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Full text of "Voyage en France"

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PARIS 
BERGKR-LEVRÀULT  ET  €l* 


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Ardouin-Dumazet 


Série 


ILES  DE  LA  MANCHE 
ET  BRETAGNE  PÉNINSULAIRE 


PARIS 
Berger-Levrault  &  C1E,  Éditeurs 


Voyage  en  France 


OUVRAGES   DU   MEME  AUTEUR 

L'Armée  et  la  flotte  en  1895.  —  Grandps  manœuvres  des  Vosges.  — 

L'expédition  de   Madagascar.  —  Manœuvres  navales.  1896.  —  1  volume 

in-12,  avec  nombreuses  cartes.  5  fr. 
L'Armée  et  laflotte  en  1894.  Manœuvres  navales.—  Grandes  manœuvres 

de  Beauce.  —  Manœuvres  de  forteresse.  1895.  —  1  volume  in-12,  avec  illus- 
trations de  Paul  Léonnec  et  de  nombreux  croquis  et  cartes.  5  fr. 
L'Armée   navale  en  1893.    —   L'Escadre    russe    en    Provence.    —    La 

Défense  de  la  Corse.  1894.  —  1  volume  in-12  avec  27  croquis  ou  vues  et 

une  carte  de  la  Corse.  5  fr. 
Au  Régiment  —  En  Escadre,  préface  de  M.  Mézières,  de  l'Académie 

française.  1894. 1  volume  grand  in-8°,  avec  350  photographies  instantanées 

de  M.  Paul  Gers.  16  fr. 
Le  Colonel  Bourras.  Suivi  du  Rapport  sur  les  opérations  du  corps 

franc  des  Vosges  du  colonel  Bourras.  1892.  Brochure  in-12  avec  au 

portrait  et  couverture  illustrée.  60  centimes. 
Le  Nord  de  la  France  en  1789.  —  Flandre.  —  Artois.  —  Hainaut.  — 

1  volume  in-12.  (Maurice  Dreyfous.) 
La  Frontière  du  Nord  et  les  défenses  belges  de  la  Meuse.  —  1  volume 

in-8°.  (Baudoin.) 
Une  Armée  dans  les  neiges,  journal  d'un  volontaire  du  corps  franc  des 

Vosges.  —  1  volume  in-8°  illustré.  (Rouam.) 
Études  algériennes.  —  1  volume  in-8°.  (Guillaumin  et  C»e.) 
Les  grandes  Manoeuvres  de  1882  à  1892.  —   1  volume   in-12   par 

année.  (Baudoin  et  Rouam.) 
Voyage  en  France.   Ouvrage  couronné  par  l'Académie  française.  Série 

d'élégants  volumes  in-12  à  3  fr.  50  c. 

—  lrc  Série  :  Morvan.  —  Nivernais.  —  Sologne.  —  Beauce.  —  Gàtinais.  — 
Orléanais.  —  Maine.  —  Perche.  —  Touraine.  —  1893.  1  volume.  3  fr.  50  c. 

—  2«  Série  :  Anjou.  —  Bas-Maine.  —  Nantes.  —  Basse-Loire.  —  Alpes 
mancelles.  —  Suisse  normande.  —  1894.  1  volume.  3  fr.  50  c. 

—  3e  Série  :  Les  Iles  de  l'Atlantique  :  I.  —  lie  aux  Oiseaux  (Arcachon). 
La  Seudre  et  les  îles  de  Marennes.  Ile  d'Oleron.  Ile  d'Aix.  Iles  Madame  et 
Brouage.  Ile  de  Ré.  Ile  d'Yen.  Ile  de  Noirmoutier.  De  l'île  de  Bouin  à 
Saint-Nazaire.  L'archipel  de  la  Grande-Brière.  L'île  Dumet  et  la  pres- 
qu'île du  Croisic.  Belle-lsle.  1895.  1  volume  avec  de  nombreuses  cartes 
dans  le  texte.  3  fr.  50  c. 

—  4e  Série  :  Les  Iles  de  l'Atlantique  :  II.  —  Ile  d'Houat.  La  Charte  des 
'des  bretonnes.  Ile  d'Hoëdic.  Le  Morbihan  et  la  presqu'île  de  Rhuys.  Ile 
aux  Moines.  Petites  îles  du  Morbihan.  Iles  d'Arz  et  Ilur.  Ile  de  Groix.  Ile 
Chevalier  et  île  Tudy.  Archipel  des  Glénans.  Ile  de  Sein.  La  ville  close  de 
Concarneau.  Archipel  d'Ouessant  :  I.  De  Beniguet  à  Molène.  —  27.  L"ile 
d'Ouessant.  Iles  de  la  rade  de  Brest.  1895.  1  volume  avec  de  nombreuses 
cartes  dans  le  texte.  3  fr.  50  c. 

[Les  Iles  de  la  Méditerranée,  la  Corse,  celles  du  groupe  d'Hyères,  etc., 
sout  décrites  dans  le  volume:  L'Armée  navale  en  1893.] 

POUR    PARAITRE    PROCHAINEMENT 

—  6e  Série  :  Cotentin.  Campagne  de  Caen.  Pays  d'Auge  et  Seine  marilime. 

—  7e  Série  :  Lyon,  les  monts  du  Lyonnais,  la  vallée  du  Rhône  de  Seyssel  à 
la  mer.  {Sous  presse.) 

14  autres  volumes  compléteront  ce  grand  travail  activement  poursuivi 
par  l'auteur. 


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ARDOUIN  -  DUM  AZET 


Voyage  en  France 


5e  SÉRIE 

ILES      FRANQAISES 

DE     LA    MANCHE 
ET    BRETAGNE   PÉNINSULAIRE 

Avec  26  cartes  ou  croquis. 

1 

BERGER-LEVRAQLT    ET    Gie,    ÉDITEURS 
PARIS  |  NANCY 

5,    RUK    DES    BEAUX-ARTS  18,     RUE     DES     GLACIS 

1896 

Tous  droits  réservés 


Tous  les  croquis  sans  titre  compris  dans  ce  volume 
sont  extraits  de  la  carte  d'état-major  au  80>1000. 


VOYAGE  EN  FRANGE 


ILES    DE    L  ABER    VRAC  H 


Les  iles  du  Finistère  :  Segal,  Melon,  le  Four,  loch,  Carn,  Garro, 
Trévors  et  Guennoc.  —  L'Aber-Vrac'h.  —  De  Brest  à  Lan- 
nilis.  —  Le  port  de  l'Aber-Vrac'h.  —  Ile  et  fort  Cezon.  — 
Ile  d'Erch.  —  Ile  Vrac'h.  —  Ile  Lecli  h'Vens.  —  Ile  Staga- 
doii.  — Ile  Vatan.  —  Ile  Venan.  —  Ile  Vierge.  —  Pen  Enè3 
et  Enès  Bihan.  —  Le  port  du  Corrc'jou.  —  La  récolte  du 
goëmon.  —  Comment  on  extrait  l'iode,  la  potasse  et  le  brome. 


Baie  des  Anges,  décembre. 

Cette  côte  du  Finistère  est  semée  de  tant  d'îles, 
d'îlots,  de  rochers  que  je  devrais  renoncer  à  les 
visiter  tous.  Il  faut  compter  avec  les  vents,  la 
marée,  la  brume,  le  manqiie  d'embarcations  par- 
fois. Ainsi  j'ai  dû  déjà  abandonner  mon  voyage 
aux  îlots  du  pays  de  Saint-Renan  et  de  Ploudal- 
mézeau  :  I'ile  de  Seigle  ou  Segal,  mince  rocher 
au  large  de  Lampaul,  l'île  Melon',  à  l'embou- 

YOYAGE   BN    FRANCE      V.  [ 


2  VOYAGE    EN    FRANCE. 

chure  de  l'Aber-Ildut,  sur  laquelle  se  dresse  un 
moulin.  C'est  la  plus  considérable  de  ces  parages 
de  l'Océan,  mais  elle  n'a  pas  quatre  cents  mètres 
dans  sa  plus  grande  étendue. 

Vers  Porspoder  commence,  d'après  les  habitants, 
indiquée  par  le  rocher  du  Four  ,  la  mer  de  la 
Manche.  Là  se  dresse,  en  face  du  port  d'Argen- 
ton,  l'île  d'IocH,  haute  de  25  mètres,  rattachée  à 
marée  basse  à  la  terre  ferme  et  formant  alors  la 
pointe  de  séparation  entre  les  deux  mers.  A  marée 
haute,  il  y  a  cinq  cents  mètres  entre  les  deux 
pointes  extrêmes. 

Plus  au  nord,  parmi  les  innombrables  rochers 
de  Porsal,  la  petite  île  Verte  et  l'île  Carn  servent 
de  foyer  aux  brûleurs  de  goémon  -,  à  l'entrée  de 
l'estuaire  de  l'Aber-Benoît  d'autres  rochers  cou- 
vrent les  abords  de  la  côte.  Quelques-uns  :  Garro, 
Trévors,  Guennoc  portent  aussi  le  nom  ambi- 
tieux d'îles. 

Ces  rochers  sont  particulièrement  nombreux  à 
l'entrée  de  l'estuaire  de  l'Aber-Vrac'h.  Il  y  a  là 
un  véritable  archipel  d'une  importance  militaire 
et  économique  assez  considérable,  car  il  commande 
l'ouverture  de  l'Aber-Vrac'h,  un  des  meilleurs 
ports  naturels  de  nos  côtes.  L'ouverture  du  petit 
chemin  de  fer  de  Brest  à  Lannilis  a  rendu  ce 
pays  accessible  en  peu  de  temps  aujourd'hui.  Il 


ILES    DE    L  ABER    VRAC'H.  Ô 

sera  bien  plus  visité  encore  lorsque  les  voies  fer- 
rées du  Finistère  aboutiront  à  la  côte  même,  au 
lieu  d'obliger  à  poursuivre  en  voiture  jusqu'à 
Porsal  ou  la  baie  des  Anges. 

Le  chemin  de  fer  de  Lannilis  part  d'une  gare 
spéciale  voisine  de  la  gare  de  Brest,  pour  péné- 
trer dans  les  fossés  de  la  place  et  les  suivre  jus- 
qu'au-dessus de  l'estuaire  de  la  Penfeld.  Un 
instant,  à  une  grande  profondeur,  on  aperçoit 
l'arsenal,  ses  vastes  ateliers ,  des  navires  aban- 
donnés ou  en  réparation,  puis  l'on  pénètre  dans 
ces  campagnes  vertes  et  fraîches  dominées  par  la 
haute  et  élégante  flèche  de  Lambézellec  ;  tout  au- 
tour ce  gros  village,  presque  une  ville,  habité  en 
partie  par  les  ouvriers  de  l'arsenal,  étage  ses 
maisons  blanches.  Le  train  court  ensuite  par  des 
terres  grasses  et  fertiles  où  les  choux  de  pâture 
ont  les  proportions  d'arbustes.  Beaucoup  de  prai- 
ries arrosées  par  le  clair  ruisseau  de  la  Penfeld, 
dont  la  marée  fait  plus  bas  un  fleuve  profond. 
Mais  le  paysage  manque  de  relief  et  d'horizon.  A 
Gouesnou,  dont  la  jolie  flèche  se  voit  de  fort  loin, 
le  chemin  de  fer  passe  au  bord  d'une  de  ces  belles 
fontaines  enfermées  dans  un  bassin  de  granit  et 
qu'un  saint  de  pierre,  debout  dans  sa  niche, 
semble  bénir.  On  court  ensuite  à  travers  de  tristes 
landes  marécageuses  dont  les  eaux,  versées  dans 


4  VOYAGE    EN     FRANCE. 

une  infinité  de  ruisseaux .  vont  d'un  côté  à  l'Océan 
par  la  Penfeld,  de  l'autre  à  la  Manche  par  l'Aber- 
Benoît.  Nulle  part  les  eaux  fluviales  ne  sourdent 
en  plus  grande  abondance  et  ne  creusent  plus  de 
vallons,  c'est  que  cette  extrême  péninsule  de  la 
France,  la  fin  des  terres  —  d'où  Finistère  —  ne  voit 
guère  de  journées  sans  brumes  ou  sans  ondées. 

Aux  abords  dePlabennec,  de  maigres  chênaies, 
des  genêtières,  des  champs  d'ajoncs,  quelques 
pins  de  mauvaise  venue  gagnent  sur  la  lande. 
L'Aber-Benoît  coule  ici  dans  une  dépression  pro- 
fonde qui  draine  rapidement  les  eaux  et  permet 
des  cultures  et  des  prairies.  Le  petit  fleuve  est  né 
depuis  peu  de  temps,  et  déjà  il  roule  rapidement 
d'abondantes  et  claires  ondes  que  viennent  encore 
accroître  les  ruisseaux  descendus  des  landes  de 
Plouvien.  Près  de  Lannilis  la  mer  remonte  et  fait 
du  fleuve  un  vaste  estuaire.  Trois  kilomètres  à 
peine  le  séparent  de  l'Aber-Vrac'h,  autre  estuaire 
plus  profond  encore.  La  petite  et  calme  ville  de 
Lannilis  est  entre  les  deux  fleuves.  Sur  chacun 
elle  a  un  port  où  viennent  en  multitude  les  ba- 
teaux chargés  du  goémon  destiné  à  fertiliser  ces 
campagnes  qui,  sans  lui,  seraient  encore  des 
landes.  Ici,  près  de  la  mer,  à  portée  du  précieux 
varech,  les  cultures  sont  assez  belles,  mais  bien 
plus  jalousement  closes  que  dans  les  autres  par- 


ILES    DE    l'aBER    VRAC'h.  5 

ties  de  la  Bretagne;  les  talus  de  terre  sont  de 
véritables  remparts  couverts  de  hauts  fourrés  d'a- 
joncs. Une  ouverture  étroite  y  donne  accès,  elle 
est  remplie  d'énormes  blocs  de  granit  ;  pour  péné- 
trer dans  le  champ  il  faut  oter  ces  cailloux  un 
à  un.  Fermée  par  ces  retranchements  barbares,  la 
campagne  est  invisible,  mais  en  approchant  de 
l'estuaire  on  a,  un  instant,  une  belle  échappée 
sur  la  Manche  semée  d'îles.  En  quelques  minutes 
on  atteint  le  fjord,  large  et  profond,  près  d'une 
usine  à  traiter  les  cendres  de  goémon  et  du  petit 
port  abrité  par  une  cale.  Quelques  maisons,  le 
bureau  de  l'inscription  maritime,  celui  des  douanes 
s'échelonnent  jusqu'à  la  baie  des  Anges  et  consti- 
tuent le  village  de  l'Aber-Yrac'h,  dépendant  de 
la  commune  de  Landéda.  Ce  port  n'est  pas  même 
indiqué  sur  les  cartes1. 

Malgré  décembre  «  le  triste  Aber-Vrac'h  envi- 
ronné de  brumes  »,  dont  Brizeux  a  fait  un  mélan- 
colique tableau,  était  ce  soir,  quand  je  l'atteignis, 
très  clair  et  lumineux.  Au  delà  de  l'entrée,  les 
îles  sombres  se  détachaient  nettement  sur  les 
eaux  calmes.  La  brumeuse  Bretagne  a  de  ces  sur- 
prises. 


1.  On  le  trouvera  placé  près  du  mot  la  Palue,  sur  le  croquis 
qui  accompagne  ce  chapitre. 


6  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Une  jolie  route  en  corniche  suit  le  rivage  jus- 
qu'à la  baie  des  Anges,  au  bord  de  laquelle  sont 
encore  quelques  débris  d'une  abbaye  célèbre, 
haut  pignon  de  granit  qui  ne  manque  pas  de  gran- 
deur. Le  climat  est  très  doux  dans  la  baie,  les 
maisons  sont  entourées  de  plantes  méridionales 
en  pleine  floraison,  il  ne  serait  pas  impossible  de 
faire  ici  la  culture  des  primeurs  comme  à  Ros- 
coff,  ce  serait  la  fortune  pour  cette  pauvre  popu- 
lation de  pêcheurs  et  de  goëmonniers. 

Un  chemin  monte  sur  la  colline,  où,  à  49  mè- 
tres d'altitude,  a  été  installé  un  sémaphore.  De  là 
on  découvre  en  entier  le  petit  archipel,  le  large 
bassin  de  l'Aber-Yrac'h  en  ce  moment  rempli 
par  le  flot  et  les  campagnes  sauvages  de  Plouguer- 
neau.  Ce  port  de  l'Aber-Yrac'h,  abrité  par  les 
îlots,  est  vraiment  merveilleux.  Même  à  mer 
basse  la  rade  conrprise  entre  l'île  d'Erch  et  le 
môle  de  la  Palue  offre  toujours  des  profondeurs  de 
plus  de  10  mètres.  Les  navires  de  600  tonneaux 
peuvent  monter  jusqu'au  pont  suspendu  de  la 
route  de  Plouguerneau.  Il  est  étonnant  qu'il  ne  se 
soit  pas  créé  là  un  centre  d'habitation  plus  consi- 
dérable. La  pauvreté  du  pays  voisin,  l'absence  d'in- 
dustrie sont  la  cause  de  cet  abandon.  Toutefois 
l'importance  de  ce  merveilleux  port  naturel  à 
l'entrée  de  la  Manche  en  a  fait  un  abri  pour  les 


ILES    DE    L  ABER    VRAC  H.  < 

torpilleurs.  Un  vieux  navire  de  guerre,  YObli- 
gado,  ancré  au  fond  de  l'estuaire,  leur  sert  de  ma- 
gasin de  ravitaillement. 

Et  c'est  tout,  la  rade  n'a  aucune  défense.  Le 
fort  Cézon,  bâti  par  Vauban  sur  une  petite  île, 
dresse  encore  ses  remparts  à  l'entrée  de  la  rivière, 
il  est  aujourd'hui  déclassé.  En  face  de  l'île  Cézon 
est  l'île  d'ERCH  assez  longue  mais  inhabitée,  elle 
est  recouverte  d'une  pelouse  d'herbe  fine,  très  jolie, 
au  printemps  surtout  :  elle  se  transforme  alors  en 
un  tapis  de  fleurettes  roses  d'un  effet  charmant. 
Chose  curieuse,  cette  herbe  des  îles  transportée 
sur  la  terre  ferme  y  dégénère  rapidement,  elle 
devient  épaisse  et  dure  et  ne  fleurit  plus.  Tous  les 
efforts  tentés  pour  la  domestiquer  et  la  faire  servit 
à  l'ornement  des  jardins  qui  bordent  l'estuaire 
ont  échoué. 

Au  delà  d'Erch,  que  les  habitants  appellent  aussi 
l'île  aux  Chevaux,  est  l'île  Yrac'h,  elle  a  peut- 
être  donné  son  nom  au  havre  ou  « aber  ».  Un  petit 
phare  s'y  dresse,  éclairant  l'entrée  de  l'estuaire. 
Tout  auprès  est  l'îlot  désert  de  Lech  h'Vens.  Plus 
loin,  à  mer  basse,  une  vaste  grève  de  sable  et  de 
roches  relie  ces  îlots  à  l'île  Stactadon,  une  des 
plus  petites,  mais  la  seule  habitée  du  groupe.  Il  y 
a  là  une  ferme  entourée  de  champs  cultivés,  où 
le  fermier,  me  dit-on,  récolte  suffi samment  pour 


8  VOYAGE    EN    FRANCE. 

vivre  lui  et  les  siens.  Mais  son  principal  revenu 
est  la  pêche  du  goémon. 

Le  même  plateau  de  roche  porte  encore  la  petite 
île  Vatan  et  l'île  Venan,  abri  de  pêcheurs  et  de 
goëmonniers,  haute  de  17  mètres,  et  se  prolonge 
jusqu'à  l'île  Vierge.  C'est  une  masse  compacte 
de  rochers  ondulés,  couverts  d'herbes  et  portant 
un  des  plus  beaux  phares  de  ces  parages.  L'île 
n'a  pas  d'autres  habitants  que  les  gardiens  du 
phare,  mais  elle  sert  de  pâturages  à  des  vaches 
envoyées  du  continent.  Jadis  elle  était  couverte 
de  multitudes  de  lapins  :  une  grande  marée  a  en 
partie  submergé  l'île  il  y  a  deux  ans  et  les  a  presque 
tous  détruits.  Au  loin,  sur  la  côte  de  Plouguer- 
neau,  est  l'île  de  Pen,  Pen-Enès,  reliée  par  un 
sillon  de  sable  au  rivage  continental  de  l'anse 
profonde  du  Corréjou,  port  naturel  où  cinquante 
bateaux  goëmonniers  viennent  chaque  soir  s'a- 
briter. Un  autre  îlot,  Enès-Bihan,  ou  la  «  petite 
île  »,  a  été  relié  à  Pen-Enès  par  une  jetée  et 
complète  l'abri  de  ce  petit  port  où,  pendant  les 
gros  temps,  les  petits  navires  viennent  se  ré- 
fugier. 

Du  haut  du  sémaphore  de  l'Aber-Vrac'h,  la  vue 
de  ce  petit  archipel  est  fort  belle  à  mer  haute; 
alors  entre  toutes  les  îles,  les  unes  plates,  d'au- 


3\-.1 


10  VOYAGE    EN    FRANCE. 

très  montueuses,  les  mies  régulières,  les  autres 
déchiquetées,  passent  sans  cesse  les  barques  de 
pèche  de  l'Aber-Vrac'h,  du  Corréjou,  de  l'Aber- 
Benoît  et  de  Porsal,  venant  de  lever  les  casiers  à 
crustacés  ou  pêcher  le  goémon.  A  mer  descen- 
dante, ces  mêmes  barques  vont  au  large,  sur  les 
fonds  rendus  accessibles,  procéder  à  la  coupe  des 
goémons.  Les  pêcheurs,  armés  de  faucilles  fixées 
à  des  perches  ayant  parfois  dix  mètres  de  long, 
détachent  sur  les  roches  où  elles  croissent  les 
plantes  marines  destinées  à  la  fabrication  des 
sels  de  potasse  dont  on  extraira  l'iode  et  le 
brome.  On  récolte  dans  ce  but  plusieurs  variétés 
d'algues,  mais  surtout  ces  longs  rubans  d'un  vert 
glauque ,  à  demi  transparents,  qu'on  appelle  des 
laminaires. 

C'est  le  goémon  de  coupe.  La  mer,  pendant  les 
tempêtes,  arrache  et  rejette  à  la  côte  d'énormes 
quantités  de  goémons,  qu'on  appelle  alors  les 
goémons  d'épave. 

Le  goémon  des  fonds,  toujours  couvert  par  les 
eaux,  peut  être  coupé  en  tous  temps  ;  mais  celui 
découvert  à  basse  mer  ne  peut  être  récolté  qu'à 
des  époques  fixes  ,  afin  d'éviter  la  destruction 
d'une  richesse  inestimable  pour  l'industrie  et 
l'agriculture.  Les  syndics  des  gens  de  mer  et  les 
douaniers  ont  fort  à  faire  pour  obliger  les  impré- 


ILES    DE    I/ARER    VRAG'h.  11 

voyants  habitants  à  conserver  une  source  de  reve- 
nus que  des  coupes  déréglées  ne  tarderaient  pas  à 
détruire. 

La  plus  grande  partie  du  goémon  est  fournie 
par  les  apports  de  la  mer.  Après  des  tempêtes  on 
a  vu,  sur  File  Béniguet  notamment1,  une  couche 
de  cinq  à  six  mètres  border  le  rivage.  Aussi  la 
ferme  de  l'île,  si  elle  produit  peu  de  blé,  est-elle 
louée  6,000  fr.  par  année. 

Les  goémons  récoltés  en  été  sont  aussitôt  mis  à 
sécher.  La  récolte  d'hiver  est,  au  contraire,  mise 
en  meules  énormes.  La  partie  extérieure  pourrit, 
mais  l'intérieur  se  conserve  et,  les  beaux  jours 
venus,  on  peut  exposer  le  goémon  au  soleil  et  le 
faire  sécher. 

Une  fois  sec  le  goémon  est  incinéré  dans  de 
grandes  fosses  en  pierre.  J'ai  souvent  signalé  au 
cours  de  ce  voyage  l'aspect  fantastique  de  quel- 
ques îles  sans  cesse  couvertes  par  la  fumée  de 
ces  foyers.  Les  sels  de  potasse  contenus  dans  les 
plantes  marines  se  mêlent  à  la  cendre  au  fond  de 
la  fosse  en  une  matière  molle,  en  apparence  sem- 
blable à  du  verre  en  fusion.  Lorsque  la  quantité 
est  assez  considérable,  on  fait  ce  qu'on  appelle  des 
pains  de  soude  qui  sont  alors  expédiés  aux  usines 


l.  Voir  page  261  du  4e  volume  du   Voyage  en  France. 


12  VOYAGE    EN    FRANCE. 

fabriquant  l'iode  et  les  autres  produits  tirés  de  la 
mer. 

C'est  là  une  industrie  assez  récente,  puisque 
Gay-Lussac  ne  découvrit  l'iode  qu'en  1831  ;  il 
fallut  ensuite  bien  des  tâtonnements  pour  l'isoler. 
M.  Courtois  réussit  dans  cette  tentative;  il  fonda 
une  usine  à  Cherbourg-,  le  succès  encouragea 
d'autres  capitalistes  et  une  vingtaine  d'usines 
surgirent  sur  les  rivages  où  le  goémon  abonde. 
Ce  fut  une  industrie  prospère,  assez  prospère 
pour  attirer  des  spéculateurs  qui,  en  jouant  sur 
les  marchés,  amenèrent  des  désastres*,  plusieurs 
établissements  durent  fermer;  j'ai  dit  quel  aspect 
mélancolique  les  ruines  de  l'un  d'eux  donnaient 
à  l'île  du  Loch,  dans  les  Glénans. 

Puis  les  Chiliens  découvrirent  un  jour  que 
leurs  inépuisables  mines  de  nitrate  renfermaient 
de  l'iode.  Ils  se  mirent  à  en  fabriquer  en  quan- 
tité énorme,  en  telle  abondance  qu'ils  ne  purent 
l'écouler;  aujourd'hui,  dit-on,  il  y  a  au  Chili  de 
l'iode  en  baril  pour  alimenter  le  monde  pendant 
20  ans!  En  même  temps  l'Ecosse,  la  Norvège,  un 
grand  nombre  d'autres  pays  maritimes  se  livraient 
à  l'extraction  des  sels  contenus  dans  les  plantes 
marines.  Le  Japon  lui-même  en  fabrique  en  quan- 
tité. Enfin  l'Allemagne  a  trouvé  le  moyen  d'ex- 
traire le  brome  et  la  potasse  des  mines  de  Stass- 


ILES    DE    l'aBER    VRAC'h.  13 

furth,  en  Saxe,  si  curieuses  par  la  variété  des 
produits  retirés  des  immenses  gisements  de  sel 
gemme. 

Aussi  y  eut-il  une  dépression  énorme  dans  les 
prix  des  produits  dérivés  des  plantes  marines  et 
des  mines  de  sel  et  de  nitrate.  Le  prix  de  l'iode 
avait  atteint  150  fr.  le  kilogramme,  il  est  descendu 
à  12  fr.  50  c.  Le  nombre  des  usines  de  nos  rivages 
a  naturellement  diminué.  En  dehors  d'un  petit  éta- 
blissement dans  l'île  de  Bréhat,  il  ne  reste  plus 
que  six  usines  :  à  l'Aber-Vrac'h,  Porsal,  le  Gon- 
quet,  Audierne,  Pont-1'Abbé  et  Quiberon.  Les 
deux  plus  importantes  sont  celles  du  Gonquet  et 
de  rAber-Vrac'h. 

La  préparation  est  assez  simple  :  les  pains  de 
soude,  lessivés,  vont  déposer  les  sels  de  potasse  sur 
les  parois  de  grandes  bâches,  le  chlorure  de  so- 
dium se  dépose  en  d'autres  en  forme  de  cristaux. 
De  ces  sels  on  extrait  l'iode  au  moyen  de  procé- 
dés dont  on  trouve  la  description  dans  tous  les 
traités  de  chimie. 

La  quantité  de  goémons  incinérée  chaque  année 
est  énorme.  Depuis  l'île  d'Yeu  jusqu'à  la  baie  de 
Saint-Brieuc,  la  côte,  les  îles,  tous  les  écueils 
que  ne  recouvrent  pas  les  marées  sont  des  foyers 
sans  cesse  en  ignition.  D'ailleurs  toutes  les  cen- 
dres ne  sont  pas  employées  à  la  produrtion  des 


14  VOYAGE    EN    FRANGE. 

sels,  une  grande  partie  est  vendue  sur  le  continent 
pour  servir  d'engrais,  car  les  prix  du  transport 
ne  permettent  pas  d'envoyer  bien  loin  les  algues 
à  l'état  de  nature.  Celles-ci,  cependant,  sont 
plus  utiles  encore  que  les  cendres,  elles  ne  don- 
nent pas  seulement  au  sol  la  potasse  et  le  cal- 
caire, elles  lui  apportent  aussi  une  notable  quan- 
tité d'humus.  On  a  vu1  que  nos  grandes  îles  de 
Saintonge  doivent  au  goëmon,  là-bas  appelé  sars, 
leur  fertilité  et  leur  richesse. 

Les  habitants  de  l'Aber-Vrac'h  et  des  autres 
côtes  du  Finistère  n'en  sont  pas  encore  là,  il  reste 
bien  des  landes  à  défricher,  bien  des  marais  à 
drainer  près  de  leurs  côtes.  Cette  transformation, 
que  le  goëmon  apporté  à  bas  prix  pourrait  rapi- 
dement amener,  changerait  bien  les  conditions 
d'existence  de  ces  pauvres  gens,  jadis  pilleurs 
d'épaves,  aujourd'hui  pêcheurs  de  goémons  et  de 
crustacés,  métier  plein  de  risques,  fort  pénible  et 
permettant  juste  à  son  homme  de  ne  pas  mourir 
de  faim. 

La  mer,  si  belle  à  la  tombée  de  la  nuit,  s'est 
soudain  gonflée.  Pendant  qu'un  de  mes  hôtes 
de  l'Aber-Vrac'h  me  décrit  cette  existence  des  goô- 


i.  3e  série  du  Voyage  en  France,  chapitres  consacres  aux  îles 
de  Ré  et  d'Oleron. 


ILES    DE    l'aBER    VRAC'h.  15 

monniers,  en  nous  promenant  au  bord  de  la  baie 
des  Anges,  le  vent  se  lève,  les  lames  viennent 
battre  la  côte,  le  vent  fait  rage,  on  entend  au  delà 
des  îles  gronder  la  vague  contre  les  rochers.  Et 
ce  tranquille  paysage,  subitement  assombri,  de- 
vient lugubre.  Connue  la  navigation  doit  être 
dure  à  cette  heure  pour  les  bateaux  qui  ont  à  ga- 
gner les  havres  de  ce  rivage  dangereux  ! 

Mais  des  feux  nombreux  indiquent  le  passage. 
Près  de  Plouguerneau,  sur  la  colline,  un  phare 
signale  à  la  fois  le  Corréjou  et  rAber-Vrac'h,  le 
phare  de  l'île  Vierge,  celui  de  l'île  Vrac'h  ;  les 
petits  feux  de  port  de  rAber-Vrac'h  montrent  le 
chemin.  Pour  les  navires  qui  vont  en  Amérique 
ou  dans  le  golfe  de  Gascogne  voici,  fulgurants 
éclairs,  les  jets  de  lumière  électrique  de  l'île 
d'Ouessant  qu'on  voit  distinctement  d'ici.  Tous 
ces  feux,  les  milliers  de  balises  bordant  ce  lit- 
toral frangé  d'écueils,  d'anses  et  d'estuaires  font 
de  la  mer  une  route  désormais  sûre  et  sont  l'œu- 
vre de  ce  siècle.  Il  n'y  a  pas  cent  ans  encore  les 
ressources  de  l'existence  en  ce  coin  de  Basse- 
Bretagne  étaient  surtout  tirées  du  pillage  des  na- 
vires naufragés  ! 

Mais  si  la  mer,  malgré  le  vent  et  les  lames,  est 
clémente  aux  embarcations  suivant  une  route  ré- 
gulière, la  tempête  s'accroît,  le  baromètre  des- 


16  VOYAGE    EN    FRANGE. 

cend  toujours  et  me  fait  abandonner  mon  projet 
de  parcourir  l'archipel  de  l'Aber-Vrac'h.  Le  dé- 
barquement sera  peut-être  impossible,  me  dit-on, 
à  moins  d'attendre  la  basse  mer  et  d'aller  à  pied 
sous  la  pluie  battante  que  Ton  prédit.  J'en  pren- 
drai mon  parti,  je  ne  verrai  ni  le  fermier  de 
Stagadon,  qui  paie  sa  ferme  avec  le  produit  de 
ses  pains  de  soude,  comme  tant  de  fermiers  des 
côtes,  ni  le  jardinet  de  l'île  Vierge  que  la  sub- 
mersion des  lapins  a  permis  aux  gardiens  du 
phare  de  créer. 


II 


t/ile  de  siec  l 


Saint-Pol-de-Léon.  —  Pempoul.  —  L'ile  Sainte-Anne.  —  Les 
champs  d'artichauts  et  de  choux-fleurs.  —  L'ile  de  Siec.  — 
La  ferme.  —  Le  village.  —  Les  pêcheurs  de  goémon.  —  Au 
milieu  des  primeurs.  —  Santec.  —  Richesse  et  saleté.  — 
L'ile  Verte.  —  Roscoff. 


Roscoff,  décembre. 

En  débarquant  du  train  à  Saint-Pol  ce  matin, 
j'ai  couru  à  Pempoul,  sans  même  prendre  le 
temps  d'admirer  une  fois  encore  l'admirable  tour 
du  Creisker,  un  des  rares  monuments  qu'on  ne  se 
lasse  pas  de  revoir.  Entre  les  champs  de  choux- 
fleurs  et  d'artichauts  qui  bordent  le  chemin,  on 
est  vite  parvenu  au  havre  servant  de  port  à  Saint- 
Pol-de-Léon.  Hélas  !  je  n'avais  pas  songé  à  deman- 
der l'heure  de  la  marée  et  me  voici  en  présence 
d'une  immense  grève  de  sable  mouillé  où  de  rares 
chaloupes  sont  échouées.  De  vieilles  maisons  de 
granit  bordent  ce  port  de  Pempoul,  qu'une  jetée 


1.  Pour  la  carte  de  l'île  de  Siec  et  de  ses  abords,  voir  au  bas 
de  la  carte  de  l'ile  de  Ratz,  page  33. 

VOYAGE    ES    FRANCE.    V.  2 


18  VOYAGE    EN    FRANGE. 

reliant  à  la  côte  l'îlot  rocheux  de  Sainte-Anne 
abrite  contre  les  vents  du  large.  Impossible  d'a- 
voir une  embarcation  à  flot  avant  deux  ou  trois 
heures  de  l'après-midi  pour  aller  dans  l'île  de 
Gallot  dont  j 'aperçois,  en  face,  la  longue  côte 
surmontée  d'une  chapelle  s'estompant  dans  la 
brume . 

Il  faut  modifier  mon  itinéraire  et  gagner  l'île 
de  Siec.  La  mer  basse,  défavorable  ici,  sera  fa- 
vorable là-bas.  Et  je  remonte  vers  Saint-Pol-de- 
Léon,  bien  payé  de  ma  déconvenue  par  la  vue 
du  svelte  Creisker,  des  tours  de  la  cathédrale,  des 
flèches  ajourées  d'autres  églises,  car  cette  capitale 
du  pays  de  Léon  est  une  petite  Rome,  une  réduc- 
tion de  l'Isle  sonnante  de  Rabelais.  Sur  la  route 
une  jolie  source  s'écoule  de  la  cour  d'un  vieux 
manoir  et  remplit  un  bassin  de  son  eau  claire. 
Puis  c'est  la  chapelle  du  cimetière,  l'ossuaire,  et 
alors  commencent  les  rues  mornes  de  l'ancienne 
ville  épiscopale,  bordées  de  maisons  basses  et 
sans  caractère.  À  peine,  de  temps  à  autre,  quelque 
porte  de  granit  sobrement  ornée.  Les  anciens 
Léonnais  n'ont  embelli  leur  ville  que  par  les 
églises,  mais  elles  sont  des  merveilles.  Partout  ail- 
leurs qu'aux  côtés  du  Creisker  la  cathédrale  serait 
célèbre. 

Autour  du  vieil  édifice  la  ville  a  encore  quelque 


I/ILE   de   siec.  19 

allure,  mais  les  faubourgs  sont  presque  sordides. 
Ils  aboutissent  dans  une  campagne  singulière. 
Ce  sont  toujours  les  épais  murets  de  pierre  sèche 
couverts  de  terre  sur  lesquels  croissent  des  ajoncs. 
Mais  ces  ajoncs  sont  maigres  et  chétifs.  De  loin 
leur  horizontalité  donne  une  impression  presque 
désagréable.  Entre  ces  murets  rébarbatifs  sont  des 
enclos  consacrés  uniquement  à  la  culture  des  pri- 
meurs, artichauts  et  choux-fleurs  en  cette  saison. 
Les  choux-fleurs  sont  hauts  sur  pied,  leur  feuil- 
lage élancé  monte,  raide,  au-dessus  de  tiges  énor- 
mes. Les  artichauts  sont  moins  rognes,  leur  feuil- 
lage lancéolé  a  des  reflets  bleus,  ils  dressent  d'un 
air  bon  enfant  leurs  grosses  boules  savoureuses  et 
semblent  les  tendre  au  passant,  tandis  que  le  chou- 
fleur  enferme  jalousement  entre  ses  feuilles  la 
monstrueuse  et  succulente  efïlorescence  d'une  blan- 
cheur lactée.  Dans  les  champs,  des  paysans  coiffés 
qui  de  bérets,  qui  de  singulières  toques  noires 
ornées  de  bandes  bleues  pouvant  se  rabattre  sur 
la  nuque,  fouillent  les  cultures.  D'un  coup  de  cou- 
teau ils  tranchent  la  tige,  elle  est  aussitôt  portée 
sur  des  charrettes  et,  pour  éviter  les  dégâts  de  la 
pluie  et  du  soleil,  posée  le  trognon  en  l'air.  A 
voir  se  croiser  incessamment  sur  le  chemin  ces 
voitures  chargées  de  ce  feuillage  pâle,  on  ne  se 
douterait  guère  que  ce  sont  là  ces  beaux  légumes 


20  VOYAGE    EN    FRANCE. 

dont  la  masse  de  neige  sera  d'aussi  bel  effet  sur 
l'étal  des  halles.  Les  artichauts,  les  choux-fleurs, 
les  oignons  voilà  ce  qui  fait  sinon  la  beauté,  du 
moins  la  fortune  de  cette  presqu'île  de  Roscoff, 
baignée  par  l'humidité  constante  du  Gulf-Stream. 
Quand  ailleurs  l'hiver  a  tout  détruit  dans  les  jar- 
dins, ici  c'est  le  moment  de  la  récolte.  Au  prin- 
temps  les  gens  de  Roscoff  ayant  tout  cueilli  iront, 
en  attendant  les  autres  légumes,  acheter  en  gros 
les  légumes  d'Angers,  dont  ils  ont  presque  mono- 
polisé le  commerce1. 

C'est  fête  aujourd'hui  ;  cependant  la  plupart  des 
cultivateurs  sont  dans  leurs  champs.  Ceux  qui 
ont  pu  se  dérober  au  travail  viennent  à  la  ville, 
les  hommes,  très  farauds  dans  leur  gilet  et  leur 
pantalon  noir,  dont  la  teinte  est  relevée  par  une 
ceinture  bleue  -,  les  femmes,  banales,  vêtues  de 
noir,  avec  des  coiffes  assez  laides  formant  des 
cornes  de  chaque  côté.  Un  fichu  noir  et  blanc, 
parfois  une  jupe  bleue  tranchent  sur  le  noir  mo- 
rose. 

La  route  s'en  va,  boueuse,  défoncée  par  l'inces- 
sant charroi  des  primeurs  et  des  chargements  de 
varechs  venus  des  plages  de  Siec.  De  chaque  coté, 


1.  Voir  sur  ce  curieux  exode  annuel  des  maraîchers  de  Ros- 
coir  la  2e  série  du  Voyage  en  France,  page  -2o-2. 


l'île  de  siec.  21 

toujours  des  champs  de  légumes,  mais  à  mesure 
qu'on  avance,  les  ajoncs  prennent  la  place,  le  sol 
ici  est  d'un  sable  très  fin,  très  profond,  se  rele- 
vant peu  à  peu  en  dunes  sur  lesquelles  on  a  tenté 
des  plantations  de  pins  qui  ont  peu  réussi,  car  ils 
sont  bien  maigres  et  jaunes.  Ce  sable  calcaire, 
gras  et  riche,  appelé  ici  le  merle  et  analogue 
à  la  tangue  du  Mont-Saint-Michel,  est  excellent 
comme  amendement  et  mauvais  sans  doute  pour 
les  arbres.  Il  y  a  en  trop  ici  ce  qui  manque  au 
granit  voisin  et  à  la  Sologne.  Ces  sables,  en  ap- 
parence infertiles,  suffiraient  à  transformer  toute 
la  surface  des  landes  bretonnes.  Les  frais  de  trans- 
port interdisent  d'y  songer. 

Une  petite  rivière  qui  s'est  tracée  un  vallon 
profond  dans  la  presqu'île  s'élargit  en  estuaire. 
La  route  l'abandonne  près  du  village  d'Odern  au 
nom  Scandinave,  traverse  de  petites  dunes  et  finit 
sur  la  grève  de  Siec,  en  vue  de  l'île.  Le  détroit  est 
à  sec  en  ce  moment,  c'est  une  couche  unie  de 
sable  fin  et  blanc,  si  résistante  que  les  roues  des 
voitures  y  tracent  à  peine  un  sillon  léger.  Cette 
grève  s'étend  à  près  de  mille  mètres  dans  le  golfe 
bien  dessiné  de  Siec. 

L'île  surgit  de  ce  blanc  tapis,  rocheuse  et  verte. 
Des  cultures,  des  pâturages,  un  coin  de  falaise 
éboulée  où  ont  crû  des  tamaris,  une  ferme  et,  au 


22  VOYAGE     EN    FRANC E. 

centre,  une  haute  construction,  attirent  d'abord 
le  regard.  De  la  plage,  douce  au  pied,  on  monte 
sur  une  grève  de  galets,  puis  on  gagne  l'unique 
chemin  de  l'île,  juste  assez  large  pour  faire  passer 
une  charrette.  Au-dessus  de  cette  entrée  de  Siec, 
au  pied  de  blocs  de  rochers  entassés  en  désordre 
sur  un  mamelon,  deux  ou  trois  misérables  fermes 
grises,  recouvertes  de  chaume,  représentent  l'a- 
griculture. Cette  pointe  orientale  de  l'île  est  seule 
cultivée.  Des  primeurs,  des  blés  qui  pointent,  des 
champs  de  trèfle,  ceints  des  éternels  murets,  re- 
gardent l'océan.  Du  haut  des  rochers  on  a  vue 
sur  toute  l'île,  et  l'on  jouit  d'un  coup  d'œil  étendu 
sur  les  rochers  noirs  et  déchiquetés  qui  séparent 
Siec  de  l'île  de  Batz,  dont  le  phare  et  l'église  do- 
minent les  flots. 

La  grande  et  haute  bâtisse  carrée  du  centre  est 
une  villa  entourée  de  tamaris,  qui  sont  avec  deux  ou 
trois  sureaux  et  de  grandes  mauves  arborescentes 
les  géants  végétaux  de  l'île.  Plus  loin  est  une 
vaste  usine  aujourd'hui  abandonnée,  mais  qui  fut 
un  moment  une  source  de  prospérité.  C'était  une 
confiserie  de  sardines  et  une  fabrique  de  conserves. 
Elle  avait  été  construite  sur  de  grandes  propor- 
tions, des  bâtiments  de  granit  enserrent  une  cour 
herbeuse.  Aujourd'hui  tout  est  mort,  cependant 
Siec  est  restée  un  port  de  pêche  pour  la  sardine, 


.     l'île  de  sieg.  23 

la  mer  voisine  est  la  seule  partie  de  la  Manche  où 
ce  poisson  soit  poursuivi. 

Les  pêcheurs  de  Roscoff  viennent  même  se  mê- 
ler à  ceux  de  Siec  et  les  mareyeurs  qui  salent  la 
sardine  s'y  rendent  pendant  la  saison  et  établis- 
sent une  sorte  de  marché. 

Au  delà  de  l'usine,  l'île  se  relève  jusqu'à  sa 
pointe  occidentale.  Là  fut  jadis  une  de  ces  innom- 
brables batteries  qui  gardaient  les  moindres  pro- 
montoires contre  l'ennemi.  Il  en  reste  un  mur 
circulaire  de  gros  blocs  de  granit  regardant  la 
côte  hérissée  d'écueils  qui  se  prolonge  jusqu'à 
l'anse  de  Goulven,  aux  terres  basses.  A  droite  la 
batterie  s'appuie  à  un  énorme  môle  naturel  formé 
de  blocs  formidables.  Cette  ligne  de  rochers  s'in- 
fléchit ensuite,  abritant  une  petite  baie  où  l'eau 
est  calme  tandis  qu'au  delà  des  lames  furieuses 
déferlent  et  s'élancent  en  fusée.  Jusqu'à  l'île  de 
Batz  ce  ne  sont  que  rocs  terribles  auxquels  la 
mer  donne  l'assaut. 

De  la  batterie,  l'île,  dont  les  cultures  sont  mas- 
quées, a  une  apparence  sauvage,  avec  les  blocs  de 
granit  qui  percent  la  maigre  couche  de  terre  vé- 
gétale, ses  abords  hérissés  de  roches  et  son  im- 
mense grève  où  s'agite  toute  une  population  qui 
va  arracher  au  flot  les  longs  rubans  de  goémon 
amenés  par  le  flot  montant. 


24  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Près  de  la  batterie  est  le  port,  protégé  par  une 
petite  cale  de  débarquement.  C'est  une  plage  en 
pente  d'un  sable  doux  sur  laquelle  ont  été  tirées 
une  vingtaine  de  chaloupes.  Devant  le  port,  des 
maisons  de  pêcheurs,  misérables  avec  leur  sol  de 
terre  battue  et  leur  unique  pièce  enfumée,  entou- 
rent les  bâtiments  déserts  de  l'usine  ;  sur  le  bord 
de  la  grève,  sèche  le  goémon  destiné  aux  pauvres 
foyers  ;  des  tas  d'ajoncs,  voire  même  un  amas  de 
fagots  indiquent  l'existence  de  familles  plus  for- 
tunées. 

Le  village  est  désert,  seul  un  grand-père  ber- 
çant un  bébé  sur  ses  bras  en  chantant  une  vieille 
chanson  bretonne  et  un  vol  de  pinsons  mettent  de 
la  vie  dans  ce  hameau  morose.  Cependant  la  po- 
pulation n'est  point  au  large  puisque  les  bateaux 
sont  sur  la  grève  et  les  filets  pendus  au  mur. 
Mais  dans  les  roches  découvertes  s'agitent  des 
hommes,  des  femmes  et  des  enfants.  Armés  de  râ- 
teaux aux  longues  dents  de  bois  très  recourbées, 
ils  attirent  le  varech  sur  la  rive,  le  mettent  sur 
des  brouettes  et,  en  évitant  les  rochers,  condui- 
sent leur  récolte  en  arrière  de  la  laisse  de  mer 
l>aute.  Il  règne  là  une  activité  de  fourmis  :  la 
mer  monte  et  il  faut  se  hâter.  Toute  l'immense 
grève  est  remplie  de  récolteurs  de  varechs.  Des 
voitures  viennent  jusqu'au  flot,  des  hommes  vont 


l'île  de  sieg.  25 

dans  l'eau,  fort  loin,  parfois  jusqu'à  mi-ceinture 
pour  arracher  au  flot  les  paquets  de  varech.  Sur 
cette  vaste  plaine  miroitante,  les  attelages  et  les 
voitures  ont  un  aspect  fantastique,  on  dirait  d'om- 
bres tremblotantes,  cela  rappelle  les  mirages  des 
cbotts  dans  le  Sahara  oranais.  Mais  ici  la  vision 
est  plutôt  sinistre.  C'est  le  rêve  breton,  rêve  éclos 
dans  la  brume.  Ces  fantômes  sombres  s'agitant 
dans  la  lame  pour  saisir  au  passage  les  épaves 
des  prairies  marines,  c'est  en  raccourci  toute 
l'existence  dure  et  sans  soleil  de  ces  pauvres  gens 
dont  les  misérables  chaumières  font  éprouver  un 
frisson. 

Un  nuage  est  passé  sur  l'île,  laissant  tomber 
au  passage  une  pluie  fine  qui  embrume  bientôt  le 
paysage  tout  à  l'heure  large  et  profond.  Et  cette 
terre  si  triste  s'attriste  encore.  Je  la  quitte  cepen- 
dant à  regret  à  cause  des  sensations  qu'elle  fait 
naître . 

En  quelques  minutes  la  grève  où  la  mer  n'est 
pas  encore  venue  est  traversée.  Yoici  la  côte  faite 
d'un  sable  blanc  qui  n'a  pu  former  de  dunes  bien 
hautes.  Le  cultivateur  s'en  est  emparé,  il  a  aplani 
le  sol,  il  l'a  entouré  de  ses  éternels  talus  et  a  en- 
clos ainsi  des  champs  d'artichauts  et  de  choux- 
fleurs.  Il  y  a  eu  ici  une  transformation  récente, 


26  VOYAGE    EN    FRANCE. 

car  la'carte  de  l'état-major  indique  un  vaste  espace 
de  dunes.  Bientôt  tout  le  sol  sera  transformé  en 
jardins. 

Ces  carrés  sont  jalousement  fermés,  et  c'est  là 
un  de  mes  étonnements.  Si  jamais  culture  fut 
œuvre  de  progrès  et  indice  de  transformation  pro- 
fonde dans  des  mœurs  séculaires,  c'est  bien  celle 
des  primeurs  à  Roscoif.  Il  semblait  qu'elle  eût  dû 
emporter  les  vieilles  coutumes  et,  par  la  valeur 
donnée  au  terrain,  amener  un  abandon  de  ce  sys- 
tème de  talus  qui  couvrent  peut-être  plus  du  ving- 
tième des  terres  cultivées  de  la  Bretagne.  Il  n'en 
a  rien  été,  même  ici  où  le  terrain  vaut  cher,  où 
le  bétail  est  rare,  où,  par  conséquent,  il  n'y  a  pas 
besoin  d'obstacles  pour  le  tenir  à  distance,  on  a 
procédé  comme  faisaient  les  aïeux  il  y  a  des 
siècles.  Pour  gagner  Roscoff  par  la  ligne  la  plus 
courte,  un  sentier  court  vers  Santec  au  milieu  des 
champs,  à  chaque  instant  on  doit  franchir  les  ta- 
lus au  moyen  de  degrés  de  granit.  lien  est  ainsi 
à  travers  toutes  les  cultures  gagnées  sur  les  dunes, 
jusqu'au  village  de  Menrognant.  A  certains  indices 
on  devine  que  ce  hameau  est  devenu  prospère, 
mais  les  maisons  sont  restées  incommodes  et  mal- 
saines, les  rues  sont  des  cloaques  immondes.  Dans 
cette  pourriture  vit  une  population  que  la  culture 
des  primeurs  aurait  dû  cependant  modifier. 


l'île  de  sieg.    .  27 

Ce  village*  domine  une  vaste  grève  de  sable  et 
de  rochers  couverts  de  varechs.  Sur  le  plateau, 
d'un  vert  foncé,  des  roches  sèches  se  dressent, 
l'une  d'elles  a  un  peu  de  verdure  au  sommet. 
Gomme  tant  d'autres  écueils  gazonnés  de  ces  pa- 
rages, il  a  pris  le  nom  d'île  Verte.  Au  delà  s'éten- 
dent des  écueils,  à  perte  de  vue;  au  milieu  d'eux 
on  voit  les  deux  mâts  et  le  bordage  d'un  navire 
qui  est  venu  se  perdre  ici. 

Après  Menrognant  on  rencontre  le  village  de 
Santec  signalé  de  loin  par  la  haute  flèche  de  gra- 
nit d'une  belle  église  moderne  de  style  ogival, 
puis  le  chemin  se  poursuit,  boueux,  entre  une 
rangée  sans  fin  de  maisons  basses,  bâties  au-de- 
vant de  cours  où  le  fumier  écoule  des  purins  im- 
mondes, verdissants,  dans  lesquels  bêtes  et  gens 
pataugent  ;  ceux-ci  ont  de  gros  sabots  remplis  de 
paille  qui  leur  permettent  de  circuler  dans  ces 
boues  du  chemin  et  les  immondices  des  cours. 
Mais  le  promeneur,  contenu  ainsi  par  les  maisons 
et  les  talus  des  champs  dans  la  fosse  qui  s'appelle 
le  «  chemin  »  reliant  entre  eux  Santec,  Peren- 
gant,  Trachmeur  et  Palud,  ne  peut  se  défendre, 
il  arrive  souillé  et  écœuré  sur  les  dunes  gazon- 
nées  de  Poulduif  et  aborde  sans  crainte  les  sables 
mouillées  et  les  ruisseaux  marins  de  l'anse  de 
Roscoff,  immense  grève  qu'on  traverse   ainsi  à 


28  VOYAGE    EN    FRANGE. 

mer  basse.  Sables  et  ruisseaux  marins  sont  pro- 
pres, leur  forte  senteur  saline  fait  oublier  les  dé- 
sagréables émanations  des  habitations  de  maraî- 
chers bretons. 

Enfin,  voici  Roscoff,  faisant  face  à  l'île  de  Batz, 
si  gaie  de  loin  avec  ses  maisons  blanches  et  roses 
et  sa  douce  verdure.  La  ville  est  petite  mais  riante, 
ses  vieilles  maisons,  sa  curieuse  église  Notre- 
Dame-de-Croaz-Baz  et  ses  ossuaires  aujourd'hui 
murés  méritent  d'arrêter  le  touriste. 


III 


L  ILE    DE    BATZ 


L'île  de  Batz  il  y  a  quarante  ans.  —  Le  chenal  de  Batz. 
Du  haut  du  phare.  —  A  travers  l'île  de  Batz. 


Roscoff. 

Il  y  aurait  un  livre  bien  amusant  à  écrire.  Ce 
serait  de  reproduire  simplement  les  récits  des 
voyageurs  d'il  y  a  quarante  ans  à  peine  sur  notre 
pays  et  de  les  reproduire  sans  réflexion,  avec  les 
prophéties  sur  le  manque  d'avenir  d'un  coin  de 
terre  ou  les  lamentations  sur  l'invincible  routine. 
On  arriverait  ainsi  à  des  résultats  exquis  pour  un 
humoriste. 

J'ai  déjà  signalé,  à  propos  de  Saint-Nazaire1, 
une  de  ces  descriptions  navrantes  auxquelles  il  a 
suffi  de  quelques  années  pour  donner  un  caractère 
d'antiquité.  Voici  maintenant  ce  que  disait  de 
l'île  de  Batz,  aux  environs  de  1852,  un  écrivain 


1.  Voir  dans  le  4e  volume  au  chapitre  sur  l'île  Dumet,  page  216. 


30  VOYAGE    EN    FRANCE. 

qui  signait  du  pseudonyme  romantique  de  Ve- 
rusmor  : 

«  L'île  de  Bas  (sic),  située  dans  la  Manche,  sur 
la  côte  septentrionale  du  département  du  Finis- 
tère, a  une  lie  ne  de  longueur  et  à  peu  près  la 
moitié  de  largeur.  Une  terre  sablonneuse,  aride, 
pierreuse  -,  une  végétation  pauvre  et  toujours  flé- 
trie ;  pas  d'arbres  ;  des  fougères,  des  mousses,  de 
maigres  pâturages  nourrissant  à  peine  les  bestiaux 
qui  les  paissent  :  voilà  le  sol  et  les  productions  de 
Bas.  Une  surface  découverte,  inégale,  mais  dont 
le  point  le  plus  élevé  n'atteint  pas  60  pieds  au- 
dessus  des  Ilots  ;  de  tous  côtés  des  rochers  pour 
rivages,  et  des  vagues  mugissantes,  impétueuses, 
qui  se  brisent  à  leur  pied  :  voilà  sa  configuration. 
Un  village,  deux  hameaux,  de  pauvres  champs, 
six  à  sept  cents  personnes,  voilà  sa  statistique. 
Des  hommes  au  teint  hâve,  à  la  physionomie  sau- 
vage, à  l'accoutrement  grotesque,  et  qui  sont  tous 
marins  ;  des  femmes  basanées,  à  jupon  court,  à 
coiffure  bizarre,  qui  travaillent  péniblement  la 
terre  ou  pèchent  avec  de  longs  râteaux  le  goémon 
que  le  flux  apporte  sur  la  côte,  si  elles  ne  ramas- 
sent pas,  pour  se  nourrir,  des  lépas  parmi  les 
cailloux  ;  des  gens  ignorants,  ne  sachant  pas  lire, 
sans  idée  des  arts  les  plus  simples  :  tels  sont  ses 


l'île  de   batz.  31 

malheureux  habitants.  Leur  industrie,  qui  es* 
très  bornée,  leur  travail,  leurs  fatigues  de  la  nuit 
et  du  jour,  suffisent  à  peine  à  leur  subsistance. 

«  C'est  au  sein  de  cette  âpre  nature  qu'il  faut 
chercher  l'homme  approchant  de  l'état  primitif 
de  la  société.  Les  Basois  forment  une  tribu  qui 
vit  comme  en  famille.  Leurs  mœurs  sont  austères 
et  empreintes  de  la  sévérité  du  climat.  Tout  à 
leur  travail,  ils  vivent  sans  ambition,  sans  brigue, 
sans  procès  et  presque  sans  haine.  Les  jeux,  le 
chant,  la  danse,  sont  pour  eux  des  amusements 
inconnus.  Le  manque  général  d'imagination  rend 
leurs  idées  d'une  simplicité  remarquable  ;  mais, 
pour  ne  pas  s'étendre  au  delà  des  bornes  de  leur 
solitude,  elles  n'en  sont  pas  moins  justes  sur  ce 
qui  touche  à  leurs  intérêts  l.  » 

Supposons  maintenant  que  nous  connaissions 
l'île  par  ce  tableau  ;  évidemment  il  nous  viendra 
à  l'idée  d'aller  visiter  cette  terre  farouche.  Mais 
la  déception  viendra  vite.  Non  que  la  description 
ne  soit  encore  exacte,  si  le  style  a  vieilli,  l'aspect 


1.  France  maritime,  de  Gréhan  (2e  volume).  Cet  ouvrage 
s'est  d'ailleurs  inspiré  du  livre  classique  de  Cambry,  qui  a 
fourni  la  matière  de  la  plupart  des  écrits  sur  la  Bretagne, 
îsous  avons  voulu  éviter  ces  sentiers  battus  et  voir  de  nos 
propres  yeux,  nous  ne  sommes  allés  consulter  Cambry  que  pour 
comparer,  à  cent  ans  de  distance,  l'aspect  du  pays. 


32  VOYAGE    EN    FRANCE. 

général  des  choses  s'est  maintenu.  Mais  en  une 
nuit  le  chemin  de  fer  vous  transporte  à  Morlaix, 
on  change  de  train  et,  quelques  minutes  après, 
on  aperçoit  cette  adorable  flèche  de  Saint- Pol- 
de-Léon  qui  a  nom  le  Creisker  et  Ton  descend 
à  Roscoff,  au  milieu  de  la  foule  des  baigneurs 
venus  de  la  rue  Saint-Denis  ou  des  Batignolles  ; 
on  voit  charger  dans  les  wagons,  par  des  Bretons 
authentiques,  les  choux -fleurs  et  les  oignons  à 
destination  des  halles.  A  peine  est-on  sur  le  port 
qu'une  nuée  de  bateliers  nous  sollicite  pour  nous 
conduire  à  Batz.  Le  prix  ordinaire  est  de  cinq 
sous  la  traversée.  Ce  n'est  pas  cher  pour  aller 
dans  «  une  âpre  nature  chercher  l'homme  appro- 
chant de  l'état  primitif  de  la  société  ». 

Le  facteur  de  Batz  (un  facteur  authentique, 
portant  des  lettres,  ô  Yerusmor!)  va  embarquer; 
il  est  en  môme  temps  passeur,  son  canot  est  à 
l'extrémité  de  Roscoif*,  nous  partons  avec  lui  par 
ce  chenal  où  les  courants  sont  violents  et  les 
écueils  sans  nombre.  C'est  un  des  plus  étranges 
paysages  marins  de  nos  côtes,  ce  détroit  de  Batz. 
Devant  nous  l'île  s'étend,  légèrement  mamelon- 
née, son  village  central  décrivant  un  arc  de  cercle 
autour  d'une  petite  rade  et  étageant  ses  maisons 
blanches  entre  le  phare  et  l'enceinte  carrée  d'un 
fort  sans  valeur  aujourd'hui.  L'île  n'a  rien   de 


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34  VOYAGE    EN    FRANGE. 

l'aspect  farouche  que  nous  attendions,  n'étaient 
les  écueils  hargneux  surgissant  partout,  ce  serait 
plutôt  riant.  Il  est  vrai  que  la  mer  est  calme  et  le 
soleil  jette  à  flots  ses  rayons. 

La  mer  baisse,  le  courant  de  jusant  est  violent; 
de  roc  en  roc,  évitant  l'Ile  Verte,  mince  îlot  auquel 
d'autres  écueils  font  cortège,  puis  le  Loup,  Per 
Roc'h,  Pelloch,  Malvoch,  nous  atteignons  non  le 
port,  mais  la  pointe  du  Ru,  dans  la  partie  orien- 
tale de  l'île. 

Un  chemin  moutueux  conduit  à  l'église,  édifice 
sans  caractère,  surtout  pour  qui  vient  de  Saint- 
Pol  où  les  monuments  sont  des  merveilles,  mais 
elle  n'en  est  pas  moins  un  des  sanctuaires  des  plus 
vénérés  de  la  Bretagne.  Lorsque  saint  Pol,  le 
thaumaturge  anglais  s'en  vint  à  pied  sur  la  mer, 
de  la  Grande-Bretagne  en  Armorique,  il  choisit 
Batz  pour  point  de  débarquement.  Dès  son  arrivée 
il  y  fit  des  miracles  surprenants  :  d'un  seul  coup 
de  bâton  sur  les  reins  des  malades  et  des  infirmes 
il  guérissait  toutes  les  maladies.  Il  y  avait  en 
Angleterre  une  cloche  d'argent  fameuse,  le  comte 
Guitur,  gouverneur  de  Batz,  la  convoitait  depuis 
longtemps,  Pol  la  fit  avaler  par  un  hareng  qui 
vint  la  rejeter  sur  le  rivage.  Le  saint  la  mit  en 
branle  ;  au  son  de  la  cloche  les  morts  ressusci- 


r/lLE    DE    BATZ.  35 

taient,  les  tempêtes  se  calmaient,  les  courants  du 
détroit  se  ralentissaient. 

Ce  ne  fut  pas  tout,  un  dragon  long  de  cent 
pieds  ravageait  Fîle,  mangeant  bêtes  et  gens,  Pol 
le  défia,  réussit  à  le  lier  avec  son  étole  et  à  le 
jeter  à  la  mer.  Enfin  pour  donner  de  l'eau  au  cou- 
vent qu'il  fonda,  le  thaumaturge  frappa  le  sol  de 
son  bâton  et  fit  jaillir  une  fontaine.  Cette  source 
qu'on  voit  encore,  l'étole  du  saint  conservée  dans 
l'église,  l'amas  de  rochers  appelé  Toul  ar  sarpant 
(le  trou  du  serpent)  d'où  le  dragon  fut  jeté  à  la 
mer,  sont  toujours  l'objet  de  la  vénération  pu- 
blique. 

Le  village  de  Batz  est  en  façade  sur  l'anse 
qu'une  longue  jetée  transforme  en  port,  il  cou- 
ronne des  coteaux  nus  et  rocheux.  Sauf  quelques 
arbres  dans  les  jardins  et  des  tamaris  dans  les 
bas-fonds  mouillés,  pas  une  plante  un  peu  haute. 

La  julienne  ou  giroflée  de  Mahon  y  pousse  à 
l'état  sauvage  et  ses  fleurettes  roses  égaient  le 
revers  des  fossés. 

Du  bourg  un  chemin  conduit  à  la  pointe  de 
l'ouest;  par  une  campagne  accidentée,  montant, 
descendant  sans  cesse,  le  sentier  bordé  de  murs 
en  pierres  sèches,  traverse  de  petits  enclos  culti- 
vés, des  prairies  artificielles  où  paissent  des  che- 


36  VOYAGE    EN     FRANGE 

vaux  et  des  vaches.  Un  autre  sentier  monte  sur 
les  flancs  d'un  mamelon,  haut  de  35  mètres,  où  se 
dresse  le  phare,  un  des  plus  puissants  de  Bretagne. 
Du  sommet  de  la  tour  on  a  une  vue  immense. 
L'île  se  détache  tout  entière  sous  les  yeux,  avec 
ses  moindres  accidents  de  terrain  ;  petits  vallons, 
champs  d'orge  et  de  pommes  de  terre,  petits  ma- 
rais verdoyants  où  poussent,  en  bordure,  des  ta- 
maris rabougris.  En  ce  moment  la  mer  est  très 
basse,  l'île  n'a,  à  mer  haute,  que  quatre  kilomè- 
tres de  longueur  sur  une  largeur  de  cinq  cents  mè- 
tres à  deux  kilomètres,  elle  semble  triplée  par  les 
immenses  bancs  de  sable  et  les  rochers  émergés, 
le  chenal  de  Roscoff  est  réduit  à  un  mince  ruban 
vert.  Au  delà,  dans  un  cercle  prodigieusement 
étendu,  voici,  en  mer,  les  Sept-Iles  et  les  roches 
déchiquetées  de  Trégastel,  sur  le  continent  de 
vertes  campagnes  s'élevant  jusqu'aux  âpres  cimes 
nues  des  monts  d'Arrée. 

Le  panorama  de  la  mer  est  merveilleux.  La 
côte  est  découpée  par  une  quantité  de  larges  es- 
tuaires ;  les  îles,  les  îlots,  les  récifs  sont  en  telle 
multitude  qu'on  se  demande  où  finit  le  sol,  où 
commence  l'océan.  Les  îlots  ont  toutes  les  for- 
mes :  les  uns  sont  des  rochers  hardis,  aux  cou- 
leurs sombres,  d'autres  sont  dorés,  d'autres  sont 
des  bancs  de  sable,  d'autres  des  nappes  vertes  de 


l'île  de   batz. 

pâturages.  A  rentrée  de  la  rivière  de  Morlaix,  le 

château  du  Taureau,  assis  sur  son  écueil,  semble 
veiller  sur  le  passage.  Parmi  tant  d'îles,  une  seule 
est  habitée,  c'est  l'île  de  Callot. 

Sur  le  continent  la  mer  pénètre  partout  par  de 
larges  estuaires,  entourant  de  vertes  péninsules. 
Roscoff  et  Saint-Pol-de-Léon,  les  villes  jumelles, 
couvrent  l'une  d'elles.  Saint-Pol  avec  son  antique 
cathédrale  et  son  merveilleux  Creisker  ajouré  est 
le  joyau  du  paysage. 

En  descendant  du  phare,  j'ai  gagné  la  côte 
nord  de  l'île  jusqu'au  hameau  de  Goalès.  C'est  le 
second  centre  de  la  commune  ■ — ■  elle  est  peuplée 
de  1,177  habitants  répartis  sur  307  hectares. 
Le  village  semble  déserté,  pas  un  homme,  ils 
sont  à  la  mer  *,  pas  un  enfant,  ils  sont  à  l'école  : 
cette  île  jadis  peuplée  d'illettrés  a  deux  écoles 
aujourd'hui.  Les  femmes  seules  sont  ici,  dans  les 
champs,  coupant  l'herbe  pour  leur  bétail,  trans- 
portant la  moisson.  La  femme  est  la  grande  ou- 
vrière, seule  elle  cultive  le  sol.  Elle  doit  labou- 
rer, semer,  récolter,  battre  et  vanner  le  blé .  Pour 
engraisser  son  champ  elle  va,  fort  avant  dans  la 
nuit,  aux  basses  mers  récolter  les  varechs,  le  jour 
elle  cueille  sur  les  rochers  les  berniques,  coquil- 
lages dont  la  chair  sert  à  engraisser  le  porc.  L'as- 


38  VOYAGE    EN    FRANCE. 

pect  général  est  misérable,  les  abords  des  mai- 
sons à  Pors-Méloc  et  autour  du  réduit  central, 
enceinte  carrée  sans  valeur,  sont  sales.  Le  voisi- 
nage de  Roscoff  n'a  pas  encore  amené  le  conforl, 
sous  ce  rapport  File  est  encore  primitive.  L'in- 
fluence étrangère  est  enrayée  chez  les  îliens  qui 
ne  se  marient  qu'entre  eux,  gardant  jalousement 
la  pureté  de  leur  race. 

Cependant  le  modernisme  pénètre,  il  y  a  même, 
à  Batz,  une  auberge  construite  dans  un  archaïsme 
breton  de  fantaisie,  comme  on  le  trouve  dans  les 
cabarets  «  artistiques  »  de  Montmartre,  c'est  l'a- 
morce d'une  station  balnéaire. 

La  pointe  orientale  se  recourbe  jusqu'au  Cle- 
guer,  autour  d'une  anse  bordée  par  le  hameau  de 
Pen-Batz.  C'est  la  partie  la  plus  morne  de  l'île. 
Un  sentier  la  relie  au  bourg  où,  pendant  ma  pro- 
menade, il  y  a  eu  un  changement  de  décor.  L'anse 
asséchée  s'est  remplie,  la  mer  bat  le  pied  des  mai- 
sons et  le  village,  tout  à  l'heure  si  monotone,  s'é- 
gaie et  rit,  il  se  mire  dans  l'eau  frémissante.  Je 
quitte  Batz  sous  cette  impression,  oubliant  les 
hameaux  gris,  entourés  de  détritus  de  poissons 
et  de  coquillages,  leurs  murs  et  les  clôtures  de 
hautes  pierres  des  champs  plaquées  par  les  ga- 
lettes de  fiente  de  vache  qui,  ici  encore,  servent 
de  combustible.  L'océan  est  un  aussi  grand  thau- 


l'île  de  batz.  39 

maturge  que  saint  Pol,  il  transforme  en  un  ins- 
tant les  paysages  ! 

Et  c'était  eu  Léoii  et  dans  l'île  de  Batz, 
L'île  des  grands  récifs  et  des  sombres  trépas... 

a  dit  Brizeux. 


IV 


MORLAIX    ET    SON    A.RCHIPEL 


Dépari  de  Roscoff.  —  Le  Caillou  de  l'Arche.  —  Iles  de  Vei  - 
des  Cordonniers,  des  Foirous,  les  Grandes-Fourches,  les  Co- 
chons-Noirs, la  Vieille.  —  L'ile  de  Callot,  sa  chapelle  et  son 
pardon.  —  L*ile  Verle.  —  La  pêche  des  crustacés  et  des  co- 
quillages. —  L'ile  de  Sable.  —  L'ile  aux  Dames.  —  L'ile 
Sterec.  —  L'ile  Louè't.  —  Le  château  du  Taureau.  —  L'ile 
Noire.  — Locquénolé.  —  La  rivière  de  Morlaix.  —  Morlaix  et 
son  viaduc. 


A  bord  de  l'Hirondelle,  décembre. 

L'Hirondelle  est  un  petit  clipper  de  pêche,  fine- 
ment taillé,  célèbre  parmi  les  pêcheurs  de  Ro^ 

pour  ses  succès  dans  les  régates  de  ces  parages.  On 
consent  à  me  prendre  à  bord  pour  me  conduire  à 
l'entrée  delarivière  de  Morlaix.  Le  petit  navire  est 
ancré  à  la  cale  neuve,  près  de  la  pointe  de  Blos- 
con:  un  canot  nous  y  conduit.  En  un  clin  d'œille 
filet  brun  qui  sèche  au  grand  mât  est  descendu,  le 
gui  est  hissé,  tendant  la  voile  d'un  roux  ardent,  on 
met  le  foc  et  moins  de  deux  minutes  après  r. 


1.  Voir  la  carte  de  l'ile  de  Batz  pour  les  environs  de  B   - 


MORLAIX    ET    SON    ARCHIPEL.  41 

arrivée  le  fringant  bateau  s'incline  au  vent.  Ce- 
lui-ci souiTie  légèrement  du  nord,  c'est  la  bonne 
brise  pour  gagner  Locquéuolé  ;  afin  d'en  avoir 
davantage  et  d'aller  grand  largue,  une  toile   est 


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ILE     DE     CALLUT     ET     RIVIERE     DE     MURLAIX 

D'après  la  carte  de  l'êtat-niaior  au 

r  J  S0,000 

tendue  à  bâbord  avant,  un  grand  aviron  servant 
de  gui. 

Avant  de  doubler  la  pointe  de  Bloscon,  on  a 
une  dernière  vue  sur  ces  parages  accidentés.  La 


42  VOYAGE    EN    FRANGE. 

tonalité  générale  est  grise  :  gris  les  quais,  les  mai- 
sons, l'église  de  Roscoff;  gris  les  îles  et  les 
îlots  sans  nombre;  seule  l'île  de  Batz  donne  une 
note  plus  douce.  Sur  le  fond  vert  de  ses  champs 
et  de  ses  pâturages  s'enlèvent  le  blanc  et  le  rose 
de  ses  habitations  disposées  en  guirlande  en  vue 
du  continent,  la  flèche  grêle  de  son  église  et  la 
haute  tour  blanche  de  son  phare.  L'île  est  char- 
mante ainsi. 

On  sort  de  la  petite  rade  de  Roscoff  entre  des 
roches  surmontées  de  tourelles  pour  passer  à  ra- 
ser la  pointe  de  Bloscon,  amoncellement  de  ro- 
chers qui  supportent  un  petit  fort,  aujourd'hui 
désarmé.  Dominant  la  batterie  du  haut  d'un 
autre  entassement  de  blocs  de  granit,  la  petite 
chapelle  Sainte-Barbe  commande  toute  l'étendue 
de  mer,  de  l'estuaire  de  Morlaix  à  la  baie  de  l'île 
de  Siec.  Chapelle  et  batterie  sont  défendues  des 
érosions  de  la  mer  par  un  énorme  rocher  carré, 
formant  musoir  et  que  les  marins  appellent  le  Cail- 
lou de  l'Arche. 

Bloscon  est  doublé,  lioscoff  a  disparu-,  devant 
nous  s'ouvre  une  vaste  étendue  de  mer  semée 
d'écueils,  au  fond  bleuit  une  côte  rectiligne  sur- 
montée d'édifices  et  dans  laquelle  s'ouvre  un  pas- 
sage où  débouche  le  Guer,  rivière  de  Lannion. 


MORLAIX    ET    SON    ARCHIPEL.  43 

Les  marins  appellent  ce  pli  de  la  côte  le  goulet  de 
Lannion.  Ces  rivages  lointains  semblent  flotter 
entre  la  mer  et  le  ciel  d'un  bleu  doux.  Ici  les 
antiques  légendes  bretonnes  placent  le  séjour  du 
roi  Artus  et  des  chevaliers  de  la  Table  ronde  ;  dans 
une  des  îles  du  rivage,  l'île  d'Aval,  la  fée  Mor- 
gane  attira  le  héros  et  le  garda  jalousement. 

Partout,  autour  de  nous,  des  écueils  ;  les  plus 
lointains  sont  les  chaises  de  Primel,  rochers  bas, 
presque  au  ras  de  l'eau  ;  plus  près  sont  les  roches 
Duon,  sommets  d'une  traînée  qui  se  continue  jus- 
qu'au fond  de  l'estuaire,  îlots  disposés  régulière- 
ment comme  les  maillons  d'une  chaîne.  L'Hiron- 
delle passe  entre  ces  pointes  hargneuses  :  le  Yengle, 
les  Cordonniers,  les  Foirous,  les  Grandes-Four- 
ches, les  Cochons-Noirs,  la  Vieille.  Les  marins 
ont  presque  toujours  trouvé  les  mêmes  noms  pour 
ces  dangers,  sur  tous  les  points  de  la  côte  bre- 
tonne . 

Si  la  mer  ainsi  couverte  d'écueils  est  presque 
sinistre,  la  côte  est  charmante.  Le  port  de  Pem- 
poul  est  maintenant  rempli,  sa  vaste  arène  de 
sable  est  devenue  un  bassin  tranquille  où  courent 
les  voiles  rousses  des  barques  de  pêche.  A  l'en- 
trée du  port,  l'île  Sainte-Anne  semble  quelque 
monstre  accroupi.  Au  fond,  sur  mie  pointe,  entre 


4:4  VOYAGE    EN    FRANCE. 

deux  estuaires,  le  riant  village  de  Garantec  étalé 
ses  maisons  blanches  autour  d'une  jolie  flèche  à 
triple  balcon.  Cette  partie  du  Léonnais  est  fort 
aimable,  les  villas  y  sont  nombreuses,  mes  com- 
pagnons me  montrent  avec  quelque  orgueil  celle 
du  peintre  Yan  D argent. 

Pour  entrer  dans  l'estuaire  de  Morlaix,  nous 
devons  doubler  l'île  de  Callot.  La  pointe  en  est 
annoncée  par  un  écueil  surmonté  d'une  tourelle 
blanche  s'effîlant  en  un  col  qui  lui  a  fait  donner 
le  surnom  de  Bouteille.  Rangés  tout  autour  de  la 
plate-forme,  une  douzaine  de  cormorans  se  déta- 
chent en  noir  sur  la  tourelle  soigneusement  blan- 
chie. Leur  égrènement  est  régulier,  de  loin,  on 
pourrait  croire  à  des  motifs  ornementaux  destinés 
à  signaler  davantage  l'écueil.  Nous  passons  à  tou- 
cher la  Bouteille,  sans  qu'un  seul  des  graves  oi- 
seaux daigne  se  déranger. 

Voici  l'île  Verte,  un  des  plu?  grands  rochers 
de  la  tramée  ;  comme  tant  d'autres  «  îles  vertes 
de  la  région,  ce  nom  lui  vient  d'une  pelouse  na- 
turelle couvrant  le  plateau.  L'île  est  absolument 

serte,  mais  une  légion  de  rats  y  .1  élu  domicile, 
vivant  sans  doute  des  débris  apportés  par  la  mer. 
Elle  fait  face  à  l'île  de  Callot  —  prononcez  Calote, 
—  longue  terre  allongée  qui  fut  sans  doute  jadis 


MUKLAiX     I -.  i      SOIN     A.RCHIPEL.  45 

la  pointe  de  la  presqu'île  le  Carantec  et  que  l'on 
peut  atteindre  à  pied  sec  aux  liasses  mers.  L'île 
s'annonce  par  une  petite  anse  sablonneuse  cou- 
ronnée par  les  talus  d'un  ancien  fort,  aujourd'hui 
abandonné.  C'est  la  pointe  du  trou  de  l'Enfer 

Sous  longeons  le  rivage  de  Gallot*,  je  voulais 
parcourir  l'île  à  pied,  mais  elle  est  si  étroite  — 
de  50  à  400  mètres  sur  deux  kilomètres  de  lon- 
gueur —  que  du  bord  de  Y  Hirondelle  elle  se  déroule 
entièrement  à  nos  yeux.  C'est  un  amalgame  de 
sables  et  de  rochers,  portant  de  petits  plateaux 
couverts  de  cultures  et  de  pâturages.  Une  chapelle, 
Notre-Dame,  occupe  le  point  culminant  ;  l'édifice 
est  insignifiant,  mais  il  a  une  jolie  flèche  à  jour, 
portant  une  galerie  et  accotée  d'une  fine  tourelle. 
Tout  autour  des  cultures  paissent  des  bestiaux. 
C'est  d'une  solitude  absolue.  Une  seule  fois  dans 
l'année  il  y  a  du  mouvement  ici,  c'est  en  juin,  au 
pardon  de  Gallot.  Alors  les  gens  de  Saint-Pol  et  de 
Garantec  viennent  en  pèlerinage  et  manger  de  ces 
énormes  et  hideux  crabes  nommés  araignées.  Les 
marins  appellent  ce  pardon  la  Fête  aux  araignées. 

C'est  un  jour  de  profit  pour  les  pêcheurs  de 
l'île.  Gallot  possède  dans  ses  deux  hameaux  Trou- 
ar- Vilar,  près  de  la  chapelle,  et  Toul-Morvan  une 
petite  et  misérable  colonie  de  pêcheurs  de  crabes, 


46  VOYAGE    EN    FRANGE. 

langoustes  et  homards.  Tous  ces  parages  sont  d'ail- 
leurs très  riches  en  espèces  animales,  en  coquil- 
lages  surtout.  Autour  de  File  Verte,  aux  fortes 
marées,  on  trouve  de  grandes  huîtres.  Dans  les 
prairies  marines  alors  mises  à  découvert  et  appe- 
lées herbiers,  on  pêche  la  praire  et  la  coquille  de 
Saint-Jacques  ;  les  habitants  de  l'île  et  ceux  du 
Dourdu  ont  un  sens  particulier  pour  reconnaître 
le  gîte  de  ces  bivalves  aux  petits  jets  d'eau  qu'ils 
lancent.  Sous  les  cailloux  et  les  rochers  d'où  on 
les  déloge  avec  le  pic  se  trouvent  les  ormeaux,  su- 
perbes coquillages  nacrés  au  rebord  percé  de  trous, 
qui  seraient  recherchés  pour  leur  éclat  s'ils  n'é- 
taient pas  si  abondants.  Ils  passent  pour  un  suc- 
culent régal  dans  toute  la  Bretagne,  mais  avant 
de  l'apprêter  on  doit  battre  longtemps  le  mollus- 
que pour  l'attendrir. 

L'île  de  Gallot  passe  rapidement  devant  nous  ; 
ses  grèves,  ses  roches,  ses  rares  cultures,  ses  rus- 
tiques toits  de  chaume,  un  peu  de  bétail  se  mon- 
trent. Près  d'un  promontoire,  une  énorme  butte 
de  granit  semblable  à  un  tumulus  abrite  une  misé- 
rable ferme,  grise  et  moussue,  et  une  maison  de 
pêcheurs.  Au  delà  l'île  s'achève  en  une  pointe 
basse  qui  borde  la  passe  aux  Moutons. 

Le  chenal  s'éloigne  de  l'île  de  Gallot  pour  aller 


MORLAIX    ET    SON    ARCHIPEL.  47 

border  la  traînée  des  roches  qui  se  prolongent 
jusqu'au  château  du  Taureau.  Ces  récifs  portent 
aussi  le  nom  prétentieux  d'îles.  Voici  l'île  aux 
Dames,  l'île  de  Sable,  plus  loin  Sterec  *,  toutes 
sont  des  têtes  de  granit  recouvertes  d'une  maigre 
verdure  de  fougères.  Carantec  sur  sa  pointe  et  la 
jolie  presqu'île  de  Penquer  semblent  d'autivs 
îles,  s'avançant  hardiment  sur  le  flot.  Le  chenal 
dévie  encore  ;  il  nous  porte  entre  Penquer  et  un 
îlot  de  forme  pyramidale  terminée  par  une  sorte 
d'obélisque.  Sur  un  ressaut  de  rocher  repose  la 
tour  carrée,  blanche,  avec  les  angles  de  granit 
presque  noirs  d'un  phare  qui  éclaire  le  passage 
du  Taureau.  Près  de  la  tour  est  la  maison  blan- 
che des  gardiens,  coupée  en  écharpe  par  le  tuyau 
qui  porte  à  la  citerne  les  eaux  de  pluie.  Vu  du 
large,  c'est  un  bien  morne  séjour,  ce  rocher  ap- 
pelé l'île  Louët.  De  l'autre  côté  du  chenal,  le 
château  du  Taureau,  solidement  assis  sur  un 
écueil,  présente  ses  remparts  gris,  percés  d'em- 
brasures basses,  ses  échauguettes,  ses  lourdes 
tours,  il  semble  riant  auprès  de  la  roche  nue  de 
l'île  Louët.  Mais  dès  qu'on  a  franchi  le  passage, 
celle-ci  change.  Les  gardiens  du  phare  ont  pa- 
tiemment établi  des  terrasses  au  flanc  de  leur 
rocher,  des  fleurs,  de  la  verdure,  un  laurier,  de 
grandes  mauves  entourent  les  constructions  et  ont 


48  OYAGE    EN    FRANCE. 

suffi  pour  transformer  l'îlot.  Vue  ainsi,  sous  cette 
face  abritée  des  vents  du  nord,  Louët  est  exquise  : 
elle  fait  avec  la  lourde  maçonnerie  de  Vauban  qui 
constitue  le  château  du  Taureau  un  contraste  ex- 
traordinaire . 

Au  delà  du  Taureau,  sur  le  chenal  oriental,  un 
autre  phare  couvre  l'île  Noire.  Tour  carrée,  très 
grise,  reposant  sur  un  rocher  gris.  Et  Ton  envie 
les  heureux  habitants  de  l'île  Louët  qui  se  sont 
lait  ici,  sur  ces  mers  orageuses,  un  petit  Éden.  Ils 
le  quittent  souvent  d'ailleurs,  car  ils  ont  les  clefs 
du  fort  déclassé  du  Taureau  et  y  conduisent  les 
touristes. 

L'île  Louët,  le  Taureau,  l'île  Noire  et  l'île  Sterec 
sont  les  derniers  îlots  de  la  rade.  Maintenant,  entre 
les  presqu'îles  de  Penquer  et  de  Barnénès,  en  vue 
du  petit  port  de  Terenez,  l'estuaire,  complètement 
dégagé,  s'entr'ouvre  large  et  majestueux  comme 
un  très  grand  fleuve.  A  mer  basse  ce  doit  être  une 
vaste  grève.  Les  côtes  sont  fort  belles.  Si  la  rive 
droite  a  beaucoup  d'ajoncs  et  de  bruyères,  la  rive 
gauche  est  bordée  de  châteaux  et  de  villas,  de 
grands  parcs  aux  arbres  majestueux  et  de  vertes 
pelouses.  La  pointe  de  Penquer,  jadis  si  aride,  esl 
couverte  d'un  sombre  manteau  de  pins. 

A.u  fond,  l'estuaire  semble  fermé.  On  aperçoit 
à  peine  deux  ondulations  de  collines  :  enrre  elles 


MORLAIX    ET    SON    ARCHIPEL.  4(J 

s'ouvrent  les  vallons  du  Dourdu  et  de  Morlaix. 
Au  débouché  du  premier,  quelques  maisons  de 
pêcheurs  et  des  voiles  rousses  ;  à  l'issue  du  se- 
cond, de  riantes  maisons  blanches  surgissent  de 
la  verdure.  Ces  maisons  sont  la  partie  maritime, 
le  «  port  »  de  Locquénolé  ;  le  bourg  est  plus  haut 
dans  les  grands  arbres,  sur  les  pentes  de  la  colline. 
Le  vent  n'a  pas  accès  dans  la  rivière,  fermée 
par  la  pointe  de  Locquénolé,  Y  Hirondelle  ne  pourra 
monter  plus  haut.  Il  me  faut  descendre  à  terre  et 
poursuivre  à  pied  jusqu'à  Morlaix. 

Morlaix,  décembre. 

Je  ne  regrette  point  ma  course.  Elle  est  d'un 
charme  intime  et  pénétrant,  cette  gorge  profonde, 
rocheuse  et  boisée  où  la  rivière  de  Morlaix,  le 
Dossen,  coule  entre  deux  étroites  berges  de  prai- 
ries. Grands  bois  de  charmes,  de  hêtres  et  de 
chênes  couvrant  le  flanc  de  ravins  mystérieux  où 
murmurent  des  sources,  roches  couvertes  de  la 
lèpre  jaune  des  lichens  et  du  velours  vert  des 
mousses,  châteaux  masqués  par  les  ombrages, 
tout  contribue  à  faire  de  cette  vallée  une  prome- 
nade heureuse.  Sur  la  route,  des  constructions 
neuves  entourent  une  vieille  église  gothique  aux 
hautes  verrières  et  les  vieux  bâtiments  d'un  an- 
tique monastère  devenu  trop  petit,  caries  édifices 

VOYAGE    KS    FRANCE.    —    V.  4 


ÔO  VOYAGE    EN    FRANCE. 

s'étagent  maintenant  jusqu'à  une  autre  chapelle 
placée  sous  le  vocable  de  Notre-Dame-de-la-Sa- 
lette.  C'est  le  couvent  de  Saint-François  de  Guhu- 
rien.  Naturellement  il  y  a  la  une  source  miracu- 
leuse et  le  couvent  a  sa  journée  de  pèlerinag  •. 

Sur  la  rivière,  les  navires  s'en  vont  à  la  file, 
niais  le  courant  est  faible,  il  faut  remorquer  les 
petits  à  la  corde,  les  gros  à  la  vapeur.  Au  mi- 
lieu de  ces  voiliers  passe  le  steamer  Morlaix-Havre 
qui  fait  chaque  semaine  le  service  entre  les  deux 
villes  dont  il  porte  le  nom.  Un  autre  relie  Jersey 
à  Morlaix.  Les  produits  de  Roscoff,  les  beurres, 
le  bétail  donnent  au  port  de  Morlaix  une  activité 
assez  grande.  A  partir  de  l'écluse  du  bassin  à  flot 
formé  par  la  rivière,  ce  ne  sont  plus  qu'usines, 
chantiers  et  entrepôts.  Il  règne  là  une  vie  com- 
merciale réelle.  D'ailleurs,  cetie  entrée  de  ville 
est  très  belle,  de  hautes  et  monumentales  mai- 
sons bordent  les  quais  dominés  par  les  arceaus 
superbes  du  viaduc. 

