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Full text of "Voyages d'un naturaliste, et ses observations faites sur les trois règnes de la nature, dans plusieurs ports de mer français, en Espagne, au continent de l'Amérique Septentrionale, à Saint Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l'auteur devenu le prisonnier de 40,000 noires révoltés, et par suite mis en liberté par une colonne de l'armée française, donne des détailes circonstanciés sur le'expédition du général Leclerc .."

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in 2011 with funding from 
University of Illinois Urbana-Champaign 


http://www.archive.org/details/voyagesdunnatura01desc 


. VOYAGES 


D'UN 


(NATURALISTE. 


PA > à 
SON; 17 FRONTISPICE.. Voyex T'ur. d'age 163. 


Cabanes et Temple des 


VOYAGES 


M D'UN 


 NATURALISTE, 


ET SES OBSERVATIONS 


Faites sur les trois règnes de la Nature, dans 
plusieurs ports de mer français, en Espagne, au 
continent de l'Amérique septentrionale, à Saint- 
Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l’Auteur 
dévenu le prisonnier de 40,000 Noirs révoltés, 
et par suite mis en liberté par une colonne de 
l’armée française, donne des détails circonstanciés 
sur Pexpédition du général Leclerc; 


Déprés à S. Ex. Mgr. le Comte DE LACÉPÈDE, 


Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, membre du Sénat, 
de l’Institut , etc. 


Par M. E. DESCOURTILZ, 


Ex - Médecin Naturaliste du Gouvernement, et Fondateur 
du Lycée Colonial à St.-Domingue. 


Ni. : XX Multa latent in majestate Naturcæ ! 


è Pzine, Hist. nat. Prem. 


“+ 


étre, 


TOME PREMIER. 


PARIS. 


DUFART, PÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR. 


LS A e “A 7 


1609. 


CSSS ACSSSR SALSA ASS D ee a 


‘Deux exemplaires de cet Ouvrage ont été 
déposés à la Bibliothèque impériale, afin d’en 
mettre la propriété sous la protecuon des lois, 
et chaque exemplaire sera signé de l’Auteur. 


AAA Sn 0 D D D DS 2 


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À. $, Ex. Mas. LE COMTE 


DE LACÉPÉDE, 


Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, 
Membre du Sénat, de l’Insutut, etc. 


MonsEiGNEUR, 


Comme c’est aux grands Génies qu’il 
appartient de protéger les talens naissans 
de sourire à leur essor, et de les encou- 
rager par l’indulgence, j'at reçu avec 
enthousiasme les éloges dont vous avez 
daigné honorer mes essais. 

La faveur de votre protection, Mon- 


. seigneur,menhardit a présenter a orTrr 


EXCELLENCE, un Ouvrage dont la 
Dédicace exprime bien foiblement le voeu 
de mon coeur. 

En rendant un juste hommage à votre 
science profonde, Monseigneur, ne suis-je 
point l’écho de limmortel Buffon?....…. 
et votre nom célebre n'est-il pas déja 


couronné dans les fastes de l'Histoire 
naturelle ?...... 

Quoique F'oTrE EXCELLENCE se plaise 
d ignorer son vrai mérite , quoiqu’elle 
cherche à se soustraire aux éloges qu 
lui sont dus, peut-elle faire taire la voix 
de la Renommée? Ainsi l’on voit dans 
nos bosquets l’humble violette se cacher 
sous le feullage, mais son coloris et son 
parfum la décèlent toujours à notre vue 
et a notre odorat. 

C’est donc de ma gloire que je n’oc- 
cupe, Monseigneur, en suppliant FoTrE 
ÆxcELzLzENCE d’agréer la Dédicace de 
cet Ouvrage, comme un témoignage des 
bontés dont elle n’a cessé de m'honorer. 


Je suis avec le plus profond respect, 


MONSEIGNEUR, 


DE Vorre EXCELLENCE 
- 
Le trés-humble et très-obéissant 
Ser“tteur , 


DESCOURTILZ. 


Ro L'URL RL RL RO VON RE à, Ta 


PRÉFACE, 


J: devois publier séparément, après 
les avoir soumis à l’approbation de 
PInstitut, plusieurs Ouvrages que j'ai 
depuis réunis au Journal demes voyages, 
et que j'ai l'honneur de faire paroître 
sous le titre spécial des 7”oyages d’un 
Naturaliste, elc. La relation de ces 
Voyages, qui comprend six volumes 
ornés de planches de sujets nouveaux, 
est ainsi classée : 

Dans le premier volume, j’expose à 
M. Desdunes-Lachicotte, mon hôte à 
Saint-Domingue, mes observations faites 
en Normandie, sur la nature du sol, 
les productions des pays que jy ai par- 
“courus , les mœurs et l’industrie des 
habitans. Jy trace la description pitto- 
resque du Hâvre de Grace, et de ses 
environs; Je rends compte du résultat 
de mes courses d'Histoire naturelle, de 
mes remarques sur les productions ma- 
rines des ports de mer du Hävre et de 
Honfleur, de mon retour à Paris; de 


vil PRÉFACE. 

mon séjour dans le Gatinais, où j’aieu 
occasion d'observer et d'écrire la vie 
privée d’une fouine devenue domes- 
tique, et de faire un Traité circons- 
tancié sur la culture du Safran; mon 
départ de Paris pour Bordeaux; mes 
observations de la route ; la description 
de Bordeaux; des remarques sur l’His- 
toire naturelle faites en haute mer; la 
relation de ma traversée; notre débar- 
quement à Charles-Town; un essai sur 
les mœurs et usages des habitans de 
ce pays; mon départ et mon arrivée à 
Saint- Yago de Cuba ; des relations 
pittoresques et historiques de ces di- 
verses contrées; mon embarquement 
à Saint-Yago pour l'ile de Saint- 
Domingue, et mon arrivée en cette 
Colonie. 

Dans le second volume, je termine le 
récit de mon premier voyage; et après 
avoir fait part à mon hôte de mon juste 
enthousiasme à la vue des sites enchan- 
teurs de la Colonie que j’y ai déjà ob- 
servés jusqu'au moment de mon arrivée 
à la Hatte, je l’engage à me donner 


PRÉFACE. ix 
des renseignemens sur le pays. Précis 
historique de mon hôte sur Saint-Do- 
mingue , depuis sa découverte par Chris- 
tophe Colomb jusqu’à nos jours. Paral- 
lèle de l’homme primitif, et du colon 
ambitieux. Essai sur les mœurs des 
hommes et dames créoles; sur celles des 
mulätres et mulâtresses ; idées générales 
sur les nègres et négresses. 

Je reprend mes observations sur les 
trois règnes de la Nature. Description 
de la hatte de M. Desdunes-Lachicotte, 
et du lagon Peinier, appelé le crque 
des bambous ; pronostics des orages ; 
découverte d’une masure qui servit de 
refuge, pendant les crises politiques, à 
un amant malheureux. Observations sur 
les oiseaux erratiques de cette Colonie; 
ma conférence avec Toussaint-Louver - 
ture. Analyse des fruits du pays. Voyage 
pittoresque au cap Français. Statistique 
des Gonaïves, Plaisance, etc. Phéno- 
nomènes observés pendant la route. 
Remarques botaniques et minéralogi- 
ques. Essai sur les chasses du pays. 
Traité des pêches auxquelles se livrent 


x PRÉFACE. 

les nègres, soit pour leur usage, soit 
par objet de spéculation. Notes sur les 
haras de Saint-Domingue, sur les ca- 
brits, et sur une espèce de porc appelé 
à Saint-Domingue, tonquin. Remarques 
sur les orages, les tremblemens de terre 
et les ouragans. Notices sur les deux 
saisons régnantes, et sur les débor- 
demens utiles et onéreux. Procës des in- 
sectes et autres animaux nuisibles. Enfin, 
après avoir décrit beaucoup d’autres 
incommodités du pays, je remets à en 
développer les avantages dans Île volume 
suivant. 

Le troisième volume comprend les 
ressources qu'offre naturellement cette 
Colonie pour lexistence; culture des 
vivres indigènes, et des denrées colo- 
niales considérées sous le rapport com- 
mercial; l’indication des manufactures 
qu’on pourroit y établir lors du réta- 
blissement de lile; l’énumération des 
bois propres aux constructions, ceux 
de teinture, et autres objets de com- 
merce, tels que tortues, gingembre, etc.; 
voyages aux monts Cibao, et observa- 


PRÉFACE. xj 
tions sur l’exploitation possible de ces 
mines intarissables, depuis long-tems 
en repos par l’insouciance des Espa- 
gnols ; récolte des sables métallifères 
par les orpailleurs; vie paisible des 
Espagnols colons ; réduction volontaire 
de leurs propriétés : remarques sur les 
salines naturelles du pays; sur les grottes 
minéralogiques ; les soufrières ; les sta- 
Jagmites et stalactites ; albâtres; spaths, 
pesant , Vitreux et fluor ; récit de courses 
d'histoire naturelle. Observations sur les 
eaux minérales, et les sources puantes 
des environs du Port-au-Prince. Ce 
troisième volume est terminé par des 
anecdotes relatives aux mœurs et usages 
du pays. 

Le quatrième volume contient la des- 
cription anatomique très-détaillée du 
caïmau de Saint-Domingue, appuyée 
de trente-cinq planches. Les cinq pre- 
miers chapitres comprennent sa phy- 
siologie raisonnée, son ostéologie com- 
parée, sa myologie, sa splancnologie : 
le sixième chapitre traite de l’examen 
des organes de la génération de ce 


xij PRÉFACE. 
reptile : le septième décrit les préludes 
de ses amours, donne des détails sur 
son accouplement, et sur l’âge auquel 
il peut engendrer, assertions appuyées 
d’un tableau comparatif tracé par l’ex- 
périence. On voit dans le huitième cha- 
pitre quels sont les soins du mäle et de 
la femelle avant et après la ponte : dans 
le neuvième, on arrive successivement 
à la naissance du petit, et à sa position 
dans l’œuf. Le dixième chapitre expose 
au lecteur mes expériences sur les mœurs 
du caïman, les ruses qu’il emploie, et 
la finesse de son odorat. Je décris, dans 
le onzième, la chasse qu’on lui fait aux 
lagons, et au bord des rivières ; la 
manière de découvrir les nichées au 
frai des femelles, et les dangers éminens 
dont on est menacé dans cette chasse 
périlleuse. Celle qu’on lui fait en canot, 
est le sujet du douzième chapitre. Enfin, 
dans le treizième et dernier, je décris 
la chasse aux repaires, comme la plus 
à craindre. 

Je termine ce quatrième volume par 
quinze chapitres de mes Essais sur les 


PRÉFACE xiij 
mœurs des Guinéens acclimatés à Saint- 
Domingue, dans lesquels je passe en 
revue les caractères et coutumes bizarres 
des différentes nations qu’on y trans- 
porte de la côte; ma relation contient 
beaucoup d’anecdotes vraies et inté- 
ressantes sur les nègres Dunkos, et les 
Arada ; sur ceux de Fida, d’Essa, 
d’Urba, d’Amina ; sur les nègres Ibo, 
si fidèles à leurs sermens d'amour; sur 
ceux de Beurnon; les Mozambiques, 
les Dahomet, les Akréens, Crépéens, 
Assianthéens ; sur les bons Phylanis ; 
sur les Nègres cruels de Diabon, et de 
Bodé ; sur ceux d’UfE ; sur les Vaudoux, 
espèce de magiciens ; enfin, sur les 
Nègres créoles de Saint-Domingue. 

Le cinquième volume divisé en trois 
parües, relativement aux époques des 
événemens , aura pour date celle de ma 
conürmation de médecin-naturaliste du 
gouvernement , par ‘l'oussaint-Louver- 
ture, qui alors s’étoit arrogé le titre 
de gouverneur de la Colonie. Je don- 
nerai, comme témoin oculaire , des 
détails curieux et très-circonstanciés sur 


xiv PRE EAU QUE: 

Toussaint - Louverture et Dessalines ; 
je mettrai au jour des anecdotes se- 
crettes de leur vie privée , et de leur 
despotisme envers les Blancs et ceux 
mèmes de leur couleur. On y verra les 
prétentions ridicules des chefs de son 
état-major ; le mode de son gouverne- 
ment, son faste, et la rigidité de son 
service militaire. 

La seconde partie traitera de la guerre 
du Sud, du massacre des hommes de 
couleur, et des cruautés inouies exercées 
contr’eux : on y comprendra des anec- 
dotes secreltes. 

La troisième partie exposera les dé- 
tails de ma captivité par 40,000 Noirs, 
qui ne me conservèrent la vie que pour le 
besoin qu’ils avoient de mes connois- 
sances médico-naturelles. Elle donnera 
les détails affreux de la trop fatale nuit 
du massacre général des Blancs au bourg 
à jamais ensanglanté de la Petite-Rivière. 
Elle contiendra le récit des diverses 
affaires de la Crète-à-Pierrot , de la re- 
doute de la Martinière, et des motifs 
puissans de leur évacuation, ainsi que 


PRÉFACE. xv 
le développement des événements extraor- 
dinaires à la faveur desquels j’ai sauvé 
une cinquième fois mes jours menacés; 
et des accidens miraculeux qui me réuni- 
rent à la colonne de l’armée française; 
enfin, après la relation historique et 
très-détaillée de lexpédition du général 
Leclerc, je termine le volume par un 
projet sur la restauration de Saint- 
Domingue, par des mesures simples et 
irrésistibles. 

Le sixième volume renfermera le Traité 
des plantes usuelles de Saint-Domingue 
et d’une partie des Antilles, appliquées 
aux arts et à la médecine; mon départ 
pour l’Europe; mon débarquement à 
Cadix, mon séjour en cette ville; mes 
observations pendant la traversée de 
l'Espagne dans sa plus grande étendue; 
et mon arrivée à Paris. 

J'ai täché de rassembler et de décrire, 
avec le plus d’exactitude possible, les 
objets dignes d’être remarqués dans mes 
diflérens voyages; ét j'ai toujours vu 
avec des yeux admirateurs ces chefs- 
d'œuvres de la Nature, dans l’espoir de 


xvj PRÉFACE 
faire partager à mes Lecteurs mon juste 
enthousiasme pour leur divin Auteur. 

Je demanderai grace pour quelques 
termes francisés qui m'ont paru mieux 
rendre le sens de la chose, et mon in- 
tention semble justifier cette licence. 
Je ne serai donc point disert, mais je 
serai Vrai, et mes récits seront comme 
ceux des voyageurs devroient toujours 
FÊTE. 

J'ai cru devoir ajouter aussi au bas 
des pages de la narration, des notes 
instructives qui m'ont été demandées 
par des personnes qui mont point fait 
de voyages sur mer; c’est pourquoi 
j'ai répété certaines descriptions déjà 
connues. 

Enfin, j’ai voulu être instructif, inté- 
ressant et utile, y suis-je parvenu? 
C’est ce que lavenir me prouvera. 
Heureux, sije puis prétendre à lindul- 
gence de mes Lecteurs ! 


RL LVL VU RL URL RE RS 


DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 


1H être privilégié de la Nature, preuve 
incontestable d’une Puissance infime, chef- 
d'œuvre orgueilleux de la création , rends grace 
au desun qui La fait roi de l'Univers ; admire en 
tôus lieux les merveilles d’un Monde formé pour 
101; témoin augusté du passé et du présent, 
adore le Génie suprême qui La doué de facultés 
intellectuelles, parcours l’espace au moyen du 
pouvoir inconcevable de ton imagination; 
par-tout tu feras des pauses d’extase en faveur de 
l’Ouvrier qui en a concu le plan, et de son exé- 
cution si admirablement coordonnée dans son 
tout. C’est une obligation que tu as contractée 
en voyant le jour. Quel plus doux devoir que 
celui de la reconnoissance envers le grand Archi- 
tecte de l'Univers ! 

Soulève d’une main confiante et respectueuse 
le rideau que les Buffon, Linnæus, Daubenton, 
Lacépède , Sonnini, etc. ont placé à la porte 
du temple qu'ils ont consacré à la Nature en 
pénétrant dans son sanctuaire. Parcours l'édifice 
plus circonscrit (1) dont le peintre fidèle, le 


(1) Le Muséum d'Histoire naturelle de Paris. 


vi DISCOURS 


Pline français posa les premiers fondemens , et 
dis-moi si tu es insensible à la vue du tableau 
imposant et majestueux des ressources infinies 
du Créateur. 

Dans cette riche collection, qui n’a pas Île 
droit de fixer ton attenuon , d'émouvoir tes 
sens , d’enchanter tes regards? Ah! si tu éprouves 
ce doux état, rends-en grace à la Nature, et 
écrie-toi avec Bernardin-de-Saint-Pierre : «H 
» n’est peut-être qu'une vérité pure, intellec- 
» tuelle, simple et sans idées contraires, c’est 
» l'existence de Dieu » ! 

Soit que tu élèves tes yeux aux voûtes de cet 
auguste monument, soit que tu les fixes devant 
toi, soit que tu les promènes autour, la mulu- 
plicité des objeis étonnera ta pensée, éblouira 
toujours la vue; en vain tous ces êtres qui ont 
existé, ces témoins de la formation du Monde, 
réclameront-1ls ton attention. En vain l’imagina- 
uon.la plus active voudroit-elle embrasser tout ; 
et raisonner. Cette sublime immensité paralyse 
les sens, suspend le génie ; on voit, on admire, 
on se lai; mais le silence le plus profond , an 
éloquent recueillement deviennent l'hommage 
ie plus pur qu’on puisse offrir à l’Auteur de 
tant de merveilles. 

Ici tu vois pour toujours dans le repos, des 
babitans de l'onde qui ont été tyrans d'espèces 


PRÉLIMINAIRE. ix 
plus foibles (1), placés près de leurs victimes 
fiéres de leur néant, et semblant insulter à leur 
impuissantennenn. Là, des repules, ou utiles (2) 
ou dangereux (3), dont la vue ne peut plus 
inspirer de frayeur, mais qui retracent à 
l'observateur le souvenir de leur ancienne exis- 
tente... 

De ce côté, l’étonnante variété des richesses 
végétales , la combinaison à l'infini de contex- 
ture, de nuances dans les hois et dans les 
écorces ; les formes bizarres et régulières des 
Fuits et des semences des quatre parties du 
Monde, qui proclament la toute-puissance du 
Génie créateur par leurs modifications souvent 
indéfinies et toujours nouvelles.” 

De celui-ci , des corps dont l'existence semble 
moins reconnue, quoique cependant orga- 
nisés (4), louent l'homme de son industrie (5), 
ou l’accusent de son ambiuon (6). Plus loin, 
les ornemens de la couronne des monarques , 
ou les parures brillantes de Populence (7). A côté, 


(1) Les squames, etc... 

(2) Les tortues. | 

(5) Les serpens et crocodiles. 
(4) Les métaux. 

(5) Le fer, le plomb, etc..... 
(5) L'or, l'argent. 


7) Le diamant et les pierres précieuses. 


- DISCOURS 


des productions plus communes dont les arts 
savent urer le paru le plus avantageux (1). 
Veut-on des objets plus propres à récréer la 
vuc? on trouvera dans les galeries supérieures la 
réunion intéressante de quadrupèdes vivipares. 
On consultera pour leurs mocurs et leurs habi- 
tudes, le fidèle interprète de la Nature ; on inter- 
rogcra également pour les découvertes plus ré- 
centes, un Lacépède (2), un Sonnini ; et graces à 
ces continuateurs de l'illustre historien qui siége 
au temple de l’Immortalité, on complétera une 
étude d'autant plus attrayante qu’elle se modifie 
à l'infini, et devient attachante par son agréable 
variété. Onaimera à considérer leon pour retrou- 
ver en Jui le roi des animaux, au caractère fier, 
franc et généreux ; on préférera ce noble ennemi, 
cruel par besoin , au tigre féroce par caractère, 
et sanguinaire par habitude , ravageant , immo- 
lant de sa dent meurtrière , lors même que’sa 
faim est apaisée, pour le seul plaisir de détruire 
et de s’entourer de lambeaux palpitans, ou de 


(1) Agates, jaspes, marbres, gypse, chaux, ete... 

(2) « Lacépède a été reconnu digne de tenir la 
plume de Buflon, dit Sonnini ; elle lui fut confiée, et la 
postérité confirme ce jugement solennel ». (Voyez le 
premier volume de l'Histoire naturelle générale et 
particulière, par Leclerc de Buffon, rédigée par 
C. S. Sonmni.) 


PRÉLIMINAIRE. x} 


. cadavres et d’ossemens dont la vue seule rappelle 
sa voracité , et semble Jui demander de nouvelles 
victimes. 

On examinera avec plus d'intérêt l’industrieux 
éléphant, l’utuile chameau , le cheval, âne , ces 
serviteurs fidèles et soumis aux volontés de 
l'homme , dont ils partagent les travaux , et à 
qui ils obéissent volonuers. L’œil sera également 
flaué de la robe élégante du zèbre, des formes 
sveltes du cerf, de l’anulope, de la gazelle. On 
se rappellera avec intérêt les ruses du loup, du 

“renard comme tyrans ; du lièvre, du lapin, 
comme vicümes, cherchant à échapper à ces 
ingénieux chasseurs ; les genullesses de l’adroit 
écureuil ; la souplesse et l'intelligence de Pimi- 
tateur de l’homme, du singe dont les espèces 
sont si variées. Enfin ,. après s'être arrêté un 
moment sur les autres espèces dont la vie privée 
offre moins de détails communs, on donnera 
des éloges ou des soupirs aux vrais amis de 
l’homme , aux chiens , dont les races sont aussi 
tant mulupliées. | 

Ceue galerie a-t-elle été suffisamment exa- 
minée ? on trouve dans la suivante la réunion 
complète des formes, l'élégance des robes, le 
coloris lustré et inimitable , ce vernis inaltc- 
rable, ces nuances irrisées.et chatoyantes qui ne 
se trouvent que sur la paletie de la Nature, et 


xij DISCOURS 

qu'elle s’est plue à prodiguer aux colbris , aux * 
oiseaux mouches et aux autres oiseaux , qui tous 
brillent d’un éclat qui en distingue l'espèce. 

On y voit aussi les papillons le disputer aux 
oiseaux pour la richesse de la parure et le 
brillant du coloris ; enfin les insectes et les ma- 
drepores annoncent au curieux que les Cuvier, 
les Lamark, les Desfontaines, les Hauvys , les 
Bernard de Jussieu, les Geoffroy, les Faujas 
de Saint-Fond , etc. n’ont rien négligé pour 
remphr les vues du fondateur de ce monument 
élevé à la gloire du Dieu de l'Univers. 

Combien lhomme qui pénètre sous cette 
voûte imposante, doit être ému d’admiration 
et de reconnoissance ! Et que ces témoins de la 
Grandeur suprême doivent puissamment com- 
battre dans l’impie les sourdes impulsions de 
l’incerutude ou de l’athéïsme ! 

.Croit-on, après cette contemplation, voir la 
fin des merveilles de la Nature? Si l’on quitte 
cet édifice, c’est pour pénétrer sous un dôme 
plus élevé, plus vaste, plus imposant, dont l'œil 
ne peut embrasser ou pénétrer l’immensité , 
dont les justes dimensions sont inconnues, et 
qui donne vie à tout ce qui végête , à tout ce qui 
respire ; c’est pour cela encore que, plein d’une 
noble émotion , on aime à aller respirer sous le 
cèdre antique et sous les autres arbres élégans 


PRÉLIMINAIRE. xii 
et curieux, pour s’y livrer à des réflexions tou- 
jours pures, et douces à perpétuer. En eflet 
cette extase, qui agrandit lame et qui l’éléve 
au dessus des passions humaines, est une muette 
adoraüon, un culte en quelque sorte que l’on 
rend à la Divimité; car l'esprit la retrouve sans 
cesse dans la mulutude prodigieuse de ses 
œuvres. | 

L'étude de la Nature est immense (1) ,inépui- 
sable et toujours nouvelle. Ses détails variés, la 
magie de ses attraits appellent même l’attention ete 
l'intérêt de ces hommes oiseux que la fortune ac- 
cable ; mais malheur à eux, s’ils sont insensibles 
aux charmes de l’harmonie des prés ou des bois, 
des ruisseaux ou des vallons! Malheur!..…. le 
plus beau des sentimens est éteint en eux; et 


(1) La Nature offre tous les jours à l’observateur 
de nouvelles merveilles, et son étude depuis tant de 
siècles n’est encore qu'une ébauche imparfaite. Pour 
établir une échelle de démarcation entre le gramen 
et l'arbre de nos forêts, dans l’ornithologie entre 
l'aigle altier et l’agile roitelet, dans les quadrupèdes 
entre le lion ou l'éléphant et la musaraigne, il a fallu, 
pour éviter la confusion , composer des nomen- 
clatures. « Les divisions en genres et espèces, dit 
Sonnini, sont autant de jalons plantés de distance 
en distance qui procurent à notre esprit du soulage- 
ment, à notre imagination des auxiliaires, et à notre 
mémoire du soutien », 


XIV DISCOURS 
matériellement organisés, ils partent par-tout 
un ennui qu’ils font partager aux autres. Que 
penser d’une ame qui n’est point émue par Ja 
surprise des premières feuilles du printems, 
qu’une nuit douce, aidée d’une rosée bienfai- 
sante, a fait éclorre déja parées des diamans 
humides de la Nature? Si les premiers accens de 
Philomele ou de sa voisine constante, la fauvette 
babillarde , de ceute rivale audacieuse, sile chant 
soutenu de l’alouette au nulieu des airs, si celui 
plus aigu de Ja grive ou du merle au milieu des 
bocages de son pare, si celui égayant du cou- 
cou sans cesse en mouvement, ou l’agréable 
gazouwllement de l’hirondelle, etmêmele simple 
patois du moineau franc, courtisant avec ardeur 
la femelle qu’il convoite , n’intéressent point 
l’opulent, que lui servent les douceurs de la vie 
champêtre? 1] n’est point digne d’habiter au 
mulieu de la simple Nature, et d’en savourer 
à son réveil les exhalaisons embaumées , dérobées 
à mulle fleurs des prairies ou des bois par un 
zéphyr badin. 

On me reprochera peut-être une partialité 
que je suis loin de nier, on s'élevera contre 
mon enthousiasme pour une étude qui fait et 
mon bonheur et ma consolation depuis les revers 
dont la fortune m’a accablé; mais que Phomme 
malheureux se consulte lui-même, et il ap- 


PRÉLIMINAIRE. xv 


prendra, comme moi, à s'abimer sans réserve 
dans le sein d’un Dieu qui n’a jamais repoussé 
sa créature chérie : ainsi le voyageur, fatigué 
par un chemin äâpre et raboteux, aime à se 
reposer au pied d’une fontaine ombragée, où 1l 
doit trouver la fraîcheur, et oublier, en buvant 
à cette source pure, le feu brülant qui le 
dévoroit. 

En projetant d'écrire le résultat de mes ob- 
servations faites dans des pays déja connus, il y 
eût eu de la présompuon à prétendre ne donner 
que des choses nouvelles ; mais en considérant 
la mulutude innombrable des producuons de 
la Nature, les diverses modificauons sous les- 
quelles on peut peindre le même objet, j'ai 
repris courage en réfléchissant qu’un peintre 
peut obtenir d’une seule tête, d’après la position 
du modèle, plusieurs dessins produits par la 
variété de ses contours, et du point d’où le 
buste est envisagé. 

D'ailleurs l'étude de la Nature a toujours eu 
pour moitantd’attraits,que]j'ai compté, en raison 
de cet amour, obtenir de cette bonne mére des 
faveurs qu’elle n’accorde souvent pas toujours 
à ceux qui osent consulter sa fécondité avec 
indifférence, ou ceux dont le seul esprit est, 
par des innovations cabalisiques, de rapporter 
à eux-mêmes la découverte des merveilles qui, 


XV) … DISCOURS 


parce qu'elles n’éclatent point aux yeux des 
profanes, n’en existent pas moins dans le 
réservoir commun de la Nature, où d’un pas 
plus hardi ils ont osé les surprendre. C’est en 
vain que ces êtres présomptueux veulent cacher 
l'existence d’une retraite où tout contemplateur 
peut pénétrer ; d’un livre où tout aspirant peut 
hres’ilest mu par des vues sages et par des prin- 
cipes philosophiques. On peut dire avec Buffon : 
« Que l'amour de l'étude de la Nature suppose, 
» dans lesprit, deux qualités qui paroissent 
» opposées ; les grandes vues d’un génie ardent 
» qui embrasse tout d’un coup d'œil, et les 


an 


» petites attentions d’un instinct laborieux qui 
» ne s'attache qu’à un seul point ». J’ai éprouvé 
d’une manière distincte ces deux mouvemens à 
la vue de pays inconnus où toutes les produc- 
ons de la Nature devenoient nouvelles pour 
moi, et où tous les individus qui lembellissent 
venoient éblouir mes yeux étonnés, pour me 
jeter bientôt dans une extase, où mes facultés 
devenoient impuissantes. Mais bientôt saisi de ce 
noble désir de rendre hommage à l’Auteur de 
ces merveilles , mon intenuon étoit écoutée , et 
mon esprit étoit de nouveau suscepuble d’em- 
brasser ces intéressans détails. Telle est la pas- 
sion dominante qui m’a toujours entraîné vers 
cette étude chérie, : 

Naturellement 


PRÉLIMINAIRE. xvi 
“Naturellement enclin aux obsegvations de ce 
genre , il me restoit, après l’examen rigoureux 
de diverses collecuons d'Histoire naturelle, à 
établir des objets de comparaison entre la Nature 
vivanie et la Nature morte, à laquelle un art 
imposteur veut en vain conserver les graces et la 
fraicheur. Ces préparations, d’ailleurs fort utiles 
et fort intéressantes, ne peuvent supporter le 
parallèle, et elles*sont, malgré les ressources de 
l’art, si éloignées de la perfection et de la vie, 
que je dirai avec’ Bernardin-de-Saint-Pierre : 
« Nos livres sur PHistoire naturelle n’en sont que 
» le roman , et nos cabinets que le tombeau ». 
Les voyages devinrent donc l'unique objet 
de mes désirs. Ils m’offroient l’occasion d’ob- 
server en grand; et d’adgirer la magnificence 
de la Nature dans l’immense variété des tempé- 
ratures des climats, et de leurs productions 
spéciales. Les voyages, en réunissant l’uule à 
l’agréable , épurent nos mœurs et nous ins- 
truisent ; 1ls nous apprennent à pouvoir apprécier 
nos connoissances , et 1ls parviennent souvent 
persuader l’observateur de l’imperfecuion de 
ses recherches, et qu'il est non point inven- 
teur, mais seulement l’ouyrier adroit du grand 
Un de l'Univers. . 
Tout le monde lit avec plaisir les voyages. 


Ils concourent à l'instruction de la jeunesse; 
Tone I. à 2 


x] DISCOURS 

l'étude n’en çst point applicante, c’est un défas- 
sement en quelque sorte après des occupations 
plus sérieuses ; et heureux qui s’instruit en 
s'amusant! car, en laissant au courageux voya- 
geur le soin de tracer des routes nouvelles, 
on profite sans peine et sans fatigue de ses 
heureuses découvertes , et c’est alors cueillir des 
roses sans épines. 

On apprend toujours avec un nouvel intérêt à 
connoître les lois, les mœurs , les coutumes des 
peuples étrangers pour établir des comparaisons, 
réfuter des systèmes , mettre à profit des lecons 
souvent uules. On acquiert dans ces lectures, des 
connoissances topographiques qui conduisent 
inusensiblement à la sciénce uule et agréable de 
la Géographie univegselle. «Moi, dit Sonnini, 
» (Courrier de l'Europe, n°. 312. 1808.) qui 
» bientôt serai le doyen des voyageurs de 
» France , et peut-être de l’Europe, moi qui ai 
» passé quinze* années de ma vie à visiter les 
» quatre parties de ia Terre, j'avoue que je ne 
» connois point de lecture qui m’instruise et me 
» plaise autant que celle des voyages; ] aime à 
» trouver dans les relations des autres ce que je 
» nai pu observer ou apprendre moi-même , et 
» dans leurs entreprises, ce qu’il ne m’est plus 
» permis d'exécuter (1) ». | 


(1) Ce savant profond est sur le point d'ajouter aux 


PRÉLIMINAIRE. sis 
Les arts et la science doivent trop à cet obser- 
vateur zélé pour que ses sectateurs n’adoptent 
point un système à la propagation duquel on 
se livre volontiers. Nous répéterons également 
d'aplès lui : «Qu’on aime à suivre le voyageur 
» dans ses courses lointaines, à devenir son 
» eompagnon par la pensée , à s'associer à ses 
» dangers; on s'intéresse vivement à son sort, 
» on partage ses peines , ses fatigues , ses plaisirs, 
» et l’on s’enorgueillit de ses succès. Les relations 
» des voyageurs offrent en général beaucoup 
» de variété; les événemens y sont mélés aux 
» observations, et les accidens, les aventures 
» viennent tour à tour affliger l’ame sensible, ou 
» égayer la narration par des récits qui n’ont 
» rien d'amaginaire; on y rencontre tout l’attrait 
» qu'inspire le roman, joint à la vérité de 
» l’histoire ». ” | 
On voit d’après cette profession de foi, combien 
il me tardoit de mettre en pratique la théorie 
que Javois acquise. Il falloit voir beaucoup, 
et revoir souvent pour ne point n'égarer dans 
les conjectures, pour éviter le labyrinthe de la 


L 


différens Voyages dont il a enrichi les bibliothèques, 
un nouvel ouvrage en ce genre qui sera du plus grand 
intérêt, et formera le pendant du Voyage ‘du jeune 
Anacharsis dans l'ancienne Grèce. 

2 


. : 

xx DISCOURS 
science. Aussi l'espoir d'acquérir faisoit des 
plaisirs de mes peines; et comme le mystère 
excite naturellement la curiosité, mon travail 
augmentoit d’assiduîté en raison des difficultés 
que j'éprouvois dans mes recherches, et des 
doutes qui s’élevoient pour mes nomenclatures. 
En cueillant une fleur, par exemple , je la croyois 
classée par la seule inspection de ses formes, de 
sa corolle ou de son calice, lorsque l’examen 
des étamines et du pisul la reportoit dans une 
autre classe. Nouvelle gloire à acquérir, mais 
qu'une cruelle incertitude rendoit souvent dou- 
teuse. O Linnæus! combien souvent tu me fus 
uuüle! et qu'il est juste de transmettre ton nom à 
la postérité! C’est une foible dette qu’acquitte 
envers toi un des amateurs de l'Histoire na- 
iurelle. . | 

Combien de fois, en consultant tes immortels 
écrits, jai abrégé mon travail; et de quelle uulité 
tes lecons ont été poar l’ordre de mes décou- 
vertes ,auiantque pour soulager ma mémoire! La 
merveilleuse concordance de ta méthode réunit 
des objets qui paroissent étrangers entr'eux, 
et pourtant en qui une attention soutenue finit 
par découvrir des rapports incontestables. La 
Nature moins restreinte que notre imagination, 
arrive au même but par des chemins différens, 
dont la recherche désole et trouble notre intel- 


PRÉLIMINAIRE. xx) 
ligence ; mais, loin de nous tronver humiliés ge 
ce défaut de pénétration, que cette incapacité 
soit pour nous le mouf louable, d’un hommage 
respectueux envers l'Étre des êtres, moteur de 
ces merveilles, et pour qui les problèmes n’exis- 
tent pas. Multa latent in majestate Naturcæ ! 
«Que de merveilles nous sont cachées dans la 
» Nature »! Mais revenons au motif qui n’a fait 
rassembler les observations faites pendant le 
cours de mes voyages. 


\ 


Je devoiïs publier séparément, après les avoir 
soumis à l’approbauon de FPinstüitut, plusieurs 
ouvrages que j'ai depuis réunis au Journal de 
mes voyages, et que j'offre au public sous le 
ütre des Voyages d’un Naturaliste , et 
ses Observations faites sur les trois règnes 
de la Nature, etc. (1). La relauon de ces 
Voyages qui comprend trois gros volumes, au 
lieu de six peuts, ainsi que l’annonca Le premier 


(1) Quelqu'un peu versé dans l'étude de l'Histoire 
naturelle, et ne considérant que IG mot , me reprochoit 
ce titre en prétendant qu'on ne devoit point désigner 
les trois règnes de la Nature ; cette objection est d'autant 
plus mal fondée que tous les jours un naturaliste écrit 
ses voyages, mais qu'il parle sans ordre de matières, 
et souvent ne classe point ses observations, ou qu’elles 
n'embrassent point les trois régnes de là Nature. 


xxi . DISCOURS 
Prospectus , est ornée de planches, de sujets 
nouveaux et elle est ainsi classée : 

. J’expose à M. Desdunes - Lachicotie ; mon 
hôte à Saint-Domingue , mes observations faites 
en Normandie spr la nature du sol , sur les pro- 
ductions des pays que jy ai parcourus, sur 
les mœurs et l’industrie des habitans; et pour ne 
point fatiguer le lecteur par un récit monotone 
et des relauons stériles , je le conduis au Hävre, 
au milieu des campagnes pittoresques qui bor- 
dent la grande route , et dont je lui donne la 
descripuon la plus exacte. 

Comme unauteur nedoitpointécrire seulement 
pour les savans , j'ai cru devoir choisir mon lec- 
teur parmi les personnes qui n’ont jamais voyagé, 
afin de lui rendre ma narration utile et agréable. 
C’est pourquoi il m’accompagne par-tout, dans 
mes courses au milieu des campagnes; je lui 
ais admirer les beautés dela Nature, je le ramène 
sur le rivage de la mer, où, saisi d’un étonne- 
ment respectueux , il admire êt se tait. 

Plusieurs pensées s’élévent en son ame, à la 
vue d’un horizon humide qui lui paroît sans fin ; 
il frémit pour le matelot assez hardi pour se con- 
fier aux flots qui l’épouvantent par leurs brisans , 
et qui lui paroissent redoutables ; il adnure le 
génie de l’homme dans la construcuon de ces 
demeures flotiantes, et l’étonnante découverte 


PRELIMINAIRE. xxij 


au moyen de laquelle on est parvenu,à les di- 
riger à volonté , pour arriver d’un pôle à l’autre , 
en traversant des écueils sans nombre et une 
route uniforme, et qui ne laisse apercevoir les 
traces d’aucun voyageur. 

En parcourant les rochers du rivage , je rends 
mon Compagnon témoin de la une du-Créa- 
teur envers ses créatures. À deux époques de la 
journée , le pauvre se transporte en ces lieux , 
enrichi par des présens que le Ciel lui envoie ; il 
ramasse en abondance du poisson, des crusta- 
cées que les flois ont rejetés pour lui de leur 
sein ; il en nourrit sa famille, ses enfans , etsou- 
vent même, au moyen d’une mesure qu'une 
main prodigue a comblée, il peut en vendre une 
partie qui lui devient superflue par l'espoir 
d’une nouvelle marée. Je fais part de quelques 
observations relatives aux pêches de la rade, et 
aux ruses qu'emploient les crustacées, pour se 
soustraire aux piéges de léurs persécuteurs. 

J'ai occasion, au retour de ces promenades 
instructives , d'examiner plus à loisir les objets 
dont je donne la descripuon. Je me suis partis 
culièrement attaché à la rendre aimable, afin de 
captiver mon lecteur. « On regrettera toujours , 
» dit M. Salgues, de quitter d’agréables rela- 
» tous qui nous enchantent, pour chercher chez 
» les secs et arides nomenclateurs , cette parte 


Xx1v DISCOURS ‘* 

» technique , qui est à la science ce que la 
» Grammaire est à l’éloquence et à la poésie, ce 
» que le squelette est à l’homme animé. Si vous 
» voulez m'nsiruire ; il faut méler quelques 
» charmes à vos lecons ». 

Je me suis donc fait un devoir dé me confor- 
mer à d'aussi sages principes ; heureux, si j'ai 
suivi cette route agréable que tout le monde 
aime à parcourir | 

Afin de détruire la monotomie de mon récit, 
et de’ diversifier les objets que je traite, Je 
‘donne quelques détails sur la position du 
Hâvre , que les Anglais bombardèrent plusieurs : 
fois pendant mon séjour, 

J'offre également les fruits de mes promenades 
d'observations aux environs du Hävre, de Hon- 
fleur , et je donne avec le plus grand soin la 
description exacte des sites enchameurs com- 
muns dans ce beau climat, tels que la côte des 
Ormeaux, celle d'Égoufille , et la côte de Grace. 

J'ai aussi occasion de citer quelques anec- 
dotes particulières, propres à piquer la curiosité ; 
je décris plusieurs collections d'Histoire natu- 
relle; je promène mon lecteur dans les agréables 
vergers de M. Poulet, négociant. Dé là, je le 
conduis à Honfleur pour yrtudier avec moi les 
mœurs et Coutumes du pays, y admirer les 
eurieux effets de la marée montante, y prendre 


. 


PRÉLIMINAIRE. XXV 


part sur le gazon à un divertissement cham- 
pêtre, et y eue d’un tableau attendrissant d’un 
bon père fêté par ses enfans. 

Mais comme les effets naissent des contrastes, 
mon journal nre rappelle le funeste équinoxe du 

mois de septembre de cette année. Ce fidèle dé- 
positaire me fournit les détails affreux de ravages 
inouis qui désolérent, à cette époque calami- 
teuse , le Hävre et ses environs. Et comine le 
calme succède toujours aux tempêtes, je raconte 
les joûtes qui se font sur l’eau en certains jours 
de fête, je décris celle des canots armés, de vi- 
goureux rameurs, celle du fameux mût de 
Cocagne. Enr , après la description de quelques 
poissons de la es ne pouvant trouver pas- 
sage sur un bâtiment, je renonce pour le mo- 
ment au projet de m'embarquer, et je retourne 
en Gâunais , où je trouve à observer chez mon 
père le caractère aimable et intéressant d’une 
fouine devenue familière. 

Je m’y livre alternativement à un travail plus 
uule , sur la culture du safran de cette province; 
et quoique cette plante bulbeuse ait été décrite 
avec détails par l’illustre Duhamel , je trouve à 
ajouter à son mémoire: mes observations, ei 
surtout des dessins fidèles qui manqueient à 
l'histoire de cette plante si précieuse au coi- 
merce ,. lesquelles planches serveñt mieux 


xxv) DISCOURS 


l'intelligence , que les meilleures et les plus 
exactes -descripuons que l’on peut'faire à ce 
sujet. ° 

Après quelques idées générales , je considère 
le safran depuis l’époque de son importation 
dans le Gäünais , et jen donne la descripuon ; - 
j établis la différence qui existe entre cette plante 
utile et le colchique , avec lequel les fraudeurs 
savent le sophisuüquer; j'indique sa culture, ‘et 
le terrain qui lui est propre ; les caractères aux- 
quels on doit reconnoître les bons oignons, la 
différence de leur robe, et da température qui 
leur convient. | 


Je fais connoître la manière de préparer la 
terre qu’on lui desune , et l'époque à laquelle se 
font les labours; je désigne le tems qui est le 
plus propice au plantage , et les moyens à em- 
ployer pour préparer les oignons, et les disposer 
à une prompte vég gétation. 


Je décris le développement de ces oignons, et 
leur floraison; je dénonce les animaux qui les 
ravagent , et dont la dent meurtrière détruit en 
un moment les espérances du diligent culu- 
vateur. 


Je passe ensuite.aux travaux de la seconde et 
de la troisième années , qui comprennent l’arra- 
chis des ojgnons, et l'usage qu’on en fait. Arrive 


PRÉLIMINAIRE. xx Vi) 


le moment de la récolte de cette fleur autant 
intéressante pour les sens , que sous le rapport 
du produit qu’on en retire. Je décris avec soin sa 
cueillette, son épluchage , sa dessication, et le 
produit annuel qu’on obtient de celui auquel on 
reconnoît les qualités exigées. 


Je rends compte des maladies ciel 
l'oignon est en but, telles que Ze fausset , le 
tacon et la mort. , 


Je-développe les propriétés du safran comme 
béchique, histérique et emménagogues, diapho- 
réuque, cordial, alexitère, céphalique et ophtal- 
mique; comme stomachique , hépatique, car- 
minauf et détersif; enfin comme résoluuf, 
anodin et assoupissant. 


Je le considère enfin sous le rapport des arts, 
et j'évalue les frais de culture d’un arpent de 
terre à safran, Ce mémoire est terminé par des 
notes additionnelles sur sa culture, et des détails 
luistoriques. 


Je me rends ensuite à Paris d’où je fais route 
pour Bordeaux , en exposant mes observations 
faites pendant la route. Arrivé à Bordeaux, 
j'étudie les mœurs et coutumes des habitans de 
, cette ville ; puis embarqué à bord du vaisseau 
anglo-américain l'Adrastns , j'y écris mes re- 
marques sur les usages bizarres et peu sensuels 


XxXV) DISCOURS 

des naturels de la Nouvelle-Angleterre (1). Après 
avoir reconnu /e Platé-de-Blaie , et attendu 
long-tems le capitaine et les passagers pour 
mettre à la voile, on appareille pour’ la tour de 
Cordouan. 

Pour mettre mon néophyte au fait de la navi- 
gauon , je l’instruis des principaux mouvemens 
du bord ; c’est pourquoi je ne passe point sous 
le silence un fort coup de vent que nous es- 
suyames au débouquement, afin d'avoir occasion 
de lui citer les diverses manœuvres qui se font 
pour soustraire un vaisseau aux dangers dont il 
est menacé par la tempête ; ïe lui raconte divers 
faits extraordinaires, douteux quelquefois pour 


(1) J'ai reçu avec reconnoissance les avis d’un cen- 
seur distingué qui me reprocha de parler souvent de 
moi et de nos repas du bord, mais je crois devoir 
lui observer ici que je suis le voyageur, et qu'en ma 
qualité d'observateur , je dois un compte fidèle de ce 
que j'ai vu , éprouvé, senti. Car quel héros pouvois-je 
meltre enjeu, sige n’est moi?..! ne suis-je point le 
narrateur? Quant aux repas du bord, ils sont sur un 
bâtiment américain, si différens de ceux qu'on prend 
à terre, que le lecteur ne peut me faire connoître 
des usages nouveaux pour lui; et que la principale 
occupation dans les traversées est, dans l’oisiveté qu'on 
éprouve, de se quereller sans ‘raison, ou de songer 
même "à table , au repas qui doit suivre. J'en appelle 
à cet égard aux personnes qui se sont embarquées. 


PRÉLIMINAIRE. xxix 


ceux qui n'ont pas VOyagé, mais dont on ren- 
contre de fréquens exemples. 

Ne me contentant point de restreindre mon 
journal à des observations météorologiques , je 
donne à counoître le genre de vie qu’on mène 
sur un vaisseau dans un voyage de long cours, 
les plaisirs qu’on sait s’y créer, les amusemens 
que chacun imagine pour éloigner l'ennui , suite 
inévitable de la monotone. 

En parcourant le vaisseau pour visiter Îles 
ligñes qu’on laisse G la trafne, j'apercois de 
gros poissons , et aussitôt d'appeler mon néo- 
phyte pour les lui faire examiner , et lui faire 
part de. mes réflexions à leur égard ; tout en 
lentretenant sur ce point, le vent souffle, et Ja 
mer z#2outonne sous le poids et les bonds d’une 
troupe de souffleurs que j'apercois à l’horizon. 

Une autre fois , c’est une bande nombreuse et 
fugiuive d’adroits poissons volans qui quittent 
leur élément pour tremper la dorade dans sa 
poursuite acharnée. 

Une dispute s’élève, et je me vois forcé d’en 
parler, et d'entrer dans d’autres détails qui ne 
paroissent superflus qu'a ceux qui les con- 
noissent, mais qui font partie de l’histoire d’une 
traversée. Ces anecdotes souvent piquantes ne 
délassent-elles pas quelquefois le lecteur, trop 
souvent ennuÿé d’un journal où il n’est question 


xxx DISCOURS 


que de beau tems » pluie et vent, brume 
épaisse, et d’autres observations monotones et 
minutueuses, qu'on ne doit point regarder 
comme capables de capuver un lecteur ? | 

Je raconte le baptême du Tropique, dént 
mon néophyte surtout attendoit le récit avec 
limpauence de quelqu'un qui cherche à s’ins- 
tuire; 1l prend également intérêt à la punition 
exercée contre Îles matelots indisciplinés ; il 
me quesuonne sur les trombes de mer, et j’a- 
chève de l’entretenir sur ce point en découvrant 
terre, el apercevant à l’horizon le phare de 
Charles-Town. 

Je fais débarquer avec moi mon néophyte, et 
je le promène dans les rues de la ville pour en 
connoître des usages, et étudier les mœurs de ses 
habutans; 1l a entendu parler des quakers et des 
méthodistes: je lui établis la différence qui existe 
entre ces sectes ; et lorsqu'il s’est bien pénétré de 
ces notions instructives ; je le vois encore re- 
venir , et semblant désirer une autre étude. 

Je l’examine, et je lis dans ses yeux son désir 
d'aller contempler la Nature au milieu des cam- 
pagnes, pour établir des comparaisons, y 
donnef la chasse aux oiseaux qu’il veut von- 
noître, aux papillons qu’il désire conserver, 
faire la recherche des plantes dont je dois grossir 
son herbier ; mais, tout en augmentant son buun, 


PRÉLIMINAIRE. xxx) 


je lui trace avec fidélité les tableaux des sites les 
plus pittoresques, le genre de ces campagres 
primiuves , et les endroits destinés à la course , 
amusement favori des Anglo-Américains. 

Au retour, je lui fais connoître un sauvage 
-du Canada, qui ‘comptant sur les droits de 
l'hospitalité, est entré familièrement dans une 
maison où je me trouvois, pour apaiser la soif 
qu’une chaleur excessive à fait naître en lui. 

J’entreuens aussi ce lecteur des autres pro- 
ducuons du pays, utiles aux arts, et favorables 
au commerce , telles que Parbre à cire, l’érable 
à sucre, etc. ; et tout en lui rappelant plusieurs 
anecdotes sur les mœurs des bons habitans de 
ces pays fortunés, je lui parle d’un sauvage de 
la Caroline, artiste sans art, mais qui, par une 
rare faveur de la Nature, a composé et peint à 
l'huile un tableau dans lequel il s’est repré- 
senté au milieu de ses campagnes. 

Désirant de Pinstruire , et profitant de sa 
bonne volonté, je conduis mon néophyte dans 
des endroits qu’il n’a point encore visité. Une 
excursion ormthologique devient d’abord le but 
de notre promenade ; mais après avoir fait 
une ample collection d’oiseaux nouveaux pour 
lui, je trouve et saisis l’occasion de lui faire 
examiner un boiciningua qu’un particulier de 
Charles-Town conserve depuis long-tems, sans 
Jui donner à manger. 


XA\i) DISCOURS 
Loin d’avoir épuisé l’étude des productions 
hâturelles du pays, le besoin de voyager sous 
d’autres climats nous fait embarquer sur une 
goélette anglo-américaine, dont le capitaine est 
digne, par la pureté de ses mœurs et la loyauté 
de ses actions, de vivre au tems du monde 
primiüf. ; 
Nous faisons voile vers l’île de Cubes; et 
notre bon capiiaine , après nous avoir prodigué 
pendant la traversée tout ce qui pouvoit nous la 
rendre agréable, poussa la générosité jusqu’à 
nous choisir secrétement à terre des logemens 
plus commodes que les cabanes étrones que nous 
avions à son bord. | 
Je donne la descripuion des côtes arides,de 
l'entrée de Cuba, et mon néophyte, d’abord 
attristé par ces tableaux peu aimables, sourit 
à celle de l’intérieur de la baie de Saint-Yago, 
qui offre le paysage le plus riche .et le plus 
pitioresque. | 
Un pilote espagnol étant venu à notre ren- 
contre , nous fournit l’occasion d’étudier ses 
manicres, et de le questionner sur les mœurs 
et usages des habitans de cette île. Après nous 
avoir fait mouiller en lieu de sûreté, nous 
mettons pied à terre, et nous escaladons une. 
côte richement boisée, au sommet de laquelle 
se trouve la maison du commandant du fort qui 


proté ce 
a) 


PRÉLIMINAIRE.  xxxij 


protége la baie, et dont les batteries sont for- 
midables. 

Après une réception aussi honnète qu’obli- 
geante , nous descendons la côte, et remontons 
à notre bord pour faire voile vers Saint-Yago, 
qui se trouve au fond de la baie. 

Il tarde à mon néophyte de me voir visiter 
l'intérieur de la ville; aussi n'ayant rien de plus 
à cœur que.de le Rire Ne Je mets pied à terre, 
et je parcours les rues de Saint-Yago, j'étudie 
les. mœurs , les usages de ces Espagnols, et 
quelques notions intéressantes deviennent le 
fruit de mes observations, que je me plais à 
répéter à mon néophyte qui attend mon retour 
avec impatience. 

în admirant les ressources précieuses que 
fournit cette île pour les besoins de la vie, je fais 
quelques courses ornithologiques que j'ai soin 
d’entre - mêler de parues de pêche, et de chasse 
aux insectes et aux papillons de cette île. 

Je reviens dans la ville, où j'étudie avec soin 
le caractère des padres , et où je prends note 
des cérémonies religieuses qui se pratiquent 
pendant la semaine Sainte et le jour de Pâques. 

Le besoin de nous rendre à Saint-Domingue, 
me fait profiter d’une frêle embarcation qui ny 
transporte au nulieu des flois écumaus de la 
mer en furie : enfin, après une tempête hor- 


Tome IE, 3 


XXXIV DISCOURS 
nible , je débarque à Samt-Domingue; tel est le 
sommaire de mon premier Volume. 

Si le lecteur ouvre mon second Volume, et 
qu'il daigne me suivre dans mes observations, 
il me verra débarquer à Saint-Domingue, n'y 
entourer de personnes capables de m’instruire , 
et de me donner des renseignemens sur le 
climat, les lieux, et l’histoire du pays ; comme 
11 me semble que c’est la première étude à la- 
quelle on doive se livrer, je me fais raconter par 
un ancien colon lhistoire de l’île d'Haïu, 
depuis sa découverte par Christophe Colomb 
jusqu’à nos jours , que les traditions nous ont 
transmise. Alors, pénétré de ces vérités, je 
parcours le pays avec plus d'intérêt; ici je 
retrouve au nulieu d’un peuple heureux , ces 
bons caciques qui ne connoissoient leur auto- 
rité que de nom, et s’en servoient pour faire 
planer autour d’eux le bonheur et la confiance; 
là, je crois voir des groupes de ces insulaires 
attendre leur existence des hhéralités de la 
Nature, sans s'astremdre à un dur et pénible 
travail; parmi eux se trouvent des pêcheurs, 
des chasseurs , tandis que les plus âgés vaquent 
aux soins de l’intérieur. 

Arrive-1-on à l’époque d’une fête célèbre ? elle 
est sincèrement chômée; car ces peuples n’ho- 
noroient pas seulement des lèvres leur dieu 


PRÉLIMINAIRE. XXXV 
imaginaire, mais par leurs acüons ; et si quel- 
ques ridicules, ordinaires à ces tems reculés, 
présidoient aux cérémonies religieuses , 1l faut 
être indulgent pour ces détails accessoires 
inventés par l’inexpérience et la bonhomie de 
ces peuples , auxquels on pourroit répondre par 
des cérémonies de nos jours non moius ab- 
surdes, quoique consacrées par des peuples 
policés : #u reste, le principal mouf dans les 
pieuses réunions des insulaires d'Haïti, étoit d’y 
adorer un objet dont ils connoïssoiïent la puis- 
sance sans pouvoir la comprendre, et c’est 
envers le soleil , ame et source sacrée des trésors 
de la Nature, qu’ils devenoient respectueux , et à 
qui ils offroient leurs plus purs hommages. 

Comme de tout tems l'esprit 4ärompeur du 
fanatisme a subtilisé les cœurs foibles ou trop 
confiaus, 1l se trouva à Haïu, dès son état pri- 
miuf, des êtres plus astucieux que le com- 
mun des insulaires, et qui, par un intérêt per- 
sonnel , inspirèrent une terreur, panique à ces 
naturels débonnaires pour en obtenir des hon- 
neurs , des rangs et de la fortune; c’est pourquoi 
une secte s’éleva , et commenca à prophéuser en 
un langage mystique et barbare, et abusant de 
la crédulité du peuple , elle Jui fit voir ce qui 
n’existoit point, et fascinant leurs regards inti- 
midés , elle s’annonca en rapport direct avec un 


, 3 *# 


XXXV) DISCOURS 

dieu quelle créa , et dont elle osa se déclarer 
l'interprète. De la une, confiance absolue , sun 
respect universel pour ces hommes adroits aux- 
quels les naturels d'Haïu donnèrent le nom de 
butios , ou prétres indiens. 

Afin de grossir leur paru, les buuos asso- 
cièrent à leur autorité suprême ceux des Indiens 
en qui 1ls recomnurent des principes conformes 
aux leurs; et afin d’opposer au peuple deux 
freins puissans , ils crurent convenable de revêtir 
ces derniers d’une autorité civile, subordonnée 
néanmoins à celle des ministres de la divinité. 
De là la division des peuplades et leur dénom- 
brement; de là Pélecuion de chefs pour les gou- 
verner , auxquels on donna unanimement le nom 
de caciquess 

J'indique le partage de ces gouvernemens 
indiens ; je décris leur paix intérieure, leurs 
mœurs douces, leur délicieuse existence au 
nulieu de campagnes ravissantes et embellies 
par leur union ; mais comme le bonheur üent à 
peu de chose, et qu’un rien, dit Florian, le fait 
évanouir, ces peuplades fortunées, vivant au 
comble de leurs vœux, sont troublées, dispersées, 
anéantues par la corrupuon de nations féroces 
dont elles ne peuvent éviter le joug, et dans Îles 
piges desquelles une confiance trop aveugle les 
fait précipiter. Je donne alors des détails histo- 


PRÉLIMINAIRE  xsxv% 


riques sur la découverte de l’île d'Haïu par 
Christophe Colomb, cause innocente des mal- 
heurs qui depuis en ont fait le séjour du crime, 
‘ de l’ambiion et des attentats; et comme ces 
détails, quoique connus, intéressent néanmoins 
mon néophyte qui les ignore , il me presse de 
continuer mon histoire relauve à l'expédition de 
Christophe Colomb : il me demande comment 
un homme aussi bon a pu laisser commettre des 
crimes aussi révoltans. Il frémit avec moi , en 
traversant la rivière, des massacres qui lui rap- 
pellent des souvenirs pleins d’amertume , et lui 
font répandre même quelques larmes; car 1l est 
sensible. Bientôt, en contunuant mon récit, nous 
parcourons les lieux signalés par des événemens 
transmis à la postérité ; il apprend avec douleur 
la mort de Christophe Colomb, protecteur 
infortuné des bons insulaires , et par cela même 
devenu la victime de l’envie et de l'ambition de 
ses successeurs altérés par la soif de l’or et du 
sang. 

IL voit avec regret Bovadilla et Ovando suc- 
céder à Christophe Colomb, et gémit d’une 
autorité despotique et féroce qui semble pro- 
noncer aux Indiens la malheureuse destinée qui 
leur est réservée. En vain Ferdinand, par un 
arrêt humain , vent arrêter les exploits homicides 
et sanglans des uügres Bovadilla et ,Ovando ; 


sxxvij, DISCOURS 

ni la voix de la Nature, ni celle de leur mo- 
narque ne peuvent se faire entendre à ces cœurs 
pervers et ulcérés : ils tracent leur route dans 
l'ile au milieu des cadavres ou des corps foibles 
et palpitans, des femmes, des enfans et des vieil- 
lards qu’ils ont fait massacrer. De l'or! de Por!.. 
voilà leurs cris de rage, et rien ne peut étonffer 
ces cris impérieux ; ils font donc supplicier tout 
ce qui ne peut servir à leur procurer ce métal 
funeste qu'ils retirent, par des crimes, des: 
entrailles fécondes d’une terre qui semble re- 
gretter de s'être entr'ouverte. 

Enfin des divisions intesunes s'élèvent parmi 
les Espagnols de Pexpédiion de Christophe 
Colomb , après le massacre général des Indiens 
d'Haïu , et ces Européens ont à leur tour à com- 
batire des ennemis puissans, des forbans sans 
aveu , et mus par de semblables projets d’une 
ambiuon démesurée, enfin les fhbusuers dont 
je fais connoître les mœurs et la vie privée. 

M'étant apercu à des soupirs bien louables, 
que ces récns fatigans ont attristé l’ame de mon 
néophyte , je cherche à délasser son imagination, 
en l’entraînant au milieu d’une belle campagne; 
mais comme y arrivant subitement, l’état de son 
cœur ne Jui permettroit point d’en apprécier les 
beautés, d’en saisir les nuances, d’en respirer 
les parfums , je le condiis d’abord au nulieu 


PRÉLIMINAIRE. xxxix 


d’une Nature déserte où je donne le items à ses 
pensées de s’adoucir , et aprés avoir côtoyé et 
visité la hatte aride de mon hôte, M. Desdunes- 
Lachicotte , je conduis mon néophyte au lagon 
Peinier, appelé cirgue.des Bambous, où la 
Nature est parée de tous ses charmes, et où elle 
se montre dans tout son éclat aux yeux de 
l'amateur passionné. 

La vue d’une riante verdure Aarmonise 
bientôt tout son être, sensible désormais aux 
parfums de ces fleurs qui bientôt égayent son 
imaginalon ; mais comme une transition subite 
‘de la douleur au plaisir seroit un contraste trop 
pémble, je conduis mon néophyte sous des 
ajoupas abandonnés et célèbres, l’un par les 
soupirs d’un amant malheureux et l’autre par 
sa consécration à l’amour paternel. Enfin, après 
les dernières larmes données aux plus tonchans 
souvenirs , je permets à mon néophyte de s’aban- 
donner à la contemplation. 

Cet être sensible, toujours reporié par son 
cœur à désirer quelques nouces sur les anciens 
habitans du pays, m'engage à lui parler au 
moins du colon européen qui a succédé à l’In- 
dien insulaire, et des troubles long-tems per- 
pétués de la conquête d’Iaïu. Je cherche à 
sausfaire sa juste curiosité par le parallèle du 
colon modeste et du colon ambitieux. Je ini 


XL © DISCOURS 

transmets ensuite les renseignemens qui m'ont 
été donnés par mon hôte sur le caractère des 
créoles de nos jours, sur les mœurs et usages 
de cetie nouvelle génération. 

J'ouvre ensuite mon journal, et mon néo- 
phyte y lit mes observations sur la nature du 
climat de Saint-Domingue; et après quelques 
remarques météorologiques, je le fais voyager 
pour linstruire. Il m’accompagne dans ma 
route du Cap; il est aussi ardent que moi à 
saisir et admirer les choses nouvelles qui s’offrent 
à ses yeux. Î] suit dans les airs les oiseaux et les 
papillons, sur la terre, les insectes et les reptülesz 
il étudie la végétation, et son cœur reconnois- 
sant s’attendrit à la vue des ressources qu'offre 
la Nature , même au milieu des déserts. 

Nous nous arrétons sur les habitations les 
plus dignes de nos remarques, et nous mettons 
de ce nombre celle de l’Étable appartenant à la 
famille Rossionol-Desdunes, celle de MM. Ros- 
signol-Grammont et Descahaux, entourées par 
des colonnades imposantes de palmiers qui s’y 
élèvent avec grace et majesté au mulieu de 
haies de citronniers garmissant l'intervalle de ces 
arbres. 

Après avoir reconnu le bourg des Gonaïves, 
et y avoir fait quelques observations sur la nature 
du sol, sur ses productions et sur les mœurs des 


PRÉLIMINAIRE. x1] 
babitans, nous continuons notre route au milieu 
d’une riche Nature qui donne une ample lautude 
à notre contemplation; les sites devenant de 
plus en plus pitioresques par la diversité de leur 
exposition, je me plais à les décrire à mon néc- 
phyte qui, ainsi que moi, en fait son profit. 
11 jette un regard inquiet sur la montagne des 
Escaliers , qu’il doit franchir au milieu d’écueils 
et de rochers àptes et roulans. Mais il est dé- 
dommagé de ses fatigues et de ses peines, à la 
vue du bourg enchanteur de Plaisance, qu'il 
rencontre au revers de ce morne rocailleux. 

Il traverse avec mai la rivière du Limbet, 
dont les eaux basses et limpides bouillonnent 
à leur rencontre de rochers posés cà et là au 
milieu de son lt. Enfin, après d’autres re 
marques, nous arrivons au Cap. 

Je l’engage à ne point me suivre dans la ville 
pendant les premiers jours qui seront consacrés 
à mes aflaires personnelles. Mais mon néophyte, 
qui a l’ame grande et le cœur bon, s’est inté- 
ressé à ce qui me regarde, et ne veut plus me 
quiuer; je le conduis donc.chez M. Roume, 
agent du Gouvernement français , homme ins- 
truit, et avec lequel on ne peut que profiter; 
mais des affaires imprévues n’appelant à PArti- 
bonite, mon néophyte, qui est devenu mon 
ombre, y retourne avec moi, en formant le 


x DISCOURS 


projet de revenir au Cap, pour y.urer paru 
des entreuens de M. Roume sur l’Histoire 
naturelle. 

De retour aux Gonaïves, après avoir donné 
mes premiers soins aux affaires qui m'y ont 
appelé, je conduis mon néophyte à une tannerie 
située au milieu d’un bocage enchanteur. C’est 
en rentrant que Je recois de Toussaint-Louver- 
ture Ja levée des séquestres® mis injustement 
sur n0$ habitations; je fais un voyage au Port- 
au-Prince pour entrer de suite en possession. 
Tour à tour trompé par les chefs noirs de lar- 
rondissement, et leurré par les offres perfides 
de nos nègres , j'accorde une confiance trop 
prématurée , dont j'ai heu de me repenur , 
étant à peine fixé sur notre habitation. 

Je n’y livre néanmoins à une passion domi- 
nante, à la chasse, qui en ces lieux favorisés 
offre tous les agrémens en ce genre. Néanmoins, 
possesseurs de grandes propriétés aflermées, et 
dont nous ne touchons point les revenus, nous 
vivons dans une pénurie umiverselle; et c’est 
pour le bonheur dè mon néophyte que j'aime à 
lui faire apprécier linstabilité des choses hu- 
maines, etla bizarreric de la prédestination. 

Résigné au milieu de cette infortune, je n’en 

émis pas moins l Auteur de la Nature, et c’est 


pour me consoler de ces épreuves amcres, que 


PRÉLIMINAIRE. xLiij 


je reprends mes exercices. Je décris le site pitto- 
resque* d’une fabrique coloniale, observée au 
milieu du Grand-Ilet, Je cache derrière moi 
mon néophyte, et 1l prend part secrétement à 
l'entretien que j'ai avec des solitaires que la vue 
d’un nouvel être auroit pu intimider. Le bon 
Isidore , l’un d’eux , me conduit à sa bananerie, 
y étanche ma soif dans une feuille fraîche de 
cette plante précieuse. Il déplore ensuite les 
ravages de l’épizooue de sa hate. 


Je retourne sur lhabitauon pour visiter 
le bean verger Rossignol, situé dans les bas 
de l'Arubonite, et j'y trouve le propriétaire en 
but , ainsi que moi, aux vicissitudes humaines. 
Je fais admirer à mon néophyte un beau trait 
d’hospitalité de M. Desdunes-Lachicotte, qui 
nous raconte les dangers auxquels il a été expos, 
comme blanc, au milieu des noirs révoltés et 
ennemis de sa couleur. 


Je propose à mon néophyte une seconde pro- 
menade au lagon Peimier, et nous y déconvrors 
une nouvelle inscripuon érotique. Je l'emmene 
Te lendemain au bourg du Gros-Morne, pour eu 
connoître le climat, et j'ai lieu, pendant mon 
séjour en ce canton, de lui faire le parallèle de 
l'existence qu’on mène.au milieu des mornes où 
la température est salutaire, avec celle de la 


XLV] DISCOURS 


auxquelles ces quadrupèdes sont assujettis ; quels 
sont les remèdes à opposer aux épizooties qui 
en désolent l’espèce. Je termine mon récit en 
lui disant qu’à l’uulité des cabrits, à la qualité 
de leur chair, on peut comparer le cochon 
appelé tonquin , dont on fait dans l'ile une 
grande consommation. 

Bientôt je quitte ces paisibles occupauons, 
pour faire voyager mon néophyte au milieu des 
orages , le transporter ensuite sur un sol boule- 
versé par les tremblemens de terre; je l’égare, 
après avoir échappé à ces désastres , au milieu 
d’autres campagnes où 1l est en but aux oura- 
gans. Plus loin il essuie avec moi les ravages 
d’un débordement. | 

À ces fléaux de la Nature, je fais succéder les 
inconvéniens qu'offre le séjoar de la plaine, où 
lon a à redouter les scorpions, les ‘araignées 
à cul rouge, les araignées crabes, les bêtes à 
mille pieds, les chiques , les tiques et les autres 
insectes sinon tous venimeux , a MOINS 1m- 
portuns. ‘ 

Je fais aussi. part à mon néophyte des 
expériences que j'ai eu occasion de répéter sur 
les lézards et les autres repules de Saint- 
Domingue; des dangers auxquels est exposé le 
botaniste au milieu des poisons végétaux qui se 
rencontrent communément. Mais, pour ne plus 


PRÉLIMINAIRE. xLVij 


alarmer mon néophyte, je cesse de lui retracer 
les inconvéniens de l’île, et je lui en fais appré- 
cier ensuite les rares avantages. Je lui soumets 
en conséquence le tableau des ressources qu'offre 
St.-Domingue, sous le rapport des subsistances ; 
des manufactures qui y sont établies ou qu’on 
pourroit y établir, d’autres avantages qu'®n 
pourroit retrer de la cochenille, des vers à 
soie, des épices, des laines et des abeilles. 


Je conduis ensuite mon néophyte au milieu 
d’un jardin, etil reconnoît avec moi qu'on peut 
adapter les charrues à la culture colomiale. Je le 
rends témoins des récoltes du riz, de célle du 
coton, du sucre, du café, de l’abattis des bois 
propres aux constructions et à la teinture. 


Quelques petits voyages donnent lieu à denou- 
velles observations sur les usages de la colonie, 
sur les chasses du pays, et sur les raz de 
marée, 


Mon néophyte me suit un autre jour sur les 
habitauons Guyot et Robuste, puis à Saint- 
Marc , chez M. Tussac , où 1l admire avec moi la 
belle Æore des Antilles, à laquelle ce zélé natura- 
liste travaille depuis quinze ans ; c’est alors qu'il 
saisit avec empressement le double avantage de 
faire la route du Cap avec M. Tussac, et d’y 
revoir M. Roume. Ce voyage devient instrucuf 


XLVii} DISCOURS 
en raison des remarques qui ont peine alors à 
échapper aux regards de trois observateurs. 

Arrivé au Cap, je conduis mon néophyte au 
jardin de botanique de l’hôpital des Pères, d’où 
il contemple avec un juste enthousiasme la 
position de la rade. Je le mène ensuite à l'agence 
dusgouvernement, pour le faire présenter avec 
moi par M. Roume aux naturalistes qui y sont 
attachés , et qui à leur tour nous annoncent chez 
M. Daubertès, possesseur d’un cabinet d’his- 
toire naturelle où se trouvent réunies toutes les 
coquilles que fournissent les côtes de Saint- 
Domingue, riches en ce genre de production. 

Je repars pour les Gonaïves, où Je trouve 
l'ordre de me rendre sur-le-champ aux monts 
Cibao , pour donner l’état de la situauon de ces 
mines anciennement exploitées. Quelle joie pour 
mon néophyte, qui n’avoit encore pu faire aucun 
essai minéralogique ! 

Dans le voyage, nous irouvons à joindre 
l’aule à l’agréable ; c’est pourquoi tout en efleu- 
rant les rochers métalliques que la Nature semble 
vouloir retenir dans son sein, nous admirons la 
beauté de tous les sites de la partie espagnole , et 
limmensité de la chaîne des montagnes du 
Cibao. Nous visitons les anciennes minières 
comblées depuis un tems immémorial. Ce 
voyage , et une collection de minéraux que je 

parviens 


LA 
A 


PRÉLIMINAIRE. XLIX 


parviens à me former, me donnent les moyens 
d'offrir aux minéralogistes les tableaux de /x 
géologie de Saint-Domingue, que je fais précé- 
derd’instrucuons sur la manière dont les naturels 
d’'Haïñtr, et par suite lés capufs espagnols exploi- 
toient les mines , et comment encore aujourd’hui 
les orpailleurs recueillent , au moyen de sébiles, 
le sable aurifère que charriént plusieurs rivières. 

Nous quittons ce théâtre devenu le tombeau 
de tant de malheureux Indiens , pour porter nos 
pas dans la campagne , avec l’intention d’y sur- 
prendre l'Espagnol simple et paisible, de le 
suivre dans l’intérieur de son: ménage, et d’y 
jouir avec lui d’une paix délicieuse qu'aucune 
passion ne vient troubler. 

Je saisis au retour l’occasion d’entretenir mon 
néophyte , des salines de la partie espagnole, et 
de celles de la parue francaise ; je le conduis 
sous des voûtes sombres qui inspirent la terreur, 
et où au milieu de grottes pittoresques il admire 
de belles stalacutes menaçant de leur poids 
énorme les stalagmites mamelonnées qu’elles 
ont déja formées ; je l’introduis au milieu d’antres 
plus redoutables, et où des feux souterrains 
conspirent pour ébranler la terre , et l’embraser 
de ses flammes dévorantes : c’est après l'examen 
des soufrières que se terminent nos courses 
minéralogiques. 

e retour à l’Arubonite, mon néophyte veut 
Tome I, | 4 


L DISCOURS 


ÿ partager mes contrariétés et les vexauions que 
les noirs exercoient alors envers les proprié- 
taires blancs. C’est au mulieu de ces traverses 
que l’adjudant-général Huin , député en France 
par Toussaint-Louverture , vient prendre mes 
dépêches sur l’habitauon de PEtable où 1l sait 
nous faire respecter, et menace, en notre pré- 
sence , nos noirs de toute la rigueur des lois, 
s'ils persistent dans leur inisubordmation. 

Cet officier-général m’emmène avec lui au 
Port-au-Prince , et pendant la route me recom- 
mande à tous ses amis : c’est à cette faveur que 
je dus l’analyse des sources puantes de la Croix- 
des-Bouquets. 

M. Huin re ed’allers ‘embarquer amCap, 
il veut que j’assiste à son départ, et m’emmène 
avec lui; c’est là que je recois de Toussaint-Lou- 
verture le sauf-conduit qui devoit protéger mes 
courses d'Histoire naturelle. 

Quelques onecdotes sur l'originalité des 
ratelots , sur le caractère des colons de Samt- 
Domingue; quelques réflexions sur la situauon 
du pays; un trait de la fidélité d’un chien ; un 
autre qui prouve l'attachement d’un aras ; un 
exemple de piété filiale ; enfin une nouce sur les 
eaux.de Boines, terminent /e second Folume de 
mes Voyages. . 

Soudain je quite les campagnes habnées, 
pour conduire mon néophyte au sein d’une 
nature sauvage, dont la sombre verdure glace 


cs 


PRÉLIMINAIRE. Li 


les sens de terreur, et inspire une sombre mé- 
lancolie. Il frémit avec moi du morne silence 
qui attriste ces lieux déserts , et 1l ne l’entend 
interrompre que par des rugissemens sourds 
qui, sans être bruyans et tonitrueux , alarment 
l’imagmauon. Bientôt 1l voit s’élancer du nu- 
lieu d’épiues un monstre bideux qui le menace 
de sa fureur; ce monstre est le Crocodile de 
Saint-Domingue , qu'on y appelle Caïman , et 
dont l’histoire commence Le troisième: olume 
de mes Voyages. 

Je n’entrerai dans aucun détail sur le som- 
maire des treize chapitres qui composent ce 
mémoire; 1l me suffira de dire que j'en ai 
reuré toute la partie anatomique , étrangère au. 
récit d’un voyageur , et dont je réserve la pu- 
blicauon pour les savans et les anatomistes : je 
me suis principalement attaché dans cet Ou- 
vrage à décrire les mœurs du Caïman avec exac- 
utude, et à raconter plusieurs faits qui furent le 
fruit de mes observations. 

Je donne connoissance à mon néophyte, des 
préludes de l'amour du repule ; je lui expose 
quelques détails sur son accouplement , et sur 
l’âge auquel il peut produire ; et à la faveur de 
nos promenades réitérées, je Ini fais remarquer 
successivement les soins du mäle et de la femelle 
avant et apres la ponte. 

Bientôt mon curieux néophyte déterre avec 


4% 


Lil DISCOURS 


moi les œufs.de ces reptiles , et impatent d’en 
connoître le développement , 1l les ouvre pour 
examiner la position du repule sous cette enve- 
Joppe crétacée, 

Une étude constante, et des observations 
mulupliées nous fournissent des détails sur ses 
mœurs, sur les ruses qu’emploie le repuüle, et 
sur la perfection de son organe olfacuf. 

Mon néophyte trouve trop d'intérêt dans cette 
contemplation pour ne pas m’engager à lui 
fournir les moyens d'examiner de plus près le 
terrible amphibie; 1l me propose d’attaquer 
l'animal , et je profite de son ardeur pour le di- 
riger dans les diverses chasses qu’on fait aux 
Caïmans : mon néophyte n’y trouve pas toujours 
de l'agrément , mais le désir de s’instruire le fait 
surmonter avec courage les difficultés qui se 
rencontrent, et les dangers auxquels on est 
exposé dans ces attaques périlleuses. Armé de 
prudence, il se méfie à l'approche de toufles de 
roseaux qui recèlent un dangereux ennemi; 
c’est pourquoi notre chasseur se tient sur la 
défensive , ettoujours prêt à faire feu au moindre 
mouvement du Caïman qui souvent brave 1m- 
punément plusieurs décharges. 

Mon néophyte est studieux , et voulant mettre 
à profit tous les instans qu’il passe avec moi à 
Saint-Domingue, il me propose tous les soirs 
une promenade nocturne, dans laquelle nous 
pourrons, à la faveur des ombres de la nuit, 


PRELIMINAIRE. Li] 
assister aux rassemblemens des nègres, sans nous 
y faire connoître , et étudier par ce moyen les 
mœænrs des habitans de Guinée qui ont été 
transportés à Saint-Domingue. 

Ce projet nous réussit , et nous procura suc- 
cessivement des renseignemens exacts sur es 
Dunkos et les ÆAradas, amans jaloux et em- 
poisonneurs ; sur ceux de da, dont les 
femmes tatouées sont néanmoins coquettes 
malgré cette‘ muulation; sur les nègres d'Æsse, 
sur ceux si cruels d'Urba, sur ceux d’'Ænina 
qui croient à la Métémpsycose, et parmi les- 
quels on voit des mères éperdues, le dirai-je? 
Ô Nature ! des mères dénaturées porter sur leurs 
enfans une main homicide, pour les dérober à la 
honte de l'esclavage! 

Les nègres Zbos nous présentent des mœurs 
plus douces , et des exemples d’un amour cons- 
tant et sincère; vient ensuite l'étude des nègres 
de Beurnon, sévères observateurs de leurs 
principes pieux et favorables à la pudeur qui, 
parmi eux, est regardée comme la première 
vertu des femmes. 

Nous remarquons que les nègres Mozam- 
biques professent la religion catholique qui leur 
a été communiquée par les Portugais; mais qu'il 
se reucontre parmi ces Africains une secte de 
vaudoux, espèce de convulsionnaires, dont les 
principes religieux sont diamétralement opposés 


à ceux des Mozamhbiques devenus catholiques. 


Liv DISCOURS 


Un autre groupe des nègres que nous obser- 
vons dans ces rassemblemens nocturnes , nous 
fournit des détails sur la sépulture des rois de 
Dahomet, sur la barbarie des nègres de cette 
nation envers leurs prisonniers ; sur la coquet- 
terie toujours naturelle aux femmes, et qui porte 
celles de Dahomet à se parfnmer avec excès; 
enfin sur d’autres faits relaufs aux mœurs et 
coutumes de ces peuples de l'Afrique. 

En nous glissant d’un ajoupa à l’autre, nous 
apercevons des Akréens , des Crépéens , et des 
ÆAssianthéens , rassemblés autour du feu, et 
occupés à y faire boucaner l’épi de maïs qu'ils 
prélérent à toute nourriture. Nous apprenons 
d'eux que les népres de leur nation sontidolàtres, 
qu'ils consultent leurs féuches dans les circons- 
tances criuques; qu’ils ont la peau et les che- 
veux diversement colorés par le secours d’un art 
grossier : un d’eux rappelle à ses camarades leur 
coutume de comurer les flots avant de livrer une 
bataille ,et de ürer un heureux ou un fâcheux pré- 
sage du calme ou du courroux des vagues qu’on 
va consulter. Cet orateur naïf Gécrit avec l’exac- 
üutude de celui qui se reporte str la scène, les 
armures des généraux et de leurs soldats; la pré- 
caution de ces derniers à l'égard de: prisonniers 
qui seront faits dans le combat. !1 adopte, 
comme Crépéen , la coutume que pratiquent 
ces peuples d’enfouir leur argent avant la ba- 
uille qu'ils ont à livrer. Bientôt quittant les 


PRELIMINAIRE. LV 


horreurs de la guerre ; ce fidèle narrateur, au 
secours d’une mémoire prodigieuse , naturelle à 
tous ceux de.son pays, se reporte à des occu- 
pauons plus douces ; et décrit les chasses et les 
pêches auxquelles se livrent généralement es 
Akréens , les Crépéens , et les Assianthéens 
pendant la majeure partie de la journée. Îl ter- 
mine son récit par quelques instructions rela- 
tives aux mœurs des Popéens très-cérémomieux 
envers leurs supérieurs. | 

À peine avons-nous quitté cette société , Joyeuse 
. de pouvoir se reporter par la pensée en un pavs 
qu’elle regrette, que nous observons nn groupe 
de Phylanis , nouveaux Juifs, et dont la destinée 
est de mener une vie errante. Ces modestes Afri- 
cans,, simples dans leurs mœurs, voyagent avec 
de nombreux troupeaux , et fournissent aux peu- 
plapes des pays qu’ils parcourent, un laitage gras 
et pur, que leur loyanté ne leur permettroit pas 
d’altérer au moyen d’un liquide étranger. Nous 
adnurons union intime de ces nègres bons et 
caressans , et regretions que ces qualités ment 
dégénérées depuis qu'ils ont connu des peuples 
policés. L'un des Phylanis présent, l'alpha (1) 


— 


(1) Grand prêtre et sacrificateur. Ce brave benjamin 
d’une douceur angélique, et comme vieillard, habitué à 
recevoir avec résignation les nsultes de jeunes nègres 
pervers, me fit don per suite de tablettes de taches de 
bambou, sur lesquelies iltraca à l'aide d’une baguette fen- 
due, el de l’encré composée de jus de citron et de siliques 


LY] DISCOURS 

de leur secte , et vieillard octogénaire, apprit à ses 
enfans qui l’entouroient, que ceux de sa religion 
vivoient en Guinée au milieu de la paix et de la 
bonne intelligence ; qu’on y infligeoit une puni- 
tion exemplaire aux enfans: qui manquoient au 
respect di aux vieillards ; que leur religion avoit 
beancoup de rapport avec celle des Juifs ; en effet, 
après avoir décrit leur temple mobile, 1l parle 
des cérémonies qui s’observent dans les jours de 
te, et du sacrifice du bélier qui a lieu au 
Be jour d’Æzdcbiché, en commémoration 
du sacrifice d'Abraham. 


