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Full text of "Voyages au cap des Aromates (Afrique orientale)"

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VOYAGES 


AU 


CAP DES AROMATES 


(AFRIQUE ORIENTAI/B) 


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VOYAGES 


AU 


GAP DES AROMATES 

(AFRIQUE ORIENTALE) 

PAR 

GEQRGES RÉVOIL 

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iLLVSTRATions DE FERDINANDUS et G» BELLENGER 

Cartes grravées par ERHARD 
d'après les croquis et documents de Tauteur. 





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PARIS 

E. DENTU, ÉDITEUR 

LIBRAIRE DB LA SOCIÉTÉ DEÔ GENS DE LETTRES 
PALAIS-ROTAL, 15, 17 ET 19, GALERIE d'ORLÉANS 

1880 

Tous droits réservés. 


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PUBLIC LIBRART 

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ASTOR, LENOT AMD 

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it 1924 L 


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A MONSIEUR HENRY DUVEYRIER 


A vous, Monsieur, qui avez suivi, avec tant 
d'intérêt et de bienveillance, les deux voyages que 
j'ai faits à la côte orientale d'Afrique, Thommage 
de ce volume. 

C'est le faible tribut de ma reconnaissance. 

Veuillez, je vous prie, l'accepter, avec l'assurance 
de mon respectueux et sincère dévouement. 


Georges RÉVOIL. 






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AVANT-PROPOS 


£n 1846, le lieutenant C. J. Cruttenden, agent 
politique de Sa Majesté Britannique à Âden, amené 
chez les Medjourtines, à la suite du naufrage du 
Memnon, adressa à son gouvernement un rapport 
fort intéressant, intitulé : Report on the Mijjer- 
tbeyn tribe of ^Somalis inhabiting the district 
forming the north east point of Africa (1). 

Deux ans plus tard, en 1848, le gouvernement 

(1) Transactions of tbe Bombay Geograpbîoal Society, trom 
may 1844 to february 1846. <^ Ce n*est point la seule publication 
cpnsacrée à cette région par Gruttenden. En 1848, il adressait à 
la Société de géographie de Bombay le rapport suivant: Mémoir 
of the westernor Edoor Tribes, inbabitîng tbe Somali Coast 
of N, E, a vitb tbe soutbern Branches of tbe famîly of Darood 
fésident on the banks of Webbi, Sbebeyli, commonly called 
tho River Webbi, Lt Cruttenden. Aden 1848. 

Il est très difficile de se procurer l'un et l'autre de ces deux 
mémoires. Aussi nous avons eru bon d'en utiliser les données 
principales dans l'étude générale sur les Çomalis à laquelle sont 
consacrées les dernières pages du présent volume» 


VIII AVANT-PROPOS 


français envoyait en mission, sur la côte orientale 
d'Afrique, la corvette à voiles le DucouëdiCy com- 
mandée par le capitaine de frégate Guillain. Cette 
expédition touchait aux deux ports des Medjourli- 
nes, Merâya et Haffoûn. Un ouvrage important (1) 
relate les travaux de cette mission. 

Ce sont là les seuls documents antérieurs à mon 
voyage apportés à Fhistoire de cette contrée. 

Peu de temps après ma rentrée en France, 
poussé par l'intérêt qu'il attache actuellement à la 
colonisation de l'Afrique orientale, le gouvernement 
italien dépéchait, dans le golfe d'Aden et vers le cap 
Guardafui, le Vettorey commandé par le comte 
Thomas de Savoie. — Le rapport de cet officier a 
paru en grande partie dans le journal VEsplora- 
tore (2). 

Je dois aussi mentioniier dans le Bulletin n"" 6 

(1) Vouvrage du commandant Guillain ; Voyage à la côte 
orientale d Afrique^ publié par ordre du gouvernement, 3 vol. 
ln-8*, atlas de 60 planches. Arthus Bertrand, éditeur, 1846, 1847, 
1848, est devenu non moins rare. Il n'a pas été, à notre con- 
naissance, réédité depuis son apparition. 

(2) Capitaine Camperio, rédacteur ; Menozzi et C>*, éditeurs, Milan. 
Je suis heureux de trouver dans cetle publication la phrase 

suivante à la suite d'extraits de mes communications ans 
diverses sociétés de géographie : « La notice contenue dans la rela- 
tions que nous avons rapportée concorde complètement avec les 
renseignements que nous a souvent donnés le commandant Guar* 
mani sur ces parages. » 


AVANT-PROPOS IX 


de la Société de géographie khédiviale du Caire 
l'extrait du rapport du lieutenant colonel Grave 
au colonel Stone Pacha (1879). 

Tout en respectant les opinions qui y sont 
émises, je dois cependant signaler des erreurs 
sérieuses relatives au chiffre de la population attri- 
buée à chaque ville. — Je regrette vivement, d'autre 
part, que l'honorable lieutenant colonel Grave ait 
jugé et analysé le caractère des Medjourtines, sans 
tenir compte que cette tribu est jalouse à Texcés 
de sa liberté et de son indépendance ; qu'elle est 
la seule de cette partie du littoral de l'Afrique 
dont le protectorat est reconnu par l'Angleterre à 
rÉgypte, qui n'ait jamais voulu, comme ses voi- 
sines, arborer le pavillon du vice-roi, mais se groupe 
seulement sous le drapeau rouge de l'islamisme (1). 

J'ai cependant cru intéressants pour le public 
les renseignements plus nombreux et plus détaillés 
que j'ai été à même de recueillir, au cours des 
voyages d'explorations qui m'ont conduit, à deux 

(1) Je me souviens parfailement quand V Adonis revint de 
Zanzibar en France (mai 1878], d'avoir croisé une fï'égate égyp- 
tienne, alors au mouillage au versant nord de Guardafui. Son 
équipage relevait les abords du cap sur lequel l'Egypte avajt l'in- 
tention d'établir un phare, au point de vue international de la 
sûreté des navigateurs. Nul doute que ces travaux n'aient amené 
à la côte les Çomalis de l'intérieur : c'est probablement cette 
afgloroéraiicn momentanée qui a pu induira en erreur le colonel 
Gtave- 8«Fle chiffre de la population des villes du littoral, et de ' 
cette pointe Nord-Est de l'Afrique. 


X AVANT-PROPOS 


reprises, en 1877 et en 1878, à la côte Çomali (1). 
Mais j'ose ajouter que j'ai été surtout encouragé 
dans celte entreprise, par l'accueil bienveillant des 
congrès et des sociétés de géographie , fait à mes 
communications, tant en France qu'a l'étranger. 

Le lecteur me pardonnera d'entrer dans des 
détails un peu minutieux sur mon existence et mes 
actions quotidiennes ; mais il m'a paru que l'at- 
trait s'attachait plus aisément aux faits et qu'il en 
ressortait, à côté de la vérité, un enseignement, 
plus complet, quand ils étaient animés de la vie 
même, en quelque sorte, et des ipipressions de 
celui qui en fut l'acteur et le témoin. 


Georges REVOIL. 


Nota. — Les cartes et vues des villes de cet ouvrage ont 
été publiées par la Société de Géographie de Paris. 


(1) J'écris Çomali et non Somali, parce que le Ç est la véritable 
iellre correspondant au ça arabe qu'emploient les Orientaux 
dans l'orthographe de ce mot. 


VOYAGES 

* 

AU CAP DES AROMATES 


EXPÉDITION DE « L'ADONIS » 

SUR LA COTE DES MEDJOURTLNKS & DES BÉNÂDIRS 

(Décembre ^%n. — Mai 1818.) 


I 


/ 


Projet d'expédition à la côle orientale d'Afrique. — L'Adonis, son 
personnel el son équipage. — En route. — La nuit du 29 dé- 
cembre. — Port-Saïd. — Ismaïlia. — Suez. — Aden. — As- 
san Ali. — Départ pour Merâya. — Nos deux passagers ço- 
malis d'Alloùla. — En vue do la côte Çomali. — Au mouillage 
de Guesli. — Noiro réception par Sementar Osman , gou- 
verneur de Meràya. — Physionomie des naturels. — Départ 
pour Alloûla. 

Ail mois de septembre 1878, je fus informé qu'une 
maison de Marseille organisait une expédition des- 
tinée à explorer la région orientale d'Afrique, dans 
le but d'y créer, sur différents points, des comptoirs 
d'échange, et de jalonner avec les peuples qui 
habitent l'intérieur de cette contrée, des relations 
permettant de faire arriver, dans ses factoreries de 
la côte, les richesses des pays voisins. 

1 


2 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

C'était pour moi une bonne fortune et une^ heu- 
reuse occasion, dont les idées de voyage que je 
nourrissais depuis longtemps, me suggérèrent de 
profiter. Je me présentai donc résolument chez 
MM. X..., leur demandant de partager les chances 
de l'expédition qu'ils soutenaient de leur crédit; et 
après quelques pourparlers, cette faveur me fut 
gracieusement accordée. 

Le plan de la campagne projetée était de reprendre 
les traces de l'infortuné baron Von der Deckens, 
assassiné dans le Djoub (1), et d'utiliser, au point 
de vue commercial, les précieuses informations 
recueillies par lui. 

Des obstacles imprévus s'opposèrent à l'exécution 
de ce premier projet. Un nouveau programme dut 
être arrêté, bornant notre mission à une exploration 
rapide du pays des Medjourtines, et à l'élude sérieuse 
de la côte des Bénadirs (2). 

(1) L'expédition du baron de Deckens est relatée dans une 
publication mentionnée en ces termes par la Bibliographie des 
ouvrages relatifs à l'Afrique et à ï Arabie, de Jean Gay : 
« Baron de Deckens (Ch. Kloens), Reiatn in oat Africâ in dèn 
Jabren 1859«1865f publié par ordre de la mère du voyageur^ 
la princesse Adélaïde de Plesse. — Leipsîg, 1869. 3 vol. in-4», 
planches. » I^a rédaction de cet ouvrage est due à MM. Otto 
Kerstcn, \V. C. Peters, J. Carbonis, F. Hilgendorf, Ed. de Mertens 
et C. Sesper. 

(â) La côte des Bénadirs, dont nous parlerons plus tard, est 
cette partie de l'Afrique qui s'étend depuis M'routi jusqu'à 
réquateur (Côte orientale). Elle est sous la dépendance du sultan 
de Zanzibar, et les ports de Brawa, Mèurkà, Moguedouchou, Kis- 


EXPÉDITION DE € L ADONIS 1 8 

MM. Imbert, capitaine au long cours, Vincent 
Morellet et Joseph Eysséric formaient le personnel 
d'études auquel je fus adjoint. L Adonis, steamer 
de quatre cent cinquante tonneaux, de construction 
anglaise, fut armé pour cette expédition et confié au 
commandement du capitaine Paré, et de MM. Bar- 
rau, chef mécanicien, Bertrand, capitaine au long 
cours, etPecca, second mécanicien. 

Le 23 décembre, à trois heures du soir, nous 
quittons Marseille, y laissant avec peine un de nos 
amis, M. J. Bousquet, capitaine au long cours, que 
des raisons de force majeure retenaient dans sa fa- 
mille, et empêchaient au dernier moment de se 
joindre à nous. 

Les côtes de Provence disparaissent bientôt de 
notre vue ,et nos derniers regrets s'évanouissent avec 
la nuit de Noël. 

Nous naviguions dans les meilleures conditions 
et sans inquiétudes, lorsque, en face de Candie, une 
tempête épouvantable nous assaillit* 

U Adonis est envahi par les lames, au point que 
seules la dunette et les claires-voîes de notre machine 
sortent de Teau ; pendant douze heures entières, nous 
restons en perdition, menacés à chaque minute 
d'être engloutis, sans chance aucune de salut. 

niayo garnissant cette côte, ont un gouverneur et une garnison 
fournie par Seyyid Bargash. 


4 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

C'est grâce au sang-froid de notre capitaine, et aux 
etTorts courageux de l'équipage tout entier qui le 
seconde si bien, que ï Adonis^ fidèle à sa devise 
« Semper sursum > , sort victorieux de cette nuit 
terrible et entre à Port-Saïd, le l*' janvier 1878, 
sauf de corps, non de biens, gardant sur ses bor- 
dages et sur ses flancs les traces des rudes coups 
que Touragan du 29 décembre lui a portés. 

Nous sommes retenus huit jours à Port-Saïd pour 
nous mettre en règle vis-à-vis des assureurs et faire 
expertiser les dégâts. 

Le 8, nous prenons le canal, et dès le 9, au 
soir, nous mouillons à Ismaïlia, où nous espérons 
trouver M. Monge, aujourd'hui consul de France 
au Caire, et obtenir de sa bienveillance quelques 
renseignements sur le port d'Obock (1) qu'il a exploré 
autrefois, avec l'aviso de guerre le Surcoût, 

Nous ne rencontrâmes point M, Monge à Ismaïlia ; 
nous devions le trouver seulement à Suez où nous 
arrivâmes le lendemain. Il nous y reçut de la manière 


(1) Cette question d'Obock est, depuis celle époque, à Tordre du 
jour. Elle a emprunté dernièrement un surcroît d'actualité, au 
moment des démêlés pendants entre TÉgypte et TAbyssinie. 

Des efforts ont été et sont encore tentés pour la colonisation 
de cette possession française. 

Consulter à cet égard: Les Comptoirs français de r Afrique 
orientale^ brochure in 8*", Morris père et fils, 64, rue Amelot, à 
Pars. 


EXPEDITION DE « l'àDONIS » 


la plus affable et nous donna des éclaircissements 
précieux. 

Le 19, nous sommes à Aden, ville forte par excel- 
lence, dont les canons rayonnent sur tout le golfe et 
protègent la grande ligne des Indes, par la mer 
Rouge. 

Nous entrons de suite en relations avec Assan- 
Ali Bey, riche négociant arabe, chargé d'affaires 
du gouvernement ottoman, jouissant- sur la côle 
Çomali, d'une grande autorité. 

Assan est un beau vieillard plein de dignité dans 
le moindre de ses gestes. Il est richement vêtu et 
porte, surtout aux doigts, des brillants de la plus 
belle eau. 

Il parle avec cette affectation et cette lenteur qui 
caractérisent tout personnage iQusulman occupant 
des fonctions de quelque importance. 

Assan nous reçoit chez lui à l'européenne, se 
montrant désireux de nous voir réussir dans nos 
projets. A cet effet, il nous remet des lettres de crédit 
pour le sultan des Medjourtines, Osman Mahmoud, 
et les principaux négociants çomalis, en nous de- 
mandant de vouloir bien repatrier chez eux deux * 
personnages influents d'AUoûla, Mohamed béni 
Assen et Mohamed béni Ali, qui reviennent du 
pèlerinage de la Mecque. Ils nous serviront, du 
reste, d'intermédiaires dans nos premiers rapports 


6 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

avec le peuple habitant la contrée que nous allons 
visiter. 

U Adonis quille Aden le 29 pour se rendre à 
Bender Merâya . 

Pendant la traversée, notre attention se reporte 
tout naturellement sur nos deux passagers indi- 
gènes. 

Mohamed béni Ali a près de trente-cinq ans; 
grand, privé *d*un œil, abîmé par la petite vérole, il 
a Tair rude et farouche. Son sourire laisse à décou- 
vert des dents d'une blancheur éclatante. 

Mohamed béni Assen, son neveu, est d'une beauté 
caractéristique ; son profil parfaitement régulier, ses 
yeux grands ouverts, sa barbe naissante. La douceur 
de ses manières forme un contraste bizarre avec 
les allures de son oncle. Les armes qu'ils portent 
tous deux sont loin d'être remarquables ; oii dirait 
qu'elles ont été détachées des accessoires d'un 
théâtre ; elles sont tout à fait indignes de guerriers 
haut placés. 

Ali et Assen nous fournissent d'intéressants détails 
sur les ports du golfe d'Aden. En échange, nous leur 
montrons quelques échantillons de marchandises 
européennes qui excitent vivement leur curiosité* 
Certains de ces olgets ne leur sont point inconnus; 
et ils ont dû en recueillir de semblables parmi les 
épaves des deux naufrages consécutifs du Meï- 


EXPÉDITION DE « l'ADOMS » 


Kong et du Cachemire (1) ; aussi ne manquent- 
ils pas d^ nous faire entendre que Tusage de ces 
objets leur est familier et qu'ils sont parvenus 
eux-mêmes à se rendre compte de leur destination. 
Je remarque à cette occasion combien l'esprit 
d'observation est développé chez ces indigènes. 
L'avenir devait m'en fournir d'ailleurs des preuves 
bien plus singulières. 

Nous mettons notre interprète Abdul (2), entiè- 
rement au service de nos deux pèlerins, et nous 
sommes pour eux de la plus grande prévenance. 
Moi-même, surmontant mes répugnances, je panse 
avec grand soin une plaie de FYémen (3), que le 
jeune Assen porte à la jambe. 

Ali et Assen s'extasient surtout devant la portée 
de nos armes, que nous nous amusons à essayer 

(1) Le « Meï*Kong » appartenant aux Messageries maritimes, 
faisait la ligne de Marseille à Shangaï; il se brisa près de 
Waddy Tohen entre R&s Chenaref et Ras Jerdaffoûn. 

Le «Cachemire » de la Compagnie Bristish India, faisait la ligne 
de Zanzibar à Aden. Il se perdit à côlé même du « Meï-Kong », 
juste huit jours après. 

(2) Abdhouraman Guindi, familièrement appelé Abdul : inter- 
prète attaché à notre expédition et qui nous rendit de réels ser- 
vices, tant par son dévouement que par sa rare intelligence; nous 
Tavions pris en passant à Port-Saïd. Originaire de la Haute- 
Egypte, il s'exprimait fort bien en français; il savait, en outre, le 
grec, l'italien, Tallemand et écrivait ce dernier idiome. 

(9) On appelle Yémen la partie sud de l'Arabie. Cette contrée a 
donné son nom à des plaies' qui y sont fort communes ot qui gué- 
rissent très difficilement, tant à cause du climat que de la mal- 
propreté des habitants. 


VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


devant eux. Mais ce qui met le comble à leur éton- 
nemeht, c'est le tirage, sur papier, de quelques 
clichés photographiques faits par moi, à Aden. Il 
s'agit de types de femmes musulmanes ; à leur vue 
Mohamed béni Ali manifeste toute sa réprobation 
pour ce manquement aux lois du Prophète, qui in- 
terdit aux croyants de faire reproduire leurs traits. 

Le 31, nous-sommes en vue de la côte. A la tom- 
bée de la nui tV' nous apercevons Ràs Orbe (en 
çomali Dourboh), petit fort et village situés à l'ouest 
un peu avant Bender Meràya. 

Les hautes montagnes qui entourent Ràs Orbe 
sont couvertes de verdure ; taillées à pic à quelques 
centaines dé pieds de hauteur,, elles forment une 
petite crique, au fond de laquelle se détachent la 
forteresse et les habitations. 

Nous sommes bientôt en face de Bender Merâya ; 
mais nous décidons d'attendre jusqu'au lendemain 
pour descendre à terre ; en conséquence, le capitaine 
prend ses dispositions pour le mouillage. 

Dès le premier jour, il avait été convenu que nos 
deux hôtes iraient avec Abdul porter la lettre 
adressée par Assan Ali à Sementar Osman, gouver- 
neur de Merâya. Quel n'est pas notre étonnement 
de les voir revenir sur cette décision et insister au- 
près du capitaine pour aller mouiller, le lendemain, 
en face de Guesli , port à quelques kilomètres 


< ';*n 


THF Î<EW TOWf 

mJCLIBRARÏ 


• .- ',,.!{ LENOX AN* 
VoUNPXTlOM* 



EXPÉDITION DE « L* ADONIS » 9 

vers Test. Nous leur demandons açsez vivement l'ex- 
plication de leur conduite ; ils nous avouent alors 
que Merâya et AUoûla sont en guerre depuis le 
naufrage du Meî-KoDg^ que Yousouf Ali, gouver- 
neur d'AUoûla, leur frère et oncle, s'est révolté 
contre le sultan Osman Mahmoud et que, s'ils des- 
cendent à terre, leur vie sera sérieusement en 
danger. 

Eu égard à la proximité de Merâya et de 
Guesli, nous cédons au désir des deux indigènes, 
et le lendemain matin^ nous jetons Tancre en face 
de ce dernier port. 

Nous n'apercevons au fond de la baie que 
quelques huttes au milieu desquelles s'élèvent un 
fortin en pisé (1) et deux autres bâtisses moins 
hautes, qu'Ali nous dit être des mosquées. 

A gauche, notre vue est bornée par le cap Râs 
Felek (en çomali Abbo) et la silhouette du village 
du même nom. A notre droite, de petits points noirs 
nous désignent Guersa, autre port moins impor- 
tant de la côte. 

Quelques Çomalis sautent décidément dans une 
embarcation et viennent accoster F Adonis, A la 
vue de leurs compatriotes, ils grimpent par les 
bordages, et de là gagnent la dunette où se tiennent 
nos passagers ; rien de curieux comme de les voir 

(1) Le pisé chez les Çomalis 08t une sorte de mortier com- 
posé de terre glaise et de paille haché*. 

1. 


{0 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

embrasser respectueusement les mains d'Âli et d'As* 
son, et les entourer des témoignages de la vénéra- 
tion la plus ardente. Les naturels se groupent ensuite 
autour d'eux pour répondre aux questions que les 
pèlerins leur adressent. 

Notre interprète les écoute attentivement, nous 
répétant mot par mot chacune de leurs paroles. De 
leur conversation, il ressort que la guerre n'est point 
encore engagée entre AUoûla et Meràya; qu'au 
contraire, il semble y avoir actuellement entente 
entre les deux partis. Après avoir longuement con- 
féré des affaires dé leurs pays, les Çomalis s'en- 
quièrent auprès de leurs compatriotes de ce que nous 
venons faire en Medjourtine. 

Nos hôtes fournissent à cet égard de nombreu- 
ses explications et attestent combien nous avons 
été complaisants pour eux, témoignant le désir qu'on 
nous traite amicalement et qu'on nous aide dans 
nos relations commerciales. 

L'embarcation indigène regagne terre pour aller 
porter ces nouvelles. Nous chargeons en outre ceux 
qui la montent de faire parvenir à Merâya, une 
lettre de Mohamed béni Ali pour le gouverneur de 
cette dernière ville, Sementar Osman. 

Deux heures après, nous recevons la visite du 
conseiller de Sementar, nommé Abdallah, venu tout 
exprès à Guesli, pour s'ii^fopmer 4u wo^f C[ui 


EXPÉDITION DB « i/aDONIS » 11 

amenait sur la côte notre steamer dont les fecrx 
avaient été aperçus la nuit précédente et avaient 
alarmé la population de Meràya. 

Abdallah est un homme de haute taille, d'envi- 
ron 45 ans, la barbe grisonnante, la physionomie 
douce et réfléchie. Il s'écoute parler avec une gra- 
vité digne et prononce de temps à autre, non sans 
une certaine emphase, quelques mots d'anglais, 
qu'il a appris pendant un séjour de plusieurs mois 
a Bombay, 

La présence à bord d'As^en et d'Ali, parents, 
comme nous l'avons dit, du gouverneur rebelle 
d'AUoûla, rend fort circonspecte la conversation 
d'Abdallah. D la fait rouler presque tout entière sur 
la guerre actuelle. 

Il ne l'attribue point au partage des épaves du 
Meï-Konff, mais aux idées d'indépendance de You- 
souf Ali vis^-vis du sultan Mahmoud. A l'entendre, 
c'est la seule cause de cette lutte intestine qui n'est 
selon lui que suspendue et doit reprendre dès l'ar- 
rivée des Bédouins (1) (en çomali Djingals) que l'on 
attend de l'intérieur. Nous sommes frappés du 
mutisme impassible que conservent Ali et Assen 
pendant cet entretien qui les touche de si près. 

Abdallah nous recommande de ne point séjourner 

(1) Sous celle dénominalion générique, on comprend lés popu- 
lations nomades de l'Inlérieur, habitanl spécialement les monta- 
ficne»f et réputées pour leur courage, leur adresse et leur férocité, 


\2 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

lft)p longtemps à Alloûla, car nos rapports avec cette 
ville pourraient compromettre ceux que nous dési- 
rons entamer avec les autres points de la côte Med- 
jourtine. Il nous invite enfin à descendre à terre 
où il nous escortera. 

A peine avait-il fini de s'entretenir avec nous, 
qu'une discussion fort vive s'élève alors entre lui et 
le jeune Assen, relativement aux idées insurrection- 
nelles du père de ce dernier, frère de Yousouf Ali, 
et engagé dans la révolte contre le sultan Osman 
Mahmoud* 

Pendant ce temps, nous armons nos embarca- 
tions: et, toutes nos dispositions prises, nous allons 
rendre visite au gouverneur Sementar, qui s* est 
également transporté de Meràya, sa résidence ha- 
bituelle, à Guesli. 

Nous sommes précédés par Abdallah et les autres 
indigènes qui l'ont accompagné. Ils nous conduisent 
vers un gourbi au milieu de la place du village où 
nous attend Sementar Osman, entouré de guer- 
riers, au nombre de cinquante environ, tous armés 
de leurs lances et de leur boucliers; leur attitude 
est flère et imposante. 

Abdallah nous présente au gouverneur qui serre 
amicalement la main à chacun de nous, pendant qu'il 
prononce le Salamalekoum d'usage, en nous disant 
que nous sommes les bienvenus. Sementar a même 


EXPÉDITION DE « l' ADONIS > 13 

la prévenance de nou$ faire comprendre que le soleil 
encore trop fort pourrait nous incommoder et que 
nous serons beaucoup mieux pour notre conférence 
à r ombre de la forteresse. 

Nous l'y suivons. Par terre sont étendues de 
grandes nattes sur lesquelles nous prenons place. 
Eln face de nous s'accroupissent en demi-cercle le 
gouverneur et ses soldats qui conservent le plus 
profond silence. 

Notre interprète remet alors à Semenlar la lettre 
d'Assan Ali ; le gouverneur la tourne et la retourne 
dans ses doigts, puis nous la rend en avouant qu'il 
ne sait pas lire, et prie Abdul d'en faire la lecture 
a haute voix; ce que fait ce dernier tandis que Se- 
mentar accompagne chaque phrase d'un nam (1) 
approbatif. 

En réponse à cette lettre, les indigènes nous ex- 
pliquent que les^ menaces de guerre ont activé le 
départ des marchandises sur Bombay et sur Ma- 
calla ; que cependant, il reste à Bender Khor un 
stock d'arrivages assez considérables que nous pour- 
rions échanger. 

Sementar nous témoigne ensuite combien il sera 
heureux de nous voir entrer en relations avec lui, 
faisant l'éloge du Çomali Medjourline et de la sûreté 
de sa parole; au reste, ajoute-t-il, son premier dé- 
fi) Le sens textuel de co monosyllabe est? Je comprends. 


14 , VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

voir sera d'en référer au sultan Osman Mahmoud 
qui nous confirmera bien certainement toutes ses 
assertions. 

Pendant le cours de cet entretien, j'examine 
attentivement tous ces types étranges, et je suis 
frappé de la variété de leurs expressions et de 
leur caractère ; pas un ne se ressemble. Les che- 
veux frisés et tombant sur les épaules, la moustache 
fine, la barbe clair-semée, celui-ci, malgré sa peau 
noire, nous rappelle nos beaux mousquetaires d'au- 
trefois; la tête rasée, la figure imberbe, l'air inso- 
lent, le regard cynique, celui-là semble échappé 
de nos bagnes. 

La physionomie générale de ce groupe révèle 
l'orgueil et l'esprit d'indépendance. 

La conversation finie, nous prenons congé du 
gouverneur en lui demandant la pft*mission de par- 
courir le village. 

En dehors de la forteresse, des deux mosquées 
et d'une autre maison, bâtie en pisé, Guesli ne 
compte que des huttes en chaume et en feuilles de 
palmier, au nombre de quarante environ, éparses 
par groupes de trois ou quatre. Jusqu'à une cen- 
taine de mètres en dehors de cette agglomération, 
pas la moindre trace de végétation ; l'eau qui sé- 
journe dans des puits creusés 4ans le sfible y est 


EXPÉDITION DE « l'ADONIS » 15 

assez bonne, mais cependant les habitants préfèrent 
aller la chercher à la source de Meràya. 

A notre passage, les femmes et les enfants s'a- 
vancent sur le seuil des cases pour nous voir, en 
poussant le cri de « Frengi ! Frengi ! » (les Français, 
les Français!) ; mais dès que nous approchons pour 
les regarder de plus près, tout ce monde s'éclipse 
comme saisi de peur. 

Nous regagnons notre embarcation ; au moment 
où elle pousse au large, 'Abdallah, qui ne nous avait 
pas quittés, nous fait, de la part de Sementar Osman, 
la recommandation de nous méfier quand nous irons 
à Alloûla, de toute personne autre que nos passa- 
gers, et surtout, puisque nous devons revenir à 
Merâya, de ne pas ramener de partisans de Yousouf 
Ali. 


II 


Aspect de la côle. -— AUoûla. — Notre entrée en rade. — Nos 
visiteurs. — Notre réception à- terre par Yousouf Ali. — Un vol 
do sauterelles. — A travers la ville. — Retour à Merâya. — 
Appréhensions de Sementar pour venir nous voir à bord. — 
Il s'y décide. — L'équipage de F Adonis à la fontaine de 
Merâya. — Départ pour Râs Haffoûn. 


Le 2 février, nous partons pour AUoûla; nous 
rencontrons à la hauteur du Ras Felek (cap Bel- 
mok) une quantité de boutres se livrant à la pêche 
des nacres et des perles. 

La côte que nous suivons n'est guère accidentée ; 
elle se déroule sur notre droite comme une grande 
bande blanche; derrière surgissent les montagnes 
de Merâya. 

Au moment où nous allions doubler ce cap, simple 
rocher d'une centaine de mètres taillé à pic, nous 
apercevons à l'horizon une ligne noire qui se pro- 
longe indéfiniment. Elle est formée par des my- 
riades de cormorans {graculus latter) qui, d'après 
ce que nous sûmes plus tard, stationnent continuel- 
lement dans ces parages et nichent tous à Abdul 


18 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Khori ou sur deux points de la côte nommés 
Djebeur Seghîr et Djebeur Kébir (1). 

Nous sommes bientôt en face d'ÂUoûla. Nos 
deux voyageurs, Ali et Assen, montés sur la pas- 
serelle, s'agenouillent pour remercier Mahomet, 
puis quittent leurs costumes de pèlerins pour re- 
vêtir le grand pagne (2) . 

Suivant leur désir, nous annonçons leur arrivée 
en arborant le pavillon musulman et en tirant quel- 
ques coups de canon. En réponse, les boutres de 
Yousouf Ali nous saluent de leurs espingoles. 

Le jeune Mohamed Assen ne peut contenir sa 
jûie. 

Avec orgueil, il nous fait compter la petite flottille 
de son onde, nous demandant si nous supposons 
que Merâya puisse lutter contre des forces sem- 
blables. 

Peu d'instants après le mouillage, nous som- 
mes accostés par une embarcation montée par 
quelques Çomalis qui viennent respectueusement 

(1) J'aurai k revenir longuement sur ces doux points dans la 
deuxième partie de ce volume. 

(2) Ce vêtement est simplement formé de huit coudées ou 
a doudouns » de calicot ou toile américaine. 

Si le Çomali est marié, son pagne est fait de deux longueurs 
semblable^ juxtaposées. S'il est célibataire, le vêtement n'a qu'une 
seule largeur de même mesure. Les Çomalis fashionnahles ornent 
leur pagnes de franges ou de tressas de couleur. 


EXPÉDITION DK f l'aDONIS » 19 

baiser les mains des pèlerins. Dans le nombre, est 
un indigène vêtu d'un gilet bleu, qui n'est autre 
qu'un gilet ayant appartenu au premier chauffeur 
de notre steamer, ex«-naufragé du Meî-Kong. Le 
nom de « Bruno », écrit en toutes lettres sur le 
revers, en accuse la provenance. 

Une seconde embarcation ne tarde pas a arriver ; 
elle est montée par un Arabe, mercenaire de 
Macalla, armé jusqu'aux dents et dont l'accou- 
trement ne peut guère se décrire, de manière à 
donner même une faible idée de ce singulier per- 
sonnage. Estropié de la jambe droite, il porte un 
turban et une jupe rouge. A sa ceinture pendent 
sabres, poignards et poudrières eii argent avec 
incrustations de corail, le tout soutenu par un bau- 
drier en cuir de la largeur de deux centimètres, 
clouté d'argent, et auquel, de distance en distance, 
sont agrafées de petites pendeloques; cet étrange 
personnage tient à la main un long fusil à mèche. 

Ce n'est ensuite qu'une procession continuelle 
de nouveaux visiteurs jusqu'au moment où Moha- 
med béni Ali et le jeune Assen prennent congé de 
nous. 

Ils reviennent vers les trois heures. Deux embar- 
cations les accompagnent : dans l'une, Mohamed 
béni Assen le père, avec tous ses domestiques ; dans 
l'autre, Yousouf Ali, son frère et quelques soldats. 


20 • VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Yousouf porte un riche costume, turban de soie, 
casaque noire avec arabesques d'or et jupe en soie ; 
à sa ceinture pend un sabre à fourreau d'argent. Il 
tient à la main un revolver, du modèle dé ceux 
dont la police anglaise est armée, et qui provient 
certainement du Mei^Kong ou du Cachemire, 

Le père du jeune Assen porte le costume çomali 
dans toute sa simplicité. Il nous remercie dé toutes 
les complaisances que nous avons eues pour son 
fils, se mettant entièrement à notre disposition pour 
nous édifier sur les ressources de la Medjourtinc; 

La dunette est à moitié garnie par tout ce monde 
qui forme un groupe des plus bizarres, et que je 
regrette de ne pouvoir photographier. 

Le gouverneur Yousouf ne parle pas beaucoup. 
En revanche, il demande souvent à boire et Moha- 
med béni Ali qui se considère à bord comme chez 
lui, depuis la traversée, fait les honneurs, débou- 
chant quelques bouteilles de sirops qui sont absor- 
bées dans un clin d'œil. 

Nous n'avons d'autres moyens de nous débar- 
rasser de tous les importuns qui continuent à arri- 
ver, qu'en témoignant à Yousouf AU notre désir de 
l'accompagner à terre. 

Dès notre arrivée sur le rivage, nous sommes 
entourés parla foule qui nous attend. Le spectacle 
est moins imposant que celui de la veille, mais 


EXPÉDITION DE « L'aDONIS » ^1 

plus curieux : la diversité des types arabes, sou- 
haélis, etc., qui nous suivent est peut-être plus 
frappante encore. 

Nous nous acheminons, précédés par nos hôtes, 
vers la citadelle, au pied de laquelle nous prenons 
place ; et tout autour de nous se groupent Yousouf 
et ses soldats. 

Parmi ces derniers, je remarque quelques Bé- 
douins de Macalla, loués pour la guerre. Ils ont 
les cheveux lisses et fort longs, noués par une 
corde en poil de chameau ; le torse et les jambes 
nu^*; autour des reins une simple foiita (1) que 
supporte un ceinturon ; à ce ceinturon sont suspen- 
dues toutes sortes de poignards, et les accessoires 
divers de leurs longs fusils à mèche. 

Je puis observer tout ce monde à loisir, car il 
s'écoule près d'un quart d'heure avant que nous 
n'échangions une seule parole. 

Enfin, le jeune Assen se décide à rompre le 
silence. Il explique à haute voix le but de notre 
voyage,- et fait part à ses compatriotes du désir que 
nous avons de nous créer des relations chez les 
Medjourtines. Il donne ensuite l'ordre à un de ses 
serviteurs d'aller nous chercher des produits du 
pays. 

(1) La fouta ou jupe est un morceau d'éloffe large d'un mètre 
et long de deux ou trois, av«c lequel les naturels se ceignent 
lès reins. 


22 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

■» . ^^^__ 

Pendant ce temps-là, on nous offre une espèce 
de breuvage, composé de café et de gingembre, dans 
des tasses d'une propreté plus que douteuse. Nous 
nous regardons tous avant d'en absorber le con- 
tenu, mais il faut bien en passer par cette singu- 
lière coutume pour ne pas froisser l'amour-propre 
de ceux qui nous reçoivent. 

Les échantillons qui nous sont soumis sont tous 
de belle qualité. Us se composent de nacres, de 
gommes et d'encens, etc. 

Notre attention est un moment détournée de 
l'examen de ces produits par un vol énorme de 
sauterelles qui passe sur nos tètes. Je n'ai jamais 
vu ceux qui dévastent l'Algérie, mais un de mes 
compagnons assure qu'ils ne sont pas moins consi- 
dérables en ce pays. Les vols de sauterelles, il est 
vrai, ne contrarient guère les Çomalis, car il ne se 
fait chez eux aucune culture, et il ne pousse pas 
sur leur terre un seul grain de blé ou d'autres 
céréales. 

Nous prenons congé de Yousouf Ali pour aller 
voir le père d'Assen. Rour arriver à la case de ce 
dernier, nous sommes obligés de passer sur le bord 
d'une espèce de flaque d'eau qui n'est autre qu'un 
bras de la lagune de la rivière d'Alloûla* En cet 
endroit, les moustiques s'acharnent après nous, 


EXPEDITION DE « l' ADONIS » 23 

avec cette faveur spéciale dont les maudits insectes 
honorent en tout pays les étrangers. 

Heureusement pour nous, nous avons bienlôt 
gagné la case où Ton nous attend. Nous nous y cal- 
feutrons à la hâte pour ne point laisser pénélrer 
les maringonins (1) qui nous poursuivent. 

Le père d*Assen s'excuse de ne pouvoir nous 
témoigner, autant qu'il le voudrait, combien il nous 
est reconnaissant de ce que nous avons fait pour 
son fils. Il nous inviterait bien à diner avec lui, 
dit-il, mais il sait que notre nourriture est tout autre 
que la sienne; il nous offre en même temps deux 
moutons superbes. 

Sa conversation ne fait que nous confirmer tout 
ce que Ton nous a dit sur le départ des récoltes de 
Tannée. Il nous promet cependant, si nous le vou- 
lons, de nous assurer personnellement une grande 
partie des arrivages pour l'avenir. 

La nuit s'approche à grands pas et le muezzin 
appelle à la prière. Nous regagnons notre embar- 
cation en suivant cette fois le bord de la mer, pour 
éviter les moustiques de la lagune. En revanche, 
nous sommes forcés de passer devant un campement 
de pêcheurs de requins où près de 150 squales 
étendus sur le sable exhalent une odeur infecte. 

(1) C'est le nom qu'on donne à c«tle sort« de mousiiqueB. 


24 VOYAGES AU CAP DES 'AROMATES 

- - -' I 

Toute la soirée, les équipages des boulres qui 
nous entourent ne cessent de faire entendre leurs 
chansons guerrières accompagnées sur la darhoukn 
et le tam-tam en signe de démonstrations amicales. 

Nous y répondons en allumant sur Tavant quel- 
ques flammes de bengale rouges et vertes, spectacle 
assurément nouveau pour ces fils de TAfrique sau- 
vage. . 

Le lendemain, 3 février, dés le matin, le jeune 
Assen vient nous faire ses adieux. Il nous demande 
de la part de Yousouf Ali et de son père, de revenir 
à Alloûla quand nous aurons fini nos affaires à 
Meràya. Pendant notre absence, il s'informera de 
ce' qu il peut y avoir de marchandises sur place 
pour nous faire une offre ferme à notre retour. 

Nous partons donc pour Merâya, serrant la côte 
de plus près qu'en venant. 

A hauteur de Bender Felek, nous apercevons la 
carcasse échouée d'un navire. Nous apprîmes plus 
tard que c'était l'épave d'un charbonnier anglais qui 
s'était perdu là, il y avait cinq ans. 

Quelques heures après, nous sommes mouillés en 
vue de Merâya. 

A notre approche, les Çomalis sont tous accourus 
sur la plage. On hisse le pavillon musulman^ sur 
la forteresse, en réponse à notre salut. 

Un canot se détache de suite de terre, amenant 


EXPÉDITION DE < l' ADONIS » 25 

Abdallah et quelques soldats. Il nous informe que 
le gouverneur tient à nous recevoir et qu'il nous 
attend. 

Nous nous rendons de suite à cette invitation. 

A peine notre embarcation touche-t-elle au ri- 
vage que nous * sommes entourés et conduits vers 
l'une des forteresses, sorte de tourelle en pisé a 
trois étages bas et poussiéreux. 

Nous arrivons à la salle haute par un escalier 
étroit. Sementar nous y attend revêtu de ses plus 
beaux habits : son costume est à peu près le même 
que celui de Yousouf Ali. Il nous tend affectueu- 
sement la main, nous faisant signe de prendre place 
à ses côtés. 

Au moment de quitter le bord, Abdallah nous 
avait fait observer qu'il était inutile de prendre nos 
armes, que nous verrions la population nous re- 
cevoir sans démonstration aucune. 

En effet, tous les Çomalis qui viennent assister 
à notre entrevue n'ont pas d'armes et les premières 
paroles de Sementar à notre chef sont celles-ci : 
« Mon peuple te remercie de vouloir entrer en re- 
lations avec lui, et tu pourras toujours compter sur 
son amitié. i> 

Il nous demande quelles nouvelles nous appor- 
tons d'AUoûla. 
Nous lui répondons alors que, selon notre pro- 

2 


26 VOYAGES AU CAP DBft AROMATES 

messe, nous avons simplement ramené nos passagers 
sans nous inquiéter des dissentiments qui existent 
entre lui et Yousouf. Mais Sementar, se contentant de 
sourire, paraît accueillir cette réponse avec quelque 
incrédulité. 

On nous apporte comme à ÂUoûla un breuvage 
à la cannelle et au gingembre, et nous sommes obli- 
gés de le boire tour à tour dans la môme tasse. 

Nous prenons congé du gouverneur pour aller 
nous promener jusqu*â la fontaine, accompagnés 
par Abdallah et quelques Çomalis. 

Nous traversons une assez grande étendue de 
terrain parsemée d'arbustes épineux, pour nous 
enfoncer ensuite dans un bois d'acacias mimosas 
où fourmillent toutes espèces d'oiseaux aux cou- 
leurs les plus variées. 

Chemin faisant, nous tirons quelques tourterelles 
et arrivons à la fontaine, sans nous être aperças de 
la longueur de la route. * 

L'eau, quoique peu fraîche, en est très bonne ; et, 
comme je l'ai dit plus haut, on vient l'y puiser de 
Gueslî, qui est fort loin. 

Il est trop tard pour songer à aller plus avant. 
Nous revenons donc sur nos pas. 

Le soleil va disparaître à l'horizon, et Mefâya se 
détache devant nous sur un ciel rouge, dont les rô- 
flets dorent ses fortins et ses cases» 


f 

' EXPEDITION DE « l'aDONIS » 27 

1.. 


Nous contemplons avec une religieuse admiration 
ce spectacle splendide lorsque notre attention est 
détournée par les cris des enfants qui se sont mis 
à la poursuite d'un serpent (genre etherurus). Nous 
les rejoignons au moment où ils viennent de le tuer. 
Ce reptile est long d'environ 25 centimètres, très 
effilé et d'une couleur rosée. Les Çomalis sem- 
blaient en avoir très peur ; à leur dire, la piqûre en 
est mortelle (1), 

Il est presque nuit quand nous rejoignons notre 
embarcation. Les hommes sont tous à la mosquée. 
Les femmes prient agenouillées sur des nattes de- 
vant leurs cases. 

Seul Abdallah nous accompagne jusqu'à la plage, 
et nous le quittons en lui recommandant de rappeler 
à Sementar la promesse qu'il nous a faite de venir 
à bord le lendemain. 

4 février. — Au point du jour, nous recevons 
une première visite d'Abdallah qui nous informe 
que le gouverneur a été indisposé et qu'il viendra 
un peu plus tard. 

Quelques heures après, Abdallah revient, nous 
apportant les excuses du gouverneur et nous pré- 
venant qu'il ne faut point compter sur lui. 

Notre interprète Abdul n'ajoute pas confiance en 

(1) Les Çomalis appellent les serpents anéche, quelquefois abes- 
so ; mais ce dernier mol désigne plus spécialement les anguilles 
de mer ou murènes. 


28 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

ses paroles, et à force de questions, il finit par nous 
apprendre que notre voyage à AUoûla a vivement 
inquiété la population et qu'on redoute que nous 
ne nous emparions de Sementar pour le livrer à 
Yousouf; que, toute la nuit, il a été gardé à vue, de 
crainte que nos hommes ne se saisissent de sa per- 
sonne. 

Assez contrariés de ce contre-temps, alors que 
nous avions tout préparé pour la réception de ce 
personnage, nous nous décidons à accéder à ses 
désirs en descendant nous-mêmes à terre. 

Sementar s'excuse de ne pas avoir pu se rendre 
à notre invitation. Il affecte, à notre entrevue, d'être 
plusieurs fois obligé de sortir. Nous sommes édifiés 
à l'égard de sa maladie. 

Après quelques pourparlers, nous offrons au gou- 
verneur une paire de revolvers montés en ivoire, 
sans le remercier du lait et des moutons qu'il nous 
a envoyés le matin, pour qu'il ne suppose pas que 
ce cadeau lui est fait en retour. 

Nous insistons ensuite pour que, le lendemain, il 
vienne nous voir. Il nous le promet, et je prends vis- 
à-vis de lui l'engagement d'aller le chercher moi- 
même. 

Au moment de se séparer de nous pour aller à la 
mosquée, Sementar nous dit à haute voix que nous 


" 


EXPÉDITION DE « L*ADONIS » 29 


sommes les anmn^ c'est-à-dire « bienvenus et 
inviolables »; que nous pouvons nous considérer 
comme chez nous, et qu'il nous donne pleine liberté 
d'aller et venir, de chasser et de parcourir en tout 
sens Merâya et les environs. 

Nous nous empressons d'user de ces droits. Pen- 
dant que nos compagnons se dirigent tranquille- 
ment vers la montagne, je me sépare d'eux pour 
m'enfoncer dans le bois d'acacias. Je suis escorté 
par un neveu du gouverneur , Mahmoud Addi , 
lequel est paré de ses plus beaux habits. Il a re- 
vêtu son pagne blanc que noue à la taille une 
cordelière à glands rouges, et porte son bouclier et 
ses lances ; ses longs cheveux flottent épars sur ses 
épaules. De temps à autre, il vient amicalement 
s'appuyer sur moi, me montrant quelque joli site, ce 
qui prouve bien que cette nature sauvage n'est point 
absolument dépourvue de l'intelligence du beau. 

A notre retour, Abdul qui est resté avec Semenlar 
Osman, nous apprend que ce dernier lui a demandé 
s'il n'était pas possible d'échanger ses revolvers pour 
un fusil. Était-il embarrassé pour s'en servir ? Je ne 
signale ce fait que pour le rattacher à ce que dit le 
commandant Guillain dans son ouvrage : « Si vous 
faites quelque cadeau à l'un des chefs de ces peu- 
plades, il ne craint pas de vous demander de le 
remplacer par un autre objet. » 


80 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

5 février, — Mahmoud et Abdallah arrivent dès 
le matin nous informer que le gouverneur est dis- 
posé à se rendre à bord. 

Suivant ma promesse de la veille, je me rends à 
terre dans notre canot. Je suis reçu comme à notre 
arrivée à Guesli sous le gourbi, au milieu du- 
quel se trouvent quelques Çomalis, qui me prient 
d'attendre un moment Sementar. Celui-ci arrive 
bientôt paré de ses plus beaux habits. 

Nous nous acheminons ensemble vers l'embar- 
cation; nous sommes circonvenus parla foule, qui, 
tiraillant ce pauvre gouverneur en tout sens, veut 
absolument Tempécher d'aller à bord. Cette attitude 
de la part de la population concorde bien avec ce 
qu'Abdallah a raconté hier à notre interprète. Se- 
mentar parvient enfin à se dégager non sans im- 
poser d'un ton ferme sous autorité, et prend place 
dans le canot qui pousse au large ; toiîtefois, en 
même temps que lui, y sautent une dizaine de na- 
turels dont il ne peut se débarrasser. 

- Semenlar prend place sur la dunette, s'allongeant 
comme un pacha dans un grand fauteuil, et entre 
de suite en conversation avec nous, raisonnant avec 
beaucoup de sagacité. Il nous informe, que déjà un 
courrier est parti pour prévenir le sultan Osman 
Mahmoud, et qous deman4e si nous voudrons çon- 


EXPÉDITION DE « l' ADONIS 9 81 

sentir à stationner six jours pour attendre son arri- 
vée. 

Notre temps est compté; aussi nous est-il impos- 
siblo d*accéder au désir du gouverneur. Nous 
concluons donc en acceptant de sa part des lettres 
et deux messagers qui nous mèneront à Ras Haf- 
foûn, port le plus proche de la résidence du sultan. 
Nous voulons en effet atteindre le plus rapidement 
possible la côte Bénadir qui est le but principal de 
notre expédition. 

Cet entretien fini, nous nous séparons de Semen- 
tar, non sans nous donner rendez-vous pour le len- 
demain, afin d'asseoir d*une façon définitive les 
bases d'une entente commerciale solide et fruc- 
tueuse. 

6 février. — Au point du jour, l'équipage de 
r Adonis descend à terre pour aller laver son 
linge à la fontaine. Je gagne avec lui le rivage, 
mais je reste seul à Merâya, avec l'intention de 
prendre une vue du village. 

Assis sur la caisse contenant mes appareils pho- 
tographiques, j'attends le lever du soleil. 

Les Çomalîs sortent de leurs cases pour aller 
faire leurs ablutions à la mer et passent devant moi 
comme de grands fantônfts blancs. L'un d'eux 
s'approche tout en manifestant quelque crainte; 
miis il est bientôt rejoint par d'autres qui m'^iide^it 


32 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

complaisamment à transpc ter mon inslrument. 

Pour me sauvegarder des préjugés que peuvent 
nourrir ces esprits fanatiques et ignorants, je 
m*abstiens de leur dire quelles sont mes intentions. 
Je commençais néanmoins à être fort embarrassé 
pour répondre à toutes leurs . questions que je 
saisissais par leur pantomime, lorsque l'un d'eux, 
qui disait être allé à Bombay, leur fit une longue 
théorie pour leur démontrer à quoi mon appareil* 
pouvait servir. 

Chacun alors de s'empresser autour de moi pour 
me voir opérer; mais comme je crains d'être 
gêné dans mon travail, je leur fais tout simple- 
ment promener le disque du soleil sur la glace dé- 
polie, en leur faisant croire que cette observation 
me sert pour régler ma montre. Celte explication 
ne suffît pas à me débarrasser de mes curieux, et à 
chaque instant, quelqu'un d'eux vient se placer 
juste devant mon objectif; aussi, fatigué de ces 
obsessions, je lève le siège pour m'en aller de l'au- 
tre côté de la mare, espèce de flaque d'eau saumàlre 
produite par l'infiltration de la mer, et entourée de 
tamarins; là je puisa loisir effectuer mes opérations 
sans être dérangé. 

Pendant l'exposition de mes clichés, huit ou dix 
femmes viennent prendre leur bain du malin. Ma 
présence ne les effarouche pas le moins du monde. 


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Elles s'amusent comme des enfants, s'aidant réci- 
proquement dans leur toilette. 

Le soleil donne à leurs corps le lustre du 
bronze, rehaussant, par les tons clairs qu'il y 
jette, la gracieuseté et la pureté de leurs formes. 

Mon opération terminée, je rejoins mes compa- 
gnons; je les trouve, en contemplation eux aussi 
devant un groupe de jeunes filles yenuespour puiser 
de Veau, et que la présence des « Frô^gi i n'a point 
intimidées. 

Non sans quelque- co.quetterie, elles aident nos 
hommes à rafraîcHfr'feùrfiiige,' niais cela sous les 
yeux d'une vieille 'dnègne, horrible "figure dont la 
laideur grimaçante contraste avec fa grâce de ses 
pupilles. 

