
neahrioins tout ä coup , et sans ae on ait pu 
en penetrer la cause, ba rövolte s’ y manifesta 
subitement y'et'tous les soldats, par un mou- 
vernent sfioritand:et unanirie ‚se portärent au 
pillage :'en.peu dd'tenis-le desordre-fut'& soli 


150 VOYAGE EN PERSE. 


comble;la viedu generaletde tousles officiers, 
fut menacee, et celle de tous les habitans se. 
trouya dans le plus grand danger. 
Cesrevoltes ne sont pas rares en Perse; elles 
sont ordinairement le r&sultat de quelque 
nouvelle tres-fächeuse , qui circule rapide- 
ment dans l’arınee ; quelquefois c’est le defaut 
de paye ou le manque de subsistances qui les 
produit. Mais, quelle qu’en soit la cause, si 
aux premiers symptömes qui se manifestent, 
le general ne montre sur-le-champ de la vi- 
gueur,, et ne sevit avec force, il n’a plus, le 
moment d’apres , le pouvoir de le faire; il 
faut qu’il cdde au torrent, et.qu’il ne songe 
plus qu’ä mettre sa personne en sürete. 
Ali-Murad,, qui ne fut prevenu de rien, 
qui n’eut connaissance d’aucun mecontente- 
ment, qui. n’entendit aucune plainte, aucun 
ınurmure de la part des soldats; qui n’apprit , 
en un mot, fette revolte que lorsqu’il n’etait 
plus tems de l’arräter, se vitoblige,, pour n’en 
€tre pas la victime,, de sortir precipitamment 
de la ville avec ceux de ses soldats, de seg of- 
ficjers etde sesamis qui voulurent le suivre,. 
Des qu’il fut hors.des murs, il resolut. de 
se rendre Aupres du khan d’ Amadan, dont il 
gtait ’ami, et dont il ayait regu naguere.deg 
gecours;:il ne doutait. pas que ce-gonverneun 


rn 


CHAPITRE IV. _ ı51 
ae lui- ouvrit ses tresers :et. ne lui prätät ses 
troupes. Assez grand pour se conduire ainsi, 
il se persuadait que son ami s’empresserait , 
dans cette occasion, de lui tendre une main 
secoyrable , et qu’il le tirerait promptement 
du mauvais pas pü il se trouvait engage., Le 
khan n’avait pasl’ame aussi.genereuse : ilavait 


" seconde les efforts d’Ali-Murad tandis qu’Ali- 


Murad etait puissant ; il l’abandonne;, il re- 
iuse de le voir alors qu’il le’sait--aux prises 
avec l’adversite ; il repond au courier qu’on. 


“ lui a expedie, qu’ilne doit pas s’exposer A se 


hrouiller avesSadek ,etqu’ilinvite son maltre 
a prendre une autre roufe s’i| ne vent pas &tre 
arrete et.livre A son ennemi. Cette reponse 
lui coüta la vie. . 

. Au retour du courier , Ali-Murad et tous 
ceux de sa troupe. jurerent de perir ou de 
mettre ä leurs pieds le läche qui osait les me- 
nacer : dans leur indignation , ils aceelererent 
leur marche , et se troyverent aux portes 
d’Amandan, alors m&me qu’on les eroyait en- 
core bien loin. oayı 

Le khan, qui n’avait auıtour de lui qu’une 


daible garde, et qui ne croyait pas. d’ailleurs 


que Ja troupe d’Ali-Murad füt si forte et ai 
resolue, ne lui opposa , lorsqu’elle parut,. 
quune. faible resistance : son palajs fut force; 





ı5a VOYAGE EN PERSE. 


avant quil efit r&uni ses forces; lui-m&me fat 
pris et mis A ınort. | 

Ali-Murad se servit dutresor dukhan pour 

‚solder tous les militaires qui se trouvaient dans 

la ville: il en tra un grand nombre de Neha- 
vend, d’Oulou-Guerd, de Kermanchah et de 
toute la contree, et lorsqu’il en eut reuni en- 
viron quinze mille, il revint A Ispahan,, qui se 
trouvait occupe par un.des fıls de Sadek; 

Ali-Nagui-Khan, qui etait, comme nous. 
P’avons dit, aux environs de Yesd, instruit 
de la revolte ‘qui avait eu lieu & Ispahan, 
s'y etait rendu, aree ses troupes, vers la fin 
de fevrier 1780, et en avait pris possession: 
]l avait mis & contribution les habitans dej& 
epuises par le pillage precedent,, et s’y etait 
conduit, a tous &gards, de maniere & se. les 
aliener pour toujours. Leretour d’Ali-Murad, 
qu’il n’avait pas prevu, ne lui permit pas de 
rester plus long-tems dans une ville qu’il ne 
pouvait defendre ; il P&vacua donc aux pre- 
mieres nouvelles de Ja marche de son ennamii, 
et il prit le chemin du Kerman;, ou il faltait- 
contenir les ennemis de son pere. 

Mattre une seconde fois de la capitale ‚ Ali- 
Mürad eut bientöt retabli son credit et repard 
ges pertes. La plupart des. gouverneurs S 'em- 
presserent de Iui. faire-passer des troupes ı 





CHAPITRE ıv. 153 
presquie toutes celles qui s’etaient revoltees, 
vinrent de nouveau lui offrir leurs services ; 
elles jurerent de lui ätre plus fidelles que par 
le passe, et toutes promirent de ne pas l’a- 
bandonner avant qu'il ne se füt empare& de 
Chiras et qu'il n’eft soumis tout le midi. 

Cependant on apprit que Sadek s’etait de- 
termine & faire arracher les yeux aux deux 
fils de Kerim, afın de leur ter tout espoir de 
monter sur le tröne’de leur pere, et afın sur- 
tout de paralyser la borine volonte' de ceux 
qui s’armaient en leur faveur. 

- Cette conduite de Sadek produisit un effet 
contr&ire&celui qu’ilavaitespere. Alı- Murad, 
qui‘ jusqu’alors n’avait tir& I’6pee que pour 
retablir le souverain lögitime, ne songea plus 
qu’& travailler pour son propre compte. Re-' 
connu ‘avec enthousiasme ‚ par son armiee‘,' 5° 
pour le thef supr&me de l’Empire et le suc- 
oesseur de Kerim, ilne'tärda pas A P’dtre par 
toutes les villes et par töutes les provinces 
qui avaient pris le: parti d’Aboul-Petah.. el! 
‘dekast,, Cachan , Ghulpaigan , Kom , F ehe- 
ran, Siva , Casbin ; -Amadan', N &havend , 
OulouGuerd, Kermanthah, lui firent passer' 
län Wbtinlission. Le’ Guilan , le Curdistan et’ 
le’Loristan declarerent ne vöuloir pas Wautre’ 
maßtre. Quant au Mazanderaniet Aster-Abad,’ 





1 VOYAGE EN PERSE. 


ils etaient sous la dependance d’Aga-Mehe- 
met-Khan, Kagiar, fils deMohammed-Hassan- 
Khan. L’Aderbidjan ne reconnaissait point 
de maitre, et voulait attendre , pour se de- 
clarer , que le sort eüt prononce. Le Chyrvan, 
le Mogan et le Daghestan etaient toujours 
gouvernes par le khan de Kouba,. 

Sadek-Khan possedait Chiras et taut le Far- 
sistan ‚le Laarestan, le Kerman, l& Kermesir 
et le ‚Shusistan , encore son pouvoir &tait-il 
faiblement ktabli dans quelques-unes de ces. 
provinces. 

Mohammed-Hassun-Khan, Sistani, nomme 
khan du Kerman par Aboul-Fetah, et main- 
tenn par Sadek , mecontent de la’conduite 
d’Alı-N agui-Khan, s’etait d’abord retire dans 
son ancien fort de Cala-Aga, et avait fini par 
prendre paräi.pour Ali-Murad. Il avait com- 
battu , en. dernier: liew, les habitans du Ker- 
man, qui tenaient pour, Sarlek, et ayait vaincuy 
en. bataille rangee, Ismaäl- Khan, Barstan-_ 
Khan et Nevoroug-Ali- -Beg , trois- des gene- 
raux de Sadek. | 

Le Beyban ou Shusistan. &tait, ‚fort indcon.. 
tent de Mataki-Khan. 9- parce quwil avait mig. 
de trop fortes impositipns, et enleye, tays Jes: 
vivres qui 8’y trouvaient, sous.le PFEIGEIE. de: 
substanier son armde,.... Le 


4. 


CHAPITRE IV. °- ı55 


Le Kermesir avait &te pressure de toutes 
les manieres, et avaitregu depuis peu l’ordre 
de faire passer A Chiras tous les Kommes en 
etat de porter les armes; ce qui avait deplu 
aux Arabes. _ 

. Le Farsistan se serait, ‚ dans ces derniers 
tems, volontiers declare pour Ali-Murad s’il 
n’avait crakıt d’etre. pille et devaste par les 
troupes de Sadek. | 

‚C'est dans cet etat des choses que, vers la 
fin du printems de ı780, Ali-Murad prit le 
parti d’aller assieger Chiras avec toutes les 
forces dont il crut pouvoir disposer. Son ar- 
mee fut divisee en cing corps. Murad-Khan, 
Sandassara,, eut ordre de s’ayancer avec six 
mille hommes, et d’aller mettre .& contribu- 
tion les villages qui se trouvent aux environs 
de 'Chiras , et leur enlever tous les vivres. 
Jokar-Khan eut ordre de le suivre aveo six 
mille hommes, et de se conduire de m&me. 
. Riza-Kouli-Khan , Miquieri, et Mir-Aslan- 
Khan,Curde, marchaient apres eux, et com- 
mandaient chacun quatre mille hommes. Ak- 
bar-Khan, fils de Zeki, A qui un des fils de 
Sadek avait voulu enlever de force un cheval 
‚d'un grand prix., et qui etait yenü joindre;ä 
sette, occasion Ali-Murad., commaändait, un 
corps de dix. mille hommes; il s'arıeta quel- 


156 VOYAGE EN PERSE. 


que tems& quatre ou cing journees d’Ispahan 
pour amasser des 'vivres, et pour attendre 
Ali-Murad, quietaitä la tite de quinze mille 
cavaliers. 

Outre ces forces, Ali-Murad avait vingt- 
cinq millehommesdivisesen cing autrescorps; 
savoir : cing mille & Ispahan et cing mille & 
Teheran , commandes par Seyd-Murad-Khan; 
cinq mille dans le Loristan ‚sous Mohamıned- 
Khan, Seyli; cinq mille dans le Kerman, au 
secours de Mohammed-Hassan-K han, Sistani, 
et cing mille au fort’ d’Amadan, pour conte- 
nir la ville et toute la contree. 

Sadek n’avait & opposer’A toutes ces forces 
que treize ou quatorze mille hommes qu’il 
avait-&.Chiras; douze mille dans le Kerman, 
command£spar Ali-Nagui-Khan ; quatremille 
avec Mataki-Khan:dans’le Beyban ; trois mille 
avec Bagher-Khan dans le Laarestan , etcing 
mille avec Hassan-Khan son troisieme fils, 
qui etait sorti de-la ville pour observer P’ en- ö 
nemi', et pour favoriser !’entree des‘ vivres 

ı'or attendait de-toutes parts, - - "" 

Les premieres divisions ennemies se trouv&- 

at, Alla fin de juin 1780, aux environs de. 

hiras: Sadek avait-eu avisde leur marche; il: 

Ycbnnaissait exactement les forces; ilsavait 

velles avaient regu l’ordre de’ ravager. le’ 


CHAPITRE IV. 157 


pays, etiln’osa s’ayancer pour les combattre ; 
il senferma dans la ville, quoiqu’il eüt au 
moins dix-huit mille hommes A ses. ordres, et 
ses ennemis vingt mille tout au plus. Mais le 
crime Öte au coeur toute son energie ; ’homme 
coupable a peur & l’aspect du danger.-Sadek 
d’ailleurs s’etait appercu du mauvais- effet 
qu’avait produit sur les habitans de Chiras, 
et sur les troupes m&mes,, l’attentat commis 
en la personne d’Aboul-Fetah : il eraignait 
qu’en allant au devant de son ennemi, les 
habitans ne se revoltassent et ne prissent le 
parti d’Ali-Murad; il savait que celui-ci n’a- 
yait qu’une mauvaise artillerie; il ne le.croyait 
donc pas en etat de forcer une ville defendue 
par une garnison nombreuse ‚par un large 
fosse , et par des remparts que Kerim avait fait 
. reparer avec soin ; il comptait aussi sur les 


secours que deyaient lui amener ses as et les 


Arabes de la cöte. 

.  Lorsque les .divisions d’Akbar et d’Ali- 
Murad furent arrivees, toutes les troupes s’a- 
vancerent , et vinrent s’etablir &. une petite 
distance de la ville ; elles y tracdrent un camp 
qu ’elles entourdrent d’un fosse, et.quelles 


\ 


fortifierent par quelques tours.en terre, ou 


 elles plac&rent du. canon. Lorsque cette ope- 
ration fut terminee, elles Eleverent quelques 


ı58 VOYAGE EN PERSE. 


'batteries contre la ‘ville ; mais elles s’appli- 


guerent surtout A arr&ter les subsistances et 
& favoriser la desertion. Ali-Murad nie negli- 
gea rien pour se faire un parti dans Yinte- 

rieur, et pour s’attacher , par des liberalites 


et des promesses , tous les seigneurs qui te- 


naient au parti de Sadek. 
.Neanmoins , comme la ville etait liırdt 


 bloquee qu’assiegee ‚et que l’arme&e de T'inte- 


rieur etait assez nombreuse pour faire des 
sorties, celle-ci trouvait toujours les moyens 
de faire entrer des vivres. Il y avait eu diver- 
ses affaires, qui n’avaient produit aucun re- 


‚sultat important. Dejä'les trois fils de Sadek 


etaient entres l’un apres Y’autre, et avaient 
successivement amene des secours en tout 
genre. Deja huit mois s’etaient &coules sans 
qu’on et fait aucun progr&s par la force des 
armes. Des'sorties frequentes de la part des 
assieges ; des attaques partielles, toujours in- 
fructueuses, de la part des assiegeanis; quel- 
quesescarmouches pour favoriser Pentree d’un 
tonyoi , d’un corps de troupes, ou pour s’y 
opposer ; quelques.coups de canon tires de 
tems en tems de loin, centre les remparts, 


. sans pouvoir les endommager sufflisamment; 


des desertioris que les deux partis tächaient de 
favoriser ‚etqui devenaient tous les jours plus - 





ı 


CHAPITRE IV. 159 
fr&quentes, voilä & quoi se reduisait ce siege. 
- Sadek se flattait toujours que l’ennemi se 
consumerait en efforts impuissans , et qu'il 
finirait par‘ se retirer , quand tout & coup 
l’heure du chätiment sonna (ı). Ali-Murad 
parvint, A Paide des habitans , A corrompre 
les gardes de la porte Bagh-Chah,, situde au 
sud.de laville, etlaplus voisine de lacitadelle, 
et A faire entrer,, par ce moyen, un corps de 
troupes d’elitecommande par Akbar-Khan. 

Sadek ne fut pas plutöt informe que l’en- 
nemi etait dans linterieur , qu’il donna tous 
les ordres necessaires pour s’opposer & ses 
ptogräs; il monta lui-m&me & cheval, et, & 
la t&te desa garde, il courut & la porte Bagh- 
Chali ; mais dejä Akbar avait penetre dans la 
ville , et s’etait empar& de plusieurs postes 
‘sans avoir €Eprouve la moindre resistance. 
Quelques. corps de troupes l’avaient suivi ; 
d’autres venaient apres', et personne ne s s’etait 
presente pour les combattre. 

Sadek n’arriva en presence d’Akbar, que 
pour &tre t£moin de la mauvaise volonte que 
mirent les siens & seconder ses efforts. Les 
ordres qu’il avait donnes, n’avaient point ete 
executes ou l’avaient ete fort mal; les troupes 





(ı) A la fin de fevrier 1781. 


ı60 VOYAGE EN VERSE. 


qu'il avait amendes de Bassora , et qui l’a- 
‚vaient deja quitte une fois, quoiquelles eus- 
senttoujours eu le plus de part A ses la. gesses, 
mirent bas les armes les premieres. Sa. propre 
garde ,„ sur laquelle il devait compter le plus, 
Pabarjdonna en partie et passa du cöte de 
Yennemi. Dans cette extremite , le seul .parti 
'quil avait A prendre , c’etait de mourir les 
armes A la main ou de s’enfermer dansla ci- 
tadelle. Il prit le dernier ; il parvint, quoique 
dificilement, & y entrer accompagne& de son 
"ministre , de.tous ses fils, et de quelques Per- 
sonnes qui lui etaient attachees. u 
‘En un instant toute la ville se trouva -oc- 
'cupee par les troupes d’Ali-Murad. Celles de 
 Sadek demanderent & passer au service du 
vainqueur; ce qui leur fut.accorde. La cita- 
delle fut etroitement investie, et la tranquil- 
lite maintenue partout avec le plus grand 
soin,, 

Sadek se trouvant hors Wetat „ avec une 
poignee d’amis ou de parens , de tenir long- 


. tems dans la citadelle, prit le parti de se 


rendre, et d’implorer la misericorde de.son 
ennemi : il lui ecrivit, pour le flechir,, la lettre 
la plus touchante, la plus propre & &mouvoir 
son coeur; il lui rappelait les soins qu’il avait 
pris de son enfance ‚les caresses qu’il.lui.avait 

| pr odiguees | 





3 


- CHAPITRE IV. 161: 


prodiguees dans les bras de sa mere, les ef- 
forts qu’il avait faits pour lui obtenir les fa- 
veurs de Kerim; il prenait le ciel & t&moin, 
qu’il avait toujours eu pour lui des entrailles 
de pere, qu’il Y’avait cheri comme ses pro- 
pres fils; il faisait des voeux pour que la for- 
tune lui füt plus favorable qu’& lui; il jurait 
de lui. obeir et de lui &tre fid&le comme le 
meilleur et le plus devoue de ses sujets..« Si 
» mes sermens, ajoutait-il, ne peuvent &loi- 
» gner de vous les soupcons, j’irai vivre au 
» fond.de telle province que vous me designe- 
» rez ; je laisserai aupres de vous mes fils en. 
» otage; ma fortune, ma vie, seront tou- 
» jours entre vos mains et vous r&pondront 
» de ma conduite. » 

Ali-Murad: ne fit dire autre chose & Sa- 
dek, si ce n’est de se rendre, et de. faire. 
ouyrir les’portes de la citadelle, sans quoi il 
verrait Egorger sous ses yeux tous ceux qui 
8’y trouvaient enfermes. Sadek les fit ouvrir, 
et se mit 4 la merci de son vainqueur. Celui- 
ci se contenta, pour le moment, de le oharger 
de chaines, ainsi que ses fils et sespetits-Ails, au] 
nombre. de. ‚vingt-six ,.et de leur faire crever 
les yeux.A tous. Quelques, jours apres 3. Akbar 
Tequt:. P’ordre de les faire. perir 5..ce qu il exe- 
enta ayfrc. d’autant plus de: plaisir et « : PLOIBP,, 


Badıde 


Tome VI. 


263 VOYAGE-EN PERSE. 

titnde, que c’etait d’apr&s ses conseils et ses 
pressantes solhieitationg que cet ordre avait' 
did donnde. 

Djaffar-Khan fut le seul epargne : il avait' 
&te joindre son frere au commmencement du’ 
siege‘, et'nte "avait plus quitte; il avait tou-! 
joursi ‚desapprouve ’ambition de son pere',' 

et avait bläm& sa conditite envers Abotl:Fe 
tah. @üelgues jours’apres la prise de la ville ‚! 
Al -Morad lui renouvela ses protestälions 
& amitie, "Ri fit de trös-riches presens , le‘ 
rromma gouverneur de Shuster ‚ avec la pro- 
messe de le placer plus: convenablement: des- 
gu ‘il se verrait solidement etabli sur le tröne‘' 

La'mort d’Akbar suivit de pres celle de’ 
Sadek. L’une avait &t6 ordonnee par une po: 
Tıtique barbare ; l’auire fut une juste puhition 
d’un crime qui ne peut ötre congu que par le’ 
plus scelerat des hommes. | 

Akbar, fils de Zeki,jouissait depuis quelque 
terms de la plus grande faveur aupres d’Ali-' 
Muräd: :jlen.etait, durant le siege , le premier 
general‘, le confident etl’ami; il venait'd’&tre’ 
nomıhe prerbier minisire , et reintegre dans’ 
toussesbiens, et Akbär meditait la plusvoire 
trahtsore.’ Aussi äulbitidux ; sr aussi ‘cruel ‘que 
son pere!, Indig! fü: dissimule ‚ il avait fi 
Chiras'er's drhie rau X Ispalkarı; mins ‚pöur® 

PROREN, 


i ‘ \ , 


CHAPLTAR IıY. 163 
ge sousträire A la coldre de Kadek .ewaux on- 
trages de'ses fils , que pour £tre plus Aportde, 
aupres d’Ali-Murad, de lui plonger le pdi- 
gnard dans le sein lorsqu’il en serait temıs. 

_ Ali-Murad, comme tous coux que le me- 
rite ou la faveur porte atıx premieres places, 
avait desenvieux ‚des jaloux , peut-ötremöme 
des ennemis: Akbarg s’attacha A les connaltre ; 
il en sorıda quelquesseums‘, s'ouvrit'ä eux, et 
leur proposa de se joindre & lui, de seconder 
ses-efforts, de lui faire un parti-assez pulssant 
pour le eonduire an tröne apres qu’#i aurait 
abattu celmi quil aceusait d’ötre Yanteur. ds 
la mort deson pre. nr 

Ce complot fut decöurert presqu’aussitöt 
que la confidence en eut:ete faite, et Akbar, 
-convaincu de son crime , fut condamad ä 
mort. Djaffar, qui avait & venger celle de 
son pere et de ses freres, fut charge de cette 
execution ; il lwi plengea k& poignard dans le 
sein ‚ et fit exposer son corps durant trois 
jours sur la place publique. ı 

Nous ne devons pas oublier de dire que, 
durant le siege de Chiras , le fameux Azad- 
Khan mourut dans son palais , de mort natu- 

relle, a l’äge de soixante-six ans. La veille de 
sa mort, il avait fait appeler Hadgi-Bakher , 
nazir de Sadek, lui ayait remis une lettre pour 


La 





464 CHAPITRE IV: 

son malte, et l’avait prie d’obtenir que son 
corps füt depose dans la mosquee de Seyd- 
Ali-Hussein , jusqu’& ce que ses. femmes, ses 
enfans et ses eschaves pussent l!’emporter & Ka- 
boul. A la lecture de la lettre.d’Azad, Sadek 
avait promis de remplir les intentions du, ma- 
lade, et A sa mort il avait charge Ali-Napui- 
Khan dene rien epargner poür ses fungrailles. 
Elles furent celebrees en octöbre 1700; „avec 
beaucoup de.pompe. | Yon 

Mais ce ne fut qu’apresle siege, que la der- 

niere partie des volontes d’Azasl put ätre rem- 
plie ; ce ne fut quw’alors-, et apres en avoir ° 
'obtenu la permission du, vainqueur, que les 
fenimes ,: les enfans et les esclaves purent se ' 
rendre , avec leur depöt et ‚leurs richesses , 

ä Kabotl. z 


R 3. Pr 


[4 


.® ® . - 
1: +3 A #_ a De | ’ 


VOYAGE EN PERSE, 165 
CHAPITRE V. 


Rövolte d’Aga-Mehemet-K kan. AU. Le 
Muradenvoie contre lui Scheik- R: eis, 
: et obtient: des SUCCES. Desertion des 
. troupes de Scheik-V eis. Mort d’ Ali- 
- Murad. Troubles a Ispahan. 'Le 
gouverneur veut s’emparer de l’auto- 
Trike. Djaffar -K han le met en fuite, 
. et se. fait nommer rögent. Guerre 
| "entre lui et Aga- - Mehemet- K han. 
Troubles aunord et au midi. Djaf- 
far est mis d mort par une troupe 
de seigneurs con: 'ures. 


Laprise ı de Chiras fr mettre bas les armes 
dans le midi, & tous: ceux qui tenaient pour 
le parti de Sadek. Toutes les villes du Ker - 
man; :du Laarestan et du Shusistan s’empres- 
serent d’envoyer leur soumission & Ali-Mu-« 
rad, et, d’implorer sa clemence : les scheiks 
arabes du Kermesir lui firent passer des pre- 
sens, et la promesse de payer Al’avenir, plus 
exactement que par le passe, lessubsides.auxz 


66 vVoraGE ENPERSE: 


quels ils sont assujettis. Dans lenord, l’Ader- 


bidjan , I’Erivan , ainsı que le Mogan ‚ Je” 


Chyrvan et le Daghestan ‚ qui n’avaient ja- 


mais voulu 'se prönorıcer“ en faYeur de Zeki 


ou,de Sadek., le reconnurent torınellement 
pour le chef de T’Einpire: Ainsi, de toutes les 
provihoes qui avaient dt& sbumisks’ ® Kim, 
irn Y Sue que le Mazanderhr et‘ ey 
refuserekt.d’adkerer.au voeu: genöral, .et qui 
declartrent.ne vonloir abeir qu’a Aga,Mehe- 
met-Khan. © ren ra 

. C’etaitle second des; fis de Mohammed- Has- 
san-Khan. Retenu comme ‚otage' F' Chiras, 
durant le regne de Kerim, il s’etaif enfui & 
la mort de ce prince, Avec ses freres Djaffar- 
Kouli-Khan et Ala-Kouli-Khan , et s’etait 
rendu a Aster-Abad, qu ]'etait venu A bout 
d’enlever & son fröre Moustapha, et de spu- 
mettre & son autorite particuliere. | 


Maätred’Aster-A:bad; ; Aga-Mehömet:Khan | 


avait l1ev& des troupes parmi leg: Kagiars de 
sa triber et les Tarcomans qui’ 'habitent les 
frontier &1 res oceidentales du K.horassän; :et: s 23 
fait ernpare du Faberistan et de tout l& reste 
Au Mazaänderan. ° BE 

- Hideht, khan:du- Guilan ‚ n’avait pas at- 
tendu du wil vint Yattaquer pour se soumeitre; 
it hıi avait fait homanage de sa province. des 


l 


ur 








CHAPITRE V. 167 


‚gu’il lavait su & la töte d’une arınee, et mi 


avait fait passer les mömes troupes et les m&- 
mes subsides w s’etait oblige de fournir 4 
‚Kerim. | 

Pendant le siege de Chiras j Al-Murad. await 
donne ordre A Seyd-Murad-Khan.de zeumnir 


‘ ‚tonteg les troupes qu’il ayait mises A. ses.orr 


dres , et d’aller attaquer Mehemet; nais. il 
avait öt€ impossible &:ce general. de franchir 
les ‚Portes Caspiennes; il avyait ete repousse 
‚avge perte, et il etait revenu a Teheran. : 
Mehemet, ä la täte de vingt ımille hömnies, 
J’y avait suivide tres-pres, et:lai avait enleve 
‚cette ville; il s’etait porte de lA sur. Casbin;, 
dont:äl s’etait egalement rendu maitre. Seyd- 


. Murad , yui n’etait pas assez fort pour s’op- 


‚poser.aux entreprises de.cet ennemi, s’etait 

replie; sur Kom et Cachan, et avait informe 

‚Ali-Murad dece qui ge passait. end 
"Ge $ut peu de. tems apıres son entree A Chi- 


rag, (que celui-ci regut le.cotirier que son ge- 


neral:lgi envoyait. Il n’avait pas de: tems A 
perdre s’il:veulait einpächer que l’Aderbid- 
jan: V’Erivan, le Mogan 5‘ le:Chyrvan.et:te 
Daghestan ne tombassent au powwoir. d’un 
homme dont les pretentions n’etaient que trup 
evidentes, etdontles forces prenaient chaque 
jour un accreissement.considerable. Idktächa 


168 VOYAGE EN PERSY. 


donc sur-le-champ de son arıee trente mille 
hommes, dont il donna le commandement %. 
Scheik-Veis son fils, avec ordre d’aller join- 
dre Seyd-Murad, de se concerter avec lui et. 
de tomber ensemble sur Mehemet. 
Scheik-Veis partit en toute diligence, et ar- 
riva sous les mursde Teheran dans lecourant 
de juin 1781. | 
Ali-Murad nerestapaslong-tems & Chiras. 
Conduit par une sage politique ‚„iltransfera,; _ 
des la fin de l’6t6, le siege du gouvernement 
& 'Ispahan. Plusieurs motifs l’engagdrent & 
cette demarche : il se rapprochait par-laA dw 
theätre de la guerre ; il se mettait & portee de 
diriger les operations de son fils; il temoignait 
sa reconnaissance A la ville quı avait pris plu- 
sieurs fois les armes en sa faveur; il se placait 
au centre de ses Etats, et sur le point le plus 
favorable A ses inter&ts; car malgre les pertes- 
enormes et les dommages tres-considerables _ 
qu’Ispahan avait eprouyes , c’etait tonjours 
la premiere ville de la Perse, et celle qui avait 
le plus d’influence sur opinion ‚tant & cause 
de sa population et de ses richesses, que parce 
qu’elle renfermait encore .dans son sein les 
hommes les’ plus instruits et les plus comside- 
res du royaume. 


 Scheik „Veis obligea Möhdinet d’evacuer. 








! 


CHAPITRE V. 169 


Teheran et Casbin, et de repasser les monts 


Caspiens avec toute son armee. 

" C’est pendant cette campagne, que Mous- 
tapha-Kouli-Khan, chasse par Mehemet de 
son gouvernement d’Aster-Abad, vint oflrir. 
ses services ä Scheik-Veis, et qu’ilamena avec 
ui Morteza-Kouli-Khan son frere. Ces deux 
guerriers furent tres-bien accueillis , et ob- 


tinrent du commandement. 


Durant !’hiver il ne fut rien entrepris , mais 


au printems suivant (1782) Scheik-Veis, con- 


tre l’avis de son general, voulut diviser ses 
forces, et les porter en m&me tems dans les 
deux provinces ennemies. Seyd-Murad,, avec 
quinze mille hommes, eut ordre de forcer le 
defile qui conduit dans le Guilan, tandis que 
Scheik-Veis, avec environ vingt mille hom- 
mes , devait entrer dans le Mazanderan par 
celui de Guilas. | 

_ Cette double entreprise manqua des deux 


‚cötes : les deux armees , malgre leurs eflorts 
reiteres ‚ furentconstamment repoussees; elles 


'perdirent beaueoup de monde par la deser- 


tion et par le fer de l’ennemi; ce qui obligea _ 
Scheik-Veis de venir passer l’hiver a Teheran 
pour se refaire et attendre des secours. 
Alı-Murad, qui voulait terminer prompte- 
ment cette guerre , nese contenta pas de faire 


170 VOXYAGE EN PERSE. 


passer de nouvelles troupes & son fils, il vo- 
lut, a quelque prix que ce füt ‚, gagner le khan 
du Guilan afın de n’avoir plus qu’un ensıigmi 
a combattre,-et.un seul peint A attaquer. H 
fit promettre A Hideat de le combler d:hon- 
neurs, etde le cenfirmer dans sqn gouverner 
ment s’il voulait. abandonner Mehemet, et 
imiter je reste .de la Perse.: Elideat etait trop 
faible pour ne pas.s’empresser .de, faire la paix 
avec celui qui tenait deja presque tout l’Em- 
pire. sous sa main. Aux prerhidres proposi- 
tions. qui lui furent faites, ilse sdumit, et-fit 
passer trois 'oır..quatre mille hommes wi 
avait & sa solde. 2 

. Mehernet n’eut pas plutöt connaissance: .de 
la defection du khan du Guilan ‚quilenvoya 
contre lui, vers la fin de l’ete 1783 , un corps 
nombreux de Kagiars, avec ordre de le tuer 
et d’enlever tous ses tresors. (es Kagiars cö- 
toyerentla Caspienne ‚ettomberent sur Reicht 
au moment qu’on.ne siıy 'attendait. pad: A 
‚peine Hideat eut-il le tems de se sauver avec 
sa famille.au port d’Enzelli , .et d’emporter 
ce quil: avait.de plus precieux. Reicht fut 
pille, et le palais du gouverneur devint la 
proie des flammes. 

‚L’annde 1784 fut beaucsup plus favorable 
que les precedentes aux armes de Scheik-Veis. 


CHAPITRE V. - ı71 
Ce jeune prince entradans le Mazanderanavec 
toutes ses troupes, apres avoir force tous les 
passages, et apres avoir partont battu son en- 
nemi; ıl lui enleva successivement tontes’ les 
villes de cette. province, et le poursuivit jus- 
qu’aux environs d’ Aster-Abad, ou il FobB- 
gea:de s’enfermer. 

Les succ&s qu’avaient obterns: les 'armes 
d’Ali-Murad, donnerent lieu, däns toute la 
Perse, & des:fätes: magnifiques. Les 'habitans 
d’Ispahan eritr'autres se.livrerent a la joieavec 
cet abandon, avec ce delire que -produisait 
ches eux Fespoir'd’un avenir plus heureux. 
Suiyant.um: teınein 'oculaire:(1), tous les be+ 
sesteins funrenit tapisses en brocard d’or ou en 
Stoffes de sole ‚et illumines pendant les trois 
nuits que dur&rent les fätes : on voyait par- 
tout des bateleurs et des musiciens ; les rafral- 
chissemens 6taient offerts gratuitement A tous 
les passans qu’on inondait d’eau de rose, et 
partout retentissait le nom d’Ali-Murad. 

La destruction de presque toute l’armee de 
Möhemet, la soumission du Guilan.et de pres- 
que tout le Mazanderan ne faisaient plus dow- 
ter que le calme ne succedätenfin ala violente 





.(1) M. de Ferriöres-Sauvebeuf, Memoires 'Aistori- 
ques., politigues et geographiques , vom. 1, pag. 291. 





172 VOYAGE EN PERSE. 


agitationquivenaitd’avoirlieu. Toutle monde 
se flattait de jouir bientöt et pour lonp-tems 


de cette paix apr&s laquelle on. soupirait, et 
dont en:avait si grand besoin. On se’ flattait 
sartont que le regne d’Ali-Murad serait pour 


le moins aussi long , aussi. paisible , ‚aussi 


. glorieux que celui de Kerim, et que'les actes 
de tyranıiie y'seraient äussi rare. : : ' 
:. Mais la :Perse n’etait pas.edncore parvenue 


au terme de tous ses maux ;.Mehemet n’avait 


pas encore ‘renohce & semer. le ‚trouble etle 
desordre dans son. pays. . 


Aster-Abad tenait toujours :: ‚cette. ville , 


bien approvisionnee et dans um bon &tat'de 


defense, avait regü plusieurs fois des secours 
de.divers seigneurs: turcomansy'ce qui faisait 
craindre ä la cour,, que le siege ne trainäten 


longueur, et ne finit par degoüter le soldat, 


- 


qui.d’ailleurs avait A se plaindre de la möor- 


talite qui rögnait dans l’arme&e depuis qu’elle 
avait mis le pied dans le Bas-Mazanderan. 
Divers detachemens que Scheik-Veis ayait en- 


voyes & l’orient etau midi de cette ville pour 


‚se procurer des vivres, avaient &te battus, et 


on apprenait que les Turcomans, enhardis 


_pär ces succes, se renforgaient de plusen plus. 
Ces considerations porterent Ali-Murad & 


sortir d’Ispahan ‚le 24 juillet 1784, avecen- 


CHAPITRE NY. 173 


- viron soixante mille hommes qui lui restaient, 
et a se rendre a Teheran afın.d’ätre plus & 
portee de faire passer des secours ä son fils, 
et de diriger ses operations, 
_ Dix ou douze mille hommes que .Scheik- 
Veis regut , le mirent en tat d’enlever, avant 
la fin de l!’ete, Aster-Abad & son ennemi, de 
penetrer ensuite dans le Taberistan, .de se 
rendre maitre de Semnan et de Damegan, et 
de venir bloquer Bostan , ou Mehemet s’etait 
refugie avec ses freres Djaffar-Kouli et Ala- 
K.ouli. Cette yille, patrimoine de la famille, 
'renfermait tout ce que Mehemet avait de pre- 
cieux. Riza-Kouli-Khan , un de ses fräres , 
yetait.detenu depuis plus d’un an pour des 
raisons qu’on ignore (ı). Forte par sa po- 
sition, bien pourvue de vivres et de muni- 
tions de guerre, elle etait en etat de resister. 
long-tems,, et !’on s’attendait bien que Mehe, 
met ne se rendrait pas & moins -qu’il ne füt 
reduit aux dernieres extremites. 

C’en etait fait. cependant de.cet ambitieux 
si Scheik-Veis n’eüt mecontente mal-A-propos 


y 





(1) Riza-Kouli &tait un des premiers ofliciers d’Ali- 
Murad lorsque la revolte de !’arınde de ce chef eclata 
& Ispahan ; il se rendit , avec huit cents- Kagiars qu’i] 
comzandait , & Chiras, et il y.resta durant le siöge. 


174 VOYAGE EN PERSE. 
son armee, et nie l’eüt portde A la revolte en 
la faisant mangner des objets les plus neoes- 
saires:il teriait Bostan etroitement bloquee ; 
il etait campe depuis deux: imois autour de 
eette ville. Les plutes d’automne ayaient fait 
murmurer les troupes qui etaient trop lege 
rement vä&tues‘, et qui avaient des tentes & 
nsees , que l’eau passaitätravers. Le froid qui 
survint apr&s les pluies,, et auquel il leur &tait 
bien plus difficile de resister,, leur fit prendre 
la resolution de quitter leurs drapeaux ,‚:et 
m&me de tuer leur general. et.de s’emparei de 
ha caisse mflitaire. - 
Il faut observer que presque toutes lestrow- 
pes de Scheik-Veis etaient-des Lors , des Bakh- 
tiaris et autres Curdes du Loristan, de Peria 
et des environs de Nehavend et: de Korman- 
chah. Ils avaient pour la 'plupart laisse en 
otage leurs ferumes et leurs enfans.& Ispahan;j 
mais ils comptaient les reprendre: avant de 
gagner leurs montagnes ; ce qui leur &teit fa: 
cile en l’absence d’Ali-Murad. -- | 
Scheik-Veis n’eutrien de mieux & faire'pour 
eviter d’ötre tue, que de. se sauver A Teheran 
avec sa garde et trois ou quatre mille hom- 
mes du :Farsistan, qui:n’ayaient pris aucune 
part äcecomplot.ı ..: 
Alı-Murad: fut vivement akfecte de. cette de. 





CHAPITREV. 175 


sertion : il perdait en un moment le fruit de 
quatre ou cing annees de. trayaux et de com- 
bats; ıl voyait la | guerre se prolonger, toutes 
ses ressources s’epuiser , et les maux de sa 
patrie s 'aggraver de plus en plus. Cependant 
il ne perdit pas courage ;-il fit passer sur-le- 
champ dans le Mazanderan Moustapha-K oulis 
Khan et Morteza-K ouli-Khan , freres de M& 
heinet ‚avec douze mille hommes ;il yjoigmit 
un corps de quatre mille Georgiens qu’il avait 
A sa solde , et dont il connaissait la bravoure, 
la fidelite.et le devofiment; ıl laissa A Teheran 
Scheik-Veis avec quatre mille hommes seule: 
inent, et avec le reste de sott armee il marcha 
vers Ispahan afın d’atteindre les revoltes, son 
intention etant de les detruire s’il ne parve- 
nait A les faire rentrer dansle devoir. _ 
Cette marche fut penible : l’armke eprouva 
un froid tres-rigoureux ; les chemins etaient 
couverts de neige ; il en tombait de tems en 
tems. Ali-Murad, faible et maladif, fut atta- 
que d’une fluxion de poitrine, A laquelle N 
succomba ‚le ız de fevrier 1785, au village 
&’Aga-Kamal, Jitud A troıs’ petites jourriees 
d’Ispahan. Myrza-Rebbi‘, son premier mi- 
nistre , avait fait d’inutiles efforts pour Pen- 
gäßer A se zeposer %&Cachan‘, et ättendre que 
sa sante füt retadlie. Ali-Murad’avait-trop &° 


c 


176 VOYAGE EN PERSE. 


coeur de punir la desertion de P’armee de son, 
fils, et de prevenir les desordres qu’elle allait 
occasioner. A Ispahan pour s’arr&ter& Cachan; 
il s’etait contente de prendre une litiere e et de 
ralentir sa marche. | 
Myrza-Rebbi crut ne devoir pas diyalguer 
cette mort qu’il ne se füt concerte avec le 
gouverneur d’Ispahan et les autres seigneurs 
de la ville‘; il voulait les engager & porter au. 
tröne , un commun accord , le fils aine ou. 
le frere d’Ali-Murad, et & prevenir par-lä les 
troubles que cette mort inattendue ne pouvait 
Tanquer d’occasioner. 
- Les projets du ministre ne r&ussirent point : 
le gouverneur ‚nomme Bagher, homme yain, 
presomptueux, irreflechi, ne fut pas plutöt: 
instruit dece qui venait de se passer , qw'il eut, 
Y’ambition de succeder & Ali-Murad. Bagher . 
etait tr&s-riche et avait en main les joyaux de, 
la couronne. La place qu’il occupait, le. ren-., 
dait mattre de toutes les forces de la capitale: 
il comptait sur un parti nombreux .que son, 
credit devait lui procurer ; il esperait prendre. 
a sa solde l’armee'royale , et celle qui avait. 
abandonne les drapeaux de Scheik-Veis. 

. L’arrivee subite & Ispahan de Djaffar-Kıhan. 
rompit les mesures..de Bagher. Djaffar avait. 
quitt6 son.gouvernement,, et avait march&, 

vers 





 CHAPITEE YV. ‚177 


‚ vers la capitale, & la.täte des troupes quil 
"avait pu se procurer , sans qu’on ait su siil_ 
venait au secours de son frere, ou sl medi- 
_tait de lui enlever la couronne. 

Il y avait alors a Ispahan plus de cinquante 
mille hommes de troupes, tant de l’armee 
 d’Ali-Murad, que de celle de Scheik-Veis, qui 
ne recevaient plus de paye, qui n’obeissaient 
plus & aucun chef, et qui se livraient & tous 
les exc&s, & tous les crimes que produisent 
ordinairement, chez les gens de guerre , l’in- 
discipline et l’anarchie. Bagher etait venu & 
bout, par ses liberalites et ses promesses , d’en 
prendre un grand nombre A sa solde ; mais 

comment compter surdes hommes corrompus, . 
‘que la crainte du chätiment ne retient pas? 
Ces hoınmes abandonnerent Bagher des qu’ils 
surent que Djaffar dtait aux portes de la ville, 
et möme la plupart d’entr’eux, apres avoir 
dissipe l’argent qu’ils avaient regu du gouver- 
neur ‚ congurent le crimineldessein de le saisir 
et de le livrer & son ennemi. 

Bagher ‚instruit ä tems de ce complot, par- 
vint A sortir de la ville avec une partie de ses 
gens, et & se sauver dans un village des envi- 
rons, dont il etait le seigneur. 

- Cette soldatesque , n’etant plus retenue par 
aucun frein, se porta alors A tous les desor- 

Tome VI. M 





‘ 


178 VOYAGE EN PERSE. 
dres imaginables : ni le rang, ni l’äge, ni le 
sexe, Tien ne fut respecte. Ispahan presenta, 
durant trois jours , toutes leS scenes d’hor- 
reur d’une ville prise d’assaut et livree ä la 
vengeance , ä la cupidite, au cynisme d’un 
ennemi aussi cruel que corrompu. 

' Djaflar etait campe, & deux lieues de la 


‘ville, avec’sept ou.huit mille hommes seule- 


ment. Les habitans accouraient en foule au- 
pres de ‚ui, et le conjuräient de mettre un 
terme a tant de maux. Il ceda enfın & leurs 
ihstances : ı) entra le.ı8 dans Ispahan, et fit 
cesser tous les desordres qui y r@gnaient ; il 
parvint & faire arröter Bagher et ale faire en- _ 
fermer ; il ht aussi arr&ter quelques seigneurs 
soupconnes d’avoir voulu favoriser la rebel- 
lion du gouverneur. 

Avant d’entrer dans la ville, Djaftar avait 
envoye.& Teheran un courier , ahın d’instruire 
Scheik-Veis de ce qui se passait, le prier de. lup 
transmettre ses ordres, et V’engager a venim 
promptement A la capitale pour y occuper le 
tröne de son pere, 

Scheik-Veis etait parti de Teheran a la pre- 
miere nouvelle qu’il avait regue de.la mert, _ 
d’Ali-Murad; il avait laisse en arriere sa fai-. 
ble. armee „et n’avait pris avec lui que quel- 
ques ofliciers de sa maison, Ayant appris en. 


‘ 
P\ \ „m. 


EHAPITRE V. 179 
route que Djaffar Etait le maitre d’Ispahan, et 
ne lui supposant, d’apres ses depeches et sa 
conduite anterieure, aucune mauvaise inten- 
tion ‚ il etait entre dans Ispahan vers la fin de 
fevrier , sans precaution comme sans ınefiance. 
Il avait envoye la veille un courier & son 
oncle pour lui annoncer son arrivee, et il 
allait descendre dans le palais royal quand 
tout & coup il se vit entoure par une multitude 
. de gens de guerre, etcharge de chaines avant 
m@eme qu’il füt revenu de son etonnement. 

Djaffar fit saisir en m&@me tems tous les fils 
et tous les parens d’Ali-Murad, ainsi que les 
deux ministres Myrza-Rebbi et Myrza-Ana- 
dolla, et les fit enfermer dans les prisons roya- 
‘les; ily envoya aussi Bagher-Khan, qui etait 
A ses yeux,non pas le plus dangereux , maisle 
plus coupable de tous. 

Lorsqu’il se fut assure de tous les hommes 
- qui pouvaient inettre obstacle A ses desseins, _ 
et quiil eut donne A Y’armee des chefs qui pa- 
raissaient devonues & sa personne, il leva le 
masque; il prit, comme Kerim et comme Ali- 
Murad,letitre de lieutenant-general duroyau« 
ine, etse transporta, vers le milieu de mars, 
en grande pompe , dans le palais royal, on il 
recut le serment de fidelite de tous les granda 
de la ville. oo 

M. a 


'ı8o VOYAGE EN PERSE. 


L’armee:.de Djaffar etait devenue tres-nom- 
breuse, etles revenus de l’Eimpire diminuaient 
tous les jours. La Perse, dejä considerable- 
ment appauyrie, ne payait les impöts qu’avec 
beaucoup de peine, et des qu’il survenait des 
troubles & la capitale, la. plupart des villes 
suspendaient totalement l’envoi des sommes 
: qu’elles devaient verser dans les coffres du 
“ fisc. D’ailleurs , quelques provinces du nord 
ne payaient que lorsqu’ellesy etaient forcees; 
d’autres etaient en rebellion. Djaffar , presse 
par le besoin, crut trouver un bon ınoyen de 
se procurer de l’argent en faisant mettre sous 
le bäton Bagher-Khan, les ministres Myrza- 
Rebbi et Myrza-Anadolla, ainsi que les sei- 
gneurs qu’il tenait dans les fers, et les obli- 
geant A lui payer de tres-fortes sommes pour 
racheter leur vie. Il se conduisit de la möme: 
maniere A.l’&gard de son cousin - germain 
Ismael-Khan, Als de Soggiadi-Khan, frere de 
Kerim (1); mais c’etait envers Bagher, comme 
le plus riche de tous, qu’ilse montra le plus 
cruel : il ne cessa de le faire bätonner qufil 
n’en eüt recu dessomınes tres-considerables. 

Bagher voyait dans sa prison les habitans 
des villages qui lui appartenaient : il ayait eu 
ER 


(1) Soggiadi-Khan mourut avant le vekil. 


2% 


CHAPITREV. 181 


besoin de traiter avec eux afın de se procurer s 
par leur moyen, de quoi fournir aux deman- 
des qui lui etaient faites ; il en profita‘ pour‘ 
ecrire A Aga-Mehömet-Khan, et l’inviter ins- 
tamment & venir delivrer la Perse de ’homme 
le plus inepte et le plus cruel qui l’eüt jamais 
gouvernee ; il P’assurait dans ces lettres, que 
l’armee etait deja tres-mecontente de Djaffar;' 
que le peuple d’Ispahan , trompe dans son 
attente , etait indigne de la conduite de ce 
chef’; que les grands le detestaient , parce‘ 


qu’il les ranconnait, et les menacait de les 


faire perirles uns apres les autres sous le bäton, 
s’ils ne rendaient compte exactement de tous 
les deniers qu’ils avaientillegalement preleves 
sur le peuple depuis la mort de Kerim. , 

‚Mehemet se trouvait delivre de tous ses 
ennemis. Apres la desertion de l’armee de 
Scheik-Veis , les troupes qui etaient ä Aster- 
Abad et dans quelques villes du Bas-Mazan- 


‚deran avaient tenu bon, mais elles s’etaient 


retirdes des qu’elles avaient appris la mort du 
rei. Celles qui avaient et& confiees A Mousta- 
pha-Kouli-Khan et & Morteza-Kouli-Khan 
s’ötaient &galemient retirees, de sorte que toute 
Ja province ayait passe de nouveau au pour: 
voir de Mehemet, | 

- Dis qu'il eut recu les lettres de Bagher, "il 


[di 


182 VOYAGE EN RERSE. 


se decida a sprtir de sa.province ; il poürvut & 


la häte.ä la defense des principales villes, et 


avec cing cents hommes seulement il osa s’a-, 


vancer jusqu’a Teheran. Lä il reunit sous ses _ 


drapeaux plusieurs milliers de soldats qui s’y 
trouvaient, Rassure par d’autres lettres qu’il 
regut, et plein de confiance dans sa bonne 
fortune , il prit la röute d’Ispahan. Son armee 
s’augmentait tous les jours des debris de cellea. 
de Scheik-Veiset d’Ali-Murad, de sorte qu’en. 
arrivant & Cachan il se trouva avoir des forces 
assez considerables. | 

. Djaflar, qui ne jugea pas son adversaire 
bien. redoutable, qui le meprisa m&me un peu 
trop, ne daigna pas lecombattre en personne; 
il se contenta d’envoyer contre lui la majeure 
partie de ses troupes : mais il arriva que les 
Curdes qui avaient deserte les drapeaux de. 
Scheik-Veis et emporte la.caisse militaire, et 
qu’on avait eu le tort de ne pas desarmer et 


_ punir, furent A peine.& quelques lieues de la 


ville, qu’ils quittärent l’arınde et marcherent 
vers leurs montagnes. Les autres troupes , 
n’etant pas assez nomhreuses. pour;fesister & 
celles de Mehemet, ou decouragdes peut-Etra.. 


‚par la desertion des Curdes ‚ refusörent de 


cambattre, et se debanderent. u 
:Djaflar, se voyant, par la parte de son ar- 


, 


u. 


CHÄPITREW. 183 
mee , menace d’&tre bloque dans Ispahan-, 
sortit de cette ville le 4 de mai 1985, avec cing 
ou six mille hommes qui lui restaient,, et de 
rendit A Chiras, ou il esperait de retablir ses 
affaires ; il emmena les fils d’Ali-Murad , A qui 


il fit bientöt crever les yeux, et emporta des 


sommes considerables ‚ ettout ce que le tresar 
royal renfermait de plus precieux. ; 

Ce tresor,, malheureusement pour. lui, 16 
devancait de quelques heures. Confid & une 


_ garde de cing cents hommes, il fut attaque et 


pill&ö par les gens de Bagher, qwi s’etaient 
reunis, a quelques Heues:d’Ispahän, at omı- 
bre de douze ou quinze cents. Djaffar avait 
misen liberte, la veille de son depart, le mal 
heuteux Bagher, apıres lui avoir' fait pröter 
erment de fidelite surl& pprte de la mosquee 
xo'yale , comme si'un sermment arräche de forc& 
pouvait lier celui & qui on & fait subir les ping 
erwels traitemans. 

Möhömet entra ie 6 dans Tepalan); 2 nie 





4) M..de erridron-Sauveberuf.dir que Mehtmet en 
tra dans Ispahan le 2 de mai, etil place ä ceite dpoque le 


pillage qui eut lieu les ı5, 16 et 17 de fevrier. Menoi- 


res historiques, politiques et geographiques, tome I, 
pie. 297i-Noüs prefdrons suivte’les notes que notis arons 
röcuehllie® dans'cette ville. Il one paratt qiie Meheer, 
qui voulait regner sur les Persans , ne powra# pirikeltre 


m 


184 VOoOXYAGE EN PERSE. 

sur les habitans une forte contributien,, aug- 
menta son armee par les largesses qu’il lui fit, _ 
et marcha le ı5 de juin vers les montagnes 
de Peria et du Loristan, dana l’intention de 
soumettre ces Contre6es, 

- Une fut pas aussi heureux dans cette guerre, 
qu’il Y’avait espere ;-il fut battu par les Lors 
et les Bakhtiaris reunis, et oblige de se re- 
tfancher pour öviter une deroute. Apres: la 
bataille la dissention s’etant mise parmi les 
hahitans de ces montagnes, & l’occasion du 
tröne qu’on regardait, dejä comme vacant, et 


'Mehemet , par des promesses et.de l’argent, 


etant venu A bout de se faire un parti, il 
obtint 4 san tour des succo&s ; il s’empara de 
quelques chefs qui voulurent lui resister, et 
les fit oruellement perir. Les villages qui leur 
appartenaient, furent detruits, et les habitans, 
maltraites etreduits A la plus affreuse misere, 
virent, pour comble de maux, leurs femmes 
et leurs’enfans devenir la proie du soldat. . 
Apres cette expedition,, aussi impolitique- 
ment concue que mal-adroitement terminde, 
Mehemet resolut Faller se presenter & Oulou- 





N son. 1.armde le pillage de, la capitalo , lorsque d’a aillenre 
cette capitale renfermait un part. irs-narabreuz wäh ui 
tendait les -bras. . 


- 


CHAPITRE vV. 185 
Guerd, Amadan et Kernianchah, afın de sou- | 
mettre ces villes’ et y lever des contributions. 
Il etait dans la seconde lorsqu’il apprit que les 
Lors et les Bakhtiaris , reunis de nonveau, 
marchaient vers lui, resolus de le combattre, 
et de lui faire payer cher les degäts qu’il avait 
faits dans leur pays. Il vint aussitöt au devant 
d’eux, et les rencontra & quelques lieues de 
Nehavend. Les deux arme&es se battirentavec 
acharnement : celle des montagnards , quoi- 
qu’inferieure par le nombre, remporta la vic- 
toire, et mit l’autre en pleine deroute. Me- 
hemet se sauva A Teheran avec les debris de 
ses troupes, s’etablit dans cette ville, s’y for- 
tifia, et en fit des-lors le centre de ses opera- 


'tuons. 


Pendant que les Lors et les Bakhtiaris ‚a 
l’occident de la Perse, occupaient l’un des 
concurrens au tröne, l’autre levait des troupes 
au midi, et se preparait ä revenir dans la ca- 
pitale. Djaffar n’dpprit pas plutöt la defaite 
de son ennemi, qu’il pärtit de Chiras en 
toute diligence ‚le ı8 d’aoüt, et se trouva 


ala fin du möme mois sous les murs d’Is-' 


pahan. | 
Bagher avait ete retablı par Mehermet dans 


le gouvernement de cette ville : c’etaiten effet. 
Vhomme qui devait &tre le plus dispase A re 


186 VOYAGE EN PERSE. 
sister & Djaffar, mais il lui’ eft fallu plus de 
troupes qu’il n’en avait. Cing ou six mille 
hommes que son maitre lui avait laisses, ne 
' .Jui permettant pas d’aller au devant de l’en- 
nemi pour le combattre, ni de soutenir un 
'siege dans une place fort ötendue et ouverte 
de toutes parts, il prit le parti de s’enfermer. 
dans la forteresse nommee Tabarok, qui est 
situde vers lenord dela ville, et la de s’y-de- 
 #endre jusqu’&ce que Mehemet ‚vint le degager: 
Il avait eu la precaution de la ‚reparer, d’y 
faire passer des vivres, et de la munir de plu< 
sieurs pieces de.canon. | 
Djaffar entra dans Ispahan sans eprouver 
de resistance ; mais il ne put d’abord forcer 
la citadelle,, ni engager le gouverneur & la li- 
vrer ‚malgröles offres seduisantes qu’il lui fit. 
Bagher se defendit avec courage, et ne voulut 
souscrire 4 aucune-proposition que son en- 
nemi put lui faire. Cette conduite &tait pru- 
“dente et conforme & la situation dans la-i 
quelle il se trouvait ; il ne pouvait se fer 
& la parole de Djaffar , et il avait tout & at- 
tendre de Mehemet. Les habitans de la ville 
penchaient ‚pour celui-ci, et il y avait liew: 
d’esperer qu’on le verrait paraitre d’un instant 
& Pautre. D’ailleurs, Bagher ne pouvait par- 
donrier ä Djaflar le traitement barbare qu’il- 


CHAPITRE Y. 187 


en avait regu ‚sans &tre le plus vil deshommes.. 
Les premieres tentatives que fıt Djaffar pour 
s’emparer de la citadelle, n’ayant pas reussi, 
il se determina , le 26 octöbre de la m&me 
annde,, & faire un dernier eflort, et & latta- 
quer en m&me tems de tous cÖötes. En eflet, 
des la pointe du jour toutes les troupes furent 
sur pied; partout on dressa des Echelles , et 

_ partout on combattit avec une egale fureur. 
Djaffar animait sestroupes, etleur promettait 
des recompenses ; Bagher se portait dans tous 
les licux ol sa presence &tait necessaire, avec 
un Courage , une activite, une presence d’es- 
prit dont on ne le croyait pas capable. Ses 
troupes firent des prodiges de valeur; plu- 
sieurs fois elles parvinrent A terrasser des pe- 
lotons ennemis qui avaient franchi le mur; 
_ plusieurs fois elles renverserent sur le mur: 
“ möme des coınpagnies entieres. Mais & la fin. 
celles de Djaflar vinrent A bout de se main- 
tenir sur plusieurs points , et bientöt elles 
presserent de toutes parts les assieges. Bagher, 
vivementcoambattu par un grandnombhred’en- 
nemis, se defendit long-tems,, et fit mordre la 
poussiere & plusieurs avant de succomber, 
Presque tous ses amis möururent les armeg 
a la main : ceux que le fer du soldat .n’at-- 
tejgnit pas, implorerent en vain la miseri- 


t 
Sn, . 





18 | vovYıer EN PERSE. 


corde du‘ vainqueur ; Dj affar leur fit trancher 
la t&te, et leurs biens furent confisques au 
profit de l’armee. 

Ismael-Khan , dont nous avons dejä arte, j 
etait depuis long-tems rentre en grace, et 
avait m&öme obtenu le commandement d’une 
partie des troupes;; il avait penetre un des 
premiers dans la forteresse, et avait beaucoup 
oontribue, par son courage, au succes de 
cette journee. Djaffar ne erut pouvoir lui 
donner une plus grande marque d’estime , 
qu’en lui confiant un corps de deux mille 
hommes, et le chargeant d’aller aupr&s des 
Lors et des Bakhtiaris , qui avaient vaincu 
Mehemet , afın de les engager & se soumettre 
et A venir se ranger sous ses drapeaux; il les 
faisait aussi ‚inviter & le reconnaitre solen- 
nellement pour regent, et & lui envoyer des 

otages, ainsi qu’ils avaient fait sous Kerim et 
sous Ali-Murad. . 

. Ismael avait'trop peu d’estime pour son 
cousin, et il avait encore trop sur le cur. 
l’indigne’traitement qu’ilen avait regu, pour 
le servir dans cette occasion avec le mäme 
 zele qu'il avait mis & la prise de la citadelle.: 
En combattant Bagher, il avait cru travailler 
pour son propre compte; il avait juge tr&s- , 
"urgent d’empöcher qu'Ispahan ne restät entre‘ 


+ 


| CHAPITEE Y. 189 


les mains de Mehmet, qu/il regardait deja 
“comme plus redoutable que Djaffar. Les for- 
‘ ces qu’il se vit en mains, et la mission dont 
il fut charge, en Iui donnant l’espoir de met- 
tre dans ses inter&ts les habitans du Loristan, 
‘ lui donn£rent aussi celui de se defaire tour-a- 
tour des deux rivaux qui se e disputaient le 
tröne. Ä 
Comme, dans toutes les ehtreprises de ce 
genre, la premiere chose qu’il faut avoir c’est 
de l’argent , Ismael en emprunta autant qu’il 
“put dans la capitale; il depouilla sur la route 
quelques riches caravanes, et il mit & con- 
tribution un grand nombre de villages. Ar- 
riveä sa destination , on jüge bien qu’au liew 
d’agir en faveur.de son parent, il chercha 
a gagner pour lui-m&me, par des largesses 
et par tous les moyens possibles,, les Lors, 
les Bakhtiaris et toutes les tribus guerrieres 
‚de ces contrees; il leur representa Djaftar 
comme un homme cruel, avare, aussi inca- 
pable de diriger les operations d’une arm&e, 
“ que de gouverner un Einpire. Adonne au 
Yin , aux feınmes et & toutes sortes de de- 
bauches, ıl laissait tout le soin des affaires 
a son ministre Mirza-Hussein , et la direc- 
tion des armees A ses gendraux. Isınael fit 
| enzuite valoir les droits qu'il avait Jui-mö&ne 





100 _VOYAGE EN PÜRSE. 

au tröne:: il. etait, comme Djaffar , neveu ger= 
main de Kerim ; il etait ne sur les montagnes 
du.Loristan, parmi lestribus auxquelles il s’a- 


dressait ; elles pouvaient bien compter, d’a- . 


‚pres cela, sur un attachement inviolable de sa- 
part, et sur une reconnaissance sarıs bornes. 
Plusieurs de ces tribus , &galement mecon- 
tentes de Mehemetet de Djaffar, se deciderent 
A prendre parti pour Ismael, et & s’avancer 


° 


vers Nehavend,;, Amadan et Kermanchah , 


. afın de surprendre ces villes, et pauvoir de lä 
menacer &galement les deux competiteurs. 
Mehemet, selon eux, etait pour le moment 
. hors d’etat de rien entreprendre , et Djaffar 
ne pouvait &tre fäch@ qu’on s’emparät des 
villes qui appartenaient & son ennemi. Ces 
deux conjectures se trouverent &galement 
fausses : Mehemet etait sur le point de partir 
pour le Guilan avec des forces assez conside- 
rables, ainsi que nous le verrons plus bas; 
et Djaffar, qui suivait les mouvemens de son 
cousin, qui faisait eclairer sa conduite , n’eut 
_ pas plutöt appris ce qui se passait, quil re- 
solut de marcher contre lui, et de le com- 
battre avant que son parti ne grossit; il sortit 
en consequence d’Ispahan le. ı8 decembre 
1785, apıes avoir pourvu & la defense de 
cette ville. 


5 


CHAPITRE V. 191 

L’armee , forte d’environ vingt mille hom- 
mes, s’avanca jusqu’a Amadan avec peine et 
avec lenteur , & cause du froid excessif qu’elle 
eprouva , et de la neige qui tomba en abon- 
dance plusieurs jours de suite : elle fut obli- 
gee , en s’eloignant de la capitale, de sonder 
le terrain., et-de se frayer la route & travers 
cette neige ; elle marcha neanmoins en bon 
ordre. A son approche, celle d’Ismaäl se dis- 
sipa,, et lui-m&me se sauya dans le Curdistan. 
Cosrof, prince du Carracciolan, chez qui il 
vint se refugier , Yaurait peut-£tre livre & 
Djaffar sı lepremier ministre , Mirza-Hussein, 
ne l’edt fait demander avec une arrogance et 
des menaces qui.revolterent Cosrof , et qui 
Pengagerent m&me & s’armer pour le malheu- 
reux qu’on poursuivait. Ali-Khan, Kamsai, et. 
Mohammed - Hussein -Khan , Gragosli, ainsi . 
que d’autres seigneurs curdes, s’etant r&unis 
& Cosrof, vinrentä& Amadan , et presenterent, 
le 2 mars 1786, le combat & Djaffar. L’armee 
des allies eprouva d’abord quelques. pertes 
dans le centre , parce que.Djaffar y ayait 
porte l’elite de ses troupes ; mais Cosrof et 
Isma@l parvinrent & soutenir. tous ses eflorts ; 
bientöt apres ils le repousserent ; -ils furent 
meme plusieurs feis sur le point de se mesurer. 
corps & corps avec lu. Dans le. mine tems, 


192 VOYAGE EN PERSE. 


| Alı-Khan et Mohammed-Hussein-Khan toitı- 
baient sur l’aile droite et sur l’aile gauche , 


et renversaient tout cequi se trouvait devant 


“ eux. Les Persans , presses de toutes parts , 
_ plierentäleurtouretabandonnerent le cbamp 
de bataille. Leur perte en hommes fut consi- 


derable ; leur artillerie ettoutle bagage tomba 
au pouvoir des Curdes. Djaftar prit' la fuite 


_ des premiers, et arriva le 8 & Ispahan avec 


un petit nombre de seigneurs qui ne P’avaient 


_ point quitte. Le reste de l’armee rentra les 


jours suivans , et se trouva reduit a dix ou 
douze mille hommes: 

Les deux freres de Mehemet , Morteza- 
Kouli - Khan et Moustapha- Kouli-Khan , 
n’ayant pu conserver l'armee dont Ali-Murad 
leur avait donne le commandement, s’etaient 
separes. Le premier avait passe dans leGuilan, 
et avaitengage Hideat, qui gouvernait encore 


cette province pour Mehemet , & mecon-. 
_ naitre une seconde fois son autorite , et & 
“ profiter des troubles qui agitaient l’Eınpire, 


pour se rendre independant. Enefiet, Hideat, 
apres la derniere defaite de Meheniet, avait 
refuse de lui envoyer des troupes et de l’ar- 


gent , et s’etait prepare a faire resistance en 
. cas d’attaque. 


. Moustapha £tait reste dans le Mazanderan; 
il 


cHasImaB wor 0b 
Al sietait. erfferme ,.Bvac:traid dants haunnası, 
Jans une forteressöi'& Forient de aekte ıjiro« 
„vince , parce qwil:ofeignait que’ son frene. ne 
imarchät. contre:lurz:mais des que celwi-cieut 
| prib la zoute .U’Ispahah,. Moustapba #tait 
mise eampagne, avait.leve quelgquzs troupes, 
et ‚Hyait. mexihcd dienvabir tout le Mazan- 
‚deran. inmtunal. 2 
ei Mehätnet ,: apıes sa dkfeieel, Staitiı retird, 
<omme nous Kavons.dıt,, A. Teheran, avec 
lesidehris de son'atmde, All’avait un peu'ren- 
.,foroee „et avast march& eontre Hideat,; Fayait 
battu,etmis en;fuite. Morteza, aignanhayec 
Aaison le courtoux de san frere ,.3.etait sauve 
shesketah-Ali, gouvernzur.de Kouhayetavait 
passe peu de tems’äpresä Astracan. .: . 
.. Dana le nidme tems que M&hdmet »’stait 
| ports dans le Guilan , il 'avait eivoyd:son. 
frere Djaflar-Kbuli aveo des troupes ‚. pbur 
artöter.les progräs de Moustapha, panr l’a- 
wener A un aecommodenent',-ou pour: le 
‚sombatzre s'il s’obstinait:ä vouloir Separer ses 
änterets.de iceux. de ses. Treres. Les deum.-are 
'ahıdeg #’etaient trouvees:.en prdsence'aux..dn« 
virons.de-Semnan. Djäflar-Konli.‚;avant:dien 
venir aux mains, g’ätäitratance seul A.chevel 
vers Moustapha ; lui avait tendu les mains-, 
<t l’avait conjure de remettre V’i&peer dar le 
Tome VI. N 


Sof VOrAGEIEM MIERSE. 


ferurrend. .& :S3 les Hemsrdu ! sang, hul' ayaiclHl 
> dit yihesoht pas asdez fonts pour nous unip, 
>. que P’imteröt: du ::moins'' nous’ rapproche. 
» Vouis:le:savez:: P’Enıpire est reserve ä wekui 
gi Bourdandänirıle 'plund'Be forces, Hiegt 
Sänodesinloup agidsons de congert;z ilrroms 
$.schdppe si noussomikes. divises’' AHokse 
» joindre Mehemet A Teheran ; que nostreis 
>» 'armdbs.n/en, fassen ga’anaymäarchong.a la 
» oapitalejindus y Hbonsudesianmis 5 Diaffan 
: Key se pbnt nolk empöcher.dellz.preideei; 
% vols erbberkz gouverkears son fpdre reh 
»a:donng'sa,parole‘yje.:vos' garamtisäell 
% by imangguerz pası Tbinsermösenre 4 mei.le 
3 gourerdemdnt.de Casbiny;jeimien cohsente 
» et lui abandonine. tout }’ Enpird; vgrablien 
%» 3a detneune 4. Teheram korseru’ll aur&sotunis 
sutoures’les prorinces 'qui'ne Feoosinzitsent 
=: dams co. moment ausune autoriselefitime;b 
+ sk Je yeum'bier ‚me. reunir a vons,i&:M&he- 
si metjjrependit:Mouistapka, si vous me proe- 
ssanetveg. Kun lautte ie'gourdrneniend d’io- 
„ıpahan. Eoinme wohs; A ed prix, j’abandonne 
ar BP Empire :& Mehmet. Je jure de.l’ääcker de 
».tbusı mes.riloyens sihiekecute:sa prlomesser, 
bs eti!de; le combattre; züsqwä la. more Sy 
a mlangee. wir sttogn ' u SCHERE; 


"A Setup Diaffar: et Mousphas’ "enabiräs- 


CHAPITRE V. 293 
serent, gi Brent'amnoncer aux deux arındes, 
guil i’y avait plus de motifs de guerre, que 
la. phit, etait faite,, et que dorenavant elles 
allaient marcher sous les mömes drapeanx. 

