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Digitized by the Internet Archive
in 2011 with funding from
University of Illinois Urbana-Champaign
http://www.archive.org/details/voyagesdunnatura01desc
. VOYAGES
D'UN
(NATURALISTE.
PA > à
SON; 17 FRONTISPICE.. Voyex T'ur. d'age 163.
Cabanes et Temple des
VOYAGES
M D'UN
NATURALISTE,
ET SES OBSERVATIONS
Faites sur les trois règnes de la Nature, dans
plusieurs ports de mer français, en Espagne, au
continent de l'Amérique septentrionale, à Saint-
Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l’Auteur
dévenu le prisonnier de 40,000 Noirs révoltés,
et par suite mis en liberté par une colonne de
l’armée française, donne des détails circonstanciés
sur Pexpédition du général Leclerc;
Déprés à S. Ex. Mgr. le Comte DE LACÉPÈDE,
Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, membre du Sénat,
de l’Institut , etc.
Par M. E. DESCOURTILZ,
Ex - Médecin Naturaliste du Gouvernement, et Fondateur
du Lycée Colonial à St.-Domingue.
Ni. : XX Multa latent in majestate Naturcæ !
è Pzine, Hist. nat. Prem.
“+
étre,
TOME PREMIER.
PARIS.
DUFART, PÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR.
LS A e “A 7
1609.
CSSS ACSSSR SALSA ASS D ee a
‘Deux exemplaires de cet Ouvrage ont été
déposés à la Bibliothèque impériale, afin d’en
mettre la propriété sous la protecuon des lois,
et chaque exemplaire sera signé de l’Auteur.
AAA Sn 0 D D D DS 2
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À. $, Ex. Mas. LE COMTE
DE LACÉPÉDE,
Grand Chancelier de la Légion d'Honneur,
Membre du Sénat, de l’Insutut, etc.
MonsEiGNEUR,
Comme c’est aux grands Génies qu’il
appartient de protéger les talens naissans
de sourire à leur essor, et de les encou-
rager par l’indulgence, j'at reçu avec
enthousiasme les éloges dont vous avez
daigné honorer mes essais.
La faveur de votre protection, Mon-
. seigneur,menhardit a présenter a orTrr
EXCELLENCE, un Ouvrage dont la
Dédicace exprime bien foiblement le voeu
de mon coeur.
En rendant un juste hommage à votre
science profonde, Monseigneur, ne suis-je
point l’écho de limmortel Buffon?....….
et votre nom célebre n'est-il pas déja
couronné dans les fastes de l'Histoire
naturelle ?......
Quoique F'oTrE EXCELLENCE se plaise
d ignorer son vrai mérite , quoiqu’elle
cherche à se soustraire aux éloges qu
lui sont dus, peut-elle faire taire la voix
de la Renommée? Ainsi l’on voit dans
nos bosquets l’humble violette se cacher
sous le feullage, mais son coloris et son
parfum la décèlent toujours à notre vue
et a notre odorat.
C’est donc de ma gloire que je n’oc-
cupe, Monseigneur, en suppliant FoTrE
ÆxcELzLzENCE d’agréer la Dédicace de
cet Ouvrage, comme un témoignage des
bontés dont elle n’a cessé de m'honorer.
Je suis avec le plus profond respect,
MONSEIGNEUR,
DE Vorre EXCELLENCE
-
Le trés-humble et très-obéissant
Ser“tteur ,
DESCOURTILZ.
Ro L'URL RL RL RO VON RE à, Ta
PRÉFACE,
J: devois publier séparément, après
les avoir soumis à l’approbation de
PInstitut, plusieurs Ouvrages que j'ai
depuis réunis au Journal demes voyages,
et que j'ai l'honneur de faire paroître
sous le titre spécial des 7”oyages d’un
Naturaliste, elc. La relation de ces
Voyages, qui comprend six volumes
ornés de planches de sujets nouveaux,
est ainsi classée :
Dans le premier volume, j’expose à
M. Desdunes-Lachicotte, mon hôte à
Saint-Domingue, mes observations faites
en Normandie, sur la nature du sol,
les productions des pays que jy ai par-
“courus , les mœurs et l’industrie des
habitans. Jy trace la description pitto-
resque du Hâvre de Grace, et de ses
environs; Je rends compte du résultat
de mes courses d'Histoire naturelle, de
mes remarques sur les productions ma-
rines des ports de mer du Hävre et de
Honfleur, de mon retour à Paris; de
vil PRÉFACE.
mon séjour dans le Gatinais, où j’aieu
occasion d'observer et d'écrire la vie
privée d’une fouine devenue domes-
tique, et de faire un Traité circons-
tancié sur la culture du Safran; mon
départ de Paris pour Bordeaux; mes
observations de la route ; la description
de Bordeaux; des remarques sur l’His-
toire naturelle faites en haute mer; la
relation de ma traversée; notre débar-
quement à Charles-Town; un essai sur
les mœurs et usages des habitans de
ce pays; mon départ et mon arrivée à
Saint- Yago de Cuba ; des relations
pittoresques et historiques de ces di-
verses contrées; mon embarquement
à Saint-Yago pour l'ile de Saint-
Domingue, et mon arrivée en cette
Colonie.
Dans le second volume, je termine le
récit de mon premier voyage; et après
avoir fait part à mon hôte de mon juste
enthousiasme à la vue des sites enchan-
teurs de la Colonie que j’y ai déjà ob-
servés jusqu'au moment de mon arrivée
à la Hatte, je l’engage à me donner
PRÉFACE. ix
des renseignemens sur le pays. Précis
historique de mon hôte sur Saint-Do-
mingue , depuis sa découverte par Chris-
tophe Colomb jusqu’à nos jours. Paral-
lèle de l’homme primitif, et du colon
ambitieux. Essai sur les mœurs des
hommes et dames créoles; sur celles des
mulätres et mulâtresses ; idées générales
sur les nègres et négresses.
Je reprend mes observations sur les
trois règnes de la Nature. Description
de la hatte de M. Desdunes-Lachicotte,
et du lagon Peinier, appelé le crque
des bambous ; pronostics des orages ;
découverte d’une masure qui servit de
refuge, pendant les crises politiques, à
un amant malheureux. Observations sur
les oiseaux erratiques de cette Colonie;
ma conférence avec Toussaint-Louver -
ture. Analyse des fruits du pays. Voyage
pittoresque au cap Français. Statistique
des Gonaïves, Plaisance, etc. Phéno-
nomènes observés pendant la route.
Remarques botaniques et minéralogi-
ques. Essai sur les chasses du pays.
Traité des pêches auxquelles se livrent
x PRÉFACE.
les nègres, soit pour leur usage, soit
par objet de spéculation. Notes sur les
haras de Saint-Domingue, sur les ca-
brits, et sur une espèce de porc appelé
à Saint-Domingue, tonquin. Remarques
sur les orages, les tremblemens de terre
et les ouragans. Notices sur les deux
saisons régnantes, et sur les débor-
demens utiles et onéreux. Procës des in-
sectes et autres animaux nuisibles. Enfin,
après avoir décrit beaucoup d’autres
incommodités du pays, je remets à en
développer les avantages dans Île volume
suivant.
Le troisième volume comprend les
ressources qu'offre naturellement cette
Colonie pour lexistence; culture des
vivres indigènes, et des denrées colo-
niales considérées sous le rapport com-
mercial; l’indication des manufactures
qu’on pourroit y établir lors du réta-
blissement de lile; l’énumération des
bois propres aux constructions, ceux
de teinture, et autres objets de com-
merce, tels que tortues, gingembre, etc.;
voyages aux monts Cibao, et observa-
PRÉFACE. xj
tions sur l’exploitation possible de ces
mines intarissables, depuis long-tems
en repos par l’insouciance des Espa-
gnols ; récolte des sables métallifères
par les orpailleurs; vie paisible des
Espagnols colons ; réduction volontaire
de leurs propriétés : remarques sur les
salines naturelles du pays; sur les grottes
minéralogiques ; les soufrières ; les sta-
Jagmites et stalactites ; albâtres; spaths,
pesant , Vitreux et fluor ; récit de courses
d'histoire naturelle. Observations sur les
eaux minérales, et les sources puantes
des environs du Port-au-Prince. Ce
troisième volume est terminé par des
anecdotes relatives aux mœurs et usages
du pays.
Le quatrième volume contient la des-
cription anatomique très-détaillée du
caïmau de Saint-Domingue, appuyée
de trente-cinq planches. Les cinq pre-
miers chapitres comprennent sa phy-
siologie raisonnée, son ostéologie com-
parée, sa myologie, sa splancnologie :
le sixième chapitre traite de l’examen
des organes de la génération de ce
xij PRÉFACE.
reptile : le septième décrit les préludes
de ses amours, donne des détails sur
son accouplement, et sur l’âge auquel
il peut engendrer, assertions appuyées
d’un tableau comparatif tracé par l’ex-
périence. On voit dans le huitième cha-
pitre quels sont les soins du mäle et de
la femelle avant et après la ponte : dans
le neuvième, on arrive successivement
à la naissance du petit, et à sa position
dans l’œuf. Le dixième chapitre expose
au lecteur mes expériences sur les mœurs
du caïman, les ruses qu’il emploie, et
la finesse de son odorat. Je décris, dans
le onzième, la chasse qu’on lui fait aux
lagons, et au bord des rivières ; la
manière de découvrir les nichées au
frai des femelles, et les dangers éminens
dont on est menacé dans cette chasse
périlleuse. Celle qu’on lui fait en canot,
est le sujet du douzième chapitre. Enfin,
dans le treizième et dernier, je décris
la chasse aux repaires, comme la plus
à craindre.
Je termine ce quatrième volume par
quinze chapitres de mes Essais sur les
PRÉFACE xiij
mœurs des Guinéens acclimatés à Saint-
Domingue, dans lesquels je passe en
revue les caractères et coutumes bizarres
des différentes nations qu’on y trans-
porte de la côte; ma relation contient
beaucoup d’anecdotes vraies et inté-
ressantes sur les nègres Dunkos, et les
Arada ; sur ceux de Fida, d’Essa,
d’Urba, d’Amina ; sur les nègres Ibo,
si fidèles à leurs sermens d'amour; sur
ceux de Beurnon; les Mozambiques,
les Dahomet, les Akréens, Crépéens,
Assianthéens ; sur les bons Phylanis ;
sur les Nègres cruels de Diabon, et de
Bodé ; sur ceux d’UfE ; sur les Vaudoux,
espèce de magiciens ; enfin, sur les
Nègres créoles de Saint-Domingue.
Le cinquième volume divisé en trois
parües, relativement aux époques des
événemens , aura pour date celle de ma
conürmation de médecin-naturaliste du
gouvernement , par ‘l'oussaint-Louver-
ture, qui alors s’étoit arrogé le titre
de gouverneur de la Colonie. Je don-
nerai, comme témoin oculaire , des
détails curieux et très-circonstanciés sur
xiv PRE EAU QUE:
Toussaint - Louverture et Dessalines ;
je mettrai au jour des anecdotes se-
crettes de leur vie privée , et de leur
despotisme envers les Blancs et ceux
mèmes de leur couleur. On y verra les
prétentions ridicules des chefs de son
état-major ; le mode de son gouverne-
ment, son faste, et la rigidité de son
service militaire.
La seconde partie traitera de la guerre
du Sud, du massacre des hommes de
couleur, et des cruautés inouies exercées
contr’eux : on y comprendra des anec-
dotes secreltes.
La troisième partie exposera les dé-
tails de ma captivité par 40,000 Noirs,
qui ne me conservèrent la vie que pour le
besoin qu’ils avoient de mes connois-
sances médico-naturelles. Elle donnera
les détails affreux de la trop fatale nuit
du massacre général des Blancs au bourg
à jamais ensanglanté de la Petite-Rivière.
Elle contiendra le récit des diverses
affaires de la Crète-à-Pierrot , de la re-
doute de la Martinière, et des motifs
puissans de leur évacuation, ainsi que
PRÉFACE. xv
le développement des événements extraor-
dinaires à la faveur desquels j’ai sauvé
une cinquième fois mes jours menacés;
et des accidens miraculeux qui me réuni-
rent à la colonne de l’armée française;
enfin, après la relation historique et
très-détaillée de lexpédition du général
Leclerc, je termine le volume par un
projet sur la restauration de Saint-
Domingue, par des mesures simples et
irrésistibles.
Le sixième volume renfermera le Traité
des plantes usuelles de Saint-Domingue
et d’une partie des Antilles, appliquées
aux arts et à la médecine; mon départ
pour l’Europe; mon débarquement à
Cadix, mon séjour en cette ville; mes
observations pendant la traversée de
l'Espagne dans sa plus grande étendue;
et mon arrivée à Paris.
J'ai täché de rassembler et de décrire,
avec le plus d’exactitude possible, les
objets dignes d’être remarqués dans mes
diflérens voyages; ét j'ai toujours vu
avec des yeux admirateurs ces chefs-
d'œuvres de la Nature, dans l’espoir de
xvj PRÉFACE
faire partager à mes Lecteurs mon juste
enthousiasme pour leur divin Auteur.
Je demanderai grace pour quelques
termes francisés qui m'ont paru mieux
rendre le sens de la chose, et mon in-
tention semble justifier cette licence.
Je ne serai donc point disert, mais je
serai Vrai, et mes récits seront comme
ceux des voyageurs devroient toujours
FÊTE.
J'ai cru devoir ajouter aussi au bas
des pages de la narration, des notes
instructives qui m'ont été demandées
par des personnes qui mont point fait
de voyages sur mer; c’est pourquoi
j'ai répété certaines descriptions déjà
connues.
Enfin, j’ai voulu être instructif, inté-
ressant et utile, y suis-je parvenu?
C’est ce que lavenir me prouvera.
Heureux, sije puis prétendre à lindul-
gence de mes Lecteurs !
RL LVL VU RL URL RE RS
DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
1H être privilégié de la Nature, preuve
incontestable d’une Puissance infime, chef-
d'œuvre orgueilleux de la création , rends grace
au desun qui La fait roi de l'Univers ; admire en
tôus lieux les merveilles d’un Monde formé pour
101; témoin augusté du passé et du présent,
adore le Génie suprême qui La doué de facultés
intellectuelles, parcours l’espace au moyen du
pouvoir inconcevable de ton imagination;
par-tout tu feras des pauses d’extase en faveur de
l’Ouvrier qui en a concu le plan, et de son exé-
cution si admirablement coordonnée dans son
tout. C’est une obligation que tu as contractée
en voyant le jour. Quel plus doux devoir que
celui de la reconnoissance envers le grand Archi-
tecte de l'Univers !
Soulève d’une main confiante et respectueuse
le rideau que les Buffon, Linnæus, Daubenton,
Lacépède , Sonnini, etc. ont placé à la porte
du temple qu'ils ont consacré à la Nature en
pénétrant dans son sanctuaire. Parcours l'édifice
plus circonscrit (1) dont le peintre fidèle, le
(1) Le Muséum d'Histoire naturelle de Paris.
vi DISCOURS
Pline français posa les premiers fondemens , et
dis-moi si tu es insensible à la vue du tableau
imposant et majestueux des ressources infinies
du Créateur.
Dans cette riche collection, qui n’a pas Île
droit de fixer ton attenuon , d'émouvoir tes
sens , d’enchanter tes regards? Ah! si tu éprouves
ce doux état, rends-en grace à la Nature, et
écrie-toi avec Bernardin-de-Saint-Pierre : «H
» n’est peut-être qu'une vérité pure, intellec-
» tuelle, simple et sans idées contraires, c’est
» l'existence de Dieu » !
Soit que tu élèves tes yeux aux voûtes de cet
auguste monument, soit que tu les fixes devant
toi, soit que tu les promènes autour, la mulu-
plicité des objeis étonnera ta pensée, éblouira
toujours la vue; en vain tous ces êtres qui ont
existé, ces témoins de la formation du Monde,
réclameront-1ls ton attention. En vain l’imagina-
uon.la plus active voudroit-elle embrasser tout ;
et raisonner. Cette sublime immensité paralyse
les sens, suspend le génie ; on voit, on admire,
on se lai; mais le silence le plus profond , an
éloquent recueillement deviennent l'hommage
ie plus pur qu’on puisse offrir à l’Auteur de
tant de merveilles.
Ici tu vois pour toujours dans le repos, des
babitans de l'onde qui ont été tyrans d'espèces
PRÉLIMINAIRE. ix
plus foibles (1), placés près de leurs victimes
fiéres de leur néant, et semblant insulter à leur
impuissantennenn. Là, des repules, ou utiles (2)
ou dangereux (3), dont la vue ne peut plus
inspirer de frayeur, mais qui retracent à
l'observateur le souvenir de leur ancienne exis-
tente...
De ce côté, l’étonnante variété des richesses
végétales , la combinaison à l'infini de contex-
ture, de nuances dans les hois et dans les
écorces ; les formes bizarres et régulières des
Fuits et des semences des quatre parties du
Monde, qui proclament la toute-puissance du
Génie créateur par leurs modifications souvent
indéfinies et toujours nouvelles.”
De celui-ci , des corps dont l'existence semble
moins reconnue, quoique cependant orga-
nisés (4), louent l'homme de son industrie (5),
ou l’accusent de son ambiuon (6). Plus loin,
les ornemens de la couronne des monarques ,
ou les parures brillantes de Populence (7). A côté,
(1) Les squames, etc...
(2) Les tortues. |
(5) Les serpens et crocodiles.
(4) Les métaux.
(5) Le fer, le plomb, etc.....
(5) L'or, l'argent.
7) Le diamant et les pierres précieuses.
- DISCOURS
des productions plus communes dont les arts
savent urer le paru le plus avantageux (1).
Veut-on des objets plus propres à récréer la
vuc? on trouvera dans les galeries supérieures la
réunion intéressante de quadrupèdes vivipares.
On consultera pour leurs mocurs et leurs habi-
tudes, le fidèle interprète de la Nature ; on inter-
rogcra également pour les découvertes plus ré-
centes, un Lacépède (2), un Sonnini ; et graces à
ces continuateurs de l'illustre historien qui siége
au temple de l’Immortalité, on complétera une
étude d'autant plus attrayante qu’elle se modifie
à l'infini, et devient attachante par son agréable
variété. Onaimera à considérer leon pour retrou-
ver en Jui le roi des animaux, au caractère fier,
franc et généreux ; on préférera ce noble ennemi,
cruel par besoin , au tigre féroce par caractère,
et sanguinaire par habitude , ravageant , immo-
lant de sa dent meurtrière , lors même que’sa
faim est apaisée, pour le seul plaisir de détruire
et de s’entourer de lambeaux palpitans, ou de
(1) Agates, jaspes, marbres, gypse, chaux, ete...
(2) « Lacépède a été reconnu digne de tenir la
plume de Buflon, dit Sonnini ; elle lui fut confiée, et la
postérité confirme ce jugement solennel ». (Voyez le
premier volume de l'Histoire naturelle générale et
particulière, par Leclerc de Buffon, rédigée par
C. S. Sonmni.)
PRÉLIMINAIRE. x}
. cadavres et d’ossemens dont la vue seule rappelle
sa voracité , et semble Jui demander de nouvelles
victimes.
On examinera avec plus d'intérêt l’industrieux
éléphant, l’utuile chameau , le cheval, âne , ces
serviteurs fidèles et soumis aux volontés de
l'homme , dont ils partagent les travaux , et à
qui ils obéissent volonuers. L’œil sera également
flaué de la robe élégante du zèbre, des formes
sveltes du cerf, de l’anulope, de la gazelle. On
se rappellera avec intérêt les ruses du loup, du
“renard comme tyrans ; du lièvre, du lapin,
comme vicümes, cherchant à échapper à ces
ingénieux chasseurs ; les genullesses de l’adroit
écureuil ; la souplesse et l'intelligence de Pimi-
tateur de l’homme, du singe dont les espèces
sont si variées. Enfin ,. après s'être arrêté un
moment sur les autres espèces dont la vie privée
offre moins de détails communs, on donnera
des éloges ou des soupirs aux vrais amis de
l’homme , aux chiens , dont les races sont aussi
tant mulupliées. |
Ceue galerie a-t-elle été suffisamment exa-
minée ? on trouve dans la suivante la réunion
complète des formes, l'élégance des robes, le
coloris lustré et inimitable , ce vernis inaltc-
rable, ces nuances irrisées.et chatoyantes qui ne
se trouvent que sur la paletie de la Nature, et
xij DISCOURS
qu'elle s’est plue à prodiguer aux colbris , aux *
oiseaux mouches et aux autres oiseaux , qui tous
brillent d’un éclat qui en distingue l'espèce.
On y voit aussi les papillons le disputer aux
oiseaux pour la richesse de la parure et le
brillant du coloris ; enfin les insectes et les ma-
drepores annoncent au curieux que les Cuvier,
les Lamark, les Desfontaines, les Hauvys , les
Bernard de Jussieu, les Geoffroy, les Faujas
de Saint-Fond , etc. n’ont rien négligé pour
remphr les vues du fondateur de ce monument
élevé à la gloire du Dieu de l'Univers.
Combien lhomme qui pénètre sous cette
voûte imposante, doit être ému d’admiration
et de reconnoissance ! Et que ces témoins de la
Grandeur suprême doivent puissamment com-
battre dans l’impie les sourdes impulsions de
l’incerutude ou de l’athéïsme !
.Croit-on, après cette contemplation, voir la
fin des merveilles de la Nature? Si l’on quitte
cet édifice, c’est pour pénétrer sous un dôme
plus élevé, plus vaste, plus imposant, dont l'œil
ne peut embrasser ou pénétrer l’immensité ,
dont les justes dimensions sont inconnues, et
qui donne vie à tout ce qui végête , à tout ce qui
respire ; c’est pour cela encore que, plein d’une
noble émotion , on aime à aller respirer sous le
cèdre antique et sous les autres arbres élégans
PRÉLIMINAIRE. xii
et curieux, pour s’y livrer à des réflexions tou-
jours pures, et douces à perpétuer. En eflet
cette extase, qui agrandit lame et qui l’éléve
au dessus des passions humaines, est une muette
adoraüon, un culte en quelque sorte que l’on
rend à la Divimité; car l'esprit la retrouve sans
cesse dans la mulutude prodigieuse de ses
œuvres. |
L'étude de la Nature est immense (1) ,inépui-
sable et toujours nouvelle. Ses détails variés, la
magie de ses attraits appellent même l’attention ete
l'intérêt de ces hommes oiseux que la fortune ac-
cable ; mais malheur à eux, s’ils sont insensibles
aux charmes de l’harmonie des prés ou des bois,
des ruisseaux ou des vallons! Malheur!..…. le
plus beau des sentimens est éteint en eux; et
(1) La Nature offre tous les jours à l’observateur
de nouvelles merveilles, et son étude depuis tant de
siècles n’est encore qu'une ébauche imparfaite. Pour
établir une échelle de démarcation entre le gramen
et l'arbre de nos forêts, dans l’ornithologie entre
l'aigle altier et l’agile roitelet, dans les quadrupèdes
entre le lion ou l'éléphant et la musaraigne, il a fallu,
pour éviter la confusion , composer des nomen-
clatures. « Les divisions en genres et espèces, dit
Sonnini, sont autant de jalons plantés de distance
en distance qui procurent à notre esprit du soulage-
ment, à notre imagination des auxiliaires, et à notre
mémoire du soutien »,
XIV DISCOURS
matériellement organisés, ils partent par-tout
un ennui qu’ils font partager aux autres. Que
penser d’une ame qui n’est point émue par Ja
surprise des premières feuilles du printems,
qu’une nuit douce, aidée d’une rosée bienfai-
sante, a fait éclorre déja parées des diamans
humides de la Nature? Si les premiers accens de
Philomele ou de sa voisine constante, la fauvette
babillarde , de ceute rivale audacieuse, sile chant
soutenu de l’alouette au nulieu des airs, si celui
plus aigu de Ja grive ou du merle au milieu des
bocages de son pare, si celui égayant du cou-
cou sans cesse en mouvement, ou l’agréable
gazouwllement de l’hirondelle, etmêmele simple
patois du moineau franc, courtisant avec ardeur
la femelle qu’il convoite , n’intéressent point
l’opulent, que lui servent les douceurs de la vie
champêtre? 1] n’est point digne d’habiter au
mulieu de la simple Nature, et d’en savourer
à son réveil les exhalaisons embaumées , dérobées
à mulle fleurs des prairies ou des bois par un
zéphyr badin.
On me reprochera peut-être une partialité
que je suis loin de nier, on s'élevera contre
mon enthousiasme pour une étude qui fait et
mon bonheur et ma consolation depuis les revers
dont la fortune m’a accablé; mais que Phomme
malheureux se consulte lui-même, et il ap-
PRÉLIMINAIRE. xv
prendra, comme moi, à s'abimer sans réserve
dans le sein d’un Dieu qui n’a jamais repoussé
sa créature chérie : ainsi le voyageur, fatigué
par un chemin äâpre et raboteux, aime à se
reposer au pied d’une fontaine ombragée, où 1l
doit trouver la fraîcheur, et oublier, en buvant
à cette source pure, le feu brülant qui le
dévoroit.
En projetant d'écrire le résultat de mes ob-
servations faites dans des pays déja connus, il y
eût eu de la présompuon à prétendre ne donner
que des choses nouvelles ; mais en considérant
la mulutude innombrable des producuons de
la Nature, les diverses modificauons sous les-
quelles on peut peindre le même objet, j'ai
repris courage en réfléchissant qu’un peintre
peut obtenir d’une seule tête, d’après la position
du modèle, plusieurs dessins produits par la
variété de ses contours, et du point d’où le
buste est envisagé.
D'ailleurs l'étude de la Nature a toujours eu
pour moitantd’attraits,que]j'ai compté, en raison
de cet amour, obtenir de cette bonne mére des
faveurs qu’elle n’accorde souvent pas toujours
à ceux qui osent consulter sa fécondité avec
indifférence, ou ceux dont le seul esprit est,
par des innovations cabalisiques, de rapporter
à eux-mêmes la découverte des merveilles qui,
XV) … DISCOURS
parce qu'elles n’éclatent point aux yeux des
profanes, n’en existent pas moins dans le
réservoir commun de la Nature, où d’un pas
plus hardi ils ont osé les surprendre. C’est en
vain que ces êtres présomptueux veulent cacher
l'existence d’une retraite où tout contemplateur
peut pénétrer ; d’un livre où tout aspirant peut
hres’ilest mu par des vues sages et par des prin-
cipes philosophiques. On peut dire avec Buffon :
« Que l'amour de l'étude de la Nature suppose,
» dans lesprit, deux qualités qui paroissent
» opposées ; les grandes vues d’un génie ardent
» qui embrasse tout d’un coup d'œil, et les
an
» petites attentions d’un instinct laborieux qui
» ne s'attache qu’à un seul point ». J’ai éprouvé
d’une manière distincte ces deux mouvemens à
la vue de pays inconnus où toutes les produc-
ons de la Nature devenoient nouvelles pour
moi, et où tous les individus qui lembellissent
venoient éblouir mes yeux étonnés, pour me
jeter bientôt dans une extase, où mes facultés
devenoient impuissantes. Mais bientôt saisi de ce
noble désir de rendre hommage à l’Auteur de
ces merveilles , mon intenuon étoit écoutée , et
mon esprit étoit de nouveau suscepuble d’em-
brasser ces intéressans détails. Telle est la pas-
sion dominante qui m’a toujours entraîné vers
cette étude chérie, :
Naturellement
PRÉLIMINAIRE. xvi
“Naturellement enclin aux obsegvations de ce
genre , il me restoit, après l’examen rigoureux
de diverses collecuons d'Histoire naturelle, à
établir des objets de comparaison entre la Nature
vivanie et la Nature morte, à laquelle un art
imposteur veut en vain conserver les graces et la
fraicheur. Ces préparations, d’ailleurs fort utiles
et fort intéressantes, ne peuvent supporter le
parallèle, et elles*sont, malgré les ressources de
l’art, si éloignées de la perfection et de la vie,
que je dirai avec’ Bernardin-de-Saint-Pierre :
« Nos livres sur PHistoire naturelle n’en sont que
» le roman , et nos cabinets que le tombeau ».
Les voyages devinrent donc l'unique objet
de mes désirs. Ils m’offroient l’occasion d’ob-
server en grand; et d’adgirer la magnificence
de la Nature dans l’immense variété des tempé-
ratures des climats, et de leurs productions
spéciales. Les voyages, en réunissant l’uule à
l’agréable , épurent nos mœurs et nous ins-
truisent ; 1ls nous apprennent à pouvoir apprécier
nos connoissances , et 1ls parviennent souvent
persuader l’observateur de l’imperfecuion de
ses recherches, et qu'il est non point inven-
teur, mais seulement l’ouyrier adroit du grand
Un de l'Univers. .
Tout le monde lit avec plaisir les voyages.
Ils concourent à l'instruction de la jeunesse;
Tone I. à 2
x] DISCOURS
l'étude n’en çst point applicante, c’est un défas-
sement en quelque sorte après des occupations
plus sérieuses ; et heureux qui s’instruit en
s'amusant! car, en laissant au courageux voya-
geur le soin de tracer des routes nouvelles,
on profite sans peine et sans fatigue de ses
heureuses découvertes , et c’est alors cueillir des
roses sans épines.
On apprend toujours avec un nouvel intérêt à
connoître les lois, les mœurs , les coutumes des
peuples étrangers pour établir des comparaisons,
réfuter des systèmes , mettre à profit des lecons
souvent uules. On acquiert dans ces lectures, des
connoissances topographiques qui conduisent
inusensiblement à la sciénce uule et agréable de
la Géographie univegselle. «Moi, dit Sonnini,
» (Courrier de l'Europe, n°. 312. 1808.) qui
» bientôt serai le doyen des voyageurs de
» France , et peut-être de l’Europe, moi qui ai
» passé quinze* années de ma vie à visiter les
» quatre parties de ia Terre, j'avoue que je ne
» connois point de lecture qui m’instruise et me
» plaise autant que celle des voyages; ] aime à
» trouver dans les relations des autres ce que je
» nai pu observer ou apprendre moi-même , et
» dans leurs entreprises, ce qu’il ne m’est plus
» permis d'exécuter (1) ». |
(1) Ce savant profond est sur le point d'ajouter aux
PRÉLIMINAIRE. sis
Les arts et la science doivent trop à cet obser-
vateur zélé pour que ses sectateurs n’adoptent
point un système à la propagation duquel on
se livre volontiers. Nous répéterons également
d'aplès lui : «Qu’on aime à suivre le voyageur
» dans ses courses lointaines, à devenir son
» eompagnon par la pensée , à s'associer à ses
» dangers; on s'intéresse vivement à son sort,
» on partage ses peines , ses fatigues , ses plaisirs,
» et l’on s’enorgueillit de ses succès. Les relations
» des voyageurs offrent en général beaucoup
» de variété; les événemens y sont mélés aux
» observations, et les accidens, les aventures
» viennent tour à tour affliger l’ame sensible, ou
» égayer la narration par des récits qui n’ont
» rien d'amaginaire; on y rencontre tout l’attrait
» qu'inspire le roman, joint à la vérité de
» l’histoire ». ” |
On voit d’après cette profession de foi, combien
il me tardoit de mettre en pratique la théorie
que Javois acquise. Il falloit voir beaucoup,
et revoir souvent pour ne point n'égarer dans
les conjectures, pour éviter le labyrinthe de la
L
différens Voyages dont il a enrichi les bibliothèques,
un nouvel ouvrage en ce genre qui sera du plus grand
intérêt, et formera le pendant du Voyage ‘du jeune
Anacharsis dans l'ancienne Grèce.
2
. :
xx DISCOURS
science. Aussi l'espoir d'acquérir faisoit des
plaisirs de mes peines; et comme le mystère
excite naturellement la curiosité, mon travail
augmentoit d’assiduîté en raison des difficultés
que j'éprouvois dans mes recherches, et des
doutes qui s’élevoient pour mes nomenclatures.
En cueillant une fleur, par exemple , je la croyois
classée par la seule inspection de ses formes, de
sa corolle ou de son calice, lorsque l’examen
des étamines et du pisul la reportoit dans une
autre classe. Nouvelle gloire à acquérir, mais
qu'une cruelle incertitude rendoit souvent dou-
teuse. O Linnæus! combien souvent tu me fus
uuüle! et qu'il est juste de transmettre ton nom à
la postérité! C’est une foible dette qu’acquitte
envers toi un des amateurs de l'Histoire na-
iurelle. . |
Combien de fois, en consultant tes immortels
écrits, jai abrégé mon travail; et de quelle uulité
tes lecons ont été poar l’ordre de mes décou-
vertes ,auiantque pour soulager ma mémoire! La
merveilleuse concordance de ta méthode réunit
des objets qui paroissent étrangers entr'eux,
et pourtant en qui une attention soutenue finit
par découvrir des rapports incontestables. La
Nature moins restreinte que notre imagination,
arrive au même but par des chemins différens,
dont la recherche désole et trouble notre intel-
PRÉLIMINAIRE. xx)
ligence ; mais, loin de nous tronver humiliés ge
ce défaut de pénétration, que cette incapacité
soit pour nous le mouf louable, d’un hommage
respectueux envers l'Étre des êtres, moteur de
ces merveilles, et pour qui les problèmes n’exis-
tent pas. Multa latent in majestate Naturcæ !
«Que de merveilles nous sont cachées dans la
» Nature »! Mais revenons au motif qui n’a fait
rassembler les observations faites pendant le
cours de mes voyages.
\
Je devoiïs publier séparément, après les avoir
soumis à l’approbauon de FPinstüitut, plusieurs
ouvrages que j'ai depuis réunis au Journal de
mes voyages, et que j'offre au public sous le
ütre des Voyages d’un Naturaliste , et
ses Observations faites sur les trois règnes
de la Nature, etc. (1). La relauon de ces
Voyages qui comprend trois gros volumes, au
lieu de six peuts, ainsi que l’annonca Le premier
(1) Quelqu'un peu versé dans l'étude de l'Histoire
naturelle, et ne considérant que IG mot , me reprochoit
ce titre en prétendant qu'on ne devoit point désigner
les trois règnes de la Nature ; cette objection est d'autant
plus mal fondée que tous les jours un naturaliste écrit
ses voyages, mais qu'il parle sans ordre de matières,
et souvent ne classe point ses observations, ou qu’elles
n'embrassent point les trois régnes de là Nature.
xxi . DISCOURS
Prospectus , est ornée de planches, de sujets
nouveaux et elle est ainsi classée :
. J’expose à M. Desdunes - Lachicotie ; mon
hôte à Saint-Domingue , mes observations faites
en Normandie spr la nature du sol , sur les pro-
ductions des pays que jy ai parcourus, sur
les mœurs et l’industrie des habitans; et pour ne
point fatiguer le lecteur par un récit monotone
et des relauons stériles , je le conduis au Hävre,
au milieu des campagnes pittoresques qui bor-
dent la grande route , et dont je lui donne la
descripuon la plus exacte.
Comme unauteur nedoitpointécrire seulement
pour les savans , j'ai cru devoir choisir mon lec-
teur parmi les personnes qui n’ont jamais voyagé,
afin de lui rendre ma narration utile et agréable.
C’est pourquoi il m’accompagne par-tout, dans
mes courses au milieu des campagnes; je lui
ais admirer les beautés dela Nature, je le ramène
sur le rivage de la mer, où, saisi d’un étonne-
ment respectueux , il admire êt se tait.
Plusieurs pensées s’élévent en son ame, à la
vue d’un horizon humide qui lui paroît sans fin ;
il frémit pour le matelot assez hardi pour se con-
fier aux flots qui l’épouvantent par leurs brisans ,
et qui lui paroissent redoutables ; il adnure le
génie de l’homme dans la construcuon de ces
demeures flotiantes, et l’étonnante découverte
PRELIMINAIRE. xxij
au moyen de laquelle on est parvenu,à les di-
riger à volonté , pour arriver d’un pôle à l’autre ,
en traversant des écueils sans nombre et une
route uniforme, et qui ne laisse apercevoir les
traces d’aucun voyageur.
En parcourant les rochers du rivage , je rends
mon Compagnon témoin de la une du-Créa-
teur envers ses créatures. À deux époques de la
journée , le pauvre se transporte en ces lieux ,
enrichi par des présens que le Ciel lui envoie ; il
ramasse en abondance du poisson, des crusta-
cées que les flois ont rejetés pour lui de leur
sein ; il en nourrit sa famille, ses enfans , etsou-
vent même, au moyen d’une mesure qu'une
main prodigue a comblée, il peut en vendre une
partie qui lui devient superflue par l'espoir
d’une nouvelle marée. Je fais part de quelques
observations relatives aux pêches de la rade, et
aux ruses qu'emploient les crustacées, pour se
soustraire aux piéges de léurs persécuteurs.
J'ai occasion, au retour de ces promenades
instructives , d'examiner plus à loisir les objets
dont je donne la descripuon. Je me suis partis
culièrement attaché à la rendre aimable, afin de
captiver mon lecteur. « On regrettera toujours ,
» dit M. Salgues, de quitter d’agréables rela-
» tous qui nous enchantent, pour chercher chez
» les secs et arides nomenclateurs , cette parte
Xx1v DISCOURS ‘*
» technique , qui est à la science ce que la
» Grammaire est à l’éloquence et à la poésie, ce
» que le squelette est à l’homme animé. Si vous
» voulez m'nsiruire ; il faut méler quelques
» charmes à vos lecons ».
Je me suis donc fait un devoir dé me confor-
mer à d'aussi sages principes ; heureux, si j'ai
suivi cette route agréable que tout le monde
aime à parcourir |
Afin de détruire la monotomie de mon récit,
et de’ diversifier les objets que je traite, Je
‘donne quelques détails sur la position du
Hâvre , que les Anglais bombardèrent plusieurs :
fois pendant mon séjour,
J'offre également les fruits de mes promenades
d'observations aux environs du Hävre, de Hon-
fleur , et je donne avec le plus grand soin la
description exacte des sites enchameurs com-
muns dans ce beau climat, tels que la côte des
Ormeaux, celle d'Égoufille , et la côte de Grace.
J'ai aussi occasion de citer quelques anec-
dotes particulières, propres à piquer la curiosité ;
je décris plusieurs collections d'Histoire natu-
relle; je promène mon lecteur dans les agréables
vergers de M. Poulet, négociant. Dé là, je le
conduis à Honfleur pour yrtudier avec moi les
mœurs et Coutumes du pays, y admirer les
eurieux effets de la marée montante, y prendre
.
PRÉLIMINAIRE. XXV
part sur le gazon à un divertissement cham-
pêtre, et y eue d’un tableau attendrissant d’un
bon père fêté par ses enfans.
Mais comme les effets naissent des contrastes,
mon journal nre rappelle le funeste équinoxe du
mois de septembre de cette année. Ce fidèle dé-
positaire me fournit les détails affreux de ravages
inouis qui désolérent, à cette époque calami-
teuse , le Hävre et ses environs. Et comine le
calme succède toujours aux tempêtes, je raconte
les joûtes qui se font sur l’eau en certains jours
de fête, je décris celle des canots armés, de vi-
goureux rameurs, celle du fameux mût de
Cocagne. Enr , après la description de quelques
poissons de la es ne pouvant trouver pas-
sage sur un bâtiment, je renonce pour le mo-
ment au projet de m'embarquer, et je retourne
en Gâunais , où je trouve à observer chez mon
père le caractère aimable et intéressant d’une
fouine devenue familière.
Je m’y livre alternativement à un travail plus
uule , sur la culture du safran de cette province;
et quoique cette plante bulbeuse ait été décrite
avec détails par l’illustre Duhamel , je trouve à
ajouter à son mémoire: mes observations, ei
surtout des dessins fidèles qui manqueient à
l'histoire de cette plante si précieuse au coi-
merce ,. lesquelles planches serveñt mieux
xxv) DISCOURS
l'intelligence , que les meilleures et les plus
exactes -descripuons que l’on peut'faire à ce
sujet. °
Après quelques idées générales , je considère
le safran depuis l’époque de son importation
dans le Gäünais , et jen donne la descripuon ; -
j établis la différence qui existe entre cette plante
utile et le colchique , avec lequel les fraudeurs
savent le sophisuüquer; j'indique sa culture, ‘et
le terrain qui lui est propre ; les caractères aux-
quels on doit reconnoître les bons oignons, la
différence de leur robe, et da température qui
leur convient. |
Je fais connoître la manière de préparer la
terre qu’on lui desune , et l'époque à laquelle se
font les labours; je désigne le tems qui est le
plus propice au plantage , et les moyens à em-
ployer pour préparer les oignons, et les disposer
à une prompte vég gétation.
Je décris le développement de ces oignons, et
leur floraison; je dénonce les animaux qui les
ravagent , et dont la dent meurtrière détruit en
un moment les espérances du diligent culu-
vateur.
Je passe ensuite.aux travaux de la seconde et
de la troisième années , qui comprennent l’arra-
chis des ojgnons, et l'usage qu’on en fait. Arrive
PRÉLIMINAIRE. xx Vi)
le moment de la récolte de cette fleur autant
intéressante pour les sens , que sous le rapport
du produit qu’on en retire. Je décris avec soin sa
cueillette, son épluchage , sa dessication, et le
produit annuel qu’on obtient de celui auquel on
reconnoît les qualités exigées.
Je rends compte des maladies ciel
l'oignon est en but, telles que Ze fausset , le
tacon et la mort. ,
Je-développe les propriétés du safran comme
béchique, histérique et emménagogues, diapho-
réuque, cordial, alexitère, céphalique et ophtal-
mique; comme stomachique , hépatique, car-
minauf et détersif; enfin comme résoluuf,
anodin et assoupissant.
Je le considère enfin sous le rapport des arts,
et j'évalue les frais de culture d’un arpent de
terre à safran, Ce mémoire est terminé par des
notes additionnelles sur sa culture, et des détails
luistoriques.
Je me rends ensuite à Paris d’où je fais route
pour Bordeaux , en exposant mes observations
faites pendant la route. Arrivé à Bordeaux,
j'étudie les mœurs et coutumes des habitans de
, cette ville ; puis embarqué à bord du vaisseau
anglo-américain l'Adrastns , j'y écris mes re-
marques sur les usages bizarres et peu sensuels
XxXV) DISCOURS
des naturels de la Nouvelle-Angleterre (1). Après
avoir reconnu /e Platé-de-Blaie , et attendu
long-tems le capitaine et les passagers pour
mettre à la voile, on appareille pour’ la tour de
Cordouan.
Pour mettre mon néophyte au fait de la navi-
gauon , je l’instruis des principaux mouvemens
du bord ; c’est pourquoi je ne passe point sous
le silence un fort coup de vent que nous es-
suyames au débouquement, afin d'avoir occasion
de lui citer les diverses manœuvres qui se font
pour soustraire un vaisseau aux dangers dont il
est menacé par la tempête ; ïe lui raconte divers
faits extraordinaires, douteux quelquefois pour
(1) J'ai reçu avec reconnoissance les avis d’un cen-
seur distingué qui me reprocha de parler souvent de
moi et de nos repas du bord, mais je crois devoir
lui observer ici que je suis le voyageur, et qu'en ma
qualité d'observateur , je dois un compte fidèle de ce
que j'ai vu , éprouvé, senti. Car quel héros pouvois-je
meltre enjeu, sige n’est moi?..! ne suis-je point le
narrateur? Quant aux repas du bord, ils sont sur un
bâtiment américain, si différens de ceux qu'on prend
à terre, que le lecteur ne peut me faire connoître
des usages nouveaux pour lui; et que la principale
occupation dans les traversées est, dans l’oisiveté qu'on
éprouve, de se quereller sans ‘raison, ou de songer
même "à table , au repas qui doit suivre. J'en appelle
à cet égard aux personnes qui se sont embarquées.
PRÉLIMINAIRE. xxix
ceux qui n'ont pas VOyagé, mais dont on ren-
contre de fréquens exemples.
Ne me contentant point de restreindre mon
journal à des observations météorologiques , je
donne à counoître le genre de vie qu’on mène
sur un vaisseau dans un voyage de long cours,
les plaisirs qu’on sait s’y créer, les amusemens
que chacun imagine pour éloigner l'ennui , suite
inévitable de la monotone.
En parcourant le vaisseau pour visiter Îles
ligñes qu’on laisse G la trafne, j'apercois de
gros poissons , et aussitôt d'appeler mon néo-
phyte pour les lui faire examiner , et lui faire
part de. mes réflexions à leur égard ; tout en
lentretenant sur ce point, le vent souffle, et Ja
mer z#2outonne sous le poids et les bonds d’une
troupe de souffleurs que j'apercois à l’horizon.
Une autre fois , c’est une bande nombreuse et
fugiuive d’adroits poissons volans qui quittent
leur élément pour tremper la dorade dans sa
poursuite acharnée.
Une dispute s’élève, et je me vois forcé d’en
parler, et d'entrer dans d’autres détails qui ne
paroissent superflus qu'a ceux qui les con-
noissent, mais qui font partie de l’histoire d’une
traversée. Ces anecdotes souvent piquantes ne
délassent-elles pas quelquefois le lecteur, trop
souvent ennuÿé d’un journal où il n’est question
xxx DISCOURS
que de beau tems » pluie et vent, brume
épaisse, et d’autres observations monotones et
minutueuses, qu'on ne doit point regarder
comme capables de capuver un lecteur ? |
Je raconte le baptême du Tropique, dént
mon néophyte surtout attendoit le récit avec
limpauence de quelqu'un qui cherche à s’ins-
tuire; 1l prend également intérêt à la punition
exercée contre Îles matelots indisciplinés ; il
me quesuonne sur les trombes de mer, et j’a-
chève de l’entretenir sur ce point en découvrant
terre, el apercevant à l’horizon le phare de
Charles-Town.
Je fais débarquer avec moi mon néophyte, et
je le promène dans les rues de la ville pour en
connoître des usages, et étudier les mœurs de ses
habutans; 1l a entendu parler des quakers et des
méthodistes: je lui établis la différence qui existe
entre ces sectes ; et lorsqu'il s’est bien pénétré de
ces notions instructives ; je le vois encore re-
venir , et semblant désirer une autre étude.
Je l’examine, et je lis dans ses yeux son désir
d'aller contempler la Nature au milieu des cam-
pagnes, pour établir des comparaisons, y
donnef la chasse aux oiseaux qu’il veut von-
noître, aux papillons qu’il désire conserver,
faire la recherche des plantes dont je dois grossir
son herbier ; mais, tout en augmentant son buun,
PRÉLIMINAIRE. xxx)
je lui trace avec fidélité les tableaux des sites les
plus pittoresques, le genre de ces campagres
primiuves , et les endroits destinés à la course ,
amusement favori des Anglo-Américains.
Au retour, je lui fais connoître un sauvage
-du Canada, qui ‘comptant sur les droits de
l'hospitalité, est entré familièrement dans une
maison où je me trouvois, pour apaiser la soif
qu’une chaleur excessive à fait naître en lui.
J’entreuens aussi ce lecteur des autres pro-
ducuons du pays, utiles aux arts, et favorables
au commerce , telles que Parbre à cire, l’érable
à sucre, etc. ; et tout en lui rappelant plusieurs
anecdotes sur les mœurs des bons habitans de
ces pays fortunés, je lui parle d’un sauvage de
la Caroline, artiste sans art, mais qui, par une
rare faveur de la Nature, a composé et peint à
l'huile un tableau dans lequel il s’est repré-
senté au milieu de ses campagnes.
Désirant de Pinstruire , et profitant de sa
bonne volonté, je conduis mon néophyte dans
des endroits qu’il n’a point encore visité. Une
excursion ormthologique devient d’abord le but
de notre promenade ; mais après avoir fait
une ample collection d’oiseaux nouveaux pour
lui, je trouve et saisis l’occasion de lui faire
examiner un boiciningua qu’un particulier de
Charles-Town conserve depuis long-tems, sans
Jui donner à manger.
XA\i) DISCOURS
Loin d’avoir épuisé l’étude des productions
hâturelles du pays, le besoin de voyager sous
d’autres climats nous fait embarquer sur une
goélette anglo-américaine, dont le capitaine est
digne, par la pureté de ses mœurs et la loyauté
de ses actions, de vivre au tems du monde
primiüf. ;
Nous faisons voile vers l’île de Cubes; et
notre bon capiiaine , après nous avoir prodigué
pendant la traversée tout ce qui pouvoit nous la
rendre agréable, poussa la générosité jusqu’à
nous choisir secrétement à terre des logemens
plus commodes que les cabanes étrones que nous
avions à son bord. |
Je donne la descripuion des côtes arides,de
l'entrée de Cuba, et mon néophyte, d’abord
attristé par ces tableaux peu aimables, sourit
à celle de l’intérieur de la baie de Saint-Yago,
qui offre le paysage le plus riche .et le plus
pitioresque. |
Un pilote espagnol étant venu à notre ren-
contre , nous fournit l’occasion d’étudier ses
manicres, et de le questionner sur les mœurs
et usages des habitans de cette île. Après nous
avoir fait mouiller en lieu de sûreté, nous
mettons pied à terre, et nous escaladons une.
côte richement boisée, au sommet de laquelle
se trouve la maison du commandant du fort qui
proté ce
a)
PRÉLIMINAIRE. xxxij
protége la baie, et dont les batteries sont for-
midables.
Après une réception aussi honnète qu’obli-
geante , nous descendons la côte, et remontons
à notre bord pour faire voile vers Saint-Yago,
qui se trouve au fond de la baie.
Il tarde à mon néophyte de me voir visiter
l'intérieur de la ville; aussi n'ayant rien de plus
à cœur que.de le Rire Ne Je mets pied à terre,
et je parcours les rues de Saint-Yago, j'étudie
les. mœurs , les usages de ces Espagnols, et
quelques notions intéressantes deviennent le
fruit de mes observations, que je me plais à
répéter à mon néophyte qui attend mon retour
avec impatience.
în admirant les ressources précieuses que
fournit cette île pour les besoins de la vie, je fais
quelques courses ornithologiques que j'ai soin
d’entre - mêler de parues de pêche, et de chasse
aux insectes et aux papillons de cette île.
Je reviens dans la ville, où j'étudie avec soin
le caractère des padres , et où je prends note
des cérémonies religieuses qui se pratiquent
pendant la semaine Sainte et le jour de Pâques.
Le besoin de nous rendre à Saint-Domingue,
me fait profiter d’une frêle embarcation qui ny
transporte au nulieu des flois écumaus de la
mer en furie : enfin, après une tempête hor-
Tome IE, 3
XXXIV DISCOURS
nible , je débarque à Samt-Domingue; tel est le
sommaire de mon premier Volume.
Si le lecteur ouvre mon second Volume, et
qu'il daigne me suivre dans mes observations,
il me verra débarquer à Saint-Domingue, n'y
entourer de personnes capables de m’instruire ,
et de me donner des renseignemens sur le
climat, les lieux, et l’histoire du pays ; comme
11 me semble que c’est la première étude à la-
quelle on doive se livrer, je me fais raconter par
un ancien colon lhistoire de l’île d'Haïu,
depuis sa découverte par Christophe Colomb
jusqu’à nos jours , que les traditions nous ont
transmise. Alors, pénétré de ces vérités, je
parcours le pays avec plus d'intérêt; ici je
retrouve au nulieu d’un peuple heureux , ces
bons caciques qui ne connoissoient leur auto-
rité que de nom, et s’en servoient pour faire
planer autour d’eux le bonheur et la confiance;
là, je crois voir des groupes de ces insulaires
attendre leur existence des hhéralités de la
Nature, sans s'astremdre à un dur et pénible
travail; parmi eux se trouvent des pêcheurs,
des chasseurs , tandis que les plus âgés vaquent
aux soins de l’intérieur.
Arrive-1-on à l’époque d’une fête célèbre ? elle
est sincèrement chômée; car ces peuples n’ho-
noroient pas seulement des lèvres leur dieu
PRÉLIMINAIRE. XXXV
imaginaire, mais par leurs acüons ; et si quel-
ques ridicules, ordinaires à ces tems reculés,
présidoient aux cérémonies religieuses , 1l faut
être indulgent pour ces détails accessoires
inventés par l’inexpérience et la bonhomie de
ces peuples , auxquels on pourroit répondre par
des cérémonies de nos jours non moius ab-
surdes, quoique consacrées par des peuples
policés : #u reste, le principal mouf dans les
pieuses réunions des insulaires d'Haïti, étoit d’y
adorer un objet dont ils connoïssoiïent la puis-
sance sans pouvoir la comprendre, et c’est
envers le soleil , ame et source sacrée des trésors
de la Nature, qu’ils devenoient respectueux , et à
qui ils offroient leurs plus purs hommages.
Comme de tout tems l'esprit 4ärompeur du
fanatisme a subtilisé les cœurs foibles ou trop
confiaus, 1l se trouva à Haïu, dès son état pri-
miuf, des êtres plus astucieux que le com-
mun des insulaires, et qui, par un intérêt per-
sonnel , inspirèrent une terreur, panique à ces
naturels débonnaires pour en obtenir des hon-
neurs , des rangs et de la fortune; c’est pourquoi
une secte s’éleva , et commenca à prophéuser en
un langage mystique et barbare, et abusant de
la crédulité du peuple , elle Jui fit voir ce qui
n’existoit point, et fascinant leurs regards inti-
midés , elle s’annonca en rapport direct avec un
, 3 *#
XXXV) DISCOURS
dieu quelle créa , et dont elle osa se déclarer
l'interprète. De la une, confiance absolue , sun
respect universel pour ces hommes adroits aux-
quels les naturels d'Haïu donnèrent le nom de
butios , ou prétres indiens.
Afin de grossir leur paru, les buuos asso-
cièrent à leur autorité suprême ceux des Indiens
en qui 1ls recomnurent des principes conformes
aux leurs; et afin d’opposer au peuple deux
freins puissans , ils crurent convenable de revêtir
ces derniers d’une autorité civile, subordonnée
néanmoins à celle des ministres de la divinité.
De là la division des peuplades et leur dénom-
brement; de là Pélecuion de chefs pour les gou-
verner , auxquels on donna unanimement le nom
de caciquess
J'indique le partage de ces gouvernemens
indiens ; je décris leur paix intérieure, leurs
mœurs douces, leur délicieuse existence au
nulieu de campagnes ravissantes et embellies
par leur union ; mais comme le bonheur üent à
peu de chose, et qu’un rien, dit Florian, le fait
évanouir, ces peuplades fortunées, vivant au
comble de leurs vœux, sont troublées, dispersées,
anéantues par la corrupuon de nations féroces
dont elles ne peuvent éviter le joug, et dans Îles
piges desquelles une confiance trop aveugle les
fait précipiter. Je donne alors des détails histo-
PRÉLIMINAIRE xsxv%
riques sur la découverte de l’île d'Haïu par
Christophe Colomb, cause innocente des mal-
heurs qui depuis en ont fait le séjour du crime,
‘ de l’ambiion et des attentats; et comme ces
détails, quoique connus, intéressent néanmoins
mon néophyte qui les ignore , il me presse de
continuer mon histoire relauve à l'expédition de
Christophe Colomb : il me demande comment
un homme aussi bon a pu laisser commettre des
crimes aussi révoltans. Il frémit avec moi , en
traversant la rivière, des massacres qui lui rap-
pellent des souvenirs pleins d’amertume , et lui
font répandre même quelques larmes; car 1l est
sensible. Bientôt, en contunuant mon récit, nous
parcourons les lieux signalés par des événemens
transmis à la postérité ; il apprend avec douleur
la mort de Christophe Colomb, protecteur
infortuné des bons insulaires , et par cela même
devenu la victime de l’envie et de l'ambition de
ses successeurs altérés par la soif de l’or et du
sang.
IL voit avec regret Bovadilla et Ovando suc-
céder à Christophe Colomb, et gémit d’une
autorité despotique et féroce qui semble pro-
noncer aux Indiens la malheureuse destinée qui
leur est réservée. En vain Ferdinand, par un
arrêt humain , vent arrêter les exploits homicides
et sanglans des uügres Bovadilla et ,Ovando ;
sxxvij, DISCOURS
ni la voix de la Nature, ni celle de leur mo-
narque ne peuvent se faire entendre à ces cœurs
pervers et ulcérés : ils tracent leur route dans
l'ile au milieu des cadavres ou des corps foibles
et palpitans, des femmes, des enfans et des vieil-
lards qu’ils ont fait massacrer. De l'or! de Por!..
voilà leurs cris de rage, et rien ne peut étonffer
ces cris impérieux ; ils font donc supplicier tout
ce qui ne peut servir à leur procurer ce métal
funeste qu'ils retirent, par des crimes, des:
entrailles fécondes d’une terre qui semble re-
gretter de s'être entr'ouverte.
Enfin des divisions intesunes s'élèvent parmi
les Espagnols de Pexpédiion de Christophe
Colomb , après le massacre général des Indiens
d'Haïu , et ces Européens ont à leur tour à com-
batire des ennemis puissans, des forbans sans
aveu , et mus par de semblables projets d’une
ambiuon démesurée, enfin les fhbusuers dont
je fais connoître les mœurs et la vie privée.
M'étant apercu à des soupirs bien louables,
que ces récns fatigans ont attristé l’ame de mon
néophyte , je cherche à délasser son imagination,
en l’entraînant au milieu d’une belle campagne;
mais comme y arrivant subitement, l’état de son
cœur ne Jui permettroit point d’en apprécier les
beautés, d’en saisir les nuances, d’en respirer
les parfums , je le condiis d’abord au nulieu
PRÉLIMINAIRE. xxxix
d’une Nature déserte où je donne le items à ses
pensées de s’adoucir , et aprés avoir côtoyé et
visité la hatte aride de mon hôte, M. Desdunes-
Lachicotte , je conduis mon néophyte au lagon
Peinier, appelé cirgue.des Bambous, où la
Nature est parée de tous ses charmes, et où elle
se montre dans tout son éclat aux yeux de
l'amateur passionné.
La vue d’une riante verdure Aarmonise
bientôt tout son être, sensible désormais aux
parfums de ces fleurs qui bientôt égayent son
imaginalon ; mais comme une transition subite
‘de la douleur au plaisir seroit un contraste trop
pémble, je conduis mon néophyte sous des
ajoupas abandonnés et célèbres, l’un par les
soupirs d’un amant malheureux et l’autre par
sa consécration à l’amour paternel. Enfin, après
les dernières larmes données aux plus tonchans
souvenirs , je permets à mon néophyte de s’aban-
donner à la contemplation.
Cet être sensible, toujours reporié par son
cœur à désirer quelques nouces sur les anciens
habitans du pays, m'engage à lui parler au
moins du colon européen qui a succédé à l’In-
dien insulaire, et des troubles long-tems per-
pétués de la conquête d’Iaïu. Je cherche à
sausfaire sa juste curiosité par le parallèle du
colon modeste et du colon ambitieux. Je ini
XL © DISCOURS
transmets ensuite les renseignemens qui m'ont
été donnés par mon hôte sur le caractère des
créoles de nos jours, sur les mœurs et usages
de cetie nouvelle génération.
J'ouvre ensuite mon journal, et mon néo-
phyte y lit mes observations sur la nature du
climat de Saint-Domingue; et après quelques
remarques météorologiques, je le fais voyager
pour linstruire. Il m’accompagne dans ma
route du Cap; il est aussi ardent que moi à
saisir et admirer les choses nouvelles qui s’offrent
à ses yeux. Î] suit dans les airs les oiseaux et les
papillons, sur la terre, les insectes et les reptülesz
il étudie la végétation, et son cœur reconnois-
sant s’attendrit à la vue des ressources qu'offre
la Nature , même au milieu des déserts.
Nous nous arrétons sur les habitations les
plus dignes de nos remarques, et nous mettons
de ce nombre celle de l’Étable appartenant à la
famille Rossionol-Desdunes, celle de MM. Ros-
signol-Grammont et Descahaux, entourées par
des colonnades imposantes de palmiers qui s’y
élèvent avec grace et majesté au mulieu de
haies de citronniers garmissant l'intervalle de ces
arbres.
Après avoir reconnu le bourg des Gonaïves,
et y avoir fait quelques observations sur la nature
du sol, sur ses productions et sur les mœurs des
PRÉLIMINAIRE. x1]
babitans, nous continuons notre route au milieu
d’une riche Nature qui donne une ample lautude
à notre contemplation; les sites devenant de
plus en plus pitioresques par la diversité de leur
exposition, je me plais à les décrire à mon néc-
phyte qui, ainsi que moi, en fait son profit.
11 jette un regard inquiet sur la montagne des
Escaliers , qu’il doit franchir au milieu d’écueils
et de rochers àptes et roulans. Mais il est dé-
dommagé de ses fatigues et de ses peines, à la
vue du bourg enchanteur de Plaisance, qu'il
rencontre au revers de ce morne rocailleux.
Il traverse avec mai la rivière du Limbet,
dont les eaux basses et limpides bouillonnent
à leur rencontre de rochers posés cà et là au
milieu de son lt. Enfin, après d’autres re
marques, nous arrivons au Cap.
Je l’engage à ne point me suivre dans la ville
pendant les premiers jours qui seront consacrés
à mes aflaires personnelles. Mais mon néophyte,
qui a l’ame grande et le cœur bon, s’est inté-
ressé à ce qui me regarde, et ne veut plus me
quiuer; je le conduis donc.chez M. Roume,
agent du Gouvernement français , homme ins-
truit, et avec lequel on ne peut que profiter;
mais des affaires imprévues n’appelant à PArti-
bonite, mon néophyte, qui est devenu mon
ombre, y retourne avec moi, en formant le
x DISCOURS
projet de revenir au Cap, pour y.urer paru
des entreuens de M. Roume sur l’Histoire
naturelle.
De retour aux Gonaïves, après avoir donné
mes premiers soins aux affaires qui m'y ont
appelé, je conduis mon néophyte à une tannerie
située au milieu d’un bocage enchanteur. C’est
en rentrant que Je recois de Toussaint-Louver-
ture Ja levée des séquestres® mis injustement
sur n0$ habitations; je fais un voyage au Port-
au-Prince pour entrer de suite en possession.
Tour à tour trompé par les chefs noirs de lar-
rondissement, et leurré par les offres perfides
de nos nègres , j'accorde une confiance trop
prématurée , dont j'ai heu de me repenur ,
étant à peine fixé sur notre habitation.
Je n’y livre néanmoins à une passion domi-
nante, à la chasse, qui en ces lieux favorisés
offre tous les agrémens en ce genre. Néanmoins,
possesseurs de grandes propriétés aflermées, et
dont nous ne touchons point les revenus, nous
vivons dans une pénurie umiverselle; et c’est
pour le bonheur dè mon néophyte que j'aime à
lui faire apprécier linstabilité des choses hu-
maines, etla bizarreric de la prédestination.
Résigné au milieu de cette infortune, je n’en
émis pas moins l Auteur de la Nature, et c’est
pour me consoler de ces épreuves amcres, que
PRÉLIMINAIRE. xLiij
je reprends mes exercices. Je décris le site pitto-
resque* d’une fabrique coloniale, observée au
milieu du Grand-Ilet, Je cache derrière moi
mon néophyte, et 1l prend part secrétement à
l'entretien que j'ai avec des solitaires que la vue
d’un nouvel être auroit pu intimider. Le bon
Isidore , l’un d’eux , me conduit à sa bananerie,
y étanche ma soif dans une feuille fraîche de
cette plante précieuse. Il déplore ensuite les
ravages de l’épizooue de sa hate.
Je retourne sur lhabitauon pour visiter
le bean verger Rossignol, situé dans les bas
de l'Arubonite, et j'y trouve le propriétaire en
but , ainsi que moi, aux vicissitudes humaines.
Je fais admirer à mon néophyte un beau trait
d’hospitalité de M. Desdunes-Lachicotte, qui
nous raconte les dangers auxquels il a été expos,
comme blanc, au milieu des noirs révoltés et
ennemis de sa couleur.
Je propose à mon néophyte une seconde pro-
menade au lagon Peimier, et nous y déconvrors
une nouvelle inscripuon érotique. Je l'emmene
Te lendemain au bourg du Gros-Morne, pour eu
connoître le climat, et j'ai lieu, pendant mon
séjour en ce canton, de lui faire le parallèle de
l'existence qu’on mène.au milieu des mornes où
la température est salutaire, avec celle de la
XLV] DISCOURS
auxquelles ces quadrupèdes sont assujettis ; quels
sont les remèdes à opposer aux épizooties qui
en désolent l’espèce. Je termine mon récit en
lui disant qu’à l’uulité des cabrits, à la qualité
de leur chair, on peut comparer le cochon
appelé tonquin , dont on fait dans l'ile une
grande consommation.
Bientôt je quitte ces paisibles occupauons,
pour faire voyager mon néophyte au milieu des
orages , le transporter ensuite sur un sol boule-
versé par les tremblemens de terre; je l’égare,
après avoir échappé à ces désastres , au milieu
d’autres campagnes où 1l est en but aux oura-
gans. Plus loin il essuie avec moi les ravages
d’un débordement. |
À ces fléaux de la Nature, je fais succéder les
inconvéniens qu'offre le séjoar de la plaine, où
lon a à redouter les scorpions, les ‘araignées
à cul rouge, les araignées crabes, les bêtes à
mille pieds, les chiques , les tiques et les autres
insectes sinon tous venimeux , a MOINS 1m-
portuns. ‘
Je fais aussi. part à mon néophyte des
expériences que j'ai eu occasion de répéter sur
les lézards et les autres repules de Saint-
Domingue; des dangers auxquels est exposé le
botaniste au milieu des poisons végétaux qui se
rencontrent communément. Mais, pour ne plus
PRÉLIMINAIRE. xLVij
alarmer mon néophyte, je cesse de lui retracer
les inconvéniens de l’île, et je lui en fais appré-
cier ensuite les rares avantages. Je lui soumets
en conséquence le tableau des ressources qu'offre
St.-Domingue, sous le rapport des subsistances ;
des manufactures qui y sont établies ou qu’on
pourroit y établir, d’autres avantages qu'®n
pourroit retrer de la cochenille, des vers à
soie, des épices, des laines et des abeilles.
Je conduis ensuite mon néophyte au milieu
d’un jardin, etil reconnoît avec moi qu'on peut
adapter les charrues à la culture colomiale. Je le
rends témoins des récoltes du riz, de célle du
coton, du sucre, du café, de l’abattis des bois
propres aux constructions et à la teinture.
Quelques petits voyages donnent lieu à denou-
velles observations sur les usages de la colonie,
sur les chasses du pays, et sur les raz de
marée,
Mon néophyte me suit un autre jour sur les
habitauons Guyot et Robuste, puis à Saint-
Marc , chez M. Tussac , où 1l admire avec moi la
belle Æore des Antilles, à laquelle ce zélé natura-
liste travaille depuis quinze ans ; c’est alors qu'il
saisit avec empressement le double avantage de
faire la route du Cap avec M. Tussac, et d’y
revoir M. Roume. Ce voyage devient instrucuf
XLVii} DISCOURS
en raison des remarques qui ont peine alors à
échapper aux regards de trois observateurs.
Arrivé au Cap, je conduis mon néophyte au
jardin de botanique de l’hôpital des Pères, d’où
il contemple avec un juste enthousiasme la
position de la rade. Je le mène ensuite à l'agence
dusgouvernement, pour le faire présenter avec
moi par M. Roume aux naturalistes qui y sont
attachés , et qui à leur tour nous annoncent chez
M. Daubertès, possesseur d’un cabinet d’his-
toire naturelle où se trouvent réunies toutes les
coquilles que fournissent les côtes de Saint-
Domingue, riches en ce genre de production.
Je repars pour les Gonaïves, où Je trouve
l'ordre de me rendre sur-le-champ aux monts
Cibao , pour donner l’état de la situauon de ces
mines anciennement exploitées. Quelle joie pour
mon néophyte, qui n’avoit encore pu faire aucun
essai minéralogique !
Dans le voyage, nous irouvons à joindre
l’aule à l’agréable ; c’est pourquoi tout en efleu-
rant les rochers métalliques que la Nature semble
vouloir retenir dans son sein, nous admirons la
beauté de tous les sites de la partie espagnole , et
limmensité de la chaîne des montagnes du
Cibao. Nous visitons les anciennes minières
comblées depuis un tems immémorial. Ce
voyage , et une collection de minéraux que je
parviens
LA
A
PRÉLIMINAIRE. XLIX
parviens à me former, me donnent les moyens
d'offrir aux minéralogistes les tableaux de /x
géologie de Saint-Domingue, que je fais précé-
derd’instrucuons sur la manière dont les naturels
d’'Haïñtr, et par suite lés capufs espagnols exploi-
toient les mines , et comment encore aujourd’hui
les orpailleurs recueillent , au moyen de sébiles,
le sable aurifère que charriént plusieurs rivières.
Nous quittons ce théâtre devenu le tombeau
de tant de malheureux Indiens , pour porter nos
pas dans la campagne , avec l’intention d’y sur-
prendre l'Espagnol simple et paisible, de le
suivre dans l’intérieur de son: ménage, et d’y
jouir avec lui d’une paix délicieuse qu'aucune
passion ne vient troubler.
Je saisis au retour l’occasion d’entretenir mon
néophyte , des salines de la partie espagnole, et
de celles de la parue francaise ; je le conduis
sous des voûtes sombres qui inspirent la terreur,
et où au milieu de grottes pittoresques il admire
de belles stalacutes menaçant de leur poids
énorme les stalagmites mamelonnées qu’elles
ont déja formées ; je l’introduis au milieu d’antres
plus redoutables, et où des feux souterrains
conspirent pour ébranler la terre , et l’embraser
de ses flammes dévorantes : c’est après l'examen
des soufrières que se terminent nos courses
minéralogiques.
e retour à l’Arubonite, mon néophyte veut
Tome I, | 4
L DISCOURS
ÿ partager mes contrariétés et les vexauions que
les noirs exercoient alors envers les proprié-
taires blancs. C’est au mulieu de ces traverses
que l’adjudant-général Huin , député en France
par Toussaint-Louverture , vient prendre mes
dépêches sur l’habitauon de PEtable où 1l sait
nous faire respecter, et menace, en notre pré-
sence , nos noirs de toute la rigueur des lois,
s'ils persistent dans leur inisubordmation.
Cet officier-général m’emmène avec lui au
Port-au-Prince , et pendant la route me recom-
mande à tous ses amis : c’est à cette faveur que
je dus l’analyse des sources puantes de la Croix-
des-Bouquets.
M. Huin re ed’allers ‘embarquer amCap,
il veut que j’assiste à son départ, et m’emmène
avec lui; c’est là que je recois de Toussaint-Lou-
verture le sauf-conduit qui devoit protéger mes
courses d'Histoire naturelle.
Quelques onecdotes sur l'originalité des
ratelots , sur le caractère des colons de Samt-
Domingue; quelques réflexions sur la situauon
du pays; un trait de la fidélité d’un chien ; un
autre qui prouve l'attachement d’un aras ; un
exemple de piété filiale ; enfin une nouce sur les
eaux.de Boines, terminent /e second Folume de
mes Voyages. .
Soudain je quite les campagnes habnées,
pour conduire mon néophyte au sein d’une
nature sauvage, dont la sombre verdure glace
cs
PRÉLIMINAIRE. Li
les sens de terreur, et inspire une sombre mé-
lancolie. Il frémit avec moi du morne silence
qui attriste ces lieux déserts , et 1l ne l’entend
interrompre que par des rugissemens sourds
qui, sans être bruyans et tonitrueux , alarment
l’imagmauon. Bientôt 1l voit s’élancer du nu-
lieu d’épiues un monstre bideux qui le menace
de sa fureur; ce monstre est le Crocodile de
Saint-Domingue , qu'on y appelle Caïman , et
dont l’histoire commence Le troisième: olume
de mes Voyages.
Je n’entrerai dans aucun détail sur le som-
maire des treize chapitres qui composent ce
mémoire; 1l me suffira de dire que j'en ai
reuré toute la partie anatomique , étrangère au.
récit d’un voyageur , et dont je réserve la pu-
blicauon pour les savans et les anatomistes : je
me suis principalement attaché dans cet Ou-
vrage à décrire les mœurs du Caïman avec exac-
utude, et à raconter plusieurs faits qui furent le
fruit de mes observations.
Je donne connoissance à mon néophyte, des
préludes de l'amour du repule ; je lui expose
quelques détails sur son accouplement , et sur
l’âge auquel il peut produire ; et à la faveur de
nos promenades réitérées, je Ini fais remarquer
successivement les soins du mäle et de la femelle
avant et apres la ponte.
Bientôt mon curieux néophyte déterre avec
4%
Lil DISCOURS
moi les œufs.de ces reptiles , et impatent d’en
connoître le développement , 1l les ouvre pour
examiner la position du repule sous cette enve-
Joppe crétacée,
Une étude constante, et des observations
mulupliées nous fournissent des détails sur ses
mœurs, sur les ruses qu’emploie le repuüle, et
sur la perfection de son organe olfacuf.
Mon néophyte trouve trop d'intérêt dans cette
contemplation pour ne pas m’engager à lui
fournir les moyens d'examiner de plus près le
terrible amphibie; 1l me propose d’attaquer
l'animal , et je profite de son ardeur pour le di-
riger dans les diverses chasses qu’on fait aux
Caïmans : mon néophyte n’y trouve pas toujours
de l'agrément , mais le désir de s’instruire le fait
surmonter avec courage les difficultés qui se
rencontrent, et les dangers auxquels on est
exposé dans ces attaques périlleuses. Armé de
prudence, il se méfie à l'approche de toufles de
roseaux qui recèlent un dangereux ennemi;
c’est pourquoi notre chasseur se tient sur la
défensive , ettoujours prêt à faire feu au moindre
mouvement du Caïman qui souvent brave 1m-
punément plusieurs décharges.
Mon néophyte est studieux , et voulant mettre
à profit tous les instans qu’il passe avec moi à
Saint-Domingue, il me propose tous les soirs
une promenade nocturne, dans laquelle nous
pourrons, à la faveur des ombres de la nuit,
PRELIMINAIRE. Li]
assister aux rassemblemens des nègres, sans nous
y faire connoître , et étudier par ce moyen les
mœænrs des habitans de Guinée qui ont été
transportés à Saint-Domingue.
Ce projet nous réussit , et nous procura suc-
cessivement des renseignemens exacts sur es
Dunkos et les ÆAradas, amans jaloux et em-
poisonneurs ; sur ceux de da, dont les
femmes tatouées sont néanmoins coquettes
malgré cette‘ muulation; sur les nègres d'Æsse,
sur ceux si cruels d'Urba, sur ceux d’'Ænina
qui croient à la Métémpsycose, et parmi les-
quels on voit des mères éperdues, le dirai-je?
Ô Nature ! des mères dénaturées porter sur leurs
enfans une main homicide, pour les dérober à la
honte de l'esclavage!
Les nègres Zbos nous présentent des mœurs
plus douces , et des exemples d’un amour cons-
tant et sincère; vient ensuite l'étude des nègres
de Beurnon, sévères observateurs de leurs
principes pieux et favorables à la pudeur qui,
parmi eux, est regardée comme la première
vertu des femmes.
Nous remarquons que les nègres Mozam-
biques professent la religion catholique qui leur
a été communiquée par les Portugais; mais qu'il
se reucontre parmi ces Africains une secte de
vaudoux, espèce de convulsionnaires, dont les
principes religieux sont diamétralement opposés
à ceux des Mozamhbiques devenus catholiques.
Liv DISCOURS
Un autre groupe des nègres que nous obser-
vons dans ces rassemblemens nocturnes , nous
fournit des détails sur la sépulture des rois de
Dahomet, sur la barbarie des nègres de cette
nation envers leurs prisonniers ; sur la coquet-
terie toujours naturelle aux femmes, et qui porte
celles de Dahomet à se parfnmer avec excès;
enfin sur d’autres faits relaufs aux mœurs et
coutumes de ces peuples de l'Afrique.
En nous glissant d’un ajoupa à l’autre, nous
apercevons des Akréens , des Crépéens , et des
ÆAssianthéens , rassemblés autour du feu, et
occupés à y faire boucaner l’épi de maïs qu'ils
prélérent à toute nourriture. Nous apprenons
d'eux que les népres de leur nation sontidolàtres,
qu'ils consultent leurs féuches dans les circons-
tances criuques; qu’ils ont la peau et les che-
veux diversement colorés par le secours d’un art
grossier : un d’eux rappelle à ses camarades leur
coutume de comurer les flots avant de livrer une
bataille ,et de ürer un heureux ou un fâcheux pré-
sage du calme ou du courroux des vagues qu’on
va consulter. Cet orateur naïf Gécrit avec l’exac-
üutude de celui qui se reporte str la scène, les
armures des généraux et de leurs soldats; la pré-
caution de ces derniers à l'égard de: prisonniers
qui seront faits dans le combat. !1 adopte,
comme Crépéen , la coutume que pratiquent
ces peuples d’enfouir leur argent avant la ba-
uille qu'ils ont à livrer. Bientôt quittant les
PRELIMINAIRE. LV
horreurs de la guerre ; ce fidèle narrateur, au
secours d’une mémoire prodigieuse , naturelle à
tous ceux de.son pays, se reporte à des occu-
pauons plus douces ; et décrit les chasses et les
pêches auxquelles se livrent généralement es
Akréens , les Crépéens , et les Assianthéens
pendant la majeure partie de la journée. Îl ter-
mine son récit par quelques instructions rela-
tives aux mœurs des Popéens très-cérémomieux
envers leurs supérieurs. |
À peine avons-nous quitté cette société , Joyeuse
. de pouvoir se reporter par la pensée en un pavs
qu’elle regrette, que nous observons nn groupe
de Phylanis , nouveaux Juifs, et dont la destinée
est de mener une vie errante. Ces modestes Afri-
cans,, simples dans leurs mœurs, voyagent avec
de nombreux troupeaux , et fournissent aux peu-
plapes des pays qu’ils parcourent, un laitage gras
et pur, que leur loyanté ne leur permettroit pas
d’altérer au moyen d’un liquide étranger. Nous
adnurons union intime de ces nègres bons et
caressans , et regretions que ces qualités ment
dégénérées depuis qu'ils ont connu des peuples
policés. L'un des Phylanis présent, l'alpha (1)
—
(1) Grand prêtre et sacrificateur. Ce brave benjamin
d’une douceur angélique, et comme vieillard, habitué à
recevoir avec résignation les nsultes de jeunes nègres
pervers, me fit don per suite de tablettes de taches de
bambou, sur lesquelies iltraca à l'aide d’une baguette fen-
due, el de l’encré composée de jus de citron et de siliques
LY] DISCOURS
de leur secte , et vieillard octogénaire, apprit à ses
enfans qui l’entouroient, que ceux de sa religion
vivoient en Guinée au milieu de la paix et de la
bonne intelligence ; qu’on y infligeoit une puni-
tion exemplaire aux enfans: qui manquoient au
respect di aux vieillards ; que leur religion avoit
beancoup de rapport avec celle des Juifs ; en effet,
après avoir décrit leur temple mobile, 1l parle
des cérémonies qui s’observent dans les jours de
te, et du sacrifice du bélier qui a lieu au
Be jour d’Æzdcbiché, en commémoration
du sacrifice d'Abraham.