Celui-ci  donne  à  Morlaix  un  caractère  gran^ 
diose.  Peu  d'oeuvres  d'art  peuvent  rivaliser  de 
majesté  avec  cet  ouvrage  hardi  sur  lequel  passent 
les  chemins  de  fer  de  Brest  et  de  Carhaix.  Sa 
double  rangée  d'arcades,  ses  heureuses  propor- 
tions, sa  hauteur  de  60  mètres  au-dessus  de  la 
rivière,  sa  grande  longueur  (284  mètres)  en  fi 


MORLAIX     il      SON     ARCHIPEL.  DJ 

un  des  monuments  les  plus  caractéristiques  et  les 
mieux  réussis  de  notre  époque.  Les  eaux  de  la 
rivière  paraissent  naître  entre  deux  de  ses  piles. 
car  les  ruisseaux  du  Jarlot  et  du  Queffleul  n'étanl 
plus  soutenus  par  la  marée,  sont  de  petits  torrents 
et  ont  pu  être  recouverts  pour  faire  place  à  une 
promenade  et  à  l'hôtel  de  ville. 

Sur  les  lianes  des  collines,  au  bord  des  deus 
ruisseaux  non  encore  emprisonnés,  s'étend  la 
vieille  ville,  si  amusante,  si  pittoresque  avec  ses 
rues  étroites,  ses  maisons  en  surplomb,  à  hauts 
pignons  aigus ,  bien  blanches  entre  leurs  pou- 
trelles brunies.  Des  escaliers,  des  rues  mon- 
tantes, d'étroites  ruelles,  des  coins  imprévus  de 
moyen  âge  apparaissent  à  chaque  instant.  Dans 
tout  cela  la  rumeur  incessante  d'une  population 
active,  des  claquements  de  sabots  sur  le  pavé,  d'- 
exercices de  soldats  sur  une  place,  un  lavoir  ai 
bord  du  Jarlot  où  les  laveuses,  agenouillées  de 
guingois  au-dessus  du  ruisseau  sur  un  quai,  doi- 
vent se  pencher  très  bas  pour  laver  leur  linge. 
Quelques-unes  ont  placé  des  cuvelles  dans  le  lit 
môme,  elles  s'y  sont  installées  et  peuvent  ainsi 
rincer  sans  peine,  d'autres  ont  allumé  des  feux 
sous  de  petites  chaudières.  On  peut  flâner  de 
longues  heures  à  travers  Morlaix,  de  la  Grand' 
à  la  rue  des  Nobles,  du  port  aux  gorges  des  d< 


52  VOYAGE    EN    FBANCE. 

rivières  sans  avoir  conscience  du  temps.  A  cha- 
que pas  un  détail  nouveau  arrête  le  promeneur. 
A  la  tombée  de  la  nuit,  dans  les  vieilles  rues, 
sous  les  encorbellements  successifs  des  façades 
d'où  pendent  des  enseignes,  où  se  plaquent  des 
ardoises,  où  se  creusent  des  niches,  où  s'avancent 
des  consoles,  devant  les  petites  fenêtres  parfois 
garnies  encore  d'un  vieux  vitrail  serti  de  plomb, 
on  croit  vivre  dans  un  rêve.  Et  l'on  se  frotte  les 
yeux  quand  éclate  trop  brutalement  l'anachro- 
nisme d'une  devanture  et  incelante  et  des  flots  de 
lumière  de  quelque  magasin  bien  moderne  ins- 
tallé dans  les  vieilles  boutiques  des  contemporains 
de  Dugaesclin  et  d'Anne  de  Bretagne. 

Ces  maisons  sont  les  joyaux  de  Morlaix,  l'ai- 
mable ville  devrait  les  conserver  soigneusement 
et  ne  pas  les  laisser  remplacer  par  les  bâtisses  à 
quatre  ou  cinq  étages.  Ces  vieux  quartiers,  le  via- 
duc, la  rivière,  certains  détails  de  l'église  Sainte- 
Melaine  méritent  d'arrêter  le  voyageur.  Il  y  a,  à  la 
porte  de  Sainte-Melaine,  un  bénitier  débordant  de 
la  façade  et  dont  le  bassin  se  prolonge  dans  l'inté- 
rieur sous  une  arcature  trilobée  d'un  goût  char- 
mant. Les  Bretons  d'autrefois  ont  su  assouplir  le 
granit  avec  un  art  qui  semble  aujourd'hui  perdu. 


LES    SEPT- ILES 


Lannion.  —  Saint-Quay  et  l'île  Thomé.  —  Perros-Guirec  et  ses 
rochers.  —  Les  Sept-lles  :  île  aux  Moines  ;  île  de  Bono  ;  île 
de  Malban  ;  île  Rouzie  ;  île  Plate;  île  du  Cerf;  île  Droite.  — 
Ploumanac'h  et  ses  rochers.  —  Saiut-Guirec.  —  Ile  Rennotte. 

—  Ilo  Lain  Bras.  —  Ile  Dhu.  —  Ile  de  Seigle.  —  lie  de  Biwic. 

—  Le  charnier  de  Trégastel.  —  Ce  qu'on  voit  du  Calvaire. 


Lannion  est  une  charmante  petite  ville  avec 
son  estuaire  encadré  de  grands  arbres,  ses  belles 
promenades,  ses  maisons  historiées  et  sculptées  ; 
d'aspect  elle  est  restée  une  des  plus  bretonnes 
parmi  les  cités  de  Basse-Bretagne.  Ce  n'est  pas 
encore  une  ville  où  l'on  séjourne,  à  peine  est-on 
descendu  du  train  on  est  happé  par  les  voitures 
publiques,  omnibus  d'hôtels,  diligences  ou  pata- 
ches  qui  conduisent  à  Tréguier  et  dans  les  villa- 
ges de  la  côte. 

Pendant  l'été,  les  voitures  de  Perros-Guirec 
dominent.  La  mode  se  porte  sur  ces  côtes  déchi- 
quetées, où  les  plages  de  sable  fin  s'arrondissent 
entre  les  roches  aux  formes  bizarres  semées  dans 


54  VOYAGE    EN    FRANGE. 

la  mer  en  masses  innombrables.  Les  écueils,  les 
îles,  les  falaises  rougeâtres  méritent  en  effet  la 
réputation  naissante  de  ce  petit  coin  d'Armo- 
rique. 

Le  pittoresque  est  dû  surtout  à  la  mer.  Le  pay- 
sage terrestre  est  très  vert,  mais  d'assez  médiocre 
relief,  rien  n'arrête  le  regard.  Le  sol  est  plus  fer- 
tile et  mieux  cultivé  que  dans  le  Morbihan  ou  le 
Finistère,  mais  il  y  perd  de  son  intérêt  pour  le 
touriste.  Le  paysan  lui-même  est  banal;  au  lieu 
des  costumes  charmants  des  départements  voisins, 
on  se  trouve  ici  en  présence  de  bonshommes  sem- 
blables aux  paysans  de  nos  banlieues;  peut-être 
plus  sales  et  déguenillés. 

Vers  Saint-Quay,  le  site  devient  plus  accidenté, 
même  il  est  charmant  au  moment  où  l'on  descend 
dans  le  vallon.  On  découvre  une  vaste  étendue 
de  mer  et,  au  premier  plan,  une  longue  île  très 
mince  qui,  sur  près  d'un  kilomètre  et  demi,  pro- 
file en  dents  de  scie  une  haute  arête.  C'est  l'île 
Tome,  elle  semble  garder  rentrée  de  l'anse  de 
Perros.  Tome,  Perros,  ces  noms  espagnols  son- 
nent étrangement  ici  au  milieu  de  ces  boni  - 
tous  aux  noms  bien  celtiques  :  Trélévern,  Lonan 
'RM-,  Trégastel,  Pleumeur... 

L'île  Tome  tourne  vers  la  terre  sa  plus  haute 
pointe,  dominant  Je  61  mètres  le  niveau  des  flots. 


LES    SE  PT-ILKS  00 

puis  la  crête  s'abaisse  en  ondulations  qui  lui 
donnent  l'aspect  d'une  chaîne  de  montagnes.  L'il- 
lusion est  complète,  tant  les  aiguilles  de  rocher 
i[iii  la  hérissent  sont  bien  découpées.  Tout  autour, 
la  mer  est  couverte  d'écueils  aux  formes  fantas- 
tiques. 

Une  seule  habitation  dans  Tome:  le  fermier 
élève  deux  vaches  et  quelques  moutons  et  cultive 
de  rares  légumes,  mais  son  industrie  principale 
est  l'incinération  du  varech.  Sans  cesse  sa  femme, 
enfants  et  lui  recueillent  les  algues  sur  les 
roches  basses,  les  font  sécher  sur  le  rivage  et  les 
brûlent  pour  en  recueillir  les  cendres.  Les  fumées 
lourdes  qui  s'élèvent  de  ces  foyers  planent  sur 
l'île  et  lui  donnent  souvent  une  apparence  dé- 
solée. 

L'anse  de  Perros,  à  marée  basse,  est  une  vaste 
grève  de  sable  et  de  vase  encombrée  de  rochers. 
Au  bord  s'alignent,  près  d'un  petit  pont,  des  mai- 
sons proprettes  entourées  de  jardins  fleuris;  xjms 
le  chemin  monte  au  bourg  de  Perros,  dont  les 
rues  entourent  une  curieuse  église  construite  en 
granit  de  Ploumanac'h,  d'un  rouge  fauve,  qui  fait 
ressortir  à  merveille  les  lourdes  arcaturés  romanes 
et  les  lignes  sobres  de  la  tour  du  clocher.  La 
•-  ville  »  balnéaire  est  plus  bas,  au  bord  d'une  plage 
d'un  sable  blanc  et  doux  faisant  face  aux  Sept-Iles. 


56  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Le  mot  ville  est  un  peu  prétentieux  pour  ces  deux 
hôtels  et  quelques  villas,  mais  c'est  la  vérité  de 
demain. 

Nous  avons  passé  la  nuit  à  Perros  où  l'on  me 
dissuade  de  visiter  les  Sept-Iles.  Ce  sont  des  ro- 
ches nues  dont  une  seule,  portant  le  phare,  est 
habitée.  En  allant  à  la  Grande-Ile,  par  Trégastel, 
je  verrai  tout  l'ensemble  de  l'archipel  et  pourrai 
en  distinguer  les  moindres  détails. 

Le  lendemain  matin,  au  jour,  une  petite  voi- 
ture attelée  d'un  cheval  nerveux  nous  emmène. 
Nous  suivons  un  chemin  abrupt  qui  nous  conduit 
à  Notre-Dame-de-la-Glarté ,  village  créé  autour 
d'une  belle  et  pittoresque  église  où  les  gens  at- 
teints de  maux  d'yeux  viennent  prier  la  Vierge. 
L'édifice  est  charmant,  cependant  on  ne  s'y  ar- 
rête guère,  le  paysage  environnant  attire  davan- 
tage par  son  étrangeté.  La  roche  a  percé  le  sol 
en  masses  moutonneuses,  aux  formes  les  plus 
tourmentées.  C'est  un  conglomérat  granitique  où 
des  quartz  noirs  et  brillants  et  des  gneiss  roses 
donnent  l'impression  d'un  poudingue  d'amandes 
semé  de  débris  de  jais.  Gela  rappelle,  avec  la  cou- 
leur et  l'éclat  en  plus,  certains  amas  de  grès 
dans  la  forêt  de  Fontainebleau.  Mais  ici  l'amas 
semble  infini,  c'est  un  paysage  extravagant,  où 


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OO  VOYAGE    EN    FRANCE 

des  blocs  aux  formes  les  plus  inattendues  couvreni 
les  pentes  et  les  plateaux,  bordent  la  mer,  se 
creusent  en  baies,  projettent  des  promontoires. 
Ces  tas  d'énormes  cailloux  roses  enserrent  une 
petite  baie  qu'ils  bordent  en  inexprimables  écrou- 
lements. Dans  la  campagne,  ils  surgissent  brus- 
quement au  milieu  de  vertes  cultures,  quelques- 
uns  d'un  gris  de  fer,  d'autres  lavés  de  rouille, 
d'autres  éclatants.  Sur  le  fond  bleu  de  la  mer,  les 
amas  rougis  par  les  lames  semblent  des  roches 
en  ignition.  Ce  paysage  ne  ressemble  à  rien  de 
Léjà  vu  ;  on  pourrait  se  croire  dans  une  autre 
planète.  Le  petit  fjord  de  Ploumanac'h  n'a  aucune 
verdure  sur  ses  rives  ;  sans  une  voile  blanche  de 
pêcheur,  on  pourrait  le  croire  abandonné. 

Ce  paysage  fait  du  tort  aux  Sept-Iles.  Cepen- 
dant les  voici  devant  nous,  à  quatre  kilomètre-  el 
demi  seulement  de  la  pointe  de  Meur-Raz,  qui 
porte  un  phare.  Sous  ce  soleil  éclatant,  elles  se 
détachent  avec  netteté.  En  réalité,  les  Sept-Iles 
sont  cinq,  mais  entourées  par  une  multitude  de 
roches  dont  une  grande  partie  recouvertes  à 
haute  mer. 

L'île  aux  Moines,  qu'il  ne  faut  pas  confondre 

se  celle  du  même  nom  dans  le  Morbihan,  est 

une  haute  colline  régulière  ;  à  son  extrémité  occi- 


LES    SEPT-ILEb.  59 

dentale,  une  lourde  masse  de  constructions  est  un 
ancien  fort  devenu  la  ferme,  elle  possède  quelque 
bétail.  A  l'autre  extrémité,  sur  le  point  culminant 
de  l'île,  un  phare  très  blanc  se  détache  avec  vi- 
gueur sur  le  fond  roux  de  cette  petite  terre. 

Une  jetée  naturelle,  formée  de  roches  et  de 
galets  asséchant  à  basse  mer,  relie  l'îli 
Moines  à  la  géante  du  groupe,  l'île  de  Bono. 
Son  étendue  est  double  de  celle  de  l'île  jumelle  : 
elle  n'a  pas  moins  de  huit  cents  mètres  de  long 
sur  trois  cents  de  large.  C'est  une  muraille  har- 
die, haute  de  cinquante  mètres,  fort  belle  et  de 
hère  apparence. 

En  arrière,  l'île  Plate,  presque  aussi  longue, 
n'est  qu'une  arête  fort  étroite,  très  basse,  entou- 
rée de  bancs.  A  l'est,  l'île  de  Malban  est  un  ma- 
melon abrupt,  aux  formes  capricieuses,  dont  le 
sommet  domine  la  mer  d'une  hauteur  de  trente-six 
mètres;  enfin,  plus  à  l'orient,  l'île  Rouzie  se  dresse 
comme  un  volcan  sur  un  socle  de  roches  marines. 
Cet  îlot,  éloigné  du  reste  du  groupe,  est  peuplé 
d'une  prodigieuse  quantité  d'oiseaux  de  mer  qui 
viennent  y  déposer  leurs  œufs.  On  y  trouve  no- 
tamment un  oiseau  appelé  calculot  (?)  dans  le 
pays,  semblable  à  un  perroquet  et  complètement 
inconnu  dans  le  reste  de  la  côte.  Il  habite  Rouzie 
en  été  et  émis-re  en  hiver.  Le  nombre  en  est  si 


60  VOYAGE    EN    FRANCE. 

grand  qu'un  seul  chasseur  en  a  tué  jusqu'à  200. 
Quand  aux  autres  sept  «  îles  »,  le  Cerf  et  la 
Pierre,  ce  sont  des  écueils  en  partie  submergés. 
Si  le  petit  archipel  est  resté  désert  sauf  dans 
l'île  aux  Moines,  il  n'en  a  pas  moins,  dans  cette 
hrume  légère  qui  flotte  à  la  surface  de  la  mer, 
une  apparence  plus  grandiose  que  la  plupart  des 
autres  îles  de  l'Océan.  Par  la  hardiesse  de  leurs 
roches  et  leur  brusque  élévation  au-dessus  du  flot, 
les  Sept-Iles  produisent  un  superbe  effet  décoratif, 
complétant  à  merveille  ce  coin  si  curieux  de  nos 
côtes. 

Des  rochers  de  Notre-Dame-de-la-Clarté,  nous 
descendons  maintenant  vers  Ploumanac'h,  entre 
des  rochers  à  travers  lesquels  la  route  à  été  frayée. 
Parfois  la  pierre  aplanie  sert  de  plate -forme  au 
chemin.  Celui-ci,  bordant  un  instant  le  fjord  dt» 
Ploumanac'h,  aboutit  au  village,  sale  et  sordide 
hameau,  aux  maisons  grises  et  basses,  couvertes 
de  chaume,  entre  lesquelles  vaguent  des  porcs 
maigres.  Cependant  Ploumanac'h  perd  un  peu  le 
cette  sauvagerie.  Quelques  maisons  neuves  aux 
toits  de  tuile,  soigneusement  construites,  tran- 
chent heureusement  par  leur  propreté  sur  le  ca- 
ractère misérable  de  leurs  voisines. 

Au  delà  de  Ploumanac'h  s'arrondit  une  petite 


J8 


62  vûYAGE    EN    FRANGE. 

anse,  frangée  de  roches  aux  formes  fantastiques, 
et  semée  d'autres  rochers  qui,  à  basse  mer,  sont 
au  milieu  de  la  plage.  En  ce  moment,  le  flot  s'est 
retiré,  nous  pouvons  gagner  un  de  ces  blocs  sur 
lequel  une  niche,  ou  plutôt  une  chapelle  minus- 
cule, aux  arcades  romanes,  abrite  une  image  de 
saint  Guirec,  un  de  ces  bons  saints  bretons  qui 
ont  prêté  à  tant  de  légendes.  Le  saint  Guirec  de 
la  petite  chapelle  est  une  statuette  de  bois,  il  a 
un  bras  et  le  nez  cassés,  il  est  vêtu  d'une  dahna- 
tique  bleue,  d'une  tunique  marron  et  d'une  mitre 
jaune.  Sur  le  rivage,  le  brave  saint  a  une  chapelle 
plus  vaste,  objet  d'un  pèlerinage;  sa  statue  en 
bois  est  criblée  d'épingles  plantées  par  les  jeunes 
filles  qui  veulent  se  marier  dans  l'année. 

Au-dessus  de  Saint-Guirec  sont  les  groupes  les 
plus  curieux  de  rochers.  Il  y  a  là  un  amoncelle- 
ment de  blocs  sculptés,  fouillés,  traversés,  érodés, 
formant  le  plus  fantastique  décor  de  dolmens  na- 
turels, de  roches  reposant  sur  une  tige  comme  de 
gigantesques  champignons.  Aucun  site  ne  donne 
une  impression  aussi  saisissante.  La  teinte  géné- 
rale de  ces  globes,  de  ces  tables,  de  ces  pyra- 
mides, de  ces  obélisques  perforés,  les  uns  a] 
lument  nus,  les  autres  empanachés  de  quelque 
arbuste,  est  d'un  rouge  vif,  rendue  plus  rutila 
encore  par  contraste  avec  la  mer  bli 


LES    SEPT-ILES.  OÔ 

Les  rochers  sont  particulièrement  ardents  de 
teinte  et  de  majesté  farouche  à  la  pointe  de  Meur- 
Raz.  Un  écroulement  de  la  colline  a  précipité  dans 
le  flot  une  masse  formidable  de  couleur  fulgurante, 
séparée  de  la  côte  par  un  chenal  étroit  sur  lequel 
ou  a  jeté  mie  arche  hardie  pour  conduire  au  phare, 
tour  basse  d'un  blanc  éblouissant  qui  éclaire  le 
passage  entre  les  Sepl-Iles  et  la  côte.  Une  partie 
des  roches  a  été  blanchie  au  lait  de  chaux  pour 
servir  (L'amer  à  la  navigation  et  fait  mieux  res- 
sortir encore  le  rougeoiment  des  rochers.  Aucun 
paysage  ne  produit  une  impression  semblable  à 
ce  site  de  Ploumanac'h,  on  irait  le  voir  de  bien 
loin  s'il  était  en  Suisse  ou  en  Ecosse  ! 

Au  retour  du  phare,  nous  traversons  une  autre 
zone  de  rochers,  de  plus  en  plus  bizarres;  les 
champignons  abondent  ici,  monstrueux  parasols 
formés  d'une  table  arrondie  supportée  par  un 
mince  pilier. 

A  mesure  que  monte  le  soleil,  le  ciel  devient  de 
plus  en  plus  clair  et  tout  cet  ensemble  prend  dee 
reflets  plus  vifs  encore.  Mais  les  Sept-Iles,  plus 
nettement  éclairées,  perdent  de  leur  aspect  majes- 
tueux ;  ce  ne  sont  plus  des  chaînes  de  hautes  col- 
lines, mais  de  gros  rochers  arides  et  pelés  où  la 
vie  ne  se  montre  que  par  la  ferme  et  le  phan 
l'île  aux  Moines 


64  VOYAGE    EN    FRANCE. 

En  route  pour  les  autres  îlots  de  cette  côte  dé- 
chiquetée. Nous  traversons  de  nouveau  Plouma- 
nac?h  pour  nous  engager  sur  une  chaussée  jetée 
sur  la  petite  baie  et  servant  de  barrage  à  deux 
fjords  devenus  des  étangs  maritimes  ;  sur  les  pas- 
sages laissés  aux  eaux  de  la  marée  et  fermés  parles 
écluses,  des  moulins  de  mer  ont  été  établis;  lorsque 
les  étangs  sont  remplis,  leurs  eaux,  pressées  de 
reprendre  la  mer,  font  tourner  les  grandes  roues. 
Ces  constructions  lourdes  sur  cette  chaussée  de 
gros  blocs,  entourées  de  rochers,  semblent  aussi 
sauvages  que  la  nature  environnante. 

Le  chemin  court  dans  un  pays  très  vert  -,  bordé 
de  maisons  nombreuses,  il  ouvre  souvent  des  aper- 
çus sur  mie  péninsule  capricieusement  découpée 
où  le  vaste  couvent  de  Sainte- Anne,  des  villas  et 
un  château  apportent  une  apparence  de  prospérité 
et  de  vie  contrastant  avec  la  rude  et  ardente  na- 
ture de  Ploumanac'h.  On  monte  peu  à  peu  dans  le 
village  de  Trégastel  dont  l'église  du  xne  siècle, 
bâtie  dans  le  cimetière,  possède  un  des  plus  cu- 
rieux charniers  de  Bretagne.  Cet  ossuaire,  dans 
lequel  on  a  rejeté  depuis  deux  siècles  tous  les 
débris  retirés  des  tombes  abandonnées,  est  une 
galerie  circulaire  à  balustres,  recouverte  d'un 
dôme,  une  tourelle  à  coupole  de  granit  le  signale 
aux  passants.  Entre  les  balustres,  sont  disposés 


LES    SEPT-ILES.  65 

m  m  s  soin,  au  hasard  des  trouvailles,  des  crânes, 
des  fémurs,  des  tibias.  Malgré  le  grand  soleil, 
malgré  les  fleurs,  c'est  horrible,  mais  l'édicule  lui- 
même  est  charmant. 

Dans  le  cimetière,  devant  chaque  tombeau  est 
placée  une  coupe  destinée  à  recevoir  de  l'eau 
bénite,  elle  est  surtout  remplie  par  la  pluie  ;  sur 
le  rebord  les  oiseaux  pépient,  ébouriffent  leurs 
ailes,  s'ébrouent,  et  finalement  se  baignent  avec 
de  petits  cris  joyeux,  pendant  qu'autour  d'eux 
bourdonnent  des  abeilles.  Cette  vie  intense,  à 
côté  de  ce  charnier  où  des  têtes  de  morts  vous 
contemplent  de  leurs  orbites  vides,  où  des  tibias 
s'allongent  entre  les  grêles  colonnettes,  quel  beau 
sujet  de  philosophie  pour  un  fervent  de  l'anti- 
thèse !  Victor  Hugo,  s'il  eût  connu  Trégastel,  au- 
rait écrit  une  page  merveilleuse. 

Au  delà  du  village ,  au  sommet  de  la  colline 
de  Roch  Bran,  se  dresse  un  monument  qui,  de 
loin,  m'avait  paru  une  ruine  celtique  surmontée 
d'une  croix.  C'est  moins  et  c'est  plus.  Les  cou- 
tumes des  anciens  Celtes  se  sont  perpétuées  jus- 
qu'à nous,  mieux  conservées  peut-être  ici,  dans  ce 
chaos  de  pierres  de  Ploumanac'h.  Elles  ont  fait 
naître  un  bizarre  monument  appelé  le  calvaire 
de  Trégastel.  C'est  un  amas  de  blocs  de  granit  ; 
il  abrite  une  chapelle  à  sa  base  ;  au  sommet,  où 

VOYAGE    EX    FRANCE.     V.  5 


66  VOYAGE    EN    FRANGE. 

l'on  monte  par  un  sentier  construit  aux  flancs  du 
cyplopéen  édifice,  se  dresse  une  croix. 

La  chapelle  s'ouvre  dans  la  masse  même,  elle  a 
une  voûte  et  des  nervures  ogivales.  Une  longue 
inscription  bretonne  rappelle  sans  doute  la  cons- 
truction, d'ailleurs  assez  récente.  Sur  l'autel,  formé 
d'un  bloc  de  granit,  un  groupe  en  pierre  représente 
le  Christ  mort  sur  les  genoux  de  sa  mère,  entre 
saint  Joseph  et  saint  Jean.  Près  d'une  inscrip- 
tion bretonne,  une  autre,  en  français,  fait  con- 
naître le  but  de  cette  construction  en  vue  de  la 
mer  dangereuse  : 

Jeté  par  un  naufrage  sur  les  cotes  inconnues,  tout  à 
coup  vous  apercevez  une  croix  sur  un  rocher.  Malheur  à 
vous  si  ce  signe  de  salut  ne  fait  pas  couler  vos  larmes. 
Vous  êtes  en  pays  d'amis;  ici  ce  sont  des  chrétiens.  Vous 
êtes  Français,  il  est  vrai,  et  ils  sont  Espagnols,  Alle- 
mands, Anglais  peut-être!  (sic).  Et  qu'importe,  n'êtes 
vous  pas  de  la  grande  famille  de  Jésus-Christ?  Ces  étran- 
gers vous  reconnaîtront  pour  frères,  c  est  vous  qu'ils  in- 
vitent par  cette  croix;  ils  ne  vous  ont  jamais  vu,  et  cepen- 
dant ils  pleurent  de  joie  en  vous  voyant  sauvé  du  désert. 

Au  milieu  de  cette  touchante  invocation  à  la 
fraternité,  ce  peut-être,  accolé  au  mot  Anglais,  en 
dit  long  sur  la  continuité  de  la  haine  vouée  par 
les  Bretons  à  leurs  voisins  d'outre-Manche. 

Le  sentier  qui  contourne  le   monument  pour 


LES    SEPT-ILES.  67 

atteindre  le  sommet  est  bordé  de  niches  renfer- 
mant des  statues  de  saints  dont  le  nom  est  écrit 
en  breton  :  saint  Lorans,  saint  Isidore,  patron  des 
jardiniers  bretons,  d'autres  encore  ;  le  chemin 
passe  parfois  sous  des  couloirs  de  pierre  brute 
semblables  à  des  dolmens.  D'autres  statues  de 
granit  gris  se  suivent  :  saint  François- Xavier, 
saint  Eivoan,  saint  Joseph.  Dans  la  niche  de 
celui-ci  est  une  ravissante  statuette  en  bois  repré- 
sentant un  évêque.  Une  statue  de  Jésus-Christ 
détonne  dans  ce  milieu  naïf  par  son  peinturlurage 
de  couleurs  crues. 

Du  haut  du  calvaire  fait  de  roches  titaniques 
où  les  cristaux  rouges  étincellent  et  qui  rappellent 
les  œuvres  de  l'âge  de  pierre,  la  vue  est  immense, 
c'est  mie  des  plus  vastes,  des  plus  variées  et  des 
plus  majestueuses  de  la  Bretagne.  Les  roches  de 
Ploumanac'h,  l'archipel  des  Sept-Iles,  des  my- 
riades de  rochers,  de  récifs  et  d'îlots  apparaissent. 
La  côte  en  est  frangée.  Quelques-uns  de  ces  ro- 
chers sont  assez  vastes  :  ainsi  l'île  Rennote,  qui 
fait  face  à  Sainte-Anne,  Lain  Braz,  l'île  Dhi;,  l'île 
de  Seigh,  l'île  de  Biwic.  Paysage  extraordinaire 
de  grandeur  et  de  mélancolie. 

Sur  le  continent  ce  sont  des  campagnes  vertes, 
faites  d'ondulations  indécises,  se  prolongeant  jus- 
qu'à la  ligne  bleue  des  monts  d'Arrée. 


68  VOYAGE    EN    FRANGE. 

On  s'arrache  avec  peine  à  ce  spectacle  gran- 
diose. Mais  l'heure  avance  et  le  chemin  est  long 
encore  avant  que  nous  puissions  atteindre  l'île 
Grande,  la  plus  importante  de  nos  îles  de  la 
Manche  après  Batz  et  Bréhat.  Un  dernier  regard 
aux  Sept-Iles,  qui  alignent  leurs  rochers  au  loin, 
et  en  route  ! 


VI 

l'île  grande  (enès-meur)  et  son  archipel 


Do  Trégastel  à  Pleuraeur.  —  Saint-Samson  rend  les  hommes 
forts.  —  Pleumeur.  —  Saint-Duzec  et  son  menhir.  —  L'ilo 
d'Aval.  —  L'île  d'Erch.  —  Entrée  dans  l'île  Grande.  —  Ker- 
végan.  —  La  fontaine  et  l'église  de  Saint-Sauveur.  —  Ile  de 
Milio.  —  lie  de  Molène.  —  Ile  Fougère.  —  Ile  de  Toinot.  — 
Ile  Losquet.  —  Ile  à  Canton.  —  lie  du  Renard.  —  Excur- 
sion dans  l'île  Grande.  —  Les  carriers.  —  L'île  du  Renard. 

—  Le  manoir.  —  Agriculture.  —  Le  menhir.  —  Ile  Corbeau. 

—  Ile  Morville.  —  Le  lichen.  —  La  vie  à  l'île  Grande. 


Kervégan  (île  Grande),  septembre. 

11  reste  beaucoup  à  faire  encore  pour  rendre 
ces  superbes  côtes  du  Lannionnais  accessibles. 
Les  routes  se  tiennent  loin  du  littoral,  on  ne 
peut  guère  les  parcourir  qu'à  pied.  En  voiture, 
les  détours  pour  aller  d'une  plage  ou  d'une  baie 
à  une  autre  sont  immenses.  De  Trégastel  à  l'île 
Grande,  par  exemple,  la  distance  est  au  moins 
doublée;  il  faut  descendre  à  mi-chemin  de  Lan- 
nion  et  faire  brusquement  un  crochet  par  Pleu- 
meur-Bodou. 

Le  paysage,  sans  être  beau,  est  cependant  inté- 
ressant, peut-être  le  doit-il  à  sa  sauvagerie  même. 


70  VOYAGE    EN    FRANCK. 

Non  loin  de  Trégastel,  dans  un  champ,  un  beau 
menhir  se  dresse,  près  de  lui  gît  un  autre  mono- 
lithe ;  çà  et  là  d'énormes  blocs  de  rochers  ont 
peut-être  été  l'objet  d'un  culte.  Peu  de  maisons 
sur  le  chemin,  les  villages  sont  au  loin,  près  de 
la  mer,  on  les  devine  à  peine  au  milieu  de  la  ver- 
dure. L'un  deux,  Saint-Samson,  montre  l'élé- 
gante flèche  et  la  fine  tourelle  d'une  chapelle  où 
les  hommes  se  rendent  en  pèlerinage  pour  avoir 
la  force  de  Samson.  Une  borne  située  près  de 
l'église  avait  des  vertus  mirifiques,  il  suffisait  de 
se  frotter  le  dos  à  cette  pierre  pour  devenir  puis- 
sant comme  le  héros  des  Hébreux. 

La  route  franchit  ensuite  un  faîte  aride  pour 
descendre  dans  un  bassin  riant;  un  parc  aux 
grands  ombrages  abrite  le  beau  château  de  Ker- 
duel,  dont  la  façade,  se  détachant  sur  le  fond  vert 
des  allées,  a  très  grand  caractère.  Il  est  construit 
sur  l'emplacement  du  manoir  de  Kerduel,  fameux 
par  la  légende  des  Chevaliers  de  la  Table  ronde. 
Là  vécut  le  roi  Artus  avec  la  reine  Gwenarc'han, 
entourés  de  Lancelot,  de  Tristan  et  des  autres 
preux  dont  la  tradition  nous  a  conservé  les  noms. 
Au  delà  le  paysage  change,  les  champs  sont  bor- 
dés de  haies  hautes  et  touffues.  Dans  les  enclos 
paissent  de  nombreux  troupeaux,  d'une  race  forte  ; 
nous  avons  désormais  dit  adieu  aux  fines  et  élé- 


l'île  grande  (ënès-meuh)  et  son  archipel.   71 

gantes  petites  vaches  bretonnes.  Les  cultures  sont 
mieux  soignées  aussi.  Cette  région,  par  plus  d'un 
côté,  ressemble  davantage  au  Cotentin  qu'à  la 
Bretagne. 

On  commence  à  découvrir  l'île  Grande  an  mo- 
ment de  pénétrer  dans  le  village  de  Pleumeur- 
Bodon.  A  distance,  le  bras  de  mer  qui  la  sépare 
de  la  côte  est  invisible,  elle  semble  soudée  au 
continent.  C'est  un  plateau  nu,  sans  arbres,  mais 
couvert  de  maisons  aux  toits  rouges,  au  delà  une 
multitude  de  rocs  et  d'îlots  lui  font  cortège. 

Pleumeur  est  un  bourg  d'aspect  prospère,  grâce 
au  soin  apporté  à  la  construction  des  maisons  ;  les 
inépuisables  carrières  de  l'île  Grande  lui  ont 
fourni  des  matériaux  taillés,  aussi  les  demeures 
sont-elles  faites  de  blocs  de  granit  bien  appareil- 
lés, aux  angles  se  dressent  des  sortes  d'acrotères 
que  je  n'ai  pas  encore  rencontrées  ailleurs.  Le 
bourg  est  au  sommet  d'un  mamelon  abrupt,  à 
cent  mètres  au-dessus  de  la  mer.  Le  chemin  des- 
cend aussitôt  par  une  pente  fort  raide  ;  sur  moins 
d'un  kilomètre,  la  dénivellation  est  de  cinquante 
mètres.  On  est  alors  entre  deux  ravins  très  pro- 
fonds et  très  verts,  où  coulent  de  clairs  ruisseaux. 
L'eau  abonde  partout  ;  autour  du  hameau  de  Saint- 
Duzec,  dont  l'élégante  chapelle  montre  son  chevet 


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74  VOYAGE    EN     FRANCE. 

rempli  par  une  grande  verrière  ogivale,  ce  ne 
sont  que  sources  et  fontaines.  Dans  les  ruisseaux 
croît  un  cresson  dru  et  vigoureux.  Aussi  les  ra- 
vins en  réunissant  leurs  eaux,  forment-ils  une 
riviérette  assez  puissante  pour  faire  mouvoir  un 
moulin.  Au-dessus  de  la  petite  usine,  dont  la  roue 
bat  gaîment,  se  dresse  un  des  plus  beaux  menhirs 
de  Bretagne  ;  c'est  un  monolithe  régulier,  haut  de 
huit  mètres  et  couronné  d'une  croix.  La  face  qui 
regarde  le  vallon  a  été  couverte  de  peintures  bar- 
bares, se  détachant  sur  un  fond  noir.  Elles  sont 
modernes  et  ont  eu  pour  but  de  faire  ressortir  des 
sculptures  que  le  chevalier  de  Fréminville  expli- 
quait ainsi  il  y  a  soixante  ans,  alors  que  le  monu- 
ment n'était  pas  bariolé  :  Une  figure  de  femme 
en  pierre  (sic)  ayant  sur  sa  tête  un  coq,  puis  de 
droite  et  de  gauche  une  lune  et  un  soleil,  à  ses 
deux  côtés  sont  deux  verges  en  croix  et  une 
échelle.  Au-dessous  de  cette  figure  est  une  sainte 
face,  ayant  d'un  côté  la  lance  et  l'éponge  en  sau- 
toir, de  l'autre  un  marteau.  Plus  bas  encore  et 
vers  le  milieu  à  peu  près  du  menhir,  on  voit  un 
grand  crucifix  et  à  quelque  distance,  au-dessous 
encore,  une  figure  de  la  lune.  » 

La  colline  à  laquelle  le  menhir  est  adossé  est 
très  morose  et  s'harmonise  avec  ce  monument 
curieux.  Nous  sommes  bien  en  Bretagne  ici  ;  les 


L'ILE  GRANDE  (ëNÈS-MEUR)  ET   SUN  ARCHIPEL.    75 

noms  de  lieu,  par  leurs  consonnances,  sont  bre- 
tonnants  connue  nulle  part  ailleurs.  Autour  du 
petit  estuaire  formé  par  le  ruisseau,  voici  Pen-an- 
Guern,  Kermor-Hézan,  Run-an-Guern,  hameaux 
habités  par  des  carriers  venus  de  l'île  Grande. 
L'exploitation  de  la  pierre  est  l'industrie  du  pays, 
elle  fait  vivre  des  milliers  de  personnes. 

A  Pen-an-Guern,  on  traverse  le  petit  cours 
d'eau  pour  longer  les  rives  d'une  vaste  baie  en  ce 
moment  à  sec,  formée  d'un  sable  résistant  sur  le- 
quel les  voitures  peuvent  passer  pour  aller  cher- 
cher des  pierres  dans  les  diverses  carrières.  De  la 
baie  surgissent  de  nombreux  mamelons  rocheux 
qui,  à  haute  mer,  seront  autant  d'îles.  Les  plus 
importants  sont  l'île  Aval  et  l'île  Erch.  Les  au- 
tres sont  Morville  et  au  large,  parmi  les  récifs, 
l'île  Goulmedeg.  Seule  l'île  Aval  a  quelque  ver- 
dure et  une  ferme,  dont  le  toit  d'un  rouge  vif  se 
détache  crûment  sur  le  fond  vert  des  prés  et  des 
champs.  On  croit  que  c'est  l'île  d'Avalon  ou 
A  galon,  où  fut  enterré  le  roi  Artus,  attiré  dans 
cet  îlot  par  les  enchantements  de  la  fée  Morgane. 
En  réalité  le  prince  fabuleux  aurait  été  englouti 
par  les  sables  mouvants  de  la  baie. 

Le  chemin  aboutit  à  un  détroit,  en  ce  moment, 
à  mer  basse,  lagune  sans  profondeur,  franchi  par 
un  pont  de  granit.  En  face,  voici  Enès-Meur,  l'île 


76  VOYAGE     EN     FRANCE. 

Grande,  ses  nombreux  villages  et  ses  rocheuses 
campagnes.  Le  pont  est  vite  franchi,  la  route  pé- 
nètre dans  l'île  par  une  tranchée  qui  nous  révèle 
la  constitution  du  sol.  C'est  une  simple  calotte  de 
granit,  recouverte  d'une  couche  végétale  très 
mince.  Un  village,  Kerjagu,  garde  l'entrée  du 
détroit,  plus  loin  voici  Kervalant,  et  enfin  le  centre 
principal  de  l'île,  Kervégan,  où  se  trouvent  Tau- 
berge,  l'école,  et  une  haute  construction  aux  al- 
lures de  château. 

Pendant  qu'on  prépare  notre  déjeuner  chez 
le  boulanger-épicier-aubergiste-commissionnaire- 
banquier  de  Kervégan,  nous  allons  faire  le  tour  de 
l'île.  L'excursion  est  assez  longue,  l'île  a  deux  ki- 
lomètres d'étendue  dans  le  sens  de  l'est  à  l'ouest, 
et  onze  cents  à  douze  cents  mètres  du  nord  au 
sud,  c'est  une  masse  régulière  frangée,  devant 
Kervégan,  par  une  anse  assez  vaste  au  milieu  de 
laquelle  est  un  îlot.  Au  nord,  deux  ou  trois  criques 
se  creusent. 

En  suivant  les  rivages  de  l'anse  méridionale, 
on  atteint  bientôt,  près  de  Rucornic,  l'église  Saint- 
Sauveur,  paroisse  de  l'île.  Elle  est  sur  un  ressaut 
de  terrain,  au  pied  duquel  coule  une  fontaine  ; 
coule  est  un  mot  peut-être  exagéré,  à  peine  un 
suintement  d'eau.  Mais  la  source  a  dû  être  plus 


l'île  grande  (enès-melr)  et  son  ARCHIPEL.    7  7 

forte  autrefois;  on  ne  s'expliquerait  pas  autrement 

l'élégante  clôture  de  granit,  bordée  intérieurement 
de  bancs,  qui  entoure  Le  petit  bassin.  Au-dessus 
de  la  source  même,  est  une  niche  renfermant  la 
statuette  de  saint  Yves,  en  faïence.  Cette  fontaine, 
dédiée  au  saint  Sauveur,  est  un  lieu  de  pèleri- 
nage, les  mères  viennent  de  fort  loin  y  plonger 
leurs  enfants  pendant  trois  lundis  de  suite  pour 
les  faire  marcher.  Nous  ne  sommes  pas  un  lundi, 
aussi  la  fontaine  est  abandonnée,  mais  elle  ali- 
mente plus  bas  un  lavoir  aux  eaux  prodigieusement 
sales,  autour  duquel  les  laveuses  sont  groupées. 

L'église  est  une  pauvre  chapelle  gothique  avec 
des  ex-voto  nombreux.  Elle  renferme  de  curieuses 
statues  et  un  Christ  en  bois,  naïvement  sculptés  et 
bariolés,  œuvres,  sans  doute,  des  tailleurs  de  granit 
de  l'île.  Le  sol  est  recouvert  de  grandes  dalles  fu- 
néraires. Au  dehors,  tout  autour  de  la  petite  église 
dont  la  sacristie  porte  une  inscription  rongée  lais- 
sant lire  encore  la  date  1563,  s'étend  le  cimetière 
rempli  de  grandes  pierres  tombales  gravées. 

Près  de  l'église,  une  vaste  construction  blanche 
entourée  d'un  jardin  est  l'habitation  des  doua- 
niers ;  le  vent  a  retroussé  les  sables  sur  le  rocher 
et  formé  au-dessus  un  bourrelet  de  dunes  d'où 
la  vue  est  complète  sur  ce  paysage  bouleversé 
des  carrières.  De  cette  pointe,  appelée   Créach- 


78  VOYAGE    EN    FRANCE. 

an-Lannic,  nous  découvrons  un  grand  nombre 
d'îlots,  pour  la  plupart  sans  verdure,  mais  con- 
tinuellement excavés  par  les  carriers.  Le  granit 
de  l'île  Grande,  une  pierre  bleue  à  grain  fin 
pailletée  de  gneiss,  est  très  dur,  mais  se  prête 
bien  à  la  taille,  aussi  convient-il  à  merveille  à 
certains  emplois  tels  que  la  bordure  des  trottoirs 
et  des  murs  de  quai  ;  l'extraction  en  est  facile,  la 
mer  monte  assez  haut  dans  les  divers  mouillages 
de  l'île  Grande  pour  que  les  petits  navires  puis- 
sent venir  charger  près  des  carrières.  Tous  ces 
avantages  ont  donné  une  grande  importance  aux 
gisements  de  l'île  et  des  nombreux  îlots  qui  l'en- 
tourent, ce  qui  explique  la  population  considérable 
de  ces  rochers  nus  —  plus  de  800  habitants. 

Devant  Gréach-an-Lannic  s'étend  la  rade,  ou 
plutôt  le  mouillage  de  Toinot,  presqu'à  sec  à 
cette  heure  ;  c'est  une  immense  grève  remplie  de 
rochers,  les  uns  couverts  à  marée  haute,  les  au- 
tres toujours  émergés.  Écueils  ou  îlots  sont  ex- 
ploités en  carrières.  Au  delà  de  cette  rade,  d'autres 
îles  surgissent  encore  ;  la  plus  éloignée  vers  le 
sud,  Milio  \  est  la  plus  vaste.  C'est  une  arête  de 


l.  Milio  est  orthographiée  Milliau  sur  la  carte  de  l'étal-major. 
Entre  celle-ci  et  la  carte  du  service  vicinal  il  y  a  dans  la  façon 
dont  les  noms  sont  écrits  des  divergences  nombreuses,  j'ai  dû 
adopter  de  préférence  les  indications  de  l'état-major. 


l'île  grande  (enès-meur)  et  son  archipel.   70 

rochers  haute  de  soixante  mètres,  longue  d'un 
kilomètre,  large  de  quatre  à  cinq  cents  mètres  au 
centre  et  se  terminant  par  deux  pointes  effilées. 
Milio  est  très  verte,  au  centre  elle  renferme  de 
belles  cultures  au-dessus  desquelles  est  une  ferme. 
Quelques  ruines  prouvent  que  l'île  fut  jadis  plus 
fortement  habitée.  Entre  Milio  et  la  côte,  une 
grève  au  milieu  de  laquelle  surgit  un  autre  îlot 
permet  de  se  rendre  sur  le  continent  à  pied  sec. 
Cette  région  dépend  de  la  commune  de  Trébeur- 
den  dont  la  haute  flèche  domine  tout  le  paysage. 

D'autres  îles,  moins  considérables,  ferment  la 
rade  :  Molène  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec 
la  Molène  d'Ouessant  et  qui  comprend  deux  ro- 
chers :  grande  et  petite  Molène  ;  la  grande  et 
la  petite  Fougère.  Un  îlot  plus  considérable,  haut 
de  dix  mètres,  est  devant  la  pointe  de  Toiiiot  ;  la 
carte  ne  donne  pas  le  nom  de  ce  rocher,  j'avise 
une  bonne  femme  sur  le  seuil  d'une  misérable, 
sale  et  lugubre  maison,  devant  un  petit  champ  de 
pommes  de  terre  et  de  haricots  et  vais  lui  deman- 
der le  nom  de  cette  île.  Elle  ne  comprend  pas  un 
mot  de  français  et  s'évertue  à  me  répondre  en 
breton. 

Il  faut  aller  plus  loin  pour  trouver  des  gens 
parlant    français.    La   campagne    est   morne,    les 


80  VOYAGE    EN    FRANCE. 

champs  sont  maigres,  seules  les  femmes  y  tra- 
vaillent, tous  les  hommes  sont  dans  les  carrières. 
Ici  pas  de  marins,  l'île  ne  renferme  que  deux 
pécheurs  ;  mais  l'homme  dédaigne  le  travail 
de  la  terre  tout  autant  que  l'habitant  de  l'île  de 
Batz;  il  préfère  extraire  et  tailler  le  granit.  Entre 
ces  champs  misérables  et  la  côte,  bordée  d'é- 
normes rochers  qui  promettent  pour  longtemps 
encore  du  travail  aux  carriers,  se  prolonge  le 
bourrelet  des  dunes  couvertes  d'une  herbe  fine  et 
de  grands  chardons  bleus. 

La  plage,  formée  d'un  sable  à  très  gros  grains, 
sert  en  même  temps  de  port,  les  blocs  de  granit 
taillés  y  sont  conduits,  la  mer  haute  les  recouvre, 
les  bricks  et  les  goélettes  viennent  alors  près  du 
point  de  gisement  ;  au  jusant  ces  petits  navires 
restent  à  sec,  on  n'a  qu'à  ramasser  les  pierres 
taillées  et  à  les  embarquer.  En  deux  ou  trois  ma- 
rées on  peut  ainsi  procéder  au  chargement  d'un 
navire.  Pour  amarrer  les  bateaux,  de  grands  pi- 
liers de  granit  ont  été  plantés  sur  la  rive. 

Cette  côte  orientale  de  l'île  Grande  est  un  vaste 
chantier.  La  pierre  extraite  est  taillée  sur  place. 
Sur  un  promontoire  sont  quelques  maisons  basses 
servant  d'abris  aux  carriers,  dans  l'une  d'elles  est 
un  atelier  de  taillandier,  là  sont  réparés  les  pies, 


l'île  grande  (enès-meur)  et  son  archipel.  81 
1rs  marteaux,  les  ciseaux,  servant  aux  ouvriers. 
Le  forgeron  est  assis  devant  la  porte  avec  les  car- 
riers, ils  déjeunent;  des  enfants  venus  des  vil- 
lages de  Rucornic  et  de  Kervégan  pour  porter  le 
repas  de  leurs  pères  jouent  parmi  les  pierres.  Je 
m'assieds  au  milieu  de  ces  braves  gens  pour  les 
faire  causer.  Deux  ou  trois  ont  l'accent  traînant 
de  la  Normandie  ;  je  m'en  étonne,  ils  m'appren- 
nent que  le  développement  des  carrières  dans 
l'archipel  de  l'île  Grande  a  déterminé  un  exode, 
et  quelques  familles  de  carriers  sont  venues  du 
Gotentin:  de  Cherbourg,  de  Diélette,  de  Flaman- 
ville  et  des  Chausey  apportant  des  méthodes  nou- 
velles de  travail. 

Les  carrières  ont  acquis  une  importance  plus 
grande  ;  depuis  cinquante  ans  l'île  Grande  ali- 
mentait déjà  presque  exclusivement  Bordeaux  qui 
vient  y  chercher  toutes  ses  bordures  de  trottoirs. 
Par  Bordeaux  et  Bayonne  le  granit  de  l'île  Grande 
pénètre  dans  tout  le  Midi;  à  Pau,  à  Lourdes,  mal- 
gré les  carrières  des  Pyrénées,  on  rencontre  les 
durs  matériaux  bretons.  Aujourd'hui  Cherbourg, 
le  Havre,  Caen,  Rouen  sont  également  des  tri- 
butaires. La  digue  de  Cherbourg  emploie  de 
grandes  quantités  de  granit  de  l'île  Grande.  Les 
800  habitants  vivent  tous  de  cette  industrie,  il 
n'y  a  pas  plus  de  8  ou  10  fermes  dans  l'île.  Le 

VOYAGE    EN    FRANCE. V.  G 


82  VOYAGE    EN    FRANGE. 

métier  est  bon  :  en  été  on  commence  à  travailler 
à  5  heures  du  matin  pour  quitter  le  chantier  à 
8  heures  du  soir. 

Chantiers  primitifs  s'il  en  fut.  Chaque  îlot  est 
une  carrière,  près  de  laquelle  on  a  construit  une 
maison  servant  à  la  fois  de  cantine  et  d'atelier  de 
taillandier  pour  la  réparation  des  outils.  On  s'y 
rend  par  la  grève  à  basse  mer,  mais,  pendant  la 
marée,  on  est  complètement  isolé.  Alors  la  mai- 
son au  toit  rouge  placée  sur  ces  rocs  pelés  donne 
une  impression  de  tristesse  poignante,  surtout 
lorsque  la  mer  fait  rage,  pendant  les  tempêtes  si 
fréquentes  sur  ce  littoral. 

Mais  le  travail,  si  pénible  soit-il,  est  fortifiant 
dans  cet  air  pur  et  salin.  Les  ouvriers  ont  une 
apparence  robuste,  ils  adorent  leur  métier.  Le 
forgeron  qui  me  décrit  leur  existence  a  une  affec- 
tion profonde  et  instinctive  pour  ce  vaste  havre 
entouré  d'îlots,  où  des  navires  échoués,  d'autres 
à  l'ancre  chargent  les  pierres  taillées.  Ils  sont 
nombreux  aujourd'hui  les  petits  vaisseaux,  car 
les  travaux  de  Cherbourg  nécessitent  une  grande 
quantité  de  matériaux. 

Les  ouvriers  me  désignent  les  îlots  :  voici  l'île 
à  Canton,  grand  rocher  bizarrement  découpé,  où 
les  carrières  sont  nombreuses,  entouré  de  belles 
plages  d'un  sable  fin  mais  ne  renfermant  aucune 


l'île  grande  (enès-meur)  et  son  archipel.   83 

maison  ;  l'île  du  Renard,  rocher  hérissé  et  tail- 
ladé, possède  !i ne  forge;  une  forge  encore  dans 
chacune  des  îles  Fougère  et  Toinot,  dans  Los- 
quet  et  Lierne.  Ces  écueils,  si  petits  que  les 
cartes  ne  donnent  souvent  pas  leur  nom,  sont 
donc  très  vivants;  ils  forment  au  mouillage  de 
Toinot  le  cadre  le  plus  saisissant  qu'on  puisse 
rencontrer,  par  le  contraste  de  leur  aridité  absolue 
et  du  travail  dont  leurs  roches  sont  l'objet. 

L'extraction  est  faite  par  de  petits  patrons,  ou 
même  des  tâcherons  louant  une  carrière  et  ven- 
dant la  pierre  directement  ;  la  plupart  se  bornent 
à  échanger  le  produit  de  leur  travail  contre  les 
aliments  et  objets  de  ménage  dont  ils  ont  besoin. 
L'aubergiste-boulanger  leur  fournit  la  farine,  les 
fagots  d'ajonc  nécessaires  aux  foyers  —  car  l'île 
n'a  pas  de  combustible  —  et  jusqu'à  du  tabac, 
pour  de  la  pierre.  Le  fond  de  la  nourriture  con- 
siste en  pommes  de  terre  de  l'île,  elles  sont 
excellentes  et  produites  en  abondance  sur  les 
terres  louées  par  le  marquis  de  Broc,  proprié- 
taire de  ce  vaste  domaine.  A  l'auberge,  me  disent 
mes  obligeants  compagnons,  on  vous  expliquera 
mieux  ce  que  nous  faisons  pour  gagner  notre 
vie. 

Je  serre  la  main  aux  vaillants  carriers  dont  le 
repas  a  pris  fin  ;  ils  recommencent  à  frapper  la 


84  VOYAGE    EN    FRANCE. 

pierre  sonore  pour  lui  donner  des  formes  régu- 
lières. Sur  tout  le  rivage  et  les  îlots  voisins,  le 
même  bruit  mat  et  argentin  à  la  fois  se  fait  en- 
tendre. 

Nous  longeons  maintenant  une  grève  formée  de 
galets  monstrueux,  les  carriers  vont  les  chercher 
pour  les  débiter  à  la  crête  de  la  côte  où  les  éclats 
se  dressent  en  talus  énorme.  La  mer  qui  a  amené 
ces  blocs  doit  être  effrayante  pendant  les  tempêtes. 
En  ce  moment  elle  roule  doucement  des  lames 
lentes  et  silencieuses.  A  une  petite  distance  l'île 
déchiquetée  du  Renard  se  hérisse  en  un  farouche 
désordre,  les  carriers  qui  l'exploitent  autour  de 
leur  cantine  au  toit  rouge  semblent  des  fourmis. 
Près  du  Renard,  les  belles  plages  de  l'île  à  Can- 
ton semblent  attendre  des  baigneurs  ;  ils  ne  vien- 
dront sans  doute  jamais. 

Au  large,  à  près  de  10  kilomètres  de  l'île 
Grande,  surgissent  d'autres  écueils,  sur  l'un  d'eux 
est  la  belle  tour  carrée  d'un  phare.  Ce  sont  les 
Triagoz,  récifs  portés  par  le  plateau  sous-marin 
dont  les  Sept-Iles  sont  une  autre  partie  émerg 
Le  phare,  construit  sur  l'îlot  de  Guen-Bras,  aune 
portée  de  15  milles. 

Du  rivage  bouleversé  du  nord,  l'île  se  relève 
peu  à  peu  et  forme  un  grand  plateau  de  culture 


l'île  grande  (enès-meur)  et  son  archipel.   85 

au  milieu  duquel,  au  delà  du  hameau  de  Hélé- 
gueric,  est  une  vaste  ferme,  aux  allures  de  ma- 
noir avec  ses  tours  rondes.  C'est  le  centre  agricole 
de  l'île.  Tout  autour,  les  champs  déjà  dépouillés 
nous  révèlent  les  récoltes  enlevées.  Du  froment, 
de  Forge,  des  pommes  de  terre,  voilà  toute  te. 
production  de  l'île  ;  la  quantité  est  insuffisante 
pour  cette  population  considérable,  aussi  les 
femmes  ne  pouvant  toutes  s'employer  à  la  cul- 
ture cherchent-elles  à  la  mer  des  ressources  pour 
aider  à  l'entretien  de  leurs  pauvres  ménages  ;  la 
récolte  et  l'incinération  des  varechs  et  goémons, 
la  cueillette  de  ce  lichen  appelé  mousse  de  mer 
dont  l'emploi  est  considérable  en  pharmacie,  oc- 
cupent un  grand  nombre  d'entre  elles.  Ce  lichen 
blanc  et  gélatineux  1  donne  lieu  à  un  assez  grand 
commerce.  MmeLe  Bail  Coadou,  qui  tient  l'auberge 
et  échange  des  marchandises  contre  le  lichen,  en 
expédie  six  tonnes  chaque  année  ;  ce  produit  est 
très  léger  et  ces  six  tonnes  représentent  le  charge- 
ment de  plusieurs  petits  navires  ;  ils  prennent  des 
pierres  comme  lest. 

En  quittant  le  manoir,  on  suit  un  sentier  con- 
duisant au  point  culminant  de  l'île,  amoncelle- 


1    Voir  au  3e  volume  du    Voyage  en  France,  le  chapitre  con- 
sacré à  l'île  de  Ré,  page  145. 


86  VOYAGE    EN    FRANCE. 

ment  de  blocs  de  granit  dressé  à  34  mètres  au- 
dessus  de  la  mer.  Au  sommet  sont  les  ruines 
d'une  maison  envahies  par  les  pariétaires.  Les 
murailles  et  les  cheminées  sont  encore  solides  ; 
il  suffirait  de  recouvrir  les  ruines  d'un  toit  pour 
avoir  un  abri  confortable.  Ce  fut  sans  doute  un 
poste  de  guet,  car,  de  là,  on  découvre  l'île  en- 
tière, une  vaste  étendue  de  mer  et  une  partie  des 
îlots  de  Trégastel.  La  côte,  au-dessous,  est  tail- 
lée en  falaise  et  séparée  par  un  chenal  étroit  d'un 
îlot  de  rochers  activement  excavé  par  les  carriers 
qui  y  ont  construit  deux  misérables  cahutes  *,  une 
petite  goélette  est  ancrée  au  rivage  et  charge  des 
pierres  pour  Cherbourg.  Plus  loin  l'îlot  du  Cor- 
beau s'élève,  nu,  couronné  d'une  singulière  py- 
ramide de  pierres  plates.  A  côté,  l'île  Morville, 
puis  les  autres  rochers  qui  se  dressent  au  large  de 
Ploiunanac'h. 

Non  loin  de  là,  parmi  les  maigres  pâturages 
hérissés  de  genêts  et  entourés  de  hautes  clôtures, 
un  monument  mégalithique  s'est  conservé.  C'est 
un  beau  dolmen  formé  d'une  table  supportée  par 
six  pierres,  tout  autour  une  rangée  circulaire  de 
grandes  dalles  forment  un  cromlech.  C'est  un 
des  monuments  de  ce  genre  les  plus  complets  de 
Bretagne.  Du  haut  de  ce  dolmen  la  vue  s'étend 
sur  l'île,  sur  la  large  baie  qui  la  sépare  du  terri- 


l'île  grande  (enèb-meur)  et  son  archipel.  87 

toire  de  Trégastel.  La  mer  est  montée  maintenant, 
elle  entoure  l'île  d'Aval  et  l'île  d'Erch. 

Par  un  sentier  bordé  de  pâtures,  puis  de  champs 
cultivés,  nous  gagnons  le  hameau  du  Poullou,  com- 
posé d'humbles  maisons  ouvrières,  mais  cons- 
truites en  solide  granit,  et  rejoignons  la  petite 
capitale  de  l'île,  Kervégan,  où  la  vaillante  MmeLe 
Bail  Coadou  nous  a  préparé  à  déjeuner  avec  les 
ressources  de  son  magasin  :  des  sardines  et  une 
soupe  à  l'oignon,  voilà  ce  qu'on  trouve  à  l'île 
Grande  lorsqu'on  n'a  pas  annoncé  sa  visite.  Heu- 
reusement nous  avions  cueilli  dans  les  fontaines 
de  Saint-Duzec  une  botte  énorme  de  cresson,  l'on 
put  allonger  le  menu  ;  mais  l'auberge  possède  d'ex- 
cellent vin  apporté  de  Bordeaux  par  les  bateaux 
qui  viennent  charger  les  pierres  et  Mme  Le  Bail 
sait  élever  la  soupe  à  l'oignon  à  la  hauteur  d'un 
plat  national. 

—  Ah  !  s'écrie  mon  petit  Pierre  ravi,  on  ne 
sait  pas  faire  de  la  soupe  comme  celle-là,  à 
Paris. 

—  Oui,  mon  petit  bonhomme,  il  y  manquerait 
six  heures  de  marche  ou  de  voiture  par  les  grèves 
des  Côtes-du-Nord  ! 

Tout  en  déjeunant  je  recueille  sur  l'existence 
des.  insulaires  des   détails   nouveaux.  Leur  sort 


0(5  VOYAGE    EN    FRANGE. 

s'est  bien  amélioré  depuis  que  l'on  a  jeté  un  pont 
sur  le  détroit  ;  jadis  il  fallait  parfois  renoncer  à 
aller  sur  le  continent,  on  ne  pouvait  passer  qu'à 
basse  mer,  il  était  impossible  d'amener  un  méde- 
cin, il  fallait  aller,  il  faut  encore  aller  le  chercher 
à  Lannion,  mais  une  voiture  peut  arriver  à  toute 
heure.  Ce  pont  a  donné  à  l'île  des  facilités  im- 
menses, toutefois  le  commerce  des  pierres  ne  peut 
guère  en  profiter,  Lannion  est  une  trop  petite 
ville  et  elle  est  trop  éloignée.  Le  commerce  se  fait 
toujours  par  mer,  or,  l'île  n'a  pas  de  port.  Les 
navires  ne  trouvent  que  trois  mouillages  où  ils 
viennent  échouer  :  Toinot,  entre  l'île  de  Fougère 
et  Rucornic;  Morville,  près  de  l'île  de  ce  nom,  et, 
non  loin  du  pont  et  de  l'île  d'Aval,  le  mouillage 
de  Penvern.  Mais  aucune  balise  n'en  indique 
l'entrée  de  jour,  aucun  feu  ne  les  signale  la  nuit, 
aussi  les  navires  hésitent-ils  souvent  à  entrer. 
Malgré  ce  grand  commerce,  bien  plus  considé- 
rable que  le  mouvement  maritime  de  Lannion, 
Eries-Meur  n'a  donc  rien  qui  ressemble  à  une  or- 
ganisation maritime  ;  bien  plus  le  trafic  y  est 
gêné  par  les  formalités  de  douane  ;  on  ne  peut 
les  faire  sur  place.  Il  faut  s'adresser  à  un  autre 
port.  Et  pourtant,  dans  la  belle  saison,  il  y  a 
presque  toujours  une  douzaine  de  bateaux  en 
charge.  Si  les  chenaux  étaient  balisés,  si  des  cales 


l'île  grande  (énès-meub)  et  son  archipel.  89 

de  débarquement  étaient  construites,  si  l'atterris- 
sage de  nuit  était  facilité  par  des  feux,  l'exploi- 
tation des  carrières  en  recevrait  une  activité  bien 

plus  grande. 

L'île,  par  son  commerce,  par  sa  population  très 
dense,  mérite  qu'on  s'intéresse  à  elle.  Sur  ce  pla- 
teau vaste  de  moins  de  200  hectares,  c'est-à-dire 
d'un  tiers  plus  petit  que  Houat,  plus  petit  encore 
que  Hoëdic,  elle  a  une  population  trois  fois  plus 
considérable.  Les  écoles  sont  fréquentées  par 
140  enfants,  80  garçons  et  60  filles.  Depuis  le 
mois  de  novembre  1893  ces  écoles  sont  séparées. 
Jadis  un  seul  maître  devait  inculquer  le  français 
à  ces  140  petits  Bretons  !  Aujourd'hui  encore  la 
tâche  est  excessive,  car  on  ne  saurait  diriger 
avec  fruit  une  telle  masse  d'enfants.  11  faudrait  au 
moins  un  adjoint  pour  les  plus  petits. 

Telle  est  l'île  Grande,  un  des  coins  les  plus  in- 
téressants de  notre  France  et  des  plus  ignorés 
aussi  ;  terre  de  braves  gens  et  de  rudes  travail- 
leurs. Au  moment  où  nous  quittions  l'auberge, 
on  venait  de  défourner  le  pain;  femmes  et  enfants 
remplissaient  l'étroite  boutique  pour  être  les  pre- 
miers aux  provisions  et  j'admirais  combien,  mal- 
gré sa  rude  existence,  tout  ce  petit  monde  est 
propre  et  paraît  heureux.  Le  travail,  un  travail 


90  VOYAGE    EN    FRANCE. 

pénible  mais  salutaire,  l'absence  de  cabarets  et 
l'ignorance  clés  séductions  des  villes  ont  suffi  pour 
développer  et  rendre  prospères  ces  petites  colonies 
de  carriers  crai  débitent  patiemment  les  rochers 
à'Eriès-Meur  et  des  îlots  voisins,  ses  satellites. 


VII 


ARCHIPEL    DE    SAINT- GILD AS 


Les  îles  du  Lanuionnais.  —  Lannion  pendant  la  foire  aux  che- 
vaux. —  De  Lannion  à  Port-Blanc.  —  Les  pêcheurs  du  Lan- 
nionnais.  —  Les  goémonniers.  —  L'île  des  Femmes.  —  L'île 
de  Saint-Gildas.  —  L'île  des  Levrettes.  —  Buguellés.  —  Les 
îles  Plates.  —  Ile  du  Milieu.  —  Les  gens  de  Buguellés.  —  Iles 
des  Genêts,  Auza,  Bilo,  Inslant,  Nini,  des  Angles,  Kerganet, 
Bihan,  Marquer.  —  L'île  Illec  et  la  villa  d'Ambroise  Thomas. 


Port-Blanc,  25  décembre. 

Cette  côte  de  Lannion  est  semée  d'îles  presque 
inconnues.  La  géographie  les  ignore,  faisant  tou- 
tefois exception  pour  les  Sept-Iles  placées  trop  au 
large  de  la  côte  pour  ne  pas  figurer  sur  les  cartes, 
mais  les  îlots  qui  bordent  le  littoral  môme  sont  à 
peine  indiqués  sur  les  cartes  à  petite  échelle  ; 
pour  les  découvrir  et  les  visiter  il  faut  suivre  at- 
tentivement le  tracé  du  rivage  sur  les  cartes  d'é- 
tat-major ou  du  ministère  de  l'intérieur.  Ces  der- 
nières, par  la  coloration  bleue  de  la  mer,  laissant 
en  blanc  les  petites  terres  insulaires,  permettent 
de  reconnaître  les  plus  vastes  d'entre  elles,  celles 
qui  ont  déjà  100  à  200  mètres  d'étendue. 


92  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Dans  le  Lannionais  les  îles  sont  réparties  par 

groupe  :  l'île  Grande  et  les  Sept-Iles  forment  les 
archipels  de  l'Ouest.  A  l'Est,  en  face  de  Port- 
Blanc,  Saint-Gildas  est  la  plus  vaste  d'un  autre 
archipel  auquel  on  peut  donner  son  nom.  Enfin, 
à  F  embouchure  du  Jaudy  ou  rivière  de  Tréguier, 
est  le  groupe  des  îles  d'Er. 

Saint-Gildas  et  ses  voisines  remplissent  un  beau 
golfe  entre  F  estuaire  du  Tréguier  et  Port -Blanc 
«  en  Penvénan  »,  comme  on  dit  dans  l'ouest  pour 
désigner  la  commune.  Malgré  le  voisinage  de  la 
ville  jadis  épiscopale  de  Tréguier,  toute  cette 
contrée  est  encore  dans  la  zone  d'influence  de 
Lannion.  Lorsque  le  chemin  de  fer  atteindra  Tré- 
guier, la  cité  natale  d'Ernest  Renan  reprendra 
son  rôle  de  cité  maîtresse. 

Mais  aujourd'hui  il  faut  partir  de  Lannion  où 
le  chemin  de  fer  conduit  rapidement  et  prendre  le 
char  à  bancs  découvert,  chargé  de  porter  les  dé- 
pêches à  Penvénan.  Encore  faut-il  arriver  par  le 
train  du  matin,  le  soir  on  doit  ou  coucher  à  Lan- 
nion ou  prendre  une  voiture  spéciale. 

Hier,  c'était  la  foire  de  Noël,  la  principale  de 
l'année,  où  Fou  conduit  les  chevaux  élevés  en  si 
grand  nombre  dans  toute  la  région  de  Lannion. 
Les  rues  et  les  quais  sont  remplis  de  ces  beaux 
animaux  bien   découplés,   provenant,    dit-on.    de 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS.  93 

chevaux  arabes  ramenés  par  les  Croisés,  qui  sont 
en  grande  partie  destinés  à  nos  attelages  d'artil- 
lerie. Malgré  l'animation  que  donne  la  fouie  de 
bêtes  et  de  gens,  cela  n'a  rien  de  la  gaîté  des  réu- 
nions de  ce  genre  dans  la  Bretagne  riveraine  de 
l'Océan,  les  costumes  sont  noirs  et  Ton  n'en- 
tend pas  un  son  de  biniou.  Par  les  voies  mon- 
tantes, bordées  de  vieilles  maisons  à  pignon  ou  en 
encorbellement,  aux  poutres  sculptées  avec  plus 
de  grivoiserie  que  de  finesse,  la  foule  s'en  va, 
s'arrêtant  aux  étalages  pour  admirer  les  produits 
exposés.  Je  monte  avec  elle  pour  gagner  la  route 
de  Tréguier  où  m'arrête  un  instant  une  plaque  de 
marbre  rappelant  aux  Lannionnais  que  Geoffroy 
de  Port-Blanc  mourut  là,  en  1356,  en  défendant 
leur  ville  contre  les  Anglais. 

La  ville  se  change  peu  à  peu  en  faubourgs, 
puis  les  maisons  s'espacent  et  nous  voici  en  pleine 
campagne,  sur  la  route  où  passe  une  file  intermi- 
nable de  gens  à  pied,  à  cheval,  en  voiture,  reve- 
nant de  la  foire.  Les  femmes  ont  une  sorte  de 
coiffe  blanche  et  une  rooe  noire,  les  hommes  sont 
aussi  de  noir  vêtus,  ils  portent  une  redingote 
courte  de  taille  et  de  basque,  dont  les  plis  attes- 
tent un  long  séjour  dans  les  armoires.  Le  gilet 
montant  haut,  le  col  court  donnent  à  l'élément 
masculin  une  vague  ressemblance  avec  les  qua- 


94  VOYAGE    EN    FRANGE. 

kers;  les  faces  rasées  achèvent  l'illusion.  On  se 
croirait  bien  loin  de  la  Bretagne  si  nombre  de  ces 
imitations  de  clergyman  ne  traçaient  sur  la  route 
de  déplorables  zigzags.  Beaucoup  ont  scellé  par 
des  rasades  d'eau-de-vie  la  vente  du  cheval  ou  de 
la  vache.  Peu  d'entre  eux  ramènent  du  bétail,  ils 
ont  plus  vendu  qu'acheté,  mais  plusieurs  portent 
des  tamis  à  bluter  dans  lesquels  la  ménagère  pas- 
sera la  bouillie. 

On  quitte  bientôt  la  grande  route  pour  prendre 
le  chemin  de  Kermaria,  vrai  chemin  breton, 
bordé  de  hauts  talus  fleuris  d'ajoncs.  En  cette 
saison  les  fleurs  de  cette  plante  du  pays  grani- 
tique sont  d'un  jaune  pâle,  en  été  ce  jaune  tire 
sur  le  safran  -,  alternant  avec  des  ajoncs  sont  des 
chênes  déjà  dépouillés,  des  charmes  et  des  fou- 
gères roussies.  A  travers  de  rares  échaliers  on 
aperçoit  la  tendre  verdure  des  blés  ou  les  rangées 
de  choux. 

Le  paysage  reste  ainsi  limité  à  ces  hautes  clô- 
tures, à  peine  ouvert  près  d'un  hameau  ou  du  vil- 
lage de  Kermaria.  La  route  s'en  va  sur  ce  plateau 
tranquille  à  une  grande  hauteur,  plus  de  cent  mè- 
tres au-dessus  de  la  mer,  puis  descend  doucement 
à  Penvénan.  La  nuit  est  venue  quand  nous  attei- 
gnons ce  gros  bourg  aux  rues  étroites  où  quelques 
boutiques   éclairées  mettent  un  peu  de  vie.   Et 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS.  95 

la  campagne  recommence,  non  moins  calme,  on 
devine  que  Ton  descend  rapidement  ;  bien  loin 
brûlent  des  feux  éclatants.  Ce  sont  les  phares.  Ce- 
lui de  l'île  aux  Moines,  dans  les  Sept-Iles,  lance 
des  éclats  blancs  ;  à  gauche,  le  grand  phare  des 
Triagoz  jette  des  éclats  rouges  et  blancs  ;  à  droit'-, 
un  feu  rouge  éclatant  signale  les  Héaux  de  Bréhat. 
Dans  cette  nuit  noire  où  ni  reflet,  ni  rumeur  de 
vague  n'indique  la  mer,  ces  lumières  éclatantes 
semblent  des  étoiles  détachées  du  ciel. 

La  voiture  s'arrête  au  bord  d'une  grève  que 
l'on  devine  au  bruit  du  ressac,  devant  une  auberge 
faiblement  éclairée,  c'est  Y  hôtel  de  la  Plage  de 
Port-Blanc,  boutique  étroite  où  les  douaniers 
prennent  en  ce  moment  l'apéritif. 

—  Jeanne  Yvonne,  voilà  un  voyageur! 

Jeanne  Yvonne  est  la  femme  de  l'aubergiste  ; 
elle  me  promet  un  gîte  et  me  donne  une  vaste 
chambre  servant  aussi  aux  consommateurs,  à  en 
juger  par  les  émanations  d'alcool  qui  persistent 
encore,  mais  l'accueil  est  excellent  et  une  nuit  est 
bientôt  passée. 

Bien  avant  le  point  du  jour  si  tardif  en  cette 
saison  je  suis  debout  et  parcours  le  quai  de  Port- 
Blanc.  Bientôt  une  lueur  pâle  apparaît  et  me 
montre  un  paysage  inattendu.  Sur  le  rivage  d'une 


96  VOYAGE    EN    FRANGE. 

vaste  grève  des  rochers  s'amoncellent,  en  dômes, 
en  pyramides,  en  amas  de  toute  forme.  Au  som- 
met d'un  de  ces  obélisques  une  guérite  de  pierre 
semble  faire  corps  avec  lui.  Un  pêcheur  me  dit, 
en  hochant  la  tête,  que  cela  remonte  à  la  nuit  des 
temps  ;  un  douanier,  plus  sceptique,  prétend  que 
c'est  une  guette  édifiée  il  y  a  peu  d'années  par  un 
marchand  de  homards  pour  voir,  de  plus  loin, 
revenir  ses  bateaux  de  la  pêche. 

En  face,  sur  la  grève  encore  à  sec,  dans  la  mer, 
des  îlots  nombreux  se  dressent,  les  uns  arides  et 
nus,  d'autres  très  verts  avec  des  habitations  d'où 
montent  de  légers  filets  de  fumée  bleue.  Les  pê- 
cheurs réunis  sur  le  port  attendent  le  flot.  Jus- 
qu'au moment  où  l'on  pourra  armer  pour  moi  un 
canot,  je  me  mêle  à  ces  hommes  pour  les  interro- 
ger; personne  ne  me  répond,  ils  ne  comprennent 
pas  ou  ne  veulent  pas  comprendre  le  français  et 
je  ne  sais  pas  un  mot  de  bas-breton. 

Un  aimable  instituteur  adjoint,  M.  Le  Mars, 
veut  bien  me  tirer  d'embarras.  Il  connaît  à  mer- 
veille le  breton  ;  par  lui  j'apprends  l'état  misé- 
rable de  ces  braves  gens.  La  pêche  est  abondante 
dans  ces  parages,  mais  elle  ne  donne  que  des 
poissons  communs  à  bas  prix.  Ainsi  il  y  a  beau- 
coup de  cangues,  mais  cela  vaut  deux  sous  la 
livre.  Lorsque  le  pêcheur  a  gagné  1  fr.  50  c.  en 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS. 


97 


livrant  son  poisson  an  mareyeur,  il  s'estime  heu- 
reux et  reprend  aussitôt  la  mer.  Avec  ces  trente 
sous  il  lui  faut  nourrir  une  famille  nombreuse, 
six  ou  sept  enfants  parfois.  A  midi  de  la  bouillie, 
le  soir  du  lait  produit  par  ]a  vache  et  des  pommes 


IA 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS 


D'après  la  carte  de  l'état-major  au 


80,000 


de  terre  données  par  le  petit  champ  familial,  voilà 
le  repas.  Le  père  s'en  va  le  plus  souvent  à  la  mer 
en  emportant  une  galette  de  blé  noir  et  de  l'eau, 
le  pain  est  chose  presque  inconnue. 

Si  l'esprit  d'association  pouvait  naître,  tout  chan- 
gerait, le  pêcheur  échapperait  aux  intermédiaires, 


VOYAGE    EN    FRANCE.     —     V. 


98  VOYAGE    EN    FRANCE. 

il  pourrait  vendre  directement  son  poisson.  Au- 
jourd'hui c'est  impossible,  la  moindre  expédition 
isolée  à  Lannion  coûte  trois  francs,  il  faut  acheter 
de  la  glace,  il  faut  compter  avec  les  arrivées  tar- 
dives à  la  halle  de  Paris  faisant  perdre  les  mar- 
chandises. Môme  dans  les  meilleures  conditions, 
le  pêcheur  ne  touche  pas  la  moitié  du  prix  de  son 
poisson. 

En  vain  a-t-on  prêché  la  communauté  d'efforts, 
aucun  conseil  ne  peut  triompher  de  l'esprit  d'iso- 
lement. L'assurance  est  inconnue.  Pour  deux 
francs  par  an  une  société  offre  des  secours  aux 
veuves  en  cas  de  décès  à  la  mer.  —  Nos  pères 
n'ont  pas  eu  besoin  de  cela,  disent  les  pêcheurs. 

Et  ils  continuent  comme  par  le  passé.  Seule  la 
récolte  du  goémon  a  modifié  leur  existence,  ils 
s'y  livrent  avec  une  véritable  furie,  car  le  produit 
est  certain  et  courte  la  période  de  pêche.  En  fé- 
vrier la  coupe  est  autorisée  ;  de  six  heures  du  ma- 
tin à  la  nuit  noire,  tout  le  monde  est  à  la  grève  à 
couper  les  précieuses  algues  ;  pendant  quinze  jours 
les  écoles  sont  fermées  faute  d'élèves.  Sur  les  ri- 
vages découverts  après  les  grandes  marées  on  se 
bat  pour  avoir  les  meilleures  places,  hommes  et 
femmes  se  prennent  aux  cheveux. 

Le  rôle  du  syndic  des  gens  de  mer  n'est  pas  fa- 
cile alors  ;  il  doit  poursuivre  ceux  qui,  sous  pré- 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS.  99 

texte  de  ramasser  le  goémon  d'épaves,  portent  la 
faucille  dans  les  prairies  marines  pendant  la  sai- 
son prohibée.  Les  goémonniers  supportent  mal 
cette  surveillance,  car  la  récolte  des  varechs  est 
une  ressource  précieuse  dans  un  pays  où  l'on  m'a 
cité  un  ouvrier  ayant  dix  enfants  et  gagnant  dix 
sous  par  jour  ! 

Sans  le  petit  champ,  sans  le  goémon,  sans  la 
mer  bienfaisante  qui  fournit  les  crabes  et  les  co- 
quillages, cette  population  mourrait  de  faim. 

Le  ilôt  a  monté,  le  canot  qui  doit  me  conduire 
dans  les  îles  est  paré.  M.  Le  Mars  m'a  prévenu 
que  les  habitants  ne  parlent  pas  le  français,  il 
veut  bien  m'accompagner  pour  me  servir  d'inter- 
prète. Nous  voici  voguant  dans  la  vaste  baie  fer- 
mée d'îlots.  Port-Blanc  vu  d'ici  est  très  curieux 
avec  ses  maisons  basses,  ses  rochers  et  sa  cha- 
pelle. C'est  à  la  fois  riant  et  fantastique.  Nos  pre- 
mières bordées  nous  font  approcher  de  l'îlot  exigu 
appelé  île  des  Femmes,  puis  d'un  grand  rocher 
semblable  à  des  ruines  féodales,  couronné  par  un 
amer  pointu,  peint  en  blanc.  Des  centaines  de  ro- 
chers de  toutes  formes  hérissent  la  mer,  en  deçc\ 
et  au  delà  des  îles. 

Le  vent  porte  maintenant  vers  Saint-Gildas. 
Nous  abordons   sur  la  grève,   près  d'un  dolmen 


100  VOYAGE    EN    FRANGE. 

dont  deux  piliers  sont  tombés,  l'énorme  dalle  re- 
pose d'un  côté  sur  le  sol,  formant  une  ouverture 
triangulaire.  La  légende  s'en  est  emparée,  c'est 
le  «  lit  de  saint  Gildas  »  ;  là,  dit-on,  le  thauma- 
turge passa  sa  première  nuit  en  arrivant  d'Irlande. 
Près  du  dolmen  un  écriteau  nous  informe  qu'il 
est  expressément  défendu  de  visiter  l'île.  Tant 
pis,  nous  sommes  à  terre,  nous  y  resterons. 

Yoici  un  amas  de  grands  blocs  de  rochers,  sem- 
blables aux  amoncellements  de  grès  de  Fontai- 
nebleau. C'est  une  petite  colline  où  sur  tous  les 
ressauts,  entre  tous  les  interstices  de  la  roche  crois- 
sent des  plantes  vertes  :  genêt,  lierre,  pervenche 
aux  grandes  étoiles  bleues.  Autour  de  ces  roches, 
un  bois  de  pin  couvre  une  pelouse  ;  au  flanc  du 
granit  des  nappes  vigoureuses  de  lierre  se  sont 
attachées.  En  s'aidant  des  plantes  on  peut  atteindre 
le  sommet  des  roches,  de  là  on  a  une  vue  superbe 
sur  ces  aiguilles,  ces  dômes  et  ces  écroulements 
de  blocs  chaudement  colorés.  Dans  l'un  de  ces  ro- 
chers boisés  est  un  petit  réservoir  d'eau  claire  qui 
n'a  jamais  tari,  c'est  d'autant  plus  étrange  que  ce 
bloc  est  complètement  isolé  :  l'eau  des  pluies  et 
des  brumes  suintant  par  les  fissures  explique  le 
phénomène.  Les  gens  du  pays  disent  que  cette 
fontaine  est  née  du  rocher  par  la  volonté  de  saint 
Gildas.  Avec  ces  pins,   ces   pervenches,   ces   ar- 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS.  101 

bus  Les  verts,  ce  n'est  pas  la  Bretagne,  c'est  quel- 
que îlot  ignoré  de  la  côte  des  Maures  et  de  l'Es- 
terel,  dans  la  chaude  Provence  ! 

A  travers  les  ronces,  sous  le  lierre,  on  deyine 
parmi  les  rochers  comme  un  arrangement,  peut- 
être  les  Celtes  eurent -ils  ici  des  monuments 
aujourd'hui  renversés.  Ce  coin  de  terre  dut  être 
jadis  un  lieu  pour  le  culte. 

Du  sommet  des  coteaux  on  découvre  une  vaste 
étendue  de  mer,  la  rade  de  Port-Blanc,  large  et 
profonde,  les  îles  dont  quelques-unes  singulière- 
ment soudées  entre  elles  par  des  sillons  de  galets 
retroussés  par  \sl  mer  et  que  les  cartes  ne  signa- 
lent pas. 

De  cette  pointe,  si  poétiquement  belle,  un  che- 
min bordé  d'ormeaux  conduit  au  hameau  de  l'île. 
Une  ferme,  une  villa,  deux  chapelles  le  consti- 
tuent. Quatorze  habitants  le  peuplent  pendant  la 
belle  saison.  En  hiver  il  y  en  a  trois  ou  quatre  à 
peine.  La  plus  grande  des  deux  chapelles  est 
close,  la  clef  est  aux  mains  du  recteur  de  Penvénan . 
J'aurais  voulu  y  pénétrer  cependant,  car  elle  ren- 
ferme une  des  plus  célèbres  statuettes  de  Bretagne, 
celle  de  saint  Gildas.  Chaque  année,  le  jour  de 
Pentecôte,  on  vient  dans  l'île  avec  des  chevaux 
et  du  bétail,  les  pèlerins  entrent  pieusement  dans 
la  chapelle,  armés  d'un  morceau  de  pain  dont  ils 


102  VOYAGE    EN    FRANCE. 

frottent  le  ventre  de  la  statue,  on  donne  ensuite 
ce  pain  à  manger  aux  animaux  ;  ceux-ci  seront  dé- 
sormais préservés  de  la  rage  ;  ils  reviennent  du 
«  pardon  »  plus  alertes  et  plus  vigoureux. 

La  petite  chapelle  est  fermée  par  une  grille  à 
travers  laquelle  on  aperçoit  un  humble  autel  et, 
dans  une  niche  un  crâne  verdi  par  l'humidité. 
C'est  le  crâne  de  saint  Gildas. 

Autour  de  la  chapelle  et  de  la  villa  croissent,  vi- 
goureux, des  ormes  moussus,  d'énormes  figuiers, 
des  tamaris,  des  plantes  vertes.  Une  allée  d'or- 
mes passe  derrière  ce  hameau,  bordant  un  che- 
min qui,  plus  loin,  franchit  sur  une  chaussée  l'en- 
trée d'une  baie  marécageuse  divisant  l'île  en  deux 
parties.  D'un  côté,  autour  de  la  chapelle,  les  hauts 
rochers  tapissés  de  lierre,  empanachés  de  verdure 
surgissant  des  pins,  au  milieu  la  lagune  où  monte 
la  mer,  bordée  vers  le  nord  par  un  sillon  de  galets  -, 
plus  loin  une  presqu'île  de  forme  arrondie.  Là  sont 
des  pâturages  où  de  superbes  chevaux  viennent  à 
notre  approche  ;  les  terres  de  culture  sont  assez 
vastes,  le  sol  très  fertile  pourrait  être  mieux  en- 
tretenu. Ce  beau  domaine  est  loué  1,200  fr.,  le 
fermier  ne  pourrait  payer,  s'il  n'avait  le  revenu 
du  goémon  recueilli  et  incinéré  sur  les  grèves. 

Le  sillon  littoral,  de  formation  si  curieuse,  re- 
lie  Saint-Gildas  à  l'île  des  Levrettes.  Ce  sillon 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS.  103 

est  un  revenu  pour  le  fermier;  la  crête,  à  l'abri  de 
la  mer,  sert  d'entrepôt  pour  le  goémon,  les  habi- 
tants de  Buguellès  ou  Saint-Nicolas  le  louent  à 
cet  effet.  Les  gens  de  Buguellès  sont  de  hardis 
marins  vivant  un  peu  d'épaves;  ils  abritent  leurs 
embarcations  dans  les  nombreuses  criques  de  leur 
péninsule. 

Du  sommet  des  cultures  de  Saint-Gildas,  l'île 
se  déploie  tout  entière,  très  belle  et  pittoresque. 
A  en  juger  par  la  splendeur  de  la  végétation,  cette 
petite  terre  pourrait  être  transformée  en  un  jardin 
d'Armide,  elle  a  tout  ce  qu'il  faut  pour  cela  : 
bois,  rochers,  prairies,  grèves,  anses  tranquilles 
et,  par  delà  le  sillon  des  Levrettes,  la  mer  gron- 
deuse faisant  mieux  ressortir  le  calme  de  cette 
heureuse  solitude. 

Notre  barque  vient  nous  chercher  dans  une  pe- 
tite baie  aux  eaux  claires  et  nous  conduit  par  des 
chenaux  sinueux  entre  des  îlots  verdoyants  appe- 
lés les  îles  Plates,  bien  que  plusieurs  soient  hautes. 
L'île  du  Milieu,  la  plus  vaste,  a  des  cultures;  sur 
les  autres  quelques  pâturages  et  des  pins  mettent 
un  peu  de  gaîté.  Ces  îles  et  leur  voisine  Illec  — 
Pillez  de  l'État-major,  la  Ziliec  du  service  vicinal 
—  appartiennent  au  grand  compositeur  Ambroise 
Thomas  ;  je  verrai  tout  à  l'heure  son  domaine. 


104  VOYAGE    EN     FRANCE. 

Nous  continuons  à  voguer  sur  les  eaux  calmes, 
en  rasant  l'île  du  Milieu,  que  les  gens  de  Buguellès 
viennent  cultiver  :  ils  ont  séparé  les  champs  avec 
de  grands  talus  comme  sur  le  continent.  Leur  vil- 
lage, Saint-Nicolas,  est  en  face,  sur  un  promon- 
toire accidenté,  dont  les  rochers  aigus  portent 
l'église,  les  maisons  et  les  ruines  d'une  forteresse. 
C'est  un  site  admirable  pour  un  peintre. 

Yuici  l'île  des  Genêts,  une  des  plus  vastes  du 
groupe,  celle  qui  a  la  population  la  plus  nom- 
breuse, 12  habitants.  Le  curieux  sillon  de  galets 
est  reformé  ici,  très  haut  au-dessus  de  la  mer  et 
la  relie  à  l'île  d'Illec  puis  à  l'île  Auza;  cette  jetée 
naturelle  est  comme  le  fil  d'un  collier  dont  les 
îles  seraient  les  grains.  Ce  sillon  est  loué  en  éten- 
due égale  par  le  propriétaire  de  Saint-Gildas  aux 
gens  de  Buguellès  qui  viennent  y  faire  sécher  le 
goémon.  Dans  ces  parages  le  goémon  d'épaves  est 
si  abondant  après  les  gros  temps,  qu'on  pourrait 
en  charger  de  nombreux  navires . 