Elles eelebrerent , pendlant trois jours, par: 
des fötes cet heureux ‚evenemhent; apres quoi 
elles ;se'mirent en. märche , et arrıvärent & 
Teheran vers le: milley de mars 1786. 

. Mehömet regut ses fräres avec tous les te- 
meoigrisges de la plus sinc£re affection ; il leur 
remouvela. la promessge de donner & l’un le 
gouvernement d’Ispahen;, et A l’autre celui de 
_ Casbin. Ala-Koyli, qui avait toujours &t4 
attache & Meheniet , et qui se tronvait alora 
present, eut aussı Passtırance d’un gouverne- 
ment. Tüut etant ainsi regle , et les trois ar- 
metes etamt r&umies et bien pourvnes’de tout, 
les quatre freres, & leur t&te, prirent le che- 
min d’Ispahan, oü ils arriverent le 22 ayrıl 
1786. | 

Djaffar-Khan « en Etait sprti le ı9; 1 ayait | 
&racud.cette ville qwil n’eteit plus en, dtar de 
defendre, et avait pris la route de Chiras avec, 
quinze 0 ou dir-huit mille ‚hommes qui lu res 
taient. .. ..:: 

Un astre motif qui le determina & Gracher 
Ispahan et & se porter vers le midi, c’est; que. 
Hadgi-Ala-Kouli, gouyerneur de Kazeroup, . 

Na 


196 VOYAGER EN PERSE. 


ville situde entre Chiras ‘et Abouchir, avait ' 


profite de son eloignement et du mauvais ötat 
de ses aflaires, pour arborer l’&tendard de la 
revolte. Il s’etait secretement lie d’interät avec. 
 le'scheik arabe Nassir, &imir ou prince d’A- 
| beuchir, ‚.tributaire de la Perse. 

’ Djaffar ‚ rendu A Chiras, se häta de lever 
des troupes :il mit la ville.en dtat de resister 
a Mehemet si toutefois il se presentait' pour 
en faire le siege,, et marcha contre le rebelle; 


‘N le rencontra pres du village de Desterdgin, 


_ lebattit,etl’obligea& prendrela fuite. Hadgi- 


Ala- Kouli se rendit quelque tems apres & 


_ Chiras,, sur la parole qui lui avait.&te 'solen- 
nellement donnee, qu’il obtiendrait son par- 


don s’il venait le demander ‚.et qu’il serait. 


meine reintegre dans son gouvernement s’il 


faisait de bonnie-gräce sa’ soumission ; mais &: 


peine fut-il arrive, qu’il fut charge de chatnes 
et enferme dans la citadelle. 0 

"Cette victoire fut doublement utile A Djaf- 
far : il avait detruit un ennemi qui.pouvait 


devenirredoutable;ilavait confisqguesesbiens ; 
il avait incorpore son arme&e dans la sienrie ,. 


et il avait leve des contributions & Kaseroun. 
et dans toute la province;.ce qui le mettait en 
_&tat.de resister A Me&hemet. | 

Quant & celui-ci,, il perdit 4 Ispahari un tems 





‚ CHAPITRE V. 197 
infiniment precieux. Au.lieu de poursuivre 
son ennemi, et d’aller l’assieger a Chiras avant 
qu’il eüt pourvu de vivres cette place, il s’ar- 
r&ta pour organiser les diverses adıninistra- 
tions , et pour donner le tems de revenir ä des 
'emissairesqu’ilavaitenvoyes dans le Loristan. 
Mehemet avait d& cur, avanttout,de gagner 
les. tribus: militaires'qui se.trouvent & l’occi- 
dent de la capitale; il avait craint peüt-£tre 
‘de se les mettre A dos:en allant A-Chiras, ou 
.de sevoir eouper la reträite s’il etait repousse. 
-Rassure.& la. fin & cet dgard, il se decida & aller 
‚faire le siege de cette ville dans le mois de 
'septembre; mais il n’etait'phus tems: Djaffar y 
-&taitrentre avec des forces assez considerables 
-pour n’avoir rien A craindre. En effet, apres 
.quelgues.tentatives infructueuses, Mehemet, 
voyant quwil ne pourrait en aucune maniere 
forcer cette ville A lui ouvrir ses portes, prit 
-le parti de retourner A Ispahan. 

“Durant P’hiver et le printems, Djaflar. fit 
‘de tres-grands preparatifs : il porta son armee 
A: plus:de soixante mille hommes, et la pour- 
-vut abondamment de vivres et de munitions 

de taute espece ; il en laissa sept ou huit mille 
& Chiras, et il sortit avec tout le reste, le 25 
juin 1787, pour se porter & Yesd, ville assez 


D 
}\ 


considerable et trös-marchande , situde ä 


- 


/ ) 


98 VOYAGE EN PEHSE. 

soixänte et quinze lieues & l’orient d’Ispahan. 
Yesd ne fit point de resistance , et ouvrit ses 
portes des qu’elle eut I’assurance que le bon 
ordre'n’y serait pas tröuble. Jaghi-Khan, & 
qui elle appartenait, ou qui la gouvernait 
pendant cet interrägne., s’etait refugie dans 
la forteresse nommee Yaft , yui est voisine 
de la ville ‚et s’y etait mis en tat de soutenir 
un siege. , 

Gette expedieibn ,. ‚que Djaffar sans’ doute 
n’aurait di entreprendre qu’apres s’&tre em»- 
pare de la capitale et avoir detruit son com- 
'petiteur , n’eut lieu, dans cette circondtance, 
tie parce que Jaghi-K’han avait formellement 
‚refuse de se declarer en fgveur d’ancun pre- 
'tendant, et qu’il entretenait une correspon- 
dance avec les khans du Kerman et de Jlaar, 
‘dont l’objet .etait de se liguer entr’eum pour 
'se rendre independane. . , ' 

Lorsque les portes d’Yesd lu arint ouver- 
tes, Djaffar promit, de ne pas inquidter les 
‘habitans, et de ne lever sur eux aucune taxe 
extraordinaire. Fidele pendant quelques jours 
A sa: parole „il fit observer une bonne disci- 
'pline ä ses troupes , les fit camper Hiors des 
murs, et il ne vint dans la ville qu’avec sa 
'gärde , ses ministres et les seigneurs attaches 
& sa personne; il fit inviter les habitans & se 





"PGRMPLERE. Y.:u”r x. 
Iotrer.ä:kiure wailämikl, endit dire aut mögen: 
eins :quiils !pauwaient jı:dank .fierw orbindre;, 
faire ver des zıarlekandists etiesipädier celles 
gwils’araient. Madgröides! ausımances;, il exi- 
gea ; peu.de temsvagndssbrisuns:nlovers. pre- 
textes; du ares-furtgs sunkımes ; teyt..de la: wille 
qus deu proyintszg kugmenta' tout Arooup- 
leb douanke ‚a Buarmözeriguelgaes riches par- 
Beilters. Les salemeussy wisse se porınit & leur 
egard pour: avoir de l’argent , celles qu’ohı 
 eXkigh er VerIIB ug qui ise Hiroevasent' Jhors 

eur ie payer! eu taxen qeign deur:deman- ' 
dar, ereivdrgal Miadignlanicn deır6lsdes ha- 
Bituns', .arpoichtzgeihb n6sohuenit. de )seoouer 
je joup. Pour: yl palvieni,ils v'adıelsävent se- 
eibtenleht & Jagkiyalinstruisirerti dege wpui se 
peddait, et l’engaperent & venir ddehk sccours, 
Piomettart.de prenezernous.les arints# il pou- 
vahı uttirer Djaffar bors desunuii. 1: ; 

: : Jaghi-Kihan : ne balanga; pas Yadibräter a 
leutsttaes. Quoiguelbloque ;iltmouvale imoyen 
de Vortespopdregegnliörement avec kes prin-. 
vipnern- d’enw’sag'3 Hl leur At-passeh ‚ses or- 
dres,etht teniPpräsdapbr an: premie? signal, 
non:seulemetrt des Habitans de 1a'ville; nais 
&euz:de toute la ptovitise; er lorsque.sont für 
Uidpöse ainsi qu'il V’avait :ordoune, U sortit 
durant la nuit de sa forteresse avec une bonne 


+ 


200 VOYAGERIENIDERSE. 


partie: de:ses tfoupes, Djafkar ; se tlattant de 
l’atteinidre et.de Jde-battre, :seımit A’sa. pour-. 
suite ; maäisgtantinlofme Jdeur ou troisjours 
apres,, que'tons tes- habitenk, de Yesd s’etaient, 
arınes, etque:oenx.de-la province acoguraient 
en foule 'aupre£s .de.leur..privte „ıou seren- 
daient dans la ville,:i Brit.Jaiparti de de rer 
tirer ; il rentra 'ä Chissin such, petebrerde, laı 
mdme ännee, 3283: Asa 23 lektrepris.: ‚ autze 
chöse: > "3 nun sh iors er. Le 

. Meheipet, avait ie travaillg, :psndant ce Beine, 
a aflermir-son- ‚poyvoir dansiteut le.nord;de 
la Perse: Depuis. Yesdesust et Ispahan. jusgqw’& 
. la mer Caspienne,, et: depuis:Kxivanı „.Jaurig 
et Ardebil jusqu’& Mendeli,,, Kermanchakı et 
Nehavend,; tout lui &taif spimis. Fetah-Ali, 
khan du Daghestan ,.du Chyrvan et-du.Mo- 
gan, :lui faisait hommege de ces 'provizces« 
Amadan etait: rentrß sous sa dominatign de- 
puis quiil.s’etaitı empare!de la capitale-, .et 
Hideat avait;une secande foas.obtenu sen par- 


don et enyoye des. ntages: pauf garant desa 


Sidelite. - dsmael-Khan , n’etant plus souteny 
par les Curdes quj-ayaient.trait€ avec Mehe- 
. met, et. draignant d’etre livrd, ayait erre quel- 
que tems,dans ces contrees, et avait fini paz 
se faire derviche pour Schapper & la mart ut 
atoute recherche. . - ,..: ' 


et 
vw: “ . ei." 


‚S,CHAPITRE V. . 201: 


-- Djaffar &tait maftre de tout le midi : la Rar-- 
sistan. , le Loristan et le Shusistän lui &taient 
devougs ; mais les Arabes du Kermesir et. de: 
taute la.odte etaient pröts A secouer le joug au 
moindre.reversqu’il&prouverait. Le Kerman 
lüt oheissait-& peine,, et. le, Laarestan, fantöt 
soumis et tantöt rebelle, venait de lui refuser. 
les subsides , et se disposait A combatire pohr 
son indeperidance. 

Le mauvais süccds de sa derniere campagne 
deyaitfaire.craindre ä Djaffar, que l’esprit de 
revolte ne se propageät‘, et ne finit par'en- 
trainer toyt.le midi ; auäsi: n’eut-il rien :de 
mieux’& faire en rentrant & Chiras, que dien- 
voyer son fils Lutf-Alı. dans des contrees.avec 
des troüpes ‚ piour:förcer tous les. khans .et 
tous les ‚scheiks & l’obeissänce , et faire ren- 
trer :dang le: devoir. la, ville..de Laar ‚ dont il 


etait, tnds-important ide siassurer a. {posses- 
sion. wi 

AatfrAli, Age alars de vingt ans, er avec 
les plus ‚haureuses dispositiöns, avait- appris 
le metier des armes sgüs: Ali-Murad ‚et sous 
son pere, Doue d’une belle figure , d’une taille 
avbntageuse ,d’une force musculaire'peurcorr 
mune, il ayait un courage quilui faisait hitaver 
tous les’Warigers, et une. grandeur. d’ame qui 
le mettäit toujours au.debsus de song les eve 





202 VOYAGE'EN PERSE. 
nemens. Aussi aövif ciiintelligent,, aussi. p&s- 
Sionne pour la glgire , que jaloux d’acgesnir 


Kestime de la nation et VYattachement de: ses 


woupes, il &tait dejä,par sa oonduite, Vidole 
du sollat, et, par. ses:quälites, il-faisait V’ad- 
miration de tous ceux qui: 1m: wouwes : 
portse de leoonnasure. - rot 
Sep pöre ne mät’ä-ses ‚ördres au une armee 
de dix mille cavaliers ; mais c’etait ’elite des 
mazıpies ;.o’etait le corps sous les-yeux-duquel 
Hiaraftle plus soutent combattu ; c'&tait.velus 
qui lei etaitle plüs deyäud. rt. 
LeKermesir, olrLutf- Alı.se portad’ubord, 


ne Ät uucune rödistanve : towtes' les villes so 


sourmirerit; touslesischeiks-Iuitenvyoyärent des 
Prösuns ;tous verserent:le produit des impöts, 
oa payerent le wibut auquel äls sialent: assu- 
jettis.1' le gouverneur de Laar fut le Ietl ui 
rößssagleise' soumeitreLutf-Alilnarehe Pour 
!’y’forcer. . Ze 


Lasresrune ville grande; riche et Kdswmar- 


 ehispe}ielle est bitte dahs une plaineautour 


dran tocher tresiidleve sur le sontmaet-duquel 
eitiahe'citadelle qireihi lesgendraux de Nadir 
rti:eeue de Kerim ne;purent jamais prendre 
devvink force. On p’y monte que par mn che- 
inin froh ‚pratigug dans le roc. LaufAliy'uu 
Bont de trois mois;; forgale,khand lui vunrir 


CHAPITRE Y. - 203 


les portes et & se rendre; il lui fit grace de la 
vie & cause du Courage qu’il avait montre, 
qmais‘il s’assura de sa personne. La ville recut 
un nouveau gouvermeur, et se soumit,, aimsi 
‚que toute la prorince. - | 

: Lutf-Ali se Yendit de la dans le Kenman , 


'afın d’y ötouffer tout germe de rebellian , et 
Wässurer de la fidelite du gouverntmr.. .-- ! 


Dans le tems que le fils faisait rentrer dans 
le devoir les prowinces du midi , le päre’fai- 
sait ses dispositions:pour se porter wers le 
nörd. Fl sortit & oet uffet de Chiras :dans le 
courant de mai’ 1788, avec une armee de cin- 
quante mille -hömmes, et se dirigea vers la 
‘täpitäle. I Aut Öbligd, sur la route, d’atta- 
guet les places gti appartenaient & Mehämet, 
et que oelui-ci avait fortifides avant de se 
'rendre & Teheran , ou il faisait sa residence, 
Yesdecast et Abada ne l’arnetörent pas-long- 
terms; mais Komche resista ‚ et soutint „ pen- 
idant plus de deux mois, tous ses eflorts. Ala- 
Kouli, que son frere avait laisse'a.: ‚Ispahan, 
(dvec environ vihgt mille hommes‘, vint au 
'secours de la ville menacte, et'tenta plusieurs 
fois d’y fäire eatrer des vivres et:des muni- 
tions sans peuvoir r&ussir : les detachamens 
qu’il chargea de cette operation furent tailles 
‘en piebes ; Ini-möıne se vit dans: te plus grand 


) 


“- 


204 VOYAGE EN PERSE. 


danger : ıl füt. sur le point d’etre enyelopp@: 
par des forces tres-superieures ; ce qui l’obli- 
gea-ä de sauver de nuit, et: A abandanner ses 
tentes et une partie de son bagage. Komche, 
par cette retraite,, ayant perdu tout espoir 
‚d’etre secouru, ouvrit ses portes peu de jours 
‚apres, et se:soumit. Six mille Kagiars qui. 8’y 
trouvaiant, furent- faits prisonnjers, et les ha- 
bitans fortement impos#s, ... Ä 

Apres ce guccds, Djaffar, ne trouvant t plus 
‚aucun obstacle, se portaxersla capitale, on il 
‘entra le.2i:octobre. 1788: Ala-Kouli l’avait 
-€vacuee depuis quelques jaurs, ct avait pris, 
avec toute son armee, la route.de Teheran. .. 

Dans ces entrefaites, Lutf- Ali &tait reveny 
.‚triomphant &.Chiras : il aväit expedie, en ar- 
‚rivant, un courier & Djaffar, pour lu de- 
‚mander la permission d’aller le joindre; il 
-attendait le retour de ce courier lorsqu’il ap- 
prit que'’son pere abandonnait, pour la tror- 
.siene fois , Ispahan & son ennemi, et qu’il 
‚revenait & Chiras. | 

Djaffar en. sortit en effet le a novembre Pur 
sur le bruit qui se repandit qu’Ismaäl-Khan 
approchait avec une .armee. considerable , 
dont Mehemet lui avait confie le commande- 
ment. 

“ qui avait donne lieu & ce bruit, c ’est 





CHÄPITREY. .' 205 
qu’Ismael, ennuye de la vie trop monotone 
de derviche, &tait venu ‚quelque tems aupara- 
vant, se jeter aux pieds d’Ala-K.ouli,, etl’avait 
conjure d’ecrire en sa faveur & Möhernet, de 
l’assurer qu’il etait pr&t & se devouer ä son 
service, et ä& marcher gontreson cousin Djaf- 
far, & qui il ne pourrait jamais faire trop de 
mal pour l’outrage qu’il en avait regqu. _ 
Ala-Kouli s’etait empresse d’accueillir Is- 
mael : il lui avait fait quelques presens, et‘ 
V’avait envoy& & son frere comme'un homme 
qui pouvait, par ses talens et ses rapports; y lui 
rendre de ir&s-grands services. 
; Mehemet regut Ismaöl avec tous les tömoi- 
gnages ‚d’estime, de consideration et de bien- 
veillance que meritait le guerrier distingue , 
le neveu de Kerim, l’ennemi de Djaffar : il le 
questionna beaucoup sur les moyens de sou- 
mettre le midi de la Perse ; il voulut connattre 
les ressources de son ennemi ; il voulut savoir 
quelle impression cet ennemi faisait sur l’es- 
prit des peuples qui lui etaient soumis. Satis- 
fait des reponses: d’Ismael, il le retint & la 
cour,lui assigna un traitement considerable, - 
et hıi fit bientöt: esperer le commandement 
d’une partie de l’arınee. ' 
- ‚Ds qu’on sut & Teheran l’accueil favorable 
que Me&hemet lui ayait fait, tous les seigneuxs 








208 VOYAGB EN PERSE. 
nant_que ce: retour. wavait pas pourcause 
une defaite, mais: seulement la crainte de se 
‚voir attaquer parun enneini guinepouvait pas 
avoir. des. forces superieures ! ! Quelle, düt tere 
l’indignation de ee jeune homme plein d’ar- 
deur,, tout bouillant de courage',:de voit:fuir 
an vieux guerrier sans combattre‘,. de lui voix 
manquer une si belle oocasion de se delivrer 
d’un-rival ! Son premier. mouvenent Tut de 
 sortir de Chiras, et d’aller avec. ses troupes 
au. devant de son.pere , pour l’engager & re- 
tourner & Ispahan ‚, ou!pour lui peirmettre.d'y 
aller &-sa place. Il etait persuadd-que le aamt- 
bre des troupes qu’ils avaient & leur solde, 
devait sufhire pour. forcer Mehemet A:&vacuer 
la capitale de la Perse s’il y etait d6jä enith£, 
et m&me pour le ‚ponteuiyre jusqu 'gu font Alm 

Mazanderan. : 
Djaffar avait deja. Appris gu’Ismael talk N 
"jamais hors d’etat de lui nuire:: il. savait dejä 
que les forces de Mehörnet n’etäient, pas:sü- 
perieures aux siennes ; neanmoins 4. pansista 
dans le dessein qu’il.avait.pris de. remettre & 
une autre fois.de se mesurer avec Bon anneini. 
Malgre les vives instances de Lutf-Ali, il-ne 
voulut jamais ni retourner sur ses .pas ni, pen- 
metire a son'hls de suivre les mouyemens de 
son ceeur ; seulement illwi,promit qu.ilsirgient 
ensemble 


_— m — 


CHAPITREV > 209 


ensemble attaquer Mehemet: au retöur de la 


belle saison : en attendant il lui ordonna de 


se porter sur Taron, ville situee entre le Ker- 
man etie Laarestan, pour y appaiser quelques 
troubles qui y etaient survenus. 

Apres le depart de Lutf-Ali, Djaffar reso- 
lut de se. faire maigrir, attendu qu’etant ex- 
tr&ömement gras et d’une taille fort elevee, il 
netrouvait pas de chevaux en &tat dele porter 
long-tems ; ce qui le privait souvent, dans un 
combat, d’aller la ou sa presence pouvait Etre 
necessaire. 

Les medecins auxquels il s’adressa , rempli- 
rent si bien ses intentions moyennant la diete 
qu’ils lui firent observer et les drogues.qu’ils 
lui firent prendre, qu’il maigrit excessivement 
en peu de tems, et qu’il ne tarda ın&me pas 
& setrouver sifaible, si extenue, sisouffrant, 
qu’on craignit'pour sa vie. On suspendit alors 
le traitement auquel il avait eu l’imprudence 
de se soumettre ; mais il n’etait plus teıns: son 
etat devint de jour en jour plus fächeux mal- 
gre tous les anodins, tous les restaurans et 
tous les balsamiques auxquels on eut recours. 
La science des medecins echoua dans cette 
seconde entreprise : rien ne put calmer l’irri- 
tation que les premieres drogues avajent pro- 
duite, ou arräter l’erosion qu’elles avaient oc: 

Tome FI. OÖ 


- 


—mr 


m nn 
._— |. 


alo VOYAGE EN PERSE. 


easionnee. Le malheureux Djaffar, bien plus 
victiıne de l’ignorance de ses medecins', que de 
son imprudence, touchait au moment ou il 
allait rendre le dernier soupir , lorsqu’un eve- 


‚nement qu’il etait bien loin de prevoir vint 
. accelerer le moment de sa destruction. 


Il y avait dans l’interieur du palais trente 
seigneurs , princes ou khans, qui s’y trou- 
vaient prisonniers. lls etaient parvenus, & la 
faveur de la maladie du regent et de l’absence 
de son fils, ä nouer des intrigues dans la ville, 
et bientöt apr&s a ourdir‘une conspiration qui 
avait pour but de se defaire de Djaffar avant 
le retour de Lutf-Ali. Il ne leur fut-pas dif- 
ficile, moyennant de Vargent et des presens, 
de suborner, quelques eunuques et quelques 
jeunes pages, et de se faire ouvrir les portes 
du karem,, qui se trouvaient & portee d’une 
terrasse sur laquelle ils avaient la permission 
de se promener. Lorsgüe tout fut dispose au 
gre de leurs desirs ; ils descendirent, vers le 
milieu de la nut, avec une echelle qu’on leur 
procura, et s'introduisirent dans le corps-de- 
logis on le regent etait couche. 

La premiere chose qu’ils irenten y entrant, 
ce fut d’enfermer dans leurs chambres les 
feınmes qui s’y trouvaient , avec’ menace .de 
les tuer si elles poussaient un cri. Hs penetre- 





_  CHAPITRE V. 211 
rent apres cela sans difhiculte dans la chambre 
de Djaftar, lui trancherent la tete, et la jete- 
rent du haut de la terrasse aux conjures, 
ainsi qu’il etait convenu entr’eux. Cet Eve- 
nement eut lieu & Chiras le 22 janvier 178g. 


“ 


au nv 





212 VOYAGE EN PERSE. 








_ CHAPITRE vI 


Lutf-Ali parvient as ’emparer du pou- 
voir , et d faire mourir les conjures. 
Guerre entre lui et Mehemet : con- 
duite de ces deux rivaux. Lurf- Ali 
est pris par trahison, et livre 4 son 
enremi, qui le fait perir. 


Lzs mesures avaient et si bien prises, que 
tous les postes importans,lacitadelle möıne, 
se trouverent au pouvoir des conjures avant 
que les habitans de Chiras eussent appris la 
mort du regent. Ils en furent afiliges: Djaffar 


etait en general aime, quoiqu’il eüt usurpe 


je pouvoir , et traite le fils d’Ali-Murad et 
plusieurs seigneurs avec trop de cruaute : on 
avaitm&ıne oublie,en faveur de sa popularite, 


des crimes qui de jour en jour devenaient 


moins revoltans par leur frequence. Cen’etait 
certainement pas son me£rite qui le faisait ai- 
ıner:: on savait qu’il n’etait niintrepide guer- 
rier , ni administrateur profond, ni politique 
adroit. Son regne n’avait ete remarquable ni 
par des entreprises utiles, ni par des conqu£&- 


CHAPITRE VI. 213 


tes brillantes, ni par des batailles decisives. 
Ce qui le rendait cher au peuple, c’est quil 
l’avait trait& avec douceur , c’est qu’il ne l’a- 
vait pas accabl& d’impöts ; il avait prefere 
puiser dans la bourse des grands, plutöt que' 
de vidercelledesmalheureux;; ılavait cru plus 
convenable,, plus juste de faire restituer les’ 
sommes que ces grands avaient extörquees, 
et de les employer 4 solder son armee et äla 
mettre au complet; mais il usa trop souvent: 
de de moyen; il yeut recours quelquefois in- 
justement , et toujours d’une maniere revol- 
tante ; ilen fut puni. Cette conduite mal- 
adroite le mit quelques jours plus töt dans la 
tombe, et elle fut la cause ou le pretexte des 
malheurs de son fils. ze 

“ Le merite de ce jeune prince etait'pour les 
grands, un reproche qu’ils ne pouvaient lui 
_ pardonner. Fitre A vingt ans l'idole de la na- 
tion ‚ surpasser & cet’äge les guerriers les plus 
experimentes, inspirer A l’armee un enthou- 
siasme qui decuplait ses forces, avoir pour 
principe de soulager les pauvres, d’alleger 
leur fardeau, de faire supporter aux riches, 
aux opulens, les charges de l’Etat, c’etait A 
leurs yeux un crime capital. Presque tous 
d’ailleurs avaient des pretentions au tröne: il 
&tait donc bien‘i important pour eux x que Djaf- 


214 VOYAGE EN PERSE. 


far expirät avant le retour. de Lutf-Ali, sauf 
a se defaire de celui-cilorsqu’il en serait tems. 

Assemblesle m&me jour pour &lire un chef, 
ilsne purent s’entendre, ils se separerent sans 
avoir fait un choix. Ils en seraient peut-£tre 
venus aux mains si Seyd-Murad n’eüt pris 
depuis long-tems ses precautions , s’il ne se 
füt mis, au sortir de l’assemblee ‚A lat&te d’un 
corps de troupes, et n’eüt force en quelque 
sorte la plupart de ses co-associes & se decla-. 
rer en sa faveur. 

C’etait un neveu d’Ali- Murad et de Djaf- 
far; c’etait lui que Scheik-Veis etait venu 
joindre A Kom en 1781. Il fut pendant trois 
ans, sous le regne de son oncle, gouverneur. 
de Chiras et de töut le Farsistan. Lorsque, 
peu apres la mort d’Ali-Murad, Djaffar vint 
AChiras avec les debris de son armee, Seyd- 
Murad fut un moment sur le point de lui re- 
fuser l’entree de la ville, et il ne se decida &. 
’y laisser entrer que lorsqu’il apprit que 
Scheik-Veis etait prisonnier et hors d’etat de 
regner. Djaffar avait dissimule son ressenti- 
ment; ilavait möme toujours traite avec dis- 
iinction ce neveu, maisil avait fini, sous prer 
texte de conspiration, par le faire arröter le 
23 avril 1787, et le faire conduire dans les 
priscns du palais. or 


! 


"L CHAPITRE vr... 214 


Lorsque Lutf-Ali apprit la mort de san | 


pere, et la conjuration & laquelle tous lea pri- 
- sonniers d’Etat et la plupart des grands de 


Ja ville avaient pris part, il ne se crut pas en 
sürete au milieu de son arınde; il craignit que 
l’esprit d’insubordination et de revolte ne s’y 
manifestät : on lui marquait de se tenir sur 
ses gardes; on l’assurait que la plupart des 
chefs qu’on ne lui designait pas, etaient-ga- 
gn6s, et s’etaient dngages Ale faire pertr: Les 
avis etaient fondes, mais est-ıl certaim qu’on 
güt pn attenter; & ses, jours alors qu’il. etait 


. instyuit de ce qui se tramaıt? Est-il certain 
‘awil ne püt reconnaltre les coupables , et 


les punir ou leg eioigner du moins de l’ar- 
inee?.Quoi qu’il en soit, il partit secr&tement 


avec Mohamımed-Khag, fils de Zeki-Khan, 


Mirza-Seyd-Mohammed son conseiller, quel- 
sues esclaves et-quelques cavaliers, etil vmt 
a Abouchir ‚chez le scheik arabe Nassir , qui 
J’acczeillit , et lui promit del’aider de tous ses 


_ moyenspourrentrer 3 Chiras, et punir les as- 


sassins de san pere.. 
x ‚Des qu’on le sutä Abeüchir, quelques sei- 


gneurs et un grand nombre de -gens de guerre | 


vinrent le-tröuver et ni offrir leurs services. 
D eutljientöt, par ce mdyen, cing ou six mille 
bommes.prets & tout entreprendre. Scheik- 


{ = . 


216 VOYAGE EN 'FERSE. 

Nassir Jui fournit deux. mille cavaliers arabee 

et l’argent ‚necessaire a Ventretien de ‚cette 

faıble armee. a E 
Lutf-Ali, qui cormptait bien plus sur la bra- 

voure et la fidelite des tronpes, que sur leur 

nombre ‚ne balanga pas a marcher sur Chiras, 


Il yentra le 6 mai 1789, sans que les conjures | 


pussent.s’y opposer ; car le peuple et presque 
tous les militaires qui s’ytrouvaient, se decla- 
rerent ouvertement' pour‘; lui.'Seyd- Murad et 
tous ceux qui, comme ‚Yu, avaient participe 
au meurtre:de Djatfar , furent arrätes et pu- 
nis-de mort. On’ se contenta de crever les veux 
aux moins coupables , et de bätonner les 
agens qu'ils avaient employ6s. | 

Aux premidres nouvelles des preparatifa 
‘que Lutf-Ali faisait A Abouchir , Seyd-Mu- 
rad, quine secroyait pas en dtat de resister 


& un adversaire auss? redoutable ‚ setait di 


eide. & „appeler & son secours Aga-Mehemet- 
Khan; il ui avait envoye.plusieurs couriers;z 
au nom des principaux.habitans: de Chiras, 


pour l’engager ä venir s’emparer de la ville, 
et soumettre tout le.midi de la Perse ayant 


que. Lutf-Ali püt avoir une armee. 
chrinet ne se trouva pretquau milleu de 


mai: il partit de Teheran & la tete ‘de. cin- 
quante mille hommes, et airiva vers.a fin. de 








ceHAPITRE VI. 217 


juin auk environs de Ghiras; il avait avec lui 


ses freres Djaffar-Kouli et Ala-Kouli. Mous- 
'tapha etait aveugle depuis un an : Mehemet 
avait toujours differe de lui donner le gou- 
verneinent d’Ispahan ; il s’etait m&me decide, 
en l’absence de Djaffar-Koulietd’Ala-Kouli, 
& lui faire crever les yeux.'Ce fut & peu pres 
dans le mäme’tems que Riza-Kouli, que nous 
avons dit avoir ete enferme dans une citadelle 
du Mazanderan, trouva le moyen d’en sor- 
tir, et dee rendre dans le Touran. ' 

- Mehemet avait appris en route la rentree 
de Lutf-Ali dans Chiras, et la mort de tous 
les conjures. Ce contre-tems, augtel il ng 
s’etait pas attendu le rendit tres-circonspect ; 
il n’osa rien entreprendre contre la ville; il 


se contenta de camper a quelques lieues des 


murs, afın d’observer ce qui se passait, et de 
connaitre la disposition des habitans & son 
ebard, " . . g 
Pendant ce tems, Lutf-Ali organisait son 
“armee ; il parvint & reunir environ trente 
mille hommes bien armös, bien aguerris, bien 


disposes Ase battre; il osa ‚avec.des forces aussi‘ 
inf&rieures, sortir de Chiras le 7 d’aottt'i 1789 r 


et aller presenter le combat & son eninierht. | 
: Les deux arındes en vinrent aux mains dans 


une plaine, Adeux: ljeues de Chiras :.celle de- 


m 


is 


218 VOYAGE EN PERSE. 


Mehemet;, postee sur une lEgere eminence, 
fut attaquee sur’ tous les points avec tant 
d’impetuosite, qu’elle c&ds au premier choc, 
et s’ebranla de tous les cötes. Les trois freres 
firent tous leurs efforts pour la rallier et la 
ramener au combat; mais Lytf-Ali soutenant, 
par son exemple , l’ardeur des siens , acheva 
bientöt de rompre entierement le centre. 
L’aile gauche ct l’aile droite parvinrent A en 
faire autant. La bataille etait gagnee : ‚on al- 
lait poursuivre l’ennemi quand tout &-coup 
les affaires changdrent de face. Mohammed- 
Khan, qui commandait l’aile gauche de !’ar- 
mee victorieuse, soitpar jalousie, soit par am- 
bition , abandonna tout & coup le champ de 
bataille avec six mille Lors et Curdes qu’il 
‚ commandait, et prit'la route du Loristan; ce 

qui occasionna un grand dösordre dans le 
reste de l’arınee. | 


Lutf- Alı fit courir apres son parent, y sans, 


qu’on-püt ’engager A revenir sur le.champ de 
bataille ; il fit taus ses efforts pour: detruire.la, 
mauvaise impression que ce dapart avajt pro, 


‚ duite dans l’armee, sans pouvoir. non plus y 


parvenir,.Sestroupes, decouragees, n’obeiren& 
plus & leurschefs: bien loin de poursaivre len-, 
nemi et l’empächer de’se rallier,, elles prirent 
A toutes.jambes le chemin' de la ville. wi 


CHAPITRE VI. . 2319 


Mehsmet, revenu de sa premiere frayeur, 
ne perdit pas un mament pour annoncer & 
ses troupes ce qui se.passait,, et pour les ra- 
mener ä la charge ; il en vint facilement &. 
bout; mais il leur ordonna en vain de se faire 
jour et de penetrer dans la ville. Lutf-Ali se 
retirait en bon ordre avec quelques escadrons 
auxquels il avait su inspirer son courage , et 
renversait tout ce qui se presentait devant 
lui; il combattit de m&me a la porte de la 
ville jusqu’& ce que tous les siens fussent ren-. 
tres. La perte qu’il Eprouva, fut peu consi- 
derable ; mais il fut extrömement sensible & la 
trahison de Mohammed ; il ne pouvait par- 
donner & un proche parent de lui avoir fait 
‘’perdre une si belle occasion de detruire son 
ennemi, et par-lä de ramener la paix et le 
bonheur dans tout ’Empire.. 

Apr&s ce succes, l’armee de Mehemet vint 
occuper le camp retranche qui se trouve 2 
une portee de canon des remparts : c’ötgit" 
celui qu’Ali-Murad ayait fait construire , et: 
qui se trouvaitencore en bon 6tat. Elle tenta, ‚ 
pendant plus de quarante jours qu’elle. resta 
dans ce lieu, plusieurs attagqües contre les par- 
ties les plus faibles de la ville ; elle fut tou- 
jours repoussee avec une tres-grande perte. 
A, la fin, Mehemet desesperant de reduire la 


-. 





320 VOYAGE EN PERSE. 
place tant qu ’elle serait defendue par un en- 
nemi aussi brave et aussi actif, craignant 
meme d’&tre bloque a son tour s’il'’demeurait 
plus Iong-tems dans ce camp), il le quitta la 
nuit du 19 au 20 septembre , et se retira 4 
Teheran, abandonnant & V/ennemi ses tentes 
et une partie de son bagage. | 

Ce qui le determina & se retirer avec tant 
de precipi tation, c’est qu’il venait de recevoir 
l’avis que les Bakhtiaris, indignes de la con- 
duite de Mohammed-Khan, s’etaient armes 
en faveur de son neveu, et qu’ils marchaient 
pour delivrer Chiras. Ils rentrerent dans leurs 


foyers des qu’ils apprirent que le siege etait 


leve. Lutf-Ali profita ‚ bientöt apres, de la 
bonne disposition de ces montagnards envers 
lui , pour mettre en fuite son oncle, et punir 


_ laplupart de ceux gni l’avaient si indignement 


abandonne. 

Lorsqu’il se > fur pleinement satisfait A cet 
egard ‚il songea A se rendre maitre d’Ispahan 
par un coup de main. ]l sortit & cet effet de 


Chiras , vers la fin de novembre de la m&me. 
annee , avec dix mille cavaliers d’elite, n’em- 


portant avec lui nittente , ni bagage,, ni rien 
gui püt arräter sa marche. Il comptait, pour 


la nourriture du soldat , sur les villages qu’ils 
rencontreraient, et sur quelques livres de ria - 


CHAPITRE VI. 221 
que chacun avait ordre de porter : l’herbe des 


champs devait suffire aux chevaux. lorsque 


V’orge leur manquerait. 

Cette entreprise , toute hardie qu’elle &tait, R 
et reussi sans doute, car Lutf-Ali avait des 
amis & Ispahan , et Mehemet n’y avait laisse 
que douze ou quinze mille hommes pour sa 
defense. Malheureusement un froid tres -vif 
qui survint tout A.coup le second jour , et 
qui incommoda beaucoup l’armee , porta les 
ofliciers-generaux A se rendre tous ensemble 
chez leur chef‘, pour le conjurer de remettre 
cette entreprise Aun autretems, et d’attendre 
surtout qu’ils eussent des forces assez consi- 
derables pour leur assurer un succes plus cer- 
tain. Lutf-Aliceda & leurs instances, et rentra 
a Chiras avec la resolution de ne rien negliger 
pour se procurer une armee aussi nombreuse 
que celle de son ennemi; il en .avait- bien 
les moyens , puisque tout le midi, depuis le 
Schat-el-Arab jusqu’aux confins du Kerman 
et du Laaristan, lui etait soumis, et que Yesd, 
qui avait toujours ete rebelle A son pere , 


venait de lui envoyer des deputes charges de: 


lui faire agreer sa soumission. 

-Rentre N Chiras, il profita des momens de 
repos que l’hiver ui laissait , pour se faire 
' rendre compte de tous les details d’adminis- 


202 VOYAGE EN PEXSE. 
tration. Son but etant de mettre de l’ordr& 
dans les finances‘, de ranimer , par de bons 
reglemens , ’industrie et le commerce, et de 
remedier, par des encouragemens et des r&- 
compenses, aux maux que les troubles civils 
avaient faits A l’agriculture. La petite verole. 
ke surprit au milieu de ses travaux , mais ne 
les ralentit pas. Quoiqu’elle n’annoncät aucun 
_ danger ‚lepeuple luidonna, ä cette occasion, 
 lestemoignages les plus &clatans de son estime 
etde son aflection ; et ces tfämoignages dürent 
le flatter d’autant plus, qu’ils.ne furent pro- 
. vogques ni par lui ni par aucune des autorites 
(de la ville. | , nn 
Le printems suivant, 1790 , Mehemet vint 
& Ispahan,, ainsi qu’il avaıt coutume de faire 
chaque annee. Il n’entreprit rien contre Chi- 
ras, et Lutf-Alı continua de souverner pai- 
siblement le midi. Le premier‘, toujours in- 
quiet, toujours soupconneux’et mefiant;; fit 
rappeler aupres de lui, versla fın de l’ete, son 
frere Djaffar-Kouli, qui l’avait quitte dansun 


moment d’humeur et de depit,pour serendre 


dans leMazanderan. Djaffar refusa d’obär; il 
se plaignit amerement de Mehemet,, luirepro- 
cha'de n’ayoir jamais rien fait pour ses freres, 
d’avoir toujours manque de parole & leur 
- €gard ; d’avoir meine oblige, par ses injus- 


CHAPITRE VI. 223 


tices, par ses persecutions , Morteza A se r&- 
fugier chez les Russes , Riza-Kouli chez les 
Ouzbegs; d’avoir fait crever les yeux a Mous- 
tapha , au lieu de lui donner le gouvernement 
d’Ispahan qu’il.lui avait solennellement pro- 
mis. « Que veut-il faire de moi, ajouta-t-il? 
» Veut-il tenir les engagemens qu’il a pris, 
» ou veut-il me traiter comme Moustapha 
» Veut-il m’envoyer & Casbin, ou m’arracher 
» les yeux? Quand cessera-t-il de voir un en- 
» nemi dans chacun de ses freres? Il a oublie 
» que sans eux il ne se füt jamais fait un parti 
» dans sa tribu ; sans leur secours , il n’eüt 
» jamais acquis ce degre de puissance auquel 
» il est parvenu. Mais quil craigne d’en des- 
» cendre; qu’il craigne de se voir enlever 
» de force ce qu'il lui eüt et2 si avantageux 
» de-me conceder de bonne gräce. » 
Mehemet craigniteffectivement que Djaffar- 
Kouli ne soulevät le Mazanderan , et ne lui 
enlevät cette province : il connaissait sa bra- 
voure ; il savait qu’il-etait aime de sa tribu et 
de tous les gens de guerre ; il n’eut donc rien 
de plus presse, au retour des emissaires qu’il. 
avait envoyes aupres de lui, de's’y rendre lui- 
zreme. Il prit le pretexte d’une chasse qu’il 
avait coutume de faire chaque annee sur les 
monts Caspiens , poür s’approcher de Bostan, 


I 


{ 
VE) GE 








G 





224 VOYAGE EN PERSE. | 
forteresse ol Djaffar s’etait retire , et pour 
aller s’y presenter sans suite, et avec la con- 
fiance d’un homme qui n’a aucun reproche 
A se faire , ou qui desire bien sincerement de 
reparer ses torts. | | 
'Djaffar, en le voyant, l’accabla de repro- 


ches; il lui rappela toutes ses perfidies, et . 
parut surtout fort sensible aux malheurs de 


Moustapha. Le ruse M&hemet n’opposa rien 
aux reproches de son frere; mais il se montra 
d’abord si repentant, il employa ensuite si & 
propos les caresses, il eut recours avec tant 


d’art aux louanges , il le supplia, avec tant 


d’instances, de venir prendre le coammande- 
ment d’Ispahan , attendu que personne n’etait 
mieux en Etat que lui de deiendre cette ville 
contre toutes les entreprises de Lutf-Ali, qu’il 


le calma, et Vengagea ı mömeä le suivre a Te- 





‚voulait reparer ses torts , un ami tendre et 


heran. | 
L’honnete homme est confiant : incapable 


de mediter un crime , il ne peut soupgonner | 


de mauvaises intentions & celui qui prend le 
masque de la vertu. 

Djaffar - Kouli, militaire genereux et sen- 
sible, ne vit dans Mehemet qu’un frere qui 


sincere que le devoir , autant que le caur ; 


deyait lui attacher : U le suivit donc sans me- . 


Gandg, 


u 3 


| 





m — | m ——— 


CHAPITRE Vi. 225 
fiance , et möme avec plaisir ; il lui en avait ' 
trop coüte de retirer son amitie et son estime 
& un frere, pour qu’il n’&prouvät pas de la 
sasisfaction a les lui rendre. 

. Arrives ä Teheran, il fut d’abord trait 
avec tous les honneurs qu’il etait en droit 


 d’attendre, et avec toutesles apparences d’une 
 reconciliation complete ; mais quelques jours 


apres,.dans le moment ol, appel& dans le 
cabinet de Mehemet, il prenait conge de hui 
pour se rendre & son poste , et oü illui jurait. 


 Adelite et devohment , il fut assailli par deux 
hommes armes, et massacre sous ses yeux 


d’une maniere aussi atroce que perfide. 
Lutf-Ali, pendant ce tems, ne. s’etait'pas 
borne A reformer des abus, & faire’de bonzues 
lois dans les provinces meridionales : il avait 
songe & se rendre maitre de celles du nord; il 
avait appele les Bakhtiaris qui avaient si ge- 


nereusement pris les. arınes pour lui lorsque 


Mehemet assiegeait Chiras ; il avait fait venir 
quelques Arabes de la cöte , et ayait reuni 
tous: les guerriers de la ville et des provinces; 
il s’etait procure , par ce moyen, plus de cin- 
quante mille hommes bien arınes, bien equi- 
pes. Jamais il n’avait eu A ses ordres une ar- 
mee aussi formidable, aussi bien pourvue de 
vivres et de munitions de guerre de toute es- 
.. Zome VI. pP 





f 


226 : VOYAGE'EN PERSE. 
pöce; jamais il n’ayait cru appercevoir plug 


de bonne volonte dans ses troupes ; jamalis il 


‚ m’avait plus. compte' sur des succds, Son but 


_etait d’enlever Ispahan , de se porter de lä en 
toüte diligence A Teheran , et de ne cesser de 
'poufsuivre son ennemi, qu’ilne l’eüt:detruit; 

ce äui ne pouvait rmanguer. d’ayoir lieu 5 
car Mehentet, aussi avare ‚que crüel , aussi 
haineux que fourbe , &tait:justement: en: hors 
sehr dans teut!’Irak. Les habitans d’Ispahan, 

honttunkftire pouvermes par teteunuque, att 
tenrdatent 'aveoimpatienee Lutf-Ali, dont les: 
qualites; aussi solides qu&brillantäs ; &taient 
bien faites pqur papter les sufftages des'g gens 


..  derbien ‚.alnsi que ceiix.de-la rhultitude. 


Avabıt'de Je mettre en cAmpagne, -Lutf-All 
Avait hommed:kouverneur de /Chiras et de tout 
le Farsistän , Hadgı: Ibrahim son: beät- pere ; ; 
AH ayait eu Vartentiör de pläcer & li töte des 
_ diverses 'adınlnigträniöns 'ceuix de ses Yarens 
qw'il laissait dans. 1ä ville, ou des personnes 
dont'il vormäissait 1% Baal, ‘et il’ ayalt pris 
avec Jui:les fröres de: Hädsi-Abrahim;, „afın ‚dd 
lei setvir en quelgtie sbrte d’otages. Ces pre- 
eautions Avdient df Iui paraltre mebessaires; 
eotnme:- elles Petaient en eier; ainsi 'Qu’on le 
verra bientöt. - Z Zn 

Loisgu’an tröne , tel que celui de la Perse,, 


CHAPITRE VI, 227. 


&st devenu la proie du plus hardi ; lorsque des 
siecles n’en ont pas sanctionne la possession, 
tout ambitieux croit pouvair y pretendre. 
Hadgi-Ibrahim V’etait plus que tout autre, Ne 
A Chiras, il etaitriche, et jauissait d’une tres- 
grande consideration : il avait un grand nom- 
bre de parens riches comme lui; il avait deg 
amis et des creatures ; il se voyait, en l’ab- 
sence du zhaltre, investi de tout le pouveir ; 
une parti& de la ville lui &tait par conse- 


‘ quent devgude, et l’autre. etait A ses ordres. 


Hadgi-Ibrahim qavait beaucoup d’esprit, beau- 


.coup de facilit dans le travail, des connais- 


sances administratives träs-etendues ; mais , 
plus politique que guerrier , plus verse dang 
les affairesqwhabile A manier’Epee, plus ruse 
que vaillant, plus homme de cour qu’hon- 
nete homme;, il se flatta que si Lutf-Ali etait 
tue, il’&carterait facillement du tröne ceux qui 
pourraient y avoir des pfetentions ‚etquul 
garderait pour ui le pouvoir qui venait de 
lui &tre confie. Ä 

Conformement A ces idees, ıl fit promettre 


a ses freres d’assassiner Lutf- Ali dans le m&me 


tems qu’il ferait main-basse A Churas sur. les 
amis et les-parens de ce jeune prince. 
Lorsqu'on se trouva pröcisement‘ au mir 


lieu de la ronte d’Ispahan, en ayril 1791, leg 


Pa 


228 VOYAGE EN PERSE 
freres d’Ibrahim, qui jouissaient d’un grand 


oredit dans l’arınde ‚ et d’une grande faveur 
aupres du chef; eux qui se trouvaient A la 
t&te d’un corps nombreux tout forme de gens 
de leur tribu , trouverent facilement le moyen 
de s’approcher de Lutf-Ali, et de l’assaillir 
tout &.coup au moment qu’il ne s’y attendait 
pas. Le premier coup qu’on lui porta se 
trouva heureusement pare;il lui fut aise alors 
‚de se degager, et de mettre en füite‘, avec sa 
garde‘, tous ceux qui s’etaient approches de 
- Iai pourle tuer. Delivre deice premier danger, 
il voulut se mettre en mesure pour les faire 
investir ; mais il ne fut pas assez töt obei, ou 
le fut tres-mal ; ils lui echapperent, et prirent 
le chemin de Chiras au nonibre de quelques 
mille. | Ä 

- Lutf-Ali envoya promptement des couriers 
ä ses proches parens, avec ordre.de faire ar- 
reter Hadgi-Ibrahim et ses partisans, ou de 
s’en :defaire s’ils ne pouvaient les prendre 
vivans. Ses couriers furent arrä&tes. D’ailleurs, 
le gouverneur s’etait deja assure de tous les 
_ seigneurs zends, parens ou creatüres de Lutf- 
Ali, et les avait fait söigneusement garder. A 
’heure convenue , et sauis attendre des nou- 
velles de ses freres, il. s’etait mis en mesure 
de resister & son gendre, quel que fütle re. 


E 


N a. 


v \ 


CHAPITRE VI. ‚229 


sultat du complot qu’il avait forme avec eux. 

Le depart precipite de tant de militaires, et 
le motif qui y avait donne lieu, exciterent de 
la rumeur dans l’armee, et la plongerent dans 
une sorte.de decouragement. La crainte qu’il 
n’y eüt encore des traitres parmi eux, faisait 


‚demander hautement & tous les corps la per- 


mission de se retirer. Lutf-Ali, qui en fut 
instruit, crut ne devoir rien tenter,, pour le 
moment, contre Mehemet; il avait d’ailleurs 


‚a prevenir les suites de cette desertion , et 


emp£cher qu’Ibrahim ne soulevät la ville con- 
tre lui ; il prit donc le parti de retourner & 
Chiras avec son armee, afın de punir les cou- 


_ pables ou dejouer leurs complots. 


« Arrive aux portes de Chiras, il les trouva 
fermees : il fit sommer le gouverneur de les ou- 
vrir ; celui-ci repondit par des coups decanon. 
Lutf-Ali se disposait & l’assieger quand tout 
& coup il se vit sans arınee. Ibrahim y ayait 


. envoye des €missaires. charges d’en gagner 
. une partie, et de desorganiser l’autre ; il fai- 


sait memacer les uns de massacrer leurs fem- 


_ mes et leurs enfans s’ils. ne rentraient dans la 


ville ; il faisait offrir aux autres de l’argent 
s’ils voulaient retöurner sur leurs montagnes 


. ou dans leurs provinces. 


‚ Cette ruse lui reussit : tous les soldats qui 





280 _ _VOYAGE EN PERSE. 
avaient leur. famille & Chiras , ssempresserent 
d’y rentier ; les. autres accepterent les offres 
qu’on leur faisait, et abandonnerent l’arımee. 
Lutf-Ali, avec un. petit nombre d’hommes 
qui lui resterent attaches, prit laroute de Ben- | 
der-Rik , oü il passa un an entier occupe & 
lever. des troupes et d& former une autre armee. 
Hadgi-Ibrahim voulut en vain s’y opposer: 
‚naitre de Chiras , il ne put venir & bout de 
soumettrele Farsistan ‚ni mäme de se faire un. 
parti dans les autres provinces. Ses troupes,, 
qui consistaient alors en huit ou dıx mille 
- habitans , n’etaient pas du tout disposees & 
combattre pour lui hors des murs de la ville. 
Lui-m&me »’etait pas un habile guerrier : dds 
qu'il sut que son gendre levait des troupes, 
et.que les Arabes etaient pr&ts A passer de 
nouveau sous ses enseignes, il se häta d’ecrire 
A Mehemet, et de le supplier de venir A son 
seconrs, promettant de ui livrer Chiras, er ' 
de lui remettre le tresor royal qu’il avait en 
son.pouvoir. Mehemet ne manqua pas de re- 
pondre favorablement a cette invitation ‚et de 
faire esperer promptement les secours qu’on 
Iuidemandait. Mais il fut prevenu encore une 
- fois par Lutf-Ali. Celui-ci n’eut pas plutöt 
rassemble dix-huit ou vingt mille homines, 
qu’il vola & Chiras; il en faisait dejä le siege, 


CHAPITRE YL. 23ı 


et ne donnait aucun moment de reläche au 
traltre Ibrahim quand Mehemet parut & la 
töte d’une armee de soixante mille hommes. - 

Sans s’efirayer du nomhre, Lutf-Ali Vatta- 
qua plusieurs fois avec quelque suckös ; il ne 
put pas la mettre en deroute, mais il l’empe- 
«ha d’entrer & Chiras, et- de communiquer 
avec le rebelle; et m&me, pendant plus d’un 
mois quiil la tint en echee & quelques lieues 
de la ville, il lui tua taut de monde, il Im 
occasionna une si grande desertion , qu’elle se 
irouva r£duite de moitie. 

Lorsqu’elle fut dans cet etat, Lutf-Ali jugea - 
que le tems e&tait venu de la detruire entiere- 
ment. Pour cela, il fallait que ses troupes , 
dlont le courage ne s’etait pas dementi jus- 
qu’alors , fissent un dernier effort, et le se- 
condassent de toutes leurs forces, Il savait 
tout ce que peut dans ces Occasions un ge- 
n£ral habile qui a la confiance de son armee; 
il savait combien sont grandes ses ressources ; 
il voulut y avoir recours; il voulut ne rien 
negliger pour vaincre son ennemi etrentrer A 
Chiras. Apres avoir fait part & tous les chefs 
assembles de l’intention qu’il avait d’engager 
une affaire generale et decisive, et leur avoir 
ordonne de tenir les troupes pr£tes, il parcou- 
zut tous lesrangs, en dounant Achaquecorps 


J 


oda VOYAGE EN PERST. 


et A chaque tribu les &loges qu’ils meritaient, en 
leurexprimanttoutela satisfaction qu 'il&prou- 
vait de leur bonne conduite ; il leur recom- 
manda, pour le lendemain , de faire aussi 
bien qu’ils avaient fait jusqu’alors ; il leur dit 
que l’ennemi ‚ plusieurs fois repousse et battu, 
&tait d6courage, et.par cons&quent.facile & 
vaincre ; il leur etala les richesses qui se trou- 
vaient dans le camp des Kagiars, et leur per- 
‚mit de s’en emparer s’ils parvenaient & rem- 


.porter une victoire complete. Tous les chefs 


et tous les soldats promirent de faire leur de- 


‚voir, et de ne pas poser les armes qu’ils n’eus- 


sent mis en fuite l’ennemi. 
Le lendemain, & la pointe du jour, ils !’at- 


‚ taquerent avec tant de courage ;ils fondirent: 


sur lui, & plusieurs reprises , avec tant d’im- 
petuosite ; ils continuerent A combattre avec 


‚tant d’acharnement, qu’ils furent, vers le mi- 


lieu de la journee , maltres du champ de 
bataille. | Ä 
Lutf-Ali donna .ordre de poursuivre Pen-- 


. memi; mais ses troupes, au lieu de lui obäir, 


se livrärent au pillage avec encore plus d’ar- 


. deur qu’elles n’avaient combattu. Il sentit la 


faute qu'il avait faite, et il voulut en vain-la 
reparer : ni lui ni les chefs de l’arımee ne pu- 
rent venir & bout d’arreter ce desordre. Me- 
S ” “. 


% 
u 





— 


u 
’ 


CHAPITRE vI. 333 


hemet en profita ; il rallia & la hAte une partie . 
de ses troupes, et tomba sur ces hommes qui 
se trouvaient alors hors d’etat de se defendre. 
Ilui fut aise.de les tuer : dejä ils succombaient 
sous le poids des effets qu'ils voulaient em- 
porter ; dejä la plupart d’entr’eux avaient 
quitte leurs armes pour piller plus & leur aise: 
en un moment, cette arınde, qui avait rem- 
porte auparavant une victoire complete, fut 
dissipee ou detruite A son tour, sans qu'il füt 
possible & Lutf-Ali de l’emp&cher. Lui-m&me 
se vit force A prendre la fuite avec quelques 


-centaines de cavaliers qu’il eut bien de la 


peine & reunir.et A sauver. Il prit la route de 
Yesd, et il s’avanga jusqu’a Tabas, ville con- 
siderable et tr&s-forte, entre le Couhestan et 


. le Segestan, dont il s’empara, et ou il s’eta- 


blit en attendant qu’il. püt trouver le moyen 
de r&parer ses pertes. 

. Mehemet.prit possession:de Chiras, et s’y 
conduisit de maniere ä faire regretter aux ha- 
bitans d’avoir abandonne leur chef: il se fıs 
amener tous ceux qui restaient de la famille 
de son ennemi, et les envoya en prison ; il fit 


 impitoyablement massacrer tousles grands de 


sa tribu , et tous ceux qui lui Etaient attaches 
par des bienfaits ; il.livra leurs femmes aux 
soldass , fit esclaves leurs filles, aveugla leurs 


} 
\ 


254 VOYAGE EN PERSE. 


file, s’empara de tous leurs biens, et mit en- 
suite une forte contribution sur la ville. Hadgi- 
Ibrahim , pour prix de sa trahison,, fut con- 
firme dans son gouvernement. Mehemet lui 
donna cing ou six mille Kagiars, pour de- 
fendre la ville contre toute entreprise du de- 


. dans et du dehors ; et afın d’avoir une garantie 


de la fidelite de cet agent, il prit avec lui ses 
fils , et les emmena & Teheran. 
 Lutf-Ali, de son cöte, se fit des amis & 
Tabas : tous les habitans s’interesserent & son ° 
sort ; tous lui offrirent leurs services. Il leva 
parmi eux cing ou six mille hommes de bon- 
nes troupes, etil vint, en mars 1793, a Ker- 
man , qui lui ouyrit ses porteset le regut avec 
transport. Un grand.nombre de personnes, 
tant de la ville que.de la province , passerent 
sous ses drapeaux ‚ et il fit un appel & tous les 
gens de guerre du midi ; il comptait se pro- 
curer, par ce moyen, une armee assez forte 
pour lui permettre de marcher sur Chiras, et 
de s’en emparer avant les plus fortes chaleurs 
de l’ete. 
Mehemet ne lui donna pas le tems d’ex&- 


‚cuter ses projets; il partit de Teheran enavril, 


et se trouva en mai sous les murs de Kerman 
avec trente mille hommes.’ Lutf-Ali, surpris 
de son arriyee, ne jugea pas & propos.de sou- . 


f 


CHAPITRE vI. 235 
tenir un siege ; il n’avait pour cela ni les 
vivres ni les munitions qui. lui etaient neces- 
‚saires. D’ailleurs, en s’enfermant;, il perdait 
Y’espoir d’augmenter ses forces, et de battre 
son ennemi. Il sentait bien qu’il ne pourrait 
tenir long-tems ni dans la ville ni dans la 
citadelle, et qu’il faudrait finir par un com- 
bat s’il voulait se degager ; ainsi donc, quoi- 
qu'il n’eüt pas dix mille hommes, il resolut 
de sortir sur-le-champ , et de hasarder une 
bataille. 

Il parvint facilement & s’ouvrir un passage 
A travers l’armee de Mehmet ; il se battit 
m&me plusieurs jours avec un courage qui 
souvent alarma son ennemi ; mais & la fin ıl 
fallut se resoudre A c&der une victoire quil 
ne pouvait disputer plus long-tems sans courir 
le risque d’&tre pris ; il fallut se decider & or- 
danner & ses troupes d’abandonner de nuit le 


champ de bataille, et de venir le joindre, ° 


comme ellespourraient, & Tabas, ou il allait 
se rendre une seconde fois ; il ne prit avec 
Jui qu’un de ses oncles, et ceux de sa tribu 
qui ne l’avaient jamais quitte. 

Lorsqu’il fut & (quelques journees de Ker- 
man, son oncle, qui le voyait sans armde et 
sans argent, qui ne le croyait pas en etat de 
se soutenir & Tabas, qui craignait d’ötre 


236 VOYAGE EN’ PENHSE. 


enveloppe dans tous les maux qui allaient 
pleuvoir sur la töte de.ce fügitif, crutpouvoir 
se tirer d’embarras, et obtenir m&me les bon- 
nes graces .de celui qui en &tait reste le seul 
‚distributeur, en commettant un de ces crimes. 
 qu’on ne voit que dans les guerres civiles; il 
resolut de saisir vivant son neveu, et de le 
livrer 3 Mehemet, afın qu’il en disposät A son 
‚gre. Pour venir A bout de ce dessein ‚ il en fit 
‚part a ceux de la troupe qui lui parurent les 
plus mecontens de leur sort, et se les associa 
par l’espoir d’une tres-grande r&compense. 
Lorsqu’il en eut gagne un certain nombre, et 
‘qu’il se fut bien conoerte avec eux , il attaqua 
& leur töte Lutf-Ali, tua d’abord son cheval, 
et parvint & le charger de chatnes sans que le 
‚reste de la troupe .osät s’y opposer. Dans cet 
etatil lni fut facile de !’emmener & Chiras , ot 
‘il avait juge que Mehemet devait se rendre. 
; Mehemet y etait retourne en eflet apres 
--avoir mis Kerman & contribution, et y'avoir 
‚place une forte garnison : il recut le present 
‘ quon lui fit avec des transports immoderes 
‘ de joie, qui annongaient toute la bassesse de 
son ame , et faisaient vor combien il avait 
craint un ennemi si brave et si entreprenant; 
il ne manıqua pas, comme on l’avait espere, 
de recompenser genereusement tous-ceux qui 


CHAPITAE VI. 357 
avaient pu se souiller de ce crime; il accorda 
a l’oncle de Lutf-Ali toutes les faveurs qu’il 
lui demanda. Quant & ce malheureux jeune 
homme, il se häta de lui faire arracher les 
yeux ; il l’aurait sans doute prive & l’instant 
meme de la vie s’il n’avait voulu insulter plus 
long-tems A ses malheurs, et le faire servir & 
gon triomphe. . u 

ı Cet &venement mit aux pieds de Mehemet 
toutesles tribus du midi, quitenaient pour le 
parti de Lutf-Ali. Toutes les villes s’empres- 
' serent de reconnaitre le vainqueur pour lieu- 
tenant-general du royaume ; tous les khans 
lui firent leur soumission, et lui envoyerent 
des. pregens ; les Arabes de la cöte lui paye- 
rent par la suite,.avec exactitude,, le -tribut 
“ accoutume ; les Lors, les Zends, les Bakhtia- 
ris, qui avaient toujours &te.ses ennemis , se 
deciderent aussi & lu envoyer des deputes. 
Mehemet exigea des otages de toutes les villes 
et de toutes les tribus : ıl obligea tous les 
' grands dont il pouyait craindre l’influence , 
ou dont il redoutait l’ambition ‚4 se rendre &. 
Teheran; il fit des levees d’hommes dans tou- 
tes les provinces,.pour les.ineorporer dans sa 
garde; il prit, en un mot, toutes les mesures 
qu'il jugea necessaires pour s’assurer la pai- 
sible possession de I!’ Empire, 


238. CHAPITRE Vi. 

' En’ septembre de la m&me annee il serendit 
a Teheran , emmenant avec lui son prison- 
nier, et l’ex/posant, partout odı-il passait,, & 
/’avide curiosit6 de la populace. Il nomma 
Hadgi-Ibrahim son premier ministre ; il en- 
voya a Chiras son.neveu Baba-Khan, fils de 
son frere Hussein, et lui donna des troupes 
afın de contenir toutes les provinces du midi. 
Eutf-Ali fut miis A mort dans le couraant de 
l’hiver 1794 ‚ avec tous ceax' de'ses parens qui 
‚se trouvalent.enfermes avec lui. 

Ainsi'perit,.ä la fleur de son äge, ce mal- 
heureux prince domt la Perge' deplore les mal- 
heurs ; dont elle regrettera:encore long-tems 
la perte. Il.eft sans doute detruit le feroce 
Mehemet .et pris son rang parmi les grands- 
hommes , clest-ä-dire, parmi' les bienfaiteurs 
du genre humain'si Djaffar edit vecu quelques 
annees:le:plus, et surtout s’il n!eüt pas, par 
sa timidite envers son ennemi ‚et ses injustices 
envers les: grands , prepare les malheurs de 
son fils, ei par-IA prolonge les troubles de la 
Perse. : 


[3 
+ 


— 


VOYAGE RN RERSFT. 239 





CHAPITRE VIL 


Division gdographigue des Esats Com» 
: pris entre la mer Caspienne et la 
Mer-Noire. T raite conclu entre Pim- 

= peratrice de Russie et le prince de 
Georgie. Sac de Tiflis. Les ‚Russes 
s’emparent de Derbent, de Bakou, 

. de Chamaki. Mehemet soumet le 
Khorassan. Ma: ort de Charokh-Chah, 

 Mehemet marthe contre les Russes; s 

"il’est assassind dans son camp. Ba- 
 ba-K han lui succede sous ie nom de 
"Fe et h-A li-K han. 


Tour Yespace compris entre la mer Cas- 
pieane et la Mer-Noire est divisd’en divers 
Etats et: ; provinoes', qux: appartiennent a la 
Porte othomane et ä la Perse, on gei depen: 
dent de ces\deux Empires. 'La Mingreiieet le 
Guriel:surla Mer-Notre  'ainsi que ’’Imirette‘ ; 
qui se ztouve dans Finterieur des terres, sont 


gouyerhös par des princes "tributaires de la 


Porte. Le Daghestan ; le Tabesseran, le Chyr- 
van.,'le Mogan ey le Guilan, proyinces si- 


Ye, 





” 


240 VOYAGE EN PERSE . 


tuees sur la rive occidentale de la Caspienze, | 


font partie de la Perse, et sont gouvernees 


par des khans. La Georgie persane, qui se. 
trouve au milieu ; et qui comprend les royau- 
"mes de Kacket et de Carduel, n’a qu’un seul 


roi, tributaire de la Perse. La partie de l’Ar- 
menie, qui s’etend depuis Trebizonde jus- 
qu 'au-delä de Kars et d’Akalsike, appartient 
äla Porte, et est gouvernee par des pachas 
gqu 'elle y envoie. 

La Russie, qui depuis long-tems paralt 


_ vouloir reculer les limites de son vaste Em- 
pire & l’occident et au midi, a r&uni'peu & 


peu & ses Etats, la Circalsie et tous les pays 
situes entre la mer d’Azof et l’embouchyre du 
Volga : elle n’avait pas pourtant depasse le 
Caucase il y a quelques annees ; elle s’etait 
bornde & former des etablissernens solides au 
pied de cette chatne de montagnes. et le lorig 


. Au fleuve Terek , qui se jette dans la Cas- 
pienne, & deux degres 0 au environ au dessug 


de Derbent. BE T 
. Mais sans parler des tentatives quelle avalt 
faites, en differens tems pour s’eimparer des 
provinces eccidentales de la Caspienne, ten- 
tatives qui n’avaient jamais eu qu’un.;succee 

ephemere, la convention: conclue .en.ı783, 
entre ‚Catherine et Heraclius, a. dü.ne laisser 
‚Aucun 


CHAPITRE VII. 241 


aucun doute sur les projets ultrieurs deicette 
puissance. On a dü voir par cette convetition, 
qu’elle songeait aussi: depuis long-tems & 

" &tendre son influence.et mäme sa domination - 
sur tous les pays situes entre.les deux mers. 
En voici un extrait : Bu 


ARTICLE PREMIER. 


Le czar de Carduel et de Kacket renonce & 
‚jamais, pour lui et-pour:ses successeurs, Atoute 
espece de dependance de la Perse ou de qnel- 
qu’autre-puissance que ce spit,.et il declare 
par la presente, & la face de l’Univers, -qu'il 
ne reconnaft au dessus de lui et de ses suo- 
cesseurs aucun autre Pbuvoir superieur, si oe 
n’est le pouvoir et la protection supr&me de 
'sa majeste l’imperatrice.de.toutes les Russies. 
et de ses augustes successeurs au tröne: de 
Russie, auquel tröne il promet d’ötre fidele, 
et de Iui donner route Vassistance döntilsera 


requia.: " ‘ ' ERBE ! ‘ ! > ln, 1. 


an. II. Bu 


| Ä FE r 
Sa majeste accepte la promesse  singere de 
S.A,,ets’engagede son cöte, pour: elle et pour 
ses successeurs, d’ accorder constamment sa 
‚grace 6t-sa protection jaux serenissimes cZars 
de Carduel et de Kacket,, et: de leur garantir 
Tome VI. Ra 


242 VOYAGE EN PERSE. 
la conservation,, non-seulemient de toutes les 
possessions actuelles du serenissime czar He- 
raclius Teimurasowitch , mais aussi toutes 
celles qui pourront encore A l’avenir lui tom- 
ber .en partage. = 

ART: 118. 