Nous quititons avec d’antant plus de regrets la
réunion des bons Phylauis , que mon néophyte
et moi, nous surprenons avec indignation plu-
sieurs aveux de nègres de Diabon, cruels et
féroces par habnude autant que par caractère.
Ces monstres immolent à leurs dieux, d’après
le conseil de leurs prêtres, les étrangers qu'ils
surprennentsur leurs terres, tandis qu'ils tolèrent
parmi eux l’assassinat de leurs pareils.
Nous ne sommes pas plus heureux en pro-
longeant notre marche , puisque nous ren-
controns une assemblée de Congos nègres, qui
semblent réunir en eux tous les vices contraires à
d'acacia , les dogmes de sa religion que je regrette bien
de n'avoir pu rapporter en Europe. Ceslignes écrites dans
le sens opposé à notre usage, offroient des caractères
hiéroglyphiques très-variés et très-curieux,
PRÉLIMINAIRE. 1 vi)
la société. Néanmoins nous nous cachons avec
soin à quelques pas du cercle de ces Guinéens,
pour entendre ‘e plusieurs anecdoies qui concernent
cette peuplade rustre et cruelle.
Enfin, après avoir recueilli des instructions
propres à faire connoître la secte des vaudoux ,
fameuse par ses opérations ridicules, par ses
prédictions emphatiques et ses menaces diabo-
liques , nous terminons nos observations sur les
mœurs et contumes des Guinéens transportés à
Saint-Domingue, par l’histoire des nègres nés
dans cette colonie. Suivent immédiatement le
dénombrement de diverses peuplades guinéennes,
et le résultat des nuances produites par les com-
binaisons du mélange des blancs avec les négres.
Je dois autant à l’attachement que me porte
mon néophyte , qu'au désir de F'instruire de la
révolution du pays, les détails de ma capuvité;
et comme un récit qui ne m'eût été que per-
sonnel, n’eût point servi à son instruclion, Je
l'introduis premièrement à la cour de Toussaint-
Louverture, et je lui fais connoître Île caractère
impérieux de ce chef africain, et celui non
moins entreprenant du substitut de ses pouvoirs,
de Dessalines enfin. Je rappelle l'empire arbi-
traire des noirs avant l’arrivée du Capitaine-
Général Leclerc , je lui fournis des anecdotes sur
le règne de Toussaint-Louverture , el sur son
projet d'indépendance , qu’une ‘hiérarchie de
pouvoirs fit conjecturer long-tems auparavant,
Lvul] DISCOURS
Je retrace à mon néophyte les preuves de la
rivalité éxistante entre Toussaint-Louverture et
M. Roume, agent fidèle au Gouvernement
francais, et par cela même, en but aux vexa-
üuons du premier; je dépens les mœurs de la
cour du chef noir, et je mêle à mon récit des
anecdotes secrètes de la vie privée de Toussaint-
Louverture et de Dessalines , qui me sont ou
personnelles, ou dont j'ai connu les principaux
acteurs.
Toussaint-Louvertnre projetieau Cap de rendre
la colonie indépendante, et ordonne le massacre
de tous ceux qui seroient dans le cas de s’opposer
à l'exécution de ses vastes projets. Il sacrifie son
neveu Moyse, général commandant la partie
du nord , pour s’être permis quelques réflexions
contre l'indépendance , et en faveur de la
métropole. ‘
Dessalines instruit de l’arrivée de l’expédiion
française , par une correspondance qu'il fan
intercepter , se rend au bourg de la Peute-Ri-
vière de l’Arubonite, où 11 harangue les soldats
et les cultivateurs. Bientôt les blancs deviennent
la couleur proscrite , et leur tête est mise à pfix;
le Cap est incendié , on arrête tous les blancs , et
on ordonne leur massacre. Ces détails toujours
pénibles à répéter, se trouvent très-circons-
tanciés dans le troisième Volume , et ma plume
en ce moment refuse de tracer de nouveau des
horreurs aussi révoltantes !
PRELIMINAIRE. LIx
Je n’ai rien omis dans le récit de ces barbares
persécutions contre les blancs , parce que je me
suis rappelé , comme .un auteur moderne, «que
» les hommes et les enfans se plaisent aux récits
» des aventures lamentables : les voyages pé-
» nibles et périlleux, les longues souffrances,
» les catastrophes , sont des sources de plaisir
» pour celui qui hit ou qui écoute ; plus le héros
» est malheureux, plus le lecteur est satisfait :
» le mérite littérairé est presque nul dans ces
» sortes d'ouvrages ». En effet, j'ai souvent re-
connu que les voyages purement scienufiques
n'intéressent qu'un peut nombre de lecteurs,
tandis que ces mêmes voyages variés par des
anecdotes , sont à la portée de tout le monde.
On y-verra à combien de périls j'ai été exposé,
et si je dois bénit la Protection invisible dont la
toute-pui ssance prévalut toujours sur le crime,
et se plat tant de fois à déjouer lesprojetsinsensés
de mes barbares ennemis, Ah! dans l'excès de
ma juste reconnoissance je mécriois souvent
avec Joad :
Celui qui met un frein à Ja fureur des flots
Sait aussi des méchans arrêter les complots.
Soumis avec respect à sa volonté sainte,
Je crains Dieu , cher Abner , et n’ai point d'autre crainte!
En eflet, une confiance absolue en l'Auteur
des destins, m’a souvent fait contempler Ja
mort sans päalir, tandis que les athées qui n’en-
touroient, versoïent des larmes et se livroiïent au
désespoir. Quelles étoient leurs ressources , et
Lx DISCOURS
quel étoit leur soutien en ces momens cala-
miteux ?...!
J’arrache mon néophyte au théâtre sanglant
des massacres du bourg de la Peute-Rivière,
pour l’emmener avec moi, existant par nuracle,
dans les hautes montagnes des Cahaux, où l’on
me confie la direcuon des ambulances de l’armée
noire. Toujours capuf au milieu des grandeurs
dout on m'a revêtu, dénué de tout, malgré une
abondance dont on devoit me croire le dispen-
sateur , jetraine des jours malheureux, etsuis sans
cesse exposé aux poignards de nègres qui ontjuré
ma mort, et qui me tendent continuellement des
pièges dans lesquels ils doivent m’immoler.
Devant jouir d’une liberté absolue, jesuis conduit
au fort trop fameux de la Crête-à-Pierrot , où
l’ordre est donné de me faire sauter avec la pou-
drière. Cest là que la Toute-Puissance qui veil-
Joit sur moi, se signala par des merveilles, et
sut me soustraire sain et sauf aux feux croisés
dirigés sur moi dans ma fuite vers l’armée
francaise.
Ces dangers imminens n’étoient point les der-
nicrs qui rn'étoient réservés, et rendu au milieu
des Francais mes compatriotes, j'y retrouve des
noirs qui exercent contre moi tous les ressorts de
Ja plus allreuse vengeance, et malgré mes pré-
cautions, je suis empoisonné ! Mes ennenns
punis , Et ma santé étant rétablie, je reprenois le
cours de mes observations sur l'Histoirenaturelle,
PRÉLIMINAIRE. Lx}
lorsqu'un nouvel orage poliique commenca à
gronder. Le général Thouvenot, chef de létat-
major - général, ami et protecteur des arts,
ordonne mon départ pour la France, afin de
mettre nos manuscrits à l'abri d’une nouvelle
insurrecuon, et qui éclata au moment où le canon
de notre départ se fit entendre ; nos voiles com-
mencoient à peine à s’enfler que l'attaque du
Portau-Prince eut lieu, et que le feu ÿ fut mis
de toutes paris.
Mon néophyte quitta ainsi que moi avec
regret un aussi beau pays, et encore nouveau
pour les observateurs, mais 1l se consola par
l'espoir de mettre à profit'le reste de son voyage,
Le hasard nousservit ; car au lieu de débarquer à
Toulon, heu de notre destination , les Anglais
nous ayant donné la chasse , nous fñmes con-
traints de mouiller en la rade de Cadix, avec
lespoir flateur de traverser l'Espagne dans son
plus grand diamètre , pour nous rendre à Paris.
Après une quarantaine toujours prescrite aux
passagers qui arrivent des pays chauds, je n’ai
rien de plus pressé que de faire connoître au
studieux néophyte qui m’accompagne , l’inté-
rieur de Cadix ; nous en visitons aussi les envi-
rons ; nous y faisons plusieurs remarques sur les
mœurs et usages des habitans, et après un
assez long séjour pour bien eonnoître ce pays,
pous nous mettons en route pour Madrid.
En traversant l’Ændalousie, la Manche
LAST DISCOURS
ceiebre par les exploits de Don Quichotte, et la
Castille-Nouvelle, nous faisons des remarques
fort intéressantes sur la nature du climat, et sur
les habitudes des Espagnols qui. habitent ces
contrées. La ville de Jadrid nous donne asile
un certain tems que nous employons le mieux
possible en observauons.
Nous quittons cette ville, et nous prolongeons
nos études sur l'Espagne, en traversant la Vieille-
Casulle et la Biscaye (1). Nous arrivons au
passage du pont de limites jeté sur la Bidassoa,
et nous pénétrons sur le territoire français où,
par un sentiment naturel aux cœurs sensibles ,
j éprouvai une douce émotion en retrouvant une
patrie que je croyois ne plus revoir. Enfin, après
des détails curieux sur les usages et les mœurs
des habitans des Landes des environs de Bor-
deaux qu’un événement nous oblige de visiter,
nous nous rendons à Paris où je fais mes adieux
à mon néophyte, avec l'espoir qu'il se rappel-
lera quelquelois de nos entreuens ; c’est la seule
(1) J'ai ajouté aux descriptions topographiques un
tableau itinéraire qui remplacera la carte d'Espagne,
devenant inutile pour la connoïssance des pays que
j'avois à parcourir. La première colonne de ce tableau
donne des instructions géographiques, la seconde
indique les lieux , et dans h troisième, le voyageur voit
d'un coup d’œ1l Les posades qu'il doit choisir de préfé-
rence, et apprend en même tems à connoitre les pro=
ductions du pays indiqué,
PRÉLIMINAIRE. vxiij
récompense que j'exige de lui pour tous les
soins que j'ai donnés à son instruction. Mon
tems, dansces voyages, étoit consacré aux progrès
de l'Histoire naturelle, et j’ai cherché par là à
inter le travail de l'abeille qui n’a d’autre
désir que de déposer son butin .dans la ruche
commune. D
J’ai tâché de rassembler et de décrire avec
le plus d’exactitude possible, les objets variés
et dignes d’être remarqués dans mes différens
voyages, et j'ai toujours vu avec des yeux
admirateurs ces chefs-d’œuvres de la Nature,
dans l'espoir de faire partager à mes lecteurs mon
juste enthousiasme pour leur divin Auteur.
J'ai dû, comme principal héros de ces voyages,
acer mon histoire. «Car on aime à parler
» de soi, dit Montaigne , et ceux qui censurent
» le plus amérement les écrivains à ce sujet,
» privés du talem d'écrire, occupent sans cesse
» les sociétés de leurs principes et de leurs
» acuons». (On doit à cet égard , dit Gresset,
» s’honorer des critiques, mépriser les satres,
» profiter de ses fautes, et faire mieux ». Je
demanderai donc grace pour quelques termes
francisés qui m'ont paru mieux rendre le sens
de la chose, et mon intention semble jusufier
cette licence, Je ne serai point disert, mais je
serai vrai, et mes récits seront comme ceux des
voyageurs devroient toujours l'être.
J'ai cru devoir ajouter dans le cours de ma
Laiv DISCOURS, eic.
narrauon , des notes instructives demandées par
des personnes qui n’ont point fait de voyages sur
mer; ce qui m'a forcé de répéter avec quelque
modification des descripuons déjà connues.
On trouvera peut-être étrangère à l'Histoire
naturelle une digression sur la musique? mais
qui n’est plus ou moins sensible à ses douceurs?.!
« Interrogeons les animaux mêmes, dit Gresset,
» interrogeons le peuple ailé des airs , le peuple
» muet des ondes, le peuple fugiuf des forêts et
» des rochers, et tous se montreront sensibles à
» l'harmonie (r)». Consultons maintenant la
classe des êires raisonnables, et pour nous
rapprocher davantage de la simple Nature,
choisissons le tableau d’une nourrice qui cherche
à endormir son enfant au berceau ; y parviendra
telle avec des menaces?.. apaisera-t-elle les pleurs
de son nourrisson en le grondant?.! Ses chants
seuls sauront le calmer en bercant mollement
son imagination pure. 'Fel estle pouvoir indicible
de: l'harmonie !
Enfin j'ai voulu instruire, intéresser et être
uule, y suis-je parvenu? c’est ce que l'avenir
mé prouvera. Heureux , si j'ai acquis des droits
à lindulgence de mes lecteurs !
& a
(1) Voyez le savant discours de Gresset sur les
pouvoirs de l'harmonie. ,
VOYAGES
|]
=
TS a 0
Phare de ce
harles “Town.
ST CET)
VOYAGES
D'UN
NATURALISTE.
ne. un orage violent (1), lorsque les gouttes
d’eau commencoient à filtrer moins précipitam-
ment du chaume de notre retraite ; alors que les
moutons, sortant de leur abri, commencoient à
bondir en cherchant leur pâture, le ciel épuré
reprenant son azur éblouissant, et le tonnerre
sourd ne s’annonçant plus qu'au lointain,
M. Desdunes Lachicoue, oncle de mon épouse,
(1) Ces orages sont connus dans les Antilles, sous le
nom de travade ou tornado. Ces pluies des pays chauds
sont toujours accompagnées de tonnerre. Le ciel,
quoique paroissant serein, laisse pourtant apercevoir
à l'est un petit nuage noir porteur de la foudre et des
éclairs. Ce nuage amoncelé s'étend lorsqu'il doit pleu-
voir ; alors s'élève un tourbillon de poussière, et incon-
tinent le firmament s'obscurait. L'éclair sillonne les
nues, et le tonnerre se fait entendre. Les cataractes du
ciel entr'ouvertes , il tombe une pluie abondante
pendant l'espace de deux heures environ; après lequel
temps l'horizon s'éclaircit , et le ciel reprend son azur.
Tome I. B
15 VOYAGES
et notre bon hospitalier à Saint-Domingue, me
voyant soupirer en suivant des yeux un couple
de pigeons en amour, chercha à me distraire
d’une pensée accablante qui agitoit alors mon
cœur. Ainsi, pour calmer mon impatience, et
soulager mes maux par un récit, il me pria, au
nom de l’amitié que je lui portois, de lui racon-
ter tous les événemens remarquables d’un voyage
que j'avois entrepris, pour débattre auprès du
gouvernement les intérêts de sa famille, devenue
la mienne. Après lui avoir dépeint l’état cruel
d’un époux et d’un père au moment d’une sépa-
ration, peut-être éternelle, je commencai ainsi ,
à l’aide de mon journal.
Vendredi 25 mai 1798, à quatre heures du
matin, 1l fallut se séparer. Après avoir étroite-
ment serré sur mon cœur la jeune épouse qui
nv’étoit chère, je la quittai en silence, pour aller
encore jouir une fois avant mon départ, à la vue
du sommeil paisible de notre bel enfant, à peine
âgé de six mois. Les petites jambes en l’air, une
main appuyée sur les bords de son berceau ,
l’autre sur l’oreiller, je considérai quelques ins-
tans l’état de repos dù à une ame aussi pure.
Qu'il étoit beau ! Son teint animé des plus fraîches
couleurs, sa bouche entr’ouverte laissant échap-
per une paisible respiration, ajoutoient encore
à mes justes regrets. Je ne voulois point troubler
D'UN NATURALISTE. 19
son sommeil, et je ne pouvois me résoudre à le
quitter, sans le serrer encore une fois dans mes
bras paternels, Je cédai à mon doux penchant,
mais avec tant de modération que le pauvre en-
fant ne se réveilla pas.
La mère de mon épouse et moi, nous mon-
tâmes en voiture, où j'entendis avec peine les
conversations bruyantes des voyageurs. Leurs
plaisanteries grossières me fatiguoient, car j'é-
tois attendri. Bientôt hors des barrières des
Champs-Elisées , nous arrivämes à Neuilly, dont,
pour la seconde fois, j'admirai la hardiesse du
pont. Nous traversämes le Pecq et Saint-Ger-
main-en-Laye, au milieu d’une affluence considé-
rable de peuple ; c’étoit un jour de marché.
Avant d'arriver à Meulan , nous vimes à
drotie de la grande route une pente escarpée
garme de vignes, pièces de blé, plantes légu-
mineuses et fourragères. En sortant de cette ville,
le paysage change tout à coup ; 1l devient plus
riant , et son aspect plus agréable. La rive gauche
offre un pays de plate forme, orné de prairies
naturelles, que baigne la Seine serpentante , et
et qu'ombragent de longues allées de saules , qui
réfléchissent leurs rameaux déliés dans l’onde
du fleuve. De hauts monts hérissés de rochers
escarpés bordent aussi l'horizon lointain. Quel-
ques chaumières éparses cà et là diversifient Ja
B 2
%0 VOYAGES
nature du paysage. On voit aux environs de ces
babitauons fortunées , cerisiers, amandiers,
ormes et noyers, dont les rameaux et la verdure
différemment nuancés contrastent élégamment
avec l'émail de la prairie , dont ils relèvent la
bigarrure et l'éclat par leur couleur uniforme.
On remarque aussi sur ces coteaux des réduits
paisibles au milieu d’un bois sombre, dont Pas-
pect charma ma mélancolie, cette volupté du
malheur. La rive de ces côteaux moins boisée
sert de päture à la lourde génisse , à la chèvre
légère et lascive, ainsi qu’au paisible agneau,
qu'on voit brouter autour des sommités du feuil-
fage nouveau. Quelques garennesisolées décorent
aussi le côteau enrichi d’une source précieuse
qui se trouve sur le bord de la route, et qui
juillhtdu sommet d'un rocher couvert de mousse.
Lei, sur le bord d’un fossé, le jaune palissant
de la funeste uthymale s’éteint auprès de la pa-
querette bigarrée , et de la vive couleur du pon-
ceau, Là, j’aperçois, au milieu d’un tapis d’une
verdure uniforme, s’élever une belle lampsane ,
qui prête à mon imagination une douce allégorie.
Pientôt mes yeux suivent les ondulauons purpu-
rines d’un sainfoin en fleur , qui fixe mes regards
et mes pensées.
Le paysage, en sortant de Mantes, est sec ,
sérieux et aride, El n’a plus l'aspect gracieux de
D'UN NATURALISTE. œT
cehu des environs de Meulan. Il à cependant ses
beautés , et offre à la vue de vastes champs de
blé et un riche vignoble. En quittant Boulé, on
admire un pays élégamment boisé. A Ja gauche
de la route, un côteau y offre les taillis les plus
agréables , tandis qu’à la drone, s'élève un parc
couvert de hautes futaies. La Seine baigne les
murs du château, et la rive du fleuve est parse-
mée de gros têtards de saules.
re le dîner que nous fimes à Bonnicres.,
nous voÿageämes pendant une heure, en voyant
de belles prairies où la paquerette, l'adomis , les
renoncules, l’espargoute, l’orvale ,ettentd’autres
plantes champêtres étalent leurs brillantes cou-
leurs. La rive opposée de la Seine est bordée
de bocages touflus, où l’on voit le charme et
l’ormeau unir leurs rameaux, et les confondre
avec ceux de l’épais coudrier.
On y remarque les sentiers parsemes de fleurs
de toute espèce ; humble pervenche, ia vipérine
et le hierre terrestre en font l’ornement. La col-
line escarpée offre à l'œil du curieux spectateur
des carrières ouvertes , divisées par couches bien
disunctes de marne, d'argile et de silex, dont
les bancs forment des stries de toutes couleurs.
Un sentier étroit, obstrué par les nouvelles
pousses et ges des haies d’'aubépine , conduit à
Ja sommité, et perfecuionne ce ravissant tableau.
B 3
5 VOYAGES
Au milieu de cet intéressant séjour, que la
Seine baigne de son onde à peine frémissante,
se dessinent des languettes de terre qui forment
des péninsules amplement garnies de marsaults ,
coudriers et osiers sauvages. Non loin de ces
réduits silencieux , on disungue, au milieu de
l'eau, des rets de pêcheurs construits en osier,
et qui, par leurs contours irréguliers, détruisent
la monotone de cette glace hiquide qui en ce
lieu semble y couler sans murmure.
Les environs de Vernon font plaisir à voir.
Les rejets des bois qui se trouvent en am-
phithéâtre en sortant de Guillon, offrent, par
leur étendue considérable, un coup d’æil im-
posant, et sont renforcés à la sommité par une
large bordure de haute futaie. C’est là que l’on
commence à rencontrer des plantations de poi-
riers et de pommiers dont on fait le cidre,
cette liqueur agréable et rafraichissante.
En arrivant au pont de Vaudreuil , se trouve
à droite dans une vallée profonde un site en-
chanteur. La Seine s’y subdivise en deux bran-
ches qui se rejoignent, après avoir formé par
leur embrassement une île tapissée d’un beau
gazon. Cette île décrit un ovale régulier. Sa
rive est bordée de marsaults dispersés çà et
là en grand nombre, et négligemmient plantés.
On rencontre de superbes vergers entourés
D'UN NATURALISTE. 23
de haies vives. C’est là que le culuvateur foule
aux pieds le genet éclatant, tandis que d’une
main il cueille des fruits qui servent à étan-
cher sa soif et calmer ses besoins.
A la gauche du pont de Vaudreuil, l'art veut
ennoblir la nature en lui prêétant ses ciseaux ,
et la conformant à des régularités trop austères.
Un vaste château s’y trouve environné de longues
et antiques allées qui y aboutissent en tous sens.
De hauts frênes composent et dessinent ces co-
lonnes, dont le couronnement verdoyant et delié
est véritablement imposant.
On y culuve la gaude (1), plante pyramidale,
qui donne une teinture jaune du plus bel éclat, et
dont on fait des envois considérables à l'étranger.
On remarque dans ces parages des acres de terre
plantés de chardons à foulons pour les manufac-
tures voisines de draps d'Elbœuf et de Louviers.
On y culuve en plein champ des asperges , aru-
chaux, oignons, et autres plantes potagères. On
traverse ensuite la forêt du Pont-de-l'Arche,
plantée de hêtres en grande parue : elle a près de
sept mille arpens.
Nous repartimes de Rouen samedi 26 mai, à
(1) Reseda luteola foliüis simplicibus, lanceolatis,
anteoris, Linn. 6435.
B 4
2Â VOYAGES
cinq heures du maun (1). Cest une ville assez
mal bâtie , mais bien située , et agréable par ses
promenades publiques ; intéressante par son
port, où l’on commence à voir des goélettes et
autres bâtimens de cabotage. La grande route ,
en sortant de la ville pour se rendre au Hävre,
est plantée de doubles allées d’ormes non élagués.
Les campagnes riveraines de la route sont cham-
pètres , et offrent de chaque côté un coup d’œil
différent. On voit à gauche de grasses prairies
traversées et arrosées par la Seine. De l’autre,
une colline très-haute ornée de beaux vergers,
de potagers féconds , et d’agréables maisons de
plaisance.
Nous traversämes la forêt de la Valette, très-
dangereuse par la fréquence des assassinats qui
sy commettent. Nous arrivämes à Barenun ,
village à quatre lieues au delà de Rouen. IF est
(r) Cette ville, capitale de la Normandie, est la
patrie de plusieurs grands hommes, parmi lesquels
ou compte Pierre et ‘Thomas Corneille, Jouvenet,
Nicolas Lémery, Fontenelle et autres. On y remarque
un pont de bateaux qui s'ouvre pour laisser passer les
vaisseaux. C’est auprès de cette ville que sont les eaux
minérales de Saint-Paul, à 24 lieues sud - ouest
d'Amiens, 68 nord-est de Rennes, 42 nord par ouest
d'Orléans, 4r nord-est du Mans, 28 nord-ouest de
Paris, long. 16 deg. 45, 20. Lat. 49 deg. 26, 43.
D'UN NATURALISTE. 25
situé dans un fond richement boisé, et entouré
de collines rapides. On y voit de belles planta-
üons de poiriers et pommiers pour le cidre, On
cultive dans ce pays, pour prairies arüficrelles, du
trèfle au lieu de sainfoin. On y remarque de
belles cochoises, parées avec une propreté qui
devroit être enviée du reste de toutes les femmes
de la campagne.
Nous passämes dans Yvetot, bourg com-
mercçant, où se trouvent plusieurs tuileries. Les
dehors en sont variés en plantations d’arbres
propres à la construction. On y voit beaucoup
de cochoises en grand costume, la plupart occu-
pées à filer du coton pour les ol de
Rouen. On échardonne les blés dans ce pays,
avec des pinces en bois très-longues, larges et
plates à leur base. De jeunes agneaux bondissant
près de leur mère, et des génisses suivant à pas
lents les vaches qui les ont nourries, font }a
richesse des propriétaires, et l’ornement des pätu-
rages de ces hieux. Nous y vimes un nombre pro-
digieux d’élèves.
Plus loin , la grande route traverse une futaie
de cinq rangs d’arbres de front, de quatre cents
toises de longueur, et égale & chaque côté du
chemin. Ces voûtes romantiques portent un abri
bien précieux pour le voyageur fatigué. Cette
chaussée dépend d’un chäteau nommé Nanc-
26 VOYAGES
teau. Les puits ont cent vingt-cinq pieds de
profondeur, d’après le rapport d’un ingénieur de
la marine qui voyageoit avec nous.
Bolbec est traversé par un courant d’eau qui
prend sa source près de la grande route. Cette
espèce de canal sert à faire tourner les moulins.
Il est uule également aux teinturiers , tanneurs
et manufacturiers d’indienne.
Le grand chemin d’Arfleur, village situé à
deux lieues du Hävre , se trouve dans un creux,
entre deux amphithéâtres de maisons de plai-
sance parfaitement boisés. Dans ce pays, la plus
petute chaumière a son pare qui en dépend. De
hautes futaies contournent l'extérieur du do-
maine, tandis que les arbres fruitiers sujets à la
maraude et au pillage , ornent l’intérieur , et
sont attenans à la maison du propriétaire, pour
une plus parfaite surveillance. Les maisons y
sont bâties en silex concassé , de sorte que le
crépis qui les unit ne cachant pas la teinte du
caillou , 1l semble voir des murs construits en
poudingue.
Nous approchions du Hävre de Grâce, lorsque
nous renconträmes des voitures chargées de
meubles et autres effets, et des groupes d’habi-
{ans qui, fuyantieurs maisons, alloient chercher
eur salut dans la fuite. L'enfance et l'adolescence
marchent les premiers F avoient, malgré eette
D'UN NATURALISTE 27
calamité , la physionomie de l’enjouement ; Vâge
viril qui les suivoit hâtoit le pas en sanglotant,
tandis que les vieillards s’efforçoient de suivre en
silence leurs enfans, leurs amis qu’ils ont vu
paître. On nous apprit que les Anglais se dispo-
soient à bombarder la ville.
Le lendemain de mon arrivée au Hävre (le
dimanche 27 mai 1798), je sorus l'après-midi
pour me transporter sur le rivage de la mer. Je
goüûtai son eau pour la première fois. La marée
commençoit à remonter , et jeta sur les galets
‘une quantité considérable d'étoiles de mer, de
varechs et de facus, que mes veux avides convoi-
tèrent bientôt pour ma collecuon d'histoire na-
iurelle.
Nous apercûmes à regret que le nombre des
vaisseaux de la station anglaise étoit augmente ,
ce qui nécessairement devoit prolonger l’em-
bargo, et ne permettoit plus d’entrevoir l’époque
du départ de deux goélettes anglo-américaines ,
sur l’une desquelles j’espérois un passage. Je fus
consolé de ce contre-tems, lorsque j’appris que le
capitaine de la Julienne ne vouloit point révéler
aux passagers le lieu de sa destinauon, et que
celui de la Sophie, de peur d’être inquiété par
les Anglais, ne vouloit recevoir à son bord que
des anglo-américains. Vous n'avez donc qu'un
paru à prendre, continua le commissaire prin-
28 VOYAGES
cipaldela marine, auquel j'avois été recommandé
par le ministre, c’est de retourner à Paris, et
d'en reparur pour Bordeaux, où il vient d’ar-
river deux vaisseaux neutres qui n’y feront pas
long séjour. Cependant, malgré ce nouvel espoir,
nous ne pümes renoncer à celui de nous embaz-
quer au Hävre.
Les Anglais par leur station opiniätre en Ja
rade, empêchant les courses des pêcheurs, nous
ne pûmes manger encore que des limandes et
des homards. Je regrettois d’autant plus cette
pénurie, que je brülois d'essayer mon pinceau,
dont l'emploi n'avoit été conseillé pour lin-
térêt de mon journal.
Je fis, toute la journée du mardi 29 mai, de
nouvelles tentatives pour obtenir un passage sur
le vaisseau la Sophie; mais j'eus la douleur de
voir mes démarches vaines. Cependant je re-
srettai moins Ce passage en examunant la Sophie,
brick tellement petit et incommode pour les
passagers, qu'a peine pouvoit-on se promener
sur le pont, tant 1l étoit embarrassé d’ustensiles
propres à la navigauon. On nrapprit en outre
que nous y serions fort mal nourris pendant la
traversée. Quoique tous ces inconvéniens soient
supportables pour celui qui aspire au bonheur
d’un prompt retour, cependant il fallut se rési-
cr, et renoncer à ce nouveau projet.
D'UN NATURALISTE. 39
Le soir, Jj'acceptai l'offre qu'on me fit d’as-
sister au départ de deux frégates francaises. Je
saisis avec empressement ce spectacle nouveau
pour moi. Comme on détendoit les voiles, un
homme tomba à la mer; déja on ne le voyait
plus, lorsqu'une embarcatuion qui vole à son
secours le réchappe à linstant. Je vis avec plaisir
la contenance noble et imposante de ces frégates,
qui d’abord soriirent lentement des bassins du
Hävre. Leur démarche encore peu assurée leur
faisoit fendre tranquillement et sans résistance
l'onde calme et sans écume, qui pressoit molle-
ment leurs flancs. Leur mouvement étoit à peine
sensible à l’œil, mais bientôt elles arrivèrent en
pleine mer, et les flots mugissans commencèrent
à les presser, et à se rassembler en montagnes
autour d'elles. Bientôt ces masses énormes, na-
guéres si tranquilles dans leur mouvement uni-
orme, commenctrent à être poussées fortement
par le vent, et voguant avec célérité, elles échap-
pèrent bientôt aux yeux des nombreux spec-
tateurs.
On nous dit le lendemain que probablement
ces deux frégates avoient été rencontrées par les
croiseurs anglais, qui ne quittoient pas les pa-
rages voisins; Car on entendit de terre, depuis
trois heures du matin jusqu’à neuf, un feu roulant.
On ne connoissoit point encore les résultats de
30 VOYAGES
ce combat naval. Curieux de découvrir en pleine.
mer nos frégates, je dirigeai mes pas vers les
phares de la Hève, et dans mon chemin je côtoyai
la mer agitée. J’apercus d’abord deux frégates
qui sembloient en ramener une au Hävre, lors-
qu’une bordée de la batterie de terre fit virer les
trois bâumens, qui disparurent en un clin d'oeil,
en conunuant le feu le mieux nourri jusqu'à
deux heures de l'après-midi, sans qu’on ait pu
connoître l'issue de ce nouveau combat.
Je revins par un chemin creux très-profond ,
site romantique en pente tortueuse , étroite et
très-sombre. Le soleil ne pouvoit échauller cet
endroit, sans cesse rafraîchi par les fontaines qui
en arrosent les bords garnis de divers espèces de
séranium et de fougère, dont le feuillage élégant
cède avec grace au souffle du moindre vent. La
triste armoise occupe aussi quelques parues de
ce terrain, au nulieu duquel on rencontre un
donjon bâu sur un mur en ressif, qui se trouve
enterré et confondu dans une palssade de
sureaux.
On arrive par ce chemin enchanteur à Sant-
Adresse, village situé à une lieue du Hävre, qui
s'étend vers la mer, et où l’on rencontre par-
tout des fontaines bordées de larges bardannes ,
de l’élégant arrête-bœuf, de lodorant marrube,
de lache ombellifère et de la mauve purpurine.
D'UN NATURALISTE. SD
Les habitans de ce pays sont presque tous
pêcheurs.
Nous apprimes que les deux belles frégates, à
la sortie desquelles j'avois assisté , ayant ren-
contré les Anglais, se battirent pendant douze
heures avec eux. La vaillance éprouvée du capi-
taine Peuvrieux , qui les commandoit, futencore
mise à l'épreuve. Déjà tout couvert de blessures
honorables, il réunit à sa grande valeur les qua-
lités de bon marin. Il ne voulut pas amener
pavillon , mais sa frégate hors de combat, criblée
par les boulets et faisant de l’eau, fut échouer
sur le rivage d'Yves.
On nous servit des chevrettes (1) et des or-
phies (2). Ce dernier estun poisson long etétroit,
dont larête supérieure de la mâchoire, den-
telée en scie de même que linférieure, est
beaucoup plus longue que cette dernière. Ce
poisson est très-délicat ; ses arêtes qui sont en
peut nombre sont d’un beau vert d’aigue marine.
L’après-mudi, je fis le tour des bassins du Hävre
avec le commissaire de la marine, qui m’an-
nonça que pour la sûreté des vaisseaux neutres ,
(r) Ou salicoque, ou bouquet; gibba squilla. Petit
crustacé de mer, armé d’une grande corne au front.
(2) Ésoce orphie ; esox bellona, Lacépède, tom. V,
pl. VIX, no, x,
’
32 VOYAGES
et crainte de leur incendie en cas de bombar-
dement , il alloit les faire passer à Honfleur.
Éette nouvelle n'’affligea , parce que le bâtiment
sur lequel nous avions le projet de nous embar-
quer étoit compris dans ce départ.
Je me donnai encore toute la soirée beaucoup
de mouvement pour assurer notre départ. J’allois
de vaisseau en vaisseau accabler de questions
ceux qui étoient à bord , puis enfin je repris ma
promenade ordinaire vers le rivage. Une floue
anglaise étoit aux prises avec le fort de Savenelle,
qu'elle assiégeoit vivement. Le feu qui com-
mença à six heures du soir se faisoit encore
entendre à minuit. Non loin dela rive du Hävre,
cette belle scène d'horreur étoit contemplée
par tous les habitans. Chaque coup sourd du
canon , chaque bordée anéantussoit , faisoit pal-
piter le cœur des pères, parens et amis, qui, du
rivage considérant cechocimpétueux,adressoient
des vœux au Ciel pour les combatians qui leur
étoient chers.
Le lendemain maun, j'allai sur le bord de la
mer. Le feu de la veille duroit encore ; mais
nous apprimes avec satisfaction que le fort avoit,
par ses ripostes, fait plus de mal à la stauon qu’il
re lui en avoit été fait.
J'apercus un vaisseau à trois mâts faisant voile
vers le port. C’étoit un bâument de la Nouvelle-
Angleterre,
D'UN NATURALISTE. 39
Angleterre , dont on signala le pavillon. Or
envoya une trentaine de chaloupes pour le baler,
car la marée étoit basse. Il venoit de Phila-
delphie, et 1l étoit chargé de riz et de tabac.
J’appris du capriaine lui-même qu'il étoit adressé
à M. Delahaie, négociant au Havre. Il me fixa
l’époque de son départ, mais ne put me dire
s’il se chargeroit de passagers. Je concus done
le projet de m'adresser à M. Delahaie, car ce
bâtiment nous convenoit infiniment mieux que
les deux autres prêts à mettre à la voile. Ce
négociant me laissa dans la même incertitude,
attachée aux évènemens de guerre.
Fatigué du séjour de la ville , je voulus visiter
les environs du Hävre. Après avoir examiné les
remparts que baigne la mer, j’allai chercher la
solitude vers la côte des Ormeaux , ainsi nommée
par la grande quantité d’ormes qu’on y voit
s'élever. On apercoit de cette côte la Seine con-
fondre ses eaux douces à l’onde salée de la mer.
On y culuve des pommes de terre , non butées
comme dans le Gatinais, mais par sillons régu-
liers. On les faconne avec une mare à manche
très-long , de sorte que les culüivateurs ne tra-
vaillent point dans cette posture fatigante , insé-
parable de la forme raccourceie que l’on pratique
dans le Gatinais , où les habitans ont dans leurs
wavaux le corps courbé jusqu'à terre.
Tome I. C
34 VOYAGES
La côte disposée en plusieurs étages douce:
ment inclinés, est formée de diverses galeries.
Dans le bas on remarque des prairies artificielles
en trèfle, luzerne, entremêlées de pièces de terre
en lin , blé et plantes légumineuses ; à mu-
côte , se trouvent les portes d’entrée des pares qui
font la décoration de cetendroit charmant. Dans
les galeries supérieures s'élèvent les bâäumens
de plaisance élégamment bäus, et qu’ombra-
gent des futaies silencieuses. Les murs de
clôture en sont artistement construits ; 1ls sont
composés de lignes transversales diversement
nuancées : le grès à bâtir ou quartz imparfait en
forme la base, ets’éléve un peu au dessus du ni-
veau de terrain; de gros silex noirs font la se-
conde couche, qui est surmontée de deux rangs
de briques posées à plat lune sur l’autre, et ainsi
de suite. Cet assemblage récrée l'œil, et imite la
mosaique. Les maisons bâties dans ce genre
offrentdes dessins plus réguliers et nieux choisis.
J’admirois avec extase la beauté de ces climats,
lorsqu'un groupe de femmes ignorantes me
voyant prendre des descripuons, s’'approchérent
de moi, en me traitant de conspirateur. Vou-
loir les convaincre de mon innocence, c’eût été
augmenter leur caquet fauigantet insupportable :
me taire étoit le paru le plus sage; je Le suivis,
et néloignai en silence,
D'UN NATURALISTE. 39
On ne sauroit trop élever la beauté de ces sites
champêtres, où la nature généreuse étale avec
prodigalité ses riches parures. La fleur pyra-
midale du marronnier d'Inde et les massifs de
pommes-roses y composent un ensemble très-
agréable. Le chant du coucou, faisant trembler
pour leurs œufs les petits hôtes des bois, inter
rompit leur doux gazouillement; 1l disparut, et
bientôt le chantre du bocage , le rossignol, se dé-
robant au feuillage où il s’étoit réfugié, sortit de
son silence pour célébrer l’heureuse absence de
son ennemi, et ranima la nature attristée par la
présence de cet oiseau de mauvais augure.
On voit cà et là, sur le penchant de cette
montagne, des pavillons de toutes formes , les
uns couverts en ardoises, et les autres en chaume.
Ces derniers, pour mieux sympathiser avec la
nature qui les environne , n’ont pas l’austère
symétrie , la parfaite régularité des preiniers ;
mais ils me plaisent infiniment davantage au
milieu d’un bocage. Il me semble voir en eux
une paisible cabane où tout voyageur fatigué a
le droit d’aller prendre du repos, et choisir cet
asile hospitalier pour se mettre à l'abri des injures
de l’air et des intempéries de la saison.
Le chant des oiseaux fut encore interrompu
un instant. Le chant des oiseaux ?.. eh! qui
peut le troubler? Une meute de chiens courans
C 2
36 VOYAGES
acharnés après un lapin , le ramenèrent près du
chasseur qui le üra, mais sans succès; car j’en-
tendis au mot {ay au , les chiens redoubler d’ar-
deur. Je me rappeliois avec plaisir cet exercice
si attrayant pour moi.
Je choisis, pour arriver au sommet du côteau,
un chemin qui y conduit. Il esttrès-serré, creux,
à pic et tortueux. Les possessions des riverains
sont à l'abri des malfaiteurs , non seulement par
la hauteur du ressif, mais encore par des haies
vives et épaisses, où la ronce cruelle, l’orue et le
müûrier sauvage sont autant de sûrs moyens de les
écarter.
Je parvins au sommet, où je restai en extase,
en admirant l’étendue de pays qui s’olfroit dis-
tinciement à ma vue. Je remarquois d’abord que
la grande route qui se trouve au bas de ce
côteau si élevé, a pour rive opposée des car-
reaux de terre disposés en longs sillons , et des
prés couronnés de saules. Plus loin, ce sont des
ormoies, autour desquelles on voit paître des bètes
à cornes. Enfin c’est la Seine qui charrie tran-
quillement, sur un sable graveleux, son onde
blanchâtre : de Pautre côté du fleuve est un cô-
teau moins élevé que le premier, mais plus
généralement boisé ; moins garni Œhabitauons,
ei par conséquent plus solitaire. C’est la côte de
Grâce, au bas de laquelle se trouve le pays
d'Honfleur, Je voyois le soleil dorer par les
D'UN NATURALISTE. 37
reflets de sa brillante lumutre, une large carrière
de marne , dont la couverture, formée de gazon
d’un vert uniforme, relevoit encore mieux la
blancheur de cette terre.
De la côte où je me trouvois, on découvre à
plus de douze lieues en mer, et trés-disiincte-
ment, les objets qui semblent rapprochés,
quoique la superficie de l'Océan offre toujours
un brouillard dû à son évaporation continuelle.
On trouve dans ces bois beaucoup de houx,
du jonc marin et des fougeres.
_ Au delà du sommet de ce côteau se dessine
un genre plus sérieux. De longues pièces d’a-
vome, de blé et de pois L' recouvrent
ce sol ferule, et promettent au laboureur qui
les a cultivées une récolte riche et abondante.
Cette côte n'offre aucune fontame, Peau ne s’y
irouvoit qu'à une profondeur excessive; mais
Ja beauté du site dédommage amplement de la
peine qu’on est obligé de prendre, en allant la
puiser au bas de la montagne.
En cueillant de la véronique mäle, je vis
sorür à mes côtés une fauvetie inquiète : elle
s’'échappa avec précipitation du nulieu d’une
ioufle de coudriers où elle avoit ses peuts. Cette
bonne mère , connaissant sa foibiesse relauve,
se contentoit de voltiger autour de moi, en
exhalantdes cris plaintifs, commé pour implorer
C3
38 VOYAGES
ma piué. Je m'éloignai, et la fauvetie à ure
d’aïîles regagna son peut domaine, recéleur du
fruit de ses amours.
Le jour suivant, en songeant au jeune enfant
que j’avois quitté, désolé de ne point recevoir
de ses nouvelles , j'allai promener mes rêveries,
et répéter mes plaintes à iout ce que je rencon-
trois dans les prairies opposées à la côte que
yavois foulé la veille, et qui se trouvent au
delà de la vielle rivière, avant d'arriver au
village appelé Ze Nouveau-Monde. Ces prés
peu ombragés n’étoient pas assez sombres pour
ma tristesse. Je me trouvai au milieu des trou-
peaux que je voygi hier de la côte, mais ce
spectacle pittoresque ne pouvoit fixer mon ima-
ginauon. Le chant des bergers augmentoit mes
souffrances , la vue des enfans redoubloit mon
chagrin. N’éprouvant de soulagement que dans
la concentration et la solitude, je fuyois jusqu’au
chant des oiseaux qui gazouilloient à l’envi sur
la lisière du bocage. Je ne désirois que les
accens plainufs de la tourterelle. Inquiet, pré-
tant au moimdre bruit une oreille attentive, je
profitai du malheur d’une merluce à qui un
pâtre venoit d'enlever ses petits, pour gémir
avec elle. |
Je me trouva au delà du village du Nouveau-
Moude, dans un chemin étroit où le jour pénètre
D'UN NATURALISTE, 39
à peine. Il est bordé d’ormeaux et de sycomores
qui, plantés sur un terrain plus élevé, sembloient
n'enterrer dans ce ravin solitaire. Ces arbres
enlacés de haies épaisses, et dont lécorce est
revêtue d’un lierre grimpant, sont si touus , que
je ne pouvois distinguer l’intérieur du bocage,.
Une brèche, que je rencontrai fort heureuse-
ment ,me fitapercevoir de beaux vergers sombres,
où l’on met paître de jeunes poulains. Je péné-
tai dans un verger clos de buissons, et je m’as-
sis à l'ombre d’un gros pommier. Ces vergers,
mulüpliés pour la richesse et l’utilité des habitans
de la Normandie, sont conugus les uns aux
autres , et très-solitaires par lenlacement de
leur verdure. Les prés qui tapissent leur sol,
servent de pature aux animaux qu'on y lusse en
paix brouter le fourrage sans cesse renaissant.
Lesarbresfruiuers, y confondant leurs rameaux,
rendent ce réduit on ne peut plus champêtre et
irès-isolé , quoique chaque propriétaire ait près
de son enclos sa chaumière enseveclie dans les
épais branchages de frênes, charmes, ormes et
sureaux. Aux haies des entourages se marient
des arbres plantés au milieu çà et là, pour leur
parfaite impénétrabilité.
Je regagnai la côte des Ormeaux pour rentrer
au Hâvre. Je pris tous nouveaux chemins pour
moi. Îl est, entr'autres, un senuüer au bas d’un
C 4
40 VOYAGES
tulhs en pente , à nn-côûte, dant rien ne peut
exprimer la rusücité naturelle. Il est sombre,
souteux pour les timides, et sa seule approche
les faut trembler. il semble qu’au premier pas,
au premier détour, on doit y perdre la vie ; on
craint en un mot qu'il ne cache un assassin. C’est
un simple sentier étroit et tortueux, long d’un
quart de lieue environ, plus bas de cinq pieds
que la plamation de jeunes peupliers qui en font
l’ornement ei lombrage.
La soirée étant belle, je parcourois la côte
d’'Egouville lorsque je rencontrai madame k.,
ma beile-mère, qui étoit venue au devant de
mot. Assis tous les deux à l’ombre d’un portique
demarronniers d'inde, considérantla vaste éten-
due des mers aspirant déjà au moment oûentrele
ciel et des goufires affreux, sous l’auspice bien-
faisant du Roi du Monde, nous devions voguer
sur la plaine hquide de l'Océan, et perdrede vue
ceue terre chérie, dans une parte de laquelle
résident tous les objets qui nous rendent la vie
intéressante, nous combinämes notre retour, et
nous promimes de nous rappeler de cette con-
versauon , de Ja toufle d'arbres quinous ombra-
geoient, enfin de toute la côte, si nous revenions
par ie Hävre: il nous sembloit déjà goûter le
plausir indicible que nous éprouverons à porter,
€n attérant au retour de notre voyage, nos re-
D'UN NATURALISTE. 4
gards avides vers cet endroit témoin de nos
souhaits et de nos désirs.
Le lendemain samedi 16 juin, voulant con-
noître parfaitement les environs du flävre, je
cherchai à me perdre dans la campagne couverte
de récoltes qui cachent, par leur multiplicité et
leur abondance, les chemins à la vue. Je voulois
mettre à l'épreuve les remarques que J'avois
prises précédemment pour reconnoitre jusqu'aux
sentiers. Je ne me trompai point, et marchant
dans tous les sens, je me trouvai enfin où jen
avois concu le projet.
Après avoir parcouru sinueusement la côte
d'Egouville, avoir côtoyé tous ses vergers, ses
ormoies et maisons de plaisance, je me rendis
par un chemin creux dans la vallée où est situé
le charmant village de Saint-Adresse , dont jai
déjà parlé. Je le traversai dans une parue qui ne
nr’éloit pas encore connue , et j'assistai à la ré-
colte du lin. Je sorüs ensuite de ce profond en-
foncement par des landes de bruyères, de joncs
marins, de fougères; et parvenu au sommet de
l'élévation, je découvnis avec plaisir l'endroit
que je cherchois : c’étoit la pointe de la Hèye, où
sont situés les deux phares. Jen demanda len-
trée qui, moyennant un léger salaire , n’est jamais
refusée. Je me proposa de laugmemter, afin
d'y voir le cabinet d'histoire naturelle qu'on
42 VOYAGES
n'avoit dit être assez beau, mais hélas! quelle
fut ma surprise!
Dans un galetas étroit, chambre à coucher
de la fille du gardien, se trouvent remplis de
poussière quelques cailloux roulés du Hävre,
mulupliés à Pinfini. Les uns offrent les cristal-
lisations les plus communes et les plus mal
choisies , les autres des sédimens calcaires ,
ceux-c1 des géodes cassées, dans l’intérieur des-
quelles on reconnoît à peine la présence d’une
calcédoine imparfaite, Je passe à l’'ornithologie,
ne trouvant plus rien de remarquable dans le
régne minéral.
Quatre oiseaux déplumés , et ridiculement
empaillés dans le principe, sont couchés sur le
ventre, et attendent qu'une main salutaire les
délivre de la honte de paroître , en cet état, aux
yeux d’un public mécontent de les voir aussi
maltraités. |
De grosses nattes de chanvre qui garnissent,
en attendant que le usserand les mette en œuvre,
les tablettes inférieures , composent le règne
végétal.
Le plancher lui-même n’ayant pu , par pénu-
rie, être garmi d'objets curieux , on y voit accro-
chés des os de morue , des carapaces desséchées,
scules pièces d’ichtyologie ; des fouets de bois et
de cordes communes , mais qui ont La haute
D'UN NATURALISTE, 43
prérogauve d’être tressés par les nègres. Enfin ,
dans un peut coin sont les plus beaux morceaux
ainsi placés sûrement, afin d’être examinés les
derniers. Le premier de ces deux objets qu’on
ne montre qu'avec surprise, est un serpent privé
de sa tête, et dont le corps mal préparé laissé
voir la paille que sa peau recouvre. 11 à à peu
près cinq pieds de longueur, et est gros seu-
lement comme une de nos fortes anguilles ; mais
les démonstrateurs le regardent d’une grosseur
monstrueuse. La seconde pièce , non moins
intéressante par son état délabré, est un caïman
si peut, qu’à peinené , on a eu la barbarie de lui
arracher les entrailles, et de lui laisser le ventre
ouvert, comme on le voit encore à présent ;
à la faveur de laquelle incision on aperçoit une
baguette qui uent sa peau tendue. Il à à peu
près quatre pouces d'épaisseur , sur vingt de
longueur , la queue comprise! quel monstre!
Fatigué de ma complaisance , je sorus en haus-
sant les épaules , et me rappelant l’axiome de
Bernardin de Saint-Pierre, sur les cabinets d’his-
ioire naturelle : « Ou la nature est morte, où
« l’art est animé ».
Le même conducteur me fit monter aux
phares établis dans deux tours séparées l’une
de l’autre. Leur nombre les disungue de celui
de Dieppe, avec lequel souvent, dans l’obscurité
fä VOYAGES
des nuits, les navigateurs le confondoient lors-
que le phare étoit seul. On arrive à la lanterne
par cent quatre marches ; dans cette lanterne,
garnie de glaces 1rès-épaisses , sont pratiqués
circulairement deux rangs de réverbères très
gros, et qui se meuvent pour leur préparation
journalière, au moyen d’un cric que baisse ou
élève à volonté uue vis de rappel; ear les réver-
béres sont fixés à un cylindre. Chaque fanal a
quarante mèches ; et comme la fumée qui s’en
dégage est en si grande quantuté , que bientôt,
si elle n’avoit point d’issue en raréfiant l’air,
elle parviendroit à éteindre les fanaux ; on a
placé au sommet de la voûte qui a la forme
d’un cône renversé, deux tuyaux de tôle qui
servent de conducteurs à la fumée.
Au retour des phares, je côtoya les bords de
la mer reurée du maun, et qui commencoit à
remonter. Elle avoit laissé sur le sable , sillonné
par chacune de ses ondulations, des étoiles de
mer (1) et (2) et des fucus en quantité. On y
(1) M. Victor Poulet m'en procura une, fort rare en
ces parages, et que je crois peu connue; j'en offre la
figure (pl. rère., fig. 1ère. ), sous le titre, Stella marina
medio alba, et circum roseo fimbriata.
(>) L'espèce appelée Astérie falciforme , composée
de cinq rayons égaux ou lobes fendus en dessous sui
vant leur longueur, a chacun de ses rayons large à sa
4 2
j.i Asterie frangee de rose . 2 1 Asterie falci rnre
_ €
D'UN NATURALISTE. 45
rencontroit aussi des amas de vermiculites qui
dénotoient la présence de polypes, ces vers mer-
veilleux qui se reproduisent de leurs propres
troncons. Tout le monde sait qu'en coupant un
de ces vers filiformes en vingt ou trente mor-
ceaux , de chacun 1l renaît à l’instant un ver
semblable au premier , et dont l’organisauon est
la même.
Je m’approchai des rets de pêcheurs pour
les examiner. C’est une encemte de perches
recouvertes de pousse-pieds. Elles sont retenues
et assujéties dans des amas de pierres qui forment
une espèce de chaussée, revêtue elle-même de
varechs de toute espèce, et de peuts glands de
mer. La disposition des pieux où sont attachés
les filets, a la forme d’un croissant presque
fermé, mas dont le manche est très-long. La
marée montante pousse vers ce piège qu’on
nomme fourrée , les poissons et coquillages qui
trouvant une ligne droite , la suivent pour mieux
s’embarrasser dans les détours du filet, car ils
arrivent dans l’intérieur; et la mer, en se reu-
base, et qui s'étrécit vers le bout. Elle est d’un rouge
chamois, bordée de violet (pl. rère., fig. 2) : c’est
l'astérie falciforme des vers echinodermes de l'Ency-
clopédie, par ordre des matières. Elle est très-commune
au Hävre. On les confond souvent avec les scolo-
pendroïdes.
A6 VOYAGES
rant , les laisse alors dans très-peu d’eau que le
pêcheur vient faire écouler par une bonde , afin
de s'emparer promptement de sa proie ; car s’il
tardoit, les prisonniers, à force de tournoiemens,
parviendroient à retrouver lissue qui leur servit
d'entrée, et les crustacés surtout gagneroiïent à
pas précipités la mer, pour s’y mettre en sûreté
jusqu’à la nouvelle marée.
Je trouvai dans ces pierres, outre les objets
dont j'ai parlé , une lune {1), beaucoup de cancres
de toute espèce et de diverse grosseur , qui ont
soin de se reurer avec assez de célérité, lorsqu'ils
apercoivent un être vivant. Îls sont aussi méfians
que l’araignée terrestre, dont ces crustacés sont
les dignes sœurs quant aux habitudes et mœurs ;
mais ces crabes différent des araignées terrestres,
par des formes extérieures propres au séjour
tumultueux que la nature leur a destiné. Leur
carapace ou enveloppe calcaire est dure et propre
à résister aux durs frottemens des flots, qui les
écraseroient dans le roulis impétueux de leurs
volutes écumantes, si le corps de ces animaux
étoit compressible et sans appui. O Sagesse
divine ! Par-tout tu laisses des preuves de ton
inconcevable profondeur !
(1) Cest le Zée Forgeron, Zens Faber. ( Lin.)
Lacépède, tom. IV, pag. 570,
La
D'UN NATURALISTE 47
Ces crabes apercevant un ennemi, com-
mencent par fuir; mais, si leur fuite est trop
lente, que leurs mouvemens ne soient pot
assez précipités , elles s’enfoncent dans le sable ,
et cherchent à disparoître ainsi aux regards de
leur persécuteur. Quelquefois on les apercoit ;
alors se voyant sans ressource, elles vont elles-
mêmes au devant de l’agresseur , et cherchent
à le pincer de leurs tenailles meurtrières, toujours
en marchant de côté.
Je trouvai aussi beaucoup de lépas, espèce de
coquille univalve , le plus souvent recouverte de
pousse-pieds. Il ÿ en avoit de toute grosseur ,
mais leur drap marin, à la première vue, m’a
empêché de bien examiner les sous- divisions
dans lesquelles on les range d’après leurs formes
et couleurs. Ce coquillage convexe a la base
très-évasée, 1l n’est point uni à sa surface, mais
ciselé de stries, de profondeurs et d’anfractuo-
sités relauves à l'espèce.
J'apercus aussi des anémones de beaucoup
de variétés (1). C’est un animal zoophyte, qui a
(2) Ce zoophyte, de l'ordre des vers mollusques, est
très-bien décrit par Valmont Bomare, dans son Dic-
tionnaire raisonné d'histoire naturelle. C'est l'Actnua,
Actinie de M. Bruguiere, docteur en médecine , at -
teur de cette partie des vers mollusques de l'Encyclo-
pédie, par ordre de malières,
Â8 VOYAGES
la forme d’un sein coupé net à sa base. Cet ani-
mal s’adhère par cohésion aux pierres et cail-
loux les moinsen vue, et il y reste ainsi, comme
une plante parasite sur arbre, aux dépens de
qui elle vit, à la différence près que l’anémone
ne demeure ainsi implantée que pour y attendre
sa proie, dont elle peut se passer pendant deux
ans, ainsi que me l’a cerufié M. Lefcbvre, con-
trôleur de la marine en ce pays, qui en a con-
servé dans de l’eau de mer pendant ce laps de
ms, et qui les en a retirées encore vivantes.
L'anémone de mer a une consistance molle
et fiasque. Quand on la presse , il en sort beau-
coup d’eau dont elle üre apparemment toute la
parte nutriuve. J’en vis de la grosseur du pouce,
d’autres infiniment plus grosses. L’anémone au
mouvement des vagues se dilate par le sommet
de sa convexité, elle s'étend et étale toute sa
beauté. Ce que dans les fleurs radiées l’on nomme
fteurons , lanémone les emploie pour saisir la
proie dont elle se nourrit : ce sont autant de
bras. Enfin, je revins chez mon hôte, après avoir
admiré de toute mon ame ces merveilles tous
les jours renaïssantes, et qui échappent à tant
de regards indiflérens.
Ayant appris d’un passager d'Honfleur, qu'un
bâtunient porteur de dépèches, alloit sous quatre
jours mettre à la vole pour la Nouvelle-Angle-
icrre,
D'UN NATURALISTE. 49
ierre, et que ses provisions étoient faites , je ma
présentai chez M. Poupel, commussaire de la
marine, pour le prier de mettre à exécution la
recommandation que lui avoit faite le nümistre
de s'intéresser à notre départ. Îl me recut avec
son aménité habituelle, mais j’eus la douleur
d'apprendre la cessation de ses fonctions. Il est
généralement regretté , et lui-même paroît souf-
frir de ne plus être uule à sa patrie.
Nous nous embarquämes à onze heures du
matun, ma belle-mère et moi, sur le passager
d'Honfleur. La mer étoit houleuse, les flots bal-
lotiés avec impétuosité se blanchissoient , après
s'être soulevés et brisés vers le sloupe, qui lais-
soit derrière lui un sillon d’écume. On remarque
dans le passage d’'Honfleur, qu’à la joncuon des
eaux de la Seine à celles de la mer, la majeure
partie des passagers éprouvent incontinent des
nausées, des maux de cœur, etenfin n’obüennent
de soulagement à Pincommodité qu’on nomme
le mal de mer, qu'après avoir vomi. Aussitôt
les tintemens d'oreilles et les étourdissemens
cessent, comme par enchantement,. Cette traversée
a cela de parüculier, que même d’anciens marins
naviguant depuis quinze et vingt-ans, et qui ont
fait le voyage des Indes sans éprouver aucune
incommodité de la mer, se plaignoient aux flots
de leur inconstance, qui les rendoittous malades,
Tone I. D
50 VOYAGES
Nous fimes cette traversée de trois lieues en
une heure , et descendimes au Cheval-Blanc , chez
des hôtestrès-prévenans.Cetteauberge,recherchée
par sa situation, borde la rade, et est effleurée par
les pavillons de tous les bâtimens qui arrivent du
Havre à Honfleur. Nous y avions sans cesse le
flux et reflux à observer de notre appartement.
Que le brut de ces vagues renaissantes est majes-
iueux ! Souvent séparées l’une de l’autre, elles
semblent se poursuivre, et voltigent comme des
brisous sur le sable, qu'au milieu de l’eau même
elles ont laissé à sec 1l y a quelques heures, pour
rejoindre la masse d’eau qui se trouve devant
eux. Par une merveille digne de la nature, les
oiseaux aquatiques, tels que les mouettes, goé-
Jlands et autres, profitent des instans où le sable
est à découvert pour s’y reposer de la fatigue de
leur natation, et faire la chasse anx peuis crabes,
chevreties et autrescrustacés marins, quiveulent
en vain échapper à leurs recherches en s’enseve-
lissant dans le sable ; ils ne peuvent se soustraire
aux yeux de ces iyrans volauls , qui les dévorent
sans pitié.
Nous fmes témoins de nos fenêtres d’un
spectacle bien intéressant pour les voyageurs ,
mais dont les répéutions journalières ont émoussé
la curiosité des habitans du pays, quoique ce-
pendant beaucoup d’entr’eux ne se Iasseut point
D'UN NATURALISTE. 5x
de l’admirer. A la marée montante, nous dis-
tinguâmes à une très-grande distance, du eûté
du Hivre, une trentame de petits points noirs
séparés, lesquels, en grossissant à leur appro-
che, nous firent reconnoître une escadre de
barques de pêcheurs poussée avec la rapidité de
l'éclair par le torrent des flots de la marée mon-
tante. Chacune de ces barques se rendoit à di-
verses destinations, mais Jeur commune habi-
tude est de ne point se séparer jusqu’à la hauteur
d'Honfleur , d’où Ja division prend la direcuüon
qui lui convient. L’œil à peine pouvoit suivre
cette floulle dans sa course légère et précipitée.
Notre contemplation fut interrompue par les
cris d’un jeune enfant qu'un groupe de peuple
fit entrer à Phôtel. A peine âgée de six ans,
cette jolie créature jouoit avec un de ses cama-
rades qui le fit tomber à la mer. La peur d’être
grondé par son pére électrisa les puissances mo-
irices de cet enfant, an point qu'il gagna seul,
sans secours et je ne sais comment, l'escalier
de pierre par lequel on descend à bord des
bâtimens.
Ce jeune enfant étourdi par sa chute, autant
que par le concours de spectateurs qui lui fai-
soient mille questions à la fois, ne pouvoit s’ex-
primer de manière à donner des renseignemens.
D 2
lulu. sn F °
EN TU 27 A
D2 VOYAGES
convenables sur le nom de ses père et mère. El
n’étoit connu de personne, cependant 1l n’excita
pas moins la compassion de nos hôtes, qui li
prodiguérent les soins les plus désintéressés.
Ils fermèrent les portes, de peur que personne
nentrât et ne fût témoin de leur bonne œuvre,
qu'ils disoient eux-mêmes n'être qu'un devoir
bien doux. Ils firent allumer un grand feu pour
réchaufler l'enfant transi et tout mouillé. Is le
changèrent de vêtement : le linge le plus blanc
fut choisi. On lui fit avaler du vin chaud avec
beaucoup de peine, car il avoit perdu connois-
sance ; puis, à force de questions faites aux
voisins , l'enfant fut reconnu. Nos hôtes allèrent
préparer la mère sur cet événement, afin qu’elle
ne grondât pas son fils sur-le-champ, de peur
d’une nouvelle révolution qui pourroit avoir des
suites funestes. Cependant, graces aux soins
qui lui furent prodigués , le petit espiègle qui
avoit avalé beaucoup d’eau de mer , la vomit
heureusement après avoir pris le vin chaud.
Ïl est inuule de dépeindre la situation de la
mère , qui vint à la rencontre de son enfant.
Tremblante et en sanglotant ,quoiqu’assurée que
son fils avoit échappé au danger, elle embrassa
avec transport l'être foible que Dieu lui avoit
conservé si miraçuleusement ; et après avoir
D'UN NATURALISTE. 53
comblé de remercimens les hôtes qui s’en défen-
doient, cette bonne mère partit avec son enfant
bien enveloppé dans une couverture.
Ayant appris dans la journée que le capitaine
que nous cherchions nous avoit croisé, et qu'il
étoit au Hävre pour vingt-quatre heures, nous
primes le parti de lattendre; et pour charmer
notre ennui, nous allâmes l’après-dîner admirer
les beautés de la côte de Grace, ainsi appelée,
parce qu’à son sommet est établie une chapelle
célébre dans le pays par l’affluence de voyageurs
qu’elle attire des quatre coins de la terre. Elle
est vouée à Notre-Dame de Graces. Tous les
marins après de longs voyages, ou hors des nau-
frages auxquels 1ls ont échappé, viennent rem-
phrleur vœu aux pieds de la mère du Rédempteur
du monde. Quelques jours auparavant, il étoit
venu un matelot qui , seul ayant échappé d’une
manière miraculeuse à un naufrage certain , en
se vouant au moment de l'immersion de son
vaisseau à Notre-Dame de Graces, promii d’aller
en pélerinage visiter les Beux qui lui sont con-
sacrés , SLpar sa puissante intercession 1l chtenoit
de lArbitre des desuns une existence dont ses
compagnons étoient déja privés. Get homme,
sévère observateur d’un vœu si solennel, fit à
pieds cinq cents lieues pour l’accomplir, et con
sara le souvenir de sa délivrance par un tableur:
Là DS
54 VOYAGES
historique qu'il placa à Ka suite de tant d’autres
qui en font l'ornement.
On fait beaucoup de dentelles à Honfleur.
Toutes les femmes y sont occupées la majeure
parue du jour; les unes se servent de tambours,
d’autres de grosses pelottes qu’elles üennent sur
leurs genoux.
Nous allämes à bord du brick la Sophia, où
nous trouvâmes le capitaine qui nous y attendoit,
et nous proposa un thé avec beaucoup d’ins-
tances. Il nous recent avec une affabilité peu com-
mune aux anglo-américains, et nous fit l'offre
de sa complaisance pendant la traversée, si le
consul consentoit à ce qu'il nous prit à son
bord. Nous voguämes donc encore sur les flots
de l'incertitude.
Les pêcheurs inquiétés dans leurs sortes par
les bâümens de la stauon anglaise, laissoient
les marchés dans une pénurie désolante. Cepen-
dant, comme voyageur curieux, je m’apercus
qu'il est ur moyen d'oublier la disette, et j’usai
du g
D
Soudain , je vis arriver turbot (1), truite saumo-
rand mobile pour sausfaire ma fantaisie.
(1) Ou Rhombe , Pieuronectes maximus, Linn;
Pleuronectes oculis sinistris, corpore aspero, Arted.,
Gronov.; Rhombus maximus asper , non squamosus ,
Willughb. : en Angleterre, T'urbot et Bret ; et dans la
Normandie, Bertonneau, suivant Vahnont Bomare.
D'UN:NATURALISTE. 5%
née (1), éperlans (2), soles (5), huîtres et che-
vrettes. La volaille à Honfieur y est hors de prix :
nous y bûmes de très-mauvais cidre qu'on nous
servit, je crois, pour nous forcer à demander du
vin vieux de Bordeaux , qui coûte beaucoup plus
cher, etqui par conséquent remplissoit mieux Îes
vues de l'hôte. Les fruits y sont délicieux. Rien
n’égale le parfum de ceux récoltés sur les côtes,
et qui y recoivent l’acuon bienfaisante des rayons
du soleil. Les abricots qu'on nous servit étoient
d’une saveur incomparablement plus délicate et
plus embaumée que ceux trop vantés de Paris et
de Montreuil même.
On me donna des graines de melons. On sait
(1) Salmo lacustris, Lin.; salmo caudà bifurcä,
maculis solum aigris, sulco longitudinali ventris,
Arted.; salmo eaudà sub bifurcä, maxillis æqualibus,
Jateribus et capite maculis miuutis, migris crebuis,
Gronov. ; ‘Frutta lacustris, Sonston, Willughb; Fruita
salmonata ; Parvus salmo, Charl.; Trutta dentata,
dorso et capite dilutè ex viridi cærulescentibus, ma-
culis nigris undique et in piunà adiposà adspersa ,
Klein : en Angleterre, Salmon-'Trout; en Alle-
magne , Torel.
(2) Osmerus eperlanus.
(3) Pieuronectes solea, Linn. Pleuronectes maxillà
superiore longiore , oculis à simisträ , corpore chlongo,
squamis utrinque asperis, Ârted. ; Buglossus seu solex ,
Wäillughb., etc,
D 4
56 VOYAGES
que ces productions d’Honfleur jouissent d’une
haute réputauon, et elle est bien acquise. L'air
pur qui alimente leur végétation donne à ces
fruits une supériorité à laquelle ne peuvent pas
prétendre ceux venus dans les clapiers des envi-
rons de la Capitale. Je vis chez M. Lelievre , an-
cien capitaine de vaisseau , un de ces melons pe-
sant trente-deux livres ; 1l étoit savoureux et
exquis ; quelques-uns de cette grosseur, néan-
moins rare, furent vendus jusqu’à trois louis, et
de suite dépêchés pour la Capitale. Le prix com-
mun des melons ordinaires est depuis trois jus-
qu’à six et sept francs, mais j'ai eu occasion
d'observer que les peuts, toutes proportions
gardées, sont d’une qualité inférieure à ceux
d’une plus belle espèce.
Nous repartimes pour le Hävre le 23 juin,
après une résidence de trois jours à Honfleur ;
nous profiiâmes de la marée de cinq heures du
maun, espérant avoir plus de fraîcheur dans
notre traversée , mais elle fut longue et ennuyeuse
par les fréquentes bordées qu'il fallut courir ;
en un mot, le vent devint si contraire que nous
louvoyämes pendant trois heures devant la rade,
sans pouvoir entrer.
Je fus recu avec beaucoup d’égards par le
nouveau commissaire de la marine, à qui j’allai
faire ma visite et présenter mes féhcitauons. Il
D'UN NATURALISTE. 57
m’engaga à aller voir le contrôleur de ce corps,
chez equal aurois, me dit-il, à examiner un
assez beau cabinet d'histoire naturelle. Je me
présentai donc, sous les auspices de M. Leroi,
chez M. Lefebvre. Combien nous appréciiämes
ensemble les charmes irrésisubles de l’histoire
naturelle, superbe science, lorsqu'elle ramène
le contemplateur à la source de ces merveilles,
autant qu’elle est fuule lorsqu'on la restreint à
classer, d’après des systèmes connuset combattus,
les échanullons des chefs-d’œuvres de la nature
dont l'être qui réfléchit ne peut et ne doit voir
la pompeuse structure, qu’en versant des larmes
d’admirauon et de reconnoissance. |
Le cabinet fut ouvert, et M. Lefebvre com-
mença sa démonstration par la conchyliologie.
Il me présenta quelques coquillages assez rares,
tels que le scalata (1), l’œuf(2), la griffe , espèce
de béniuer de Saint-Sulpice (3) , le rateau des îles
(x) Coquille univalve de la famille des vis. Elle est
composée de sept spirales, ou orbes. Les petites sont
communes dans le Golfe adriatique, dit M. Dargen-
ville ; aussi ces coquillages rares, parce que les Indiens
les recherchent pour leurs ornemens les plus précieux,
ne sont-ils estimés que quand ils ont plus d’un pouce
de hauteur.
(2) Testacé du genre des porcelaines.
(5) Coquille de la famille des Peignes.
58 VOYAGES
Scechelles (1), lemarieau(2),lacouronned’Ethio-
pie, etc. Les madrépores y sont en peutnombre,
mais bien conservés; jy remarquai un superbe
pinceau (3), un très-bel abrotancide, le mille (4),
d'assez belles pétrificauons, quelques repules,
tels que crocodile, caïman, le serpent devin,
et un caméléon conservé dans l’esprit-de-vin ; j'y
irouvai aussi un groupe d'oiseaux, parmn les-
quels se voyoient une frégate (5), de peutes
perruches, le jaseur de Bohême (6), un courli
rouge d'Amérique (7). J’examinai aussi une
très-belle pointe de Narval, et quelques poissons
de mer, tels que le coffre triangulaire (8), la
courte-épine (9), la lune (10), la baudroie
(1) Coquilie bivaive du genre des huitres.
(2) Ostreum mallei forme, espèce d’huitre appelée
Crucifix par les Hollandais.
(5) Penicillus marinus, zoophite ressemblant en
quelque sorte aux pinceaux des peintres.
(4) Madrepore.
(5) Hirundo marina major; apus rostro adunco';
Barr.
(6) Garrulus boëmicus.
(7) Ou flamand.
(8) Ostracion tricornis.
(9) Diodon Athinga, Hinné.
(10) ‘l'etraodon moia, Linné.
D'UN NATURALISTE. 59
peute (1), le long nez, espèce de requin (2) ;
M. Lefebvre possède surtout beaucoup de plu-
muers et d’habillemens de sauvages, ainsi que des
carquois , et leurs flèches empoisonnées.
Ce naturaliste venoit de recevoir une collec-
uon de peaux d'oiseaux de l'ile de la Trinité,
ainsi que des insectes et de fort beaux papillons.
La richesse des couleurs de ces derniers renou-
velle mon admiration pour ces merveilles si com-
munes dans la nature, Qu'il est beau de voir
qu'une poussière aussi subüle que celle qui re-
couvre les ailes transparentes et friables de ces
légers volauls, soit suscepuble de se maintenir
ainsi rangée par nuances ; et que des atomes aussi
délicats soient revêtus d’un coloris aussi cons-
tant dans les espèces qu’il est élégant, tandis qu'au
moindre contact tout est confondu, et que les
figures, naguères agréables par la diversité de
leurs couleurs, rentrent en un instant dans le
néant d’où Dieu les a urés !
Je reconnus beaucoup de papillons semblables
à ceux de France, tels que celui du chou, du
navet, le nacré, la belle- dame, la peute-tortue,
(1) 'Fachée, Lophius Histrio, Linné.
1 - . A
(2) Espèce de chien de mer, qui a pour caractère
une nageoire derrière l'anus, sans avoir les trous des
tempes, et nn pli de chaque côté de la queue.
60 VOYAGES
le citron , etc. Dans les scarabées , j”y retrouvai le
monocéros, le bupreste, le dermeste, le scorpion,
les scolopendres et les capricornes, etc. Dans les
quadrupèdes je remarquai un paresseux (1), et
dans les cétacés un très-beau priape de baleine.
M. Lefebvre remit à un autre jour l’inspecuon
des oiseaux qu'il venoit de recevoir, parce que
les caisses m’étoient point déballées.
J’allai déjeñner chez un Hambourgeois,
M. Randon de Lucenay, que j'avois rencontré en
loge ,et qui voulut bien m’offrir des lettres de re-
commandaton pour Philadelphie. Haccomplitsa
promesse avec une lautude bien généreuse, puis-
que , sans me connoître , 11 marquoit au négociant
auquel il nradressoit, de m’avancer les fonds
dont je pourrois avoir besoin, et que dès ce mo-
ment il les regardoit comme avenus pour son
compte. Ce procédé délicat est commun aux
amis de notre ordre, et j'ai eu occasion pendant
mes voyages de me féliciter plus d’une fois de
faire partie de cette respectable association.
On nous servit un breuvage très-agréable , et
dont M. Randon de Lucenay me donna la com-
(1) C'est un antropomorphe, ou animal à figure
humaine. On divise ces animaux en didactyles,
c'est à dire, pourvus de deux doigts; en tridactyles ,
et pentadactyles, ou pourvus de trois où cinq.
D'UN NATURALISTE. OZ
position que voici : dans une pinte d’eau bouil-
lante, on jette un quarteron environ de graines
d’hieble (1) et autant de sucre. L’infusion bien
combinée, on passe le tout au travers d’un linge,
avec expression , et l’on obtient de ce mélange un
sirop pourpre qu’on laisse refroidir, et auquel
on ajoute une demi-bouteille de vin de Bordeaux.
Ontrempedes rôues de paindans ce breuvage ,que
je trouvai très-bon. La jeunefemme, Mme, Randon
de Lucenay , afin d'ajouter encore à la bonne ré-
ception de son mari, sortit avec lui dans Le par-
terre, pour m'y composer suivant l’usage de
leur pays, malgré l’ardeur du soleil, un bouquet
qu'ils vinrent m’offrir. Je sorus confus de toutes
Jeurs honnètetés.
Je fus le lendemain matin chez M. Lefebvre,
qui m’avoit attendu pour faire l’ouverture de sa
caisse. Le premier oiseau qui frappa ma vue, me
rappela la richesse des moyens du Créateur. C’é-
toit un colibri d’une très-peute taille , et habillé
des plus vives couleurs. Quel merveille que ce
plumage! quel vernis inaltérable recouvre ces
pennes dorées! quels reflets chatoyans, quelles
ondulauons diverses! On ne distingue point dans
cet assemblage le composé des couleurs. Celui
qui les implanta dés leur état de molécules orga-
(2) Sambucus Ebulus. Linn, 586,
Go VOYAGES
niques, n’a point recours à la moletie, et à l’essai
des nuances. Le vernis qui donne un éclat si bril-
lant aux plumes de toutes couleurs (versz colores)
de ces oiseaux charmans, n’a point à redouter
qu'une sécheresse l’écaille, que lhamidité le dé-
truise, n’en altère léclat, ou que le froissement
divise ce qui est inséparable. Il n’est aucune pré-
parauon humaine qui puisse rendre à la vue le
velouté scimullant de la gorge de cet oiseau, où
RARES Re l érable l'hyacinthe,
l’'émeraude et le saphir.
Je vis un autre oiseau, dont le blanc pur du
plumage n’est altéré que par une étroite ligne
noire qui sert de cravate à l'oiseau. C’étoit un
crabier de peute espèce, dont la grosseur est
celle de notre pluvier ; ses pattes et son bec sont
d’un rose vif. |
M. Lefebvre développa ensuite des gorges de
gros-bec. Quelle belle réumon de couleurs dis-
ünctes! Ce ne sont plus, comme dans le com-
posé du cohbri, des reflets chatoyans et irisés.
Le génie fécond du Créateur est trop incommen-
surable pour ne pas se muluplier à infini. Ce
sont des touffes de plumes qui présentent des
taches de diverses teintes éclatantes. On y voit
briller successivement le roir de jayet près le
blanc éblouissant, à côté du jaune vif, puis une
trace oraugée bordant la tache plus foncée;
D'UN NATURALISTE. 63
enfin le rouge de feu couronnant cetto réunion
magnifique et inimitable.
M. Lefchvre passa à une infinité d’autres es-
pèces toutes différentes. Les oiseaux de proie,
tyrans du foible, sont parés de couleurs sombres,
et repoussent bientôt les regards qui préfèrent le
doux éclat de l'innocence ; il semble qu’on soit
plus intéressé à la vue de leurs vicümes.
J’assistai l'après-midi à une pêche du rivage
bien intéressante pour lobservateur déiste.