On  débarque  sur  une  grève  de  gros  galets,  dans 
lesquels  on  trouve  du  grès  ferrugineux  enrobant 
d'autres  pierres  ;  après  avoir  gravi  le  flanc  d'un 
coteau,  on  se  trouve  aussitôt  au  milieu  de  belles 
cultures  ;  Balanec  ou  l'île  des  Genêts  est  très  fer- 
tile, ses  terres  engraissées  par  le  goémon  du  ri- 
vage donnent  une  vigueur  extrême  aux  végétaux. 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS.  105 

Il  y  a  là  des  choux  à  haute  tige  grosse  comme  le 
bras.  Lorsque  cette  tige  a  été  coudée  à  mi-hauteur, 
ou  fend  en  quatre  tronçons  la  partie  laissée  en 
terre  ;  chaque  morceau  deviendra  bientôt  un  ra- 
meau d'un  petit  arbuste. 

Le  sentier  conduit  au  petit  hameau  de  l'île, 
composé  de  quatre  maisons  ;  devant  les  habitations 
un  tertre  de  rochers  a  reçu  dans  ses  interstices 
quelques  jeunes  pins  appelés  à  transformer  l'as- 
pect de  Balanee.  Autour  des  maisons  il  y  a  déjà 
des  chênes  nains  et  de  grandes  mauves  arbores- 
centes. L'île  appartient  à  deux  cultivateurs  aux 
noms  fortement  armoricains:  Louern  et  Morvan. 
Ils  ont  innové,  car  voici,  à  côté  des  champs  de 
blé  et  de  choux,  de  beau  trèfle  et  des  terres  la- 
bourées. Gomme  aspect  cela  est  bien  supérieur  à 
Saint-Gildas  ;  cette  dernière,  il  est  vrai,  très  basse 
dans  sa  partie  défrichée,  est  exposée  aux  irrup- 
tions de  la  mer  par  les  grandes  marées  ;  l'île  des 
Genêts,  an  contraire,  calotte  de  granit  jamais  sub- 
mergée, a  conservé  toute  son  énergie  productrice. 

Du  sommet  du  mamelon  terminal  on  découvre 
la  presqu'île  de  Buguellès,  creusée  d'anfractuosi- 
tés  profondes  d'où  l'on  voit  s'élancer  des  mâts  de 
chaloupes,  ce  sont  les  ports  de  cette  population 
d'intrépides  coureurs  des  mers.  Les  abords  sont 
couverts  d'îles  inhabitées  mais  cultivées  :   Bilo, 


106  VOYAGE    EN    FRANCE. 

très  petite;  l'île  Instant,  appelée  Istan  sur  la 
carte  de  l'État-major,  niais  elle  se  nomme  bien 
Instant  ;  ce  mon  expressif  est  dû  à  la  courte  et  rare 
apparition  du  flot  dans  une  partie  du  détroit.  Aux 
plus  grandes  marées  seulement,  et  pendant  un 
«  instant  »,  un  quart  d'heure. au  plus,  ce  lambeau 
de  terre  a  le  caractère  insulaire. 

Plus  au  nord  une  traînée  d'îles  en  partie  culti- 
vées continue  l'archipel:  île  Nini,  île  des  Ongles, 
île  Kerganet,  assez  longue  et  très  déchiquetée. 
Tout  autour  on  compte  les  rochers  par  dizaines, 
les  uns  isolés,  d'autres  reliés  par  des  sillons.  Dans 
la  baie  de  Buguellès,  au  sud  de  l'île  du  Milieu, 
Knès  Bihan,  la  petite  île,  l'île  Marquer  et  d'au- 
tres îlots  sont  encore  le  domaine  des  gens  de 
Saint-Nicolas. 

L'île  des  Genêts,  déjà  reliée  par  le  sillon  de 
galets  à  l'île  d'Illec  et  à  l'île  Auza,  possède  une 
digue  artificielle  la  joignant  à  cette  dernière 
île.  Entre  le  sillon  et  la  digue,  la  mer  afflue  par 
un  chenal  percé  sous  celle-ci  et  l'orme  un  vaste 
étang.  A  mer  basse  celui-ci  se  vide,  mais,  en  s'é- 
coulant,  il  fait  mouvoir  la  roue  d'un  moulin.  Mi- 
sérable usine,  s'il  en  fut  :  la  pièce  où  sont  les 
meules  sert  en  même  temps  de  chambre,  de  cui- 
sine et  de  salle  à  manger  à  la  famille  du  meunier. 
Tout  cela  pauvre,  humide,  encombré.  A  côté  de 


ARCHIPEL    DE    SAINT-GILDAS .  107 

la  maison  un  appentis  l'orme  une  étable  pour  le 
porc,  sur  l'autre  rive  du  chenal  une  vaste  écurie 
est  construite  avec  des  mottes  de  bruyères  super- 
posées et  recouvertes  de  chaume.  La  motte  de 
bruyère  sert  aussi  de  combustible,  concurrem- 
ment avec  le  goémon. 

L'île  d'Auza  est  déserte,  mais  les  cultures  y 
sont  assez  belles.  Le  grand  sillon  commence  à  la 
pointe  extrême,  touche  à  l'île  des  Genêts  et  se 
poursuit  jusqu'à  Illec.  C'est  le  plus  haut  talus  de 
cailloux  de  ces  mers1.  Le  sillon  de  Talbert,  entre 
les  estuaires  du  Trieux  et  du  Tréguier,  est  plus 
long  puisqu'il  a  trois  kilomètres  de  développe- 
ment, mais  il  est  plus  bas  sur  l'eau.  Le  sillon  de 
l'.ile  d'Illec  atteint  plus  de  six  mètres  au-dessus  de 
la  mer,  sa  longueur  est  d'un  peu  plus  d'un  kilo- 
mètre. Grâce  à  cet  abri  contre  les  vents  du  large, 
les  bateaux  de  Buguellès  sont  en  sécurité  dans  les 
criques. 

La  course  sur  ce  sillon  formé  de  galets  ronds, 
gros  comme  des  bombes  et  des  boulets,  encom- 
bré des  tas  de  goémon,  est  pénible,  aussi  est-ce 
par  le  canot  que  nous  allons  gagner  maintenant 


1.  Ce  singulier  phénomène  est  représenté  sur  la  carte  de 
l'élat-major  dont  nous  donnons  un  extrait  page  93  par  une 
sorte  de  ligne  incurvée  partant  de  l'île  d'Illec,  au-dessous  du 
mot  île,  et  allant  jusqu'à  l'île  Nini. 


108  VOYAGE    EN    FRANCE. 

l'île  d'IUec.  En  quelques  minutes  nous  voici  en 
vue  d'une  des  îles  Plates,  formée  d'une  belle  py- 
ramide de  rochers  et  nous  abordons  à  la  petite 
cale  que  M,  Ambroise  Thomas  a  fait  construire. 
Deux  grandes  barques  composent  la  flottille  du 
maître  :  Mignon  et  Trécor.  L'auteur  de  Françoise  de 
Jii mini  a  choisi  ainsi  la  plus  populaire  de  ses 
œuvres  et  le  nom  celtique  du  pays  de  Tréguier 
pour  baptiser  les  bateaux  qui  le  portent  à  son  île. 
Bien  petite  cette  île  d'iLLEC  !  Elle  est  formée 
par  trois  massifs  de  rochers  réunis  par  le  sillon, 
sur  lequel  une  herbe  épaisse  a  pu  croître.  Entre 
deux  de  ces  rochers,  sur  une  plate-forme  couverte 
d'ajoncs,  M.  Ambroise  Thomas  a  construit  sa 
villa  :  maison  de  granit  à  un  étage  et  un  toit  man- 
sardé. Trois  fenêtres  à  l'étage;  sur  la  façade  re- 
gardant le  continent  une  vigne  court  au-dessus  de 
la  porte,  près  d'une  tourelle  d'angle.  Sur  l'autre 
façade,  précédée  d'une  terrasse  gazonnée  en  vue 
des  étendues  de  1* Océan,  un  pavillon  carré  fait 
saillie.  Au  jjied  des  rochers  un  jardinet  dans  le- 
quel sont  des  hortensias  gigantesques.  Dans  les 
roches  quelques  pins,  la  maison  blanche  et  pro- 
prette du  garde.  Entre  les  ajoncs  s'entre-croisent 
une  multitude  de  petits  sentiers,  promenade  favo- 
rite du  célèbre  compositeur  qui  se  plaît  à  suivre 
ces  pistes  serpentant  au  hasard.  11  adore  ce  coin 


ARCHIPEL    DE    SA1NT-GILDAS .  109 

sauvage,  les  ajoncs  sont  sévèrement  surveillés, 
il  est  défendu  d'y  toucher.  Chose  curieuse,  les 
gens  de  Buguellès  ont  respecté  ces  maigres  brous- 
sailles qui  feraient  de  si  bonnes  bourrées  !  Le 
garde,  il  est  vrai,  tient  les  maraudeurs  en  respect. 

Tel  est  ce  petit  royaume  où  Ambroise  Thomas 
a  composé  Mignon.  La  villa  a  été  meublée  par  lui 
au  moyen  de  meubles  et  d'objets  d'art  achetés 
dans  la  contrée  de  Tréguier.  Vieux  bahuts,  vieux 
sièges,  motifs  de  sculptures  ornent  le  vestibule  et 
une  partie  des  pièces.  Depuis  1872  ces  objets  sont 
précieusement  amassés.  Dans  la  cuisine  le  manteau 
de  la  cheminée,  en  granit  sobrement  sculpté,  pro- 
vient d'une  ferme  du  continent.  Toutefois,  Am- 
broise Thomas  a  meublé  les  pièces  intimes  avec 
des  meubles  plus  confortables  que  les  sévères  pro- 
duits de  la  menuiserie  armoricaine.  Sa  chambre 
est  fort  simple,  un  petit  lit  de  fer  dans  un  coin, 
une  antique  commode  ornée  de  cuivres  la  rem- 
plissent, mais  aux  murs  sont  tendues  de  vieilles 
tapisseries  des  Gobelins. 

Le  choix  de  cet  asile  est  heureux;  l'île,  malgré 
son  exiguïté,  est  charmante,  jetée  ainsi  entre 
l'Océan  presque  toujours  agité  et  la  mer  calme 
de  Port-Blanc;  on  la  quitte  avec  regret.  Un  der- 
nier regard  aux  hortensias  et  aux  yuccas  qui  fra- 


110  VOYAGE    EN    FRANCE. 

teniisent  avec  les  choux  dans  le  parterre  et  aux 

belles  roches  grises  qui  encadrent  la  maison  et 
nous  voici  de  nouveau  en  route.  Mes  compagnons 
me  font  apercevoir  au  loin,  sur  une  colline,  la 
vaste  villa  de  Crech  Bleys,  construite  par  l'amiral 
de  Guverville,  admirateur  de  Port-Blanc  lui  aussi, 
dont  il  rêve  de  faire  un  abri  pour  les  torpilleurs. 
L'entrée  de  la  rade,  entre  File  du  Château  et 
celle  de  Saint-Gildas,  a  une  profondeur  d'eau  con- 
sidérable, même  à  marée  basse,  à  l'abri  de  la  houle 
et  des  tempêtes.  De  là  nos  torpilleurs  pourraient 
s'élancer  aussitôt  en  haute  mer  contre  tout  navire 
ennemi  signalé  par  les  guetteurs. 


VIII 


LES    ILES    D  ER 


Du  Port-Blanc  au  Tréguier.  —  La  Roche  jaune.  —  Saint 
Gouano.  —  En  route  sur  l'estuaire.  —  lie  Ribolen.  —  lie  de 
Loaven.  —  La  légende  de  saint  Gonéré  et  de  sainte  Elibou- 
banna.  —  Les  rochers  du  Trieux.  —  La  Petite-Ile.  —  L'ile 
d'Er.  —  Existence  d'une  famille  insulaire.  —  Le  patriarche 
Le  Rous. 


Plouguiel,  25  décembre. 

Qui  donc,  à  voir  ce  grand  soleil,  se  croirait  en 
Bretagne  un  jour  de  Noël  !  Il  fait  une  journée 
printanière,  le  ciel  est  d'une  admirable  limpidité, 
les  ajoncs  fleuris  semblent  une  rosée  d'or,  sur  la 
tige  vermeille  des  blés  sortant  de  terre  perlent 
des  gouttes  de  rosée  qui  s'irisent.  On  pourrait  se 
croire  bien  loin  de  la  Manche  et  de  ses  côtes  ora- 
geuses, sans  les  tains  qui  bordent  les  champs  et 
sans  les  croix  dessinées  en  battant  la  terre  à  coup 
de  bêche  pour  appeler  la  bénédiction  sur  la  récolte 
à  venir. 

Pendant  deux  ou  trois  lieues,  le  chemin  est 
ainsi,  on  n'aperçoit  un  peu  d'horizon  qu'en  appro- 


112  VOYAGE    EN    FRANGE. 

chant  de  Plouguiel,  en  vue  de  la  vieille  cité  de 
Trégnier  étalant  ses  maisons  grises  au  flanc  d'une 
colline  dominée  par  la  haute  flèche  à  jour  de  sa 
cathédrale.  Plouguiel  est  un  petit  bourg  qu'un 
court  chemin  relie  à  la  cité  voisine  et  fier  d'une 
belle  église  ogivale  moderne  à  la  flèche  élancée. 

Nous  ne  traverserons  pas  Trégnier  pour  aller 
aux  îles  de  l'estuaire,  le  trajet  en  rivière  serait  un 
peu  long,  il  faudrait  refouler  le  flot  montant  dans 
le  Jaudy.  Une  embarcation  m'attend  à  la  Roche 
Jaune,  «  Roch  Velen  »,  en  Plougrescant,  une  anse 
y  forme  un  petit  port  au  pied  d'une  colline  abrupte, 
exposée  au  midi.  Dans  ce  doux  climat  les  arbres 
les  plus  délicats  prospèrent,  les  figuiers  sont  énor- 
mes, les  rosiers  encore  fleuris  festonnent  les  fa- 
rad es  *,  le  poste  des  douaniers,  au  bord  de  la  rivière, 
est  ombragé  par  un  grand  laurier- tin,  dont  les 
ombelles  d'un  blanc  rosé  semblent  le  couvrir  de 
neige. 

Roch  Velen  doit  ce  nom  aux  terres  jaunes  qui 
entourent  l'anse.  Près  du  hameau  est  une  fontaine, 
dédiée  à  un  saint,  comme  toutes  les  sources  bre- 
tonnes. Le  protecteur  est  ici  saint  Gouano  ;  l 'eau  de 
la  source  a  le  privilège  précieux  de  guérir  toutes 
les  maladies,  surtout  les  plaies  et  les  affections  de 
la  peau.  Les  linges  qui  ont  servi  aux  ablutions 


LES    ILES    D  ER 


113 


sont  précieusement  conservés.  An  moment  de  la 
fête  de  saint  Gouano,  l'affluence  des  pèlerins  est 
énorme,  les  douaniers  se  sont  vus   privés  d'eau 


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D'après  la  carte  de  Tétat-maior  au  — 

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pendant  huit  jours,  le  peu  qui  restait  au  fond 
du  bassin  étant  souillé  par  les  visiteurs  et  leur  bé- 
tail, car  on  y  mène  les  bœufs  en  pèlerinage. 


VOYAGE    EN    FRANCE;     V. 


114  VOYAGE    EN    FRANCE. 

A  Roch  Velen,  le  Jaudy,  ou  rivière  de  Tréguier, 
est  très  large,  la  marée  monte  beaucoup  dans  ces 
mers,  près  de  cinquante  pieds,  disent  les  pêcheurs, 
c'est  peut-être  exagéré,  mais  on  peut  bien  compter 
dix  mètres,  aussi  découvre-t-elle,  au  jusant,  de 
hautes  et  larges  grèves.  Au  delà,  le  paysage  est 
frais  mais  sévère;  la  rive  droite,  exposée  au  vent 
d'ouest,  est,  comme  dans  tous  les  estuaires  bre- 
tons, dénuée  d'arbres.  Sur  le  flanc  de  la  colline 
les  cultures  se  détachent  entre  les  hauts  talus 
couverts  d'ajoncs;  chose  bizarre,  ces  talus  ont  une 
direction  convexe.  Au  sommet  du  coteau  des  fu- 
mées bleues  montrent  des  maisons  grises  dépen- 
dant du  village  de  Kerbor. 

Sur  la  rive  gauche  au  contraire,  regardant  vers 
le  midi,  beaucoup  d'arbres,  de  belles  prairies  ;  le 
décor  jusqu'à  Tréguier  est  aussi  gai  que  l'autre 
versant  est  austère. 

Nous  voici  au  large  de  la  Roche  Jaune,  le  vent 
nous  pousse  rapidement  vers  la  mer,  qui  nous 
apparaît  couverte  d'îlots  et  de  rochers.  Subite- 
ment l'estuaire  s'élargit,  devient  golfe  entre  la 
pointe  de  Port-Béni  à  droite,  et  celle  de  Ribolen 
à  gauche.  Ribolen  est  un  promontoire  à  basse 
mer,  à  pleine  marée  c'est  une  petite  île  protégée 
par  un  mur  en  pierre  sèche.  Deux  petits  champs, 


LES    ILES    D'ER.  115 

une  maison  couvrent  le  sommet  de  l'îlot.  Celui-ci 
se  prolonge  à  mer  basse  — ■  et  en  ce  moment  le 
ilôt  commence  à  peine  —  par  d'immenses  grèves 
et  des  bancs  de  vases  ou  herbiers  couverts  d'une 
herbe  marine  semblable  à  des  prairies,  où  des 
cormorans  et  des  mouettes  fouillent  du  bec  pour 
trouver  des  petits  crustacés,  des  vers  ou  des  pois- 
sons. Au  bas,  près  du  flot,  des  hérons  immobiles 
et  graves,  l'œil  obstinément  tendu  sur  le  courant, 
ne  quittent  cette  pose  hiératique  que  pour  dé- 
tendre brusquement  leur  long  cou  et,  d'un  long- 
bec,  saisir  une  proie  à  portée.  Les  herbiers  pré- 
sentent ainsi  un  spectacle  des  plus  curieux,  ils  se 
prolongent  au  loin  par  des  vasières  très  vastes, 
appelées  la  baie  d'Enfer,  où,  tout  à  l'heure,  s'épan- 
chera le  flot.  Au-dessus,  sur  la  colline,  une  humble 
flèche  indique  la  chapelle  de  Saint-Gonéré,  une 
flèche  plus  haute  est  l'église  de  Plougrescant. 

Saint  Gonéré  est  un  saint  fort  célèbre  au  pays 
de  Tréguier-,  il  est  venu  d'Irlande,  comme  tant 
d'autres,  dans  une  auge  de  pierre.  Plus  tard  sa 
mère  vint  le  rejoindre,  mais  elle  mourut  en  dé- 
barquant dans  l'île  de  Loaven  où  nous  allons 
bientôt  aborder. 

Cette  île  est  la  première  des  îles  d'Er.  Nous  la 
voyons  surgir  des  vases  et  des  grèves  couvertes 


116  VOYAGE    EN    FRANCE. 

de  goémon  ;  ce  sont  trois  monticules  de  granit 
allongés  du  sud  au  nord.  Le  premier  est  un  morne 
couvert  d'ajoncs,  avec  quelques  cultures  au  som- 
met ;  le  second  une  sorte  de  gros  morne,  en  avant 
duquel  un  rocher  isolé  porte  la  chapelle  érigée 
en  l'honneur  de  sainte  Elibonbanna,  la  mère  de 
saint  Gonéré. 

Nous  faisons  un  grand  tour  afin  de  trouver  un 
coin  de  grève  pour  accoster;  nous  voici  dans  l'île, 
un  sentier  conduit  entre  les  deux  coteaux  ;  là, 
entourée  d'ormeaux  courbés  par  le  vent,  est  la 
ferme,  dont  les  bâtiments,  assez  riants  de  loin, 
sont  sordides;  l'intérieur  est  encombré  d'objets 
hétéroclites  ;  l'unique  pièce  abrite  le  père ,  la 
mère  et  huit  ou  neuf  enfants.  Les  commissions 
d'hygiène  ne  doivent  pas  fonctionner  souvent  à 
Loaven î 

De  grandes  meules  de  paille  montrent  que  l'île 
donne  d'assez  abondantes  récoltes,  deux  chevaux 
et  cinq  vaches  trouvent  à  vivre  dans  les  pâturages. 
La  ferme  est  voisine  de  la  chapelle.  Celle-ci  est 
close,  je  ne  puis  donc  voir  la  statue  miraculeuse 
d'Eliboubanna.  Jadis  la  sainte  se  rendait  une  fois 
par  an  à  Saint-Gonéré  pour  y  visiter  son  fils,  le 
samedi  précédant  les  Rogations.  Chaque  dimanche 
on  la  retrouvait  près  de  Saint-Gonéré.  Depuis 
quelques  années  on  a  pensé  que  c'était  trop  fati- 


LES    ILES    D'ER.  117 

gant  pour  la  mère,  on  va  donc  processionnelle- 

ment  la  chercher  à  Loaven  pour  la  conduire  sur 
le  continent  près  de  la  statue  de  son  fils.  On 
choisit  le  moment  de  la  haute  mer,  alors  toutes 
les  barques  de  pêche  de  la  commune  de  Plougres- 
cant  sont  amenées  dans  le  détroit,  mises  côte  à 
côte  et  recouvertes  d'un  plancher  ;  les  mats  sont 
pavoises  de  banderoles  et  de  pavillons  *,  sur  ce 
pont  on  porte  en  grande  pompe  la  statue  d'Eli- 
boubanna,  on  la  place  pour  la  journée  auprès  de 
celle  de  saint  Gonéré.  Cette  cérémonie  attire  dans 
la  baie  d'Enfer  une  foule  de  bateaux  venant  du 
pays  de  Lannion,  du  pays  de  Tréguier  et  de 
Paimpol. 

Nous  regagnons  notre  canot,  de  nouveau  nous 
voici  dans  la  baie  d'Enfer,  puis  dans  l'estuaire  où 
nous  frôlons  le  gros  rocher  de  Skeinec,  à  mer  basse 
semblable  à  un  château  en  ruines  ;  à  mer  haute 
quatre  ou  cinq  têtes  de  roches  apparaissent  seu- 
lement. Sur  la  plus  haute  se  dresse  une  balise 
blanche  indiquant  l'entrée  de  la  rivière  et  celle 
du  Port-Béni,  petit  havre  où  sont  abrités  les  ba- 
teaux des  communes  de  Kerbor,  Pleubian  et  Lan- 
modez. 

En  face  de  Skeinec  est  le  Taureau,  gros  écueil 
formé  de  grandes  aiguilles  de  rochers.  La  Corne 


118  VOYAGE    EN    FRANCE. 

lui  fait  face.  Sur  ce  grand  récif  est  un  phare  sans 
cesse  allumé  et  que  Ton  vient  entretenir  tous  les 
quinze  jours. 

Au  delà  du  Taureau,  la  mer  est  relativement 
libre,  les  grands  écueils  des  Duono,  ceux  plus 
vastes  et  nombreux  des  Héaux  de  Bréhat  sont  en 
dehors  de  l'entrée.  D'ailleurs  les  Héaux  portent 
un  des  plus  grands  phares  de  ces  côtes,  le  feu  est 
à  48  mètres  au-dessus  de  l'Océan.  Suivant  la  di- 
rection des  passes  et  des  dangers,  il  est  rouge  ou 
blanc,  fixe  ou  à  éclipses.  C'est  le  point  le  plus 
avancé  de  ces  cotes,  au  delà  il  ne  reste  plus  que 
le  phare  éloigné  des  Roches-Douvres,  tour  de  fer 
construite  sur  un  écueil  isolé  où  se  passa,  il  y  a 
quelque  temps,  an  drame  affreux.  Un  des  deux 
gardiens  tomba  du  haut  du  phare  dans  l'espèce 
de  puits  formé  par  la  cage  de  l'escalier  circulaire, 
il  se  tua  sur  le  coup.  Quinze  jours  devaient  se 
passer  avant  qu'on  vînt  relever  les  gardiens.  Pen- 
dant ces  quinze  jours  le  survivant  dut  rester  en 
compagnie  du  cadavre.  Il  n'osa  le  jeter  à  la  mer 
de  crainte  qu'on  ne  l'accusât  d'avoir  assassiné  son 
compagnon,  il  ne  put  l'enterrer,  les  Roches-Dou- 
vres n'étant  qu'un  écueil  de  rochers  recouverts 
par  la  marée.  11  l'enveloppa  dans  une  toile  qu'il 
laissa  au  pied  de  l'escalier.  Malgré  cette  situation 
affreuse,  il  continua  d'entretenir  le  phare  dont  le 


LES    ILES    D'ER.  119 

feu  porte  à  20  milles,  mais  lorsqu'il  fut  enfin  re- 
levé, il  était  sur  le  point  de  devenir  fou.  Quel 
drame  atteindra  jamais  la  sombre  horreur  de  ce- 
lui-ci! 

Une  fois  le  Taureau  dépassé,  on  rencontre  une 
vaste  étendue  de  roches  couvertes  de  goémons,  de 
grèves,  de  galets  et  de  sable  ;  surgissant  sur  ce 
plateau  confus  sont  des  collines  verdoyantes  dont 
Tune,  bizarrement  dentelée  et  recourbée  en  fau- 
cille, prolonge  sa  crête  pendant  plus  de  deux  ki- 
lomètres. À  mer  haute,  quand  le  flot  aura  couvert 
les  grèves,  les  collines  deviendront  trois  îles,  les 
îles  d'Er  proprement  dites  :  un  rocher  insigni- 
fiant, Tîle  Verte  ,  un  autre  plus  grand  et  plus 
élevé  couvert  d'ajoncs,  de  fougères,  de  maigres 
pâturages,  la  Petite-Ile,  enfin  l'île  d'Er,  au  delà 
de  laquelle  on  trouve  quatre  ou  cinq  écueils  :  le 
Corbeau,  la  Pierre-à-l'Anglais,  Roch  Nor  Laïer, 
les  Renauds  et  la  Grande- Pierre. 

La  grande  île  est  seule  intéressante.  Ses  abords 
sont  rendus  difficiles  à  basse  mer  par  une  grève 
rocheuse  couverte  de  varechs.  Une  table  de  gra- 
nit couronnant  un  monticule  abrupt  de  môme  na- 
ture commande  le  passage.  C'est  Mon  Xoblance, 
la  Pierre  des  nobles;  on  l'a  couronné  par  une  haute 
balise  blanche  s'élevant  d'un  creux  de  rochers 
noirs  qui  lui  servent  de  gaine. 


120  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Pendant  que  nous  cherchons  un  point  de  dé- 
barquement, un  homme  nous  a  aperçus  et  vient 
près  de  la  balise  pour  nous  indiquer  le  chemin. 
La  barque  aborde  dans  les  rochers  couverts  de 
goémons  glissants;  avec  des  précautions  nous 
pouvons  descendre  et  gravir  la  côte  ;  après  quel- 
ques minutes,  nous  voici  enfin  sur  le  plateau  où 
les  vents  ont  apporté  des  sables  sur  lesquels 
l'herbe  courte  et  traçante  des  îles  a  formé  une  pe- 
louse. 

L'homme  vient  à  nous,  heureux  de  cette  visite 
qui  l'arrache  à  sa  solitude.  Mais  sans  M.  Le  Mars 
notre  entretien  risquerait  fort  de  rester  une  mi- 
mique :  le  père  Le  Rous,  sa  femme,  ses  huit  en- 
fants ne  parlent  que  le  breton.  Il  nous  conduit  sur 
son  domaine,  pâturages  d'où  le  granit  surgit  çà  et 
là  en  hauts  monticules  égayés  par  le  lierre,  les 
broussailles,  les  ajoncs,  des  fragons  verts  dont  les 
rameaux  piquants  sont  ornés  de  boules  rouges. 
Entre  les  pierres  de  petites  pâquerettes  dressent 
leurs  têtes  blanches.  C'est  charmant,  ces  escarpe- 
ments de  granit  semblables  à  des  ruines  envahies 
par  le  lierre. 

Sur  la  pelouse  des  tas  de  varech  sèchent,  domi- 
nant une  petite  crique  où,  au  milieu  d'un  enclos 
formé  par  un  mur,  sont  les  ruines  d'une  maison. 
Quatre  murs  de  granit,  encore  solides,  mais  le 


LES    ILES    D*EH.  121 

toit,  les  plafonds,  les  portes  ont  disparu.  Lors- 
qu'on construisait  les  balises  et  les  phares  de  ces 
[tarages,  les  ponts  et  chaussées  avaient  installé 
sur  ce  point  la  demeure  de  leurs  agents.  Le  bali- 
sage achevé,  la  maison  fut  fermée,  alors  les  goé- 
•monniers  ont  retrouvé  leurs  instincts  de  pilleurs 
d'épaves.  Tout  ce  qui  était  bois  et  fer  fut  démoli 
et  emporté.  Aujourd'hui  les  quatre  murs,  l'endos 
vide,  la  pelouse  a  voisinante,  vont  être  vendus. 

De  la  maison  un  sentier  monte  au  point  culmi- 
nant, mamelon  dressé  au  centre  de  l'île.  On  dé- 
couvre celle-ci  tout  entière,  ses  grèves,  ses  pâtu- 
rages, le  vaste  bassin  encore  à  sec  qui  la  sépare 
de  la  Petite-Ile  et  les  cultures.  Celles-ci,  bien  com- 
prises, occupent  la  partie  basse  et  s'étendent  sur 
quatre  hectares  et  demi,  parfois  envahis  par  la 
mer.  Du  blé,  du  trèfle,  des  pommes  de  terre  sont 
semés  ou  plantés  dans  ces  champs  fermés  de  mu- 
rets pour  empêcher  les  bestiaux  d'y  pénétrer.  Car 
l'île  a  un  cheptel  assez  nombreux  :  Tan  dernier 
elle  nourrissait  22  vaches  sur  ses  40  hectares  ;  la 
sécheresse  faillit  les  faire  mourir  de  faim.  Aujour- 
d'hui, il  y  a  encore  10  vaches,  2  chevaux  et 
11  moutons. 

Dans  ce  sol  léger,  abondamment  fumé  de  goé- 
mon, les  plantes  poussent  d'autant  plus  vite  que 
le  climat  est  très  doux.  Les  pommes  de  terre  plan- 


122  VOYAGE    EN    FRANCE. 

tées  maintenant  seront  bonnes  à  récolter  dans  les 
premiers  jours  de  mars.  Les  «  patates  »,  comme 
disent  les  Bretons,  pourraient  être  pour  l'île  une 
source  de  beaux  revenus  ;  elles  se  vendent  à  titre 
de  primeur  à  Tréguier  20  fr.  les  100  kilogr.  Et 
Tréguier  est  une  ville  bien  petite. 

Toutes  ces  cultures  sont  soigneusement  entre- 
tenues, le  fermier,  sa  femme,  ses  cinq  fils  et  ses 
trois  filles  sont  de  rudes  travailleurs  qui  déploient 
ici  un  esprit  de  progrès  surprenant.  Avec  quel- 
ques conseils  on  les  amènerait  à  faire  de  leur 
île  un  vrai  joyau.  Le  fermage  est  très  élevé  : 
1,500  fr.  ;  il  est  bien  évident  que  la  production 
actuelle  ne  permettrait  pas  de  le  payer,  mais  le 
goémon  est  un  revenu  important.  Le  père  Le 
Rous  le  vend  aux  pécheurs  20  sous  par  bateau, 
sur  le  continent  il  vaut  15  fr.  la  charretée  de 
trois  mètres  cubes.  Les  années  où  la  mer  en  re- 
jette de  grandes  quantités  sur  le  rivage  sont  des 
années  de  richesses,  cette  année  le  calme  de  la 
mer  a  été  exceptionnel,  le  père  Le  Rous  ne  s'est 
pas  fait  20  fr.  Il  compte  sur  les  tempêtes  pour  se 
refaire.  Le  malheur  des  uns  fait  la  joie  des  autres, 
dit  le  proverbe. 

Le  bonhomme  Le  Rous  raconte  tout  cela  dans 
son  bas-breton  qu'on  me  traduit  mot  à  mot.  En  l'é- 
coutant décrire  ainsi  son  existence,  je  contemple 


LES    ILES    D  ER.  L6Ô 

l'immense  horizon  qui  s'étend  autour  du  rocher  où 
s'écoulent  ces  vies  solitaires.  La  rangée  des  Sept- 
lles  occupe  une  vaste  étendue  de  mer,  du  côté 
opposé  sont  les  roches  des  Héaux,  leur  phare,  la 
traînée  sombre  du  sillon  de  Talbert  et,  par  delà, 
une  partie  de  l'île  de  Bréhat  ;  toute  la  mer  est 
couverte  d'écueils  noirâtres,  sur  lesquels  fuse  le 
Ilot  en  les  heurtant. 

Nous  descendons  maintenant  vers  la  ferme,  bâ- 
tie au  pied  du  mamelon  du  nord  qui  l'abrite  un 
peu  des  vents  d'ouest.  Avec  les  constructions  adja- 
centes elle  forme  un  petit  hameau  précédé  à  l'en- 
trée par  un  amas  de  bois  d'épaves  cueilli  morceau 
à  morceau  sur  les  grèves.  Il  y  a  un  puits  dont 
l'eau  monte  avec  la  marée  ;  l'eau  est  saumâtre, 
d'un  goût  peu  agréable,  cependant  bêtes  et  gens 
y  sont  accoutumés  *,  lorsqu'on  conduit  les  vaches 
sur  la  côte  de  Plougrescant,  elles  se  refusent  à 
boire  dans  les  claires  et  douces  fontaines,  préfé- 
rant leur  eau  d'Er,  légèrement  saline. 

A  l'entrée  de  la  maison,  nous  sommes  rejoints 
par  la  fermière  ;  Mme  Le  Rous  est  confuse  d'être 
vue  ainsi  un  jour  de  Noël. 

—  Mais,  ajoute-t-elle,  dans  son  breton  sonore, 
nous  sommes  un  peu  changés  en  diables  ici,  on  ne 
va  pas  à  l'église  comme  on  veut. 


124  VOYAGE    EN    FRANGE. 

Elle  nous  fait  les  honneurs  de  la  ferme  :  voici 
le  four  construit  par  son  mari  en  remplacement 
d'une  cavité  dans  la  roche  où,  jadis,  on  cuisait  le 
pain.  La  maison  est  d'une  propreté  bien  rare  dans 
cette  partie  de  la  Bretagne.  Les  armoires,  les 
portes  des  lits  sont  soigneusement  cirées,  la  lourde 
table  de  chêne  est  frottée  au  sable,  les  bancs  à 
dossier  semblent  des  miroirs,  les  tonnelets  à  eau 
sont  eux-mêmes  cirés,  leurs  cercles  de  fer  sont 
polis.  Au  plafond  pendent  des  bandes  de  lard, 
des  vessies  pleines  de  graisse,  les  cuillers  de  bois 
dans  un  râtelier.  Sur  une  planche  est  le  pain,  un 
gros  pain  noir,  mélange  de  froment  et  d'orge.  Ce 
pain,  des  pommes  de  terre,  parfois  du  lard,  du 
lait  en  abondance,  voilà  la  nourriture. 

—  Vous  ne  mangez  pas  de  poisson,  dis-je  an 
père  Le  Rous. 

—  Oh  non  !  si  nous  péchions,  nous  perdrions 
notre  temps,  il  faut  cultiver  la  terre  et  ramasser 
le  goémon. 

C'est  décidément  une  famille  de  braves  gens 
qui  vit  dans  l'île  d'Er.  On  veut  nous  obliger  à 
boire,  ce  n'est  pas  l'eau-de-vie  de  grain  qu'on 
nous  offre,  mais  des  cerises  à  l'eau-de-vie.  Le  pa- 
triarche et  les  siens  sont  heureux  de  nous  possé- 
der, il  faut  cependant  prendre  congé. 

La  cour,  entourée  d'étables  et  de  granges,  serait 


LES    ILES    D*ER.  125 

cossue  si  elle  n'était  si  prodigieusement  sale. 
L'eau  du  fumier,  celle  qui  tombe  des  toits,  forme 
là  une  masse  verdâtre.  «  Que  de  fertilité  incons- 
ciemment perdue  !  »  dis-je  au  père  Le  Rous,  qui 
semble  profondément  surpris  —  jamais  on  n'a 
recueilli  les  purins  en  Basse-Bretagne,  surtout  à 
l"ile  d'Er. 

Nous  serrons  la  main  de  l'excellent  homme,  tout 
heureux  de  cette  visite,  nous  rejoignons  notre  ca- 
not ;  poussé  par  le  vent  et  la  marée,  il  atteint  bien- 
tôt de  nouveau  la  Roche  Jaune  d'où  je  gagnerai 
Tréguier. 


IX 


ARCHIPEL    DE    BREHAT 


Tréguier.  —  Lezardrieux.  —  Paimpol.  —  La  pêche  à  la  morue. 
—  Les  Mâts  de  Goëlo.  —  L'île  Saint-Rion.  —  L'île  de  Bréhat 
et  ses  satellites  :  îles  Raguenez,  de  la  Chèvre,  Biniguet,  La- 
gadec,  Lavrec,  Séhères,  Ar  Morbil,  Modez,  Trouezen,  Verte, 
à  Bois,  Coalin,  Vierge,  Blanche.  —  Le  sillon  de  Talbert.  — 
Excursion  à  travers  Bréhat.  —  Les  Épées  de  Tréguier.  —  Le 
Paon. 


Ile  de  Bréhat,  août  18'J4. 

Tréguier  est  la  ville  morte  de  Bretagne,  ses  pe- 
tites rues  étroites  dévalant  au  ilanc  des  coteaux, 
Lordées  de  maisons  basses  et  de  jardins  ombragés 
de  figuiers,  voient  rarement  des  passants  ;  même 
la  grande  place  entourant  la  cathédrale  a  con- 
servé l'allure  monacale.  Tout  converge  vers  cette 
vieille  église  qui  fut,  jusqu'en  1789,  le  siège 
d'un  des  plus  illustres  évêchés  de  Bretagne.  Alors 
la  vie  affluait  quelque  peu  vers  l'antique  capitale 
du  Trécorois,  avec  Tévêque  et  le  chapitre  une 
partie  de  la  vie  provinciale  affluait  aux  bords  du 
Jaudy,  les  pèlerins  accouraient  prier  sur  le  tom- 
beau de  saint  Yves.  La  Révolution  a  réduit  Tré- 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  127 

guier  au  rang  de  simple  chef-lieu  de  canton, 
aussi  a-t-on  longtemps  gardé  rancune  au  régime 
moderne  et  la  ville  décapitée  fut  considérée 
comme  une  cité  monacale  jalousement  fermée  aux 
idées  du  siècle.  Cependant  entre  ces  petites  rues, 
devant  la  haute  flèche  de  la  cathédrale,  à  l'ombre 
de  ce  bel  édifice  gothique,  naquit  un  des  plus 
prodigieux  remueurs  d'idées  de  ce  temps  :  Ernest 
Renan.  Quelles  que  soient  les  opinions  sur  cet 
admirable  écrivain,  ses  compatriotes  lui  devront 
d'avoir  attiré  de  nouveau  l'attention  sur  leur  ville. 
Sous  le  patronage  de  Renan,  l'humble  cité  est 
devenue  un  des  rendez-vous  pour  les  fêtes  celti- 
ques, les  visiteurs  s'y  portent  nombreux  déjà,  ils 
iront  en  foule  lorsque  le  chemin  de  fer  aboutira  à 
Tré  guier. 

A  travers  le  calme  profond  des  petites  rues  et 
de  la  place  silencieuse,  malgré  les  vieilles  maisons 
de  granit  aux  portes  basses  soigneusement  closes, 
en  dépit  du  séminaire  et  des  grands  couvents  qui 
perpétuent  le  passé  moral  de  la  ville,  on  devine 
un  vent  nouveau  :  quelques  boutiques  ont  une  al- 
lure moderne,  des  usines  s'étendent  au  pied  de  la 
colline,  le  port  a  un  mouvement  assez  considé- 
rable, il  arme  pour  la  pêche  d'Islande,  on  y  fa- 
brique des  biscuits  et  des  conserves,  la  région 
voisine  pourra,   grâce  à  la  douceur   du    climat, 


128  VOYAGE    EN    FRANCE. 

faire  concurrence  à  Roscoff  pour  la  production 
des  primeurs,  la  faveur  revient  aux  excellentes 
huîtres  de  l'estuaire.  Si  la  population  sait  profiter 
de  la  situation  favorable  de  la  petite  cité  sur  une 
rivière  où  il  reste  encore  4m,50  d'eau  en  aval  du 
port  aux  basses  mers,  peut-être  Tréguier  repren- 
dra- t-elle  son  rang.  Déjà  la  population,  qui  avait 
diminué,  s'accroît  légèrement:  elle  est  de  3,193 
habitants  aujourd'hui. 

Le  chemin  de  fer  amènera  des  progrès  plus 
marqués  -,  on  peut  en  juger  par  le  petit  port  qui 
rend  vivant  les  beaux  quais  de  la  petite  rivière, 
véritable  fjord  aux  verts  rivages,  étroit  et  tran- 
quille, franchi  par  un  pont  de  fer  avec  une  arche 
tournante  pour  le  passage  des  petits  navires  mon- 
tant à  la  Roche-Derrien.  Sur  ce  pont  passe  la 
route  de  Lézardrieux,  gravissant,  par  une  pente 
raide,  le  plateau  qui  sépare  la  vallée  du  Jaudy  et 
celle  du  Trieux.  Le  chemin  entre  les  deux  villes 
est  sans  grand  intérêt,  Lézardrieux  elle-même 
n'a  de  remarquable  que  la  vaste  place  où  abou- 
tissent de  nombreuses  routes  ;  mais  elle  possède 
un  des  monuments  modernes  les  plus  remarqua- 
bles de  la  Bretagne,  le  pont  suspendu  jeté  sur  un 
étranglement  du  Trieux,  entre  deux  larges  bassins 
formés  par  la  rivière.  Du  tablier  aérien  on  dé- 
couvre le  cours  riant  du  Trieux  et  ses  anses,  on 


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ARCHIPEL    DE    ËRÉHAT 


D'après  la  carte  de  l'état-major  au 


130  VOYAGE,  EN    FRANGE. 

voit  passer,  au-dessous,  les  bricks  et  les  goélettes 
qui  remontent  jusqu'à  Portrieux.  La  rivière  se- 
rait ailleurs  insignifiante  ;  grâce  à  la  marée,  c'est 
un  grand  fleuve,  très  profond,  dont  on  a  pu  faire 
un  abri  pour  les  torpilleurs  ;  à  basse  mer,  il  y  a 
encore  cinq  mètres  d'eau  dans  le  port. 

Lézardrieux  est  près  de  Paimpol  ;  cinq  kilo- 
mètres à  parcourir  sur  un  plateau  assez  élevé  et 
bientôt  on  descend  vers  ce  grand  port  de  pêche, 
connu  de  tous  les  marins.  C'est  une  ville  plus 
petite  que  Tréguier,  aux  rues  plus  étroites  encore. 
Ses  2,200  habitants  habitent  de  petites  maisons 
étroites  et  sombres,  ou,  dans  un  quartier  resté 
debout,  en  de  vieilles  bâtisses  du  moyen  âge. 
Toutefois,  la  place  du  Martroy  est  d'assez  noble 
allure  et  le  port,  bordé  de  grandes  constructions, 
sans  cesse  rempli  de  navires,  est  fort  animé  à 
l'heure  de  la  marée.  Les  Paimpolais  sont  parmi 
nos  marins  les  plus  hardis  :  ils  vont  avec  ceux  de 
Dunkerque  et  de  Gravelines  pécher  la  morue  en 
Islande  et  aux  îles  Féroë.  Même  la  prospérité  de 
la  pêche  dans  ces  deux  villes  du  Nord  leur  est 
peut-être  due,  car  j'ai  trouvé  entre  Gravelines  et 
Dunkerque  un  village,  Fort-Mardyck,  peuplé 
d'une  colonie  de  Paimpolais  appelée  par  Louis  XVI 
pour  habiter  la  ville  de  Mardyck  qui  devait  rem- 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  1.31 

placer  Dunkerque  ruinée  par  les  Anglais.  Paim- 
pol  compte  près  de  trente  armateurs  pour  la 
pèche  dans  l'Océan  Glacial  ou  sur  le  banc  de 
Terre-Neuve. 

Le  port  semble  pourtant  peu  abordable  ;  à  marée 
basse,  l'anse  immense  qui,  s'étendant  de  la  pointe 
de  l'Arcouest  à  celle  de  Plouézec  *,  n'a  pas  moins 
de  huit  kilomètres  d'ouverture  et  de  six  kilomè- 
tres de  profondeur  jusqu'à  Paimpol2,  n'est  qu'une 
vaste  étendue  de  vase  et  de  sable.  Pour  pénétrer 
à  Paimpol  les  navires  doivent  attendre  le  Ilot  aux 
abords  de  l'ile  Saint-Rion,  où  l'on  a  jusqu'à 
7  mètres  de  fond  aux  plus  basses  mers.  A  mer 
haute,  les  navires  de  4'", 30  peuvent  entrer  dans  le 
bassin  à  flot  437  fois  par  an;  ceux  de  3m,40  ont 
609  marées  favorables3.  Lézardrieux  et  Tréguier 
auraient  eu  plus  de  chance  de  se  développer  que 
leur  voisine,  si  l'on  avait  eu  jadis  le  balisage  et 
l'éclairage  des  côtes,  puisque  leurs  estuaires  sont 
accessibles  à  basse  mer  et  qu'il  est  facile  d'appro- 
fondir le  chenal. 

Paimpol  a  heureusement  dans  les  îles  d'excel- 


1.  Sur  notre  carte,  cette  pointe  est  au  coiu  à  droite  au-des- 
sous de  l'île  de  Lemeuez. 

2.  Cette  ville  n'est  pas  sur  notre  croquis  de  l'ile  de  Bréhat  ; 
elle  est  prés,  au-dessous  et  à  gauche  du  mot  chau,  dans  le  fond 
de  l'anse. 

3.  D'yprès  l'Annuaire  de  la  marine  de   commerce  française. 


132  VOYAGE    EN    FRANCE. 

lentes  rades  permettant  d'attendre  le  flot;  près 
d'une,  môme,  est  un  des  meilleurs  abris  de  ces 
côtes  dangereuses,  c'est  la  rade  de  Bréhat. 

Le  chemin  qui  conduit  à  la  pointe  de  l'Arcouest 
permet  de  distinguer  tous  les  détails  de  ces  abords 
de  Paimpol.  On  sort  de  la  ville  en  longeant  le 
port  pour  gagner  une  route  exquise,  très  fraîche, 
ombragée  de  hêtres  et  de  chênes.  Le  paysage  est 
fort  varié  :  entre  les  collines  verdoyantes  surgis- 
sent des  mamelons  rocheux  couverts  d'une  nappe 
rose  de  bruyères  ;  sur  l'un  de  ces  monticules  on  a 
construit  une  tour  surmontée  d'une  statue  de  la 
Vierge  et  renfermant  à  l'intérieur  une  chapelle. 
Cet  édifice  doit  être  récent,  cependant  il  est  déla- 
bré, les  portes  sont  disloquées,  les  abords  sont 
souillés.  Ce  n'est  point  manque  de  respect  pour 
les  lieux  saints  sans  doute  ;  il  est  évident  que  ces 
populations,  si  peu  soucieuses  de  la  propreté  aux 
al  tords  de  leurs  maisons,  ne  doivent  guère  y  son- 
ger davantage  pour  leurs  monuments  sacrés. 

Un  escalier  donne  accès  sur  la  plate-forme  de  la 
tour  d'où  l'on  a  une  admirable  vue  sur  la  mer,  les 
îles  et  le  littoral  déchiqueté  des  Gôtes-du-Xord.  A 
voir  ces  débris  de  terres  au  milieu  des  eaux  et  ces 
iudentations  profondes,  on  admet  que  le  conti- 
nent était  beaucoup  plus  étendu  autrefois;  la  mer 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  133 

a  rongé  tontes  les  terres  peu  résistantes,  laissant 
debout  les  roches  de  granit  les  plus  dures.  En 
même  temps,  un  affaissement  du  sol  a  dû  se  pro- 
duire, le  sommet  des  collines  les  plus  élevées 
reste  seul  à  la  surface;  ainsi  le  grand  Léjon,  au 
large  de  Saint-Brienc,  est  le  «  témoin  »  d'une  terre 
disparue.  Devant  Paimpol  une  infinité  de  roches 
sont  les  débris  d'une  chaîne  de  collines.  Au  milieu 
des  sables  et  des  vases  une  presqu'île  est  restée, 
c'est  la  péninsule  de  Guilhen,  très  verte,  abri- 
tant l'anse  de  Beauport,  où  sont  les  restes  de 
l'abbaye  de  Beauport,  jadis  fameuse.  Plus  à  l'est, 
une  ligne  d'îlots,  étroits  mais  se  dressant  orgueil- 
leusement en  pyramide  haute  de  50  mètres,  les 
Mâts  de  Goëlo,  le  raez  de  la  carte,  semble  pro- 
longer la  pointe  de  Guilhen.  Lemenez,  les  Mâts, 
le  Tourel,  forment  là  un  petit  archipel  isolé  de 
belle  allure. 

Sur  la  grève,  des  navires  sont  échoués  sur  le 
sable,  d'autres  sont  ancrés  sur  la  rade  de  Saint- 
Rion.  Les  premiers  chargent  des  marchandises, 
des  pierres  de  carrière  et  prendront  le  large  à  la 
pleine  mer,  les  autres  sont  des  goélettes  revenant 
d'Islande  et  attendant  là  que  des  ordres  de  Bor- 
deaux, de  la  Rochelle,  de  Nantes,  de  Port-de- 
Bouc  ou  de  Marseille  leur  demandent  d'apporter 
leur  cargaison.  Ces  petits  navires  morutiers,  ro- 


134  VOYAGE    EN    FRANCE. 

bustes  et  élégants,  égaient  la  rade  et  ce  paysage 
grandiose  mais  un  peu  sévère. 

L'île  Saint-Rion  les  abrite  de  la  houle  du 
large.  C'est  une  terre  longue  de  près  d'un  kilo- 
mètre, formée  d'une  colline  assez  haute  et  d'un 
éperon  de  rochers  déchiquetés.  A  sa  pointe  ouest 
sont  quelques  maisons  bâties  sur  les  rochers,  de 
vertes  cultures  montent  jusqu'au  sommet. 

Nous  descendons  de  la  tour  pour  reprendre  la 
route;  celle-ci  traverse  le  bourg  de  Ploubazlanec 
aux  beaux  jardins  et  descend  bientôt  en  surplom- 
bant la  vaste  grève  qui  porte  le  nom  bizarre  de 
Launay-Mal -Nommé.  Est-ce  parce  qu'il  n'y  a 
pas  d'aulnes  dans  cette  aulnaye?  De  ce  point 
les  innombrables  écueils  qui  vont  de  la  pointe  de 
rAreouest  aux  Mats  de  Goëlo  semblent  fermer 
complètement  l'anse  de  Paimpol.  Tout  à  coup,  à  un 
détour  du  chemin,  apparaît  cet  extraordinaire  es- 
tuaire du  Trieux,  vaste  mer  semée  de  rochers  par 
centaines,  verts,  roux  ou  noirs,  faisant  cortège  à 
l'île  plus  grande  de  Bréhat,  portée  sur  un  massif 
de  roches  rouges  lavées  par  les  vagues;  des  crêtes 
vertes,  des  bras  de  mer  éblouissants,  des  villages 
aux  toits  rouges.  Le  panorama  est  plus  grandiose 
encore  que  celui  de  Ploumanac'h,  mais  les  rochers 
ont  des  formes  moins  extravagantes. 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  135 

Des  chaloupes  font  office  de  Lac  entre  l'Ar- 
couest  et  Bréhat;  on  embarque  sur  une  petite 
cale,  le  vent  et  le  flot  aidant  on  a  vite  traversé  la 
rade  de  Bréhat.  A  peine  a-t-on  le  temps  de  dis- 
tinguer, au  delà  du  petit  détroit  de  Kerpont  aux 
eaux  profondes,  l'île  de  Raguenez,  l'île  de  la 
Chèvre  et  la  terre  plus  vaste,  bien  cultivée,  pos- 
sédant quelques  maisons,  deBiMGUET.  Biniguet, 
l'Ile  Bénie,  est  un  mamelon  de  700  mètres  de  lon- 
gueur sur  200  à  500  mètres  de  large  ;  elle  fait 
lace  à  l'une  des  parties  les  plus  accidentées  de 
Bréhat. 

Le  bateau  ne  va  pas  dans  le  Kerpont,  il  entre 
dans  une  baie  profonde  de  500  mètres,  large 
de  200,  annoncée  par  des  tourelles  et  des  balises 
et  qu'on  appelle  le  Port-Clos.  Cette  petite  anse 
semble  très  fermée,  en  effet,  entre  des  collines 
hardiment  découpées  ;  par  les  vents  du  nord  et  de 
l'ouest,  le  Port-Clos,  où  il  n'y  a  jamais  moins  de 
2m,50  d'eau  à  basse  mer  de  morte-eau,  est  un 
excellent  abri  ;  mais  quand  les  vents  du  sud  et  de 
l'est  soufflent,  la  houle  et  le  ressac  sont  très  vio- 
lents. 

Aujourd'hui  le  temps  est  calme,  la  petite  baie 
est  comme  de  l'huile.  Elle  est  charmante  avec  ses 
rochers  et  sa  verdure.  En  vain  les  coteaux  affec- 
tent un  aspect  tourmenté,  il  y  a  tant  de  fraîcheur 


136  VOYAGE    EN    FRANCE. 

autour  d'eux,  tant  de  pelouses  et  d'arbustes  sur 

leurs  flancs  qu'ils  ne  peuvent  se  faire  prendre  au 
tragique. 

On  débarque  sur  une  cale  inclinée  conduisant 
près  du  hameau  de  Kerrio,  d'où  un  chemin  abou- 
tit au  village  central,  heureux  village  aux  blan- 
ches maisons  entourées  de  grands  arbres  et  de 
jardinets  fleuris;  une  petite  église  domine  la  baie 
de  la  Chambre.  Gela  rappelle,  avec  je  ne  sais 
quoi  de  plus  pimpant,  les  paysages  de  l'île  aux 
Moines  dans  le  Morbihan. 

Des  abords  du  village  on  découvre  toute  la 
Chambre.  Cette  petite  baie  ressemble  fort  à  celle 
du  même  nom  qu'on  rencontre  aux  Glénans l. 
Évidemment  une  pareille  disposition  des  roches 
et  des  îlots  autour  d'un  vaste  espace  de  mer  a 
fait  naître  le  même  nom  ;  c'est  bien  dans  une 
«  chambre  »  que  les  navires  sont  enfermés.  Mais 
la  Chambre  de  Bréhat  est  moins  âpre,  la  verdure 
de  l'île,  le  lierre  et  les  broussailles  qui  envelop- 
pent les  rochers,  les  constructions  de  l'île  Loga- 
dec,  terre  presque  aussi  vaste  que  Biniguet,  les 
falaises  de  l'île  Lavrec,  le  mamelon  de  l'île  Ra- 
guenec,  les  îlots  rocheux  qui  les  relient  ont  plus 


i.  Voir  le  4e  volume  du  Voyage  en  France,  page  196. 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  137 

de  couleur  et  de  vie  que  les  blocs  dénudés  de  la 
Chambre  des  Glénans.  La  Chambre  de  Brëhat, 
à  marée  basse  surtout,  quand  l'intérieur  est  une 
sorte  de  prairie  de  goémon  accidentée,  est  un  des 
coins  les  plus  curieux  de  nos  côtes. 

Le  sol  est  cultivé  jusqu'au  bord  de  la  mer.  La 
moisson  est  faite  de  façon  primitive  ;  seules  les 
femmes  y  travaillent,  car  les  hommes  sont  à  la 
mer.  Les  épis  sont  coupés  presque  au  ras  de  la 
tige,  les  chaumes  restent  dans  les  champs,  très 
hauts  ;  quand  le  blé  est  rentré,  les  femmes  revien- 
nent au  champ,  se  mettent  à  genoux  et  arrachent 
les  tiges  avec  les  racines.  De  la  sorte  toute  la 
paille  est  recueillie.  Le  sol  n'y  perd  pas  d'humus, 
on  lui  rend  abondamment  en  goémon  ce  qu'on  lui 
a  enlevé. 

Près  du  hameau  de  Gardenno,  les  rochers  de- 
viennent plus  beaux  encore  :  ils  se  dressent  en 
obélisques,  en  dômes,  en  masses  superbes.  Le 
chemin  court  entre  ces  granits,  bordés  de  maisons 
très  propres  que  précède  un  jardin  fleuri  ;  mais  si 
l'on  fait  le  tour,  on  voit,  plaquée  au  mur,  la  bouse 
de  vache  qui  sèche  en  vue  d'alimenter  les  foyers. 
L'île  manque  de  bois  de  chauffage. 

En  face  de  la  très  petite  île  Séhères,  la  côte 
s'infléchit,  une  baie  se  creuse  et  le  sentier  lon- 
geant le   rivage    conduit   à  une   chaussée   dont 


138  VOYAGE    EN    FRANGE. 

chaque  côté  est  battu  par  la  mer.  A  l'est  s'ouvre 
un  nouveau  bassin,  moins  encombré  de  rochers 
que  celui  de  la  Chambre,  c'est  la  Corderie,  le 
plus  grand  havre  de  File,  véritable  fjord,  long  de 
1,900  mètres,  dont  l'entrée,  rétrécie  entre  deux 
rochers,  atteint  à  peine  100  mètres  ;  il  s'élargit 
ensuite  à  200  mètres  pour  se  bifurquer  en  deux 
anses  ayant  chacune  300  mètres.  C'est  un  abri 
excellent,  mais  le  vent  d'ouest  y  ramène  la  houle. 
Toutefois,  il  est  assez  sûr  pour  que  les  ponts  et 
clin ussées  y  aient  établi  leur  dépôt  d'ancres,  de 
chaînes  et  de  bouées  et  pour  qu'une  petite  usine 
à  traiter  le  goémon  s'y  soit  installée.  Ce  port  na- 
turel est  fort  joli,  sur  sa  rive  méridionale,  cou- 
ronnant un  piton  aigu,  une  chapelle  à  toit  rouge 
commande  le  passage. 

Sans  la  chaussée  qui  borne  son  extrémité  orien- 
tale, la  Corderie  mêlerait  ses  eaux  à  celles  de 
l'anse  de  Séhères,  Bréhat  serait  ainsi  divisée  en 
deux  îles  d'égale  grandeur  :  même  la  partie  nord 
se  répartit  en  deux  fragments  réunis  par  un  isthme 
de  galets. 

La  chaussée  est  entre  deux  petits  hameaux 
formés  de  riantes  maisons,  dont  un  possède  une 
petite  chapelle.  Peu  d'habitants  dans  les  ruelles, 
les  hommes  sont  à  la  mer,  les  femmes  aux  champs. 
A  en  juger  par  les  débris  de  cuisine,  on  doit  vivre 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  139 

surtout  de  coquillages  ici  :  il  y  a  de  chaque  côté 
de  la  chaussée  des  prodigieux  amas  de  coquilles 
de  berniques  et  d'ormeaux  ;  sous  le  soleil  les  faces 
irisées  de  ces  dernières  ont  un  éclat  qui  les  décèle 
de  loin.  Il  y  a  là  une  perte  assez  considérable 
pour  le  pays  :  l'ormeau  ou  oreille  de  mer  a  une 
certaine  valeur  industrielle,  les  Anglais  utilisent 
la  nacre  pour  faire  des  boutons,  une  grande  partie 
de  ces  coquillages  employés  à  Londres  provien- 
nent de  nos  côtes  de  Bretagne,  qui  expédient 
ces  mollusques  à  Jersey  où  on  les  consomme  en 
quantité. 

La  partie  nord  de  l'île  où  Ton  aboutit  est  moins 
peuplée  que  la  péninsule  du  bourg,  on  n'y  trouve 
que  de  rares  villages,  plus  pauvres  ;  les  cultures 
sont  moins  nombreuses  aussi.  C'est  un  plateau 
élevé,  aux  formes  trapues.  Un  moulin  et  le  séma- 
phore en  couronnent  les  deux  plus  hauts  mame- 
lons. Du  sémaphore  la  vue  est  immense  :  toute 
l'île  apparaît  avec  ses  fjords,  ses  obélisques  de 
granit,  ses  hameaux  rouges.  Sur  la  mer  le  regard 
est  d'abord  arrêté  par  l'île  Modez  qui,  avec  les 
roches  voisines  marque  l'entrée  de  la  rivière  de 
Trieux.  Entre  Bréhat  et  Modez  le  chenal  est  large 
et  profond.  Cette  petite  île  a  une  longueur  de 
800  mètres  et  une  largeur  de  200;  elle  estéchan- 


140  VOYAGE    EN    FRANCE. 

crée  par  de  petites  anses  qui  rétrécissent  la  partie 
cultivable,  elle  renferme  cependant  une  métairie 
et  des  cultures  assez  vastes.  C'est,  d'un  petit  ar- 
chipel secondaire  qui  occupe  la  rive  gauche  du 
Tri  eux,  la  terre  la  plus  éloignée  du  continent.  A 
l'endroit  où  le  fleuve  échappe  aux  collines  pour 
se  frayer  à  mer  basse  un  chenal  dans  les  sables 
et  les  vases  est  l'îlot  appelé  Ile  a  Bois,  qui  al- 
longe sur  910  mètres  de  longueur  et  300  de  lar- 
geur une  croupe  irrégulière.  En  arrière,  à  une 
petite  distance  du  rivage,  est  l'île  de  Goalin. 

Au  delà  de  Modez  un  étroit  îlot  porte  le  nom, 
si  commun  dans  ces  mers,  d'île  Vierge;  d'autres 
écueils,  Roch  ar  Liorzo,  l'île  Blanche,  parsèment 
la  baie  jusqu'au  sillon  de  Talbert,  cette  étonnante 
flèche  de  galets  retroussés  par  les  vagues  entre  le 
Tréguier  et  le  Trieux  et  qui  offre  aux  navires  une 
sorte  de  môle  les  abritant  des  vents  d'ouest  en  at- 
tendant la  marée  pour  monter  dans  le  Trieux.  Le 
sillon  de  Talbert,  les  roches  qui  le  continuent  au 
large  ont  reçu  des  marins  un  nom  bien  expressif, 
ce  sont  les  Epées  de  Tréguier.  Au  delà  de  la  pointe 
dos  Epées,  le  plateau  de  roches  des  Héaux  de 
Bréhat  parsème  la  mer,  autour  de  la  haute  et 
mince  tour  du  phare. 

Dans  le  nord-est,  la  mer  présente  encore  quel- 
ques rochers,  pointant  au-dessus  de  plateaux  sous- 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  141 

marins  :  Ringue-Bras,  Men-Marc'n,  les  Échaudés, 
la  Horaine.  Mais,  au  nord,  elle  est  complètement 
libre.  Il  faut  fixer  longtemps  -l'horizon  pour  aper- 
cevoir le  phare  des  Roches-Douvres,  se  détachant 
comme  un  fuseau  de  vapeur. 

Le  sémaphore  possède  encore  un  petit  jardinet 
où  croissent  des  choux  et  d'autres  légumes  ;  au 
delà,  plus  rien;  l'île,  si  riante  dans  son  autre  par- 
tie, devient  sauvage.  Les  roches  n'ont  qu'une 
couche  mince"  de  terre  végétale,  recouverte  de 
fourrés  bas  d'ajoncs  et  de  bruyères  ou  de  pelouses 
d'une  herbe  courte.  Au-dessus  des  anses  qui  fes- 
tonnent la  côte,  une  ligne  de  petites  tours  ou 
plutôt  de  larges  guérites  en  pierre  furent  sans 
doute  des  observatoires  au  temps  des  incursions 
anglaises. 

Une  anse  se  creusait  ici,  la  mer  l'a  fermée  par 
un  sillon  d'énormes  galets,  le  fond  de  la  petite 
baie  est  devenu  un  marais  salin  séparé  de  la  mer, 
à  l'est,  par  un  autre  sillon  qui  réunit  au  corps  insu- 
laire la  troisième  île  de  Bréhat,  ce  qu'on  pourrait 
appeler  la  presqu'île  du  Paon>  le  nom  d'un  ro- 
cher célèbre.  Celle-ci  est  absolument  sauvage;  Le 
plateau  n'est  Couvert  que  d'ajoncs  et  de  gazons 
paccagés  par  les  moutons  et  dont  les  mottes  sont 
exploitées  pour  le  chauffage.  Des  traces  de  batte- 
ries indiquent  les  anciennes  défenses  de  l'île,  un 


142  VOYAGE    EN    FRANCE. 

amas  de  superbes  roches  rouges  semble  les  avoir 
remplacées,  c'est  comme  une  formidable  citadelle, 
aux  remparts  à  pic,  aux  parapets  menaçants.  Au- 
dessus  de  ce  massif  la  tour  blanche  d'un  fanal  est 
campée  comme  un  donjon. 

C'est  le  rocher  du  Paon,  célèbre  en  dehors  de 
Bréhat,  et  peu  soupçonné  dans  l'île.  On  prétend, 
dans  les  Guides,  qu'un  des  rochers  soulevé  par  la 
mer  montante  retombe  en  faisant  :  Pan  !  d'où  le 
nom  de  paon  ou  pan.  Les  gardiens  assurent  qu'ils 
n'ont  jamais  ouï  le  phénomène.  Mais  si  l'on  peut 
éviter  d'aller  chercher  ici  la  surprise  d'une  en- 
clume maritime,  le  massif  rocheux  du  Paon, 
composé  de  syénites  et  de  porphyres  rouges  très 
durs,  étrangement  érodés  et  découpés  par  les  va- 
gues, mérite  une  excursion,  il  est  d'une  grandeur 
majestueuse  ;  même  si  l'on  a  déjà  vu  Ploumanac'h 
et  les  eûtes  voisines,  on  reste  frappé  par  la  beauté 
sauvage  de  ce  site. 

Sauvage,  tout  l'est  ici,  les  choses  et  les  hom- 
mes. Pas  de  hameaux,  des  masures  isolées,  véri- 
tables taudis.  Évidemment  cette  partie  de  la  po- 
pulation vit  surtout  de  pèche  et  d'épaves  et  le 
manque  d'abri  contre  les  vents  d'ouest  rend  la 
culture  impossible.  Cependant  autour  d'une  source 
abondante,  près  de  l'isthme,  sont  quelques  champs 
d'où  l'on  a  une  vue  fort  belle  sur  une  vaste  baie 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  143 

remplie  d'aiguilles  de  rochers  et  de  petits  îlots 
dont  le  plus  important  est  Ar  Morbil. 

Le  paysage  change  dès  qu'on  a  atteint  de  nou- 
veau la  seconde  presqu'île;  les  cultures  devien- 
nent nombreuses,  un  joli  chemin  les  traverse,  des 
maisons  vastes  et  propres  sont  égayées  par  des 
fleurs.  Bientôt  on  rejoint  le  bourg;  il  était  calme 
tout  à  l'heure,  le  voici  bruyant  et  animé,  la  pe- 
tite colonie  de  peintres  qui  séjourne  dans  l'île  est 
à  table,  dans  les  deux  ou  trois  auberges,  et  les 
éclats  des  discussions  esthétiques  emplissent  le 
placide  village.  A  cet  élément  l'on  doit  sans 
doute  l'enseigne  de  cabaret,  en  fer  forgé,  simu- 
lant une  hallebarde,  placée  sur  une  maison  de 
l'île.  Gela  gâte  un  peu  Bréhat.  Peut-être  les  ra- 
pins  et  les  yachtsmen  veulent-ils  étonner  les  gens 
du  pays,  on  pourrait  se  croire  dans  les  cabarets 
de  Montmartre. 

A  déjeuner  nous  devons  subir  une  discussion 
sur  les  mérites  comparés  des  diverses  écoles  d'art 
et  de  littérature.  Le  réalisme  tient  la  corde  dans 
ce  milieu.  Un  peintre  ayant  émis  quelques  apho- 
rismes  bien  sages  et  pondérés,  une  dame  indignée 
lui  crie  : 

—  Mon  cher,  je  vous  croyais  intelligent,  et  vous 
ressemblez  à  Sarcey  ! 


144  VOYAGE    EN    FRANCE. 

La  bonne  versait  du  cidre,  elle  a  contemplé  l'in- 
terpellé avec  une  horreur  profonde;  elle  ignore 
évidemment  M.  Sarcey  et  doit  croire  qu'il  s'agit 
d'un  grand  criminel. 

Dans  le  jardin  de  l'auberge,  où  des  tables  sont 
dressées,  mêmes  colloques. 

—  Oui,  crie  une  voix  de  basse  profonde,  toute 
votre  littérature  ne  vaut  pas  ça.  —  Et  l'on  enten- 
dait une  tape  retentissante.  —  Aucun  de  vous  ne 
m'a  donné  encore  la  sensation  de  cette  phrase 
d'Homère  : 

«  La  nuit  tomba  du  ciel  et  les  chemins  s'em- 
plirent d'ombre.  » 

Les  rires  accueillirent  cette  profession  de  foi, 
ponctués  par  le  bruit  des  couteaux  frappant  sur 
les  verres  et  sur  les  assiettes,  comme  pour  cons- 
puer Homère.  Yvonne,  la  petite  Hébé  qui  versait 
le  cidre,  a  dû  associer  M.  Homère  au  coupable 
M*.  Sarcey. 

Toutes  ces  folies  se  débitent  —  oh!  l'été  seule- 
ment —  sous  la  vaste  ramure  des  ormes  et  des 
figuiers  noueux,  dans  un  cadre  exquis  de  grandes 
fleurs  roses,  de  lauriers  et  d'autres  plantes  méri- 
dionales, éclairé  par  un  ciel  d'un  bleu  doux. 

Et  sur  le  chemin  passent,  ombres  silencieuses, 
les  femmes  de  l'île  revenant  des  provisions  ;  le 
bruit  ne  les  arrête  pas   un  instant;  elles  ont  à 


ARCHIPEL    DE    BRÉHAT.  145 

gagner  leur  rude  existence  :  en  dépit  de  l'heu- 
reux aspect  de  Bréhat,  la  vie  est  dure  pour  cette 
population,  nourrie  presque  exclusivement  de 
pommes  de  terre  que  le  sol,  il  est  vrai,  produit 
abondamment  et  de  coquillages  recueillis  à  mer 
basse.  Le  pain  est  préparé  dans  les  maisons,  il 
n'y  a  pas  de  boulanger;  le  pain  de  10  livres  ve- 
nant du  continent  y  coûte  30  sous  ;  21  seulement 
à  Paimpol,  me  disait  avec  regret  un  des  gardiens 
du  sémaphore;  le  bois  vaut  à  la  côte  22  à  23  fr. 
la  corde,  il  en  coûte  30  dans  l'île  ;  on  ne  produit 
pas  ou  presque  pas  de  beurre.  L'île  n'a  ni  méde- 
cin, ni  sage-femme  ;  il  en  coûte  gros  de  les  faire 
venir  de  Paimpol,  encore  pendant  les  mauvais 
temps  ne  peut-on  faire  la  traversée. 

Ces  doléances  sont  celles  des  rares  habitants 
non  originaires  de  l'île,  humbles  fonctionnaires 
auxquels  l'État  n'alloue  pas  de  suppléments  de 
salaire.  La  population  native,  habituée  de  longue 
date  aux  privations,  ne  s'aperçoit  guère  de  ces 
choses.  Elle  fait  corps  avec  son  rocher,  elle  a  plié 
sa  vie  aux  ressources  qu'il  donne.  Les  marins,  il 
est  vrai,  ont  dans  la  grande  pêche  pour  les  arma- 
teurs de  Paimpol  une  existence  assurée,  tant  que 
les  mers  du  Nord  ne  les  emportent  pas  dans  une 
de  leurs  colères... 

Voilà  à  quoi  on  se  prend  à  songer  pendant  que 

VOYAGE    EN    FRANCE.    V.  10 


146  VOYAGE    EN    FRANCE. 

les  esthètes  en  rupture  de  Montmartre  et  du  Quar- 
tier-Latin ratiocinent  sur  des  questions  dont  l'in- 
térêt final  est  assez  nébuleux. 

Avant  de  quitter  Bréhat,  je  vais  parcourir  la 
rive  sud  de  la  Gorderie.  Cette  partie  de  l'île  fai- 
sant face  au  gros  hameau  de  Kenarguillis  et  à  la 
pointe  de  Rosido,  éclairée  par  un  petit  phare,  est 
la  plus  pittoresque  de  l'île  \  le  piton  élancé  qui 
porte  la  chapelle  est  entouré  de  belles  cultures, 
les  arbres  y  prennent,  de  loin,  l'aspect  de  bois  *, 
des  sommets  on  a  une  jolie  vue  sur  l'île  de  Bini- 
gaet,  sa  petite  voisine  l'île  Tréouézen,  dont  nous 
sépare  le  chenal  de  Kerpont,  véritable  fleuve  ma- 
rin et  la  petite  île  Verte.  On  va  ainsi,  par  des 
chemins  ombrageux,  sinueux,  montant  ou  des- 
cendant jusqu'à  la  pointe  de  Grech-Gueit,  où  reste 
encore  debout  une  batterie  aujourd'hui  sans  va- 
leur. Grech-Gueit  domine  l'entrée  de  Port-Clos, 
où  nous  embarquons  sur  une  des  chaloupes.  On 
ne  quitte  pas  sans  regret  cette  riante  et  curieuse 
terre  de  Bréhat,  la  plus  verte  et  la  plus  fleurie  de 
toutes  nos  îles  —  après  l'île  aux  Moines  du  Mor- 
bihan. 


X 


LE    GOELLO    ET    LE    PEXTHIEYRE 


Les  Mâts  de  Goëllo.  —  Triste  aventure  d'un  troupeau.  —  Le 
comté  de  Goëllo.  —  La  flottille  de  Paimpol.  —  Pèche  de 
la  morue.  —  Méfaits  de  l'alcool.  —  La  vallée  du  Trieux.  — 
Le  pays  de  Guingamp.  —  Saint-Brieuc  et  sa  campagne.  — 
Le  port  du  Légué.  —  Le  duché  de  Penthièvre.  —  Lamballe 
et  ses  terrassiers. 


Ln  m  balle,  août. 

La  flottille  pairapolaise  échouée  sur  la  vase  au 
moment  où  je  m'embarquais  pour  Bréhat,  se  ber- 
çait mollement,  à  mon  retour,  sur  les  flots  houleux 
de  l'anse  capricieusement  découpée  par  les  pé- 
ninsules et  les  îles.  Tout  à  l'heure,  les  Mâts  de 
Goëllo  surgissaient  de  l'immense  plage  de  sable, 
de  vase  et  de  tangue,  ils  dressent  maintenant  leurs 
pics  du  sein  de  la  mer  qui  vient  briser  contre 
eux.  Ces  îlots  pittoresques  sont  le  dernier  souve- 
nir vivant  de  l'ancien  comté  de  Goëllo,  dont 
Guingamp  était  la  capitale,  resté  célèbre  dans 
l'histoire  de  la  Bretagne.  Ces  îles,  aujourd'hui 
habitées  par  les  seuls  lapins,  avaient  autrefois  mie 
réputation  fort  grande  par  un  petit  troupeau  de 


148  VOYAGE    EN    FRANCE. 

soixante  têtes  de  moutons  dont  la  chair  était  ré- 
putée. Une  famille  de  bergers  les  veillait,  mais 
pendant  l'hiver  elle  devait  aller  chercher  des  res- 
sources sur  le  continent -,  pendant  ce  temps,  des 
marins  de  passage  s'emparaient  des  moutons,  ils 
ont  mangé  jusqu'au  dernier.  Et  les  bergers  ont 
foi,  laissant  les  lapins  maîtres  des  îles;  ceux-ci 
ont  pullulé  à  tel  point  que  la  chasse,  rigoureuse- 
ment surveillée  d'ailleurs,  s'y  fait  à  coups  de 
bâton. 

La  demeure  de  ces  léporides  est  la  dernière 
terre  bretonne  frôlée  par  les  goélettes  paimpo- 
laises  avant  leur  départ  pour  «  Islande  ».  Les 
Mâts  de  Goëllo  sont  aussi  le  point  du  rivage 
qu'ils  découvrent  avec  le  plus  de  joie  lorsqu'ils 
reviennent  de  leur  rude  campagne  dans  l'Océan 
Glacial. 

Si  Dunkerque,  avec  ses  70  navires  de  pêche, 
est  le  port  d'armement  le  plus  actif  pour  la  pêche 
«  à  Islande  »,  comme  disent  les  marins,  Paimpol 
est  beaucoup  plus  connu  :  les  morutiers  de  Paimpol 
ont  bénéficié  du  courant  de  curiosité  et  de  tou- 
risme qui  se  porte  vers  la  Bretagne.  D'ailleurs, 
les  62  goélettes  pampolaises  font  route  avec  les 
17  de  Binic,  les  15  de  Saint-Brieuc  et  les  2  ou 
3  de  Tréguier.  Une  centaine  de  navires  quittent 


LE  &OËLLO  ET  LE  PENTHIÈVRE.      149 

chaque  année  ces  parages  de  la  baie  de  Saint  - 
Brieuc,  pour  aller  poursuivre  la  morue  dans  le 
Nord.  Or,  en  1893,  la  France  entière  en  expédiait 
177.  Les  Pampolais  comptaient  1,948  marins  sur 
3,375  pêcheurs. 

En  ce  moment  les  goélettes  sont  toutes  de  re- 
tour d'Islande,  mais  une  partie  seulement  est  en 
rade  de  Paimpol,  les  autres  sont  encore  dans  les 
ports  où  elles  sont  allées  porter  leur  cargaison, 
jusqu'à  la  Rochelle,  Bordeaux  et  Bayonne.  En 
mars,  lorsque  ces  élégants  navires  sont  tous  réu- 
nis sous  l'île  de  Saint-Rion  ou  dans  les  bassins 
de  Paimpol  pour  procéder  à  leur  armement,  l'ani- 
mation est  grande,  c'est  un  mouvement  incessant 
dans  la  rade  et  dans  la  ville  ;  les  cabarets  sont 
particulièrement  bruyants,  car  ces  rudes  pêcheurs 
sont  de  grands  consommateurs  d'alcool. 

A  bord,  surtout,  ils  boivent  d'effrayante  façon. 
Leur  ration  journalière  est  de  25  centilitres  d'eau- 
de-vie,  autant  de  vin  et  deux  litres  de  cidre.  Cette 
proportion  excessive  s'explique  en  partie  par  le 
rude  climat  des  mers  froides  et  brumeuses  de 
l'Islande,  mais  dans  la  pratique  elle  est  encore 
dépassée  avec  ce  que  les  marins  trouvent  moyen 
de  cacher  à  bord  ;  on  peut  évaluer  à  plus  de 
40  centilitres  la  quantité  d'alcool  journellement 
ingurgitée  en  mer.  Et  quelle  eau-de-vie  !  Les  ar- 


150  VOYAGE    EN    FRANCE. 

mateurs  la  paient  25  centimes  le  litre.  C'est  un 
véritable  poison. 

Cette  intoxication  journalière  a  pour  résultat 
de  rendre  les  marins  indifférents  au  danger;  lors- 
qu'on accuse  le  départ  trop  hâtif  de  la  flottille  des 
désastres  dont  les  pécheurs  sont  victimes  pendant 
le  gros  temps,  on  ne  fait  pas  assez  la  part  à  l'espèce 
de  torpeur  dans  laquelle  vivent  ces  gens.  Il  faut 
cela  pour  leur  faire  braver  les  dangers  de  ces 
mers  et  la  dure  existence  qu'ils  mènent  et  ne 
peuvent  plus  quitter.  Lorsqu'ils  ont  pu  satis- 
faire leur  rêve  :  acheter  un  coin  de  terre,  bâtir 
une  maison,  cultiver  un  petit  jardinet,  vivre  de 
leur  pension,  la  nostalgie  ne  tarde  pas  à  les  pren- 
dre ;  à  la  première  occasion,  ils  s'enrôlent  de  nou- 
veau pour  la  pêche  à  Islande. 

Si  à  terre,  avant  le  départ,  les  cabarets  du  port 
débitent  l'eau -de -vie  en  proportion  peut-être 
moindre,  ils  n'en  sont  pas  moins  fort  achalandés 
aux  heures  où  l'armement  des  goélettes  ne  de- 
mande pas  tous  les  bras.  Mais  il  y  a  fort  à  faire  a 
bord  pour  préparer  le  départ,  les  débits  y  per- 
dent un  peu  de  leur  clientèle.  On  répare  les  dé- 
gâts causés  par  les  tempêtes,  on  visite  les  voiles 
et  les  cordages,  on  complète  les  lignes,  on  em- 
barque l'appât,  couenne  de  lard  qui  suffira  jus- 
qu'au moment  où  l'on  aura  assez   de   peaux  de 


LE  &OËLL0  ET  LE  PENTHIÈVRE.      1Ô1 

flétans  et  d'entrailles  de  morues  pour  fixer  aux 
hameçons. 

Cette  période  de  préparation  est  pour  Paimpol 
le  moment  de  grande  fièvre.  L'été  venu,  la  petite 
ville  reprend  son  calme  aspect,  pourtant  elle  est 
active  encore,  son  port  reçoit  des  navires  assez 
nombreux  et  la  quantité  de  marchandises  débar- 
quées ou  de  poissons  expédiés  est  considérable. 

Il  manquait  à  Paimpol  un  chemin  de  fer  pour 
prendre  une  importance  plus  grande.  Depuis  Tan 
dernier  (1894),  une  ligne  à  voie  étroite  la  relie 
enfin  au  réseau  général  à  la  gare  de  Guingamp. 
Ce  petit  chemin  de  fer  est  appelé  à  jouer  un  grand 
rôle  dans  l'économie  de  la  Bretagne  agricole,  il 
donne  aux  belles  cultures  de  la  «  ceinture  dorée  » , 
c'est-à-dire  de  la  zone  côtière  adoucie  par  le 
gulf-stream  et  fertilisée  par  les  goémons  et  la 
tangue  de  mer  un  débouché  utile  -,  en  même 
temps  il  amènera  jusqu'au  cœur  de  la  presqu'île, 
vers  Carhaix,  les  amendements  calcaires  des  pla- 
ges qui  transformeront  les  terres  granitiques  et 
refouleront  peu  à  peu  les  landes.  Pour  le  touriste 
il  ne  sera  pas  moins  précieux,  il  le  conduira  rapi- 
dement dans  ce  beau  et  plantureux  pays  du  Trieux 
et  du  Tréguier,  où  la  végétation  a  tant  d'opulence, 
où  les  rivages  sont  d'une  rare  beauté. 

Les  bords  de  la  petite  voie   ferrée  sont  eux- 


152  VOYAGE     EN    FRANGE. 

mêmes  fort  beaux.  Lorsqu'après  avoir  traversé  la 
banlieue  de  Paimpol  on  atteint  la  vallée  du 
ïrieux,  on  découvre  un  site  inattendu.  Le  large 
fleuve,  soutenu  par  la  marée,  serpente  au  fond 
d'une  faille  profonde  où  les  hautes  falaises  ro- 
cheuses ou  boisées,  et  les  landes  couvertes  de 
bruyères,  forment  un  ca Ire  grandiose.  Le  chemin 
de  fer  court  au  flanc  de  la  rive  droite,  presque 
taillée  à  pic  et  donne  la  sensation  d'un  railway 
de  montagne.  En  face,  commandant  un  coude  du 
Trieux,  le  vieux  château  de  laRoche-Jagu  dresse 
sur  la  falaise  ses  toits  couronnés  de  hautes  che- 
minées, ses  tours,  ses  murs  à  mâchicoulis.  C'est 
un  des  plus  beaux  sites  de  Bretagne. 

Grâce  au  flot  de  la  mer,  le  Trieux  reste  profond. 
Avec  la  marée,  deux  petits  navires  montent  en  ce 
moment  ;  de  la  portière  des  wagons,  il  semble 
qu'on  va  toucher  leurs  mâts.  Ils  sont  bientôt  dé- 
passés, la  rivière  se  rétrécit,  voilà  Pontrieux  avec 
ses  quais  bordés  de  navires  :  la  petite  ville  est  co- 
quette et  riante. 

Au  delà  le  Trieux,  n'étant  plus  gontlé  par  le 
Ilot,  devient  une  aimable  rivière,  claire,  sinueuse, 
barrée  par  des  usines,  à  demi  enfouie  sous  les 
arbres  de  la  rive.  Jusqu'à  Guingamp  nous  remon- 
tons sa  vallée  creuse  et  joyeuse.  Le  chemin  de 
fer  la  quitte  pour  contourner  la  ville,  passer  sous 


LE  GOKLLO  ET  LE  PENTH1ÈVRE.      153 

la  grande  ligne  de  Brest,  se  sonder  à  la  voie  de 
Carhaix  et  pénétrer  avec  elle  dans  la  gare  de 
Gningamp. 


Tr<H 


DE    PALM  PO  L    A    SAINT-BRIEUG 


D'après  la  carte  de  l'état-major  au 


320,000 


Je  ne  me  suis  point  arrêté  à  Guingamp,  je  dois 
revenir  ici  demain  pour  me  rendre  à  Carhaix. 
Ce  soir  je  suis  attendu  à  Lamballe.  Mais  j'ai  le 


154  VOYAGE    EN    FRANGE. 

temps  de  revoir  un  moment  Saint-Brieuc.  Trente 
kilomètres  séparent  Guingamp  du  chef-lieu  des 
Côtes-du-Nord,  ce  serait  un  voyage  charmant  à 
faire  par  la  route,  le  train  passe  trop  vite  à  travers 
ce  pays  couvert  d'arbres,  où  chaque  hameau  dis- 
paraît entre  les  hauts  talus  plantés  de  chênes,  de 
hêtres  et  d'ajoncs.  Mais  en  approchant  de  Saint- 
Brieuc  le  pays  s'accidente,  les  ruisseaux  et  les 
rivières  descendus  des  montagnes  Noires  et  du 
Menez,  se  creusent  de  profondes  vallées  ;  dans  les 
escarpements,  le  granit  apparaît  à  nu  entre  les 
mousses,  les  fougères,  les  bruyères  et  les  genêts  ; 
les  torrents  bondissent.  Aux  abords  de  Saint- 
Brieuc,  la  vallée  du  Gouët  est  vraiment  superbe  ; 
on  la  franchit  sur  un  viaduc  haut  de  59  mètres, 
à  deux  rangs  d'arches,  qui  ne  le  cède  pas  en  ma- 
jesté à  celui  de  Morlaix.  Toute  cette  région  est 
très  belle  et  mériterait  d'être  mieux  connue. C'est 
du  reste  une  de  celles  où  l'agriculture  est  le  plus 
en  progrès;  les  champs  de  choux,  dont  rétendue 
est  si  prodigieuse  et  qui  sont  la  caractéristique 
de  la  culture  bretonne,  sont  alimentés  par  les  se- 
mis faits  autour  de  Saint-Brieuc  ;  le  plant  brio- 
chin  est  une  sorte  de  gloire  locale  pour  cette  con- 
trée qui  fut  jadis  le  duché  de  Penthièvre  et  qui 
s'étend  du  Goëllo  à  la  Rance. 

L'élevage  du  bétail    est  une  autre  source  de 


LE  GOËLLO  ET  LE  PENTHIÈVRE.      155 

prospérité.  Le  lait  et  le  beurre  abondent  dans  le 
Penthièvre,  déjà  Paris  s'alimente  dans  ces  com- 
pagnes verdoyantes.  Les  produits  sont  vendus  aux 
halles  comme  beurres  de  la  Prévalaye  ou  d'Isigny. 

Saint-Brieuc  a  bien  l'aspect  d'une  capitale  de 
terroir  agricole.  A  parcourir  ses  rues  noires  et 
tristes,  ses  vastes  places  irrégulières  servant  de 
champs  de  foire,  à  visiter  ses  magasins  étalant 
des  étoffes  voyantes,  on  devine  que  la  population 
voisine  est  entièrement  livrée  à  la  culture.  Çà  et 
là,  cependant,  des  débris  de  la  vieille  ville  :  quel- 
ques tourelles  d'angle,  des  maisons  sculptées,  ar- 
rêtent un  instant  l'attention.  La  partie  moderne 
est  monotone,  le  granit  dont  les  édifices  sont 
construits  se  prête  malaisément  à  la  sculpture. 

Saint-Brieuc  est  cependant  un  centre  ;  c'est, 
entre  Rennes,  Brest  et  Lorient,  la  ville  la  plus 
peuplée  de  la  Bretagne,  les  marchés  et  les  foires 
y  attirent  la  foule.  Il  ne  lui  manque  que  d'être 
assise  au  bord  même  de  la  mer  pour  prendre  un 
rang  plus  distingué  parmi  les  villes  de  Bretagne. 
Mais  elle  domine  de  100  mètres  la  faille  profonde 
où  le  Gouët,  refoulé  par  la  marée,  reçoit  les  na- 
vires. Des  routes  conduisent  à  ce  point  par  la 
vallée  bordée  de  hautes  roches  boisées  -,  des  fau- 
bourgs se  sont  établis  sur  les  pentes  et  au  fond 
de  la  gorge  où  l'on  a  trouvé  la  place  pour  creuser 


156  VOYAGE    EN    FRANGE. 

un  bassin  à  flot  et  aménager  un  outillage  mari- 
time assez  complet.  Cette  partie  marine  de  Saint- 
Brieuc  s'appelle  le  Légué  ;  un  cheinin  de  fer  ou- 
vert seulement  aux  marchandises  y  descend  par 
de  fortes  rampes  et  des  courbes  d'un  développe- 
ment total  de  sept  kilomètres  de  gare  à  gare  ;  or, 
1,500  mètres  seulement  séparent  la  ville  de  son 
port. 