Le czar qui succedera au gouvernement par 


_ droit hereditaire, devra. d’abord informer:de 


son ayenement la cour de Russie , et aolliciter 
par l’envoye quil lui deputera & cet eflet, la 


 confirmation imperiale dans la dignite de re- 


gent., Aussitöt qu’on lüi aufa.fait parvenir leg 
margues de son investiture, savoir :un diplö- 


: mei, un dräpeau avec-les armes imperiales de 


Russe , un sahre ‚un häton de commandement 
et un manteau double d’hermine , le czar, & 
la:reception de ces marques, devra preter:so» 
lennellement , en presence du ministre .de 
Russie , le.serınent de reconnaltre le pouvoir 
supr&me et la protection du monarque de 
Russie, ainsi que celui.de sa fidelite et de son 
zele pour sa personne, selon la formule qui 
iui sera prescrite. 


ART. IV. 


Son altesse le czar proinet de n ’entretenix 
ausune Communication quelconque avec.au- 


r 


. CHAPITRE VII. 243 


cun des regens vossins, sans le cbnsentement 
et l’aveu prealable tant du principal commaır- 
- dant sur les.frontieres, que du ministre ac- 
er&dite de sa majeste imperiale; et en cas qu’l 
vint, de la part de ces voisins, des.depute$ oü 
des lettres, il prendra }’avis dudit cömmanr 
dant et du minäitre. imperial de-Bussie, tan 
sur ’admission ou la..non-admissian :desdits 
depntes, que sur la eponae a faira 4 a de par 
reilles lettres. | „Dame ig 


ART. V. arucıclity 


Comme son altesse desire de tenır & la cour 
de sa majeste imperiale un ministre ou resi- 
dent de sa part, sa majeste veut bien: l’ad- 
spettre et ui: donner le m&me rang qu’ontleg 
munistres de nieme s«araotere , des princes 
regnans, etelle veut tenir aussi elle-ım@me us 
zministre ou reeident 2 a la cour de son naltense. 


"m ir 


| . ä RT. | v I. | . 

. A rg 
:$a majest4 Imperial pramet;, ‘pour’ele'et 
pour ses siocesseurs, 1°. qu’elle regardera’ les 
peuples des royaumes susdits comme si etroii 
. tement lies avec l’Empire de Russie, quelle 
tiendra leurs ennemis pour les siens; que par 
consequent. lesdits peuples seront 'comprig 
dans toute:pacification qui pourra se conclure 


Q.2 


SA VOYAGE EN. PERSE. 

avec la Porte othomane ou avecquelqu’autre 
‚puissance que ce soit; 

- 2°,:Qü’elle maintiendra. pour toujours et 
änvariäblement le serenissime czar Heraclius 
Teimurpsowith., ses heritiers et la posterite 
de sa: Maison , dans le gouyernement. des 
Yoyauzhed.de Carduel, et de Kacket; 

‚2:30 Qt’elle laissera’ absolument et unique: 
zhant'h# $erenissime 'czar-le maintien ‚de !’ad- 
ministration interieure du pays; Yimposition 
et la levee des taxes. .: 


IE Be (ART: j in | | . 
„ri sl 1m : ' 
ie: :serenissime Czar: "promiet, , ponrilai et 
pour. ses successeurs;; 1%. d’etre-todjburspröt 
zıweo ges tröupes pour les service de sa aj jestd 
ämperiale; It RED 
..20°. De’ prendre, pour oe qui-concerne % 
_ service principalementde sadite majeste, l’avis 
des commandans en son nom ; de se präter & 
leurs requisitipns „et: de-garantir les’snjets:de 
sa'majeste Cpntre.toute {ojustice et, toute, 2.op- 
pression;-. yon sen BE 
 '30. Diaveir, dans les ptömetions et Avan- 
cemens:qu/il fera des personnes Ason service, 
principalement egard.äacellesqui ont bien. me- 
rite.de.l’Empire de Russie‘, vu que.de cet Em- 


rn. s 


- 


CHAPITRE VII. 245 
_‚Pire dependent la shrete 'et le bien-&tre :des 
royaumes de Carduel et de Kacket: - -- 
ART. VIII 

Il a plu aussi A-sa majest& imperiale’d’ac- 
corder que le premier archev&que des susdits 
royaumes aura un rang egal avec les metro- 
politains de la huititme classe,, nommerhent 
lerang apres celui.de Tobolsk , et elle luidon- 
nera trös-gracieusement pour jamais le-titre | 
de mermbre du tres-saint Synode. Zr 2 


Anr. IX. 


Que la noblesse de Carduel et de Kacket 
jouira, danstoute l’&tendue de P’Einpire russe, 
‚des m&mes prerogatives et des mömes avan- 
tages ge la noblesse de Russie. 

ART. X: Ze 

Tous les natifs de Carduel et de Kacket 
pöturont s’etablir dans la Russie, s’en retirer,, 
et y fixer de nouyegu leur. demeure. Les .prir 
.sonniers qui auront &te remis en liberte ‚par. 
lemoyen de:la Russie, soit par les armes pu 
par capitulation , pourront s’en retourner i- . 
brement chez.eux, toutes les fois qu’ils le de- 
sireront, en payant. senlement l’argent de- 
bourse pour leur rancon et leurs frais de 
voyage. Son altesse le czar promet de son 
eöte, de la maniere la: plus sacree, d’en agir 


BMG  VOYACKEN PERSE. 


de .m&äme;ä l’&gard des sujets russes qui .se- 
raient tombes en captivite chez seg voisins. 
‚ART. ZI. 

. Lös marchands de Carduel et de Kacket 
pöhurront passer librement en Russie avec 
lcurs. marfchandises et effets ; ils y jouiront 
de tous les m&mes droits et prerogatives 
que,les sujetsnes russes, etleczar promet de 
procurer, de coneert:avec les commandans 
russes , ou avec les ministres de sa majeste 
imperiale, une plus grande facilit generale 
pour le cpmmerce russe. dans son pays, ou 
par ce > pays,. vers d’autres contrees. 


ART. XII. 


La presente convention sera observeei in- 
violablement. et & perpetuite. 


"ART..XIIL 


c Les ratifications de la presente convention 
seront echangees dans le delai de si six mois OU 
plus töt s’il se peut. 
‘ Dans a forteresse: Georges , 'le 24 jiller 
3783. | 
Signes „ Pavı Porzumkın, > prince | Ivan- 
" Bacrartion; prince Gärszwän- 
Tscuawrs-Cirawosew. . | 


' Cette convention, conclue.quatre ans apres 
| Ä 


: CHAPITRE VIr 247 


la mort de Kerim-Khan, dans le tems que les 


divers pretendans au tröne se faisaient la 
guerre entr’eux, devait ötre töt ou tard un 
motif de guerre entre la Perse et la Russie. 
Celle-ci devait s’attendre que, des que les 
troubles de la Perse seraient appaises, et 
qu’il y aurait sur le tröne un roi qui s’y croi- 
-rait bien affermi, la guerre ne pouvait man- 
quer d’avoir lieu. Mais peut-ätre esp£rait-elle 
que les troubles se prolongeraient , que cet 
Empire finirait par &tre divise ‚ etserait conse- 


quemment hors d’etat d’inquieter la Georgie. ° 


Cette esperance ne s’est pas realisee ; la Perse 
n’a point et6 divisee. Aga-Mehemet-Khan, 
comme nous venons de le dire, se trouva, 
en 1793, maitre absolu de cet Empire, et& 
la töte d’une armee vonsiderable et aguerrie. 
Un des premiers actes de Mehemet, lors- 
qwil eut detruit Lutf-Ali-Khan, et recu la 
soumission de toutes les provinces du midi, 
fut d’exiger que la Georgie renträt sous la 
domination de la Perse, et payät, comme 
auparavant, le tribut auquel elle .dtait:sou- 
mise. Heraclius , comme feudataire de l’Em- 
pire, fut somme de se rendre & la cour avec 


les presens d’usage, pour y präter sermentde 


fidelite, et recevoir son firman d’investiture : 


Heraclius, qui. comptait sur un puissant se- 





ı 


248 VOYAGE EN PEHSE. 


.caurs,'chercha & gagner du.tems par des re- 
. ponses evasives. Somme de nouveau et d’une 
maniere tres-pressante , ıl refusa d’obeir, et 
: fit'repondre qu’il ne reconnaissait au dessus 
de lui d’autre souverain que Catherine. 

. Ce refus determina Mehemet & faire la 
guerre au Toi de Georgie, pour le redüire & 
l’obeissance ou le chasser de ses Etats. Il ne 
pouyait sans se deshonorer et sans se rendre 
indigne de la couromne qu’il avait usurpee, 
renoncer aux droits que la Perse avait sur la 
G£orgie. D’ailleurs, en y souffrant un prince 
qui s’etait missous ladependance de laRussie, _ 
il s’exposait & se voir enlever, d’un moment 
a l’autre, les pfovinces situees sur la rive oc- 
cidentale de la Caspienne. 

‚Des la fin de l’annde 1794, Mehemet donna 
des ordres & tousleskhans, A tous les chefs de 
tribus,. de.faire passer des troupes a Teheran, 
et. de les faire arriver au plus tard 4 la fin de. 
Vhiver; ce qui fut ponctuellement execute. 
Il les passa en revue au commencement d’a- 
vril 1795 : elles s’elevaient & plus de quatre- | 
vingt mille homines. Il se mit & leur t&te.& la. 
fin dum&me mois ‚et prit la route de Cashin. 

Arrive & Ardebil,, ıl divisa son armee en 
trois: Corps; il en envoya un dans le Mogan, 
le.Chyrvan et le Daghiestan pour en imposek. 


> 


CHAPITRE VII. 249. 


ä tous les khans de ces provinces ‚ lever les 
contributions arrierees, et recevoir des chefs 
de tribus leserment de fidelite. Cetcorps d’ar- 
mee .n’&prouva aucune resistance. Tous les 
chefs detribus, tousles khans, s’empresserent 
de se rendre aupr&s du souverain,, et de lui 
offrir des presens. Ils approvisionnerent en 
outre son armee,, et verserent dans ses cof- 
fres le revenu de leurs provinces. 

Un second corps de troupes eut ordre de 
marcher sur Erivan. Le khan de cette pro- 
vince, nomme Mahmet, soutenu par Hera- 
clius, n’avait pas voulu se soumettre au nou- 
veau roi : il avait environ quinze mille hom- 
mes ä sa solde , et aux premidres nouvelles de 
la marche deMehemet, le fils d’Heraclius etait 
venu A Erivan avec quinze mille Georgiens. 

Leroide Perse, avec le reste de son armee, 
s’etait port& sur Chutche, ville peu grande, 
bien fortifiee, situde au sommet d’une mon- 
tagne escarpee, & vingt lieues de l’Araxe, 
dans la Haute-Armenie. Ibrahim-Khan, qui 
ycommandait, et quicomptait sur les secours 
d’Heraclius, opposa & Mehemet une resis- 
tance A laquelle il ne s’attendait peut-&tre pas. 

Apr&s quelques tentatives infructueuses 
qu’il fit pour s’emparer de cette place, il eut 
recours A un autre moyen ; il fit offrir & Ibra- 


[4 


250 VOYAGE EN PERSE. 


him de tres-riches presens; il lui prömit son 
pardon et un gouvernement plus etendu, plus 
productif s’il voulait se soumettre et livrer la 
ville. Ibrahim ne voulut se pröter & aucune 
proposition. Ä 

Mehemet,, qui n’avait ni artillerie ni aucun 
dcs moyens propres A reduire par laforce une 
place que sa position seule’rendait presqu’imr 
. prenable , se decida & y laisser assez de trou- 
pes pour l’investir, et pour s’opposer & la 
garnison si elle tentait quelque sortie , apres 
quoi il vint joindre le corps d’armeequ’il avait 
envoye & Erivan. Ä . 

Ce corps avait et vivement repousse : il 
#’etait retire avec perte, et il ayait pris une 
position avantageuse. en attendant quil püt- 
etre renforce. Moyennant les troupes que M&- 
hemet lui amena , il se rendit bientöt maltre 
de toute la province, et marcha de nouveau. 
contre la ville. Le khan, qui se croyait assez 
fort pour le battre une seconde fois , en sortit 
. avec le fils d’Heraclius. 
' Les deux armces se renconträrent N quel- 
ques lieues d’Erivan, et en visrent aux mains 
au lever du soleil. Les Georgiens, sous les . 
erdres du fils d’Heraclius; un corps d’Afglans 
a la solde du khan, ainsi que les kisil-baches 
de sa garde, firent des prodiges de valeur, et se 


CHAPITRE VII. "oh 


battirent avec un acharnement qui mit plu- 
sieurs fois en danger les troupes de Mehemet. 
Deux fois celles-ci plierent, et furent sur le 
point de prendre la fuite ; mais le regent,, qui 
combattait en personne & la t&te de ses Ka- 
giars, vint & bout deux fois de les rallier. A 
la fin la valeur dut leceder au nombre; les 
Persans triompherent completement, etpour: 
suivirent leurs ennemis jusqu aux portes de 
la ville. 

Apres cette victoire , Mehemet ayant fait 
bloquer Erivan, et pris avec lui un petit corps 
de troupes, vint joindre & Candjea l’armde 
qu’il avait envoyde dans le Chyrvan et le 
Daghestan , et se porta sur Tiflis. 

Heraclius , (qui ne s’attendait pas & ätre 
attaque dans sa capitale avant la prise de 
Chutche .et d’Erivan, et qui. avait d’ailleurs 
fait passer dans la derniere de ces places pres- . 
que toutes ses troupes , ne se Croyant pas . 
en tat de soutenir un siege, abandonna Ti- 
' $lis et se retira & Kacket. La majeure partie 

‚des habitans suivirent l’exemple du roi ; ils 
sortirent precipitamment de la ville, et em- 
porterent avec eux ce qu'ils avaient de plus 
precieux. 

Mehemet entra sans resistance dans la ca- 
pitale de la Georgie en octobre de la m&me 


a2 VOYAGE EN PERSE. | 
annee. Tous les habitans qui s’y trouverent 
encore furent ou massacres ou faits esclaves; 
tous les effets precieux qui n’avaient pu @tre 
‘emportes, furent pillös: on mit ensuite le feu 
aux maisons, on demolit le chätean, epris 
quoi Y’armee se retira. 
Les khans d’Erivan et de Chutche n’eurent 
- pas plutöt appris le sort de Tiflis .et la sou- 
mission de tous les khans de ces contrees, 
qu’ils demanderent & capituler; ce qu’ils ob- 
tinrent en remettant leur ville, et passant 
avec leurs troupes au service de Mehemet. 
„Le fils d’Heraclius obtint la permission de 
se retirer en Georgie ‚ apres s’ötre engage, 
tant pour lui que pour son pere, de recon- 
naitre. formellement Aga- Mehemet - Khan 
pour legitime souverain de la Perse, de lui 
präter serment de fidelit€, et de payer & !’a- 
venir, comme par le passe , le tribut annüel 
auquel son royaume est soumis. | 
- Apres avoir ainsi reduit & l’obeissance tout 
le nord-ouest de la Perse, Mehemet renvoya 
une partie de son armee, et se rendit & Te- 
heran, ot il passa l’hiver. | 
. Heracliusn’avait pas neglige , aux premieres 
sommations qniluiavaientetefaites, d’en don- 
ner avisau'generalrusse,nomme Goxdovicht, 
gouverneur du Caucase , et de lui recomman- 


- CHAPITRE VII. 253 


_ der fortement d’en avertir l’imperatrice, afın 


qu’elle fit passer quelques troupesen Georgie, 
ou qu’elle les envoyätsur lafrontiere, avec or- 
dre de voler A son secours s’ıl etait attaque. 
Le gouverneur, qui ne crut probablement 
pas que les menaces de Mehemet fussent si 
promptement suivies de leur eflet,, avait n&- 
glige d’en faire son rapport , ou l’avait fait 
de maniere & ne pas faire craindre que le 
prince de Georgie füt attaque ; ce qui fit que 
celui-ci ne recut aucun secours de la Russie, 
et qu’il fut oblige d’abandonner sa capitale. 
' Mais des que Catherine apprit:ce qui venait 


de se passer , elle ordonna sur-le-champ & un 


petit corps de troupes qui se trouvait sur la 
frontiere, sous les ordres du’gendral $avelief, 
de marcher sur Derbent et de s’en emparer. 
Ces ordres furent executes ; mais la ville ne 
voulant pas se rendre aux sommations qui lui 


.furent faites,.et Savelief n’ayant pas assez de 


troupes pour l’attaquer dans les formes, il se 
contenta de l’investir ‚en attendant:de not- 
veaux: ordres et les renforts qu’il demandait. 
Les Russes passdrent l’hiver sous les'murs de 
la ville, sans quil füt rien entrepris de leur 
part, et sans que-les Persans , de leur cte , 
osassent tenter quelque sortie. 

: Pendant l’hiver, le comte Valerieu Soubof 


254 VOYAGE EN PERSE. 


eut ordre de reunir toutes les forces dispo» 
nibles qui se trouvaient vers le Caucase , et 
de venir joindre & Derbent le corps de’ Save- 
lief, dont il’ devait aussi prendre le comman- 
dement. L’arınde: passa la riviere Terek en 
avril 1796 , et s’avanga jusquw’& Derbent en 
longeant la Caspienne. Forte alors de trente 
a trente-cing mille hommes, elle s’empara 
facilement de quelques ouvrages avances , es 
menaga le khan d’un assaut general s’il ne 'li+ 
yrait la ville. Le khan ouyvrit les portes et sa 
rendit prisonnier. Br na 

Leg Russes occuperent Derbent, „ y mirent , 
garnison , et marcherent sur Bakou.en sui- 
vant le rivage de la mer. - a 
Dans lem&me teiss ‚une flotte sur Iäiqnelle 
etaient quatre-mille hommes de. debarque- 
ment, vipt menacer le:Guilan, et dtablir sois 
quartier-general & l!’Ule Sara, situde A quelques 
lieues des cötes, entre Enseli ‘et Bakou. Elle‘ 
fit , dans le courant de l’ete, quelques tenta+ 
tives: pour s’emparer d’Enseli , ville et port 
& quelgues lieues de Reicht, mais elle fut re- 
poussee ; elle revint & Sara sans avoir entre- 
pris autre chose, . 

Le comte Valerien Soubof ı n 6prouva au- 
cune resistance. dans sa: marche. Tontes les 
villes, baurgs et villages qui se trouyerent sur _ 


CHAPTITRE VII. 255 


sa route, lui ouvrirent les portes. Bakou se 
xendit & la premiere sommation qui lui fut 
faite par un corps de six mille hoınmes que 
le general y avait envoye. Les Russes occu- 
perent la ville , et n’inquieterent ni le gou- 
verneur ni les habitans. 

. Vers la fin de juin , les chalenrs qui se fai 
saient dejä vivement sentir , determinerent le 
gen£ral & faire camper P’armee sur les mon» 
tagnes qui se trouvent & dix ou douze lieues 
des cötes ; il choisit & cet effet une vallee frai- 
che, agreable ‚ situde pres des sources de l’.4:- 
chai, ruisseau qui se jette dans la Caspienne 
& douze lieues au nord-ouest de Bakon. 

Soubof quitta son camp vers la fin d’aoft, 
et savanca jusgqu’an vieux Chamaki, ou il 
passa le reste de l’ete. Mais des que les cha- 
 leurs furent passees , c’est-A-dire , A la fin d’oc+ 
tobre., il yint se presenter devant le nouveau 
Chamaki , situ hors des montagnes, & eing ou 
six. lieues de l’autre. Le khan se sauva, etles 
Russes occnpärent la ville. 

. Le comte Valerien Soubof detacha un corps 
de troupes aux ordres du lieutenant-general' 
Korsakof , pour s!?emparer de Candjea et oc- 
cuper la Georgie, en remontant le Kur jus- 
qu’a Tiflis. L’armde , se dirigeant au sud, 
vint camper sur la,rive gauche du fleuve, & 


256 VOIAGE EN PRRSE. 


‚douze lieues de son embouchure : l’avant- 
'garde passa le fleuve, et se trouva dans le 
Mogan, au m&melieuoü Nadir-Chah, en 1735, 
avait ete proclame roi par tous les deputss de 
la nation. 

Les troupes &taient campdes. ,„ et elles at- 
tendaient le retour de la belle saison lors- 
qu’elles regurent , en decembre 1796 , la nou- 
velle de la.mort de Catherine et l’ordre de se 
retirer ; ce qu’elles executerent en bon ordre 
et sans ätre inquietees. 

- Pendant cette campagne des Russes , Me- 
hemet etait dans le Khorassan , occupe & de- 
' tröner Charokh-Chah :.nousetions, Bruguiere 
etmoi,& Teheran. 

. Nous avons dit plus haut., qu’en' 1753 le 
Khorassan fut erige’ en souverainete inde- 
pendante en faveur de Charokh. Möhemet N 
' aussi empresse de faire rentrer cette province 
sous la domination de la Perse, que d’en ex- 
pulser les descendans de Nadir, dont'il con- 
naissait tous les droits au tröne qu’iloccupait, 
se disposa, apres avoir ravage la Georgie, & 
‚s’emparer du Khorassan. Il ne pouvait.ce- 
pendant ignorer que les Russes bloquaient 
Derbent, et il devsit bien s’attendre qu’ils y 
seraient en plus grand. nombhre au, pfintems 
suiyant. Il est donc bien surprenant qu’il ait 


pl 


‚"CHAPITRE VIEL 257 


songe A porter toutes ses forces A l’est de la 


Caspienne , pour occuper une province qui 
ne pouvait en aucun tems lui resister , plutöt 


que d’aller au secours de celles que les Russes 
menagaient a l’occident. A-t-il cru que Ca- 
therine n’enverrait pas d’autres troupes que 
celles du generäl Savelief‘, et, dans cette sup- 
position , a-t-il juge que les khans etaient 
bien en &tat de se defendre ? 

Quoi qu’il en soit des motifs de cette con- 
duite ‚la partie de l’armee, qui avait et€ con- 
gediee avec ordre de se trouver de nouveau 
sous les armes vers la’ fin de mars, .ayant re- 
joint ses drapeaux , Mehemet prit la route 
du Mäzanderan dans le m&me tems que le 
comte Valerien Soubof passait le. Terek. Il 
S’arr&ta quelque teıms aux environs d’Aster- 
Abad pour laisser reposer ses troupes et 
faire des provisions , apre&s quoi il tira droit 
&ä Mesched. 

Charokh vivaitencore : il avait ete temoin 


‚de toutes les revolutions qui avaient eu lieu 


en Perse , sans y prendre jamais aucune part; 
il avait vu, sans s’y opposer , tous les.eflorts 
que Mehammed-Hassan -Khan et son fıls 


Aga-Mehemet-Khan avaient faits pour s’em- 


parer du supr&me pouvoir. Tranquille au mi- 
lieu de sa province , qu’il gouvernait par le 
Tome VI. 


N 


35B VOYAGE EN PERSTE. 


moyen de son fils alne, il vivait en paix avec 
ses voisins; il prot&geait , contre les seigneurs 
du pays et les hordes errantes , les, peuples 
confies A ses soins; il cherchait-& cicatriser 
les plaies que les guerres de Nadir , les trou- 
bles qui avaient suivi sa mort,, et les ravages 
des Ouzbegs et des Turcomanis, avaient occa+ 
sionnees. L’apparition de Mehemet_dans le 
Mazanderan , et sa marche versle Khorassan, 
‚ ne laisserent & Charokh aucun doute sur’les 
desseins de cet usurpateur. Hors d’etat dere- 
sister , il conseilla A sesfils de se mettre en lieu 
de sürete. Quant Alui, il pritle parti delasou- 
mission. Il sortit de Mesched', et vint.ä deux 
jonrnees de chemin , au devant de l’armee 
persane , suivi seulgment de sa garde et des 
principaux seigneurs de sa cour. Il apportait _ 
de tres-riches presens en chevanx , en armes 
et en divers objets precieux. \ 

Mehemet le recut d’abord avec tous les 
egards que meritaäient son äge,, son rang et 
'sa naissance ; il accepta les presens, et il de- 
manda qu'il füt pourvu aux besoins de son. 
arımee, tant:en vivres qu’en argent. 

Charokh donna sur-le-champ tous les or» 
drcs necessaires pour que l!’armdene manquät 
de rien : il fit venir de toutes parts des che- 
vaux pour la remonte de quelques cavaliers; 


CHAPITRE VII. 259 


U procura les armes et les habits dont on 


manquait, mais il sexcusa relativement aux 
sommes d’argent qu’on lui demandait. Il mo- 
tiva son refus sur la modicite des revenus de 


ses Etats, et sur les depenses excessives qu’il 


avait faites depuis quil etait monte sur le 
tröne; il avait peu & peu retabli les mosquees, 
les caravanserais, les besesteins,, les fontaines 


_ publiques , que les guerres civiles avaient de- 


truits ; il avait toujours entretenu beaucoup 
de troupes , afın de pouvoir contenir les Tur- 
comans et les Ouzbegs, et il n’avait pas dü 
prelever de forts impöts sur un peuple qui 
avait ete entiesement ruine par les violences 
de Nadir et les extorsions de ses agens. 
Charokh se flattait d’ailleurs que le nou- 
veau rol de Perse respecterait en lui le petit- 
fils de Nadir,, eleve au tröne par la volonte 
supr&me de. tous les seigneurs et de tous les 
chefs de tribu du Khorassan ; qu’il aurait pour 
lui les mämes &gards qu’ayaient eus Kerim- 
Khan, regent de Perse; Ahmed, roide Kanda- 


_ har; Timur-Chah son #ils, ainsi que les rois de 


Balkhe, de Bokhara , de Samarcande,, et le 


prince afghan qui regn aitä Herat ; mais Cha ° 


rokh ignorait qu’iln’y a rien de sacre pour 
celui que l’ambition tourmente. 
Lorsqu’ils furent rendus & Mesched , Mehe- 
Ra | 


260 VOYAGE EN PERS. 


met fut s’etablir dans le palais royal: il retint 
Charokh aupres de lui, et le constitua en 
| quelque sorte son prisonnier ; il exigea qu’il 
Jui remit & instant le sceau de l’Etat, le tresor 
royal et toutes les richesses qu’il possedait. 
Il ordonna en m&me tems & tous les khans 
et seigneurs du Khorassan de venir aupres de 
lui, et & tous les ministres du culte de faire ’ 
eri son nom la priere publique du vendredi. 
Tous obeirent : les premiers, ne pöuyant 
opposer ı une armee capable de resister & celle 
_ du roi de Perse, se rendirent ä Mesched avec 
les presens dont ils etaient redevables. 
Charokh se depouilla de toıftes les ınarques 
de souverainete : ıl mit sur-le-champ Mehe4 
net en possession de tout ce qui appartenait 
A la couronne, mais il nia toujours qu’il ’eüt 
; en main d’autres richesses que celles qu’on 
avait trouvees dans son palais. Cette obsti- 
‚nation fit entrer en fureur l’avide Mehemet. 
Se doutant bien que le petit-fils de Nadır avait 
encore quelques restes des tresors enlevesaux 
Indiens, il le fit saisir‘, lui fit donner des coups 
de bäton sous la plante « des pieds afın d’en 
obtenir Paveu; il poussa m£hne la barbarie | 
jusqu’ä lui faire appliquer des fers ardens sur 
differentes ‚parties du corps. ; 
| Churokh ‚ qui ne pouyait se respudre A 


LG 


CHAPITRE VII. - 261 
priver ses fils de la derniere ressource qu’ils 
avaient pour se faire un parti et rentrer dans 
leurs droits, souffrit d’abord avec beaucoup 
de courage et sans se plaindre, les tourmens 
qu’on lui fit endurer; mais & la fin, accable 
sous le poids de la douleur, et dans le delire 
d’une fi&Evre ardente, il decouvrit son tresor 
a son bourreau, etle luı abandonna: il con- 
sistait en or, en argent, en joyaux, en objets 
d’arts , et surtouten diamanıs. 

Mehemet s’en saisit avec avidite, et se häta 
de le faire emballer : il prit possession , dans 


Jintervalle, de toute la province; il recut la 
‚soumission de tous 'les khans, de tous les 
„seigneurs, de tous les chefs de tribus; il se 


fit donner un grand nombre d’otages , et il 


.partit de Mesched vers la fin d’aoüt, laissant 
dans cette ville douze mille hommes pour con- 
‚tenir les habitans, et s’opposer A tout ce que 


pourraient entreprendre les fils de Charokh. 
Ce malheureux prince &tait encore malade: 
n’importe, il fut arrach& de son lit, et em- 


‚mene dans une litidre : tout le reste de sa fa- 


mille le suivait sous bonne escorte. Les cha- 


leurs etaient tres-fortes, et la saison dange- 
‚reuse : l’armee souflrit beaucoup en traver- 


sat le Mazanderan; un grand nombre de 
soldats furent attaques de fieyres putridag 


ee LI LI 


262 VOYAGE EN PERSE. 
et de dyssenterie. Charokh , äge alors de 


' solxante-trois ans et quelques mois (1), ressen- 


tit, aux environs d’Aster-Abad, des douleurs 
d’entrailles violentes; il resta quelques heures 
dans cet etat, apres quoi il expira sans qu’on 
ait su si cette mort avait etE provoquee par 
son ennemi, ou si elle etait une suite na- 
turelle des mauvais traitemens qu’il avaiten- 
dures. \ 
Mehemet fit son entree & Teheran le 20 
septembre ;il congedia, comme l’annee d’au- 
paravant, presque toute son armee, etil ne. 
la reunit de nouveau sous les drapeaux qu’au 
printems suivant. Ce fut donc Ala fin de mars 
1797 , qu'il quitta Teheran pour marcher une 
seconde fois sur Tiflis, et reprendre les villes 
de Bakou et de Derbent, que les Russes pa- 
raissaient vouloir garder. Ils avyaient evacue 


Candjea , Chamaki et toutesles villes et for- 
teresses de l’interieur , mais ils n’avaient pas 


retir& les troupes qu’ils ayaient envoyees & 
Tiflis. 
L’armeeavait passel’Araxe ‚etetait campee 
pres de Chutche ; elleetait dans le meilleur etat 
possible , et ne demandait qu’& combattre. 


'Deja Mehennet ayait fait ses dispositions poür - 





® (1) etait nele ıı mars 1753. ° 


- CHAPITRE VII. 263 


envoyer trente mille.hommes contre Tiflis ,. 
en remontant leKur; il devait passer le fleuve 
avec plus de sojxante mille hommes, aux en- 
virons de Berda, et entrer dans le Chyrvan 
pour se.ıaesurer avec les Russes., lorsqu’un 
de aes evenemens que la prudence humaine 
ne peut prevoir, vint detruire ces projets et 
dissoudre cette armee._ 

Le ı4 demai a-la pöinte du jour, Mehmet 
sortit de la tente oü il avait couche, et passa 
dans ’une autre qui efait & cöte. Il avait prig 
’habitude de faire sa priere dans celle-ci, d’y 
fumer le narguil , etde s’ylivrer pendant quel- _ 
ques heures a l’examen des papiers qu’on lui 
avait remis la. veille. Personne autre que le 
premier ministre et les generaux ne pouvait 
esperer de lui parler dans cette tente „etil 
' n’avait ordinairement qu’un ou deux ofliciers 
autour. de. lui pour le’servir ; ce jour-lä il ne 
e’y.entrouva qu’un seul ; il se nommait Pitch. 
Hesnıet. Apres la pridre , et au moment que 
le roi tenait des deux mains. le narguil, que 
_Toflicier venait de lui.pregenter , celui-ci.luj 
porta dans Ja poitrine deux.goups de. poi: 
gnard qui je firent expirer A instant. sang 
pousser aucun cri. | 

Le motif qui ayait, dit-on ,engage cet of 
ficier a commettre un crime pareil, fut que 


264 VOYAGE EN PERSE. 
son Irere , ’annde d’auparavant ‚„avait peri 
d’une mort cruelle pär ordre duroi (1), quoi- 
qu’il füt depuis’ long-tems A son service, quil 
Iui eüt donne les preuves les plus certaines 
de devoüment, et-qu’jl n’ett commis aucune 
faute un peu grave : l’orglre avait ete donne 
dans un moment de mauvaise humeur , et re- 
voque trop tard. Ce fait etait vrai ; mais il 
. est bien certain que Pitch-Hesmet n’aurait pas 
sorge A .tirer vengeanoe. de oe supplice ; ıl 
n’aurait pas eu l’idee. de sacrifier le roi aux 
mänes de son frere s’il n’avait te sür.d’e- 
chapper a la mort. | 

On eut bientöt la certitude que la, nain' de 
ce sc£lerat avait ete dirigee par un homme 
puissanıt, qui’crut par-lA se frayer un chemin 
au tröne. Sadek-Khan, de la tribu Chakaki, 
un des generaux de l’armee , avait promis & 
Pitch-Hesmet .de favoriser son &vasion ; il lui 
avait m&me fait esperer une forte recompense, 
s’il reussissait dans son entreprise. Sadek- 
Khan, en sa qualit€ de general, entrait li- 
brement dans la tente du roi. D&s qu’il fut 
instruitde sa moit, il s’y rendit aveo«pnelques 
personnes qui Jui etaient devoueesi ,\ il:s’em- 
para du tresor, et sortit quelgue tems aprds, 





“ (1)Onluiavaitouvert le ventre et arrache les entrailles. 


CHAPITRE vIr. 265 


en faisanıt paraitre un firman muni du sceau 


royal, portant l’ordre & lui Sadek de partir 
sur-le-champ, pour une operation , avec le 
corps qu’il commandait, consistant en dix 
ınille hommes, 

On ignorait., dans le camp, la mortdu roi. 
Sadek-Khan sortit donc sans obstacle , em- 
portant avec lui, non-seulement la caisse mi- 
litaire et les riches et nombreux diamans de 
Meh£ınet , mais m&me une partie des vivres. 
Son objet , ‘en s’eloignant,, etait d’eviter le 
premier mouvement de l’armee et le ressen- 
timment que pouvait faire naitre , dans le cur 
du soldat, V’idee d’un assassinat. Usavait bien 
que tous les mecontens viendraient se joindre 
a lui ; il esperait d’ ailleurs que cette armee, 
sans vivres, sans argent et sans chef, se dis- 
soudrait bientöt. C’est ce qui arriva peu de 
jours apr&s. Il se forma plusieurs partis, dont 
quekjues-uns furent joindre Sadek-Khan. Le 
peu- de personnes attachees au roi, ou qui 
craignaient d’etre sacrifiees A ’ambition de 
son meurtrier , retournerent a Teheran sous 
la conduite de Hadgi-Ihrahim, premier mi- 
nistre. Les autres se rendirent dans leur tribu 
pour tächer d’y joner un röle ou s y mettre & 
Pabri des persecutions. 

- Lorsque nous quittämes Consamtinopla , 


266 VOYAGE EN PERSE. 
en mai 1798, oy comptait quatre principaux 
 pretendans qui allaient de nouveau dechirer 
ce malheureux Empire. C’etaient, ı°. Baba- 
Khan , filsde Hussein-Khan , frere atned’Aga» 
Mehemet-Khan. Iletait, comme nous l’avons 
dit, gouverneur de Chiras. A la premiere 
nouvelle de la mort de son oncle , ılavaitvol& 
a Teheran , et s’y etait fait reconnaltre r&- 
gent ; il avait laisse A Chiras son frere Cou- 
chouk-Khan, avec dix.ou douze mille hom- 
zes pour contenir le midi. 

2°. Ala-Kouli-Khan, frere de Mehömet, 
Il avait cherche A se faire un partl& Teheran, 
& Ispahan et dans le Mazanderan. | 

3°. Sadek - Khan. Il se rendit & Tauris en 
quittant P’armee, et se trouva bientöt maltre 
de tout l’Aderbidjan. 

4°. Enfin Mohammed -Khan, fils de Zeki- 
Khan, le m&me qui avait abandonne Lutfr 
Ali-Khan au moment oü il venait de batire 
Mehemet. I avait leve quelques troupes dans 
le Loristan et parmi les Arabes, et avait mar- 
che sur Chiras; il avait d’abord obtenu quel- 
ques avantages sur Couchouk , mais il he put 
s’emparer de la ville. : 

Parmi ces quatre pretendans, celui qui ;etait 
le plus digne du tröne, celui que le vu du 
peuple y appelait, fut, heureusement pour 


CHAPITRE vi. 267 
la Perse,'.celui qui eut d’abord le plus de 
troupes, et qui teunit le plus de moyens pe- 
cuniaires. Maitre de Teheran, d’Ispahan et 
de Chiras, Baba-Khan faisait esperer de ra- 
ınener töt ou tard , par sa bravoure et sa 
bonne conduite, les provinces qui tenaient & 
un autre parti. Neanmoins Ja lutte eüt ete 
longueetleresultatincertain siHadgi-Ibrahim 
ne füt venu & bout de gagner Sadek-Khan, et 
de le faire renoncer & ses pretentions. Ill’en- 
gagea möme ä ceder ä Baba-Khan tout Vor, 
tous les diamans qu’il avait enleves & son 
onck , et & reunir ses forces aux siennes. 
Deslors le tröne fut assure A ce dernier. Ala- 
Kouli , abandonne des siens , fut arr&te et 
rendu aveugle. Mohammed , pareillement 
abandonne, fut reduit A se refugier chez les 
Arabes de a cöte pour echapper au chäti- 
ment qu’il meritait. 

Baba-Khan prit alors le nom de’ Fetah-Ali- 
Khan. Il parait avoir gouverne jusqu’& pre- 
sent la Perse avec justice , et avoir döploye , 
tant au dedans qu’au dehors, toute l’Energie 
qui convient A sa position. 


RT NUUvU 


268 VOYAGE EN PERSE. 


[men mn on anne nn nennen esrannanenarnebnsrsnnrnnnr voran rn num nenn „ ZU 
. 


'CHAPITRE vi. 


Depart d’Ispahan. Retour a Bagdad 
par Kengaver et K ermanchah. Fem- 
‚ mes de Mikr-Abadı. Douane de Sar- 


pi. Curdes qui attaquent la cara=- 


‚ vane. Divers movyens de quitter Bag- 


dad et de faire route. dventurier qui 


prend lenom d’un des freres du rol 


de Perse. 


‚Loasevs nous quittämes Teheran pour nous 
‚rendre & Ispahan , notre projet &tait de. tra- 
‚verser tqutela Perse, d’aller nous embarquer 
dans un des ports du golfe , pour Bassora , 
et deremonter l’Euphrate ou le Tigre jusqu’& 
‚Helle ou Bagdad. . 

Cette route nous paraissait devoir com- 
' pleter nos observations sur le sol et le climat 
de la Perse ‚„ sur les mauıs et les- coutumes 
deshabitans, et nous procurer,en mindraux, 
plantes et animaux , une re&colte encore plus 
 abondante que toutes celles que nous avions 
faites dans ce pays. 


- CHAPITRE VIIt. 269 


‚La sante de mon colldgue derangea une 
seconde fois tous nos plans. Vingt jours de 
repos dans la ville la plus saine de cet Em- 
pire, et dans la saison de l’annde la plus 
douce ‚, n’ayant pu le retablir ni lui donner 
la moindre esperance d’une ame&lioration pro- 
chaine, nous jugeämes qu/il fallait se häter 
de quitter un climat qui ne pouvait li con- 
venir , etde prendre, pour revenirenFrance, 
le chemin le plus court et le moins fatigant. 

Nous nous joignimes donc & une caravane 
qui partait pour Kermanchah, et nous sor- 
times d’Ispahan le ı5 novembre 1796 , pour 
aller coucher ä un caravanserai situe & quatre 
ou cing milles de distance. ’ 

La caravane, composee d’environ cent che- 
_ vaux, portait des mousselines et des toiles de. 
Y’Inde, des schals de Kachemire et de Ker- 
man, des tapis, et diverses etoffes fabriquees 
a Yesd etä Ispahan ; elle avait aussi quelques 
ballots de tabac, quelques ballots de garance, 
un peu d’opium, de musc, d’ambre, et au- 
tres drogues du midi de la Perse ou des eon- 
'trees plus orientales , le tout destine pour 
Kermanchah , Amadan et Bagdad. 

Vers-le'milieu de la nuit, quelques cavaliers 
se presenterent au caravanserai avec un ordre 
du geuverneur ; ils venaient enlever de force 


270 _VOYAGE EN PERSE. 


tous les cheyaux qui s’y trouyaient,, pour 
transporter d’Ispahan & Cachan les officiers, 
serviteurs , esclaves et. effets de Baba-Khan , 
neveu du roi, qui se rendait de Chiras ä Te- 
heran, ou il etait appele. Les gens de la ca- 
ravane ürent un vacarme horrible ; ils dispu- 
terent, et crierent tous A la fois pendant plus 
d’une 'heure , pour empöcher qu’on ne leur 
prit tous les chevaux; ils en furent quittes 
pour en livrer dix , qu’on ne deyait rendre 
que dans huit jours. Les nötres , comme les 
plus beaux et les plus fringans , avaient die 
pris les premiers ; mais ils furent remis a leur 
place des qu’on sut. qu’ils nous appartenaient. 
On ne toucha non plus & aucun de ceux desr 
tinds A porter nos eflets. 

Nous sejournämes le 16 , pour attendre 
qu’on eüt remplace les chevaux qu’on avait 
emmenes, et le ı7 nous vinmes passer la 
journee dans un caravanserai situe A trois 
lieues du premier, et & un quart de lieue du 
petit village d’4nichirvoun. On semait par- 
tout du froment sur les terres que l’on avast 
arrosees quelques jours auparavant : il etait 
dejä leve en plusieurs endroits. | 

Le ı8, nous ne fimes que quatre lieues. 
Nous marchämes d’abord en plaine ; nous c&- 
toyämes ensuite des montagnes peu Elevees , 


'CHAPITARE VIII. oyı 


tres-arides; noustraversämes un coteau schis- 
teux, en partie volcanique , et nous nous ar- 
r&tämes dans un tr&s-beau caravanserai situe 
au milieu d’une plaine inculte. Nous vimes 
ramasser partout, dans cette plaine, une es- 


_ pece d’anabase , plante de la famille des sou- 


des ; elle y etait tres-abondante. Sechde et 
mise en poudre, on s’en sert, dans toute la 
Perse, pour decrasser le linge : on la brüle, 
en quelyues endroits , pour faire du savon 
avec les cendres. 

Le 19 , nous nous rendimes dans dix heures 
ä Dehak, village fort etendu , mais presque 
tout detruit : il est situe entre deux mon- 
tagnes peu.levees , moins arides que celles du 
jour precedent. Les environs nous parurent 
fort beaux ; les eaux Y etaient abondantes et . 
assez bonnes.. 
* Le 20 , nous noustrowvämes entre des mon- 
T tagnes schisteuses- et. granitiques ; nous en 
vimes une Anotre gauche, beaucoup plus ele- 
de que les autres, sur laquelle il etait, dej& 
tombe beaucoup de neige ; nous la jugeämes 
& deux ou trois lieues. Bientöt apres nous en 
decouvrimes.de tres-hautes devant nous , dont 
le somınet etait egalement couvert de neige, 
Nous logeämes, apres sept heures et demie 
de marche , dans un carayanserd} qui tombhait 


272 VOYAGE.EN PERSE. 


en ruine , pres d’un mauvaiıs village presque 


detruit, nomme Durri- Areban. 

_ Le vent fut ce jour-l& & l’ouest ; le ciel se 
couvrit de nuages, et nous fümes menaces de 
pluie ; il en Etait tomb& beaucoup, ä oe qu’on 
nous dit, les jours precedens ; nous n’en avions 
pas eu pourtant, et nous n’en avions pas vu 
de traces sur notre route avant les trois der- 
nieres lieues.: Bun | [ 

Le. sol nous parut s’ötre beaucoupeleve 
depuis notre depart d’Ispahan. 

Le 2ı, nous fümes encore quelque tems 
entre des montagnes granitiques ; elles s’eloi- 
gnerent ensuite un peu, et nous enträmes 


‚ dans une plaine fertile et arrosee. Nous lo- 


geämes , apres :huit heures et demie de mar- 
che , au bourg de Khougue , que nous trou- 
vämes en grande partie detrnit. : 

Nous n’eümes pas de pluie : le vent pässa 


a Pest; la nuit füt froide, et la j ‚journce fort | 


belle. Ze 

Le 22, & une lieue de Khongug, nous pay- 
sämes , sur un pont en mauyais etat, une pe 
tite Hiviöre nommde Fak-Soun; nous mon- 
tämes ensuite quelque tems, et nous cötoyä- 
nes une montagne qui nous parut en partie 


“ volcanique. Nous-enträmes ,.en la quittant, 


dans une plaine assez dtendue,, et nous nous 


arrötämes,. 


A 


Zen. VE 


CHAPITRE VIit. 00293 


z 


arrötämes ‚„ apres huit heures. et demnie de 
marche , au village de Khoumei. ‘Nous y 
wmes un grand nombre de maisons detruites. 
Nous &tions entourds de montagnes fort ele-' 
vees; nous en avions laiss& une & droite, & 
quelques lieues de distance, dont le sommiet 
presentait beaucoup de neige. Fu 

Le me&me jour nous montämes & cheval. 
vers les neuf heures du soir , et marohämes 
toute la nuit et une partie de la matinde sans: 
nous reposer. Nous vimes sur la route quel- 
ques villages detruits : nous nous trouvämes 
quelque tems entre deux montagnes , dont 
P’une, a gauche , avait beaucoup de neige au: 
sommet ; nous enträmes ensuite dans un 
vallon fort agreable , et nous nous arrätämes 
le 23, apres treize heures de marche, A un 
village nomme dphtei 

Nous remarquämes qu’il avait beaucoup 
plu les jours precedens : le sol nous parut 


-8’etre encore &leve : les.nuits devinrent tres- 


froides ; il faisait pourtant assez beatı le j jour Fi 
et l’air etait assez tempere. | 0 
Le 24, la vallee s’&largit , et. nous conduisit 
dans une plaine fort agreable, fort bien cul-: 
tivee , et entource de montagnes couvertes de 


neige. Nous logeämes au fend de cette plaine y 


dans un village nomme Fssar...' 5; 


Tome FI. 8 


274 VOYAGE EN PERSE. 


Le 25, noysarrivämes , par une vallee plus 
ou moips etroite et une plaine assez bien arro- 
sge , an village de Zerguened. Nous retrowg 
vwämes ce jaur-i& le rogier & feuilles simples , 
que nous ayiong vu en allant A Amadan. 


Les femmes de ce village ont un voile fort 


petit, qui leur gache & peine le visage; les 
jeunes sgmblent ne le porter que pour la 
forme , nu ppur avoir l’air de se conformer 
& l’usage general. | 

. Dans tous les rillages au nous nous sommes 
arretes „ NOUS AVOns pu Nous procurer des me- 
lons, des pasteques, des raisins. On garde ces 


fruits presque tout l’hiver: le yaisin surtaut se: 


conserve jusqu’ä ce qu’il fasse un peu chaud. 
Le 26, la nuit fut belle, un peu moins 


froide que les precedentes. Le vent souflla 


faiblement de l’est , et le eiel fut träs- pur, 


‚Nous cötoyämes une montagne schisteuse et 


granitique; naus nous trouvämes ensuite dans 
une vall&e qui s’elargit insensiblement ; nous 
y vimes quelques cultures ; nous y rencon- 
trämes quelques troupeaux ; nous traver- 
'sänies un village assez grand , presque taut 


detruit , et, aprds sept heures de marsche, 


nous arrivämes A Mikhr-Abad (1). 






“ii - 


- |: 





A se Ze Ze ei on - 
[2 


(3) Population de l’amonır. ons de Pamitid, 


_  __ 2 . 


m 0 


.CHAPITRE VEIL, 273 


. La cäravane campa aupres du village, 
comme elle avait toujours fait lorsquelle 
z’avait pas trouve de caravanserai. Quant & 


nous , le kiervan - baschi s’etant oblige par 


ecrit, de nous conduire chaque jour dans un 
caravanserai ou dans tout autre bätiment 
qui nous mit & l’abri du froid et de la pluie, 
ilnouslogea dans une maison du village, ol 


- aous trouvämes entr’autres deux femmes fort 


jeunes , qui n’etaient pas du tout voilees, et 
qui ne firent aucun mouvement pour se de- 
rober 4 nos regards ; ellesse montrerentm&me 
fort empressees & nous servir, et elles firent,, 


durant toute la journee , la oonversation avee 


nous. | | 

Surpris de trouver , au milieu de laPerse, 
un usage si contraire aux maeurs du pays et 
aux preteptes de la religion de Mahomet, 
nous demandämes si nous &tions avec des 
Musulmans ou avec des Gu£bres. Sur la re- 
ponse qu’on nous fit, que tous les habitans du 
village suivaient la religion de Mahomet , et 
qu’ils etaient, comme les autres Persans, de 
la secte d’Ali, nous voulümes savoir pour- 
quoi les femmes jouissaient, A Mikhr-Abad, 
d’une liberte qu’elles n’avaient pas ailleurs 5 
mais nous ne pümes ayoir , A.ce sujet, de re» 

Sa 


P | 





N 


x 


276 VOYAGE EN PERSE. 
“ponse, satisfaisante. On nous die que l’usage , 
dans cette contre , dispensait les femmes de 


se voiler dans leur maison , et m&me hors de 


chsz:elles. En effet, toutes celles que nous 


renconträmes dans le villageet aux environs,; 


ne portaient presque pas de voile, et ne fai- 


saierlt, en nous appercevant, aucun mouve- 


ment pour cacher leur visage. 
‚Ellesnous parurent assez bien faites : nous 


‚ en vimmes m&me quelques-unes qui passeraient 


pour de'tres-jolies femmes dans les .contrees 


les plus favorisees de l’Europe. Elles avaient 


en general les cheveux noirs ou chätains, les 


yeux bleus, le teint. blanc, et la carnation 


vive et coloree des montagnards. 

Les hommes sont robustes et d’une assez 
belle taille;. ils sont tous pasteurs , agricul- 
teurs.et guerriers ; ils appartiennent & la.tribu 
des Bakhtiaris , race de Curdes. | 

‘Cette route n’est point celle que les voya- 
geurs europeens ont pnise. ‚Otter s’est rendu 


de Sahaneh & Nehavend, et de Nehavend & 


Ispahan par Khonsar ; ılaete consequemment 
un peu plus A l’occident. En revenant ‚ila 
faitla m&me route quenous jusqu’&ä Khougue: : 
JA il:a pris A droite , et est venu A. Perispe ou 
Perisbe pär Sari et Dizabad. 


EN 


[ 
“ u 
mi. 


- CHAPITRE VIII. 277 


- Pietro della Valle a ete d’Amadan & Ispahan 

par Sari ou Sarou , Dizabad , Gulpeighan et et 
Dehak. 

Ni ya, & l’occident de Mikhr- Abad, une 
montagne qui nous parut couverte de beau- 
coup plus de neige que toutes celles que nous 
_ Avions vues jusqu’alors : nous la jugeämes &tre 
a cing ou six lieues de distance. 

Le 27 , nous eümes douze heures et un 
quart de marche sur un terrain inegal , schis- 
teux , granitique, comme celui de la veille, 
ensuite dans une plaine arrosee et fertile. Nous 
logeämes dans un caravanserai bäti au’ dessus 
de Perispe, village assez tendu, maisen partie 
detruit. La nuit fut bien froide, et le ciel'tres- 
bean. L’elevation du sol nous parut se sou- 
tenir : nous vimes partout le joh ı rosier 4 
_feuilles simples. 2 

Le 28 , nous marchämes sept heures et de- 
mie. Leterrain fut quelque tems inegal , jus- 
qu’& ce que nous fussions dans.la belle plaine 
de Kengaver, ol nous passämes le ı reste de 
la journee. | 

Le 29, nousnousrendimes dans sept heures 
A Sahaneh, et le lendemain 30, dans six, au 
 caravanserai de Sheher-Nou. Le premier de- 
cembre , nous vinmes dans sept heures & 
_Kermanchah , ol nous restämes deux jours, 


278 ' VOYAGE EN PERSE. 


afıri de donner le tems A. la caravanc de rem- 
placer quelques marchandises quelle y devait 
laisser. 


Nousquittämes Kermanchahle4decembre, 


et nous vinmes dans sıx heures au caravan- 
serai bäti dans la vallee de Mahidescht. 
Le 5 ,nous nous rendimes & Haroun-Abad, 


et le 6 au caravanserai qui se trouve au des- 


sous de Krent. 

Nous efimes, ce jour-lä, pour la premiere 
fois depuis que nous Etions en Perse, une 
pluie tr&s- forte qui dura toute la journee ; 
elle fut accompagnee , pendant plus de deux 
heures , d’eclairs et de tonnerres qui se suc- 
cedaient sans -interruption. 

Les montagnes des environs de Kerman- 
chah , ainsi que le mont Elvind et le mont 
Bissoutoun , avaient fort peu de neige & leur 
sommet lorsque nous les revimes; mais il en 


"tomba beaucoup le 6 et la nuit suivante‘, sur- 


une cime tr&s-Elevee que nous avions A notre 
gauche. . 
Le 7 nous sejournämes., et le 8 nous vin- 
mes dans douze heures & Sarpil. La caravane 
logea, comme elle put, dans un assez mau- 
vais caravanserai. Quant a nous, des Curdes 
etant venus nous offrir ’hospitalite, nous 
nous laissämes conduire dans leur maison , 


CHAPITRE vıtß.- 279 


ou plutöt dans leur cabane. Nöus y fürnes 
servis par deux feınmes voilees , aussi bieh 
que nous pouvions l’esperer : on nöüs pro- 
cura , & tres-bas prix , des oeufs ;, des poules, 
du laitage , etle lendemain ori refüsa l’argent 
que nous offrimes pour notre logement ; noüs 
zie püimes faire accepter une piece de ent 
paras, qu’en la donnant en paiemeht de quel- 
ques tasses de lait que nous präites avant de 
monter ä& cheval. 0. 

Leg ; nous fümes ärrätes, en partant;, par 
les douaniers , qbi exiödrent , cbmine ils 


'-avaient fait hhit mois aupardvänt ; les droits 


qu'ils prelövent sür les voyagshrs ai nofhu 
pacha de Bagdad. La premiere fig; fur un 
seul iiot que nöuis avions &chit A ce dujet & 


'M. Rousseati ‚ Pargent que nduls avtons donfie 
‚ui arait &t& remis , et on hil aväit bien dit 


que les commis d& te butEati Seraiett punis 


pour ne s’etre pas coifürtlies atix Ördres dont 
nos &tiohs portetits. Nönd VP’avioils Appris 


par une letir& de M. Rötisseau ; noäs deviöns 
d6nc nous atteridre qu’dti retour l&s tommis 
de Särpil serdieritt pltüs houttiete& ot plus cir- 
corispetts envers hous ; püisgüe ,; ärrives & 


| Bagdad ; Höus avioris bieft pas de moyehs de 
‚nous faire rendte justice, que pehdant hötre 
.sejour en Perse. Mais telle est, &ri 'Turquie, 


280 VOYAGE EN -PERSIT. 


Y’insubordination et la cupidite des agens eloi- 


‚gnes du centre du gouvernement, qu’ilsn’ont ' 
.presque jamais egard aux ordres qu’ils re- 


goivent lorsque ces ordres contrarient leurs 


inter&ts. Ce n’est jamais que par la crainte 
‚d’un chätiment tres-prochain,, qu’on peut les 


faire agir, Toutes les fois qu’ils peuvent se 
‚flatter de n’etre pas punis , ils eludent ou 
executent träs- mal les ordres de leurs chefs. 
‚Le teskere du pacha portait exemption pour 
nous , nos damestiques et nos effets, de tous 


. droits ‚ impöts, taxes, peages, etc. qui se 


prelevent dans sa province, Cet ordre etait 
is, etcongu de maniere Ane laisser aucune 
ambiguite ; neanmoins les commis pretexte- 
‚rent qu’il ne pouyait plus avoir de valeur ; 
delivre, selon eux, pour une fois seulement, 
‚ilnous avait dü exempter.en allant en Perse , 





‚mais non pas 4 notre retour, 


Nous eümes recours alors au firman du 
Grand-Seigneur ‚qui nous exemptait de m&me 
de tous droits, impöts et taxes dans ‚toute 
l’etendue de I’ Empire. On nous repondit que 
de pareils ordres &taient bons tout au plus 
aux enyirons. de Constantinaple et dans les . 
ports de mer, mais qu’& Sarpil on n’en ex6- 
cutait pas d’autres que ceux emanes du pacha 
de la pravinoe, 


"CHÄPITRE vııe. - - aßı 


„Nous w’avions plus aucune observation A 
faire; nous comptämes onze piastres qu’on 
nous demandait ‚en menacant les commis de 
ne pas quitter Bagdad qu’ils ne fussent punis 
bien plus severement qu’on n’avait fait la 
premiere fois, ' 

Ces debats, qui avaient dure quelques mi- 
nutes,, furent cause que nous nous trouvämes 
parmi les derniers de la caravane. 

Lorsque nouseümes faitenviron deuxlieues, 
on vintnousdire denoustenirsur nosgardes, 
parce qu’on avait appercu des voleurs. Quel- 
ques minutes apres , nous vimes effectivement 
cing ou six Curdes qui s’etaient empares, sur 


 jes derrieres , de deux cheyaux charges , et 


qui -bataillaient A coups de pierre avec huit 


“ servadars, pour tächer de les emmener. Les 


chevaux furent bientöt.repris , et les serva- 
dars rejoignirent , en courant, la caravane, 
qui ne s’etait point arrätee , et qui, au lieu 
de se serrer et de marcher en bon ordre , 


' avait accelere sa marche,, et paraissait fuir, 
en occupant un quart de liene d’etendue ‚,quoi- 


qu’elle n’ett guere plus.’de cent trente :che- 
vaux, 

Les voleurs, qui ne se tenaient pas 'pour 
battus, nous suivaient de tres-pres, Epiant 
Je moment de tamber sur quelqu'un :de-nous 


Ba VOYAGCE EN PERSE. 


afın de le depouiller, ou afın tout au moins 
. d’enlever quelque charge. 


Ce qui est bien surprenant, et ce qui peut 


donner une idee de la poltronerie des mar- 
chands dans ces contrees ‚c’est que les voleurs 
n’etaient que cing , le pere äge d’environ cin- 
quante ans, et ses quatre fils äges de vingt A 
trente. Ils etatent A la verite tres-grands, tres- 


robustes, trds-adroits, maisils n’avaient d’au-. 


 tre arme que la massue et le bouclier ; le p&re 
seul portait un yatagan & la ceinture. 

Il yavait, & la caravane, une trentaine de 
‚servadars ou valets sans armes, cing chefs ä 
cheval arme&s de sabres et de carabines‘, trois 
ou quatre marchands peu armes, et quelques 


femmesquin’avaient probablementpointd’ar- : 
ınes ; mais notre domestique, notre drogman 


et nous, aurions bien dfisuffire pour mettreen 
fuite ou terrasser cing hommes qui se presen- 
taient avec tant de desavanitäge. Le drogman, 
jeune et fort, avait un sabre et un fusil thuni 
de sa baionete ; le domiestique , aussi jeuhe 
et beaucoup plus fort que le drögrnani, pörtait 
un autre fusil & baionete; Bruguiere, faible 
et malade, n’avait pu, se charger ge d’un 
pistolet ä deux eoups. 

Nous marchions , mon eolldgue et moi; ; 
presque toujours.a cöte l’un de l’autre : un 


 CHAPITRE viır. 283 


seul instant que nous färnes separes c& jour« 


“4 


lA , faillit A nous &tre funeste. 


Comme il avait beaucoup plu , le chemin - 


etait, en quelques endroits ‚ fort ınauvais 5 
souvent nous etions obliges d’aller les uns 
apres les autres , ou de faire des sinuosites 
qui donnaient de l’espoir dux voleurs. Dans 
cette marche irreguliere, le cheval de Bru- 
guiere,, passant-sur un terrain argileux, trop 
au bord d’un endroit creuse par les eaux, 
glissa, et s’y precipita avec son cavalier. Ni 
l’un ni l’autre ne purent d’abord serelever;; ce 
qui donna le temıs aux voleurs de s’en ap- 
procher. Ils &taient sur le point de les saistr 


— 


lorsque , aux cris d’appel que poussa Bru- | 


guiere , je me retournai et voulus menacer les 


voleurs. J’avais alors un fusti de Chasse A denx 
coups , un pistolet d’arcon & deux coups que 
je tenais devant moi sur ha selle, et un petit 
pistolet de poche que je portais A la ceinture. 
Je couchai les. voleurs en joue avec mor fusıl, 
‚pour les effrayer et les obliger de s’eloigner, 


tandis que sept ou huit valets ; de leur eöt,-. 


engageaient ayec eux un houyeau combat & 
conps de pierre. 

Bien loin d’effrayer les voleur® , comıte je 
l’avais espere, ils firent pleuvoir sur mioi une 
gr&le de pierres qu’uls lancaient avec une force 





»B4A  .VOYAGE-EN.PERSE.. 
e$ une precision extraordinaires. :- je n’etais 
qu’& quinze pas d’eux. Atteint d’un coup & 
la cuisse droite, et d’un autre qui emporta- 
un morceau de, mon habit , je poussai mon 
cheval sur celui de ces Curdes qui m’avait 
frappe ; je fus & l’instant sur lui , quoiqu’il se 
füt eloigne A toutes jambes. Il cherchait ä se 
‚garantir avec son bouclier ; ce qui n’empe&cha 
pas que je lui lächai mes deux coups de pis- 
tolets & bout touchant : ni l’un. ni l’autre ne 
partirent; la poudre etait pourtantfort bonne; 
elle avait ete renouvelee A Kermanchah, et 
la pierre misea neuf. Je n’eus pas plutöt läche 
les deux detentes , que je voulus revenir sur 
‚mes pas; mais je me vis, dans un,instant, 
entoure de ceux qui, ayant läche Bruguiere, 
etaient venus au secours de leur camarade ; 
ils menacaient de m’assommer de Jeurs mas- 
‚sues. J’allais me defaire de celui qui d’une 
main etait pr&t & me frapper,, et de l’autre 
a prendre la bride de mon cheval, quand je 
fus atteint A la t&te de deux coups de pierre & 
‚la fois. Je perdis un moment connaissance , 
et je tombai de cheyal en tirant un coup de 
fusil qui heureusement ne tua personne, car 
j’aurais infailliblement e&te tue A mon. tour, 
La chüte me remit; je me levai subitement, 
. et portai ma main au pistolet que j’avais & la 


L x 





eHAPITRE vie. 285 
<einture, mais il n’y avait point d’ennemis 
autour de moi ; ils s’etaient jetes sur mes ar- 
mes. Je les vis prendre mon fusil et mon pis- 
tolet A deux coups, ainsi que mon bonnet, 
et s’enfuir precipitamment ; ils n’avaient pu 
s’emparer de mon cheval:'ma chute et le coup 
de fusil läche en tombant l’ayaient fait s’e-ı 
lancer vers la caravane. 0 

Cependantlesservadars avaient releve Bru- 
guiere, et se disposaient & venir A mon se- 
cours: c’est sans doute & leur presence et au 
pistolet qui me restait , que je dois attribuer 
la fuite des Curdes. Le gain qu’ils avaient fait, 
Etait: de trop peu de valeur pour ne pas de- 
sirer encore nes depouilles. 

J’eus de la peine a joiudre la caravane ; j’& 
tais couvert de sang, et je boltais du premier 
coup que j’avais recu A la cuisse. Je montai 
_ pourtant & cheval, et je mis moi-m&me , et 
sarıs aucun secours , sur mes deux blessures 
de lat@te, un premier appareil au moyen d’un 
flacon d’eau de Cologne que j’ayais dans ma 
valise. 

Nous fimes, ce jour-lA , sept lieues ; nous 
vinmes loger dans le caravanserai de Klhasri- 
Schirin. | | | 

Le me&me soir on nous remit, de la part 
‘ du pacha curde qui commande la contree , 


284 VOYAGCE EN PLRASE. 


une lettre pleine d’excuses et de complimens > 
et les anze piastres qu’on avait exigees de 
zous au bureau de Sarpil. Nous profitämes 
du retour de l’expre&s paur faire part au pacha 
de ce qui venait de nous arriver,, et pour le 
prier de vouloir bien faire arröter les voleurs 
que nous lui designions , attendu qu’ils taient 
bien conmus des chefs de la caravane. Nous 
Ainissions notre lettre par lui dire que nous 
emplairions tout le credit dont nous jouis- 
sions aupres de Suleyman-Pacha , pour tirer 
vengeanee de cet assassinat. 

Notre lettre hit tout l’effet que nous pou- 
vions en attendre. Deux jours apres notre ar- 
rivee & Bagdad, un officier de Suleyman vint 
nous remettre, de la.part de san maütre, les 
armes qu’on MODUS avait prises , et nous an+ 
noncer l’emprisonnement des cing voleurs , _ 
tant il est ais6, dans ce pays, a ceux quiont . 
le pouvoir en main , de reprimer le brigan+ 
dage quand ils le veulent. | 
| Nous sejournämes ‚le ı0, au caravanserai 

de Khasri-Schirin , afın de laisser reposer les 
chevaux , et le ıı nous vinmes dans sept 
heures A Kharnakı.. Ä 

A mesure que nous nous &@loignions des 
montagnes qui separent la Perse de l’Empire 
othoman , l’air devenait.de plus en plus tem- 


‚CHAPITRE VIII. 287 


pre : le jour il faisait un peu chaud , et la 
_ auit nous n’eprouyvions pas le plus leger sen- 


timent de froid. 

Nous revimes avec bien du plaisir les oran« 
gers et les dattiers. La recolte des dattes ve- 
nait d’&tre finie ; elle ayait ete partout tres- 
abondante. 

. Le ı2, nous vinmes dans sept heures a 
Kesel-Abad. Un seigneur cürde , campe aux 
environs, nous envoya, Al’entree de la nuit, 


_ deux ofliciers pour nous prier d’aller le voir. 


Bruguiere s’y rendit avee le drogman; j’dtais 
encore trop malade pour le suivre. Ce seigsser 
le regut dans sa tente ; il dtais- entoure d’une 
quarantaine de persomses , et avait A ses cÖtds 


un Persan qui se disait medecin. Apres quel- 


qnies complimens , et apres avoir fait distri- 


_ buer du caf6 et des pipes, tous“les assistans 
 #retirerent, etil fut question alors de don- . 


ner son ayis sur une maladie venerienne que 
ce Curde avait depuis son adolescence. Bru- 
guiere prescrivit ce qu’il crut convenir au ma- 
lade, apr&s quoiil se retira. Demi-heureapräs 
on vint nous offrir, de la part de ce seigneur, 
deux agneaux et quelques fruits. Nousrepon- 
dimes & cette politesse par quelques livres de 
sucre et de cafe qui nous restaient.. Ä 

‚Le ı3, nous nousrendimes daug sept heures 





o88 : VoXAGdE EN PERSE. 


A Cheraaban ‚etle ı4 , dans dix, & Bakouba, 
On semait partout le froment au moyen d’une 
charrue seınblable & l’araire de Provence; elle 
etait attelde de deux boeufs. 

Le ı5, nous partimes, & la pointe du jour, 
de Bakouba, avec un brouillard fort €pais et 
fort humide, qui se dissipa peu & peu aulever 
du soleil. Nous passämes la Diala sur un ba- 
teau, et nous vinmes, dans six heures, nous 
reposer & yn caravanserai nömme Orta-K anı 
nous en partimes & une heure apre&s minuit, 
et vers-les sept heures du matin nousenträmes 
dans Bagdad. 

Nous’ n’avions pas l’intention de faire un 


long sejour dans cette ville : nos affections 


nous entrainaient vers notre patrie ; nos fa- 
milles, nos amis, nous r&clamaient; notre in- 
ter&t nous prescrivait de nous rendre promp- 
tement en France; le devoir nous appelait & 
Paris. Comment resister & de si puissans mo- 
tits ? 


. Nous avions bien assez vu, pour notreins- - 


truction , des contr&es qui ne sont belles que 

dans le passe, qui ne donnent pas grand es- 

poir de bonheur pour l’avenir, et qui mon- 

trent, pour le present, l’espece humaine sous 
le jour le plus defavorable. 

Nous avions eu assez long-tems deyant les 

| yeux 


\ 


-CHAPITRE VIII: 289 
yeux les Turcs, les Arabes, les Persans, et 


les .peuples opprimes qui vegetent honteuse-. 


ment parmi euxX. 
Nous avions bien assez observe& jusqu’&ä quel 
point ’homme peu instruit, peu accoutume 


‚Areflechir, abuse de tout lorsque Ja naissance 


ou une heureuse audace lui a misen main le 
pouvoir. Il etait tems de nous &loigner d’un 
pays d’orages et de tourmentes,, et'de jouir 
enfin du repos qui etait devenu absolument 
nöcessaire A l’un de nous. 

Les maux que l’homme sensible Sprowre N 
chaque pas en parcourant des contrees, plı la 
tyrannie. corrompt toutce qui il’environne,-oß 
le fanatisme aiguise sans cesse ses poignards, 


‚ oü la force n’agit que pour detruire:, et la 


crainte que pour enfouir ou laisser perdre ; 
ces maux,, dis-je, ne peuvent pas @tre appre- 
cies par ceux qui n’ont vu que:l'Europe, ou 
qui n’ont voyage que dans les.climats’ ou la 
force c&de assez ordinairement A la raison. 