Lorsque, deux fois le jour , la marée se reure,
‘elle laisse sur le sable à découvert ou dans les
intersüces de rocs caverneux , des coquillages
qui n’ont pu être entraînés par le reflux , à Sa-
gesse infinie ! Ô hbéralhité journalière ! c’est
Ja que les habitans pauvres des ports de mer
viennent réclamer de l’Auteur de la nature une
subsistance , dont létonnant bienfait n’a jamais
été interrompu. Ce Père des pères ordonne aux
flots de jeter deux fois le jour , et repousser loin
d'eux homards, crevettes, crabes, étrilles , tour-
eaux, poissons, etc., qu'il desune à ceux de
ses enfans accablés d’indigence. Forcée d’obéir
à la voix de son puissant maître, la mer parsème
exactement ses rivages. On voit des fanulles
entières marquées au coin de l’infortune, attendre
leur repas d’un reflux secourable , et trouver
64 VOYAGES
dans ces lieux une nourriture qu’elles n'ont
qu’à ramasser.
D’autres font une cueillette de varechs, qu'ils
brülent pour obtenir des cendres le sel de
soude.
En visitant la fourrée d’un pêcheur occupé à
ramasser le produit du reflux, il m'offrit un
animal très-singulier par sa forme, et féroce par
ses mœurs. Tyran de la rocailie, il est l’effroi
des homards, crabes, etc., et en détruit une
grande quantité par la succion. C’est une espèce
de séche, qu'on appelle vulgairement cha-
trouille (1). [Planche Il. ]
Cet animal est d’une consistance semblable à
celle de la raie, c’est à dire, charnue et carula-
gmeuse. Sa tête est armée de huit ramifications
(1) C'est le poulpe ; Octopus, dont M. De Lamarck
donne l'analyse suivante : Corps charnu , obtus infé-
rieurement , osselet dorsal, très-petit, corps contenu
dans un sac non ailé ; bouche terminale faite en bec
de perroquet, et entourée de huit bras égaux
munis de ventouses sessiles et sans griffes. Le poulpe
donne ainsi que le calmar, loligo, dont le corps
est pourvu de membranes ou ailes, une liqueur
noire qu'il lance contre ses ennemis. Il rejette aussi
une humeur rouge qui lui donne cette couleur lors-
qu'il est cuit, ce qui arrive en cet état à tous Îles
poissons mous.
qui
PE .
AL. PE ,
Te Poulpe Octopus appelle vulgarernent Chatouille ou Zupr
LE?
.
‘»
…
23
; 48
Le
mé 22"
. Re
= à
#
- 2
D'UN NATURALISTE. 65
qui lui servent de bras pour s'emparer de sa
proie. Ses yeux sont saillans, et sa bouche est
remplacée par des cavités mulupliées au long de
ses bras, au moyen desquelles 1l opère une suc-
cion parfaite , et fait arriver , par des canaux
appropriés, le sang que doit élaborer son esto-
mac. Ses viscères sont renfermés dans une poche
qui elle-même est contenue, et roule dans une
autre qui li sert de tégument extérieur. La
chatrouille est très-irrascible , et sait se venger
«de ses agresseurs ; c’est pourquoi, lorsqu'on
l’inquiète, et qu’elle se voit dans l'impossibilité
de se soustraire aux agaceries de son persécuieur,
elle lui témoigne son désir de vengeance, en lui
lançant avec vivacité une matière noire sem-
blable à l'encre, et qui peut même, au besoin,
y suppléer (1) ; mais je le répète, ce n’est qu’à la
dernière extrémité que la chatrouille emploie ce
moyen de défense.
La chatrouille nage avec une agilité éton-
nante, à l’aide de ses huit bras, ce qui la rend
diflicile à être saisie dans l’eau. IL est dangereux
de se baigner dans Îles parages qu’elle fréquente ,
(x) C'est de cette liqueur qu'on obtient la sepia,
couleur noirâtre qu'on met, paiticulièrement à Rome ;
en bâtons comme l'encre de la Chine, et qui est
plus douce à la vue.
Tone I. E
GG VOYAGES
ear elle est prompte à saisir une jambe, et à y
commencer une succion qui afHoiblit prompte-
ment. l est difficile de s'en débarrasser lorsque
l'adhésion de cohésion est établie, à moins d’in-
terrompre l'effet du vide en la coupant en deux.
M. l'abbé Dicquemarre, célèbre naturaliste du
Hivre, entendit un jour de foibles cris en se
promenant vers le rivage ; 1l court au bruit, et
apereoit un enfant ceint par un de ces animaux ,
ei dont 1l ne pouvoitse débarrasser, Les pêcheurs
ont soin de les tuer, à mesure qu'ils les ren-
contrent, car ils font une grande consommation
de coquillages, et diminuent sensiblement la
récolte de ces journaliers.
Je fis, le mardi 17 juillet, connoissance avec
deux jeunes gens, amateurs des bexux arts. L’un,
M. Villain , arrivoit d’une expédition aux îles
Ténérifle, la Trinité, Saint-'Thomas et Puer-
torico , dirigée et sous les ordres du capitaine
Baudin. M. Villain avoit accompagné plusieurs
naturalistes, envoyés par le gouvernement pour
recueillir les productions naturelles de ces pays ,
et fournir à leur retour des observations uules.
Le second, M. Poulet, fils d’un armateur du
Havre, digne du beau nom d'ami, et qui, à des
talens distingués en peinture el musique, Jo1gnoit
un bon cœur , et surtout une modestie rare.
Comme je nr'étois proposé d'enrichir à mon
D'UN NATURALISTE. 07
retour mes cabinets d'histoire naturelle de pro-
ducuons recueillies dans mes voyages, et de
costumes annexés à mes Journaux, M. Poulet
voulut bien guider au lavis mes pinceaux encore
novices, tandis que M. Villam perfecuonna en moi
l'art d’empailler les oiseaux. H se servoit d’une
pommade conservatrice , dont l’usage étoit dan-
gereux par les poisons subuls qui en font le
composé ; je la remplacai donc par une autre
que j'imaginai , et dont j'obuns les plus heureux
résultats ; la voici :
POMMADE CONSERVATRICE
Pour tout corps corruptlible du règne animal.
Huile essentielle de térébenthine . .. 3 Ï.
He dohve 4... at Qu, FUN
Chaux vive en poudre :, ....::.... node
Sel d’alun en poudre subule ...... 2p LV:
Camphre dissous in alcohol. ...... 3% IV.
Aloës succotrin ........ PT MUR
Herbesaromatiques en poudre PE Le I]
J'avois des chances à courir, des pertes à
essuyer. Je pouvois être réduit à interrompre
ma collection par la pénurie d'objets nécessaires.
Le besoin éveille le génie, et ne pouvant me
procurer au Hävre des yeux d’émail pour les
oiseaux que je me proposois d’empuiller, jé crus
E 2
68 VOYAGES
devoir les remplacer par d’autres, exécutés an
moyen de cire à cacheter de diverses couleurs.
Par exemple, pour obtenir les yeux du crabier,
on présente une épingle à un bâton de cire
jaune , enflammée au {eu d’une bougie, et non
d’une chandelle qui la noirciroit ; on en détache
assez, pour avoir une masse de la grosseur de
l'œil qu’on veut imiter. Cette pâte arrondie se
forme d’elle-même, ayant soin de tourner dou-
cement l’épingle entre ses doigts dans le sens
horizontal. Lorsque le globe a acquis sa perfec-
uon , on le laisse refroidir ; après quoi ,on ajoute
un point de cire noire dans le milieu de orbite.
‘Cette goutte résineuse se convexe d’elle-même,
et innie parfartement la visière de l’œil de loi-
seau. Cet œil achevé, on retourne lépingle, et
on en fait autant à l’autre extrémité ; après quoi,
on coupe le laiton par le milieu, et on a une
paire d’yeux.
Quant aux yeux d’une seule couleur , on se
contente d’enduire lépingle de cire noire de la
grosseur d’un grain de chenevis. On présente
près de la flamme de Îa bougie cette peute sphère,
qu par la chaleur s’arrondit, pourvu qu’on
tourne un peu l’épingle entre ses doigts, etqu’on
la plonge aussitôt dans un verre d’eau froide qui
conserve sa forme, en fixant et resserrant toutes
ses parles,
D'UN NATURALISTE 69
La journée du 20 juillet fut consacrée à faire
une partie de chasse avec M. Randon de Lu-
cenay. Nous côtoyâmes la mer jusques à Arficur,
qui est distant du Hâvre de sept quaris de lieue.
Nous étions à la poursuite d’oiseaux de mer,
lorsqu'il nous arriva une singulière aventure.
Faugués de Pexcessive chaleur, et apercevant un
bâtiment assez considérable qne nous primes
pour une auberge, nous résolñmes d'y faire
halie, et de nous y rafraîchir. Ce bâtiment étoit
an magasin à poudre, dans lequel la sentinelle
comrait Pimprudence de nous laisser pénétrer,
armés de nos fusils. À peine, en présence du
chef du poste, on s’empara de nous, et l’on nous
désarma, connne agens de la station anglaise.
Cependant, ne voulant point être plus long-tems
en butte aux menaces de nos gardiens, je dé-
ployai mon sauf-conduitet ma commission, à la
faveur desquels on nous rendit la liberté, après
nous avoir accordé des rafraichissemens , et
blämé de notre imprudence.
En reiournantau Hâvre , la marée étant basse,
nous trouvämes beaucoup de hérons. J’en tuai
un, et plusieurs alouettes de mer qu'on ren-
conire par bandes sur le bord des ruisseaux ,
dans les prairies voisines du rivage.
Je montai le soir à la côte d'Egouville , et me
présentai à la maison de campagne de M. Poulet,
E 5
ro VOYAGES
où j'eus l'honneur de faire connoissance avec le
père, autant respectable par son âge, qu’esti-
mable par sa sévère moralité. Je fus Hope de
l'union qui rapproche sans cesse l’un de l’autre
les cinq enfans. Les deux frères étant musiciens,
nous fimes quelques irios, après l'exécution des-
quels on proposa une promenade dans l'intérieur
du jardin, Cette habitauon, agréable par son
antique verdure et ses couverts sombres , est
embellie à une des extrémités par un pavillon
d'été, qui sert de salle de lecture et de concert.
I est hexagone, et domine la rade, de manière à
en former le plus commode observatoire pour
le peintre et le marin.
Après avoir admiré de très - beaux dessins
faits par M. Poulet fils aîné, je me disposai à des-
cendre la eôte, mais ce futen vain que je voulus
parur seul ; MM. Poulet pere et fils, en me com-
blant d'amiués, vinrent me reconduire jusques
à moiué chemin, précisément au coup de canon
de retraite dela station anglaise, On saitque c’est
un usage pratiqué par les marins en station , de
üres un coup de canon au lever et au coucher
du soleil. En saluant l'aurore, 11 semble 1adiquer
l'heure du travail, comme à l'approche de fa
nuit 1l annonce un repos prochain.
Le samedi 4 août, M. Poulet fils aîné, étant
\
k
venñu nous inviter de Fa part de son pére à aller
D'UN NATURALISTE. nr
diner le lendemain à la côte, j'allai le reconduire,
etnousnouségarämes le long du rivage, où pour-
dant je rencontrai un pêcheur à qui J'achelai,
moycnnantune somme très-modique, unassez bel
esturgeon, ainsi qu'un turbot ct des crabes.
Nous ramassämes ensuite des toiles de mer, des
Jépas , à la faveur de la marée basse, ainsi que
des pyrites martiales cloisonnées de la plus grande
beauté, de même que Pespèce de ludus helmon-
ti (1). Je revins, chargé de wrésors précieux pour
de naturaliste contemplateur.
Le dimanche maun 5 août, nous montâämes x
côte d'Egouville pour aller dîner chez M. Poulet,
dont la campagne sohituire offre les points de
vue les plus pittoresques. On nous recut dans
le Kiost, d’où l’on découvre la pleine mer à très-
peu de distance. Nous restämes long-iems à con-
sidérer cette immense étendue qui suit tous les
jours les ordres de ia nature, et jamais ne passe
les limites qui lui ont été fixées. Nous admi-
rames cetélémentterrible et redoutable pour l'être
malheureux qui se prive spontanément du bon-
heur de mettre toute sa confiance en celui qui
ne trompe que par des bienfaits.
(1) Pierre pesante, ordinairement calcaire, traversée
de cloisons spatheuses, pyriteuses ou séléniteuses ; ce
qui lui donne une surface composée d'angles et de
comparlimens polygones.
FE 4
"a VOYAGES
Nous ffñmes recus comme nous l’avions de
mandé, avec amitié et franchise, et point avec
cette fastuense cérémonie qui altère le plaisir
d’être à la campagne. Le bon papa M. Poulet,
vêtu selon la saison , nous montra son petit do-
maine qui réunit luule à Pagréable, On y voit,
au mieu d’épaisses charmilles qui établissent un
double mur de elôture, de longues allées de porn-
miers trés-tou fus dont on obtient le cidre, et qui
par la réumion de leur cime donnent beaucoup
d'ombre. L’esi au centre, sur des tapis de gazon ,
qu’on voit paître la vache de la maison. Plus loin.
c’est une bande de cannetons qui s’éloignent de
leur vivier, pour aller paîire la verdure. Au bout
de chaque allée de poiriers, on pénètre dans de
trés-jolies tonnelles de charmilles consacrées à
lamitié, à la lecture ou à la méditauon. Elles
sont si inaccessibles aus rayons du soleil, et mème
à lagrande clarté du jour, qu’on ÿ prend souvent,
entre famille, des repas frugaux et champêtres.
Le nôtre fut irés-agréable par Punion des cinc
enfans qui ont entr’eux, jusque dans la momdre
chose, les prévenances de la plus pure amitié.
On oublie jusqu'à l’âge du père et de la mère,
qu'on y voit avec sensibilité folätrer avec leurs
chers enfans.
Le lendemain, nous passämes l'après-midi à
Honfleur, M. Charles Poulet fils aîné et moi; il
D'UN NATURALISTE. 75
me présenta chez M. Lelievre, commandant
anciennement les bâtimens de son pere, qui
nous recut avec affabilué. Il nous fit voir avant
le souper ses melonnières , desquelles il fait une
assez belle spéculation par sa correspondance
avec la Capitale.
Nous repartimes le vendredi man, aprèsavoir
pris plusieurs vues de Honfleur (1). Nous emes
à notre retour à diner la famille Poulet, à qui
nous ménagions le coup d'œil d'une joûte qui
eut leu sous nos fenêtres,
Au milieu de frégates couvertes d’un peuple
immense, on ouvrit dans le bassin une joûte
entre six bateaux destinés à rivaliser entr’eux
de vitesse dans un trajet à parcourir. Les nacelles
deux par deux, etélégamment ornées, voguoienit
sous leflort de six vaillans rameurs vêtus de
blanc, et ceints d’écharpes de June écarlate.
Le but de la joie étoit de doubler, dans
impétuosité de la course, un arc de triomphe
posé au milieu du bassin, sur deux bateaux. Les
aspirans étoicnt encouragés par une musique
guerrière qui sumuloit leur ardeur. Le signal du
clépart étoit annoncé par un coup de canon. La
colonne d'air à peine ébranlée, on vovoit dans
chaque nacelle six rameurs brusquer à l’envi
(1) Je ne puis les ajouter à ce recueil: elles on!
été brûülées à Saint-Domingue.
À VOYAGES
leur mouvement unanime, ayant à leur tête un
patron commandant, mumi d’une lance garniede
rubans, et près de Jui, le porte-étendart. H étoit
permis aux patrons de heurter les barques deleurs
lances, et d’entraver par ce choc leur marche
rapide.
Les vainqueurs furent recus avec joie et ap-
plaudisemens; et parés des prix qui leur avoient
étédécernés ,1ls passèrent au milieu d’un cortège
nombreux, au bruit des fanfares et des salves
d'arullerie.
Nous vîimes lancer la frégate la Valeureuse.
Dégagée à coups de hache di Ber qui la rete-
noit elle entr'ouvrit majestueusement l’onde du
bassin, qui frémissoit et écumoit en blanchissant
sous son pesant fardeau.
J'observai près de là avec intérêt l'instinct
merveilleux d’un chien barbet, qui a su profiter
des soins donnés à son éducation. Un maitre
couvreur, ayant besoin d'un ouûl qui étoit
au bas d’une échelle très-haute, envoya son chien
Jui chercher. Cet animal intelligent ie rapporta,
en montant les échelons avec rapidité.
Le samedi 18 août, la famille Poulet nous
proposa une parte d'Honfleur, qui fut acceptée.
Notre traversée fut très-courie ei fort heureuse,
quant aux influences de la navisaUON SUT 108
teispéramens, Nous fûmes recus chez M. Le-
D'UN NATURALISTE. -5
4
lievre, dont j'ai déjà parlé avec cette affabiliié
naturelle à l’homme de bien, franc et loyal. On
eut pour nous touies sortes de bontés, et pour
nous dédommager de la privation de chasse 1m-
posée par une défense récente, on forma Île
projet, pour le lendemain, d’un repas cham-
pêtre au milieu d’un verger.
Le soir, en visitant le jardin , je fus puni de ma
curiosité qui me porta à faire la dégustation des
baies du bois Genüul (1). Leur saveur âcre et
caustique me causa une cuisson semblable à
celle produrte par le poivre de Guimée. Cette
exaspération dure lPespace de douze heures.
Le dimanche 19 août, nous partimes de grand
matin, Comme 1l est d'usage dans une parte de
campagne, afin de jouir des agrémens que Ja sim-
plicié y fait éclorre , et qui sont les délices de
l’homme simple. Noire marche étoit imposante
par la quantité de personnes composant notre
petite caravane.
(1) Daphne mezereum, Linné 509. Cet arbuste
donne des baies ovales semblables à celles du myrte,
mais Contenant un suc très-caustique : elles rougissent
en muürissant. Prises à l'intérieur, elles causent des
douleurs d’entrailles insupportables, accompagnées de
diarrhées. On les emploie dans les appäts qu'on destine
à la destruction des bêtes puantes ; et, par un des phé-
nomènes de la nature, les oiseaux qui en mangent x'en
sont point xommodés.
m6 VOYAGES
L’avant - garde, à l'instar d’une parte de la
société, montée sur l'animal sobre et honteux,
ou sur des chevaux, s’étant munie de parasols
pour affoibhr la réverbération d’un soleil brit-
ant, suivoit ainsi que les autres la montagne,
non sans fatigue, mais qui étoit oubliée par les-
poir d’un plaisir complet.
L’alégresse accompagnoit les héros de cette
fête. Nous trouvames, chemin faisant, des sites
délicieux dont nous prenions les croquis, enfin
une route si champêtre, si isolée, qu’Honfleur
et ses environs peuvent être regardés comme
le pays du peintre et de l’homme de goût.
Nous arrivämes à la cour de la ferme (1) par
des chemins s1 sombres, que nous ÿ ressentimes
de la fraîcheur, malgré la grande chaleur du
jour, et tant silencieux que le calme, qui les
fait rechercher par iout être sensible, n’étoit
interrompu que par les cris joyeux de la caval-
cade et des piétons.
Une table simple , quelques bancs placés près
d'une chaunnére au milieu de la cour , et sous
fe couvert d'énormes pommiers peu élevés, et
dont les branches chargées de fruits se recour-
(x) C'est ainsi qu'on appelle les vergers clos de
haies, au milieu desquels se trouvent çà et là de rus-
tiques chaumières.
D'UN NATURALISTE. "7
boient vers la terre, furent les premiers prépa-
ratifs de notre délicieux repas. Quelques pièces
froides , l'amitié qui les présentoit, la contrainte
qui en étioit bannie , toutes ces prérogatives
attachées au séjour des champs , ajoutoient en-
core au doux plaisir de se voir réunis. Chaque
convive, de sa place et sans même se tenir
debout, pouvoit cueillir des fruits au dessus de
sa tête. Ce qui rendoit cetie halte plus intéres-
sante encore, et rapprochoit ce repas de celui
de l’homme naturel, c’est qu'à quelques pas de
nous, on voyoit chevaux , bœufs, moutons, les
uns étendus sur l'herbe , les autres la broutant,
et autour d'eux, pêle-mêle, des ouuls ara-
toires. Voilà de véritables fêtes champêtres, et
non point celles parisiennes , qui n’en ont le
nom que parce qu’on y trouve quelques guir-
landes de verdure , mais régularisées par Vart,
et dépourvues des graces de la nature.
La gaieté etla simplicité des assistans attürèrent
bientôt autour de nous la lourde génisse et sa
mère ; les oiseaux domestiques, le dinde et ses
peuts ramassoient avec soin les miettes de pain,
iandis que de jeunes porcs accouroient en bon-
dissant entr”eux, et se disputant les débris de
notre table, Ce spectacle où l’homme corrompu
ne sait trouver rien de charmant, étoit délicieux :
pour moi, et parfaitement conforme à mes goûts,
78 VOYAGES
Deux enfans du fermier égayérent la conver-
sauon par leurs saillies naturelles. Je pensois,
Ô mon fils, au premier langage de ton enfance !
Quelques parues de barres , un peu de mu-
sique que nous fimes sur le gazon en nous
servant pour pupitres du corps des pommiers,
alloient terminer la fête , lorsque la mélodie fut
interrompue par le bruit du canon. Nous nous
portâmes vers la mer, et nous apercûmes la
stauon anglaise vivement aux prises avec les
défenses redoutables du Havre, qu'ils assiégeoïent
depuis plus d’une heure. Le feu étoit roulant
et si nourri, qu'un coup n'attendoit pas l’autre;
et il y avoit réplique des deux partis. Nous
fimes témoins de cette belle horreur, et tres-
bien placés pour en admirer, sans aucun ris-
que, les effets, s'ils étoient moins funestes. Le
feu de chaque coup n’échappoit pas à nos regards
attenufs , et inquiets de connoître lissue du
combat. La fumée tourbillonnante de la poudre
évaporée formoit au dessus des batteries de
peuts nuages, qui bientôt agités par le vent se
dissipoient pour se confondre à lathmosphère.
Le bruit des bordées mugissant avec majesté ,
et appelant la vérité de lécho de notre côte,
remplissoit nos esprits de crainte @ d’amer-
time.
Nous quittâmes cet effrayant spectacle pour
D'UN NATURALISTE, 70
aller dans notre salle de verdure manger du pain,
et du lait caillé préparé proprement dans une
large et grosse terrine commune. Debouts pour
la plupart à ce repas pris à la hâte, nous cou-
ronnämes Ja fête par un retour au frais, et
guidés pas le clair de lune qui laissoit admirer
la hbéralité du Créateur, qui s’est veritablement
complu à former , pour le contemplateur , les
chemuns, pitloresques qui nous conduisirent
a Honfleur.
Nous repartimes le Jundi maun, après avoir
visité les moulins à cidre , composés de deux
meules horizontales que pressentun arbre à écrou.
Le jus de ces fruits tombe dans une met sem-
blable à celle du pressoir à vin, d’où il découle
dans des poincons destinés à le recevoir.
Nous arrivämes pour le dîner cliez M. Poulet,
où on nous servit des huîtres de la Hève, si
larges que trois couvrent une assiette ; elles sont
excellentes. Je sus de M. Poulet, qui en en-
voyoit autrefois à Paris à des amis, que chaque
huître rendue à sa destination revenoit à trois
hvres.
Le soir , s’éleva un orage qui me retuint à cou-
cher à a côte. I se renouvela trois lois, et dura”
dix-huit heures, sans disconunuerets’affoibhir en
aucune manière: 1l étoit si effrayant, que d’après
le rapport des anciens de la ville, onn’enéprouva
50 VOYAGES
jamais de tel. Les coups redoublés etrépétés par
les échos de la côte faisoient trembler la maison
qui nous réfugioit. Le tonnerre tomba en une
infinité d’endroits, sur des affüts de canon, sur la
fontaine du grand quai au Hâvre, sur des pom-
nuers qui furent fracassés, sur des masures qui
furent ébranlées jusques dans leurs fondemens,
enfin dans la mer, qui s’ouvrit avec peine pour le
recevoir.
Le samedi 25 août, nous fûmes témoins
d'ane fête donnée par ses enfans, à M. Poulet
père, et relative à son élargissement à l’époque
de la terreur. Les jeunes gens me prièrent de
faire quelques vers, afin d’intéresser la fête, et
je me félicitai de trouver l’occasion de prouver
ma reconnoissance à cette fanulle respectable.
À la fin de chaque couplet chanté en sanglotant,
on posoit une couronne sur la tête du bon papa,
blanchie par les années, et chaque acteur atta-
choit à son habit une pensée. Je ne pus tenir à
cette scène attendrissante , et j’admirai avec
émotion cet exemple de piété filiale. Le père,
en versant un torrent des douces larmes du sen-
inent, vint m'embrasser, etm’ouvrant son sein,
sans pouvoir articuler, il me remercia par
estes des beaux momens que je venois de lui
faire passer. |
Nous complétämes la fête par une partie de
£hasse
D'UN NATURALISTE. 81
chasse où nous fîimes des prodiges d'adresse, et
dont nous revinmes courbés sous le faix de notre
gibier.
A notre retour, nous fmes témoins d’une
puniuon infhgée à deux marins rebelles aux
ordres qui leur avoient été transmis par leurs
supérieurs. Cette sorte de punition s'appelle Za
calle humide. Elle consiste, au coup de canon
qui en est le signal, à précipiter du haut d’une
vergue dans la mer le patent attaché perpendi-
_ culairement à une corde, comme on le fau hori-
zontalement d’un lièvre qu’on met à la broche.
A peine plongé dans Peau, on l'en retire promp-
tement en le hissant à bord. Ils n’éprouvérent
que la contrariété d’être mouillés, si c’en est une
en été. Au reste, pour se consoler mutuellement,
les deux déserteurs allèrent aussitôt noyer dans
le vin le souvenir de leur ignominie, et s’eni-
vrèrent tous deux.
Le lundi 10 septembre, en me promenant sur
le bord de la mer, j'apercus les tristes débris de
trois bâtimens qui venoient d’échouer sur le ri-
vage, n'ayant pu résister à l’intempérie désas-
treuse de l’équinoxe. Je n’avançai sur la jetée
pour considérer de plus près ce spectacle d’hor-
reur. Un navire partagé, les tonnes de cidredonuil
étoit en partie chargé voguant sur les flots, tandis
que de petites barques alloient à leur rencontre;
Tome , F
82 VOYAGES
le maître du bâtiment déplorant son triste sort;
ces tristes eflets excitérent en moi une pitié bien
naturelle. Les matelots moins intéressés à cette
perte, réparoïent le temps perdu , et oubliant le
danger passé qui ne leur avoit pas permis de
prendre aucune nourriture, ils se disputoient
entr’eux du fruit qui complétoit la cargaison du
navire. On les voyoit mordre avec voracité
dans des pommes flottantes au gré des eaux , tout
en plongeant pour s'emparer des effets du
bâument , que leur pesanteur retenoit entre
deux lames.
Ces désastres n’étoient que les préliminaires
des suites de ce funeste équinoxe, qui s’annonca
sous les caracteres les plus effrayans. Un temps
sombre et lugubre, un vent impétueux et ter-
rible, un brouillard épais, puis successivement
une pluie rapide, tous ces avant-coureurs d’un
ficheux événement annoncoient la tristesse de la
nature, Les vaisseaux n’étant plus en sûreté dans
le port, donnoient à cramdre, dans leurs oscil-
lations forcées, qu'ils ne fussent brisés. L’Onde
salée, rebelle pour la première fois aux ordres
de son Maitre, franchissoit la jetée avec fracas,
et englouussoit sous ses volutes écumantes les
maisons de la rade. Tous les lieux étoient
inondés, et les vagues alüères se promenoient
Wanquilement, aprés leur effet furieux, dans les
D'UN NATURALISTE. 83
rues du Hävre. Les habitans affligés, courant cà
et là, portoient sur leur visage abattu l’em-
preinte de l'inquiétude. On étoit obligé, pour
marcher à pieds secs, de profiter de planches
égarées qui à l'aventure voguoient sur la surface
de l’eau.
Je fus du nombre des curieux , et j’allai con-
sidérer cette belle scène d'horreur. Le vent étant
trop impérieux pour pouvoir se tenir sans sou-
üen sur les digues, on se cramponnoit à des
pièces de bois de marine, ou autres objets
stables. C’est là que je vis de très-loin en pieine
mer s’avancer avec orgueil des montagnes d’eau,
diminuantde volume à chaque ascension ondulée,
venir enfin se briser contre les digues où nous
nous trouvions, et par leurs époudrins nous sub-
merger , sans qu'une course püt nous être salu-
taire , tant leur vélocité s’auachoit à nos pas.
Le tonnerre qui malgré le temps froid gron-
doit sans éclairs, limpiété , la coupable impiété
qui ne pouvoit se taire , l’eau des bassins dépas-
sant de beaucoup leur niveau, tous ces fleaux,
inconnus jusqu'alors , me firent rentrer en moi-
même , reconnoître la foiblesse humaine, et
plaindre les êtres téméraires qui osent insulter
à la Puissance divme, qui dirige à son gré les
effets de sa vengeance.
Les maisons mal assujéties trembloient dans
F 2
84 VOYAGES
leurs fondemens. Lé verre même ne pouvant
résisier à ces éruptions fougueuses, voloit par
éclats; l’ardoise se détachoit à chaque pas, et me-
nacoït le passant de sa chute incisive et funeste.
La mort aussi frappa des victimes : dix mate-
lots conduisant un sloupe touchoient à la rade,
et se flicitoient déjà d’avoir échappé au danger
éminent qui les poursuivoit depuis leur départ.
Les habitans sur la jetée les croyoient aussi dans
le port, lorsqu'un coup de vent fit faire capot à
l'embarcation. Tout l'équipage se mit à nager,
mais ne put dompter la furie des vagues dont
ces marins étoient le jouet; et après avoir vaine-
2ent lutié avec efort contre les flots, perdant
haleine, et d’ailleurs effrayés par les cris de pitié
des spectateurs, jugeant de leur péril sans pou-
voir leur porter de secours, tant la mer étoit fu-
rieuse, ils furent tous englouus. Îl ne resta d'eux
que dix chapeaux qui rappeloient aux assistans
leurs devoirs envers des familles éplorées qui
perdoient leurs protecteurs. On vit long-tems
ces malheureux, en perdant leurs Ho dé-
chirés par des nee contraires, S'avancant vers
une mort assurée, lever encore leurs bras impuis-
sans vers le ciel, et implorer de la terre un se-
cours qu'on ne put leur donner.
La mer vagabonde en dépassant ses limites,
les franchit aussi pour aller ravager les champs
D'UN NATURALISTE. 85
cultivés, et dans le retour impétueux et brusque
de ses vagues mugissantes , elle entraîna au mi-
lieu de ses gouflres et loin du rivage, soixante
moutons, leur pare qui fut déraciné, et le pauvre
berger qui pourtant eut la force de regagner la
terre à la nage. Le reste fut perdu, sans qu'il en
ait paru aucun vestige.
Le soir du troisième jour, quel contraste !
J’allai m’asseoir sur le bord de la mer devenue
calme , et tout-à-fait revenue de sa furie. Je con-
templai avec enthousiasme le coucher du soleil
dorant une parte des flots frémissans, et non
soulevés comme le matin par le vent qui étoit
alors très-doux. Le ciel azuré w’étoit plus sil-
lonné d’éclairs, un calme parfait avoit succédé
au tumulte des flots, etles sens rassurés goûtoient
un repos nécessaire : les fleurs flétries reprenoient
leur fraîcheur, et le chant des oiseaux célébroit
le retour du beau tems. En réfléchissant sur la
terrible puissance de Auteur de la nature,
j'étois pénétré de ses bienfaits qui dépassent de
beaucoup sa juste colère, lorsque je vis revenir
de la pêche quantité de petites barques rappor-
tant, selon leur coutume, une abondance qui
n’est jamais ralentie. Je profitai aussi des libéra-
lités du reflux pour ramasser une quantité consi-
dérable de productions marines, parnn lesquelles.
F3
"
e6 VOYAGES
se trouverent les zoophytes sertulaires (1), le
fongipore rameux (2), le fucus vert (3), etla den-
drite violette (4).
J'appris le soir un événement bien remar-
quable, arrivé prés d'Honfleur le premier jour
de l’équinoxe, et qui condamne ceux qui re-
fusent de croire à la prédestination. Au milieu
des vagues en fureur on aperçut de la jetée du
port de cette ville un bâtiment qui paroissoit
être dans le plus grand danger. La mer étoit st
houleuse que les marins d’ailleurs très-officieux ,
reconnoissant l'impossibilité de le sauver, et la
presque certitude de chavirer eux-mêmes, refu-
sérent à la première instance, mais s’y décidèrent
enfin d’après le vœu unanime des habitans.
Aprés avoir fléchi le genou devant le Dieu
des mers , après avoir imploré sa protection
puissante, ces hommes généreux s’embarquerent
(1) L'espèce appelée, par M. Pallas, docteur en
médecine, la cuscute de mer.
(2) C'est une production marine à Polipier.
(5) Plante marine de l’ordre des cryptogames, c’est
à dire, cachant leurs fruits dans l’aisselle ou l'étendue
de leurs feuilles : elles végètent au fond de la mer, et
prennent, d'après leurs formes, différentes déno-
minations.
(4) C'est une espèce de fucus.
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D'UN NATURALISTE. 87
dans une goélette, un canot n'ayant pu soutenir
la secousse des vagues sans être englouti, et
volèrent au secours des naufragés, tandis qu’au-
tour d’eux sombroient des pêcheurs et leurs
barques, à la vue de leurs femmes et de leurs
enfans réduits au désespoir.
Tous les spectateurs formoient des vœux pour
la réussite de cette entreprise périlleuse , et
suivoient des yeux chaque lame, si inconstante,
que le bâtiment paroissoit à chaque instant
devoir être englouu. Mais le ciel protégeoit leur
résolution : ils arrivèrent au bâtiment qui n’avoit
plus de conducteurs. Il paroît que le voyant
hors de manœuvre, les matelots se seront ris-
qués sur la chaloupe qui aura coulé, car on n°
plus entendu parler d’eux.
Ne pouvant ramener ce bâtiment tout dé-
membré dans la crainte qu'il ne leur devienne .
funeste, soit par un choc violent, soit par sa
masse qu’il falloit traîner, 1ls le laissérent vogver
au hasard , et reprirent route pour Honfleur.
Tout à coup ils entendirent des cris percans
quoiqu’étouflés , et aperçurent ! ! ! . .. un
homme échevelé luttant contre les flots, et prêt
à perdre courage.
Les marins allérent à lu, eteurent le bonheur
de lui sauver la vie. Cet homme, st étonné de sa
voir hors de péril, avoit perdu la parole. Ce ne
l 4
88 VOYAGES
fut qu'après quelques instans de repos qu'il leur
du qu'il combattoit contre les flots, et luttoit
avec la mort depuis cinq heures de tems, et que
quatre de ses compagnons avoient péri avec
leur chaloupe qui avoit chaviré. Quelle prédes-
unatuon merveilleuse !
Le samedi 22 septembre , on nous servit à
diner des Jamprillons (1) d’une délicatesse
extrème, et des poires de l’ambroise (2), les plus
beaux fruits que j'aie jamais vu, et de la gros-
seur d’une bouteille.
L’après-midi au milieu d’une fête , les matelots
furent appelés à une joûte singulière. Un mât
enduit de siuf pour le rendre glissant sortoit
horizontalement du sabord d’un vaisseau. Au
bout étoit arboré un drapeau , dont la prise
devenoit le signal de la victoire. Ce mat (3) étoit
à douze pieds au dessus de l’eau, afin que les
athlètes ne se fissent pas de mal.
Les uns au premier pas, d’autres plus avant
ne pouvant conserver leur équihbre sur un
cylindre si glissant, tomboient de toutes les posi-
üons dans l’eau, et reparoissoient aussitôt, puis-
(1) Petromyzon marinus, Linné; ou la Prycka.
(2) Pyrus sativa, fructu autumnali suavissimo, in
ore liquescente, "Tourn. Inst, 619.
(5) Appelé mat de Cocagne.
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D'UN NATURALISTE. 89
qu'ils étoient tous plongeurs. D’autres à deux
pas du drapeau chanceloïent, et au lieu de la
conquête de l’étendard, alloient cacher leur honte
en plongeant au fond de l’eau , et reparotssant
plus loin , sembloient y laisser jusqu’au souvenir
de leur inapüutude. Îl y en eut un cependant plus
heureux que les autres; tremblant d’abord,
mais ne se pressant pas, 1} atteignit l’objet de
tant de peines , le détacha du cable, le lanca
dans l’espace fier de sa victoire, et plongea
noblement dans l’eau , puis reparut avec le signe
de son triomphe au muihieu d’applaudissemens
universels , et d’une musique guerrière qui
célébra son adresse. On ternuna la fête par un
combat naval et une descente , enfin par unc
prise de place, dont on fit la ficuon pour exercer
les troupes.
Un de mes pêcheurs habriués m’apporta pour
dessiner plusieurs poissons de mer au nombre
desquels se trouvoient , le crapaud (1), le con-
gre (2), l’orphie (3). Dans l'estomac du premier
() Scorpæna horrida, Linné. Ce poisson a la tête
aussi volumineuse que le corps. (‘Tome Ier., pl. 4,
fig. 2).
(2) Muræna conger, Linné. Poisson apode et
anguilliforme.
(3) Ce poisson appelé aigurllette en Bretagne, est
aussi nommé béone. On le pêche depuis mars jusqu'en
go VOYAGES
je trouvai de petits crabes entüers à moitié di--
gérés , et dans le congre plusieurs crevettes (1).
Ainsi ces animaux destructeurs des espèces au
dessous d’eux , subissent la même loi, et sont
dévorés eux-mêmes par le premier requin qui
les rencontre. J’y remarquai aussi le rouget (2),
poisson très-délicat , et très-reconnoissable par
la structure de sa tête ; la loche de mer (3) aux
reflets dorés et brillans. Ce même pêcheur
in’engagea à aller examiner chez lui deux pois-
sons trop gros pour être transportés. Le premier
étoit une roussette (4) de la fanulle des chiens
juin, à la clarté des flambeaux , au moyen de fouanes
ou dards en räleaux.
(1) La crevette franche ou chevrette, ou salicoque,
Gibba squilla , est un petit crustacé de mer plus menu
que la squille que l'on fait cuire comme les écrevisses.
(2) Mullus barbatus, Linné,
(5) Ou aphye marine. Gobius aphya , Linné;
Aphua cobites, Willughb., Bellon.; Gobius uncialis,
Pinnä dorsi secundä ossiculorum septemdecim,
Arted.
(4) Ou chat marin ayant une nageoire derrière
l'anus, et des trous aux tempes. Par une prévoyance
admirable de la nature, cette espèce vorace ne fait que
neuf à treize petits à chaque portée. Elle attaque
jusques aux pêcheurs lorsqu'elle est affamée. Sa chair
a le goût de muse. C'est avec leur peau teinte en vert
ou autre couleur, que se fait le galluchat dont les,
gainiers font un grand usage,
D'UN NATURALISTE. (eh
de mer, à peau rude et sans écailles ; et l’autre,
la taupe de mer (1), animal de six pieds et demi
de longueur , ayant trois rangées de dents, et
pesant deux cents livres. Ces poissons dont la
chair est peu esumée se vendent aux pauvres
gens encore assez cher ; enfin la mustelle (2).
J'augmentai le soir ma collection de poissons
en allant sous la Hève y attendre l'instant de a
marée. Je rapportai le maquereau (3), poisson
très-connu et très-recherché pour sa délicatesse ;
la squille-mante, dont on fait beaucoup de cas (4);
le coquet (5), intéressant par la variété de ses
couleurs changeantes. Plus riche en parure qu’en
saveur , le coquet cache sous des dehors brillans
(1) Ce nom lui est donné au Hävre par les pêcheurs;
c'est un chien de mer (pl. 3) qui a beaucoup de res-
semblance avec le trés-grand de l'Encyclopédie, par
ordre des matières, planc. 7, fig. 19, à la différence
cependant que la taupe de mer n'a sur les côtés que
quatre évents ou boutonnières (Expiracula) et deux
nageoires dorsales.
(2) Mustela vulgaris, Rondel., Willughb.; Gadus
mustella, Linné ; Gadus dorso dipterygio, sulco magno
ad pinnam dorsi primam, ore cirrato, Arted., Gronov.;
à Venise, Donzelina, sorge marina ; en Angleterre,
Wistle-fish.
(5) Scombrus, scomber, Linné.
(4) Squilla marina.
(5) Poisson du genre du clupe.
92 VOYAGES
une chair insipide. Le chien de mer (1), poisson
dont la peau est employée par les menuisiers ; 1l
se vend à vil prix aux pauvres gens. Le bar (2),
dont les gourmets font grand cas. La lune (3)
qui porte sur chacun de ses flancs, au milieu
à peu prés et au dessous de l'épine dorsale, une
tache circulaire d’un brun veri de la forme de la
lune lorsqu'elle est à son plein. Ce disque est,
ainsi que celui de l’astre nocturne, environné
d’un cercle d’un jaune pèle, qui l’éclaire et
dessine plus nettement la principale tache, On
voit cà et là une quantité immense de peuies
marques que l’on peut comparer aux étoiles.
La vielle (4), dont la chair est peu délicate ; sa
robe est nn assemblage merveilleux de nuances
etde dessins différens. Le coloris en est éclatant,
ei on y admire sans mélange plusieurs des cou-
(1) Le griset dont les caractères particuliers sont,
six évents ou boutonnières de chaque côté, et une
seule nageoire dorsale.
(2) Poisson recherché par les gourmets.
(5) Zeus faber.
(4) Ou tanche de mer, poisson du genre du labre.
Labrus tinca, Linn. Labrus rostro sursum reflexo ,
caudà in extremo circulari, Arted.; ‘Turdus duode-
cimus, in provincia vuled Vielle, Gesner, Rondel.;
Turdus vulgatissimus, 'linea marina venetis, Wil-
lughb : en Angleterre, Wrase, Old-wife et Gyvrach.
D'UN NATURALISTE. (eh
leurs primnuves. Enfin le lèvre (tome I«.,
Dis in).
J’étois occupé à dessiner ces divers poissons,
lorsqu'on vint n'apprendre qu'il n’étoit plus
pour moi d'espoir de parur par le Hävre, et
qu’on me conseilloit de profiter d’un parlemen-
taire qui alloit faire voile de Bordeaux pour
Charles-Twn. Il fallut se décider à changer de
projet, et comme je pouvois disposer de quel-
ques jours, j'allai au sein de ma famille y passer
uniems, dont moiué fut consacrée à commencer
un ouvrage qui m'avoit été demandé sur la
culture du safran, et qui depuis mon retour a
été accueilli avec indulgence par l’Insutut, aux
lumières de qui j'ai eu l'honneur de le soumettre.
J'eus également occasion d'observer une fouine
privée dont je dois parler ici, bien persuadé que
ce récit ne pourra qu'intéresser le lecteur.
94 VOYAGES
VIE PRIVÉE
DE FOLLETTE.
C: n’est plus de l’animal carnassier, méfiant ,
farouche, évitant les regards des hommes, du
iyran des basses-cours et des colombiers dont
j'ai à décrier les sanguinaires habitudes ; plus
soumus et plus doux, l'individu dont je veux
parler est affable, caressant et attaché principa-
lement aux personnes de la maison où 1l recoit
l'hospitalité. Badin, excitant dans ses folâtres
exercices , 1l force le phlegmatique Carlin à ré-
pondre à ses jeux , en sautant par dessus,
grumpant, lui léchant le museau, enfin lui se-
couant les oreilles comme pour mieux le sorur
de sa froide indifférence. A cela près de quelques
coups de pattes qu’il recoit toujours en bonne
part, sans riposter , 1l décide le chat [ui-même à
quitter cette torpeur engourdie qui le rend si
maussade à un certan âge, et l’oblige à partager
sa galeté.
La fouine dontla description devient inuule
parce qu’elle est trop connue, cet animal à tête
‘ Jo UD wo ad JAP] JS anod UIFAB > dus juvrsur
P, S SUNO J C'T
D'UN NATURALISTE. Où
fine et triangulaire , au corps souple et'alongé ,
aux jambes très-courtes, à l’œil pénétrant, vif
etrusé, à queue noire et touflue pour mieux
contraster avec le brun-gris cendré de sa robe,
au bond léger, galope ou saute plutôt qu "elle
ne marche. Pourvue d'ongles très-aigus, elle
grimpe avec facilité le long des murs, et va
chercher à exercer son empire dévastateur dans
les basses-cours ou colombiers, dontla plus petite
ouverture assure un accès certain à cet animal
souple, et qui s’alonge à volonté. Mais ce n’est
que dans l'obscurité que la fonine se met en
marche. Ses sanglantes exécutions se font la
nuit lorsque tout repose, et que son œil n’a
plus à redouter celui de homme.
C’est un trés-bon chasseur, point d’affût, car
elle n’en a guère la patience comme le chat,
mais par surprise. Le bruit qui accompagne ses
incursions, lui fait souvent tort; elle n’a point
Ja modérauon, n1 la prudence de la belette et
.... elle est
agile , et peut impunément braver le danger. En
attendant ces risques à courir, la voilà dans le
du putois; que lui imporie?..
poulailler qui reconnoîit sa proie, étrangle sans
miséricorde, pille, mange les œufs dont elle est
particulièrement fort avide; n’a de pitié mi pour
les âges, n1 pour les sexes; inonde de sang le
théâtre de son carnage, et entraîne au loin une
96 VOYAGES
parue de ses vicümes, dont elle cesse le trans-
port aux approches du jour , et dès les premiers
mouvemens qu’elle entend dans la maison. Elle
se reure alors en paix dans les greniers si c’est
l'hiver, et y jouit du prix de sa cruelle victoire,
en contemplant avec joie le monceau de ses
victimes.
Comme les bêtes fauves de rapine , elle a lo-
gement d'hiver et logement d’été. Ainsi hiver,
étant la terreur des basses-cours et des colombiers
où elle exerce un ravage complet, lété, elle
devient, dans les bois qu’elle habite, le tyran
puissant et féroce des peuplades ailées et des
quadrupèdes. Elle surprend Poiseau sur ses
œuls!...... et voila toute une famille éteinte !...
Egalement Peffroi des garennes, elle les dépeuple
en peu de tems des lapereaux , et même des vieux
lapins qu’elle surprend au gîte, et sur lesquels
eile s’élance en s’y cramponnant avec opimätreté
jusqu’à l’'enuère effusion de leur san
g.
Si on lui donne la chasse au basset, quoique
plus agile et plus légère que le chien, elle ne se
fie pas à la rapidité de sa course , et saitfort bien,
par prudence, échapper au lancer, et tromper
les poursuites en s’élancant de terre dans un
arbre creux pour faire perdre le train à ses per-
sécuteurs, ou bien, à défautdecette retraite, en se
branchant dans un arbre, Des chiens arrivent au
pied,
D'UN NATURALISTE. q7
q
pied , mais elle insulte à leur impuissance,
semble les mépriser, les nargue avec dédain,
jusqu'à ce que le chasseur, accourant aux
aboiemens redoublés de sa meute, la pumisse à
son tour et de son manque de prévoyance, et de
sa témérité. Si le coup de feu n’a fait que la
blesser, et que les chiens fondent sur elle pour
la déchirer , elle les mord et s’élance sur eux
avec fureur, se défendant jusqu’à la dernière
extrémité avec le même courage et la même in-
trépidité.
= Voilà donc un animal en liberté , très-irras-
cible, vengeur du plus léger outrage, agresseur
même en certains cas; eh bien! qui le croiroit ?
la fouine à qui un célèbre naturaliste refuse La
familiarité, cet animal tyran par caractère a su
Je plier, et provoque par ses caresses les bonnes
graces de ses maîtres. Le chien lui-même, cet
amu fidèle et sensible, ne témoigne pas plus
d'affection que cette fouine dont j'écris la vie, et
qui est âgée de quatre ans, et apprivoisée depuis
l’âge de six mois. Elle n’a point l'arrière trahison
du singe que la domesticité captive ne fait que mas-
quer ; insensible aux caresses , n’obéissant qu’au
châtiment, 1l n'aime son maître que par spécula-
tion de gourmandise. Cette fouine au contraire,
n’a pas besoin du ton impéraufnécessaire envers
le quadrumane pour s’en faire obéir; celui de la
Vous FE, G
oë VOYAGES
douceur coïncide mieux avec ses principes. Âü
seul mot de Follette , elle accourt sur-le-champ
comme le chien le plus fidèle et le plus attenuf à
la voix qui l’a appelée. Si c’est un étranger , elle
le flure , cherche à s'assurer de ses intentions, et
pour se les rendre favorables, elle le Ièche dou-
cementsans d’abord s’xbandonner, puis retourne
à l’un de ses habriués , comme pour s’assurer de
Jui si elle peut sans crainte se livrer à l’inconnu.
Qu'il l'appelle alors sans crainte de refus , elle
y vole, et recoit des alimens qu’elle avoit d’abord
refusés de sa main étrangère, Elle les mange
devant lui, et fait mille singeries , voulant
par là le remercier , et lui indiquer sa recon-
noissance. Elle va ensnite retronver ses maîtres ;
c’est alors qu’elle redouble de caresses , qu’elle
affecte même de leur prouver qu'its sont ‘plus
aimés encore , voulant par ces manières aimables
dissiper jusqu’au moindre soupcon de jalousie.
On verra par les traits suivans, que Valmont
Bomare a prononcé trop tôt, d’après Buffon , sur
le caractère de cet animal.
« La fouine , dital, prise jeune, s’apprivoise
» à un certain point, mais elle ne s'attache pas
» et demeure toujours assez sauvage pour qu'on
» soit obligé de la tenir enchaïnée. M. de Buffon
» en a élevé une qui s’est échappée plusieurs
» fois de sa chaîne : les premières fois, elle ne
D'UN NATURALISTE. 99
s’éloignoit guère et revenoit au bout de quel-
ques heures, mais sans marquer de la joie,
sans attachement pour personne ; elle deman-
doit cependant à manger comme le chat et le
chien. Peu à peu elle fit des absences plus
longues, et enfin ne revint plus. Elle avoit
alors un an et demi , âge apparemment au-
quel la nature avoit pris le dessus , dit M. de
Bufon. Elle mangcoit de tout ce qu’on lui
donnoit, à l’excepuon de la salade et des
herbes. On a remarqué qu'elle buvoit fré-
quemment, qu'elle dormoit quelquefois deux
jours de suite, qu’elle étoit aussi deux ou
trois jours sans dormir , et que pour lors elle
étoit toujours dans un mouvement continuel,
Tout ceci suppose un animal agile, éveillé,
jaloux de sa liberté. Les vieilles fouines cher-
chent toujours à mordre , et refusent toute
autre nourriture que la chair crue ».
Je vais commenter une parte de ces observa-
üons par d’autres.
Nous avions remarqué que Folletite n'aime
point l'esclavage , et que le moindre lien qui en
est le symbole, inquiète et la tourmente; c’est
pourquoi dans les premiers jours on la laissa
parfaitement libre dans les chambres. Elle n’a-
busa point de notre confiance, si ce n’est un
jour qu'après avoir volé un perdreau dans ma
G 2
100 VOYAGES
carnassière, le sentiment de l’objet de son perr-
chant naturel lui ayant dit sûrement d'aller
manger au loin sa rapine, elle s’éloignoit déjà
fière de sa proie, lorsqu'un passant qui lui fit
peur la lui fit lâcher. Elle se déroba bientôt à nos
regards, et Pivresse de respirer un air libre la
rendit pour cette fois sourde à nos voix.
Plus de Folleue ! Désolauon universelle. Tous
les gens de la maison sont sur pied, mais ou peut-
elle avoir été, se demande-t-on ? Où laisse-t-elle
les traces de son passage? Peut-être a-t-elle ren-
contré un frère, une sœur pour la guider dans
sa marche incertaine? Son pied léger a déjà
franchi les murs et les toits, et l’on n’entend
plus le bruit trop sourd du grelot de son collier.
Pourquoi ne lui avoir pas attaché plutôt une
pelte sonnette, se disoit-on ? n'avoir pas prévu
un semblable événement? La consternauon de-
venoit générale; il sembloit qu'avec elle, elle
ermportoit tous les'agrémens de la maison.
Déjà deux jours s’étoient écoulés , deux jours de
deuil, deux jours de regrets; en vain le tambour
en avoit publié la fuite à tout le village : un des
habitans vient annoncer qu’une fouine qui paroît
inquiète et pousse de peuts cris, se promêne sur
son toit, où elle va et vient de long en large, sans
sembler vouloir changer de desunauon. Nos en-
fans, les plus alertes, sont les premiers rendus à
D'UN NATUÜRALISTE, 101
la maison du villageois. Follette avoit déjà en
tendu leur voix qu'ils n’avoient pas encore paru.
Aouée, cherchant de tous côtés à reconnoître
d’où venoient ces sons chéris , quelle fut sa joie
dès qu’elle reconnut ses jeunes bienfanteurs ! Le
tait n’est pas plus promptque son élan vers eux ;
elle a parcouru le toit avec la rapidité de éclair,
s’élance vers les enfans, et par une plainte paru-
culière etjusqu’alorsinconnue, réservéesürement
aux circonstances d’attendrissement., elle leur té-
moigne alternativement le plaisir de les revoir
en les léchant sans repos, et sautant d’une
épaule à l'autre pour mieux manifester toute
l'ivresse qu’elle ressentoit d’avoir retrouvé ses
deux petits amis. Voilà, je crois, des preuves d'in-
térêt, d’attachement, de joie et de sensibilité,
Follette sent fort bien l'heure du repas arriver,
el comme ce sont les trois époques du jour où
clle est admise en pleine société, et qu’elle est
trés-sensible à cette faveur, elle la réclame dès
le premier coup de la cloche en se présentant au
treillage de son angar, où elle est en pleine l-
berté. Elle mamifeste son désir par un peut cri
planuf qui se change en murmure si on tarde
à lui ouvrir, preuve incontestable d’une familia-
ré volonture. Cependant, quoique grondant
fort, elle ne conserve aucun ressenument, et sa
colère s’évanouit aussitôt qu’on se présente pour
G 3
102 VOYAGES
la prendre; et loin de chercher à mordre, elle
joue imcontinent, etlèche son hbérateur. A peine
introduite dans la salle à manger dont elle à
prestement fait le tour pour s’assurer des loca-
liés, elle témoigne sa joie de se trouver en aussi
bonne compagnie, premièrement à Carlin , son
favori ; le caresse, l’excite, et en redoublant, sa
gaieté semble lui reprocher cet abord glacial
si peu digne de ses démonstrations amicales ;
enfin, Carlin s’animant peu à peu, réfléchit en
bäullant qu'il faut jouer aussi, se prête à tous
les caprices de Follette, qui, se huchant sur son
dos, se laisse ainsi promener , mais lui lèche les
oreilles, ou lui cherche les puces pour se mettre
au niveau de sa complaisance. (Tom. Eer, pl. V.)
Elle renouvelle ensuite connoissance avec les
chats, pas aussi badins, et en recoit le plus
souvent des coups de griffes , qu’elle supporte
sans se revancher. Un seul est son ami, et se
plaît à mignarder avec elle , et faire assaut de
genullesses ; mais Follette , la trop aimable Fol-
lee, de Pavis général, a toujours plus de
sraces , plus de souplesse, plus de délicatesse,
et jamais les culbutes forcées où le chat, toujours
dans son caractère, cherche à blesser, ne son-
geant plus qu'il joue.
Répondant à la voix comme le chien, elle
s’élance sur la table dès qu’on lui permet,
D'UN NATURALISTE, 103
et passe dans l'intervalle des plats avec une
dextérité et une vitesse surprenante. Elle n’a
point de réserve pour certains alimens ; elle
mange de tout, mais elle aflecte des préférences
pour certains mets dont elle est très-friande.
Par exemple, elle aime passionnément le laitage,
surtout lorsqu'il est sucré. Le riz au laut, les
crêmes au café, chocolat et autres, les crêpes,
gaufres et sucreries en général. Un morceau
de sucre lui étant présenté, on pourroit par
ce moyen la faire suivre par-tout , et obtenir
même des supphicauons particulières. Lécher plus
ou moins doucement , annonce plus où moins
d’affecuon , plus ou moins de reconnoissance.
Elle aime beaucoup le pain tendre en bou-
lettes , les noix , les fruits , le fromage à la crème
qu’elle lape surtout avec avidité; la viande, le
poisson , les sauces de toute espèce; les légumes,
comme haricots, épmards, cardons, salsifis et
autres, lui sont bons, et satisfont son goût et son
appéut. Elle mange des salades récemment assai-
sonnées ou confites , telles que laitue, romaine ,
cresson, escarole, chicorée sauvage, céleri et
autres ; enfin elle est omnivore.
Follete à un goût particulier pour la rhu-
barbe; 1l y en avoit sur une table, en infusion
dans un pot à l’eau; elle s’élanca d’abord avec
empressement pour y introduire le museau, ei
np
CG {|
“
«
104 VOYAGES
boire à même; on la laissa faire pour s'assurer
de ce caprice singulier : puis l'ayant repoussée,
elle revint toujours à la charge, remontani
adroitement et avec célérné le nouet de linge
qui Ja renfermoit, à l’aide de ses pates de
devant, setenant, à exemple du singe , sur celles
de derrière. On fut obligé de se fâcher pour
f'empècher d’être plus long-tems importune,
et de ini montrer le fouet dont elle est fort
crainuve.
Volleue s’accommode très-bien de l'usage des
trois services , elle mange peu , mais elle aime à
goûter de tous les plats. Sautant d’une assiette à
l'autre, elle rend une visite intéressée à chaque
convive; et pour salut d’abord, elle le lèche
afin d’être autorisée à choisir dans son assiette
iout ce qui peut lui être agréable. Elle atüre
avec sa patte le morceau qu’elle a choisi, ou le
mange tout bonnement sans le déplacer , et fait
ensuite des culbutes pour payer son écot.
Après le potage qu’elle lape fort lestement,
elle mange ragouts et entremeis ; suce fort
délicatement les petits os qu’elle finit par cro-
quer, moudre et avaler. Quand on lui donne
du raisin, elle en témoigne sa joie par mille
genullesses en le mangeant, genullesses qu’on
aime à fixer et à suivre des yeux, et qui n’ont
point l'imconvénient de rencontrer la maussade
D'UN NATURALISTE. 10)
et hideuse figure du singe , imitateur par excel-
lence.
Folletie esi si bonne de caractère qu’elle se
laisse reurer de Ja mâchoire le manger , mème
en tituration, par le grave Carlin qui bat en
retraite et l'emporte très-phlegmatiquement, le
tout sans rumeur de part et d'autre. Souvent
même, devenue plus audacieuse, elle paie Carlin
du même front, qui par représalle use envers
elle de la même douceur. Quand elle n’est pas
troublée dans sa mastication , elle s’en acquitte
avec grace, mächant très-vite, et toujours aux
écoutes , non point tant par Crainte que par une
suite de son caractère vigilant et sensible. Si le
mets est un de ceux qu’elle préfére, elle le
prend sur un autre ton; ce n’est plus cette dou-
ceur d'habitude pour les alimens ordinaires ,
mais elle gronde d’un ton de colère, et a par fois
un Cri aigu et très-fort, sans méchanceté
pourtant, quand bien même on voudroit lui
ravir. Son inienuon n’est que de faire peur.
Elle lape pour boire, parce qu’elle a la ba-
bine ou lèvre inférieure moins longue que la
supérieure.
Un jour au dessert, elle nous donna la co-
médie. Après avoir visité tous les plats, et en
avoir mangé ce qui Jui plaisoit (car on la laisse
agir à son aise), elle arriva à une assiettée de
106 VOYAGES
de noix ; comme elle en est très-friande , on crat
qu’elle alloit en manger. Comment va-t-elle les
casser, disoit l’un ; ce ne sera point en les frap-
pant à terre ou avec une pierre , comme le singe,
disoit l’autre ; elle trompa toutes les conjectures;
et après avoir Ôté une à une toutes ces noix,
elle se coucha en boule dans l’assiette où elle
resta plusieurs momens bien tranquille , puis
s'échappant en sursaut sans qu'on ait fait le
moindre mouvement, on s’apercut qu’elle avoit
uriné dans ce nouveau berceau où son extrême
propreté ne lui permettoit pas de rester plus
long-tems.
Lorsqu’après les repas on veut la rentrer dans
sa loge, elle prévoit cette contrariété , et cesse
d’'accourir à da voix qui l’appelle avec plus
d'instance que de coutume; mais, afin d’inté-
resser, l’action, on met Carlin à sa poursuite,
qui, tout en jouant, parvient à la coiffer; on
va la prendre alors sans peine. La pauvre Follette
désolée fait ses adieux à celui qui s’en empare,
le lèche, et paroît toute confuse d’être éloignée
de Ja société. Pressentant sa capuvité prochaine ,
elle ne veut plus manger de ce qu’on lui offre,
tant elle a le cœur gros, et tant elle aime la
compagnie , et craint la solitude. À peine la
porte de sa retraite est-elle ouverte, qu’elle
s’élance des bras de celui qui la porte , et court
D'UN NATURALISTE. 107
cacher sa honte dans son foin d’où elle ne repa-
roît plus à ses yeux. Elle s’y recouvre si bien,
qu'on ne peut plus retrouver le même trou qui
lui a servi d'entrée, et quoiqu'inquiète par
caractère, elle se laisse approcher , bercer dans
ce foin, défiant au chercheur le plus habile
d’être plus rusé qu’elle, et étonnée toujours
d’être enfin découverte. Alors elle se reconnoît
vaincue , et se laisse prendre sans remuer.
Il paroït que se meitre en boule, en se
roulant sur elle et jouant avec sa queue, est
un de ses grands amusemens , car on la voit
presque toujours occupée à Ces exercices , même
lorsqu’elle est seule : elle entreméle alors avec
ses pattes, linge , papier et tout ce qui se trouve
auprès delle , afin de se rendre invisible , ou-
bliant que son mouvement la décèle toujours.
Je l'ai examinée plusieurs fois dans sa loge,
où je la voyois, soit dormir, ou jouer, ou se
baigner , ce qui léloigne bien du caractère
moral des chats. Elle fait des bonds très-vifs au-
tour du vase qui contient l’eau, y trempe une
pate, puis l’autre, enfin d’un saut la voilà
dedans , d’un autre dehors , se secouant, et pre-
nant mille élans plus gracieux les uns que les
autres.
A l'exemple du chat, elle joue avec la souris
108 VOYAGES
qu’elle a prise ,mais n’est point aussi cuelle que ce
iyran domestique qui lui donne nulle morts
par ses jeux perfides , en lui laissant et ravis-
sant tour à tour l'espoir de fa vie. Follette com-
mence à lui appliquer le coup de dent , et
après sa mort joue avec, comme elle le feroit
de tout autre objet. Elle sait fort bien disun-
guer un doigt qu'on lui présente d’un morceau
de char , car elle le lèche, le mäche douce-
ment pour jouer et en faisant la bascule, mais
ue mord jamais.
La fouime, ainsi que le renard , marche le nez
au vent; aussi disungue-t-elle , même avant
d'être introduite dans le salon quand il y a un
étranger parmi nous. Elle devient plus umide,
et est alors plus avare de ses genullesses ; car.
cette arrivée imprévue l'intrigue au point, dès
son entrée dans l’appartement , de la faire tenir
long-tems debout, appuyée sur ses paties de
derrière , pour examiner le nouveau visage, en
penchant l'oreille comme pour mieux fixer son
attenuon, et ne perdre aucun des mouvemens
de l'inconnu; bientôt elle reprend ses habitudes,
Livrée à elle-même dans un corridor dont
ious les appartemens étoient fermés, elle sut
disunguer la porte de la mañtresse, gratta, et
se plaignit jusqu'à ce qu'on lui eùt ouvert; ce
D'UN NATURALISTE 109
qui détermine une familiarité purement volon-
‘taire, et nullement contrainte.
Ce qui prouve qu’elle n’agit point matérielle-
ment, et qu'elle sait fort bien distinguer les gens
de la maison, c’est que dans un grand eercle de
beaucoup de dames toutes parées, sa maîtresse
s'étant cachée parmi la socicié, Follette ne fut
pas un seul instant la dupe de cette supercherie ;
elle alla droit à elle sans être appelée, redoubla
ses caresses, lui annoncant que par-tout elle
sauroit la reconnoitre, et lui témoigner son atta-
chement pour elle, En vain voulut-on par des
déplacemens réitérés, par l'absence même de sa
maitresse, chercher à surprendre son instinct
et le mettre en défaut, lesdéplacemens devenoieat
inutiles à la reconnoissance, et l'absence ne
faisoit que lui causer de vives inquiétudes et Îa
plus sèche froideur. Elle étoit taciturne, de-
ploroit son malheur, tapie sous quelque fauteuil,
et y restoit constamment Jusqu'au retour de
étre qu’elle chérissoit. Sa présence ranimant
à l'instant sa gaieté et sa confiance, elle sortait
de son état taciturne pour aller témoigner à sa
maîtresse sa joie de la voir de retour.
Follette aime beaucoup à se tenir sur fa tête
de ses privilégiés , elle y reste immobile quelques
änstans , ayant la forme d'un casque dont sa
FIO VOYAGES
queue forme la crinière. Elle passe ainsi d’une
tête à autre , etlorsqu’elle est vis-à-vis le cordon
de la sonnette , elle s’élance; et quoique sus-
pendu et trés-petut, elle se retient au gland.
Le son une fois produit, lui causant proba-
blement quelque plaisir , elle s’y laisse pendre
et fait autour du cordon vingt tours de passe-
passe pour occasionner de nouvelles secousses,
et produire de nouveaux sons.
Folleue quitte bientôt ce genre d’amusement,
et grimpe en un chn d'œil au plus haut des
jalousies , d’où elle redescend avec la plus grande
adresse. Quelquefois de l'endroit le plus élevé
elle se plaît, à la manière des chats, à se laisser
tomber sur ses pattes, par un mouvement spon-
tané qui fait prendre à son corps le centre de
gravité.
Sa souplesse est telle qu’elle forme aisément
un nœud de son corps. Elle se moule plusieurs
fois autour des barreaux d’une chaise, avec une
ielle prompütude que l'œil peut à peine suivre
ses mouvemens. D'autre fois, diversifiant son
exercice pour nous le rendre plus agréable, elle
écarte les jambes, et cache sa tête sous sa queue
qui la recouvre, de manière à faire croire que
c'est une boule. Au moindre bruit elle change
tout à coup de position, etse trouve subitement
sur ses pattes. Alors qu'elle est ainsi disposée à
D'UN NATURALISTE. 11
lolâtrer , elle provoque, et agace les animaux
quand ils ne veulent pas jouer , saute, repasse
dessus les chats, les chiens, jusqu’à ce qu’au
moins ils donnent signe de joie ou de mécon-
tentement. Elle ne se rebute pas, et tâche par de
plus douces caresses, en léchant par exemple, de
les intéresser en sa faveur.
Soit curiosité, soit un hasard qui produisit ce
mouvement, un jour qu'elle trouva le forte-
piano ouvert, elle toucha plusieurs notes , et
sautant à chacun des sons, elle se plut à faire ce
peut manège assez de tems pour faire croire
qu’elle y prenoit plaisir. Une corde vint à casser,
elle fit un bond très-haut , mais sans s’effrayer.
Elle voulut seulement chercher à découvrir la
cause de ce bruit imprévu. Elle grattoit avec ses
pattes sur la table, mais avec tant de vitesse que
craignant pour le poli de l’acajou , et jugeant les
résultats de l'expérience de Follette trop discrets
pour nous , on prit la liberté de envoyer jouer
plus loin. Elle revint aussitôt ; mais, pour la
détourner de ce projet, on lui présenta un mor-
ceau de sucre qui nuit fin à ses chservauons.
Sa conduite humble et douce envers un do-
mestuique Chargé du soim de lever les ordures
qu'elle fait toujours dans la même place, et qui,
suivant l’usage , commencoit à s’en lasser , et fa
T12 VOYAGES
traitoit durement, nous fit voir qu’elle n’est pas
rancuneuse, Elle le reconnoissoit de préférence ,
sautoit sur ses épaules dès qu'il approchoit ,
urondoit seulement un peu lorsqu'il sembloit
vouloir la prendre, ne se rappelant que trop de
ses étreintes cruelles ; puis oubliant le mal passé,
elle le léchoit pour le désarmer et distraire sa
mauvaise humeur. Elle se laisse par lui sus-
pendre par la queue, et balancer, puis re-
monte d’une secousse autour de son bras, en
jouant avec lu.
Nous la vimes un jour dans une cruelle per-
plexité : j'allois parur pour la chasse aux bois ;
d’autres chiens courans que les miens entrant
subitement, et apercevant Follette, qu'ils n’a-
voient jamais vue, s’élancent en donnant de la
voix; mais celle-c1 rusée et prudente se préci-
pite sous le poële où elle se tapit, sans craindre
leur fureur : nous eûmes le tems de les mettre
en lesse, et de les faire retirer. La pauvre petite
F'ollette sorut bientôt de son repaire , et, à sa
manière accoutumée, vint par ses caresses re-
doublées annoncer combien elle nous avoit
d'obligation de lavoir échappée à un danger
aussi éminent. Son cœur battoit encore.
On voit, par ces faits historiques , que les
aflecuions sauvages de la fouine, miugées par
ce
D'UN NATURALISTE. 113
éducation , la rendent très-suscepuble d'ap-
privoisement. Quelle différence de Follette po-
licée , où de Foliette primitivement sauvage !
Inquiète et méfiante, on tente en vain, dans
ce dernier cas, de la surprendre même à l’affü,
pour peu qu’elle entende respirer.
Nous n’avons remarqué chez Follette , lors-
qu’elle joue avec des animaux de sexe différent,
aucun signe de prurit; et dans sa pétulance ac-
uve, même au mulieu de ses plus vives caresses,
elle ne se permet aucun acte de lubricité.
J'ai dit plus haut que Follete, à la vue d’un
être d’un sexe différent, n’éprouvoit aucun désir,
ou du moins qu’elle n’en mamiestoit point
l'impression, parce qu’encore trop jeune, elle
n’avoit pas éprouvé les besoins de la nature dans
les uullations du rut; mais l'expérience n'ayant
convaincu que Folleue étoit un très-beau et bon
mâle, je m’appliquai à le suivre dans tous ses
mouvemens , et à l’étudier dans les progrès de sa
première passion. Un jour donc que nous éuons
à table, c’étoit vers le 18 mars, une femme de
chambre qui probablement étoit dans un tems
critique Ou autrement, vint à passer dans la
salle à manger ; Follette la suivit à la piste, jusqu’à
ce qu’elle eut ouvert la porte du corridor qui
conduison à l'appartement où elle avoit affaire,
Tone I, H
114 VOYAGES
Elle se dégageoit des caresses multipliées de
lamoureux persécuteur, et, l’ôtant de dessus
son épaule, elle voulut le jeter dans la salle pour
se dérober à son importunité; mais elle n’eut
pas le tems de fermer la porte , que Follette s’est
élancé sous ses jupons, et, sans la mordre, ne veut
plus la quitter : la femme de chambre interdne
veut repousser lindiscret d’une main trop
hardie, puisque se voyant rebuté, il la mordit
à plusieurs reprises, tellement enfin que mon
père, qui voulut lui faire lâcher prise, fut mordu
Jui-même d’une manière wès-sérieuse. Que
faire? Le sang risseloit et crioit vengeance ;
mais le souvenir du caractère de Follette parloit
encore en sa faveur , et appaisoit les murmures
des autres domestiques accourus au bruit pour
porter des secours à la femme de chambre, qui
s'étoit évanouie. Sa vie li fut accordée , aux
‘conditions de le priver de la cause de sa fureur;
ce qui fut exécuté le lendemain sans que animal
poussât un cri, s'étant laissé prendre, et n’ayant
pas même cherché à se venger contre ses muti-
lateurs. Trois jours s’étoient écoulés, que Follette
tapie dans un coin refusoit la nourriture , et
n’osoit plus reparoître en cet état; on l’accusoit
d'avance d’être devenue farouche. Follette fa-
rouche ! ... quel injuste soupcon ! Enfin elle
D'UN NATURALISTE. 115
sorut de prison, mais si honteuse, qu’elle avoit
perdu son enjouement , et marchoit devant nous
en traînant lentement sa queue. Elle répara et
fit oublier son escapade en se montrant bien
plus familière et plus propre, s'étant corrigée
enfin de tous ses défauts , au point au’actuel-
lement, sans qu’il soit besoin de la tenir en lieu
clos, et d’aller la chercher aux heures de repas,
on lui ouvre seulement la porte de sa cabane.
Elle fait le tour de la cour , traverse un corridor
pour arriver à la salle à manger, et reprend la
même route lorsqu'il s’agit de lui donner congé,
sans qu'il soit besoin de Jui assurer un con-
ducteur. Enfin elle est parvenue à un degré de
domesticité complet.
L’aimable Follette, comme on le voit, a trouvé
en moi, à qui on eut la barbarie de la sacrifier
pour la pemdre et la disséquer ensuite, un
panégyriste zélé; mais ses mœurs adoucies, son
insunct développé sans contrainte , la rendoient
digne d’être observée ei connue ; je ne me repens
donc point d’en avoir fuit l'apologie, et de Iui
avoir conservé la vie.
Je nv’arrête cependant à ces détails, ne pou-
vant pas prévoir des partucularités sans cesse
renaissantes. Le plus sincère éloge qu’on puisse
faire de son amabilié , est d'assurer que plu-
FH a
110 VOYAGES, etc.
sieurs personnes d’une fortune très-ordinaire
n’ont pas craint de nous en offrir vingt-cinq et
même trente louis , briguant les agrémens tou-
jours nouveaux de sa société récréative.
C’est assez m'occuper de Follete, et craignant
qu'un plus long récit cesse d’intéresser le lec-
teur, je vais parler de la culture du Safran.
CULTURE
DU SAFRAN
DEEE A LIEN ATS.
eo ’ : * 2
5
m
D DR Ve OR AL
AVANT-PROPOS.
ae +! e—
J E travaillois à mon Traité des Plantes
usuelles de Saint-Domingue, lorsqu'un
zélé partisan de l’agriculture m’observa
qu’il n’y avoit rien de complet sur l’'His-
toire naturelle du Safran, et que toutes
les instructions publiées sur sa nature,
sa culture et son utilité, étoient dissé-
minées dans divers Ouvrages quin’étoient
point à la portée de tout le monde. Sur
Pavis pressant que cet Agronome me
donna de rassembler les matériaux
épars dans les Écrits immortels de
Duhamel, et autres Auteurs qui ont
traité cette plante bulbeuse , de réunir
tout ce qui en a été dit, d’y ajouter
mes observations particulières, et sur-
tout des planches caractéristiques que
IL
120 AVANT-PROPOS.
laissent à désirer les Ouvrages cités,
et qui pourtant servent de complément
à l'Histoire naturelle du Safran, je me
mis de suite à l’œuvre, et j’ai fait mon
possible pour que mon Code des Sa-
franiers instruise suffisamment ceux qui
auront à le consulter.
Monsieur Pieyre, Préfet du départe-
ment du Loiret, lieu de ma résidence,
et où cette plante précieuse entretient
un commerce considérable , M". Pieyre,
ami des arts, et protecteur de tout ce
qui peut contribuer au bien de ses
Administrés, eut la bonté de sourire
à mon travail, et m'engagea à ne point
laisser en porte-feuille un manuscrit
intéressant pour les Agriculteurs, et à
ne pas me réserver exclusivement l’a-
vantage d’un Manuel dont la publicité
pouvoit devenir d’une utilité générale.
Quelle fut ma satisfaction après ce
AVANT-PROPOS. 121
premier suffrage, lorsqu’ayant eu l’hon-
neur de le soumettre aux lumières de
l'illustre Lacépède, je recus une nou-
velle approbation de sa modestie en-
courageante, avec conseil de le sou-
mettre à la sanction impartiale de l’Ens-
titut national, centre et foyer des con-
noissances humaines ; même indulgence
pour mon travail de la part des Com-
missaires chargés de l’examiner, et d’en
faire le rapport à la Classe des sciences
physiques et mathématiques, lesquels
s’expriment ainsi :
« Nous devons à La Rochefoucault ,
» Duhamel et Lataille- Desessarts, la
» connoissance des procédés employés
» en France pour cultiver, récolter et
» dessécher le Safran, article, comme
» on sait, d’une assez grande impor-
» tance dans la balance de notre com-
» merce.
122 AVANT-PROPOS.
» Mr. Descourtilz, qui habite le canton
» où on cultive le plus le Safran, vous
» a remis sur sa culture un Mémoire
» accompagné de planches, dont vous
» avez désiré que nous prissions con-
» noissance. Ce Mémoire est rédigé
» avec ordre et clarté, et il satisfait à
» ce qu'on désire de savoir sur son
» objet, eiC. »
Dès ce moment je ne balançai plus à
publier mon Mémoire, et ma timide in-
certitude prenant le caractère d’une ré-
solution fondée, je me décidai à loffrir
au Public, sous les auspices de M". Pieyre,
Préfet de mon département, qui voulut
bien me faire l’honneur d’en accepter
Ja dédicace.
CULTURE
DU SAFRAN
DU GATINAIS (1.
D À —
| GÉNÉRALES. La propagation de la culture
du Safran depuis quelques années, mérite l’atten-
tion des spéculateurs. Îl n’est point un agricul-
teur journalier, dans le Gatinais surtout, qui ne
fasse des sacrifices pécumiaires et manuels pour
tirer lessence des soins exigeans que demande
la culture de cette plante lueratuive. L'homme
aisé et propriétaire y consacre une portion de
son terrain ; et l’indigent, dans Fespoir de soulager
son état de misère , se prive, économise etafierme
à un prix considérable les terres propres à ce
genre de culture. Îl est bientôt au niveau de ses
affaires , par l’avantage qu'il en retire.
G) J'avois dédié ce Traité au Préfet du départe-
ment où est située la terre de mon père, lorsque
des circonstances m'obligèrent de réunir tous mes
manuscrits au journal de mes voyages. Je prie dore
ce magistrat de vouloir bien trouver ici l'expression
de mes regrets et de ma reconnoissance,
124 VOYAGES
Cette culture , qui ne peut avoir lieu en grand
parce qu’elle exige beaucoup de bras, est parti-
culièrement en vigueur dans les pays peuplés;
elle ne peut donc être tentée avantageusement
que par des pères de famille laborieux, qui
trouvent à occuper d’une manitre uüle tous les
individus qui la composent; car elle assujétit
à des détails minutieux, seuls possibles à celui
qui y trouve un intérêt personnel : c’est assez
faire connoître que l’habitant bourgeois doit
exclure de ses projets cette importante spéculation
qui lui deviendroit trop dispendieuse.