Le  Gouët  débouche  dans  l'anse  d'Yffiniac  qui 
assèche  complètement  à  mer  basse  ;  le  port  n'est 
donc  accessible  qu'à  haute  mer  et  pour  des  navi- 
res calant  400  tonnes  au  maximum.  Malgré  ces 
conditions  défavorables,  il  est  fort  actif,  le  voisi- 
nage de  l'Angleterre  permettant  d'écouler  les  pro- 
duits agricoles  d'une  vaste  partie  du  Penthièvre 
et  des  monts  Menez.  Les  beurres,  les  cidres,  les 
salaisons,  les  pommes  de  terre,  sont  pour  le  Lé- 
gué un  élément  de  fret  important.  Aussi,  à  la 
sortie,  le  mouvement  du  port  a-t-il  été,  en  189-1-, 
de  763  navires  et  19,216  tonnes,  pour  la  plu- 
part sous  pavillon  anglais.  A  l'entrée,  le  nombre 
des  navires  a  été  de  781  et  56,883  tonnes.  Le 
nombre  de  navires  armant  pour  la  pêche  à  Islande 
est  de  15.  Saint-Brieuc  est  donc  une  ville  mari- 
time assez  importante,  elle  ne  saurait  manquer 
de  développer  encore  son  commerce,  le  pays  voi- 
sin  étant   appelé  à  une  prospérité  plus  grande 


LE    G0ËLL0    ET    LE    PENTHIÈVRE.  157 

lorsque  Ton  exploitera  le  sol  par  des  procédés  moins 
empiriques.  Peut-être  alors  deviendra-t-il  néces- 
saire d'améliorer  l'accès  du  chenal  pour  le  rendre 
abordable  à  de  plus  grands  bâtiments. 

Du  Légué  des  sentiers  abrupts,  mais  bordés  de 
beaux  arbustes,  conduisent  au  village  de  Cesson, 
dépendance  de  Saint- Brieuc,  d'où  surgissent  de 
la  verdure  les  ruines  curieuses  d'un  donjon  fa- 
meux dans  l'histoire  de  la  Bretagne.  Ces  environs 
de  Saint-Brieuc  sont  charmants  et  très  accidentés. 
A  l'heure  de  la  haute  mer  ils  sont  superbes,  grâce 
aux  indexations  profondes  de  la  côte,  mais  à 
marée  basse  les  vastes  grèves  sont  d'une  inexpri- 
mable mélancolie. 

Je  les  vois  ainsi  du  chemin  de  fer  que  j'ai  pris 
pour  gagner  Lamballe.  L'anse  d'Yffmiac  n'est 
qu'un  désert  gris  entre  de  jolies  collines  vertes, 
fort  étrange  par  son  horizontalité  immobile;  au 
delà  de  cette  laisse,  la  mer  est  d'abord  laiteuse, 
puis  peu  à  peu  ses  teintes  se  foncent  jusqu'au 
bleu  profond.  L'anse  asséchée  est  couverte  de 
voitures  chargeant  la  tangue,  non  moins  recher- 
chée ici  qu'au  Mont-Saint-Michel.  On  la  domine 
assez  longtemps,  puis  elle  disparaît  bientôt  et  de 
nouveau  on  est  en  pleine  campagne  bretonne, 
entre  les  champs  bordés  de  hauts  talus.  Mais  ici 


158  VOYAGE    EN    FRANCE. 

le  fourré  est  moins  inextricable.  Les  séparations 
des  champs  ne  sont  Pas  toujours  plantées,  on 
dirait  que  le  paysan  est  orgueilleux  de  ce  travail 
de  fortification  et  veut  le  montrer.  Nous  sommes 
dans  la  contrée  où  Ton  apporte  le  plus  de  soin  à 
ces  travaux.  Les  gens  de  Lamballe  ont  une  répu- 
tation pour  leur  adresse  et  leur  patience  à  remuer 
la  terre . 

...  Non  même  aux  Lamballais,  ces  maîtres  fossoyeurs, 

a  dit  quelque  part  Brizeux,  condensant  le  dicton 
de  la  Bretagne  bretonnante  : 

Un  Lamballais  est  un  maître  pour  faire  de  bons  talus. 

La  culture  est  bien  plus  savante  que  dans  la 
Bretagne  où  l'on  parle  breton  ;  on  approche  du 
pays  de  Rennes  et  de  la  Normandie  ;  le  Penthièvre 
est  breton  par  l'organisation  politique  et  non  par 
la  race.  Bien  rarement  entend-on  les  syllabes 
gutturales  du  brezonnec.  Aussi  les  Bretons  bre- 
tonnants  ne  ménagent-ils  pas  les  sarcasmes  à  ces 
frères  d'au  delà  du  Gouët.  Leurs  habitudes  de 
travail  et  de  frugalité  sont  raillées  :  «  fèves  rouges 
et  fèves  bariolées,  abricots  des  Lamballais  »,  dit 
un  dicton  local. 

Lamballe,  centre  de  ce  district,   ne  ressemble 


LE  GOËLLO  ET  LE  PENTHIEVRE.      159 

guère  aux  villes  bretonnes  ;  très  pittoresquement 
assise  sur  les  pentes  d'une  haute  colline  entourée 
par  le  Gouessant  et  le  Chifrouet,  elle  a,  vue  de  la 
gare,  un  aspect  attirant  :  sur  la  colline  deux  églises 
attirent  l'attention,  l'une  d'elles  est  dominée  par 
une  haute  tour  carrée  flanquée  d'une  mince  et 
élégante  tourelle  bizarrement  coiffée  d'un  dôme 
d'ardoises.  Dans  les  faubourgs  pointent  deux 
autres  {lèches  d'église.  L'intérieur  ne  cause  pas 
de  désillusions,  peu  de  petites  cités  sont  plus  pro- 
pres et  ont  conservé  de  plus  intéressants  monu- 
ments. Du  haut  d'une  terrasse  qui  avoisine  l'église 
Notre-Dame  on  a  sur  la  ville  et  la  vallée  des 
aperçus  heureux.  Cité  et  paysage  s'harmonisent  à 
merveille.  Malgré  les  chemins  de  fer,  malgré 
«  l'avenue  de  la  Gare  »,  cet  ensemble  a  conservé 
toute  sa  saveur  archaïque.  La  petite  capitale  des 
comtes  de  Penthièvre  semble  avoir  traversé  sans 
trop  de  transformations  et  de  ruines  la  période 
révolutionnaire  qui  débuta  par  la  mort  d'une  de 
ses  princesses,  cette  pauvre  Mmc  de  Lamballe, 
dont  la  tête  fut  promenée  dans  Paris  au  bout  d'une 
pique. 


XI 

AU  BERCEAU  DE  LA  TOUR  d' AUVERGNE 


Guingamp  et  le  guingan.  —  En  route  pour  les  monts  d'Arrée. 
La  vallée  d'Hyère.  —  Carhaix.  —  La  Tour  d'Auvergne  et  ses 
origines.  —  Les  mines  de  Poullaouen  et  d'Huelgoat.  —  Ce 
qu'elles  furent  jadis.  —  Le  vallon  de  Pont-Pierre  et  ses  mer- 
veilles. —  Le  gouffre.  —  Huelgoat.  —  La  Roche  Tremblante 
et  la  cuisine  de  la  Vierge.  —  Sainl-Herbot.  —  Le  pèlerinage 
des  queues  de  vaches.  —  Le  château  de  Rusquec.  —  Saut  de 
Saint-Herbot.  —  Dans  les  monts  d'Arrée. 


Carhaix,  septembre. 

Les  robes  de  guingan,  chères  à  nos  arrière- 
grand'mères  et  dont  le  roman,  vers  1830,  em- 
ploya tant  d'aunes  à  vêtir  ses  héroïnes,  ne  sont 
plus  ;  cela  n'empêche  pas  bien  des  auteurs  de  si- 
gnaler Guingamp  comme  ayant  donné  son  nom 
à  une  étoile  de  coton  servant  encore  à  l'habille- 
ment. J'avais  peu  de  temps  à  consacrer  à  cette 
petite  ville  et  je  me  suis  aussitôt  mis  en  campagne 
pour  chercher  du  guingan,  afin  de  raconter  sa  fa- 
brication ;  j'ai  interrogé  les  marchands  de  nou- 
veauté et  les  marchands  de  toile,  j'ai  demandé  à 
acheter  du  guingan,  on  m'a  ri  au  nez  ou  l'on  a  té- 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    D'AUVERGNE.       161 

moigné  une  stupéfaction  profonde.  On  est  encore 
primitif  dans  ce  pays.  A  Paris,  le  premier  calicot 
venu  m'aurait  dit  avec  aplomb  : 

—  Nous  venons  justement  de  vendre  la  der- 
nière pièce.  Si  monsieur  peut  repasser  lundi? 

A  Guingamp  on  a  laissé  voir  un  honnête  éton- 
nement.  On  tisse  de  la  toile  de  Bretagne,  on  fait 
môme  de  la  bonneterie,  on  ignore  le  guingan. 
C'était,  paraît-il,  une  étoffe  de  coton  très  fine  et 
brillante. 

A  courir  par  la  ville  pour  trouver  des  traces  de 
cette  industrie  disparue,  je  n'ai  pas  perdu  mon 
temps  ;  elle  est  fort  amusante,  Guingamp.  Notre- 
Dame-de-Bon-Secours,  sa  principale  église,  ouvre 
dignement  les  monuments  et  les  sanctuaires  de 
la  Bretagne  bretonnante ,  et  sa  fontaine  de  la 
Pompe,  avec  ses  figures  de  nymphe,  est  une  des 
œuvres  les  plus  exquises  de  la  Renaissance.  Les 
figures  en  plomb,  nymphes  et  chevaux  marins, 
dominées  par  une  statue  de  la  Vierge,  étonnent  par 
leur  grâce  dans  le  décor  un  peu  sévère  de  la  grande 
place  aux  maisons  nobles,  qui  rappellent  l'ancien 
rang  de  capitale  de  cette  ville-maîtresse  du  Goëllo 
et  du  Penthièvre.  Quelques  maisons  à  tourelle, 
les  façades  sculptées,  les  débris  des  tours  du 
château  et  du  rempart  rappellent  seuls  le  passé 
féodal  et  guerrier  de  Guingamp.  De  nos  jours  on 

VOYAGE  EN  FRANCE.  V.  Il 


162  VOYAGE    EN    FRANGE. 

lui  a  donné  un  régiment  d'infanterie  qui  entre- 
tient la  vie  dans  cette  cité  d'ailleurs  commer- 
çante, dont  la  création  du  réseau  ferré  secondaire 
de  la  Bretagne  accroît  aujourd'hui  l'activité. 

Par  Guingamp,  on  se  rend  à  Paimpol  et  à 
Bréhat,  par  là  encore  on  pénètre  au  cœur  de  la 
Bretagne,  dans  ces  monts  d'Arrée  jadis  difficiles 
à  atteindre,  tant  les  moyens  de  communication 
étaient  rares  et  défectueux.  Aujourd'hui,  ces 
hautes  collines  noires  qui  ferment  l'horizon  vers 
le  sud,  sont  devenues  accessibles  ;  les  chemins  de 
fer  à  voie  étroite,  appelés  à  sillonner  la  Bretagne 
intérieure,  ont  fait  de  Garhaix  leur  centre  prin- 
cipal. De  là  rayonnent  déjà  des  lignes  vers  Guin- 
gamp et  Paimpol,  vers  Morlaix,  vers  Concarneau, 
d'autres  achèveront  d'ouvrir  aux  visiteurs  ces  pays 
inconnus  il  y  a  si  peu  de  temps. 

La  ligne  de  Guingamp  à  Garhaix  parcourt  un 
des  plus  riants  pays  de  la  presqu'île.  On  remonte 
d'abord  la  vallée  du  Trieux,  très  accidentée,  très 
verte,  bordée  de  grands  bois,  égayée  par  sa  ja- 
seuse  rivière;  bientôt  les  collines  s'abaissent  en 
de  grands  détours  au  milieu  de  vastes  prairies 
tourbeuses  ;  le  petit  chemin  de  fer  monte  sur  un 
plateau  accidenté,  véritable  toit  des  eaux  pour 
toute  la  Bretagne  où  naissent  la  rivière  de  Lan- 


AU     BEHCEAL     DE     LA    TOL'R    d'aUYERGNE.       163 

nion,  le  Trieux,  le  Blavet  et  l'Hyère,  qui  devien- 
dra plus  bas  une  partie  du  canal  de  Nantes  à 
Brest.  Les  nuages  accourus  des  deux  mers  se 
heurtent  sur  ces  hauteurs  et  produisent  des  pluies 
abondantes  entretenant  sans  cesse  le  volume  des 
ruisseaux  et  des  rivières. 

Cette  ligne  de  faîte  est  peu  large,  on  ne  tarde 
pas  à  descendre  dans  une  vallée  moins  accidentée 
que  celle  du  Trieux.  Là  coule  l'Hyère,  dont  on 
voit,  un  peu  au-dessous  de  la  grosse  bourgade 
de  Gallac,  se  gonfler  le  courant  par  l'arrivée  de 
ruisselets  nombreux.  Bientôt  l'Hyère  est  large  et 
ample;  sa  vallée,  très  verte,  est  assez  austère,  ou 
n'y  retrouve  pas  la  grâce  des  petits  bassins  qui 
s'ouvrent  vers  la  Manche.  Plus  moroses  encore 
sont  les  sites  aux  abords  de  l'antique  métropole 
de  la  Bretagne  celtique,  Garhaix,  «  la  cité  mon- 
tueuse  »  dont  parle  Brizeux,  si  fièrement  placée  au 
sommet  d'un  plateau  où  se  croisaient  jadis  toutes 
les  voies  romaines  de  l'Armorique,  aujourd'hui 
encore  centre  des  routes  et  des  chemins  et,  bientôt, 
nœud  central  du  réseau  intérieur  des  chemins  de 
fer  bretons. 

La  ville,  où  l'on  monte,  de  la  gare,  par  une  rue 
en  pente  bordée  de  maisons  basses,  a  encore  des 
apparences  de  fête.  Il  y  a  quelques  jours  à  peine 
une  compagnie  d'infanterie  est  venue  de  Morlaix, 


164  VOYAGE    EN    FRANGE. 

ea  grande  tenue  et  a  pris  ses  logements  chez  les 
habitants  qui  Tout  reçue  avec  joie.  Le  lendemain, 
la  compagnie  se  rendait  sur  une  vaste  esplanade 
d'où  la  vue  s'étend  sur  un  superbe  horizon  des 
Montagnes-Noires  aux  monts  d'Arrée.  Les  hom- 
mes gantés  de  blanc,  les  officiers  et  l'adjudant  en 
épaulettes,  au  milieu  d'une  foule  de  Bretons  ac- 
courus dans  leurs  pittoresques  costumes  des  val- 
lées de  l'Aulne  et  du  Blavet,  de  Landerneau  et  de 
Roscoff,  de  Guingamp  et  de  Huelgoat,  défilaient 
en  portant  les  armes  devant  la  statue  d'un  capi- 
taine qui  décore  la  promenade.  Il  en  est  ainsi 
chaque  année. 

L'officier  à  qui  cet  honneur  est  réservé  mérite 
cet  hommage.  C'est  la  Tour  d'Auvergne,  premier 
grenadier  de  la  République. 

On  ne  trouverait  cependant  pas  la  Tour  d'Au- 
vergne sous  ce  nom  sur  les  registres  de  l'état  civil 
de  Garhaix.  Le  livre  où  étaient  inscrits  les  «  bap- 
têmes, mariages  et  décès  »  dans  cette  petite  ville, 
porte,  à  la  date  du  23  décembre  1743,  la  mention 
suivante  : 

Théophile  Malo,  né  le  23  décembre  17-43,  fils  légi- 
time de  noble  maître  Olivier  Louis  Corret,  avocat  à  la 
Cour,  sénéchal  de  Trébivan,  et  de  dame  Jeanne  Lu- 
cresse  Salaun,  son  épouse,  a  été  baptisé  le  25  dudit 
mois  par  le  soussigné  recteur  :  parrain  et  marraine  ont 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    d'aUVERGNE.      165 

été  les  M.  :  maître  Théophile  Mathurin  Huchet,  sieur 
de  Daugeville,  conseiller,  avocat,  conseiller  du  Roi  au 
siège  présidial  de  Qaimper,  et  demoiselle  Vincente 
Le  Roux,  dame  de  Kcrvasdoué,  soussignés. 

Signé:  Vincente  Jeanne  Le  Roux,  Huchet  Dangeville, 
de  Thilbaut,  notaire,  Bronnec  de  Botsev,  Ladugentil 
Pourcelet,  de  Beauverger  Pourcelet,  Armelle  Pource- 
let,  Beauverger  Pourcelet,  subdélégué,  Botsev  Guezno, 
Pécourt,  Treveret  Pourcelet,  adjoint,  Corret,  L.  D. 
Veller,  recteur  de  Plouguer  et  Carhaix. 

Rien  dans  cet  acte  ne  donne  à  l'enfant  la  moin- 
dre parenté  avec  l'illustre  famille  de  La  Tour 
d'Auvergne,  c'est-à-dire  avec  les  Bouillon  et  les 
Turenne.  Tous  les  noms  inscrits  dans  l'acte  de 
baptême  sont  ceux  de  bons  bourgeois,  de  cette 
bourgeoisie  des  petites  villes  qui  fit  la  Révolution 
et  dont  les  fils  devinrent  les  chefs  des  armées  de 
la  République  et  de  l'Empire. 

Même  en  Bretagne,  surtout  en  Bretagne,  pour- 
rait-on dire,  dans  ce  pays  que  nous  nous  repré- 
sentons si  volontiers  arriéré,  presque  sauvage, 
cette  bourgeoisie  de  bourgade  était  éclairée  et 
éprise  de  progrès.  Nulle  part  plus  que  dans  ces 
contrées  sur  lesquelles  devaient  s'appuyer  la  Ven- 
dée et  la  chouannerie,  on  ne  vit  un  tel  élan  pour 
les  idées  nouvelles.  Si  les  campagnes  se  laissaient 
enrôler  dans  les  rangs  de  l'insurrection  à  la  voix 
de  quelques-uns  de  leurs  recteurs,  les   centres 


166  VOYAGE    EN    FRANGE. 

prêtèrent  aux  colonnes  républicaines  l'appui  de 
leurs  gardes  nationales.  Des  nombreux  monu- 
ments élevés  depuis  quelques  années  en  l'honneur 
de  la  Révolution,  aucun  n'est  plus  éloquent  que 
celui  érigé  à  Pontivy  pour  commémorer  la  fédé- 
ration de  près  de  200  bourgs  ou  villes  de  Bre- 
tagne et  d'Anjou. 

Dans  ce  milieu  de  libéralisme  éclairé  naquit 
et  vécut  Théophile  Malo  Gorret.  Sa  petite  ville 
était  une  des  plus  humbles  par  le  chiffre  de  la 
population,  mais  une  des  plus  illustres  par  les 
origines  de  toute  la  Basse-Bretagne.  Il  y  avait  là 
une  petite  noblesse  d'épée  et  une  petite  noblesse 
de  robe  qui  avaient  pris  à  cœur  d'orner  la  cité  de 
demeures  de  belle  allure.  Plusieurs  hôtels  de  la 
Renaissance  et  du  dix-septième  siècle  sont  restés 
debout,  pittoresques  et  élégants  à  la  fois.  Ce  n'est 
point  dans  l'un  d'eux  que  vint  au  monde  le  futur 
grenadier.  La  maison  où  Ton  a  apposé  une  plaque 
rappelant  la  naissance  du  héros  est  une  des  plus 
simples  de  la  ville  ;  comme  ses  voisines,  elle  est 
bâtie  de  robuste  granit  à  gros  grain  ;  des  pierres 
énormes  forment  le  linteau  et  les  montants  des 
portes  et  des  fenêtres  ;  le  reste  est  un  crépi  qui 
depuis  longtemps  n'a  été  renouvelé.  Cette  de- 
meure a  un  caractère  froid,  banal,  pauvre,  jurant 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    d'aUVERGNE.       167 

avec  le  pittoresque  des  hauts  pignons,  des  murs 
ventrus,  des  façades  sculptées  qui  lavoisinent. 
Rien  n'y  sent  la  race  et  le  terroir. 

De  fait,  Théophile  Malo  n'était  Breton  que  par 
sa  mère.  Son  grand-père  était  le  iils  naturel  du 
père  du  grand  Turenne,  Henri  de  la  Tour  d'Au- 
vergne, vicomte  de  Turenne,  duc  de  Bouillon, 
prince  souverain  de  Sedan  et  de  Raucourt.  La 
mère,  Adèle  Corret,  paraît  avoir  été  une  suivante 
attachée  à  la  famille.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'arrière- 
grand-père  de  Théophile  Malo  fut  reconnu  en 
quelque  sorte  comme  appartenant  à  la  famille  de 
Bouillon,  car  la  princesse  Henriette  de  La  Tour 
d'Auvergne  l'emmena  avec  elle  en  Bretagne,  lors- 
qu'elle alla  épouser  le  marquis  de  la  Moussaye. 
Henri  Corret  grandit  dans  la  province,  s'y  maria 
et  fit  souche  d'une  famille  alliée  à  plusieurs  fa- 
milles nobles  ou  de  robe  de  Basse-Bretagne.  Mais 
les  Corret  n'en  demeurèrent  pas  moins  roturiers, 
de  mince  bourgeoisie. 

Le  sénéchal  de  Trébivan  ne  rêvait  pas  de  hautes 
destinées  pour  son  fils  Théophile  Malo  ;  il  le  dé- 
sirait magistrat  ou  prêtre  :  dans  ce  but,  il  le  fit 
entrer  au  collège  des  jésuites  de  Quimper.  Mais, 
par  un  phénomène  fréquent  d'atavisme,  le  jeune 
homme  répugna  à  devenir  conseiller  du  Roi  ou 
recteur.  Le  sang  des  Turenne  se  réveilla  en  lui, 


1(38  VOYAGE    EN    FRANCE. 

il  voulut  être  soldat  et  entra  à  l'école  de  la  Flèche, 
âgé  déjà  de  vingt-deux  ans.  Il  en  sortit  trop  tard 
pour  ;iller  à  l'École  militaire  et  sollicita  son  ad- 
mission dans  la  maison  du  Roi,  d'où  il  pouvait 
sortir  officier. 

Ce  n'était  point  chose  facile  :  il  fallait  prouver 
sa  qualité  de  gentilhomme.  Théophile  Malo  Gor- 
ret,  ne  songeant  point  encore  à  se  prévaloir  de  sa 
qualité  d'arrière-petit -neveu  naturel  du  grand 
Turenne,  eut  recours  à  la  famille  noble  de  sa 
mère,  qui  lui  fit  délivrer  par  quatre  gentilshommes 
de  l'évêché  de  Tréguier  un  certificat  déclarant  que 
Théophile  Malo  de  Gorret  était  écuyer.  Ce  faux 
témoignage,  car  c'en  est  un  dans  nos  idées  mo- 
dernes, permit  au  jeune  homme  d'entrer  à  la 
2e  compagnie  des  mousquetaires.  Rouget  de  lTsle, 
Carnot,  Bonaparte,  bien  d'autres  encore,  durent 
employer  les  mêmes  procédés  pour  pénétrer  dans 
une  carrière  jalousement  réservée  à  la  naissance. 

Dès  qu'il  eut  le  temps  de  service  exigé,  Théo- 
phile Malo  de  Gorret,  voyant  qu'il  n'avait  pas 
grand  avenir  dans  la  maison  du  Roi,  sollicita  une 
sous-lieutenance  et  fut  nommé  au  régiment  d'An- 
goumois,  où  il  parvint  lentement  au  grade  de 
lieutenant  en  premier,  suivant  cette  glorieuse  lé- 
gion dans  toutes  ses  garnisons  :  Saint-Hippolyte- 
du-Fort,  Collioure,  Marseille,  Antibes,  Grenoble, 


AU    BERCEAU     DU     LA    TOUR    d'aUVERGNE.       169 

Mont-Dauphin,  Embrun,  Avignon,  Montauban  et 
Huningue,  où  il  eut  un  duel  dont  la  cause  est  de- 
meurée mystérieuse  et  dans  lequel  il  reçut  une 
grave  blessure  au  bas-ventre  ;  il  n'en  guérit  ja- 
mais. Retenu  au  lit,  se  sentant  seul,  presque  sans 
ressources,  il  se  souvint  de  l'origine  de  son  aïeul 
et  songea  à  se  faire  un  appui  du  duc  de  Bouillon. 
Il  sollicita  de  son  illustre  parent  une  reconnais- 
sance. Peu  de  temps  après,  il  recevait  de  «  Gode- 
froy,  duc  régnant  de  Bouillon  »,  une  lettre  qui 
l'autorisait  à  prendre  le  nom  et  les  armes  de  cette 
maison,  «  qui  sont  la  Tour  d'Auvergne  et  le  gon- 
fanon,  en  ajoutant  dans  l'écusson  la  barre,  comme 
enfant  naturel  de  ma  maison  ». 

Cette  lettre  est  du  23  octobre  1777.  Peu  après, 
une  autre  autorisait  le  lieutenant  de  Corret  à  se 
faire  inscrire  dans  l'état  militaire  sous  le  nom  de 
la  Tour  d'Auvergne. 

Je  n'ai  pas  l'intention  de  refaire  ici  l'histoire 
du  premier  grenadier  de  la  République.  Si  j'ai 
été  amené  à  parler  de  ce  grand  soldat,  c'est  qu'il 
est  impossible  de  ne  pas  songer  à  lui,  à  deux  pas 
du  beau  monument  dû  à  Marochetti  et  de  l'hôtel 
de  ville  où  se  trouvent  les  humbles  reliques  du 
héros. 

Sur  la  cheminée  du  secrétaire  de  la  mairie  est 


170  VOYAGE    EN    FRANCE. 

un  coffret  de  verre  abritant  un  petit  écrin  où  sont 
enfermés  des  objets  envoyés  par  le  roi  de  Bavière 
à  la  suite  de  l'exhumation  du  corps  de  la  Tour 
d'Auvergne,  en  1837.  Une  dent  jaunie,  mais 
saine  encore,  une  mèche  de  cheveux  bruns,  l'é- 
pingle qui  fixait  le  ruban  à  la  queue  de  cheveux 
qui  flottait  sur  le  collet  des  grenadiers,  deux  bou- 
tons provenant  des  guêtres  montantes,  voilà  tout 
ce  que  possède  la  ville  natale  de  La  Tour  d'Au- 
vergne. Elle  avait  de  lui  un  portrait  le  représen- 
tant en  lieutenant  du  régiment  d'Angoumois,  dans 
son  uniforme  blanc  à  revers  bleu.  Ceux  qui  ont 
vu  ce  tableau  disent  qu'il  montrait  un  jeune  offi- 
cier de  haute  taille,  vigoureux,  de  mine  fière,  sé- 
rieuse et  franche.  Il  y  a  quelques  années,  on 
procéda  à  des  réparations  à  l'hôtel  de  ville  de 
Garhaix.  Ce  portrait  et  celui  d'un  autre  enfant 
de  Garhaix,  l'amiral  Emériau,  furent  placés  dans 
un  couvent  de  sœurs,  en  attendant  le  moment 
de  reprendre  place  dans  la  maison  municipale. 
Les  sœurs  mirent  les  deux  tableaux  dans  la  cour  ! 
Les  élèves  prirent  plaisir  à  lapider  les  portraits  ; 
à  l'aide  de  ciseaux,  de  morceaux  de  bois  et  d'é- 
pingles, on  enleva  la  couleur,  on  troua  la  toile. 
Lorsqu'on  voulut  replacer  les  tableaux,  on  n'en 
trouva  plus  que  d'informes  débris.  Ce  fait  s'est 
passé  de  nos  jours;  il  en  dit  long  sur  l'éducation 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    d'aUVERGNE.       171 

donnée  aux  petites  iill-es  bretonnes  il  y  il  peu 
d'années. 

Cet  acte  de  vandalisme  est  bien  compensé,  il 
est  vrai,  par  le  pieux  souvenir  que  garde  Carhaix 
de  son  illustre  enfant.  La  fête  annuelle  du  héros 
n'a  certes  pas  l'éclat  de  celle  de  Hoche  à  Ver- 
sailles. Carhaix  est  trop  loin  de  Paris,  et  la  com- 
pagnie envoyée  de  Morlaix  ne  saurait  offrir  un 
spectacle  aussi  imposant  que  les  escadrons,  bat- 
teries et  bataillons  de  Versailles  défilant  dans  les 
majestueuses  rues  de  la  ville  royale.  Mais  la  ma- 
nifestation, pour  être  humble,  n'en  est  que  plus 
touchante.  Sans  le  vouloir,  peut-être,  on  rend  au 
premier  grenadier  de  la  République  l'hommage 
qu'il  aurait  rêvé.  Soldat  de  grande  valeur,  digne 
d'être  placé  au  plus  haut  sommet  de  la  hiérarchie, 
il  ne  voulut  jamais  être  que  le  chef  d'une  com- 
pagnie :  une  compagnie  vient  chaque  année  passer 
devant  la  fière  statue  qui  contemple  les  lignes 
mélancoliques  des  Montagnes-Noires  et  le  vaste 
horizon  du  plateau  breton . 

On  ne  peut  s'empêcher  de  regretter  que  la  Tour 
d'Auvergne,  même  lorsqu'il  exerça  le  comman- 
dement de  troupes  représentant  parfois  plus  d'une 
division  d'infanterie,  n'ait  voulu  que  ses  épau- 
lettes  de  capitaine.  Ce  que  l'on  sait  de  lui  prouve 
qu'il  aurait  été  un  des  meilleurs  généraux  de  la 


172  VOYAGE    EN    FRANGE. 

République.  Mais  le  scrupule  auquel  il  obéissait 
est  trop  noble  pour  ne  pas  faire  pardonner  cette 
trop  inflexible  modestie.  Il  avait  refusé  de  suivre 
ses  camarades  du  régiment  d'Angoumois  dans  l'é- 
migration, malgré  les  instances  du  colonel  et  du 
corps  d'officiers  lui  disant  qu'un  descendant  des 
Turenne  se  devait  à  la  royauté.  Mais,  tout  en 
restant  à  son  poste,  il  ne  voulut  pas  être  accusé 
d'avoir  voulu  profiter  de  la  pénurie  d'officiers  dont 
l'émigration  allait  être  cause,  et  il  se  promit  de 
ne  jamais  accepter  un  grade  supérieur  à  celui 
qu'il  avait.  Il  tint  parole,  malgré  toutes  les  ins- 
tances, et  lorsqu'un  brevet  de  colonel  lui  fut  en- 
voyé après  ses  exploits  à  l'armée  des  Pyrénées, 
il  le  retourna  au  ministre. 

Par  cette  ténacité,  La  Tour  d'Auvergne  tient 
bien  à  cette  province  de  Bretagne  qu'il  a  toujours 
aimée  et  dont,  à  ses  heures  de  repos,  il  se  plai- 
sait à  rechercher  et  à  retracer  les  origines. 

La  Tour  d'Auvergne  avait  en  effet  fouillé  le 
passé  nébuleux  de  l'Armorique  pour  écrire  l'his- 
toire de  sa  petite  ville  ;  il  y  voyait  la  cité  à'Aêtius, 
tandis  que  d'après  les  Bretons  modernes  le  nom 
serait  Ker-Ahès,  la  cité  d'Ahès,  seconde  fille  du 
roi  d'Is,  Gradlon.  Ce  sont  là  querelles  d'archéo- 
logues; la  seule  chose  certaine,  c'est  que  la  ville 
est  d'antique  origine,  les  Romains  en  firent,  sous 


AU    BERCEAU    DE     LA    TOUR    D'AUVERGNE.       173 

le  nom  de  Vorganium,  le  centre  de  leur  domina- 
tion en  Armorique. 

Chef -lieu  de  district  pendant  la  Révolution, 
Carhaix,  de  nos  jours,  est  un  simple  chef-lieu  de 
canton.  Un  moment,  la  prospérité  des  mines  de 
Huelgoat  parut  lui  prédire  une  situation  indus- 
trielle heureuse,  mais  les  mines  sont  abandonnées 
malgré  leur  richesse  et  toute  la  région  demeure 
agricole  et  pastorale.  Peut-être  le  chemin  de  fer 
permettra-t-il  un  jour  de  reprendre  l'exploitation, 
jadis  grevée  de  frais  de  transports  énormes. 

Connaissez-vous  rien  de  plus  sinistre  qu'une 
ruine  industrielle  récente  dans  un  pays  minier? 
Lorsque  les  siècles  ont  passé  sur  les  tas  de  scories 
et  de  déblais,  la  végétation  s'en  empare,  les 
broussailles  et  les  graminées  masquent  l'aspect 
lugubre  des  choses,  le  lierre  et  les  pariétaires 
couvrent  les  murailles  calcinées.  Mais  lorsque  les 
plantes  ne  trouvent  pas  encore  assez  d'humus  pour 
vivre  sur  les  scories,  quand  les  murs  de  brique  ou 
de  schiste  écroulés  ou  béants  sont  dénudés,  c'est 
horrible.  Ainsi,  dans  le  morne  paysage  de  landes, 
de  marais  et  de  rochers  apparaissent,  près  de 
Poullaouen  et  jusqu'à  Huelgoat,  les  mines  aban- 
données qui  furent  célèbres.  Les  ouvriers  sont 
partis,  leurs  misérables  demeures  se  sont  effon- 


174  VOYAGE    EN    FRANGE. 

drées,  les  maisons  de  paysans  encore  debout  sont 
d'une  misère  lamentable.  Le  sol  de  terre  battue, 
les  meubles  déjetés,  les  grabats  qui  servent  de  lit 
ne  rappellent  en  rien  les  demeures  si  propres  du 
bas  pays,  avec  leur  mobilier  de  chêne  ciré  aux 
ferrures  polies.  Ce  pays  sue  la  fièvre,  comme  au 
temps  où  les  vapeurs  sulfureuses  du  minerai  grillé 
se  répandaient  dans  l'atmosphère.  Tout  le  bassin 
de  Poullaouen  et  le  vallon  de  Penfeunteun  offrent 
le  même  spectacle.  Des  scories  noires  couvrent 
les  pentes,  semées  çà  et  là  de  vitrifications  bleues 
qui  étincellent  au  soleil.  Parfois,  en  fouillant  dans 
ces  débris,  on  rencontre  un  morceau  de  minerai 
échappé  au  mineur. 

Les  mines  de  Huelgoat  et  de  Poullaouen  ont 
surtout  été  exploitées  au  siècle  dernier;  des  docu- 
ments datant  de  1760  les  montrent  en  pleine  ex- 
ploitation. Lorsqu'il  y  a  cent  ans  Cambry  visita 
le  pays,  il  y  avait  encore,  à  Poullaouen  seulement, 
2,400  ouvriers,  hommes,  femmes  et  enfants.  De 
grandes  roues  servaient  à  l'extraction  du  minerai, 
de  longs  appentis,  des  forges,  des  cités  ouvrières, 
des  chantiers  animés  par  des  chevaux  et  des  voi- 
tures «  annonçaient  une  grande  manufacture  » .  De 
vastes  bâtiments  servaient  au  lavage,  d'autres  à 
la  fonderie.  La  production  en  plomb  et  en  argent 
était  considérable  ;  Huelgoat  était  plus  riche  en 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    d'aUVERGNE.       175 

argent  et  Poullaouen  en  plomb.  Les  créateurs  des 
établissements,  des  mineurs  allemands  venus  en 
Bretagne  vers  le  xive  siècle,  ont  fait  pour  l'exploi- 
tation des  travaux  extraordinaires  ;  l'étang  d'Huel- 
goat  est  leur  œuvre,  de  là  partent  les  canaux  qui 
amenaient  aux  mines  de  Huelgoat,  après  un  par- 
cours de  près  de  deux  lieues  presque  entièrement 
souterrain,  les  eaux  qui  servaient  à  faire  mouvoir 
les  machines,  au  lavage  et  à  l' épuisement  des 
eaux  dans  les  mines. 

La  profondeur  des  puits  était  grande.  Six  cents 
pieds,  c'est-à-dire  deux  cents  mètres  à  Poul- 
laouen, quatre  cents  pieds  à  Huelgoat.  Biïzeux, 
dans  son  poème  des  Bretons,  conduit  Liiez  dans 
les  galeries  sombres  et  fait  dire  au  guide  : 

La  terre  à  huit  cents  pieds  monte  au-dessus  de  nous. 

Peut-être  huit  était-il  là  pour  éviter  la  désa- 
gréable allitération  de  six  cents.  Les  Bretons  parais- 
saient en  1846  ;  peu  d'années  après,  les  mines 
étaient  abandonnées  et  le  temps,  accomplissant  son 
œuvre,  faisait  bientôt  de  cette  contrée  prospère  le 
lamentable  paysage  que  je  viens  de  dépeindre1. 


i.  Il  y  a  cent  ans,  Cambry  évaluait  le  plomb  recueilli  chaque 
année  à  Poullaouen  et  à  Huelgoat  à  1, 350,000  livres.  L'argent 
atteignait  4,53G  marcs. 


176  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Le  contraste  est  grand  entre  le  vallon  des  mines 
de  Poullaouen  et  la  vallée  de  l'Aulne,  où  l'on  dé- 
bouche soudain.  Bien  ouverte,  profonde,  animée 
par  sa  jolie  rivière,  couverte  de  bois,  elle  évoque 
l'idée  de  l'Arcadie.  Mais  combien  plus  beau  est 
le  ravin  étroit  de  Pont -Pierre,  par  lequel  on 
monte  à  Huelgoat  !  C'est  un  charme  de  tous  les 
instants.  Un  torrent  bondit  jusqu'à  la  rivière 
claire  et  large  déjà,  au  pied  d'une  colline  cou- 
ronnée de  hauts  talus  qui  doivent  avoir  été  un 
camp  romain.  Bientôt  le  paysage  devient  gran- 
diose; la  route,  dominant  le  torrent,  longe  des 
bois  superbes  où  le  chêne  d'Armorique  fait  place 
à  de  magnifiques  futaies  de  sapins,  chose  rare  en 
Bretagne.  Les  vallons  adventifs  sont  profondé- 
ment creusés  5  au-dessus  de  l'un  d'eux,  on  aper- 
çoit, un  moment,  les  ruines  des  mines  de  Huel- 
goat, elles  n'ont  pas  le  sinistre  caractère  de  celles 
de  Poullaouen,  grâce  à  la  splendeur  de  la  végé- 
tation. 

Celle-ci  devient  plus  belle  encore  à  mesure 
qu'on  avance  dans  une  forêt  rappelant  les  beaux 
sites  du  Jura.  Le  cocher  arrête  sa  voiture  et  nous 
indique  un  sentier  qui  descend  dans  le  ravin.  On 
entend  des  eaux  bondir  et  mugir,  mais  rien  ne 
prépare  à  l'admirable  spectacle  qui  nous  attend. 
Qu'on  imagine,  sous  une  futaie  de  sapins  et  de 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    d'aUVERGNE.       177 

hêtres,  de  monstrueux  blocs  de  granit  moussus, 
couverts  de  lierre,  de  scolopendre  et  de  fougère 
finement  découpée.  Parmi  ces  blocs  le  torrent 
arrive,  se  heurte,  se  brise,  tourbillonne,  plonge 
au  fond  d'abîmes,  court  sous  les  rochers  en  d'in- 
visibles canaux  d'où  monte  sa  voix  frémissante, 
reparaît  au  jour,  écume  et  bondit  de  nouveau.  Là 
tranquille  en  des  vasques,  ici  amusant  dans  ses 
colères  contre  des  blocs  monstrueux.  La  scène  à 
laquelle  on  peut  assister  en  suivant  d'heureux 
sentiers  se  passe  dans  une  lumière  douce,  tamisée 
sous  le  feuillage  transparent  des  hêtres.  C'est  dé- 
licieux de  fraîcheur  et  de  murmures  et  grandiose 
à  la  fois. 

Ce  «  gouffre  »  précède  Huelgoat,  gros  bourg 
prospère  et  propre,  fort  curieux  d'aspect  par  le 
contraste  brutal  des  encadrements  de  granit  gris 
des  portes  et  des  fenêtres,  se  découpant  sur  des 
façades  d'une  blancheur  éblouissante  au-dessus 
desquelles  monte  la  flèche  grêle  de  l'église.  Le 
bourg  se  termine  vers  un  bel  étang  entouré  de 
bois,  de  prairies,  de  petites  collines  hérissées  de 
roches.  Sur  la  chaussée,  un  vieux  moulin  sei- 
gneurial aux  murs  épais,  percés  de  fenêtres  de  la 
Renaissance  et  empanachés  de  lierre  domine  le 
plus  extraordinaire  chaos  de  rochers  que  l'on 
puisse  voir.  Il  y  a  là  des  blocs  dont  quelques-uns 

VOYAGE    EN'    FRANCE.    V.  12 


178  VOYAGE  EN  FRANCE. 

doivent  peser  plus  de  cent  tonnes  et  sont  arron- 
dis comme  des  galets.  Quelques-uns  ont  été  bri- 
sés, beaucoup  sont  couverts  de  verdure,  chênes, 
viornes,  sorbiers  aux  grappes  rouges.  Entre  les 
roches,  le  torrent  gronde  et  se  perd,  tantôt  dans 
un  vaste  lit,  tantôt  dans  une  fissure  qu'on  franchit 
d'un  petit  bond.  11  a  creusé  dans  le  granit  des 
marmites  et  des  niches,  il  a  sculpté  des  colonnes; 
il  se  précipite  de  très  haut  dans  des  gouffres.  C'est 
d'une  grandeur  tragique. 

Deux  choses  gâtent  ce  site  :  les  carriers  qui 
ont  commencé  à  débiter  en  marches  d'escaliers 
les  admirables  roches,  mais  que  l'indignation  des 
touristes  et  des  artistes  a  heureusement  arrêtés, 
et  les  gamins  qui  veulent  à  tout  prix  guider  les 
visiteurs.  On  avait  placé  des  écriteaux  pour  mon- 
trer le  chemin  des  curiosités  principales,  les 
guides  furieux  ont  tout  détruit.  On  en  chasse  un, 
il  en  revient  dix,  celui-ci  voulant  nous  conduire 
à  la  Roche-Tremblante,  celui-là  voulant  la  faire 
osciller,  et,  de  fait,  l'énorme  bloc  qui  pèse,  dit- 
on,  75,000  kilos,  s'incline  devant  nous  ;  d'autres 
nous  amènent  de  force  à  la  Cuisine  de  la  Vierge, 
étrange  chaos  où  ils  voient  bien  des  choses  qu'on 
ne  devinerait  guère  sans  une  bonne  volonté  ab- 
solue. 

Huelgoat  abonde  en  sites  de  ce  genre  ;  mais 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    d'aUVERGNE.       179 

dans  la  vallée  de  l'Elez  surtout  la  nature  bretonne 
présente  ses  coins  les  plus  extraordinaires.  Il 
faut  suivre  la  route  conduisant  au  gros  bourg 
commerçant  de  Braspart  et  atteignant  à  Bellevue 
la  ligne  de  faîte  entre  l'Aulne  et  l'Elez.  De  là,  on 
a  une  admirable  vue  sur  tout  le  grand  plateau  bre- 
ton. Voici,  au  delà  de  Carhaix,  les  croupes  som- 
bres des  Montagnes-Noires  ;  vers  l'Océan,  c'est  le 
Mené  Hom;  vers  la  Manche,  des  hauteurs  nues 
semées  de  roc,  les  monts  d'Arrée  : 

...  Les  montagnes  d'Arré 
Dressent  sur  le  chemin  leur  clos  morne  et  sacré, 
Le  dos  de  la  Bretagne.  Alors  tout  se  déboise. 
Lande  courte,  aucun  bruit,  des  rocs  semés  d'ardoise. 
Un  lourd  soleil  d'aplomb,  sur  le  chemin  pierreux. 

Le  paysage  ici  est  vraiment  sublime;  en  dépit 
des  médiocres  altitudes  de  tous  ces  petits  monts, 
on  a  la  sensation  d'être  haut,  bien  haut,  au  sommet 
d'un  plateau  de  montagnes. 

La  route  descend  aussitôt  dans  un  vallon  riant, 
d'un  côté  couvert  de  bruyères,  de  l'autre  boisé  et 
creusé  de  ravins.  Au  fond,  des  bois  très  épais,  un 
petit  village  dominé  par  une  admirable  tour  go- 
thique percée  de  hautes  baies  et  couronnée  par 
une  balustrade  flamboyante  aux  angles  surmontés 
d'aiguilles.  C'est  Saint-Herbot  ;  à  lui  seul  ce  vil- 


180  VOYAGE    EN    FRANCE. 

lage  vaudrait  le  voyage  de  Bretagne.  L'église 
annoncée  par  la  tour  est  un  des  monuments  les 
plus  beaux  de  toute  la  péninsule,  son  porche  peu- 
plé de  statues,  ses  hautes  fenêtres  flamboyantes, 
son  merveilleux  jubé  de  bois  sculpté ,  son  os- 
suaire, le  calvaire  qui  la  précède,  forment  l'en- 
semble le  plus  complet  d'un  sanctuaire  breton. 

Saint-Herbot  est  un  pèlerinage,  mais  un  pèle- 
rinage d'un  genre  particulier  ;  on  y  mène  le  bétail 
au  mois  de  mai  pour  attirer  sur  lui  la  bénédiction 
divine  *,  de  tous  les  points  des  monts  d'Arrée  et 
des  Montagnes-Noires  arrivent  alors  au  Pardon 
les  bœufs  et  les  vaches. 

Ces  animaux  sont  voués  au  saint  ;  lorsqu'on  les 
vendra,  on  se  réservera  la  queue,  elle  sera  portée 
à  la  chapelle  et  offerte  au  recteur.  L'église,  en 
certaines  années,  est  remplie  de  ces  queues,  ou 
tout  au  moins  de  poils  recueillis  sur  ces  appen- 
dices et  destinés  à  être  vendus  au  profit  de  la 
chapelle.  Parfois  la  vente  produit  plus  de  3,000 
francs. 

Près  de  l'église,  un  joli  chemin  monte  à  tra- 
vers des  bois  et  atteint  bientôt  des  restes  de  rem- 
parts et  de  tours  cyclopéennes  envahies  par  la 
végétation.  Une  haute  porte  gothique,  délicate- 
ment travaillée,  ouvre  sur  une  cour  ornée  d'une 
grande  vasque  ;  les  bâtiments  qui  l'entourent  sont 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    d'aUVERGNE.       181 

profondément  délabrés,  mais  ils  durent  être  une 
des  plus  belles  demeures  de  Bretagne.  Devant  le 
château,  sous  de  grands  arbres  formant  parterre, 
une  seconde  vasque,  supportée  par  un  piédouche 
et  ornée  d'armoiries,  complète  cet  admirable  en- 
semble de  ruines.  Cette  vasque,  d'une  seule  pierre, 
a  quatre  mètres  de  diamètre. 

Le  château  de  Rusquec  est  au  sein  d'une  na- 
ture admirable,  au-dessus  de  rétonnante  tissure 
où  coule  l'Elez,  venu  des  grands  marais  de  Saint- 
Michel. 

On  descend  un  instant  à  travers  bois,  puis  on 
atteint  un  site  étrange  rappelant  le  fond  de  vallon 
où  se  perd  la  Yalserine  en  amont  de  Bellegarde1. 
Mais  au  lieu  des  calcaires  du  Jura,  ce  sont  des 
granits  que  le  torrent  a  sciés  et  érodés.  Qu'on  ima- 
gine une  immense  dalle  creusée  de  chenaux  où 
court  le  torrent.  Les  eaux,  un  instant  réunies  pour 
faire  mouvoir  le  moulin,  arrivent  alors  au-dessus 
d'un  chaos  formidable  de  rochers,  c'est  une  cas- 
cade de  blocs  plus  gros  que  ceux  de  Fontaine- 
bleau, cascade  immobile  ayant  plus  de  100  mètres 
de  hauteur,  des  milliers  de  rochers  arrondis  la 
forment,  ceux-là  nus,  ceux-ci  moussus,  d'autres 
couverts  de  sorbiers,   de  chênes,    d'aunes  et  de 


i.  Contrée  du  Sud-Est  à  laquelle  sera  consacrée  en  partie  la 
7e  série  du  Voyage  en  France. 


182  VOYAGE    EN    FRANCE. 

mélèzes.  Des  lierres,  des  airelles,  des  fougères 
croissent  sous  les  arbres ,  se  suspendent  aux 
roches. 

Là  dedans  FElez  se  précipite  de  roche  en  roche, 
se  perd,  reparaît  au  jour,  bondit  de  nouveau. 
C'est  un  murmure  incessant.  Parfois  une  buée 
légère  s'élève  et  le  soleil  la  transforme  en  étin- 
celant  arc-en-ciel. 

Je  suis  rentré  à  Huelgoat  émerveillé  de  ces 
beautés  inattendues.  Ce  matin,  au  point  du  jour, 
je  suis  reparti  pour  aller  faire  l'ascension  du 
point  culminant  des  monts  d'Arrée,  la  chapelle 
de  Saint-Michel.  Le  temps  si  doux  et  pur  hier 
s'était  assombri,  c'est  sous  une  bruine  fine  que 
nous  avons  remonté  la  vallée  du  Faou  dont  le 
torrent  alimente  l'étang  d'Huelgoat.  Étrange 
paysage  celui-là.  Ici  des  falaises  terreuses  où  des 
hirondelles  de  rivage  ont  creusé  des  nids  innom- 
brables. Çà  et  là  d'énormes  rochers  arrondis  cou- 
vrent le  sommet  des  collines,  beaucoup  ont  roulé 
dans  le  fond  du  vallon,  d'autres  se  sont  arrêtés 
sur  les  pentes.  Le  paysage  riant  aux  abords  de 
Huelgoat  devient  bientôt  sauvage;  le  Faou  court 
entre  des  landes  marécageuses,  bordées  de  collines 
basses  sur  lesquelles  de  hauts  rochers  semblent 
des  monstres  accroupis.  Souvent  des  éboulis  sont 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    D'AUVERGNE.       183 

arrivés  jusqu'au  torrent,  celui-ci  alors  s'irrite, 
écume,  bondit.  Et  le  silence  se  fait  de  nouveau, 
on  quitte  le  ruisseau  pour  monter  sur  un  plateau 
de  landes  mornes,  à  l'entrée  duquel  est  un  beau 
menhir.  La  lande  est  un  peu  cultivée  ;  des  champs 
de  blé,  de  choux  énormes,  de  trèfle,  montrent  que 
le  progrès  se  fait  dans  ce  pays  jadis  sauvage. 

Sur  la  route,  des  hommes  et  des  femmes  s'en 
vont  à  deux  ;  les  hommes,  vêtus  d'une  veste  de 
bure  rousse  à  basques  courtes,  portent  un  sac  sur  le 
do?,  renfermant  la  pâte  pour  le  pain,  les  femmes 
accompagnent  leur  mari  à  La  Feuillée,  elles  met- 
tront le  pain  en  forme,  le  feront  mettre  au  four 
et  reviendront  le  soir  avec  le  pain  cuit. 

Mon  cocher  s'exprime  en  bon  français,  très  cor- 
rectement ;  j'en  suis  surpris,  car  il  est  vêtu  d'une 
misérable  blouse,  malgré  la  pluie,  et  a  les  pieds 
nus  dans  des  sabots  pleins  de  paille.  Je  l'interroge, 
il  a  reçu  une  bonne  éducation  à  l'école  *,  au  régi- 
ment il  a  été  sergent-fourrier  et  cinq  années  du- 
rant a  tenu  garnison  à  Lyon.  On  a  voulu  le  faire 
rengager,  on  lui  a  promis  Fépaulette,  il  a  tout  re- 
fusé. 

—  Mieux  vaut  la  misère  ici  que  l'aisance  au 
loin,  m'a-t-il  dit. 

Et  c'est  pourquoi  il  est  conducteur  à  l'hôtel  Le 
Bras  ! 


184  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Il  sait  bien  des  choses  sur  son  pays.  Je  lui  ra- 
conte que  je  voulais  voir  La  Feuillée,  dont  Cambry 
a  fait  un  tableau  si  triste  en  dépeignant  ce  village 
comme  un  lieu  sauvage,  au  milieu  d'un  désert. 
Pays  alors  pauvre  et  sans  ressources,  mais  dont 
les  habitants,  obligés  de  se  faire  les  intermédiaires 
du  commerce  entre  leurs  voisins  des  deux  ver- 
sants pour  l'échange  des  produits,  étaient  plus 
avisés  et  instruits  que  les  autres  Bretons. 

Le  paysage  n'a  pas  changé  depuis  Cambry, 
c'est  toujours  l'étendue  immense  des  marais,  en- 
tourée de  hautes  collines  nues,  hérissées  de  roches 
d'ardoises.  Mais  le  village  est  précédé  de  belles 
écoles,  semblables  à  un  collège,  trop  vastes  même, 
dit-on  ;  les  maisons  se  transforment,  on  devine  un 
bien-être  réel.  Les  landes  disparaissent  peu  à  peu, 
partout  on  voit  des  défrichements  nouveaux. 

—  D'où  vient  cela?  dis-je  à  mon  guide. 

—  Maintenant  tout  le  monde  est  soldat,  les 
riches  qui  ont  de  la  terre  comme  les  pauvres  sans 
ressources.  Ils  voient  ce  qu'on  fait  ailleurs  et,  en 
revenant  au  pays,  mettent  leurs  landes  en  cul- 
ture. Ensuite  les  landes,  jadis  indivises,  ont  été 
partagées  ;  le  pays  était  couvert  de  moutons,  il 
n'y  en  a  presque  plus,  on  préfère  cultiver  des 
choux  de  Lannilis  et  du  blé  ou  créer  des  prairies. 
Il  y  a  trente  ans  que  la  commune  a  adjugé  ses 


AU    BERCEAU    DE    LA    TOUR    D'AUVERGNE.       185 

communaux,  aujourd'hui  on  ne  reconnaît  plus  la 
contrée.  Au  lieu  de  transporter  du  Léonnais  en 
Cornouailles  ou  de  Cornouailles  en  Léonnais  les 
produits  de  ces  contrées,  l'habitant  de  La  Feuillée 
préfère  cultiver  sa  lande. 

En  effet,  partout  on  voit  des  cultures  et  des 
prairies.  De  La  Feuillée  à  Botmeur,  le  pays  peut 
passer  pour  riche.  Seul  le  marais  reste  stérile  et 
ne  produit  que  la  tourbe,  assez  abondante  pour 
donner  lieu  à  une  exploitation  industrielle. 

Hélas  !  la  brume  fait  place  à  la  pluie,  une  pluie 
froide,  tenace,  chassée  par  un  vent  violent.  La 
chapelle  Saint-Michel  où  nous  allons  disparaît 
dans  les  nuages.  Parvenus  à  la  route  de  Braspart, 
la  pluie  devient  une  averse  violente.  Trois  kilo- 
mètres seulement  me  séparent  du  mont,  niais  l'as- 
cension sera  impossible,  d'ailleurs  la  vue  sera 
nulle.  Il  faut  rentrer. 

Au  moins  je  changerai  d'itinéraire  ;  nous  pre- 
nons la  grande  route  qui  monte  sur  l'arête  môme 
des  monts  d'Arrée,  au  roc  Trévezel,  croupe  étroite 
faite  de  roches  ardoisées  surgissant  de  la  lande. 
C'est  une  des  plus  singulières  formations  géolo- 
giques que  Fou  puisse  voir.  L'arête  se  prolonge 
régulière  pendant  près  de  30  kilomètres,  domi- 
nant au  sud  les  plaines  marécageuses,  au  nord 
les  belles  campagnes  de  Morlaix  et  de  Landivi- 


18G  VOYAGE    EN    FRANCE. 

siau.  De  chaque  côté  des  roches,  les  landes,  al- 
loties,  divisées  en  damiers  par  de  hauts  talus, 
se  prolongent  à  l'infini.  Par  le  beau  temps,  me 
dit-on,  la  vue  est  superbe  d'ici.  Hélas  !  il  pleut, 
il  pleut  encore  quand  nous  arrivons  à  Huelgoat. 

Je  suis  descendu  à  Morlaix  par  le  chemin  de 
fer  à  voie  étroite.  Il  remonte  d'abord  la  vallée  de 
l'Aune,  puis,  par  de  fortes  rampes,  atteint  la  crête 
des  monts  d'Arrée.  Sur  l'autre  versant,  la  pluie 
a  cessé  ;  des  portières  du  wagon  on  pouvait  voir 
la  crête  ardoisée  des  monts  d'Arrée  dresser  ses 
masses  fantastiques.  Vus  des  environs  du  Cloître, 
les  rochers  du  Cragou  surtout  sont  étonnants.  Il 
y  aurait  bien  des  choses  à  découvrir  ici,  mais  le 
temps  presse  et  la  Bretagne  est  bien  grande  ! 

Des  bois,  des  champs  verts  encore,  une  longue 
tranchée  et  le  train  arrive  sur  le  viaduc  de  Mor- 
laix, dominant  la  coquette  cité  aux  toits  d'ardoises 
et  le  port  étroit  aux  eaux  tranquilles  dans  lequel 
reposent  les  navires. 

Gomme  nous  sommes  loin  ici  du  chaos  de  ro- 
ches d'Huelgoat  et  des  sauvages  marais  de  Saint- 
Michel  ! 


XII 


EN    COKNOU AILLES 


Le  dragon  de  Merlin.  —  Musée  monumental  du  Léonnais.  — 
Landerneau.  —  Une  ville  calomniée.  —  La  vallée  de  l'Elorn. 
—  Le  Folgoët.  —  Lesneven.  —  Le  premier  marché  du  Finis- 
tère. —  Plougastel,  ses  mariages  et  ses  fraises.  —  Crozon  et 
Morgat.  —  La  rivière  d'Aune.  —  Port-Launay.  —  Chateaulin 
et  ses  ardoises.  —  La  vallée  du  Steir.  —  Arrivée  à  Quimper. 


Quimper,   . .   décembre,   

Voici  le  dragon  rouge  annoncé  par  Merlin... 

En  simple  prose  c'est  la  locomotive  dont  les 
deux  grands  yeux  brillent  au  loin,  dans  la  pâle 
brume  du  matin,  venant  de  Guingamp  pour  gagner 
Brest.  L'express  s'arrête  un  instant  à  la  gare  de 
Plouaret  où  aboutit  le  petit  embranchement  de 
Lannion;  il  nous  prend,  moi  troisième,  et  se  re- 
met en  route  pour  Morlaix  et  Brest. 

Le  train  court  dans  la  campagne  s'éveillant 
toute  frissonnante  de  la  brume  apportée  par  le 
vent  de  mer  ;  à  cette  heure  le  paysage  de  landes 
rousses  est  sinistre  :  eaux  rouillées,  marécages, 
maigres  chênaies  se  déroulent  sans  cesse,  mais 


188  VOYAGE    EN    FRANCE. 

sur  ce  plan  fauve  les  genêts  et  les  ajoncs  verts  ou 
fleuris  prennent  une  splendeur  étrange.  De  chaque 
côté  de  la  voie  court  une  haie  de  charmilles  ;  les 
feuilles  ont  roussi  avec  l'automne,  leur  teinte  est 
rutilante,  on  dirait  un  buisson  d'or  rougi. 

Ce  haut  plateau  s'anime  aux  abords  de  Mor- 
laix.  Alors  des  maisons  de  campagne,  des  châ- 
teaux, des  usines,  puis  la  ville  toute  mignonne 
au-dessous  de  son  viaduc,  prolongeant  ses  fau- 
bourgs dans  les  vallées  profondes,  forment  comme 
un  décor  de  féerie  qui  se  poursuit  encore  après  le 
long  arrêt  dans  la  gare.  Mais  bientôt  la  campagne 
déserte  recommence.  Pour  éviter  de  franchir  à 
une  trop  grande  hauteur  les  vallées  encaissées,  le 
tracé  du  chemin  de  fer  se  tient  près  de  la  tête  des 
eaux  ;  ici  des  landes  ont  offert  un  passage  facile, 
mais  les  villages  sont  rares  ou  éloignés  ;  c'est  dom- 
mage, car  on  pourrait,  au  passage,  admirer  les  pré- 
cieux édifices  qui  font  du  pays,  entre  Morlaix  et 
Landerneau,  comme  un  misée  de  l'art  breton. 
Nulle  part  les  églises,  les  calvaires,  les  ossuaires, 
les  porches  monumentaux  ne  sont  plus  nombreux 
et  plus  beaux.  La  floraison  de  la  Renaissance 
a  été  merveilleuse  dans  tout  ce  pays  de  Léon  ; 
si  elle  a  produit  à  Saint-Pol  ses  œuvres  les  plus 
parfaites,  ces  confins  de  la  Cornouailles  et  du 
Léonnais  se  sont  enrichis  d'une  plus  grande  quan- 


EN    CORNOUAILLES.  189 

ti Lé  de  chefs-d'œuvre.  Saint-Thégonnec,  Guimi- 
liau,  Lampaul,  Landivisiau  seraient  une  joie  poul- 
ies yeux,  si  les  wagons  pouvaient  courir  près  de 
leurs  monuments  de  granit,  ciselés  comme  des 
pièces  d'orfèvrerie. 

Mais  on  passe  au  loin,  on  fait  seulement  con- 
naissance intime  avec  le  pays,  lorsque  le  che- 
min de  fer  est  descendu  dans  la  vallée  de  l'Elorn, 
si  fraîche,  si  verte.  Voici  sur  les  rochers  couverts 
de  lierre,  entre  de  grands  arbres,  de  belles  ruines, 
c'est  la  Roche-Maurice.  Le  train  s'arrête  un  ins- 
tant ici,  les  gamins  du  village  sont  rangés  le  long 
de  la  voie,  ils  chantent  en  chœur  une  complainte 
bretonne,  des  portières  on  leur  lance  un  sou  et 
c'est  alors  une  bataille  ardente.  Ils  n'ont  pas  fini 
leur  mêlée,  le  train  repart  et  bientôt  on  est  en 
gare  de  Landerneau. 

Pourquoi  donc  cette  jolie  ville  bretonne  a-t-elle 
une  réputation  comique  ?  Pas  plus  que  Brive, 
Carpentras  ou  Quimper,  elle  ne  mérite  les  bro- 
cards dont  on  l'afflige.  Combien  de  chefs-lieux 
voudraient  posséder  son  site,  sa  jolie  rivière,  ses 
hautes  collines,  son  pont  bordé  de  maisons,  ses 
jolies  églises,  ses  aristocratiques  demeures  de 
granit  dont  quelques-unes  ont  des  tours  engagées 
d'un  effet  charmant.   Gomme   on  comprend  l'a- 


190  VOYAGE    EN    FRANCE. 

mour-propre  local  de  ses  anciens  habitants  pla- 
çant an-dessus  de  tout  leur  humble  petite  ville  ! 
On  a  conservé  le  souvenir  de  ce  gentillâtre  de 
Landerneau,  amené  à  Versailles  et  qui  restait 
froid  devant  les  splendeurs  accumulées  par  le 
grand  roi.  On  s'en  étonnait,  il  répondit  que  la 
lune  de  Landerneau  était  plus  grande  que  celle 
de  Versailles  !  On  rit  beaucoup  de  cette  sortie, 
prise  pour  de  la  naïveté,  le  brave  homme  voulait 
parler  de  la  girouette  dorée  de  l'église  Saint- 
Houardon,  taillée  en  disque  ! 

En  dépit  du  dicton  :  «  Il  y  aura  du  bruit  dans 
Landerneau  »,  la  ville  est  d'un  calme  monacal  ; 
dans  l'Elorn  asséchée,  deux  ou  trois  goélettes  re- 
posent sur  la  vase.  Le  joli  torrent  de  la  Roche- 
Maurice  est  bien  laid  maintenant  sur  ces  boues 
où  il  se  traîne  ;  vienne  le  flot,  il  sera  un  grand 
neuve  chargé  de  navires  : 

C'est  l'El-Orn  que  la  mer  sale  de  sou  écume. 

Landerneau  a  perdu  de  son  activité  ;  un  mo- 
ment elle  espéra  devenir  une  ville  industrielle  ; 
une  grande  usine  s'y  était  créée  pour  la  filature 
et  le  tissage  du  lin  ;  on  espérait,  sous  ce  climat 
humide  et  pluvieux  comme  celui  de  l'Irlande, 
obtenir  des  toiles  analogues  à  celles  de  Belfast, 


EN    CORNOUAILLES.  191 

mais  cet  établissement  isolé  n'a  pu  lutter  contre 
ceux  de  Lille  et  d'Armentières  ;  les  lins  de  Bre- 
tagne n'ont  pas  la  finesse  des  lins  de  Riga  qui 
entrent  pour  une  si  grande  part  dans  la  fabrica- 
tion en  Flandre.  L'usine  a  dû  fermer  ses  portes, 
on  ne  voit  plus  passer  dans  les  rues  de 

Villageois  enlaidis  vêtus  eu  ouvriers. 
Le  vœu  de  Brizeux  s'est  donc  accompli  : 
Nature,  ô  bonne  mère,  éloigne  l'industrie  ! 

Les  habitants  de  Landerneau  n'ont  sans  doute 
pas  pensé  comme  leur  poète;  en  somme  la  dispa- 
rition de  leur  usine  a  été  un  désastre.  Pour  la 
Bretagne  entière  c'est  un  mal,  la  culture  du  lin 
en  a  souffert  et  c'était  une  ressource  précieuse. 

Le  pays  de  Landerneau  est  délicieux  ;  nulle 
part  les  eaux,  les  rochers,  les  bois,  les  cultures, 
ne  forment  un  tableau  aussi  heureux  de  formes 
et  de  tons.  Si  le  soleil  planait  plus  souvent  sur 
cette  vallée  de  l'Elorn,  ce  serait  un  paysage  in- 
comparable, à  mer  haute  surtout,  quand  l'estuaire 
étincelant,  encadré  entre  les  collines  boisées,  où 
les  rocs  fantastiques  surgissent  de  la  verdure,  a 
toute  l'ampleur  et  la  majesté  d'un  fleuve  des  tro- 
piques. Le  voisinage  d'une  grande  ville  comme 


192  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Brest  a  fait  naître  partout  des  villas,  des  châteaux, 
des  hameaux  où  le  menu  peuple  se  rend  le  diman- 
che en  partie  de  plaisir. 

Moins  agreste  est  la  région  du  nord  de  Lander- 
neau,  vers  Lesneven,  mais  elle  est  une  des  plus 
prospères  de  la  Bretagne.  11  y  a  cent  ans,  déjà, 
c'était  une  contrée  agricole  qui  frappait  Cambry 
par  sa  richesse,  bien  que  les  progrès  de  l'agri- 
culture fussent  nuls  ;  aujourd'hui,  au  contraire, 
les  progrès  sont  considérables,  les  machines  agri- 
coles sont  d'usage  courant.  Lesneven  est  devenu 
un  des  plus  grands  marchés  agricoles,  non  seule- 
ment de  la  Bretagne,  mais  de  la  France  entière. 

Cependant  beaucoup  de  landes  et  de  maigres 
taillis  attendent  encore  leur  mise  en  valeur,  on  en 
verrait  même  davantage  sans  les  hauts  talus  com- 
plantés  de  chênes  qui  masquent  le  paysage.  Même 
on  rencontre  de  vastes  marais  dont  le  dessèche- 
ment serait  facile  et  fructueux,  à  en  juger  par  les 
tentatives  accomplies.  Le  plus  grand  de  ces  ma- 
rais, Land  Gazel,  semé  de  gros  blocs  de  granit 
erratique,  montre,  çà  et  là,  parmi  les  joncs  et  les 
mousses,  de  beaux  prés  à  l'herbe  vigoureuse. 

Un  des  petits  chemins  de  fer  départementaux 
du  Finistère  traverse  la  contrée  de  Lesneven  ;  sa 
trouée,    dans   ces   terres    jalousement   encloses, 


EN    CORNOUAILLES.  193 

n'ayant  pas  encore  été  bordée  de  haies,  permet 
mieux  que  les  routes  de  se  rendre  compte  de  l'état 
du  pays.  On  traverse  ainsi  de  belles  allées  de 
hêtres,  près  de  Ploudaniel,  et,  bientôt,  on  aperçoit 
Lesneven.  J'ai  gagné  la  ville  par  le  Folgoët,  pour 
revoir  une  fois  encore  le  superbe  poème  de  pierre 
qu'est  l'église,  ses  porches  de  granit  sculptés  et 
fouillés  avec  une  admirable  souplesse,  son  peuple 
de  statues,  son  jubé  semblable  à  une  fine  den- 
telle et  creusé  cependant  dans  la  roche  dure  de 
Kersanton.  A  l'autel  de  la  Vierge,  sous  la  noire 
statue  que  prient  les  pèlerins,  des  religieuses  en 
robe  de  toile  crème,  de  pieuses  femmes  en  coiffes 
bretonnes  font  la  toilette  de  la  madone  et  des  or- 
nements sacrés  qui  l'entourent.  Dans  ce  cadre  dé- 
licat et  précieux  où  saint  Sulpice  a  apporté  trop 
d'or,  de  clinquant  et  de  peinturlurage  qui  affadis- 
sent l'œuvre  féerique  des  anciens  Bretons,  on  di- 
rait des  abeilles. 

Malgré  les  «  ornements  »  modernes,  l'église  du 
Folgoët  n'en  demeure  pas  moins  une  des  plus  pu- 
res merveilles  architecturales  de  la  Bretagne, 
nulle  part  on  n'a  plus  profondément  fouillé  et  ci- 
selé la  pierre  ;  à  l'extérieur  comme  au  dedans  ce 
n'est  qu'une  broderie  capricieuse,  donnant  à  l'édi- 
fice entier,  des  portails  aux  flèches  roussies  où  gî- 
tent les  corneilles,  une  élégance  aérienne.  Et  tout 

VOYAGE    ES    FRANCE.    V.  [3 


194  VOYAGE    EN    FRANGE. 

cela  a  été  construit,  dit  la  légende,  pour  célébrer 
un  pauvre  idiot,  nommé  Salann,  qui  ne  sut  jamais 
de  ses  prières  que  ces  mots  Ave  Maria  et  les  répéta 
sa  vie  entière.  A  sa  mort  il  sortit  de  sa  bouche  un 
superbe  lys,  portant  inscrit  en  lettres  d'or  sur  ses 
pétales  d'un  blanc  immaculé:  Ave  Maria.  Le  mi- 
racle fit  grand  bruit  et  détermina  dans  la  Bretagne 
entière  un  tel  enthousiasme  qu'en  peu  d'années, 
de  1409  à  1419,  la  splendide  église  s'élevait  au- 
dessus  de  la  fontaine  près  de  laquelle  Salann 
passa  sa  vie. 

Le  Folgoët  (mot  à  mot  le  fou  du  bois)  possède 
encore,  à  côté  de  l'église,  un  élégant  édifice  de  la 
même  époque,  le  Doyenné,  destiné  au  logement 
des  prêtres.  Cet  ensemble  admirable  de  monu- 
ments s'élève  presque  dans  la  solitude,  le  village, 
très  petit,  en  est  séparé  par  une  vaste  pelouse  en- 
tourée d'arbres  où  se  tiennent  quatre  foires,  an- 
nexes de  celles  de  Lesneven. 

Il  y  a  un  kilomètre  à  peine  entre  les  deux  com- 
munes. En  quelques  minutes  on  atteint  les  rues 
larges,  bordées  de  maisons  basses,  mais  propres  et 
bien  tenues  de  la  petite  ville.  Dès  les  premiers 
pas  on  devine  un  grand  centre  agricole,  vivant  uni- 
quement par  les  campagnes  voisines.  Les  ensei- 
gnes des  magasins  et  des  cabarets  sont  à  ce  point 
de  vue  fort  suggestives.  Les  quincailliers  annon- 


EN    CORNOUAILLES.  195 

cent  des  hache-lande,  c'est-à-dire  des  machines  qui 
broient  L'ajonc  et  le  genêt,  di  en  Bretagne 

50  is  le  nom  de  landes,  et  permettent  de  les  donner 
au  bétail  et  aux  chevaux;  plus  loin,  au  delà  du 
grand  carrefour  formant  la  place  de  Lesneven, 
près  de  L'élégant  édifice  moderne  bordant  le  champ 
de  foire,  plusieurs  cabarets  s'annoncent  comme  la 
".  réunion  »  ou  la  «  descente  »  des  «  bouchers  et 
des  marchands  de  beurre  » . 

On  est  fixé  aussitôt  sur  le  commerce  de  Les- 
neven. 

Cette  petite  ville  peuplée  de  3,000  habitants  à 
peine  est  Le  plus  grand  marché  du  Finistère.  Les 
pues  d'un  calme  extrême  Les  antre-  jours  sont,  le 
lundi,  envahies  par  une  foule  innombrable,  fort 
pittoresque  par  la  variété  des  costumes  venus  de 
tous  Les  points  de  la  Gornouailles,  du  Léonnais  et 
du  Trécorois,  mais  surtout  d'un  rayon  de  huit  a 
dix  lieues.  J'ai  eu  la  bonne  fortune  de  rencontrer 
un  habitant  à  qui  j'ai  demandé  : 

—  On  vend  donc  beaucoup  de  beurre  ici? 

—  Du  beurre,  Monsieur,  mais  il  part  chaque 
lundi  de  25,0  N I  à  o1  »,'  N  K)  kilogrammes  de  beurre 
doux  ou  de  beurre  salé,  expédiés  surtout  à  Mor- 
laix,  qui  l'envoie  au  Havre  et  à  Paris  ;  nous  avons 
aussi  chaque  année  de  10,000  à  12,000  peaux  de 
bœufs  sur  le  marché,  jadis  on  vendait  beaucoup 


196  VOYAGE    EN    FRANCE. 

de  suif,  maintenant  le  paysan  plus  aisé  le  con- 
somme pour  sa  cuisine. 

Nous  vendons  chaque  année  200,000  porcs  ; 
tous  les  lundis  on  amène  au  marché  de  50,000  à 
60,000  œufs.  A  l'hospice  de  Lesneven  où  Ton 
élève  de  la  volaille,  on  ramasse  25,000  douzaines 
d'œufs  par  an. 

Et  le  bétail!  Nous  avons  douze  foires  par  an, 
Monsieur;  il  y  vient  de  2,500  à  3,000  têtes  chaque 
fois  ;  le  Folgoët  a  quatre  foires,  à  chacune  d'elles 
se  vendent  4,000  vaches.  Quant  aux  chevaux, 
nous  en  voyons  passer  36,000  par  an,  c'est-à-dire 
3,000  à  chaque  foire.  A  la  foire  Saint-Jacques, 
le  25  juillet,  il  s'en  est  vendu  5,000  cette  année. 

—  Et  quel  cheval  fait-on  ? 

—  Jadis  c'était  le  gros  cheval,  on  ne  nous  en 
demande  plus  maintenant,  nous  faisons  le  postier, 
obtenu  au  moyen  du  croisement  de  l'arabe  et  de 
l'anglais  avec  la  race  bretonne. 

Nous  ne  nous  bornons  pas  là.  Le  paysan  fait 
beaucoup  de  céréales  et  de  fourrages,  nous  com- 
mençons les  primeurs.  On  travaille  chez  nous, 
Monsieur  î 

—  Je  n'en  doute  pas,  dis-je  à  mon  obligeant 
informateur.  Mais  comme  vous  connaissez  votre 
marché  !  Je  voulais  demander  la  mercuriale  à  la 
mairie,  vous  êtes  une  mercuriale  vivante. 


EN     CORNOUAILLES.  197 

—  C'est  bien  naturel,  vous  ne  pouviez  mieux 
vous  adresser  qu'à  M.  Robin,  pendant  trente  ans 
placier  de  Lesneven  l. 

A  ce  moment  la  sirène  qui  remplace  le  sifflet 
sur  le  chemin  de  fer  de  Lesneven  s'est  fait  en- 
tendre, j'ai  serré  la  main  de  M.  Robin  et  couru  à 
la  gare  pour  retourner  à  Landerneau  et,  de  là,  à 
Plongastel,  par  un  admirable  chemin  montant 
jusque  sur  les  hautes  collines  de  la  rive  gauche, 
d'où  l'on  commande  à  plus  de  150  mètres  le  large 
estuaire  de  l'Elorn  et  la  nappe  immense  de  la  rade 
de  Brest.  Mais  souvent  les  aiguilles,  les  blocs,  les 
remparts  de  rochers  masquent  le  paysage  de  l'E- 
lorn :  l'attention  se  porte  alors  sur  Plongastel. 

Le  village  serait  banal  s'il  n'avait  son  admira- 
ble calvaire  où  plus  de  200  personnages  taillés 
dans  le  granit,  avec  l'esprit  et  la  gaîté  des  yma- 
giers  du  moyen  âge,  représentent  des  scènes  de 
l'Évangile;  les  figurants  portent  des  costumes 
bretons  qui  donnent  à  l'histoire  chrétienne  une 
étrange  saveur.  L'entrée  de  Jésus  à  Jérusalem 
représente  le  Sauveur  précédé  de  binious  et  de 
musettes. 


I.  Le  placier  est  le  percepteur  des  droits  de  place  sur  le 
marché  ou  le  champ  de  foire,  on  paie  tant  par  tète  d'animal 
ou  par  mètre  carré  occupé. 


198  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Plougastel,  malgré  le  voisinage  de  Brest,  est 
resté  breton  ;  le  costume  local  s'y  conserve  avec 
soin  dans  quelques  familles,  mais  il  est  à  craindre 
qu'il  ne  disparaisse  avec  les  coutumes  qui  ont  rendu 
Plougastel  célèbre.  Parmi  ces  usages,  le  plus  cu- 
rieux est  certainement  le  mariage,  en  bloc,  de  la 
plupart  des  fiancées  de  l'année.  Gomme  il  est 
d'usage  de  ne  pas  se  marier  pendant  l'Avent,  on 
attend  janvier  pour  célébrer  les  noces  *,  il  n'est  pas 
rare  de  voir  30  mariages  le  môme  jour1.  A  cette 
occasion  on  sort  des  armoires  la  large  culotte  de 
bure  brune,  la  veste  et  le  gilet  de  couleurs  voyan- 
tes, la  ceinture  éclatante,  les  grands  chapeaux 
ornés  de  rubans;  le  bonnet  de  laine  rouge,  coif- 
fure de  Plougastel,  se  mêle  encore  à  ces  chapeaux 
de  cérémonie.  Les  femmes,  les  jeunes  filles  sur- 
tout, ont  des  jupes  de  diverses  couleurs,  recou- 
vertes par  une  robe  éclatante  ornée  de  rubans  et 
de  broderies  ;  les  grandes  coiffes  de  dentelles  ont 
des  plis  retombant  sur  les  épaules.  Pendant  le 
mariage  civil,  une  foule  énorme,  parmi  laquelle 
sont  nombre  de  curieux  venus  de  Brest  et  de  Lan- 
derneau,  entoure  la  mairie  ;  tout  le  monde  se  réu- 
nit ensuite  à  l'église  où  se  dit  la  messe  à  laquelle 
assistent  à  la  fois  tous  les  couples.  On  fait  ensuite 


i.  Le  10  janvier  1895  il  y  eut  à  lu  fois  46  mariages;  le  maire 
ne  put  achever,  il  fallut  continuer  le  lendemain. 


EN    CORNOUAILLES.  199 

le  tour  du  calvaire  et  chaque  famille  va  prendre 
part  au  banquet  de  noces.  Toute  la  journée  on 
chante  les  vieilles  chansons  naïves  de  Bretagne 
et  celles,  plus  littéraires,  de  Brizeux,  dans  le 
même  dialecte,  qui  ont  pris  place  dans  l'âme  po- 
pulaire : 

Les  chansons  d'autrefois  toujours  nous  les  chantons  : 
Oh  !  nous  ne  sommes  pas  les  derniers  des  Bretons  ! 
Le  vieux  sang  de  tes  fils  coule  encor  dans  nos  veines. 
0  terre  de  granit  recouverte  de  chênes  ! 

Le  lendemain  des  mariages  un  autre  service 
réunit  tous  les  mariés  à  l'église;  on  prie  pour  les 
morts  de  la  famille,  puis,  pendant  cinq  à  six  jours 
encore,  on  est  en  fête,  ensuite  le  travail  recom- 
mence. 

Les  gens  de  Plougastel  sont  d'infatigables  jar- 
diniers et  de  vaillants  marins,  des  jardiniers  sur- 
tout. La  partie  de  leur  péninsule  qui  regarde  vers 
le  sud,  abritée  des  vents  du  nord  et  de  l'ouest 
par  les  rochers  riverains  de  l'Elorn,  baignée  par 
les  flots  tièdes,  jouit  d'un  climat  fort  doux;  aussi, 
bien  des  cultures  qui  sembleraient  impossibles 
en  Bretagne  y  prospèrent-elles.  Déjà,  il  y  a  cent 
ans,  quand  ce  pays  était  sans  route,  et  naturelle- 
ment sans  chemin  de  fer,  alors  qu'il  était  diffi- 
cile d'expédier  les  produits  du  sol,  Cambry  signa- 


200  VOYAGE    EN    FRANCE. 

lait  avec  étonnement  la  culture  des  melons  en 
plein  champ  ;  on  les  préservait  des  gelées  blan- 
ches en  les  recouvrant  de  débris  de  verre.  On 
cultivait  aussi  les  petits  pois  à  l'abri  de  plants 
de  genêts  pour  les  préserver  du  vent  du  Nord. 
«  Vous  n'êtes  plus  dans  la  Bretagne,  s'écriait  le 
voyageur  :  les  fraises,  la  framboise,  la  rose,  la 
jonquille,  la  violette  et  l'églantier  couvrent  les 
champs  chargés  d'arbres  fruitiers  ;  le  cerisier,  le 
prunier,  le  pommier  descendent  jusqu'au  rivage.  » 
Les  légumes  devançaient  de  six  semaines  la  vé- 
gétation, même  à  deux  lieues  de  là. 

Aujourd'hui  les  chemins  de  fer  ont  ouvert  à  la 
population  de  Plougastel  et  de  Daoulas  un  grand 
avenir  agricole.  Sans  avoir  subi  une  transforma- 
tion comparable  au  territoire  de  Roscoff,  si  prodi- 
gieusement enrichi,  la  presqu'île  fait  un  grand 
commerce  de  fruits  et  primeurs,  de  fraises  sur- 
tout dont,  chaque  année,  on  expédie  à  Paris  pour 
quatre  millions  de  francs.  Combien  d'autres  par- 
ties de  la  Bretagne  sont  appelées  à  une  semblable 
richesse,  quand  l'éducation  économique  du  pays 
sera  faite. 

La  promenade  dans  les  vergers  de  cerisiers  et 
les  jardins  de  fraisiers,  de  framboisiers  et  de  gro- 
seilliers m'a  conduit  jusqu'à  l'anse  de  l'Auberlach, 


EN     CORNOLAILLES. 


201 


havre  profond  où  les  navires  de  guerre  viennent 
procéder  à  la  régularisation  de  leurs  compas.  C'est 
un  des  principaux  abris  pour  la  flottille  de  pèche 


>na 


PARTIE  CENTRALE  DE  LA  G  0  UN  0 U AI L LE  : 

1 


D'après  la  carte  de  l'etat-major  au  : 


320.00  » 


de  Landemeau  et  je  puis  trouver  là  une  embar- 
cation pour  traverser  la  rade  dans  sa  partie  la 
plus  étroite  et  gagner  la  cale  de  Lanvéoc,  un  des 
points   de   débarquement   dans  la  presqu'île  de 


202  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Crozon.  De  là  partent  plusieurs  routes  qui  relient 
Brest  à  la  région  du  Mené-Hom  et  de  Château- 
lin,  en  évitant  le  grand  détour  par  Landerneau, 
Daoulas  et  les  contreforts  des  monts  d'Arrée,  suivi 
par  le  chemin  de  fer  au  prix  de  rampes  et  de 
courbes  énormes. 

Un  raide  chemin  monte  de  la  cale  au  village 
de  Lanvéoc1  et  par  un  doux  petit  pays  conduit  au 
gros  bourg  de  Crozon,  chef-lieu  d'une  commune 
de  9,000  âmes.  Le  centre  en  possède  un  millier 
à  peine,  tout  le  reste  est  réparti  en  plus  de  cent 
hameaux  ou  villages.  Crozon  est  donc  un  des  types 
les  plus  complets  de  la  commune  bretonne  qui 
comprend  un  vaste  territoire  (plus  de  10,000 
hectares  à  Crozon)  possédant  de  nombreux  centres 
de  population  dont  le  chef-lieu  n'est  pas  toujours 
le  plus  considérable. 

On  ferait  vingt  communes  champenoises  très 
peuplées  avec  un  district  comme  la  commune  de 
Crozon  2. 

C'est  un  territoire  fort  accidenté,  profondément 
échancré  par  la  mer,  jeté  entre  la  nappe  sans  fin 
de  l'Océan,  le  beau  golfe  de  Douarnenez  et  la 
rade  de  Brest.  Si  l'intérieur  offre  des  campagnes 


i.   un  prononce  Lanvau. 

2.  Consulter  au   4e  volume  du  Voyage  en   France,  p.  305,  la 
carte  de  la  rade  de  Brest. 


EN     C0RN0UA1LLES.  203 

tranquilles,  les  côtes  sont  une  des  plus  belles 
successions  de  roches  et  de  plages  présentées  par 
la  Bretagne,  si  riche  cependant  en  sites  maritimes 
superbes.  Les  difficultés  d'accès  ont  entravé  la 
visite  des  touristes,  sans  cela  les  rivages  de 
Crozon  seraient  un  des  points  les  plus  envahis 
par  la  foule.  La  plage  de  Morgat,  d'un  sable  si 
fin  et  si  blanc,  avec  ses  grottes  profondes  dans 
lesquelles  monte  la  mer  et  qui  servent  d'abris  aux 
baigneurs,  n'a  guère  de  rivale.  Quelques  grottes 
ne  sont  accessibles  qu'en  bateau.  Non  moins  cu- 
rieuses sont  les  grottes  de  Dinan  sur  le  rivage  de 
l'Atlantique  ;  ici  les  rochers  prennent  les  formes 
les  plus  extraordinaires. 

Le  bourg  de  Crozon  domine  de  loin  ce  beau 
paysage  maritime,  il  est  assis  sur  une  terrasse 
entre  un  mamelon  portant  un  des  forts  qui  défen- 
dent Brest  et  une  colline  plus  haute  couverte  de 
moulins  à  vent.  De  ces  moulins  on  découvre  l'im- 
mense baie  de  Douarnenez,  fermée  par  le  pro- 
montoire rocheux  de  la  Chèvre  et  la  presqu'île  du 
Raz.  C'est  comme  un  beau  lac  couvert  de  voiles. 
A  cette  heure  les  bateaux  de  pêche  rentrent  du 
large,  la  plupart  se  dirigent  vers  Douarnenez  dont 
on  distingue  vaguement  au  loin  les  maisons 
blanches.  Mais  quelques-uns  viennent  dans  l'anse 
de  Morgat.  Le  village  de  ce  nom  possède  un  port 


204  VOYAGE    EN    FRANCE. 

et  des  confiseries  de  sardines,  des  hateaux  y  char- 
gent les  pavés  des  nombreuses  carrières  du  terri- 
toire de  Grozon. 

Par  Morgat,  je  suis  allé  au  cap  de  la  Chèvre. 
La  presqu'île  est  plus  triste,  plus  sauvage,  plus 
mélancolique  encore  que  celle  du  Raz,  dont  on 
aperçoit  au  loin  les  côtes.  La  lande  y  est  maigre 
et  chétive,  les  ajoncs  semblent  se  tapir  pour 
échapper  au  vent  d'ouest  qui  souffle  ici  avec  une 
impétuosité  extrême.  Au-dessus  des  ajoncs  poin- 
tent les  roches  brisées,  disloquées,  convulsées  au 
milieu  desquelles  des  arrangements  indiquent  la 
main  des  Druides.  La  nuit  m'a  pris  au  milieu  de 
ce  paysage  sinistre.  Pendant  qu'au  ciel  s'allu- 
maient les  étoiles,  sur  la  mer  s'allumaient  les 
feux  éclairant  les  terribles  passages  du  Raz. 
L'obscurité  s'est  bientôt  faite,  profonde,  j'ai  dû 
prendre  un  guide  à  Rostudel  pour  rentrer  à  Mor- 
gat. Nous  n'avons  rencontré  ni  korrigans,  ni 
poulpiquets  dans  ce  sauvage  coin  de  la  sauvage 
Armorique,  mais  combien  le  vent  de  la  mer  est 
sifflant,  combien  sourd  le  bruit  des  vagues,  com- 
bien fantastique  la  silhouette  des  menhirs  surgis- 
sant au  bord  du  chemin  ! 

Bien  avant  l'aurore  on  a  frappé  à  ma  porte  ;  une 
carriole  m'attendait  pour  me  conduire  à  Lande- 


EN    CORNOUAILLES.  205 

vennec  où  je  dois  prendre  le  bateau  de  Château- 
lin  .  La  route  traverse  Crozon  et  se  dirige  à  tra- 
vers les  landes  par  la  crête  des  collines.  Le  jour 
s'est  levé  alors  que  nous  traversions  la  plus  vaste 
de  ces  terres  incultes,  vers  Kerguidic.  La  brume 
qui  couvrait  la  rade  de  Brest  se  dissipait  peu  à 
peu.  On  voyait  s'entr'ouvrir  la  rivière  de  Daou- 
las,  large  bras  de  mer  découpé  d'autres  estuaires 
profonds  ;  déjà  les  bateaux  de  pêcheurs  en  sor- 
taient, semblant  faire  escorte  à  une  goélette  ve- 
nant, me  dit  le  cocher,  de  Kersanton  où  elle  a 
chargé  ce  granit  à  grain  un,  qui  a  servi  à  peupler 
la  Cornouailles  et  le  Léon  de  tant  de  calvaires, 
d'ossuaires  et  de  tlèches  ajourées.  Le  fjord  de 
Daoulas  disparaît  bientôt,  masqué  par  la  verte  pé- 
ninsule de  Logonna  et,  soudain,  laroute,  jusque-là 
plane,  semble  descendre  dans  un  abîme.  Au  fond 
une  vaste  étendue  d'eau,  bordée  de  collines  cou- 
vertes d'arbres  fruitiers,  projette  dans  l'intérieur 
des  terres  de  larges  estuaires,  c'est  la  rivière  de 
Ghàteaulin,  l'Aune  des  cartes,  l'Avon  des  Bre- 
tons; elle  est  rejointe  ici  par  les  rivières  de  l'Hô- 
pital, de  Kérouse  et  du  Faou. 