Et ces maux que l’ame &prouve , le corps 
les partage bien aussi. Comment ne pas souf- 
frir.en voyageant dans un pays ou l’on n’g 
pour gäte que latente ou une chambre sang 
cheminee et sans. aucune sorte de meubles , 


pour lit qu’un täpis ou’'un mince matelas pose 
:&terre , pour mourriture que des fruits ou- 


Tome VI. | T 


298 VOYAGE EN PERSE. 


des. mets grossiers et mal appretes ! un pays 
e% ’on ne tronve soüvent rien & manger, et 
ou l’on est oblige,, apres une longue course , 
“ de faire. sei-memela cuisine ! sulıon n’a d’au- 
tres Berviteurs que ceux que l’on ınene aveo 
8oi, et d’anitres secdurs, en cas d’accident ou 
de maladie , que o&ux qu’on se donne soi- 
ımeıne vu qt’on peut: espirex d’un ami qui 
Partage: nios.perüls !. | 

. Nous ne manquions pas da moyens de con- 
tinuer notre route.. Nous pomvions revenir ; 
6oHme nous &tioms alles, par Kerkouk , Mos- 
. sul, Nisibis et Alep,. ou.mous rendre direc- 
„‚tement & Constantinople par Mossul,, Gezireh 
et Diarbequir ; nous pouvions nous joindre 
aussi A une caravane:d’Aräbes;, et traverser 
aveo eox le. desers dwatord de.’ Arabie. 

Il part chaque annde de Bagdad une cara- 
wane pour Alep, et une pour: Damas : quel- 
quefois il en part deux:pour Alep. Elles ont 
lieu: dürant Phiver ou au oommencbinent du 
Prindems, 

‚Bpaftenotnre chaynsennde de Bassorz, une 
eärarane formde d’ArabebdelatribudeN eldj; 5 
ils ont depiis twois jasgu’&.bing mille cha- 
stekiesmille du quinze oerzts seulemenit. sont 
. charges He merchandises prises ä Bassora et 
'&-Bagdail; Ces Arabesremontent la,rivedroite 


.CHAPITRE' VEIT. | 291 
de l’Euphrate jusqu’& Helle, d’ou ils envoient 
prendre les marchandises de Bagdad ; de Helle 
ils se rendent & Alep par le petit desert de PA- 
rabie. Ils vendent:leurs chameaux, dans cette 


“ derniere ville, nereseryant que ce quileur est 
. absolument necessaire pour leur retour. S’il 


arrive.qu’ils ne puissent.pas les vendre tous , 
ils tächent alors de prendre desmarchandises,, 
et.de former une petite caravyane pour Bassora 
ou möme pour Bagdad. 

Outre ces grandes caravanes y toutes. de 


u chameaux ( dramadaires ou chameaux-a une 


bosse), il se forme , deux ou trois fois,par 
mois,.de,petites. caravanes pour Mossul, com-' 
pösees de trente ou quarante Anes ; ell@ y 


| portent des marchandises qui se repandent de 


lA dans le Haut-Curdistan , dans!’ Arme£nie et. 
dans toute P’-Asie mineure. 

Dl part encore chaque_ annde deux « cara- 
yanes de cent cinguante ou de deux ‚centg 
mulets pour Constantinople ; elles sont plus 


de quatre mois en rgute. 


Ind&pendamment- de ces moyens ( de trang- 
port. ,: les etoffes les, ‚plus fines de Y’Inde ‚.Jes 
plus belles mougsselines , les schals de Kache- 
mire , les. perles,, les pierres precienses, sont 
presque .toujours envoyds A Constaptinople 


. par.jes. Tartares ,. ‚astendu que les: frais. ‚de 


Ta 


292 VOYAGE’EN PERSE. 


transport ne sont guere que de cinq ou six 
piastres l’ocque. 
" On n’expedie jamais moins de cinq ou six 
Tartares chaque annee , mais il en part sou- 
vent un bien plus grand nombre. Les voya- 
beurs un peu proteges obtiennent 'assez faci- 
jement du pacha un ordre pour quil leur 
söit delivre sur la route un ou plusieurs che- 
vaut. Le voyage est däs-lors gratuit , m&me 
en ce qui regarde la nourriture ;maisondonne 
au Tartare’cing ou six cents piastres, et quel- 
quefois davantage,, pour les soins qu’ilprend,, 
&t pour les gratificatiors qu’il est cense don- 
ner sur la route par rapport au voyageur qui 
sch joint & lui. | 
"Apres nous £tre reposes quelques jours > 
rävane qui se ‚ formerait pour Alep ou pour _ 
Damas , oa nous voulions nous rendre. Nous 
preferämes cette route, parce qu 'elle nous pa- 
rut.lä'plus courte, la moins fatigante et la 
. moins dangereuse. Rendus’ sur la cöte de Sy- 
. rie , nous nous flattions de pouvoir nous em- 
barquer pour l’Italie,, sur quelque navire ra- 
gusais , allemand, prussien ou danois. u 
Nous n’attendimes pas long- -tems : vers - 
le milien de janvier ‚il s’en forma une pour 
Hamas: Dis due nous is Papprimes „nous noug 


."CHAPITRE vIiIt“ 203 
‚empressämes de traiter avec ain des chefs‘, 
pour qu’il nous fournit les chameaux dont 
nous avions besoin. Ils’obligeait de nous faire 
passer par Palınyre, et d’y sejourner, 'afın. de 
nous donner le tems de bien voir les ruines 
de cette ville. Tout etait regle et definitive- 
ment arr&te dans les premiers jours defevrier ; 
de sorte que nous n’attendions Plus que l’ordre 
de partir. Ä um. 

' Malheureusement nous avions &te engagds 
& traiter le janissaire-aga d’une maladie :vene- 
rierne qu’il avait depuis plus de vingt’ans „et 
contre laquelle un grand nombre de medecins 
arabes et persans avaient &eehoue. La guerison 
etait tres - avancee lorsqu’il fut question :de 
notre depart. Les soins du malade devaient 
&tre confies au medecin francais qui. se trou- 
vaıt A Bagdad ; ainsi nous ne :doutions pas 
que le mal , quelqu’invötere qu’H fit.) necedät 
au traitement que nous avions &tabli ‚.et qui 
serait continue tout le tems'necessaire apres 
notre depart; mais le malade ne jugea pas de 
meme.:Comme il avait ete'manque plusienrs 
fois , il craignit de l’ötre encore s’ıl nous per- 
dait. Cette crainte'lui fit prendre le parti de’ 
nous entourer de: maniere (que l’on nous fai- 
sait toujours esperer de partir avec la cara- 
vane de Damaslorsqu’elle etait dejä bien avant 


8094 VOYAGE En PERSE. 


dans’le-dösert. Nous n’apprimes oette super- 


cherie que lorsque le janisseiro-agase" vitoom- 
plötement gueri. 

 Pehdant que naus!ke traitions, bn annonca 
da: prochainearrivse de Morteza-Kaaıli-Khan, 
que nolıs:avons dit s’Etre sauve em Russie, 
pour eviter de tomber entre les mains de son 
fröre M&hemet. Il avsit.öcrit de Kerkouk au 
pacha de Bagdad, pour le supplier de lui 
donner un asyle en attendant qu’il fit sa paix 
avec son frere, et qu’il renträt dans tous ses 
äroits. Il disait , dans sa lettre , qu’ilayait pre- 
fere S’exposer.& mille dangers en traversant 
_ des deserts,, le pays des Lezguis et l’Armenie , 
plutöt que de rester.plus 'long-tems parmi d des 
infideles. 


Denue de tout, etn’ayant.avec > ui que.deux | 


esclaves ‚ äl disait avoir ete depouilld par des 
Curdes: tOus ses gens avaient-6te tuga ou dis- 
pers£s.. Heureusement il ayait rencontrd un 


ancien.-serviteur de son päre, qüi lui avait 


procure quelques habits, trois chevaux. et 


deux esclaves , et fourni les moyeis de sa 


rendre sur' la frontiere de Turquie:: ; I 

Le pacha , en donnant l’ordre ‚qui Fhr 
fourni A cet ätranger une garde d’honneur et 
lessecours dont il avait besoin pour serendre 
a Bagdad, ne lui ayait pas dissimule que,:yir 


. CHAPITRE VIII." 295 


vant en bonne intelligenoe avec le nai de Perse, 
il ne pourrait se refuser de lui livner aon frexe 
sl le reclamait ‚ et aussität ıl avaitaxpedıe un 
Tartare en Perse , pour prevomie N Mehänet de 
oe qui se passait. 

: Le pretenda Morteza.avait sonscrit A toutes 

les oonditions que le pacha avait waulu.mettze 
& sa reception, et il 8’etait rendu en diligense 
a Bagdad, oa il arriwa le f mars: ı79y. 
- Le paoha le zegut avec tous les honnenrs 
dus au frere d’un souverain ; il lui fit pr&sent 
de plusieurs chevaux de prix ; il. le rovetit 
d’une superbe pelisse ; il lui envoya de tresr 
riehes vötemens et ung somme d’argent assez 
considerable ;illelogea cheziemasrat»effendi, 
un de ses principaux ofkciers , et l’admit.ä 
son audience.avec toutes les marques d’hom- 
neur usitees dans ces Contrees. 

: Quelques jours se passerent sans JU’ON BR 
doutät, derien , et sans qu’on cherebät A nuire 
‚a l’etranger. On se plaignit pourtant de lui 


voir aflecter un ton de hauteur et de dedain 
qui ne convenait.guere & un homme ‚qu’on : 


savait n’etre que le fils d’un gouverneur de 
province , et le fr&re disgracie d’un usurpe- 
teur ; a un homıne qui vivait aux depens du 
pacha , et & qui l’on supposait l’intention se- 
arete de detröner Mehemet pour se mettre & 


\ 
mn a - 


596 VOYAGE EN.PERSE. 
sa pläce. Mais cette conduite, qu’on blämait 
_ parce:que la position de Morteza semblait lui' 
_ prescrire l’obligation de chercher ä gagner la 
confiance des seigneurs qui se trouvaient & 
Bagdad’, etait precisement celle qui devait 
ecarter les soupgons. Ainsi, comme le pacha 
ne pouvait supposer qu’on l’et voulu trom- 
per , l’etranger eütpu jouer son rölejusqu’au. 
retour.du courier qu’on avait envoyd en 
Perse ; si un incident ne leßt fait decouvrir 
plus töt.. 

Ali-Apa,, gendre et kiaya de Suleyrnen.. > 
pique de ce que Morteza ‚ affectantä son egard) 
le möme orgueil , avait formellement refuse: 
de lui faire une visite , sous pretexte qu’un 
homme de son rang n’en deyait tout au plus 
qu’au pacha; Ali-Aga, -dis-je , qui croyait 
bien valoir un seigneur persan fugitif et sup- 
plianf, concut le projet de'lui faire perdre 
les bonnes gräces du pacha, en semakt quel- 
qües soupgons sur sa naissance. Il avanca 
donc hardiment , et avant d’en avoir des 
preuves , que l’Etranger n’etait qu’un aven- 
turier qu’on devyait envoyer en Perse sous 
bonne escorte, afın que Mehemet en Ar jus- 
tice. 
Malheureusement pour le Persan , les per- 
quisitions qu’on fit, setrouyerent confirmer ce 


CHAPITRE VIIL. . 297, 


qu’o on avait avance sans le croire; elles con- 
duisirent A decouvrir que le pretendu Mor- 
teza-Kouli-Khan n’etait qu’un cordonnier 
d’Amadan, absent depuis cing ou six ans de 
cette ville. Des -lors il ne fut pas difhcile au 
kiaya.d’obtenir un ordre qui enjoignait a tous 
les Persans qui se trouvaient A Bagdad, d’aller 
verihersi ’etranger etait reellement celui qu’il 
se disaitötre , ou s’il n’etait qu’un aventurier. 

'Tous ceux qui avaient personnellement 
connu Morteza , se rendirent aupres de lui 
'sarıs que personne le reconnfit pour tel ; et, 
au contraire ‚ plusieurs Persans nes A Amadan 
certifierent l’avoir vu travailler a son &tat de 
cordonnier. u 

D’apres cela , le pacha le fıt charger.de 
fers le 13 du m&me mois, et conduire chez le 
janissaire-aga. 1 expedia, en meme tems un 
second courier & Mehemet. 

Nous avons vu cet homme; il avait une 
trös-belle töte, une taille avantageuse,, beau- 
coup d’expression dans leregard et dans toute 
la figure : son äge pouyait &tre d’environ qua- 
rante-cing ans. Il paraissait avoir regu une 
@ducation tres-soignee ; il avait de l’esprit, 
et bien plus de connaissances que son premier 
tat ne,comportait. Quoique charge de fers, 
et sur le point d’etre conyaincu d’imposture, 


2098 VOYAGE EN PERSE. 


il soutenait ce qu'il avait avance avec. tant 
d’assurance ; il mettait dans sa .oonduite tant 
de hauteur , et dans ses prapos tant de fierte, 
qu’on n’osait trop se livrer A l’idee que ce 
n’etait qu’un cordonnier deguise, 

Dans une visite que nous faisions au ja- 
' nissaire-aga , celui-ci erut porter & son pri- 
sonnier un coup impossible & parer. Ilse lefit 
amener , et quand Morteza fut £n nofre pre- 
sence, le janissaire-aga lni diten turc, langue 
que le Persan savait tres-bien : « Puisque tu as 
» passe plusieurs annees chez les Russes , sang 
» doutetu as apprisä parler comme eux ; voil& 
» deuxmedecinsde cette nation , raconte-leur 
» commenttuasquitte Astracan paurterendre 
» a Bagdad. » Comime le Persan gardait le si- 
lence , nous lui.adressämes la parole en fran- 
gais ; il nous regarda alors avec un air’ deine: 
pris, et se tournant ensuite vers le janisaaire- 
aga , il luidit: « Peux-tu penser qu’an Mu- 
» sulman apprenne la langue des infideles ? 
» Sans doute j’aireste long-tems aveceux pour 
» soustfaire ına tete au fer d’un ennemi, mais 
» mon cur 6tait en.Perse, etmon ame avec 
» Ali etMahomet. Disa ces 'infiddles, quelors 
» m&me que je saurais leur langue, je ne leur 
» adresserais pas la parole, ni ne daignerais 
» Tepondre A leurs questions ; c’est asgez qus 


. CHAPITRE VIII. " 299 


» je m’abaisse A te parler & toi. » Sur cele pre- 
tendu Morteza fut renvoye dans sa prison > 
d’ou il n’est sorti qu’au retour des couriers 
expedies a Mehemet. | 

Suleyman ne voulut pas punir un homme 
qu'il avait un moment traite avec honneur ; 
il se contenta de lui ordonner de sortir promp- 
tement de Bagdad , et de prendre le chemin 
de la Perse. 

Ces sortes d’aventures sont devenues tr&s- 
frequentes depuis que la Perse a perdu ses 
souverains legitiınes, et qu’elle est de tems 
en tems livree & l’anarchie et & tous les de- 
sordres qui en sont la suife. | 


«& 


—_ 


300 VOYAGE EN:PERSE. 





CHAPITRE IX. ‚ 
Depart de Bagdad par la Mesopota- 
mie et la rive gauche de l’Euphrate. 
Sejour pres d’un puits. Insectes in- 
commodes. Arabes campes: Descrip- 
tion de Hit. Peuplier singulier. Pas- 
"sage du fleuve sous Anah: : description 
de cette ville. Maniere de voyager 
des Arabes de ces contrees.. Tortus 
de P’Euphrate. 


La caravane destinee pour Damas ne fut pas 


plutöt partie, qu’il fut question d’en former 
pne seconde beaucoup plus considerable pour 
Alep. Des que nous en fümes instruits, nous 
traitämes par &cr’: avec un des chefs, pour ' 
qu/il nous fournit quinze chameaux dontnous 
avions besoin pour six personnes que nous 
etions. Bruguiere , trop faible encore pour 
monter A cheval, prefera de s’enfermer dans 
un maphe , .dsp&ce. de cage que l’on met de 


_ chaque cöte d’un chameau ou d’un fort mulet, 


et ou l’on est dans une attitude fort gände,. 


CHAPITRE IX. 303 


car on ne peut y-&tre autrement qu’accroupi. 


Un religieux napolitain , qui devait nous ser- 
vir d’interpräte, occupa l’autre cöt€ du ma- 
phe. Le cheval de Bruguidre fut monte, tan- 
töt par un domestique armenien pris ä Bag- 
dad, et tantöt par un cuisinier. venitien qui 
retournait dans sa patrie. Un jeune Francais, 
ne ä Bagdad, que nous amenions & Paris 
pour faire ses etudes en medecine et en chi- 
rurgie,.etait comme moi & cheval. Tous les 
dhameaux, hors celui de Bruguidre‘, devaient 
porter nos caisses , nos eflets , notre tente , 
nos provisions de bouche , nos outres, de l’a- 
voine pour nos chevaux, et un des deux do- 
mestiques. ' 3 

Une-caravane. comme la nötre, composee 


de deux mille chameaux , de cent cinquante’ 


Arabes, de cinquante fusiliers et d’une ving- 
taine de marchands’ ou. voyageurs , est lente. 
a se former ‚, encore plus lente ä se mouveoir.- 
Elle deyait &tre pr&te & la fin de mars; A peine, 


put-elle se mettre en marche au: commence-. 


ment de mai. 


; ‚Elle:partit enfin le 2 de ce-mois , et vint‘ 


camper dans l’enceinte du faubourg , pres la. 
porte Scheik-Maroüf : elle ne gr pas plue 
loin , afın de donner le tems aux paresseux; 


de terminer leurs affaires et de- faire leurg: 


a 


302 VOYACE EN PERSE. 


adieux ; elle y passa le3,, et fit route le 4 au 
matin par la Mesopotamie. 
- Nous passämes a cöte de la mosquee d’I- 
. man-Moussa , situee 4 urie lieue de Bagdad, 
Elle est fort belle, et l’une des plus vastes de 
Ja contree : on’ y remarque surtout deux dömes 
fort grands;, recouverts de plaques de cuivre 
bien dor@, et un minaret fort.eleve, recou« 
vert de briques vernissees , de diverses cou= 
leurs. Il y a deux autres minarets qui.ne pa» 
raissent pas de dehors. ’ 
. Apres trois heures et demie de marche. J 
nous campäines sur un terrain inculte, cou- 
vert de chardons, de graminees, de liciets er 
de mimeuses. . 
‘ Le vent passa, ce jour-lA, du nord-est. au 
sud-ouest. La chaleur fut tres-forte.et l’air un, 
peu embruimd, ainsi qu’il’ Pest taujonrs ‚dans 
cette säaison , avec les vents qui sonfflerlt de la 
partie du sud. Le thermornetre de Reaumur, 
qui n’etait, les jours precedens, qw’ä. 24 de-. 
' gres, monta subitement & 30. on 
Le 5, nous marchämes cinqg heures dans ia 
m£me direction que la veille , c’est-&:dire, au 
nord-ouest. La matinee: fut fraiche.et cahne, 
mais vers nauf heures: le vent souffla encore 
du sud-ouest. Nous: vilnes;;'en passant , des 
_ buttes de terre et-des deosmbres qui nous pa- 


S 


CHAPITRE IX. 303 


rurent &tre les restes d’une ville peu &tendue: 
nous la jugeämes & dix ou onze milles nord« 
ouest de Bagdad. 

Nous ferons remargtrer que notre route, 
&valude au moins & une lieue ou 2500 toises 
‚par heure lorsque nous faisions partie d’une 
caravane de chevaux „ne: peut &tre evaluse 
tout au plus, de Bagdad & Alep, qu’& deux 
milles par heure , tant le chameau marche 
lentement en caravanie. 

Le 6, apr&s deux heures' de maiche ‚nous 
quittämes les terres W’alluvion; le tefrain s’e- 
leya tout & coup de quelques töises , et nous 
presenta du sable et du cailloutage ; nous y 
primes beaucotup de plantes ; un liseron Eepi«- 
neux A petites fleurs blanches et & feuilles ve- 
lues , une pallasie differente de celle d’Egypte, 
et ce beau buphtälme (1) que M. Ventenat a_ 
decrit et figure däng: Fouvrage quer nous avons 
plusieurs fois cite. 

Nous fimes encore dowuze milles en nous 
dirigeant un peu plus & l’ouest, et nous 
vinmes camper pr&s d’un puits dont l’eau 
etait saumätre et desagreable A boire. Nous 
y restämes huit jours R pour attendrecing oir 





(1) Bupktalmem flosculosum. Darin du jardı in 
‘de Cels, pag.'25, tab. 25, . No 


! J 








304 VOYAGE EN PERSE. 


six. cents chameaux qui devaient venir nous 
joindre. Ä 
Nous eümes beaucoup & souffrir tout le 
tems que nous fümes campes autour de ce 
puits, L’eau nous purgea constamment etrious 
affaiblit beaucoup ; elle agit sur les Arabes 
avec presqu’autant: de force que sur nous. Le 
vent. se.soutint, jusqu’au 13, au.öud-ouest , 
et la. chaleur devint insupportable. Le ther- 
mometre,, sous la tente, moonta, le ı2 et le 
a3 ‚-jusqu’a 33 degres , et 8y soutint une 
grande partie.de la journee. De petits cri- 
guets, que nous avions remarques en’ arri- 
vant ,. furent excessivement abondans ces 
jours-lä : la terre en &tait pour alnsi dire . 
couverte; ils vengient ‘dans notre tente, sau- 
taient sur.nous par milliers ‚ nous mordaient 
‚quelquefois lorsque nous voulions les &car- 
ter. ,.et se pregipitaient. sur nos alimens ou se 
noyaient dans nos boissons. Nous les.regar- 
dämes comme le produit d’une nude. de ces 
insectes que nous avions vu passer & Bagdad 
les premiers jours d’ayril, et dont la plupart 
‚etaient tombes sur la ville ou s’etaient' re- 
pandus. sur les champs d’alentour. Nous en 
avons dit un mot dans le chapitre XIV du 
‚tome IV.. 
Le soir ces petits criquets taient reimplaods 
par 


CHAPITRE IX. 305 
par un autre insecte non moins incommode 
et plus desagreable & voir ; il appartient au 
genre que j’ai etabli , dans l’Encyclopedie 
methodigue , sous le, nom de galeade. Les 
Arabes le regardent comme tr&s -venimeux, 
et voülaient d’abord notıs empächer d’y tou- 
cher. 'Lorsqu’ils nous virent prendre des pre&- 
cautions- pour n’en -&tre pas mordus-, ils se 
contenterent de nous faire une infinite de 
contes plus effrayazis.les uns que les autres. 
Selon eux ‚ l’endroit mordu s’enfle conside+ 
rablement , noircit bientöt‘, et est prömpte- 
ment suivi de la gangr&ne 'et de la mort. 
 Cetteopinionestegälementetablieen Egypte 
et au midi de la Perse. M. Pallas rapporte plu- 
sieurs-faits dont il dit avoir dt€ temoin,, qui 
semblent prouver üue:le Tenin:de cet insecte 
est mortel si: on 'n’y:äppoerte remede A tem: 
Il regarde I’huile et tous les corps gras comme 
les meilleurs & appliquer. ; RE Eee 

"Nous avouerons’que mälgre‘ Passertion des 


Arabes , des Egyptiens et de tous les habitaris 5 


chez lesquels’ setrößventles gal&odes, malgre 

l’assertion de'M. Pallas lairmeine ; ‚mous dou- 

tons que- ces insectes: sdigrit aussi 'venimeux 

qu’on le dit. N’a:t-on ‚Pas fair une’ senblakle 

reputatioh , ‚en Perse, , au scorpion 3 'eH Italie, 

& la tarentule ;-dang'presäue tout l’Orient et 
Tome FI: V 


.“ 
F 
” Pr 


- urn — 


306 ° VOYAGE EN PERSE. 


au midi de l’Europe „aux diverses 'especes de 
geckos, qui vivent.dans leg maisons on dang 
les ‚yieilles magures ?. En: Egypte et em Cröte FR 
les scingues ne sont-ils pas &galement regardes 
comme verumeux?, . 

. Nous avons trouvs le galeode fort commun 
en Perse , dans le. desert de: la’ Mesppotamie 
et dans celui de l’Arabie :.tous les soirs il 
Coursit. sur Do4S , sur nos eflets,, sur notre 
table , sur nos lits, „avec. la, plus. gtande ce, 
lerits, sans jamais s’arreter. : peryonpe n’a etd - 
morda ‚et nous n'&yoais; jamAis, pu; Temueillir 
un fait-hien. constatd, al prouvds tue cet in- 
secte est aussi dangereux qw'on ledit,. - .; 

. La,morsure du. galeode dojit.&tre sans.doutg 
fort, dauloureuse', 4, en, juger par las deux 
fortes pinces.demt. Ja bouche est armde i mais 
est.-il. bien certain, que-.catte Ihorsure soit 
gC0mpagR&e d’ya £panchement de venin, 


. comme dans les viperes ? .L’inspection. da 


la' bouche. de. Lanimal serahls na ‚pas le 
prouver.. un Zu ' 

Get insacte se oache.a rARSER- ordingirement 
durant le; j ‚jour , et: ‚gie söick guere que. la nuit, 


"U parait,quil egt attirg_ par la clart# d’une 


bougie.op d’ung chandehle allumıce , cat c’etait 

plus partigulierement dans notre .tente , la 

seulg ‚qui für Kclairde-s. que. Yendieat, Ics ‚ga- 
/ N 


. CHAPITRE.LXs. 307 
1odes. Nous en vimes mpijas ans la.suite:, 
parce que nous n weinen, Pas besein de..lun 

zierte. AEG 
L’espece qui coutait. ayeg le plusde beläritds 
. et qui: se mantrait le plus- cörimungment [ J4s 
42, fig..3 ), paralt-deyair'se rapparten A oelld 
que. Pallas. a observee au.nerd de la Caspieuney 
et qu:il’a derrite soug:le nom de pliadangitm 
araneoides. (1). Les pattes sont tres-lungmes 
er tout le corps est vehr,,.d’une oqwleus ben 
dree,un peu rousseätre 5 ‚Ineseendibulds GAg. a) 
sont entierement eilißes „et arındez de fortes - 
dants (2). en tzir nei ed arır dumm 
‚Nousen prämes une sechnde espan( pi. Abuy 
Sig 4) , qubse presentaitmeins drequbseitent, 
et qui courait avec bien moins de .(£jerinit 
Gelle-zi ® ses. pattex wasıpunsleuk fgis plus 
eourten,:Le corps est. velueinde laumäıme enn= 
' laur. que valui de;.laı pröcsdents:s mals sea 
muandibnules (a) spat. d'un Fouge: dertuginenn; 
elles sont moins dentees, et on remardgue a au 
cöte interne > de la pidoe superieure ‚ un cro- 


\: \ 
, r 





(ı) Spicilegia. Zoot. Faseic: y, pag: E2 t&b} 35 
Ag- 7, detd. ° +) 

(2): Kaleodes arancoides P chalis denstatis , oillosie‘ yi 
sintplicibus , corpore villose ‚ öirereo. Eneyelop.närhop. 
Insncrzs, tom. Yly pag: 580, n°. 14 RE 


Va 


308 VOWRGE-EN. FERSE. 
aliet arque ‚ recourbe ‚ mobile, qui manguie 
au:galedde araneside (1 we] 
Nous vimes aussi , aux environs de notre 
tente., .deüx dutres 'galdodes- qui, offtent en-. 
thelles peu:de difförence jet -yui’ pourrajent 
bien ‚. comme: les deux 'precedentts „'n’ätre 
pas dee: ebplces','mals.les deux: seitdh:de-14 
nyeme späce: L’une( pZ. 42, fig: 5) alle oarps 
tr&s-meir', les pattes Courtes', -velues , et um 
euuchetairque; , vecourbe;, mobile Ala partie 
ihterng les mandäbnles (@): UNE 
ı L’aute (-pl.- 42 Ag. 6); qui'est- dvidem- 
‚ment une femelle, a les pattes tres-conrtes ') 
weltieh ‚)Jarfejeondsidtnn neir de yplours;; ses 
wandibwias sont dentdes:et suns‘erdchet la-. 
terat 13. a). our wen vor od di LEE 
ale ai) de venitpauan K-löubst; 2 & sone 
tour 4a jourlde det 'tant de force‘; quenots 
ae ’pfimes ni. quitterig tehte, ni faire de cti= 
sine.lia,chaleur'w’etait' pas dusst si grande que 


.« . 
ee En Eee 


LEERE in jr: nu i ; r la w 


ra HE u ’ u nrrslii Wa 
a) ı) Galeodes ohalangium , ; chelis unidentatis ‚ man- 
dibulis dente laterali ärcuato , erecto , mobili; corpore 
cizereo , rufescente. Pl. 42, fig- 4 DE 
(2) Galeodes melanus ‚ chelis unidentatig > ‚mandibu-: 
dis delite: laterali arcuato ,.corpore.atro. Pl.42,.g: 3. 
..@) Gulsodes arabs, chelis dentatis, villosis ‚ Pedtbuk” 
brevioribus, corpore atro. Pl. 42,'fig. 6. - 


.CHÄPITRE.IX. - 399 


les jours precedens , n&anmoins le.thermo-; 
mätre marqua encore 3o degres... , .' 

_ Le ı5 , nous continuämes notre route., et 
marchämes deux heures et demie sur un:terz 
tain un peu.inegal, tout forme de cailloutage. 
Nouscampäines pres d’un puits dont l’eau &tait 
presqu’aussi mauvaise que celle du premier. , 

Le ı6, nous nous dirigeämes. & Pouest , 
comme le jour precedent. Apres: .avoir' fait 
environ neuf milles , nous appereümes l’Eu- 
phrate dans le lointain , et nous campämes & 
‘peu de distance d’un ancien canal. Le .terraiui 
au-delä du fleuve paraissait coupe et 'un peu 
plus eleve que nous; noug evaludmegd vr! 
ou huit milles de distance. een, 

' Des Arabes campes aux environs. vinrent 
offir A la caravane, du: lait ‚du beurre- et du 
Äromage. | “ 

Nous passämes deux joürs dans cet tendroit ’ 
pour .attendre quelques balles de marchar- 
dises qui dtaient:rest&es & Bagdad ,; et qu’on 
n’ayait pu transporter jusqu’alors faute de 
chameaux ; elles arriverent le ı8 au soir , et 
Je 19 nous continuämes.notre route, ‚et Fimes 
environ neuf milles. . } 

, Le 20 , nous en fimes huit, et aunpanen a 
demi-liene d’un ancien canal. | 

“ Lä ou finissent les terres d’alluvion, et oA 


m Oo o0ononınn 


810 VOTÄGE EN PEnsr! 


Commence cette partie de la Mesopotamie que 


nous avons dit former la troisieme zöne , 
Y’Euphrate coule dans une vallde yu’ il’'parait 
aydir ereusee pour y asseoir son lit. Elle est 
d’abord assez large , mais elle se retrecit & 
inesure qu’on remonte le fleuve ; ellen’a plus 


Zudre que. quatre ou cing milles de largeur e en 


approchant de Hit. ’ 

* Cette vallde est couverte partoutd’une terre 
grasse,, tres-fertile, provenant du limon-que 
ie fleuveya depose. Au-delä,, les terres’ sont, 


comme nous l’ayons dit ailleurs , steriles ou. 


point du tout propres ala culture ; elles son 


peu compactes , peu profondes, blanchätres Pi 


fortementchargeesde selenite, et elles osent 
5 , pP ’ 

presque’partout,, sur du gypse. Le sol est en 

general assez uni‘; il ne: presente ni monta- 


gnes niccollines, A moins qu’on ne setrouve. 


dans la 'vallee’du fleuve ; car alors on croit 
©tre entre deux cotedux ou deux collines pa- 
talläles. Au reste, ces deserts ne sont pas as- 
'sez steriles pour 'qu’on n’y trouve beaucoup 


de plantes. Il y croft des grernindes, deschar- 


‘dons , et surtout'beaucoup de plantes grasses, 
telles que des soudes, des salicornes. 
Le 21, nous marchämes cinqg heures sur la 


lisire du desert,, et vinmes camper & une 


demi-lieue de l’Euphrate, pres d’un bois de 


«48 


CHAPITRE IX. . 3ıı 


‚tamaris : c’est le m&ıne que nous avions.vu 


en Egypte ; il s’elvaenarbre, et fait un aisez 
joli etfet. A peu de distance de nous Etait une 
prairie naturelle,, &mhaillde. de mille flears : 
nous n’y trouvämes pourtant pas .beaucoup 
Jle plantes qui pussent nous interesser:: le de- 
sert etait pour nous bien plus riche que la 
vallee arrosee par le fleure. | 

Nous s&journämes en eet endrvit le 22 et 
le 23 ,. parce que le scheik de la caravane #’e- 
taıt absente depuis le zı ‚ pour aller acheter 
quelgues chameaux dont on avait besoin pour 
le transportde l’eau. Npus profitämss de cette 
eirconstanoe pour aller veir ıme horde' d’A- 
rabes soumis au pacha de Bagdad , Ei se 


 trouvyait cämpee aux environs. 


. Elle n’etait guere qw’& demi-lieue. En notis 
avangant , nous distinguämes, ä sa grandeur, 
la tente du scheik , et nous y fümes droit. Des 
gerviteurs se presenterent A l’entre6e , pour 
prendre nos chevaux et en avoir soin. La 


“ tente &tait fort. spacieuse,, et faite d’une grosse 


toile de laine noire ; elleetait ourerte au nord, 
et relevee de trois ou quatre pieds & Porient 
et & Toccident. Les jemmes se irouvaient du 
cöte-du midi ; une oloison les separait du teste 
de la tente : le scheik etait assis sur un tapis- 


pres d’un pilier qui la soutenait; il ayait der-- 


 ® 





313 VOYAGE EN PERSE: 


riere Ini,:tont pres de la cloison , sa jument, 
sa lance et quelques harnois. | 
Nous lesaluäınes en entrant ; ilnousrendit, 


sans se deranger , le. salut ‚et nous invita & 


nous asseoir sur les tapis qu’on avait etendus 
pour nous vers l’entree de la tente. Assis,, 
nous nous saluämes une seconde fois. Apres, 
un instant de silence , un. Arabe qui nous ac- 
compagnait, ayant annonce qui nous etions, 
le scheik nous salua de nouveau, et se dis- 
posa A.nous recevoir avec tous les honneurs 
qu’il croyait nous devoir. Un mot, qu’il fit 
passer dans le harem, mit toutes les femmes 
sur pied. Elles nous envoyerent d’abord un 
grand, „pot de lait de brebis qu 'on venait de 
traire, et bientöt apre&s des pipes. Cependant 
elles allumerent du feu, rötirent du cafe, 
firentdu pain, &gorgerent et mirent en pieces 
un jeune mouton pour.nous donner A diner. 
Le cafe ne se fit pas long-tems attendre, 
mais le diner ne put £tre. de si-töt pr&t.. 
Pendant qu’ön y travaillait , les .vieillards 
de la horde vinrent successivement ‚dans la 
tente ; ilss’y trouverent reuniis, au bout d’un 
quart - -d’heure,, au.nombre de dix-huit ou 
vingt. Is’ portaient une longue 'harbe';' ils 
avaient plusieurs schals de toile de coton au- 
tour de la t&te, un anteri croise qui descen- 





CHAPITRE IX. | 313 


dait au dessous du gras de jambe , et leur 
habba par-dessus; ‚les pieds etaientnus, ainsi 
que les bras. Ceux -ci auraient pu' ätre cou- 
verts par les manches de la chemise , qui 
etaient fort larges; mais elles &taient repliees 
pour laisser les bras libres. Ils avaient leur 
cangeard 4 la ceinture,, et leur longue pipe & 
la main. Nous jugeämes qu’ils avaient fait toi- 
lette A notre occasion , avant de se presenter 
chez le scheik. / 

En entrant, ils saluerent, et furent be pla- 
cer sur les deux faces de la tente, qui se trou- 
vaient relevees , ainsi que nous l’avons dit ; 
ils saluerent denouveau lorsqu’ils furentassis, 
en s’adressant d’abord au scheik , et ensuite 
& nous; ils parlärent fort peu , firent de tems 
en teıms,, et en peu de mots, l’eloge du pacha, 
remercierent plusieurs fois Dieu et Mahomet 
de ce que sa sante etait entierement retablie; 
ils demanderent plusieurs fois si nous nous 
portions bien, si nous resterions long-tems & 
Alep, si nous trouverions facilenıent les re- 
medes dont le pacha avait besoin. | | 

Ces dernieres questions nous furent faites 
parce qu’on nousregardait, dansla caravane, 
comme les hakims - baschis ou medecins en 
‚chef de Suleyman-Pacha , et qu’on croöyait 
que nous ne nous rendions & Alep que pour 





51 VOXAGE EN -PERSE. 


prendre diverses diogues europeennes dont il 
Avait besoin pour 5a sante. 

Lorsque nous eüimes passe deux heures en- 
yiron avec eux, on naus servit pour diner 
un pilau fort copieux de riz et de viande, | 

une sorte W’etuvee de mouton coupe en mor- | 

ceaux, et fort bien apprötee ; un plat de fort 4 
bonnes dattes, du pain tout chaud qui venait 
d’Etre cuit sous la cendre, un: vase d’eau, et 
quelques cuillers de bois , le tout sur un cuir 
rond d’un pied et demi de diametre, qu’on | 
ayait etendu sur un des tapis. 

; Le repas ne fut pas long : nous mangeämes _ 
peu, ne parlämes point , et portämes nos 
mains aux plats , afın de nous conformer en- 

_ tierement & l’usage du pays. Lorsque nous 
eümes fini, on vint nous presenter de l’cau 

et un linge, pour laver et essuyer nos mains 
et notre bouche. On servit du cafe et des pipes, 
et nous.naus Pütirämes bientöt apres: 

ı Le soir nous envoyämes au scheik quelques 
livres de cafe et de sucre gui parurent lui 
faire grand plaisir. 

: Cette horde n’etait pas bien nombreuse ni 
bien riche. Nous comptämes tout au plus ume 
trentaine de tentes, et nous ne vimes pas 
d’autre betail que des moutons. A peine pou- 
vait-elle. mettre sur pied cinquante hommes 








\ 
4 


u nt z 


CHAPITRE IX. 3:5 


en .dtzt: de mänier la lance , et parmi eux 
quinze ou vingt cavaliers montes. Elle ap- 
partient & la tribu de Beni-Lam, qui occupe/ 
une assez grande etendue dans la partie de- 
serte de: la Mesopotamie , et qui s’avance 
© mämesur ia gauche du 'Tigre. 
Le 24 , nous marchämes trois heures,, et le 
25 trois heures et demie. Nous etions A peu 
‚de distance de la plaine qui s’etend du däsert 
jusqu’au fleuve; ellea, de ce cöte., tantöt 
plus , tantöt moins d’une lieue. Nous y apper- 
cümes les restes d’un ancien canal fort large, 
que nous jugeämes &tre le mäme que celui des 
jours precedens. Comme nous le perdiines de 
vue , et que nous ne.le retröurämes plus les 
jours suivans, nous dümes pr&esumer qu'il ne 
savangait pas jusqu’a Hit. 
” Le fleuve, que.nous distinguions fort bien 
du terfain un peu eleve- sur lequel nous mar- 
chions , se divise. ici ,:et'forme une ile asgez 
etendue. 2 
; ELorsqu’il fut question decamper, nous des- 
cendimes dans la plaine par un endreit ou 
l’on a exploite autrefois du tres-beau gypse, 
et nous nous arretämes& un quart de lieue de 
V’Euphrate, etä& une lieue et demiie de Hit. 
- Nous ävons eu souvent occasion de remar- 
quer que la pierre A plätre se trouve.presque 


» 


316 VOYAGE EN PERSE. 


partout, & peu de profondeur , dans tonte la 
partie inculte de la Mesopotamie ‚que -nous 
avons placee dans la troisitme zöne , ainsi 
que dans toute celle que nous avons traver- 
see a l’occident de l’Euphrate. Cela exphque 
pourquoi tous les puits du desert sont. sales 
ou sauınätres. 

‘ Hit, oü nous nous rendimes , dans la soi- 
ree, avec quelques ınarchands de lacaravane; 
n'est pas aussiconsiderable qu’il parat l’avoir 
Ete autrefois. Situ€ sur une &minenceen forme 
de calotte, au bord occidental du fleuve, on 
voit qu’il s’etendait considerablement autour 
de cette &minence , et on juge qu’il a ete re- 
duit A l’etat ou il est lorsque , ä la suite des 
guerres que les Musulmans se firent entre 
eux, la plupart des villes de ces contrees dis- 
parurent ou furent tr&sendommagees. On y 
Compte & peime aujourd’hui mille habitans , 
tous Arabesdomicilieset oültivateurs. Sesmais 
SONS , chetives et de mince apparence ‚, n’ont 
guere que lerez de chaussee ; elles sont bäties 
en cailloux lies entr’eux avec de la terre. 

Nous vimes peu de dattiers dans le terri- 
toire de cette ville, niais beaucoup dechamps, 
sur l’une et l’autre rive du fleuve, destinds 
aux plantes cereales et A-quelques plantes po- 
tageres. Les orges etaient moissoninds depuis 


CHAPITRE IX. 315 


phns de dıx jours , etles fromens etaient mürs: 
hiommes et femmes etaient occupes & les cou- 
per et & les battre avec le fleau. . | 

Les terres sont arrosees au moyen d’une 
trös-grande roue que l’eau du fleuve mat'en 
mouvement. On y voit des godets de distance 
‚en.distance., qui puisent l’eau, et la versent, 
&.la partie superieure , dans un aqueduc qui 
la porte dans les champs. 
: Dya, surle fleuve, un grand. bacq destind 
a Faser les habitans de l’une A l’autrerive. . 
. Les femmes de Hit vont puiser de l’eau & 
Y’Euphrate avec des cruches de paille ou de 
jonc enduites de bitume; elles n’en ont pas 
d’autres dans leur menage : ces cruches du- 
rent tres-long-tems , et elles conservent. bien 
bes tiqueurs qu’on y met. | ee 

;. Le vötement de toutes les femmes.que nous 
avons rencontre&es ‚ tant A Ja ville qu’& lacam- 
pagne ‚: consistait en une chemise bleue qui 
descendait au dessous des genoux ‚'eten un 
voile blanc qui leur couvrait le dessus de la 
t@teı, Je menton et la.bouche, et leur laissait 
& decouvert le reste du visage ; il passait au- 
tour du cou, etait.arr&te en arriere.avec une 
longue spingle, ‚, et.descendait jusqu’au milieu 
du.corps. 2. 

Le vetement ordinaire des hommes est aussi 





318 VOXYAGE EN PERSE. 


simple que celui des femmes. L’et& , ils ont 
une chemise blanche de toile de coton, qu’ils 
retroussent jusqu’& mi-cuisse, et un schal au+ 
tour dela töte. L’hiver, ils portent un surtout 


qui.descend jusqu'au arasde jambe, et. m&me 


un peu plus bas. Dans leur parure,, ils met«+ 
tent ’habba'au dessus des autres vetemens.:: ‚ 

:Le 26, nous continudımes notre ronte , et 
vimes, & une lieue.au-delä de Hit , et.& wi 
quart'de lieue du fleuve., un terrain. oü se 
trouvait du bitume semblable A celui que !’on 
retire en: abondance des: ienvirons de catte 
ville: nous renträmes , apıes cela., dans la 
desert „et nous vinmes camiper ensuite & deux 


eents pas,du fleuve, apr&s avair fait ensiron 


douze:milles. : a 


Le 27, nous marchämes nendantt troisheüred 


et: demie , et nouscampämes pres d’uncoteau 
ä base gypmeuse. Leterrain du desert.devenais 
de plus.en ‚plus inegal,, et la vallee:de l’Ew4 
phrate plus etroite et plussprofonde. !.. .; 
:L& 28 , nous. marchämes deux heures däns 
la vallde, et nous nous arr&tämes au bas d’um 
ooteau calcaird qui resserre l’Euphrate de ce 
cöte.. Nous. vimes ‚ ce jour-IA , pour la pre. 
midre.fais, un tr&s-beau peuplierinconnu aux 
botanistes. Nousl’ayons represent£ R plı 4b.e0 
pl. 46). . a 


-—— 4 _ 


a Et Dan 


CHAPITRE IX. -Z1g 

- Dforme, en quelques endroits ‚, des buis- 
sons fort serr&s , qu’on prendrait. pour des 
saules si on ne remargquait parmi eux des ar- 
bres qui s’elancent autant que nös*peupliers 
d’Europe , et qui prennent , en. se develop- 
pant, des feuilles qui ne ressemblent plus aux 
premieres. Les unes (pl. 45, , fig. ı) sont 
entiöres, oblongues,, Etröites , un peu poin- 
tues par les deux bouts, avec un petiole assex 
court. A mesure que l’arbre s’el&ve , les feuil- 
les ( pl. 45, ig. 2). deviennent de plus en 
plus larges ; leur petiale s'alange , et le bord 


est plus au moins sinueux ou dente. Enfın , 


les feuilles, dans l’arbre ( pZ. 46), sont del- 


toides, avec lebord dente dans quelques-unes, 
sinue dans d’aütres , et entier dans le plus petit 
nombre. . 

Le fruit est une capsule A trois valves, qui 
parait n’avoir paint de loges ou cloisons in- 
törieures. Les graines y sont tres - petites;, 
ovales,,. un peu aplaties ,„ entourees & leur 
base d’un.duvet cotoneux qui se prolonge et 
remplit tout Y’interieur de la capsula ; elles 
€taient müres A la fin de mai (ı). | 

‚Le:29, nous marohämes neuf heures sur 
nd nm duch nen une, . . . f 


" G) Populus euphratica , foliis deltoidibus , sinuatl 


aint denzasis , utringue. graneit. Pl, 45 8846. 


320 VOYAGE EN PERSE. 


un terrain tres-inegal ; nous vimes partout 
‚du tres-beau gypse, semblable ä celui que 
l’on ezploite aux environs de Mossul. Nous 
trouvämes beaucoup de plantes rares, un ca- 
prier.a feuilles .cotoneuses , une espece de 
pastel.: l’armoise ou absynthe odorante du 
desert £tait partout tres-abondante. 

Le3o ‚le gypse fut remplace par dela pierre 
calcaire, cretacee ettendre. Apres quatre heu- 
‚res de marche , nous nous rapprochämes du 
$leuve, et.campämes A cent pas de distance. 

Le 31, nous marchämes cinq heures moins 
un quart sur des coteaux calcaires , cretaces, 
qui s’avangaient jusqu’atı bord de l’eau : apre&s 
les avoir depasses , nous enträmes. dans une 
plaine 'assez etendue , inculte , et nous cam- 
pämes a trois cents pas du fleuve. | 

‘ Le premier dej juin , nous traversämes un 
autre coteau semblable & ceux de la veille, 
et nous campämes , apr&s quatre heures de 
marche, & un quart de lieue du fleuve. Nous 
vimes quelques. cultures sur ses bords. Les 
fromens n'etaient pas. si avances qu’& Hit; 
A peine commencait-on & les.couper. 

Le 2, nous ne fimes que cing milles ; nous 
campämes au bord m&me de l’Euphrate ; il 
"etait, en cetendroit, large, profond et tran- 
quille. On fit venir deux grands bateaux de 

Anah, 


: CHAPITRE IX. ‚3ar 
-Anah , dont. nous n’etions &loignes que de 
deux lieues , et le 3 la caravane commerica 
a traverser le fleuve : dix jours furent em- 
ployes ä cette operation. 2 
: Le8, nous allämes passer:toute la journde 
& Anah. Cette ville.est bätie en plaine, sur 
la rive droite ou occidentale du fleuve. On 
n’y voit-qu’une seule rue de cing ou six milles 
-de long. Les maisons qui se trouvent de cha- 
‚que cöte, sont pdur la plupart isolees et dis- 
‚tantes de quelques pas l’une de l’autre. Toutes 
ont , sur.leur derriere , un champ Äcultiver, 
plus ou moins. large, plus ou moins long , 
suivant que les maisons voisines sont plus 
distantes, et qu’elles se trouvent & la partie- 
orientale ou & la partie occidentale. Du cöte 
‚de la Mesopotamie , il n’y a pas cinquante 
‚toises des. maisons au fleuve ; du cöte de l’A- 
rabie ‚il y a tröis ou quatre cents pas de dis- 
tance des maisons.& la roche calcaire qui ter- 
mine la plaine , et.otı commence le desert.. 
‘ Anah est beaucoup mieux bäti que Hit: 
les maisons sont en magonnerie, et ont pres- 
que toutes un ou'deux etages. Nous .n’avons 
pu.savoir quel est le nombre des habitans qui 
se. trouvent encore en cette ville, mais nous 
ne l’avons pas &valued.& plus de :trois: mille. 
Elle se depeuple , nous a-t-on dit, ‘tous les 
Tome FI. X 





322 | VOYAGR EN PERSE. 
jouzs., pazce qu’elam’est pas assez, protegee 


‚ei qu elle ne sayrait ‚register seyle aujourd’hui 


aux Arabes du desert ‚.qui viendraient l’atta- 
quer. Elle n’a ni remparts ni aucupes fortifi- 


.catign$ ze Ast, spumise 4 un Emir Qu prince 
-arabe. qui depend du pacha de Bagdad , et qui 


na pas vingtcing hommes & son service. 


. . Aux deux tiers d’Aneh an voit, au mi- 


lieu du flenve, une lle asaez etendue., sur la- 
quelle on remargye les wuines d'une farteresse 
‚que les. Grecs avaient fait bätir , que Julien 


‚.fit detruire, que les Arahes avalient recons- 
. truite ‚ ei qui a et& detruite de nouveau. Elle 


etait vers Vextremits .septentrionale de V’ile : 
plus loir., il ya quelques rochers au !lats qui 
z’6öldvent.A quelques taises au dessus de l’eau. 
Le fleuve. est trdaresserz6 et tres-rapide de- 
vant cette ville. La rache calcaire ‚du cötedela 
Mesapetamie ‚s’avance jusqu’au horidel’ean. 
On voit une autre colline.calcaire:du cöte de 
l’Arabie, parallele et semblable äla premiere; 
maisenavantonappergoitunelisieredeterrain 
ou une petite plaine sur: laquelle la villeest ba-. 
tie., et:olı sont les jardins et les champs culti- 
ves , que nous avons dit @tre contigus aux 
maisons, Cette lisiere est beaucoup plus haute 
que.le fleuve, et n’est point exposde & Ötre 
inondee , m&me dans les plus fortes crües. 


I 


- CHAPFTRE IX, . 353 


‚Les chämps et les jardins d’Anahs sont des- 
tines aux plantes cereales et aux plantes po- 
tageres': on y coupait les fromens lorsque. 
nous y passämes. On y cultive aussi des dat- 
tiers ‚.des igniers,, des abricotiers , des: gre-, 
»adiers , quelqueg pruniers , et fört peu; d’o- 
rangers. On y introduit leau, comme a Hit , 


au moyen de grandeg roues& godets N places, 


sur’le bord du fleuve. 

Les femmes:d’Anah portent une grände che- 
mise blanche ou bleue ‚ et une robe longue 
& manches par-dessus. Elles ont une espece' 


. de voile blanc decoton , qui s’avance.un'peu 


au-devant de lat£te, vient couvrir la bouche, 
le menton, une partie des.joues ; fäit le tour 


du cou, et va pendre derriere les paules. 


Elles ont. presque toutes un grand arneau 
d’or entre les deux narines, et des mouche- 
tures bleuätres sur le visage ; du reste., elles 
sont tres-bien faites ; leur Agure est fortbrune, 


‚mais leurs trajite sont, assea reguliers. 


Tout le tems que nous fümes campes sur 
les bords de l’Euphrate , nous vimes passer 
au, milieu du fleuve des fanilles arabes ‘qui 
allaient faire leur moissen. Lemari , lafemme 
et les enfans etaient appüyds sur.'des. outres- 
enflees , et se laissaient emportes pax.le cou- 
rant; Us nagesiept: des. pieds et; de V’une ou 

2 


s 
v 


324 VOYAGE EN PERSE. 
Pautre main lorsqu’ils voulaient accelerer leur 
marche , ou se diriger A droite ouA gauche. 
Les enfans Alamamelle , et ceux qui n’avaient 
pas encore la force et l’adresse d’aller seuls , 
etaient.lies-sur les Epaules de’ la femme ou sur’ 
celles de ’homme. Nous avons vu jusqu’& 
sept enfans suivre de cette maniere leurs pa- 
rens. ‚Les provisions pour le voyage &taient 
enfermees dans l’une des outres , et les vete- 
mens etaient lies autour de la täte. 
, „ C’etait ainsi qu’on -nous' apportait chaque 

jour des provisions de a ville. Comme nous 
en etions & deux lieues,, et qu’il et ete trop' 
fatigant de venir & pied ‚des hommes rem- 
plissdient & moitie-une ou plusieurs outres , 
d’abricots, de beurre , de fromage- et.m&me 
de pain: ;:ils les enflaient bien , se mettaient 
sur Y’une d’elles, et nageaient jusqu’&. nous : 
il ne leur fallait pas une heure pour fäire ces 
(deux lieues. Lorsque les provisions 6taient: 
vendues ‚. ils retournaient u pied aveb- leurs 
outres vides. Ä 

: Les Arabes domicilies de ces cöntrees .ne. 
connaissent pas d’autre'manidre de voyager ;' 
lorsquils veulent se transporterä Hit, A Helle 
et A Bagdad: En. arrivant dans cette derniere: 
ville ; dont ils se sont rapproches par l’Eu-' 
phrate-le:plus qu’ils ont pu ‚et ot: ils se sont‘ 

Sın 


nn 9 De = en RE EEE 


EEE 7 ze 


CHAPITRE-IX.. - 325 


rendus ensuite ä pied , ils vendent leurs outres 
a einquante ou & soixante pour cent de bene- 
fice ; ce qui leur donne le moyen de subsister 
en attendant qu’ils se soient procure du tra-. 


' xaıl. 


Ces voyages n’ont lieu que dans la belle 
saison , et lorsque les eaux sont basses : iln’y 
a pour lors aucun danger a courir, puisqu’il 
est tres-aise d’eviter. les roches ‚. les troncs 
d’arbres, et tout ce qui pourrait crever ou 


‚endommager l’outre; et l’on sait qu’il n’y 


a, sur ce fleuve, ni.crocodile ni'poisson 


dangereux: D’ailleurs, l’eau de l’Euphrate,, 


Vete, est beaucoup moins trouble que celle 


du Tigre. 


Depuis long-tems nous avions remarque , 
tant sur le 'Tigre que sur: l’Euphrate » ne 
BOSSE tortue que nous n 'avions jamais pa 


nous procurer. Comme elle ne venait que ra- 
reınent a la surface de l’eau , qu’elle ne mon- 
_ trait quele bout de la t&te, et quelle se trou- 
vait presque. toujours A une grande distance 


du riyage , je fus oblige d’entrer bien avant 


‘ dans le fleuve , pour, l’atteindre d’un coup 


de fusil. Elle est st repregentee ( pl. 41., ‚fig. ı 
et. fig- 2). 

Les Arabes la nomment rafcht. Ils preten- 
dent que sa chair n’est pas bonne & manger , 


326 VOYAGE EN PERSE 
mäis que sa graisse est excellente pour guerir 
les dartres et autres eruptions cutandes. 
La longueur.de tout l’animal etait de trois 
pieds. La carapace ou la partie superieure 
du test ( fg. ı ) avait un pied sept potces 
six lignes de long , et un pied deux poutes 
de large. Elle etaitlisse, peu convexe ‚ovale, 
plus large en arriere qu’en ävant, et d’uni vert 
fonce-obscar. Le milieu etait corne , ‘solide; 
avec lesbords lateraux’et la partie posterfeure 
mous et corlaces. ’ 
Le plastron ou la partie inferieure du test 
(ig. 2) n’avait que dix ponces'six lignes de 
long. N.etait corne; solide , et avait, zur les 
cötes , un prolongement cartilagineix qei als 
lait joindre la carapace. re 
La t£te pouvait rentrer entierement : dans 
letest,, ou se prolonger‘d’un pied ou environ; 
elle Srait terminee en forme de müseau. La 
mächoire superieure depassait un peu l’infe- 
rieure ; telle-ci pourtant s’y emboitait avec 
beaucoup de justesse : elles n’avaient’ni l’une 
ni /’autre point de l&vres , mais elles etaient 
arımees d’une cr&te osseuse , tres-solide , ar- 
quee en fer de cheyal. oo | 
Les yeux saillaient un peu & leur partie su- 
perieure;; ; ils avaient un pouce d’ecartement ” 
et cing fignes d’ouverture. 


CHAPITRE ıx? day 
‚ Le cou se ridait torsgqu’il &talt contraete , 
et il etait un peu plus etroft que la t&te lors- 
que celle-ci sortait entiererment: - | 
Les pieds rentraient avec peine sand 16 teit ; 
les anterieurs avaient sept peuces et demi de 
Jongueur du bord de la taraplace , mötu’ä la 
zaissance des ongles : un y voyalt en dessus 
trois ou 'quatre Brosses Yrdes trarsversätes , 


Ecailleuses, et A leur börd exterleur un pro- 


longement de la membrane des döigts, qui 
allait se terminer aux trois quarts de leur 
longueur. Les doigts, au nombre de cinq, 
Etaierit engages dans uneforte membrane : les 
trois anterieurs seulement avaient des ongles; 
les deux autres n’en avaient aucune appa- 
rence. 
s Les pieds de derriere etaient un peu plus 
courts que ceux de devant; ils n’avaient pas 
de rides eEcailleuses , mais , comme eux , ilg 
avaient cing doigts engages dans une forte 
membrane , et il n’y avait de m&me que les 
trois anterieurs qui eussent des ongles. 
Tous les ongles &taient blancs,, forts, con- 
vexes en dessus, aplatis en dessous, et saillana 
hors de la membrane d’environ un pouce. 
La queueavait sept pouces depuisson adhe- 
renceäla carapace ‚jusqu’& son extremite: elle 
etait tr&s-grosse proportionnellement au yo- 


328 CHAPITRE IX. 

Jume de l’animal , et terminde en cöne ; elle 
portait en dessous , vers son extreimite , une 
ouverture longitudinale : c’etait l’orifice de 
Y’anus et celui des parties de la gengration (ı). 





(1) Testudo rafcht; Zoricd dorsaki viridi, obscurd, 
soriaced, levi; sterno minori, albo. Pl. 41, fig. ı et 2. 

Daudin, dans son Histoire des veptiles, tome II, 
page 305, a fait mention de cette tortue d’apr&s les notes 
que je lui ai communiquees. 





Lö DE 


VOYAGE EN PERSE. 329 
. \ . 





CHAPITRE X. 


Marche et. ordre d’une caravane. Con- 


duite des chefs. drabes du desert. 
 Depart d’Anah. Route par la rive 
. droite de !Euphrate, jusqu’a Ra- 
. habed, Description de Taib. Arrivee 
: & Latäkie. Dommages qu’un trem- 
blement de terre venait d’occasionner 
"& cette ville. | 


Us: caravane destinde & traverser le deseft 
de l’Arabie est composee d’un certain nom- 
bre de chefs ou de proprietaires de chameaux, 
qui se r&unissent et qui se chargent, moyen- 


‚nant un prix convenu , de transporter d’une 


ville & l’autre, & leur risque , les marchan- 
dises qu’on leur confie. | | 
Lorsque la caravane estä peu pres formee, 
les chefs s’assemblent,, et elisent entr’eux un 
scheik , esp&ce de:general d’armee, qui i dirige 
les marches, ‚ ordonne les campemens, main- 
tient le bon 'ordre ‚ veille & la shirete de tous, 
commande en maftre , et marche » quand il le 
aut, le ‚premier a l’ennemi. | 


330 VOYAGE EN PERSE 


Le prix que les marchandises et les voya- 
&eurs paient pour chaque chamean varie un 
peu suivant les saisons , et est surtout pro- 
portionne aux presens qu’on juge devoir ötre 
‚ faits aux Arabes sur la route , et du nombre 
de fusiliers qu’on est oblige de prendre pour 
leur en imposer. 

Les chefs sönt ä cheval; ils marchent en 
avant de la caravane,, la deväncent quelque- 
fois de deux ou trois milles, vont & la de- 
couverte, montent sur toutes les buttes pour 
observer sil n’y a-peint- d’Arabes aux envi- 
rons, et des quiils en appergoivent ils vont 
A eux Si Ceux-ci ne sont pas nombreux , ou 
se replient sur la Garavane s’il y a guckgus 
danger. 

. Les fusiliers vont ordinairement & pied, et 
ne s’ecartent poiht de lacaravane tant a 'elle 
est en märche. 

Lorsqu’il est question de camper; % scheik 
' enfonce en terre un drapean ; Et.chacun Se 
dispose & descendre et a dresser da tente, en 
observant. de se placer.ctrcillairement adtour 
du drapeau, et toüjöurs dans le in&me drdre: 
Les balles de marcharidises , qui pesent, cha- 
cune. trois cents et quelques livres , sont 
mises les unes sur les autres, et arrangees de 

maniere & former. un.remipart de qralre ou. 





CHAPITREX. 331 
emgq pieds de haut. Les tentes sont placees 
en dedans pres des balles. On envoie les cha- 
meäux aux päturages des que les tentes sont 
dressees , et on les fait accompagner par un 
certain nombire de. valets et par quelques fu- 
siliers. La nuit, on les fait entrer dans l’in- 
terieur du camp. 0 

Toutes les tentes sont abattues au coucher 
du soleil, et personne n’a de lumiere la.nüit. 
Au jour, tous les chefs sont‘ sur pied ; les 


valets soignent ‚les chameaux et les char- 


gent: ‚Au soleil levant „ l’ordre de partir est 
doune : chacun defile sans trop se.mäler et 
sans trop s’Ecarter. Les .caväliers seuls peu- 
vent märcher.en avant comme. ils le jugent 
a propos; le plus ordinairement ils vont'tous 
ensemble , et quand ils. ont fait deux ou trois 
liäues ils mettent pied & terre pour attendre 
la caravane , dejehner , ou se donner simple- 
ment le plaisir de fumer une pipe, et prendre 


leur cafe , qu'ils apprötent sur-le-champ au 


moyen de quelgues debris de plantes ou d’ar- 
bustes qu’ils entassent, et auxquels ils mettent 
le feu. | .— = 

: :Lorsque la caravane n’est plus qu’ä quel- 
ques pas, les cavaliers remontent & cheval, 
et prennent encore les devans jusqu’& ce qu’ils. 
soient arriv&s au lien ot l’on doit eamper. 


332 VOYAGE EN PERSE. 

Pour'cela on cheisit, antant qu’on le peut, 
un endroit oü d’autres caravanes ont campe& 
auparayant : cette precaution est n&cessaire , 
parce qu’on y trouveles crottins dechameaux 
dont ona besoin pour faire du feu et pr&parer | 
les alimens. C’est surtout pour cuire le-pain, 


. qu’on se sert de crotins de chameanx : on eri 


fait un petit tas, et on y met le feu: Pendant 


-qwils brülent et se reduisent en cendres , on 


petrit, dans un plat de bois fait. expres, un 
peu de farine : on ecarte la cendre,, on place 
la päte sur le’ sol, et.on la couvre bien ; elle 
se cuit sans se brüler. Le pain quien resulte, 
est assez mauyvais, mais.les Arabes s’en con- 
tentent. Les voyageurs portent ordinairement 
du biscuit avec eux. \ ; 

" Ona, dans le desert , uneautre mahidre de | 
faire le pain; c’est.de bien chaüffer une pla« 
que de cuivre, et. d’y placer.la :päte par-des- 
sus; la plaque elle- m&me est posee sur les 
cendreg chaudes , pour entretenir quelque _ 
tems la chaleur , et donner le tems & la päte 
de se cuire. 

Les Arabes ne font guere de feu que’ pour 
rötir et faire leur cafe , et cuire leur pam. Ces’ 
deux operations se r&pätent tous les jours 5 
parce que le pain de la veille est encore plus 
mauvais quelorsqu’il est frais , et que le cafe 


CHAPITREX, 333 
röti, pile et fait de suite, est beaucoup plus 
parfume que lorsqu’il est conserv& apres avoir 
&t& röti. Ils sont encore plus attentifs Ane piler 
leur cafe que lorsqu’ils veulent le faire, parce 
que, pileou moulu , ilperd encore plus promp- 
temenit son parfum. Hs prefärent aussi avec 
raison le cafe pile et reduit en poussidre im- * 
palpable‘, A celui qui est moulu. 

Quant aux autres alimens , nous ne leur 
avons gudre vu manger que des dattes et du 
mauvais fromage renferme dans des outres 
faites de peau d’agneau. 

Tandis que la carayane £tait occupee & 
transporter les chameaux et les marchandises 
de Yun & l’autre bord du fleuve , les chefs , 
attentifs A ce qui se Ipassait autour d’elle, 
Avaient’envoye deux d’entr’eux auprös d’une 
horde fort nombreuse qui se trouvait & Poc- 
tident d’Anah , afın de traiter avec elle ‚et 
obtenir 'qu’elle nous laissät tranquillement 
passer sur: ses terres , et nous fournit m&me, 

‚si elle le jugeait & propos, une escorte jusqu’& 
la horde la plus voisine. " 
"I’hiver cette pr£caution est inutile, parce 
que les tribus un peu nombreuses s 'enfoncent 
dans le desert A la fin de l’ete, et s’avancent 
peu A peu vers les regions un peu plus chau.-. 
‚ des, un peu plus elevees, ot elles ont quel- 


334 VOYAGE EN. PERSE. 


ques cultures, et ol elles trouvent des pätu- 
rages' plus abondans (1). Elles ne reviennent 
sur le bord de l’Euphrate .qu’au retour de la 
belle saison , et lorsque. tqutes les herbes sont 
consommees dans les contrees meridionales, 
IUn’yadonca craindre, l’hiver , auxenvirong 
-du fleure, que ces hordes peu nombreuses, 
Qui, n’ayant pas de territoire en propre;n’ont 
pas de demeure determinee. Elles sent obli- 
ges, pour vivre , de päturer sur lesterres des 
autres ; ce qui les fait tenir & de grandes dis- 
tances. Elles sont tres-pauvres et tr&s-porteeg 
& la rapine; elles n’ont, pour l’ordinaire , ni 
tentes, ni bagages , ni menu b£tail ‚, nirien qui 
puisse les embarrasser ou :les retarder dans 
leur fuite : .quelques jumens, quelques cha- 
meaux femelles et quelques änesses, voilä en 
quoi consiste tout leur bien. Comme, dansceg _ 
kordes, il.n’y a jamais au-delä de: trente.oy 
de quarante combattans , une caravane n’a 
rien A craindre d’elles ‚lorsqu’ elle marche. en 
bon ordre, .et quelle a prig les. s. precgutions 
qu exige sa sürete. a 
————— — 
(1) Il faut en excepter celles qui sont le long du Schat- 
el-Arab et le long de l’Euphrate , au dessous de Helle, 
qui ont quelques cultures sur les börds de ces fleuves,. 
etquin ’envoient dans l’interieur. des terres qu’upe partig 
de leurs troupeaux. en .. 





CHAPITREX. - 335 


Quant & celles qui sont nombreuses , et ä 
qui le territoire appartient , on est toujours 
certain de pasger parmi elles sans rien crain- 
dre ‚, pourvu qu’on se soumette & leur faire 
un present, ou & leur payer une somme pro- 
portionnee & l’importance de la caravane. 
.. Des que la horde qui etait campede A une 
jouraee d’Anah eut vu nos deux chefs , elle 
se disposa & nous envoyer deux personnes 
des plus. distinguees , afın. de traiter sur les 
lieux.du prix que l’onaurait A luipayer. Nous 
- les vimes arriver sur des dromadaires, le ı2 
juin vers les dıx heures du matin : c’etaient 
deux freres , trös-proches parens du scheik ; 
ils avatent fort bonne mine, et etaient dans 
la tleur del’äge. Le plus jeune paraissait avoir 
souvent fait la guerre ; il ne respirait que 
<ombats, et ne parlait que de batailles : sa 
figure portait les marques d’un coup de sabre 
et d’un coup de lance; du reste , il etait fort 
gai, fort honn£te, tres-complaisant, et cer- | 
tainement aussi brave que le plus determine 
de ces contrees. 

L’arrivee de ces deux Arabes fut odlebree 
‚par un festin auquel tous les chefs de 12 ca- 
ravane assisterent. Ils egorgerent, & cet eflet, 
- un chameau fort gras et encore jeune , dont 
ils se reseryerent une‘bonne partie, et donf’ 


“ 





336 VOYAGE EN PERSE. 


ils firent distribuer gratuitement le reste aux 
marchandset aux voyageurs : nous eneümes, 
pour notre part, douze ou quinze livres, que 
nous fimes 'preparer de diverses mani£res. 
Nous trouvämes cette chair pour le moins 
aussi bonne que celle du meilleur beuf de 
Suisse ou de Normandie. . 
Avant de se mettre & table , avant de man- 
ger ensemble le m&me pain et le m&me sel, 
il etait convenu que la carayane donnerait 
en present, au scheik de la horde, quatre 
cents piastres, quelques provisions de bouche 
et un habit eomplet, et que les deux Arabes 
veilleraient Asa sürete, et Faccompagneraient 
- jusqu’a la tribu la plus voisine , distante d’en- 
viron quatre-vingts milles d’Anah. 
‚ Lelendemain toute la caravane se prepara 
au depart, et le ı4, au soleil levant , elle se 
mit en marche en se dirigeant & l’ouegt-nord- 
ouest. Le terrain etait inegal, un peu mon- 
tueux-, calcaire, et aussi impropre & la cul- 
ture, que celuide la Mesopotamie. Apres avoir - 
tait environ huit milles, nous traversämes un 
torrent qui se trouvait A sec, mais ol il ya, 
dit-on , del’eau en hiver, et nous campämes 
un pcu au-delä. Le tleuve &tait & deux lieues 
de nous : on avait porte de l!’eau pgur toute 
la caravane , parce qu’on s’etait bien doute 
que 


nk GE 
. ® 
. .. 