Le célèbre Duhamel, dans ses Élémens d’agri-
culture, entre dans beaucoup de détails sur la
culture de cette plante bulbeuse; mais des ob-
servations particulières tant sur la nature de
Voignon, que sur l’uulité et l’inconvémient de le
perpétuer ; d’un autre côté, la facilité où jétois,
en suivant dans le Gatinais les travaux des jour-
naliers, d'ajouter au mémoire des dessins pour
ne rien laisser à désirer au lecteur; toutes ces
considérations m'ont déterminé à suivre les
traces d’un aussi bon modèle, et à recueilhr
après lui les parücularités échappées à la rapidité
du vol de ce savant observateur. Quelques
réflexions poliuques furent également un des
points qui m’y décidèrent.
Je vais suivre dans son plan, Duhamel. Pline,
D'UN NATURALISTE. 127
dit-il, fait mention du Safran d'Afrique, de celui
de Sicile , de celui d'Asie; mais il ignoroit encore
la culture de celui des Gaules.
La Rochefoucault, qui a écrit au siècle dernier
sur le Safran cultivé dans l'Augoumois, dit qu'il
y en avoit peu dans cette province avant 1520;
mais que les habitans déjà reconnoissoient tout
l'avantage de sa culture , d’après le produit lu-
cratif des récoltes des bonnes années, qui payoient
largement la valeur du fonds de la terre.
ImPORTATION DU SAFRAN DANS LE GATINAIS.
Si l’on en croit nos vicillards du Gatnais, le
Safran y a été transporté, et sa culture tentée par
un seigneur de Boines, qui l’apporta d'Avignon.
Quoi qu’il en soit, ils conviennent unanimement
que sa culture y est recherchée de mémoire
d'homme. Elle y faisoit de sensibles progrès
depuis la destruction du gibier, malgré la pénurie
de bras; mais ce produit avantageux cessera
bientôt de l’être autant, si, comme autrefois, les
saframers sont obligés d’entourer leur terrain,
puisqu’à cette époque les échalas sont, indépen-
damment d’un prix exorbitant, d’un entretien
dispendieux. Est-ce un mal pour l'intérêt des
autres cultures? Pourtant le seul désavantage
de celle du Safran, est qu’elle détourne beau-
coup de bras ; ce qui nécessairement fait un
126 VOYAGES
déficit en raison de la pénurie dans laquelle on
s'en trouve.
Le Safran du Gaüunais est estimé supérieur à
celui du Languedoc, du Poriou,d’ Angleterre, d’AI-
Jemagne, d’ltalie,et même de la Normandie, etc.
Aussi les négocians en ce genre ont-ils soin de
mêler avec lui celui d’une qualité inférieure, qui
s’empreint bientôt de son odeur pénétrante, et le
décharge du réhaut de sa couleur. Cetie supério-
rilé paroîtroit venir de ce qu'on ne fame point
dans le Gatunais les terres à Safran.
Descriprion pu SAFRAN. Je transcris ici la des-
cripuon de Duhamel, qui ne peut être faite plus
exactement.
Maiole, dit-1l,a nommé cette plante crocum;
Jean Bauhin et Dodonée l'ont appelée crocus ;
Crarpar Bauhin, dans son Pinax, et Tournefort
Fontappelée crocus sativus ; enfin Park, et Ray
dans son Histoire des plantes, lui ont donné le
“om de crocus sativus autumnalis. Ceue
plante, ainsi que ses pisuls desséchés , sont connus
en francais, sous le nom de Safran. C'est celui
prescrit dans les Dispensaires de médecine, et
tant recherché par les habitans du Nord.
Le Safran ( planche VI) est une plante
buibeuse. Sa bulbe ou oignon est solide et
charnue. Celles qui sont bien formées ont èn-
— 4e
e
PZ F2 Psy
1. Maladie du Fausset. 2.le Fausset 8 la Mort 4 Sclerote desSafrans.
D'UN NATURALISTE. 157
viron , non point seulement un pouce de diamètre
sur un pouce et demi de hauteur, comme dit
Duhamel, mais au moins le double. Elle est
aplatie en dessous et en dessus; on y voit un
enfoncement à peu près semblable à celui où est
placée la queue d’une pomme. (Planche IX,
fre. Le
La substance de cet oignon est recouverte de
plusieurs enveloppes sèches, de couleur fauve,
formées par un nombre de filamens posés paral-
Iélement les uns aux autres : ces enveloppes se
nomment /a robe de l'oignon. (Planche VI, db).
Dans une cavité qui est au milieu, et à la
partie supérieure de loignon (planche IX,
fig. V, aa), on aperçoit une, deux ou trois
pyramides de couleur fauve et brillante (pl. IX,
fig. IV, aa) ; et sur les côtés du même oignon,
on en voit encore de plus peutes (planche FX,
fig. 1v, bb) : c’est de ces endroits qu’on peut
regarder comme des boutons, qu’on voit sorür
les feuilles, les fleurs, et mème les caïeux ; et
quand on enlève les enveloppes coniques (pl. EX,
fig. 1V, c) qui forment ces boutons , on aperçoit
un mamelon de même figure, qui, étant conpé
suivant sa longueur , paroît être un peut oignou
contenu dans le gros, et qui renferme les ru-
dimens de la plante. (Planche IX, fig. vi, aa).
Le corps de ia bulbe (pl. EX, fig. vi et vi)
Ca
198 VOYAGES
coupé en différens sens, paroît être d’une subs-
tance uniforme , et assez semblable à la chair
d’une pomme.
Dans le mois de septembre, quand les pluies
d'automne commencent à humecter la terre,
sortent les racines de la base de la bulbe
(planche VT, dd) ; les mamelons, dont je viens
de parler , s’alongent, et la fleur commence à
se dégager de la robe ou des enveloppes de
l'oignon. (Planche IX, fig. 11).
Le bouton de la fleur enveloppé d’une coifle
mince formée de plusieursmembranes (pl. VE, ee),
et porté sur un pédicule , s’élève pour gagner la
superficie de la terre; à mesure que le pédicule
s’alonge, ce bouton se dégage de sa coiffe , et se
montre sous la forme d’un corps ovale (pl. IX,
fig. 11), long d’un pouce et demi ou deux pouces,
dont le diamètre est de cinq à six lignes ; 1l est
supporté comme sur un pédicule par un tuyau
(planche VI, f) qui a au plus une ligne de
diamètre. Ce tuyau est la parte inférieure de la
fleur , et cette fleur s'élève au dessus du terrain
d'environ deux pouces.
Cette parue fistuleuse de la fleur s’évase con-
sidérablement par le haut, où elle se divise en
six grandes parties qui étant rassemblées forment
le bouton (planche VI, g) dont nous avons
parlé. Eiles se séparent ensuite les unes des
autres
Progression de l'epanouissement des fleurs du Satran.
4
SL. 7x. I. z. f?
An alvse du Salran, deru- Grandeur naturelle
D'UN NATURALISTE. 129
autres (2), elles s’écartent, et quand la fleur
est épanouie (4 et &), chaque découpure (77/71)
paroît un grand pétale ovale , de sorte que cette
fleur ressemble alors à une peute tulipe fort
pointue par le bas. Comme la couleur de cette
fleur est d’un gris de lin violet fort tendre , les
champs qui en sont garnis sont agréables à la
vue. Souvent la fleur est bessonne, et porte
alors dix et même douze pétales , et le nombre
des stigmates , qui augmente en même propor-
tion, a quatre , Cinq et jusqu’à six flèches.
Trois de ces découpures sont un peu plus
grandes que les trois autres ; elles ont environ
deux pouces de longueur , sur un pouce de
largeur : on apercoit dans l’intérieur de la
fleur , des étamines (planche VII, 88b) qui
prennent leur origine des découpures de la
fleur; ces étamines sont composées d’un filet
blanchätre qui porte un sommet long de cinq
à six lignes, formé de deux capsules qui, en
s’ouvrant suivant leur longueur, répandent une
poussière d’un jaune très-vif.
Le pisul ( planche VIT, & ) est composé d’un
embryon (c) sur lequel repose la fleur : il est
ovale , et a environ un demi-pouce de longueur;
il est supporté par un filet qui part de la bulbe
même, et qui enfile toute la longueur du pédi-
cule (4) qui est fistuleux. Cet embryon qui est
Tome I, |
130 VOYAGES
d’une forme triangulaire, devient, quand la fleur
est passée, une Capsule à trois loges qui renfer-
ment plusieurs semences rondes : le style qui est
unique, enfile la parte étroite de la fleur (f) , et
quaud il s’est élevé dans le disque de quatre à
cinq hgnes, 1l se divise en trois grands süg-
mates de quinze à dix-huit lignes de longueur.
(Planche VIT, g). Le style (a) est blanc, les stig-
inates sont d’un rouge vif et brillant; 1ls sont assez
Jongs pour excéder un peu les échancrures du
pétale. Hs sont plus menus à leur origine que
vers leur extrémité où l’on remarque des canne-
lures assez fines. On verra dans la suite que ce
sont ces stigmates qui fournissent seuls la parue
vraiment uüle du Safran.
Si l’on arrache un oignon dans le tems de la
fleur, on vont les ferulles de cette plante depuis
le nombre de deux jusqu’à huit (planche VI,
mm, et planche IX, figure 17, b ) qui sont ren-
fermées par les mêmes enveloppes que la fleur.
(Planche VE, e, et planche IX, c). Elles sont trés-
étroites, pointues , glabres , d’un vert foncé ,etont
dans toute leur longueur de dessus une ligne
blanchâtre. Peu de tems après que la fleur est
passée, ces feuilles sortent de terre (pl. VIE);
elles sont à la fin de l’hiver, période de leur
accroissement , longues d’un ou deux pieds.
Elles représentent une espèce de petite goutuere;
Multüiphcaton des Oignons pendant les {rois annees ,
D'UN NATURALISTE, 191
car elles sont creusées en dessus, etelles forment
en dessous une arête. La parue des feuilles
qui est en terre, est jaunâtre ; celle qui est hors
de ierre est d’un vert éclatant, de sorte que les
champs de Safran paroiïssent pendant tout l’hiver
couverts d’une très-beile verdure. Ces feuilles
jaunissent au printems , et peu à peu elles se
dessèchent : on les arrache alors; et, pendant
tout l'été, les champs de Safran que l’on voit
bien culuvés, semblent être dénués de toute
végétation.
Les peuts mamelons de la troisième année
{planche VHT ,&a) attachés dessus les oignons
de la seconde (bb), eux-mêmes végétant des
débris de l'oignon épuisé de la première année (c),
et qui ont donné naissance aux fleurs et aux
feuilles, grossissent peu à peu pendant Fhiver :
l'oignon qui les porte se fane, se dessèche, et
devient aride à mesure que les nouvelles bulbes
font des progrès ( planche VIE, « )}; de sorte
qu’au printems on trouve deux , trois ou quatre
nouveaux oignons implantés sur les débris de
Pancien, qui est presqu'anéanti. C'est par rap-
port à cette muluplicauon qu'on est obligé de
trois en trois années de relever les oignons pour
les diviser.
On voit, par ce qui vient d’être dit, qu’on
} 2
132 VOYAGES
peut établir pour le caractère du Safran, d’avoir,
en place de calice, une coiffe membraneuse
composée d’une seule pièce. Le pétale est unique;
par le bas il forme un tuyau menu qui se divise
à son extrémité en six grands segmens ovales.
On aperçoit dans l’intérieur trois grandes éta-
mines qui prennent leur origine du pétale , et
qui sont beaucoup plus courtes que les décou-
pures du pétale. Ces étamines sont formées de
filets menus et de sommets composés de deux
capsules longues, dans lesquelles la poussière
fécondante est renfermée.
Le pisul est formé d’un embryon oblong,
d’un style filamenteux qui s'élève à la hauteur
des étamines, et de trois stigmates plus larges
par leur extrémité que par la base, et striés sui-
vant leur longueur.
L’embryon devient une capsule à trois loges,
qui renferme plusieurs semences arrondies.
(NPA
Or toute l'analyse du Safran d’après le cheva-
lier Lamark , dans sa Flore française, se réduit à
faire connoître qu'il a les fleurs distinctes, dis-
jointes, bissexuelles, pétalées ; que son ovaire est
sous la corolle; que la corolle en est polypétale,
composée de six pétales; que la fleur a trois éta-
mines , que la corolle est régulière et symé-
$
PT +7. T z À 133.
ÈS
1 Le Colchique.2,#7/kur d& yrendur naturelle. 3.La Carthame .
1 | +
D'UN NATURALISTE. 133
trique, que les trois stigmates sont grêles, roulés
et qui ne recouvrent point les étamines (*).
Cuirure pu SarraAx. Je reprends mon récit.
TERRAIN qui LUI EST PROPRE. Les terres fines,
meubles ou glaiseuses ; les grouettes noires , sur-
toutépierrées , sont celles les plus convenables à
la végétation du Safran , qui ne se plaît pas dans
les terres trop fortes, dans les sables n1 dans les
terrains humides. I lui faut de huit à neuf pouces
de fond. 11 pullule plus avantageusement dans
une terre noire, légère où les oignons plus gros
que par-tout ailleurs ont jusqu’à deux pouces de
(*) La différence qui existe entre le Safran , et le
colchique d’iutomne qui lui est comparable pour la
forme extérieure ( planche XI), se réduit aux carac-
tères génériques suivans : fleur liliacée, ayant un seul
ovaire chargé de trois styles, la corolle fort longue,
dont le tube nait immédiatement de la racine ; une
tige plate, comprimée et striée dans sa longueur ; un
spath d’où s'échappent deux et quelquefois trois tiges s
chaque fleur composée de trois pistils distincts et
non réunis , terminés par trois stigmates peu apparens,
et de six élamines , en quoi le colchique diffère du
Safran qui n’en est pourvu que de trois. Celte plante
qui fleurit en automne avant son feuillage, qui ne
paroît qu'au printems suivant, au nombre de quatre
feuilles semblables à celles du lis blanc, se trouve
dans les prés; on l'appelle dans le Gatinais arlleaw,
et dans d’autres endroits mort aux chiens.
13
Analise des Oignons. 3 .le Tacon .. 2. Fleur sortant de la terre.
A4
D'UN NATURALISTE. 135
les oignons gelèrent, et leur mulüplicauon n'of-
frit aucun avantage ; en sorte que, pour réparer
cette perte considérable, on eut beaucoup de
peine à trouver de quoi replanter. ( N°.5 ).
PRÉPARATION DE LA TERRE. On donne trois
facons à la terre qu’on destine au Safran. On se
sert de houes ou de mares, d’après les usages
des différens pays; on laboure, ou plutôt on
fouette la terre jusqu’à neuf à dix pouces de pro-
fondeur, de manière à la rendre plus poreuse
que le terrain qui l’environne, dont elle dépasse
de beaucoup le niveau. On a soin de la rendre
pour ainsi dire grumeleuse, et même pulvéru-
lente , à force de l’épierrer et de l’émotter. Ce
n'est pas que de peutes pierres, jusque de la
grosseur d’une noix, nuiroient prodigieusement
à la sortie de la uge du Safran, puisque la force
végétative lui en fait souvent déranger de beau-
coup plus fortes, mais ce sont des efforts inutiles
qu’on a soin de lui épargner. Une moue lui fait
beaucoup plus detort en ce qu’elle est plus divi-
sible, et qu’elle adhère à ses parues latérales.
fiNo 6)
ÉPOQUE pes Lagours. La première facon qu'on
appelle Æiverner ou le marage , suivant les
pays, se donne depuis la Saint-André, la Saint-
Marüun jusqu'a Noël.
136 VOYAGES
La seconde facon qu'on appelle Biner ou
rafraichir les terres, dans tout le mois d'avril, ou
au plus tard dans le commencement de mai.
La troisième facon qu’on nomme recouler ou
rebiner, se donne à la veille du plantage (N°. 5).
LE PLANTAGE a lieu de la mi-juillet jusqu’au
8 septembre, d'après les dispositions plus ou
moins favorables de la saison. On ne fume point
la terre en Gaunais, comme dans l’Angoumois ,
avec le fumier pourri de brebis, bœufs et che-
vaux, n’excluant que celui de pores; mais, lors-
que le terrain est une fois préparé et planté, 1f
est piqué aux quatre coins de délensesou branches
d’épines qui servent à indiquer qu’on doit s’abs-
tenir de marcher dessus , ne connoissant point,
avant la sorue des fleurs, la direcuon des sillons
parallèles dont l'intervalle sert aux safraniers à
à poser leurs pieds pendant la cueillette.
Lors donc que la terre est bien ameuble et
bien disposée par trois bons labours, on plante
les oignons comme il suit : le culüvateur onvre
sur une des rives du terrain, une tranchée ou
sillon de sept pouces de profondeur dans toute
Ja longueur du champ ; une femme ou enfant le
suit, et range à mesure au fond de la tranchée ,
les oignons sur leur base, à un pouce les uns des
autres. Au bout du rayage le mareur en ouvre
mn autre à six pouces de distance, et jette à
D'UN NATURALISTE. 137
mesure la terre du second sillon, pour combler le
premier ,et recouvrir les oignons quise trouvent
alors sous six pouces de terre. La grande habi-
tude des safraniers dans la direction de cet ou-
vrage, fait qu'ils ne se servent jamais de cordeau
pour la plantauon, et cependant les raies se
trouvent toutes régulièrement parallèles; ce qui
donne un très-johi coup d’œil à l’époque de la
sorue des fleurs.
Des culuvateurs plantent leur Safran aussitôt
qu’il est arraché, et croyent devoir à cette pra-
üque une plus belle floraison : d’autres qui ont
arraché les oignons en juillet ne les replantent
qu’en septembre, parce qu’ils prétendent qu’étant
ainsi desséchés, ils sont moins sujets à se pourrir.
Comme nous ne voyons point, dit Duhamel,
pourquoi les oignons pourriroient phnôt la pre-
muére année qu'on les met en terre que la seconde
et ka troisième, nous inclinerions pour la pra-
que des premiers. Cette réflexion est toute
naturelle | et des safraniers versés dans cette
culture, que j'ai quesuonné sur ce point, sont
pleinement de l'avis de Duhamel, d’après leurs
remarques dont ils m'ont fait part. (N°. 6).
PRÉPARATION DES OIGNONS. Les uns ne dé-
robent poimt le Safran ; d’autres dépouillent
l'oignon de cette enveloppe au moins inutile,
perce qu’alors ils sont plus à même de découvric
138 VOYAGES
la mort ou carie, de l’extirper dans les moins
gangrenés , et de rejeter ceux sans reméde ,
bien faits pour désoler une plantauon en com-
muniquant à leurs voisins cette maladie pesti-
Jenuelle.
Quoique La Rochefoucaulisoitd’avis de diviser
les gros oignons en autant de caïeux qui s’y
rencontrent pour muluplier le nombre, néan-
moins on n’obüuent par cette méthode aban-
donnée, cette prauque délaissée, que des rejetons
imparfaits ; et l’on préfère en général une peute
quantité d'oignons , bons , parfaits et bien
constitués, à une plus grande d’une qualité
médiocre et inférieure.
DÉVELOPPEMENT DES OIGNONS. Un tems calme,
serein et sans pluie, développe de l'oignon du
Safran des racines en assez grand nombre ; et
dès que les prenuères pluies d'automne ont
pénétré la terre, on voit bientôt poindre la fleur.
On donne alors , entre les sillons , une légère
facon de deux pouces au plus de profondeur ,
évitant bien de couper les fleurs naissantes avec
Ja houe ou la mare.
Fronaisos. C'est vers les premiers jours
d'octobre , époque d’une grande surveillance
parnu les safraniers, que les fleurs sortent de
terre. Les bras sont tous en acuvité pour les
D'UN NATURALISTE. 139
recueillir , et ne leur point donner le tems de
trop s’évaporer. Le développement s'opère
quelquefois si subitement, que celui qui vient
de passer dans un sillon n’est point arrivé au
bout de la pièce, qu'il est obligé de parcourir
de nouveau les mêmes raies pour y cueillir les
fleurs écloses depuis son passage. (N°. 7).
Les feuilles (planche VIE, eeee) paroissent
après la floraison, et recouvrent la terre, pen-
dant l'hiver , d’un tapis vert qui plaît à la vue,
et qui devient le gîte des lièvres si la safranière
n’est point entourée. C’est alors qu'ils font beau-
coup de dommages , car leur dent meurtrière
suspend la végétauon , et empêche le dévelop-
pement de l'oignon.
ANIMAUX NUISIBLES. Les lièvres ei les lapins
ne sont pas les seuls animaux à craindre; les
taupes qui fouillent des souterrains , les rendent
praticables aux rats, mulots et souris, qui sont
trés-friands des oignons; c’est pourquoi les
saframières situées près des maisons sont le plus
souvent endommagées.
Ce feuillage éteint sa verdeur sous l’influence
du soleil du printems ; c’est alors, vers la fin
de mai, qu'on larrache pour le faire sécher,
et le donner l’hiver suivant aux vaches qui ex
sont fort friandes, Ces feuilles cédent facilemen:
1/40 VOYAGES
à la main , la base près l’oignon en étant déjà
décomposée (*). (No. 8).
TRAVAUX DE LA SECONDE ANNÉE. Vers la mi-
juin environ , on donne au même champ la
première facon ou raclage, de trois à quatre
pouces de profondeur. La seconde se donne à la
fin du mois d’août, et c’est vers la fin de sep-
iembre que se donne la troisième, qui n’est
qu'une sarclée de deux pouces de profondeur.
TRAVAUX DE LA TROISIÈME ANNÉE. Les mêmes
dispositions de culture ont lieu pendant trois
années consécutives, et ce n’est qu’à la quatrième,
dans les mois de juin, juillet et août, qu’on ar-
rache les oignons.
ARRACHIS DES OIGNONS. On se sert de la
mare pour découvrir, dans chaque rangée,
les oignons avec la plus grande précaution ;
c’est pourquoi on établit la tranchée un peu
au devant de la place où 1ls ont été posés. Le
mareur est suivi d’enfans qui les déterrent, et
() L'herbe s'arrache à la fin de mai, lorsqu'elle est
sèche. On la laisse faner, puis on la ramasse. Elle
convient aux vaches, et ajoute à la quantité et à la
bonté de leur laitage. L'arpent fournit environ soixante
gerbes de dix livres la première année , et cent gerbes
les deux années suivantes. Quatre jours suffisent à un
ouvrier pour arracher, faner et botteler le fourrage
d'un arpent de Safran.
D'UN NATURALISTE. 141
les transportent dans des paniers au bout du
champ, où 1ls les mettent en tas reposer environ
six semaines. D’autres les replantent presqu’aus-
sÔt après avoir été arrachés. Ceux-ci les dé-
robent; ceux-là conservent leur enveloppe qui,
comme nous l'avons déjà observé , est au moins
inutile.
UsAGE QU’ON FAIT DES O1GNONS. Ce n’est plus
dans le même champ que peuvent se replanter
ces oignons à Safran ; ils ont épuisé par leur
séjour trisannuel tout le suc nourricier du ter-
rain, qui ne peut être propre à une semblable
culture qu'après un repos de quinze ou vingt
ans. On emblave ordinairement les arrachis de
Safran en avoine mêlée avec du sainfoin, et
quand ces plantes ont exercé la terre pendant
neuf ans, on y plante ordinairement de la vigne,
ou bien de l’orge, puis du froment, Duhamel
observe que l'intervalle de vingt ans seroit bien
moins long , si l’on étoit dans l’usage de restaurer
ces terres épuisées en les fumant ; mais l’inno-
vauon fut de tout tems proscrite par les paysans :
ensorte qu'on ne peut résoudre d’une manière
posiuve cette probabilité.
Ce n’est point la prenuère année que la terre
a épuisé en faveur des oignons une partie de ses
sucs nourriciers , elle en possédoit bien au delà
de leurs besoins ; aussi, ue prenant que l'habitude
142 VOYAGES
de son influence végétauive, ils donnent moins
de flcurs que l’année suivante, où les oignons
ont commencé à se multiplier. Ce n’est que la
troisieme année que la récolte moins abondante,
les flevrs plus grèêles, annoncent que la terre a
besoin de repos. C’est pourquoi l’on a bien soin
d’arracher les oignons dans la quatrième année.
La muluplicauon des caïeux est telle , que l’ar-.
rachis d’un demi-arpent produit en oignons
de quoi planter un arpent et plus.
La Rochefoucault annonce que six boisseaux
en ont produit treize en deux ans, et que cinq
boisseaux en ont produit vingt en quatre ans.
Osservarions. La rigueur des hivers si fu-
nestes au Safran est la cause que les oignons sont
plantés aussi profondément en terre; car, dans
un pays où l’on n’auroit point à redouter l’in-
fluence des gelées, 1l sufliroit de les mettre à
trois ou au plus quatre pouces sous terre.
REMARQUES SUR LA TEMPÉRATURE. Un grand
hâle, depuis le premier juin jusqu’au vingt-cinq,
annonce une récolte abondante. Quand 1l pleut
en juillet et août, on a peu de Safran à la récolte
suivante.
R£cozTEe pu SaFrAn. Un automne beau, sec
et chaud protège le développement des fleurs du
Safran, tandis que cette saison , venteuse , trop
pluvieuse et froide, en ralentit la floraison,
D'UN NATURALISTE. 143
Ainsi, si vers la fin du mois de septembre le
tems chaud est accompagné de pluies douces,
les fleurs se forment et pointent à vue d'œil , et
leur parfaite sortie n’attend même point le déclin
du soleil qui les a vu naître. Le maun, au réveil
du diligent culuvateur, les champs , comme
recouverts d’un tapis gris de lin violet, lui
annoncent l’abondance, sourient à son travail,
ct promettent de récompenser largement ses
peines et son labeur. Mais c’est l’époque aussi
où cette culture exige sa plus grande vigilance ;
voilà les derniers soins qu’elle nécessite : 11 n’a
pas de repos, pour ainsi dire, à espérer soit le
jour, tems de la cueillette, soit la nuit destinée
à éplucher les fleurs. Malgré toute cette sollici-
tude , ils sont souvent contrariés pendant cette
récolte, et à la veille d’une complette abondance
que la fécondité semble leur promettre. Ces
malheureux journaliers éprouvent des pertes de
leur abondance même; car, pendant la cueillette,
un gros vent souvent meuririt les fleurs, et une
pluie les pourrit. C’est ce qu’on a éprouvé dans
la même récolte en 1805 , où après ua semblable
fléau, c’est à dire les fleurs d’abord contusées
par le vent, ensuite pourries par une forte pluie
qui en contrariérent la cueillette, les fleurs ne
se gardoient au plus que cinq heures, et faute
de bras pour les éplucher en si peu de tems,
144 VOYAGES -
en raison de ce que cette récolte se rencontra avec
celle de la vendange tardive, on en perdit une
grande quantité qu’on fut obligé de jeter, sans
le moindre espoir d'aucune spéculation.
Cours Du Prix DU SAFRAN. Cette disette em-
pécha le Safran de monter. Comme il üre sa
valeur de son abondance , et qu’en général plus
il est rare , moins 1l est cher, il ne valut donc au
commencement de 1806 que de 42 à 50 liv.,
tandis que les années précédentes où 1l y en eut
en abondance, 1l valut jusqu’à 96 liv. et même
cent francs la livre. C’est une remarque assez
particulière. La cause qui en est toute simple,
provient de ce que plus les récoltes sont abon-
dantes, plus les levées en sont recherchées,
et l'exportation considérable; il y a donc spé-
culauon et concurrence de la part des com-
mercans; CE qui tourne toujours au profit du
vendeur.
Lorsqu'il arrive des années où les fleurs se
succèdent graduellement, on a bien le tems de
tout ramasser et de tout éplucher, parce qu’a-
lors les vendages finies, les safraniers n’ont plus
d’autre soin que celui de cette récolte. En cette
mème année de 1806, les 5 et 6 janvier, je vis
ramasser encore, dans le Gatinais, des fleurs en
quantité dans les paroisses de Boësse , Echilleuses,
Boiues, Bouilly, Vrigny et Bouzonville ; fleurs
de
D'UN NATURALISTE. 145
de caïeux écloses après les premières gelées, et
dont la sortie fut favorisée par un intervalle
moins rigoureux.
Dans une année ordinaire, la fleuraison dure
environ trois semaines. Les huit premiers jours
on récolte peu, les huit jours suivans abondam-
ment, ce qu’on appelle la force; et les huit der-
miers ne sont employés, pour ainsi dire, qu’à
glaner.
DESCRIPTION DE LA CUEILLETTE. Hommes,
femmes et enfans, les paniers aux bras, sans au-
tres instrumens que les ongles, vont plusieurs
fois le jour aux saframières dans la force de la
fleur, et seulement deux fois par jour, le maun
avant la rosée, et le soir dans les huit premiers
et les huit derniers. Chacun d’eux prend son
sillon, et pour cueillir plus commodément sans
endommager les fleurs qui n’ont point encore
paru, ils posent chaque pied dans les rangées
ou intervalles latéraux de la raie des fleurs, et à
l’aide des ongles, ils coupent le pédoncule ou
queue de la fleur au niveau de la terre, c’est à dire
bien au dessous de son bassin : quand ils en ont
une poignée, ils la déposent dans le panier sus-
pendu à leur autre bras. Si la grandeur du
terrain comporte, pour cette cueillette, plus que
chacun son panier, les hommes ont des hoties
qu'ils remplissent, et indépendamment, ils ontau
Tous EL K
146 VOYAGES
bout du champ un âne, avec de vastes paniers
qui servent à en transporter une bien plus grande
quanuté.
ErzucuAce pu SarraAn. Les fleurs qui ne sont
pas encore épanouies, et en qui il n’y a point eu
ou très-peu de déperdition de principe odorant,
sont aussi les plus faciles à éplucher. Il faut les
cucillir promptement, car elles passent très-vite.
D'après la fraîcheur et la bonne qualité des
fleurs du maun, on doit croire qu’elles poussent
bien plus dans la nuit que dans tout autre tems.
On a soin, en rompant la fleur, de rompre
aussi le pisul qui est au milieu ; car en restant, 1l
feroit pourrir l'oignon, en lui communiquant sa
décomposition.
Lorsqu'on a trop de fleurs pour les éplucher
en une seule séance, on étend le surplus sur un
plancher, afin de pouvoir les conserver d’un
jour à l’autre; car elles ne pourrissent point
chaque année comme en 1805 , au bout de cinq
heures de cueilleue. I faut néanmoins avoir bien
soin de ne point les laisser en tas, autrement
elles s’'échauflent, s’amollissent, et deviennent
plus incommodes aux éplucheuses pour la sec-
tion. Que de chansons ! que de contes dans ces
réunions villagcoises ! Tous les éplucheurs, au-
tour d’une table, prennent à mesure à la masse
‘des fleurs posées au milieu, en détachent le pistil
D'UN NATURALISTE. 147
de chacune en pesant sur le pédoncule avec
l'ongle gauche , et retirent les stigmates ou
flèches de la main droite, après qu’elles ont été
rompues et séparées du pisuil par cette section.
Chacun met en tas devant lui les flèches, ou
sugmates du pisul, et jette sous la table la corolle
et les étamines comme inutiles. 11 y à assaut de
diligence, et souvent les meilleurs travailleurs
acquièrent une double réputation auprès de
leurs amantes. .
Les plus adroits éplucheurs coupent le pisul
très-peu au dessous de la trifurcation , et laissent
par ce moyen au rebut avec la corolle la base,
ou style (fig. VIE, a) ,quiestunfiletblanc lequel
n'ayant ni odeur ni couleur, ôte au Safran de
sa qualité. Les marchands cependant aiment à
voir un peu de ce blanc, qui annonce qu’on n’a
point frelaté le Safran avec du safranum. Souvent
la présence d’étamines , où rognures de pétales
qui se moisissent et communiquent une mauvaise
odeur au Safran , suffisent pour en diminuer le
prix. Chaque éplucheur peut faire sa livre de
Safran vert par jour, et il en faut cinq livres de
vert pour une livre de sec. (No. 9).
Les gros saframiers ne pouvant suffire avec
leurs enfans à éplucher seuls leurs revenus,
louent des bras pour le tems de la récolte, et
paient ou à la journée ou au poids. Dans certains
K 2
148 VOYAGES
pays on donne de 5 à 6 sous pour chaque livre
de Safran vert, mais dans les tems où les bras
sont rares, le prix va de 4o à 5o sous; en
1806 on exigea jusqu'à 6 francs.
_ DessicATION pu SAFRAN. À mesure que le
Safran est épluché, on l’expose à trois ou quatre
pouces au dessus de charbon couvert de cendres
chaudes, sur un tamis de crin, pour l’y dessécher
lentement. Unetrop prompteévaporation, comme
on le concoit bien, enlèveroit tout le principe
odorant volaul. On le remue de items entems, à
mesure qu'il se dessèche. La fuméele décolore ou
plutôt alière sa couleur. (N°. 10).
Cette opération se fait sous des manteaux de
cheminée; car l'odeur, malgré toutes les précau-
tons que l’on prend pour sa moindre dissipa-
üon, s’exhale encore de manière à incommoder
ceux qui restent dans la chambre. F’expérience
n’en a que trop malheureusement prouvé le
danger, par la mort d’un garcon droguiste qui
s’étoit endormi sur un sac à Safran. Si cette
odeur modérée est favorable aux filles attaquées
de chlorose ou pâles couleurs, elle devient dan-
gcreuse, Comme j'en ai vu plusieurs exemples,
aux femmes récemment accouchées, à qui elle
occasionna des pertes qui cessèrent bientôt dès
que j’eus faut détourner la cause de ces accidens,.
I est des pays où on fait dessécher Le Safran
D'UN NATURALISTE. 149
dans des terrines ; mais nécessairement le vernis,
et même l’usage auquel ces vases ont servi, doit
Jui faire contracter un goût et une odeur défavo-
rables.
Lorsque le Safran est parfaitement sec et
entièrement dépourvu de son humidié, on le
met dans des boîtes fermant hermétiquement ;
d’autres négligent cette utile précaution, et le
renferment dans des sacs de toile serrée, et
lorsqu'on est prêt à le vendre, les hommes de
peu de foi exposent à l'humidité pour le faire
peser davantage.
PropuiT ANNUEL. La première année , un
arpent produit de quatre à cinq livres de Safran
sec; mais la seconde et la troisième, il en donne
Re: ne |
de quinze à vingt, et même vingt-cinq.
QuALITÉS ExIGÉES pu SAFRAN. Le Safran est
réputé bon, lorsqu'il est bien sec, d’un beau
rouge vif pourpré, sans mélange d’étamines ou
de pétales, et surtout lorsqu'il n’est point so-
phistiqué avec du safranum. Celui du Gatinais
est d’une qualité si supérieure, que les hardes
des paysans qui en ont épluché et serré dans leurs
armoires, en sont empreintes plus de six mois
après. On profite de cette vertu communicative
pour lallier et le mélanger avec celui d’une
qualné inférieure et inodore. { N©, r1 ).
KR 5
150 VOYAGES
MALADIES DES O1GNONs. On reconnoît trois
maladies sujettes à attaquer les oignons de Safran,
savoir ; 1°, le fausset, 2°. le tacon, et 39: la
mort.
Le fausset ou tuette ( expression du Gati-
nais ) est une excroissance creuse en forme de
tube qui se développe près du caïeu. On Pap-
pelle ainsi, à cause desa forme grêle et conique.
(Planche IX, fig. 1'e. &, et fig. x). Devenant
parasite pour l'oignon, le fausset vit à ses dépens,
ct altère sa substance. Cette déperdiuon nuit
par conséquent à la formauon des caïeux, et en
diminue le nombre par-tout où 1l se rencontre.
Cette maladie fort heureusement se propage
très-peu ; et dans un quartier de terre à Safran,
où existent cent soixante boisseaux, à mulle
oignons environ par boisseau, on rencontre au
plus cent oignons qui en soient attaqués. Il pa-
roit que cette maladie dérive du taconé , et qu’elle
w’attaque que les oignons frappés de ceue der-
uière infirmité. Duhamel crou le fausset égale-
ment produit par le taconé.
Cause. Le fausset, dit cet observateur, est
produit par une surabondance de séve qui occa-
sionne une espèce de tumeur anévrismale.
Remèoe. Le seul moyen d’obvier à cet incon-
vénient est l’exurpation de ce tube, si oignon
w’est point trop gâté.
D'UN NATURALISTE, 101
* Le racon (Planche X, fig. 11.) Est une es-
pèce d’ulcère qui attaque la parue bulbeuse de
l'oignon, et jamais ses enveloppes. Quand le
mois de mai est humide, cette espèce de carie ou
putréfaction se développe et fait de plus rapides
progrès, surtout dans les terres glaises. Les ter-
rains secs etpierreux , Ou grouelies, y sOnt moins
sujets. Lé tacon s'annonce par une tache bruné
ou bistre qui se converut bientôt en ulctre ron-
geur, lequel décomposant chaque jour, par
corrosion, la substance de l’oignon, parvient de
la circonférence au centre. Le cœur une fois at-
taqué , décide de la mort de l'oignon. (N°. 12).
Cause. Il paroît que le tacon, ou taconé , pro-
vient d’une surabondance d'humidité.
Reuëpe. Le seul est lamputation des parues
corrompus. Onlaisse dessécher l'oignon, puis on
peut le replanter.
La Rochefoucault veut qu’on plante à part
tous les oignons atiaqués etrendus sains ,assurant
que l’année suivante ils seront presque tous
guéris. Cette précaution me paroît inutile , car si
la tendance à la corrupüon n’existe pas parmi
des oignons restaurés après avoir eu un principe
de cette carie, à plus forte raison ne doit-on point
craindre l’épidémie au milieu d'oignons sains et
tous bien constitués,
K 4
199 VOYAGES
La mort (PlanchelX , fig. mr.) Se reconnoit
à des symptômes incontestables; c’est une ma-
ladie contagieuse qui fait les plus grands ravages.
Jusqu'ici la cause n’en est point reconnue indu-
bitable, malgré les assertions de Duhamel, que je
citerai plus bas. Ce qu'il ya de certain, c’est que
passé la mi-mai, l'oignon n’est plus sous l'empire
de la mort; il ne la redoute qu'au moment du
développement du germe, c’est à dire depuis la
pousse des premières lignes jusqu’au premier
pouce; alors il est sauvé, plus de danger pour
lui : cependant, s’il en a été menacé, il ne donne
l'automne suivant qu'une fleur päle, frêle, Jan-
guissante; pourtant il produit ses caïeux pour
l’année suivante.
La mort frappe premièrement la robe, elle perd
alors sa couleur gaie pour revêur des habits de
deuil; une couleur violet-noir est celle qui suc-
cède à la premicre d’un jaune cendré; elle hé-
risse toutes côtes où bandes transversales de
peus filamens âpres, rouges, qui non seulement
attaquentles voisins, mais même traversentd’une
raic à l’autre. ( Planche IX, fig. ur. aa. aa).
La robe (bb) ou enveloppe étant déjà détruite,
la mort est bientôt aux prises avec l'oignon
qu’elle décompose, dont elle consomme à son
funeste passage toute la substance. Son empire
ne s'annonce que trop sûrement par des manques
D'UN NATURALISTE. 153
dans les terrains, des espaces dégarnis de ver-
dure; car les feuilles, dès le principe de cete
maladie , jaunissent et se dessèchent les pre-
miéres, comme ürant leur entreüen du centre
de l'oignon qui est déjà détérioré. Bientôt 1l
désole tous ses voisins , et les infecte de sa con-
tagion morüfère, devenant le noyau et le foyer
de cette épidémie dévastatrice. I suffit d’un seul
oignon gâté pour ravager en un an au moins
six et même huit pieds de diamètre. Les progrès
de cette épidémie ne s'arrêtent qu’à Ja pousse
du Safran, c'est à dire à son premier dévelcp-
pement végétauf; cette éruption lui rend la vie,
Le soleil aussi purifie ces oignons quand ils ne
sont pas gâtés sans ressource.
Une remarque confirmée par l’expérience
prouve que toute terre à Safran sur laquelle
rampe , avant les facons, de la vrille ou petit
liseron, annonce qu'il n’y a pas d'oignons de
morts ; Car la 7nort fait périr ces plantes, tandis
qu’elle n’attaque pas les ponecceaux , ou pavots
rouges. (N°. 13).
Cause. Elle n’est provoquée ni par insectes,
ni mousse, ni plantes parasites : elle est encore
inconnue.
Rouëne. Il n’est donc point d'autre moyen
d'empêcher la progression des ravages de la
mort, qu'en interceptant toute communication
154 VOYAGES
avec les oignons circonvoisins par des tranchées
circulaires, rejetant sur le terrain maudit la
terre de ces tranchées, qui seule sufhroit pour
porter la désolation, étant déjà empreinte de ce
vice préjudiciable et contagieux , tel qu’au bout
de quinze et même vingt ans, il produiroit le
même effet sur des oignons sains qu’on viendroit
à planter dans le même terrain, primiuvement
théâtre de la mort.
Ce qu'il y a de paruculier, c’est que des
ponumes de terre plantées dans un terrain où il
y avoit eu de la mort, ont été reurées pourries.
La maladie ne vient donc point d’un corps
étranger , mais bien de l'influence commu-
niquée à la terre par la désorganisation de
l'oignon. Voyons ce qu’en dit Duhamel.
OBsERVATIONS. Duhamel a observé plusieurs
états différens d’après les progrès de cette épi-
démie. Les oignons du noyau, par exemple,
ditil, étoient totalement détruits ; leurs enve-
loppes d’un brun terreux ; une quanuté de
corps glanduleux d’un rouge obscur de la gros-
seur de fèves; le corps de l'oignon réduit en
substance terreuse , où l’on ne voyoit que la
trace des fibres de la bulbe.
Les oignons de la circonférence les moins
attaqués de la maladie n’avoient d'autre marque
de la contagion que quelques filets violeis qui
D'UN NATURALISTE. 10)
traversoient les membranes de leurs tégumens.
Quelques autres avoient sur leurs tégumens où
entre les lames qui les forment, quelques corps
glanduleux , et on n’apercevoit sur les enveloppes
de ces oignons que quelques taches violettes.
Les oignons qui étoient à la parie moyenne ,
c’est à dire entre le centre et la circonférence des
endroits infectés , étoient dans un état mitoyen
de maladie; mais la terre étoit enuérement tra
vérsée par des filets violeis extrêmement déliés et
aisés à rompre.
Comme je ne trouvois ces corps glanduleux
et ces filets violets que dans les endroits infectés,
je soupconnai qu’ils pouvoient être la cause, ou
du moins l’effet de la makadie. Ges corps glandu-
leux ressemblent à de peutes truffes, mais leur
superficie est velue; leur grosseur n’excède pas
celle d’une noisette (planche VII, fig. rv) : ils
ont l’odeur du champignon, avec un retour ter-
reux; les uns sont adhérens aux oignons de
Safran, et les autres en sont éloignés de deux
à trois pouces.
Les filets sont ordinairement d’un fil fin et de
couleur violette, velus comme les corps glandu-
leux ; quelques - uns s'étendent d’une glande à
l'autre, d’autres vont s’insérer entre les tégumens
des oignons, se partagent en plusieurs ramifica-
uons, et pénètrent jusqu’au corps de la bulbe,
16 VOYAGES
sans paroître sensiblement y entrer. Ils forment
dans cette route une infimité d’anastomoses et
de divisions, et sont parsemés de peut nœuds ou
ganglions, qui ne paroissent être autre chose
qu'un amas de laine qui recouvre les corps glan-
duleux et les filets.
Ces observations m’ont fait penser, continue
Duhamel, que les tubercules sont des plantes pa-
rasites qui se nourrissent de Ja substance de
l'oignon, et qui, comme les truffes, se multi-
plient dans l’intérieur de la terre, sans se mon-
trer à la superficie.
11 paroît certain que cette espèce de truffe se
nourrit aux dépens de l'oignon du Safran, puis-
que ses racines pénètrent ses enveloppes , et s’at-
tachent à sa propre substance qui dépérit à pro-
portion du progrès que ces racines font sur
l'oignon.
Si l’on joint à ceci une autre observation,
qui est, que cette maladie fait presque tous ses
progrès pendant les trois mois du printems, je
ne crois pas qu'on puisse douter que cette plante
parasite (*) n’en soit la véritable cause, puisque
c'est en cette saison que les racines végètent et
s'étendent le plus. Pour nv’assurer de ce fait, j'ai
(*) Cette plante parasite est aujourd'hui très-bien
connue. Vovez Bulliard, histoire des champignons,
D'UN NATURALISTE. 183
planté quelques tubercules de la mort dans des
pois où j’avois planté de la terre saine des oignons
de différentes fleurs; en un an de tems, ces tu-
bercules se sont multipliés dans ces pots, et ont
attaqué les oignons que jy avois plantés. J'ai
depuis ce tems-là trouvé cette même plante pa-
rasite qui faisoit le même dommage à des hièbles,
de l’arrête-bœuf, à des plants d’asperges, ete...
Cette peute truffe se nourrit, comme on le
voit, de plusieurs plantes d’espèces fort diffé-
rentes. Elle n’attaque point les plantes annuelles ,
ni celles qui n’ont leurs racines qu’à la super-
ficie de la terre. Mais, d’un autre côté, mes
observations détruisent tout le merveilleux de la
maladie dont 1l est question : 1l est naturel que
cette plante parasite s’étende circulairement
page 81. C'est la sclerote des Safrans de Persoon,
synopsie 119.
Cette plante parasite , dit Bulliard, est la plus petite
des espèces de ce genre; c’est aussi la seule qui ait de
véritables racines : elle s'attache particulièrement aux
bulbes du Safran cultivé dont elle s'approprie la subs-
tance, et qu'elle fait périr promptement : aussi est-elle
connue des cultivateurs sous le nom de mort du Safran.
Il y en a de diverses grosseurs. Leur chair est ferme,
rouge en dedans comme en dehors, et la chair
paroit formée de petites écailles placées en recou-
vrement, ainsi qu'on le voit planc. IX, fig. 1v,
grossie par la loupe.
1958 VOYAGES
autour des oignons malades, puis qu’elle fait
ses progrès par Palongement de ses racines , et
par la production de nouveaux tubercules. Si
un oignon malade, ou une pellée de terre
établit la maladie dans un champ sam, c’est
qu'on y transporte en même tems la plante
contagieuse : tout cela se passe, pour ainsi dire,
en secret, puisque cette plante ne se manifeste
point au dehors. On parvient à arrêter ses
progrès par une tranchée, parce qu’on empêche
les racines meurtrières de s'étendre; et c’est en
ellet le seul moyen que l’on puisse employer
pour empêcher que cette maladie mortelle ne
gagne tout un champ de Safran.
PROPRIETÉS DU SAFRAN.
LE SAFRAN CONSIDÉRÉ SOUS LE RAPPORT DE
LA MÉDECINE, a des vertus en grand nombre ;
il est,
Béchique , hystérique , diaphorétique, cor-
dial, céphalique, ophtalmique, stomachique,
carminauf , détersif , résoluuf et assoupis-
sant, etc.
Nous allons l’examiner succinctement sur
toutes ces qualités, qu’il possède à un très-haut
degré.
Comme BÉCHIQUE. C’est un bon expectorant,
et recommandable dans l'asthme humide et
D'UN NATURALISTE. 159
convulsif, ainsi que dans les embarras du pou-
mon. Rivière ordonne avec succès aux asthma-
tiques un scrupule de Safran en poudre dé-
layé dans du vin; et Boyle, dans la même
maladie , le prescrit en poudre ou en pilules, à
la dose de 8 à 10 grains, avec un peu de sirop
de violette, le soir en se couchant.
Infusé dans du lait, on le donne avec avantage
en petite dose dans les affections du poumon,
s’il ny a point complicauion d’hémoptysie ou
crachement de sang ; car il exciteroit certai-
nement une hémorragie pernicieuse , par sa
vertu irritante et ses principes volauls, âcres,
huiléux , aromatiques et salins , qui enflamment
le sang, hquéfiant les humeurs, échauflent l’un
et l’autre, et les rendent acrimonieux. C’est
cette vertu contraire en Ce Cas, qui le rend
recommandable dans les suppressions des règles,
surtout en le combinant avec des préparations
de Mars.
COMME HYSTÉRIQUE ET EMMÉNAGOGUE. On en
met infuser une pincée dans les liqueurs emmé-
nagogues , bouillons ou boissons ordinaires ,
infusions théiformes, contre la jaunisse ou chlo-
rose. [1 provoque donc puissamment les règles
retardées ou suspendues , ou coulant trop ler-
tement. |
Lorsque les lochies vont mal, on l'administre
160 VOYAGES
également, 1l enlève la cause de ce retard,comme
apéritif, et calme en même tems tous les ac-
cidens à craindre , comme nervin.
COMME DIAPHORÉTIQUE. Dans les maladies
hypocondriaques , et lorsqu'il est besoin de
pousser à la peau, comme dans les fiévres érup-
uves, malignes , la peute vérole, la rougeole,
les fièvres miliaires, lorsque l’éruption a peine
à se faire, que la tête se prend, qu’il y a affection
cérébrale, et coma, alors on le mêle avec le
camphre , et 1l devient sudorifique.
On l’ordonne comme diaphoréuque, mêlé à
la squine , dans la goutte et les rhumatismes.
COMME CORDIAL ET ALEXITÈRE. On l’emploie
avec beaucoup d’avantage dans les maladies
pesulenuelles et putrides. (N°. 14).
Comme cÉPHALIQUE. Dans les affecuons du
cerveau , et la plupart des maladies du genre
nerveux qui sont accompagnées de mouvemens
convulsifs, contre lesquels 1l agit comme anodin.
COMME OPHTALMIQUE. On mêle sa teinture
à l’eau de rose et de plantain dans les collyres
prescrits, pour préserver les yeux des influences
funestes de la petite vérole, ainsi que de la
chassie.
On le mêle à des huiles douces, pour faire un
hnnment dont on frotte les yeux dans la peute
vérole confluente, afin de les conserver. Un
certain
D'UN NATURALISTE. 16%
certain praücien heureux le faisoit infuser dans
de la crême jusqu’à ce qu’elle ait pris la teinture,
et en frottoit le visage dans la peute vérole pour
empêcher qu’elle ne cavät trop.
Comme sromacuiQueE. Le Safran est la base
de lélixir de garus, puissant remède pour
les estomacs froids, foibles , délicats et pares-
seux. Dans les coliques venteuses et indigestions,
la dose est d’une cuillerée mêlée avec deux fois
‘autant d’eau. |
Il est à observer que ce remède échauffant
prodigieusement | il faut savoir en modérer
l'usage. Le Safran est également la base du
scuba , hqueur stomachique.
CommE HÉPATIQUE. Le Safran est ordonné
avec succés pour lever les obstructions du foie.
COMME CARMINATIF. Îl pousse puissamment les
flatuosités.
Comme pÉTERsIr. On l’emploie dans les gar-
garismes résolutufs, lorsque les eflets de l’esqui-
nancie sont lents, ou qu’il y a obstruction aux
amygdales ; alors ces gargarismes se préparent
avec le safran, le lait, les figues grasses, la
véronique mâle , la brunelle et la pervenche.
Pour l'exuncuon de voix on prescrit avec
succès le remède suivant : Prenez une pincée
de Safran, faites bouillir dans un poisson de
TomL L
162 VOYAGES
lait, et le faites prendre au malade, le plus
chaud possible.
ComMME RÉSOLUTIF ET ANODIN. On l’emploie
lorsqu'il s’agit d’apaiser l’inflammation des
tumeurs, de la goutte et des rhumatismes, dans
les cataplasmes de mie de pain et de lait qu'on
ordonne à ce sujet; mais à plus forte dose, lors-
qu'il s'agit de résoudre des tumeurs dures et
sŒquirreuses.
ENFIN COMME ASsOUPIssANT. Le Safran, re-
connu narcotique par expérience, n’est qu’ano-
din et assoupissant pris à peute dose; et ce qu'il
y a de paruculier, c’est qu’il est estimé comme
le meilleur correcuf de l’opium. Pris en trop
grande quanüté, à la dose de trois gros, par
exemple, 1l cause la pesanteur de tête, ensuite
le sommeil, puis des ris immodérés et convulsifs
qui se terminent par la mort,
Nora. Son usage habiiuel, quoique d’une
saveur très-amère, le rend moins pernicieux ;
car les Polonais dans leurs alimens en mettent
jusqu’à une once, sans en éprouver aucun ré-
sultat fâcheux. Le Safran, en un mot, est pour
les Polonais ce que lopium est pour les Tures,
qui graduellement arrivent au point de le
prendre impunément.
On peut, sans habitude contractée, en user
D'UN NATURALISTE. 103
quelquefois sans danger à la dose d’un scrupule
jusqu’à un scrupule et demi.
Il y a des pays où on le mêle avec le pain :
en talie, on en met dans la soupe et dans tous
les ragoûts. On pourroit cependant s’en abstenir
dans ce pays chaud, où son usage n’est point
utile comme dans les pays froids.
On uüre, par des procédés chimiques, da tein-
ture et l'extrait de Safran ; mais beaucoup de
médecins préférent son usage en substance
ou en infusion, à ces préparauons de Part qu
d’ailleurs sont moins faciles à se procurer dans
les campagnes.
On demandera peut-être pourquoi le Safran
sagement administré, est nervin, anti-convulsif,
et pourquoi à forte dose 1l excite des convul-
sions , et devient si funeste? L'auteur du Dic-
uonnaire raisonné et umversel de matière médi-
cale offre la soluuon de ce problème. C’est
apparemment, dit-1l, qu'à dose modérée 1l fait
couler modérément l’esprit animal; au heu qu'à
forte dose, 1l occasionne un flux immodéré des
esprits.
Les sugmates de Safran, dit M. Vogel, re-
pandent une odeur suave, provoquent le som-
meil, égayent l'esprit, et excitent les jeunes gens
à la joie. Schulz. præl. in disp. br. 236. Hs ra-
niment les esprits, suivant M. Pringle, Trans.
L 2
104 VOYAGES
philos. ; et résistent fortement à la putréfactian :
is rendent l'urine rouge, apaisent les douleurs
et les convulsions; procurent l’écoulement des
règles , favorisent l'accouchement, modèrent la
toux; mais il faut éviter de les prescrire à trop
forte dose, ils deviennent un poison. On a des
observations qui prouvent leurs mauvais effets ;
dans Zacut de Portugal , Prax. adm., hb. 117,
observ. 144; dans Borell., Lib. 1v, observ. 30,
35 ; dans Stenzel., de Anod. virt. ven. 6. xxx1v.
On lit in Comm. Norimb. 1735, pag. 220,
qu'une cuillerée entière de Safran avalée avoit
occasionné un vomissement énorme, et avoit
fait rendre ensuite une quantité considérable
de vers. Amatus de Portugal, curat. med.,
cent. v, pag. 71, et Hertodt, crocolog., ont
observé que le Safran communiquoit sa couleur
aux fétus des hommes et des brutes. Réduit en
poudre, et répandu sur les excoriauons des
enfans , 1l les guérit, suivant Baeumler.
C’est dans ce siècle qu’on a découvert que le
Salran contenoit une huile éthérée , mais en
petite quantité.
Le Safran, dit Chomel, entre dans la thé-
riaque, dans l’élxir de propriété de paracelse,
dans lélixir de garus, dans les tablettes de
Safran de mars composées , la poudre d’hiar-
rhodon, le mithridat, la confecuon d’hyacinthe,
D'UN NATURALISTE. 165
lhiéraprica de Galien, les trochisques de cam-
phre, les pillules dorées, et dans les pillules
pour la gonorrhée de Charas.
LE SAFRAN CONSIDÉRÉ SOUS LE RAPPORT
DES ARTS.
PROPRE AUX AMIDONNIERS. On peut faire de
très-bel amidon avec lPoignon de Safran ; mais
le prix en seroit trop cher par la quantité d’oi-
gnons qu'on seroit obligé de se procurer pour
cette manipulation à laquelle il est plus sage
de renoncer.
PROPRE AUX PEINTRES ET TEINTURIERS. Les
stigmates de Safran fourmssent nne belle teim-
ture, mais dispendieuse et difficile à fixer. Les
peintres et architectes l’emploient pour le lavis
des plans et l’aquarelle.
PROPRE AUX CONFISEURS ET DANS LES OFFICES.
Il entre dans les crêmes, les gaufres, les biscuits,
pastilles , conserves , seubac , etc.
SOUS LE RAPPORT DE L'INTÉRÈT PUBLIC ET DE
L’INTÉRÊT PARTICULIER , la culture du Safran est
également importante.
SOUS LE RAPPORT DE L’INTÉRÊT PUBLIC. Parce
qu'elle fournit une branche de commerce assez
étendue, dont l’objet est entièrement d’expor-
tauon. Il se consomme en France au plus la
10
165 VOYAGES
millième parue du Safran qui s’y récolte aux
ca © à se > : r 4
usages 1adiqués plus haut.
SOUS LE RAPPORT DE L'INTÉRÊT PARTICULIER.
Parce qu'elle est extrêmement avantageuse pour
le culuvateur et le propriétaire locataire du
terrain, ainsi qu'on le voit d’après le tableau
‘suivant.
Au Safran succède ordinairement dans le
Gaunas le samfoim. Ce gramen, trouvant une
terre meuble préparée par de fréquens et pro-
fonds labours, pousse des racines étendues qui
en trois ou quatre années non seulement lui
rendent, mais même accroissent sa fécondité
par l’engrais qu’elles procurent ; au point qu'on
y récolte jusqu’à trois mmoissons de blé consé-
cutives, sans repos et sans autre engrais. Ainsi
une pièce de terre consacrée à cette culture
produit en neuf ou dix ans trois récoltes abon-
dantes en blé, trois où quatre récoltes de sain-
foin, au moins équivalentes à trois récoltes de
blé de mars, et en outre trois récoltes de Safran,
de manière que les récoltes de Safran sont tout
. lexcédant du produit net.
FRAIS DE CULTURE D'UN ARPENT DE TERRE
A SAFRAN PENDANT TROIS ANS.
L’'arpent de terre à Safran loué Fun dans
] ’autre 60 #, au lieu de 12 # environ pour cul-
D'UN NATURALISTE, 167
ture ordinaire, est payé, pour trois années de
OUSSADOES 0 UN AR ES" AGE
Il faut pour le plantage 6/40 boisseaux
d'oignons, qui font 160 mines, à vingt
sous le boisseau contenant environ mille
CIO ET RU 00000
Contribution à 9 * par arpent l’un
HÉnIEURe Sr tt +, (07
Frais de cueillette et d’épluchage, à
supposer qu'on aithesoin de journaliers,
pour cinquante-cinq livres de Safran en
trois ans, à quarante sous la livre . . . 110
Total des déboursés pour trois années
dé ÉcOIte eh Mere LOT is TOR
PRODUIT DE TROIS RÉCOLTES DE SAFRAN.
La première récolte donnant
BANITOMN Et en PACRe 5 1
La seconde, produitmoyen,.. 25
Latroisième, produitmoyen,. 25
Font... 55 1
Les cinquante-cinq livres de Safran
sec, l’une dans l'autre à 5o#, font... 2750 #
Voilà le fonds de Ia terre triplé en une année
pour le safranier propriétaire. On voit, d’après
L 4
168 VOYAGES
cet exposé, qu'il n’est point d’exploitauon dont
le bénéfice puisse être comparé à celle du
Safran. Le propriétaire locataire des terrains
qui sont propres à cette culture, participe aussi
aux avantages qui en résultent ; car 1l les esume
généralement huit fois aussi chers que s’ils étoient
en culture ordinaire.
D'UN NATURALISTE. 169
OST LS SA Sn A D D, ne nn
NOTES.
(D
2 ,-œ—
(No. 1) Lss graines contenues dans l'ovaire, dit
M. Delataille-Desessarts, ne müûrissent point assez
dans le Gatinais; c’est pourquoi on en néglige la ré-
colte pour la multiplication de l'espèce, d'autant plus
qu'on la régénère au moyen des caïeux dont le déve-
loppement est plus sensible, et l'accroissement plus
prompt. Cependant, si lon veut par disette d'oignons
avoir recours à ce moyen, on laisse une partie du
champ de Safran sans en cueillir la fleur, et deux
mois après sa défloraison, on coupe le pédicule au
dessous de l'ovaire, qui forme une capsule triangulaire
qui renferme le fruit. On la fait sécher au soleil pour
la semer ensuite. On arrache les oignons provenus de
cette graine trente mois après qu'ils ont élé semés, et
ils rapportent presque toujours la même année.
(No. 2) Le seul engrais convenable aux safranières,
ainsi que l'observe M. Delataille-Desessarts, c’est le
marc de raisin que l’on étend sur le sol, un mois avant
le premier labour. On prétend que cette sorte d'engrais
préserve l'oignon de ses maladies habituelles, ou du
moins qu'il en devient le palliatif. C'est à tort que ce
même observateur dit que les terres à blé et celles où
la vigne vient d’être arrachée , ne sont pas trop conve-
nables aux plantations de Safran; puisque rien n'est
170 VOYAGES
plus propre à recevoir cette plante bulbeuse qu'un
arrachis de vignes ou de chenevis.
(No. 5) Plus on plante creux, et plus les fleurs et
les tiges sont belles et vigoureuses, et moins la gelée
a d'empire sur les oignons. I! faut que le froid passe le
dixième degré, pour qu'il gèle à sept pouces de pro-
fondeur. Les faux dégels seuls peuvent être défavo-
rables aux oignons en ce qu'en les plaçant entre deux
glaces, ils se fendent et pourrissent en peu de tems.
Les vieux oignons gèlent plutôt que les nouveaux,
parce que la proéminence de leurs caïeux supérieurs
et l'effort annuel de la végétation les rehaussent par an
de huit à neuf lignes , et les portent bientôt presqu'à la
superficie de la terre.
(No. 4) Le sol préparé à recevoir les oignons, on
les dérobe et on les expose au soleil pendant quelques
jours, pour en absorber l'humidité superficielle , et les
planter ensuite dès le commencement de juillet.
(No. 5) Le recoulase, façon qui se donne au com-
mencement de septembre, est destiné à enlever les
herbes; c’est pourquoi il faut profiter d’un tems bien
sec pour cette opération ; car, par un tems humide,
il se fait des mottes qui empêchent la fleur de sortir.
Les safraniers les plus expérimentés donnent une
autre facon vers la mi-août. Ils disposent le terrain en
billons de quatre à cinq pouces de hauteur exposés
au midi, et après un mois les rabattent. Outre que la
terre est plus ameublie, elle reçoit des influences
bénignes du soleil, qu'elle communique ensuite par
intus-susception aux oignons qu'elle renferme en son
sein, et les dégage par sa porosité de l'humidité con-
traire, dont la concentration est funeste aux oignons.
D'UN NATURALISTE. 171
(No.6) L'opération du plantage peut se faire en
six jours par arpent, avec deux personnes. Il faut
12 oignons pour meubler un pied carré; ce qui fait
147,200 oignons par quartier , et 580,800 par arpent ;
ce qui fait environ 1260 oignons épluchés par bois-
seau, et5040 par mine. On emploie 29 mines pour
un quarlier, et 116 pour un arpent.
(No. 7) La supériorité des fleurs du Safran du
Gatinais, sur celles de Ia Beauce, sont dans les pro-
portions de 8 à 10, c'est à dire que l'on comptera
8000 flèches par livre de Safran vert du Gatinais,
et 1000 flèches de Safran de Beauce pour égale
quantité.
(No. 8) Les taupes ne mangent pas les oignons,
mais pratiquent des passages aux mulots qui en sont
très-friands.
La diminution du gibier est bien favorable aux
safraniers, qui n’ont plus alors besoin de clorre leur
terrain. Il falloit soixante-quinze bottes de charniers
par + d'arpent de terre, ce qui fait trois cents bottes
pour un arpent. Le charnier vaut de dix-huit à vingt
francs les vingt-cinq bottes, ce qui fait deux cent-
quarante francs pour entourer un arpent de Safran,
cutre douze journées d’un homme pour appointer et
planter le charnier.
Les petits scolopendres , ou bétes à mille pieds,
sont aussi des animaux dévastateurs, et s'attachent
particulièrement aux racines de l'oignon.
(No. 9) Il faut à peu près huit éplucheurs par
arpent de Safran. On doit leur recommander de ne
point travailler ayant les pieds dans le déchet inu-
tile qu'ils jettent ordinairement sous la table, autre-
172 VOYAGES
ment ils sont attaqués d’enflure. C'est ainsi qu'il
arrive aux emballeurs par la poussière des étamines.
Il faut éviter d'éplucher le Safran recueilli par
un tems de pluie, car il fait des flèches une pâte
qui en détériore la qualité.
(No. 10) Lorsque le dessus du Safran blanchit,
étant sur le tamis, c'est qu'il est assez sec d’un côté;
alors on le retourne. Quand il se brise au toucher,
c'est preuve que la dessication est parfaite. On le
met alors hors de l'humidité entre deux papiers,
et non du linge qui la conserve.
Certains paysans mettent quelques gouttes d'huile
dans leur boîte, et le remuent ; cela lui donne un
rouge plus vif, mais lui ôte de son parfum et de
son velouté. L'opération de la dessication doit être
lente. Il faut éviter la fumée et un trop grand feu.
Trois quarts d'heure suffisent pour sécher une livre de
vert ; il faut deux poinçons de charbon pour faire
sécher cent livres de Safran.
La vapeur concentrée fait enfler les yeux.
(No. 11) Le Safran d'Asie, surtout celui du
Mont-Liban, rivalise seul le Safran du Gatinais,
réputé le meilleur de tous , soit par les soins de sa
culture , soit par la qualité identique du terrain.
Viennent après les Safrans de Portugal, d'Espagne,
d'Italie, du Comtat d'Avignon, du Languedoc et du
Quercy ; enfin le dernier, pour la qualité, est celui
de Normandie. |
Lorsqu'il s'agit d'emballer le Safran pour le faire
passer à l'Etranger, on doit observer que plus il est
pressé dans les sacs, et moins il est susceptible de
D'UN NATURALISTE. 175
sévaporer. D'autres le mettent dans des barils bien
clos et enduits extérieurement de goudron.
Le Safran expédié pour les Grandes - Indes, se
recouvroit d'huile dans des boîtes de fer-blanc ; main-
tenant on l'emballe dans des caisses de bois de
chêne, hermétiquement rejoiutes, et garnies inté-
rieurement d'un double papier qui retient l'humidité
ambiante, et attire celle superflue ; puis on met
cette caisse dans une autre, et le Safran arrive avec
son parfum, etest alors recherché des Indiens.
On paye aux commissionnaires vingt-quatre francs ,
pour le double emballage en toile, d'un ballot d'un
quintal. Plus deux ? pour + de commission, outre
les frais de transport et les droits d'exportation.
Souvent les marchands de Safran le sophistiquent
avec du carthame (1). Le carthame diffère du
chardon par les caractères distinctifs suivans : c’est
une espèce de chardon à fleurs flosculeuses, dont
chaque est semblable , et porte un style divisé en
trois flèches, qui ne différent des stiomates du Safran
qu'en ce qu'elles ne sont pas portées par un filet
blanc, qu'elles sont plus petites, plus courtes, moins
aplaties et sans odeur. (Planche XI, fig. 111).
On le sophistique aussi en faisant bouillir des
flèches et du sablon fin qui se colle et adhère aux
(1) Le carthame officinal ; carthamus tinctorius, Linnée,
Carthamus foliis ovatis integris serrato - aculeatis. Lin. Mill.
Dict, N°. 1. Gars. Vol. 5, t. 75. Carthamus officinarum
flore croceo , Tourn. 457. Cnicus sativus S. Carthamus offici-
narum. Banh. Pin. 578. Carthar us sive cnicus. J. B. 3, 70.
Raj. Hist. 302. N°. 1. Cnicus vulgaris. Clus. Hist.2, p.152.
Cnicus S. Carthamus, Dod. Pempt. 362. Lob. Ic. 2, p. 19;
vulgairement le Safran batard. (PL XI.),
174 VOYAGES
fleurs, mais qui s'en détache à mesure qu'il se
dessèche.
Une autre manière est d'y méler du filde la même
éouleur, mais cette sophistication est facile à recon-
noître par la souplesse des brins, comparativement
à l'état de friabilité des véritables flèches. Les frau-
deurs le ressassent encore avec un peu de vermillon
dans un sac, mais cette frande est punie des galères.
(No. 12) Il faut extraire le tacon, et ne pas
s'exposer à planter des caïeux qui en sont infectés.
On guérit souvent Îles oignons du tacon, en les
mettant pendant quelques jours dans du marc de
raisin sec qui en pompe l'humidité superflue.
M. Delataille- Desessarts parle de lemporte-pièc
des jardumiers, composé de deux cilyndres mobiles
et rentrans , pour enlever les oignons taconés, mais
il faut tant de précautions pour ne pas couper les
oignons latéraux et circonvoisins que celle pratique
ue peut élre mise en usage que par des journaliers
adroits et intelligens.
(No. 15) L'oignon frappé de la mort, comme
Fobserve avec justice M. Delataille-Desessarts, dé-
composé à son centre, et converti en déliquium
infect et visqueux, est ordinairement pétri d'une
terre glatte et grasse qui prend sa couleur rousse.
Les corps glanduleux adliérens aux oignons frappés
de la mort, sont durs, compactes, velus et d’une
couleur pourpre foncé. Leur substance est composée
de petits poils serrés, et qui ont le tissu et la contex-
ture de l'étoffe du chapeau.
Le tacon diffère de la mort en ce que c'est une
carie sèche que fuyent les insectes, et que les oignons
D'UN NATURALISTE 155
qui en meurent sont altaqués d'une espèce de ver-
moulure ou poudre assez grossière, au lieu que la
robe de l'oignon frappé de la mort ne renferme
plus en son sein qu'une décomposition bulbeu:e
très-humide , visqueuse, infecte, etremplie d'insectes.
M. Delataille - Desessart observe à tort qu'il croit
avoir découvert que la maladie de La mort étoit
occasionrée par un principe de putréfaction qui se
trouve dans quelques veines de terre, et à certaine
profondeur. Les raisons qu'il allègue sont, 1°. que
plus on enterre ces oignons, plus ils sont sujets à la
maladie; 20. que des oignons mis dans de la terre
prise dans un endroit où régnoit cette maladie, ne
la gagnent pas si l'on a eu soin de faire sécher cette
terre au soleil pendant quelques jours, et qu'ils y
périssent bientôt sans cette précaution, preuve de
l'influence de l'humidité superflue, et non de la terre:
Il s'ensuit de là que l'influence aqueuse si funeste
aux oignons de Safran, de la température plus ou
moins humide d'une année , dépend la maladie ap-
pelée la mort ; et que l'oignon trouve plus d'hum: -
dité à une certaine profondeur qu'à la superficie
qui est bientôt desséchée par l'air et le soleil, tandis
que l'humidité reste permanente à la profondeur
moyenne, qui est le séjour des oignons.
30. Ajoute M. Delatalle, dans les pays méridio-
naux où on enterre le Safran à moins de profondeur,
cette maladie y est à peine connue, et n’y fait des
ravages que dans les terres naturellement humides
(donc que c'est l'humidité permanente à six pouces
de profondeur, expérience confirmée par les oignons
qui vésètent et fleurissent sur des cheminées sans le
176 VOYAGES
secours d'aucun arrosement ni de terre), il n’est donc
besoin à la terre que de garantir l'oignon d'une
sécheresse infertile, en entretenant seulement autour
de lui un peu de fraicheur. La comparaison exisie
dans les années pluvieuses et les années sèches.
Une preuve encore de l'induction de mon assertion ,
c'est qu'on ne doit pas attribuer cette maladie à des
veines de terre ; C’est que, d’après M. Delataille, S. ITI,
page 52, les oignons de Safran étant un peu séchés
et essuyés pour enlever les principes de putréfaction
dont ils pourroient être couverts, et étant ensuite
plantés avec des oignons sains, ils ne leur commu-
niquent point la maladie.
4°. Qu'une terre infectée de mort, dont on aura
ôté avec le plus grand soin les corps glanduleux ,
et dans laquelle on aura planté des oignons sans
l'avoir fait sécher, leur communiquera la maladie,
sans pourtant découvrir aucune trace de ces corps
glanduleux , etc.; que ces prétendues tubéroïdes ou
truffes sont toujours adhérentes aux côtés de l'oignon ,
au dessous, et que l'on n’en découvre aucune au
dessus.
Ces corps glanduleux se conservent des années
entières en terre, sains et sans se décomposer 3; 1l
paroit méme que les insectes ne les recherchent pas.
Les oignons attaqués de la mort nourrisséft deux
espèces d'insectes; une espèce d’arlison ou ver dessi-
cateur et de petits scolopendres. Les premiers, de
la grosseur d'un grain de blé, sont d’un blanc trans-
parent l'hiver, et acquièrent une couleur pourpre
l'été. Leur tête, armée de deux cornes , a toujours
celte couleur. Leur corps est armé de six pattes. Ils
déposent
D'UN NATURALISTE 1-7
déposent leurs œufs en nombre infini dans l'inté-
rieur de l'oignon malade. Ces œufs éclosentau mois
de mas, et les petits qui en sortent, vivent de
loignon putréfié dont ils provoquent la corruption.
Ils passent ensuite dans la partie saine, si elle est
humide, et finissent par la corrompre aussi. L'hu-
midité et ces insectes sont donc la cause de la mort.
(No. 14) Cest un puissant cordial, et son usage
est précieux pour le mal de mer qu'il modère. On
en prend un scrupule infusé dans un verre de vin
de Madère ou d'Espagne. le matin, autant le soir,
pendant le tems que cetie incommodité dure.
Notes historiques sur le Safran, d'après
DT. Delataille - Desessarts.
Des iraditions anciennes nous apprennent que les
J'yriens et les Sydoniens lemployoient pour peindre
en jaune doré l'étoffe dont on se servoit en Asie
pour faire les voiles des nouvelles mariées, qui se
déroboient aux yeux Îles premiers jours du mariage,
surtout pendant la cérémonie nuptiale. Ils s'en ser-
voient aussi pour leurs parfums, les alimens et la
médecine. Ils türoient alors leur Safran du Mont-
Liban, où l’on en cultivoit, surtout sur les bords du
fleuve Eleuthère , nommé par les Romains Vellania.
Les ‘Tyriens fevoient encore leurs Safrans en Cili-
cie, où, d'après le rapport de Quint-Curce dans le
troisième livre de son Histoire, il croissoit en telle
abondance , qu'il a donné son nom à la forét et à
la ville de Coryce. Cette ville étoit considérable; les
Romans entretenoient toujours une flotte dans son
port, el tous les aus, en automne, on y célébroit
Tome I. | M
178 VOYAGES
4
les noces du dieu Bacchus. Les prêtres et sacrifica-
teurs étoient couronnés de fleurs de Safran.
Les Eoyptiens et les Hébreux l'employoient dans
leurs alimens. Homère et Virgile l'on chanté dans
leur description des feux de l'Aurore. Les prêtres en
oruoient leur tête dans le temple de Vénus.
Les auteurs et poëtes anciens nous disent qu'on
faisoit usage du Safran dans les sacrifices , les spec-
tacles et les festins. Pour cela, on le faisoit infuser
dans de l’eau pour l'aspersion des temples , des
théâtres et salles de festins.
Pline rapporte que lon se couronnoit à table de
cette fleur ; que son évaporation neutralisoit Les vapeurs
du vin, et que les Cybarites buvoient du Safran
avant de se livrer à la débauche de Bacchus ou de
Vénus.
A Rome les aruspices, les femmes et les petits
maîtres ne portoient de bonnets, de chaussures et
d'habits que de la couleur de Safran ; d'où 1ls nom-
mèrent cet habillement complet, crocota; de là,
suivant Plaute, l'adjectif crotarius : Cicéron et Ovide
attestent les mêmes assertions.
Les Grecs l'employoient aussi, quoique pendant
long-tems ils y aient substitué, à cause des guerres
et du défaut de communication, lholocrysson ou
rose de Calabre, espèce d'églantier qui fournit une
graine de laquelle on obtient une teinture d’un jaune
doré.
D'UN NATURALISTE. 179
RO VO BR Ve RO RU Re
DÉPART POUR BORDEAUX.
LEETES du départ de PAdrastus, vaisseau
parlementaire , devant mettre à la voile pour
Charles-Town , étant fixé, je m’arrachai une
seconde fois du sein de ma famille, et me
rendis à Paris pour faire route vers Bordeaux.
Nous partimes de la Capiiale vers les sept
heures du maun, par un browullard très-épais
qui me dispensera jusqu’à Blois de décrire les
lieux que nous avons parcourus, savoir; Etampes,
Orléans, Baugenci, et Blois où nous couchâmes
dans une auberge de beaucoup d’apparence ,
mais bien peu digne de la haute réputation que
Jui donne la trompeuse renommée. Ces villes,
d’ailleurs connues , n’ont rien produitde nouveau
à mes acuves observations.
Le lendemain 27 octobre, nous déjetnâmes
à Amboise, village situé sur les bords de la
Loire , et au nulieu du paysage le plus cham-
pêtre et le plus pittoresque. Nous dinâmes à
Tours, dont la beauté des environs est si juste-
ment renommée. La nature, qui y déploie avec
prodigalité les a de la végétauon, lui à
M 2
150 VOYAGES
fait donner le nom de jardin de la France. On
voit à l'entrée de la ville, à la droite de la grande
route , le superbe couvent de Noirmoutier,
immense par lPétendue de ses bâtimens, où
étoient logés tous les ouvriers nécessaires aux
réparations accidemtelles de ce superbe édifice.
Nous couchâmes à Sainte- Maure, où nous
essuyâmes un orage assez violent , malgré
l'arrière - saison.
Le 98 , nous dinämes à Châtelleraud , dont la
coutellerie délicate est recherchée. A peine des-
cendu de voiture, je me vis seul assailli de
plus de vingt marchandes qui crioient conu-
nuellement à mes orcilles, en m’offrant cha-
cune une douzaine de couteaux à la fois. J’étois
si excédé et tant étourdi de ces instances réi-
iérées par un commun intérêt, que ne sachant
comment m'en débarrasser , je leur fis voir un
couteau qui me sufiisoit. À peine l’eurent-
elles vu, qu’une marchande sauta dessus, et
l'arracha de mes mains, sans attendre mon
approbaüon , pour aller le faire repasser. Je
fis courir après elle, et je fus obligé de me
fâcher pour qu’elle me le rendit. Cependant
cetie premicre fougue , imaginée pour exciter
l'envie des voyageurs à la vue de tant d’espèces
différentes, étant passée , j'en choisis au moins
un de mon goût.
D'UN NATURALISTE. 187
Nous soupämes à Poitiers , ville déserte par
la suppression des nombreux monastères qui
y entretenoient un commerce vivant, et une
grande consommation. On y vit à bon marché.