Nous quititons avec d’antant plus de regrets la 
réunion des bons Phylauis , que mon néophyte 
et moi, nous surprenons avec indignation plu- 
sieurs aveux de nègres de Diabon, cruels et 
féroces par habnude autant que par caractère. 
Ces monstres immolent à leurs dieux, d’après 
le conseil de leurs prêtres, les étrangers qu'ils 
surprennentsur leurs terres, tandis qu'ils tolèrent 
parmi eux l’assassinat de leurs pareils. 

Nous ne sommes pas plus heureux en pro- 
longeant notre marche , puisque nous ren- 
controns une assemblée de Congos nègres, qui 
semblent réunir en eux tous les vices contraires à 


d'acacia , les dogmes de sa religion que je regrette bien 
de n'avoir pu rapporter en Europe. Ceslignes écrites dans 
le sens opposé à notre usage, offroient des caractères 
hiéroglyphiques très-variés et très-curieux, 


PRÉLIMINAIRE. 1 vi) 
la société. Néanmoins nous nous cachons avec 
soin à quelques pas du cercle de ces Guinéens, 
pour entendre ‘e plusieurs anecdoies qui concernent 
cette peuplade rustre et cruelle. 

Enfin, après avoir recueilli des instructions 
propres à faire connoître la secte des vaudoux , 
fameuse par ses opérations ridicules, par ses 
prédictions emphatiques et ses menaces diabo- 
liques , nous terminons nos observations sur les 
mœurs et contumes des Guinéens transportés à 
Saint-Domingue, par l’histoire des nègres nés 
dans cette colonie. Suivent immédiatement le 
dénombrement de diverses peuplades guinéennes, 
et le résultat des nuances produites par les com- 
binaisons du mélange des blancs avec les négres. 

Je dois autant à l’attachement que me porte 
mon néophyte , qu'au désir de F'instruire de la 
révolution du pays, les détails de ma capuvité; 
et comme un récit qui ne m'eût été que per- 
sonnel, n’eût point servi à son instruclion, Je 
l'introduis premièrement à la cour de Toussaint- 
Louverture, et je lui fais connoître Île caractère 
impérieux de ce chef africain, et celui non 
moins entreprenant du substitut de ses pouvoirs, 
de Dessalines enfin. Je rappelle l'empire arbi- 
traire des noirs avant l’arrivée du Capitaine- 
Général Leclerc , je lui fournis des anecdotes sur 
le règne de Toussaint-Louverture , el sur son 
projet d'indépendance , qu’une ‘hiérarchie de 
pouvoirs fit conjecturer long-tems auparavant, 


Lvul] DISCOURS 

Je retrace à mon néophyte les preuves de la 
rivalité éxistante entre Toussaint-Louverture et 
M. Roume, agent fidèle au Gouvernement 
francais, et par cela même, en but aux vexa- 
üuons du premier; je dépens les mœurs de la 
cour du chef noir, et je mêle à mon récit des 
anecdotes secrètes de la vie privée de Toussaint- 
Louverture et de Dessalines , qui me sont ou 
personnelles, ou dont j'ai connu les principaux 
acteurs. 

Toussaint-Louvertnre projetieau Cap de rendre 
la colonie indépendante, et ordonne le massacre 
de tous ceux qui seroient dans le cas de s’opposer 
à l'exécution de ses vastes projets. Il sacrifie son 
neveu Moyse, général commandant la partie 
du nord , pour s’être permis quelques réflexions 
contre l'indépendance , et en faveur de la 
métropole. ‘ 

Dessalines instruit de l’arrivée de l’expédiion 
française , par une correspondance qu'il fan 
intercepter , se rend au bourg de la Peute-Ri- 
vière de l’Arubonite, où 11 harangue les soldats 
et les cultivateurs. Bientôt les blancs deviennent 
la couleur proscrite , et leur tête est mise à pfix; 
le Cap est incendié , on arrête tous les blancs , et 
on ordonne leur massacre. Ces détails toujours 
pénibles à répéter, se trouvent très-circons- 
tanciés dans le troisième Volume , et ma plume 
en ce moment refuse de tracer de nouveau des 
horreurs aussi révoltantes ! 


PRELIMINAIRE. LIx 


Je n’ai rien omis dans le récit de ces barbares 
persécutions contre les blancs , parce que je me 
suis rappelé , comme .un auteur moderne, «que 
» les hommes et les enfans se plaisent aux récits 
» des aventures lamentables : les voyages pé- 
» nibles et périlleux, les longues souffrances, 
» les catastrophes , sont des sources de plaisir 
» pour celui qui hit ou qui écoute ; plus le héros 
» est malheureux, plus le lecteur est satisfait : 
» le mérite littérairé est presque nul dans ces 
» sortes d'ouvrages ». En effet, j'ai souvent re- 
connu que les voyages purement scienufiques 
n'intéressent qu'un peut nombre de lecteurs, 
tandis que ces mêmes voyages variés par des 
anecdotes , sont à la portée de tout le monde. 

On y-verra à combien de périls j'ai été exposé, 
et si je dois bénit la Protection invisible dont la 
toute-pui ssance prévalut toujours sur le crime, 
et se plat tant de fois à déjouer lesprojetsinsensés 
de mes barbares ennemis, Ah! dans l'excès de 
ma juste reconnoissance je mécriois souvent 
avec Joad : 


Celui qui met un frein à Ja fureur des flots 

Sait aussi des méchans arrêter les complots. 

Soumis avec respect à sa volonté sainte, 

Je crains Dieu , cher Abner , et n’ai point d'autre crainte! 


En eflet, une confiance absolue en l'Auteur 
des destins, m’a souvent fait contempler Ja 
mort sans päalir, tandis que les athées qui n’en- 
touroient, versoïent des larmes et se livroiïent au 
désespoir. Quelles étoient leurs ressources , et 


Lx DISCOURS 


quel étoit leur soutien en ces momens cala- 
miteux ?...! 

J’arrache mon néophyte au théâtre sanglant 
des massacres du bourg de la Peute-Rivière, 
pour l’emmener avec moi, existant par nuracle, 
dans les hautes montagnes des Cahaux, où l’on 
me confie la direcuon des ambulances de l’armée 
noire. Toujours capuf au milieu des grandeurs 
dout on m'a revêtu, dénué de tout, malgré une 
abondance dont on devoit me croire le dispen- 
sateur , jetraine des jours malheureux, etsuis sans 
cesse exposé aux poignards de nègres qui ontjuré 
ma mort, et qui me tendent continuellement des 
pièges dans lesquels ils doivent m’immoler. 
Devant jouir d’une liberté absolue, jesuis conduit 
au fort trop fameux de la Crête-à-Pierrot , où 
l’ordre est donné de me faire sauter avec la pou- 
drière. Cest là que la Toute-Puissance qui veil- 
Joit sur moi, se signala par des merveilles, et 
sut me soustraire sain et sauf aux feux croisés 
dirigés sur moi dans ma fuite vers l’armée 
francaise. 

Ces dangers imminens n’étoient point les der- 
nicrs qui rn'étoient réservés, et rendu au milieu 
des Francais mes compatriotes, j'y retrouve des 
noirs qui exercent contre moi tous les ressorts de 
Ja plus allreuse vengeance, et malgré mes pré- 
cautions, je suis empoisonné ! Mes ennenns 
punis , Et ma santé étant rétablie, je reprenois le 
cours de mes observations sur l'Histoirenaturelle, 


PRÉLIMINAIRE. Lx} 
lorsqu'un nouvel orage poliique commenca à 
gronder. Le général Thouvenot, chef de létat- 
major - général, ami et protecteur des arts, 
ordonne mon départ pour la France, afin de 
mettre nos manuscrits à l'abri d’une nouvelle 
insurrecuon, et qui éclata au moment où le canon 
de notre départ se fit entendre ; nos voiles com- 
mencoient à peine à s’enfler que l'attaque du 
Portau-Prince eut lieu, et que le feu ÿ fut mis 
de toutes paris. 

Mon néophyte quitta ainsi que moi avec 
regret un aussi beau pays, et encore nouveau 
pour les observateurs, mais 1l se consola par 
l'espoir de mettre à profit'le reste de son voyage, 
Le hasard nousservit ; car au lieu de débarquer à 
Toulon, heu de notre destination , les Anglais 
nous ayant donné la chasse , nous fñmes con- 
traints de mouiller en la rade de Cadix, avec 
lespoir flateur de traverser l'Espagne dans son 
plus grand diamètre , pour nous rendre à Paris. 

Après une quarantaine toujours prescrite aux 
passagers qui arrivent des pays chauds, je n’ai 
rien de plus pressé que de faire connoître au 
studieux néophyte qui m’accompagne , l’inté- 
rieur de Cadix ; nous en visitons aussi les envi- 
rons ; nous y faisons plusieurs remarques sur les 
mœurs et usages des habitans, et après un 
assez long séjour pour bien eonnoître ce pays, 
pous nous mettons en route pour Madrid. 

En traversant l’Ændalousie, la Manche 


LAST DISCOURS 

ceiebre par les exploits de Don Quichotte, et la 
Castille-Nouvelle, nous faisons des remarques 
fort intéressantes sur la nature du climat, et sur 
les habitudes des Espagnols qui. habitent ces 
contrées. La ville de Jadrid nous donne asile 
un certain tems que nous employons le mieux 
possible en observauons. 

Nous quittons cette ville, et nous prolongeons 
nos études sur l'Espagne, en traversant la Vieille- 
Casulle et la Biscaye (1). Nous arrivons au 
passage du pont de limites jeté sur la Bidassoa, 
et nous pénétrons sur le territoire français où, 
par un sentiment naturel aux cœurs sensibles , 
j éprouvai une douce émotion en retrouvant une 
patrie que je croyois ne plus revoir. Enfin, après 
des détails curieux sur les usages et les mœurs 
des habitans des Landes des environs de Bor- 
deaux qu’un événement nous oblige de visiter, 
nous nous rendons à Paris où je fais mes adieux 
à mon néophyte, avec l'espoir qu'il se rappel- 
lera quelquelois de nos entreuens ; c’est la seule 


(1) J'ai ajouté aux descriptions topographiques un 
tableau itinéraire qui remplacera la carte d'Espagne, 
devenant inutile pour la connoïssance des pays que 
j'avois à parcourir. La première colonne de ce tableau 
donne des instructions géographiques, la seconde 
indique les lieux , et dans h troisième, le voyageur voit 
d'un coup d’œ1l Les posades qu'il doit choisir de préfé- 
rence, et apprend en même tems à connoitre les pro= 
ductions du pays indiqué, 


PRÉLIMINAIRE. vxiij 


récompense que j'exige de lui pour tous les 
soins que j'ai donnés à son instruction. Mon 
tems, dansces voyages, étoit consacré aux progrès 
de l'Histoire naturelle, et j’ai cherché par là à 
inter le travail de l'abeille qui n’a d’autre 
désir que de déposer son butin .dans la ruche 
commune. D 

J’ai tâché de rassembler et de décrire avec 
le plus d’exactitude possible, les objets variés 
et dignes d’être remarqués dans mes différens 
voyages, et j'ai toujours vu avec des yeux 
admirateurs ces chefs-d’œuvres de la Nature, 
dans l'espoir de faire partager à mes lecteurs mon 
juste enthousiasme pour leur divin Auteur. 

J'ai dû, comme principal héros de ces voyages, 
acer mon histoire. «Car on aime à parler 
» de soi, dit Montaigne , et ceux qui censurent 
» le plus amérement les écrivains à ce sujet, 
» privés du talem d'écrire, occupent sans cesse 
» les sociétés de leurs principes et de leurs 
» acuons». (On doit à cet égard , dit Gresset, 
» s’honorer des critiques, mépriser les satres, 
» profiter de ses fautes, et faire mieux ». Je 
demanderai donc grace pour quelques termes 
francisés qui m'ont paru mieux rendre le sens 
de la chose, et mon intention semble jusufier 
cette licence, Je ne serai point disert, mais je 
serai vrai, et mes récits seront comme ceux des 
voyageurs devroient toujours l'être. 

J'ai cru devoir ajouter dans le cours de ma 


Laiv DISCOURS, eic. 


narrauon , des notes instructives demandées par 
des personnes qui n’ont point fait de voyages sur 
mer; ce qui m'a forcé de répéter avec quelque 
modification des descripuons déjà connues. 

On trouvera peut-être étrangère à l'Histoire 
naturelle une digression sur la musique? mais 
qui n’est plus ou moins sensible à ses douceurs?.! 
« Interrogeons les animaux mêmes, dit Gresset, 
» interrogeons le peuple ailé des airs , le peuple 
» muet des ondes, le peuple fugiuf des forêts et 
» des rochers, et tous se montreront sensibles à 
» l'harmonie (r)». Consultons maintenant la 
classe des êires raisonnables, et pour nous 
rapprocher davantage de la simple Nature, 
choisissons le tableau d’une nourrice qui cherche 
à endormir son enfant au berceau ; y parviendra 
telle avec des menaces?.. apaisera-t-elle les pleurs 
de son nourrisson en le grondant?.! Ses chants 
seuls sauront le calmer en bercant mollement 
son imagination pure. 'Fel estle pouvoir indicible 
de: l'harmonie ! 

Enfin j'ai voulu instruire, intéresser et être 
uule, y suis-je parvenu? c’est ce que l'avenir 
mé prouvera. Heureux , si j'ai acquis des droits 
à lindulgence de mes lecteurs ! 


& a 
(1) Voyez le savant discours de Gresset sur les 
pouvoirs de l'harmonie. , 


VOYAGES 


|] 


= 


TS a 0 


Phare de ce 


harles “Town. 


ST CET) 


VOYAGES 
D'UN 


NATURALISTE. 


ne. un orage violent (1), lorsque les gouttes 
d’eau commencoient à filtrer moins précipitam- 
ment du chaume de notre retraite ; alors que les 
moutons, sortant de leur abri, commencoient à 
bondir en cherchant leur pâture, le ciel épuré 
reprenant son azur éblouissant, et le tonnerre 
sourd ne s’annonçant plus qu'au lointain, 
M. Desdunes Lachicoue, oncle de mon épouse, 


(1) Ces orages sont connus dans les Antilles, sous le 
nom de travade ou tornado. Ces pluies des pays chauds 
sont toujours accompagnées de tonnerre. Le ciel, 
quoique paroissant serein, laisse pourtant apercevoir 
à l'est un petit nuage noir porteur de la foudre et des 
éclairs. Ce nuage amoncelé s'étend lorsqu'il doit pleu- 
voir ; alors s'élève un tourbillon de poussière, et incon- 
tinent le firmament s'obscurait. L'éclair sillonne les 
nues, et le tonnerre se fait entendre. Les cataractes du 
ciel entr'ouvertes , il tombe une pluie abondante 
pendant l'espace de deux heures environ; après lequel 
temps l'horizon s'éclaircit , et le ciel reprend son azur. 


Tome I. B 


15 VOYAGES 

et notre bon hospitalier à Saint-Domingue, me 
voyant soupirer en suivant des yeux un couple 
de pigeons en amour, chercha à me distraire 
d’une pensée accablante qui agitoit alors mon 
cœur. Ainsi, pour calmer mon impatience, et 
soulager mes maux par un récit, il me pria, au 
nom de l’amitié que je lui portois, de lui racon- 
ter tous les événemens remarquables d’un voyage 
que j'avois entrepris, pour débattre auprès du 
gouvernement les intérêts de sa famille, devenue 
la mienne. Après lui avoir dépeint l’état cruel 
d’un époux et d’un père au moment d’une sépa- 
ration, peut-être éternelle, je commencai ainsi , 
à l’aide de mon journal. 

Vendredi 25 mai 1798, à quatre heures du 
matin, 1l fallut se séparer. Après avoir étroite- 
ment serré sur mon cœur la jeune épouse qui 
nv’étoit chère, je la quittai en silence, pour aller 
encore jouir une fois avant mon départ, à la vue 
du sommeil paisible de notre bel enfant, à peine 
âgé de six mois. Les petites jambes en l’air, une 
main appuyée sur les bords de son berceau , 
l’autre sur l’oreiller, je considérai quelques ins- 
tans l’état de repos dù à une ame aussi pure. 
Qu'il étoit beau ! Son teint animé des plus fraîches 
couleurs, sa bouche entr’ouverte laissant échap- 
per une paisible respiration, ajoutoient encore 
à mes justes regrets. Je ne voulois point troubler 


D'UN NATURALISTE. 19 
son sommeil, et je ne pouvois me résoudre à le 
quitter, sans le serrer encore une fois dans mes 
bras paternels, Je cédai à mon doux penchant, 
mais avec tant de modération que le pauvre en- 
fant ne se réveilla pas. 

La mère de mon épouse et moi, nous mon- 
tâmes en voiture, où j'entendis avec peine les 
conversations bruyantes des voyageurs. Leurs 
plaisanteries grossières me fatiguoient, car j'é- 
tois attendri. Bientôt hors des barrières des 
Champs-Elisées , nous arrivämes à Neuilly, dont, 
pour la seconde fois, j'admirai la hardiesse du 
pont. Nous traversämes le Pecq et Saint-Ger- 
main-en-Laye, au milieu d’une affluence considé- 
rable de peuple ; c’étoit un jour de marché. 

Avant d'arriver à Meulan , nous vimes à 
drotie de la grande route une pente escarpée 
garme de vignes, pièces de blé, plantes légu- 
mineuses et fourragères. En sortant de cette ville, 
le paysage change tout à coup ; 1l devient plus 
riant , et son aspect plus agréable. La rive gauche 
offre un pays de plate forme, orné de prairies 
naturelles, que baigne la Seine serpentante , et 
et qu'ombragent de longues allées de saules , qui 
réfléchissent leurs rameaux déliés dans l’onde 
du fleuve. De hauts monts hérissés de rochers 
escarpés bordent aussi l'horizon lointain. Quel- 
ques chaumières éparses cà et là diversifient Ja 


B 2 


%0 VOYAGES 


nature du paysage. On voit aux environs de ces 
babitauons fortunées , cerisiers, amandiers, 
ormes et noyers, dont les rameaux et la verdure 
différemment nuancés contrastent élégamment 
avec l'émail de la prairie , dont ils relèvent la 
bigarrure et l'éclat par leur couleur uniforme. 

On remarque aussi sur ces coteaux des réduits 
paisibles au milieu d’un bois sombre, dont Pas- 
pect charma ma mélancolie, cette volupté du 
malheur. La rive de ces côteaux moins boisée 
sert de päture à la lourde génisse , à la chèvre 
légère et lascive, ainsi qu’au paisible agneau, 
qu'on voit brouter autour des sommités du feuil- 
fage nouveau. Quelques garennesisolées décorent 
aussi le côteau enrichi d’une source précieuse 
qui se trouve sur le bord de la route, et qui 
juillhtdu sommet d'un rocher couvert de mousse. 

Lei, sur le bord d’un fossé, le jaune palissant 
de la funeste uthymale s’éteint auprès de la pa- 
querette bigarrée , et de la vive couleur du pon- 
ceau, Là, j’aperçois, au milieu d’un tapis d’une 
verdure uniforme, s’élever une belle lampsane , 
qui prête à mon imagination une douce allégorie. 
Pientôt mes yeux suivent les ondulauons purpu- 
rines d’un sainfoin en fleur , qui fixe mes regards 
et mes pensées. 

Le paysage, en sortant de Mantes, est sec , 
sérieux et aride, El n’a plus l'aspect gracieux de 


D'UN NATURALISTE. œT 
cehu des environs de Meulan. Il à cependant ses 
beautés , et offre à la vue de vastes champs de 
blé et un riche vignoble. En quittant Boulé, on 
admire un pays élégamment boisé. A Ja gauche 
de la route, un côteau y offre les taillis les plus 
agréables , tandis qu’à la drone, s'élève un parc 
couvert de hautes futaies. La Seine baigne les 
murs du château, et la rive du fleuve est parse- 
mée de gros têtards de saules. 

re le dîner que nous fimes à Bonnicres., 
nous voÿageämes pendant une heure, en voyant 
de belles prairies où la paquerette, l'adomis , les 
renoncules, l’espargoute, l’orvale ,ettentd’autres 
plantes champêtres étalent leurs brillantes cou- 
leurs. La rive opposée de la Seine est bordée 
de bocages touflus, où l’on voit le charme et 
l’ormeau unir leurs rameaux, et les confondre 
avec ceux de l’épais coudrier. 

On y remarque les sentiers parsemes de fleurs 
de toute espèce ; humble pervenche, ia vipérine 
et le hierre terrestre en font l’ornement. La col- 
line escarpée offre à l'œil du curieux spectateur 
des carrières ouvertes , divisées par couches bien 
disunctes de marne, d'argile et de silex, dont 
les bancs forment des stries de toutes couleurs. 
Un sentier étroit, obstrué par les nouvelles 
pousses et ges des haies d’'aubépine , conduit à 
Ja sommité, et perfecuionne ce ravissant tableau. 


B 3 


5 VOYAGES 


Au milieu de cet intéressant séjour, que la 
Seine baigne de son onde à peine frémissante, 
se dessinent des languettes de terre qui forment 
des péninsules amplement garnies de marsaults , 
coudriers et osiers sauvages. Non loin de ces 
réduits silencieux , on disungue, au milieu de 
l'eau, des rets de pêcheurs construits en osier, 
et qui, par leurs contours irréguliers, détruisent 
la monotone de cette glace hiquide qui en ce 
lieu semble y couler sans murmure. 

Les environs de Vernon font plaisir à voir. 

Les rejets des bois qui se trouvent en am- 
phithéâtre en sortant de Guillon, offrent, par 
leur étendue considérable, un coup d’æil im- 
posant, et sont renforcés à la sommité par une 
large bordure de haute futaie. C’est là que l’on 
commence à rencontrer des plantations de poi- 
riers et de pommiers dont on fait le cidre, 
cette liqueur agréable et rafraichissante. 

En arrivant au pont de Vaudreuil , se trouve 
à droite dans une vallée profonde un site en- 
chanteur. La Seine s’y subdivise en deux bran- 
ches qui se rejoignent, après avoir formé par 
leur embrassement une île tapissée d’un beau 
gazon. Cette île décrit un ovale régulier. Sa 
rive est bordée de marsaults dispersés çà et 
là en grand nombre, et négligemmient plantés. 
On rencontre de superbes vergers entourés 


D'UN NATURALISTE. 23 
de haies vives. C’est là que le culuvateur foule 
aux pieds le genet éclatant, tandis que d’une 
main il cueille des fruits qui servent à étan- 
cher sa soif et calmer ses besoins. 

A la gauche du pont de Vaudreuil, l'art veut 
ennoblir la nature en lui prêétant ses ciseaux , 
et la conformant à des régularités trop austères. 
Un vaste château s’y trouve environné de longues 
et antiques allées qui y aboutissent en tous sens. 
De hauts frênes composent et dessinent ces co- 
lonnes, dont le couronnement verdoyant et delié 
est véritablement imposant. 

On y culuve la gaude (1), plante pyramidale, 
qui donne une teinture jaune du plus bel éclat, et 
dont on fait des envois considérables à l'étranger. 
On remarque dans ces parages des acres de terre 
plantés de chardons à foulons pour les manufac- 
tures voisines de draps d'Elbœuf et de Louviers. 
On y culuve en plein champ des asperges , aru- 
chaux, oignons, et autres plantes potagères. On 
traverse ensuite la forêt du Pont-de-l'Arche, 
plantée de hêtres en grande parue : elle a près de 
sept mille arpens. 


Nous repartimes de Rouen samedi 26 mai, à 


(1) Reseda luteola foliüis simplicibus, lanceolatis, 
anteoris, Linn. 6435. 


B 4 


2Â VOYAGES 


cinq heures du maun (1). Cest une ville assez 
mal bâtie , mais bien située , et agréable par ses 
promenades publiques ; intéressante par son 
port, où l’on commence à voir des goélettes et 
autres bâtimens de cabotage. La grande route , 
en sortant de la ville pour se rendre au Hävre, 
est plantée de doubles allées d’ormes non élagués. 
Les campagnes riveraines de la route sont cham- 
pètres , et offrent de chaque côté un coup d’œil 
différent. On voit à gauche de grasses prairies 
traversées et arrosées par la Seine. De l’autre, 
une colline très-haute ornée de beaux vergers, 
de potagers féconds , et d’agréables maisons de 
plaisance. 

Nous traversämes la forêt de la Valette, très- 
dangereuse par la fréquence des assassinats qui 
sy commettent. Nous arrivämes à Barenun , 
village à quatre lieues au delà de Rouen. IF est 


(r) Cette ville, capitale de la Normandie, est la 
patrie de plusieurs grands hommes, parmi lesquels 
ou compte Pierre et ‘Thomas Corneille, Jouvenet, 
Nicolas Lémery, Fontenelle et autres. On y remarque 
un pont de bateaux qui s'ouvre pour laisser passer les 
vaisseaux. C’est auprès de cette ville que sont les eaux 
minérales de Saint-Paul, à 24 lieues sud - ouest 
d'Amiens, 68 nord-est de Rennes, 42 nord par ouest 
d'Orléans, 4r nord-est du Mans, 28 nord-ouest de 
Paris, long. 16 deg. 45, 20. Lat. 49 deg. 26, 43. 


D'UN NATURALISTE. 25 


situé dans un fond richement boisé, et entouré 
de collines rapides. On y voit de belles planta- 
üons de poiriers et pommiers pour le cidre, On 
cultive dans ce pays, pour prairies arüficrelles, du 
trèfle au lieu de sainfoin. On y remarque de 
belles cochoises, parées avec une propreté qui 
devroit être enviée du reste de toutes les femmes 
de la campagne. 

Nous passämes dans Yvetot, bourg com- 
mercçant, où se trouvent plusieurs tuileries. Les 
dehors en sont variés en plantations d’arbres 
propres à la construction. On y voit beaucoup 
de cochoises en grand costume, la plupart occu- 
pées à filer du coton pour les ol de 
Rouen. On échardonne les blés dans ce pays, 
avec des pinces en bois très-longues, larges et 
plates à leur base. De jeunes agneaux bondissant 
près de leur mère, et des génisses suivant à pas 
lents les vaches qui les ont nourries, font }a 
richesse des propriétaires, et l’ornement des pätu- 
rages de ces hieux. Nous y vimes un nombre pro- 
digieux d’élèves. 

Plus loin , la grande route traverse une futaie 
de cinq rangs d’arbres de front, de quatre cents 
toises de longueur, et égale & chaque côté du 
chemin. Ces voûtes romantiques portent un abri 
bien précieux pour le voyageur fatigué. Cette 
chaussée dépend d’un chäteau nommé Nanc- 


26 VOYAGES 

teau. Les puits ont cent vingt-cinq pieds de 
profondeur, d’après le rapport d’un ingénieur de 
la marine qui voyageoit avec nous. 

Bolbec est traversé par un courant d’eau qui 
prend sa source près de la grande route. Cette 
espèce de canal sert à faire tourner les moulins. 
Il est uule également aux teinturiers , tanneurs 
et manufacturiers d’indienne. 

Le grand chemin d’Arfleur, village situé à 
deux lieues du Hävre , se trouve dans un creux, 
entre deux amphithéâtres de maisons de plai- 
sance parfaitement boisés. Dans ce pays, la plus 
petute chaumière a son pare qui en dépend. De 
hautes futaies contournent l'extérieur du do- 
maine, tandis que les arbres fruitiers sujets à la 
maraude et au pillage , ornent l’intérieur , et 
sont attenans à la maison du propriétaire, pour 
une plus parfaite surveillance. Les maisons y 
sont bâties en silex concassé , de sorte que le 
crépis qui les unit ne cachant pas la teinte du 
caillou , 1l semble voir des murs construits en 
poudingue. 

Nous approchions du Hävre de Grâce, lorsque 
nous renconträmes des voitures chargées de 
meubles et autres effets, et des groupes d’habi- 
{ans qui, fuyantieurs maisons, alloient chercher 
eur salut dans la fuite. L'enfance et l'adolescence 


marchent les premiers F avoient, malgré eette 


D'UN NATURALISTE 27 
calamité , la physionomie de l’enjouement ; Vâge 
viril qui les suivoit hâtoit le pas en sanglotant, 
tandis que les vieillards s’efforçoient de suivre en 
silence leurs enfans, leurs amis qu’ils ont vu 
paître. On nous apprit que les Anglais se dispo- 
soient à bombarder la ville. 

Le lendemain de mon arrivée au Hävre (le 
dimanche 27 mai 1798), je sorus l'après-midi 
pour me transporter sur le rivage de la mer. Je 
goüûtai son eau pour la première fois. La marée 
commençoit à remonter , et jeta sur les galets 
‘une quantité considérable d'étoiles de mer, de 
varechs et de facus, que mes veux avides convoi- 
tèrent bientôt pour ma collecuon d'histoire na- 
iurelle. 

Nous apercûmes à regret que le nombre des 
vaisseaux de la station anglaise étoit augmente , 
ce qui nécessairement devoit prolonger l’em- 
bargo, et ne permettoit plus d’entrevoir l’époque 
du départ de deux goélettes anglo-américaines , 
sur l’une desquelles j’espérois un passage. Je fus 
consolé de ce contre-tems, lorsque j’appris que le 
capitaine de la Julienne ne vouloit point révéler 
aux passagers le lieu de sa destinauon, et que 
celui de la Sophie, de peur d’être inquiété par 
les Anglais, ne vouloit recevoir à son bord que 
des anglo-américains. Vous n'avez donc qu'un 


paru à prendre, continua le commissaire prin- 


28 VOYAGES 


cipaldela marine, auquel j'avois été recommandé 
par le ministre, c’est de retourner à Paris, et 
d'en reparur pour Bordeaux, où il vient d’ar- 
river deux vaisseaux neutres qui n’y feront pas 
long séjour. Cependant, malgré ce nouvel espoir, 
nous ne pümes renoncer à celui de nous embaz- 
quer au Hävre. 

Les Anglais par leur station opiniätre en Ja 
rade, empêchant les courses des pêcheurs, nous 
ne pûmes manger encore que des limandes et 
des homards. Je regrettois d’autant plus cette 
pénurie, que je brülois d'essayer mon pinceau, 
dont l'emploi n'avoit été conseillé pour lin- 
térêt de mon journal. 

Je fis, toute la journée du mardi 29 mai, de 
nouvelles tentatives pour obtenir un passage sur 
le vaisseau la Sophie; mais j'eus la douleur de 
voir mes démarches vaines. Cependant je re- 
srettai moins Ce passage en examunant la Sophie, 
brick tellement petit et incommode pour les 
passagers, qu'a peine pouvoit-on se promener 
sur le pont, tant 1l étoit embarrassé d’ustensiles 
propres à la navigauon. On nrapprit en outre 
que nous y serions fort mal nourris pendant la 
traversée. Quoique tous ces inconvéniens soient 
supportables pour celui qui aspire au bonheur 
d’un prompt retour, cependant il fallut se rési- 
cr, et renoncer à ce nouveau projet. 


D'UN NATURALISTE. 39 

Le soir, Jj'acceptai l'offre qu'on me fit d’as- 
sister au départ de deux frégates francaises. Je 
saisis avec empressement ce spectacle nouveau 
pour moi. Comme on détendoit les voiles, un 
homme tomba à la mer; déja on ne le voyait 
plus, lorsqu'une embarcatuion qui vole à son 
secours le réchappe à linstant. Je vis avec plaisir 
la contenance noble et imposante de ces frégates, 
qui d’abord soriirent lentement des bassins du 
Hävre. Leur démarche encore peu assurée leur 
faisoit fendre tranquillement et sans résistance 
l'onde calme et sans écume, qui pressoit molle- 
ment leurs flancs. Leur mouvement étoit à peine 
sensible à l’œil, mais bientôt elles arrivèrent en 
pleine mer, et les flots mugissans commencèrent 
à les presser, et à se rassembler en montagnes 
autour d'elles. Bientôt ces masses énormes, na- 
guéres si tranquilles dans leur mouvement uni- 
orme, commenctrent à être poussées fortement 
par le vent, et voguant avec célérité, elles échap- 
pèrent bientôt aux yeux des nombreux spec- 
tateurs. 

On nous dit le lendemain que probablement 
ces deux frégates avoient été rencontrées par les 
croiseurs anglais, qui ne quittoient pas les pa- 
rages voisins; Car on entendit de terre, depuis 
trois heures du matin jusqu’à neuf, un feu roulant. 
On ne connoissoit point encore les résultats de 


30 VOYAGES 

ce combat naval. Curieux de découvrir en pleine. 
mer nos frégates, je dirigeai mes pas vers les 
phares de la Hève, et dans mon chemin je côtoyai 
la mer agitée. J’apercus d’abord deux frégates 
qui sembloient en ramener une au Hävre, lors- 
qu’une bordée de la batterie de terre fit virer les 
trois bâumens, qui disparurent en un clin d'oeil, 
en conunuant le feu le mieux nourri jusqu'à 
deux heures de l'après-midi, sans qu’on ait pu 
connoître l'issue de ce nouveau combat. 

Je revins par un chemin creux très-profond , 
site romantique en pente tortueuse , étroite et 
très-sombre. Le soleil ne pouvoit échauller cet 
endroit, sans cesse rafraîchi par les fontaines qui 
en arrosent les bords garnis de divers espèces de 
séranium et de fougère, dont le feuillage élégant 
cède avec grace au souffle du moindre vent. La 
triste armoise occupe aussi quelques parues de 
ce terrain, au nulieu duquel on rencontre un 
donjon bâu sur un mur en ressif, qui se trouve 
enterré et confondu dans une palssade de 
sureaux. 

On arrive par ce chemin enchanteur à Sant- 
Adresse, village situé à une lieue du Hävre, qui 
s'étend vers la mer, et où l’on rencontre par- 
tout des fontaines bordées de larges bardannes , 
de l’élégant arrête-bœuf, de lodorant marrube, 
de lache ombellifère et de la mauve purpurine. 


D'UN NATURALISTE. SD 
Les habitans de ce pays sont presque tous 
pêcheurs. 

Nous apprimes que les deux belles frégates, à 
la sortie desquelles j'avois assisté , ayant ren- 
contré les Anglais, se battirent pendant douze 
heures avec eux. La vaillance éprouvée du capi- 
taine Peuvrieux , qui les commandoit, futencore 
mise à l'épreuve. Déjà tout couvert de blessures 
honorables, il réunit à sa grande valeur les qua- 
lités de bon marin. Il ne voulut pas amener 
pavillon , mais sa frégate hors de combat, criblée 
par les boulets et faisant de l’eau, fut échouer 
sur le rivage d'Yves. 

On nous servit des chevrettes (1) et des or- 
phies (2). Ce dernier estun poisson long etétroit, 
dont larête supérieure de la mâchoire, den- 
telée en scie de même que linférieure, est 
beaucoup plus longue que cette dernière. Ce 
poisson est très-délicat ; ses arêtes qui sont en 
peut nombre sont d’un beau vert d’aigue marine. 
L’après-mudi, je fis le tour des bassins du Hävre 
avec le commissaire de la marine, qui m’an- 
nonça que pour la sûreté des vaisseaux neutres , 


(r) Ou salicoque, ou bouquet; gibba squilla. Petit 
crustacé de mer, armé d’une grande corne au front. 


(2) Ésoce orphie ; esox bellona, Lacépède, tom. V, 
pl. VIX, no, x, 


’ 


32 VOYAGES 

et crainte de leur incendie en cas de bombar- 
dement , il alloit les faire passer à Honfleur. 
Éette nouvelle n'’affligea , parce que le bâtiment 
sur lequel nous avions le projet de nous embar- 
quer étoit compris dans ce départ. 

Je me donnai encore toute la soirée beaucoup 
de mouvement pour assurer notre départ. J’allois 
de vaisseau en vaisseau accabler de questions 
ceux qui étoient à bord , puis enfin je repris ma 
promenade ordinaire vers le rivage. Une floue 
anglaise étoit aux prises avec le fort de Savenelle, 
qu'elle assiégeoit vivement. Le feu qui com- 
mença à six heures du soir se faisoit encore 
entendre à minuit. Non loin dela rive du Hävre, 
cette belle scène d'horreur étoit contemplée 
par tous les habitans. Chaque coup sourd du 
canon , chaque bordée anéantussoit , faisoit pal- 
piter le cœur des pères, parens et amis, qui, du 
rivage considérant cechocimpétueux,adressoient 
des vœux au Ciel pour les combatians qui leur 
étoient chers. 

Le lendemain maun, j'allai sur le bord de la 
mer. Le feu de la veille duroit encore ; mais 
nous apprimes avec satisfaction que le fort avoit, 
par ses ripostes, fait plus de mal à la stauon qu’il 
re lui en avoit été fait. 

J'apercus un vaisseau à trois mâts faisant voile 
vers le port. C’étoit un bâument de la Nouvelle- 

Angleterre, 


D'UN NATURALISTE. 39 


Angleterre , dont on signala le pavillon. Or 
envoya une trentaine de chaloupes pour le baler, 
car la marée étoit basse. Il venoit de Phila- 
delphie, et 1l étoit chargé de riz et de tabac. 
J’appris du capriaine lui-même qu'il étoit adressé 
à M. Delahaie, négociant au Havre. Il me fixa 
l’époque de son départ, mais ne put me dire 
s’il se chargeroit de passagers. Je concus done 
le projet de m'adresser à M. Delahaie, car ce 
bâtiment nous convenoit infiniment mieux que 
les deux autres prêts à mettre à la voile. Ce 
négociant me laissa dans la même incertitude, 
attachée aux évènemens de guerre. 

Fatigué du séjour de la ville , je voulus visiter 
les environs du Hävre. Après avoir examiné les 
remparts que baigne la mer, j’allai chercher la 
solitude vers la côte des Ormeaux , ainsi nommée 
par la grande quantité d’ormes qu’on y voit 
s'élever. On apercoit de cette côte la Seine con- 
fondre ses eaux douces à l’onde salée de la mer. 
On y culuve des pommes de terre , non butées 
comme dans le Gatinais, mais par sillons régu- 
liers. On les faconne avec une mare à manche 
très-long , de sorte que les culüivateurs ne tra- 
vaillent point dans cette posture fatigante , insé- 
parable de la forme raccourceie que l’on pratique 
dans le Gatinais , où les habitans ont dans leurs 
wavaux le corps courbé jusqu'à terre. 


Tome I. C 


34 VOYAGES 

La côte disposée en plusieurs étages douce: 
ment inclinés, est formée de diverses galeries. 
Dans le bas on remarque des prairies artificielles 
en trèfle, luzerne, entremêlées de pièces de terre 
en lin , blé et plantes légumineuses ; à mu- 
côte , se trouvent les portes d’entrée des pares qui 
font la décoration de cetendroit charmant. Dans 
les galeries supérieures s'élèvent les bâäumens 
de plaisance élégamment bäus, et qu’ombra- 
gent des futaies silencieuses. Les murs de 
clôture en sont artistement construits ; 1ls sont 
composés de lignes transversales diversement 
nuancées : le grès à bâtir ou quartz imparfait en 
forme la base, ets’éléve un peu au dessus du ni- 
veau de terrain; de gros silex noirs font la se- 
conde couche, qui est surmontée de deux rangs 
de briques posées à plat lune sur l’autre, et ainsi 
de suite. Cet assemblage récrée l'œil, et imite la 
mosaique. Les maisons bâties dans ce genre 
offrentdes dessins plus réguliers et nieux choisis. 

J’admirois avec extase la beauté de ces climats, 
lorsqu'un groupe de femmes ignorantes me 
voyant prendre des descripuons, s’'approchérent 
de moi, en me traitant de conspirateur. Vou- 
loir les convaincre de mon innocence, c’eût été 
augmenter leur caquet fauigantet insupportable : 
me taire étoit le paru le plus sage; je Le suivis, 
et néloignai en silence, 


D'UN NATURALISTE. 39 


On ne sauroit trop élever la beauté de ces sites 
champêtres, où la nature généreuse étale avec 
prodigalité ses riches parures. La fleur pyra- 
midale du marronnier d'Inde et les massifs de 
pommes-roses y composent un ensemble très- 
agréable. Le chant du coucou, faisant trembler 
pour leurs œufs les petits hôtes des bois, inter 
rompit leur doux gazouillement; 1l disparut, et 
bientôt le chantre du bocage , le rossignol, se dé- 
robant au feuillage où il s’étoit réfugié, sortit de 
son silence pour célébrer l’heureuse absence de 
son ennemi, et ranima la nature attristée par la 
présence de cet oiseau de mauvais augure. 

On voit cà et là, sur le penchant de cette 
montagne, des pavillons de toutes formes , les 
uns couverts en ardoises, et les autres en chaume. 
Ces derniers, pour mieux sympathiser avec la 
nature qui les environne , n’ont pas l’austère 
symétrie , la parfaite régularité des preiniers ; 
mais ils me plaisent infiniment davantage au 
milieu d’un bocage. Il me semble voir en eux 
une paisible cabane où tout voyageur fatigué a 
le droit d’aller prendre du repos, et choisir cet 
asile hospitalier pour se mettre à l'abri des injures 
de l’air et des intempéries de la saison. 

Le chant des oiseaux fut encore interrompu 
un instant. Le chant des oiseaux ?.. eh! qui 
peut le troubler? Une meute de chiens courans 


C 2 


36 VOYAGES 

acharnés après un lapin , le ramenèrent près du 
chasseur qui le üra, mais sans succès; car j’en- 
tendis au mot {ay au , les chiens redoubler d’ar- 
deur. Je me rappeliois avec plaisir cet exercice 
si attrayant pour moi. 

Je choisis, pour arriver au sommet du côteau, 
un chemin qui y conduit. Il esttrès-serré, creux, 
à pic et tortueux. Les possessions des riverains 
sont à l'abri des malfaiteurs , non seulement par 
la hauteur du ressif, mais encore par des haies 
vives et épaisses, où la ronce cruelle, l’orue et le 
müûrier sauvage sont autant de sûrs moyens de les 
écarter. 

Je parvins au sommet, où je restai en extase, 
en admirant l’étendue de pays qui s’olfroit dis- 
tinciement à ma vue. Je remarquois d’abord que 
la grande route qui se trouve au bas de ce 
côteau si élevé, a pour rive opposée des car- 
reaux de terre disposés en longs sillons , et des 
prés couronnés de saules. Plus loin, ce sont des 
ormoies, autour desquelles on voit paître des bètes 
à cornes. Enfin c’est la Seine qui charrie tran- 
quillement, sur un sable graveleux, son onde 
blanchâtre : de Pautre côté du fleuve est un cô- 
teau moins élevé que le premier, mais plus 
généralement boisé ; moins garni Œhabitauons, 
ei par conséquent plus solitaire. C’est la côte de 
Grâce, au bas de laquelle se trouve le pays 
d'Honfleur, Je voyois le soleil dorer par les 


D'UN NATURALISTE. 37 
reflets de sa brillante lumutre, une large carrière 
de marne , dont la couverture, formée de gazon 
d’un vert uniforme, relevoit encore mieux la 
blancheur de cette terre. 

De la côte où je me trouvois, on découvre à 
plus de douze lieues en mer, et trés-disiincte- 
ment, les objets qui semblent rapprochés, 
quoique la superficie de l'Océan offre toujours 
un brouillard dû à son évaporation continuelle. 

On trouve dans ces bois beaucoup de houx, 
du jonc marin et des fougeres. 

_ Au delà du sommet de ce côteau se dessine 
un genre plus sérieux. De longues pièces d’a- 
vome, de blé et de pois L' recouvrent 
ce sol ferule, et promettent au laboureur qui 
les a cultivées une récolte riche et abondante. 
Cette côte n'offre aucune fontame, Peau ne s’y 
irouvoit qu'à une profondeur excessive; mais 
Ja beauté du site dédommage amplement de la 
peine qu’on est obligé de prendre, en allant la 
puiser au bas de la montagne. 

En cueillant de la véronique mäle, je vis 
sorür à mes côtés une fauvetie inquiète : elle 
s’'échappa avec précipitation du nulieu d’une 
ioufle de coudriers où elle avoit ses peuts. Cette 
bonne mère , connaissant sa foibiesse relauve, 
se contentoit de voltiger autour de moi, en 
exhalantdes cris plaintifs, commé pour implorer 


C3 


38 VOYAGES 

ma piué. Je m'éloignai, et la fauvetie à ure 
d’aïîles regagna son peut domaine, recéleur du 
fruit de ses amours. 

Le jour suivant, en songeant au jeune enfant 
que j’avois quitté, désolé de ne point recevoir 
de ses nouvelles , j'allai promener mes rêveries, 
et répéter mes plaintes à iout ce que je rencon- 
trois dans les prairies opposées à la côte que 
yavois foulé la veille, et qui se trouvent au 
delà de la vielle rivière, avant d'arriver au 
village appelé Ze Nouveau-Monde. Ces prés 
peu ombragés n’étoient pas assez sombres pour 
ma tristesse. Je me trouvai au milieu des trou- 
peaux que je voygi hier de la côte, mais ce 
spectacle pittoresque ne pouvoit fixer mon ima- 
ginauon. Le chant des bergers augmentoit mes 
souffrances , la vue des enfans redoubloit mon 
chagrin. N’éprouvant de soulagement que dans 
la concentration et la solitude, je fuyois jusqu’au 
chant des oiseaux qui gazouilloient à l’envi sur 
la lisière du bocage. Je ne désirois que les 
accens plainufs de la tourterelle. Inquiet, pré- 
tant au moimdre bruit une oreille attentive, je 
profitai du malheur d’une merluce à qui un 
pâtre venoit d'enlever ses petits, pour gémir 
avec elle. | 

Je me trouva au delà du village du Nouveau- 
Moude, dans un chemin étroit où le jour pénètre 


D'UN NATURALISTE, 39 
à peine. Il est bordé d’ormeaux et de sycomores 
qui, plantés sur un terrain plus élevé, sembloient 
n'enterrer dans ce ravin solitaire. Ces arbres 
enlacés de haies épaisses, et dont lécorce est 
revêtue d’un lierre grimpant, sont si touus , que 
je ne pouvois distinguer l’intérieur du bocage,. 
Une brèche, que je rencontrai fort heureuse- 
ment ,me fitapercevoir de beaux vergers sombres, 
où l’on met paître de jeunes poulains. Je péné- 
tai dans un verger clos de buissons, et je m’as- 
sis à l'ombre d’un gros pommier. Ces vergers, 
mulüpliés pour la richesse et l’utilité des habitans 
de la Normandie, sont conugus les uns aux 
autres , et très-solitaires par lenlacement de 
leur verdure. Les prés qui tapissent leur sol, 
servent de pature aux animaux qu'on y lusse en 
paix brouter le fourrage sans cesse renaissant. 
Lesarbresfruiuers, y confondant leurs rameaux, 
rendent ce réduit on ne peut plus champêtre et 
irès-isolé , quoique chaque propriétaire ait près 
de son enclos sa chaumière enseveclie dans les 
épais branchages de frênes, charmes, ormes et 
sureaux. Aux haies des entourages se marient 
des arbres plantés au milieu çà et là, pour leur 
parfaite impénétrabilité. 

Je regagnai la côte des Ormeaux pour rentrer 
au Hâvre. Je pris tous nouveaux chemins pour 
moi. Îl est, entr'autres, un senuüer au bas d’un 

C 4 


40 VOYAGES 


tulhs en pente , à nn-côûte, dant rien ne peut 
exprimer la rusücité naturelle. Il est sombre, 
souteux pour les timides, et sa seule approche 
les faut trembler. il semble qu’au premier pas, 
au premier détour, on doit y perdre la vie ; on 
craint en un mot qu'il ne cache un assassin. C’est 
un simple sentier étroit et tortueux, long d’un 
quart de lieue environ, plus bas de cinq pieds 
que la plamation de jeunes peupliers qui en font 
l’ornement ei lombrage. 

La soirée étant belle, je parcourois la côte 
d’'Egouville lorsque je rencontrai madame k., 
ma beile-mère, qui étoit venue au devant de 
mot. Assis tous les deux à l’ombre d’un portique 
demarronniers d'inde, considérantla vaste éten- 
due des mers aspirant déjà au moment oûentrele 
ciel et des goufires affreux, sous l’auspice bien- 
faisant du Roi du Monde, nous devions voguer 
sur la plaine hquide de l'Océan, et perdrede vue 
ceue terre chérie, dans une parte de laquelle 
résident tous les objets qui nous rendent la vie 
intéressante, nous combinämes notre retour, et 
nous promimes de nous rappeler de cette con- 
versauon , de Ja toufle d'arbres quinous ombra- 
geoient, enfin de toute la côte, si nous revenions 
par ie Hävre: il nous sembloit déjà goûter le 
plausir indicible que nous éprouverons à porter, 


€n attérant au retour de notre voyage, nos re- 


D'UN NATURALISTE. 4 


gards avides vers cet endroit témoin de nos 
souhaits et de nos désirs. 

Le lendemain samedi 16 juin, voulant con- 
noître parfaitement les environs du flävre, je 
cherchai à me perdre dans la campagne couverte 
de récoltes qui cachent, par leur multiplicité et 
leur abondance, les chemins à la vue. Je voulois 
mettre à l'épreuve les remarques que J'avois 
prises précédemment pour reconnoitre jusqu'aux 
sentiers. Je ne me trompai point, et marchant 
dans tous les sens, je me trouvai enfin où jen 
avois concu le projet. 

Après avoir parcouru sinueusement la côte 
d'Egouville, avoir côtoyé tous ses vergers, ses 
ormoies et maisons de plaisance, je me rendis 
par un chemin creux dans la vallée où est situé 
le charmant village de Saint-Adresse , dont jai 
déjà parlé. Je le traversai dans une parue qui ne 
nr’éloit pas encore connue , et j'assistai à la ré- 
colte du lin. Je sorüs ensuite de ce profond en- 
foncement par des landes de bruyères, de joncs 
marins, de fougères; et parvenu au sommet de 
l'élévation, je découvnis avec plaisir l'endroit 
que je cherchois : c’étoit la pointe de la Hèye, où 
sont situés les deux phares. Jen demanda len- 
trée qui, moyennant un léger salaire , n’est jamais 
refusée. Je me proposa de laugmemter, afin 


d'y voir le cabinet d'histoire naturelle qu'on 


42 VOYAGES 


n'avoit dit être assez beau, mais hélas! quelle 
fut ma surprise! 

Dans un galetas étroit, chambre à coucher 
de la fille du gardien, se trouvent remplis de 
poussière quelques cailloux roulés du Hävre, 
mulupliés à Pinfini. Les uns offrent les cristal- 
lisations les plus communes et les plus mal 
choisies , les autres des sédimens calcaires , 
ceux-c1 des géodes cassées, dans l’intérieur des- 
quelles on reconnoît à peine la présence d’une 
calcédoine imparfaite, Je passe à l’'ornithologie, 
ne trouvant plus rien de remarquable dans le 
régne minéral. 

Quatre oiseaux déplumés , et ridiculement 
empaillés dans le principe, sont couchés sur le 
ventre, et attendent qu'une main salutaire les 
délivre de la honte de paroître , en cet état, aux 
yeux d’un public mécontent de les voir aussi 
maltraités. | 

De grosses nattes de chanvre qui garnissent, 
en attendant que le usserand les mette en œuvre, 
les tablettes inférieures , composent le règne 
végétal. 

Le plancher lui-même n’ayant pu , par pénu- 
rie, être garmi d'objets curieux , on y voit accro- 
chés des os de morue , des carapaces desséchées, 
scules pièces d’ichtyologie ; des fouets de bois et 
de cordes communes , mais qui ont La haute 


D'UN NATURALISTE, 43 
prérogauve d’être tressés par les nègres. Enfin , 
dans un peut coin sont les plus beaux morceaux 
ainsi placés sûrement, afin d’être examinés les 
derniers. Le premier de ces deux objets qu’on 
ne montre qu'avec surprise, est un serpent privé 
de sa tête, et dont le corps mal préparé laissé 
voir la paille que sa peau recouvre. 11 à à peu 
près cinq pieds de longueur, et est gros seu- 
lement comme une de nos fortes anguilles ; mais 
les démonstrateurs le regardent d’une grosseur 
monstrueuse. La seconde pièce , non moins 
intéressante par son état délabré, est un caïman 
si peut, qu’à peinené , on a eu la barbarie de lui 
arracher les entrailles, et de lui laisser le ventre 
ouvert, comme on le voit encore à présent ; 
à la faveur de laquelle incision on aperçoit une 
baguette qui uent sa peau tendue. Il à à peu 
près quatre pouces d'épaisseur , sur vingt de 
longueur , la queue comprise! quel monstre! 
Fatigué de ma complaisance , je sorus en haus- 
sant les épaules , et me rappelant l’axiome de 
Bernardin de Saint-Pierre, sur les cabinets d’his- 
ioire naturelle : « Ou la nature est morte, où 
« l’art est animé ». 

Le même conducteur me fit monter aux 
phares établis dans deux tours séparées l’une 
de l’autre. Leur nombre les disungue de celui 
de Dieppe, avec lequel souvent, dans l’obscurité 


fä VOYAGES 


des nuits, les navigateurs le confondoient lors- 
que le phare étoit seul. On arrive à la lanterne 
par cent quatre marches ; dans cette lanterne, 
garnie de glaces 1rès-épaisses , sont pratiqués 
circulairement deux rangs de réverbères très 
gros, et qui se meuvent pour leur préparation 
journalière, au moyen d’un cric que baisse ou 
élève à volonté uue vis de rappel; ear les réver- 
béres sont fixés à un cylindre. Chaque fanal a 
quarante mèches ; et comme la fumée qui s’en 
dégage est en si grande quantuté , que bientôt, 
si elle n’avoit point d’issue en raréfiant l’air, 
elle parviendroit à éteindre les fanaux ; on a 
placé au sommet de la voûte qui a la forme 
d’un cône renversé, deux tuyaux de tôle qui 
servent de conducteurs à la fumée. 

Au retour des phares, je côtoya les bords de 
la mer reurée du maun, et qui commencoit à 
remonter. Elle avoit laissé sur le sable , sillonné 
par chacune de ses ondulations, des étoiles de 
mer (1) et (2) et des fucus en quantité. On y 


(1) M. Victor Poulet m'en procura une, fort rare en 
ces parages, et que je crois peu connue; j'en offre la 
figure (pl. rère., fig. 1ère. ), sous le titre, Stella marina 
medio alba, et circum roseo fimbriata. 

(>) L'espèce appelée Astérie falciforme , composée 
de cinq rayons égaux ou lobes fendus en dessous sui 
vant leur longueur, a chacun de ses rayons large à sa 


4 2 


j.i Asterie frangee de rose . 2 1 Asterie falci rnre 


_ € 


D'UN NATURALISTE. 45 


rencontroit aussi des amas de vermiculites qui 
dénotoient la présence de polypes, ces vers mer- 
veilleux qui se reproduisent de leurs propres 
troncons. Tout le monde sait qu'en coupant un 
de ces vers filiformes en vingt ou trente mor- 
ceaux , de chacun 1l renaît à l’instant un ver 
semblable au premier , et dont l’organisauon est 
la même. 

Je m’approchai des rets de pêcheurs pour 
les examiner. C’est une encemte de perches 
recouvertes de pousse-pieds. Elles sont retenues 
et assujéties dans des amas de pierres qui forment 
une espèce de chaussée, revêtue elle-même de 
varechs de toute espèce, et de peuts glands de 
mer. La disposition des pieux où sont attachés 
les filets, a la forme d’un croissant presque 
fermé, mas dont le manche est très-long. La 
marée montante pousse vers ce piège qu’on 
nomme fourrée , les poissons et coquillages qui 
trouvant une ligne droite , la suivent pour mieux 
s’embarrasser dans les détours du filet, car ils 
arrivent dans l’intérieur; et la mer, en se reu- 


base, et qui s'étrécit vers le bout. Elle est d’un rouge 
chamois, bordée de violet (pl. rère., fig. 2) : c’est 
l'astérie falciforme des vers echinodermes de l'Ency- 
clopédie, par ordre des matières. Elle est très-commune 
au Hävre. On les confond souvent avec les scolo- 
pendroïdes. 


A6 VOYAGES 

rant , les laisse alors dans très-peu d’eau que le 
pêcheur vient faire écouler par une bonde , afin 
de s'emparer promptement de sa proie ; car s’il 
tardoit, les prisonniers, à force de tournoiemens, 
parviendroient à retrouver lissue qui leur servit 
d'entrée, et les crustacés surtout gagneroiïent à 
pas précipités la mer, pour s’y mettre en sûreté 
jusqu’à la nouvelle marée. 

Je trouvai dans ces pierres, outre les objets 
dont j'ai parlé , une lune {1), beaucoup de cancres 
de toute espèce et de diverse grosseur , qui ont 
soin de se reurer avec assez de célérité, lorsqu'ils 
apercoivent un être vivant. Îls sont aussi méfians 
que l’araignée terrestre, dont ces crustacés sont 
les dignes sœurs quant aux habitudes et mœurs ; 
mais ces crabes différent des araignées terrestres, 
par des formes extérieures propres au séjour 
tumultueux que la nature leur a destiné. Leur 
carapace ou enveloppe calcaire est dure et propre 
à résister aux durs frottemens des flots, qui les 
écraseroient dans le roulis impétueux de leurs 
volutes écumantes, si le corps de ces animaux 
étoit compressible et sans appui. O Sagesse 
divine ! Par-tout tu laisses des preuves de ton 
inconcevable profondeur ! 


(1) Cest le Zée Forgeron, Zens Faber. ( Lin.) 
Lacépède, tom. IV, pag. 570, 


La 


D'UN NATURALISTE 47 


Ces crabes apercevant un ennemi, com- 
mencent par fuir; mais, si leur fuite est trop 
lente, que leurs mouvemens ne soient pot 
assez précipités , elles s’enfoncent dans le sable , 
et cherchent à disparoître ainsi aux regards de 
leur persécuteur. Quelquefois on les apercoit ; 
alors se voyant sans ressource, elles vont elles- 
mêmes au devant de l’agresseur , et cherchent 
à le pincer de leurs tenailles meurtrières, toujours 
en marchant de côté. 

Je trouvai aussi beaucoup de lépas, espèce de 
coquille univalve , le plus souvent recouverte de 
pousse-pieds. Il ÿ en avoit de toute grosseur , 
mais leur drap marin, à la première vue, m’a 
empêché de bien examiner les sous- divisions 
dans lesquelles on les range d’après leurs formes 
et couleurs. Ce coquillage convexe a la base 
très-évasée, 1l n’est point uni à sa surface, mais 
ciselé de stries, de profondeurs et d’anfractuo- 
sités relauves à l'espèce. 

J'apercus aussi des anémones de beaucoup 
de variétés (1). C’est un animal zoophyte, qui a 


(2) Ce zoophyte, de l'ordre des vers mollusques, est 
très-bien décrit par Valmont Bomare, dans son Dic- 
tionnaire raisonné d'histoire naturelle. C'est l'Actnua, 
Actinie de M. Bruguiere, docteur en médecine , at - 
teur de cette partie des vers mollusques de l'Encyclo- 
pédie, par ordre de malières, 


Â8 VOYAGES 

la forme d’un sein coupé net à sa base. Cet ani- 
mal s’adhère par cohésion aux pierres et cail- 
loux les moinsen vue, et il y reste ainsi, comme 
une plante parasite sur arbre, aux dépens de 
qui elle vit, à la différence près que l’anémone 
ne demeure ainsi implantée que pour y attendre 
sa proie, dont elle peut se passer pendant deux 
ans, ainsi que me l’a cerufié M. Lefcbvre, con- 
trôleur de la marine en ce pays, qui en a con- 
servé dans de l’eau de mer pendant ce laps de 
ms, et qui les en a retirées encore vivantes. 

L'anémone de mer a une consistance molle 
et fiasque. Quand on la presse , il en sort beau- 
coup d’eau dont elle üre apparemment toute la 
parte nutriuve. J’en vis de la grosseur du pouce, 
d’autres infiniment plus grosses. L’anémone au 
mouvement des vagues se dilate par le sommet 
de sa convexité, elle s'étend et étale toute sa 
beauté. Ce que dans les fleurs radiées l’on nomme 
fteurons , lanémone les emploie pour saisir la 
proie dont elle se nourrit : ce sont autant de 
bras. Enfin, je revins chez mon hôte, après avoir 
admiré de toute mon ame ces merveilles tous 
les jours renaïssantes, et qui échappent à tant 
de regards indiflérens. 

Ayant appris d’un passager d'Honfleur, qu'un 
bâtunient porteur de dépèches, alloit sous quatre 
jours mettre à la vole pour la Nouvelle-Angle- 

icrre, 


D'UN NATURALISTE. 49 


ierre, et que ses provisions étoient faites , je ma 
présentai chez M. Poupel, commussaire de la 
marine, pour le prier de mettre à exécution la 
recommandation que lui avoit faite le nümistre 
de s'intéresser à notre départ. Îl me recut avec 
son aménité habituelle, mais j’eus la douleur 
d'apprendre la cessation de ses fonctions. Il est 
généralement regretté , et lui-même paroît souf- 
frir de ne plus être uule à sa patrie. 

Nous nous embarquämes à onze heures du 
matun, ma belle-mère et moi, sur le passager 
d'Honfleur. La mer étoit houleuse, les flots bal- 
lotiés avec impétuosité se blanchissoient , après 
s'être soulevés et brisés vers le sloupe, qui lais- 
soit derrière lui un sillon d’écume. On remarque 
dans le passage d’'Honfleur, qu’à la joncuon des 
eaux de la Seine à celles de la mer, la majeure 
partie des passagers éprouvent incontinent des 
nausées, des maux de cœur, etenfin n’obüennent 
de soulagement à Pincommodité qu’on nomme 
le mal de mer, qu'après avoir vomi. Aussitôt 
les tintemens d'oreilles et les étourdissemens 
cessent, comme par enchantement,. Cette traversée 
a cela de parüculier, que même d’anciens marins 
naviguant depuis quinze et vingt-ans, et qui ont 
fait le voyage des Indes sans éprouver aucune 
incommodité de la mer, se plaignoient aux flots 
de leur inconstance, qui les rendoittous malades, 


Tone I. D 


50 VOYAGES 

Nous fimes cette traversée de trois lieues en 
une heure , et descendimes au Cheval-Blanc , chez 
des hôtestrès-prévenans.Cetteauberge,recherchée 
par sa situation, borde la rade, et est effleurée par 
les pavillons de tous les bâtimens qui arrivent du 
Havre à Honfleur. Nous y avions sans cesse le 
flux et reflux à observer de notre appartement. 
Que le brut de ces vagues renaissantes est majes- 
iueux ! Souvent séparées l’une de l’autre, elles 
semblent se poursuivre, et voltigent comme des 
brisous sur le sable, qu'au milieu de l’eau même 
elles ont laissé à sec 1l y a quelques heures, pour 
rejoindre la masse d’eau qui se trouve devant 
eux. Par une merveille digne de la nature, les 
oiseaux aquatiques, tels que les mouettes, goé- 
Jlands et autres, profitent des instans où le sable 
est à découvert pour s’y reposer de la fatigue de 
leur natation, et faire la chasse anx peuis crabes, 
chevreties et autrescrustacés marins, quiveulent 
en vain échapper à leurs recherches en s’enseve- 
lissant dans le sable ; ils ne peuvent se soustraire 
aux yeux de ces iyrans volauls , qui les dévorent 
sans pitié. 

Nous fmes témoins de nos fenêtres d’un 
spectacle bien intéressant pour les voyageurs , 
mais dont les répéutions journalières ont émoussé 
la curiosité des habitans du pays, quoique ce- 
pendant beaucoup d’entr’eux ne se Iasseut point 


D'UN NATURALISTE. 5x 
de l’admirer. A la marée montante, nous dis- 
tinguâmes à une très-grande distance, du eûté 
du Hivre, une trentame de petits points noirs 
séparés, lesquels, en grossissant à leur appro- 
che, nous firent reconnoître une escadre de 
barques de pêcheurs poussée avec la rapidité de 
l'éclair par le torrent des flots de la marée mon- 
tante. Chacune de ces barques se rendoit à di- 
verses destinations, mais Jeur commune habi- 
tude est de ne point se séparer jusqu’à la hauteur 
d'Honfleur , d’où Ja division prend la direcuüon 
qui lui convient. L’œil à peine pouvoit suivre 
cette floulle dans sa course légère et précipitée. 

Notre contemplation fut interrompue par les 
cris d’un jeune enfant qu'un groupe de peuple 
fit entrer à Phôtel. A peine âgée de six ans, 
cette jolie créature jouoit avec un de ses cama- 
rades qui le fit tomber à la mer. La peur d’être 
grondé par son pére électrisa les puissances mo- 
irices de cet enfant, an point qu'il gagna seul, 
sans secours et je ne sais comment, l'escalier 
de pierre par lequel on descend à bord des 
bâtimens. 

Ce jeune enfant étourdi par sa chute, autant 
que par le concours de spectateurs qui lui fai- 
soient mille questions à la fois, ne pouvoit s’ex- 
primer de manière à donner des renseignemens. 


D 2 


lulu. sn F ° 
EN TU 27 A 


D2 VOYAGES 


convenables sur le nom de ses père et mère. El 
n’étoit connu de personne, cependant 1l n’excita 
pas moins la compassion de nos hôtes, qui li 
prodiguérent les soins les plus désintéressés. 

Ils fermèrent les portes, de peur que personne 
nentrât et ne fût témoin de leur bonne œuvre, 
qu'ils disoient eux-mêmes n'être qu'un devoir 
bien doux. Ils firent allumer un grand feu pour 
réchaufler l'enfant transi et tout mouillé. Is le 
changèrent de vêtement : le linge le plus blanc 
fut choisi. On lui fit avaler du vin chaud avec 
beaucoup de peine, car il avoit perdu connois- 
sance ; puis, à force de questions faites aux 
voisins , l'enfant fut reconnu. Nos hôtes allèrent 
préparer la mère sur cet événement, afin qu’elle 
ne grondât pas son fils sur-le-champ, de peur 
d’une nouvelle révolution qui pourroit avoir des 
suites funestes. Cependant, graces aux soins 
qui lui furent prodigués , le petit espiègle qui 
avoit avalé beaucoup d’eau de mer , la vomit 
heureusement après avoir pris le vin chaud. 

Ïl est inuule de dépeindre la situation de la 
mère , qui vint à la rencontre de son enfant. 
Tremblante et en sanglotant ,quoiqu’assurée que 
son fils avoit échappé au danger, elle embrassa 
avec transport l'être foible que Dieu lui avoit 
conservé si miraçuleusement ; et après avoir 


D'UN NATURALISTE. 53 
comblé de remercimens les hôtes qui s’en défen- 
doient, cette bonne mère partit avec son enfant 
bien enveloppé dans une couverture. 

Ayant appris dans la journée que le capitaine 
que nous cherchions nous avoit croisé, et qu'il 
étoit au Hävre pour vingt-quatre heures, nous 
primes le parti de lattendre; et pour charmer 
notre ennui, nous allâmes l’après-dîner admirer 
les beautés de la côte de Grace, ainsi appelée, 
parce qu’à son sommet est établie une chapelle 
célébre dans le pays par l’affluence de voyageurs 
qu’elle attire des quatre coins de la terre. Elle 
est vouée à Notre-Dame de Graces. Tous les 
marins après de longs voyages, ou hors des nau- 
frages auxquels 1ls ont échappé, viennent rem- 
phrleur vœu aux pieds de la mère du Rédempteur 
du monde. Quelques jours auparavant, il étoit 
venu un matelot qui , seul ayant échappé d’une 
manière miraculeuse à un naufrage certain , en 
se vouant au moment de l'immersion de son 
vaisseau à Notre-Dame de Graces, promii d’aller 
en pélerinage visiter les Beux qui lui sont con- 
sacrés , SLpar sa puissante intercession 1l chtenoit 
de lArbitre des desuns une existence dont ses 
compagnons étoient déja privés. Get homme, 
sévère observateur d’un vœu si solennel, fit à 
pieds cinq cents lieues pour l’accomplir, et con 
sara le souvenir de sa délivrance par un tableur: 
Là DS 


54 VOYAGES 
historique qu'il placa à Ka suite de tant d’autres 
qui en font l'ornement. 

On fait beaucoup de dentelles à Honfleur. 
Toutes les femmes y sont occupées la majeure 
parue du jour; les unes se servent de tambours, 
d’autres de grosses pelottes qu’elles üennent sur 
leurs genoux. 

Nous allämes à bord du brick la Sophia, où 
nous trouvâmes le capitaine qui nous y attendoit, 
et nous proposa un thé avec beaucoup d’ins- 
tances. Il nous recent avec une affabilité peu com- 
mune aux anglo-américains, et nous fit l'offre 
de sa complaisance pendant la traversée, si le 
consul consentoit à ce qu'il nous prit à son 
bord. Nous voguämes donc encore sur les flots 
de l'incertitude. 

Les pêcheurs inquiétés dans leurs sortes par 
les bâümens de la stauon anglaise, laissoient 
les marchés dans une pénurie désolante. Cepen- 
dant, comme voyageur curieux, je m’apercus 
qu'il est ur moyen d'oublier la disette, et j’usai 
du g 


D 
Soudain , je vis arriver turbot (1), truite saumo- 


rand mobile pour sausfaire ma fantaisie. 


(1) Ou Rhombe , Pieuronectes maximus, Linn; 
Pleuronectes oculis sinistris, corpore aspero, Arted., 
Gronov.; Rhombus maximus asper , non squamosus , 
Willughb. : en Angleterre, T'urbot et Bret ; et dans la 
Normandie, Bertonneau, suivant Vahnont Bomare. 


D'UN:NATURALISTE. 5% 
née (1), éperlans (2), soles (5), huîtres et che- 
vrettes. La volaille à Honfieur y est hors de prix : 
nous y bûmes de très-mauvais cidre qu'on nous 
servit, je crois, pour nous forcer à demander du 
vin vieux de Bordeaux , qui coûte beaucoup plus 
cher, etqui par conséquent remplissoit mieux Îes 
vues de l'hôte. Les fruits y sont délicieux. Rien 
n’égale le parfum de ceux récoltés sur les côtes, 
et qui y recoivent l’acuon bienfaisante des rayons 
du soleil. Les abricots qu'on nous servit étoient 
d’une saveur incomparablement plus délicate et 
plus embaumée que ceux trop vantés de Paris et 
de Montreuil même. 

On me donna des graines de melons. On sait 


(1) Salmo lacustris, Lin.; salmo caudà bifurcä, 
maculis solum aigris, sulco longitudinali ventris, 
Arted.; salmo eaudà sub bifurcä, maxillis æqualibus, 
Jateribus et capite maculis miuutis, migris crebuis, 
Gronov. ; ‘Frutta lacustris, Sonston, Willughb; Fruita 
salmonata ; Parvus salmo, Charl.; Trutta dentata, 
dorso et capite dilutè ex viridi cærulescentibus, ma- 
culis nigris undique et in piunà adiposà adspersa , 
Klein : en Angleterre, Salmon-'Trout; en Alle- 
magne , Torel. 

(2) Osmerus eperlanus. 

(3) Pieuronectes solea, Linn. Pleuronectes maxillà 
superiore longiore , oculis à simisträ , corpore chlongo, 
squamis utrinque asperis, Ârted. ; Buglossus seu solex , 
Wäillughb., etc, 

D 4 


56 VOYAGES 

que ces productions d’Honfleur jouissent d’une 
haute réputauon, et elle est bien acquise. L'air 
pur qui alimente leur végétation donne à ces 
fruits une supériorité à laquelle ne peuvent pas 
prétendre ceux venus dans les clapiers des envi- 
rons de la Capitale. Je vis chez M. Lelievre , an- 
cien capitaine de vaisseau , un de ces melons pe- 
sant trente-deux livres ; 1l étoit savoureux et 
exquis ; quelques-uns de cette grosseur, néan- 
moins rare, furent vendus jusqu’à trois louis, et 
de suite dépêchés pour la Capitale. Le prix com- 
mun des melons ordinaires est depuis trois jus- 
qu’à six et sept francs, mais j'ai eu occasion 
d'observer que les peuts, toutes proportions 
gardées, sont d’une qualité inférieure à ceux 
d’une plus belle espèce. 

Nous repartimes pour le Hävre le 23 juin, 
après une résidence de trois jours à Honfleur ; 
nous profiiâmes de la marée de cinq heures du 
maun, espérant avoir plus de fraîcheur dans 
notre traversée , mais elle fut longue et ennuyeuse 
par les fréquentes bordées qu'il fallut courir ; 
en un mot, le vent devint si contraire que nous 
louvoyämes pendant trois heures devant la rade, 
sans pouvoir entrer. 

Je fus recu avec beaucoup d’égards par le 
nouveau commissaire de la marine, à qui j’allai 


faire ma visite et présenter mes féhcitauons. Il 


D'UN NATURALISTE. 57 
m’engaga à aller voir le contrôleur de ce corps, 
chez equal aurois, me dit-il, à examiner un 
assez beau cabinet d'histoire naturelle. Je me 
présentai donc, sous les auspices de M. Leroi, 
chez M. Lefebvre. Combien nous appréciiämes 
ensemble les charmes irrésisubles de l’histoire 
naturelle, superbe science, lorsqu'elle ramène 
le contemplateur à la source de ces merveilles, 
autant qu’elle est fuule lorsqu'on la restreint à 
classer, d’après des systèmes connuset combattus, 
les échanullons des chefs-d’œuvres de la nature 
dont l'être qui réfléchit ne peut et ne doit voir 
la pompeuse structure, qu’en versant des larmes 
d’admirauon et de reconnoissance. | 

Le cabinet fut ouvert, et M. Lefebvre com- 
mença sa démonstration par la conchyliologie. 
Il me présenta quelques coquillages assez rares, 
tels que le scalata (1), l’œuf(2), la griffe , espèce 
de béniuer de Saint-Sulpice (3) , le rateau des îles 


(x) Coquille univalve de la famille des vis. Elle est 
composée de sept spirales, ou orbes. Les petites sont 
communes dans le Golfe adriatique, dit M. Dargen- 
ville ; aussi ces coquillages rares, parce que les Indiens 
les recherchent pour leurs ornemens les plus précieux, 
ne sont-ils estimés que quand ils ont plus d’un pouce 
de hauteur. 

(2) Testacé du genre des porcelaines. 

(5) Coquille de la famille des Peignes. 


58 VOYAGES 

Scechelles (1), lemarieau(2),lacouronned’Ethio- 
pie, etc. Les madrépores y sont en peutnombre, 
mais bien conservés; jy remarquai un superbe 
pinceau (3), un très-bel abrotancide, le mille (4), 
d'assez belles pétrificauons, quelques repules, 
tels que crocodile, caïman, le serpent devin, 
et un caméléon conservé dans l’esprit-de-vin ; j'y 
irouvai aussi un groupe d'oiseaux, parmn les- 
quels se voyoient une frégate (5), de peutes 
perruches, le jaseur de Bohême (6), un courli 
rouge d'Amérique (7). J’examinai aussi une 
très-belle pointe de Narval, et quelques poissons 
de mer, tels que le coffre triangulaire (8), la 
courte-épine (9), la lune (10), la baudroie 


(1) Coquilie bivaive du genre des huitres. 


(2) Ostreum mallei forme, espèce d’huitre appelée 
Crucifix par les Hollandais. 


(5) Penicillus marinus, zoophite ressemblant en 
quelque sorte aux pinceaux des peintres. 


(4) Madrepore. 


(5) Hirundo marina major; apus rostro adunco'; 
Barr. 


(6) Garrulus boëmicus. 

(7) Ou flamand. 

(8) Ostracion tricornis. 

(9) Diodon Athinga, Hinné. 


(10) ‘l'etraodon moia, Linné. 


D'UN NATURALISTE. 59 
peute (1), le long nez, espèce de requin (2) ; 
M. Lefebvre possède surtout beaucoup de plu- 
muers et d’habillemens de sauvages, ainsi que des 
carquois , et leurs flèches empoisonnées. 

Ce naturaliste venoit de recevoir une collec- 
uon de peaux d'oiseaux de l'ile de la Trinité, 
ainsi que des insectes et de fort beaux papillons. 
La richesse des couleurs de ces derniers renou- 
velle mon admiration pour ces merveilles si com- 
munes dans la nature, Qu'il est beau de voir 
qu'une poussière aussi subüle que celle qui re- 
couvre les ailes transparentes et friables de ces 
légers volauls, soit suscepuble de se maintenir 
ainsi rangée par nuances ; et que des atomes aussi 
délicats soient revêtus d’un coloris aussi cons- 
tant dans les espèces qu’il est élégant, tandis qu'au 
moindre contact tout est confondu, et que les 
figures, naguères agréables par la diversité de 
leurs couleurs, rentrent en un instant dans le 
néant d’où Dieu les a urés ! 

Je reconnus beaucoup de papillons semblables 
à ceux de France, tels que celui du chou, du 
navet, le nacré, la belle- dame, la peute-tortue, 


(1) 'Fachée, Lophius Histrio, Linné. 
1 - . A 
(2) Espèce de chien de mer, qui a pour caractère 
une nageoire derrière l'anus, sans avoir les trous des 
tempes, et nn pli de chaque côté de la queue. 


60 VOYAGES 


le citron , etc. Dans les scarabées , j”y retrouvai le 
monocéros, le bupreste, le dermeste, le scorpion, 
les scolopendres et les capricornes, etc. Dans les 
quadrupèdes je remarquai un paresseux (1), et 
dans les cétacés un très-beau priape de baleine. 

M. Lefebvre remit à un autre jour l’inspecuon 
des oiseaux qu'il venoit de recevoir, parce que 
les caisses m’étoient point déballées. 

J’allai déjeñner chez un Hambourgeois, 
M. Randon de Lucenay, que j'avois rencontré en 
loge ,et qui voulut bien m’offrir des lettres de re- 
commandaton pour Philadelphie. Haccomplitsa 
promesse avec une lautude bien généreuse, puis- 
que , sans me connoître , 11 marquoit au négociant 
auquel il nradressoit, de m’avancer les fonds 
dont je pourrois avoir besoin, et que dès ce mo- 
ment il les regardoit comme avenus pour son 
compte. Ce procédé délicat est commun aux 
amis de notre ordre, et j'ai eu occasion pendant 
mes voyages de me féliciter plus d’une fois de 
faire partie de cette respectable association. 

On nous servit un breuvage très-agréable , et 
dont M. Randon de Lucenay me donna la com- 


(1) C'est un antropomorphe, ou animal à figure 
humaine. On divise ces animaux en didactyles, 
c'est à dire, pourvus de deux doigts; en tridactyles , 
et pentadactyles, ou pourvus de trois où cinq. 


D'UN NATURALISTE. OZ 
position que voici : dans une pinte d’eau bouil- 
lante, on jette un quarteron environ de graines 
d’hieble (1) et autant de sucre. L’infusion bien 
combinée, on passe le tout au travers d’un linge, 
avec expression , et l’on obtient de ce mélange un 
sirop pourpre qu’on laisse refroidir, et auquel 
on ajoute une demi-bouteille de vin de Bordeaux. 
Ontrempedes rôues de paindans ce breuvage ,que 
je trouvai très-bon. La jeunefemme, Mme, Randon 
de Lucenay , afin d'ajouter encore à la bonne ré- 
ception de son mari, sortit avec lui dans Le par- 
terre, pour m'y composer suivant l’usage de 
leur pays, malgré l’ardeur du soleil, un bouquet 
qu'ils vinrent m’offrir. Je sorus confus de toutes 
Jeurs honnètetés. 

Je fus le lendemain matin chez M. Lefebvre, 
qui m’avoit attendu pour faire l’ouverture de sa 
caisse. Le premier oiseau qui frappa ma vue, me 
rappela la richesse des moyens du Créateur. C’é- 
toit un colibri d’une très-peute taille , et habillé 
des plus vives couleurs. Quel merveille que ce 
plumage! quel vernis inaltérable recouvre ces 
pennes dorées! quels reflets chatoyans, quelles 
ondulauons diverses! On ne distingue point dans 
cet assemblage le composé des couleurs. Celui 
qui les implanta dés leur état de molécules orga- 


(2) Sambucus Ebulus. Linn, 586, 


Go VOYAGES 

niques, n’a point recours à la moletie, et à l’essai 
des nuances. Le vernis qui donne un éclat si bril- 
lant aux plumes de toutes couleurs (versz colores) 
de ces oiseaux charmans, n’a point à redouter 
qu'une sécheresse l’écaille, que lhamidité le dé- 
truise, n’en altère léclat, ou que le froissement 
divise ce qui est inséparable. Il n’est aucune pré- 
parauon humaine qui puisse rendre à la vue le 
velouté scimullant de la gorge de cet oiseau, où 
RARES Re l érable l'hyacinthe, 
l’'émeraude et le saphir. 

Je vis un autre oiseau, dont le blanc pur du 
plumage n’est altéré que par une étroite ligne 
noire qui sert de cravate à l'oiseau. C’étoit un 
crabier de peute espèce, dont la grosseur est 
celle de notre pluvier ; ses pattes et son bec sont 
d’un rose vif. | 

M. Lefebvre développa ensuite des gorges de 
gros-bec. Quelle belle réumon de couleurs dis- 
ünctes! Ce ne sont plus, comme dans le com- 
posé du cohbri, des reflets chatoyans et irisés. 
Le génie fécond du Créateur est trop incommen- 
surable pour ne pas se muluplier à infini. Ce 
sont des touffes de plumes qui présentent des 
taches de diverses teintes éclatantes. On y voit 
briller successivement le roir de jayet près le 
blanc éblouissant, à côté du jaune vif, puis une 
trace oraugée bordant la tache plus foncée; 


D'UN NATURALISTE. 63 


enfin le rouge de feu couronnant cetto réunion 
magnifique et inimitable. 