- CHAPLITRE X. : 937 


quenous.n’en trouverions:pas dansle torrent. 


. Apres mjdi, nos vedettes sigrialezenit quiize 
cavalierdarales.: tonslas chafs monterent,kus- 
sitöt.& .cheyal;, ei Kaxancerent.en han;ardre 
la laiice 4 la. main ; ils:stajent au nombre .de 


vingtrüd ,.;y sampris les.deux gqiti npus ac- 
: compagnaient. Les fusiliers sarmerentiaussi, 


et se mirent ch ligne daudevant: du; camp. Les 
Arabes. qu.on ayait;signäleau.ne.prirent ‚pas 
la fuite ;.ils attendivent:les-sheis et: se,dirent 
leurs amis.; ils appaxtbenaiant: A ‚unei.ttibu.de 
la Mesppotamie ; ennemie de celle_ qui etait 
campee: aux envirans:z:ilm greient ‚passe le 
Sleyve; ä.la: wage ‚tenant-&. Is main la bride de 
leur cheval, et portant autouz .de la täte.leuxs 
veternens .ei-quelgues prosisions, de bouche. 
Leur intention dtaif;,. & ce/yw’on caut ,. d’en- 
lever..quelgues hestjaux;.#, leurs ennemis 2.88 
de repasser. le fleuye avec. leur proie.. Apres 


un quart-d’heure d’eniretien. ,. ‚ei pres. aygir 


obtenu de ‚leur part la Promesse de ug rien 


| entrepregjlre, set de getonzwer surrlenchamp 


en Mesopotamie.,,on 58 SCpara 53n$ 56, faize 
aucun ‚mal... LE sinarıckir altıac sol 


- Le35, apres sept. heures de marghe sur dag 


terres calcaires- cretagess „ nous descendimeg 
danz la. vallee de. PFuphrate par..un, terrain 


tout rong£ par. les EAUX ; nous fraversämgs.up 
Tome V- I X 


GB  VOoYA6E'EN PERSE. | 
torrent 'qui se trouvait'‘&. ser, :etnouws'cam- 
‘pämes A .quelques pas du fleuve.: Ses börds 
*taient-couvertsde.ce beau peuplier dontnous 
avons'parlö dans le.chapitre plöcddent. :L’&- 
Pinard eroissait' spörltanementidans ces lieux: 
nous: entprimes'des-graines qui ont bien Jeve 
& Pariki os: vn: a ertuilieıh ts), 2) 
Le in6; ‚nousfimbsidonze millesısans. nous 
&lgigteri beancosip ku fleuve: "Le .terpain etait 
dussi mau vals siaussilämmpropre & la eulture 
guae delli que:nbiis.ariöns' vu les Joürspreck- 
dei». Nonslaissdmestögauche ung ccolline cal 
caire ; er&tacdey eingusen remarquämeg une 
autreen Mesopotamie;:qui nous parlıt Sre de 
Ja smältie nathre, Yin: ai mn. ln ua 

. :Noud trouvßraesy, 'präaidu camp, dans une 
sorte de tavin; le.fröment;) Porgeet: P’epeautre, 
que‘ ins wvidus! deja'vüs- pJusieurs' 'Fois en 
Me&pöpotainie RUE YA lines‘ aussi ume espöce 
Ütatiandier que ousarons firur@ (pl 47). 
soll ne Seldvergwiidelit-öu trois pieds': ie 
deieauR Soht Werks: de ambuleux;'les feuilles 
Baht diterfied ‚öbloägues', un peu plus: etroites 
a leur partie inferieure ‚, presque pas petiolees; 
denteesWleuts börds;; arröhdlies, et et quelgbe- 
gain: Böhäncredesiälleursölimet; "cn. I 
:1::Djefrußtiest solitkire; rel, arrondi, ‚pointu 


&'son söimet ‚et Buppörte Bar A ipediönle 
j s ya a‘ 


— nn 


en 5 Enz 


CHAPITREX. 339 


d’une ligne de long. Le noyau ressemble , 
pour la forme et la grandeur, & un noyau de 
cerise : il est lisse, et contient une amande un 
peu amere; il etait mür lorsque nous le pri- 
mes. Le brou ayait peu de saveur, et n’etait 
point succulent. Nous n’avons pas vu les 
Jleurs (1).- 

‘ Le ı7, nous marchämes six heures un quart 
sur un terrain un peu inegal. Nous vimes, 
sur une hauteur & demi-lieue du fleuve, une 
tour d’observation, qui ne nous parut pas an- 
tique; il y ayait tout autour des s6pultäres 


_ qui appartemaient & des Musulmans. 


Le rd , nous fimes quinze milles. . Demi- 
heure apre&s notre depart , nous passämes pres 
des ruines d’une ancienne ville dont il n’est 
pas peut-tre bien facile de deviner le nom, 
]l y avait encore quelques restes de remparts 
bätis en grandes briques durcies au soleil, et 
on distinguait encore le fosse qui avait :öf@ 
creuse tout autour. Son enceinte &taitcarree, 
et son &tendue peu considerable.:Vers le mi- 
lieu de ces ruines, nous apperguines quelques 
restes de grosses murailles bäties ezı. briques 





(1) Amygdalus arabica , folüis, serratis, oblongis, ,in- 
fra attenualis ; ; fructu globoso ” villoso > äcılminäto: 
Tab. Ar. 

y 2 


340 VOYAGE EN PERSE. 
cuites , separdes les unes des autres par un 
ciment qui avait plus d’un pouce d’epaisseur : 
un bras du fleuve, ou peut-&tre un canal, pas- 
sait autrefois au pied des murs du cöte du 
nord-est ou de la Mesopotamie ; il est obs- 
true aujourd’hui, et ne contient plus que des 
eaux croupissantes. Il y avait, sur ses bords n 
un amoncellement de terre que nous regar- 
dämes comme les decombres d’une forteresse 
qui defendait la ville. de ce cöte : ıl ya a 
present quelques sepultures de Musulmans. _ 

A mesure que nous avancions , la vallee de 
l’Euphrate s’elargissait , le sol devenait tres- 
fertile, et le pays assez beau. En Mesopota-. 
mie, nous remarquämes une colline que les 
eaux du fleuve ont un peu rongee ä sa base. 
Nous la depassämes apres quatre heures de 
marche,, et alors , tant en Arabie qu’en Me-. 
sopotamie, la plaine devint tr&s-Etendue , le | 
tleuve s’elargit : son cours nous parut fort 
lent ; nous viımes plusieurs iles couvertes de 
verdure, et.nous crümes appercevoir divers 
canaux creuses autrefois pour faciliter les ar- 
rosemens. 

Nous campämes Aplus d’une lieuedu fleuve: 
on prit ’eau dont on avait besoin, dans un 
canal presque tout couvert de Toseaux. | 

Tandis que la caravane dressait ses tentes , 


_ . 


De 
- 


ve ee 


CHAÄPITRE X. “7-  B4L. 


un des deux scheiks qui nous escortaient., 


ayant appergu dans. le lointain quelques Ara- 
bes, fut droit y eux; plusieurs de. nos chefs 


le suivirent. Nous les vimes revenir deux heu- 
res apres avec un cavalier et deux hommes 
a pied dont ils s’etaient assures. Ils appar- 
tenaient A une horde errante, campee A deux 
ou trois lieues de nous. On ne leur fit aucun 
mal ; seulement on 'ne’voulut pas les lächer 
que nous ne fussions , le lendemajn , & une 
assez grande distance de-leur horde. 

' Le ıg, nous 'marchämes pendant neuf heu-' 
res , toujours en plaine, et & plusd’une lieue 
du fleuve. Lorsque 'nous voulümes naus en 
approcher pour faire paitre nos chevaux'; 
nous vimes tout-A-coup paraltre‘ ‚quatorze 
Arabes, dont cinq 'möntes sur des"droma- 
daires et armes de leur lance , les autres & 
pied et sans armes. Nous etions ‚quinze ca- 
valiers ‚ la plupart marchands et voyageurs , 
mais tous bien armös et en etat de:nous de- 
fendre. La caravane etait ä plus d’une (lieue 
en arriere.: L’abord fut freid , silencieux : on 
se salua pourtant de part et d’autre en se te- 


nantä& quelque distance , et on se questionna 


ensuite avec beaucoup de reserve et de cir- 
conspection. Nous apprimes qu’il y avait, & 


peu de distance , une horde amie de celle qui 


' 342 VOYLAGE EN PERSE: 
nous escortait 5; ce qui fit esperer que nous 
en serions quittes pour un leger present. En 
eftet , lorsque la caravane nous eut jomt, et 
que nos deux conducteurs se furent presentes, 
les chefs et les marchands parurent tres-ras- 
eures, -: 

Ces. Arabes nous mendrent camper- & "plus 
de deux lieues du fleuye, sur une lögere hau- 
teur. La horde n’eteit qu’a trois cents pas; 
elle avait plus de cent tentes, etpour le moing - 
deux cents hommes en etat de se battre. 

Quoiqu’on n’eht alors aucune inquietude, 
le camp fut encore mieux £tabli qu’& l’ordi- 
naire;ilfut plusresserre : les ballots formaient 
une :eneeinte circülaire: qu’il eüt ete’impos- 
eible a des chevaux ou & des dromadaires de 
franchir. Les fusiliers, plac&s au-devant , se 
tenaient prets A agir au premier ordre. Les 
ehameaux ne furent pas envoyes de suiteaux 
päturages ; on les obligea de s’accroupir dans 
l’interieur , et chacun dressa sa tente ou se 
placa entr’eux et les ballots. Ces precautions 
etäient necessaires; il fallait faire bonne con- 
tenanoe, et se 'montrer en dtat de resister , 
- afın de reduire les pretentions des Arabes sur 
les terres de qui nous etions. 

Cependant nos chefs traitaient avec eux ; 
ils.ne tarderent. pas A venir nous annoncer 


‚- CHAPITREX- - .. - Iu3r 


. que touttait arrange, etqu’on en etait quitte,, 


pour :quelqu’argent et, paur wege proviz: 
sions de.bouche. . BE 

.„Peu de tems- aprds ;„ nous. vimes venir plus: 
de, einguants Arabes tous ‚A.,pied et. sans ar--, 
mes; lg scheäk Atait aygcıeux. Ils apportaient, 
du lait , du beurre et. du,fromage , qu'ils of- 
fraient, 2 tres-baß,pr ix, Nous, achetämes.deyx 
mautopa , .dünt.on.ne,nous demanda, que..4, 
piastres.y30% Jı: peu ‚pres 8: francs. ‚Nons, en, 
tmämes An;surrle-champ ;. Vautre snivit.la ca», 
ravane pendant deux; JOUB-...: 0 2 ul inion 

; Le, terıgin, sug. lequel nons; kpns „quol- 
qu’eleye eifassez-Ristant du fleyye; nans, RICHE 
propreA- la @ulture : l'berbe etaif partgut fprt, | 
haute et,fort touflue. Nous yimes beaucoup 
de fanesdu Gundelia s ante dont nous.de- 
vons Ja göhnaigsande a Tourmefort. Les Anabes 
nQus: dirent,que sa racing stait, fort .bonne-A 
manger ; Ge qui.ghus engageaA,faire arracher, 
cellesquin’avaieht pasennere denne desfleyrs; 
et.a. les: falra.cuire ;.noup les:trouvämgs bien _ 
plus savonrenses ‚ bien meins $ades que-cellgs 
du salsikt.ei de Ja scorepadre. Je ne doute pas 
que cette plantame rengsit träg-hien. dans baute 
la France meridipnale .enn'yıpüt.devanir. MAR. 
de oe: meillenres plantesıpatagäres.  \...T 
-i- ‚Las, deux Arabes.qwi naus ayalgnd AHgARr 


344 vorKck en pers: 


‚pagnes depuis‘Anah', nous quittäreiitiet‘ sils‘ 


fürent rermplacds par! deux cavaliers‘ ve Te: 
scheik campe aupres de nous Erroya“ e soir" 
a la caravane ; ; ils avaient ordre'd aller ; jüs- 
quwa Taib, parce que tout'vet Aue 1dtait 
occupe par diverses hordes qui vor es abpar- 
töhaient' A la meine träbu: iruilen 

Lego, noüs’marchämes sept 'heütes ‚ nous: 
tenant toujours’ä . cing’ou'six’ nilles da: Hleuve.. 
Ze terrain que nous parcourünies}Oeteit uni si 
calcaire‘, assez’tertile, un peu Plistieve que: 
celui de la Mesopotamtie. mon I 

" Aptes avoir falt enyiron onze miles , nous 
parvinmies ä& une large et profötide excavä- 
tion , dans laquelle nous desbendlnes. La; 


‚ terre y etait moins bonne ; le gypse s’y mon- 


Trait' en "beaucoup Wendröits‘: 3) nö 'partıt 
aussi: 'beau ‚ ausst dür , aussi susc&ftible d’ttre 
poli,,; ‚que celwi-gu’on exploite:Hux snWirons 
de Mossul. Nous passämes devant‘une'source 
fort abondante: d’une' eau si Saumätrg‘, que 
personne ne puteen boire: A: peu de'distande 
de cette ‚source ,:il 'y avait:, sürühe erdie ; 3 
un. villäge abandonne;, nomme Mesched , Ol 


Hous nie'trouvärmes pas une maison mil ne für 


plis:öw meins endorimagee ‚!erdent on n’eht 
enlev& les portes '€t' les fen@ties. ‚La'mosqude 
%tait Pourtant encore ei aßsda borrdtat „'quoi- 


\ 
= 


CHAPITRE X. 345 
qu’elle n’eüt, ainsi que les maisons, ni por- 
tes, ni fenätres, et rien que les murs et le 
tott, Le minaret etait sur pied , et'paraissait 
avoir ete repare depuis peu d’annees. 

- Au-delä du ravin le terrain etait, comme 
auparavant, tres-uni et tres-fertile : l’herbe, 
quoique seche , y &tait fort haute et fort ser- 
ree; l’horizon ne presentait encore ni mon- 
tägnes ni collines. | 

Nous campämes & deux ou trois cents pas- 
d’un .autre ravin , et & deux milles -de quel- 
ques ımar&cages produits par les eaux de 
. YEuphrate. Rahabeh ou Rahabed , ville au- 
trefois de moyenne grandeur , nous restait & 
trois milles au nord -ouest ; nous y allämes 
dans la soiree : elle n’a plus que des ruines 
inforınes , et 'les restes d’une forteresse qui’ 
nous parut avoir ete tres-considerable. Le 
Hleuve se trouyait & plus d’une lieue de dis- 
tänce , et Kerkisieh , selon nos guides , etait 
a -trois: keues de notre camp vers le nord. 

Depuis’Anah , nous avons presque toujours 
märche dans la direction du nord-ouest , sans 
jamais nous @loigner beaucoup du fleuve; les 
trois dernidres journees seulement nous avons 
etE droit au nord. Ainsi, il nous a paru que 
l‚Euphrate ne se recourbe pas autant qu’on 
levoit surles cartesdeDanville, niautantque 


346 VOYAGE EN PERSE. 


sur celle que nous avons publiee ; carısi öette, 
grandecourbure qu’on voitäl’occidentd’Anah: 
existäjt, nous aurions dA necessairement marr: 
cher pendant quelques jours dans la directiop, 
de l’onest et du sud-ouest, La courbure que 

le fleuve fait 4 Hit, ne deit.pas @tre non plus 

aussi grande qu’an l’a traoge. sur notre carte; 
Cette ville doit &tre remontee et placde; au. 
33e. degre 25 min. de latitude , Et au 40°. eti 
12 de longitude. - . DR a 

Le 2ı , nous quittämes : le Reuve „. et none. 
nous dirigeämes 4 l’ouest. Nous marchämeg: 
huit heures sur un terrain uni , trds- propre! 

a la culture , et nous campämes pres d’um: 
puits dont l’eau etait si saumätre, que les 
Arabes m&mes ne vouhurent pas en boire ::on. 
y abreuya pourtant les chamesux et les. ches: 
vaux. On distribua & toutes les persamnes.de: 
la caravane ‚de l’eau de P’Euphrate , qu’on. 
avait portee dans des outres, et dont on avait 
fait grande provision, parce que. nous ne de» 
vions en trouver de bonne.qu'& Taib. : :: 

. Les gerboises , les lıevres, les gazelles , ‚les 
| autruches ‚ les alcatas, se monträrent ce jour-ı 
l& en plus grand nombre qu’Al’ordinaire. Les 
premieres rentraient dans..leurs terriers: d&s 
quiil faisait un peu chaud ; les. lievres 2zous 
partaient & chaque. instant des pieds : on cal 


Pd 


CHAPITREX. 347 


tua plusieurs en lancant apre&s eux des bätons. 
Les gazelles etaient par troupes de quinze , 
vingt ou trente, et se laissaient quelquefois 
approcher presqu’ä portee de la balle. Quant 
anx autruches , elles se tenaient ä de tres- 
grandes distances ; & peine les appercevait-on 
dans le lointain. Nous ne parlerons pas des 
alcatas ; nous les avons toujours vues par 
milliers. j 


Nous etions entour&s, ä ce puits , d’Arabes 


pasteurs de la m&me trıbu que la horde pre- 
cedente , et nous avions devant nous, c’est- 


A-dire, vers l’occident, une montagne que. 


nous appercevions & peine. 

Le 22, il y eut sejour , et le 25 nous mar- 
chämes six heures et demie. Le terrain fut & 
peu. pres le m&me que celui de la veille, et 
tout aussi peupl& d’animaux. Il’nous parut 
pourtant quelquefois un peu moins bon; c’e- 
tait aux endroits oü le gypse se montrait & 
la surface. Nous campämes pres d’un puits 
dont l’eau &tait encore plus saumätre que celle 
du 2ı. | 


Le 24,.il y eut encore sejour , et le 25 nous 


marchämes pendant neuf heures et un quart 
sur un terrain sermblable ä celui des jours pre- 
cedens; il'devenait seulement un peu moins 
uni d& mesure que nous avancions, et l’'horizon 


348 VOYAGE EN PERSE. 


etait borne par de petites collines. Nous lais- 
sämes, & deux ou trois lienes & droite , la 
montagne que nous &vions appercue du pre- 
mier puits. 

Queiqwe nous nous fussions un peu eleves , 
et que nous nous fussions avances de plus 
d’un degre versle nord , la chaleur devenait 
tous les jours plus forte ; elle nous parut ex- 
cessive ce jour-lä. A peine pouvait-on, sous 
la tente , toueher & des metaux , tant ils 
etaient brülans. Le vent m&me, qui soufllait, 
comme ä Yordinaire , du nord - ouest ou de 
la Mediterranee, fut aussichaud, depuis dix 
et onze heures du matin jusqu’au soir , que 
il füt sorti d’une fournaise ardente. 

Notre dernier thermometre avait ete cass6 
durant notre sejour au premier puits de la 
Mesopotamie, de sorte que nous ne pümes 
eonnaltre exactement depuis lors, le degre de 
chaleur que nous eprouvämes dans le cours 
de ce voyage, mais nousne l’avons pas &valud 
Aa moins de 3o degres du premier puitsä Anah,, 


de 32 et 33 d’Anah & Mesched, de 34 et 35 


de Mesched 4 Taib,. et de ie 34 ‚32, 30 et 28 de. 
'Taib a Alep. 

Les nuits nous: ‚parurent toujours tres-frat- 
ches. Des. que le soleil avait disparu, le vent 


tombait , et l’air se refroidissait peu & peu au 
| a De 


DE VE... HE 
D} 


er 


CHAPITRE X. 349 
point que nous etions obliges de nous bien 


_ couvrir verslematin. Cependant, malgrecette 


fraicheur, nous n’avons jamais vu la moindre 
rosee , ni ressenti la moindre humidite. Nos 
vetemens , nos lıts , nous paraissaient aussi 
secs la nuit que lejour , excepte lorsque nous 
fümes campes , pres d’Anah, sur le bord 
meme du fleuve,, encore cette humidite y fut- 
elle tres-peu sensible, et jamais assez forte 
pour se montrer en rosee. Ä | 

‚Le 26 , nous marchämes autant quela veille, 
et nous eprouvämes une chaleur aussi forte : 
deux chevaux en moururent, et toutes les 
personnes de la caravane en furent plus ou 
moins incommodees. Ce quiaugmentaoupro- 
longea tout au moins nos souffrances , c’est 
‚que l’eau nous manqua. On fut oblige d’en- 
voyer un grand nombre de chameaux a Taib 
pour en prendre. Ce village .n’etait heureu- 
sement qu’& cing milles de nous. 

Nous campämes entre deux gros bourgs 


abandonnes depuis un grand nombre d’ an- 


nees‘, et distans l’un de l’autre de deux ou 
trois milles. Nous n’efimes pas la force d’aller 


_ . voir quelle avait &te leur. etendue et leur im- 


portance. Nous avions rencontre , un peu 


avant de mettre‘ pied A terre , trois aqueducs 


fort anciens et solidement bätis ; ils ne re- 


_ 


7 gene mer m gg nn — —— gg nen ern 


350 _VOYXYAGE EN PERSE. 


cevaient plus d’eau : le premier, que nons 
pümes suivre des yeux & plus de demi-lieue 
de distance , etait A quelques pieds seulement 
au dessus du sol. | 

Le 27 , nous marchämes deux heures et 
demie, et nous campämes au dessous de Tai 
ou Taibeh. Cenom est arahe,, et signifie bon ;: 
il n’a et& probablement donne & cette ville, 
que comparativement au desert‘, et & cause 
d’un filet d’eau potable qu’on y trouve.. A 
cöte d’elle il y a quelques filets d’une autre 
eau qu’on ne peut boire : celle-ci est mine- 
rale, et a un goüt d’oeufs pourris qui ‚souleve 
Vestomac. Toutes ces sources sont au dessous 
de la ville. | 

Taib paralt avoir &t€ autrefois une place 
assez importante. Situde sur la croupe ou sur 
le penchant d’une colline, elle avaıt un bon 
rempart et une citadelle qui la mettaient en 
etat de resister aux Arabes du desert , et m&äme 
ä des troupes regulidres. On voit encore quel- 
ques restes de ces fortifications ; il existe en- 
core une des portes de la ville, et plus loin 
une tour €troite et Elevee , qui parait avoir 
ete l’ouvrage des Arabes musulmans. A cöte 
de la porteil ya une inscription cuphique, en 
partie effacee, que ni le religieux napolitain 


‚nile jeune homme.de Bagdad ne purent lıre. 


.CHAPITRE X. 351 


.. Cette ville , comme toutes celles de la lisidre 
du desert,, est abandonnde depuis long-tems 
et ruinde de fond en comble. Nous y vimes 
pourtanttrois chetivesmaisons, occupees par 
des Arabes- qui nous parurent plus pauvres, 
plus miserables que ceux du desert. Ils cul- 
tivent, pr&sdes sourcesdont nousavonsparle, 
quelques arpens de terre ; ils recoltent assez 
abondammentdel’orge, du froment ‚dumais, 
du sesame, dw coton‘, et quelques plantes po- 
tagöres qui les feraient viv?e dans l’aisance 
et les enrichiraient m&me s’ils n’etaient ex« 
poses sarıs cesse & &tre pilles par les Arabes 
du desert , ou s’ils n’etaient obliges de donner 
“ aux chefs des tribus voisines leg trois quarts 
de’ ce que la terre leur a produit , pour con- 
server le quatriäme , encore ce quatriäme leur 
est-il souvent enleve par les hordes errantes. 
: Le 28, le pays nous parut de plus en plus 
propre & la culture. Nous marchämes pen- 
dant long-tems sur une belle plaine inculte, 
terminde A droite et & gauche par des monta- 
gues peu elevees, denuees de bois. Nous nous 
tröuvämes ensuite sur un terrain indgal, cal- 
taire, Nous campämes, apres dix heures et de- 
inie de marche,, dans un endroit ou il n’yavait 
point d’eau : on fut’oblige d’en aller 'prendre 
& plus de deux lieues vers l’occident. 


2 
Ri] 





35.2 VOYAGE EN PERSE. 


Le 29 , le terrain &tait encore plus indgal. 
Nous traversämes une plaine et ensuite un 
coteau cretace, sur lequel nous vimes beau- 
coup de silex ou pierres & fusil.' Nous passä- 
mes pres d’une eau saumätre, et.nous allämes 
camper, apres six heures de marehe, une 
lieue plus loin, prös d’une autre source d’eau 
saumätre: . ' 

Chemin faisant on avait couru apres cinq 
Arabes que l’on ayait appergus; un seul avait 
pu &tre atteint : on l’amena & la caravane, et 
. on le garda jusqu’au lendemain au soir.. 

Le 30, on marcha pendant dix heures. et 
demie en plaine, sur un terrain nu, cal- 
caire, et on laissa en arriere la montagne qui 
se.trouvait & notre gauche depuis Taib. On 
gourut ce jour-lä apres un Arabe qu’on ap- 
pergut sur un chameau : apr&s l’avoir ques- 
tionne, on lelaissa poursuivre tranquillement 
son chemin, parce qu’il appartenait & une 
horde connue et.amie. Nous n’eümes pas d’aur 
tre eau & boire que .celle qu’on 'avait trans- 
portee la.veille dans des outres. 

Le premier juillet, nous nous dirigeämeg 
vers des collines qui se presentaient au nord; | 
nous passämes'sur un terrain oü leau ayait 
sejourne !’hiver, et oü elle avait laisse une 
croßite saline assez epaisse. Apres huit heuzes 

‚ | ee 


Be ARE. _ . Su 


CHMAPITREX. . 353 


et demie de marche, nous dressämes nos ten- 
tes sur la pente d’unecolline, presd’unesource 
d’eau minerale chaude, assez abondante, qui 
nous parut sulfureuse. Les chameaux,, les che- 
vaux.etquelques Arabes qui en burent,, furent 
assez, fortement purges. Nous y remarquämes 
quelques restes d’un grand Edifice; nous y 


vimes des sepultures musulmanes , mais au- 


cun indice de ville. Le sol environnant pre 
sentait, beaucoup de’ pierres basaltiques, qui 
y etaient etrangeres, et que nous jugeämes y 
avoir ete anportees.d’une montagne ou. col- 
line qui se trouvait a peu de distaned..de l& 
vers le nord-est. Toout le terrain autonr de la. 
source etait. crayeux.. . » nie DD 
L’eau dotce manquait entierement:dans ces 
contrees : A peine en avait-on conserve quel- 
ques outres pour les personnes les plus.distin- 
guces de la cäravane; les atıtres furent obligees 
de s’en passer. ou de boire de l’eau minerale. 
Le 2, il y eut sept heures de marche:sur un 
terrain presque toujours erayeux.,Nouß sui- 
vimes ‚d’abord la.colline'que nous ‚aviöns, & 
droite, et qui fäisait suite Aicelle oü se trou- 
vait la source d’eau minerale ‚chaude. Nous 
nous trouyämes ensuite dans une large. vallde 
que noug longeämes en nous dirigeant, au 


nord. ‚Les montagnes qui la formaient, .n’ds 


Tome VI. Z 





N 


853 VOXYAGE. EN PERSRE. 


tsient pas bien hantes ; elles nous parurent 
- YPune et l’äutre volcaniques : nous nous ap- 
prochämes de celle & gauche ; nous passämes 
sur le bol d’une ancienne ville, olı se trou- 
vaient beauodup de pierres volcaniques tail- 
löes au ciseau, et nous campärkes A-un quart 
de lieue au-delä. 
.: HH yavait de la bonne eau sur la montagne : 
‚On: fut en prendre ‚tant pour les hommes ‚que 
_ pour tous ss animzux de.la caravane. 

‚Vers le soir on appercut au loin des Ara- 
bes.: A, Yinstant tous les 'chets tionterent & 
sheval, et s’avänodrent dans la plaine. Les 
‚Aräbesstaient A pet :prös quatre-vihpts, tousä 
cheval ou sur des dromadaires; nousles vimes 
leider tranquillement au pied de la montagne 
Jpposee, Lorsqu’on les eut perdus de vue,les 
<liefs reyinrent au camp ‚et recommanderent 
abe faire bonne garde toute la nuit: 

‚Le 3,'nous cötoydınes pendant une heure 
»t demie la montagne que 'nous:-avions A 
gauche;; elle nous conduisit au bord d’un 
lac de.deux ou trois lieues d’&tendue. Nous 
passäntes successivement'sur les ruines de trois 
' willages!, 'et nous campätnes un peri än-delä 
slü:dernier, apres quatre henres-de inarche. 
Le ac, dont nous'suivimes taut le bord occi- 
dental'’;: est presqw’&'bet A la fin de l’ete, et 


 CHAPITRE I. ,; 399 
on en tire chaque annde begucayp ‚de sel 
marin, quoique l’eau paraisse ‚Aquce, g5. for 
bonne & boire l’hiver, 

La veille on avait expedie denx caraliers 
pour pr&venir le douaxier d’Alep.de l’aryäyee 
de la garavane. ‚Gelyingi avait egvoyd,;dang 
la matinde du 3, up cammis ppYF, prendie 
note de toutes les marchandises qwelle.ayait, 
et pour ne pas Jes perdrs de. vwe--gye, Ins 
droits ne fugsant äcguifteg ? & ‚Alep..... pen: 

L’aprös-midi npus. ragü;mes: deuz expräs , 

P’un’de M. Vailhen, negociantfrangeis, Rofze 
ami pasticulier , at-Ie second de-MM, Ghor 
derlos notre causul, arrive depyis. pen, dans 
cette ville, et Bichet, ci-deyant prosanenl , 
chez qui.naus avinnslage lors de.natıe:pre- 
inier' voyage..Ces Mespienrs.npps,gnygyalcnr 
quelgnes.provisions ‚fratches , gt, npus enger 
gesient d’une maniAre. aussi Ayujcale, Be: Bf 
nereuse, ä aller despendre chez .eux.' 

N ans quitzämes dasazavane, mon cal ue 
et mpi,:vers les quyatze hepzes du Spin acgamr 
pagnes denos denz,srpass., #Enaps, armiva- 
sic dans une heure,gt,demie 3 up village alı 

l’on hattait les.blas:npng ne. nous y, arzätämes 
pas ; ; nous nous rendimes dans un autre 7 
nomme Sphiri, situ6a un are Plus loin, „ou 
nous passämes la nuit. 


re GR 


Za 


356 VOYAGE'EN PERSE, 

‘Le A, ‚vers dix heures du matin , nous en- 
trändg & Alep apres quatre heures .de'mar- 
che, et nous allämes en ı droiture a la maison 
consuläite. | | 

"Du lac' a la ville la terre est rougeätre,, 
tresifertile‘ et fort bien: cultivee; elle repose 
sur une roche calcaire fort dure. Pr&s d’Alep 
le teiräin devient moins bon-et beaucoup plus 
pierfeirx. ‚Bedu des viläges dans lesquels nous 
avons passe!’ est fort Börme & boire. 

ı "Nötre premier soin’, en arrivant & Alep ‚ 
fat @ eeifre aux agens krangais. etablis & Tri- 
poli} & Latakie et A Alexandrette , pour leur 
Yernander-#il-n’y aurait-pas dans ces ports 
qielgtie navire frangais- ou europeen ‚pret & 
“neitre & Ta voile: pour Marseille ou pour quel- 
'gueiyile: :de:l’Italie: H-'n’y en avait quun & 
Tatakie; il: etait venitien , et etaiten charge: 
inent'Bdur Constantiriople. Nous ‚rösolüimes 
sur-le-champ d’en' pröfiter. >. - Ä Ze 

"Nous 'vendimes'en' 'eohsegtence nös che- 
vaux,"et'nots partänes pour Latakie le 38 
juillet: &la'pointe duj jour, avec un möucre 
hr inuletier de cette ville: en be. 

' A peine. sans ‚trois lieues (1), 


?ı [23 rr ‚r . ' : s sereo: _. .. v 
iss ) . ‘ “ Kon a, no . 





6) Nous avons &value le Chen ;d’Alep N Latakio,. k 
2500 toises s par heure. 


CHAPITRE X; - -; 357 
que nous renoonträmes deux ‚pißtons:qu’on 
venait de deponiller , et'qui retournaient.sur 
leurs Bas , n’ayant plus de quoi faire leur 
route. Rassurds par. netre presence , et:tran- 
:quilles sur leur subsistance , ils reprirent avec 
nous le chemin de Latakie., ou ils voulaient 
se rendre. Lorsque .nous.eümes fait avec eux 
. environ unmille, nous vimes dansles champs 
un sac de biscuit et. autres provisions qu’on 
leur avait pris, et nous appergümes au loin 
les trois hommes qui les. avaient. volds';ils 
avaient chacun, un fusil, mais ‘nous .etions 
sans doute trep mombreux; pour: qu'ilg psas- 
sent nous attaquer. Nous continuämes Retre 
route sans nous:arr£ter ni doubler’le'pas ; et 


apres onze heures de marche nous NOug; Le | 


posämes & Mart-Messerin, village sitng ‚dans 
une belle plaine assez. bien cultivee : Al dait 
&tre A plusieurs lieues ‚nord de Saarmin,. oA 
nous avions passe en allant & Alep.: 

* Le lendemain 3: ; nous marchämes, quel- 
que tems en plaine; nous enträmes dans un 
fort beau vallon, et nous eümes quelque tems. 
devant nous une colline , au sommet de la- 
quelle est un village dont on.ne sut. pas.nous 
dire le nom.. Nous vimes.au .pied de. gette 
colline beaueoup d’oliviers.; nous. nous: de-, 
tournämes un pen &.gauche, et mpus arriyf;, 





338 vorics £v PERSE. 

Ines Au Gaffar, dontita et& question A notre 
voybge de Latakie 4 Alep. Nous eümes au- 
deli du Gaffär un chemin tres:mauvais, tres- 


. Wontägneux, pfesgne totijdurs en pente jus- 


yu’ä Beiser-Chourl, Bü hous arrivättiee apres 
dix Hewresdemarche. 

Le preinierf aofit , notis continuämes notre 
Foute A travers des möntagnes presque toutes 
boisees; nous laissämes & droite le village 
d’Abdama, et nous vinmes descendre Au se- 
cond: Gaflar , sirue dans une gorge oüı coule 
tine petite rividfe qu’on est dblige de’ passer 


plüstenrs fois.' Nous imdrchäines cejoir-1ä dir 


heufes. nn ’ 
"La chaleur nous avait si fort Incommodes 
tes: jöurd prec&dens, que, quoique tfäs-fati- 


| Buch, nous r&solümes de faire pendant la nuit 


tout le chemin'gui nous restait. Nous partimes 
done & dix heures dü soir ; nous passämes 
vers quatre heures du matin au dessous de 
Baloalier; arrivämes A six A la riviere, od il 
n’y avait presque pas4.d’eau ‚et nous enträmes 
le 2, vers les huit heures ‚A Latakie. 

Cette ville, 68 fious Avions passe vingt-deux 
mois'auparavant, n’&tait plus rechrinaissable : 
un tremblemeht de terre avait renverse le tiers 
des maisöns‘, et endommage plus ot moins 


outes‘ les afıtres : _quinze ‚tents habitans Y 


‘ 





CHAPITREX. 359 
avaient peri; plusieurs avaient dt& estropies; 
tous ceux quiavaient öchappe , pleuraient en- 
core la perte de quelque parent ou de quelque 
ami; tous exprimaient assez fortement.l’effroi 


. dont ils furent long-tems saisis. Pendant plug 


de deux moisqu’an fut occupe & retirerles oa- 
davres de dessousles decombres ‚etä cherchex 
les effets precieux qu’onn’avaitpas eu le tems 
d’emporter , on .etait dans les plus vives alar- 
mes ; le moindre bruit, le moindre cri faisait 
sauver les ouvriers, ‚qui repandaient partaut 
l’epourante. Un grand nombre d’habitans ; 
plus timides en moins sensibles que les autres, 
ne renträrent pas.de trois mois dans la ville. 

Ce tremblement detterre eut lien le 26 avril 
1796 ‚, anenf.heures. quelyues minntes du ma- 
tin. La mer etait alore parfaitement calme : 
il n’y avait pas dans Y’air le moindre vent, la 
moindre agitation ; le ciel &tait an peu em- 
brume, et le soleil se montrait päle : on eßt 
dit que cet astre et tous les el£Emezs &taient at. 
tentifs , on allaient pnendre part & la sodne 
effroyable qui deväit avair ıieu. Ehe fut pre- 
cedee d’un bruit souserrain, assez fort pour 
empöcher d’entendre ceküi «le le chufe des 
maison$, O4 pour mieux dire ‚oes deux .bruits 
eurent lieu presqu’an mitme änstant:; ils se 
confandirent, et ne dannerent & persanne le- 


u 


pr 
ö 


360 VOXAGE EN. PERSE. 


‚temis de se sauver. La chute des maisons fut 


si prompte , que ceux-lä mämes qui habitaient 
le rez de chaussee, et qui se trouvaient de- 


bout,.ne purent arriver jusqu’au seuil de la 


porte. La douane du tabac, situede vers le 
port, edifice tres-considerable et tres-solide- 
ment bäti, s’&croula tout entier et si subite- 
ment , que personne ne s’en sauva: l’aga, ses 
officiers et quatre. vents ouvriers y perdirent 
la vie. 

La premiere secousse, qui fut la plus ter- 
rible ‚et qui futcellequirenversa les maisons, 
souleva le sol de plusieurs toises ; les autres 
furent horizontales, et parurent se diriger de 


laterre ä la mer, ou de l’est & l’ouest ; elles 


durerent pres d’une minute , en diminuant de 
force depuis la premiere jusqu’& la derniere. 
La Syrie, comme on sait, a toujours ete 


| exposee aux tremblemens de terre. La plu- 


part.des villes de l’antiquite, telles que Sidon, 


Berite, Cesarde , Antioche, ont dte renver- 


sees ou fortement endommagees par cette 
cause; et de nos jours il n’est gu&re d’annees 
ot ’on n’en ressente de plus ou moins forts 
dans quelques parties de cette vaste contree. 
Dans le mois de deoembre'1795, A deux heu- 


‚res dix minutes de l’apres-midi‘, il y en eut 
_ unä&Alep , assez fort pour endommager beau- 


P2 


CHAPITRE X. 361 


coup de maisons : celleque nous habitions, fut 


lesardee en plusieurs endröits. Il y eut deux 


" secousses ; la premiere fut moins forte que la 


seconde , etcelle-cisucceda rapidement ä l’an- 
tre; la direction nous parut @tre du nord au 
sud.. . | | 

. Nous etions dans ce moment dix personnes 
A table chez le proconsul: par un mouvement 
spontane nous fümes sur pied, et nous nous 
trouvämes tous sur une terrasse qui etait & 
cöte de la salle & manger , avant d’avoir pu 
reflechir & ce que nous faisions. Comme ces 


‚deux secousses n’eurent pas de suite , nous 


rimes de notre frayeur machinale , et nous 
vinmes continuer notre diner. 


362 VOYAGE EN PERSE. 





CHAPITRR XL. 


Depart de Latakie pour Larnaca. 


Commerce et population de Chypre. 
Route par Nicosie , Cerino , Celin- 
dro, Caraman, Konieh et Aksheer. 
Arrivde a Cara-Hissar. 


Lx navire venitien qui se trouvait & Lata- 
kie, devaitmettre Ala voiledansunequinzäine ‚ 
de jours, et se rendre & Constantinople avec 
un chargement de tabac. Nous fümes quelque 
tems sur le point de nous y embarquer, mais. 
le vice-consul et son chancelier nous en dis- 
suaderent, sur la nouvelle qu’ils avaient eue 
tr&s-recemment qu’un corsaire algerien ayait 
enleve, aux environs de Castel-Rosso, un 
navire de cette nation, et Yavait conduit ä& 


., Rhodes. 


Quoique cette nouvelle ne nous parüt pas 
tres-certaine , nous laissämes partir le Veni- 


tien , et nous nous embarquämes le 4 de sep- 
_ tembre, & la pointe du jour, pour Chypre, 


sur un petit navire ragusais , qui devait tou- 
cher ä la rade de Iarnaca, etse rendre de l& 


CHAPITRE x1. 363 


& Alexandrie : il avait quelques boeufs et 
quelques 'balles de tabac destines pour cette 
derniere ville, etquelques passagers grecs qui 
retournaient en Chypre leur patrie. 

Un petit vent de terre nous mit, dans deux 
outrois heures, ä deux lieues du port; ilcessa 
de souffler lorsque le soleil se fut un peu eleve, 
et vers les neuf heures il passa peu & peu au 


sud-ouest, ainsi qu’il arrive tous les jours, . 


dans cette saison , sur cette partie de la cöte. 


On pinga le vent autant que l’on put, sans 
faire pour cela bonne route. La nnit nous’ 


restämes en calme, et le 5, lorsqu’il fitjour, 
nous reconnfimes, & huit ou neuf lieues est- 
nord-est, le cap Kansir, qui est ä quatorze 
lieuesnord-nord-ouest de Latakie: nous etions 
alors en face du golfe de Seleucie,. dans le- 
quel I’Oronte vient se jeter. 

Le vent souflla teute la journde du sud- 
ouest, et nous porta vers la Caramanie : nous 
ne la decouyrimes pourtant que le 7 au soir. 
Nous continuämes de nous diriger vers elle 
le 8, ayant toujours du calme la nuit, et le 
meime vent de sud-ouest durant le jour. 

Le 8, ä deux ou trois heures de nuit, le 
vent ayant passe au nord ‚et 8’y tant soutenu 
jusqu’au matin, nous nous trouvämes, & la 
pointe du jour ,. A treis lieues nord.est du 


[1 


364 VOYAGE EN PERSE. 


promontoire Dinaretum ou cap Saint- Ar- 


dre , pres duquel sont trois ou quatre ilots 
zus, bas, caries tout autour par les eaux de 
la ıner, et qui porterent autrefois le riom de 
Clides ou Cleides insulae. Des que nous l’eü- 
mes double, le capitaine fit jeter l’ancre; ce 
qui nous surprit , attendu que le vent etait 
encore favorable quoiqu'il eüt dejä faibli ; 
mais nous reconnümes bientöt que le capi- 
taine ne s’etait decide A mouiller que parce 
qu'il avait juge que nous aurions encore ce 
jour-lä le vent de sud-ouest; il avait voulu 
attendre, pour faire route, que celmi de terre 
vint le remplacer. 

La cöte, aux environs du cap , est basse 
et d’un difficile abord ‚„& cause des rochers 
caries dont elle est herissee. Nous nous fimes 
pourtantmettre & terre afın d’observer l’inte- 
rieur, ety ramasser quelques plantes. Nous y 
vimes des lentisques et des caroubiers rabou- 
gris, parıni lesquels se trouvaient des myrtes, 
les paliures , des sarietes‘, des cistes, des char- 
dions et autres plantes peu importantes. 

Le pays aboude en gibier : nous n’avions 
pas de chiens, et pourtant nous fimes lever 
plusieurs lievres. et plusieurs compagnies de 
perdrix a bec et & pieds rouges : nous n’y 
vimes pas le francolin , quoiqu’il soit assen 


4 





CHAPITRE XI. 3653 


multiplie dans quelques quartiers de !’ile. 
A. demi-lieue du cap, il’ y a une chapelle 


., et deux ou trois famälles grecques qui culti- 


vent quelquesarpens de terre: elles y recueil- 
lent du froment, du coton, du sesame , du 
mais, du doura et quelques plantes potage- 
res; elles y ont aussi quelques ruches. 

A deux heures de nuit ‚ le vent de terre 
nous permit de mettre & la voile, et de faire 
bonne route en suivant la cöte. Dans la ma- 
tinde du 10, nous vimes de loin Famagouste , 
ville fortifiee par les Venitiens, et qu/ils de- 
fendirent pendant plus d’un an contre des 
forces tres-considerables que Selim H y avait 
envoyees. Nicosie s’etait rendue l’annee d’au- 


‚'paravant, en.ı570, apres un mois de siege. 


Le vent de nord, quoique faible, continuant de 
souftler , nous doublämes, vers les neuf hen- ° 
res, le cap de la Grecque ou de la Griega , 

et nous pümes alors, avec le vent de sud- 


 ouest ,„ venir mouiller ayant midi dans la 


rade de Larnaca. 

Cette rade, dans Jäquelle se trouivait autre: 
fois le port de Citium, quoiqu’exposde au 
vent du midi et au siroco, est assez benne 
et asseZ süre , m&me en hiver. Le ville est si- 
tude en plaine, a un quart de lieue della mer, . 
pres de l’emplacement de l’ancienne Citium ; 


/ 





366  VOYAGE EN PERSE. 


elle est peu etendue et peu peuplee: on y 
'eompte & peine deux mille habitans, y com- 
pris ceux du faubourg oü l’on debarque. 

_ C’est sans doute & la bont& de cette rade 
et A la proximite de la capitale, que Larnaca 
doit l’avantage d’ötre aujourd’hui le seul en- 
trepöt des denrees de l’ile et la residence des 
consuls et des negocians europeens, car l’air 
y est tr&s-mal-sain & cause d’une saline si- 
tuee & peu de distance de la ville, A l’occi- 
dent, et dont les exhalaisons sont amendes 
par le vent de mer oude sud-ouest, qui souffle 
regulierement tous les jours d’ete, ainsi que 
nous l’avons dit, depuis neuf ou dix heures 
du matin jusqu’au soir. 

Cette saline fournit ordinairement plus de 
sel. qu’on n’en peut vendre : le gouverne- 
ment l’afferme ä des particuliers, pour six 
mille piastrespar an, prix qui serait trds-mo- 
dique si le sel & Chypre avait un pev de va- 
leur et un peu de debit. 

Le bassin otı il se forme,, a plus d’an mille 
de largeur : il’ est & peu pres. au niveau de la 
mer ; il ne communigue pas directement’avec 
elle, mais l’hiver, lorsque les vents de su 
et de sud-ouest soufflent avec force, l’eau de 
la salins s’el&ve dans les m&mes propdstione 
“que celle.de la mer. L’ete, l’evaporation sufr 


CHAPITRE X1. 367 
äit pour la faire disparaätre presqw'entiere- 
ment, et y former un sel tr&s-blanc e$ d’une 
tres-bonne qualit£;; il ‚passe preaque tout a 
Constantinople. 

Avant la revolution frangaise le commerce 
de Chypre etait presque 'tont entre les mains 


' des Frangais et des Venitiens : les Anglais 


etles Hollandais avatent tente inutilement de 
8’y etabhr ; ils n’avaient jamais pu emtrer en 
concurrence avec les premwiens,, salt parce que 
‚cette !le est devemme trop pauvre ;pour con- 
‚sommer les draps anglais :et les denrees .des 
.Hollandais , soit-parce que les produits du sol 
.diminuant considerablement de jour en jour, 
les negocians ne pouvaient acheter :assez de 
‚marchandises pour payer, au moyen des 
benefices , les frais d’ätablissement. Marseille 
möme, quis’etait emparde seule de presque 
‚tout le commerce de Chypre, ne tirait pas de 


" Larnäca pour un million de marchandises, et 


.n’y versait.pas.en draps, bennets ,.quincaille- 
‚tie, mercerie ‚liqueurs et. denröes oolaniales, 
‚peur une valeur de 200,000 livres. 

Les 'principales productions de cette ile 


 eonsistent en .coton , dont la qualit& va de 


‚pair avec celui.de la Syrie ; en racine de ga- 
‚ande tr&s-estimee ; en sale, vin, cize, Soude, 
“ laine, kermäs, coloquinte- ';, peaux de hbouc, - 


Fi 


368 VOYAGE EN PERSE. 


de mouton et d’agneau , peaux de liövre; en 
coton fild assez beau ; en toiles decoton, con-. 


.nues sous le nom de Zoiles dimites, toiles es- 


camittes , toiles amans, toiles antioches, 
bourgs alayas, ete. On tire ‘aussi de Larnaca 
diverses marchandises qui y viennent de la 
Caramanie, de la Syrie et de Pinterieur de la 


'Natolie , telles que storax, noix de galle R 


adragant , soie , cuivre, etc. 

Cette lle, l!’une des plus considerables de la 
Mediterrane, et l’une des plus importantes 
par les productions, a ete de tous les tems 
plus exposee que toute autre A exciter la cu- 
pidite des peuples voisins. Trop peu etendue 
pour avoir une population capable de resister 
dA un ennemi puissant, trop abordable, trop 
ouverte pour se defendre, elle a dü &tre aussi 
souvent conquise qu’elle a ete souvent atta- 
quee. Sans parler des incursions et des: rava- 
ges que divers peuples y ont faits A. diverses 
epoques , nous la voyons successivement gou- 
vernee par des magistrats, des rois ou des 
tyrans pris dans son sein; par les Pheniciens;, 
les Persans, les Macedoniens, les Syriens, les 
Egyptiens etles Romains; par les empereurs 
d’Orient , par des rois &trangers ( les’ Lusi- 
gnan), par les Genois ; les Venitiens, et enfin 
par les Othomans. oo. 

Chypre, 


CHAPITRE XL - 369 


.: Chypre, sous la verge des Venitiens, ne fut 
pas aussi florissante qu’elle l’avait ete sous les 


'successeurs d’Alexandre ‚. sous les Romains 


et sous les Grecs ; mais sa population s’y etait 
soufenue : le commerce que ce peuple mar- 
chand'y faisait, avait entretenu l’agriculture 
et y avait maintenu.l’industrie. Les villes n’y 
etaient plus ni aussinombreuses niaussi belles 
qu’äutrefois , parce que lejoug.de ces trangers 
dut paraitre trop pesant & desinsulaires natu- 
rellement portes & !’independance. Mais sous 
les Turcs, sous ce peuple aussi barbare que 
feroce , population, commerce , industrie, 
agriculture , tout a souflert, tout a langui, 
Chypre, sous la double tyrannie du gouver- 
nement et de chaque individu musulman , 
domicilie ou simplement de passage , est de- 
venue en peu de tems le pays le plus pauvre, 
le plus malheureux de tous ceux que les 
Grecs occupent encore. | 

Ce quiaggrave chaque j jour le sort bien de- 
plorable des Cypriotes , c’estque l’impöt etablı 
ä 4oo hourses ou 400,000 livres apres la prise 
de File , a ete. successivement porte , par leg 
avanies.et les pr&sens forc&s, & plus d’un mil- 
lion de piastres, et qu’il se soutient toujours 
au m&me taux , quoique le pays se depeuple 
d’une mani£ere effrayante , et que la culture 

Tome VI. Aa 


\ 





s 


370 VOYÄGE EN PERSE. 


des terres y soit träs-negligee faute de bras. 
Ceux quirestentdansle pays, paient pour ceux 
qui s’expatrient ou-qui perissent de misdre. 
Il faut ajouter & cette somme , qui'passe toute 
a Constantinople sans espoir de retour, ce 
que le mutselim et Pev&que metropolitain ; 
etablis Nicosie, exigerft pour leur fastueux 
entretien ; ce que la garnison de Famagouste 
depense, et ce qu’il faut donner & un clerge 
aussi nombreüx et aussi consommateur qu’il 
pöuvait P&tre dans des tems plus prosperes. 

On ne compte aujourd’hui , en Chypre, 
qu’environ huit mille Grecs payant karatch ; 
ce qui peut faire’ supposer qu’avec leurs fem- 
nes ‚et leurs enfans au dessous de douze ans, 
quiest l’äge, dans cette ile, oü les mälescom- 
inencent A &tre personnellement imposes ‚leur 
population ne s’elöve pas au-delä: de trente 
mille.'Les Turcs qui se trouvent & Nicosie, 
& Famagouste, ou qui sont repandus en tres- 
petit nombre dans l’ile, n’y sont pas values 
& plus de trente mie. Ainsi un pays qui 
pourrait nourrir un million‘ d’habitans avec 
les seules productions du sol #’il aydit un bon 
göuvernement, n’ena guere ge sofxante mille 
sous celui:des Turcs. 

‘ N’ayant pas trouve, a Larnada ‘de navire 
en 'chärgement pour Marseille ou pour V’Italie, 


a EEEEREEEDGn  digmmipemun ru 
. 





CHAPITRE XI. I7k 


nous resolümes de nous rendre A Constanti- 
nople par la Natolie, et de charger le consul 


‘de nous y faire: passer par mer nos collec- 


tions et les eflets dont nous pouvions pour 
le moment nous passer. Debarrasses de tout 
ce qui pouvait retarder ou g&ner notre mar- 
che , nous primes des chevaux,, et nous par- 
times le ı3 septembre , A deux ou trois heures 
de nuit, pour Nicosie, ol nous arrivämes 
dans huit heures, par un terrain inegal sang 
etre montagneux. 

Cette ville, depuis long-tems la capitale de 
Vile, est grande, bien bätie, et situde au mi- 
lieu d’une plaine fertile et arrosee,, qui s’e- 
tend assez loin au nord et & l’est, mais qui est 
bornee , au sud-ouest , par un coteau qui la 
domine & un quart de lieue seulement. Ses 
maisons , toutes construites en maconnerie , 


. ont plus de solidit@ que n’en donnent les 


-Turcs. On y voit encore quatre &glises an- 
ciennes , que les Venitiens ayaient conser- 
vees , et qui ont Ete transformees en mos- 
quees. Sa population peut aller & quinze mille 
habitans , dont les trois quarts sont Turcs. 
Nicosie paralt avoir eu autrefois beaucoup 
plus d’etendue qu’elle n’en a & present. Les 
Venitiens,, qui voulurent en faire une place 
forte, la reduisirent au point.ou elle est, et 
Aaa 








- 


372 VOYAGE EN PEREE. 


Fentourerent d’un bon rempart. On saitqu’elle 
leur fut enlevee en 1570 par les Turcs , apres 
un mois desiege. Dandolo , qui avait soutenu, 
avec deux mille cing cents hommes , tous les: 
efforts d’une armee innombrable et accoutu- 
mee & se battre , et qui avait obtenu , en se 
rendant , une honorable capitulation ‚„ fut 
ögorge avec sa garnison , nonobstant les pro- 
imesses et l’engagement par Ecrit du general 
turc; quinze mille habitans furent en mäme 
tems passes au fil de l’epee , et vingt-cing 
mille furent charges de chaines et envoyes A 
Constantinople pour y &tre vendus. La ville 
fut pillee, et n’eut, pendant long-tems , pojnt 
d’autres habitans que ceux qui venaient d’y 
conmettre tous les desordres et tous les cri- 
mes imaginables. 

« Nous ‚partimes le m&me soir vers les six 
heures , et primes la route de Cerino, petite 


ville situde sur la cöte septentrionale de !’lle. 


Apres avoir marche une heure , nous quit- 
tämes la plaine de Nicosie ; nous montämes 
quelque tems par un chemin trös-rude,, tres- 
mauvais; nous descendimes ensuite par une 
gorge ol passait un ruisseau d’eau , etä& mi- 
nuit nous enträmes dans Cerino. . , 

Ide la montagne A la mer il n’y a guere plus 


:de demi-lieue. Le. terrain, dans cette lisiere 


CHAPITRE XI. - 373 


etroite, est bon , un peu arrose, et assez bien 
cultive. Il est presque tout couvert d’oliviers , 
de müriers , de caroubiers et de figuiers :ony 
cultive beaucoup de coton , et en moindre 
quantite du sesame, du mais , de l’orge et du 
$roment. Le jujubier , que nous avens ren- 
contre sauvage en plusieurs endroits de cette 
ile , etait-partout garni de fruits; il ’ne s’e- 


levait qu’ä quelques pieds, et formait un buis- 


son forttouffu. Nousl’avions vu dansle möme 
etat aux environs d’Alep. _ 

Cerino, nomme autrefois Ceronia ou Ce- | 
ronium , paralt ayoir ete assez bien fortihe. 
On y voit encore , au bord de lamer, et& 
l’orient du port, un chäteau en assez bon 
etat. Quant aux murs dont elle etait entou- 
ree., ils sont presqu’entierement detruits, et 
“la ville n’est plus aujourd’hui qu’un mauvais 
village ou iln’y a pas deux cents habitans. 

Le port, forme par des rochers , est petit, 
ouvert au vent de nord, et assez peu sür en 
hiver. On pourrait , avec quelque depense , 
le rendre en e&tat de’ recevoir , sans aucun 
risque , trois ou quatre navires,'et m&me 
davantage si on le creusait du cöte du chä- 
'teau. 

Ilya,a Poccident de Cerino, un banc de 
roche caloaire fort dure , qui setrouveä fleur 


374 VOYAGE EN PERSE. 


de terre , dans lequel on a pratiqu& autrefois 
des logemens ou peut-&tre des sepultures. 
Pockoke , qui en parle , les a pris pour des 
sepultures anciennes : on y descend par un 
escalier fort etroit,, taill& dans la roche. Les 
chambres sont peu .spacieuses ; elles n’ont 
gudre au-delä de huit pieds en carre ; quel- 
ques-unes communiquent entr’elles par une 
porte; la partie superieure est ceintree et bien 
conservee. Ces chambres different des cata- 
combes d’Egypte ‚, et detoutes celles que nous 
avons vues& Milo, A Latakie , a Orfa, en ce 
qu’elles sont simples , sans ornement et sans 
| loges ni sarcophages. Nous sommes portes 4 
croire qu’elles ont servi autrefois de logement 
ou de lieu de depöt aux habitans de cette 
partie de !’üe lorsqu’ils etaient assez peu nom- 
breux pour ne pouyoir pas s’opposer aux in- 
cursions des pirates , ou aux entreprises des 
peuples qui se trouvaient repandus sur les 
montagnes de la Caramanie. 
"Ons’occupe, ACerino, ainsique dans beau- 
coup d’autres villages de Chypre, & prendre 
aux gluaux, dans le courant de P’automne, 
les petits oiseaux designes sous le nom gene- 
rique de bec -fıgues , qui arrivent, dans cette 
saison , par la Caramanie , des contrees plus 
septentrionales. On les confi au vinaigre, ou 


CHAPITRE XL 375 


ce qui vaut beaucoup mieux , au yin de Chy- 
pre : pour cela, on les plume bien, on les 
fait bouillir & l’eau pure pendant quelques 
minutes; on les laisse bien egoütter , et: on leg 
met dans:la liqueur ; ils se conservent fort 


bien en cet etat toute l’annde ; on conserve . 


de me&me les cailles et autres petits oiseaux. 


On les place avec soin dans des pots de terre, 


et on les envoie & Marseille , a Venise, a Li- 
vourne.et dans les autres villes de l’Italie... 
LaPorteavaitetahli,äCerino, un bätiment 
francais, commande par le capitaine Belardı 
de Saint ; T’ropes : il etait destine a passer , 


de Chypre en Caramanie, le khasnd ou ar- 


gent de l’impöt , les agens du gouverne- 
ment, et tous les passagers qui se: präsen- 
taient. 

Le capitaine Belardiı nous recut Ason bord, 
et mit a la’voile le ı7. septembre avantle leyer 
du soleil. Le vent du sud-ouest souffla, comme 
a l’ordinaire, une bonne partie de la journee : 
Ja nuit, il fut faible et variable ; nous nous 
trouvämes pourtant, le ı8 au matin, sur la 
cöte de Caramanie , .et vers les neuf heures 


nous jetämes l’ancre dans la petite baie de. 


Celindro. 
. On compte, de Cerino N Celindro, dix-huit 
lieues marines , et du cap Gormachiti & celui 


\ 


\ 


376 VOYAGE'EN PERSE. 
d’Anemur ‚ qui sont les points les plus rap 
proches , quatorze lieues seulement. ' 

La cöte de Caramanie ou, pour mieux 
dire, les montagnes qui s’ayancent jusqu’au 
‘ bord de la mer, paraissent fort bien de Ce- 
rino lorsque le tems est beau. 

Le lendemain de notre arrivee, nous vimes 
descendre de la montagne cing hommes con- 
duisant dix cheyvaux qu’ils veriaient nous of- 
frir pour nous transporter A Caraman, ville , 
qui se trouve & quatre journees au nord. Le 
prix fut bientöt fait : nous consentimes & don: 
ner la somme qu’on demandait , et a payet 
tous les chevaux qu’on avait amen&s, quoique 
nous n’en eussions besoin que de six , mais 
A condition qu’on nous accorderait deux jours 
que nous voulions employer a parcourir les 
environs, 

Celindro est un port naturel & l’abri de 
tous les vents , excepte du siroco. C'est, & 
proprement parler , une anse peu profonde , 
peu spacieuse,, formee par une langue de terre 
qui s’avance dans la mer de l’ouestä& l’est. Un 
bätiment y est en sürete möyennant deux ca- 
bles attaches A terre, et une ou deux ancres 
mouil es au large. ' 

Au dessus du port on voit les ruines d’une 
ville peu etendue : c’est l’ancienne Celenderis; 


AN 


CHAPITRE XI 377 


dont parle Strabon; Elle etait situede au bas de 
la montagne qui s’avance ici en pente douce 
jusqu’& la mer : on y appercoit encore beau- 
coup de vieux murs; on y voit des tombeaux 
avec des caracteres grecs peu Iısibles: Au nord- 
est nous avons suivi & plus d’une lieue sur la 
montagne, un aqueduc 'bäti & fleur-de terre; 
il paratt: avodir amene les eaux d’un petit rüis- 
seau que nous traversämes en allant A-Cara- 
man- . Bu \ 

Cette cöte est deserte quoiqu’elle soit par- 
tout susceptible de culture: la vigne, l’olivier, | 
le’ mürier, reussiraient tres-bien partout : on 
voit & leur place le caroubier;, le poirier sau- 


, vage , le terebinthe, le paliure , le gen&t d’Es- 
'pagne , le lentisque, le myrte, le pin d’Alep, 


et en quelques endroits lecypres et le laurier. 
"Le 20 , nous fümes en nous promenant jus- 
qu’au port Figuier :il est Aune heure de che- 
min, A V’occident de Celindro. C’est une anse 
peu profonde , ouverte au sud: les vaisseaux y 
mouillent, et y sont en sürete quelque tems 
qu’il fasse , parce que le fond est bon, et qu’il 
se troüve, A l’ouest: du port, un tlot presque 
contigu & la terre, qui les met un peu ä l’abri 
du vent de sud. - | 
La montagne s’avance, comme & Celindro, 
jusqu’au bord dela mer, et forme, au-devant 





örB VOYAGE EN PERSE. | 
du port, un vallon etroit, qui nous:parut de 
la plus grande fertilite. Nous ne pümes nous 
faire jour & travers la ronce, la vigne sau- 
vage, la clematite, le figuier et une infinite 
d’arbres, d’arbrisseaux et de plarites qui y 
croissaient avec une force de: vegetation sür- 
prenante. Il sort du pied de la. montagne, 
fort pres du rivage, une eau tres-abondante 
et fort.bonne, dont les marins qui mouillent 
dans ce port, ne manquent pas de faire pro 
vision. 

On ayait bäti autrefois une ville sur Itlot. 
et sur la pointe de terre qui y fait fape. :.on 
en voit encore les ruines ; mals, d’apres le peu 
d’etendue qu’elle occupait , il ne parait pas 
quelle ait et€ considerable : c’est probable- 
ment la ville d’Arsinoe, que Strabon place. en 
Cilicie. Les Italiens et les Provengaux ont 
donne & ce lieu le nom de Porzo-Figuero , & 
cause de quelgues figuiers sauvages qui se 
trouvent pres du rivage. © 

Toute la montagne est calcaire. Nous trou- 
vämes un grand nombre de plantes dont nous 
primes les graines : la plus commune &tajf une 
germandree & feuilles de romarın (teucrium 
rosmarinifolium), qui a fort bien leve au Jar- 
dirı des Plantes de Paris. . 

Nous partimes de Celindrole 2ı ptanbre 


-—- TR a 


‚ CHAPITRE XI. 379 


Aa neuf heures du matin, en nous dirigeant 


d’abord ä l’est, puis au nord. Nous montä- 
mes beaucoup; la roche se montra partout 
calcaire et fort dure ; nous eümes long-teıns 
Ja vue de la.mer ; l’ile de Chypre se dessinait 
dans le.lointain derriere ious; le cap Anemur 


' nous restait au sud-ouest ; nous avions sous 


nosyeux, au sud-sud-est ‚le promontoire Sar- 
pedon, au-delä duquel, selon nos conduc- 
teurs, se trouvait l’embouchure d'un fleuve 
que nous devions passer le lendemain, et la 
ville de Selefkeh, l’ancienne Seleucie, que 
Von sait avoir ete placee ä peu de distance de 
la mer, sur le Calycadnus. ur 

Ces lieux rappellent le traite qui fut fait 


entre les Romains et Antiochus, ou il est dit 
' » entr’autres quece dernier ne pourra naviguer 
. emdecä ou A l’occident du Calycadnus et du 
' promontoire Sarpedon. 


: Apres trois heures de marche, nous nous 


reposämes saus un platane majestueux , pres 


d’un ruisseau qui caulait A travers des ro- 
chers : ses eaux etaient fraiches, et ses bords 
couverts de belles plantes. Nous flınes pre- 
parer , ainsi qu’on nous l’avait conseille, un 
grand plat de riz au beurre, que nous man- 
gedämes avecnos cönducteurs : nous leur fimes 


part de quelques proyisions que nous avions 
2 ® 


380 VOYAGE EN PERSE. 


emportees; nous leur fimes donner du tabac 
et du cafe : c’etait leur faire prendre un se- 
. cond engagement de nous ätre fideles. En 
acceptant nos dons, en'mangeant avec nous, 
le traite que nous avions fait en partant, leur 
devenait plus sacre ; nousponvionsdes-lorsles 
suivre sans craindre une perfidie deleur part. 
Nous quittämes en cet endroit le pin d’A- 
lep, et nous commengämes & en voir deux 
autres especes qui ressemblent un peu au la- 
riccto ou pin de Corse ; ils s’el&vent & plus de 
cent pieds sur une tige fort droite. Le chäne 
ordinaire.et celui & fruits pedoncules sont ° 
tr&s-communs sur ces montagnes , et forment 
en quelques endroits d’epaisses for&ts. Nous 
continuwämes & voir le terebinthe, le paliare, 
le genevrier, le ‚myrte ,„ te lentisque. Nous 
marchämes encore quatre heures toujonrs en 
nous elevant, et nous arrivämes & un petit 
village de Caramans, oü se trouvait l’aga qui 
commande & cette contree. Le village n’etait 
forıne que de quelques cabanes reunies: nous 
en avions vu quelques - unes &parses 'sur la 
‚route. Nous ne renconträmes point de cul- 
tures; nous vimes seulement autour du vil- 
lage quelques jardins en assez mauvais &tat. : 
L’aga nous recut fort bien, et nous träita 
de son mieux. Le-capitaine du navire luien- 


” 


'CHAPITRE X1. 88 
voyait en present quelques livres de sucre, 
de cafe, de tabac & fumer ‚et de riz. I s’in- 
forma si noüs avions &te contens des conduc- 
teurs qu’il nous avait envoyes, et si nous 
etions bien aises d’avoir les m&mes jusqu’& 
Caraman. Nous repondimes que nous irions 
volontiers avec eux jusqu’ä Constantinople 
sı cela se pouvait. En effet, nous n’avions 
point dutoutä nousplaindre d’eux ; ilsavaient 
ete tres-attentifs, tres-complaisans ; ils ramas- 
saient, chemin faisant, toutes les plantes que 
nous leur indiquions, et lörsque nous descen- 
dions pour les prendre nous-m&mes, ils s’ar- 
retaient, et nous attendaient aussi long-tems 
que nous voulions , sans murmurer, 

Le lendemain 22, nous donnämes quelques 
piastres ä Pofficier qui vint nous souhai- 
ter, de la part de l’aga, un bon voyage, etre- 
commander aux conducteurs d’avoir bien soin 

.de.nous. Nous montämes & chevalä la pointe 
du jour, et nous traversämes des montagnes 
coyvertes de .ch@nes ‘et de pins: : le storax,, le 
terebinthe et le lentisque s Y trouvaient tres- 
abondans. u 

Apres huit heures de marche nous descen- 
dimes beaucoup, et nous nous trouvämes 

. dans une large vallee : nous passämes & gue 

une riviere assez grande; nous marchäines 


282  VOYAGE EN PERSR. 


encore une heure, et nous en vimes une au- 
tre presqu’aussi grande que la precedente : 
leur cours etait de gauche & droite; nos con- 
ducteurs nous dirent qu’elles se reunissent & 
quelques lieues de lä, et qu’elles vont passer 


. & Selefkeh. Nous ne doutämes pas quecene . 


füt le Calycadnüs, et que nous ne fussions 
dans la plaine de la Cilicie Tracheolite, olı se 
trouvaient les villes d’Olbe et de Pluladel- 
phie. 

Nous remontämes quelque tems la seconde 
riviere, en nous dirigeant au nord-ouest, et 
nous nous arr&tämes sur ses bords & l’entree 
de la nuit : nous marchämes ce jour-läA onze 
heures. 

Cette plaine se prolonge beaucoup & l’o-, 
rient.et un peu moins & l’occident:: elle n’a 
pas trois lieues de largeur du nord au sud;; 
elle presente partout des inegalites, partout 
on remarque des depöts sabloneux, des co- 
teaux de cailloutage ; la terre y estem general 
' assez bonne.: On y recueille du froment, de 
l’orge, du sesame , du eoton: nous y vimes 
beaucoup de melons et de pastäques ; nous 
retrouvämes la petite mimeuse et l’alagi de la 
Perse et de la Syrie, et le peuplier des.bords 
de l’Euphrate; le platane y etait fort abon- 
dant. 