Nous eûmes la curiosité d’y demander du vin
blanc paillé qui est assez bon. Il se fait ainsi :
On choisit dans de vieilles vignes le plus beau
raisin qui, Sur toutes choses, doit être cueilli
à la rosée du maun, et s’il se peut, avant le
lever du soleil. On en étend une couche sur
le pressoir , et on la recouvre d’un lit de paille,
surmonté Jui-même d’un autre lit de raisin,
ainsi de suite, jusqu'à ce que le marc soit re-
connu suflisant. On exprime légérement cette
liqueur première qu’on entonne aussitôt. Ce vin,
mis en bouteille au mois de mars, acquiert une
qualité si parfaite qu’on le fait passer dans le
pays pour du vin de Champagne, utre peut-être
1rop avantageux, mais qualité qu'on pourroit
légérement modifier lorsqu'il a été préparé par
les procédés décrits.
On n’achète dans ce pays de la moutarde que
le soir. Alors on entend des hommes ceints de
sangles de cuir, et portant de grands pots,
pousser dans les rues un certain cri qui les fait
recounoître.
Le 29, nous passämes le maun par Manles,
D:
remarquable par ses belles prairies. Le villase
Mi 0
162 VOYAGES
est affreux quant aux bätimens , recouverts de
tuiles semi- cylindriques , dont la pesanteur
charge les toits de manière à en fatiguer la
charpente. Cet usage à de plus l'inconvénient
d'exposer les passans à être blessés par la chute
de ces tuiles retenues par de grosses pierres
posées au bord des couvertures pour faire poids,
et qui tombent au premier coup de vent. L/usage
de ces toits est siinvétéré, que les maisons qu’on
y bäut encore sont revètues de ces masses co-
lorées. Ce village qu'arrose la Charente, offre à
son entrée un très-joh coup d'œil par de petites
îleties ou oseraies qui se trouvent au milieu
de cette rivitre. Le terrain, en sortant du village ,
est si plerreux qu'a peine on apercoit la couleur
rousse de la terre. C’est là où l’on voit com-
mencer le labour des bœufs, réunis par un joug
qui leur uent la tête en respect. Souvent ils
sont guidés par un enfant. Les bouviers sti-
mulent leur ardeur au moyen d’un aiguillon
fiché au bout d’un très-long bâton. Îls ont avec
ces animaux indolens un langage tout parüculer.
La marche de ces bœufs est lente. Souvent on
les voit traîner des charrettes trés-Étroiles.
Après avoir traversé une belle forêt de mar-
ronmiers , nous dinämes à Bullec, pays trés-
mboyeux. On y culuve par sillons le maïs, où
blé de TE urquie.
D'UN NATURALISTE. 183
Nous soupâmes à Angoulême, terrain re-
nommé par les truffes qu'il produit. La ville
est située sur une éminence très-élevée. Nous
ne pümes y entrer, parce qu'il étoit trop
tard ; c’est pourquoi nous couchâmes dans ses
faubourgs.
Le 30, nous dinâmes à Barbezieux , dont les
volailles ont une réputauon bien méritée. C’est
en sortant de cet endroit que commencérent les
chemins si mauvais, que nous eûñmes jusqu’à
Bordeaux. Il falloit arriver à Boisverd, et nous
ürer d’un mauvais pas dû à la négligence de
cette partie de la grande route. L'accident ar-
rivé la veille par le renversement d’une dili-
gence , et dans laquelle deux malheureux
voyageurs furent muülés , nous obligea de
iraverser les Bourgeons des ventes au moyen
de dix chevaux, qui eurentnéanmoins beaucoup
de peine encore à enlever des mauvais pas notre
diligence. Enfin , après de longues peines, nous
arrivämes à Chevanceau pour y souper. Ce pays
est extrêmement giboyeux , et la chasse y est
libre comme dans les environs de Bordeaux.
J'y aurois acheté un chien braque de superbe
race, mais la longueur de notre voyage me fit
remettre au retour celle acquisilion , Si son
maître n'en avoil pas disposé.
Le 31, nous commencâmes à voir de belles
M 4
184 VOYAGES
forêts de pins près de Carvagnac. Nous dinâmes
à Cusac, après avoir rencontré d’horribles che-
muns. On nous fitembarquer alors pour traverser
la Dordogne, et arriver à Saint-André.
Nous couchämes à la Basude, et le 1°. no-
vembre apercevant Bordeaux au delà du rivage
de la Garoune, nous la passämes à huitheures du
man, et entrâmes enfin à Bordeaux. Ceue ville
située sur les bords de la Garonne, est tres-com-
mercanie, et n’a rien des villes de province. Le
prix des comestibles y est exorbitant, car les
Bordelais qui sont trèsrecherchés dans le choix
de leurs alimens, y font faire bonne chère à leurs
hôtes.
Sur le bord de la Garonne qui donne mouil-
lage à des sloops , goélettes , briques et autres
bâumens de cabotage, autour d’une vaste enceme
sont situées des galeries dans le genre de celles
du Palais-Royal à Paris, et habitées de même par
des marchands de touie espèce; cet établissement
se nomme bourse. Les Bordelais sont gas,
galans et somptueux. Les ventes publiques s’y
font au son des trompettes. On y adnure la
structure de la superbe salle de spectacles.
Le lendemain de notre arrivée , jour des Morts,
après avoir fait venir des huîtres vertes (1) , très-
(1) Pour donner aux huitres la couleur verte,
D'UN NATURALISTE. 189
communes en ce pays, nous allimes entendre
lorganiste de l’église Saint-Dominique, dont le
talent supérieur et la composition élégante ü-
rérent le meilleur paru possible de l'excellent jeu
d'orgue qui décore ce temple. Les cérémonies
du culte religieux s’y font avec beaucoup de dé-
cence, et même avec somptuosité. Îl y avoit
encore au milieu de la grande nef un mausolée
qui avoit servi, ainsi que tous les attributs qui
ornoient les piliers et le poruque, à célébrer la
mémoire des défunts.
La rigueur de la saison fut encore obligée de
produire des roses pour les petits maîtres du
cours, et des fraises pour les sourmets, On nous
dit Valmont - Bomare, les pécheurs les enferment
le long des bords de la mer dans des fosses profondes
de trois pieds, qui ne sont inondées que par les
marées hautes à la nouvelle et pleine lune, y lais-
sant des espèces d'écluses par où l'eau reflue jusqu'à
ce qu'elle soit abaissée de moitié. Ces fosses ver-
dissent, soit par la qualité du terrain, soit par une
espèce de petite mousse qui en tapisse les parois et
le fond, ou par quelqu'autre cause qui nous est in-
connue; et dans l'espace de trois à quatre jours, les
huitres qui y ont élé enfermées, commencent à
prendre une nuance verte. Mas, pour ieur donner le
tems de devenir extrémement vertes, on a l'atten-
tion de les y laisser séjonrner pendant six semaines
ou deux mois,
186 VOYAGES
servit d'excellentes figues noires, et des raisins
de Malvoisie qui sont très-doux et très-délicats.
Le 7 novembre, nous nous fîimes conduire à
bordde l’Adrastus, d’où je pris dans l'après-midi
_ quelques vues des bords de la Garonne. La par-
fute tranquillité du bâument mouillé en rivière
me permit d'observer ces côtes avec tous leurs
détails.
Le diner fut servi à anglaise, et nous en fit
désirer de semblables pour toute la traversée ;
mais, hélas! l'arrivée du reste des passagers sup-
prima sur-le-champ cetie abondance avec laquelle
on flatta d’abord nos espérances.
Juché dans mon cadre, non sans risque, puis-
qu'en y montant, je me froissai vivement la
jambe, n'étant point accoutumé à une retraite
aussi peu spacieuse; je m'y livrois au sommeil
lorsqu'un vent terrible s’éleva , et confondant son
murmure aux cris des rats qui jouoient et
couroient dans l’intérieur du bâument, me ura
de mon assoupissement, et me permit de me
hivrer à de singulières réflexions.
Les anglo-américains font un grand usage de
thé, 1ls en prennentavec toute espèce d’alimens ;
c'est pourquoi ils en boivent de pleins bols à
icurs repas. Cet usage est doux, et gn peut facr-
jement s'y habituer; mais quitter du bon pam
}
blanc de Paris, pour un biscuit dur et vermoulu,
D'UN NATURALISTE. 187
c’est en vérité céder à la raison et à l'urgence des
aMaires. Comme 1l falloit plier sous tous les in-
convéniens de la traversée, je pris facilement
mon parti.
Un alarmiste, car 1l s’en trouve par-tout,
vint nous dire avec frayeur que dans les soixante
passagers de la dernière traversée , 1l en étoit
mort onze sur ce bâäument qui ne devoit point
être encore trés-sain, nous observoit cet être
pusillanime ; que les uns n’avoient pu survivre
à une dose inconsidérée d’opium; que deux
demoiselles à peine à la fleur de leur âge furent
également enlevées, par une fièvre épidémique,
à leurs parens inconsolables ; qu’un autre pas-
sager trop folâtre sur le pont, où, disoit notre
compagnon de voyage, on a sans cesse quelque
nouvel accident à redouter, n’apercevant point
les écouulles ouvertes (1), tomba à fond de cale,
se cassa trais Côtes, eL mourut peu de jours apres
sa blessure.
Le premier pilote côuer, ayant recu des ordres
du capiiane de l'Adrasius, fit lever l'ancre , et
mettre le cap sur Pouillac. L’onde douce nous
conduisoit sans tungage mi roudis , lorsque le
pilote eut des craintes pour le sort du bâtiment
() Ouverture du tillac pour descendre dans le fond
du vaisseau.
188 VOYAGES
prêt à toucher sur un banc de sable, que nous
eûmes pourtant le bonheur d'éviter.
Nous côtoyämes une péninsule qu’on appelle
Pâté de Blaïe, à cause de sa forme aplaue.
C’est un château fort où tous les navires armés
vont déposer leurs canons avant d'arriver à Bor-
deaux. Cette forteresse peut faire feu sur ceux ci,
en cas de refus ou de résistance , et empêcher de
conunuer leur marche hosule.
Le samedi G novembre, le pilote continuant
son débouquement, fitmouiller devant Pouillac,
bourg situé à dix lieues de Bordeaux. On nous
y apprit un événement bien extraordmaire ar-
rivé tout récemment. Un capitaine de corsaire
étamt descendu à terre pendant le désarmement
«ie son brick, avoit auprès de sa cheminée deux
barils de poudre qu'il s'occupoit à dessécher
parüellement. Un de ses matelots entre dans
cette chambre, et lui fait apercevoir son extrême
nuprudence. A peine eut-il parlé, que le feu
se communiquant à la poudre, produisit une
explosion fuiminante qui fit sauter la maison.
Le pauvre matelot fut écrasé en voulant fuir
vers la porie , tandis que le capitaine se trouva
transporté et accroché par ses habits à un
chevron qui n’avoit été que brisé et démembre.
Ce dernier existe encore, et nous fit examuner
D'UN NATUPRALISTE. 189
la seule cicatrice, singulier eflet d’une heureuse
prédestuination.
Le dimanche 10 novembre, le capitaine de
VAdrastus n'étant point encore rendu à bord ,
il falloit bien l’attendre, et s’accoutumer au
genre de vie tout-à-fait singuher des anglo-
américains. J'avoue qu'il étoit tout nouveau
pour moi, au lieu de soupe, de prendre du
bouillon clur dans lequel on émnietie un peu
de pan. Le thé, le vin et le chocolat se buvoient
alernauvement au diner. Ce mélange auquel
je n’étois point accoutumé m’affecta cependant
aucunement ma santé.
Le lieutenant nous raconta l'histoire d’un
matelot de son bord qui, devenu déserteur,
tentoit de rentrer au nombre de léquipage,
après avoir voulu perdre ce même bâument.
Voici le fait. Jonn’, c’étoit son nom, vint de
nuit, accompagné de plusieurs complices, à
bord de l’Adrastus, dans le dessein de s'emparer
de la cassette renfermantles papiers du bâtiment.
La horde révoliée, rencontrant le second capi-
taie et le lieutenant, leur cherchérent de mau-
vaises raisons, et les frappèrent avec tant de
violence qu'ils les laissèrent évanouis tous les
deux. Jonn’, étant au fait des localités du bäu-
ment, descendit chercher la cassette; mais, ne
la trouvant point, 1l s’éloigna tout confus de
190 VOYAGES
voir ses beaux projets évanouws. Ce matelot
infidèle avoit été séduit par un corsaire qui n’eût
pas manqué de prendre à son départ l’Adrastus,
privé de ses papiers.
Toujours attendant le capitaine , j'allai visiter
en canot un corsaire élégant mouillé près de
nous, et où nous fümes parfaitement accueillis ,
grace au passager qui m'y présenta, C’étoit un
ami intime du capitaine qui, après nous avoir
salué d’un coup de canon, vint à terre avec nous
à Pouillac. Il n’est point de village plus boueux
et plus mal tenu que cette peute ville, qui n’offre
rien au curieux de remarquable que ses bornes
de stéaute (1) verte.
Le soir à minuit, tous les passagers arrivèrent
avec le capitaine. Ce fut une entrée curieuse
pour un observateur. Le tems pluvieux avoit
mis à l'épreuve tous les nouveaux sujets de
Neptune. Il étoit plaisant d’entendre les uns
apostropher la nature de son intempérie ; les
autres cherchant à réprimer en grognant le
caquet continuel de dames qui, à peine arrivées
à bord, vouloient s'assurer un empire absolu
dans les bonnes graces de leurs compagnons de
voyage. Les unes affairées, chargeoiïent leurs
(1) La stéatite ou speckstein est une pierre argi-
leuse , aussi douce au toucher que grasse à la vue,
D'UN NATURALISTE. 195
complaisans de metre ordre à leurs bailots , et
croyant être d’un grand secours, se contentoient
en tempêtant de présider debout à l’arrangement
de leurs énormes paquets.
D’autres allégées par la fortune, et n'ayant
pas besoin de vérifier une nomenclature , dési-
roient dans le sommeil oublier l’inconstance
du sort, et leur envie jalouse. Une autre vint se
heurter contre une cabane basse et humide,
qu’elle accusoit le capitaine d’avoir réservé à
J’honnête indigence. A cette vue, ne pouvant
plus contenir ses transports de colère, l’afligée
se leva en fureur, frappa des pieds, refusa une
semblable loge, en demanda une autre; et par
suite de l'exigence qui accompagne toujours
le sexe féminin sans éducation, proposa de faire
déguerpir les hommes de la grande chambre
pour se lapproprier ; mais cela étant impra-
ticable, puisque cet endroit étoit la salle de
réumion, nous {mes conservés à notre poste.
Il me tardoit bien à moi, tranquille dans mon
lit, de voir cesser tous ces débats, de calmer mes
sens , d'arrêter mes éclats, et de reprendre un
sommeil trop-tôt interrompu. Sur mon avis,
l'heure de la retraite fut décidée , et chacun
se retira, non sans quelques murmures. Le
capitaine indifférent et bon, rioit en estropiant
des réponses francaises , et agacoit encore l’hu-
192 VOYAGES
meur atrabilaire de ces dames en colère, en
plaisantant sur leur mauvaise rencontre. Cepen-
dant il étoit tard, et chacun pensa à aller prendre
du repos.
Enfin le samedi 16 novembre, ce jour tant
désiré arriva. Dès la pointe du jour on leva
ancre , et nous appareillâmes vers la tour de
Cordouan, Comme nous nous trouvions à portée
du btiment stationnaire , le commandant envoya
des officiers à notre bord pour s'assurer de la
véracité de notre expédition, et grace à un pas-
sager, ann intime de l’un des officiers, la visite ne
fut pas longue. Enfin vers le soir, après le cou-
cher du sole, le pilote nous abandonna à notre
surveillance avec le meilleur vent possible, ca-
pable, en un mot, de nous éloigner en bien peu
de tems des côtes dangereuses, Nous gagnämes
le large bien promptement, et filâmes dès notre
départ jusqu’à neuf nœuds, ce qui fait trois
lieues à l'heure. On mesure la distance qu’on peut
parcourir én un certain tems donné, en caleulant
la marche d’un instrument comparauf, appelé
lock. 11 est composé d’une planche triangulaire
qu'on rend pesante au moyen de plomb coulé.
La corde qui y est attachée, et qu’on laisse filer
rapklement pendant lécoulement du sable de
Fhorloge à minutes, est nouée dedistance en dis-
tance, Aussuôt que la quauuté de sable est
écoulée,
D'UN NATURALISTE. 193
écoulée, on crie sfopp, qui veut dire arrêtez ;
alors on retient en même tems la corde, et l’on
compte combien 1l a filé de toises de corde pen-
dant ce laps de tems ainsi déterminé. C’est d’après
cette manœuvre que l’on calcule la marche du
vaisseau.
Nous sortimes le soir, du golfe dangereux de
la Gascogne; mais la nuit fut terrible pour les
débutans en navigation. |
Dimanche 17 novembre, vers les quatre heures
du matin, nous éprouvâmes un coup de vent si
violent qu’il cassa uneécoute (r) et la vergue (2)
du mât de perroquet (3). La secousse qu’éprouva
par ce contre-tems notre vaisseau, le bruit qui
vint rompre le silence de la nuit, les cris de
quelques passagers, et du capitaine qui s’élançant
sur le pont, cria mal-adfoitement, sauve qui
(1) Cordage fourchu qui sert à tenir les voiles
tendues.
(2) Les vergues sont des pièces de bois longues
et arrondies, attachées en travers du mât pour sou-
tenir les voiles.
(5) Ce petit mât est arboré sur les hunes des
autres mâts. Les hunes, comme on le sait, sont
des espèces de guérites placées au haut des mäts,
où se tiennent les gabiers ou matelois chargés de
découvrir de loin.
Tome À. | N
164 VOYAGES
peut, nous sommes perdus ! toute cette rumeur
enfin , en alarmant nos pensées, sembla obom-
brer la nature. Les cris du désespoir se faisoient
éjà entendre de part et d'autre; les femmes
mêmes, nos dames oubliant leur pudeur, vinrent
près de nos lits, nous consulter dans le négligé
Îe pluscomplet; et secouant notre assoupissement,
nous interrogérent sur les dangers présens.
Bientôt se plaignant de notre sang-froid, elles
nous supploient avec plus de douceur de monter
sur le pont pour y prendre des informations. On
s'adressa le plus souvent à moi, comme le plus
à portée de la chambre de nos dames; et, le
dirai-je avec regret, c’est en cherchant à leur
être agréable, qu'en n'informant , sur le pont
très-glissant, de notre position actuelle, je me
Jaissai tomber sur une coupe superbe d’ophite
serpenün, provenant du mont Vésuve, qui fui
brisée. Je la regrettai comme pièce précieuse de
mon cabinet, et comme vase uüule dans notre
traversée. Cependant je consolai, du nneux pos-
sible, les umides nauulites.
La mer apaisa son courroux ; londe en
blanchissant n'étoit plus que moutonneuse ,
mais il falloit payer un wibut à Neptune, et je
füs accablé de ce mal-aise qui, sans être dan-
gereux, fait tant souffrir, et dans lequel les
meilleurs toniques ne peuvent empêcher les
D'UN NATURALISTE. 195
vomissemens , qui seuls procurent un prompt
soulagement.
Le lundi maun 18 novembre, 1l venta peut
Jargue, ce qui nous obligea de faire fausse
voute ; mais le vent s'étant élevé sur les dix
heures, nous filâmes le reste de la journée de
six à sept nœuds.
Le mardi 19 novembre, nous apercûmes de
loin un bäument marchand ; mais, comme :il
faisoit ane route opposée à la nôtre, nous ne
pûmes communiquer avec lui. Après un calme
de plusieurs heures , nous filâmes trois nœuds.
Le mercredi 20 novembre, la brise du maun
amena le vent nord-ouest qui nous fit filer de
six à sept nœuds. Un témoin oculaire me rap-
porta un fait digne d’être cné par sa singularité,
le voici : Pendant une tempête un matelot étoit
près des haubans (1),'occupé à larguer des
cordages , lorsqu'une grosse lame qui vint
couvrir le bäument lemporta avec elle dans
la mer ; mais, à peine tombé, il est relevé par
une autre vague qui Croisa la première , et qui
replaca le matelot à son poste. Il tomba seu-
lement évanoui, et en fut quitte pour quelques
contusions.
(æ) Les haubans sont de gros cordages qui servert
4 Ce = A 7, L
à raffermir les mâts, et d'échelles pour monter dans
les hunes.
N 2
196 VOYAGES
Le jeudi 21 rovembre, le bâument mal
lesté et sans chargement, étoit le jouet de toutes
les lames. Le gouvernail , étant trop violenté
pour qu'on püt le diriger, étoit amarré. Les
voiles à moiué déchirées, les cordages dispersés
sans ordre sur le pont, que les passagers et
matelots avoient abandonné pour se calfeutrer à
fond de cale, laissoient notre bâtiment au gré
d'une horrible iempête que nous éprouvämes
à la hauteur des îles Madéres. Le morne silence
qui régnoit sur les gaillards (1) n’étoit inter-
rompu que par la chute tonitrueuse des vagues
qui venoient s’y écraser avec fracas. J’étois
curieux de voir la mer en courroux ; j'arrivai
assez Lt sur le pont pour être témoim d’une belle
scène d'horreur qui, fort heureusement, ne
dura pas plus de cinq minutes. La violence des
vents déchaînés m'ôtant la respiration , je suflo-
quois , et fus obligé de me couvrir d’un mou-
choir la moitié du visage. Je ne laissai à décou-
vert que les veux pour contempler la puissance
de cet élément irrité. Le capitaine, homme fort,
forcé pour se tenir debout de se cramponner
eux haubans, m'y souuntavec lui pour examiner
à notre aise ce spectacle d'horreur. Notre gros
(1) C'est une élévation sur le üllac, à la proue
et à la poupe.
D'UN NATURALISTE. 197
vaisseau soulevé comme une paille légère, se
bouleversoit dans tous les sens avec un fracas
horrible causé par le mugissement des flots, et
la rencontre des bouteilles et assiettes broyées
par les malles sorties de leurs taquets (1). Une
lame contraire qui cassa le peut Aunier du mat
d’artimon, pensa nous coûter la vie; et notre
navire versé sur le côté par ce choc, faisoit de la
bande de la moitié du pont, au point que Peau
pénétroit dans l’intérieur par les écouulles.
Nous étions pendant ce moment critique, Île
capitaine et moi, suspendus au dessus du
gouffre qui nous eût engloutis sans ressource,
siles mains nous eussent manquées. Au moment
où J'atteignis, pour descendre à la chambre,
la première marche de l'escalier, je crus Île
vaisseau devoir être englonti sous quatre mon-
tagnes d’eau, dont la voûte resserrée et contiguë
me déroboit le firmament, et qui dans leur
chute effrayante inondèrent le pont et une parue
des cabanes, en élevant de suite par leur affais-
sement notre vaisseau à une hauteur prodigieuse.
Le ciel d’un noir grisätre, entrecoupé de quelques
(1) Les taquets sont quatre petits morceaux de
bois cloués au plancher euclavant aux quatre angles
les malles, de manière à ne pouvoir être ébranlées
par le roulis du vaisseau,
N3
198 VOYAGES
tacues lilas et aurore sur un fond bleu foncé, .
offroit le plus riche coup d'œil, tandis que sur
les flancs du navire venoient s’abimer ces lames
fitres , dont lapproche majestueuse inspiroit
véritablement une certaine crainte mêlée de
respect. La base tourbillonnante en étoit d’un
gros bleu noir , le haut de l'angle d’un vert clair
d’émeraude, et la sommité panachée d’épou-
drinséblouissans, Ces montagnes humides s’avan-
coient en un mot avec la noble contenance d’un
vainqueur.
Tous les passagers n’étoient point curieux
d'observer, et sur le pont humide et glissant on
ne rencontroit que des navigateurs exercés qui ,
malgré leur grande habitude de voguer, ne
laissoient pas souvent que de faire des glissades
de toute la largeur du bâument, lorsque le
roulis étoit immodéré. Les chiens et autres ami-
maux ne pouvoient rester un instant debout
sans rouler. Hs étoient mornes , et leur tête
baissée annoncoit leur mal-aise. Les cages à
poules, ne pouvant résister aux lames, sortoient
de leurs taquets, et alloient , pêle-mêle les vo-
lulles culbutées et estropiées, se promener sur
le pont. On voulut rendre au timonmier le gou-
vermul, mais, dans l'impossibilité où 1l étoit
d'en prendre encore la direcuon , il appela à
son secours des matelots afin de lutter avec la
D'UN NATURALISTE. 109
barre contre les flots encore soulevés et
écumans.
Les passagers étoient la plupart dans leurs
cadres , attachés avec des cordes, de peur d'en
être jetés dehors par le rouhs. Le craquement
général causé par le disloquement de la char-
pente, offrant un bruit lent et criard , fatiguoit
et les oreilles et l'imagination. A ce léger son
se joignoit le bruit des tables renversées, de
malles détachées , des bouteilles entières ou
cassées qui à chaque lame éioient roulées avec
vivacité vers le côté opposé du bâument. Ce
tableau d’un désordre complet effrayoit les uns,
et leur arrachoit des larmes que tournoient en
dérision d’autres voyageurs plus rassurés, et
riant à gorge déployée pour opérer un contraste.
Enfin , les uns mangeoient de bon appéut,
tandis que les autres attaqués du mal de mer,
vomussoient à leurs côtés, avec des eflorts et
des contorsions accompagnées souvent d’éclats
de rire. Telle est la vie intérieure qu'on mène
sur un bâtiment.
Le vendredi 22 novembre, les vagues com-
mencèrent à apaiser leur furie, et le vent
diminua pour le malheur d’un mouton qui fut
mené en triomphe au cook (1), pour être
{1) Cuisinier.
ne.
200 VOYAGES
égorgé après qu'on lui eut fait faire le tour
du bäument. On s'amuse à bord où les plaisirs
sont rares, de la moindre chose, et ce fut une
fête pour l'équipage de harceler dans sa marche
timide le pauvre agneau , et d’exciter contre
cette vicume l’aboiement de deux chiens.
Le samedi 23 novembre, nous eïñmes un
vent contraire qui nous donna de la grêle. Nous
filâmes quatre nœuds le reste de la journée.
Le dimanche 24, le tems serein et un air
frais nous donnèrent vent grand largue, qui nous
fit filer huit nœuds. Le lever du soleil fut im-
posant par le rideau d’or et de pourpre qui le
montra dans tout son éclat. En général, les
peintres reconnoissent le firmament d’un coloris
plus riche sur mer que sur terre.
Les amateurs de la pêche commencèrent à
préparer leurs hgnes et leurs foënes (1). Les
hiones, arméesdehamecons garnisd'appät, furent
muses à la traine. Nous aperciimes bientôt un
{:) La foëne est une espèce de trident qu'on lance
sur les poissons d'une certaine grosseur. L'animal
atteint et blessé, cherche à fuir, à plonger, pour
se soustraire au fer meurtrier qui l'a percé ; mais on
laisse filer la corde autant qu'il en est nécessaire
pour qu'en se débattant , le poisson safloiblisse
Amor n y cano
Qn PeRrGAIL SOI SAN,
Ê æ)]
D'UN NATURALISTE. so1
carret (1) et une bonite (2), mais qui ceue
fois ne voulurent point mordre à la grappe.
Le lundi 25 novembre, nous entrâmes dans
les vents alisés, dont la douce et agréable tem-
pérature rétablit bientôt tous ceux de nos com-
pagnons de voyage, qui avoient été attemts du
mal de mer. La plaine liquide, non soulevée
comme auparavant, OS01t à peine moutonner ,
et l’on pouvoit comparer l'Océan à une de nos
rivières , tellement qu’on voyoit à plusieurs brasses
de prolondeur les poissons y exercer leurs
flexibles nageoires.
Pour prévenir les inconvéniens de l’oisiveté ,
on occupa , hors du service des manœuvres, les
matclots à raccommoder les voiles, à restaurer
les cables, à faire du fil carré, enfin à disloquer
les vieux bouts de corde pour en parfiler de
l’étoupe, si uule à bord d’un vaisseau.
Le mardi 26 novembre, les provisions fraîches
qui se trouvoient à la disposiuon du capitame
étant consommées, on vit commencer les dis-
putes, et, comme ventre affamén’a pointd'orcilles,
plusieurs d’entre nous oublioient toute bien-
(1) Testudo caretta pedibus piuni formis, unguibus
palmarum plantarumque binis, testà ovatà acutè
serratà , Linn. |
(2) Poisson commun dans lamer Atlantique , com
parable au maquereau pour le goût et La couleur,
202 VOYAGES
séance , regardant comme la première, de ne
point se laisser mourir de faim. Nos rations ayant
été diminuces , on se disputoit les vivres avec
humeur, et le besoin faisant oublier aux galan-
uns leurs prévenances et leurs soins envers les
dames, ils passèrent presque tous les bornes de
la retenue et de la complaisance, pour se pro-
curer quelque supplément de nourriture que le
beau sexe ne fut pas même invité de partager.
Nous avions parmi les passagers, de ces êtres
immoraux , fléaux des sociétés, tristes et permi-
cieux organes de la débauche la plus vile, et de
lirréligion la plus condamnable. On fut obligé
de leur imposer silence, en raison des jeunes
personnes que nous avions à bord.
Nous éprouvions un calme plat; la chaleur
étoit insupportable, tandis qu’en Europe, à la
même heure, nos amis s’entretenoient, peut-être
au coin d’un bon feu, des jours de notre voyage.
Le mercredi 27, des matelots pour avoir une
récompense , attachèrent , selon la coutume, un
passager qui voulut, pour la première fois, mon-
ter sur les haubans. Les cordes qui l'y reunrent
ne furent déliées que lorsqu'il eut satisfait à sa
rançon.
Nous primes un thon à longues oreilles (1), et
(1) Scomber thynnus , Linné. Poisson qui pèse jus-
qu'à cent livres.
€ BE 5
TV AT PUS 206
Re |
Gabriel JE
1. Ortie 47727 errant gelee rurtre, out" Meduse(4#e Lime.)
Le
2 Rüsin Tropigue Re
# Fo
D'UN NATURALISTE. 203
nous le vimes engagé par le hamecon avec d’au-
tant plus de plaisir que nous étions réduits à des
vivres salés, et que cette douce perspective ne
pouvoit que flatter notre sensualité; ce jour de-
venoit pour nous une fête à laquelle la sobriété
ue présida point : on ne pouvoit top l’exiger
après d'aussi grandes privauons , etle plus frugal
d’entre nous laissa apercevoir un peu de gour-
mandise. On nous servit de ce poisson au court
bouillon et en friture.
_ Jeudi 28 novembre, nous vimes près de notre
bâtiment le poisson soleil (1), dont l’huile bonne,
diton, pour les rhumatismes, se vend jusqu'à
deux louis la livre.
Vendredi 29 novembre, nous apercümes au-
tour de notre bâtiment des bancs de varech vési-
culeux (2), vulgairement appelé raisin du tro-
pique. (Planche XIE, fig. 1, tom. 1°.), et un
assez beau vélin (tom. 1°., pl. XI, fig. re.) (3).
(1) Le poisson soleil, appelé par Îles Anglais
sunfish, n'est autre chose que la lune de mer, ou
poisson d'argent; ‘letraodon mola, Tainné.
(2) Fucus vesiculosus, Linné, 1626.
(5) On appelle ainsi un ver mollusque du genre
des Méduses, et qui porte un venin avec lui; delà,
par corruption , le nom de vélin. Il ne faut pas le
confondre avec la velette ou toile, nom donné à
une coquille voilière,q ui flotte communément sur
la surface de la Méditerranée.
204 VOYAGES
Samedi 30 novembre, nous éprouvämes du
calme le matin, accompagné d’une pluie douce
et thermale. Nous apercûmes vers midi un assez
gros souflleur. Ce cétacé, du genre des baleines,
est ainsi nommé, parce que de son souffle il fait
juillir par ses évents deux colonnes d’eau consi-
dérables. °
Il est bien vrai de dire que l’oisiveté est la
mère de tous les vices. C’est par elle que la
médisance établit à bord son règne désastreux
et mordant. Là, l'innocence n’est point à l’abri
des traits envenimés de l’imposture et de l’adu-
lauon, tandis que la débauche et la perfidie se
couvrent du léger duvet de la douceur pour
mieux assurer leurs coups projetés.
Le dimanche 1. décembre, des cris se firent
entendre de grand matin sur le pont, et me
réveillérent. C’étoit une dorade qu’on venoit de
prendre, et qui étoit entourée d’une partie des
passagers avides, par besoin, des bons mor-
ceaux, et qui ne purent modérer leur alégresse
à la vue d’une aussi intéressante capture. Le
péché capital de la gourmandise nous tour-
mentoit tant, qu'il y eut une dispute à la distri
bution des paris, en raison d’une partualité.
I étoit risible de voir les regards de tout le
cercle tournés vers le commissaire de notre
banquet frugal , suivre tons ses mouvemens dans
D'UN NATURALISTE. 20
la réparution de la dorade. Je ne puis mieux
comparer cette muette attention qu’à celle d'un
singe auquel on fait gagner, par la pauence,
un fruit ou autre objet digne de sa friandise,
en le lui présentant, puis le retirant, et le
trompant ainsi jusqu'à lépuisement de ses
genullesses.
Notre vaisselle diminuoit chaque jour par
l'emportement des convives, qui assouvissoient
souvent leur colère et leur dépit en frappant fa
pauvre faïence. Aussi voyoit-on a plupart
se servir de morceaux d’assieltes et de verres
écornés ; mais tous ces légers inconvéniens se
fussent oubliés à l’apparuuon de bons mets que
nous avions appris à ne plus connoître. Le sou-
venir du pain, ce riche trésor de la nature, nous
donnoit tant de désirs qu’on n’osoit en parler
qu'avec projet d'en manger jusqu'à satiété au
prenuer abordage; car on ne nous distribuoit
que du vieux biscuit moisi et rongé de vers.
Ces galettes servoient de repaires aux araignées
qu'on avaloit souvent sans attention, tant la
gloutonnerie précipitoit les mouvemens de ja
mastuication.
L’eau verte et pourrie, n’étant point filtrée,
n’offroit qu'une saveur infecte et dégoûtante , et
le séjour bourbeux de petits insectes à mille
pieds, dont nos dames surtout avoient horreur,
206 VOYAGES
La viande salée et rance qui avoit déjà fait plu-
sieurs traversées , et affronté tant de différentes
températures étoit tellement gâiée, féuüde et
décomposée, que l'équipage la refusoit ; mais,
comme notre douceur et notre extrême subor-
dination étoient reconnues, on nous la faisoit
passer par bouchées de la grosseur d’une noix
dans une pätée appelée soupe , dont elle servoit
à faire le bouillon doublement engraissé par les
Vers COrrompus qu'on ÿ rencontroit. Ce potage
en un mot étoit un composé de cette eau, cette
charogne et ce biscuit émietté. Cependant nous
avions payé de manière à être bien nourris,
sans la foiblesse du capitaine voué à la discrétion
de négocians qui, seuls faisant table avec lui, se
réservoient tous nos bons morceaux.
Pourtant on nous régaloit quelquefois , pour
détruire luniformité du service, avec des pois à
brebis bouillis tout simplement dans de Peau ,
de crainte que le beurre ne causät effervescence
dans notre estomac délabré, en le surchargeant
de bile, et le forçant de rendre un comesuble,
dont le célèbre cook avoit réellement et indis-
pensablement besoin pour faire les coulis et les
rôtes au beurre de messieurs nos gouvernans ,
qui étoient au nombre de six, savoir, trois
négocians | et trois Capitaines de vaisseaux
marchands,
D'ÜN NATURALISTE. 207
Ces rusés personnages se coalisèrent dès le
premier jour de notre traversée, et connoissant,
cornme anciens navigateurs, les subterfuges à
employer envers d’innocens passagers , avoient
refusé d’être de nos tables, et s’étoient fait
nommer commissaires afin de se réserver les
liqueurs et vivres de choix, et d’en garnir le
coffre de réserve, dont le nègre du capitaine
avoit seul la clef.
Cette usurpation étoit outrée | puisque tous
les passagers avoient apporté à la masse la somme
indiquée pour être également nourris pendant
toute la iraversée ; cependant nous n'avions pas
le droit de réclamer aucune provision; et soit
qu'on fût incommodé ou non, on n’avoit pour
tout potage que de la soupe et de: pois, et pour
changer, des pois et de la soupe que nous rece-
vions encore avec résignation, tout en humant
l'odeur embaumée des mets de nos comnnssaires,
qui avoient soin de diner avant nous, afin de
prendre plus librement leur café.
Un jour cependant, la patience d’un com-
pagnon de notre infortune échappa. Îl ne put
endurer plus long-tems de semblables vexations.
Il épioit ces scènes scandaleuses, et plein de
fureur , il alla prendre sur le fait le capitaine
et ses amis, qui faisoient bombance avec notre
dessert, notre liqueur et notre calé, On le mo-
208 VOYAGES
lesta, et les cinq partisans du capitaine prenant
un ton muelleux , dirent assez haut, pour que le
capitaine l’entendit, qu'aucun individu à bord
d’un bâtiment n’avoit le droit d’insulter le capi-
taie, qui avoit seul la police, et un pouvoir
illimité sur son équipage et les passagers , au
point qu'il pouvoit exercer la haute police, et
faire jeter à la mer tout réfractaire à ses ordres,
Nous trouvämes ce réglement atroce; et notre
député, observant que cette mesure criminelle
étoit contraire aux lois de l'honneur et de la
jusuce, se préparoit à une nouvelle harangue,
lorsqu'on lui imposa silence, en le renvoyant
comme un écolier honteux!
Le lundi 2 décembre, nous eùmes bon vent le
maun, et filèmes six nœuds en bonne route ; le
soir, Survint une petite pluie qui nous donna du
calme, Eclairé dans mes rêveries par le flambeau
de la nuit, c’est à la faveur de sa pèle clarté, que
j esquissai les nuits de ma traversée , petit recueil
de réflexions morales.
Mardi 3 décembre, je diversifiai mes occu-
pauons en composant un quatuor pour ins-
trumens à Cordes, et que nous exécutämes à
bord.
Pourquoi toujours se plaindre? Vantons donc
aujourd’hui les faveurs de nos gouvernans,
et rendons jusuce à leur complaisance. Nous
eumes
D'UN NATURALISTE. 209
cumes au moins de cette mauvaise soupe, et qui
plus est, comme faveur très-grande, des pommes
de terre à discréuion. Nos commissaires vouloient
sûrement s'assurer, par cette améhorauon, si
nous consenüurions à favoriser leurs projets d’une
nouvelle route; car 1l y eut à notre table de la
surabondance , et l’on nous servit, pour douze
convives de notre banquet, quatre anchois et du
dessert. Quel excès de générosité !
Mercredi 5 décembre , l’excessive chaleur
forca le capitaine de faire meure la tenté, sans
laquelle il étoit impossible de rester sur le pont.
Nous tuâmes plusieurs pailles-en-cul (1). On
mit la chaloupe à la mer pour les aller chercher,
mais On ne put en rapporter que deux, les
autres étant déja trop loin du bâument, Le plu-
mage du mäle ne diffère du blanc éblouissant de
celui de la femelle, qu’en ce qu’il a quelques
taches noires de plus sur le dos. Leur chair est
huileuse et peu estimée.
Tout périt dans la nature, me disois-je , en
voyant notre énorme vaisseau fendre avec fierté
(1) Le palle-en-cul, ou paille-en-queue, ou fétu-
en-cu , ou oiseau des ‘Tropiques, phaëton œthereus,
de Linné. Oiseau palmipède, qui annonce aux na-
vigateurs leur entrée sous la zone torride. Ils se
nourrissent de poissons qu'ils enlèvent à la surface
des mers,
Tone I, 0
|
016 VOYAGES
les vagues mugissantes ; tout périt, excepté l'ame
de l’homme! Notre charpente, aussi peu solide
que celle de notre navire, doit également un jour
succomber sous le poids du tems. Les tempêtes
éprouvent la résistance de sa force matérielle,
comme nous sommes le triste jouet des passions.
Un écuail peut le briser ; la mort ensevelit avec
elle toutes nos passions. Que de justes réflexions
on peut faire ainsi à bord lorsqu'abandonné à
sa desunée, on vogue au dessus d’abîmes sans
fond !
Le jeudi 6 décembre, je trouvai à mon réveil
les peaux de mes pailles-en-cul rongées par les
rats. Le mâle surtout avoit la tête presque toute
mangce; cependant, avec du soin, il y avoit du
remède , aussi m’occupai-je à les réparer.
Nous filâmes jusqu'au soir huit nœuds, avec
un roulis insupportable.
Vendredi décembre, aussi bonne route, aussi
bon vent; mais la vue quoiqu’intéressante d’une
cnantité immense de poissons volans (1), ne put
ne ürer de laffaissement dans lequel me jeta le
mal de mer. Tout me devenoit indifiérent ; et la
PR OT EN RE ES PRE RU ere
(1) Muge volant. Exocetus volitans, Linné. Le
mot exocetus veut dire qui va dormi dehors, parce
qu'on croyoit que ce poisson avoit li faculté d'aller
douar sur le rivage.
©
D'UN NATURALISTE. STI
nature pour quelques momens perdit à mes yeux
tous ses charmes. Le seul souvenir de EL. L. eût
pu apporter un repos bienfaisant à ces anxiétés
douloureuses.
Samedi 8 décembre , la mer commenca de
bonne heure à moutonner , c’est’à dire qu’on
apercut les flots, en se brisant mutuellement,
se blanchir, et former des époudrins que l’on
compare en ce cas à la blancheur de Ja neige.
Tout en examinant des pailles-en-cul qui ro-
doient autour de notre bâtiment, ainsi que des
poissons volans poursuivis par leur ennemi
juré, la dorade, nous en primes une. Ce pois-
son (1), dont la robe élégante ne peut être imitée
par le pinceau le plus habile, change de couleur
lorsqu'il est hors de l’eau; et à mesure qu'il
(1) Sparus aurata, Linné. Ce poisson du genre du
Spare qui, dans l'eau, est sans contredit le plus beau
poisson de la mer, paroïît , entre deux lames, re-
vêlu d’or sur un fond vert azuré. Il aime le chaud,
et est meilleur en été qu'en hiver. Sa chair est
blanche , un peu sèche , mais ferme et de bon goût.
C'est le plus léger de tous les poissons. La dorade
poursuit sa proie avec tant d'acharnement, que sou-
vent elle se précipite sur un hamecon auquel on a
adapté un corps et des ailes, pour imiter le poisson
volant dont elle est très-friande.
0 2
219 VOTAGES
approche de sa mort, les teintes s’altèrent , se
coufondent , s’éclipsent, enfin finissent par s’ef-
facer presqu'entièrement d’une manière bierr
sensible , en passant successivement par une
intinité de nuances. Ce poisson ne nous étant
poiut destiné, 1l fut servi à Ja table des gou-
vernans qui, en ma qualité de docteur du bord,
en enyoyérent à moi seul une tranche.
Malgré la chaleur excessive, il y eut un défi
entre le capitaine et un passager. Îl s’agissoit de
mettre, avec le fusil, une balle dans une planche
placée au haut des hunes. Tous deux novices
dans l’art de ürer au blanc, 1ls ’approcherent
même pas du but. Quel fut l'étonnement des
Anglo-Américains, lorsqu'ils nous virent, un
Nantais et moi, traverser cette même planche
avec une chandelle posée sur la charge de notre
fusil, en guise de balle de plomb!
Dimanche 9 décembre ,on n’appela de grand
maurs pour ürer des pailies-en-cul quivoltigeoient
stupidement au dessus de notre bätiment. J’en
ürai deux que je bless, et qui tombèrent dans
l'eau près d’un troisième qu, inquuet sur leur
iriste sort, essayoit de les faire voler en se don-
nant pour exemple; mais ils ne purent y par-
venir. Je regrettai de les avoir ürés, étant dans
Fimpossihilité, cette fois, d’alier les cherchez
à cause du gros tems.
D'UN NATURALISTE. 219
Eundi 10 décembre, ayant calme plat, plu-
sieurs passagers voulurent, par une chaleur
insupportable , se baigner à la mer. Les plus
adroits plongérent à des profondeurs considé-
rables ; mais la vue d’un requin dissipa leur
bande joyeuse , et arrêta leur ardeur pour cet
exercice salutaire. On mnt la chaloupe à la mer,
afin de poursuivre le cruel anthropophage ; mais,
arrêtée dans sa marche par des banes de raisins
du tropique , elle ne put le rejoindre. Ces
varechs étoient remplis de petits poissons de
toute espèce, qui trouvoient probablement leur
nourriture, et un refuge dans ces plantes
marines.
Nous eûmes vers midi une brise assez légére ,
et le capitaine, en prenant hauteur (1), nous
annonça que nous éuons à vingt lieues du
tropique.
Cependant soit mauvaise disposition , soit par
excès de table, notre capitaine étoit malade d’une
violente indigestion. I m’appela dans le cabinet
bacchique (2), et là, après avoir fait l’éloge de
a
(r) C'est mesurer avec un octant l'élévation du
” soleil sous l'horizon, à midi. L'octant ou secteur con-
tient un huitième ce cercle, c’est à dire 450.
(>) C'est ainsi que nous appelions 1 salle à manger
de nos commissaires.
0 35
214 VOYAGES
mon extrême complaisance, avoir su me dis-
unguer des autres passagers , 1l m’engagea à
prendre le punch tous les jours à pareille heure,
si cela m'étoit agréable; qu'à l'avenir, lorsque je
ne pourrois me rendre à son invitauon, il
m'enverroitnéanmoins par son nègre le bol qu’il
me destinoit, Je le remerciai en acceptant son
offre, dans l’intenuon d’être uule aux autres
passagers.
Mardi 11 décembre, un de nos six gouver-
nans , M. VY*#**, homme immoral au dermer
degré , faisant ses délices du tourment des
autres, fauguant nos oreilles tout le jour de
chansons obscènes et du triste récit de ses
prouesses, sans ménager la pudeur des dames ;
M. VY**, ennemi de l'harmonie musicale,
athée enfin , et jaloux de nous voir prendre
plaisir à exécuter les quatuors concertans que
javois composés, résolut de nous troubler, et
pour cela, payant quelques calfats(t)pour frapper
à coups redoublés au dessus de nos têtes, il des-
cendii lui-même avec effronterie auprès de nous ,
muni de deux quaris vides qu’il frappoit à tour
de bras de deux énormes marteaux. Nous ne Run
cédèmes en rien, et contunuämes, sans prétendre
(1) Calfater, c'est garmir de poix et d'étoupes les
fenies d'un vaisseau,
D'UN NATURALISTE. »1:5
y trouver d’autres charmes que celui de mé-
priser un homme de sa sorte. Honteux de notre
résistance , il fut obligé de céder, et se reura
furieux de se voir ainsi joué. Cette genullesse
donna lieu à une irès-vive explication , où tons
les gouvernans firent apprécier leur véritable
caractère , inextricable jusqu'alors. Ils se coali-
sérent entr’eux, en jurant de s’opposer à l'avenir
à ce que nous fissions de Ja musique qui fimissoit
par les étourdir. Le capitaine craignant les suites
de cette altercation , eut la prudence , afin de
contenter teut le monde, de nous assigner le
matin pour nous livrer à nos doux exercices.
£ ordre de police à cet égard fut ponctuellement
exécuté.
Nos sordides spéculateurs (1) employoient,
‘près leurs orgies, le resie de la journée à cal-
culer le produit de leurs cargaisons ; et l’avarice
a'aune point à être troublée dans ses opérations
mystérieuses.
Mercredi 12 décembre , nous eûmes une mer
houleuse, et un mauvais vent qui nous obligea à
faire fausse route.
Jeudi 13 décembre, nous apercûmes deux
(1) J'excepte de ce nombre MM. P...... de
Bordeaux, dont l'amabilité du caractère étoit entiè-
rement opposée à la rusticité des autres marins,
O0
216 VOYAGES
bâätimens allant à la pêche de la baleine. La
chaleur excessive et l'agitation des flots s’op-
posérent à nos réunions pour la musique, au
grand contentement de notre antagoniste.
Même diner, on plutôt supplément de mal-
propreté avec intention ; nous trouvâmes des
cheveux en quantité dans tous les plats qui nous
furent servis. On s’en prit au cook qui s'excusa ,
et nous fümes obligés, faute d’autres alimens,
de manger les propres bouchées que ces cheveux
envelopioient, et à qui ils avoient communiqué
certains autres mélanges encore plus dégoutans.
Le soir, la mer étant moins rude , les ma-
telois se proposèrent entr’eux des danses de
caractère. Comme ils étoient tous de nauons
différentes, les uns sautoient comme les Turcs.
d'autres comme les Russes ; ceux-ci prenotent
le genre allemand, et ceux-là adoptoient le
rite anglais. Ces pas exécutés au son de cris
aigus , formoient une cacophonie qui nous
recréa, à défaut d’une plus douce harmonie.
Vendredi 14 décembre, il plut abondamment
pendant toute la journée, et nous ne filämes que
six nœuds. :
Samedi 15 décembre, nous eûmes le vent
debout, c’est à dire absolument contraire.
Dimanche 16, la nuit fut périlleuse, mais
mous échappâmes au danger; et malgré le rouls
D'UN NATURALISTE. »r7
et le tangage (1), nous filâmes sept et quelque-
fois huit nœuds.
Lundi 17 décembre , le rouhs se fit encore
éprouver toute la matinée. On supprima nos
déjeûners, vu la pénurie des vivres ; en sorte que
nous ne faisions plus qu'un très-mauvais repas
le soir à quatre heures. I fallut bien se résigner
à cette nouvelle injustice, ne pouvant attendre
de procédés délicats d'aussi égoïstes personnages
que nos gouvernans.
Nous apercûmes autour du bâtiment une
quantité considérable d'oiseaux de tempête (2).
Cet oiseau est celui que Brisson appelle /e pétrel;
il n’est pas plus gros que l’hirondelle d'Europe,
et c’est le plus petit de tous les palmipèdes. Get
oiseau , dit Mauduit, affronte, comme les autres
pétrels, la rigueur des mers glacées, et s’y
avance aux plus grandes hauteurs; mais, soit
insüinct qui l’avertit de son peu de force, soit
sensations plus fines que celles des autres oiseaux
du même genre, il est le premier à prévoir les
G) Le tangage est l'oscillation fatigante du vais-
seau de l'arrière à l'avant, et de l'avant à l'arrière.
(2) C'est le pétrel de Brisson. PL. enl. 993. Procel-
laria avis; Plautus minimus procellarius. Le plumage
supérieur du corps est noirätre, l'inférieur et le de-
vaut de la tête sont d’un cendré brun.
218 VOYAGES
tempêtes, et à chercher un abri contre leur
violence : c’est cet avantage qui lui a fait donner
le nom d'oiseau de tempête. Lorsque les nau-
tonmiers , surtout ceux du Danemark, qui sont
très habitués au phénomène que présentent ces
animaux indicateurs; lors, dit Mauduit, que
les marins voyent, la mer étant calme, ces
oiseaux se réunir, voler en troupes dans le sil-
lage du vaisseau , sous son abri, 1ls se regardent
comme assurés d’être bientôt exposés à un gros
tems, qui ne tarde jamais en effet à succéder
à l'apparition des petits pétrels.
Mardi 18 décembre, la contrariété des vents
nous obligea de faire fausse route.
Mercredi 19, nous apercûmesde grand man,
du côté des Bermudes, un corsaire, puis sur les
dix heures, un bâäumentneutre qui nous accosta.
Après l'avoir attendu en panne (1), notre capi-
taine linterrogea, et 1l résulta de ces questions
qu'il étoit parti depuis quatorze tours de Phila-
delphie, qu'il laissa dans le deuil à cause d’une
maladie épidémique qui venoit d'enlever quatre
mille ames. Nous envoyämes à son bord pour
(1) Mettre un bâtiment en panne, c'est contreba-
lancer avec les voiles la puissance du vent qu'on met
en oppesition; ce qui oblige le bâtiment à rester en
place.
D'UN NATURALISTE, 219
obtenir des provisions, et j'eus le regret de ne
pouvoir lui faire remettre une lettre que je tenois
prête , en cas de sa destination pour France ; mais
nous apprîimes qu'il alloit à l’île Cayenne. Nous
filâmes, le reste du jour, six nœuds en bonne
route, On ne sauroit croire quel plaisir on res-
sent, dans une traversée, de rencontrer un nou-
veau visage : il semble que cette sausfacuon
fasse naître l'espérance d’une plus prompte
arrivée.
: Jeudi 20 décembre, au milieu de la chaleur
insoutenable qu'on éprouve sous la ligne, je
souffrois doublement de cette incommodité, étant
forcé, comme médecin, d’aller dans les soutes
visiter les nombreux malades que j'avois à voir
tous les jours; cependant le désir de soulager
l'humanité souffrante, me fit surmonter tout
obstacle, et je m'efforcai de répondre à la con-
fiance qui nv’étoit accordée.
Nos gouvernans vivoient dans abondance; et
nous, vicumes de notre subordination, nous
éuons dénués de tout. Le tems étoit arrivé de
secouer celte torpeur engourdie ; et notre conseil
décida qu’on feroitdanslasainte-barbe, à l’époque
où, après le coucher du soleil, on va prendre air
sur le pont, une descente pour enlever les pre-
miers comestibles qu'on pourroit y rencontrer.
Le besoin seul, et non point ur désir de ven-
220 VOYAGES
geance, devoit conduire nos pas en ce magasin ,
trésor de nos oppresseurs, et fermé à notre sou
plesse abusée. Trois jeunes gens d’entre nous,
privés déjà par de longs jeûnes de la fraïcheur de
leur âge, au cou roide et décharné, au visage
abattu , furent choisis pour exécuter notre projet.
Pourquoi donc eussions-nous retardé le moment
qui devoit nous assurer une toute autre éxistence ?
S’agissoit-1l d’un larcin ? n’étoit-ce point de nos
propres provisions dont nous allions nous empa-
rer? On s’y décida. Les uns faisant sentinelles et
renvoyant en commussion sur le pont ceux des
mousses quise présentoienta la chambre , d’autres
ouvroient la trappe, tandis que le pourvoyeur
sans lumière tätoit dans lobscurité parmi le
beurre, la chandelle; mas au tact, 1l savoit dis-
ünguer les objets qui pouvoient nous convenir,
et en remplissoit ses poches. Un jour pourtant
que nos senunelles de l’avant-posie donnèrent le
signal de retraite, un de nos envoyés d’une
tulle gigantesque voulut néanmoins, avant de
remonter, utiliser sa démarche, mais plonge son
bras... au milieu d’un baril de beurre rance,
et l’en reure dans un état infect! Cependant,
digne de notre confiance, il ne perd pas la carte;
ei pour réparer sa méprise, 1l se précipite sur les
provisions de nos gouvernans qu'il reconnoît
top lard, etrapporte une quantité de pruneaux ,
D'UN NATURALISTE. 201
noisettes , figues, et, le dirai-je, une pomponelle
d’amisette qui servit à boire à la conversion de
nos tyrans.
Nous avions passé le matin le tropique du
Cancer , et la veille, selon l'usage, les matelots
préparèrent la cérémonie du baptême de mer.
Cette coutume consiste (1) à habiller de peaux
de moutons un matelot qui a une voix forte et
sépulcrale, de répandre ensuite sur ses bras et
sur sa tête des plumes de volaille qui y sont
maintenues par du goudron, dont ces parues du
corps sont enduites. Cet acteur ainsi disposé,
monte, sans tre apercu, au plus hautdes dunes,
et c’est du haut des airs qu'il imite la voix impé-
rieuse de Neptune, qui tonne contre les néophytes
navigateurs qui ne se sont pas encore conformés
à ses lois. Les vieux marins cherchent à plaider
la cause des nouveaux voyageurs, et promettent
des sacrifices propitiatoires. « À demain, leur
» crie Neptune, où, s'ils ne sont converuüs, ils
» seront avec moi au fond des eaux » !
Le lendemain de grand matin, le vieux Nep-
tune revêtu du même costume, mais accompagné
de ses quatre anges enduits seulement de gou-
dron et de plumes, paroîït au plus haut du humier,
(1) Je décris cette cérémonie pour ceux qui n’on$
point voyagé.
3592 VOYAGES
et demande d’une voix menacante si les néophytes
sont dans de bonnes dispositions ; on lui répond
que oui: « Qu'ils s’avancent , s’écrie-t-il à l’aide
» d’un porte-voix, etqueje sache s’ils sont dignes
» d’être soumis à mon empire » ! On les place en-
semble, puis les anciens marins s’éloignent en
cercle autour d’eux. Tout à coup une averse
affreuse tombe sur leur tête; et voilà le baptême
de mer auquel aucun passager ne peut se sous-
traire lorsqu'il est en bonne santé, à moins de
récompenser largement les matelots qui aspirent
à ce bénéfice.
Vendredi 21 décembre, les grandes chaleurs
du tropique nous ôtant beaucoup de vent, nous
ne filâmes que trois nœuds. La mer calme me
permit un entretien avec deux habiians du Haut-
Languedoc, vrais dans leurs descriptions, si j'en
juge par leur franchise. Îls me firentun pompeux
éloge d’un village enchanteur, dont les environs
délicieux offrent aux amateurs dela belle Nature
des retraites assurées contre le tourbillon du
monde. Ce village s'appelle Hazanet, et est situé
près de la ville de Castres, département de Tarn
et Gironde. Les rues de cetendrou sont bombées
à leur milieu , et protègent, par leur pente rive-
raie des maisons, l'écoulement de ruisseaux
d’une eau vive et pure qui prend sa source dans
les montagnes voisines, qui en sont arrosées. La
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D'UN NATURALISTE. 293
nature s’est complue, me disoient ces Languedo-
ciens, à parer ces ferules côteaux. L'homme ami
de la paix, trouve, dans le silence des bois, à
contenter ses goûts. La chasse et la pêche ne
laissent rien à désirer. Les vivres et les fruits y
sont en si grande abondance, qu’on les achète à
bas prix. Pour donner la dernière touche à leur
récit attrayant, 1ls me firent la descripuon d’une
maison de campagne d’undeleursamis, tellement
entourée de fontaines, que dans chaque appar-
tèment se trouvent plusieurs robinets qui, dans
l'été, sont d’un grand avantage pour y entretenir
une fraîcheur naturelle et bienfaisante. office
même et la cuisine font usage de cette eau
limpide.
Un matelot, en puisant de Peau de mer pour
laver le pont, recueilit dans son seau une ga-
lère (1) (tom. r., pl. XIE.) qu'il s’empressa de
m'apporter. Son corps auquel l'animal donne
diverses formes à volonté, en le dilatant ou le
(r) La galère ou frégate est un mollusque du
genre des holothures qui se rencontre sur les côtes
de l'Amérique, et plus souvent en pleine mer. On
l'appelle aussi vélette ou vessie de mer, et moucien
au Brésil, dit Valmont- Bomare. Lorsqu'on la ren-
contre sur ces côtes, on doit infailliblement s'attendre
à une tempête. C’est la thalie, thalia des mollusques
de l'Encyclopédie, par ordre de matières.
224 VOYAGES
concentrant, est transparent et formé de mem
branes minces et carülagineuses, remplies d’air
qui le soutiennent sur l’eau, et le font flouer sur
l'onde au gré du vent et des flots. On n’apercoit
à cet holothure aucune ouverture ni viscére. Il
estparfaitementsemblable, pour la conformation,
à une vessie de carpe dont 1l diffère cependant
en ce qu'au sommet de sa parue longitudinale 1l
est surmonté d’une crête, ou large bandelette
gaufrée et striée, qui remplace les nageoires dor-
sales des poissons, et qui sert de voilure à cet
animal singulier. Laissant apercevoir la moitié
de son corps hors de l’eau, sur laquelle 1l vogue
tranquillement, et aux ondulations de qui il
s’abandonne, 1l est muni pour leste, depuis une
des extrémités jusques vers le mieu du corps
en dessous, de suçoirs sans nombre, longs ei fili-
formes, qui par leur réunion composent un poids
beaucoup plus volumineux que le reste du corps.
Toute cette chevelure glutineuse, et riche par les
couleurs bleue, rose, lilas et nacrée qui la
décorent, traîne dans l’eau, et adhère puissam-
ment aux corps solides lorsque l’animal en ren-
contre.
Les deux extrémutés de la galère ressemblent à
deux seins que l'animal fait mouvoir à l'instar des
phalènes. Ces deux tettins, si je puis leur donner
cette expression, sont d’un bleu azur. Quelques
muscles
D'UN NATURALISTE, 295
muscles carülagineux, utiles à la contracuon
des parues de l'animal, tapissent la crête supé-
rieure que J'ai déjà comparée à la nagcoire
dorsale des poissons. Elle est frangée d’une
lisière rose glacée de nacre.
La galère porte avec elle un poison si caus-
tique et si pénétrant, qu'à peine l’a-t-on tou-
chée , l’on ressent une cuisson insupportable ,
jusque là que lPenflure qui en est le résultat, est
accompagnée d’inflammation. Pour prévenir ses
suites funestes, on écrase sur la partie offensée
une gousse d'ail, ou, ce qui vaut mieux, on la
recouvre de linges imbibés d’alkali volaul fluor
étendu d’eau, qui neuiralise promptement les
effets de ce venin. On prétend que ce poison est
si subul et si corrupteur , qu'il décompose et
dénature la chair des poissons qui en ont mangé,
sans pour cela les faire mourir.
J’apercus près du gouvernail un poisson bien
intéressant par ses couleurs; c’est le pilote (1),
ou poisson conducteur. Il se rencontre fré-
quemment sous l'équateur. Il à de cinq à six
pouces de long, sur un de largeur. Il est d’une
couleur brunätre avec reflets dorés, ce qui hu
donne beaucoup de rapport avec la tanche pour
les nuances. Il est ceint dans sa longueur de sept
ms
(1) Gasterosteus ductor, Lainné,
Tone E. P
290 VOYAGES
bandes transversales noires. On l'appelle prlote ,
parce qu'ordinairement 1l accompagne le vais-
seau , et semble indiquer la route à tenir, On le
voit aussi devancer le requin, avec lequel il a,
dit-on, des rapports intéressés.
Dimanche 23 décembre , nous filimes quatre
nœuds avec vent arrière, Nous rencontrâmes un
bäument allant à Saint- Thomas. Il étoit à la
cape (1) depuis son départ de Philadelphie.
Anglo-américain , ce pavillon sembloit promettre
sûreté et protection à un de ses compatriotes.
Il avoit d’amples provisions, et nous en éuons
dénués ; c’est pourquoi, sous les auspices du beau
sentiment d'humanité presque toujours honoré
sur mer, nous le priâmes de venir à notre se-
cours. Le capitame eut la barbarie de profiter
de notre détresse pour nous faire payer une paire
de dindes, six gourdes (2). Nous eûmes bon
vent pendant la nuit, et filämes six nœuds.
Lundi 24 décembre , comme nous avions
acheté du capitaine inconnu quelques barils de
A
(1) Mettre à la cape, c'est ne se servir que de
la grande voile, portant le gouvernail sous le vent
pour laisser aller le vaisseau à la dérive, et ne poin
Fexposer, avec un plus grand nombre de voiles, à
ane résistance souvent capable de le faire sombrer.
(2) La piasite gourde vaut 105 sous de notre
monnoie.
D'UN NATURALISTE. 227
farine, on voulut la mettre en œuvre ; c’est
pourquoi les dames, comme plus recherchées
dans Ja propreté, se chargérent de la converür
en pains; mais On nous avoit trompé, et cette
farine contenoit irès-peu de froment, beaucoup
de pois et du sable, ce qui nous donna un pain
noir, gommeux et terreux. Îl falloit qu'il fût
bien mauvais, puisqu'avec notre appeut dé-
vorant nous Jui préférâmes le biscuit. On attri-
_bua ce défaut à la triturauon; et pour rétabüir à
cetie farine une réputation bien éventuelle, on
la destina à faire des beignets. Ils furent trouvés
détestables , et ne remplissant en aucune manière
le but qu'on s’étoit proposé, de flatter plus
agréablement notre palais. Enfin, Fesprit gastro-
nome se reposant pour quelques momens , on
désespéra de pouvoir employer avec fruit ce
précieux comestible.
Mardi 25 décembre , nous eûmes un coup de
vent assez violent. Nos directeurs étoient tous
francs-macons, et m’avoient invité à partager Ja
dissecuüon d’un bon dinde farci , tué en l'honneur
de la Saint-Jean. Le dirai-je sans honte ! mes
intestins fatigués par des mets grossiers, se
réjouissoient déja de reprendre lenrs douces
habitudes, et, dans leurs transports immodérés,
refusoient les rations communes. J’attendois
avec impatience l'heure du diner ; mais je ne
P a
338 VOYAGES
sais si on redouta ma censure, je ne fus appelé
qu’au dessert pour trinquer avec des hiqueurs
de la Marunique. Je relusai séchement, et re-
montai de suite sur le pont, en disant que
j'étois à jeun. Les Sibarites déja étourdis par Ja
fumée emivrante du Champaune, ne reconnurent
que trop tard leur grossiéreté.
La nuit, ils se permirent des plaisanteries, en
introduisant secrétement et sans bruit dans la
chambre des dames, deux gros chiens et un
cochon. Ces pauvres animaux tant rebutés, tant
battus le long du jour, goûtant en ce moment
uue paix inhabituelle, allèrent se placer dans
les cabanes, auprès de nos belles dormeuses ;
mais tout à coup un cri de l’animal fangeux
jeue l'alarme au milieu du sexe umnde. Deux
d’entre ces dames, moins épouvantées, enviant
les cabanes hautes, se levèrent en tremblant, et
reconnoissant le mauvais tour qu’on leur avoit
joué, voulurent faire déguerpir les chiens; mais
ceux-Cc1 sc trouvant bien et mollement couchés,
commencèrent à montrer les dents. H fallut
beaucoup de petites précautions, beaucoup de
paroles douces pour obtenir d’eux , au bout
d'une heure d’invitauons infructueuses, qu'ils
alassent sur le pont encourir encore les caprices
du public, qui se plaisoit méchamment à les
battre, en riant d’un procédé qui n'a rien de
ns Pia
8113 ituel,
À
D'UN NATURALISTE. 220
Mercredi 26 décembre, pour m'engager à
oublier lincivihité qui n'avoit été faite, le capi-
tame me sachant amateur d'histoire naturelle,
me fit cadeau d’une boîte fuite par les sauvages
de la Nouvelle-Angleterre. Le dehors est forme
de plumes de porc-épic, colorées de manière à
former divers dessins. L'intérieur est d’une
écorce fine et d’un jaune orangé.
Le génie gastronome tenta une nouvelle fois
de trouver une propriété à cette farine détes-
table; c’est pourquoi on la livra à un nègre
célébre dans l’art de faire le plum-poudins.
Ces mets chéri des Anglais n'exige point une
préparauon dificile. 11 s’agit de réunir au centre
d’une certaine quantité de farine des amandes
émondées, des prunes, des figues, des raisins,
et, pour épices, de la cannelle et du girofle. On
enferme ce mélange dans un linge, et on le met
cuire, pendant quelques minutes, dans le pot
au feu , jusqu’à ce que la farine soit suffisamment
humectée et cuite. Alors, avec du beurre, du
sucre et du vin de Madère , on fait une sauce
dont on arrose les tranches du plum-pouding.
Jeudi 27 décembre, nous n’éuons qu'à
quatre-vingts lieues de Saint-Domingue , et on
nous promettoit d'y relâcher; mais un des di-
recteurs qui avoit décidé le capitaine à débarquer
LES
230 VOYAGES
à Charles-Town, éteignit la foible lueur de nos
espérances.
Nous dinämes avec de la morue sèche , et
seulemeni bouillie dans de l’eau, sans beurre ni
sauce, et quelques pommes de terre gâtées ou
germées qu'on se disputoit sans rire. Un coup de
vent rompit l’écoute du grand hunier.
Vendredi 28 , nous eûmes un mât endom-
magé par le coup de vent de la nuit; mais nous
{ilâmes huit nœuds en bonne route. Nous fümes
tourmentés pendant notre sommeil par la pi-
qûre incommode et douloureuse de marin-
gouins(1}), et les traces venimeuses de ravets (2),
qui aiment à parcourir le visage ou toute autre
parue du corps mise à découvert , en y dé-
(1) Ces insectes sont de l'espèce du cousin, culex.
(2) Le ravet; scarabeus minor domesticus, spadi-
ceus. C'est une espèce de blatte; blatta americana,
malè olentissima. Cet insecte volant, commun à bord
des vaisseaux et en Amérique, est semblable au han-
neton privé de ses ailes, mais son corps est plus
aplati : le corps des mäles est caché sous des ailes,
tandis que celui des femelles est à découvert. Ces in-
sectes nuisibles rongent tout, et savent pénétrer dans
les lieux les mieux fermés, en y laissant des taches
d'une humeur infecte et caustique. Les ravets ont
pour ennemis puissans les guêpes ichneumones et les
araignées
D'UN NATURALISTE. 231
posant une liqueur caustique qui devient le
serme d’une érosion cuisante.
Samedi 9 décembre , nous devions nous
venger aujourd’hui sur un de nos dindes, de nos
privations journalières ; et comme c’étoit pour
nous une fête, que l'espoir d’un meilleur repas,
pour ajouter plus de solennité à la cérémonie des
funérailles , on me fit composer une marche
funèbre pour conduire à la cuisine , après lui
avoir fait faire trois fois le tour du bäument,
le gros dindon que nous avions si bien en-
gralssé.
Les comnussaires du banquet, au nombre
desquels j’avois été nommé, se réserverent pro-
visoirement le sang de l'animal pour en com-
poser un mets languedocien que je trouvai très-
bon. C’est le sang d’une ou plusieurs volailles,
qu’on met frire avec un peu de beurre, de Fail,
de l'oignon et de la sarriète hachée. On ajoute,
pour sauce, des jaunes d'œuf battus dans du
vinaigre (1).
Nous étions à la veille d'éprouver un dan-
sereux accident. Un de nos chiens languissant
de faim et de soif sous une température aussi
brûlante, eut les symptômes premiers d’une rage
confirmée. On prévint les suites funestes de
{1) Ce mets s'appelle sanguette.
) VERS E
P 4
239 VOYAGES
cette maladie affreuse, en jetant à la mer l'animal
atteint de l’hydrophobie.
Dimanche 30 décembre, il s’éleva vers midi
un coup de vent si violent, que quatre hommes
pouvoient à peine diriger la barre. Je n’ai parlé
que de la mort du dinde; mais, pour con-
noître les suites de sa destinée, 1l me suffira de
dire que les associés payeurs se retirèrent en
tapinois dans un com du batiment, et mangerent
sans mot dire, et bannissant toute générosité , la
fameuse pièce de résistance qui disparut en un
instant. Nous ressentimes d'autant mieux les
douceurs d’un semblable repas , qu’à nos côtés,
pommes de terre et pois faisoient le fonds du
diner des autres passagers.
Lundi 31 décembre, nous renconträmes deux
bâumens faisant route pour la Jamaïque. On
mit l'Adrastus en panne, et on hissa deux pa-
villons pour leur donner le signal du pourparier.
Soit crainte ou méfiance, les deux vaisseaux
conunueérent leur route en cherchant à nous
éviter.
Je devrois passer sous le silence un trait
d’égoïsme qui n’a pomt d'exemple. Nos di-
recteurs furent assezinhumains, pour me refuser
un peu de vin que me demandoit un conva-
Jescent pour faire une rôtüe au sucre.
Mardi 1er. janvier, nous voguions sur les
D'UN NATURALISTE. 233
flots de l’incerütude , puisque notre capitaine
plus occupé de son plaisir que de son devoir,
ayantnéoligé de prendre hauteur avec exacutude,
ne connoissoit plus le véritable point.
Nous vimes l'oiseau appelé par les marins
le corsaire. I annonce les attérages; ce qui
doubla l'inquiétude de nos mauvais pilotes, qui
ne se croyoient point aussi près de terre.
Mercredi 2 janvier, la nuit fut orageuse, et
les éclairs répetés embrâsoient l'horizon ;
cependant la mer étoit calme, et nous n’eûmes
que de la chaleur. Le matin, nous avions
aperçu près de notre bord un cachalot (1) de
quarante pieds environ.
Jeudi 3 janvier, jamais le lever du soleil
n’offrit un spectacle plus imposant. Les couleurs
riches et brillantes des nuages amoncelés vers
Fhorizon, décoroient de ses plus beaux vêtemens
l'aurore renaissante. Dans le lointain, une cou-
ronne de nuages où lon voyoit le beau jaune
cuivré , le rouge d’airain marbré, et bordé de
bleu noir jaspé , enrichissoit ce tableau ra-
vissant. Pour disque du centre de la couronne,
on remarquoit un ciel d’un beau bleu uniforme
et sans tache , que les couleurs foncées envi-
Qi) C'est le plus grand cétacé, après la baleine cu
Groënland.
234 VOYAGES
ronnantes rendoient encore plus tendre. Quelques
raies vertes et fauves jaspoient le dessous de ces
iransparens vaporeux. Près de Pazur, au milieu
du nuage cuivreux, étoit le croissant de la lune
renaissamie , tandis que les premiers jets lunu-
neux du soleil sortant de l'onde , venoient
dorer et éclairer ce dais merveilleux.
On reconnut à l’eau de mer devenue ueëde,
que,nous étions dans le golfe de Bahama. Son
courant devant nous être favorable, nous nous
en félicitämes.
Les fréquentes rumeurs qui eurent lieu à
bord depuis le jour de notre embarquement,
ayant souvent occasionné des actions de dépit,
notre vaisselle se trouvoit si fort diminuée ,
qu'on fut obligé de nous servir la soupe dans
un plat à barbe.
Vendredi 4 janvier, on sonda sans succés.
La sonde , au moyen de laquelle on détermine la
profondeur de l’eau, est un cylindre de plomb,
concave à sa base, qu’on enduit de suif propre
à retenir le sable des rivages, Les bons marins
reconnoissent, à la scule inspection des particules
arénacées , les parages où 1ls se trouvent. Pour
s'en servir, on jette à la mer, et on laisse filer
cet instrument attaché à une certaine quantité
de brasses de cordages. Comme il y avoit erreur
de calcul, nous ne pûmes trouver le fond,
D'UN NATURALISTE. 239
Isurvint, vers les cinq heures de l'après-midi,
uu coup de vent si violent qu’on mit le bätinient
à la cape. Quelques voiles déchirées, tous les
cordages en désordre, et roulés à la hâte sur le
pont, offroient le spectacle le plus lugubre. Ce
n'étoit plus limposant Adrastus, fendant avec
fierté l'onde écumante; rien d'aussi morne que
l'intérieur d’un gros bäument privé de ses voiles,
et devenu le jouet de la tempête.
La mer à minuit étoit si grosse, qu'une seule
Jame, après avoir inondé la chambre des dames,
entra dans la nôtre , etrenversa par sa commotion
un des passagers qui, dans sa chute voulant se
retenir à une colonne de nos cadres déjà ébranlés
par le roulis, fit le peut Samson, et écroula nos
cabanes. Une autre vague, non moins terrible,
ayaut redoublé cet horrible fracas, nous nous
crûmes tous perdus. J’avois déjà disparu aux
yeux des spectateurs, qui s’empressèrent de me
porter des secours, étant enseveli sous les débris
des cabanes, matelas, bouteilles, et surtout
“touflé par le poids énorme du passager qui
couchoit au dessus de moi, et qui, se trouvant
bien, oubhoit qu’il en écrasoit un autre.
Samedi 5 janvier , la tempête subsistoit encore,
et la mer étoit st houleuse que nous fûmes obligés
de rester au lit, ne pouvant debout conserver
l'équilibre. On sonda encore infructueusement ;
236 VOYAGES
ainsi nous étions sans cesse à la veille de nous
perdre par l’inconséquence de notre capitane
qui oubhoit, au milieu des jeux, et son devoir
et les dangers éminens auxquels 1l nous exposoit
pour avoir négligé le calcul des latitudes.
La tourmente augmenta , et les vents déchaînés
déchirant les voiles, on mit une seconde fois à
la cape. Rien ne pouvoit arrêter les mouvemens
violens et convulsifs du gouvernail; on futobligé
de lamarrer. Le navire à la merci des flots et
des vents, inondé de vagues sans cesse renais-
santes, rouloit dans tous les sens, et sembloit
annoncer une perte prochaine.
Dimanche 6 janvier, la tempête conunuoit
sans apaiser sa furie, lorsque, près de notre
bord, nous apercümes toutà coup au milieu d’un
brouillard épais nn bäument à trois mâts , aussi
maltraité que le nôtre , tantôt englouu sous l’onde
amere , tantôtrevonu par ses vagues inconstantes,
et élevé subitement à des hauteurs prodigieuses.
Ce vaisseau , jouet comme l’Adrastus de la tem-
pête la plus affreuse, nous fûmes réduits à la per-
plexité de passer ainsi la nuit sans pouvoir diriger
le bâument, et craignant un choc qui nous eñt
{racassé l’un ou l’autre. Cependant accablés de
{xtigue, nous nous ivrions déja aux douceurs du
premier sommeil lorsqu'une secousse nous fit
tressuillir. Deux flots opposés, heurtantla carène,
D'UN NATURALISTE. 237
firent sauter le bâtiment si haut qu'il retomba
sur son flanc, et resta dans cette position incom-
mode et dangereuse, jusqu’à ce qu’une nouvelle
lame vintlui faire reprendre sa position naturelle.
Lundi 7 janvier, le vent se calma , et la mer
quoiqu’encore grosse, étoit moins redoutable.
Nous revimes le bâtiment à trois mâts, qui nous
accosta sans danger. C’étoit un vaisseau mar-
chand, sur son leste, venant du nord des Etats-
Unis, et faisant même route que nous vers
Charles-Town, où le capitaine vouloit relâcher,
après y avoir été provoqué par l’un des négo-
cians de notre bord.
J’eus occasion de voir plusieurs trombes (1),
QG) Tipho, aut sipho. La trombe aqueuse est, selon
Valmont-Bomare , un météore extraordinaire qui
paroît sur la mer, qui met les vaisseaux en danger, et
qu'on remarque très-souvent dans les tems chauds et
secs : c'est une nuée condensée , dont une partie se
trouvant dans uu mouvement rapide et crculure,
comme autour d'un axe, causé par deux vents qui
soufflent directement et impétueusement Fun contre
l'autre, tombe par son poids, et prend la figure d’une
colonne tantôt conique , tantôt cylindrique : elle tient
toujours en haut par sa base, qui n’imite pas mal le
pavillon d'une trompette. Les trombes sont creuses en
dedans et sans eau , parce que la force centrifuge
pousse hors du centre les parties internes. Plusieurs
puties aqueuses se détachant de la circouférence,
235 VOYAGES
mais fort heureusement assez éloignées denous,
pour que nous n'ayons point à les redouter.