Nous revenons à bord pour préparer notre der- 
nière entrevue avec le gouverneur avant de quitter 
Merâya. 

Dans l'après-midi, Sementar Osman nous reçoit 
avec ses gens, sur la place, et nous lui faisons alors 
connaître non verbalement, mais par écrit, les clauses 
dans lesquelles nous entendons circonscrire nos fu- 
tures relations. 

Au milieu de l'entretien, il nous demande la per- 
mission d'aller prier. Il revient au bout de quelques 
instants, adhérant pleinement à nos conditions, et 
nous nous séparons au milieu de toutes sortes de 


34 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

démonstrations amicales. Âbdul sera chargé delà 
rédaction de cette sorte de traité et viendra le lui 
remettre dès le lendemain. 

7 février. — Réflexions faites, nous préférons 
porter nous-mêmes à Sementar le texte de notre 
convention. Lecture en est donnée une dernière fois 
à haute voix. 

Le moment de la signature est pour Sementar 
Osman le quart d'heure de Rabelais ; mais, bien 
que ne sachant point écrire, il fait au bas de la 
page un griffonnage quelconque, en priant son con- 
seiller de signer pour lui. 

Gela terminé, on nous demande nos noms, et 
chacun des assistants se met à les épeler pour pou- 
voir bien les retenir. 

Enfin Sementar nous remet une lettre pour le 
sultan Mahmoud, nous donnant pour estafette un 
nommjp Yousouf ben Mohamed (1); ce dernier ar 

(1) Nous donnons le texte do cette lettfe comme spécimen du style 
officiel employé par les hauts dignitaires çomalis: 

ce Lettre du gouverneur de Merâyu, au grand sultan Osman Mah- 
moud. 

•K El Hadji Sementar Osman, gouverneur de Merâya à Osman 
Mahmoud, Sultan des Çomalis depuis Bcnder Ziyâda jusqu'à Râs 
el Quel, demeurant à Nobir, sa capitale. 

<( Louange à Dieu seul, grand seigneur, au respecté et aimé Sultan 
Osman Mahmoud, à Noûr Osman et tous les personnages de 
l'État. Que Dieu vous conserve la vie, je vous salue et vous sou- 
haite la bonne grâce et ténédiclion de Dieu. Nous vous écri* 
vons de Bender Merâya. Tout chez nous va bien. Nous vous 


l 


EXPÉDITION DE « l' ADONIS » 85 


rive revêtu de ses armes et en tenue de route. Nous 
regagnons le bord avec lui. 

Pendant que F Adonis allume ses feux, Ab- 
dallah vient nous demander le hachis pour ses ser- 
vices rendus ; il nous informe en même temps qu'il 
compte sous peu partir pour Aden et qu'en consé- 
quence, nous pouvons lui confier notre courrier. 
Abdallah nous prie en outre de bien nous souvenir 
de lui quand nous reviendrons et de lui apporter un 
beau cadeau, s'il s'est consciencieusement acquitté 
de cette mission. 

Au moment où nous dérapons, nous apercevons 
à côté de Yousouf un nommé Fârah, qui veut, lui 
aussi, se rendre auprès du sultan, et que Sementar 
Osman a adjoint à notre messager. 

dirons qu'il vient d'arriver ici des messieurs français, etc.... 
Nous vous prions de leur être utile et de les respecter ; si ces 
messieurs désirent entrer en relations avec vous, nous vous en- 
gageons à le faire. Ces messieurs pourront chaque année vous 
apporter tout ce dont vous aurez besoin. Ensuite, lorsque ces 
messieurs repartiront, Je vous prie de les recommander dans tous 
les pays où ils désireront aller. 

« Celui qui prie Dieu continuellement pour vous. 

« El Hadji Sementar Osman, Mohamed Chiroa. 
n El Hadji Edriss Mahmoud. » 


in 


Nous doublons le capGardafui. — En face d'Haffoûn. — Puche de 
deux poissons monstrueux. — Fuile d'un esclave. — Semcnlar 
Ouîçoricn. — Un visiteur peu délicat. — Ascension. du Djeb.ol- 
Uoùr. — Charge c|o cinq cavaliers contre un photographe. — 
Le médecin du bord. — Entrevue avec les notables ti'Haffoûn. 
— Arrivée de Noûr Osman, tuteur du sultan. — Le conseil des 
ministres Çomalis. — Départ pour Mogadoxo. 


7 février. — Nous sommes en roule. La situation 
d'AUoûla et de Meràya nous force à ne point nous 
arrêter de nouveau au premier de ces deux ports. 
Nous doublons rapidement Ras Bouah, les deux 
pointes de Gardafui (Ras Jerdaffoûn et Ras Ghe- 
naref), dont les sommets se perdent dans les brumes, 
et le cap Ali Besquel. 

8 février. — Le lendemain matin, nous nous 
réveillons dans la baie du sud, en face du village 
de Haffoûn. C'est une agglomération de huttes, sans 
la moindre construction en terre, comme dans les 
ports que nous venons de visiter. Elles sont circu- 
laires cl recouvertes de nattes; leur aspect est mi- 


88 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


sérable et dénote que Ràs Haffoûn n'est qu'un 
campement provisoire. Il est occupé pendant six 
mois de Tannée seulement. 

En face de nous, une petite colline en pain de 
sucre ; c'est Djebel Hoûr ; à ses pieds, une grande 
plaine qu'encadre une chaîne continue de petits 
mamelons, plaine sillonnée par le lit d'un torrent 
qui sert de déversoir aux eaux de ce bassin, pen- 
dant la saison des pluies. 

Quelques boutres se balancent en rade. Dés notre 
arrivée, une embarcation se détache de terre et 
accoste le bord. 

Elle nous informe que le sultan a quitté Haffoûn, 
qu'il est à deux jours et demi de marche; par voie 
de terre, dans l'intérieur. Nous décidons d'y en- 
voyer Yousouf porteur d'un message de notre part, 
promettant à notre guide nue bonne récompense 
s'il est vite de retour (1). 

iVu moment de se séparer de nous, les Çomalis 

(1) Letli'ô du pdrsonnel dé rexpédiiioti : 

« Au grand sultan Mahmoud. 

é Que la bénédiction de Dieu totii-puissant soit sur ta majeslé 
pèndani toute ta vie et réternité; Nous arrivons de Merâya où nous 
sommes entrés en relatioils d'amitié avec ton peuple. Nous avons 
obtenu du gouverneur Sementar Osman un guide pour nous con- 
duire auprès de toi. Nous venons te prier de vouloir bien nous 
ilccorder une audience pour aller te présenter nos hommages et 
te rendre les honneurs qui te sont dûs. Si tu consens à nous ac- 
corder cette faveur, envoie-nous une escorte et les moyens de nous 
mettre tout de suite en roule pour ta résidence; 
à Qae la Bénédiction de Dieu demeure avec toi. * 


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EXPÉDITION DE « l'aDONIS » '^ 89 

nous demandent le bachis comme droit d'ancrage. 
Nous le leur refusons ; en échange, ils ne veulent 
pas conduire Yousouf à terre. Nous sommes forcés 
de faire armer notre canot qui revient immédiate- 
ment. 

La journée se passe sans autre incident particu- 
lier que la prise de deux poissons monstrueux, 
ressemblant à ceux quQ nos pêcheurs provençaux 
appellent c rascasses il Ces deux poissons mâle et 
femelle atteignaient le poids de 24 el 27 kilogrammes. 
Nous fûmes obligés de batailler pendant plus d'une 
heure pour nous rendre maîtres de ces énormes 
bétes. L'authenticité d'une pêche sembbble pourrait 
être contestée si, près des mêmes eauî^, l'équipage 
du Godavery^ navire des Messageries maritimes, 
n'avait péché une yieiïîey de même espèce, du 
poids de 107 kilogrammes, poisson qui, pendantprès 
d'une semaine, excita la curiosité des Mauritiens, 
appelés à voir ce phénomène. 

Pendant la nuit du 9, l'homme de garde signale 
uti homme à la mer. On cherche de toutes parts le 
long des flancs de F Adonis, et l'on y trouve cram* 
ponné un pauvre malheureux noir dans le plus 
simple des costumes. On l'aide à grimpera bord. Il 
est dans un état de maigreur effrayante, couvert 
de cicatrices et tellement épuisé qu'il peut à peine 


40 ^ VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

desserrer les dents. Un de nos chauffeurs, indi- 
gène à peu près du même pays, nous sert d'inter- 
prète auprès de lui. 

Cet homme est un esclave qui vient de s'échapper 
de Tun des boutres en rade, où il est l'objet de 
toutes sortes de privations et de mauvais traite- 
ments, dont son corps porte les traces. Il nous 
demande protection, nous suppliant de le prendre 
avec nous ; pour s'arracher des mains des Arabes, 
il n'a pas craint de faire à peu près quinze cents 
mètres à la nage au milieu des requins. Le pre- 
mier soin du capitaine est de faire donner à ce mal- 
heureux de quoi se couvrir et de quoi manger. 
Nous verrons demain quelle décision nous devons 
prendre à son égard. 

Au sourire de satisfaction qui s'épanouit sur ses 
grosses lèvres noires, je découvre une rangée de 
dents blanches aiguisées à la lime. C'est, parait-il, 
un usage dans son pays où l'on se bat, unguibus et 
rostro, pour défendre sa liberté. 

Comme à Meràya, des feux restent allumés sur 
la plage pendant toute la nuit. 

9 février. — Nous nous attendions à la visite 
du gouverneur. Il ne vient pas, froissé, paraît-il, 
de ce qu'on ne lui a pas envoyé de cadeau. Nous 
avons en échange celle du capitaine du boutre qui 
vient nous redemander son esclave. Il entre à cet 


EXPÉDITION DE. « L*ADONIS » 41 

égard dans toutes sortes de considérations, disant 
que, si nous le conservons par devers nous, il se 
plaindra à qui de droit. Bref, bien que peu inli- 
midés par de semblables menaces, nous rendons le 
malheureux noir, prévenant que notre intention est 
dei rester quelques jours àHaffoûn; et que, si on lui 
inflige le moindre mauvais traitement, nous sau- 
rons faire comprendre ce que vaut notre protection. 
A ridée de retomber entre les mains de ses anciens 
maîtres, le pauvre esclave se roule à nos pieds, sur 
la dunette, nous suppliant d'avoir pitié de lui. 
Nous n'avions malheureusement aucun droit de le 
retenir par devers nous. Nous le voyons donc s'é- 
loigner, la tête basse, au milieu de ces misérables 
qui ne manqueront point de lui faire payer cher sa 
désertioii. 

42 février. — Nous attendons toujours le retour 
de Yousouf. Un peu las de la monotonie du bord , 
je me fais débarquer assez loin du village pour 
prendre une vue photographique de Haffoûn; je 
crois pouvoir opérer seul pendant quelques ins- 
tants. Il n'en est rien; je suis immédiatement cir- 
convenu par une foule de curieux auprès desquels 
je tente la même démonstration qu'à Merâya ; mais 
l'un d'eux me fait judicieusement observer, par 
gestes compréhensibles, au moment où je dirige ma 
mise de point, que le soleil se trouve bien au-dessus 


T, 


42 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

de la direction de l'objectif; en même temps, il 
accompagne ses réflexions d'un « Mafich layib » (Ça 
n'est pas bien!) qui laissait percer sa méfiance. Aussi 
se campe-t-il résolument devant l'appareil et suis- 
je dans l'impossibilité de continuer. Je n'obtins ce 
jour-là que de mauvaises épreuves, et je dus essayer 
d'y suppléer plus tard au moyen de mon crayon. 

13 février. — Au moment où nous nous y 
attendons le moins, Yousouf arrive, porteur d'une 
lettre de Mahmoud, et escorté par le gouverneur 
d'une ville voisine, Sementar Ougarien, que le 
sultan compte employer comme interprète entre 
nous et lui, ne parlant pas lui-même un mot 
d'arabe. Yousouf et Sementar Ougarien sont accom- 
pagnés d'un Arabe qui porte dans sa boîte un 
chronomètre détérioré, épave de quelque navire 
naufragé, et dont il nous propose l'achat. Nous 
avions des choses plus sérieuses à traiter. Nous 
apprenons que Mahmoud doit arriver dans trois 
jours, suivi de ses ministres Noûr Osman et Cher 
Markab Osman. 

Nous offrons à Sementar Ougarien de prendre 
une tasse de café. Il l'accepte avec plaisir. A peine 
a-t-ilfmi de le sucrer que l'Arabe qui l'accompagne, 
sur un geste rapidement compris, profite du mo- 
ment où le garçon a tourné les talons pour faire 
disparaître le sucrier dans sa robe. Nous ne fai- 


EXPEDITION DE « L* ADONIS » 43 

sons aucune observation devant cet acte d'indélica- 
tesse qui n'a point passé inaperçu, et nous nous 
préparons à descendre à terre en compagnie de 
notre visiteur. Pendant qu'on arme l'embarcation, 
il demande le docteur du bord. Mes compagnons 
de voyage me désignent alors, et ce titre usurpé me 
vaut les confidences de Sementar. Il voudrait un 
remède pour combattre son obésité, qui l'empêche, 
dit-il, d'être galant avec les femmes comme il le 
désirerait. 

Sans nous occuper de la foule qui nous entoure 
à notre débarquement, nous nous dirigeons vers le 
Djebel Hoûr, dont nous avions projeté l'ascension. 
Nous l'effectuons sans trop de peine et atteignons 
bien vite le faîte d'où nous dominons Haffoûn, la 
Baie du sud et la rade où sept boutres, mettant à 
la voile, nous apparaissent sous des formes micros- 
copiques, comme une flottille d'argonautes (1). La 
vue est circonscrite par un horizon fort restreint du 
côté nord, et accompagne jusque fort loin vers le 
sud-est les terres plates de l'isthme qui rattachent 
Haffoûn au continent. 

Pendant que nous examinions le paysage, deux 
hyènes énormes détalent tout près de nous, mal- 


(1) Argonaute {Nauiilus lister) ^ coquille assez commune dans 
ces parages, et des plus curieuses. C'est à ce coquillage que Ton 
attribue l'origine de \a navigation à voile. 


4i VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

heureusement hors de la portée du fusil de notre ami 
Morellet et à son grand dépit. 

En regagnant notre embarcation, nous passons 
auprès des puits de Haffoûn. Ce sont trois trous 
creusés dans le sable ; Teau en est trouble et sau- 
mâtre. 

14 février. — Descendu à terre avec le capi- 
taine et Morellet, je me sépare d'eux pour aller 
prendre une vue d'Haffoûn, mes essais antérieurs 
n'ayant pas réussi. 

Mon débarquement s'effectue non sans peine à 
cause des lames assez fortes qui se brisent sur la 
plage. 

Après m'avoir aidé, mes compagnons repartent 
pour pêcher à quelques mètres seulement. 

Je déploie mon petit matériel et me dispose à 
opérer lorsque je me retourne brusquement au bruit 
du galop de cinq cavaliers qui fondent sur moi la 
lanjce en arrêt. 

En une seconde, ils sont à mes côtés, et l'un 
d'eux, me présentant le fer de sa lance à hauteur de 
la poitrine, se détourne brusquement vers la droite 
en prononçant d'une voix solennelle le « Naharek 
tayib, i» « Bonjour à toi. » 

Mes amis qui ont suivi des yeux cette charge 
à fond de train me croient perdu et s'empressent 
d'accourir; pour mon compte, je ne me rassure 






EXPÉDITION DE « L* ADONIS » 45 

complètement qu'en voyant mes cinq Çonialis me 
tendre la main. 

Je ne peux répondre à aucune de leurs questions 
ni comprendre ce qu'ils disent. A ma demande si le 
sultan viendra, exprimée par ces seuls mots : « Sul- 
tan, sultan, » ils répondent par un signe de tête 
affirmatif qui accompagne ces paroles : « In clia 
Alla, i idjik. » (S'il plaît à Dieu, il viendra.) 

L'arrivée de ces ci«q personnages, m'a fait en- 
core manquer mon opération photographique, et ce 
n'est pas sans contrariété que je suis forcé de 
plier bagage pour rentrer à bord. 


* -• . 


15 février. -^ J'essaye dé réparer ces insuccès. 
A peine arrivé, je suis obsédé, non seulement par 
les curieux, mais encore par toutes sortes de 
malades auxquels Yousouf m'a désigné comme 
docteur. 

Me voilà à la besogne, déchirant mon mouchoir 
et pansant leurs plaies après .les avoir bien lavées 
et saupoudrées avec de l'encens, de manière à les 
isoler du contact de l'air, et surtout des mouches 
qui les enveniment. 

Je me débarrasse de tous ces importuns en allant 
«n peu plus loin transporter mon appareil. 

Morellet et Abdul viennent me rejoindre; nous 
nous dirigeons alors vers le village. 

Chemin faisant. Un groupe de Çomalis nous 

3. 


46 V0YA0B8 AU CAP DKS AROMATES 

invite à nous rendre au gourbi où nous aurons des 
nouvelles de la part des cavaliers venus la veille. 

Nous apprenons que ce sont le gouverneur d'Haf- 
foûn et ses fils. 

Nous les trouvons en conférence, entourés de 
tout le village avec lequel ils s'entreliennônt des 
nouvelles de Fintérieur. 

À notre approche, ils se lèvent et nous font signe 
de nous asseoir sur le sable,' à leurs côtés, non sans 
nous avoir préalablement serré les mains chacun à 
leur tour. 

Le plus âgé prend la parole. Il nous informe que 
le sultan ne viendra pas, qu'il n'a pu terminer le 
différend qui le retient à Nobir ; mais qu'il nous 
envoie ses deux premiers ministres. Ils arrive* 
ront dans la nuit ou le lendemain. Si nous tenons 
cependant, après avoir conféré avec ces envoyés, 
à repartir avec eux, nous pouvons louer des cha- 
meaux, et organiser une caravane. 

Yousouf qui a intérêt à voir sa mission amener 
un bon résultat combat, énergiquement les asser* 
tiens du gouverneur. Il va même Jusqu'à soutenir 
que son idée, en disant que le sultan ne viendra 
pas, n'est autre que l'envie de nous louer ses pro- 
pres chameaux. Bref, nous restons dans le statu quo^ 
attendant que les événements donnent raison a l'un 
des deux. 

Nous prenons congé de tout le monde pour rega- 


EXPÉDITION DB « L* ADONIS » 47 

gner notre embarcation, en passant au milieu du 
village. Les femmes, assises devant leur porte, tres- 
sent des nattes, et les enfants s'exercent avec leurs 
lances. 

16 février, r— A 7 heureô* du matin, nous dis- 
tinguons quelques cavaliers* 

Presque en même temps, le pavillon rouge est 
hissé sur la hutte du gouverneur. Mais personne ne 
vient à bord pour nous renseigner sur la qualité 
des nouveaux venus. 

Il est décidé que Morellet et moi descendrons à 
terre avec l'interprète pour voir s'il y a quelque* 
nouvelles. 

Yousouf vient à notre rencontre* Nous appre- 
nons par lui que les deux ministres du sultan» 
Noûr Osman et Cher Markab Osman viennent 
d'arriver. 

Yousouf nous conduit vers un groupe où nous les 
reconnaissons à leurs pagnes de couleur et plus 
riches que les autres. 

Ce sont les frères de Sementar Osman de 
Merâya. Noûr tient les rênes du gouvernement 
jusqu'à la majorité du sultan Mahmoud, *âgé seu- 
lement de 17 ans. 

Ils ont la figure fatiguée et l'air farouche. A côté 
d*eux est un troisième dignitaire que l'on dit leur 
secrétaire. 


48 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Tous les Çomalis qui nous entourent sont armés, 
seul le gouverneur n'a qu'un long bâton. La saleté 
de son pagne tranche étrangement avec la blan- 
cheur des autres. 

Nous demandons à Noûr des nouvelles du sultan ; 
il l'excuse de n'avoir pu venir, nous répétant qu'ils 
sont chargés par lui de traiter lés affaires (1). 

Nous l'invitons à venir nous voir à bord comme 
son frère, Sementar. Il s'excuse en disant que cela 
le dérangerait de ses prières et qu'il préfère nous 
recevoir demain avant le lever du soleil. 

Pendant que Morellet continue à causer de choses 
et d'autres relatives à notre voyage, je remets au 
gouverneur un flacon de baume d'Oppodeldok, des- 
tiné à le guérir d'une douleur dont il se plaint à 
la jambe droite. 

J'avais eu soin de faire écrire l'emploi de ce 
remède par Abdul en même temps que quelques 
conseils d'hygiène pratique pour les ophthalmies très 

• 

(1) En 1848, lors de l'expédition dont nous avons parlé plus 
haut, le Sultan régnant alors se dérobait aux sollicitations du 
commandant Guillain par des réponses évasives absolument sem- 
blables: 

<c Le jour même ou le lendemain du jour qu'on m'avait annoncé 
pour le retourde mon messager, dit l'explorateur, il arriva en effet 
avec une réponse écrite, mais les termes de celle-ci me causèrent 
une déception complète. >- 

« Le sultan mandait qu'ayant pour le moment une tribu à pacifler, 
il était empêché de se rapprocher le moi. » (Guillain. Voyage à la 
côte orientale d* Afrique ) 


EXPÉDITION DE « L ADONIS » 49 

fréquentes dans ces pays. Quelle n'est pas ma sur- 
prise de voir mon malade oindre le papier du con- 
tenu du flacon, et se frictionner avec ! Je riais aux 
éclats. Abdul m'explique le fait en me rappelant 
cette coutume des musulmans d'écrire au fond 
d'une assiette un verset du Coran et de le faire 
absorber au malade après l'avoir délayé avec un 
peu d'eau. 

Au moment où nous nous disposons à rentrer, 
Yousouf vient nous prévenir que la population 
d'Haffoûn avait suggéré à l'esprit de Noûr que nous 
étions continuellement occupés dans la rade à pren- 
dre des sondages, alors que nous péchions simple- 
ment, et que nous venions bien certainement dans 
d'autres intentions que celles que nous manifes- 
tions. Ce à quoi nous avons répondu, pour rassurer 
les esprits, en montrant à Noûr la lettre que son 
frère lui adressait. 

n février. — Dès le matin, nous sommes au 
rendez-vous. Nous nous dirigeons vers le gourbi 
où nous attendons les ministres q4i arrivent bien- 
tôt entourés de leurs sujets en armes. 

Après les salutations d'usage, nous prenons 
place et entamons nos entretiens d'affaires sur les 
produits du pays, sur l'exportation, sur les espé- 
rances de récoltes annuelles. Nos projets sourient 


50 VOYAGES AU GAP DBS AROMATES 

fort aux ministres, et tout semble devoir se traiter 
pour le mieux. 

Pendant ces pourparlers, le soleil pouvant fati- 
guer nos hommes, nous leur faisons signe de venir 
s'asseoir à nos côtés. 

Un mouvement brusque du gouverneur nous fit 
comprendre qu'il avait eu peur. Il nous confirme 
cette opinion en nous demandant pourquoi nous 
avons fait avancer nos cinq hommes. Il se rassure 
cependant après nos explications (1). 

Ce mouvement de crainte provenait de ce qu'il se 
figurait que nous allions nous emparer de sa per- 
sonne et de celle de Cher Markab. 

Pour ménager l'avenir, nous faisons cadeau de 
deux fusils aux ministres et nous laissons l'inler- 
prète causer avec eux pour s'efforcer de dissiper 
leurs appréhensions, chose qui fut facile. 

Ils rejettent la faute sur le gouverneur qui les 
a induits en erreur et blâment sa conduite. 

Ils nous conseillent de poursuivre d'abord nos 
relalicms avec Merâya, nous assurant qu'elles nous 
attireront bien vite la confiance des villes voisines. 

Nous nous séparons d'eux après leur avoir remis 
la lettre pour le sultan. 

(1) Ca sont toujours les mêmes soupçons observés déjà par 
Guillain: « D'un aulro côté, la présence d'un navire, notre allure 
ferme et rassurée ne laissaient pfis de donner, Je crois, quelques 
craintes aux Indiglènes. » 


EXPÉDITION DE « l'ADONIS » 51 

Yousouf nous accompagne dansTembarcation, et, 
après avoir reçu le payement de ses services, de- 
mande qu'on le reconduise à bord d'un boutre 

mouillé en rade, au moyen duquel il rentrera à 

* 

Merâya. 

Demain nous partons pour Mogadoxo, port de 
la côte des Bénadirs ; c'est sur cette ville et les 
ports voisins de Meurka, Brawa et Kismayo gue 
sont fondées les plus belles espérances de notre 
expédition. 


IV 


Quelques mois sur les Bônndirs. — Dcscrîplîon géographique. — 
Divers ports de la côle. — Villages de l'inlérieur. — Races 
diverses des habitants. — ConquCto du pays des Bénadirs par 
le sultan de Zanzibar. — Les gouverneurs zanzibariens à Meurka, 
Brawa, Mogadoxo. — Révoltes fréquentes des Çomaiis de l'in- 
térieur. — Tentatives de la flotte égyptienne. — Incendie de 
Brawa. — Hospitalité réservée aux Européens dans ces parages. 
— Avenir du pays des Bénadirs. 

Avant de pénétrer chez les Bénadirs, je crois 
qu'il est bon d'étudier un peu Tétat actuel de cette 
côte. 

L'ouvrage du commandant Guillain lui a consa- 
cré de longs chapitres; aucune modification appa- 
rente n'est survenue dans les mœurs de ses habi- 
tants depuis le passage du DucouédiCy et je n'aurais 
point parlé de ces parages si les faits relatifs au 
voyage de V Adonis ne portaient en eux un ensei- 
gnement précieux pour l'intérêt commun, aujour- 
d'hui surtout que le commerce sur les côtes d'Afri- 
que est le point de mire de tous les armateurs 
quelque peu audacieux. 

Les pages qui suivent ont été écrites, tant d'après 


54 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

mes observations personnelles que sur des rensei- 
gnements que je tiens de la complaisance de 
M. Wolfarth, agent de la maison Hantzing et G° 
de Zanzibar. M. Wolfarth séjournait, lors du voyage 
de r Adonis, à Brawa, où il remplaçait un Euro- 
péen, M. Déale, assassiné lâchement, après trois 
ans de séjour, dans cette ville. Frappé à son tour, 
assez grièvement, d'un coup à la tête que lui porta 
un Çomali de l'intérieur, M. Wolfarth eut le cou- 
rage de ne point abandonner son poste, où nous 
le trouvâmes seul, non sans surprise et sans admi- 
ration. 


La côte qui s'étend au nord du Djoub jusqu'à la 
ville de Ouarcheik est appelée par les Arabes « Bé- 
nadir* » Elle est toute entière soumise au protectorat 
du sultan de Zanzibar. 

Elle comprend, en commençant par le sud, les 
villes suivantes : 

Jumbo ou Juba, ville en ruines et inhabitée, 
Kismayo, Brawa, Meurka, Jillip, Gondercheik, 
Danané, Djésireh ou Jérisah, Mogadoxo ou Mogue- 
douchou, Haduei, Ouarcheik. 

De toutes ces places, Brawa, Meurka, Mogadoxo, 
Ouarcheik sont seules accessibles aux navigateurs 


EXPÉDITION DE C l'aDONIS » 55 

sur boutres pendant toute Tannée, excepté juin, 
juillet, août; et aux navires, en octobre, novembre, 
mars et avril. 

Ouarcheik est la dernière place où rautorité de 
Seyid Bargash soit reconnue ; au nord de cette ville 
le pays est appelé par les Arabes « M'routi, » 

A Brawa, Meurka et Mogadoxo, résident en vertu 
de son protectorat environ de 150 à 200 soldats de 
l'armée du sultan de Zanzibar ; toutefois ces troupes 
ne peuvent sortir de ces trois garnisons sans ris- 
quer d*étre assassinés par les Çomalis. 



Aouméka. 


En 1877, le gouverneur arabe a commencé les 
fortifications de Brawa, presque terminées aujour- 
d'hui (mars 1878). 

Ce port est habité par des Çomalis et des blancs 
d'origine arabe. Il y a seulement 20 ans que. les 
premiers sont établis ; ils portent le nom de « Tou- 


56 


VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


nis » ; cette tribu des Tounis s'étend du Djoub 
jusqu'à Torra. 

Ce sont les Çomalis les plus paisibles de la côte. 
Ils portent généralement un grand bâton à la place 
de la lance que ne quittent jamais les autres 
naturels. 

Dans le voisinage de Brawa, sont les villages 
de : Lambareh, Hasclian, Douhirou, Estourah, 
Ouakbiah, Jegourah. 

Leurs habitants sont divisés en cinq tribus : 
Dafrah, Gouigals, Uvrils, Amar, Dacterah. 

Les blancs, à proprement parler les Arabes habi- 
tant Brawa, sont divisés en deux castes, Bida et 
Hatima. 

On y rencontre aussi quelques Cherafa qui pré- 
tendent descendre du Prophète ; il s'en trouve éga- 
lement à Meurka et à Mogadoxo. 

On parle à Brawa l'arabe, le souhaëli corrompu. 



Djelleub. 


EXPÉDITION DE « l'aDONIS • 57 

Meurka est habitée par des blancs d'origine 
arabe et par des noirs descendant des esclaves des 
Bimals, tribu çomali voisine de cette ville habitant 
la côte entre Torra et Ganané; mais ces derniers 
n'y ont pas de maisons et, quoique la place leur soit 
ouverte, jamais ils n'y stationnent plus d'une 
journée. 

Très belliqueux, ils se divisent en deux tribus, 
les Dadous Eouras et les Osmins. Ce sont les seuls 
indigènes qui soient tout à fait indépendants ; tous 
les autres sont plus ou moins sujets du sultan Hamcd 
Yousouf qui réside à Guélidi dans l'intérieur, à 
quelques heures de Mogadoxo. 

Dans les environs de Meurka, sont siluées : 
Abolo, Galouïn, Doha, Oudcgle; à Abolo, réside 
Aboubekre, le frère du sullan Hamed Yousouf (1). 

Oh parle à Meurka le çomali Bimal un peu 
différent du çomali Touni. 

L'ivoire arrive presque tout de Ganané. Il faut 
au moins vingt jours aux caravanes pour se rendre 
de ce point au marché de Meurka. 


(I; Pendant mon dernier séjour à Mcrâyo (septembre 1878) un 
courrier Bimal arriva et porta au sultan Mahmoud la nouvelle que 
Ilamcd avait fait prisonnier Aboubekre dans unb terrible bataille, 
et qu'il l'avait décapité de sa propre main, après avoir donné 
ordre d'en faire autant à trois cents prisonniers. 


5â 


VOVAGES Au CÀP t>ÉS AhOMÀtEâ 


Mogadoxo est le nom de deux villes, Hamarneim 
et Ghangani, toutes deux entourées de murs et 
distantes Tune de l'autre d'environ cinq minutes ; 
on construit sur Tespace qui les sépare un palais 
où doit être établi le siège du gouvernement. 



Danané. 


Mogadoxo est habitée, en dehors des blancs d'ori- 
gine arabe, par les descendants des esclaves des 
« Ouadan » ,. et « Ouelbis- Jacoub, » tribus çomalis 
des environs de Djesireh. Au nord et plus loin, 
jusqu'à M'routi, sont les « Abgails, » les moins civi- 
lisés de tous; beaucoup d'entre eux ne sont pas 
mahométans. 

On parle à Mogadoxo la même langue qu'à 
Meurka. Les « Elaé», « Rakacous • et t Daroud t» 
y viennent vendre et échanger de Tivoire, des 
peaux, des plumes d'autruche^ des gommes^ etc^ 


EXPEDITION DE « lUdONIS » 50 

I __ ... , ■ . ■- 

AOuarcheîk, il n'y a pas de gouverneur. L'auto- 
rité du sultan consiste dans le droit de faire flotter 
sur un mât le pavillon rouge ; en outre, un rece- 
veur de la douane perçoit les impôts. Il est pro- 
bable que, dans quelque temps, Seyid Bargash don- 
nera une garnison à cette ville. 

Le pays des Bénadirs fut conquis par le sultan 
Seyid Saïd de Zanzibar, père du sultan actuel. Sous 
le règne de son fils Seyid Meyid,les blancs de Meurka 
le prièrent de donner à leur ville une garnison 
arabe pour la protéger contre lès Bimals dont Tin- 
solence était devenue insupportable. Le sultan 
envoya Sef Mour avec 200 soldats. Les Çomalis 
voulurent résister ; un coup de canon qui tua deux 
d'entre eux suffit pour les soumettre. Ils mandèrent 
quelqu'un à Zanzibar pour intercéder auprès du 
vizir Soliman ben Ali» et la garnison fut retirée. 

En 1870,1e frère de Seyid Majid, Seyid Bargash, 
devenu sultan de Zanzibar, envoya à Meurka Selim 
Yacoub, vieillard réputé pour sa bravoure et son 
honnêteté. 

Plus tard, en 1874 (octobre), sur la deiûande des 
Tounis, il donnait à Brawa^ qui n'en avait pas 
encore, une garnison de quelques soldats détachés 
de Meurka sous les ordres d'Hamis ben Kalfau; 
Selim Yacoub fut par cela même gouverneur 
général des Bénadirs. 


60 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

Eq 1873, la guerre éclatait entre lui el les Bimals ; 
la paix fut conclue dans le courant de la même 
année. 

Au commencement de 1874, Yacoub se rendit à 
Zanzibar. Seyid Bargash lui donna 200 hommes 
pour pacifier Mogadoxo troublé par une nouvelle 
insurrection. 

Malgré la résistance du quartier çomali, Sélim, 
installé à Ghangani, bombarcjia Hamarneim avec un 
seul canon et prit la place ; Mohamed ben Sultan 
fut nommé sous-gouverneur de Mogadoxo, et Sélim 
retourna à Meurka. 

En automne 1875, deux navires de guerre 
égyptiens arrivèrent devant Brawa et en prirent 
possession, chassant Hamis ben Kallan et ses 
quinze soldats. Quelques jours avant, ils avaient 
pris Kismayo et étaient allés même menacer Lamô. 
Mais là se trouvait un navire de guerre anglais 
dont la présence suffit pour empêcher les Egyp- 
tiens de débarquer. 

Le gouvernement anglais s'adressa, à la suite de 
celte expédition, au gouvernement égyptien pour 
qu'il retirât ses troupes (1) ; ce qui ne se fit point 
attendre. 

(1) Depuis celle époque, TAngleterre a reconnu le prolectoraldu 
vice-roi depuis Berbera (golfe d'Aden) jusqu'aux Dénadirs, et le 
prolecloral du Sultan de Zanzibar depuis les Dcnadirs jusqu'au 
Djoub, y compris Kismayo. Dans le golfe d'Adcn, les Medjour- 
tincs se déclarent complètement indépendants. 


EXPÉDITION DE « l' ADONIS » 61 

Les Égyptiens une fois partis de Brawa, Séiim 
Yacoub, arrivant de Meurka, mit aux fers tous les 
chefs Tounis et les emmena à Zanzibar pour les pu- 
nir d'avoir favorisé le débarquement des troupes 
égyptiennes avant son départ. Il nomma un de ses 
soldats, Abdallah Masoud, gouverneur provisoire de 
Brawa en remplacement d'Hamis» Après quelques 
jours de prison, le sultan pardonna aux Çomalis 
qui furent repa triés, 

11 revint à Meurka et envoya à Brawa un aulre 
gouverneur, Soliman ben Hamed, son parent, qui 
y réside encore actuellement (mars 1878). 

Sélim expédia en outre des renforts qui portè- 
rent à 200 soldats le chiffre des troupes de gar- 
nison. 


En avril 1816, la guerre éclatait entre les 
Bimalset Hamed Yousouf, sultan de Tintérieur. 
Ce dernier ferma les chemins qui mènent à Meurka. 
Sélim Yacoub allait prendre des arrangements 
avec Hamed, lorsque, sur la route de Meurka à 
Mogadoxo, il fut assassiné par les Bimals avec 
40 soldats arabes. 

Cesderniers menacèrent mêmed'attaquer Meurka, 

mais les quelques canons de la place leur firent 

peur. 

En octobre 1876, Seyid Bargash envoya deux 

4 


62 VOVAOÈS AD CkP DES AROMATES 


navires à vapeur avec 800 hommes , pour en im- 
poser aux rebelles. 

Quelques chefs de Biraals vinrent se soumettre. 
L'envoyé du sultan, Mohamed ben Soliman, les 
expédia sur Zanzibar et, après avoir nommé deux 
autres gouverneurs à Meurka et à Mogadoxo, y re- 
tourna lui-même. Seyid ben Saïd est le nom du 
gouverneur qui remplaçait Selim Yacoub. Soliman 
ben Râchid remplaça^ Mohamed ben Sultan tombé 
en disgrâce. 

En mars 1877, les Çomalis de Brawa étaient en 
discussion avec le gouverneur, qyand un soldat tira 
sur un groupe de l'intérieur qui s'approchait de la 
ville avec des intentions hostiles. Un engagement 
eut lieu, et quelques hommes furent tués. Soliman 
ben Hamed sur-le-champ fit mettre le feu à toutes 
les huttes çomalis de Brawa. Pendant trois jours, 
la ville fut en flammes. 

Les chefs çomalis allèrent se plaindre à Zanzi- 
bar de cet abus étrange de la part du gouverneur 
qui brûlait les huttes de celte ville pour punir les 
méfaits des rebelles de l'intérieur. Us n'eurent, 
comme satisfaction, que des promesse pour l'avenir. 

A l'heure où nous écrivons (mars 1878), à Brawâj 
la paix est complète entre les Tounis et les Arabeâ, 
mai^ sur le Djoub^ les Tounis et la tribu des Ga- 


EXPÉDITION DE « L* ADONIS » 63 


blallah sontloujoups en guerre (1). — Meurka, qui 
est sur le lerriloire Bimal, est toujours en état 
de siège à cause de la lutte perpétuelle entre cette 
tribu et le sultan Hamed Yousouf, et, comme les 
Arabes n'ont pas la moindre influence dans Tinté- 
rieur, il est à craindre que le commerce de Meurka, 
autrefois considérable, ne soit anéanti avant deux 
ou trois ans. 

Il n'en est pas de même pour Mogadoxo dont 
la situation laisse toujours le chemin libre aux ca- 
ravanes. 


A cet aperçu géographique et historique, joignons 
le récit de quelques faits authentiques, qui donne- 
ront une juste idée de la manière dont se pratique 
l'hospitalité chez les Béntdirs. 

En octobre 1873, à Mogadoxo, un Allemand, 
M. Meyer, subrécargue du navire allemand Nu- 
hia , armateur M. W. Oswald de Hambourg, fail- 
lit être assassiné par un Çomali qui, sans motif, se 
précipita sur lui la lance en main ; heureusement 
il put parer le coup. On se contenta de désarmer 
le meurtrier qui fut laissé en liberté. 

(1) Pendant qxiQT Adonis était au mouillage de Kismayo, dans la 
baie du Refuge, on voyait le soir la clarté des incendies allumés 
par la guerre. 


64 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


En avril 1874, à Brawa, iin Anglais, M. Arthur 
Déale, agent de la maison Hantzing et G*% de Zanzi- 
bar, qui y avait vécu deux ans avec sa femnae, fut 
tué dans la ville par un Çomali qui le frappa par 
derrière d'un coup de lance et s'enfuit dans Tin- 
térieur. 

En mars 1876, son successeur, M. Wolfarth, fut 
attaqué par derrière et sérieusement blessé d'un 
coup de sabre à la tête, toujours par un Çomali ; et 
cela, sur la plage de Meurka, pendant qu'il causait 
avec un de ses compatriotes, surveillant un navire 
danois qui chargeait pour sa maison. 

L'Européen qui parlait avec M. Wolfarth appela 
ses nègres, s'empara du Çomali qui fut mis aux fers 
à bord du navire et envoyé à Zanzibar. 

Tous les consuls européens de cette ville insistè- 
rent pour qu'on le condamnât sévèrement ; il fut 
puni par la prison perpétuelle. 


Malgré cela, il y a dans ce pays un grand avenir, 
surtout si on réussit un jour à ouvrir une voie par 
le Djoub, jusqu'à Ganané, le plus grand marché 
pour les ivoires et pour les peaux. 

Le climat est bon pour les Européens; mais 
encore devraient-ils y être protegés. 

Pour cela il faudrait qu'au moins une fois par 


' ^_. .. _ » 


EXPEDITION DE « L ADONIS » H5 

an, un navire visitât tous les ports dont nous avons 
parlé. 

Les gouverneurs arabes, établis par le fiullan 
de Zanzibar, sont pauvres ; et se rattrapent souvent 
par un arbitraire qui compromet leur autorité. 

Leurs soldats sont des malheureux que la faim 
force à se mettre au service. Leurs moyens ne leur 
permettant pas d'acheter des femmes, ils prennent 
celles des habitants delà ville, ce qui cause parfois 
des complications désagréables. En tout cas, leurs 
faits et gestes annulent presque refflcacifé de leur 
protection. 


En face Mogadoxo. — Aspect de la ville. — A terre. — Une im- 
mersion désagréable. — Visite au gouverneur arabe Souleyman 
ben Râchid. — Son palais. — Nos pourparlers. — Notre course 
dans Hamarneim et Changani. — Notre futur logement. •>- 
La douane zanzibarienne. — Difficultés pour regagner i'Acfoms. 
Nouvelle visite à Souleyman. — Projets d'installation. — Une 
singulière fantaisie. — Opposition di^ gouverneur à l'établisse- 
ment de notre comptoir. — Départ pour Brawa. 


Le 22 février, à 3 heures, nous sommes mouillés 
en face de Mogadoxo. A notre arrivée, une foiile 
d'indigènes envahit la plage. On dirait une four- 
milière. Un boutre tire un coup de canon en ame- 
nant le pavillon musulman ; tous les autres mouillés 
à son côté suivent son exemple. 

Nous saluons à notre tour par une salve de six 
coups, à laquelle une pièce énorme répond de terre. 
Une immense pirogue s'approche du bord, elle est 
montée par deux soldats du gouverneur ; quelques 
Çomalis la dirigent avec peine.. 

Les deux envoyés procèdent de suite à une sorte 
d'interrogatoire. 


68 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

Ils nous demandent noire nationalité, si nous avons 
un agent à Mogadoxo ; enfin quelles sont nos inten- 
tions en venant chez eux. Nous répondons que, por- 
teurs de lettres pour le gouverneur, nous irons le 
voir demain matin au point du jour et nous prions 
qu'on l'en informe. Après avoir visité le navire 
dans tous les sens, ces deux personnages s'en 
vont, mais non sans solliciter préalablement un 
bachis. 

Pendant que l'embarcation s'éloigne, je jette un 
coup d'œil rapide sur la ville. En venant du côté 
d'Haffoûn, c'est-à-dire vers le nord, le regard ren- 
contre d'abord une tour, ancien vestige sans doute 
des constructions portugaises du xv* siècle. 

Cette tour est surmontée d'une lanterne à quatre 
ouvertures ; tout à côté est bâtie une mosquée dont 
la construction remonte certainement à une date 
moins reculée. 

Entre cette mosquée et la ville se ti*ouvent, sur le 
sable, à fleur de terre, les débris de quelques tom- 
beaux, et deux ou trois huttes auprès desquelles est 
un puits où les habitants mènent boire leurs trou- 
peaux. Un peu plus en arrière s'isole une autre 
mosquée ; p^js trois vieilles ooistructions ; enfin 
quelques arbustes formant un bosquet de verdure 
au milieu duquel se détachent encore de méchantes 
huttes. Une grande maison carrée en chantier et 


»^._^.. „ . I 


EXPEDITION DE « L ADONIS » 69 

le palais du gouverneur séparent les deux villes ou 
plutôt les deux quartiers de Changani et d'Hamar* 
neim qui forment, comme nous l'avons déjà dit, 
Mogadoxo. Au milieu d*Hamarneim, se dresse 
encore une tour en ruines, privée de sa lanterne. 

Un petit bois, une vieille mosquée, non loin de 
laquelle s'en élève une neuve, formant tache blanche 
sur un soulèvement de granit, ferment le panorama 
vers le sud. 

Deux forts carrés bâtis sur la colline découpent 
leur silhouette sur un ciel pur; on les découvre de 
très loin et les navigateurs peuvent les prendre 
comme point de repère. 

23 février. — Dès six heures du matin, nous des- 
cendons à terre. En approchant de la plage, i|ne 
barre assez forte et des lames qui se succèdent ra- 
pidement nous font présumer qu'il nous sera bien 
difficile de débarquer. En effet, nous ne tardons 
pas à être complètement submergés ; chaque vague 
qui passe nous mouille des pieds a la tète. 
Nous nous tirons d'affaire le mieux que nous pou- 
vons, car il n'y a pas à compter sur le secours de 
la foule amassée au bord du rivage et qui nous 
regarde sans que personne se dérange pour venir 
à notre aide. 

Nous avons toutes les peines du monde à empêcher 


70 VOYAOKS AU GAP DES AROMATES 

rembarcation de chavirer. Echouée dans de telles 
conditions, comment la remettre à flot? 

Nous voilà donc trempés jusqu'aux os au milieu 
de tous les Arabes, Banians, Çomalis, en un mot 
de toilte la ville accourue à notre rencontre. 

Un homme dont la parole semble avoir quelque 
influencé, et qui, nous l'apprendrons plus tard, s'ap- 
pelle Hamed CherifT, nous tend amicalement la 
main, et nous dit que le gouverneur nous recevra 
chez lui. 

Nous le suivons, et traversons un espace carré de 
quelques centaines de mèlres au milieu duquel se 
trouvent trois pièces d'artillerie montées sur leurs 
afîûts. Nous entrons dans une cour, où vaches, pou- 
les et esclaves parquent ensemble sous des huttes 
délabrées. Dans le fond, à droite, se trouve un puits, 
autour duquel quelques femmes lavent du linge. 

Le gouverneur vient au-devant de nous. Sou- 
leyman ben Râchid, tel est son nom, est un petit 
homme, à la figure brune, aux moustaches fines ; la 
barbiche assez longue, les yeux peints, la tète rasée 
et couverte par un énorme turban. Il porte un long 
manteau noir brodé d'or et tient à la main son sabre 
et une petite canne en bois avec laquelle il se fait 
faire place. Il s'avance vers nous, nous tend la main 
en nous saluant par le « Yambo » zanzibarien et 
nous fait signe de le suivre dans son palais. 


EXPÉDITION DE C l'ADONIS » 7i 

Quel palais, mon Dieu ! nous voici dans un étroit 
corridor enfumé qui sert de corps de garde. Les 
murs sont tapissés de toutes sortes d*accessoires 
et d*armes ; dans le fond une grande couchette est 
suspendue en guise de lit de camp. Après avoir 
gravi deux étages par un escalier obscur et sale, 
nous arrivons à la terrasse dont un mur crénelé forme 
le pourtour. Nous prenons place à côté de Souley* 
man ; notre cicérone, Cheriff Hamed, est to^^urs là. 

Petit âpetit, cette terrasse, d'abord vide, se remplit 
de soldats armés jusqu'aux dents, qui, sans mot 
dire, viennent se former en demi*cercle en face de 
nous. 

Notre interprète Âbdul s'entretient avec le gou- 
verneur, sur les données et d'après lea instructions 
du chef de notre expédition. Les réponses de Sou- 
leyman sont amicales, mielleuses et eoipreintes de 
bienveillance. Bien que renseigné déjà par ses en*^ 
voyés de la veille, il nous fait subir un véritable in« 
terrogatoire auquel nous répondons en l'initiant à 
nos projets et en lui faisant comprendre que nous 
espérons qu'il voudra bien nous prêter ôon concours 
et son appui. 

Nous convenons môme en sa préôence aVec Ghe* 
riff Hamed qu'il nous cherchera un local pour in- 
staller un comptoir. Après quelques pourparlers^ 
Cheriff finit par nous offrir sa maison. 

Pendant toute la durée de notre conversation^ notis 


72 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

■ — ' — - - 

sommes condamnés à absorber, lait, sirop, café et 
dattes qui se succèdent rapidement servis par des 
esclaves. En un mot, le gouverneur nous fait les 
honneurs de son domicile aussi gracieusement que 
possible. 

Tout à coup nous sommes surpris par le bruit de 
ileux coups de canon, que suivent bientôt des bour- 
ras ; puis des salves de mousqueterie se font enten- 
dre. Le palais est envahi jiar des soldats qui vien- 
nent se joindre à ceux qui stationnent déjà sur la 
terrasse. Ils se mettent alors à exécuter tous ensem- 
ble en notre présence les danses guerrières les plus 
variées. Enfin, d'une vingtaine qu'ils étaient dès le 
début de notre visite, ils sont maintenant plus de 
cent. 

J*avoue que iious nous attendions peu à ce spec- 
tacle qui nous intéresse autant qu'il nous surprend, 
et pour mon compte, mes yeux n*ont dans la suite 
rencontré nulle part un tableau plus saisissant et 
d*un aspect aussi caractéristique que cette cbim^ 
baya exécutée par des soldats armés de fusils, 
affublés des vêtements les plus bizarres, aussi sales 
que bariolés. 

Nous détournons bientôt notre attention -de 
cette représentation dont nous ne comprenons 
pas bien le but, et nous continuons à nous en- 
tretenir avec le gouverneur. Après quelques ins- 


EXPEDITION DE « L ADONIS » 73 

lanls consacrés encore à la conversation, nous pre- 
nons congé de Souleyman pour aller remettre à 
différents négociants des lettres d*Assan Ali et pour 
visiter en compagnie de Gheriff, devenu notre guide, 
le logement qu'il met à notre service. 

Nous nous y rendons en premier lieu; la maison 
où nous conduit Gheriff est voisine de la douane : le 
local nous suffira provisoirement lorsqu'un bon lait 
de chaux aura fait disparaître des murs la saleté 
qui les tapisse. Au fond de la plus grande pièce, 
une porte s'ouvre sur un escalier conduisant à la 
terrasse, d'où nous pourrions aisément correspondre 
avec r Adonis. 

Pendant notre examen, à toutes les fenêtres voi- 
sines se montrent des femmes arabes qui, bien cer- 
tainement, à i'étonnement qui se peint sur leurs 
traits, doivent voir des Européens pour la première 
fois. Nous étions loin de nous douter alors que ce 
voisinage servirait plus tard dé prétexte à Gheriff 
pour nous retirer sa parole et nous refuser de nous 
laisser prendre possession de la maison qu'il nous 
louait en ce moment. 

En quittant la maison de Gheriff , nous nous rea- 
dons à la douane, chez le prépo>f' <Iu sultan pour 
lequel nous avions une lettre. 

Nous traversons bien des pièce.: !>• ses et obscures, 


74 vovao£s au cap des aiiomates 

pour arriver aune galerie de vingt mètres environ, 
et d'une construction assez bizarre. Au milieu de 
cette immense pièce, en face de la porte même, se 
trouve une alcôve carrée munie d'une estrade et 
éclairée par trois fenêtres meurtrières donnant sur 
la mer. Les murs sont garnis d'armes et de plan- 
chettes portant les règlements. 

C'est dans cette alcôve qu'on nous fait asseoir. 
Nous sommes bientôt entourés par une foule de 
types étranges ; parmi eux surtout quelques Çomalis 
de l'intérieur avec leur coiffure triangulaire dans 
laquelle se trouve piquée une grande épingle en 
bois sculpté. 

Le destinataire de la lettre, Salem Gâsem, est 
absent. Son agent en prend connaissance a sa place 
et, attirant notre interprète à l'écart, lui affirme 
qu'il fera tout ce qui dépendra de lui pour nous être 
agréable et nous aider. 