En  face  de  ce  triple  confluent,  au  pied  de  la 
colline,  enfouis  sous  les  arbres  sont  Landevennec 
et  les  débris  de  son  abbaye  ;  celle-ci  fut  la  mère  des 
maisons  religieuses  de  TArmorique.  Le  temps  me 


206  VOYAGE    EN    FRANGE. 

manque  pour  visiter  une  fois  encore  ces  restes 
informes,  le  lourd  vapeur  arrive  de  Brest,  il  sera 
bientôt  à  quai. 

Et  me  voici  sur  le  pont,  le  bateau  double  l'é- 
trange saillie  par  laquelle  l'Aune  débouche  dans 
la  rade  en  formant  un  coude  au  milieu  duquel  se 
dresse  l'îlot  rond  de  Térénez.  Dans  le  repli  du 
fleuve,  des  navires  démâtés  stationnent.  Anciens 
vaisseaux  de  haut  bord  au  triple  rang  de  sabords, 
frégates,  bricks,  navires  à  vapeur  reposent  là, 
dernier  abri  assigné  à  ces  nefs  qui  furent  glo- 
rieuses ;  on  les  en  retire  parfois  pour  les  conduire 
à  Brest,  elles  serviront  de  pontons,  de  magasins 
ou  d'ateliers.  Quelques-unes  pourront  être  armées 
encore  pour  servir  de  navires-écoles. 

Maintenant,  adieu  aux  vastes  plans  d'eau.  La 
rivière  reste  très  large,  car  la  marée  remonte  jus- 
qu'à Châteaulin,  mais  ce  n'est  en  somme  qu'un 
fleuve  étalé  entre  de  hautes  et  vertes  collines  et 
décrivant  de  brusques  détours.  Parfois  on  aper- 
çoit le  sommet  des  Montagnes-Noires  :  elles  ont 
vraiment,  d'ici,  l'aspect  d'une  haute  chaîne. 
L'Aune  se  maintient  longtemps  très  large  •,  puis, 
resserrée  entre  les  contreforts  des  Montagnes- 
Noires  et  le  massif  du  Méné-Hom,  elle  devient 
un  étroit  et  sinueux  chenal  bordé  de  bois  et  de 


EN    CORNOUAJLLES.  207 

landes.  Bientôt  apparaissent  les  hautes  arches  du 
viaduc  du  chemin  de  fer,  dominant  de  50  mètres 
le  lit  de  la  rivière  ;  on  passe  sous  l'une  d'elles  et 
l'on  accoste  les  quais  de  Port-Launay,  où,  près 
d'une  écluse,  s'arrête  la  navigation  maritime.  Dé- 
sormais L'Aune,  soutenu  par  des  barrages ,  n'est 
plus  qu'une  section  du  canal  de  Nantes  à  Brest. 

Le  petit  port  est  assez  animé,  nombre  de  ba- 
teaux chargent  dans  le  bassin  les  ardoises  des 
carrières  voisines  ;  à  Châteaulin  même  les  navires 
de  350  tonnes  peuvent  monter  et  vont  prendre 
une  autre  partie  des  produits  des  carrières.  L'ar- 
doise, ici,  ne  présente  pas  d'exploitation  compa- 
rable à  celles  de  Trélazé  près  d'Angers  '  ;  les 
chantiers  d'extraction  sont  au  nombre  de  plus  de 
cinquante,  occupant  chacune  de  15  à  20 ouvriers. 
Ces  carrières  ouvertes  au  flanc  des  coteaux  les 
souillent  de  leurs  déjections,  sans  trop  assombrir 
cependant  le  paysage  riant  de  la  ville  et  des  col- 
lines rocheuses. 

En  quelques  minutes  les  omnibus  conduisent 
de  Port-Launay  à  Châteaulin  en  suivant  les  bords 
animés  de  la  rivière.  Celle-ci  ne  tarde  pas  à  se 
border  de  maisons  et  à  se  couvrir  de  ponts,  d'au- 
tres groupes  de  maisons  s'étagent  sur  chaque  rive 


i.  Voir  le  2e  volume  du  Voyage  en  France,  ehap.  XIV  et  XV. 


208  VOYAGE    EN    FRANCE. 

aa  milieu  des  arbres  et  des  roches.  C'est  Château- 
lin,  aimable  petite  ville,  qu'il  faut  traverser  pour 
gravir  une  verte  colline  sur  laquelle  est  la  gare. 

Raide  est  la  rampe  gravie  par  le  chemin  de  fer 
pour  monter  de  Chateaulin  à  la  ligne  de  faîte.  On 
a  sans  cesse  sous  les  yeux  la  profonde  vallée  de 
l'Aune  et  la  ville  de  Chateaulin.  Puis,  brusque- 
ment, le  train  s'enfuit  en  suivant  un  ruisseau  dont 
on  voit  augmenter  le  flot.  Le  ruisseau  devient  tor- 
rent, puis  jolie  rivière  courant  dans  les  prairies, 
encaissée  entre  de  riantes  collines  boisées,  cou- 
vertes de  bruyères  et  de  fougères  ;  c'est  le  Steir, 
tantôt  calme,  tantôt  bondissant  entre  les  rochers  ; 
il  coule  au  fond  d'une  vallée  si  étroite,  qu'à  cha- 
que instant  la  voie  ferrée  doit  le  franchir.  Le 
paysage  perd  bientôt  de  sa  sauvagerie,  voici  des 
moulins,  des  maisons,  au  loin  de  grands  édifices. 
C'est  Quimper-Corentin. 

.  .  .  Dans  le  fond  la  ville  de  Kemper, 
Assise  au  confluent  de  l'Oded  et  du  Ster. 
Comme  sa  cathédrale,  aux  deux, tours  dentelées, 
S'élève  noblement  du  milieu  des  vallées  '  ! 


1.  Bkizeux.  —  Le  poète  que  je  cite  souvent,  car  il  a  su  mar- 
quer d'un  vers  précis  les  gens  et  les  choses,  emploie  volontiers 
une  orthographe  rocailleuse  pour  les  noms  de  son  pays,  il  a 
voulu  leur  donner  une  saveur  plus  armoricaine  encore. 


XIII 


AU    PAYS    DE    BRIZEL'X 


Quimper-Corenlin.  —  L'Athènes  armoricaine.  —  Quimperlé.  — 
L'Isole  et  l'Ellé.  —  La  Laïta.  —  Arzano  et  les  bords  du  ScortF. 
—  Lorient.  —  Hennebont.  —  La  fabrication  des  boites  de  sar- 
dines. —  La  rivière  d'Étel. 


Auray,  août  1S95. 

D'après  La  Fontaine,  le  destin,  lorsqu'il  vent 
faire  enrager  les  gens,  les  envoie  à  Quimper-Co- 
rentin.  Arthur  Young,  une  centaine  d'années 
après  lui,  disait  que  cette  ville  n'avait  de  remar- 
quable que  sa  promenade.  Brizeux  ignorait  Young, 
mais  son  patriotisme  breton  lui  a  inspiré  une  ven- 
geance terrible  contre  le  fabuliste  :  il  a  brûlé  la 
page  où  La  Fontaine  parlait  de  Quimper  en  termes 
offensants. 

Ceux  qui  visitent  Quimper  comprendront  Bri- 
zeux. Il  est  peu  de  villes  plus  aimables  que  cette 
capitale  de  la  Cornouailles  :  la  cathédrale  est  un 
cantique  de  granit,  les  deux  rivières  sont  claires 
et  chantantes  à  marée  basse,  miroirs  d'argent 
quand  le  flot,  montant  du  large  estuaire  de  l'Odet, 

VOYAGE     KN     FRANCE.     —     Y.  14 


210  VOYAGE    EN    FRANGE. 

les  soutient.  La  cité  sauvage  s'est  policée  ;  Quim- 
per  est  restée  bretonne  et  très  bretonne,  mais  elle 
y  a  mis  de  la  coquetterie,  c'est  une  sorte  de  petite 
Athènes  armoricaine  où  l'on  cultive  la  littérature 
et  l'art  bretous. 

Un  homme  de  grand  talent  et  de  grand  cœur, 
qui  m'a  le  premier  révélé  la  Bretagne,  le  regretté 
M.  Luzel,  a  fait  de  la  ville  comme  le  véritable 
cerveau  de  la  Bretagne  bretonnante.  Il  y  a  sept 
ou  huit  ans,  lorsque  M.  Goblet  vint  inaugurer  le 
lycée,  M.  Monod,  le  préfet,  le  présentait  au  mi- 
nistre en  lui  disant  :   «  Le  dernier  des  bardes  !  » 

Autour  de  M.  Luzel,  qui  fut  un  des  disciples 
de  Brizeux,  s'étaient  groupés  tous  ceux  qui  aiment 
leur  Bretagne  avant  tout.  Grâce  à  eux,  la  biblio- 
thèque s'est  enrichie,  un  musée  fort  beau  s'est 
créé.  Saviez-vous  que  les  galeries  de  peinture  ren- 
ferment plus  de  1,300  toiles  dont  quelques-unes 
de  grande  valeur?  Naturellement  la  Bretagne,  ses 
paysages,  son  histoire,  y  ont  la  première  place; 
son  art  du  meuble,  si  personnel,  y  remplit  plu- 
sieurs salles.  Pour  compléter  cet  ensemble,  digne 
d'une  grande  ville,  deux  artistes  ont  donné  à  leur 
ville  un  musée  ethnographique  bas-breton,  sans 
doute  le  seul  de  ce  genre  en  province.  Pendant 
quatre  années,  MM.  Beau  et  Foulquier  ont  re- 
cueilli, dans  tout  le  pays,  les  types  qui  leur  pa- 


AU    PAYS    DE    BRIZEUX.  211 

raissaient  le  mieux  représenter  chaque  race  et 
chaque  costume  ;  par  la  photographie  et  la  pein- 
ture, ils  ont  obtenu  des  représentations  fidèles 
qui  ont  ensuite  été  reproduites  au  moyen  du  mou- 
lage. 

«  Tous  les  mannequins  sont  de  grandeur  natu- 
relle, articulés,  pouvant  par  cela  même  prendre 
les  positions  les  plus  variées,  disent  ces  artistes 
dans  une  notice.  Les  masques  des  personnages 
ne  sont  pas  d'insignifiantes  figures  de  cire  ou  de 
carton.  Les  têtes  et  les  mains  sont  en  terre  cuite 
dessinées,  observées  et  modelées  avec  une  scru- 
puleuse exactitude  ;  ce  sont  de  véritables  portraits 
représentant  les  types  différents  du  Finistère,  et, 
au  moyen  de  la  peinture,  on  a  donné  la  couleur 
et  le  ton  de  chair  propre  à  chaque  personne.  Si 
la  partie  matérielle  et  ethnographique  a  été  l'ob- 
jet d'études  et  de  soins  minutieux,  la  partie  artis- 
tique n'en  a  pas  été  moins  soignée.  Les  person- 
nages ont  été  placés  et  mis  en  scène  pour  un  des 
actes  les  plus  importants  de  la  vie  se  prêtant  le 
mieux  au  déploiement  de  la  richesse  des  costumes, 
en  représentant  une  noce  bretonne.  » 

Rien  ne  saurait  rendre  l'impression  éprouvée 
par  le  visiteur.  Tous  ces  types  sont  vivants,  les 
attitudes  sont  naturelles  au  point  que  l'on  se 
croit  réellement  en  présence  d'une  scène  locale. 


212  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Le  musée  ethnographique  de  Quimper  vaudrait, 
à  lui  seul,  la  visite  de  la  ville. 

Quimper  a  encore  sa  belle  promenade  du  mont 
Frugy,  plantée  de  hêtres  d'une  admirable  venue 
qui,  d'allée  en  allée,  conduisent  au  sommet  de  la 
colline,  son  Champ  de  Bataille  et  son  joli  faubourg 
de  Locmaria,  sur  l'estuaire  de  l'Odet.  Là  se 
trouve  la  faïencerie  fameuse  dont  les  produits  ont 
tant  contribué  à  populariser  la  Bretagne  en  ré- 
pandant partout  les  images  de  types  bretons.  Les 
magasins  de  tailleurs,  quincailliers,  ébénistes, 
d'autres  encore  sont  remplis  d'objets  qui  servent 
aux  touristes  à  se  créer  des  mobiliers  armoricains. 
Cet  amour  du  bric-à-brac  sauve  l'art  du  pays,  car 
les  indigènes  achètent  plus  volontiers  maintenant 
des  articles  de  menuiserie  courante,  plus  com- 
modes et  à  meilleur  prix.  Le  pittoresque  y  perd,  le 
confort  y  gagne  ;  toutefois,  la  transformation  sera 
lente  à  s'achever,  tant  sont  tenaces  les  coutumes 
chez  ces  fils  de  Celtes  ;  longtemps  encore  les  voya- 
geurs 

Verront  le  lit  de  chêne  et  son  coffre,  et  plus  bas 
(Vers  la  porte  en  tournant),  sur  le  bahut  énorme, 
Pcle-mêle  bassins,  vases  de  toute  forme, 
Pain  de  seigle,  laitage,  écuelles  de  noyer. 

On  peut  juger   de  cette  persistance  tenace  à 


AU    PAYS    DE    BRIZEUX.  213 

conserver  les  vieux  usages  en  traversant  la  gare 
de  Quimper.  Les  trains  de  Pont-1'Abbé,  de  Douar- 
nenez,  de  Brest  et  de  Lorient  sont  remplis  de 
voyageurs  aux  costumes  variés.  Chaque  canton, 
presque  chaque  village,  se  reconnaît  à  première 
vue.  Aux  jours  de  pèlerinage  à  Auray,  surtout, 
c'est  un  inoubliable  spectacle  que  cette  invasion, 
à  chaque  station,  d'hommes  vêtus  de  vestes  souta- 
chés  et  de  gilets  éclatants  et  de  femmes  aux  coiffes 
compliquées  et  aux  tabliers  chatoyants. 

La  plupart  de  ces  gens  font  de  longues  courses 
pour  venir  prendre  le  train,  les  gares  sont  fort 
éloignées  les  unes  des  autres  ;  par  suite  de 
l'énorme  dissémination  des  habitants  en  petits 
hameaux,  il  y  a  peu  de  bourgs,  peu  de  villes  aussi, 
partant  peu  de  commerce  sinon  dans  les  rares 
grands  centres  ;  les  stations  ne  feraient  guère  leurs 
frais.  Ainsi  de  Quimper  à  Rosporden  sur  20  ki- 
lomètres, il  n'y  a  pas  une  station  intermédiaire. 
C'est  peut-être  exagéré  ;  s'il  y  avait  des  arrêts  à 
Ergué-Gabéric  et  Saint- Yvi,  on  pourrait  facile- 
ment visiter  une  partie  de  la  campagne  cornouail- 
laise  encore  ignorée  et  demeurée  franchement 
bretonne.  On  peut  en  juger  en  remontant  parle 
chemin  de  fer  l'étroite  vallée  du  Jet,  d'une  sau- 
vagerie charmante  ;  on  la  suit  jusqu'à  la  source 
de  ce  clair  ruisseau.  Sauf  quelques  moulins  mous- 


214  VOYAGE    EN    FRANCE. 

sus,  on  ne  voit  presque  pas  un  hameau;  ils  sont 
nombreux  cependant  sur  les  hauteurs,  mais  mas- 
qués par  les  arbres. 

Le  paysage  ne  change  guère  lorsqu'on  a  franchi, 
à  Rosporden,  l'étang  formé  par  l'Aven,  une  des 
rivières  les  plus  aimables  de  Bretagne  ;  peut-être 
est-il  plus  sauvage  encore 

Ce  pays  de  vallons,  de  rivières,  de  bois 

De  chapelles  sans  nombre  et  de  petites  croix. 

Mais  aux  abords  de  Quimperlé  la  campagne  se 
fait  plus  aimable,  il  y  a  de  l'horizon,  de  la  lu- 
mière partout.  O  la  jolie  ville  dominant  si  gaie- 
ment ses  deux  claires  rivières,  l'Idole  et  l'EUé,  du 
haut  de  ses  collines  rocheuses  ! 

Le  granit  sombre  s'est  laissé  dompter,  les  mai- 
sons sont  claires  et  gaies,  de  grands  arbres  cou- 
vrent les  jardins  établis  en  terrasses  fleuries  de 
glycines,  de  clématites,  de  gueules-de-loup,  vertes 
de  fougères,  de  lierre  et  de  buis,  au-dessus  des 
deux  rivières,  qui,  réunies,  forment  la  Laïta.  Les 
rues  montantes,  les  voies  étroites  aux  maisons  à 
poutrelles,  puis  soudain  à  la  jonction  des  deux 
fleuves  des  édifices  de  noble  ordonnance.  Entre 
l'Isole  et  l'Ellé,  une  singulière  église  de  forme 
ronde   comme  le  Saint-Sépulcre   de   Jérusalem. 


AU     PAYS    DE    BRIZEUX.  215 

Peu  d'industrie  ici;  cependant  dans  le  haut  quar- 
tier, devant  une  halle,  j'ai  aperçu,  séchant  sur  le 
sol,  ces  chapeaux  à  grand  poil  chers  aux  Bretons 
et  j'ai  pu  visiter  le  plus  que  modeste  atelier  où 
ils  sont  fabriqués.  Le  poil  de  chèvre  et  la  laine 
du  pays  sont  la  seule  matière  première,  une  cuve 
où  chauffe  l'eau  pour  le  foulage,  une  autre  où  se 
prépare  la  teinture  noire,  placées  sous  un  appen- 
tis. Et  c'est  tout.  Il  y  a  peu  d'apparence  que  la 
grande  industrie  s'empare  jamais  de  cette  fabri- 
cation, celle-ci  a  pour  elle  de  fournir  des  pro- 
duits de  longue  durée;  un  chapeau  peut  durer 
trente  ans;  aucune  fabrication  mécanique  ne  don- 
nera un  tel  avantage.  Aussi  les  humbles  fabri- 
ques éparses  dans  les  petites  villes  et  les  bourgs 
de  Basse-Bretagne  existeront-elles  longtemps  en- 
core, tant  que  l'Armorique  restera  fidèle  aux  vieux 
usages. 

Cet  heureux  coin  de  terre,  où  le  fuchsia  et  le 
figuier  prospèrent  en  pleine  terre,  inspira  Brizeux. 
Le  poète  était  né  à  Lorient,  mais  il  a  vécu  sa 
jeunesse  ici,  près  de  la  forêt  de  Cloham-Carnoël 
aux  futaies  vigoureuses.  Le  bassin  de  la  Laïta  lui 
a  dû  sa  place  dans  notre  littérature.  Peu  de  ri- 
vières ont  chez  nous  une  telle  gloire  ;  même  le 
«  Loyre  gaulois  »  du  vieux  Joachim  du  Bellay 
n'a  pas  eu   l'illustration   de  ces  petites  rivières 


216  VOYAfxE    EN    FRANCE. 

bruyantes  aux   rives   fleuries.    Partout   ici  l'eau 
ruisselle,  bondit  et  murmure  : 

Car  sans  cesse  on  ne  voit  et  l'on  n'entend  chez  nous 
Qu'eaux  vives  et  ruisseaux,  et  bruyantes  rivières, 
Des  fontaines  partout  dorment  sous  les  bruyères  ; 
C'est  le  Scorff  tout  barré  de  moulins,  de  filets  ; 
C'est  le  Blavet  tout  noir  au  milieu  des  forêts  ; 
L'Ellé  plein  de  saumons,  ou  son  frère  l'Izôle. 
De  Scaer  à  Kemperlé,  coulant  de  saule  en  saule. 
Et  de  là,  pour  aller  ensemble  à  Lo'-Théa, 
Formant  de  leurs  beaux  noms  le  doux  nom  de  Lêta. 

L'Ellé,  très  sinueuse,  est  la  plus  jolie  des  deux 
rivières.  Sur  ses  flots  tranquilles  est  jeté  le  pont 
dont  parle  l'exquis  poème  de  Marie  : 

Un  jour  que  nous  étions  assis  au  pont  Kerlo  

Arzano,  le  bourg  on  Brizeux  connut  Marie, 
n'est  pas  au  bord  de  la  rivière,  mais  sur  une  col- 
line d'où  il  la  domine  d'un  côté,  tandis  que,  de 
l'autre,  il  voit  le  val  profond  du  Scorff  descendant 
vers  Lorient.  Le  Scorff,  lui  aussi,  est  un  joli  petit 
fleuve,  mais  l'Ellé  est,  avec  le  fleuve  Laïta,  pour 
l'auteur  des  Bretons,  le  cours  d'eau  le  plus  aimé. 
Lorsqu'il  put  revoir  cette  Àrcadie  armoricaine,  il 
s'écriait  : 

Bourgs  d'Ellé  je  reviens,  accueillez  notre  barde  ! 


AU    PAYS    DE    BRIZEUX.  217 

Quimperlé  est  restée  la  douce  cité  de  Brizëux, 
même  elle  s'est  embellie  ;  si  la  Ville  Close  a  conservé 
son  aristocratique  allure,  la  campagne  s'est  égayée 


IPERL1- 


LE    PAYS    DK    BKIZEUX 


D'après  la  carte  de  l'état-inajor  au 


320,UUU 


encore,  les  villas  ont  conquis  les  pentes.  Le  che- 
min de  fer  en  jetant  sur  la  Laïta,  soutenue  par  la 
marée,  un  hardi  viaduc  sous  lequel  passent  à  toutes 


218  VOYAGE    EN    FRANGE. 

voiles  les  petits  navires,  a  donné  un  caractère 
nouveau  à  ce  site  aimable. 

Toutefois,  il  ne  faut  pas  chercher  une  riante 
nature  en  dehors  des  vallées  ;  les  plateaux  sont 
parsemés  de  landes  et  de  bois,  les  hautes  sépara- 
tions des  champs  masquent  l'horizon.  La  route 
d'Arzano,  après  les  frais  abîmes  fleuris  de  l'Isole 
et  de  l'Ellé,  m'a  paru  monotone.  Plus  intéressant 
est  le  chemin  d'Arzano  à  Lorient  par  Pontscorlf. 
On  domine  de  haut  la  vallée  du  Scorff  dont  le  lit 
étroit  s'élargit  bientôt,  pour  devenir  un  estuaire, 
avant  de  pénétrer  dans  Lorient  et  rejoindre  le 
Blavet. 

Scorff  et  Blavet  sont  à  l'écart  de  la  grande  cité 
du  Morbihan.  Leurs  eaux  réunies  forment  la  rade 
et  celle-ci  est  entièrement  occupée  par  l'arsenal 
et  ses  annexes.  Le  Scorff  surtout  a  été  discipliné  ; 
après  avoir  passé  sous  un  pont  suspendu  devant 
le  grand  faubourg  de  Kerantrech,  il  se  borde  de 
cales,  de  chantiers  et  d'entrepôts.  Il  y  a  peu 
d'instants,  c'était  un  ruisseau  et  il  porte  ici  de 
grands  cuirassés,  prêts  à  partir  pour  Brest  où  ils 
seront  armés. 

Lorient  vit  uniquement  par  son  arsenal.  Il  ne 
faudrait  pas  y  chercher  des  escadres  ;  la  marine 
n'y  est  guère  représentée  que  par  des  torpilleurs 
et  l'état-major  ordinaire  d'une  préfecture  mari- 


AU    PAYS    DE    BRIZEUX.  219 

time.  Mais  cet  arsenal,  bien  outillé,  conserve  son 
activité  *,  le  bas  prix  de  la  main-d'œuvre,  l'excel- 
lent état  d'esprit  de  la  population  ouvrière  pré- 
serveront sans  doute  Lorient  des  menaces  de  sup- 
pression. 

Dans  notre  Lorient  tout  est  clair,  dès  qu'on  entre 
De  la  porte  de  ville  on  va  droit  jusqu'au  centre, 

a  dit  Brizeux  de  sa  ville  natale.  Cette  description 
suffit  pour  cette  ville  moderne  aux  rues  larges, 
propres  et  animées,  où  la  prospérité  dépend  des 
vastes  ateliers  qui  construisent  nos  navires  de 
guerre.  Dans  l'artère  principale,  deux  statues 
arrêtent  un  moment  le  visiteur,  celle  de  cet  hé- 
roïque enseigne  Bisson  qui  se  fit  sauter  avec  son 
navire  au  lieu  de  se  rendre  à  des  pirates  et  celle 
de  Victor  Massé.  Le  doux  auteur  des  Noces  de 
Jeannette  était  Lorientais  comme  Brizeux. 

Quant  au  poète,  il  a  son  monument  au  cimetière  ; 
une  tombe  où  son  médaillon  a  été  sculpté  par 
Etex,  est  ombragée  par  un  chêne,  l'arbre  breton 
par  excellence.  Ce  fut  le  dernier  vœu  de  Brizeux. 

Le  cimetière  est  non  loin  de  la  mer,  sur  les 
petites  hauteurs  de  Kernel,  d'où  l'on  découvre  la 
ville  dominée  par  la  belle  tour  des  Signaux,  et 
les  grands  établissements  de  la  marine.  Le  pano- 


220  VOYAGE    EN    FRANCE. 

rama  est  plutôt  sévère;  le  soir,  quand,  du  Blavet, 
du  Scorff,  des  étangs,  des  laisses  de  mer,  monte 
une  buée  légère,  il  prend  une  indéfinissable 
expression  de  tristesse.  Le  poète  ] orientais  avait 
éprouvé  cette  sensation  mélancolique  : 

J'ai  vu  près  du  Blavet  qui  tombe  en  ses  bassins 
Le  port  de  Lorient  tout  entouré  d'écume 
Sauvagement,  le  soir,  se  coucher  dans  la  bruine. 

En  plein  soleil  et  à  haute  mer,  au  contraire,  la 
rade  est  fort  majestueuse  grâce  aux  promontoires, 
aux  anses,  à  l'île  Saint-Michel  et  à  l'Océan  aperçu 
au  loin  entre  les  remparts  de  Port-Louis  et  l'élé- 
gant clocher  de  Larmor. 

Lorient,  ce  n'est  guère  la  Bretagne  cependant, 
on  n'y  parle  que  le  français  et  les  costumes  bre- 
tons y  sont  rares,  ils  y  prennent  une  certaine  sa- 
veur exotique.  Mais  à  peine  a-t-on  pénétré  dans 
l'intérieur  des  terres  que  la  couleur  locale  reparaît . 
Non  loin  de  l'arsenal,  sur  le  Blavet,  est  Henne- 
hont,  unedes  cités  héroïques  de  Bretagne.  Gomme 
Quimperlé  et  Goncarneau,  elle  a  conservé  sa  Ville 
Close,  c'est-à-dire  la  vieille  cité  militaire  encore 
entourée  de  son  enceinte  et  dans  laquelle  on  pé- 
nètre par  une  porte  flanquée  de  deux  lourdes 
tours  à  mâchicoulis.  Entre  ces  remparts  est  uni1 


AU     PAYS    DE     I3RIZEUX.  221 

vieille  petite  cité  aux  rues  étroites,  bordées  de 
maisons  à  haut  pignon  sculpté,  à  étages  en  en- 
corbellement, les  unes,  en  bois,  sont  déjetées,  les 
autres  en  granit,  curieusement  sculptées,  ornées 
de  tours  à  mâchicoulis,  se  tiennent  fermes  encore. 
Des  fils  et  des  lampes  électriques,  éclairage  de  la 
ville,  courent  effrontément  contre  ces  antiques 
demeures.  Au  pied  de  la  Ville  Close,  jusqu'au 
Blavet,  s'étend  la  Tille  Neuve  ;  en  face,  sur  l'autre 
rive,  est  la  Vieille  Ville;  entre  les  deux  le  Blavet 
est  bordé  de  quais  où  des  petits  navires  fraterni- 
sent avec  des  bateaux  de  rivière.  Le  Blavet  a  été 
canalisé  et  réunit  Lorient  au  canal  de  Nantes  à 
Brest.  Les  bateaux,  un  grand  viaduc,  des  toits 
aigus,  des  jardins  en  terrasses,  font  de  ce  quai 
une  charmante  chose. 

Le  petit  port  est  assez  animé,  grâce  à  l'indus- 
trie. Hennebont  est  en  effet  une  ville  active.  Elle 
a  eu  la  bonne  fortune  de  conserver  des  établisse- 
ments métallurgiques  à  une  époque  où  la  Bretagne 
a  vu  peu  à  peu  fermer  toutes  ses  petites  forges. 
C'est  à  Hennebont,  ou  plutôt  sur  son  territoire, 
près  du  hameau  de  Lochrist,  que  l'on  imprime  le 
fer-blanc  destiné  à  fabriquer  les  boites  dans  les- 
quelles on  conserve  le  thon,  les  sardines  et  les 
légumes  verts.  On  sait  l'énorme  emploi  de  ces 
produits,  aussi  n'est-on  pas  surpris  d'apprendre 


222  VOYAGE    EN    FRANGE. 

que  les  forges  d'Hennebont  occupent  1,400  ou- 
vriers, occupés  à  transformer  chaque  jour  en  acier 
22  à  23  tonnes  de  fonte  pour  en  fabriquer  des 
tôles  minces  qui  sont  ensuite  étamées  ou  déca- 
pées, puis  imprimées  en  lettres  et  dessins  noir  et 
or.  Là  viennent  s'approvisionner  Goncarneau, 
Douarnenez,  Port-Tudy,  Audierne ,  Port-Louis, 
Nantes,  Saint-Gilles,  les  Sables-d'Olonne  et  au- 
tres centres  sardiniers.  Les  fabricants  de  conserve 
de  légumes  de  Nantes,  du  Mans,  de  Bordeaux,  se 
fournissent  à  Hennebont  ;  là  encore  Périgueux, 
Pithiviers,  Chartres,  Barbezieux  et  autres  patries 
de  succulents  pâtés  demandent  des  boîtes.  Ce  n'est 
pas  tout,  les  fabricants  de  jouets  d'enfants,  les  bim- 
belotiers,  sont  des  clients  et  aussi  les  fabricants 
de  cirages  et  de  pâtes  vantées  pour  entretenir  les 
cuivres  et  les  meubles.  La  parfumerie,  la  confi- 
serie demandent  à  Hennebont  de  véritables  im- 
pressions artistiques.  Cette  industrie  est  donc, 
par  bien  des  côtés,  autre  chose  qu'une  forge. 

La  création  des  usines  d'Hennebont  est  ré- 
cente, elle  ne  s'expliquerait  guère  aussi  loin  des 
centres  métallurgiques  sans  le  voisinage  des 
grands  arsenaux  où  l'on  achète  les  métaux  hors 
d'usage,  sans  le  caractère  marin  du  Blavet  qui 
permet  aux  charbons  anglais  d'alimenter  l'usine, 
et  sans  le  voisinage  des  centres  sardiniers.  Paris 


AU    PAYS    DE    BRIZEUX.  223 

est  le  grand  client  pour  Hennebont  :  les  5  à  6  mil- 
lions de  produits  de  l'usine  sont  pour  moitié  des- 
tinés à  la  capitale;  Bordeaux  en  emploie  un  mil- 
lion, Nantes  pour  500,000  à  600,000  fr.  Le  reste 
va  à  Lyon  et  dans  un  grand  nombre  de  centres. 
Hennebont  est  donc  le  plus  grand  producteur  de 
fer- blanc  pour  la  France  entière. 

L'usine  occupe  une  grande  surface  au  bord  du 
Blavet  dont  les  eaux  fournissent  une  part  de  la 
force  motrice.  La  nuit,  les  feux  rouges  des  forges, 
les  éclats  aveuglants  des  lampes  à  arcs  reflétés  dans 
les  eaux  bruyantes  du  barrage  font  un  tableau 
grandiose.  Une  visite  aux  ateliers  est  fort  inté- 
ressante, rien  de  simple  et  d'ingénieux  à  la  fois 
comme  les  procédés  qui  ont  permis  d'obtenir  par 
la  lithographie  la  netteté  de  l'impression  égale, 
sinon  supérieure,  à  celle  du  papier.  A  un  simple 
contremaître  de  l'usine  on  doit  l'invention  du 
cylindre  en  caoutchouc  qui  transmet  les  couleurs 
de  la  pierre  au  métal,  évitant  ainsi  le  contact 
entre  deux  corps  durs,  qui  fut  longtemps  un  obs- 
tacle à  la  netteté  des  lignes. 

Les  scories  de  déphosphoration  sont  transfor- 
mées en  engrais  dans  une  autre  usine.  A  Henne- 
bont et  dans  ses  environs,  des  tanneries,  des 
faïenceries,  un  atelier  de  ferblanterie  attiré  par  le 
voisinage  de  la  matière  première,  se  sont  établis 


224  VOYAGE    EN    FRANCE. 

et  font  de  cette  petite  ville  un  centre  industriel 
et  commercial  considérable,  dont  l'existence  dans 
ces  contrées  agricoles  est  assez  inattendue. 

Partout,  au  delà  d'Hennebont,  de  vastes  cam- 
pagnes sont  presque  désertes;  elles  n'ont  guère 
changé  depuis  le  temps  où  Young  disait  que  de 
Lorient  à  Hennebont  c'étaient  les  pins  tristes 
«  milles  »  qu'il  eût  encore  traversés  en  Bretagne. 
Toute  la  vie  s'est  portée  vers  la  mer.  Là  sont  les 
populations  les  plus  denses,  surtout  autour  de  la 
rivière  d'Etel,  cet  autre  Morbihan,  moins  connu 
que  le  Morbihan  de  Vannes,  mais  non  moins  cu- 
rieux . 

Je  me  proposais  de  visiter  ce  golfe  et,  ce  matin, 
je  suis  parti  pour  Landevant.  Il  pleuvait,  une 
de  ces  pluies  bretonnes,  fines  et  continues,  qui 
voilent  les  paysages.  J'ai  pu  cependant  gagner  les 
rives  du  fjord.  A  peine  pouvait-on  distinguer 
l'autre  rive,  pourtant  cette  partie  du  bassin  est 
assez  étroite.  Un  pêcheur  a  consenti  à  me  conduire 
à  Belz,  sous  la  pluie  fine  ;  grâce  au  jusant,  nous 
avons  descendu  ce  vaste  estuaire.  Parfois  une 
éclaircie  se  produisait,  on  distinguait  de  petites 
collines  boisées,  des  hameaux,  un  moulin  à  mer. 
Et,  de  nouveau,  la  pluie  fine  embrumait  le  paysage 
jusqu'à  quelque  promontoire  où,  sous  l'effort  d'une 


226  VOYAGE    EN    FRANGE. 

faible  brise,  le  rideau  se  déchirait,  laissant  aper- 
cevoir les  mystérieuses  profondeurs  des  golfes 
allongés  qui  indentent  si  profondément  le  pays 
de  Belz.  Cette  rivière  d'Étel  est  plus  déchiquetée 
que  le  Morbihan,  mais,  sauf  Locoal  et  deux  ou 
trois  îlots,  elle  n'a  point  de  terres  complètement 
entourées  d'eau.  Sur  les  rivages,  beaucoup  de  ha- 
meaux et  de  maisons  isolées,  habitées  par  les 
pêcheurs  et  les  parqueurs  d'huîtres.  Toute  cette 
population  vit  ainsi  de  la  mer. 

Le  fjord  m'est  resté  comme  une  fantasmagorie, 
apparition  à  peine  devinée  dans  la  brume.  Après 
une  longue  navigation,  pendant  laquelle  l'aviron 
dut  remplacer  la  voile,  nous  avons  abordé  à  l'île 
de  Saint-Gado,  reliée  à  la  terre  ferme  par  une 
chaussée  d'où  j'ai  gagné  les  quelques  maisons  de 
Belz  et  le  bourg  d'Étel. 

Étel  est  presque  une  ville,  elle  est  assise  au 
bord  du  chenal  qui  descend  de  la  petite  mer 
d'Étel.  Sur  ce  large  fleuve  marin  une  quantité  de 
chaloupes  sont  à  l'ancre  :  Étel  est  un  des  ports  de 
pêche  les  plus  actifs  de  la  côte.  On  y  poursuit 
surtout  la  sardine,  plusieurs  fabriques  de  conser- 
ves sont  venues  s'installer  sur  le  rivage,  des  ate- 
liers de  presseurs  de  sardines  expédient  en  grande 
quantité  ces  poissons  salés.  Si  la  barre  de  la  ri- 
vière n'était  pas  impraticable  pendant  l'hiver,  le 


AU    PAYS    DE    BRIZEUX.  227 

port  serait  bien  plus  fréquenté,  car  il  est  excellent 
et  sûr. 

La  pluie  n'a  pas  cessé  pendant  toute  l'après- 
midi,  le  baromètre  baisse  encore,  il  faut  renoncer 
à  parcourir  la  rivière,  ses  péninsules  et  ses  îles  et 
se  résigner  au  départ.  Je  rentre  à  Auray  ayant 
à  peine  aperçu  au  passage  les  menhirs  farouches 
d'Erdeven. 

Locoal-Meudon,  août  189j. 

Ce  matin,  à  Garnac,  la  pluie  ayant  cessé,  j'ai 
tenté  une  nouvelle  excursion  dans  le  fjord  d'Étel. 
Le  paysage,  sinistre  hier,  était  ce  matin  simple- 
ment sévère.  Aucun  grand  relief,  des  collines 
basses,  des  étangs,  des  champs  d'oignons,  bordent, 
jusqu'à  Erdeven,  la  route  inflexiblement  droite. 
Des  hameaux  gris,  sans  verdure,  couronnent  les 
coteaux;  l'un  d'eux,  Sainte-Barbe,  fut  le  quartier 
général  de  Hoche  pendant  la  courte  campagne  de 
Quiberon  ;  sur  une  dune,  une  masure  porte  en- 
core le  nom  du  glorieux  général.  Plus  loin,  voici 
les  menhirs  d'Erdeven,  moins  nombreux  et  moins 
tragiques  d'aspect  que  ceux  de  Garnac,  mais  super- 
bes encore.  Bientôt  on  atteint  Étel.  La  mer  est 
calme,  cependant  elle  brise  avec  fureur  sur  la 
barre.  Dans  le  port  quelques  barques  seulement, 
les  300  bateaux  de  pêche  de  l'estuaire  sont  au 


228  VOYAGE    EN    FRANCE. 

large,  courant  après  la  sardine  ;  depuis  deux  jours 
on  en  prend  un  peu  ;  elle  avait  complètement  fait 
défaut  cette  année,  tandis  qu'en  1894  elle  est  ve- 
nue dès  le  23  juin;  aussi  la  misère  est-elle  grande 
dans  cette  population  imprévoyante  dépensant  en 
eau-de-vie  le  revenu  des  pêches  abondantes.  Pau- 
vres gens,  victimes  de  leur  ignorance,  au  point 
que  toutes  les  tentatives  pour  les  syndiquer  en 
vue  de  l'achat  de  la  rogue  et  de  l'armement  ont 
échoué  ;  cependant  s'ils  s'étaient  associés  comme 
on  a  voulu  le  faire,  ils  auraient  pu  gagner  10  fr. 
par  baril  de  rogue,  or,  on  emploie  3,000  barils 
par  année.  Ces  30,000  fr.  et  une  faible  cotisation 
de  1  fr.  par  semaine  auraient  donné  des  ressources 
(près  de  50,000  fr.  par  an)  pour  les  années  mai- 
gres ;  au  moyen  d?un  tirage  au  sort  pour  l'achat 
de  bateaux,  les  marins  seraient  tous  devenus  pro- 
priétaires d'une  barque.  Le  syndicat  n'a  pu  se 
créer,  les  armateurs  s'y  sont  montrés  hostiles.  En 
ce  moment,  toute  cette  population  en  est  réduite 
à  vivre  de  palourdes,  de  moules,  de  berniques. 
Mais  si  la  pêche  est  bonne,  chacun  mettra  un  pa- 
nier de  sardines  sur  le  gril  et  boira  sa  chopine 
d'eau-de-vie.  Et  ce  seront  longtemps  des  scènes 
d'ivrognerie.  Pour  se  livrer  plus  à  leur  aise  à  ces 
goûts,  les  marins  ont  pris  l'habitude  d'aller  vendre 
leur  poisson  loin  d'Étel  :  à  Port-Maria-de-Quibe- 


AU    PAYS    DE    BRIZEUX.  229 

roii,  à  Groix,  à  Port-Louis  où  le  contrôle  est  moins 
facile.  Aussi  la  population  végète-t-elle  dans  la 
misère  alors  que  l'aisance  pourrait  être  générale. 
D'ailleurs,  la  pêche  devient  de  moins  en  moins 
rémunératrice*,  le  grand  chalut  détruit  beaucoup 
de  poissons,  le  fretin  lui-même  est  pourchassé  par 
les  paysans  qui  le  vendent  aux  pêcheurs  comme 
appât  ou  boette.  Si  Ton  ne  réussit  pas  à  moraliser 
les  populations  maritimes,  cette  industrie  de  la 
pêche  ne  tardera  pas  à  péricliter.  Il  faudrait  faire 
pour  le  poisson  ce  qu'on  a  fait  pour  les  huîtres, 
c'est-à-dire  repeupler  nos  côtes. 

La  rivière  d'Étel  est  bien  belle  aujourd'hui  *, 
elle  descend,  rapide,  jusqu'à  la  barre  sur  laquelle 
ses  flots  et  ceux  de  l'Océan  se  heurtent  avec  fureur. 
La  remonte  contre  le  flot  est  très  difficile,  me  dit- 
on,  mais  si  je  prends  la  barque  du  père  Hervé, 
nous  pourrons  franchir  le  dangereux  passage  du 
pont  Lorois.  Le  père  Hervé  consent  à  nous  con- 
duire et  nous  mettons  à  la  voile.  Celle-ci  suffit 
d'abord,  nous  courons  sur  le  flot,  entre  les  parcs 
à  huîtres  qui  déjà  découvrent,  mais  l'estuaire  se 
rétrécit  aux  dimensions  d'un  modeste  fleuve.  Le 
courant  est  violent,  il  descend,  bruyant,  d'un 
étroit  goulet  sur  lequel  un  pont  suspendu  tend  ses 
câbles*,  le  tablier  a  été  emporté  par  une  tempête 


230  VOYAGE    EN    FRANCE. 

et  il  reste  ces  fils  qui,  de  si  bas,  paraissent  fort 
ténus.  C'est  le  pont  Lorois,  ainsi  nommé  du  préfet 
qui  le  lit  construire  \  Il  est  précédé  sur  la  rive 
droite  par  une  longue  chaussée  en  maçonnerie. 

Le  courant  ici,  par  la  teinte  et  le  tumulte  des 
eaux,  rappelle  le  passage  du  Rhône  vers  Pont- 
Saint-Esprit.  La  voile  ne  suffit  pas  à  le  dompter, 
les  deux  fils  du  père  Hervé  doivent  prendre  les 
avirons  et,  de  remous  en  remous,  remonter  le 
lleuve  terrifiant.  Ce  passage  n'est  rien  encore  au- 
près de  ceux  qui  nous  restent  à  franchir.  Voici 
la  pierre  tournante  (men-dron),  surmontée  d'une 
balise,  et  la  pierre  de  sel  (men-alen).  Il  faut  pas- 
ser entre  ces  deux  écueils,  la  dénivellation  d'a- 
mont en  aval  est  telle  qu'on  croit  remonter  un 
plan  incliné.  Pourtant,  à  force  d'avirons,  la  voile 
aidant,  nous  doublons  l'îlot  de  Guerninès  et  péné- 
trons dans  le  bassin  supérieur  où  les  courants  sont 
moins  violents.  Des  barques  massives  descendent, 
conduites  par  des  femmes  vêtues  de  noir  ;  la  tête 
couverte  de  grandes  coiffes,  elles  manient  vigou- 
reusement de  grands  avirons.  Ce  sont  les  femmes 
de  Saint-Cado,  intrépides  marins,  qui  vont  pêcher 
Ja  crevette  ou  vendre  leur  poisson  à  Etel.  Saint- 
Cado  plus  qu'Étel  a  des   pêcheurs   infatigables  -, 


i.  La 


carte  de  l'état-major  l'appelle  à  tort  pont  Le  Roy 


AU    PAYS    DE     BRZIEUX.  231 

sans  cesse  sur  l'estuaire,  de  jour  et  de  nuit,  ils  se 
jouent  de  ses  courants  terribles.  Môme  ivres,  ils 
évitent  les  dangers  dont  cette  lagune  est  semée. 
Nous  abordons  à  l'île  Saint- Gado.  Je  puis  la 
visiter  cette  fois.  Un  petit  hameau  précède  la 
chapelle,  faisant  face  au  village  assis  sur  le  roc  de 
la  terre  ferme  et  relié  à  l'île  par  une  jetée  due, 
d'après  les  légendes,  à  saint  Gado.  La  chapelle  est 
petite  mais  curieuse  ;  à  la  voûte  pend  un  grand 
modèle  de  navire  en  bois,  le  Villon,  armé  de  trois 
rangs  de  canons.  Des  peintures  naïves  rappellent 
la  légende  du  saint,  des  inscriptions  la  racontent  : 

Anglais  de  nation,  prince  de  Clamorgan 
Puis  abbé  vient  et  débarque  céans. 

Les  jugements  de  Dieu  sans  cesse  méditants 
C'est  ainsi  pèlerins  qu'il  a  vécu  céans. 

Aux  pirates  en  ce  lieu  l'assaillant 

Il  dit  :   «  Je  suis  sans  biens,  solitaire,  céans.  » 

«  Oratoire,  mon  œuvre,  dit-il,  pleurant 

«  Belz,  t'oublierai-je  ?  non?  Il  cingla  de  céans.  » 

Une  auge  en  pierre,  dans  une  chapelle,  est  re- 
présentée comme  le  lit  de  saint  Gado  ;  au  dehors, 
sur  une  pierre,  un  dessin,  qui  doit  être  une  em- 
preinte d'ammonite,  est  appelé  la  queue  du  diable, 
sur  le  continent  on  montre  un  trou  qui  aurait  été 


232  VOYAGE    EN    FRANGE. 

creusé  par  le  pied  de  Satan.  On  retrouve  ici  la 
légende  qui  accompagne  toutes  les  œuvres  dont 
l'imagination  populaire  a  été  frappée.  La  digue 
qui  relie  l'île  à  la  terre  ferme  ne  peut  être  consi- 
dérée comme  œuvre  humaine,  elle  serait  due  au 
diable  ;  en  une  nuit  il  l'aurait  construite,  sur  la 
promesse  de  saint  Gado  de  lui  livrer  l'âme  du 
premier  être  désireux  d'aller  à  pied  sec.  Quand  la 
digue  fut  achevée,  le  saint  fit  passer  un  chat,  le 
diable,  furieux,  battit  la  terre  de  la  queue  et  du 
pied,  de  là  ces  empreintes  ! 

Saint  Gado  aurait  bien  dû  aussi  construire  une 
jetée  pour  aborder  son  île,  il  nous  aurait  évité 
un  échouage  qui,  un  instant,  faillit  arrêter  notre 
navigation.  Enfin  les  efforts  de  l'équipage  mirent 
de  nouveau  la  chaloupe  à  flot  et,  rasant  les  petites 
îles  voisines  de  Nihou  et  de  Fandouillec,  nous 
avons  pu  aborder  à  la  Forest,  dans  l'île  de  Lo- 
coal,  la  mer  étant  trop  basse  pour  atteindre  le 
nord  de  Y  estuaire.  J'ai  pu  gagner  ainsi  M  end  on, 
qu'une  jetée  relie  à  l'île  boisée  de  Locoal  ;  c'est 
un  bien  curieux  village,  par  sa  belle  église,  les 
portes  et  les  fenêtres  de  plusieurs  de  ses  maisons 
bâties  par  les  moines-soldats  des  ordres  du  Tem- 
ple et  de  Saint- Jean. 


XIV 


BRETAGNE    CELTIQUE    —    BRETAGNE    FRANÇAISE 


Plouharnel.  —  Carnac  et  ses  monuments  druidiques.  —  Auray 
et  sa  rivière.  —  Sainte-Anne  d'Àuray  et  son  pèlerinage.  — 
La  vallée  du  Loch.  —  Le  champ  de  bataille  et  le  champ  dos 
martyrs.  —  Redon.  —  La  vallée  de  la  Vilaine.  —  Rennes  et 
les  beurres  de  la  Prévalaye. 


Rennes,  septembre  1895. 

Plouharnel  !  Carnac  ! 

Le  train  se  vide  presque  en  entier,  rares  sont 
les  voyageurs  pour  au  delà,  vers  Quiberon.  Ceux 
qui  mettent  le  pied  sur  le  trottoir  de  l'humble 
gare  sont  d'une  essence  particulière  ;  en  cette  sai- 
son, les  bains  de  mer  ont  pris  fin,  les  visiteurs  sont 
des  touristes  du  genre  savant  :  Scandinaves,  teu- 
tons, anglais  ;  anglais  surtout,  ce  peuple  a  uu 
faible  pour  les  rochers  druidiques,  pour  ceux  de 
Carnac  d'abord  :  n'est-ce  pas  un  Anglais,  M.  Miln, 
qui  s'est  fait  le  «  découvreur  »  du  pays  ;  il  a  éven- 
tré  les  tumuli,  fouillé  les  dolmens ,  cubé  les 
menhirs  et  réuni  dans  un  musée  les  débris  cu- 
rieux de  l'antique  civilisation  celte.  Aussi  les  in- 


234  VOYAGE    EN    FRANCE. 

digènes  de  la  Grande-Bretagne  croient  avoir  un 
droit  de  propriété  sur  les  monuments  de  la  petite 
Bretagne.  Ils  prennent  possession  du  sol  avec  une 
certaine  affectation,  en  y  posant  un  pied  large  et 
sûr.  AU  righl  ! 

L'omnibus  de  Carnac  se  remplit  donc  de  touris- 
tes antiquaires  et  d'antiquaires  touristes,  la  France 
y  est  représentée  par  un  membre  de  l'Institut,  un 
ostréiculteur  de  la  Trinité  et  moi.  Le  cocher 
fouette  ses  chevaux,  la  voiture  s'ébranle,  douze 
étrangers  ouvrent  douze  Bedeker  et  cherchent  sur 
le  chemin  les  pierres  annoncées  par  ce  cicérone. 

On  ne  tarde  pas  à  découvrir  le  premier  monu- 
ment. Au  delà  du  village  de  Plouharnel,  au  som- 
met d'une  petite  côte,  voici  le  dolmen  de  Kergavat. 
Le  temps  est  brumeux,  il  donne  à  cette  apparition 
préhistorique  un  aspect  plus  fruste  encore.  L'é- 
norme masse  est  baignée  dans  une  lumière  grise, 
comme  tremblante.  A  droite  et  à  gauche  de  la 
route  se  dressent  de  petits  mamelons  aux  formes 
régulières,  la  plupart  d'entre  eux  sont  des  œuvres 
humaines  :  on  les  a  fouillées,  ce  furent  des  sépul- 
tures. Au-dessus,  dominant  le  clocher  de  Carnac, 
un  de  ces  mamelons  commande  le  paysage,  c'est 
le  géant  de  ces  taupinières  de  nos  aïeux  celtes  : 
le  mont  de  la  Trinité.  Les  maisons  le  cachent 
bientôt,  nous  voici  dans  le  village  de  Carnac. 


BRETAGNE  CELTKJL'E.  BRETAGNE  FRANÇAISE.  235 

Gomme  d'un  commun  accord,  aussitôt  les  ba- 
gages  à  l'auberge  et  les  chambres  retenues,  la 
foule  des  touristes  s'envole  vers  le  mont  de  la 
Trinité  et  les  allées  de  menhirs,  guidée  par  des 
enfants.  Je  me  dirige  seul,  grâce  à  ma  carte,  sur 
le  chemin  de  Plœmel,  jusqu'au  Menée,  par  une 
campagne  tranquille  où,  dans  les  pâtures  jalouse- 
ment closes,  paissent  de  petites  vaches  noires  et 
blanches.  On  dépasse  un  moulin  à  vent  et  sou- 
dain, au  milieu  d'une  lande,  rose  des  fleurs  de 
bruyères,  apparaissent  les  fameux  alignements  de 
Carnac. 

A  mon  départ  d'Auray,  on  m'avait  dit  :  «  Vous 
serez  déçu,  ces  rangées  mornes  de  pierre  ne  vous 
produiront  pas  l'impression  dont  parlent  les  li- 
vres. Ces  cailloux  ne  sont  pas  si  gros!  » 

Certes,  si  j'étais  venu  chercher  la  grandeur  des 
roches,  il  y  aurait  déception,  Ploumanac'h  pré- 
sente d'autres  entassements  !  Mais,  sous  le  ciel 
gris,  dans  la  lande  solitaire,  ces  roches  debout, 
plantées  selon  un  ordre  absolu,  répondant  à  une 
conception  mystérieuse  dont  le  sens  nous  échap- 
pera sans  doute  toujours,  sont  d'une  tristesse 
inexprimable  ;  au  bout  d'un  instant,  quand  on  a 
erré  dans  la  solitude  des  menhirs  gris  ou  roux, 
on  sent  revivre  ces   âges  morts  ;    confusément, 


236  VOYAGE    EN    FRANGE. 

comme  si  un  lointain  et  atavique  souvenir  se  fai- 
sait en  nous,  on  a  une  conscience  nébuleuse  de 
ce  site,  on  croit  avoir  vécu  au  milieu  d'un  peuple 
dont  ces  roches  immuables  furent  la  cité  sacrée. 
La  suggestion  est  plus  forte  à  Kermario  qu'à  Me- 
née, où  la  route  traverse  les  menhirs  près  d'une 
auberge.  Pour  atteindre  Kermario,  il  faut  traver- 
ser un  bois  sauvage  de  pins  rabougris  et  l'on  se 
trouve  alors  dans  une  lande  désolée  où  plus  de 
800  roches  se  profilent  en  d'étranges  perspectives. 
Un  autre  groupe,  celui  de  Kerlescan,  domine  un 
hameau  de  grandes  fermes  auquel  il  imprime  un 
puissant  aspect  de  tristesse.  Peu  de  coins  dans 
cette  campagne  de  petits  coteaux,  de  maigres  pi- 
nèdes ou  de  champs  fermés  ne  possèdent  un  débris 
celtique  :  dolmen,  menhir,  cromlech,  cist-ween  ou 
peulven.  L'énorme  développement  de  cette  cité 
des  pierres,  où  plus  de  2,000  monuments  peut- 
être  sont  encore  debout,  est  un  des  plus  irritants 
problèmes  de  la  science  historique.  Qu'était  le 
peuple  auquel  on  doit  ce  surprenant  travail,  quel 
était  le  but  surtout  de  ces  alignements  qui  s'éten- 
dent encore  d'Étel  à  la  Trinité  ? 

Au  milieu  de  la  ville  morte,  le  tumulus  appelé 
mont  Saint-Michel,  dresse  sa  petite  chapelle  édi- 
fiée sur  d'informes  ruines.  De  la  terrasse  de 
l'église,  on  a  une  vue  immense  sur  ces  champs 


BRETAGNE  CELTIQUE.  BRETAGNE  FRANÇAISE.  237 

stériles  où  les  roches  druidiques  s'alignent.  Grande 
est  l'ampleur  du  paysage  :  Quiberon,  Belle-Isle, 
Houat,  Hoëdic,  Locmaiïaquer,  forment  un  inou- 
bliable tableau  ;  cependant  on  contemple  avec 
plus  d'intérêt  la  morne  plaine  où  dorment  des 
milliers  d'ancêtres  dont  nous  ne  savons  et  ne 
saurons  jamais  rien,  sans  doute  -,  les  rares  signes 
cabalistiques  gravés  sur  quelques-unes  de  ces 
pierres  resteront  à  jamais  muets  pour  nous. 

La  nuit  m'a  surpris  au  sommet  de  la  butte  ;  les 
feux  de  Quiberon,  de  Belle-Isle,  de  laTeignouse, 
des  Cardinaux  et  d'Étel  se  sont  allumés,  et  je  suis 
rentré  à  Carnac. 

Le  lendemain  était  un  dimanche  ;  le  bourg  s'est 
réveillé  sous  un  soleil  éclatant.  Et  le  site,  ba- 
nal la  veille  dans  l'après-midi  grise ,  est  devenu 
charmant  -,  la  grande  place  avec  ses  maisons  en- 
guirlandées de  feuillage,  où  fleurissaient  les  der- 
nières clématites  et  les  taches  sanglantes  des 
grenadiers  est  un  riant  décor,  en  face  de  la  vieille 
église  dont  le  porche,  en  baldaquin  de  granit,  est 
d'un  adorable  mauvais  goût.  Belle  journée  pour 
flâner  par  la  campagne  bretonne.  Je  suis  remonté 
à  Saint-Michel  pour  contempler  encore  la  plaine 
de  Carnac,  de  là  j'ai  gagné  Kercado  et  suis  allé  à 
Crac'h  en  traversant  sur  un  bac  la  rivière  de  la 


238  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Trinité,  si  belle  avec  ses  étranglements,  ses  épa- 
nouissements et  les  bois  touffus  de  ses  rives.  De 
Grac'h  j'ai  gagné  Auray  par  la  campagne  couverte 
de  petits  bois  de  pins,  délaissant  le  fjord  aux 
eaux  calmes  qui  roulent,  selon  le  flot,  de  la  ville 
à  la  mer  ou  de  la  mer  à  la  ville.  Voici  bientôt 
le  belvédère  du  Loch,  fût  carré  autour  duquel 
monte  un  escalier  conduisant  à  la  plate-forme  ;  de 
là  on  découvre  toute  la  ville,  la  rivière  remplie 
de  navires,  le  vieux  pont  aux  piles  saillantes,  les 
campagnes,  si  couvertes  d'arbres,  qu'on  pourrait 
se  croire  en  pleine  forêt.  Ces  abords  d' Auray  sont 
charmants,  mais  la  petite  cité  elle-même  manque 
un  peu  d'intérêt  et  de  vie;  la  gare  est  trop  loiu, 
à  Sainte- Anne  se  porte  la  foule,  foule  de  pèlerins 
et  foule  de  touristes. 

Le  fameux  rendez-vous  religieux  est  sinon  en 
décadence,  du  moins  un  peu  délaissé  au  moment 
du  pèlerinage  de  Lourdes.  Ce  dernier  est  devenu 
le  pèlerinage  universel,  même  les  Bretons,  si 
fervents  jadis  à  Sainte-Anne,  veulent  connaître 
Lourdes  ;  chaque  année,  ils  vont  par  milliers  dans 
les  Pyrénées,  mais  la  longueur  et  le  prix  du  trajet 
empêcheront  sans  doute  l'exode  de  se  développer 
et  conserveront  encore  à  Sainte- Anne  le  peuple 
armoricain,  celui-là  même  dont  les  costumes  variés 
donnent  tant  de  couleur  au  pèlerinage  d'Auray. 


BRETAGNE  CELTIQUE.    BRETAGNE  FRANÇAISE.     239 

Une  gare  spéciale,  établie  au  village  de  Plimé- 
ret,  dessert  Sainte-Anne;  le  haut  pignon  de  l'édi- 
fice est  couronné  par  une  statue  de  la  sainte  ;  de 
vastes  abris  reçoivent  les  pèlerins  accourus  en 
multitude  à  certaines  dates,  surtout  à  la  Pente- 
côte et  le  26  juillet,  fête  de  sainte  Anne.  En 
tout  temps,  d'ailleurs,  l'affluence  est  nombreuse  ; 
pour  conduire  les  visiteurs  au  pèlerinage,  une 
foule  de  voitures.se  pressent  dans  la  cour  :  grands 
breaks,  omnibus,  calèches,  conduits  souvent  par 
des  cochers  en  costumes  bretons,  se  disputent  les 
voyageurs.  Les  conducteurs  s'accrochent  à  nous, 
les  jours  ordinaires,  surtout,  c'est  comme  une  en- 
chère à  prix  décroissant.  Le  tarif  est  de  Ofr.  50  c; 
nous  avons  été  poussés  dans  un  break  par  une 
sorte  d'hercule  qui  nous  prenait  pour  quatre  sous. 
Aussitôt  une  voiture  remplie,  elle  s'élance  sur  la 
route  et  tout  cela  déambule  à  grand  bruit  de  fer- 
raille, chaque  équipage  cherchant  à  prendre  les 
devants  ;  dans  la  lutte,  nous  battons  honteuse- 
ment le  courrier  lui-même. 

Le  chemin  est  mélancolique,  de  vastes  landes, 
des  bouquets  de  pins,  des  cabarets,  puis  une  rue 
assez  large  bordée  d'auberges,  conduit  à  l'ensem- 
ble d'édifices  religieux  constituant  le  pèlerinage 
de  Sainte -Anne.  Dans  une  vaste  piscine,  dont  les 
bords  en  amphithéâtre  sont  dignes  de  la  belle 


240  VOYAGE    EN    FRANCE. 

époque  de  l'art  breton,  se  déversent  les  eaux  de  la 
source  miraculeuse,  trop  peu  abondantes  pour  ce 
vaste  bassin.  Près  de  là,  Yves  Nicolazic, longtemps 
traité  d'illuminé,  découvrit  la  fameuse  statue  de 
sainte  Anne,  origine  du  pèlerinage.  L'église  a 
été  reconstruite  de  nos  jours  avec  goût,  dans  le 
style  ogival  breton,  mais  le  cloître  de  1625  a  été 
conservé,  il  est  fort  beau. 

La  partie  la  plus  curieuse  est  peut-être  la  Scala 
sancta,  chapelle  surmontée  d'une  coupole,  à  la- 
quelle on  parvient  par  deux  larges  escaliers  cou- 
verts dont  les  pèlerins  gravissent  les  marches  à 
genoux.  Devant  ce  singulier  édifice  s'étend  une 
vaste  fjelouse  entourée  d'un  mur  où  la  foule  des 
pèlerins  peut  entendre  la  messe  dite  à  l'autel 
qu'abrite  la  coupole.  20,000 personnes  se  pressent 
parfois  dans  cette  enceinte. 

Dans  l'église,  fort  luxueuse,  des  milliers  d'ex- 
voto  tapissent  les  murailles,  hommages  venus  de 
loin  parfois;  j'ai  relevé  parmi  ces  inscriptions  un 
vœu  à  sainte  Anne  par  le  contre-amiral  Cavelier 
de  Cuverville,  commandant  en  chef  les  forces  de 
terre  et  de  mer  au  Dahomey,  portant  la  date  du 
3  octobre  1890.  Un  autre  ex-voto  est  ainsi  conçu  : 

«  A  sainte  Anne,  le  commandant  de  la  division 
navale  de  l'Atlantique-Sud  1885-1886.  » 

Sainte -Anne  d'Auray  perd  un  peu  son  carac- 


BRETAGNE  CELTIQUE.  BRETAGNE  FRANÇAISE.  241 

tère  populaire.  Non  loin  de  la  Scala  sancta,  sur  le 
chemin  de  Brech,  une  sorte  de  calvaire  politique 
s'érige  à  la  mémoire  du  comte  de  Chambord  et 
des  zouaves  pontificaux.  Il  est  peu  probable  que 
la  dévotion  à  sainte  Anne  en  soit  fort  ébranlée  ; 
le  tempérament  breton  ne  porte  guère  à  ces  con- 
ceptions trop  précises,  il  n'a  jamais  poétisé  ni 
sanctifié  les  grands  faits  historiques  dont  sa  terre 
natale  fut  le  théâtre,  préférant  ses  saints  et  ses 
saintes.  Nulle  part,  on  n'en  juge  mieux  qu'aux 
abords  mêmes  du  sanctuaire  de  sainte  Anne  où 
deux  événements  fameux  se  sont  produits  :  la 
mort  de  Charles  de  Blois  et  le  supplice  des  émi- 
grés pris  à  Quiberon. 

Ces  grands  faits  se  sont  passés  dans  le  petit 
vallon  du  Loch,  ruisseau  dont  la  marée  fait  plus 
bas  un  bras  de  mer.  On  s'y  rend  de  Sainte- Anne 
par  une  campagne  d'un  calme  presque  auguste,  à 
travers  des  landes  qu'on  a  transformées  en  bois 
de  pins,  comme  celles  de  Gascogne.  Il  y  a  là  un 
exemple  frappant  de  ce  qu'on  aurait  pu  faire  pour 
transformer  les  terres  pauvres,  si  étendues  dans 
la  péninsule.  Mais  on  s'est  arrêté,  on  ne  plante 
plus,  malgré  les  débouchés  offerts  aux  bois  par 
le  voisinage  des  houillères  anglaises  et  les  in- 
nombrables ports  intérieurs  de  l'Armorique. 
Vannes  faisait  jadis  un  commerce  assez  considé- 

VOYAGE    EN    FRANCE.    V.  16 


242  VOYAGE    EN    FRANCE. 

rable  avec  les  bois  de  sa  banlieue,  maintenant 
elle  doit  aller  chercher  au  loin  les  poteaux  de 
mine  expédiés  par  son  port.  La  richesse  du  pays 
et  aussi  son  aspect  se  ressentent  de  cet  abandon. 

La  vallée  du  Loch  a  un  tout  autre  caractère  ;  de 
hauts  rochers  de  granit,  des  chênes,  des  châtai- 
gniers, bordent  le  joli  ruisseau  ;  soudain  le  vallon 
s'élargit  pour  faire  place  à  un  grand  marais  au 
milieu  duquel  le  Loch,  où  remonte  la  mer,  est 
devenu  un  chenal  vaseux.  Là  se  passa  un  des 
grands  actes  de  l'histoire  bretonne,  la  bataille  dé- 
cisive livrée  entre  les  deux  compétiteurs  au  trône 
ducal,  Charles  de  Blois  et  Jean  de  Montfort.  Le 
premier  fut  tué  après  une  lutte  rappelant  les  fautes 
de  notre  chevalerie  à  Crécy  et  à  Azincourt.  Mont- 
fort  devint  seul  maître  de  la  Bretagne,  parmi  ses 
prisonniers  se  trouvait  Duguesclin. 

Un  monument  très  simple,  croix  de  pierre  sans 
ornement,  rappelle  la  bataille  ;  près  de  là  d'autres 
monuments  bien  plus  considérables  dominent  les 
tristes  marais  de  Kerso.  Un  édicule  dit  chapelle 
expiatoire,  entouré  de  plantations,  s'élève  sur  l'em- 
placement où  les  émigrés  pris  après  le  combat  de 
Quiberon  furent  fusillés.  Le  nom  de  Champ  des 
martyrs  est  resté  à  ce  rivage.  Plus  haut,  contre 
l'église  d'une  ancienne  chartreuse,  une  chapelle 
a  reçu  les  restes  des  victimes.  Tout  cela  est  assez 


BRETAGNE  CELTIQUE.  BRETAGNE  FRANÇAISE.  243 

froid,  tant  à  cause  du  style  des  monuments,  por- 
tant bien  la  date  de  1823,  que  par  les  souvenirs 
réveillés.  Quiberon  ne  fut  pas  seulement  un  triste 
événement  de  nos  guerres  civiles,  ce  fut  surtout 
une  expédition  conduite  par  l'Angleterre,  comme 
l'avait  été,  en  1342,  la  lutte  de  Montfort  contre 
Charles  de  Blois  et  Duguesclin.  Il  est  difficile  de 
ne  pas  s'en  souvenir. 

Aujourd'hui,  Auray  semble  avoir  oublié  ce  passé 
historique  ;  en  dépit  de  son  rang  effacé  de  chef- 
lieu  de  canton,  elle  a  conservé  une  importance 
économique  assez  considérable,  sa  rivière  en  fail 
le  centre  naturel  du  commerce  pour  les  îles  voi- 
sines et  le  pays  de  Quiberon1.  Son  estuaire,  ceux 
du  Grac'h  et  de  Rono,  sont  mis  en  exploitation 
réglée  pour  la  culture  des  huîtres  ;  des  centaines 
d'ostréiculteurs  ont  établi  des  parcs,  mais  les 
bancs  naturels  exploités  à  outrance  ont  une  ten- 
dance fâcheuse  à  diminuer.  Un  point  des  envi- 
rons, appelé  Bascatique,  a  été  mis  en  réserve  et 
sert  à  régénérer  les  bancs  épuisés  par  l'impré- 
voyance des  pêcheurs.  La  quantité  d'huîtres  ré- 
coltée dans  le  bassin  d' Auray  (Auray  et  la  Trinité 
seulement)  s'est  élevé  à  1,748,150  du  1er  janvier 
au  31  octobre  1895,  soit  2,500,000  par  an  envi- 


i.  Mouvement  du  port  d'Auray  du  1er  janvier  au   31   octobre 
1895  :  210  navires  jaugeant  8,663  tonneaux. 


244  VOYAGE    EN    FRANCE. 

ron.  La  surface  des  parcs  atteint  10  hectares 
44  ares  dans  la  rivière  d'Auray,  4  hectares  3  ares 
dans  la  rivière  de  la  Trinité  et  4  hectares  55  ares 
dans  celle  d'Étel. 

Avec  Auray  et  Vannes,  j'ai  quitté  hier  la  Bre- 
tagne bre  tonnante  pour  quelques  jours.  Elle  ne 
s'étend  guère  au  delà  de  Questembert,  les  noms 
de  lieux  perdent  peu  à  peu  leur  consonance  rude 
et  la  syllabe  lier  dont  presque  tous  sont  précé- 
dés. Mais  il  y  a  encore  des  landes,  des  bois  de 
pins ,  des  campagnes  désertes  en  apparence , 
même  le  paysage  est  le  plus  franchement  sauvage 
de  toute  la  péninsule  ;  il  ne  change  guère  qu'aux 
abords  de  Redon,  lorsqu'on  aborde  la  vallée  de 
l'Oust,  large  et  verdoyante  en  été,  sorte  de  lac 
en  hiver.  Cette  fois  ce  n'est  plus  la  Bretagne, 
mais  quelque  coin  tranquille  de  la  Flandre  ou  de 
l'Artois.  La  ville  même  de  Redon  avec  son  port, 
son  bassin,  la  longue  ligne  de  ses  canaux  bordés 
d'arbres,  contraste  fort  avec  ses  voisines  du  Mor- 
bihan et  même  de  la  Loire-Inférieure,  départe- 
ments auxquels  elle  confine.  Redon  et  son  terri- 
toire s'avancent  en  effet  en  pointe  à  la  limite  de 
ces  autres  districts  bretons;  les  villages  voisins, 
véritable  banlieue,  n'appartiennent  point  à  l'IUe- 
et- Vilaine. 


BRETAGNE  CELTIQUE.  BRETAGNE  FRANÇAISE.  245 

Malgré  son  morne  aspect,  relevé  par  la  fort 
curieuse  église  Saint-Sauveur,  Redon  n'en  est 
pas  moins  une  ville  assez  active  ;  si  les  hauts 
fourneaux  ont  éteint  leurs  feux,  le  port  fait  encore 
un  commerce  important,  la  Vilaine  y  devient 
maritime  et ,  pendant  les  hautes  marées ,  des 
navires  de  600  à  700  tonneaux  peuvent  la  remon- 
ter. Le  bassin  à  flot  est  relié  à  la  gare  commune 
aux  compagnies  de  l'Ouest  et  d'Orléans  par  une 
voie  ferrée,  aussi  y  a-t-il  dans  la  ville  et  ses  envi- 
rons un  certain  nombre  d'établissements  indus- 
triels, la  fabrication  des  engrais  occupe  cruelques 
usines  et  il  y  a  une  des  rares  fabriques  françaises 
de  papier  à  polir:  verre  ou  émeri.  La  situation 
de  Redon  pour  le  commerce,  à  la  tête  d'une  des 
lignes  de  Paris  vers  l'Océan,  au  bord  d'un  fleuve 
dont  on  pourrait  facilement  accroître  la  profon- 
deur, est  d'ailleurs  excellente,  mais  Saint-Nazaire 
attire  de  plus  en  plus  l'activité  de  cette  partie  de 
la  Bretagne. 

Il  reste  à  Redon  le  plantureux  pays  agricole 
constitué  par  la  vallée  de  la  Vilaine,  d'aspect  et  de 
production  si  variés.  La  rivière  est  insignifiante 
par  elle-même,  au-dessus  de  Redon,  mais,  relevée 
par  des  écluses,  elle  est  devenue  partie  d'une 
grande  voie  navigable  de  Redon  à  Saint-Malo, 
c'est-à-dire  de  l'Océan  à  la  Manche.  Le  chemin 


246  VOYAGE    EN    FRANCE. 

de  fer  qui  accompagne  le  petit  fleuve  présente 
une  succession  de  sites  très  divers.  Autour  de 
Redon,  ce  sont  de  vastes  plaines  marécageuses, 
inondées  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année  -, 
même,  vers  Massérac,  près  de  l'embranchement 
de  Châteaubriant,  il  reste  en  permanence  une 
nappe  d'eau  que  les  végétations  aquatiques  ne 
masquent  jamais  entièrement,  c'est  le  lac  de  Mû- 
ri n,  formé  par  le  Don  ;  pauvre  lac,  sans  profon- 
deur, aux  eaux  mornes,  aux  rivages  bas  où  se  dé- 
verserait la  Vilaine  sans  les  levées.  Pendant  l'été, 
les  étendues  vertes  des  marais  sont  couvertes  de 
bétail  et  de  chevaux  ;  l'hiver,  la  nappe  d'inonda- 
tion  est  remplie  d'oiseaux,  oies,  canards  et  toutes 
les  races  voyageuses. 

A  mesure  qu'on  monte,  la  vallée  se  resserre, 
verte,  bien  cultivée,  bordée  de  jolies  prairies,  mais 
assez  déserte  ;  la  population  se  disperse  en  petits 
hameaux,  rares  sont  les  bourgs.  Souvent  la  ri- 
vière est  resserrée  entre  des  collines  rocheuses, 
véritables  falaises  de  schistes  recouvertes  de 
bruyère.  La  rivière  est  lente  et  sombre,  mais  au- 
dessus  des  barrages  elle  s'épanche,  frémit,  écume, 
babille  sur  les  roues  d'un  moulin.  Le  chemin  de 
fer  la  borde,  la  franchit,  troue  en  tunnels  les 
promontoires  rocheux.  Ce  tableau  paraît  surtout 
heureux   et  pittoresque  à  qui  voit  les   plateaux 


BRETAGNE  CELTIQUE.   BRETAGNE  FRANÇAISE.     247 

peu  accidentés,  encore  couverts  de  landes.  L'Ille- 
et- Vilaine,  dans  cette  région,  offre  encore  de 
grands  espaces  à  transformer  ;  l'emploi  de  la 
chaux  est  facilité  dans  la  vallée  par  la  voie  navi- 
gable et  le  canal  qui  apportent  cet  amendement 
des  environs  de  Rennes,  Bruz  et  Chartres,  même 
delà  Mayenne1.  Mais,  à  une  faible  distance,  le 
prix  des  transports  rend  malaisé  l'arrivage  de  la 
chaux. 

La  vallée  est  particulièrement  belle  à  partir  de 
Messac  :  les  rochers  sont  nobles  de  forme  et  de 
couleur,  les  arbres  sont  touffus;  beaucoup  de 
grandes  fermes ,  de  villas  et  de  châteaux  -,  on 
devine  le  voisinage  d'une  grande  ville.  Partout 
de  tels  rivages  seraient  vantés,  peu  de  nos  ri- 
vières méritent  davantage  une  visite  que  la  Vi- 
laine, dans  ce  couloir  tantôt  sauvage,  tantôt  en- 
taillé parles  carriers,  tantôt  couvert  de  cultures 
sur  des  pentes  ensoleillées.  Il  en  est  ainsi  jus- 
qu'au delà  de  Laillé,  où  le  pays  s'élargit  soudain; 
la  voie  ferrée  quitte  alors  la  rivière  pour  traverser 
la  vaste  plaine  onduleuse  dans  laquelle  abondent 
les  pommiers. 

Cette  région,  d'aspect  agricole,  où  l'on  ne  dé- 
couvre jamais  une  cheminée   d'usine,  renferme 


1.  Voir  Voyage  en  France,  2e  série,  le   chapitre  consacré  au 
chaulaçe  et  aux  fours  «à  chaux  de  Laval  et  des  environs. 


248  VOYAGE    EN    FRANGE. 

cependant  des  richesses  industrielles  assez  consi- 
dérables. 

Près  de  Bruz,  sur  les  bords  de  la  Seiche,  est  la 
mine  de  plomb  argentifère  de  Pontpéan,  une  des 
plus  productives  de  France,  celle  qui  alimente  la 
belle  usine  de  Gouëron  dont  j'ai  parlé  dans  un 
autre  volume1.  Ces  mines,  creusées  dans  un  site 
fort  tranquille,  où  rien  ne  semblerait  appeler  la 
vie  industrielle,  occupent  971  ouvriers,  dont 
448  hommes  sous  le  sol,  employés  à  l'extraction. 
Au  dehors,  pour  le  concassage  et  le  triage  du  mi- 
nerai et  les  transports,  il  y  a  38  enfants,  147  fem- 
mes et  348  hommes.  La  valeur  des  salaires  dé- 
passe 700,000  fr.  Le  produit  de  l'extraction  est 
évalué  à  1,500,000  fr.  environ.  La  production  est 
d'environ  7,000  tonnes  de  galène,  1,500  tonnes 
de  blende,  3,000  tonnes  de  pyrite  et  12,000  ton- 
nes de  sjchlamms  -,  galènes  et  schlamms  vont  à 
Gouëron,  les  blendes  et  pyrites  sont  dirigées  sur 
la  Belgique.  Le  manque  de  charbon  a  empêché  de 
créer  sur  place  des  usines  pour  le  traitement  du 
minerai,  c'est  pourquoi  Gouëron,  où  abordent  les 
charbonniers  anglais,  où  l'on  reçoit  aussi  les  mi- 
nerais d'Espagne,  a  pris  l'importance  industrielle 
qui  semblait  dévolue  à  la  vallée  de  la  Seiche. 


].  Voyage  en  France,  2e  série,  page  318. 


BRETAGNE  CELTIQUE.    BRETAGNE   FRANÇAISE.     249 

J'ai  gagné  Rennes  à  pied  par  la  grande  route. 
Il  y  a  là  dix  kilomètres  sans  un  village.  Chartres, 


VALLEE    INFERIEURE    DE    LA    VILAINE 

1 


D'après    la    carte    de    l'état-major    ;.u 


o^U,UUU 


le  seul  de  cette  partie  de  la  banlieue,  est  à  l'écart-, 
on  ne  trouve  des  maisons  qu'après  avoir  traversé 


250  VOYAGE    EN    FRANGE. 

le  ruisseau  de  la  Blosne  ;  elles  forment  peu  à  peu 
une  rue  continue  jusqu'à  l'entrée  de  Rennes  où 
Ton  pénètre  au  delà  du  chemin  de  fer,  près  des 
vastes  casernes  qui  forment  une  sorte  de  ville  mi- 
litaire au  milieu  de  la  cité.  Dans  l'organisation 
nouvelle  de  l'armée,  Rennes  est  devenue  un  des 
grands  arsenaux  de  la  France,  le  Xe  corps,  dont 
elle  est  le  siège,  y  a  ses  magasins  et  sa  plus  forte 
garnison. 

Malgré  ses  troupes  nombreuses,  ses  facultés, 
ses  écoles,  son  rang  de  chef-lieu  départemental 
et  de  siège  de  cour  d'appel,  l'antique  capitale  de 
la  Bretagne  manque  d'animation,  le  cadre  est  trop 
large  pour  le  nombre  d'habitants,  et,  d'ailleurs,  le 
pays  environnant  possède  trop  peu  de  centres  im- 
portants pour  que  la  foule  vienne  nombreuse  dans 
la  grande  cité  bretonne.  C'est  dommage,  Rennes 
est  une  fort  belle  ville  ;  depuis  l'incendie  qui  la 
détruisit  presque  entièrement,  elle  a  été  recons- 
truite sur  un  plan  régulier  et  l'on  a  réussi  cepen- 
dant à  lui  donner  un  caractère  bien  tranché;  elle 
le  doit  au  granit  dont  ses  maisons  sont  construites  ; 
dur  à  tailler,  il  ne  se  prête  guère  aux  ornements, 
les  lignes  sont  donc  régulières  et  graves,  cela 
s'harmonise  à  merveille  avec  le  ciel,  avec  ce  que 
l'on  sait  du  passé  parlementaire  de  Rennes.  Mais 
cette  majesté  sévère  gagnerait  à  être  animée  par 


BRETAGNE  CELTIQUE.  BRETAGNE  FRANÇAISE.  251 

la  foule,  comme  la  Vilaine  étroite  et  sombre,  entre 
ses  quais  de  granit  bordés  de  beaux  édifices,  aurait 
besoin  d'une  navigation  plus  active. 

Il  ne  faut  pas  chercher  la  Bretagne  à  Rennes. 
Malgré  son  rang  prééminent  sur  la  province, 
c'est  surtout  une  ville  française,  la  campagne 
voisine  ne  parle  pas  le  breton,  sauf  à  Pontpéan 
où  une  petite  colonie  de  Bas-Bretons,  attirée  par 
les  mines,  s'est  fondée.  Il  y  a  un  monde  entre 
Rennes  et  Vannes,  sa  voisine.  Les  Celtisants  par- 
lent peu  de  la  capitale,  à  peine  en  est-il  question 
dans  Brizeux.  Cette  région  d'Ille- et- Vilaine  est 
moins  bretonne  d'allure  que  Nantes  même.  Il  ne 
faut  chercher  ici  ni  mœurs,  ni  coutumes,  ni  cos- 
tumes tranchés  :  cela  tient  à  la  fois  de  la  Norman- 
die et  de  l'Anjou.  De  même  l'art  breton,  si  floris- 
sant en  Gornouailles  et  dans  le  Léon,  n'a  donné 
lieu  qu'à  de  timides  essais. 

Le  pays  de  Rennes  a  dû  sa  prépondérance  sur 
la  Bretagne  à  la  facilité  de  la  vie  et  des  commu- 
nications de  l'une  à  l'autre  mer,  sur  le  grand  che- 
min de  la  Bretagne  à  Paris.  La  noblesse  bretonne 
en  a  fait  pour  la  province  ce  que  Paris  était  au 
reste  de  la  France  sous  la  monarchie. 

L'industrie  ne  s'y  est  point  portée,  bien  que 
Rennes  compte  de  belles  usines,  tanneries,  im- 
primeries,  etc.  La  ville  est   surtout  un  marché 


252  VOYAGE    EN    FRANCE. 

agricole  où  viennent  s'entreposer  les  produits 
d'une  campagne  fertile  et  singulièrement  en  pro- 
grès. Les  chemins  de  fer,  en  ouvrant  aux  beurres 
bretons  les  marchés  de  Paris,  ont  donné  à  l'éle- 
vage du  bétail  un  immense  essor.  Même  Rennes, 
par  le  nom  d'un  des  domaines  de  sa  banlieue  im- 
médiate, la  Prévalaye,  a  centralisé  —  avec  Mor- 
laix  —  le  commerce  des  beurres  bretons.  Une 
trentaine  de  maisons  recueillent  le  produit  des 
campagnes  ;  les  moins  importantes  exportent  au 
moins  500,000  kilogrammes;  beaucoup  envoient 
chaque  année  dix  millions  de  kilogrammes.  Jadis 
Rennes  faisait  chaque  année  pour  30  ou  35  mil- 
lions d'affaires  en  beurre  ;  ce  commerce  s'est  dé- 
centralisé, les  centres  de  production  expédient 
directement,  mais  l'exportation  rennaise  atteint  ■ 
encore  plus  de  15  millions.  La  fraude  a  causé  de 
grands  désastres  ;  ces  beurres  sont,  à  Paris  et 
même  en  Bretagne,  mélangés  de  margarine,  ce 
qui  a  fort  réduit  le  prix  ;  les  beurres  d'exportation 
sont  un  moment  tombés  de  2  fr.  60  c.  à  2  fr.  10  c. 
le  kilogramme,  et  la  margarine  vaut  1  fr.  30  c.  à 
peine.  Les  marchands  de  Rennes  se  sont  émus, 
leur  action  contre  la  fraude  n'a  pas  été  sans  effet 
dans  le  vote  de  la  loi  qui  frappe  sévèrement  les 
fraudeurs . 

La  Prévalaye,  dont  le  nom  a  été  donné  aux  plus 


BRETAGNE  CELTIQUE.  BRETAGNE  FRANÇAISE.  253 

iins  des  produits  bretons,  même  aux  moins  fins 
parfois,  est  un  petit  castel,  à  une  faible  distance 
de  Rennes,  non  loin  de  la  Vilaine,  qui  serpente 
ici  au  sein  de  belles  prairies.  La  campagne  est 
fraîche,  mais  on  n'y  trouverait  pas  les  pâturages 
plantureux  dont  ce  nom  de  la  Prévalaye  évoque 
l'idée.  Même  les  abords  du  château,  par  les  haies 
et  les  talus,  sont  fort  bretons  d'aspect.  De  belles 
avenues  percent  ces  clôtures  et  donnent  grande 
allure  à  cette  demeure  historique  où  l'on  aurait 
bien  fait  d'installer  l'école  de  beurrerie  et  froma- 
gerie de  Rennes  située  dans  un  faubourg.  Un 
semblable  établissement,  créé  dans  le  domaine  de 
la  Prévalaye,  aurait  vite  gagné  une  célébrité  que 
n'a  point  l'école  de  Rennes,  si  bien  dirigée  cepen- 
dant, et  d'où  sortent  pour  les  laiteries  bretonnes 
d'excellentes  ouvrières.  Celles-ci  transformeront 
peu  à  peu  les  procédés  parfois  primitifs  et  aug- 
menteront par  la  fabrication  des  fromages  les  ren- 
dements des  métairies  de  Bretagne. 

A  Rennes  va  s'installer  bientôt  l'école  nationale 
d'agriculture  de  Grand- Jouan.  Puisse  l'illustre 
renom  de  cette  belle  école  grandir  encore  dans  la 
.Grande  cité  bretonne  \ 


i.   Sur    l'école   de    Grand-Jouan    qui   va    disparaître    voir   la 
2"  série  du  Voyage  en  France,  chapitre  XXI. 


XV 


MI- VOIE    ET    BROCELIANDE 


De  Saint-Brieuc  à  Loudéac.  —  Quintin.  —  Le  château  et  la 
forêt  de  Lorges.  —  Loudéac  et  les  toiles  de  Bretagne.  — 
l'ontivy.  —  Excursion  à  Rohan.  —  La  vallée  du  Blavet.  — 
Ploërmel.  —  Mi-Voie  et  le  combat  des  Trente.  —  Josselin. 
—  L'Étang  au  Duc.  —  La  fontaine  de  Baranton  et  la  forêt  de 
Brocéliande. 


Concoret,  septembre. 

Au  cœur  de  la  Bretagne  se  mêlent  la  légende  et 
l'histoire.  Le  revers  sud  du  Mené  a  vu,  dans  la 
forêt  de  Brocéliande,  Merlin  et  ses  enchante- 
ments; Beaumanoir  et  les  Trente  y  combattirent. 
A  la  Révolution,  les  villes  et  les  bourgs  de  Bre- 
tagne et  d'Anjou  ont  conclu,  à  Pontivy,  une  fé- 
dération solennelle.  Ce  coin  d'Armorique  compris 
entre  la  Vilaine  et  le  Blavet  est  peut-être  le  can- 
ton sacré  de  la  péninsule.  C'est  aussi  le  point  de 
suture  entre  la  Bretagne  bretonnante  au  rude 
parler  gaélique  et  la  Bretagne  française  où  l'an- 
tique langage  des  druides  n'est  plus  compris. 

C'est  aussi  l'une  des  contrées  les  moins  fré- 


MI-VOIE    ET    BROCÉLIANDE.  255 

quentées  ;  aucun  chemin  de  fer  ne  permet  encore 
de  s'y  rendre  facilement,  les  deux  lignes  transver- 
sales de  Pontivy  et  de  Ploërmel  sont  faiblement 
desservies.  Même  pour  un  voyage  rapide,  il  faut 
compter  trois  ou  quatre  jours  si  Ton  veut  s'arrêter 
à  Loudéac  et  à  Pontivy,  voir  Rohan  et  les  landes 
de  Lanvaux,  Ploërmel,  Mi-Voie  et  Josselin  et  par- 
courir la  forêt  de  Paimpont,  l'antique  Brocéliande. 
Lorsque  le  chemin  de  fer  central,  depuis  si  long- 
temps projeté,  de  Châteaubriant  à  Ghâteaulin  par 
Ploërmel  et  Carhaix,  sera  construit,  on  pourra 
alors  visiter  ces  contrées  si  curieuses  et  qui  diffè- 
rent tant  de  la  Bretagne  maritime. 

Dès  qu'on  a  quitté  Saint-Brieuc  par  le  chemin 
de  fer  d'Auray,  on  s'aperçoit  qu'on  entre  dans 
une  région  nouvelle,  bien  différente  de  celles 
qu'on  a  traversées  jusqu'alors.  Aux  abords  mêmes 
de  la  ville,  c'est  une  contrée  agricole  prospère;  à 
plus  d'un  détail  on  devine  que  les  progrès  sont 
rapides,  même  les  haies  sur  talus  disparaissent 
un  peu,  on  voit  que  le  sol  a  une  valeur  plus 
grande.  Mais  ce  n'est  qu'une  banlieue  de  ville  ;  cà 
quelques  kilomètres  le  paysage  se  fait  agreste  et 
varié.  Près  de  Saint- Julien,  non  loin  du  curieux 
camp  vitrifié  de  Péran,  les  hauts  talus  boisés  de 
chênes  recommencent,  la  plaine  cesse,  la  locomo- 


256  VOYAGE    EN    FRANCE. 

tive  haletante  s'élève  sur  les  premières  terrasses 
des  monts  Mené. 