Nous étions d’ailleurs dans l’impossibilité de les
dissoudre, et de nous opposer à leurs ravages
en ürant contre elles des coups de canons,
puisque notre bâtiment r’étoit que parlemen-
taire, et par conséquent point mumi de pièces
d’arullerie. Nous vimes aussi quatre requins
dans le sillage de notre bâument; mais, filant
huit nœuds, la rapidité de notre course s’opposa
à ce qu'ils mordissent au hamecon , qui est une
espèce d’émérillon.
À nunuit, nous füûmes réveillés en sursant
par un coup de canon qu'un vaisseau tira près
de nous. Le boulet passa à quelques pas du
timonnier. El falloit voir nos spéculateurs déplorer
déja la perte des fonds immenses qu'ils avoient à
bord. Jadis satiriques , ils avoient en ce mo-
ment l'oreille bien basse, et étoient consternés
forment la pluie qui tombe tout autour du tourbillon :
iorsque le vent inférieur est plus fort, la trombe se
trouve emportée et est suspendue obliquement à Ja
nuée ; alors ou entend un bruit sourd et mêlé de
siflemens. Par-tout où ce tourbillon tombe, il cause
de grandes inondations par la prodigieuse quantité
d'eau qu'il répand : 1l amène même quelquefois de
la grêle, et les dégäts qu'il produit sont aïfreux.
(Consultez l'Histoire de l'Académie , années 1727,
1707 RE ETAT)
D'UN NATUÜRALISTE, 239
dans lPembarras des richesses, par la crainte
de trouver un corsaire dans notre agresseur..
On en vint à l’abordage, et nous apprîmes tous
avec un vif intérêt que le bâtiment inconnu
n'étoit que dénué de vivres , et qu’expédié de
Londres, il avoit déjà près de quatre-vingt-dix
jours de traversée. Le capitaine, nous exposant
la triste situation de son équipage harassé par les
tempêtes habituelles qu'il avoit essuyées , nous
apprit qu'il étoit réduit à une ration insuffisante,
et que, dans la crainte que nous ne ini échap-
pions , 1l n’eut pas le tems de faire reurer le
boulet du canon; que son intention , nullement
hosule , n’étoit que de faire metire notre bâument
en panne. Ce vaisseau étoit armé en guerre
et marchandises.
Mardi 8 janvier, nous trouvämes enfin terre
à vingt brasses , et nous découvrimes le beau
phare de Charles-Town (tom. r°"., planc. XIV),
situé isolément au milieu d’une anuque forêt de
pins, au dessus desquels il s'élève de plus des
trois quarts de sa hauteur. Nous vimes voluger
autour de notre bäument des canards de toute
espèce, des cormorans (1), des chevaliers (2),
(x) Corvus aquaticus, aut Phala crocorax ; oiseau
aquatique, dont on distingue deux espèces qui se
nourrissent de poissons.
AA . :
(>) T'otanus, oiseau aquatique du genre du Bécasseau,
2 40 VOYAGES
des mouettes (1), des goilands {2), et autres
oiseaux qui fréquentent les atiérages. Nous en
tuâmes plusieurs ; mais ayant vent arrière ,
et toutes les voiles étant dehors, nous ne pûmes
mettre la chaloupe à la mer pour les aller
chercher.
Un pilote côtier vint à notre rencontre dans
sa barque élégante pour nous faire éviter la
barre (3), et nous conduisit vis-à-vis de Charles-
Town, où nous mouillämes assez près de l'Em-
barcadère, après nous être félicité d’avoir été
assez heureux pour échapper aux dangereux
rescifs de la baie. Le port de cette ville peut
recevoir en sa rade jusqu'à trois cents voiles,
et les plus gros navires y entrent en tout tems
avec leur chargement.
nn
(1) Gavia, nom donné à des oiseaux de mer, à
pieds palmés, du genre des goilands, mais moins
grands.
(2) Larus ; c'est loca-marina crocalo des Italiens.
Oiseaux de mer ictyophages. Ils sont sur les rivages
ce que les vautours sont pour l'intérieur des terres,
destinés à purger la terre des débris d'animaux morts,
qu'ils se disputent entr'eux, avec des cris aigus.
(5) Banc de sable qui barre un port, et souvent
devient un dangereux écueil. Celle de Charles- Town
est renommée par des naufrages fréquens qu'on y
essuie,
. :
Mercreci
D'UN NATURALISTE. 2/4X
Mercredi 9 janvier , après le visite de
VAdrastus, je descendis à Charles- Town , ville
capitale de la Caroline méridionale , avec le
capitaine , afin de nrassurer d’un logement.
Quel fat mon étonnement dans un paysinconnu,
d'y trouver de nouvelles mœurs, de nouvelles
coutumes et tous visages étrangers , d’y ren-
contrer autant de nègres que de blanes ! J'avoue
que la vue de ces Africains dans l’état d’escla-
vage, me fit d’abord impression. Il règne dans
l’intérieur de la ville le silence le mieux observé ;
et les Anglo-Américains sérieux par caractère,
et non turbulens comme les Français, marchent
dans les rues sablées, la tête baissée, et exclu-
sivement préoccupés de leur commerce. Lorsque
deux d’entr’eux se rencontrent, un salut de la
main faitavec réserve, mais avec sincérité, équi-
vaut en ce cas à notre accueil affable , mais
trop souvent politique (1).
La température de Charles-Town (2) modérée
(1) Quand, dans une société, une personne en
saluant refuse la main à une autre, elle lui déclare par
là son inimitié.
(2) Cette ville se trouve au confluent de deux
rivières navigables , la Cooper et l'Ashley, et sert
d'entrepôt à toutes les productions de la colonie qui
doivent être exportées.
Tome I. | Q
542 VOYAGES
toute l’année, offre cependant plusieurs varia-
tions dans la journée; ce qui la rend très-
mal-saine. Il faudroit volontiers changer trois
fois le jour de costume plus ou moins chaud,
inconvénient qui donne naissance à une infinité
de maladies produites par une transpiration
interceptée. Nous n’éuons qu’au commencement
de janvier, et cependant beaucoup d’arbres
étoient couverts de verdure et de fleurs. Les
chaleurs de lété y sont insupportables , et infi-
niment plus accablantes qu’à Saint-Domingue, où
une brise réglée vient trois fois le jour rafraîchir
Patmosphère, et dissiper les miasmes combinés
par une évaporation torride, et des exhalaisons
souvent morbifiques.
Peu familier avec le langage du pays, et bien
néophyte encore dans la traduction de l’anglais,
je souffrois d'entendre parler à mes oreilles,
sans pouvoir comprendre même les cris des
marchands , dont les intonations sont variées
à linfim.
Les rucs de Charles- Town sont correctes,
mais souvent remplies d’immondices. On y
marche avec difliculté sur un sable épais. Les
maisons pour la plupart couvertes en bois ou
essentes, qui réverberent moins la chaleur que
Ja tuile, sont construites en planches. Celles
des habitans riches ont des facades du goût le
D'UN NATURALISTE. 243
plus moderne , à colonnes et galerie tournante,
et d’un style régulier. Mais ces palais modestes
élevés sans maconnerie, sont, ainsi que la chau-
mière du pauvre, exposés à être détruits en un
instant par l’imcendie.
Nous traversämes le bel emplacement de la
boucherie , où la viande me parut fort belle, et
surtout bien netiement divisée. Les bouchers
propres à l'excès, poussent la précaution jusqu’à
scier les os, afin que le morceau qu'on leur
achète soit coupé régulièrement. Ils tuent tous
les jours , et ne font jamais reparoître la viande
tuée de la veille, ayant la commodité de la
saler , et de la mettre en barils pour l'usage des
Vaisseaux.
On voit sur chaque cheminée un ou plusieurs
ménages de turkey-buzzard (1) , espèce de vau-
(1) Dinde-buse, ou Urubu; c'est le vautour du
Brésil, de M. Brisson, et des planches enluminées
187; Buse à figure de paon, dans Catesby ; Hernandez
et Nieremberg lui donnentle nom d'Aura , et François
Ximénès, celui de Tzopiloth ou Tropillot; c'est le
cosquauth de la Nouvelle-Espagne. Margrave dit que
les Brasiliens le nomme Urubu. Cet oiseau , dit
M. Mauduit, se trouve dans différentes régions de
l'Amérique. Les sauvages de la Guiane l'appellent
Ouroua ; les créoles et les voyageurs l'ont appelé Mar-
chand : on le trouve aussi en Afrique. Kolbe lenomme
Aigle du Cap.
| Q 2
244 VOYAGES
tours appelés vulgairement cinq paounds (6),
valeur de l’amende infligée à l’audacieux qui
cn tucroit un. Ces oiseaux sont ainsi respectés
par les services réels qu’ils rendent en enlevant,
dans la ville et aux environs , tous les animaux
morts et débris corrupübles , dont 1ls font leur
unique nourriture, Voit-on une poule expi-
rante; elle ne reste pas long-tems sur la place
sans être dépecée. Ces oiseaux, durant le jour
occupés sans cesse à faire leur tournée, fondent
par légions, et se disputent la proie qui dis-
paroît en un instant. Les turkey-buzzards sont
si familiers , qu’on pourroit en tuer volontiers à
coups de bâton. J’avois un grand désir de me
procurer un de ces animaux ; mais je n’étois
point du tout disposé à payer cinq louis environ
d'amende, ce qui m'’engagea d'attendre une
occasion favorable.
Les dames anglo-américaines , jalouses d’imiter
les Françaises dans leurs costumes, sont à la
piste des bâtimens arrivant de France, pour en
réclamer les modes du jour; et c’est une spécu-
Jauion sûre que peut faire un capitaine, s’il a des
fonds à convertir en pacoulle. J’examinois Ia
tournure d'une de ces dames lorsqu’en de-
tournant une rue, je vis à mes pieds deux négresses
(2) Environ 120 francs.
D'UN NATURALISTE. 245
accroupies, occupées à fumer avec de longs ca-
Jumets ; c’est le cas de dire que ce ne fut pas
pour moi une agréable surprise.
La chaleur étant excessive , et harassés des
courses faites en vain pour trouver une pension
convenable, nous fûmes assez heureux pour
rencontrer un Francais obligeant qui, nous ayant
reconnus pour des compatriotes nouvellement
débarqués , s’ofrit d’être notre interprète, et
nous procura un asile bien famé , et qui nous
parut tenu par de bien honnêtes gens ; c’étoitune
pension américaine. L’hôtesse, Mme, Ramadge,
offroit pour contraste une taille colossale ; avec
des manières mignones et enfantines. Cette
dame ne savoit quelle contenance garder , n1
comment s'expliquer ; enfin notre interprète,
qui parloit anglais, nous développa ses in-
tentions.
À peine fümes-nous installés, qu'un jeune
nègre vint nous Offrir des fruits de l'Amérique.
Pour mieux disposer les acheteurs, 1l les char-
moit par les accens mélodieux de sa voix céleste.
Quoique bien envieux de goûter à ces pro-
ductions nouvelles pour moi, je pris encore
plus de plaisir à exercer son talent, et à lui faire
répéter un rondeau anglais, original par sa
composition. Après lui avoir acheté des ba-
nanes, figues bananes, patates, ananas, elc.,
Q 3
246 VOYAGES
je le congédiai en le récompensant de mamière
à l’encourager.
Je ne pus juger de la bonté de ces fruits
imparfaits , et je me réserve d’en parler lors de
mon séjour à Saint-Domingue. Je sorus pour
connoître l’intérieur de la ville , et je vis que les
femmes de qualité font le maun leurs courses
à pied. Elles ont une démarche lente et grave ,
et sont suivies d’une ou plusieurs jeunes
négresses.
Les voitures sont tres-légères et aérées ; elles
sont trainées par des chevaux , que des nègres
conduisent. On voit peu de cabriolets , mais des
charabans d’une délicatesse extrême. Les rues
sont garnies de trottoirs, et d'arbres dont les
fleurs ont quelque rapport avec celles du Hilas de
France. Cet arbre est l’azédarach (1), dont les
branches lisses et droites forment une très-belle
têle.
Les levées du bord de la mer sont constrinies
en ostracites (2), et la consommation d’huîtres
en ce pays est si grande, qu’on se sert le plus
communément pour bäur, de chaux d’huitres.
(r) Melia azedarach, foliis bipinnatis, Tinné. Voyez
mon Traité des plantes usuelles des Antilles, plantes
assoupissantes.
(2) Ecailles d'huitres devenues fossiles.
.*
s" ‘“t. .
ss
+
4
D'UN NATURALISTE. 247
En rejoignant notre pension, je rencontra le
convoi d’un nègre. Les plenreurs deux à deux
marchoient devant et derrière le corps, qui étoit
porté sur un chariot rouge traîné par un seul
cheval. ( Tom. rer. , pl. XV.)
En visitant les temples consacrés au service
de l'Éternel ,J'appris que la seule église catholique
avoit été incendice, et qu'on l’avoit remplacée
momentanément par une grange non moins vé-
nérable que les voûtes dorées des temples consa-
crés aux différens cultes. La secte protestante est
la plus universellement répandue; cependant la
religion catholique, celles des quakers (1) et des
méthodistes y sont également tolérées.
(1) Quaker veut dire trembleur. Leur secte paci-
fique prit son origine à l'époque où les Anglais
révoltés se couvrirent du crime honteux de régicides.
Georges Foxe fut leur fondateur. Il avoit vendu ses
biens pour mieux se détacher des jouissances terrestres.
Les bois devenoient son asile, et les fruits sauvages,
sa nourriture. Il eut bientôt des sectateurs, et fut
forcé de se rapprocher des villes, où cette société
adopta un costume simple et dénué de tout orne-
ment. Cest pourquoi les galons leur sont interdits,
ainsi que les dentelles ; les manchettes, broderies et
bijoux , comme objets superflus; leurs habits n'ont
aucun pli. ‘l'outes déférences extérieures leur sont
à charge; c'est pourquoi enlr'eux ils se regardent
égaux. Ils ne reconnoissent pas les titres fastueux,
Q 4
2/18 VOYAGES
Les quakers sont simples dans tous leurs
goûts, humains et bienfaisans ; ils prêchent en
public, dans les places et marchés, contre lescla-
vage des nègres. ls sont vêtus de noir, et ont la
produits, disent-ils, par l'orgueil de ceux qui les
ambitionnent , et par bassesse dans ceux qui les dé-
Tèrent. Ils regardent chez les femmes, la révérence
comme une coutrainte aviissante ; et dans les hommes,
l'action d’ôter son chapeau comme une bassesse qui
met l'individu au dessous d'un autre. « C'est, dit
Raynal, dans son Histoire phylosophique des Deux-
Indes , manquer à soi pour honorer les autres.
Porter les armes, continue le même auteur, leur
paroissoit un crime. S1 C'étoit pour attaquer, on pé-
choit contre l'humanité; si C'éloit pour se défendre,
on péchoit contre le Christianisme. Leur évangile
étoit la paix universelle. Ils ne juroient jamais devant
les tribunaux. Ils n'ont point de clergé, et tournent
eu ridicule nos cérémonies religieuses, prétendant
qu'ils recoivent immédiatement l'Esprit Saint; Cest
pourquot, lorsqu'ils sont assemblés , le premier qui se
croit inspiré se lève, et preud la parole. Souvent
le silence Le plus profond règne en leur assemblée.
Cet enthousiasme , irritant le genre nerveux, leur
donne des convulsions ; de là, le nom de quaker,
qui veut dire trembleur. Cromwel, qui Îes persécuta
parce qu'ils cherchoient à dégoûter les soldats du
métier de la guerre en s'insinuant dans les camps,
avoua que leur religion étoit peut-être la seule dont
on ne put détrure les principes avec des guinées.
D'UN NATURALISTE. 249
tête couverte de clabauds, ou grands chapeaux à
bords pendans. Les quakers sont ennemis de la
guerre, et ne veulent jamais contribuer pour
favoriser et entretenir ce fléau désastreux. Îls sont
si scrupuleux pour la décence, qu'ils ne veulent
jamais recevoir de lavemens, dans les maladies
mêmes où 1ls sont indispensables.
Le quaker officiant de leur secte se lève pour
parler, lorsqu'il se croit inspiré de l'Esprit Saint.
.Hn’y a point, dans l'intérieur de leurs temples,
d’autel propre au sacrifice ; leur culte ne consiste
qu'à épurer leur morale austère, ainsi que me
l'a assuré un Anglo-Américain qui, par super-
cherie, s’est introduit plusieurs fois parmi eux.
L’orateur, pour imviter au silence, pousse des
hurlemens affreux, et à l'instant tout l’audiioire
se tait. Les quakers ont dans leur temple la tête
couverte, et croyent à une parfaite égalité entre
eux.
Cette secte, ennemie des liuges, n'a point
d’avocais, et lorsqu'il s'élève un différend entre
deux quakers, les parties s'expliquent en pleine
assemblée, et leur rapprochement a toujours
licu. Lorsqu'un d'eux fait mal ses affaires, les
autres lui fournissent jusqu’à sept fois les moyens
de rétablir, et sa fortune et sa réputation; mais,
en cas d’une huitième faute, ils l’'abandonnent à
sa mauvaise Conduite.
290 VOYAGES
Les principes moraux des quakers sont si
rigides qu’ils ont, pour les femmes qui ne leur
apparüennent pas, la plus exacte continence.
C’est pourquoi, lorsqu'ils donnent l’hospitalité à
quelqu’étranger , l'homme , la femme, les filles
et l’étranger couchent dans le même hit. Il n’en
est pas de même des Anglo-Américains , dont les
mœurs sont maintenant, dans les poris de mer,
aussi dépravées qu'en France, depuis que le
commerce leur à établi des relauons avec l'Eu-
rope ; car, si dans les sociétés des villes une femme
rougit lorsqu'elle entend prononcer le nom de
pied, de jambe, et même de cuisse de poulet,
souvent à présent les jeunes demoiselles , su-
bornées par les marins français, s’abandonnent
au premier amant qui sait leur plaire. Pourtant
elles traitent leurs intrigues avec beaucoup de
discréuon, et regardent leur faute excusée, lors-
qu’elle est enveloppée des ombres du mystère.
Lorsqu'un Anglo-Américain meurt, et que
sans être marié 1] a vécu avec une concubine,
les biens du défunt lui sent transmis.
Mort pour mort, telle est la loi qui condamne
seule à cette pumiuon les assassins, tandis que
les autres crimes non moins contraires à la
société, tels que Les viols, les rapis, et autres vices
capitaux , y sont atteints que par de légères
peines,
D'UN NATURALISTE. 251
Les prisonniers sont généreusement traités
à la Nouvelle- Angleterre, et respectés dans leur
malheur. Indépendamment d’une nourriture
saine et raisonnable, on ne leur reuent point les
produits de leur industrie | qu’on fait vendre à
leur profit. |
Il ne fait jamais aussi froid à Charles-Town
qu'a Philadelphie | qui se trouve au nord de
l'Amérique septentrionale , et où , sur la rivière
glacée de la Delaware (1), on fit rôur un bœuf
pesant douze cents, sans creuser et dissoudre
le cristal. C’est en cette saison qu’on y fait des
parties de traîneaux, et que les patuneurs y
déployent leur adresse et leur légéreté. On
rencontre au milieu de ces joûtes, sur la glace
même , de petites guingueites établies pour
répondre aux besoins des acteurs et spectateurs
de ces jeux divertuissans.
Les gens riches de Charles-Tovwn brülent d’un
bois sans nœuds, appelé l’aigret ; c’est le noyer
sauvage.
On nous servit à souper chez Mme. Ramadge,
sur une longue table d’acajou bien cirée, du cerf,
si commun dans le pays qu’on en fait boucherie,
(1) Philadelphie, appelée srlle des Frères, est
située à cent vingt milles de la mer, au confluent de
la Delaware et du Schuylkill
559 VOYAGES
du calalou (1), des ignames (2) et des patates (3).
Nous eûmes pour boisson d'assez mauvais cidre,
mais en revanche d’excellent porther où grosse
bière d'Angleterre, du brandy ou eau de vie,
qu’on mélange avec trois parties d’eau enfiron.
Je rencontrai M. RY**, mon parent, qui me
présenta à son épouse et à ses enfans, en me
témoignant tout son regret d’avoir été, par suite
des révolutions de Saint-Domingue, circonscrit
dans un local qui ne lui permettoit pas de
m'offrir un asile, amsi qu'à sa sœur ma belle
mére ; mais, en qualité de parent et d’amateur
de peinture et de musique, 1l me fit promettre
de passer chez lui une parue de mon tems , qu’on
ne pouvoit que bien employer au milieu d’une
famille aimable, qui a tant de talens en partage.
On se seri au conunent de la monnoie d’Es-
pagne. Tous les samedis on lave l’intérieur des
maisons , et l’on frotte avec soin les parquets et
les escaliers garnis , dans les maisons riches, de
tapis précieux, et chez les simples parüculiers,
de sablon très-fin qu’on répand avec symétrie ,
(1) Mets américain composé de divers herbages,
de volailles et de crustacés. Voyez sa plus grande
description, article de Saint - Domingue.
(2et5) Voyez la description de ces productions
dans le Traité des plantes usuelles des Antilles.
D'UN NATURALISTE., 553
et en traçant différens dessins. Au reste ,:
est du plus mauvais ton de cracher sur un de
ces parquets , et il n’y a guères qu'un Francais
qui puisse se permettre une telle incivihité.
Mes nouveaux parens partageant mon goût
pour la chasse, et désirant coopérer à ma col-
lecuon des animaux étrangers à l’Europe, me
proposèrent une parte dans les environs de Ix
ville. Je rapportai de cette excursion ornitho-
logique de très-jolis oiseaux. Ces bois sableux
et sombres , où s’élevent avec majesté d'antiques
et odorans sapins , ces réseaux de barbe es-
pagnole (1), au travers desquels se jouent les
écureuuils de plusieurs espèces, et qui se balancent
d’une futaie à l’autre , au secours de ces franges
pendantes, semblables à la barbe d’un vieux
anachorète; le chant des oiseaux , nouveau pour
moi, tout me jeta dans une telle surprise, que
je restai long-tems immobile et pénétré d’un
saint respect, en admirant la source inépuisable
(1) La barbe espagnole, ou caragate musciforme ;
viscum caryophylloïdes, tenuissimum è ramis arborum
musci in modum dependens, foliis pruinæ instar
candicantibus, flore ‘trepetalo, semine filamentoso,
Sloan. Jam, est une espèce de gui; voyez sa des-
cription à la fin de l'ouvrage, au ‘Fraité des plantes
usuelles.
254 VOYAGES
des variétés de la nature, et en bénissant les
œuvres de mon Dieu.
En parcourant les bois , j'examinai beaucoup
de ces oiseaux, et je tuai sur les haies plusieurs
sparas (1), espèce de moimeaux semblables au
friquet de France ; des rossignols (2), dont
la voix est très-agréable ; des cardinaux (3), qui
se privent très-bien en cage, et qui sont re-
cherchés pour leur robe éclatante. Le mâle d’un
rouge de feu, a seulement les pennes des ailes
d'un noir de jayet, ainsi que les ptumes de la
base du bec. La femelle moins riche en couleurs,
est nuée de ce même vermillon, et d’ohvätre
cendré. Je tuai les deux d’un seul coup de fusil ,
et fus enchanté d’une aussi belle capture.
Je rapportai également deux troupiales (4),
ainsi nommés parce qu'ils vivent en société.
(1) Linotte brune d'Edwards; et petit moineau de
Virginie, ainsi nommé par Catesby.
(2) Le rossignol de l'Amérique, d'Edwards ; c'est
le figuier brun, ou grand figuier de la Jamaique, de
M. Brisson.
(5) Le cardinal huppé de l'Amérique septentrionale,
est le gros-bec de Virginie, de Brisson; Coccothraustes
indica cristata, pl. enl. 57. ‘The Brasilian F'anager.
des habitans de la Nouvelle-Angleterre.
(4) Cet oiseau est le Commandeur : Icterus Plero-
Phæniceus. 11 appartient à l'Amérique septentrionale ;
D'UN NATURALISTE. 255
Quoiqu’on en rencontre des bandes nombreuses
dans les marais, ces oiseaux sont diMiciles à
approcher. Le troupiale de la Caroline , ou
commandeur, est de la taille d’un merle; son
plumage est d’un noir lustré ; ses ailes sont
recouvertes, vis-à-vis le trochanter de lhumerus,
d’une épaulette d’un rouge cramoisi vif et doré ;
ses pieds et son bec sont noirs, ainsi que ses
yeux, dont l'iris est d’un blanc mat. Les cou-
leurs de la femelle sont plus roussâtres et
beaucoup moins vives. Ces oiseaux pondent
dans les marais, où ils établissent leur nid qui
a la forme d’un tube, avec une seule ouverture
sur le côté. Il flotte au gré du vent, et est entre-
lacé avec la sommité des joncs qui lui servent de
toit. Ces oiseaux sont fort recherchés, et leurs
épaulettes vendues jusqu’à vingt francs le millier
aux pelleuers, qui en font des palaunes et des
garnitures de spencers ou de robes. Outre qu’on
reure ce produit de ces oiseaux , leur tête est
également mise à prix, par rapport aux ravages
qu'ils exercent dans les terres où l’on a semé
du riz. Ils ne sont pas seulement granivores, et
c'est l'Etourneau à ailes rouges, de Catesby ; l'Etour-
neau rouge-ale, d'Albin ; et le Troupiale à ailes
rouges, de M. Brisson (pl. enl. 402). ‘he Red-
Winged Starlhing. Cates., car, 1, p.13, & 13.
256 VOYAGES
ils se nourrissent, hors des récoltes, de fruits
ou d'insectes.
Les troupiales vivent entr'eux avec beaucoup
d'accord , et ne se nuisent point dans les détails
de leur peut ménage. Leurs mœurs sociales leur
font chercher en paix la nourriture de leurs
peuts, et souvent dans le même champ on en
voit une quantité considérable occupés à cetie
recherche, sans annoncer la moindre mésin-
telligence.
Les troupiales ont en cage les genullesses de
l’étourneau d'Europe, et sont aussi attenufs que
lui à recevoir l’instrucuon qu’on veut bien leur
donner. M. RYY*, mon parent, qui en possédoit
un très-fanulier , lui donnoit la liberté, et
m’engagcant à préluder sur mon violon ou sur
le piano , le mélomane aïlé venoit à l’instant se
poser sur ma tête, et ne me quittoit que lors-
qu'il cessoit d'entendre cette mélodie. Il étoit
tellement familier, que quelques jours après
avoir lié ensemble connoissance , m’apercevant
occupé à dessiner un de ses pareils, 1l sortit de
sa cage, volügea autour de moi, puis sur le trou-
piale qui me servoit de modèle, Comme ce dernier
étoit en position, et qu'il avoit toute l’apparence
d’un être vivant , l’oiseau familier alla le bec-
queter, comme pour le tirer de son assoupis-
sement; puis le trouvant insensible à ses dé-
monstrations ;
D'UN NATURALISTE. 257
monstrations, 11 lui réitéra mille agaceries, lui
fit mille genullesses , après lesquelles il renonca
au projet de jouer avec lui, et vint se poser sur
un verre d’eau qui me servoit à laver ; il dérangea
mes pinceaux , @t Sans Ma permission Com
mencoit à se baigner, lorsque je fus obligé de
lui soustraire mon dessm qu'il avoit déjà tout
arrosé. Enfin , je crois pouvoir le dire sans
exagérauon, le troupiale est l’oiseau qui , privé
de sa hberté, conserve le nieux, néanmoins
malgré son esclavage, toute l'amabilité de son
caractère.
Nous eûmes, pour derniére pièce de notre
course d’ornithologie, la grivetie d'Amérique ;
c’est le mauvis de la Caroline, de Brisson ; la
peute grive de Cateshy ; elle est de la grosseur
d’une alouette ; le plumage du dos est roussâtre ;
celui du ventre est blanc tacheté de marques
iriangulaires brunâtres; le bec, les pieds et Les
ongles sont noirâtres.
De retour chez M. R*Y#%, 11 me présenta à
son gendre, M. de MY***, consul espagnol,
chez lequel on enfreignit en ma faveur la loi
rigide qui défend en ce pays, sous des peines
trés-sévéres, de faire dela musique le dimanche:
Je me félicitai d'autant plus de cette transgres-
sion , que je retrouvai dans les concertans,
enfans de M. RY**, cette grace et ce goût
Tone I, ro
208 VOYAGES
qu’on ne rencontre que parmi les vrais talens:
On exécuta à la première vue un trio-concertant
pour harpe, forte-piano, et cor, de ma com-
posiuon, avec une vérité et une précision qu
m'enchantérent.
En sortant de chez M. RY**, j’apercus un
rassemblement, au milieu duquel je vis un
orateur qui débattoit vivement les intérêts de
plusieurs nègres exposés sur un théâtre pour
être vendus. C’étoit un quaker philantrope, et
fdele observateur de sa loi. « Peut-on, disoit-il
» au peuple étonné, assimiler des hommes à des
» animaux? Que fait-on de plus, lorsque dans
» un marché 1l s’agit d'acheter un cheval, un
» bœuf ou un mouton? L'animal est, ainsi que
» les nègres , à la discrétion des acheteurs , qui
» l’examinent nu, et le tournent dans tous les
» sens. Vals usuriers ! ne sont-ils pas hommes
» comme vous »! Je ne pus entendre plus
long-tems sa harangue, etje le quittai au moment
où 11 sembloit plamdre le sort d’une négresse
qui, pour une faute qu’elle avoit commise, mar-
choit dans les rues, avec un joug ou collier
pesant, armé de trois branches de fer de la
fongueur de Pavant-bras.
Comme je cherchois à me distraire de Pennu:
de ne point trouver de passage pour Saimt-
Domingue, je réclanrai la solitude des bois si
D'UN NATURALISTE. 259
bienfaisante aux mélancoliques ; et pour éviter
des visites trop multuiphiées , je n’achemunai seul
avec mon fusil vers la course (1) distante de
quatre milles de Charles-Fown.Jetuai,enentrant
sous les premiers sapins, le beau geai bleu du
Canada (2). Ce ge de l'Amérique septen-
trionale est beaucoup plus peut que le nôtre,
dont il a néanmoins tous les caractères exté-
rieurs. Il est plus svelte , plus élégant dans ses
formes que le dernier, et son plumage très-
régulier est éclatant. Sa tête est ornée d’une
buppe d’un beau bleu; le plumage supérieur
est de cette même couleur, l’inférieur est
bleuâtre, tandis que le ventre et le dessous de
Ja queue sont d’un blanc éblouissant. Les ailes
et le dessus de la queue sont bigarrés de barres
transversales , où zigzags nués de noir, bleu
et blanc.
Le geai bleu du Canada paroît avoir les mêmes
habitudes que notre geai d'Europe. fl est, ainsi
(r) Ce cirque, où se rassemblent annuellement des
curieux de toules les villes du Continent, est peuplé,
à un certain jour de l'année, d’un nombre immense
de spectateurs. Il s'agit d’y disputer le prix de la course
aux chevaux. Les coursiers et les jokeis y sont pesés
avant d'entrer en lice, et de grands paris sont ouverts.
(2) Gracculus cœreleus Canadensis, Brisson, pl
enl, 550. The Blue Jay. Edw., pl. 259.
| R 2
2060 VOYAGES
que ce dernier, inquiet, toujours en mouvemént,
décélant sans cesse sa retraite par un cri aigu
qu’il pousse à l’approche de tout être animé, et
qui devient le signal du rassemblement de tous
ceux de son espèce qui se trouvent autour de lui.
Il s'élève facilement en domesticité, et s’y rend,
ainsi que le nôtre, très-fanuher.
Je me procurai également la belle pigrièche
bleue, qu'on appelle dans le pays nonpareille (1),
à cause de la beauté de sa robe. Son bec, ses
pieds et ses ongles sont d’un noir de velours,
tout le plumage supérieur du bleu d'azur du
martn- pêcheur d'Europe, et celui du ventre
d’un rouge safrané très-vil.
Cet oiseau est silencieux ; on le rencontre iou-
jours seul, perché sur des pieux , ou à Pextrémité
de bois sec de moyenne hauteur. Cest de là
qu'il épie les moucherons dont il fait sa nourri-
ture , et qu'il saisit adroïiement en faisant claquer
son bec. Les lieux fréquentés fui sont importuns ;
c'est pourquoi, fuyant toute espèce de société, 1l
disparoît à l'approche de l'homme, et va loin de
lui, dans l'épaisseur des bois, mettre en sûreté
son existence. |
Je tuai aussi plusieurs epeiches , et le pic
() The blue Red Breast, Edwards. 1. PI. 24. C'est
une espèce de colinga.
D'UN NATURALISTE. 26t
noir à huppe rouge (1). Ces oiseaux , à la faveur
de muscles thyro-hyoïdiens | peuvent derder
leur langue et l’alonger beaucoup hors du bec,
et le faire mouvoir dans tous les sens, propriété
commune aux pics, colibris, oiseaux-mouches,
et autres destinés à pomper le suc des fleurs , où
à rassembler sur leur langue enduite d'une hu-
meur visqueuse, les fourmis et autres insectes
dontces entomophages senourrissent. Ces oiseaux
anns de lombre et du silence, n'aiment n1 les
plaines, m les jeunes bois ; c’est au sein des plus
hautes futaies qu’ils mènent leur vie solitaire, et
qu'ils y creusent les troncs à coups de bec redou-
blés, pour y saisir les larves que leur perscussion
met en mouvement, et y déposer ensuite leurs
œufs, dès qu'ils y ont creusé un trou circulaire.
Les pics ont le vol court, rapide etirrégulier, et
plus souvent sur les arbres que dans Fair; ils
rampentautour deleurtroncetde leurs branches,
Gi) C'est le grand pic-vert à tête rouge, de Catesby ;
le pic-noir de Virginie, de M. Brisson; le pic noï-
huppé de la Louisiane , des pl. enl. 718. Cet oiseau
est plus gros que notre pic-noir. Ses pieds sont
noirs, son bec d’une couleur orisître, l'iris d'ua jaune
d'or; la huppe qui orue sa tête, d'un rouge vif; les
joues et le cou d'un jaune pâle à reflets durés; le milieu
du dos marqué d’une tache blanche.
R 3
26 VOYAGES
à l’aide de leur queue, qui leur sert de point
d'appui.
Un buisson épais m'avoit empêché de ürer
une perdrix du pays, mais Payant vu remiser ,
elle tomba bientôt en mon pouvoir. Cette espèce
de perdrix (1) est beaucoup plus petite que la
perdrix grise d'Europe; ses pieds sont d’un brun
inarron; son bec et ses ongles noirs; les plumes
du dos rounssäires piquetées de taches noires; le
derrière du cou marqué de taches blanches, les
joues et la gorge de cette même couleur : le
plumage du ventre est de couleur jaune, et rayé
transversalement de noir.
Ces perdrix sont si peu farouches qu'on ne
peut les faire lever sans chien. Elles s’abattent
presqu’aussiôt qu'elles ont commencé à voler,
et se tapissent dans quelque sillon, sous quelque
tou d'herbe, ou dans lépaisseur d’un buisson.
Je voulus acheter un oppossum d’un chasseur
qu venoit de le tuer, mais 1l refusa de me le
vendre parce qu'il avoit le projet de le manger.
Ce quadrupède (1), déja bien connu, a la queue
(1) Perdix novæ Angliæ.
(2) C'est le Cerigon.de Maffée ; l'Oppossum de
Catesby ; le Tlaquatzin de Hernandez ; le Senu-Vulpes
de Gesner et d'Aldrovande; le Didelphe, Didelphis
mammis tntra abdomen , de Linné; le Philander de
D'UN NATURALISTE. 203
trés-longue, traïnante et dénuée de poils qui
sont remplacés par des écailles blanches de forme
hexagone et placées régulièrement. Gette femelle
du sarigue à longs poils, que je décris, avoit
deux pieds de longueur environ : ce qui la dis-
üunguoit plus particulièrement des autres qua-
drupèdes, c’est une poche velne à lextérieur
qui recouvre ses mamelles , et dans laquelle elle
préserve ses petits de frayeur et de danger; car
peureux par caractère, lorsque le momdre bruit
les épouvante, ils se réfugient dans leur asile et
la mère fuit, en emportant ce qu'elle a de plus
cher.
La dilatauon de cette poche s'opère par deux
os propres placés au devant des os pubis, auxquels
ils adhèrent par la-base. L'intérieur est tapissé de
glandes ou caroncules , desquelles transsude un
fluide jaunâtre d’abord infect, puis acquiérant
l'odeur du musc par la dessication.
Ces animaux produisent chaque année au
mois d'avril, ou au plus tard en mai, de six à neuf
peuis très-foibles, et qui, selon Mme, Bufon,
achèvent leur accroissement dans la poche où ils
se tiennent aliachés aux mamelles, dès linstant
M. Brisson ; Le Rat des bois du Brésil ; le Manicou des
nègres de nos iles et de Feuillée; le anitou du père
du Tertre; le Cachorro domato des Portugais.
R 4
264 VOYAGES
de leur naissance prématurée , leur premier
séjour n'ayant servi qu'à la concepuon et au
développement du fœtus.
L'oppossum est si peureux qu'il se laisse tuer
à coups de bâton, lorsqu'il est surpris à terre. Il
marche très-lentement, mais il grimpe sur les
arbres avec assez d’agilité, et c’est là qu'il guette
les ciseaux dont il esttrès-friand. {lestomnivore,
car 1l se nourrit de sang, de vers , de repüles, de
patates, et au besoin, de feuiiles sèches, de ra-
cines ou d’écorces.
Son corps paroit toujours sale, parce que son
poil est toujours en désordre; sa chair est blanche
et bonne à manger. Les sauvages du Continent
recherchent à cet effet Poppossum, auquel ils font
une chasse continuelle.
Püien n'est si intéressant, me dit le chasseur
que j'avois rencontré, que de voir la conduite de
fa mère pour ses peuts qu'elle idolâtre. Sans
cesse celle suit leurs pas, dés qu'ils sont en état
de sorur de leur retraite ; elle les Ièche, les expose
à la pluie et puis au soleil, pour lisser et faire
sécher leur robe; saute devant eux en signe de
gaieté, et comme pour les engager à limiter.
Enfin vient le tems où ces peuts sont abandonnés
à eux-mièmes. Cette séparation s'annonce par de
licquentes caresses; on se quitte, les uns pour
D'UN NATURALISTE. 265
reprendre de nouveaux liens, et les autres pour
satisfaire au premier besoin d'amour.
Le dimanche 20 janvier , je nvembarquai
pour une île située à trois lieues de Charles-
Town, dansle dessein d'augmenter ma collection
d'oiseaux de la Nouvelle- Angleterre. Je vis
pendant la traversée des canards de toute espèce ;
mais le bac n'étant point à ma disposition , et
ne pouvant le détourner de sa route, je renoncai
à l’espoir de me procurer diverses espèces de
canards qui volugeoient autour de notre bà-
üment. Je tua pouriant un goéland , et je
blessai un marsouin (1). À peine ma balle Peut-
elle atteint, qu'il plongea et rougit onde agitée
(x) Le Marsouin ou cochon de mer, ou porc de
mer, appelé aussi le Souffleur vulgaire, est le Tursio
des Latins, le Phocæna des Grecs. Belon fait dériver
l'étymologie de Marsouin de deux mots allemands,
meer, mer, et Schwein, pourceau; ce qui veut dire
Pourceau de mer; dénomination qui convient au
marsouin, par ses rapports exacts avec le cochon.
Anderson, ayant regardé le Marsouin comme le plus
petit des cétacés, l'a rangé parmi les baleines. Il n’a
guères que six à huit pieds de longueur. Sa mâchoire
est garnie de dents aiguës el cylindriques, placées de
manière à ce qu'en fermant ses deux mâchoires, les
dents s'eugrènent les unes dans les autres. Les mar-
souins nagent à fleur d’eau, et souvent laissent aper-
cevoir la moitié de leur corps dans leurs bonds répétés.
266 VOYAGES
par ses mouvemens convulsifs ; mais, ne pou-
vant suspendre notre navigation , nous ne con-
nüûmes point les résultats d’un aussi beau coup
de feu.
Nous arrivâämes à notre destinauon, et nous
mimes pied à terre dans un bois antique et
sombre , si peu frequenté qu'il fourmilloit
d'oiseaux de toute espèce. Quelle joie j’éprouvai
a cetie vue ! que de vicumes prochainement
immolées ! Les deux premneres furent deux
écureuils , dont les habitudes sont totalement
opposées. Le premier (1), appelé Ze suisse ou
écureuil de terre , a plus d’affinité avec les
rats et surmulots pour les habitudes et le ca-
ractere qu'avec les écureuils. Sa peau est mar-
Ils se jouent avec agilité sur l'onde, et voguent habi-
tuellement par troupes considérables. Lorsque les
marins les voyent approcher de leurs navires, ou
qu'ils les entendent pousser un mugissement sourd, ils
en augurent une prochaine tempête. Les marsouins se
nourrissent de maquereaux, harengs, sardines et
autres poissons. On harponne ces petits cétacés pour
leur chair qui, quoique peu estimée, fournit un peu
d'huile , et une peau qui étant tannée devient imper-
iméable, etimpénétrable, dit-on, aux coups de feu.
(1) C’est l'Ecureuil de terre, d'Edwards et de Ca-
tesby ; le Sciurus Listeri, de Ray; l'Ecureuil de la
Caroline, de M. Brisson.
D'UN NATURALISTE. 267
quée longitudinalement de quatre bandes de
couleur différente , savoir |, deux brunes le
long de l’épine dorsale, et deux blanches près
des flancs. Le suisse meut à volonté sa queue,
et la recourbe sur son dos, ainsi que l’écureuil ;
mais 1} grimpe peu dans les arbres, et se tient
toujours pres du trou qu'il a pratiqué en terre,
et où 1l dépose Îa nourriture qu'il a obtenue de
ses excursions. Celui que je urai n’étoit que
blessé, et dans la rage de son désespoir , il
mordit tellement le canon de mon fusil, qu'il y
ouës, et me fit féliciter de
5
m'être méfié de son caractere féroce.
imprima ses dents ai
Le second, nommé /e petit-gris (1), se
croyoit bien en süreté en abordant le rivage
d’un étang qu’il avoit traversé sur une branche
de pin, lorsqu'il tomba en mon pouvoir. Jen
vis près de là plusieurs autres se jouer au travers
de la barbe-espagnole , et s’élancer d’un arbre
à un autre, l’un, pour échapper à un plus gros
qui le peursuivoit , afin de lui enlever une amande
que dans un de ses élans 1l laissa tomber à terre.
Ces animaux prévoyans ont pour l'hiver un
magasin de réserve, où se uennent leurs petits.
Is sont plus gros de corps que notre écureuil
(1) C'est l'Ecureuil gris ou noträtre, de Virginie ;
Sciurus Virginianus, cenereus major, de Pay.
268 VOYAGES
«d'Europe; les mâles sont d’un poil plus noir,
quoique cendré , que les femelles, et leur queue
flottante est beaucoup mieux garnie. Leur ca-
ractère est doux, et suscepuble de plier à la
domesucité. Ces fissipèdes agiles sont très-diffi-
ciles à découvrir, lorsqu'ils sont protégés par
l'ombrage des sapins ; car ils suivent tous les
mouvemens du chasseur pour échapper à sa
vue, et se cachent dans la barbe-espagnole, dont
tous les arbres de ces forêis immenses sont
recouverts. Cette espèce de gui dont J'ai déjà
parlé, est souple, et ressemble au crin, dès qu’on
lui à fait subir une préparation qui le rend
propre à faire des matelas de bord.
Je tuai plus loin un merle gris (1), aussi rusé
que celui de France, mais beaucoup plus peut.
Le plumage de son dos est d’un gris bleuâtre,
la gorge blanche, et chaque plume piquetée
d’un point noir ; le ventre blanc , les plumes des
ailes noires bordées de cendré , la queue étagée;
le tour des yeux, l’iris, le bec et les pattes d’un
vermillon pur.
J'approchois de marais qu’on n'avoit recom-
(1) Cet oiseau est appelé par les Anglais Till;
c'est le merle cendré d'Amérique, de M. Brisson,
et des pl. enl. 560, fig. 1 ; la grive aux jambes rouges,
de Catesby.
D'UN NATURALISTE. 269
mandé d'éviter, parce qu'ils sont infestés de
caïmans voraces qui n’eussent point été effrayés
de mon peut plomb , lorsque je vis près de moi,
à la cime d’un arbre très-élevé, un oiseau qu’on
appelle improprement mnurier à la Nouvelle-
Angleterre (1). Le plumage supérieur, ainsi que
la huppe qui orne sa tête, et les tégumens des
ailes, sont d’un marron clair; une large mous-
tache noire part de la base du bec, et va rejoindre
. Poil. Les pennes des ailes sont noirâtres. Le bec
et l'iris d’un noir foncé et lustré , ainsi que ses
pates. Le ventre est blanc, de même que le
dessous de sa queue, dont la partie supérieure
est grise, et les plumes terminées par une bande
transversale d’un jaune pâle.
La femelle ne diffère du mâle qu’en ce que
celui-ci a l'extrémité des ailes munie de quatre
caroncules chagrinées d’un rouge vif. Ces o1-
seaux volent par bande, et leur chair est réputée
d’un goût tres-délicat.
On trouve à Charles - Town une parue des
arbres naturels à l’Europe ; quelques-uns ce-
peudant apparuennent au chimatde ce Conunent.
Le cirier, par exemple (2), qui vient à la hauteur
(1) Les habitans de la Nouvelle- Angleterre le
nomment The Bohemian Chatterer.
(>) Le cirier ou arbre de cire, espèce de galé connu
sous le nom de Myrica, n'est cependant pes l'espèce
appelée Piment royal,
270 VOYAGES
de nos amandiers, est tortueux et toufu ; il se
plaît dans un terrain humide, et se rencontre
fréquemment sur les rivages de Ia Nouvelle-
Angleterre. Ses feuilles sont étroites, dentelées,
alternes , et recouvertes de taches dorces dues
à l'extravasion de son suc. Îl porie des fleurs
mäles et’ femelles sur deux individus séparés.
Les premières sont amentacées, chaque écaille
des chatons renfermant six étamines. Les se-
condes ont un ovaire bifide qui se convertit en
une capsule sphérique d’une consistance assez
dure, et recouverte d’un cérurmen blanc et onc-
tueux. On cueille en automne ces fruits ras-
semblés en grappes, et on en reure la cire par
leur immersion en de l’eau bouillante. La subs-
iance cérumineuse étant détachée des coques,
flotte, surnage au dessus de l’eau, et on l'en
sépare au moyen d’une écumoire. Étant figée, la
parue extraite est d’un vert glanque; on la fait
fondre plusieurs fois pour la purifier , alors elle
prend une transparence colorée d’un vert tendre.
Une livre de ces graines donne environ deux
onces de cire.
J’observai aussi un érable propre à ce Con-
ünent (1). Cet arbre de moyenne grandeur, qui
(1) C'est le petit Erable-plane ou Erable à sucre ;
Acer saccharinum , Linn.
D'UN NATURALISTE. . 7}
croit naturellement dans la Pensylvamie et an
Canada , se plaît au bord des ruisseaux ; il
marie sur leur rive le frémissement de son
feuillage au gazowillement de leur onde pure
et transparente. Îl vient rarement à la hauteur
d'un moyen chêne d'Europe. Son trone est
droit , et son écorce lisse. Ses rameaux sont
opposés. Ses feuilles ont la même position , mais
elles sont blanchätres en dessous , et découpées
en cinq lobes aigus. Les fleurs, conglomérées,
ont un calice à cinq divisions, et einq pétales
surmontés de huitétamines qui avortentsouvent,
À leur centre, s'élève un pisul qui se change
en un fruit à deux capsules ailées, et contenant
chacune une seule graine.
On obuent au mois de mars, de cet érable par
Jincision de son écorce , et au moyen d'un
tuyau conducteur qui aboutit au centre, un suc
abondant et nuelleux, lequel étant rapproché
par l’acuion du feu, donne un sirop qu’on met
purger dans des moules de terre ou d’écorce
de bouleau, pour en obtenir par le réfroidis-
sement un sucre roux assez bon. Seize à dix-sept
livres de ce suc donnent une livre de sucre, Les
jeunes arbres fournissent une sève plus abon-
dante , mais moins condensée que celle des
vicux , dont lPélaborauon est mieux combinée.
On ne fait qu'une incision à chaque arbre, ou
272 VOYAGES
bien on court les risques de l’énerver. Il faut
que le cœur de l'arbre soit perforé ; car le suc
est produit par le suintement des fibres ligneuses,
et non point par les corticales.
Âu retour de ma course, j'étois à diner chez
Mme, Ramadse , lorsqu'on vit entrer un sauvage
du Canada, qui se présenta avec la franchise de
l'homme pruniüif. Il ne connoissoit personne ;
mais, voyant des êtres semblables à lui, il se
regardoit en famille, et croyoit pouvoir disposer
de tout ce qui leur appartenoit. H étoit altéré,
et c'est pour satisfaire ce besoin impérieux qu'il
étoit entré, et que, sans parler à personne , 1l
prit le premier verre qui se trouva devant lui,
et se versa tranquillement à boire, sans plus
faire attention aux personnes qui l’entouroient.
Il but; et sa soif étanchée , 1l se disposoit à s’en
aller sans rompre le silence, lorsqu'un quaker
de nos convives le reconnut, et lui parla son
langage. Cet homme enchanté de trouver quel-
qu'un avec qui 1l pouvoit s’entretenir , Jui tendit
Ja main, et lui fit mille démonstrations d’ami-
üé. Il s'empressa de lui faire voir des bijoux,
dont 1l venoit de faire l’acquisiuon en échange
de pelleteries. Ces bijoux consistoient en quatre
plaques d'argent, qu'il destinoit à lui servir
de bracelets qu'il placoit à l’avant-bras, et au
baut de l'humerus, mais seulement dans les
grands
Æ
D'UN NATURALISTE. CE
grands jours de fête. L'air de liberté étoit
empreint sur lous ses traits enjoués ; et bientôt
il développa un papier dans lequel étoit un peut
cadenas d'argent qu'il placa devant nous à son
nez, en lui faisant traverser le carulage du vomer
déja troué pour cet usage. Son interprète nous
dit que c’étoit une marque disincuve à laquelle
on reconnoissoit les grands de sa nation.
Il étoit nu, et n’avoit de couvert que le siége
de la pudeur. Ses cheveux noirs , séparés selon
Vusage des Nazaréens, étoient dans toute leur
longueur , et flottoient sur ses larges épaules. Il
s’étoit coloré plusieurs parues de la figure avec
du roucou (1). Cette couleur contrastoit singu-
liérement avec son teint jaune ohivâtre.
Ces sauvages sont si adeptes, nous dit l’inter-
prète, qu’un d'eux apprit le breton en vingt-
quatre heures; etsi adroits, qu’à quarante pas ils
percent, à chaque coup de leur flèche, un but
de six lignes de diamètre.
Au dessert du dîner on m’offrit, selon l’usage
de la Nouvelle-Angleterre , des cigares qu’on
passa à la ronde sur une assiette; je refusai d’en
(1) Cest l’Achiote, ennatabi, cochehue, des Indiens
et Sauvages caraibes, et le Mitella americana maxima
tüinctoria , Tourn., Boerh. Voyez son article, au Traité
des plantes usuelles.
Tome I. S
374 VOYAGES
prendre, puisque ce n’éloit point ma coutume. À.
cette époque du repas les femmes se lèvent de
table, et les hommes, au milieu d’une épaisse
famée de tabac, boivent à longs traits le Madère
et autres liqueurs.
On me mena après le diner chez un curieux
de ce pays, pour y voir une collection de peaux
d'oiseaux de la Guiane. Elle seroïi précieuse, st
elle étoit composée d'individus entiers, mais on
n’en a extrait que quelques parues les plus riches
en couleur ; ce qui la rend incomplète. Je vis
aussi vivant l’oiscau royal, mâle et femelle (r); le
beau canard d’été (2), dontl’élégance du plumage
et la richesse du coloris sont supérieurs à tous
ceux de son espèce. Get oiseau, contre les habi-
tudes de ceux de son genre, aime à se percher,
d’où lui vient le rom de canard branchu, que
certains auteurs lui ont donné. [l est commun à
la Louisiané, à la Caroline et à Ia Virgimie : sa
chair n’est pas très-estimée , en raison d’un goût
de muse qui ne plaît point à tout le monde. Val-
mont-Bomare le décrit très-bien ainsi : « Les
(1) Brisson, pl. enk. 265. C'est la grue panachée
d'Afrique, d'Edwards.
(2) Ainsi nommé, par M. Brisson et par d’autres,
canard branchu ou beau canard huppé de la Loui-
siane, Brisson , pl. enl. 980 le mäle, et gôr la femelle.
D'UN NATURALISTE. 250
plumes du devant de la tête sont d’un vert doré
brillant; celles de Pocciput sont fort longues,
étroiies et comme soyeuses : elles sont disposées
par ioufles, les unes blanches, les autres d’un
beau vert doré, et les troisièmes d’un violet
éclatant. Toutes ces touiles , parallèles de
chaque côté, forment une huppe élégante qui
pend en arrière, et dont la pointe tombe sur
le milieu du dos : les joues et le haut du cou
sont d’un beau violet; la gorge etle devant du
cou sont blancs; le dessus du corps d’un brun
foncé changeant en vert doré; la poitrine est
d’un pourpre vineux , semée detaches blanches
triangulaires ; chaque côté offre deux bandes
transversales , lune d’un noir de velours,
Pautre d'un beau blanc; les plumes scapulaires
chatoyent le vert doré, le bleu et le cuivre ro-
seute; l'iris est couleur de noisette; les pau-
pières sont d’un rouge fort vif; le bec en dessus
est jaune à sa base, ensuite d’un rouge vif,
puis marqué d’un peu de blanc; le bout est
noir, ainsi que toute la mâchoire inférieure ; la
peau nue des jambes, les pieds et les doigts
sont d’un jaune obscur; les membranes bru-
nätres et les ongles noirs. La femelle à le plu-
mage brun grisätre, une huppe brune , courte
et peu fournie; la gorge blanchätre. »
Le même parucuher me fit voir un serpent à
S 2
276 VOYAGES
sonnettes (1), appellé le boiciningua , très-cont-
mun à soixante où quatre-vingts milles dans les
terres, et qu'il conservoit depuis neuf mois dans
un ionnçau, sans lui avoir donné aucune espèce
de nourriture, voulant savoir jusqu’à quelle
époqueil pourroit supporter la faim sans mourir.
On me le fit apercevoir, en soulevant la table qui
recouvroit le tonneau fermé lui-même par un
treillage de fil de fer. À peine nous eut:l re-
connus pour des êtres qui vouloient inquiéter,
qu’il se disposa à nous attaquer, et punir notre
audace d’avoir troublé son repos. Aussitôt se
reployant en spirale et s'appuyant sur lextré-
mité de sa queue, il alloit s’élancer lorsque nous
Jaissâmes tomber la trape, vers laquelle il se
heurta rudement en agitant sa cascabelle, ou
sonnette.
, Ce boiïcisingua, dont les moindres blessures
sont mortelles et odeur désagréable, avoit sept
pieds de longueur lorsqu'il fut emprisonné; la
tête triangulaire , les narines saillantes, les yeux
éuüncelans et chatoyans, sa langue très-déliée,
noire et fourchue ; la peau élégammenttachetéeen
chevrons brisés, les écailles du dos d’une cou-
(G) C'est le Boiciningua de Marcorave , ou Boiïquira
des Brasilienss Crotalus horridus, Eainn.; Serpens
crotasophora, seu Vipera caudisona , americana, Seba.
D'UN NATURALISTE. 2-7
leur cendrée-jaunâtre, les plaques abdominales
d’un jaune pâle. C’est à l'extrémité de sa queue
que se trouve sa sonnette composée d’'anneaux
carülagineux , s’emboîtant les uns dans les
autres, de substance cornée, sonores et élasu-
ques, adhérens à la dernière vertébre du repule.
Ce serpent est plus agile dans Peau que sur
terre. Malheur à limprudent qui l’a foulé aux
pieds par un items de pluie, ou lorsqu'il est
affamé ; 1l est terrible alors, et profitant de l’ex-
trême mobuhté de ses écailles, 1l les fait bruire,
et annonce par là le période de sa fureur. Le boi-
ciningua est ovipare, mais il muluplie peu.
Tyran de la nature, par une sagesse du Pouvoir
suprême, ce serpent ne fait que trois petits,
tandis que nos couleuvres qui ne sont point dan-
gereuses produisentimmensément. Les blessures
du boiciningua sont si venimeuses , qu’elles
causent la mort quelquefois au bout de peu de
minutes, si l’animal est bien irrité, ou seulement
de quelques heures dans un état plus tranquille.
Les Américains proposent, pour la guérison
de ce poison subul, d’écraser la tête de ce ser-
pent, et de l'appliquer comme emplâtre; d’au-
tres scarifient la plaie, et font usage de la racine
de collinsonia (1), coupée par troncons, et frite
(1) Vipérine de Virginie.
S à
278 VOYAGES
dans de l'huile d'olives, aiguisée d’une pincée de
sel marin. D’autres recommandent la racme
d’apinel (2) que les sauvages de quelques îles de
l'Amérique nomment yacabani, eiles Français,
apinel, du nom, dit Valmont-Bomare, d’un
capitame de cavalerie qui l’apporta le premier
en Europe. La vertu de cette racine alexitère est
icllement puissante, qu’en la présentant à un
serpent, s'il la mord, il en périt; que si l’on s’en
roue, et que l’on en mâche, on devient imvul-
nérable, et l’on peut en sûreté prendre ces ser-
pens à Ja main. Cependant je crotrois l'usage
intérieur et extérieur de l’alkali volaul fluor
préférable, et d’un secours plus prompt; j'en ai
vu des effets certains. Le boiciningua à pour
ennemi, dans le règne animal, les cochons mar-
rons, qui s’en repaissent sans être incommodés
de leurs blessures ; et dans le règne végétal , toutes
les plantes alexitères, et principalementle pouliot
sauvage, Où diclame de Virginie.
On me fit voir aussi un tableau peint à l’huile,
et de la composition d’un jeune sauvage de dix-
huit ans, qui, sans avoir appris, a fait ce chef-
d'œuvre. Le style en est original, et le coloris
tout particulier; mais il se rapproche tant de la
nature, qu’on ne peut s’y méprendre. Ce sauvage
1
(>) Aristolochia Anguicida, Linn,
D'UN NATURALISTE 2-9
s’est peint, sortant du milieu d’une caverne en-
foncée dans un bois sombre et solitaire; il est
vêtu d’une peau de chat-uigre qui lui recouvre
seulement les parues nobles, tandis que le reste
de son corps est à nu. Ce héros est armé de
flèches et d’un arc; 1l se prépare à entrer en
chasse.
Je sorus dans les environs de Charles-T'own
le dimanche 27 janvier 1799 , et j'y rencontrai
des tableaux encore dignes dela nature primiuve.
L'esprit d'union qui anime ces habiians for-
tunés leur donne une confiance mutuelle dont
ils ne sont jamais décus, et qui ne peut être
altérée que par les principes dégradés d'étrangers
qui s’y avilissent par une conduite oulrageante.
J’errois de bois en bois pour augmenter ma
srande route
5
bordée d’une épaisse forêt de sapins, lorsque
collection , et je traversois une
Japercus un groupe de voyageurs au moment
de leur réveil. Couchés à la belle étoile , les uns
sur des sacs d’autres sur des peaux, ils avoient
passé la nuit dans ce lieu agreste, une nuit
tranquille et bonne, n’ayant à redouter aucun
danger, pas même la voracité de quelques chats-
tigres et ours qu'on voit assez communément
dans lepays, mais qui ne sont jamais agresseurs.
Voici à ce sujet une anecdote qui prouve leur
nudité. Un ami de M. RY**, n'ayant pu croire à
S &
280 VOYAGES
ce naturel doux, si opposé à la nature de ces
animaux, après avoir apercu dans un arbre un
ours qui y étoitgrimpé, chargea un des canons de
son fusil avec de la poudre seulement. Il ajuste
l'ours; et l’explosion l’intimida tellement, qu'il
se laissa tomber comme mort du haut de l'arbre,
en sorte qu'on l’emmusela, et qu'il fut transféré
à la ville, tout honteux de sa capuvité : mais
revenons aux voyageurs. S'en rapportant à la
fidélité publique, ils avoient leurs chariots dé.
telés, et leurs chevaux paissoient tranquillement
près de là, abandonnés dans les bois à leur dis-
crétion. Je fus témoin du repas frugal des
voyageurs quiparoissoient vivre dans la meilleure
intelligence, et burent à la ronde dans la même
coupe.
En rentrant dans la ville, je remarquai dans les
rues sablées de peutes chèvres à cornes droites,
recourbées en arrière au sommet, et à poil
court et varié en couleurs, qui me parurent être
une espèce de chamoiïs, ainsi que des vaches
qui y cherchent jour et nuit leur nourriture.
Le soir, selon la coutume du pays, on nous
servit, aprés le thé, des huîtres dont on ne
mange qu'à souper. On m’apprit Parrivée d’un
parlementaire de Saint-Donungue, qui pubhoit,
comme nouvelle du jour, que Toussaint-Lou-
verture, général en chef à Saint-Domingue,
D'UN NATURALISTE. 281
vouloit rendre cette colonie indépendante de
tout gouvernement.
J’avois formé le projet d’aller chasser à lhabi-
tation de M. de Caradeux , distante de quelques
milles de Charles- Town; mais je ne pus leflec-
tuer, ayant appris le départ d’une goélette pour
Sant-Yago de Cuba, île espagnole, dont les
communications avec Saint-Domingue étoient
très -fréquenies. J’allai voir le capitaine, M. Tho-
mas-Payne, armateur de ce bâtiment, qui me
conduisit à son bord. Cet homme doux et franc
me recut avec l’aménité qui le caractérise, et
agit envers moi avec beaucoup de désintéresse-
ment; car 1l ne me demanda pour passage que
Ja moitié de la somme qu’exigeoient d’autres ca-
pitaines, nr'observant que nous ne pourrions
parür que sous quelques jours, ayant à faire ré-
parer la voilure de sa goélette, la Galatée.
Je profitai du tems qui me restoit à passer
à Charles-Town, pour relier ma parue de chasse
avec M. de Caradeux, qui voulut bien m'envoyer
sa pirogue et six nègres rameurs pour me trans-
porier à sa déhcieuse habitauon, célébre par sa
solitude et sa posiuon. C'est une île que la mer
baigne de toutes parts, et qu’une antique forêt
d'arbres de tout genre couvre de son épais et si-
lencieux ombrage. Nous y mouillämes à quatre
“
heures de l'après-midi avec une mauvaise marée,
289 VOYAGES
et comme le vent nous étoit contraire, les rameurs
redoubloient de courage au milieu de chants
africains.
Nous fûmes recus au sein d’une somptueuse
abondance, et je trouvai chez mon hôte tout ce
qui peut charmer la monotomie de la solitude; la
liberté et une bibliothèque parfaitement choisie.
M. de Caradeux, flattant mon goût pour l’his-
toire naturelle, voului bien s'offrir comme pilote
dans l’intérieur de ses boisquim’étoientinconnus.
Chasseur très-adroit, il se promit aussi de joûter
à qui rapporteroit chaque jour le plus de vic-
times ; j'acceptai celle promesse avec reconnois-
sance, et le lendemain de grand maun, nous
nousmimes en marche avec MM. R***, M. de
Caradeux , et ses deux fils.
À peine eûmes-nous pénétré sous la voûte odo-
rante de hauts sapins, que mon hôte tua près de
moi un écureul volant (1), très-rare, medit-il,
en ces parages. Il étoit de la grosseur d’un rat,
avoit de petites oreilles arrondies | surmontées
d’un poil roux ; les poils de sa moustache étoient
(1) C'est le polatouche; Sciurus volans, Lainn. ;
Mus ponticus aut scythicus , Sciurus-ve quem volantem
cognominant, Gesner ; Sciurus americanus volans,
Ray; le Flying squirrel des Transact. phil, ann 1735,
et d'Edwards. ('L'om. rer, pl. XVI.)
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D'UN NATURALISTE. 283
roides et d’un beau noir; sa queue très-garmie
n’étoit point aussi longue que celle de l’écureuil
vulgaire; sa tête arrondie étoit munie par devant
de quatre dents incisives; les molures se trou-
voient au fond de la mâchoire; ses pattes étoient
garmies jusqu'aux pieds d’une membrane qui se
conunuoit au long de ses flancs, en sorte que
quand l’animal est étendu, il a le contour d’un
mouchoir carré; ces membranes minces qu’il
peut tendre et mouvoir à volonté par l’action de
ses pattes, ont la propriété de le soutenir assez en
l'air pour qu'il puisse facilement voler d’un arbre
à un autre (1). Les pattes de devant sont pourvues
de quatre doigts, celles de derrière, de cinq,
garmis d'ongles arqués et très-aigus ; son poil de
couleur gris cendré, est presqu’aussi doux que
celui de la taupe, et soyeux comme lui.
L’écureuil volant a les habitudes de celui
d'Europe, sans pour cela avoir les caractères
sufäsans pour le comprendre sous la même
classe, puisqu'il dort presque tout le jour, et ne
(1) Ce n’est pas qu'il puisse soutenir un long vol,
mas la vibration de sa membrane augmentant la sur-
face de son corps, sans pour cela ajouter à son poids,
il se trouve en équilibre quelques instans, au bout
desquels il céderoit au point de gravitation, sil ne
rencontroit un corps solide pour le recevoir. C'est done
plutôt un saut qu'un vol.
284 VOYAGES
va à la maraude que pendant la nuit. Is se nour-
rissent de fruits, d'amandes, et surtoui des jeunes
pousses de pin, du bouleau et de Pérable. Ces
animaux font quatre peus, qui souvent devien-
nent, ainsi que leurs père et mère, la pâture
d’autres animaux moins iadolens qu'eux, des
putois (1) qui les surprenneni dans leur sommeil,
et les étranglent sans miséricorde.
Ce qui paroîtroit rapprocher l’écureuil volant
de la chauve-souris, ce sont beaucoup de ses
habitudes, et une parüe de sa conformation ;
Ja femelle étant pourvue, ainsi que la chauve-
souris, de mamelles destinées à la nourriture de
ses pelts; mais, d’autres caractères principaux
l’en éloignant, on a conservé au polatouche Île
nom d’écureuil volant.
Le polatouche est suscepuble de s’apprivoiser ;
on en voit même à Charles-Town dans plusieurs
maisons , où on les nourrit ainsi que ceux
d'Europe, dont pourtant ils n’ont pas les gen-
ullesses, leur caractère étant froid et indifférent.
(1) Le putois rayé; Putorius striatus. C'est le puant,
ou bête puante de l'Amérique septentrionale, ou
zorille. Les habitans des bords de l'Orénoque l'appellent
Mapurita, et les Indiens, Mafutiliqui. M. de Buffon
a classé ce putois rayé parmi les mouffetles, dont 1l
reconnoît quatre espèces qui sont, le coase ou ysquie-
patti des Mexicains, le couépate, le chinche et la
zorille.
D'UN NATURALISTE. 285
Nous rencontrâmes assez près de la l’ajoupa
d’un nègre libre et solitaire , dormant la moitié
du jour, et employant l’autre parte à aller
pêcher, et à se nourrir d’huîtres dont on voit
autour de son peut domaine les monceaux de
coquilles. Il vit, sans travailler, des hhéraliiés de
la nature, ou ne travaille que lorsqu'il s’agit de
renouveler ses tengas, et d'acheter du tabac à
fumer. La posiuon de cet hermitage est si pitto-
resque, que je regrettai bien mes pinceaux, et
surtout mon crayon que javois oublié, avec
lequel au moins j'eusse pu prendre l’esquisse
de cette nature sauvage.
Parmi les oiseaux que je rapportai, je dis-
Unguai une bécasse , un choucas , des trou-
piales , des bouveraux , un robin, un tro-
glodyte, la fauvette de New-York, l'oiseau du
muürier , et deux très-petits ozseaux-mouches.
La bécasse (1) de Charles-Town est beaucoup
plus peute que celle d'Europe, mais sa chair est
non moins estimée; le plumage est absolument
le même. Elle aime les endroits solitaires et hu-
mides ; son vol du départ n’est point aussi
bruyant que celui de notre bécasse d'Europe, et
elle file à rez-terre comme la caille. Elle paroît
RS
(1) C'est la bécasse des Savannes, pl. enl. 895, si
commune à Cayenne.
286 VOYAGES
peu méfiante ; car, m'ayant apercu de fort loin ,
à ce que j'ai Cru remarquer par un premier
crochet qu’elle fit pour m'éviter, après un
second qui lui fit reprendre la même direction,
elle vint s’abattre auprès de moi, et se glissa
si bien sous l'herbe, que je ne puis l'y retrouver
de suite. Cependant, après beaucoup de tours et
de recherches, elle me parut, et je la tuai.
Le choucas (1) qui n’est pas plus gros que la
tourterelle, et dont le plumage noir offre des
reflets variés et irisés. Cette espèce de corneille
a des habitudes conformes aux autres oiseaux
de ce genre. Ils volent par troupes ainsi que les
corneilles, adoptent de vieilles masures pour
retraite, vivent en société avec beaucoup d’ac-
cord ; ont un attachement remarquable pour
leurs peuts , qu’ils nourrissent ainsi qu'eux de
grains, de vers etautres insectes. On les habitue
facilement à la domesticité ; j'en vis un dans les
rues de Charles-Town, si attaché à son maître
qu'il alloit rejoindre dans les champs ses amis
ou ses frères , y passoit souvent plusieurs jours ;
mais fidèle à la reconnoissance , 1l revenoit tou-
jours. Il aimoit à dérober, ainsi que les oiseaux
de cette classe.
(1) Ou choucas-choucette , monedula, de Valmont-
Bomare.
D'UN NATURALISTE. 287
Des bouvereaux (r) violets età bec rond de la
Caroline, parmi lesquels se trouvoit le gros-bec de
la Louisiane, non point comme il est décrit par
certains auteurs , mais avec les caractères sui-
vans : la tête, la gorge , le dos et le dessus de la
queue d’un noir de velours; un hausse-col d’un
blanc éblouissant , le ventre fauve-marron , le
dessous de la queue fauve-blanchâtre ; le bec et
l'iris noirs ; les pieds fauves. Cet oiseau casse les
noyaux les plus durs. Ne seroit-ce point plutôt
le carouge de Cayenne , planche enlum. 6o7.
fig. 1?
Un robin (2) dont le plumage supérieur est d’un
beau gris, ainsi que le dessous du bec; la tête gri-
velée de taches noires, le poitrail et tout le plu-
mage du ventre d’un marron clair très-brillant,
le bec jaune ombré de noir à son extrémité , et
ayant de chaque côté de la mandibule inférieure
une tache blanche à sa base; linis noir, et les
pieds gris. Cet oiseau est d’un manger exquis ;
il est de la grosseur de notre litorne, et a à peu
près les mêmes habitudes.
(Tr) Oiseaux de la classe des bouvreuils.
(2) Espèce de grive dont la chair est très-
estimée,
288 VOYAGES
Un troglodyte (1) , et la fauvette de New
Yorck (2) , dont le plumage supérieur est d’un
marron clair , celui du ventre, blanc tacheté de
guillemets noirs en cheverons brisés , et disposés
régulièrement ; le bec etles pieds de couleur cen-
drée , et l’iris noir.
Plusieurs oiseaux du mürier que j'ai déjà
décrit, enfin deux jolis oiseaux-mouches dont
voici le signalement : le premier (3) un peu plus
gros que l’oiseau-mouche vulgaire, a la gorge et
le devant du cou d’un rubis éclatant , avec des
reflets d’or ; tout le plumage de son dos a des
nuances d’un vert-doré, changeant en cuivre de
rosette ; celui du ventre est blanchâtre ; les ailes
d’un noir-violätre ; les pennes latérales de la
queue d’un brun-pourpré , le bec et les pieds
noirs. Cet oiseau est assez commun.
Le second (4), qui se trouve dans les Anulles,
(1) Oiseaux propres aux deux Continens, regulus
dictus troglodytes.
(2) Ou fauvette tachetée de la Louisiane, pl. enl.
792,
(5) Oiseau-mouche à gorge rouge de la Caroline,
de M. Brisson ; c’est le cohbri de Catesby, tom. xt,
pl. 36, fig. 6; le colibri à gorge rouge d'Edywvards.
(4) Oiseau-mouche huppé de Cayenne, pl. enl. 227,
£g. 1; ou colibri huppé d'Edwards.
a la
D'UN NATURALISTE. 289
a la tête surmontée d’une huppe à étages, c’est
à dire , plus élevée au milieu que sur les côtés ;
elle est d’un vert-doré, très-brillant et chatoyant;
le plumage supérieur est d’un vert-noirâtre, avec
des reflets de cuivre-rosetie ; l’inférieur est cen-
dré-brunâtre, mais verdätre latéralement ; les
pennes sont d’un noir-violet, avec des reflets
dorés. Son bec est long , pointu comme une
alène, et ses pattes n’ont que la grosseur d’une
épingle; elles sont très-courtes. Is se nourrissent
du suc des fleurs d’où leur vient le nom de 7xel-
lisuga. Ces oiseaux ne se trouvent à | Amérique
septentrionale que dans la belle saison. Favoris
du printems , 1ls courtisent la fleur récemment
épanouie ; mais légers etinconstans , 1ls volugent
de l’une à l’autre ainsi que l’abeille, dont ils dis-
putent le Jarcin. Ces oiseaux sont si peuts que
souvent 1ls se dérobent aux regards, en pénétrant
dans l’intérieur de certaines fleurs. Leur vol pro-
duit un bourdonnement semblable à celui d'vr
rouet à filer. Lorsqu'ils sont las , ils se reposent
sur un arbre ou sur un pieu voisin , et y restent
quelques minutes, puis retournent aux fleurs.
Les oiseaux-monches ne sont pas méfians , et
l’on en approche très-faciiement ; mais aussi 1ls
sont colères et querelleurs. L’impatience est le
mobile de toutes leurs actions, ils se chamaillent
entr'eux ; et lorsque la dispute est terminée ,
Toue I. fs
200 VOYAGES
ils vont se percher sur la prennère branche, et
encore agités par la colère, l'extension des mus-
cles fléchisseurs du cou leur fait vibrer la tête
pendant plusieurs minutes. Quand les oiseaux-
mouches approchent d'une fieur, s'ils la trouvent
fanée ei sans suc, 1ls se vengent de leur méprise
en la dépecant à coups de bec.
L’araignée-crabe est l’ennemie parüculière de
ces charmans oiseaux. Ce tyran hideux qui choisit
pour retraite des trous pratiqués par des crabes,
d'où lui vient son nom , mêne une existence
opposée à ces volauls. L’araignée- crabe traîne
sur terre son odieuse vie, tandis que l’oiseau-
mouche passe les nus et Îes jours perché ou
dans les airs. L’insecte sanguinaire en détruit
néanmoins beaucoup à la faveur de ses toiles
élastiques ; et comme elle est vagabonde, et
qu'elle n’a point de demeure fixe , elle desune
ses piéges supérieurs AUX OISCAUX el aux insectes,
ta dis que ceux de terre enveloppent les animaux
rampans, Ou Certains autres scarabés. Î} est éton-
nant de voir un Ussu aussi léger porter un corps
aussi matériel que celui de l'araignée-crabe (1),
tès-friande des œuis des oiseaux-mouches, qui
ont bien de la peine à les soustraire à leur perfide
{1) Voyez mes observations faites à Saint-Domingue
D nt + s#
SUX Ci 1neCCie.
D'UN NATURALISTE. 291
ravisseur., Ces oiseaux placent ordinairement leur
nid dans une bifurcation cachée par le feuillage ;
ils l’enduisent au dehors d’une nrousse assez sem-
blable au corps de l'arbre, pour qu’on puisse le
confondre avec son écorce , et le prendre pour
une exostosc. L'intérieur est tapissé d’un duvet
mou et léger; 1l n’a qu'un pouce de diamètre, et
contient deux œufs de la grosseur d’une graine
de chenevis.
Les ailes des oiseaux-mouches, lorsqu'ils vol-
üugent , s’agitent avec tant de vitesse qu'on ne
peut les fixer, et qu’au milieu d’un vol soutenu
on les croit immobiles dans les airs. On diroit
que la nature s’est plue à réumir , dans leur plu-
mage , le coloris des pierres précieuses, puis-
qu'on y retrouve la topase, le saphir, le rubis et
Vémeraude , qui, malgré leur mélange dans la
robe éclatante de ces oiseaux, laissent néan-
moins disunguer leur feu vif, et leur brillant
vernis.
Nous revinmes chargés de buun , et nous trou-
vâmes bon feu chez M. de Caradeux, qui recoit
splendidement, puisque dans son salon , qui n’est
pas très-spacieux , se trouvent deux cheminées
vis-à-vis l’une de l’autre, encombrées d’arbres
enticrs, qui y entretiennent un feu d'autant plus
ardent que la plupart de ces bois sont résineux.
Comme on ne pourroit point supporter une aussi
| L3
299 VOYAGES
chaude température, il est dans l'usage, afin d’éta-
blir dans les appartemens un courant d’air con-
unuel , de faire temir les croisées et les portes
ouvertes.
Pendantqu’on recevoità Charles-Townau bruit
du canon l'ambassadeur Pickny, de retour d’une
mission importante , et que le peuple dans son
ivresse le trainoit avec enthousiasme dans son
char , une épouse avoit à pleurer la perte de
son époux. Ce bon père de famille pressentit sa
mort très-prochaine , mais ne put en détourner
le coup d’après Pordre précis d'assister à la fête.
Canonmier de la mice, un mal-adron mit le feu
tandis que ce père malheureux bourroit; le coup
parut, et le mit en pièces. Cet homme, triste et
réveur en allant à son poste , dit à sa femme un
adieu qui la troubla. Cetie mére étoit enceinte de
deux mois.
Le passage de l’ambassadeur Pickny, qui
avoit occupé avec son escorie tous les bateaux
du Ferri, nous empêcha de nous rendre à
Charles-Town; c’est pourquoi nous fimes une
seconde parte de chasse. Je tuai d’un seul coup
douze sparas (1). J’eus aussi deux pics ponctués
de taches blanches sur un fond noir.
Le premier a le sinciput et l’occiput d’un
(1) Linotte brune d'Edwards,
D'UN NATURALISTE. 204
rouge éclatant que partage une bande grisätre,
toutes les plumes du dos et les couvertures des
ailes grivelées avec symétrie de raies noires en
zigzag sur un fond blanc; les plumes roides
de la queue traversées dans leur longueur par
un tuyau d’un noir foncé, au long duquel abou-
üssent de chaque côté des raies transversales
de la même couleur. Le bec et les pattes sont
noires. Ce pic rayé est à peu près gros comme
. le pic-veri d'Europe.