Nous le remerciâmes de ses bonnes intentions et 
primes congé de lui pour aller à Shangani où nous 
avions à voir une autre personne. Nous nous y ren- 
dons par la plage. Nous laissons sur notre droite 
la maison du gouverneur ; sur notre gauche, nous 
longeons quelques tombeaux entourés de plantes 
grimpantes et d'arbustes assez fournis, et nous 
arrivons bientôt à la porte de Shangani où nous 
trouvons les autorités çomalis qui nous reçoivent 
fort amicalement. 


EXPEDITION DE « L ADOIilS » 75 

Ces notables indigènes nous accompagnent jusque 
chez te personnage que nous désirons voir. On nous 
introduit dans une salte basse que tes Çomalis ne 
tardent pas à envahir en si grand nombre que nous 
avons peine à respirer. Notre visite est bientôt ter- 
minée ; à notre sortie, tes rues sont teUement encom- 
brées que nous ne pouvons circuter. Cependant au- 
cune démonstration n'accueilte notre passage. 

Il parait toutefois que les revolvers que nous avions 
à la ceinture ont alarmé quelques habitants, car le 
gouverneur envoie un exprès nous dire que nous 
n'avions rien à redouter et nous prier de vouloir 
bien désormais descendre à terre sans armes pour 
ne plus éveiller de craintes chez les indigènes. 

Chemin faisant, je jette un coup d'œil autour de 
moi. Toutes les maisons sont attenantes les unes aux 
autres ; leur intérieur et leur distribution témoignent 
que la construction doit en remonter à une époque 
très reculée, quoique le badigeon à la chaux qui en 
recouvre la façade leur donne presque Tair d'être 
bâties seulement de la veille. Les portes et les fe* 
nôtres en sont grossièrement sculptées* 

Les deux maisons de Mogadoxo qui ont le plus 
d'apparence sont la douane et la maison du gouver- 
neur ; cette dernière est isolée sur un mamelon en- 
tre les deux villes. / 


76 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


C'est sur la plage, en face de la douane même, 
que se trouve le marché ; ce qui permet au préposé 
du sultan de Zanzibar d'en surveiller les opérations • 
quotidiennes. 

Nous regagnons notre embarcation, et ce n'est que 
gràceàrinlervenlion d*un Çomali dont je reparlerai 
plus loin, Hadji-Osman, que nous pouvons parve- 
nir à y prendre place, menacés que nous sommes à 
chaque instant de nous voir mouillés par la lame, 
comme le matin. 

Pendant ce temps, une vingtaine de femmes arabes 
défilent sous nos yeux dansant au son de la dar- 
bouka. Quelques heures après notre arrivée à bord, 
nous recevons un bouc, comme cadeau du gouver- 
neur. Nous envoyons nos remerciements à ce per- 
sonnage, et lui faisons annoncer qu'au soleil cou- 
chant nous irons le voir de nouveau pour nous 
entretenir avec lui. Les envoyés profitent de leur 
venue à bord pour visiter T Adonis depuis le pont 
jusqu'à la cale. 

Nous descendons à terre à quatre heures. Nous 
prenons toutes nos précautions pour ne point éprou- 
ver à notre débarquement les mêmes contrariétés 
que ce matin. Nous y réussissons en allant abor- 
der en face du puits. 

Nous nous rendons auprès du gouverneur ; nous 
n'avons pas d'armes. 


EXPÉDITION DE « L* ADONIS » 77 

Souleyman est assis à Tombre du palais en con- 
slruclion, entouré de tous ses conseillers et de ses 
soldats, «es derniers au nombre de cinquante environ. 

Nous prenons place à ses côtés et entrons de suite 
eh pourparlers avec Cheriff Hamed pour la location 
de sa maison. Le prix de huit piastres est accepté 
et parole échangée de part et d'autre. Pour bien 
montrer au gouverneur quelles étaient notre sincérité 
et notre bonne foi, nous nous excusons d'avoir oublié 
à bord le hachis destiné aux hommes qui nous ont 
aidés le matin à notre embarquement, les remerciant 
pubhquement du service qu'ils nous avaient rendu. 

Notre conversation se continue toujours à haute 
voix, sur nos projets d'avenir. 

Quel n'est pas notre étonnement de voir le gou- 
verneur, sur l'appui duquel nous avions tout lieu de 
compter, combattre ces projets. Le traité de Zanzi- 
bar traduit en arabe, que notre interprète lui met 
sous les yeux, lui rappelle quels sont nos droits, et 
il semble se décider de nouveau à nous soutenir ; il 
va même jusqu'à nous offrir des boutrespour débar- 
quer nos marchandises. Il nous demande ce que 
nous pouvons avoir comme pacotille, les prix aux- 
quels nous serons à même de livrer les divers objets 
de chargement. 

La conversation devient assez banale et se clô- 
ture par quelques cadeaux de notre part qui sem- 
blant, faire plaisir à Spuleyraan. Il eçt çurtQut trè^ 


78 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


content d'une montre à remontoir avec les heures 
marquées en arabe que nous lui offrons ; et nous 
prenons congé de lui. . 

24 février. — Dès le point du jour, nous sommes 
à terre avec nos hommes et le matériel nécessaire 
pour nettoyer et blanchir notre maison. Morellet, un 
peu souffrant, est resté à bord. Notre propriétaire 
vient à notre rencontre, mais, au lieu de nous con- 
duire* directement chez lui, il nous informe que le 
gouverneur désire nous parler. MM. Imbert et 
Eysséric s'y rendent tandis que je reste avec les 
hommes à Tombre d'un mur où nous sommes bien- 
tôt entourés. 

A quelques pas de nous se trouve un four à. chaux 
çomali, grand trou creusé en terre, couvert de 
bois, sur lequel sont amoncelés des blocs de co- 
rail blanc. Un esclave, peut-être bien un condamné» 
les pieds enchaînés, est chargé de l'entretien de ce 
four. 

La foule qui nous environne devient obséquieuse 
et importune, touchant tout notre petit matériel, 
l'étoffe de nos chemises, en un mot nous examinant 
des pieds à la tète et nous assaillant de questions 
auxquelles ni moi ni les hommes ne pouvons ré- 
pondre. A quelques coups de fusils partis derrière 
nous, nous nous faisons faire place pour nous rendre 


EXPÉDITION DE « L* ADONIS * 79 

compte de ce qui se passe. Nous voyons alors défiler 
sur la grève tous les soldats du gouverneur. Ils vont 
à la rencontre d'autres troupes qui arrivent. Une fois 
en présence, ils exécutent sur deux rangs une 
danse guerrière entremêlée des mêmes cris poussés 
lors de notre première réception chez Souleyman. 

Il y a près de deux heures que nos compagnons 
sont chez le gouverneur; non point inquiet, mais 
curieux de savoir quel peut être le sujet d'une 
aussi longue conférence, je me rends auprès d'eux ; 
je les trouve assis dans un coin ; à droite de Sou- 
leyman sont tous ses conseillers et les chefs çema- 
lis, sans armes, qui nous ont reçus à Changani, Mes 
compagnons sont à gauche. J'ai à peine le temps 
d'apprendre que Souleyman a retiré de suite l'au- 
torisation d'établissement à Mogadoxo, prétextant 
qu'il fallait un ordre spécial de Seyid Bargash, sul- 
tan de Zanzibar, exigence à laquelle notre chef a 
répondu par l'exhibition nouvelle du traité de 1844. 

Malgré la production de ce document, le gouver- 
neur persiste dans son refus. Il allègue, entre autres 
choses, que nous sommes chrétiens, que, dans la 
maison choisie par nous, nous serions vus parles 
femmes qui habitent les demeures nous avoisinant. 

Souleyman ajoute que nous pourrons débarquer 
nos marchandises à la douane, mais à la seule con- 


80 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

dilion de ne séjourner en rade qu'une dizaine de 
jours et de ne point coucher à terre. Nous essayons 
en vain de lui faire comprendre que le local qu'il 
nous assigne ne nous convient en rien ; il persiste 
dans ses volontés. 

La discussion est à peine terminée que nous en- 
tendons une fusillade assez nourrie et les hourras 
des troupes qui arrivent vers Tendroit où nous som- 
mes, 

Un sourire malicieux court surlesll :es de Sou- 
leyman qui donne en souhaëli quelquet. ordres aux- 
quels nous ne comprenons rien. Peu d'instants après, 
la cour est envahie par plus de cent cinquante sol- 
dats arabes qui viennent saluer le gouverneur, puis 
se réunissent en cercle, chantant des versets du 
Coran, accompagnant leurs cris de coups de fusil 
qu'ils nous tirent presque sous le nez. Cette fantasia 
se continue par le défilé sur un rang, de toute la 
horde. Les guerriers, en passant devant nous, impri- 
ment à leurs longs sabres un mouvement de vibra- 
tion, en nous les présentant à hauteur de la figure. 

Souleyman ne nous perd pas de vue et examine 
le jeu de nos physionomies, qui ne témoignent pas le 
moindre trouble, car nous croyons assister simple- 
ment à une présentation des troupes arrivées le 
ijiatin, 


EXPÉDITION DE < L* ADONIS t 81 

Nous devions apprendre plus tard quels étaient 
la signification et le but de cette démonstration. 

Nous parvenons cependant à prendre congé du 
gouverneur, et à nous dégager de la foule. 

Nous sommes suivis par Hadji Osman, ce Çomali 
qui a si obligeamment aidé à notre embarque- 
ment la veille au matin. Hadji prend notre inter- 
prète à part et lui fournit à voix basse l'explication 
de tous ces incidents fâcheux qui s'accumulent au- 
tour de nous. 

« La veille au soir, nous apprend-il, le conseil 
s'est réuni. Il règne dans tous les esprits la convic- 
tion que nous ne sommes point des commerçants, 
mais que F Adonis est un navire de guerre, et que 
nous faisons partie de la flotte égyptienne ; c'est pour 
ce motif que, revenant par degrés sur chacune de 
ses concessions, le gouverneur nous a retiré l'auto- 
risation de nous établir à terre. 

c Toutes les troupes que nous venons devoir, con- 
tinue Hadji, sont arrivées pendant la nuit dernière, 
mandées en hâte des villes voisines ; et la popula- 
tion entière a passé la nuit sous les armes. 

« Enfin, la démonstration à laquelle nous avons 
assisté n'a été faite que pour nous prouver qu'on 
était en garde. > 

Ces révélations nous contrarient vivement, mais 
nous ne tardons pas à en vérifier l'exactitude ; en 

5. 


82 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

• 

effet, à la douane où nous nous sommes rendus, le 
préposé nous refuse maintenant l'entrée du local et 
se contente de nous faire offrir pour notre installa- 
tion un gourbi en paille, exposé à la rage du soleil. 
Il nous est impossible de songer à occuper un seul 
moment, sans courir de sérieux dangers, cette 3orte 
de hangar. 

Nous nous consultons alors sur les résolutions 
qu'il nous reste à prendre ; et nous décidons qu'il 
vaut mieux en présence de la conduite du gouver- 
neur et d'une semblable réception, abandonner la 
place, quitte à adresser à qui de droit une plainte 
en bonne et due forme pour cette violation du traité 
de 1844 qui accorde aux Européens, moyennant re- 
devance de 5 0/0, liberté et autorisation de commer- 
cer dans toutes les propriétés et dépendances du 
sultan de Zanzibar. Nous dépêchons à Souleyman 
notre interprète Abdul pour lui traduire toute notre 
indignation et lui faire part de l'intention dans 
laquelle nous sommes, en quittant Mogadoxo, de 
nous plaindre à Zanzibar , de la manière dont on 
nous a reçus. 

Nous avions demandé l'embarcation du bord pour 
un peu plus tard ; aussi devons-nous écrire quelques 
mots pour que le capitaine nous l'envoie immédia- 
tement. Notre ex-propriétaire, Cheriff, qui ne nous 
a pas quittés, se charge de les faire parvenir de suite, 


EXPEDITION DE « L ADONIS » " 83 

mais, au lieu de les expédier à bord, il les envoie au 
gouverneur, qui est encore avec Abdul. 

Impatientés du retard que notre lettre met à parve- 
nir, MM. Eysséric et Imbert vont rejoindre Abdul 
pour avoir une dernière explication avec le gouver- 
neur. 

Je reste avec un vieillard à barbe blanche, 
qui parle le créole de l'île Maurice ; il a passé 
quelque temps dans ce pays et connaît bien les 
Européens. 

Il blâme sévèrement la conduite du conseil, ex- 
primant tous ses regrets pour la décision que nous 
prenons d'abandonner la ville. Il me remet en 
même temps quelques échantillons des marchandi- 
ses dont la place regorge. 

Cependant MM. Eysséric et Imbert, escortés par 
quelques naturels, trouvent Souleyman occupé à 
surveiller ses esclaves qui bâtissent son nouveau pa- 
lais. 

Le gouverneur a déjà refusé à Abdul de le re- 
cevoir ; à l'arrivée de mes compagnons, il s'éclipse 
et fait dire qu'il n'y est pas. Ces messieurs pénè- 
trent quand même dans la cour et expriment à 
Souleyman, avec une fermeté calme, tout ce qu'il 
assume de responsabilité sur sa tête, et lui assurent 
que nous sommes absolument résolus à revendiquer 
notre droit. 


84 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


Ce langage semble produire peu d'effet sur l'es- 
prit du gouverneur qui répond à tout par cette seule 
phrase : « Emchi, in cha Alla, Koul idjik tayyib. » 
(Allez-vous-en ! S'il plaît à Dieu, tout ira bien.) 

Il ne nous restait plus qu'à nous retirer : nous 
sommes accompagnés jusqu'au rivage, par une foule 
énorme qui assiste à notre départ et le salue de 
cris et de huées. 

Seuls, Hadji Osman et le vieillard dont j'ai parlé 
en dernier lieu, nous serrent sympathiquement la 
main. 

A peine l'embarcation a-t-elle poussé au large, 
que nous voyons ces deux braves indigènes entou- 
rés par toute cette populace qui les entraîne jus- 
qu'au palais, en criant et en gesticulant. 

Dés notre arrivée à bord, nous informons notre 
compagnon Morellet de ce qui vient de se passer. 
Nous prenons alors d'un commun accord la résolu- 
tion de quitter Mogadoxo pour aller à Brawa et de 
descendre après jusqu'à Zanzibar, afin d'y porter 
plainte à notre consul, relativement à la violation 
^ du traité de 1844 dont ses nationaux viennent d'être 
victimes. 


VI 


De Mogadoxo à Brawa. — Brawa. — Rencontre d*un Européen, 
M. Wolfarlh. — Nos précautions pour entrer en relations avec 
le gouverneur Ben Hamed. — Rapport de M. Eysséric. — 
Mauvaise foi de Ben Hamed. — Violation du traité de 1844. — 
Nous protestons. — Départ pour Zanzibar. — Nous portons 
plainte à notre consul. — Destitution des gouverneurs. — In- 
cident Kerpeli à Ouarcheik. — De Zanzibar à Kismayo. — 
Brawa. — Meurka. — Retour à Zanzibar. — Rentrée de f Adonis 
en France. 

Nous naviguons au large toute la nuit du 24 
au 25. Nous ne nous mettons en vue de terre que 
le lendemain matin. 

Au loin, nous apparaît Meurka ; quelques boutres 
se balancent en rade. Nous distinguons parfaite- 
ment la ville. 

U Adonis longe une côte sablonneuse, rougeàtre, 
ombragée de quelques arbrisseaux seulement, épars 
d'espace en espace. Nous apercevons des Çomalis 
courant sur la plage ; et quelques barques, qui nous 
croisent, descendent à la ville. 

Nous passons successivement devant tous les 
points parfaitement détaillés dans Touvrage du 


86 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

commandant Guillain. Ses indications précises nous 
permettent de reconnaître Djelleub, Danané, la 
mosquée Aoumeka et Djésireh. Mon crayon esquisse 
rapidement les vues d'ensemble de toute cette partie 
de la côte. 

Nous voici maintenant par le travers de Brawa : 
nous prenons mouillage en dehors des îlots Ba- 
rette, à un mille environ du rivage. 

Nos espingoles restent muettes de peur d'effrayer 
les habitants ; nous nous contentons de hisser nos 
pavillons. 

Quelques instants après arrive une embarcation : 
elle est montée par les envoyés du gouverneur , 
une seconde la suit de près ; à notre grand étonne- 
ment, elle porte un Européen ; c'est M. Wolfarth, 
que nous ne connaissions point encore, le courageux 
agent de la maison Hantzing, de Hambourg, dont 
j'ai parlé plus haut, au cours de certains éclaircis- 
sements qui m'ont forcé à anticiper sur le récit des 
événements de notre voyage. Aucun des dangers 
courus par lui, pas même l'horrible attentat dont il 
a été victime, n'ont pu décourager cet homme éner- 
gique et lui faire abandonner les comptoirs de sa 
maison. 

M. Wolfarth est accompagné d'un Arabe, agent 
de la Maison française de Zanzibar. 

Quelques minutes de conversation mirent bien- 


EXPEDITION DE « l' ADONIS » 87 

tôt notre visiteur au courant de tout ce qui nous 
était arrivé à Mogadoxo. Il en fut assez étonné, sur- 
tout en présence de la liberté dont lui, Européen 
comme nous, jouissait de parcourir sans difficulté 
toute la côte. 

Aussi faisons-nous appel à son bon vouloir et à 
son gracieux concours pour que nous n'ayons pas à 
subir ici les mêmes ennuis qu'à Mogadoxo. 

Pendant que nous causons, les envoyés du gou- 
verneur visitent F Adonis en tous sens ; les pan- 
neaux des cales mis à découvert laissent voir notre 
cargaison ; les indigènes l'examinent curieusement, 
puis parcourent successivement nos cabines, et enfin 
inspectent jusqu'à la machine. En un mot, c'est 
une véritable et minutieuse perquisition. 

Nous offrons à ces envoyés enquêteurs des ra- 
fraîchissements et faisons distribuer quelques bis- 
cifîts aux esclaves. L'embarcation ne tarde pas à 
s'éloigner, emportant nos indigènes qui vont rendre 
compte de leur mission au gouverneur. Nous les 
voyons s'entretenir avec une certaine vivacité eu 
s'éloignant de nous. 

Après le déjeuner, M. Wolfarth nous propose de 
descendre à terre avec l'un de nous, pour aller voir 
le gouverneur; Eysséric est désigné pour remplir 
cette mission, et il emmène avec lui l'interprète. 


88 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

Le rapport dressé par notre compagnon de voyage 
et rerais au consul de France après les désagré- 
ments que nous eûmes encore à subir à Brawa, 
rend compte très exactement de la visite que fit 
Eysséric au gouverneur, des pourparlers qu'il eut 
avec lui et des péripéties de notre courte station sur 
ce point. Aussi laisserai-je la parole à mon compa- 
gnon de voyage pour ce qui concerne toute cette 
partie de mon récit : 

« Je présentai au gouverneur, dit Eysséric, les 
compliments d'usage au nom de tout le personnel 
d'expédition de P Adonis, et après l'avoir informé 
de tout ce qui venait de nous arriver à Mogadoxo, 
je lui fis comprendre que c'était là ce qui nous avait 
empêchés de le saluer de nos pièces, que cependant, 
s'il le désirait, nous agirions envers lui comme 
enve^rs Souleyman. 

€ Il me répondit qu'il serait très flatté que ces 
honneurs soient rendus à la ville de Brawa, et, 
séance tenante, je dépêchai à bord un exprès porteur 
d'une lettre. Quelques minutes après, l'amour- 
propre du gouverneur était satisfait. Je laissai l'in- 
terprète Abdul muni de mes instructions chez Ben 
Hamed pour m'entretenir avec M. Wolfarth^ et 
avoir de lui les renseignements qui m'étaient néces- 
saires. Nous allâmes ensemble rendre visite à l'a- 
gent arabe de la Maison française. 


EXPÉDITION DE « l/ ADONIS » KU 

« Au sortir de cette visite, quel ne fut pas mon 
élonnement de voir venir à ma rencontre Abdul, 
tout désappointé, lequel m'informa que le gouver- 
neur s'opposait à notre installation à terre, et qu'il 
ne voulait pas même entendre parler de trafic sur 
la plage. 

€ Mes compagnons ne purent s'empêcher de se 
recrier devant un fait semblable, et me proposèrent 
de m'accorrîpagner chez Ben Hamed. 

« Il dormait, et avait condamné sa porte jusqu'à 
la tombée de la nuit ; nous forçâmes la consigne. 

« Quels que fussent les arguments que nous em- 
ployâmes, Ben Hamed persista dans son refus, al- 
léguant que nous étions navire de guerre, que nous 
tenions cachés deux cents Turcs dans nos cales et 
que nos sabords étaient armés do quinze canons. 
Le gouverneur ajoutait que nous n'avions d'autre 
intention que de nous rendre maîtres de la place. 

« Enfin nous parvînmes cependant à le con- 
vaincre à force de pourparlers qu'il était complète- 
ment dans l'erreur ; et nous lui arrachâmes plutôt 
qu'il ne nous accorda les autorisations qui nous 
étaient nécessaires. 

« Aussitôt sorti de chez lui, je m'occupai avec 
AjDdul de trouver une maison propre à notre in- 
stallation. ^ 

« Je passai la nuit du 25 au 26 en compagnie de 
M. Wplfarlh, 


90 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

^Wl' 'I lll.l , Il !.■! 

« Le 26, dès le matin, je me rendis chez Ben 
Hamed ; il adhéra à nos projets et me fit seulement 
observer que nous aurions 5 0/0 à payer comme 
aschour (1) ; ce que je n'ignorais point, connaissant 
cet article 'fondamental du traité de Zanzibar. 
Après nous être concertés, nous primes nos dispo- 
sitions pour débarquer le lendemain 27, dans la 
matinée, avec quelques marchandises, 

« En effet le lendemain matin nous descendîmes 
à terre. 

« Le capitaine nous accompagna. Quelle ne fut 
pas notre surprise en arrivant au rivage, de voir 
venir à nous M. Wolfarth qui nous apprit que depuis 
la veille Ben Hamed avait fait mettre des soldats 
sur la plage pour nous empêcher de débarquer : 
qu'au lieu de deux cents Turcs, nous en avions cinq 
cents dans les flancs de notre navire et que les hu- 
blots de nos cabines n'étaient autres que des 
sabords. 

« Nous nous rendons aussitôt chez le gouverneur; 
il mantient obstinément ces assertions ; bien plus, 
Hamis Ben Kalfan, capitaine zanzibarien, prétend 
reconnaître en moi un capitaine turc. Le gouver- 
neur ajoute qu'un boutre, arrivé de Meurka, lui 
confirme ses tppréhensions, qu'il nous défend en 

(1) Droit que Ton paye sur les marchandises d'importation ou 
d'exportation, 


EXPÉDITION DE « l' ADONIS » 91 

conséquence de nous installer à terre sans « ordre 
spécial » du sultan de Zanzibar. Malgré mon insis- 
tance pour détruire dans son esprit toutes ces idées 
ridicules, Ben Hamed reste inébranlable. 

« J'exigeai alors de sa part déclaration écrite de 
sa conduite au mépris du traité de 1844, qui nous 
donne liberté de commercer sur la côte Bénadir en 
désignant spécialement les ports de Brawa et 
Mogadoxo, 

« Ben Hamed se refusa d'abord à satisfaire à cette 
légitime exigence, et cène fut qu'en présence de T in- 
sistance de M. Wolfarth, qui s'engageait pour sa 
part à constater les faits dont nous étions victimes, 
que le gouverneur se décida à nous délivrer lui- 
même la pièce demandée. 

« Je pris congé de M. Wolfarth en lui promettant 
de ne 'point quitter Brawa, le lendemain, sans 
avoir pris ses lettres et en remerciant l'agent arabe 
de la Maison française de Zanzibar, d'avoir bien 
voulu nous assister jusqu'au bout. 

« Je rapportai toutes ces nouvelles à mes com- 
pagnons de r Adonis. 

« Nous attendions le lendemain M. Wolfarth à dé- 
jeuner ; aucune embarcation ne venant, nous déci- 
dâmes d'aller voir si, par hasard, il ne lui serait 
rien arrivé de fâcheux. 

« A peine avions-nous mis pied à terre que quel- 


92 . VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

ques soldats accoururent pour s'opposer à notre dé- 
barquement par ordre du gouverneur. Notre inter- 
prète Abdul viola courageusement cette consigne. 
En route, il rencontra M. Wolfarth que suivaient 
peut-être deux cents personnes. 

c Ce dernier nous informa que, par ordre de Ben 
Hamed, aucune embarcation n'avait voulu le con- 
duire, ni même porter son courrier: que Ben Hamed 
lui avait cyniquement dit qu'il pouvait venir à la 
nage s'il voulait. 

« Nous offrîmes à M. Wolfarth de l'emmener 
avec nous, s'il avait quelque crainte pour sa sécurité 
personnelle, en reconnaissance de tout l'intérêt 
qu'il avait porté à notre cause. 

« Il refusa courageusement. » 

Ici s'arrête le procès-verbal dressé par Eysséric. 

Quelques heures après que nous eûmes pris congé 
de M. Wolfarth, c'est-à-dire le 28 février, vers le' 
soir, r Adonis s'éloignait de Brawa, non sans que 
son personnel n'éprouvât de sérieuses inquiétudes 
sur le compte de l'agent européen qu'il laissait ainsi 
à la merci d'une population surexcitée. 

Nous allions à Zanzibar informer le consul de 
France de ces procédés des gouverneurs du sultan, 
et en demander réparation pour sauvegarder tant 
les intérêts de la maison que nous représentions 
que ceux de^ Européens appelés plus tard 4 succé- 


EXPÉDITION DE « L*ADONIS » 93 

der à notre expédition dans ces diverses places; 
n'avions-nous pas, du reste, le devoir de protester 
alors que les deux villes mêmes dont on nous chas- 
sait, sont spécialement indiquées comme ouvertes 
au libre échange^ dans le traité de 18.44 ? 

Durant notre traversée deBrawa, F Adonis ayant 
pris la haute mer, nous perdons vue de terre; je ne 
parlerai donc pas de la côte sur ce point, pas plus 
que des différentes îles que nous avons pu rencon- 
trer; ces parages sont d'ailleurs bien connus et ont 
été maintes fois décrits dans leurs ouvrages par les 
voyageurs qui nous y ont précédés. 

Quelques jours après notre arrivée, les gouver- 
neurs de Brawa et de Magadoxo, descendus à Zanzi- 
bar, selon leur habitude annuelle,pour rendre compte . 
de la gestion de leurs affaires, étaient mis aux fers 
pendant une semaine. 

Je retrouvai après son élargissement Souîeyman 
ben Raschid sur le grand marché de la ville. Son 
attitude était bien différente do celle qu'il avait à 
Mogadoxo, et il était facile de reconnaître qu'il re- 
grettait amèrement sa conduite à notre égard. La 
disgrâce de Souleyman suivit de peu sa condamna- 
tion. 

Pendant notre séjour à Zanzibar, nous fîmes la 
connaissance d'un nommé Albert Kerpell, sujet 


94 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

européen, auquel il était arrivé sur un point de la 
côte Bénadir, non pa^ les mêmes désagréments que 
ceux dont avait eu à souffrir le personnel de Y Ado- 
nis, mais des contrariétés qui dénotent également 
combien Tautorité du sultan de Zanzibar est peu sou- 
tenue, combien faible est aussi le protectorat de ce 
souverain, protectorat suffisamment organisé pour 
la seule perception des impôts, mais absolument im- 
puissant à assurer en échange pleine liberté et sécu- 
rité aux négociants étrangers. 

Au cours de 1877, Kerpell était parti d*Aden 
quelques jours après le naufrage du Meï-Kong, 
pour aller trafiquer sur les épaves de ce navire. 

Après une courte station au cap Gardafui, il eut 
l'idée de descendre la côte pour aller à Zanzibar, 
favorisé par la mousson de Nord-Est, en faisant 
relâche aux différents ports dans lesquels il pouvait 
espérer faire quelques transactions commerciales. 
• Le premier point où il toucha après M*routi fut 
Ouarcheik* 

Ouarcheik, je Tai dit plus haut^ n*a pas de gar- 
nison zanzibarienne. — La dépendance du sultan 
est indiquée seulement par un mât de pavillon, au 
bout duquel flotte une flamme rouge. — Les frais 
de douane sont perçus par un agent appuyé de quel- 
ques serviteurs. 


EXPEDITION DE « L* ADONIS » 95 


Kerpell avait des orseilles (1) à embarquer, — il 
avait acquitté son aschour à la douane arabe, lors- 
qu'un Çomali exigea qu'il payât aussi la même 
somme à la douane çomali, disant que la première 
redevance payée avait été perçue sans droit aucun ; 
— que c'était à lui qu'elle aurait dû être versée. 

Kerpell s'y refusa formellement, bien résolu de ne 
pas céder à cette exigence illégitime, malgré les 
menaces qu'on lui fit. Sa résistance fut inutile. 11 
vint même un moment où l'on s'opposa â le laisser 
passer pour regagner son boutre. 

A bout d'arguments, Kerpell s'exécuta par force, 
mais, à ce moment-là, dit-il, ce ne fut plus un aschour 
. qu'on voulut de lui, ce fut une rançon de 100 pias- 
tres, en même temps qu'on confisquait ses balles 
d'orseilles. 

Il échappa ainsi à la foule devenue furieuse et 
menaçante. Mais, une fois à bord, il chargea deux 
petites espingoles, donna à chacun de ses hommes 
les armes dont il disposait et fit prévenir qu'il allait 
opérer une descente, si, dans une heure^ ses mar- 
chandises et l'argent qu'il venait de verser ne lui 
étaient point rendus. En même temps, une décharge 
à blanc confirmait ses intentions. 

Le résultat de la frayeur qui s'empara des Çoma- 
lis fut dd faire rentrer à bord non seulement les or- 

(1) Plante tinctoriale tjui arrive en abondance à la côle orientale 
d'Afrique. 


96 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

seilles et l'argent, mais encore deux moutons que 
leur chef envoya comme excuses et comme cadeau. 

Kerpell répondit à cet amendement en envoyant 
à son tour deux sacs de riz. 

Les faits qui nous sont arrivés, ce récit que je 
donne cependant sous toute réserve^ Tétat de guerre 
perpétuel des peuplades de ces côtes, expliquent 
comment leurs richesses comnierciales n'ont point 
été encore sérieusement exploitées directement par 
les Européens. N'y a-t-il aucun remède à cet état 
de choses? — Ne pourrait-on soutenir et aider, 
d'accord avec Sa Hautesse Seyid Bargash, le pro- 
tectorat de ce souverain? Car, quels que soient ses dé- 
sirs, qu'il a exprimés et prouvés en maintes occa- 
sions, par ses relations diplomatiques, d'assurer aux 
Européens la sécurité et le meilleur accueil dans 
ses États, il ne possède pas les forces suffisantes 
pour en imposer %n dehors de son île, où, en re- 
vanche, on jouit à tous égards de la plus grande 
liberté; malheureusement pour lui, comme chef de 
tout gouvernement reconnu par le monde civilisé, il 
est solidaire et responsable des actes de ses agents. 

Dans les derniers jours de mars, nous quittons 
Zanzibar, laissant notre cause entre les mains de 
notre consul; et cette fois, munis de lettres du sul- 
tan, nous retournons à la côte Bénadir. 

Nous gagnons Kismayo , près Tembouchure du 


EXPÉDITION DE « l' ADONIS » 97 

Djoub, ce fleuve où deux expéditions successives 
ont éohoué et où tant de courageux explorateurs 
ont trouvé la mort (1). 

Une carte manuscrite, gracieusement communi- 
quée par le commandant Sulivan du LondoUy nous 
trace notre première entrée dans la Baie du Refuge 
par. la passe du « Faon ». Deux soldats arabes 
accostent V Adonis avec leur pirogue, et nous de- 
mandent si nous avons autorisation de débarquer. 
Sur notre réponse affirmative, ils repartent porter 
la nouvelle à Hamed ebnou Hamid, gouverneur 
de la ville, qui nous reçoit de la façon la plus affable. 
Il nous abouche avec tous les négociants du pays, 
et pendant que mes compagnons causent avec lui, 
je parcours le village. Je ne compte que quelques 
huttes et deux maisons en pierres ; ces dernières 
appartiennent au gouverneur. 

Depuis quinze jours seulement, le pays est pa- 
cifié. Le meurtre d'un Arabe commis par un Çomali, 
avait allumé une de ces guerres fréquentes entre 
la garnison et les naturels, qui désolent toutes les 
villes de la côte. 


Le palais et le quartier des Arabes et Banians 

(1) Daron Vonder Deckcns, 1859-1805. — Expédition Bazin (V Ex- 
plorateur), 1870. 

6 


08 VOYAâES AU GAt> DE6 AHOMATES 

acheteurs sont en état de défense, circonscrits d*une 
palissade formée de pieux assez hauts ; deux portes 
y donnent accès, une vers le nord, l'autre vers 
Touest ; chacune d'elles est munie d'une petite pièce 
d'artillerie, au milieu jie la cour même sont quel- 
ques vieux canons sur leurs affûts. Les Çomalis 
n'ont point accès dans cette cour d'où on les chasse 
dès qu'ils y pénètrent. 

Nous n'avons pas vu le palais intérieurement ; 
extérieurement, il n'a rien de remarquable ; une 
très grande galerie couverte en décore l'entrée. 
C'est là que nous sommes reçus. 

Je n'ai pas à dire les ressources qu'offre cette 
contrée ; le jour où l'on aura établi à Kismayo une 
factorerie importante, ce qu'il y débouchera de ri- 
chesses est incommensurable. Les Arabes et les 
Banians le savent bien ! Un Çomali s'engageait, au 
cas où nous demeurerions sur ce point, à nous 
livrer 4,000 bœufs par mois, dans des conditions de 
bon marché incroyables. 

Malgré toute la meilleure volonté du monde, les 
gens du pays ne peuvent nous vendre actuellement 
des marchandises ; toutes sont accaparées. Nous 
restons 48 heures à Kismayo, et nous nous diri- 
geons sur Brawa. Nous y arrivons le 4 avrii. Nous 
interrogeons avec anxiété la plage pour voir si nous 


r 


EXPÉDITIOlf DE « l'adonis » 99 

■ I I— .^iWM^W— — — — — — I I I — — — ■ I I — .^M» — — ^i^——^^ 

ne découvrons pas M. Wolfarth; quelques instants 
après, il était au milieu de nous. 

On sait déjà à Brawa ce qu'il est advenu au gou- 
verneur, lors de son voyage à Zanzibar. Quant à 
M. Wolfarth, il n*a point été inquiété après notre 
départ; seul, un soldat ivre l'a menacé. La frégate 
anglaise le Sparten est, du reste, venue le voir et 
lui porter des lettres quelques jours après que nous 
Tavons quitté. 

Nous descendons à terre pour aller rendre visite 
au gouverneur. Nous apprenons alors qu Hamed 
n'est point revenu dans le pays et que c'est un capi- 
taine de la garnison zanzibarienne qui remplit ses 
fonctions. 

Le préposé de la douane Ta informé de notre 
arrivée, et l'on nous reçoit dans la même salle où 
s'est décidé notre départ. 

Après avoir pris connaissance des lettres dont 
nous sommes munis, le gouverneur nous promet 
aide et protection et fait prévenir les négociants de 
notre désir d'acheter les marchandises qui peuvent 
rester sur la place; moyennant 10 piastres, pour tout 
le temps de notre séjour, une embarcation et six 
hommes seront à nos ordres. 

Nous nous séparons pour nous rendre à la rési- 
dence de M. Wolfarth. Une foule énorme nous suit, 
tout avide de voir de près ces fameux soldats turcs 
qui ont mis toute leur ville en révolution. 

172641 A 


100 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Vers le soir, nous parcourons les rues, escortés 
de quelques hommes de garde que le gouverneur a 
mis à noire service. 

Excepté du côté de la mer, Brawâ est entouré 
de murs; les quatre coins de la ville sont fermés 
p:r des forts; quelques maisons arabes, deux mos- 
quées, des huttes çomaHs, carrées ou en forme de 
ruche, aucun monument saillant; en dehors du mur 
d'enceinte, sur un mamelon, le cimetière. 

Le marché se tient sur une petite place au milieu 
(le la ville. Le bétail y est très nombreux, mais le 
Bédouin qui Tamène est obligé de porter sa provi- 
sion d'herbe. 

Je remarquai, vers le sud delà ville, de grandes 
places vides entre les huttes existantes. C'étaient 
les traces laissées par l'incendie allumé par ordre 
du gouverneur lors de la dernière révolte. 

Le choix d'une maison fait, et nos dispositions 
prises, nous partirons pour Meurka où M. Wolfarth 
a besoin d'aller régler ses affaires en présence d'une 
guerre imminente avec Hamed Yousouf qui pour- 
suit ses hostilités contre les Çomalis de la côte. 

Le 7 avril, nous sommes au mouillage, en face 
de Meurka. En arrivant à terre, une forte lame 
chavire notre embarcation. Nous nous rendons tout 
trempés auprès du gouverneur. Nous ne lui faisons 


/ 


EXPÉDITION DE C l' ADONIS > 101 

qu'une courte visite, ayant hâte de rejoindre la 
maison de M. Wolfarth pour nous y sécher et nous 
remettre de cette désagréable submersion. De la 
terrasse de cette maison, on découvre la ville tout 
entière. Meurka nous offre le même tableau que 
tous les ports Bénadirs que nous avons précédem- 
ment visités. 

Le marché se tient en dehors des murs, tout près 
d'une mosquée et d*un puits assez profond ; c'est 
là que les Çomalis de l'intérieur apportent leurs 
marchandises. Un hangar sert de bureau aux pré- 
posés de la douane. 

Trois portes donnent accès à la ville de ce côté. 

Devant la maison du gouverneur, qui domine la 
ville, sur une petite place, est installée une espèce 
de bazar où Banians et Arabes débitent leurs mar- 
chandises d'importation ; c'est aussi le marché aux 
grains. Quelques pièces d'artillerie, dont deux énor- 
mes, en défendent les abords. 

Les rues sont sales et étroites, les maisons en 
ruines, et généralement peu habitées. 

Les Çomalis de l'intérieur n'ont pas le droit d'y 
séjourner; leurs faits et gestes sont attentivement 
surveillés, car on est toujours sur le qùi-vive. 

La nuit, ils se retirent dans les villages des envi- 
rons ; le plus près sur la montagne , visible de 
Meurka, est Ayouyou. 

Vers le nord, au bout du quartier çomali, se trouve 

6. 



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^ ""iiMiUiin'-lirli.villcmld riiiU'Tiiiiir.fiiiroiil Irurs 
"i'I'iiiH, nioii In (fr-uH rfimiiicr-i'f» du Djoub Born 

I-d» nfrniivi» do M. Wolfnrlh lorminées, nous 
"'Vfinoiis à Urawa. 

MalKH) loiitfis mu (lémarclics, Eysséric que nous 
y levions laissé n'a pu trouver de marchandises; il 
l»i est répondu de toute part comme à Kisraayo 
M'io la saison est passée et que les gros stocks, ame- 
nés il y a un mois, sont écoulés. 

Nous sommes forrés de redescendre sur Zanzibar 
où, après nous être concertés, nous débarquons notre 
cargaison, laissant Eysséric comme représentant de 
notre maison et prêt à rétablir en temps voulu, sur 
les points que nous venions de parcourir, les rela- 
tions que nous avons eu tant de peine à créer. 


Le 18 mai, l' Adonis quitte Zanzibar, rentrant en 

Franco. 

Cette expédition constituait pour moi une école 
de voyage qui devait ra'être particulièrement utile 
peu de temps après. 


102 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

le cimetière, il est clos d'une haie et ombragé de 
grands palmiers. 

Tout à côté Técole où les enfants vont apprendre 
le Coran; le maître ingénieux a su profiter d'un 
grand arbre et de ses lianes pour y installer sa 
classe d'un aspect tout pittoresque. Comme à Mo- 
gadoxo, une tour en ruines et un peu penchée rap- 
pelle l'occupation portugaise du xvi* siècle. 

Nous retrouvons à Meurka les moulins à huile 
de sésame, les trieuses de coton, les tisserands, les 
gainiers et fourbisseurs, les forgerons, dont parle 
dans son ouvrage le commandant Guillain. Nos 
observations personnelles, tant sur la manière dont 
les indigènes savent tirer parti des matières pre- 
mières que sur l'abondance de ces produits dans 
leur marché, nous amènent aux mêmes conclusions 
que les voyageurs qui nous ont précédés, à savoir 
que le temps approche où la civilisation pénétrera 
complètement chez ces peuples et où les ports de 
la côte Bénadir seront des points aussi importants 
que ceux de la côte occidentale ; il suffit pour cela 
que les hardis explorateurs qui pénètrent dans les 
régions intérieures mettent un jour ces ports en 
communication plus directe avec les richesses im- 
menses qu'elle renferme. 

Pour le moment, il y vient déjà des ivoires, des 
peaux, de l'orseille, des sésames, de la myrrhe, etc. 
Malheureusement l'Arabe qui y domine y est exécré ;' 


EXPEDITION DE « L ADONIS » 103 

on ne le tolère que parce que sa présence tient en 
respect le sultan Hamed dont les attaques sont 
continuelles. Cet état de choses cessera du jour où 
Ganané et Guélidi, villes de rintérieur,auront leurs 
comptoirs, et où le gros commerce du Djoub sera 
Utilisé. 

Les affaires de M. Wolfarth terminées, nous 
revenons à Brawa. 

Malgré toutes ses démarches, Eysséric que nous 
y avions laissé n'a pu trouver de marchandises; il 
lui est répondu de toute part comme à Kismayo 
que la saison est passée et que les gros stocks, ame- 
nés il y a un mois, sont écoulés. 

Nous sommes forcés de redescendre sur Zanzibar 
où, après nous être concertés, nous débarquons noire 
cargaison, laissant Eysséric comme représentant de 
notre maison et prêt à rétablir en temps voulu, sur 
les points que nous venions de parcourir, les rela- 
tions que nous avons eu tant de peine à créer. 

Le 18 mai, F Adonis quitte Zanzibar, rentrant en 
France. 

Cette expédition constituait pour moi une école 
de voyage qui devait m'être particulièrement utile 
peu de temps après. 


\ 

\ 


I 

■ 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 


I 


Mon second voyage. — Départ de Marseille. — Aden. — Mes 
préparatifs. — Bagaro. — Départ pour Merâya. — Une insola* 
tlon. — Lasgorée. — Entre Çomalis. -— Nouvelles des Med- 

4 jourtines. — Dourdouri. — Bender Gâsem. — Ma réception 

chez le gouverneur provisoire. — La fiancée du sultan. — 

j Fêtes du Rhamadan. — Vers Merâya. — Enfin j'arrive ! 


Peu de temps après mon retour en France^ avec 
r Adonis^ une nouvelle occasion s'offrit à moi d'ex- 
plorer ce pays Medjourtine que nous avions à peine 
entrevu. Je me hâtai d'en profiter, bien que les con- 
ditions de ce second voyage aient pu sembler au 
premier aspect bien moins agréables. Je devais en 
effet me rendre seul dans cette contrée. 

Mais une semblable perspective ne m'arrêta 
point : même, en y réfléchissant, j'aperçus un avan- 
tage à ne plus apparaître aux Çomalis, entouré 
d'un appareil d'expédition qui provoque toujours, 
pbe25 le$ naturels, tant de méfiance çt ne manque 


106 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

pas d'éveiller dans leur esprit les soupçons tenaces 
auxquels se heurtent les efforts de tous les voya- 
geurs. 

En débarquant seul à leur rivage, sans être 
même escorté d'un serviteur de ma race, en vivant 
au milieu d'eux et de leur vie, je parviendrais peut- 
être à me gagner leur confiance et à mieux con- 
naître cette contrée qui m'avait laissé de grands 
souvenirs. 

Mon attente ne devait point être tout à fait déçue, 
et, si mon projet de pénétrer très avant dans le pays 
Medjourtine allait échouer devant la guerre qui le 
désolait et devant les préjugés et les craintes de 
cette race superstitieuse, il m'était du moins ré- 
servé de rapporter sur toute la côte du golfe d'Aden, 
minutieusement explorée, parterre comme par mer, 
et même quelque peu dans l'intérieur, des observa- 
tions et des renseignements encore ignorés . 

Le 25 août 1878, je quitte Marseille à bord du 
Yang-Sé. Après 12 jours d'une traversée favori- 
sée par un temps superbe, je suis rendu à Aden. 

J'éprouve là presque autant de peine en me sépa- 
rant de mes compagnons de route, passagers pour 
d'autres destinations, qu'en voyant disparaître, à 
mon départ, les côtes de France. 

J'emploie tout mon temps jusqu'au 19 septembre 
à mes préparatifs. Le sort me favorise dans la re- 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINB 107 


cherche d*un interprète. Je rencontre dans Bagaro 
Addi un garçon résolu et énergique ; il met bien 
un peu ma bourse à contribution, mais, comnje on 
le Verra par la suite, je n'eus qu'à me louer de ses 
services et de son précieux dévouement. 

Il n'y a comme moyen de passage de la côte 
d'Ade^i à la côte çomali que des boutres (1) qui tra- 
fiquent entre les différents ports de ces deux côtes. 
C'est avec le capitaine de Tune de ces embarcations, 
nommé Yousouf, que je traite. Les ennuis de toutes 
sortes qu'il me procure par ses objections quoti- 
diennes m'inspirent quelques préventions contre lui. 

Avant mon départ d'Aden, je rends visite à Assan 
Ali, le négociant arabe dont j'ai parlé au cours du 
récit du voyage de F Adonis. Cet excellent homme 
m'accueille toujours avec la même bonté, il me re- 

(1) Un boutre est une grande embarcation non pontée. Les mieux 
équipés ont une modeste chambre d'arrière qui forme une petite 
dunette où se réunissent équipage et passagers. Le boutre est 
muni d'une seule voile, dans le genre des bateaux de pêche que 
nous appelons, dans le Midi, bateaux-bœufs. Son allure est assez 
rapide avec vent arrière ou de travers, mais il lui est impossible 
de lutter avec vent de bout. 

Ce genre d'embarcation ne résiste pas à la grosse mer, il a cet 
avantage qu'il cale fort peu d'eau et qu'on longe constamment la 
terre dès qu'on a pu l'atteindre, profitant ainsi de la moindre 
crique pour s'abriter en cas de mauvais temps. 

Quelques-uns portent une boussole dàtis un petit habitacle tout 
près du gouvernail ; je fus assez étonné de voir mon capitaine s'o- 
rienter avec cet instrument. En général, c'est sur les étoiles que 
le capitaine du boutre se guide et sur la silhouette de la côte qu'il 
connaît depuis sa plus tendre enfance. 


108 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

met des ouarga ou lettres d'introduction qui me 
seront précieuses au cours de ma nouvelle expédi- 
tion. Âssan Âli s'informe du nom de mon capitaine 
et de sa résidence ; il le fait mander chez lui et le 
menace de toute sa colère au cas où il m'arriverait 
quelque fâcheux accident. 

Sur ma demande, M. Delageniéres, agent consu- 
laire de France, a Tamabilité de me munir d'une 
lettre de crédit pour le cas où quelque navire vien- 
drait visiter les ports de la côte, de manière à ce 
que je puisse faire valoir mes titres à un bon accueil, 
et afin d'écarter de ma personnalité les soupçons 
qui planent malheureusement parfois avec trop de 
raison sur TEuropéen qui s'expatrie. 

Mes adieux faits à la colonie française, je prends 
la mer le 19 septembre 1878 à huit heures du matin. 

Assis àTarriére de monboutre, je n'ai pas encore 
perdu de vue les hauteurs de Cham-ChamXl)que je 
tombe sans connaissance, frappé par une insolation. 

Je reviens à moi au milieu de tout mon équipage 
qui me prodigue ses soins. — Je me rends peu 
compte de mon étal ; je suis couvert de sang; une 
hémorragie violente m'a sauvé. 

J'appelle mon domestique Bagaro. Le mal de mer 
le retient au fond de l'embarcation. 

Le capitaine Yousouf gesticule pour me faire 

(1) Sémaphore d'Aden. 


TROIS MOIS EN MËDJOURTINE 109 

comprendre qu'il veut retourner ; je lui intime Tordre 
de continuer sa route en quelques mots d'arabe. 
J'ai une mission à remplir et Tamour-propre doit 
me donner les forces de surmonter celte première 
épreuve. 

Vers le soir, ma faiblesse s'accroît. Je reste près 
de 48 heures dans un état de souffrance indescrip- 
tible. Bagaro, qui a repris le dessus, ne quitte pas 
le chevet de ma couchette. 

Toutes les préventions que j 'avais au départ sur 
mon équipage disparurent, je dois le dire, en pré- 
sence de la conduite de Yousouf et de ses hommes 
pendant ma maladie. Dès que je fus rétabli, je fis 
ouvrir ma malle et donnai au capitaine et au se- 
cond un Coran et un chapelet (teusba), comme 
récompense. 

Nous sommes en face de Lasgoré, dans le pays 
des Warsanguélis (1) ; j'autorise Yousouf à des- 
cendre deux heures à terre avec les Comalis des 
boutres mouillés à nos côtés qui, dès notre arrivée, 
sont venus à la nage à bord de notre embarcation. 
Je reste seul avec quatre hommes. 

La mer très houleuse nous secoue fortement. Je 
suis des yeux la pirogue qui gagne terre; à 

(1) La tribu des Warsanguélis est, à l'est, la tribu voisine des 
Medjourtines ; elle en est séparée par la lagune de BenderZiyrida 
et par le lit du torrent qui y déverse ses eaux. 


IIP VQX^aiâS ^U QAf. DSS 4RQMATES 

quelques mètres (de la plage, les lames sont si 
fqrtes que tqut le monde saute à Teau st passe ce 
mauv^i^ pa§ à la nage. 

Mon bputre est mouillé trop au large pour étudier 
la ville en détails. 

J'en distingue cependant les deux parties et les 
forts pn pisé qui défendent chacune d'elles. Dans 
le fond» de grandes montagnes noires cachent leur 
sommet dans une brume épaisse. 
. Yovisouf est exact ; les deux heures écoulées, je 
le vois revenir escorté de nouveaux compagnons ; il 
donne Tordre du départ, mais il me demande, pour 
me conformer aux us et coutumes, de verser aupa- 
ravant un hachis de 3 piastres comme droit de mouil- 
lage ; je m'exécute. 

A peine les a-t-il remis que les Çomalis, présents 
à bord, se précipitent vers tous les coins du boutre, 
prenant, qui du ri?, qui du moutama, qui le pagne 
d'u^:^ matelot. Yousouf et son second Sala ne savent 
où donner delà tête. Un des hommes de l'équipage 
brandii une massue, faisant mine d'assommer le 
pfemipr qui pénétrera dans la chambre de Tarrière 
pour toucher aux malles ; quant à moi, quoique pou- 
vant 4 peine résister au roulis, je suis prêt à me 
servir de mon revolver. Bagaro m'en empêche, il 
se met à mes côtés, me disant d'être sans crainte et 
m'expliquant que le fait se produit parce que You- 
souf est du pays pt qup s§s ppmpatriotes veulent 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE ili 

participer à la bonne aubaine qu'il a de me con- 
duire, mais que rien ne sera touché de mes effets. 
Devant Tattitude menaçante de chacun de nous, 
les Warsanguélis plongent avec leur butin et 
s^éloignent. 

Pour comble de malheur, notre ancre s'engage ; 
tous les e^orts des douze hommes de l'équipage 
ne peuvent la déraper. 

Nous sommes forcés de demander aide aux bou- 
tces voisins; c'est ramener le loup dans la bergerie, 
car, en récompense du service rendu, les nouveaux 
venus recommencent de plus belle et sautent à la 
mer dès qu'ils ont fait main basse sur quelque 
objet. Après Ipur départ, Bagaro constate la dispa- 
rition de mon burnous et de quelques autres petits 
objets restés à portée des pillards. 

En route, les jérémiades commencent ; à chacun 
de mes pauvres diables, il manque quelque chose, 
je remplace le plus urgent avec quelques mètres de 
cotonnade. 