Soudain,  au  delà  de  Plaintel,  les  arbres  s'écar- 
tent et  Ton  découvre  une  vue  merveilleuse  sur 
les  sommets  du  Mené  aux  croupes  robustes  ;  vers 
le  nord,  par  des  échappées,  le  Goëllo  et  le  Pen- 
thièvre  apparaissent,  mer  d'arbres  où  Ton  dis- 
tingue à  peine  quelques  toits  ou  flèches  d'église. 
La  campagne  est  ici  d'une  variété  infinie.  Il  reste 
encore  quelques  landes,  mais  de  médiocre  éten- 
due, carrés  de  bruyère  rose;  moissons  blondes, 
sarrazins  fleuris  dont  la  blancheur  est  rendue 
éblouissante  par  le  contraste  avec  le  vert  sombre 
des  chênes,  prairies  d'un  ton  doux  où  les  joncs  et 
les  prèles  sont  parfois  trop  abondants,  ces  oppo- 
sitions de  couleur  forment  un  tableau  d'un  charme 
pénétrant,  bien  particulier,  rendu  grandiose  par 
les  perspectives  lointaines  des  petits  monts  et  les 
profondeurs  indécises  des  vallons  qui  vont  à  la 
mer. 

La  vie  manque  cependant  à  ce  paysage  ;  les 
agglomérations  humaines  sont  rares  aux  abords 
de  la  voie  ferrée.  La  seule  ville  de  la  route, 
Quintin,  est  assez  loin  de  la  gare,  mais  un  instant 
on  l'aperçoit  pittoresquement  assise  aux  flancs 
d'une  colline.  C'est  aujourd'hui  le  marché,  les 
voyageurs  descendent  nombreux,  vêtus  de  grandes 


Plwi 


-.W<sStèmbai> 


BRETAGNE  CENTRALE,  DES  MONTS  MENE  AUX  LANDES  D 


i:    LAN  VAUX 


D'après  la  carte  de  i'état-majov  au 

VOYAGE     EX     FRANCE.    —    V. 


320,UOU 


258  VOYAGE    EN    FRANGE. 

blouses  et  armés  d'aiguillons  ou  portant  de  grands 
paniers. 

Plus  loin  on  pénètre  dans  un  vallon  profond, 
aux  pentes  boisées  ;  des  fumées  montent  d'établis- 
sements qui  bordent  la  chaussée  d'un  bel  étang. 
C'est  le  haut  fourneau  du  Pas,  la  seule  usine 
métallurgique  restée  debout  dans  les  Côtes-du- 
Nord.  Une  mine  de  fer  et  les  charbons  de  la  forêt 
de  Lorges  ont  fait  naître  cette  fonderie  en  cette 
partie  écartée  de  la  Bretagne. 

La  foret  de  Lorges,  aux  abords  du  Pas,  n'est 
qu'un  vaste  taillis,  mais,  plus  loin,  de  belles  ave- 
nues bordées  d'arbres  magnifiques  rayonnent  au- 
tour d'un  château  de  noble  ordonnance  reflétant 
sa  façade  dans  l'eau  calme  d'un  petit  étang.  C'est 
Lorges,  chef-lieu  de  l'ancien  comté  de  Quintin, 
érigé  en  duché-pairie  pour  le  maréchal  de  Lorges, 
ce  lieutenant  de  Turenne  dont  les  filles  épousèrent 
l'une  Saint-Simon,  l'autre  Lauzun.  La  terre  de 
Lorges  est  entre  Blois  et  Vendôme,  près  de  la 
foret  de  Marchenoir,  dans  ce  doux  pays  du  centre 
cher  à  nos  aïeux.  N'est-il  pas  curieux  de  voir  un 
seigneur  vendômois  abandonner  son  beau  ciel  pour 
la  brumeuse  Bretagne  et  créer  dans  une  foret 
profonde  et  triste  un  palais  aussi  vaste  ?  Entre  les 
grands  arbres,  devant  l'étang  solitaire,  l'édifice 
évoque   l'idée   d'un   château   des  contes  de  fée. 


MI-VOIE    ET     BROCÉLIANDE.  259 

Combien  devait  être  plus  profonde  encore  sa  soli- 
tude avant  que  le  chemin  de  fer  soit  venu  jeter 
son  double  ruban  de  rails  au  travers  de  l'avenue 
ducale  ! 

Après  la  forêt,  la  lande  reprend  possession  du 
sol,  toute  rose  de  bruyères  en  ce  moment,  elle 
couvre  tous  les  mamelons  arrondis  qui  avoisinent 
Uzel  et  permet  d'apercevoir  de  vastes  et  heureux 
horizons.  Plus  bas  la  lande  disparaît  pour  faire 
place  aux  cultures,  c'est  le  bassin  de  Loudéac, 
région  assez  prospère  où  le  chemin  de  fer  a  ac- 
compli son  œuvre  en  amenant  des  défrichements 
nombreux.  Ces  campagnes  subissent  une  trans- 
formation profonde  :  jadis  elles  étaient  fort  in- 
dustrielles, tous  les  hameaux  étaient  peuplés  de 
tisserands  produisant  avec  les  lins  du  pays  les 
toiles  de  Bretagne.  Aujourd'hui  la  concurrence 
des  usines  du  Nord  a  restreint  la  production,  les 
ouvriers  ont  quitté  le  métier  pour  la  charrue,  la 
culture  du  lin,  jadis  prospère,  n'existe  presque 
plus  ;  de  temps  en  temps  quelque  bonne  femme 
apporte  encore  au  marché  de  Loudéac  un  peu  de 
til  qu'elle  a  filé  au  moyeu  de  lin  récolté  à  la  dé- 
robée. Bien  rares  sont  les  tisserands,  comparés 
au  nombre  extraordinaire  que  l'on  comptait  autre- 
fois. En  1834  un  recensement  officiel  évaluait  à 
4,000  le  nombre  des  métiers  à  la  main  dans  le 


260  VOYAGE    EN     FRANGE. 

seul  arrondissement  de  Loudéac,  la  production 
atteignait  deux  millions  d'aunes  valant  quatre 
millions  de  francs.  Loudéac,  Quintin,  Uzel,  Plœuc 
faisaient  un  grand  commerce  de  ces  toiles  avec 
l'Amérique  du  Sud.  Gomme  à  Laval1,  on  doit 
cette  industrie  à  une  dame  flamande  qui  avait 
épousé  un  seigneur  de  la  contrée.  Cette  baronne 
de  Quintin,  venue  dans  le  pays  au  xv,;  siècle,  au- 
rait fait  appeler  de  Flandre  des  fileuses  et  aurait 
appris  à  ses  vassaux  à  semer  le  lin  et  le  chanvre. 
La  réputation  des  toiles  de  Bretagne  s'est  perpé- 
tuée jusqu'à  nous;  elles  la  méritent  d'ailleurs, 
mais  les  auteurs  qui  parlent  de  cette  industrie 
comme  florissante  encore  exagèrent.  De  4,000  ou- 
vriers, le  nombre  des  tisserands  est  descendu  à 
100  depuis  soixante  ans,  et  il  décroît  encore. 
Sauf  Grâce,  Uzel,  Quintin  et  Loudéac,  tous  les 
centres  de  fabrication  ont  cessé  le  tissage. 

Loudéac  a  donc  perdu  son  rang  de  ville  manu- 
facturière. Est-ce  bien  une  ville,  ce  gros  bourg 
d'aspect  rural,  dont  les  rues  sont  des  routes  bor- 
dées de  maisons  ?  La  sous-préfecture  est  presque 
en  pleins  champs;  des  maisons  basses,  sans  carac- 
tère, entourent  une  grosse  église.  Peu  ou  pas  de 
magasins,  le  silence  le  plus  absolu,  à  peine  trou- 


i.  Voir  Voyage  en  France,  II"  série,  p.  56  et  suivantes. 


MI-VOIE    ET    BROCÉLIANDE,  261 

blé  par  les  omnibus  d'hôtels  aux  heures  des  trois 
trains  qui  desservent  la  ligne  dans  chaque  sens. 
L'industrie  des  toiles  est  représentée  par  un  seul 
établissement;  il  emploie  la  plus  grande  partie 
des  derniers  tisserands  de  Bretagne.  Sans  lui, 
cette  industrie  aurait  vécu  ;  mais  il  fait  venir  des 
filés  du  Nord  et  peut  ainsi  alimenter  la  main- 
d'œuvre.  Les  tisserands  ont  presque  toujours  un 
autre  métier,  cultivateurs  ou  boutiquiers.  Leurs 
produits  sont  excellents,  on  pourrait  dire  inusa- 
bles, aussi  les  préfère-t-on  encore  aux  toiles  mé- 
caniques ;  grâce  à  cet  engouement  bien  justifié, 
les  salaires  sont  assez  élevés,  un  bon  ouvrier  peut 
même  arriver  à  gagner  trois  francs  par  jour  ;  à  la 
campagne,  c'est  le  bien-être. 

Je  croyais  entendre  le  tic- tac  des  métiers  dans 
Loudéac,  vainement  j'ai  parcouru  les  rues  et  les 
ruelles  ;  enfin,  près  de  la  sous-préfecture,  j'ai 
aperçu  le  bâti  d'un  jacquard  dans  une  arrière- 
boutique  où  je  suis  entré.  Le  tisserand  m'a  fort 
cordialement  reçu,  il  m'a  montré  son  travail  ;  lui 
ne  fait  pas  de  la  toile,  mais  une  étoffe  particulière 
appelée  garro ,  rigodon,  ou  mi-laine.  C'est  une 
étoffe  de  laine  tissée  sur  une  chaîne  de  lin  dont 
les  femmes  se  servent  pour  leur  habillement  or- 
dinaire. Le  lin  vient  de  Lille  ou  d'Armentières, 
la  laine  est  tirée  de  Tourcoing.  Le  Nord,  dont  les 


262  VOYAGE    EN    FRANGE. 

usines  ont  ruiné  l'industrie  de  la  Bretagne,  ali- 
mente donc  en  partie  les  restes  de  cette  activité 
jadis  si  grande. 

J'ai  vu  mon  tisserand,  j'ai  noté  ces  détails  et 
voilà  que  sur  moi  pèse  lourdement  l'ennui  de  la 
placide  bourgade.  Heureusement  un  train  va  pas- 
ser bientôt,  je  cours  à  la  gare  et  me  voici  en  route 
pour  Pontivy. 

On  traverse  un  pays  profondément  solitaire,  où 
les  landes  dominent,  mais  la  vallée  de  l'Oust,  un 
moment  traversée,  est  fraîche  et  riante  et  le  canal 
de  Nantes  à  Brest,  autour  de  Saint-Gérand,  est 
fort  pittoresque  avec  ses  escaliers  d'écluses,  ses 
garages  et  ses  réservoirs.  Les  landes,  aux  abords 
de  Pontivy,  sont  parfois  boisées  de  pins. 

Qui  donc  s'est  récrié  contre  Pontivy,  la  régu- 
larité de  ses  rues  et  de  ses  édifices?  Celui-là  n'a- 
vait point  vu  d'abord  Loudéac,  autrement  il  au- 
rait fort  apprécié  l'élégance  un  peu  triste  de  cette 
ville  toute  moderne  surgie  au  cœur  de  l' Arrnorique . 
Née  par  la  volonté  de  Napoléon,  comme  Napo- 
léon-Vendée aujourd'hui  la  Roche-sur- Yon,  Pon- 
tivy, un  moment  appelée  Napoléonville,  porte 
l'empreinte  de  ce  génie  ordonné.  Elle  a  ce  qui 
manque  à  sa  sœur  vendéenne,  un  beau  paysage, 
une  large  rivière  et  surtout  une  vieille  ville  où  la 


MI-VOIE    ET     BROCÉLIÀNDE.  263 

pioche  n'est  point  entrée  encore.  Les  fervents  du 
vieux  temps  trouveront  dans  le  Pontivy  d'avant 
1805  assez  de  rues  tortueuses,  d'antiques  maisons 
à  auvents  et  à  poutrelles  pour  pardonner  àla  ville 
moderne  sa  longue  et  large  rue  bordée  de  maga- 
sins, ses  squares,  ses  édifices  massifs  créés  pour 
une  grande  ville.  Pontivy,  d'ailleurs,  n'a-t-il  pas 
son  château  des  Rohan,  dont  les  énormes  tours 
gothiques,  les  murs  à  mâchicoulis,  les  profonds 
fossés,  les  avancées  plantées  de  grands  arbres 
ont  encore  si  grande  allure?  La  cour  de  ce  palais 
jadis  princier  sue  la  misère,  il  est  vrai,  mais  Pon- 
tivy veut  transformer  la  ruine  grandiose  en  musée. 
Si  Pontivy  n'a  pas  eu  les  hautes  destinées  pres- 
crites par  Napoléon  dans  un  décret  daté  de  Milan 
qui  devait  faire  d'elle  la  métropole  militaire  de  la 
Bretagne,  elle  n'en  doit  pas  moins  au  conqué- 
rant une  originalité  propre,  par  son  caractère  de 
ville  double  :  ici  armoricaine,  là  très  française. 
Dans  la  ville  moderne,  elle  a  placé  la  statue  du 
général  de  Lourmel,  tué  devant  Sébastopol  ;  dans 
la  ville  bretonne,  elle  a  érigé  une  statue  au  doc- 
teur Guépin  et  un  monument  d'assez  grande  al- 
lure a  été  élevé  en  commémoration  des  deux 
assemblées  des  communes  de  l'Ouest,  en  1790, 
dans  lesquelles  168  villes  ou  bourgs  jurèrent  fidé- 
lité à  l'Assemblée  nationale. 


264  VOYAGE    EN    FRANGE. 

Pontivy  fut  alors  le  cœur  de  la  Bretagne,  les 
chemins  de  fer,  en  suivant  le  littoral  de  l'Océan 
et  de  la  Manche,  lui  ont  enlevé  sou  rôle  prépon- 
dérant. Désormais  ce  n'est  plus  qu'une  sous-pré- 
fecture, sur  laquelle  Vannes  à  la  prééminence. 

Le  rôle  révolutionnaire  de  Pontivy  était  d'au- 
tant plus  remarquable  que  la  ville,  après  la  des- 
truction du  château  de  Rohan,  était  devenue  la 
capitale  du  duché  de  ce  nom.  Rohan,  retombé 
dans  l'obscurité,  était  un  humble  village  où  nul 
n'allait  jamais,  même  les  ducs  de  cette  maison 
illustre. 

Rohan  !  Qu'allez-vous  voir  à  Rohan  !  On  ne 
va  pas  à  Rohan  !  m'ont  dit  des  amis.  Et  le  cocher, 
conducteur  ordinaire  de  voyageurs  de  commerce, 
m'a  dit,  d'un  air  fin  : 

—  Vous  n'avez  pas  d'échantillons,  les  mar- 
chands ne  vous  achèteront  rien  î 

Si  Rohan  ne  voit  pas  d'autres  visiteurs  que  les 
commis-voyageurs,  le  petit  bourg  n'en  mérite  pas 
moins  une  visite,  son  déclin  même  en  fait  une 
curiosité.  Les  puissants  seigneurs  qui  ont  pu  dire 

Roi  ne  puis, 
Duc  ne  daigne. 
Rohan  suis. 

ont  eu  leur  souche  dans  cette  vallée  solitaire  du 


MI-VOIE    ET    BROCÉLIANDE.  265 

l'Oust,  le  nom  de  leur  village  familial  se  retrouve 
à  chaque  pas  dans  l'histoire  de  la  Bretagne  et  de 
la  France.  A  ce  titre  seul  il  vaut  une  visite. 

Je  ne  regrette  pas  ces  dix  lieues  de  route.  Bien 
peu  de  voyageurs  sans  doute  ont  fait  de  jour 
cette  excursion  ;  la  voiture  publique  entre  Pon- 
tivy  et  Ploërmel  passant  la  nuit  seulement.  Le 
pays,  certes,  n'a  rien  de  fort  curieux,  ce  sont  de 
vastes  plateaux  ondulés  où  les  laudes  font  chaque 
jour  place  aux  champs  de  sarrazin  et  aux  gené- 
tières.  Ici  la  culture  du  genêt  se  fait  en  grand,  on 
sème  une  variété  haute,  donnant  des  produits  au 
bout  de  la  deuxième  année.  On  fait  paître  le  jeune 
genêt  au  bétail,  vieux  on  le  broie  au  moyen  de 
machines  pour  le  donner  aux  animaux.  Lors- 
qu'elle est  régulièrement  semée  et  entretenue, 
une  genétière  est  une  fort  jolie  chose,  à  l'époque 
de  la  floraison  surtout. 

Les  travaux  de  défrichement  ont  été  activement 
poussés  entre  Pontivy  et  Bohan  ;  partout  on  voit 
des  terres  récemment  remuées,  encloses  de  hauts 
talus  plantés  déjeunes  chênes  qui  donneront  bien- 
tôt des  fourrés  inextricables.  Voici  un  immense 
champ  de  seigle,  c'est  une  lande  produisant  sa 
première  récolte.  Dans  cinq  ou  six  ans,  me  dit-on, 
cette   région   aura  vu  disparaître   ses   dernières 


266  VOYAGE    EN    FRANCE. 

landes.  Moins  grands  sont  les  progrès  vers  Gué- 
méné  et  Gourin,  à  l'est  de  Pontivy,  ici  la  lande 
règne  en  maîtresse  ;  pendant  des  lieues  et  des 
lieues  on  peut  traverser  les  bruyères.  Rares  sont 
les  champs  de  seigle  et  de  sarrazin. 

Longtemps  tracée  sur  le  plateau,  la  route  de 
Rohan  atteint  un  ravin  et  descend  alors  dans  la 
vallée  de  l'Oust.  Des  bois,  des  pentes  vertes  tran- 
chent heureusement  avec  le  caractère  morose  du 
haut  pays.  Bientôt  voici  Rohan,  c'est  un  village 
sans  caractère,  mais  il  borde  l'Oust  en  un  site 
inattendu  :  de  grands  rochers  bordent  la  rivière 
retenue  par  des  barrages  pour  la  navigation,  des 
allées  d'arbres  la  bordent,  sur  les  pentes  sont  des 
prés  ombragés  de  pommiers. 

Du  château,  rien  ne  subsiste  ;  la  cour  d'hon- 
neur est  devenue  une  pelouse  ombragée  de  grands 
arbres  où  se  tiennent  les  foires,  les  remparts  ont 
comblé  les  fossés,  des  châtaigniers  noueux  et  des 
chênes  occupent  la  place  des  tours.  De  là  et  du 
cimetière  voisin,  on  a  une  vue  ravissante  sur  la 
rivière,  les  rochers  et  une  chapelle  gothique 
bâtie  au  bout  du  port,  fort  élégante  de  proportion. 

Je  redescends  à  la  rivière;  sur  le  bord,  des  la- 
veuses au  costume  curieux  font  retentir  l'air  du 
bruit  de  leur  battoir.  Ma  venue  est  tout  un  évé- 
nement, si  rares  sont  les  étrangers  au  bord  de 


MI-VOIE    ET    BROCÉLIANDE.  267 

rOust!  Devant  la  chapelle  où  je  suis  assis  pour 
copier  cette  inscription,  une  foule  de  gamins 
m'entourent  : 

L'an  que  dit  fust  mill  cinq  cents  X 
Jehan  de  Rohan  me  list  bastir 
Et  rediffier  à  l'honneur 
Micheloup  en  fat  le  misear 
Et  afin  que  mon  nom  me  celle 
De  bonne  encontre  l'on  m'appelle. 

Cette  chapelle  de  «  Bonne  encontre  »  mérite 
une  visite  ;  l'intérieur,  d'une  pure  élégance,  a  été 
outrageusement  badigeonné,  mais  les  fines  ner- 
vures ont  été  remises  à  nu.  Le  mobilier  est  pauvre  ; 
rien  à  signaler  sinon  une  peinture  représentant 
un  pape,  un  seigneur  de  Rohan  et  plusieurs  per- 
sonnages, sans  doute  autant  de  portraits.  Quel 
contraste  entre  ce  joyau  gothique,  si  bien  assis 
sur  le  rocher  au  bord  de  la  rivière,  et  l'église  pa- 
roissiale d'une  invraisemblable  pauvreté  !  C'est 
un  bâtiment  carré,  très  bas,  sans  clocher,  cons- 
truit dans  l'angle  d'une  place  assez  intéressante 
par  sa  halle  en  charpente  et  ses  vieilles  maisons. 

Le  grand  charme  de  Rohan  est  dans  sa  rivière. 
Pour  rentrer  à  Pontivy,  j'ai  changé  de  route  en 
remontant  jusqu'à  Saint-Samson  les  bords  de 
l'Oust  par  le  chemin  de  halage,  cette  vallée  est 


268  VOYAGE     EN    FRANCE. 

délicieuse;  mais  combien  paraît  triste  le  plateau 
que  l'on  retrouve  à  Gueltas,  avec  sa  foret  de  Brau- 
guily  devenue  un  maigre  taillis  î 

Non  moins  belle  est  la  vallée  du  Blavet  au-des- 
sous de  Pontivy.  Certes,  les  landes  y  sont  nom- 
breuses encore,  mais  elles  sont  en  ce  moment  si 
roses  !  De  grands  rochers,  de  beaux  arbres  bor- 
dent les  méandres  du  petit  fleuve  malheureuse- 
ment assez  déserté  par  la  navigation.  Et  que  d^ 
force  motrice  perdue  à  ces  barrages  destinés  à 
relever  le  plan  d'eau,  où  la  nappe  frémissante 
étincelle  au  soleil  !  Quand  l'industrie  manquera 
de  charbon,  la  Bretagne  tient  en  réserve,  grâce  à 
l'abondance  de  ses  rivières,  des  milliers  de  che- 
vaux hydrauliques  aujourd'hui  inutilisés. 


Que  monotones  sont  les  landes  aux  abords 
d'Auray  et  d'Auray  à  Questembert  !  Combien  mé- 
lancoliques ces  bois  de  pins  régulièrement  plantés 
qui,  chaque  jour,  gagnent  sur  l'immense  lande  de 
Lanvaux  !  Tout  ce  pays  est  d'une  tristesse  pro- 
fonde. 11  faut  redescendre  dans  la  vallée  de  l'Oust 
vers  Malestroit  pour  retrouver  la  vie  et  la  fertilité . 

Mais  alors  quelles  belles  campagnes  î  Arrosée 
par  des  ruisseaux  sans  nombre,  la  région  de  Ploër- 
mel  possède  un   charme  agreste  qui  séduit.   La 


MI- VOIE    ET    BROCÉLIANDE.  269 

ville  elle-même  n'attire  guère  l'attention,  sans 
l'admirable  église  de  Saint- Armel,  fouillée  comme 
une  chasse,  parfois  égayée  par  des  sculptures 
dignes  des  conteurs  licencieux  du  moyen  âge  ;  elle 
ne  mériterait  guère  une  visite,  mais  elle  a  dans 
ses  environs  l'Étang  au  Duc,  Josselin  et  la  lande 
de  Mi- Voie.  Celle-ci  est  à  mi-chemin  de  Josselin, 
comme  son  nom  l'indique,  sur  la  route  de  Quim- 
per.  Le  pays,  pour  s'y  rendre,  est  très  vert,  très 
boisé,  égayé  par  de  petits  étangs  et  des  ruisseaux 
jaseurs.  Les  ardoisières  n'ont  pas  trop  brutale- 
ment creusé  les  coteaux.  La  route  est  franche- 
ment bretonne  avec  ses  haies  épaisses,  les  croix 
à  personnages  érigées  aux  carrefours,  les  pom- 
miers rongés  de  lichens  et  de  mousses.  Aussi 
n'aperçoit-on  pas  sans  surprise,  se  dressant  tout 
à  coup,  le  massif  de  verdure  sombre  formé  par  un 
bois  de  sapins. 

Nous  sommes  à  Mi- Voie.  Les  conifères,  séparés 
de  la  route  par  une  barrière,  ont  été  plantés  près 
d'une  pyramide  de  granit  élevée  en  l'honneur  du 
combat  des  Trente.  Le  site  est  émouvant.  Autour 
de  l'obélisque,  les  arbres  se  dressent,  immobiles 
aussi,  mais  dans  leurs  aiguilles  le  vent  qui  passe 
semble  chanter  et  gémir.  Malheureusement  ceux 
qui  ont  rédigé  l'inscription  rappelant  la  lutte 
entre  Beaumanoir,   ses  trente    chevaliers   et   les 


270  VOYAGE    EN    FRANCE. 

chevaliers  anglais  ont  été  inspirés  de  façon  mal- 
heureuse :  «Vive  le  Roi  et  les  Bourbons  toujours  !  » 
Les  Bourbons  n'existaient  pas  encore  en  1341, 
lorsque  Beaumanoir  adressa  à  Bembro  son  cheva- 
leresque défi,  et  ils  venaient  d'être  ramenés  par 
les  Anglais  quand,  en  1819,  fut  érigé  ce  monu- 
ment. 

Combien  plus  suggestive  est,  en  arrière  de  l'o- 
bélisque, l'humble  croix  de  pierre  rongée  par  les 
ans,  brisée  par  la  Révolution  et  relevée  plus  tard 
avec  son  inscription  : 

A  la  mémoire  perpétuelle 

de  la  bataille  des  Trante 

qve  Mgr  le  mareschal  de  Beavmanoir 

a  gaignée  en  ce  liev  l'an  1350. 

La  lande  illustre  où  les  chevaliers  bretons  sou- 
tinrent l'effort  des  Anglais,  où  Geoffroy  du  Bois 
jeta  à  Beaumanoir  altéré  le  cri  fameux  :  «Bois 
ton  sang,  Beaumanoir,  la  soif  te  passera  »  ;  où 
Guillaume  de  Montauban,  après  avoir  feint  la 
fuite,  revint  au  galop  sur  les  Anglais  dont  il  ren- 
versa sept,  cette  lande  est  en  arrière  de  l'obélisque 
et  de  la  croix,  couvrant  un  mamelon  au  sommet 
duquel  est  un  moulin  à  vent.  Le  moulin  est 
endormi;  la  lande,  toute  rose  de  bruyère,  jaune 
d'ajoncs,  est  entourée  de  jeunes  pins  vigoureux. 


MI-VOIE    ET    BROCÉLIANDE.  271 

D'ici  la  vue  est  immense  ;  les  Bretons  qui  luttaient 
pour  leur  pays  pouvaient  voir  une  grande  partie 
de  la  Bretagne.  En  dépit  des  siècles,  le  paysage 
n'a  guère  changé.  Ce  sont  toujours  les  ondula- 
tions couvertes  de  landes,  et  les  chênes  robustes 
croissant  dans  les  creux.  C'est  ici,  en  vue  de  ce 
paysage  grandiose,  et  non  sur  la  route  qu'il  aurait 
fallu  placer  le  monument  commémoratif  de  cette 
belle  journée. 

On  ne  quitte  pas  sans  une  émotion  profonde 
ces  lieux  témoins  de  tant  d'héroïsme  et  bientôt 
on  oublie  Mi-Voie  en  approchant  de  Josselin.  La 
ville  n'attirerait  guère  le  visiteur  sans  le  château 
formidable  que  les  ducs  de  Rohan  avaient  cons- 
truit au  bord  de  l'Oust  et  que  les  Rohan  pos- 
sèdent encore  ;  peu  de  châteaux  féodaux  ont  au- 
tant de  majesté,  il  en  est  peu  surtout  d'aussi 
admirablement  conservés. 

Un  pavillon,  dont  les  couleurs  me  sont  incon- 
nues, flotte  aujourd'hui  sur  la  porte  d'entrée,  un 
autre  s'élève  au-dessus  des  remparts  ;  ces  couleurs 
seraient-elles  celles  des  Rohan  ?  Elles  donnent  à 
la  vieille  forteresse  un  caractère  plus  imposant  en- 
core ;  il  semble  que  la  féodalité  revit  ici.  L'illu- 
sion n'est  pas  de  longue  durée,  sur  la  porte  même 
du  château,  dans  les  rues  de  la  ville  s'étalent  avec 
profusion  les  affiches  annonçant  des  élections  mu- 


272  VOYAGE    EN     FRANCE. 

nicipales.  En  tête  de  l'une  d'elles  figure  le  nom 
de  M.  le  duc  de  Rohan.  L'héritier  de  tant  de 
titres,  de  tant  de  duchés,  de  tant  de  baronnies, 
n'aspire  plus  qu'à  être  conseiller  municipal  dans 
la  petite  ville  où  ses  aïeux  furent  presque  souve- 
rains jadis.  N'est-elle  pas  vraiment  curieuse  cette 
affiche  jjlacardëe  sur  les  murs  de  l'admirable  édi- 
fice où  les  Rohan  ont  fait  entourer  de  tant  de 
motifs  sculptés  leur  devise  :  Av  plus,  à  deux  pas 
du  tombeau  d'Olivier  de  Glisson  et  de  sa  femme 
Marguerite  de  Rohan,  qui  est,  après  le  château, 
la  grande  curiosité  de  Josselin? 

L'Étang  au  Duc  passerait  partout  ailleurs  pour 
un  lac  et  attirerait  les  visiteurs  en  grand  nombre. 
Nos  voisins  de  Belgique  ont  fait  une  attraction  de 
l'étang  de  Virelles  près  de  Chimay,  ils  l'ont  bap- 
tisé lac  ;  ils  ont  organisé  des  voyages  d'excursion 
pour  faire  admirer  ses  eaux  glauques.  Virelles 
est  loin  cependant  d'avoir  le  charme  de  l'Étang 
au  Duc,  aux  rives  sinueuses,  entouré  de  vertes 
collines.  Il  est  tout  simplement  exquis,  ce  lac  pro- 
fond, au-dessus  duquel  se  dresse  la  haute  flèche 
de  Taupont,  mais  dont  les  eaux  n'ont  guère  d'autre 
utilité  aujourd'hui  que  de  fournir  la  lumière  élec- 
trique à  la  ville  de  Ploërmel. 

Quant  au  Pardon  de  Ploërmel,  popularisé  par 
Meyerbeer,  il  n'a  jamais  existé,  m'assure-t-on.  Les 


-  -Il 


VOYAGE    EN    FiiANCE 


274  VOYAGE    EN     FRANCE. 

fêtes  locales  sont  ici  très  simples  et  portent  le 
nom  d'assemblées.  C'est  an  bruit  d'une  de  ces 
journées  de  liesse  que  j'achève  cette  lettre,  dans 
le  village  de  Concoret. 

Ce  nom  ne  vous  dit  rien,  sans  doute;  cepen- 
dant Concoret  est  pour  les  Celtisants  comme  un 
endroit  sacré.  Là  commence  la  foret  de  Brocé- 
liande  (Brécilien)  aujourd'hui  Paimpont  ;  près 
d'ici  coulent  les  eaux  de  la  fontaine  de  Baranton. 
Là  ont  vécu  Merlin  et  Viviane  et  se  sont  dé- 
roulées les  scènes  les  plus  fameuses  du  cycle 
d'Arthur. 

Mais  combien  il  est  difficile  de  trouver  un 
guide  pour  ces  lieux  rendus  illustres  par  la  lé- 
gende !  Les  cartes  n'indiquent  pas  la  fontaine, 
les  gens  du  pays  la  connaissent  seulement  parce 
que  des  étrangers  en  cherchent  parfois  le  chemin. 
Tout  à  l'heure,  à  Mauron,  grosse  bourgade  com- 
merçante, on  a  pu  me  trouver  une  voiture  mais 
personne  pour  me  guider. 

Nous  sommes  partis  un  peu  au  hasard.  A  la 
Saudrais  j'ai  eu  la  bonne  fortune  de  rencontrer 
un  habitant  du  hameau  de  Folle-Pensée  qui  m'a 
offert  de  me  conduire.  Certes  le  guide  est  néces- 
saire, il  faut  franchir  des  fondrières,  escalader 
des  échaliers,  prendre,  à  travers  les  cultures,  d'in- 


MI-VOIE    ET    BROCÉLIANDE.  275 

visibles  sentiers  pour  atteindre  une  des  landes  les 
plus  étranges  de  toute  la  Bretagne  :  vaste  plateau 
semé  de  roches  aux  formes  fantastiques,  se  pro- 
longeant jusqu'à  une  haute  colline  de  tonne  ré- 
gulière au-dessus  de  laquelle  on  aperçoit  des 
masses  d'arbres.  C'est  la  forêt  de  Brocéliande. 
Les  pentes  qui  y  conduisent  sont  semées  de  bois 
de  pins;  des  ravins  profonds  et  marécageux  s'y 
creusent.  Hésitant  sur  le  chemin  à  suivre,  car  il 
n'est  pas  allé  à  Baranton  depuis  plusieurs  années, 
me  dit-il,  mon  guide  nous  conduit  enfin  à  travers 
des  landes  mouillées  jusqu'à  la  lisière  de  la  forêt, 
délimitée  par  un  fossé  et  un  talus.  Nous  longeons 
ce  talus  à  demi  éboulé  par  places,  mon  compa- 
gnon s'arrête  et  me  montre,  à  demi  envahi  par 
des  broussailles,  un  bassin  carré  fait  d'énormes 
pierres.  Des  marches  y  donnent  accès.  Entre  les 
pierres  sort  une  eau  claire  encombrée  de  cou- 
ferves.  Des  bruyères,  des  airelles,  de  délicates 
fougères,  des  ajoncs  nains  croissent  dans  les 
fentes  de  cette  construction  cyclopéenne.  La  table 
renversée  d'un  dolmen  gît  auprès.  C'est  la  fon- 
taine de  Baranton  ;  là  s'était  retiré  Merlin  après 
la  défaite  des  Bretons  et  la  mort  d'Arthur. 

Sur  la  margelle  où  je  me  suis  assis,  le  fameux 
enchanteur,  en  jetant  quelques  gouttelettes  de 
l'eau  magique,  produisait  à  son  gré  la  tempête  et 


276  VOYAGE    EN    FRANCE. 

les  nuages.  Aucun  lieu  n'a  été  plus  embelli  par 
l'imagination  populaire  que  cette  source  tran- 
quille disparaissant  presque  aussitôt  dans  les 
mousses. 

Le  vent  siffle  mélancoliquement  dans  les  pins, 
semblant  apporter  les  bruits  mystérieux  de  la  fo- 
ret. La  fontaine  est  calme,  soudain  de  grosses 
bulles  apparaissent,  l'eau  bouillonne  un  moment 
avec  un  bruit  sourd  et  l'apaisement  se  fait  de  nou 
veau.  Sont-ce  donc  là  ces  fureurs  soudaines  de 
Baranton  qui  l'avaient  rendue  célèbre  et  les  mu- 
gissements qui  annoncent  la  pluie  ? 

La  source  est  oubliée  maintenant  ;  nul  n'y  vient 
plus,  sauf  le  voyageur  épris  de  ce  lointain  passé 
druidique  qui  a  laissé  des  traces  si  profondes. 
Mais  pendant  les  sécheresses,  quand  l'eau  manque 
dans  les  sources  du  bas,  on  vient  avec  des  bar- 
riques puiser  à  Baranton.  L'an  dernier,  on  a  pu 
incessamment  retirer  de  l'eau  sans  jamais  assécher 
le  bassin.  D'après  la  tradition,  la  fontaine  était 
jadis  recouverte  d'une  grande  dalle  et  s'écoulait 
par  un  orifice  creusé  dans  la  maçonnerie.  Au- 
dessus  était  une  croix  dont  l'ombre,  à  certaines 
heures,  indiquait  l'endroit  où  Merlin  aurait  ca- 
ché une  barrique  d'or.  La  croix  a  été  renversée, 
désormais  la  barrique  d'or  est  perdue. 

Voilà  tout  ce  que  savent  de  Baranton  les  gens 


MI-VOIE    ET    BROCÉLIANDE.  '21  ^ 

de  Folle-Pensée,  hameau  du  voisinage  !  Et  cepen- 
dant cette  fontaine  et  la  forêt  d'où  sourdent  ses 
eaux  ont  tenu,  pendant  plus  d'un  millier  d'années, 
une  place  prépondérante  dans  la  littérature  popu- 
laire. Aujourd'hui,  sauf  les  lettrés  et,  parmi  eux. 
les  folkloristes,  qui  dune  se  soucie  de  Merlin,  de 
Viviane  et  de  Baranton? 

Ils  s'en  soucient  peu  les  gars  que  je  rencontre 
en  descendant.  Ils  vont  en  foule  à  l'assemblée  de 
Concoret  :  les  hommes  coiffés  d'un  feutre  mou, 
vêtus  d'une  blouse  bleue  toute  neuve  ;  les  femmes 
très  simplement  attifées  ;  la  dentelle  du  bonnet 
donne  seule  quelque  cachet  à  leur  costume,  relevé 
par  des  fichus  de  couleur  voyante  :  rouges,  verts 
ou  bleus.  Dans  la  pauvre  église  du  village,  en- 
tourée d'ifs  centenaires,  où  Ton  célèbre  vêpres, 
toutes  ces  coiffes  sont  d'un  effet  charmant.  Trois 
ou  quatre  baraques,  des  cabarets  où  tout  le  monde 
debout,  silencieux,  boit  des  bolées  de  cidre,  voilà 
une  assemblée.  C'est  lugubre. 

La  forêt  est  auprès.  Je  l'ai  traversée  jusqu'à 
Paimpont,  très  curieux  village  bâti  au  bord  d'un 
étang,  dans  les  dépendances  d'une  abbaye  dont 
les  bâtiments  se  mirent  dans  l'eau  tranquille.  Peu 
de  grands  arbres,  les  pins  ont  presque  partout 
remplacé  les  chênes  sacrés.  Sans  ses  vallons  pro- 
fonds, ses  grands  étangs,  ses  rochers  de  Trého- 


278  VOYAGE    EN    FRANCE. 

renteuc,  la  forêt  ne  mériterait  guère  une  visite 
aujourd'hui.  Mais  les  sites  sont  superbes  si  les 
arbres  ont  trop  été  exploités. 

La  nuit  est  venue  ;  j'ai  dû  rentrer  à  Concoret 
d'où  je  vais  gagner  Mauron  et  Rennes,  sans  avoir 
pu  trouver  l'autre  fontaine  fameuse  de  Brocé- 
liande,  la  fontaine  de  Jouvence.  Elle  est  ici  ce- 
pendant, mais,  comme  Baranton,  elle  a  perdu  sa 
vertu  et  le  peuple  l'a  oubliée. 


XVI 


DE    VITRE    AU    MONT    SAINT-MICHEL 


La  vallée  de  la  Vilaine.  —  Le  château  des  Rochers.  —  Souvenirs 
de  Mme  de  Sévigné.  —  Le  pays  de  Vendelais.  —  Légende 
de  Roland.  —  Fougères  et  son  château.  —  Huit  mille  cor- 
donniers. —  Gomment  l'industrie  naquit  à  Fougères.  —  Le 
pays  de  Goglès.  —  Pontorson  et   le  mont  Saint-Michel. 


Mont  Saint-Michel,  septembre. 

En  amont  de  Rennes,  la  Vilaine  coule  dans 
une  vallée  ample,  claire,  heureuse  avec  son  fond 
de  prairies,  ses  pentes  couvertes  de  pommiers,  ses 
bourgades  assises  au  sommet  des  coteaux.  Paysage 
simple  rappelant  certains  vallons  de  Touraine,  la 
rivière  coule  à  la  hauteur  de  son  plan  de  prairies; 
on  pourrait  croire  que  plus  haut  le  val  sera  une 
large  et  grasse  campagne  et  voici  que  le  paysage 
s'accidente,  la  rivière  est  maintenant  profonde, 
des  collines  plus  hautes  la  bordent  ;  elle  coule  bien- 
tôt au  pied  de  falaises  noires,  ceintes  de  tours  et 
de  murailles  ;  entre  ces  remparts  les  toits  d'ardoise, 
les  flèches  d'église  d'une  vieille  petite  ville  tran- 
chent avec  tout  le  pays  qu'on  vient  de  parcourir. 
Le  chemin  de  fer  arrive  à  la  hauteur  des  remparts 


280  VOYAGE     EN    FRANCE. 

et  s'arrête  dans  une  station  voisine  d'une  place 
banale  bordée  de  cafés  et  d'hôtels,  nous  sommes 
à  Vitré . 

Cette  ville,  la  première  de  Bretagne  en  venant 
de  Paris,  est  une  digne  entrée  pour  la  province, 
aucune  n'a  mieux  conservé  le  caractère  du  passé. 
La  Bretagne  qu'on  y  découvre  ne  se  rencontrera 
désormais  que  dans  le  pays  de  Vannes  et  la  Cor- 
nouailles,  et  encore  d'aspect  bien  moins  accusé. 
Dès  qu'on  est  sorti  du  quartier  banal  a  voisinant  la 
gare,  on  se  trouve  en  plein  moyen  âge.  Quand  on 
arrive  de  Rennes  la  régulière,  le  spectacle  est  inat- 
tendu de  ces  petites  rues  étroites,  contournées, 
bordées  de  maisons  déjetées,  porches  branlants, 
escaliers  disjoints,  galeries  sombres.  Et  quels 
noms  bizarres,  sonnant  bien  leur  treizième  siècle  : 
rue  Baudrairie,  place  du  Marchix,  rue  d'En-Bas. 
Çà  et  là  des  piliers  à  peine  dégrossis  supportent 
les  étages,  des  niches  abritent  des  statuettes,  le 
bois  et  la  pierre  sont  fouillés.  Ajoutez  de  curieux 
monuments  :  un  château  qui  est,  avec  le  château 
de  Nantes,  Guérande,  l'île  Glose  de  Concarneau 
et  Saint-Malo,  un  des  plus  purs  échantillons  de 
l'architecture  militaire  avant  la  Renaissance  et, 
en  môme  temps,  un  des  monuments  les  plus  or- 
nés de  la  Bretagne.  Contre  le  mur  de  l'église 
Notre-Dame,  une  élégante  chaire  à  prêcher  arrête 


DE    VITRÉ    AU     MONT    SAINT-MICHEL. 


281 


l'attention.  Mais  Vitré  doit  surtout  à  ses  remparts 
dominant  le  val  profond  et  vert  de  la  Vilaine, 
assis  sur  une  roche  sombre  qu'augmente  le  ma- 


DE  RENNES  AU  PAYS  DE  COQLES 

1 


D'après  la  carte  de  Fétat-major  au 


32U.0U0 


jestueux  effet  des  courtines,  des  tours,  des  vieilles 
maisons  aux  toitures  moussues.  Il  est  bien  dom- 
mage que  Vitré  perde  peu  à  peu  ce  caractère,  les 


282  VOYAGE    EN    FRANCE. 

édifices  privés  s'en  vont,  dans  cent  ans  d'ici,  la 
petite  ville  sera  devenue  banale  comme  tant  de 
ses  voisines.  Au  moins  conservera-t-elle  son  châ- 
teau et  ses  remparts. 

Même  si  Vitré  n'avait  pas  ce  caractère  de  cité 
féodale,  les  touristes  s'y  arrêteraient  encore  pour 
aller  visiter  le  château  des  Rochers.  Celui-ci,  il  est 
vrai,  n'a  rien  de  particulièrement  intéressant  pour 
le  touriste  non  prévenu,  il  faut  avoir  un  peu  de 
lecture  pour  tenter  l'excursion;  c'est  une  demeure 
seigneuriale  assez  simjjle,  dont  le  dôme  et  les 
tours  indiquent  seuls  l'ancien  rang  ;  ses  beaux 
bois,  les  superbes  allées  d'un  parc,  les  pentes 
douces  descendant  à  la  Vilaine,  ici  clair  et  gros 
ruisseau  de  prairies,  lui  donnent  un  grand  charme 
et  éveillent  l'idée  qu'il  ferait  bon  y  vivre.  Mais 
on  ne  va  pas  aux  Rochers  pour  contempler  un 
château  élégant  et  un  parc  ombreux,  on  y  cherche 
le  souvenir  d'une  femme  célèbre  dont  bien  des 
lettrés  se  sont  épris.  De  ce  château  des  Rochers, 
la  marquise  de  Sévigné  a  écrit  près  de  trois  cents 
de  ses  lettres,  les  plus  vivantes,  les  plus  intéres- 
santes, les  plus  étincelantes,  les  plus  spirituelles 
pour  parler  comme  elle. 

L'aimable  châtelaine  des  Rochers  est  le  premier 
('cri vain  qui  nous  ait  fait  connaître  la  France  de 
province  dans  son  intimité.  Tout  en  épousant  les 


DE    VITRÉ    AU     MONT    SAINT-MICHEL.  283 

liassions  des  gens  de  sa  classe,  dans  les  troubles 
dont  la  Bretagne  était  le  théâtre,  elle  a  su  vivre  de 
la  vie  même  de  ceux  qui  l'entouraient  :  seigneurs 
fastueux,  gentillàtres  à  peine  civilisés  ne  sortant 
jamais  de  leurs  gentilhommières,  bourgeois  et 
paysans.  Dans  ces  lettres  nous  voyons  s'agiter 
tout  ce  monde  ignoré  à  la  cour,  que  Sully  et 
Vauban  avaient  seuls  cherché  à  comprendre.  Si 
Ton  veut  connaître  l'économie  domestique  sous 
Louis  XIV,  il  faut  aller  la  chercher  dans  les  let- 
tres de  cette  belle  et  brillante  grande  dame.  A 
son  insu,  peut-être,  elle  a  fait  pour  nous  une  œuvre 
du  plus  grand  intérêt  ;  c'est  le  point  de  départ 
des  études  sociales  sur  la  Bretagne,  à  laquelle  se 
rattacherait  cent  trente  ans  plus  tard  le  voyage  de 
Young,  qui  nous  révèle  combien  peu  les  choses 
avaient  changé  ;  par  lui  nous  pouvons  comprendre 
l'immense  transformation  amenée  par  la  Révolu- 
tion. Le  tableau,  tracé  par  M'ne  de  Sévigné,  de  la 
misère  du  pays,  de  l'ignorance  des  gens,  de  l'état 
des  chemins, doit  être  lu  pendant  les  promenades 
dans  ce  gentil  pays  de  Vitré,  si  l'on  veut  se  ren- 
dre compte  de  l'immensité  des  progrès  accomplis 
depuis  cent  ans. 

Les  Rochers,  jadis  perdus  dans  des  campagnes 
presque  inabordables,  sont  aujourd'hui  sur  un 
grand  chemin  ;  le  parc  où  Mm0  de  Sévigné  prome- 


284  VOYAGE    EN    FRANGE. 

nait  ses  rêveries  borde  la' route,  la  cour  d'honneur 
s'ouvre  sur  elle  par  une  grille  ;  au  tournant  de  la 
vallée  court  la  locomotive,  elle  passe  devant  le 
bourg  d'Argentré,  bâti  à  la  jonction  de  chemins 
nombreux.  Des  Rochers  à  Vitré,  on  traverse  de 
riantes  campagnes  en  suivant  la  route  macadami- 
sée, semblable  à  une  allée  de  parc.  On  a  de  la 
peine  à  retrouver  le  terroir  affreux  où  les  carosses 
s'embourbaient  et  dont  la  marquise  fait  un  tableau 
moitié  plaisant,  moitié  tragique.  Quelques-uns 
des  hameaux  semblent  rappeler  ces  bourbiers.  Le 
Maurepas,  la  Barboterie,  le  Guilmarais,  ont  dû 
leurs  noms  à  ces  fondrières. 

Si  la  grande  ligne  de  Rennes  à  Paris  est  peu 
accidentée,  même  aux  abords  de  Vitré,  le  chemin 
de  fer  de  Fougères  relie  les  deux  villes  au  moyen 
de  rampes  et  de  courbes  très  prononcées.  Un  peu 
après  la  station  on  franchit  la  Vilaine  sur  un  via- 
duc d'où  Ton  domine  la  profonde  coupure  de  ro- 
ches noires  au-dessus  de  laquelle  court  la  ligne 
des  remparts.  La  locomotive  monte  lentement  au 
flanc  d'un  haut  coteau  pour  descendre  ensuite 
vers  une  vallée  très  fraîche  et  verte  au  fond  de 
laquelle  coule  la  petite  rivière  de  la  Calanche1. 

La  vallée,  riante  et  gracieuse,  se  fait  plus  sévère 


i.  Cette  rivière  s'appelle  aussi  C  an  tache 


DE    VITRÉ    AU     MONT    SAINT-MICHEL.  285 

aux  abords  de  Chàtillon-cn-Vendelais.  Sur  une 
haute  colline  se  dressent  les  ruines  informes 
d'un  rocher;  tout  autour,  les  maisons  du  village 
couvrent  les  pentes  et  se  reflètent  dans  les  eaux 
d'un  petit  golfe  d'où  sort  la  Galanche.  Ce  golfe 
est  projeté  par  le  vaste  étang  de  Chàtillon,  un 
des  plus  beaux  de  Bretagne.  D'abrupts  rochers, 
des  bois,  des  carrières,  des  collines  forment  un 
cadre  heureux  à  cette  grande  et  tranquille  nappe 
d'eau.  Le  pays  tout  entier  est  fort  pittoresque,  du 
milieu  des  campagnes  vertes  surgissent  des  chaî- 
nons de  rochers  aux  formes  superbes,  coupés  de 
fissures  profondes.  C'est  une  région  bien  tranchée, 
dotée  d'ailleurs  d'un  nom  particulier  :  le  Vende- 
lais.  La  légende  s'est  emparée  de  cette  terre  acci- 
dentée, le  souvenir  de  Roland  plane  sur  elle,  un 
étroit  défilé,  où  la  Galanche  coule  entre  deux  hau- 
tes roches,  est  le  saut  de  Roland;  une  mince  cas- 
catelle,  nommée  la  Pierre  dégouttante  par  les  habi- 
tants, serait  produite  par  les  larmes  d'une  dame 
plongée  dans  l'affliction  par  la  mort  du  héros. 
N'est-il  pas  étrange  de  trouver  ici  le  souvenir  du 
paladin,  à  quelques  journées  de  marche  du  pays 
lanuionnais  où  se  déroula  la  légende  du  roi  Artus 
et  des  chevaliers  de  la  Table  Ronde1? 


1.  Voir  page  69,  le  chapitre  sur  l'île  Grande. 


286  VOYAGE    EN    FRANGE. 

Au  delà  du  vallon  de  la  Calanche ,  le  pays 
perd  de  sa  sauvagerie,  les  horizons  sont  plus  éten- 
dus, les  cultures  plus  variées.  On  retrouve  ici  un 
coin  de  la  plantureuse  région  d'Ernée  *,  quelques 
champs  de  lin  se  distinguent  parmi  les  céréales. 
D'un  val  étroit  on  pénètre  dans  une  vallée  plus 
large  arrosée  par  une  rivière  sans  cesse  accrue 
par  de  petits  affluents.  C'est  le  Couesnon,  dont 
les  eaux  ici  claires  seront  plus  bas  souillées  par 
la  marée  quand  elles  traverseront  les  grèves  du 
mont  Saint-Michel.  Rapidement  le  train  descend 
entre  des  collines  de  plus  en  plus  hautes  ;  au  loin 
apparaissent  les  toits,  les  tours,  les  édifices  d'une 
ville,  vaste  d'apparence.  Le  train  s'arrête,  nous 
sommes  à  Fougères,  la  seconde  ville  d'Ille-et-Yi- 
laine,  la  cité  industrielle  la  plus  considérable  de 
toute  la  Bretagne,  si  on  ne  considère  pas  Brest 
et  Lorient  comme  manufacturières  par  leurs  ar- 
senaux . 

Le  premier  aspect  de  Fougères,  aux  abords  de 
la  gare,  est  celui  dîme  grande  ville.  Une  longue 
et  large  rue,  bordée  de  maisons  hautes,  animée 
par  de  nombreux  passants,  s'ouvre  au  regard.  C'est 
la  voie  maîtresse  d'une  cité  de  cent  mille  âmes, 
et  Fougères  n'en  compte  pas  vingt  mille.  Mais  à 


i.  Voir  le  2e  volume  du  Voyage  en  France,  page  96. 


DE    VITRÉ    Al      MONT    SAINT-MICHEL.  287 

L'extrémité  de  cette  artère,  on  trouve  bientôl  une 
vieille  petite  ville  aux  rues  tortueuses,  étroites, 
bordées  de  maisons  à  porche.  L'haussmannisa- 
tion,  il  est  vrai,  fait  des  progrès  ;  ces  vieilles 
masures  disparaissent  peu  à  peu  pour  faire  place 
à  une  ville  propre,  niais  banalement  froide,  elle 
rappelle  Rennes  avec  moins  de  majesté. 

A  l'extrémité  d'une  de  ces  rues  se  groupent  les 
édifices  civils  et  religieux  de  la  ville,  près  d'une 
promenade  admirable,  plus  belle  encore  par  sa 
situation,  c'est  la  Place-aux-Arbres.  Il  faut  venir 
là  pour  comprendre  l'enthousiasme  de  Balzac  et 
de  Victor  Hugo  en  présence  du  site  de  Fougères. 
Le  pays,  hardiment  découpé  de  hautes  et  ver- 
doyantes collines,  creusées  de  vallons  et  de  ravins, 
offre  d'infinies  perspectives.  Les  eaux,  les  bois, 
les  rochers  forment  un  tableau  d'une  beauté  indi- 
cible. L'homme,  par  son  œuvre,  a  accru  encore  ce 
caractère  de  grandeur,  les  remparts  et  les  tours 
du  vieux  château  de  Fougères  sont  parmi  les  dé- 
bris les  plus  intéressants  de  la  France  féodale.  Ce 
petit  coin  de  la  Place-aux-Arbres  est  donc  un  bel- 
védère incomparable.  L'église  Saint-Léonard  l'a- 
voisine  et  lui  donne  plus  de  caractère  encore,  plus 
de  pittoresque  aussi,  grâce  à  ses  fantastiques  gar- 
gouilles, à  sa  balustrade  gracieuse.  Le  chemin 
ardu,  mais  ombreux  de  la   «  duchesse  Anne  », 


288  VOYAGE    EX    FRANCE. 

conduit  au-dessous  dans  la  vallée  du  Nançon,  près 

d'une  vieille  église,  Saint-Sulpice,  curieuse  sur- 
tout par  l'ornementation  de  ses  contreforts  ornés 
de  pyramides  appliquées  de  pur  style  flamboyant . 
Tout  autour  de  Saint-Sulpice,  au  bord  de  la  ri- 
vière, un  vieux  petit  faubourg  aux  maisons  de 
poutrelles  se  groupe  en  désordre  sous  les  hauts 
remparts  à  mâchicoulis  du  château.  C'est  au  bas 
de  la  ville,  dans  cette  vallée  du  Nançon,  qu'il  faut 
arriver  pour  emporter  de  Fougères  une  impression 
ineffaçable.  Les  ruines  sont  formidables,  tours, 
donjon,  courtines,  malgré  la  végétation  qui  s'est 
emparée  d'eux,  sont  encore  puissants  ;  par  delà 
ce  site  militaire,  la  ville  couvre  le  sommet  de 
l'abrupte  colline  de  ses  maisons,  de  ses  églises, 
de  ses  usines.  Le  château  est  le  point  capital  de 
ce  paysage  d'une  beauté  rare.  A  l'époque  où  je  le 
vis  pour  la  première  fois,  il  s'en  allait  pierre  par 
pierre,  à  l'entrée  était  une  des  parties  restées 
debout  ;  le  commandant  de  l'escadron  du  train  en 
garnison  à  Fougères  avait  réussi  à  s'y  créer  un 
logement  étonnant  par  la  grandeur  des  salles, 
l'épaisseur  des  murs  et  ses  dispositions  singu- 
lières. Les  tours  lui  servaient  de  magasins,  dans 
les  cours,  son  ordonnance  avait  créé  un  jar- 
dinet. Le  reste  de  l'antique  forteresse,  envahi 
par   une   végétation   puissante,    formait   le   plus 


DE    VITRÉ    AU    MONT    SAINT-MICHEL.  289 

étrange  et  le  plus  charmant  dédale  que  Ton  put 
voir. 

Aujourd'hui  la  ville  a  acquis  ces  ruines,  elle 
les  restaure,  puisse-t-elle  ne  pas  trop  les  embel- 
lir !  Les  tours  aux  noms  sonores  :  de  la  Have- 


hèr<is 


Saint-Hilaire,  de  Raoul,  de  Surienne,  de  Mélu- 
sine,  de  Pleguen,  du  Hallay,  étaient  superbes 
dans  leur  abandon.  Tragique  était  et  est  encore 
la  tour  du  Gobelin  surgissant  au-dessus  d'autres 
tours  accouplées  d'une  poterne. 

Aux  abords  du  château,  Fougères  a  laissé  de- 
bout des  rues  montueuses,  tortueuses,  étroites  et 


VOYAGE    EN    FRANCE.    —    V. 


1'.» 


290  VOYAGE    EN    FRANGE. 

amusantes,  où  la  vie  locale  a  conservé  toute  sa 
saveur.  Les  laitières  portant  le  lait  sur  l'épaule 
à  laide  d'un  singulier  instrument  à  quatre  pieds, 
les  paysans  revêtus  de  savons  en  poil  de  chèvre, 
les  ouvriers  et  les  ouvrières  rentrant  des  ateliers 
en  faisant  claquer  le  pavé  du  choc  de  leurs  sabots, 
donnent  à  ce  coin  archaïque  de  la  cité  un  carac- 
tère plus  archaïque  encore. 

Si  nous  rentrons  dans  la  ville,  nous  trouvons 
partout  cette  rumeur  des  sabots  et  des  galoches. 
Cela  est  d'autant  plus  étrange  que  Fougères  est 
la  ville  de  France  où  l'on  fait  peut-être  le  plus  de 
souliers.  Tout  le  monde  y  est  peu  ou  prou  cor- 
donnier ou,  tout  au  moins,  vit  par  le  commerce 
de  la  cordonnerie.  Fougères  lui  doit  sa  prospérité 
sans  cesse  grandissante.  Cette  industrie  de  date 
récente  a  emporté  toutes  les  autres.  On  ne  trouve 
aucune  trace  des  draperies,  des  teintureries,  des 
ateliers  de  bonneterie,  qui  firent  jadis  la  réputa- 
tion de  Fougères  dans  les  duchés  de  Bretagne, 
de  Normandie,  d'Anjou  et  du  Maine,  tout  a  dis- 
paru devant  la  chaussure.  Le  développement  de 
cette  fabrication,  loin  de  tout  autre  centre  indus- 
triel, dans  une  région  tenue  à  l'écart  des  grands 
courants  de  circulation,  est  des  plus  remarquables, 
c'est  un  de  ceux  dont  les  étapes  sont  le  mieux 
connues  ;  les  Fougerais  en  sont  fiers,  aussi  ont-ils 


DE    VITRÉ    AU     MONT    SAINT-MICHEL.  291 

patriotiquement  tenu  à  marquer  toutes  les  phases 
par  lesquelles  la  cordonnerie  est  passée,  depuis  les 
humbles  débuts  des  ateliers  pour  le  chausson  de 
tresse  jusqu'aux  vastes  usines  ou  travaillent  8,000 
ouvriers . 

J'ai  dû  à  M.  Dépasse,  qui  dirige  à  Fougères  un 
de  nos  meilleurs  journaux  de  province  et  qui  m'a 
guidé  dans  ma  visite,  des  renseignements  fort 
complets  sur  ]a  genèse  et  la  progression  de  cette 
industrie. 

Vers  1829  ou  1830,  un  industriel  implanta  à 
Fougères  la  fabrication  du  chausson  de  tresse, 
analogue  à  celui  que  l'on  fabrique  encore  dans 
les  prisons.  Les  femmes  tressaient  la  chaussure 
sur  la  forme  et  les  hommes  plaçaient  la  semelle  ; 
le  travail  était  peu  rémunéré,  les  femmes  gagnaient 
à  peine  de  15  à  20  centimes  par  jour  et  les  hom- 
mes un  franc  ;  malgré  ces  faibles  salaires,  on  aurait 
eu  peine  à  lutter  contre  la  main-d'œuvre  des  pri- 
sons sans  la  division  du  travail  pour  la  confection 
et  l'application  des  semelles.  On  put  réduire  à 
tel  point  le  prix  de  revient  que,  vers  1846,  Fou- 
gères comptait  10  fabricants  occupant  500  femmes, 
40  hommes  et  faisant  un  chiffre  d'affaires  de  près 
de  350,000  fr. 

En  1848,  les  entrepreneurs  du  travail  dans  les 


292  VOYAGE    EN    FRANGE. 

prisons  employèrent  les  procédés  en  usage  à  Fou- 
gères et  reprirent  la  supériorité  de  la  main-d'œu- 
vre, le  chausson  de  tresse  disparut  peu  à  peu 
d'Ille-et- Vilaine.  La  crise  fut  de  courte  durée,  un 
industriel  essaya  de  fabriquer  le  chausson  de  feu- 
tre, les  ouvriers  se  refusèrent  à  ce  labeur  nouveau, 
il  fallut  y  dresser  des  enfants  dont  le  succès  ra- 
mena la  population  au  travail.  En  même  temps 
on  commençait  d'une  façon  timide  la  fabrication 
de  la  chaussure  clouée  *,  on  ne  livra  d'abord  que 
le  grossier  article  d'hiver,  puis  les  commandes 
affluant,  on  fabriqua  le  soulier  d'été  -,  cependant 
cette  industrie  aurait  langui  sans  l'arrivée  d'un 
ouvrier  errant,  assez  triste  personnage,  en  somme, 
puisqu'il  est  en  ce  moment  détenu  dans  une  mai- 
son centrale,  mais  actif  et  intelligent.  Il  offrit  à 
l'un  des  patrons  de  lui  fabriquer  la  bottine  de  sa- 
tin, claquée,  à  talons,  demandant  comme  rému- 
nération 17  fr.  par  douzaine  ;  or,  il  en  faisait  une 
demi-douzaine  par  jour.  Séduits  par  cesrésultats, 
les  ouvriers  suivirent  l'exemple  et  apprirent  la 
fabrication  nouvelle. 

L'élan  était  donné,  désormais  le  nombre  des 
ateliers  ne  fit  que  s'accroître  \  bientôt  on  fabriqua 
tous  les  produits  ordinaires  de  cordonnerie  ;  en 
1872,  la  machine  à  piquer  avait  fait  son  appari- 
tion et  Fougères  comptait   5,000   ouvriers.  En 


DE    VITRÉ    AU    MONT    SAINT-MICHEL.  293 

1873  une  transformation  radicale  s'opéra;  la  ma- 
chine à  coudre  la  semelle  apparut  et  fit  complète- 
ment disparaître  la  couture  à  la  main.  Cette  pre- 
mière machine  est  du  reste  menacée  aujourd'hui 
par  un  nouvel  engin  :  la  machine  Goodyear,  qui 
reproduit  à  s'y  méprendre  la  couture  à  la  main. 
Enfin  le  montage  de  la  chaussure  à  la  main  tend 
à  céder  la  place  au  montage  mécanique. 

Cet  emploi  des  machines  a  causé  plus  d'une 
crise  à  Fougères,  les  ouvriers  voient  naturelle- 
ment d'un  très  mauvais  œil  l'accroissement  con- 
tinu de  ces  engins.  Un  certain  nombre  de  fabricants 
s'efforcent,  de  leur  côté,  de  réagir  en  appliquant  à 
l'extrême  la  division  du  travail,  ils  espèrent  ainsi 
produire  autant  par  la  main  que  par  la  machine 

Malgré  cette  crise,  du  reste  inévitable,  le  nom- 
bre des  ouvriers  est  aujourd'hui,  comme  je  l'ai 
dit,  de  8,000,  plus  400  à  500  employés,  voyageurs 
ou  commissionnaires  répartis  entre  33  fabriques, 
dont  quelques-unes  occupent  jusqu'à  1,000  per- 
sonnes, la  moyenne  étant  de  200  à  300.  La  pro- 
duction atteint  5  millions  de  paires  de  chaussures 
valant  environ  18  millions  de  francs  ;  dans  ce 
chiffre,  la  main-d'œuvre  entre  pourprés  d'un  tiers 
et  la  valeur  de  la  matière  première  pour  près  de 
la  moitié. 

11  est  assez  difficile  d'établir  le  prix  des  sa- 


294  VOYAGE    EN    FRANCE. 

laires,  l'industrie  de  la  cordonnerie  étant  sujette 
à   des  chômages  assez   prolongés   qui  réduisent 
considérablement  la  moyenne.  A  en  juger  par  le 
prix  des  façons  seulement,  les  hommes  devraient 
gagner  ô  ou  6  fr.  par  jour  et  les  femmes  3  ou  4  fr . , 
mais  les   chômages  réduisent   ces   salaires  d'un 
quart  ou  même  d'un  tiers .  Toutefois  la  situation 
n'est  pas  mauvaise  :  le  mari,  la  femme  et  l'enfant 
à  partir  de  13  ans  trouvent  à  s'occuper  dans  les 
ateliers.  Même  les  femmes  d'employés  à  1,800  ou 
2,400  fr.  travaillent  chez  elles  pour  la  piqûre  des 
tiges  ou  le  perlage,  c'est-à-dire  l'application    de 
motifs  en  perles  sur  les  bouts.   Cette  population 
est  excellente  ;  au  noyau  primitif  d'ouvriers  cita- 
dins possédant  par  atavisme  toutes  les  qualités 
qui  firent  la  réputation  de  l'artisan  de  Fougères, 
est  venue  se  joindre  une  forte  émigration  des  cam- 
pagnes voisines,   conservant  le  tempérament  du 
paysan  breton.  Le  travail  se  faisait  jusqu'ici  pres- 
que entièrement  en  famille,  il  tend  malheureuse- 
ment à  se  concentrer  dans  les  ateliers  ;  les  patrons 
évitent  ainsi  les  allées  et  venues  qui  étaient  une 
perte  sèche  pour  les  ouvriers  et  pour  eux.  Les 
femmes,  cependant,  piquent  encore  à  domicile, 
mais  le  nombre  de  fabriques  travaillant  exclusive- 
ment à  la  machine  s'accroît,  il  y  en  a  déjà  cinq 
aujourd'hui. 


DE    VITRÉ    AU    MONT    SAINT-MICHEL.  295 

La  chaussure  de  Fougères  est  surtout  pour 
femmes,  enfants  et  fillettes;  de  rares  maisons 
commencent  à  fabriquer  l'article  d'été  pour  hom- 
mes. D'ailleurs,  une  transformation  nouvelle 
s'opère  dans  la  cordonnerie:  la  chaussure  clouée, 
après  avoir  détrôné  la  chaussure  cousue,  est  à  son 
tour  chassée  par  celle-ci,  grâce  à  la  perfection  des 
machines.  Naturellement  un  certain  nombre  d'in- 
dustries annexes  se  sont  créées  :  trois  ou  quatre 
fabriques  de  cartonnage  produisent  les  boîtes  pour 
enfermer  chaque  paire  de  souliers  ;  deux  fabri- 
ques font  uniquement  des  talons  ;  des  ateliers  de 
perlage,  des  dépôts  de  machines  ou  de  fournitu- 
res, une  mégisserie  et  des  tanneries,  vivent  de  la 
fabrique  de  Fougères  ;  même  les  villes  voisines 
ont  créé  des  ateliers  :  Ernée  en  compte  trois, 
Pontorson  en  possède  une. 

A  en  juger  par  l'aspect  général  de  la  ville,  le 
dimanche  surtout,  la  population  ouvrière  de  Fou- 
gères vit  dans  une  certaine  aisance  ;  tout  le  monde 
est  très  correctement  vêtu  ;  si  les  femmes  ont 
conservé  avec  raison  la  coiffe  ou  le  bonnet  du 
pays,  elles  s'habillent  avec  une  véritable  élégance. 
La  grande  distraction  consiste  en  des  parties  de 
campagne,  surtout  dans  la  superbe  forêt  de  Fou- 
gères qui  renferme  des  sites  curieux. 

Tel  est  ce  centre  industriel,  imprévu  dans  ces 


296  VOYAfiE    EN    FRANCE. 

contrées  agricoles  et  herbagères  et  qui  s'accroît 
sans  cesse,  grâce  au  caractère  entreprenant  de  ses 
enfants.  Par  bien  des  côtés,  Fougères  appartient 
davantage  à  la  Normandie  qu'à  la  Bretagne.  Elle 
se  relie,  par  Ernée  et  Mayenne,  à  l'active  région 
dp  Fiers  et  de  Gondé-sur-Noireau,  mais  elle  a  su 
conserver  une  originalité  que  l'abus  de  l'aligne- 
ment n'a  point  fait  disparaître  encore.  La  cité 
natale  de  Lariboisière  —  à  qui  Fougères  a  élevé 
une  statue  —  mérite  d'être  visitée  à  plus  d'un 
titre.  N'eût-elle  que  les  lumineux  horizons  de  sa 
Place-aux- Arbres  et  sa  ruine  castrale  flanquée  de 
treize  tours,  elle  mériterait  d'attirer  l'attention. 

La  foret  de  Fougères  vient  jusqu'aux  portes  de 
la  ville.  Lorsqu'on  est  passé  au-dessous  de  la  cité 
par  un  petit  tunnel,  on  découvre  un  moment  les 
hautes  croupes  sombres  de  ces  vastes  bois  dans 
lesquels  le  Nançon  se  creuse  un  ravin  étroit  ci 
sinueux.  C'est  une  courte  apparition,  bientôt  la 
voie  ferrée  tourne  à  l'ouest  et,  dominant  de  haut 
la  vallée  où  FOysance  déroule  ses  méandres,  tra- 
verse le  pays  de  Goglès,  région  agricole,  tout  à  fait 
normande  d'aspect,  par  ses  herbages  et  ses  ver- 
gers de  pommiers.  D'ailleurs  la  Normandie  n'est 
pas  loin,  quand  on  est  descendu  dans  le  vallon  de 
l'Oysance,  on  atteint  rapidement  le  beau  bassin 


DE    VITIIÉ    AU     MONT    SAINT-MICHEL.  297 

de  prairies  où  la  petite  ville  d'Antrain  s'étend 
entre  l'Oysance  et  le  Gouesnon  et  Ton  entre  dans 
le  département  de  la  Manche.  Désormais  le  train 
court  à  travers  une  vallée  basse,  verdoyante,  aux 
prairies  encloses  de  haies,  complantées  de  pom- 
miers couverts  de  lichens.  Sur  les  rives  du  Goues- 
non de  hauts  peupliers,  au  feuillage  pâle  et  rare, 
se  détachent  sur  le  fond  brumeux  du  ciel,  les 
touffes  de  gui  faisant  dans  leur  ramure  de  grosses 
taches  sombres.  Vers  le  nord,  la  plaine  se  con- 
fond avec  des  horizons  laiteux  où  l'on  devine  la 
mer. 

Le  train  achève  son  parcours  dans  une  petite 
gare,  bruyante  en  été  ;  aux  abords  d'une  grosse 
bourgade  aux  larges  rues,  bordées  de  maisons  pit- 
toresquement  en  désordre.  Cette  petite  ville  de 
Pontorson,  assise  sur  le  Gouesnon,  ici  endigué, 
mais  où  remonte  le  tlot  marin  amenant  les  navires, 
est  la  porte  d'accès  de  Normandie  en  Bretagne. 
Lorsque  cette  dernière  province  était  autonome, 
le  tête  de  pont  avait  une  importance  capitale, 
aussi  le  gouverneur  avait-il  un  rang  important. 
Duguesclin  reçut  ce  gouvernement;  quelques-uns 
des  faits  les  plus  célèbres  de  son  histoire  se 
sont  passés  là,  dans  un  château  dont  on  cherche- 
rait vainement  les  débris. 

Pontorson   est   aujourd'hui    un   des   coins    de 


298  VOYAGE    EN    FRANCE. 

France  les  plus  fréquentés  par  les  touristes  -,  dans 
sa  gare  descendent  les  visiteurs  du  mont  Saint- 
Michel,  tout  aussitôt  transportés  par  de  vastes 
breacks  ou  omnibus  sur  la  route  monotone,  bordée 
de  tas  de  tangues,  côtoyant  un  chemin  de  fer  aban- 
donné qui  reliait  jadis  Pontorson  à  la  côte.  Voici 
les  polders  gagnés  sur  les  mornes  étendues  de  la 
grève,  et  au  fond,  apparition  merveilleuse,  éblouis- 
sante, inoubliable,  le  Mont  hérissé  de  tours,  de 
flèches,  d'aiguilles,  le  plus  sublime  des  poèmes 
de  pierre  élevés  par  la  main  des  hommes. 

Vous  décrirai-je  la  merveille  ?  Il  faudrait  un 
volume  entier  pour  dire  son  exquise  poésie,  la 
hardiesse  de  ses  murailles,  la  grâce  de  ses  colon- 
nades, l'élégance  de  ses  voûtes  gothiques.  Tant 
d'autres  l'ont  fait  en  des  livres  copieux ,  sans 
réussir  cependant  à  exprimer  l'impression  intense 
ressentie  devant  cette  floraison  de  granit  et  de 
marbre  surgie  au  milieu  des  solitudes  de  la  grève  ! 
Un  grand  poète  seul  pourrait  rendre  la  magie  de 
l'apparition.  Vingt  fois  déjà  j'ai  fait  le  chemin  de 
Pontorson  à  la  merveille  et  la  sensation  féerique 
s'est  toujours  renouvelée.  Hélas!  pourquoi  faut-il 
que  la  visite  du  Mont  ne  puisse  se  faire  sans  le 
cicérone  bavard,  en  compagnie  de  la  foule  arrêtée 
devant  les  détails  bizarres  ou  tragiques  et  passant 
rapidement  sous  les  nervures  des  grandes  salles 


DE     VITRÉ     AU     MONT    SAINT-MICHEL.  299 

ou  les  élégantes  et  frêles  colormettes  du  cloître? 
Combien  l'œuvre  grandiose  des  moines  artistes  et 
soldats  du  mont  Saint-Michel  semblerait  plus 
belle,  encore  si  on  pouvait  la  parcourir  autrement 
qu'en  troupeau  ! 


XVII 


LA    HOLLANDE    DE    NORMANDIE 


La  digue  du  mont  Saint-Michel.  —  A-t-elle  gâté  le  paysage  ?  — 
L'ancienne  forêt  de  Scissey.  —  Cataclysme  de  l'an  709.  — 
Reconquête  du  sol.  —  Fleuves  domptés.  —  Les  polders  rie 
l'ouest,  —  Dol,  le  mont  Dol  et  les  marais.  —  Cancale  et  ses 
huitrières.  —  La  pointe  du  Groin  et  l'île  des  Landes.  —  De 
Rothéneuf  à  Saint-Malo. 


Saint-Malo,  septembre. 

La  digue  du  mont  Saint-Michel  a  fait  verser 
beaucoup  d'encre.  On  lui  a  reproché,  comme  à  la 
tour  Eiffel,  de  manquer  aux  lois  de  l'esthétique. 
De  même  qu'on  regrette  les  diligences,  on  pleure 
l'époque  où  l'accès  du  mont  Saint-Michel  était 
souvent  interdit,  où  il  fallait  attendre  dans  les  pa- 
rages lugubres  de  Moidrey  le  bon  vouloir  de  la 
marée  et  des  vents.  La  digue  déshonore  le  Mont, 
dit-on,  elle  lui  dérobe  sa  poésie  en  lui  enlevant 
son  isolement. 

Est-ce  bien  vrai?  Lorsque  d'Avranches,  par 
exemple,  on  découvre  la  vaste  étendue  des  grèves 
au  milieu  desquelles  se  dresse  le  merveilleux  mo- 
nument, a-t-on  l'impression    qu'il  manque  quel- 


LA    HOLLANDE     DE     NORMANDIE.  301 

que  chose  à  l'aspect  d'isolement.  Même  le  voya- 
geur venu  de  Pontorson  et  voyant  surgir  devant 
lui  la  silhouette  du  Mont,  hérissée  de  tours  et 
d'aiguilles,  est-il  gêné  par  le  long  serpent  gris 
destiné  à  le  conduire  en  sécurité  à  Saint-Mi- 
chel? Tout  observateur  de  bonne  foi  l'avouera, 
l'attention  est  trop  violemment  sollicitée  par  la 
beauté  du  spectacle  pour  s'arrêter  à  ce  détail  de 
la  jetée,  pas  plus  choquée  que  par  le  long  ruban 
du  Couesnon  traînant  de  paresseuses  eaux  au  mi- 
lieu des  tanguières. 

Pendant  qu'on  s'élève  ainsi  contre  la  digue, 
une  autre  entreprise  se  fait  aux  détriments  de 
l'immense  grève,  œuvre  patiente  des  années  et 
des  siècles  pour  reprendre  le  sol  arraché  au  con- 
tinent par  le  grand  raz  de  marée  de  l'an  709. 

Avant  cette  époque,  la  vaste  ouverture  appelée 
de  nos  jours  la  baie  du  mont  Saint-Michel  avait 
été  comblée  par  des  atterrissements  pendant  des 
milliers  d'années;  une  ligne  de  dunes,  cordon  litto- 
ral comparable  à  tant  d'autres  formations  de  nos  ri- 
vages, séparait  de  la  mer  ces  terres  basses,  à  demi 
inondées,  où  une  végétation  puissante  de  bou- 
leaux, d'aunes,  de  peupliers,  de  saules,  de  chênes 
même  sur  les  parties  hautes,  avait  constitué  une 
forêt,  dite  de  Scissey.  Le  cataclysme  de  709  rompit 
le  cordon  des  dunes  et  le  dispersa  ;  la  forêt,  ba- 


302  VOYAGE    EN    FRANCE. 

lavée  par  une  mer  monstrueuse,  s'effondra  dans  le 
sol  délayé. 

Peu  à  peu,  le  flot,  passant  sur  les  immenses 
bancs  de  mollusques  de  la  baie,  s'y  chargea  de  dé- 
bris de  coquilles  ;  le  courant  lui  porta  les  matériaux 
arrachés  aux  falaises  par  les  tempêtes  ;  le  fond  de 
la  baie  se  colmata,  s'exhaussa  ;  à  la  longue  la 
région  comprise  entre  Cancale  et  Dol  fut  recou- 
verte seulement  par  les  plus  hautes  mers.  Les  ha- 
bitants imaginèrent  alors  de  les  séparer  du  flot 
par  une  digue  immense,  ouverte  à  de  rares  inter- 
valles pour  le  passage  des  ruisseaux  eux-mêmes 
endigués.  On  gagna  de  la  sorte  un  vaste  territoire 
ayant  comme  pour  noyau  un  îlot  granitique,  le 
mont  Dol,  comparable  au  mont  Saint- Michel  et 
à  Tombelaine. 

L'opération  fut  entreprise  au  xif  siècle.  La 
digue  construite  ainsi  en  plein  moyen  âge  ne 
compte  pas  moins  de  36  kilomètres;  des  collines 
de  Cancale  à  la  baie  de  Pontorson,  14,000  à  15,000 
hectares  de  terres  fertiles  furent  répartis  entre  23 
paroisses  de  nouvelle  formation  ou  de  l'ancien 
littoral.  Cette  œuvre  immense  a  accru  dans  d'é- 
normes proportions  la  richesse  du  pays,  on  évalue 
les  terres  nouvelles  à  50  millions,  leur  produit 
dépasse  deux  millions  par  an. 

Le  marais  de  Dol  n'est  rien  comme  étendue 


LA    HOLLANDE    DE    NORMANDIE.  303 

auprès  des  autres  terres  à  conquérir.  Il  y  a  là 
plus  de  cent  cinquante  kilomètres  carrés  décou- 
verts à  mer  basse.  Gomme  aux  temps  préhistori- 
ques, l'Océan  arrache  aux  bancs  de  mollusques  de 
Gancale,  aux  récifs  des  Chausey,  aux  falaises  du 
Cotentin  des  débris  minéraux,  végétaux  ou  ani- 
maux triturés  par  le  flot,  réduits  en  une  argile 
ténue  et  apportés  deux  fois  par  jour  sur  la  grève. 
Le  flot  repoussant  toujours  vers  le  fond  de  la  baie 
ces  éléments  de  colmatage,  on  voit  bientôt  la  laisse 
des  plus  hautes  mers  se  couvrir  de  végétation 
dont  les  débris  d'abord,  puis  les  poussières  rete- 
nus dans  les  touffes  exhaussent  le  sol.  Cette 
première  végétation  est  formée  par  une  plante 
sans  valeur  agricole,  appelée  criste-marine  (Sali- 
coma herbacea),  d'aspect  misérable,  à  la  coloration 
neutre,  vivant  dans  les  terres  encore  salines. 
Lorsque,  par  suite  de  l'exhaussement,  la  criste-ma- 
rine croît  à  llm,50  au-dessus  des  basses  mers,  elle 
n'est  plus  atteinte  par  le  flot  salé  que  pendant  les 
plus  hautes  marées,  —  elles  s'élèvent  à  près  de 
17  mètres  dans  le  fond  de  la  baie  —  alors  elle 
fait  place  à  un  gazon  très  fin,  court,  presque  feu- 
tré, VAgrostis  maritima  des  naturalistes,  appelé 
herbu  dans  le  pays.  Cet  herbu  constitue  le  pré 
salé,  les  moutons  le  mangent  avec  avidité. 

Les  habitants  l'ont  constaté  depuis  longtemps  ; 


304  VOYAGE    EN    FRANGE. 

la  grève,  à  cet  état,  devient  apte  à  la  culture,  on 
pourrait  môme  prévoir  le  moment  où  toute  la  baie 
aurait  été  couverte  d'herbu,  sans  le  rôle  des  ri- 
vières et  des  ruisseaux,  notamment  le  Couesnon, 
la  Sée  et  la  Sélune.  Ces  cours  d'eau,  d'un  assez 
faible  débit  en  été,  deviennent  en  hiver  et  au  prin- 
temps des  torrents  dont  les  eaux,  rencontrant  peu 
de  résistance  dans  le  sol  des  herbus,  s'y  creusent 
des  lits  nouveaux  et  annulent  l'effet  des  forces  in- 
conscientes de  la  mer.  En  maintenant  les  cours 
d'eau  dans  un  chenal  immuable,  on  devrait  donc 
empêcher  la  destruction  des  prés  salés  ou  des 
grèves  de  criste-marine  et  aider  à  la  formation  des 
terres  aptes  à  la  culture.  Telle  est  l'idée  qui  a 
amené  la  création  d'une  société  ayant  pour  but 
de  mettre  en  valeur  les  grèves  de  la  baie,  à  me- 
sure qu'elles  seraient  aptes  à  recevoir  la  charrue. 
Le  colmatage  se  faisait  surtout  au  fond  de  la 
baie,  vers  l'embouchure  du  Couesnon,  c'est-à-dire 
au  delà  de  la  digue  des  marais  de  Dol  qui  abou- 
tissait à  l'anse  de  Moidrey,  formée  par  l'estuaire 
du  petit  fleuve.  L'herbu  avait  peu  à  peu  gagné  ; 
sa  vaste  pelouse  servait  au  pâturage  des  oies  et 
des  moutons  ;  les  premières  arrivaient,  elles  arri- 
vent encore  le  matin,  paissent  et  rentrent  le  soir 
à  la  ferme.  Les  moutons,  au  contraire,  paissent 
tout  l'été  sur  la  grève,  sauf  pendant  les  courtes 


s  || 


5  "C 


VOYAGK    EN   FRANCE.   V 


20 


306  VOYAGE    EN    FRANGE. 

heures  où  les  grandes  marées  envahissent  l'herbu . 
On  a  entrepris  de  rendre  ces  prairies  inaccessi- 
bles à  la  mer,  en  les  enclosant  d'un  haut  talus. 
Le  procédé  était  simple  et  dune  réussite  certaine, 
mais  les  rivières,  lors  de  leurs  inondations,  dé- 
truisaient les  talus  et  ramenaient  à  l'état  de  grève 
les  enclos  ou  polders  —  d'après  le  mot  emprunté 
aux  Hollandais.  — -Le  Couesnon,  surtout,  a  diva- 
gué de  telle  sorte,  que  son  cours,  formant  la  sé- 
paration entre  la  Normandie  et  la  Bretagne,  a  sou- 
vent fait  varier  la  limite  des  deux  provinces.  Un 
proverbe  local  a  consacré  le  souvenir  de  ces  fan- 
taisies : 

Le  Couesnon,  par  sa  folie, 
A  mis  le  Mont  en  Normandie. 

A  diverses  reprises,  les  marais  de  Dol  furent  bou- 
leversés ;  on  ne  les  tint  en  état  qu'au  prix  de  tra- 
vaux constants  ;  pendaut  la  Révolution,  la  guerre 
de  Vendée,  qui  s'étendit  jusqu'à  Gran ville  et  fui 
marquée  par  de  rudes  combats  à  Fougères,  An- 
train  et  Pontorson,  empêcha  l'entretien  des  digues. 
En  1791,  le  petit  fleuve  les  détruisit  sur  8  kilomè- 
tres :  8,000  hectares  furent  dévastés  ;  après  les 
luttes  civiles,  un  syndicat  de  propriétaires  réussit 
à  reconstituer  les  travaux  de  défense. 

Vers  1858,  alors  que  les  capitaux  et  les  éner- 


LA    HOLLANDE    DE    NORMANDIE.  307 

gies  entreprenaient  de  gagner  à  la  culture  les  dé- 
serts de  notre  territoire  :  Landes,  Sologne,  Double, 
Brenne,  Beauce,  etc.,  une  compagnie  se  créa  pour 
rendre  plus  efficaces  les  efforts  des  propriétaires 
riverains  et  des  syndicats.  Cette  compagnie,  de- 
venue aujourd'hui  la  compagnie  des  polders  de 
l'Ouest,  reçut  la  concession  de  3,000  hectares 
de  terrain  à  prendre  dans  la  baie  du  mont  Saint- 
Michel  et  1,000  hectares  à  prendre  de  l'autre 
côté  du  Cotentin,  dans  la  baie  des  Veys,  à  l'em- 
bouchure de  la  Vire  \ 

Les  3,000  hectares  concédés  étaient  sans  cesse 
bouleversés  par  le  Couesnon  ;  il  fallait  endiguer 
le  fleuve  et  l'obliger  à  conduire  ses  eaux  au  delà 
du  mont  Saint- Michel.  Un  nouveau  lit  fut  ou- 
vert, tant  dans  les  terres  déjà  asséchées  que  dans 
la  «  grève  blanche  ».  Grâce  à  des  procédés  très 
simples,  un  canal  de  5,600  mètres  a  été  creusé 
par  le  seul  jeu  des  courants  contraires  de  la  mer 
et  du  fleuve.  Contenu  par  les  enrochements,  le 
vagabond  Couesnon  s'est  assagi,  il  est  devenu  un 
cours  d'eau  tranquille  ;  à  marée  haute,  il  porte 
de  petits  navires  jusqu'aux  abords  de  Pontorson. 
La  tangue  en  suspension  a  trouvé  dans  les  digues 
du  canal  un  obstacle  qui  les  oblige  à  se  déposer 


Voir  le  chapitre  XXIV. 


308  VOYAGE    EN    FRANCE. 

et  Ton  a  gagné  sur  la  mer  plus  de  2,000  hectares 
de  terres  fertiles,  dont  l'étendue  s'accroît  peu  à 
peu  par  le  remplacement  en  herbu  des  zones 
occupées  par  la  criste  marine. 

Le  Couesnon  a  désormais  son  débouché  fixe  à 
l'ouest  du  mont  Saint-Michel  ;  du  haut  de  la  ville 
on  distingue  très  bien,  à  marée  basse,  le  ruban 
des  eaux  à  travers  la  grève. 

Le  Couesnon  dompté,  il  fallait  empêcher  les 
autres  rivières  de  venir  divaguer  par  la  grève. 
Une  ligne  d'enrochements  partant  de  la  pointe  de 
Rochetorin,  près  de  Courtils,  et  formant  digue 
submersible,  se  dirigea  vers  le  mont  Saint-Michel 
sur  une  longueur  de  6,200  mètres.  Enfin  la  fa- 
meuse digue -route  du  mont  sert  également  de 
base  au  colmatage.  Les  adversaires  de  la  digue 
disent  qu'elle  a  pour  effet,  en  retenant  les  eaux, 
de  les  amener  à  battre  les  murailles  du  Mont  qui 
menaceraient  ruine.  S'il  en  était  ainsi,  ce  serait 
désastreux,  mais  on  pourrait  remédier  au  mal  en 
créant  aux  abords  du  Mont  une  série  d'arceaux  ou 
un  pont-levis  qui  permettraient  aux  courants  de 
contourner  le  rocher  au  lieu  de  lui  donner  assaut. 

Gela  n'a  pas  suffi  :  d'autres  ruisselets  aidaient 
à  la  désagrégation  des  grèves,  on  les  a  conduits 
par  des  digues  jusqu'au  Couesnon. 

Ceci  obtenu,  on  a  pu  enclore  les  polders.  Dès 


LA    HOLLANDE    DE    NORMANDIE.  309 

qu'un  sol  est  cultivable,  et  il  Test  seulement 
lorsque  l'herbu  a  remplacé  la  criste  marine,  on 
l'entoure  d'un  talus  en  terre  dont  l'étanchéité  est 
obtenue  par  un  procédé  local  curieux  appelé  le 
Usage.  Ce  sont  des  remblais  de  sable  et  de  tangue 
pilonnés,  arrosés,  pétris  avec  les  pieds  et  remplis- 
sant une  sorte  d'ossature  de  pierraille  et  de  blocs 
de  schistes  apportés  des  carrières  de  Beauvoir  et 
de  Roz-sur-Couesnon.  Cette  masse  molle,  sem- 
blable à  de  l'argile,  devient,  une  fois  desséchée, 
d'une  extraordinaire  dureté.  Les  talus  intérieurs 
sont  revêtus  de  gazon,  un  fossé  les  borde,  reçoit 
les  eaux  de  pluie  ou  d'infiltration  et  les  conduit, 
à  mer  basse,  jusque  dans  le  Couesnon. 