M. Lefchvre passa à une infinité d’autres es- 
pèces toutes différentes. Les oiseaux de proie, 
tyrans du foible, sont parés de couleurs sombres, 
et repoussent bientôt les regards qui préfèrent le 
doux éclat de l'innocence ; il semble qu’on soit 
plus intéressé à la vue de leurs vicümes. 

J’assistai l'après-midi à une pêche du rivage 
bien intéressante pour lobservateur déiste. 
Lorsque, deux fois le jour , la marée se reure, 
‘elle laisse sur le sable à découvert ou dans les 
intersüces de rocs caverneux , des coquillages 
qui n’ont pu être entraînés par le reflux , à Sa- 
gesse infinie ! Ô hbéralhité journalière ! c’est 
Ja que les habitans pauvres des ports de mer 
viennent réclamer de l’Auteur de la nature une 
subsistance , dont létonnant bienfait n’a jamais 
été interrompu. Ce Père des pères ordonne aux 
flots de jeter deux fois le jour , et repousser loin 
d'eux homards, crevettes, crabes, étrilles , tour- 
eaux, poissons, etc., qu'il desune à ceux de 
ses enfans accablés d’indigence. Forcée d’obéir 
à la voix de son puissant maître, la mer parsème 
exactement ses rivages. On voit des fanulles 
entières marquées au coin de l’infortune, attendre 


leur repas d’un reflux secourable , et trouver 


64 VOYAGES 
dans ces lieux une nourriture qu’elles n'ont 
qu’à ramasser. 

D’autres font une cueillette de varechs, qu'ils 
brülent pour obtenir des cendres le sel de 
soude. 

En visitant la fourrée d’un pêcheur occupé à 
ramasser le produit du reflux, il m'offrit un 
animal très-singulier par sa forme, et féroce par 
ses mœurs. Tyran de la rocailie, il est l’effroi 
des homards, crabes, etc., et en détruit une 
grande quantité par la succion. C’est une espèce 
de séche, qu'on appelle vulgairement cha- 
trouille (1). [Planche Il. ] 

Cet animal est d’une consistance semblable à 
celle de la raie, c’est à dire, charnue et carula- 
gmeuse. Sa tête est armée de huit ramifications 


(1) C'est le poulpe ; Octopus, dont M. De Lamarck 
donne l'analyse suivante : Corps charnu , obtus infé- 
rieurement , osselet dorsal, très-petit, corps contenu 
dans un sac non ailé ; bouche terminale faite en bec 
de perroquet, et entourée de huit bras égaux 
munis de ventouses sessiles et sans griffes. Le poulpe 
donne ainsi que le calmar, loligo, dont le corps 
est pourvu de membranes ou ailes, une liqueur 
noire qu'il lance contre ses ennemis. Il rejette aussi 
une humeur rouge qui lui donne cette couleur lors- 
qu'il est cuit, ce qui arrive en cet état à tous Îles 
poissons mous. 


qui 


PE . 


AL. PE , 


Te Poulpe Octopus appelle vulgarernent Chatouille ou Zupr 


LE? 


. 
‘» 


… 
23 

; 48 
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mé 22" 

. Re 
= à 
# 


- 2 


D'UN NATURALISTE. 65 
qui lui servent de bras pour s'emparer de sa 
proie. Ses yeux sont saillans, et sa bouche est 
remplacée par des cavités mulupliées au long de 
ses bras, au moyen desquelles 1l opère une suc- 
cion parfaite , et fait arriver , par des canaux 
appropriés, le sang que doit élaborer son esto- 
mac. Ses viscères sont renfermés dans une poche 
qui elle-même est contenue, et roule dans une 
autre qui li sert de tégument extérieur. La 
chatrouille est très-irrascible , et sait se venger 
«de ses agresseurs ; c’est pourquoi, lorsqu'on 
l’inquiète, et qu’elle se voit dans l'impossibilité 
de se soustraire aux agaceries de son persécuieur, 
elle lui témoigne son désir de vengeance, en lui 
lançant avec vivacité une matière noire sem- 
blable à l'encre, et qui peut même, au besoin, 
y suppléer (1) ; mais je le répète, ce n’est qu’à la 
dernière extrémité que la chatrouille emploie ce 
moyen de défense. 

La chatrouille nage avec une agilité éton- 
nante, à l’aide de ses huit bras, ce qui la rend 
diflicile à être saisie dans l’eau. IL est dangereux 
de se baigner dans Îles parages qu’elle fréquente , 


(x) C'est de cette liqueur qu'on obtient la sepia, 
couleur noirâtre qu'on met, paiticulièrement à Rome ; 
en bâtons comme l'encre de la Chine, et qui est 
plus douce à la vue. 


Tone I. E 


GG VOYAGES 

ear elle est prompte à saisir une jambe, et à y 
commencer une succion qui afHoiblit prompte- 
ment. l est difficile de s'en débarrasser lorsque 
l'adhésion de cohésion est établie, à moins d’in- 
terrompre l'effet du vide en la coupant en deux. 
M. l'abbé Dicquemarre, célèbre naturaliste du 
Hivre, entendit un jour de foibles cris en se 
promenant vers le rivage ; 1l court au bruit, et 
apereoit un enfant ceint par un de ces animaux , 
ei dont 1l ne pouvoitse débarrasser, Les pêcheurs 
ont soin de les tuer, à mesure qu'ils les ren- 
contrent, car ils font une grande consommation 
de coquillages, et diminuent sensiblement la 
récolte de ces journaliers. 

Je fis, le mardi 17 juillet, connoissance avec 
deux jeunes gens, amateurs des bexux arts. L’un, 
M. Villain , arrivoit d’une expédition aux îles 
Ténérifle, la Trinité, Saint-'Thomas et Puer- 
torico , dirigée et sous les ordres du capitaine 
Baudin. M. Villain avoit accompagné plusieurs 
naturalistes, envoyés par le gouvernement pour 
recueillir les productions naturelles de ces pays , 
et fournir à leur retour des observations uules. 
Le second, M. Poulet, fils d’un armateur du 
Havre, digne du beau nom d'ami, et qui, à des 
talens distingués en peinture el musique, Jo1gnoit 
un bon cœur , et surtout une modestie rare. 


Comme je nr'étois proposé d'enrichir à mon 


D'UN NATURALISTE. 07 
retour mes cabinets d'histoire naturelle de pro- 
ducuons recueillies dans mes voyages, et de 
costumes annexés à mes Journaux, M. Poulet 
voulut bien guider au lavis mes pinceaux encore 
novices, tandis que M. Villam perfecuonna en moi 
l'art d’empailler les oiseaux. H se servoit d’une 
pommade conservatrice , dont l’usage étoit dan- 
gereux par les poisons subuls qui en font le 
composé ; je la remplacai donc par une autre 
que j'imaginai , et dont j'obuns les plus heureux 
résultats ; la voici : 


POMMADE CONSERVATRICE 


Pour tout corps corruptlible du règne animal. 


Huile essentielle de térébenthine . .. 3 Ï. 
He dohve 4... at Qu, FUN 
Chaux vive en poudre :, ....::.... node 
Sel d’alun en poudre subule ...... 2p LV: 
Camphre dissous in alcohol. ...... 3% IV. 
Aloës succotrin ........ PT MUR 


Herbesaromatiques en poudre PE Le I] 


J'avois des chances à courir, des pertes à 
essuyer. Je pouvois être réduit à interrompre 
ma collection par la pénurie d'objets nécessaires. 
Le besoin éveille le génie, et ne pouvant me 
procurer au Hävre des yeux d’émail pour les 
oiseaux que je me proposois d’empuiller, jé crus 


E 2 


68 VOYAGES 

devoir les remplacer par d’autres, exécutés an 
moyen de cire à cacheter de diverses couleurs. 
Par exemple, pour obtenir les yeux du crabier, 
on présente une épingle à un bâton de cire 
jaune , enflammée au {eu d’une bougie, et non 
d’une chandelle qui la noirciroit ; on en détache 
assez, pour avoir une masse de la grosseur de 
l'œil qu’on veut imiter. Cette pâte arrondie se 
forme d’elle-même, ayant soin de tourner dou- 
cement l’épingle entre ses doigts dans le sens 
horizontal. Lorsque le globe a acquis sa perfec- 
uon , on le laisse refroidir ; après quoi ,on ajoute 
un point de cire noire dans le milieu de orbite. 
‘Cette goutte résineuse se convexe d’elle-même, 
et innie parfartement la visière de l’œil de loi- 
seau. Cet œil achevé, on retourne lépingle, et 
on en fait autant à l’autre extrémité ; après quoi, 
on coupe le laiton par le milieu, et on a une 
paire d’yeux. 

Quant aux yeux d’une seule couleur , on se 
contente d’enduire lépingle de cire noire de la 
grosseur d’un grain de chenevis. On présente 
près de la flamme de Îa bougie cette peute sphère, 
qu par la chaleur s’arrondit, pourvu qu’on 
tourne un peu l’épingle entre ses doigts, etqu’on 
la plonge aussitôt dans un verre d’eau froide qui 
conserve sa forme, en fixant et resserrant toutes 
ses parles, 


D'UN NATURALISTE 69 


La journée du 20 juillet fut consacrée à faire 
une partie de chasse avec M. Randon de Lu- 
cenay. Nous côtoyâmes la mer jusques à Arficur, 
qui est distant du Hâvre de sept quaris de lieue. 
Nous étions à la poursuite d’oiseaux de mer, 
lorsqu'il nous arriva une singulière aventure. 
Faugués de Pexcessive chaleur, et apercevant un 
bâtiment assez considérable qne nous primes 
pour une auberge, nous résolñmes d'y faire 
halie, et de nous y rafraîchir. Ce bâtiment étoit 
an magasin à poudre, dans lequel la sentinelle 
comrait Pimprudence de nous laisser pénétrer, 
armés de nos fusils. À peine, en présence du 
chef du poste, on s’empara de nous, et l’on nous 
désarma, connne agens de la station anglaise. 
Cependant, ne voulant point être plus long-tems 
en butte aux menaces de nos gardiens, je dé- 
ployai mon sauf-conduitet ma commission, à la 
faveur desquels on nous rendit la liberté, après 
nous avoir accordé des rafraichissemens , et 
blämé de notre imprudence. 

En reiournantau Hâvre , la marée étant basse, 
nous trouvämes beaucoup de hérons. J’en tuai 
un, et plusieurs alouettes de mer qu'on ren- 
conire par bandes sur le bord des ruisseaux , 
dans les prairies voisines du rivage. 

Je montai le soir à la côte d'Egouville , et me 
présentai à la maison de campagne de M. Poulet, 


E 5 


ro VOYAGES 

où j'eus l'honneur de faire connoissance avec le 
père, autant respectable par son âge, qu’esti- 
mable par sa sévère moralité. Je fus Hope de 
l'union qui rapproche sans cesse l’un de l’autre 
les cinq enfans. Les deux frères étant musiciens, 
nous fimes quelques irios, après l'exécution des- 
quels on proposa une promenade dans l'intérieur 
du jardin, Cette habitauon, agréable par son 
antique verdure et ses couverts sombres , est 
embellie à une des extrémités par un pavillon 
d'été, qui sert de salle de lecture et de concert. 
I est hexagone, et domine la rade, de manière à 
en former le plus commode observatoire pour 
le peintre et le marin. 

Après avoir admiré de très - beaux dessins 
faits par M. Poulet fils aîné, je me disposai à des- 
cendre la eôte, mais ce futen vain que je voulus 
parur seul ; MM. Poulet pere et fils, en me com- 
blant d'amiués, vinrent me reconduire jusques 
à moiué chemin, précisément au coup de canon 
de retraite dela station anglaise, On saitque c’est 
un usage pratiqué par les marins en station , de 
üres un coup de canon au lever et au coucher 
du soleil. En saluant l'aurore, 11 semble 1adiquer 
l'heure du travail, comme à l'approche de fa 
nuit 1l annonce un repos prochain. 

Le samedi 4 août, M. Poulet fils aîné, étant 


\ 


k 
venñu nous inviter de Fa part de son pére à aller 


D'UN NATURALISTE. nr 
diner le lendemain à la côte, j'allai le reconduire, 
etnousnouségarämes le long du rivage, où pour- 
dant je rencontrai un pêcheur à qui J'achelai, 
moycnnantune somme très-modique, unassez bel 
esturgeon, ainsi qu'un turbot ct des crabes. 
Nous ramassämes ensuite des toiles de mer, des 
Jépas , à la faveur de la marée basse, ainsi que 
des pyrites martiales cloisonnées de la plus grande 
beauté, de même que Pespèce de ludus helmon- 
ti (1). Je revins, chargé de wrésors précieux pour 

de naturaliste contemplateur. 

Le dimanche maun 5 août, nous montâämes x 
côte d'Egouville pour aller dîner chez M. Poulet, 
dont la campagne sohituire offre les points de 
vue les plus pittoresques. On nous recut dans 
le Kiost, d’où l’on découvre la pleine mer à très- 
peu de distance. Nous restämes long-iems à con- 
sidérer cette immense étendue qui suit tous les 
jours les ordres de ia nature, et jamais ne passe 
les limites qui lui ont été fixées. Nous admi- 
rames cetélémentterrible et redoutable pour l'être 
malheureux qui se prive spontanément du bon- 
heur de mettre toute sa confiance en celui qui 
ne trompe que par des bienfaits. 


(1) Pierre pesante, ordinairement calcaire, traversée 
de cloisons spatheuses, pyriteuses ou séléniteuses ; ce 
qui lui donne une surface composée d'angles et de 
comparlimens polygones. 


FE 4 


"a VOYAGES 

Nous ffñmes recus comme nous l’avions de 
mandé, avec amitié et franchise, et point avec 
cette fastuense cérémonie qui altère le plaisir 
d’être à la campagne. Le bon papa M. Poulet, 
vêtu selon la saison , nous montra son petit do- 
maine qui réunit luule à Pagréable, On y voit, 
au mieu d’épaisses charmilles qui établissent un 
double mur de elôture, de longues allées de porn- 
miers trés-tou fus dont on obtient le cidre, et qui 
par la réumion de leur cime donnent beaucoup 
d'ombre. L’esi au centre, sur des tapis de gazon , 
qu’on voit paître la vache de la maison. Plus loin. 
c’est une bande de cannetons qui s’éloignent de 
leur vivier, pour aller paîire la verdure. Au bout 
de chaque allée de poiriers, on pénètre dans de 
trés-jolies tonnelles de charmilles consacrées à 
lamitié, à la lecture ou à la méditauon. Elles 
sont si inaccessibles aus rayons du soleil, et mème 
à lagrande clarté du jour, qu’on ÿ prend souvent, 
entre famille, des repas frugaux et champêtres. 
Le nôtre fut irés-agréable par Punion des cinc 
enfans qui ont entr’eux, jusque dans la momdre 
chose, les prévenances de la plus pure amitié. 
On oublie jusqu'à l’âge du père et de la mère, 
qu'on y voit avec sensibilité folätrer avec leurs 
chers enfans. 

Le lendemain, nous passämes l'après-midi à 
Honfleur, M. Charles Poulet fils aîné et moi; il 


D'UN NATURALISTE. 75 


me présenta chez M. Lelievre, commandant 
anciennement les bâtimens de son pere, qui 
nous recut avec affabilué. Il nous fit voir avant 
le souper ses melonnières , desquelles il fait une 
assez belle spéculation par sa correspondance 
avec la Capitale. 

Nous repartimes le vendredi man, aprèsavoir 
pris plusieurs vues de Honfleur (1). Nous emes 
à notre retour à diner la famille Poulet, à qui 
nous ménagions le coup d'œil d'une joûte qui 
eut leu sous nos fenêtres, 

Au milieu de frégates couvertes d’un peuple 
immense, on ouvrit dans le bassin une joûte 
entre six bateaux destinés à rivaliser entr’eux 
de vitesse dans un trajet à parcourir. Les nacelles 
deux par deux, etélégamment ornées, voguoienit 
sous leflort de six vaillans rameurs vêtus de 
blanc, et ceints d’écharpes de June écarlate. 

Le but de la joie étoit de doubler, dans 
impétuosité de la course, un arc de triomphe 
posé au milieu du bassin, sur deux bateaux. Les 
aspirans étoicnt encouragés par une musique 
guerrière qui sumuloit leur ardeur. Le signal du 
clépart étoit annoncé par un coup de canon. La 
colonne d'air à peine ébranlée, on vovoit dans 


chaque nacelle six rameurs brusquer à l’envi 


(1) Je ne puis les ajouter à ce recueil: elles on! 
été brûülées à Saint-Domingue. 


À VOYAGES 

leur mouvement unanime, ayant à leur tête un 
patron commandant, mumi d’une lance garniede 
rubans, et près de Jui, le porte-étendart. H étoit 
permis aux patrons de heurter les barques deleurs 
lances, et d’entraver par ce choc leur marche 
rapide. 

Les vainqueurs furent recus avec joie et ap- 
plaudisemens; et parés des prix qui leur avoient 
étédécernés ,1ls passèrent au milieu d’un cortège 
nombreux, au bruit des fanfares et des salves 
d'arullerie. 

Nous vîimes lancer la frégate la Valeureuse. 
Dégagée à coups de hache di Ber qui la rete- 
noit elle entr'ouvrit majestueusement l’onde du 
bassin, qui frémissoit et écumoit en blanchissant 
sous son pesant fardeau. 

J'observai près de là avec intérêt l'instinct 
merveilleux d’un chien barbet, qui a su profiter 
des soins donnés à son éducation. Un maitre 
couvreur, ayant besoin d'un ouûl qui étoit 
au bas d’une échelle très-haute, envoya son chien 
Jui chercher. Cet animal intelligent ie rapporta, 
en montant les échelons avec rapidité. 

Le samedi 18 août, la famille Poulet nous 
proposa une parte d'Honfleur, qui fut acceptée. 
Notre traversée fut très-courie ei fort heureuse, 
quant aux influences de la navisaUON SUT 108 


teispéramens, Nous fûmes recus chez M. Le- 


D'UN NATURALISTE. -5 


4 
lievre, dont j'ai déjà parlé avec cette affabiliié 
naturelle à l’homme de bien, franc et loyal. On 
eut pour nous touies sortes de bontés, et pour 
nous dédommager de la privation de chasse 1m- 
posée par une défense récente, on forma Île 
projet, pour le lendemain, d’un repas cham- 
pêtre au milieu d’un verger. 

Le soir, en visitant le jardin , je fus puni de ma 
curiosité qui me porta à faire la dégustation des 
baies du bois Genüul (1). Leur saveur âcre et 
caustique me causa une cuisson semblable à 
celle produrte par le poivre de Guimée. Cette 
exaspération dure lPespace de douze heures. 

Le dimanche 19 août, nous partimes de grand 
matin, Comme 1l est d'usage dans une parte de 
campagne, afin de jouir des agrémens que Ja sim- 
plicié y fait éclorre , et qui sont les délices de 
l’homme simple. Noire marche étoit imposante 
par la quantité de personnes composant notre 
petite caravane. 


(1) Daphne mezereum, Linné 509. Cet arbuste 
donne des baies ovales semblables à celles du myrte, 
mais Contenant un suc très-caustique : elles rougissent 
en muürissant. Prises à l'intérieur, elles causent des 
douleurs d’entrailles insupportables, accompagnées de 
diarrhées. On les emploie dans les appäts qu'on destine 
à la destruction des bêtes puantes ; et, par un des phé- 
nomènes de la nature, les oiseaux qui en mangent x'en 
sont point xommodés. 


m6 VOYAGES 

L’avant - garde, à l'instar d’une parte de la 
société, montée sur l'animal sobre et honteux, 
ou sur des chevaux, s’étant munie de parasols 
pour affoibhr la réverbération d’un soleil brit- 
ant, suivoit ainsi que les autres la montagne, 
non sans fatigue, mais qui étoit oubliée par les- 
poir d’un plaisir complet. 

L’alégresse accompagnoit les héros de cette 
fête. Nous trouvames, chemin faisant, des sites 
délicieux dont nous prenions les croquis, enfin 
une route si champêtre, si isolée, qu’Honfleur 
et ses environs peuvent être regardés comme 
le pays du peintre et de l’homme de goût. 

Nous arrivämes à la cour de la ferme (1) par 
des chemins s1 sombres, que nous ÿ ressentimes 
de la fraîcheur, malgré la grande chaleur du 
jour, et tant silencieux que le calme, qui les 
fait rechercher par iout être sensible, n’étoit 
interrompu que par les cris joyeux de la caval- 
cade et des piétons. 

Une table simple , quelques bancs placés près 
d'une chaunnére au milieu de la cour , et sous 
fe couvert d'énormes pommiers peu élevés, et 
dont les branches chargées de fruits se recour- 


(x) C'est ainsi qu'on appelle les vergers clos de 
haies, au milieu desquels se trouvent çà et là de rus- 
tiques chaumières. 


D'UN NATURALISTE. "7 
boient vers la terre, furent les premiers prépa- 
ratifs de notre délicieux repas. Quelques pièces 
froides , l'amitié qui les présentoit, la contrainte 
qui en étioit bannie , toutes ces prérogatives 
attachées au séjour des champs , ajoutoient en- 
core au doux plaisir de se voir réunis. Chaque 
convive, de sa place et sans même se tenir 
debout, pouvoit cueillir des fruits au dessus de 
sa tête. Ce qui rendoit cetie halte plus intéres- 
sante encore, et rapprochoit ce repas de celui 
de l’homme naturel, c’est qu'à quelques pas de 
nous, on voyoit chevaux , bœufs, moutons, les 
uns étendus sur l'herbe , les autres la broutant, 
et autour d'eux, pêle-mêle, des ouuls ara- 
toires. Voilà de véritables fêtes champêtres, et 
non point celles parisiennes , qui n’en ont le 
nom que parce qu’on y trouve quelques guir- 
landes de verdure , mais régularisées par Vart, 
et dépourvues des graces de la nature. 

La gaieté etla simplicité des assistans attürèrent 
bientôt autour de nous la lourde génisse et sa 
mère ; les oiseaux domestiques, le dinde et ses 
peuts ramassoient avec soin les miettes de pain, 
iandis que de jeunes porcs accouroient en bon- 
dissant entr”eux, et se disputant les débris de 
notre table, Ce spectacle où l’homme corrompu 
ne sait trouver rien de charmant, étoit délicieux : 
pour moi, et parfaitement conforme à mes goûts, 


78 VOYAGES 
Deux enfans du fermier égayérent la conver- 
sauon par leurs saillies naturelles. Je pensois, 
Ô mon fils, au premier langage de ton enfance ! 
Quelques parues de barres , un peu de mu- 
sique que nous fimes sur le gazon en nous 
servant pour pupitres du corps des pommiers, 
alloient terminer la fête , lorsque la mélodie fut 
interrompue par le bruit du canon. Nous nous 
portâmes vers la mer, et nous apercûmes la 
stauon anglaise vivement aux prises avec les 
défenses redoutables du Havre, qu'ils assiégeoïent 
depuis plus d’une heure. Le feu étoit roulant 
et si nourri, qu'un coup n'attendoit pas l’autre; 
et il y avoit réplique des deux partis. Nous 
fimes témoins de cette belle horreur, et tres- 
bien placés pour en admirer, sans aucun ris- 
que, les effets, s'ils étoient moins funestes. Le 
feu de chaque coup n’échappoit pas à nos regards 
attenufs , et inquiets de connoître lissue du 
combat. La fumée tourbillonnante de la poudre 
évaporée formoit au dessus des batteries de 
peuts nuages, qui bientôt agités par le vent se 
dissipoient pour se confondre à lathmosphère. 
Le bruit des bordées mugissant avec majesté , 
et appelant la vérité de lécho de notre côte, 
remplissoit nos esprits de crainte @ d’amer- 
time. 


Nous quittâmes cet effrayant spectacle pour 


D'UN NATURALISTE, 70 
aller dans notre salle de verdure manger du pain, 
et du lait caillé préparé proprement dans une 
large et grosse terrine commune. Debouts pour 
la plupart à ce repas pris à la hâte, nous cou- 
ronnämes Ja fête par un retour au frais, et 
guidés pas le clair de lune qui laissoit admirer 
la hbéralité du Créateur, qui s’est veritablement 
complu à former , pour le contemplateur , les 
chemuns, pitloresques qui nous conduisirent 
a Honfleur. 

Nous repartimes le Jundi maun, après avoir 
visité les moulins à cidre , composés de deux 
meules horizontales que pressentun arbre à écrou. 
Le jus de ces fruits tombe dans une met sem- 
blable à celle du pressoir à vin, d’où il découle 
dans des poincons destinés à le recevoir. 

Nous arrivämes pour le dîner cliez M. Poulet, 
où on nous servit des huîtres de la Hève, si 
larges que trois couvrent une assiette ; elles sont 
excellentes. Je sus de M. Poulet, qui en en- 
voyoit autrefois à Paris à des amis, que chaque 
huître rendue à sa destination revenoit à trois 
hvres. 

Le soir , s’éleva un orage qui me retuint à cou- 
cher à a côte. I se renouvela trois lois, et dura” 
dix-huit heures, sans disconunuerets’affoibhir en 
aucune manière: 1l étoit si effrayant, que d’après 


le rapport des anciens de la ville, onn’enéprouva 


50 VOYAGES 

jamais de tel. Les coups redoublés etrépétés par 
les échos de la côte faisoient trembler la maison 
qui nous réfugioit. Le tonnerre tomba en une 
infinité d’endroits, sur des affüts de canon, sur la 
fontaine du grand quai au Hâvre, sur des pom- 
nuers qui furent fracassés, sur des masures qui 
furent ébranlées jusques dans leurs fondemens, 
enfin dans la mer, qui s’ouvrit avec peine pour le 
recevoir. 

Le samedi 25 août, nous fûmes témoins 
d'ane fête donnée par ses enfans, à M. Poulet 
père, et relative à son élargissement à l’époque 
de la terreur. Les jeunes gens me prièrent de 
faire quelques vers, afin d’intéresser la fête, et 
je me félicitai de trouver l’occasion de prouver 
ma reconnoissance à cette fanulle respectable. 
À la fin de chaque couplet chanté en sanglotant, 
on posoit une couronne sur la tête du bon papa, 
blanchie par les années, et chaque acteur atta- 
choit à son habit une pensée. Je ne pus tenir à 
cette scène attendrissante , et j’admirai avec 
émotion cet exemple de piété filiale. Le père, 
en versant un torrent des douces larmes du sen- 
inent, vint m'embrasser, etm’ouvrant son sein, 
sans pouvoir articuler, il me remercia par 

estes des beaux momens que je venois de lui 
faire passer. | 

Nous complétämes la fête par une partie de 

£hasse 


D'UN NATURALISTE. 81 
chasse où nous fîimes des prodiges d'adresse, et 
dont nous revinmes courbés sous le faix de notre 
gibier. 

A notre retour, nous fmes témoins d’une 
puniuon infhgée à deux marins rebelles aux 
ordres qui leur avoient été transmis par leurs 
supérieurs. Cette sorte de punition s'appelle Za 
calle humide. Elle consiste, au coup de canon 
qui en est le signal, à précipiter du haut d’une 
vergue dans la mer le patent attaché perpendi- 
_ culairement à une corde, comme on le fau hori- 
zontalement d’un lièvre qu’on met à la broche. 
A peine plongé dans Peau, on l'en retire promp- 
tement en le hissant à bord. Ils n’éprouvérent 
que la contrariété d’être mouillés, si c’en est une 
en été. Au reste, pour se consoler mutuellement, 
les deux déserteurs allèrent aussitôt noyer dans 
le vin le souvenir de leur ignominie, et s’eni- 
vrèrent tous deux. 

Le lundi 10 septembre, en me promenant sur 
le bord de la mer, j'apercus les tristes débris de 
trois bâtimens qui venoient d’échouer sur le ri- 
vage, n'ayant pu résister à l’intempérie désas- 
treuse de l’équinoxe. Je n’avançai sur la jetée 
pour considérer de plus près ce spectacle d’hor- 
reur. Un navire partagé, les tonnes de cidredonuil 
étoit en partie chargé voguant sur les flots, tandis 
que de petites barques alloient à leur rencontre; 


Tome , F 


82 VOYAGES 


le maître du bâtiment déplorant son triste sort; 
ces tristes eflets excitérent en moi une pitié bien 
naturelle. Les matelots moins intéressés à cette 
perte, réparoïent le temps perdu , et oubliant le 
danger passé qui ne leur avoit pas permis de 
prendre aucune nourriture, ils se disputoient 
entr’eux du fruit qui complétoit la cargaison du 
navire. On les voyoit mordre avec voracité 
dans des pommes flottantes au gré des eaux , tout 
en plongeant pour s'emparer des effets du 
bâument , que leur pesanteur retenoit entre 
deux lames. 

Ces désastres n’étoient que les préliminaires 
des suites de ce funeste équinoxe, qui s’annonca 
sous les caracteres les plus effrayans. Un temps 
sombre et lugubre, un vent impétueux et ter- 
rible, un brouillard épais, puis successivement 
une pluie rapide, tous ces avant-coureurs d’un 
ficheux événement annoncoient la tristesse de la 
nature, Les vaisseaux n’étant plus en sûreté dans 
le port, donnoient à cramdre, dans leurs oscil- 
lations forcées, qu'ils ne fussent brisés. L’Onde 
salée, rebelle pour la première fois aux ordres 
de son Maitre, franchissoit la jetée avec fracas, 
et englouussoit sous ses volutes écumantes les 
maisons de la rade. Tous les lieux étoient 
inondés, et les vagues alüères se promenoient 
Wanquilement, aprés leur effet furieux, dans les 


D'UN NATURALISTE. 83 


rues du Hävre. Les habitans affligés, courant cà 
et là, portoient sur leur visage abattu l’em- 
preinte de l'inquiétude. On étoit obligé, pour 
marcher à pieds secs, de profiter de planches 
égarées qui à l'aventure voguoient sur la surface 
de l’eau. 

Je fus du nombre des curieux , et j’allai con- 
sidérer cette belle scène d'horreur. Le vent étant 
trop impérieux pour pouvoir se tenir sans sou- 
üen sur les digues, on se cramponnoit à des 
pièces de bois de marine, ou autres objets 
stables. C’est là que je vis de très-loin en pieine 
mer s’avancer avec orgueil des montagnes d’eau, 
diminuantde volume à chaque ascension ondulée, 
venir enfin se briser contre les digues où nous 
nous trouvions, et par leurs époudrins nous sub- 
merger , sans qu'une course püt nous être salu- 
taire , tant leur vélocité s’auachoit à nos pas. 

Le tonnerre qui malgré le temps froid gron- 
doit sans éclairs, limpiété , la coupable impiété 
qui ne pouvoit se taire , l’eau des bassins dépas- 
sant de beaucoup leur niveau, tous ces fleaux, 
inconnus jusqu'alors , me firent rentrer en moi- 
même , reconnoître la foiblesse humaine, et 
plaindre les êtres téméraires qui osent insulter 
à la Puissance divme, qui dirige à son gré les 
effets de sa vengeance. 

Les maisons mal assujéties trembloient dans 


F 2 


84 VOYAGES 
leurs fondemens. Lé verre même ne pouvant 
résisier à ces éruptions fougueuses, voloit par 

éclats; l’ardoise se détachoit à chaque pas, et me- 
nacoït le passant de sa chute incisive et funeste. 

La mort aussi frappa des victimes : dix mate- 
lots conduisant un sloupe touchoient à la rade, 
et se flicitoient déjà d’avoir échappé au danger 
éminent qui les poursuivoit depuis leur départ. 
Les habitans sur la jetée les croyoient aussi dans 
le port, lorsqu'un coup de vent fit faire capot à 
l'embarcation. Tout l'équipage se mit à nager, 
mais ne put dompter la furie des vagues dont 
ces marins étoient le jouet; et après avoir vaine- 

2ent lutié avec efort contre les flots, perdant 

haleine, et d’ailleurs effrayés par les cris de pitié 
des spectateurs, jugeant de leur péril sans pou- 
voir leur porter de secours, tant la mer étoit fu- 
rieuse, ils furent tous englouus. Îl ne resta d'eux 
que dix chapeaux qui rappeloient aux assistans 
leurs devoirs envers des familles éplorées qui 
perdoient leurs protecteurs. On vit long-tems 
ces malheureux, en perdant leurs Ho dé- 
chirés par des nee contraires, S'avancant vers 
une mort assurée, lever encore leurs bras impuis- 
sans vers le ciel, et implorer de la terre un se- 
cours qu'on ne put leur donner. 

La mer vagabonde en dépassant ses limites, 
les franchit aussi pour aller ravager les champs 


D'UN NATURALISTE. 85 


cultivés, et dans le retour impétueux et brusque 
de ses vagues mugissantes , elle entraîna au mi- 
lieu de ses gouflres et loin du rivage, soixante 
moutons, leur pare qui fut déraciné, et le pauvre 
berger qui pourtant eut la force de regagner la 
terre à la nage. Le reste fut perdu, sans qu'il en 
ait paru aucun vestige. 

Le soir du troisième jour, quel contraste ! 
J’allai m’asseoir sur le bord de la mer devenue 
calme , et tout-à-fait revenue de sa furie. Je con- 
templai avec enthousiasme le coucher du soleil 
dorant une parte des flots frémissans, et non 
soulevés comme le matin par le vent qui étoit 
alors très-doux. Le ciel azuré w’étoit plus sil- 
lonné d’éclairs, un calme parfait avoit succédé 
au tumulte des flots, etles sens rassurés goûtoient 
un repos nécessaire : les fleurs flétries reprenoient 
leur fraîcheur, et le chant des oiseaux célébroit 
le retour du beau tems. En réfléchissant sur la 
terrible puissance de Auteur de la nature, 
j'étois pénétré de ses bienfaits qui dépassent de 
beaucoup sa juste colère, lorsque je vis revenir 
de la pêche quantité de petites barques rappor- 
tant, selon leur coutume, une abondance qui 
n’est jamais ralentie. Je profitai aussi des libéra- 
lités du reflux pour ramasser une quantité consi- 
dérable de productions marines, parnn lesquelles. 


F3 


" 
e6 VOYAGES 

se trouverent les zoophytes sertulaires (1), le 
fongipore rameux (2), le fucus vert (3), etla den- 
drite violette (4). 

J'appris le soir un événement bien remar- 
quable, arrivé prés d'Honfleur le premier jour 
de l’équinoxe, et qui condamne ceux qui re- 
fusent de croire à la prédestination. Au milieu 
des vagues en fureur on aperçut de la jetée du 
port de cette ville un bâtiment qui paroissoit 
être dans le plus grand danger. La mer étoit st 
houleuse que les marins d’ailleurs très-officieux , 
reconnoissant l'impossibilité de le sauver, et la 
presque certitude de chavirer eux-mêmes, refu- 
sérent à la première instance, mais s’y décidèrent 
enfin d’après le vœu unanime des habitans. 

Aprés avoir fléchi le genou devant le Dieu 
des mers , après avoir imploré sa protection 
puissante, ces hommes généreux s’embarquerent 


(1) L'espèce appelée, par M. Pallas, docteur en 
médecine, la cuscute de mer. 


(2) C'est une production marine à Polipier. 

(5) Plante marine de l’ordre des cryptogames, c’est 
à dire, cachant leurs fruits dans l’aisselle ou l'étendue 
de leurs feuilles : elles végètent au fond de la mer, et 
prennent, d'après leurs formes, différentes déno- 
minations. 


(4) C'est une espèce de fucus. 


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D'UN NATURALISTE. 87 


dans une goélette, un canot n'ayant pu soutenir 
la secousse des vagues sans être englouti, et 
volèrent au secours des naufragés, tandis qu’au- 
tour d’eux sombroient des pêcheurs et leurs 
barques, à la vue de leurs femmes et de leurs 
enfans réduits au désespoir. 

Tous les spectateurs formoient des vœux pour 
la réussite de cette entreprise périlleuse , et 
suivoient des yeux chaque lame, si inconstante, 
que le bâtiment paroissoit à chaque instant 
devoir être englouu. Mais le ciel protégeoit leur 
résolution : ils arrivèrent au bâtiment qui n’avoit 
plus de conducteurs. Il paroît que le voyant 
hors de manœuvre, les matelots se seront ris- 
qués sur la chaloupe qui aura coulé, car on n° 
plus entendu parler d’eux. 

Ne pouvant ramener ce bâtiment tout dé- 
membré dans la crainte qu'il ne leur devienne . 
funeste, soit par un choc violent, soit par sa 
masse qu’il falloit traîner, 1ls le laissérent vogver 
au hasard , et reprirent route pour Honfleur. 
Tout à coup ils entendirent des cris percans 
quoiqu’étouflés , et aperçurent ! ! ! . .. un 
homme échevelé luttant contre les flots, et prêt 
à perdre courage. 

Les marins allérent à lu, eteurent le bonheur 
de lui sauver la vie. Cet homme, st étonné de sa 
voir hors de péril, avoit perdu la parole. Ce ne 


l 4 


88 VOYAGES 

fut qu'après quelques instans de repos qu'il leur 
du qu'il combattoit contre les flots, et luttoit 
avec la mort depuis cinq heures de tems, et que 
quatre de ses compagnons avoient péri avec 
leur chaloupe qui avoit chaviré. Quelle prédes- 
unatuon merveilleuse ! 

Le samedi 22 septembre , on nous servit à 
diner des Jamprillons (1) d’une délicatesse 
extrème, et des poires de l’ambroise (2), les plus 
beaux fruits que j'aie jamais vu, et de la gros- 
seur d’une bouteille. 

L’après-midi au milieu d’une fête , les matelots 
furent appelés à une joûte singulière. Un mât 
enduit de siuf pour le rendre glissant sortoit 
horizontalement du sabord d’un vaisseau. Au 
bout étoit arboré un drapeau , dont la prise 
devenoit le signal de la victoire. Ce mat (3) étoit 
à douze pieds au dessus de l’eau, afin que les 
athlètes ne se fissent pas de mal. 

Les uns au premier pas, d’autres plus avant 
ne pouvant conserver leur équihbre sur un 
cylindre si glissant, tomboient de toutes les posi- 
üons dans l’eau, et reparoissoient aussitôt, puis- 


(1) Petromyzon marinus, Linné; ou la Prycka. 


(2) Pyrus sativa, fructu autumnali suavissimo, in 
ore liquescente, "Tourn. Inst, 619. 


(5) Appelé mat de Cocagne. 


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D'UN NATURALISTE. 89 


qu'ils étoient tous plongeurs. D’autres à deux 
pas du drapeau chanceloïent, et au lieu de la 
conquête de l’étendard, alloient cacher leur honte 
en plongeant au fond de l’eau , et reparotssant 
plus loin , sembloient y laisser jusqu’au souvenir 
de leur inapüutude. Îl y en eut un cependant plus 
heureux que les autres; tremblant d’abord, 
mais ne se pressant pas, 1} atteignit l’objet de 
tant de peines , le détacha du cable, le lanca 
dans l’espace fier de sa victoire, et plongea 
noblement dans l’eau , puis reparut avec le signe 
de son triomphe au muihieu d’applaudissemens 
universels , et d’une musique guerrière qui 
célébra son adresse. On ternuna la fête par un 
combat naval et une descente , enfin par unc 
prise de place, dont on fit la ficuon pour exercer 
les troupes. 

Un de mes pêcheurs habriués m’apporta pour 
dessiner plusieurs poissons de mer au nombre 
desquels se trouvoient , le crapaud (1), le con- 
gre (2), l’orphie (3). Dans l'estomac du premier 


() Scorpæna horrida, Linné. Ce poisson a la tête 
aussi volumineuse que le corps. (‘Tome Ier., pl. 4, 
fig. 2). 

(2) Muræna conger, Linné. Poisson apode et 
anguilliforme. 

(3) Ce poisson appelé aigurllette en Bretagne, est 
aussi nommé béone. On le pêche depuis mars jusqu'en 


go VOYAGES 

je trouvai de petits crabes entüers à moitié di-- 
gérés , et dans le congre plusieurs crevettes (1). 
Ainsi ces animaux destructeurs des espèces au 
dessous d’eux , subissent la même loi, et sont 
dévorés eux-mêmes par le premier requin qui 
les rencontre. J’y remarquai aussi le rouget (2), 
poisson très-délicat , et très-reconnoissable par 
la structure de sa tête ; la loche de mer (3) aux 
reflets dorés et brillans. Ce même pêcheur 
in’engagea à aller examiner chez lui deux pois- 
sons trop gros pour être transportés. Le premier 
étoit une roussette (4) de la fanulle des chiens 


juin, à la clarté des flambeaux , au moyen de fouanes 
ou dards en räleaux. 

(1) La crevette franche ou chevrette, ou salicoque, 
Gibba squilla , est un petit crustacé de mer plus menu 
que la squille que l'on fait cuire comme les écrevisses. 

(2) Mullus barbatus, Linné, 

(5) Ou aphye marine. Gobius aphya , Linné; 
Aphua cobites, Willughb., Bellon.; Gobius uncialis, 
Pinnä dorsi secundä ossiculorum  septemdecim, 
Arted. 

(4) Ou chat marin ayant une nageoire derrière 
l'anus, et des trous aux tempes. Par une prévoyance 
admirable de la nature, cette espèce vorace ne fait que 
neuf à treize petits à chaque portée. Elle attaque 
jusques aux pêcheurs lorsqu'elle est affamée. Sa chair 
a le goût de muse. C'est avec leur peau teinte en vert 
ou autre couleur, que se fait le galluchat dont les, 
gainiers font un grand usage, 


D'UN NATURALISTE. (eh 


de mer, à peau rude et sans écailles ; et l’autre, 
la taupe de mer (1), animal de six pieds et demi 
de longueur , ayant trois rangées de dents, et 
pesant deux cents livres. Ces poissons dont la 
chair est peu esumée se vendent aux pauvres 
gens encore assez cher ; enfin la mustelle (2). 
J'augmentai le soir ma collection de poissons 
en allant sous la Hève y attendre l'instant de a 
marée. Je rapportai le maquereau (3), poisson 
très-connu et très-recherché pour sa délicatesse ; 
la squille-mante, dont on fait beaucoup de cas (4); 
le coquet (5), intéressant par la variété de ses 
couleurs changeantes. Plus riche en parure qu’en 
saveur , le coquet cache sous des dehors brillans 


(1) Ce nom lui est donné au Hävre par les pêcheurs; 
c'est un chien de mer (pl. 3) qui a beaucoup de res- 
semblance avec le trés-grand de l'Encyclopédie, par 
ordre des matières, planc. 7, fig. 19, à la différence 
cependant que la taupe de mer n'a sur les côtés que 
quatre évents ou boutonnières (Expiracula) et deux 
nageoires dorsales. 

(2) Mustela vulgaris, Rondel., Willughb.; Gadus 
mustella, Linné ; Gadus dorso dipterygio, sulco magno 
ad pinnam dorsi primam, ore cirrato, Arted., Gronov.; 
à Venise, Donzelina, sorge marina ; en Angleterre, 
Wistle-fish. 

(5) Scombrus, scomber, Linné. 

(4) Squilla marina. 

(5) Poisson du genre du clupe. 


92 VOYAGES 


une chair insipide. Le chien de mer (1), poisson 
dont la peau est employée par les menuisiers ; 1l 
se vend à vil prix aux pauvres gens. Le bar (2), 
dont les gourmets font grand cas. La lune (3) 
qui porte sur chacun de ses flancs, au milieu 
à peu prés et au dessous de l'épine dorsale, une 
tache circulaire d’un brun veri de la forme de la 
lune lorsqu'elle est à son plein. Ce disque est, 
ainsi que celui de l’astre nocturne, environné 
d’un cercle d’un jaune pèle, qui l’éclaire et 
dessine plus nettement la principale tache, On 
voit cà et là une quantité immense de peuies 
marques que l’on peut comparer aux étoiles. 
La vielle (4), dont la chair est peu délicate ; sa 
robe est nn assemblage merveilleux de nuances 
etde dessins différens. Le coloris en est éclatant, 
ei on y admire sans mélange plusieurs des cou- 


(1) Le griset dont les caractères particuliers sont, 
six évents ou boutonnières de chaque côté, et une 
seule nageoire dorsale. 

(2) Poisson recherché par les gourmets. 

(5) Zeus faber. 

(4) Ou tanche de mer, poisson du genre du labre. 
Labrus tinca, Linn. Labrus rostro sursum reflexo , 
caudà in extremo circulari, Arted.; ‘Turdus duode- 
cimus, in provincia vuled Vielle, Gesner, Rondel.; 
Turdus vulgatissimus, 'linea marina venetis, Wil- 
lughb : en Angleterre, Wrase, Old-wife et Gyvrach. 


D'UN NATURALISTE. (eh 
leurs primnuves. Enfin le lèvre (tome I«., 
Dis in). 

J’étois occupé à dessiner ces divers poissons, 
lorsqu'on vint n'apprendre qu'il n’étoit plus 
pour moi d'espoir de parur par le Hävre, et 
qu’on me conseilloit de profiter d’un parlemen- 
taire qui alloit faire voile de Bordeaux pour 
Charles-Twn. Il fallut se décider à changer de 
projet, et comme je pouvois disposer de quel- 
ques jours, j'allai au sein de ma famille y passer 
uniems, dont moiué fut consacrée à commencer 
un ouvrage qui m'avoit été demandé sur la 
culture du safran, et qui depuis mon retour a 
été accueilli avec indulgence par l’Insutut, aux 
lumières de qui j'ai eu l'honneur de le soumettre. 
J'eus également occasion d'observer une fouine 
privée dont je dois parler ici, bien persuadé que 
ce récit ne pourra qu'intéresser le lecteur. 


94 VOYAGES 


VIE PRIVÉE 
DE FOLLETTE. 


C: n’est plus de l’animal carnassier, méfiant , 
farouche, évitant les regards des hommes, du 
iyran des basses-cours et des colombiers dont 
j'ai à décrier les sanguinaires habitudes ; plus 
soumus et plus doux, l'individu dont je veux 
parler est affable, caressant et attaché principa- 
lement aux personnes de la maison où 1l recoit 
l'hospitalité. Badin, excitant dans ses folâtres 
exercices , 1l force le phlegmatique Carlin à ré- 
pondre à ses jeux , en sautant par dessus, 
grumpant, lui léchant le museau, enfin lui se- 
couant les oreilles comme pour mieux le sorur 
de sa froide indifférence. A cela près de quelques 
coups de pattes qu’il recoit toujours en bonne 
part, sans riposter , 1l décide le chat [ui-même à 
quitter cette torpeur engourdie qui le rend si 
maussade à un certan âge, et l’oblige à partager 
sa galeté. 

La fouine dontla description devient inuule 
parce qu’elle est trop connue, cet animal à tête 


‘ Jo UD wo ad JAP] JS anod UIFAB > dus juvrsur 


P, S SUNO J C'T 


D'UN NATURALISTE. Où 


fine et triangulaire , au corps souple et'alongé , 
aux jambes très-courtes, à l’œil pénétrant, vif 
etrusé, à queue noire et touflue pour mieux 
contraster avec le brun-gris cendré de sa robe, 
au bond léger, galope ou saute plutôt qu "elle 
ne marche. Pourvue d'ongles très-aigus, elle 
grimpe avec facilité le long des murs, et va 
chercher à exercer son empire dévastateur dans 
les basses-cours ou colombiers, dontla plus petite 
ouverture assure un accès certain à cet animal 
souple, et qui s’alonge à volonté. Mais ce n’est 
que dans l'obscurité que la fonine se met en 
marche. Ses sanglantes exécutions se font la 
nuit lorsque tout repose, et que son œil n’a 
plus à redouter celui de homme. 

C’est un trés-bon chasseur, point d’affût, car 
elle n’en a guère la patience comme le chat, 
mais par surprise. Le bruit qui accompagne ses 
incursions, lui fait souvent tort; elle n’a point 
Ja modérauon, n1 la prudence de la belette et 
.... elle est 
agile , et peut impunément braver le danger. En 
attendant ces risques à courir, la voilà dans le 


du putois; que lui imporie?.. 


poulailler qui reconnoîit sa proie, étrangle sans 
miséricorde, pille, mange les œufs dont elle est 
particulièrement fort avide; n’a de pitié mi pour 
les âges, n1 pour les sexes; inonde de sang le 
théâtre de son carnage, et entraîne au loin une 


96 VOYAGES 

parue de ses vicümes, dont elle cesse le trans- 
port aux approches du jour , et dès les premiers 
mouvemens qu’elle entend dans la maison. Elle 
se reure alors en paix dans les greniers si c’est 
l'hiver, et y jouit du prix de sa cruelle victoire, 
en contemplant avec joie le monceau de ses 
victimes. 

Comme les bêtes fauves de rapine , elle a lo- 
gement d'hiver et logement d’été. Ainsi hiver, 
étant la terreur des basses-cours et des colombiers 
où elle exerce un ravage complet, lété, elle 
devient, dans les bois qu’elle habite, le tyran 
puissant et féroce des peuplades ailées et des 
quadrupèdes. Elle surprend Poiseau sur ses 
œuls!...... et voila toute une famille éteinte !... 
Egalement Peffroi des garennes, elle les dépeuple 
en peu de tems des lapereaux , et même des vieux 
lapins qu’elle surprend au gîte, et sur lesquels 
eile s’élance en s’y cramponnant avec opimätreté 


jusqu’à l’'enuère effusion de leur san 


g. 

Si on lui donne la chasse au basset, quoique 
plus agile et plus légère que le chien, elle ne se 
fie pas à la rapidité de sa course , et saitfort bien, 
par prudence, échapper au lancer, et tromper 
les poursuites en s’élancant de terre dans un 
arbre creux pour faire perdre le train à ses per- 
sécuteurs, ou bien, à défautdecette retraite, en se 
branchant dans un arbre, Des chiens arrivent au 


pied, 


D'UN NATURALISTE. q7 


q 
pied , mais elle insulte à leur impuissance, 
semble les mépriser, les nargue avec dédain, 
jusqu'à ce que le chasseur, accourant aux 
aboiemens redoublés de sa meute, la pumisse à 
son tour et de son manque de prévoyance, et de 
sa témérité. Si le coup de feu n’a fait que la 
blesser, et que les chiens fondent sur elle pour 
la déchirer , elle les mord et s’élance sur eux 
avec fureur, se défendant jusqu’à la dernière 
extrémité avec le même courage et la même in- 
trépidité. 

= Voilà donc un animal en liberté , très-irras- 
cible, vengeur du plus léger outrage, agresseur 
même en certains cas; eh bien! qui le croiroit ? 
la fouine à qui un célèbre naturaliste refuse La 
familiarité, cet animal tyran par caractère a su 
Je plier, et provoque par ses caresses les bonnes 
graces de ses maîtres. Le chien lui-même, cet 
amu fidèle et sensible, ne témoigne pas plus 
d'affection que cette fouine dont j'écris la vie, et 
qui est âgée de quatre ans, et apprivoisée depuis 
l’âge de six mois. Elle n’a point l'arrière trahison 
du singe que la domesticité captive ne fait que mas- 
quer ; insensible aux caresses , n’obéissant qu’au 
châtiment, 1l n'aime son maître que par spécula- 
tion de gourmandise. Cette fouine au contraire, 
n’a pas besoin du ton impéraufnécessaire envers 
le quadrumane pour s’en faire obéir; celui de la 

Vous FE, G 


oë VOYAGES 
douceur coïncide mieux avec ses principes. Âü 
seul mot de Follette , elle accourt sur-le-champ 
comme le chien le plus fidèle et le plus attenuf à 
la voix qui l’a appelée. Si c’est un étranger , elle 
le flure , cherche à s'assurer de ses intentions, et 
pour se les rendre favorables, elle le Ièche dou- 
cementsans d’abord s’xbandonner, puis retourne 
à l’un de ses habriués , comme pour s’assurer de 
Jui si elle peut sans crainte se livrer à l’inconnu. 
Qu'il l'appelle alors sans crainte de refus , elle 
y vole, et recoit des alimens qu’elle avoit d’abord 
refusés de sa main étrangère, Elle les mange 
devant lui, et fait mille singeries , voulant 
par là le remercier , et lui indiquer sa recon- 
noissance. Elle va ensnite retronver ses maîtres ; 
c’est alors qu’elle redouble de caresses , qu’elle 
affecte même de leur prouver qu'its sont ‘plus 
aimés encore , voulant par ces manières aimables 
dissiper jusqu’au moindre soupcon de jalousie. 

On verra par les traits suivans, que Valmont 
Bomare a prononcé trop tôt, d’après Buffon , sur 
le caractère de cet animal. 

« La fouine , dital, prise jeune, s’apprivoise 
» à un certain point, mais elle ne s'attache pas 
» et demeure toujours assez sauvage pour qu'on 
» soit obligé de la tenir enchaïnée. M. de Buffon 
» en a élevé une qui s’est échappée plusieurs 


» fois de sa chaîne : les premières fois, elle ne 


D'UN NATURALISTE. 99 


s’éloignoit guère et revenoit au bout de quel- 
ques heures, mais sans marquer de la joie, 
sans attachement pour personne ; elle deman- 
doit cependant à manger comme le chat et le 
chien. Peu à peu elle fit des absences plus 
longues, et enfin ne revint plus. Elle avoit 
alors un an et demi , âge apparemment au- 
quel la nature avoit pris le dessus , dit M. de 
Bufon. Elle mangcoit de tout ce qu’on lui 
donnoit, à l’excepuon de la salade et des 
herbes. On a remarqué qu'elle buvoit fré- 
quemment, qu'elle dormoit quelquefois deux 
jours de suite, qu’elle étoit aussi deux ou 
trois jours sans dormir , et que pour lors elle 
étoit toujours dans un mouvement continuel, 
Tout ceci suppose un animal agile, éveillé, 
jaloux de sa liberté. Les vieilles fouines cher- 
chent toujours à mordre , et refusent toute 
autre nourriture que la chair crue ». 


Je vais commenter une parte de ces observa- 


üons par d’autres. 


Nous avions remarqué que Folletite n'aime 


point l'esclavage , et que le moindre lien qui en 
est le symbole, inquiète et la tourmente; c’est 
pourquoi dans les premiers jours on la laissa 
parfaitement libre dans les chambres. Elle n’a- 
busa point de notre confiance, si ce n’est un 
jour qu'après avoir volé un perdreau dans ma 


G 2 


100 VOYAGES 

carnassière, le sentiment de l’objet de son perr- 
chant naturel lui ayant dit sûrement d'aller 
manger au loin sa rapine, elle s’éloignoit déjà 
fière de sa proie, lorsqu'un passant qui lui fit 
peur la lui fit lâcher. Elle se déroba bientôt à nos 
regards, et Pivresse de respirer un air libre la 
rendit pour cette fois sourde à nos voix. 

Plus de Folleue ! Désolauon universelle. Tous 
les gens de la maison sont sur pied, mais ou peut- 
elle avoir été, se demande-t-on ? Où laisse-t-elle 
les traces de son passage? Peut-être a-t-elle ren- 
contré un frère, une sœur pour la guider dans 
sa marche incertaine? Son pied léger a déjà 
franchi les murs et les toits, et l’on n’entend 
plus le bruit trop sourd du grelot de son collier. 
Pourquoi ne lui avoir pas attaché plutôt une 
pelte sonnette, se disoit-on ? n'avoir pas prévu 
un semblable événement? La consternauon de- 
venoit générale; il sembloit qu'avec elle, elle 
ermportoit tous les'agrémens de la maison. 

Déjà deux jours s’étoient écoulés , deux jours de 
deuil, deux jours de regrets; en vain le tambour 
en avoit publié la fuite à tout le village : un des 
habitans vient annoncer qu’une fouine qui paroît 
inquiète et pousse de peuts cris, se promêne sur 
son toit, où elle va et vient de long en large, sans 
sembler vouloir changer de desunauon. Nos en- 
fans, les plus alertes, sont les premiers rendus à 


D'UN NATUÜRALISTE, 101 
la maison du villageois. Follette avoit déjà en 
tendu leur voix qu'ils n’avoient pas encore paru. 
Aouée, cherchant de tous côtés à reconnoître 
d’où venoient ces sons chéris , quelle fut sa joie 
dès qu’elle reconnut ses jeunes bienfanteurs ! Le 
tait n’est pas plus promptque son élan vers eux ; 
elle a parcouru le toit avec la rapidité de éclair, 
s’élance vers les enfans, et par une plainte paru- 
culière etjusqu’alorsinconnue, réservéesürement 
aux circonstances d’attendrissement., elle leur té- 
moigne alternativement le plaisir de les revoir 
en les léchant sans repos, et sautant d’une 
épaule à l'autre pour mieux manifester toute 
l'ivresse qu’elle ressentoit d’avoir retrouvé ses 
deux petits amis. Voilà, je crois, des preuves d'in- 
térêt, d’attachement, de joie et de sensibilité, 

Follette sent fort bien l'heure du repas arriver, 
el comme ce sont les trois époques du jour où 
clle est admise en pleine société, et qu’elle est 
trés-sensible à cette faveur, elle la réclame dès 
le premier coup de la cloche en se présentant au 
treillage de son angar, où elle est en pleine l- 
berté. Elle mamifeste son désir par un peut cri 
planuf qui se change en murmure si on tarde 
à lui ouvrir, preuve incontestable d’une familia- 
ré volonture. Cependant, quoique grondant 
fort, elle ne conserve aucun ressenument, et sa 
colère s’évanouit aussitôt qu’on se présente pour 


G 3 


102 VOYAGES 


la prendre; et loin de chercher à mordre, elle 
joue imcontinent, etlèche son hbérateur. A peine 
introduite dans la salle à manger dont elle à 
prestement fait le tour pour s’assurer des loca- 
liés, elle témoigne sa joie de se trouver en aussi 
bonne compagnie, premièrement à Carlin , son 
favori ; le caresse, l’excite, et en redoublant, sa 
gaieté semble lui reprocher cet abord glacial 
si peu digne de ses démonstrations amicales ; 
enfin, Carlin s’animant peu à peu, réfléchit en 
bäullant qu'il faut jouer aussi, se prête à tous 
les caprices de Follette, qui, se huchant sur son 
dos, se laisse ainsi promener , mais lui lèche les 
oreilles, ou lui cherche les puces pour se mettre 
au niveau de sa complaisance. (Tom. Eer, pl. V.) 

Elle renouvelle ensuite connoissance avec les 
chats, pas aussi badins, et en recoit le plus 
souvent des coups de griffes , qu’elle supporte 
sans se revancher. Un seul est son ami, et se 
plaît à mignarder avec elle , et faire assaut de 
genullesses ; mais Follette , la trop aimable Fol- 
lee, de Pavis général, a toujours plus de 
sraces , plus de souplesse, plus de délicatesse, 
et jamais les culbutes forcées où le chat, toujours 
dans son caractère, cherche à blesser, ne son- 
geant plus qu'il joue. 

Répondant à la voix comme le chien, elle 
s’élance sur la table dès qu’on lui permet, 


D'UN NATURALISTE, 103 
et passe dans l'intervalle des plats avec une 
dextérité et une vitesse surprenante. Elle n’a 
point de réserve pour certains alimens ; elle 
mange de tout, mais elle aflecte des préférences 
pour certains mets dont elle est très-friande. 
Par exemple, elle aime passionnément le laitage, 
surtout lorsqu'il est sucré. Le riz au laut, les 
crêmes au café, chocolat et autres, les crêpes, 
gaufres et sucreries en général. Un morceau 
de sucre lui étant présenté, on pourroit par 
ce moyen la faire suivre par-tout , et obtenir 
même des supphicauons particulières. Lécher plus 
ou moins doucement , annonce plus où moins 
d’affecuon , plus ou moins de reconnoissance. 

Elle aime beaucoup le pain tendre en bou- 
lettes , les noix , les fruits , le fromage à la crème 
qu’elle lape surtout avec avidité; la viande, le 
poisson , les sauces de toute espèce; les légumes, 
comme haricots, épmards, cardons, salsifis et 
autres, lui sont bons, et satisfont son goût et son 
appéut. Elle mange des salades récemment assai- 
sonnées ou confites , telles que laitue, romaine , 
cresson, escarole, chicorée sauvage, céleri et 
autres ; enfin elle est omnivore. 

Follete à un goût particulier pour la rhu- 
barbe; 1l y en avoit sur une table, en infusion 
dans un pot à l’eau; elle s’élanca d’abord avec 
empressement pour y introduire le museau, ei 

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“ 
« 


104 VOYAGES 

boire à même; on la laissa faire pour s'assurer 
de ce caprice singulier : puis l'ayant repoussée, 
elle revint toujours à la charge, remontani 
adroitement et avec célérné le nouet de linge 
qui Ja renfermoit, à l’aide de ses pates de 
devant, setenant, à exemple du singe , sur celles 
de derrière. On fut obligé de se fâcher pour 
f'empècher d’être plus long-tems importune, 
et de ini montrer le fouet dont elle est fort 
crainuve. 

Volleue s’accommode très-bien de l'usage des 
trois services , elle mange peu , mais elle aime à 
goûter de tous les plats. Sautant d’une assiette à 
l'autre, elle rend une visite intéressée à chaque 
convive; et pour salut d’abord, elle le lèche 
afin d’être autorisée à choisir dans son assiette 
iout ce qui peut lui être agréable. Elle atüre 
avec sa patte le morceau qu’elle a choisi, ou le 
mange tout bonnement sans le déplacer , et fait 
ensuite des culbutes pour payer son écot. 

Après le potage qu’elle lape fort lestement, 
elle mange ragouts et entremeis ; suce fort 
délicatement les petits os qu’elle finit par cro- 
quer, moudre et avaler. Quand on lui donne 
du raisin, elle en témoigne sa joie par mille 
genullesses en le mangeant, genullesses qu’on 
aime à fixer et à suivre des yeux, et qui n’ont 
point l'imconvénient de rencontrer la maussade 


D'UN NATURALISTE. 10) 
et hideuse figure du singe , imitateur par excel- 
lence. 

Folletie esi si bonne de caractère qu’elle se 
laisse reurer de Ja mâchoire le manger , mème 
en tituration, par le grave Carlin qui bat en 
retraite et l'emporte très-phlegmatiquement, le 
tout sans rumeur de part et d'autre. Souvent 
même, devenue plus audacieuse, elle paie Carlin 
du même front, qui par représalle use envers 
elle de la même douceur. Quand elle n’est pas 
troublée dans sa mastication , elle s’en acquitte 
avec grace, mächant très-vite, et toujours aux 
écoutes , non point tant par Crainte que par une 
suite de son caractère vigilant et sensible. Si le 
mets est un de ceux qu’elle préfére, elle le 
prend sur un autre ton; ce n’est plus cette dou- 
ceur d'habitude pour les alimens ordinaires , 
mais elle gronde d’un ton de colère, et a par fois 
un Cri aigu et très-fort, sans méchanceté 
pourtant, quand bien même on voudroit lui 
ravir. Son inienuon n’est que de faire peur. 

Elle lape pour boire, parce qu’elle a la ba- 
bine ou lèvre inférieure moins longue que la 
supérieure. 

Un jour au dessert, elle nous donna la co- 
médie. Après avoir visité tous les plats, et en 
avoir mangé ce qui Jui plaisoit (car on la laisse 
agir à son aise), elle arriva à une assiettée de 


106 VOYAGES 


de noix ; comme elle en est très-friande , on crat 
qu’elle alloit en manger. Comment va-t-elle les 
casser, disoit l’un ; ce ne sera point en les frap- 
pant à terre ou avec une pierre , comme le singe, 
disoit l’autre ; elle trompa toutes les conjectures; 
et après avoir Ôté une à une toutes ces noix, 
elle se coucha en boule dans l’assiette où elle 
resta plusieurs momens bien tranquille , puis 
s'échappant en sursaut sans qu'on ait fait le 
moindre mouvement, on s’apercut qu’elle avoit 
uriné dans ce nouveau berceau où son extrême 
propreté ne lui permettoit pas de rester plus 
long-tems. 

Lorsqu’après les repas on veut la rentrer dans 
sa loge, elle prévoit cette contrariété , et cesse 
d’'accourir à da voix qui l’appelle avec plus 
d'instance que de coutume; mais, afin d’inté- 
resser, l’action, on met Carlin à sa poursuite, 
qui, tout en jouant, parvient à la coiffer; on 
va la prendre alors sans peine. La pauvre Follette 
désolée fait ses adieux à celui qui s’en empare, 
le lèche, et paroît toute confuse d’être éloignée 
de Ja société. Pressentant sa capuvité prochaine , 
elle ne veut plus manger de ce qu’on lui offre, 
tant elle a le cœur gros, et tant elle aime la 
compagnie , et craint la solitude. À peine la 
porte de sa retraite est-elle ouverte, qu’elle 
s’élance des bras de celui qui la porte , et court 


D'UN NATURALISTE. 107 


cacher sa honte dans son foin d’où elle ne repa- 
roît plus à ses yeux. Elle s’y recouvre si bien, 
qu'on ne peut plus retrouver le même trou qui 
lui a servi d'entrée, et quoiqu'inquiète par 
caractère, elle se laisse approcher , bercer dans 
ce foin, défiant au chercheur le plus habile 
d’être plus rusé qu’elle, et étonnée toujours 
d’être enfin découverte. Alors elle se reconnoît 
vaincue , et se laisse prendre sans remuer. 


Il paroït que se meitre en boule, en se 
roulant sur elle et jouant avec sa queue, est 
un de ses grands amusemens , car on la voit 
presque toujours occupée à Ces exercices , même 
lorsqu’elle est seule : elle entreméle alors avec 
ses pattes, linge , papier et tout ce qui se trouve 
auprès delle , afin de se rendre invisible , ou- 
bliant que son mouvement la décèle toujours. 


Je l'ai examinée plusieurs fois dans sa loge, 
où je la voyois, soit dormir, ou jouer, ou se 
baigner , ce qui léloigne bien du caractère 
moral des chats. Elle fait des bonds très-vifs au- 
tour du vase qui contient l’eau, y trempe une 
pate, puis l’autre, enfin d’un saut la voilà 
dedans , d’un autre dehors , se secouant, et pre- 
nant mille élans plus gracieux les uns que les 
autres. 


A l'exemple du chat, elle joue avec la souris 


108 VOYAGES 


qu’elle a prise ,mais n’est point aussi cuelle que ce 
iyran domestique qui lui donne nulle morts 
par ses jeux perfides , en lui laissant et ravis- 
sant tour à tour l'espoir de fa vie. Follette com- 
mence à lui appliquer le coup de dent , et 
après sa mort joue avec, comme elle le feroit 
de tout autre objet. Elle sait fort bien disun- 
guer un doigt qu'on lui présente d’un morceau 
de char , car elle le lèche, le mäche douce- 
ment pour jouer et en faisant la bascule, mais 
ue mord jamais. 


La fouime, ainsi que le renard , marche le nez 
au vent; aussi disungue-t-elle , même avant 
d'être introduite dans le salon quand il y a un 
étranger parmi nous. Elle devient plus umide, 
et est alors plus avare de ses genullesses ; car. 
cette arrivée imprévue l'intrigue au point, dès 
son entrée dans l’appartement , de la faire tenir 
long-tems debout, appuyée sur ses paties de 
derrière , pour examiner le nouveau visage, en 
penchant l'oreille comme pour mieux fixer son 
attenuon, et ne perdre aucun des mouvemens 
de l'inconnu; bientôt elle reprend ses habitudes, 

Livrée à elle-même dans un corridor dont 
ious les appartemens étoient fermés, elle sut 
disunguer la porte de la mañtresse, gratta, et 


se plaignit jusqu'à ce qu'on lui eùt ouvert; ce 


D'UN NATURALISTE 109 


qui détermine une familiarité purement volon- 
‘taire, et nullement contrainte. 


Ce qui prouve qu’elle n’agit point matérielle- 
ment, et qu'elle sait fort bien distinguer les gens 
de la maison, c’est que dans un grand eercle de 
beaucoup de dames toutes parées, sa maîtresse 
s'étant cachée parmi la socicié, Follette ne fut 
pas un seul instant la dupe de cette supercherie ; 
elle alla droit à elle sans être appelée, redoubla 
ses caresses, lui annoncant que par-tout elle 
sauroit la reconnoitre, et lui témoigner son atta- 
chement pour elle, En vain voulut-on par des 
déplacemens réitérés, par l'absence même de sa 
maitresse, chercher à surprendre son instinct 
et le mettre en défaut, lesdéplacemens devenoieat 
inutiles à la reconnoissance, et l'absence ne 
faisoit que lui causer de vives inquiétudes et Îa 
plus sèche froideur. Elle étoit taciturne, de- 
ploroit son malheur, tapie sous quelque fauteuil, 
et y restoit constamment Jusqu'au retour de 
étre qu’elle chérissoit. Sa présence ranimant 
à l'instant sa gaieté et sa confiance, elle sortait 
de son état taciturne pour aller témoigner à sa 
maîtresse sa joie de la voir de retour. 


Follette aime beaucoup à se tenir sur fa tête 
de ses privilégiés , elle y reste immobile quelques 
änstans , ayant la forme d'un casque dont sa 


FIO VOYAGES 


queue forme la crinière. Elle passe ainsi d’une 
tête à autre , etlorsqu’elle est vis-à-vis le cordon 
de la sonnette , elle s’élance; et quoique sus- 
pendu et trés-petut, elle se retient au gland. 
Le son une fois produit, lui causant proba- 
blement quelque plaisir , elle s’y laisse pendre 
et fait autour du cordon vingt tours de passe- 
passe pour occasionner de nouvelles secousses, 
et produire de nouveaux sons. 

Folleue quitte bientôt ce genre d’amusement, 
et grimpe en un chn d'œil au plus haut des 
jalousies , d’où elle redescend avec la plus grande 
adresse. Quelquefois de l'endroit le plus élevé 
elle se plaît, à la manière des chats, à se laisser 
tomber sur ses pattes, par un mouvement spon- 
tané qui fait prendre à son corps le centre de 
gravité. 

Sa souplesse est telle qu’elle forme aisément 
un nœud de son corps. Elle se moule plusieurs 
fois autour des barreaux d’une chaise, avec une 
ielle prompütude que l'œil peut à peine suivre 
ses mouvemens. D'autre fois, diversifiant son 
exercice pour nous le rendre plus agréable, elle 
écarte les jambes, et cache sa tête sous sa queue 
qui la recouvre, de manière à faire croire que 
c'est une boule. Au moindre bruit elle change 
tout à coup de position, etse trouve subitement 
sur ses pattes. Alors qu'elle est ainsi disposée à 


D'UN NATURALISTE. 11 


lolâtrer , elle provoque, et agace les animaux 
quand ils ne veulent pas jouer , saute, repasse 
dessus les chats, les chiens, jusqu’à ce qu’au 
moins ils donnent signe de joie ou de mécon- 
tentement. Elle ne se rebute pas, et tâche par de 
plus douces caresses, en léchant par exemple, de 
les intéresser en sa faveur. 


Soit curiosité, soit un hasard qui produisit ce 
mouvement, un jour qu'elle trouva le forte- 
piano ouvert, elle toucha plusieurs notes , et 
sautant à chacun des sons, elle se plut à faire ce 
peut manège assez de tems pour faire croire 
qu’elle y prenoit plaisir. Une corde vint à casser, 
elle fit un bond très-haut , mais sans s’effrayer. 
Elle voulut seulement chercher à découvrir la 
cause de ce bruit imprévu. Elle grattoit avec ses 
pattes sur la table, mais avec tant de vitesse que 
craignant pour le poli de l’acajou , et jugeant les 
résultats de l'expérience de Follette trop discrets 
pour nous , on prit la liberté de envoyer jouer 
plus loin. Elle revint aussitôt ; mais, pour la 
détourner de ce projet, on lui présenta un mor- 
ceau de sucre qui nuit fin à ses chservauons. 


Sa conduite humble et douce envers un do- 
mestuique Chargé du soim de lever les ordures 
qu'elle fait toujours dans la même place, et qui, 
suivant l’usage , commencoit à s’en lasser , et fa 


T12 VOYAGES 

traitoit durement, nous fit voir qu’elle n’est pas 
rancuneuse, Elle le reconnoissoit de préférence , 
sautoit sur ses épaules dès qu'il approchoit , 
urondoit seulement un peu lorsqu'il sembloit 
vouloir la prendre, ne se rappelant que trop de 
ses étreintes cruelles ; puis oubliant le mal passé, 
elle le léchoit pour le désarmer et distraire sa 
mauvaise humeur. Elle se laisse par lui sus- 
pendre par la queue, et balancer, puis re- 
monte d’une secousse autour de son bras, en 
jouant avec lu. 

Nous la vimes un jour dans une cruelle per- 
plexité : j'allois parur pour la chasse aux bois ; 
d’autres chiens courans que les miens entrant 
subitement, et apercevant Follette, qu'ils n’a- 
voient jamais vue, s’élancent en donnant de la 
voix; mais celle-c1 rusée et prudente se préci- 
pite sous le poële où elle se tapit, sans craindre 
leur fureur : nous eûmes le tems de les mettre 
en lesse, et de les faire retirer. La pauvre petite 
F'ollette sorut bientôt de son repaire , et, à sa 
manière accoutumée, vint par ses caresses re- 
doublées annoncer combien elle nous avoit 
d'obligation de lavoir échappée à un danger 
aussi éminent. Son cœur battoit encore. 

On voit, par ces faits historiques , que les 
aflecuions sauvages de la fouine, miugées par 


ce 


D'UN NATURALISTE. 113 
éducation , la rendent très-suscepuble d'ap- 
privoisement. Quelle différence de Follette po- 
licée , où de Foliette primitivement sauvage ! 
Inquiète et méfiante, on tente en vain, dans 
ce dernier cas, de la surprendre même à l’affü, 
pour peu qu’elle entende respirer. 

Nous n’avons remarqué chez Follette , lors- 
qu’elle joue avec des animaux de sexe différent, 
aucun signe de prurit; et dans sa pétulance ac- 
uve, même au mulieu de ses plus vives caresses, 
elle ne se permet aucun acte de lubricité. 

J'ai dit plus haut que Follete, à la vue d’un 
être d’un sexe différent, n’éprouvoit aucun désir, 
ou du moins qu’elle n’en mamiestoit point 
l'impression, parce qu’encore trop jeune, elle 
n’avoit pas éprouvé les besoins de la nature dans 
les uullations du rut; mais l'expérience n'ayant 
convaincu que Folleue étoit un très-beau et bon 
mâle, je m’appliquai à le suivre dans tous ses 
mouvemens , et à l’étudier dans les progrès de sa 
première passion. Un jour donc que nous éuons 
à table, c’étoit vers le 18 mars, une femme de 
chambre qui probablement étoit dans un tems 
critique Ou autrement, vint à passer dans la 
salle à manger ; Follette la suivit à la piste, jusqu’à 
ce qu’elle eut ouvert la porte du corridor qui 
conduison à l'appartement où elle avoit affaire, 


Tone I, H 


114 VOYAGES 

Elle se dégageoit des caresses multipliées de 
lamoureux persécuteur, et, l’ôtant de dessus 
son épaule, elle voulut le jeter dans la salle pour 
se dérober à son importunité; mais elle n’eut 
pas le tems de fermer la porte , que Follette s’est 
élancé sous ses jupons, et, sans la mordre, ne veut 
plus la quitter : la femme de chambre interdne 
veut repousser lindiscret d’une main trop 
hardie, puisque se voyant rebuté, il la mordit 
à plusieurs reprises, tellement enfin que mon 
père, qui voulut lui faire lâcher prise, fut mordu 
Jui-même d’une manière wès-sérieuse. Que 
faire? Le sang risseloit et crioit vengeance ; 
mais le souvenir du caractère de Follette parloit 
encore en sa faveur , et appaisoit les murmures 
des autres domestiques accourus au bruit pour 
porter des secours à la femme de chambre, qui 
s'étoit évanouie. Sa vie li fut accordée , aux 
‘conditions de le priver de la cause de sa fureur; 
ce qui fut exécuté le lendemain sans que animal 
poussât un cri, s'étant laissé prendre, et n’ayant 
pas même cherché à se venger contre ses muti- 
lateurs. Trois jours s’étoient écoulés, que Follette 
tapie dans un coin refusoit la nourriture , et 
n’osoit plus reparoître en cet état; on l’accusoit 
d'avance d’être devenue farouche. Follette fa- 
rouche ! ... quel injuste soupcon ! Enfin elle 


D'UN NATURALISTE. 115 


sorut de prison, mais si honteuse, qu’elle avoit 
perdu son enjouement , et marchoit devant nous 
en traînant lentement sa queue. Elle répara et 
fit oublier son escapade en se montrant bien 
plus familière et plus propre, s'étant corrigée 
enfin de tous ses défauts , au point au’actuel- 
lement, sans qu’il soit besoin de la tenir en lieu 
clos, et d’aller la chercher aux heures de repas, 
on lui ouvre seulement la porte de sa cabane. 
Elle fait le tour de la cour , traverse un corridor 
pour arriver à la salle à manger, et reprend la 
même route lorsqu'il s’agit de lui donner congé, 
sans qu'il soit besoin de Jui assurer un con- 
ducteur. Enfin elle est parvenue à un degré de 
domesticité complet. 

L’aimable Follette, comme on le voit, a trouvé 
en moi, à qui on eut la barbarie de la sacrifier 
pour la pemdre et la disséquer ensuite, un 
panégyriste zélé; mais ses mœurs adoucies, son 
insunct développé sans contrainte , la rendoient 
digne d’être observée ei connue ; je ne me repens 
donc point d’en avoir fuit l'apologie, et de Iui 
avoir conservé la vie. 

Je nv’arrête cependant à ces détails, ne pou- 
vant pas prévoir des partucularités sans cesse 
renaissantes. Le plus sincère éloge qu’on puisse 
faire de son amabilié , est d'assurer que plu- 


FH a 


110 VOYAGES, etc. 


sieurs personnes d’une fortune très-ordinaire 
n’ont pas craint de nous en offrir vingt-cinq et 
même trente louis , briguant les agrémens tou- 
jours nouveaux de sa société récréative. 

C’est assez m'occuper de Follete, et craignant 
qu'un plus long récit cesse d’intéresser le lec- 
teur, je vais parler de la culture du Safran. 


CULTURE 
DU SAFRAN 


DEEE A LIEN ATS. 


eo ’ : * 2 


5 
m 


D DR Ve OR AL 


AVANT-PROPOS. 


ae +! e— 


J E travaillois à mon Traité des Plantes 
usuelles de Saint-Domingue, lorsqu'un 
zélé partisan de l’agriculture m’observa 
qu’il n’y avoit rien de complet sur l’'His- 
toire naturelle du Safran, et que toutes 
les instructions publiées sur sa nature, 
sa culture et son utilité, étoient dissé- 
minées dans divers Ouvrages quin’étoient 
point à la portée de tout le monde. Sur 
Pavis pressant que cet Agronome me 
donna de rassembler les matériaux 
épars dans les Écrits immortels de 
Duhamel, et autres Auteurs qui ont 
traité cette plante bulbeuse , de réunir 
tout ce qui en a été dit, d’y ajouter 
mes observations particulières, et sur- 


tout des planches caractéristiques que 
IL 


120 AVANT-PROPOS. 

laissent à désirer les Ouvrages cités, 
et qui pourtant servent de complément 
à l'Histoire naturelle du Safran, je me 
mis de suite à l’œuvre, et j’ai fait mon 
possible pour que mon Code des Sa- 
franiers instruise suffisamment ceux qui 


auront à le consulter. 


Monsieur Pieyre, Préfet du départe- 
ment du Loiret, lieu de ma résidence, 
et où cette plante précieuse entretient 
un commerce considérable , M". Pieyre, 
ami des arts, et protecteur de tout ce 
qui peut contribuer au bien de ses 
Administrés, eut la bonté de sourire 
à mon travail, et m'engagea à ne point 
laisser en porte-feuille un manuscrit 
intéressant pour les Agriculteurs, et à 
ne pas me réserver exclusivement l’a- 
vantage d’un Manuel dont la publicité 
pouvoit devenir d’une utilité générale. 


Quelle fut ma satisfaction après ce 


AVANT-PROPOS. 121 


premier suffrage, lorsqu’ayant eu l’hon- 
neur de le soumettre aux lumières de 
l'illustre Lacépède, je recus une nou- 
velle approbation de sa modestie en- 
courageante, avec conseil de le sou- 
mettre à la sanction impartiale de l’Ens- 
titut national, centre et foyer des con- 
noissances humaines ; même indulgence 
pour mon travail de la part des Com- 
missaires chargés de l’examiner, et d’en 
faire le rapport à la Classe des sciences 
physiques et mathématiques, lesquels 
s’expriment ainsi : 

« Nous devons à La Rochefoucault , 
» Duhamel et Lataille- Desessarts, la 
» connoissance des procédés employés 
» en France pour cultiver, récolter et 
» dessécher le Safran, article, comme 
» on sait, d’une assez grande impor- 
» tance dans la balance de notre com- 


» merce. 


122 AVANT-PROPOS. 


» Mr. Descourtilz, qui habite le canton 
» où on cultive le plus le Safran, vous 
» a remis sur sa culture un Mémoire 
» accompagné de planches, dont vous 
» avez désiré que nous prissions con- 
» noissance. Ce Mémoire est rédigé 
» avec ordre et clarté, et il satisfait à 
» ce qu'on désire de savoir sur son 
» objet, eiC. » 

Dès ce moment je ne balançai plus à 
publier mon Mémoire, et ma timide in- 
certitude prenant le caractère d’une ré- 
solution fondée, je me décidai à loffrir 
au Public, sous les auspices de M". Pieyre, 
Préfet de mon département, qui voulut 
bien me faire l’honneur d’en accepter 
Ja dédicace. 


CULTURE 


DU SAFRAN 


DU GATINAIS (1. 


D À — 


| GÉNÉRALES. La propagation de la culture 
du Safran depuis quelques années, mérite l’atten- 
tion des spéculateurs. Îl n’est point un agricul- 
teur journalier, dans le Gatinais surtout, qui ne 
fasse des sacrifices pécumiaires et manuels pour 
tirer lessence des soins exigeans que demande 
la culture de cette plante lueratuive. L'homme 
aisé et propriétaire y consacre une portion de 
son terrain ; et l’indigent, dans Fespoir de soulager 
son état de misère , se prive, économise etafierme 
à un prix considérable les terres propres à ce 
genre de culture. Îl est bientôt au niveau de ses 
affaires , par l’avantage qu'il en retire. 