Yousouf est exaspéré ; il ne peut comprendre que 
Ton ait si peu respecté ma présence à son bord. Au 
fond, ce dont je suis persuadé, c'est qu'il regrette ce 
qu'on lui a volé de provisions ; mais il se dédom- 
magera bien certainement en attaquant les miennes. 
Je l'avais chargé de me rapporter un peu de lait, 
s'il lui était possible d'en trouver. Ses recherches 
ont été infructueuses. En revanche, il est muni de 


112 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

renseignements relatifs à la situation actuelle des 
Medjourtines. 

Il ressort de ces informations que Merâya et 
AUoûla sont toujours en guçrre; qu'ily aeul5 morts 
de part et d'autre à la dernière rencontre. Le sul- 
tan Osman Mahmoud et sa suite sont en ce moment 
à Bender Gâsem où des renforts considérables doi- 
vent lui arriver de F intérieur. Les motifs de cette 
guerre sont toujours les mêmes qu'alors du voyage 
de r Adonis et reposent sur les idées insurrection- 
nelles de Yousouf Ali. 

Vers le milieu de la nuit, le calme plat nous 
force à mouiller devant Dourdouri, port Warsan- 
guéli. 

Dès le matin, Yousouf envoie son équipage faire 
du bois sur les bords d'un petit fleuve qui débouche 
en ce point, entretenant par ses eaux la végétation 
superbe d'une vallée profonde formée de petites 
montagnes. Sur ce fond noir de roches granitiques, 
se perdent les huttes sombres de Dourdouri et se 
détachent comme deux points blancs les mosquées 
du village. 

Nous n'arrivons à Bender Gâsem que le 24 sep- 
tembre au soir ; cinq ou six boutres sont en rade. A 
notre approche, il nous est fait signe de ne point 
avancer. Nous passons outre, malgré cet avertisse- 


TROIS MOIS EN MSDJOUHTINE 113 

ment, et prenons nos dispositions pour descendre 
à terre immédiatement. 

La nouvelle de Tarrivée d'un Européen attire sur 
la plage une foule de Çomalis qui me regardent avec 
étonnement. Au milieu d'eux se tient un vieillard 
que je prends pour le gouverneur ; je me suis trompé. 
Il me serre toutefois la main amicalement, et 
m'offre de me conduire auprès du Gadî. 

Chefliin faisant, je lui fais demander par Bagaro 
si le sultan viendra bientôt, comme on me l'a dit ; il 
me répond affirmativement. On attend Mahmoud du 
jour au lendemain. 

Nous arrivons auprès de Mahmoud Noûr, un des 
fils de Noûr Osman, premier ministre et tuteur du 
sultan. Mahmoud Noûr remplit les fonctions de gou- 
verneur à Bender Gàsem ; il est assisté d'Ali Se- 
mentar, son cousin, fils de Sementar Osman, le gou- 
verneur de Meràya. Noûr et Ali me reçoivent tout 
deux avec bienveillance et affabilité. Un Arabe dont 
je parlerai plus tard, Ali ben Char leur donne lec- 
ture de la lettre d'Assan Ali, traduite en çomali. 
Je suis tellement entouré que je'ne puis me rendre 
compte de l'endroit où nous stationnons. Après avoir 
pris connaissance des recommandations qui lui sont 
faites au sujet de ma personne, Mahmoud Noûr 
chasse tous ces importuns et me- fait signe de le sui- 
vre dans la citadelle où je serai abrité des indiscrets. 

Pendant que je m'y achemine, je vois venir à moi 


HA* VOYAOBS AU GAP DBS AROMATES 

uil Çomali arec lequel nous avons été en relations 
lors du voyage de F Adonis. Il me reconnaît parfai- 
tement. 


Je m*iilfltalle sur la terrasse de la citadelle où Ton 
tn'apporte nattes et coussiiis ; un peu de lait, du vit 
et des dattes constituent mon premier repas depuis 
mon départ d'Aden. Mes hôtes me confirment les 
bruits de guerre recueillis à Lasgoré. J'arrive, 
d'après eux^ le lendemain d'une escarmouche sur 
les lieux mêmes. Le sultan ^et Noûr recrutent des 
troupes dans la province de Mieh; Il y a eu morts et 
blessés dans la rencontre de la veille. Loih d*âtre 
calmés, les esprits sont on ne peut plus excités. 

Le inueezin appelle à la prière ; Mahmoud et Ali 
me laissent seuls avec Bagaro. Ils doivent revenir à 
la nuit pour veiller sut* ma personne. 

Je puis) après leut* déport, jeter un coup d'œil au- 
tour de moi. Quatre forts auprès desquels sont 
groupoes huttes et mosquées j assez éparses, conâ- 
li tuent Betider Gâsem. La mer qui vient à Inarée 
haute se briser au pied de ces forts a laissé à 
découvert l'arène immense qui se développe vers le 
sud; quelques arbustes rabougris, jetés par la nature 
à droite ou à gauche, en rompent seuls la monotonie. 
Les lits desséchés de plusieurs torrents sillonhent 


TROIS MOIS feN MEDJfOURTINË 115 

cette sorte de vaste birqtle ddhs toute sort étendue; 
dans le fond, bien au loiti^ de gfaiidëiS tîibtitëghes 
arides se détachent sur Un ciel de feu. Le paysage 
a un àspe&t d'effrayante ètérilité. 

tfe m'ëhdors confiant à côté de Bagaro. 

Le lendemain, au réveil, je me trouve entouré de 
mes hôtes et de mon capitaine, qui, lui aussi, n*a 
pas voulu me quitter. Je me décide, sur l'affirmation 
de la prochaine arrivée du sultan, à l'attendre trois 
ou quatre jours; j'ai des fîrmans à lui demander, des 
cadeaux à lui offrir, et, en même temps, je pourrai 
me remettre un peu de mon indisposition. 

Je trouve, dans utie tour de la citadellej une sorte 
de pigeonnier ouvert à tous les vents ; je demande à 
Mahmoud Noûr de me laisser occuper ce petit coin ; 
il me le fait immédiatement approprier. Pendant 
qu'on procède à cet aménagement, je vais à mon 
boutre chercher mort petit matériel de campement, 
des provisions et mes livres. Quelques instants 
aprèsi je sUls installé sur une bonne natte et je re- 
çois les quelques personnages influents de la loca- 
lité qui semblent s'étonner de voir un Français 
venir seul dans leur paysi 

Leur curiosité se poûé surtout sur mort fiisil 
Lefaucheux et sur mon nécessaire de voyage. Inutile 
d'ajouter qu'aucun ne part sans md demander Un 


116 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

1 ■ 

cadeau, si bien qu'impatienté, je condamne ma 
porte, excepté pour Mahmoud et Ali. 

Une fois débarrassé de tous ces importuns, je 
questionne mes hôtes sur les productions et arri- 
vages du pays. Ils me renseignent sans trop de 
difficultés ; je contrôle la véracité de leurs réponses 
en questionnant aussi deux Arabes qui viennent me 
voir. De ces conversations, il résulte que le com- 
merce des plumes d'autruche avec les Dolbohantes 
est une des principales sources de fortune du pays 
pour les trafiquants. 

Vers le soir, je parcours la ville : une grande hutte 
ronde, en nattes plus riches que les autres, s'offre à 
ma vue dès ma sortie du fort. Une fille çomali su- 
perbe, assise devant la porte, tresse quelques brins 
de paille de coulétir. Ali me la fait remarquer; c'est 
la fiancée du sultan qui doit l'épouser dès que la 
guerre sera terminée. 

Je demande à visiter l'habitation de cette future 
sultane. 

La case est divisée en deux pièces ; elle est tendue 
de nattes de Berbera très fines et de couleurs co- 
quettes. Dans la première pièce, tout autour des murs 
à hauteur d'homme, sont accrochées plus de cent ca- 
lebasses ou gouraras ornées de cauries (1). La 

(1) Coquilles qui servent de monnaie sur la côte occidentale. 




TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 117 

forme de ces calebasses rappelle fort exactement 
celle des amphores romaines, moins les anses. Â 
côté sont suspendus de grands sacs de cuirs {barag 
simbils) à longues franges formées de chapelets 
de coquillages. 

De la voûte descendent des glands de cotonnade 
rouge ; quelques planchettes où sont écrits des ver- 
sets du Coran, une panoplie où figurent les armes 
du frère de la fiancée complètent l'ameublement de 
cette pièce. 

La seconde pièce est la chambre de la jeune 
Çomali. La tenture en est formée par des peaux de 
bœufs et de chèvres blanches et noires. Par terre, 
cinq ou six petits brûle-parfums {daberad); deux 
tabourets taillés dans un seul bloc de bois. Le lit se 
compose d'un grand châssis avec un filet. Quelques 
nattes en forment les matelas. Je n*y vois pas 
l'oreiller çomali (un morceau de bois carré, avec 
la forme de la tête découpée), — que j'ai rencontré 
dans nombre d'autres cases d'indigènes. Dans le 
fond de cette chambre, un grand miroir sans cadre, 
et sur une caisse en bois blanc les accessoires de 
toilette, peu nombreux au reste : un simple peigne 
en bois, et le flacon de khoI ou plomb argentifère 
pulvérisé, que les élégantes Çomalis se passent sur 
les paupières. 

Je suis à peine sorti de cette hutte qu'une cara- 
vane de Bédouins arrive derrière nous ; elle vient 


118 VOTAOËS kn CAP BBS AAOMATES 


d*un village de Titltérieur, Our Alet. Je me réserve 
de savoir dfemaiû quel itinéraire elle a suivi j et 
j 'examine attentivement les paquetages des cha- 
meaux qui la composent, et les types étranges qui 
l'escortent. 

Le soir, j'ai le spectacle des danses et chants du 
Hhamadan; c'est la distraction des Çomalis qui ont 
observé le jeûne le plus rigoureux depuis le lever 
jusqu'au coucher du soleil. Réunis en cercle sur la 
plage, ils frappent tous ensemble dans leurs mains 
et sur leur poitrine, marquant la cadence par le 
cri de Siddi, poussé dans le rhythme suivant : 
€ Siddi.;... Siddi *;... Siddi, Siddi, Siddi! » 
en précipitant le débit des trois dernières exclama- 
tions. 

Au milieu du cercle^ les danseurs se livrent â 
toutes sortes de contorsions, tournaht sur ëUx- 
mêmes, et s'accompagnant aussi du même cri. 

Tout en conservant un caractère grotesque^ la 
danse devient plus lascive lorsque les femmes font 
vis-â-vis aux hommes. 

Chaque danseur y passe à son tour; seuls lès 
vieillards se trouvent à l'écart. D'autres même^ plUfe 
fervents, restent chez eux pour lire le Coran. 

Autant, au début, je contemplais cette danse avec 
intérêt, autant le voisinage m'en devient pénible, 
quand je me vis obligé d'en supporter le vacarme 
jusqu'au point du jour. 


TROIS MOIS E^ MEtJJOUfttlNÈ H 9 

Le lendemain, dès le réveil, je complète tous mes 
documents relatifs dtix échanges à faire sut* le 
marché de Bendër Gâsem. J'examine sôMlpu- 
leusement les échaiitillons des diverses Ijualités 
de marchandises qtie Ton m'a apportés, et je 
procède à leur classification. 

Sur ces entrefaites, un courrier arrive, annonçant 
que le sultan ne viendra que dans quelques jours. 
Pressé de me rendre à Meràya, je ne puis attendre 
plus longtemps et je me décide à partir pour cette 
ville le soir même. 

Je profile de la marée basse pour aller à bord 
prendre quelques petits cadeaux destinés à mes 
hôtes. 

tJn collier d'ambre, un peu d^étoffe rouge et une 
paire de sandales parurent leur fciire un vif plaisir. 

En attendant que le vent tourne en notre faveur, 
je continue mes observations. Je découvi*e entre les 
mains d'un Çomali une perle énorme ; à son dire, Il 
s'en prend beaucoup dans ces parages a l'époque de 
la pêche dès rlâct»es (février et msii^s). 

Un des Béddtiins, faisant partie de la câi^a^àîle 
arrivée la veille, itlë donne l'itinéraire de U tôUtë 
qu'il à âuivie de Our Âlet à Bender Gâsëm, et m^éri- 
gàge foMement à obtenir de Noûr Osman, quand je 
le vef t'ai, Tautorisalion de pénétrer dans Tintérieur 
qu'il dit être des flUs fertiles et des plUs curieux à 
visiter. 


120 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

- - 

Il m'offre malicieusement de retourner dans son 
pays avec lui. J'ai, pour le moment, d'autres soucis 
en tête, et eussé-je cette fantaisie, je ne confierais 
pas, sans plus de précautions, ma personne à ces 
djingals dont la réputation est si mauvaise. 

Au moment où je me dispose à gagner mon boutre, 
Ali Sementar vient me prier de ne point partir le 
soir même. Il attend le lendemain un chargement 
de dattes et de riz, dont une part est destinée à 
Merâya, et il désire que j'en fasse le transport. 

Je ne me rends qu'à moitié à ses prières; son 
langage et son attitude m'ayant inspiré quelques 
doutes sur la sincérité du prétexte qu'il invoque 
pour me retenir ; mais la violence avec laquelle les 
vagues déferlent, et les conseils de Yousouf qui dé- 
clare plus prudent de ne point se hasarder en pirogue 
par une mer pareille, me décident, bien malgré moi, 
à séjourner encore cette nuit à Bender Gâsem. 

Je reviens donc sur mes pas assez contrarié ; je 
suis obligé de demander l'hospitalité à Ali : il me 
fait étendre une grande natte au milieu de la place 
et là m'apporte lui-même à dîner. Escorté de Bagaro 
et de mon capitaine, nous passons dans cet endroit 
une partie de la nuit. Quelques enfants qui reviennent 
se livrer aux mêmes danses que la veille s'amu- 
sent à nous taquiner en nous jetant du sable sur 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 121 


la figure. Yousouf fort en colère, va se plaindre à 
Mahmoud qui nous donne de suite sa case. 

Le lendemain, 26 septembre,.nous prenons la mer. 
Le vent tombe vers le soir et nous oblige à mouiller 
devant Gebel Handar. 

Le 27, un peu de brise nous amène devant Borah 
(Bouro), où nous sommes encore retenus par un 
calme plat. Borah est un point commercial impor- 
tant de là côte çomali ; je donne Tordre de me con- 
duire à terre. 

Deux boutres de Yousouf Ali, sultan d'AUoûla, 
se balancent en rade; à notre arrivée, ils détachent 
vers nous une embarcation montée d'une douzaine 
d'hommes. Leur approche inquiète mon capitaine. 
Dès que l'embarcation est à portée, je lui fais 
crier de ne point accoster. La scène de Lasgoré 
était une leçon suffisante. Après échange des saints 
d'usage, la pirogue s'éloigne. 

Nous sommes forcés de nous mettre à l'eau pour 
débarquer. 

Sur la plage, une vingtaine de Çomalis sont occu- 
pés à charrier des marchandises. 

Ils viennent au-devant de moi et répondent ami- 
calement à toutes mes questions. 

Nous nous acheminons vers le village. C'est une 
agglomération de huttes au pied d'un fort qui 
défend une gorge des monts Aïsema; le village. 


122 VdTA&ES Au CkP bteS AttO«*ATES 


se trouve en exhaussement du lit d'un large ravin 
creusé par les pluies. A mort arrivée, je stliâ reçu 
sous le gourbi, on m'y apporte complaisamment les 
écharttillotis des prodtilts du fiays. 

Je laisse tnèl petite escorte courir le village et vais 
moi-même de mon côté, avec Bagaro, à cjuelqilës 
centaines de mètres en avant datis la gorge, oû des 
myriades de touMerëlles prentient leurs ébats. 

Je quitté ce petit port, enchanté de raccueil qtii 
m'a été fait, et doilnant aux naturels qiii m'escortent 
jusqu'à mon embarcation deux piastres comme 
bachis. 

Le 29 septembre^ au matih, uti vent violent s'élève, 
mon capitaine a l'air peurâssUré;àchaquelattie, le 
boutre éprouve un ébranlement qui semble le dislo- 
quer. Dieu sait ce qu'il faut de temps à toiit cet 
équipage pour opérer la moindre manœuvre, aussi 
recevons-nous une douche désagréable chaque fois 
que nous changeons d'alltire. 

Par bonheur, ce petit grain dure peu, et un calme 
plat lui succède. 

Nous sommes à cinq milles par le travers de 
Merâya. Heureusement qu'un courant favorable 
nous y porte doucement ^ sans quoi nous rlsqulëtts 
bien de ne jamais arriver. Enfin, é neuf heures^ rious 
né sommes plus qu'à cinq cents mètreS; Par préëàii- 

tidn, â cause de la gUerre, Youspuf motillle ^ ëetie 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 123 

distance. Il dépêche à terre la pirogue dans laquelle 
je fais monter Bagaro, pour aller prévenir Sementar 
Osman de mon arrivée. Il est reçu non sans force 
questions qu'on lui adresse de la plage, et qui par- 
viennent presque jusqu'à nous. 

J'attends le lendemain pour sortir de cette grande 
barque où je viens de passer huit jours de supplice. 

Je suis donc rendu à ma première étape. Je revois 
encore ces grandes montagnes, ces tours en pisé 
dont les corbeaux dessinent les faites comme une 
ligne noire.. Sur ma gauche Geursa, Guesli, 
Bender Felek, sur ma droite Ras Orbe, tous points 
qui font revivre en moi le souvenir de ma pre- 
mière campagne et celui des compagnons qui ne 
seront plus à mes côtés, pendant le long temps 
d*exil où je vais partager la vie des Çomalis, sans 
autre protection que celle de mon fidèle serviteur 
Bagaro. 


II 


Aperçu sur Merâya et sur les sultans de Medjourtine. — La fa- 
mille de Noûr. — Mon installation. — Ma case. — État de 
guerre du pays contre Yousouf Ali, gouverneur d'AlloûIa. — 
— Visiteurs importuns. — L'ambulance. — Mes fonctions de 
docteur commencent. — Le chirurgien Çomali. — Course à 
Guersa. — Guesli. — Bender Felek. — Rentrée à Merâya. 

Toute l'importance du port de Merâya remonte 
au sultan des Medjourtines Osman (1) qui fixa sa 
résidence dans cette ville, à la mort de son père, le 


(1) Généalogie des sultans de Medjourtine, depuis Mahmoud jus- 
qu'au sultan actuel. 

S. Mahmoud. 

S. Osm'an. 
I 


I 
S. Yousouf Mahmoud. 


I 


Noûr Osman (l'ancien), 
ministre et tuteur de Yousouf. 
Mahmoud fils. 

S. Yousouf Mahmoud fils, Noûr Osman, ministre et tuteur 
mort en 1846, à l'âge de 40 ans. du sultan actuel. 

I 


Otman lahmoad 

sultan actuel 

17 ans, en 1878. 


Yootoaf Mahmoad 
15 ans, en 1878, 


Hamed lahmond 
14 ans, en 1878. 


Loban Hahmoad 

fille 

18 ans, en 1878. 


126 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

sultan Mahmoud. C'est avec le concours d'un négo- 
ciant çomali, Fara Abdi, que le sultan Osman 
construisit les forts et mosquées qui existent encore 
à Merâya. 

Son fils aine, Yousouf Mahmoud, lui succéda et fut 
assassiné par un nommé Séliman de Bender Khor ; 
Yousouf laissait à sa mort un enfant en bas âge, de 
même nom que lui. La couronne de ce frêle héritier 
fut protégée par Noûr Osman; second fils du sul- 
tan Osman et, par conséquent, oncle du Jeune sultan 
dont il prenait la tutelle. Noûr Osman ne tarda 
pas â épouser sa belle-sœur, veuve du sultati You- 
souf assassiné et s'attira par cette alliance, qui lui 
donnait un double droit à la tutelle du jeune sultan, 
rinimitié des autres branches des Osman. Le sul- 
tan Yousouf Mahmoud, second du nom, mourut en 
1866, àTàge de 40 ans; il laissait trois fils : Osman, 
Yousouf Hamed et une fille, Loban; Osmôii, sultan 
actuel, n'avait que 5 ans; suivant l'exemple dé son 
père, Noûr Osman, fils aîné du précédent et chef 
de la famille actuelle, prit la tutelle du jeune mo- 
narque avec les fonctions de premier ministre. Six 
autres frères occupetit tous des fonctions dans 
rÉtat (i). 

(1) Famille de Noûr Osman ranclen. — Nom de ses î flls et 
fonctions qu'ils occupent dans le gouvernement medjourtine: 
Noûr Ositian, tuteur du sultail actuel» ministre. 
Sementar Osiiian, gouverneur de Merâya. 
Cher Markab Osman, conseiller. 


TROIS MOIS EN MBDJOURTINE 127 

* 

Dails la belle saison, Merâya est un site char- 
mant; de nombreux troupeaux paissent &ur ses 
hautes montagnes couvertes de) verdure ; là chàquç 
plante, chaque fleur exhale son parfum. 

Moii pf ëhiier ébifa, en débàrqtiallt, est de më rendre 
chez Seiîiëhtar Osriiah; déjà ptBverlU, Il Vietil â ilia 
rencontre avec Bagaro; il irié serre affectUëtiâehleht 
la main, me souhaitarit la bienvenlîe. xfë lui t^èmets 
une lettré particulière d'Âssârt Ali relative aux af- 
faires politiques. Pendatit qu'uti Çbtiiali llii en 
donne Ifebllire, la fôiile qiii th'eritclUrë in*àccàbie de 
démonstrations amiiiàleis. J'y retrbuvë âVëc plàiàir 
Mahmoud Addi, lievëii dd gouverneur, et Yousôuf, 
notre messager, qui nous accompagna à Haffoûn, 
lors de l'expéditioti dé rÀdohîs. Sans perdre de 
temps, j'ëxposé à Semeniai* tnon Intentibn de sé- 
journer quelque temps à MeràJ^à et le prie de me 
désigner un domicile, àutaiit qUe pdssible près de 
sa itiaisoh, polir qtie je puisfee étt^e bônlitlUëilërhent 
eh ëoilimunication ave(3 Itli et sbUs ^à Sauvegarde. 

Mbii choix est forcé de s*àrl*êtëf stlh deux mê- 
chatites huttes. Tune me servira dé cuisihë, Tâiitre 
de chambre à coucher; les gens qUi l'habitent, do- 

Ghiroa Osman, sous-gouvettieùr de Mët^^a. 
Ismaël Osman, conseiller. 
. Ali Dsman, conseiller. 
Gouled Osman, eonselllbr. 


128 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

mestiques du gouverneur, aideront Bagaro dans les 
soins du ménage. 

La propriétaire de ces huttes qui n'ont que les 
quatre parois, n'est autre que la mère de Sementar ; 
elle a des prétentions ridicules pour leur loyer dont 
elle demande huit piastres ; je fais un rabais de la 
moitié, sachant bien que Ton me prendra au mot. 
Moyennant ce prix, me voilà donc son locataire ; 
elle me fournira le lait et l'eau. 

Mon installation n'est pas longue; une natte me 
servira de lit, mon sac de voyage sera mon oreiller. 

Mes caisses et quelques provisions sont déposées 
sur la grève par mon équipage; quatre esclaves 
robustes les transportent à ma case. 

A mon départ de Marseille et à mon passage à 
Aden, j'ai eu souci de me munir de cadeaux tou- 
jours nécessaires dans ces pays-là, comme entrée 
en relations avec les autorités. 

Je profite de la visite officielle que me fait Se- 
mentar escorté des dignitaires du pays, pour re- 
mettre à chacun quelque petite chose, attendant un 
autre moment pour offrir à Sementar et à ses frères 
des objets de plus grande valeur. 

J'aurais, dès le premier jour, épuisé toute ma pa- 
cotille si j 'avais voulu satisfaire tous ceux qui, sous 
le prétexte d'une parenté quelconque avec mes pré- 
cédents visiteurs ou de relations antérieures avec 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 129 

moi, vinrent solliciter jusqu'à cinq ou six fois qui 
de la poudre, qui des ceintures rouges, etc. (1). 

Malheureusement, dans la suite je n'eus pas 
assez de fermeté; je n'osais refuser à tous ceux qui 
me demandaient et lorsque, dénué d'argent et de 
provisions, le besoin de la moindre chose se fît 
sentir, je ne mentii*ai point en disant que j'eus à 
endurer même la faim, il me fallut me dessaisir 
d'objets presque indispensables pour me procurer 
le peu qui était nécessaire à mon alimentation. 

Une fois débarrassé de tous ces ennuis, je rends 
au gouverneur sa visite et m'enferme chez lui afin 
de pouvoir causer plus librement. Il est presque 
obligé d'user de violence pour expulser les indisr 
crets qui venaient écouter. Je lui explique dans 
quel but je reviens en Medjourtine, les résultats 
que mon second voyage pourra avoir, si j'ai la 
faculté d'étudier librement le pays et de m'y créer 
des relations avec tous les négociants. J'ajoute 
que je suis venu chez eux, malgré la mauvaise 
réputation dont les Çomalis jouissent, sans crainte 
aucune, bien sûr qu ils me respecteront. Au reste, 
je suis sous le protectorat d'un consul à Aden qui 
s'intéresse à mon voyage et qui ne manquerait 


(i) Les Çomalis aiment beaucoup los étoffes rouges. — Les 
femmes- s'en font des vêtements; les hommes les effilent pour en 
faire des glands dont ils parent leurs chevaux et leur armement. 


lâû VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

pas de savoir, s'il m'arrivait quelque chose de fâ- 
cheux, à qui en incomberait la faute. 

Après m'avoir religieusement écouté, Sementar 
me répond que je puis me considérer désormais 
comme son enfant ; qu'il veillera sur ma personne 
et m'aidera de tous ses efforts pour que mon voyage 
réussisse. 

Malheureusement pour moi, j'arrive dans un mo- 

> 

ment critique, Merâya et AUoûla se battent quoti- 
diennement, le sang versé demande vengeance. Au 
dire de Sementar, le sultan vient sous peu avec 
des forces considérables; il importe d'en finir avec 
cette malheureuse guerre et cette ville insurgée dont 
la révolte paralyse le commerce des Medjourtines. 
Grâce à elle, les arrivages sur Merâya cette année 
encore n'ont pas eu lieu et se portent sur Bender 
Khor ou Bender Gâsem; et le peu qu'il y en a sur 
place n'est pas en sécurité. 

Il me demande aussi des nouvelles de mes com- 
pagnons de F Adonis, se rappelant sa réception à 
bord, et il m'exprime ses regrets de ne point nous 
revoir tous ensemble. 

Je regagne ma case, fort satisfait de cette con- 
versation. 

Vers le soir, Sementar vient me trouver, il me 
demande si je n'ai point apporté de remèdes avec 
moi; sur ma réponse affirmative, il me pria d'allejî 


TROIS MOIS EN MËDJOURTINE 131 

— — — • ^ ■ 

voir ses maladps à Tambulance. Sous un mauvais 
gourbi en dehors du village et sur de simples nattes 
gisent deux fils de Noûr Osman et cinq autres 
blessés. L'un, surtout, frappé d'un coup de lance 
sous le sein droit, est dans un étal qui inspire de 
sérieuses inquiétudes. 

J'ai bien vite substitué à la graisse avec laquelle 
on les soigne, des compresses imbibées de baume 
du commandeur, dont les effets sont si merveilleux, 
surtout dans les pays chauds. 

Je promet^ aux malades de continuer chaque 
jour les pansements, ce qui paraît leur être assez 
agréable. 

Jq ne trPHve 4p résistance que chez le plus s^i- 
teint, I^ohaï^^^ I^ersi; chapun de ses soupirs est 
une invocation ^ IVI^ljpipet ^e la toute-puissance 
duquel il attend courageusement la guérison. Cepen- 
dant Tamélioration rapide qui se manifeste par la 
suite, dans l'état de ceux que j'avais soignés, me 
ramenîf le malheureux récalcitrant que je soula* 
geai à son tour. 

Il n^e fut donné plus tard d'assister à quelques 
opérations faites par le âkim pu docteur çomali* 

Celle qui me frappa le plus fut l'extraction d*une 
balle logée dans le gras de la cuisse d'un misérable 
Bédouin. 

Il avait reçu ce projectile au moment où/age^ 
nouille, il décochait ses flèches empoisonnées* 


132 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

La balle avait labouré les chairs en prenant entrée 
au-dessus de la rotule, et avait suivi Tos sûr un 
trajet de 20 centimètres. 

Le patient fut solidement garrotté, en croix, au 
moyen de quatre piquets ; puis, à Taide d'un simple 
couteau, l'opérateur pratiqua une incision épouvan- 
table, au fond de laquelle il alla chercher la balle. 

Ensuite, dans cette plaie béante, il versa tout 
simplement de la graisse bouillante. 

Il est inulile de dire quels cris poussait le mal- 
heureux, qui, du reste, succomba quarante-huit 
heures après. 

Le 3 octobre , mon boutre part pour Aden , 
emportant quelques plis à destination de France. 
Mon isolement va devenir plus complet. 

Sementar me continue ses visites quotidiennes, 
au cours desquelles il amène un matin chez moi 
Yousouf Mahmoud, le frère du sullan; il me désigne 
aussi les gens du pays que je dois voir et qui 
pourront m'être utiles, me recommandant bien 
d'écarter de ma maison les importuns qui ne man- 
queront pas de m'envahir. 

Au bout de quelques jours, je résolus d'aller par 
terre à Bender Félek, ville de la côtei située à mi- 


TROIS MOIS EN JMEDJOURTINE 188 


chemin de Merâya à AUoûla. Mahmoud Addi m'y 
accompagnera. Je laisse donc à Bagaro la garde de 
la maison, et, de bon matin, me voilà en roule. Avant 
mon départ, il m'a été recommandé de m'armer 
jusqu'aux dents, de crainte d'être rencontré par 
des soldats ennemis avec lesquels il faudrait forcé- 
ment se battre. 

Il n'y a pas , à proprement parler, de route tracée 
entre ces villes. Nous suivons un sentier. battu, à 
travers de vastes steppes dont le sol formé d'un 
sable rougeâtre est recouvert seulement d'une vé- 
gétation rabougrie. A une centaine de mètres sur 
notre gauche, la mer vient se briser sur de petites 
dunes assez élevées pour nous en cacher l'aspect. 
Nous ne nous arrêtons pas à Guersa, nous gagnons 
rapidement Guesli où je revois la place de ma 
première station sur le sol Medjourtine lors de l'ex- 
pédition de r Adonis. Le beau-frère de Sementar 
Osman, Yoar, me donne Thospitalité sous sa case. 
Nous y attendrons le soir pour nous remettre, en 
route, à cause de la chaleur torride qu'il fait durant 
là journée. Le bruit de mon arrivée se répand bien 
vite dans le village, et chacun tient à voir l'Euro- 
péen. 

Une dizaine de femmes viennent les unes après 
les autres sous prétexte de demander un objet 
quelconque. Je prie Yoar d'en retenir une ou deux 
pour que je puisse dessiner les bijoux en argent 

8 


134 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

qu'elles portent. Elles se refusent à rester, mais 
cependant me laissent leurs parures. Ycar et les 
curieux sont très intrigués de me voir dessiner. 

« Ma at koufalessa ?» — Pourquoi est-ce faire? 
me demandent- ils. 

Après la prière, Yoar tient à faire voir que c'esl 
lui qui est mon hôte ; il installe devant sa case une 
grande natte, invite quelques amis et nous voilà 
accroupis devant le grand plat traditionnel de riz et 
de dattes. 

Les mains servent de cuillers et pétrissent à 
Tenvi d'énormes boules qui sont avalées en un 
clin d'œil par les convives. J'avoue que c'est la 
première fois que je mange ainsi et je me trouve 
si maladroit, qu'avant d'avoir absorbé seulement 
deux bouchées, le plat est vide, tant mes voisins 
mettent de la promptitude dans leurs mouvements.; 
on nous apporte ensuite du mouton boucané, du 
requin grillé, et, ce que je savoure de préférence, 
du lait exquis. 

Je prends congé de tout mon monde, avec pro- 
messe de revenir dans vingt^quQtre heures, et me 
dirige sur Bender Félek. 

Il fait un clair de lurie magnifique ; nous tra^ 
versons une grande steppe, pour atteindre bientôt 
les bords de la grande lagune de Bender pélok ; Ip 
solitude n'est troublée que par les abpiepients de^ 


TROIS MOIS EN MBD^OURTINE 135 

bandes de chacals qui chassent j et le bruit mono- 
tone des vagues que roule la mer tout près de là. 

Nous nous asseyons parfois pour reprendre ha- 
leine; durant ces moments de repos, Mahmoud 
imite le cri du chien, signal convenu des guerriers 
Medjourtines qui le mettraient en garde au cas de 
danger contre les rôdeurs de nuit d'AUoûla. Plus 
nous approchons , plus les précautions de mon com- 
pagnon de route redoublent. 

Nous voilà rendus à Bender Félek. Je prie Mah- 
moud de me mener de suite chez le Çomali qui doit 
nous héberger. Il s'appelle Osman Sala. C'est un 
gros revendeur de l'endroit; sa case est à l'entrée 
du village. 

Il nous reçoit avec bontés et questionne beaucoup 
mon guide pendant que, sur ses ordres $ on nous 
prépare des nattes pour nous reposer. 

Deux grandes torches d'encens éclairent la pièce 
où noua allons reposer. 

Mahmoud s'allonge en travers de la porte, ses 
armes sous la main, non sans m'avoir fait com- 
prendre de tenir les miennes prêtes aussi ; il m'ex- 
plique que l'on est constamment sur le qui-vive et 
que la situation de la case^ tout à fait en dehors de 
la ville, la mettrait au premier point d'attaque en 
cas de surprise. 

Au moment où je m'allonge sur ma natte, ma 
main s'enfonce dans une espèce de trou, c'est une 


136 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

potiche enfouie dans le sable et qui est remplie de 
thalaris ! (1) 

Au point du jour, nous sommes sur pied. Bender 
Félek n'a rien de particulier; au reste, j*ai observé 
plus tard que toutes les villes de Medjourtine sem- 
blent copiées sur le même modèle. 

La citadelle qui existait sur la grande place est 
maintenant en ruines; à quelques encablures en 
mer, apparaît la carcasse d'un navire échoué, le 
même que nous avions vu avec r Adonis en allant 
de Meràya à Alloûla. 

Ce qui frappe le plus mon attention, c'est le 
petit port formé par la lagune. A grande marée, cinq 
boulres y étaient entrés; on les a mis au plein à 
marée basse pour les réparer. Quelques jours après 
mon passage, ces embarcations tombaient aux mains 
des soldats de Yousouf Ali, qui les brûlaient. 

Bender Félek est un point sérieux pour les arri- 
vages des gommes et de l'encens provenant de la 
province de Mieh. 

Bien que la guerre actuelle ait arrêté beaucoup 
la marche du commerce dans cette région, la place 
compte encore une assez grande quantité de mar- 
chandises. 


(1) Le thalari est une monnaie d'argent du diamètre de nos 
pièces de cinq francs, à Tefûgie de Marie-Thérèse d'Autriche. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 137 


Sala ne veut pas nous laisser partir à jeun : un 
repas semblable à celui de Yoar nous attend chez 
lui ; quelques gens du village y ont été convoqués. 
Ils arrivent tous en armes; et, surtout, pourvus 
d'un bon appétit, à en juger par la précipitation 
avec laquelle ils absorbent tout ce que Ton sert. 
La leçon de la veille m*a suffi; aussi, sans scrupule, 
je sors mon petit couvert et renonce à m*exercer à 
faire une boulette. 

Il me fallut, après ce déjeuner, expliquer le 
mode d'emploi de plus de cinquante objets de toute 
espèce provenant du Meï-Kong; je dus ensuite 
rendre visite aux malades. 

Gomme mon intention était de me faire, si je puis 
m'exprimer ainsi, aimer de tout ce monde-là, je me 
prétais volontiers à ces diverses exigences, et c'est 
en agissant de la sorte que, malgré tout ce que j'ai 
eu de contrariétés dans la suite, il m'a été permis 
de voir, d'approfondir et d'obtenir les précieux 
renseignements que j'ai rapportés. 

Je quitte Osman Sala, non sans remerciements 
et bachis, et je reprends par la plage le chemin de 
Meràya. 

Malgré ma promesse de m'arrêter à Guesli , 
je passe outre, entraîné par la poursuite d'un 
ibis superbe que j'avais blessé et que nous attei- 
gnîmes enfin près de Geursa ; les enfants se 
joignirent à moi pour CQurir après ce bel oiseau, 

8. 


138 V0YA0E8 AU GAP DBS AROMATES 

mais sans trop oser toucher Fanimal qui se défen- 
dait d'importance à coups de becs J'emportai cette 
capture à Merâya où elle fournit à mdn repas 
du soiri 

Je retrouvai tna case avec plaisir; Bagaroi qui ne 
m'attendait pas^ était allé courir un |)eu dans la 
montagne^ laisisant tout ouvert; Je constatai que 
rien ne me manquait ^ mai^i le blâmai un peu à son 
retour. Il me répondit d'être sané inquiétude, et 
que, du moment où Setnentar m'avait pris sous èon 
égide, je n'avais rien à craindre. 

Bagaro me raconte* à ce propos* que le grand 
jour du Rhamadan, avant que Ghiroa, frère de Se- 
mentar, nemd présente aux habitants de Merâya, 
on avait longuement causé de moi a la mosquée* et 
menacé de l'application de la loi çomali quiconque 
violerait l'hospitalité qui m'était donnée. 


III 


Premiers engagements. — Inquiétudes du gouverneur. — Combat 
de Bender Felek. — Aux àrmôs! — Conibàt de OuesII. — 
Alariiics cohtinuelles. — Gdtnbat de Guefsa. — Vol et resiilu- 
tion anonymes. — Sementar blesse sa femme accidentellement. 
— Les singes dé la foniaine de Merâya. — kort de la femme 
dé Sehlentar; 


Le lendemain, Sementar vient me voir; il est 
soucieux ; de mauvaises nouvelles viennent d'ar- 
river ; il me donne toutes ses instructions au cas 
où j'assisterais à une- affaire entré Merâya et 
Alloûla : il là croit proche, parce que Yousouf Ali 
veut se battre avant Tarrivée du sultan. 

Je devrai me tenir avec ses fils à la citadelle et 
ne me servirai de mes armes qu'au cas où ma vie 
serait menacée. 

Il n'y a pas une heure que j'ai eu cet entretien, 
que Bagaro arrive tout essoufflé à l'ambulance où 
je soignais mes malades, me prévenir qu'on court 
aux armes. Un boutre de Yousouf, l'un de ceux. 


140 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

sans doute, que nous avons rencontrés au mouillage 
de Bora, revenant de Bender Gâsem, vient 
d'arriver avec 50 hommes à Râs-Orbé et menace 
cette ville, située à Touest de Merâya. 

Quelques minutes après je vois défiler une cen- 
taine de guerriers en bon ordre qui vont empêcher 
le débarquement et aider les habitants d'Orbé ; 
presque en même temps qu'eux, arrive poussé par 
vent arrière un boutre parti de Guersa, où cette 
nouvelle est également parvenue. 

Le conseil se réunit sur la grande place et chacun 
se tient prêt. A la tombée de la nuit, on apporte la 
nouvelle que le boutre de Yousouf est capturé et 
pillé et l'équipage fait prisonnier. Il n'y a pas eu 
de morts. 

Pendant que celte affaire avait lieu, quatre 
Bédouins arrivaient à Merâya, venant de l'inté^ 
rieur; ils apportent des nouvelles et conduisent 
avec eux une razzia de 80 chèvres opérée sur les 
troupeaux de Mohamed béni Assen, beau-père de 
Yousouf Ali. Le conseil, non sans avoir longue- 
ment questionné ces Bédouins pour savoir s'ils 
n'étaient pas des partisans de Yousouf, procède 
immédiatement au partage du butin entre les habi- 
tants. Bagaro me fait remarquer que les membres 
du conseil se réservent la part du lion. 

A la nuit, un courrier arrive ; on s'est battu la 


I / 


TROIS MOIS EN MED^OURTINE 141 

veille au soir à Bender Felek. Un Çomali de 
Meràya, rencontré seul, a été égorgé ; les cinq 
boulres qui étaient échoués sur la lagune sont 
brûlés. On rapporte le cadavre du Çomali ; cette 
nouvelle me donne à réfléchir sur notre prome- 
nade nocturne dMl y a quarante-huit heures. 

La panique prend de bien plus grandes pro- 
portions quand on annonce l'arrivée à Guesli de 
65 ennemis ; tout ce qu'il y a de valide prend son 
poste de combat. 

On allume de grands feux sur la plage ; les 
blessés sont transportés dans la maison du gou- 
verneur ; des sentinelles perdues se dispersent dans 
la montagne. 

Chiroa distribue tout son monde comme un vrai 
général, la veille d'un grand combat. Quant à moi, 
j'arbore mon pavillon sur ma case, et je me rends, 
selon les ordres de Sementar, sur la terrasse de la 
citadelle. C'est un véritable arsenal des temps pri- 
mitifs: épieux, pierres, marmites d'eau bouillante 
pour empêcher l'ennemi d'enfoncer les portes, en 
l'inondant par les mâchicoulis, fusils à mèches, 
arcs, flèches, constituent les moyens de défense. 

Je passai là toute la nuit ; la tranquillité n'en fut 
troublée que par le cri des sentinelles et par les 
chants de rondes, entremêlés de coups de fusil qui 
indiquaient à l'ennemi que l'on était sur la défen- 
sive. 


142 V0YAGB6 AU GAP DBS AROMATES 

Le 6 octobre, les nouvelles sont plus mauvaises^ 
on a brûlé quelques cases à Gueslii et faaltraité 
deux habitants ; Tun est même sérieusement blessé: 
Immédiatement, on envoie un courrier à Orbe 
prévenir les troupes qui y sont, de rétrograder sur 
Merâya, pour le défendre pendant que toute la 
population se porte au secours de Guesli. Peu 
de temps après, la fusillade annonçait le combat 
sur ce point. 

Les hommes de Yougouf se replièrent Sut» AUoû- 
la. Le soir, chacun reprenait son poste â Merâya 
en cas d'attaque nouvelle. 

Une chose m'a étdhné dails la suite, c'est de 
voir dans les divers engagements si pèii de Sang 
versé. 

Malgré cela, ni le Çomali de la côte ni le feé- 
douin ne peuvent être accusés de peur ou de 
lâcheté, et tous deux s'abordent résolument. 

Quant aux femmes, en proie au moment de l'ac- 
tion à une surexcitation indescriptible, si elles le 
pouvaient, elles se battraient aussi; loin de s'enfer- 
mer, la nuit quand tout le monde est sous les armes, 
elles entretiennent les feux et circulent sans crainte. 

Sementar nie raconta même qu'à Alloûla^ une 
femme armée d'un fusil avait tué deux de ses 
hommes, lors du preitiier siège que tenta l'armée 
de Merâya. 


TROIS MOIS EN MBDJOURTINE 148 

Dans raprès-midi du 7, un boutre qui passe bien 
au large arrive devant Orbe. Il cause eneore de 
vives inquiétudes. On décide d*y envoyer 30 hommes 
de renfort , et 30 à Guesli pour s'opposer au dé- 
barquement sur Tun ou Tautre de ces deux points, 
au cas où les soldats de Yousouf le tenteraient 
de nouveau. Une autre bande se disperse dans la 
montagne à la poursuite de quelques ennemis qu^on 
croit à Aren, source au pied du Karoma. J'espère 
en présence de semblables précautions pouvoir 
passer ma nuit tranquille. 

Il n'en est rien. Au moment où ie repose, les fils 
de Sementar pi^trent précipitf^pii^ier^t d^iis ma case, 
me dpnnant à peine le temps de prendre mes 
armes et m'entraînent à la citadelle avant que j'aie 
pu seulement me reconnaître. 

U^p fois la pûFtii fermée dârriâre moi, j'appt^ands 

qu'on se bat de l'autre côté du village. 

Le lendemain» je sus que le combat avait été 
livré du côté de Guersa; on évaluait à vinst 1q 
Dppabf^^ des blesfséâf dmx moururent dans la 
journée. 

Leur enterrement fut suivi de toutes sortes d'im- 

précaUpn§ pt ds men^pe^ ppntre YousQuf ; tout le 

monde se promettait de ne rien laisser d'Alloûla 


144 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

à Tattaque que dirigerait Noûr Osman avec ses 
Bédouins, qu'on attendait prochainement. 

Profitant sans doute de ces troubles, un Çomali 
m'a volé une hachette ; je porte plainte à Sementar 
qui se met dans un état de colère indescriptible. Il 
ne comprend pas qu'après mes complaisances pour 
ses sujets, on ait pu violer ainsi les lois delhospi- 
talité ; séance tenante, il donne l'ordre de parcourir 
toutes les cases: en attendant, pour réparer ce 
méfait à mon égard, il commande une corvée à 
laquelle il se joint pour arranger le devant de ma 
cabane et m'y faire à la mode çomali un parterre 
de sable fin bordé de blocs de corail blanc. 

Deux jours après, une main inconnue glissait 
dans un coin de ma case l'objet volé ; j'informai 
Sementar du fait; il me demanda, le sourire sur les 
lèvres, si dans mon pays on restituait ainsi ce qu'on 
prenait (1). 

Je suis occupé à écrire, lorsqu'une femme entre 

(1) En mai 1879, le sultaa des Medjoiirtines faisait parvenir à 
Aden, en même temps qu'un message pour moi, une caisse de pro* 
visions à mon adresse, laissée à la côle, depuis mon départ, par 
un boutre descendant sur Zanzibar. 

Ce fait, de même nature que la restitution de ma hachette, prouve 
quelle situation jetais parvenu à prendre chez les Çomalis, m'at- 
tirant par mes bontés pour eux une sorte d'amitié qui se serait 
encore ^ccrue, si j'avais pu séjourner plus longtemps dans leur 
pays. 


• TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 145 

» 

brusquement chez moi, levant les bras au ciel, 
implorant mon secours, et me faisant signe de la 
suivre. 

Je ne comprends rien à sa pantomime : Bagaro 
arrive à propos pour me l'expliquer. Sementar en 
nettoyant son revolver vient de blesser sa femme, 
et me fait dire d'aller la voir au plus tôt avec mon 
coffre à médicaments. Je trouve la malheureuse se 
roulant à terre en proie à d'atroces souffrances ; le 
sang qu'elle vomit Tétouffe et l'empêche de crier. 

Je la fais maintenir par deux hommes et j'examine 
la blessure; la balle a pénétré au-dessous de la 
clavicule droite et s'est logée vers l'omoplate : je la 
sens sous les doigts; son -extraction est facile. 
L'ouverture pratiquée permet un épanchemeht 
extérieur qui soulage la pauvre créature. Elle 
reprend connaissance, et on la transporte dans sa 
case. Alors arrive presque tout le village ; et, pen- 
dant que la foule prie, on fait absorber à la malade, 
selon le rite musulman, une tasse d'eau au fond de 
laquelle on a écrit, puis délayé un verset du Coran. 

Sementar me témoigne toute sa reconnaissance. 
Au dire de Bagaro, les assistants sont tout surpris du 
succès de mon opération. Pour moi, je ne me dissi- 
mule pas la gravité de l'état de la malade et n'espère 
point la sauver. 

Je danne mes instructions pour les soins à lui 
continuer et rentre chez moi , 

9 


146 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Un Çomali qui m'a obsédé depuis mon entrée 
dans la case de Sementar me suit jusque chez moi, 
ses désirs se traduisent par la demande d'un bâssal 
(un oignon). Voilà toute Témotion que lui a causée 
le triste événement survenu à cette infortunée ! ! 

D'ailleurs, je remarque bientôt la même insensi- 
bilité chez l'époux même de la victime. Deux heures 
après l'accident, Sementar vaque à ses affaires. Il 
vient me revoir pour me demander de continuer 
mes soins à la blessée. Â mes compliments de con- 
doléances, il hoche la tête en accofmpagnant ce 
mouvement du « s'il plaît à Dieu ; » In cha Allah ! 
inséparable chez le musulman de l'expression du 
moindre sentiment. 

L'insouciance du gouverneur me paraît signifier: 
t Une femme de perdue, dix de retrouvées. » Mais 
ce qui le contrarie le plus, c'est le prix qu'il faudra 
mettre à s'en procurer une nouvelle. 

Le mal le plus cruel qu'on puisse éprouver dans 
des voyages aussi lointains est le spleen. Cet en- 
nemi est toujours à votre porte. Malgré les distrac- 
tions (Juë je pouvais me créer, malgré la chasse (1), 
la lecture, mes va-et-vient dans le village, il se 

(1) Jo citel-ai à propos de chasse un fait qui a paru vivement inté- 
resser leâ anihrbpologîsles ot savants qui voulurent bien, lors du 
dernier congrès de Montpellier (août 1879), rn'adresser quelques 
questions relatives aux observations de mon voyage ayant tfait à 


/ 


ÎHOIS MOIS m MPIDJÛURTINB: 147 


dressait en moi comme un fantôme lorsque le cri 
des animaux et le bruit des vagues troublaient s^uls 
le silence de la nuit qui m'emprisonnait dans ma 
case. J'oubliais alors pendant un moment ma soli- 
tude; je n'étais plus en Medjourtine, mais bien 
dan^ mon pays natal au milieu de mes amip et de 
ma famille. Malheureusement, mon voisinage avec 
la mosquée ne tardait pas à me ramener à 1q péft- 
lité, en me tirant de mes rêveries, lorsque j'en- 
tendais chanter « l'Allah Akhbar » qu invitation à 
la prière. 


leure études. Je l'avais presque oublié, n'y ayaut prêté aucune 
importance. C'est au point de vue des théories darwlnistes que 
les honorables savants dont je viens de parler l'ont retenu 
comme document d'une valeur toute particulière à ce grand 
débat scientifique. 

J'étais à l'affût à la source de Merâya, lorsqu'une bande dd 
singes [Cynocephalus Hamadryas), au nombre de plus de 600^ 
sans exagération, vint y prendre ses ébats. Cette face, je Tai su 
plus tard, habite les montagnes de la Medjourtine; et Tarméo 
véritable qUe j'en vis, à cette occasion, a choisi de préférence 
les environs du Karoma à cause de l'eau qui s'y trouve> bien meil- 
leure que paHout ailleurs. 

Désireux de faire un prisonnier si possible, malj:çré les remon- 
trances de Bagaro, j'ajustai le plus gros des qiiadrumanes et fis 
feu. Ma balle l'atteignit en pleine poitrine et le laissa gisant 
à tefré. U se débattit une minute ou deux dans les spasmes de 
l'agonie, et je m'apprêtais à aller le ramasserj lorsque la bandé 
dissipée sous mon coup de fusil, revint vers moi, montrant les 
dents d'une façon menaçante qui m'engagea à battre en retraite. A 
Jpeiné avàis-je fait. (|uelqueâ pas que les plus hardis s'élancèrent 
sur le mort, et, en un clin d'oëil, ils disparurent dans le bois 
d'acacias avec leur fardeau. 


148 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Ma pauvre malade meurt le 13, malgré tous les 
soins dont elle était entourée; quelques instants 
avant, elle me fait demander : elle tend vers moi des 
bras suppliants ; la mort qu'elle sent venir l'épou- 
vante; elle m'appelle auprès d'elle et m'étreint 
du peu de force qui lui reste ; elle me demande de 
la sauver : elle ne veut pas mourir ; mais sa Icte 
retombe lourdement sur son oreiller, ses lèvres bal- 

« 

butient encore quelques prières, puis elles se fer- 
ment pour toujours. 

Deux heures après, cousue dans quelques mètres 
de cotonnade, elle est portée en terre. Le convoi 
s'arrêta à la mosquée où toutes sortes d'invocations 
furent faites sur* le cercueil. Je donnai ordre à Ba- 
garo de le suivre par déférence ; de là le cortège 
se dirigea vers le champ des morts où pas la 
moindre marque ne m'indiqua plus tard la place 
où reposait la malheureuse femme de Sementar. 