Les  enclos  ou  polders  ainsi  obtenus  ont  été 
réunis  au  moyen  de  chemins  carrossables  ;  pour 
en  assurer  la  mise  en  valeur,  on  a  créé  daus  un 
grand  nombre  d'entre  eux  des  petits  hameaux  des- 
tinés aux  ouvriers  et  aux  fermiers. 

Aujourd'hui  (débuts  de  1895),  la  compagnie  a 
mis  en  valeur  une  étendue  de  2,021  hectares  20 
ares 30  centiares,  répartis  entre  40  polders  de  terres 
excellentes  où  prospèrent  les  céréales,  les  racines 
et  toutes  les  plantes  fourragères  et  légumineuses. 
Les  tentatives  de  divers  fermiers  ont  démontré 
que  le  sol  était  très  propre  à  la  culture  maraî- 
chère :  asperges,  artichauts,   choux-fleurs,  radis, 


310  VOYAGE    EN    FRANCE. 

oignons,  pois,  etc.,  y  donnent  de  beaux  produits. 
Les  terres  sont  affermées  par  baux  de  9  et  12  an- 
nées entre  150  et  200  fr.  l'hectare.  Même  certains 
polders  situés  à  l'est  ont  atteint  jusqu'à  240  fr. 
l'hectare  \ 

Une  visite  des  polders  est  fort  intéressante  ;  j'ai 
parcouru  aujourd'hui  les  terrains  nouvellement 
conquis  et  les  marais  de  Dol.  Le  paysage  est 
ample  et  majestueux  par  la  simplicité  et  l'hori- 
zontalité de  ses  lignes,  comme  par  sa  profonde 
solitude.  En  dehors  des  grandes  fermes  où  se 
centralisent  les  travaux  d'exploitation  de  chaque 
polder,  il  n'y  a  aucune  habitation.  Ces  fermes, 
construites  sur  de  vastes  plans,  alimentées  d'eau 
amenée  des  collines  voisines,  présentent  un  ordre 
et  un  aménagement  bien  rares  en  Bretagne*,  un 
bétail  superbe  remplit  les  étables.  Tout  autour 
les  champs  disposent  leurs  damiers  entre  les  le- 
vées des  polders,  celles-ci  sont  elles-mêmes  livrées 
parfois  à  la  culture,  l'asperge  y  prospère.  On  a 
sous  les  yeux  un  paysage  agricole  qui  rappelle, 
avec  la  variété  en  plus,  les  riches  contrées  du 
Xord,  Picardie  et  Flandre. 


1.  Ces  renseignements  sont  résumés  d'après  une  notice  publiée 
à  l'occasion  de  l'Exposition  de  1878  par  la  compagnie  des  pol- 
ders et  une  autre  rédigée  pour  l'École  des  ponts  et  chaussées 
par  le  regretté  Dnrand-Claye. 


LA    HOLLANDE    DE    NORMANDIE.  «311 

Tout  autre  est  l'aspect  du  marais  de  Dol.  La 
conquête  du  sol  y  étant  bien  plus  ancienne,  la 
propriété  y  étant  bien  plus  morcelée,  on  sent  da- 
vantage l'intensité  de  la  vie  humaine  ;  les  champs, 
de  moyenne  étendue,  sont  entourés  d'arbres  : 
frênes,  saules,  peupliers.  A  l'est,  les  terres  recon- 
quises sont  bordées  par  une  haute  falaise  grani- 
tique allant  de  Roz-sur-Couesnon  aux  abords  de 
Dol;  cette  falaise,  couverte  de  beaux  châtaigniers 
et  de  chênes,  est  longée  par  une  route  où  les  mai- 
sons se  suivent  presque  sans  interruption,  mai- 
sons de  granit,  dont  beaucoup,  d'apparence  cossue, 
sont  fleuries  de  géraniums  et  de  roses  trémières. 
Des  arbres  surchargés  de  fruits  :  pommiers  et  poi- 
riers, quelques  noyers,  ombragent  les  jardins  et 
peuplent  les  vergers.  C'est  un  joli  petit  pays, 
digne  d'une  visite.  Les  enfants  d'un  orphelinat 
établi  à  Saint-Broladre,  que  j'ai  rencontrés,  jouant 
sous  les  châtaigniers,  ont  une  mine  de  santé  et 
de  joie  qui  fait  l'éloge  de  ce  doux  climat  où  les 
fuchsias  et  les  figuiers  poussent  en  pleine  terre. 

Mais  à  l'ouest,  la  falaise  étant  trop  éloignée  des 
cultures,  le  marais  s'anime  ;  presque  chaque  lot 
de  terre  a  sa  maison,  chaumière  de  granit  aux 
porches  arrondis,  ou  maisons  modernes  dont  les 
ouvertures  entourées  de  grands  linteaux  en  granit 
laissent  pénétrer  à  flot  la  lumière.   Chacune  de 


-Pnnf   auHcu'£fê 


ETAT   ANCIEN    DES    ABORDS    DU   MONT    SAINT-MICHEL. 
1 


Échelle  au 


so.uou 


Mg?it,SÎ  Michel 


ETAT   ACTUEL    DES    ABORDS    DU    MONT    SAINT-MICHEL. 


Echelle  au  — 

80,000 


314  VOYAGE    EN    FRANGE. 

ces  maisons  porte  à  l'entrée  une  inscription  di- 
sant le  nom  de  celui  qui  l'a  fait  construire,  celui 
de  sa  femme,  et  la  date  de  la  construction. 

Ici  la  culture  est  bien  bretonne  d'allure,  le  sarra- 
sin fleuri  épand  ses  blanches  nappes  entre  les  arbres. 
De  superbes  aspergières  et  des  semis  de  maïs- 
fourrage,  des  épis  lourds  et  serrés,  des  pommes 
de  terre  aux  fanes  vigoureuses  montrent  que  le  pro- 
grès agricole  se  fait  ressentir  ;  le  bétail  est  rare, 
les  oies  sont  peu  nombreuses,  mais  chaque  ferme 
a  sa  bande  de  canards  et  son  troupeau  de  dindons 
conduit  par  un  enfant.  Peu  ou  pas  de  hameaux, 
il  faut  aller  sur  le  rivage  pour  trouver  des  agglo- 
mérations. La  route  qui  borde  la  grève  à  hauteur 
de  Saint-Broladre  jusqu'à  Saint-Benoît-des-On- 
des,  est  une  longue  rue  de  10  kilomètres,  avec  un 
petit  port  au  Vivier.  La  vie  a  dû  être  active  sur 
ce  rivage  dès  la  création  de  la  digue.  Il  y  a  quel- 
ques belles  demeures,  notamment,  près  de  Cher- 
neix,  la  pittoresque  gentilhommière  de  Y  Aumône. 

Autant  donc  les  polders  de  Pontorson  sont  dé- 
serts, autant  le  reste  du  marais  jusqu'à  Saint- 
Benoît-des-Ondes  est  populeux.  Non  aux  abords 
mêmes  de  Dol  où  ils  forment  une  vaste  étendue 
de  prairies,  donnant  à  la  vieille  cité  épiscopale 
un  si  Lrrand  caractère  d'isolement. 


LA     HOLLANDE    DE    NORMANDIE.  3iO 

Dol  mérite  un  instant  d'arrêt  ;  lorsqu'on  a  tra- 
versé les  larges  avenues  bordées  d'arbres  reliant 
la  gare  à  la  ville,  on  découvre  tout  à  coup  une 
vieille  petite  cité  dont  la  pittoresque  grande  rue 
est  encore  bordée  çà  et  là  d'antiques  maisons  à  pi- 
gnon, à  façade  reposant  sur  des  galeries  à  colon- 
nes, ornées  de  chapiteaux  curieusement  fouillés. 
La  maison  des  plaids,  d'autres  encore  arrêtent  le 
regard.  La  cathédrale,  si  délabrée,  si  sordidement 
entourée,  est  restée  belle  en  dépit  de  l'abandon 
dont  elle  est  l'objet;  ses  verrières,  la  légèreté  de 
ses  arceaux,  la  belle  ordonnance  du  plan  en  font 
un  des  monuments  les  plus  intéressants  de  tout*1 
la  Bretagne. 

Mais  le  charme  de  Dol  est  la  vue  immense 
qu'on  découvre  de  la  petite  place  entourant  la 
halle  et  ornée  de  deux  vieilles  colonnes.  Par  une 
grille  on  aperçoit  la  grasse  campagne  des  marais, 
prés  plantés  de  grands  arbres  dominés  parla  haute 
butte  du  mont  Dol,  qui  fut  longtemps,  comme  le 
mont  Saint-Michel,  une  île  dans  la  grève. 

Le  mont  Dol  est  à  deux  kilomètres  de  la  ville. 

Vu  de  Dol,  il  n'est  guère  qu'un  renflement  du 
sol,  car  il  est  en  partie  dissimulé  par  les  arbres, 
mais  si  on  l'aborde  par  le  nord-est,  il  se  présente 
comme  une  belle  falaise  de  granit,  escaladée  par 
des  châtaigniers  vigoureux,  dont  les  ressauts  sont 


316  VU Y AGE    EN     FRANCE. 

couverts  d'un  gazon  éj->ais,  de  fougères  et  de  fleu- 
rettes ;  un  sentier  étroit  gravit  le  mont,  dessinant 
son  ruban  fauve  dans  la  verdure,  dominant  des 
soupçons  de  précipices,  de  petites  parois  à  pic 
entaillées  par  les  carriers  qui  débitent  le  roc  en 
pavés  pour  les  villes  voisines.  C'est  une  sorte  de 
réduction  Collas  d'une  montagne  sérieuse,  c'est 
charmant,  d'un  charme  très  intime  et  personnel. 
Lorsqu'on  a  atteint  le  sommet  du  mont,  65  mè- 
tres au-dessus  de  la  mer,  on  se  trouve  sur  un  pla- 
teau en  forme  de  cuvette,  très  vert  ;  une  douzaine 
de  châtaigniers  énormes  étendent  des  ombres  vi- 
goureuses jusqu'à  une  mare  aux  eaux  louches 
que  les  habitants  appellent  la  Fontaine.  Deux 
moulins  à  vent,  deux  ou  trois  maisons,  une  petite 
chapelle  attendant  son  remplacement  par  un  plus 
vaste  édifice,  comme  l'indique  un  tronc  placé  à  la 
porte  d'une  tour  carrée,  isolée,  surmontée  d'une 
statue  colossale  de  la  Vierge,  sont  épars  sur  le 
plateau.  Le  point  culminant  est  un  amas  de  granit 
surplombant  la  falaise  du  nord.  De  là  on  a  une 
merveilleuse  vue  sur  un  paysage  grandiose.  Au 
premier  plan,  sous  les  pieds,  l'immensité  des  ma- 
rais de  Dol,  mer  de  verdure  où  le  feuillage  argenté 
des  saules  plantés  en  bordure  formerait  l'écume 
des  vagues  au  milieu  des  Ilots  sombres  repré- 
sentés par  la  ramure  des  frênes,  des  peupliers  et 


LA    HOLLANDE    DE    NORMANDIE.  317 

des  pommiers.  Pais  la  mer,  la  vraie  mer,  étince- 
lante,  ouverte  entre  la  pointe  de  Gancale,  bordée 
d'îles,  la  longue  côte  de  l'Avranchin,  la  pointe 
sombre  de  Carolles  et,  très  distincte,  Granville 
sur  son  rocher.  Le  mont  Saint-Michel  se  projette, 
d'une  blancheur  apaisée,  à  la  limite  des  flots  bleus 
de  T Océan  et  de  la  nappe  verte  des  marais.  A  Test, 
au  sud,  -à  l'ouest,  c'est  comme  une  forêt  sans  fin, 
formée  par  les  bordures  des  champs  et  les  pomme- 
raies qui  font  de  cette  partie  de  la  Normandie  et 
de  la  Bretagne,  de  Mortain  à  Dinan,  de  Saint- 
Malo  à  Fougères,  un  interminable  bocage.  Du 
milieu  des  arbres  pointent  des  flèches  d'église,  la 
cathédrale  de  Dol  se  détache  tout  entière  sur  ce 
fond  vert  et  paraît  le  centre  de  l'immense  tableau. 

En  redescendant  du  mont,  on  est  de  nouveau 
dans  les  chemins  plats,  bordés  de  frênes  du  marais. 

On  retrouve  des  collines  au  delà  de  Saint-Be- 
noît-des -Ondes,  au  pied  de  Saint-Méloir-des- 
Ondes.  Elles  forment  un  joli  pays,  boisé,  vert, 
doucement  ondulé  et  de  plus  en  plus  animé  à 
mesure  qu'on  approche  de  Gancale,  où  les  pentes 
douces  font  place  à  des  roches  déchiquetées.  La 
ville  elle-même  est  à  demi  paysanne.  Les  rues 
sont  des  routes  étalées  à  travers  la  campagne  ; 
le  centre,  appelé  le  bourg,  est  moins  considérable 
que  la  partie  maritime,  où  l'on  descend  par  une 


318  VOYAGE    EN    FRANCK. 

rue  en  pente  rapide.  Ce  port  de  Cancale  est  en 
réalité  une  grève  vaseuse  dont  une  partie  est  fer- 
mée par  deux  jetées  entre  lesquelles,  au  pied  de 
la  falaise,  se  groupent  les  maisonnettes  basses  des 
pécheurs,  c'est  la  Houle,  le  plus  pittoresque  de 
nos  ports  de  pèche,  celui  où  se  pressent  le  plus 
grand  nombre  de  bateaux,  dont  l'animation,  les 
mœurs  et  les  costumes  ont  le  plus  séduit  les  pein- 
tres. Une  bordure  de  jolies  collines,  de  hauts  ro- 
chers, un  moulin  à  vent  sur  la  pointe,  forment  à 
la  Houle  un  cadre  charmant.  Au  large,  dans  la 
partie  de  la  baie  qui  ne  couvre  jamais,  mais  à  une 
faible  distance,  surgit  le  rocher  de  Cancale,  de  for- 
midable aspect.  Cet  écueil  superbe  est  le  parrain 
d'une  foule  de  restaurants  de  province  séduits  par 
la  vogue  du  fameux  rocher  de  Cancale  parisien, 
où  Ton  dégustait  les  succulentes  huîtres,  les 
plus  belles  sinon  les  meilleures  de  France. 

Pauvre  rocher  de  Cancale  !  Son  nom  couvre  au- 
jourd'hui une  situation  peu  brillante.  La  culture 
des  huîtres  n'a  pas  pris  ici  le  développement  qu'on 
aurait  pu  attendre.  Lps  procédés  d'élevage,  un 
peu  barbares,  sont  loin  de  l'organisation  savante 
d'Arcachon,  de  Marennes  et  de  l'île  d'Oleron1. 


i.   Voir,  pour  la  culture  des  huîtres  dans  ces  pays,  la  3e  série 
du  Voyage  en  France,  chapitres  I,  II  et  III. 


LA     HOLLANDE    DE    NORMANDIE.  319 

An  lieu  de  se  livrer  principalement  à  la  récolte 
du  naissain,  on  récolte  surtout  les  bancs  natu- 
rels de  la  baie  au  moyen  de  la  drague,  ces  bancs 
s'étendent,  entre  Cancale  et  Granville,  sur  une 
ligne  allant  de  l'îlot  de  Tombelaine  à  la  maîtresse 
île  des  Chausey.  Les  deux  ports  de  Cancale  et  de 
Granville  se  disputent  la  possession  exclusive  d'une 
partie  de  ces  bancs  immenses  où  des  milliards 
de  mollusques  se  reproduisent  ;  ne  voulant  pas 
prendre  parti  dans  le  débat,  l'administration  de 
la  marine  a  fait  comme  le  juge  dans  l'Huître  et  les 
Plaideurs,  elle  s'est  adjugé  les  bancs  litigieux  et 
les  garde  pour  réserve,  autorisant  un  instant  la 
pèche  en  avril.  Grâce  à  cette  mesure,  on  a  pu  em- 
pêcher la  drague  de  dévaster  ces  précieuses  res- 
sources. 

La  pêche  à  la  drague  se  fait  au  moyen  de  près 
de  500  bateaux1,  montés  chacun  par  cinq  hom- 
mes. L'autorisation  de  pêcher  est  donnée  par  un 
coup  de  canon.  Les  bateaux  sont,  à  l'avance,  cou- 
verts de  toile,  la  flottille  entière  semble  frémir, 
le  coup  de  canon  tonne  et,  aussitôt,  ces  centaines 
de  voiles  s'inclinent  au  vent  et  s'élancent  au  large. 
Il  n'est  pas  de  régates  au  monde  qui  vaillent 
ce  caravan  de  Cancale.  Les  voiles  se  dispersent 


i.  494   bateaux  jaugeant  3,383   tonnes,   avec   2,320  hommes 
'équipage;  ils  ont  dragué,  en  1889,  1,234  tonnos  d'huîtres. 


320  VOYAGE    EN     FRANCE. 

sur  le  banc  et  bientôt  les  embarcations  commen- 
cent à  traîner  leurs  dragues  et  à  se  remplir  du 
produit  de  la  pêche. 

Aux  grandes  marées,  les  bancs  découvrent;  alors 
la  population  entière  de  la  côte,  des  marais  et  des 
collines  se  rue  sur  ces  espaces  pour  faire  la  cueil- 
lette. On  appelle  cela  la  pèche  des  «  marauds  » 
à  cause  des  gens  du  marais.  En  une  seule  marée 
on  a  pris  jusqu'à  1,500,000  mollusques.  En  1890, 
la  pêche  totale  avait  atteint  6  millions;  en  1874, 
elle  était  de  25  ou  30  millions,  c'est-à-dire  que 
les  bancs  s'appauvrissent  à  la  fois  par  l'emploi  de 
la  drague  détruisant  beaucoup  de  jeunes  huîtres 
et  par  l'abus  de  la  récolte.  Si  l'on  pouvait  laisser 
les  bancs  en  repos  deux  ou  trois  ans,  on  aurait 
rapidement  reconstitué  la  fortune  de  Gancale. 

Si  le  nombre  des  huîtres  de  Gancale  diminue, 
le  prix  s'abaisse.  Cette  situation  étrange  est  due 
à  l'invasion  de  plus  en  plus  grande  de  l'huître 
portugaise  à  Paris,  où  elle  entre  pour  les  neuf 
dixièmes  dans  la  consommation  ;  son  bas  prix  est 
d'une  concurrence  terrible.  L'huître  de  Gancale 
vaut  11  fr.  le  panier  de  cent  à  Gancale;  avec  le 
transport  elle  revient  à  12  fr.  à  Paris,  soit  1  fr.  45  c. 
la  douzaine.  Elle  est  vendue  2  fr.  50  c.  par  les 
écaillères. 

Les  huîtres  draguées  ou  recueillies  aux  grandes 


LA     HOLLANDE    DE    NORMANDIE.  321 

marées  sont  versées  dans  des  parcs  ;  chaque  ba- 
teau, en  revenant,  s'arrête  au-dessus  de  son  parc, 
reconnaissable  à  certains  indices  et  y  vide  sa 
pêche  qui  sera  ensuite  disposée  à  marée  basse 
par  les  femmes.  En  deux  ans  l'huître  obtient  toutes 
ses  dimensions  et  la  belle  forme  qui  permet  de 
distinguer  à  première  vue  les  produits  de  G  an- 
cale.  Mais  la  pêche  des  bancs  ne  peut  suffire;  on 
a  appliqué  les  procédés  de  M.  Goste  en  disposant 
des  collecteurs  dans  les  parties  les  plus  basses  de 
la  grève  ;  dans  le  langage  local,  ce  sont  les  éta- 
lages. Le  naissain  recueilli,  après  un  séjour  dans 
des  ruches  en  bois,  contenant  aussi  de  jeunes 
huîtres  amenées  du  sud-ouest,  notamment  de  Ma- 
rennes,  est  placé  dans  des  claires  où  les  mollusques 
restent  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  atteint  une  taille 
marchande.  Les  172  hectares  de  claires  et  d'éta- 
lages de  Cancale  sont  répartis  entre  1,276  parts. 
Chaque  jour,  à  mer  basse,  hommes,  femmes,  en- 
fants se  rendent  dans  les  claires  pour  les  net- 
toyer de  la  vase,  du  sable  et  des  débris  d'ani- 
maux et  de  plantes  marines  apportés  par  le 
flot1. 

Granville  participait  jadis  à   cette   industrie, 


1.  Je  n'entrerai  pas  ici  dans  de  plus  amples  détails  sur  la 
culture  des  huîtres.  Elle  a  été  longuement  exposée  dans  le 
se  volume. 


VOYAGE    EN'    FRANCE. 


21 


322  VOYAGE    EN    FRANCE. 

mais  il  n'y  a  plus  de  parcs  près  de  cette  ville,  ils 
sont  tous  concentrés  autour  de  Gancale. 

La  grève  immense  du  mont  Saint-Michel  se* 
termine  en  face  de  Gancale.  Le  «  rocher  »  et  l'île 
des  Rimains  sont  déjà  en  dehors  de  ces  terres 
découvertes  à  basse  mer.  La  côte,  à  partir  de  là, 
est  superbe,  hautes  roches  et  belles  plages  se  suc- 
cèdent. Non  loin,  à  l'extrême  pointe  de  la  pres- 
qu'île, une  anse  dite  de  Port-de-Mer  est  bordée 
d'une  jolie  grève.  De  cette  baie  ignorée  on  a  une 
vue  admirable  sur  le  rocher  de  Gancale,  l'im- 
mense étendue  des  grèves  et  le  mont  Saint-Michel 
aux  lignes  indécises.  Au-dessus  de  l'anse  se  dres- 
sent des  falaises  que  longe  un  sentier  de  douaniers, 
il  conduit  jusqu'à  la  pointe  du  Groin,  très  étroite 
arête  de  rochers,  séparée,  par  un  chenal  étroit  ap- 
pelé la  Vieille-Rivière,  d'une  autre  ligne  de  roches 
très  mince,  d'aspect  terrible,  aux  strates  verticales, 
l'île  des  Landes.  Entre  cet  îlot  tourmenté  et  la 
pointe  du  Groin  se  précipitent  de  furieux  courants 
atteignant  jusqu'à  sept  nœuds.  Au  delà,  un  autre 
rocher  en  forme  de  pyramide  surmonté  d'un  phare, 
le  Herpin,  surgit  des  flots,  tragique  d'aspect. 

L'île  des  Landes  est  absolument  déserte,  mais 
elle  a  dû  être  habitée  jadis  :  on  y  découvre  une 
maison  en  ruine  aux  pignons  aigus  ;  une  muraille 
croulante  et  une  «  guette  »  indiquent  un  ancien 


LA  HOLLANDE  DE  NORMANDIE.       323 

poste  militaire  d'où  l'on  pouvait  surveiller  les 
golfes  de  Saint-Michel  et  de  Saint-Malo  et  la  mer 
libre  jusqu'aux  îles  Chausey,  dont  les  roches 
basses  se  distinguent  nettement  par  les  temps 
clairs. 

Cette  pointe  du  Groin  est  une  des  plus  sauvages, 
mais  aussi  des  plus  belles  de  nos  côtes.  Elle  de- 
viendra bientôt  célèbre,  le  jour  n'étant  pas  loin 
où  elle  sera  reliée  à  Saint-Malo  par  une  ligne 
de  stations  balnéaires.  Toute  la  côte  est  frangée 
de  jolies  plages  soudant  les  unes  aux  autres  les 
pointes  qui  déchiquettent  le  rivage.  Entre  la  pointe 
du  Groin  et  la  pointe  du  Nid,  au-dessous  d'une 
batterie  ruinée,  l'anse  du  Verger  a  une  belle 
grève,  en  pente  trop  prononcée  il  est  vrai.  De 
l'autre  côté  de  la  pointe  du  Nid,  sur  un  rocher, 
île  à  marée  haute,  se  dresse  le  fort  Duguesclin  ; 
il  aurait  été  bâti,  dit-on,  sur  l'emplacement  du 
château  qui  a  donné  son  nom  à  la  famille  du  con- 
nétable. De  ce  château  primitif  il  reste  peu  de 
chose,  quelques  tours  et  des  débris.  Le  fort  actuel 
remonte  à  1857,  il  est  aujourd'hui  déclassé*,  mal- 
gré son  fier  aspect,  il  ne  saurait  résister  au  canon 
moderne. 

Et  ainsi  continue  le  rivage,  d'anse  en  anse, 
avec  de  riantes  plages,  encadrées  de  verdure,  mais 
dont  le  sable  est  grossier  et  la  pente  trop  forte. 


324  VOYAGE    EN    FRANGE. 

Aux  abords  du  havre  de  Rothéneuf  seulement, 
l'excessive  déclivité  disparaît.  Le  havre  est  une 
jolie  baie,  presque  complètement  fermée,  dont  le 
sable  fin  se  prête  bien  aux  bains  ;  mais  sur  le  ri- 
vage même  delà  Manche,  plus  quedaDsle  havre. 
se  crée  un  établissement  nouveau,  prolongement 
de  Paramé.  Le  site  est  charmant,  un  îlot  rocheux 
portant  un  sémaphore  et  relié  à  la  côte  par  un 
cordon  de  dunes,  ferme  le  bassin  ;  une  petite  anse, 
celle  de  Lupin,  ouverte  dans  de  profondes  et 
vertes  collines,  est  du  plus  pittoresque  effet,  grâce 
au  moulin  à  mer  mû  par  les  eaux  que  retient  un 
barrage . 

Au  delà  de  Rothéneuf,  le  paysage  perd  de  sa 
sauvagerie,  des  bois  de  pins  et  des  villas  annoncent 
l'approche  d'une  ville  de  plaisir  ;  voici  en  effet 
Paramé,  sa  digue  bordée  de  luxueux  hôtels,  son 
immense  plage.  La  foule  est  grande,  tramways  à 
vapeur  et  voitures  roulent  incessamment.  Puis 
se  montrent  un  bassin,  des  mâts  de  navires,  des 
remparts  à  mâchicoulis  :  nous  sommes  à  Saint- 
Malo. 


XVIII 

SAINT-MALO,    LA    RANCE    ET    DIX  AN 


L'île  Cézembre.  —  Embargo  du  génie.  —  Saint-Malo  et  son  ar- 
chipel. —  Sur  la  Rance.  —  Dinan  et  son  paysage.  —  Le  pla- 
teau de  Corseul.  —  Plancoët.  —  La  vallée  de  l'Arguenon.  — 
Extraction  de  la  tangue.  —  Saint-Jacut-de-la-Mer.  —  L'île 
des  Ehbiens.  —  Château  du  Guildo.  —  L'agriculture  dans  les- 
Côtes-du-Nord. 


Plancoët,  septembre. 

Sur  le  port  de  Saint-Malo,  hier  matin,  je  cher- 
chais une  embarcation  pour  aller  à  l'île  Cézembre. 

—  Avez-vous  une  autorisation  du  génie  ?  me 
demandent  les  bateliers. 

—  Mais  je  ne  veux  pas  voir  les  forts  :  simple- 
ment faire  une  promenade  dans  l'île. 

—  Il  est  interdit  d'aborder,  nous  ne  pouvons 
pas  vous  conduire. 

Et  j'ai  dû  me  contenter  de  contempler  du  haut 
des  remparts,  avec  ma  jumelle,  ce  rocher  hardi, 
le  plus  grand  des  cent  îlots  ou  écueils  qui  parsè- 
ment la  mer  à  l'entrée  de  la  Rance  et  font  des 
abords  de  la  cité  malouine  un  si  terrible  dédale 


326  VOYAGE    EN    FRANCE. 

de  passes,  où  l'on  ne  pénétrerait  pas  volontiers 
sans  pilote.  Cet  obstacle  inattendu  est  découra- 
geant; je  viens  de  parcourir  tant  d'îles  et  d'îlots 
sans  autre  difficulté  que  la  mer  et  les  vents  con- 
traires et  me  voici,  en  vue  de  ces  rochers  infimes, 
condamné  à  les  regarder  de  loin,  sans  entrer  dans 
la  vie  des  rares  habitants  chargés  de  veiller  sur 
les  défenses.  Je  puis,  il  est  vrai,  aller  au  Grand- 
Bey,  visiter  une  fois  encore  le  tombeau  de  Cha- 
teaubriand, si  orgueilleux  dans  sa  modestie,  mais 
tout  le  monde  y  est  allé,  au  Grand-Bey  !  C'est 
comme  si  je  songeais  à  décrire  Saint- Malo,  ses 
remparts  de  granit  d'où  la  vue  est  si  belle  sur  la 
mer,  la  Rance,  Dinard  et  Saint-Servan  !  Tant 
d'autres  l'ont  fait,  Saint-Malo  n'a  jjlus  de  secret 
pour  personne,  ses  rues  étroites  bordées  de  hautes 
maisons,  ses  vieilles  tours,  son  château,  précieux 
restes  d'architecture  militaire,  sont  connus  de 
tous. 

Consolons-nous,  Cézembre  aussi  a  été  visitée 
par  des  milliers  de  touristes  ;  jusqu'au  moment 
où  le  génie  a  repris  possession  de  l'île  et  rem- 
placé par  des  batteries  puissantes  les  pittoresques 
mais  inoffensives  fortifications  d'il  y  a  trente  ans, 
Cézembre  fut  pour  les  baigneurs  une  visite  obli- 
gée, beaucoup  de  gens  n'ont  fait  d'autre  traversée 
que  celle-là.  Dans  la  rue  Saint-Denis,  bien  des 


327 

commerçants  ne  parlent  pas  sans  terreur  et  sans 
orgueil  de  leur  excursion  à  la  Thulé  malouine, 
ils  font  d'horrifiques  récits  sur  l'état  de  la  mer 
devant  le  passage  du  Décollé,  par  le  travers  du 
fort  Harbour. 

L'archipel  malouin  a  donc  perdu  son  grand 
attrait  par  la  mainmise  du  génie  sur  Gézembre, 
les  autres  rochers  n'ont  de  curieux  que  leurs 
noms,  pleins  d'une  vraie  saveur  de  terroir.  Si  les 
Bretons  de  Basse-Bretagne  se  sont  vengés  des  ré- 
cifs par  des  noms  significatifs,  comme  la  Truie  et 
le  Cochon,  les  Bretons  de  Saint-Malo,  voisins  des 
Normands  narquois,  ont  trouvé  un  vocabulaire  un 
brin  méprisant.  Qui  donc  verrait  des  écueils  dan- 
gereux dans  les  Patouillets  et  les  Savates,  le  Pot 
et  le  Beurre,  les  Herbiers  et  le  Grand-Jardin? 
Une  seule  épithète  rappelle  la  mer  grondeuse, 
c'est  celle  de  Ronfleresse  appliquée  à  un  rocher 
voisin  de  Gézembre.  La  mer  ronfle  bruyamment, 
en  effet,  dans  ces  parages  ! 

Jadis,  avant  la  vapeur,  avant  l'éclairage  des 
passes,  ces  dangers  étaient  plus  réels  que  de  nos 
jours,  ils  étaient  pour  Saint-Malo  une  cause  de 
sécurité  -,  aujourd'hui,  les  steamers  vont  et  vien- 
nent sans  peine  dans  ces  couloirs.  La  cité  de  Du- 
guay-Trouin  n'y  a  guère  gagné,  son  port  a  bien 


328  VOYAGE    EN    FRANCE. 

perdu  de  sa  prospérité  ;  en  vain  a-t-on  créé  de  su- 
perbes bassins,  l'activité  est  moindre  que  jadis, 
aux  temps  où  les  armateurs  commerçaient  avec  le 
monde  entier,  où  les  corsaires  enrichissaient  leur 
ville  natale  avec  les  dépouilles  de  l'Anglais.  Le 
mouvement  total  des  ports  de  Saint-Malo,  Saint- 
Servan  et  Dinard  —  car  c'est  en  somme  un  seul 
organisme  —  atteint  près  de  400,000  tonnes,  dont 
315,000  pour  la  navigation  au  long  cours.  Le  dé- 
veloppement du  commerce  ne  répond  donc  guère 
à  ce  qui  s'est  produit  sur  d'autres  points  de  nos 
côtes. 

Saint-Malo  est  resté  cependant  un  des  centres 
pour  la  pêche  à  la  morue.  Cette  pêche  à  Terre- 
Neuve  et  celle  du  homard  dans  les  mêmes  parages 
font  travailler  15.000  marins  français.  C'est  par 
jalousie  contre  les  pêcheurs  malouins  que  les  An- 
glais de  Terre-Neuve  ont  soulevé  tant  de  protes- 
tations contre  le  monopole  de  pêche  laissé  à  la 
France  par  le  traité  d'Utrecht.  Les  pêcheurs  n'ont 
rien  perdu  de  leur  hardiesse,  les  armateurs  sont, 
comme  par  le  passé,  des  hommes  d'initiative, 
mais  l'esprit  d'entreprise  s'est  tourné  d'un  autre 
côté-,  tout  en  demeurant  un  port  actif,  Saint-Malo 
est  surtout  devenu  une  cité  de  plaisir.  Avec  ses 
satellites,  Paramé,  Dinard,  Saint-Lunaire,  etc., 
c'est  le  centre  balnéaire  le  plus  considérable  du 


.'330  VOYAGE  EN  FRANGE. 

littoral  ;  un  paysage  admirable,  de  belles  plages, 
des  rivages  accidentés  expliquent  cette  vogue. 

En  effet,  Saint-Malo  n'est  pas  renfermé  dans 
l'étroit  espace  de  l'île  d'Aron.  En  dépit  des  ja- 
lousies locales  et  de  la  séparation  administrative, 
elle  ne  fait  qu'une  avec  Saint-Servan,  c'est  une 
population  totale  et  compacte  de  25,000  âmes,  de 
30,000  avec  Paramé,  de  40,000  si  on  compte  Di- 
nard,  Saint-IÉnogat  et  les  autres  faubourgs  de  la 
rive  gauche  de  la  Rance.  La  sextuple  ville  doit 
à  sa  rivière,  aux  petits  golfes  qui  séparent  ses 
quartiers,  à  l'aspect  mondain  et  coquet  des  parties 
balnéaires  un  caractère  particulier;  les  relations 
entre  les  groupes  divers  sont  continues,  l'activité 
est  grande  :  tramways  à  vapeur,  pont  roulant, 
bacs  ne  cessent  de  transporter  des  voyageurs.  Si, 
au  lieu  de  se  jalouser,  les  diverses  municipalités 
de  cette  grande  agglomération  se  fondaient  en- 
semble, on  ne  tarderait  pas  à  voir  se  souder  plus 
intimement  ces  cités  rivales  et  naître  là  un  centre 
de  population  plus  considérable,  car  les  efforts 
pour  attirer  les  touristes  seraient  d'autant  plus 
efficaces  qu'ils  ne  pourraient  plus  se  neutraliser. 

Ce  groupe  de  Saint-Malo  devrait  se  prolonger 
au  sud  sur  les  bords  admirables  de  l'estuaire  de 
la  Rance,  une  des  plus  belles  choses  du  littoral 
français  et  l'une  des  moins  connues  aussi,  en  dé- 


SAINT-MALO,     LA    RANCE    ET    DINAN.  331 

pit  des  milliers  de  touristes  qui,  chaque  année, 
font  la  classique  excursion  de  Saint- Malo  et  Di- 
nard  à  Dinan. 

11  semble  que  l'on  ait  épuisé  l'admiration  quand 
on  a  vu,  du  haut  des  remparts,  les  rochers  de  la 
rade,  si  petits  à  marée  haute,  grandir  peu  à  peu, 
paraître  se  souder  et  former  sur  la  mer  un  rideau 
de  collines  aux  formes  hardies,  sur  lesquelles  les 
forts  découpent  leur  silhouette.  Mais  la  Rance  est 
bien  plus  belle  encore  avec  ses  anses  gracieuses, 
ses  plages  verdoyantes,  ses  rochers,  ses  îlots,  ses 
jolis  villages  au  fond  des  golfes. 

En  quittant  Dinard  sur  les  beaux  vapeurs  de  la 
Rance,  on  peut  voir  une  fois  encore  les  hautes 
murailles  de  Saint -Malo,  pressant  entre  leur 
ceinture  de  granit  les  toits  d'ardoises  et  la  flèche 
de  l'église;  puis  voici  plus  vaste,  plus  à  l'aise  sur 
ses  pentes  vertes,  la  jeune  cité  de  Saint-Servan, 
et  l'on  perd  de  vue  la  mer  pour  entrer  dans  le 
large  fjord  aux  rives  harmonieuses.  Les  cordons 
de  villas  ont  disparu,  mais  les  châteaux,  assis  dans 
de  grands  parcs,  se  mirent  dans  l'eau  calme.  A 
chaque  instant  une  pointe  de  terre  semble  fermer 
le  passage,  aussitôt  après  apparaît  un  nouveau 
lac,  bordé  de  collines  et  de  hameaux  riants.  A 
mesure  que  l'on  avance,   le  paysage  s'agrandit, 


332  VOYAGE    EN    FRANGE. 

les  collines  se  haussent.  Après  le  grand  bassin  de 
Langrolay,  la  rivière  se  rétrécit  au  point  de  n'a- 
voir plus  que  quelques  mètres  entre  le  port  Saint- 
Jean  et  le  port  Saint-Hubert  et  soudain  s'ouvre 
le  dernier  grand  bassin  de  l'estuaire,  dominé  par 
le  village  de  Pleudihen,  aux  toits  bleus,  serrés 
autour  de  son  église.  La  vie  est  plus  active  ici, 
beaucoup  de  gabares  au  fond  des  anses  ;  près  de 
petits  ports,  s'empilent  d'énormes  tas  de  bois 
appelés  mats,  fagots  ou  bûches  destinés  à  Saint- 
Malo  et  que  des  voitures  vont  vendre  de  porte  en 
porte  dans  les  villes.  Les  collines  deviennent  fa- 
laises, elles  se  boisent;  au  Chêne -Vert,  où  des 
ruines  couronnent  la  pointe,  elles  ont  un  grand 
aspect.  A  partir  d'ici,  l'estuaire  perd  son  carac- 
tère, ce  n'est  plus  qu'un  fleuve  de  largeur  mé- 
diocre, coupé  par  un  barrage  et  une  écluse  desti- 
nés à  retenir  l'eau  dans  le  bief  supérieur  jusqu'à 
Dinan,  port  de  mer  grâce  à  cet  artifice. 

Mais  combien  la  Rance,  ainsi  rétrécie,  est  plus 
belle  !  Les  rives  sont  de  hauts  rochers  rougeâtres 
couverts  de  grands  arbres  ;  avant  l'écluse,  le  che- 
min de  fer  enjambe  la  profonde  fissure  par  un 
viaduc  hardi  dominant  de  33  mètres  la  nappe 
tranquille  sur  laquelle  passent  rapidement  les  va- 
peurs. A  l'écluse,  les  bateaux  attendent  leur  tour, 
mais  ils  laissent  passer  le  petit  paquebot  \  en  quel- 


SAINT-MALU,     LA    RANCE    ET    DINAX 


333 


ques  minutes  celui-ci  a  franchi  le  passage.   Le 
paysage  est  plus  grandiose  ;  un  moment  le  fleuve 


— 


L  ESTUAIRE    DE    LA    RANGE 


D'après  la  carte  de  l'état -major  au 


320,UU0 


s'élargit  au-dessous  du  village  de  Taden,  puis  le 
chenal  devient  plus  étroit  que  jamais,  ce  n'est 
qu'un  canal  entre  de  hautes  rives.  Voici,  au  fond, 


334  VOYAGE    EN    FRANGE. 

une  ville  sur  de  hautes  terrasses,  un  viaduc  hardi 
aux  arches  de  pierre,  c'est  Dinan. 

Gomme  Vitré  au  sud,  Dinan  est,  au  nord, 
l'entrée  monumentale  de  la  Bretagne.  Par  ses 
édifices,  ses  maisons  particulières,  ses  maisons  à 
encorbellement,  elle  est  restée,  malgré  ses  em- 
bellissements, la  ville  de  Duguesclin  à  qui  elle  a 
érigé  une  statue,  vrai  chevalier  selon  le  goût  de 
Loïsa  Puget  et  de  Partant  pour  la  Syrie,  En  créant 
des  promenades  et  des  jardins,  en  transformant 
ses  douves  en  allées  ombreuses,  en  jetant  sur  la 
vallée  un  superbe  viaduc,  elle  a  gardé  assez  de 
souvenirs  du  passé  pour  attirer  le  visiteur.  Les 
églises  sont  des  bijoux  où  Part  breton,  en  pleine 
efflorescence,  a  semé  les  sculptures  sans  compter. 
Le  charme  de  cette  petite  ville  est  pénétrant,  c'est 
une  de  celles  où  l'on  rêverait  de  rester  longtemps, 
errant  des  rues  montueuses  bordées  de  fantas- 
tiques maisons  déjetées,  aux  églises  qui  virent 
Duguesclin  —  une  d'elles  renferme  le  cœur  du 
héros  —  et  aux  terrasses  ombreuses  qui  dominent 
la  rivière . 

La  campagne  voisine  est  fort  belle  ;  elle  se 
creuse  d'une  infinité  de  vallons  remplis  de  grands 
arbres  envahis  par  le  gui,  ailleurs  parasite  mal- 
faisant, ici  source  de  revenu,   car  on  envoie  le 


SAINT-MALO,     LA    RANCE    ET    DINAN.  335 


gui  en  Angleterre  pour  les  fêtes  de  Ghristmas, 
en  décembre,  c'est  un  élément  de  fret  pour  les  va- 
peurs de  Saint-Malo.  Peu  de  villages,  mais  de 
grandes  fermes  entourées  d'herbages. 

Au  delà,  sur  le  chemin  de  fer  de  Lamballe,  le 
pays  devient  moins  riant.  Aux  abords  de  Cor- 
seul,  qui  fut  peut-être  une  importante  cité  ro- 
maine, ce  sont  des  terres  argileuses  et  humides, 
travaillées  en  larges  billons.  Beaucoup  de  champs 
d'ajoncs,  témoignant  de  faibles  progrès  agricoles  ; 
cependant  on  emploie  en  abondance  les  amende- 
ments marins,  presque  partout  on  aperçoit  des 
tas  de  tangue,  plus  nombreux  même  que  dans  les 
environs  du  mont  Saint-Michel. 

Les  tanguières  sont  très  vastes  dans  cette  ré- 
gion; lorsque  l'on  quitte  le  plateau  de  Corseul 
pour  descendre  dans  la  vallée  de  l'Arguenon,  on 
passe  un  instant  au-dessus  d'un  petit  port  où  de 
gros  bateaux  déchargent  cette  laisse  de  mer  dont 
on  fait  de  grands  tas  sur  le  quai.  C'est  le  port  de 
Plancoët,  assis  au-dessous  du  bourg  aux  allures 
cossues,  dominé  par  deux  églises.  Yu  ainsi,  avec 
ses  maisons  en  amphithéâtre,  Plancoët  a  de  l'al- 
lure ;  intérieurement  il  est  assez  triste ,  mais 
quelques  tics-tacs  de  métier  lui  donnent  un  peu 
de  vie.  C'est  un  centre  pour  la  fabrication  de  ces 
étoffes  mi-laine,  c'est-à-dire  de  laine  tissée  sur 


336  VOYAGE    EN    FRANCE. 

chaîne  de  lin  dont  les  femmes  se  servent  dans  la 
Bretagne  pour  leurs  vêtements.  Pendant  l'été,  le 
passage  des  voitures  de  Saint- Jacut-de-la- Mer  et 
de  Saint-Cast  lui  donne  un  peu  d'animation',  il 
y  a  là,  en  effet,  d'assez  nombreux  baigneurs  que 
l'étendue  des  tanguières  n'a  point  effrayés. 

A  la  gare  mie  voiture  est  prête  pour  aller  à 
Saint-Jacut,  je  me  juche  sur  l'impériale  et  bientôt 
nous  voici  en  chemin,  au  bord  de  l'Arguenon, 
dont  le  lit  vaseux  a  été  abandonné  pour  un  chenal 
creusé  à  la  base  d'un  coteau.  La  mer  est  basse,  le 
petit  fleuve  n'est  qu'un  étroit  filet  d'eau  au  fond 
d'un  fossé  tapissé  d'une  vase  inquiétante.  L'Ar- 
guenon gâte  un  peu  le  paysage,  fort  joli  pourtant 
aux  abords  du  château  de  Largentaye,  grande  bâ- 
tisse sans  caractère,  mais  bâtie  au  milieu  d'un  parc 
superbe.  La  route,  parfois  bordée  de  grands  châ- 
taigniers, semble  une  allée.  De  chaque  côté, 
beaucoup  de  champs  de  céréales,  les  récoltes  pa- 
raissent belles,  elles  le  doivent  plus  à  la  tangue 
qu'aux  méthodes  de  culture,  encore  fort  impar- 
faites. Mais  il  y  a  progrès  ;  voici  à  Trégon,  village 
d'où  la  vue  est  admirable  sur  les  campagnes  loin- 
taines, un  atelier  de  mécanicien  fort  achalandé  ; 
nombreuses  sont  ici  les  machines  en  réparation. 

De  Trégon  on  descend  rapidement  à  la  mer  par 
une  route  large  mais  défoncée  par  les  charrois, 


SAINT-MAL 0,    LA    RANCE    ET    DINAN.  337 

pleine  d'ornières  et  de  boue.  C'est  que  le  golfe 
long  et  étroit  ouvert  entre  Saint-Jacut  et  Saint- 
Brieuc  n'est  à  marée  basse  qu'une  vaste  grève  de 
tangue,  sur  tout  le  rivage  l'extraction  est  inces- 
sante. Devant  le  hameau  de  Beaussais  ce  ne  sont 
que  tombereaux  chargeautla  tangue  accumulée  sur 
le  rivage  par  les  cultivateurs.  La  mer  se  retire 
en  ce  moment,  c'est  un  jour  de  grande  marée, 
le  golfe  asséché  présente  une  surface  immobile, 
d'un  gris  d'argent.  Au-dessus  s'allonge,  mince  et 
verte,  la  longue  péninsule  de  Saint-Jacut,  à  demi 
recouverte  par  la  longue  rue  aux  toits  rouges  des 
hameaux  de  l'Isle,  Saint-Jacut  et  l'Abbaye.  Au 
delà,  mais  fort  loin  encore,  tant  les  grèves  sont 
vastes,  la  mer  bleue,  que  borde  l'île  des  Ehbiens, 
dominée  par  sa  tour. 

Saint-Jacut  et  ses  hameaux  sont  habités  sur- 
tout par  des  pêcheurs  ;  la  presqu'île,  resserrée 
entre  les  baies  de  Lancieux  et  de  TArguenon,  est 
trop  étroite  pour  permettre  des  cultures  étendues: 
tout  le  monde  vit  de  la  mer,  les  femmes  pèchent  à 
la  grève,  les  hommes  poursuivent  le  maquereau  et 
le  homard  au  large  de  Saint-Cast  et  des  Ehbiens. 
Autour  des  bâtiments  restaurés  d'une  ancienne 
abbaye  devenue  un  couvent,  des  arbres  et  des 
champs,  des  plantes  qui  aiment  le  doux  climat 
des  rivages  océaniques  font  comme  une   oasis, 

VOYAGE  ES    FRANCE.    V.  22 


338  VOYAGE    EN    FRANCE. 

mais  aussitôt  on  arrive  au  sommet  d'une  petite 
falaise  d'où  l'on  domine  l'immense  grève,  semée 
de  roches  verdies  par  les  varechs,  étalée  jusqu'à 
l'île  des  Ehbiens  ;  l'île  moins  vaste  d' Agot,  simple 
calotte  de  gazon,  et  d'autres  rochers  sans  cesse 
isolés  prolongent  en  mer  la  tramée  des  écueils. 
La  mer  se  retire  encore,  il  est  possible  de  ga- 
gner l'île  des  Ehbiens  à  pied.  Tantôt  sur  des  ro- 
chers, tantôt  sur  des  grèves  de  sable  grossier 
semées  de  coquillages,  tantôt  sur  la  tangue  ferme 
mais  sillonnée  de  ruisseaux  marins,  on  atteint 
l'îlot  verdoyant  après  une  course  de  1,500 mètres. 
La  grève  est  très  vivante  aujourd'hui -,  toute  la 
population,  profitant  du  retrait  extraordinaire  de 
la  mer,  pêche  coquillages  et  crustacés  dans  les 
flaques  d'eau  et  les  trous  ;  aussi  lorsqu'on  atteint 
l'île  on  éprouve  une  sensation  étrange,  tant  elle  est 
solitaire  et  contraste  avec  la  vie  de  la  grève.  C'est 
une  roche  de  granit,  recouverte  de  terre  végétale, 
mais  trop  battue  des  vents  pour  être  cultivée,  le 
sol,  en  grande  partie,  est  une  lande  de  fougère  et 
d'ajoncs  traversée  par  d'étroits  sentiers  et  des 
coulées  de  lapins.  Dans  les  endroits  moins  direc- 
tement exposés  à  la  fureur  des  rafales,  des  lierres 
et  des  troènes  nains  plaquent  des  teintes  sombres. 
On  a  pu  créer  quelques  pâturages,  d'un  gazon 
feutré,  fin  et  court,  où  paissent  des  moutons.  Dans 


SAINT-MALO,     LA    RANGE    ET    DINAN.  339 

un  creux  on  tente  la  grande  végétation  par  une 
plantation  de  trembles  encore  arbustes. 

Au  puint  culminant  se  dresse  l'ancienne  tourr 
d'aspect  solide  et  qui  pourrait  même  servir  à  la 
défense.  Elle  est  construite  de  blocs  de  granit 
dont   l'épaisseur  totale   atteint  six  mètres.   Elle 


UG'Hiot/u^ 


serait  très  lourde  d'aspect  sans  l'élégante  tourelle 
de  guet  qui  la  flanque  au  sommet. 

Déclassée  aujourd'hui  elle  ne  sert  plus  qu'à 
entreposer  les  provisions  du  garde,  habitant  d'une 
maison  basse  placée  au  pied  de  la  petite  forteresse 
et  entourée  de  quelques  cultures. 

Un  escalier  de  quatre-vingts  marches  conduit 
sur  la  plate-forme  bordée  d'épais  parapets  où  des 
embrasures  étaient  jadis  armées  de  canons.  Un 
autre  escalier,  à  demi  aérien,  accède  à  la  tourelle. 


340  VOYAGE    EN    FRANCE. 

De  là  on  a  une  vue  immense  sur  la  mer,  de  la 
pointe  du  Groin  au  cap  Fréhel  ;  on  distingue  net- 
tement plusieurs  rochers  de  l'archipel  Malouin, 
notamment  Gézembre  et  la  Gonchée.  A  l'ouest, 
le  fort  Lalatte  dresse  ses  pittoresques  remparts 
et  ses  tours  qui,  à  cette  distance,  semblent  pla- 
qués contre  les  hautes  falaises  du  cap  Fréhel. 
Plus  près,  de  l'autre  côté  de  l'Arguenon,  la  côte 
de  Saint-Cast,  ses  jolis  villages,  la  colonne  com- 
mémorative  de  la  bataille  du  11  septembre  1758 
dans  laquelle  les  troupes  françaises,  aidées  par 
les  milices  bretonnes,  jetèrent  à  la  mer  les  8,000 
Anglais  qui  avaient  débarqué  et  dévastaient  le 
pays.  Glorieuse  victoire  due  au  duc  d'Aiguillon 
et  dont  le  souvenir  est  resté  vivace. 

La  tour  des  Ehbiens  est  au  cœur  de  ce  paysage 
tragique  et  guerrier,  où  la  mer  pénètre  au  cœur 
des  terres  par  les  baies  de  Lancieux,  de  l'Ar- 
guenon et  de  la  Frénaye;  où  la  terre,  à  son  tour, 
par  ses  minces  péninsules  précédées  d'écueils, 
semble  vouloir  menacer  le  flot.  Ce  rôle  d'obser- 
vatoire est  le  seul  qui  lui  reste  aujourd'hui,  mais 
en  1697,  quand  on  la  construisit  sur  les  ruines 
d'un  phare,  elle  était  la  sauvegarde  des  popula- 
tions contre  l'Anglais.  Pour  qu'elle  fût  construite, 
chaque  équipage  de  pêcheurs  revenant  de  la  mer 
abandonnait  un  lot  de  maquereaux  dont  le  produit 


SAINT-MALO,    LA    RANCE    ET    DINAN.  341 

a  permis  de  mettre  ces  golfes  à  l'abri  des  insultes 
de  l'ennemi  héréditaire.  En  même  temps  le  vieux 
château  de  Roche-Goyon,  transformé,  devenait 
le  fort  Lalatte,  un  des  rares  monuments  complets 
qui  restent  de  la  défense  des  côtes  comme  la  con- 
cevait Vauban.  Cette  admirable  forteresse  a  été 
vendue  ;  puisse  l'acquéreur  la  garder  intacte  ! 

La  mer  monte  déjà  ;  si  je  ne  veux  pas  être  pri- 
sonnier dans  l'île,  il  faut  quitter  les  Ehbiens  ; 
j'avais  le  projet  de  traverser  la  baie  de  l'Arguenon 
pour  gagner  Saint-Cast  et  Matignon,  mais  les  pê- 
cheurs me  conseillent  de  ne  pas  m'aventurer,  le 
flot  arrive  avec  trop  de  rapidité  et  il  y  a  trop  de 
vases  molles.  Je  gagnerai  donc  le  Guildo  par  les 
bords  de  l'Arguenon.  Un  sentier  de  douaniers 
court  sur  les  falaises  et  les  dunes,  descendant  sur 
des  grèves,  escaladant  des  rochers.  Peu  à  peu  le 
large  golfe  vaseux  se  rétrécit;  au  milieu  de  la 
tangue  coule  un  flot  grisâtre,  bordé  de  balises, 
c'est  l'Arguenon.  Les  collines  se  haussent,  s'es- 
carpent,  se  boisent;  sur  Tune  d'elles,  voici  de 
hautes  tours,  des  remparts  couverts  de  lierre, 
restes  d'une  vaste  et  somptueuse  citadelle. 

C'est  un  des  beaux  sites  des  côtes  de  Bretagne 
que  ce  château,  encore  de  fière  mine  vu  du  dehors. 
Mais  lorsqu'on  a  pénétré  dans  l'enceinte  par  une 
brèche,  ce  n'est  plus  qu'un  éboulis  de  murailles 


342  VOYAGE    EN    FRANCE. 

entourant  un  champ  cultivé.  Le  château  du  Guildo 
a  joué  un  grand  rôle  dans  l'histoire  de  Bretagne  ; 
là  fut  saisi,  par  ordre  de  son  frère,  ce  Gilles  de 
Bretagne  dont  la  fin  tragique  est  la  page  la  plus 
sinistre  de  l'histoire  du  duché  ;  on  sait  que  ce 
prince,  accusé  de  trahison,  fut  longtemps  tenu  en 
prison  par  son  frère  le  duc  François  II,  laissé 
sans  nourriture  dans  le  château  de  la  Hardoui- 
nais,  empoisonné  et  finalement,  comme  il  ne  suc- 
combait pas,  étranglé. 

Le  site  du  Guildo  est  très  beau  ;  le  fleuve,  ré- 
tréci, coule  sous  un  pont  bâti  entre  des  roches 
fort  curieuses  de  forme.  Deux  d'entre  elles  sont 
appelées  les  «  pierres  sonnantes  »  ;  lorsqu'on  les 
frappe  elles  font  entendre  un  murmure  prolongé. 

Pour  retourner  à  Plancoët,  une  route  passe  par 
Saint-Lormel,  je  l'ai  suivie.  Elle  traverse  un  pays 
agricole  d'une  sauvagerie  aimable  ;  des  ravins 
bordés  de  roches,  des  bouquets  de  bois,  des  prai- 
ries rompent  la  monotonie  du  plateau.  Chemin 
faisant,  je  m'arrête  dans  les  fermes  ;  les  paysans 
ont  l'esprit  très  ouvert  en  ce  coin  des  Côtes-du- 
Nord,  ils  parlent  volontiers,  mais  ils  se  plaignent: 
l'année  est  pluvieuse,  la  moisson  menace  de  man- 
quer, les  blés  mal  mûris  versent  et  pourrissent. 
-Cependant  les  machines  à  battre  sont   prêtes  à 


SAINT-MALO,    LA    RANCE    ET    DINAN.  343 

fonctionner  sur  l'aire.  Ici,  dès  qu'un  propriétaire 
ou  fermier  exploite  un  domaine  de  cinquante 
journaux,  il  achète  une  batteuse  qui  fait  désor- 
mais partie  du  mobilier  agricole.  11  y  a  donc  pro- 
grès, on  commence  même  à  utiliser  les  engrais 
chimiques,  mais  l'emploi  en  est  restreint  par  le 
prix  élevé  des  transports.  Les  principales  récoltes 
sont  le  sarrazin  et  l'orge  :  on  consomme  le  pre- 
mier, l'orge  est  vendue  à  la  brasserie.  L'élevage 
augmente,  car  il  est  facile  de  vendre  le  beurre, 
les  coquetiers  de  Saint-Malo  parcourent  les  cam- 
pagnes et  évitent  aux  ménagères  le  souci  d'aller 
au  marché. 

Le  cidre  est  abondant,  il  se  vend  bien,  surtout 
dans  les  stations  balnéaires  du  groupe  malouin. 
En  somme,  malgré  la  pluie,  je  trouve  ici  des  gens 
satisfaits  de  leur  sort.  Il  en  est  à  peu  près  de 
même  partout  en  Bretagne.  Les  «  souffrances  de 
l'agriculture  »  ne  seraient-elles  qu'un  tremplin 
politique  ? 

Nous  verrons  cela  en  Normandie  où  me  con- 
duira tout  à  l'heure  le  chemin  de  fer  de  Lamballe 
à  Granville. 


XIX 

GRANVILLE,    LES    CHAUSEY    ET    LES    MLNQUIERS 


De  Coutances  à  Graaville.  —  Granville.  —  En  route  pour  les 
Chausey.  —  La  Grande-Ile.  —  Les  carrières.  —  Le  vieux 
Château.  —  Jardin  de  Provence.  —  Vie  des  habitants.  — 
Dans  l'archipel.  —  Les  Robinsons  de  l'île  d'Anneret.  —  Les 
îles  Minquiers. 


Grande  île  de  Chausev-,  septembre. 

De  Coutances  à  Granville  la  course  est  ex- 
quise, non  par  la  route  nationale  :  elle  se  tient 
trop  volontiers  sur  les  hauteurs,  depuis  Quettre- 
ville  et  Bréhal  jusqu'aux  abords  mêmes  du  grand 
port  du  Gotentin,  mais  par  la  vallée  delà  Sienne. 
La  rivière  est  claire,  profonde,  sinueuse,  errant 
par  les  prairies,  babillant  sous  les  moulins  dont 
les  roues  à  palettes  noires  travaillent  avec  une 
activité  fébrile.  Cette  vallée  est  une  des  jolies 
choses  de  la  Normandie  ;  son  charme,  il  est  vrai, 
est  tout  intime,  il  ne  faut  chercher  ni  collines 
accidentées,  ni  profonds  horizons  ;  la  gamme  du 
vert  y  est  d'une  variété  infinie  par  la  puissance 
de  la  végétation  herbagère  et  la  vigueur  des  arbres 
qui  enclosent  les  champs  et  les  prairies. 


GRANVILLE,  LES  CHAUSEY  ET  LES  MINQUIERS.      345 

Le  chemin  de  fer  abandonne  la  Sienne  près  de 
Cérences,  laissant  à  Test  la  partie  de  la  vallée  la 
plus  profonde  et  la  plus  pittoresque,  celle  qui  se 
creuse   vers  Gavray  et  Villedieu,  pour  monter 


Échelle  au 


jusqu'au  plateau  verdoyant  où  il  croise  la  ligne 
de  Paris,  près  du  village  de  Folligny.  Ce  plateau 
est  comme  un  dôme  écrasé,  d'où  descendent,  vers 
tous  les  points  de  l'horizon,  des  ruisselets  qui 
vont  former  ou  grossir  les  petits  fleuves  côtiers. 
L'un  d'eux,  le  Boscq,  offrirait  jusqu'à  Granville  sa 


o46  VOYAGE    EN    FRANCE. 

vallée  à  la  voie  ferrée,  s'il  ne  fuyait  si  rapidement 
par  une  pente  rapide.  Aussi  la  ligne  s'est-elle 
maintenue  sur  le  plateau  pour  atteindre,  non  la 
ville,  mais  la  colline  qui  la  domine  à  près  de 
50  mètres  de  hauteur  ;  la  déclivité  n'en  est  pas 
moins  très  grande,  et  les  trains  semblent  glisser 
plus  qu'ils  ne  roulent  à  travers  cette  campagne 
grasse  et  herbue,  où  les  villages  sont  tellement 
menus  qu'on  n'a  pas  cru  devoir  les  doter  d'un 
arrêt.  La  seule  station  entre  Folligny  et  Gran- 
ville  est  à  plusieurs  kilomètres  du  bourg  de  Saint- 
Planchers,  dont  elle  porte  le  nom. 

Enfin  voici  Granville  annoncée  par  les  villas 
des  falaises  de  Donville,  ses  hautes  casernes  et 
la  flèche  de  Notre-Dame,  noircie  parles  embruns. 
La  saison  des  bains  est  déjà  dans  son  plein,  la 
cour  de  la  gare  est  remplie  de  véhicules,  omnibus 
d'hôtels  pour  Granville  et  Saint-Pair,  fiacres  et 
tapissières  ;  les  pisteurs  et  les  pisteuses  se  préci- 
pitent sur  les  voyageurs  pour  leur  offrir  des  ap- 
partements garnis.  On  charge  les  bagages  et 
bientôt  c'est  une  bruyante  course  d'équipages  par 
une  longue  et  large  rue  descendant  rapidement 
jusqu'au  bord  du  Boscq,  le  «  fleuve»  granvillais, 
ici  encore  ruisseau  insignifiant,  relevé  par  un  bar- 
rage près  duquel  s'ouvrent  toutes  les  artères  de  la 
curieuse  cité. 


GRANVILLE,  LES  CHAUSEY  ET  LES  MINQUIERS.     347 

En  cette  saison,  avec  ses  baigneurs  aux  cos- 
tumes éclatants  ou  bizarres,  ses  voitures,  son 
ciel  pur,  Granville  est  fort  gai,  mais  ce  n'est  point 
le  pittoresque  port  qu'on  peut  voir  en  hiver,  quand 
l'arrière-  bassin  est  rempli  de  goélettes  revenues 
de  la  pêche  à  Terre-Neuve,  et  qu'un  peuple  de 
marins  basanés  se  prépare  à  une  campagne  nou- 
velle contre  la  morue  \ 

Seule  la  vieille  ville,  le  Granville  primitif,  a 
conservé  son  aspect.  On  dirait  que  la  vie  active 
d'en  bas  ne  saurait  pénétrer  dans  ces  rues  si- 
lencieuses, bordées  de  demeures  qui  durent  être 
somptueuses  jadis.  A  peine,  de  temps  en  temps, 


1.  En  1894,  le  nombre  des  navires  entrés  à  Granville  a  été 
de  514,  jaugeant  60,236  tonneaux;  à  la  sortie  527  navires  jau- 
geant 61,023  tonneaux. 

37  navires  montés  par  835  hommes  ont  armé  pour  la  pêche  à 
Saint-Pierre  et  Miquelon  (Terre-Neuve).  3,  montés  par  78  hommes, 
ont  armé  pour  la  pêche  à  Islande.  Ils  ont  rapporté  de  Saint- 
Pierre  1,116,940  kilogr.  de  morues,  102,391  kilogr.  d'huile, 
1,970  kilogr.  de  rogue  (appât),  40,350  kilogr.  d'autres  poissons 
et  issues. 

D'Islande  :  924,640  kilogr.  de  morues,  76,978  kilogr.  d'huile  ; 
19,573  kilogr.  de  rogue,  46,633  kilogr.  d'autres  poissons  et 
issues.  Mais  le  produit  de  la  pêche  par  navires  granvillais  est 
bien  plus  considérable,  la  plupart  des  navires  allant  débarquer 
à  Bordeaux,  marché  principal  pour  la  morue.  Les  chiures  qu'on 
vient  de  lire  comprennent  seulement  les  quantités  débarquées 
à  Granville. 

La  pêche  côtière  occupe  à  Granville  58  bateaux  montés  par 
249  hommes.  En  outre  un  grand  nombre  de  bateaux  pêcheurs 
de  Cancale  débarquent  leur  poisson  à  Granville,  pour  profiter 
des  facilités  d'expédition  données  par  le  chemin  de  fer. 


348  VOYAGE    EN    FRANCE. 

un  pas  furtif  de  femme  ;  sur  les  perrons  des  mai- 
sons dorment  des  chats,  rares  sont  les  enfants. 
L'église  est  basse,  trapue,  comme  pour  mieux  ré- 
sister aux  vents  qui  soufflent  sans  cesse  sur  ce 
roc  élevé  et  entouré  par  les  flots.  Le  monument 
est  saisissant  par  sa  patine  sombre  et  ses  propor- 
tions écrasées  qui  contrastent  si  fort  avec  le  style 
flamboyant  de  la  plus  grande  partie  de  l'édifice. 
La  lumière  parvient  à  peine  dans  le  vaisseau  bas, 
aux  lignes  mystérieuses,  accentuées  par  le  relief 
des  nervures. 

Notre-Dame  confine  à  la  ville  militaire  :  hauts 
bâtiments  de  granit,  magasins,  poudrières,  champ 
de  manœuvres  occupent  tout  le  roc  jusqu'au  cap 
Lihou,  vers  le  phare  et  le  sémaphore.  Malgré 
l'insuffisance  de  ses  défenses  en  présence  de  l'ar- 
tillerie moderne,  Granville  n'en  a  pas  moins,  de 
nos  jours  encore,  une  grande  valeur  stratégique  : 
aux  mains  d'un  ennemi,  ce  serait  une  incompa- 
rable base  d'opérations,  grâce  au  voisinage  de 
Jersey.  Mais  la  cité  des  corsaires  ne  reverra  sans 
doute  plus  ses  heures  de  gloire. 

Le  sémaphore  et  le  phare  ont  remplacé  la  vigie 
qui,  si  souvent,  annonça  les  prises  des  hardis  ma- 
rins granvillais.  De  là,  on  contemple  un  des  plus 
grandioses  paysages  maritimes  du  littoral  nor- 
mand. Voici    Avranches   sur  sa  montagne;  par 


GRANVILLE,  LES  CHAUSEY  ET  LES  MINQUIERS.     340 

delà  la  pointe  de  Garolles  apparaît  nettement  la 
superbe  pyramide  du  mont  Saint-Michel  ;  plus 
loin  c'est  le  mont  Dol  et  la  côte  de  Gancale  ;  au 
nord,  nébuleux,  le  cap  Carteret,  fièrement  pro- 
jeté en  face  de  Jersey.  Enfin,  au  large,  la  mer  se 
couvre  d'un  rideau  de  roches  semé  de  deux  ou 
trois  taches  blanches;  ce  sont  les  îles  Chausey  où 
je  puis  me  rendre  aujourd'hui,  grâce  au  bateau 
baliseur  des  ponts  et  chaussées  ;  celui-ci  va  aux 
Minquiers  pour  placer  une  bouée  et  Ton  veut 
bien  m'y  accueillir. 

Il  faut  attendre  le  flot  pour  sortir  du  bassin  ; 
aussi,  à  deux  heures  seulement,  YÉclaireur  peut 
écluser,  en  même  temps  qu'une  goélette  venant 
de  Terre-Neuve  pour  apporter  la  première  pêche 
et  toucher  la  prime  donnée  au  premier  bateau 
arrivé.  Aussitôt  dans  l'avant-port,  on  prend  à  la 
remorque  la  bouée  des  Minquiers,  nous  doublons 
presque  immédiatement  le  musoir  et  nous  voici 
en  route,  le  cap  sur  une  des  taches  blanches 
émergeant  des  Chausey  :  le  toit  du  sémaphore, 
dans  la  Grande-Ile. 

La  mer  est  bien  belle  ici,  animée  par  les  voiles 
qui  entrent  au  port  ou  prennent  le  large.  Nous 
traversons  cette  flottille  et  bientôt,  devant  nous, 
grandissent  les  roches  des  Chausey  ;  on  les  voit 


350  VOYAGE    EN    FRANCE. 

en  quelque  sorte  surgir  du  flot,  les  plus  basses  se 
soulevant  lentement,  les  plus  hautes  prenant  des 
aspects  bizarres  :  buttes,  obélisques,  ruines  de 
forteresses  ;  les  unes  vertes,  d'autres  de  teintes 
fauves,  plusieurs  portant  une  balise  au  sommet. 
Sur  la  principale,  la  tour  carrée  du  phare  com- 
mande tout  l'archipel. 

A  mesure  qu'on  avance,  les  îles,  de  loin  sou- 
dées en  apparence,  se  séparent*,  on  les  reconnaît 
facilement.  Voici,  très  verte,  l'île  d'Anneret,  l'île 
d'Ancre  de  la  carte,  entourée  d'un  essaim  de  ro- 
ches ternes  aux  formes  massives.  La  Grande-Ile 
se  montre  entièrement,  depuis  son  phare  trapu 
jusqu'aux  bâtisses  blanches  du  sémaphore.  Entre 
elle  et  des  îlots  sans  nombre,  s'ouvre  un  long 
chenal  appelé  le  Sound,  piqueté  de  balises  for- 
mant une  perspective  fuyante  ;  en  arrière  du  phare 
s'alignent  des  talus  réguliers,  c'est  le  fort,  sous 
lequel  croissent  quelques  pins  et  les  arbres  des 
jardinets  créés  par  les  gardiens. 

UÉclaireur  avance  lentement  dans  le  Sound, 
jusqu'à  sa  balise  d'amarrage,  près  d'une  autre 
amarre  destinée  à  l'aviso-torpilleur  Sainte-Barbe, 
dont  ce  chenal  est  un  des  séjours.  Une  embar- 
cation vient  se  ranger  le  long  du  bord  ;  quelques 
instants  après,  nous  mettons  pied  à  terre,  mon  fils 
Jacques  et  moi,  sur  la  Grande-Ile.  L'enfant  n'a 


GR  AN  VILLE,   LES  CHAUSEY  ET  LES  MINQUIERS.     351 

jamais  foulé  le  sol  d'une  île,  aussi  sa  joie  est-elle 
vive  et  plus  vif  encore  son  étonnement  à  la  vue 
de  ce  paysage. 

La  surprise  se  comprend.  L'île  est  si  bizarre 
avec  sa  chapelle  juchée  sur  un  rocher,  ses  mai- 
sons basses  placées  sur  le  sol,  sans  jardinet,  sans 
verdure,  sans  rien  qui  rappelle  la  vie  ordinaire  à 
la  campagne.  Pas  un  poulet,  pas  un  pigeon,  pas 
une  cabane  à  lapins,  pas  même  le  chou  familier 
croissant  à  l'abri  du  vent.  Sur  les  pelouses  mon- 
tueuses,  au  milieu  desquelles  le  granit  surgit  en 
grandes  masses,  une  herbe  courte,  où  fleurissent 
de  petites  scilles.  Les  parties  les  plus  sauvages  ont 
des  ronces,  des  fougères,  des  touffes  de  tanaisie. 
Sur  l'un  des  rochers  la  chapelle  seigneuriale  — 
j'emploie  ce  mot  à  dessein  ;  —  en  face,  au  pied  du 
fort,  sur  les  terrains  militaires,  une  grande  bâ- 
tisse accroupie  sur  le  sol,  c'est  l'église  commuuale  ; 
le  curé  occupe  auprès  une  humble  mais  ou  adja- 
cente à  l'école ,  le  desservant  remplissant  en 
même  temps  les  fonctions  d'instituteur. 

Entre  les  rochers  un  sentier  s'achemine  jusqu'à 
une  petite  baie  bordée  de  maisons  et  de  cahutes. 
Les  maisons  sont  bien  construites,  l'une  d'elles  a 
des  allures  de  villa,  les  autres  sont  la  cantine  et 
une  auberge.  Les  cahutes  sont  posées  sur  les  ro- 
chers, parfois  entre  deux  blocs,  misérables  de- 


352  VOYAGE    EN    FRANGE. 

meures  faites  de  grosses  pierres  et  de  boue,  de 
débris  de  navires  et  de  mottes  de  gazon,  recou- 
vertes de  pierres  plates  ;  le  tout  déjeté  et  sordide. 
A  l'intérieur,  ayant  à  peine  deux  ou  trois  mètres 
carrés,  des  coffres  remplis  de  foin  ou  de  varech 
servent  de  couche,  un  foyer  entre  deux  pierres 
dont  la  fumée  monte  par  un  trou  dans  la  toiture, 
quelques  instruments  de  cuisine  pour  faire  la 
soupe  au  poisson  et  c'est  tout.  Il  y  a  comme  cela 
une  quinzaine  de  tanières. 

Ne  nous  hâtons  pas  de  plaindre  les  habitants 
de  ces  taudis,  ils  y  habitent  l'été  seulement.  Ce 
sont  des  pêcheurs  du  continent,  venus  des  com- 
munes de  Bainville  et  d'Agon.  On  les  appelle  les 
Bainv illais  j  la  plupart  ont  sur  la  côte  maison  et 
terre,  où  ils  résident  l'hiver  -,  l'été,  ils  viennent 
aux  Ghausey  pêcher  la  crevette-bouquet ,  prin- 
cipal produit  de  l'archipel.  Ils  arrivent  à  la  fin 
de  février  et  repartent  en  novembre. 

Nous  reverrons  tout  à  l'heure  cette  population 
singulière.  Il  faut  profiter  du  reste  de  jour  pour 
parcourir  l'île,  demain,  à  la  première  heure,  nous 
lèverons  l'ancre  pour  aller  aux  Minquiers. 

En  route  donc  :  la  première  visite  sera  pour  le 
Gros-Mont,  triple  mamelon  dont  un  sommet  porte 
le  sémaphore.  Le  chemin  suit  une  chaussée  d'é- 


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354  VOYAGE    EN    FRANCE. 

tang  abandonné  et  longe  un  grand  enclos  ver- 
doyant, dans  lequel  paissent  des  vaches  ;  à  côté, 
un  champ  de  blé  moissonné  ;  on  charge  la  récolte 
sur  l'unique  charrette  de  l'île.  Après  ce  petit  coin 
de  civilisation  on  arrive  dans  un  microcosme  de 
désert  :  des  roches  abruptes  entre  lesquelles  on 
trouve  avec  peine  le  sentier,  des  carrières  aban- 
données s 'ouvrant  au  flanc  du  coteau.  Au-dessus, 
toute  blanche,  la  maison  du  sémaphore  ;  un  peu 
au  delà,  un  autre  mamelon,  c'est  le  Gros-Mont. 

D'ici  on  découvre  tout  l'archipel,  une 'Cinquan- 
taine de  roches  en  tout,  surgissant  au-dessus  de 
la  mer,  mais  le  flot  descend  et  tous  ces  îlots  s'a- 
grandissent par  des  platins  de  varechs  qui,  peu  à 
peu,  s'étendent,  se  soudent  et  prennent  l'appa- 
rence d'une  immense  prairie  bosselée  de  buttes 
rocheuses  ;  à  peine  çà  et  là  quelques  flaques  ou 
chenaux  encore  remplis. 

Cette  transformation  est  rapide  ;  en  peu  de 
temps  elle  s'est  accomplie  ;  vienne  le  flot  et  l'im- 
mense prairie  sera  submergée  de  nouveau,  les 
îles  sembleront  flotter  et  les  chaloupes  vogueront 
où,  tout  à  l'heure,  on  cueillait  le  varech  et  ra- 
massait les  coquillages. 

Au  pied  du  Gros-Mont,  dans  une  anse,  deux 
goélettes  sont  échouées,  elles  chargent  les  blocs 
de  granit  fournis  par  une  carrière  où  l'activité  est 


GRANV1LLE,    LES  CHAUSEV  ET  LES  MINQUIERS.     355 

grande.  Froissement  des  fleurets  trouant  la  roche, 
bruit  des  pics  et  des  marteaux,  roulement  des 
wagonnets  sur  un  petit  chemin  de  fer  m'ont  at- 
tiré. On  extrait  des  blocs  de  toutes  les  dimen- 
sions. Les  plus  puissants  attendent  un  acheteur, 
les  autres  sont  débités  sur  place  en  dalles,  en 
bordures  de  trottoirs,  en  marches,  en  montant  de 
portes  et  de  fenêtres.  C'est  tout  ce  qui  reste  de 
l'énorme  exploitation  de  jadis.  Il  y  aune  trentaine 
d'années  seulement,  plus  de  400  ouvriers  tra- 
vaillaient dans  les  carrières  des  Ghausey,  celles-ci 
fournissaient  notamment  les  blocs  pour  la  digue 
de  Cherbourg.  Il  n'y  a  plus  qu'un  exploitant  et 
20  ouvriers.  La  constitution  de  la  propriété  dans 
les,  îles  est  évidemment  pour  beaucoup  dans  ce 
déclin.  Les  carriers  se  sont  répandus  en  Nor- 
mandie et  en  Bretagne,  à  l'île  Grande  surtout1. 
Du  Gros-Mont  on  gagne  des  plages  eu  pente 
rapide,  faites  de  gros  sable  ;  à  mer  basse  on  peut 
atteindre  l'îlot  verdoyant  de  la  Genêtaie,  abso- 
lument désert.  D'autres  récifs  plus  sinistres  se 
dressent  en  mer  -,  sur  l'île  un  gros  morne  isolé 
fait  face  à  des  ruines  qui  ont  fort  grand  caractère, 
grâce  à  une  carrière  creusée  au-dessous  du  rem- 
part. 


Voir  pages  G8  et  suivantes. 


356  VOYAGE    EN    FRANGE. 

C'est  le  vieux  château  de  Chausey,  mi-castel, 
mi-couvent,  car  il  a  été  construit  pour  les  moines 
du  mont  Saint-Michel,  seigneurs  des  îles.  Ils 
avaient  voulu  en  faire  une  défense  contre  les  An- 
glais. Le  château  primitif  présente  encore  un 
angle  arrondi,  avec  une  guette  pittoresque.  A  cette 
construction  sont  venues  s'en  ajouter  d'autres, 
plus  vastes,  percées  de  meurtrières  et  faites  de 
blocs  cyclopéens.  Du  côté  qui  regarde  l'île  il  y 
a  eu  des  préoccupations  monumentales,  la  pierre 
est  taillée  en  pointe  de  diamant.  La  cour  était 
vaste,  on  a  pu  y  construire  des  maisons  basses, 
elles  ont  sans  doute  été  des  logements  pour  les 
carriers,  toutes  s'en  vont  maintenant  en  ruines 
ou  servent  d'étables. 

Ce  château  a  eu  des  destinées  bien  curieuses  : 
les  moines  du  mont  Saint-Michel  le  cédèrent  aux 
Franciscains,  ceux-ci  le  vendirent  ensuite  à  la  fa- 
mille de  Matignon,  tige  des  princes  actuels  de 
Monaco,  dont  le  séjour  habituel  était  à  Torigni. 
Après  le  mariage  d'un  duc  de  Matignon  avec  l'hé- 
ritière des  Grimaldi,  les  Chausey  revinrent  à  la 
couronne,  Louis  XV  en  fit  don  à  l'abbé  Nicole, 
en  lui  donnant  même  la  possession  de  toute  la 
partie  découvrant  à  mer  basse,  ce  qui  est  aujour- 
d'hui contraire  à  notre  Droit,  puisque  les  laisses 
de  basse  mer  sont  la  propriété  de  l'État. 


GRANVILLE,  LES  CHAUSEY  ET  LES  MINQUIERS.     357 

L'abbé  Nicole  se  dégoûta  promptement  de  sa 
seigneurie  ;  après  avoir  essayé  de  l'exploiter,  il  la 
vendit  à  un  sieur  Hédouin  dont  les  descendants 
possèdent  encore  toutes  les  îles,  sauf  les  étroites 
parcelles  expropriées  pour  élever  le  phare,  le  fort 
et  le  sémaphore. 

De  là  est  venue  la  singulière  organisation  de 
ces  îles  et  cette  absence  de  bien-être  et  de  confort 
qui  frappe  le  visiteur.  La  famille  Hédouin  n'a 
jamais  voulu  aliéner  la  moindre  parcelle  de  ses 
rochers,  elle  n'a  jamais  laissé  construire  autre 
chose  que  des  cahutes  ;  les  constructions  sérieuses 
lui  appartiennent,  elle  les  loue,  mais  se  refuse 
absolument  à  affermer  la  moindre  parcelle  de 
terrain  pour  jardinage.  Les  petites  maisons  à  un 
simple  rez-de-chaussée  d'une  ou  deux  pièces  va- 
lent 12  fr.  par  mois.  Quant  aux  légumes,  au  lard, 
à  la  boisson,  il  faut  les  acheter  à  la  cantine  ba- 
nale. On  n'a  pas  le  droit  d'avoir  des  poules  ou 
des  lapins,  ni  de  cultiver  un  brin  de  persil  ;  la 
ferme  fournit  tout,  contre  paiement,  bien  en- 
tendu. 

Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  la  population 
est  descendue  aujourd'hui  à  90  habitants  et  si 
tant  d'îlots  présentent  des  ruines  d'habitations. 
Les  carrières  sont  fermées,  la  récolte  et  l'inciné- 
ration du  varech  ont  cessé  depuis  que  le  Chili 


358  VOYAGE    EN    FRANGE. 

fournit  des  soudes  minérales1  (on  vendait  le  va- 
rech un  franc  le  tonneau  de  jauge)  -,  la  population 
n'a  plus  d'autres  ressources  que  la  pêche  et  celle-ci 
est  bien  difficile  l'hiver. 

Les  habitants  peuvent  faire  venir  directement  la 
viande  de  boucherie  du  continent,  car  on  tue  à 
peine  un  veau  par  an  ;  mais  rares  sont-ils  ceux 
qui  s'offrent  un  tel  luxe. 

Telle  est  la  singulière  constitution  économique 
des  Chausey  ;  cependant  cette  population  ne  se 
plaint  pas,  la  pêche  du  homard,  celle  de  la  cre- 
vette surtout  sont  d'un  bon  revenu.  La  crevette 
vaut  parfois  4  fr.  le  kilogramme,  la  moins  belle 
vaut  3  fr.  Un  pêcheur  m'a  dit  en  avoir  pris  12  ki- 
logrammes dans  une  grande  marée.  Les  femmes 
ramassent  sur  les  grèves  un  petit  coquillage  jaune 
appelé  vignot,  elles  le  vendent  40  ou  50  centimes 
le  pot  (deux  litres).  Le  vignot,  dit-on,  va  en  An- 
gleterre, où  l'on  en  tire  du  vernis. 

La  ferme,  située  au  cœur  de  l'île,  suffit  aux  be- 
soins des  habitants,  en  lait,  légumes  et  pommes 
de  terre.  Cette  ferme  est  une  merveille  par  la  ri- 
chesse de  la  végétation.  Le  grand  jardin  situé  aux 
abords  de  la  maison  possède  des  figuiers  énormes 
dont  on  a  dû  soutenir  les  rameaux  par  des  étais  *, 


i.  Voir  page  12,  au  chapitre  sur  l'Aber  Vrac'h. 


GRANVILLE,   LES  GHALSKV  ET  LES   MINQUIERS.      359 

une  allée  est  bordée  de  myrtes  géants  ;  une  autre 
possède  des  oliviers  ;  dans  un  massif  voici  un 
chêne-liège;  à  côté  sont  des  noyers,  des  néfliers, 
des  poiriers  couverts  d'innombrables  fruits.  Tous 
les  légumes,  même  ceux  du  Midi,  croissent  en 
pleine  terre.  Les  fleurs  sont  d'un  coloris  éton- 
nant, nulle  part  on  ne  verrait  plus  éblouissant 
parterre . 

Ce  jardin  enchanté  fut  longtemps  hospitalier  -, 
les  visiteurs,  les  Anglais  surtout,  ont  obligé  les 
propriétaires  à  choisir  parmi  les  touristes.  Les 
Anglais  coupaient  les  branches,  mordaient  à  même 
les  fruits;  ceux-ci  semblaient-ils  bons,  on  les  em- 
portait. Dans  les  bosquets,  des  arbres  superbes 
sont  tailladés  à  coups  de  couteau,  d'aucuns  y  ont 
creusé  leurs  initiales.  On  comprend  donc  la  me- 
sure qui  rend  difficile  l'accès  du  domaine.  Grâce  à 
l'aimable  régisseur  j'ai  pu  cependant  le  parcourir. 

Un  coin  de  l'île  reste  en  dehors  de  la  pro- 
priété :  c'est,  aux  abords  du  fort,  l'église,  la  cure 
et  l'école  où  le  curé  enseigne  à  lire  et  à  écrire  à 
une  douzaine  d'enfants.  Les  gardiens  du  phare, 
l'ancien  gardien  du  fort,  qui  a  demandé  à  rester  là, 
et  leurs  familles  forment  en  quelque  sorte  un 
territoire  indépendant.  Cette  petite  colonie  est 
d'origine  récente,  le  fort,  déjà  déclassé,  porte,  à 
son  entrée,  la  date  de  1866. 


360  VOYAGE    EN    FRANCE. 

Ce  petit  monde  est  exigu,  cependant  la  nuit 
arrive,  et  nous  n'avons  vu  que  la  grande  île.  Déjà 
le  phare  de  Granville  et,  à  la  pointe  de  Cancale, 
celui  de  Herpin  sont  allumés.  Nous  allons  cou- 
cher à  l'auberge,  où  les  chambres,  avec  leurs  al- 
côves de  pitch-pin,  ont  l'air  de  cabines  de  navire. 
Par  les  fenêtres,  l'immense  plateau  découvert 
envoie  une  pénétrante  odeur  de  varech. 

Demain  nous  irons  aux  Minquiers. 

Hélas  !  le  temps  s'est  gâté  ;  quand,  à  cinq  heures, 
je  descends  sur  le  rivage,  un  vent  violent  souffle  ; 
les  nuées  apportent  la  pluie;  un  matelot  de  YÉ- 
claireur  me  dit  qu'on  ne  pourra  aller  placer  la 
bouée  aux  Minquiers  si  le  vent  continue  de  la 
sorte,  la  mer  étant  toujours  très  forte  en  ces  pa- 
rages. Si,  à  huit  heures,  le  vent  n'a  pas  tourné,  le 
voyage  sera  impossible,  car  la  mer  sera  trop  basse. 

Loin  de  s'apaiser,  le  vent  s'accroît  encore,  les 
vagues  fusent  sur  les  rochers,  leur  bruit  sourd 
emplit  l'île  de  murmures.  Sur  les  collines  où  je 
monte,  des  oiseaux  alourdis  s'envolent  à  chaque 
instant  sous  mes  pieds.  Dans  un  chemin  couvert, 
aboutissant  à  la  seule  fontaine  de  l'île,  sous  les 
trembles  argentés  à  l'épaisse  ramure,  voici  les 
vaches  revenant  de  l'abreuvoir,  c'est  un  beau  bé- 
tail de  pure  race,  au  poil  lustré,  admirablement 


H 


N.-:- 


362  VOYAGE    EN    FRANCE. 

soigné.  Plus  loin,  dans  une  lande  rase,  paissent 
quelques  chevaux. 

Huit  heures  :  le  vent  n'a  pas  fraîchi  davantage, 
mais  la  mer  est  toujours  houleuse.  On  ne  pourra 
relever  la  vieille  bouée  des  Minquiers,  ni  marier 
la  nouvelle  à  sa  chaîne  ;  en  repartant  pour  Gran- 
ville  maintenant,  nous  arriverions  à  basse  mer  et 
l'entrée  du  port  sera  impossible.  Il  faut  rester  aux 
Ghausey. 

Je  puis  trouver  un  batelier  qui  me  fera  visiter 
les  autres  îles.  La  marée  a  déjà  beaucoup  des- 
cendu, on  voit  affleurer  les  roches,  recouvertes 
d'une  flottante  draperie  de  varechs  d'un  vert  bronzé. 
Nous  passons  entre  le  Colombier  et  la  Longue-Ile, 
des  baies  et  des  lacs  calmes  s '"ouvrent  devant  nous, 
leurs  rivages  sont  hérissés  de  roches.  La  plus 
grande  de  ces  terres,  l'île  d'Anneret1,  se  présente 
sous  l'aspect  d'un  triple  mamelon,  celui  du  milieu 
est  fort  aigu.  Cette  île,  m'a-t-on  dit,  est  habitée 
par  une  équipe  de  Bainvillais  -,  je  voudrais  voir 
ces  Robinsons  volontaires. 

L'île  est  une  belle  prairie  ;  sur  les  points  cul- 
minants affleure  le  rocher  recouvert  d'une  inex- 
tricable végétation  de  lierre,  de  prunelliers,  de 
ronces,  de  troènes,  de  fragons  aux  baies  rouges, 


l.  Ancre  do  la  carte. 


GRANVILLE,   LES  G  H  AU  SE  Y  ET  LES  IfINQUIERS.      363 

de  chèvrefeuilles  et  de  fougères.  Dans  la  prairie, 
la  centaurée,  les  scilles  et  de  grandes  margue- 
rites mettent  un  peu  de  gaîté. 

Sur  le  piton  le  plus  élevé,  une  pyramide  en 
pierre  sèche  a  été  construite  pour  un  levé  topo- 
graphique, de  là  on  a  une  vue  extraordinaire  sur 
le  jjlaleau  des  Chausey,  les  îles,  les  passages.  Le 
mouillage  de  Beauchamp,  où  peuvent  ancrer  des 
navires  de  guerre,  et  le  chenal  qui  coupe  les 
Chausey  en  deux,  où  l'escadre  a  pu  passer  ré- 
cemment, vus  d'ici,  paraissent  un  fleuve. 