Le second infiniment moins gros, et dont
la taille n’excède pas celle de la mésanse char-
bonnière, a le sinciput décoré seulement d'une
tache rouge, circulaire et régulière, les plumes
du dos d’un gris-noirâtre, les ailes noires et
ponciuées de taches blanches parfaitement
rondes , et disposées avec autant de régularité
que celles du plumage de la pintade. Ce pic a
le bec et les pieds noirs.
Deux fort jolis petits oiseaux , l’un appelé dans
le pays zni-jaune, et l'autre téte-rouge.
Le mi-jaune qui est de la grosseur du roi-
telet, a le plumage supérieur olivâtre , linférieur
blanc-grisätre, la tête surmontée d’une huppe
d’un jaune d’or, entourée de plumes noires
rabattues; le bec, les pattes et liris noirs, le
dessus de la queue noirâtre , et le dessous
blanc.
dr
204 VOYAGES
La Tête-Rouge, ainsi nommée , parce que cet
oiseau a sur le milieu de la tête une touffe de
plumes d’un rouge vermillon éclatant. Le reste
du plumage et les pattes de la même couleur
que le premier, dont il a les habitudes, la sta-
ture et la grosseur. Ces deux espèces d'oiseaux
paroissent vivre entr'eux avec beaucoup d’in-
telligence. On les rencontre toujours près l’un
de Pautre, s’anpeler pour partager une larve ou
autre insecte qu'ils cherchent, à l'exemple des
grimpereaux , au long de l'écorce des arbres.
J'ai d’abord cru que cette conformité de plu-
mage annonçoit une même espèce, et je sup-
posois voir dans ces deux intimes anus le mâle
et la femelle; mais je me suis assuré depuis
que dans les femelles de l’un et l’autre individu,
les couleurs sont seulement moins vives.
Nous rencontrèmes l’ajoupa d’un nègre mar-
ron (1), ou plutôt un amas de feuillage, recélant
une peau qui lui servoit de lit, et du tabac. Il
avoit fui à notre approche, et étoit prés de là
en embuscade , espérant se venger de M. de
Caradeux , qui déja avoit voulu le faire prendre.
(1) Ou fucitif. Lorsqu'un nèore a fait une faute
pour laquelle 51 craint d’être puni, 1l abandonne son
maitre, etse retire dans les bois où ii vit caché, etse
livre souvent alors au désespoir et au brigandage.
D'UN NATURALISTE. 295
Ce vil assassin étoit couché dans un fossé convert
de broussailles, lorsque je passait auprès en
poursuivant un fort bel écureuil. I étoit armé
d’un fusil, et dans l'espoir de s'emparer du mien,
il me mit doucement en joue, ura trois fois,
et trois fois la pierre refusa de faire feu. NE. de
Caradeux qui se trouvoit du côté opposé, et qui
pouvoit à peine me disunguer, tant la barbe-
espagnole abondoït en ce bois, me plaisantoit
sur le peu de valeur de mon fusil, tandis que
moi-même je Jui faisois la même observation,
lorsqu'il s’écria d’une voix forte, pour inti-
mider le coupable : «Marchons an bruit, c’est
mon nègre marron! » Îl voulut s'échapper, le
traître étoit trop lâche; nous fondimes avee 1m
pétuosité sur lui, nous le désarmämes , et il fut
livré à la rigueur des lois.
Mon hôte vint le soir me reconduire jusqu’au
bac, et chemun faisant, nous chassämes encore.
J'approchai, sans être vu, d’un grand duc à
longues oreilles (1). Je le ürai, et de la cime
d'un arbre très-élevé 1l tomba jusqu’au nulieu
de la hauteur ; mais il s’y retint au moyen de
ses serres et d’une bifurcation. Le corps ren-
—
(1) C'est Le grand duc de Virginie, qui a les plumes
réunies en faisceau sous la forme d'oreilles, lesquelles
partent de la base du bec.
200 VOYAGES
versé, les ailes étendues, je le croyois à moi, etje
le contemplois d’un œil observateur , lorsque
ranimant ses forces , et agitant ses ailes , mou-
yement que je croyois devoir précéder son
dernier soupir, 1l reprit son vol, à mon grand
étonnement, et alla s'abattre, ou plutôt espirer
peu Join de nous dans des marais.
Cet aigle de la nuit, tyran des êtres animés
qui Fenvironnent , ne peut supporter l'éclat da
jour, et n'exerce son empire que dans les téne-
bres. Son cri plaintüifinterrompt par intervalle le
silence de Ïa nuit, et annonce aux oiseaux épour-
vantés la présence de leur destructeur. S'ils
cèdent à l'effroi et qu'ils cherchent à fuir, aussr-
tôt ils deviennent la proie de ses serres aiguës.
S'ils restent en repos, ils évitent, au moins pour
cette fois, le déchirement de leurs entrailles;
mais ce n'est qu'un retard, et s'ils ne changent
d'asile, 1ls deviennent tôt ou tard la victime de
icur ennemi vigilant, quise repaîtabondamment
d'oiseaux, de repules, d'insectes, et même de
imulots dont 11 ne digère que la parue substan-
üelle, pour en extraire ensuite le poil et les os
qu'il vomit.
Les grands ducs sont sonvent les agresseurs
d'oiseaux de proie diurnes quileursontsupérieurs
et Îcur valeur toujours leur fait rern-
porter la victoire. Îls volent le jour à fleur de
en force,
D'UN NATURALISTE. 297
terre et à peu de distance, en raison de la singu-
lière conformauon de léurs yeux, mais la nuit
ils ont le vol plus hardi, et planent légèrement
dans l’espace.
Enfin, de retour à Charles-Town, j'appris le
mercredi 6 février 1799 ,que notre bâtiment ne
pouvoit mettre à la voile pour cause d’un vent
défavorable. Le lendemain il y eut en rade une
bourrasque qui fitcraindre l’échouement de deux
bätimens prêts à entrer dans le port, et qu’on
annonça être à la barre. Ils avoient été forcés d’y
jeter l'ancre de miséricorde, de peur de naufrage
sur les côtes ; ces marins passèrent toute la nuit
dans la douloureuse crainte que leur cable ne
rompit, tant le vent étoit violentet la mer agitée;
mais heureusement le calme succéda à la tem-
pète , et les deux bâtumens vinrent mouiller dans
le port.
Cherchant à augmenter mesobservauons, j’eus
occasion de connoître une singulière coutume de
Ja Nouvelle-Angleterre : je suppose qu’un homme
ait à craindre les mauvais traitemens d’un autre,
il va trouver le magistrat, et déclare son ennemi ;
dès ce moment, étant sous la protecuon de la
loi, elle ne peut être enfreimte sans la puniuon
qui en est le résultat. Si donc l’homme qui s’est
faitassurer , recoit des coups de canne de l’homme
suspect, ce dernier est tenu à des dommages et
208 VOYAGES
intérêts; que si au lieu de canne il s’est servi d’un
fouet, 1l n’est plus assujetti à Pamende , et que le
battu est de plus baffoué et couvert de honte.
Une autre coutume consiste à obéir à la voix
d’uneostentation déplacée. Les Anglo-A méricains
mettent du luxe jusqu’à embellir le cercueil qui
doit pourrir avec eux. Les gens riches le font pré-
parer à une certaine époque de leur vie, et le
placent sous leur lit, ou dans un grenier. Il est
d’un acajou superbe, bien nuancé, bien poli et
recouvert de plaques d'argent sculptées. Un de
ces cercueils coûte ordinairement de eent vingt
piastres gourdes.
Cependant le jour de notre départ approchoit,
et quoique les vents ne fussent point favorables,
nous éprouvämes leur inconstance, et allämes
prendre possession de nos cabanes à bord de la
Galatée.
Après avoir passé la nuit auprès du fort, on
leva laucre le mardi 12 février, et le pilote nous
ayantquitié avec un excellent vent, nous pronos-
üUqua une très-courte traversée. Nous vimes au
départ cinq requins acharnés à la poursuite de
noire bâument, mais nos lignes n’étant pot
eucore préparées, nous ne pûmes en prendre. Le
bon vent et la marche rapide de la Galatée servi-
rent bien nos désirs.
il est impossible d'exprimer les attentions du
D'UN NATURALISTE. 299
capitaine pendant notre mal de mer. Que le pre-
mier de l’Adrastus perdoit au paralièie! Celui
de la Galatée étoit aux petits soins, et nous pro-
diguoit toute sorte de douceurs. ] nous ofroit
sans cesse des fruits secs, des fruits confits cu du
vin de Madère, ou bien encore de la bonne eau
de vie de Cognac; il faisoit préparer, pour les
dames, du thé ou une lonade cuite aiguisée
d’un peu de rhum, et paroissoit oflensé lorsque
nous n'acceptons pas.
Le bon capitaine Payne nous raconta l'histoire
d'un de nos passagers, son compatriote, qui se
tenoit toujours seul, et avoit continuellement les
yeux fixés sur la mer. Get étranger s’étoit rendu
recommandable par un trait de bienfaisance peu
commun dans un siècie où l’on préfère à la vertu
l'usage de tous les vices, et qui mérite d’être
cité.
Dans les tems malheureux de la révolution
francaise, où le blé étoit rare et occasionnoit une
disetie générale , un inconvu réduit au désespoir,
arrêta le soir en tremblant, dans une rue de
Paris, un parüculier bien vêtu, et lui demanda
Ja bourse ou la vie. « Arrête, lui dit sir FF*#;
malheureux, que fais-tu? tu n’es pas un vo-
leur » ! Puis cherchantàle ramener de son erreur :
« Parle; confie-moi, poursuit sir F*#*, le sujet
de ta peine? as-tu des besoins? peut-être pour-
300 VOYAGES
rai-je les soulager ». Le coupable honteux bais-
sant la vue, laissa tomber ses armes et échapper
des sanglots, en avouant à sir FX** qu’il étoit
garcon cordonnier , et qu’il ne gagnoit pas assez
pour faire subsisier ses neuf enfans. Sir F***,
voulant s'assurer de la vérité du fait, se fit con-
duire par l’indigent chez un boulanger où 1l
logeoit, et où 1l reconnut l'authenticité de laveu
du coupable. Sir F***, enchanté de l’occasion
qui se présentoit de faire une bonne acuon,
remit d’abord à lindigent une pièce d’or pour
le souper de sa famille infortunée, et promit
au pére de revenir le lendemain.
Sir FFY* ünt sa parole , et acheta une peute
boutique dans laquelle 1l imstalla le cordonnier.
Ce don que lui permeuoit son opulence, retira
du crime le malheureux père de famille, que
la nécessité forca de sorur une seule fois des
bornes de la probité.
On sait qu’au mal de mer succède ordinaire-
ment une fan insauable; nous nous mîmes
donc tous à l’œuvre, et chaque passager voulut
préparer un plat de sa facon. En qualité de
chasseur , je me réservai pour les salmis , tandis
qu’un colonel, Mr. S*a*, nous fit des crèpes
exceilentes et très-délicates, Elles avoient pour-
tant un défaut, c’est que le second capitaine,
buveur renommé , en tenant le flacon d’eau
D'UN NATURALISTE. 307
de vie, avoit feint un roulis pour en verser
davantage dans la pate; à cela près , nous les
trouvâmes fort bonnes.
Versla fin du jour, au moment du coucher du
soleil où la brise se lève sur mer, un jeune mousse
qu’on avoit envoyé dans les hunes pour parer
quelques cordages, tomba à l’eau. Ses cris ré-
clamoient du secours , lorsque son père qui tenoit
la barre du gouvernail, d’abord incertain sil
devoit la quitier , oublia son devoir pour obéir à
la nature. Des cordes jetées en abondance lui
firent surmonter l'opposition des flots, et lui
servirent d'échelle , au moyen de quoi ül
échappa à une mort certaine. Des qu’il fut sort
de l’eau , on voyoit avec attendrissement son père
sexagénaire, Croyant à peine à son bonheur, s’en
assurer en pressant fortement son fils contre
son cœur; ivre du plaisir d’avoir retrouvé le
trésor qu'il alloit perdre, 1l pleuroit et sourioit
tour à tour. Leur union esi si grande, qu'avant
même cet événement , lorsqu'ils étoient libres
de leur tems, on voyoit toujours le fils couché
sur le pont auprès de son vieux père, tandis
que celui-ci lui racontoit de petites histoires,
ou lui apprenoit quelques chansons anglaises
souvent interrompues par des embrassemens
unanimes. Tous les passagers prirent beaucoup
de part à la délivrance de cet intéressant enfant,
302 VOYAGES
Nous ramassämes sur le pont un poisson
volant qui y tomba au nulieu de son élan, ne
pouvant le prolonger. Tout le monde sait que
ces poissons n’ont la faculté de voler que tant
qu'ils ont les ailes motuiliées; qu'à mesure
aweiles se sèchent, leur course se rallentit, et
qu'enfin 1ls tombent comme une masse aussitôt
que l’eau s'en est évaporée. C’est à cetie chute
que les dorades les attendent, et les poursuivent
toujours avec avantage; s'ils ont eu le bonheur
d'échapper quelques momens à la poursuite de
leur ennemi juré, 1ls reprennent un second vol,
et souvent alors, en déviant leur direction, ils
-se délivrent de leur persécuteur.
D’après les calculs sûrs de notre capitaine,
excellent marin, on jugea la terre irès-près, et
on mit en panne , de peur d’ailer pendant la nuit
faire naufrage sur les côtes. Sa conjecture étoit
vraie; Car, au point du jour, ayant repris la
route, nous apercümes au bout de deux heures
les îles Caïques.
Nous rencontrâmes une goéletie venant du
Cap , île de Saint-Domingue , et qui nous
assura la parfaite tranquilité de Îa colonie.
Nous apercûmes, le samedi 23 février, le môle
Saint-Nicolas : qu'il m'en coûta de détourner
la vue de cette terre habitée, lieu de notre
destination ! Le capitaine lui-même regrettoit,
D'UN NATURALISTE. 303
ainsi que moi, la suspension de commerce enire
les Etats-Unis et la France; car 1l eût faut à
Saint- Donnngue une belle spéculation sur sa
cargaison ; c’est pourquoi il regardoit, avec des
veux de désir et de regret, ces montagnes
imposantes et majestueuses.
La vue d'un bâument nous obligea à faire
côte vers l’île de Cuba, dont l’abord a quelque
chose de sinistre. C’est une chaîne de montagnes
qui se prolongent en tous sens plus loin que la
vue peut s'étendre, et dont la hauteur est barrée
souvent par des nuages qui les environnent.
Ce bâtiment étoit un corsaire anglais qui, au
moyen de deux coups de canon, nous forca de
hisser le pavillon, et d'amener. Le capitaine
envoya à notre bord pour fouiller les malles
des passagers. Les deux officiers s’adressèrent
d’abord à moi, et je tremblois pour des paquets
du gouvernement dont j'étois porteur, lorsqu’aux
mots de goddem you frantz, on les appela sur le
pont. J’eus donc le tems de soustraire ces paquets,
et de recouvrir ma malle principale des atiribuis
de Ja franchie maconnerie.
Les inspecteurs anglais traitérent plus rigou-
reusement Les autres passagers. Avant fait ouvrir
leurs malles, ils bouleversèrent tous les effets
sans ménagement ; l’un d'eux poussa la vexation
jusqu'à jeter à la mer un carton rempli de den
304 VOYAGES
telles. Is revenoient à moi, lorsqu'un exprès du
capitane-commaändant leur ordonna de sus-
pendre leur visite. Je fis néanmoins un signe
à la faveur duquel ils m’emmenèrent à leur
bord ; et après un toast maconique , le com-
mandant me remit une lettre de recomman-
dation pour les autres croiseurs, par qui sûre-
ment nous serions visités. Je lacceptai avec
reconnoissance , et par le charme attaché à ceute
sainte institution , oubliant la querelle de nos
deux nations, nous nous quittûmes avec des
souhaits de prospérité de part et d’autre. Ce
corsaire s’appeloit Ze Pélican.
Une heure après, nous rencontrâmes un
second croiseur, auprès duquel ma lettre de
crédit me fut d’un grand secours, en raison de
ce qu’elle me dispensa de la visite.
Füen ne peut dépendre la tristesse des atié-
rages de l’île de Cubes. Les montagnes sombres
et arides qui forment le rivage , ne sont recou-
vertes en certaines parties que de peuts buissons
à peine apparens. Aucune créature animée ne
foule ces endroits abandonnés ; cependant nous
apercümes au pied de ces masses terrestres un
souffleur (1), qui par ses évents jetoit l’eau à
(1) Cet animal pisciforme est du genre des cétacés,
etil est muni d'un ou deux évents sur la partie supé-
une
D'UN NATURALISTE. 30
une hauteur prodigieuse. Il avoit au moins
soixante pieds de longueur.
Nous renconträmes dans l’après-mndi cinq
corsaires anglais gardant scrupuleusement les
côtes, et qui dans leurs croisières ont ordre de
couler à fond tont bâtiment français qu'ils ont
pris.
Enfin, après avoir employé une parue du jour
à côtoyer ces monts ennuyeux par leur mono-
ionte , nous apercümes le fort de Saint-Yaco,
distant de la ville de deux lieues, ainsi que
nous lapprîimes à notre arrivée. Comme il
faisoit nuit, un pilote espagnol vint à notre
rencontre dans une pirogue sans voiles, qu'il
conduisoit au moyen de pagaies. Ïl monta à
notre bord, et promit de nous conduire le len-
rieure de la tête. On en distingue de plusienrs espèces
qui comprennent les baleines, les cachalois, les
narhwals, lourque, l'épée de mer du Groënland,
le marsouin et le dauphin. Ces poissons monstrueux
peuvent d'un seul coup de queue faire chavirer un
vaisseau , et le submerger. Les évents de ces cétacés
leur servent à l'inspiration et à l'expiration ; c’est le
siése de leur odorat. Ces animaux privés d'air péri-
roient certainement, ainsi que font éprouvé des
pêcheurs qui ayant pris de ces cétacés dans leurs
filets, les y ont trouvé asphixiés pour les avoir laissé
quelque tems embarrassés dans Les rets.
Tone L | V
300 VOYAGES
demain matun; car il falloit obtenir auparavant
la pernussion du commandant du fort.
L'entrée de Ja baie, garnie de forteresses, offre
un très-johi coup d'œil : on y voit la nature
ioujours en travail, entre-méler de nouvelle ver-
dure les feuilles dépérissantes. Sur le même
arbre on distingue souvent le bourgeon entre la
fleur et le fruit. L’odeur des acacias (1) qui s'étend
au loin , parfumoit la soirée belle et calme. Les
oiseaux marins cherchoient en tournoyant un
refuge pour la nuit, et annoncoiïent la décou-
verte d’un rocher convenable par des cris plus
ou moins aigus. Les pêcheurs quittoient Ja haute
mer pour rapporter à la ville le fruit de leurs
recherches ; d’autres plus diligens s’occupoient
sur le rivage à choisir leurs poissons, à boucaner
ceux de moindre valeur , ou à étendre leurs
filets. Enfin le repos de cette soirée n’étoit inter-
rompu que par le bruit des vagues, venant se
briser sur les rochers redoutables qui garnissent
et défendent l'entrée de la bate de Saint-Y ago de
Cuba. Le rivage, garni de cabanes de pêcheurs
à moitié dérobées sous un feuillage épais et nué
de diverses couleurs, contrastoit avec le silence
imposant des mornes et des-doubles montagnes
{1) Acacia vera. Voyez, Plantes usuelles des Antilles,
l'histoire de cet arbre, à l’article Mimosa olens.
D'UN NATURALISTE. 30"
mhabuées, et où la nature est encore dans son
état primiuf.
À peine l'ancre fut-1l jeté , que nous eûmes
à notre bord des soldats du fortqui se trouve au
sommet d’une des montagnes. Tous ces envoyés
à denu-nus et couverts de lambeaux , s’étoient
emivrés ; et dans l’épanchement de leurs tendres
sentimens, 1ls nous pressoient contre leur cœur.
Un d'eux surtout navoit pris en affecuon, et
se ruinoit en démonstrations exagérées , mais
vêtu d’une courte chemise, sans veste m culotte,
son costume n’étoit point fait pour inspirer beau-
coup de confiance. Il vouloit absolument m'em-
brasser; mais, ayant toute ma raison, je le re
boussai vers l’autre bord : il revint à moi sans
rancune, et me parlant espagnol, 1l me proposa
de boire après lui dans son verre, selon la cou-
iume du pays; je n’avois point soif, et d’ailleurs
cette offre n’étant point tentante, je le refusai
encore. Cet homme resta quelques imstans à cher-
cher un autremoyen de me plaire; puis, rompant
tout-à-coup le silence, il ôta du dessus de sa tête en
désordre son chapeau couvert de graisse, etpritau
fond quelques cigares sur lesquels se promenoient
plusieurs de ces insectes qui répugnent tant à
l'homme propre; puis les ayant mächés aux deux
extrémités , afin d'établir un courantd’air, il nr'of
frit de les allumer. Je ne pus tenir à cette action
V 2
308 VOYAGES
dégoütante, et lui annonçai mon mécontente-
ment par un regard de mépris. Ce soldat voyant
enfin qu'il ne pouvoit rien gagner à ses offres
intéressées (car il s’agissoit d’une grauficauon
si j'eusse accepté ), me quitta brusquement en
frappant la terre de ses pieds , ei murmurant à
voix basse ; puis me fixant avec fureur, il toucha
le poignard dont les Espagnols sont tous armés,
et se retira.
Le lendemain , en montant au fort pour Îa
visite de nos papiers, j'admirai linconcevable
variété de la nature dans ses productions par-
tout diversifiées. Ce n’étoit plus celles d'Europe,
mi du continent d'Amérique, que nous vemons
de quitter ; toutes nouvelles plantes s’offroient à
mes yeux attendris d'admiration. De ious côtés
je contemplois des objets inconnus. Je vis des
hirondelles, ee n’étoit plus celles de France; J'en-
iendois sur les rochers et dans le feuillage le
chant des oiseaux, et je restois émerveillé de ne
point reconnoîilre ces nouveaux accens.
Après avoir rencontré, chemin faisant, quel-
ques matelots d’une chaloupe arrivant de Saint-
Domingue , assis autour d’un boucan (1), et être
(1) Endroit où les naturels des Antilles enfument
leur viande à La vapeur tériforme de plantes aroma-
tiques, telles que feuilles de citronmier, de goyavier, ele.
D'UN NATURALISTE. 309
resté dans l’admiration à la vue d’un énorme
rocher caverneux qui leur servoit d’abri, nous
arrivämes au fort. Nous fmes présentés au com-
mandant , etj'eus , chez lui, occasion d’y faire
des observations sur quelques coutumes du pays.
Les maisons des colons de cette île sont très-
acrées , et recouvertes d'essentes (1) qui réver-
bèrent moins la chaleur que la tuile. Jamais au-
cune tapisserie ne reconvre les murs blanchis
à l’eau de chaux , n1 carreaux, l’aire des appar-
temens. Les ferètres , à cause des tremblemens
de ierre et d’une concentration incominode,
étant inutiles , on ne se sert point de vitres en ce
lets à l'extérieur ; ce qui donne à ces croisées la
configuration d’un cloître. Pair cireule d'autant
plus facilement dans l'intérieur de ces maisons,
que les quatre muraiiles sont percées d’ouver-
tres toujours libres, et que les chambres n’ont
n1 plafonds , n1 greniers , n1 étages supérieurs.
Les rez-de-chaussée sont seuls d’usage dans ces
pays où les tremblemens de terre exercent sou-
vent leurs ravages; malgré cela , les maisons sont
rès-Clevées.
Le r fem Je) Ce faron . l LAN Ir
eux iCcinmmes se prestriicrent . L'une «à eiies
”
(x) T'uiles faites avec des planches de bois blanc.
V3
310 VOYAGES
étoit âgée, mais l’autre touchoit à peine à son
troisième Justre. La première, épouse du com-
mandant, avoit les cheveux rigidement relevés
en toupel, et un peigne grossier fixé sur un
énorme Ccatogant. Elle n’avoit qu’un seul jupon
sur une chemise de gaze fort découverte, et dont
les plis ibres n’étoient comprimés ni par un fichu,
pi par un corset : le sein, par conséquent , flot-
toit à l'abandon.
La jeune Espagnole vêtue encore plus indé-
cemment, u’avoit qu'un bras passé dans sa
chemise, et laissoit voir tout un côté du buste
à demi-nu , se servant d’un voile négligemment
quoiqu'artustément jeté sur son épaule, pour
découvrir ou dérober tour à tour des contours
parfaits et dignes des trois Grâces.
On voit dans l’intérieur des maisons, au lieu
de vaisseliers, des bosquets artificiels construits
en feuillage, et qu’on se plaît à renouveler lors-
qu'il commence à faner. C’est au centre de cette
verdure que je distinguai un pot à l'eau, quei-
ques vases de cristal , et autres objets nécessaires
pour se rafraîchir,
Le commandant, après nous avoir fort bien
recus et fait prendre de la limonade, nous ex pédia
assez LÔt pour que nous pussions nous embar-
NT 3 ! A ce, ,
quer à l'heure de la marée : après avoir vogue
D'UN NATURALISTE. 311
dans le golfe , nous vinmes mouiller en la rade
de Saint-Y 190.
Nous descendimes à terre, et mon projet étant
de conunuer mes remarques, voici quel fut le
résultat de mes observations. Chaque maison res-
semble à Pentrée d’un souterrain, ou caveau sé-
pulcral. Le premier vesuibule au fond duquel
on apercoit une grande porte voütée en pierre,
et dont le ceintre sculpté ressemble à celui des
églises, étant ordinairement plus frais et moins
reuré que les appartemens du fond ; c’est là
qu'on y voit les Espagnoles à demi-nues prendre
le frais sur de longs fauteuils. La chaleur à
Sant-Yago de Cuba est plus insupportable qu'à
Saint-Domingue, en raison de linterception de la
brise de terre dans ces gorges rétrécies , où un
tuf blanc et qui fatiguela vue, réverbère Pacuon
du soleil.
IL n’est point de pays où l’indécence , en gé-
néral, soit portée aussi loin que dans les Anulles.
Les enfans à Saint-Y ago jouentdevant les portes,
sans aucun vêtement sur leur corps. Les négresses
ou mulatresses qui y fourmllent, sont nues
jusqu’à la ceinture. Î est ridicule de voir en cet
état les femmes âgées, qui ne peuvent par la com-
pression emprunter les secours bienfaisans d’un
art imposteur.
À chaque croisée est attachée Ia branche de
Y 4
312 VOYAGES
palmiste bénie au dernier dimanche des Ra-
meaux, et qu'on renouvelle tous les ans ; ce qui
donne un joh coup d’œal lorsque la verdure est
encore fraîche. |
La ville ressemble à un couvent spacieux. On
n'yreucontreie jour que des hommes ,des padres,
et des moines de touie espèce , encore n'est-ce
que le matin et le soir , car dans le nnkhieu du
jour les rues sont désertes ; et comme le dit le
proverbe espagnoi, on ne rencontre à celte heure
indueque deschiens ou desFrançais, tant la cha-
leur y est grande et insupportable.
On y voit des voitures à l’antique recouvertes
d'un surtout de toile, de peur sûrement que le
soleil n’en écaille la triste peinture, mais qui doit
faire ciouffer les maîtres reclus en ces tristes cabas.
Le posullon est plus à son aise ; car les voitures
sont traînées par un mulet en brancard , sur
lequel est perché un grand dandin de domestique
qui, de peur de rester les jambes suspendues , se
tient accroupi comme un singe. Ces voitures vont
rarement plus vite que le pas. On n’en voit pont
d’une autre espèce.
Il existe dans les forêts des environs de Saini-
Yago, deux arbres curieux et intéressans par
leur uulité, mais dont les Espagnois ne retirent
3
pas beaucoup d’avaniage par la négligence qu'ils
apportent à sa reproduction. Le premier est
D'UN NATURALISTE. SES
l'arbre à pain (1); la seconde plante est la
hiane (2) à eau (3).
L'arbre à pain où artocarpe, est un arbre
trés-élevé et branchu; ses feuilles qui naissent
aux extrémités des branches, sont longues de
deux pieds environ, dentelées comme celles du
chêne. Les fleurs, mäles et femelles, sont sur le
même pied. Les premieres sont amentacées ou
disposées en chatons ; les femelles contiennent
un pisul qui doit être fécondé par le pollen des
chatons, et produire un fruit sphérique de la gros-
seur de la tête, et dont l'enveloppe est formée de
prismes pentagones et hexaëdres , contigus les uns
aux autres. Ce fruit conuent à l’intérieur une
quantité considérable d'amandes ou chätaignes
réunies à un placenta charnu qui se trouve au
centre, et dont la substance peut être comparée
au fruit du marrommer. On coupe ces chätaignes
par rouelles, on les fait sécher , et on les réduit,
si l’on veut ,en farine. Si onlesa fait cuire au four,
on les mange alors avec des ragoûis ou du peut
alé.
(1) Ou Rima; Arbor panifera; Soccus, Rumph. ;
ÂArtocarpus, Linné.
(2) Les lianes sont des plantes sarmenteuses propres
aux Antilles.
(5) Akacate; Arum scandens, Angusti folium, Aquam
manans,
314 VOYAGES
La liane à eau est commune dans les bois.
Lorsqu'on la coupe transversalement, il en
découle un suc limpide uule aux voyageurs
altéres.
Je me plus de notre bord à décrire la ville de
Saint- Yago. Sur le penchant d’une montagne
sillonnée de ruisseaux limpides , à portée de
Jorèts, de Ja mer et d’une rivière poissonneuses,
s’élévent des maisons rangées sans symétrie. C’est
une échappée qui de notre goélette offroit au
Join , à l'horizon opposé , quelques bâtimens épars
sur un océan mollement agité. Une partie de la
ville sert de pause au premier coup d'œil. Tôtou
tard les regards retournant sur eux -mêmes, sont
étonnés de n’avoir pas admiréunesuite deravines,
où le dater et les palmnstes à feuillages diverse-
ment nuancés ; soutiennent avec grace leurs
branches délices, balancées par le vent. Quelques
rochers égarés çà et là y rendent la verdure moins
monotone. Les bananiers ombragent aussi la
plupart des maisons.
Le warf ou embarcadère en est très-vivant. On
le voit fréquenté par des padres oiseux qui y
proménent leur ennui, et vont y recevoir les
hommages des Espagnoiïs des deux sexes, qui sont
obligés à leur approche de s’incliner très-profon-
dément, et de Icur aller baiser respectuensement
la main. Sur le bord du rivage ce sont Îles chan-
D'UN NATURALISTE. 315
üers des charpentiers et calfats des bâtimens de
la rade, des objeis d’arullerie, des chaudières
bouillantes destinées à goudronner les cordages.
Le transport des marchandises importées ou
exportées y ocCcupeaussi une quantité d’'Espagnols
désœuvrés. Auprès d’un corps de garde, à quel-
ques pas du bord de la lame , s’y remarquent une
potence et son échelle qui y demeurent en per-
manence, sûrement pour intimider les mal-fai-
teurs. On y retrouve des Turkei-buzzards qui,
ainsi qu’à Charles-Town, s’y disputent les cada-
vres, ®t y exercent une police qui assure la salu-
brité de l’uir. A la droite enfin, l’œil aime à se
reposer sur un tapis de verdure qu'offre une
prairie montueuse, traversée par un sentier étroit
ettortueux, conduisant à un petit ajoupa qui, avec
quelques bêtes à cornes, trois cabrits et un mu-
let, fait toute la propriété d’un espagnol, heureux
sûrement sous ce chaume paisible. Il trouve dans
sou enceinte tout ce qui peut lui assurer une
douce existence.
Je descendis une seconde fois à terre, accom-
pagné d’un passager qui parloit l’espagnol; et
comme à notre bord nous n'avions pas de maitre-
d'hôtel, nous allämes nous-mêmes au marché
y faire nos provisions. En comparant l'extrême
propreté des boucheries de la Nouvelle- Angle-
ierre, avec la dégoûtante négligence qui règne
316 VOYAGES
dans celles de Saini-Yago , je me décida avec
beaucoup de répugnance à acheter de cette viande
mal saignée, couverte de boue et de poussière,
enfin déchirée en lambeaux plutôt que coupée.
Ne comptant pas faire un voyage aussi long
pour arriver à Saint-Domingue, nos fonds
commencoient à baisser, et ne s’accordoient
guère avec la cherté excessive de tous les co-
mesubles. L’odeur féude des négresses mar-
chandes, dont la sueur infecte arrosoit les provi-
sions, m'invita de plus en plus à me restreindre
à ne manger que des fruits, parmi lesquels nous
rapportämes des cocos (1), des mirlitons (2), es-
pèces de concombres de la fanulle des cueurbita-
cées ; des ignames (3), des patates (4) , des caï-
mites (5), des cœurs de bœuf (6), des corrosols (5),
nee nn +
() Nux palmæ cocciferæ angulosa. Voyez Traité
des plantes usuelles pour ces différentes productions.
(2) Cucumis Anguria, Lann,; Anguria americana,
fructu echinato eduti. ‘Fourn. 107.
(5) Polygonum scandens, hetich americum, thev. 52;
Dioscorea, pl. ic. 117.
(4) Convolvulus batiata.
(5) Fruits du caïmitier pomiforme, Chrysophyllum
caimito, Lann., Plum.
(6) Anona reticulatas; Tann.
(7) Anona muricata, Linn.; Guanabanus fructu è
viridi lutescente , moiliter aculeato. Plum.
D'UN NATURALISTE. 317
des Ananas jaunes ( 1), des Ananas pains de
sucre (2). Ayant promis d’être impartial en pre-
noncçant sur la bonté des fruits de la colonie de
Saini-Domingue, je me tairai sur ceux-ci, le
climat, me dit-on, ne les donnant point au:st
délicieux qu’à Saint-Domingue où je nre réserve
de donner mon avis.
Les rues sont garnies, à Saint-Yago de Cuba,
de cocotiers et banamiers (3), dont on admire
toujours avec intérêt, et le port majestueux, et
la stature élégante. On y rencontre aussi des
pieds de tomates (4), y végétant naturellement,
ainsi que Pacacia de Saint-Domingue (5) dont
l'odeur est si suave.
A mon retour du marché, il fallut songer à
nous procurer un logement dans la ville, et à
payer le capitaine. Nous trouvämes trois petites
chambresdégarnies, etrécemmentréparées dont
a ——"*
(r) Ananas fructu pyramidato , carne aureà , Tourn.
(2) Ananas maximo fructu conico, Plum.
(5) Musa, Plum.
(4) Tomates, espèce de solanum, fruit pulpeux qui
rougit en mürissant, disposé par côtes, et dout on voit
la description , Plantes usuelles des Antilles.
(5) C'est la cassie des jardiniers. Sesfleurs en houppe
sont jaunes et odorantes, propres à-{a parfumerie,
C'est le mimosa oleus de quelques auteurs.
318 VOYAGES
on nous demanda trente-six gourdes par mois (1).
Ce prix exorbitant que nous étions dans l’im-
possibilité de payer, nous les fit refuser, et
demander au bon capitaine Payne la permission
de rester encore quelques jours à son bord; ce
qu'il nous accorda d’un air satisfait.
On nous mdiqua une occasion pour Saint-
Domingue; mais le propriétaire de la chaloupe
étant malade, et ayant besoin d'argent pour
payer d'avance son équipage, nous demanda
quarante portugaises (1), dont il exigeoit au
moins la moitié comptant. Comment faire dans
un pays où nous étions inconnus ? Nous fimes
part à ce capitaine des malheurs que nous
venions d’éprouver, et Jui fimes entrevoir
l'espoir certain de le solder en arrivant à Saint-
Domingue , où la famille R. D. étoit assez
généralement connue. À ce nom 1l versa des
larmes de reconnoissance, et déplora sa position
qui le forcoit à être ingrat, envers une famillé,
des bienfaits de laquelle 1l tenoit son bonheur
et son indépendance. Cependant, il se borna à
des larmes stériles qui ne nous furent d'aucun
secours, mais qui néanmoins nous firent plaisir ,
tant il est doux de retrouver à présent dans le
(1) Environ 288 livres, argent des colonies.
(2) Environ 2688 livres, argent des colonies.
D'UN NATURALISTE. 319
cœur de l’homme le beau senument de la
reconnoissance.
Cependant le iems s’écouloit, et nos fonds
diminuoient sensiblement , lorsque nous réso-
Iûmes de faire pari au capitaine Payne de noire
posiüon , de notre nom , et de nos malheurs.
Notre récit toucha sensiblement le bon Thomas
Payne, lui fit même verser des larmes d’atien-
drissement; aussi, non seulement il consent à
ne recevoir pour le moment aucuns fonds qui
suffisoient à peine pour saüsfaire à nos besoins
les plus urgens ; mais 1l poussa la délicatesse
jusqu’à nous offrir un supplément de finances,
sans nous connoître , et il se trouva outragé
de notre proposition de déposer en ses mains
quelques bijoux; nous disant, en les repoussant
loin de lui : « Gardez, gardez vos affaires, moi
» gagné cargaison , que je vendre quand moi
» gagné bésoim d'argent; vos efiets vous être
» bons pour voire voyage ». Cette phrase d’un
patois francisé nous émut jusqu'aux larmes , et
quelle fut ma joie lorsqu'en lui serrant la main,
1l me fit un atiouchement maconnique! El s’étoit
apereu déjà que j'avois l'honneur d’être mêmbre
de cette société fraternelle , et avoit reconnu
dans ma malle plusieurs bijoux qui, par paren-
thèse, avoient été déployés par les officiers du
croiseur anglais, le Péhican. Enfin, ce dévouement
320 VOYAGES
généreux auquel Pavarice commune nous dé-
fendoit de nous attendre, nous frappa d’éton-
nement, d’admiration et de reconnoissance.
Le bon Thomas Payne, à qui je ne saurai
jamais trop exprimer ma gratitude, poussa de-
puis cet entrellen ses prévenances à l’excès,
et nous offroit sans cesse nnile friandises
agréables à bord, avec une lovale franchise,
et cette umidité, type de sa délicatesse qui pa-
roissoit craindre d’offenser notre amour propre.
Notre diner de ce jour fut servi plus splen-
didement qu’à l'ordinaire; c’est pourquoi lui-
même voulut faire les honneurs de sa table,
et nous versa malcré nous, à profusion, du vin
de Bordeaux qu'il achetoit à terre une gourde
la bouteille , du Madère , et ce qu’il avori de
plus délicat en liqueurs de la Marunique. La
soirée étant chaude , et notre bon capitame
craignant par sa consituuon replète de nr’être
incommode en couchant avec moi, n'ayant plus
de quart à faire, et par cela même toutes les
cabanes étant occupées, 1l coucha par terre sur
une natte, et voulut absolument me laisser
dormir seul dans le hit, sans qu'aucune soili-
citation de ma part ait pu affoiblir la résoluuon
de ce bon père de famille.
Je descendhis le 1er. mars à terre avec le capi-
tine, pour y continuer mes remarques. Tout
homme
D'UN NATURALISTE. 321
homme passant en Espagne devant une éghise, est
obligé de s’incliner profondément, sous peine
de blesser les lois de la bienséance, s’il oublie
de satisfaire à ce saint usage ; on uent beaucoup
à cet acte extérieur. I] en est de même, pendant
que l’Ængelus sonne, et l’on est obligé de s’ar-
rêter tout court dans la rue, si l’on marchoit;
ou de suspendre la conversation, si plusieurs
personnes groupées étolent occupées à causer.
On se découvre alors la tête, on s'incline, on
récite une prière jusqu’au moment du carrillon
qui dégage de cette retenue. Ce moment étonne
ordinairement les étrangers par sa singularité.
Les Espagnols portent leurs provisions du
marché dans une macoute, üssue de feuilles
sèches de latanier (1) tressées ; elles remplacent
nos paniers d'Europe. On vend de looille (2)
dans des feuilles du bananier ; cet amalgame
n’est guères appélssant, et dégoûte à la vue.
(x) Appelé Palmier en éventail; Palma dactylifera
radiata, major, glabra, Plum., Gen., Barr. 90;
Carnaïba, Pis. 1658, p. 126; Palma brasiliensis pruni
fera; folio plicatili, seu flabelliformi, caulice squam-
mato, ou Alattani des Caraïbes.
(2) Espèce de potage composé de viandes diffé-
rentes et de légumes presqu'à sec, qu'achètent les
pauvres gens.
TouE L X.
322 VOYAGES
D'autres marchands offrent une pâte, en boules,
de gros millet (1) grillé, et dont les grains sont
agglutinés les uns aux autres par le sirop de
batterie; ceux-C1, des boïilles faites de farine de
maïs édulcorée par le sirop , et cuites sous les
cendres dans une feuille de bananier. Tous ces
mets plaisent par leur nouveauté, et on admire
en cette innovation le génie inventeur de
l'homme , et la puissance qui l’a créé ; mais que
le pain est préférable !
On vend également en ces marchés des amas
de tassau (2) d’une couleur brune et désagréable,
provenant de ce que l'animal n’a point été assez
sa1gné.
Les Espagnols excellent, par exemple, dans
la préparation des confitures sèches; aussi leurs
pâtes de goyaves sont-elles très-recherchées, et
vendues à l'Etranger. J’ai décrit ces mets pour
donner à connoître le peu de sensualité des Es-
pagnols , qui font consister leur luxe à être
couverts d’or; et s'ils ne font aucun sacrifice
pour diversifier la nature de leurs alimens, ils
(1) Ou sorso, sorgum sive melica, Dod., Park. ;
Milium arundinaceum, subrotundo semine migricante,
sorgo nominatum, C. B., Tourn.; Milium africanum.
(2) Viande coupée en aiguillettes, frottée de jus de
citron et séchée au soleil.
D'UN NATURALISTE. 323
rapportent les fruits de cettesévère économie en fa-
veurdeleur parure, quoique toujours incomplète
et malordonuée. Les hommes de Saint-Y ago ont à
leurs souliers des boucles d’or si matérielles et si
larges dans leurs dimensions, qu’elles recouvri-
roient volonuers le double de leurs pieds. Leurs
habits de soie, linon , ou d’étofles des Indes, ont
des boutons du même métal non moins gros-
siers, de même que les pommes de leur longues
* Cannes.
Le plus riche propriétaire de Saint-Yago,
dans un diner prié où 1l m’avoit invité, ainsi
que beaucoup de Francais, fit servir, pour
trente personnes environ, une copieuse oille
et du chocolat. Quel contre-tems pour un gas-
tronome !
Une des incommodités de la ville est d’aller
chercher l’eau douce à une rivière distante de
Sunt-Y ao de deux lieues, et d’où on la trans-
porte soit dans des dames-jeannes portées par
des mulets, ou bien dans des tonneaux conduits
par des pirogues.
Les bœufs dont on se sert pour charrier les
marchandises du port, ont les naseaux fendus ,
au travers desquels on passe une courroie pour
les conduire.
Les hommes et les femmes portent au cou de
X 2
324 VOYAGES
très-longs chapelets ; et les dernières , pour aller
à l’église, sont tenues à un costume religieux,
qui consiste à n'avoir qu'un jupon noir, et um
voile de la même couleur, sous lequel la plupart
n’ont point de corset, et la gorge est découverte.
Cette coquetterie plaît, surtout aux jeunes Es-
pagnoles, qui aiment passionnément les hommes,
et surtout les Français, à cause de leurs manières
galantes et aimables auprès d’elles, ayant soin de
soulever par méprise ce voile importun, et de
décéler , aux regards avides de leurs admirateurs,
des appas naissans qu'une tendre émotion sou-
lève , et dont la vue achève bientôt leur conquête.
Les jeunes Espagnoles sont très-libres, et ne
wouvent que du plaisir à sourire aux jeunes
gens, et à les fixer. Je ne puis concevoir que
dans un pays où l’on se flatte de suivre ponctuel-
lement les préceptes de la religion chréüenne,
on tolère cet excès d’indécence et d’irrévérence
pour les lieux saints.
Les femmes à l’église se tiennent accroupies, les
moins riches sur une natte, etles plus distinguées
sur ua tapis que porte leurs esclaves. Le peuple
au milieu de l'office, en signe de repentr et par
une humble componction, se frappe la poitrine
à coups redoublés, assez forts enfin pour que
le lieu saint en retenusse.
Nous achetämes de très-bonnes oranges, de
D'UN NATURALISTE. 335
l’arcahaie, et des sapoulles (1) que leur saveur
exquise et parfumée fait regarder comme le
meilleur fruit des Anulles. Je me procurai aussi
de la cassave; on nomme ainsi un composé
farineux qui sert de pain aux nègres : il est uré
de la racine de manioc (2) dont on a exprimé
tout le suc, qui est un poison subül. On fait sé-
cher cette racine au four ; et après l’avoir broyée,
on la met cuire entre deux plaques de fer rondes,
et rougies au feu. Ce mets tant esumé des
Créoles, se trempe dans les sauces, mais ne peut
perdre son goût, selon moi désagréable , en un
mot semblable à l’odeur d'urine de souris. Quel
fut le mortel assez hardi pour approprier cette
plante vénéneuse aux besoins de ses semblables !
Il faisoit trés-chaud, et nous primes, en re-
montant à bord, un punch froid, composé de
jus de citron (3) qu’on trouve sur les haies d’en-
tourages , de sirop et de tafia. On a pour
presser ces citrons, et ne point se poisser les
(1) Achras, Linné ; Sapota, Plum.; Manitambou
des Caraïbes ; voyez au Traité des plantes usuelles, à
la fin de cet ouvrage.
(2) Voyez ce mot, Traité des plantes usuelles.
(3) C’est le fruit du citronnier sauvage des Antilles.
Il est rond, d'un jaune paille ; l'écorce en est lisse : il
a'est pas plus gros qu’une moyenne pomme d'apis.
X 3
396 VOYAGES
mains de leurs parues acides et éthérées une
machine fort simple qu’on pourroit, sur un
modele plus grand, faire servir en France à
l'expression des groseilles pour les limonades. Ce
sont deux plans, du bois le plus dur, parallèles
et joints par une fiche à charmère à l’une_des
extrémités , de manière à pouvoir faire le levier
à l’autre bout. Le plan supérieur est muni, in-
térieurement vers le milieu , d’un relief ou
abochon circulaire et convexe, destiné à s’em-
boîter dans une cavité de même capacité qu'offre
le plan inférieur, la cavité étant perforée de
plusieurs trous pour l’écoulement du jus de
citron. C’est dans ce creux qu’on met la moitié
d’un citron coupé en deux; puis appuyant dessus
la partie supérieure , le moule saillant exprime
exactement tout le jus du citron dont il ne reste
plus que le marc, c’est à dire les pulpes et la
peau qui, parfaitement retroussée, recouvre le
cabochon.
Toutes ces petites expériences ne suflisoient
point pour m'ôter le désir d'aller m'instruire
dans les bois des environs de la ville, en y con-
templant ceue nouvelle nature; je priai donc
le capitaine de me prêter son grand canot à
voiles pour aller reconnoître les îles voisines;
et profitant d’une helle matinée, je me fis
accompagner de deux bons rameurs, puis nous
D'UN NATURALISTE. 327
partimes. La mer étoit calme, et l’air pur em-
baumé du parfum des fleurs, nous reportoit
aussi le chant des oiseaux du rivage. Nous abor-
dämes bientôt à l’ouest; eten mettant pieds à
terre, je commencai ma récolte. Le bord de la
mer, ombragé de mangliers chargés d’huîtres (1),
étoit couvert de coquilles fossiles et d’oursins.
Ces espèces de mangliers qui croïssent par
touffes, comme les marsauts d'Europe, s'élèvent
.à la hauteur d’environ vingt à vingt-cinq pieds;
leur écorce est d’un gris-rougetre. Cet arbre se
plait dans les endroits marécageux du bord de
la mer; et son écorce est fébrifuge (2). Ce man-
gher , qui est une espèce de palétuvier , est couvert
d’huitres adhérentes à ses racines arquées, qui
s'élèvent au dessus du terrain où 1l se reproduit;
aussi qu'a celles de ses branches suscepubies
d’être baignées dans l'eau de mer, à la marée
montante. Les huîtres déposant leur frai sur ces
arbres ,onen voitconstammentde toutegrosseur,
et qui sont très-estimées. Ce manglier se repro-
(Gi) Appelé par les Indiens Guaparaïba, et par les
Portugais Mangue verdadeiro, manglier noir, véri-
table ou salé. Selon Nicolson, Candela americana ; selou
Pison, Mangue guaparaiba ; Mangles aquatiqua de
Plumier ; Rhizopora de Linné.
(>) Voyez Traité des plantes usuelles des Antilles.
X 4
328 VOYAGES
duit d’une manière remarquable ; on voit pendre
des branches latérales une infinité de brins
composés de filamens rassemblés, lesquels, ar-
rivés à terre, sy couchent avec le tems, y
prennent racines que l'humidité provoque, et
forment autant de mangliers qui se perpétuent de
le même manière. Les racines de ces arbres sont
tellement entrelacées qu’elles s'étendent au loin
dans la mer, qu’elles s'opposent à l’abordage
des chaloupes, et servent d’asile à certains pois-
sons et aux crustacés.
Je m’enfoncçai dans les bois, et le premier
oiseau que je tuai fut un yapou (1). Tout le
plumage supérieur de cet oiseau est d’un noir
brillant, excepté le croupion, les iégumens de
la queue et des ailes qui sont d’un jaune d’or ;
Viris est d’un beau bleu; la pupille noire, ainsi
que les pieds; le bec d’un jaune plombé. Cet
oiseau qui vole par bandes, est du genre des
troupiales.
Le second bipède que je me procurai, fut un
tangara noir d'Amérique (2), à peu près de la
grosseur du scarlatte, ou cardinal du continent
(1) C'est le cassique jaune du Brésil, des pl. enl. 184 ;
la pie du Brésil, de Belon, appelée à la Guiane par les
Français, Cul-jaune.
(2) PL enl. 170, fig. 2.
D'UN NATURALISTE 39
de la Nouvelle-Angleterre, que j'ai décrit plus
haut; le bec et les pieds du tangara noir sont,
ainsi que tout son plumage, d’un beau noir; ce
qui le fait appeler communément négrillon : les
couvertures de ses ailes sont seules marquées
d’une tache blanche. Ces oiseaux se nourrissent
de baies et d'insectes ; ils n’ont point de chant
mélodié. |
En allant ramasser un colibri que j’avois sur-
pris volügeant autour d’un karatas (1), et pom-
pant le suc de son nectaire, je vis s'échapper
près de moi un assez gros serpent que je ne
pus ajuster.
Tout en travaillant à ma collecuon, je cher-
choisà préparerune agréable surpriseau capitaine
par quelques pièces de gibier dignes de figurer
sur sa table; mais je ne pus ne procurer que
deux ramiers (2). Je les surpris occupés à ra-
masser des graines de manglier dont ils sont
friands. Leur bec rouge est blanc à son extré-
mité; les jambes sont rouges, les ongles gris;
l'iris est jaune, une membrane blanche entoure
leurs yeux ; le plumage du sommet de la tête est
(Gi) Agave; voyez aux plantes usuelles des Antilles.
(2) Ou plutôt Pigeon à la couronne blanche, de
Catesby; Columba capite albo. Pigeon de la Jamaïque,
de M. Brisson, Il niche dans les rochers.
330 VOYAGES
blanc , entouré d’une bande de couleur pourpre
à reflets 1risés. Le cou chatoye le bleu, le vert, et
le cuivre de rosette; le reste du corps est gris-
bleu d’ardoise, les ailes et la queue de couleur
brune. Ces oiseaux ne sont pas méfians, car
j'avois tué le premier, que le second ne pensa
même pas à s'envoler; 1l est vrai que je me
trouvois en un endroit sauvage, et si peu fré-
quenté par les hommes, que peut-être cette
solitude ne fut-elle jamais troublée par leur pré-
sence destrucuve. ;
Je tuai de mes deux autres coups une :
tourte (1), et la tourterelle de la Jamaïque (2).
La première a le plumage supérieur d’un marmn
cendré rembruni, le front et la poitrine d’un
pourpre-vineux à reflets violets-dorés ; les ailes
sont tachetées cà et la de marques ou écussons
d'un noir-violâtre; les pennes sont d’un cendré
foncé , bordées de blanc ; la queue est étagée et
variée, des plumes du milieu aux latérales, de
cendré-brun et de noir; les yeux sont entourés
d’une peau bleuâtre; l'iris est noir; le bec de
cette même couleur; les pieds rouges, et les
ongles bruns.
(1) C'est la tourterelle de la Caroline, pl. enl. 175,
de Catesby ; ou le picacuroba du Brésil, de Marcgrave 3
oiseau commun aux iles Antilles.
(2) PL enl. 174.
D'UN NATURALISTE. 351
La tourterelle de la Jamaïque , et qu’on
trouve même à l'ile de Cubes par troupes innom-
brables, est moins grosse que la tourte, c’est
à dire de la taille du pigeon biset. Le bec et les
pieds sont rouges, le dessus de la tête et la gorge
bleu ; sous chaque œ1l se trouve une petite
bande blanche ; le plumage supérieur marron-
ardoisé, et l’inférieur d’ur brun-vineux. Enfin,
jeus pour dernière pièce un baumore (1).
Je me fatiguai inutilement dans l'espoir de
faire une meilleur chasse qui, dans ces parages,
est plutôt pénible qu'amusante , en ce qu’on est
obligé de marcher au milieu de halliers presque
impénétrables ; et dont les épines défendent
Ventrée. On s’égare souvent à travers des pin-
gouins (2) dont les longues feuilles, dentelées
et armées de pointes aiguës, sont redoutables
et pumissent les pas indiscrets. Leur centre,
repaire des serpens qui sont les seuls des ami-
(1) Icterus, oiseau du genre des troupiales. Il est de
la grosseur du moineau franc; la tête est noire et
ponctuée de trois taches blanches ; les ailes et la queue
sont également du noir le plus brillant, chaque penne
pourtant étant bordée d'un liseret blanc , le ventre et le
dos sont d’un bel orangé; Îles pieds, le bec et les ongles
sont de couleur plombée. On appelle cet oiseau petrte-
dame-anglaise dans certains quartiers de l'ile.
(2) Voyez Plantes usuelles,
332 VOYAGES
maux qui peuvent en rampant y pénétrer sans
danger , n’est jamais foulé par aucune autre
espèce animée ; aussi emploie-t-on cette plante
sauvage à faire des entourages qui mettent un
domaine à labri des maraudeurs. Le pingouin
est susceptible de culture, maisil se muluplieroit
trop, si on ne détruisoit à mesure les jeunes
pousses pour ne conserver que le centre; car,
indépendamment que les jeunes plants lèvent
irréguliérement et ne s’alignent point, ils oc-
cupent infructueusement un terrain qui peut
être mieux employé.
Je me rendois au canot par un chemin beau-
coup plus agréable; lorsque j’apercus, au milieu
d’une ioufle de verdure, un point rose qui fixa
mon attention. C’étoit un oiseau, au caractère
tranquille et peu turbulent, qui ne voltige que
le tems nécessaire à saisir le moucheron dont
il fait sa nourriture, pour rentrer ensuite dans
le repos qu'il chérit. Cet oiseau est le charmant
todier (1), commun aux contrées du Nouveau-
Continent. Il est de la grosseur du roitelet
d'Europe ; son bec long , droit et aplati hori-
zontalement , ainsi que celui des oiseaux de ce
genre , est brun-rougeâtre à sa partie supérieure ,
(1) Todier, ou perroquet de terre. T'odier de Saint-
Domingue , de Brisson, des pl. enl. 585, fig 1et2.
D ? P 750
D'UN NATURALISTE. 333
tandis que l’inférieure est rouge ; les pieds sont
gris; le coloris du plumage est d’un ensemble
doux et élégant; le dos est d’un vert-bleuâtre
dans le mäle, et d’un vert de pré dans la femelle.
L'un et l’autre ont la gorge et les côtés d’un rose
vif et nuancé; le plumage inférieur d’un blane
teint de jaune, avec des reflets de couleur de
rose ; le dessous de la queue d’un jaune-paille ;
les pennes des ailes et de la queue vertes à
l'extérieur , et cendrées en dedans.
Cet oiseau silencieux se uent le bec en Pair,
et agite légérement sa tête , ainsi queles colibris,
au moindre étonnement. Il se creuse en terre un
trou circulaire qu’il garnit de mousse de coton
et de plumes, où il dépose quatre œufs gris,
avec des marques dorées. Mon coup de fusil
ayant fait envoler la femelle en train de pondre,
je fus assez heureux pour trouver son nid, mais
il n’y avoit que deux œufs.
Je passois au dessous d’un palmier, lorsque
j'apercus voluger de branche en branche deux
oiseaux qui m'étoient inconnus, je ürai le mäle ;
c’étoit un palmiste (1). Cet oiseau du genre du
merle est beaucoup moins gros : sa taille n’excé-
doit pas celle de l’alouette ordinaire ; sa tête notre
(1) PL enl. HE fig. 1, ou palmiste à tête noire de
M. Brisson.
334 VOYAGES
étoit tachée de trois points blancs placés entre
l'œil et la base du bec; son dos étoit d’un vert-
olivätre, la gorge et le cou d’un beau blanc ;
Ja poitrine et le plumage inférieur grisâtre ürant
sur le blanc ; les pieds étoient d’un gris cendré.
Jene pus me procurer la femelle, qui me parut,
a très-peu de chose près, du même plumage.
Les oiseaux palmistes fréquentent les arbres
de ce nom, et y construisent leurs nids. On
esume leur chair assez délicate , mais je la
trouvai trés-ordinaire. Ils se nourrissent de riz,
de baies et d’insectes.
Nons nous embarquâmes dans le canot, et
nous nous rendimes à Saint-Ÿ ago de Cuba, avec
la brise du large. Que la nature est prévoyante
dans ses inconcevables combinaisons ! Le sol
brûlant de la zone torride ne pourroit, sans un
amendement, supporter aucune créature vivante ;
c’est pourquoi, afin de tempérer cette chaleur
étoufante, 1l s'élève régulièrement soir et matin
deux brises, l'une venant de terre , et l’autre de
mer ; leur approche attendue rétablit l'équilibre
dans les humeurs , et semble apporter une plus
douce existence.
Les fruits aussi n’y sont pas substantieis
comme en Europe; ils seroient contraires avec
celle qualité, en épaississant la fymphe au lieu de
la délayer, Ceux de la zone torride n’ont pas
D'UN NATURALISTE. 339
les sucs si rapprochés ; ils sont pour la plupart
aqueux , et contiennent des principes élastiques
et rafraîchissans , ou bien ils sont acides et
propres à prévenir la corruption , et les maladies
inflammatoires. C’est pourquoi les corrossols, le
melon d’eau , les ananas, l’eau du coco, son
amande même , et la canne à sucre mâchée,
font le plus grand plaisir quand on a chaud. On
a de plus les citrons verts dont on fait des limo-
nades; et comme ce jus, quoique tempéré par
l'eau, seroit trop acide et point agréable, on
l’'édulcore avec du sirop de batterie si commun
dans le pays.
Nous accostämes la Galatée, où le capitaine me
recut avec son affabilité ordinaire. 11 fut très-
sensible au peut cadot que je lui apporta, et
pour faire valoir le proverbe, la sauce lui coûta
plus que le poisson, car il saisit avec empres-
sement cette occasion pour ordonner un diner
très-délicat, où le Bordeaux , le Madère , et les
liqueurs de Mme, Amphoulx ne furent point
oubliés.
Je descendis le soir à terre avec le capitaine,
et j'assistai au rosaire. C’est une procession qui
se fait aux flambeaux tous les vendredis : un
simulacre de J.-C. crucilié est porté en triomphe
par quatre soldats, au mieu d’un peuple im-
mense qui, accompagné d'un violon et d’une
336 VOYAGES
basse, chante des strophes plainuves. On entend
avec d'autant plus de plaisir cette psalmodie,
que les Espagnols en général sont parfaitement
organisés pour la musique; on peut du moins
le croire lorsqu'on a vu, ainsi que moi, trois
pauvres où même quatre, chanter en parties
différentes pour intéresser les passans à leur
sort. Pro sancté Mari& , pro sancté Trinitate,
sont ordinairement les moufs qu'ils varient à
Finfin, dans des modulauons justes , savantes
et très-harmonieuses.
Le dimanche 10 mars, nous nous prome-
nâmes après la messe sur le rivage, où nous
foulàmes aux pieds des bancs de corail blanc
oculé et de méandrites. Je visitai une campagne
nouvelle, et les bois des mornes dont la ville
est environnée. Les haies y sont garnies delianes
à réglisse (r) qui font le plus joli effet , tant par la
diversité de leur feuillage élégant, que par le
coloris brillant de leurs peutes graines, qui furent
pendant un tems recherchées en Europe pour
en faire des ornemens, tels que chaînes de
montres, colliers, bracelets, etc. Tout en con-
sidérant les nouveautés de cette nature, je fus
surpris d’un étrange étonnement; naguères le
(1) Orobus scandens, Plum. Voyez au Traité des
plautes usuelles.
de
D'UN NATURALISTE. 337
fleau des êtres soumis à l’homme, qui ne pouvoient
alors échapper à mon adresse sans être frappés
de mon plomb mortel, il se fit une telle révo-
lution dans mes systèmes sanguins et nerveux,
que l'oiseau le plus gros pouvoit me défier
impunément. Îl nrest arrivé de ürer à bout
touchant les oiseaux les moins farouches, et
de ne pas même les étonner , au point qu’aprés
mon coup de fusil, ils ne remuoient pas des
branches où ils étoient perchés , et continnoient
à me regarder, comme insultant à ma mal-
adresse. Je ne sus d’abord à quoi attribuer cet
enchantement ; et c’étoit vraiment le cas de
croire à un sortilége : tantôt je croyois mon
fusil faussé , mais le donnant à tirer à un autre
que moi, le blanc étoit criblé , et me jetoit dans
le plus grand étonnement. Enfin la chose étoit
si plaisante, que je ürai quatre coups à cinq
pas de distance sur ces gros vautours fanuliers,
dont j'avois d’abord trouvé lespèce à Charles
Town , sans les faire désemparer d’un cadavre
auquel ils étoient acharnés. Comme j'usois
inuulement ma poudre etmon plomb , je résolus
de suspendre mes excursions jusqu'à nouvel
ordre ; et je fis route vers la Galatée, où lou
m'attendoit à diner.
Les Espagnoles de moyen rang sont très-
curieuses. J’en trouvai ciuq à bord, venues
To L : 24
338 VOYAGES
pour visiter le bâtiment, et voir, dirent-elles , les
Français qui s’y trouvoient; comme j'en étois
un, et que je crus qu’elles avoient des ren-
seignemens à nous donner, je parus sur les rangs,
et je descendis promptement à la grande chambre
où j'entendois rire aux éclats : quelle fut ma sur-
prise en apercevant cinq jeunes personnes à
demi-nues, les seins à l'abandon, le cigare à la
bouche, faisant beaucoup d’extravagances avec
un padre (1) qui leur servoit de chevalier, et
plaisantoit vivement avec elles! Ce ministre
vêtu d’une robe de soie noire, et chaussé de bas
et de souliers violets, et de la même étoffe, les
agacoit d’une manière vraiment indécente. Un
nulitaire français qui se trouvoit là, demanda
au padre s’il n’étoit père qu'en Jésus-Christ, et
point en chair ? « Je le serois bien volontiers,
répondit-il , avec l’une de ces demoiselles ». Puis
iout à coup 1l se mit à folätrer avec l’une des
cinq.
Le capitaine leur ayant offert des rafraïchisse-
mens , elles burent à la ronde, en nous offrant le
seul verre qui leur servoit à tous. Ces jeunes
étourdies unrent beaucoup de proposlicencieux,
assez enfin pour que nous ne douuons plus de
leur caractere , et du moufquiles avoit amenées.
ee
(1) Prêtre espagnol,
D'UN NATURALISTE. 339
Un de nos passagers commencoit à s’enflammer,
lorsque je lui fis senur les dangereuses suites de
ces nouvelles connoissances.
Il entra le soir dans la rade une petite cha-
loupe pontée , armée de quelques pièces de
canon, qui, parmi sept prises qu’elle avoit faites
dans sa croisière, en compte une qui lui rapporte
quatre millions, et qui assure un sort à tous les
actionnaires.
Un padre ami des Français, studieux et res-
pectable sous tous les rapports, se présenta à
bord comme naturaliste; et désirant faire ma
connoissance, 11 m'apportoit plusieurs échanul-
lons des mines des environs de Saint-Yago,
parmi lesquels je reconnus une mine d’argent
gris, un fragment d’aimant naturel, quelques
malachites soyeuses, et des prismes de cristaux
de roche, couleur de topaze. La minière qui les
produisit s'appelle Crwbs, et s’exploitoit par
ordre du roi d’Espagne avec beaucoup d’avan-
tage ; mais deprus plusieurs mois on est, me
dit:l , obligé d’y renoncer par l'insurrection una-
nime des ouvriers qui y sont en grand nombre,
et qu'on ne peut réduire avec le peu de forces
qui se trouvent à Saint-Y ago. Les nègres mineurs
sortent même à présent des entrailles de la terre
pour venir assallir les passans , et ces vagabonds
quittent leur repaire ténébreux pour rendre
Y 2
340 VOYAGES
le jour témoin de leurs assassinats; car ils im-
molent tous ceux qui se présentent, et qu'ils
croyent pouvoir contribuer à leur imposer un
nouveau joug. Cette minière est à si peu de dis-
tance de la ville, que nous la distinguions facile-
ment de notre bord, et que je pris souvent la
fumée de la poudre de ces assassins armés, pour
celle des chasseurs. J’aurois bien désiré visiter ce
local sous les auspices de dom. FY*#*#*, mais
comme il n’y avoit pas de sûreté, et que son ca-
ractère sacerdotal ne m’eût pas mis à l'abri d’un
péril certain, je renonçai à ce dessein , en remer-
ciant néanmoins dom. F*** de ses bontés pour
mo.
Ce savant Espagnol n’étoit point descendu de
notre bord, que notre bon capitaine ne noûs y
croyant point assez commodément, uous offrit
jusqu'à notre départ, encore incertain pour Saint-
Domingue, un magasin qu'il avoit loué pour y
déposer sa marchandise, avec la même invitation
de venir prendre nos repas à son bord. Il poussa
plus loin la générosité ; 1l loua une négresse pour
servir et pourvoir à tous les besoins partuculiers
le nos dames.
Enfin nous éüons comblés des bontés de sir
Thomas Payne, lorsqu'on nous vint apprendre
que Mr. Manet, propriétuire d’une chaloupe
pontée, oubliant les risques qu’il avoit à courir
D'UN NATURALISTE. 341
en narguant les Anglais en station devant la baie
de Saint-Yago de Cuba, se disposoit à fure
voile pour Sete nie ue. Je le vis ; et non
seulement 1l consenut à ne recevoir le paiement
de notre passage qu'à Saint-Domingue , mais
encore 1] nous pria d’être indulgent pour le
peu de commodités que npus rencontrerions à
bord de son très-peut bâtiment, nous faisant
connoitre que pour abréger la monotorie de
: Ja traversée, et prévoir le dégoût insupportable,
triste résultat du mal de mer, il avoit fait pro-
vision cle liqueurs et autres douceurs précieuses
en pareille circonstance.
Le second capitaine me procura plusieurs
poissons qu'il prit à la higne , et parmi lesquels
se trouvoient le stromate gris (1), le baliste
l’épineux (2), l’écureuil de Bonaterre (3), très-
commun dans la rade de Samt-Yago, et qui
offre les plus jolies couleurs ; le poisson royal
de l'Encyclopédie , par ordre de maüeres,
pl. 59, fig. 155, dont le dos est d’un beau
(1) Stromateus cinereus , Linné. Poisson apode qui
a pour caractères le corps ovale, glissant, la tête petite,
les dents aiguës.
(2) Balistes aculeatus, Linn.
(2) Encyclopédie, icht. pl 135. ‘The Blue-Striped
Anthias.
À 4
342 VOYAGES
vert d’aigue marine, et tout le ventre couleur
de rose à reflets nacrés; les nageoires pecto-
rales d’un beau jaune, celles abdominales gri-
sûtres , et les dorsales vertes, et comprenant
douze rayons.
Le dimanche 17 mars, jour des Rameaux,
j'assistai à la cérémonie d'usage parmn les chré-
üens. Les colons de cette île , au heu de buis,
se choisissent des branches de palmier, que les
plus riches recouvrent de dorure ; la procession
solennelle s’observe avec dignité. C’est au retour
de l’office que je fus à bord témoim d’un beau
trait d'amour fihal. Le jeune mousse, dont j'ai
déjà parlé avee tout l'intérêt qu'il a droit d’ins-
pirer, apprenant que son père alloit être disgracié
à cause de ses fréquentes ivresses, résolut de
toucher le cœur du capitaine ; c’est pourquoi se
jetant à ses genoux, noyé dans ses sanglots, il
imploroit vivement la grace de son malheureux
ptre. Les refus ne faisoient qu'augmenter ses
instances qui furent exaucées, graces à lintérèt
que nous prenions à lui. À peine cet enfant
eut-il réussi, qu'il s’élanca dans les bras de son
père, en lui prodiguant mille caresses.
Nous jouissions avec ravissement de ce spec-
tacle attendrissant , lorsque des cris plaintifs se
firent entendre : cette voix qui venoit du bord
de la lame, étoit celle d’un matelot qui en des-
D'UN NATURALISTE,. 343
salant sa viande à l’eau de mer (1), et la
nettoyant de toutes ses impuretés, eut la main
coupée par un requin qui rodoit dans ces
parages, et avala la main et la rauon de
ce pauvre malheureux. Cet événement devroit
servir d'exemple aux nageurs imprudens qui
ont l’inconséquence de se livrer à cet exercice
dans des rades aussi dangereuses.
Le jeudi Saint 21 mars 1799, je pris du bâu-
ment la vue perspective d’une chaumnère agreste,
située au milieu des bois, sur une élévation.
Cette position enchanteresse me plut, et j'eus
beaucoup de plaisir à en mettre la copie au
nombre de mes dessins. A midi, tous les bâäu-
mens, en signe de douleur, mirent leurs vergues
en croix, et pendirent le simulacre de Judas :
c'est un mannequin revêtu qu'on représente, le
ventre crevé.
Le samedi à midi, pour mieux humilier
l'effigie de Judas, et couvrir jusqu’à sa mémoire
d’ignominie et de vengeance, on lui donne des
cales sèches et humides , au bruit de l’arullerie,
jusqu'à ce que Ja charpente mouillée se désu-
nisse; à cet anéantissement succèdent des danses
(1) Tout le monde sait que lorsqu'on vent dessaler
promptement de la morue ou toute autre chair salée ,
on ajoute à l'eau de la saumure une poignée de sel.
Ÿ 4
344 VOYAGES
et des fesuns. Les Espagnols üennent beaucour
à ce culte extérieur.
J'assitai le jour de Pâques à l'office de la ea-
ihédrale, dont par parenthèse l’évêque , qui ne
paroït qu'une Jois l’année, a cinq cent mille
pourdes de revenu pour vivre seul, retiré , ne
communiquant avec qui que ce soit; vivant sans
faste extérieur | sans suite , et pourtant dépen-
sant, On ne sait comment , les revenus qui lui
sont allonés. Au nulieu du sanctuaire s'élève un
monument pompeux, représentant, de grandeur
naturelle , la résurrection du Sauveur. Mais,
hélas ! tout ce culte extérieur est bien démenu
par la nonchalance de la plupart des padres qui
balbutient , en roupillant, leur office à mots en-
irecoupés, tandis que les plus jeunes passent en
revue, et convoitent le cercle des jeunes Espa-
gnoles.
L’après-mudi, la chaloupe pontée sur laquelle
nous avions des projets pour notre traversée de
Saint-Domingue, voulant éprouver la vélocité de
sa course , se fit poursuivre dans la rade par un
corsaire français, le meilleur voilier du port, qui
fit de vains eforts pour l’aueindre. La chaloupe
disparoissoit déjà à notre vue, etnotre mquiétude
augmentoit en la voyant s'éloigner , lorsqu’à
noire grande satisfaction nous la vimes bientôt
revenir.
D'UN NATURALISTE, 345
Le capitaine Payne étant descendu à terre, et
le second faisant moins bien la police, l'équipage
se mit en débauche, et les matelots s’emivrérent
prompiement avec de l’eau de vie. Un d’eux
n'ayant pris en amitié, vint en sanglotant me
témoigner combien 1l régrettoit de n'être point
républicain francais, au moinsai-jecru l'entendre
par ces mots : (Moi, grande vigueur pour Répu-
plique francaise ». Je ne pouvois me débarrasser
de lui, et éviter d'entendre ses complaintes
entrecoupées de soupirs. En vain je le fuyois ,
par -iout je le retrouvois, ou bien 1l me
suivoit sans cesse, en roulant sur le pont. Cepen-
dant il se piqua de mon dédam ; et pour me
prouver qu'il étoit homme de cœur , 1l feignit
un désespoir, et se jeta à la mer, non point pour
y cacher sa honte, mais pour s'y désemivrer.
Comme 1l n’étoit pas bon nageur, il eut bientôt
perdu la earte, et avaloit de l’eau salée en abon-
dance en se débatiant , lorsque son camarade,
non moins ivre que lui, mais meilleur nageur,
se plongea en pirouettant , et le ramena vers le
bord en jouant avec les flots, et faisant des tours
de passe-passe. Tous deux alors unanimement
voulurent saisir la corde de l'escalier ; mais ne
pouvant monter, ils retomboient à l’eau à chaque
nouvelle tentative , jusqu'à ce que des matelots
voisins vinrent les enlever à l’aide de leur cha-
346 VOYAGES
loupe. A peine les eut-on hissés sur le pont, qu’ils
replongèrent malgré Ja défense du second capi-
taine. On les poursuivit de nouveau; mais, pour
cette fois entiérement désenivrés, 1ls évitoient le
canot; et ne voulant point être repris , 1ls plon-
gcoient à son approche , et alloient reparoître
beaucoup plus loin. Enfin, cette scène burles-
que qui diverüssoit toute la rade à la vue des
chiens des autres bâmens , qui nageoïent vers
ces plongeurs pour les mordre , cessa à l’arrivée
du capitame , qui punit les deux matelots pour
s'être présentés nus devant nos dames , se pro-
posant de leur faire subir à leur arrivée à Charles-
Town la peine portée en pareil cas, qui consiste
à suspendre le coupable pendant trois jours à une
vergue , et à le chasser ensuite ignominieusement
du bord.
Un peu après l’équinoxe du printems, le ciel
éclairei de ses nuages sombres , promettant aux
marins une sécurité dans la navigation; les vents
furieux ayant apaisé leur furie pour faire place
à l’haleime douce du zéphyr, qui promenoit çà et
là le parfum des fleurs; les oiseaux de mer ayant
la plupart abandonné la rade devenue tranquille ;
ceux de terre reprenant leurs douces modula-
talons, excités par les charmes de la nouvelle
saison ; toute la nature, en un mot, se félicitant,
par la voix de ses créatures, du rétablissement de
D'UN NATURALISTE. 347
son équilibre ; le capitaine Manet ayant appa-
reillé son bâument pour Saint-Domingue, vint à
bord de la goélette américaine où nous étions ,
pour nous engager à profiter del’absence des croi-
seurs anglais , et d’un vent favorable qui , en
très-peu de jours, nous rendroit à notre des-
tinaton.
Le 28 mars , après nos adieux faits au brave
capitaine Payne, qui nous avoit recu si généreu-
sement à son bord , et voulut, dans son canot,
nous déposer lui-même à notre nouvelle embar-
cation , nous arrivâmes à cette petite chaloupe
pontée, dont la fragilité eût intimidé tout autre
que nous. Le bon Payne nous quitta, les larmes
aux yeux, après nous avoir donné une lettre de
recommandation en cas de prise par les corsaires
anglais.
Ne pouvant changer de place sur cette nouvelle
barque, tant le pont étoit encombré, nos pieds
même à l’ancre, baignoïent dans l’eau de mer
qui submergeoit sans cesse le pont sans rebords.
Je considérois que nous arriverions à Saint-
Domingue, toujours en déclinant, et perdant de
plus en plus les commodités d’un grand bâtiment.
En eflet, je me rappelois que dans PAdrastus,
vaisseau à trois mâts, j'avois un lit pour moi
seul ; que dansla goéletie la Galatée, nousn’avions
qu’un cadre pour deux , etque maintenant j'avois
348 VOYAGES
à combattre ma mollesse, et à la mettre à une dure
épreuve, en couchant pêle-mêle sur des tonneaux
rangés au fond de cale. Ce qui nous fit le plus
ire, ce fut l’ancre de miséricorde , qui, loin de
pouvoir servir de résistance aux flots en cas d’un
coup de tems, eût pu au besoin servir de hame-
con aux requins, tant 1l étoit frêle et léger; les
cordages n’étoient pas plus solides, et les plus
gros destinés à la manœuvre n’étoient que de la
grosseur d’un cordeau à tracer les planches du
jardinage , et les crampons des haubans formés
seulement de fil de fer appelé carrillon.
Le gouvernail étoit si peut que sa barre longue
tout au plus de deux pieds, n’avoit pas besoin,
comme dans lAdrastus , de la force de sept
hommes pour la diriger en cas de gros tems.
La cuisine, qui étoit Imterrompue à la premiere
lame, se faisoit sur une moyenne chaudière
remplie de cendres, et qui à la première vague
alla s’assurer du fond de la mer, emportant avec
elle notre diner. Les voiles n’étoient que de
grandes serviettes coupées, suivant leur forme
nécessaire. Je croyois voir marcher sur l’eau
les peuts navires de papier que font les jeunes
écoliers. Enfin , il falloit espérer en la protecuon
divine pour se rassurer sur le chapitre des
événemens. Nous partimes donc contens,
malgré le mal-aise que devoit nécessairement
D'UN NATURALISTE. 3/9
occasionner la turbulence de dix-huit passagers,
couchés les uns sur les autres.
A vantde sorur du port de Saint-Y ago ,on me
fit remarquer, vis-à-vis le magasin à poudre, un
ressif célébre dans cette contrée par l'événement
qui lui a fait donner le nom de Rocher-des-Ri-
vaux. Il est entouré d’eau, quoique pouriantassez
près du rivage. Îl fut choisi pour arène par deux
Espagnols, parens , et tous deux épris de la même
beauté, On ne sait comment ils y abordérent
sans canot, mais l'excès de leur fureur jalouse
les y conduisit. Une chaloupe ayant disparu de
la rade à cette époque, on présume qu'ils s’en
seront servis , et qu'avant le combat ils l’auront
coulée à fond , avec l’intentuion de se livrer, sur la
plate-forme , une guerre à mort. Les malheureux
s'y sont poignardés réciproquement, et leurs
corps ensanglantés ne restèrent qu'une nuit aux
injures de l'air ; car le lendemain ils furent
reconnus par un pêcheur.