Tristes impressions. — Aromatica regio, — Regio Karomala. — 
En route pour le Djebel ou Gebel Karoma. '— La mosquée du Dé- 
doain. — Aren. — Empreintes pou rassurantes. — Au pied du pic. 
— Une ascension malaisée. — Pourrons-nous descendre ? — 
Déception. — L'arbre poison, le « ouabaïo ». — Daralet. — 
Rencontre des ennemis. -- Rentrée à Merâya. — La leçon de 
Cbiroa. 

• 

La mort, quand elle frappe à vos côtés dans de 
semblables situations, réveille en vous des impres- 
sions qui épuiseraient vite votre courage si on ne 
les combattait vigoureusement. 

Je résolus donc de quitter ma case pendant qua- 
rante-huit heures et de faire l'ascension du Gebel 
Karoma (1), pic se détachant de la chaîne de mon- 
tagnes qui s'étend derrière Merâya ; les cartes 

(I) Un fait géographique curieux à noter, c'est que ce pic de 
Karoma porte encore le nom qu'il a eu dans les temps les plus 
reculés. 

Autrefois la région da cap Gardafui était appelée aromatica regio; 
une carte allemande du xv® siècle, sur parchemin, et qui doit fi- 
gurer dans le splendide ouvrage sur Madagascar de M. A. Gran- 
didier (Hachette, éditeur) mentionne V Aromatica regio sous le 
nom de Karomala, U est impossible de ne pas donner à cette 


150 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

_^___ I _ Il " 

marines donnent à ce pic une altitude de 4,000 pieds 
anglais (1,219 mètres) au-dessus du niveau de la 
mer. 

Il me faut au moins deux compagnons ; Mahmoud 
Addi se charge de trouver un autre Çomali, pour 

dénomination une relation immédiate avec le nom de c Karoma » 
que porte -le pic en question. 

n convient en outre, je crois, d'ajouter ici une autre remarque 
géographique: 

L'existence de toutes ces villes: Merâyà, Alloûla, Bender Felek, 
Haffoûn^dont lî est question à plusieurs reprises dans le récit de 
mes deux voyages, remonte à une date fort ancienne; et leur si- 
tuation sur la côte africaine est connue depuis des temps fort re- 
culés. 

Dans l'ouvrage de P. J. Gosselin, de l'Institut, ayant pour titre: 
Recherches sur la géographie systématique et positive des an- 
ciens (Imprimerie de la {République, Paris, an V), où trouve trois 
cartes du eap Gardafui, tracées sur les données de Ptolémée. Le 
cap Ras Felek que les Çomalis appellent AbbOy ce qui signifie 
éléphant t s'appelait autrefois mons Elephas; la presqu'île d'Haf- 
foûn, Chersonesus vel Zingis extrema; la ville du même nom 
portait celui d*Opone; Bender Felek s'appelait Daphnon : Merâya, 
Tapage: Bender Khor, Niloptoieméum. 

Au reste, les vestiges de cette occupation par les anciens 
existent encore: les sculptures Çomalis et les bijoux des femmes 
Medjourlines en sont les traces les plus probantes* 

Dans son ouvrage sur le temple de Dâr el Baharî découvert 
par lui en Haute-Egypte, Mariette-Bey reproduit des cartouches 
hiéroglyphiques portant le nom de ces diverses villes Çomalis. 
Les peintures murales de ce temple représentent en outre exac- 
tement, sous le même costume et le même aspect qu'ils ont 
encore aujourd'hui, les Çemalis Medjourlines sous le nom d'habi- 
tahls du pays de PoUht, apportant à là telhe Victorieuse Atassou 
les produits du pays, gomme, encens, myrrhe, dattes, etc. On 
retrouve dans ces peintures jusqu'aux animaux sauvages de cette 
contrée et entr'autres les singes et les quadrupèdes d'une race 
qui lui est particulière. 


TROIS MOIS EN MEDiOURTlNE 151 

se joindre à nous ; nos préparatifs ne sont pas longs : 
mon sac, ma couverture, mes cartes, ma boussole, 
ma hache et quelques mètres de cordes forment 
un petit bagage assez lourd. 

D'après mes guides, nous devons trouver de Teau 
dans la montagne ; il suffit de prendre quelques 
provisions dont je les charge : mon fusil pourvoiera 
à mon alimentation. 

Nous voulons éviter la grande chaleur, et décidons 
d'aller coucher à la source d*Aren dont j*ai déjà 
parlé : de là nous partirons dés Taurore poi^r faire 
Texcursioiî. 

J'ai compté sans Tautorisation de Sementar ; mais 
au moment où nous traversons la place où les vieux 
conseillers jouent au cAa7é(1), Ghiroa m'appelle pour 
me demander où je vais; je lui montre le pic ; ce 
projet lui semble tellement extravagant qu'il se met 
à rire, mais, d'un commun accord avec ses parte- 
naires, il s'oppose à mon départ pour ce soir. Il 
allègue que les rôdeurs d'AUoûla et toutes sortes 
d'animaux nuisibles, les serpents surtout, infestent 
ces parages, et qu'il n'est pas prudent de s'y hasar- 
der la nuit. Il est plus sage que je parte de bonne 
heure demain matin avec trois ou quatre hommes 
de plus, si besoin est. 

(i) Jeu ressemblant à notre jeu de solitaire où les fiches sont 
remplacées par de petites pierres. 


152 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


Je le remercie de ses prévenances, mais j'insiste 
pour me mettre en route; sur quoi Chiroa intime 
Tordre à nos guides de ne pas me suivre; si je ne 
veux pas écouter ses conseils, je suis libre d'aller 
seul au danger. En présence d'un tel refus, je me 
vois obligé d'obéir, non sans être vivement contra- 
rié de ce contre-temps. Pour être plus sûr d'avoir 
mes guides au point du jour, je les fais coucher 
dans ma case, où, je dois le reconnaître main- 
tenant, je passai une meilleure nuit que la suivante. 

Le 14, avant de me mettre en route, je consulte 
Mahmoud et lui demande s'il croit la présence de 
deux autres Çomalis utile. Il me répond qu'un seul 
suffit, mais qu'il n'a pas d'armes, et me prie seule- 
ment de lui confier un revolver. 

Nous traversons le bois d'acacias et passons par 
la fontaine où nous remplissons nos oiihos (1), puis 
nous prenons sur la gauche pour nous enfoncer dans 
une gorge, où apparaît le lit desséché du torrent 
Goudmô. Sur ses bords croissent toutes sortes de 
plantes et d'arbres splendides, où mille oiseaux 
et papillons, parés des plus belles couleurs, sa- 
luent joyeusement le soleil qui se lève; plus 
nous avançons, plus la végétation est luxuriante. 

(1) OûbOf gourde destînéo aux ablutions, qui ne quitte pas le 
Çomali. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 153 

Sur ces rochers rougeâtres qui forment tantôt une 
impasse étroite, tantôt un cirque immense, sortent, 
ici, des arbres d*encens, dont le feuillage vert ten- 
dre exhale de suaves parfums, là, des genêts gigan- 
tesques, des fourrés de ronces et de lianes auxquels 
se balancent les nids des chanteurs ailés qui égayent 
ce site splendide. Je suis machinalement mes guides 
dans ce sentier, le long duquel, de temps à autre, 
un graad rond en pierres indique la mosquée du 
Bédouin en voyage; parfois une simple stèle révèle 
une tombe. 

C'est à Aren qu'a lieu notre première halte; un 
épais bouquet de verdure dissimule à mes yeux un 
abri ravissant ! D'une grande déchirure dans le roc, 
à une cinquantaine de mètres environ au-dessus du 
sol, s'échappe un filet d'eau, qui, après avoir passé 
par une série de petites cascades, vient remplir de 
petits réservoirs. Ce ruisseau disparaît ensuite sous 
terre, pour ressortir plus loin dans une sorte de 
bassin assez large, entouré de quelques palmiers 
sauvages et recouvert, par le Bédouin de branches 
et de ronces pour empêcher les bêtes fauves de 
venir s'y baigner. 

A notre approche, tous les hôtes de ce lieu soli- 
taire prennent la fuite ; et, quelques instants après, 
les arbres sont couverts d'oiseaux et de singes, que 
notre présence intimide et empêche de venir se 

9. 


154 VOYAGES AU CAP DES AttOHATES 

dcsallérer. Leur voisinage nous est moins désa- 
gréable que celui d'un vérilable nid de serpents que 
Mahmoud méfait voir s'étatant au soleil à quelques 
pas de nous. 

Je fus obligé sur ce point de donner raison aux 
sages observntions de Cliiroa, d'aulant plus tjue 
les empreintes, existant sur lo sable, Indiquaient 
flussi la visite nocturne d'animaux tout autres que 
des chacals. 


Da Merâja au pic de Karama, par Aren et Daralet. 

Après une heure de repos, nous continuons notre 
route ; nous abandonnons le lit du Goadniô pour 
gvavir les mamelons qui nous séparent de Karoma ; 
je n'avais pas fait quelques centaines de mètres 
dans cette nouvelle voie, que mon sac commençait 
déjà à me paraître un peu lourd. 


TROIS MOtS m MEOJOURTINE 155 

I ~ ■ 

Je m'armai de courage, bien résolu à ne pas 
faiblîr devant mes compagnons, qui, lestes comme 
des chèvres, malgré leurs simples sandales, sautaient 
de rocher en rocher, et conservaient toujours une 
allure rapide, sur ces pierres au milieu desquelles 
j'avais peine â ne point faire de faux pas. 

Nous n'atteignons, à proprement parler, le pic lui* 
même qu'au bout de trois heures; ce qu'il nous reste 
à faire n'est pas bien long; mais, à en juger par ce 
commencement, pour arriver au faite, nous aurons 
de la peine. 

Mahnloud n'en peut plus; en me montrant à 
l'horizon Merâya, Guesli et Alloûla qui se déta- 
chent sous des formes microscopiques, il me de* 
mande si je ne suis pas encore assez haut. Je lui 
fais signe de continuer, ce qui n'a pas l'air de lui 
plaire beaucoup, d'autant plus que son compagnon 
a bien couru jadis la montagne en tous sens pour 
recueillir gommes et encens, mais que là s'arrêtent 
ses connaissances de guide. Nous grimpons quand 
même ; parfois nous faisons cinquante mètreâ en 
avant : au milieu de tout ce cataclysme de blocs 
énormes écroulés les uns sur les autres, un obstacle 
nous barre la route et nous force à revenir sur nos 
pas. J'ai toujours l'appréhension de voir déboucher 
de quelque fourré un animal dangereux ; seule 
une. sorte de fouine montre son museau; une balle à 


156 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

vite puni son indiscrétion. Je me repens, devant la 
beauté de la bête, de ce coup de fusil inutile, puisque 
je ne puis l'emporter et que mes guides ne veulent 
même pas y toucher. 

Après bien des fatigues, nous voilà enfin au pied 
d'une roche gigantesque d'une seule venue et de 
25 mètres de hauteur environ : elle est posée comme 
un cube en couronnement de la montagne ;. c'est le 
dernier pas pour atteindre le sommet de Karoma. 
Comment y arriver? Je suis aussi perplexe qu'à 
l'ascension du Ganigou, au moment où Ton atteint 
au point nommé la cheminée. A peine si les arbres 
qui sortent des flancs du rocher à pic sont assez 
solides pour supporter notre poids. Mahmoud hésite, 
son compagnon plus courageux, surtout en face de 
la promesse d'un bon hachis^ aborde résolument la 
difficulté et, grimpant comme un singe aux saillies 
du rocher, va attacher au plus gros des olibanum 
(arbre à encens), une corde dont j'avais eu soin de 
me munir; il attend sur un arbre voisin que je sois 
rendu à destination : et nous recommençons ce ma- 
nège jusqu'au sommet, où un entablement de quatre 
ou cinq mètres carrés me permet de m'allonger à 
mon aise. 

Quant à Mahmoud, peu soucieux de nous suivre, 
il a préféré rester à la garde de mon fusil et de 
mes autres effets ; il va se mettre à la recherche 
d'un abri où passer Ja nuit, couper du bois pour 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 157 

■ 

notre feu et surtout veiller à ce que nous soyons en 
sûreté en cas de visite désagréable. 

J*avoue que ma déception est grande; j'espérais, 
du hautdeKaroma, pouvoir étendre ma vue vers le 
sud de Merâya, derrière l?i grande chaîne de mon- 
tagnes qui longe tout le littoral. 

Je ne découvre qu'une suite de crêtes se dévelop- 
pant devant moi ; Thorizon s'arrête à Test, à la pointe 
de Râs Assir. Mon guide^ auquel j'exprime mon 
étonnement, me fait entendre qu'il faut marcher 
ainsi pendant sept jours dans l'intérieur, pour pou- 
voir arriver aux plaines fertiles qui nourrissent les 
grands troupeaux, et qu'arrose le fleuve Nogal. 

Ma station au sommet du pic n'est pas de longue 
durée ; j'ai encore peur de me voir frappé d'insola- 
tion, malgré toutes les précautions que j'ai prises ; 
je suis surtout assez inquiet, après les difficultés de 
l'ascension, de la manière dont nous allons des- 
cend! d. 

Mon guide se glisse le premier au moyen de la 
corde, et va m'attendre sur un t olibanum. » Je le 
rejoins bientôt. Nous n'avons pas songé que per- 
sonne n'est resté en haut pour défaire le nœud. 
Force est à mon guide de remonter : je lui explique, 
non sans peine, qu'il faut simplement passer la 
corde à la branche qui la soutient, et se laisser glis- 
ser en la tenant double. Je crains bien qu'elle 
ne soit pas assez longue pour qu'il puisse atteindre 


158 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

un nouvel appui ; il n'en est très heureusement rien, 
et en recommençant ce manège à plusieurs repri- 
ses, nouô voilà â terre. 

Mahmoud lève les bras au ciel en nous voyant 
opérer cette descente, mais je crois que ce qui lui 
importe le plus, c'est que nous nous dépêchions, 
car il commence à avoir faim. Nous n'avons que des 
dattes et quelques biscuits; j'ai compté sur mon 
fusil, mais non sur le manque de gibier. 

La nuit arrive à grands pas et Karoma se couvre 
de brumes humides. Notre petit campement est 
bientôt prêt, nous passerons notre nuit â l'abri d'une 
grande roche, à côté d'un bon feu. 

Mes guides n'ont pas l'intention de dormir, mais 
j'ai peu de confiance en leur dire parce que je les 
sais exténués* Toutefois la peur les tiendra peut-être 
en éveil. — 


Je me réveille le lendemain tout engourdi par le 
froid en dépit du feu toujours allumé, qui me prouve 
que mes Çomalis ont fait bonne garde. 

La descente me paraît plus dure que l'ascension, 
j'ai peine à me tenir en équilibre malgré une grande 
canne quôj'ai faite avec un êtnkokib{avhveàgomme); 
à chaque instant, un faux pas menace de jne faire 


,^^^^' 


„-ÏÎÀ^-*" 


TROtS MOIS EN MEDJDURTINE 159 


arriver au bas de Karoma plus vite que je ne le 
désire. 

Nous ne nous dirigeons pas vers Aren ; nous al- 
lons à Daralet, la dernière grande étape des Bé- 
douins qui viennent de Mieh à Merâya» 

La nature du sol change brusquement, nous pas- 
sons une suite de petits cols arides et dont la couleur 
noire attire mon attention ; Tun d'eux est formé par 
une série bien assise de filons de minerai ferrugi- 
neux. Mahmoud me fait ypir une assez grosse pierre 
sur laquelle on a maplelçte moyen ji^un«- autre un 
nom devenu illisible; il prélerid'quç.a'çst'la signa- 
ture d'un Anglais, qui comme moi observa la nature 
du sol, et grava sans^ doute, çon nom en (jet endroit 
comme repère. ^ ' •'•:•/ ;- • .' 

Il y a trente ans, celnéme Anglais, au dire de 
mon guide, a visité les autres mines du pays. Il est 
allé dans Tintèrieur jusqu'à Djajël. Si Mahmoud dit 
vrai, comment se fait-il que cet explorateur ait gardé 

pour lui tout ce qu'il a vu ? 

> 

Moins habitué que mes guides à courir dans la 
montagne, je me laisse un peu dislancer. Ils se sont 
arrêtés ; et, pour les rattraper, je vais couper par le 
plus court chemin et traverser un petit bouquet 
d'arbres, lorsque leurs cris interrompent ma course 
dans cette direction. Ils me font signe d'éviter le 
fourré ; craignant la rencontre d'un faiive, je -saisis 


160 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

mon fusil etjerarme; un geste négatif méfait corn- . 
prendre que ce n*est point de cela qu'il s'agit. Je 
reste cependant sur le qui- vive. Mahmoud me re- 
joint alors, et me dit que cet arbre est le terrible 
oiiahmo (1), avec la sève duquel ils font le poison pour 
leurs flèches. 11 m'explique que la moindre égrati- 
gnure occasionnée par ses branches est mortelle. Je 
comprends alors ses signaux; mais, peu convaincu, 
je demande ma hache pour couper une branche de 
cet arbre vénéneux : mes Çomalis s'y opposent, pré- 
tendant que je ne pourrais désormais m'en servir 
sans danger. 

C'est un site charmant que Daralet ; de grands 
arbres ombrageux, de l'herbe haute, des lianes et 
des palmiers circonscrivent une source d'une eau 
excellente qui s'échappe du rocher et descend dans 
la vallée pour se perdre dans un bassin comme à 
Aren. 

11 n'y a pas, comme à ce dernier point, de singes 
ni d'oiseaux de toutes couleurs. Seuls une quaran- 

(1) (i'cst avec le ouabaïo que les Çomalis empoisonnent leurs 
flèches. Us font bouillir les racines de cet arbuste avec un peu 
de gomme et forment un enduit consistant dont ils garnissent le 
dessous du fer. 

Je ne sais si le ouabaïo ne pousse qu'en MeJjourline, mais j'ai 
vu les Dolbohantes qui venaient ou marché de Bender Gâsem 
acheter de petits fagots do racines de cet arbre meurtrier. 

Il y a encore un poison des plus violents par absorption, c*est le 
douukalej qui s'extrait de la baie d'un petit arbuste. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 161 


laine de corbeaux clierclicrit leur nourriture dans 
une sorte de fruit rouge se rapprochant beaucoup des 
mûres d'Espagne, et qui est porté par de grands 
arbres assez semblables à des platanes. 

Pendant que mon crayon essaye d 'esquisser ce 
charmant paysage, Mahmoud et son compagnon font 
leurs ablutions et leurs prières. Nous nous concer- 
tons ensuite pour rentrer à Merâya en reprenant le 
lit du Goudmô, A peine avons-nous lait une centaine 
de mètres, que mes guides s'arrêtent brusquement : 
j'imite leur exemple et des chants parviennent jus- 
qu'à nos oreilles. Mahmoud croit reconnaître des 
soldats d'Alloûla; il n'est pas rassuré du tout et 
juge plus prudent de passer à travers la montagne 
que de longer la route habituelle d'Aren, sur laquelle 
nous trouverions sûrement les ennemis. Gela me 
sourit peu, je l'avoue, mais je suis bien forcé de le 
suivre. De temps à autre, nous nous arrêtons et prê- 
tons l'oreille; les chants se rapprochent et' leur di- 
rection donne à supposer que les soldats d'Alloûla, 
si toutefois ce sont eux, viennent vers Daralet que 
nous avons quitté. 

Nos précautions redoublent en approchant d'Aren ; 
personne ne s'y trouve, cependant, et nous pouvons 
nous reposer d'une course aussi pénible que celle 
que nous venons de faire. 


162 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Nous arrivons à Merâya vers les trois heures. 
Nous trouvons tout le conseil sous le gourbi de la 
place. 

Mahmoud lui raconte notre course et ses péripé- 
ties. A la nouvelle que des Çomalis ennemis sont 
peut-être à Daralet, une vingtaine de soldats sont 
envoyés dans la gorge de Goudmô, pour les faire 
prisonniers, s'il est possible ; et en ce cas, on se 
promet bien de leur appliquer le même sort qu'ils 
ont infligé au malheureux Çomali de Merâya 
égorgé précédemment 4)rès de Guesli* Ghiroa me 
demande ce que j'aurais fait, circonvenu par des 
ennemis, en voyant mes guides massacrés devant 
moi ! N'avait-il pas raison de m'empecher de partir 
Tavant-veille ? 

Je suis bien forcé de reconnaître la justesse 
de ses observations. 


On annonce l'arrivée du suUan. — Osman Mahmoud. — Son 
armée. — La revue des troupes. — L'assemblée. — Impréca- 
tions, — La prière. — Le repas des 2,000 Bédouins. — Noûr 
Osman vient me voir^ — Notre conférence. — L*iDcident an- 
glais de 1869. — Ses conséquence». — Le VolUgiern, 

Le lendemain, Sementar arrive tout joyeux m*an- 
noncer la venue du sultan; il n'est plue qu'à 
48 heures de marche ; je profite de sa visite pour 
dissiper dans sa pensée les craintes émises par 
certains Çomalis pendant ma course à Karoma, 
que mes différentes excursions dans le pays n*aient 
d'autre but que de Tétudier de manière à pouvoir y 
amener dos troupes françaises l'année suivante. 
Toujours mêmes soupçons et même appréhension 
chez ces ignorants (1). 

(1) Guillain eut à souffrir bien plus encore du caractère soup- 
çonneux des Çomalis et de leui's ci'aihieâ toUJÔUfâ ett éveit. 11 
rapporte à cet égard le tfatt ëUiVânt! 

« Un jour que nous suivions la côte nous dirigeant vers le fond 
de la baie (Haffoûn), ces hommes nous barrèrent le passage et, 
comme nous insistions, ils nous menacèrent de leurs couteaux et 
de leurs sagaies. Nous rétrogradâmes po'ur éviter une collision 
inutile. a> 

Cruttenden s'était déjà heurté aux niâmes dlfQcultés en 1848. 


164 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Ces inquiétudes contribuèrent à me fermer plus 
tard, j'en suis sûr, les marchés de l'intérieur. . 

Sementar me recommande de ne point faire 
attention à tout ce que Ton peut dire autour de 
moi, de continuer toutes mes études et de n'avoir 
de communication pour mes projets qu'avec lui ou 
son frère Noûr quand il arriverait. 

Conformément aux affirmations du gouverneur, 
quelques éclaireurs apparaissent le 15 octobre ; ils 
précèdent le sultan qui arrivera bientôt lui-même, 
suivi de 2,000 Djingals ou Bédouins. 

La figure de ces éclaireurs est farouche et sinistre : 
leurs cheveux démesurément longs sont couverts 
d'unepoussière jaunâtre. En arrivant sous le gourbi, 
ils sont surpris de voir un Européen au milieu du 
conseil ; la réception qui leur est faite est assez 
curieuse. Tout Merâya est sous lés armes et rangé 
en demi-cercle. Quant aux nouveaux venus, ils se 
tiennent en dehors, debout, répondant au long 
interrogatoire qu'on leur fait subir et qui com- 
mence toujours par ces mots : 

€ Ouèr ia mai, ech kabar ? » 

« Qu'y a-t-il? quelle nouvelle? » 

Pendant tout leur entretien, caché derrière Chi- 
roa, j'esquisse rapidement quelques-uns de ces 
types et cette étude me fait trouver dans leur profil 
différents caractères bien accentués qui dénotent le 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 165 

croisement des Medjourtines avec les diverses tribus 
voisines. 

Le profil du Medjourtine est le profil arabe, 
parfaitement régulier, la lèvre peu lippue, le nez 
non écrasé, mais plutôt busqué, les cheveux longs 
et frisés ; c'est absolument le type d'un Européen 
quelconque, la figure bronzée au lieu d'être blanche. 

« Le Medjourtine, dit Guillain, appartient à une 
Variété intermédiaire du degré de transition entre 
le rameau sémitique de la race caucasienne, et le 
rameau éthiopique de la race noire. » 

Le Çomali de Tintérieur, suivant qu'il tient de 
rOugadin ou du Dolbohante, a les cheveux courts 
et crépus, le nez un peu aplati, la lèvre un peu 
plus forte. D'autres ont presque le type souahéli : 
nez aplati, grosses lèvres; ce sont les Çomalis nés 
des esclaves que les Arabes venaient vendre chez 
les Medjourtines ou que ceux-ci capturaient eux- 
mêmes avant l'abolition de la traite et la surveil- 
lance du gouvernement anglais. 

Dans la soirée, ma case est assaillie par les nou- 
veaux venus. Je me plie à tous leurs désirs et ne 
sais comment m'en débarrasser. Sementar s'en 
charge, accompagnant ses ordres de menaces de 
<îoups de bâtons, si l'on ne respecte pas la maison 
du Français. 


y 


166 VOYAGES AU CAP DES AROMAfEÔ 

C'était bien Tavanl^garde d'Osman Mahmoud. 

Le 17, du côté de Dourbo, une longue ligne 
blanche descend la colline. Un courrier arrive à bride 
abattue, annoncer l'arrivée du sultan; il n'est plus 
qu'à quelques kilomètres. On pavoise de suite les 
citadelles. Je suis cet exemple en hissant mon pa- 
villon au faîte de ma case. 

Meràya est bientôt encombré par l'armée que 
Noûr Osman vient de lever dans toute la Medjour- 
tine pour détruire AUoûla. 

Cette armée se compose de 2,000 guerriers. Je 
ne reverrai peut-être plus de ma vie des ligures 
aussi farouches. Ces hommes marchent en bon 
ordre sur une seule ligne, par fractions constituées 
sous le commandement d'un chef. Chacun de ces 
groupes représente le contingent fourni par un vil- 
lage ou cantonnement. ^ 

A leur approche, la population pousse des hourras 
auxquels ils répondent en brandissant leurs mas^ 
sues ou leurs lances. 

Je cherche le groupe où peut être Noûr; il 
est resté en arrière avec quelques guerriers pour 
écouter les plaintes du gouverneur de Dourbo; il 
n'arrivera que dans quelques heures ; ses chevaux 
sont conduits en main. 

Le sultan arrive vers les trois heures avôc sd 
sUile ; il esta pied et s'abrite sous un vaste parasol. 


TROIS MOIS EM MEDJOÙRTmB 167 

Mahmoud s'arrête â la maison de Sement^r 
Osman où le reçoivent les membres du conseil. A 
la porte, restent quelques Bédouins formant son 
escorte. Peu d'instants après, je lui fais deman- 
der de me recevoir pour lui souhaiter la bienvenue. 
11 répond à Bagaro qu'il se rendra lui-môme à ma 
case, dès qu'il aura fini de conférer avec le conseil. 
Deux coups de fou annoncent sa sortie; je puis mciin- 
tenant examiner à loisir cet étrange souverain. 

C'est un enfant de 17 ans, la figure rude, mais 
n'ayant rien de remarquable dans les traits; il est 
vêtu comme les autres Çomalis ; seul un sabre à 
poignée dorée le distingue au milieu de tous. Il 
ressemble énormément à son jeune frère Yousouf. 
Rien dans sa démarche et dans sa tenue n'indique 
la dignité de son rang ; il ne s'arrête que peu d'ins- 
tants devant ma hutte, me serre la main et me 
laisse seul pour aller rire avec quelques-uns de ses 
sujets. 

Son ministre Noûr vient me voiraprèslui»Ilme 
reconnaît parfaitement. Il échange avec moi deux 
ou trois mots, et me demande ensuite la permission 
de me quitter pour aller assister à la grande réu- 
nion des guerriers à laquelle il me convie; demain 
il me consacrera plus de temps et reviendra me 
voir avec le sultan. 

Il me remercie des soins que j'ai donnés a ses fils 
et aux autres blessés ; il compte sur moi pour les 


168 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

leur prodiguer encore après le combat qui aura lieu 
sous peu. 

Toutes les troupes arrivées le matin sont allées 
se grouper autour du puits et se reposer à Tombre 
de la forêt . 

A l'appel de Noûr, elles se mettent en mouve- 
ment, et se reforment sur une seule ligne, en bon 
ordre, entonnant leur chant de guerre. Devant 
chacun des contingents fournis par les diverses 
tribus, se tient le chef, qui se donne une peine in- 
finie pour maintenir l'alignement. L'armée de 
Meràya, de Guersa, de Guesli et de Bender 
Gâsem qui s'est formée en dehors de la ville vient 
à leur rencontre dans le même ordre. Elle est suivie 
des femmes qui répondent en chœur aux cris de 
guerre par une espèce de tyrolienne bizarre. Les 
deux lignes s'arrêtent en présence l'une de l'autre 
environ à 500 mètres. 

Entre les deux, Noûr, le sultan et les conseillers 
sont à genoux et prient. Au moment où ils se re- 
lèvent, quelques coups de feu et des hourras pré- 
cèdent une fantasia sur place assez bien exécutée. 
Un groupe se détache de chaque ligne ; il est com- 
posé des chefs Djingals d'une part, et de guerriers 
de Merâya de l'autre. Chaque groupe vient respec- 
tueusement tour à tour embrasser les mains de Noûr 
et du sultan et, cela fait, reprend sa place. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 169 


Puis les masses s'ébranlent et Tarmée tout en- 
tière se range en un vaste carré. Chaque chef de 
compagnie est à son poste. Au centre se forme le 
cercle des chanteurs ; huit hommes, la lance au 
poing, exécutent en cadence, sans accompagnement, 
une danse guerrière. 

Pendant ce temps, j'examine tous les groupes ; 
les uns sont armés seulement de leur arc {gahoïo) 
et d'une massue, ce sont les archers midgos^ les 
plus redoutables des Djingals. D*autres ont les 
deux lances {warmo)^ le bouclier (gachan) et le sabre 
(bélaoui) ; d'autres sont munis de frondes. Un petit 
nombre est armé de mauvais fusils à mèche ; ce 
qui m'étonne, c'est de trouver parmi ces derniers 
deux types arabes, parce que l'intérieur de la Med- 
jourtine leur est sévèrement interdit. 

Le silence le plus complet se fait bientôt. L'un 
des chanteurs se lève et débite d'un ton monotone 
une imprécation contre AUoûIa : 

« Nous anéantirons cette ville de singes (daïer) 
qui ne veut pas reconnaître la volonté du prophète 
dans le sultan Osman. 

t Fidèles à lui, nous sommes venus sur la voix 
de Noûr pour punir le Yousouf Ali, ce tigre (chebel) 
et ce chien (keleub) qui a tué nos frères. 

« Alors^ s'il plaît à Dieu, nous aurons de la 

iO 


170 VOYAOPS AU CAÏ* DBS AROMATES 


pluie qui noua donnera Therbe qui engraisse nos 
troupeaux, etc., etc. » 

Cette imprécation finit par ce mot « Fata! i et 
tous les guerriers prient ensemble. 

Une dizaine de déclamateurs se succèdent ainsi, 
pour dire la même chose, en termes plus ou moins 
métaphoriques ou véhéments. A la fin, les auditeurs 
fatigués commencent à ne plus tenir eu place et le 
désordre devient complet, 

Le soleil va disparaître ; chacun fait au moyen de 
Teau contenue dans la gourde qu'il porte, ses ablu- 
tions ; puis, sur un signal de Noûr, Tordre se réta- 
blit, et on commence la grande prière* 

Presque tous les Bédouins ont leur messagid, 
morceau de cuir découpé sur le plan de la mosquée 
de la Mecque, qui leur sert pour prier quand ils sont 
en route. 

La foule recueillie répond d'une voix grave ; 
leurs Amen et Alla Akbar sont répétés par Técho 
de la montagne. On dirait, à les Voir, de grands 
pénitents blancs en prière. 

Je regagné ma case sous Timpression du specta- 
cle grandiose auquel j'ai assisté. 

Pensant que quelques friandises seront agréables 
au sultan, je charge Bagaro d'aller les lui offrir; 
Mon domestique revient presque aussitôt me pré- 


V * 




iTl^ 


ptl^ 


TROIS MOIS EN MEDJOURtlNE 171 

venir que, si je veux juger de ce qiie peut être un 
Bédouin, j'aille voir la scène qui se passe en ce 
moment; il me recommande de me tenir un peu 
au large. 

Nous y courons ensemble. 

C'est une vraie bataille. Le sultan a amené à la 
suite de son armée une vingtaine de chameaux et les 
a donnés comme distribution de vivres à ses trou- 
pes. Mais il n'y a pfi^3-encore de fourrier dans cette 
armée de sauvages- et chôouii- 'veut avoir sa part. 
Aussi à peine les paiivrfes bêtes ont-elles été égor- 
gées, que ces qff famés s*en disputent les lambeaux, 
taillant avec leur béIaoui& tant sur Ifanimal que sur 
la peau du voisin. Avec léurslo^gs cheveux et leurs 
figures farouches, les Bédouijisqui s'arrachent un 
morceau de viande ressemblent aux fauves de nos 
métiageries au moment du repas. 

La bagarre prend des proportions tellement graves 
que l'on m'amène un blessé dont le crâne est litté- 
ralement ouvert ; il expire dans la nuit. 

J'avoue qu'en présence d'un semblable spectacle, 
j'augurais mal du sort réservé à Yousouf Ali, quand 
tout ce monde envahirait AUoûla ! 

Le lendemain 18, Noûr vient me voir, il est es- 
corté de plusieurs Çomahs que je le prie d'éloigner 
pour pouvoir converser librement avec lui. 

Je lui explique pourquoi je me trouve à Merâya, 


172 VOYAGER AU CAP DES AROMATES 


quelles sont mes vues d'exploration. Je lui demande 
son appui, sachant bien que de lui dépend la possi- 
bilité de pénétrer dans Tintérieur, s'il le veut. 

Je pourrai faire dans son pays ce que pas un 
Européen n'a tenté, et sur lui se reportera la recon- 
naissance de mes semblables, si je leur révèle une 
région qui est encore inconnue. Noûr me répond 
affectueusement. J'ai guéri ses fils, je puis désor- 
mais me considérer comme si j'étais de sa famille. 
Dès que la guerre sera finie, s'il arrive à soumettre 
Yousouf, il me donnera une caravane, et l'un de ses 
enfants pour parcourir la Medjourtine. 

Je parlai ensuite avec Noûr du cap Gardafui, qui 
bientôt jouira d'une réputation plus sinistre que le 
cap des tempêtes (1), et de l'idée d'y établir un feu 
fixe, moyennant grosse redevance ; il me répondit 
alors cyniquement que les Çomalis avaient là une 
trop grande source de richesses pour l'abandonner; 
que tout ce qui leur arrivait était envoyé par Ma- 
homet et que, « In cha Alla! > sous peu, un autre 
Meï-Kong se briserait à la côte. 

Noûr me raconta aussi qu'au naufrage du Cache- 
mire^ le gouvernement anglais lui avait remis 
3,000 piastres de gratification, pour avoir reconduit 
l'équipage sain etsaufàAden. 

(1) Depuis le mois de juin 1877, il s'est perdu au cap Gardafui, ou 
dans ses parages six gros vapeurs : Le Meï-KoBg, le Cachemire^ /o 
VoJtj'gierD,rOver-YsseJ et deux autres dont les noms m'échappent. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 173 

D'une chose à Tautre, il arriva à me parler 
du fait suivant que je rapporte tel que je le liens 
de lui. 

En 1862, un navire anglais prit mouillage en rade 
de Beraïda. Son équipage descendit à terre pour 
aller puiser de l'eau à la fontaine. Les Çomalis 
exigèrent qu'ils payassent un aschour. Ce à quoi 
il leur fut répondu, me dit Noûr, par un refus 
accompagné de menaces. — Est-ce bien là le motif 
qui provoqua une rixe? 

Le fait est que pas un des marins ne rentra à 
bord ; ils furent impitoyablement massacrés. 

Les Anglais, justement émus, expédièrent à la 
côte leurs bâtiments de guerre. Quelques coups de 
canon tirés par eux firent fuir dans l'intérieur tous 
les Çomalis (des projectiles existent encore sur 
différents points). 

Une descente fut effectuée et Ton exigea que 
Noûr Osman arrivât sur les lieux. Explication don- 
née sur les faits précédents, deux ou trois Çomalis 
furent décapités séance tenante (1). 

C'est, après cela, paraît-il, que le commandant 
remit à Noûr un ouarga ou contrat par lequel 

(1) Une lettre du colonel Playfair à la Société de géographie 
commerciale, parue dans le BulJeiin de 1880, au moment où 
nous mettons sous presse, confirme ces représailles auxquelles 
ii assistait lui-même. Nous avons cru cette lettre assez intéres- 
sante pour la publier à la fin de ce volume. 

10. 


174 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


tout navire à la côte deviendrait sa propriété, à 
la condition qu'il respecterait la vie des passagers. 
Une gratification lui serait même accordée, s'il les 
repatriait. 

Peu de Çomalis savent établir la différence qu'il 
y a entre un Français et un Anglais. Pour eux, tout 
ce qui est blanc est « Frengi > , de même que tout 
ce qui n'est pas musulman est < kofri ». 

Voilà pourquoi j d'après le touarga > de 1862 du 
gouvernement anglais, ils se prétendent /maîtres de 
tout navire à la côte, abandonné ou non, et à quel- 
que nationalité qu'il appartienne. 

Un autre incident se rattachant à cette conces- 
sion se produisit sur la côte, quelques jours après 
que je Teua quittée. Je l'appris à Aden, et ce me 
parait être ici le lieu de le rapporter. 

Dans la nuit de Noël 1878, le Voltigiern, affrété 
par la tnaison Roux de Fraissinet, de Marseille, 
vint se mettre au plein, en face même d'Alloûla. 
Pendant trois jour*, l'équipage resta à bord, entouré 
d'une vraie flottille de boutres accourus au pillage. 

UAnadyr^ commandé par M. de Butler, vint à 
son aide. Les passagers du Voltigiern purent trans- 
border une partie de leurs bagages. 

A peine les embarcations, opérant sauvetage, 
s'étaient-elles éloignées que l'abordage de l'épave 
abandonnée commença. Tous les passagers de FA^ 
nadyr purent assister à cette scène émouvante, où 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 175 

Yousouf Ali, pour rester maître du navire échoué 
dans ses eaux, commandait un véritable massacre 
de tous les Çomalis étrangers à AUoûla qui enva- 
hissaient le bord. 

Lg VoUigiern n'était pas assez profondément 
ensablé pour qu'on dût renoncer à le remettre à 
ilôt. Quelques jours après, il était ramené à Aden 
complètement vide et désemparé. Sa cargaison, 
composée exclusivement de fusils, de poudre, de 
cotonnades, faisait bien l'affaire de Yousouf ei don- 
nait à AUoûla des munitions qui lui permettront de 
tenir encore longtemps toute la Medjourtine en 
échec. 

Le VoUigiern fut vendu par Yousouf Ali à une 
compagnie qui, à celte époque, faisait plonger les 
épaves du Meï-Kong. 

Les assurances plaidèrent, mais la compagnie 
ne voulut point céder son contrat. L'affaire fut 
déférée aux tribunaux d'Aden, et le marché de 
Yousouf Ali validé, puisqu'il reposait sur le ouarga 
de 1862 qui le rendait propriétaire des épaves de 
la côte. 


VI 


Départ des troupes sur Alloûla. — Comment j'établis mon itiné 
raire de Karkar aux différents ports de la côte. — Défaite de 
l'armée de Noûr. — Retraite en désordre. — Visite du sultan. 
— *Esa Dohol. — Noûr me donne un « ouarga » de libre circu- 
lation. — Départ du sultan pour l'intérieur. — Un» orage à 
Merâya. — Deux visiteurs désagréables. — Mon départ pour 
Gandala avec Sementar Osman. 


Le sultan vient me voir et me demande de lui 
prêter mon fusil pour tirer à la cible. N'osant guère 
le lui refuser, je le lui charge moi-même; et nous 
engageons tous deux la partie : pour flatter son 
amour-propre, je lui laisse le dessus jusqu'à la 
dernière balle. 

J'avoue que mon plus grand plaisir de la journée 
est de voir arriver chez moi ce brave Abdallah, le 
conseiller de Sementar, qui nous a été si utile lors 
du passage de r Adonis. Il vient de Gandala et 
compte séjourner ici quelque temps. J'aurai de lui 
bien des informations, et je suis sûr qu'elles ne 
seront pas erronées; si je m'aventure danslaMed- 
jourtine, je l'engagerai à mon service. 


1 


178 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Le 19, les troupes se réunissent et se mettent en 
route sur Alloûla. Le sultan part avec la dernière 
fraction. Il' est habillé encore plus modestement que 
de coutume et armé de son bouclier et de ses deux 
lances. Quant à Noûr, il assiste au défilé encoura- 
geant ses guerriers du geste et de la voix. Je lui 
demande de le suivre. H me répond que je dois 
rester à Merâya, car la lutte sera terrible et si les 
soldats de Yousouf, me voyant, venaient a me blesser 
ou à me tuer, on ne manquerait pas d'accuser les 
siens de ce méfait. 

Ce refus me contrarie, je l'avoue ; mais, au fait, 
Noûr a raison et je ne dois pas courir cette aven- 
ture, quelque désir que j'aie de voir comment ces 
guerriers çomalis vont se battre. 

Quand le dernier groupe qui escortait le sultan 
(le groupe de Merâya) passa devant le cimetière, il 
s'arrêta. 
f Quelques coups de feu et des llècheâ décochées 

en l'air saluèrent le champ des morts. Chacun pro- 
mit de venger le sang répandu pour la cause du 
souverain. 

Toute la population féminine suivit l'armée pen- 
fiant quelque temps, l'excitant par ses cris et par 
ses vociférations et lui souhaitant la victoire. 

Sementar ne partit que dans la nuit avec les re- 
tardataires. Il ne laissait que 20 hommes à Merâya. 
Le vide qui se fit ainsi me procura enfin un peu de 


TflÛIS MOIS EN MEDJOURTmH! 179 


tranquillité. Depuis l'arrivée de Iqnl^i ces troupes, 
ma case ne désemplissait pas durant le jour de 
curieux et d'importuns; et la nuit, ils s'installaient 
à ses abords, chantant et dansant autour d'un 
grand feu. 

Toutefois j'ai tiré profit du séjour de ces Çomalis 
de l'intérieur. 

En les voyant jouer sur le sable au cAa/ë, j'eus 
ridée de prendre dans ma case, avec Mahmoud Addi 
et Bagaro, deux des plus intelligents d'entre eux et 
de leur expliquer, avec ma carte marine à grands 
points, la forme que nous donnions à la Medjour- 
tine. 

Mahmoud Addi saisit le premier et compléta mes 
explications. Gela fait, j'indiquai à mes Çomalis, 
au moyen de coquilles, les ports depuis Haffoûn 
Jusqu'à Beuder Gâsem* 

Une fois ces points déterminés, Mahmoud Addi 
leur marque sur la carte la ville intérieure, Karkar, 
et mon crayon rouge relie ce point aux trois villes de 
Haffoûn, Môrâya et Bender Gàsem# 

Sur ces lignes rouges, au moyen de pierres, les 
Çomalis m'indiquent Alors les différentes stations 
ou cantonnements par où ils passent pour atteindre 
ce plateau central de la Medjourtine. 

Je recueille précieusement tous ces noms en leui* 


180 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

demandant quel temps il leur faut pour se rendre 
de Tune à Tautre de ces stations. 

La vérification s'opère en faisant concorder le 
nombre de jours indiqués en bloc pour le voyage 
complet de Karkar à l'un des trois ports sus-nom- 
més de la côte, avec le total obtenu par Taddition 
des différentes étapes. 

Je recommençai celte étude avec quatre ou cinq 
autres Bédouins qui hésitaient d'abord à me ré- 
pondre, mais dont un peu d'étoiïe rouge vainquit 
facilement les appréhensions. 

Au moyen de leurs renseignements, je contrôlai 
les premiers ; les noms étaient parfaitement exacts. 

Plus lard, àBender Gâsem, à Gandala, j'agis de 
même, et ces renseignements, puisés à diverses 
sources, se trouvèrent concorder rigoureusement. 

Le point d'intersection de deux orientations, 
faites à Merâya et Bottiala, me donnèrent à peu 
près la juste position de cette ville intérieure où 
j'avais intention d'aller. 

Trois jours se passent sans aucune nouvelle; le 
quatrième jour, un messager arrive, annonçant que 
le combat aura lieu le lendemain sans doute. Moha- 
med béni Assen et Yousouf ont opposé aux troupes 
de Mahmoud Osman des forces considérables ve- 
nues de Macalla. Noûr a été obligé de cerner Al- 
loûla ; mais les nuits sont froides et il est parti 


TROIS MOIS EN MEDJOURTIXE 181 


sans vivres, comptant sans doute n'éprouver aucune 
difficulté à soumettre les rebelles. 

Je comprends d'autant plus combien coucher à 
la belle étoile doit peu ralTermir le courage de l'ar- 
mée du sultan, que moi-même, réveillé par la fraî- 
cheur dans ma case, je constate la descente brusque 
de mon thermomètre à 12 1/2 et 13*», de 38 qu'il ac- 
cusait à midi. 

Dans la nuit du 24 au 25, des soldats arrivent 
pour demander à Ali, fils de Sementar et gouverneur 
de Merâya, par intérim, de la poudre et des muni- 
tions. L'assaut a eu lieu, il a été repoussé par les 
Arabes enfermés dans la tour en pierre (1) qui ont 
mis hors de combat bon nombre de soldats ; 12 hom- 
mes sont restés sur la place, dont 7 du côté d'Al- 
loûla, 5 du côté des forces de Noûr. Le siège con- 
tinuera, grâce aux vivres arrivés par boutre de 
Bender Gàsem ; on craint cependant que la flottille 
de Yousouf ne tente un débarquement à Guesli et 
Ton m'intime l'ordre de me tenir désormais chaque 
nuit à la citadelle. 

Le 26 au soir, je vis arriver le sultan et Chiroa. 
Ce dernier venait de perdre son fils. Ils sont suivis 
de Djingals escortant les blessés qu'on confine 
dans une ambulance en dehors de la ville. Tous 
crient famine, et do leur conversation, il ressort que 

(I) AUoûla et Bender Ziyâda sont le; deux seules vîUcs, où il 
y ait des constructions en pierre. 

11 


182 VOYAGES AU CAP DES AHOMATES 


la prise de la place leur semble impossible parce 
que les Arabes mercenaires ont beaucoup de muni- 
tions et peuvent tenir très longtemps. En un mot, 
Noûr n'est pas précisément satisfait de ce premier 
résultat qui me paraît être purpment une défaite. 
En effet, jusqu'au 29, ce n'est qu'une succès^ 
sion de petits groupes arrivant à la débandade. Au 
fur et à mesure, on les expédie sur Mieh où ils 
vont, disent-ils, se reformer. Ils emportent le sa- 
laire de leur première campagne. Quelques rethols 
de dattes (1), quelques doudouns ou coudées de 
toile; leurs exigences les rendent insupportables, 
et il n'est pas d'instant où il ne se produise une 
rixe sanglante. 

Le sultan se décide enfin à franchir le seuil de 
ma case pour me demander quelques cadeaux que 
je lui ai promis. Je les lui remets et le vois non 
sans peine en distribuer une partie. Je lut demande 
de revenir dans la soirée pour conférer un peu avec 
moi. Il ne daigne point se rendre à mon invitation. 
Je ne manquai pas le lendemain de lui reprocher 
vertement, en plein conseil, ce manque d'égards. 

La leçon profita; à partir de ce moment, le sultan 
vint plutôt deux fois par jour qu'une. 


1) Le rethol vaut 45S grammes. 


THOIlS; MOIS UN MED^OURTtNE 183 

Le l'"" novembre, un boutre arrive de Macalla, 
Malheureusement ce n'est pas d'Aden, et il ne 
m'apporte ni nouvelles ni provisions : le peu que je 
possède disparaît a vue d'œil et je vais être bientôt 
sans ressources, ce pays n*en offrant aucune ; force 
est bien de me résigner. 

Le 3 novembre, une pluie fine et serrée tombe 
pendant quelques heures et opère un changement 
brusque de température. Le froid fait place à une 
chaleur torride. 

Un boutre qui a doublé Râs Felek jette la per- 
turbation dans Merâya. Aussitôt le sultan vient me 
trouver et me prie de marcher à ses côtés ; il me 
demande de passer la nuit avec ses hommes dans 
la grande citadelle. Je suis donc obligé de me trans- 
former en garde du corps de ce souverain dont 
Tàge et surtout le caractère commandent si peu le 
respect. Mais ce n*était qu'une alerte; quelques 
Çomalis ne tardent pas à arriver, annonçant la venue 
de Sementar Osman et de Noûr. 

Je songe alors que j'ai quelques dispositions â 
prendre si je dois partir avec ce dei*niei* pour Karkar^ 
et je demande à Ghiroa sur quelles ressources je 
dois compter. Il me répond que le conseil décidera 
des forces que l'on peut mettre à ma disposition; 

Le 5, ùri second boutre vient mouiller en rade, il 


184 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

appartient à Rabbia ben Salem, un riche Arabe qui, 
depuis 30 ans, commerce avec Merâya ; cette em- 
barcation, pas plus que les précédentes, ne m'apporte 
aicun courrier. 

Depuis quelques jours, je n'ai pour nourriture 
que du riz et des dattes, et je voudrais bien voir 
arriver quelques provisions, d'autant plus que je 
ne compte guère sur la générosité des Çomalis; la 
suite me prouvera de plus en plus que j'ai raison. 

Le 7, un brave vieillard, Esa Dohol, vient passer 
sa matinée dans ma case; il me parle avec peine de 
la guerre qui déchire son pays et de Tétat sauvage 
auquel la Medjourtine semble vouée pour toujours. 
Tout le monde considère le sultan comme un 
enfant. Ce qui étonne Esa, c'est qu'il ne m'ait pas 
même donné une chèvre en échange des cadeaux 
dont je l'ai comblé. Noûr réparera sans doute ce 
singulier oubli. 

. Entre autres choses, j'apprends queles montagnes 
sont divisées par parcelles, appelées jardins, dont 
chaque Çomali devient propriétaire moyennant une 
redevance en piastres ou en chameaux. 

Ces propriétés sont scrupuleusement respectées. 
Au reste, Tamputation des poignets serait la puni- 
tion du coupable. 

Il me tarde, je l'avoue, que Noûr et son frère Se- 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 185 

mentar reviennent d'Assir. Ils i^enlrent à Meràya 
le 10; je leur raconte tous mes ennuis; Sementar 
en semble d'autant plus affecté qu'en me quittant 
il avait le pressentiment que personne ne songerait 
à avoir pour moi les moindres complaisances. 

Il est très fatigué de sa course, et nous remettons 
au lendemain de causer do mes projets. 

L'arrivée de deux courriers venus de l'intérieur 
fait réunir le grand conseil ; on s'est battu encore et 
il y a eu un assez grand nombre de morts. En pré- 
sence de ces nouvelles, Noûr me conseille de 
renoncer provisoirement à mes idées de voyage à 
Karkar : la prudence l'exige ; quand le calme se 
sera fait, je pourrai m'y rendre. Cette détermina- 
tion me cause une vive contrariété ; en attendant je 
partirai avec Sementar Osman pour Bender Khor. 
Il restera toujours à mes côtés. 

De nouveaux messagers se succèdent, ils appor- 
tent tous de fâcheux renseignements et dissipent un 
peu, par cela, les doutes, que j'ai sur la sincérité 
des raisons que m'a données Noûr. 