G) J'avois dédié ce Traité au Préfet du départe- 
ment où est située la terre de mon père, lorsque 
des circonstances m'obligèrent de réunir tous mes 
manuscrits au journal de mes voyages. Je prie dore 
ce magistrat de vouloir bien trouver ici l'expression 
de mes regrets et de ma reconnoissance, 


124 VOYAGES 

Cette culture , qui ne peut avoir lieu en grand 
parce qu’elle exige beaucoup de bras, est parti- 
culièrement en vigueur dans les pays peuplés; 
elle ne peut donc être tentée avantageusement 
que par des pères de famille laborieux, qui 
trouvent à occuper d’une manitre uüle tous les 
individus qui la composent; car elle assujétit 
à des détails minutieux, seuls possibles à celui 
qui y trouve un intérêt personnel : c’est assez 
faire connoître que l’habitant bourgeois doit 
exclure de ses projets cette importante spéculation 
qui lui deviendroit trop dispendieuse. 

Le célèbre Duhamel, dans ses Élémens d’agri- 
culture, entre dans beaucoup de détails sur la 
culture de cette plante bulbeuse; mais des ob- 
servations particulières tant sur la nature de 
Voignon, que sur l’uulité et l’inconvémient de le 
perpétuer ; d’un autre côté, la facilité où jétois, 
en suivant dans le Gatinais les travaux des jour- 
naliers, d'ajouter au mémoire des dessins pour 
ne rien laisser à désirer au lecteur; toutes ces 
considérations m'ont déterminé à suivre les 
traces d’un aussi bon modèle, et à recueilhr 
après lui les parücularités échappées à la rapidité 
du vol de ce savant observateur. Quelques 
réflexions poliuques furent également un des 
points qui m’y décidèrent. 

Je vais suivre dans son plan, Duhamel. Pline, 


D'UN NATURALISTE. 127 


dit-il, fait mention du Safran d'Afrique, de celui 
de Sicile , de celui d'Asie; mais il ignoroit encore 
la culture de celui des Gaules. 

La Rochefoucault, qui a écrit au siècle dernier 
sur le Safran cultivé dans l'Augoumois, dit qu'il 
y en avoit peu dans cette province avant 1520; 
mais que les habitans déjà reconnoissoient tout 
l'avantage de sa culture , d’après le produit lu- 
cratif des récoltes des bonnes années, qui payoient 
largement la valeur du fonds de la terre. 


ImPORTATION DU SAFRAN DANS LE GATINAIS. 
Si l’on en croit nos vicillards du Gatnais, le 
Safran y a été transporté, et sa culture tentée par 
un seigneur de Boines, qui l’apporta d'Avignon. 
Quoi qu’il en soit, ils conviennent unanimement 
que sa culture y est recherchée de mémoire 
d'homme. Elle y faisoit de sensibles progrès 
depuis la destruction du gibier, malgré la pénurie 
de bras; mais ce produit avantageux cessera 
bientôt de l’être autant, si, comme autrefois, les 
saframers sont obligés d’entourer leur terrain, 
puisqu’à cette époque les échalas sont, indépen- 


damment d’un prix exorbitant, d’un entretien 
dispendieux. Est-ce un mal pour l'intérêt des 


autres cultures? Pourtant le seul désavantage 
de celle du Safran, est qu’elle détourne beau- 
coup de bras ; ce qui nécessairement fait un 


126 VOYAGES 
déficit en raison de la pénurie dans laquelle on 


s'en trouve. 
Le Safran du Gaüunais est estimé supérieur à 


celui du Languedoc, du Poriou,d’ Angleterre, d’AI- 
Jemagne, d’ltalie,et même de la Normandie, etc. 
Aussi les négocians en ce genre ont-ils soin de 
mêler avec lui celui d’une qualité inférieure, qui 
s’empreint bientôt de son odeur pénétrante, et le 
décharge du réhaut de sa couleur. Cetie supério- 
rilé paroîtroit venir de ce qu'on ne fame point 
dans le Gatunais les terres à Safran. 


Descriprion pu SAFRAN. Je transcris ici la des- 
cripuon de Duhamel, qui ne peut être faite plus 
exactement. 

Maiole, dit-1l,a nommé cette plante crocum; 
Jean Bauhin et Dodonée l'ont appelée crocus ; 
Crarpar Bauhin, dans son Pinax, et Tournefort 
Fontappelée crocus sativus ; enfin Park, et Ray 
dans son Histoire des plantes, lui ont donné le 
“om de crocus sativus autumnalis. Ceue 
plante, ainsi que ses pisuls desséchés , sont connus 
en francais, sous le nom de Safran. C'est celui 
prescrit dans les Dispensaires de médecine, et 
tant recherché par les habitans du Nord. 

Le Safran ( planche VI) est une plante 
buibeuse. Sa bulbe ou oignon est solide et 
charnue. Celles qui sont bien formées ont èn- 


— 4e 


e 


PZ F2 Psy 


1. Maladie du Fausset. 2.le Fausset 8 la Mort 4 Sclerote desSafrans. 


D'UN NATURALISTE. 157 
viron , non point seulement un pouce de diamètre 
sur un pouce et demi de hauteur, comme dit 
Duhamel, mais au moins le double. Elle est 
aplatie en dessous et en dessus; on y voit un 
enfoncement à peu près semblable à celui où est 
placée la queue d’une pomme. (Planche IX, 
fre. Le 

La substance de cet oignon est recouverte de 
plusieurs enveloppes sèches, de couleur fauve, 
formées par un nombre de filamens posés paral- 
Iélement les uns aux autres : ces enveloppes se 
nomment /a robe de l'oignon. (Planche VI, db). 

Dans une cavité qui est au milieu, et à la 
partie supérieure de loignon (planche IX, 
fig. V, aa), on aperçoit une, deux ou trois 
pyramides de couleur fauve et brillante (pl. IX, 
fig. IV, aa) ; et sur les côtés du même oignon, 
on en voit encore de plus peutes (planche FX, 
fig. 1v, bb) : c’est de ces endroits qu’on peut 
regarder comme des boutons, qu’on voit sorür 
les feuilles, les fleurs, et mème les caïeux ; et 
quand on enlève les enveloppes coniques (pl. EX, 
fig. 1V, c) qui forment ces boutons , on aperçoit 
un mamelon de même figure, qui, étant conpé 
suivant sa longueur , paroît être un peut oignou 
contenu dans le gros, et qui renferme les ru- 
dimens de la plante. (Planche IX, fig. vi, aa). 

Le corps de ia bulbe (pl. EX, fig. vi et vi) 


Ca 


198 VOYAGES 


coupé en différens sens, paroît être d’une subs- 
tance uniforme , et assez semblable à la chair 
d’une pomme. 

Dans le mois de septembre, quand les pluies 
d'automne commencent à humecter la terre, 
sortent les racines de la base de la bulbe 
(planche VT, dd) ; les mamelons, dont je viens 
de parler , s’alongent, et la fleur commence à 
se dégager de la robe ou des enveloppes de 
l'oignon. (Planche IX, fig. 11). 

Le bouton de la fleur enveloppé d’une coifle 
mince formée de plusieursmembranes (pl. VE, ee), 
et porté sur un pédicule , s’élève pour gagner la 
superficie de la terre; à mesure que le pédicule 
s’alonge, ce bouton se dégage de sa coiffe , et se 
montre sous la forme d’un corps ovale (pl. IX, 
fig. 11), long d’un pouce et demi ou deux pouces, 
dont le diamètre est de cinq à six lignes ; 1l est 
supporté comme sur un pédicule par un tuyau 
(planche VI, f) qui a au plus une ligne de 
diamètre. Ce tuyau est la parte inférieure de la 
fleur , et cette fleur s'élève au dessus du terrain 
d'environ deux pouces. 

Cette parue fistuleuse de la fleur s’évase con- 
sidérablement par le haut, où elle se divise en 
six grandes parties qui étant rassemblées forment 
le bouton (planche VI, g) dont nous avons 
parlé. Eiles se séparent ensuite les unes des 

autres 


Progression de l'epanouissement des fleurs du Satran. 


4 


SL. 7x. I. z. f? 


An alvse du Salran, deru- Grandeur naturelle 


D'UN NATURALISTE. 129 


autres (2), elles s’écartent, et quand la fleur 
est épanouie (4 et &), chaque découpure (77/71) 
paroît un grand pétale ovale , de sorte que cette 
fleur ressemble alors à une peute tulipe fort 
pointue par le bas. Comme la couleur de cette 
fleur est d’un gris de lin violet fort tendre , les 
champs qui en sont garnis sont agréables à la 
vue. Souvent la fleur est bessonne, et porte 
alors dix et même douze pétales , et le nombre 
des stigmates , qui augmente en même propor- 
tion, a quatre , Cinq et jusqu’à six flèches. 

Trois de ces découpures sont un peu plus 
grandes que les trois autres ; elles ont environ 
deux pouces de longueur , sur un pouce de 
largeur : on apercoit dans l’intérieur de la 
fleur , des étamines (planche VII, 88b) qui 
prennent leur origine des découpures de la 
fleur; ces étamines sont composées d’un filet 
blanchätre qui porte un sommet long de cinq 
à six lignes, formé de deux capsules qui, en 
s’ouvrant suivant leur longueur, répandent une 
poussière d’un jaune très-vif. 

Le pisul ( planche VIT, & ) est composé d’un 
embryon (c) sur lequel repose la fleur : il est 
ovale , et a environ un demi-pouce de longueur; 
il est supporté par un filet qui part de la bulbe 
même, et qui enfile toute la longueur du pédi- 
cule (4) qui est fistuleux. Cet embryon qui est 


Tome I, | 


130 VOYAGES 

d’une forme triangulaire, devient, quand la fleur 
est passée, une Capsule à trois loges qui renfer- 
ment plusieurs semences rondes : le style qui est 
unique, enfile la parte étroite de la fleur (f) , et 
quaud il s’est élevé dans le disque de quatre à 
cinq hgnes, 1l se divise en trois grands süg- 
mates de quinze à dix-huit lignes de longueur. 
(Planche VIT, g). Le style (a) est blanc, les stig- 
inates sont d’un rouge vif et brillant; 1ls sont assez 
Jongs pour excéder un peu les échancrures du 
pétale. Hs sont plus menus à leur origine que 
vers leur extrémité où l’on remarque des canne- 
lures assez fines. On verra dans la suite que ce 
sont ces stigmates qui fournissent seuls la parue 
vraiment uüle du Safran. 

Si l’on arrache un oignon dans le tems de la 
fleur, on vont les ferulles de cette plante depuis 
le nombre de deux jusqu’à huit (planche VI, 
mm, et planche IX, figure 17, b ) qui sont ren- 
fermées par les mêmes enveloppes que la fleur. 
(Planche VE, e, et planche IX, c). Elles sont trés- 
étroites, pointues , glabres , d’un vert foncé ,etont 
dans toute leur longueur de dessus une ligne 
blanchâtre. Peu de tems après que la fleur est 
passée, ces feuilles sortent de terre (pl. VIE); 
elles sont à la fin de l’hiver, période de leur 
accroissement , longues d’un ou deux pieds. 


Elles représentent une espèce de petite goutuere; 


Multüiphcaton des Oignons pendant les {rois annees , 


D'UN NATURALISTE, 191 
car elles sont creusées en dessus, etelles forment 
en dessous une arête. La parue des feuilles 
qui est en terre, est jaunâtre ; celle qui est hors 
de ierre est d’un vert éclatant, de sorte que les 
champs de Safran paroiïssent pendant tout l’hiver 
couverts d’une très-beile verdure. Ces feuilles 
jaunissent au printems , et peu à peu elles se 
dessèchent : on les arrache alors; et, pendant 
tout l'été, les champs de Safran que l’on voit 
bien culuvés, semblent être dénués de toute 
végétation. 

Les peuts mamelons de la troisième année 
{planche VHT ,&a) attachés dessus les oignons 
de la seconde (bb), eux-mêmes végétant des 
débris de l'oignon épuisé de la première année (c), 
et qui ont donné naissance aux fleurs et aux 
feuilles, grossissent peu à peu pendant Fhiver : 
l'oignon qui les porte se fane, se dessèche, et 
devient aride à mesure que les nouvelles bulbes 
font des progrès ( planche VIE, « )}; de sorte 
qu’au printems on trouve deux , trois ou quatre 
nouveaux oignons implantés sur les débris de 
Pancien, qui est presqu'anéanti. C'est par rap- 
port à cette muluplicauon qu'on est obligé de 
trois en trois années de relever les oignons pour 
les diviser. 

On voit, par ce qui vient d’être dit, qu’on 


} 2 


132 VOYAGES 


peut établir pour le caractère du Safran, d’avoir, 
en place de calice, une coiffe membraneuse 
composée d’une seule pièce. Le pétale est unique; 
par le bas il forme un tuyau menu qui se divise 
à son extrémité en six grands segmens ovales. 
On aperçoit dans l’intérieur trois grandes éta- 
mines qui prennent leur origine du pétale , et 
qui sont beaucoup plus courtes que les décou- 
pures du pétale. Ces étamines sont formées de 
filets menus et de sommets composés de deux 
capsules longues, dans lesquelles la poussière 
fécondante est renfermée. 

Le pisul est formé d’un embryon oblong, 
d’un style filamenteux qui s'élève à la hauteur 
des étamines, et de trois stigmates plus larges 
par leur extrémité que par la base, et striés sui- 
vant leur longueur. 

L’embryon devient une capsule à trois loges, 
qui renferme plusieurs semences arrondies. 
(NPA 

Or toute l'analyse du Safran d’après le cheva- 
lier Lamark , dans sa Flore française, se réduit à 
faire connoître qu'il a les fleurs distinctes, dis- 
jointes, bissexuelles, pétalées ; que son ovaire est 
sous la corolle; que la corolle en est polypétale, 
composée de six pétales; que la fleur a trois éta- 
mines , que la corolle est régulière et symé- 


$ 


PT +7. T z À 133. 


ÈS 


1 Le Colchique.2,#7/kur d& yrendur naturelle. 3.La Carthame . 
1 | + 


D'UN NATURALISTE. 133 
trique, que les trois stigmates sont grêles, roulés 
et qui ne recouvrent point les étamines (*). 

Cuirure pu SarraAx. Je reprends mon récit. 

TERRAIN qui LUI EST PROPRE. Les terres fines, 
meubles ou glaiseuses ; les grouettes noires , sur- 
toutépierrées , sont celles les plus convenables à 
la végétation du Safran , qui ne se plaît pas dans 
les terres trop fortes, dans les sables n1 dans les 
terrains humides. I lui faut de huit à neuf pouces 
de fond. 11 pullule plus avantageusement dans 
une terre noire, légère où les oignons plus gros 
que par-tout ailleurs ont jusqu’à deux pouces de 


(*) La différence qui existe entre le Safran , et le 
colchique d’iutomne qui lui est comparable pour la 
forme extérieure ( planche XI), se réduit aux carac- 
tères génériques suivans : fleur liliacée, ayant un seul 
ovaire chargé de trois styles, la corolle fort longue, 
dont le tube nait immédiatement de la racine ; une 
tige plate, comprimée et striée dans sa longueur ; un 
spath d’où s'échappent deux et quelquefois trois tiges s 
chaque fleur composée de trois pistils distincts et 
non réunis , terminés par trois stigmates peu apparens, 
et de six élamines , en quoi le colchique diffère du 
Safran qui n’en est pourvu que de trois. Celte plante 
qui fleurit en automne avant son feuillage, qui ne 
paroît qu'au printems suivant, au nombre de quatre 
feuilles semblables à celles du lis blanc, se trouve 
dans les prés; on l'appelle dans le Gatinais arlleaw, 
et dans d’autres endroits mort aux chiens. 


13 


Analise des Oignons. 3 .le Tacon .. 2. Fleur sortant de la terre. 
A4 


D'UN NATURALISTE. 135 
les oignons gelèrent, et leur mulüplicauon n'of- 
frit aucun avantage ; en sorte que, pour réparer 
cette perte considérable, on eut beaucoup de 
peine à trouver de quoi replanter. ( N°.5 ). 


PRÉPARATION DE LA TERRE. On donne trois 
facons à la terre qu’on destine au Safran. On se 
sert de houes ou de mares, d’après les usages 
des différens pays; on laboure, ou plutôt on 
fouette la terre jusqu’à neuf à dix pouces de pro- 
fondeur, de manière à la rendre plus poreuse 
que le terrain qui l’environne, dont elle dépasse 
de beaucoup le niveau. On a soin de la rendre 
pour ainsi dire grumeleuse, et même pulvéru- 
lente , à force de l’épierrer et de l’émotter. Ce 
n'est pas que de peutes pierres, jusque de la 
grosseur d’une noix, nuiroient prodigieusement 
à la sortie de la uge du Safran, puisque la force 
végétative lui en fait souvent déranger de beau- 
coup plus fortes, mais ce sont des efforts inutiles 
qu’on a soin de lui épargner. Une moue lui fait 
beaucoup plus detort en ce qu’elle est plus divi- 
sible, et qu’elle adhère à ses parues latérales. 


fiNo 6) 


ÉPOQUE pes Lagours. La première facon qu'on 
appelle Æiverner ou le marage , suivant les 
pays, se donne depuis la Saint-André, la Saint- 
Marüun jusqu'a Noël. 


136 VOYAGES 

La seconde facon qu'on appelle Biner ou 
rafraichir les terres, dans tout le mois d'avril, ou 
au plus tard dans le commencement de mai. 

La troisième facon qu’on nomme recouler ou 
rebiner, se donne à la veille du plantage (N°. 5). 

LE PLANTAGE a lieu de la mi-juillet jusqu’au 
8 septembre, d'après les dispositions plus ou 
moins favorables de la saison. On ne fume point 
la terre en Gaunais, comme dans l’Angoumois , 
avec le fumier pourri de brebis, bœufs et che- 
vaux, n’excluant que celui de pores; mais, lors- 
que le terrain est une fois préparé et planté, 1f 
est piqué aux quatre coins de délensesou branches 
d’épines qui servent à indiquer qu’on doit s’abs- 
tenir de marcher dessus , ne connoissant point, 
avant la sorue des fleurs, la direcuon des sillons 
parallèles dont l'intervalle sert aux safraniers à 
à poser leurs pieds pendant la cueillette. 

Lors donc que la terre est bien ameuble et 
bien disposée par trois bons labours, on plante 
les oignons comme il suit : le culüvateur onvre 
sur une des rives du terrain, une tranchée ou 
sillon de sept pouces de profondeur dans toute 
Ja longueur du champ ; une femme ou enfant le 
suit, et range à mesure au fond de la tranchée , 
les oignons sur leur base, à un pouce les uns des 
autres. Au bout du rayage le mareur en ouvre 
mn autre à six pouces de distance, et jette à 


D'UN NATURALISTE. 137 


mesure la terre du second sillon, pour combler le 
premier ,et recouvrir les oignons quise trouvent 
alors sous six pouces de terre. La grande habi- 
tude des safraniers dans la direction de cet ou- 
vrage, fait qu'ils ne se servent jamais de cordeau 
pour la plantauon, et cependant les raies se 
trouvent toutes régulièrement parallèles; ce qui 
donne un très-johi coup d’œil à l’époque de la 
sorue des fleurs. 

Des culuvateurs plantent leur Safran aussitôt 
qu’il est arraché, et croyent devoir à cette pra- 
üque une plus belle floraison : d’autres qui ont 
arraché les oignons en juillet ne les replantent 
qu’en septembre, parce qu’ils prétendent qu’étant 
ainsi desséchés, ils sont moins sujets à se pourrir. 
Comme nous ne voyons point, dit Duhamel, 
pourquoi les oignons pourriroient phnôt la pre- 
muére année qu'on les met en terre que la seconde 
et ka troisième, nous inclinerions pour la pra- 
que des premiers. Cette réflexion est toute 
naturelle | et des safraniers versés dans cette 
culture, que j'ai quesuonné sur ce point, sont 
pleinement de l'avis de Duhamel, d’après leurs 
remarques dont ils m'ont fait part. (N°. 6). 

PRÉPARATION DES OIGNONS. Les uns ne dé- 
robent poimt le Safran ; d’autres dépouillent 
l'oignon de cette enveloppe au moins inutile, 
perce qu’alors ils sont plus à même de découvric 


138 VOYAGES 

la mort ou carie, de l’extirper dans les moins 
gangrenés , et de rejeter ceux sans reméde , 
bien faits pour désoler une plantauon en com- 
muniquant à leurs voisins cette maladie pesti- 
Jenuelle. 

Quoique La Rochefoucaulisoitd’avis de diviser 
les gros oignons en autant de caïeux qui s’y 
rencontrent pour muluplier le nombre, néan- 
moins on n’obüuent par cette méthode aban- 
donnée, cette prauque délaissée, que des rejetons 
imparfaits ; et l’on préfère en général une peute 
quantité d'oignons , bons , parfaits et bien 
constitués, à une plus grande d’une qualité 
médiocre et inférieure. 


DÉVELOPPEMENT DES OIGNONS. Un tems calme, 
serein et sans pluie, développe de l'oignon du 
Safran des racines en assez grand nombre ; et 
dès que les prenuères pluies d'automne ont 
pénétré la terre, on voit bientôt poindre la fleur. 
On donne alors , entre les sillons , une légère 
facon de deux pouces au plus de profondeur , 
évitant bien de couper les fleurs naissantes avec 


Ja houe ou la mare. 


Fronaisos. C'est vers les premiers jours 
d'octobre , époque d’une grande surveillance 
parnu les safraniers, que les fleurs sortent de 
terre. Les bras sont tous en acuvité pour les 


D'UN NATURALISTE. 139 


recueillir , et ne leur point donner le tems de 
trop s’évaporer. Le développement s'opère 
quelquefois si subitement, que celui qui vient 
de passer dans un sillon n’est point arrivé au 
bout de la pièce, qu'il est obligé de parcourir 
de nouveau les mêmes raies pour y cueillir les 
fleurs écloses depuis son passage. (N°. 7). 

Les feuilles (planche VIE, eeee) paroissent 
après la floraison, et recouvrent la terre, pen- 
dant l'hiver , d’un tapis vert qui plaît à la vue, 
et qui devient le gîte des lièvres si la safranière 
n’est point entourée. C’est alors qu'ils font beau- 
coup de dommages , car leur dent meurtrière 
suspend la végétauon , et empêche le dévelop- 
pement de l'oignon. 


ANIMAUX NUISIBLES. Les lièvres ei les lapins 
ne sont pas les seuls animaux à craindre; les 
taupes qui fouillent des souterrains , les rendent 
praticables aux rats, mulots et souris, qui sont 
trés-friands des oignons; c’est pourquoi les 
saframières situées près des maisons sont le plus 
souvent endommagées. 

Ce feuillage éteint sa verdeur sous l’influence 
du soleil du printems ; c’est alors, vers la fin 
de mai, qu'on larrache pour le faire sécher, 
et le donner l’hiver suivant aux vaches qui ex 
sont fort friandes, Ces feuilles cédent facilemen: 


1/40 VOYAGES 
à la main , la base près l’oignon en étant déjà 
décomposée (*). (No. 8). 

TRAVAUX DE LA SECONDE ANNÉE. Vers la mi- 
juin environ , on donne au même champ la 
première facon ou raclage, de trois à quatre 
pouces de profondeur. La seconde se donne à la 
fin du mois d’août, et c’est vers la fin de sep- 
iembre que se donne la troisième, qui n’est 
qu'une sarclée de deux pouces de profondeur. 

TRAVAUX DE LA TROISIÈME ANNÉE. Les mêmes 
dispositions de culture ont lieu pendant trois 
années consécutives, et ce n’est qu’à la quatrième, 
dans les mois de juin, juillet et août, qu’on ar- 
rache les oignons. 

ARRACHIS DES OIGNONS. On se sert de la 
mare pour découvrir, dans chaque rangée, 
les oignons avec la plus grande précaution ; 
c’est pourquoi on établit la tranchée un peu 
au devant de la place où 1ls ont été posés. Le 
mareur est suivi d’enfans qui les déterrent, et 


() L'herbe s'arrache à la fin de mai, lorsqu'elle est 
sèche. On la laisse faner, puis on la ramasse. Elle 
convient aux vaches, et ajoute à la quantité et à la 
bonté de leur laitage. L'arpent fournit environ soixante 
gerbes de dix livres la première année , et cent gerbes 
les deux années suivantes. Quatre jours suffisent à un 
ouvrier pour arracher, faner et botteler le fourrage 
d'un arpent de Safran. 


D'UN NATURALISTE. 141 


les transportent dans des paniers au bout du 
champ, où 1ls les mettent en tas reposer environ 
six semaines. D’autres les replantent presqu’aus- 
sÔt après avoir été arrachés. Ceux-ci les dé- 
robent; ceux-là conservent leur enveloppe qui, 
comme nous l'avons déjà observé , est au moins 
inutile. 

UsAGE QU’ON FAIT DES O1GNONS. Ce n’est plus 
dans le même champ que peuvent se replanter 
ces oignons à Safran ; ils ont épuisé par leur 
séjour trisannuel tout le suc nourricier du ter- 
rain, qui ne peut être propre à une semblable 
culture qu'après un repos de quinze ou vingt 
ans. On emblave ordinairement les arrachis de 
Safran en avoine mêlée avec du sainfoin, et 
quand ces plantes ont exercé la terre pendant 
neuf ans, on y plante ordinairement de la vigne, 
ou bien de l’orge, puis du froment, Duhamel 
observe que l'intervalle de vingt ans seroit bien 
moins long , si l’on étoit dans l’usage de restaurer 
ces terres épuisées en les fumant ; mais l’inno- 
vauon fut de tout tems proscrite par les paysans : 
ensorte qu'on ne peut résoudre d’une manière 
posiuve cette probabilité. 

Ce n’est point la prenuère année que la terre 
a épuisé en faveur des oignons une partie de ses 
sucs nourriciers , elle en possédoit bien au delà 
de leurs besoins ; aussi, ue prenant que l'habitude 


142 VOYAGES 

de son influence végétauive, ils donnent moins 
de flcurs que l’année suivante, où les oignons 
ont commencé à se multiplier. Ce n’est que la 
troisieme année que la récolte moins abondante, 
les flevrs plus grèêles, annoncent que la terre a 
besoin de repos. C’est pourquoi l’on a bien soin 
d’arracher les oignons dans la quatrième année. 
La muluplicauon des caïeux est telle , que l’ar-. 
rachis d’un demi-arpent produit en oignons 
de quoi planter un arpent et plus. 

La Rochefoucault annonce que six boisseaux 
en ont produit treize en deux ans, et que cinq 
boisseaux en ont produit vingt en quatre ans. 

Osservarions. La rigueur des hivers si fu- 
nestes au Safran est la cause que les oignons sont 
plantés aussi profondément en terre; car, dans 
un pays où l’on n’auroit point à redouter l’in- 
fluence des gelées, 1l sufliroit de les mettre à 
trois ou au plus quatre pouces sous terre. 

REMARQUES SUR LA TEMPÉRATURE. Un grand 
hâle, depuis le premier juin jusqu’au vingt-cinq, 
annonce une récolte abondante. Quand 1l pleut 
en juillet et août, on a peu de Safran à la récolte 
suivante. 

R£cozTEe pu SaFrAn. Un automne beau, sec 
et chaud protège le développement des fleurs du 
Safran, tandis que cette saison , venteuse , trop 
pluvieuse et froide, en ralentit la floraison, 


D'UN NATURALISTE. 143 
Ainsi, si vers la fin du mois de septembre le 
tems chaud est accompagné de pluies douces, 
les fleurs se forment et pointent à vue d'œil , et 
leur parfaite sortie n’attend même point le déclin 
du soleil qui les a vu naître. Le maun, au réveil 
du diligent culuvateur, les champs , comme 
recouverts d’un tapis gris de lin violet, lui 
annoncent l’abondance, sourient à son travail, 
ct promettent de récompenser largement ses 
peines et son labeur. Mais c’est l’époque aussi 
où cette culture exige sa plus grande vigilance ; 
voilà les derniers soins qu’elle nécessite : 11 n’a 
pas de repos, pour ainsi dire, à espérer soit le 
jour, tems de la cueillette, soit la nuit destinée 
à éplucher les fleurs. Malgré toute cette sollici- 
tude , ils sont souvent contrariés pendant cette 
récolte, et à la veille d’une complette abondance 
que la fécondité semble leur promettre. Ces 
malheureux journaliers éprouvent des pertes de 
leur abondance même; car, pendant la cueillette, 
un gros vent souvent meuririt les fleurs, et une 
pluie les pourrit. C’est ce qu’on a éprouvé dans 
la même récolte en 1805 , où après ua semblable 
fléau, c’est à dire les fleurs d’abord contusées 
par le vent, ensuite pourries par une forte pluie 
qui en contrariérent la cueillette, les fleurs ne 
se gardoient au plus que cinq heures, et faute 
de bras pour les éplucher en si peu de tems, 


144 VOYAGES - 

en raison de ce que cette récolte se rencontra avec 
celle de la vendange tardive, on en perdit une 
grande quantité qu’on fut obligé de jeter, sans 
le moindre espoir d'aucune spéculation. 

Cours Du Prix DU SAFRAN. Cette disette em- 
pécha le Safran de monter. Comme il üre sa 
valeur de son abondance , et qu’en général plus 
il est rare , moins 1l est cher, il ne valut donc au 
commencement de 1806 que de 42 à 50 liv., 
tandis que les années précédentes où 1l y en eut 
en abondance, 1l valut jusqu’à 96 liv. et même 
cent francs la livre. C’est une remarque assez 
particulière. La cause qui en est toute simple, 
provient de ce que plus les récoltes sont abon- 
dantes, plus les levées en sont recherchées, 
et l'exportation considérable; il y a donc spé- 
culauon et concurrence de la part des com- 
mercans; CE qui tourne toujours au profit du 
vendeur. 

Lorsqu'il arrive des années où les fleurs se 
succèdent graduellement, on a bien le tems de 
tout ramasser et de tout éplucher, parce qu’a- 
lors les vendages finies, les safraniers n’ont plus 
d’autre soin que celui de cette récolte. En cette 
mème année de 1806, les 5 et 6 janvier, je vis 
ramasser encore, dans le Gatinais, des fleurs en 
quantité dans les paroisses de Boësse , Echilleuses, 
Boiues, Bouilly, Vrigny et Bouzonville ; fleurs 

de 


D'UN NATURALISTE. 145 
de caïeux écloses après les premières gelées, et 
dont la sortie fut favorisée par un intervalle 
moins rigoureux. 

Dans une année ordinaire, la fleuraison dure 
environ trois semaines. Les huit premiers jours 
on récolte peu, les huit jours suivans abondam- 
ment, ce qu’on appelle la force; et les huit der- 
miers ne sont employés, pour ainsi dire, qu’à 
glaner. 

DESCRIPTION DE LA CUEILLETTE. Hommes, 
femmes et enfans, les paniers aux bras, sans au- 
tres instrumens que les ongles, vont plusieurs 
fois le jour aux saframières dans la force de la 
fleur, et seulement deux fois par jour, le maun 
avant la rosée, et le soir dans les huit premiers 
et les huit derniers. Chacun d’eux prend son 
sillon, et pour cueillir plus commodément sans 
endommager les fleurs qui n’ont point encore 
paru, ils posent chaque pied dans les rangées 
ou intervalles latéraux de la raie des fleurs, et à 
l’aide des ongles, ils coupent le pédoncule ou 
queue de la fleur au niveau de la terre, c’est à dire 
bien au dessous de son bassin : quand ils en ont 
une poignée, ils la déposent dans le panier sus- 
pendu à leur autre bras. Si la grandeur du 
terrain comporte, pour cette cueillette, plus que 
chacun son panier, les hommes ont des hoties 
qu'ils remplissent, et indépendamment, ils ontau 


Tous EL K 


146 VOYAGES 

bout du champ un âne, avec de vastes paniers 
qui servent à en transporter une bien plus grande 
quanuté. 

ErzucuAce pu SarraAn. Les fleurs qui ne sont 
pas encore épanouies, et en qui il n’y a point eu 
ou très-peu de déperdition de principe odorant, 
sont aussi les plus faciles à éplucher. Il faut les 
cucillir promptement, car elles passent très-vite. 
D'après la fraîcheur et la bonne qualité des 
fleurs du maun, on doit croire qu’elles poussent 
bien plus dans la nuit que dans tout autre tems. 
On a soin, en rompant la fleur, de rompre 
aussi le pisul qui est au milieu ; car en restant, 1l 
feroit pourrir l'oignon, en lui communiquant sa 
décomposition. 

Lorsqu'on a trop de fleurs pour les éplucher 
en une seule séance, on étend le surplus sur un 
plancher, afin de pouvoir les conserver d’un 
jour à l’autre; car elles ne pourrissent point 
chaque année comme en 1805 , au bout de cinq 
heures de cueilleue. I faut néanmoins avoir bien 
soin de ne point les laisser en tas, autrement 
elles s’'échauflent, s’amollissent, et deviennent 
plus incommodes aux éplucheuses pour la sec- 
tion. Que de chansons ! que de contes dans ces 
réunions villagcoises ! Tous les éplucheurs, au- 
tour d’une table, prennent à mesure à la masse 

‘des fleurs posées au milieu, en détachent le pistil 


D'UN NATURALISTE. 147 


de chacune en pesant sur le pédoncule avec 
l'ongle gauche , et retirent les stigmates ou 
flèches de la main droite, après qu’elles ont été 
rompues et séparées du pisuil par cette section. 
Chacun met en tas devant lui les flèches, ou 
sugmates du pisul, et jette sous la table la corolle 
et les étamines comme inutiles. 11 y à assaut de 
diligence, et souvent les meilleurs travailleurs 
acquièrent une double réputation auprès de 
leurs amantes. . 

Les plus adroits éplucheurs coupent le pisul 
très-peu au dessous de la trifurcation , et laissent 
par ce moyen au rebut avec la corolle la base, 
ou style (fig. VIE, a) ,quiestunfiletblanc lequel 
n'ayant ni odeur ni couleur, ôte au Safran de 
sa qualité. Les marchands cependant aiment à 
voir un peu de ce blanc, qui annonce qu’on n’a 
point frelaté le Safran avec du safranum. Souvent 
la présence d’étamines , où rognures de pétales 
qui se moisissent et communiquent une mauvaise 
odeur au Safran , suffisent pour en diminuer le 
prix. Chaque éplucheur peut faire sa livre de 
Safran vert par jour, et il en faut cinq livres de 
vert pour une livre de sec. (No. 9). 

Les gros saframiers ne pouvant suffire avec 
leurs enfans à éplucher seuls leurs revenus, 
louent des bras pour le tems de la récolte, et 
paient ou à la journée ou au poids. Dans certains 


K 2 


148 VOYAGES 
pays on donne de 5 à 6 sous pour chaque livre 
de Safran vert, mais dans les tems où les bras 
sont rares, le prix va de 4o à 5o sous; en 
1806 on exigea jusqu'à 6 francs. 

_ DessicATION pu SAFRAN. À mesure que le 
Safran est épluché, on l’expose à trois ou quatre 
pouces au dessus de charbon couvert de cendres 
chaudes, sur un tamis de crin, pour l’y dessécher 
lentement. Unetrop prompteévaporation, comme 
on le concoit bien, enlèveroit tout le principe 
odorant volaul. On le remue de items entems, à 
mesure qu'il se dessèche. La fuméele décolore ou 
plutôt alière sa couleur. (N°. 10). 

Cette opération se fait sous des manteaux de 
cheminée; car l'odeur, malgré toutes les précau- 
tons que l’on prend pour sa moindre dissipa- 
üon, s’exhale encore de manière à incommoder 
ceux qui restent dans la chambre. F’expérience 
n’en a que trop malheureusement prouvé le 
danger, par la mort d’un garcon droguiste qui 
s’étoit endormi sur un sac à Safran. Si cette 
odeur modérée est favorable aux filles attaquées 
de chlorose ou pâles couleurs, elle devient dan- 
gcreuse, Comme j'en ai vu plusieurs exemples, 
aux femmes récemment accouchées, à qui elle 
occasionna des pertes qui cessèrent bientôt dès 
que j’eus faut détourner la cause de ces accidens,. 

I est des pays où on fait dessécher Le Safran 


D'UN NATURALISTE. 149 


dans des terrines ; mais nécessairement le vernis, 
et même l’usage auquel ces vases ont servi, doit 
Jui faire contracter un goût et une odeur défavo- 
rables. 

Lorsque le Safran est parfaitement sec et 
entièrement dépourvu de son humidié, on le 
met dans des boîtes fermant hermétiquement ; 
d’autres négligent cette utile précaution, et le 
renferment dans des sacs de toile serrée, et 
lorsqu'on est prêt à le vendre, les hommes de 
peu de foi exposent à l'humidité pour le faire 
peser davantage. 


PropuiT ANNUEL. La première année , un 
arpent produit de quatre à cinq livres de Safran 
sec; mais la seconde et la troisième, il en donne 

Re: ne | 
de quinze à vingt, et même vingt-cinq. 


QuALITÉS ExIGÉES pu SAFRAN. Le Safran est 
réputé bon, lorsqu'il est bien sec, d’un beau 
rouge vif pourpré, sans mélange d’étamines ou 
de pétales, et surtout lorsqu'il n’est point so- 
phistiqué avec du safranum. Celui du Gatinais 
est d’une qualité si supérieure, que les hardes 
des paysans qui en ont épluché et serré dans leurs 
armoires, en sont empreintes plus de six mois 
après. On profite de cette vertu communicative 
pour lallier et le mélanger avec celui d’une 
qualné inférieure et inodore. { N©, r1 ). 


KR 5 


150 VOYAGES 

MALADIES DES O1GNONs. On reconnoît trois 
maladies sujettes à attaquer les oignons de Safran, 
savoir ; 1°, le fausset, 2°. le tacon, et 39: la 
mort. 

Le fausset ou tuette ( expression du Gati- 
nais ) est une excroissance creuse en forme de 
tube qui se développe près du caïeu. On Pap- 
pelle ainsi, à cause desa forme grêle et conique. 
(Planche IX, fig. 1'e. &, et fig. x). Devenant 
parasite pour l'oignon, le fausset vit à ses dépens, 
ct altère sa substance. Cette déperdiuon nuit 
par conséquent à la formauon des caïeux, et en 
diminue le nombre par-tout où 1l se rencontre. 
Cette maladie fort heureusement se propage 
très-peu ; et dans un quartier de terre à Safran, 
où existent cent soixante boisseaux, à mulle 
oignons environ par boisseau, on rencontre au 
plus cent oignons qui en soient attaqués. Il pa- 
roit que cette maladie dérive du taconé , et qu’elle 
w’attaque que les oignons frappés de ceue der- 
uière infirmité. Duhamel crou le fausset égale- 
ment produit par le taconé. 

Cause. Le fausset, dit cet observateur, est 
produit par une surabondance de séve qui occa- 
sionne une espèce de tumeur anévrismale. 

Remèoe. Le seul moyen d’obvier à cet incon- 
vénient est l’exurpation de ce tube, si oignon 
w’est point trop gâté. 


D'UN NATURALISTE, 101 


* Le racon (Planche X, fig. 11.) Est une es- 
pèce d’ulcère qui attaque la parue bulbeuse de 
l'oignon, et jamais ses enveloppes. Quand le 
mois de mai est humide, cette espèce de carie ou 
putréfaction se développe et fait de plus rapides 
progrès, surtout dans les terres glaises. Les ter- 
rains secs etpierreux , Ou grouelies, y sOnt moins 
sujets. Lé tacon s'annonce par une tache bruné 
ou bistre qui se converut bientôt en ulctre ron- 
geur, lequel décomposant chaque jour, par 
corrosion, la substance de l’oignon, parvient de 
la circonférence au centre. Le cœur une fois at- 
taqué , décide de la mort de l'oignon. (N°. 12). 


Cause. Il paroît que le tacon, ou taconé , pro- 
vient d’une surabondance d'humidité. 


Reuëpe. Le seul est lamputation des parues 
corrompus. Onlaisse dessécher l'oignon, puis on 
peut le replanter. 

La Rochefoucault veut qu’on plante à part 
tous les oignons atiaqués etrendus sains ,assurant 
que l’année suivante ils seront presque tous 
guéris. Cette précaution me paroît inutile , car si 
la tendance à la corrupüon n’existe pas parmi 
des oignons restaurés après avoir eu un principe 
de cette carie, à plus forte raison ne doit-on point 
craindre l’épidémie au milieu d'oignons sains et 
tous bien constitués, 

K 4 


199 VOYAGES 

La mort (PlanchelX , fig. mr.) Se reconnoit 
à des symptômes incontestables; c’est une ma- 
ladie contagieuse qui fait les plus grands ravages. 
Jusqu'ici la cause n’en est point reconnue indu- 
bitable, malgré les assertions de Duhamel, que je 
citerai plus bas. Ce qu'il ya de certain, c’est que 
passé la mi-mai, l'oignon n’est plus sous l'empire 
de la mort; il ne la redoute qu'au moment du 
développement du germe, c’est à dire depuis la 
pousse des premières lignes jusqu’au premier 
pouce; alors il est sauvé, plus de danger pour 
lui : cependant, s’il en a été menacé, il ne donne 
l'automne suivant qu'une fleur päle, frêle, Jan- 
guissante; pourtant il produit ses caïeux pour 
l’année suivante. 

La mort frappe premièrement la robe, elle perd 
alors sa couleur gaie pour revêur des habits de 
deuil; une couleur violet-noir est celle qui suc- 
cède à la premicre d’un jaune cendré; elle hé- 
risse toutes côtes où bandes transversales de 
peus filamens âpres, rouges, qui non seulement 
attaquentles voisins, mais même traversentd’une 
raic à l’autre. ( Planche IX, fig. ur. aa. aa). 

La robe (bb) ou enveloppe étant déjà détruite, 
la mort est bientôt aux prises avec l'oignon 
qu’elle décompose, dont elle consomme à son 
funeste passage toute la substance. Son empire 
ne s'annonce que trop sûrement par des manques 


D'UN NATURALISTE. 153 
dans les terrains, des espaces dégarnis de ver- 
dure; car les feuilles, dès le principe de cete 
maladie , jaunissent et se dessèchent les pre- 
miéres, comme ürant leur entreüen du centre 
de l'oignon qui est déjà détérioré. Bientôt 1l 
désole tous ses voisins , et les infecte de sa con- 
tagion morüfère, devenant le noyau et le foyer 
de cette épidémie dévastatrice. I suffit d’un seul 
oignon gâté pour ravager en un an au moins 
six et même huit pieds de diamètre. Les progrès 
de cette épidémie ne s'arrêtent qu’à Ja pousse 
du Safran, c'est à dire à son premier dévelcp- 
pement végétauf; cette éruption lui rend la vie, 
Le soleil aussi purifie ces oignons quand ils ne 
sont pas gâtés sans ressource. 

Une remarque confirmée par l’expérience 
prouve que toute terre à Safran sur laquelle 
rampe , avant les facons, de la vrille ou petit 
liseron, annonce qu'il n’y a pas d'oignons de 
morts ; Car la 7nort fait périr ces plantes, tandis 
qu’elle n’attaque pas les ponecceaux , ou pavots 
rouges. (N°. 13). 

Cause. Elle n’est provoquée ni par insectes, 
ni mousse, ni plantes parasites : elle est encore 
inconnue. 

Rouëne. Il n’est donc point d'autre moyen 
d'empêcher la progression des ravages de la 
mort, qu'en interceptant toute communication 


154 VOYAGES 

avec les oignons circonvoisins par des tranchées 
circulaires, rejetant sur le terrain maudit la 
terre de ces tranchées, qui seule sufhroit pour 
porter la désolation, étant déjà empreinte de ce 
vice préjudiciable et contagieux , tel qu’au bout 
de quinze et même vingt ans, il produiroit le 
même effet sur des oignons sains qu’on viendroit 
à planter dans le même terrain, primiuvement 
théâtre de la mort. 

Ce qu'il y a de paruculier, c’est que des 
ponumes de terre plantées dans un terrain où il 
y avoit eu de la mort, ont été reurées pourries. 
La maladie ne vient donc point d’un corps 
étranger , mais bien de l'influence commu- 
niquée à la terre par la désorganisation de 
l'oignon. Voyons ce qu’en dit Duhamel. 

OBsERVATIONS. Duhamel a observé plusieurs 
états différens d’après les progrès de cette épi- 
démie. Les oignons du noyau, par exemple, 
ditil, étoient totalement détruits ; leurs enve- 
loppes d’un brun terreux ; une quanuté de 
corps glanduleux d’un rouge obscur de la gros- 
seur de fèves; le corps de l'oignon réduit en 
substance terreuse , où l’on ne voyoit que la 
trace des fibres de la bulbe. 

Les oignons de la circonférence les moins 
attaqués de la maladie n’avoient d'autre marque 
de la contagion que quelques filets violeis qui 


D'UN NATURALISTE. 10) 
traversoient les membranes de leurs tégumens. 
Quelques autres avoient sur leurs tégumens où 
entre les lames qui les forment, quelques corps 
glanduleux , et on n’apercevoit sur les enveloppes 
de ces oignons que quelques taches violettes. 

Les oignons qui étoient à la parie moyenne , 
c’est à dire entre le centre et la circonférence des 
endroits infectés , étoient dans un état mitoyen 
de maladie; mais la terre étoit enuérement tra 
vérsée par des filets violeis extrêmement déliés et 
aisés à rompre. 

Comme je ne trouvois ces corps glanduleux 
et ces filets violets que dans les endroits infectés, 
je soupconnai qu’ils pouvoient être la cause, ou 
du moins l’effet de la makadie. Ges corps glandu- 
leux ressemblent à de peutes truffes, mais leur 
superficie est velue; leur grosseur n’excède pas 
celle d’une noisette (planche VII, fig. rv) : ils 
ont l’odeur du champignon, avec un retour ter- 
reux; les uns sont adhérens aux oignons de 
Safran, et les autres en sont éloignés de deux 
à trois pouces. 

Les filets sont ordinairement d’un fil fin et de 
couleur violette, velus comme les corps glandu- 
leux ; quelques - uns s'étendent d’une glande à 
l'autre, d’autres vont s’insérer entre les tégumens 
des oignons, se partagent en plusieurs ramifica- 
uons, et pénètrent jusqu’au corps de la bulbe, 


16 VOYAGES 


sans paroître sensiblement y entrer. Ils forment 
dans cette route une infimité d’anastomoses et 
de divisions, et sont parsemés de peut nœuds ou 
ganglions, qui ne paroissent être autre chose 
qu'un amas de laine qui recouvre les corps glan- 
duleux et les filets. 

Ces observations m’ont fait penser, continue 
Duhamel, que les tubercules sont des plantes pa- 
rasites qui se nourrissent de Ja substance de 
l'oignon, et qui, comme les truffes, se multi- 
plient dans l’intérieur de la terre, sans se mon- 
trer à la superficie. 

11 paroît certain que cette espèce de truffe se 
nourrit aux dépens de l'oignon du Safran, puis- 
que ses racines pénètrent ses enveloppes , et s’at- 
tachent à sa propre substance qui dépérit à pro- 
portion du progrès que ces racines font sur 
l'oignon. 

Si l’on joint à ceci une autre observation, 
qui est, que cette maladie fait presque tous ses 
progrès pendant les trois mois du printems, je 
ne crois pas qu'on puisse douter que cette plante 
parasite (*) n’en soit la véritable cause, puisque 
c'est en cette saison que les racines végètent et 
s'étendent le plus. Pour nv’assurer de ce fait, j'ai 


(*) Cette plante parasite est aujourd'hui très-bien 
connue. Vovez Bulliard, histoire des champignons, 


D'UN NATURALISTE. 183 


planté quelques tubercules de la mort dans des 
pois où j’avois planté de la terre saine des oignons 
de différentes fleurs; en un an de tems, ces tu- 
bercules se sont multipliés dans ces pots, et ont 
attaqué les oignons que jy avois plantés. J'ai 
depuis ce tems-là trouvé cette même plante pa- 
rasite qui faisoit le même dommage à des hièbles, 
de l’arrête-bœuf, à des plants d’asperges, ete... 
Cette peute truffe se nourrit, comme on le 
voit, de plusieurs plantes d’espèces fort diffé- 
rentes. Elle n’attaque point les plantes annuelles , 
ni celles qui n’ont leurs racines qu’à la super- 
ficie de la terre. Mais, d’un autre côté, mes 
observations détruisent tout le merveilleux de la 
maladie dont 1l est question : 1l est naturel que 
cette plante parasite s’étende circulairement 


page 81. C'est la sclerote des Safrans de Persoon, 
synopsie 119. 

Cette plante parasite , dit Bulliard, est la plus petite 
des espèces de ce genre; c’est aussi la seule qui ait de 
véritables racines : elle s'attache particulièrement aux 
bulbes du Safran cultivé dont elle s'approprie la subs- 
tance, et qu'elle fait périr promptement : aussi est-elle 
connue des cultivateurs sous le nom de mort du Safran. 
Il y en a de diverses grosseurs. Leur chair est ferme, 
rouge en dedans comme en dehors, et la chair 
paroit formée de petites écailles placées en recou- 
vrement, ainsi qu'on le voit planc. IX, fig. 1v, 
grossie par la loupe. 


1958 VOYAGES 

autour des oignons malades, puis qu’elle fait 
ses progrès par Palongement de ses racines , et 
par la production de nouveaux tubercules. Si 
un oignon malade, ou une pellée de terre 
établit la maladie dans un champ sam, c’est 
qu'on y transporte en même tems la plante 
contagieuse : tout cela se passe, pour ainsi dire, 
en secret, puisque cette plante ne se manifeste 
point au dehors. On parvient à arrêter ses 
progrès par une tranchée, parce qu’on empêche 
les racines meurtrières de s'étendre; et c’est en 
ellet le seul moyen que l’on puisse employer 
pour empêcher que cette maladie mortelle ne 
gagne tout un champ de Safran. 


PROPRIETÉS DU SAFRAN. 


LE SAFRAN CONSIDÉRÉ SOUS LE RAPPORT DE 
LA MÉDECINE, a des vertus en grand nombre ; 
il est, 

Béchique , hystérique , diaphorétique, cor- 
dial, céphalique, ophtalmique, stomachique, 
carminauf , détersif , résoluuf et assoupis- 
sant, etc. 

Nous allons l’examiner succinctement sur 
toutes ces qualités, qu’il possède à un très-haut 
degré. 

Comme BÉCHIQUE. C’est un bon expectorant, 
et recommandable dans l'asthme humide et 


D'UN NATURALISTE. 159 
convulsif, ainsi que dans les embarras du pou- 
mon. Rivière ordonne avec succès aux asthma- 
tiques un scrupule de Safran en poudre dé- 
layé dans du vin; et Boyle, dans la même 
maladie , le prescrit en poudre ou en pilules, à 
la dose de 8 à 10 grains, avec un peu de sirop 
de violette, le soir en se couchant. 

Infusé dans du lait, on le donne avec avantage 
en petite dose dans les affections du poumon, 
s’il ny a point complicauion d’hémoptysie ou 
crachement de sang ; car il exciteroit certai- 
nement une hémorragie pernicieuse , par sa 
vertu irritante et ses principes volauls, âcres, 
huiléux , aromatiques et salins , qui enflamment 
le sang, hquéfiant les humeurs, échauflent l’un 
et l’autre, et les rendent acrimonieux. C’est 
cette vertu contraire en Ce Cas, qui le rend 
recommandable dans les suppressions des règles, 
surtout en le combinant avec des préparations 
de Mars. 

COMME HYSTÉRIQUE ET EMMÉNAGOGUE. On en 
met infuser une pincée dans les liqueurs emmé- 
nagogues , bouillons ou boissons ordinaires , 
infusions théiformes, contre la jaunisse ou chlo- 
rose. [1 provoque donc puissamment les règles 
retardées ou suspendues , ou coulant trop ler- 
tement. | 

Lorsque les lochies vont mal, on l'administre 


160 VOYAGES 


également, 1l enlève la cause de ce retard,comme 
apéritif, et calme en même tems tous les ac- 
cidens à craindre , comme nervin. 

COMME DIAPHORÉTIQUE. Dans les maladies 
hypocondriaques , et lorsqu'il est besoin de 
pousser à la peau, comme dans les fiévres érup- 
uves, malignes , la peute vérole, la rougeole, 
les fièvres miliaires, lorsque l’éruption a peine 
à se faire, que la tête se prend, qu’il y a affection 
cérébrale, et coma, alors on le mêle avec le 
camphre , et 1l devient sudorifique. 

On l’ordonne comme diaphoréuque, mêlé à 
la squine , dans la goutte et les rhumatismes. 

COMME CORDIAL ET ALEXITÈRE. On l’emploie 
avec beaucoup d’avantage dans les maladies 
pesulenuelles et putrides. (N°. 14). 

Comme cÉPHALIQUE. Dans les affecuons du 
cerveau , et la plupart des maladies du genre 
nerveux qui sont accompagnées de mouvemens 
convulsifs, contre lesquels 1l agit comme anodin. 

COMME OPHTALMIQUE. On mêle sa teinture 
à l’eau de rose et de plantain dans les collyres 
prescrits, pour préserver les yeux des influences 
funestes de la petite vérole, ainsi que de la 
chassie. 

On le mêle à des huiles douces, pour faire un 
hnnment dont on frotte les yeux dans la peute 
vérole confluente, afin de les conserver. Un 

certain 


D'UN NATURALISTE. 16% 


certain praücien heureux le faisoit infuser dans 
de la crême jusqu’à ce qu’elle ait pris la teinture, 
et en frottoit le visage dans la peute vérole pour 
empêcher qu’elle ne cavät trop. 

Comme sromacuiQueE. Le Safran est la base 
de lélixir de garus, puissant remède pour 
les estomacs froids, foibles , délicats et pares- 
seux. Dans les coliques venteuses et indigestions, 
la dose est d’une cuillerée mêlée avec deux fois 
‘autant d’eau. | 

Il est à observer que ce remède échauffant 
prodigieusement | il faut savoir en modérer 
l'usage. Le Safran est également la base du 
scuba , hqueur stomachique. 


CommE HÉPATIQUE. Le Safran est ordonné 
avec succés pour lever les obstructions du foie. 


COMME CARMINATIF. Îl pousse puissamment les 
flatuosités. 


Comme pÉTERsIr. On l’emploie dans les gar- 
garismes résolutufs, lorsque les eflets de l’esqui- 
nancie sont lents, ou qu’il y a obstruction aux 
amygdales ; alors ces gargarismes se préparent 
avec le safran, le lait, les figues grasses, la 
véronique mâle , la brunelle et la pervenche. 

Pour l'exuncuon de voix on prescrit avec 
succès le remède suivant : Prenez une pincée 
de Safran, faites bouillir dans un poisson de 


TomL L 


162 VOYAGES 


lait, et le faites prendre au malade, le plus 
chaud possible. 


ComMME RÉSOLUTIF ET ANODIN. On l’emploie 
lorsqu'il s’agit d’apaiser l’inflammation des 
tumeurs, de la goutte et des rhumatismes, dans 
les cataplasmes de mie de pain et de lait qu'on 
ordonne à ce sujet; mais à plus forte dose, lors- 
qu'il s'agit de résoudre des tumeurs dures et 
sŒquirreuses. 

ENFIN COMME ASsOUPIssANT. Le Safran, re- 
connu narcotique par expérience, n’est qu’ano- 
din et assoupissant pris à peute dose; et ce qu'il 
y a de paruculier, c’est qu’il est estimé comme 
le meilleur correcuf de l’opium. Pris en trop 
grande quanüté, à la dose de trois gros, par 
exemple, 1l cause la pesanteur de tête, ensuite 
le sommeil, puis des ris immodérés et convulsifs 
qui se terminent par la mort, 

Nora. Son usage habiiuel, quoique d’une 
saveur très-amère, le rend moins pernicieux ; 
car les Polonais dans leurs alimens en mettent 
jusqu’à une once, sans en éprouver aucun ré- 
sultat fâcheux. Le Safran, en un mot, est pour 
les Polonais ce que lopium est pour les Tures, 
qui graduellement arrivent au point de le 
prendre impunément. 


On peut, sans habitude contractée, en user 


D'UN NATURALISTE. 103 
quelquefois sans danger à la dose d’un scrupule 
jusqu’à un scrupule et demi. 

Il y a des pays où on le mêle avec le pain : 
en talie, on en met dans la soupe et dans tous 
les ragoûts. On pourroit cependant s’en abstenir 
dans ce pays chaud, où son usage n’est point 
utile comme dans les pays froids. 

On uüre, par des procédés chimiques, da tein- 
ture et l'extrait de Safran ; mais beaucoup de 
médecins préférent son usage en substance 
ou en infusion, à ces préparauons de Part qu 
d’ailleurs sont moins faciles à se procurer dans 
les campagnes. 

On demandera peut-être pourquoi le Safran 
sagement administré, est nervin, anti-convulsif, 
et pourquoi à forte dose 1l excite des convul- 
sions , et devient si funeste? L'auteur du Dic- 
uonnaire raisonné et umversel de matière médi- 
cale offre la soluuon de ce problème. C’est 
apparemment, dit-1l, qu'à dose modérée 1l fait 
couler modérément l’esprit animal; au heu qu'à 
forte dose, 1l occasionne un flux immodéré des 
esprits. 

Les sugmates de Safran, dit M. Vogel, re- 
pandent une odeur suave, provoquent le som- 
meil, égayent l'esprit, et excitent les jeunes gens 
à la joie. Schulz. præl. in disp. br. 236. Hs ra- 
niment les esprits, suivant M. Pringle, Trans. 


L 2 


104 VOYAGES 

philos. ; et résistent fortement à la putréfactian : 
is rendent l'urine rouge, apaisent les douleurs 
et les convulsions; procurent l’écoulement des 
règles , favorisent l'accouchement, modèrent la 
toux; mais il faut éviter de les prescrire à trop 
forte dose, ils deviennent un poison. On a des 
observations qui prouvent leurs mauvais effets ; 
dans Zacut de Portugal , Prax. adm., hb. 117, 
observ. 144; dans Borell., Lib. 1v, observ. 30, 
35 ; dans Stenzel., de Anod. virt. ven. 6. xxx1v. 
On lit in Comm. Norimb. 1735, pag. 220, 
qu'une cuillerée entière de Safran avalée avoit 
occasionné un vomissement énorme, et avoit 
fait rendre ensuite une quantité considérable 
de vers. Amatus de Portugal, curat. med., 
cent. v, pag. 71, et Hertodt, crocolog., ont 
observé que le Safran communiquoit sa couleur 
aux fétus des hommes et des brutes. Réduit en 
poudre, et répandu sur les excoriauons des 
enfans , 1l les guérit, suivant Baeumler. 

C’est dans ce siècle qu’on a découvert que le 
Salran contenoit une huile éthérée , mais en 
petite quantité. 

Le Safran, dit Chomel, entre dans la thé- 
riaque, dans l’élxir de propriété de paracelse, 
dans lélixir de garus, dans les tablettes de 
Safran de mars composées , la poudre d’hiar- 
rhodon, le mithridat, la confecuon d’hyacinthe, 


D'UN NATURALISTE. 165 


lhiéraprica de Galien, les trochisques de cam- 
phre, les pillules dorées, et dans les pillules 
pour la gonorrhée de Charas. 


LE SAFRAN CONSIDÉRÉ SOUS LE RAPPORT 
DES ARTS. 


PROPRE AUX AMIDONNIERS. On peut faire de 
très-bel amidon avec lPoignon de Safran ; mais 
le prix en seroit trop cher par la quantité d’oi- 
gnons qu'on seroit obligé de se procurer pour 


cette manipulation à laquelle il est plus sage 
de renoncer. 


PROPRE AUX PEINTRES ET TEINTURIERS. Les 
stigmates de Safran fourmssent nne belle teim- 
ture, mais dispendieuse et difficile à fixer. Les 
peintres et architectes l’emploient pour le lavis 
des plans et l’aquarelle. 


PROPRE AUX CONFISEURS ET DANS LES OFFICES. 
Il entre dans les crêmes, les gaufres, les biscuits, 
pastilles , conserves , seubac , etc. 


SOUS LE RAPPORT DE L'INTÉRÈT PUBLIC ET DE 
L’INTÉRÊT PARTICULIER , la culture du Safran est 
également importante. 


SOUS LE RAPPORT DE L’INTÉRÊT PUBLIC. Parce 
qu'elle fournit une branche de commerce assez 
étendue, dont l’objet est entièrement d’expor- 
tauon. Il se consomme en France au plus la 


10 


165 VOYAGES 


millième parue du Safran qui s’y récolte aux 
ca © à se > : r 4 
usages 1adiqués plus haut. 


SOUS LE RAPPORT DE L'INTÉRÊT PARTICULIER. 
Parce qu'elle est extrêmement avantageuse pour 
le culuvateur et le propriétaire locataire du 
terrain, ainsi qu'on le voit d’après le tableau 
‘suivant. 

Au Safran succède ordinairement dans le 
Gaunas le samfoim. Ce gramen, trouvant une 
terre meuble préparée par de fréquens et pro- 
fonds labours, pousse des racines étendues qui 
en trois ou quatre années non seulement lui 
rendent, mais même accroissent sa fécondité 
par l’engrais qu’elles procurent ; au point qu'on 
y récolte jusqu’à trois mmoissons de blé consé- 
cutives, sans repos et sans autre engrais. Ainsi 
une pièce de terre consacrée à cette culture 
produit en neuf ou dix ans trois récoltes abon- 
dantes en blé, trois où quatre récoltes de sain- 
foin, au moins équivalentes à trois récoltes de 
blé de mars, et en outre trois récoltes de Safran, 
de manière que les récoltes de Safran sont tout 

. lexcédant du produit net. 


FRAIS DE CULTURE D'UN ARPENT DE TERRE 
A SAFRAN PENDANT TROIS ANS. 


L’'arpent de terre à Safran loué Fun dans 
] ’autre 60 #, au lieu de 12 # environ pour cul- 


D'UN NATURALISTE, 167 


ture ordinaire, est payé, pour trois années de 

OUSSADOES 0 UN AR ES" AGE 
Il faut pour le plantage 6/40 boisseaux 

d'oignons, qui font 160 mines, à vingt 

sous le boisseau contenant environ mille 

CIO ET RU 00000 
Contribution à 9 * par arpent l’un 

HÉnIEURe Sr tt +, (07 
Frais de cueillette et d’épluchage, à 

supposer qu'on aithesoin de journaliers, 

pour cinquante-cinq livres de Safran en 

trois ans, à quarante sous la livre . . . 110 


Total des déboursés pour trois années 
dé ÉcOIte eh Mere LOT is TOR 


PRODUIT DE TROIS RÉCOLTES DE SAFRAN. 


La première récolte donnant 


BANITOMN Et en PACRe 5 1 
La seconde, produitmoyen,.. 25 
Latroisième, produitmoyen,. 25 

Font... 55 1 


Les cinquante-cinq livres de Safran 
sec, l’une dans l'autre à 5o#, font... 2750 # 


Voilà le fonds de Ia terre triplé en une année 
pour le safranier propriétaire. On voit, d’après 


L 4 


168 VOYAGES 

cet exposé, qu'il n’est point d’exploitauon dont 
le bénéfice puisse être comparé à celle du 
Safran. Le propriétaire locataire des terrains 
qui sont propres à cette culture, participe aussi 
aux avantages qui en résultent ; car 1l les esume 
généralement huit fois aussi chers que s’ils étoient 
en culture ordinaire. 


D'UN NATURALISTE. 169 


OST LS SA Sn A D D, ne nn 


NOTES. 


(D 
2 ,-œ— 


(No. 1) Lss graines contenues dans l'ovaire, dit 
M. Delataille-Desessarts, ne müûrissent point assez 
dans le Gatinais; c’est pourquoi on en néglige la ré- 
colte pour la multiplication de l'espèce, d'autant plus 
qu'on la régénère au moyen des caïeux dont le déve- 
loppement est plus sensible, et l'accroissement plus 
prompt. Cependant, si lon veut par disette d'oignons 
avoir recours à ce moyen, on laisse une partie du 
champ de Safran sans en cueillir la fleur, et deux 
mois après sa défloraison, on coupe le pédicule au 
dessous de l'ovaire, qui forme une capsule triangulaire 
qui renferme le fruit. On la fait sécher au soleil pour 
la semer ensuite. On arrache les oignons provenus de 
cette graine trente mois après qu'ils ont élé semés, et 
ils rapportent presque toujours la même année. 


(No. 2) Le seul engrais convenable aux safranières, 
ainsi que l'observe M. Delataille-Desessarts, c’est le 
marc de raisin que l’on étend sur le sol, un mois avant 
le premier labour. On prétend que cette sorte d'engrais 
préserve l'oignon de ses maladies habituelles, ou du 
moins qu'il en devient le palliatif. C'est à tort que ce 
même observateur dit que les terres à blé et celles où 
la vigne vient d’être arrachée , ne sont pas trop conve- 
nables aux plantations de Safran; puisque rien n'est 


170 VOYAGES 
plus propre à recevoir cette plante bulbeuse qu'un 
arrachis de vignes ou de chenevis. 

(No. 5) Plus on plante creux, et plus les fleurs et 
les tiges sont belles et vigoureuses, et moins la gelée 
a d'empire sur les oignons. I! faut que le froid passe le 
dixième degré, pour qu'il gèle à sept pouces de pro- 
fondeur. Les faux dégels seuls peuvent être défavo- 
rables aux oignons en ce qu'en les plaçant entre deux 
glaces, ils se fendent et pourrissent en peu de tems. 
Les vieux oignons gèlent plutôt que les nouveaux, 
parce que la proéminence de leurs caïeux supérieurs 
et l'effort annuel de la végétation les rehaussent par an 
de huit à neuf lignes , et les portent bientôt presqu'à la 
superficie de la terre. 

(No. 4) Le sol préparé à recevoir les oignons, on 
les dérobe et on les expose au soleil pendant quelques 
jours, pour en absorber l'humidité superficielle , et les 
planter ensuite dès le commencement de juillet. 


(No. 5) Le recoulase, façon qui se donne au com- 
mencement de septembre, est destiné à enlever les 
herbes; c’est pourquoi il faut profiter d’un tems bien 
sec pour cette opération ; car, par un tems humide, 
il se fait des mottes qui empêchent la fleur de sortir. 

Les safraniers les plus expérimentés donnent une 
autre facon vers la mi-août. Ils disposent le terrain en 
billons de quatre à cinq pouces de hauteur exposés 
au midi, et après un mois les rabattent. Outre que la 
terre est plus ameublie, elle reçoit des influences 
bénignes du soleil, qu'elle communique ensuite par 
intus-susception aux oignons qu'elle renferme en son 
sein, et les dégage par sa porosité de l'humidité con- 
traire, dont la concentration est funeste aux oignons. 


D'UN NATURALISTE. 171 


(No.6) L'opération du plantage peut se faire en 
six jours par arpent, avec deux personnes. Il faut 
12 oignons pour meubler un pied carré; ce qui fait 
147,200 oignons par quartier , et 580,800 par arpent ; 
ce qui fait environ 1260 oignons épluchés par bois- 
seau, et5040 par mine. On emploie 29 mines pour 
un quarlier, et 116 pour un arpent. 


(No. 7) La supériorité des fleurs du Safran du 
Gatinais, sur celles de Ia Beauce, sont dans les pro- 
portions de 8 à 10, c'est à dire que l'on comptera 
8000 flèches par livre de Safran vert du Gatinais, 
et 1000 flèches de Safran de Beauce pour égale 
quantité. 

(No. 8) Les taupes ne mangent pas les oignons, 
mais pratiquent des passages aux mulots qui en sont 
très-friands. 

La diminution du gibier est bien favorable aux 
safraniers, qui n’ont plus alors besoin de clorre leur 
terrain. Il falloit soixante-quinze bottes de charniers 
par + d'arpent de terre, ce qui fait trois cents bottes 
pour un arpent. Le charnier vaut de dix-huit à vingt 
francs les vingt-cinq bottes, ce qui fait deux cent- 
quarante francs pour entourer un arpent de Safran, 
cutre douze journées d’un homme pour appointer et 
planter le charnier. 

Les petits scolopendres , ou bétes à mille pieds, 
sont aussi des animaux dévastateurs, et s'attachent 
particulièrement aux racines de l'oignon. 


(No. 9) Il faut à peu près huit éplucheurs par 
arpent de Safran. On doit leur recommander de ne 
point travailler ayant les pieds dans le déchet inu- 
tile qu'ils jettent ordinairement sous la table, autre- 


172 VOYAGES 


ment ils sont attaqués d’enflure. C'est ainsi qu'il 
arrive aux emballeurs par la poussière des étamines. 


Il faut éviter d'éplucher le Safran recueilli par 


un tems de pluie, car il fait des flèches une pâte 
qui en détériore la qualité. 


(No. 10) Lorsque le dessus du Safran blanchit, 
étant sur le tamis, c'est qu'il est assez sec d’un côté; 
alors on le retourne. Quand il se brise au toucher, 
c'est preuve que la dessication est parfaite. On le 
met alors hors de l'humidité entre deux papiers, 
et non du linge qui la conserve. 


Certains paysans mettent quelques gouttes d'huile 
dans leur boîte, et le remuent ; cela lui donne un 
rouge plus vif, mais lui ôte de son parfum et de 
son velouté. L'opération de la dessication doit être 
lente. Il faut éviter la fumée et un trop grand feu. 
Trois quarts d'heure suffisent pour sécher une livre de 
vert ; il faut deux poinçons de charbon pour faire 
sécher cent livres de Safran. 

La vapeur concentrée fait enfler les yeux. 


(No. 11) Le Safran d'Asie, surtout celui du 
Mont-Liban, rivalise seul le Safran du Gatinais, 
réputé le meilleur de tous , soit par les soins de sa 
culture , soit par la qualité identique du terrain. 
Viennent après les Safrans de Portugal, d'Espagne, 
d'Italie, du Comtat d'Avignon, du Languedoc et du 
Quercy ; enfin le dernier, pour la qualité, est celui 
de Normandie. | 

Lorsqu'il s'agit d'emballer le Safran pour le faire 
passer à l'Etranger, on doit observer que plus il est 
pressé dans les sacs, et moins il est susceptible de 


D'UN NATURALISTE. 175 


sévaporer. D'autres le mettent dans des barils bien 
clos et enduits extérieurement de goudron. 

Le Safran expédié pour les Grandes - Indes, se 
recouvroit d'huile dans des boîtes de fer-blanc ; main- 
tenant on l'emballe dans des caisses de bois de 
chêne, hermétiquement rejoiutes, et garnies inté- 
rieurement d'un double papier qui retient l'humidité 
ambiante, et attire celle superflue ; puis on met 
cette caisse dans une autre, et le Safran arrive avec 
son parfum, etest alors recherché des Indiens. 

On paye aux commissionnaires vingt-quatre francs , 
pour le double emballage en toile, d'un ballot d'un 
quintal. Plus deux ? pour + de commission, outre 
les frais de transport et les droits d'exportation. 

Souvent les marchands de Safran le sophistiquent 
avec du carthame (1). Le carthame diffère du 
chardon par les caractères distinctifs suivans : c’est 
une espèce de chardon à fleurs flosculeuses, dont 
chaque est semblable , et porte un style divisé en 
trois flèches, qui ne différent des stiomates du Safran 
qu'en ce qu'elles ne sont pas portées par un filet 
blanc, qu'elles sont plus petites, plus courtes, moins 
aplaties et sans odeur. (Planche XI, fig. 111). 

On le sophistique aussi en faisant bouillir des 
flèches et du sablon fin qui se colle et adhère aux 


(1) Le carthame officinal ; carthamus tinctorius, Linnée, 
Carthamus foliis ovatis integris serrato - aculeatis. Lin. Mill. 
Dict, N°. 1. Gars. Vol. 5, t. 75. Carthamus officinarum 
flore croceo , Tourn. 457. Cnicus sativus S. Carthamus offici- 
narum. Banh. Pin. 578. Carthar us sive cnicus. J. B. 3, 70. 
Raj. Hist. 302. N°. 1. Cnicus vulgaris. Clus. Hist.2, p.152. 
Cnicus S. Carthamus, Dod. Pempt. 362. Lob. Ic. 2, p. 19; 
vulgairement le Safran batard. (PL XI.), 


174 VOYAGES 


fleurs, mais qui s'en détache à mesure qu'il se 
dessèche. 

Une autre manière est d'y méler du filde la même 
éouleur, mais cette sophistication est facile à recon- 
noître par la souplesse des brins, comparativement 
à l'état de friabilité des véritables flèches. Les frau- 
deurs le ressassent encore avec un peu de vermillon 
dans un sac, mais cette frande est punie des galères. 


(No. 12) Il faut extraire le tacon, et ne pas 
s'exposer à planter des caïeux qui en sont infectés. 
On guérit souvent Îles oignons du tacon, en les 
mettant pendant quelques jours dans du marc de 
raisin sec qui en pompe l'humidité superflue. 

M. Delataille- Desessarts parle de lemporte-pièc 
des jardumiers, composé de deux cilyndres mobiles 
et rentrans , pour enlever les oignons taconés, mais 
il faut tant de précautions pour ne pas couper les 
oignons latéraux et circonvoisins que celle pratique 
ue peut élre mise en usage que par des journaliers 
adroits et intelligens. 

(No. 15) L'oignon frappé de la mort, comme 
Fobserve avec justice M. Delataille-Desessarts, dé- 
composé à son centre, et converti en déliquium 
infect et visqueux, est ordinairement pétri d'une 
terre glatte et grasse qui prend sa couleur rousse. 

Les corps glanduleux adliérens aux oignons frappés 
de la mort, sont durs, compactes, velus et d’une 
couleur pourpre foncé. Leur substance est composée 
de petits poils serrés, et qui ont le tissu et la contex- 
ture de l'étoffe du chapeau. 

Le tacon diffère de la mort en ce que c'est une 
carie sèche que fuyent les insectes, et que les oignons 


D'UN NATURALISTE 155 
qui en meurent sont altaqués d'une espèce de ver- 
moulure ou poudre assez grossière, au lieu que la 
robe de l'oignon frappé de la mort ne renferme 
plus en son sein qu'une décomposition bulbeu:e 
très-humide , visqueuse, infecte, etremplie d'insectes. 

M. Delataille - Desessart observe à tort qu'il croit 
avoir découvert que la maladie de La mort étoit 
occasionrée par un principe de putréfaction qui se 
trouve dans quelques veines de terre, et à certaine 
profondeur. Les raisons qu'il allègue sont, 1°. que 
plus on enterre ces oignons, plus ils sont sujets à la 
maladie; 20. que des oignons mis dans de la terre 
prise dans un endroit où régnoit cette maladie, ne 
la gagnent pas si l'on a eu soin de faire sécher cette 
terre au soleil pendant quelques jours, et qu'ils y 
périssent bientôt sans cette précaution, preuve de 
l'influence de l'humidité superflue, et non de la terre: 
Il s'ensuit de là que l'influence aqueuse si funeste 
aux oignons de Safran, de la température plus ou 
moins humide d'une année , dépend la maladie ap- 
pelée la mort ; et que l'oignon trouve plus d'hum: - 
dité à une certaine profondeur qu'à la superficie 
qui est bientôt desséchée par l'air et le soleil, tandis 
que l'humidité reste permanente à la profondeur 
moyenne, qui est le séjour des oignons. 


30. Ajoute M. Delatalle, dans les pays méridio- 
naux où on enterre le Safran à moins de profondeur, 
cette maladie y est à peine connue, et n’y fait des 
ravages que dans les terres naturellement humides 
(donc que c'est l'humidité permanente à six pouces 
de profondeur, expérience confirmée par les oignons 
qui vésètent et fleurissent sur des cheminées sans le 


176 VOYAGES 


secours d'aucun arrosement ni de terre), il n’est donc 
besoin à la terre que de garantir l'oignon d'une 
sécheresse infertile, en entretenant seulement autour 
de lui un peu de fraicheur. La comparaison exisie 
dans les années pluvieuses et les années sèches. 


Une preuve encore de l'induction de mon assertion , 
c'est qu'on ne doit pas attribuer cette maladie à des 
veines de terre ; C’est que, d’après M. Delataille, S. ITI, 
page 52, les oignons de Safran étant un peu séchés 
et essuyés pour enlever les principes de putréfaction 
dont ils pourroient être couverts, et étant ensuite 
plantés avec des oignons sains, ils ne leur commu- 
niquent point la maladie. 


4°. Qu'une terre infectée de mort, dont on aura 
ôté avec le plus grand soin les corps glanduleux , 
et dans laquelle on aura planté des oignons sans 
l'avoir fait sécher, leur communiquera la maladie, 
sans pourtant découvrir aucune trace de ces corps 
glanduleux , etc.; que ces prétendues tubéroïdes ou 
truffes sont toujours adhérentes aux côtés de l'oignon , 
au dessous, et que l'on n’en découvre aucune au 
dessus. 

Ces corps glanduleux se conservent des années 
entières en terre, sains et sans se décomposer 3; 1l 
paroit méme que les insectes ne les recherchent pas. 


Les oignons attaqués de la mort nourrisséft deux 
espèces d'insectes; une espèce d’arlison ou ver dessi- 
cateur et de petits scolopendres. Les premiers, de 
la grosseur d'un grain de blé, sont d’un blanc trans- 
parent l'hiver, et acquièrent une couleur pourpre 
l'été. Leur tête, armée de deux cornes , a toujours 
celte couleur. Leur corps est armé de six pattes. Ils 

déposent 


D'UN NATURALISTE 1-7 


déposent leurs œufs en nombre infini dans l'inté- 
rieur de l'oignon malade. Ces œufs éclosentau mois 
de mas, et les petits qui en sortent, vivent de 
loignon putréfié dont ils provoquent la corruption. 
Ils passent ensuite dans la partie saine, si elle est 
humide, et finissent par la corrompre aussi. L'hu- 
midité et ces insectes sont donc la cause de la mort. 
(No. 14) Cest un puissant cordial, et son usage 
est précieux pour le mal de mer qu'il modère. On 
en prend un scrupule infusé dans un verre de vin 
de Madère ou d'Espagne. le matin, autant le soir, 
pendant le tems que cetie incommodité dure. 


Notes historiques sur le Safran, d'après 
DT. Delataille - Desessarts. 


Des iraditions anciennes nous apprennent que les 
J'yriens et les Sydoniens lemployoient pour peindre 
en jaune doré l'étoffe dont on se servoit en Asie 
pour faire les voiles des nouvelles mariées, qui se 
déroboient aux yeux Îles premiers jours du mariage, 
surtout pendant la cérémonie nuptiale. Ils s'en ser- 
voient aussi pour leurs parfums, les alimens et la 
médecine. Ils türoient alors leur Safran du Mont- 
Liban, où l’on en cultivoit, surtout sur les bords du 
fleuve Eleuthère , nommé par les Romains Vellania. 

Les ‘Tyriens fevoient encore leurs Safrans en Cili- 
cie, où, d'après le rapport de Quint-Curce dans le 
troisième livre de son Histoire, il croissoit en telle 
abondance , qu'il a donné son nom à la forét et à 
la ville de Coryce. Cette ville étoit considérable; les 
Romans entretenoient toujours une flotte dans son 
port, el tous les aus, en automne, on y célébroit 


Tome I. | M 


178 VOYAGES 


4 
les noces du dieu Bacchus. Les prêtres et sacrifica- 
teurs étoient couronnés de fleurs de Safran. 

Les Eoyptiens et les Hébreux l'employoient dans 
leurs alimens. Homère et Virgile l'on chanté dans 
leur description des feux de l'Aurore. Les prêtres en 
oruoient leur tête dans le temple de Vénus. 

Les auteurs et poëtes anciens nous disent qu'on 
faisoit usage du Safran dans les sacrifices , les spec- 
tacles et les festins. Pour cela, on le faisoit infuser 
dans de l’eau pour l'aspersion des temples , des 
théâtres et salles de festins. 

Pline rapporte que lon se couronnoit à table de 
cette fleur ; que son évaporation neutralisoit Les vapeurs 
du vin, et que les Cybarites buvoient du Safran 
avant de se livrer à la débauche de Bacchus ou de 
Vénus. 

A Rome les aruspices, les femmes et les petits 
maîtres ne portoient de bonnets, de chaussures et 
d'habits que de la couleur de Safran ; d'où 1ls nom- 
mèrent cet habillement complet, crocota; de là, 
suivant Plaute, l'adjectif crotarius : Cicéron et Ovide 
attestent les mêmes assertions. 

Les Grecs l'employoient aussi, quoique pendant 
long-tems ils y aient substitué, à cause des guerres 
et du défaut de communication, lholocrysson ou 
rose de Calabre, espèce d'églantier qui fournit une 
graine de laquelle on obtient une teinture d’un jaune 
doré. 


D'UN NATURALISTE. 179 


RO VO BR Ve RO RU Re 


DÉPART POUR BORDEAUX. 


LEETES du départ de PAdrastus, vaisseau 
parlementaire , devant mettre à la voile pour 
Charles-Town , étant fixé, je m’arrachai une 
seconde fois du sein de ma famille, et me 
rendis à Paris pour faire route vers Bordeaux. 

Nous partimes de la Capiiale vers les sept 
heures du maun, par un browullard très-épais 
qui me dispensera jusqu’à Blois de décrire les 
lieux que nous avons parcourus, savoir; Etampes, 
Orléans, Baugenci, et Blois où nous couchâmes 
dans une auberge de beaucoup d’apparence , 
mais bien peu digne de la haute réputation que 
Jui donne la trompeuse renommée. Ces villes, 
d’ailleurs connues , n’ont rien produitde nouveau 
à mes acuves observations. 

Le lendemain 27 octobre, nous déjetnâmes 
à Amboise, village situé sur les bords de la 
Loire , et au nulieu du paysage le plus cham- 
pêtre et le plus pittoresque. Nous dinâmes à 
Tours, dont la beauté des environs est si juste- 
ment renommée. La nature, qui y déploie avec 
prodigalité les a de la végétauon, lui à 


M 2 


150 VOYAGES 

fait donner le nom de jardin de la France. On 
voit à l'entrée de la ville, à la droite de la grande 
route , le superbe couvent de Noirmoutier, 
immense par lPétendue de ses bâtimens, où 
étoient logés tous les ouvriers nécessaires aux 
réparations accidemtelles de ce superbe édifice. 
Nous couchâmes à Sainte- Maure, où nous 
essuyâmes un orage assez violent , malgré 
l'arrière - saison. 

Le 98 , nous dinämes à Châtelleraud , dont la 
coutellerie délicate est recherchée. A peine des- 
cendu de voiture, je me vis seul assailli de 
plus de vingt marchandes qui crioient conu- 
nuellement à mes orcilles, en m’offrant cha- 
cune une douzaine de couteaux à la fois. J’étois 
si excédé et tant étourdi de ces instances réi- 
iérées par un commun intérêt, que ne sachant 
comment m'en débarrasser , je leur fis voir un 
couteau qui me sufiisoit. À peine l’eurent- 
elles vu, qu’une marchande sauta dessus, et 
l'arracha de mes mains, sans attendre mon 
approbaüon , pour aller le faire repasser. Je 
fis courir après elle, et je fus obligé de me 
fâcher pour qu’elle me le rendit. Cependant 
cetie premicre fougue , imaginée pour exciter 
l'envie des voyageurs à la vue de tant d’espèces 
différentes, étant passée , j'en choisis au moins 
un de mon goût. 