[4 
. 





CHAPITRE XI. 383 


Le 23,nous remontämes encore la riviere: 
nous vimes un pont & sept arches, qui con- 
duisait A un petit village peu distant de lä; 
nous vinmes passer sur un aAutre pont pres de 
la source, et nous quittämes la plaine. L’oli- 
vier que nous avions commence & voir la 

veille parmi les chönes et les pins, se trouvait 
ici plus commun ; il croit sans culture sur les 
fentes des rochers , sur le bord des precipices , 
sur desterrainsextr&mementen pente, comme 
sur ceux qui sont en plaine:: on ne peut dou- 
ter enle voyant, quil n’ysoit tout-A-fait sau- 
vage, et ’qu’il ne soit originwire de ces con» 
trees ; il n’est pemt eElance comme ceux qu’on 
cultive &ı Erdteet en Syrie; il est ordinaire- 
wert en buisson parce qu’il est souvent ronge 
par les bestiaux , et parce que sa souche est 
toujours entouree d’un grand nombre de re- 
jetons : on en voit cependant qui forment des 
arbres de moyenne grandeur; nous l’avons 
m&rne vu quelquefois-assez beau lA ou il for- 
_ mait une &paisse foret. Son fruit commencait 
A mürir : on le laisse tomber sans le cneillir ; ; 
il devient alors la proie des oiseaux , des rats 
et du menu betail. | 

Apres avoir marche six ou sept heures dans 
un pays montagneux , tout Couvert de ces 
arbres ‚, nous nous trouvämes au pied du mont 


! 


4 


384 VOYAGE EN BERSE. 
Taurus : il nous fallut plus de deux heures 
pour atteindre au sommet. Nous eümes ce 
jour-lA neuf heures de marche ; nous passd- 
mes la nuit sur une perouae, A a cötE d’un pe- 
tit filet d’eau. 

Toute la montagne &tait couverte de ‚bois : 
nous remarquämes entr’autres un genevrier 
Afeuilles de eypr&s, qui s’elöve A trente pieds; 
la, ; Hepuis. le bas jusqu’au haut de la tige, 
de grosses. branches horizontales, qui dimi- 


auent progressivement en etendue; cequilui 


donne une forme tout-A-fait pyramidale. La 
tige est: de m£me tres-Epaisse par le bas, et 
- tres-mince vers le haut ; le boig est tres-dur, 
bien veine et susceptible d’un beau poli: on 
s’en sert pour les poutres et la Charpente des 
maisons. 

Le 24, apres avoir depasse la montagne, 
nous noustrouvämes dans un vallon oü nous 
viınes quelques habitans, quelques troupeaux 
et un peu de culture : nous.y remarquämes 
un poirier.ä fruit petit, äpre, & feuilles lan- 
ceolees , cotoneuses , et un prunier dont le 
fruit etait ovale, de grosseur moyenne‘, jau- 
nätre, un peu colore de rouge, et d’un goßt 


aigrelet; il nous parut differer de notre pru- 


nier sauyage, et'nous le regardämes comme 
le type de tous ceux que l’on cultive, tant en 
Europe 


< 


:CHAPITRE'XT.: 335 
Europequ’en Asie;quantaupoirier, il differait 
essentiellement de celui :qui crolt spontane- 
auent dans le midide l’Eurepe. 

"Lorsque noys elmes fait quelques lieues, 
’horizon se decouvrit. Nous eümes devant 
nous une plaine fort ätendue:: le chemin , au- 

' päravant tres-mauvais , trös-pierreux ‚ devint 
‚ plus beau , plus uni, lögerement en pente; 
Nous nous trouvdmes bientöt apres sur'un 
terrain argileux , presque tout convert de co- 
quilles marines , semblables A.celles de Cour- 
tagnon. Nous ne tardämes pas ensuite & ap- 
percevoir beaucoup d’arbres reunis, qui nous 
annoncerent la ville ; elle se. nomme Cara 
man par les habitans du. pays : nous y’arri- 
vämes apres neuf heures de marche: 
Cette ville n’a rien de remarquable:,. si 09 
n’est un chäteau'qui toınbe en ruines,, et trois 
ou quatre mosquedes de fort peu d’apparence. 
‚Ses rues sont sales ; ses maisons sont ‚basses, 
presque toutes bäties en terre : on n’y voit 
aucun monument ancien; on n’y d&couvre 
rien qui annonce que ce füt lä le site d’une 
‚grande ville. Elle est designee pourtant sous 
‚ie nom de Larenda dans les actes de la Porte 
et danslesfirmansdu grand-seigneur ; maisles 
ruines de Larende se trouvent A une lieue et 
dentie de.Caraman, vers le nord. Elles por- 
Tome VI. - Bb 


356  VOoXıCcE EN !PERSE. 


tent wulsairemient dams le pays le nom de 
Mille et une eglises: on nousenparla comme. 
d’une merveille; on-npüs dit qu’il yayait en- 
Gare sjüuelgnes teımples.et quelques palais peu 
endommmeges., besucoup de-marbres portaut 
des insoreptions;, beausoup de colonnes ren- 
Teisö&s, etrbeasicozin rle statueg murtilees. Noug 
fdares ; queligues efforis.pour nous y.rehdre, 
- mais per$onne'ne vbulut'nous y sondaire-, 
par id raison qu’il'y avast aux erivirons une 
horde de ’Türcomens.qiii ne permettait pas 
d’en:approcher. Noms nous auressämes au 
mutselim ahın d’en -obtenir une escorte que 
- nous offrimes de payer j il'ne voulut pas nous 
Paceorder par la möme zaason: 

On campte & Caraman mille maisons tur- 
quıes ,.eti Cent, armfnigunes; ga qui peut faire 
Evaluer sa population & six ou sept mille ha- 
hitans. Elle fait un. assez grand commerce 
avec Smyrae , Satalie et; les autres villes de 
l’Asie'mineure. On y apporie des montagnes 
soisınes,„de la cine,delaspammonde, des peaux 
de cheyre et de ımouton ‚ beaucoup de laine, 
&t ia cupwle d'un chöne different du chöne 
velani ; elle-est plus petite et plus estimee: on 
J’emplote: dans: tout le. Levant, comme l’au- 
tre, & la:preparatiom des maroquins et ä& di- 
erges teinttires. On.fabriqgue , danscette ville, 


.  ,%x 


CHAPITRE XI. 387 


quelques etoffes raydes en laine et coton, & 
’usage des habitans, et, quelques autres fort 
grossieres en laine pure: | 

Cette ville recoit beaucoup d’eau des mon- 
tagnes qui sont au sud.: son territoire est fer- 
tile et träs-arrose ; il produit beaucoup de 
“ fruits et beaucoup de grains: on y voit quel- 
ques vignes; mais ni le Coton qu’on cultive 
dans la plaine qu’atrose le Calycadnus , ni 
l’olivier qui crolt spontanement au.sud du 
Taurus, ne pourraient venir & Caraman: le 
sol y est trop dleve, et le froid trop vif pour 
ces vegetaux. Nous sejournämes le 25, et 
nous partinies le -26 pour nous rendre A Ko- 
nieh.. 

Apres quatre heures de marche dans une 
belle et large vallde, nous depassämes la mon- 
tagne au pied de laquelle sont les ruines de 
Larenda, qui etait Anotre droite, et celle que 
nous avions ä gauche,, et nous nous trouvä- 
mes dans une plaine tres-vaste , olı nous fü- 
mes surpris de ne voir aucune sorte de cul- 
ture. Nous nous arr&tämes, apre&s neuf heures 
demarche, sousles arches d’un pont, olı nous 
passämes | la nuit. | 

. La riviere sur laquelle ce pont est bäti, n’a- 
yait presque pas d’eau; mais elle en recoit, 
nous dit-on, beaucoup en hiver : elle va «g 
| 'Bba 





388 VOYAGE EN TERSE. 


rendre au lac qui se trouve A l’orient de 
Konieh. | | 
Le 27, nous marchämes huit heures dans 
la m&me plaine, et nous arrivämes & Konieh. 
- Cette ville est situde au 37°. degre 5a mi- 
nutes de latitude, suivant les observations de 
'M. Niebuhr (ı); elle est dans une plaine 
tres-etendue, et de la plus grande fertilite, 
a l’orient d’une montagne qui lui fournit- 
-de l’eau en abondance. On voit, & une lieue 
de ses murs, un lac peu etendu, qui est en- 
 tretenu par les eaux superflues de la ville, et 
par celles de la petite rividre que nous avons 
fait remarquer en venant de Caraman. 
Konieh portait autrefois le nom d’Ico- 
nium; elle fut une des plus riches et des plus 


considerables de la Lycaonie, province de la 


| Cappadoce. On ignore !’&poque.oü elle passa 
au pouvoir des Sarrasins, et comment elle 
futensuitele chef-lieu d’un Etat independant: 

on sait qu’Alaeddin y regnait lorsque To- 
grul, fils de Suleyman-Chah et pere d’Othman, 





(1) Ce celebre. voyageur a envoye ilya quelque tems , 
aM. Barbie du Bocage , les latitudes par lui observees 
‘ des vilies d’Erecli, de Konieh, de Cara-Hissar , de Ku- 
tayehı, de Brousse et de Mundania , que M. Barbie du 
"Becage a bien voulu nous communigquer. 


En} 


BD Un 





CHAPITRE XL 389 


premier empereur des Turcs, lui envoya une 
ambassade pour lui demander quelque place, 
dans ses Etats ,‚ ou il püt s’etablir avec les 
cinquante mille familles que son pere avait 
amenees des contrees situdes A l’orient de la 
Caspienne. 

A la mort d’Alaeddin, la ville et les pro- 
vinces quien dependaient, passerent au pou- 
voir d’Othman, qui prit le titre de sultan, 
tandis qu’il n’avait eu jusqu’alors que celui de 
‚seraskier ou general des troupes d’Alaeddin. 
Cette ville n’a pas cesse depuis lors d’etre an 
pouvoir des Othomans : elle est-aujourd’hui 
le chef-lieu d’un pachalik ‚-qui cömprend sept 
‚sanjaks ; savoir: Konidh, qui est :eh meıne 
tems la residence du pacha; Nikide, Yenis- 
cher, Kirchuri, Aksheer, Kaisarieh et Ak- 
‚serai. On y compte 113 zaiıns et 3 tima- 
‚riots, qui forment , avec Igurs gebelis, un 
Corps de 4,600 hommes , ind&pendamipent des 
janissaires et des spahis, dont le nombre est 
bien plus considerable. ZZ 

Les remparts de cette ville, qu’on juge de 
construction arabe A ses tours rapprochees, 
‘et aux inscriptions en cette langue, gei s’y 
-trouvent en divers endroits, sont en asse2' 'bon 
etat, etd’une pierre ealcajre assez.dure‘; mais 
le palais des sultans, qui est dans l’interieur, 


390 VOYAGE EN PERSE. 


sur une petite &minenee, et qui servait en 


m£&me temsdeforteresse, tombe en ruines ; une 
partie m&me a &te demolie: on voit, par ce. 


qui est conserv&, qu'il a ete fort &tendu, et 
d’une assez belle architecture. 

. I ne reste de la ville grecque aucun mo- 
nument qui soit debout, aucun temple, au- 
<cun edifice dont on puisse observer lesruines,. 
On voit seulement que les remparts furent 
«onstruits avec les materiaux de l’ancienne 
ville : ils presentent partout des inscriptions 
grecques, ou tronguees, ou renversees: par- 
taüut on, voit des pierres sculptees qu’on a re- 
tailldes ou qu’on a employees telles qu’on les 
trouvait ; quelques-unes ontdes croix simples; 
d’autres ont des croix doubles,, semblables & 
celles des chevaliers de Malte. Parmi les ins- 
criptioms, les unes sont en beaux caracteres, 


les autres sont peu lisibles, et ressemblent & 


celles qu’on voit dans les monumens du Bas- 
Empire. On y' remargue aussi beaycoup. de 
lions sculptes. 


Syrla porte parlaquelle nous sommesentres® 


versle sud, il-y a deux genies ailes, tenant & 
la main une bouteille, et deux sortes de dra- 
gous. ailde ; & cöte de ceux-ci on voit deux 
lions fort grands, wi saillent beaucoup hors 
du mur. 


u 


uuzuen a S 





" 'CHAPIBRECHILCT Egli 
' Au.dessus dela porter qui est au'bhahb-est, 


. on voit une chouette: &sartekte „ .tewant.un 


- 


serpent & chaque pied. Sub Fune.desıfaaegiiar 
terales , &.droite,:ib 4 aune stamıerd’Pereille, 


& laquelle on a’enbeve:la-töte. Au .dgsais.oR 


rermargue un bas-sahef antigque: de, lin hgurds 
d’environ deux 'pieds: de. haut , domt,dnais sie 
-feınines et rois: W humımes nwezılen ı Auatie 
(gutras so1t habjlides. ‚Lesdeux gansertsmment 
&l’und desextiermikes, tEprösentent unhamind 
spid,d qui une fernme oflre'un sasıpee. Ga 
quelfigure ‚ hossles.demn deriniärei,sestiongn une 
Snoadsde'et.sepasse par ae cobprsse eanielee 
en spirale. An dessustxle ce. kas-omlebäk ya 
une isscription arabe.f1) ; surzsorudedk; denz 
"genies. es d'mı saleil’ amı mdimu Lunsteisen go 
ziestiewb anne coamp:ällammhin „et’Vapieckiont 
une bouteille , qu’ils präsenstenf pi aeherb: ld 
adt& de la; poste, d gauche, HU, yyaykurdasidır , 
‚poaljües'autzesshesi-seliefs. Nökkrp zingatr 
ajufmesplos partjcaliänesnenn umkorusge ftenr 
duusus' un lit ddey&,poniegursiuatpe pieds, 
‚er umedenme de kont asisdevanındeibe: ls Ahıras 
eriä nous en vmesuims atre Lepresentand ach 


‚gberfierä chewak jüenonf urhomelenzstkdtadt 





27 Le Bbupert r Bes ern 
ensid 


en SABIBD RU L. .: Lesnlare sun 


392 VOY.AGE EN :BRERSE. 
preodde d’un autre guerrier: & pied ‚ ayant.un 
casque.surmont£ d’un panache.qui descendaät 
jusqu’au’dessous du dos. - } 
nibeisöjdur. que nous finies a Konish hous 
aurait permis de dessiner ces: bas-reliefs:, et 
de copier. quelques inscriptions tant.greeques 
qu'arabes ;:mais nous n’osämes pas le faire. 
Un: Armenien :gui:etait .venu aves nous de 
Caraman „nous avertit de ne pas ppusser trop 
loinınötre curiosite.. I nous: dit-que! dejä 08 
s'iaformait:qui nous etians.: on tronyalt.gque 
nous. regardions les remparts. avec trop: d’at- 
tention ,.et. quemous avjans: parcowrı! ka: ci- 
tadelldäveo-trop de details. ‚Nous füinesd’an- 
zant'plus.portes & suivre ces avis, qnele.pacha 
&tait absent:, et'que.son lieutenant. auraitı pu. 
yroug inquieter ; dans: Toopois de nous. arra- 
cher guelqu’argene:: , .. ..." ic zu | 
Gstte :ville:paralt avoir beancoyp: (acıiffent 
depuis quette est entre -les anains des: Lines» 
on y‘veit: quelgues ruines ‚'et beäueamp de 
ierrain:qii ndest point bAti ,.ou dont: lesanar- 
‚sons ont disparuy:mais:il ya deux: faubounge, 
l’un :au:mörd ‚: et l’autre au midi‘, qui:kost 
assez ötendus::.chaque:mkison y a sonıjardın 
et son champ-& cultiver. La .population nous 
-@ Pan. diepres ce qu.an.nons a dit. „.deyoir 
&tre Evalude A douze ou quinze mille habitang. 


isn u Fi u .. ER En [7 ___ 2: VEN TEST SRREERILEREEIEE GR RE 


CHAPITREXI. 393 


La ville seule a environ deux milles de.tour. 

Son territöire , quoique peu cultive, fournit 
tout ce qui est necessaire aux besoins de la 
vie : on y recueille du froment et de l’orge.en 
abondance , du lin et toutes sortes de fruits; 
on y eleve un grand nombre de troupeaux. 
On fabrique , dans la ville, des maroquins 
jaunes tres-estimes, quelgques tapissemblables. 


&.ceux de:Perse. Elle fait passer ä Smyrne de 


la laine assez belle, de la laine de chevron', 
des noix de galle, de la gomme adragant et 


: de la cire. - 


Le 30 septembre, 4 la pointe du jour , nous 
partimes de Konieh ‚, accompagnes seulement 


.dedeux Turcs qui nous avaient loue des che- 
vaux pour Cara-Hissar , et s’etaient obliges 


de nousy conduire dans six jours; ils avaient 
quelques marchandises pour Smyrne. 

Nous longeämes quelque tems la montagne 
qui est & l’occident de la ville : elle est cal- 
caire dans tonte son &tendue, et-tout-A-fait 
degarnie de bois : il’ est probable qu on.en-a 
-tire les pierres qui ont:seryi & bätir autrefois 
les murs et les plus beaux edifices de la ville. 


‚ Trois'heures apres notre.depart, nous':quif- 
‚tänses la plaine, et nous traversämes. des :c0- 


teaux calcaires. Nous nous trouvämes ensiute 


: eatre. deux Inontagnes -peu!elevees. La roche- 


\ 


394 VOYAGE EN PERSE. 
avait change de nature : le sol y &tait schis- 
teux , et la pierre jaunätre , assez dure ‚ quart- 
zeuse; nous y appergumes quelques &lons de 
quartz ; nous y trouvämes le prunier sauvage 
que nous avions vu en Caramanie. En avan- 
Gant encore un peu, nous vimes, sur la mon- 
tagne qui se trouyait A gauche,, un bois touffu 
qui nous parut &tre de tres-beaux pins. Bien- 
töt apres nous arrivämes A Hiladek , aprös dix 
heures de marche.: " 

Une heure avant d’arriver N ce village ‚mous 
vimes les ruines d’une ville peu etendue, que 
nous soupconnämes d’abord ätre celle de Lao- 
dicee, Laodicea combusta : elles oonsistaient 
en quelques marbres &pars, quelques grosses 
pierres tailldes , quelques restes da mars; il.y . 
avait aussi , parmiı des decambres , le:aprps 
mutile.d’un lion ; mais lorsque nous fürhes & 
Hiladek , nous changeämes d’opinion. Nous 
‚vimes, tout autour.de ce village‘, dans une 
assez grande &tendue, beaucaup de inarbres 
sculptes ‚ quelquestrancgons decolonnes, quel- 
. ques inscriptions.grecques : alara le nom. de 
Hiladek , qui approche beaucanp de oelni de 
Lapdioee, qu’on prononce en gres Ladikid , 
nous. porta A oroire que naus dtüpnd sur ‚es 
ruines de cette ville. 

Ce village est tr&s - etendu : a 2, en midi 





us en EEE 
r 


CHAPITRE XL : 395 


..et au couchant , des montagnes trds-boisdes 


‚qui lui fournissent de l’eau en abondance , et 

au nord une plaine tr&s-fertile qui’ s’etend & 
perte de vue. 

Le premier octobre , nous trawersämes 5 
apres trois heures de marche, le village de 
Kadeun-Khani , situe sur une hauteur, entre 
deux coteaux schisteux. L’eau y est abon- 
dante. Nous y reımarquämes un &difice arabe 
en partie ruine , 4 la construction duquel on 
aemployedes bas-reliefs antiques , des pierres 
ayant des inscriptions greoques ‚ d’autres pre 

-gentant une Croix. | 

Au sortir du village, nous’emes a notre 
gauche la mäme chaine de montagnes boisees 
dont nousavons parle. Nous marchämes quel- 
que tems sur un terrain inegal ; nous passämes 
une petite riyiere sur-un pont. & une seule 


- arche ; nous nous d#tournämes & gauche,, 


laissant & droite des montagnes nues, peu el 
vees, que nous avjons devant nous; nous ar- 
rıvämes & Eulguen , apres avoir marche diz 
heures. Br 

Ce village est situ dans une Dlaine 1 fertile 
‚et arrosee. On voit au nord un lac d’une lieue 
d’etendue, dans lequel va se perdre la petite 
rividre que nous avions passee. 

Le2, noug traversämes, avec untems plu- 


3960. _ _VOYAGE EN PERSE. 


yieux, des coteaux peu eleves, et nous pas- 
sämes ensuite, apres trois heures et demie de 
anarche, dans un village nomme Akeut-K hani. 
Nousavions devant nous une tr&s-belle plaine, 
et ä gauche la mäme chaline de montagnes 
boisdes dont nous avons parle plus haut. Nous 
arrivämes le soir.& Aksheer (1) , apres avoir 
marche dix heures. 

Cette ville , que les geographescroient avoir 
succede & l’Antioche situee sur les confins de 
la Phrygie, vers la Pisidie (Antiochia ad Pi- 
. sidiam) , est dans une position tres-agr&able , 


et sur un sol de la plus grande fertilite. Les = 


eaux y sont abondantes et fort bonnes. La 
montagne qui se trouve au couchant, etdont 
le pied touche & la ville, est toute couverte 
de verdure. On voit , A l’orient , une fort belle 
plaine bien cultivee : nous‘ y remarquämes. 
quelques villages dont nos conducteurs ne 
surent pas nous dire le nom. 

Le lac, qu’on place mal-A-propos sous les 
murs d’Aksheer,, s’en trouve &loigne de deux 
lieues , et paralt avoir environ deux: lieues 
d’etendue. | 

Les objets qu’on exporte de cette ville, et 

‚qui passent d& Smyrne,, consistent en laine, 





- (1) Ou ville blanche. 


f 
I 
7 





| 


CHAPITRE XI. . 397 
cire ‚ adragant et noix de galle : il y passe 
aussi quelques tapis assez beaux. 

Le 3, nous suivimes lamontagne d’Aksheer ; 


elle est schisteuse , de moyenne hauteur , et 
couverte d’arbres. Un des sommets, le plus 


_eleve de tous, nous parut calcaire ; il etait 


moins boise que les autres, et la roche etait 
a nu dans une grande partie. La plaine sur 
"laquelle nous nous trouvions, et qui s’etend 
‚beaucoup A droite , est de la plus grande fer- 
_tilite. Nous vimes, chemin faisant, plusieurs 
'villages ; nous renconträmes beaucoup de bes- 
‚tiaux‘; nous traversämes un grand nombre de 
ruisseaux qui descendent de la montagne ; ils 
arrosent uneinfinite de jardins; ils fertilisent 
tousleschamps; ils vivifient toute la contree. 
Nous.n’avions pasencore vu, dans nos voya- 
ges , de pays plus beau , plus arrose, plus 


. riche en productions. 


"Nous remarquämes tous les fruits, tous leg 
legumes, tous les grains de l’Europe, et quel- 
ques-uns qui y sont etrangers : nous distin- 


“"guämes, dans les jardins , l’abricotier, le p&- 


cher, le coignassier , le pommier, le poirier, 


le prunier , le cerisier , le noyer,, Polivier de 
Bohdme, plusieurs especes d’azeroliers , la 


vigne ; nous viınes, autour des habitations , 
le fröne , l’orıne , le peuplier d’Italie, une 


398 “ VOYXYAGE EN PERSE. 


espece de saule qui ressemble de loin & l’oli- 
vier : les chemins etaient bordes de tro@nes , 
de palinres , d’epineg-vinettes , de prunelieis, 
de poiriers sauvages ; le chäne et le pin se 
montraient au loin sur les lieux eleves. 
Nous marchämes six heures dans ce pays 
enchante, et nous nous arr&tämes A Saakle, 
village de trois ou quatre cents maisons. Les 
habitans y sont tous Musulmans ; ils avaient 
un air d’aisance que nous n’avions remarque 
dans aucun autre village de la Turquie. 
Le 4, nous continuämes de marcher pres 
de la montagne qui etaitä notre gauche ; elle 
fit bientöt P’arc , et se dirigea tout-A-fait au 
couchant. La plaine etait toujours belle, tou- 
jours fertile , quoique moins cultivee. Nous 
avions-& droite un petit lac,, que nous ju- 
geämes A quatre ou cinglienes de celui d’Aks- 
heer. Apres avoir marche quatre heures , 
aous viınes, au pied de la montagne, un vil- 
lage nomme Balouadin. Nous le laissämes & 
gauche „ et nous nous avancAmes dans la 
plaine ; elle offrait partout des päturages 
abondans : c’etaient des prairies naturelles 
qui s’etendaient au loin. Nous marchämes 
encore six heures , et nous nous arrätämes & 
Chabancoi : nous traversäines, avant d’arri- 
ver, une petite riviere ou plutöt un ruisseau 


——-—-- - 


- m  — 


m, 


CHAPITRE XI. 399 


qui va, nous dii-on, se jeter dans le lac de 


_ Saakle. 


Nous eümes de la pluie presque toute la 
journee, et un chemin tr&s-boueux. Le sol 
€tait argileux , au point que noschevaux glis- 


‚saient 4 chaque instant : notre marche en fut 


au moins ralentie d’une heure. 

.Le5, nous-marchämes cing henres dans la 
meme plaine , et avec le m&me tems. Nous 
vimes quelques villagds’ au pied de la mon- 
tagne qui se trouyait & notre gauche , et de 
laquelle nous nous etions un peu £loignes: 
Nous repassämes la petite riviere de la veille 
sur un pont de pierres : nous y remarquäimnes 
un trongon de calonne portant une inscrip- 
tion latine que nous ne pünfes lire ‚.parce_ 
que la pluie etant tres-forte dans ce moment, 
nous &tions.presses d’arriver. Nous nous räp-. 
prochämes de la montagne , et nous enträmes 


_ bientöt dans Cara-Hissar : nous allämes loger 


dans un carayanserai beaucoup plus vaste et 
en: meilleur &tat qu’ils ne le sont ordinaire- 
ment en Turquie. 


IS 


ra nr vv 


4oo VOYAGE EN PERSE. 


... . , , \ 
N. [ 


CHAPITRE XIl. 


Description de Cara-Hissar. Culture 
de Popium. Depart. Sejour:& Ku- 
tayeh. Route par Nicee, Hersek et 
de golfe de Nicomedie. Aventure tra- 
- gique d Hersek. Continuation de la 
route par. Guebezeh et Scutari, Jus- 
 qu’@a Constantinople. 


Dasnın a place Cara-Hissar, sur sa carte, 
beaucoup trop & l’occident, parce qu’il l’a 
_ prise.pour l’Apamee Cibotos de la Phrygie, 
que Y’on sait avoir ete situde sur le Marsyas, 
un peu au dessns de Pendroit oü il se jette 
dans le Meandre. Ce celebre geographe n’eüt 
pas commis cette erreur s’il avait su qu’il.n’y 
a & Cara-Hissar qu’un ruisseau qui passe & 
quelgue distance de la ville, et qui va se jeter 
dans le lac voisin de Saakle. . 

“ Nous ferons observer & ce sujet, que toutes 
les eaux de ces contre&es ne parviennent point 
& la mer, et ne prennent pas non plus leur 

‚direction vers l’occident. Depuis Caraman jus-. 
 qu’ACara-Hissar , toutes s celles quenous avons 
vues, 





ui Je 


CHAPITRE XII. dor 
vues , etaient employees A l’arrosement des 


.. terres, ou allaient se perdre dans les lacs Que 


nous avons fait remarquer. Le sol: sur. tout 
cet espace se soutient:& la mäme hauteur;; et 
est borde de montagnes qui empächent les 
eaux de ’s’&couler. Ce n’est qu’au sud du Tau- 
rus ou de la derniere montagne que nous avons 
traversee' en venant de Celindro A Carkman, 
et. & Poccident de celles: que nous avons tou- 
jours eues A gauche,, qu’il. baisse insensible- 
ment jusqw'&ä la mer, et qwil permet aux eaux 
de 8’y rendre. 

Pockoke s’est. e&galement trompe ‚potr. la 
position de cette villeou pourcelled’Aksheer, 
puisqu’il dit que cette’ dernidre est'ä. trente 
znilles est-nord-est de l’autre. Nous'avions es-+ 
time. Cara-Hissar-& soixante milles dueskinord- 
ouest d’Aksheer , & quinze milles oweat:de Ba- 
louedin , et & cimquante:milles dst-sud.est de 


Kutayeh. M.: Niebuhr la place avec raisomn au 


38e. degıe 46 min. de.lätitude.: \ : ; der) ze 
Elle:ä.environ troig milles de circuit om 


y compte dix mille maidons ‚ t.&.ipeu‘ ‘präg 


goixante. mille ‚habitengi-Elle -est ‚en, amphin 
theätre au bas et A Larjent d’ane WgRtäRne 
volcanique qui nous. a paru faire. suite &celle 
d’Aksheer : les eaux, v. gant aböndantes et-fart 
bonnes: .. » FE un 
Tome yI. " Cc 


402 VOYAGE EN PERSE. 
Cara-Hissar pouvait:passer pour une place 

forte lorsqu’on ne connaissait ni la bombe ni 

le canom ; edle Etait: entouree de bens ram- 


parts, et: defendye par un chäteau isole, au- 
_ quel:il est bien difficile d’atteindre : ilest au 


nord ; sur. un rocher volcanique qui s’eleve 
en. pyramide & une hauteur prodigieuse. C’est 
kaıcouleur de ce rocher; la position du. chä- 


temi et:la culture en, grand du pavot, qui ond. 


fait:donner par les Turcs,:A cette ville, lenom 
d’4%um.- Cara - Hissar ou Chdieau noir ' de 
14 Fopium. 

" Gette: ville Aependait antrefois du pacha de 
Kutaydh, 'et:n’avait qu'un sanjak-bey ; elle a 
aujyourd’lui on pacha & deux queues, set elle 
est lsschef-Jieu d’une province peu dtendue, 


hais bien importante:par:ses productions et 


sori goımmzerce ; elle sert:d’eutrepöt ‘A. toutes 
les Venrees:de la contree','et' elle est tres-fre- 
 "yuentde: par les caravanes qui se rendent.:de 
la Syrie ou de-Finteridur de:l’Asie & Sıhyrne 
er & Constantinople:: industrie d’ailleurs y 
a-pfis', depuis quekjues 'anndes,, beaucoup 
d’acpivite On:y fabrique des 'tapis, quelques 
erufles; set surtout dessanmes & feu ‚.des sabres 
courts ; aormmds yarggans s des brides;, des 
Etriets , des selles.et &ütfes objets. Ontire de 
Smyrne le fer et l’acier qu’on y ‚emplöie. Le 


W@ AN 


u u un You 2 2 este GES GER 


| CHÄPITRE XII. 403 
territoire fournit beaucoup de laine, un peu 
de cire et une tres-grande quantite d’opium. 

®n sait que l’opium est le suc qui decoule 


- par incision des t&tes du pavot blanc ou pa- 


vot somnifere, qui est originaire des contrees 
un peu chaudes de l’Orient. La culture de 
cette plante , introduite depuis long-tems en 


‚Europe & cause des semences, qui donnent 


une huile douce et fort bonne & manger,, se 
fait en gran: 4 Cara-Hissar , dans la seule vue 
d’en obtenir l’opium. Les chaleurs de l’ete, 
bien plus fortes, bien plus prolongees et bien 
plus egales dans ce pays que dans les contrees 


de l’Europe od l’on cültive la mäme plante, 


permettent au suc propre de s’elaborer da- 


‚vantage, et de se convertir en une substance 


qu’on n’a pu jusqu’ä present obtenir dans nos 
climats temperes. Les essais qu’on a faits au 
midi de la France n’ont pas reussi, ou n’ont 
donne qu’un Opium bien inferieur & celui de 
l’Orient. Voici comme on procede a Cara- 
Hlissar. Ä 

On seme en octobre, dans les jardins qui 
sont autour de la ville, les semences de pavot 
sur la m&me terre qui vient de produire des: 
aubergines ,‚ des ketmies , des melons , ‚des 
courges, des concombres , des past&ques, du _ 
mais et la plupart de nos plantes potageres,. 

cc 2 


- 


404 VOYAGE EN PERSE. 


Apres avoir arrache ces plantes, on se con- 
tente de donner un labour & la bäche, et 
d’unir bien la terre : on s&me apres cela, et 
on passe legerement le ratissoir afın de ne 
pas trop enfoncer la semence. Cette operation 


-a ordinairement lieu apres les premieres pluies 


d’automne, qui tombent assez regulierement 
a la fin de septembre ou au commentement 
d’octobre. Si les pluies tardent un peu ou ne 
sont pas suflisantes, on arrose le terrain avant 
de le böcher. | 

, La plante ldve et prend de l’accroissement 
avant les froids, qui ne sont un peu vifs qu’& 
la fin de decembre,, en janvier et en fevrier. 
Tous les plants sont enleves avec precaution 
dans le mois de mars, et transportes sur un 
autre champ plus etendu, qu’on a prepare 
par trois labours & la charrue : le premier, 
aprds la recolte de l’orge ou du froment; le . 
second, durarit l’hiver, mais plus ordinaire- 
ment quinze jours apr&s les premieres pluies 
d’automne, et le troisidme & la fin de !’hiver. 


A lasuite de celui-ci on brise les mottes, et on 


forme des rigoles afın de pouvoir introduire- 
l’eau au moins une fois par semaine. Les plants 
sont mis dans la rigole a vingt pouces de dis- 
tance l’un de l’autre, dans un sens, et ä deux. 


pieds dans l’autre : on repique avec soin ceux 








CHAPITRE xı...  d4o5 


qui perissent; on sarcle une fois , et plus ordi- 

' nairement deux fois, afın de detruire les her- - 
bes qui ont pu venir naturellement. En juillet 
on commence & faire deux ou trois petites in- 
cisions transversales, peu profondes, aux te- - 
tes de pavotles plus avancees, et on continue 
jusqu’ä la fin de l’eteE ou jusqu’& ce que toutes 

les tötes soient parvenues & maturite : il en 
sort un suc laiteux, qui brunit et prend bien- 

‚töt de la consistance : deux joüurs sufhsent 
pour qu’il puisse &tre enleve. C’est l’opium 
brut du commerce. A mesure qu' on le re- 
cueille, on fait de nouvelles incisions; il en 
decoule un nouveau suc moins bon que le 
preimier. Quelques personnes mettent l’autre 
a part, et en forment un opium plus beau, 
plus estime, plus cher que le second’; mais en 
general on m£le le tout : on en formede pe- 
tits gäteaux qu’on envoie & Smyrne, &,Cons- 
tantinople, & Alep et dans presque toutes s les 
villes de la Turquie. 

Loopium de Cara-Hissar n’est pas aussi re- 
cherche que celui des contrees plus chaudes 
‘et plus orientales; il ne vaut pas celui de la 
Perse meridionale et celui de !’Indoustan. Ce 
qui contribue peut-£tre encore plus & le de- 

| precier , c’est qu’on le frelate assez souvent | 

‚avec du miel et de la farine d’orge et de fro- 


4 


406 VOIYAGE EN PERSE. 


ment. Cette fraude est pourtant assez aisce & 
reconnaltre : ’opium pur, encore frais, est 
visqueux, tenace et assez dur ; un peu ancien, 
il est dur et luisant. Les negocians deSmyrne, 
qui en font passer une assez grande quantite 
en Europe, ne manquent pas de couper ou 
de casser les gäteaux qu’on leur presente & 
acheter ; ils rejettent comme suspect l’opium 
recent, qui se separe trop facilement, et ce- 
lui qui, au bout de quelques mois, est encore 
un peu mon. 
‚, .* Les graines de pavot qu’on ne destine pas 


A etre semees, servent & nourrir la volaille, 


et la plante seche sert A chauffer les habitans 


durant l’hiver. On n’extrait jamais de l’huile 


de ces graines ; on prefere dans ce pays, 
comme dans tout l’Orient, manger celle de 
sesame. 

‘ Nous partimes de Cara-Hissar le 8 octobre, 
et vinmes passer au pied du rocher sur lequel 
est bäti lechäteau. Au nord de cerocher il y 
en a deux aufres de m&me nature et dem&me 
forme, mais beaucoup moins eleves. A un 
demi-quart de lieue de la ville, nous passä- 
mes pour la troisieme fois la petite riviere que 
nous avons dit aller se jeter dans le lac de 
Saakle. Nous marchäines quelque tems en 
plaine; nous traversämes des collines d’abord 


PER VPRFEEG mn nn 2 
pn - 0 Do nl 





:CHAPITREIXKITG: 20% 
volcaniques , ensuite schisteuses , ol crois+ 
saient le gendvrier & feuilles de cypres:, les 
deux pins elanc&s.de la Garamanie , le petit 
ch£ne qui fournit Ia galle'du comimerce; l’as- 
tragale qui donne la gomme adragant; noüs 
descendimes ensuite dans une plaine inegale; 
inculte, et nous arrivämes, apres avoir mar- 
che cing heures, & un mauvais village nommad 
Heyret , ob nous passänies:la nuit. 

Le 9, nous marchämes’ sncore quatre hews 
res dans la m&me plaine ; nous passämes & 
cöte d’un village assez oonsiderable, nomme 
Altun-Tasch ou Pierre d’or; nous travers&- 
mes-bientöt apres une montagne schisteuse , 
et'nous nous trouvämes ensuite dans une pe- 
tite plaine qui nous conduisit entre deux mon- 
tagnes schisteuses, couvertes de ch@nes-& gul- 
les : le genevrier & feuilles de cypr&sicou- 
ronnait toutes les cimes..-Nous arrivänes, 
apres huit heures de marche, ä& un mauvais 
village nomme Daoxlar. EE 

Notre route, pendant: ces-deux jours, Aus 
vers lenord=:ouest! «"" -j -- Ze 

Le ı0, tn brouillard fott'epais nous’ etpe: 
cha de distinguer au loin les objets. Le'ter- 
rain sur lequel nous marchions, &tait inegal; 
en pente, assez bien boise de tous les cdtes! 
Nous yappergümes entr’autres les deux beaux 


4oß vayYAse EN PERSM. 
pins,de la Caramanie , le poirier sauvage,, le 
prupier sauvage, le pruzielier , lecornouiller, 
}'eglantier , l’epine-vinette.- Au bout.de deux 
hetres , le brouillard se dissipa peu & peu, et 
l’horizon se decouvritdeyant nous. Lechemin 
allait tOujours en pente. Ä 
‚.. Apres avoir marche quatre heures etdemie, 
nus passämes une petite riviere nommee 
Pursak, sur un pont bas., & plusieurs arches; 
elle se dirige.au nord,, passe & quelque dis- 
tance de Kutayeh, va de lä A Eski-Sheer,, et 
8e jette un. peu’ phrs loin dans, le Sangaris. _ 
Nous fimes encore une. lieune et demiej etnons 
enträmes & Kutayeh par un chemin 'assez 
beau , orne de plusieurs fontaines que l’on:y 
a.construltes „pour ia commodite des voya- 
geurs.. 

-Gette ville est trös-grande ; trös-peuplee , 
trös-commergante „ tres-riche , et l’une des 
plus considerables de l’Asie mineure : on y 
compte de huit & neuf mille mäigons turques, 
mille armeniennes , et eAviron cent grecques; 
elle est situde en pente, au bas d’une monta- 
gne peu, elavde ‚au 39%. degre-a5.minutes de 
latitude „suivant l’observation de M. Niebuhr. 
Ser maisons, quoique.bäties.en terre, ressem- 
blamt.:heaucoup.& celles:de Constantinople ; 
elles,sont plus elevges, plus elegantes, plus 





CHAPITRE XII. 409 


commodes que celles de Konieh et de Cara- 
Hissar. Le toit n’est pas en terrasse, mais 
couvert d’une tuile creuse, semblable & celle 
qu’on emploie dans le midi de la France. Les 
rues sont. troites ‚'et servent de ruisseaux : il 
passe continuellement, dans quelques-unes, 
de l’eau bourbeuse, et chargee de beaucpup 
d’immondices. On a pratique de chaque cöte, 
pour les gens 4 pied ‚un trottoir assez eleve, 
mais peu large; ceux ä cheval passent au mi- 
lieu de la rue, et marchent lentement pour 


"ne pas Eclabousser les pietons. L’eau est tres- 


abondante A Kutayeh , et fort bonne A boire. 
J’ai vu peu de pays oü il y ait autant de fon- 
taines : on y voit aussi plusieurs 'besesteins, 
plusieurs caravanserais, et un grand nombre - 
de mosquees assez belles. 

Une partie de la ville est bätie sur un mon- 
ticule isole, autour d’un chäteau qui tombe 
en'ruines; elle est entourde, comme l’autre, 
d’un vieux mur qu'on neglige de reparer. 
Autrefois il n’y avait que les gens de guerre 
preposes & la garde du chäteau, qui dussent 
loger dans cette enceinte; il y a aujourd’hui 
des Turcs de tous les etats : on observe seu- 
lement de ne pas y laisser habiter des Arme 
niens et des Grecs. 

Kutayeh est la capitale d’une province fort 


“dıo VOYAGE EN PERSE. 


etendue, et le siege d’un pacha de premier 
rang ‚ ayant le titre de beyler-bey de Nato- 
lie, et la pr&eminence sur tous les pachas 
d’Asie.. Zu 
Le territoire de cette ville est un des plus 
beaux, des plus arroses et des plus fertiles 


de l’Asie mineure;; il produit en abondance 


du froment, de l’orge, des grains, des fruits, 


des lögumes. Nous y avons mange£ des raisins 


excellens, des pastäques , des grenades ‚ des 


noix ‚des poires, des pommes, des chätaignes 


fort bonnes. On recueille aux environs beau- 
coup de’ noix de galle:on y a de la cire; on 
y eleve beaucoup de troupeaux qui donnent 
une laine assez fine. On y trouve une pierre 
blanche fort tendre, dont on fait des noix de 
pipes que l’on taille seulement,, et qu’on ne 
passe pas au feu ; elles durent autant et meine 
plus que celles faites avec une terre cuite. : 

Le sol baisse depuis la montagne que nous 
avons traversee le 9; ce qui rend la temperas 
ture de Kutay&h pour le moins aussi douce 
que celle d’Aksheer, de Konieh et de Cara-+ 
ınan : il y neige, ainsi que dans tout l’inte- 
rieur de l’Asie mineure,, en janvier et en fe- 
vrier; mais !’'hiver y est assez court. Les cha- 
leurs de l’et n’y sont pas plus fortes qu’& 
Constantinople, parce que l’air y est rafraicht 


\ 


- a. mu m _ - - 


u ee 


CHAPITRE XII 4iı 


par le vent de nord, qui souffle chaque jour 
de la Mer-Noire. 

Depuis Caraman les chemins sont beaux , 
et permettent d’un village A l’autre, et des 
champs aux villes, le transport des denrees 
par le moyen de chariots traines par des boeufs 
ou par des buffles : ceux-ci sont assez beaux; 
mais les boeufs sont en general fort petits. Le 
transport des marchandises se fait par des 
chevaux, des mulets, des änes, et par les deux 
especes de chameaux qu’on tire, Yun de 
la Syrie,; et l’autre du nord de la Perse. Les 
chevaux , les mulets et les änes sont aussi 
beaux, aussi bons, aussi forts que ceux de 
Smyrne et de Constantinople 

Nous ne restämes qu’un jour & Kutayeh; 
nous’ changeämes de chevaux et de conduc- 
teurs , et nous partimes le ı2. La plaine se 
prolonge & plus d’une lieue. On trouve ensuite 
diversescollines , lesunes calcaires , cretacees; 
les autres quartzeuses : il ya sur celles-ci du 


beau jaspe sanguin , et on voit sur celles qui 


sont crötacdes, beaucoup de silex ou pier- 
res & fusil. Au,nord se presentent des moı- 
tagnes couvertes de bois. La morine (morina 


persica) est fort commune dans Cette con- 


tree, ainsi que le poirier & feuilles coto- 
neuses. Ä 


412 VOYAGE EN PERSE. 


Nous fies ce jour-lä huit lieues en nous _ 
dirigeant un peu plus au nord que les jours . 


precedens. Nous passämes la nuit & Caza- 
kaoub., 


Ce village ne ressemble point & ceux qui‘ 


s’etaient trouves jusqu’alors sur notre route. 
Au lieu d’etre bäti en terre comme les autres, 
et avoir les maisons contigues et couvertes en 
chaurne , en roseaux ou en joncs, il les a tou- 
tes isoldes et entierement construites en bois 
de pin. Les murs sont formes de poutres 
qu’on ne s’est pas m@me donne la peine d’e- 
quarrir ni d’ecorcer ; elles sont placees les 
unes sur les autres, et fix&es & leurs extremi- 
tes par une entaille et une fprte cheville de 
bois de ch@ne. On met ordinairement entre 
chaque poutre, pour boucher tous les vides, 
de la terre et des pierres liees ensemble; mais 
on neglige assez souvent de prendre cette pre- 
caution. Le toit est en planches : une poutre 
placee vers le bord, et fix&e au moyen de 
fortes chevilles, emp&che que le vent ne sou- 
leve les planches et ne les emporte. Ce qui.a 
sans doute donne lieu & cette maniere de se 
loger , c’est que le bois est excessivement com- 
mun dans ces contrees,.et qu’ilne faut pas un 
mois de travail & un homme pour mettre & 
couvert sa famille et ses bestiaux. 


L——— ’ 


- CHAPITRE XII. Aı3 


Le 13, nous traversämes les montagnes que 
nous avions devant nous; elles sont schisteu- 
ses , quartzeuses, Micacdes, et couvertes de 
superbes pins. Nous y en remarquämes un 
tres-droit, tres-elance, d cÖöneg tres-petits : 
c’etait le quatri&me que nous voyions depuis 
notre depart de Celindro ; il etait plus rare 


que les autres. Le ciste & feuilles de laurier 


etait tres-abondant en quelques endroits. La 
derniere montagne que nous descendimes, 
etait calcaire ; elle nous conduisit & un vil- 
lage assez grand , nomme Doumani-Tchou- 
gourgea. “ 

Nous fimes ce jour-lA cing lieues en nous 


dirigeant presqu’au nord. Taochanli, qu’on 


voit marque sur,la carte de Danville, etait a 
huit lieues de nous vers l’est, et la montagne 
nommee Toumangi-Daag, & une lieue au 
nord. Ä 

Les maisons du village oü nauscouchämes, 
ressemblaient & celles de Cazaliaoub : on en 
voyait pourtant quelques-unes en terre. 
.Le 14, nous escaladämes la montagne du- 
rant la nuit ; elle nous parut tres-boisee. Par- 
venus au sommet & la pointe du jour , nous 
nous trouyämes dans une &paisse foret de 
hötres ; ils dtaient tr&s-gros, träs-serres , trds- 
elances. Pendant. plus de deux’'heures nous 


Da] 


dıd VOYAGE EN PERSE. 


ne vimes que cet arbre; il nous etonna par. 
la longueur et par la grosseur de sa tige : ıl 
nous parut avoir plus de cent pieds de haut, 
etenviron trois pieds de diamätre. A mesure 
que nous descendimes , le hetre disparut,, et 
fit place A des sapins, a des pins, des chätai- 
gniers, des charmes, des ch@nes , des noise- 
tiers, des bouleaux, des tilleuls : vinrent en- 
suite le prunier, diverses especes d’azeroliers, 
de nefliers, d’aube-Epines. Plus bas nous re- 
marquämes le tro@ne, le cornouiller com- 
mun ‚lecornouiller sanguin ‚ l’erable de Mont- 
pellier, le lierre , !’azalee pontique, le fragon 
piquant- et le fragon & grappes ou laurier 
alexandrin, les deux belles espäces de mille- 
pertuis ( androsaemum et olympicum') , plu- 
sieurs cistes, la laureole du Levant ( daphre 
pontica). Au bas de la montagne croissaient 
le platane oriental , ’orme, le fräne, et-dans 
les hales la vigne, la clematite, la salse- 
pareille, la douce-amere, le houblon , la 
ronce, etc. Du Ä 

Toute la montagne est schisteuse , quart- 
zeuse. et granitique, et partout elle est.cou- 
verte de verdure. Sa hauteur est beaucoup 


 moins considerable que\Y’Olympe, dont elle 


est une suite. Le sol, A sa partie meridionale, 
nous a paru beaucoup plus &leve qu’& celle 


CHAPITRE XI1. 415 
du nord. Nous n’avons mis que quatre heu- 
res du village ol nous avionscouche, au som- 
met, etilnous en a fallu cing pour la desoen- 
dre. En la quittant, nous enträmes dans un 
fort joli vallon , qui s’elargit peu & pen, et 
nous conduisit dans une plaine bien cultivee 


et fort peuplee; elle est arrosee par une pe- 


tite rividre qui prend son cours au nord, et 
va se jeter dans le Sangarıs. Nous logeämes 


. au milieu de cette plaine, apreds dix heures 


de marche, dans le village d’4A4Bekeur. La 
petite ville d’Yarissar etait & une lieue’de nous 
vers l’orient, et celle d’Aineh-Ghul & cing ou 
six vers l’occident. Brousse n’etait alors qua 
neuf lieues de nous. 


. Le 15, nous marchämes encore une demi- 


heure dans la plaine, jusqu’& un petit-village 
dependant d’Aineh-Ghul. Nous traversämes 
des coteaux et des collines calcaires, sur les- 
quels 'nous remarquämes le terebinthe, le 
micocoulier , ’orme , le frene fleuri ou fr&ne 
& manne, plusieurs chönes , le cornouiller , 
l’arbousier , l’andrachne, le gen&t d’Espagne, 
quelques pieds de storax, le laurier commun. 
Nous arrivämes 4 Yenichder apres six heures- 
de marche. = Zu Ä 
Yenisheer est une: :petite ville Deuplee de de 
Turcs et de Grecs;. elle est dans une plaine: 


416 VOYAGE EN PERSE. 


arrosde par une petite riviere qui vient d’un 
lac que nous avions appergu A notre gauche : 
sa principale culture consiste en müriers et 
‘en coton. Les coteaux d’alentour sont cou- 
verts de vignobles. 
Nousne nous arr&tämesqu’un quart dheure 
Aa Yenisheer ; nous: marchämes encore deux 
heures et demie sur des collines schisteuses 
assez &leve&es, et nous vinmes passer la nuit & 
Bambougeuk, petit Village peuple de Grecs 
et de Turce. 
Le 16, nous nous rendimes dans deux heu- 
res & Nicee. 
Nous fiınes arräter nos conducteurs pour 
jeter un coup-d’eil sur cette ville, la premiere 
de la Bithynie , suivantStrabon ‚ ’une des plus 
belles, des plus populeuses, des plus commer- 
gantes de l’Asie mineure sous les empereurs 
d’Orient, cel&bre parmi les Chretiens par les 
deux conciles qui s’y tinrent, le premier en 
325 contre les Arriens, le second en 787 con- 
tre les Iconoclastes ou briseurs d’images. Nous 
fümes bien surpris, en'y entrant, de.ne plus 
trouver qu’une miserable bourgade ‚ dont la 
populatiou ne peut pas &tre Evalude & plus 
de trois mille ames. Le palais des Lascaris, - 
les temples des Grecs et des Romains , les &gli- 
ses des Chretiens , les mosquees des Turcs , 
_. tout 


. CHAPITBE XIt. dıy 
tout-4, disparu. On ne voit aujourd’hui que 
quelques rues sales et etroites, et sept ou huit 
cents maisons de terre parmi des rnines in- 


formes et des decombres souvent remuds. 


Les remparts, en partie &croulds, parais- 
sentavoir ete reconstruits vu repares plusieurs 
fois avec des.materiaux plus anciens : on ya 
fait servir des marbres sculptes, des restes de 
corniches ‚des pieces d’entablement..Les tours 
y sont de forme carree, et aussi rapprochees 
que dans les villes ärabes. Nous en viınes quel- 
ques-unes en pierres, plusieurs en briques se- 
parees les unes des autres par un large mor- 
tier; d’autres avaient des rangees alternes de 
briques et de pierres. Nous observämes dans 
quelques-unes, qu’on avait repare les bröches 
avec du moelon. | 

Il nous a paru que ces remparts se prolon- 
geaient dans le-lac Ascanius, car nousavons 
vu aux deux extremites les restes d’un mur 
tres-Epais, qui partait-du rempart et allait se 
perdre-dans l’eau. 

Nic6e passa en 1330 au pouvoir des Otho- 
mans. Orchan , deuxi&me empereur des Turcs, 
deja maitre de Pruse , de Nicomedie, de pres-. 
que toute la Bithynie,, vint mettre, en ı330, 
le siege devant Nicee. Les habitans se defen- 
dirent avec courage; ilseprouy£rent, pendant 

Tome VI.: Dd 





A:8 VOTAGE EN PERBE. 


im siege de vingt mois, tous les maux de Id 


güerte, de la peste et de la faınine, et ne se 
fendirent qu’apres avoir Epuisd tout moyen 


de defense: Andronic Pal&ologue, qui rögnait _ 


-& Constantitiöple , avaft fait quelgues efforts 
pour les sechürit ; il avait rassembie ses trou- 
pes et avais tierchg contre Otchan; mais il 
avait &t& bättır, et obligd de H’enfermer avec 
tes debris de son arinee das Philocrine (r);; 
place foite sur les boards de la Propontide, ä 
V’entree du golfe de Nicomedie. 

‘ Cette ville porte aujour@hüi le kön: de 
Isnik (uni); elle est situce en plaine sirr ie 
bord orientat du lac Ascanitis, au 40%. desre 
26 mhin..de latitnde, et au 27°. degre 30 imn. 

de longitude. 


Le lac, dont l’e&tendue d’orient en secident. 


est W’environm heuf milles, et dont Ki plus 
grande largeur du nord au midi est & peu pres 
de quatre, regoit toutes les eaux 'qui descer- 
dent des mbrıtagnes voisines dans: la jlaine. 
‚Apres en avoir perdu une partie par !’eva- 
poration, il se decharge du surplus dans le 
Bolfe de Mundania par la petite rividre nom- 
. inde ‚Hylas, dont nous avons parle tomeH, 





-G) Histoire des Vurcs, ‚par Chaleondile ;„ tome 1; 
pag. 12. 


Tr En En m. —. m 


CHAPITRE XII. 4ıy 


page 9 ; elles sont douces, et le lac est sdpare 
du golfe par.une bande de-terre peu. eier, 
de trois ou: quatre liemes d’epaisseur. 

La plaine de Nicde n’a pas deux. lienes de | 
largeur; elle est. barnde au. nord et au mei 
par des collines fort hautes et bien Bossdes , 
mais elle s’etend a l’orient au-delä du Sange- 
ris; elle est bien arrosee et. de la plus grähde 
fertilit@ : on y cultive le coton, le tabac,.be 
sesame ; on y seitie.de Forge et du fromestt; 
on yvoit beaucoup de fruits, qui passent pres- 
que tous 4- Constantinople: L’olivier. y est 
bean et inte-abondant;i il est pa vers le .bas 
des collines. ä \ 

Nous ne fimes pas- attenidpe long-tiaui: ‚ITa8 
conducteurs ; nous remontämes A.cheral a 
neuf heures du matin; nous passämes entre 
le lac et les murs de la ville; nous. trayiersänses 
des collines d’abord calcaires, enswite quarb- 
zeuses et schisteuses, puis redevemues calcai- 


res et encore une fois schisteuses, et nous 


arrivämes & quatre heures:du soir A-un.vil- 
lage grecnomme K euscwonandi y sieue: daus 
un vallon fort‘ agreable..: | 

. Les habitans etaient tous oconpie i. faibe 
leurs vendanges. Le ‚ratsin stait mr depuis 


long-teins ; mais orle cuellletard ; parce qu’oh. 


en. fait du raisine. Le sue-exprime est mis aur- 
Dda 


N 


420 YOYAGE EN PERSE. 


dJe-champ A bouillir avec des inelons ‚des cousr 
ges, des pasteques ‚, descoingset autres fruits, 
jusqu’& consistance de miel, et verse dans des 
:pots de terre bien vernisses : on l’envoie pres- 
que tout & Constantinople. Le peu de vin 
‘ qu’on fait dans ce village est tout converti en 
eau-de-vie.. 

Nous y avons goüte des Pommes, 2 sauvages 
:qu’on venait de..eueillir dans leg bais ; ‚elles 
 staient de la grosseur d’une petite pomme 


-J’api,etavaient uri goüt aigre et, acerbe, qui 


ne permettait pas de les manger. Ä 

. A mesure que 'nons nous epprochions de la 
capitale , les denrees rencherissajent : il yen 
‚avatıplusieurs qui valaient, dans ce village , 
‚deux .fois plus que dans l’interieur de P’Asie 
:mineure. Le pain, la viande de boucherie , 
‚le.riz , les legumes » y avaientau moinstouble 


.de prix: Les fruits , la volaille,, les @ufs, y- 


‚&taient vendus:trois.fois plus cher. 

:  Le.ı7., aprea six heures de.marche par une 
 pente-douce, et,en suivant. presque toujourg 
‚un Tuisseau ‚ nays arrivdämes & Hersek. ‚ pe- 
tite ville situee a un, quart de lieue du golfe 
‚de Nicomeldie., . Be 

.-- La.langue; de, terre , nommee. Glossa. par 
‚le5 Grecs ‚qui s’avance dans le golfe vers le 
-wilieu.de sa paztie mmeridionale ; est. basse,, et 


4 
u. u 


/ 


'CHAPITRR XIY: PETN 


parait formee par les terres et les sables .que 


le ruisseau charrie lorsqu? il est grossi part les 
pluies. nz! 


 L’endräit ou ’on Kembarque pour traverser 


le golfe , se trouve ä l’orient de cette langne.. 
Le capitan-pacha y entretierit‘, A net elety 
cing ou six bateaux et une vingtaine de ga- 
liondjis. Cette route est tres-frequentee : dest | 
la seule qu’on prend lorsqu’on va par terre 
de Brousse & Constantinople ; c’est aussi cell& 
de Kutayeh, d’Eski-Sheer ;, de Cara-Hissar., 
de Konieh , d’Erecli, de la-Syrie et de Chy- 
pre, & moins qu’on ne passe par Nicomedie; ; 
ce qui alonge la route d’une demi-j6urnee. . 
. Apres nous ötre reposes une heure &: Her- 
sek, nous allämes vers les. bateaux : il y en 
avait trois präts & partir. Ils portent deux 
voiles carrees, et ne sont pontes qu’aux deux 
extr&mites ; ils sont du reste assez grands 
pour que douze ou quinze cavaliers puissent 
facilement y trouver place. | 
En nous approchant,, nous vimes, sur le 
möle, un grand nombre de Turcs qui tous 
voulaient s’embarquer, avec leurs chevaux et 
leurs effets, sur le bateau qui deployait ses 
volles : les deux autres pourtant devaient 
partir immediatemeut apres. Le tems etais 


- beau, et le vent favorable : : il soufllait lege 





w 
422 VOTAGE EN TERSE. 
rementdel’oest,.etiln’yarait pas& craindre 
gu’ii changeät de tonte la jöurnfe.' 61 l’on: se 
. füt entendu,, un quart-d’heure eft sufk pour 
qwetout le mmande setrouvät place. Le second 
bategu et parti quelques minutes apres le 
premier ; le troisi&me V’eßt bientöt suivi; ils 
etalent plus que suffisans pour nous tous re- 
öevoir. L’entätement de quelques voyageurs 
et’ la'brutalite des galiondjis furent cause que 
fıdus demieurämes pres de deux:heures sur le 
riyäpe ‚et que nous y fümes temoins d’une 
sähe erträmement affligeante. | 

::D #’&leva une querelle entre les galiondjis 
du- premier bateau et quelques voyageurs , 
aw euıjet des eflets qui avaient et& deplacks , 


et.qwW’ön:ne retrouvait pas. Le premier bateau . 


etait-tfop plein ; ıl fallast l’all&ger , et passer 
„ ces eflets dans le second bateau ou phusieurs 
voyageurs dvaient enfın 'consenti & 'entrer. 
Oncria peu, les Turcs ne sont pas querelleurs; 

mais on agit avec la ferocite qui caracterise ce 
_ peuple encore barbare. Un jeune galiondji , 
Qui se trouvait dans le troisieme batean, et 
gui’jusqu’alors n’avait pris aucune part & la 
dispute , en sörtit tout A coup, e’elanga au 
milien des voyageurs le yatagan &.la:main , 
en blessa tın ala couisse, et provoqua a du com- 
bat tous les autres. 


CHAPITRE XII, 423 


- Celujquivenait d’ftreblasse,etaitunhomme - 
‚de soixente-dix ans, Leäils, qui a’en avast pas 
ingt, et qui se trouyait pour lors 4 quelques 
pas.de JA , ne. vit pas plutöt couler le sang de 
son. pere , quil tira aussi sen yatagan , et.se 
precipita sur le galiondji pour le frapper ; 
mais il manquya son caup , et fut-hlesse Jui- 
m£emg lögerement au bras. .. Ä 
. Les autres galiondjis , gul eraignirent sans 

doute que leur camarade ne füt attejat:ä son 
‚tour par le fer de ges. deux hommes justement 
irrites , se jetfrent aussttöt sur..enx , ‚et les 
‚desarmierent. Cette eanduite ehr Htö,sage „ et 
eht nis in & la queselle s’ils avaient en möme 
zemss desarıme oelni d’entr’aux.qyi s'etait dejä 
:rendu ooupeble d’un crime capital, et #’ils 
Javalent fait rentrer Jans son bateau ;.:mais 
:bjen Join de lä , ils le,progegerent, et. pgrurent 

‚prös A le defendze_Gpntre .quicgnque oserait 

‚FRsraquen. Ä 

.. Las Jeux voyageurs; F dont l indignation et. 

1 colöxe allaient tgujours croissant,, ne furent 
‚pas plutöt debarrasses de leurs mains , qu’ils 
‚cherchärent des arınes .de toutes, parts, L’un 

( c’etait le pere ) arracha un yatagan de la 
‚ceinture d’un autre voyageur , et sans refle- 
chir au danger auquel il s’exposait, il chercha 
' Atirer vengeance de l’outrage qu’on lui ayait 


A24 VOTAGE EN PERSE. 

fait. Mais comment lutter, A son ge, contre 
un homme jeune et vigoureux, soutenu par 
quihze ou vingt amis aussi forts, aussi adreits 
les uns que lesautres : chaque fois qu’il vou- 
lut frapper , il regut Iui-m&me un nouveau 
coup- 

Pendant ce tems le Fils s’empara du fusil que 
portait ordinairement notre domestique (1): 
malheureusement pour celui qui le prit, et 
‘fort heureusement pour nous ‚il n’etait pas 
charge‘, et n’avait pas m&me sa baignette. 
Nous etions, dans ce moment, & quelque dis- 
'tance de nos conducteurs et de notre bagage: 
nous ne nous appergumes de la sottise que 
venait de: faire ce domestique , que lors- 
qu’il n’etait plus tems de läa reparer. Celui qui 
avait, pris le fusil, fut erwellement puni .de 
la confiance qu’il avait.mise dans cette arme : 
il n’eut pas essaye& deux ou trois fois.de la 
tirer , que le galiondji, qui se douta bien 
qu’elle n’etait pas chargee , la saisit d’une 
"main, et’enfonga de l’autre son yatagan dans 
la poftrine de ce mallıeureux jeune homme.- 
Il expira,. quelques minutes apres, entre les 
brag de son pere. 

Qu’on se e figure, l’indignatior ‚la colere, 


4 





(1). O’dtait un Grec pris’& Latakie.- 


[ui . 


| CHAPITRE xı1 425 
le desespoir auxquels ce vieillard fut en proie 
en un moment, Blesse lui-m&äme dangereuse- 
ment, iloublia qu’il avaitdejä perdu la moitie 
de son sang ; il negligea sä propre conserva- 
tion ; il ne s’occupa que de vengeance. Nous 

‚le vimes lever les mains vers le ciel : il im- 
plorait P’assistance divine ; il appelait son fils; 
il demandait le sang de son meurtrier ; il s’a- 
dressait ensuite aux assistans ; il leur mon- 
trait le cadavre qui &tait au milieu d’eux ; il 
dechirait ses habits ; il d&couvrait ses bles- 
sures ; il voulait mourir s’il ne pouvait le 
venger. Illes avait tous emus, il leur'ayait 
arrache des larmes, cependant aucun necrut 
devoir s’exposer 4 un danger trop &vident ; 
aucun ne fut tente de s’armer en sa faveur: 
tous restörent immobiles , les yeux fixes sur 
ce qui se passait. ' 

Cette scäne dechirante dura pres d’un quart- 
d’heure; elle se serait- prolongee beaucoup 
plus si le vieillard, accabl&E de douleur et 
epuise par le sang qu’il avait perdu , ne füt 
tombe evanouıi. On le crut mort, et on l’em- 
porta avec son fils dans le second bateau. 

Le galiondji prit alors le chemin de Hersek,, 
sans que personne songeät & troubler sa re- 
traite. 

Notre fusil ayait &t6 rendu & nos conduc- 


426 . VOYAGE EN PERSE. 

teurs , qui l’avaient reclame de notre part, 
en ezpliquant comment il ne se ? monvalt pas 
entre nos mains. 

‚Quant au domestique, il avajt dt se ca- 
cher parmi les roseaux et les joncs des ma- 
rais voisins ; il ne reparut que long -tems 
apres ‚, et lorsqu'il jugea que tout &tait tran- 
gnille. 

. Des que le galiondji eut disparu ‚Je pre- 
mier bateau deploya ses voiles, et s’eloigna 
du rivage; le second ne tarda pas a le suivre; 
le troisieme , dans lequel nous enträmes „ 
partit un quart-d’heure'apres. Le vent .etait 
tanjours favorable : vingt-cing minutes nous 
$uffirent pour nous rendre & l’autre bord , le 
golfe n’ayant gu£re que,trois milles A cet en- 
droit. 

Nous debargnämes auprös d’une fontaine 
ombragee de superbes platanes ; elle est & 
quelgues pas du rivage,, pres d’un bätiment 
spacieux qu’on nous dit. ötre un mapasin. 
Nous nous trouvions & sppt ou huit lieues 
de. Nicomedie ‚et Atrois ou qualre du cap 
Philocrini. 

Nos eftets ne furent pas plucöt hors du ba- 
tegu , que nous remontämes A cheval. La cöte 
est elevee et sinneuse ; elle est.calcaire, in- 
 culte, un peu boisee : le chene vert , le.chene 


- 


CHAPITRE XII. 427 


a'galles , Parbousier , ‚Fandrachne „ y sont 
abondans. 

.. Nous marchämes une heure et. demie sur 
un chemin pierreux , assez mal entretenu, et 
nous arrivämes A Guebezeh (ı)., petite ville 
assez bien bätie, peupl&e de Grecsetde Turcs. 
On croit quelle occupe la place de Lybissa , 


. oü Annibal perdit la vie. 


Bouyouk-Hissar , ou le grand chäteau , se 
trouveä un quart de lieue duchemin, Adroite; 
il est situe sur un sol un peu’eleve. 

Nous- apprimes, dans le caravanserai ou 
nous logeämes , que le vieillard qu’on avait 
emporte evanoui dans le bateau , etait revenu 


a la vie. En arrivant:A Guebezeh , il avait 
fait transpörter le cadayre de son &ls chez le 
cadi , et 8’y etait rendu lui-möme avec la 


plauupart des voyageurs, pour demander jus- 
tice: Le cadi avait repondu que cette affaire 
ne le regardait pas, qu’il fallait s’adresser au 
capitan-pacha , quiseul ayait le droit de juger 
les marins qu’il employait. 

Le ı8, nous partimes-A la pointe du jour. 
‚Tout le terrain que nous par&ourümes , est 





() Other la nomme Guegne-Bise, qui ‚signifie en 
turc nous sommes au large. V: age © en Turquie et en 


Perse, tom. I, pag. 99 


428 VOTACE EN PERBE. 
inegal‘, peu eleve au dessus dü niveau de la 
mer. La terre y est bonne et assez- bien cul- 
tivee : nous y vimes beaucoup d’arbres frui- 
tiers , etquelques vignes plantees commecelles 
de Provence. | 

Apres trois heures de marche,, nous pas- 
sämes pres d’un petit village nomme Toxsta, 
situ& au bord de la‘mer. La cöte est tres- 
sinueuse du cap Philocrini & Scutarı. Nous 
depassämes bientöt'les trois tlots que M. de 
Choiseul a designes sous le nom de Nissa , 
sur sa carte des environs de Constantinople. | 
Nous vimes la presqu’ile Acritas , que nous 
primes d’abord pour plusieurs iles : ıl y avait 
quelques navires A l’ancre dans le port na- 
... turel qu’elle forme & sa partie meridionale: 
Nous traversäınes un village gree, nemme 
Pandiki, et nous allämes nous reposer un- 
peu plus loin, dans un autre peuple de Grecs 
et de Turcs, nomme& Kortal. Ils sont tous les 
deux sur le bord de la mer , dans une anse 
assez profonde et assez süre. - 
ı A. quelque distance de Kartal,, le terrain 
change de nature : ıl est calcaire depuis le 
golfe de Nicomedie jusqu’au-delä de Kartal ; 
il devient schisteux et quartzeux de 1A au Bos- 
phore. | 

Nous nous eloignämes un peu de la mer, 


m 


CHAPITRE X11, 429: 


sans la perdre de vue : elle etait couverte de 
navires qui se dirigeaieht dans tous les sens., 
Le plus grand nombre prenait la route dg _ 
Constantinople : quelques- uns paraissaient 
aller dans le golfe de Nicomedie, ou dans ce 
lui de Mundania ; les plus gros faisaient route 
pour l’Hellespont. Le tems etait fort beau, 


“et le vent soufllait l&gerement de l’ouest. 