Ce dernier vient me voir le 12, il passe presque 
toute la matinée dans ma case, causant longuement 
du plaisir que lui ferait l'installation de Français 
sur les différents ports de la côte, se plaignant 
des difficultés continuelles qu'il a eue$ avec les 


186 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Arabes pour leur faire régler le ascbour ou droit de 
débarquement. Je lui demande, â cet égard, à quel 
chiffre il le maintiendrait pour nous, et je profite 
de Toccasion pour lui donner lecture du traité de 
Zanzibar traduit en arabe. Il en accepterait volon- 
tiers les clauses, se contentant du 5 0/0 en nature 
pour les marchandises débarquées seulement. Je 
ramène à s'engager par écrit ainsi que ses conseil- 
lers à de semblables clauses ; il y consent et me 
remet séance tenante le ouarga ou ûrman sti- 
pulant, au cas où je voudrais Tan prochain tra*- 
fiquer chez lui, le seul impôt que je devrais payer 
dans toute la Medjourtine. 

Bien qu'il me soit tout personnel, j'en donne la 
traduction ci-dessous : 

« Du sultan Osman Mahmoud et Noûr Osman 
et Sementar Osman, 
tt n est arrivé chez nous un Européen qui veut vendre et acheter 
sur notre territoire. — l\ nous demande sécurité, inviolabilité et 
amitié. 
H Nous lui accordons à condition qu'il payera le 5 0/0 de aschour. 

« De sorte que, s'il vient sur notre territoire, il sera respecté 

et bien accueilli. 

« Il y aura entre nous connaissance et amitié. Nos places de com- 
merce lui seront toutes ouvertes avec toute sécurité, et il pourra 
importer toute marchandise pouvant se vendre dans le pays. 
M Tout ce qu'il apportera d'Europe sera sauvegardé. 

c Salut. 
« Sultan Osmao. 
« Noûr Osman. » 

Ce document est revêtu de tous les contrôles 
capables d'en démontrer l'authenticité. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 187 

J'étais, ce même jour, en conférence avec 
quelques Bédouins groupés autour de moi, lors- 
qu'un Çomali qui m'avait grossièrement insulté la 
veille vint prendre place à mes côtés et se mêler à 
la conversation. 

Je lui fais observer alors que je ne veux pas de 
son voisinage, et, pour éviter toute discussion, je vais 
m'asseoir devant ma case sur ma natte. Il pousse 
l'audace, malgré mes observations, jusqu'à venir s'y 
asseoir aussi. Je le relève durement de cette 
impertinence et le chasse non sans accompagner 
mes paroles d'un mouvement que je ne puis retenir. 
Ce sauvage bondit alors comme un lion, mais 
avant qu'il ait le temps de saisir la massue ou le 
bélaouî de l'un des témoins de cette scène, je l'ai 
terrassé en un clip d'œil, et le maintiens ainsi 
jusqu'à la venue de Sementar qui sort heureuse- 
ment de chez lui. Il me serait, je crois, arrivé mal- 
heur sans son intervention. 

Bagaro lui explique ce qui s'est passé. Bien que 
je sois dans mon droit, je suis obligé de payer un 
thalari d'amende. Ce qui me contrarie le plus, c'est 
que mon Çomali est neveu de Sementar, et que 
son père, membre du conseil, pourra bien me garder 
rancune. Les Bédouins, témoins de cet incident, 
sont restés impassibles ; je les entends seulement 
murmurer ; « Oudâr saoua chébel » , « Fort comme 


188 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

un tigre ». Le vaincu s'éloigne en me menaçant de 
sa vengeance. 

Je profite de cette occasion pour dire bien haut 
que je traiterai ainsi quiconque n'aura pas pour 
moi le respect qui m'est dû. 

Noûr et le sultan quittent Merâya brusquement 
le 13. Leur présence est urgente à Mieh où Ton se 
bat toujours. 

. Ils s'arrêtent un moment chez moi, me remer- 
ciant encore de mes bontés et me donnent rendez- 
vous à Bender Gâsem. S'il plaît à Dieu, la paix 
sera faite, et, si je suis toujours dans les mêmes dis- 
positions, nous irons à Karkar. 

Comme je l'ai dit, je n'ai plus de provisions et 
j'ai trop compté sur les ressources du pays; d'autre 
part, je ne puis aller à AUoûla où je trouverais 
tout le nécessaire chez le négociant çomali Moham- 
med béni Assen dont j'ai parlé, en racontant l'expé- 
dition de r Adonis, et pour qui j'ai des lettres. 

Je me condamne donc à vivre désormais tout à 
fait à la çomali, comme j'ai commencé à le faire 
depuis 10 jours. 

Mon fusil m'aidera peut-être à rompre la mono- 
tonie de mon ordinaire. J'éprouve surtout le 
besoin de changer un peu d'air; je commence 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 189 

/ 

à être fatigué de celte station déjà longue. J'ai 
pris sur les arrivages et sur le pays tous les 
documents possibles et je les contrôlerai aux autres 
ports que je vais visiter. Rabia ben Salem envoie 
son boutre à Gandala, j'en profiterai pour m'y 
rendre. Je fais donc mes petits préparatifs, attendant 
qu'un vent favorable décide mon départ. 

Pour comble de contrariété, quelques heures après 
que Noûr et le sultan m'ont quittés, une pluie torren- 
tielle tombe sur Merâya ; au bout d'une heure, ma 
case flotte presque et menace de se déplacer. 

J'ai fait avec Bagaro une pyramide de mes baga- 
ges sur des caisses vides. Nous nous tenons accrou- 
pis au sommet pour nous abriter un peu. Malgré 
ces précautions, l'eau devient maîtresse de notre 
misérable toiture et nous sommes désagréablement 
mouillés. 

Par intervalle, la pluie se calme, j'en profite pour 
jeter un coup d'œil au dehors. Merâya est devenu 
un grand lac, les huttes et les montagnes ont pris la 
même teinte noire sur laquelle tranche peu la cou- 
leur jaunâtre des fortins en pisé. Les Çomalis 
courent çà et là pour rattraper quelques objets que 
le courant entraîne. 

Nous nous apercevons à peine que la nuit nous a 
gagnés ; nous allons demander asile à Sementar : 
sa maison est déjà pleine ; il m'est accordé, toute- 

11. 


190 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

fois, une petite place autour du feu. 11 faut me 
fâcher pour que mon fidèle Bagaro me suive;. je me 
soucie fort peu de le voir tomber malade, et ce serait 
pour moi le plus cruel déboire que de me voir privé 
de mon seul compagnon. 

Nous nous passons ce soir-là de souper ; j'aurais 
bien voulu cependant ouvrir mes caisses pour pren- 
dre quelque peu de café, et surtout du linge sec. La 
nuit se passe longue et fort mauvaise ; impossible de 
fermer Toeil. 

Loin dé cesser, la pluie redouble ; je suis bien 
inquiet de savoir ce qu'il adviendra de mes baga- 
ges. La situation devient plus critique encore lors- 
que la moitié de la terrasse de la citadelle où nous 
demeurons s'effondre sous la masse d'eau qui n'a 
pu trouver d'écoulement. Sementar renvoie les gens 
auxquels il a donné asile. Peu rassuré. moi-même 
sur la solidité de notre refuge, je l'abandonnai, lui 
préférant ma case. 

Nous restons jusqu'au lendemain, grelottant de 
froid et sans espoir de pouvoir nous réchauffer. 
Heureusement qu'avec le jour, se montre le soleil; 
mais comment avoir du feu, tout est mouillé ; le sol 
ressemble à du mortier. Nous parcourons tout le 
village ; les indigènes sont dans un état bien plus 
piteux que nous ; finalement un midgo qui campe un 
peu en dehors, sous une hutte de peau, nous donne 
l'hospitaUté. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 191 

Grâce à la chaleur torride qui succède aux pluies 
torrentielles de ces pays, le plus nécessaire de notre 
matériel fut bientôt à sec. 

Au moment où je déroule une natte accrochée 
aux parois de ma case, quelle n'est pas ma surprise 
en voyant qu'elle a servi de refuge à deux aspics 
fuyant l'inondation. Ma main a bien vite lâché 
prise et Bagaro, en un clin d'œil, m'a débarrassé de 
ces deux visiteurs incommodes dont la piqûre est 
presque foudroyante. 

' Vers la tombée de la* nuit, un trois-mâts voilier 
vient reconnaître Râs Felek ; sa vue met tout le 
village sur pieds ; on. se demande probablement si 
c'est encore un cadeau que Mahomet envoie. Aussi 
que d'In cha Alla sortent de la poitrine de tous ces 
indigènes qui croient déjà à une bonne aubaine! 
Leurs espérances s'évanouissent en voyant le bâti- 
ment virer de bord et prendre majestueusement là 
route d'Aden. 

La nuit du 15 au 16 répare nos forces. Au point 
du jour, une brise favorable est le signal de notre 
départ.. 


^ 


Ma station à Merâya va donc se terminer ; depuis 
quelques jours, j'ai eu à supporter des privations de 
toute espèce. Sementar, qui se prépare à m'accom- 
pagner, me fait espérer que je serai mieux à Gan- 


192 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 


dala. Il fera tout ce qui dépendra de lui pour qu'il 
en soit ainsi. 

Bien que j'aie un peu de rancune contre les nota- 
bles du pays qui ont déserté ma case quand je n*ai 
plus voulu donner les derniers cadeaux qui me res- 
taient pour les autres villes où je devais me rendre, 
je vais, quand même, leur dire adieu à tous pour 
rester avec eux dans de bons termes, leur faisant 
espérer qu'ils me reverront Tannée prochaine. 

Je ne laisse pas cependant de leur faire com- 
prendre qu'il faudra, s'ils tiennent à lier relations 
avec mes compatriotes, ou des Européens, être plus 
complaisants qu'ils ne l'ont été pour moi, après les 
bontés dont je les ai comblés. 

Une foule énorme m'accompagne jusqu'à la 
pirogue. 

Quelques instants après, nous sommes en route 
pour Gandala. 




i 


VII 


En route. — Gandala. — Origine du nom. — Lo jeune femme de 
Sementar, Alima. — Mon nouveau logement. — Gebel Aïsema. 
— Bender Khor. — Gomment j'y suis reçu. — Un gouver- 
neur peu aimable de la branche des Séliman. — Outrages au 
sultan. — Rentrée forcée à Gandala. — Visite nocturne d'un 
guépard. — La cassette. — Le traité entre le Naghib Omar Sala 
de Macalla et les Medjourtines. 


Nous posons rapidement devant Ras Orbe, et 
devant les deux caps Djebeur el Kébir, Djebeur 
el Seghir, où nichent des myriades de coroiorans 
(ffraculas latter)^ et que je me promets de visiter. 

Au couclîer du soleil, nous mouillons à l'entrée 
de la rivière de Bender Khor. Il nous faut, après 
noire débarquement, deux bonnes heures pour 
nous rendre à Gandala.- 

Cette ville, au pied de Gebel Aïsema, et cachée 
dans le sable, tire son nom d'un arbre appelé ganda 
auquel le Çomali attache l'idée superstitieuse que 
toute branche qu'il en casse, amène ou la fracture 
d'un bras ou celle d'une jambe. 

Nous n'arrivons qu'à la nuit et au «ortir de la 


194 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

prière. Tout le village vient recevoir Sementar ; il 
me présente comme le protégé du sultan, c Aban 
Sultan », et cause ensuite des affaires du pays. 

Cela fait, il me conduit à sa case. Il me la montre 
avec un certain orgueil; ici, au moins, je serai 
mieux qu'à Merâya. Sa femme aura bien soin de 
moi ; si je le préfère, d'ailleurs, je puis me choisir 
une autre habitation. J'aime mieux rester à ses 
côtés, d'autant plus qu'il a lui-même une autre hutte 
voisine où il com|rteJQgpr.. .. ^, 

Alima est une bâie e^jeu^e femme, qui semble 
plutôt la fille que l'épouse de Sementar. Elle a deux 
ou trois compagnes, fort jolies (à part l'une d'elles 
pourtant, ; qu'un tigre a , affreusement défigurée, 
l'année dernière, pendant qu'elle gardait les trou- 
peaux). Moins farouche que je ne le suppose, Alima 
nous prépare un modeste souper composé d'un peu 
de mouton boucané. Après ce repas, nous allons 
avec Bagaro voirie seul négociant arabe, Mohamed 
ben Gebbel, qui trafique sur ce point; il attend 
prochainement une caravane ; ce sera pour moi un 
sujet d'études plein d'intérêt. 

Le lendemain, au point du jour, je prends au 
crayon une vue de Gandala; cette opération fut 
assez pénible, car pas un arbre ne m'offrait le 
moindre abri, au point d'où je pouvais le mieux 
saisir le panorama. 




iTll^*^ 


ro^^^^ 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 195 

Quelques bâtisses en pisé, deux fortins autour 
desquels sont groupées des huttes, une grande et 
belle mosquée, voilà Gandala, qui, malgré son ari- 
dité, offre aux voyageurs la coquetterie et la pro- 
preté d'une ville neuve. Il n'y manque que de l'eau, 
et, sans cet inconvénient, ce serait un point bien 
plus important que Bender Khor pour les arri- 
vages. 

Assez inquiet sur le sort de mes bagages laissés 
à bord, j'envoie Bagaro les chercher avec une petite 
embarcation à voile. 

Obligé de remonter dans le vent, elle ne revient 
qu'à la tombée de la nuit, mais sans mes malles. 

Le capitaine a trouvé plus commode de faire 
charger du riz pour le compte d'un revendeur 
çomalî. 

Sementar, furieux, donne ordre qu'on retourne 
de suite à bord prendre mes bagages, menaçant 
du bâton si Ton n'exécute pas ses ordres. J'ac- 
compagne moi-même Tembarcation de peur qu'on 
oublie quelque chose. Nous ne rentrons à Gandala 
qu'à neuf heures. 

A l'aide de Bagaro et d'un Dolbohante, nommé 
Ali, un de ses amis qu'il a retrouvé à Gandala, 
nous transportons péniblement mes quelques colis. 

Tout le monde dort, et, pour ce soir-là encore, 
nous nous couchons en faisant pour tout repas un 
tour de plus à notre ceinture. 


196 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Je ne sais au juste combien durera mon séjour 
ici; désireux de voir un peu les environs, je 
prends Ali à mon service pour m'accompagner dans 
mes excursions, pendant que Bagaro restera de 
garde à la maison.. 

Le 18, Sementar ajoute par sa conversation sur 
la contrée quelques pages à mon carnet de rensei- 
gnements. Il m'indique en même temps les gens que 
je puis consulter dans Gandala. 

Pendaiïtjqtte je me rends auprès d'eux, des 
Çomalis m'^câisteiïtiet ijié demandent un aschour, 
parce que j'ai ramassé des coquilles le long de l.i 
plage. Je leur réponds que Noûr m'a dispensé de 
tout imgôrd[e\ce' i^enrô jBt-qu'^^ s'adressent à Se- 
mentar;; je ne sais s'ils osèrent donner suite à leur 
réclamation. 

Dans l'après-midi, je fais une course au torrent ; 
j'y ramasse quelques pétrifications et des minerais 
de fer roulés. 

Je retrouve encore ces mêmes pétrifications à 
2,500 mètres du rivage et sur le versant du Gebel 
Aïsema, ce qui me fait connaître parfaitement, 
comme à Merâya, où s'arrêtait l'ancien lit de la mer. 

La végétation est en ces endroits moins luxu- 
riante que le lit du Goudmô ; peu d'oiseaux ; mais, 
en revanche, des traces nombreuses du passage des 
serpents. 


(P 


THE NEW YOI« 

PDIUC LI3RARY 


ASTOR, LENOX AN* 
TIUBEN POUNDATIOMS 


L 


l f 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 197 

Mon guide, qui n*a pour chaussurej que ses san- 
dales (kùbo), regarde toujours où il passe. Je com- 
pris ses appréhensions lorsque, pendant le reste de 
mon séjour, on m'amena deux enfants mordus par 
les reptiles. Ni alcali, ni acide phénique ne purent 
empêcher une mort des plus douloureuses. 

Je rentrai de cette promenade sans rapporter, 
malgré mes désirs, la moindre pièce de gibier, et 
fus obligé de m'asseoir encore, non sans faire un peu 
ïa grimace, devant un grand plat de riz à Teau, où 
Alima nous versa un peu de beurre fondu. Quoique 
condamné, depuis quelque temps, à celte trop simple 
nourriture, ma santé n en est cependant nullement 
éprouvée. J'attribue le maintien de mes forces 
aux fumigations que je fais matin et soir avec 
les parfums de tous genres que produit la Me^jour- 
tine, et qui, j'en suis convaincu, soutiennent énor- 
mément un tempérament délabré. 

Le 19^ après midi, informé que la caravane 
attendue arrive, je décide d'aller par voie de terre 
à Bender Khor ou Botliala. 

Nous partons avec Ali et un autre indigène que 
ses affaires appellent au même point. 

Nous atteignons le plateau qui domine la ville 
et traversons un véritable désert. Après une heure 


198 , VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

de marche, le terrain, d'abord uni, devient acci- 
denté. Le ravin qui le sillonne a découpé une 
série de monticules sur lesquels pas la moindre 
végétation ne repose Toeil. Ces montées et des- 
centes rendent la route fatigante, et les trois heures 
qu'il faut pour la parcourir sont autant d'heures de 
supplice. Nous avons la chance, de rencontrer 
quelques Bédouins qui vont à Gandala. Ali leur 
demande des nouvelles de l'intérieur. On s'y bat 
avec acharnement. Quant à eux, ils se sont déta- 
chés de la caravane qui est arrivée à Bender Khor 
pour aller faire des offres de marchandises. 

Nous allongeons le pas pour alteindre la ville 
avant la nuit. 

Nous nous trouvons bientôt au bord d'un ravin 
de 100 à 150 mètres de profondeur, immense 
déchirure faite dans le sol comme par un tremble- 
ment de terre ; des blocs énormes, amoncelés les 
uns sur les autres, s'étagent au-dessus de nos tètes, 
semblant menacer de nous écraser dans leur chute. 
A peine pouvons-nous distinguer au fond de cet 
abîme un troupeau de moutons qui se délache en 
petits points blancs sur la teinte ferrugineuse du 
sol. C'est par un vrai sentier de chèvres qu'il nous 
faut descendre. Mon guide saute de roche en roche, 
sans appréhension; pour moi, je l'avoue, je suis peu 
rassuré et j'ai toujours peur d'être entraîné par le 
poids de mon sac que je maudis. 


*" TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 199 

Nous voilà non sans peine au fond de cette 
crevasse. Une arène immense s'ouvre devant nous. 
Au milieu est Bender Khor ou Bottiala, dont les 
maisons et les huttes rangées en cercle, et circons- 
crites elles-mêmes par les deux bras desséchés de 
la rivière, entourent une grande place couverte de 
tombes. 

A notre gauche, la mer, qui remonte par des 
gorges profondes sur une étendue de cinq milles, 
vient baigner le pied d'un fort qui garde ce défilé. 
A notre droite, de hautes montagnes couleur de 
fer encaissent une vallée aride qui se dérobe à nos 
yeux. 

Dès notre approche, tout Bender Khor vient au- 
devant de nous. Mon guide, assailli de questions de 
toute nature, répond suivant les instructions de 
Sementar en disant que le sultan m'a laissé le 
droit de courir les Medjourtines, et que je suis libre 
d'aller où bon me semble, sans payer le moindre 
aschour. 

La caravane est dispersée dans Bottiala, mais 
tous les produits sont amoncelés devant la maison 
d'un négociant arabe, établi à Bender Khor depuis 
fort longtemps. Je me rends chez lui ; il me laisse 
tout examiner et prendre une foule de notes. De- 
main, il doit procéder au pesage et au règlement; 
je pourrai me rendre compte de ces opérations en 
y assistant moi-même. Je le remercie de ses com- 


200 VOYAGKS AU CAP DEfi AROMATES 

plaisances, et vais chez le cadi pour lui demander 
de me donner Thospilalité, mon intention étant de 
passer quarante-huit heures à Bottiala. 

Ce personnage me reçoit d'une façon assez rude 
et m'assigne comme gile une méchante hutte ou- 
verte à tous les vents. Une simple natte doit me 
servir de couchette. Je n'insiste pas pour avoir 
mieux, ne voulant être tenu à aucune reconnais- 
sance. Ali va chercher de quoi faire du feu pour la 
nuit, et après lui avoir recommandé de veiller autant 
que possible, je me roule dans ma couverture. 
Notre compagnon de route qui s'était séparé de nous 
dès notre arrivée, vient fort à propos quelques mo- 
ments après me porter un peu de lait; AU en 
profite pour lui faire observer combien nous sommes 
mal. Il nous répond qu'il nous offrirait l'hospitalité 
volontiers, mais il n'est pas de Bottiala et lui-même 
loge chez un autre Çomali, 

Il m'est impossible de fermer l'œil à cause de la 
fraîcheur, et la nuit me semble bien longue, surtout 
quand notre provision de bois est complètement 
épuisée. 

Il est trois heures du matin : je profite d'un heu- 
reux clair de lune pour aller courir çà et là, et 
attendre le jour qui ne tarde pas à arriver. 

Ce qui inquiète le plus, au dire d'Ali, les gens du 


THOIS MOIS EN MEDJOIJRTINE 201 

pays, c'est l'indifférence que j'attache à leurs per- 
sonnes et le peu d'égards dont je les entoure. 

Grande est leur irritation, quand ils me voient des- 
siner leur ville, assis à l'ombre d'un rocher. Des 
, groupes nombreux se forment alors. On se demande 


De GandalB à Bender Khor par loire el par mer. 

ce que peut bien faire cet Européen, qui note tout, 
qui interroge sur tout. Alors les mCmes appréhen- 
sions qu'à Morâya surgissent dans ces esprits igno- 
rants, et l'on se porte en foule vers moi pour m' en- 
traîner chez le cadi. Il m'attend sur la place. 


202 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Un Çomali prend mon sac, un autre mon fusil; je 
les laisse faire et suis sans inquiétude aucune. 

Cependant, par prudence, je désarme mon Lefau« 
cheux et le remets au porteur ébahi, en deux mor- 
ceaux. 

Une fois devant le cadi, ce dernier me demande, 
d'un Ion fort insolent, de quel droit je parcours Ban- 
der Khor, sans lui en avoir demandé l'autorisation. 

Ma réponse est simple : je considère le ounrcfa 
ou flrman du sultan, comme suffisant. 

Le c^rm£i* réplique 'alors brusquement que le 
sultan 'ia'#fien à voir sur Bottiala, que toutes les 
autres villes de Medjourtine sont sous sa dépen- 
dance,, exQçp.té la. vijQe des Séliman (1). Un jeune 
Çomali plus arrogant se prétend lui-même sultan 
tout comme Mahmoud;: il exige de moi sur-le-champ 
un aschour et m'intime l'ordre de quitter la ville. 

Je me contente de hausser les épaules et je laisse 
le groupe desÇomalis, reprenant non sans brusque- 
rie, mon sac et mon fusil. Je regagne ma place où 
je continue mon croquis, pendant qu'Ali se démène 
avec le cadi, en le menaçant de la colère du sultan. 

(i) C'est un Séliman de Bénder Khor qui assassina le grand-père 
du suUan actuel, YoUsouf Mahmoud, prétendant avoir des droit? 
au sultanat des Medjourtiiles. 

Depuis il y a hostilité entre la famille dés Mahmoud et celle des 
Séliman. Mais les Séliman se sont contentés jusqu'à ce jour dé 
protestations verbaleâ et n'ont jamais fait valoir leurs prétentioiis 
les armes à la main. 


THE NEW YORK 

PDIUC LI3RARY 


ASTOR, LENOX ANB 
TtLDEN FOU N DATIONS 


TROtS MOIS BiN MËDJOURTlNE 203 

Les réponses qu'il reçoit sont assez inquiétantes, 
si bien qu'il n'hésite pas à me conseiller de quitter 
Bender Khor. J'y reviendrai avec Sementar 
Osman. 

Je consens, à condition qu'il trouve une embar- 
cation pour pouvoir rentrer par mer. 

Cela n'est pas chose facile, mais la promesse 
d'une piastre finit par décider un pécheur. 

Plus de 150 Çomalis nous escortent jusqu'à l'en- 
trée des gorges du Khori. 

Nous voilà en route, descendant lentement avec 
la marée ces gorges escarpées dont la solitude n'est 
troublée que par les cris d'une myriade d'échas- 
siers. A l'aide d'une sonde, je trouve, presque à 
chaque coup, 5 et 6 brasses d'eau dans le milieu. 

Avant d'arriver à la barre, sur notre gauche, 
s'offre un bouquet d'arbres ; mon guide m'y indique 
une source d'eau potable. Pour me convaincre du 
fait, je mets pied à terre et trouve en effet une fla- 
que d'eau excellente, quoique un peu chaude. Au 
dire d'Ali, elle ne tarit jamais. 

Je ne sais quelle idée s'empare subitement du na- 
turel qui conduit notre embarcation, mais, quitte à 
perdre son salaire, il ne veut aller plus loin ; il donne 
comme raison que le vent arrière nous poussera 
rapidement vers Gandala, mais qu'il lui faudra trop 
de peine pour t^emonter. Je suis d'ailleurs, dit-il. 


204 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

rendu à la plage que je n'ai qu'à longer pour arri- 
ver directement. 

Il fait une chaleur lorride. Mon casque ne me ga- 
rantit qu'imparfaitement; j'intime donc Tordre à 
mon Çomali de poursuivre sa route. Il se contente 
de sourire ironiquement. 

J'ai peine à maîtriser ma colère et, m'armant d'un 
aviron, je pousse Tembarcation au large. 

Les choses auraient, je crois, mal tourné, sans 
rarrivée à contre bord d une pirogue montée par 
des Arabes qui décident mon homme à tenir ses 
engagements. 

Ali se charge de raconter au gouverneur comment 
nous avons été reçus à Botliala, et tout ce qui nous 
avait été dit sur le compte de Noûr Osman et du sul- 
tan. Sementar outré prend la résolution d'aller au 
premier jour demander au cadi des explications 
sur sa conduite et ses propos. 

Jusque-là quelques jours se passent, sans autres 
événements particuliers que la visite nocturne d*un 
guépard qui jette la panique dansGandala. 

Gomme dans tous les villages, il n'y a pas ici de 
bergeries ; les chèvres et les moutons sont parqués 
autour des cases dans de simples clos, entourés de 
branches épineuses. 

Les rôdeurs de nuit y pénètrent d'un bond et y 
commettent d'effroyables ravages. 


'1 


•»♦< 


TROIS MOIS EN M1D40URTINE 205 

AUX glapissements poussés par la bêle, Âli me 
réveille par le mot de chebel ! m'invilant à prendre 
mon fusil et à aller à sa rencontré. Je préfère grim- 
per sur le toit de ma case, d'où je pourrai faire feu 
sur la bête qui viendra sans doute rôder autour des 
quelques chèvres de Sementar. En effet, grâce au 
clair de lune, au bout de quelques instants se dé- 
tache sur le sable blanc une forme noire qui se 
dirige vers nous. 

A quelques mètres, Tanimal s'arrête, évente, puis 
retourne sur ses pas. Je n'ai plus d'espoir de le voir 
revenir, lorsque un coup de feu part de la citadelle; 
il rebrousse alors vers nous sans trop se hâter. Il 
s'arrête encore, puis lait de nouveau mine de s'éloi- 
gner : je vais perdre l'occasion d'exercer mon 
adresse sur une pièce de ce genre ; alors, sans 
attendre qu'il revienne a moi, je fais feu de mes 
deux coups. L'animal atteint, se roule sur le sol, 
poussant d'affreux hurlements. Ali crie : « Maraba !» 
(bravo !) Sementar de sa case me demande si le 
« chebel » est mort. J'allais répondre « oui », quand 
je vis la bête qui n'était que blessée reprendre le 
chemin du Gebel Aïsema. 

Au jour, tout le village vint visiter le théâtre de 
mon exploit, où une large trace de sang indiquait 
que la bête avait été touchée. On profite de cette 
occasion pour envahir ma case, où l'on passe en 

12 


206 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

revue tous mes effets et mes armes. Pour les mettre 
à la porte, je suis obligé d'appeler Sementar. 

Toutefois son autorité s'arrête devant deux bons 
vieillards dont l'un, dit-on, centenaire, jouit de la 
plus grande vénération. Son corps couvert de cica- 
trices annonce sa vie rude et les combats auxquels 
il a assisté. Malgré l'âge qu'on lui attribue, il pos- 
sède toutes ses facultés mentales. 

Je lui fais le plus vif plaisir en lui donnant un 
coUierd'aïQljirg; en échange, je lui demande son bou- 
clier, sur'leqùôl^dô ™m^^^^ traces de coups 
accusent bien dés^ ren^imtres^ il me faut ajouter 
une ceinture rouge à mon cadeau pour le décider à 
se séparer dô^sette arme. 


' -k 


Je dois mentionner ici uixe 9ssez curieuse décou- 
verte que je fis au cours de mon séjour à Gandala. 
Dans la case de Sementar Osman se trouvait une 
grande caisse provenant du pillage du Cachemire 
(le bateau anglais faisant le service de Zanzibar à 
Aden et sombré, à Gardafui, huit jours après le Mei- 
Kong). Dans cette malle, au milieu de plusieurs ob- 
jets, était une cassette... 

Dans cette cassette (peut-être celle qui renfermait 
les diamants bruts expédiés de Mozambique à 
Londres) se trouvaient quelques papiers. 

Parmi eux était le firman de paix, entré le sul- 
tan de Medjourtine et le sultan Omar Sala de 


THE »E^ ^O^v 


.^:î^«v^u^.-Ss1 


•nu>ï^^ 


Traité de paix entre ta sultan des HedjonrtiDes et le Haghib 
Omar Sala de Blacalla (Arabie). 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 207 

Macalla (Arabie), fîrman par lequel les ports res- 
pectifs de ces deux souverains sont ouverts au com- 
merce. 
Voici à peu près la traduction de ce document : 

< Louange à Dieu seul. 

« A la date du vendredi, 11 Salgada 1292, il a été 
convenu par les personnes ci-dessous : 

d Le Naghib Omar ben Sala, Mohamed, ben Abdul 
Habib el Cassadi et les rois de Medjourtine, sultan Os- 
man ben Mahmoud, Mohamed ben Noûr Osman, Fara 
Mohamed Araîa et Hamed Mahmoud dont le gouver- 
nement s'étend sur toute la Medjourtine, au sujet du 
Çomali qui a été tué à Macalla, Saïd ben Ibrahim Fahie, 
de la tribu des Walingah, que le sultan de Medjourtine 
abandonne toute poursuite. 

« En conséquence, aucune réclamation ne pourra 
être, adressé au Naghib Omar ben Sala. 

« D'autre part, un Arabe ayant été tué par un Çomali 
nommé Rami, de la tribu de Medjourtine, Omar Sala 
n*aura aucune réclamation à faire..., 

« De ces faits il résulte un traité d'amitié entre Omar 
Sala et le sultan des Medjourtines, traité de bonne rela- 
tion sans distinction de classes et de partis. 

« Chacun respectera ce traité et évitera des diflicullés 
de toute nature, etc., etc. » 


VIII 


Nouvelle course à Bendcr Khor avec Semenlar Osman. — Hypo- 
crisie du gouverneur. — Sa condamnation. — Ascension du 
Gebel Aïsema. — Le sel gemme. — Puddings de coquillages. 
— Visile aux niontognes do DJebeur el Kebir et Djebeur et 
Seghir. — Rentrée à Gandala. — Fuite d 'Alima. — Un cas d'adul- 
tère. — Etrange solution. — Adie^ix à Sementar. — En route 
pour Bendcr Gâsem. 


Le 24, nous nous motions en route pour Bender 
Khor, avec Sementar qui se fait escorter par cinq 
ou six soldats de Gandala. 

A notre arrivée, le cadi vient à nous tout sou- 
riant ; Sementar lui reproche sa conduite à mon 
égard et surtout sa conversation sur le sultan. Le 
cadi nie formellement qu'il ait tenu ces propos. Lo 
jeune Moussa fait preuve d'une impudence égale ; 
devant ce mensonge, je vais droit à lui, soute- 
nant qu'il a prononcé les paroles qu'on lui repro- 
che et j'en appelle au témoignage d'Ali qui affirme 
aussi le fait. 

Sementar est resté impassible ; sans ajouter un 
mot à la discussion, il donne ordre qu*on lui pré- 

12. 


210 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

pare une case où il compte passer la journée. Je 
remarque que les mêmes Çomalis qui avaient l'air 
d'avoir si peu de respect pour Noûr et le sultan, 
servent Sementar avec empressement. 

En entrant dans cette case, j'aperçois au foyer 
cinq boulets énormes ; ils proviennent, dit-on, du 
bombardement des villes de la côte par les An- 
glais, en 1862, fait que j'ai raconté plus haut. 

Vers la fin du jour, suivi par Sementar, je par- 
cours Bottiala et rends visite aux personnages in- 
fluents. 

Le lendemain, je remonte le lit du Khori au sud de 
Bender Khor ; il est comme celui du torrent de 
Gandala, moins boisé toutefois. 

Au bout de deux heures de marche, nous trou- 
vons un gisement de sel gemme et quelques co- 
quilles pétrifiées. Les roches ont perdu leur teinte 
ferrugineuse et sont composées de calcaires roses. 

A ma rentrée, Sementar me fait quelques re- 
proches de m'étre aventuré dans la campagne après 
ma discussion d'hier qui laisse contre moi une cer- 
taine animosité, parce qu'il à condamné, dit-il, 
Moussa à 20 chameaux d'amende et que le cadi 
sera probablement changé. Toutefois, comme il 
tient à me laisser en de bons termes avec eux, il 
me conseille de les engager tous deux à venir à 
Gandala me voir et chercher un cadeau. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 211 

Le lendemain, ils y arrivaient presque en même 
temps que nous et je m'exécutais en leur remettant 
un peu de poudre, de l'étoffe rouge et deux chape- 
lets. 

Au sortir de chez moi, ils vont chez Sementar, et 
Bagaro qui est assis à côté de la case, les entend 
causer entre eux du résultat de Tincident. 

Je n'en suis point étonné, car je sais quelle con- 
fiance accorder â Sementar ; s'il m'a. accompagné 
ici, c'est dans un but tout intéressé qui se trahit 
chaque jour par la demande de quelques objets 
nouveaux. 

Il finit par convoiter mon revolver; j'ai bçau m'y 
prendre de toutes les façons possibles pour lui 
prouver qu'il m'est indispensable, il ne me laisse ni 
trêve ni repos que je ne me sois rendu à son désir. 
J'y suis bien forcé, car j'ai besoin de lui ; en échange, 
il me donne ses deux lances. 

Quelques souris ^ ou embarcations péchant le 
requin, viennent croiser devant Gandalà, et les 
Arabes qui les montent installent leur campement 
à un ou deux kilomètres de la ville. En suivant la 
plage pour chercher quelques coquilles, je vais 
leur rendre visite. 

Devant leur hutte gît un vrai charnier d'où se 
dégage une odeur infecte. 


il2 VOYAGES AU GAP DES AROMATE!^ 

Quarante squales énormes sèchent au soleil (i). 
Dan^ de grandes marmites fond la graisse avec la- 
quelle on enduit les embarcations. A quelques 
mètres, on a jeté toutes les têtes que dévorent des 
milliers de crabes. 

En rentrant à Gandala, je trouve une caravane 
de 25 chameaux qui arrive de Mieh ; elle est char- 
gée de gomme et d*indigo : elle porte aussi de la 
paille (arou) pour fabriquer les nattes. 

A mon approche, un des Bédouins dirige vers moi 
un bâton recourbé ressemblant fort à une massue, 
en même temps qu'il recule comme épouvanté. Ba- 
garo m'explique que c'est un p/idri ou prêtre bé- 
douin (celui qui récite la prière) lequel ne veut pas 
se souiller au contact d'un chrétien. Ce bâton qu'il 
a à la main est un ouèfjei\ bâton sacré, qu'il oppose 
à tout ce qui peut lui être nuisible, et avec lequel 
il conjure le mal, soit par le contact, soit en faisant 
avaler aux malades de Teau dans laquelle il l'a 
ngité. 

Malgré toute la vénération attachée au OMègrer par 
le fanatique , le bâton sacré devient ma propriété 
pour une piastre. 

(I) La pêche du requin esl assez fructueuse pour ceux qui s'y 
livrent. La chair de ce poisson séchée au soleil et salée au 
moyen du sol gemme qui abonde dans ces parages de la côte, se 
vend à de très bons prix sur les marchés de Zanzibar. 

Les ailerons et la qiiéue de ces squales sont envoyés dans les 
Indes, d'où on les dirige sur la Chine et sur le Japon. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTLXK 2i8 

. > 

Une excursion sur les flancs du Gebel Aïsema 
m'amène à la découverte d'un nouveau gisement 
de sel gemme, à une hauteur dé 25 mètres au 
moins au-dessus du niveau du sol. Les blocs sont 
tellement durs que j'ai toutes les peines du monde 
à en casser un morceau, dans lequel sont incrus- 
tées quelques turi telles. 

A quelques centaines de mètres plus bas, un parc 
immense marque une station de pacage; d*après 
Ali, chaque année les troupeaux y reviennent. Une 
couche énorme de fumier (O'^JS) confirmerait ce 
dire. Au moyen du tube en fer battu qui contient 
mes cartes, je puis découper en plusieurs endroits 
un cylindre de trente à quarante centimètres et 
j'évalue à 50 mètres cubes ce gisement. Mon compa- 
gnon m'explique que, bien qu'il y ait peu d'herbe 
sur ce point, la présence du sel y amène les Bé- 
douins qui le donnent à leurs troupeaux absolu- 
ment comme dans nos pays d'Europe. 

11 m'affirme que, dans Tintérieur, en dehors des 
cantonnements, les parcs de ce genre existent en 
quantité couverts de crottes de brebis {salât ganeni) 
que l'on n'utilise nullement, puisqu'il n'y a pas de 
culture. 

Cette découverte me rappelle mon projet de 
course à Djebeur el Kebir et Séghir. 

Une embarcation montée par deux hommes et 


214 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


/ 


Ali s'engage à me conduire non loin des montagnes 
taillées à pic au bord de la mer, où nichent les cor- 
morans. Ces rochers sont inabordables, et il faut les 
contourner, en débarquant, avant d'arriver à leur 
pied. 

Au dire des gens du pays, cette course me deman- 
dera au moins -trois jours. Nous convenons de cinq 
piastres pour le laps de temps, et nous nous em- 
barquons munis de moutama, de riz et de dattes, 
ainsi que de deux outres d'eau. 

Une bonne brise nous amène bientôt en vue des 
deux montagnes. Nous débarquons dans une pe- 
tique crique, et, munis de quelques provisions, nous 
voilà en route avec Ali et un des trois autres Ço- 
malis. Nous franchissons la colline qui se présente 
devant nous, puis nous suivons pendant quelque 
temps une vallée aride. Vers le soir, nous sommes 
rendus au pied du Djebeur el Seghir. La montée 
sera rude, mais moins pénible qu'à Karoma. 

Nos mesures prises pour passer la nuit à la belle 
étoile, à l'abri des fauves et surtout des serpents, 
nous essayons de nous reposer un peu ; mais, 
soit à cause de la fraîcheur, soit par appréhension 
de quelque danger, il m'est impossible de dormir. 

C'est mal préluder aux fatigues du lendemain. 
^Malgré cela, au point du jour, nous sommes sur pieds 


TROIS MOIS EN MED^OURTINË 215 

el nous commençons à gravir la montagne. Ce n'est 
point par un chemin tracé que nous passons ; nous 
suivons le lit de profonds ravins, et quelque con- 
naissance que dise en avoir Âli, nous sommes sou- 
vent forcés de revenir sur nos pas. 

L'ardeur du soleil nous force à nous arrêter; 
en dépit de toute l'énergie que nous déployons, 
nous ne pouvons atteindre le sommet avant la nuit ; 
il nous semble pourtant que nous sommes près du 
but. Nous voilà encore obligés de camper, nous 
contentant pour tout repas d'un peu de moutama 
cuit sous la cendre. 

Ali respecte si bien mon sommeil que, malgré 
mes ordres, il est déjà jour depuis longtemps quand 
nous reprenons notre route, et ce qui me contrarie, 
c'est que je m'aperçois que mes guides ont 
employé presque toute l'eau des oubos à leurs 
ablutions. 

Enfin, nous commençons à voir sur les parois de 
chaque rocher en saillie de longues traînées de 
guano. Plus nous approchons, plus l'air est imprégné 
d'une forte odeur d'ammoniaque. 

Mais, à mon grand regret, pas un seul oiseau ne 
se lève à notre approche. Tous les locataires de cet 
étrange site sont à la pêche, sans doute. 


216 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


Nous voilà en présence d*un grand plateau sans 
végétation et couvert d'un vaste tapis blanc, d'où 
se dégage une odeur très intense que la chaleur 
rend insupportable. C'est bien du guano : « rabchi 
chamburOj » comme disent mes guides, qui osent 
à peine poser le pied sur ce sol impur et qui 
témoignent ouvertement leur répulsion en me 
voyant creuser un trou avec ma hache, dans ce 
singulier fumier. Je rencontre d'abord une croûte 
blanche; puis une couche terreuse et jaunâtre; je 
veux sonder plus avant avec la lance d'Ali, mais 
il s'y refuse énergiquement ; il fait mine s'en aller. 
Je lui fais entendre de patienter et de m'accompa- 
gner jusqu'au bout. 

Après avoir parcouru un espace de 500 mètres, 
nous arrivons sur le bord de la mer ; c'est sur ce 
versant qui s'étend à perte de vue que nichent les 
cormorans. 

Djebeur est fort bien disposé à cet effet ; de 
grands cnlablemenls forment saillie, et c'est là 
qu'alignés sur plusieurs rangs, perchent ces my- 
riades d'oiseaux qu'on rencontre dans les eaux de 
Merâya, de Ras Felek et d'Abdul Khori. 

C'est entre Djebeur el Kebir et Djebeur el 
Soghir que ces oiseaux semblent se tenir de préfé- 
rence, à voir les coquilles d'œufs cassés et les osse- 
ments qui y sont accumulés. Dans une encoignure 


r 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 217 

de rocher je puis atteindre un nid où je trouve 
quelques œufs. Je veux en donner deux à Ali 
pour les emporter, mais je ne puis i*y décider, je 
suis donc obligé de les envelopper avec soin dans 
mon mouchoir et de m'en charger moi-même. 

Malgré la chaleur, nous descendons Djebeur el 
Kebir sans faire de halte. 

Nous nous arrêtons alors pour dévorer les quel- 
ques vivres qui nous restent. Je n'ai plus dans 
mon sac qu'un peu de mouton que m'a donné Ali- 
ma avant de parlir. 

Tout calôul fait, nous serons ce soir au pied de 
la montagne et demain, vers onze heures, à notre 
embarcation. 


Quel n'est pas notre désappointement, à notre 
arrivée sur la plage, de ne trouver personne ! 

La disparition de mes Çomalis me cause un réel 
ennui, car elle me condamne à 48 heures de marche 
au moins et â revenir par Bender Khor. 

Ali et son compagnon me conseillent de patienter; 
leur idée est que nos hommes sont à la pêche et 
viendront bientôt ; ils me montrent la place où ils 
ont dû passer la nuit. 

Je consens à les attendre jusque vers les trois 
heures. 

Quelques moments après, Ali me réveille, m'ap- 

18 


218 VOYAOKS AU GAP DBS AROMATES 

portant un superbe poisson qui arrivait fort à 
propos avec mes déserteurs. Par malheur, les œufs 
de cormoran ne valaient rien ; sans quoi je n'eusse 
pas fait, depuis bien longtemps, si bonne chère. 

Contrariés par le vent debout, et, d*autre part, 
la nuit nous gagnant, nous mettons notre embar- 
cation à terre, et nous en faisons un abri pour pas- 
ser la nuit. 

Le lendemain, de bonne heure, nous sommes de 
retour à Gandala; le bruit de notre excursion s'est 
répandu et nombre d'indigènes s'y intéressent ; 
aussi m'accable-t-on de questions pour savoir ce 
que le Français peut bien faire du rabchi; je n'y 
réponds que d'une façon évasive, pour ne pas donner 
à ces populations cupides une idée exagérée des 
richesses que renferme leur pays. 


Ma plume a été jusqu'à présent assez discrète sur 
le compte des femmes çomalis; je ne puis cepen- 
dant passer sous silence deux incidents survenus 
pendant mon séjour à Gandala, qui ne sont pas 
sans intérêt pour l'étude du caractère des Medjour- 
tines et de la situation qu'occupe la femme chez 
ce peuple. Il s'agit d'abord de la fuite de la belle 
Alima, la jeune femme de Sementar dont j'ai parlé; 
et, en second lieu, d'une intrigue qui se passa dans 


TROIS MOIS EN MED^OURTINB 219 


ma case même et dont le dénouement fut tragique. 

Jeune et belle, Âlima vivait à Gandala depuis 
trois ans, loin de son époux et dans une sorte d'exil, 
La mort de sa femme de Merâya, ramena Semen- 
tar à ses pieds , mais malheureusement, sous ]e 
rouge du enneh qui teignait la barbe rare et clair- 
semée du gouverneur perçaient quelques poils 
blancs, et la belle Çomali ne pouvait se résoudre à 
supporter ce maître bien vieux pour ses jeunes 
années (1). 

Des discussions continuelles s'élevaient dans leur 
case, et Bagaro, qui en saisissait tout le sens, en riait 
bien souvent. 

En effet, un beau matin, Sementar étant parti 
pour visiter le campement des pêcheurs de requins 
et exiger les aschours dus par eux, Alima et une 
de ses compagnes prirent la clef des champs. 

Rentré à Gandala, Sementar attendit vainement 
jusqu'au soir le retour de sa femme; puis, inquiet 
de voir son absence se prolonger, il dépêcha à la 
poursuite des fugitives une dizaine de soldats avec 
ordre de les ramener mortes ou vives. Le lendemain 
au soir seulement, on annonça qu'on les avait retrou- 
vées. Elles attendaient toutes deux, à rentrée du 
village, les ordres de Sementar. 

(1) Le Enneh est une plante tinctoriale au moyen de laquelle 
les vieillards se teignent la barbe. La couleur qu'on en retire 
mt à p«u près semblable à la terre de Sienne brûlée^ 


220 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

Celui-ci avait fait venir deux ou trois conseillers 
dans sa case pour juger le fait. Leurs conclusions 
furent que Sementar était trop vieux pour cette 
Âlima et qu'il n*était pas de sa dignité de reprendre 
chez lur Tinfidèle, qui trouverait l'hospitalité chez 
une vieille femme, en attendant qu'une caravane la 
ramenât dans Tintérieur. 

Le jour même, Sementar faisait annoncer qu'il 
était dans l'intention de se remarier. Je m'atten- 
dais, je Tavoue, à un tout autre dénouement, mais 
le mari de l'amie d'AIima, moins tolérant que 
Sementar, administra à sa femme une correction 
en règle avant de la congédier. 

L'autre fait dont j*ai à parler se passa peu de 
jours après, et les conséquences en furent, on va 
le voir, plus tragiques : 

La case que Sementar m'avait donnée se com- 
posait de cinq pièces ; l6s deux que j'occupais étaient 
séparées par un hangar; une troisième servait de 
gîte aux Çomalis qui arrivaient de l'intérieur ; qua- 
tre d'entre eux l'habitaient en ce moment. 

Bagaro causait avec eux, lorsque vint à entrer 
une femme; c'était une magnifique créature, assu- 
rément un des plus beaux types de femme Çomali que 
j'ai rencontré. Elle était venue tout exprès de Ban- 
der Khor à Gandala, sous prétexte d une course 
quelconque; mais, en réalité, elle y était amenée 


TROIS MOIS EN MED^OURTINE 221 

par r espoir d'y reROontrer l'un des Çonflalis habi- 
tant la case. En effet, après quelques instants de 
conversation, ils nous quittaient tous deux et se reti- 
raient ensemble dans une des pièces voisines... 

Nos amoureux (si toutefois on peut dire ainsi) 
avaient compté sans la venue soit calculée, soit 
fortuite du mari à Gandala. Ne trouvant pas sa 
femme à la case où elle allait d'habitude, l'époux 
s'informa et vint tout droit jusqu'à la mienne. L'a- 
dultère était découvert Il appela tous les voi- 
sins pour les prendre à témoin ; puis, fièrement 
campé sur sa lance, il adressa à son rival toutes 
les insultes que la langue çomali peut fournir, 
pendant que la pauvre femme se réfugiait, affolée 
de terreur, dans une case voisine, où on la laissa 
seule. 

Je comptais assister à un duel sanglant où Tun 
des deux adversaires resterait sur place ; mais mon 
attente fut bien trompée. En effet, Sementar et le 
juge religieux, accourus sur les lieux, se con- 
sultèrent quelques minutes, et le coupable fut 
condamné à dix chameaux et douze piastres de 
dommages et^ntéréts ! 

Cette étrange satisfaction obtenue, le mari trompé 
se rendit à la case où l'attendait la malheureuse ; 
et là, froidement, d'une main assurée, il la frappa 
de sa lance en pleine poitrine. La mort dut être ins- 
tantanée, car on n'entendit pas un cri. L'infortunée 


S28 VOYAGES kV GÂP DBS AROMATES 

viclime n'avait pas cherché à se dérober à cet horri- 
ble coup. 

Je trouvai, je l'avoue, ce dénouement aussi vil 
qjie cruel et je ne pus en croire mes yeux, 
oubliant pour un moment que j'étais au milieu des 
sauvages et surtout dans un pays où Ton achète les 
femmes. 

Je me posai par ailleurs une question : Le fait 
d'avoir trompé son mari pour un autre, révélait-il 
chez celte femme une passion qui ne soit pas seu- 
lement brutale? Quelque sentiment plus élevé vi- 
brait-il en elle? Je ne pus y répondre d'une 
manière bien assurée : car si, d'une part, il n'est 
pas difficile à qui voyage dans ces parages de 
constater que les sens de la femme sont presque 
éteints, il est non moins probable, d'autre part, que 
son cœur est aussi froid que ses sens. 


Mon intention avait été un instant de me rendre 
à Bender Gàsem, par voie de terre : mais soixante 
heures au moins m'en séparent et les passages sont 
difficiles en certains endroits; d'autre part, j'avoue 
qu'horriblement fatigué par suite du manque de 
nourriture, et des privations que je supporte, je 
ne me sens pas le courage de prendre ce chemin. 

Une occasion s'offre à moi de profiter d'un bou- 
tre qui a amené quelques WarsanguéUs àGandUla; 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 223 

je connais Borah. De ma nouvelle station^ j'irai 
visiter Aboû Regabé et Bender Baad. 

Je prends dono congé des principaux chefs du 
village et de Sementar, lequel n'oublie pas dépasser 
line inspection soigneuse de mes caisses et de me 
dépouiller du peu qu'il me reste en fait de bibelots. 
Je ne supporte ces dernières indiscrétions de sa 
part que parce qu'il m'est impérieusement néces- 
saire de rester avec lui dans les meilleurs termes, 
surtout si j'arrive à réaliser plus tard le projet que je 
forme de conduire en Medjourtine quelques com- 
pagnons hardis et courageux pour profiter des ren- 
seignements que je recueille au prix de tant de 
peines. 

En somme, j'emporte de Gandala des corrections 
importantes à ma statistique commerciale, la con- 
firmation et la vérification des diverses étapes de 
l'itinéraire à Karkar, que j'ai dressé à Merâya, et 
qui m'ont été exactement indiquées; enfin j'ai fait 
une étude approfondie sur les arrivages des cara- 
vanes; mon séjour à Bender Gâsem complétera 
ces documents. 

Au point du jour, le boutre qui doit m'emmener 
vient se mettre au mouillage en vue de Gandala ; il 
est bondé de marchandises. Au moment de porter 
mes bagages à la plage, aucun Çomali ne veut 
aider Bagaro et Ali. Nous nous passons d'eux en 


224 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

formant un brancard avec quatre bâtons arrachés 
aux cloisons de ma hutte et, grâce â cela, nous pou- 
vons charrier tout notre petit matériel. 