D'UN NATURALISTE. 187 

Nous soupämes à Poitiers , ville déserte par 
la suppression des nombreux monastères qui 
y entretenoient un commerce vivant, et une 
grande consommation. On y vit à bon marché. 
Nous eûmes la curiosité d’y demander du vin 
blanc paillé qui est assez bon. Il se fait ainsi : 
On choisit dans de vieilles vignes le plus beau 
raisin qui, Sur toutes choses, doit être cueilli 
à la rosée du maun, et s’il se peut, avant le 
lever du soleil. On en étend une couche sur 
le pressoir , et on la recouvre d’un lit de paille, 
surmonté Jui-même d’un autre lit de raisin, 
ainsi de suite, jusqu'à ce que le marc soit re- 
connu suflisant. On exprime légérement cette 
liqueur première qu’on entonne aussitôt. Ce vin, 
mis en bouteille au mois de mars, acquiert une 
qualité si parfaite qu’on le fait passer dans le 
pays pour du vin de Champagne, utre peut-être 
1rop avantageux, mais qualité qu'on pourroit 
légérement modifier lorsqu'il a été préparé par 
les procédés décrits. 

On n’achète dans ce pays de la moutarde que 
le soir. Alors on entend des hommes ceints de 
sangles de cuir, et portant de grands pots, 
pousser dans les rues un certain cri qui les fait 
recounoître. 

Le 29, nous passämes le maun par Manles, 


D: 


remarquable par ses belles prairies. Le villase 


Mi 0 


162 VOYAGES 
est affreux quant aux bätimens , recouverts de 
tuiles semi- cylindriques , dont la pesanteur 
charge les toits de manière à en fatiguer la 
charpente. Cet usage à de plus l'inconvénient 
d'exposer les passans à être blessés par la chute 
de ces tuiles retenues par de grosses pierres 
posées au bord des couvertures pour faire poids, 
et qui tombent au premier coup de vent. L/usage 
de ces toits est siinvétéré, que les maisons qu’on 
y bäut encore sont revètues de ces masses co- 
lorées. Ce village qu'arrose la Charente, offre à 
son entrée un très-joh coup d'œil par de petites 
îleties ou oseraies qui se trouvent au milieu 
de cette rivitre. Le terrain, en sortant du village , 
est si plerreux qu'a peine on apercoit la couleur 
rousse de la terre. C’est là où l’on voit com- 
mencer le labour des bœufs, réunis par un joug 
qui leur uent la tête en respect. Souvent ils 
sont guidés par un enfant. Les bouviers sti- 
mulent leur ardeur au moyen d’un aiguillon 
fiché au bout d’un très-long bâton. Îls ont avec 
ces animaux indolens un langage tout parüculer. 
La marche de ces bœufs est lente. Souvent on 
les voit traîner des charrettes trés-Étroiles. 
Après avoir traversé une belle forêt de mar- 
ronmiers , nous dinämes à Bullec, pays trés- 
mboyeux. On y culuve par sillons le maïs, où 


blé de TE urquie. 


D'UN NATURALISTE. 183 

Nous soupâmes à Angoulême, terrain re- 
nommé par les truffes qu'il produit. La ville 
est située sur une éminence très-élevée. Nous 
ne pümes y entrer, parce qu'il étoit trop 
tard ; c’est pourquoi nous couchâmes dans ses 
faubourgs. 

Le 30, nous dinâmes à Barbezieux , dont les 
volailles ont une réputauon bien méritée. C’est 
en sortant de cet endroit que commencérent les 
chemins si mauvais, que nous eûñmes jusqu’à 
Bordeaux. Il falloit arriver à Boisverd, et nous 
ürer d’un mauvais pas dû à la négligence de 
cette partie de la grande route. L'accident ar- 
rivé la veille par le renversement d’une dili- 
gence , et dans laquelle deux malheureux 
voyageurs furent muülés , nous obligea de 
iraverser les Bourgeons des ventes au moyen 
de dix chevaux, qui eurentnéanmoins beaucoup 
de peine encore à enlever des mauvais pas notre 
diligence. Enfin , après de longues peines, nous 
arrivämes à Chevanceau pour y souper. Ce pays 
est extrêmement giboyeux , et la chasse y est 
libre comme dans les environs de Bordeaux. 
J'y aurois acheté un chien braque de superbe 
race, mais la longueur de notre voyage me fit 
remettre au retour celle acquisilion , Si son 
maître n'en avoil pas disposé. 

Le 31, nous commencâmes à voir de belles 


M 4 


184 VOYAGES 

forêts de pins près de Carvagnac. Nous dinâmes 
à Cusac, après avoir rencontré d’horribles che- 
muns. On nous fitembarquer alors pour traverser 
la Dordogne, et arriver à Saint-André. 

Nous couchämes à la Basude, et le 1°. no- 
vembre apercevant Bordeaux au delà du rivage 
de la Garoune, nous la passämes à huitheures du 
man, et entrâmes enfin à Bordeaux. Ceue ville 
située sur les bords de la Garonne, est tres-com- 
mercanie, et n’a rien des villes de province. Le 
prix des comestibles y est exorbitant, car les 
Bordelais qui sont trèsrecherchés dans le choix 
de leurs alimens, y font faire bonne chère à leurs 
hôtes. 

Sur le bord de la Garonne qui donne mouil- 
lage à des sloops , goélettes , briques et autres 
bâumens de cabotage, autour d’une vaste enceme 
sont situées des galeries dans le genre de celles 
du Palais-Royal à Paris, et habitées de même par 
des marchands de touie espèce; cet établissement 
se nomme bourse. Les Bordelais sont gas, 
galans et somptueux. Les ventes publiques s’y 
font au son des trompettes. On y adnure la 
structure de la superbe salle de spectacles. 

Le lendemain de notre arrivée , jour des Morts, 


après avoir fait venir des huîtres vertes (1) , très- 


(1) Pour donner aux huitres la couleur verte, 


D'UN NATURALISTE. 189 


communes en ce pays, nous allimes entendre 
lorganiste de l’église Saint-Dominique, dont le 
talent supérieur et la composition élégante ü- 
rérent le meilleur paru possible de l'excellent jeu 
d'orgue qui décore ce temple. Les cérémonies 
du culte religieux s’y font avec beaucoup de dé- 
cence, et même avec somptuosité. Îl y avoit 
encore au milieu de la grande nef un mausolée 
qui avoit servi, ainsi que tous les attributs qui 
ornoient les piliers et le poruque, à célébrer la 
mémoire des défunts. 

La rigueur de la saison fut encore obligée de 
produire des roses pour les petits maîtres du 
cours, et des fraises pour les sourmets, On nous 


dit Valmont - Bomare, les pécheurs les enferment 
le long des bords de la mer dans des fosses profondes 
de trois pieds, qui ne sont inondées que par les 
marées hautes à la nouvelle et pleine lune, y lais- 
sant des espèces d'écluses par où l'eau reflue jusqu'à 
ce qu'elle soit abaissée de moitié. Ces fosses ver- 
dissent, soit par la qualité du terrain, soit par une 
espèce de petite mousse qui en tapisse les parois et 
le fond, ou par quelqu'autre cause qui nous est in- 
connue; et dans l'espace de trois à quatre jours, les 
huitres qui y ont élé enfermées, commencent à 
prendre une nuance verte. Mas, pour ieur donner le 
tems de devenir extrémement vertes, on a l'atten- 
tion de les y laisser séjonrner pendant six semaines 
ou deux mois, 


186 VOYAGES 


servit d'excellentes figues noires, et des raisins 
de Malvoisie qui sont très-doux et très-délicats. 

Le 7 novembre, nous nous fîimes conduire à 
bordde l’Adrastus, d’où je pris dans l'après-midi 
_ quelques vues des bords de la Garonne. La par- 
fute tranquillité du bâument mouillé en rivière 
me permit d'observer ces côtes avec tous leurs 
détails. 

Le diner fut servi à anglaise, et nous en fit 
désirer de semblables pour toute la traversée ; 
mais, hélas! l'arrivée du reste des passagers sup- 
prima sur-le-champ cetie abondance avec laquelle 
on flatta d’abord nos espérances. 

Juché dans mon cadre, non sans risque, puis- 
qu'en y montant, je me froissai vivement la 
jambe, n'étant point accoutumé à une retraite 
aussi peu spacieuse; je m'y livrois au sommeil 
lorsqu'un vent terrible s’éleva , et confondant son 
murmure aux cris des rats qui jouoient et 
couroient dans l’intérieur du bâument, me ura 
de mon assoupissement, et me permit de me 
hivrer à de singulières réflexions. 

Les anglo-américains font un grand usage de 
thé, 1ls en prennentavec toute espèce d’alimens ; 
c'est pourquoi ils en boivent de pleins bols à 
icurs repas. Cet usage est doux, et gn peut facr- 
jement s'y habituer; mais quitter du bon pam 
} 


blanc de Paris, pour un biscuit dur et vermoulu, 


D'UN NATURALISTE. 187 
c’est en vérité céder à la raison et à l'urgence des 
aMaires. Comme 1l falloit plier sous tous les in- 
convéniens de la traversée, je pris facilement 
mon parti. 

Un alarmiste, car 1l s’en trouve par-tout, 
vint nous dire avec frayeur que dans les soixante 
passagers de la dernière traversée , 1l en étoit 
mort onze sur ce bâäument qui ne devoit point 
être encore trés-sain, nous observoit cet être 
pusillanime ; que les uns n’avoient pu survivre 
à une dose inconsidérée d’opium; que deux 
demoiselles à peine à la fleur de leur âge furent 
également enlevées, par une fièvre épidémique, 
à leurs parens inconsolables ; qu’un autre pas- 
sager trop folâtre sur le pont, où, disoit notre 
compagnon de voyage, on a sans cesse quelque 
nouvel accident à redouter, n’apercevant point 
les écouulles ouvertes (1), tomba à fond de cale, 
se cassa trais Côtes, eL mourut peu de jours apres 
sa blessure. 

Le premier pilote côuer, ayant recu des ordres 
du capiiane de l'Adrasius, fit lever l'ancre , et 
mettre le cap sur Pouillac. L’onde douce nous 
conduisoit sans tungage mi roudis , lorsque le 


pilote eut des craintes pour le sort du bâtiment 


() Ouverture du tillac pour descendre dans le fond 
du vaisseau. 


188 VOYAGES 


prêt à toucher sur un banc de sable, que nous 
eûmes pourtant le bonheur d'éviter. 


Nous côtoyämes une péninsule qu’on appelle 
Pâté de Blaïe, à cause de sa forme aplaue. 
C’est un château fort où tous les navires armés 
vont déposer leurs canons avant d'arriver à Bor- 
deaux. Cette forteresse peut faire feu sur ceux ci, 
en cas de refus ou de résistance , et empêcher de 
conunuer leur marche hosule. 


Le samedi G novembre, le pilote continuant 
son débouquement, fitmouiller devant Pouillac, 
bourg situé à dix lieues de Bordeaux. On nous 
y apprit un événement bien extraordmaire ar- 
rivé tout récemment. Un capitaine de corsaire 
étamt descendu à terre pendant le désarmement 
«ie son brick, avoit auprès de sa cheminée deux 
barils de poudre qu'il s'occupoit à dessécher 
parüellement. Un de ses matelots entre dans 
cette chambre, et lui fait apercevoir son extrême 
nuprudence. A peine eut-il parlé, que le feu 
se communiquant à la poudre, produisit une 
explosion fuiminante qui fit sauter la maison. 
Le pauvre matelot fut écrasé en voulant fuir 
vers la porie , tandis que le capitaine se trouva 
transporté et accroché par ses habits à un 
chevron qui n’avoit été que brisé et démembre. 


Ce dernier existe encore, et nous fit examuner 


D'UN NATUPRALISTE. 189 
la seule cicatrice, singulier eflet d’une heureuse 
prédestuination. 

Le dimanche 10 novembre, le capitaine de 
VAdrastus n'étant point encore rendu à bord , 
il falloit bien l’attendre, et s’accoutumer au 
genre de vie tout-à-fait singuher des anglo- 
américains. J'avoue qu'il étoit tout nouveau 
pour moi, au lieu de soupe, de prendre du 
bouillon clur dans lequel on émnietie un peu 
de pan. Le thé, le vin et le chocolat se buvoient 
alernauvement au diner. Ce mélange auquel 
je n’étois point accoutumé m’affecta cependant 
aucunement ma santé. 

Le lieutenant nous raconta l'histoire d’un 
matelot de son bord qui, devenu déserteur, 
tentoit de rentrer au nombre de léquipage, 
après avoir voulu perdre ce même bâument. 
Voici le fait. Jonn’, c’étoit son nom, vint de 
nuit, accompagné de plusieurs complices, à 
bord de l’Adrastus, dans le dessein de s'emparer 
de la cassette renfermantles papiers du bâtiment. 
La horde révoliée, rencontrant le second capi- 
taie et le lieutenant, leur cherchérent de mau- 
vaises raisons, et les frappèrent avec tant de 
violence qu'ils les laissèrent évanouis tous les 
deux. Jonn’, étant au fait des localités du bäu- 
ment, descendit chercher la cassette; mais, ne 


la trouvant point, 1l s’éloigna tout confus de 


190 VOYAGES 

voir ses beaux projets évanouws. Ce matelot 
infidèle avoit été séduit par un corsaire qui n’eût 
pas manqué de prendre à son départ l’Adrastus, 
privé de ses papiers. 

Toujours attendant le capitaine , j'allai visiter 
en canot un corsaire élégant mouillé près de 
nous, et où nous fümes parfaitement accueillis , 
grace au passager qui m'y présenta, C’étoit un 
ami intime du capitaine qui, après nous avoir 
salué d’un coup de canon, vint à terre avec nous 
à Pouillac. Il n’est point de village plus boueux 
et plus mal tenu que cette peute ville, qui n’offre 
rien au curieux de remarquable que ses bornes 
de stéaute (1) verte. 

Le soir à minuit, tous les passagers arrivèrent 
avec le capitaine. Ce fut une entrée curieuse 
pour un observateur. Le tems pluvieux avoit 
mis à l'épreuve tous les nouveaux sujets de 
Neptune. Il étoit plaisant d’entendre les uns 
apostropher la nature de son intempérie ; les 
autres cherchant à réprimer en grognant le 
caquet continuel de dames qui, à peine arrivées 
à bord, vouloient s'assurer un empire absolu 
dans les bonnes graces de leurs compagnons de 
voyage. Les unes affairées, chargeoiïent leurs 


(1) La stéatite ou speckstein est une pierre argi- 
leuse , aussi douce au toucher que grasse à la vue, 


D'UN NATURALISTE. 195 
complaisans de metre ordre à leurs bailots , et 
croyant être d’un grand secours, se contentoient 
en tempêtant de présider debout à l’arrangement 
de leurs énormes paquets. 

D’autres allégées par la fortune, et n'ayant 
pas besoin de vérifier une nomenclature , dési- 
roient dans le sommeil oublier l’inconstance 
du sort, et leur envie jalouse. Une autre vint se 
heurter contre une cabane basse et humide, 
qu’elle accusoit le capitaine d’avoir réservé à 
J’honnête indigence. A cette vue, ne pouvant 
plus contenir ses transports de colère, l’afligée 
se leva en fureur, frappa des pieds, refusa une 
semblable loge, en demanda une autre; et par 
suite de l'exigence qui accompagne toujours 
le sexe féminin sans éducation, proposa de faire 
déguerpir les hommes de la grande chambre 
pour se lapproprier ; mais cela étant impra- 
ticable, puisque cet endroit étoit la salle de 
réumion, nous {mes conservés à notre poste. 

Il me tardoit bien à moi, tranquille dans mon 
lit, de voir cesser tous ces débats, de calmer mes 
sens , d'arrêter mes éclats, et de reprendre un 
sommeil trop-tôt interrompu. Sur mon avis, 
l'heure de la retraite fut décidée , et chacun 
se retira, non sans quelques murmures. Le 
capitaine indifférent et bon, rioit en estropiant 
des réponses francaises , et agacoit encore l’hu- 


192 VOYAGES 

meur atrabilaire de ces dames en colère, en 
plaisantant sur leur mauvaise rencontre. Cepen- 
dant il étoit tard, et chacun pensa à aller prendre 
du repos. 

Enfin le samedi 16 novembre, ce jour tant 
désiré arriva. Dès la pointe du jour on leva 
ancre , et nous appareillâmes vers la tour de 
Cordouan, Comme nous nous trouvions à portée 
du btiment stationnaire , le commandant envoya 
des officiers à notre bord pour s'assurer de la 
véracité de notre expédition, et grace à un pas- 
sager, ann intime de l’un des officiers, la visite ne 
fut pas longue. Enfin vers le soir, après le cou- 
cher du sole, le pilote nous abandonna à notre 
surveillance avec le meilleur vent possible, ca- 
pable, en un mot, de nous éloigner en bien peu 
de tems des côtes dangereuses, Nous gagnämes 
le large bien promptement, et filâmes dès notre 
départ jusqu’à neuf nœuds, ce qui fait trois 
lieues à l'heure. On mesure la distance qu’on peut 
parcourir én un certain tems donné, en caleulant 
la marche d’un instrument comparauf, appelé 
lock. 11 est composé d’une planche triangulaire 
qu'on rend pesante au moyen de plomb coulé. 
La corde qui y est attachée, et qu’on laisse filer 
rapklement pendant lécoulement du sable de 
Fhorloge à minutes, est nouée dedistance en dis- 
tance, Aussuôt que la quauuté de sable est 

écoulée, 


D'UN NATURALISTE. 193 
écoulée, on crie sfopp, qui veut dire arrêtez ; 
alors on retient en même tems la corde, et l’on 
compte combien 1l a filé de toises de corde pen- 
dant ce laps de tems ainsi déterminé. C’est d’après 
cette manœuvre que l’on calcule la marche du 
vaisseau. 

Nous sortimes le soir, du golfe dangereux de 
la Gascogne; mais la nuit fut terrible pour les 
débutans en navigation. | 

Dimanche 17 novembre, vers les quatre heures 
du matin, nous éprouvâmes un coup de vent si 
violent qu’il cassa uneécoute (r) et la vergue (2) 
du mât de perroquet (3). La secousse qu’éprouva 
par ce contre-tems notre vaisseau, le bruit qui 
vint rompre le silence de la nuit, les cris de 
quelques passagers, et du capitaine qui s’élançant 
sur le pont, cria mal-adfoitement, sauve qui 


(1) Cordage fourchu qui sert à tenir les voiles 
tendues. 


(2) Les vergues sont des pièces de bois longues 
et arrondies, attachées en travers du mât pour sou- 
tenir les voiles. 

(5) Ce petit mât est arboré sur les hunes des 
autres mâts. Les hunes, comme on le sait, sont 
des espèces de guérites placées au haut des mäts, 
où se tiennent les gabiers ou matelois chargés de 
découvrir de loin. 


Tome À. | N 


164 VOYAGES 

peut, nous sommes perdus ! toute cette rumeur 
enfin , en alarmant nos pensées, sembla obom- 
brer la nature. Les cris du désespoir se faisoient 
éjà entendre de part et d'autre; les femmes 
mêmes, nos dames oubliant leur pudeur, vinrent 
près de nos lits, nous consulter dans le négligé 
Îe pluscomplet; et secouant notre assoupissement, 
nous interrogérent sur les dangers présens. 
Bientôt se plaignant de notre sang-froid, elles 
nous supploient avec plus de douceur de monter 
sur le pont pour y prendre des informations. On 
s'adressa le plus souvent à moi, comme le plus 
à portée de la chambre de nos dames; et, le 
dirai-je avec regret, c’est en cherchant à leur 
être agréable, qu'en n'informant , sur le pont 
très-glissant, de notre position actuelle, je me 
Jaissai tomber sur une coupe superbe d’ophite 
serpenün, provenant du mont Vésuve, qui fui 
brisée. Je la regrettai comme pièce précieuse de 
mon cabinet, et comme vase uüule dans notre 
traversée. Cependant je consolai, du nneux pos- 
sible, les umides nauulites. 

La mer apaisa son courroux ; londe en 
blanchissant n'étoit plus que moutonneuse , 
mais il falloit payer un wibut à Neptune, et je 
füs accablé de ce mal-aise qui, sans être dan- 
gereux, fait tant souffrir, et dans lequel les 
meilleurs toniques ne peuvent empêcher les 


D'UN NATURALISTE. 195 
vomissemens , qui seuls procurent un prompt 
soulagement. 

Le lundi maun 18 novembre, 1l venta peut 
Jargue, ce qui nous obligea de faire fausse 
voute ; mais le vent s'étant élevé sur les dix 
heures, nous filâmes le reste de la journée de 
six à sept nœuds. 

Le mardi 19 novembre, nous apercûmes de 
loin un bäument marchand ; mais, comme :il 
faisoit ane route opposée à la nôtre, nous ne 
pûmes communiquer avec lui. Après un calme 
de plusieurs heures , nous filâmes trois nœuds. 

Le mercredi 20 novembre, la brise du maun 
amena le vent nord-ouest qui nous fit filer de 
six à sept nœuds. Un témoin oculaire me rap- 
porta un fait digne d’être cné par sa singularité, 
le voici : Pendant une tempête un matelot étoit 
près des haubans (1),'occupé à larguer des 
cordages , lorsqu'une grosse lame qui vint 
couvrir le bäument lemporta avec elle dans 
la mer ; mais, à peine tombé, il est relevé par 
une autre vague qui Croisa la première , et qui 
replaca le matelot à son poste. Il tomba seu- 
lement évanoui, et en fut quitte pour quelques 
contusions. 


(æ) Les haubans sont de gros cordages qui servert 
4 Ce = A 7, L 
à raffermir les mâts, et d'échelles pour monter dans 
les hunes. 


N 2 


196 VOYAGES 

Le jeudi 21 rovembre, le bâument mal 
lesté et sans chargement, étoit le jouet de toutes 
les lames. Le gouvernail , étant trop violenté 
pour qu'on püt le diriger, étoit amarré. Les 
voiles à moiué déchirées, les cordages dispersés 
sans ordre sur le pont, que les passagers et 
matelots avoient abandonné pour se calfeutrer à 
fond de cale, laissoient notre bâtiment au gré 
d'une horrible iempête que nous éprouvämes 
à la hauteur des îles Madéres. Le morne silence 
qui régnoit sur les gaillards (1) n’étoit inter- 
rompu que par la chute tonitrueuse des vagues 
qui venoient s’y écraser avec fracas. J’étois 
curieux de voir la mer en courroux ; j'arrivai 
assez Lt sur le pont pour être témoim d’une belle 
scène d'horreur qui, fort heureusement, ne 
dura pas plus de cinq minutes. La violence des 
vents déchaînés m'ôtant la respiration , je suflo- 
quois , et fus obligé de me couvrir d’un mou- 
choir la moitié du visage. Je ne laissai à décou- 
vert que les veux pour contempler la puissance 
de cet élément irrité. Le capitaine, homme fort, 
forcé pour se tenir debout de se cramponner 
eux haubans, m'y souuntavec lui pour examiner 
à notre aise ce spectacle d'horreur. Notre gros 


(1) C'est une élévation sur le üllac, à la proue 
et à la poupe. 


D'UN NATURALISTE. 197 
vaisseau soulevé comme une paille légère, se 
 bouleversoit dans tous les sens avec un fracas 
horrible causé par le mugissement des flots, et 
la rencontre des bouteilles et assiettes broyées 
par les malles sorties de leurs taquets (1). Une 
lame contraire qui cassa le peut Aunier du mat 
d’artimon, pensa nous coûter la vie; et notre 
navire versé sur le côté par ce choc, faisoit de la 
bande de la moitié du pont, au point que Peau 
pénétroit dans l’intérieur par les écouulles. 
Nous étions pendant ce moment critique, Île 
capitaine et moi, suspendus au dessus du 
gouffre qui nous eût engloutis sans ressource, 
siles mains nous eussent manquées. Au moment 
où J'atteignis, pour descendre à la chambre, 
la première marche de l'escalier, je crus Île 
vaisseau devoir être englonti sous quatre mon- 
tagnes d’eau, dont la voûte resserrée et contiguë 
me déroboit le firmament, et qui dans leur 
chute effrayante inondèrent le pont et une parue 
des cabanes, en élevant de suite par leur affais- 
sement notre vaisseau à une hauteur prodigieuse. 
Le ciel d’un noir grisätre, entrecoupé de quelques 


(1) Les taquets sont quatre petits morceaux de 
bois cloués au plancher euclavant aux quatre angles 
les malles, de manière à ne pouvoir être ébranlées 
par le roulis du vaisseau, 


N3 


198 VOYAGES 
tacues lilas et aurore sur un fond bleu foncé, . 
offroit le plus riche coup d'œil, tandis que sur 
les flancs du navire venoient s’abimer ces lames 
fitres , dont lapproche majestueuse inspiroit 
véritablement une certaine crainte mêlée de 
respect. La base tourbillonnante en étoit d’un 
gros bleu noir , le haut de l'angle d’un vert clair 
d’émeraude, et la sommité panachée d’épou- 
drinséblouissans, Ces montagnes humides s’avan- 
coient en un mot avec la noble contenance d’un 
vainqueur. 

Tous les passagers n’étoient point curieux 
d'observer, et sur le pont humide et glissant on 
ne rencontroit que des navigateurs exercés qui , 
malgré leur grande habitude de voguer, ne 
laissoient pas souvent que de faire des glissades 
de toute la largeur du bâument, lorsque le 
roulis étoit immodéré. Les chiens et autres ami- 
maux ne pouvoient rester un instant debout 
sans rouler. Hs étoient mornes , et leur tête 
baissée annoncoit leur mal-aise. Les cages à 
poules, ne pouvant résister aux lames, sortoient 
de leurs taquets, et alloient , pêle-mêle les vo- 
lulles culbutées et estropiées, se promener sur 
le pont. On voulut rendre au timonmier le gou- 
vermul, mais, dans l'impossibilité où 1l étoit 
d'en prendre encore la direcuon , il appela à 
son secours des matelots afin de lutter avec la 


D'UN NATURALISTE. 109 
barre contre les flots encore soulevés et 
écumans. 

Les passagers étoient la plupart dans leurs 
cadres , attachés avec des cordes, de peur d'en 
être jetés dehors par le rouhs. Le craquement 
général causé par le disloquement de la char- 
pente, offrant un bruit lent et criard , fatiguoit 
et les oreilles et l'imagination. A ce léger son 
se joignoit le bruit des tables renversées, de 
malles détachées , des bouteilles entières ou 
cassées qui à chaque lame éioient roulées avec 
vivacité vers le côté opposé du bâument. Ce 
tableau d’un désordre complet effrayoit les uns, 
et leur arrachoit des larmes que tournoient en 
dérision d’autres voyageurs plus rassurés, et 
riant à gorge déployée pour opérer un contraste. 
Enfin , les uns mangeoient de bon appéut, 
tandis que les autres attaqués du mal de mer, 
vomussoient à leurs côtés, avec des eflorts et 
des contorsions accompagnées souvent d’éclats 
de rire. Telle est la vie intérieure qu'on mène 
sur un bâtiment. 

Le vendredi 22 novembre, les vagues com- 
mencèrent à apaiser leur furie, et le vent 
diminua pour le malheur d’un mouton qui fut 
mené en triomphe au cook (1), pour être 


{1) Cuisinier. 


ne. 


200 VOYAGES 

égorgé après qu'on lui eut fait faire le tour 
du bäument. On s'amuse à bord où les plaisirs 
sont rares, de la moindre chose, et ce fut une 
fête pour l'équipage de harceler dans sa marche 
timide le pauvre agneau , et d’exciter contre 
cette vicume l’aboiement de deux chiens. 

Le samedi 23 novembre, nous eïñmes un 
vent contraire qui nous donna de la grêle. Nous 
filâmes quatre nœuds le reste de la journée. 

Le dimanche 24, le tems serein et un air 
frais nous donnèrent vent grand largue, qui nous 
fit filer huit nœuds. Le lever du soleil fut im- 
posant par le rideau d’or et de pourpre qui le 
montra dans tout son éclat. En général, les 
peintres reconnoissent le firmament d’un coloris 
plus riche sur mer que sur terre. 

Les amateurs de la pêche commencèrent à 
préparer leurs hgnes et leurs foënes (1). Les 
hiones, arméesdehamecons garnisd'appät, furent 


muses à la traine. Nous aperciimes bientôt un 


{:) La foëne est une espèce de trident qu'on lance 
sur les poissons d'une certaine grosseur. L'animal 
atteint et blessé, cherche à fuir, à plonger, pour 
se soustraire au fer meurtrier qui l'a percé ; mais on 
laisse filer la corde autant qu'il en est nécessaire 
pour qu'en se débattant , le poisson safloiblisse 


Amor n y cano 
Qn PeRrGAIL SOI SAN, 
Ê æ)] 


D'UN NATURALISTE.  so1 


carret (1) et une bonite (2), mais qui ceue 
fois ne voulurent point mordre à la grappe. 

Le lundi 25 novembre, nous entrâmes dans 
les vents alisés, dont la douce et agréable tem- 
pérature rétablit bientôt tous ceux de nos com- 
pagnons de voyage, qui avoient été attemts du 
mal de mer. La plaine liquide, non soulevée 
comme auparavant, OS01t à peine moutonner , 
et l’on pouvoit comparer l'Océan à une de nos 
rivières , tellement qu’on voyoit à plusieurs brasses 
de prolondeur les poissons y exercer leurs 
flexibles nageoires. 

Pour prévenir les inconvéniens de l’oisiveté , 
on occupa , hors du service des manœuvres, les 
matclots à raccommoder les voiles, à restaurer 
les cables, à faire du fil carré, enfin à disloquer 
les vieux bouts de corde pour en parfiler de 
l’étoupe, si uule à bord d’un vaisseau. 

Le mardi 26 novembre, les provisions fraîches 
qui se trouvoient à la disposiuon du capitame 
étant consommées, on vit commencer les dis- 
putes, et, comme ventre affamén’a pointd'orcilles, 
plusieurs d’entre nous oublioient toute bien- 


(1) Testudo caretta pedibus piuni formis, unguibus 
palmarum plantarumque binis, testà ovatà acutè 
serratà , Linn. | 

(2) Poisson commun dans lamer Atlantique , com 
parable au maquereau pour le goût et La couleur, 


202 VOYAGES 

séance , regardant comme la première, de ne 
point se laisser mourir de faim. Nos rations ayant 
été diminuces , on se disputoit les vivres avec 
humeur, et le besoin faisant oublier aux galan- 
uns leurs prévenances et leurs soins envers les 
dames, ils passèrent presque tous les bornes de 
la retenue et de la complaisance, pour se pro- 
curer quelque supplément de nourriture que le 
beau sexe ne fut pas même invité de partager. 

Nous avions parmi les passagers, de ces êtres 
immoraux , fléaux des sociétés, tristes et permi- 
cieux organes de la débauche la plus vile, et de 
lirréligion la plus condamnable. On fut obligé 
de leur imposer silence, en raison des jeunes 
personnes que nous avions à bord. 

Nous éprouvions un calme plat; la chaleur 
étoit insupportable, tandis qu’en Europe, à la 
même heure, nos amis s’entretenoient, peut-être 
au coin d’un bon feu, des jours de notre voyage. 

Le mercredi 27, des matelots pour avoir une 
récompense , attachèrent , selon la coutume, un 
passager qui voulut, pour la première fois, mon- 
ter sur les haubans. Les cordes qui l'y reunrent 
ne furent déliées que lorsqu'il eut satisfait à sa 
rançon. 


Nous primes un thon à longues oreilles (1), et 


(1) Scomber thynnus , Linné. Poisson qui pèse jus- 
qu'à cent livres. 


€ BE 5 
TV AT PUS 206 


Re | 


Gabriel JE 
1. Ortie 47727 errant gelee rurtre, out" Meduse(4#e Lime.) 
Le 


2 Rüsin Tropigue Re 


# Fo 


D'UN NATURALISTE. 203 

nous le vimes engagé par le hamecon avec d’au- 
tant plus de plaisir que nous étions réduits à des 
vivres salés, et que cette douce perspective ne 
pouvoit que flatter notre sensualité; ce jour de- 
venoit pour nous une fête à laquelle la sobriété 
ue présida point : on ne pouvoit top l’exiger 
après d'aussi grandes privauons , etle plus frugal 
d’entre nous laissa apercevoir un peu de gour- 
mandise. On nous servit de ce poisson au court 
bouillon et en friture. 
_ Jeudi 28 novembre, nous vimes près de notre 
bâtiment le poisson soleil (1), dont l’huile bonne, 
diton, pour les rhumatismes, se vend jusqu'à 
deux louis la livre. 

Vendredi 29 novembre, nous apercümes au- 
tour de notre bâtiment des bancs de varech vési- 
culeux (2), vulgairement appelé raisin du tro- 
pique. (Planche XIE, fig. 1, tom. 1°.), et un 
assez beau vélin (tom. 1°., pl. XI, fig. re.) (3). 


(1) Le poisson soleil, appelé par Îles Anglais 
sunfish, n'est autre chose que la lune de mer, ou 
poisson d'argent; ‘letraodon mola, Tainné. 

(2) Fucus vesiculosus, Linné, 1626. 

(5) On appelle ainsi un ver mollusque du genre 
des Méduses, et qui porte un venin avec lui; delà, 
par corruption , le nom de vélin. Il ne faut pas le 
confondre avec la velette ou toile, nom donné à 
une coquille voilière,q ui flotte communément sur 
la surface de la Méditerranée. 


204 VOYAGES 

Samedi 30 novembre, nous éprouvämes du 
calme le matin, accompagné d’une pluie douce 
et thermale. Nous apercûmes vers midi un assez 
gros souflleur. Ce cétacé, du genre des baleines, 
est ainsi nommé, parce que de son souffle il fait 
juillir par ses évents deux colonnes d’eau consi- 
dérables. ° 

Il est bien vrai de dire que l’oisiveté est la 
mère de tous les vices. C’est par elle que la 
médisance établit à bord son règne désastreux 
et mordant. Là, l'innocence n’est point à l’abri 
des traits envenimés de l’imposture et de l’adu- 
lauon, tandis que la débauche et la perfidie se 
couvrent du léger duvet de la douceur pour 
mieux assurer leurs coups projetés. 

Le dimanche 1. décembre, des cris se firent 
entendre de grand matin sur le pont, et me 
réveillérent. C’étoit une dorade qu’on venoit de 
prendre, et qui étoit entourée d’une partie des 
passagers avides, par besoin, des bons mor- 
ceaux, et qui ne purent modérer leur alégresse 
à la vue d’une aussi intéressante capture. Le 
péché capital de la gourmandise nous tour- 
mentoit tant, qu'il y eut une dispute à la distri 
bution des paris, en raison d’une partualité. 

I étoit risible de voir les regards de tout le 
cercle tournés vers le commissaire de notre 
banquet frugal , suivre tons ses mouvemens dans 


D'UN NATURALISTE. 20 
la réparution de la dorade. Je ne puis mieux 
comparer cette muette attention qu’à celle d'un 
singe auquel on fait gagner, par la pauence, 
un fruit ou autre objet digne de sa friandise, 
en le lui présentant, puis le retirant, et le 
trompant ainsi jusqu'à lépuisement de ses 
genullesses. 

Notre vaisselle diminuoit chaque jour par 
l'emportement des convives, qui assouvissoient 
souvent leur colère et leur dépit en frappant fa 
pauvre faïence. Aussi voyoit-on a plupart 
se servir de morceaux d’assieltes et de verres 
écornés ; mais tous ces légers inconvéniens se 
fussent oubliés à l’apparuuon de bons mets que 
nous avions appris à ne plus connoître. Le sou- 
venir du pain, ce riche trésor de la nature, nous 
donnoit tant de désirs qu’on n’osoit en parler 
qu'avec projet d'en manger jusqu'à satiété au 
prenuer abordage; car on ne nous distribuoit 
que du vieux biscuit moisi et rongé de vers. 
Ces galettes servoient de repaires aux araignées 
qu'on avaloit souvent sans attention, tant la 
gloutonnerie précipitoit les mouvemens de ja 
mastuication. 

L’eau verte et pourrie, n’étant point filtrée, 
n’offroit qu'une saveur infecte et dégoûtante , et 
le séjour bourbeux de petits insectes à mille 


pieds, dont nos dames surtout avoient horreur, 


206 VOYAGES 

La viande salée et rance qui avoit déjà fait plu- 
sieurs traversées , et affronté tant de différentes 
températures étoit tellement gâiée, féuüde et 
décomposée, que l'équipage la refusoit ; mais, 
comme notre douceur et notre extrême subor- 
dination étoient reconnues, on nous la faisoit 
passer par bouchées de la grosseur d’une noix 
dans une pätée appelée soupe , dont elle servoit 
à faire le bouillon doublement engraissé par les 
Vers COrrompus qu'on ÿ rencontroit. Ce potage 
en un mot étoit un composé de cette eau, cette 
charogne et ce biscuit émietté. Cependant nous 
avions payé de manière à être bien nourris, 
sans la foiblesse du capitaine voué à la discrétion 
de négocians qui, seuls faisant table avec lui, se 
réservoient tous nos bons morceaux. 

Pourtant on nous régaloit quelquefois , pour 
détruire luniformité du service, avec des pois à 
brebis bouillis tout simplement dans de Peau , 
de crainte que le beurre ne causät effervescence 
dans notre estomac délabré, en le surchargeant 
de bile, et le forçant de rendre un comesuble, 
dont le célèbre cook avoit réellement et indis- 
pensablement besoin pour faire les coulis et les 
rôtes au beurre de messieurs nos gouvernans , 
qui étoient au nombre de six, savoir, trois 
négocians | et trois Capitaines de vaisseaux 
marchands, 


D'ÜN NATURALISTE. 207 

Ces rusés personnages se coalisèrent dès le 
premier jour de notre traversée, et connoissant, 
cornme anciens navigateurs, les subterfuges à 
employer envers d’innocens passagers , avoient 
refusé d’être de nos tables, et s’étoient fait 
nommer commissaires afin de se réserver les 
liqueurs et vivres de choix, et d’en garnir le 
coffre de réserve, dont le nègre du capitaine 
avoit seul la clef. 

Cette usurpation étoit outrée | puisque tous 
les passagers avoient apporté à la masse la somme 
indiquée pour être également nourris pendant 
toute la iraversée ; cependant nous n'avions pas 
le droit de réclamer aucune provision; et soit 
qu'on fût incommodé ou non, on n’avoit pour 
tout potage que de la soupe et de: pois, et pour 
changer, des pois et de la soupe que nous rece- 
vions encore avec résignation, tout en humant 
l'odeur embaumée des mets de nos comnnssaires, 
qui avoient soin de diner avant nous, afin de 
prendre plus librement leur café. 

Un jour cependant, la patience d’un com- 
pagnon de notre infortune échappa. Îl ne put 
endurer plus long-tems de semblables vexations. 
Il épioit ces scènes scandaleuses, et plein de 
fureur , il alla prendre sur le fait le capitaine 
et ses amis, qui faisoient bombance avec notre 
dessert, notre liqueur et notre calé, On le mo- 


208 VOYAGES 

lesta, et les cinq partisans du capitaine prenant 
un ton muelleux , dirent assez haut, pour que le 
capitaine l’entendit, qu'aucun individu à bord 
d’un bâtiment n’avoit le droit d’insulter le capi- 
taie, qui avoit seul la police, et un pouvoir 
illimité sur son équipage et les passagers , au 
point qu'il pouvoit exercer la haute police, et 
faire jeter à la mer tout réfractaire à ses ordres, 
Nous trouvämes ce réglement atroce; et notre 
député, observant que cette mesure criminelle 
étoit contraire aux lois de l'honneur et de la 
jusuce, se préparoit à une nouvelle harangue, 
lorsqu'on lui imposa silence, en le renvoyant 
comme un écolier honteux! 

Le lundi 2 décembre, nous eùmes bon vent le 
maun, et filèmes six nœuds en bonne route ; le 
soir, Survint une petite pluie qui nous donna du 
calme, Eclairé dans mes rêveries par le flambeau 
de la nuit, c’est à la faveur de sa pèle clarté, que 
j esquissai les nuits de ma traversée , petit recueil 
de réflexions morales. 

Mardi 3 décembre, je diversifiai mes occu- 
pauons en composant un quatuor pour ins- 
trumens à Cordes, et que nous exécutämes à 
bord. 

Pourquoi toujours se plaindre? Vantons donc 
aujourd’hui les faveurs de nos gouvernans, 
et rendons jusuce à leur complaisance. Nous 

eumes 


D'UN NATURALISTE. 209 


cumes au moins de cette mauvaise soupe, et qui 
plus est, comme faveur très-grande, des pommes 
de terre à discréuion. Nos commissaires vouloient 
sûrement s'assurer, par cette améhorauon, si 
nous consenüurions à favoriser leurs projets d’une 
nouvelle route; car 1l y eut à notre table de la 
surabondance , et l’on nous servit, pour douze 
convives de notre banquet, quatre anchois et du 
dessert. Quel excès de générosité ! 

Mercredi 5 décembre , l’excessive chaleur 
forca le capitaine de faire meure la tenté, sans 
laquelle il étoit impossible de rester sur le pont. 

Nous tuâmes plusieurs pailles-en-cul (1). On 
mit la chaloupe à la mer pour les aller chercher, 
mais On ne put en rapporter que deux, les 
autres étant déja trop loin du bâument, Le plu- 
mage du mäle ne diffère du blanc éblouissant de 
celui de la femelle, qu’en ce qu’il a quelques 
taches noires de plus sur le dos. Leur chair est 
huileuse et peu estimée. 

Tout périt dans la nature, me disois-je , en 
voyant notre énorme vaisseau fendre avec fierté 


(1) Le palle-en-cul, ou paille-en-queue, ou fétu- 
en-cu , ou oiseau des ‘Tropiques, phaëton œthereus, 
de Linné. Oiseau palmipède, qui annonce aux na- 
vigateurs leur entrée sous la zone torride. Ils se 
nourrissent de poissons qu'ils enlèvent à la surface 
des mers, 


Tone I, 0 


| 


016 VOYAGES 


les vagues mugissantes ; tout périt, excepté l'ame 
de l’homme! Notre charpente, aussi peu solide 
que celle de notre navire, doit également un jour 
succomber sous le poids du tems. Les tempêtes 
éprouvent la résistance de sa force matérielle, 
comme nous sommes le triste jouet des passions. 
Un écuail peut le briser ; la mort ensevelit avec 
elle toutes nos passions. Que de justes réflexions 
on peut faire ainsi à bord lorsqu'abandonné à 
sa desunée, on vogue au dessus d’abîmes sans 
fond ! 

Le jeudi 6 décembre, je trouvai à mon réveil 
les peaux de mes pailles-en-cul rongées par les 
rats. Le mâle surtout avoit la tête presque toute 
mangce; cependant, avec du soin, il y avoit du 
remède , aussi m’occupai-je à les réparer. 

Nous filâmes jusqu'au soir huit nœuds, avec 
un roulis insupportable. 

Vendredi décembre, aussi bonne route, aussi 
bon vent; mais la vue quoiqu’intéressante d’une 
cnantité immense de poissons volans (1), ne put 
ne ürer de laffaissement dans lequel me jeta le 
mal de mer. Tout me devenoit indifiérent ; et la 
PR OT EN RE ES PRE RU ere 

(1) Muge volant. Exocetus volitans, Linné. Le 
mot exocetus veut dire qui va dormi dehors, parce 
qu'on croyoit que ce poisson avoit li faculté d'aller 


douar sur le rivage. 
© 


D'UN NATURALISTE. STI 


nature pour quelques momens perdit à mes yeux 
tous ses charmes. Le seul souvenir de EL. L. eût 
pu apporter un repos bienfaisant à ces anxiétés 
douloureuses. 

Samedi 8 décembre , la mer commenca de 
bonne heure à moutonner , c’est’à dire qu’on 
apercut les flots, en se brisant mutuellement, 
se blanchir, et former des époudrins que l’on 
compare en ce cas à la blancheur de Ja neige. 


Tout en examinant des pailles-en-cul qui ro- 
doient autour de notre bâtiment, ainsi que des 
poissons volans poursuivis par leur ennemi 
juré, la dorade, nous en primes une. Ce pois- 
son (1), dont la robe élégante ne peut être imitée 
par le pinceau le plus habile, change de couleur 
lorsqu'il est hors de l’eau; et à mesure qu'il 


(1) Sparus aurata, Linné. Ce poisson du genre du 
Spare qui, dans l'eau, est sans contredit le plus beau 
poisson de la mer, paroïît , entre deux lames, re- 
vêlu d’or sur un fond vert azuré. Il aime le chaud, 
et est meilleur en été qu'en hiver. Sa chair est 
blanche , un peu sèche , mais ferme et de bon goût. 
C'est le plus léger de tous les poissons. La dorade 
poursuit sa proie avec tant d'acharnement, que sou- 
vent elle se précipite sur un hamecon auquel on a 
adapté un corps et des ailes, pour imiter le poisson 
volant dont elle est très-friande. 


0 2 


219 VOTAGES 

approche de sa mort, les teintes s’altèrent , se 
coufondent , s’éclipsent, enfin finissent par s’ef- 
facer presqu'entièrement d’une manière bierr 
sensible , en passant successivement par une 
intinité de nuances. Ce poisson ne nous étant 
poiut destiné, 1l fut servi à Ja table des gou- 
vernans qui, en ma qualité de docteur du bord, 
en enyoyérent à moi seul une tranche. 

Malgré la chaleur excessive, il y eut un défi 
entre le capitaine et un passager. Îl s’agissoit de 
mettre, avec le fusil, une balle dans une planche 
placée au haut des hunes. Tous deux novices 
dans l’art de ürer au blanc, 1ls ’approcherent 
même pas du but. Quel fut l'étonnement des 
Anglo-Américains, lorsqu'ils nous virent, un 
Nantais et moi, traverser cette même planche 
avec une chandelle posée sur la charge de notre 
fusil, en guise de balle de plomb! 

Dimanche 9 décembre ,on n’appela de grand 
maurs pour ürer des pailies-en-cul quivoltigeoient 
stupidement au dessus de notre bätiment. J’en 
ürai deux que je bless, et qui tombèrent dans 
l'eau près d’un troisième qu, inquuet sur leur 
iriste sort, essayoit de les faire voler en se don- 
nant pour exemple; mais ils ne purent y par- 
venir. Je regrettai de les avoir ürés, étant dans 
Fimpossihilité, cette fois, d’alier les cherchez 
à cause du gros tems. 


D'UN NATURALISTE. 219 


Eundi 10 décembre, ayant calme plat, plu- 
sieurs passagers voulurent, par une chaleur 
insupportable , se baigner à la mer. Les plus 
adroits plongérent à des profondeurs considé- 
rables ; mais la vue d’un requin dissipa leur 
bande joyeuse , et arrêta leur ardeur pour cet 
exercice salutaire. On mnt la chaloupe à la mer, 
afin de poursuivre le cruel anthropophage ; mais, 
arrêtée dans sa marche par des banes de raisins 
du tropique , elle ne put le rejoindre. Ces 
varechs étoient remplis de petits poissons de 
toute espèce, qui trouvoient probablement leur 
nourriture, et un refuge dans ces plantes 
marines. 

Nous eûmes vers midi une brise assez légére , 
et le capitaine, en prenant hauteur (1), nous 
annonça que nous éuons à vingt lieues du 
tropique. 

Cependant soit mauvaise disposition , soit par 
excès de table, notre capitaine étoit malade d’une 
violente indigestion. I m’appela dans le cabinet 
bacchique (2), et là, après avoir fait l’éloge de 


a 


(r) C'est mesurer avec un octant l'élévation du 
” soleil sous l'horizon, à midi. L'octant ou secteur con- 
tient un huitième ce cercle, c’est à dire 450. 

(>) C'est ainsi que nous appelions 1 salle à manger 
de nos commissaires. 


0 35 


214 VOYAGES 

mon extrême complaisance, avoir su me dis- 
unguer des autres passagers , 1l m’engagea à 
prendre le punch tous les jours à pareille heure, 
si cela m'étoit agréable; qu'à l'avenir, lorsque je 
ne pourrois me rendre à son invitauon, il 
m'enverroitnéanmoins par son nègre le bol qu’il 
me destinoit, Je le remerciai en acceptant son 
offre, dans l’intenuon d’être uule aux autres 
passagers. 

Mardi 11 décembre, un de nos six gouver- 
nans , M. VY*#**, homme immoral au dermer 
degré , faisant ses délices du tourment des 
autres, fauguant nos oreilles tout le jour de 
chansons obscènes et du triste récit de ses 
prouesses, sans ménager la pudeur des dames ; 
M. VY**, ennemi de l'harmonie musicale, 
athée enfin , et jaloux de nous voir prendre 
plaisir à exécuter les quatuors concertans que 
javois composés, résolut de nous troubler, et 
pour cela, payant quelques calfats(t)pour frapper 
à coups redoublés au dessus de nos têtes, il des- 
cendii lui-même avec effronterie auprès de nous , 
muni de deux quaris vides qu’il frappoit à tour 
de bras de deux énormes marteaux. Nous ne Run 
cédèmes en rien, et contunuämes, sans prétendre 


(1) Calfater, c'est garmir de poix et d'étoupes les 
fenies d'un vaisseau, 


D'UN NATURALISTE. »1:5 


y trouver d’autres charmes que celui de mé- 
priser un homme de sa sorte. Honteux de notre 
résistance , il fut obligé de céder, et se reura 
furieux de se voir ainsi joué. Cette genullesse 
donna lieu à une irès-vive explication , où tons 
les gouvernans firent apprécier leur véritable 
caractère , inextricable jusqu'alors. Ils se coali- 
sérent entr’eux, en jurant de s’opposer à l'avenir 
à ce que nous fissions de Ja musique qui fimissoit 
par les étourdir. Le capitaine craignant les suites 
de cette altercation , eut la prudence , afin de 
contenter teut le monde, de nous assigner le 
matin pour nous livrer à nos doux exercices. 
£ ordre de police à cet égard fut ponctuellement 
exécuté. 

Nos sordides spéculateurs (1) employoient, 
‘près leurs orgies, le resie de la journée à cal- 
culer le produit de leurs cargaisons ; et l’avarice 
a'aune point à être troublée dans ses opérations 
mystérieuses. 

Mercredi 12 décembre , nous eûmes une mer 
houleuse, et un mauvais vent qui nous obligea à 
faire fausse route. 

Jeudi 13 décembre, nous apercûmes deux 


(1) J'excepte de ce nombre MM. P...... de 
Bordeaux, dont l'amabilité du caractère étoit entiè- 
rement opposée à la rusticité des autres marins, 


O0 


216 VOYAGES 


bâätimens allant à la pêche de la baleine. La 
chaleur excessive et l'agitation des flots s’op- 
posérent à nos réunions pour la musique, au 
grand contentement de notre antagoniste. 
Même diner, on plutôt supplément de mal- 
propreté avec intention ; nous trouvâmes des 
cheveux en quantité dans tous les plats qui nous 
furent servis. On s’en prit au cook qui s'excusa , 
et nous fümes obligés, faute d’autres alimens, 
de manger les propres bouchées que ces cheveux 
envelopioient, et à qui ils avoient communiqué 
certains autres mélanges encore plus dégoutans. 
Le soir, la mer étant moins rude , les ma- 
telois se proposèrent entr’eux des danses de 
caractère. Comme ils étoient tous de nauons 
différentes, les uns sautoient comme les Turcs. 
d'autres comme les Russes ; ceux-ci prenotent 
le genre allemand, et ceux-là adoptoient le 
rite anglais. Ces pas exécutés au son de cris 
aigus , formoient une cacophonie qui nous 
recréa, à défaut d’une plus douce harmonie. 
Vendredi 14 décembre, il plut abondamment 
pendant toute la journée, et nous ne filämes que 
six nœuds. : 
Samedi 15 décembre, nous eûmes le vent 
debout, c’est à dire absolument contraire. 
Dimanche 16, la nuit fut périlleuse, mais 
mous échappâmes au danger; et malgré le rouls 


D'UN NATURALISTE.  »r7 


et le tangage (1), nous filâmes sept et quelque- 
fois huit nœuds. 

Lundi 17 décembre , le rouhs se fit encore 
éprouver toute la matinée. On supprima nos 
déjeûners, vu la pénurie des vivres ; en sorte que 
nous ne faisions plus qu'un très-mauvais repas 
le soir à quatre heures. I fallut bien se résigner 
à cette nouvelle injustice, ne pouvant attendre 
de procédés délicats d'aussi égoïstes personnages 
que nos gouvernans. 

Nous apercûmes autour du bâtiment une 
quantité considérable d'oiseaux de tempête (2). 
Cet oiseau est celui que Brisson appelle /e pétrel; 
il n’est pas plus gros que l’hirondelle d'Europe, 
et c’est le plus petit de tous les palmipèdes. Get 
oiseau , dit Mauduit, affronte, comme les autres 
pétrels, la rigueur des mers glacées, et s’y 
avance aux plus grandes hauteurs; mais, soit 
insüinct qui l’avertit de son peu de force, soit 
sensations plus fines que celles des autres oiseaux 


du même genre, il est le premier à prévoir les 


G) Le tangage est l'oscillation fatigante du vais- 
seau de l'arrière à l'avant, et de l'avant à l'arrière. 

(2) C'est le pétrel de Brisson. PL. enl. 993. Procel- 
laria avis; Plautus minimus procellarius. Le plumage 
supérieur du corps est noirätre, l'inférieur et le de- 
vaut de la tête sont d’un cendré brun. 


218 VOYAGES 


tempêtes, et à chercher un abri contre leur 
violence : c’est cet avantage qui lui a fait donner 
le nom d'oiseau de tempête. Lorsque les nau- 
tonmiers , surtout ceux du Danemark, qui sont 
très habitués au phénomène que présentent ces 
animaux indicateurs; lors, dit Mauduit, que 
les marins voyent, la mer étant calme, ces 
oiseaux se réunir, voler en troupes dans le sil- 
lage du vaisseau , sous son abri, 1ls se regardent 
comme assurés d’être bientôt exposés à un gros 
tems, qui ne tarde jamais en effet à succéder 
à l'apparition des petits pétrels. 

Mardi 18 décembre, la contrariété des vents 
nous obligea de faire fausse route. 

Mercredi 19, nous apercûmesde grand man, 
du côté des Bermudes, un corsaire, puis sur les 
dix heures, un bâäumentneutre qui nous accosta. 
Après l'avoir attendu en panne (1), notre capi- 
taine linterrogea, et 1l résulta de ces questions 
qu'il étoit parti depuis quatorze tours de Phila- 
delphie, qu'il laissa dans le deuil à cause d’une 
maladie épidémique qui venoit d'enlever quatre 
mille ames. Nous envoyämes à son bord pour 


(1) Mettre un bâtiment en panne, c'est contreba- 
lancer avec les voiles la puissance du vent qu'on met 
en oppesition; ce qui oblige le bâtiment à rester en 
place. 


D'UN NATURALISTE, 219 

obtenir des provisions, et j'eus le regret de ne 
pouvoir lui faire remettre une lettre que je tenois 
prête , en cas de sa destination pour France ; mais 
nous apprîimes qu'il alloit à l’île Cayenne. Nous 
filâmes, le reste du jour, six nœuds en bonne 
route, On ne sauroit croire quel plaisir on res- 
sent, dans une traversée, de rencontrer un nou- 
veau visage : il semble que cette sausfacuon 
fasse naître l'espérance d’une plus prompte 
arrivée. 
: Jeudi 20 décembre, au milieu de la chaleur 
insoutenable qu'on éprouve sous la ligne, je 
souffrois doublement de cette incommodité, étant 
forcé, comme médecin, d’aller dans les soutes 
visiter les nombreux malades que j'avois à voir 
tous les jours; cependant le désir de soulager 
l'humanité souffrante, me fit surmonter tout 
obstacle, et je m'efforcai de répondre à la con- 
fiance qui nv’étoit accordée. 

Nos gouvernans vivoient dans abondance; et 
nous, vicumes de notre subordination, nous 
éuons dénués de tout. Le tems étoit arrivé de 
secouer celte torpeur engourdie ; et notre conseil 
décida qu’on feroitdanslasainte-barbe, à l’époque 
où, après le coucher du soleil, on va prendre air 
sur le pont, une descente pour enlever les pre- 
miers comestibles qu'on pourroit y rencontrer. 
Le besoin seul, et non point ur désir de ven- 


220 VOYAGES 


geance, devoit conduire nos pas en ce magasin , 
trésor de nos oppresseurs, et fermé à notre sou 
plesse abusée. Trois jeunes gens d’entre nous, 
privés déjà par de longs jeûnes de la fraïcheur de 
leur âge, au cou roide et décharné, au visage 
abattu , furent choisis pour exécuter notre projet. 
Pourquoi donc eussions-nous retardé le moment 
qui devoit nous assurer une toute autre éxistence ? 
S’agissoit-1l d’un larcin ? n’étoit-ce point de nos 
propres provisions dont nous allions nous empa- 
rer? On s’y décida. Les uns faisant sentinelles et 
renvoyant en commussion sur le pont ceux des 
mousses quise présentoienta la chambre , d’autres 
ouvroient la trappe, tandis que le pourvoyeur 
sans lumière tätoit dans lobscurité parmi le 
beurre, la chandelle; mas au tact, 1l savoit dis- 
ünguer les objets qui pouvoient nous convenir, 
et en remplissoit ses poches. Un jour pourtant 
que nos senunelles de l’avant-posie donnèrent le 
signal de retraite, un de nos envoyés d’une 
tulle gigantesque voulut néanmoins, avant de 
remonter, utiliser sa démarche, mais plonge son 
bras... au milieu d’un baril de beurre rance, 
et l’en reure dans un état infect! Cependant, 
digne de notre confiance, il ne perd pas la carte; 
ei pour réparer sa méprise, 1l se précipite sur les 
provisions de nos gouvernans qu'il reconnoît 
top lard, etrapporte une quantité de pruneaux , 


D'UN NATURALISTE. 201 
noisettes , figues, et, le dirai-je, une pomponelle 
d’amisette qui servit à boire à la conversion de 
nos tyrans. 

Nous avions passé le matin le tropique du 
Cancer , et la veille, selon l'usage, les matelots 
préparèrent la cérémonie du baptême de mer. 
Cette coutume consiste (1) à habiller de peaux 
de moutons un matelot qui a une voix forte et 
sépulcrale, de répandre ensuite sur ses bras et 
sur sa tête des plumes de volaille qui y sont 
maintenues par du goudron, dont ces parues du 
corps sont enduites. Cet acteur ainsi disposé, 
monte, sans tre apercu, au plus hautdes dunes, 
et c’est du haut des airs qu'il imite la voix impé- 
rieuse de Neptune, qui tonne contre les néophytes 
navigateurs qui ne se sont pas encore conformés 
à ses lois. Les vieux marins cherchent à plaider 
la cause des nouveaux voyageurs, et promettent 
des sacrifices propitiatoires. « À demain, leur 
» crie Neptune, où, s'ils ne sont converuüs, ils 
» seront avec moi au fond des eaux » ! 

Le lendemain de grand matin, le vieux Nep- 
tune revêtu du même costume, mais accompagné 
de ses quatre anges enduits seulement de gou- 
dron et de plumes, paroîït au plus haut du humier, 


(1) Je décris cette cérémonie pour ceux qui n’on$ 
point voyagé. 


3592 VOYAGES 

et demande d’une voix menacante si les néophytes 
sont dans de bonnes dispositions ; on lui répond 
que oui: « Qu'ils s’avancent , s’écrie-t-il à l’aide 
» d’un porte-voix, etqueje sache s’ils sont dignes 
» d’être soumis à mon empire » ! On les place en- 
semble, puis les anciens marins s’éloignent en 
cercle autour d’eux. Tout à coup une averse 
affreuse tombe sur leur tête; et voilà le baptême 
de mer auquel aucun passager ne peut se sous- 
traire lorsqu'il est en bonne santé, à moins de 
récompenser largement les matelots qui aspirent 
à ce bénéfice. 

Vendredi 21 décembre, les grandes chaleurs 
du tropique nous ôtant beaucoup de vent, nous 
ne filâmes que trois nœuds. La mer calme me 
permit un entretien avec deux habiians du Haut- 
Languedoc, vrais dans leurs descriptions, si j'en 
juge par leur franchise. Îls me firentun pompeux 
éloge d’un village enchanteur, dont les environs 
délicieux offrent aux amateurs dela belle Nature 
des retraites assurées contre le tourbillon du 
monde. Ce village s'appelle Hazanet, et est situé 
près de la ville de Castres, département de Tarn 
et Gironde. Les rues de cetendrou sont bombées 
à leur milieu , et protègent, par leur pente rive- 
raie des maisons, l'écoulement de ruisseaux 
d’une eau vive et pure qui prend sa source dans 
les montagnes voisines, qui en sont arrosées. La 


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D'UN NATURALISTE. 293 


nature s’est complue, me disoient ces Languedo- 
ciens, à parer ces ferules côteaux. L'homme ami 
de la paix, trouve, dans le silence des bois, à 
contenter ses goûts. La chasse et la pêche ne 
laissent rien à désirer. Les vivres et les fruits y 
sont en si grande abondance, qu’on les achète à 
bas prix. Pour donner la dernière touche à leur 
récit attrayant, 1ls me firent la descripuon d’une 
maison de campagne d’undeleursamis, tellement 
entourée de fontaines, que dans chaque appar- 
tèment se trouvent plusieurs robinets qui, dans 
l'été, sont d’un grand avantage pour y entretenir 
une fraîcheur naturelle et bienfaisante. office 
même et la cuisine font usage de cette eau 
limpide. 

Un matelot, en puisant de Peau de mer pour 
laver le pont, recueilit dans son seau une ga- 
lère (1) (tom. r., pl. XIE.) qu'il s’empressa de 
m'apporter. Son corps auquel l'animal donne 
diverses formes à volonté, en le dilatant ou le 


(r) La galère ou frégate est un mollusque du 
genre des holothures qui se rencontre sur les côtes 
de l'Amérique, et plus souvent en pleine mer. On 
l'appelle aussi vélette ou vessie de mer, et moucien 
au Brésil, dit Valmont- Bomare. Lorsqu'on la ren- 
contre sur ces côtes, on doit infailliblement s'attendre 
à une tempête. C’est la thalie, thalia des mollusques 
de l'Encyclopédie, par ordre de matières. 


224 VOYAGES 

concentrant, est transparent et formé de mem 
branes minces et carülagineuses, remplies d’air 
qui le soutiennent sur l’eau, et le font flouer sur 
l'onde au gré du vent et des flots. On n’apercoit 
à cet holothure aucune ouverture ni viscére. Il 
estparfaitementsemblable, pour la conformation, 
à une vessie de carpe dont 1l diffère cependant 
en ce qu'au sommet de sa parue longitudinale 1l 
est surmonté d’une crête, ou large bandelette 
gaufrée et striée, qui remplace les nageoires dor- 
sales des poissons, et qui sert de voilure à cet 
animal singulier. Laissant apercevoir la moitié 
de son corps hors de l’eau, sur laquelle 1l vogue 
tranquillement, et aux ondulations de qui il 
s’abandonne, 1l est muni pour leste, depuis une 
des extrémités jusques vers le mieu du corps 
en dessous, de suçoirs sans nombre, longs ei fili- 
formes, qui par leur réunion composent un poids 
beaucoup plus volumineux que le reste du corps. 
Toute cette chevelure glutineuse, et riche par les 
couleurs bleue, rose, lilas et nacrée qui la 
décorent, traîne dans l’eau, et adhère puissam- 
ment aux corps solides lorsque l’animal en ren- 
contre. 

Les deux extrémutés de la galère ressemblent à 
deux seins que l'animal fait mouvoir à l'instar des 
phalènes. Ces deux tettins, si je puis leur donner 
cette expression, sont d’un bleu azur. Quelques 

muscles 


D'UN NATURALISTE, 295 
muscles carülagineux, utiles à la contracuon 
des parues de l'animal, tapissent la crête supé- 
rieure que J'ai déjà comparée à la nagcoire 
dorsale des poissons. Elle est frangée d’une 
lisière rose glacée de nacre. 

La galère porte avec elle un poison si caus- 
tique et si pénétrant, qu'à peine l’a-t-on tou- 
chée , l’on ressent une cuisson insupportable , 
jusque là que lPenflure qui en est le résultat, est 
accompagnée d’inflammation. Pour prévenir ses 
suites funestes, on écrase sur la partie offensée 
une gousse d'ail, ou, ce qui vaut mieux, on la 
recouvre de linges imbibés d’alkali volaul fluor 
étendu d’eau, qui neuiralise promptement les 
effets de ce venin. On prétend que ce poison est 
si subul et si corrupteur , qu'il décompose et 
dénature la chair des poissons qui en ont mangé, 
sans pour cela les faire mourir. 

J’apercus près du gouvernail un poisson bien 
intéressant par ses couleurs; c’est le pilote (1), 
ou poisson conducteur. Il se rencontre fré- 
quemment sous l'équateur. Il à de cinq à six 
pouces de long, sur un de largeur. Il est d’une 
couleur brunätre avec reflets dorés, ce qui hu 
donne beaucoup de rapport avec la tanche pour 
les nuances. Il est ceint dans sa longueur de sept 


ms 


(1) Gasterosteus ductor, Lainné, 


Tone E. P 


290 VOYAGES 


bandes transversales noires. On l'appelle prlote , 
parce qu'ordinairement 1l accompagne le vais- 
seau , et semble indiquer la route à tenir, On le 
voit aussi devancer le requin, avec lequel il a, 
dit-on, des rapports intéressés. 

Dimanche 23 décembre , nous filimes quatre 
nœuds avec vent arrière, Nous rencontrâmes un 
bäument allant à Saint- Thomas. Il étoit à la 
cape (1) depuis son départ de Philadelphie. 
Anglo-américain , ce pavillon sembloit promettre 
sûreté et protection à un de ses compatriotes. 
Il avoit d’amples provisions, et nous en éuons 
dénués ; c’est pourquoi, sous les auspices du beau 
sentiment d'humanité presque toujours honoré 
sur mer, nous le priâmes de venir à notre se- 
cours. Le capitame eut la barbarie de profiter 
de notre détresse pour nous faire payer une paire 
de dindes, six gourdes (2). Nous eûmes bon 
vent pendant la nuit, et filämes six nœuds. 

Lundi 24 décembre , comme nous avions 
acheté du capitaine inconnu quelques barils de 


A 


(1) Mettre à la cape, c'est ne se servir que de 
la grande voile, portant le gouvernail sous le vent 
pour laisser aller le vaisseau à la dérive, et ne poin 
Fexposer, avec un plus grand nombre de voiles, à 
ane résistance souvent capable de le faire sombrer. 

(2) La piasite gourde vaut 105 sous de notre 
monnoie. 


D'UN NATURALISTE. 227 
farine, on voulut la mettre en œuvre ; c’est 
pourquoi les dames, comme plus recherchées 
dans Ja propreté, se chargérent de la converür 
en pains; mais On nous avoit trompé, et cette 
farine contenoit irès-peu de froment, beaucoup 
de pois et du sable, ce qui nous donna un pain 
noir, gommeux et terreux. Îl falloit qu'il fût 
bien mauvais, puisqu'avec notre appeut dé- 
vorant nous Jui préférâmes le biscuit. On attri- 
_bua ce défaut à la triturauon; et pour rétabüir à 
cetie farine une réputation bien éventuelle, on 
la destina à faire des beignets. Ils furent trouvés 
détestables , et ne remplissant en aucune manière 
le but qu'on s’étoit proposé, de flatter plus 
agréablement notre palais. Enfin, Fesprit gastro- 
nome se reposant pour quelques momens , on 
désespéra de pouvoir employer avec fruit ce 
précieux comestible. 

Mardi 25 décembre , nous eûmes un coup de 
vent assez violent. Nos directeurs étoient tous 
francs-macons, et m’avoient invité à partager Ja 
dissecuüon d’un bon dinde farci , tué en l'honneur 
de la Saint-Jean. Le dirai-je sans honte ! mes 
intestins fatigués par des mets grossiers, se 
réjouissoient déja de reprendre lenrs douces 
habitudes, et, dans leurs transports immodérés, 
refusoient les rations communes. J’attendois 
avec impatience l'heure du diner ; mais je ne 

P a 


338 VOYAGES 

sais si on redouta ma censure, je ne fus appelé 
qu’au dessert pour trinquer avec des hiqueurs 
de la Marunique. Je relusai séchement, et re- 
montai de suite sur le pont, en disant que 
j'étois à jeun. Les Sibarites déja étourdis par Ja 
fumée emivrante du Champaune, ne reconnurent 
que trop tard leur grossiéreté. 

La nuit, ils se permirent des plaisanteries, en 
introduisant secrétement et sans bruit dans la 
chambre des dames, deux gros chiens et un 
cochon. Ces pauvres animaux tant rebutés, tant 
battus le long du jour, goûtant en ce moment 
uue paix inhabituelle, allèrent se placer dans 
les cabanes, auprès de nos belles dormeuses ; 
mais tout à coup un cri de l’animal fangeux 
jeue l'alarme au milieu du sexe umnde. Deux 
d’entre ces dames, moins épouvantées, enviant 
les cabanes hautes, se levèrent en tremblant, et 
reconnoissant le mauvais tour qu’on leur avoit 
joué, voulurent faire déguerpir les chiens; mais 
ceux-Cc1 sc trouvant bien et mollement couchés, 
commencèrent à montrer les dents. H fallut 
beaucoup de petites précautions, beaucoup de 
paroles douces pour obtenir d’eux , au bout 
d'une heure d’invitauons infructueuses, qu'ils 
alassent sur le pont encourir encore les caprices 
du public, qui se plaisoit méchamment à les 
battre, en riant d’un procédé qui n'a rien de 


ns Pia 
8113 ituel, 
À 


D'UN NATURALISTE. 220 
Mercredi 26 décembre, pour m'engager à 
oublier lincivihité qui n'avoit été faite, le capi- 
tame me sachant amateur d'histoire naturelle, 
me fit cadeau d’une boîte fuite par les sauvages 
de la Nouvelle-Angleterre. Le dehors est forme 
de plumes de porc-épic, colorées de manière à 
former divers dessins. L'intérieur est d’une 
écorce fine et d’un jaune orangé. 


Le génie gastronome tenta une nouvelle fois 
de trouver une propriété à cette farine détes- 
table; c’est pourquoi on la livra à un nègre 
célébre dans l’art de faire le plum-poudins. 
Ces mets chéri des Anglais n'exige point une 
préparauon dificile. 11 s’agit de réunir au centre 
d’une certaine quantité de farine des amandes 
émondées, des prunes, des figues, des raisins, 
et, pour épices, de la cannelle et du girofle. On 
enferme ce mélange dans un linge, et on le met 
cuire, pendant quelques minutes, dans le pot 
au feu , jusqu’à ce que la farine soit suffisamment 
humectée et cuite. Alors, avec du beurre, du 
sucre et du vin de Madère , on fait une sauce 
dont on arrose les tranches du plum-pouding. 


Jeudi 27 décembre, nous n’éuons qu'à 
quatre-vingts lieues de Saint-Domingue , et on 
nous promettoit d'y relâcher; mais un des di- 
recteurs qui avoit décidé le capitaine à débarquer 


LES 


230 VOYAGES 
à Charles-Town, éteignit la foible lueur de nos 
espérances. 

Nous dinämes avec de la morue sèche , et 
seulemeni bouillie dans de l’eau, sans beurre ni 
sauce, et quelques pommes de terre gâtées ou 
germées qu'on se disputoit sans rire. Un coup de 
vent rompit l’écoute du grand hunier. 

Vendredi 28 , nous eûmes un mât endom- 
magé par le coup de vent de la nuit; mais nous 
{ilâmes huit nœuds en bonne route. Nous fümes 
tourmentés pendant notre sommeil par la pi- 
qûre incommode et douloureuse de marin- 
gouins(1}), et les traces venimeuses de ravets (2), 
qui aiment à parcourir le visage ou toute autre 
parue du corps mise à découvert , en y dé- 


(1) Ces insectes sont de l'espèce du cousin, culex. 


(2) Le ravet; scarabeus minor domesticus, spadi- 
ceus. C'est une espèce de blatte; blatta americana, 
malè olentissima. Cet insecte volant, commun à bord 
des vaisseaux et en Amérique, est semblable au han- 
neton privé de ses ailes, mais son corps est plus 
aplati : le corps des mäles est caché sous des ailes, 
tandis que celui des femelles est à découvert. Ces in- 
sectes nuisibles rongent tout, et savent pénétrer dans 
les lieux les mieux fermés, en y laissant des taches 
d'une humeur infecte et caustique. Les ravets ont 
pour ennemis puissans les guêpes ichneumones et les 
araignées 


D'UN NATURALISTE. 231 


posant une liqueur caustique qui devient le 
serme d’une érosion cuisante. 

Samedi 9 décembre , nous devions nous 
venger aujourd’hui sur un de nos dindes, de nos 
privations journalières ; et comme c’étoit pour 
nous une fête, que l'espoir d’un meilleur repas, 
pour ajouter plus de solennité à la cérémonie des 
funérailles , on me fit composer une marche 
funèbre pour conduire à la cuisine , après lui 
avoir fait faire trois fois le tour du bäument, 
le gros dindon que nous avions si bien en- 
gralssé. 

Les comnussaires du banquet, au nombre 
desquels j’avois été nommé, se réserverent pro- 
visoirement le sang de l'animal pour en com- 
poser un mets languedocien que je trouvai très- 
bon. C’est le sang d’une ou plusieurs volailles, 
qu’on met frire avec un peu de beurre, de Fail, 
de l'oignon et de la sarriète hachée. On ajoute, 
pour sauce, des jaunes d'œuf battus dans du 
vinaigre (1). 

Nous étions à la veille d'éprouver un dan- 
sereux accident. Un de nos chiens languissant 
de faim et de soif sous une température aussi 
brûlante, eut les symptômes premiers d’une rage 


confirmée. On prévint les suites funestes de 


{1) Ce mets s'appelle sanguette. 
) VERS E 
P 4 


239 VOYAGES 
cette maladie affreuse, en jetant à la mer l'animal 
atteint de l’hydrophobie. 

Dimanche 30 décembre, il s’éleva vers midi 
un coup de vent si violent, que quatre hommes 
pouvoient à peine diriger la barre. Je n’ai parlé 
que de la mort du dinde; mais, pour con- 
noître les suites de sa destinée, 1l me suffira de 
dire que les associés payeurs se retirèrent en 
tapinois dans un com du batiment, et mangerent 
sans mot dire, et bannissant toute générosité , la 
fameuse pièce de résistance qui disparut en un 
instant. Nous ressentimes d'autant mieux les 
douceurs d’un semblable repas , qu’à nos côtés, 
pommes de terre et pois faisoient le fonds du 
diner des autres passagers. 

Lundi 31 décembre, nous renconträmes deux 
bâumens faisant route pour la Jamaïque. On 
mit l'Adrastus en panne, et on hissa deux pa- 
villons pour leur donner le signal du pourparier. 
Soit crainte ou méfiance, les deux vaisseaux 
conunueérent leur route en cherchant à nous 
éviter. 

Je devrois passer sous le silence un trait 
d’égoïsme qui n’a pomt d'exemple. Nos di- 
recteurs furent assezinhumains, pour me refuser 
un peu de vin que me demandoit un conva- 
Jescent pour faire une rôtüe au sucre. 

Mardi 1er. janvier, nous voguions sur les 


D'UN NATURALISTE. 233 
flots de l’incerütude , puisque notre capitaine 
plus occupé de son plaisir que de son devoir, 
ayantnéoligé de prendre hauteur avec exacutude, 
ne connoissoit plus le véritable point. 

Nous vimes l'oiseau appelé par les marins 
le corsaire. I annonce les attérages; ce qui 
doubla l'inquiétude de nos mauvais pilotes, qui 
ne se croyoient point aussi près de terre. 

Mercredi 2 janvier, la nuit fut orageuse, et 
les éclairs répetés embrâsoient l'horizon ; 
cependant la mer étoit calme, et nous n’eûmes 
que de la chaleur. Le matin, nous avions 
aperçu près de notre bord un cachalot (1) de 
quarante pieds environ. 

Jeudi 3 janvier, jamais le lever du soleil 
n’offrit un spectacle plus imposant. Les couleurs 
riches et brillantes des nuages amoncelés vers 
Fhorizon, décoroient de ses plus beaux vêtemens 
l'aurore renaissante. Dans le lointain, une cou- 
ronne de nuages où lon voyoit le beau jaune 
cuivré , le rouge d’airain marbré, et bordé de 
bleu noir jaspé , enrichissoit ce tableau ra- 
vissant. Pour disque du centre de la couronne, 
on remarquoit un ciel d’un beau bleu uniforme 


et sans tache , que les couleurs foncées envi- 


Qi) C'est le plus grand cétacé, après la baleine cu 
Groënland. 


234 VOYAGES 

ronnantes rendoient encore plus tendre. Quelques 
raies vertes et fauves jaspoient le dessous de ces 
iransparens vaporeux. Près de Pazur, au milieu 
du nuage cuivreux, étoit le croissant de la lune 
renaissamie , tandis que les premiers jets lunu- 
neux du soleil sortant de l'onde , venoient 
dorer et éclairer ce dais merveilleux. 

On reconnut à l’eau de mer devenue ueëde, 
que,nous étions dans le golfe de Bahama. Son 
courant devant nous être favorable, nous nous 
en félicitämes. 

Les fréquentes rumeurs qui eurent lieu à 
bord depuis le jour de notre embarquement, 
ayant souvent occasionné des actions de dépit, 
notre vaisselle se trouvoit si fort diminuée , 
qu'on fut obligé de nous servir la soupe dans 
un plat à barbe. 

Vendredi 4 janvier, on sonda sans succés. 
La sonde , au moyen de laquelle on détermine la 
profondeur de l’eau, est un cylindre de plomb, 
concave à sa base, qu’on enduit de suif propre 
à retenir le sable des rivages, Les bons marins 
reconnoissent, à la scule inspection des particules 
arénacées , les parages où 1ls se trouvent. Pour 
s'en servir, on jette à la mer, et on laisse filer 
cet instrument attaché à une certaine quantité 
de brasses de cordages. Comme il y avoit erreur 
de calcul, nous ne pûmes trouver le fond, 


D'UN NATURALISTE. 239 
Isurvint, vers les cinq heures de l'après-midi, 
uu coup de vent si violent qu’on mit le bätinient 
à la cape. Quelques voiles déchirées, tous les 
cordages en désordre, et roulés à la hâte sur le 
pont, offroient le spectacle le plus lugubre. Ce 
n'étoit plus limposant Adrastus, fendant avec 
fierté l'onde écumante; rien d'aussi morne que 
l'intérieur d’un gros bäument privé de ses voiles, 
et devenu le jouet de la tempête. 

La mer à minuit étoit si grosse, qu'une seule 
Jame, après avoir inondé la chambre des dames, 
entra dans la nôtre , etrenversa par sa commotion 
un des passagers qui, dans sa chute voulant se 
retenir à une colonne de nos cadres déjà ébranlés 
par le roulis, fit le peut Samson, et écroula nos 
cabanes. Une autre vague, non moins terrible, 
ayaut redoublé cet horrible fracas, nous nous 
crûmes tous perdus. J’avois déjà disparu aux 
yeux des spectateurs, qui s’empressèrent de me 
porter des secours, étant enseveli sous les débris 
des cabanes, matelas, bouteilles, et surtout 
“touflé par le poids énorme du passager qui 
couchoit au dessus de moi, et qui, se trouvant 
bien, oubhoit qu’il en écrasoit un autre. 

Samedi 5 janvier , la tempête subsistoit encore, 
et la mer étoit st houleuse que nous fûmes obligés 
de rester au lit, ne pouvant debout conserver 
l'équilibre. On sonda encore infructueusement ; 


236 VOYAGES 

ainsi nous étions sans cesse à la veille de nous 
perdre par l’inconséquence de notre capitane 
qui oubhoit, au milieu des jeux, et son devoir 
et les dangers éminens auxquels 1l nous exposoit 
pour avoir négligé le calcul des latitudes. 

La tourmente augmenta , et les vents déchaînés 
déchirant les voiles, on mit une seconde fois à 
la cape. Rien ne pouvoit arrêter les mouvemens 
violens et convulsifs du gouvernail; on futobligé 
de lamarrer. Le navire à la merci des flots et 
des vents, inondé de vagues sans cesse renais- 
santes, rouloit dans tous les sens, et sembloit 
annoncer une perte prochaine. 

Dimanche 6 janvier, la tempête conunuoit 
sans apaiser sa furie, lorsque, près de notre 
bord, nous apercümes toutà coup au milieu d’un 
brouillard épais nn bäument à trois mâts , aussi 
maltraité que le nôtre , tantôt englouu sous l’onde 
amere , tantôtrevonu par ses vagues inconstantes, 
et élevé subitement à des hauteurs prodigieuses. 
Ce vaisseau , jouet comme l’Adrastus de la tem- 
pête la plus affreuse, nous fûmes réduits à la per- 
plexité de passer ainsi la nuit sans pouvoir diriger 
le bâument, et craignant un choc qui nous eñt 
{racassé l’un ou l’autre. Cependant accablés de 
{xtigue, nous nous ivrions déja aux douceurs du 
premier sommeil lorsqu'une secousse nous fit 
tressuillir. Deux flots opposés, heurtantla carène, 


D'UN NATURALISTE. 237 
firent sauter le bâtiment si haut qu'il retomba 
sur son flanc, et resta dans cette position incom- 
mode et dangereuse, jusqu’à ce qu’une nouvelle 
lame vintlui faire reprendre sa position naturelle. 

Lundi 7 janvier, le vent se calma , et la mer 
quoiqu’encore grosse, étoit moins redoutable. 
Nous revimes le bâtiment à trois mâts, qui nous 
accosta sans danger. C’étoit un vaisseau mar- 
chand, sur son leste, venant du nord des Etats- 
Unis, et faisant même route que nous vers 
Charles-Town, où le capitaine vouloit relâcher, 
après y avoir été provoqué par l’un des négo- 
cians de notre bord. 