Apercevant sur les côtes escarpées de larges
rigoles assez droites, j'en demandai l'usage. On
me dit que limpossililité des charrois avoit
fait imaginer ce moyen simple de rouler, du
sommet de la montagne à lembarcadere, les bois
de construcüon et autres que fournissoient eu
abondance ces côteaux riches et ferules.
\
Nous avions à bord d’excellens marins, et
320 VOYAGES
d’intrépides corsaires, qui nous racontérent les
détails surprenans de la fameuse prise d’un
vaisseau allant aux Indes, que nous vimes entrer
dans la rade de Saint-Yago, confus de la lächeté
de ses troupes , de ses canonniers , et de l’inex-
périence de ses marins. On fit, nous dirent-ils,
du beatupré de ce bâäument de sept cents ton-
neaux , ue pirogue que nous armämes, et avec
laquelle nous avons fait plusieurs prises d’une
baute valeur.
Quantau corsaire vainqueur du superbe Trois-
Mäts, il étoit si peut, qu'après l’abordage on
le hissa , comme une chaloupe , sur le pont de sa
prise.
Le caractère de ces marins est original. L’am-
bition qui met leur tête à la torture les rend lu-
natiques, car l’un de ceux qui étoient avec nous,
apercevant avec la longue vue un gros vaisseau à
l'horizon, engageoit le capitainede notre chaloupe
à mettre le beaupré sur lu, pour tenter l’abor-
dage : « Et si c’est le Pélican, ce brick anglais si
» bier armé, lui disoit un autre, comment pour-
» rons-nous lattaquer? Il y à au fond de cale
» quelques poignardsetplusieurs canons de fusil;
» nous ferons des feintes, répliqua le fou. Mais,
» reprit l’autre, on verra de près que vos fusils
» n’ontpas de chien, que nous ne sommesqu'une
» poignée de gens, et l’on dédaignera de sacri-
D'UN NATURALISTE. 391
» fier pour si peu un coup de canon; 1l faudra
» nous rendre ses prisonniers. Nous rendre,
» morbleu! s’écria avec fureur le valeureux üm-
» bré, il nous coulera pluiôt » !
Au milieu de ces beaux projets fantastiques , le
soleil se cacha dans l’onde, et à sa disparution
nous dûmes lalevée d’une brise carabinée, d’abord
favorable, mais qui bientôt nous devintcontraire;z
elle annoncoit une nuit périlleuse. La mer deve-
nue grosse, 1l falloit espérer en Dieu pour ne
point frémir, en pensant que pour cordages , on
avoit des ficelles ; pour crampons de résistance ,
du fil de fer, et pour ancre de miséricorde , der-
nier secours en cas de danger, une branche de
fer qui eût pu servir de hamecon aux poissons
qui se promenoient sur le bätiment enfoncé à six
pouces au dessous de l’eau, et marchant dans cet
état avec la rapidité de l'éclair, Agriés violemment
par la tourmente, des flots nous lancoient sur
d’autres flots , sans pouvoir échapper à leur pour-
suite active.
Qu'on se figure nos états! Mme, RY** ,incom-
modée par l'air concentré et infect de la cale,
préféra rester sur le pont, couchée dans l’eau , et
essuyer, au milieu de ses fréquens évanouisse-
mens, les visites réitérées de lames bruissanies ,
qu'on croyoit devoir l'emporter lors du passage,
le bäument n'ayant point de rebords, et d’ailleurs
399 VOYAGES
son état d'humidité permanente le rendant trop
glissant pour pouvoir se cramponner lorsqu'il
filoit sur ses flancs, tribord ou babord.
Quantà moi, accablé de sommeil, je crus être
plus en repos à la cale, mais ce fut en vain : le
bâument trop chargé menacoit de sombrer, pour
peu qu'il fit de l’eau , laquelle, malgré toutes les
précautions, pénétroit également de toutes parts.
Pour remédier à son flux immodéré, on pompoit
continuellement avec une seringue plutôt qu'avec
une pompe de bâtiment; c’est pourquoi le ca-
pitaine qui me questionnoit, apprenant de moi
l'introduction constante de l’eau à fond de cale
où j'étois submergé et cinglé par chaque vague,
se décida, en voyant les vains ellorts des pom-
piers , à clouer unetorle cirée sur l’écouulle, C’est
alors que je crus entendre fermer mon cercueil,
n’ayant pas d'autre issue pour sortir, en cas d’ac-
cident , que cette ouverture désormais cal-
feutrée. Obligé de rester couché, le ventre
sur des tonneaux, sans pouvoir lever la tête qui
frappoit le plancher, aveuglé par chaque lame
qui mesufloquoit en entrantdans ma bouche avec
violence, je nageoïs dans l’eau salée, contraint
de sausfaire à mes légers besoins, sans pouvoir
changer de position. Ajoutez à ce pémble état les
miautemens de deux chats qui, fuyant l’eau et en
eu rencontrant par-tout, venoient chercher mes
vêtemens
D'UN NATURALISTE. 353
vètemens pour se reposer de leur frayeur, puis
en étoient chassés par de nouvelles lames qui
excitoient de leur part des hurlemens effroyables.
1] fallut pourtant saisir un mieux pour æ’endor-
mir dans cette situation.
Enfin, échappés miraculeusement à la fureur
encore aluère des vagues en courroux ; à demi-
noyés dans notre barque légère, poursuivis avee
acharnement par des bätmens ennemis , nous
apercümes avec grande joie , au réveil de ceue
nuit orageuse , les premiers mornes de l’île de
Saint-Domingue. La mer encore violemment agt-
tée dans tous les sens, étant montonneuse et bruis-
sante, écràsoit, de ses flots blanchuis d’écume, les
flancs de notre petite embarcation , qu volu-
geoit à la moindre secousse. Ainsi, du fond
d’abimes profonds nous reparoissions bientôt au
sommet de lames couvertes d’époudrins d’un
beau blanc de neige , et nous côtoyons la terre,
tandis qu'un gros vaisseau à la cape, hormis un
foc , cherchoit son salut en s’éloignant de File
de la Gonave, de peur d’échouer sur les ressifs.
Après l'orage, dit-on, vient le beau tems : en
eflet , après la plus douloureuse des nuiis , avec
quelle joie je vis ces montagnes élevées chargées
de la plus riche verdure! Les papillons de File
venolent nous visiter ; et les oiseaux , par leur
Tome E Z
304 VOYAGES
ramage , nous faisoient oublier le souvenir de
uos peines. Les grands gosiers (1), les fréga-
tes (2), lescoupeurs d’eau (3), les aigrettes(4),
saluant notre réduit flottant, volugeoient autour,
et nous accompagnant dans notre course légère,
nous servoient comme de conducteurs. Je fis
grace à ces hôtes aimables, en faveur de leur bon
accueil.
Une de mes lignes ayant été avalée par un re-
quin de moyenne taille , on profita du moment
où il rodoit autour de la chaloupe , pour le
fure entrer dans un nœud coulant ; et, par ce
moyen , il fut presque hissé sur le pont ; mais
n'étant pris que sous une aile , 1l fit tant de
mouvemens qu'il glissa , et s’échappa de son
Jacet.
Nous éprouvames du calme à l’instant de
(1) Ou Onocrotale, ou pélican; Onocrotalus aut
pelicanus.
(2) Hirundo marina major; apus rostro adunco,
Barr. , aut fregata; voyez son histoire plus bas, à
Saint-Domingue : c’est un oiseau à pieds palmés, et
du genre du Fou.
(3) Larus rostro inæquali ; Rhincops de Linnæus;
Plotus, Phalacrocorax , de certains auteurs; ou bec
en ciseaux, Rygchopsalia de Catesby.
(4) PL enl. 901, Ardea alba minor, Aldr. Egretta.
Oiseau erratique du genre du héron.
D'UN NATURALISTE. 395
pénétrer dans la rade du Port-au-Prince ; c’est
pourquoi nous fmes obligés de mouiller à deux
lieues de la ville, à l'approche de la nuit, à
cause des dangereux ressifs qui l’environnent.
Je considérai avec plaisir , dans notre état de
repos , la fumée de plusieurs sucreries que les
alarmistes , même à Saint-Y ago de Cuba , m’a-
voient assuré être anéantes.
Fin du premier Volume.
RRRLUR RUE LRU IV U UE LRU RU RD
TABLE
Des maucres du Tome prenuier.
RE LI 7e
P
En s
ÉPITRE DÉDICATOIRE à S. E. Mor. le grand Chan-
celier de la Légion d'Honneur. Page 5
Préface. 4
L'Auteur fait part à M. Desdunes Lachicotte, son
hôte à Saint-Domingue , de ses observations
pendant le cours de son premier voyage. 17
Description des travats. idem.
Départ de Paris. 18
Description pittoresque des campagnes qui avoisinent
la grande route qui conduit au Hâvre de Grace. 19
Arrivée au Hävre de Grace. 27
Démarches faites pour obtenir un passage. 26
Départ de deux frégates françaises. 29
Promenades d'observations. 50
Descripüon de la chevrette et de l'orphie. 31
Canonnade du fort Savenclie. 32
Nouvelle incursion dans les campagnes des environs
du Hävre, et description de la côte des Ormeaux
d'où l’on découvre à l'horizon la côte de Grace,
au bas de laquelle se trouve le pays d'Honfleur. 33
Autre promenade au village appelé le Nouveau-
Monde. 58
Description de la côte d'Egouville, 40
Promenade aux forts de la Hêve, et description du
cabinet d'histoire naturelle et des phares. AT
TABLE 557
Retour au Hävre par le rivage. Page 44
Description des parcs ou fourrées des pêcheurs. 45
Ruses des crabes. A7
Des lépas et des anémones de mer. id.
Visite à M. Poupel, commissaire de la marine, et
traversée du Hävre à Honfleur. 49
Effets curieux de la marée montante. 50
Anecdotes d'un enfant qui tomba à la mer. St
Description de la côte de Grace. 59
Coutumes du pays d'Honfleur. 54
Visite à bord du brick la Sophia ; et poissons de mer. 7.
Qualité des melons d'Honfleur. 55
Retour au Hävre. 96
Visite à M. Leroi, nouveau commissaire de ma-
rine. 57
Cabinet d'histoire naturelle de M. Lefebvre. id.
Réception affable d’un Hamboursgeois. 60
Collection d'oiseaux de M. Lefebvre. Gt
Libéralité du Créateur envers les pauvres. 65
Description du poulpe, 64
Eutrevue de MM. Villain et Poulet. 66
Pommade conservatrice pour tout corps corruptible. 67
Imitation d'yeux d'émail pour les oiseaux. 65
Aventure de chasse. | 69
Première visite à la côte d'Egouville, chez M. Poulet,
négociant et ancien armateur. TO
Visite des parcs ou fourrées. 71
Site délicieux de la maison de campagne de M. Pou-
paz
let. 14.
Nouveau voyage à Honfleur avec M. Poulet, fils ainé.=2
ya 2 /
Retour au Hävre; joûte sur l'eau entre des canots de.
frégates, 73
395 TABLE.
Frégate lancée. Page 74
Partie champêtre à Honfleur. id.
Retour au Hävre, et orage violent. 79
Un bon père fêté par ses enfans. 80
Cale humide. SI
Désastres qui précédèrent l'équinoxe de septembre. id.
Détails sur cet équinoxe mémorable. 82
Fin de la tempête ; cueillette de fucus. 86
Anecdote d'un naufragé. id.
Du lamprillon. 86
Joûte du mät de cocagne. id.
Du crapaud , du congre et de l’orphie. 89
Du rouget, de la loche de mer et de la roussette. go
De la taupe de mer et de la mustelle. 97
Du maiquereau, de la squille mante et du coquet. 92
Du chien de mer gris, du bar, de la lune, et de la
vielle. id.
Du lièvre. 99
Vie privée d'une fouine devenue domestique. 94
Culture du Safran du Gatinais. 118
Avant = propos. 119
Idées générales. 153
Importation du Safran dans le Gatinais. 125
Description du Safran. 126
Différence du Safran et du Colchique. 193
Culture du Safran, et terrain qui lui est propre. 1d.
Qualité des oignons, différence des robes, et temi-
pérature convenable. . 154
Préparation de la terre, époque des labours. 155
Plantage. | 150
Préparation des oignons. 137
Développement des oignons, et leur floraison, 158
V
AUBIN 359
Animaux qui nusent au Safran. Page 159
Travaux de la deuxième et troisième années; ar-
rachis des oignons.
140
Usage qu'on fait des oignons. 141
Remarques sur la température. 142
Récol'e du Safran. 1d.
Cours du prix du Safran. 144
Description de la cueillette. 145
Epluchage du Safran. 146
Dessication du Safran. 145
Produit annuel. 149
Qualités exigées du Safran. id,
Maladie des oignons, le fausset. 150
Le tacon. — La mort. 191 et152
Propriétés du Safran , comme béchique. 158
Comme hystérique et emménagogue. 159
Comme diaphorétique, cordial, alexitère, céphalique ,
et ophtalmique. 160
Comme stomachique, hépatique, carminatif , et
détersif. 161
Comme résolutif, anodin , et assoupissant. 162
Le Safran considéré sous le rapport des arts. 1605
Frais de culture d’un arpent de terre à Safran. 166
Notes additionnelles sur cette culture.
169
Notes historiques sur le Safran. 177
Départ pour Bordeaux. 179
Description pittoresque de la route. 180
Arrivée à Bordeaux. 104
Embarquement à bord de l'Adrastus. 1866
Coutumes des Anglo-Américains. id.
Reconnoissance de la forteresse appelée Pate-de-Blaïe ,
et arrivée à Pouillac. 186
360 TABLE:
Détails surprenans sur une explosion de poudre à
canon. Page 160
Attente du capitaine pour mettre à la voile.
Son arrivée et celle des passagers.
Notre débouquement.
Description du Lock.
Coup de vent du 17 novembre.
159
190
Evèiement d'un matelot ballotté par deux lames en
opposition.
Tempête de la hauteur de Madère.
Sacrifice du mouton après le gros tems.
description de la foëne.
Occupations des matelots sous les vents alisés.
Détails sur notre existence à bord de l'Adrastus.
Du thon à longues oreilles,
Du poisson du soleil.
Du raisin du tropique.
Vue d'un cétacé appelé souffleur.
Prise d’une dorade.
195
196
199.
200
201
202
203
zic.
14.
204.
id.
Intempérance, résultat de notre pénurie d'alimens. 204
Nourriture grossière à laquelle nous étions con-
damnés.
Nos plaintes à ce sujet peu écoutées.
Remarques sur le paille-en-cul.
Du muge volant.
De la dorade.
Effets de la percussion de la poudre.
Utilité des octants.
Caractère d’un anti-mélomare.
Nouvelles vexations exercées envers les passagers.
Danses de caractère.
De l'oiseau de tempête.
205
L'APB TE: 361
Rencontre d'un bâtiment neutre. Page 219
Descente dans la Sainte-Barbe. 1d.
Baptême du tropique. 221
Conférence sur Mazanet, village du Languedoc. 222
De la frégate , genre des mollusques. 223
Du poisson appelé pilote. | 225
Rencontre d'un batiment. 226
Réunion pour le Saint-Jean. 227
Plaisanteries grossières envers les dames de notre
bord. 228
Cadeau d'une boîte faite par les sauvages. 224
Recette da plum-pouding. id.
Coup de vent du 28 septembre. 230
Occupations du bord. 231
Mets languedocien , appelé sanguette. id.
Trait d'égoisme le plus révoltant. 232
De l'oiseau appelé Le corsaire. 253
Description d’un soleil levant. id,
Reconnoissance du golfe de Bahama. 254
Sur la sonde des attérages. | id.
Désastres de notre chambre produits par an coup de
vent du 4 janvier. 235
Sur les trombes de mer. 257
Phare de Charles- Town. 239
Barre de Charles-Town. 240
Détails sur la ville de Charles-Town, et les mœurs
et usages du pays. 241
Du ‘Turkey-buzzard. 243
Observations sur les coutumes du pays. 244
Découverte d'une pension honnête. 249
Chant d'un jeune nègre. id.
Voitures du pays. 246
362 TABLE.
Cérémonie funéraire. Page 247
Instructions sur les Quakers. ic.
Température de Charles-T'own. 251
Le cerf vendu à la boucherie. id.
Rencontre de M. R..., mon parent. 252
Excursion ornithologique. 253
Des sparas, rossignols, cardinaux et troupiales. 254
Moralité du troupiale. 256
Visite à M. de Morphy, consul'espagnol. 257
Harangue philantropique d'un Quaker. 258
Sur le lieu destiné à la course. 259
Sur le geai bleu du Canada. id.
Sur Ja nompareille et les epeiches du pays. 260
Sur la perdrix de la Nouvelle-Angleterre. 262
Remarques sur l’oppossum. id.
Embarquement pour une course d'histoire natu-
relle. 265
De l'écureuil, appelé Le suisse, 266
De celui appelé Le petit-gris. 267
Du merle gris. 268
De l'oiseau appelé le murier. 269
De larbre à cire. zO
De l'érable à sucre. 270
Caractère d’un sauvage. 272
Moœurs d’un sauvage de la Caroline, et son adresse. 273
Coutumes anolo-américaines. id.
De l'oiseau royal, et du canard d'été. 274
Du boiciningua. 276
Tableau peint par un sauvage. 278
Confiance des Anglo-Américains. 279
Observations sur les ours du pays. 280
Des petites chèvres, appelées Cabrits. id,
TABLE, 363
Partie de chasse à l'habitation de M.de Caradeux. P.28r
Du polatouche. 282
Découverte de l’ajoupa d'un vieux nègre libre. 285
De l: bécasse de l'Amérique septentrionale. id.
Du choucas. | 266
Des bouveraux, et du robin. 207
Du troglodyte, de la fauvette de New-York, et des
oiseaux-mouches. 208
Mort funeste d’un père de famille. 202
Des sparas et des pies. id.
Du mi-jaune et de la tête-rouge. 293
Embuscade d’un nègre marron. 294.
Du duc à longues oreilles. 299
Coutumes bizarres de la Nouvelle-Angleterre. 297
Embarquement à bord de la goélette la Galatée,
capitaine Payne. 208
Prévenances de ce nouveau capitaine. 299
Beau trait d'humanité d’un de nos passagers. id.
Trait d'amour paternel. 301
Reconnoissance desiles Caïques, et vue du mêle Saint-
Nicolas, île de Saint-Domingue. 302
Visite du corsaire anglais le Pélican. 303
Description des côtes de l'ile de Cuba. 304
Rencontre d’un pilote espagnol. 305
Description de la baie. 306
Visite de soldats du fort. 307
Démarches auprès du commandant du fort, et obser-
vations. 308
Remarques sur l'intérieur des maisons espagnoles,
et les costumes. 309
Débarquement à Saint-Yago, observations sur les
: mœurs et coutumes du pays. 311
364 TA BD
De l'arbre à pain, et de la liane à eau. Page 513
Description du Warf. 514
Et des environs de la rade. 515
Observations sur les marchés du pays. 316
Prix exorbitant des logemens. 518
Démarche infructueuse auprès d'un capitaine français
partant pour Saint - Domingue. id.
Frait généreux de notre bon capitaine Thomas
Payne. 319
Nouvelles remarques sur les usages des Espagnols. 32r
De looïlle. id.
Du Tassau, et des confitures sèches. 322
Coutumes des habitans. 323
Des sapotilles, du manioc, et des citrons. 525
Promenade dans une ile voisine. 326
Du manglier. 12
Du yapou, et du tangara noir d'Amérique. 528
Du karatas et des ramiers de Cuba. 329
De la tourte et de la tourterelle. 530
Du pingouin. 931
Du todier. 2
De l'oiseau palmiste. 353
Remarques sur les fruits et la température. 354
Observations sur la procession appelée rosaire. 335
Promenade sur le rivage. 530
Effets singuliers du climat. 337
Galanterie des padres envers les dames. 838
Visite de dom F***, padre très-instruit. 359
Nouvelles bontés du capitaine Payne. 540
Poissons de la rade, 541
Cérémonies religieuses du dimanche des Ra-
meaux. 342
TABLE. 365
Accident imprévu. Page 543
Cérémonies du jeudi Saint et du jour de Pâques. id.
Joûte des chaloupes. 344
Anecdote de deux matelots anglo-américains. 345
Adieux au capitaine Payne; notre départ pour Saint-
Domingue. 347
Description de notre nouveau bâtiment. 548
Nouce sur le rocher des Rivaux. 349
Coutumes du pays. id.
Caractère de nos passagers. 350
.Gros tems de la nuit. 35#
Vue de Saint-Domingue. 353
Fin de la Table.
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ANCIENS ET MODERNES
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Avec des extraits des autres Voyageurs les plus
célèbres et les plus récens ; CONTENANT des
détails exacts sur les mœurs, les usages et les
productions les plus remarquables desdifférens
peuples de la terre; enrichie de cartes, figures
et des portraits des principaux Navigateurs ;
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 PEINE avons -nous terminé notre Histoire
Naturelle de Buflon, en 127 volumes i7-8.°,
que nous proposons à nos Souscripteurs une
Collection abrégée des Voyages anciens et
modernes autour du Monde, avec des extraits
des autres voyageurs les plus célebres et les
plus récens.
L’uulité des voyages est généralement re-
connue dans la bonne éducation : en Hsant
les écrits de Cook ou de tout autre voyageur
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célèbre, l’homme, dans tous les périodes de sa
vie, y trouvera une source féconde et variée:
d'instruction et d'agrément; l’émulationetla sen-
sibilité des jeunes gens y prendront une excel-
lente direcuon, en suivant le cours ordinaire
de leurs études ; ils apprendront à connoître
les lois , les usages des nations, les productions,
les richesses particulières de tous les climats;
et, sans s’en apercevoir, 1ls orneront leur mé-
moire des précieux avantages de la géographie
la plus exacte, à laide des cartes répandues
dans tout lPOuvrage : ils s’idenufieront en
quelque sorte avec le Genre humain ; trou-
veront-ils sur leur route un peuple heureux,
ils sentront leur cœur palpiter de joie; en le
quittant, ils seront navrés des maux répandus avec
profusion sur ce malheureux globe. Les jeunes
gens surtout, qui se destinent à l’art intéressant
de la marine, y trouveront de quoi enflammer
leur noble ambition; leur gémie sera prémuni
d'avance des grands moyens de salut dans les
tempêtes de l'Océan ; la plupart des écueils
leur seront connus, ainsi que les passages diffi-
ciles des détroits, d’un pôle à l’autre, etc. etc.
Us suivront avec sécurité les traces de ces
illustres marins qui ont rendu de si grands
services au Monde.
Le Public peut être assuré de trouver dans
PROSPECTUS. 3
cette Collecüon, une exacte descripuon histo-
rique et géographique du globe. 11 n’y aura
aucune parüe intéressante de l'Univers qui ne
soit décrite par des notes ou des extraiis des
voyageurs les plus récens et les plus véridiques ,
et démontrée par des cartes très-exacies.
L’Éditeur de cette nouvelle entreprise espère
mériter la confiance du Public, après avoir
terminé l'immense tâche, qu’il s’étoit imposée,
du Cours comPLET de l’Histoire naturelle ,
générale et particulière des trois règnes de
la Nature. Ce monument, élevé à la gloire
de Buflon et aux sciences naturelles, est une
garantie honorable de lachèvement et de la
bonne exécution de celle que nous annoncons.
L’on peut être assuré d’avance que nous n’é-
pargnons rien pour donner des Cartes exactes
et détaillées; l’expérience acquise par les figures
de notre BuFFoN, est un gage assuré de celles
dont nous décorerons cet Ouvrage : nous avons
lauenuon qu’elles représentent fidèlement le
caractère le plus saillant des différens peuples;
nous y joignons, comme ornement, les pro-
ducuons les plus frappantes des divers climais.
Enfin, l’exécution de toutes les parties de cet
Ouvrage, sera en tout conforme à celle des
quatre volumes déjà mis au jour au premier
novembre 1808,
L'on souscrit à Paris, chez Fr. Dufart père, Fditeur-
Libraire, rue et maison des Mathurins St.-Jacques.
Le prix de chaque volume ou livraison, de 500 pages
d'impression, et au moins 6 planches ou cartes géogra-
phiques, est de 6 francs, et 7 fr. 5oc., franc de purt,
pour toute la France, jusqu'au 1er. janvier 1809. Passé
celte époque, le vol. ou livr. sera porté à 7 fr. , et 8 fr.
Docs Pare de port, pour ceux qui n’auront pas souscrit.
Le rer. volume a paru le 1er. mai, le 2e. le rer.
juillet , le 3e. le 1er. septembre, et le 4e. le rer. no-
vembre 1808, les autres paroissent successivement de
deux en deux mois.
L'on souscrit également
Villes. Libraires. Villes. Libraires.
à Rouen, chez Vallée frères. à Angers, Fourrier-Mame.
Idem, Renault. Clermont, Rousset.
Caen , Mannoury. Tours, Pescherard et Mame.
Lyon, Maire. Bruxelles, De Mat.
Idem, Yvernault et Cabin. Idem, Le Charlier.
Idem, Garnier. Liège, Colardin.
Bordeaux, Melon. Idem, Desoer.
Idem, Bergeret. Cologne, Keil.
Toulouse, BonnefoietPrunet. Mons, Hoyois.
Agen, Noubel. Douai, Tarlier.
Bayonne, Bonzom. Mayence, Simon Müller:
Idem, Gosse. Cambray, Hurez.
Nismes, Melquiond. Strasbourg , Levrault.
Lille, Wanakere. Idem, Treutel et Wurtz.
Dunkerque, Frémaux. Perpignan, Alzine.
Montargis, Gille. Toulon, Curet ( Alex.)
Genève, Manget. Brest, Egasse frères.
Saint-Malo , Hovius. Amiens, Wallois,
Limoges, Bargeas. Idem, Carron Brunelle.
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à Hambourg, Perthès frères. à Berlin, Umlang.
Idem, Hoffmann. Stockolm, Ulrich.
Londres, De Boîte. Copenhague, Brummer.
Idem, Deconchy. Milan, Margaillan.
Idem, Dulau et Compag. dem, Giegler.
S.-Pétersbourg,Klostermann. Génes, Gravier.
Moscou, Bouvat. Naples, Romilly.
Leipsick, Besson. Florence, Faure frères.
Idem, Grieshammer. Lisbonne, Borel frères.
Turin, Bocca. Idem, Angelotty.
Madrid,v°.Ramos de Agullera. Barcelone, au Bur. du Jour.
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NOUVEAU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE,
ou Représentation fidelle des Etres les plus remarquables
dans les trois Règnes de la Nature ; en figures coloriées
syr planches, dessinées par M. DEsève, et autres habiles
Artistes ; comparées aux Originaux , et approuvées par
MM. LacéPpèps, DESFONTAINES, MAUJAS-SAINT-FOND,
G£orroy, OLiviEr et Bosc; avec une Introduction à la
tête de chaque Règne et de chaque Classe ; un "Fableau-
Sommaire à la fin de chaque volume, et un volume
de Notices à la fin de l'Ouvrage ; par B. E. Manuer.
Dédié à S. M. l'EMPEREUR des Français et ROE
d'Italie, etc. Prix, 6o fr. par chaque vol , de cent planches
au moins.
La Collection complette contiendra 18 vol. SAvorr : La classe
des Quadrupèdes ou Mammifères , en y comprenant les Singes ,
les Chauves-souris et les Cétacées , 3 volumes. Les Oiseaux, cette
partie si brillante , si variée et si riche en couleurs, formeront
4 volumes ; les Reptiles , les Poissons et les Mollusques , 3 volu-
mes ; les Insectes et les Vers , 2 vol. Le Règne Végétal, 5 vel.,
et le Règne Minéral aura 1 vol., en y comprenant ce qui doit se
rapporter à la haute minéralogie. Ainsi la collection générale , dans
sa plus grande latitude , n'ira pas au-delà de 18 volumes ; et comme
Von ne payera qu’un volume à la fois, la dépense ne sera pas un
grand obstacle pour ceux qui auront envie de se donner une aussi
louable satisfaction.
Ce vaste et brillant dépôt sera particulièrement attaché
et servira d'appui à tous É ouvrages publiés ou à publier
sur toutes les parties des sciences naturelles. L’amateur ou
cultivateur de l'histoire naturelle y trouvera une instruction
aimable , aussi facile que prompte; il ne sera pas repoussé
dès l'avenue de la science, par des descriptions fasti-
eieuses, qu'il ne peut ni suivre ni saisir. Dans un coin de
(2)
sa Bibliothèque 1l aura un cabinet immense qu'il pourra
ouvrir et consulter à son gré, et qui ne sera jamais EXposé
à aucun dégât. Ce répertoire piltoresque des plus ravis-
santes productions de la Nature, sera d'un grand secours
pour les arts d'imitations ; pour les manufactures de pa-
piers, toiles ou étoffes peintes; de faïences et porcelaines ;
de la broderie en tous genres sur laine ou la soie, aux
eintres et décorateurs. Quelle source de récréations et
Meeuctions dans les maisons d'éducation de tous les pays!
Et ces fleurs artificielles destinées à parer de leur éclat ce
qu'il y a de plus aimable, que d'attraits perdus, que de
charmes de moins , si elles n’ont pas ceux de la nature
même |
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ET MODERNES AUTOUR DU MONDE, avec des
extraits des autres Voyageurs les plus célèbres et les plus
recens; CONTENANT des détails exacls sur les mœurs,
les usages et les productions les plus remarquables des
différens peuples de la terre; enrichie de cartes, figures
et des portraits des principaux Navigateurs ; douze vol.
in-80. Le prix de chaque volume où livraison de plus
de 500 pages d'impression , avec 6 planch. ou cartes géo-
graphiq. , est de 6 hv.et7L. 105. fr. de port. Le premier
volume a paru le premier mai; le deuxième, le premier
juillet; le troisième, le premier septembre; et le qua-
trième , le premier novembre 1808 ; les autres paroissent
successivement de deux en deux mois.
Voyez ci après le Prospectus de cette Collection de Voyages.
VOYAGES D'UN NATURALISTE, et ses Observa-
tions faites sur les trois règnes de la Nature, dans plusieurs
ports français, au continent de l'Amérique septentrionale,
à Saint-Yago de Cuba , à Saint-Domingue , et dans
une pautie de l'Espagne; dédiés à son Excellence Mon-
seigneur le Comie de LAcÉPÈDE, grand Chancelier de la
Lésion d'Honneur, membre du Sénat, de l'Institut, etc. ;
par M. E. Descourrizz, ex-Médecin Naturaliste du
Gouvernement, et fonditeur du Lycée Colonial à Saint-
Domingue. Six volumes in-80.,avec 14 à 10 planches par
chaque volume, d'objets nouveaux d'Histoire Naturelle,
etqui n'ont été figurés dans aucun autre Ouvrage ; dessinés
par l'Auteur lui-même, d'après nature. Prix, 6 fr. par
chaque volume que l'on paie à mesure qu'ils sont mis au
jour. Voyez ci-après le Prospectus de cet Ouvrage.
(3)
COURS COMPLET D'HISTOIRE NATURELLE, ou
Histoire naturelle, générale et particulière ; CONTENANT,
10. Toutes les Œuvres de LECLERC DE Burron, dans
lesquelles les Supplémens ont été insérés à la placé indi-
quée par l’Auteur lui-même : 20. Les Notes et Additions
nécessaires pour que l'ouvrage de Buffon fût au niveau
des connoissances acquises depuis sa publication: 50. Enfin,
l'Histoire naturelle des Poissons par Lacépède et Sonnini ,
des Reptiles par Daudin , des Insectes par Latreille, des
Mollusques et Coquillages par Denis Montfort et Félix de
Roissy, et des Plantes par M. Brisseau Mirbel. Rédigé
par SonniNt, membre de plusieurs Académies et Sociétés
savantes et littéraires de l'Europe, l’un des Collaborateurs
de Buffon pour la partie ornithologique. 127 vol. in-80.
Le prix avec fig. en noir, 635 fr. ; avec les fig. coloriées,
1,200 fr. ; et avec le texte et les fig. noires et coloriées,
vélin, 2,400 fr.
Quoiqu'il n'existe point d'ouvrages litiéraires à meilleur
marché que celui-ci, l'acquisition en devient très-2énante
par son étendue ; par cette considération, lon pourra
souscrire en tout tems et retirer partiellement le nombre
de volumes que l'on pourroit désirer , si mieux lon aime
jouir de suite de toute la Collection, en contractant de
petits engagemens avec l'Editeur, à des époques conve-
nables, qui s'en contentera moyennant évidence de sureté ;
enfin, l'on pourra aussi se donner cette honorable satis-
faction, en en faisant l'acquisition par parties séparées.
Cette vaste entreprise, dont l’exécution a duré près de neuf
années, a dù lasser par sa longueur beaucoup de Souscripteurs >
d’autres ont été déplacés et éloignés de leur résidence habituelle,
et enfin plusieurs sont morts dans ce long intervalle de tems : de
sorte qu’il se trouve beaucoup d’exemplaires incomplets, soit entre
les mains de ceux qui ont primitivement souscrit, ou entre celles
de leurs Cessionnaires. L’Édiieur engage toutes les personnes qui
se trouvent avoir de ces exemplaires, de s'adresser directement à
lui pour se compléter; elles peuvent être assurées d'avance qu’il
fera tout ce qu’il dépendra de lui, soit pour le prix, soit pour leur
donner les facilités raisonnables, moyennant évidence de sûreté.
Il croit devoir donner encore ici l’ordre des matières de cette
Collection.
Théorie dela Terre . . . .. 3 vol. . Animaux .. . . . 1 yol.
Epoques de la Nature. . . 1 De l'Homme ... 4
Introduc. aux Minéraux... 1 Quadrupèdes . .. 13
Partie expérimentale. . . 1 SITSÉS Re. ele
Partie hypothétique . .. 1 Oiséaute 47. 7129
9
HÉÉTAUL Ie ie cs so e
(4)
De Pautre part, 62
Histoire Naturelle des Poissons et des Cétacées. . . 14
Éistoireinaturelle des Reptiles..." NP ONIMAR,S
Histoire naturelle des Mollusques, . . . . . . . 6 63
Histoire naturelle des: Insectes. .« + « . + + ...!. 14
Histoire naturelle des Plantes... RTS
C4
Hables /Analmtiques ,NCrCR CCR 0
LorA\L "127
PARTIES SUPPLEMENTAIRES AUX ŒUVRES
DE LECLERC DE BUFFON, qui se vendent séparé-
ment en faveur de ceux qui possèdent les anciennes
éditions de ce savant Naturaliste , de ceux qui ne cul-
tivent que l'une des parties, ou enfin de ceux qui
désirent avoir la facilité d'acquérir la Collection, de
loin en loin.
Histoire naturelle : née et particulière, des Poissons et des Cë-
tacés , par Lacépède et Sonnini , 14 vol. in-8 , fig. 8 fr.
— Le mème Livre avec fig. magnifiquement coloriées ; 160 fr.
Histoire générale et particulière des Reptiles, par Daudin, 48 F.
- Le même Livre , avec fig. magnifiquement color. sur planch. 88 f.
Histoire naturelle , générale et particulière , des Plantes , par C, F.
Brisseau-Mirbel , , 18 vol. fig. 90 f.
— Le même Livre, avec les fig. magnifiquement color. Ya ire
Histoire naturelle” , générale et particulière, des Mollusques , par
Montfort et Félix de Roissy ; 6 vol. in-8 , fig. , 56 fr.
— Le mème Livre, fig. magnifiquement coloriées ; A2NT.
Histoire naturelle, générale et particulière des Crustacés et Insectes ,
par F. A. UE , membre associé de l’Institut de France, des
Sociétés linnéennes de Londres, etc. 14 v. in-8 , BAS.
— Le mème Livre, fig. magnifiquement coloriées , 140 fr.
Histoire naturelle des Singes, 2 vol. in-8 , avec 70 fig. vél. 72 fr.
Histoire naturelle des CETACES , 1 vol. ë7-8, fig. GNT,
— Le méme Livre, fig. cmprimées en couleur, 9 fr.
LIVRE DE FAMILLE, ou Lectures récréatives, propres
à l'instruction et à la Da éducation des ne et des
adolescens de l'un et l'autre sexes, recueillies principa-
lement des Œuvres de Berquin, et autres Ecrivains
célèbres; avec 36 gravures. Dédié aux bonnes mères.
4 vol. in-80. (Pour paroître dans le courant de janvier
1809 ). 6 fr.
AUX BONNES MÈRES.
C’est à vos tendres soins que le ciel confie l'éducation de vos
enfans; si vous n’aidiez de vos sollicitudes , en veillant sans cesse
sur le zèle des maitres à qui vous confiez cette importante fonc-
ton, vous seriez bientôt déçues de toutes vos espérances. La
tendre reconnoissance de vos enfans sera la juste récompense que
Dieu à gravé dans leur jeune cœur : elle seule vous avertira
constamment du plus ou moins de constance que vous mettrez
dans ce devoir sacré. Ce livre vous aidera, en le lisant à vos
enfans dans Îes momens consacrés au repos ; vous y trouverez
vous-mèmes les récréations les plus douces, eu les partageant
avec eux.
(59
Tivres de fonds et d’assortimens du même Libraire.
Abécédaire , contenant, avec la figure des objets les plus communs,
et leurs noms inscrits au milieu , l’histoire naturelle des animaux
domestiques les plus connus , mis à la portée de l'enfance, pour les
commençans dans les écoles primaires ; adopté par le gouvernement;
dixième édition 6o c.
Abrégé (nouvel) de toutes les Sciences, précédé d’un discours sûr la
Religion, avec une connoissance exacte des gouvernemens, et un
état précis de celui de l’Angleterre ; ouvrage à l’usage des maisons
d'éducation, et dont Sa Sainteté Pie VIT a bien voulu accepter la
dédicace , etc.; par Barthelemi de Grenoble, auteur de la Gram-
maire des Dames, etc. etc. gros vol. in-12. Lyon, 1808. 2 fr. 5o c.
Abrégé (nouv.) chronologique de l’histoire et du droit public d’Alle-
magne, par Pfeffel ; 2 vol. in-4. cart. 20 fr.
Abrégé de VHistoire d'Italie, par Saint-WMarc, 6 vol. in-8. 27 f.
Abrégé du Système de la Nature de Linné, par Gilbert. Lyon et
Paris, 1802 : un fort vol. in-8, fig. otre
Abrégé de la Géographie, à l’usage de la jeunesse , par l’abbé Nicole
de la Croix , nouv. édition considérablement augmentée ; in-12. 1 f.
Académie des Jeux , nouv. édit. 3 vol. in-12, fig. tte
Adèle et Théodore, par madame de Genlis; 3 vol. in-8. 15 f.
Agronome (l’), ou Diction. portatif du cultivateur ; 2 vol. in-8. 10 f.
Ami (1) de l'Enfance, par Dulaurent; in-8. 6o c.
Amours (les) de Pierre le Long et de Blanche Bazu, in-12. 1 fr.
Amours pastorales de Daphnis et Chloé, traduction nouv. par Pierre
B**, avec fig. dessinées par Monsiau , et gravées par Poquet,
etc. in-16. Londres. JP 40 C
Amours de Psyché et de Cupidon , 2 vol. in-18 , 4 fig. 1150 €
— Le même Livre , petit i7-8 , fig. 3 f. pap. vél. 4f.
Amusemens des dames dans les oiseaux de volière , in-12. Ch
Année (1°) la plus remarquable de ma vie, suivie d’une réfutation des
mémoires secrets sur la Russie, par Aug. de Kotzbue; 2 vol, in-8.
avec les portraits de Kotzbue et d'Alexandre Ier. Paris, 1802. 6,
— Le même, 2 vol. in-18. DE
Arithmétique (l) des premières écoles et des écoles secondaires,
approuvée du ministre de l’intérieur, par Guillard ; 1 vol.in-8.4f.
Art (1) du blanchiment des toiles, fils et cotons de tout genre,
rendu plus facile et plus général, au moyen des nouvelles di-
couvertes ; par Pajot-des-Charmes , avec 9 planch. 6£
Art de tenir les Livres en parties doubles, par Ruelle; ouvrage
le plus clair et le plus simple, in-4°. Lyon, 1805. Où,
Atlis moderne portatif composé de 28 cartes sur toutes les parties du
Globe terrestre , et de 3 cartes astronom. avec une Introd. sur Ja
connoissance de la sphère et de chaque carte enluminée. 10 f,
Idem , à l’usage de ceux qui veulent apprendre Ja géographie,
par Bartholon , nouv. édit. très-augm. in-4, oblong. 9 f.
Atlas, ou Recueil de cartes géographiques, plans, vues et médailles
de l’ancienne Grèce, relatifs au voyage du jeune Anacharsis;
récédé d’une analyse critique des cartes; in-4. ONE:
Cet Atlas est indispensable à tous ceux qui possèdent l’intéres-
sant Voyage du Jeune Anacharsis, sans Atlas, soit dans les édi-
tons in-8., in-12 et in-18 , auxquelies il est adapté.
(6)
‘Aventures de Télémaque, par Fénélon, avec les notes de Coste,
jolie édition ornée de 12 charmantes fig. in-12. Paris, 1803. 5f.
Aventures surprenantes de Robinson Crusoé, fig., 4 vol. in-12. 8f.
Bachelier (le) de Salamanque, par Le Sage ; 4 vol. ir-18. & £.
Baisers (les) précédés du mois de mai , poëme , augm. d’un suppl. et
orné de très-belles fig. et vignettes , par Dorat, gr. in-8. Gf.
Banque (la ) rendue facile, par Giraudeau , in-4. 12 f.
Bélizaire, par Marmontel; in-18. lof,
Bibliothèque (nouvelle) des Romans , les 80 premiers vol. in-12.132f.
Buffon des écoles , à l’usage de la jeunesse, 2 vol. in-12, avec 132
figures en taille-douce. 6 f.
Camille ou le Souterrain , suivi d’Ambroise ou voilà ma journée. 6oc.
Catéchisme historique, en français, contenant en abrégé l’histoire
sainte et la doctrine chrétienne , par Claude Fleury; in-12. rf.
Causes (les) célèbres et intéressantes , avec les jugemens qui les ont
décidées : cet ouvrage a été de nouveau rédigé par M. Richer; 22
vol. in-12. &ë f.
Charmes (les) de l’enfance et les plaisirs de l’amour maternel, par L.
F. Jauflret, avec l’allemaud à côté, en faveur de ceux qui désirent
apprendre agréablement et facilement les deux langues, 4 vol. in-18.
très-Jolie édition. 5.f.
Chefs d'œuvre (les) dramatiques de Charles Goldoni, traduits pour la
première fois en français par Amar, avec le texte à côté , la traduc-
tion et des notes instructives ; in-8. 5 vol. Lyon, 1804. 12 Ês
Ciceronis Epistolarum selectarum, libri tres. in-24, jolie édition
interlignée, 1808. 5o c.
Commerce (le) et le gouvernement, considéré relativement l’un à
Vautre, par Condillac; 2 vol. in-18. TND ONCe
Comte (le) de Gabalis, ou entretiens sur les sciences secrettes; in-12.
mi 20ic.
Confidences philosophiques, quatrieme édition revue et augmentée,
2 vol. in-8. 6 f.
Considérations chrétiennes, par Crasset; in-12. 4 vol. TON:
Contes et nouvelles en vers de Lafontaine , 2 vol. in-18, avec 80
Hg. CEE
Contes moraux , par Marmontel, nouvel édit. considérablement
augmentée de nouveaux contes trouvés dans les papiers de lau-
teur après sa mort; 6 vol. in-18, fig. 10 f.
Cours d’études encyclopédiques, par Pagès. Paris, in-8. 6 vol. avec
un atlas de 64 planches ou tableaux. 30:
Cours de morale religieuse, par M. Necker, édition revue et cor-
rigée , 3 vol. in-8. Paris, 1801. 1) iQ
Délits (des) et des peines, trad. de l’ital. de Beccaria , in-8. DT.
Description et usage d’un cabinet .de physique expérimentale, par
Sigaud-de-Lafond , 2 vol. in-8 , avec un grand nombre de pl 9f.
De Viris illustribus urbis Romæ à Romulo ad Augustum, ad usum
sextæ scholæ, auctore Lhomond; in-24. 75 c.
Dictionnaire (nouveau ) portatif, de la langue française , composé
sur la dernière édit. de l’Abrégé de Richelet , par Wailly, entière-
ment refondu d’après le Dict. de l’acad., celui de Trévoux, etc.
2 v.in-8, par C. M. Gattel; Lyon , 1803, 15 f., le mème, rel.18f.
Dictionnaire raisonné de Pharmacie Chimique,Théorique et Pratique,
à l’usage des médecins et chirurgiens éloignès des pharmacies,
et pour les élèves; in-8. 2 vol. Lyon. 1804. ONE:
Dictionnaire instructif pour apprendre ce qui se pratique daus
l'office; in-8, 4 E
(7)
Dictionnaire des merveilles de la nature, nouvelle édition, pa
Sigaud de Lafond, professeur d'histoire naturelle, etc.; 3 vol.
in-8. 126
Dictionnaire raisonné d'Histoire natur., conten. Vhist. des Animaux,
des Végétaux et des Minéraux, celle des Corps célestes, des Mé-
téores, et desautres principaux phénomènes de la nature; avec l’his-
toire des Drogues simples et celle de leur usage en médecine, dans
l’économie domestique et champêtre, et dans les arts et métiers ;
par M. Valmont de Bomare. Dernière édition de l’Auteur , consi-
dérablement augmentée. Lyon, in-8. 15 gros vol. caractère de
cicéro. 7 f.
— Le même, 2n-8. 15 vol. petit romain gros œil. 6o f.
— Le même, Lyon, in-4, 8 vol. 80 f.
Dictionnaire Français-Lspagnolet Espag.-Franç., avec l'interprétation
latine de chaque mot, rédigé d’après le Dictionnaire de VAcadémie
royale Espagnole et celui de l’Académie Française; nouvelle édition
considérablement augmentée , dans laquelle on a inséré la pronon-
ciation écrite des mots de lune et de l’autre langue, par C. M.
. Gattel; ouvrage supérieur à tous les Dictionnaires de ce genre qua
ont paru. Lyon, 1804. in-4, 2 vol. de 2000 pages. 36 f.
Dictionnaire (nouveau) Français et Allemand , composé sur celui de
l’Académie Française et celui d’Adelung, etc. par Frédéric Schwan;
in-#.7 vol. Manheim, 1781 et suiv. 80 f.
Dictionnaire historique des Grands Hommes, par une Société de gens
de lettres; 13 vol. in-8. Lyon, 18or. 80 f.
Dictionnaire de Botanique, avec les termes techniques. CEE
Dictionnaire Anglais et Français, par Boyer; 2 vol. in-4. 56 f.
Dictionnaire anglais - espagnol et espagnol-anglais, par Gattel.
Paris, 1803, 2 vol. in-16. 7 {50 c.
Dictionnaire de poche, anglais-français et français-anglais, par
Nugent; 2 vol. in-16. Paris, 1804. 7 f.50 c.
Dictionnaire portatif et de prononciation italienne-française et
française-italienne , par Cormon et Vincent Manni, 2 gros vol.
in-8. à deux colonnes et de quinze vents pages. Paris, 1802. 16 f.
Dictionnaire de poche français-italien etitalien-français, ou abrégé
de celui d’Alberti, 2 vol. in-16,trois édit. Paris , 1803. 7 f. do c.
Dissertations de Maxime de Tyr, philosophe platonicien , traduites
sur le texte grec, avec des notes, par Combes-Dounous; 2 vol.
in-8. Paris, 1802. 9 f.
Dissertations critiques pour servir d’éclaircissemens à l’histoire des
Juifs, par M. de Boissi; 2 vol. in-12, 5 f.
Discussions importantes débattues au parlement d'Angleterre par
les plus célèbres oratears depuis trente ans, renfermant un choix
des discours, adresses, motions, répliques , etc. sur la situation
de la France; 4 vol. in-8. 15 £.
Ecole des Mœurs où Maximes de la Sagesse, par feu l’abbé Blan-
chard ; nouvelle édition totalement refondue et considérablement
augmentée. Lyon, 180%, in-12, 6 vol. fig. 12 f.
Education chrétienne à l’usage des maisons d'éducation de lun et de.
Pautre sexe, par l’auteur de l'Ecole des Mœurs ; 1808, in-12,
2 gros vol. Date
Elémens de la Grammaire latine de Lhomond, dernière édition,
vol. in-12. relié en parchemin, 12010
Eliezer et Nephtaly, poëme trad. de l’hébreu , suivi d’un Dialogue
entre deux chiens, nouvelle imitée de Ceryantes ; ouvr. posthume
a Lu
, de M, de Florian, in-8. di,
\
(8)
Fmma ou l’Énfant du malheur, 2 vol. in-18. 26
Encyclopédie de la jeunesse, ou abrégé de toutes les sciences, à
l'usage des écoles des deux sexes; par P. J. R. Masson; nouv. édit.
considérablement améliorée dans la géographie, Yhistoire , la
mythologie , les mathématiques, l’histoire naturelle, la physique,
la chimie , etc- etc. augmentée de larchitecture, de l’hydrogra-
phie et d’un dicticnn:ire géographique de la France, avec une
mappemonde et des fig. grav. par Tardieu. Paris, 1804; un gros
vol. in-8. É.
Enéide (|) de Virgile , traduction de Desfontaines, 1 vol. in-8. 4f.
Entretiens de Zimmermann avec Frédéric le Grand , peu de jours
avant sa mort; in-18. 121
Epitome de Dus et Heroibus poeticis seu appendix ad Ovidium ,
auctore Jouvency ; in-8. AS
Epreuves (les) du sentiment, suivi des Nouvelles historiques et des
Epoux malheureux; par Darnaud. Paris, 1803. 11 vol. in-12.
30 fr.
Erreurs (des) de la vérité, ou les hommes rappelés au principe uni-
versel , suivi de l’homme du désir; 5 vol. in-8. SFR DOÏIC-
Essai sur les convenances grammaticales de la Langue française, par
Bréville. in-12. Lyon, 1802. 2 JON
Essais sur la poésie et la musique , par James Beattie; un vol. in-8.
Paris, 1787. Lo) 2h
ÆEtudes de la Nature, nouv. édit., revue et corrigée par Jacques-
Bernardia de St.-Pierre , avec 10 pl. , Paris, 1804, 5 v.in-8, 5of.
Etudes de l’homme physique et moral, considéré dans ses différens
âges ; par J. P. Perreau, professeur supplémentaire au collége de
France , du droit de la nature et des gens; in-8. 4 T.
Expériences physiques et chimiques, par de Puisieu; 3 vol.in-12,
fig. Paris. 7 £ So c.
Fables (les) de la Fontaine , 4 volum. 7-8 , pap. vélin, magnifique
édit. , ornte de 276 fig. exécutées sur les dessins de Vivier,
par Simon et Coiny, relié par Bradel. 110 f.
— Les mêmes, 6 v. in-16, pap. vél., avec les mêmes fig. , rel. 8o f.
— Les mêmes, 2 vol. in-18 , fig. 2H 00)0eb role R0DiC
L'ables d'Antoine Vitalis , in-8. he
Fables de Dorat , 2 vol. grand in-8 , édition ornée de grav. et de
vignettes superbes , rel. par Bradel. 20 f,
Fablier de l'Enfance, ou Choix de Fables en vers et d'Apolosues des-
tinés à l’éducation , par Berenger, auteur de la Morale en action.
Lyon, 1808, in-12 de plus de 500 pages, petit rom., avec fig. 6 £.
— de la Jeunesse et de l’Âge mür, ou Choix de Fables en prose , tiré
des meilleures sources, par le mème. Lyon, an IX -1808 ,in-12,
2 gros vol. avec fig. Gf.
Félicia, où mes fredaines, jolie éd. et belles fig. 4 vol. in-16. 10 f,
— Le mème livre, papier vélin. 16 f,
Fontenelle, Colardeau et Dorat, ou Éloges de ces trois écrivains
célèbres ; ouvrage renfermant plusieurs anecdotes non connues ,
et pouvant être utile aux personnes qui étudient la littératnre
francaise, précédé d’une lettre que le célèbre et infortuné Bailly
a écrite à l’auteur au sujet de l’éloge de Fontenelle, et suivie
d’une vie d'Antoine Rivarol. Paris, 1803; in-8. DU:
Galerie des antiques, ou esquisse des statues, bustes et bas-reliefs,
fruits des conquêtes de Bonaparte en Italie, par Augustin Legrand;
un vol, grand in-b, 10 £
(9)
Géographie élémentaire, à l’usage des jeunes gens de l’un et de l’autre
sexe ; avec la division de la France en départemens; la population,
l'étendue, les contributions, les constitutions, les mœurs, les
religions et les produits agricoles et commerciaux des différens
pays de la terre; les arbres qui croissent dans chaque pays , les
animaux sauvages qui y vivent, et les animaux privés qu’on y élève;
suivie d’une table alphabétique de toutes les villes, principalement
de tous les départemens ; d’une description des rivières, d’un traité
de la sphère, d’un vocabulaire des mots dont l’usage n’est point
familier à la jeunesse ; d’une division de l’année, d’une nomencla-
ture des nouvelles mesures, et enrichie de huit cartes géogra-
phiques ; par Hassenfratz; 4e édit. corrig. etaug. ,in-12. 5f. 5oc.
Géographie universelle exposée dans les différentes méthodes qui
peuvent abréger l’étude et faciliter l’usage de cette science , avec le
secours des vers artificiels et un traité de la sphère, par Buficr;
un gros vol. in-12. Lyon. 21.90€.
Géographie de l'Enfance, in-12. ff. 50 c.
Géographie univ. , trad. de l’allemand de Busching , 16 v.in-8, 60 1.
Gérard de Nevers, par Tressan, petit in-0. avec 4 fig. dessinées par
Moreau. 5 f., et papier vélin, 5 f.
— Le même livre in-18. Go €.
Gonzalve de Cordoue, ou Grenade reconquise, par M. de Florian,
belle édit. ornée de fig., dessinées et grav. par les meilleurs ar-
tistes dé Paris, 2 vol. in-8, 1805. 19
— Le même livre sur papier vélin. if
Grammaire et leçons préliminaires, par Condillac, mise à l’usage
des élèves des prytan. et lycées franç., 1 v. ë7-12, Paris , 1805, 5f.
Grammaire de Vénéronni, ou le Maitre Italien ; par Gastel. in-8.
Lyon, 1805. DIT,
Grammaire (nouvelle) allemande, ou méthode pratique pour ap-
prendre facilement cette langue, nécessaire à présent plus que
jamais ; augmentée de dialogues accentués à l’usage de ceux Gui
possèdent la langue française ; un vol. in-12. o24.,etrelié, 54.
Crrammaire générale et raisonnée, de Port-Royal, par Arnault ct
Lancelot; précédée d’un essai sur l’origine et les progrès de la langue
française, par M. Petitot, etsuivie d’un commentaire de M. Duclos,
auquel on a joint des notes ; un vol. in-8. Paris, 1803. 5 +.
Guide (le) de l’histoire, à l’usage de la jeunesse, etc. 3 vol. in-8.
JOiÉs
Herman d'Una, trad. de V'Allemand ,2 vol. in-12 , fig. &i.
Heures à la Dauphine, un vol. in-18, belle édition. TND 0IG.
Histoire naturelle du GENRE HUMAIN , ou Recherches sur ses
principaux fondemens physiques et moraux, précédée d’un dis-
cours sur la nature des êtres organiques, etc. par J. J, Virey,
2 vol. in-8 , avec 14 belles planches. 12 1r.
Histoire particulière de l’Abeïlle commune, considérée dans tous ses
rapports avec l’Hist. générale de l’homme , fig. 2 v. in-8. 8 fr.
Histoire de Charles XIT, roi de Suède, par Voltaire, avec les notes
de M. de la Motraye; 2 vol. in-12, ornés d’un portrait. Lyon, 1$o7.
2) HAMTONCE
Histoire des révolutions de Suède ; in-12 , 2 vol. JET
Histoire des premiers peuples libres qui ont habité la France,
par J. Ch. Lavaux. Paris, 17996; 2 vol. 10 f.
Histoire d'Italie, depuis la chute de la république romaine jusqu’anx
premières anuées du dix-neuvième siècle , par Aut, Fantit
Desodoërs; in-8. Paris, 9 vol. 1805. 4S
(10) |
Histoire des expéditions d'Alexandre, rédigée sur les Mémoires ds
Ptolémée et d’Aristobule, les lieutenans , par Flave Arrien de
Nicomédie , traduction nouvelle, par P. Chaussard ; 3 vol. in-8.
et Atlas. Paris, 1802. 5of.
Histoire des révolutions d'Angleterre , par le P. d'Orléans; 4 vol.
in-8. 6 £.
Histoire du canal du Midi, par le général Andréossi; un vol. in-8.
avec une belle Carte gravée par Tardieu. 6 £.
Histoire de l'empire de Russie, sous le règne de Catherine IT, età la
fin du dix-huitième siècle, par le révérend M. Tooke, membre de
la société royale de Londres, dédiée à S. M. I. Alexandre premier ;
à vol. in-ù 52 f.
Histoire des insectes utiles à l’homme, aux animaux et aux arts, par
Buc’h6z; in-12. 2 f.
Histoire du Petit Jéhan de Saintré et de la dame des Belles Cousines;
in-18, fig. 6o c.
— Le eme livre petit in-8. fig. dessin. par Moreau. 2 f.
— Le même, papier vélin. 4 £.
iistoire abrégée des Républiques anciennes et modernes, où l’on
voit leur origine et leur établissement , et les causes de leur ve
par Bulrd ; 4 vol. in:18 , fig.
Histoire des animaux d'Aristote, avec la traduction française, pe
M. Camns ; 2 vol, in-4.
Histoire de Gilblas de Santilane, par Le Sage; 6 vol. in18. 7 £. 5o c.
Historicttes et Conversations , par Berquin , 5 vol.2n-18, 4f.
Ilygiène domestique , ou l’art de conserver la santé et de prolonger
la vie, mis à la portée des gens du monde, ouvrage quicoutient ,
entr'autres choses utiles, des préceptes simples et raisonnés sur
Yéducation physique des enians , l’usage des bains, le choix des
alimens, la conservation des yeux, et la direction des affections
de lame; trad. de l'anglais, du doceur Willich, augm. par
M. Itard, médecin de l’ins'it. etc.; un fort vol. in-8. Der.
Idylles et Romances de Berquin; nouv. édit. fig. 6o c.
Incas (les) où la Destruction de l'empire du Pérou, par Marmontel,
5 vol. in-18, af
Juiluence (de |’) des passions sur le bonheur des individus et des
uations , par madame de Staël ; 2 vol. in-18. 1f 906
— Le même livre sur papier vélin. Has
Instructions élémentaires sur la morale; ouvrage jugé propre à
instruction publique , par Bulard ; fig. Paris, 13o1. Tor
Jntrodaction sur Vhistoire de France et sur Phistoire romaine ,
suivie d’un abrégé de la géographie, avec la division de la France
par préfectures et sous- préiectures ; d'un abrégé de lPhistoiie poé-
tique ; d’un abréoé des Métamo phoses d'Ovide, et d’un recueil
de proverbes , sentences , bons mots et pensées choisies, par
Leragois; nouvelle édition, ornée des portraits des soixante-huit
rois de France, gravés d’ après les médailles, par Varin; etaugm.
d’un précis de l’histoire de la révolution ; jusqu à l'armistice conclu
après la célèbre bataille de Maringo ; 2 vol. iu-12. She
Introduction familière à la connoissance de Ja Nature se ; uin ;
»} ;
2 vol, in:18, fig. Tite DOIC:. etrel. 2f. 50 c.
Jérusalem dé A en vers français , par L. P. M. F. Baour- suis =
2 vol. in-8. S'f.
Journal d’une esclave persanne, traduction libre de Parglais ;
jil-12 1{f.90c.
Gr)
Journées du Chrétien sanctifié par la prière et la méditation; un
vol. in-:2, 1803. T 1. DOC.
Langue (la) des calculs, par Condillac, ouvrage posthume et élé-
mentaire imprimé sur les manuscrits autographes de l’auteur ;
Lr4
1712. 9 f
Laure et Auguste , traduction de l’anglais, par Berenger; 2 vol.
in-12. 35f. 50e.
Leçons élémentaires de Mécanique, par Jentet ; in-8. fig. 4 {.
Lectures pour les enfans , 5 vol. in-18. 5 f.
Le petit Grandisson , par Berquin , 5 vol. in-18. Ai
Lettres philosophiques sur l’intelligence des animaux, avec quel-
ques lettres sur l’homme, par Leroy, sous le nom de physicien
de Nuremberg; un vol. in-8. orné de son portrait. Paris, 19053.
4 f,
Lettres et épitres amoureuses d'Héloïse et d’Abeïlard; 2 vol. in-12.
SN DONC:
Lettres et mémoires choisis parmi les papiers originaux du maré-
chal de Saxe; 5 vol. in-8. Paris. 10,6
Lettres de Charlotte à Caroline pendant ses liaisons avec Werter,
trad. de l’anglais; 2 vol. in-18. 1m. 50.0.
Lettres galantes d’Aristenette , traduites du grec, par Alain-René
Lesage ; in-18. à f.
Logique de Condillac , nouv. édition mise à l’usage des élèves des
prytanées et lycées français ; par Noël, professeur de philosophie
au prytanée français , 3 vol. in-12, Paris, 1603. 7 fi, 20.
Louise, ou la Chaumière dans les marais; 2 vol. in-18. 1 f. 50 c,
Magie blanche dévoilée , avec le testament de Jérôme Sharp, ses
petites aventures et son codicile, par Descremps, 5 v. 7-8, ornés
de 155 fig. 18 £
Manière (la) d'enseigner et d'apprendre l’orthographe, par Gazin,
in-18, pour les écoles primaires. 0 €.
La méthode simple et facile de ce petit Traité d'orthographe est
en faveur des enfans de tout âge, et des personnes qui désirent
pprendre à écrire correctement en très-peu de tems.
Manuel d’Epictète, un gros vol. in-18. TRES
Manuel de la fille de basse-cour, petit in-1°. 75 c.
Manuel du jardinier, ou la culture complette des jardins pota-
gers , fruitiers ct à fleurs , la taille et les meilleures méth. de grel-
ter les arbres ; rédigé d’après les plus célèbres cultivateurs, avec Les
planch. nécess. à l’intellig. des cultivat. ; par F. D.2v.in-12. 5 f.
Margaretta , comtesse de Rainsford; 2 vol. in-12. où
Médecin (le) naturaliste, ou Observations de Médecine-pratique ct
d'Histoire naturelle, par Gilibert; in-12, fig. Lyon, 1802.2 f. 5o c.
Mémoires de miss Bellamy, célèbre actrice de Londres, traduits
de l’anglais; 2 vol. in-8. 5
Méthode analytique des fossiles, par H. Struve; un vol. in-8. avec
planches coloriées. 51/5010
Missionuaire paroissial; in-12, 4 vol. 10 f.
Neker elementa botanica, cum collario, 5 vol. in-8., dont un de
planches, qui se relient en quatre. 20
Nouvelles (les) par M. de Florian, belle édition ornée de figures
dessinées et gravées par les meilleurs artistes, Paris, 180; un
vol. in-8, Grue,
— Le mème livre, papier vélin. 20 À,
Ÿ,
(12)
Nouvel Atlas portatif, composé de vingt-huit cartes sur toutes les
parties du globe terrestre et de trois cartes astronomiques , nou-
velle édition augmentée d’une carte de la France, avec une
explication où l’on désigne la province à laquelle chaque dépar-
tement correspond. Paris, an 10 (1802). Prix, enluminé et
cartonné, 10 f.
Numa Pompilius, second roi de Rome, par Florian; très-belle
édition ornée de belles gravures dessinées par le Barbier; in-8.
Paris, 1805. OS.
— Le mème livre sur papier vélin. 10 f.
Oberman, Lettres publiées par M. Sénancour, auteur des Rèveries
sur la nature de l’homme ; Paris, 1804; 2 vol. in-8. S f.
Odes anacréontiques, in-15. LL f-
Œuvres de J. J. Rousseau; in-8. 55 vol. fig. 1921.
Œuvres complettes de Berquin, 50 vol. in-18 ; Paris, 1905.
ATEF.
Œuvres choisies de Berquin, ou la réunion des plus jolis contes de
cet auteur , à l'usage des enfans , 4 vol, in-18, fig. & f.
Œuvres complettes d'Helvétius, 5 vol. in-8., avec un très-beau
portrait à la tète du prem. vol. 20 f.
Les mèmes, 2 vol. in-#, avec un magnifique portrait. 24 f.
Cette édition est la seule complette et imprimée sous les yeux
de l’auteur.
Œuvres comp'ettes de M. d’\rnaud, 12 vol. grand in-8., édition
de Paris, ornée d’un grand nombre de figures et vignettes. 72 f.
Œuvres complettes de Dorat, recueillies par lui - mème, 20 volum.
in-8, avec toutes les fig. et vignettes. 72 f.
Œuvres de Stern, 6 vol. in-8. Paris, 1797. Dos.
Œuvres choisies de Piron, 3 vol. in-18.. &
Œuvres d'Esiode, traduction nouvelle de M. L. Goupé; in-18.
Paris, 1796. 1 fu
Œuvres complettes de Florian, nouv. édition augm. de la vie de
J’auteur, de Guillaume Tell, Eliezer et autres ouvrages inédits,
ornées de magnifiques planches dessinées et gravées par les
meilleurs artistes de Paris , 1805 , 8 vol. in-8, beau pap. 6of.
Guavres posthumes de Florian, contenant sa vie, Guillaume Tell,
Eliezer et autres ouvrages inédits; in-S8. LR
Œuvres pastorales de M. Merthghen, traduites de l'allemand, nou-
velle édition augmentée ; 2 vol. in-18. fig. af.
Œuvres complettes de l’abbé de Condillac, revues, corrigées par
l’auteur, imprimées sur les manuscrits autographes, et aug-
mentées de la langue des calculs, et autres ouvrages posthumes
de l’auteur; 51 vol. in-12, avec plusieurs planches. Paris, 1805.
‘ 6o f,
Œuvres de P, Camper, qui ont pour objet l’histoire naturelle, la
physiologie et l'anatomie comparée ; 3 vol. in-8. et 1 vol. in-folio
de 24 planches. 50 f.
Œuvres oies de J.-B. Rousseau , jolie édit. port. 2 vol. DT
Œuvres de St.-Foix , G vol. in-12. 126
Œuvres complettes de Vadé, portrait, musique gravée à la fin de
chaque vol., très-jolie édit. , 4 vol. petit tormat. S f,
Œuvres complet'es d'Evariste Parny, membre de l’Institut; quatrième
édition imprimée par Didot aîné; 1808 : 5 vol. grand in-18.
rat.
Œuvres complettes de Pline, 12 vol, in-4. trad. en français. 120 f
: Sr -
Œuvres de Racine, # vol. in-18 , très-jolie édition , papier vélin ;
ornée de 12 Jolies fig. et d’un portrait , 1805. 1Zf.
Œuvres complettes de Bernard , pet. in-8 , avec 8 jol. gra. 4,
Opérations des changes des principales places de l’Europe , par
Ruelle, quatrième édition revue , corrigée et augmentée des
- changes de diverses places, et autres opérations très-nécessaires
au commerce, et suivie de l’évaluation des monnoies étrangères,
. courantes et anciennes, par Macé de Richebourg , essayeur des
monnoies , avec la réduction en argent de France ; in-8. 45.
Opuscules d’'Homère, traduction nouvelle , par M. L. Goupé ; 2 vol.
in-18, portrait. Paris, 1706. Es
Orlando Furioso , 4 vol. in-8. grand papier, avec une fig. magni-
fique à chaque chant. Paris, 1805. 04 f.
— Le même, #4 vol. in-4. grand papier. 100 f,
Paméla, ou la Vertu récompensée, trad. de l’anglais, par Prévost;
8 vol. in-12. 10 £.
Parallèle des religions, par le P. Brunet, auquel on a joint la
géographie sacrée du P. Romain-Joly ; 6 vol. in-4. ornés de beau-
coup de figures. Paris. 712
Parnasse latin moderne, in-12, 2 vol., avec la traduction inter-
linéaire. 6 f,
Pauvre {le) George , ou l’'Officier de fortune, traduit de Fallemand
de Kramer, par W. A. Duval; 2 vol. in-18, fig. 1f. 50 c.
Pensées de Rousseau, édit. augm. de l'esprit de Julie, extrait de la
nouvelle Héloïse, par Formay; 3 vol. in-18. Dire
Petite Chronique du royaume de Tatcïaba, par Wieland, traduite
de Vallemand, seconde édition revue et corrigée; 2 vol. in-12,
fig. « SE
Phèdre français, ou Choix de Fables françaises , à l’usage de l’en-
fance et de la jeunesse; par J. Brunel, d’Arles. 1 vol. in-18.
Lyon, 1S05. 1 f.
Phœdri Fabulæ, cèm notis Desbillons , Brothier, etc. 1807. pap.
fin. 2. À, 80 c.
— Le même ouvrage , pap. ordin. 25.
Physiologie d'Hippocrate , extraite de ses œuvres par Delavaud ;
in-8. Paris , 1802. DE
Physionomste (le), ou l’observateur de l’homme, considéré sous
les rapports de ses mœurs et de son caractère , d’après les traits du
visage , les formes du corps , la démarche , la voix, le rire , etc.
vol. in-8, par J.-B. Porta, 5 f£.
Phytologie universelle, ou histoire naturelle et méthodique des
plantes, de leurs propriétés , de leurs vertus et de leur culture;
ouvrage consacré aux progrès des sciences utiles de l’agriculture
et de tous les arts, par N. Joliclerc, naturaliste et homme de
lettres ; 5 vol. in-8. 27 Î.
Précis historique de la révolution française, par Lacretelle jeune
et Robut ; 6 vol. in-18, avec gravures. 50 f.
Première éducation d’Adolphe et de Gustave , ou Recueil des leçons
de lecture et de Grammaire, données par L. F. Jauffret à ses
enfans ; in-12, 6 vol. Lyon, 1807. 12 f.
Prieuré (le) de Derwent, ou Mémoires d’une orpheline, par
Vauteur d’Elisa, traduit de l'anglais, par Lebas; 2 vol. in-12,
Gg. «À
Le A Er ;
Principes de lecture et de prononciation, à l’usage des écoles pri-
maires, ouvrage déclaré classique par le gouvernement; in-8. 5.
Provinciales (les), ou l’Aunée des dames nationales, histoire par
(14)
' à
jour d’une femme française; 12 vol. in-12, gravures, etc. par
N. E. Rétif de la Bretone. 20 fe
Pseautier disposé pour la semaine, selon l’ordre du bréviaire ro-
main; un vol.in-16, relié en basane. à 250$
Recherches sur les espèces de prairies artificielles qu’on peut cul-
tiver avec le plus d'avantage en France, par F. H. Gilbert, pro-
fesseur vétérinaire ; in-12. pif.
Recherches historiques et politiques sur les Etats-Unis de l'Amérique
septentrionale où lon traite des établissemens des treize colonies ,
de leurs rapports et de leurs dissentions avec la Grande-Bretagne,
de leurs gouvernemens avant et après la révolution, etc. 4 vol.
in-6. TJ
Révolution françaises, par Necker, nouv. édit. 4 vol. in-12, 6f.
Roland furieux , trad. de l’Arioste, par Tressan , 4 vol. in-8, grand
papier, avec une belle fig. à chaque chant. Paris, 1803. 64 F.
— Le mème livre, 4 vol. in-4. grand papier. 100 f.
Sand'ort et Merton, trad. par Berquin, 7 vol. in-18. HA
Science des négocians et teneurs de livres, par Laporte, 1 volume
oblong , quatrième édit. 4. 5o c.
Science {ta de la législation, par G. Filangisry, seconde édition,
revue et corrigée ; 7 vol. in-06. 24 f.
Spectacle de la Nature, ou Entretiens sur les particularités de lhis-
toire naturelle, qui ont paru les plus prop'es à rendre les jeunes
gens curieux et à leur former l'esprit; 11 vol. in-12. avec beau-
coup de figures. 35 fs
Système de la Nature de Linné, traduit en français par Vanders=
tegen de Pute, d’après la treizième édition latine, mise au jour
par J.F. Gmelin; Bruxelles, 1763; 4 vol. in-8. contenant les oi-
seaux , les quadrupèdes, les vivipares et les cétacés. 16 f,
Système de la Nature, ou des lois du Monde physique et moral, par
Mirabeau; 2 vol. in-8. f.
Sysième militaire de la Prusse, et principes de la tactique actuelle
des troupes les plus perfectionnées ; in-4. avec 95 cartes ou plans
de bataille. Dite
Tenue (la) des livres de commerce, à parties simples et à parties
doubles, ouvrage utile à ceux qui veulent s’instruire de cette
science , seuls et sans maitre; par Blondel, teneur de livres ; Lyon,
1801; 2 parties in-#. 121.
Traité des constructions rurales, dans lequel on apprend la manière
de construire et de distribuer les habitations des champs, les chau-
mières, etc. etc.; par C. P. Lasteyrie ; in-8. — Atjas de 35 pl:n-
ches. 1 'f.
Traité des maladies des femmes enceintes et en couche, par Petit ;
2 vol. in-8. - .
Traité d’Anatomie et de Physiologie végétales , suivi de la nomen-
clature méthodique ou raisonnée des parties extérieures des plan-
tes, et un Exposé succinct des systèmes de botanique les plus gé-
néralement adoptés. Ouvrage servant d'introduction à l’étude de
la botanique, par Brisseau-Mirbel; 2 vol. in-8. fig. en noir;
15 fr. et 25 fr. fig. color.
Traité des arbitrages, par Ruelle, in-8. 4,
Traité des arbitrages de la France avec les principales places de
l'Europe; ouvrage nécessaire aux banquiers et négocians, dans
lequel on trouve le pair ou l’égalité des changes de la France avec
toutes les places étrangères, etc, par Ruelle ; in-8.
#' C5)
instituteur public ; grand in-12, relié en parchemin. 1fr. oc,
in-12. 1H
Traité des maladies chroniques, et des moyens les plus efficaces de
les guérir, par Martinet; in-8. Paris, 1803. 6
Traité des lois politiques des Romains, du tems de la république,
par M. de Piloti de Tassulo; 2 vol. in-8. of.
Traité de la peinture de Léonard de Vinci, commenté, éclairci dans
le texte et les figures, par M. Gault, de Saint-Germain; un gros
vol. in-8. avec 44 planches en taille douce, et le portrait de
Léonard de Vinci. Paris, 1803. 10
Traité de la culture des arbres fruitiers, traduit de l’anglais de
Forsyth, par Pictet Mallet; in-8. orné de 15 planches , gros vol.
Paris, 1805. TT. OIGs
Triomphe de l'Evangile, ou Lettres d’un homme du monde revenu
des erreurs et des préjugés du philosophisme moderne , où l’on
combat d’une minière victorieuse les sophismes de l’incrédulité ,
et où l’on établit la vérité de la Religion Catholique; traduit sur la
septième édition espagnole. Lyon 1805, in-8. 4 vol. de 2500 pag.
Veillées (les) du Château , ou Cours de morale, à l’usage des eufans ,
par madame de Genlis ; 3 vol. in-8. 154
Veillées (les) du Pensionnat, par L. F. Jauffret , directeur du collége
à Montbrisson, faisant suite au Thtâtre des Maisons d'éducation, et
renfermant des dialogues amusans et instructifs sur toutes sortes
de sujets; vol. in-12 de 400 pages. Lyon!, 1808. 2450 €
Vie du chevalier de Faublas , par Louvet ; nouvelle édit. corriget et
augmentée , 13 parties, in-18 fig. 10 f. et rel. en veau, 161.
Vie des plus illustres modernes, à l’usage des enfans; un vol.
in-12, 2e
Voyages d’Antenor, en Grèce et en Asie, avec des notes sur l’E-
gypte ; 3 vol. in-8. fig. 12 f.
— Le même ouvrage, 5 vol. in-18. fig. | AE
Voyage au Montamiata et dans le Siennois, contenant des observa-
tions nouvelles sur la formation des volcans , l’histoire géologique,
minéralogique et botanique de cette partie de l’Italie, par George
Santi; traduit en français par-Bodard D. M, Lyon, 1603, in-ë.
2 vol. avec fig. 19
Voyage à la côte septentrionale du comté d’Antrim en Irlande et à
l'ile de Rochery, contenant l’histoire naturelle de ses productions
volcaniques, et observations sur les antiquités et mœurs de ce
pays, par Hamilton; in-8. ot
Voyage à la Nouvelle Galles du Sud, etc. trad. par C. Pougens,
in-ë. 4 f.
Voyage d’un philosophe, ou Observations sur les mœurs et les arts
des peuples de PAsie, de Afrique et de l'Amérique , par Poivre;
in-12. vais
Voyage sentimental en France, par Sterne, suivi des lettres d’Yorick
à Elisa; 2 vol. fig. 120 0.
Voyage historique littéraire et pittoresque dans les iles et possessions
vénitiennes du Levant; par André Grasset Saint-Sauveur ; Jeune;
3 vol.in-8. Atlas. " 18 f.
Voyage dans l’intérieur de la Chine et en Tartarie, par lord Ma-
cartney; 4 vol. et Atlas. “Ai Or.
Voyage de Néarque, des Bouches de l’Indus jusqu’à l'Euphrate, o&
Journal de la flotte d'Alexandre, etc., traduit de V’anglais par
Billecocq; 5 vol. in-8. Pou18 fi
Voyage en Norwège, en Danemark et en Russie, traduit de Van-
glais par Richer-Serisy ; 2 vol. in-8. 12 £
Voyage autour du Monde, par le chev. Pigafeta; in-8. cartes et
_ figures. £.
Voyage dans l’Inde, au travers du grand Désert, par Aleb, An-
tioche et Bassora; exécuté par le major Taylor; ouvrage où l’on
trouve des observations curieuses sur l’histoire , les mœurs et le
commerce des Mainotes, des Turcs et des Arabes du Désert , etc.
Par L. de Grandpré; 2 vol. in-8. 12
Voyage dans l'intérieur des Etats-Unis, par Bayard; in-8. 4.
Voyage à la côte d'Afrique, à Maroc, au Sénégal, à Goré, à
Galam, etc.; par Saulmier; in-8. 5 f.
© Werther, par W. Goethe, trad. de l’allem. sur la nouvelle édition,
avec le texte allemand à côté, en faveur de ceux qui désirent ap-
prendre agréablement et facilement les deux langues. Paris , 1803;
2 vol. in-6. L 30 f.
— Le mème livre, édition interlinéaire. : SE,
n :
UNIVERSITY OF ILLINOIS-URBANA
HU
9234
D45v
N. |