Il faut malgré moi, pour aller à bord, prendre 
Tembarcation des naturels du pays et non pas celle 
du daoû ou boutre : je suis pour cela obligé de 
payer une piastre. 

Au moment où je vais me séparer de lui, Sementar, 
qui a parfaitement calculé ses mouvements, me 
demande d'ouvrir une de mes caisses pour lui 
remettre le dernier collier d'ambre qu'il me reste et 
que je destine à son fils Ali de Bender Gàsem. 

Je m'exécute non sans contrariété. 

Après m'avoir serré la main et m'avoir promis 
monts et merveilles pour Tannée prochaine, sije 
reviens, il va s'agenouiller sur la plage et prier 
Mahomet de me conduire â bon port. 


( 


IX 


Une averse désagréable. — La fièvre et la faim. — Aspect de 
Bossassa. — Je revois la fiancée du sultan. — Aboi1 Regabé. — 
Bender Boad. — Nouvelles de l'intérieur. — Décidément, je 
n'irai pas à Karkar! — Ismaël Fangassa. — Le mercure aux 
mains des Bédouins. — Le fils de Noûr, Mohamed. 

Il est décidément écrit que mon voyage sera toute 
une odyssée, car deux heures après notre départ, 
nous sommes .assaillis au pied du Gebel Âïsema 
par une série de grains d'autant plus désagréables, 
que le boutre non ponté et bondé de marchandises, 
ne nous offre aucun abri. Pour comble d'ennui, 
une mer furieuse se soulève, le vent arrière trop 
violent obhge le capitaine à faire serrer sa voile, 
et nous voilà le jouet des lames. 

Nous restons ainsi jusqu'au point du jour, où le 
calme plat le plus absolu succède à cette fâcheuse 
nuit. Celte fois, c est une chaleur torride qui nous 
incommode. 

Nous demeurons douze heures en panne devant 
Ras el Hamar, et ce n'est qu'à la tombée de la nuit 
que nous arrivons à Bender Gàsem. 

13. 


226 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Je suis rendu ; la fièvre me torture, j*ai faim. 

Un seul boutre se balance en rade, c'est celui 
d'Assan Ali; sur ma demande, le capitaine, avec 
lequel j'échange quelques mots, fait mettre une 
embarcation à mon service pour descendre à terre. 

J'envoie immédiatement Bagaro prévenir de mon 
arrivée Mahmoud Noûr, et lui remettre une lettre 
de Sementar. On débarrasse, sur ses ordres, une 
case, où l'on transporte mes bagages. 

Il n'est pas de réduit misérable qui puisse donner 
une idée de ma nouvelle demeure. 

Mahmoud m'offrit plus tard de loger a la cita- 
delle. Je préfère rester où je suis à condition qu'il 
me fasse un peu restaurer mon logis. Il donne 
des ordres en conséquence, et quelques heures 
après, je suis tant bien que mal installé. 

Deux pièces composent ma hutte, je fais de l'une 
ina chambre, de Tautre une antichambre où je dé- 
pose mes colis. 

Le boutre d'Assan Ali partant pour Aden, je 
juge prudent de lui remettre une caisse contenant 
des documents et des échantillons, soigneusement 
scellée, partageant ainsi les chances pour son ar- 
rivée à destination. -^ Gomme on le verra plus loin, 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 227 


fort bien m'en prit, car, sans le prévoir, j'évitais la 
destruction de documents et de notes qui avaient 
leur intérêt. 

La fièvre m'oblige à garder par prudence le re- 
pos pendant quarante^huit heures, après lesquelles 
je me remets a l'œuvre, courant Bender Gâsem 
eu tout sens, étudiant surtout la manière dont on 
trafique sur ce point qui est le marché le plus 
important des.Medjourtines. En effet,douze doukans 
ou comptoirs, arabes ou banians, y sont établis. 
Les caravanes des Dolbohantes, Warsanguélis et 
tribus voisines y apportent les plumés d'autruche en 
quantité, ainsi que les autres produits de la région. 

J'ai donné déjà plus haut un aperçu de lA ville, 
je dois le compléter ici. 

Bender Gâsem se divisd en deux villes, la ville 
çomali et la ville arabe. Cette dernière est pres- 
que exclusivement constituée par les établisse- 
ments des enfants nés des relations survenues entre 
Arabes et Çomalis pendant leur séjour dans le 
pays. 

Bien que musulman comme les autres, leur ci- 
metière est séparé de celai des naturels. 

Deux canons énormes, dont il m'a été impossi- 
ble de connaître la provenance, gisent sur le sol, 
près de la mosquée. L'obturation de la lumière et 


I 


228 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

leur poids me font croire^'que jamais on n'a pu s'en 
servir. 

Au cours de ma promenade à travers la ville, 
ridée me vient d'aller rendre visite à la fiancée 
du sultan. 

Elle est toujours aussi séduisante. Uattente lui 
parait un peu longue, et elle ajoute peu de con- 
fiance dans les nouvelles qu'on lui apporte chaque 
jour annonçant l'arrivée prochaine de son futur 
époux. Sa mère surtout récrimine, .car voilà. huit 
mois que Mahmoud, sans cesse attendu, n'arrive 
jamais. 

La jeune Çomali me demande naturellement 
quelques cadeaux; je suis, je l'avoue, bien on 
peine, car Sementar a eu soin de me dépouiller 
entièrement. 

Je lui fais comprendre que tout ce que j'ai donné 
au sultan est en vue de ses noces; mais elle insiste 
pour avoir un souvenir du Français. 

Ma trousse de toilette semble lui être agréable, 
je la lui offre. En échange , elle m'envoie une 
pleine calebasse de viande cuite, conservée dans 
du beurre. 

Je trouve, en rentrant chez moi, un Çomali qui 
m'offre d'acheter une tortue de taer vivante. Elle 
ne mesure pas moins de 1 mètre 25 centimètres de 
long. Il a fait cette capture à marée basse. Quoique 
fort désireux d'acquérir cette bête, le prix qu'il me 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 229 

demande, relativement à la valeur de Técaille {ga- 
daré)^ est trop élevé; et d'autre part, ce sera 
pour moi un embarras inutile. 

Nous sommes au 5 décembre. Je projette d'aller 
par terre à Bender Baad et Aboû Regabé ; Ali m'y 
accompagnera. 

Deux Arabes que leurs affaires y appellent se 
joindront à nous. 

Nos préparatifs ne sont pas longs. Nous lon- 
geons la plage à l'est de la ville pendant deux kilo- 
mètres. Des monceaux d'épongés révèlent la pré- 
sence voisine d'un banc de ces madrépores, dont 
quelques-uns sont superbes de finesse et de gros- 
seur. Nous doublons Ras el Hamar. A partir de 
ce point, le chemin devient plus pénible. Nous 
sommes obligés de passer sur le ilanc de la mon- 
tagne, pendant trois heures environ. Noua nous 
trouvons ensuite sur la grève, et vers les quatre 
heures, la citadelle de Bender Baad se dresse 
devant nous. 

Les Arabes m'offrent l'hospitalité chez eux. 

Bender Baad, comme ville, ressemble à Gandala. 
Les mêmes dunes de sable l'entourent ; comme à 
Merâya, on va chercher l'eau à un puits au pied 
de la montagne, au milieu d'un bois d'acacias mi- 
mosas . 


230 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Je m'abrite au pied de la citadelle pour faire 
quelques croquis. 

En allant à la source, je ramasse encore queK 
ques pétrifications en puddings. 

Je me rends ensuite à Àboû Regabé. Gô village 
tout misérable ressemble à Guersa ; il est adossé 
aux flancs du cap du même nom. 

Ali a toutes les peines du monde a m'y procurer 
un peu de lait . 

Les gommes et encens qui arrivent sur ce point, 
en petite quantité d'ailleurs, sont les produits des 
montagnes environnantes ; il en vient peu de Fin- 
térieur* 

Quelques pécheurs de l'endroit plongent les 
nacres. L'un d'eux me présente quelques perles, 
mais de peu de valeur. 

> 

Je regagne Bender Baad vers les quatre heures. 
Mes compagnons de route sont rentrés à Bender 
Gâsem par mer. Toutefois ils ont laissé une em- 
barcation à ma disposition. 

J'ai presque envie de profiter de la fraîcheur de 
la nuit pour rentrer par terre. Ali m'en dissuade à 
cause des bétes féroces et surtout à cause du mau- ^ 
vais passage de Ras el Hamar. 

Je me rends à ses raisons et profite de l'hospita- 
lité de mon \\o\q^ avec lecjuel je pas^ç une soirée 


s 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 281 

d*autant plus agréable, qu'il me raconte toutes les 
péripéties de sa vie dans le pays çomali depuis 
qu'il y commerce. Il partage mon opinion sur les 
richesses qu'on pourrait recueillir dans cet inté- 
rieur réputé impénétrable à cause des stupides 
appréhensions des naturels. 

Au point du jour, nous revenons à Bender Gàsem. 
Peu pressés, nous ne suivons plus la même route, 
nous coupons à travers la montagne. 

Ce n'est que bien avant dans la nuit que je re- 
gagne péniblement ma case de Bender Gâsem où 
Bagaro commençait à s'inquiéter parce qu'il avait 
vu les Arabes rentrer seuls. 

En descendant le versant est de Ràs el Hamar, 
Ali m'a parlé d'une source d'eau chaude {Bio col- 
lalà) qui se trouve dans ces parages. 

II m'a été difficile de saisir au juste ses explica- 
tions données dans Tidiome dolbohanle, mais Ba- 
garo me fournit des éclaircissements complets sur 
ce point. 

Il ne me reste plus maintenant à visiter que la 
partie do la côte qui s'étend, à l'ouest, de Bender 
Gàsem jusqu'à la frontière, pour connaître tout le 
littoral Medjoi'rlino. 

Une caravane est arrivée en mon absence, elle 
confinno la venue pi'oc* aine du sultan. Je cause 
^veç lou$ les tJédoviiii^s i|ui \^ composant, et eo 


t^ VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


foreUmt dans les moindres petits sacs de cuir de 
leur chargement Jiarag simbils)^ j*y trouve trois 
ou quatre parfums nouveaux, le gorio addi^ le alet 
ou mourcond et le djirmeb^ spécialement destinés 
aux femmes pour se parfumer après leurs ablutions. 
Cette découverte me fait assez de plaisir, et sur-le- 
champ, j'échange pour de la poudre et un grand 
couteau quelque peu de ces produits pensant que 
ce sont des essences rares. 

Quel n*est pas mon étonnement de voir vendre 
en bûches de chauffage ce bois de djirmeh ! Des 
chargements en arrivent à Bender Gâsem, et de- 
puis mon installation, Bagaro Futilise pour faire 
cuire mon riz. 

La partie noire qui sent si bon est recouverte 
d'une enveloppe blanche fort épaisse, et sa ressem- 
blance avec un autre bois appelé gourra avec 
lequel on le vend mélangé, le rend assez difficile à 
reconnaître. 

Un superbe quartier de gazelle m'est envoyé 
comme cadeau par un Çomali, auquel j'ai donné il 
y a quelques jours des remèdes qui Font guéri. 
Ce présent me suggère l'idée d'une chasse à cet 
animal. L'approche d'une caravane qu'on vient de 
signaler m'y encourage davantage et je pars avec 
Ali et Mahmoud Noûr à sa rencontre. 

Au bout de deux heures de marche, bien que 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 233 

nous ayons vu plus d'un troupeau de gazelles, nous 
sommes encore bredouille. 

En face de nous s'ouvrent les gorges qui dé- 
bouchent dans la grande avenue s'étendant der- 
rière Bender Gâsem. Le site est charmant, et, 
puisque la caravane doit passer par là, ne vaut-il 
pas mieux nous reposer en Tattendant ? 

Elle ne tarde pas à arriver. Elle ne compte, contre 
nos espérances, que cinq chameaux et une vingtaine 
d'hommes. Parmi eux, Ali Sementar, fils de Se- 
mentar Osman et Mohamed Noûr, fils du ministre 
Noûr, gouverneur réel de Bender Gâsem. Jusqu'à 
présent, je n'ai pas vu de figure plus rude ni plus 
sauvage. A ma vue, il fronce le sourcil : je vais à 
lui, accompagné de son frère Mahmoud. Il me 
serre craintivement la main en recouvrant la sienne 
de son pagne. 

Il reste stupéfait en me voyant m'expliquer en 
çomali, lui demander des nouvelles du sultan, et 
lui parler de toute la Medjourtine comme si j'y avais 
passé ma vie. 

Je l'entends questionner beaucoup son frère pour 
savoir qui je suis, ce que je fais. 

Quand on lui dit que je passe mon temps à pren- 
dre des notes et à me renseigner, il est encore plus 
intrigué, et commence une série interminable de 


284 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

c Ma at koufalessa ? » (Pourquoi faire ?) à laquelle 
je réponds avec complaisance. 

J'augure mal de l'arrivée de ce personnage, et le 
laisse continuer sa route, ne pouvant marcher à la 
même allure. 

Je m'attendais, à ma rentrée, à voir tout Bender 
Gâsem arriver au-devant de son gouverneur. Il 
n'en est rien et sa venue passe inaperçue. Il se 
rend de suite à la mosquée pour prier ; à sa sortie, 
il vient chez moi, car c'est, paraît -il, sa case que 
j'occupe; il y prend place et tout autour de lui 
se rangent les notables de l'endroit pour avoir des 
nouvelles de l'intérieur. 

Celles qu'il apporte sont loin d'être bonnes. 
D*aprés lui, Noûr et le sultan courent la Medjour- 
tine pour recueillir l'argent nécessaire à l'achat de 
boutres qui doivent servir à attaquer AUoûla ; l'on 
se bat toujours dans la province de Mieh. 

Pendant toute cette conversation, Bagaro a eu 
soin de préparer aux assistants un peu de café ; 
chacun d'eux se précipite avec gourmandise sur 
cette boisson. 

Je profite de cette réunion pour donner une 
sorte de conférence sur mes idées de relations 
futures avec les Medjourlines. Voulant que mes 
auditeurs soient bien au fait, je déploie devant leurs 


TROIS MOIS EN MED^OURTINfi 235 

yeux dessins et cartes, leur expliquant clairement 
mes intentions. 

L'un d'eux, nommé Farah, fait ressortir les avan- 
tages qu'il y aurait à négocier avec nous autres 
Français, et il donne lecture à ses congénères du 
firman que Noûr Osman m'a remis à Merâya. 

« Tu devrais, me dit alors Mahomed Noûr, te 
faire musulman; tout notre pays te serait ouvert. 
Tu serais libre d'aller partout acheter et vendre, et 
profiter des richesses de l'intérieur. Le sultan te 
donnerait beaucoup de chameaux, etc., etc. » 

Le sermon de ce fanatique ne dura pas moins 
d'un quart d'heure, et n'avait d'autre but que de me 
convaincre que sa religion était la seule bonne. 

Je lui accordai gaiement raison, en prononçant le 
mot qui traduit le mieux en çomali Tidée d'as- 
sentiment : c Ârrountis ! » 

Après cette longue séance, Noûr m'informa qu'il 
se mariait et qu'en conséquence, j'aie à chercher 
pour le lendemain un autre logement. 

Je charge Bagaro de cet office, mais pas une 
case du village n'est libre. Il me fallut accepter 
l'hospitalité dans une hutte où grouillait déjà toute 
une famille. 

Le lendemain, Ali et mon fidèle domestique y 
installèrent tant bien que mal une cloison pour nous 
séparer des autres Çomalis. 


VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


Il y a à Bender Gàsem un seul Banian, Ismaél 
Fangassa, le même qui y était déjà lors de mon 
arrivée en Medjourtine. 

Me méfiant un peu de cet homme que ma pré- 
sence et mes études semblent contrarier, je ne suis 
pas allé le voir. 

Je me décide cependant à l'aborder, et ne tarde 
pas à m*apercevoir que mes appréhensions sont 
mal fondées. 

Loin de me cacher ses richesses, il les déploie 
sous mes yeux avec orgueil; il me montre ses cais- 
ses de plumes d'autruche blanches et ses perles, 
me donnant une foule de renseignements sur la 
manière de distinguer les qualités supérieures et 
inférieures et de les acheter avantageusement. 

Ses complaisances qui se continueront plus tard 
d'une manière plus sensible ont un but. Il a en 
mains du mercure liquide, et du minerai argenti- 
fère que les Çomalis lui ont apporté (1), et en 
ignore le gisement qu'on ne lui a pas révélé. Il 
espère que moi qu'il voit dessiner et travailler sur 
des cartes, je pourrais y parvenir. 

(1) Je profile de celle nouvelle occasion pour rectifier quelques 
comptes rendus de mes conférences publiés par les journaux ou 
par les annales des sociétés scientifiques. C'est à tort que Ton 
m'y fait citer le mercure comme élément commercial du pays 
çomali. Je n'ai jamais dit autre chose que ce que l'on vient da 
lire. 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINK ' 237 


Ces deux échantillons me révélaient comme à lui 
la présence des richesses voisines. 

Dans la nuit du 10, une tempête épouvantable 
se déchaîne sur Bender Gâsem. Le thermomètre 
marque brusquement 11*, 5. 

Il nous est impossible de fermer Tœil ; à chaque 
instant, notre hutte semble vouloir s'envoler et nous 
restons jusqu'au lendemain accroupis autour du 
feu 

Je vais m'asseoir sur les ruines de la vieille cita- 
delle, côté ouest, pour tracer une esquisse de 
Bender Gâsem, mais il arrive tant de curieux 
autour de moi que je ne puis guère la compléter. 

Mohamed Noûr m'attend à ma rentrée, il me de- 
mande à voir le dessin que je viens de faire. En 
ouvrant mon album, les deux premiers croquis qu'il 
y trouve sont le portrait de son père et celui du 
sultan . 

D'un geste, il fait mine de les effacer. Je l'en em- 
pêche, en lui faisant observer que son frère You- 
souf y a apposé sa signature et que je compte garder 
ce souvenir. Il insiste quand même et, du doigt, en 
estompe un. J'excuse ce mouvement chez cetle 
nature sauvage, car Noûr Osman, en sa qualité de 
grand chef, a engendré des héritiers de races fort 
diverses, et celui-là est un Bédouin Djingal de la 
plus belle espèce. 


238 VOYAOBS AU CAP DBS AROMATES 

Pendant qu'on discute sur ces faits, on vient me 
chercher pour soigner un Çomali qu'un serpent a 
piqué à la jambe tandis qu'il coupait du bois. 

J'essaye de combattre le mal avec de l'acide phé- 
nique et de l'alcali. Ces cautérisations ne peuvent 
empêcher le malheureux de succomber peu de temps 
après. A Gandala, j'avais déjà jugé des effets de ces 
terribles piqûres. 

Nous sommes aux fêtes du bid ou grand jour des 
musulmans. Le sultan et Noûr ne sont pas encore 
arrivés ; d'après les courriers, on se bat toujours ; 
à Dourbo, il y a eu quelques morts. Je conclus de 
toutes ces nouvelles que le souverain ne viendra 
pas de longtemps et que je partirai sans le revoir, 
sans jouir des privilèges qu'il m'a accordés, et de 
la protection qu'il doit m'assurer pour pénétrer 
dans l'intérieur. 

Quant à moi, j'ai promis de rester jusqu'au 
20 décembre à Bender Gàsem, et, quoique malade, 
j'attendrai cette date, passé laquelle, s'il y a un 
boulre en rade, je compte rentrer à Âden. 


X 


Fêtes du « hid ». — Course à Bender Ziyâda. — Discussion. — 
Perte cruelle de bien des croquis. — Quelques jours encore à 
B^ssassa. — Le sultan n'arrive pas. — Je quitte la Medjour- 
tine. ^ Lasgorée. — Bender Gahâm. — Un chargement com- 
plet 1 — Aden. 


Les fêtes du hid se passent tristes et sans la moin- 
dre démonstration de réjouisisance. 

Seuls les Arabes, pêcheurs de requins, donnent le 
spectacle de leur fantasia, danse guerrière, exécu- 
tée au son de la darbouka^ accompagnée d'une 
chanson criarde. 

m 

Les Çomalis prennent peu d'intérêt à cette fête, 
bien qu'ils aient revêtu leurs plus beaux pagnes 
et égorgé un mouton dans chaque famille. 

La prière à la mosquée est un peu plus longue 
que d'habitude. 

La fiancée du sultan est la seule qui pense à 
moi ce jour-là ; elle m'envoie un peu de viande, me 
demandant un peu de café en échange. 

Quoique bien faible, je me décide le lendemain 


240 VOYAGES AU CAP DKS AROMATES 

à aller visiter le dernier port des Medjourtines, 
Bender Ziyâda. 

Nous nous mettons en route avec Ali, à deux heu- 
res de Taprés-midi. Je lui ai confié mon revolver 
et n ai que mon fusil et mon sac, dans lequel je 
n'ai mis absolument que ma couverture et mes 
albums. Je devais cruellement me repentir d'avoir 
emporté ces précieux feuillets où, trois mois durant, 
j'avais tracé tant d'esquisses ! 

Nous traversons le lit desséché du torrent qui 
coule à l'ouest de Bender Gâsem, pour continuer 
ensuite a marcher pendant plus de trois heures 
dans un véritable désert qui sépare la mer. 

Cet espace franchi, nous atteignons un site ro- 
cailleux, formé de quelques rochers effrités d'un 
assez large entablement, sur lesquels se jouent une 
quantité de gros lézards plats couverts de piquants. 

Il nous faut une heure pour dépasser ce mau- 
vais pas, et découvrir une vallée peu profonde en 
contre-bas, où serpente une rivière débouchant à 
notre gauche d'une gorge étroite. 

Sur ses bords, au milieu de broussailles, s'élève 
une seule hutte. D'après Ali, c'est une station de 
pécheurs de requins ; on l'appelle Bet Noûr (mai- 
son do Noûr). 

Nous l'atteignons bientôt ; personne n'y habite 
en ce moment; elle semble cependant toujours 
prête à recevoir un voyageur. Au mur sont accro- 


TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 241 

chées des planchettes couvertes des versets du 
Coran ; quelques nattes roulées dans un coin, le 
foyer est garni. 

Ali me désigne à quelques pas un puits dissimulé 
par des pierres et des branches où Ton peut se pro- 
curer de Teau saumâtre. 

J'avoue que, déjà très fatigué, je me déciderais 
à passer la nuit là si malheureusement nous ne 
manquions absolument de provisions, et si l'espoir 
de trouver un peu de lait ne me donnait hâte d'ar- 
river. 

Bender Ziyâda se découpe dans le lointain, au 
soleil couchant, au bout d'une grande plaine aride 
comme celle que nous avons traversée. Au dire 
d'Ali, il nous faudra encore trois heures de marche. 
Nous n'avons pas à craindre l'obscurité, nous 
sommes en pleine lune. 

Nous voilà donc repartis. J'avoue que ces trois 
heures de route que nous faisons encore me pa- 
raissent longues. 

A part la citadelle qui est blanchie à la chaux et 
qui domine la ville, nous n'apercevons bientôt plus 
rien ; les huttes se confondent avec le sol. Il me 
semble que plus nous avançons, plus Bender Ziyâda 
s'éloigne. 

* A neuf heures, nous sommes aux premières cases. 
Le silence le plus complet règne dans la ville. ' 

14 


242 VOYAOBS AU GAP DGS AROMATES 

Avant de nous rendre auprès du gouverneur, je 
demande à Âli de frapper à la première case venue 
pour avoir un peu d'eau. 

Cet arrêt et le cri : t El Frenji! » (le Français), 
poussés par quelques enfants, font sortir tous les 
habitants des huttes voisines. 

C'est sous leur escorte que nous allons sur la 
place au pied de la citadelle et de la mosquée, at- 
tendre le gouverneur Hadji Âddi. Il arrive bientôt, 
suivi de son conseiller Hadji Âoued. Au lieu de 
me serrer amicalement la main, il se campe fière- 
ment devant moi et me demande avec insolence 
ce que je viens faire chez lui. 

Je lui réponds sur le même ton que je suis le 
protégé de Noûr Osman et que j'ai le droit de cou- 
rir la Medjourtine partout où ceJa me plaît; que je 
suis venu le voir en curieux et en ami. 

« Viens-tu chez moi avec beaucoup de cadeaux ? 
dit Hadji Addi. Si oui, sois le bienvenu ; si non^ 
tu peux partir de suite de Bender Ziyâda. Je te dé- 
fends d'écrire, de dessiner et de demander aucun 
renseignement. » 

Ne pouvant m'expliquer aussi durement que je le 
désire, j'en laisse le soin à Ali. Je me contente de 
répondre à Hadji que ses paroles grossières m'inti- 
mident peu et que j'aviserai Noùr Osman de sa 
manière d'être à mon égard. J'ajoute que je n'ai 
peur ni de lui, ni même de vingt Çomalis réunis» 


THOtS MOIS EN MBIMOURTINB 243 

et que, s'il porte la main sur moi, mon revolver ou 
mon fusil lui apprendront comment un Français se 
fait respecter. 

Un éclat de rire répond à ces paroles, et, sur un 
geste du gouverneur, on me laisse seul avec \li, au 
milieu de la place. 

Je me soucie fort peu de passer la nuit à la belle 
étoile. La fatigue d'une aussi longue course m'a 
rendu la fièvre. 

La situation est assez embarrassante, et nous nous 
concertons avec Ali, sur la manière de nous en sor- 
tir, lorsque HadjiAoued revient, accompagné d'un 
Çomali qui a servi comme chauffeur à bord des 
Messageries maritimes (1). Il connaît bien les Fran- 
çais et engage Hadji Aoued à me donner une hos- 
pitalité qui me fasse oublier la réception d'Hadji 
Addi. Il traite ses concitoyens de sauvages, et me 
dit d'être sans crainte, qu'il veillera sur moi pour 
que rien ne m'arrive de fâcheux. 

Hadji Aoued nous conduit dans un de ces ma- 
gasins en pisé que les Çomalis construisent pour 
abriter leurs gommes. 

Sans prêter attention aux curieux qui nous 
assiègent, je me suis allongé sur ma natte, harassé 

(1) Les Messageries maritimes prennent à Aden des équipes de 
chauffeurs noirs qui peuvent seuls faire ce service pendant la tra- 
versée de la mer Rouge. Parmi eux se trouvent quelques Çomalis 
de Berbera, le plus souvent des naturels de Massaouab. 


2iA VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

de fatigue, lorsque Âli m'annonce la présence du 
gouverneur. 

A la lueur de la torche d*encens qui nous éclaire, 
il se détache, dans le groupe des gens qui Tes- 
cortent, comme un grand fantôme. 

Je ne me suis pas dérangé et, bien qu'il me parle, 
je reste étendu, faisant mine de ne pas Técouter. 

Cependant au milieu des phrases qu'il échange 
avec Ali, j'entends très bien qu il demande si je 
veux manger. 

Ce brusque changement chez cet homme m'ét.onne 
assez. J'ai su qu'il était dû à l'influence de ce brave 
chauffeur dont j'ai perdu le nom, et qui, le lende- 
main, devait m'être bien utile. 

De Teau et un rethol de dattes, voilà à quoi se bor- 
nent les hbéralités d'Hadji Addi» C'était déjà beau- 
coup ; je le remercie et congédie tout le monde, ne 
gardant avec moi que mon protecteur qui se cou- 
che bravement en travers de la porte après en avoir 
assuré la fermeture 

La fièvre me tourmente toute la nuit. Dès le point 
du jour, je suis sur pieds, je réveille mes deux hom- 
mes et vais me promener dans la ville. 

La citadelle et la mosquée, toutes deux en pierres, 
sont bâties sur la crête d'une petite élévation sur 
les flancs de laquelle est construile Bender 
Ziyâda. 


TROIS MOIS EN MEDJOIIRTÎNE 245 


C'est sur le versant ouest que se trouve le quar- 
tier le plus vaste, les quelques magasins pour les 
gommes, et le chantier de réparation des boutres, 
où deux de ces embarcations se trouvent en ce mo- 
ment. 

Dans le bas, coule une petite rivière qui vient se 
perdre dans une grande lagune. Elle sert de limite 
entre le pays des Medjourtines et celui des War- 
sanguélis. 

Après avoir couru de tous les côtés, malgré la 
défense formelle d'Hadji que je crois revenu de ses 
sauvages appréhensions de la veille, je vais m'as- 
seoir à Tombre d'un des boutres en chantier, et 
j'esquisse rapidement une des vues de la ville. 

J'étais tout entier à ce travail lorsque le gouver- 
neur arrive suivi d'une dizaine de Çomalis. Sur 
un geste de lui, en un clin d'œil, on m'arrache des 
mains mon album, on fouille mon sac où s'en trou- 
vaient d'autres avec une carte, et le tout est déchiré 
devant moi. Ainsi, en quelques instants, je perdais 
le travail de trois mois, une collection de croquis 
qu'il devait m'étre impossible de recommencer, et 
qui eussent certainement complété ceux que j'avais 
expédiés sur Aden. 

La colère m'aveuglait. Ali avait, par bonheur, 
mon revolver et le chauffeur mon fusil. C'est peut- 
être à ce seul hasard que je dois la vie, car, maître 
de mes armes, je ne sais si j'aurais pu réfléchir au 

14. 


246 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 


danger avant de m*en être servi contre ces bar- 
bares. 

Une fois ses ordres exécutés, Hadji se campe 
devant moi avec insolence et me demande si je 
me suis figuré que ses paroles de la veille n'avaient 
aucune^ valeur. Il m'ordonne en même temps de 
quitter Bender Ziyâda sur-le-champ. 

J'avais peu la tête à ces propos et deux grosses 
larmes, je l'avoue, perlaient sur mes joues. Je 
ramassais les débris de mon album où j'avais 
réuni avec tant de peine tant de types d'hommes, 
de femmes çomalis et d'objets usuels a leur vie. 

Ali me prit par le bras, me conseillant de ne pas 
rester là plus longtemps, et nous nous acheminâmes 
en dehors du village. La secousse que j'avais 
éprouvée, se joignant à mon extrême faiblesse, ren- 
dait mon retour immédiat à Bender Gâsem impos- 
sible. 

• 

Mon chauffeur m'offrit donc l'hospitalité chez lui, 
malgré les menaces d'Hadji Addi dont il n'avait, 
disait-il, nullement peur. J'y restai jusqu'à trois 
heures de l'après-midi, et, après avoir pris congé 
de ce brave homme, qui m'accompagna encore à 
quelques kilomètres, je longeai la plage pour ren- 
trer à Bender Gâsem. Mais, avant que cet endroit 
maudit ne disparût à mes yeux, je traçai rapide- 
ment sur un chiffon de papier échappé au massaorç 


TROIS MOIS EN MED^OURTINE 247 


l'esquisse des premières maisons de BenderZiyâda, 
dont les silhouettes se détachaient sur le fond gris 
des montagnes des Warsanguélis et de la chaîne du 
cap Hadàdah. 

Malgré ses promesses, le sultan et sa suite n'ar- 
rivaient pas. En revanche, chaque jour, les nouvel- 
les les plus fâcheuses parvenaient de Tinlérieur. 

J'étais sinon découragé, du moins abattu par tous 
ces contre-temps qui entravaient mes projets et 
m'empêchaient d'aller jusqu'au cœur delà Medjour- 
tine. 

A cette situation d'esprit se joignait aussi ma 
faiblesse corporelle. La fièvre, la faim, les pri- 
vations me torturaient. 

Il était plus sage de quitter provisoirement ce 
pays. Mai» comment retraverser le golfe? Décembre 
touchait à sa fin, et, quoique ayant excellent vent 
pour aller jusqu'à Aden, les boutres ne se hasar- 
daient pas, À cause du temps qu'il leur faudrait 
pour retourner. 

Ce ne fut poini sans peine que le gouverneur 

« 

et cet excellent Ismaël Fangassa parvinrent à dé- 
cider un souri arabe à me conduire jusque chez 
les Warsanguélis, à Lasgorée, port d'où partent 
plus fréquemment les daous chargés de moutons à 
deslinatiori de la côte opposée. 
Je m'embarquai donc de Bender Gàsem, v lais-r 


248 \'OYAGES AU CA.P DES AROMATES 

sant mon brave Dolbohante Âli qui me fit, au mo- 
ment du départ, toute sortes des démonstrations 
amicales. 

Bagaro était ravi. Il ne pensait qu*à sa vieille 
mère aveugle qu*il allait revoir bientôt, et dansait 
autour de mes bagages. 

Enfin Tembarcation poussa au large et bientôt 
les forts de Bender Gàseni disparurent à mes 
yeux. 


J*eus, je l'avoue, un moment de tristesse en quit- 
tant le littoral Medjourtine. 

Si j'avais vécu pendant plusieurs mois, dans un 
exil véritable, loin de tout être qui pût me com- 
prendre et partager mes inpressions, j'avais eu 
cependant dans cette solitude, au milieu de ces 
natures grossières, de véritables moments de satis- 
faction. J'avais résolu ce problème de iouir sinon 
de l'amitié de ces natures incultes, du moins d'une 
entière liberté conquise par mes complaisances ; 
liberté qui n'eut de restriction que dans quelques 
circonstances fâcheuses ; mais il faut toujours faire 
la part et des hommes et de leur caractère. 


Le lendemain, j'étais chez les Warsanguélis, à 
Lasgorée. 



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TROIS MOIS EN MEDJOURTINE 249 

Les Çomalis qui accostent le souri à la nage 
me ^préviennent qu'à Bender Gahàm, à quelques 
milles plus loin, un boutre était en partance, le soir 
même, pour Aden ! 

C'était une bonne fortune, et sans jeter Tancre 
nous poursuivîmes notre route. 

On nous avait dit vrai. 

Il fallut cependant discuter avec le capitaine pour 
le prix de mon passage. Il me demanda d'abord 
500 francs, puis 300; /enfîri, grâce à Bagaro et au 
capitaine de mon souri qui lui èîcfîJiquèrent tout le 
mécontentement que le sultan» des .Medjourtines 
éprouverait de cette prétention exagérée*,' le capi- 
taine n'exigea plus que'50'feancs (10 thalaris) pour 
me prendre à son bord.. ' '*'- . ' - 

Sur le boutre étaient pour ie nioment 625 mou- 
tons entassés les uns sur les autres." On avait con- 
struit à cet effet trois faux ponts en clayonnage, sans 
quoi jamais pareil troupeau n'aurait pu prendre 
place danscette coque. 

Au dernier moment, on embarque encore 2 bœufs 
et 3 chevaux ! 

L'équipage et les passagers formaient un total 
de 65 personnes. C'était un vrai monde, et je n'ai 
rien vu de plus pittoresque. 

On m'installa .une couchette en dehors du boutre. 
J'eus soin de bien m'attacher par la ceinture pour 
que le roulis ne me donnât pas en pâture aux re- 


S50 VOTAOKB AU GAP DIB AROMATES 

• 

quins. Au soleil couchant, l'ancre fut levée, et nous 
primes bientôt, sous une allure rapide^ la route 
d'Aden. 

Quarante-huit heures après, j*étaisrenduà mes 
compatriotes qui purent juger eux-mâmes sur ma 
figure des ravages que les fatigues y avaient faits ; 
mais je ne tardai pas à me remettre grâce aux 
soins complaisants dont je fus si gracieusement en- 
touré par eux. 

Le 7 janvier 1879, FAnadyr me ramenait en 
France. 


Mes remerciements les plus sincères à MM. Dela- 
genières, agent consulaire de France à Aden, 
Bertrand, agent de la maison Morand Fabre et C**", 
et César Tian, à tous mes compatriotes résidant 
aussi dans cette ville, pour l'accueil sympathique 
et les attentions délicates que j'ai reçus d'eux. 


PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 

DU PAYS ET DE LA TRIBU 

DES MEDJOURTINES 


■■ » m 


XI 


Descriplion géographique de la Medjourtine. — Divisions terri- 
toriales. — Hydrographie. — Ethnographie. •— Ofigina des 
Çoraalis Medjourlines. — - Constitution politique du pays. -^ 
Diverses classes d'habitants. — Aspect des villes, •— Armée. — 
Tactique. — Différence des dirers types de la race çoinali. -^ 
Mœurs des hommes et des femmes. — Enfance du Çomali. ~ La 
jeune flUe. — La femme. — Costumes. — Bijoux. — Mariage. 
— Respect des morts. -~ Esprit religieux. -^ Conclaslon. 

La côte de la Medjourtine commence au petit port 
de Bender Ziyâda (golfe d'Aden) et va finir au cap 
Ras el Quel, dans Tocéan Indien qui la sépare du 
territoire de la tribu des Hawea. 

•s 

Les tribus des Warsanguélis, Ougadins, Dolbo- 
hantes, circonscrivent la province à l'ouest et au 


252 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


sud, encadrant ainsi une étendue de 1,200 lieues 
carrées. 

Les Çoipalis divisent la Medjourtine en trois par- 
ties. — Le littoral où sont toutes les villes ou hen- 
deVy et les provinces ou groupes de villes, ayant 
l'un Mieh, Tautre Karkar pour centre et chef-lieu, 
et qui forment la région intérieure que les nomades 
sillonnent de leurs camps volants. 

Je n'ai pas su que Mieh fût un cantonnement 
aussi important que Karkar. Au dire des naturels, 
Karkar est située au pied d'une superbe et haute 
colline qui porte ce nom, couverte d'une riche végé- 
tation, et sur les versants de laquelle les Bédouins 
se retirent avec leurs troupeaux pendant la saison 
des pluies. 

Les ports principaux de la Medjourtine sont, dans 
le golfe d'Aden : Bender Gâsem (Bossassa) Ben- 
der Khor (Bottiala), Bender Meràya, AUoûla. Il 
n'y en a qu'un dans l'océan Indien ; c'est Haffoûn. 

Ces ports sont les grands marchés où Arabes et 
Banians viennent aux environs du Rhamadan ache- 
ter les produits du pays. 

Les autres petits ports intermédiaires du littoral 
se rattachent, suivant leur plus ou moins de rappro- 
chement, à l'un de ces grands marchés. 

Un gouverneur ou cadi, deux conseillers et un 
juge religieux administrent ces villes, dont le nom- 


PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 253 


bre d'habitants ne dépasse pas un maximum de 
1,000 à 1,500. 

Ces fonctionnaires dépendent du sultan, souve- 
rain absolu. 

Nous verrons, d'ailleurs, plus loin quel système 
gouvernemental régit le pays entier. 

Le pays est couvert de hautes montagnes, qui 
courent à est, sud-est, et ouest, nord-ouest, et varient 
de 500 à 2,000 mètres d-altitude. 

Généralement formées d'assises marmoréennes, 
elles sont couvertes d'arbustes produisant les gom- 
mes et l'encens. Ces arbustes poussent sans culture 
aucune. Il est même parfois fort difficile de voir où 
ils prennent racine, tant ils sortent étrangement 
à travers les rochers. Ces arbustes croissent à toutes 
les altitudes. Ceux qui couvrent les sommets de 
Râs Ghenareff et de Karoma, ne sont pas situés 
à moins de 1,200 mètres au-dessus du niveau de la 
mer. 

Le littoral est sillonné par des ravins qui vien- 
nent se jeter à la mer, mais dont le lit peste dessé- 
ché la plus grande partie de Tannée. En dehors de 
ces ravins, on ne rencontre sur toute la côte Med- 
jourtine, que cinq petits cours d'eau, tout à fait in- 
signifiants; ils sont situés Tun à Bender Ziyàda, 
l'autre à mi-chemiu do Bender Ziyàda et de Ben- 

15 


254 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 


der GâsemàBet Noûr; les autres à Aboû Regabé, à 
Bender Khor, à AUoûla, à Tohen. C'est auprès du 
Râs el Quel que débouche le Nogal.le grand fleuve 
qui arrose Tintérieur de la Medjourtine. 

On trouve généralement à chaque embouchure du 
lit des ravins, une grande flaque d'eau salée, prove- 
nant des infiltrations de la mer ; d'autre part, le flux 
et reflux se fait sentir jusqu'à quatre et cinq milles 
en avant, dans les cours d'eau dont nous ve- 
nons de parler, de telle sorte que l'eau est saumàtre 
jusqu'à cette distance. 

J'ai, dans ma carte du pays Medjourtine, marqué 
par un trait bleu le tracé de l'ancien littoral de la 
mer. Le sol, jonché de coraux et de puddings de 
coquillages (1), indique clairement que le rivage 
occupait autrefois ces positions. J'ai cru un moment, 
à l'époque où je fis mes courses dans le Gebel Aïse- 
ma, retrouver une trace semblable. J'avais été en- 
traîné à cette supposition par la découverte de filons 
de sel gemme et de quelques turitelles et autres co- 
quilles; mais, rendant compte plus tard au monde 
savant de ces remarques, j'ai acquis la cisrtitude, à 
la suite d'observations qui m'ont été présentées, 


(1) Conu5 sirialus, Conus verulosus, Strombus florsidus, Strombus 
troglodyte, Oliva sufflata, Trochus virguio, Turitella lamachii, 
Cyprea monela, etc. 


PHY6I0N0MIB GBNERALB 255 

que ceB gisements devaient être rangés dans la 
classe géologique des soulèvements. 

Il y a, dans les montagnes des Medjourtines, du 
fer et du plomb. Il y a aussi du mercure. J'ai vu 
des spécimens de ce dernier métal chez Ismael Fan- 
gassa, l'Indien établi à Bender Gâsem. Les Bé- 
douins rappellent bio lag, eau d'argent; à leur dire, 
il existerait en assez grande quantité, et proviens 
drait des suintements retenus dans les godets na-- 
turels formés par les rochers. 

Le sol Medjourtîne ne produit aucune céréale. 
Le nom d'aromatica regio que les anciens lui 
avaient donné était des mieux appropriés, car il 
n'y pousse pas un brin d'herbe qui ne possède un 
parfum quelconque. Toutefois les olibanums et les 
acacias sont les deux seuls arbres dont on s'occupe 
pour la récolte des encens et des gommes. 

Vers les premiers jours de mars, les Bédouins 
visitent tous les arbres et font à chacun, au moyen 
d'un couperet, une profonde incision ; à la fin du mois, 
ils en pratiquent une nouvelle. Dans les derniers 
jours de mai, eYi général, les gommes et résines ont 
pris leur plus fort degré de volume et de consistance. 

A ce moment, la montagne se couvre de femmes 
et d'enfants qui récoltent la belle gomme dans les 
paniers, laissant la qualité inférieure au pied des 
arbres. 


256 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

C'est un de mes regrets de n'avoir pu consacrer 
mes loisirs à Tétude approfondie de la faune et de 
la flore. Le but de mon voyage était tout autre que 
celui d'une expédition scientifique et j'ai dû m'atta- 
cher seulement aux observations qui le motivaient. 

Il me serait donc difficile de donner les noms 
génériques des espèces d'oiseaux ou d'animaux 
que j'ai rencontrés. 

En dehors des animaux domestiques^ boeufs, chè- 
vres, moutons, chameaux, je me bornerai à signa- 
ler une quantité incroyable de singes de belle taille 
qui vivent dans les montagnes de Merâya. Je puis 
sans exagération estimer à 500 et 600 le nombre 
de ces animaux. En outre, gazelles, chacals, hyè- 
nes, etc., pullulent dans le pays. Je citerai aussi 
une sorte de rat très court de corps et portant sur 
le nez une longue excroissance terminée comme un 
groin de cochon. On a ri du « rat à trompe », mais 
celui-là ne pourrait être vraiment mieux désigné ; 
plusieurs voyageurs ont, paraît-il, également ren- 
contré des rats de cette espèce sur d'autres points 
de l'Afrique {Macrocelydes Rozetti^ Rbyncochion). 

Les Çomalis ont leur histoire. D'après leurs tra- 
ditions, ils descendent de Jabarti ben Ismaïl, fils 
d'une noble famille d' Ashem, lequel, allant se battre 


PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 257 

contre des révoltés de son pays, fut poussé par les 
vents contraires et jeté sur la côte d'Afrique. Re- 
cueilli et abrité par un pécheur de cette tribu, il ne 
tarda pas, sur ses instances mêmes, à épouser la (illé 
de ce dernier. Peu de temps après, ses descendants 
expulsaient les habitants primitifs de ces parages 
et devenaient seuls maîtres du sol. 

Jabarti a laissé un autre nom à la Medjourtine que 
les naturels emploient parfois ; c'est celui de Daroud. 

Il existe encore à la Mecque quelques maisons 
que les Çomalis qui vont en pèlerinage au tombeau 
du Prophète, affectent de montrer comme leur pro- 
priété, prétendant qu'elles ont été bâties par leurs 
aïeux. Ils rappellent avec orgueil qu'autrefois, ils 
étaient Gallas (1) et semblent ne pas avouer volon- 
tiers leur origine arabe. 

Ils connaissent très bien la généalogie des diffé- 
rentes familles de sultans qui ont régné jusqu a ce 
jour sur leur pays. 

Rien ne se rapproche plus de notre ancien sys- 
tème féodal que la constitution politique, si je puis 
m'exprimer ainsi, qui régit le pays Çomali. C'est 
une des observations qui m'ont le plus frappé. J'ai 

(1) Les Gallas habitent du versant sud de rAbyssinie jusqu'en 
haut du Dgoub. C'est, d'après les quelques types qu'on en connaît, 
la plus belle race africaine, mais aussi la plus redoutable. Per- 
sonne jusqu'ici n'a osé se risquer dans leur pays pas plus que 
dans rintérieur du pays Çomali. 


258 ^0YA6ES AU CAP DES AROMATES 

également retrouvé dans les institutions de ce pays, 
non s!ins quelque étonnement, des dispositions rap^ 
pelant absolument nos lois de vendémiaire an IV 
qui rendent les communes responsables des délits 
individuels. 

Actuellement, un jeune sultan, en tut elle jusqu'à 
sa majorité, gouverne le pays. Il est entouré d'un 
conseil dont les membres sont tous de sa famille. 

A sa voix obéissent tous ses sujets ; mais il n'im- 
pose pas sa volonté. Elle se commente dans des 
assemblées générales où chacun est libre de prendre 
la parole, d'émettre son avis ; on l'écoute religieu- 
sement et l'on délibère ensuite. 

De ce sultan suzerain relèvent les cadis ou gou- 
verneurs des villes. Eux-mêmes, je Tai dit, ont deux 
conseillers ou adjoints et un juge religieux comme 
assesseurs. Ce petit aréopage discute préalablement 
les affaires de la municipalité avant de les porter à 
la décision du conseil des ministres; qu'on me 
passe ces termes peut-être un peu ambitieux, puis- 
que nous sommes chez des barbares : il n'y en a 
pas d'autres pour désigner les diverses autorités 
qui détiennent et exercent le pouvoir. 

La race Çomali se divise en deux sortes : la 
classe riche composée des Çomalis négociants tra- 
fiquant sur les ports de la côte; la classe pauvre 
dont les membres s'appellent génériquement du 


PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 259 

nom de Bédouins, vivant dans les montagnes 
avec leurs troupeaux. Les Bédouins sont en quel- 
que sorte les serfs de la classe riche; ce sont eux 
qui récoltent les gommes et autres produits des pro- 
priétés qui lui appartiennent. Je dis « propriété », 
car la propriété existe dans la Medjourtihe; elle est 
parfaitement délimitée pour chacun, et frappée de 
contributions dues au sultan. Les peines les plus 
sévères atteindraient ceux qui seraient pris en fla- 
grant délit de maraude dans les récoltes d'autrui. 

J'ai décrit chacune des villes que j'ai visitées ; 
toutes se ressemblent ; ce sont des amas de huttes 
en chaume ou en peaux, autour de fortins ou cita- 
delles en pisé, bâties tout à fait sur le modèle de 
nos fortifications primitives. Ces fortins manquent 
absolument de solidité, exposés qu'ils sont à être 
détrempés par les pluies torrentielles et à se lé- 
zarder ensuite sous l'action de la chaleur qui suc- 
cède presque toujours immédiatement à ces sortes 
de déluges. La forteresse çomali est munie de 
tous les accessoires de défense dont nos guerriers 
se servaient jadis à l'époque où la lance et les 
flèches étaient nos seules armes de combat. 

En dehors de ces constructions et des mosquées, 
on ne rencontre dans les villes Medjourlines que de 
grands hangars où l'on enferme les gommes pour 
les abriter après la récolte ; tout le reste des habi- 


260 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

tations du village est en bois ou en paille ; aucun 
alignement n'est observé pour les rues. 

Bender Khor est bien la ville la plus curieuse 
sous ce rapport. 

Les armes du Çomali sont les lances (warinô)^ 
le bouclier (gachan)^ le sabre (bélaoui), la massue 
{madag)y Tare et les flèches {gahoiÔ), la fronde. Sui- 
vant son armement, le guerrier prend sa place dans 
telle ou telle compagnie. 

L'ordre de combat est le suivant : les lanciers 
forment le premier rang, les archers le second , 
quant aux frondeurs, ils sont dispersés en tirailleurs 
sur les flancs, avec les quelques guerriers assez 
rares, armés de fusils. 

Ainsi rangées, les deux armées ennemies mar- 
chent Tune sur l'autre ; elles essuyent d'abord le 
feu et les pierres des frondeurs et des tirailleurs; 
puis, arrivées à portée, les guerriers se battent au 
moyen de leurs lances qui sont de deux espèces. Les 
unes, assez courtes, s'envoient comme des javelots; 
ce sont les premières employées ; les autres, beau- 
coup plus longues, sont gardées en main et les guer- 
riers les réservent pour se battre de près. Tout en 
faisant usage de leurs armes, les combattants conti- 
nuent toujours leur marche en avant, se servant 
pour la riposte des javelots qui leur sont lancés du 
camp opposé et qu'ils ramassent au fur et à mesure. 


PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 261 


Puis, lorsqu'ils se trouvent à quelques mètres les 
uns des autres, ils se précipitent et se prennent 
corps à corps ; c'est alors que le bélaoui fait son 
office, ainsi que la massue. 

Il n'y a pas de quartier pour un ennemi à terre, 
et chacune des armées emporte ses morts du champ 
de bataille. 

En ce qui concerne les impôts, le Çomali pro- 
priétaire est le seul qui paye une redevance au 
sultan. 

Les provisions, les dépenses, comme aussi les 
impôts de guerre, sont soldés par le aschour prélevé 
sur le trafiquant étranger. Je n'insiste pas sur celte 
question du aschour^ qui sera traitée dans le cha- 
pitre de statistique affecté spécialement aux res- 
sources commerciales du pays et aux lois qui en 
régissent l'échange. 

Le type Medjourtine est à coup sûr le type le plus 
pur de la race çomali. Cette tribu peut en effet être 
considérée comme la véritable souche de toutes les 
autres. 

Le Çomali pur sang, si je puis me servir de cette 
expression, a le nez légèrement busqué, la lèvre peu 
lippue, les cheveux crépus et généralement longs. On 
dirait un beau sujet européen, dont la peau serait 
noire. 

• Les divers croisements de ce type avec les tribus 

15. 


262 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

voisines se reconnaissent fort aisément ; le croisé 
de Dolbohanle et de Medjourtine, par exemple, a 
les cheveux crépus et courts, le nez un peu épaté, 
la lèvre lippue ; et plus on se rapproche vers le sud, 
plus ces caractères signalétîques du nez et de la 
lèvre s'accentuent. 

Le type de la femme présente les mômes parti- 
cularités lorsqu'il est pur de tout mélange; les 
mêmes vari^re§^^SB^î|[^î^^ produit des croise- 
ments. i vi^-^^:^iJ ^'^K^^^ ': 

Les Medjourtines sont grands^ et bien faits; leur 
corps est généralement couvert de cicatrices qui 
accusent leiîCîViè>t;a«îjourS'mîii'tante. Leur démarche 
pleine de noblesse, Jeurattit «de flère ont un carac- 
tère vraiment imposant. 