J’eus occasion de voir plusieurs trombes (1), 


QG) Tipho, aut sipho. La trombe aqueuse est, selon 
Valmont-Bomare , un météore extraordinaire qui 
paroît sur la mer, qui met les vaisseaux en danger, et 
qu'on remarque très-souvent dans les tems chauds et 
secs : c'est une nuée condensée , dont une partie se 
trouvant dans uu mouvement rapide et crculure, 
comme autour d'un axe, causé par deux vents qui 
soufflent directement et impétueusement Fun contre 
l'autre, tombe par son poids, et prend la figure d’une 
colonne tantôt conique , tantôt cylindrique : elle tient 
toujours en haut par sa base, qui n’imite pas mal le 
pavillon d'une trompette. Les trombes sont creuses en 
dedans et sans eau , parce que la force centrifuge 
pousse hors du centre les parties internes. Plusieurs 
puties aqueuses se détachant de la circouférence, 


235 VOYAGES 

mais fort heureusement assez éloignées denous, 
pour que nous n'ayons point à les redouter. 
Nous étions d’ailleurs dans l’impossibilité de les 
dissoudre, et de nous opposer à leurs ravages 
en ürant contre elles des coups de canons, 
puisque notre bâtiment r’étoit que parlemen- 
taire, et par conséquent point mumi de pièces 
d’arullerie. Nous vimes aussi quatre requins 
dans le sillage de notre bâument; mais, filant 
huit nœuds, la rapidité de notre course s’opposa 
à ce qu'ils mordissent au hamecon , qui est une 
espèce d’émérillon. 

À nunuit, nous füûmes réveillés en sursant 
par un coup de canon qu'un vaisseau tira près 
de nous. Le boulet passa à quelques pas du 
timonnier. El falloit voir nos spéculateurs déplorer 
déja la perte des fonds immenses qu'ils avoient à 
bord. Jadis satiriques , ils avoient en ce mo- 
ment l'oreille bien basse, et étoient consternés 


forment la pluie qui tombe tout autour du tourbillon : 
iorsque le vent inférieur est plus fort, la trombe se 
trouve emportée et est suspendue obliquement à Ja 
nuée ; alors ou entend un bruit sourd et mêlé de 
siflemens. Par-tout où ce tourbillon tombe, il cause 
de grandes inondations par la prodigieuse quantité 
d'eau qu'il répand : 1l amène même quelquefois de 
la grêle, et les dégäts qu'il produit sont aïfreux. 
(Consultez l'Histoire de l'Académie , années 1727, 
1707 RE ETAT) 


D'UN NATUÜRALISTE, 239 
dans lPembarras des richesses, par la crainte 
de trouver un corsaire dans notre agresseur.. 
On en vint à l’abordage, et nous apprîmes tous 
avec un vif intérêt que le bâtiment inconnu 
n'étoit que dénué de vivres , et qu’expédié de 
Londres, il avoit déjà près de quatre-vingt-dix 
jours de traversée. Le capitaine, nous exposant 
la triste situation de son équipage harassé par les 
tempêtes habituelles qu'il avoit essuyées , nous 
apprit qu'il étoit réduit à une ration insuffisante, 
et que, dans la crainte que nous ne ini échap- 
pions , 1l n’eut pas le tems de faire reurer le 
boulet du canon; que son intention , nullement 
hosule , n’étoit que de faire metire notre bâument 
en panne. Ce vaisseau étoit armé en guerre 
et marchandises. 

Mardi 8 janvier, nous trouvämes enfin terre 
à vingt brasses , et nous découvrimes le beau 
phare de Charles-Town (tom. r°"., planc. XIV), 
situé isolément au milieu d’une anuque forêt de 
pins, au dessus desquels il s'élève de plus des 
trois quarts de sa hauteur. Nous vimes voluger 
autour de notre bäument des canards de toute 
espèce, des cormorans (1), des chevaliers (2), 


(x) Corvus aquaticus, aut Phala crocorax ; oiseau 
aquatique, dont on distingue deux espèces qui se 
nourrissent de poissons. 

AA . : 
(>) T'otanus, oiseau aquatique du genre du Bécasseau, 


2 40 VOYAGES 

des mouettes (1), des goilands {2), et autres 
oiseaux qui fréquentent les atiérages. Nous en 
tuâmes plusieurs ; mais ayant vent arrière , 
et toutes les voiles étant dehors, nous ne pûmes 
mettre la chaloupe à la mer pour les aller 
chercher. 

Un pilote côtier vint à notre rencontre dans 
sa barque élégante pour nous faire éviter la 
barre (3), et nous conduisit vis-à-vis de Charles- 
Town, où nous mouillämes assez près de l'Em- 
barcadère, après nous être félicité d’avoir été 
assez heureux pour échapper aux dangereux 
rescifs de la baie. Le port de cette ville peut 
recevoir en sa rade jusqu'à trois cents voiles, 
et les plus gros navires y entrent en tout tems 
avec leur chargement. 


nn 


(1) Gavia, nom donné à des oiseaux de mer, à 
pieds palmés, du genre des goilands, mais moins 
grands. 

(2) Larus ; c'est loca-marina crocalo des Italiens. 
Oiseaux de mer ictyophages. Ils sont sur les rivages 
ce que les vautours sont pour l'intérieur des terres, 
destinés à purger la terre des débris d'animaux morts, 
qu'ils se disputent entr'eux, avec des cris aigus. 

(5) Banc de sable qui barre un port, et souvent 
devient un dangereux écueil. Celle de Charles- Town 
est renommée par des naufrages fréquens qu'on y 
essuie, 


. : 
Mercreci 


D'UN NATURALISTE. 2/4X 
Mercredi 9 janvier , après le visite de 
VAdrastus, je descendis à Charles- Town , ville 
capitale de la Caroline méridionale , avec le 
capitaine , afin de nrassurer d’un logement. 
Quel fat mon étonnement dans un paysinconnu, 
d'y trouver de nouvelles mœurs, de nouvelles 
coutumes et tous visages étrangers , d’y ren- 
contrer autant de nègres que de blanes ! J'avoue 
que la vue de ces Africains dans l’état d’escla- 
vage, me fit d’abord impression. Il règne dans 
l’intérieur de la ville le silence le mieux observé ; 
et les Anglo-Américains sérieux par caractère, 
et non turbulens comme les Français, marchent 
dans les rues sablées, la tête baissée, et exclu- 
sivement préoccupés de leur commerce. Lorsque 
deux d’entr’eux se rencontrent, un salut de la 
main faitavec réserve, mais avec sincérité, équi- 
vaut en ce cas à notre accueil affable , mais 
trop souvent politique (1). 
La température de Charles-Town (2) modérée 


(1) Quand, dans une société, une personne en 
saluant refuse la main à une autre, elle lui déclare par 
là son inimitié. 

(2) Cette ville se trouve au confluent de deux 
rivières navigables , la Cooper et l'Ashley, et sert 
d'entrepôt à toutes les productions de la colonie qui 
doivent être exportées. 


Tome I. | Q 


542 VOYAGES 


toute l’année, offre cependant plusieurs varia- 
tions dans la journée; ce qui la rend très- 
mal-saine. Il faudroit volontiers changer trois 
fois le jour de costume plus ou moins chaud, 
inconvénient qui donne naissance à une infinité 
de maladies produites par une transpiration 
interceptée. Nous n’éuons qu’au commencement 
de janvier, et cependant beaucoup d’arbres 
étoient couverts de verdure et de fleurs. Les 
chaleurs de lété y sont insupportables , et infi- 
niment plus accablantes qu’à Saint-Domingue, où 
une brise réglée vient trois fois le jour rafraîchir 
Patmosphère, et dissiper les miasmes combinés 
par une évaporation torride, et des exhalaisons 
souvent morbifiques. 

Peu familier avec le langage du pays, et bien 
néophyte encore dans la traduction de l’anglais, 
je souffrois d'entendre parler à mes oreilles, 
sans pouvoir comprendre même les cris des 
marchands , dont les intonations sont variées 
à linfim. 

Les rucs de Charles- Town sont correctes, 
mais souvent remplies d’immondices. On y 
marche avec difliculté sur un sable épais. Les 
maisons pour la plupart couvertes en bois ou 
essentes, qui réverberent moins la chaleur que 
Ja tuile, sont construites en planches. Celles 
des habitans riches ont des facades du goût le 


D'UN NATURALISTE. 243 


plus moderne , à colonnes et galerie tournante, 
et d’un style régulier. Mais ces palais modestes 
élevés sans maconnerie, sont, ainsi que la chau- 
mière du pauvre, exposés à être détruits en un 
instant par l’imcendie. 

Nous traversämes le bel emplacement de la 
boucherie , où la viande me parut fort belle, et 
surtout bien netiement divisée. Les bouchers 
propres à l'excès, poussent la précaution jusqu’à 
scier les os, afin que le morceau qu'on leur 
achète soit coupé régulièrement. Ils tuent tous 
les jours , et ne font jamais reparoître la viande 
tuée de la veille, ayant la commodité de la 
saler , et de la mettre en barils pour l'usage des 
Vaisseaux. 

On voit sur chaque cheminée un ou plusieurs 
ménages de turkey-buzzard (1) , espèce de vau- 


(1) Dinde-buse, ou Urubu; c'est le vautour du 
Brésil, de M. Brisson, et des planches enluminées 
187; Buse à figure de paon, dans Catesby ; Hernandez 
et Nieremberg lui donnentle nom d'Aura , et François 
Ximénès, celui de Tzopiloth ou Tropillot; c'est le 
cosquauth de la Nouvelle-Espagne. Margrave dit que 
les Brasiliens le nomme Urubu. Cet oiseau , dit 
M. Mauduit, se trouve dans différentes régions de 
l'Amérique. Les sauvages de la Guiane l'appellent 
Ouroua ; les créoles et les voyageurs l'ont appelé Mar- 
chand : on le trouve aussi en Afrique. Kolbe lenomme 


Aigle du Cap. 
| Q 2 


244 VOYAGES 

tours appelés vulgairement cinq paounds (6), 
valeur de l’amende infligée à l’audacieux qui 
cn tucroit un. Ces oiseaux sont ainsi respectés 
par les services réels qu’ils rendent en enlevant, 
dans la ville et aux environs , tous les animaux 
morts et débris corrupübles , dont 1ls font leur 
unique nourriture, Voit-on une poule expi- 
rante; elle ne reste pas long-tems sur la place 
sans être dépecée. Ces oiseaux, durant le jour 
occupés sans cesse à faire leur tournée, fondent 
par légions, et se disputent la proie qui dis- 
paroît en un instant. Les turkey-buzzards sont 
si familiers , qu’on pourroit en tuer volontiers à 
coups de bâton. J’avois un grand désir de me 
procurer un de ces animaux ; mais je n’étois 
point du tout disposé à payer cinq louis environ 
d'amende, ce qui m'’engagea d'attendre une 
occasion favorable. 

Les dames anglo-américaines , jalouses d’imiter 
les Françaises dans leurs costumes, sont à la 
piste des bâtimens arrivant de France, pour en 
réclamer les modes du jour; et c’est une spécu- 
Jauion sûre que peut faire un capitaine, s’il a des 
fonds à convertir en pacoulle. J’examinois Ia 
tournure d'une de ces dames lorsqu’en de- 
tournant une rue, je vis à mes pieds deux négresses 


(2) Environ 120 francs. 


D'UN NATURALISTE. 245 


accroupies, occupées à fumer avec de longs ca- 
Jumets ; c’est le cas de dire que ce ne fut pas 
pour moi une agréable surprise. 

La chaleur étant excessive , et harassés des 
courses faites en vain pour trouver une pension 
convenable, nous fûmes assez heureux pour 
rencontrer un Francais obligeant qui, nous ayant 
reconnus pour des compatriotes nouvellement 
débarqués , s’ofrit d’être notre interprète, et 
nous procura un asile bien famé , et qui nous 
parut tenu par de bien honnêtes gens ; c’étoitune 
pension américaine. L’hôtesse, Mme, Ramadge, 
offroit pour contraste une taille colossale ; avec 
des manières mignones et enfantines. Cette 
dame ne savoit quelle contenance garder , n1 
comment s'expliquer ; enfin notre interprète, 
qui parloit anglais, nous développa ses in- 
tentions. 

À peine fümes-nous installés, qu'un jeune 
nègre vint nous Offrir des fruits de l'Amérique. 
Pour mieux disposer les acheteurs, 1l les char- 
moit par les accens mélodieux de sa voix céleste. 
Quoique bien envieux de goûter à ces pro- 
ductions nouvelles pour moi, je pris encore 
plus de plaisir à exercer son talent, et à lui faire 
répéter un rondeau anglais, original par sa 
composition. Après lui avoir acheté des ba- 
nanes, figues bananes, patates, ananas, elc., 


Q 3 


246 VOYAGES 
je le congédiai en le récompensant de mamière 
à l’encourager. 

Je ne pus juger de la bonté de ces fruits 
imparfaits , et je me réserve d’en parler lors de 
mon séjour à Saint-Domingue. Je sorus pour 
connoître l’intérieur de la ville , et je vis que les 
femmes de qualité font le maun leurs courses 
à pied. Elles ont une démarche lente et grave , 
et sont suivies d’une ou plusieurs jeunes 
négresses. 

Les voitures sont tres-légères et aérées ; elles 
sont trainées par des chevaux , que des nègres 
conduisent. On voit peu de cabriolets , mais des 
charabans d’une délicatesse extrême. Les rues 
sont garnies de trottoirs, et d'arbres dont les 
fleurs ont quelque rapport avec celles du Hilas de 
France. Cet arbre est l’azédarach (1), dont les 
branches lisses et droites forment une très-belle 
têle. 

Les levées du bord de la mer sont constrinies 
en ostracites (2), et la consommation d’huîtres 
en ce pays est si grande, qu’on se sert le plus 
communément pour bäur, de chaux d’huitres. 


(r) Melia azedarach, foliis bipinnatis, Tinné. Voyez 


mon Traité des plantes usuelles des Antilles, plantes 
assoupissantes. 


(2) Ecailles d'huitres devenues fossiles. 


.* 


s" ‘“t. . 


ss 


+ 


4 


D'UN NATURALISTE. 247 


En rejoignant notre pension, je rencontra le 
convoi d’un nègre. Les plenreurs deux à deux 
marchoient devant et derrière le corps, qui étoit 
porté sur un chariot rouge traîné par un seul 
cheval. ( Tom. rer. , pl. XV.) 

En visitant les temples consacrés au service 
de l'Éternel ,J'appris que la seule église catholique 
avoit été incendice, et qu'on l’avoit remplacée 
momentanément par une grange non moins vé- 
nérable que les voûtes dorées des temples consa- 
crés aux différens cultes. La secte protestante est 
la plus universellement répandue; cependant la 
religion catholique, celles des quakers (1) et des 
méthodistes y sont également tolérées. 


(1) Quaker veut dire trembleur. Leur secte paci- 
fique prit son origine à l'époque où les Anglais 
révoltés se couvrirent du crime honteux de régicides. 
Georges Foxe fut leur fondateur. Il avoit vendu ses 
biens pour mieux se détacher des jouissances terrestres. 
Les bois devenoient son asile, et les fruits sauvages, 
sa nourriture. Il eut bientôt des sectateurs, et fut 
forcé de se rapprocher des villes, où cette société 
adopta un costume simple et dénué de tout orne- 
ment. Cest pourquoi les galons leur sont interdits, 
ainsi que les dentelles ; les manchettes, broderies et 
bijoux , comme objets superflus; leurs habits n'ont 
aucun pli. ‘l'outes déférences extérieures leur sont 
à charge; c'est pourquoi enlr'eux ils se regardent 
égaux. Ils ne reconnoissent pas les titres fastueux, 


Q 4 


2/18 VOYAGES 


Les quakers sont simples dans tous leurs 
goûts, humains et bienfaisans ; ils prêchent en 
public, dans les places et marchés, contre lescla- 
vage des nègres. ls sont vêtus de noir, et ont la 


produits, disent-ils, par l'orgueil de ceux qui les 
ambitionnent , et par bassesse dans ceux qui les dé- 
Tèrent. Ils regardent chez les femmes, la révérence 
comme une coutrainte aviissante ; et dans les hommes, 
l'action d’ôter son chapeau comme une bassesse qui 
met l'individu au dessous d'un autre. « C'est, dit 
Raynal, dans son Histoire phylosophique des Deux- 
Indes , manquer à soi pour honorer les autres. 
Porter les armes, continue le même auteur, leur 
paroissoit un crime. S1 C'étoit pour attaquer, on pé- 
choit contre l'humanité; si C'éloit pour se défendre, 
on péchoit contre le Christianisme. Leur évangile 
étoit la paix universelle. Ils ne juroient jamais devant 
les tribunaux. Ils n'ont point de clergé, et tournent 
eu ridicule nos cérémonies religieuses, prétendant 
qu'ils recoivent immédiatement l'Esprit Saint; Cest 
pourquot, lorsqu'ils sont assemblés , le premier qui se 
croit inspiré se lève, et preud la parole. Souvent 
le silence Le plus profond règne en leur assemblée. 
Cet enthousiasme , irritant le genre nerveux, leur 
donne des convulsions ; de là, le nom de quaker, 
qui veut dire trembleur. Cromwel, qui Îes persécuta 
parce qu'ils cherchoient à dégoûter les soldats du 
métier de la guerre en s'insinuant dans les camps, 
avoua que leur religion étoit peut-être la seule dont 
on ne put détrure les principes avec des guinées. 


D'UN NATURALISTE. 249 


tête couverte de clabauds, ou grands chapeaux à 
bords pendans. Les quakers sont ennemis de la 
guerre, et ne veulent jamais contribuer pour 
favoriser et entretenir ce fléau désastreux. Îls sont 
si scrupuleux pour la décence, qu'ils ne veulent 
jamais recevoir de lavemens, dans les maladies 
mêmes où 1ls sont indispensables. 

Le quaker officiant de leur secte se lève pour 
parler, lorsqu'il se croit inspiré de l'Esprit Saint. 
.Hn’y a point, dans l'intérieur de leurs temples, 
d’autel propre au sacrifice ; leur culte ne consiste 
qu'à épurer leur morale austère, ainsi que me 
l'a assuré un Anglo-Américain qui, par super- 
cherie, s’est introduit plusieurs fois parmi eux. 
L’orateur, pour imviter au silence, pousse des 
hurlemens affreux, et à l'instant tout l’audiioire 
se tait. Les quakers ont dans leur temple la tête 
couverte, et croyent à une parfaite égalité entre 
eux. 

Cette secte, ennemie des liuges, n'a point 
d’avocais, et lorsqu'il s'élève un différend entre 
deux quakers, les parties s'expliquent en pleine 
assemblée, et leur rapprochement a toujours 
licu. Lorsqu'un d'eux fait mal ses affaires, les 
autres lui fournissent jusqu’à sept fois les moyens 
de rétablir, et sa fortune et sa réputation; mais, 
en cas d’une huitième faute, ils l’'abandonnent à 
sa mauvaise Conduite. 


290 VOYAGES 


Les principes moraux des quakers sont si 
rigides qu’ils ont, pour les femmes qui ne leur 
apparüennent pas, la plus exacte continence. 
C’est pourquoi, lorsqu'ils donnent l’hospitalité à 
quelqu’étranger , l'homme , la femme, les filles 
et l’étranger couchent dans le même hit. Il n’en 
est pas de même des Anglo-Américains , dont les 
mœurs sont maintenant, dans les poris de mer, 
aussi dépravées qu'en France, depuis que le 
commerce leur à établi des relauons avec l'Eu- 
rope ; car, si dans les sociétés des villes une femme 
rougit lorsqu'elle entend prononcer le nom de 
pied, de jambe, et même de cuisse de poulet, 
souvent à présent les jeunes demoiselles , su- 
bornées par les marins français, s’abandonnent 
au premier amant qui sait leur plaire. Pourtant 
elles traitent leurs intrigues avec beaucoup de 
discréuon, et regardent leur faute excusée, lors- 
qu’elle est enveloppée des ombres du mystère. 

Lorsqu'un Anglo-Américain meurt, et que 
sans être marié 1] a vécu avec une concubine, 
les biens du défunt lui sent transmis. 

Mort pour mort, telle est la loi qui condamne 
seule à cette pumiuon les assassins, tandis que 
les autres crimes non moins contraires à la 
société, tels que Les viols, les rapis, et autres vices 
capitaux , y sont atteints que par de légères 
peines, 


D'UN NATURALISTE. 251 


Les prisonniers sont généreusement traités 
à la Nouvelle- Angleterre, et respectés dans leur 
malheur. Indépendamment d’une nourriture 
saine et raisonnable, on ne leur reuent point les 
produits de leur industrie | qu’on fait vendre à 
leur profit. | 

Il ne fait jamais aussi froid à Charles-Town 
qu'a Philadelphie | qui se trouve au nord de 
l'Amérique septentrionale , et où , sur la rivière 
glacée de la Delaware (1), on fit rôur un bœuf 
pesant douze cents, sans creuser et dissoudre 
le cristal. C’est en cette saison qu’on y fait des 
parties de traîneaux, et que les patuneurs y 
déployent leur adresse et leur légéreté. On 
rencontre au milieu de ces joûtes, sur la glace 
même , de petites guingueites établies pour 
répondre aux besoins des acteurs et spectateurs 
de ces jeux divertuissans. 

Les gens riches de Charles-Tovwn brülent d’un 
bois sans nœuds, appelé l’aigret ; c’est le noyer 
sauvage. 

On nous servit à souper chez Mme. Ramadge, 
sur une longue table d’acajou bien cirée, du cerf, 
si commun dans le pays qu’on en fait boucherie, 


(1) Philadelphie, appelée srlle des Frères, est 
située à cent vingt milles de la mer, au confluent de 
la Delaware et du Schuylkill 


559 VOYAGES 


du calalou (1), des ignames (2) et des patates (3). 
Nous eûmes pour boisson d'assez mauvais cidre, 
mais en revanche d’excellent porther où grosse 
bière d'Angleterre, du brandy ou eau de vie, 
qu’on mélange avec trois parties d’eau enfiron. 
Je rencontrai M. RY**, mon parent, qui me 
présenta à son épouse et à ses enfans, en me 
témoignant tout son regret d’avoir été, par suite 
des révolutions de Saint-Domingue, circonscrit 
dans un local qui ne lui permettoit pas de 
m'offrir un asile, amsi qu'à sa sœur ma belle 
mére ; mais, en qualité de parent et d’amateur 
de peinture et de musique, 1l me fit promettre 
de passer chez lui une parue de mon tems , qu’on 
ne pouvoit que bien employer au milieu d’une 
famille aimable, qui a tant de talens en partage. 
On se seri au conunent de la monnoie d’Es- 
pagne. Tous les samedis on lave l’intérieur des 
maisons , et l’on frotte avec soin les parquets et 
les escaliers garnis , dans les maisons riches, de 
tapis précieux, et chez les simples parüculiers, 
de sablon très-fin qu’on répand avec symétrie , 


(1) Mets américain composé de divers herbages, 
de volailles et de crustacés. Voyez sa plus grande 
description, article de Saint - Domingue. 

(2et5) Voyez la description de ces productions 
dans le Traité des plantes usuelles des Antilles. 


D'UN NATURALISTE., 553 
et en traçant différens dessins. Au reste ,: 
est du plus mauvais ton de cracher sur un de 
ces parquets , et il n’y a guères qu'un Francais 
qui puisse se permettre une telle incivihité. 

Mes nouveaux parens partageant mon goût 
pour la chasse, et désirant coopérer à ma col- 
lecuon des animaux étrangers à l’Europe, me 
proposèrent une parte dans les environs de Ix 
ville. Je rapportai de cette excursion ornitho- 
logique de très-jolis oiseaux. Ces bois sableux 
et sombres , où s’élevent avec majesté d'antiques 
et odorans sapins , ces réseaux de barbe es- 
pagnole (1), au travers desquels se jouent les 
écureuuils de plusieurs espèces, et qui se balancent 
d’une futaie à l’autre , au secours de ces franges 
pendantes, semblables à la barbe d’un vieux 
anachorète; le chant des oiseaux , nouveau pour 
moi, tout me jeta dans une telle surprise, que 
je restai long-tems immobile et pénétré d’un 
saint respect, en admirant la source inépuisable 


(1) La barbe espagnole, ou caragate musciforme ; 
viscum caryophylloïdes, tenuissimum è ramis arborum 
musci in modum dependens, foliis pruinæ instar 
candicantibus, flore ‘trepetalo, semine filamentoso, 
Sloan. Jam, est une espèce de gui; voyez sa des- 
cription à la fin de l'ouvrage, au ‘Fraité des plantes 
usuelles. 


254 VOYAGES 


des variétés de la nature, et en bénissant les 
œuvres de mon Dieu. 

En parcourant les bois , j'examinai beaucoup 
de ces oiseaux, et je tuai sur les haies plusieurs 
sparas (1), espèce de moimeaux semblables au 
friquet de France ; des rossignols (2), dont 
la voix est très-agréable ; des cardinaux (3), qui 
se privent très-bien en cage, et qui sont re- 
cherchés pour leur robe éclatante. Le mâle d’un 
rouge de feu, a seulement les pennes des ailes 
d'un noir de jayet, ainsi que les ptumes de la 
base du bec. La femelle moins riche en couleurs, 
est nuée de ce même vermillon, et d’ohvätre 
cendré. Je tuai les deux d’un seul coup de fusil , 
et fus enchanté d’une aussi belle capture. 

Je rapportai également deux troupiales (4), 
ainsi nommés parce qu'ils vivent en société. 


(1) Linotte brune d'Edwards; et petit moineau de 
Virginie, ainsi nommé par Catesby. 

(2) Le rossignol de l'Amérique, d'Edwards ; c'est 
le figuier brun, ou grand figuier de la Jamaique, de 
M. Brisson. 

(5) Le cardinal huppé de l'Amérique septentrionale, 
est le gros-bec de Virginie, de Brisson; Coccothraustes 
indica cristata, pl. enl. 57. ‘The Brasilian F'anager. 
des habitans de la Nouvelle-Angleterre. 

(4) Cet oiseau est le Commandeur : Icterus Plero- 
Phæniceus. 11 appartient à l'Amérique septentrionale ; 


D'UN NATURALISTE. 255 


Quoiqu’on en rencontre des bandes nombreuses 
dans les marais, ces oiseaux sont diMiciles à 
approcher. Le troupiale de la Caroline , ou 
commandeur, est de la taille d’un merle; son 
plumage est d’un noir lustré ; ses ailes sont 
recouvertes, vis-à-vis le trochanter de lhumerus, 
d’une épaulette d’un rouge cramoisi vif et doré ; 
ses pieds et son bec sont noirs, ainsi que ses 
yeux, dont l'iris est d’un blanc mat. Les cou- 
leurs de la femelle sont plus roussâtres et 
beaucoup moins vives. Ces oiseaux pondent 
dans les marais, où ils établissent leur nid qui 
a la forme d’un tube, avec une seule ouverture 
sur le côté. Il flotte au gré du vent, et est entre- 
lacé avec la sommité des joncs qui lui servent de 
toit. Ces oiseaux sont fort recherchés, et leurs 
épaulettes vendues jusqu’à vingt francs le millier 
aux pelleuers, qui en font des palaunes et des 
garnitures de spencers ou de robes. Outre qu’on 
reure ce produit de ces oiseaux , leur tête est 
également mise à prix, par rapport aux ravages 
qu'ils exercent dans les terres où l’on a semé 
du riz. Ils ne sont pas seulement granivores, et 


c'est l'Etourneau à ailes rouges, de Catesby ; l'Etour- 
neau rouge-ale, d'Albin ; et le Troupiale à ailes 
rouges, de M. Brisson (pl. enl. 402). ‘he Red- 
Winged Starlhing. Cates., car, 1, p.13, & 13. 


256 VOYAGES 


ils se nourrissent, hors des récoltes, de fruits 
ou d'insectes. 

Les troupiales vivent entr'eux avec beaucoup 
d'accord , et ne se nuisent point dans les détails 
de leur peut ménage. Leurs mœurs sociales leur 
font chercher en paix la nourriture de leurs 
peuts, et souvent dans le même champ on en 
voit une quantité considérable occupés à cetie 
recherche, sans annoncer la moindre mésin- 
telligence. 

Les troupiales ont en cage les genullesses de 
l’étourneau d'Europe, et sont aussi attenufs que 
lui à recevoir l’instrucuon qu’on veut bien leur 
donner. M. RYY*, mon parent, qui en possédoit 
un très-fanulier , lui donnoit la liberté, et 
m’engagcant à préluder sur mon violon ou sur 
le piano , le mélomane aïlé venoit à l’instant se 
poser sur ma tête, et ne me quittoit que lors- 
qu'il cessoit d'entendre cette mélodie. Il étoit 
tellement familier, que quelques jours après 
avoir lié ensemble connoissance , m’apercevant 
occupé à dessiner un de ses pareils, 1l sortit de 
sa cage, volügea autour de moi, puis sur le trou- 
piale qui me servoit de modèle, Comme ce dernier 
étoit en position, et qu'il avoit toute l’apparence 
d’un être vivant , l’oiseau familier alla le bec- 
queter, comme pour le tirer de son assoupis- 
sement; puis le trouvant insensible à ses dé- 

monstrations ; 


D'UN NATURALISTE. 257 


monstrations, 11 lui réitéra mille agaceries, lui 
fit mille genullesses , après lesquelles il renonca 
au projet de jouer avec lui, et vint se poser sur 
un verre d’eau qui me servoit à laver ; il dérangea 
mes pinceaux , @t Sans Ma permission Com 
mencoit à se baigner, lorsque je fus obligé de 
lui soustraire mon dessm qu'il avoit déjà tout 
arrosé. Enfin , je crois pouvoir le dire sans 
exagérauon, le troupiale est l’oiseau qui , privé 
de sa hberté, conserve le nieux, néanmoins 
malgré son esclavage, toute l'amabilité de son 
caractère. 

Nous eûmes, pour derniére pièce de notre 
course d’ornithologie, la grivetie d'Amérique ; 
c’est le mauvis de la Caroline, de Brisson ; la 
peute grive de Cateshy ; elle est de la grosseur 
d’une alouette ; le plumage du dos est roussâtre ; 
celui du ventre est blanc tacheté de marques 
iriangulaires brunâtres; le bec, les pieds et Les 
ongles sont noirâtres. 

De retour chez M. R*Y#%, 11 me présenta à 
son gendre, M. de MY***, consul espagnol, 
chez lequel on enfreignit en ma faveur la loi 
rigide qui défend en ce pays, sous des peines 
trés-sévéres, de faire dela musique le dimanche: 
Je me félicitai d'autant plus de cette transgres- 
sion , que je retrouvai dans les concertans, 
enfans de M. RY**, cette grace et ce goût 


Tone I, ro 


208 VOYAGES 

qu’on ne rencontre que parmi les vrais talens: 
On exécuta à la première vue un trio-concertant 
pour harpe, forte-piano, et cor, de ma com- 
posiuon, avec une vérité et une précision qu 
m'enchantérent. 

En sortant de chez M. RY**, j’apercus un 
rassemblement, au milieu duquel je vis un 
orateur qui débattoit vivement les intérêts de 
plusieurs nègres exposés sur un théâtre pour 
être vendus. C’étoit un quaker philantrope, et 
fdele observateur de sa loi. « Peut-on, disoit-il 
» au peuple étonné, assimiler des hommes à des 
» animaux? Que fait-on de plus, lorsque dans 
» un marché 1l s’agit d'acheter un cheval, un 
» bœuf ou un mouton? L'animal est, ainsi que 
» les nègres , à la discrétion des acheteurs , qui 
» l’examinent nu, et le tournent dans tous les 
» sens. Vals usuriers ! ne sont-ils pas hommes 
» comme vous »! Je ne pus entendre plus 
long-tems sa harangue, etje le quittai au moment 
où 11 sembloit plamdre le sort d’une négresse 
qui, pour une faute qu’elle avoit commise, mar- 
choit dans les rues, avec un joug ou collier 
pesant, armé de trois branches de fer de la 
fongueur de Pavant-bras. 

Comme je cherchois à me distraire de Pennu: 
de ne point trouver de passage pour Saimt- 
Domingue, je réclanrai la solitude des bois si 


D'UN NATURALISTE. 259 
bienfaisante aux mélancoliques ; et pour éviter 
des visites trop multuiphiées , je n’achemunai seul 
avec mon fusil vers la course (1) distante de 
quatre milles de Charles-Fown.Jetuai,enentrant 
sous les premiers sapins, le beau geai bleu du 
Canada (2). Ce ge de l'Amérique septen- 
trionale est beaucoup plus peut que le nôtre, 
dont il a néanmoins tous les caractères exté- 
rieurs. Il est plus svelte , plus élégant dans ses 
formes que le dernier, et son plumage très- 
régulier est éclatant. Sa tête est ornée d’une 
buppe d’un beau bleu; le plumage supérieur 
est de cette même couleur, l’inférieur est 
bleuâtre, tandis que le ventre et le dessous de 
Ja queue sont d’un blanc éblouissant. Les ailes 
et le dessus de la queue sont bigarrés de barres 
transversales , où zigzags nués de noir, bleu 
et blanc. 
Le geai bleu du Canada paroît avoir les mêmes 
habitudes que notre geai d'Europe. fl est, ainsi 


(r) Ce cirque, où se rassemblent annuellement des 
curieux de toules les villes du Continent, est peuplé, 
à un certain jour de l'année, d’un nombre immense 
de spectateurs. Il s'agit d’y disputer le prix de la course 
aux chevaux. Les coursiers et les jokeis y sont pesés 
avant d'entrer en lice, et de grands paris sont ouverts. 

(2) Gracculus cœreleus Canadensis, Brisson, pl 
enl, 550. The Blue Jay. Edw., pl. 259. 

| R 2 


2060 VOYAGES 

que ce dernier, inquiet, toujours en mouvemént, 
décélant sans cesse sa retraite par un cri aigu 
qu’il pousse à l’approche de tout être animé, et 
qui devient le signal du rassemblement de tous 
ceux de son espèce qui se trouvent autour de lui. 
Il s'élève facilement en domesticité, et s’y rend, 
ainsi que le nôtre, très-fanuher. 

Je me procurai également la belle pigrièche 
bleue, qu'on appelle dans le pays nonpareille (1), 
à cause de la beauté de sa robe. Son bec, ses 
pieds et ses ongles sont d’un noir de velours, 
tout le plumage supérieur du bleu d'azur du 
martn- pêcheur d'Europe, et celui du ventre 
d’un rouge safrané très-vil. 

Cet oiseau est silencieux ; on le rencontre iou- 
jours seul, perché sur des pieux , ou à Pextrémité 
de bois sec de moyenne hauteur. Cest de là 
qu'il épie les moucherons dont il fait sa nourri- 
ture , et qu'il saisit adroïiement en faisant claquer 
son bec. Les lieux fréquentés fui sont importuns ; 
c'est pourquoi, fuyant toute espèce de société, 1l 
disparoît à l'approche de l'homme, et va loin de 
lui, dans l'épaisseur des bois, mettre en sûreté 
son existence. | 

Je tuai aussi plusieurs epeiches , et le pic 


() The blue Red Breast, Edwards. 1. PI. 24. C'est 
une espèce de colinga. 


D'UN NATURALISTE. 26t 


noir à huppe rouge (1). Ces oiseaux , à la faveur 
de muscles thyro-hyoïdiens | peuvent derder 
leur langue et l’alonger beaucoup hors du bec, 
et le faire mouvoir dans tous les sens, propriété 
commune aux pics, colibris, oiseaux-mouches, 
et autres destinés à pomper le suc des fleurs , où 
à rassembler sur leur langue enduite d'une hu- 
meur visqueuse, les fourmis et autres insectes 
dontces entomophages senourrissent. Ces oiseaux 
anns de lombre et du silence, n'aiment n1 les 
plaines, m les jeunes bois ; c’est au sein des plus 
hautes futaies qu’ils mènent leur vie solitaire, et 
qu'ils y creusent les troncs à coups de bec redou- 
blés, pour y saisir les larves que leur perscussion 
met en mouvement, et y déposer ensuite leurs 
œufs, dès qu'ils y ont creusé un trou circulaire. 
Les pics ont le vol court, rapide etirrégulier, et 
plus souvent sur les arbres que dans Fair; ils 


rampentautour deleurtroncetde leurs branches, 


Gi) C'est le grand pic-vert à tête rouge, de Catesby ; 
le pic-noir de Virginie, de M. Brisson; le pic noï- 
huppé de la Louisiane , des pl. enl. 718. Cet oiseau 
est plus gros que notre pic-noir. Ses pieds sont 
noirs, son bec d’une couleur orisître, l'iris d'ua jaune 
d'or; la huppe qui orue sa tête, d'un rouge vif; les 
joues et le cou d'un jaune pâle à reflets durés; le milieu 
du dos marqué d’une tache blanche. 


R 3 


26 VOYAGES 


à l’aide de leur queue, qui leur sert de point 
d'appui. 

Un buisson épais m'avoit empêché de ürer 
une perdrix du pays, mais Payant vu remiser , 
elle tomba bientôt en mon pouvoir. Cette espèce 
de perdrix (1) est beaucoup plus petite que la 
perdrix grise d'Europe; ses pieds sont d’un brun 
inarron; son bec et ses ongles noirs; les plumes 
du dos rounssäires piquetées de taches noires; le 
derrière du cou marqué de taches blanches, les 
joues et la gorge de cette même couleur : le 
plumage du ventre est de couleur jaune, et rayé 
transversalement de noir. 

Ces perdrix sont si peu farouches qu'on ne 
peut les faire lever sans chien. Elles s’abattent 
presqu’aussiôt qu'elles ont commencé à voler, 
et se tapissent dans quelque sillon, sous quelque 
tou d'herbe, ou dans lépaisseur d’un buisson. 

Je voulus acheter un oppossum d’un chasseur 
qu venoit de le tuer, mais 1l refusa de me le 
vendre parce qu'il avoit le projet de le manger. 


Ce quadrupède (1), déja bien connu, a la queue 


(1) Perdix novæ Angliæ. 

(2) C'est le Cerigon.de Maffée ; l'Oppossum de 
Catesby ; le Tlaquatzin de Hernandez ; le Senu-Vulpes 
de Gesner et d'Aldrovande; le Didelphe, Didelphis 
mammis tntra abdomen , de Linné; le Philander de 


D'UN NATURALISTE. 203 
trés-longue, traïnante et dénuée de poils qui 
sont remplacés par des écailles blanches de forme 
hexagone et placées régulièrement. Gette femelle 
du sarigue à longs poils, que je décris, avoit 
deux pieds de longueur environ : ce qui la dis- 
üunguoit plus particulièrement des autres qua- 
drupèdes, c’est une poche velne à lextérieur 
qui recouvre ses mamelles , et dans laquelle elle 
préserve ses petits de frayeur et de danger; car 
peureux par caractère, lorsque le momdre bruit 
les épouvante, ils se réfugient dans leur asile et 
la mère fuit, en emportant ce qu'elle a de plus 
cher. 

La dilatauon de cette poche s'opère par deux 
os propres placés au devant des os pubis, auxquels 
ils adhèrent par la-base. L'intérieur est tapissé de 
glandes ou caroncules , desquelles transsude un 
fluide jaunâtre d’abord infect, puis acquiérant 
l'odeur du musc par la dessication. 

Ces animaux produisent chaque année au 
mois d'avril, ou au plus tard en mai, de six à neuf 
peuis très-foibles, et qui, selon Mme, Bufon, 
achèvent leur accroissement dans la poche où ils 


se tiennent aliachés aux mamelles, dès linstant 


M. Brisson ; Le Rat des bois du Brésil ; le Manicou des 
nègres de nos iles et de Feuillée; le anitou du père 
du Tertre; le Cachorro domato des Portugais. 


R 4 


264 VOYAGES 

de leur naissance prématurée , leur premier 
séjour n'ayant servi qu'à la concepuon et au 
développement du fœtus. 


L'oppossum est si peureux qu'il se laisse tuer 
à coups de bâton, lorsqu'il est surpris à terre. Il 
marche très-lentement, mais il grimpe sur les 
arbres avec assez d’agilité, et c’est là qu'il guette 
les ciseaux dont il esttrès-friand. {lestomnivore, 
car 1l se nourrit de sang, de vers , de repüles, de 
patates, et au besoin, de feuiiles sèches, de ra- 
cines ou d’écorces. 


Son corps paroit toujours sale, parce que son 
poil est toujours en désordre; sa chair est blanche 
et bonne à manger. Les sauvages du Continent 
recherchent à cet effet Poppossum, auquel ils font 


une chasse continuelle. 


Püien n'est si intéressant, me dit le chasseur 
que j'avois rencontré, que de voir la conduite de 
fa mère pour ses peuts qu'elle idolâtre. Sans 
cesse celle suit leurs pas, dés qu'ils sont en état 
de sorur de leur retraite ; elle les Ièche, les expose 
à la pluie et puis au soleil, pour lisser et faire 
sécher leur robe; saute devant eux en signe de 
gaieté, et comme pour les engager à limiter. 
Enfin vient le tems où ces peuts sont abandonnés 
à eux-mièmes. Cette séparation s'annonce par de 


licquentes caresses; on se quitte, les uns pour 


D'UN NATURALISTE. 265 


reprendre de nouveaux liens, et les autres pour 
satisfaire au premier besoin d'amour. 

Le dimanche 20 janvier , je nvembarquai 
pour une île située à trois lieues de Charles- 
Town, dansle dessein d'augmenter ma collection 
d'oiseaux de la Nouvelle- Angleterre. Je vis 
pendant la traversée des canards de toute espèce ; 
mais le bac n'étant point à ma disposition , et 
ne pouvant le détourner de sa route, je renoncai 
à l’espoir de me procurer diverses espèces de 
canards qui volugeoient autour de notre bà- 
üment. Je tua pouriant un goéland , et je 
blessai un marsouin (1). À peine ma balle Peut- 
elle atteint, qu'il plongea et rougit onde agitée 


(x) Le Marsouin ou cochon de mer, ou porc de 
mer, appelé aussi le Souffleur vulgaire, est le Tursio 
des Latins, le Phocæna des Grecs. Belon fait dériver 
l'étymologie de Marsouin de deux mots allemands, 
meer, mer, et Schwein, pourceau; ce qui veut dire 
Pourceau de mer; dénomination qui convient au 
marsouin, par ses rapports exacts avec le cochon. 
Anderson, ayant regardé le Marsouin comme le plus 
petit des cétacés, l'a rangé parmi les baleines. Il n’a 
guères que six à huit pieds de longueur. Sa mâchoire 
est garnie de dents aiguës el cylindriques, placées de 
manière à ce qu'en fermant ses deux mâchoires, les 
dents s'eugrènent les unes dans les autres. Les mar- 
souins nagent à fleur d’eau, et souvent laissent aper- 
cevoir la moitié de leur corps dans leurs bonds répétés. 


266 VOYAGES 

par ses mouvemens convulsifs ; mais, ne pou- 
vant suspendre notre navigation , nous ne con- 
nüûmes point les résultats d’un aussi beau coup 
de feu. 

Nous arrivâämes à notre destinauon, et nous 
mimes pied à terre dans un bois antique et 
sombre , si peu frequenté qu'il fourmilloit 
d'oiseaux de toute espèce. Quelle joie j’éprouvai 
a cetie vue ! que de vicumes prochainement 
immolées ! Les deux premneres furent deux 
écureuils , dont les habitudes sont totalement 
opposées. Le premier (1), appelé Ze suisse ou 
écureuil de terre , a plus d’affinité avec les 
rats et surmulots pour les habitudes et le ca- 
ractere qu'avec les écureuils. Sa peau est mar- 


Ils se jouent avec agilité sur l'onde, et voguent habi- 
tuellement par troupes considérables. Lorsque les 
marins les voyent approcher de leurs navires, ou 
qu'ils les entendent pousser un mugissement sourd, ils 
en augurent une prochaine tempête. Les marsouins se 
nourrissent de maquereaux, harengs, sardines et 
autres poissons. On harponne ces petits cétacés pour 
leur chair qui, quoique peu estimée, fournit un peu 
d'huile , et une peau qui étant tannée devient imper- 
iméable, etimpénétrable, dit-on, aux coups de feu. 

(1) C’est l'Ecureuil de terre, d'Edwards et de Ca- 
tesby ; le Sciurus Listeri, de Ray; l'Ecureuil de la 
Caroline, de M. Brisson. 


D'UN NATURALISTE. 267 
quée longitudinalement de quatre bandes de 
couleur différente , savoir |, deux brunes le 
long de l’épine dorsale, et deux blanches près 
des flancs. Le suisse meut à volonté sa queue, 
et la recourbe sur son dos, ainsi que l’écureuil ; 
mais 1} grimpe peu dans les arbres, et se tient 
toujours pres du trou qu'il a pratiqué en terre, 
et où 1l dépose Îa nourriture qu'il a obtenue de 
ses excursions. Celui que je urai n’étoit que 
blessé, et dans la rage de son désespoir , il 
mordit tellement le canon de mon fusil, qu'il y 
ouës, et me fit féliciter de 


5 
m'être méfié de son caractere féroce. 


imprima ses dents ai 


Le second, nommé /e petit-gris (1), se 
croyoit bien en süreté en abordant le rivage 
d’un étang qu’il avoit traversé sur une branche 
de pin, lorsqu'il tomba en mon pouvoir. Jen 
vis près de là plusieurs autres se jouer au travers 
de la barbe-espagnole , et s’élancer d’un arbre 
à un autre, l’un, pour échapper à un plus gros 
qui le peursuivoit , afin de lui enlever une amande 
que dans un de ses élans 1l laissa tomber à terre. 
Ces animaux prévoyans ont pour l'hiver un 
magasin de réserve, où se uennent leurs petits. 
Is sont plus gros de corps que notre écureuil 


(1) C'est l'Ecureuil gris ou noträtre, de Virginie ; 
Sciurus Virginianus, cenereus major, de Pay. 


268 VOYAGES 

«d'Europe; les mâles sont d’un poil plus noir, 
quoique cendré , que les femelles, et leur queue 
flottante est beaucoup mieux garnie. Leur ca- 
ractère est doux, et suscepuble de plier à la 
domesucité. Ces fissipèdes agiles sont très-diffi- 
ciles à découvrir, lorsqu'ils sont protégés par 
l'ombrage des sapins ; car ils suivent tous les 
mouvemens du chasseur pour échapper à sa 
vue, et se cachent dans la barbe-espagnole, dont 
tous les arbres de ces forêis immenses sont 
recouverts. Cette espèce de gui dont J'ai déjà 
parlé, est souple, et ressemble au crin, dès qu’on 
lui à fait subir une préparation qui le rend 
propre à faire des matelas de bord. 

Je tuai plus loin un merle gris (1), aussi rusé 
que celui de France, mais beaucoup plus peut. 
Le plumage de son dos est d’un gris bleuâtre, 
la gorge blanche, et chaque plume piquetée 
d’un point noir ; le ventre blanc , les plumes des 
ailes noires bordées de cendré , la queue étagée; 
le tour des yeux, l’iris, le bec et les pattes d’un 
vermillon pur. 


J'approchois de marais qu’on n'avoit recom- 


(1) Cet oiseau est appelé par les Anglais Till; 
c'est le merle cendré d'Amérique, de M. Brisson, 


et des pl. enl. 560, fig. 1 ; la grive aux jambes rouges, 
de Catesby. 


D'UN NATURALISTE. 269 
mandé d'éviter, parce qu'ils sont infestés de 
caïmans voraces qui n’eussent point été effrayés 
de mon peut plomb , lorsque je vis près de moi, 
à la cime d’un arbre très-élevé, un oiseau qu’on 
appelle improprement mnurier à la Nouvelle- 
Angleterre (1). Le plumage supérieur, ainsi que 
la huppe qui orne sa tête, et les tégumens des 
ailes, sont d’un marron clair; une large mous- 
tache noire part de la base du bec, et va rejoindre 
. Poil. Les pennes des ailes sont noirâtres. Le bec 
et l'iris d’un noir foncé et lustré , ainsi que ses 
pates. Le ventre est blanc, de même que le 
dessous de sa queue, dont la partie supérieure 
est grise, et les plumes terminées par une bande 
transversale d’un jaune pâle. 

La femelle ne diffère du mâle qu’en ce que 
celui-ci a l'extrémité des ailes munie de quatre 
caroncules chagrinées d’un rouge vif. Ces o1- 
seaux volent par bande, et leur chair est réputée 
d’un goût tres-délicat. 

On trouve à Charles - Town une parue des 
arbres naturels à l’Europe ; quelques-uns ce- 
peudant apparuennent au chimatde ce Conunent. 
Le cirier, par exemple (2), qui vient à la hauteur 
(1) Les habitans de la Nouvelle- Angleterre le 
nomment The Bohemian Chatterer. 

(>) Le cirier ou arbre de cire, espèce de galé connu 
sous le nom de Myrica, n'est cependant pes l'espèce 
appelée Piment royal, 


270 VOYAGES 


de nos amandiers, est tortueux et toufu ; il se 
plaît dans un terrain humide, et se rencontre 
fréquemment sur les rivages de Ia Nouvelle- 
Angleterre. Ses feuilles sont étroites, dentelées, 
alternes , et recouvertes de taches dorces dues 
à l'extravasion de son suc. Îl porie des fleurs 
mäles et’ femelles sur deux individus séparés. 
Les premières sont amentacées, chaque écaille 
des chatons renfermant six étamines. Les se- 
condes ont un ovaire bifide qui se convertit en 
une capsule sphérique d’une consistance assez 
dure, et recouverte d’un cérurmen blanc et onc- 
tueux. On cueille en automne ces fruits ras- 
semblés en grappes, et on en reure la cire par 
leur immersion en de l’eau bouillante. La subs- 
iance cérumineuse étant détachée des coques, 
flotte, surnage au dessus de l’eau, et on l'en 
sépare au moyen d’une écumoire. Étant figée, la 
parue extraite est d’un vert glanque; on la fait 
fondre plusieurs fois pour la purifier , alors elle 
prend une transparence colorée d’un vert tendre. 
Une livre de ces graines donne environ deux 
onces de cire. 

J’observai aussi un érable propre à ce Con- 
ünent (1). Cet arbre de moyenne grandeur, qui 


(1) C'est le petit Erable-plane ou Erable à sucre ; 
Acer saccharinum , Linn. 


D'UN NATURALISTE. . 7} 


croit naturellement dans la Pensylvamie et an 
Canada , se plaît au bord des ruisseaux ; il 
marie sur leur rive le frémissement de son 
feuillage au gazowillement de leur onde pure 
et transparente. Îl vient rarement à la hauteur 
d'un moyen chêne d'Europe. Son trone est 
droit , et son écorce lisse. Ses rameaux sont 
opposés. Ses feuilles ont la même position , mais 
elles sont blanchätres en dessous , et découpées 
en cinq lobes aigus. Les fleurs, conglomérées, 
ont un calice à cinq divisions, et einq pétales 
surmontés de huitétamines qui avortentsouvent, 
À leur centre, s'élève un pisul qui se change 
en un fruit à deux capsules ailées, et contenant 
chacune une seule graine. 

On obuent au mois de mars, de cet érable par 
Jincision de son écorce , et au moyen d'un 
tuyau conducteur qui aboutit au centre, un suc 
abondant et nuelleux, lequel étant rapproché 
par l’acuion du feu, donne un sirop qu’on met 
purger dans des moules de terre ou d’écorce 
de bouleau, pour en obtenir par le réfroidis- 
sement un sucre roux assez bon. Seize à dix-sept 
livres de ce suc donnent une livre de sucre, Les 
jeunes arbres fournissent une sève plus abon- 
dante , mais moins condensée que celle des 
vicux , dont lPélaborauon est mieux combinée. 
On ne fait qu'une incision à chaque arbre, ou 


272 VOYAGES 

bien on court les risques de l’énerver. Il faut 
que le cœur de l'arbre soit perforé ; car le suc 
est produit par le suintement des fibres ligneuses, 
et non point par les corticales. 

Âu retour de ma course, j'étois à diner chez 
Mme, Ramadse , lorsqu'on vit entrer un sauvage 
du Canada, qui se présenta avec la franchise de 
l'homme pruniüif. Il ne connoissoit personne ; 
mais, voyant des êtres semblables à lui, il se 
regardoit en famille, et croyoit pouvoir disposer 
de tout ce qui leur appartenoit. H étoit altéré, 
et c'est pour satisfaire ce besoin impérieux qu'il 
étoit entré, et que, sans parler à personne , 1l 
prit le premier verre qui se trouva devant lui, 
et se versa tranquillement à boire, sans plus 
faire attention aux personnes qui l’entouroient. 
Il but; et sa soif étanchée , 1l se disposoit à s’en 
aller sans rompre le silence, lorsqu'un quaker 
de nos convives le reconnut, et lui parla son 
langage. Cet homme enchanté de trouver quel- 
qu'un avec qui 1l pouvoit s’entretenir , Jui tendit 
Ja main, et lui fit mille démonstrations d’ami- 
üé. Il s'empressa de lui faire voir des bijoux, 
dont 1l venoit de faire l’acquisiuon en échange 
de pelleteries. Ces bijoux consistoient en quatre 
plaques d'argent, qu'il destinoit à lui servir 
de bracelets qu'il placoit à l’avant-bras, et au 
baut de l'humerus, mais seulement dans les 

grands 


Æ 


D'UN NATURALISTE. CE 
grands jours de fête. L'air de liberté étoit 
empreint sur lous ses traits enjoués ; et bientôt 
il développa un papier dans lequel étoit un peut 
cadenas d'argent qu'il placa devant nous à son 
nez, en lui faisant traverser le carulage du vomer 
déja troué pour cet usage. Son interprète nous 
dit que c’étoit une marque disincuve à laquelle 
on reconnoissoit les grands de sa nation. 

Il étoit nu, et n’avoit de couvert que le siége 
de la pudeur. Ses cheveux noirs , séparés selon 
Vusage des Nazaréens, étoient dans toute leur 
longueur , et flottoient sur ses larges épaules. Il 
s’étoit coloré plusieurs parues de la figure avec 
du roucou (1). Cette couleur contrastoit singu- 
liérement avec son teint jaune ohivâtre. 

Ces sauvages sont si adeptes, nous dit l’inter- 
prète, qu’un d'eux apprit le breton en vingt- 
quatre heures; etsi adroits, qu’à quarante pas ils 
percent, à chaque coup de leur flèche, un but 
de six lignes de diamètre. 

Au dessert du dîner on m’offrit, selon l’usage 
de la Nouvelle-Angleterre , des cigares qu’on 
passa à la ronde sur une assiette; je refusai d’en 


(1) Cest l’Achiote, ennatabi, cochehue, des Indiens 
et Sauvages caraibes, et le Mitella americana maxima 
tüinctoria , Tourn., Boerh. Voyez son article, au Traité 
des plantes usuelles. 


Tome I. S 


374 VOYAGES 

prendre, puisque ce n’éloit point ma coutume. À. 
cette époque du repas les femmes se lèvent de 
table, et les hommes, au milieu d’une épaisse 
famée de tabac, boivent à longs traits le Madère 
et autres liqueurs. 

On me mena après le diner chez un curieux 
de ce pays, pour y voir une collection de peaux 
d'oiseaux de la Guiane. Elle seroïi précieuse, st 
elle étoit composée d'individus entiers, mais on 
n’en a extrait que quelques parues les plus riches 
en couleur ; ce qui la rend incomplète. Je vis 
aussi vivant l’oiscau royal, mâle et femelle (r); le 
beau canard d’été (2), dontl’élégance du plumage 
et la richesse du coloris sont supérieurs à tous 
ceux de son espèce. Get oiseau, contre les habi- 
tudes de ceux de son genre, aime à se percher, 
d’où lui vient le rom de canard branchu, que 
certains auteurs lui ont donné. [l est commun à 
la Louisiané, à la Caroline et à Ia Virgimie : sa 
chair n’est pas très-estimée , en raison d’un goût 
de muse qui ne plaît point à tout le monde. Val- 
mont-Bomare le décrit très-bien ainsi : « Les 


(1) Brisson, pl. enk. 265. C'est la grue panachée 
d'Afrique, d'Edwards. 

(2) Ainsi nommé, par M. Brisson et par d’autres, 
canard branchu ou beau canard huppé de la Loui- 
siane, Brisson , pl. enl. 980 le mäle, et gôr la femelle. 


D'UN NATURALISTE. 250 
plumes du devant de la tête sont d’un vert doré 
brillant; celles de Pocciput sont fort longues, 
étroiies et comme soyeuses : elles sont disposées 
par ioufles, les unes blanches, les autres d’un 
beau vert doré, et les troisièmes d’un violet 
éclatant. Toutes ces touiles , parallèles de 
chaque côté, forment une huppe élégante qui 
pend en arrière, et dont la pointe tombe sur 
le milieu du dos : les joues et le haut du cou 
sont d’un beau violet; la gorge etle devant du 
cou sont blancs; le dessus du corps d’un brun 
foncé changeant en vert doré; la poitrine est 
d’un pourpre vineux , semée detaches blanches 
triangulaires ; chaque côté offre deux bandes 
transversales , lune d’un noir de velours, 
Pautre d'un beau blanc; les plumes scapulaires 
chatoyent le vert doré, le bleu et le cuivre ro- 
seute; l'iris est couleur de noisette; les pau- 
pières sont d’un rouge fort vif; le bec en dessus 
est jaune à sa base, ensuite d’un rouge vif, 
puis marqué d’un peu de blanc; le bout est 
noir, ainsi que toute la mâchoire inférieure ; la 
peau nue des jambes, les pieds et les doigts 
sont d’un jaune obscur; les membranes bru- 
nätres et les ongles noirs. La femelle à le plu- 
mage brun grisätre, une huppe brune , courte 
et peu fournie; la gorge blanchätre. » 

Le même parucuher me fit voir un serpent à 


S 2 


276 VOYAGES 

sonnettes (1), appellé le boiciningua , très-cont- 
mun à soixante où quatre-vingts milles dans les 
terres, et qu'il conservoit depuis neuf mois dans 
un ionnçau, sans lui avoir donné aucune espèce 
de nourriture, voulant savoir jusqu’à quelle 
époqueil pourroit supporter la faim sans mourir. 
On me le fit apercevoir, en soulevant la table qui 
recouvroit le tonneau fermé lui-même par un 
treillage de fil de fer. À peine nous eut:l re- 
connus pour des êtres qui vouloient inquiéter, 
qu’il se disposa à nous attaquer, et punir notre 
audace d’avoir troublé son repos. Aussitôt se 
reployant en spirale et s'appuyant sur lextré- 
mité de sa queue, il alloit s’élancer lorsque nous 
Jaissâmes tomber la trape, vers laquelle il se 
heurta rudement en agitant sa cascabelle, ou 
sonnette. 

, Ce boiïcisingua, dont les moindres blessures 
sont mortelles et odeur désagréable, avoit sept 
pieds de longueur lorsqu'il fut emprisonné; la 
tête triangulaire , les narines saillantes, les yeux 
éuüncelans et chatoyans, sa langue très-déliée, 
noire et fourchue ; la peau élégammenttachetéeen 
chevrons brisés, les écailles du dos d’une cou- 


(G) C'est le Boiciningua de Marcorave , ou Boiïquira 
des Brasilienss Crotalus horridus, Eainn.; Serpens 
crotasophora, seu Vipera caudisona , americana, Seba. 


D'UN NATURALISTE. 2-7 


leur cendrée-jaunâtre, les plaques abdominales 
d’un jaune pâle. C’est à l'extrémité de sa queue 
que se trouve sa sonnette composée d’'anneaux 
carülagineux , s’emboîtant les uns dans les 
autres, de substance cornée, sonores et élasu- 
ques, adhérens à la dernière vertébre du repule. 
Ce serpent est plus agile dans Peau que sur 
terre. Malheur à limprudent qui l’a foulé aux 
pieds par un items de pluie, ou lorsqu'il est 
affamé ; 1l est terrible alors, et profitant de l’ex- 
trême mobuhté de ses écailles, 1l les fait bruire, 
et annonce par là le période de sa fureur. Le boi- 
ciningua est ovipare, mais il muluplie peu. 
Tyran de la nature, par une sagesse du Pouvoir 
suprême, ce serpent ne fait que trois petits, 
tandis que nos couleuvres qui ne sont point dan- 
gereuses produisentimmensément. Les blessures 
du boiciningua sont si venimeuses , qu’elles 
causent la mort quelquefois au bout de peu de 
minutes, si l’animal est bien irrité, ou seulement 
de quelques heures dans un état plus tranquille. 
Les Américains proposent, pour la guérison 
de ce poison subul, d’écraser la tête de ce ser- 
pent, et de l'appliquer comme emplâtre; d’au- 
tres scarifient la plaie, et font usage de la racine 
de collinsonia (1), coupée par troncons, et frite 


(1) Vipérine de Virginie. 
S à 


278 VOYAGES 
dans de l'huile d'olives, aiguisée d’une pincée de 
sel marin. D’autres recommandent la racme 
d’apinel (2) que les sauvages de quelques îles de 
l'Amérique nomment yacabani, eiles Français, 
apinel, du nom, dit Valmont-Bomare, d’un 
capitame de cavalerie qui l’apporta le premier 
en Europe. La vertu de cette racine alexitère est 
icllement puissante, qu’en la présentant à un 
serpent, s'il la mord, il en périt; que si l’on s’en 
roue, et que l’on en mâche, on devient imvul- 
nérable, et l’on peut en sûreté prendre ces ser- 
pens à Ja main. Cependant je crotrois l'usage 
intérieur et extérieur de l’alkali volaul fluor 
préférable, et d’un secours plus prompt; j'en ai 
vu des effets certains. Le boiciningua à pour 
ennemi, dans le règne animal, les cochons mar- 
rons, qui s’en repaissent sans être incommodés 
de leurs blessures ; et dans le règne végétal , toutes 
les plantes alexitères, et principalementle pouliot 
sauvage, Où diclame de Virginie. 

On me fit voir aussi un tableau peint à l’huile, 
et de la composition d’un jeune sauvage de dix- 
huit ans, qui, sans avoir appris, a fait ce chef- 
d'œuvre. Le style en est original, et le coloris 
tout particulier; mais il se rapproche tant de la 
nature, qu’on ne peut s’y méprendre. Ce sauvage 


1 


(>) Aristolochia Anguicida, Linn, 


D'UN NATURALISTE 2-9 
s’est peint, sortant du milieu d’une caverne en- 
foncée dans un bois sombre et solitaire; il est 
vêtu d’une peau de chat-uigre qui lui recouvre 
seulement les parues nobles, tandis que le reste 
de son corps est à nu. Ce héros est armé de 
flèches et d’un arc; 1l se prépare à entrer en 
chasse. 

Je sorus dans les environs de Charles-T'own 
le dimanche 27 janvier 1799 , et j'y rencontrai 
des tableaux encore dignes dela nature primiuve. 
L'esprit d'union qui anime ces habiians for- 
tunés leur donne une confiance mutuelle dont 
ils ne sont jamais décus, et qui ne peut être 
altérée que par les principes dégradés d'étrangers 
qui s’y avilissent par une conduite oulrageante. 
J’errois de bois en bois pour augmenter ma 
srande route 


5 
bordée d’une épaisse forêt de sapins, lorsque 


collection , et je traversois une 


Japercus un groupe de voyageurs au moment 
de leur réveil. Couchés à la belle étoile , les uns 
sur des sacs d’autres sur des peaux, ils avoient 
passé la nuit dans ce lieu agreste, une nuit 
tranquille et bonne, n’ayant à redouter aucun 
danger, pas même la voracité de quelques chats- 
tigres et ours qu'on voit assez communément 
dans lepays, mais qui ne sont jamais agresseurs. 
Voici à ce sujet une anecdote qui prouve leur 
nudité. Un ami de M. RY**, n'ayant pu croire à 


S & 


280 VOYAGES 


ce naturel doux, si opposé à la nature de ces 
animaux, après avoir apercu dans un arbre un 
ours qui y étoitgrimpé, chargea un des canons de 
son fusil avec de la poudre seulement. Il ajuste 
l'ours; et l’explosion l’intimida tellement, qu'il 
se laissa tomber comme mort du haut de l'arbre, 
en sorte qu'on l’emmusela, et qu'il fut transféré 
à la ville, tout honteux de sa capuvité : mais 
revenons aux voyageurs. S'en rapportant à la 
fidélité publique, ils avoient leurs chariots dé. 
telés, et leurs chevaux paissoient tranquillement 
près de là, abandonnés dans les bois à leur dis- 
crétion. Je fus témoin du repas frugal des 
voyageurs quiparoissoient vivre dans la meilleure 
intelligence, et burent à la ronde dans la même 
coupe. 

En rentrant dans la ville, je remarquai dans les 
rues sablées de peutes chèvres à cornes droites, 
recourbées en arrière au sommet, et à poil 
court et varié en couleurs, qui me parurent être 
une espèce de chamoiïs, ainsi que des vaches 
qui y cherchent jour et nuit leur nourriture. 

Le soir, selon la coutume du pays, on nous 
servit, aprés le thé, des huîtres dont on ne 
mange qu'à souper. On m’apprit Parrivée d’un 
parlementaire de Saint-Donungue, qui pubhoit, 
comme nouvelle du jour, que Toussaint-Lou- 


verture, général en chef à Saint-Domingue, 


D'UN NATURALISTE. 281 
vouloit rendre cette colonie indépendante de 
tout gouvernement. 

J’avois formé le projet d’aller chasser à lhabi- 
tation de M. de Caradeux , distante de quelques 
milles de Charles- Town; mais je ne pus leflec- 
tuer, ayant appris le départ d’une goélette pour 
Sant-Yago de Cuba, île espagnole, dont les 
communications avec Saint-Domingue étoient 
très -fréquenies. J’allai voir le capitaine, M. Tho- 
mas-Payne, armateur de ce bâtiment, qui me 
conduisit à son bord. Cet homme doux et franc 
me recut avec l’aménité qui le caractérise, et 
agit envers moi avec beaucoup de désintéresse- 
ment; car 1l ne me demanda pour passage que 
Ja moitié de la somme qu’exigeoient d’autres ca- 
pitaines, nr'observant que nous ne pourrions 
parür que sous quelques jours, ayant à faire ré- 
parer la voilure de sa goélette, la Galatée. 

Je profitai du tems qui me restoit à passer 
à Charles-Town, pour relier ma parue de chasse 
avec M. de Caradeux, qui voulut bien m'envoyer 
sa pirogue et six nègres rameurs pour me trans- 
porier à sa déhcieuse habitauon, célébre par sa 
solitude et sa posiuon. C'est une île que la mer 
baigne de toutes parts, et qu’une antique forêt 
d'arbres de tout genre couvre de son épais et si- 
lencieux ombrage. Nous y mouillämes à quatre 


“ 


heures de l'après-midi avec une mauvaise marée, 


289 VOYAGES 


et comme le vent nous étoit contraire, les rameurs 
redoubloient de courage au milieu de chants 
africains. 

Nous fûmes recus au sein d’une somptueuse 
abondance, et je trouvai chez mon hôte tout ce 
qui peut charmer la monotomie de la solitude; la 
liberté et une bibliothèque parfaitement choisie. 
M. de Caradeux, flattant mon goût pour l’his- 
toire naturelle, voului bien s'offrir comme pilote 
dans l’intérieur de ses boisquim’étoientinconnus. 
Chasseur très-adroit, il se promit aussi de joûter 
à qui rapporteroit chaque jour le plus de vic- 
times ; j'acceptai celle promesse avec reconnois- 
sance, et le lendemain de grand maun, nous 
nousmimes en marche avec MM. R***, M. de 
Caradeux , et ses deux fils. 

À peine eûmes-nous pénétré sous la voûte odo- 
rante de hauts sapins, que mon hôte tua près de 
moi un écureul volant (1), très-rare, medit-il, 
en ces parages. Il étoit de la grosseur d’un rat, 
avoit de petites oreilles arrondies | surmontées 
d’un poil roux ; les poils de sa moustache étoient 


(1) C'est le polatouche; Sciurus volans, Lainn. ; 
Mus ponticus aut scythicus , Sciurus-ve quem volantem 
cognominant, Gesner ; Sciurus americanus volans, 
Ray; le Flying squirrel des Transact. phil, ann 1735, 
et d'Edwards. ('L'om. rer, pl. XVI.) 


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D'UN NATURALISTE. 283 
roides et d’un beau noir; sa queue très-garmie 
n’étoit point aussi longue que celle de l’écureuil 
vulgaire; sa tête arrondie étoit munie par devant 
de quatre dents incisives; les molures se trou- 
voient au fond de la mâchoire; ses pattes étoient 
garmies jusqu'aux pieds d’une membrane qui se 
conunuoit au long de ses flancs, en sorte que 
quand l’animal est étendu, il a le contour d’un 
mouchoir carré; ces membranes minces qu’il 
peut tendre et mouvoir à volonté par l’action de 
ses pattes, ont la propriété de le soutenir assez en 
l'air pour qu'il puisse facilement voler d’un arbre 
à un autre (1). Les pattes de devant sont pourvues 
de quatre doigts, celles de derrière, de cinq, 
garmis d'ongles arqués et très-aigus ; son poil de 
couleur gris cendré, est presqu’aussi doux que 
celui de la taupe, et soyeux comme lui. 

L’écureuil volant a les habitudes de celui 
d'Europe, sans pour cela avoir les caractères 
sufäsans pour le comprendre sous la même 
classe, puisqu'il dort presque tout le jour, et ne 


(1) Ce n’est pas qu'il puisse soutenir un long vol, 
mas la vibration de sa membrane augmentant la sur- 
face de son corps, sans pour cela ajouter à son poids, 
il se trouve en équilibre quelques instans, au bout 
desquels il céderoit au point de gravitation, sil ne 


rencontroit un corps solide pour le recevoir. C'est done 
plutôt un saut qu'un vol. 


284 VOYAGES 

va à la maraude que pendant la nuit. Is se nour- 
rissent de fruits, d'amandes, et surtoui des jeunes 
pousses de pin, du bouleau et de Pérable. Ces 
animaux font quatre peus, qui souvent devien- 
nent, ainsi que leurs père et mère, la pâture 
d’autres animaux moins iadolens qu'eux, des 
putois (1) qui les surprenneni dans leur sommeil, 
et les étranglent sans miséricorde. 

Ce qui paroîtroit rapprocher l’écureuil volant 
de la chauve-souris, ce sont beaucoup de ses 
habitudes, et une parüe de sa conformation ; 
Ja femelle étant pourvue, ainsi que la chauve- 
souris, de mamelles destinées à la nourriture de 
ses pelts; mais, d’autres caractères principaux 
l’en éloignant, on a conservé au polatouche Île 
nom d’écureuil volant. 

Le polatouche est suscepuble de s’apprivoiser ; 
on en voit même à Charles-Town dans plusieurs 
maisons , où on les nourrit ainsi que ceux 
d'Europe, dont pourtant ils n’ont pas les gen- 
ullesses, leur caractère étant froid et indifférent. 


(1) Le putois rayé; Putorius striatus. C'est le puant, 
ou bête puante de l'Amérique septentrionale, ou 
zorille. Les habitans des bords de l'Orénoque l'appellent 
Mapurita, et les Indiens, Mafutiliqui. M. de Buffon 
a classé ce putois rayé parmi les mouffetles, dont 1l 
reconnoît quatre espèces qui sont, le coase ou ysquie- 
patti des Mexicains, le couépate, le chinche et la 
zorille. 


D'UN NATURALISTE. 285 


Nous rencontrâmes assez près de la l’ajoupa 
d’un nègre libre et solitaire , dormant la moitié 
du jour, et employant l’autre parte à aller 
pêcher, et à se nourrir d’huîtres dont on voit 
autour de son peut domaine les monceaux de 
coquilles. Il vit, sans travailler, des hhéraliiés de 
la nature, ou ne travaille que lorsqu'il s’agit de 
renouveler ses tengas, et d'acheter du tabac à 
fumer. La posiuon de cet hermitage est si pitto- 
resque, que je regrettai bien mes pinceaux, et 
surtout mon crayon que javois oublié, avec 
lequel au moins j'eusse pu prendre l’esquisse 
de cette nature sauvage. 

Parmi les oiseaux que je rapportai, je dis- 
Unguai une bécasse , un choucas , des trou- 
piales , des bouveraux , un robin, un tro- 
glodyte, la fauvette de New-York, l'oiseau du 
muürier , et deux très-petits ozseaux-mouches. 

La bécasse (1) de Charles-Town est beaucoup 
plus peute que celle d'Europe, mais sa chair est 
non moins estimée; le plumage est absolument 
le même. Elle aime les endroits solitaires et hu- 
mides ; son vol du départ n’est point aussi 
bruyant que celui de notre bécasse d'Europe, et 
elle file à rez-terre comme la caille. Elle paroît 


RS 


(1) C'est la bécasse des Savannes, pl. enl. 895, si 
commune à Cayenne. 


286 VOYAGES 


peu méfiante ; car, m'ayant apercu de fort loin , 
à ce que j'ai Cru remarquer par un premier 
crochet qu’elle fit pour m'éviter, après un 
second qui lui fit reprendre la même direction, 
elle vint s’abattre auprès de moi, et se glissa 
si bien sous l'herbe, que je ne puis l'y retrouver 
de suite. Cependant, après beaucoup de tours et 
de recherches, elle me parut, et je la tuai. 

Le choucas (1) qui n’est pas plus gros que la 
tourterelle, et dont le plumage noir offre des 
reflets variés et irisés. Cette espèce de corneille 
a des habitudes conformes aux autres oiseaux 
de ce genre. Ils volent par troupes ainsi que les 
corneilles, adoptent de vieilles masures pour 
retraite, vivent en société avec beaucoup d’ac- 
cord ; ont un attachement remarquable pour 
leurs peuts , qu’ils nourrissent ainsi qu'eux de 
grains, de vers etautres insectes. On les habitue 
facilement à la domesticité ; j'en vis un dans les 
rues de Charles-Town, si attaché à son maître 
qu'il alloit rejoindre dans les champs ses amis 
ou ses frères , y passoit souvent plusieurs jours ; 
mais fidèle à la reconnoissance , 1l revenoit tou- 
jours. Il aimoit à dérober, ainsi que les oiseaux 
de cette classe. 


(1) Ou choucas-choucette , monedula, de Valmont- 
Bomare. 


D'UN NATURALISTE. 287 

Des bouvereaux (r) violets età bec rond de la 
Caroline, parmi lesquels se trouvoit le gros-bec de 
la Louisiane, non point comme il est décrit par 
certains auteurs , mais avec les caractères sui- 
vans : la tête, la gorge , le dos et le dessus de la 
queue d’un noir de velours; un hausse-col d’un 
blanc éblouissant , le ventre fauve-marron , le 
dessous de la queue fauve-blanchâtre ; le bec et 
l'iris noirs ; les pieds fauves. Cet oiseau casse les 
noyaux les plus durs. Ne seroit-ce point plutôt 
le carouge de Cayenne , planche enlum. 6o7. 
fig. 1? 

Un robin (2) dont le plumage supérieur est d’un 
beau gris, ainsi que le dessous du bec; la tête gri- 
velée de taches noires, le poitrail et tout le plu- 
mage du ventre d’un marron clair très-brillant, 
le bec jaune ombré de noir à son extrémité , et 
ayant de chaque côté de la mandibule inférieure 
une tache blanche à sa base; linis noir, et les 
pieds gris. Cet oiseau est d’un manger exquis ; 
il est de la grosseur de notre litorne, et a à peu 
près les mêmes habitudes. 


(Tr) Oiseaux de la classe des bouvreuils. 


(2) Espèce de grive dont la chair est très- 
estimée, 


288 VOYAGES 


Un troglodyte (1) , et la fauvette de New 
Yorck (2) , dont le plumage supérieur est d’un 
marron clair , celui du ventre, blanc tacheté de 
guillemets noirs en cheverons brisés , et disposés 
régulièrement ; le bec etles pieds de couleur cen- 
drée , et l’iris noir. 

Plusieurs oiseaux du mürier que j'ai déjà 
décrit, enfin deux jolis oiseaux-mouches dont 
voici le signalement : le premier (3) un peu plus 
gros que l’oiseau-mouche vulgaire, a la gorge et 
le devant du cou d’un rubis éclatant , avec des 
reflets d’or ; tout le plumage de son dos a des 
nuances d’un vert-doré, changeant en cuivre de 
rosette ; celui du ventre est blanchâtre ; les ailes 
d’un noir-violätre ; les pennes latérales de la 
queue d’un brun-pourpré , le bec et les pieds 
noirs. Cet oiseau est assez commun. 

Le second (4), qui se trouve dans les Anulles, 


(1) Oiseaux propres aux deux Continens, regulus 
dictus troglodytes. 

(2) Ou fauvette tachetée de la Louisiane, pl. enl. 
792, 

(5) Oiseau-mouche à gorge rouge de la Caroline, 
de M. Brisson ; c’est le cohbri de Catesby, tom. xt, 
pl. 36, fig. 6; le colibri à gorge rouge d'Edywvards. 

(4) Oiseau-mouche huppé de Cayenne, pl. enl. 227, 
£g. 1; ou colibri huppé d'Edwards. 

a la 


D'UN NATURALISTE. 289 
a la tête surmontée d’une huppe à étages, c’est 
à dire , plus élevée au milieu que sur les côtés ; 
elle est d’un vert-doré, très-brillant et chatoyant; 
le plumage supérieur est d’un vert-noirâtre, avec 
des reflets de cuivre-rosetie ; l’inférieur est cen- 
dré-brunâtre, mais verdätre latéralement ; les 
pennes sont d’un noir-violet, avec des reflets 
dorés. Son bec est long , pointu comme une 
alène, et ses pattes n’ont que la grosseur d’une 
épingle; elles sont très-courtes. Is se nourrissent 
du suc des fleurs d’où leur vient le nom de 7xel- 
lisuga. Ces oiseaux ne se trouvent à | Amérique 
septentrionale que dans la belle saison. Favoris 
du printems , 1ls courtisent la fleur récemment 
épanouie ; mais légers etinconstans , 1ls volugent 
de l’une à l’autre ainsi que l’abeille, dont ils dis- 
putent le Jarcin. Ces oiseaux sont si peuts que 
souvent 1ls se dérobent aux regards, en pénétrant 
dans l’intérieur de certaines fleurs. Leur vol pro- 
duit un bourdonnement semblable à celui d'vr 
rouet à filer. Lorsqu'ils sont las , ils se reposent 
sur un arbre ou sur un pieu voisin , et y restent 
quelques minutes, puis retournent aux fleurs. 
Les oiseaux-monches ne sont pas méfians , et 
l’on en approche très-faciiement ; mais aussi 1ls 
sont colères et querelleurs. L’impatience est le 
mobile de toutes leurs actions, ils se chamaillent 
entr'eux ; et lorsque la dispute est terminée , 


Toue I. fs 


200 VOYAGES 

ils vont se percher sur la prennère branche, et 
encore agités par la colère, l'extension des mus- 
cles fléchisseurs du cou leur fait vibrer la tête 
pendant plusieurs minutes. Quand les oiseaux- 
mouches approchent d'une fieur, s'ils la trouvent 
fanée ei sans suc, 1ls se vengent de leur méprise 
en la dépecant à coups de bec. 

L’araignée-crabe est l’ennemie parüculière de 
ces charmans oiseaux. Ce tyran hideux qui choisit 
pour retraite des trous pratiqués par des crabes, 
d'où lui vient son nom , mêne une existence 
opposée à ces volauls. L’araignée- crabe traîne 
sur terre son odieuse vie, tandis que l’oiseau- 
mouche passe les nus et Îes jours perché ou 
dans les airs. L’insecte sanguinaire en détruit 
néanmoins beaucoup à la faveur de ses toiles 
élastiques ; et comme elle est vagabonde, et 
qu'elle n’a point de demeure fixe , elle desune 
ses piéges supérieurs AUX OISCAUX el aux insectes, 
ta dis que ceux de terre enveloppent les animaux 
rampans, Ou Certains autres scarabés. Î} est éton- 
nant de voir un Ussu aussi léger porter un corps 
aussi matériel que celui de l'araignée-crabe (1), 
tès-friande des œuis des oiseaux-mouches, qui 


ont bien de la peine à les soustraire à leur perfide 


{1) Voyez mes observations faites à Saint-Domingue 


D nt + s# 
SUX Ci 1neCCie. 


D'UN NATURALISTE. 291 


ravisseur., Ces oiseaux placent ordinairement leur 
nid dans une bifurcation cachée par le feuillage ; 
ils l’enduisent au dehors d’une nrousse assez sem- 
blable au corps de l'arbre, pour qu’on puisse le 
confondre avec son écorce , et le prendre pour 
une exostosc. L'intérieur est tapissé d’un duvet 
mou et léger; 1l n’a qu'un pouce de diamètre, et 
contient deux œufs de la grosseur d’une graine 
de chenevis. 

Les ailes des oiseaux-mouches, lorsqu'ils vol- 
üugent , s’agitent avec tant de vitesse qu'on ne 
peut les fixer, et qu’au milieu d’un vol soutenu 
on les croit immobiles dans les airs. On diroit 
que la nature s’est plue à réumir , dans leur plu- 
mage , le coloris des pierres précieuses, puis- 
qu'on y retrouve la topase, le saphir, le rubis et 
Vémeraude , qui, malgré leur mélange dans la 
robe éclatante de ces oiseaux, laissent néan- 
moins disunguer leur feu vif, et leur brillant 
vernis. 

Nous revinmes chargés de buun , et nous trou- 
vâmes bon feu chez M. de Caradeux, qui recoit 
splendidement, puisque dans son salon , qui n’est 
pas très-spacieux , se trouvent deux cheminées 
vis-à-vis l’une de l’autre, encombrées d’arbres 
enticrs, qui y entretiennent un feu d'autant plus 
ardent que la plupart de ces bois sont résineux. 
Comme on ne pourroit point supporter une aussi 

| L3 


299 VOYAGES 


chaude température, il est dans l'usage, afin d’éta- 
blir dans les appartemens un courant d’air con- 
unuel , de faire temir les croisées et les portes 
ouvertes. 

Pendantqu’on recevoità Charles-Townau bruit 
du canon l'ambassadeur Pickny, de retour d’une 
mission importante , et que le peuple dans son 
ivresse le trainoit avec enthousiasme dans son 
char , une épouse avoit à pleurer la perte de 
son époux. Ce bon père de famille pressentit sa 
mort très-prochaine , mais ne put en détourner 
le coup d’après Pordre précis d'assister à la fête. 
Canonmier de la mice, un mal-adron mit le feu 
tandis que ce père malheureux bourroit; le coup 
parut, et le mit en pièces. Cet homme, triste et 
réveur en allant à son poste , dit à sa femme un 
adieu qui la troubla. Cetie mére étoit enceinte de 
deux mois. 