Les iles des Princes s’offrirent long-tems & 
nos regards. Elles semblaient d’abord n’en 
former qu’une; mais A mesure qye nous ayan- 
cions, elles se detachaient successivement : 
nous appercevions & droite quelques collines; 
nous ayions devant nous celle de Bourgour-. 
lou ‚vers laquelle nous paraissions nous di- 
riger : bientöt nous la laissämes & droite ; 
nous enträmes dans cette superbe et antique 
for&t de cypres qui ombrage les tombeaux des 


-Musulmans, et nous arrivämes&Scutariapres 


neuf heures de marche, 

Des preposcs 4 la douane que nous y trou- 
vämes, nous permirent de trayerser sur-le- 
champ, avec l’un d’eux, le Bosphore, et de 
nous rendre & la douane de Constantinople‘, 
oüı nos effets deyaient Ätre visits comme ve- 
nant du cöte de P-Asie, "Nous y Eprouvämes 
d’abord quelques difficultes , peut-&tre A cause 


_ de l’habit arabe que nous portions; mais ä la 


\ \_ 


430 CMAPITRE XII. 


presentation de notre firman, et ä l’offre que 
nous fimes d’une piece de centparas , on nous 
exempta d’une visite que les Europedens re- 
doutent toujours & cause de la peste. Nous 
pümes , par ce moyen, nous rendre avant la 


nuit a Galata , et y debatquer nos effets. 





VOYAGE EN PERSE. 431 


. . 
. 
m ———— 
| \ 


CHAPITRE XIII. 


Depart de Constantinople. Route par 
P’Hellespönt, la cöte de Troye, Ip- 
sera, le port Dailo, le cap Sunium. 


Arrivee‘a Athenes; gouvernement de 


cette ville: Courseuu mont H. [ymette, , 
a Marathon et au Pentelique. 


Noras premier soin, lorsque nous fümes un 
peu remis de nos fatigues, fut de reunir notre 
collection qui se trouvait &parse, afın d’&tre 


‚en etat deprofiter du premier bätiment neutre 


qui ferait voile pour Marseille, Livourne 


ou Gönes. Les objets que nous avions re- 


cueillis en Esypte ‚„aARliodes,ALero, avaient 
ete deposes dans le palais de France; mais 
tous ceuxX que nous avaient fournis les en- 
virons de la Propontide et de !’Hellespont , 
Tenedos , Lesbos , Scio , Miconi , Delos , 


Naxos et Cr&te, se trouvaient dans la maison . 
. consulaire de Scio ; et ceux de Milo, de San- 


torin ‚de Nio, de kla-8yrıe , de la Mesopo- 
tamie, de la Perse et du desert de l’Aräbie , 


venaient d’ötre laisses en Chypre. Nous ne 





Ada VOYAGBE EN TERSE. 


pümes les r&unir tous d Constantinople que: 


dans je mois dei janvier, malgre toute l’actf- 
vite qu’y apporterent M, Vial, vice-consul A 


Scio (1) "et M. Henri Mure, consul a Lar- 


7 


naca (2). 

La mort de notre ambassadeur Aubert-du- 
Bayet, survenue au moment ot il ayait forme 
le projet de nous faire passer & Athänes sur 
une fregate francaise ( Ja Brune‘) , et de nous 
faire rendre de la a Corfou ou ä& Ancöne , en 


nous priv antd’un moyen que nous regardions 


comme sür de sauver nos collections , nous 


jeta dans une incertitude dont nous ne’ cr&-. 


mes pouyoir soxtir qu’en faisant demander 
A ’ambassadeur d’Angleterre , par M. Carra- 
Saint -Cyr , secretaire de legation „ et ren- 
plagant pour lors M. Aubert- -du-Bayet, un 
passe-port ou sauf-conduit pour nous et pour 


le fruit de nos recherches. Un ambassadeur- 


frangais n’aurait certainement pas balance. & 


‚Vaccorder & des Anglais : M. Smith crut de- 


voir le refuser. Ce refus nous surprit d’autant 
plus , que nous ne le demandions que pour 
nous embarquer sur-un navire neutre, Ne 





(1) Davait remplac& M. Digeon, mort depuis plus 
d’un an. 
(2) u y etait arrivd peu de temg avant nous: 


voyant 


‚, CHAPITRE XIII - 433 
voyant pas d’autre motif, dans la conduite 
de cet agent, que celui de se conformer aux 
intentions que le gouvernement anglais ma- 
nifestait alors de faire & tous les Francais, une 


‘ guerre & mort, nous dümes nous tenir sur n08 


gardes , et prendre toutes les precautiong, que 
la prudence exigeait: 0: 

Nous fümes plusieurs fois sur le point de 
laisser au palais de France nos collectiong , et 
de revenir en France par l’Allemagne ; mais 
nous me pümes jamais nous resoudre A npus 
separer des objets qui nous avaient tant coßit 
de travanx d acquerir ‚ettant donne de peine 
A conserver. 

‚Cependant il fallait se resoudre & ‚quitter 
l’Empire othoman .d’une maniere ou d’une 
autre. La saison des brages &tait dejä passee ; 
l’Archipel. ne pouvait ayeir attiredes cprsaires - 
anglais ; Y’Adriatique.ne yoyait flotter alors 
que le pavillon tricolore. Nous dümes nong 


“ flatter que nous.arriverigns sains;et paufs.& 
Corfou , en faisant le tour de la ,Moree. ou 


en. traversant l’isthme ‚de Corinthe. ur 


‚ Dans .cet espoir., npug, fretämes un, pefit na- 
vire turc pour Coron;, aves la clause.expresse 


que nous passerions qnelquesjoursä Athenes; 
‚ae npPUS sejournerjons , sur laronte, partout 


ol nous voudrions ; qu’il n’y aurait aucune 
Tome VI. Be 





434 VOYAGE EN PERSE. 


inarchandise A bord,, ni aucun autre passager 
que ceux que nous designerions. Cette pre- 
eaution &teit necessaire, parce que la-peste 
faisait pour lors beaucoup de ravages & Cons« 
tantinople. - 


Plusieurs Francais , presses comme nous de | 


retourner dans leur patrie, voulurent &tre du 
voyage; ce qui nous fut d’autant plus agrea- 


bie, Yue nous dtions lies d’ amitie a avec quel= 


ques-uns d’entr’eux. _ Ä at. 


‘ Le navire ayant ete bien: lave, bien par. 


| kamd, vintmouiller &'Galata le 30 mai 1798‘, 
A lapnointe du jonr ‚'et’& trois heures du solr il 
deployasesvöilesetfitroutepour!’Hellespoht. 
Le, vent etait au hörd|, 'et' le’ teizis assez 
beau. 'Ayant le coucher du soleil , neus-dis- 


j tinguäines tres-bien Tile de Marmira-, vers 


* Jaquelle' nous paraissions nous diriger Lk 
muit le vent tomba presque tout-&A=Sait , et 
‚li mer Süt trös-calıne : ‚an jour , le navire se 

trouya & l’occident de Pille; il avait fait res 

de dit tieues, plus par Poller du cöurant que 
par celui‘du vent JAu lever du sokei?; Je diel 
se ddutrfit peu a Pew de nuages , et 1eVent 

soufHla Yaiblerment U nord-nord-est’; & midi 


nouetiohs präs deiGallipoli, et Aisik'heures 


"du sölk nous jetähtes‘ l'ancre de va % vie 
des‘ Darllähteiles. Eu 


&. 


DE En 


CHAPITRE:XIII.. döß 
Un Francais qui y etait'etabli , ne'nous.euit 
pas plutöt.appergu , quil vintnous''doziner 
avis que la peste s’dtait-montree' dazis. ha: ville 
d’une manidre eflrayante; que-la plupartıdes 
habitans avaient fui.et:s’etaient refugiesy le& 
uns & Mayta , les autresıdans l’iht&rieur:des 
terres ; que le consul fränzais-s’etait 'isole ‚At 
qwil y avait:du. danger .pour nous de: des 
cendre & terre. Nous: exigeämes dös-dors de 
notre capitaine, qu’il emp&chät son eqwipage 
de quitser.le bord 5: nous obtinines. du deha- 
nier ‚ moöyennant u präsent; que-le-nayide 
ne Für pas visite ; nous nous: rendires oben le 
corisal: pour le saluer :et prendre ses eom- 
missions , et le premier juir:aprös ınidi ons 
continuämes notre route‘; ke vent dtgmt:au 
nörd:mord-est et assez frhis: :° --- pin: 
Dans töind de- trois’ heures:nous sortinss 
du canal‘, et doublämes:le cap Sigee 'imonk 
longeäines la’ cöte ‚et: mnbıillämes:;, & ‚gind 
heures du'soir ‚, au-delä' du:cap de:!Frole , 
par quatre brasses sur :un ford. de’. sable. et 
d’algue. Nous avions auimord- est.-le sbian 
beru de’ Pendl&us ‚es. hanissietions Al’pmırde 
distance de la nouvelle embouchure.du Sea 
mÄärkdr . 37 ı0-Imr m sruort ca im ‚obei 
Le a ;auleyer dwsoleil Jisrous descenslisıes 
Aterrd „ei alläties ericore undifoisrvisitem,des 
Eea 


. 


436 . VOTAGE EN.PERSE. 

lieuz.qu’on rexoit toujours avec le m&me in- 
 ter@e: Presque tous les Frangais qui se trou- 
saient & bord nous accompagnerent dans cette 
£Öurse que nous fimes & pied.. Nous ren- 
trämes.au navire ä deux heures du soir ; et 
ä.trais et:demie: nous :jetämes l’ancre devant 


‚Alexandria-Troas :le’rbste de la journee fur 


nıploye.ä parcourir-des miines de cette ville. 
A. la auit, on: ‚deploya: les roiles, son fit 
Fzgutler.;ı.:.. To .cm 
a3, au lever. du. soleil , ev pavire  arait 
siepasse Metelin;, ‚et.avant midi:il-se trouva 
zbouille dens la.rade d’Ipsera. '; .. 

- :Noua.ne .pfines. descendre A terre ; les pri- 
anats delle siapponerent.ä, ce que des dtran- 
gersgqus venaiesit d'une ville pestiferde, com- 
muniquassent avec lös habitans. Le. napitaine 
am]; en sa qualite dd Turo,:pnt jonir de,cette 
facwlt€ >:du :reste ‚'an.nonk ht passer.tentes 
les:provisione dont. nous avians hegoin: ; . : 
. »Ipsera est une Ile eu Etendue „peu impor- 
tante ; elle eat: 6lewee , montagneuse , seche ; 
aride ‚‚peu susceptible de culture , si.ca m’est 
sur ımelques paints. (La. partie orientale ‚;que 
you eBtoyärhes, nous!parus velcakiguie..d.a 
rade,, qui se trouve au sud-ouest , dazia.la- 
quelle nons: anouilläinks ‚, est grande ,: astez 
söireı on yvölt un petit: port: capable.de con- 


/ 


Ma ln u 0 | 


CHAPITAR Xiır. ° 437 
tenir huit ou dix navires: La ville est trös- 
petite : on nous dit quelle n’avait pas plus 
de trois ou quatre cents habitans : un 'y en a 
pas d’autre dans !’tle. ' | 

Le 4, A 'huit heures da matin , on leva 
l’ancre ‚ et nous fimes route , le vent etant, 
comme la veille, nord-nord-est assez frais. 
Nous vinmes passer ä une demi-lieue d’An- 
tipsera , rocher tres-elev& , qui abrite la rade 
d’Ipsera. A cing heures du soir nous avions 
double Capo-Doro , et mouill€&& une anse ou 
port naturel qui se trouve au»delä‘:: il est 
nomme Porto-Dailo sur la carte de M. de 
Chabert; ilest’expose au levant et ausiroco, 
et & Pabri du nord :et 'du:nord-ouest , qui 


- sont ceux qui occasionngut les tempätes dans 
| P’Archipel. 


‘ La cöte, aux environs, est schisteuse : le 
terrain, ‚dans! interieur ‚estsec, montagneux, ; 


- d’une mediocre qualite. Nous vimes quelques 


champs d’orge qu’on venait de moissonner. 


' Au fond de cette anse , prös du rivage, ily 


a une petite fontäine oh un navire peut faire 
de l’eau. oe | 
 Le5.,& la pointe: ed jour , nous sortimes: . 
de ce port , et avant midi,nous avions double 
le promontoire Surium', qu’on nomme au- 
jourd’hui Czp-Colonne , & cause des neuf’co- 


438 voraamun-zınse 
lonnes. qui'ressent encore deborit du temple 
de Minerye. Nous jetämes Vanere, afın de pou- 
xals nans'y renfdre.. ... 

, Cette partie de l’Attique a la reputation , 
peut-£tre, injustement ,. d’&tre un repaire de 
voleurs.toujonrs pr&ts A depouiller les voya» 
geurs qui. descendent & terre säns arımes, ou 
qui ne sont pas assez nombreux pour leur re- 
sister, Nous avions anpercu un bateau mouule 
Jlerriere desrocherd A peu de distauce du cap; 
nous fümes l& reconnaltre : il ’etait:monte de 
£ing hommes ocoupes A .chärger des pierres 
qu'ils transportaient au Pyree. N’ayant rien.& 
u craindre de leur part ‚nous nous flanes metire 
A terre, et nous grirhpämes, & travers des ro- 
chers , jüsqu’au temple :: il est sur la partie la 
plus elevee du promontoire , et parait avoir 
eie- comstruit sur Je modele du temple .de 
Thesee,, que l’on voit encore debout & 
Athdnen. == | 

-Nousrenträmes dans le navireä deux heures 
et demie,; et le'soir, an soleil couchant, nous 
jetämes l’ancre dans Je port Pyree. L’entree 
est indiquee par deux balises qu’on a elevees 
pour guider les pilötes ; elle est formee par 


deux änctennes jeteds dnnt on voit,encore les: 


"restes sous l’eau : !’une venait A:angles droits 


‚de. la presqu’lle Munichye., et l’autre: dw cap; 


u , - 
"CHAPITRE XLIE. - 439 


Eetium ; elles etaient une suite de la, grande 
muraille que les Atheniens avaient elevee pour. 
fermer les trois ports et la presqu’ile. 

. Le Pyree est en partie comble aujourd’hui 
par le sable et la vase que les pluies y charient 
sans cesse ; neanınoıns ı1l nous a offert une 
noüvelle preuve. que les eaux de la Mediter- 
ranee n’ont pas baisse nı change de niveau 
depuis plus de deux mille ans. Lorsque les 
vents.d’est ou de sud söufilent au large, elles 
sel&vent encore jusqu’aux anciens quais, et 
dans les tems ordinaires elles sont & une hau- 
teur telle qu’on pourrait le desirer dans le 
port moderne le plus frequente. On voit evi- 


- demment qu’en le creusant et en le reparant 


il serait tel qu'il etait autrefois, et'qu’il a pu 


 tr&s-facilement contenir quatre cents galeres, 


et möme un plus grand nombre. Les ports de 
Tyr et de Sidon etaient beaucoup ınoins eten- 
dus que celui-ci. 
Des que nous fümes mouilles, nous expe&- 
diämes un de nos matelots avec une lettre 
pour M. Gaspari, consul frangais, dans la- 
quelle nous lui donnions avis de notre arri- 
vee, et nous le priions de nous fournir les 
moyens de nous rendre tous & Athönes. Il 
eut l’honndtete de nous envoyer le lende- 
main , au soleil levant,, les chevaux dontnous 


44o VOYAGE EN PERSE. 


avions besoin, de sorte que nous fümes au- 


' pres de lui dans la matinee. 


On compte pres. de deux lieues .ordinaires 


du portä la ville : les Grecs comptaient qua- 
rante stades ou pres de cinqg milles. Le. che- 
min est beau, et les champs d’alentour sont 
assez bien cultives. 


L’empressement que nous avions de voir: 
dans le plus grand detail ce quireste de l!’an-. 


cienne Athenes, ne peut guere s’exprimer. Du- 
rant dix-sept joursque nousy restämes , nous 
ne fümes occupes qu’a etudier et observer, 
Pausanias etl’abbe Barthelemi & la main, tout 
. ce qu’on a pu recueillir de cette-ville celebre. 

Nous ne r&peterons pas ce que tant de 
voyageurs modernes et tant de savans en ont 
dit: nous en presentons le plan tel que nous 
Vavons regu des mains de M. Fauvel, cor- 
, respondant de l’Institut , qu’un sejour de plu- 
sieurs annees a mis A portee de tout voir et 


de tout reconnaitre. La ville moderne ettout - 


‘ce qui reste de P’ancienne, y sont indiques de 
maniere & donner une idee assez nette de ce 
quelle fut autrefois , et de ce quelle est & 
present. 

Suivant les observations deM. de Chabert y 
la citadelle qu’on sait&tre dans l’interieur de la 
ville sur une colline escarpee, est & 37 deg. 


ar 


CHAPITRE XIII. 441 


‘58 min. ı sec. delatitude, et A2ı deg. 5 min. 


nn. EEE rl 
®. 
D 
. 
% 


59 sec. de longitude. au meridien de Paris. 


La roche de cette colline est calcaire, quel- 


quefois dure, mais plus souvent friable' et 
cariee ; elle ressemble en quelques endroits & 
un poudingue de diverses couleurs , peu sus- 
ceptible d’&tre taille et poli. La base est moins 
dure et presente en plusieurs endruits une 
terre jaunätre ou grisätre , qui contient du 
nitre en abondance : nous y vimes des ou- 
vriers occupes ä la lessiver pour en tirer ce 
sel. | oo 

Les collines qui sont & l’ouest et au sud- 
ouest de la citadelle, sont d’une pierre cal- 
caire beaucoup plus dure. 

La ville est entouree d’une faible muraille, 
qui fut elevde en 1777 pour la garantir des 
inenrsions des Albanais et de toute entreprise 
de la part des corsaires; elle a huit paroisses 
et quelques mosquees. Sa population est re- 
duite & sept ou huit mille habitans, parmi 
lesquels on compte environ huit cents Turcs. 
Les villages, repandus en petit nombre dans 
l’Attique ou dans cette portion de la Grece 
qui g’etend depnis le cap Sunium jusqu’ au- 
delä de Megare d’un cöte, et jusqu’au mont 
Parn&s de l’autre, n’ont pas aujourd’hui huit 
mille ames, tant cette pärtie de la Grece est 


442: VOYAGE BN PERSE. 


en general depeuplee depuis qu '’elle appartient 
aux Turcs. 

Athönes et sa province dependent du pa: 
chalik de Negrepont , et forment un sanjak, 
oü sont quinze zaims et timariots, qui poBse- 
dent en cette qualite quelques terres, et per- 
goivent quelques droits sur les villages. La 
ville a et€ pendant long-tems un apanage du 
kislar-aga ; aujourd’hui il n’en regoit que 
quelques lögers revenus, et c’est le chelibi- 
effendi, comme percepteur du nouvel im- 
pöt , qui est devenu le seigneur d’Athänes, et 
quelquefois son protecteur aupres du tröne. 

Un vaivode a la police de laville, et y per- 
goit les impositions. 

La justice est administree par un cadi, 
nomme chaque annee par le cadilesker de Ro- 
melie; iljuge seul et sans appel ‚ainsi que tous 
les cadis de l’Empire, pour toutes les aflaires _ 
civiles que l’on porte & son tribunal. 

Outre ce cadi, il ya un mufti nomme par 
le scheik-islam‘, qui doit prendre connaissance 
detoytes les affaires qui ont quelque rapport 
& la religion et aux lois de Mahomet. Aucune 
gentence, dansce cas, ne doit@tre rendue par 
le cadi, que le mufti n’ait donne ses decisions, 
Sa placeest ordinairement permanente, quoi- 
_quelesscheik-islaın puisseledeplacer A volente, 


CHABITRE xIII. © 443 
L’impöt ‚qw’Athenes et /’Attique deivent 
compter au chelibi-effendi , est aujourd’hui 
de cent trente mille piastres , tous frais d’ad+ 
ministration turque preleves : il se compose 
du karatch, du dixi&me des .praductiens sur 
les terres, d’une taxe particuliere sur les vi- 
gnes,, et des droits pergus sur le vin. La 
douane sur les marchandises n’y est pascom- 
prise. 
Les Grecs, courhes sous la plus humiliante 


_ tyrannie, exposes & ätre continuellement in- 


= 





sultes par les Tures , & &tre depouilles au 
moindre pretexte , A Btre punis de mort sur 
un simple soupgon , ont conserv& & Athenes 


F . . . ° 
une apparence de libert& , ou pour mieuxdire, 


Hs y jouissent de quelques privileges, a la fa- 
veur desquels ils peuvent, avec plus de con- 
fiance et de securite qu’ailleurs, cultiver-leurs 


| proprietes, se livrer & quelque genre d’indus- 


trie, ou faire .tel commerce qu’ils jugent & 


‚propos. 


Chaque annee, dans une assemblee od tous: 
les chefs de famille ont le droit d’assister, on 
elit quatre magistrats, qui, sous le nom im- 
posant d’archontes, exercent sur leurs conci- 


. toyens une sorte d’autorite, et sont, aupres 


du gouverneur turc , des protecteurs d’au- 
tant plus dA menager, quils peuvent porter 


444 VOYAGE EN PERSE. 

- leurs plaintes ou leurs reclamations jusqu’aux 
‚environs du tröne, et faire rappeler et punir 

un vaivode qui abuserait un peu tropdu pon- 

voir qu'ilaen main. . 

Les archontes s’assemblent tous les jours 
pour prendre connaissance de tout ce qui in- 
. teresse les 'Grecs de la ville, ecouter leurs 

‚plaintes, terminer & l’amiable ou juger sans 
_ aucun frais tous les proods, toutes les.con- 
testations qui ont lieu entr’eux , pour Eviter 
surtout que ces contestations soient portees 
au tribunal des Turcs. Ils font aussi tout ce 
qu'ils peuvent pour qu’aucune plainte, au- 
cune fäute, aucun delit ne parvienne & la 
_ connaissance du vaivode; ou sice gouverneur 
en est, instruit,, ils tächent d’obtenir la per- 
mission d’infliger eux-memes la punition ; ils 
font moderer les amendes ; ils emp£chent, au- 
tant qu’ils le peuvent, la publicite du delit. 

Ces magistrats ont sous eux deux procura- 
teurs , plus specialement charges de defendre 
auprös du vaivode le droit des Grecs, de plai- 
der en Jeur faveur toutes les fois que le mi- 
nistere public croit devoir reprimer ou punir. 
Ce sont les intermediaires entre les archontes 
et le vaivode , entre la police grecque et la 
police turque. 

Independamment des archontes et.des pro- | 


CHAÄPITRB XIII. - 445 


curateurs, on nomme chaque annee autant 
de magistrats qu’il y a de quartiers ou de pa- 
roisses dans la ville. Ceux-ci portent le nom 
d’epitropi; s ıls exercent une sorte de surveil- 
lance dans leur quartier,, et ont plus unme- 
diatement chaque famille grecque sous leur ' 
protection : leur principale fonction ensuite 
est de travailler, de concert avec les archon- 
tes, A la repartition de l’impöt, des avanies et 
de tous les frais que les Grecs sont obliges de 
payer. | 

Lorsque Parchev&que est de r&sidence a 
Athenes, ily a chez lui, tous les lundis, une 


. assemble&e & laquelle il assiste avec tous leg 


imagistrats. Elle. a pour objet de terminer ä 
l’amiable tous les proces, de faire cesser ton- 
tes lescontestations , d’ecouter toutesles plain- 
tes, de reconcilier tous les ennemis, de ‚pren- 
dre connaissance en un mot de tout ce quiest 
relatif aux Grecs de la ville et de la province;, 


de prononcer & leur Egard telle decision , tel 


jugement qu’ils crojent convenable;.;ge. qui 
n’emp@che pourtant pas que les parties, ne 
pnissent en. n-appeler- ‚et recourir & la ‚JusHice 
tüurgque... 

+ L’isdustrie des Atheniens est presquß foute 
dirigegsauj ourd’hyi.vers la cultyre des terres: ı 
ils font pourtant un peu de commerce avec 


446 VOYAGER EN PERSE. 
Salonique , Sımyrne et les ports de la Mo» 
ree; ils portent quelques denrees aux tles de 
V’Archipel, et se rendent fr&gquemment & Cons- 
tantinople ‚tantpour y verser les productions 
de leur sol et de leur indüstrie, que pour en 
tirer tous les objets qui manquent & leur ville. 
1ls ont douze ou quinze savoneries presqud 
Toujöurs en activite, et ils fabriquent quel- 


_ ques maroquinsrouges pourla consommation 


du pays. Daris la plupart des menages, on 
fait des toiles de coton et soie fort läches , 
espece de gaze & grandes raies , dont les per- 
sonnes riches des deux sexes font leurs che- 
mises. 
Les terres de Pattique sont en general si si 
seches, si montagneuses, si;peu fertiles, qu’ozi 
n’y rdcolte pas assez de 'froment nour: la con- 
sommation des habitans : ls en tirent annuel- 
Jement une assez grande quantite dela Liva- 
die, pays beaucoup plus fertile et boauvonp 
plus abondant que l’Attique. © 

Le‘ vis ne sutfit pad non’ plus :.oh en tird 
de la Moree et de quelques iles de l’Archipel. 
Celwi- qt'on fait a Atlienes ‚est d’une-amer+ 
tume & laquelle.il est difficile de s’habituer : 
elle‘ provient des pornmes’de pin’qu’on ymetien 
assez krantleiguantite aptes les avoir' unpei 
Ecräsees key Atkeniens oroient- par-l& 'aro- 


CHAPITRE XIII ° 447 
wmatiser agr&ablement leur vin et ’emp£cher 
d’aigrir. Cette pratique qu’on retrouve dans 
presque tout le Levant , paralt ancienne , . 


_ puisque Bacchus est represente , dans quel- 


ques medailles et sur quelques monumens, 
avec un thyrse surmonte d’une pomme de 


pin. 

ö L’huile est la plus importante des produc- 
tions , et celle qui procure aux Atheniens les 
moyens de payer les impöts , et de fournir a 
tous les besoins de la vie. On peut en faire. , 
dans une annee d’abondance , envirot vingt 


. mille milleroles, mesure de Marseille. 'Les re- 


coltes ordinaires sont de sept ou huit mille : 
il en pässait autrefois beaucoup ä Marseille , ” 
ot elle &tait employde aux savoneries. 

ApresT’huile, ondoitciterlagarance comme 
un des produits le plus ; important de l’Atti- 
que: elle estaussi estimee que celle de Chypre y 
et aussi recherchee par les Frangais et par les 
Italiens. - 

On recueille , sur les möntagnes , une assbz 
‚grande quantite de velonee ou cupule du chäne 
velani, et surlescoteaux , du kermes ou sraine 


. d’ecarlate. 


Le- miel.et la cire sont:des objets assez Iın- 


‚portans. Le miel.dw ment Hyınette a conserve 
sa reputation ; il passe presque tout & Cons- 


448 VOYAGE EN PERSE. 


tantinople , ot il s’en fait une tres-grande con- 
sommation. 

‘ Le mürier reussit tres-bien dans toute PAr- 
tique :on y en voit pourtant fort peu, etla 
petite quantite de soie qu’on se procure , ne 
suffit pas aux besoins du pays ; elle est tres- 
fine et presque toute blanche : on P’emploie | 
aux etoffes que nous avons dit se fabriquer ; 
dans les menages.  . | 

Le coton de l’Attique n’est pas si estime que 
celui de Chypre et de la Syrie : onn’yenre- 

_ colte gudre que pour les besoins de la ville. , ‘ 

Depuis long-tems lemont Hymette, lemont, 

“ Pentelique (1) etla plainede Marathon fixaient 
"notre attention. Nous ne voulions pas quitter. 
l’Attique sans observer les plantes qui four- 
nissent aux abeilles ce miel delicieux tant yante 
par les Grecs , sans voir les carridres d’ou sont 

r ‚sortis tant de chefs-d’@uvre, tant de  beaux 
monumens ; sans parcourir ces lieux oü quel- 
ques guerriers sauvdrent leur patrie du joug 
qu’un roi barbare voulait ui imposer, , 

Le mont Hymette ‚ qu’on-croirait d’ abord, 
au nomfastueuxqu’on lui donne, devoirporter 








(1) Les Grecs pronuncemt: Pendaligse , quöiqu’ils 1’6- 
crivent Pentelique ; dlies gux le:s, prooede une n,se - 
prononce cn d. . . u 


1 


Le äiiläben _ „m m. 





I \_ 
\ 


.CHAPITRE xıı. " 449 


‚sacime au dessus des nuages, n’estqu’une mon- 


tagne de moyenne hauteur, seche,, aride, de. 
nuee de bois , peu susceptible de culture , si 
ce n’est vers sa base , mais couverte de cistes, 
de lentisques, de terebinthes, de chönes ker- 
mes, de sauges, de stoechas, de millepertuis R 
dethyms, et surtout d’une sorte de genät Epi- 
neux ‚arbuste sur lequel les abeilles sont plus 


particulierement puiser leur miel. 


Nous montämes A cheval le ı4 juin, pour 
nous rendre sur cette montagne ; elle est.& 
une lieue et demie de la ville, dans la direc- 
tion de l’est au sud-est. Le vent etait depuis 
trois jours au sud, et la veille nous avions ete 
menaces d’orage. Nous passämes l’Ilissus, qui 
se trouve & quelques pas de la ville; il etait 
a sec : c’est un faible torrent presque toujours 
sarıs eau, dont on ne parlerait pas si tout ä 
Athenes ne rappelait des souvenirs, et n’ins- 
pirait de l’inter&t. On peut en dire autant du 
Cephise,, qui coule, & quelque distance de la 
ville, A l’occident:: quoiqu’il ait presque tou- 
jours un peu d’eau ‚et qu’il fertiliseune partie 


de la plaine, il ne receyrait pas, en Europe, 


le nom de riviere. | 
Au-dela de Pllissus nous vimes quelques 
vergers d’oliviers et fort peu de vignes ; nous 


traversämes des champsincultes tautcouverts 


Tome VI. Ff 


450 VOYAGE EN PERSE: 


de myrtes. Cet arbrisseau fut, commeon sait ; 
dedie & Venus : nul Autre, dans la Grece ; 
n’etait sans doute plus propre & favoriser les 
nysteres de !’amour ; nul autre.ne presentait 
une retraite plus süre et plus agreable & des 
amans qui voulaient se soustraire aux regards 
courrouo6s de la jalousie , ouse derober A ceux 
d’une m£retrop attentive..Il croiten buisson le 
long des chemins, dans les champs et au bord' 
de tous les ruisseaux. Son ombre &paisse , son 
odeur suave l&gerement aromatique, le vert 
apr&able des feuilles, la couleur blanche des 
fleurs ; ceile d’un bleu-fonce que prennent les 
fruits & la fin de l’ete, et qui restent sur l’ar- 
brisseau , ainsi que les feuilles, tout l’hiver; 
tout ‚devait inviter les amans & lui donner 
une preference qu’il merite. ' 

L’olivier fut de m&me consacre & Minerve y 
comme la vigne le fut & Bacchus. Rien de 
"plus sage sans doute que de rendre en quelque 
sorte sacres pour le vulgaire les vegetaux les 
plus utiles, et ceux qui se trouvaient &tre les 
plus agreables. i 

Nous nous rendimes , dans une heure et 
demie, au monastäre Seriani , situ dans un 
enfoncement vers le bas de la montagne. Il 
est entoure de fort beaux. oliviers , et on y 
voit une fontaine qui jouit de la plus grande 


CHAPITRE: XIId.. ” 453 
celebrite : les feınmies steriles , les malades‘, 
les estropies, s’y portent en foule pour boire 
‚de ses eaux ; ’Esprit-Saint,.dit-on, y descend 
sous la forme d’un pigeon , le jour de la Pen« 


tecöte,, et s’envole rapidement apres en avoir 


pris une. bouchee. 

Les caloyers sont fort nombreux et assez 
pauvres : ıls etaient presque tous hors du 
couvent, occupes a.couper et & battre eux- 
m&mes les bles qui. leur appartenaient ; ils 
elövent une trds-grande -quantitd d’abeilles , 
tant aux environs du couvent, que sur les 
autres possessions qu'ils ont au pied de la 
ınontagne. . 

Nous laissämes chez eux:nos chevaux;, et 
nous, primes un sentier'tr&s-escarpe. Apres 
avoir depasse la bande schisteuse qui s’etend 
un peu au dessus du couvent,, et qui forme 
toute la base de la montagne,, on trotve un 
marbre tantöt blanc , tantöt- gris- -bleuätre ; . 
melang6 de blanc , qui: parafit' avoir' ete 'an- 
ciennement jexploite en plusieurs ’etidröits', 
quoiqu’il-soit d’une qudlite' 'bien  Ialerifüre a 
celui du:Pentelique. BEE 


yirdy 


Arrive au sommet ‚ nous nous trouvämes 


ur une plaine que rien rle dominait aux en- 

virons. Nöus avions, au nord , le mont Pen- 

ielique, ou se trouve le beau marbre sta- 
Ffa 


—— 


452 VOYAGE.EN PERST. 

tuaire' ; au nord-ouest, la belle plaine d’A- 
thenes., presqu& partout couverte d’oliviers ; 
A l’occident, la vaste rade d’Eleusis, capable 
de recevoir l’escadre la plus nombreuse, et 
Vile de Salanıine, ‚qui se detachait bien de la 
terre, except& du cöte de Megare ; au-delä , 
la yue'se-pronieneit sur tout le. fond du golfe 
Saronique, nomme aujourd’hui. Golfe #A- 
thenes , et:se portait:jusqu’& Corinthe ; au 
sud.et au sud-ouest ;, uni grand nombre d’iles 
et. d’ilots se presentaient A nous. Phaura et 
AEgine se. .montraient ‚en. entier ; mais Ca- 
laurie ; auj jourd’hui Porri, se Confondait avec 
la cöte de Moree, et nous empä&chait de voir 
‚le yaste ‚port:.qu- elle „abrite ou quelle forme 
_ derriereelle. Nous yvoyiöns ‚au sud-sud-quest; 
le sap Seylloum , et plus loin Hydra y qui 
V’Archipel. La petite ile Belbina , rocher st&- 
rile.etinhabite , se:mentrait toin des oötes au 
sud-sud-Rötz. Une ‚chäine de montägnes nous 
derobait ‚entiereyient Ja yue du ‚pnomontoire 


Bunium; „mais nayg.laissait & decauvert l’ex- _ 


tremite septentrionale de Macronisi: ou: Ile- 
“ Lpngue, Une belle plaine s’etendait & l’orient 
du pied de la montaguie jusqu’% la mer., et 
nous. laissait appercevoir le port, Panormos , 
forme de, deux anses reunies ou places P’une 


en 
De . 


‚SCHAPITRE XTII. 7 453 
& cöt& de l’autre, et abritdes par trois rocherg 
qui se trouvent & leur entree. Une statue mu- 
til&e qu’on voit pres du rivage,, et'qu’on croit 
representer Hadrien tenand un compas & la 
main, afait donnet & ce port, par les Grecs 
modernes, le nom de zapkti ou de tailleuir , 
ans doute parce :qu’ils ont pris de compas 
poor des.ciseaux. Plus loin , A l’est et au nörd- 
‚ ’Eubee ‘se confandait.avec Andres. - 
“Pendant que nos regards se. promentaient 
sur Athanes et sur son 'territoire ,.ou quils 
eherchaient Adecouvriret distirnguer des. mon- 
tagnes ‚ces villes, des'ports, ces protnöntoires, 
ces 3les :que l’histoire d’um peuple:civilise et 
instmiit:ont: rendus träs-c&lebres, un orage.se . 
formait.dans de. lointain ;.les nuages s’amoh- 
cälaient sur le Pentelique, et menachient ’de 
fondre sur nous. Le vent avait. soufiledu sud 
les j6urs pröcedens: et durant toute la mati- 
nee ; nous l’avions.trouve A l’est au sommet 
du mont Hymette, et a onze heures il com- 
menga-ä souffler lögerement du nord, et sem- 
bla nous annoneerqulil etait tems de mettre 
Gr. A nos observations, et de:chercher un abri. 
Nos guides. nous dirent' qui n’y en avait pas 
de plus & portee que’ le. couvent de Seriani': 
nous en.primes le cheurin dtsaccelerämes nes. 
pas. Nous n’eümes pas le tems d’y arriver 3 


, 
\ - .s 





434 VOYAGE EN PERSE. 


que toutela.montagns fut corıverte de nuages, 
et que la pluie tomba:en abondance ; elle dura 
jasqu’'aul spir , de. sorte que nous ne pÄmes re» 
monter A cheval et: nous rendre & ia ville qu a 
ka. nuiti „. . en L . 

, Deux:jours aprös „ ‚nous primes das chevanz 
et un-guide pour nous rendre & Marathon: , 
nous longeämes le monat Hymette ‚et'rencon- 
trämes,.& sa partieisepteitrionale., dans an 
key anomme& Stayro.,.une eolonne dneore:de- 
baut, portant une inseription grecquß ,-que 
nous supposämes:bien connue ;plus loin , en 
noyk detaurnant um peu droite., nous vuaes, 
dans les champs ; um Iion colössabmmuike. - 


u ‚Apres avolr matthe guelque temb en plaike, 


en. nox3 dirigeant &: Vest zinbuk rraversämes 
des montagnes peu elevdes: on collines.tantöß 
&algaires:, -tanıöt. achisteuses ,' peu::boisees. 
Nous y vimes pourtaintswelgues;pins:s. be ten 
röbinthe , le lentisque:; ;l’arhousier::et Kan- 
drachne.y etaient assez.commmns..Le launier- 
rose, le, myrte et le plateneın’y'crosssaient 
que dans les endroits im :'peu Immides:: : 

: Nous passämts pres du monasıbre d’Aou 
sans nous y arfäthh, ilastı itudadlars; ces, col- 
lies ;. et'appartient: ax. caloyers da Perte- 
lique.. Qnoitw’an Baisabanddnns depuis -plu- 
sieurb: anndes:, on vloit;' encore uelgues cul- 


CHAPITRE XIII. 456 


tures aux environs, et quelques champs cou- 
verts d’oliviers. Au-delä de ce couvent, nous 
passämes un ruisseau dont Peau est peu abon- 
dante lete. | 

Apres 'avoir marche six heures, presque 
toujours dans:la diregtion de l’est et du. norg- 
est , nous descendimes dans la plaine de Ma- 
rathon ‚, ayant devant nous l’ile de Negrepont 
et quelques rochers repandus dans le canal 
qui la separe de l’Attigne. 

Cette plaine n’a guere. qu’une lieuo et. de- 
znie de long du nord au sud,, et une demi- 
lieue de largeur depuis les montagnes jusqu’& 
la mer. En nous approchant du milieu, nous 


vimes, & peu de distance.du rivage.,.des ma- 


recages parmi lesquels se trouvaient, en.trois 
ou quatre endroits, quelques restes des tom- 
beaux &leves aux Atheniens morts & la’ glo- 
rieuse bataille que ce peuple gagna en. ceg 
lieux sur des ennemis dix ou douze fois.plug 
nombreux. On y voit encore des trongons de 
eolorines peu Epaisses , des amoncelemens de 
pierres , des fragmens de marbre et quelques 
restes- de magonnerie. Nous y remarquämes 


un chemin pave , qui traversait ces mare- - 


cages. | 
Plus loin , vers le nord, s’eleve en monti- 
cule, au milieu de la plaine ‚„ un tombeau 


- 


. . 


4 


‚456 VOYAGE EN PERSE. 


semblable & ceux de la plaine de Troie, mais 
beaucoup plus petit. Sa hauteur perpendicu- 
laire est de trente-six pieds : il ne presente 
rien de remarquable : M. Fauvel y a fait une 
fouille qui nelui a rien procure. De cetom- 
bau on appercoit plus au nord un maraisas- 
sez &tendu, vers lequel nous nie jugeämes pas 
a propos d’aller. | 
Nous revinmmes sur nos pas, en nous diri- 
geantneanmoins vers la montagne ; nous vin- 
mes passer pres du village de Franz, que 
nous laissämes & gauche , et nous enträmes 
‘dans un vallon large de trois ou quatre-cents _ 
pas, ou l’on presume que s’engagea la bataille 
& jamais m&morable des Atheniens contre les 
Perses. Au fond de cette vallee, quin’a gudre 
plus d’un mille de long‘, et la ot le terrain 


_ commence A s’elever , on’ voit les restes d’un 


mur de retranchement , et ceux d’un temple 
qui y fut sans doute bäti apräds la bataille :- 
nous vimes un peu plus loin une statue entie- 

rement mutilee. Le camp se prolongeait sur 

la pente de la montagne , et etait entoure d’un 

mur en pierres seches, dont on suit encore les 

traces. Sa situation &tait telle qu’il ne pouvais 
®tre attaqu& que par le vallon dont nous 

avons parle. 


- + Un peu au-delä dece camp retranche vers 


4 


s 


CHAPITRE XIII. 457 


le nord - ouest est un autre yallon dans lequel 


_ nous descendimes : nous marchämes pendant 


une demi-heure pres d’un ruisseau dont les 
bords etaient couverts de lauriers-roses , de 
myrtes , de clematites ; nous passämes pres 
d’un monlin A farine, et nous enträmes dans 
le village de Marathon. 

L’eau de ce ruisseau est assez abondante, 
dans toutes les saisons , pour fournir aux be- 
soins des habitans ; elle arrose quelques jar- 
dins autour du village , -et va ensuite ferti- 
liser les champs qui se trouvent au dessous. 

Marathon est A trois milles de la mer ‚'et. 
& Pextremite de la plaine qui porte sonnom, 
ou pour mieux dire, il est situ& dans un vallon 
qui aboutit A cette plaine : on n’y compte pas 
aujourd’hui plus de cent habitans. 

‚Nous passämes le reste de la journee dans 
un jardin , A l’ombre d’un trös-grand mürier. 
On nous y fit faire.assez bonne chere,, et on 
nousapportä, pour la nuit , dela paille fraiche 
sur laquelle nous couchämes. 

Le lendemain, & la pointe du jour , nous 
montämes & cheval , et vinmes passer le long 
du ruisseau par lequel nous:etions arrives la 
veille. Au fond du vallon , et tout au bas de 
la montagne, il y a une tour ronde gui ne 
nous a pas paru ancienne ; un peu au dessus 

\ 


. 
" 


. 4 
et 





v 


458 VOYAGE EN PERSE. 

il y a une grotte profonde et spacieuse , dans 
laquelle nous enträmes ; elle n’oflre rien de 
curieux que des stalactites de diverses forınes. 

Au sortir de cette grotte, qu’on croit aveir 
et& consacree au. dieu Pan, nous montämes, 
par de tres-mauvais .chemins , sur des mon- 
tagnes calcaires ; nous en traversämes d’autres 
qui etaient schisteuses , sur lesquelles nous 
vimes quelques caltures:: les bles, sur ces hau- 
teurs, etaient encore.sur pied , tandis qu'ils 
€taient coupes depuis plusieurs jours dans la 
plained’Athenes. Apres trois ou quatre heures 
de marche , nousnous arr&tämes quelques ins- 
tans: pres d’une source abondante, nommee 
Cephalaris , qui se trouve & cöte d’un village 
dont nous avons oublie le nom : de lä, pre- 
nantä gauche, nous vinmes , en contournant . 
la montagne, au monastere du Pentelique. 
Le prieur, pour lequel M. Gaspari nous avait 
donne une lettre,, m’y &tait pas ; mais les 
autres caloyers nous regurent tres-bien, et 
nous,offrirent A diner. 

Pendant qu’ on le preparait, nous allämes 
voir les carrieres de marbre qui se trouvent 
a demii-lieue du cauvent. Le sentier qui y 
conduit, est rude et scabreux ; il est borde de 
cistes , d’arbousiers, d’andrachnes, de chönes 
kermes, de gen£ts : le terrain est schisteux , 


I) 


CHAPITRE XIII. . 459 


micace jusqu’aux environs de la carriere. Le 
banc de marbre qui pose immediatement sur 
les schistes, estblanc, et d’un grain assez fin; 
ila servi, non-seulement aux colonnes et aux 
divers monumens d’Athenes , mais encore aux 
statues : On devait cependant preferer , pour 
celles-ci, le marbre de Paros, comme plus 
fin et plus beau. 

L’exploitation de celui du Pentelique s’en 
est faite en differens endroits, A banc ouvert: 
on a aussi penetre dans la roche,, et forme 
des galeries dans lesquelles on peut encore 
entrer , et qu’on peut parcourir dans .une 
grande etendue ; elles offrent partout des sta- 
lactites dont la forme varie & l’infini. L’en- 
tree est vaste : on y a construit une &glise oü 
les caloyers du Pentelique viennent quelque- 
fois celebrer la messe. 

Il ya dans cemonastere pres de centcaloyers 
qui se livrent tous ä la culture des terres, & 
l’education destroupeaux, ä celle des abeilles. 
lis ont de tres-vastes proprietes, tant sur la 
montagne, qu’aux environs d’Athdnes, pour 
lesquelles ils sont obliges de faire passer & une 
des premidres mosqudes de Constantinople , 
une certaine quantite de miel, de cire, d’huile 
fine , de beurre et de fromage. Le prieur est 
nomme chaque annee par les caloyers asseın- 


N 





460 CHAPITRE XIII. 


bies, et est presque toujours confirme dans sa 
place , & ınoins qu’il ne. se forme contre lui 
quelque cabale ;cequiest, dit-on, tr&s-rare. 

De Marathon au monastere nous eümescing 
heures de marche, et du monastere A Athenes 
une et demie seulement. | 





u—|—— 


VOYAGE EN PERSE. 461 
Feen nenn a nn ne nn nn nn nn nn ne nen te assnammn — 


CHAPITRE XIV. 


Depart d’Athenes. Route par le detroit 


de Salamine, Eleusis, P’isthme de 
Corinthe, le golfe de Lepante, Pa- 
zras , Ithaque, Cephalonie et Parga. 
Arrivee a Corfou. 


Les informations que nous avions prisesen 
arrivant & Athenes, nous ayant donne la cer- 
titude que l’on pouvait traverser sans risque 
V’isthmedeCorinthe,ettrouveraufond dugolfe 
de Lepante quelque embarcation pour Patras , 
nous nous tions s&pares de la plupart de nos 
compagnons de voyage , et nous avions laisse 
partir pour sa destination le navire «qui nous 
avait amenes de Constantinople. Nous avions 


'ete d’autant plus portes A prendre ce parti, 


qu’on disait publiquement qu’un brick anglais 


.s’etait montre aux environs de Cerigo, et Y 
- avait attaque un navire francais. 


Les obseryations que nous voulions faire 
& Atheries et'aux environs de cette ville etant 
terminees ‚nous fretämes trois petits bateaux, 
et vinmes coucher , le 23 juin, dans le ma- 
gasin qui se trouye au Pyree. Le lendemain , 


[4 


A462 VOYAGE EN PERSE. 


le vent etant & l’ouest, nous profitämes de 
ce contre-tems pour voir dans le plus grand 
detail les environs du port et la presqu’lle 
Munichye. Nous trouvämes au sud- ouest de 
- eelle-ci, au bord m&me de l’eau , les restes 
d’un tombeau qu’on croit @tre celui de The- 
mistocle : il est taille dans une roche.calcaire, 
et parait avoir ete degrade depuis bien des 
annees. L’eau y entre pour peu que le vent 
souflle du sud et du sud-est. On voit,, dans 
l’interieur , unsarcophage egalementdegrade, 
et pr&s de l& des trongons de colonnes;, qu’on 
juge Etre les restes du monument qui y fut 
eleve. 

De ce lieu on appergoit une partie ducanal 
quisdpare Salamine de l’Attique : on decouyre 
l’ile Psvttalie , autour de laquelle leg Athe: 
niens ct les Grecs federes triompherent des 
Perses par les conseils et les ruses de The- 
mistocle ; on, voit.le Pyree qu’il couvrit de 
vaisseaux. Le peuple qui a pu avoir l’idee de 
deposer en ce lieu les restes d’un citoyen long-- 
teıms proscrit,, maisä quiil devait,auparavant 
son salut et la plus memorable de ses vic- 
toires,, meritait bien.que de grands-hommes 
Occupassent les premieres places de la repu- 
blique, que .de grands generaux comman - 
dassent les armees, 





En © 


. CHAPITRE XIV. 463 


Au ccoucher du soleil , le vent d’ouest ayant 
eess& de soufller, nous sortimes du port et 
mouillämes 4 un quart de lieue 4 l’occident. 

Le 25 , nous partimes au soleil levant avec 


le calme. Des que nous eümes double, au 


moyen de nos avirons ; le cap qui forme, 
de cecöte, la rade ou l’avant-port du Pyree, 
le vent d’ouest se fit sentir et renforga peu A 
peu. Nous louvoyämes quelques instans, et 
gagnämes avec peine le port Phorum , qui se 


 trouve A une liene seulement du Pyree. Il est 


forme de deux petites anses qui sont, une 
a droite, et l’autre A gauche d’un rocher qui 
s’avance dans la mer. Nous descendimes & 
terre , et hous nous arnusämes A chasser aux 
liöyres, qui y sont träs-abondans. La cöte est 
calcaire , inculte, couverte de lentisques, de 
sauges, de cistes, et d’une espece de tithy- 
male frutescent ( Zithymalus spinosa) :ily a, 
aussi quelques pins et quelques terebinthes. 

A. midi ‚nous fimes voile, quoique le vent - 
d’ouest continuät de souffler ; nous enträmes, 
en louvoyant, dans le canal de Salamine ; 


nous nous approchämes-d’un tr&s-petit village 


ou l’on a etabli quelques bateaux pour faci- 
liter les communications de cette le’avec les 
cötes de l’Attique, et le soir nous arrivämes 
a Eleusis. u 


46A -  VOYXYAGE EN PERSE. 

Cette ville, autrefois l’une des plus- cofisi- 
derables de "Attique ‚n’est.plus qu’un mise- 
rable village de deux cents habitans, dans le- 
guel on voit encore quelquesrestes du temple 
de Ceres , la statue colossale et mutilee de 


cette deesse portant une corbeille sur la t&te; 


quelquestrongons.de colonnes, etun aqueduc 
en partie detruit, qui amenait les eaux de la 
montagne quissetrouve A une petite lieue vers 
le nord. Eleusis est bäti au bord de la mer y 


et au bas d’une colline sur laquelle on voit 


encore quelques restes.de murs fort epais. 

On voit au-devant du village deux jet£es 
paralleles qui forment un port pour les ba- 
teaux’et les petits navires. Les gros vaisseaux 
peuvent mouiller partout dans la rade, at« 
tendu que le fond y est bon‘, et que la mer 
n’y est jamais-trop fortement agitee. 


La plaine a pres de trois lieues de long de 


l’est & l’ouest , et environ une de profondeur 
du nord au sud ; elle est tr&s-fertile et toute 
cultiyee en graine. 

‚La colline qui se trouve A loceident;, es sur 


 laquelle la ville se prolongeait autrefois , est: 
une suite des monts Cerates, qui separent la. 


plaine d’Eleusis de: celle de Megare. 
Le 26, nous partimes avec le calme ; mais 
bientöt le ventnous vint par rafales des monts 
 Cerates > 


CHAPITRE XIV.’ 465 
Cerates, quis’avancenit jusqu’Alamer. Lorsque 
“nous les eümes depasses ; et avant d’entrer 
dans le canal: qui’ separe de ce cöte Salamine 
de lacöte deMegare , nous vimes & travers les 
terres cette ville et sa rade. 

Le tanaln’a pas asdez d’eau pour permettre 
a un navire un peu gros d’y passer : nous 
voyions tres-distinctement le fond de la mer 
en plusieurs endroits-: il est beaucoup plus 
., court et beaucoup plus etroit que le premier, 

- Lorsque nous fümes sortis de ce canal nous 
eümes went devant , et fümes obliges de lou- 
voyer. Nous appergumes pendant: lons-tems 
da ville de’ Megare , 'situde sur une Erainenice 
an milieu d’une plaine assez etendue; presque 
toute Couverte d’oliviers. Nous viınes son 
port, qui n'est‘ autre- :chose qu’une arise oü 
de petits navires vierrnent mouiller: 

Le vent tomba au milieu' de la joufnee;, et 
parut vouloir passer au sud: Nous fiihes rotit& 
au moyen de nos voiles et de nos aviröns.; 
nous passämes- sous les fameux rochers d’ol 


le brigand Sciron fut preeipite par Thösdey_ 


ils sont träs-hauts,,. presque coupes a pic , et 


effroyablesä voir. Le'vent d’ouest, quisouffla. 


de nouveau , nous obligea a louvoyer jusqu’au 
soir, et A gagnerensuite, alarame; as mouil- 
lage sur lacöte. = 7. ” 


Tome FI. G g 


‘ 


466 VOYAGE EN PERSE. | 

Le 27 , nous doublämes , avec nosavirons) 
‘ lecap qui nous separait de Cenchries, et nous 
mowillämes dans ce port avant le retour du 
vent contraire. 

Cenchries , qu’on sait avoir die un des 
deux ports de Corinthe , presente encore 


_ quelgques fondemens de vieux murs, quelques 


xestes. d’ur quai et de deux jetdes qui s’a- 
vangaient dans la mer. A celle d’occident, i] 
"y a des carres qui paraissent avoir ete des 


chamhres , et pres de lä sont les fondemens 


d’un petit temple. Lamaconnerie quisetrouve 
Jans la mer, et qui y'eleve, en quelques em- 
droits, & plus d’un pied au. dessus de l’eau , 
paxait ayoir ete construite avec un ciment fait 
de pouzolane et de chaux.' 


‚Il »’y a. aujourd’kui.qu’un seul gdifice ou 


reside un douanier. pour la perception des 
droits que paient les marchandises qui tra- 
versent l'isthıne ou, gi sont destindes pour 
Coriathe. Ä .. 
L’isthme, dont ı on trouve une bonne carte 
dans un ouvrage de M. Bellin , ingenieur de 
la marine (1), aenvison six milles, mesure de 


Ä Cenchries au post Leche 3. ‚et seulement quatre 


a) Deseription seögrapkigue du golfe c de Venise et 
de la Moree. Paris, ı77ı. Pl. 48. 


"2 . ‘ “ 


 CHAFITRHAIT.. : 4867 
mille deux cents pas gegmetriques, pris A la 
partie la plus etroite et la plus basse qyi. se 
trouve en face de l’anciep, port Sch@aus ; on 
voit , sur celle-ci, quelques restes un max 
de defense qui y fut eleve.de part en part, er 
on. y remarque quelques, traces d’un ganglide 
communication que l’on.:avait, plusieyrs' foig 
tente d’y creuser afın de: joindre: les deux.mers. 
Ce canal, entrepris. sou$ ‚plusieyrg: empe- 
reurs, n’avait jamass.pn..ötre acheve,,: pawoe 
qu'on.n’ayait jamais py,creuser..assesiprofcn- 
dement.dans la. rpche calcaire; fortidnze'suf 
xegne, dans ‚presque: tout ‚ge-, trajffer, De 308 
jours cet :ohstacle serait fagilement ermon 
au moyen,s'un canal,A Keluses, ':;:ur.... zit 
La ville de Corjnthe rest, plus aujoudihtni 
qu’une grande bourgade orsupeei,pat..demil 
mille "Furcs.et troiymille Greos:. Leg.maisouis,, 
diese£mindes sur un assez grand espaos; au pied, 
de;la.colline en pyramide,sur laguche,est bAra 
le chptpaes „mont zien, de Femarsuable ‚sus 


niers ‚et, jes chayaps anlcie qui se: Wwouvenk 
parmi elles. Br 1» 

Cette ville est situde hors de Visthme. Nor ou 
la laissämes a gauche,, em allant de Eenchries 
a l’embaygadaire .du-galfe de Lepante y AL 'ser 
trouyait aytrefois le, port Leche : elle est & yg, 

Gga 


, 


A638 VOoWACHEN PERSE. 


mille sud de rluici, etä six miles « ouest de 
Genchriäs... ©. &- au 
: Le'terrain,; pres de ce’dernier port, s’eleve 
an peu’;il baisse ensuite, et forme une plaine 
unie: quf s’dtend fert-loin & l’occident. u 
"Le ‘10 ,-on'nous amena de Coriithe tous 


kes chevzirk dont nöus’arions, besein-;'et nous - 


nous rendimes au golfe de Lepante, od nous 
avipna freie‘ pour Patras. un trabaeolo com- 
Hiande par un:capitaine dälmate. en 
-iLa rale‘ su monillent‘ les vaisseatrk &taft 6: 
fendas;; :dü cöte.de Veit, Par'une redoute Han- 
guce de 'quatre'bastions,erentöhreed’ün fölse: 
ellsuparätt dveir die cönstruite par les Veni- 
tiens lorsqu’ils etaiertt les-maltreside:ees con 
iröesı Lies! Turcs en ont eileve des cahons ;; "et 
Fonbabandonpnde:- EPIUDELO THREE. 
«Le 11. awsoir , 16 vet Ponest’ayant besad 
de soußiler:, ev fait plade A’un' petit‘vent: dest 5 
en ‚deploya les völles-ktiön se ‚mit en mer.'La' 


une nous 6clairie') er'ia iier era 'pelne: 
agitee : hobs nous! kyangämes leritement‘j jüs« 


gü!aux environs du CEp Sieyone, distant de 
trois lieues du port de Corinthe ; 1a tous fürnes 
arr&tes par ie talme:. ra 


< Le matin, en'noüs nat, ; nous fmes sur- 
pris.de-nous trouter entre ce cap’et'celui'yui _ 


st forıme- ‚par‘ un "prölöngeiment des:fucnis 


nu. 


wm 


\ 


.EHAPITRE XIX... r 469 


Geraniens, et quion designait ‚autrelois. sous 
le nom d’Ofmiae : il noys parut s’avancer'un 
peu plus,en mer., quil .n’est marqu6, sur’les 
cartes; Le.golfe, sufvant nos mariniers ‚ s’en+ 
fonce au-dalä' de.ce cap,,& dix lieues dans les. 
terres ‚et n’est qu’&. une kieue et demie de 
Megare. _ on 

Le vent J’ouest reprenahtdans la matinee, 
nouslouroyämesquelg yetems,etnousmouil- 
lämes & deux lieues ouest-sud-ouest du. cap 
Sicyone. Nous avions alors’le: mont Heligon 
au nord, et le mont Parnasse au nord-ouest, 
Le golfe nous paraissait entoure de trös:hautes 
montagnes. N 

Nous passämes la. journee au monillage » 
etnous descendimesä terre. La chte est basse, 
et le terrain en. plaine : une montagne peu 
elevee la borne & un mille au sud. Iln’y ayait 


- point de culture autour de nous; le, pays etait 


boise et assez beau :.nous y remarquämes le 
pin d’Alep , le caroubigr , l.olivier sauvage, 


le terebinthe , le lentisque, le chäne kermes , 


le genevrier de Phenicie. ... 
. Le vent’d’ouest soufilg toute la journde ayec 
plus de force que les jours, precedens. ;A, lq 
nuit, nous allämes A. board dans l’espoir que 
le vent tomberait ‚mais ıl continua de souft 


2 ah 0. 


470 VOYAGE'EN PERSE. 

ie capitaine mit älä volle, ‚ prit desris , ettira 
sa'bordee vers la cöte opposee. Le 14; A la 
pointe du jour , nousnous trouvämes & l’en- 
tree du golfe de Crissa. Le vent n’etait plus 
si fort : nous avions, Al’est, la’ baie'd’Aspros- 
pittia , au fond de laquelle est la ville de ce 
nom : elle sert d’entrepöt aux denrees de Li- 
yadia , capitale.dela provihce ; son port, sui- 
vyant'nos mariniers,, est le' meilleiir du golfe 
pour les vaisseaux un peu gros. 

: Le golfe de Crissa nous parut tres-profond ; 


et’la cöte fort elevee ; il offre divers mouil- 


lages fort peu connus de nos marins : le plus 
frequente est celui qui sert d’entrepöt aux 
denrees de Salona‘, qü’c ’oncroit &tre !’Amphissa 
des Anciens. 


' Nous etions entre la terre et quelques tlots 


lorsque, vers les neuf heures , le calme ou un 


leger vent de sud succeda au vent d’ouest : 
nous ayangämes peu ; cependant ‚tant Ala 
rame qu’ ala voile, nous gagndmes , le soir , 
- la rade de Petronisa. ‚Nous ayions alors de- 

passe le mont Parnasse. i 

Ce village est A une demi-lieue de la mer ; 
‘41 est situe dans une plaine fertile, arrosee, 
peu Etendue, et entourde de montagnes fort 
hautes. Sa population n 'exoede pas quatre 
cents habitans. 


eo 


CHAPITRE XIV. Ant 
Le ı5, noug longeämes la cöte avec le 
talme. Nous remarquämes, pres de la rade , 
une petite riviere dont on arr£te les eaux 
pour arroser les terres ; nous doublämes un 
cap un peu @leve; nous passämes,, apre&s midi ; 
entre la terre et deux les, dont l’une est fort 
petite, et l’autre nous parut avoir demi-lieue 
de long ; elles abritent-une rade qu’on nous 


- dit ätre fort süre.: nous remarquämes autour 


de la rade une petite plaine, et un village bäti 


. au: sommet d’une montagne. 


A. mesure que nous avancions , le golte de- 
venait plus etroit; il nous parut, en cet en- 
droit, n’avoir guere plus de deux lieues, tan- 
dis qu’il en a environ dix vers le capSicyone, 
ou pres de sa bifurcation. 

Lorsque nous eümes depasse les deux les, 
et double le cap qui se trouve & peu de dis- 
tance, le vent d’ouest qui survint, nousobligea 
de tirer notre bordee vers AEgium , aujour- 
d’hui Vostitza , situde dans une anie, sur la 
cöte meridionale. Les montagnes qui sont au 
sud de cette ville, nous parurent fort ele- 
vees. Nous louvoyämesj jusqu’au soir, etnous 
mouillämes & une lieue ouest de Vostitza. La 


 cöte etaitcalcaire, fort hauteet bien boisee. 


Nous etions encore mouilles le 16, apres le 
lever du soleil , lorsque nous yimes passer 3. 


472 VOYAGE EN: PERSE. 


'sur un sentier qui se trouvait A cent pas du 


rivage ‚deux ou trois.Grecs qui conduisaient 
plusieurs chevaux scelles; ils veriaient de Vos- 
titza ‚et serendaient A Patras. Nous nous de- 
cidämes.sur-le-champ & quitter le navire, et 
a profiter de cette occasion pour nous rendre 
un peu plus töt dans cette ville. Moyennant 
quekqu’argent que nous offrimes , ces Grecs 
consentirent A nous eeder leurs chevaux., et 


& nous suivrea pied. Nous etions sept ; trois 


d’entre nousrest&rent a bord pour veiller aux 
effets‘, lesquatre autres montdrent& cheval. 

Nous suivimes la mer par un chemin pier- 
reux., fort mauvais ; nous renconträmes bien- 
töt une maison Occupee- par queiques gardes 
que le gouvernement y entretient pour la sü- 


 rete de ces lieux ordinairement infestes de 


voleurs. Lorsque nous eümes marche environ 
trois heures sur la pente de la montagne , et 
parmi desbois assez touffus, nous nous trou- 
wämes sur un terrain bas et uni, qui s’avance 
dans la mer, et forme le:detroit qui separe 
le golfe de Lepante de celui de Patras. Nous 
passämes. un torrent qui nous parut devoir 
£tre assez considerable l’hiver; il se nomme 
Drapanos , et va ‘se jeter dans le golfe pres 
du promontoire de ce nom: Les eaux sont 
employees l’ete & l’arrosement des terres. 





. CHAPITRE'XIV. 473 


Le detroit , large tout au plus de demi- 
lieue, est forme de deux pointes de terre qui 
s’avancent l’une en face de l’autre,, et sur 
chacune desquelles on a bäti un chäteau afın 
de defendre l’entree du golfe ä tous les vais- 
seaux de guerre &trangers qui voudraient ten- 
ter d’y penetrer. Derriäre celui de Romelie 
on voit s’elever une montagne qui fait suite 
‘A celle de Lepante, et s’avance A l’occident 
jusqu’en face de Patras. 

A mesure que nous avancions ‚ le pays de- 
venait plus beau , les terres etaient plus fer- 
tiles , plus ärrosees , mieux cultivees : nous 
vimes plusieurs ruisseaux dontles bordsetaient 
couverts de myrtes, de lauriers-roses, et sur- 
tout de reglisses : nous traversämes un coteau 
de fort bonne terre, toutlezarde ‚ toutronge, 
tout bouleverse par leseaux de pluie, etnous 
arrıvämes & Patras apres avoir marche cinq 
heures. ' | 

Cetteville, que lesobservationsdeM. Beau- 
champ placent au 38e. degre ı2 minutes Ai se- 
condes de latitude , estsituede sur la pentenord- 
ouest d’une &minence , ä un quart de lieue de 
la mer, et est dominee au sud par une cita- 
delle fort.considerable , qu’on dit bätie sur 
‚les ruines de celle que les Romains construi- 
sirent lorsquils eurent fait de ce lieu une place 

| 


' 
x 


474 VOYAGE EN PERSE. 


de guerre et le siege d’un grand commerce. 
Restreinte aujourd’huiä un espace peu etendu, 
et reduite A quatorze cents maisons et A six 
mille ames de population , on voit, par quel- 
quesruines et quelquesrestes de murs, qu’elle 
s’etendait autrefois , au nord, jusqu’au rivage 
de la mer , et qu’elle occupait , A l’occident, 
tout le terrain eleve qui entourait le port. 

Ce port, que les sables et les limons ont 
comble, est au dessous de la ville moderne s. 
vers le nord-ouest: Un mur en demi-cercle R 
solidement construit,, fort epais & sa base, et 
qui s’eleve en retraite , soutenait les terres , 
et servait probablement , de ce cöte, de rem- 
part & la ville. Wheler a pris cette enceinte 
pour un cirque ; cependant il ne peut y avoir 
dle doute & ce sujet. Tous les habitans assurent 
avoir oui dire auxvieillards, qu’il y ayait en- 
core, de leur tems, le long de ce mur., de 
grands anneaux de fer qui servaient "autrefois_ 
& amarrer les. navires, et le terrain qui se 
trouve au-devant dtait encore en partie sous 
leseauxlorsquelesVenitiensetaientlesmaitres - 
de la ville; ila &t& exhausse dequelquespieds, 
tant pour le mettre en culture, que pour faire 
disparaltre un foyer d’infection et de morta- 
lite. | 

‘ll ya peu de villes qui soient plus heureu» 


— 


CHAPITRE XIV. . 475 


. sement situees pour le commerce , qni pos- 
- sedent un territoire plus fertile, plus riche en 


productions; qui jouissent de pointsde vueplus 
beaux ‚, plus varies, plus pittoresques; ellen’a_ 
point de port, mais sa rade est assez süre : les 
petits navires de Zante, de Cephalodie et de 


‘Corfou viennent y prendre, dans toutes les 


saisons, du ble, de l’orge, du mais, des fro- 
mages, des bestiaux. Les navires europeens y 
apportent, comme dans les autres echelles du 
Levant, des draps, des bonnets, du sucre, du 
cafe, de la cochenille, de indigo , des bois de 
teinture, du fer, du papier, de la quincaille- 
rie, et y trouvent & charger quatre ou cinq 
mille livres pesant de raisins deCorinthe ; deux 
ou trois mille milleroles d’huile d’olive, quel- 
ques balles de soie, fort peu de coton, un 
peu de gomme adragant que fournissent les 
montagnes des environs, un peu de cire, de la 
laine commune et des fruits secs. —. 
Le ı8, dans la matinde, nous apperchmes 
notre navire qui se dirigeait vers la rade avec 


un petit vent’ de sud : mous envoyämes aussi - 


töt un bateau pour faire dire au capitaine de 

mouiller au large, A cöt& d’un petit navire 

qui devait recevoir nos eflets et nous con- 

duire & Corfou. Nous primes ce ‚parti afın 

de n’avoir-rien & demeler avec le douanier , 
@ 


475 VOYAGE EN PERSE. 
qu’on nous dit ätre fort peu accommodant! - 

Le.m&me soir , lorsque le vent de terre eut 
remplace celui de ıner, nous deployämes les 
vöiles, et nous nous eloignämes lentement de 
la cöte de Patras. Au soleil levant nous jetä- 
mes Pancre aux environs des p£cheries de 
Messalongi , distantes de quatre lieues de la 
rade que nous venions de quitter. 