Au  sud  de  l'île,  devant  une  jolie  anse  remplie 
de  coquillages,  au  pied  d'une  petite  falaise,  voici 
le  «  village  »  d'Anneret,  c'est-à-dire  une  hutte 
basse  semblable  à  celle  de  la  Grande-Ile,  mais 
plus  propre.  Elle  est  déserte,  seuls  un  chien 
et  un  chat  dorment  au  soleil,  ils  se  réveillent  et 
viennent  à  nous,  comme  pour  nous  faire  les  hon- 
neurs de  l'îlot.  Le  chat  nous  suit  sur  le  rivage, 
autour  de  la  maison,  mais  quand  il  juge  la  poli- 
tesse suffisante,  il  retourne  à  son  rêve.  Le  chien, 
au  contraire,  prend  les  devants,  nous  mène  dans 
toute  l'île,  nous  fait  voir  le  creux  de  roche  où 
suinte  un  peu  d'eau  suffisant  pour  la  petite  co- 
lonie. Un  moment  il  aboie  avec  colère,  et,  tirant 
Jacques  par  son  manteau,  cherche  à  le  ramener 
en  arrière,  c'est  que  nous  nous  sommes  fourvoyés 


364  VOYAGE    EN    FRANGE. 

dans  des  ronces  d'où  aucun  sentier  ne  permet  de 
sortir.  Enfin,  fier  de  son  rôle,  il  nous  accompagne 
à  notre  barque  et  salue  notre  départ  d'un  aboie- 
ment joyeux. 

Maintenant,  nous  allons  d'îlots  en  îlots,  profi- 
tant des  derniers  courants  laissés  encore  par  la 
mer  descendante.  La  plupart  de  ces  rochers  sont 
des  pelouses  où  ne  vit  pas  même  un  mouton  ;  au 
printemps  l'herbe  en  est  fauchée  et  fanée  pour 
être  transportée  dans  la  Grande -Ile.  Beaucoup 
ont  à  peine  quelques  mètres  de  superficie,  ils  sont 
couverts  par  les  lignes  noires  des  cormorans  qui, 
graves  et  immobiles,  nous  regardent  passer.  Sur 
plusieurs  îles  des  ruines  informes  se  dressent 
près  de  carrières  abandonnées  ou  de  petits  pla- 
teaux jadis  utilisés  pour  l'incinération  des  plantes 
marines.  Ces  débris  semblent  très  vieux,  cepen- 
dant il  y  a  quinze  ans  encore  c'étaient  des  maisons 
habitées,  il  y  avait  des  toits  et  la  fumée  des  foyers 
montait  partout,  pendant  que  les  feux  de  va- 
rechs, répandant  de  noires  nuées,  donnaient  au 
paysage  l'aspect  infernal  qu'ont  encore  les  archi- 
pels des  Glénans  et  d'Ouessant1. 

Les  noms  de  plusieurs  îles,  pour  les  pêcheurs, 
ne  sont  pas  ceux  des  cartes.  Aucun  d'entre  eux 


i.  Voir  la  quatrième  série  du  Voyage  en  France. 


GRANVILLE,   LES  GHAL'SEY  ET  LES  MINQUIERS.      365 

ne  connaît  l'île  d'Ancre  sous  ce  nom,  c'est  l'île 
d'Anneret;  ils  ne  disent  pas  Ile  Longue,  mais 
Longue-Ile;  l'Ile  Plate  des  cartes  est  la  Plate- 
Ile. 

On  débarque  rarement  sur  ces  rochers,  dont 
quelques-uns  sont  cependant  assez  verts,  où  les 
pêcheurs  auraient  certainement  créé  de  petites 
colonies  si  les  redevances  à  payer  au  propriétaire 
de  l'archipel  n'étaient  pas  aussi  élevées.  Seuls 
les  oiseaux  de  mer  animent  ces  solitudes  pro- 
fondes. 

La  barque  nous  a  conduits  par  delà  les  Corni- 
quets  et  la  Roche  des  Guernésiais  jusqu'à  Plate- 
Ile,  d'où  nous  faisons  le  tour  du  Grand  Romont  et 
du  Colombier.  Nous  rejoignons  le  Sound,  l'Éclai- 
reur  est  encore  amarré,  nous  n'irons  décidément 
pas  aux  Minquiers. 

Faut-il  le  regretter  ?  Les  gardiens  du  phare 
m'assurent  que  ces  îles  sont  sans  intérêt,  ils  n'y 
sont  jamais  allés  du  reste.  Du  haut  de  leur  lan- 
terne, ils  découvrent  ces  minces  îlots  comme  une 
colline  à  peine  perceptible  surgissant  d'une  mer 
presque  toujours  agitée.  A  cause  de  cet  isole- 
ment, de  cette  sauvagerie  même,  je  voudrais  être 
là-bas.  Ces  rochers  perdus  où  l'on  retrouve  ces  cu- 
rieux oiseaux  des  Sept  Iles  appelés  calculaux,  ne 


366  VOYAGE    EX    FRANCE. 

sont-ils  pas  d'ailleurs  l'objet  de  discussions  entre 
la  France  et  l'Angleterre?  En  dépit  de  leur  situa- 
tion, nos  insatiables  voisins  ne  prétendent-ils  pas 
que  les  Minquiers  sont  anglaises  parce  qu'elles 
sont  proches  de  Jersey  et  habitées  par  des  pê- 
cheurs jersiais  qui  font  un  exode  estival  semblable 
à  celui  des  Bainvillais  aux  Ghausey  ?  D'ailleurs 
les  Anglais  n'ont -ils  pas  aussi  revendiqué  jadis 
les  Ghausey  ! 

Les  jurisconsultes  ont  toujours  assuré  que  les 
Minquiers  sont  terres  françaises  ;  la  France,  d'ail- 
leurs, entretient  les  bouées  lumineuses  et  flot- 
tantes, celle  que  nous  venions  placer  en  est  une 
preuve.  Il  est  vrai  que  le  petit  débarcadère  de  la 
Maîtresse-Ile  est  entretenu  par  les  Jersiais,  ceux-ci 
ont  accaparé  la  police  sur  les  pécheurs  installés 
aux  Minquiers.  Le  meilleur  moyen  d'empêcher 
les  contestations  soulevées  par  les  Anglais  serait 
de  construire  un  phare  sur  la  Maîtresse-Ile,  il 
rendrait  de  grands  services  en  éclairant  les  abords 
du  plateau  sous-marin  des  Minquiers,  en  partie 
émergé  aux  grandes  marées.  Les  gardiens  du 
phare  seraient  la  marque  vivante  de  notre  souve- 
raineté sur  les  restes  de  cette  énorme  fraction  du 
continent  emporté  par  la  mer,  il  y  a  moins  de 
sept  cents  ans,  et  dont  les  Minquiers,  les  Chausey 
et  le  mont  Saint-Michel  sont  les  témoins. 


GRANVILLE,   LES  CHAUSEY  ET  LES  MINQUIERS.     367 

La  sirène  de  VEclaireur  se  fait  entendre,  on 
nous  appelle  pour  le  départ  ;  encore  un  coup  d'œil 
sur  ce  paysage  extraordinaire  d'îlots  rocheux  se- 
més en  désordre  dans  la  mer,  sur  la  lointaine 
Maîtresse-Ile  des  Minquiers  et  nous  rejoignons  le 
bord.  Dans  moins  de  deux  heures  nous  serons  cà 
Gran  ville. 


Cette  5e  série  du  Voyage  en  France  devait  com- 
prendre, non  seulement  G-ranville,  mais  encore  le  reste 
du  Cotentin  ;  l'étendue  déjà  considérable  de  ce  volume 
a  fait  renvoyer  à  une  autre  série  les  chapitres  consacrés 
aux  régions  de  Coutances.  d'Avranches.  de  Saint-Lô. 
de  Cherbourg,  de  la  Hougue  et  de  la  Hague. 

Ces  chapitres  feront  donc  partie  de  la  6e  série  qui 
comprendra  en  outre  diverses  autres  régions  normandes  : 
la  campagne  de  Caen,  le  pays  d'Auge,  la  Seine  mari- 
time, le  pays  de  Caux  et  le  pays  de  Bray. 

Ce  volume  formera  la  6e  série,  mais  paraîtra  après  la 
7e,  actuellement  sous  presse  et  consacrée  à  la  région  de 
Lyon  et  au  cours  du  Rhône. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


I.   —  Iles  de  l'Aber-Vrac'h. 

Pages. 
Les  îles  du  Finistère  :  Segal,  Melon,  le  Four,  loch,  Carn,  Garro, 
Trévors  et  Guennoc.  —  L'Aber-Vrac'h.  —  De  Brest  à  Lannilis. 
— ■  Le  port  de  l'Aber-Vrac'h.  —  Ile  et  fort  Cezon.  —  Ile  d'Erch. 

—  Hé  Vrac'h.  —  Ile  Lech  h'Vens.  —  Ile  Stagadon.  — Ile  Vatan. 

—  Ile  Venan.  —  Ile  Vierge.  —  Peu  Enès  et  Enès  Bilian.  —  Le 
port  du  Corréjou. —  La  récolte  du  goémon. —  Comment  on  extrait 
l'iode,  la  potasse  et  le  brome 1 

II.    —  L'Ile  de  Siec. 

Saint-Pol-de-Léon. —  Pempoul. —  L'île  Sainte-Anne. —  Les  champs 
d'artichauts  et  de  choux-fleurs.  —  L'île  de  Siec.  —  La  ferme.  — 
Le  village.  —  Les  pêcheurs  de  goémon.  —  Au  milieu  des  primeurs. 

—  Santec.  —  Richesse  et  saleté.  —  L'île  Verte.  —  Roscoff ...         17 


III.   —  L'Ile   de  Batz. 

L'île  de  Batz  il  y  a  quarante  ans.  —  Le  chenal  de  Batz.  —  Du  haut 

du  phare.  —  A  travers  l'île  de  Batz ,    .         29 


IY.  —   Moelaix  et   son  archipel. 

Départ  de  Roscoff.  —  Le  Caillou  de  l'Arche.  —  Iles  de  Vengle,  des 
Cordonniers,  des  Foirous,  les  Grandes-Fourches,  les  Cochons- 
Xoirs,  la  Vieille.  —  L'île  de  Callot,  sa  chapelle  e:  son  pardon. 

—  L'île  Verte.  —  La  pêche  des  crustacés  et  des  coquillages.  — 
L'île  de  Sable.  —  L'île  aux  Dames.  —  L'île  Sterec.  —  L'île  Louët. 

—  Le  château  du  Taureau.  —  L'île  Xoire.  —  Locquénolé.  —  La 
rivière  de  Morlaix.  —  Morlaix  et  son  viaduc 

VOYAGE    EX    FRANCE.    V.  24 


370  TABLE    DES    MATIERES. 

V.  —  Les  Sept-Iles. 

Pages. 
Lannion.  —  Saint-Quay  et  l'île  Thomé.  —  Perros-Gnirec  et  ses 
rochers.  —  Les  Sept-Iles  :  île  aux  Moines  ;  île  de  Bomo  ;  île  de 
Malban  ;  île  Rouzie;  île  Plate;  île  du  Cerf;  île  Droite.  —  Plou- 
manac'h  et  ses  rochers.  —  Saint-Guirec.  —  Ile  Rennotte.  —  Ile 
Lain  Bras.  —  Ile  Dhu.  —  Re  de  Seigle.  —  Re  de  Biwic.  —  Le 
charnier  de  Trégastel.  —  Ce  qu'on  voit  du  Calvaire 53 

VI.  —  L'Ile  Grande  (Enès-Meur)  et  son  archipel. 

De  Trégastel  à  Pleumeur.  —  Saint-Samson  rend  les  hommes  forts. 

—  Pleumeur.  —  Saint-Duzec  et  son  menhir.  —  L'île  d'Aval.  — 
L'île  d'Erch.  —  Entrée  dans  l'île  Grande.  —  Kervégan.  —  La 
fontaine  et  l'église  de  Saint-Sauveur.  —  Re  de  Milio.  —  Ile  de 
Molène.  —  Re  Fougère.  —  Ile  de  Toinot.  —  Re  Losquet.  —  Re 
à  Canton.  —  Re  du  Renard.  —  Excursion  dans  l'île  Grande.  — 
Les  carriers.  —  Le  manoir.  —  Agriculture.  —  Le  menhir.  — 
Ile  Corbeau.  —  Ile  Morville.  —  Le  lichen.  —  La  vie  à  l'île 
Grande 69 

VII.  —  Archipel  de  Saint-Gildas. 

Les  îles  du  Lannionnais.  —  Lannion  pendant  la  foire  aux  chevaux. 

—  De  Lannion  à  Port-Blanc.  —  Les  pêcheurs  du  Lannionnais. 

—  Les  goëmonniers.  —  L'île  des  Femmes.  —  L'île  de  Saint- 
Gildas.  —  L'île  des  Levrettes.  —  Buguellès.  —  Les  îles  Plates. 

—  Ile  du  Milieu.  —  Les  gens  de  Buguellès.  —  Res  des  Genêts, 
Auza.Bilo,  Instant,  Nini,  des  Angles,  Kerganet,  Bihan,  Marquer. 

—  L'île  Illec  et  la  villa  d'Ambroise  Thomas 91 

VIII.  —  Les  Iles  d'Er. 

Du  Port-Blanc  au  Tréguier.  —  La  Roche  jaune.  —  Saint  Gouano. 

—  En  route  sur  l'estuaire.  —  Re  Ribolen.  —  Ile  de  Loaven.  — 
La  légende  de  saint  Gonéré  et  de  sainte  Eliboubanna.  —  Les 
rochers  du  Trieux.  —  La  Petite-Ile.  —  L'île  d'Er.  —  Existence 
d'une  famille  insulaire.  —  Le  patriarche  Le  Rous 111 


TABLE    DES    MATIÈRES.  371 

IX.   —  Archipel   de  Bréiiat. 

Pages. 
Tréguier.  —  Lé/ardrieux.  —  Paimpol.  —  La  pèclie  à  la  morue.  — 
Les  Mâts  de  Goëllo.  —  L'ilc  Saint-Rion.  —  L'île  de  Bréhat  et 
ses  satellites  :  îles  Raguenez,  de  la  Chèvre,  Biniguet,  Lagadec, 
Lavrec,  Séhères,  Ai-  Morbil,  Modez,  Trouezen,  Verte,  à  Bois, 
Coalin,  Vierge,  Blanche.  —  Le  sillon  de  Talbert.  —  Excursion 
à  travers  Bréhat.  —  Les  Épées  de  Tréguier.  —  Le  Paon.    .   .    .       126 

X.  —  Le  Goëllo  et  le  Penthièvre. 

Les  Mâts  de  Goëllo.  —  Triste  aventure  d'un  troupeau.  —  Le  comté 
de  Goëllo.  —  La  flottille  de  Paimpol.  —  Pêche  de  la  morue.  — 
Méfaits  de  l'alcool.  —  La  vallée  du  Trieux.  —  Le  pays  de  Guin- 
gamp.  —  Saint-Brieuc  et  sa  campagne.  —  Le  port  du  Légué.  — 
Le  duché  de  Penthièvre.  —  Lamballe  et  ses  terrassiers   ....       147 

XI.     Au    BERCEAU    DE    LA    TOUR    d'AcVERGNE. 

Guingamp  et  le  guingan.  —  En  route  pour  les  monts  d'Arrée.  — 
La  vallée  d'Hyère.  —  Carhaix.  —  La  Tour  d'Auvergne  et  ses 
origines.  —  Les  mines  de  Poullaouen  et  d'Huelgoat.  —  Ce  qu'elles 
furent  jadis.  —  Le  vallon  de  Pont-Pierre  et  ses  merveilles.  — Le 
gouffre.  —  Huelgoat.  —  La  Roche  Tremblante  et  la  cuisine  de  la 
Vierge.  —  Saint-Herbot.  —  Le  pèlerinage  des  queues  de  vaches. 
—  Le  château  de  Rusquec.  —  Saut  de  Saint-Herbot.  —  Dans  les 
monts  d'Arrée. 160 


XII.  —  En  Cornouailles. 

Le  dragon  de  Merlin.  —  Musée  monumental  du  Léonnais.  —  Lan- 
derneau.  —  Une  ville  calomniée.  —  La  vallée  de  l'Elorn.  —  Le 
Folgoët.  —  Lesneven.  —  Le  premier  marché  du  Finistère.  — 
Plougastel,  ses  mariages  et  ses  fraises.  —  Crozon  et  Morgat.  — 
La  rivière  d'Aune.  —  Port-Launay.  —  Châteaulin  et  ses  ardoises. 
—  La  vallée  du  Steir.  —  Arrivée  à  Quimper lSï 


372  TABLE    DES    MATIÈRES. 

XIII.    AU    PAYS    DE    BrIZEUX. 

Pages. 
Quimper-Corentin.  —  L'Athènes  armoricaine.  —  Quimperlé.  — 
L'Isole  et  l'Ellé.  —  La  Laïta.  —  Arzano  et  les  bords  du  Scorflf. 

—  Lorient.  —  Hennebont.  —  La  fabrication  des  boîtes  de  sar- 
dines. —  La  rivière  d'Étel 209 

XIV.  —  Bretagne  celtique.  —  Bretagne  française. 

Plouharnel.  —  Carnac  et  .ses  monuments  druidiques.  —  Auray  et 
sa  rivière.  —  Sainte-Anne  d'Auray  et  son  pèlerinage.  —  La  val- 
lée du  Loch.  —  Le  champ  de  bataille  et  le  champ  des  martyrs. 

—  Redon.  —  La  vallée  de  la  Vilaine.  —  Rennes  et  les  beurres 

de  Prévalaye 233 

XV.  —  Mi-Voie  et  Brocéliande. 

De  Saint-Brieuc  à  Loudéac.  —  Quintin.  —  Le  château  et  la  forêt 
de  Lorges.  —  Loudéac  et  les  toiles  de  Bretagne.  —  Pontivy. 

—  Excursion  à  Rohan.  —  La  vallée  du  Blavet.  —  Ploërmel.  — 
Mi-Voie  et  le  combat  des  Trente.  —  Josselin.  —  L'Étang  au  Duc. 

—  La  fontaine  de  Baranton  et  la  forêt  de  Brocéliande 254 

XVI.   —  De  Vitré  au  mont  Saint-Michel. 

La  vallée  de  la  Vilaine.  —  Le  Château  des  Rochers.  —  Souvenirs 
de  Mme  cle  Sévigné.  —  Le  pays  de  Vendelais.  —  Légende  de 
Roland.  —  Fougères  et  son  château.  —  Huit  mille  cordonniers. 

—  Comment  l'industrie  naquit  à  Fougères.  —  Le  pays  de  Coglès. 

—  Pontorson  et  le  mont  Saint-Michel 279 

XVII.  —  La  Hollande  de  Normandie. 

La  digue  du  mont  Saint-Michel.  —  A-t-elle  gâté  le  paysage?  — 
L'ancienne  forêt  de  Scissey.  —  Cataclysme  de  l'an  709.  —  Re- 
conquête du  sol.  —  Fleuves  domptés.  —  Les  polders  de  l'ouest. 

—  Dol,  le  mont  Dol  et  les  marais.  —  Cancale  et  ses  huîtrières. 

—  La  pointe  du  Groin  et  l'île  des  Landes.  —  De  Rothéneuf  à 
Saint-Malo 300 


TABLE    DES    MATIÈRES.  373 

XVIII.  —  Saint-Malo,   la  Rance  et  Dihan. 

Pagps. 
L'île  Cézembre.  —  Embargo  du  génie.  —  Sàint-Malo  et  son  archi- 
pel. —  Sur  la  Rance.  —  Dinan  et  son  paysage.  —  Le  plateau  de 
Corseul.  —  Plancoët.  —  La  vallée  de  l'Arguenon.  —  Extraction 
de  la  tangue.  —  Saint- Jacut-de-la-Mer.  —  L'île  des  Ehbiens.  — 
Château  du  Guildo.  —  L'agriculture  dans  les  Cotes-du-Nord  .    .       325 

XIX.  —  Geanyille,  les  Chausey  et  les  Minquiees. 

De  Coutances  à  Granville.  —  Granville.  —  En  route  pour  les 
Chausey.  —  La  Grande-Ile.  —  Les  carrières.  —  Le  vieux  Châ- 
teau. —  Jardin  de  Provence.  —  Vie  des  habitants.  —  Dans  l'ar- 
chipel.— Les  Robinsons  de  l'île  d'Anneret.  —  Les  îles  Minquiers.       341 


Kancy.  —  Impr.  Berger-Levrault  et  C' 


CHEMINS    DE    FER    D'ORLÉANS 


BAINS  DE  MER  DE  L'OCÉAN 

SAISON     IDE      ±89o 


BILLETS  D'ALLER  ET  RETOl R  A  PRIX  RÉDUITS 

Valables  pendant  33  jours 

Pendant  la  saison  des  bains  de  m^r,  du  1"  Mai  au  31  Octobre,  il  est  délivré  des 
Billets  Aller  et  Retour  de  toutes  classes,  par  toutes  les  gares  du  réseau,  pour  les 
stations  balnéaires  ci-aprùs  : 

SAINT-NAZAIRE. 

POBNR.HET  (Sainte-Marguerite). 

FSCOLBLACLA-BAULE. 

LE  POULIGUEN. 

BATZ. 

LE  CROISIC. 

GUÉRANDE. 

VANNES  (J'ort-Navalo,  Saint- Gildaz-de-Rmz) 

PLOUHARNEL-CARNAC. 


SAINT-PIERRE  OLIBERON. 
OUI  HERON  (Belle-Isle-en-Mer,. 
LO RIENT  (Port-Louis,  Larmor). 
QUIMPERL.E  Pouldu). 
CONCARNEAU  (Beg-Meil,  Fouesnant). 
QLTMPER  iBenodet). 
PONT-L'ABBÉ  (Lang  z,  Lociudy). 
DOUARNENEZ. 
CHATEAULIN  (Pentrey,  Crozon,  M*rgat>. 

1°  Les  billets  pris  à  toute  gare  du  réseau  située  dans  un  rayon  d'au  moins  250  kilomètres  des 
stations  balnéaires  ci-dessus  comportent  une  réduction  de  40  p.  100  en  1™  classe,  de  35  p.  10O 
en  2«  classe,  et  de  30  p.  100  en  3°  classe  sur  le  double  du  prix  des  b.llets  simples. 

La  durée  de  validité  de  ces  billets  (33  Jours)  peut  être  prolongée  d'une,  deux  ou  trois  périodes 
successives  de  10  jours,  moyennant  le  paiement,  pour  chaque  période,  d'un  supplément  égal  à  10 
p.  100  du  prix  du  billet.  La  demande  de  prolongation  devra  être  iaite  et  le  supplément  payé 
avant  l'expiration  de  la  durée  de  validité  primitive  ou  prolongée.  Ces  formalités  pourront  être 
remplies,  soit  à  la  gare  de  départ,  soit  à  la  gare  destinataire. 

^  Par  exception  la  durée  de  validité  des  billets  de  1"  et  2e  classe,  délivrés  à  Paris  pour  Saint- 
Nazaire,  peut  être  prolongée  deux  fois  de  30  jours,  moyennant  paiement,  pour  chaque  période,  d'un 
supplément  de  10  p.  100;  en  outre,  il  n'est  pas  délivré  de  demi-billets  pour  les  enfants;  toutefois, 
deux  enfants  de  3  à  7  ans,  n'occupant  qu'une  seule  place,  peuvent  voyager  avec  un  seul  billet  de 
Bains  de  mer  de  1™  ou  de  2"  classe. 

Exceptionnellement  : 

A.  —  Le  voyageur  porteur  d'un  billet  délivré  pour  les  stations  de  la  ligre  du  Croisic  (Saint-y'a- 
zalre,  Pornichet,  Escoublac-la-Baule.  Le  Pouliguen,  Batz,  Le  Croisic  et  Guérande  ,  aura  la  fa- 
culté d'effectuer,  sans  supplément  de  prix,  soit  à  l'aller,  soit  au  retour,  le  trajet  entre  Nante--.  et 
Saint-Nazaire  dans  les  bateaux  de  la  Compagnie  de  la  Basse-Loire. 

B.  —  Le  voyageur  porteur  d'un  billet  délivré  pour  une  station  située  au  delà  de  Vannes  ver; 
Auray  aura  la  faculté  de  s'arrêter  a  celles  des  stations  suivantes  qui  seront  comprises  dans  le  par- 
cours de  son  billet:  Sainte-Anne-d' Auray .  Auray.  Hennebont,  Lorient,  Quimperlé,  Rospoiden 
et  Quimper. 

C.  —  Le  voyageur  porteur  d'un  billet  délivré  aux  conditions  qui  précédent,  pour  l'une  quelconque 
des  stations  balnéaires  ci-dessus,  aura  la  faculté  de  s'arrêter  une  seule  fois,  à  l'aller  ou  au  retour 
pendant  48  heures,  soit  à  Nantes,  soit  à  tout  autre  point  situé  en  deçà  de  Nantes. 

La  facultée  d'arrêt  à  Nantes,  prévue  ci-dessus,  est  indépendante  de  la  faculté  d'arrêt  au  même 
point  qui  découle  du  choix  de  la  voie  d'eau  entr- Nantes  et  Saint-Nazaire.  Elle  ne  pourra  être  exercée 
par  le  voyageur  ayant  ou  devant  utiliser  la  voie  d'eau. 

2°  Les  billets  pris  à  toute  gare  située  dans  un  rayon  inférieur  à  250  kilomètres  des  dites  stations 
balnéaires  comportent  une  réduction  de  20  p.  100  sur  les  prix  des  Tarifs  généraux,  sans  toutefois 
que  les  prix  à  percevoir  puissent  excéder  le  prix  applicable  à  un  parcours  de  250  kilomètres,  ni 
être  inférieur  au  prix  appl. cable  a  un  parcours  de  125  kilomètres. 


ADMISSION  DES  VOYAGEURS  DE  2e  ET  3e  CLASSE 

DANS  LES  TRAINS  EXPRESS  19,  9  ET  29 

Au   départ   de  Paris,   les  trois  trains  express  n"  19,  9  et  29  prennent  les  voyageurs  de  toutes 
classes,  munis  de  Billets  de  bains  de  mer  pour  les  stat  ons  ci-dessus. 

Les  trains  express  n"  19  et  9  partent  de  Paris  dans  la  matinée  et  le  train  n°  29  part  le  soir. 

Eo  province,  les  Billets  doivent  être  demandés  au  cheî  de  Gare 
trois  jours  aTant  celui  du  départ. 
Peur  plus  amples  renseignements,  consulter  le  Livret-fiuide  de  la  Compagnie 
d'Orléans,  dont  l  envoi  gratuit  est  fait  sur  demande  adressée  à  l  Alminist ration 
Centrale,  1,  place  Yalhubert,  à  Paru. 


VOYAGE    D'EXCURSION 

AUX 

PLAGES    DE     LA     BRETAGNE 

Avec  arrêt  facultatif  à  toutes  les  gares  du  parcours. 

Du  1"  mai  au  31  octobre,  il  est  délivré  des  billets  de  voyage  d'excursion  aux 
plages  de  la  Bretagne,  à  prix  réduits  et  comportant  le  parcours  ci-après  : 

Le  Croisic.  —  Guérande.  —  Saint-Nazaire.  —  Sarenay.  —  Questembert.  —  Ploër- 
mel. —  Vannes. —  Aura?.—  Pontiv.T.  —  Quiberon. —  Lorient. —  Quimperlé.—  Ros- 
porden.  —  Concameau." —  Quiniper.  —  Douarnenez.  —  Pont-1'Abhé.  —  Chàleaulin. 
PRIX   DES   BILLETS:   1"  Classe.    .    .    .     45  fr.  —  2=  Classe.    .    .    .     36  fr. 

Aller  et    Retour  compris 


DURÉE  DE  VALIDITE  :   30  jours 

La  durée  de  validité  de  ces  Billets  peut  être  prolongée  d'une,  deux  ou  trois 
périodes  successives  de  10  jours,  moyennant  le  paiement,  pour  chaque  période, 
d'un  supplément  égal  à  10  p.  10b  du  prix  du  Billet. 


BILLETS  COMPLÉMENTAIRES  DU  VOYAGE  D'EXCURSION 

SUR  LES  PLAGES  DE  LA  BRETAGNE 

Réduction  de  40  p.  100  sous  condition  d'un  parcours  minimum  de  150  kilomètres.  —  Billets 
délivrés  de  toute  station  du  réseau  d'Orléans  et  séparément.  Le  premier  pour  aller  rejoindre  le 
voyage  d'excursion.  Le  second,  s'il  y  a  lieu,  pour  quitter  le  voyage  d'excursion  et  permettant  de 
se  rendre  à  un  point  quelconque  du  réseau  d'Orléans. 

Il  est  délivré,  de  toute  station  du  réseau  d'Orléans  pour  Savenay  ou  tout  autre  point  situé  sur 
l'itiuéraire  du  Voyage  d'Excursion  aux  plages  de  Bretagne,  et  inversement  de  Savenay  ou  de  tout 
autre  point  situé  sur  ledit  itinéraire  a  toute  station  dudit  réseau,  des  Billets  spéciaux  de  1"  et  ï" 
classe,  comportant  une  réduction  de  40  p.  100  sur  le  prix  ordinaire  des  places,  sous  condition 
d'un  parcours  minimum  de  150  kilomètres  par  Billet. 

Ces  billets  sont  délivrés  distinctement,  le  premier  pour  aller  rejoindre  l'itinéraire  du  Voyage 
d'Excursion  aux  plages  de  Bretagne,  le  second  pour  quitter  cet  itnéraire  lorsque  le  voyageur  l'a 
terminé  ou  veut  l'abandonner.  Le" premier  de  ces  Billets  doit  être  demandé  en  même  temps  que  le 
Billet  d'excursion,  et  au  moins  trois  jours  à  l'avance;  le  second  est  délivré  lorsque  le  voyageur  le 
demande,  sur  la  présentation  du  Billet  d'excursion,  par  la  gare  ou  le  voyageur  quitte  l'itinéraire 
de  ce  billet.  Le  billet  est  alors  ret  ré  des  mains  du  voyageur  et  celui-ci  perd  tout  droit  sur  les 
parcours  non  effectués,  le  cas  échéant. 

Les  Billets  de  parcours  complémentares  peuvent  être  établis,  tant  à  l'aller  qu'au  retour,  par  les 
lignes  du  réseau  d'Orléans  iniiqu-es  par  le  voyageur.  Ils  comportent,  comme  les  Billets  du  voyage 
d'excursion  auxquels  ils  viennent  se  souder,  la  faculté  d'arrêt  a  tous  les  points  du  parcours.  Cette 
faculté  est  exercée  dans  les  i;iémes  conditi  >ns  que  pour  les  arrêts  d  î  voyage  d'excurskn. 

Le  délai  de  validité  du  premier  Billet  (Billet  délivré  pour  aller  rejoindre  l'itiné.aire  du  Voyage 
d'Excursion)  expire  en  même  temps  que  celui  du  B.U.-t  de  ce  voyage  d'excurs  on. 

Le  délai  de  validité  du  second  Billet  délivré  au  voyageur  qui  abandonne  l'itinéraire  du  Voyage 
d'Excursion,  expire  trois  jours  après  la  date  d'expiration  du  délai  de  validité  du  Billet  d'excursion. 

A  Paris  :  Les  Billets  sont  délivrés  immédiatement  aux  guichets  de  la  gare  d'Orléans  (quai 
d'Austerlilz)  et  dans  les  bureaux  succursales  de  la  Compagnie. 

Au  départ  des  autres  gares,  ils  doivent  être  demandés  trois  jours  avant  celui  du  départ. 


PRIX     DES     BILLETS 

comportant  les  réductions  indiquées  ci-contre  au  départ  de 


PARIS 

PARIS 

1"  cl. 

■2'  cl. 

3«cl. 

l"cl. 

•2»  cl. 

3»  cl. 

aux  gares  ci-dessous. 

aux  gares  ci-dessous. 

Saint-Nazaire.  . 

59.70 

40  30 

30.65 

St-Pierre-Quiberon  . 

50.10 

35.-20 

Pornichet 

u  1.-25 

14.80 

31.43 

Quibcron 

69.05 

50.50 

35.50 

Escoublac-la-Baule.    . 

45.-25 

31.70 

Lorient 

70.15 

51.30 

36    » 

Le  Pouliguen   .... 

6-2.-20 

45.50 

31.90 

Quimperlé 

72.85 

53.30 

37.40 

Batz 

6-2.75 

45.90 

3-2.-20 

Concarneau  .... 

"■   . 

57.80 

4».-20 

Le  Croisic 

63.-2J 

46.-20 

3-2.40 

Ouimper 

78.9i 

57.70 

40.55 

Guérande 

6-2.65 

45.85 

3-2.15 

Pont-i'Abbé  .... 

81.70 

59.75 

41.95 

vannes 

6-2.90 

46    i 

3-2  -25 

Douarnenez 

81.05 

59.95 

4-2.  «'S 

P'.ouharnel-Cari.ac .    . 

67. -20 

49.15 

3-4.50 

Chàteauiin 

8-2.90 

60.65 

4-2.55 

CHEMINS  DE  FER  DE  L'OUEST  ET  D'ORLÉANS 

VOYAGE  CIRCULAIRE  EX  BRETAGNE 

Billets  d'excursions  délivrés  toute  l'année 
lre  classe,  «5  fr.  —  2e  classe,  50  fr. 


Les  Compagnies  de  l'Ouest  et  d'Orléans  délivrent,  toute 
l'année,  aux  prix  très  réduits  de  65  fr.  en  lre  classe  et 
50  fr.  en  2e  classe,  des  billets  circulaires  valables  30  jours, 
comprenant  le  tour  de  la  presqu'île  bretonne ,  savoir  : 
Rennes,  Saint-Malo  (île  Cézembre),  Dinard,  Saint-Brieuc. 
Lannion  (Sept-îles,  Ile-Grande),  Morlaix,  RoscofF  (île  de 
Batz),  Brest  (île  d'Ouessant),  Quimper,  Douarnenez  (île 
de  Sein),  Pont-1'Abbé,  Concarneau  (les  G-lénans),  Lorient 
(île  de  Groix),  Auray,  Quiberon  (Belle-Isle,  île  d'Houat. 
île  d'Hoëdic),  Vannes  (îles  du  Morbihan),  Savenay,  Le 
Croisic  (île  Dumet),  Guérande,  Saint-Xazaire  (La  Grande- 
Brière,  île  de  Xoirmoutier),  Pont-Château,  Redon  et 
Rennes. 

Ces  billets  peuvent  être  prolongés  trois  fois  d'une  pé- 
riode de  10  jours  moyennant  le  paiement,  pour  chaque 
prolongation,  d'un  supplément  de  10  p.  100  du  prix  pri- 
mitif. 

Le  voyageur  partant  d'un  point  quelconque  des  réseaux 
de  l'Ouest  et  d'Orléans  pour  aller  rejoindre  cet  itinéraire. 
peut  obtenir,  sur  demande  faite  à  la  gare  de  départ,  4  jours 
au  moins  à  l'avance,  en  même  temps  que  son  billet  d'ex- 
cursion, un  billet  de  parcours  complémentaire  comportant 
une  réduction  de  40  p.  100,  sous  condition  d'un  parcours 
minimum  de  150  kilomètres  ou  payant  comme  pour  150  ki- 
lomètres. 


La  même  réduction  lui  est  accordée  après  l'accomplisse- 
ment du  voyage  circulaire,  soit  pour  revenir  à  son  point 
de  départ  initial,  soit  pour  se  rendre  sur  tel  autre  point 
des  deux  réseaux  qu'il  a  choisi. 


Voici  d'ailleurs  le  prix  des  places  pour  les  stations  bal- 
néaires où  l'on  peut  demander  des  billets  circulaires  du 
voyage  en  Bretagne  : 

Billets  d'aller  et  retour  individuels 


VALABLES    PENDANT   33   JOUES 

(jour  de  la  délivrance  non  compris) 


Saint-Malo-Saint-Servan.  —  Rothéneuf.  .  .   . 

La  Gouesniére-Cancale 

Dinard.  —  Saint-Enogat,  Saint- Lunaire,  Saint- 

Briac,  Lancieus 

Plancoët.  —  La  Garde-Saint-Cast,  Saint-Jacut- 

de-la-Mer 

Lamballe.  —  Pléneuf,  Le  Val-André,  Erquy.  . 
Saint-Brieuc.  — Portrieux,  Saint-Quay.  .    .    . 

Lannion.  —  Perros-Guirec 

Morlaix.  —  Samt-Jean-du-Doigt,  Plougasnon- 

Primel 

Saint-Pol-de-Léon 

Roscoff 

Landerneau.  —  Brignogan 

Brest 

Paimpol 

Saint-Nazaire 


1"  classe.     2°  classe. 


56 


57  50 
60  20 
70  » 

72  15 
75  )> 
75  95 
77  55 
80  10 
69  20 
59  70 


37  80 


38  85 
40  65 

47  25 

48  70 

50  60 

51  25 

52  35 
54  05 
46  70 
40  30 


CHEMINS    DE    FER    DE    L'ETAT 


BAINS  DE  MER_DE  L'OCÉAN 

1°  BILLETS  de  BAINS  de  MER  au  départ  de  Paris 
Billets  d'Aller  et  Retour  valables  33  jours 

NON    COMPRIS    LE    JOUR    DU    DÉPART 

Arec  prolongation  facultatiye  moyennant  le  paiement  d'une  surtaxe 

(Délivrés  du  1"  mai  au  31  octobre  de  chaque  année) 


De 

PA  R  IS-MONTPARNASSE 

ou  de 

PA  RI  S- A  USTERLITZ 

aux  gares  ci-après 

et  retour. 


Royan  

La  Tremblade  ■ 

Le  Chapus 

Le  Château  (île  d'Oléron 

Marennes 

Fouras 

Ghâtelaillon 

La  Rochelle 

Les  Sables-d'Olonne.   .   . 
Saint-Gilles-Croix-de-Vie. 


PRIX  ALLER  ET  RETOUR 


SECTION    I. 

Sans  faculté  d'arrêt 

aux 
gares  intermédiaires. 


3*  cl. 


1«  Cl. 

2<  Cl. 

71  30 

52  40 

74  2b 

54  20 

67  20 

49  10 

68  70 

50  60 

66  2b 

48  35 

63  90 

46  50 
46  15 

62  35 

61  10 

45  10 

62  60 

46  3b 

64  b5 

46  5b 

33  15 
39  » 

35  - 

36  20 

34  50 
33  2b 
32  50 

31  8b 

32  60 
32  70 


SECTION  II. 

l'acuité  d'arrêt 

entre  CHARTRES 

ou  TOURS 

et  la  station  balnéaire 


3<  cl. 


1"  cl. 

2«  Cl. 

80  65 

61  20 

83  80 

63  30 

77  05 

b3  20 

78  55 

59  70 

76  10 

57  50 

73  75 

55  75 

71  9b 

55  25 

70  50 

54  20 

72  25 

b6  95 

74  50 

57  30 

43  50 

44  55 

40  » 

41  20 
39  45 
37  90 
37  00 

36  35 

37  20 
37  35 


De  PARIS-MONTPARNASSE  ou  SAINT-LAZARE  aux  gares  ci-après  et  retour. 


Challans2  .... 
Rourgneuf3  .  .  . 
Les  Moutiers  .  .  . 
La  Rernerie    .    .    . 

Pornic  * 

Saint-Père-en-Retz 5 
Paimbœuf*.   .    .    . 


63  35 
58  50 
58  50 
53  50 
53  80 

58  50 

59  05 


44  65 

42  90 

43  30 

43  55 

44  30 
43  30 
43  30 


31  35 
30  10 

30  40 

30  60 

31  15 
30  65 

30  80 


SECTTON  I. 


CONDITIONS 

Les  billets  de  Bains  de  Mer  délivrés  aux  prix  de  la  Sec- 


tion I  ne  sont  valables  que  pour  les  destinations  qu'ils  indiquent,  et  ne 
donnent  oas  le  droit  de  s'arrêter  dans  une  gare  intermédiaire.  Exception- 
nellement, les  voyageurs  porteurs  de  billets  de  Bains  de  Mer  de  Paris  à 
Challans,  Bourgneuf,  Les  Moutiers,  La  Bernerie,  Pomic,  Saint-Père-en- 
Retz  et  Paimbœuf  ont  la  faculté  de  s'arrêter  pendant  48  heures  à  Nantes, 
soit  a  l'aller,  soit  au  retour. 

SECTION  II.  —  Les  billets  de  Bains  de  Mer  délivrés  aux  prix  de  la  Sec- 
tion II  donnent,  tant  à  l'aller  qu'au  retour,  le  droit  de  s'arrêter  à  toutes  les 
gares  intermédiaires  entre  Chartres  [via  Saumur  ou  via  Chinon)  ou  Tours 
d'une  part,  et  la  station  balnéaire  de  destination  d'autre  part. 


(Voir  les  renvois  au  bas  de  la  page  suivante.) 


2°  BILLETS  DE  BAINS  DE  MER 

AU  DÉPART  DES  GARES  AUTRES  QUE  PARIS 

Billets  d'Aller  et  Retour  valables  33  jours 

NON     COMPRIS     LE     JOUR    DE    LA    DÉLIVRANCE 

Avec  prolongation  facultative  moyennant  le  paiement  d'une  surtaxe 

(Délivrés  du  Ie'  mai  au  31  octobre  de  chaque  année) 

Ces  billets,  qui  comportent  les  mêmes  réductions  de  prix 
que  les  billets  d'aller  et  retour  ordinaires,  sont  délivrés,  du 
1er  mai  au  31  octobre  de  chaque  année,  par  toutes  les  gares, 
stations  et  haltes  du  réseau  de  l'État  <Paris  excepté)  pour 
Roy  an,  La  Tremblade1,  Le  Chapus,  Le  Château  (h,e  d'oléron), 
Murennes,  Fouras,  Châtelaillon,  La  Rochelle,  Les  Sables-d'Olonne, 
Sainl-Gilles-Croix-de-Vie,  Challans-,  Bonrgneuf\  Les  Moutiers, 
La  Bernerie,  Pornic4,  Saint-P 'ère-en-Retz5  et  Paimbœuf5. 

ENFANTS.  —  Au-dessous  de  3  ans,  les  enfants  ne  paient 
rien,  à  la  condition  d'être  portés  sur  les  genoux  des  personnes 
qui  les  accompagnent.  De  3  à  7  ans,  ils  paient  moitié  des  prix 
des  billets  de  Bains  de  Mer  et  ont  droit  à  une  place  distincte  ; 
toutefois,  dans  un  même  compartiment,  deux  enfants  ne  pour- 
ront occuper  que  la  place  d'un  voyageur.  Au-dessus  de  7  ans, 
les  enfants  paient  place  entière. 

Les  billets  de  Bains  de  Mer  donnent,  tant  à  l'aller  qu'au  re- 
tour, le  droit  de  s'arrêter  à  toutes  les  gares  intermédiaires. 

Prolongation  de  la  durée  de  validité.  —  La  durée  de  validité 
de  tous  les  billets  de  Bains  de  Mer  prévus  aux  i°  et  2°  ci-des- 
sus, peut  être  prolongée  de  20,  40  ou  60  jours,  moyennant  le 
paiement  d'un  supplément  de  10,  20  ou  30  p.  100  du  prix  du 
billet.  Toute  demande  de  prolongation  doit  être  faite  et  le 
supplément  payé  avant  l'expiration  de  la  période  pour  laquelle 
la  prolongation  est  demandée. 


Billets  d'ALLER  et  RETOUR  de  TODTE  GARE  à  TOUTE  GARE 

Il  est  délivré  tous  les  jours,  par  toutes  les  gares,  stations  et 
haltes  du  réseau  de  l'État,  et  pour  tous  les  parcours  sor  ce 
réseau,  des  billets  d'aller  et  retour  à  prix  réduits. 

Les  coupons  de  retour  sont  valables  :  1°  pour  les  trajets  jus- 
qu'à îoo  kilomètres,  le  jour  de  l'émission,  le  lendemain  et  le 
surlendemain  jusqu'à  minuit  ;  2°  pour  les  trajets  de  plus  de 
îoo  kilomètres,  un  jour  de  plus  par  100  kilomètres  ou  fraction 
de  100  kilomètres. 


1.  La  station  de  La  Tremblade  dessert  la  plage  de  Ronce-les-Bains.  — 
2.  La  station  de  Challans  dessert  les  plages  de  l'île  de  Noirmoutier.  de 
l'ile  d'Yen  et  de  Saint-Jean-de-Monts.—  3.  La  station  de  Bourgneuî  dessert 
les  plages  de  l'ile  de  Noirmoutier.—  4.  Du  1"  juillet  au  30  septembre, 
service  régulier  de  bateaux  à  vapeur  entre  Pornic  et  Noirmoutier.  — 
5.  Le6  stations  de  Paimboeuf  et  de  Saint-Pére-en-Retz  desservent  la  plage 
de  Saint-Brévin-POeéan.  Les  voyageurs  porteurs  de  billets  de  Bains  de 
Mer  de  Paris  à  Paimbœuf  ont  la  faculté  d'effectuer,  sans  supplément  de 
prix,  soit  a  l'aller,  soit  au  retour,  le  trajet  entre  Nantes  et  Paimbœuf  dans 
les  bateaux  de  la  Compagnie  de  Navigation  de  la  Basse-Loire. 


^ 


5* 


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BEKtiER-LEVKAILT  à  Ce,  LlimAJRES-ÉDITEIRS 

Paris,  5,  rue  des  Beaux-Arts.  —  18,  rue  des  Glacis,  Nancy. 


OUVRAGE  COURONNÉ  PAR  L'ACADÉMIE  FRANÇAISE 

Et  honoré  du  prix  du  Président  de  la  République 

à  la  Société  des  Gens  de  lettres. 

A  obtenu,  en  1897,  le  prix  Félk  Fwirnier,  décerné  par  la  Société  de  Géographie  de  Paris 
à  l'œuvre  géographique  la  plus  considérable  de  l'année. 


Ardouin-Dumazet 


Série  d'élégants  volumes  in-12,  avec  de  nombreuses  cartes. 

Prix  de  chaque  volume  : 

Broché  :  3  fr.  50  c.  —  Cartonné  en  toile  souple,  tête  rouge  :  Afr. 


L'œuvre  si  considérable  du  Voyage  en  France  vient  de  s'accroître 
de  deux  volumes  qui  ne  seront  pas  les  moins  goûtés  de  ce  vivant  tableau 
de  notre  pays.  Cette  Région  du  Nord  qu'aborde  aujourd'hui  M.  Ar- 
douin-Dumazet. cette  contrée  réputée  morose,  et  à  laquelle  on  dénie 


volontiers  tout  caractère  pittoresque,  a  cependant  donné  matière  à 
deux  séries  fort  étendues  de  cette  superbe  et  précise  description  des 
paysages  et  des  activités  de  notre  pays.  Le  lecteur  y  trouvera,  non 
sans  surprise,  des  panoramas  fort  variés  ;  il  découvrira  des  sites 
atteignant  parfois  à  la  grandeur.  Il  aura  surtout  une  étude  complète, 
singulièrement  attachante,  de  l'énorme  développement  industriel  et 
agricole  de  ces  régions  aux  ciels  mouillés,  aux  cités  fumeuses. 

La  18°  série  —  Flandre  et  littoral  du  >"ord  —  comprend  tout  le 
coin  de  France  compris  entre  la  Scarpe,  la  mer  et  la  baie  de  Somme. 
M.  Ardouin-DuinazLjt  nous  y  fait  pénétrer  par  cet  énorme  organisme 
manufacturier  constitué  par  les  deux  villes  jumelles  de  Roubaix  et  de 
Tourcoing.  11  décrit  de  sa  plume  alerte  ces  deux  cités  si  prodigieuse- 
ment grandies  depuis  le  commencement  du  siècle,  nous  fait  assister 
à  leurs  progrès  et  vivre  de  leur  vie  intime,  nous  fait  toucher  du 
doigt  les  causes  du  triomphe  du  socialisme  dans  ce  milieu  d'ouvriers 
venus  de  tous  les  points  des  Flandres.  Ces  pages  sur  Roubaix  et  Tour- 
coing, remarquable  résumé  de  choses  vues,  auront  la  bonne  fortune 
de  devenir  classiques  comme  tant  d'autres  parties  de  cette  admirable 
entreprise  qu'est  le  Voyage  en  France. 

Après  cette  visite  à  l'énorme  ruche  roubaisienne,  M.  Ardouin-Dumazet 
conduit  le  lecteur  dans  l'intimité  du  pays  flamand,  dans  ce  riant  pays 
•le  Ferrain,  enfoncé  comme  un  coin  dans  la  Belgique ,  borde  par  la 
Lys,  si  vert  avec  ses  prairies  et  ses  cultures  encadrées  d'ypréaux,  si 
gai  avec  ses  censés  tapissées  de  poiriers  en  espalier.  Par  Halluin,  nous 
gagnons  les  rives  de  la  Lys,  bordées,  en  France  et  en  Belgique,  de 
bourgades  endormies  qui  furent  de  grandes  villes  au  moyen  âge. 

Voici  Lille  maintenant.  La  métropole  du  Nord  tient  une  large  place 
dans  ce  volume  ;  son  aspect,  les  mœurs  de  sa  population,  son  indus- 
trie donnent  lieu  à  trois  chapitres  d'un  haut  intérêt.  Une  excursion  à 
la  station  agronomique  de  Cappelle  amène  l'auteur  à  exposer  et  expli- 
quer les  immenses  progrès  de  l'agriculture  en  Flandre. 

.Nous  retrouvons  la  Lys,  avec  la  riche  et  industrieuse  Armentières, 
les  villes  manufacturières  qui  l'avoisinent,  les  paysages  mélancoliques 
et  doux  de  ce  val,  d'où  M.  Ardouin-Dumazet  nous  conduit  dans  les 
charmantes  collines  de  la  Flandre  flamingante,  autour  de  Bailleul  et 
d'Hazebrouck  et  sur  le  belvédère  superbe  de  Cassel. 


Ce  sont  ensuite  lus  Moëres,  petite  Hollande  conquise  sur  des  lagunes, 
la  grande  cite  maritime  de  Dunkerque,  qui  nous  vaut  une  curieuse 
description  du  départ  de  la  flottille  de  pêche  pour  l'Islande.  Successi- 
vement l'auteur  du  Voyage  en  France  aborde  la  curieuse  région 
des  Wateringues,  l'antique  Morinie,  la  haute  vallée  de  l'Aa,  Saint-Omer, 
Calais,  où  l'industrie  du  tulle  est  étudiée  en  des  pages  pleines  d'attrait  ; 
le  Boulonnais  et  ses  hautes  collines  ;  Boulogne,  où  nous  voyons  décrite 
arec  humour  la  fabrication  des  plumes  métalliques  et  des  crayons. 
Après  une  visite  au  littoral  île  Berck,  aux  champs  tragiques  de  Crècy, 
nous  allons  visiter  les  vallées  de  la  Canche  et  de  la  Ternoise  et  assister 
a  l'élevage  du  cheval  boulonnais.  Ici  finit  ce  volume  de  près  de  450 
pages. 

La  19e  série  —  Artois,  Cambrésis  et  Hainaut  —  débute  par  uue 
visite  aux  sources  de  la  Somme  et  à  la  grande  cité  industrielle  de 
Saint-Quentin.  De  la  vallée  de  l'Ancre  et  d'Albert,  l'auteur  nous  ramène 
dans  le  Ponthieu  pour  visiter  cette  sorte  de  Californie  constituée  par 
les  gisements  de  phosphate  de  Beauval.  Nous  assistons  à  la  grandeur 
et  à  la  décadence  de  ces  carrières  fameuses  dans  le  monde  entier, 
qui  déterminèrent  une  lièvre  analogue,  toutes  proportions  gardées,  à 
la  fièvre  de  l'or  en  Californie.  Voici  maintenant  la  vallée  de  la  Nièvre 
picarde  et  ses  usines  grandioses. 

Gagnant  l'Artois,  M.  Ardouin-Dumazet  fait  un  tableau  de  la  vie  cham- 
pêtre de  cette  vieille  province,  décrit  sa  capitale  si  curieuse,  en  voie 
d'agrandissement.  De  là,  il  atteint  la  campagne  historique  où  nait  la 
Lys.  En  un  chapitre  d'un  poignant  intérêt,  d'un  grand  souille  patrio- 
tique, il  décrit  les  champs  de  bataille  d'Azincourt  et  de  Guinegatte, 
les  ruines  douloureuses  de  l'illustre  cité  de  Thérouanne.  C'est  ensuite 
la  plaine  glorieuse  de  Lens,  devenue  le  Pays  Noir,  embrumée  par  la 
fumée  des  houillères,  les  petits  pays  d'Alleu,  de  Weppes  et  d'Escre- 
bieux,  Douai,  «  l'Athènes  du  Nord  ». 

Encore  une  plaine  tragique  :  Bapaume,  les  sources  de  l'Escaut,  Cam- 
brai et  le  pays  de  Cambrésis,  à  propos  desquels  la  fabrication  de  la 
chicorée  et  celle  du  sucre  sont  l'objet  de  descriptions  intéressantes  et 
claires. 

Caudry  la  dentellière,  les  belles  forêts  de  Saint-Amand.  Anzin,  ses 
mines,  Valenciennes  et  ses  richesses  d'art  sont  décrits  dans  les  cha- 


pitres  suivants.  Les  dernières  de  ces  400  pages  nous  amènent  dans  la 
forêt  de  Mormal  et  la  vallée  de  la  Sambre,  à  Landrecies,  à  Maubeuge, 
chez  les  marbriers  de  Cousolre  et ,  enfin ,  par  la  curieuse  région  où 
coulent  les  Helpes,  à  Avesnes,  à  Fourmies  et  à  la  trouée  de  l'Oise, 
charmants  pays  faisant  déjà  prévoir  la  grâce  sauvage  des  Ardennes. 

Ce*  deux  volumes,  que  d'autres  vont  suivre  incessamment,  font 
juger  de  l'ardeur  et  de  la  persévérance  apportées  par  M.  Ardouin- 
Dumazet  dans  cette  œuvre  désormais  classique,  comme  jamais  il  n'en 
fut  conçu  sur  un  grand  pays. 

Certes,  les  Géographies  de  la  France  ne  manquent  pas  ;  mais  elles 
sont  ou  des  compilations  de  documents,  ou  des  œuvres  collectives 
d'écrivains  qui  ne  pouvaient  suivre  rigoureusement  le  même  plan,  ni 
surtout  posséder  une  vue  d'ensemble  et  des  moyens  de  comparaisons. 
C'est  la  France  entière,  dans  sa  vie  intime,  dans  son  activité  commer- 
ciale et  agricole,  dans  ses  paysages  si  divers,  dans  ses  souvenirs 
aussi,  qu'un  écrivain  possédé  d'une  vive  passion  pour  son  pays  veut 
nous  faire  connaître. 

Comme  nous  le  disions  en  annonçant  les  volumes  précédents,  M.  Ar- 
douin-Dumazet,  dédaigneux  des  sentiers  battus,  s'est  imposé  de  décrire 
Ja  France  d'après  ses  impressions  personnelles,  et  non  en  compilant 
les  publications  antérieures.  Il  ne  décrit  que  ce  qu'il  a  vu,  les  cultures 
et  les  industries  étudiées  sur  place,  les  sites  célèbres,  comme  aussi 
les  coins  de  terre  ignorés,  découvertes  inattendues  auxquelles  l'a  con- 
duit le  hasard  dans  ses  courses. 

D'un  style  toujours  clair,  alerte 'et  vivant,  où  l'on  sent  passer  un 
profond  amour  pour  la  terre  de  France,  l'aimable  touriste  promène  le 
lecteur  avec  lui,  l'oblige  à  s'intéresser  à  Ja  vie  du  paysan  et  de  l'ou- 
vrier; telles  de  ses  pages  sur  le  Morvan,  la  Touraine,  les  Alpes,  les 
iles  de  l'Océan  et  de  la  Manche  ont  été  citées  partout.  Depuis  lors,  ses 
descriptions  des  Cèvennes  septentrionales,  des  Alpes,  de  l'admirable 
vallée  du  Rhône,  des  lumineux  paysages  de  Provence  et  de  la  Corse, 
ont  eu  la  même  fortune. 

Pour  tous,  le  nom  d'Ardouin-Dumazet  et  le  Voyage  en  France 
sont  désormais  inséparables.  Nous  avons  cité  déjà  le  mot  de  ce  pro- 
fesseur d'une  de  nos  grandes  Universités,  disant  qu'il  voyait  là  pour 
la  première  fois  «  une  géographie  nationale  vraiment  digne  de  ce 


nom,  autant  sous  le  rapport  des  recherches  nouvelles  et  inattendues, 

que  de  la  méthode  d'exposition,  et  qui  laisse  bien  loin  derrière  elle 
tout  ce  qui  a  été  tenté  dans  ce  genre  ;  —  en  un  mot,  une  œuvre  mo- 
derne dans  la  meilleure  acception  du  terme  ». 

Et  le  rapporteur  du  prix  Félix  Fournier  attribué  au  Voyage  en 
France  par  la  Société  de  géographie  de  Pans,  a  pu  dire  : 

«  M.  Ardouin-Dumazet  s'efforça  donc  de  faire  une  étude  sérieuse 
très  documentée  et  très  au  courant,  en  s'appuyant  non  pas  seulement 
sur  ce  qui  avait  été  écrit  avant  lui,  mais  en  allant  sur  place,  en  con- 
sultant les  industriels,  les  commerçants,  les  propriétaires,  tous  ceux, 
en  un  mot,  qui  étaient  en  état  de  lui  fournir  des  renseignements 
vécus.  On  sent  tout  ce  qu'il  faut  d'esprit  critique  et  d'indépendance 
pour  ne  pas  se  laisser  influencer,  pour  négliger  les  querelles  locales, 
les  amours-propres  froissés  et  ne  retenir  de  ces  informations,  souvent 
oiseuses  et  interminables,  que  le  trait  décisif  et  l'argument  qui  porte. 
Ce  n'est  plus  ici  le  sec  et  fastidieux  résumé  d'un  auteur  qui  abrège 
des  documents  officiels,  c'est  l'impartial  exposé  d'efforts  personnels 
encore  tout  vibrants  de  la  lutte,  et  cela  donne  au  style,  avec  une 
trame  solide,  une  intensité  de  vie,  une  propriété  d'expression  qui  sont 
la  caractéristique  même  de  cet  ouvrage.  » 


Voici  le  plan  complet  du  Voyage  en  France,  avec  le  sommaire 
'des  chapitres  pour  chacun  des  volumes  parus  ou  en  préparation  : 

Volumes  parus  : 

RÉGION    DU    CENTRE 

lre  Série  :  LE  MORVAN,  LE  VAL  DE  LOIRE  ET  LE  PERCHE.  — Le  flottage 
en  Morvan  —  les  bûcherons  du  Nivernais  —  au  pays  des  nourrices  — 
le  Nivernais  industriel  —  le  Nivernais  pastoral  —  une  usine  nationale 
iGuérigny)  —  Gien  et  la  Puisaye—  la  Sologne  —  paysages  solognots 
—  les  colons  de  Sologne  —  la  Sologne  berrichonne  —  le  safran  en 


Gâtinais  —  Orléans  —  les  roses  d'Olivet  —  les  troglodytes  du  Vendô- 
mois  —  les  vignes  du  val  de  Loire  —  la  capitale  des  tanneurs  —  la 
Champagne  tourangelle  —  Rabelais,  guide  en  Touraine  —  la  réglisse 

—  la  Touraine  industrielle  —  Mettray  —  le  Perche  —  le  percheron  en 
Amérique  —  le  Grand-Perche  —  les  forêts  du  Perche  —  la  vallée  de  la 
Sarthe  —  ce  que  deviennent  les  hêtres  —  La  Flèche  et  le  pays  fléchois. 

—  380  pages.  Nouveau  tirage  corrigé  et  complète,  avec  19  cartes. 

2e  Série  :  DES  ALPES  MANCELLES  A  LA  LOIRE  MARITIME.  —  Les  Alpes 
mancelles  —  le  pavé  de  Paris  —  la  Champagne  mancelle  —  Sablé  et 
ses  marbres  —  Laval  et  Port-du-Salut  —  chez  les  Chouans  —  dans  la 
Mayenne  —  l'agriculture  dans  le  Bas-Maine —  aiguilles  et  épingles  — 
le  point  d'Alençon  —  le  Camembert  — Fiers  — la  Suisse  normande  — 
Angers  et  les  ardoisières  —  ardoises  et  primeurs  —  le  Guignolet  et  le 
vin  d'Anjou  —  Saumur  —  la  bijouterie  religieuse  —  le  Bocage  vendéen 

—  sur  la  Loire,  d'Angers  à  Nantes  —  Grand-Jouan  —  Clisson  et  les 
lacs  de  l'Erdre  —  le  lac  de  Grand-Lieu  —  la  Loire  de  Nantes  à  Paimbœuf. 

—  338  pages. 

{Ces  deux  volumes  ont  été  couronnés  par  l'Académie  française.) 


LITTORAL  ATLANTIQUE 


3e  Série  :  I.  D'ABCACHON  A  BELLE-ISLE.  —  L'ile  aux  Oiseaux  —  la  Seu- 
dre  et  les  îles  de  Marennes  —  l'ile  d'Oleron  —  île  d'Aix  —  lie  Madame 
et  Brouage  —  île  de. Ré  —  lie  d'Yeu  —  lie  de  Xoirmoutier  —  de  l'ilê 
de  Boum  à  Saint-Nazaire  —  archipel  de  la  Grande-Brière  —  Lie  Dumet 
et  la  presqu'île  du  Croisic  —  Belle-Isle-en-Mer.  —  31 S  pages  avec 
19  cartes  ou  croquis. 

4e  Série  :  II.  D'HOËDIC  A  OUESSANT.  —  Ile  d'Houat  —  la  Charte  des 
îles  bretonnes —  île  d'Hoëdic —  le  Morbihan  et  la  presqu'île  de  Rhuys 
—  îles  aux  Moines  —  petites  îles  du  Morbihan  —  îles  d'Ars  et  Ilur  — 
île  de  Groix  —  île  Chevalier  et  île  Tudy  —  archipel  des  Glénans  — 
lie  de  Sein  —  la  ville  close  de  Concarneau  —  archipel  d'Ouessant  : 
I  de  Beniguet  à  Molène  —  II  l'île  d'Ouessant  —  îles  de  la  rade  de 
Brest.  —  322  pages  avec  25  cartes  ou  croquis. 


RÉGION   DU  NORD-OUEST 

5eSÉRii;  :  LES  ILES  FRANÇAISES  DE  LA  MANCHE,  BRETAGNE  PÉNINSULAIRE. 

—  Les  îles  de  l'Aber-Yrac'h  —  ile  de  Siec  —  ile  de  Batz  —  Morlaix  et 
son  archipel  —  les  Sept-Iles  —  ile  Grande  (ÉnèsMeur)  et  son  archipel 

—  archipel  de  Saint-Gildas  —  les  îles  d'Er  —  archipel  de  Brèhat  — 
le  Goëllo  et  le  Penthièvre  —  au  berceau  de  la  Tour-d'Auvergne  —  eu 
Cornouailles  —  au  pays  de  Brizeux  —  Bretagne  celtique,  Bretagne 
française  —  Mi-Voie  et  Brocéliande  —  de  Vitré  au  mont  Saint-Michel  — 
la  Hollande  de  Normandie  —  Saint-Malo,  la  Rance  et  Dinan  —  Granville, 
les  Ghausey  et  les  Minquiers.  —  377  pages  avec  26  cartes  ou  croquis. 

6e  Série  :  COTENTIN,  BASSE-NORMANDIE,  PAYS  D'AUGE,  HAUTE-NORMAN- 
DIE, PAYS  DE  CAUX.  —  Une  ville  de  chaudronniers  —  les  Yaux-de-Yire 

—  la  Déroute  et  les  lignes  de  Carentan  —  le  duché  de  Coigny  —  la 
Hougue  —  Cherbourg  et  la  Hague  —  Baveux  et  le  Bessin  —  la  cam- 
pagne de  Caen  —  la  foire  de  Guibray  —  du  Bocage  à  la  mer  —  le  lit- 
toral du  Calvados  —  la  vallée  d'Auge  —  en  Lieuvin  —  Trouville  et  la 
Côte-de-Gràce  —  le  marais  Vernier  et  la  Risle  —  Évreux  et  le  Saint- 
André  —  Tringlots  et  enfants  de  troupe  —  les  draps  d'Elbeuf  —  de 
l'Avre  a  la  Risle  —  de  la  Risle  à  TAndelle  —  Rouen  —  le  royaume 
d'Yvetot  —  le  Mascaret  —  le  Havre  —  plages  de  Carteret  —  Cher- 
bourg —  Barileur  —  la  Hougue  —  Grandcamp  —  Port-en-Bessin  — 
Courteulles  —  Saint-Aubin  —  Luc-sur-Mer  —  Cabourg  —  Beuzeval  — 
Villars-sur-Mer  —  Trouville  —  Deauville  —  Villerville  —  Hontleur  et 
le  Havre.  —  429  pages  avec  29  cartes  ou  croquis. 

RÉGION   DU  SUD-EST 

7e  Série  :  LA  RÉGION  LYONNAISE  :  LYON,  MONTS  DU  LYONNAIS  ET  DU 
FOREZ.  —  Lyon  —  rôle  social  de  Lyon  —  à  travers  Lyon  —  la  Croix- 
Rousse  et  Vaise  —  du  Gourguillon  au  Mont-d'Or  —  la  plaine  du  Dau- 
phiné  —  Vienne  et  le  pays  des  cerises  —  le  mont  Pilât  —  les  monts 
du  Lyonnais  —  de  Vichy  à  Thiers  —  de  Thiers  à  Pierre-sur-Haute  — 
Montbrison,  la  plaine  du  Forez  et  Saint-Galmier  —  les  monts  Tarare 

—  le  col  des  Sauvages  et  Thizy  —  Cours  et  Roanne  —  le  berceau 
de  Félix  Faure  —  la  diligence  des  Écharmeaux  —  le  Beaujolais  et  la 
foire  de  Montmerle  —  Teinturiers  et  tireurs  d'or.  —  314  pages  avec 
19  cartes  ou  croquis. 


—      8      — 

8e  Série  :  LE  RHONE  DU  LÉMAN  A  LA  MER  :  DOMBES,  VALROMEY  ET 
BHGEY,  BAS-DAUPHINÉ,  SAVOIE  RHODANIENNE.  LA  CAMARGUE.  —  En  Dombes 

—  la  Bresse  et  le  Bugey  —  la  corne  et  le  celluloïd  —  au  pays  des 
pipes  (Saint-  Claude)  —  la  Valserine  et  la  perte  du  Rhône  —  le  Yalromey 
et  Belley  —  les  lacs  du  Bas-Bugey  —  les  Balmes  viennoises  —  l'île  de 
Crémieu  —  la  Hollande  du  Dauphiné  —  les  lacs  d'Aiguebelette  et  du 
Bourget  —  le  lac  d'Annecy  —  Albertville  et  l'Arly  —  les  horloges 
de  Cluses  —  le  Rhône  de  Bellegarde  à  Seyssel  —  les  défilés  de 
Pierre-Châtel  —  Villebois  et  le  Sault  du  Rhône  —  le  Rhône  de  Lyon 
à  Valence  —  le  Rhône  de  Valence  à  la  mer  —  en  Camargue  —  les 
Saintes-Maries-de-la-Mer.  —  325  pages  avec  22  cartes  ou  croquis. 

9e  Série  :  BAS-DAUPHINÉ  :  VIENNOIS,  GRAISIVAUDAN,  OISANS,  DIOIS  ET 
VALENTINOIS.  —  Le  lac  de  Paladru  et  la  Fure  —  du  Rhône  à  la  Morge 

—  noix  de  Grenoble,  marrons  du  Graisivaudan  —  les  liqueurs  du 
Dauphiné  —  Grenoble  —  de  Grenoble  à  la  Mure  —  la  Mateysine  et 
Vizille  —  Uriage,  le  Pont-de-Claix  —  l'Oisans  —  en  Graisivaudan  — 
le  pays  du  Gratin  —  Tournon,  Tain  et  l'Ermitage  —  le  Valentinois  — 
Crest  et  la  Drôme  —  le  chemin  de  fer  du  col  de  Cabres  —  les  premiers 
oliviers  —  Dieulefit  et  la  forêt  de  Saou  —  le  Vercors  —  le  Royannais 
et  Villard-de-Lans.  —  357  pages  avec  23  cartes  ou  croquis. 

10e  Série  :  LES  ALPES  DU  LÉMAN  A  LA  DURANCE.  —  Les  chasseurs 
alpins  —  en  Tarentaise  —  en  Maurienne  —  dans  les  Bauges  —  le 
Genevois  —  le  Léman  français  —  du  Faucigny  en  Chablais  —  des 
Dranses  au  mont  Blanc  —  les  alpages  de  Roselend  —  le  poste  des 
Chapieux  —  la  redoute  ruinée  du  Mont-Saint-Bernard  —  au  mont  Iseran 

—  au  pied  du  mont  Cenis  —  une  caravane  militaire  —  le  Briançonnais 

—  du  mont  Genèvre  au  val  de  Nêvache  —  en  Vallouise  —  le  Queyras 

—  les  Barcelonnettes  au  Mexique  —  les  défenses  de  l'Ubaye  —  Embrun 
et  Gap  —  du  Champsaur  en  Volgodemard  —  en  Dévoluy  —  du  Trièves 
en  Valbonnais.  —  374  pages  avec  25  cartes  ou  croquis. 

11e  Série  :  FOREZ,  VIVARAIS,  TRICASTIN  ET  COMTAT-VENAISSIN.  —  La 
vallée  du  Gier  —  le  premier  chemin  de  fer  français  —  les  blindages  et 
les  lacets  de  Saint-Ghamond  —  les  armuriers  de  Saint-Étienne  — 
cyclopes  et  rubaniers  —  les  limes  du  Chambon-Feugerolles  —  le  pays 
des  serrures  —  la  vallée  de  l'Ondaine  —  Annonay  et  la  Déôme  —  le 
Meygal  —  la  Genève  du  Vivarais  —  des  Boutières  au  Rhône  —  sous 


les  mûriers  de  Privas  —  de  Viviers  à  Vais  —  le  théâtre  d'agriculture 

—  le  Pont-Saint-Esprit  —  la  principauté  d'Orange  —  en  Tricastin  — 
l'enclave  de  Valréas  —  les  Dentelles  de  Gigondas  —  Carpentras  —  au 
mont  Ventoux  —  en  Avignon  :  la  fontaine  de  Vaucluse  —  Vaucluse 

—  les  melons  de  Gavaillon.  —  362  pages  avec  25  cartes  ou  croquis. 

12e  Série  :  LES  ALPES  DE  PROVENCE  ET  LES  ALPES  MARITIMES.  —  Au 
pays  de  Tartariii  —  la  foire  de  Beaucaire  —  Uzès  et  le  pont  du  Gard 

—  les  huiles  de  Salon  —  Noël  chez  Mistral  —  le  fôlibrige  et  Saint- 
Remy-de-Provence  —  des  Alpilles  en  Arles  —  d'Arles  en  Grau  —  au 
pied  du  Lubéron  —  les  pénitents  des  Mées  —  la  vallée  du  Buech  — 
de  Gap  à  Digne  —  les  biignoles  de  Barrême  —  les  amandiers  de 
Valensole  —  les  faïences  de  Moustiers  —  le  plateau  du  Var  —  Aix- 
en-Provence  —  les  champs  de  Pourrières  —  du  Carami  à  l'Argens  — 
de  Draguignan  à  Grasse  —  les  parfums  de  Grasse  —  de  Menton  aux 
Mille-Fourches  —  la  Yêsubie  —  la  Tinée  —  les  gorges  du  Var  —  du 
Var  à  l'Ubaye.  —  382  pages  avec  30  cartes  ou  croquis  et  une  grande 
carte  des  Alpes  françaises  hors  texte. 

13e  Série  :  LA  PROVENCE  MARITIME.  —  La  petite  mer  de  Berre  —  les 
Bourdigues  de  Caronte  —  de  Roquefavour  au  Pilon-du-Roi  —  les  mines 
de  Fuveau  —  les  câpriers  de  Roquevaire  —  à  travers  Marseille  —  les 
ports  de  Marseille  —  du  vieux  Marseille  aux  cabanons  —  de  la  Giotat 
aux  calanques  —  Toulon  —  la  rade  de  Toulon  —  la  batterie  des  Hommes 
sans  peur  —  de  l'archipel  des  Embiez  aux  gorges  d'Ollioules  —  les 
cerisaies  de  Solliès-Pont  —  Hyères  et  les  Maurettes  —  les  Isles  d'Or  : 
Giens  et  Porquerolles,  Bagaud,  Port-Cros  et  le  Levant  —  des  Maures  à 
Saint-Tropez  —  traversée  nocturne  des  Maures  —  au  pied  de  l'Estérel 

—  Cannes  et  Antibes  —  les  îles  de  Lèrins  —  Mce  —  Mce-Cosmopolis 

—  Nice,  camp  retranché  —  de  Nice  à  Monaco  —  Menton  et  la  frontière. 

—  405  pages  avec  28  cartes. 

14e  Série  :  LA  CORSE.  —  La  Balagne  —  Galvi  et  la  Balagne  déserte 

—  la  Tartagine  et  Gorté  —  de  Tavignano  à  Pentica  —  Ajaccio  et  son 
golfe  —  autour  d'Ajaccio  —  la  Cinarca  —  une  colonie  grecque  —  les 
cédratiers  des  calanches  —  une  vallée  travailleuse  (Porto)  —  dans  la 
forêt  corse  —  le  Niolo  —  les  gorges  du  Golo  —  Mariana  et  la  Gasinca 

—  la  Gastagniccia  —  autour  de  Bastia  —  le  cap  Corse  —  de  Marseille 
à  Sartène  —  les  bouches  de  Bonifacio  — une  vendetta  (Porto-Vecchio) 


—      10     — 


—  le  Fiumorbo  —  un  essai  de  grande  culture  —  l'immigration  luc- 
quoise  —  la  vallée  du  Tavignano  —  l'avenir  de  la  Corse.  —  320  pages 
avec  27  cartes,  7  gravures  et  une  planche  hors  texte. 


FIN  DU  LITTORAL  ATLANTIQUE  ET  BEAUGE 

15e  Série  :  LES  CHARENTES  ET  LA  PLAINE  POITEVINE.  —  Le  pays  d'An- 
goumois  —  les  papiers  d'Angoulême  —  au  bord  de  la  Charente  —  les 
merveilles  de  la  Braconne  —  les  sources  de  la  Touvre  —  la  fonderie 
nationale  de  Ruelle  —  de  la  Charente  au  Né  —  la  Champagne  de 
Cognac  —  les  eaux-de-vie  de  Cognac  —  les  Pays-Bas  de  Jarnac  — 
dans  les  fins  bois  —  le  Confolentais  —  de  la  Tardoire  à  la  Dronne  — 
la  Double  saintongeaise  —  la  Charente  maritime  (de  Saintes  à  Roche- 
fort)  —  La  Rochelle  —  les  vignes  et  les  laiteries  de  l'Àunis  —  les 
bouchots  à  moules  —  Mort  et  la  plaine  poitevine  —  l'école  militaire 
de  Saint-Maixent  —  les  protestants  du  Poitou  —  les  mulets  de  Melle. 

—  385  pages  avec  2G  cartes  ou  croquis. 

16e  Série  :  DE  VENDÉE  EN  BEAUCE.  —  La  vallée  de  laVonneà  Sanxay 

—  de  Lusignan  à  Poitiers  —  les  armes  blanches  de  Châtellerault  — 
en  Mirebalais  —  Giron  et  Thouars  —  la  Vendée  historique  — les  Alpes 
vendéennes  —  le  Bocage  vendéen  —  la  forêt  de  Vouvant  —  les  marais 
de  la  Sèvre  .Mortaise  —  le  .Marais  vendéen  —  Luçon  et  son  marais  — 
l'estuaire  du  Lay  —  la  Vendée  moderne  —  le  pays  d'Olonne  —  de  la 
Loire  à  la  Vie  —  de  Bressuire  en  Gàtine  —  le  Thouet  et  l'École  de 
Saumur  —  au  pays  de  Rabelais  —  de  Tours  au  pays  de  Ronsard  — 
la  Beauce  dunoise  et  Blois  —  les  champs  de  bataille  de  la  Beauce  — 
la  Beauce  chartraine  —  Perche-Gouët,  Humerais  et  Drouais.  —  388  pages 
avec  30  cartes  ou  croquis. 


REGION  DU   NORD 

17e  Série  :  LITTORAL  DU  PAYS  DE  CAUX,  VEXIN,  BASSE-PICARDIE.  —Les 
falaises  de  Caux  —  Dieppe  et  la  vallée  de  la  Scie  —  de  valleuse  en 
valleuse  —  l'AIiermont  —  le  pays  de  Bray  —  en  Vexin  —  les  table- 
tiers  de  Méru  —  les  èventaillistes  au  village  —  le  pays  de  Thelle  — 
Beauvais  —  les  opticien-;  du  Thérain  —  la  vallée  dorée  —  de  la  Brèche 


—    Il    — 

à  la  Noyé  —  les  tourbières  de  Picardie  —  Amiens  —  dans  les  liortil- 
lonnages  —  les  bonnetiers  du  Santerre  —  pendant  les  manœuvres  — 
l'Amiènois  et  la  vallée  de  la  Bresle  —  les  dernières  falaises  —  les  ser- 
ruriers de  Vimeu  —  d'Escarbotin  à  la  baie  de  Somme.  —  380  p 
avec  25  cartes. 


18e  Série  :  FLANDRE  ET  LITTORAL  DU  NORD.  —  Roubadx  —  la  forte- 
resse du  collectivisme  —  Tourcoing  et  le  Ferrain  —  le  Val  de  Lys  — 
le  vieux  Lille  —  le  nouveau  Lille  —  mœurs  lilloises  —  la  Flandre 
guerrière  —  l'agriculture  dans  le  Nord  —  les  villes  industrielles  de  la 
Lys  —  la  Flandre  flamingante  —  les  monts  de  Flandres  —  les  Moëres 

—  Dunkerque  et  son  port  —  la  pêcbe  à  Islande  —  Fort-Mardyck  et 
Gravelines  —  dans  les  Wateringues  —  en  Morinie  —  Langle,  Bredenarde 
et  Pays  reconquis  —  la  fabrication  des  tulles  —  en  Boulonnais  —  Bou- 
logne et  ses  plumes  métalliques  —  la  côte  boulonnaise  —  de  la  Canche 
a  l'Authie  —  le  Marquenterre  et  le  Ponthieu  —  le  cheval  boulonnais. 

19e  Série  :  ARTOIS,  CAMBRÉSIS  ET  HAINAUT.  —  Les  sources  de  la 
Somme  —  le  champ  de  bataille  de  Saint-Quentin  —  la  vallée  de  l'Omi- 
gnon  —  de  la  Somme  à  l'Ancre  —  le  pays  des  phosphates  —  la  Nièvre 
picarde  —  le  pays  d'Arras  —  Azincourt,  Enguinegatte  et  Thérouanne 

—  le  pays  noir  de  Béthune  —  l'armée  au  pays  noir  —  Alleu,  Weppes 
et  Escrebieux  —  Bapaume  et  la  source  de  l'Escaut  —  En  Gambrésis 

—  Caudry  et  le  canton  de  Glary  —  Cambrai  —  la  plus  grande  sucrerie 
du  monde  —  en  Ostrevent  —  de  la  Scarpe  à  l'Escaut  —  le  pays  noir 
d'Anzin  —  Yalenciennes  et  le  Hainaut  —  la  vallée  de  la  Sambre  — 
la  vallée  de  la  Solre  —  Fourmies  —  la  trouée  de  l'Oise. 


Sous  presse  : 

RÉGION    DE    L'EST 

20e  Série  :  HAUTE-PICARDIE,  ARDENNE  ET  CHAMPAGNE.  —  En  Noyonnais 
—  en  Soissonnais  —  en  Laonnais  —  les  vanniers  de  la  Thiérache  —  le 
familistère  de  Guise  —  la  vallée  de  l'Oise  et  Saint-Gobain  —  Coucy  et 
le  Tardenois  —  Reims  —  Épernay  et  le  vignoble  d'Ay  —  la  montagne 
de  Reims  et  ses  vins  —  le  camp  de  Châlons  —  les  Champs  cata- 
launiques  —  le  Rethelois  et  le  Porcien  —  les  Ardennes  —  gorges  de  la 
Meuse  —  champ  de  bataille  de  Sedan  —  l'Argonne  —  le  Perthois  — 


—     12     — 

la  Héronnière  du  Petit-Écury  —  les  bonnetiers  de  Troyes  —  la  vallée 
de  l'Aube  —  le  pays  d'Othe  —  le  pays  du  fer  —  en  Bassigny  —  le 
plateau  de  Langres  —  dans  les  Faucilles. 

21*  Série  :  LA  LORRAINE.  —  La  vallée  de  la  Chiers  —  le  camp 
retranché  de  Verdun  —  en  Woëvre  —  les  confitures  de  Bar-le-Duc 

—  les  opticiens  de  Ligny  —  les  madeleines  de  Gommercy  —  de 
Vaucouleurs  à  Domremy  —  le  pays  de  Longwy  —  en  vue  de  Meiz 

—  la  vallée  de  la  Seille  —  de  Kancy  à  Avricourt —  le  camp  retranché 
de  Toul  —  la  vallée  de  la  Meurthe  —  les  violons  de  Mirecourt  —  la 
source  de  la  Saône  —  Épinal  —  la  vallée  de  la  Mortagne  —  du  Donon 
à  Saint-Dié  —  Gérardmer  et  Longemer  —  le  Val-d'Ajol  —  la  Moselotte 
et  le  Hohneck  —  au  ballon  de  Servance  —  le  ballon  d'Alsace  et  Giro- 
magny  —  la  trouée  de  Belfort. 

La  collection  complète  comprendra  33  volumes  : 

22.  FRANCHE-COMTÉ.  28.  LE  GOLFE  DE  LION. 

23.  BOURGOGNE.  29.  LES  PYRÉNÉES. 

24.  BERRY  ET  BOURBONNAIS.  30.  VALLÉE  DE  LA  GARONNE. 

25.  MARCHE,  LIMOUSIN  ET  PÉRIGORD.  31.  GASCOGNE. 

26.  AUVERGNE  ET  VELAY.  32.  ILE-DE-FRANCE. 

27.  QUERCY,   ROUERGUE  ET  GÉVAU-  33.  TABLE   GÉNÉRALE   ET   TABLEAU 

DAN.  DE  LA  FRANCE  MODERNE. 

Tel  sera  cet  ouvrage,  d'un  si  puissant  intérêt,  conçu  sur  un  plan 
original,  établi  et  mené  à  bonne  fin  par  un  seul  écrivain,  ce  qui  lui 
assure  une  unité  de  vues  absolue.  Jamais  travail  plus  considérable  n'a 
été  tenté  pour  l'ensemble  de  notre  pays. 

Mai  1899. 

Les  Éditeurs, 

BERGER-LEVRAULT  ET  Cie. 


Nancy,    im\>.    Berger-Levrault   et  C"« 


BERGER-LEVRAULT  ET  Cie,  LIBRAIRES-ÉDITEURS 

Paris,  5,  rue  des  Beaux-Arts.  —  Nancy,  18,  rue  des  Glacis. 
En  cours  de  publication 

LEXIQUE    GÉOGRAPHIQUE 

DU    MONDE  ENTIER 

PUBLIÉ  SOIS  LA  DIRECTION  DE 

M.  E.  LEVAS  S  EUR  (de  l'Institut) 

PROFESSEUR    AU    COLLÈGE   DE    FRANCE 

AVEC  LA  COLLABORATION  DK 


j:-v.  barbier 

SECRÉTAIRE  GÉNÉRAL 
DE   LA  SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPU1E  DE  L'EST 


M.  ANTHOINE 

INGÉNIEUR 

CHEF  DU  SERVICE  DE  LA  CARTE  DE  FRANCE 
AU  MINISTÈRE  DE  L'iNTÉBIEUR 


CONDITIONS  ET  MODE  DE  PUBLICATION 

Le  Lexique  géographique  parait  par  fascicules  de  4  feuilles  gr.  in-8°  (64  pages) 
d'impression  compacte  à  3  colonnes,  avec  cartes  et  plans  dans  le  texte. 

Il  comprendra  environ  50  fascicules,  formant  à  volumes  de  1,000  à  1,200  pages 
chacun. 

Il  paraîtra  environ  10  fascicules  par  an;  12 fascicules  sont  en  vente  en  janvier 
1896. 

Prix  du  fascicule  ;  1  fr.  50  c. 
Prix  de  souscription  à  l'ouvrage  complet  :  70  fr. 

La  souscription  donne  droit  à  la  réception  gratuite  de  tous  les  fascicules  pou- 
vant dépasser  le  nombre  prévu.  —  Envoi  du  prospectus-spécimen  sur  demande. 


En  cours  de  publication 

DICTIONNAIRE  MILITAIRE 


ENCYCLOPÉDIE  DES  SCIENCES  MILITAIRES 

RÉDIGÉE 

PAR  UN  COMITÉ  D'OFFICIERS  DE  TOUTES  ARMES 


CONDITIONS  ET  MODE  DE  PUBLICATION 

Le  Dictionnaire  militaire  formera  deux  gros  volumes  grand  in-8°  Jésus  à  deux 
colonnes,  d'environ  80  feuilles  (1,280  pages)  chacun. 

11  paraît  par  livraisons  de  8  feuilles  (128  pages). 

L'ouvrage  complet  comprendra  environ  20  livraisons.  Toutes  les  dispositions 
sont  prises  pour  que  les  livraisons  soient  publiées  dans  des  délais  très  rappro- 
chés. Les  six  premières  livraisons  sont  en  vente  en  janvier  1896. 

Prix  de  la  livraison  :  3  fr. 

Une  feuille-spécimen  de  16  pages,  brochée  sous  couverture,  sera  envoyée  gra- 
tuitement à  toute  personne  qui  en  fera  la  demande. 


BERGER-LEVRAULT  ET  Cie,  LIBRAIRES-ÉDITEURS 

Paris,  5,  rue  des  Beaux-Arts,  —  18,  rue  des  Glacis,  Nancy. 

Manuel  de  Géographie  commerciale,  par  V.  Deville,  profes- 
seur agrégé  au  lycée  ftlichelet.  (Ouvrage  récompensé  par  la 
Société  de  géographie  commerciale  de  Paris.)  1893.  2  volumes 
avec  cartes  et  diagrammes,  reliés  en  toile  gaufrée.   .     10  fr. 

Géographie  militaire,  par  le  commandant  Maega.  —  ire  partie  : 
Généralités  et  la  France.  4e  édition,  revue  et  augmentée. 
2  volumes  grand  in-8°  et  atlas  in-4°  de  137  cartes,  la  plupart 

en  couleurs.  Broché 35  fr. 

Relié  en  demi-chagrin.    .  r 46  fr. 

—  2e  partie  :  Principaux  États  de  l'Europe.  3e  édition,  revue 
et  augmentée.  3  volumes  grand  in-8°  et  atlas  in-4°  de  149  cartes, 

la  plupart  en  couleurs.  Broché 45  fr. 

Relié  en  demi-chagrin 59  fr. 

Cours  de  Géographie  pour  les  écoles  régimentaires,  publié 
par  le  ministère  de  la  guerre.  1881.  Volume  in-12  de  178  p. 
avec  14  cartes,  cartonné 3  fr. 

Les  principaux  Bassins  de  l'Europe.  Précis  de  géographie 
militaire  à  l'usage  des  candidats  et  des  élèves  des  Écoles 
militaires,  par  Charles  Thil,  ancien  officier  d'infanterie.  1885. 
Volume  in-12,  broché 3  fr.  50  c. 

Études  de  Géologie  militaire,  par  Ch.  Clerc,  capitaine  d'in- 
fanterie :  Les  Alpes  françaises.  1883.  Vol.  in-8°,  avec  30  flg. 
et  1  carte,  broché 5  fr. 

—  Le  Jura.  Vol.  in-8°,  avec  fig.  et  1  carte.  1888.  br.     5  fr. 
A  travers  la  Norvège.  Souvenirs  de  voyages,  par  L.  Marcot. 

Un  fort  volume  in-i2,  broché 3  fr.  50  c. 

Du  Danube  à  la  Baltique.  Allemagne.  Autriche-Hongrie.  Da- 
nemark. Descriptions  et  souvenirs,  par  Gabriel  Thomas. 
2e  édition.  Un  volume  in-12  de  600  pages,  broché.    3  fr.  50  c. 

La  Lorraine  illustrée.  Texte  par  Lorédan  Larchey,  André 
Theubiet,  etc.  Un  magnifique  vol.  grand  in-4°  de  800  p.,  avec 
445  belles  gravures  et  un  frontispice  en  chromo,  br.  50  fr. 
Relié  en  demi-maroquin,  gaufrage  artistique 60  fr. 

Le  Plateau  lorrain.  Essai  de  géographie  régionale,  par  B. 
Auerbach,  professeur  de  géographie  à  la  Faculté  des  lettres 
de  Nancy.  1893.  Beau  volume  in-J2,  avec  24  croquis  carto- 
graphiques et  21  vues  photographiques,  broché.   ...     5  fr. 

Guide  du  géologue  en  Lorraine.  Meurthe-et-Moselle,  Vosges, 
Meuse,  par  G.  Beeicher,  professeur  d'histoire  naturelle  à 
l'Université  de  Nancy.  1887.  Un  joli  vol.  in-12,  avec  14  figures 
et  2  planches,  broché 3  fr.  50  c. 

Souvenirs  d'Alsace.  Chasse,  pêche,  industrie,  légendes,  par 
Maurice  Engelhard.  3°  édition.  Joli  volume  in-12,  br.    3  fr. 

L'Alsace  française.  Strasbourg  pendant  la  Révolution,  par 
Eug.  Seinguerlet.  Un  beau  vol.  in-8°  de  380  pages,  br.    6  fr. 

Les  Vosges  pendant  la  Révolution.  Étude  historique,  par 
Félix  Bouvier.  Un  beau  volume  in-8°  de  536  pages,  avec 
4  gravures,  broché 7  fr.  50  c. 


Nancy,    i/njj.    Berger-Levrau.l   e:  C» 


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