Le passage de l’ambassadeur Pickny, qui 
avoit occupé avec son escorie tous les bateaux 
du Ferri, nous empêcha de nous rendre à 
Charles-Town; c’est pourquoi nous fimes une 
seconde parte de chasse. Je tuai d’un seul coup 
douze sparas (1). J’eus aussi deux pics ponctués 
de taches blanches sur un fond noir. 


Le premier a le sinciput et l’occiput d’un 


(1) Linotte brune d'Edwards, 


D'UN NATURALISTE. 204 
rouge éclatant que partage une bande grisätre, 
toutes les plumes du dos et les couvertures des 
ailes grivelées avec symétrie de raies noires en 
zigzag sur un fond blanc; les plumes roides 
de la queue traversées dans leur longueur par 
un tuyau d’un noir foncé, au long duquel abou- 
üssent de chaque côté des raies transversales 
de la même couleur. Le bec et les pattes sont 
noires. Ce pic rayé est à peu près gros comme 
. le pic-veri d'Europe. 

Le second infiniment moins gros, et dont 
la taille n’excède pas celle de la mésanse char- 
bonnière, a le sinciput décoré seulement d'une 
tache rouge, circulaire et régulière, les plumes 
du dos d’un gris-noirâtre, les ailes noires et 
ponciuées de taches blanches parfaitement 
rondes , et disposées avec autant de régularité 
que celles du plumage de la pintade. Ce pic a 
le bec et les pieds noirs. 

Deux fort jolis petits oiseaux , l’un appelé dans 
le pays zni-jaune, et l'autre téte-rouge. 

Le mi-jaune qui est de la grosseur du roi- 
telet, a le plumage supérieur olivâtre , linférieur 
blanc-grisätre, la tête surmontée d’une huppe 
d’un jaune d’or, entourée de plumes noires 
rabattues; le bec, les pattes et liris noirs, le 
dessus de la queue noirâtre , et le dessous 
blanc. 


dr 


204 VOYAGES 

La Tête-Rouge, ainsi nommée , parce que cet 
oiseau a sur le milieu de la tête une touffe de 
plumes d’un rouge vermillon éclatant. Le reste 
du plumage et les pattes de la même couleur 
que le premier, dont il a les habitudes, la sta- 
ture et la grosseur. Ces deux espèces d'oiseaux 
paroissent vivre entr'eux avec beaucoup d’in- 
telligence. On les rencontre toujours près l’un 
de Pautre, s’anpeler pour partager une larve ou 
autre insecte qu'ils cherchent, à l'exemple des 
grimpereaux , au long de l'écorce des arbres. 
J'ai d’abord cru que cette conformité de plu- 
mage annonçoit une même espèce, et je sup- 
posois voir dans ces deux intimes anus le mâle 
et la femelle; mais je me suis assuré depuis 
que dans les femelles de l’un et l’autre individu, 
les couleurs sont seulement moins vives. 

Nous rencontrèmes l’ajoupa d’un nègre mar- 
ron (1), ou plutôt un amas de feuillage, recélant 
une peau qui lui servoit de lit, et du tabac. Il 
avoit fui à notre approche, et étoit prés de là 
en embuscade , espérant se venger de M. de 


Caradeux , qui déja avoit voulu le faire prendre. 


(1) Ou fucitif. Lorsqu'un nèore a fait une faute 
pour laquelle 51 craint d’être puni, 1l abandonne son 
maitre, etse retire dans les bois où ii vit caché, etse 


livre souvent alors au désespoir et au brigandage. 


D'UN NATURALISTE. 295 
Ce vil assassin étoit couché dans un fossé convert 
de broussailles, lorsque je passait auprès en 
poursuivant un fort bel écureuil. I étoit armé 
d’un fusil, et dans l'espoir de s'emparer du mien, 
il me mit doucement en joue, ura trois fois, 
et trois fois la pierre refusa de faire feu. NE. de 
Caradeux qui se trouvoit du côté opposé, et qui 
pouvoit à peine me disunguer, tant la barbe- 
espagnole abondoït en ce bois, me plaisantoit 
sur le peu de valeur de mon fusil, tandis que 
moi-même je Jui faisois la même observation, 
lorsqu'il s’écria d’une voix forte, pour inti- 
mider le coupable : «Marchons an bruit, c’est 
mon nègre marron! » Îl voulut s'échapper, le 
traître étoit trop lâche; nous fondimes avee 1m 
pétuosité sur lui, nous le désarmämes , et il fut 
livré à la rigueur des lois. 

Mon hôte vint le soir me reconduire jusqu’au 
bac, et chemun faisant, nous chassämes encore. 
J'approchai, sans être vu, d’un grand duc à 
longues oreilles (1). Je le ürai, et de la cime 
d'un arbre très-élevé 1l tomba jusqu’au nulieu 
de la hauteur ; mais il s’y retint au moyen de 
ses serres et d’une bifurcation. Le corps ren- 


— 


(1) C'est Le grand duc de Virginie, qui a les plumes 
réunies en faisceau sous la forme d'oreilles, lesquelles 
partent de la base du bec. 


200 VOYAGES 

versé, les ailes étendues, je le croyois à moi, etje 
le contemplois d’un œil observateur , lorsque 
ranimant ses forces , et agitant ses ailes , mou- 
yement que je croyois devoir précéder son 
dernier soupir, 1l reprit son vol, à mon grand 
étonnement, et alla s'abattre, ou plutôt espirer 
peu Join de nous dans des marais. 

Cet aigle de la nuit, tyran des êtres animés 
qui Fenvironnent , ne peut supporter l'éclat da 
jour, et n'exerce son empire que dans les téne- 
bres. Son cri plaintüifinterrompt par intervalle le 
silence de Ïa nuit, et annonce aux oiseaux épour- 
vantés la présence de leur destructeur. S'ils 
cèdent à l'effroi et qu'ils cherchent à fuir, aussr- 
tôt ils deviennent la proie de ses serres aiguës. 
S'ils restent en repos, ils évitent, au moins pour 
cette fois, le déchirement de leurs entrailles; 
mais ce n'est qu'un retard, et s'ils ne changent 
d'asile, 1ls deviennent tôt ou tard la victime de 
icur ennemi vigilant, quise repaîtabondamment 
d'oiseaux, de repules, d'insectes, et même de 
imulots dont 11 ne digère que la parue substan- 
üelle, pour en extraire ensuite le poil et les os 
qu'il vomit. 

Les grands ducs sont sonvent les agresseurs 
d'oiseaux de proie diurnes quileursontsupérieurs 
et Îcur valeur toujours leur fait rern- 


porter la victoire. Îls volent le jour à fleur de 


en force, 


D'UN NATURALISTE. 297 


terre et à peu de distance, en raison de la singu- 
lière conformauon de léurs yeux, mais la nuit 
ils ont le vol plus hardi, et planent légèrement 
dans l’espace. 

Enfin, de retour à Charles-Town, j'appris le 
mercredi 6 février 1799 ,que notre bâtiment ne 
pouvoit mettre à la voile pour cause d’un vent 
défavorable. Le lendemain il y eut en rade une 
bourrasque qui fitcraindre l’échouement de deux 
bätimens prêts à entrer dans le port, et qu’on 
annonça être à la barre. Ils avoient été forcés d’y 
jeter l'ancre de miséricorde, de peur de naufrage 
sur les côtes ; ces marins passèrent toute la nuit 
dans la douloureuse crainte que leur cable ne 
rompit, tant le vent étoit violentet la mer agitée; 
mais heureusement le calme succéda à la tem- 
pète , et les deux bâtumens vinrent mouiller dans 
le port. 

Cherchant à augmenter mesobservauons, j’eus 
occasion de connoître une singulière coutume de 
Ja Nouvelle-Angleterre : je suppose qu’un homme 
ait à craindre les mauvais traitemens d’un autre, 
il va trouver le magistrat, et déclare son ennemi ; 
dès ce moment, étant sous la protecuon de la 
loi, elle ne peut être enfreimte sans la puniuon 
qui en est le résultat. Si donc l’homme qui s’est 
faitassurer , recoit des coups de canne de l’homme 
suspect, ce dernier est tenu à des dommages et 


208 VOYAGES 


intérêts; que si au lieu de canne il s’est servi d’un 
fouet, 1l n’est plus assujetti à Pamende , et que le 
battu est de plus baffoué et couvert de honte. 

Une autre coutume consiste à obéir à la voix 
d’uneostentation déplacée. Les Anglo-A méricains 
mettent du luxe jusqu’à embellir le cercueil qui 
doit pourrir avec eux. Les gens riches le font pré- 
parer à une certaine époque de leur vie, et le 
placent sous leur lit, ou dans un grenier. Il est 
d’un acajou superbe, bien nuancé, bien poli et 
recouvert de plaques d'argent sculptées. Un de 
ces cercueils coûte ordinairement de eent vingt 
piastres gourdes. 

Cependant le jour de notre départ approchoit, 
et quoique les vents ne fussent point favorables, 
nous éprouvämes leur inconstance, et allämes 
prendre possession de nos cabanes à bord de la 
Galatée. 

Après avoir passé la nuit auprès du fort, on 
leva laucre le mardi 12 février, et le pilote nous 
ayantquitié avec un excellent vent, nous pronos- 
üUqua une très-courte traversée. Nous vimes au 
départ cinq requins acharnés à la poursuite de 
noire bâument, mais nos lignes n’étant pot 
eucore préparées, nous ne pûmes en prendre. Le 
bon vent et la marche rapide de la Galatée servi- 
rent bien nos désirs. 


il est impossible d'exprimer les attentions du 


D'UN NATURALISTE. 299 
capitaine pendant notre mal de mer. Que le pre- 
mier de l’Adrastus perdoit au paralièie! Celui 
de la Galatée étoit aux petits soins, et nous pro- 
diguoit toute sorte de douceurs. ] nous ofroit 
sans cesse des fruits secs, des fruits confits cu du 
vin de Madère, ou bien encore de la bonne eau 
de vie de Cognac; il faisoit préparer, pour les 
dames, du thé ou une lonade cuite aiguisée 
d’un peu de rhum, et paroissoit oflensé lorsque 
nous n'acceptons pas. 

Le bon capitaine Payne nous raconta l'histoire 
d'un de nos passagers, son compatriote, qui se 
tenoit toujours seul, et avoit continuellement les 
yeux fixés sur la mer. Get étranger s’étoit rendu 
recommandable par un trait de bienfaisance peu 
commun dans un siècie où l’on préfère à la vertu 
l'usage de tous les vices, et qui mérite d’être 
cité. 

Dans les tems malheureux de la révolution 
francaise, où le blé étoit rare et occasionnoit une 
disetie générale , un inconvu réduit au désespoir, 
arrêta le soir en tremblant, dans une rue de 
Paris, un parüculier bien vêtu, et lui demanda 
Ja bourse ou la vie. « Arrête, lui dit sir FF*#; 
malheureux, que fais-tu? tu n’es pas un vo- 
leur » ! Puis cherchantàle ramener de son erreur : 
« Parle; confie-moi, poursuit sir F*#*, le sujet 
de ta peine? as-tu des besoins? peut-être pour- 


300 VOYAGES 


rai-je les soulager ». Le coupable honteux bais- 
sant la vue, laissa tomber ses armes et échapper 
des sanglots, en avouant à sir FX** qu’il étoit 
garcon cordonnier , et qu’il ne gagnoit pas assez 
pour faire subsisier ses neuf enfans. Sir F***, 
voulant s'assurer de la vérité du fait, se fit con- 
duire par l’indigent chez un boulanger où 1l 
logeoit, et où 1l reconnut l'authenticité de laveu 
du coupable. Sir F***, enchanté de l’occasion 
qui se présentoit de faire une bonne acuon, 
remit d’abord à lindigent une pièce d’or pour 
le souper de sa famille infortunée, et promit 
au pére de revenir le lendemain. 

Sir FFY* ünt sa parole , et acheta une peute 
boutique dans laquelle 1l imstalla le cordonnier. 
Ce don que lui permeuoit son opulence, retira 
du crime le malheureux père de famille, que 
la nécessité forca de sorur une seule fois des 
bornes de la probité. 

On sait qu’au mal de mer succède ordinaire- 
ment une fan insauable; nous nous mîmes 
donc tous à l’œuvre, et chaque passager voulut 
préparer un plat de sa facon. En qualité de 
chasseur , je me réservai pour les salmis , tandis 
qu’un colonel, Mr. S*a*, nous fit des crèpes 
exceilentes et très-délicates, Elles avoient pour- 
tant un défaut, c’est que le second capitaine, 
buveur renommé , en tenant le flacon d’eau 


D'UN NATURALISTE. 307 


de vie, avoit feint un roulis pour en verser 
davantage dans la pate; à cela près , nous les 
trouvâmes fort bonnes. 

Versla fin du jour, au moment du coucher du 
soleil où la brise se lève sur mer, un jeune mousse 
qu’on avoit envoyé dans les hunes pour parer 
quelques cordages, tomba à l’eau. Ses cris ré- 
clamoient du secours , lorsque son père qui tenoit 
la barre du gouvernail, d’abord incertain sil 
devoit la quitier , oublia son devoir pour obéir à 
la nature. Des cordes jetées en abondance lui 
firent surmonter l'opposition des flots, et lui 
servirent d'échelle , au moyen de quoi ül 
échappa à une mort certaine. Des qu’il fut sort 
de l’eau , on voyoit avec attendrissement son père 
sexagénaire, Croyant à peine à son bonheur, s’en 
assurer en pressant fortement son fils contre 
son cœur; ivre du plaisir d’avoir retrouvé le 
trésor qu'il alloit perdre, 1l pleuroit et sourioit 
tour à tour. Leur union esi si grande, qu'avant 
même cet événement , lorsqu'ils étoient libres 
de leur tems, on voyoit toujours le fils couché 
sur le pont auprès de son vieux père, tandis 
que celui-ci lui racontoit de petites histoires, 
ou lui apprenoit quelques chansons anglaises 
souvent interrompues par des embrassemens 
unanimes. Tous les passagers prirent beaucoup 
de part à la délivrance de cet intéressant enfant, 


302 VOYAGES 


Nous ramassämes sur le pont un poisson 
volant qui y tomba au nulieu de son élan, ne 
pouvant le prolonger. Tout le monde sait que 
ces poissons n’ont la faculté de voler que tant 
qu'ils ont les ailes motuiliées; qu'à mesure 
aweiles se sèchent, leur course se rallentit, et 
qu'enfin 1ls tombent comme une masse aussitôt 
que l’eau s'en est évaporée. C’est à cetie chute 
que les dorades les attendent, et les poursuivent 
toujours avec avantage; s'ils ont eu le bonheur 
d'échapper quelques momens à la poursuite de 
leur ennemi juré, 1ls reprennent un second vol, 
et souvent alors, en déviant leur direction, ils 
-se délivrent de leur persécuteur. 

D’après les calculs sûrs de notre capitaine, 
excellent marin, on jugea la terre irès-près, et 
on mit en panne , de peur d’ailer pendant la nuit 
faire naufrage sur les côtes. Sa conjecture étoit 
vraie; Car, au point du jour, ayant repris la 
route, nous apercümes au bout de deux heures 
les îles Caïques. 

Nous rencontrâmes une goéletie venant du 
Cap , île de Saint-Domingue , et qui nous 
assura la parfaite tranquilité de Îa colonie. 
Nous apercûmes, le samedi 23 février, le môle 
Saint-Nicolas : qu'il m'en coûta de détourner 
la vue de cette terre habitée, lieu de notre 
destination ! Le capitaine lui-même regrettoit, 


D'UN NATURALISTE. 303 
ainsi que moi, la suspension de commerce enire 
les Etats-Unis et la France; car 1l eût faut à 
Saint- Donnngue une belle spéculation sur sa 
cargaison ; c’est pourquoi il regardoit, avec des 
veux de désir et de regret, ces montagnes 
imposantes et majestueuses. 

La vue d'un bâument nous obligea à faire 
côte vers l’île de Cuba, dont l’abord a quelque 
chose de sinistre. C’est une chaîne de montagnes 
qui se prolongent en tous sens plus loin que la 
vue peut s'étendre, et dont la hauteur est barrée 
souvent par des nuages qui les environnent. 

Ce bâtiment étoit un corsaire anglais qui, au 
moyen de deux coups de canon, nous forca de 
hisser le pavillon, et d'amener. Le capitaine 
envoya à notre bord pour fouiller les malles 
des passagers. Les deux officiers s’adressèrent 
d’abord à moi, et je tremblois pour des paquets 
du gouvernement dont j'étois porteur, lorsqu’aux 
mots de goddem you frantz, on les appela sur le 
pont. J’eus donc le tems de soustraire ces paquets, 
et de recouvrir ma malle principale des atiribuis 
de Ja franchie maconnerie. 

Les inspecteurs anglais traitérent plus rigou- 
reusement Les autres passagers. Avant fait ouvrir 
leurs malles, ils bouleversèrent tous les effets 
sans ménagement ; l’un d'eux poussa la vexation 
jusqu'à jeter à la mer un carton rempli de den 


304 VOYAGES 

telles. Is revenoient à moi, lorsqu'un exprès du 
capitane-commaändant leur ordonna de sus- 
pendre leur visite. Je fis néanmoins un signe 
à la faveur duquel ils m’emmenèrent à leur 
bord ; et après un toast maconique , le com- 
mandant me remit une lettre de recomman- 
dation pour les autres croiseurs, par qui sûre- 
ment nous serions visités. Je lacceptai avec 
reconnoissance , et par le charme attaché à ceute 
sainte institution , oubliant la querelle de nos 
deux nations, nous nous quittûmes avec des 
souhaits de prospérité de part et d’autre. Ce 
corsaire s’appeloit Ze Pélican. 

Une heure après, nous rencontrâmes un 
second croiseur, auprès duquel ma lettre de 
crédit me fut d’un grand secours, en raison de 
ce qu’elle me dispensa de la visite. 

Füen ne peut dépendre la tristesse des atié- 
rages de l’île de Cubes. Les montagnes sombres 
et arides qui forment le rivage , ne sont recou- 
vertes en certaines parties que de peuts buissons 
à peine apparens. Aucune créature animée ne 
foule ces endroits abandonnés ; cependant nous 
apercümes au pied de ces masses terrestres un 
souffleur (1), qui par ses évents jetoit l’eau à 


(1) Cet animal pisciforme est du genre des cétacés, 
etil est muni d'un ou deux évents sur la partie supé- 
une 


D'UN NATURALISTE. 30 


une hauteur prodigieuse. Il avoit au moins 
soixante pieds de longueur. 

Nous renconträmes dans l’après-mndi cinq 
corsaires anglais gardant scrupuleusement les 
côtes, et qui dans leurs croisières ont ordre de 
couler à fond tont bâtiment français qu'ils ont 
pris. 

Enfin, après avoir employé une parue du jour 
à côtoyer ces monts ennuyeux par leur mono- 
ionte , nous apercümes le fort de Saint-Yaco, 
distant de la ville de deux lieues, ainsi que 
nous lapprîimes à notre arrivée. Comme il 
faisoit nuit, un pilote espagnol vint à notre 
rencontre dans une pirogue sans voiles, qu'il 
conduisoit au moyen de pagaies. Ïl monta à 
notre bord, et promit de nous conduire le len- 


rieure de la tête. On en distingue de plusienrs espèces 
qui comprennent les baleines, les cachalois, les 
narhwals, lourque, l'épée de mer du Groënland, 
le marsouin et le dauphin. Ces poissons monstrueux 
peuvent d'un seul coup de queue faire chavirer un 
vaisseau , et le submerger. Les évents de ces cétacés 
leur servent à l'inspiration et à l'expiration ; c’est le 
siése de leur odorat. Ces animaux privés d'air péri- 
roient certainement, ainsi que font éprouvé des 
pêcheurs qui ayant pris de ces cétacés dans leurs 
filets, les y ont trouvé asphixiés pour les avoir laissé 
quelque tems embarrassés dans Les rets. 


Tone L | V 


300 VOYAGES 
demain matun; car il falloit obtenir auparavant 
la pernussion du commandant du fort. 

L'entrée de Ja baie, garnie de forteresses, offre 
un très-johi coup d'œil : on y voit la nature 
ioujours en travail, entre-méler de nouvelle ver- 
dure les feuilles dépérissantes. Sur le même 
arbre on distingue souvent le bourgeon entre la 
fleur et le fruit. L’odeur des acacias (1) qui s'étend 
au loin , parfumoit la soirée belle et calme. Les 
oiseaux marins cherchoient en tournoyant un 
refuge pour la nuit, et annoncoiïent la décou- 
verte d’un rocher convenable par des cris plus 
ou moins aigus. Les pêcheurs quittoient Ja haute 
mer pour rapporter à la ville le fruit de leurs 
recherches ; d’autres plus diligens s’occupoient 
sur le rivage à choisir leurs poissons, à boucaner 
ceux de moindre valeur , ou à étendre leurs 
filets. Enfin le repos de cette soirée n’étoit inter- 
rompu que par le bruit des vagues, venant se 
briser sur les rochers redoutables qui garnissent 
et défendent l'entrée de la bate de Saint-Y ago de 
Cuba. Le rivage, garni de cabanes de pêcheurs 
à moitié dérobées sous un feuillage épais et nué 
de diverses couleurs, contrastoit avec le silence 
imposant des mornes et des-doubles montagnes 


{1) Acacia vera. Voyez, Plantes usuelles des Antilles, 
l'histoire de cet arbre, à l’article Mimosa olens. 


D'UN NATURALISTE. 30" 
mhabuées, et où la nature est encore dans son 
état primiuf. 

À peine l'ancre fut-1l jeté , que nous eûmes 
à notre bord des soldats du fortqui se trouve au 
sommet d’une des montagnes. Tous ces envoyés 
à denu-nus et couverts de lambeaux , s’étoient 
emivrés ; et dans l’épanchement de leurs tendres 
sentimens, 1ls nous pressoient contre leur cœur. 
Un d'eux surtout navoit pris en affecuon, et 
se ruinoit en démonstrations exagérées , mais 
vêtu d’une courte chemise, sans veste m culotte, 
son costume n’étoit point fait pour inspirer beau- 
coup de confiance. Il vouloit absolument m'em- 
brasser; mais, ayant toute ma raison, je le re 
boussai vers l’autre bord : il revint à moi sans 
rancune, et me parlant espagnol, 1l me proposa 
de boire après lui dans son verre, selon la cou- 
iume du pays; je n’avois point soif, et d’ailleurs 
cette offre n’étant point tentante, je le refusai 
encore. Cet homme resta quelques imstans à cher- 
cher un autremoyen de me plaire; puis, rompant 
tout-à-coup le silence, il ôta du dessus de sa tête en 
désordre son chapeau couvert de graisse, etpritau 
fond quelques cigares sur lesquels se promenoient 
plusieurs de ces insectes qui répugnent tant à 
l'homme propre; puis les ayant mächés aux deux 
extrémités , afin d'établir un courantd’air, il nr'of 
frit de les allumer. Je ne pus tenir à cette action 


V 2 


308 VOYAGES 

dégoütante, et lui annonçai mon mécontente- 
ment par un regard de mépris. Ce soldat voyant 
enfin qu'il ne pouvoit rien gagner à ses offres 
intéressées (car il s’agissoit d’une grauficauon 
si j'eusse accepté ), me quitta brusquement en 
frappant la terre de ses pieds , ei murmurant à 
voix basse ; puis me fixant avec fureur, il toucha 
le poignard dont les Espagnols sont tous armés, 
et se retira. 

Le lendemain , en montant au fort pour Îa 
visite de nos papiers, j'admirai linconcevable 
variété de la nature dans ses productions par- 
tout diversifiées. Ce n’étoit plus celles d'Europe, 
mi du continent d'Amérique, que nous vemons 
de quitter ; toutes nouvelles plantes s’offroient à 
mes yeux attendris d'admiration. De ious côtés 
je contemplois des objets inconnus. Je vis des 
hirondelles, ee n’étoit plus celles de France; J'en- 
iendois sur les rochers et dans le feuillage le 
chant des oiseaux, et je restois émerveillé de ne 
point reconnoîilre ces nouveaux accens. 

Après avoir rencontré, chemin faisant, quel- 
ques matelots d’une chaloupe arrivant de Saint- 


Domingue , assis autour d’un boucan (1), et être 


(1) Endroit où les naturels des Antilles enfument 
leur viande à La vapeur tériforme de plantes aroma- 
tiques, telles que feuilles de citronmier, de goyavier, ele. 


D'UN NATURALISTE. 309 
resté dans l’admiration à la vue d’un énorme 
rocher caverneux qui leur servoit d’abri, nous 
arrivämes au fort. Nous fmes présentés au com- 
mandant , etj'eus , chez lui, occasion d’y faire 
des observations sur quelques coutumes du pays. 
Les maisons des colons de cette île sont très- 
acrées , et recouvertes d'essentes (1) qui réver- 
bèrent moins la chaleur que la tuile. Jamais au- 
cune tapisserie ne reconvre les murs blanchis 
à l’eau de chaux , n1 carreaux, l’aire des appar- 
temens. Les ferètres , à cause des tremblemens 
de ierre et d’une concentration incominode, 


étant inutiles , on ne se sert point de vitres en ce 


lets à l'extérieur ; ce qui donne à ces croisées la 
configuration d’un cloître. Pair cireule d'autant 
plus facilement dans l'intérieur de ces maisons, 
que les quatre muraiiles sont percées d’ouver- 
tres toujours libres, et que les chambres n’ont 
n1 plafonds , n1 greniers , n1 étages supérieurs. 
Les rez-de-chaussée sont seuls d’usage dans ces 
pays où les tremblemens de terre exercent sou- 
vent leurs ravages; malgré cela , les maisons sont 
rès-Clevées. 


Le r fem Je) Ce faron . l LAN Ir 
eux iCcinmmes se prestriicrent . L'une «à eiies 


” 


(x) T'uiles faites avec des planches de bois blanc. 


V3 


310 VOYAGES 

étoit âgée, mais l’autre touchoit à peine à son 
troisième Justre. La première, épouse du com- 
mandant, avoit les cheveux rigidement relevés 
en toupel, et un peigne grossier fixé sur un 
énorme Ccatogant. Elle n’avoit qu’un seul jupon 
sur une chemise de gaze fort découverte, et dont 
les plis ibres n’étoient comprimés ni par un fichu, 
pi par un corset : le sein, par conséquent , flot- 
toit à l'abandon. 


La jeune Espagnole vêtue encore plus indé- 
cemment, u’avoit qu'un bras passé dans sa 
chemise, et laissoit voir tout un côté du buste 
à demi-nu , se servant d’un voile négligemment 
quoiqu'artustément jeté sur son épaule, pour 
découvrir ou dérober tour à tour des contours 
parfaits et dignes des trois Grâces. 


On voit dans l’intérieur des maisons, au lieu 
de vaisseliers, des bosquets artificiels construits 
en feuillage, et qu’on se plaît à renouveler lors- 
qu'il commence à faner. C’est au centre de cette 
verdure que je distinguai un pot à l'eau, quei- 
ques vases de cristal , et autres objets nécessaires 


pour se rafraîchir, 


Le commandant, après nous avoir fort bien 
recus et fait prendre de la limonade, nous ex pédia 
assez LÔt pour que nous pussions nous embar- 


NT 3 ! A ce, , 
quer à l'heure de la marée : après avoir vogue 


D'UN NATURALISTE. 311 
dans le golfe , nous vinmes mouiller en la rade 
de Saint-Y 190. 

Nous descendimes à terre, et mon projet étant 
de conunuer mes remarques, voici quel fut le 
résultat de mes observations. Chaque maison res- 
semble à Pentrée d’un souterrain, ou caveau sé- 
pulcral. Le premier vesuibule au fond duquel 
on apercoit une grande porte voütée en pierre, 
et dont le ceintre sculpté ressemble à celui des 
églises, étant ordinairement plus frais et moins 
reuré que les appartemens du fond ; c’est là 
qu'on y voit les Espagnoles à demi-nues prendre 
le frais sur de longs fauteuils. La chaleur à 
Sant-Yago de Cuba est plus insupportable qu'à 
Saint-Domingue, en raison de linterception de la 
brise de terre dans ces gorges rétrécies , où un 
tuf blanc et qui fatiguela vue, réverbère Pacuon 
du soleil. 

IL n’est point de pays où l’indécence , en gé- 
néral, soit portée aussi loin que dans les Anulles. 
Les enfans à Saint-Y ago jouentdevant les portes, 
sans aucun vêtement sur leur corps. Les négresses 
ou mulatresses qui y fourmllent, sont nues 
jusqu’à la ceinture. Î est ridicule de voir en cet 
état les femmes âgées, qui ne peuvent par la com- 
pression emprunter les secours bienfaisans d’un 
art imposteur. 

À chaque croisée est attachée Ia branche de 


Y 4 


312 VOYAGES 

palmiste bénie au dernier dimanche des Ra- 
meaux, et qu'on renouvelle tous les ans ; ce qui 
donne un joh coup d’œal lorsque la verdure est 
encore fraîche. | 

La ville ressemble à un couvent spacieux. On 
n'yreucontreie jour que des hommes ,des padres, 
et des moines de touie espèce , encore n'est-ce 
que le matin et le soir , car dans le nnkhieu du 
jour les rues sont désertes ; et comme le dit le 
proverbe espagnoi, on ne rencontre à celte heure 
indueque deschiens ou desFrançais, tant la cha- 
leur y est grande et insupportable. 

On y voit des voitures à l’antique recouvertes 
d'un surtout de toile, de peur sûrement que le 
soleil n’en écaille la triste peinture, mais qui doit 
faire ciouffer les maîtres reclus en ces tristes cabas. 
Le posullon est plus à son aise ; car les voitures 
sont traînées par un mulet en brancard , sur 
lequel est perché un grand dandin de domestique 
qui, de peur de rester les jambes suspendues , se 
tient accroupi comme un singe. Ces voitures vont 
rarement plus vite que le pas. On n’en voit pont 
d’une autre espèce. 

Il existe dans les forêts des environs de Saini- 
Yago, deux arbres curieux et intéressans par 
leur uulité, mais dont les Espagnois ne retirent 


3 


pas beaucoup d’avaniage par la négligence qu'ils 


apportent à sa reproduction. Le premier est 


D'UN NATURALISTE. SES 


l'arbre à pain (1); la seconde plante est la 
hiane (2) à eau (3). 

L'arbre à pain où artocarpe, est un arbre 
trés-élevé et branchu; ses feuilles qui naissent 
aux extrémités des branches, sont longues de 
deux pieds environ, dentelées comme celles du 
chêne. Les fleurs, mäles et femelles, sont sur le 
même pied. Les premieres sont amentacées ou 
disposées en chatons ; les femelles contiennent 
un pisul qui doit être fécondé par le pollen des 
chatons, et produire un fruit sphérique de la gros- 
seur de la tête, et dont l'enveloppe est formée de 
prismes pentagones et hexaëdres , contigus les uns 
aux autres. Ce fruit conuent à l’intérieur une 
quantité considérable d'amandes ou chätaignes 
réunies à un placenta charnu qui se trouve au 
centre, et dont la substance peut être comparée 
au fruit du marrommer. On coupe ces chätaignes 
par rouelles, on les fait sécher , et on les réduit, 
si l’on veut ,en farine. Si onlesa fait cuire au four, 
on les mange alors avec des ragoûis ou du peut 

alé. 


(1) Ou Rima; Arbor panifera; Soccus, Rumph. ; 
ÂArtocarpus, Linné. 
(2) Les lianes sont des plantes sarmenteuses propres 
aux Antilles. 
(5) Akacate; Arum scandens, Angusti folium, Aquam 
manans, 


314 VOYAGES 


La liane à eau est commune dans les bois. 
Lorsqu'on la coupe transversalement, il en 
découle un suc limpide uule aux voyageurs 
altéres. 

Je me plus de notre bord à décrire la ville de 
Saint- Yago. Sur le penchant d’une montagne 
sillonnée de ruisseaux limpides , à portée de 
Jorèts, de Ja mer et d’une rivière poissonneuses, 
s’élévent des maisons rangées sans symétrie. C’est 
une échappée qui de notre goélette offroit au 
Join , à l'horizon opposé , quelques bâtimens épars 
sur un océan mollement agité. Une partie de la 
ville sert de pause au premier coup d'œil. Tôtou 
tard les regards retournant sur eux -mêmes, sont 
étonnés de n’avoir pas admiréunesuite deravines, 
où le dater et les palmnstes à feuillages diverse- 
ment nuancés ; soutiennent avec grace leurs 
branches délices, balancées par le vent. Quelques 
rochers égarés çà et là y rendent la verdure moins 
monotone. Les bananiers ombragent aussi la 
plupart des maisons. 

Le warf ou embarcadère en est très-vivant. On 
le voit fréquenté par des padres oiseux qui y 
proménent leur ennui, et vont y recevoir les 
hommages des Espagnoiïs des deux sexes, qui sont 
obligés à leur approche de s’incliner très-profon- 
dément, et de Icur aller baiser respectuensement 


la main. Sur le bord du rivage ce sont Îles chan- 


D'UN NATURALISTE. 315 


üers des charpentiers et calfats des bâtimens de 
la rade, des objeis d’arullerie, des chaudières 
bouillantes destinées à goudronner les cordages. 
Le transport des marchandises importées ou 
exportées y ocCcupeaussi une quantité d’'Espagnols 
désœuvrés. Auprès d’un corps de garde, à quel- 
ques pas du bord de la lame , s’y remarquent une 
potence et son échelle qui y demeurent en per- 
manence, sûrement pour intimider les mal-fai- 
teurs. On y retrouve des Turkei-buzzards qui, 
ainsi qu’à Charles-Town, s’y disputent les cada- 
vres, ®t y exercent une police qui assure la salu- 
brité de l’uir. A la droite enfin, l’œil aime à se 
reposer sur un tapis de verdure qu'offre une 
prairie montueuse, traversée par un sentier étroit 
ettortueux, conduisant à un petit ajoupa qui, avec 
quelques bêtes à cornes, trois cabrits et un mu- 
let, fait toute la propriété d’un espagnol, heureux 
sûrement sous ce chaume paisible. Il trouve dans 
sou enceinte tout ce qui peut lui assurer une 
douce existence. 

Je descendis une seconde fois à terre, accom- 
pagné d’un passager qui parloit l’espagnol; et 
comme à notre bord nous n'avions pas de maitre- 
d'hôtel, nous allämes nous-mêmes au marché 
y faire nos provisions. En comparant l'extrême 
propreté des boucheries de la Nouvelle- Angle- 


ierre, avec la dégoûtante négligence qui règne 


316 VOYAGES 

dans celles de Saini-Yago , je me décida avec 
beaucoup de répugnance à acheter de cette viande 
mal saignée, couverte de boue et de poussière, 
enfin déchirée en lambeaux plutôt que coupée. 
Ne comptant pas faire un voyage aussi long 
pour arriver à Saint-Domingue, nos fonds 
commencoient à baisser, et ne s’accordoient 
guère avec la cherté excessive de tous les co- 
mesubles. L’odeur féude des négresses mar- 
chandes, dont la sueur infecte arrosoit les provi- 
sions, m'invita de plus en plus à me restreindre 
à ne manger que des fruits, parmi lesquels nous 
rapportämes des cocos (1), des mirlitons (2), es- 
pèces de concombres de la fanulle des cueurbita- 
cées ; des ignames (3), des patates (4) , des caï- 
mites (5), des cœurs de bœuf (6), des corrosols (5), 


nee nn + 


() Nux palmæ cocciferæ angulosa. Voyez Traité 
des plantes usuelles pour ces différentes productions. 

(2) Cucumis Anguria, Lann,; Anguria americana, 
fructu echinato eduti. ‘Fourn. 107. 

(5) Polygonum scandens, hetich americum, thev. 52; 
Dioscorea, pl. ic. 117. 

(4) Convolvulus batiata. 

(5) Fruits du caïmitier pomiforme, Chrysophyllum 
caimito, Lann., Plum. 

(6) Anona reticulatas; Tann. 

(7) Anona muricata, Linn.; Guanabanus fructu è 
viridi lutescente , moiliter aculeato. Plum. 


D'UN NATURALISTE. 317 
des Ananas jaunes ( 1), des Ananas pains de 
sucre (2). Ayant promis d’être impartial en pre- 
noncçant sur la bonté des fruits de la colonie de 
Saini-Domingue, je me tairai sur ceux-ci, le 
climat, me dit-on, ne les donnant point au:st 
délicieux qu’à Saint-Domingue où je nre réserve 
de donner mon avis. 

Les rues sont garnies, à Saint-Yago de Cuba, 
de cocotiers et banamiers (3), dont on admire 
toujours avec intérêt, et le port majestueux, et 
la stature élégante. On y rencontre aussi des 
pieds de tomates (4), y végétant naturellement, 
ainsi que Pacacia de Saint-Domingue (5) dont 
l'odeur est si suave. 

A mon retour du marché, il fallut songer à 
nous procurer un logement dans la ville, et à 
payer le capitaine. Nous trouvämes trois petites 
chambresdégarnies, etrécemmentréparées dont 


a ——"* 


(r) Ananas fructu pyramidato , carne aureà , Tourn. 
(2) Ananas maximo fructu conico, Plum. 
(5) Musa, Plum. 

(4) Tomates, espèce de solanum, fruit pulpeux qui 
rougit en mürissant, disposé par côtes, et dout on voit 
la description , Plantes usuelles des Antilles. 

(5) C'est la cassie des jardiniers. Sesfleurs en houppe 
sont jaunes et odorantes, propres à-{a parfumerie, 
C'est le mimosa oleus de quelques auteurs. 


318 VOYAGES 


on nous demanda trente-six gourdes par mois (1). 
Ce prix exorbitant que nous étions dans l’im- 
possibilité de payer, nous les fit refuser, et 
demander au bon capitaine Payne la permission 
de rester encore quelques jours à son bord; ce 
qu'il nous accorda d’un air satisfait. 

On nous mdiqua une occasion pour Saint- 
Domingue; mais le propriétaire de la chaloupe 
étant malade, et ayant besoin d'argent pour 
payer d'avance son équipage, nous demanda 
quarante portugaises (1), dont il exigeoit au 
moins la moitié comptant. Comment faire dans 
un pays où nous étions inconnus ? Nous fimes 
part à ce capitaine des malheurs que nous 
venions d’éprouver, et Jui fimes entrevoir 
l'espoir certain de le solder en arrivant à Saint- 
Domingue , où la famille R. D. étoit assez 
généralement connue. À ce nom 1l versa des 
larmes de reconnoissance, et déplora sa position 
qui le forcoit à être ingrat, envers une famillé, 
des bienfaits de laquelle 1l tenoit son bonheur 
et son indépendance. Cependant, il se borna à 
des larmes stériles qui ne nous furent d'aucun 
secours, mais qui néanmoins nous firent plaisir , 
tant il est doux de retrouver à présent dans le 


(1) Environ 288 livres, argent des colonies. 
(2) Environ 2688 livres, argent des colonies. 


D'UN NATURALISTE. 319 


cœur de l’homme le beau senument de la 
reconnoissance. 

Cependant le iems s’écouloit, et nos fonds 
diminuoient sensiblement , lorsque nous réso- 
Iûmes de faire pari au capitaine Payne de noire 
posiüon , de notre nom , et de nos malheurs. 
Notre récit toucha sensiblement le bon Thomas 
Payne, lui fit même verser des larmes d’atien- 
drissement; aussi, non seulement il consent à 
ne recevoir pour le moment aucuns fonds qui 
suffisoient à peine pour saüsfaire à nos besoins 
les plus urgens ; mais 1l poussa la délicatesse 
jusqu’à nous offrir un supplément de finances, 
sans nous connoître , et il se trouva outragé 
de notre proposition de déposer en ses mains 
quelques bijoux; nous disant, en les repoussant 
loin de lui : « Gardez, gardez vos affaires, moi 
» gagné cargaison , que je vendre quand moi 
» gagné bésoim d'argent; vos efiets vous être 
» bons pour voire voyage ». Cette phrase d’un 
patois francisé nous émut jusqu'aux larmes , et 
quelle fut ma joie lorsqu'en lui serrant la main, 
1l me fit un atiouchement maconnique! El s’étoit 
apereu déjà que j'avois l'honneur d’être mêmbre 
de cette société fraternelle , et avoit reconnu 
dans ma malle plusieurs bijoux qui, par paren- 
thèse, avoient été déployés par les officiers du 
croiseur anglais, le Péhican. Enfin, ce dévouement 


320 VOYAGES 


généreux auquel Pavarice commune nous dé- 
fendoit de nous attendre, nous frappa d’éton- 
nement, d’admiration et de reconnoissance. 

Le bon Thomas Payne, à qui je ne saurai 
jamais trop exprimer ma gratitude, poussa de- 
puis cet entrellen ses prévenances à l’excès, 
et nous offroit sans cesse nnile friandises 
agréables à bord, avec une lovale franchise, 
et cette umidité, type de sa délicatesse qui pa- 
roissoit craindre d’offenser notre amour propre. 

Notre diner de ce jour fut servi plus splen- 
didement qu’à l'ordinaire; c’est pourquoi lui- 
même voulut faire les honneurs de sa table, 
et nous versa malcré nous, à profusion, du vin 
de Bordeaux qu'il achetoit à terre une gourde 
la bouteille , du Madère , et ce qu’il avori de 
plus délicat en liqueurs de la Marunique. La 
soirée étant chaude , et notre bon capitame 
craignant par sa consituuon replète de nr’être 
incommode en couchant avec moi, n'ayant plus 
de quart à faire, et par cela même toutes les 
cabanes étant occupées, 1l coucha par terre sur 
une natte, et voulut absolument me laisser 
dormir seul dans le hit, sans qu'aucune soili- 
citation de ma part ait pu affoiblir la résoluuon 
de ce bon père de famille. 

Je descendhis le 1er. mars à terre avec le capi- 
tine, pour y continuer mes remarques. Tout 

homme 


D'UN NATURALISTE. 321 


homme passant en Espagne devant une éghise, est 
obligé de s’incliner profondément, sous peine 
de blesser les lois de la bienséance, s’il oublie 
de satisfaire à ce saint usage ; on uent beaucoup 
à cet acte extérieur. I] en est de même, pendant 
que l’Ængelus sonne, et l’on est obligé de s’ar- 
rêter tout court dans la rue, si l’on marchoit; 
ou de suspendre la conversation, si plusieurs 
personnes groupées étolent occupées à causer. 
On se découvre alors la tête, on s'incline, on 
récite une prière jusqu’au moment du carrillon 
qui dégage de cette retenue. Ce moment étonne 
ordinairement les étrangers par sa singularité. 
Les Espagnols portent leurs provisions du 
marché dans une macoute, üssue de feuilles 
sèches de latanier (1) tressées ; elles remplacent 
nos paniers d'Europe. On vend de looille (2) 
dans des feuilles du bananier ; cet amalgame 
n’est guères appélssant, et dégoûte à la vue. 


(x) Appelé Palmier en éventail; Palma dactylifera 
radiata, major, glabra, Plum., Gen., Barr. 90; 
Carnaïba, Pis. 1658, p. 126; Palma brasiliensis pruni 
fera; folio plicatili, seu flabelliformi, caulice squam- 
mato, ou Alattani des Caraïbes. 


(2) Espèce de potage composé de viandes diffé- 


rentes et de légumes presqu'à sec, qu'achètent les 
pauvres gens. 


TouE L X. 


322 VOYAGES 

D'autres marchands offrent une pâte, en boules, 
de gros millet (1) grillé, et dont les grains sont 
agglutinés les uns aux autres par le sirop de 
batterie; ceux-C1, des boïilles faites de farine de 
maïs édulcorée par le sirop , et cuites sous les 
cendres dans une feuille de bananier. Tous ces 
mets plaisent par leur nouveauté, et on admire 
en cette innovation le génie inventeur de 
l'homme , et la puissance qui l’a créé ; mais que 
le pain est préférable ! 

On vend également en ces marchés des amas 
de tassau (2) d’une couleur brune et désagréable, 
provenant de ce que l'animal n’a point été assez 
sa1gné. 

Les Espagnols excellent, par exemple, dans 
la préparation des confitures sèches; aussi leurs 
pâtes de goyaves sont-elles très-recherchées, et 
vendues à l'Etranger. J’ai décrit ces mets pour 
donner à connoître le peu de sensualité des Es- 
pagnols , qui font consister leur luxe à être 
couverts d’or; et s'ils ne font aucun sacrifice 
pour diversifier la nature de leurs alimens, ils 


(1) Ou sorso, sorgum sive melica, Dod., Park. ; 
Milium arundinaceum, subrotundo semine migricante, 
sorgo nominatum, C. B., Tourn.; Milium africanum. 

(2) Viande coupée en aiguillettes, frottée de jus de 
citron et séchée au soleil. 


D'UN NATURALISTE. 323 
rapportent les fruits de cettesévère économie en fa- 
veurdeleur parure, quoique toujours incomplète 
et malordonuée. Les hommes de Saint-Y ago ont à 
leurs souliers des boucles d’or si matérielles et si 
larges dans leurs dimensions, qu’elles recouvri- 
roient volonuers le double de leurs pieds. Leurs 
habits de soie, linon , ou d’étofles des Indes, ont 
des boutons du même métal non moins gros- 
siers, de même que les pommes de leur longues 
* Cannes. 

Le plus riche propriétaire de Saint-Yago, 
dans un diner prié où 1l m’avoit invité, ainsi 
que beaucoup de Francais, fit servir, pour 
trente personnes environ, une copieuse oille 
et du chocolat. Quel contre-tems pour un gas- 
tronome ! 


Une des incommodités de la ville est d’aller 
chercher l’eau douce à une rivière distante de 
Sunt-Y ao de deux lieues, et d’où on la trans- 
porte soit dans des dames-jeannes portées par 
des mulets, ou bien dans des tonneaux conduits 
par des pirogues. 

Les bœufs dont on se sert pour charrier les 
marchandises du port, ont les naseaux fendus , 
au travers desquels on passe une courroie pour 
les conduire. 


Les hommes et les femmes portent au cou de 


X 2 


324 VOYAGES 


très-longs chapelets ; et les dernières , pour aller 
à l’église, sont tenues à un costume religieux, 
qui consiste à n'avoir qu'un jupon noir, et um 
voile de la même couleur, sous lequel la plupart 
n’ont point de corset, et la gorge est découverte. 
Cette coquetterie plaît, surtout aux jeunes Es- 
pagnoles, qui aiment passionnément les hommes, 
et surtout les Français, à cause de leurs manières 
galantes et aimables auprès d’elles, ayant soin de 
soulever par méprise ce voile importun, et de 
décéler , aux regards avides de leurs admirateurs, 
des appas naissans qu'une tendre émotion sou- 
lève , et dont la vue achève bientôt leur conquête. 
Les jeunes Espagnoles sont très-libres, et ne 
wouvent que du plaisir à sourire aux jeunes 
gens, et à les fixer. Je ne puis concevoir que 
dans un pays où l’on se flatte de suivre ponctuel- 
lement les préceptes de la religion chréüenne, 
on tolère cet excès d’indécence et d’irrévérence 
pour les lieux saints. 

Les femmes à l’église se tiennent accroupies, les 
moins riches sur une natte, etles plus distinguées 
sur ua tapis que porte leurs esclaves. Le peuple 
au milieu de l'office, en signe de repentr et par 
une humble componction, se frappe la poitrine 
à coups redoublés, assez forts enfin pour que 
le lieu saint en retenusse. 

Nous achetämes de très-bonnes oranges, de 


D'UN NATURALISTE. 335 


l’arcahaie, et des sapoulles (1) que leur saveur 
exquise et parfumée fait regarder comme le 
meilleur fruit des Anulles. Je me procurai aussi 
de la cassave; on nomme ainsi un composé 
farineux qui sert de pain aux nègres : il est uré 
de la racine de manioc (2) dont on a exprimé 
tout le suc, qui est un poison subül. On fait sé- 
cher cette racine au four ; et après l’avoir broyée, 
on la met cuire entre deux plaques de fer rondes, 
et rougies au feu. Ce mets tant esumé des 
Créoles, se trempe dans les sauces, mais ne peut 
perdre son goût, selon moi désagréable , en un 
mot semblable à l’odeur d'urine de souris. Quel 
fut le mortel assez hardi pour approprier cette 
plante vénéneuse aux besoins de ses semblables ! 

Il faisoit trés-chaud, et nous primes, en re- 
montant à bord, un punch froid, composé de 
jus de citron (3) qu’on trouve sur les haies d’en- 
tourages , de sirop et de tafia. On a pour 
presser ces citrons, et ne point se poisser les 


(1) Achras, Linné ; Sapota, Plum.; Manitambou 
des Caraïbes ; voyez au Traité des plantes usuelles, à 
la fin de cet ouvrage. 

(2) Voyez ce mot, Traité des plantes usuelles. 


(3) C’est le fruit du citronnier sauvage des Antilles. 
Il est rond, d'un jaune paille ; l'écorce en est lisse : il 
a'est pas plus gros qu’une moyenne pomme d'apis. 


X 3 


396 VOYAGES 


mains de leurs parues acides et éthérées une 
machine fort simple qu’on pourroit, sur un 
modele plus grand, faire servir en France à 
l'expression des groseilles pour les limonades. Ce 
sont deux plans, du bois le plus dur, parallèles 
et joints par une fiche à charmère à l’une_des 
extrémités , de manière à pouvoir faire le levier 
à l’autre bout. Le plan supérieur est muni, in- 
térieurement vers le milieu , d’un relief ou 
abochon circulaire et convexe, destiné à s’em- 
boîter dans une cavité de même capacité qu'offre 
le plan inférieur, la cavité étant perforée de 
plusieurs trous pour l’écoulement du jus de 
citron. C’est dans ce creux qu’on met la moitié 
d’un citron coupé en deux; puis appuyant dessus 
la partie supérieure , le moule saillant exprime 
exactement tout le jus du citron dont il ne reste 
plus que le marc, c’est à dire les pulpes et la 
peau qui, parfaitement retroussée, recouvre le 
cabochon. 
Toutes ces petites expériences ne suflisoient 
point pour m'ôter le désir d'aller m'instruire 
dans les bois des environs de la ville, en y con- 
templant ceue nouvelle nature; je priai donc 
le capitaine de me prêter son grand canot à 
voiles pour aller reconnoître les îles voisines; 
et profitant d’une helle matinée, je me fis 
accompagner de deux bons rameurs, puis nous 


D'UN NATURALISTE. 327 
partimes. La mer étoit calme, et l’air pur em- 
baumé du parfum des fleurs, nous reportoit 
aussi le chant des oiseaux du rivage. Nous abor- 
dämes bientôt à l’ouest; eten mettant pieds à 
terre, je commencai ma récolte. Le bord de la 
mer, ombragé de mangliers chargés d’huîtres (1), 
étoit couvert de coquilles fossiles et d’oursins. 

Ces espèces de mangliers qui croïssent par 
touffes, comme les marsauts d'Europe, s'élèvent 
.à la hauteur d’environ vingt à vingt-cinq pieds; 
leur écorce est d’un gris-rougetre. Cet arbre se 
plait dans les endroits marécageux du bord de 
la mer; et son écorce est fébrifuge (2). Ce man- 
gher , qui est une espèce de palétuvier , est couvert 
d’huitres adhérentes à ses racines arquées, qui 
s'élèvent au dessus du terrain où 1l se reproduit; 
aussi qu'a celles de ses branches suscepubies 
d’être baignées dans l'eau de mer, à la marée 
montante. Les huîtres déposant leur frai sur ces 
arbres ,onen voitconstammentde toutegrosseur, 
et qui sont très-estimées. Ce manglier se repro- 


(Gi) Appelé par les Indiens Guaparaïba, et par les 
Portugais Mangue verdadeiro, manglier noir, véri- 
table ou salé. Selon Nicolson, Candela americana ; selou 
Pison, Mangue guaparaiba ; Mangles aquatiqua de 
Plumier ; Rhizopora de Linné. 

(>) Voyez Traité des plantes usuelles des Antilles. 


X 4 


328 VOYAGES 


duit d’une manière remarquable ; on voit pendre 
des branches latérales une infinité de brins 
composés de filamens rassemblés, lesquels, ar- 
rivés à terre, sy couchent avec le tems, y 
prennent racines que l'humidité provoque, et 
forment autant de mangliers qui se perpétuent de 
le même manière. Les racines de ces arbres sont 
tellement entrelacées qu’elles s'étendent au loin 
dans la mer, qu’elles s'opposent à l’abordage 
des chaloupes, et servent d’asile à certains pois- 
sons et aux crustacés. 

Je m’enfoncçai dans les bois, et le premier 
oiseau que je tuai fut un yapou (1). Tout le 
plumage supérieur de cet oiseau est d’un noir 
brillant, excepté le croupion, les iégumens de 
la queue et des ailes qui sont d’un jaune d’or ; 
Viris est d’un beau bleu; la pupille noire, ainsi 
que les pieds; le bec d’un jaune plombé. Cet 
oiseau qui vole par bandes, est du genre des 
troupiales. 

Le second bipède que je me procurai, fut un 
tangara noir d'Amérique (2), à peu près de la 
grosseur du scarlatte, ou cardinal du continent 


(1) C'est le cassique jaune du Brésil, des pl. enl. 184 ; 
la pie du Brésil, de Belon, appelée à la Guiane par les 
Français, Cul-jaune. 


(2) PL enl. 170, fig. 2. 


D'UN NATURALISTE 39 


de la Nouvelle-Angleterre, que j'ai décrit plus 
haut; le bec et les pieds du tangara noir sont, 
ainsi que tout son plumage, d’un beau noir; ce 
qui le fait appeler communément négrillon : les 
couvertures de ses ailes sont seules marquées 
d’une tache blanche. Ces oiseaux se nourrissent 
de baies et d'insectes ; ils n’ont point de chant 
mélodié. | 

En allant ramasser un colibri que j’avois sur- 
pris volügeant autour d’un karatas (1), et pom- 
pant le suc de son nectaire, je vis s'échapper 
près de moi un assez gros serpent que je ne 
pus ajuster. 

Tout en travaillant à ma collecuon, je cher- 
choisà préparerune agréable surpriseau capitaine 
par quelques pièces de gibier dignes de figurer 
sur sa table; mais je ne pus ne procurer que 
deux ramiers (2). Je les surpris occupés à ra- 
masser des graines de manglier dont ils sont 
friands. Leur bec rouge est blanc à son extré- 
mité; les jambes sont rouges, les ongles gris; 
l'iris est jaune, une membrane blanche entoure 
leurs yeux ; le plumage du sommet de la tête est 


(Gi) Agave; voyez aux plantes usuelles des Antilles. 

(2) Ou plutôt Pigeon à la couronne blanche, de 
Catesby; Columba capite albo. Pigeon de la Jamaïque, 
de M. Brisson, Il niche dans les rochers. 


330 VOYAGES 
blanc , entouré d’une bande de couleur pourpre 
à reflets 1risés. Le cou chatoye le bleu, le vert, et 
le cuivre de rosette; le reste du corps est gris- 
bleu d’ardoise, les ailes et la queue de couleur 
brune. Ces oiseaux ne sont pas méfians, car 
j'avois tué le premier, que le second ne pensa 
même pas à s'envoler; 1l est vrai que je me 
trouvois en un endroit sauvage, et si peu fré- 
quenté par les hommes, que peut-être cette 
solitude ne fut-elle jamais troublée par leur pré- 
sence destrucuve. ; 
Je tuai de mes deux autres coups une : 
tourte (1), et la tourterelle de la Jamaïque (2). 
La première a le plumage supérieur d’un marmn 
cendré rembruni, le front et la poitrine d’un 
pourpre-vineux à reflets violets-dorés ; les ailes 
sont tachetées cà et la de marques ou écussons 
d'un noir-violâtre; les pennes sont d’un cendré 
foncé , bordées de blanc ; la queue est étagée et 
variée, des plumes du milieu aux latérales, de 
cendré-brun et de noir; les yeux sont entourés 
d’une peau bleuâtre; l'iris est noir; le bec de 
cette même couleur; les pieds rouges, et les 
ongles bruns. 


(1) C'est la tourterelle de la Caroline, pl. enl. 175, 
de Catesby ; ou le picacuroba du Brésil, de Marcgrave 3 
oiseau commun aux iles Antilles. 


(2) PL enl. 174. 


D'UN NATURALISTE. 351 


La tourterelle de la Jamaïque , et qu’on 
trouve même à l'ile de Cubes par troupes innom- 
brables, est moins grosse que la tourte, c’est 
à dire de la taille du pigeon biset. Le bec et les 
pieds sont rouges, le dessus de la tête et la gorge 
bleu ; sous chaque œ1l se trouve une petite 
bande blanche ; le plumage supérieur marron- 
ardoisé, et l’inférieur d’ur brun-vineux. Enfin, 
jeus pour dernière pièce un baumore (1). 

Je me fatiguai inutilement dans l'espoir de 
faire une meilleur chasse qui, dans ces parages, 
est plutôt pénible qu'amusante , en ce qu’on est 
obligé de marcher au milieu de halliers presque 
impénétrables ; et dont les épines défendent 
Ventrée. On s’égare souvent à travers des pin- 
gouins (2) dont les longues feuilles, dentelées 
et armées de pointes aiguës, sont redoutables 
et pumissent les pas indiscrets. Leur centre, 
repaire des serpens qui sont les seuls des ami- 


(1) Icterus, oiseau du genre des troupiales. Il est de 
la grosseur du moineau franc; la tête est noire et 
ponctuée de trois taches blanches ; les ailes et la queue 
sont également du noir le plus brillant, chaque penne 
pourtant étant bordée d'un liseret blanc , le ventre et le 
dos sont d’un bel orangé; Îles pieds, le bec et les ongles 
sont de couleur plombée. On appelle cet oiseau petrte- 
dame-anglaise dans certains quartiers de l'ile. 

(2) Voyez Plantes usuelles, 


332 VOYAGES 


maux qui peuvent en rampant y pénétrer sans 
danger , n’est jamais foulé par aucune autre 
espèce animée ; aussi emploie-t-on cette plante 
sauvage à faire des entourages qui mettent un 
domaine à labri des maraudeurs. Le pingouin 
est susceptible de culture, maisil se muluplieroit 
trop, si on ne détruisoit à mesure les jeunes 
pousses pour ne conserver que le centre; car, 
indépendamment que les jeunes plants lèvent 
irréguliérement et ne s’alignent point, ils oc- 
cupent infructueusement un terrain qui peut 
être mieux employé. 

Je me rendois au canot par un chemin beau- 
coup plus agréable; lorsque j’apercus, au milieu 
d’une ioufle de verdure, un point rose qui fixa 
mon attention. C’étoit un oiseau, au caractère 
tranquille et peu turbulent, qui ne voltige que 
le tems nécessaire à saisir le moucheron dont 
il fait sa nourriture, pour rentrer ensuite dans 
le repos qu'il chérit. Cet oiseau est le charmant 
todier (1), commun aux contrées du Nouveau- 
Continent. Il est de la grosseur du roitelet 
d'Europe ; son bec long , droit et aplati hori- 
zontalement , ainsi que celui des oiseaux de ce 
genre , est brun-rougeâtre à sa partie supérieure , 


(1) Todier, ou perroquet de terre. T'odier de Saint- 
Domingue , de Brisson, des pl. enl. 585, fig 1et2. 
D ? P 750 


D'UN NATURALISTE. 333 


tandis que l’inférieure est rouge ; les pieds sont 
gris; le coloris du plumage est d’un ensemble 
doux et élégant; le dos est d’un vert-bleuâtre 
dans le mäle, et d’un vert de pré dans la femelle. 
L'un et l’autre ont la gorge et les côtés d’un rose 
vif et nuancé; le plumage inférieur d’un blane 
teint de jaune, avec des reflets de couleur de 
rose ; le dessous de la queue d’un jaune-paille ; 
les pennes des ailes et de la queue vertes à 
l'extérieur , et cendrées en dedans. 

Cet oiseau silencieux se uent le bec en Pair, 
et agite légérement sa tête , ainsi queles colibris, 
au moindre étonnement. Il se creuse en terre un 
trou circulaire qu’il garnit de mousse de coton 
et de plumes, où il dépose quatre œufs gris, 
avec des marques dorées. Mon coup de fusil 
ayant fait envoler la femelle en train de pondre, 
je fus assez heureux pour trouver son nid, mais 
il n’y avoit que deux œufs. 

Je passois au dessous d’un palmier, lorsque 
j'apercus voluger de branche en branche deux 
oiseaux qui m'étoient inconnus, je ürai le mäle ; 
c’étoit un palmiste (1). Cet oiseau du genre du 
merle est beaucoup moins gros : sa taille n’excé- 
doit pas celle de l’alouette ordinaire ; sa tête notre 


(1) PL enl. HE fig. 1, ou palmiste à tête noire de 
M. Brisson. 


334 VOYAGES 

étoit tachée de trois points blancs placés entre 
l'œil et la base du bec; son dos étoit d’un vert- 
olivätre, la gorge et le cou d’un beau blanc ; 
Ja poitrine et le plumage inférieur grisâtre ürant 
sur le blanc ; les pieds étoient d’un gris cendré. 
Jene pus me procurer la femelle, qui me parut, 
a très-peu de chose près, du même plumage. 

Les oiseaux palmistes fréquentent les arbres 
de ce nom, et y construisent leurs nids. On 
esume leur chair assez délicate , mais je la 
trouvai trés-ordinaire. Ils se nourrissent de riz, 
de baies et d’insectes. 

Nons nous embarquâmes dans le canot, et 
nous nous rendimes à Saint-Ÿ ago de Cuba, avec 
la brise du large. Que la nature est prévoyante 
dans ses inconcevables combinaisons ! Le sol 
brûlant de la zone torride ne pourroit, sans un 
amendement, supporter aucune créature vivante ; 
c’est pourquoi, afin de tempérer cette chaleur 
étoufante, 1l s'élève régulièrement soir et matin 
deux brises, l'une venant de terre , et l’autre de 
mer ; leur approche attendue rétablit l'équilibre 
dans les humeurs , et semble apporter une plus 
douce existence. 

Les fruits aussi n’y sont pas substantieis 
comme en Europe; ils seroient contraires avec 
celle qualité, en épaississant la fymphe au lieu de 


la délayer, Ceux de la zone torride n’ont pas 


D'UN NATURALISTE. 339 
les sucs si rapprochés ; ils sont pour la plupart 
aqueux , et contiennent des principes élastiques 
et rafraîchissans , ou bien ils sont acides et 
propres à prévenir la corruption , et les maladies 
inflammatoires. C’est pourquoi les corrossols, le 
melon d’eau , les ananas, l’eau du coco, son 
amande même , et la canne à sucre mâchée, 
font le plus grand plaisir quand on a chaud. On 
a de plus les citrons verts dont on fait des limo- 
nades; et comme ce jus, quoique tempéré par 
l'eau, seroit trop acide et point agréable, on 
l’'édulcore avec du sirop de batterie si commun 
dans le pays. 

Nous accostämes la Galatée, où le capitaine me 
recut avec son affabilité ordinaire. 11 fut très- 
sensible au peut cadot que je lui apporta, et 
pour faire valoir le proverbe, la sauce lui coûta 
plus que le poisson, car il saisit avec empres- 
sement cette occasion pour ordonner un diner 
très-délicat, où le Bordeaux , le Madère , et les 
liqueurs de Mme, Amphoulx ne furent point 
oubliés. 


Je descendis le soir à terre avec le capitaine, 
et j'assistai au rosaire. C’est une procession qui 
se fait aux flambeaux tous les vendredis : un 
simulacre de J.-C. crucilié est porté en triomphe 
par quatre soldats, au mieu d’un peuple im- 
mense qui, accompagné d'un violon et d’une 


336 VOYAGES 


basse, chante des strophes plainuves. On entend 
avec d'autant plus de plaisir cette psalmodie, 
que les Espagnols en général sont parfaitement 
organisés pour la musique; on peut du moins 
le croire lorsqu'on a vu, ainsi que moi, trois 
pauvres où même quatre, chanter en parties 
différentes pour intéresser les passans à leur 
sort. Pro sancté Mari& , pro sancté Trinitate, 
sont ordinairement les moufs qu'ils varient à 
Finfin, dans des modulauons justes , savantes 
et très-harmonieuses. 

Le dimanche 10 mars, nous nous prome- 
nâmes après la messe sur le rivage, où nous 
foulàmes aux pieds des bancs de corail blanc 
oculé et de méandrites. Je visitai une campagne 
nouvelle, et les bois des mornes dont la ville 
est environnée. Les haies y sont garnies delianes 
à réglisse (r) qui font le plus joli effet , tant par la 
diversité de leur feuillage élégant, que par le 
coloris brillant de leurs peutes graines, qui furent 
pendant un tems recherchées en Europe pour 
en faire des ornemens, tels que chaînes de 
montres, colliers, bracelets, etc. Tout en con- 
sidérant les nouveautés de cette nature, je fus 
surpris d’un étrange étonnement; naguères le 


(1) Orobus scandens, Plum. Voyez au Traité des 
plautes usuelles. 


de 


D'UN NATURALISTE. 337 
fleau des êtres soumis à l’homme, qui ne pouvoient 
alors échapper à mon adresse sans être frappés 
de mon plomb mortel, il se fit une telle révo- 
lution dans mes systèmes sanguins et nerveux, 
que l'oiseau le plus gros pouvoit me défier 
impunément. Îl nrest arrivé de ürer à bout 
touchant les oiseaux les moins farouches, et 
de ne pas même les étonner , au point qu’aprés 
mon coup de fusil, ils ne remuoient pas des 
branches où ils étoient perchés , et continnoient 
à me regarder, comme insultant à ma mal- 
adresse. Je ne sus d’abord à quoi attribuer cet 
enchantement ; et c’étoit vraiment le cas de 
croire à un sortilége : tantôt je croyois mon 
fusil faussé , mais le donnant à tirer à un autre 
que moi, le blanc étoit criblé , et me jetoit dans 
le plus grand étonnement. Enfin la chose étoit 
si plaisante, que je ürai quatre coups à cinq 
pas de distance sur ces gros vautours fanuliers, 
dont j'avois d’abord trouvé lespèce à Charles 
Town , sans les faire désemparer d’un cadavre 
auquel ils étoient acharnés. Comme j'usois 
inuulement ma poudre etmon plomb , je résolus 
de suspendre mes excursions jusqu'à nouvel 
ordre ; et je fis route vers la Galatée, où lou 
m'attendoit à diner. 

Les Espagnoles de moyen rang sont très- 
curieuses. J’en trouvai ciuq à bord, venues 


To L : 24 


338 VOYAGES 


pour visiter le bâtiment, et voir, dirent-elles , les 
Français qui s’y trouvoient; comme j'en étois 
un, et que je crus qu’elles avoient des ren- 
seignemens à nous donner, je parus sur les rangs, 
et je descendis promptement à la grande chambre 
où j'entendois rire aux éclats : quelle fut ma sur- 
prise en apercevant cinq jeunes personnes à 
demi-nues, les seins à l'abandon, le cigare à la 
bouche, faisant beaucoup d’extravagances avec 
un padre (1) qui leur servoit de chevalier, et 
plaisantoit vivement avec elles! Ce ministre 
vêtu d’une robe de soie noire, et chaussé de bas 
et de souliers violets, et de la même étoffe, les 
agacoit d’une manière vraiment indécente. Un 
nulitaire français qui se trouvoit là, demanda 
au padre s’il n’étoit père qu'en Jésus-Christ, et 
point en chair ? « Je le serois bien volontiers, 
répondit-il , avec l’une de ces demoiselles ». Puis 
iout à coup 1l se mit à folätrer avec l’une des 
cinq. 

Le capitaine leur ayant offert des rafraïchisse- 
mens , elles burent à la ronde, en nous offrant le 
seul verre qui leur servoit à tous. Ces jeunes 
étourdies unrent beaucoup de proposlicencieux, 
assez enfin pour que nous ne douuons plus de 
leur caractere , et du moufquiles avoit amenées. 


ee 


(1) Prêtre espagnol, 


D'UN NATURALISTE. 339 


Un de nos passagers commencoit à s’enflammer, 
lorsque je lui fis senur les dangereuses suites de 
ces nouvelles connoissances. 

Il entra le soir dans la rade une petite cha- 
loupe pontée , armée de quelques pièces de 
canon, qui, parmi sept prises qu’elle avoit faites 
dans sa croisière, en compte une qui lui rapporte 
quatre millions, et qui assure un sort à tous les 
actionnaires. 

Un padre ami des Français, studieux et res- 
pectable sous tous les rapports, se présenta à 
bord comme naturaliste; et désirant faire ma 
connoissance, 11 m'apportoit plusieurs échanul- 
lons des mines des environs de Saint-Yago, 
parmi lesquels je reconnus une mine d’argent 
gris, un fragment d’aimant naturel, quelques 
malachites soyeuses, et des prismes de cristaux 
de roche, couleur de topaze. La minière qui les 
produisit s'appelle Crwbs, et s’exploitoit par 
ordre du roi d’Espagne avec beaucoup d’avan- 
tage ; mais deprus plusieurs mois on est, me 
dit:l , obligé d’y renoncer par l'insurrection una- 
nime des ouvriers qui y sont en grand nombre, 
et qu'on ne peut réduire avec le peu de forces 
qui se trouvent à Saint-Y ago. Les nègres mineurs 
sortent même à présent des entrailles de la terre 
pour venir assallir les passans , et ces vagabonds 
quittent leur repaire ténébreux pour rendre 


Y 2 


340 VOYAGES 

le jour témoin de leurs assassinats; car ils im- 
molent tous ceux qui se présentent, et qu'ils 
croyent pouvoir contribuer à leur imposer un 
nouveau joug. Cette minière est à si peu de dis- 
tance de la ville, que nous la distinguions facile- 
ment de notre bord, et que je pris souvent la 
fumée de la poudre de ces assassins armés, pour 
celle des chasseurs. J’aurois bien désiré visiter ce 
local sous les auspices de dom. FY*#*#*, mais 
comme il n’y avoit pas de sûreté, et que son ca- 
ractère sacerdotal ne m’eût pas mis à l'abri d’un 
péril certain, je renonçai à ce dessein , en remer- 
ciant néanmoins dom. F*** de ses bontés pour 
mo. 

Ce savant Espagnol n’étoit point descendu de 
notre bord, que notre bon capitaine ne noûs y 
croyant point assez commodément, uous offrit 
jusqu'à notre départ, encore incertain pour Saint- 
Domingue, un magasin qu'il avoit loué pour y 
déposer sa marchandise, avec la même invitation 
de venir prendre nos repas à son bord. Il poussa 
plus loin la générosité ; 1l loua une négresse pour 
servir et pourvoir à tous les besoins partuculiers 

le nos dames. 

Enfin nous éüons comblés des bontés de sir 
Thomas Payne, lorsqu'on nous vint apprendre 
que Mr. Manet, propriétuire d’une chaloupe 


pontée, oubliant les risques qu’il avoit à courir 


D'UN NATURALISTE. 341 
en narguant les Anglais en station devant la baie 
de Saint-Yago de Cuba, se disposoit à fure 
voile pour Sete nie ue. Je le vis ; et non 
seulement 1l consenut à ne recevoir le paiement 
de notre passage qu'à Saint-Domingue , mais 
encore 1] nous pria d’être indulgent pour le 
peu de commodités que npus rencontrerions à 
bord de son très-peut bâtiment, nous faisant 
connoitre que pour abréger la monotorie de 
: Ja traversée, et prévoir le dégoût insupportable, 
triste résultat du mal de mer, il avoit fait pro- 
vision cle liqueurs et autres douceurs précieuses 
en pareille circonstance. 

Le second capitaine me procura plusieurs 
poissons qu'il prit à la higne , et parmi lesquels 
se trouvoient le stromate gris (1), le baliste 
l’épineux (2), l’écureuil de Bonaterre (3), très- 
commun dans la rade de Samt-Yago, et qui 
offre les plus jolies couleurs ; le poisson royal 
de l'Encyclopédie , par ordre de maüeres, 
pl. 59, fig. 155, dont le dos est d’un beau 


(1) Stromateus cinereus , Linné. Poisson apode qui 
a pour caractères le corps ovale, glissant, la tête petite, 
les dents aiguës. 

(2) Balistes aculeatus, Linn. 

(2) Encyclopédie, icht. pl 135. ‘The Blue-Striped 
Anthias. 


À 4 


342 VOYAGES 


vert d’aigue marine, et tout le ventre couleur 
de rose à reflets nacrés; les nageoires pecto- 
rales d’un beau jaune, celles abdominales gri- 
sûtres , et les dorsales vertes, et comprenant 
douze rayons. 

Le dimanche 17 mars, jour des Rameaux, 
j'assistai à la cérémonie d'usage parmn les chré- 
üens. Les colons de cette île , au heu de buis, 
se choisissent des branches de palmier, que les 
plus riches recouvrent de dorure ; la procession 
solennelle s’observe avec dignité. C’est au retour 
de l’office que je fus à bord témoim d’un beau 
trait d'amour fihal. Le jeune mousse, dont j'ai 
déjà parlé avee tout l'intérêt qu'il a droit d’ins- 
pirer, apprenant que son père alloit être disgracié 
à cause de ses fréquentes ivresses, résolut de 
toucher le cœur du capitaine ; c’est pourquoi se 
jetant à ses genoux, noyé dans ses sanglots, il 
imploroit vivement la grace de son malheureux 
ptre. Les refus ne faisoient qu'augmenter ses 
instances qui furent exaucées, graces à lintérèt 
que nous prenions à lui. À peine cet enfant 
eut-il réussi, qu'il s’élanca dans les bras de son 
père, en lui prodiguant mille caresses. 

Nous jouissions avec ravissement de ce spec- 
tacle attendrissant , lorsque des cris plaintifs se 
firent entendre : cette voix qui venoit du bord 
de la lame, étoit celle d’un matelot qui en des- 


D'UN NATURALISTE,. 343 
salant sa viande à l’eau de mer (1), et la 
nettoyant de toutes ses impuretés, eut la main 
coupée par un requin qui rodoit dans ces 
parages, et avala la main et la rauon de 
ce pauvre malheureux. Cet événement devroit 
servir d'exemple aux nageurs imprudens qui 
ont l’inconséquence de se livrer à cet exercice 
dans des rades aussi dangereuses. 

Le jeudi Saint 21 mars 1799, je pris du bâu- 
ment la vue perspective d’une chaumnère agreste, 
située au milieu des bois, sur une élévation. 
Cette position enchanteresse me plut, et j'eus 
beaucoup de plaisir à en mettre la copie au 
nombre de mes dessins. A midi, tous les bâäu- 
mens, en signe de douleur, mirent leurs vergues 
en croix, et pendirent le simulacre de Judas : 
c'est un mannequin revêtu qu'on représente, le 
ventre crevé. 

Le samedi à midi, pour mieux humilier 
l'effigie de Judas, et couvrir jusqu’à sa mémoire 
d’ignominie et de vengeance, on lui donne des 
cales sèches et humides , au bruit de l’arullerie, 
jusqu'à ce que Ja charpente mouillée se désu- 
nisse; à cet anéantissement succèdent des danses 


(1) Tout le monde sait que lorsqu'on vent dessaler 
promptement de la morue ou toute autre chair salée , 
on ajoute à l'eau de la saumure une poignée de sel. 


Ÿ 4 


344 VOYAGES 
et des fesuns. Les Espagnols üennent beaucour 
à ce culte extérieur. 

J'assitai le jour de Pâques à l'office de la ea- 
ihédrale, dont par parenthèse l’évêque , qui ne 
paroït qu'une Jois l’année, a cinq cent mille 
pourdes de revenu pour vivre seul, retiré , ne 
communiquant avec qui que ce soit; vivant sans 
faste extérieur | sans suite , et pourtant dépen- 
sant, On ne sait comment , les revenus qui lui 
sont allonés. Au nulieu du sanctuaire s'élève un 
monument pompeux, représentant, de grandeur 
naturelle , la résurrection du Sauveur. Mais, 
hélas ! tout ce culte extérieur est bien démenu 
par la nonchalance de la plupart des padres qui 
balbutient , en roupillant, leur office à mots en- 
irecoupés, tandis que les plus jeunes passent en 
revue, et convoitent le cercle des jeunes Espa- 
gnoles. 

L’après-mudi, la chaloupe pontée sur laquelle 
nous avions des projets pour notre traversée de 
Saint-Domingue, voulant éprouver la vélocité de 
sa course , se fit poursuivre dans la rade par un 
corsaire français, le meilleur voilier du port, qui 
fit de vains eforts pour l’aueindre. La chaloupe 
disparoissoit déjà à notre vue, etnotre mquiétude 
augmentoit en la voyant s'éloigner , lorsqu’à 
noire grande satisfaction nous la vimes bientôt 


revenir. 


D'UN NATURALISTE, 345 

Le capitaine Payne étant descendu à terre, et 

le second faisant moins bien la police, l'équipage 
se mit en débauche, et les matelots s’emivrérent 
prompiement avec de l’eau de vie. Un d’eux 
n'ayant pris en amitié, vint en sanglotant me 
témoigner combien 1l régrettoit de n'être point 
républicain francais, au moinsai-jecru l'entendre 
par ces mots : (Moi, grande vigueur pour Répu- 
plique francaise ». Je ne pouvois me débarrasser 
de lui, et éviter d'entendre ses complaintes 
entrecoupées de soupirs. En vain je le fuyois , 
par -iout je le retrouvois, ou bien 1l me 
suivoit sans cesse, en roulant sur le pont. Cepen- 
dant il se piqua de mon dédam ; et pour me 
prouver qu'il étoit homme de cœur , 1l feignit 
un désespoir, et se jeta à la mer, non point pour 
y cacher sa honte, mais pour s'y désemivrer. 
Comme 1l n’étoit pas bon nageur, il eut bientôt 
perdu la earte, et avaloit de l’eau salée en abon- 
dance en se débatiant , lorsque son camarade, 
non moins ivre que lui, mais meilleur nageur, 
se plongea en pirouettant , et le ramena vers le 
bord en jouant avec les flots, et faisant des tours 
de passe-passe. Tous deux alors unanimement 
voulurent saisir la corde de l'escalier ; mais ne 
pouvant monter, ils retomboient à l’eau à chaque 
nouvelle tentative , jusqu'à ce que des matelots 


voisins vinrent les enlever à l’aide de leur cha- 


346 VOYAGES 


loupe. A peine les eut-on hissés sur le pont, qu’ils 
replongèrent malgré Ja défense du second capi- 
taine. On les poursuivit de nouveau; mais, pour 
cette fois entiérement désenivrés, 1ls évitoient le 
canot; et ne voulant point être repris , 1ls plon- 
gcoient à son approche , et alloient reparoître 
beaucoup plus loin. Enfin, cette scène burles- 
que qui diverüssoit toute la rade à la vue des 
chiens des autres bâmens , qui nageoïent vers 
ces plongeurs pour les mordre , cessa à l’arrivée 
du capitame , qui punit les deux matelots pour 
s'être présentés nus devant nos dames , se pro- 
posant de leur faire subir à leur arrivée à Charles- 
Town la peine portée en pareil cas, qui consiste 
à suspendre le coupable pendant trois jours à une 
vergue , et à le chasser ensuite ignominieusement 
du bord. 

Un peu après l’équinoxe du printems, le ciel 
éclairei de ses nuages sombres , promettant aux 
marins une sécurité dans la navigation; les vents 
furieux ayant apaisé leur furie pour faire place 
à l’haleime douce du zéphyr, qui promenoit çà et 
là le parfum des fleurs; les oiseaux de mer ayant 
la plupart abandonné la rade devenue tranquille ; 
ceux de terre reprenant leurs douces modula- 
talons, excités par les charmes de la nouvelle 
saison ; toute la nature, en un mot, se félicitant, 
par la voix de ses créatures, du rétablissement de 


D'UN NATURALISTE. 347 
son équilibre ; le capitaine Manet ayant appa- 
reillé son bâument pour Saint-Domingue, vint à 
bord de la goélette américaine où nous étions , 
pour nous engager à profiter del’absence des croi- 
seurs anglais , et d’un vent favorable qui , en 
très-peu de jours, nous rendroit à notre des- 
tinaton. 

Le 28 mars , après nos adieux faits au brave 
capitaine Payne, qui nous avoit recu si généreu- 
sement à son bord , et voulut, dans son canot, 
nous déposer lui-même à notre nouvelle embar- 
cation , nous arrivâmes à cette petite chaloupe 
pontée, dont la fragilité eût intimidé tout autre 
que nous. Le bon Payne nous quitta, les larmes 
aux yeux, après nous avoir donné une lettre de 
recommandation en cas de prise par les corsaires 
anglais. 

Ne pouvant changer de place sur cette nouvelle 
barque, tant le pont étoit encombré, nos pieds 
même à l’ancre, baignoïent dans l’eau de mer 
qui submergeoit sans cesse le pont sans rebords. 
Je considérois que nous arriverions à Saint- 
Domingue, toujours en déclinant, et perdant de 
plus en plus les commodités d’un grand bâtiment. 
En eflet, je me rappelois que dans PAdrastus, 
vaisseau à trois mâts, j'avois un lit pour moi 
seul ; que dansla goéletie la Galatée, nousn’avions 
qu’un cadre pour deux , etque maintenant j'avois 


348 VOYAGES 

à combattre ma mollesse, et à la mettre à une dure 
épreuve, en couchant pêle-mêle sur des tonneaux 
rangés au fond de cale. Ce qui nous fit le plus 
ire, ce fut l’ancre de miséricorde , qui, loin de 
pouvoir servir de résistance aux flots en cas d’un 
coup de tems, eût pu au besoin servir de hame- 
con aux requins, tant 1l étoit frêle et léger; les 
cordages n’étoient pas plus solides, et les plus 
gros destinés à la manœuvre n’étoient que de la 
grosseur d’un cordeau à tracer les planches du 
jardinage , et les crampons des haubans formés 
seulement de fil de fer appelé carrillon. 

Le gouvernail étoit si peut que sa barre longue 
tout au plus de deux pieds, n’avoit pas besoin, 
comme dans lAdrastus , de la force de sept 
hommes pour la diriger en cas de gros tems. 
La cuisine, qui étoit Imterrompue à la premiere 
lame, se faisoit sur une moyenne chaudière 
remplie de cendres, et qui à la première vague 
alla s’assurer du fond de la mer, emportant avec 
elle notre diner. Les voiles n’étoient que de 
grandes serviettes coupées, suivant leur forme 
nécessaire. Je croyois voir marcher sur l’eau 
les peuts navires de papier que font les jeunes 
écoliers. Enfin , il falloit espérer en la protecuon 
divine pour se rassurer sur le chapitre des 
événemens. Nous partimes donc contens, 


malgré le mal-aise que devoit nécessairement 


D'UN NATURALISTE. 3/9 


occasionner la turbulence de dix-huit passagers, 
couchés les uns sur les autres. 