La cöte de ’Etolie est basse, et lamer peu 
profonde : & plus d’une lieue de la terre on 
appercoit bien distinctement le fond, qui tan- 
töt est vaseux et couvert d’herbes, tantöt est 
forme d’un sable fin et uni. En s’approchant 
de Messalongi ou d’Anatolico situde A quel- 
ques milles plus A l’occident,, on n’a que trois 
ou quatre pieds d’eau. Le Heuve Acheloüs, 
designe aujourd’hui sous le nom d’.4spro-Po- 
tamo, paralt avoir forme une partie de la 
plaine basse qui se trouve & son embouchure, 
et releve le fond de la mer 4 une grande dis- 
tance de la cöte. N 

Mouilles & une lieue sud de Messalongi ; 
nous avions au nord-nord-ouest un golfe pro- 
 fond dans lequel se tröuve, parmi des ilots, 

la petite ville d’Anatolico. Les terres basses 
s’avancaient & l’ouest, et formaient un cap 
que nous douhlämes dans la nuit. La.cöte de 
la Morde nous parut assez plate depuis Patras 

® 


CHAPITRE XIV.‘ ATT. 
jusqu’au cap Papa, surtout dans sa partie oc- 
cidentale ; nous appercevions pourtant des 
montagnes assez.hautes dans l’interieur. Au- 


delä de.la plaine de l’Etolie, que nous juged- 


mes avoir deux lieues de profondeur , nous 
voyions une chalne de montagnes fort hautes, 
qui nous parurent faire suite aux deux qui 
s’elevent en pyramide en face de Patras. 

Les pEcheries sont aflermees par:le grand- 
seigneur A des Grecs du pays, pour.la valenr 
de 40,000 piastres. On:y prend: .divers pois- 
sons que |'on fait söcher au.soleil ; et que l’on 
consomrme presque tout dans l’Empire otho- 
man:ony prepare aussi de la poutargue; forp 
recherchee des Venitiens et des Provencaux. :. 

Nous levämes Fancre -& dix heüres du ma- 
tin , et fies route, par un:vent.de'nord-otest: 
assez frais, vers le canal qui separe Pie de Ce- 
phalonie de celle d’Ithagwe ; nous passämes au 


sud. des äles Oxine.: ce sont deux:rochers in- 


habites, oü se trouvent'trois ports: qu 'on dit. 
&treifort bons, et okse refugient les piztates, R 
dant la cöte d’Etolie est infestee jils montent 
atı nombre de dix, douze ou: quinze-tout au 
plus, des bateaux fort lögers ; (quivvont.-& kai 
naıne etä la voile ‚.et ls attaquent;avec audace: 
les navires qu’ils voient mal arıneg „ainsi que 


 ceax.quils jugent n’ötre: ‚pas sur leyr. gardei _ 


\ 


A478 _ VOoYAGE EN PERSE 


Ces tlots sont plus pres de la terre, quils re 
sont marques sur les cartes; ils sont au mord- 
ouest du cap, que nous avons dit s’avancer 
dans la mer au-delä ou & l’onest de l’embou- 
chure de-l’Acheloüs. .. i 

Le vent ne nous permettant pas #entrer 
dans le canal, nous louvoyämes toute la jour- 
nee, et revinmes vers: les deux rochers pour 
y mouiller, Ne pouvaut les atteindre, nous 
gasn enämes la cöte et jetämes Y’ancre un peu au 
dessus du cap que nous.avions devant nous le 
matin ; de sörte qu’apres avoir rest en mer 
toute la’jeurnee , nous n’avions feit le soir 
que deux lieues. Le cap se termine par une 
petite montagne que nous avions prise aupa= 
zayant. pour une le, et qui le fut peut - @tre 
avant que les. aterrissemens: eussent agrandi 
cette cöte, 

. Le.20, avant le; jour ‚nous lövämes V’ancre, 
et nous hous dirigedmes une seconde fois vers 
le canal de Cephalonie. A trois heures apred 
midi nous. dtions & ung lieme seulement del’ex- 
tremite meridionale de ’ile d’Ithaque, quand 
tout a coup nous fümes.balottös par des bouf- 
fees qui molas venaient en diverssens, Le vent 
de sard-ouest continwait pourtant de soufllen 
entre Ithagque et la Romelie, ainsi que nous 
en jugiens;par deux hateaux quise trauyaient 


CHAPITRE XIV. 499 


«A quelques milles de nous, vers l’&cueil de 


Dragonneau. Nous passämes plus d’une heure 
sans pouvoir avancer,, et avec une mer qui 
nous fatiguait beaucoup. Enfin , nous essayä- 
mes, A force de rames, de nous porter. sur 
Cephalonie; ınais le vent d’ouest, qui venait 


‘du canal , nous en &carta. Nous voulümes _ 


alors ngus diriger sur Dragonneau : le. vent 
de nord s’y opposa. Nous primes le parti d’al- 
ler vers Ithaque : le vent de nord-ouest nous 
emp£&cha constamınent d’en approcher. Nous 
lutämes de cette maniere contre le vent, jus- 
qu’ä.la nuit. Comme il tomba alors, nous 
profitämes du calme pour gagner A la rame 
le port de Lia, situe ä.la partie la plus orien- 
tale d’Ithaque. Il &tait onze heures ‚ oroque 
nous pümes jeter l’ancre. . j re 
Ce port est &troit, un pen sinueux , Kort 
profond, ouvert ä l’est et au nord-est , mais 
assez SÜT, quelque teıns qu'il fasse, mäme 
pour les plus gros vaissgaux. La cöte est ele 
vee, calcaire, toute couyerte d’arhrigspaux ; 
elle etait inculte, quoiqu’elle füt.partont pro- 
pre & la culture. de la vigne et de l’olivier. 
Le 21,nous longeämes la cöte avec le calme, 
et vinmes mouiller au port Skinos ;, sime. 
gauche, vers l’entree du vaste port de Yathi. 
Il y a quelques habitations sur le rivage de 


l 


480 VOYAGE EN PERSE. 


celui-ci; mais la ville de Thiaki est situde &s 
quelque distance , ‚sur la pente d’une mon- 
tagne. | | 
'lle est montagneuse, assez bien, cultivee; 

elle produit assez de grains pour les habitans: 
on y voit queliues oliviers et beaucoup de 
vignes , d’ot l’on-tire une assez grande quan- 
tite de ce petit raisin sans pepins, connu 
sous le nom de raisin de Corinthe. Sa popu- 
lation‘, A ce qu’on nous a dit, est de sept & 
huit mille ames.. - 
Nous avons remarque sur la cöte ol. nous 
sornmes descendus; une pierre calcaire blan- 
chätre fort dure, qui nous:'parut en quelques 
endroits devoir @tre’tr&s-propre & carreler.les 
cours, et m&me les-appartemens; elle se se- 
_ pare en feuillets plus ou moins epais. 

Au nord. est de cetteile, que les Grecs nom- 
ment aujourd’hui 7Aicki, il ya un &cueil 
connu sous le nom d?4:2oca, que les navires 
qui passent de nuit dans le canal, tächent'd’e- 
viter en’ s’?approchant le plus qu’ils penvent 
de Thsaki; il est peu etendu et inhabite. 

Le 22‘, 'nous partimes A deux heures -du 
, mätin, afın’de pouveir doubler le cap ıneri- 
dionät de Sainte-Maure avant le retour: du 
vent de nord-ouest,, aüquel nous nous atten- 
| dions depuis gie nous: ayions atteint Patras 3 
somme 


% 


Io 


CHAPLTRE XIV: 451. 
comme &-celui d’ouest lorsque nous &tions 
dans le golfe d’Athönes: ou dans celui de Le- 
pante ; car il faut observer que dans le. tems 


_ des plus. fortes chaleurs , le vent swit assez 


regulisrenient le golfe Adriatique , et souffle 
consequemment du.noril-ouest tous les jours 
depuis neuf ou dix. heures.du matin jusqu’au 
soir, et qu’arrive dans le golfe de Patras, il 
se: modifie ‚entre: dans 'celui de Lepante en 
suivant la direction. de cette mer de l’ouest &- 


Test, traverse l’isthme et arrive A-Athengas'par 


Youest. C’est ce vent de mer, ce vent doux, 
rafraichissant, qui &tait connu des Atheniens. 
sous le. nom de zephyr; il tombe ‚presque& tour. 
jours.& la mit, et alors c’est un leger vent de. 
terre qui souffle des cötes Alamer. , :.:.. 
Nous etions deja & plus d’une lieue de la 
cöte la plus septentrionale d’Ithaque lorsque 
nous vimestirer un coup de canon & deux ou 
trois milles de nous, vers lenord, par un tres- 
petit navire auquel nous n’avions. pas fait'at- 
tention; jusqu’alors. Celui sur. lequel on avait. 
tire , etajt de notre cöte, et paraissait famwe 
route au sud;; il mit aussitöt pavillon imperiat.» 
Nous ne voyions pas bien le pavillon du cor-+_ 
saire; mais comme il ne nous parut pas ätre; 
francais, et que tout corsaire &etrangen de-: 
vait nous &tre suspect, nous primes le partii 
Tome VI. Hh 


48» VOYAGE .EN PERSE. 


de virer de bord et de nous diriger sur Cepha- 


lonie ; d’atıtant plua que ke vent etait dejäcon- 
iraire..Dana ınpins A.unle. heure'nous yinmes 
jeter ’ancre au port ‚Fiscardo on Wiscardo, 
situe au nord-est de Cephalonie : ’ile d’Itha- 
que .n’etait qu’ä une lieue de distance. 
Ce port est petit..et:assez!shr ; il ost forıme 
de ‚deux. ändes Ouvertes au vent d’est et.ä ce- 


lui de sud-&st, mais garanties.par le d’Itha- _ 


aue. Il y’avait autrefois une ville dont ilexiste 
quelques ruines;, et l’on voit sur le cap oriental 
les restes.d’un fort bäti par les Venitiens pour 
defendre la ville , le port et l’entree.du ca-. 
nal.. Le terrein autour du port est oalcaire , 
trös - roogilleux ; plante, en. quelques en- 
droits, de vignes et.d’oliviers. Pres de lä est 
an village. don. nous tirämes quelques pro- 
vision: 


. A, la nuit nous fimes voile avec un. petit 


vent de snd , et le 23 au matin nous nous 


trouvämes & plusieurs lieues au nord-ouest de 
Säinte-Maure. :Le reste de la journee nous: 


ünmes la mer avec le vent contraire ‚.etle 24, 
en nous levant, nous fümnes entre Paxos.et la 


terre-ferme.. Nous louvöyämes quelque tems 


patr ‚atteindre le beau. port.de Paxos,, situe 
a la partie orientale de Pile. Aprds quelques 
heures de. travail, nos märiniers jugeantqu’ils 








‚GHÄPFITRE xıv 483 


. m’en pourraient venir 4 bout, se deeiderent & 
aller a Parga. | Ä 

Cette ville, qu’on nous dit avoir environ 
quatre mille habitans, est situ&e surunrocher 
qui s’avance en cÖne dans la mer, et forme, 
au milieu d’une baie, deux ports, dont un, 
vers le nord, un peu plus grand que l’autre, 
est ouyvert et peu sür; P’autre, situe.du cöte 
du midi, ne peut recevoir que de petits navi- 


res; il est ferme par quelques rochers et par 


une jetee qui part de ces mömes rochers. On 


remarque aussi une petite jetee dans le grand 


port, du cöte oppose ä la ville, qui n’est pro- 

pre qu’& abriter quelques bateaux. L’ete, on 

mouille en sürete dans toute la rade; mais 

Vhiver, les gros navires doivent Eviter de ves 
nir A Parga; ils y seraient trop exposes aux 

vents de nord-ouest , d’ouest et de sud-ouest, 

qui soufflent quelquelois: avec la plus grande 

violence. ' 

La ville a une ericeinte assez forte du cöte 
de la terre, et elle est döfendue , du oßt& de la 
mer, par les rochers trös-escarpes sur lesquels 
elle est assise. La citadelle , bätie en arriere 
ou A la partie la plus large du. cöne , domine 
toutes les maisons et les deux ports ; mais 


_ elle est elle-m&me. dominee par une monta- 


gne d’une hauteur assez' considerable , qui 
Hha 


/ 

484: VOYAGE EN PERSE. 
se trauve-ä träs -peu de distance vers lest. 
Parga, comme propriete venitienne, venait. 
d’etre reuni depuis peu :A:la Frauce, etfaisait 
partie des trois departemens qu’on avait eta- 


'blis dans la mer Ionienne ; nous y trouvämes- 


garnison frangaise. 
Le territoire de cette ville n’est pas fort: 
etendu ; mais il est träs-fertile , tr&s-arrose, et: 


assez bien cultive. L’eil se promene avec plai- 


sir du haut de la ville sur les deux ports, sur 
les deux vallons £troits, plantes de figuiers, 


d’orangers, de müriers, qui sont de chaque 


cöte, et sur un amphitheätre de fort beaux 
oliviers plantes sur la pente de la montagne. 
" Au nord du grand port on remarque, sur 
une hauteur, une eglise neuve , dediee & la 


Vierge , qu’un pr&tre grec, venu de l’interieur 


des terres pour se soustraire au pouvoir arbi- 
traire et tyrannique des Turcs, a fait bätir, et 
pour laquelle il a employ& presque toute sa 
fortune. Commeildevait y avoir lelendemain 
une grande föte consacree A la Vierge, et que 
les ceremonies religieüses devaient commen- 
cer le soir m&me de notre drrivee ‚nous eümes 
le plaisir de voir un grand 'nombre de femmes 
de Parga s 'acheminer. vers Peglise, accompa- 
gnees de’leurs maris, de leurs parens ou de 
‚leurs amis, chantant tous ä l’envi des chan- 


Dumm _ u 0 eumeiheiiiheen ce 


CHAPITRE XIV. . 488 


sons grecques qui n’avaient plus la monotonie 


‚de celles de l’Archipel on de Constantinople. 
Le chant a pris ici une modification italienne 


qui le rend fort agreahle. :La plupart de ces 
groupes vinrent se promener en caique sur Je 
grand port , et jouirent quelque tems de la, 
fraicheur de la soiree avant de se transporter _ 
A l’eglise, ou ils devaient, passer Ja nuit par. 
devotion. re a 

Ces femmes nous parurent avoir plus’de 


| beaute, plus de fraicheur que celles de l’Ar- 
| chipel et. de l’Attique; leur maintien &fait plus 


aise , plus gracieux , etaussi decent; alles por- 


‚taient un habit moitie grec, moitie italien; qui 


les parait tres-bien,, et permettait, de, voir. l’e- 
legance de leur taille. Les femmes dx peuple; 
bien v&tues d’ailleurs, marchaient pieds nus; 
les autres &tajent fort proprement chaussdes, 
et toutes portaient, au lieu de voile, une es- 
pece de schal sur la tte, qui descendait ne&- 
gligemment sur’le mentön, ettombait ensuite 
sur une.epaule. 

Le 25, nous partimes avant le jour, et nous 


_ nous avangämes lentement avec un leger vent 


qui nous venait de l’interieur des terres. Nous 
longeämes la cöte del’Epire, et, vers les onze 
heures, le vent etant dejä au nord-ouest, nous 
traversämes le canal de Corfou , etnous mouil- 





A86 .  CHAPITRE xIV. 


lämes präs de l’embouchure de la petiterividre 
qui traverse le quartier de Lefkimo, situe & 
une dieue de l’extremite meridionale. de Vile. 
Le canal, dans cette partie, a environ einq 
mille toises de largeur; il s’elargit beaucoup 
au-delä de la pointe des Salines, et ne com- 
mence Ase resserrer qu’au pied du mont Saint- 
Salvador d’un cöte, et le cap de'Giravolia de 
l’autre : iln’a plus, vers l’ecueil de la Serpa A 
qu’onze cents toises. 

Dans la nuit et dans la matinee du 26 juil- 
let, un leger vent de terre nous permit de ga- 
ginet la trade de Castrades, situce au sud de 
la ville de Corfou. Nous fümes obliges.d’y 
passer la journee, et nous n’en sortimes le 
lend&Rikifi’ que pour faire une quarantaine 
desagreable; ‘et d’autant plus inutile, que. nos 
mariniers n’y furent pöint'soumis. - | 


VOYAGIE.EN. PERSEY 487 


0. . ı, 
Fe Sa Ger SE 5 Ze ‚ Dur Wu Zr . 





Zr EHAPITKE zw . 


r ol » Gi, 


Päscn yon a PHe de Corfew. Döpare 
“sur la fregate la Brune. Course & Bus 

.trinto x remarques ., ‚sur le sol et. les 
|  enwirgns. de. cette. ville, 4 FrÄNER, dh 

.» Ancöne. Malgdie ‚ei: OK: ‚de Bew 

._ gwiere. | Al 

BE Erd f Bann U:0.) 

Trirs 13; de Corfan; takt Anpourgist.des,Frkmmr 
GRis; ‚loreque nous, y‚ahonikdnen „ınbetaitides 
vepne Je.chef-Hiaurl’un:des irais.ckpaatsimens 
quel’an:ayait formes sur.la.iner Ionisiane.:Les 
Venitjiens, Aqtielle Apperionait aulperavasit, 
et. qui la,regardaieht: ande.zaison .conimarda 
Plas issportantei de,leursipsssessibne:lpintas« 
ns$;, Yaraient nise,dans um asses: bun.dtat, de 
defanse, et.y ayaient formed des! Btahlisisıhena 
pauz.le sarenage einlientretien de.leırs. waies - 
SPAHRL. ni. :n.} 3 IEI ee nun) MON 


: ‚Place ap entree au golf, Adıiatiguio, zpmes 


| des: cötes, de V’Hpine, Aantselle nfest.separde 


que Bazaan ganal-pliiy &rait Bilx denk exisdr- 
169, quldu milign,, :elle-vost. passe? Fmesyua. 
{aus les narises qui trafispuent dans le golfe:es 


488 VOYAGE EN Fest. | 
sur les cötes de la Dalmatie, de’ Albanie et 
de la Moree. N 
La ville, situde sur un rocher qui,s ’avance 
dans la mer au milieu de sa partie orientale , 
est aussi forte har sa positiom que par. les ou- 
vrages que les Venitiens ‚y avaien& construits 
ur sa defense : on y compte environ quinze 
mi le habitans, moitie Grecs, moitie Veni- 


aenk, qui vivent presque tous.du 'produit des. 


törteb 'qu’ils: poss&ident dans Piritetienr .de 
le. 
Corfou n’a pas de port proprement dit; 
nis 'sa rade, situderiiu nord-ouest , offre par- 
tott in. mouillage 'gür aux Faisseaux de gierre 


et:aux'inayires qui siennent'y telächer :-i14 Yy. 


sont-aheirds par la: förine- dem chreuläirle de 
kiley ‚parıta cöte-de F’Epire-qui.nlon est'qwä 
deux:lisues, et par:les'tröis petites les qu’on 
remiarglıe: .dans-icette rade:: La: piemilreöou 
cellei.de: Vids,est '&:cing on! !Hix-vetitd toises 
aordıdeild ville;ielle a uni part de lieue d’e- 
 temkdlue ‚iet.est couverte dloliviers ;; la:secohde,, 
nommee Condilonisi, est A trois ou qüdtre 
can toises plus-loin: ersilsmord-öuest: 'e’est 
an rocher peu etehldu;, sur lequeb eu; a'bäti 
une eplise.dediee'A'la Viltge ; la trbisteme , 
nommee San-Dimiütri, est A'deux. ıtllles werd- 
omedt; elle. est beaugoup plus dtendte.que:la 


_-CHAPITRE XV. 489 
seconde : on y a bäti le lazaret pour la qua- 
rantaine des navires qui viennent de la Tur- 
quie , et on y a construit quelques magasins 


‚pour P’entrepöt des marchandises. 


Cette lle, qui n’a guere au-delä de dix lieues 
de long du nord-ouest au sud-est, quatre dans 
sa plus grande largeur, prise au nord, etdeux 
dans sa partie moyenne et dans sa partie 
meridionale,, a pourtant une ‚population de 
soixante mille habitans , qu’elle doit princi- 
palement & la culture de l’olivier qui s’y est 
introduite; car c’est cet arbre qui fait toute 
sa richesse , et & qui elle doit presque tout son 
commerce. _ 

-. Une course que nous avons faite au nord 


et au sud, par ordre de M. Comeyras, com- 


missaire- general du Directoire executif, et 
dont. nous allons rendre compte , donnera 
peut-@tre une idee plus 'exacte de cette !le, 
que toutes les descriptions generales que nous . 
pourrions entreprendre, et qui ne seraient en 
quelque sorte qu’une repetition de ce qu’ona 
publie. dans plusieurs ouvrages interessans. . 

„Nous sortimes de la ville le ı7 aoüt, et tra- 
versärmes Manduchio , village situe le long de 
la mer, qu’on peut. regarder, a cause de sa 
proximite, comme un faubourg de la ville. 
Les habitans, au nombre de quinze ou seize 


490 VOYAGE EN PERSE. 


cents,, sont presque tous marins, et possedent 
quelques bateaux employes au commerce de 
subsistances pour Ville. | 

Au-delä de Manduchio , le terrain est ine- 
gal, couvert d’oliviers; la terre est calcaire, 
un peu cretacee; la couche yegetale est pro- 
fonde et assez bonne. Apres un quart d’heure 
de marche ‚nous descendimes dans une plaine 
basse , etroite, en partie cultivee, en partie 
marecageuse ou occupee par une saline fort 
‚etendue, et traversde par une petite riviere. 
Nous eümes A droite la rade de Corfou, et & 
gauche,, sur la pente d’une colline toute cou- 
verte d’oliviers, le village de Potamos. Cette 
plaine. nous conduisit A Condocali, petit vil- 
lage situe sur le port Gouin, distant de Cor- 
fou d’une lieue et demie. 

Gouin est un bassin naturel‘, ot les Veni- 
tiens faisaient entrer leurs galeres, et autour 
duquel ils avaient construit des magasins pour 
le radoubage de leurs vaisseaux. L’air.est:tres- 
mal-sain aux environs, tant & cause du voi- 
sinage des salines, que de quelques eaux sta- 
gmantes qu’on voit A lextremite sud-ouest de 
ce bassin‘, et de quelques marecages qui se 
trouvent & peu de distance dans l’interieur; 

En quittant Condocali, nous marchämes 
pres de. deux heures sur un terrain elevo, 


CHAPITRE XV. 4gı 
inegal, calcaire , plus ou moinis fertile , tout 
couvert d’oliviers; nous traversämes ensuite 
une vallee tres-fertile , cultivee en mais, doura 
et plantes cereales, et nous arrivämes &:neuf 
heures du soir' & Scripero. 

Ce village est & quatre fortes lieues de Cor- 
fou; il est situd sur la pente sud de la monta- 
gne , qui court de l’est 4 l’ouest : on y compte 
cing cents habitans. L’olivier est tres-beau, 
tres - multiplie aux environs : on y voit 
aussi quelques vignes peu soignees. On remar- 
que autour des habitations, l’oranger , le ci- 
tronier ‚le figuier,, ’amandier , le grenadier, 


‚lemürier noir, le p&cher ‚ le prunier et le poi- 


rier. Iln’y a point de .fontaines A Scripero ; 
mais les eaux de puits y sont bonnes et abon- 
dantes. . ' 

Le ıB,, nous montämes au sommet de la 
montagne par un. sentier treös-mauvais ‚-trös- 
pierreun, assez etrait, barde de myrtes, de 


lentisques , de ch@nes-kermes , d’arbousiers. 
Nous descendimes ensuite par un chemin pres- 


qu’aussi mauvais, et nous nous reposämes A 
Coropiscopi apres une ‚haure et demie de 
marche. " 

Avant d’etre parvenus' au sommet de la 
montagne, nous avons vu sur sa Ppente „a 
demi-lieye ouest de Scripero, Ducades, vil- 


/ 





4dg2 _VOYAGE EN PERSE. 


lage de cent cinquante habitans ; demi-lieue 
plus & l’onest, Gardelades, d’une population 


& peu pres Egale, et ensuite plus loin, & la 


meme distance et dans la m&me direction ou 
& peu pres, Liapades, de cinq cents habitans. 
La veille nous avions laisse, & demi-lieue & 
Yest de Scripero, Corakiana, dont la popu- 
lation excede deux mille ames. - 

Du sommet de la montagne, la vue se por- 
tait au loin, et se promenait sur une infinite 
_ d’objets aussi varies par leur forıme que par 
leur couleur. Le vert-cendre des oliviers, dont 
presque toute.l’ile est: couverte, contrastait 
agreablement avec le vert-fonce des cypres r&- 
pandus partout, avec quelques champs plan- 
tes en vignes, avec: des plaines et des vallees 


fertiles, arrosees et cultivees en mais, en 


«oura ‚en melons, en pasteques. Ce tableau 
etait anime par les navires:& la voile que le 
commerce attire & Corfou; par la vue de la 


ville, qui s’avance dans la mer; par celle dun 


grand nombre de villages, par la cöte et les 
_ montagnes de l’Epire. 

Du cöte du nord , le tableau n’etait pas aussi 
‚ varie ni aussi beau : la mer, qui baigne A trois 
‚lieugs de lA une cöte basse et sinueuse, quel- 
ues plaines et quelques vallees fertiles et ar- 
rosees ; des coteaux couverts d’oliviers, de 


CHAPITRE XV. Ay9 


vignes , ol croissent aussi quelques cypres ; 
des collines incultes & leur sommet, mais cou- 
vertes de verdure ; quelques villages dans le 
lointain, voilä tout ce qui s’offre A la vue. 

- Coropiscopi n’a que deux cents habitans ; 
il est situ sur la pente sud d’une colline cal-: 
caire, plantee en oliviers. L’huile est la prin- 
cipale production de son territoire :: il fait 
neanmoins un peu de vin et recolte:. divers 
grains, tels que froment , orge, Epeautre, 
avoine , mais, doura, pois-chiche, pois ordi- 
naire, pois carre, gesse, vesce, lentille, ha-: 
ricot noir, deux sortes de feves, celle des ma-. 
rais et une autre plus petite ,noire; ilrecueille 
en outre un peu de lin. 

- On €ecorce, par le moyen d’un moulin & 
bras, la petite feve noire , et on la conserve 
en cet etat pour la manger en puree. Cette: 
methode a l’avantage de preserver ce legume 
des Bruches, qui le rongeraient sans cette pre-. 


. Caution : c’est dans les m&mes vues qu’on 


&corce la lentille dans la Haute-Egypte. 

" On fait, dans tous les villages que nous 
avons parcourus, du pain avec un tiers de.la 
farine de doura ‚melde avec deux tiers de celle 
de froment ou d’orge ; il est pesant , com- 
pacte, assez bon quand il est frais : on le dit 
moins ban et plus indigeste quand iläa durci.: 


494 VOYAGE EN PERSE. 


On met assez souvent le mais en place du 
doura : le pain qui en resulte, est moins com» 
pacte, moins pesant, plus friable : on le dit 
moins indigeste que l’autre ; cependant on 
prefere le premier, parce qu’on lui trouve 
une saveur plus agreable. 

Il n’y a point de fontaines & Coropiscopi > 
on y boit de l’eau de puits. Les pierres meu- 


lieres dont on se sert aux moulins ä huile e&_ 


aux moulins & farine , sont tirees de la colline 
me&me ;.c’est un poudingte ou bräche calcaire 
formee d’une. reunion de petits cailloutages 
assez durs. 

Nous quittämes- Coropiscopi dans la soirde $ 
en nous dirigeant d’abord ä l’ouest pour con- 
tourner la colline, et ensuite -au nord : sa 
pente est rapide. Nous la trouvämes inculte 
en plusieurs endroits, et couverte d’arbou- 
siers, de bruyeres, de lentisques, de myrtes, 
de cistes : on y voit quelques chönes et quel- 
'ques charmes : l’ellebore et la digitale y sont 
assez communs. Vers le bas , nous enträmes 
dans un vallon tout plante d’oliviers, qui 
nous conduisit dans une plaine assez etendue. 
Nous traversämes un ruisseau venant du süd- 
euest, et une petite riviere coulant des mon- 
tagnes que nous avions A notre droite. Apres 
avoir fait tourner plusieurs moulins & farine 


>“ 


CHAPITRE XV. 495 


situes dans un vallon &troit, elle vient arroser 
et fertiliser la plaine : ses bords etaient cou- 
verts de tamaris, A’agnus-castus et d’un osier 
& feuilles blanchätres. 

Cette plaine s’avance au sud-est jusqu’au- 
pres du village d’Agrafus : lä, le terrain s’e- 
leve et forme un coteau couvert d’oliviers , 
sur lequel se trouvent ce village, compose de 
quatre-vingt-dix maisons, celui de Cavalouri, 
& un quart de lieue plus loin, de cinquante 
maisons, et celui de Caroussades & la m&me 
distance, compose de cent quatre-vingts mai- 
sons. La plaine se divise au nord-ouest d’A- 
grafus, et se prolonge jusqu’a la mer, au- 
delä de Sphachiera du cöte de l’est, et au- 
delä de Perulad&s du cöte de l’ouest. Celle-ci 
recoit la petite riviere dont nous venons de 
parler.; l’autre recoit les eaux qui viennent de 
Niftes , et celles qui descendent des monta- 
gnes situdes & l’est de ce village. 

Avant d’entrer 4 Agrafus, nous renconträ- 
mes un srand nombre de femmes jeunes, la 
plupart jolies, uniformement vätues ; elles 
avaient un corset blanc , un jupon bleu et un 
voile blanc sur la t&te, qui descendait en. ar- 
riere jusqu’au dessous des Epaules, et qui lais- 
sait leur visage & decouvert : leur gorge se 
dessinait & travers une chemise plissee qui 


496 VOYAGE EN PERSE. 


remontait jusqu’au cou. Toutes portaient sur 
la t&te une cruche pleine d’eau, qu’elles’ve- 
naient de prendre & la riviere. On retrouve 
le m&me vetemment dans tous les villages situes 
au nord'de !’le. Ä 

Nous avons remarque que les fruits etaient 
moins avances dans la partie du nord, m&me 
au bord de la mer , que dans la partie du sud : 
la difference dans leur maturite est de huit 
jours dans la plaine , et de pres de quinze dans 
les endroits un peu &leves. = 

Nous.ne nous arr&tämes point & Agrafus ; ; 
nous nous avancämes jusqu’a Carussades ‚ot 
nous passämes la nuit : ce dernier est & deux 
lieues de Coropiscopi. 

Le ı9, de grand matin, nous desoendimes. 
par un chemin ombrage d’oliviers, dansla par- 
tie de la plaine que nous avons dit se prolon- 
ger le long de la mer jusqu’au-del& du petit 
village de Sphachiera. Le terrain du coteau. 
sur lequel est bäti Carussadds est profond , lE- 
gerement argileux, cretace, grisätre : on de- 
couvre en divers endroits, vers.le bas, du 
gres.plus ou moins tendre. La foug£re femelle. 
(.pteris) croit abondamment sous les oliviers , 
et annance par sa hauteur la fertilite du sol. 

. Nous avons e&te surpris d’apprendre que, 


dans toute la belle et fertile plaine qui se, 
trouve 





CHAPITRE XV. ‚497 *. 


‚ tröuve au nord et au..nord-ouest de l’ile, et 


qui est beaucoup plus Eleyde que la mer, on 
ne cultive ni l’orge ni le froment, par la rai- 
son que pendant !’hiver les terres y sont trop 
humides. Il serait tr&s-facile de remedier & cet. 
inconvenient en creusantdes fosses autour des 


proprietes, et en derivant les eaux de pluie 


vers la. mer : on obtiendrait par ce moyen 
deux recoltes sur le m&me terrain, parce que 


le mais, le doura et les haricots, qui sont les 
- seules plantes qu’on y cultive aujourd’hui; ne 


se replantent ou.ne se sement 'qu’apres la re- 
coltg du ble, et qu’elles sont parvenues A leur 
maturite avant le tens des semailles. 

Apres avoir marche une demi-heure.dans 
la plaine en nous dirigeant a l’est, nous avons 
eu A notre droite un coteau distant d’une 
demi-lieue de la mer, tout couvert de chänes 
velanis qui appartenaient au gouvernement 
venitien. .E 

Le produit de cet arbre. doit ätre juge con- 
siderable, si on fait attention qu’il occupe une 


‚etendue ‚de plusieurs lieues A peu de distance 


de la cöte,, et qu’il s’enfonce autant dans des 

montagnes. La republique asai.:fait:coan» 

truire sur le rivage de la.mer[deux, magäsins 

distans d’une :lieue Y’un’,de l’ausrd., dans les- 

quels Je fermier deposait la cupule,.de: ee.chene, 
Tome VI. Iı 


e 498 VOLKGE ER .PERSE. 
jasgu’ä ce qu’il jugedt A ipröopos de la vondre 
on de la wunsporter nilleurs. 

Apres deux Iieurss de marche vers l’orient, 
nous quittäsmes la plaine, et nous nous en- 
fongämes dans une porpge eh nous dirigeant 
zu sud-est. La roche est partout calcaire , et 
ia terre serait tr&-propre A la culture si le sol’ 
droit ancins'imeline ot meins lave par les eaux 
de pie, Les chönes y Etaient assez beaux ; 
aystz viguumstux , et il. trolt spotitanement 
Yarmi euk, des oliviers ; des chänes verts , des 
chrarines, des pälwiers,, des polriers, des töre- 
binthes : on volt dans les vallons, des ormes, 
des figuiers „et sux tes bords des chemins , !’an- 
"bepine ; he paliıre, laronce,la cl&matite, etc. 

Nous matchämes deux heures et demie 

war Ia :möhtagne pour arriver & Päritia. Ce 
village , cöinpos& de Cent quatre-vingts mai- 
sons, est au nord-est du mont Saint-Salva- 
dor : les environs sont rocailleux , depouilles 
 arbres ; on veit'seulement autour.des habi- 
sations quelques urbres olair-senids , tels que 
oyars „.Cypres , fpuiers et oliviers;, et deux 
aylı arols vighes vers le oouchanit. La plüpart 
des:mäisons sombent eu ruine, paroe que les 
dıabitans ‚ague»la orainte seule avait pu enga- 
ger &wbtabinr dans des heux si tfästes, sisca- 
kweuk,ısi peu dertikös ‚descantiene peu & peu 





CHAPITRB XV. 499 
dans la plaine et parini les chönes, demt ils 
€ultivent le terrain , et ou ils ont construie 
quelques habitations &parses. 

Le froid est quelquefois assez vif a Peritg : 
il n’est pas rare. d’y voir tomber' un peu de 
heige dans les mois de döcembre et.de‘janvier. 
Ce village , comıre tous ceux qui sont un peu 
eleves, manque de fontaine : on y boit une eau 
de puits , qui nons a paru de mediocrequalitä; 

Le 20, nous quittämes P6ritia, et apre&s unp 
heure et demie de marche A travers une mion« 
tagne calcaire assez haute, et par un chemin 
trös-mauvais, träös-scabreux, nous arrivämes 
a Signes en laissant le mont Sam; Salvador. 
wotre droite. Les environs de te village,sont 
peu cultives ; le sol est trep en pente : on y 
remarque un schiste feuillete d’un gris-blend- 
tre, qui resseınble & de l’ardoise. Les terres 
que les habitans de ce village caltivent , sont. 
A l’est le long de la mer ; elles sont planitdes 
en yignes , et principalement en. oliviers: On 
seme trös-pen de grains sur. ces ımamteenes ; 
le terrain est trop en pente, et la toche trop 
a decouvert pour ke peimestre, . 
. De Signes‘, en nous dürigeant au add: par 
un chemin tres em pente , tröspietrewx, pwis 
au sud-ouest en cÖtoyant la mer, aous ar- 
rivämes dans: tross keures & Ipso;_ 

\ lia 


500: VOYAGE EN PERSE. 


Toute cette cöte est planfee en oliviers : on 
y voit tres-peu de vignes, et il n’ya d’arbres 
fruitiers qu’autour des habitations et des mai- 
sons de campagne; ils consistent en.orangers, 
citroniers, figuiers, p&chers ‚ müriers, etc. 
. Ipso est un petit village mieux bäti et plus 
_ riche que tous ceux que nous venons de par- 
courir ; il est situ& sur une plage ou les na- 
vires peuvent jeter l’ancre sans danger. 

Nous quittämes Ipso & trois heures apres 
midi, le ciel etant couvert de nuages. Lors- 
que nous fümes & quelques pas du,village, le 
tonnerre commenca & gronder derriere nous, 
_ et bientöt la pluie tomba en abondance.. Le 
vent etait sud-sud-est le matin, et varia en- 
suite plusieurs fois en passant A l’est, au sud, 
et quelquefois au nord. Nous nous reposämes 
un moment & Condocali, et apres trois heures 
de marche nous enirämes dans la ville: Le 
tro@ne , le prunelier , l’orme, le sureau , la 
cl&matite, la ronce, bordent les chemins de- 
puis Ipso jusqu’aux environs du port Gawin, 
et partout | les champs sont couverts d’oliviers.. 

On retire, au nord de Corfou, du kermes 
en tres-petite. quantite , parce que le ch£@ne 
qui fournit ce zouge precieux ‚est devenu rare 
sur un sol tout plante d’oliviers; mais on doit 
supposer quil etait beaucoup plus abondant 


CHAPITRE xv..: 501 
autrefois, puisqu’il avait dte soumia 4 un im- 
p6t par les VEnitiens. ZE 2 
Le mürier blanc reussit trös-bien dans toute 
Pile : ıl faudrait en recommander la culture 
si V’olivier n’en occupait.dejä la place ; car il 
est trds-important:de varier les cultures dans 
un pays, afın de pouvoir s’occuper toufe l’an- 
nee ‚sans interruptien, destravaux de lacam- 
pagne. D’ailleurs,, education des vers & soie 
peut &tre abandonnee aux femmes; elles sont 
plus soigneuses et plus'propres que Phomme 
aux petits details que cet insecte exige. ': 

ı + Cette‘ course au nord de Corfou fut bientöt 
suivie d’une seconde au sud. Nous partimes 
de la ville je 29 'aoüt A-cing heures du soir, 
sur une demi-galere .qüi avait' appartenu & 
Venise: Nous ’avions eu depuis quelques jours 
plüusieurs' orages : il’avait plu abondamment 
la nuit precedente et dans la matinee. A.midi, 

s letems &tait encore variable etincertain ; mais 

a deux heures, le vent s’etant fixe au nord- 
ouest ‚ nous nous embarquämes , et vinmes 
dans deux heures mouiller-& Benissa ‚: petit 
village situe au:bord.de la mer, A deux hieues 
sud de Corfou. az 

Il est:au bas. d’une mioontagne de moyenne 
hauteur , presque- toute couverte d’oliviers.. 
On remarque vers: le sommet quelques vignes 


602° VOYAGE EN PERSE. 
assea bien cultivees : le terrain, extrememert 
en pente, y est soutenu par des murailles en 
pierteg söches. La roche est dure, calkaire , 
dormde d'un assemblage de caillontages : on 
y exploite.des piernes menulieres paur les niou- 
iins & hıflle, qui sont d’une excellente qua» 
lite. Au quart de la hauteur on trouve une 
conche de grös fort tendre, d’ot l’on vait sor+ 
gir plusisu®‘ sourues dont la reunion. farme 
un ruisseawägsen tonsiderable, et fournit de 
V’eau A vin ı ınoylins ponstruits es uns & 
ia suite des alıtres.' " Ä 

"Le 3o, nous vinmes debarquer aux salines 
ale Lefkjimo. Nous jetämes un coup-d’esil, en 
pessant , sur le sel amoncele, dont.ün eveit 
deja enleve une partie, ‘et 'sur les comparti- 
men; ou s’effectue' sa. cristallisation : 4 a le 
detant d'avoir le grain trop petit, ourde w’etre 
pas en cristaux aßßez grands et assen: bkaux; 
‚ ee qui lui fait prefeber,, en Italie‘, celni .de 
Sainte-Maure. Le ‚sel’de Cörfou ne trauve 
guere de debit que ar cÖte de:l’Alhanie, oü 
il est pnaye& A un prix bien irtferieur A Pautre, 

Nous laissäıes les salines a gauche), et nous 
traversämes une plaine de la plus grande fer- 
tulits, plantde en ‚oliviegs, et cultivde en quel- 
ques endroits en mais , doura', pasteques ,me- 
lons, etc. : on y voit peu de vignes, et.on y 


CHAPITRE XY. . 503 


_ söıne fort peu de ble. Les enwirons des villa- 
ges offrent quelques champs plantes de eoton. 
La plaine est terminde zu yad-ouest par des 
eoteaux et des collines, la plupart eouvertes 
de cypr&s et d’oliviers. Elle a peu de profom- 
deur ; mais elle s’&tend le long de la mer, et 
forme aux salines un avaneement gonsiddra- 
ble ou un cap qui paralt avsir &ee produit par 
des alkıvions ou: des atterriösemens octasidn-i 
“68 par des courans, La-petite riviöre-de Lef- 
" kimo ‚qui a son embouehure au gud de ee 
cap, n’etant entretenue durent Y’dt que’ par 
les eaux de la mer , qui’ y entrent. et ysdjoar- 
nent, et ne recevant l'hiver que les: eaux de 
'pluie qui y viennent en petite quandkd‘ des 
coteaux veisins, on ne jjeut" 'guere sepposer 
que la oöte se solt beaueoup accrua par une 
cause si petite. 
Nous parteurkmes les eing villager qui for- 
ment le quartier de Lefkime : Ringlades, de 
quatre-vingt-dix taalsons; Anapladds ‚de cent 
quatre-vingss; Saint-Theodoro, de deux cents; 
Potami, dequatre-vingts, etMelschia, de deux 
oents. Ils sont trös-rapproche6s les uns des au- 
tres; et forment ume. population de quatre 
‚mille habitans. Le dermierpst gitue sur la rive 
dreite de la riviere, et le penulti&me est sur la 
‚gauche j.les autres ea sont & peu de distance. 


So : XOYAGE EN PERSE. 
y 


.. Les bateaux remontent dans toutes les sai- 
sons la riviere, qu’on prendrait pour un canal 
creusd de main d’homme;, et viennent-char- 
ger V’huile que font; ‚les habitans de ces vil- 
lages. - u 

Le 3ı,, nous traversämes une seconde fois 
la plaine, dans la.digegtion du nord-oyest , et 
nous'yinmes au fond du golfe d’Egripo, tou- 
jours .a l’ombre dös--gliviers.: Parvenus & cet 
endroit, ‚nous nous eloignämes de la mer en 
ngus dirigeant au sud-sud-ouest, et nous ar- 
ziyämes. & Periyolij. village .de-pins. de cent 
malispns ‚apres .avoir, traversc tles., coteaux 
incultes., couyerts de ınyrites, de lentisques , 
de: bruy@res et de, cistes:. 

.. Toutes les terres, qui s’etendent ar omest de 
| Lefkime j jusqu’A la men, daris un trajet d’une 
‚lieue et demie, et qui forment une:erfte qui 
aboutit,au sud jusqu’aüa cap Blanc:, seralent 
tontes susceptibles de.culture ; elles ‚seraient- 
tres-propres A l’olivier, etsurtout &, la vigne.. 
Les cultures y sont pourtant assez räres. : on. 
neglige m&me quelques petites sources qui. 5 
naissent sur la’pente.orientale de cette crete,,. 
A demi-lieue et & trois. quyarts de liene da gap. 
La roche, presque partout couyerte deterre, 
se montre calcaire',-.cretacee, assez tendre , 
sur le cap et aux environg : il ya dans cette 


' CHAPITRE XV 505 


partie de l’ile deux villages peu considera- 
bles. 

De Perivoli nous allämes dans trois quarts- 
d’heureä Malatia, village de trente maisons, 
situ sur une eıninence A l’occident du pre- 
mier. A un mille plus loin on voit Argirades, 
qui en a quatre-vingt-dix. On appercoit la 
mer de l’occident avant d’ätre a Malatia, et 
on ala vue de quelques coteaux incultes, de 
quelgues champs d’oliviers et de vignes plan- 
tes dans les endroits’ les plus bas et les plus 


fertiles. 


Nous n’allämes pas plusloin ; nous vinmes 
passer la journee dans le quartier deLefkimo, 
et le lendemain nous nous rendimes au fond 
du golfe : nous montämes une colline assez 
escarpee, rocailleuse , peu propre & la cul- 
ture. Apres une heure de marche, nous des- 
cendimes dans la’ vallee d’Egripo , que nous 
traversämes ; elle est de la plus grande ferti- 
lite : les oliviers y sont tres-beaux, et la plu- 
part des champs sont cultives en mais’ et en 
doura. Nous montämes ensuite jüsqu’au petit 


village de Coracades , d’oü nous descendimes 


une seconde fois au börd de la mer, en lais- 
sant,ä quelque distanceä gauche, sur la pente: 
de la montagne , le village de Climo-, forme 
de cent’ cinquante maisons. Nous cötoyämes- 


506 _VOYAGE EN PERSE. 
gnelque tems le golfe de Messongi ; presque 
toujours & l’ombre des oliviers. 

La plaine est traversee par une petite ri- 
viepe qui prend sa source dans Jes montagnes, 
etqui, apres avoir fournide l’eau A sept ınou- 
lins & farine, et arröse quelques champs et 
quelques jardins , est regue dans un lit pro- 
fond et tranquille , dans lequel les bateaux 
peuvent entrer.. 

Au nord-ouest de Messongi , on veit une 
montagne de moyenne hauteur, dont tout le 
bas est plante d’oliviers, et dont le sommet 

est inculte. . Ä 
Apres nous &tre reposes une heure dans 
une maison de campagne situee au fond de la 
 plaine , nous vinmes & Benissa , et.ensujte & 
Perama , sans quitter le bord de la mer, ou 
' sans nous en Ecarter beaucoup. Ä 

A. demi-lieue de ce dernier village, nous 
remarquämes une roche fort etendue , d’un 
tres-bean gypse , dont il parait que les habi- 
tans n’avaient pas Connaissance, car ilstirent 
leur plätre de Venise‘, plutöt que d’exploiter 
celui que leur ile renferme. 

- Nous fümes rendus bientöt apr&s au port 
des Salines, nomme Porto- Catena , A cause 
de son .entree etroite,, fermee autrefois par 
une chaine de fer : onle nomme aussi Lage 





-CHAPITRE XV. 50% 


ou Peschiera di Calichiopulo, d’une ancienne 
Jamille de Corfou, qui en etait proprietaire , 
et sur lequel elle avait &tabli une p£cherie. 
Nous le traversämes & son entree , dans un 
bac : nous parcourümes ses environs , ainsi 
que le terrain de l’ancienne ville, et nous ar- 
rivämes le m&me soir A Castrades, faubourg 
de Corfau. | 

Le port des Salines paralt avoir ete autre: 
fois un des plus sürs , un des mieux abrites , 
un des plus vastes de tous ceux qui ont ap: 
partenu & des peuples navigateurs. Enfonce 
dans les terres , son entree , fort abordable 
d’ailleurs , est troite, etest garantie des vents 
par un ilot qui se trouve place A peu de dis- 
tance. Comme tous les ports anciens, il est 
peu profond; il est m&me comble du cöte da 
nord-ouest, oü l’on 4 etabli des salines; ce- 
pendant on ne peut douter que ce ne füt ce- 
lui des Pheaciens , et qu’il n’ait 6te capable 
tle contenir une grande marine, dans un tems 
surtout oü elle etait encore dans l’enfance , 
et’ ou les plus grös navires avaient & peine la 
grosseur de nos galeres. 

La ville etait pläcee au nord , et s’etendait 
jusqu’A la rade de Castrades ; elle oecupait un 
ferrain d’un mille ou environ d’etendue, que 
Jes habitans designent sous le nom de Paleg- 


u 





508 VOXAGE EN PERSE. 


Polis ou de ville ancienne , et sur lequel on 
voit encore quelques decombres , beaucoup 
de fragmens de briques et de poterie , et d’ot 
ona tire, en divers tems, des medailles, des 
colonnes et quelques inscriptions. 

A. Vest-nord-est de ce terrain presque tout 
uni, s’eleve le long de la mer, d’un port & 
Yautre, un coteau plante d’oliviers, qui pa- 
ralt n’avoir pas ete entierement occupe par 
la ville. On ne trouve, Asa partie supdrieure, 
ni ruines , ni vestiges de murs , ni amonce- 
lemens de pierres ou de terre : les decombres 
et les fragmens.de poterie ne commencent & 
se montrer qu’A sa pente interieure. 

On .remarque , au sud de Castradds,, sur le 
sol de l’ancienne ville , trois puits de cing & six . 
pieds seulement de profondeur , dont. !’eau, 
bonne.& boire , 'sert A*arroser quelques: jar- 
dins. Des savans ‘de Corfou , avec qui nous 
avons et nous y promener plusieurs fois ‚ pre- 
‘ naient ces puits pour les deux sources dont 
parle Hom£re ; ce qui les portait & placer en 
cet endroit les jardins d’Alcinoüs. Nous n’a- 
vons pu £tre de leur avis, par la raison que, 
outre que la ville s’etendait-de l’un & l’autre 
port dans un espace assez resserre , .et quia 
di &tre tout öccupe par.des maisons, ceseaux, 
qui ne sortent pas hors de terre, n’aurdient 





« 


CHAPITRE XV. 509 
jamais pu sufire, dans un climat chaud et 
sec , A arroser.quatre arpens de terre. H est 
plus naturel de penser que ces jardins etaient 
& l’occident du‘ port ou au sud-ouest de la 
ville, 1 ol se trouvent deux sources abon- 
dantes qui vont se rendre aujourd’hui dans 


Y’ancien port , apres avoir arrose un terrain 


bas et marecageux ; elles ont pu de mä&me &tre 
conduites dans l’interieur de la ville, en sup- 
posant que les jardins et le palais du roi Kus- 
sent places vers le centre. 

On trouvera de m&me le fleuve od Nausica 
se rendit avec ses compagnes , et ou elle fut 


‚abordee par Ulysse, dans la petite riviere qui 


passe a Potamos et va se jeter dans la‘mer & 
une lieue nord-ouest de Corfou. 

Castrades est. bäti tout autour d’une rade 
peu.profonde, mais abritee des vents de nord 
et de nord-ouest par le rocher avanoe dans la 
mer ‚ sur lequelda ville de Corfou est assise: 


. Les habitans ne sont pas marins comıne ceux 
de Manduchio : ils ont un aütre genre d’in- 


dustrie ; ils fabriquent en terre des jarresd’une 


' grosseur considerable , dont on se sert dans 


toute l’lle, pour conserver P’huile d’olive. 
Pendant-que nous parcourion& les divers 

quartiers de l’ile, et que nous observions ce 

qu’elle offre de plus interessant, le commis- 


510 VOYAGCE EN PERSR. 


saire du Directoire s’occupait des moyens de 
nous faire conduire a Ancödne. Dejä il avast 
donne ordre au capitaine d’urte galdre ap- 
partenante A la republique , de se tenir pr&t & 
mettre ä la voile. Dejä nous faisions nos pre- 
_ paratifs de depart, quand tous & coup il fut 
question de faire ce voyage avec le commis- 
saire lui-m&me , et de rious ermbarquer sur la 
iregate frangaise Ja'Brune , qui se trouvait 
depuis quelque tems & Corfou. 

La fregate appareilla le 10 septembre au 
matin , et alla mouiller derri@re. les quatre 
$lots inhabites et mcultes , conmus des Grecs 
sous lenom de T'ezranisa. : ils abritent la rade | 
de.Goperta , situee sur la cöte de l'Epire au 
nord-est du canal. ( Pl. 50.) Ä 

Demi-heure apres qu’elle eut appareille , 
nous primes un bateau pour nous conduire & 
Butrinto, dont nous voulions voir les ruines, 
et ol nous avions d’ailleurs & jeter un coup- 
_ d’eil sur les etablissemens: que les Venitiens 
y ont faits. 

La. mer etait calme , et le vent soufklait & 
peine du sud. Au moyen de nos voiles et de 
nos avirons-, nous eümes bientöt depasse la 
fregate, et nous enträmes dans la riviere de 
Butrinto,, en: serrant la rive droite., afın de 
franchir plus facilement Ra barre „ sur la- 





. CHAPITRE XV. 5ır 
quelle il n’y a gu£re que trois ou quatre pieds 
d’eau. 

Cette riviere, qu’on prendrait pour un ca- 
nal a la tranquillite de ses eaux et & !’unl- 
formite de ses rives, est & trois lieues nord- 
est de Ja ville de Corfou. Sa largenr , depuis 
son embouchure jusqu’su lac qui lui donne 
naissarice , ast de dix ou douze toises , et sa 
profondeur de dotize ou quinze pieds. Elle 
eoule & travers une terre d’alluvion , basse,, 


"&troite,, resserree d’un cöte par la pöcherie 


de Giravolia , et de l!’autre par !’etang d’Ar- 
mura. Ä 

La premiere est une rade peu profonde , 
entouree de marecages , dans laquelle on en- 
ferme le poisson par le moyen d’une ou de 
plusieurs palissades en roseaux, afın de pou- 
voirleprendre& volonte. Les vaisseaux mouil- 
lent en sürete au-devant decette p&cherie , par 
quatre ‚six, huit et dix brasses fond de vase 
et de sable.. 

L’etang d’Armura est moins enfonce dans 
les terres ; il a plus de profondeur, et il est en- 
toure de deux cötes par des collines incultes. 
Une bande de terre fort etroite le separe de 
la mer, et ne lalsse qu’un passage fort &troit, 


_ marque 4 sur leplan, par: lequel.les bateauıx 


entrent : oh voit, pres de l’embouchure de la 


512 VOYAGE EN PERSE. 


riviere, un autre passage.B plusetroit, presque 
toujours obstrue. 

La forteresse de Butrinto est & une lieue de 
la mer, sur la rive gauche de la riviere, et 
au confluent d’une autre beaucoup plus pe- 
tite, nommee Paula, qui vient du sud- 
est. 

Les bateaux, ‚ qui neremontent aujourd’hui 
Jlariviereque jusqu’&la forteresse , parcequ’on 
a etabli en cet endroit deux palissades pour 
prendre le poisson lorsqu’il veut retourner & 
Ja ıner, pourraient facilement se rendre dans 
le lac de Butrinto ct dans celui de Risa, qui 
ne sont separes que par un canal naturel. 

Au nörd de la riviere, le terrain forme une 
‚presqu’ile elevee , rocailleuse , inegale , peu 
fertile , sur laquelle on remaräque le village 
de Coperta, situe vers la mer ; celui de Me- 
rovigli vers la riviere, le hameau de Saint- 
Erino pres de l’etang d’Arniura ‚et la place 
qu’occupait l’ancienne ville de Buthrotuın & la 
naissauce de la riviere et du lac. Au sud et au 
.sud-est on voit une plaine basse , arrosee, 
trös-fertile , et capable de fournir aux besoins 
‚A’une grande ville. A l’est'et au niord-est s’e- 
levent deg collines et’des montagnes toutes 
eouvertes de bois. 

La fortenesse que les Venitiens ayaient bätie 

pour 


L 


CHAPITRE XV.- 5,3 


pour favoriser le commerce qu’ilsavaient d’a- 
bord entrepris avec l’interieur de l’Epire, et 
defendre ensuite les pcheries qu’ils avgient 
£tablies, tant sur la riviere qu’& Girovolia et 
& Armura, consiste en une enceinte carree , 
flanquee de quatre mauvaises tours d’ou l’on 
voit sortir quelques canons de petit calibre 
par trois embräsures pratiquees au tiers de 
leur hauteur. Un fosse en defend l’approche 
du cöte dela campagne, et la maison du gou- 
verneur y est adossee du cöte de la riviere. 
Cette position , plus favorable peut-Etre & 
la pächerie qui se trouve au-devant du fort , 
a l’inconvenient d’etre mal-saine, et m&me 


. de n’ötre pas habitable A la fin de l’ete , tandis 


que celle de l’ancienne Buthrotum, qui etait 
& quelques pas de lä sur une hauteur, offrait 
ala fois les avantages d’un lieu naturellement 
fort et beaucoup plus sain. | 

Les ruines de cette ville nous occuperent 
toute la matinde : voici ce qu’elles offrent de 
plus remarquable. A dix ou douze pas de la 
rive droite de la riviere, et en face du fort, 
on appergoit une tour ruinde, et on suit quel- 
que tems un vieux.mur tres-Epais, qui:defen- 
dait la ville du cöte de la terre. Parvenu au 
sommet du coteau, oü parait avoir ete la ci- 
tadelle, le palais des rois et un temple , on y 

Tome VI, Kk 


514 VOYAGE EN PERSE. 


voit entr’autres deux enceintes et divers murs 
dont on ne peut tracer le plan. La. ville oc- 
cupait tout le coteau , et se prolongeait sur 
la partie basse qui se trouve seulement le.long 
de la riviere & l’est-sud-est. On remarque A 
celle-ci, vers le bas du coteau , quelques restes 
d’un edifice assez considerable. Parmi les murs 
de la citadelle et ceux de la ville on voit deux 
sortes de magonnerie qui indiquent leur cons- 
truction A une Epoque, et leur recönstruction 
-a& une autre bien moins reculee : en quelques 
endroits le bas des murs est en grands quartiers. 
de pierres taillees en polygones irreguliers. 

Le soir , nous parcourümes en bateau le lac 
de Butrinto et celui de Rısa, et Ala nuit nous 
_ vinmes joindre la fregate, qui mit. aussitöt A 
“ lavoile, et s’eloigna de lacöteau moyen d’un 
petit vent d’est qui commencait ä souffler. Le 
lendemain , au lever du soleil , nous n’etiong 
qu’atroislieuesde Corfou, tantle ventavait.dte 
faible. Les jours suivans,, ‚nous eümes presque 
toujours vent de nord, denord-ouest, et plus 
gouyent de.nord-est accompagne.de pluie ou 
d’un ciel nebuleux ; le vent de nord-est souffla 
m&me avec violence durant deux jours. Enfın _ 
le tems .devint plus beau ; le vent passa. au . 
sud, et nous enträmes dans le port d’Ancöne 
le 19 septembre. Nous fimes & bord. une qua- 


CHAPITRE xv.:” : 515 


rantaine de trois jours,, et n’obtinmes la per- 
mission de nous rendre A la villequele 23. 

Bruguiere en sortit malade le24, etM. Co- 
meyras eut le 26 un accös’ de fiövre un peu 
fort. | 

Un sejour de quelques mois & Constanti- 
nople avait ete fort utile & mon coll&gue : il 
8’y etait remis de ses fatigues; il y ayait re- 
couyre presque toute sa sante et presque tout 
son embonfoint, et-il n’avait ressenti aucune 
sorte d’incommodite dans les courses que nous 
avions faites sur la plaine de Troye, auxen- 


. virons d’Athänesetdans!’iledeCorfou. Echap- 


pes jusqu’alors & tous les dangers d’un long 
et penible voyage , et au moment d’arriver & 
notre destination, et de jouir, au sein de nos 
familles, du fruit de nos trayaux,, nous Etions 
bien loin de craindre que ce serait pour ainsi 
dire au port.que l’un de nous ferait naufrage. 

Avant me&me de 'quitter la fregate, Brus 
guiere fut attaque d’rune petite fievre, et il 
ressentit un mal de t&te et des.douleurs dans 
les membres , auxquels nious fimes d’abord 
Yun et l’autre peu d’attention, mais qui l’o- 
bligerent pourtant'ä se ımettre au lit en arri- 
vant au logement que je lui avais fait preparer 
dans P’interieur de la ville. Les jours suivans 
il prit l’emetique , se purgea, observa. une 

Kka 


516 VOYAGE EN PERSE. 


diete assez severe, et eut recours quelquefois 
a un peu de vin tres-vieux d’Espagne, sans 
Eprouver aucun changement dans son etat, 
ni en bien ni en mal. | 

La nuit du 28 au 29, il lui survint une jau- 
nisse sur tout le corps, accompagnee de fai- 
blesse et de mal-aise, qui me fit däs-lors crain- 
dre pour ses jours, et me porta & prier le 
chirurgien en chef des troupes francaises qui 
se trouvaient a Ancöne, de venir m’eclairer de 
son experience. Le pouls, & peine febrile au- 
paravant, devint concentre , irregulier, et le 
malade commenga & sentir un feu interne qui 
le minaät sourdement, le privait du sommeil, 
et Iui occasionnait une inquietude que toute 
sa raison ne pouvait @carter. Bientöt ıl y.eut 
quelques momens de delir? ; les forces s’affai- 
blirent de jour en jour, et le malade cessa de 
respirer le 3 octobre apres midi, sans paral- 
tre souffrir, sans se plaindre , sans regretter 
une vie & laquelle il aurait eu tant de motifs 
d’etre attache. 

M. Comeyras fut d’abord attaque d’une fi&- 
. vre tierce, dont les detiıx premiers acc&s n’eu- 
rent rien d’inquictant , mais dont le troisi&me, 
nonobstant l’&metique, se montra comateux, 
et se prolongea jusqu’a l’acces suivant, en 
laissant pourtant quelques heures de calme. 


: ‘ CHAÄPITRE XV. 317 
Le quinquina, pris alors & grande dose, n Em- 
pöcha päs le retour du quatridme acce$, Yui 
fut comateux comme le precedent, et ä la 
suite duquel le malade:expira dans le m&me 
quart-d’heure, et presqu’au möme instant que 


Bruguiera avait cesse d’etre. Leurs corps fu- 


rent' deposes le‘lendemain en grande pompe 
dans l’enceinte de la: citadelle , et des larmes 


de regret et de douleur furent verseesen abon- 


dayıce sur leur tombe par tous ceux qui les 
avaient connus. x ’ 

‘. Je quittai Ancöne peu :de jours s aprds pour 
ıne rendre A Milan, et de 1A & Gönces, oü je 
m’embarguai pour Nice. Je traversai la Pro- 
vence, et arrıyai & Paris dans: le.caurant de 
döcembre de la m&me annde 1798. 


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_ . ih , .. u. } 


F I, N. 


on 
wu u. 


ro - 





u, on . . Kae BA TEREFE | 
TABLE DES CHAPITRES 


‚CONTENUS' DANS CE VOLUME. 


Car APITRE PREMIER. Noweaur troubles. 


- Youssef. Ali, Myr-Alim et Djaffar veu-: 
‚dent s’emparer du poweir. Achmed-Chah 

-paratt sur la scene, Ssempare de Mesched. 

. el. envoie une armee dens le Mazanderan. 


Origine de Mohammed-Hassan. Gzerre 


entre Teymouras .ei Azad. AliMerdan se 


fait un parti dans le Loristan, s’empare 
d’Ispahan, veut faire decdlarer roi un. pe- 
tit-fils de Chah-Hussein et se faire nommer 
regent : sa conduite a.l’d&gard de Kerim : 
il est assassind.. .........Pageı 


Cnap: ı1. Dispositions de Krim : il va com- 


+ 


battre Mohammed-Hassan ; il est battu ; 
il repare ses pertes, et marche contre 


' dzad; ilne peut s’emparer de Casbin, oi 


celui-cis’est retird;il yrevientunanapres, 
est battu et poursuivi jusque dans le Ker- 
mesir. Les Arabes viennent 4 son secours. 
Pertes d’ Azad; il se retire A Ispahan, puis 
& Tauris. Mohammed-Hassan et Kerim 
veulents’emparer d’Ispahan.K erim, aban- 
donnd par les Arabes, se retire 4 Chiras; 


TABLE. 3 19 
il’y est attaqud par. Mohammed-Hassan; 
il le repousse : celui-ci enire dans P.4 der- 
Bidjan, et s’en ampare. Azad se retire en 
Georgie. Mohammed-Hassan veut prendre 


. Chiras; il est abandonrd de ses troupes, 
. aitagud & son tour dans le Mazanderan, 


-YAINCU et tue... . 9 01 8008 8 8 8 8 8 ‘8 oo ur 4a 


Caar. ı11.,Presgue toute la Perse se soumet 


ü& Kerim. Fetah-Ali-Khan, s’empare de 
PAderbidjan; ;il est assiege dans Urmia; 
il se rend aupres de Krim, et implore sa 
clemence. Tentatives d’eloigner Krim de 
la regence ; il convoque un diyan, prend 


‚ de sitre de vekil, et enferme Ismael dans 
. la forteresse d’Abada.. Kerim. fait bätir 
. un palais & Chiras, et transfere dans cette 
. ville le sidge da P Empire; ıl fait la guerre 


r- 


au scheik de Bender-Rik et au scheik Su- 


leyman. Meaurs des.Arabes du Kermesir. 


| Sie et prise de Bassora. Mort de Ke- 


FÜ ren 83 


Cr EEE Br Gene 


Cnar. IY. Eloge de Krim. Zeki-K han Sem 


pare du Ppowvoir, Revolte AP Al- Mürad- 


. Khan. Zeki-Khan est tud au milieu de 


son armee. Aboul-Feiah-Khan en prend 


‚de commandement, et se fait reconnaitre 


pour chef de Empire. Sadek-Khan se 


..dispose 4 succeder a Kerim; il fait aweu- 





&20 TABLE 
. gler Aboul-Fetah. Nowelle rötölte a Ali- 
" Mourad-Khan; il assiege Chiras , Ja 
“'prend', falt massacrer Sadek et tous bes 
" fils, ets’empare du pöwoöirs. » ... : 3 
Caar. v: Revolte dAga- Mehemas-K han. 
ı Ab-Murad' envoie contre lui Scheik-Veis, 
: eb obtient des succes. Desertion des trau- 
“ pes de: Scheik-Veis. Mort d’Ali-Mured; 
" Troubles & Fspakan:‘ Lo gouverneur ven: 
‘. S’emparer de Pautorite. Djefar-K han'le 
"met ‘eh [ulle';- et se ‚fait nommer rezent. 
 Guerre entre Jui et Aga-Mähemet-K han. 
Tronbles au nord et:au midi. Djaffar est 
"mis & mort ‚par une Troupe de seigneurs 
sconfurd.. Sie. .leai le. 168 
Cnar. v2. Eur: A. parvient.& S’omparer du 
powöir ; ; et &' faire mourir les‘ conjures. 
"Guerre entre Ini et Mehedmet. Condaite 
“ deces deux rivauz. Lusf- Ali est pris par 
 trakison,et livre & son enhemi, qui le fait 
" perir:. itllttlerleneene .212 
Caar, yır. "Division: geographique des Ktats 
 compris entre'la me? Cäspienne et la Mer- 
‘ Noire. ‘Tyaite conelu ‚entre Pimp£ratrice 
‘de Russie er\e Prince de Eeorgie. 'Sac de 
“ Tiflis. Les Russes s’em emparens, de Derbeht, 
' de Bakon; de Chamaki\ Mehemet soumet 
“- Je" K'horassän: Mont ‘de Charokk - Chah. 





TABLE. 521. 
'Me£hemet marche contre les Russes; il est 
assassind ‘dans son camp. Baba-K han 
lui succede sous le nom de Fetah- Ali- 
Khan... x... een. 299 

CHaP. vırı. Depart Plspahan. Retour ä Bag- 
dad par Kengaver et Kermanchah. Fem- 
mes de Mikr- Abad. Douane de Sarpil. 
Curdes qui attaquent la caravane. Divers: 
moyens de quitter Bagdad st de faire 
route. Aventurier qui prend le nom. d’un 
des freres du roi de Perse. .. . ., . 268 

Cuap. 1x. Depart de Bagdad par la Meso- 
'potamie et la rive gauche de ! Euphrate. 
Sejour pres d’un puits. Insectes incommo-. 
des. Arabes campes. Description de Hit. 
Peuplier singulier. Passage du fleuve sous 
Anahı : description de cette ville. Manigre 
de voyager des Arabes de ces conirdes. 
Tortue de P’Euphrate. . :..... . 300 

Cuar. x. Marche et ordre. d’une caravane. | 
Conduite des chefs. Arabes du desert. De» . 
part dAnah. Route par la rive droite .de 
PEuphrate , jusqw’@ Rahabed. Descrip- 
ton de Taib. Arrivee & Latakie. Dom- 
mages qW'un tremblement de terre venait 
d’occasionner & catte ville... * . . 329 

Cuar. xı. Depart de Latakie pour Larnaca. 
Commerce et population de Chypre. Route 


522 TABLE. | 
par-Nicosie , Cerino, Celindro, Caraman, 
Konieh'et Aksheer. Arrivee a Cara-His- 
K 7 7 ER 362 

‚ Car. zır. Description de Cara-Hissar. Cul- 
 täre de Popium, Depart. Sejour & Ku- 
tayeh. Route par Nicde, Hersek et le golfe 
: de Nicomedie. Aventure tragigue & Her- 
sek. Continuation de la route par Guebezeh 
et Scutari, jusqu’ä Constantinople. . 400 

Cuar. zııı. Depart de Constantinople. Route 
par PHellespont, la cöte de Troye, Ip- 
sera ,le port Dailo, le cap Sunium. Arri- 

. veea Athenes; gouvernement de cette ville. 
Course au mont Hymette, & Marathon et 

- au Pentelique........ ve... 431 

Caar. xıv. Depart dAthenes. Route par fe 
detroit de Salamine, Eleusis , Pisthme de 
Corinthe , le golfe de Lepante, Patras, 
Ithaque,, Cephalonie et Parga. Arrivee ä& 
Corfou...... EEE ne. 461 

Caar. xv. Description de File de Corfou. 
Depart sur la fregate la Brune. Course @ 
Butrinto : remarques sur le sol et les en- 
virons de cette ville. Arrivee a Ancöne. 


Maladie et mort de Bruguiere. . . . 487 





FIN DE LA TABLE. 


A A En 
v 


an 
nn m 





ERRATA . 
DU TOME SIXIEME. 


Page 22, hgnes ı8 et ı9,, s’engagerent de marcher , 
lisez : s’engagerent ä marcher. ’ 

Page 89, ligne ı3, Ibrahim-Nhan , Zisez : Ibrahim-' 

Khan. . | on nf 

Page ı86 , lignes 9 et 10, et lä de 8’y defendre , ksez : 
et de s’y defendre. 

Page 444 , ligne 12, soient portees , Äsez : ne soient 
portees. en 

Page 497, ligne 7 , derivant, lösez : faisant deriver. 


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