On trouve parmi eux peu dlestropiés. Cela tient, 
je crois, à leur enfance un peu rude, et surtout à 
ce que, comme je l'ai dit, leurs combats acharnés 
ne connaissent pas de quartiers, à ce que tout 
ennemi qui tombe est impitoyablement achevé. 

Le Medjourtine riverain est coquet dans sa mise; 
drapé dans son grand pagne blanc qu'il ramène sur 
sa tète ; son bâton ou sa lance à la main, il affecte 
une -allure toujours provoquante et qui respire la 
vanité. 

Le Bédouin de l'intérieur, au contraire, porte 
l'empreinte sur son visage et sur son vêtement des 
souffrances de son existence rude et sauvage ; mais 


THE NEW YORK 

PUIUCLIBRARY 


ASTOn, LENOX AN» 
TILDEN FOUN DATIONS 


mf 



physionomie' générale 263 

rinsolence perce néanmoins aussi sous ses haillons 
jaunis par la terre sur laquelle il repose. 

Les mœurs çomalis sont des plus austères : vêtus 
avec là plus grande décence, hommes et femmes, 
celles-ci le visage découvert, se traitent mutuelle- 
ment avec beaucoup de déférence et de respect. 
C'est ainsi qu*à Merâya, les femmes font leurs ablu- 
tions dans une lagune, en dehors du village, tandis 
que les hommes procèdent aux leurs 4 Textrémité 
opposée de la ville» 

Le Çomali est paresseux de son naturel. Il passe 
la majeure partie de la journée sans rien faire, mar - 
mettant son chapelet. Sa principale occupation con- 
sisle à remplir rigoureusement les prescriptions de 
la loi rehgieuse de Mahomet, c'est-à-dire à aller à la 
mosquée cinq fois par jour. Très peu d'indigènes 
s'attachent à un travail suivi. 

Il n'en est pas de même des femmes; toute la 
journée, elles tressent des nattes, ou se livrent aux 
soins du ménage; ce sont elles qui vont chercher 
Feau, le bois, etc. Malgré cela, leur condition est de 
beaucoup préférable à celle des femmes arabes. Elles 
sont d'abord seules maîtresses, car le Çomali, quoi- 
quepolygame, n'a jamais qu'unefemme aveclui, sous 
le même toit. Elles peuvent en outre aller et venir en 
toute liberté, sans être le moins du monde inquiétées 
par leurs maris ou par leurs parents. Aussi ne se 


2()4 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

privent- elles pas de tenir leurs petits c clubs » où 
Ton commère sur tout ce qui se passe dans le village. 
J'avais toujours de semblables conférences établies 
dans le voisinage de ma case, et j'y ai entendu pas 
mal d'indiscrétions conjugales fort drolatiques. Mais 
pendant tous ces bavardages, les doigts travaillent 
et les nattes se tressent sans relâche. Ces groupes 
de femmes travaillant me rappelaient tout à fait nos 
faiseuses d'escouriins en Provence. 

A peine le Çomali est-il sevré que sa mère ne 
s'en occupe pour ainsi dire plus. 

Elle le laisse se traîner sur le sable, exposé au 
soleil qui darde ses rayons sur le petit être, réchauf- 
fant et fortifiant son corps, et accélérant sa crois- 
sance. 

Dès qu'il peut courir et se servir de ses mains, 
Tenfant accuse tous les instincts de sa race. Il 
se confectionne de petits arcs, des flèches, des 
lances ; avec une planche et un lambeau de toile, il 
simule un petit boutre qu'il fait voguer sur les 
flaques d'eau laissées par la marée basse ou par les 
pluies. 

D'humeur très batailleuse, il est constamment en 
querelles, et témoigne de bonne heure son antipathie 
pour les enfants arabes ou banians. 

Adolescent, il s'arme sérieusement; ses jeux 
deviennent de véritables exercices où il mesure ses 


PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 265 

forces et son adresse avec des rivaux, toujours 
jaloux de se montrer supérieur à eux. 

Il monte à cheval sans selle ni bride, fait de 
longues marches, se rompt à la fatigue, en un mot 
complète l'éducation physique qui lui sera néces- 
saire pour être admis utilement au nombre des 
guerriers, et défendre son pays quand les nécessités 
l'exigeront. 

 cet âge, la danse est Tamusement favori du 
jeune Çomali. 

La jeune fille vit auprès de sa mère, qu'elle ne 
quitte pas; elle ne prend part à aucune fête et sort 
peu. Un signe particulier la distingue de la femme 
mariée : elle a les cheveux tressés finement et tom- 
bant sur les épaules, le front ceint d'une bandelette 
rouge. La femme, au contraire, porte les cheveux 
crêpés et emprisonnés dans une coiffe nouée derrière 
la tète. 

Le Çomali ne porte comme bijou qu'une bague ; 
à son cou pend une amulette, sachet en cuir con- 
terîant un verset du Coran, et maintenu par deux 
boules d'ambre jaune ou macaouï, 

La femme ou la jeune fille porte des parures en 
argent, qui sont peut-être les traces les plus 
curieuses et les plus probantes de l'occupation 
ancienne, que l'on puisse retrouver dans cette région 
de l'Afrique. 


266 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Ces parures sont : les célancils ou boucles d'o- 
reilles avec la csttena qui les réunit en passant sous 
la gorge; le couled, autre sorte déboucles d'oreilles, 
en forme de point d'interrogation et se terminant en 
poire; celles-là s'accrochent au lobe supérieur; 
enfin le catoun ou bague. 

La femme et la jeune fille çomalis portent aussi 
des perles en collier, ou bien encore une grande 
plaque d'argent garnie de morceaux d'ambre ; mais 
ce dernier bijou a un caractère tout â fait arabe, 
tandis que les boucles d'oreilles que nous venons 
de décrire ressemblent absolument aux bijoux 
découverts chaque jour dans les fouilles des monu- 
ments romains, grecs et égyptiens. 

Non seulement les bijoux, mais encore le costume 
de la femme rappelle cette époque, et, j'avoue, 
pour ma part, n'avoir rien vu déplus étrange qu'une 
de ces beautés orientales, : — car ce sont de vraies 
beautés — gracieusement drapée dans sa robe 
blanche ou rouge, dont un côté, agrafé sur l'épaule 
gauche, laisse le bras et le sein droits à découvert. 

Le Çomali est jaloux de sa femme plutôt par 
orgueil que par affection : l'aventure tragique dont 
j'ai été témoin et que j'ai rapportée plus haut prouve 
en tous cas avec quelle férocité il se vcngo sur elle 
du délit d'adultère. 

J'aurais vivement désiré, pendant mon séjour en 


PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 267 

Medjourtine, assister à un mariage. Je n'ai pas eu 
cette bonne fortune, et ne puis dire comment se 
passe cette cérémonie. J*ai, cependant, joui du spec- 
tacle assez curieux des fiançailles d'une fille de 
Bender Khor avec un Warsariguéli. 

Ce dernier arriva, suivi- de quelques compagnons, 
chez le père de la jeune fille. Il avait, pour la cir- 
constance, mis dans sa toilette la plus grande 
recherche. 

Toute la famille, exceipté la jeune fille, l'attendait 
rangée en demi-cercle devant la porte de la case. 

Âpres réchange des salutations d'usage, Tun des 
compagnons du Warsanguéli entama directement le 
marché avec le père, et, une fois l'accord fait sur le 
nombre de piastres et de chameaux demandés au 
fiar.cé, la jeune fille parut et vint prendre place à 
côté de ce dernier. On apporta le café et un peu de 
maïs grillé ; et ces légères agapes consacrèrent le 
contrat. 

Le soir, le jeune Warsanguéli repartit pour aller 
chercher la dot, laissant deux de ses compagnons 
garants du marché. 

Musulman fanatique, le Çomali a le plus grand 
respect pour les morts. 

Les cimetières sont généralement au milieu des 
villes ou villages auprès tics mosquées, et personne 
ne les traverse sans motif. 


268 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Une simple pierre levée indique la place d une 
tombe ordinaire. 

Un tumulus, au contraire, s*élève à l'endroit où 
repose un guerrier mort au combat. 

Chaque fois qu'on prend les armes, je Tai déjà 
dit, l'armée, en quittant la ville, défile devant les 
tombes de ces défenseurs de la patrie ; en même 
temps, les guerriers poussent alors des cris, des 
imprécations, adressent des vœux et des prières à 
leurs anciens compagnons d'armes ; puis, sur le point 
de s'éloigner, tirent quelques coups de fusil, ou 
décocRent sur le champ des morts une flèche ou un 
javelot qu'ils ne vont y ramasser que plus tard. 

J'ai rencontré, dans mes courses sur les chemins, 
en caravane, de grands tumuli formés seulement 
de tas de pierres. D'après la version des naturels 
du pays qui me servaient de guides, ce seraient de 
simples amas faits par les Bédouins eux-mêmes 
pour débarrasser les routes. Mais je n'ai pu m'em- 
pécher de remarquer que ces tumuli énormes 
avoisinent presque toujours un cimetière ou un 
mosquit^ grand rond, dont le sol est parfaitement 
nettoyé et sur lequel le nomade vient étaler son 
messagid et faire sa prière. Ces tumuli servi- 
raient-ils de points de repère ? marquent-ils les 
distances ? ou bien encore seraient-ce des monu- 
ments primitifs élevés a la mémoire des morts ? 


PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 869 


Tels sont, esquissés à grands traits, la physionomie 
de peuple çomali et l'état exact de sa civilisation. 
^ En somme, la réputation de férocité et de cruauté 
qu'on lui a faite est peu méritée. 11 est plutôt mé- 
fiant, jaloux de sa liberté que mauvais; mais, en 
revanche, je crois qu'il a du fond. 

Pénétrez chez ce peuple en respectant ses institu- 
tions, donnez-lui l'assurance que vous n'avez aucune 
vue de conquête, et vous arriverez sinon à vous 
assurer son amitié et son dévouement, du moins à 
nouer avec lui des relations sûres, qui vous per- 
mettront de donner un débouché aux richesses des 
contrées, à en étendre l'exploitation et, par là même, 
à faire pénétrer la civilisation pacifique du vieux 
monde dans ce coin presque ignoré du continent 
africain. 


STATISTIQUE COMMERCIALE 


Ports visités oH j*ai puisé mes renseigtiements. -^ Marchés Med- 
jourtines. — Marchés extérieurs. — Marchandises d'exporlatioD 
et d'importation. — Classification. — Productions du sol non 
cotées. — Poids et mesures. — Négociants arabes et banians 
déjà établis en 1878. — Çomalis revendeurs; chefs de caravane. 
— Boutres Medjourtines faisant le cabotage. — Leurs proprié- 
taires. — Statistique des récoltes. — Trafic des comptoirs. 


Il n*est point facile d'obtenir dans ces pays des 
notes précises sur rimportation ou Texportation, 
d'autant qu'il n'y a aucun contrôle de douane établi 
et que l'impôt perçu sur les Banians ou Arabes ache- 
teurs, varie de 2 1/2 à 6 0/0, sans écriture aucune 
constatant les entrées ou sorties. 

Les chiffres ci-joints sont les moyennes des ob- 
servations recueillies pour les produits dont j'ai pu 
évaluer les quantités et les cours; à côté de ces 
produits, se trouvent d'autres richesses dont on 
pourrait avoir le chiffre bien exact d'arrivage, sans 
la méfiance innée chez les Çomalis et sans la 
réserve des trafiquants bien facile à comprendre. 

Une station de 40 jours à Merâya, pendant la- 


272 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 

quelle j'ai visité à différentes reprises les ports de 
Bender Felek, Guesli et Guersa, me permit d'a- 
voir de premiers documents, erronés ou incomplets, 
tant à cause du trouble des esprits agités par la 
guerre contre Alloûla, que des préventions que 
Ton avait contre moi dans les conditions où j'arri- 
vais, dépourvu de toute marchandise d'échange. 

Je quittai cette ville pour aller à Gandala et Ben- 
der Khor, où, déjà rompu un peu a la langue çomali, 
je pus écouter et voir par moi-môme, assez pour 
corriger différentes erreurs dans mes observations 
précédentes. • 

Borah, Bender Gâsem, Bender Baad, Aboû Re- 
gabé, Bender Ziyàda complétèrent mes notes. 

Je ne me suis point borné à l'étude seule des pro- 
duits du pays achetés par les Arabes ou Banians. 
J'ai recueilli les spécimens de bien d'autres produits 
dont le Çomali ne sait point tirer parti. 

Le peuple chez lequel j'ai vécu ignore ce que 
c'est que l'hospitalité désintéressée, ce que c'est 
même que la reconnaissance. Il est fier et inso- 
lent dans sa misère, mais, au point de vue de la sér 
curité personnelle, il n'y a, je crois, rien à craindre 
de lui. De môme, une fois en relations avec le 
Çomali, on reconnaît en lui le respect de la pro- 
priété; il importe d'avoir la force de caractère 
suffisante pour ne point céder à ses importunités. 


STATISTIQUE COMMERCIALE 273 

Alloûla, Merâya, Bender Khor, et Bender Gâ- 
sem sont les quatre points medjourtines importants 
du golfe d'Aden; c'est par Haffoûn que débouchent 
les produits sur la .côte orientale. Tant qu' Alloûla 
continuera, comme elle fait aujourd'hui, à lutter 
contre* le sultan, son commerce, autrefois très im- 
portant, deviendra complètement insignifiant, et la 
moindre tentative d'un comptoir sur ce point fer- 
merait à ses agents tous les autres ports en com- 
promettant sérieusement leurs intérêts. 

Bender Felek, Guesli, Guersa et Râs Orbe ou 
Dourbo, rayonnent sur Merâya. Gandala est un 
débarcadère de Bender Khor ou Bottiala. 

Borah, Aboû Regabé, Bender Baad et Bender 
Ziyâda rayonnent sur Bender Gàsem ou Bossassa. 

C'est surtout sur ce dernier port qu'arrivent les 
caravanes des Dolbohantes et Ougadines, n'appor- 
tant d'autres marchandises que des plumes d'autru- 
ches et de récaille de tortue de terre. 

Les caravanes venanfde Karkar, c'est-à-dire du 
cœur de la Medjourtine ou de l'intérieur, se diri- 
gent tant sur Bender Gàsem que sur Borah, Aboû 
Regabé, etc., suivant le plus ou moins de proximité 
de ces ports. 

Les acheteurs arabes ou banians stationnent sur- 
tout à Alloûla, Merâya, Bender Khor, et Bender- 
Gàsem ; et, de là, au moyen des boutres cjui font le 


274 VOYAGES AU GAP DBS AROMATES 

cabotage, ou bien encore par terre, ils envoient leurs 
agents sur les points de moindre importance, leur 
donnant peu de marchandises à la fois, et les tenant 
toujours au courant des prix auxquels ils achètent 
les arrivages ; faisant quelquefois la hausse ou la 
baisse pour certains articles, suivant la facilité d'é- 
coulement qu'ils prévoient. 

Macalla et Chiere, Âden, Djeddah et Bombay 
sont les ports où ils expédient leurs achats ; quel- 
quefois même les Çomalia les y portent eux-mêmes, 
mais bien rarement. 

Les prix de vente où d'achat subissent peu de 
fluctuations. Cependant^ à Bender Khor et à Ben4er 
Gâsem, les Banians ou Arabes se disputent parfois 
les arrivages ; sans qu'il y ait jamais toutefois 
beaucoup de surenchère sur les prix courants. 

Ils opèrent parfois au moyen de pisteurs ; mais, 
en général, comme il y a longtemps que les facto- 
reries sont établies, elles ont une espèce de clien- 
tèle, et les caravanes vont droit à leur porte. 

Il faudrait peu de choses pour les détourner si 
tous ces musulmans, se soutenant entre eux, ne 
respectaient leurs clientèles respectives comme 
une sorte de propriété. 

Ne croyez point que la présence des Européens 
les gène le moins du monde. Au contraire, ils la 
désirent, comme à Bombay, comme à Zanzibar* sa- 


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THE NEW YQKVr \ 

PDBUCLI3RARY 


ÀSTOR, LENOX ANk 
TILSEN FOUNDATIOMS 


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1} 


STATISTIQUE GOMMËRGIALB 275 

chant quelle activité ils apporteraient au commerce ; 
le lendemain de leur établissement sur la côte 
Çomali, tous ces Indiens ou Banians se transforme- 
raient en courtiers ou revendeurs, et ce ne serait 
pas le plus mauvais côté, de la chose. 

Le Bédouin de l'intérieur vend pour subvenir à 
sa nourriture et non poun thésauriser. Je ne l'ai 
point vu-, au cours de mes observations, emporter 
un seul thalari (1); s'il reçoit quelque argent de Tun 
des doukans ou comptoirs, c'est pour aller à un 
autre acheter un article qu'il n'a pu avoir dans 
celui-là. 

En revanche, le Çomali, commerçant de la côte, 
qui devient revendeur, vend à deux îins, pour sa 
nourriture et pour thésauriser. 

L'Arabe, ou l'Indien, ne va pas au devant de ce 
dernier genre de vendeurs. Il les voit venir, sa- 
chant bien que,d*tin moment à Tautre, il faudra 
qu'ils fassent des offres pour se débarrasser de leurs 
gommes ou des autres produits qu'ils ont en maga- 
sin : il s'attache surtout à la cueillette et aux ar- 
rivages qui lui offrent des opérations plus lucra- 
tives. 


(1) Le thalari a une valeur qui varie suivant cours entre 4 fr. 85 c. 
et 5 francs. Cette monnaie ft'appée exclusivement à Trieste, par 
une maison qui a un monopole de fabrication, a cours sur toute 
la côte orientale d'Afrique, dans U golfe Persique et en Arabie. 


276 VOYAGES AU GAP DES AROMATES 


Les marchandises d'exporlaiion sont : la gomme, 
les encens, la myrrhe, le maïdi, les nacres, les per- 
les, les plumes d'autruches, Tellan (indigo) Té- 
caille, et le bétail, comprenant: moutons, chèvres, 
bœufs et chevaux ; il y a encore le suhack ou beurre 
fondu. 

Celles d'importation : riz de Bombay, dattes, 
toiles américaines, moutama, perles, ambres, et 
un peu de quincaillerie. 

La gomme ou bnhiik toujours vendue en sortes, 
porte le nom d'cwkohib. 

Au triage, on lui trouve parfois mélangé en pe- 
tite quantité d'autres espèces qui font poids dans 
la balance, ce sont le hahak euddé et le habnk 
follahi dont j^ parlerai plus bas. 

L'encens ou liihan vendu en sortes porte le nom 
de beïho . Le saphi, ou triage, le divise en trois 
qualités.'La première, façous, la deuxième, nagoua, 
la troisième, medjigeL 

Lesaphi^ou triage, se fait dans les JowAa/Js, quand 
les arrivages ne sont point trop considérables, au 
moyen des femmes ou des enfants, payés environ 
un demi-shelling par jour, soit 1/4 de thalari. 

C'est un prix à établir dès le commencement de 
la saison pour avoir toujours une escouade à ses 
ordres. 

La myn*he n a qu'une qualité, mais il faut se 
méfier d'y trouver mélangée la fausse myrrhe do 


STATISTIQUE COMMERCIALE 277 


même couleur, mais d'odeur plus forte, que l'Arabe 
appelle addi. Il est facile de reconnaître cette der- 
nière, qui semble toujours huileuse. 

Le maïdi, qu'on appelle en France gomme elemi, 
est une espèce d'encens en grandes larmes blan- 
châtres. Il supporte les mêmes divisions que l!en- 
cens, et les acheteurs s'attachent surtout à conser- 
ver ces larmes intactes pour donner plus de valeur 
à leur marchandise. 

Les nacres (sadaf)^ sont de deux dimensions, 
grandes ou petites (koubar, séffhir) ; elles ne sont 
vendues qu'avec tout leur éclat et non piquées. 

Les plumes d'autruches, grandes ou petites, sont 
divisées en blanches, noires, grises et rougeâtres, 
et vendues au poids. 

L'indigo ou ellan a deux qualités : la première ne 
comprend que des feuilles, la seconde, presque moi- 
tié feuilles, moitié branches. On voit peu de cette 
dernière qualité sur les marchés et on n'en fait aucun 
triage, à cause de l'urticaire désagréable produite 
par le contact de cette plante avec 1&, peau. 

 côté de tous ces produits en cours d'exporta- 
tion s'en trouvent d'autres qui pourraient avoir leur 
débouché; ce sont : ïeuddé et le babak follala; 
le bôOy espèce de chanvre dont le fruit donne une 

sorte de coton. 

16 


278 VOTA0U AU GAP DSft AROMATES 

Le alet ou mourooud , gomme grise, d'un parfum 
exquis semblable à celui de 1* ambre. 

Le riddi ou fausse myrrhe dont le bois odorifé- 
rant se mélange avec le bois de djirmeh^ qui res- 
semble beaucoup comme odeur, quand on le brûle, 
aux pastilles du sérail. 

Le fallah'fallah, écorce résineuse que l'on brûle» 
connue des Arabes sous le nom de babak droun^ 
parfum particulier. 

Le assel^ écorce pour tanner le cuir et le teindre 
en marron. 

Le daar, teinture violette. 

Enfin, à côté de ces productions, le sol offre encore 
du sèl gemme, du fer, du plomb et, au dire des 
Bédouins, du mercure {bio lag)^ eau d'argent ; avoi- 
sinantle littoral, enfin, des montagnes de guano; et 
bien d'autres richesses sans doute qui ont dû 
échapper âmes observations. 

Les cuirs sont peu abondants chez les Medjour- 
tines et suffisent à peine à la confection des chaus-- 
sures, des outres et autres objets de première né-' 
cessité chez eux . 

Malgré cela, de leur dire même, ils consentiraient 
volontiers à s'en défaire contre des produits ouvrés, 
et c'est ce qui se fait sur une petite échelle à Bender- 
Gâsem. 


STATISTIQUE COMMERCIALE 279 

' ' ' — ■^—^ — — ^ ■ ■ I -■■ ■ I I ■ ■ -- — 

Les poids usités se rapportent tous au réthol 
qui équivaut à 453 grammes. 

20 rethols = 1 frazella 
5 frazellas = 1 handar 
3 handars = 1 bohar. 

Le bohar équivaut, d'après ce calcul, à 135 kilo- 
grammes 900 grammes. 

Ces poids sont tous en pierre et, généralement, 
les pesages se font en public, devant les vendeurs, 
pour éviter toute contestation. Il est à remarquer 
cependant que, d'une façon ou d'une autre, la balance 
penche toujours en faveur de lacheteur arabe ou 
banian. 

La frazelhy dite de Merâya, qui, chez les Med- 
jourtines, vaut 20 rethols, en vaut 8 chez les War- 
sanguélis, tribu voisine ; donc, le rethol, chez ces 
derniers, vaut 2 rethols 1/2 de Merâya. 

A Macalla, marché d'Arabie, au contraire, la 
frazella vaut 40 rethols; donc 1 rethol Merâya 
vaut 2 rethols Macalla. 

A Àden, quelques marchandises de la côte sont 
achetées à la frazella de 32 rethols. 

Les mesures de capacité sont au nombre de deux 
seulement : 
Pour le riz, le moutama et autres grains : le goursi . 
Un goursi de riz équivaut à 1 rethol. 


280 VOYAGES AU CAP DBS AROMATES 

La graisse se vend par rhouddha ou mesure de 
14 réthols environ. 

Lorsque les gommes arrivent, elles sont contenues 
dans toute espèce de récipients : sacs, paniers, 
etc. Elles sont emballées pour Texportation dans 
des gonies en paille de un handar environ ; le 
prix ordinaire de cette sorte de sacs est de 8 pour 
1 thalari. 

La paille qui sert à les confectionner est la même 
que celle dont les Çomalis font leurs nattes ; elle 
a une certaine valeur et se vend au poids. 
Elle a atteint sur le marché de Macalla jusqu'à 
â thalaris 1/2 la frazella. 

Le transport des marchandises de la plage aux 
boutres, et du comptoir aux boutres, est un prix 
conventionn.el à établir; et, comme pour les trieuses, 
dès son arrivée, le Banian s*assure ses porteurs et 
ses bateliers pour la saison au moyen d'un prix 
convenu. 

Négociants arabes ou banians établis en Med- 

JOURTINE SUR LE GOLFE D*AdEN (AnNÉE 1878). 

Ismaêl Fangassa, Mohamed, 
Calfah, Massir, Ali ben Char, 

Bender Gâsem ^ Cher Amid, Hamed Ali, AbdaUah, 

Mohamed Yésim Ali, Baraji, 
Aoued, Hamed ben Addi. 


STATISTIQUE COMMERCIALE 281 


xg . ( Rabbia beii Salem, Cher Omar, AU 

Merâya < * 

' ( ben Char, Saïd bén Saïd. 

/ Saïd Hamed, Salem Outour, 

Bender Khor < Ali Babaoui, Hamed, 

( Mohamed. 

Alloûla (1). 

Les Arabes ou Banians établis dans les autres 
petits ports ne sont que des agents secondaires de 
ces comptoirs. Ce sont : 

4 o 1 rr- 3 j ( Mohamed ben Salem, 
A Bender Ziyâda...< .,,„,,., , ^,, 

( Abdallah Mohamed, Zebani. 

^ ■ ® > Arabes de Bender Gâsem. 

Bender Baad. ...j 

A Borah : Yésim Ali. 

A Gaudalu: Mohamel ben Gebel. 


Principaux Çomalis revendeurs : 

r» j ry. Aj f Hadji Aoued, 

Bender Ziyâda { „ ,.. .|. 

( Hadji Ah. 

Bender Gâsem | . ' 

( Hadji Goudah. 

Aboû Regabé ( Hadji Sala, 

Bender Baad ( Berghel, Mohamed Gouddou. 

Hadji Mohamed, 
Gandala { Addi, 

Sementar Osman. 


(1) La guerre actuelle a empc^ch^ les acheteurs de trafiquer 
avec ce port. 

16. 


282 VOYAGES AU GAP DIS AROMATES 


jS. 


Ghiroa Osman, 

Bender Khor { Farah, 

Esmérihé. 

OA n^v.ji ( Maïeis Belal, 

( Yousouf Ah. 

Edris Ebnou Mahmoud; 

-- . . Ismaêl Yousouf, 

i Yousouf Aliencar. 

\ Mohamed Ghiroa. 

/^ A i-i 1. ( Yousouf Addi Gouled, . 

Guersa etGuesli.J,, • 

( Yoar. 

r, , ,:, 1 , i Hamed Mahmoud, 

Bender Felek ) 

{ Osman Samber. 

I Mohamed Béni Assen, 
Mohamed Béni Ali, 
Yousouf Ali. 
RAs Haffoûn Sementar Ougarien. 


BOUTRES COMMERÇANTS DES MeDJOURTINES, 

leurs différents ports et leurs propriétaires. 

Hadji Aoued^ 
Bender ZiyAda . . • .{ Raleh, 

Shermaka. 
Sal Gâsem^ 

Bender Gâsem 1 Farah Ismafil. 

Hamed Mohamed (i), 
Mohamed Goudah. 
Ismaêl Osman, 


\K A ( Ism 

'''''^' ichi 


ir Omar (1). 


(1) Boutres appartenant à de9 Arabes venaqt chaque annéd. 


STATISTIQUE COMMERCIALE 


288 


IYousouf Gouled, 
Yousouf Elieh, 
Yousouf Adda Mohamed. 
{Osman Mahmoud» 
Osman Assen (4 brûlés par AlIoûJa.) 
i Yousouf Ali, 
Mohamed Béni Assen, 
Mohamed Béni Ali. 
/ Sementar Ougarien, 
AliOuged, 
Ali Assen Diaraleh, 
Mohamed Sebed, 

FTaffoûn .^ Yousouf Gouled, 

Sementar Moussa, 
Goulôd Onaïs, 
Garab Sareh. 

Statistique des récoltes annuelles de eomme» et 
Eneemiy établie sur la moyenne des chiffres recueillis 
sur la côte Medjourtine : 

Bender Ziyâda ...... 250 bohars 

BenderGâsem 1200 » 

Aboû Régabé ) 900 » 

Bender Baad j 

Borah . 300 » 

Gandala 500 » 

Bender Khor .1000 » 

Ras Orbe . 250 » 

Merâya 1500 » 

Guersi 200 » 

Gucsli ^00 » 

Benùor Fck'k 700 » 

Alloûla IQQQ » 

Total, , , . 8200 bohars 


284 VOYAGES AU CAP DES AROMATES 

Soit environ 1200 tonnes, chifire que Ton peut, sans 
exagérer, porter à 2000, les années de belle lécolte. 

La Myrrlte n'arrive que sur deux points du golfe 
d'Aden: 

Bender Gâsem 30 bohars. 

Borah 3 » 

A Haffoûn, il s'en est écoulé, en 1877, 25 bohars. 

Les Plumes d'autruelte n'arrivent qu'à Bender 
Gâsem, elles donnent une moyenne de : 

Blanches 50 rethols 

Noires 150 » 

Grises 300 » 

Total. . . 500 rethols. 

Ce chiffre ne me paraît nullement exagéré. J'ai vu, de 
mes propres yeux, chez un Indien de cette ville, 4 ballots 
de plumes de 2 frazellas chacun, ce qui fait 160 livres. 

Le MaYdi, 150 tonnes environ. 

Le EUaii arrive en abondance; je n'ai pu avoir de 
données sur ce produit. 

C'est surtout à Alloûla que s'écoulent les Maeres* 

En 1877, au dire du surveillant des pêcheurs de Mo- 
hamed béni Assen, le plus grand négociant de cette 
ville, 1000 frazellas ont été expédiées sur Bombay. 

Du port de Haffoûn, 400 frazellas environ avaient eu 
la même destination. 


STATISTIQUE COMMERCIALE 285 

Le Subaek, ou beurre fondu, atteint la chiffre de 
5 tonnes pour Bender Gàsem. En général, le plus foft 
débouché de ce produit est à Haffoûn : 8 à 10 tonnes. 

Quant aux Moutoim et autre Bétail, ils s'écou- 
lent sur Aden et Macalla, par Bender Gâsem prin- 
cipalement. Un boutre en porte de 5 à 600 (1). On peut, 
sans exagérer, coter de 5 à 6000 le chiffre d'exporta- 
tion sur ces points. 

Voici maintenant la valeur de chaque produit en 
espèce ou en nature, en gros et en détail, à l'arrivée 
des caravanes aux doukans : 

liiibMi t à la cueillette ou luban beiho : 

1 rethol beiho s'échange contre 1 rethol de dattes 
ou 2 goursis moutama. 

1 frazella beiho = 1 tlialari. 

1 handar = 5 thalaris ; 5 1/2 à l'estime. 

1 bohar = 14 et 15 thalaris. 

Après triage : 

Le luban façous =1 thalari 1/2 à 2 la frazella. 
B nagoua = 1 » » 

» medjigel = 3 shellings » 

La frazella et le bohar du luban dil façous, suivent 
le prix du bohar de gomme. 

Comme (habak), est toujours vendue en sortes, à 

(1) Le boutre qui me ramena de Bender Gâsem à Aden portait 
625 moutons et 65 hommes d'équipage. 


186 V0YA0I8 AU GAP D10 AROMATES 

Testime pour les grandes quantités ; son prix varie de 
1 piastre 1/â, 1 piastre 3/4 et 2 piastres la frazella. 

Le handar = 7 à 7 thalarîs 1/2. 

Le bohar t= 82 à 23 thalaris. 

Elle s'achète peu à la cueillette à Meraya ; cependant 
un Arabe donnait pour 1 rethoi d'ankokib, 1 rethol 1/2 
de dattes. 

llAlcIi ou gomme élemi, à la cueillette : 

1 rethol maïdi en sortes s'échange contre 1 goursi 
moutama. 

1 frazella contre 20 goursis de riz ou 40 de mou- 
tama. 

En espèces : 1 frazella maïdi = 1 thalari, 1 thalari 
1/4, quelquefois 1 1/2 à l'estime. 
1 handar = 6, 6 et 7 thalaris. 
1 hohar = 15, 18, 21 thalaris. 

Le triage sépare surtout les grandes larmes qui ont 
Valu, pour la récolte de 1878, jusqu'à 2 thalaris 1/2, 
3 thalaris la frazella et 30 piastres le bohar . Il ne laisse 
que les brisures et la poussière qui constituent le maïdi 
nagoua et le maïdi medjigel, variant de 1 thalari 1/4 a 
1 roupie ou 3 shellings la frazella. 

Hyrrlte ou Malmal, à la cueillette : 

1 rethol malmal s'échange contre 2 rethols 1/2 dat- 
tes , ou 4 goursis moutama. 

La frazella vaut 2 1/2 et 3 piastres. 
Le bohar, 45 à 60 piastres. 


STATISTIQUE COMMERCIALE 287 

Gomme je l'ai dit plus haut, il ne faut pas confondre la 
myrrhe avec le habak-addi que les Arabes ou Indous 
achètent à raison de 1 thalari la frazella, ou en échange 
de moutama^ goursi pour goursi. 

Ilir»!6re« belles, non piquées : 

Première grandeur : 2 thalaris 1/2 à 3 la frazella ; 
Deuxième grandeur : 1 thalari 1/2 à 2. » 

Plumes d'autrnelte, au rethol i 

Blanches 80, 90 et 120 thalaris. 

Noires 9, 10 et 12 » 

Grises et rougeâtres. . 5, iO » 

à estimation. 

L'EUan se vend au handar ou 100 rethols, à raison 
de 2 thalaris. 

L'^feaille vaut de 2 1/2 à 3 thalaris le rethol. 

Siibnek ou Semen^ beurre fondu, se vend au 
rouddha, mesure de 14 rethols, à raison de 2 thalaris 


LETTRE 


Dlf COLONEL R. L. PLAYFAIR 


Au moment même de mettre sous presse, je trouve, 
dans le Bulletin de la Société de géographie commer- 
ciale de Paris, communication d*une lettre de M. le 
colonel R. L. Playfair, consul général de Sa Majesté 
Britannique à Alger, adressée à M. de La Croix. Elle 
a justement trait au récit du massacre de la fontaine do 
Baraïda, que j'ai donné tel que je le tenais de la bou- 
che même de Noûr Osman, ministre et tuteur actuel du 
sultan des Medjourtines. 

Je me fais un devoir de la communiquer à mes lec- 
teurs, et cela, d'autant plus volontiers que, si elle ne 
se rapporte pas exactement avec le récit du chef çomali, 
elle se termine du moins par cette phrase que je sou- 
ligna et qui concorde parfaitement avec les conclusions 
de mon volume : 

c Je tiens à ajouter en faveur des Çomalis, que fai 
connu plusieurs exemples de navires ayant fait^ nau- 
frage sur cette côte, et que, en presque toutes occasions, 
les naufragés ont été reçus avec la plus grande hospita- 

17 


290 LETTRE DU COLONEL R. L. PLAYFAIR 


lité, ont été comblés de soins, et ramenés ensuite à 
Aden. » 

Consulat général de Sa Majesté Britannique. 
Alger, 21 octobre 1879. 


Je n'ai guère le temps de vous envoyer un mémoire 
complet sur le sujet dont vous me parlez, mais voici un 
simple aperçu de l'épisode que M. Réveil a cité dans sa 
conférence. 

.£n octobre 1862, étant alors assistant résident poli- é 
Jtique à Aden, j'appris que des Européens avaient -été ^ 
assassinés sur la côte Somali. 

Je m^embarquai aussitôt sur le vaisseau de guerre Ja 
Sémiràmis jet partis immédiatement pour Makalla sur ' 
la côte d* Arabie, dans l'espoir d'y recueillir des rensei- 
gnements. Au moment d'y arriver, je vis entrer dans lê 
port un navire de guerre venant dé l'Est. C'était le Pior 
ffouin qui arrivait de Zanzibar en quête de deux de ses 
embarcations qui manquaient. 

Il parait que le 1*"' septembre, étant à Kiama (LaL 
0*44' S.), le lieutenant Mac-Hardy, commandant du Pin- 
gouin, avait envoyé un cotre et une baleinière à la pour- 
suite des négriers; ces embarcations portant un^iii- 
page de quinze hommes étaient sous les ordres du 
lieutenant Fontaine, et depuis cette époque on n'en avait 
plus entendu parler. 

Je me dirigeai aussitôt vers la côte d'Afrique escorté 
du Pingouin et arrivai à Bunder-Meurajah dans la.ma*- 


\ 


.j 


LE MASSACRE DBf BARAÏDA 291 


tinéedu25. Le sultan des Medjertines était en ce mo- 
ment dëtis rkitérieur du pays à quatre jours de marche 
environ et je lui écrivis de venir me rejoindre. 

- ^En attendant, je me renseignai à Meurajah. Les habi- 
tants m'avouèrent que Téquipage d'une embarcation 
avait, en effet, été massacré sur leur côte, et comme le 
sultan ne pouvait arriver avant quelques jours, je partis 
pour découvrir le lieu du crime. 

Nous débarquâmes à quinze milles environ à TOuest 
du Ras-Assir (cap Guardafui), à un endroit appelé Ba-î 
raïda, situé dans une plaine assez étendue et bordée de 
montagnes en amphithéâtre. Nous y trouvâmes des 
preuves matérielles que les matelots y avaient été assas- 
sinés; à chaque pas des traces de leur passage s'of- 
fraient à nos yeux, ici un morceau de toile, là.un lam- 
beau de vêtement, et enfin, au milieu de la baie, nous 
découvrîmes, au-dessus du niveau des hautes eaux, ren? 
droit précis où l'embarcation avait été tirée à terre; tout 
auprès brûlait un feu fait avec des débris du cotre du 
Pinffouin, ce qui démontrait clairement que les indi- 
gènes se trouvaient encore là quelques instants avant 
notre arrivée. 

Nous poussâmes plus avant et, à un mille environ 
dans l'intérieur du pays, nous arrivâmes à un petit vil- 
lage de huttes construites en nattes, dans lesquelles 
nous trouvâmes de nombreux objets ayant appartenu au 
malheureux équipage, tels que : caisse de munitio&s, 
avirons, etc., etc., dont plusieurs étaient souillés de 
sang. 


292 LETTRE DU COLONEL R. L» PLÂYFAIR 

Les habitants s'étant enfuis à notre approche, nous 
brûlâmes le village et tout ce qu'il contenait et revînmes 
à bord. 

Je continuai mon enquête et, d'après les renseigne- 
ments recueillis sur la côte Je pus reconstituer les faits 
comme ils avaient dû se passer : 

En quittant Maydashoua, les deux embarcations 
s'étaient dirigées vers le Nord, mais,ayant été poussées 
ti'op loin et la mousson les empêchant de s'en retourner, 
elles avaient arrêté leur course dans l'espoir d'atteindre 
quelque port ami. 

Elles avaient abordé en elTet à Ras-Maaber (cap Del- 
gado, lat. 9^ 29'N.), mais il s'était élevé un malentendu 
entre l'équipage de la baleinière et les indigènes, une 
collision s'en était suivie et plusieurs de ces derniers 
avaient été blessés, sinon tués. Quant aux matelots, ils 
avaient cherché leur salut dans la fuite, et, abandonnant 
l'embarcation, avaient gagné le cotre à la nage. 

Celui-ci avait aussitôt repris le large, fait voile vers 
le Nord et, après avoir doublé le cap Guardafui, était 
arrivé à Baraïda vers le 25 septembre. 

Il est difllcile, sinon impossible de dire d'une façon 

r 

précise ce qui avait dû se passer alors, mais toujours 
est-il que les matelots avaient été attaqués par une 
multitude d'indigènes et que, succombant sous le 
nombre, ils avaient été massacrés jusqu'au dernier. 

Dans la soirée du 2 novembre, le sultan arriva à 
Bunder-Meui*ajah avec une suite de deux cents per- 


LE MASSACRE DE BARAÏDA - 293 

I ■ ■ I ^ I ■■■ I ■■!! ■■ I I ■ I I 

sonnes et j'eus aussitôt une entrevue avec lui sous une 
tente que j'avais plantée sur le rivage. 

Il n'essaya même pas d'excuser ou d'amoindrir Tatro- 
cité du fait, ni de rejeter sur l'équipage anglais la faute 
d'avoir commencé les hostilités; il exprima sincèrement 
ses regrets et promit que justice serait faite. J'insistai 
pour que la punition fût exemplaire et immédiate. Le 
sultan me demanda un délai de dix jours nécessaire à 
la recherche des coupables et, fidèle à sa promesse, il 
vint, le 13 du même mois, me rejoindre à « AUoolah », 
me remit une quantité considérable des armes pillées 
et m'annonça qu'ayant réussi à capturer huit des prin- 
cipaux coupables, il les tenait à ma disposition. 

Il est probable que beaucoup d'autres individus 
étaient impliqués dans l'affaire, mais je pensai que 
l'exécution de ceux-ci serait d'un exemple suffisant, et 
je compris aussi combien il était difficile à un souverain 
africain d'avoir à livrer de ses sujets à des chrétiens. 

Le sultan était fort désireux que nous' nous fissions 
justice nous-mêmes, mais j'insistai d'une façon for- 
melle, puisque les prisonniers étaient des sujets à lui, 
pour qu'il les jugeât lui-même. C'est, en effet, ce qui 
arriva. Au coucher du soleil, les embarcations des deux 
vaisseaux do guerre vinrent aborder à la côte, mais les 
équipages ne descendirent pas à terre; les prisonniers 
furent amenés sur le rivage, et décapités publiquement. 

C'est le premier et seul exemple à ma connaissance 
que des mahométans des parages d'Aden, où j'ai se- 


294 LETTRE DU COLONEL R. L. PLAYFAIR 

journé pendant quinze ans, aient été exécutés, par leur 
propre chef, pour crime commis sur des Européens. 

Je regrette beaucoup de n'avoir pas en ce moment le 
loisir de vous en dire plus long sur ces peuplades, mais 
je tiens à ajouter en faveur des Somalis, que j'ai connu 

plusieurs exemples de navires ayant fait naufrage sur 

• 

leur côte, et que, en presque toutes occasions, les 
naufragés ont été reçus avec la plus grande hospitalité, 
ont été comblés de soins et ramenés ensuite sains et 
saufs à Âden. 

Du reste^ M. Révoil doit connaître les voyages que 
Speke a faits parmi eux, ainsi que les communications 
du capitaine Gruttenden et la grammaire somali du 
capitaine Rigby. 

R. L. PLAYFAm. 



/ 


THE »E* '^*L 


y 


^^TOK LENOX '^^'',^ 


^ 


TABLE DES MATIÈRES 


Pages. 
Avant-propos vu 

EXPÉDITION DE « L*ADONIS » 

I. — Projet d'expédition.à la côte orientale "d'Afrique. — 
L'Adonis» son personnel el son équipage. —; En route. — 
La nuit du 29 décembre. — Port-Saïd. "•—' Ismaïiia. — 
Suez. — Aden. ^ Arsan Ali. — Départ pour Merâya. — 
Nos deux passagers vQomalis d'AUoûIa. — «En vue de la 
côte Çomali. 4-^'Att Hiouili»jge...de "Gueisli, — Notre 
réception par Seiuôjitar Osman, gouverneur do Meràya. 

— Physionomie des naturels. — Départ-potir Alloûla. . • . l 

II. — Aspect de la côte. — Alloûla. —Notre entrée en rade. 

— Nos visiteurs. — Notre réception à terre par Yousouf 
Ali. — Un vol de sauterelles. — A travers la ville. — 
Retour à Merâya. — Appréhensions de Sementar pour 
venir nons voir à borj. — Il s'y décide. — L'équipage 
de r Adonis à la fontaine de Merâya. — Départ pour 

Râs Haffoùn. 17 

III. — Nous doublons le cap Gardafuî. — En face d'Haffoûn. 

— Pêche de deux poissons monstrueux. — Fuite d'un 
esclave. — Sementar Ougarien. — Un visiteur peu délicat. 

— Ascension du Djebel-IIoûr. — Charge de cinq ca- 
valiers contre un photographe, — Le médecin du bord. 


296 TABLE DES MATIÈRES 


Pages. 

Entrevue avec les notables d'Haffoûn. — Arrivée de 
Noûr Osman, tuteur du sultan. — Le conseil des mi- 
nistres çomalis. — Départ pour Mogadoxo 37 

IV. — Quelques mots sur les Bénadirs. — Description géo- 
graphique. — Divers ports de la côte. — Villages de 
l'intérieur. — Races diverses des habitants. — Conquête 
du pays des Bénadirs par le sultan de Zanzibar. — Les 
gouverneurs zanzibariens à Meurka, Brawa, Mogadoxo. 

— Révoltes fréquentes des Çomalis de l'intérieur. — 
Tentatives de la flotte égyptienne. — Incendie de Brawa. 

— Hospitalité réservée aux Européens dans ces parages. 

— Avenir du pays des Bénadirs 53 

V. — En face Mogadoxo. — Aspect de la ville. — A terre. — 
Une immersion désagréable. — Visite au gouverneur 
arabe Souleyman ben Râchid. — Son palais. — Nos pour- 
parlers. — Noire course dans Hamarneim et Ghan- 
gani. — Notre futur logement. — La douane zanziba- 
rienne. — Difficultés pour regagner 1* Adonis. — Nouvelle 
visite à Souleyman. — Projets d'installation. — Une" 
singulière fantaisie. — Opposition du gouverneur, à 
rétablissement de notre comptoir. — Départ pour Brawa. 67 

VI. — De Mogadoxo à Brawa. -r Brawa. — Rencontre d'un 
Européen. — M. Wolfarth. — Nos précautions pour 
entrer en relations avec le gouverneur Ben Hamed. — 
Rapport de M. Eysséric. — Mauvaise foi de Ben Hamed. 

— Violation du traité de 1844. -* Nous prolestons. — 
Départ pour Zanzibar. — Nous portons plainte à notre 
consul. — Destitution des gouverneurs. — Incident 
Kerpell à Ouarcheik. — De Zanzibar à Kismayo. — 
Brawa. — Meurka. — - Retour à Zanzibar. — Rentrée de 
VAdonis en France 85 


i 


TABLE DÇS MATIÈRES 297 


Pages 
TROIS MOIS EN MBDJOURTINE 

I. — Mon second voyage. — Départ de Marseille. — Âden. — 
Mes préparatifs. — Bagaro. — Départ pour Merâya. — 
Une insolation. — Lasgorée. — Entre Çomalis. — Nou- 
velles des Medjourtines. — Dourdouri. — Bender Gàsem. 

— Ma réception chez le gouverneur provisoire. — La 
fiancée du sultan. — Fêtes du Rhamadan. — Vers 
Merâya. — Enfin j'arrive! , i05 

II. — Aperçu sur Merâya et sur les sultans de Medjourtine. -^ 
La famille de Noûr. — Mon installation. — Ma case. -^ 
État de guerre du pays contre Yousouf Ali, gouverneur 
d*Alloûla. — Visiteurs importuns. — L'ambulance. — 
Mes fonctions de docteur commencent. — Le chirurgien 
Qomali. — Course à Guersa. —. Guesli. — Bender Fe- 

lek. — Rentrée à Merâya 125 

m. — Premiers engagements. — Inquiétudes du gouver- 
neur. — Combat de Bender Felek. — Aux armes ! — 
Combat de Guesli. — Alarmes continuelles. — Combat 
de Guersa. — Vol et restulition anonymes. — Semeiitar 
blesse sa femme accidentellement. — Les singes de la 

. fontaine de Merâya. -^ Mort de la femme de Sementar. VSQ 

IV. — Tristes impressions. — Aromatica regio, — Regio 
Karpmata, — En route pour le Djebel ou Gebel Karocna. 

— Là mosquée du Bédouin. — Aren. — Empreintes peu 
rassurantes. — Au pied du pic. — Une ascension malaisée. 

— Pourrons-nous descendre ? — Déception. — L'arbre 
poison, le « ouabaïo ». — Daralet. — Rencontre des en- 
nemis. — Rentrée à Merâya. — La leçon de Chiroa. . . 149 

V. — On annonce l'arrivée du sultan. — Osman Mahmoud. 

— Son armée. — La revue dos troupes. — L'assemblée. 

— Imprécations. — La prière. — Le repas des 2,000 Bé- 


298 TABLE DES MATIÈRES 


Pages, 
douins. — Noûr Osman vient me voir. -* Notre con- 
férence. — L'incident anglais de 1862. — Ses consé- 
quences. — Le Voltigiern 168 

VI. — Départ des troupes sur Alloûla. ^ Ck>mment j'établis 
mon itinéraire de Karkar aux différents ports de la côte. 

— Défaite de l'armée de Noûr. — Retraite en désordre. 

— Visite du sultan. — Esa Dohol. — Les plongeurs du 
Meï-Kong. — Noûr me donne un « ouarga » de libre cir- 
culation. — Départ du sultan pour l'intérieur. — Un orage 
à Merâya. — Deux visiteurs désagréables. — Mon départ 

pour Gandala avec Sementar Osman 177 

VII. — En roule. — Gandala. — Origine du nom. — La 
jeune femme de Sementar, Alima. » Mon nouveau loge- 
ment. — Gebel Aïsema. — Bender Khor. — Comment 
j'y suis reçu. — Un gouverneur peu aimable de la 
branche des Séliman. — Outrages au sultan. — Rentrée 
forcée à Gandala. -> Visite nocturne d'un guépard. — 
Le traité entre le Nagtiib Omar Sala de Macalla et 

les Medjourtines . . . 193 

VIII. — Nouvelle course à Bender Khor avec Sementar Os* 
man. — Hypocrisie du gouverneur. — Sa condamnation. — 
Ascension du Gebel Aïsema. — Le sel gemme. — Pud- 
dings de coquillages. — Visite aux montagnes de Djebeur 
el Kebir, et Djebeur el Séghîr. — Rentrée à Gandala. — 
Fuile d' Alima. — Un cas d'adultère. — Étrange sx)lution. 

— Adieux à Sementar. — En roule pour Bender Gâsem. 209 

IX. — Une averse désagréable. — La fièvre et la faim. — 
Aspect de Bossassa. — Je revois la fiancée du sultan. — 
Aboû Regabé. — Bender Baad. — Nouvelles de l'in- 
térieur. — Décidément, je n'irai pas à Karkar.— Ismaël 
Fangassa. — Le fils de Noûr, Mohamed 225 


TABLE DES MATIÈRES 299 


Pages. 

X. — Fêles du « hid ». — Course à Bender Zîyâda. — Dis- 
cussion. -^ Perte cruelle de bien des croquis. — Quelques 
jours encore à Bossassa. — Le sultan n'arrive pas. — ' 
Je quitte la Medjourtine. — Lasgorée. — Bender Gâham. 
— Un chargement complet ! — Âden 239 

XI 
PHYSIONOMIE GÉNÉRALE 

Description géographique de la Medjourtine. — Divisions 
territoriales. — Hydrographie. — Ethnographie. — 
Origine des Çomalis Medjourtines. — Constitution poli- 
tique du pays. — Diverses classes d'habitants. — Aspect 
des villes. — Armée. — Tactique. — Différence des 
divers types de la race çomali. — Mœurs des hommes et 
des femmes. — Enfance du Çomali. — La jeune ÛUe. — 
La femme. — Costumes. ^ Bijoux. — Mariage. — Respect 
des morts. — Esprit religieux. — Conclusion. ..... 251 

XII 

STATISTIQUE GOMMERGL^LE 

Ports visités où j'ai puisé mes renseignements. — Marchés 
medjourtines. — Marchés extérieurs. — Marchandises 
d*ezportation et d'importation. — Classification. — Pro- 
ductions du sol non cotées. — Poids et mesures. — Né- 
gociants arabes et banians déjà établis en 1S78. — 
Çomalis revendeurs ; chefs de cavaranes. — Boutres med- 
jourtinesfaisanl le cabotage. — Leurs propriétaires. — 
Statistique des récoltes. — Trafic des comptoirs .... 271 

Lettre du colonel R. L. Playfair sur le massacre de Baraïda 289 


Pirte. - Société anonyme d'imprimeri*. - PAUL niPOXT. D» 21.2.80