A vantde sorur du port de Saint-Y ago ,on me 
fit remarquer, vis-à-vis le magasin à poudre, un 
ressif célébre dans cette contrée par l'événement 
qui lui a fait donner le nom de Rocher-des-Ri- 
vaux. Il est entouré d’eau, quoique pouriantassez 
près du rivage. Îl fut choisi pour arène par deux 
Espagnols, parens , et tous deux épris de la même 
beauté, On ne sait comment ils y abordérent 
sans canot, mais l'excès de leur fureur jalouse 
les y conduisit. Une chaloupe ayant disparu de 
la rade à cette époque, on présume qu'ils s’en 
seront servis , et qu'avant le combat ils l’auront 
coulée à fond , avec l’intentuion de se livrer, sur la 
plate-forme , une guerre à mort. Les malheureux 
s'y sont poignardés réciproquement, et leurs 
corps ensanglantés ne restèrent qu'une nuit aux 
injures de l'air ; car le lendemain ils furent 
reconnus par un pêcheur. 

Apercevant sur les côtes escarpées de larges 
rigoles assez droites, j'en demandai l'usage. On 
me dit que limpossililité des charrois avoit 
fait imaginer ce moyen simple de rouler, du 
sommet de la montagne à lembarcadere, les bois 
de construcüon et autres que fournissoient eu 
abondance ces côteaux riches et ferules. 


\ 


Nous avions à bord d’excellens marins, et 


320 VOYAGES 

d’intrépides corsaires, qui nous racontérent les 
détails surprenans de la fameuse prise d’un 
vaisseau allant aux Indes, que nous vimes entrer 
dans la rade de Saint-Yago, confus de la lächeté 
de ses troupes , de ses canonniers , et de l’inex- 
périence de ses marins. On fit, nous dirent-ils, 
du beatupré de ce bâäument de sept cents ton- 
neaux , ue pirogue que nous armämes, et avec 
laquelle nous avons fait plusieurs prises d’une 
baute valeur. 

Quantau corsaire vainqueur du superbe Trois- 
Mäts, il étoit si peut, qu'après l’abordage on 
le hissa , comme une chaloupe , sur le pont de sa 
prise. 

Le caractère de ces marins est original. L’am- 
bition qui met leur tête à la torture les rend lu- 
natiques, car l’un de ceux qui étoient avec nous, 
apercevant avec la longue vue un gros vaisseau à 
l'horizon, engageoit le capitainede notre chaloupe 
à mettre le beaupré sur lu, pour tenter l’abor- 
dage : « Et si c’est le Pélican, ce brick anglais si 
» bier armé, lui disoit un autre, comment pour- 
» rons-nous lattaquer? Il y à au fond de cale 
» quelques poignardsetplusieurs canons de fusil; 
» nous ferons des feintes, répliqua le fou. Mais, 
» reprit l’autre, on verra de près que vos fusils 
» n’ontpas de chien, que nous ne sommesqu'une 
» poignée de gens, et l’on dédaignera de sacri- 


D'UN NATURALISTE. 391 


» fier pour si peu un coup de canon; 1l faudra 
» nous rendre ses prisonniers. Nous rendre, 
» morbleu! s’écria avec fureur le valeureux üm- 
» bré, il nous coulera pluiôt » ! 

Au milieu de ces beaux projets fantastiques , le 
soleil se cacha dans l’onde, et à sa disparution 
nous dûmes lalevée d’une brise carabinée, d’abord 
favorable, mais qui bientôt nous devintcontraire;z 
elle annoncoit une nuit périlleuse. La mer deve- 
nue grosse, 1l falloit espérer en Dieu pour ne 
point frémir, en pensant que pour cordages , on 
avoit des ficelles ; pour crampons de résistance , 
du fil de fer, et pour ancre de miséricorde , der- 
nier secours en cas de danger, une branche de 
fer qui eût pu servir de hamecon aux poissons 
qui se promenoient sur le bätiment enfoncé à six 
pouces au dessous de l’eau, et marchant dans cet 
état avec la rapidité de l'éclair, Agriés violemment 
par la tourmente, des flots nous lancoient sur 
d’autres flots , sans pouvoir échapper à leur pour- 
suite active. 

Qu'on se figure nos états! Mme, RY** ,incom- 
modée par l'air concentré et infect de la cale, 
préféra rester sur le pont, couchée dans l’eau , et 
essuyer, au milieu de ses fréquens évanouisse- 
mens, les visites réitérées de lames bruissanies , 
qu'on croyoit devoir l'emporter lors du passage, 
le bäument n'ayant point de rebords, et d’ailleurs 


399 VOYAGES 

son état d'humidité permanente le rendant trop 
glissant pour pouvoir se cramponner lorsqu'il 
filoit sur ses flancs, tribord ou babord. 

Quantà moi, accablé de sommeil, je crus être 
plus en repos à la cale, mais ce fut en vain : le 
bâument trop chargé menacoit de sombrer, pour 
peu qu'il fit de l’eau , laquelle, malgré toutes les 
précautions, pénétroit également de toutes parts. 
Pour remédier à son flux immodéré, on pompoit 
continuellement avec une seringue plutôt qu'avec 
une pompe de bâtiment; c’est pourquoi le ca- 
pitaine qui me questionnoit, apprenant de moi 
l'introduction constante de l’eau à fond de cale 
où j'étois submergé et cinglé par chaque vague, 
se décida, en voyant les vains ellorts des pom- 
piers , à clouer unetorle cirée sur l’écouulle, C’est 
alors que je crus entendre fermer mon cercueil, 
n’ayant pas d'autre issue pour sortir, en cas d’ac- 
cident , que cette ouverture désormais cal- 
feutrée. Obligé de rester couché, le ventre 
sur des tonneaux, sans pouvoir lever la tête qui 
frappoit le plancher, aveuglé par chaque lame 
qui mesufloquoit en entrantdans ma bouche avec 
violence, je nageoïs dans l’eau salée, contraint 
de sausfaire à mes légers besoins, sans pouvoir 
changer de position. Ajoutez à ce pémble état les 
miautemens de deux chats qui, fuyant l’eau et en 
eu rencontrant par-tout, venoient chercher mes 

vêtemens 


D'UN NATURALISTE. 353 
vètemens pour se reposer de leur frayeur, puis 
en étoient chassés par de nouvelles lames qui 
excitoient de leur part des hurlemens effroyables. 
1] fallut pourtant saisir un mieux pour æ’endor- 
mir dans cette situation. 

Enfin, échappés miraculeusement à la fureur 
encore aluère des vagues en courroux ; à demi- 
noyés dans notre barque légère, poursuivis avee 
acharnement par des bätmens ennemis , nous 
apercümes avec grande joie , au réveil de ceue 
nuit orageuse , les premiers mornes de l’île de 
Saint-Domingue. La mer encore violemment agt- 
tée dans tous les sens, étant montonneuse et bruis- 
sante, écràsoit, de ses flots blanchuis d’écume, les 
flancs de notre petite embarcation , qu volu- 
geoit à la moindre secousse. Ainsi, du fond 
d’abimes profonds nous reparoissions bientôt au 
sommet de lames couvertes d’époudrins d’un 
beau blanc de neige , et nous côtoyons la terre, 
tandis qu'un gros vaisseau à la cape, hormis un 
foc , cherchoit son salut en s’éloignant de File 
de la Gonave, de peur d’échouer sur les ressifs. 

Après l'orage, dit-on, vient le beau tems : en 
eflet , après la plus douloureuse des nuiis , avec 
quelle joie je vis ces montagnes élevées chargées 
de la plus riche verdure! Les papillons de File 
venolent nous visiter ; et les oiseaux , par leur 

Tome E Z 


304 VOYAGES 

ramage , nous faisoient oublier le souvenir de 
uos peines. Les grands gosiers (1), les fréga- 
tes (2), lescoupeurs d’eau (3), les aigrettes(4), 
saluant notre réduit flottant, volugeoient autour, 
et nous accompagnant dans notre course légère, 
nous servoient comme de conducteurs. Je fis 
grace à ces hôtes aimables, en faveur de leur bon 
accueil. 

Une de mes lignes ayant été avalée par un re- 
quin de moyenne taille , on profita du moment 
où il rodoit autour de la chaloupe , pour le 
fure entrer dans un nœud coulant ; et, par ce 
moyen , il fut presque hissé sur le pont ; mais 
n'étant pris que sous une aile , 1l fit tant de 
mouvemens qu'il glissa , et s’échappa de son 
Jacet. 

Nous éprouvames du calme à l’instant de 


(1) Ou Onocrotale, ou pélican; Onocrotalus aut 
pelicanus. 

(2) Hirundo marina major; apus rostro adunco, 
Barr. , aut fregata; voyez son histoire plus bas, à 
Saint-Domingue : c’est un oiseau à pieds palmés, et 
du genre du Fou. 

(3) Larus rostro inæquali ; Rhincops de Linnæus; 
Plotus, Phalacrocorax , de certains auteurs; ou bec 
en ciseaux, Rygchopsalia de Catesby. 

(4) PL enl. 901, Ardea alba minor, Aldr. Egretta. 
Oiseau erratique du genre du héron. 


D'UN NATURALISTE. 395 


pénétrer dans la rade du Port-au-Prince ; c’est 
pourquoi nous fmes obligés de mouiller à deux 
lieues de la ville, à l'approche de la nuit, à 
cause des dangereux ressifs qui l’environnent. 
Je considérai avec plaisir , dans notre état de 
repos , la fumée de plusieurs sucreries que les 
alarmistes , même à Saint-Y ago de Cuba , m’a- 
voient assuré être anéantes. 


Fin du premier Volume. 


RRRLUR RUE LRU IV U UE LRU RU RD 


TABLE 


Des maucres du Tome prenuier. 


RE LI 7e 
P 
En s 
ÉPITRE DÉDICATOIRE à S. E. Mor. le grand Chan- 
celier de la Légion d'Honneur. Page 5 
Préface. 4 


L'Auteur fait part à M. Desdunes Lachicotte, son 
hôte à Saint-Domingue , de ses observations 


pendant le cours de son premier voyage. 17 
Description des travats. idem. 
Départ de Paris. 18 


Description pittoresque des campagnes qui avoisinent 
la grande route qui conduit au Hâvre de Grace. 19 


Arrivée au Hävre de Grace. 27 
Démarches faites pour obtenir un passage. 26 
Départ de deux frégates françaises. 29 
Promenades d'observations. 50 
Descripüon de la chevrette et de l'orphie. 31 
Canonnade du fort Savenclie. 32 


Nouvelle incursion dans les campagnes des environs 
du Hävre, et description de la côte des Ormeaux 
d'où l’on découvre à l'horizon la côte de Grace, 
au bas de laquelle se trouve le pays d'Honfleur. 33 

Autre promenade au village appelé le Nouveau- 
Monde. 58 

Description de la côte d'Egouville, 40 

Promenade aux forts de la Hêve, et description du 
cabinet d'histoire naturelle et des phares. AT 


TABLE 557 
Retour au Hävre par le rivage. Page 44 
Description des parcs ou fourrées des pêcheurs. 45 
Ruses des crabes. A7 
Des lépas et des anémones de mer. id. 
Visite à M. Poupel, commissaire de la marine, et 

traversée du Hävre à Honfleur. 49 
Effets curieux de la marée montante. 50 
Anecdotes d'un enfant qui tomba à la mer. St 
Description de la côte de Grace. 59 
Coutumes du pays d'Honfleur. 54 
Visite à bord du brick la Sophia ; et poissons de mer. 7. 
Qualité des melons d'Honfleur. 55 
Retour au Hävre. 96 


Visite à M. Leroi, nouveau commissaire de ma- 


rine. 57 
Cabinet d'histoire naturelle de M. Lefebvre. id. 
Réception affable d’un Hamboursgeois. 60 
Collection d'oiseaux de M. Lefebvre. Gt 
Libéralité du Créateur envers les pauvres. 65 
Description du poulpe, 64 
Eutrevue de MM. Villain et Poulet. 66 
Pommade conservatrice pour tout corps corruptible. 67 
Imitation d'yeux d'émail pour les oiseaux. 65 
Aventure de chasse. | 69 
Première visite à la côte d'Egouville, chez M. Poulet, 

négociant et ancien armateur. TO 
Visite des parcs ou fourrées. 71 


Site délicieux de la maison de campagne de M. Pou- 
paz 
let. 14. 
Nouveau voyage à Honfleur avec M. Poulet, fils ainé.=2 
ya 2 / 
Retour au Hävre; joûte sur l'eau entre des canots de. 
frégates, 73 


395 TABLE. 


Frégate lancée. Page 74 
Partie champêtre à Honfleur. id. 
Retour au Hävre, et orage violent. 79 
Un bon père fêté par ses enfans. 80 
Cale humide. SI 
Désastres qui précédèrent l'équinoxe de septembre. id. 
Détails sur cet équinoxe mémorable. 82 
Fin de la tempête ; cueillette de fucus. 86 
Anecdote d'un naufragé. id. 
Du lamprillon. 86 
Joûte du mät de cocagne. id. 
Du crapaud , du congre et de l’orphie. 89 
Du rouget, de la loche de mer et de la roussette. go 
De la taupe de mer et de la mustelle. 97 


Du maiquereau, de la squille mante et du coquet. 92 
Du chien de mer gris, du bar, de la lune, et de la 


vielle. id. 
Du lièvre. 99 
Vie privée d'une fouine devenue domestique. 94 
Culture du Safran du Gatinais. 118 
Avant = propos. 119 
Idées générales. 153 
Importation du Safran dans le Gatinais. 125 
Description du Safran. 126 
Différence du Safran et du Colchique. 193 


Culture du Safran, et terrain qui lui est propre. 1d. 
Qualité des oignons, différence des robes, et temi- 


pérature convenable. . 154 
Préparation de la terre, époque des labours. 155 
Plantage. | 150 
Préparation des oignons. 137 


Développement des oignons, et leur floraison, 158 


V 


AUBIN 359 


Animaux qui nusent au Safran. Page 159 
Travaux de la deuxième et troisième années; ar- 
rachis des oignons. 


140 
Usage qu'on fait des oignons. 141 
Remarques sur la température. 142 
Récol'e du Safran. 1d. 
Cours du prix du Safran. 144 
Description de la cueillette. 145 
Epluchage du Safran. 146 
Dessication du Safran. 145 
Produit annuel. 149 
Qualités exigées du Safran. id, 
Maladie des oignons, le fausset. 150 
Le tacon. — La mort. 191 et152 
Propriétés du Safran , comme béchique. 158 
Comme hystérique et emménagogue. 159 


Comme diaphorétique, cordial, alexitère, céphalique , 

et ophtalmique. 160 
Comme stomachique, hépatique, carminatif , et 

détersif. 161 
Comme résolutif, anodin , et assoupissant. 162 
Le Safran considéré sous le rapport des arts. 1605 
Frais de culture d’un arpent de terre à Safran. 166 
Notes additionnelles sur cette culture. 


169 

Notes historiques sur le Safran. 177 
Départ pour Bordeaux. 179 
Description pittoresque de la route. 180 
Arrivée à Bordeaux. 104 
Embarquement à bord de l'Adrastus. 1866 
Coutumes des Anglo-Américains. id. 
Reconnoissance de la forteresse appelée Pate-de-Blaïe , 
et arrivée à Pouillac. 186 


360 TABLE: 


Détails surprenans sur une explosion de poudre à 
canon. Page 160 


Attente du capitaine pour mettre à la voile. 
Son arrivée et celle des passagers. 

Notre débouquement. 

Description du Lock. 

Coup de vent du 17 novembre. 


159 
190 


Evèiement d'un matelot ballotté par deux lames en 


opposition. 
Tempête de la hauteur de Madère. 
Sacrifice du mouton après le gros tems. 
description de la foëne. 
Occupations des matelots sous les vents alisés. 
Détails sur notre existence à bord de l'Adrastus. 
Du thon à longues oreilles, 
Du poisson du soleil. 
Du raisin du tropique. 
Vue d'un cétacé appelé souffleur. 
Prise d’une dorade. 


195 
196 
199. 
200 
201 
202 
203 

zic. 

14. 
204. 


id. 


Intempérance, résultat de notre pénurie d'alimens. 204 


Nourriture grossière à laquelle nous étions con- 


damnés. 
Nos plaintes à ce sujet peu écoutées. 
Remarques sur le paille-en-cul. 
Du muge volant. 
De la dorade. 
Effets de la percussion de la poudre. 
Utilité des octants. 
Caractère d’un anti-mélomare. 


Nouvelles vexations exercées envers les passagers. 


Danses de caractère. 
De l'oiseau de tempête. 


205 


L'APB TE: 361 


Rencontre d'un bâtiment neutre. Page 219 
Descente dans la Sainte-Barbe. 1d. 
Baptême du tropique. 221 
Conférence sur Mazanet, village du Languedoc. 222 
De la frégate , genre des mollusques. 223 
Du poisson appelé pilote. | 225 
Rencontre d'un batiment. 226 
Réunion pour le Saint-Jean. 227 
Plaisanteries grossières envers les dames de notre 
bord. 228 
Cadeau d'une boîte faite par les sauvages. 224 
Recette da plum-pouding. id. 
Coup de vent du 28 septembre. 230 
Occupations du bord. 231 
Mets languedocien , appelé sanguette. id. 
Trait d'égoisme le plus révoltant. 232 
De l'oiseau appelé Le corsaire. 253 
Description d’un soleil levant. id, 
Reconnoissance du golfe de Bahama. 254 
Sur la sonde des attérages. | id. 
Désastres de notre chambre produits par an coup de 
vent du 4 janvier. 235 
Sur les trombes de mer. 257 
Phare de Charles- Town. 239 
Barre de Charles-Town. 240 
Détails sur la ville de Charles-Town, et les mœurs 
et usages du pays. 241 
Du ‘Turkey-buzzard. 243 
Observations sur les coutumes du pays. 244 
Découverte d'une pension honnête. 249 
Chant d'un jeune nègre. id. 


Voitures du pays. 246 


362 TABLE. 


Cérémonie funéraire. Page 247 
Instructions sur les Quakers. ic. 
Température de Charles-T'own. 251 
Le cerf vendu à la boucherie. id. 
Rencontre de M. R..., mon parent. 252 
Excursion ornithologique. 253 
Des sparas, rossignols, cardinaux et troupiales. 254 
Moralité du troupiale. 256 
Visite à M. de Morphy, consul'espagnol. 257 
Harangue philantropique d'un Quaker. 258 
Sur le lieu destiné à la course. 259 
Sur le geai bleu du Canada. id. 
Sur Ja nompareille et les epeiches du pays. 260 
Sur la perdrix de la Nouvelle-Angleterre. 262 
Remarques sur l’oppossum. id. 
Embarquement pour une course d'histoire natu- 

relle. 265 
De l'écureuil, appelé Le suisse, 266 
De celui appelé Le petit-gris. 267 
Du merle gris. 268 
De l'oiseau appelé le murier. 269 
De larbre à cire. zO 
De l'érable à sucre. 270 
Caractère d’un sauvage. 272 
Moœurs d’un sauvage de la Caroline, et son adresse. 273 
Coutumes anolo-américaines. id. 
De l'oiseau royal, et du canard d'été. 274 
Du boiciningua. 276 
Tableau peint par un sauvage. 278 
Confiance des Anglo-Américains. 279 
Observations sur les ours du pays. 280 


Des petites chèvres, appelées Cabrits. id, 


TABLE, 363 
Partie de chasse à l'habitation de M.de Caradeux. P.28r 


Du polatouche. 282 
Découverte de l’ajoupa d'un vieux nègre libre. 285 
De l: bécasse de l'Amérique septentrionale. id. 
Du choucas. | 266 
Des bouveraux, et du robin. 207 
Du troglodyte, de la fauvette de New-York, et des 

oiseaux-mouches. 208 
Mort funeste d’un père de famille. 202 
Des sparas et des pies. id. 
Du mi-jaune et de la tête-rouge. 293 
Embuscade d’un nègre marron. 294. 
Du duc à longues oreilles. 299 
Coutumes bizarres de la Nouvelle-Angleterre. 297 
Embarquement à bord de la goélette la Galatée, 

capitaine Payne. 208 
Prévenances de ce nouveau capitaine. 299 
Beau trait d'humanité d’un de nos passagers. id. 
Trait d'amour paternel. 301 
Reconnoissance desiles Caïques, et vue du mêle Saint- 

Nicolas, île de Saint-Domingue. 302 
Visite du corsaire anglais le Pélican. 303 
Description des côtes de l'ile de Cuba. 304 
Rencontre d’un pilote espagnol. 305 
Description de la baie. 306 
Visite de soldats du fort. 307 
Démarches auprès du commandant du fort, et obser- 

vations. 308 
Remarques sur l'intérieur des maisons espagnoles, 

et les costumes. 309 


Débarquement à Saint-Yago, observations sur les 
: mœurs et coutumes du pays. 311 


364 TA BD 


De l'arbre à pain, et de la liane à eau. Page 513 
Description du Warf. 514 
Et des environs de la rade. 515 
Observations sur les marchés du pays. 316 
Prix exorbitant des logemens. 518 


Démarche infructueuse auprès d'un capitaine français 


partant pour Saint - Domingue. id. 
Frait généreux de notre bon capitaine Thomas 

Payne. 319 
Nouvelles remarques sur les usages des Espagnols. 32r 
De looïlle. id. 
Du Tassau, et des confitures sèches. 322 
Coutumes des habitans. 323 
Des sapotilles, du manioc, et des citrons. 525 
Promenade dans une ile voisine. 326 
Du manglier. 12 
Du yapou, et du tangara noir d'Amérique. 528 
Du karatas et des ramiers de Cuba. 329 
De la tourte et de la tourterelle. 530 
Du pingouin. 931 
Du todier. 2 
De l'oiseau palmiste. 353 
Remarques sur les fruits et la température. 354 
Observations sur la procession appelée rosaire. 335 
Promenade sur le rivage. 530 
Effets singuliers du climat. 337 
Galanterie des padres envers les dames. 838 
Visite de dom F***, padre très-instruit. 359 
Nouvelles bontés du capitaine Payne. 540 
Poissons de la rade, 541 
Cérémonies religieuses du dimanche des Ra- 

meaux. 342 


TABLE. 365 


Accident imprévu. Page 543 
Cérémonies du jeudi Saint et du jour de Pâques. id. 
Joûte des chaloupes. 344 
Anecdote de deux matelots anglo-américains. 345 
Adieux au capitaine Payne; notre départ pour Saint- 

Domingue. 347 
Description de notre nouveau bâtiment. 548 
Nouce sur le rocher des Rivaux. 349 
Coutumes du pays. id. 
Caractère de nos passagers. 350 
.Gros tems de la nuit. 35# 
Vue de Saint-Domingue. 353 


Fin de la Table. 


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veront-ils sur leur route un peuple heureux, 
ils sentront leur cœur palpiter de joie; en le 
quittant, ils seront navrés des maux répandus avec 
profusion sur ce malheureux globe. Les jeunes 
gens surtout, qui se destinent à l’art intéressant 
de la marine, y trouveront de quoi enflammer 
leur noble ambition; leur gémie sera prémuni 
d'avance des grands moyens de salut dans les 
tempêtes de l'Océan ; la plupart des écueils 
leur seront connus, ainsi que les passages diffi- 
ciles des détroits, d’un pôle à l’autre, etc. etc. 
Us suivront avec sécurité les traces de ces 
illustres marins qui ont rendu de si grands 
services au Monde. 

Le Public peut être assuré de trouver dans 


PROSPECTUS. 3 


cette Collecüon, une exacte descripuon histo- 
rique et géographique du globe. 11 n’y aura 
aucune parüe intéressante de l'Univers qui ne 
soit décrite par des notes ou des extraiis des 
voyageurs les plus récens et les plus véridiques , 
et démontrée par des cartes très-exacies. 

L’Éditeur de cette nouvelle entreprise espère 
mériter la confiance du Public, après avoir 
terminé l'immense tâche, qu’il s’étoit imposée, 
du Cours comPLET de l’Histoire naturelle , 
générale et particulière des trois règnes de 
la Nature. Ce monument, élevé à la gloire 
de Buflon et aux sciences naturelles, est une 
garantie honorable de lachèvement et de la 
bonne exécution de celle que nous annoncons. 
L’on peut être assuré d’avance que nous n’é- 
pargnons rien pour donner des Cartes exactes 
et détaillées; l’expérience acquise par les figures 
de notre BuFFoN, est un gage assuré de celles 
dont nous décorerons cet Ouvrage : nous avons 
lauenuon qu’elles représentent fidèlement le 
caractère le plus saillant des différens peuples; 
nous y joignons, comme ornement, les pro- 
ducuons les plus frappantes des divers climais. 

Enfin, l’exécution de toutes les parties de cet 
Ouvrage, sera en tout conforme à celle des 
quatre volumes déjà mis au jour au premier 
novembre 1808, 


L'on souscrit à Paris, chez Fr. Dufart père, Fditeur- 
Libraire, rue et maison des Mathurins St.-Jacques. 
Le prix de chaque volume ou livraison, de 500 pages 
d'impression, et au moins 6 planches ou cartes géogra- 
phiques, est de 6 francs, et 7 fr. 5oc., franc de purt, 
pour toute la France, jusqu'au 1er. janvier 1809. Passé 
celte époque, le vol. ou livr. sera porté à 7 fr. , et 8 fr. 
Docs Pare de port, pour ceux qui n’auront pas souscrit. 

Le rer. volume a paru le 1er. mai, le 2e. le rer. 
juillet , le 3e. le 1er. septembre, et le 4e. le rer. no- 
vembre 1808, les autres paroissent successivement de 
deux en deux mois. 


L'on souscrit également 


Villes. Libraires. Villes. Libraires. 
à Rouen, chez Vallée frères. à Angers, Fourrier-Mame. 
Idem, Renault. Clermont, Rousset. 
Caen , Mannoury. Tours, Pescherard et Mame. 


Lyon, Maire. Bruxelles, De Mat. 
Idem, Yvernault et Cabin. Idem, Le Charlier. 


Idem, Garnier. Liège, Colardin. 
Bordeaux, Melon. Idem, Desoer. 

Idem, Bergeret. Cologne, Keil. 
Toulouse, BonnefoietPrunet. Mons, Hoyois. 

Agen, Noubel. Douai, Tarlier. 
Bayonne, Bonzom. Mayence, Simon Müller: 
Idem, Gosse. Cambray, Hurez. 
Nismes, Melquiond. Strasbourg , Levrault. 
Lille, Wanakere. Idem, Treutel et Wurtz. 
Dunkerque, Frémaux. Perpignan, Alzine. 
Montargis, Gille. Toulon, Curet ( Alex.) 
Genève, Manget. Brest, Egasse frères. 
Saint-Malo , Hovius. Amiens, Wallois, 
Limoges, Bargeas. Idem, Carron Brunelle. 


Pour l'Etranger 
ser ; 


à Hambourg, Perthès frères. à Berlin, Umlang. 
Idem, Hoffmann. Stockolm, Ulrich. 
Londres, De Boîte. Copenhague, Brummer. 
Idem, Deconchy. Milan, Margaillan. 


Idem, Dulau et Compag. dem, Giegler. 
S.-Pétersbourg,Klostermann. Génes, Gravier. 


Moscou, Bouvat. Naples, Romilly. 
Leipsick, Besson. Florence, Faure frères. 
Idem, Grieshammer. Lisbonne, Borel frères. 


Turin, Bocca. Idem, Angelotty. 
Madrid,v°.Ramos de Agullera. Barcelone, au Bur. du Jour. 


Idem, De Sancha. Idem, Girard. 
Valence, Mallen. Vienne , Schalbaker. 
Breslau, Korn. Francfort-sur-Mein,Eslinger, 


Et chez tous les autres principaux Librairesde l'Europe. 


CATALOGUE 


ET 


PROSPECTUS 


DE LA LIBRAIRIE DE DUFART, ràre, 


à 


Rue et maison des Mathurins , n° 10, à Paris. 


—_ +)! — 


PAR SOUSCRIPTION. 
NOUVEAU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, 


ou Représentation fidelle des Etres les plus remarquables 
dans les trois Règnes de la Nature ; en figures coloriées 
syr planches, dessinées par M. DEsève, et autres habiles 
Artistes ; comparées aux Originaux , et approuvées par 
MM. LacéPpèps, DESFONTAINES, MAUJAS-SAINT-FOND, 
G£orroy, OLiviEr et Bosc; avec une Introduction à la 
tête de chaque Règne et de chaque Classe ; un "Fableau- 
Sommaire à la fin de chaque volume, et un volume 
de Notices à la fin de l'Ouvrage ; par B. E. Manuer. 
Dédié à S. M. l'EMPEREUR des Français et ROE 
d'Italie, etc. Prix, 6o fr. par chaque vol , de cent planches 
au moins. 


La Collection complette contiendra 18 vol. SAvorr : La classe 
des Quadrupèdes ou Mammifères , en y comprenant les Singes , 
les Chauves-souris et les Cétacées , 3 volumes. Les Oiseaux, cette 
partie si brillante , si variée et si riche en couleurs, formeront 
4 volumes ; les Reptiles , les Poissons et les Mollusques , 3 volu- 
mes ; les Insectes et les Vers , 2 vol. Le Règne Végétal, 5 vel., 
et le Règne Minéral aura 1 vol., en y comprenant ce qui doit se 
rapporter à la haute minéralogie. Ainsi la collection générale , dans 
sa plus grande latitude , n'ira pas au-delà de 18 volumes ; et comme 
Von ne payera qu’un volume à la fois, la dépense ne sera pas un 
grand obstacle pour ceux qui auront envie de se donner une aussi 


louable satisfaction. 

Ce vaste et brillant dépôt sera particulièrement attaché 
et servira d'appui à tous É ouvrages publiés ou à publier 
sur toutes les parties des sciences naturelles. L’amateur ou 
cultivateur de l'histoire naturelle y trouvera une instruction 
aimable , aussi facile que prompte; il ne sera pas repoussé 
dès l'avenue de la science, par des descriptions fasti- 
eieuses, qu'il ne peut ni suivre ni saisir. Dans un coin de 


(2) 

sa Bibliothèque 1l aura un cabinet immense qu'il pourra 
ouvrir et consulter à son gré, et qui ne sera jamais EXposé 
à aucun dégât. Ce répertoire piltoresque des plus ravis- 
santes productions de la Nature, sera d'un grand secours 
pour les arts d'imitations ; pour les manufactures de pa- 
piers, toiles ou étoffes peintes; de faïences et porcelaines ; 
de la broderie en tous genres sur laine ou la soie, aux 

eintres et décorateurs. Quelle source de récréations et 
Meeuctions dans les maisons d'éducation de tous les pays! 
Et ces fleurs artificielles destinées à parer de leur éclat ce 
qu'il y a de plus aimable, que d'attraits perdus, que de 
charmes de moins , si elles n’ont pas ceux de la nature 
même | 


COLLECTION ABRÉGÉE DES VOYAGES ANCIENS 
ET MODERNES AUTOUR DU MONDE, avec des 
extraits des autres Voyageurs les plus célèbres et les plus 
recens; CONTENANT des détails exacls sur les mœurs, 
les usages et les productions les plus remarquables des 
différens peuples de la terre; enrichie de cartes, figures 
et des portraits des principaux Navigateurs ; douze vol. 
in-80. Le prix de chaque volume où livraison de plus 
de 500 pages d'impression , avec 6 planch. ou cartes géo- 
graphiq. , est de 6 hv.et7L. 105. fr. de port. Le premier 
volume a paru le premier mai; le deuxième, le premier 
juillet; le troisième, le premier septembre; et le qua- 
trième , le premier novembre 1808 ; les autres paroissent 
successivement de deux en deux mois. 


Voyez ci après le Prospectus de cette Collection de Voyages. 


VOYAGES D'UN NATURALISTE, et ses Observa- 
tions faites sur les trois règnes de la Nature, dans plusieurs 
ports français, au continent de l'Amérique septentrionale, 
à Saint-Yago de Cuba , à Saint-Domingue , et dans 
une pautie de l'Espagne; dédiés à son Excellence Mon- 
seigneur le Comie de LAcÉPÈDE, grand Chancelier de la 
Lésion d'Honneur, membre du Sénat, de l'Institut, etc. ; 
par M. E. Descourrizz, ex-Médecin Naturaliste du 
Gouvernement, et fonditeur du Lycée Colonial à Saint- 
Domingue. Six volumes in-80.,avec 14 à 10 planches par 
chaque volume, d'objets nouveaux d'Histoire Naturelle, 
etqui n'ont été figurés dans aucun autre Ouvrage ; dessinés 
par l'Auteur lui-même, d'après nature. Prix, 6 fr. par 
chaque volume que l'on paie à mesure qu'ils sont mis au 
jour. Voyez ci-après le Prospectus de cet Ouvrage. 


(3) 

COURS COMPLET D'HISTOIRE NATURELLE, ou 
Histoire naturelle, générale et particulière ; CONTENANT, 
10. Toutes les Œuvres de LECLERC DE Burron, dans 
lesquelles les Supplémens ont été insérés à la placé indi- 
quée par l’Auteur lui-même : 20. Les Notes et Additions 
nécessaires pour que l'ouvrage de Buffon fût au niveau 
des connoissances acquises depuis sa publication: 50. Enfin, 
l'Histoire naturelle des Poissons par Lacépède et Sonnini , 
des Reptiles par Daudin , des Insectes par Latreille, des 
Mollusques et Coquillages par Denis Montfort et Félix de 
Roissy, et des Plantes par M. Brisseau Mirbel. Rédigé 
par SonniNt, membre de plusieurs Académies et Sociétés 
savantes et littéraires de l'Europe, l’un des Collaborateurs 
de Buffon pour la partie ornithologique. 127 vol. in-80. 
Le prix avec fig. en noir, 635 fr. ; avec les fig. coloriées, 
1,200 fr. ; et avec le texte et les fig. noires et coloriées, 
vélin, 2,400 fr. 

Quoiqu'il n'existe point d'ouvrages litiéraires à meilleur 
marché que celui-ci, l'acquisition en devient très-2énante 
par son étendue ; par cette considération, lon pourra 
souscrire en tout tems et retirer partiellement le nombre 
de volumes que l'on pourroit désirer , si mieux lon aime 
jouir de suite de toute la Collection, en contractant de 
petits engagemens avec l'Editeur, à des époques conve- 
nables, qui s'en contentera moyennant évidence de sureté ; 
enfin, l'on pourra aussi se donner cette honorable satis- 
faction, en en faisant l'acquisition par parties séparées. 

Cette vaste entreprise, dont l’exécution a duré près de neuf 
années, a dù lasser par sa longueur beaucoup de Souscripteurs > 
d’autres ont été déplacés et éloignés de leur résidence habituelle, 
et enfin plusieurs sont morts dans ce long intervalle de tems : de 
sorte qu’il se trouve beaucoup d’exemplaires incomplets, soit entre 
les mains de ceux qui ont primitivement souscrit, ou entre celles 
de leurs Cessionnaires. L’Édiieur engage toutes les personnes qui 
se trouvent avoir de ces exemplaires, de s'adresser directement à 
lui pour se compléter; elles peuvent être assurées d'avance qu’il 
fera tout ce qu’il dépendra de lui, soit pour le prix, soit pour leur 
donner les facilités raisonnables, moyennant évidence de sûreté. 


Il croit devoir donner encore ici l’ordre des matières de cette 
Collection. 


Théorie dela Terre . . . .. 3 vol. . Animaux .. . . . 1 yol. 
Epoques de la Nature. . . 1 De l'Homme ... 4 
Introduc. aux Minéraux... 1 Quadrupèdes . .. 13 
Partie expérimentale. . . 1 SITSÉS Re. ele 
Partie hypothétique . .. 1 Oiséaute 47. 7129 

9 


HÉÉTAUL Ie ie cs so e 


(4) 
De Pautre part, 62 


Histoire Naturelle des Poissons et des Cétacées. . . 14 
Éistoireinaturelle des Reptiles..." NP ONIMAR,S 
Histoire naturelle des Mollusques, . . . . . . . 6 63 
Histoire naturelle des: Insectes. .« + « . + + ...!. 14 
Histoire naturelle des Plantes... RTS 


C4 


Hables /Analmtiques ,NCrCR CCR 0 
LorA\L "127 


PARTIES SUPPLEMENTAIRES AUX ŒUVRES 
DE LECLERC DE BUFFON, qui se vendent séparé- 
ment en faveur de ceux qui possèdent les anciennes 
éditions de ce savant Naturaliste , de ceux qui ne cul- 
tivent que l'une des parties, ou enfin de ceux qui 
désirent avoir la facilité d'acquérir la Collection, de 


loin en loin. 
Histoire naturelle : née et particulière, des Poissons et des Cë- 


tacés , par Lacépède et Sonnini , 14 vol. in-8 , fig. 8 fr. 
— Le mème Livre avec fig. magnifiquement coloriées ; 160 fr. 
Histoire générale et particulière des Reptiles, par Daudin, 48 F. 


- Le même Livre , avec fig. magnifiquement color. sur planch. 88 f. 
Histoire naturelle , générale et particulière , des Plantes , par C, F. 


Brisseau-Mirbel , , 18 vol. fig. 90 f. 
— Le même Livre, avec les fig. magnifiquement color. Ya ire 
Histoire naturelle” , générale et particulière, des Mollusques , par 

Montfort et Félix de Roissy ; 6 vol. in-8 , fig. , 56 fr. 
— Le mème Livre, fig. magnifiquement coloriées ; A2NT. 


Histoire naturelle, générale et particulière des Crustacés et Insectes , 
par F. A. UE , membre associé de l’Institut de France, des 


Sociétés linnéennes de Londres, etc. 14 v. in-8 , BAS. 
— Le mème Livre, fig. magnifiquement coloriées , 140 fr. 
Histoire naturelle des Singes, 2 vol. in-8 , avec 70 fig. vél. 72 fr. 
Histoire naturelle des CETACES , 1 vol. ë7-8, fig. GNT, 
— Le méme Livre, fig. cmprimées en couleur, 9 fr. 


LIVRE DE FAMILLE, ou Lectures récréatives, propres 
à l'instruction et à la Da éducation des ne et des 
adolescens de l'un et l'autre sexes, recueillies principa- 
lement des Œuvres de Berquin, et autres Ecrivains 
célèbres; avec 36 gravures. Dédié aux bonnes mères. 
4 vol. in-80. (Pour paroître dans le courant de janvier 


1809 ). 6 fr. 
AUX BONNES MÈRES. 


C’est à vos tendres soins que le ciel confie l'éducation de vos 
enfans; si vous n’aidiez de vos sollicitudes , en veillant sans cesse 
sur le zèle des maitres à qui vous confiez cette importante fonc- 
ton, vous seriez bientôt déçues de toutes vos espérances. La 
tendre reconnoissance de vos enfans sera la juste récompense que 
Dieu à gravé dans leur jeune cœur : elle seule vous avertira 
constamment du plus ou moins de constance que vous mettrez 
dans ce devoir sacré. Ce livre vous aidera, en le lisant à vos 
enfans dans Îes momens consacrés au repos ; vous y trouverez 
vous-mèmes les récréations les plus douces, eu les partageant 
avec eux. 


(59 
Tivres de fonds et d’assortimens du même Libraire. 


Abécédaire , contenant, avec la figure des objets les plus communs, 
et leurs noms inscrits au milieu , l’histoire naturelle des animaux 
domestiques les plus connus , mis à la portée de l'enfance, pour les 
commençans dans les écoles primaires ; adopté par le gouvernement; 
dixième édition 6o c. 

Abrégé (nouvel) de toutes les Sciences, précédé d’un discours sûr la 
Religion, avec une connoissance exacte des gouvernemens, et un 
état précis de celui de l’Angleterre ; ouvrage à l’usage des maisons 
d'éducation, et dont Sa Sainteté Pie VIT a bien voulu accepter la 
dédicace , etc.; par Barthelemi de Grenoble, auteur de la Gram- 
maire des Dames, etc. etc. gros vol. in-12. Lyon, 1808. 2 fr. 5o c. 


Abrégé (nouv.) chronologique de l’histoire et du droit public d’Alle- 
magne, par Pfeffel ; 2 vol. in-4. cart. 20 fr. 
Abrégé de VHistoire d'Italie, par Saint-WMarc, 6 vol. in-8. 27 f. 
Abrégé du Système de la Nature de Linné, par Gilbert. Lyon et 
Paris, 1802 : un fort vol. in-8, fig. otre 
Abrégé de la Géographie, à l’usage de la jeunesse , par l’abbé Nicole 
de la Croix , nouv. édition considérablement augmentée ; in-12. 1 f. 


Académie des Jeux , nouv. édit. 3 vol. in-12, fig. tte 
Adèle et Théodore, par madame de Genlis; 3 vol. in-8. 15 f. 
Agronome (l’), ou Diction. portatif du cultivateur ; 2 vol. in-8. 10 f. 
Ami (1) de l'Enfance, par Dulaurent; in-8. 6o c. 


Amours (les) de Pierre le Long et de Blanche Bazu, in-12. 1 fr. 
Amours pastorales de Daphnis et Chloé, traduction nouv. par Pierre 
B**, avec fig. dessinées par Monsiau , et gravées par Poquet, 


etc. in-16. Londres. JP 40 C 
Amours de Psyché et de Cupidon , 2 vol. in-18 , 4 fig. 1150 € 
— Le même Livre , petit i7-8 , fig. 3 f. pap. vél. 4f. 
Amusemens des dames dans les oiseaux de volière , in-12. Ch 


Année (1°) la plus remarquable de ma vie, suivie d’une réfutation des 
mémoires secrets sur la Russie, par Aug. de Kotzbue; 2 vol, in-8. 
avec les portraits de Kotzbue et d'Alexandre Ier. Paris, 1802. 6, 

— Le même, 2 vol. in-18. DE 

Arithmétique (l) des premières écoles et des écoles secondaires, 
approuvée du ministre de l’intérieur, par Guillard ; 1 vol.in-8.4f. 

Art (1) du blanchiment des toiles, fils et cotons de tout genre, 
rendu plus facile et plus général, au moyen des nouvelles di- 


couvertes ; par Pajot-des-Charmes , avec 9 planch. 6£ 
Art de tenir les Livres en parties doubles, par Ruelle; ouvrage 
le plus clair et le plus simple, in-4°. Lyon, 1805. Où, 


Atlis moderne portatif composé de 28 cartes sur toutes les parties du 
Globe terrestre , et de 3 cartes astronom. avec une Introd. sur Ja 
connoissance de la sphère et de chaque carte enluminée. 10 f, 

Idem , à l’usage de ceux qui veulent apprendre Ja géographie, 
par Bartholon , nouv. édit. très-augm. in-4, oblong. 9 f. 

Atlas, ou Recueil de cartes géographiques, plans, vues et médailles 
de l’ancienne Grèce, relatifs au voyage du jeune Anacharsis; 
récédé d’une analyse critique des cartes; in-4. ONE: 
Cet Atlas est indispensable à tous ceux qui possèdent l’intéres- 
sant Voyage du Jeune Anacharsis, sans Atlas, soit dans les édi- 
tons in-8., in-12 et in-18 , auxquelies il est adapté. 


(6) 
‘Aventures de Télémaque, par Fénélon, avec les notes de Coste, 
jolie édition ornée de 12 charmantes fig. in-12. Paris, 1803. 5f. 
Aventures surprenantes de Robinson Crusoé, fig., 4 vol. in-12. 8f. 


Bachelier (le) de Salamanque, par Le Sage ; 4 vol. ir-18. & £. 
Baisers (les) précédés du mois de mai , poëme , augm. d’un suppl. et 

orné de très-belles fig. et vignettes , par Dorat, gr. in-8. Gf. 
Banque (la ) rendue facile, par Giraudeau , in-4. 12 f. 
Bélizaire, par Marmontel; in-18. lof, 


Bibliothèque (nouvelle) des Romans , les 80 premiers vol. in-12.132f. 
Buffon des écoles , à l’usage de la jeunesse, 2 vol. in-12, avec 132 
figures en taille-douce. 6 f. 
Camille ou le Souterrain , suivi d’Ambroise ou voilà ma journée. 6oc. 
Catéchisme historique, en français, contenant en abrégé l’histoire 
sainte et la doctrine chrétienne , par Claude Fleury; in-12. rf. 
Causes (les) célèbres et intéressantes , avec les jugemens qui les ont 
décidées : cet ouvrage a été de nouveau rédigé par M. Richer; 22 
vol. in-12. &ë f. 
Charmes (les) de l’enfance et les plaisirs de l’amour maternel, par L. 
F. Jauflret, avec l’allemaud à côté, en faveur de ceux qui désirent 
apprendre agréablement et facilement les deux langues, 4 vol. in-18. 
très-Jolie édition. 5.f. 
Chefs d'œuvre (les) dramatiques de Charles Goldoni, traduits pour la 
première fois en français par Amar, avec le texte à côté , la traduc- 


tion et des notes instructives ; in-8. 5 vol. Lyon, 1804. 12 Ês 
Ciceronis Epistolarum selectarum, libri tres. in-24, jolie édition 
interlignée, 1808. 5o c. 
Commerce (le) et le gouvernement, considéré relativement l’un à 
Vautre, par Condillac; 2 vol. in-18. TND ONCe 
Comte (le) de Gabalis, ou entretiens sur les sciences secrettes; in-12. 
mi 20ic. 

Confidences philosophiques, quatrieme édition revue et augmentée, 
2 vol. in-8. 6 f. 
Considérations chrétiennes, par Crasset; in-12. 4 vol. TON: 
Contes et nouvelles en vers de Lafontaine , 2 vol. in-18, avec 80 
Hg. CEE 


Contes moraux , par Marmontel, nouvel édit. considérablement 
augmentée de nouveaux contes trouvés dans les papiers de lau- 


teur après sa mort; 6 vol. in-18, fig. 10 f. 
Cours d’études encyclopédiques, par Pagès. Paris, in-8. 6 vol. avec 
un atlas de 64 planches ou tableaux. 30: 
Cours de morale religieuse, par M. Necker, édition revue et cor- 
rigée , 3 vol. in-8. Paris, 1801. 1) iQ 
Délits (des) et des peines, trad. de l’ital. de Beccaria , in-8. DT. 


Description et usage d’un cabinet .de physique expérimentale, par 
Sigaud-de-Lafond , 2 vol. in-8 , avec un grand nombre de pl 9f. 
De Viris illustribus urbis Romæ à Romulo ad Augustum, ad usum 
sextæ scholæ, auctore Lhomond; in-24. 75 c. 
Dictionnaire (nouveau ) portatif, de la langue française , composé 
sur la dernière édit. de l’Abrégé de Richelet , par Wailly, entière- 
ment refondu d’après le Dict. de l’acad., celui de Trévoux, etc. 
2 v.in-8, par C. M. Gattel; Lyon , 1803, 15 f., le mème, rel.18f. 
Dictionnaire raisonné de Pharmacie Chimique,Théorique et Pratique, 
à l’usage des médecins et chirurgiens éloignès des pharmacies, 
et pour les élèves; in-8. 2 vol. Lyon. 1804. ONE: 
Dictionnaire instructif pour apprendre ce qui se pratique daus 
l'office; in-8, 4 E 


(7) 


Dictionnaire des merveilles de la nature, nouvelle édition, pa 
Sigaud de Lafond, professeur d'histoire naturelle, etc.; 3 vol. 
in-8. 126 

Dictionnaire raisonné d'Histoire natur., conten. Vhist. des Animaux, 
des Végétaux et des Minéraux, celle des Corps célestes, des Mé- 
téores, et desautres principaux phénomènes de la nature; avec l’his- 
toire des Drogues simples et celle de leur usage en médecine, dans 
l’économie domestique et champêtre, et dans les arts et métiers ; 
par M. Valmont de Bomare. Dernière édition de l’Auteur , consi- 
dérablement augmentée. Lyon, in-8. 15 gros vol. caractère de 


cicéro. 7 f. 
— Le même, 2n-8. 15 vol. petit romain gros œil. 6o f. 
— Le même, Lyon, in-4, 8 vol. 80 f. 


Dictionnaire Français-Lspagnolet Espag.-Franç., avec l'interprétation 
latine de chaque mot, rédigé d’après le Dictionnaire de VAcadémie 
royale Espagnole et celui de l’Académie Française; nouvelle édition 
considérablement augmentée , dans laquelle on a inséré la pronon- 
ciation écrite des mots de lune et de l’autre langue, par C. M. 

. Gattel; ouvrage supérieur à tous les Dictionnaires de ce genre qua 
ont paru. Lyon, 1804. in-4, 2 vol. de 2000 pages. 36 f. 

Dictionnaire (nouveau) Français et Allemand , composé sur celui de 

l’Académie Française et celui d’Adelung, etc. par Frédéric Schwan; 


in-#.7 vol. Manheim, 1781 et suiv. 80 f. 
Dictionnaire historique des Grands Hommes, par une Société de gens 
de lettres; 13 vol. in-8. Lyon, 18or. 80 f. 
Dictionnaire de Botanique, avec les termes techniques. CEE 
Dictionnaire Anglais et Français, par Boyer; 2 vol. in-4. 56 f. 
Dictionnaire anglais - espagnol et espagnol-anglais, par Gattel. 
Paris, 1803, 2 vol. in-16. 7 {50 c. 
Dictionnaire de poche, anglais-français et français-anglais, par 
Nugent; 2 vol. in-16. Paris, 1804. 7 f.50 c. 


Dictionnaire portatif et de prononciation italienne-française et 
française-italienne , par Cormon et Vincent Manni, 2 gros vol. 
in-8. à deux colonnes et de quinze vents pages. Paris, 1802. 16 f. 

Dictionnaire de poche français-italien etitalien-français, ou abrégé 
de celui d’Alberti, 2 vol. in-16,trois édit. Paris , 1803. 7 f. do c. 

Dissertations de Maxime de Tyr, philosophe platonicien , traduites 
sur le texte grec, avec des notes, par Combes-Dounous; 2 vol. 


in-8. Paris, 1802. 9 f. 
Dissertations critiques pour servir d’éclaircissemens à l’histoire des 
Juifs, par M. de Boissi; 2 vol. in-12, 5 f. 


Discussions importantes débattues au parlement d'Angleterre par 
les plus célèbres oratears depuis trente ans, renfermant un choix 
des discours, adresses, motions, répliques , etc. sur la situation 
de la France; 4 vol. in-8. 15 £. 

Ecole des Mœurs où Maximes de la Sagesse, par feu l’abbé Blan- 
chard ; nouvelle édition totalement refondue et considérablement 
augmentée. Lyon, 180%, in-12, 6 vol. fig. 12 f. 


Education chrétienne à l’usage des maisons d'éducation de lun et de. 
Pautre sexe, par l’auteur de l'Ecole des Mœurs ; 1808, in-12, 


2 gros vol. Date 
Elémens de la Grammaire latine de Lhomond, dernière édition, 
vol. in-12. relié en parchemin, 12010 


Eliezer et Nephtaly, poëme trad. de l’hébreu , suivi d’un Dialogue 
entre deux chiens, nouvelle imitée de Ceryantes ; ouvr. posthume 
a Lu 


, de M, de Florian, in-8. di, 


\ 


(8) 


Fmma ou l’Énfant du malheur, 2 vol. in-18. 26 
Encyclopédie de la jeunesse, ou abrégé de toutes les sciences, à 
l'usage des écoles des deux sexes; par P. J. R. Masson; nouv. édit. 
considérablement améliorée dans la géographie, Yhistoire , la 
mythologie , les mathématiques, l’histoire naturelle, la physique, 
la chimie , etc- etc. augmentée de larchitecture, de l’hydrogra- 
phie et d’un dicticnn:ire géographique de la France, avec une 
mappemonde et des fig. grav. par Tardieu. Paris, 1804; un gros 
vol. in-8. É. 
Enéide (|) de Virgile , traduction de Desfontaines, 1 vol. in-8. 4f. 
Entretiens de Zimmermann avec Frédéric le Grand , peu de jours 


avant sa mort; in-18. 121 
Epitome de Dus et Heroibus poeticis seu appendix ad Ovidium , 
auctore Jouvency ; in-8. AS 


Epreuves (les) du sentiment, suivi des Nouvelles historiques et des 
Epoux malheureux; par Darnaud. Paris, 1803. 11 vol. in-12. 
30 fr. 

Erreurs (des) de la vérité, ou les hommes rappelés au principe uni- 
versel , suivi de l’homme du désir; 5 vol. in-8. SFR DOÏIC- 
Essai sur les convenances grammaticales de la Langue française, par 
Bréville. in-12. Lyon, 1802. 2 JON 
Essais sur la poésie et la musique , par James Beattie; un vol. in-8. 
Paris, 1787. Lo) 2h 
ÆEtudes de la Nature, nouv. édit., revue et corrigée par Jacques- 
Bernardia de St.-Pierre , avec 10 pl. , Paris, 1804, 5 v.in-8, 5of. 
Etudes de l’homme physique et moral, considéré dans ses différens 
âges ; par J. P. Perreau, professeur supplémentaire au collége de 
France , du droit de la nature et des gens; in-8. 4 T. 
Expériences physiques et chimiques, par de Puisieu; 3 vol.in-12, 
fig. Paris. 7 £ So c. 
Fables (les) de la Fontaine , 4 volum. 7-8 , pap. vélin, magnifique 
édit. , ornte de 276 fig. exécutées sur les dessins de Vivier, 
par Simon et Coiny, relié par Bradel. 110 f. 
— Les mêmes, 6 v. in-16, pap. vél., avec les mêmes fig. , rel. 8o f. 
— Les mêmes, 2 vol. in-18 , fig. 2H 00)0eb role R0DiC 
L'ables d'Antoine Vitalis , in-8. he 
Fables de Dorat , 2 vol. grand in-8 , édition ornée de grav. et de 
vignettes superbes , rel. par Bradel. 20 f, 
Fablier de l'Enfance, ou Choix de Fables en vers et d'Apolosues des- 
tinés à l’éducation , par Berenger, auteur de la Morale en action. 
Lyon, 1808, in-12 de plus de 500 pages, petit rom., avec fig. 6 £. 
— de la Jeunesse et de l’Âge mür, ou Choix de Fables en prose , tiré 
des meilleures sources, par le mème. Lyon, an IX -1808 ,in-12, 


2 gros vol. avec fig. Gf. 
Félicia, où mes fredaines, jolie éd. et belles fig. 4 vol. in-16. 10 f, 
— Le mème livre, papier vélin. 16 f, 


Fontenelle, Colardeau et Dorat, ou Éloges de ces trois écrivains 
célèbres ; ouvrage renfermant plusieurs anecdotes non connues , 
et pouvant être utile aux personnes qui étudient la littératnre 
francaise, précédé d’une lettre que le célèbre et infortuné Bailly 
a écrite à l’auteur au sujet de l’éloge de Fontenelle, et suivie 
d’une vie d'Antoine Rivarol. Paris, 1803; in-8. DU: 

Galerie des antiques, ou esquisse des statues, bustes et bas-reliefs, 
fruits des conquêtes de Bonaparte en Italie, par Augustin Legrand; 
un vol, grand in-b, 10 £ 


(9) 


Géographie élémentaire, à l’usage des jeunes gens de l’un et de l’autre 
sexe ; avec la division de la France en départemens; la population, 
l'étendue, les contributions, les constitutions, les mœurs, les 
religions et les produits agricoles et commerciaux des différens 
pays de la terre; les arbres qui croissent dans chaque pays , les 
animaux sauvages qui y vivent, et les animaux privés qu’on y élève; 
suivie d’une table alphabétique de toutes les villes, principalement 
de tous les départemens ; d’une description des rivières, d’un traité 
de la sphère, d’un vocabulaire des mots dont l’usage n’est point 
familier à la jeunesse ; d’une division de l’année, d’une nomencla- 
ture des nouvelles mesures, et enrichie de huit cartes géogra- 
phiques ; par Hassenfratz; 4e édit. corrig. etaug. ,in-12. 5f. 5oc. 

Géographie universelle exposée dans les différentes méthodes qui 
peuvent abréger l’étude et faciliter l’usage de cette science , avec le 
secours des vers artificiels et un traité de la sphère, par Buficr; 
un gros vol. in-12. Lyon. 21.90€. 

Géographie de l'Enfance, in-12. ff. 50 c. 

Géographie univ. , trad. de l’allemand de Busching , 16 v.in-8, 60 1. 

Gérard de Nevers, par Tressan, petit in-0. avec 4 fig. dessinées par 


Moreau. 5 f., et papier vélin, 5 f. 
— Le même livre in-18. Go €. 


Gonzalve de Cordoue, ou Grenade reconquise, par M. de Florian, 
belle édit. ornée de fig., dessinées et grav. par les meilleurs ar- 
tistes dé Paris, 2 vol. in-8, 1805. 19 

— Le même livre sur papier vélin. if 

Grammaire et leçons préliminaires, par Condillac, mise à l’usage 
des élèves des prytan. et lycées franç., 1 v. ë7-12, Paris , 1805, 5f. 

Grammaire de Vénéronni, ou le Maitre Italien ; par Gastel. in-8. 
Lyon, 1805. DIT, 

Grammaire (nouvelle) allemande, ou méthode pratique pour ap- 
prendre facilement cette langue, nécessaire à présent plus que 
jamais ; augmentée de dialogues accentués à l’usage de ceux Gui 
possèdent la langue française ; un vol. in-12. o24.,etrelié, 54. 

Crrammaire générale et raisonnée, de Port-Royal, par Arnault ct 
Lancelot; précédée d’un essai sur l’origine et les progrès de la langue 
française, par M. Petitot, etsuivie d’un commentaire de M. Duclos, 


auquel on a joint des notes ; un vol. in-8. Paris, 1803. 5 +. 
Guide (le) de l’histoire, à l’usage de la jeunesse, etc. 3 vol. in-8. 
JOiÉs 

Herman d'Una, trad. de V'Allemand ,2 vol. in-12 , fig. &i. 
Heures à la Dauphine, un vol. in-18, belle édition. TND 0IG. 


Histoire naturelle du GENRE HUMAIN , ou Recherches sur ses 
principaux fondemens physiques et moraux, précédée d’un dis- 
cours sur la nature des êtres organiques, etc. par J. J, Virey, 
2 vol. in-8 , avec 14 belles planches. 12 1r. 

Histoire particulière de l’Abeïlle commune, considérée dans tous ses 
rapports avec l’Hist. générale de l’homme , fig. 2 v. in-8. 8 fr. 

Histoire de Charles XIT, roi de Suède, par Voltaire, avec les notes 
de M. de la Motraye; 2 vol. in-12, ornés d’un portrait. Lyon, 1$o7. 

2) HAMTONCE 


Histoire des révolutions de Suède ; in-12 , 2 vol. JET 
Histoire des premiers peuples libres qui ont habité la France, 
par J. Ch. Lavaux. Paris, 17996; 2 vol. 10 f. 


Histoire d'Italie, depuis la chute de la république romaine jusqu’anx 
premières anuées du dix-neuvième siècle , par Aut, Fantit 
Desodoërs; in-8. Paris, 9 vol. 1805. 4S 


(10) | 


Histoire des expéditions d'Alexandre, rédigée sur les Mémoires ds 
Ptolémée et d’Aristobule, les lieutenans , par Flave Arrien de 
Nicomédie , traduction nouvelle, par P. Chaussard ; 3 vol. in-8. 
et Atlas. Paris, 1802. 5of. 

Histoire des révolutions d'Angleterre , par le P. d'Orléans; 4 vol. 
in-8. 6 £. 

Histoire du canal du Midi, par le général Andréossi; un vol. in-8. 
avec une belle Carte gravée par Tardieu. 6 £. 

Histoire de l'empire de Russie, sous le règne de Catherine IT, età la 
fin du dix-huitième siècle, par le révérend M. Tooke, membre de 
la société royale de Londres, dédiée à S. M. I. Alexandre premier ; 
à vol. in-ù 52 f. 

Histoire des insectes utiles à l’homme, aux animaux et aux arts, par 


Buc’h6z; in-12. 2 f. 
Histoire du Petit Jéhan de Saintré et de la dame des Belles Cousines; 
in-18, fig. 6o c. 
— Le eme livre petit in-8. fig. dessin. par Moreau. 2 f. 
— Le même, papier vélin. 4 £. 


iistoire abrégée des Républiques anciennes et modernes, où l’on 
voit leur origine et leur établissement , et les causes de leur ve 
par Bulrd ; 4 vol. in:18 , fig. 

Histoire des animaux d'Aristote, avec la traduction française, pe 
M. Camns ; 2 vol, in-4. 

Histoire de Gilblas de Santilane, par Le Sage; 6 vol. in18. 7 £. 5o c. 

Historicttes et Conversations , par Berquin , 5 vol.2n-18, 4f. 

Ilygiène domestique , ou l’art de conserver la santé et de prolonger 
la vie, mis à la portée des gens du monde, ouvrage quicoutient , 
entr'autres choses utiles, des préceptes simples et raisonnés sur 
Yéducation physique des enians , l’usage des bains, le choix des 
alimens, la conservation des yeux, et la direction des affections 
de lame; trad. de l'anglais, du doceur Willich, augm. par 


M. Itard, médecin de l’ins'it. etc.; un fort vol. in-8. Der. 
Idylles et Romances de Berquin; nouv. édit. fig. 6o c. 
Incas (les) où la Destruction de l'empire du Pérou, par Marmontel, 

5 vol. in-18, af 
Juiluence (de |’) des passions sur le bonheur des individus et des 

uations , par madame de Staël ; 2 vol. in-18. 1f 906 
— Le même livre sur papier vélin. Has 
Instructions élémentaires sur la morale; ouvrage jugé propre à 

instruction publique , par Bulard ; fig. Paris, 13o1. Tor 


Jntrodaction sur Vhistoire de France et sur Phistoire romaine , 
suivie d’un abrégé de la géographie, avec la division de la France 
par préfectures et sous- préiectures ; d'un abrégé de lPhistoiie poé- 
tique ; d’un abréoé des Métamo phoses d'Ovide, et d’un recueil 
de proverbes , sentences , bons mots et pensées choisies, par 
Leragois; nouvelle édition, ornée des portraits des soixante-huit 
rois de France, gravés d’ après les médailles, par Varin; etaugm. 
d’un précis de l’histoire de la révolution ; jusqu à l'armistice conclu 
après la célèbre bataille de Maringo ; 2 vol. iu-12. She 


Introduction familière à la connoissance de Ja Nature se ; uin ; 
»} ; 


2 vol, in:18, fig. Tite DOIC:. etrel. 2f. 50 c. 
Jérusalem dé A en vers français , par L. P. M. F. Baour- suis = 
2 vol. in-8. S'f. 


Journal d’une esclave persanne, traduction libre de Parglais ; 
jil-12 1{f.90c. 


Gr) 


Journées du Chrétien sanctifié par la prière et la méditation; un 
vol. in-:2, 1803. T 1. DOC. 


Langue (la) des calculs, par Condillac, ouvrage posthume et élé- 


mentaire imprimé sur les manuscrits autographes de l’auteur ; 
Lr4 


1712. 9 f 
Laure et Auguste , traduction de l’anglais, par Berenger; 2 vol. 
in-12. 35f. 50e. 
Leçons élémentaires de Mécanique, par Jentet ; in-8. fig. 4 {. 
Lectures pour les enfans , 5 vol. in-18. 5 f. 
Le petit Grandisson , par Berquin , 5 vol. in-18. Ai 


Lettres philosophiques sur l’intelligence des animaux, avec quel- 
ques lettres sur l’homme, par Leroy, sous le nom de physicien 
de Nuremberg; un vol. in-8. orné de son portrait. Paris, 19053. 


4 f, 

Lettres et épitres amoureuses d'Héloïse et d’Abeïlard; 2 vol. in-12. 
SN DONC: 

Lettres et mémoires choisis parmi les papiers originaux du maré- 
chal de Saxe; 5 vol. in-8. Paris. 10,6 
Lettres de Charlotte à Caroline pendant ses liaisons avec Werter, 
trad. de l’anglais; 2 vol. in-18. 1m. 50.0. 
Lettres galantes d’Aristenette , traduites du grec, par Alain-René 
Lesage ; in-18. à f. 


Logique de Condillac , nouv. édition mise à l’usage des élèves des 
prytanées et lycées français ; par Noël, professeur de philosophie 
au prytanée français , 3 vol. in-12, Paris, 1603. 7 fi, 20. 

Louise, ou la Chaumière dans les marais; 2 vol. in-18. 1 f. 50 c, 


Magie blanche dévoilée , avec le testament de Jérôme Sharp, ses 
petites aventures et son codicile, par Descremps, 5 v. 7-8, ornés 


de 155 fig. 18 £ 
Manière (la) d'enseigner et d'apprendre l’orthographe, par Gazin, 
in-18, pour les écoles primaires. 0 €. 


La méthode simple et facile de ce petit Traité d'orthographe est 
en faveur des enfans de tout âge, et des personnes qui désirent 
pprendre à écrire correctement en très-peu de tems. 


Manuel d’Epictète, un gros vol. in-18. TRES 
Manuel de la fille de basse-cour, petit in-1°. 75 c. 


Manuel du jardinier, ou la culture complette des jardins pota- 
gers , fruitiers ct à fleurs , la taille et les meilleures méth. de grel- 
ter les arbres ; rédigé d’après les plus célèbres cultivateurs, avec Les 
planch. nécess. à l’intellig. des cultivat. ; par F. D.2v.in-12. 5 f. 

Margaretta , comtesse de Rainsford; 2 vol. in-12. où 

Médecin (le) naturaliste, ou Observations de Médecine-pratique ct 
d'Histoire naturelle, par Gilibert; in-12, fig. Lyon, 1802.2 f. 5o c. 

Mémoires de miss Bellamy, célèbre actrice de Londres, traduits 


de l’anglais; 2 vol. in-8. 5 
Méthode analytique des fossiles, par H. Struve; un vol. in-8. avec 
planches coloriées. 51/5010 
Missionuaire paroissial; in-12, 4 vol. 10 f. 
Neker elementa botanica, cum collario, 5 vol. in-8., dont un de 
planches, qui se relient en quatre. 20 


Nouvelles (les) par M. de Florian, belle édition ornée de figures 
dessinées et gravées par les meilleurs artistes, Paris, 180; un 
vol. in-8, Grue, 

— Le mème livre, papier vélin. 20 À, 


Ÿ, 
(12) 

Nouvel Atlas portatif, composé de vingt-huit cartes sur toutes les 
parties du globe terrestre et de trois cartes astronomiques , nou- 
velle édition augmentée d’une carte de la France, avec une 
explication où l’on désigne la province à laquelle chaque dépar- 
tement correspond. Paris, an 10 (1802). Prix, enluminé et 
cartonné, 10 f. 

Numa Pompilius, second roi de Rome, par Florian; très-belle 
édition ornée de belles gravures dessinées par le Barbier; in-8. 


Paris, 1805. OS. 
— Le mème livre sur papier vélin. 10 f. 
Oberman, Lettres publiées par M. Sénancour, auteur des Rèveries 

sur la nature de l’homme ; Paris, 1804; 2 vol. in-8. S f. 
Odes anacréontiques, in-15. LL f- 
Œuvres de J. J. Rousseau; in-8. 55 vol. fig. 1921. 
Œuvres complettes de Berquin, 50 vol. in-18 ; Paris, 1905. 

ATEF. 
Œuvres choisies de Berquin, ou la réunion des plus jolis contes de 

cet auteur , à l'usage des enfans , 4 vol, in-18, fig. & f. 
Œuvres complettes d'Helvétius, 5 vol. in-8., avec un très-beau 

portrait à la tète du prem. vol. 20 f. 
Les mèmes, 2 vol. in-#, avec un magnifique portrait. 24 f. 


Cette édition est la seule complette et imprimée sous les yeux 

de l’auteur. 
Œuvres comp'ettes de M. d’\rnaud, 12 vol. grand in-8., édition 
de Paris, ornée d’un grand nombre de figures et vignettes. 72 f. 
Œuvres complettes de Dorat, recueillies par lui - mème, 20 volum. 


in-8, avec toutes les fig. et vignettes. 72 f. 
Œuvres de Stern, 6 vol. in-8. Paris, 1797. Dos. 
Œuvres choisies de Piron, 3 vol. in-18.. & 
Œuvres d'Esiode, traduction nouvelle de M. L. Goupé; in-18. 

Paris, 1796. 1 fu 


Œuvres complettes de Florian, nouv. édition augm. de la vie de 
J’auteur, de Guillaume Tell, Eliezer et autres ouvrages inédits, 
ornées de magnifiques planches dessinées et gravées par les 
meilleurs artistes de Paris , 1805 , 8 vol. in-8, beau pap. 6of. 

Guavres posthumes de Florian, contenant sa vie, Guillaume Tell, 
Eliezer et autres ouvrages inédits; in-S8. LR 

Œuvres pastorales de M. Merthghen, traduites de l'allemand, nou- 
velle édition augmentée ; 2 vol. in-18. fig. af. 

Œuvres complettes de l’abbé de Condillac, revues, corrigées par 
l’auteur, imprimées sur les manuscrits autographes, et aug- 
mentées de la langue des calculs, et autres ouvrages posthumes 
de l’auteur; 51 vol. in-12, avec plusieurs planches. Paris, 1805. 

‘ 6o f, 

Œuvres de P, Camper, qui ont pour objet l’histoire naturelle, la 


physiologie et l'anatomie comparée ; 3 vol. in-8. et 1 vol. in-folio 


de 24 planches. 50 f. 
Œuvres oies de J.-B. Rousseau , jolie édit. port. 2 vol. DT 
Œuvres de St.-Foix , G vol. in-12. 126 
Œuvres complettes de Vadé, portrait, musique gravée à la fin de 

chaque vol., très-jolie édit. , 4 vol. petit tormat. S f, 


Œuvres complet'es d'Evariste Parny, membre de l’Institut; quatrième 
édition imprimée par Didot aîné; 1808 : 5 vol. grand in-18. 
rat. 

Œuvres complettes de Pline, 12 vol, in-4. trad. en français. 120 f 


: Sr - 


Œuvres de Racine, # vol. in-18 , très-jolie édition , papier vélin ; 


ornée de 12 Jolies fig. et d’un portrait , 1805. 1Zf. 
Œuvres complettes de Bernard , pet. in-8 , avec 8 jol. gra. 4, 
Opérations des changes des principales places de l’Europe , par 


Ruelle, quatrième édition revue , corrigée et augmentée des 
- changes de diverses places, et autres opérations très-nécessaires 
au commerce, et suivie de l’évaluation des monnoies étrangères, 
. courantes et anciennes, par Macé de Richebourg , essayeur des 


monnoies , avec la réduction en argent de France ; in-8. 45. 
Opuscules d’'Homère, traduction nouvelle , par M. L. Goupé ; 2 vol. 
in-18, portrait. Paris, 1706. Es 
Orlando Furioso , 4 vol. in-8. grand papier, avec une fig. magni- 
fique à chaque chant. Paris, 1805. 04 f. 
— Le même, #4 vol. in-4. grand papier. 100 f, 
Paméla, ou la Vertu récompensée, trad. de l’anglais, par Prévost; 
8 vol. in-12. 10 £. 


Parallèle des religions, par le P. Brunet, auquel on a joint la 
géographie sacrée du P. Romain-Joly ; 6 vol. in-4. ornés de beau- 


coup de figures. Paris. 712 
Parnasse latin moderne, in-12, 2 vol., avec la traduction inter- 
linéaire. 6 f, 
Pauvre {le) George , ou l’'Officier de fortune, traduit de Fallemand 
de Kramer, par W. A. Duval; 2 vol. in-18, fig. 1f. 50 c. 
Pensées de Rousseau, édit. augm. de l'esprit de Julie, extrait de la 
nouvelle Héloïse, par Formay; 3 vol. in-18. Dire 


Petite Chronique du royaume de Tatcïaba, par Wieland, traduite 
de Vallemand, seconde édition revue et corrigée; 2 vol. in-12, 
fig. « SE 

Phèdre français, ou Choix de Fables françaises , à l’usage de l’en- 
fance et de la jeunesse; par J. Brunel, d’Arles. 1 vol. in-18. 


Lyon, 1S05. 1 f. 
Phœdri Fabulæ, cèm notis Desbillons , Brothier, etc. 1807. pap. 
fin. 2. À, 80 c. 
— Le même ouvrage , pap. ordin. 25. 
Physiologie d'Hippocrate , extraite de ses œuvres par Delavaud ; 
in-8. Paris , 1802. DE 


Physionomste (le), ou l’observateur de l’homme, considéré sous 
les rapports de ses mœurs et de son caractère , d’après les traits du 
visage , les formes du corps , la démarche , la voix, le rire , etc. 
vol. in-8, par J.-B. Porta, 5 f£. 

Phytologie universelle, ou histoire naturelle et méthodique des 
plantes, de leurs propriétés , de leurs vertus et de leur culture; 
ouvrage consacré aux progrès des sciences utiles de l’agriculture 
et de tous les arts, par N. Joliclerc, naturaliste et homme de 


lettres ; 5 vol. in-8. 27 Î. 
Précis historique de la révolution française, par Lacretelle jeune 
et Robut ; 6 vol. in-18, avec gravures. 50 f. 


Première éducation d’Adolphe et de Gustave , ou Recueil des leçons 
de lecture et de Grammaire, données par L. F. Jauffret à ses 
enfans ; in-12, 6 vol. Lyon, 1807. 12 f. 

Prieuré (le) de Derwent, ou Mémoires d’une orpheline, par 
Vauteur d’Elisa, traduit de l'anglais, par Lebas; 2 vol. in-12, 
Gg. «À 

Le A Er ; 

Principes de lecture et de prononciation, à l’usage des écoles pri- 
maires, ouvrage déclaré classique par le gouvernement; in-8. 5. 

Provinciales (les), ou l’Aunée des dames nationales, histoire par 


(14) 


' à 
jour d’une femme française; 12 vol. in-12, gravures, etc. par 


N. E. Rétif de la Bretone. 20 fe 
Pseautier disposé pour la semaine, selon l’ordre du bréviaire ro- 
main; un vol.in-16, relié en basane. à 250$ 


Recherches sur les espèces de prairies artificielles qu’on peut cul- 
tiver avec le plus d'avantage en France, par F. H. Gilbert, pro- 
fesseur vétérinaire ; in-12. pif. 

Recherches historiques et politiques sur les Etats-Unis de l'Amérique 
septentrionale où lon traite des établissemens des treize colonies , 
de leurs rapports et de leurs dissentions avec la Grande-Bretagne, 
de leurs gouvernemens avant et après la révolution, etc. 4 vol. 


in-6. TJ 
Révolution françaises, par Necker, nouv. édit. 4 vol. in-12, 6f. 
Roland furieux , trad. de l’Arioste, par Tressan , 4 vol. in-8, grand 
papier, avec une belle fig. à chaque chant. Paris, 1803. 64 F. 
— Le mème livre, 4 vol. in-4. grand papier. 100 f. 
Sand'ort et Merton, trad. par Berquin, 7 vol. in-18. HA 
Science des négocians et teneurs de livres, par Laporte, 1 volume 
oblong , quatrième édit. 4. 5o c. 
Science {ta de la législation, par G. Filangisry, seconde édition, 


revue et corrigée ; 7 vol. in-06. 24 f. 
Spectacle de la Nature, ou Entretiens sur les particularités de lhis- 
toire naturelle, qui ont paru les plus prop'es à rendre les jeunes 
gens curieux et à leur former l'esprit; 11 vol. in-12. avec beau- 
coup de figures. 35 fs 
Système de la Nature de Linné, traduit en français par Vanders= 
tegen de Pute, d’après la treizième édition latine, mise au jour 
par J.F. Gmelin; Bruxelles, 1763; 4 vol. in-8. contenant les oi- 


seaux , les quadrupèdes, les vivipares et les cétacés. 16 f, 
Système de la Nature, ou des lois du Monde physique et moral, par 
Mirabeau; 2 vol. in-8. f. 


Sysième militaire de la Prusse, et principes de la tactique actuelle 
des troupes les plus perfectionnées ; in-4. avec 95 cartes ou plans 
de bataille. Dite 


Tenue (la) des livres de commerce, à parties simples et à parties 
doubles, ouvrage utile à ceux qui veulent s’instruire de cette 
science , seuls et sans maitre; par Blondel, teneur de livres ; Lyon, 
1801; 2 parties in-#. 121. 

Traité des constructions rurales, dans lequel on apprend la manière 
de construire et de distribuer les habitations des champs, les chau- 
mières, etc. etc.; par C. P. Lasteyrie ; in-8. — Atjas de 35 pl:n- 
ches. 1 'f. 

Traité des maladies des femmes enceintes et en couche, par Petit ; 
2 vol. in-8. - . 

Traité d’Anatomie et de Physiologie végétales , suivi de la nomen- 
clature méthodique ou raisonnée des parties extérieures des plan- 
tes, et un Exposé succinct des systèmes de botanique les plus gé- 
néralement adoptés. Ouvrage servant d'introduction à l’étude de 
la botanique, par Brisseau-Mirbel; 2 vol. in-8. fig. en noir; 

15 fr. et 25 fr. fig. color. 

Traité des arbitrages, par Ruelle, in-8. 4, 

Traité des arbitrages de la France avec les principales places de 
l'Europe; ouvrage nécessaire aux banquiers et négocians, dans 
lequel on trouve le pair ou l’égalité des changes de la France avec 
toutes les places étrangères, etc, par Ruelle ; in-8. 


#' C5) 


instituteur public ; grand in-12, relié en parchemin. 1fr. oc, 


in-12. 1H 
Traité des maladies chroniques, et des moyens les plus efficaces de 
les guérir, par Martinet; in-8. Paris, 1803. 6 
Traité des lois politiques des Romains, du tems de la république, 
par M. de Piloti de Tassulo; 2 vol. in-8. of. 


Traité de la peinture de Léonard de Vinci, commenté, éclairci dans 
le texte et les figures, par M. Gault, de Saint-Germain; un gros 
vol. in-8. avec 44 planches en taille douce, et le portrait de 
Léonard de Vinci. Paris, 1803. 10 

Traité de la culture des arbres fruitiers, traduit de l’anglais de 
Forsyth, par Pictet Mallet; in-8. orné de 15 planches , gros vol. 
Paris, 1805. TT. OIGs 

Triomphe de l'Evangile, ou Lettres d’un homme du monde revenu 

des erreurs et des préjugés du philosophisme moderne , où l’on 
combat d’une minière victorieuse les sophismes de l’incrédulité , 
et où l’on établit la vérité de la Religion Catholique; traduit sur la 
septième édition espagnole. Lyon 1805, in-8. 4 vol. de 2500 pag. 

Veillées (les) du Château , ou Cours de morale, à l’usage des eufans , 
par madame de Genlis ; 3 vol. in-8. 154 

Veillées (les) du Pensionnat, par L. F. Jauffret , directeur du collége 
à Montbrisson, faisant suite au Thtâtre des Maisons d'éducation, et 
renfermant des dialogues amusans et instructifs sur toutes sortes 


de sujets; vol. in-12 de 400 pages. Lyon!, 1808. 2450 € 
Vie du chevalier de Faublas , par Louvet ; nouvelle édit. corriget et 
augmentée , 13 parties, in-18 fig. 10 f. et rel. en veau, 161. 
Vie des plus illustres modernes, à l’usage des enfans; un vol. 
in-12, 2e 
Voyages d’Antenor, en Grèce et en Asie, avec des notes sur l’E- 
gypte ; 3 vol. in-8. fig. 12 f. 
— Le même ouvrage, 5 vol. in-18. fig. | AE 


Voyage au Montamiata et dans le Siennois, contenant des observa- 
tions nouvelles sur la formation des volcans , l’histoire géologique, 
minéralogique et botanique de cette partie de l’Italie, par George 
Santi; traduit en français par-Bodard D. M, Lyon, 1603, in-ë. 
2 vol. avec fig. 19 

Voyage à la côte septentrionale du comté d’Antrim en Irlande et à 
l'ile de Rochery, contenant l’histoire naturelle de ses productions 
volcaniques, et observations sur les antiquités et mœurs de ce 


pays, par Hamilton; in-8. ot 
Voyage à la Nouvelle Galles du Sud, etc. trad. par C. Pougens, 
in-ë. 4 f. 


Voyage d’un philosophe, ou Observations sur les mœurs et les arts 
des peuples de PAsie, de Afrique et de l'Amérique , par Poivre; 
in-12. vais 

Voyage sentimental en France, par Sterne, suivi des lettres d’Yorick 
à Elisa; 2 vol. fig. 120 0. 

Voyage historique littéraire et pittoresque dans les iles et possessions 


vénitiennes du Levant; par André Grasset Saint-Sauveur ; Jeune; 
3 vol.in-8. Atlas. " 18 f. 
Voyage dans l’intérieur de la Chine et en Tartarie, par lord Ma- 
cartney; 4 vol. et Atlas. “Ai Or. 
Voyage de Néarque, des Bouches de l’Indus jusqu’à l'Euphrate, o& 
Journal de la flotte d'Alexandre, etc., traduit de V’anglais par 
Billecocq; 5 vol. in-8. Pou18 fi 
Voyage en Norwège, en Danemark et en Russie, traduit de Van- 
glais par Richer-Serisy ; 2 vol. in-8. 12 £ 
Voyage autour du Monde, par le chev. Pigafeta; in-8. cartes et 
_ figures. £. 
Voyage dans l’Inde, au travers du grand Désert, par Aleb, An- 
tioche et Bassora; exécuté par le major Taylor; ouvrage où l’on 
trouve des observations curieuses sur l’histoire , les mœurs et le 
commerce des Mainotes, des Turcs et des Arabes du Désert , etc. 
Par L. de Grandpré; 2 vol. in-8. 12 
Voyage dans l'intérieur des Etats-Unis, par Bayard; in-8. 4. 
Voyage à la côte d'Afrique, à Maroc, au Sénégal, à Goré, à 
Galam, etc.; par Saulmier; in-8. 5 f. 
© Werther, par W. Goethe, trad. de l’allem. sur la nouvelle édition, 
avec le texte allemand à côté, en faveur de ceux qui désirent ap- 
prendre agréablement et facilement les deux langues. Paris , 1803; 


2 vol. in-6. L 30 f. 
— Le mème livre, édition interlinéaire. : SE, 
n : 


UNIVERSITY OF ILLINOIS-URBANA 


HU 


9234 
D45v 


N. |