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VOYAGES,
ORIGINAUX '
PODR SERVIR A LHISTOIRE DE LA DÉCODVERTE
DE L'AMÉRIQUE.
13512 Magalhanes de GandaTo, P. de, Histoire de la province de Sancta-
Cruz, que nous nommons ordinairement Le Brésil. (Lisbonne 1576.)
Paris 1837. Timbre sur la titre. 22
v>r,>.ué nonr la crémière fois en français par H. Ternaux.
IMPmiMERIE ET FOWDEBIE DE F Ail»,
RUE BACIKK, 4. >■'•*" "^ LODÉOB.
IL
VOYAGES,
ORIGINAUX
PODR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA DÉCODVERTE
DE L'AMÉRIQUE,
PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS,
PAIL HENRI TKRBTAUX.
HISTOIRE
DE LA PROVINCE DE S A If C T A -C R D Z ,
PAR PERO DE MAGALHANES DE GAINDAVO.
MSBOnRÏ
. — 1576.
pa:rt©.
ARTHUS BERTRAND, I. IBR A IRE-ÉDITEUR
IIRRAIRE DE I.A SOCIÉTÉ DE uÉOGRAPHie DE PARIS,
RUE BADTIFEUILLE, No 33.
M. DCCC XXXVII.
:.?
1^1
SANTA BABBAKA
BISTOIBE ,
DE LA
QUE NODS NOMMONS ORDINAIREMENT
LE BRÉSIL,
FAR FEKO DE M AGALH AZff ES DE GANDAVO,
dÉdiÉb
AU TRÈS-ILLUSTRE SEIGNEUR D. LIONIS PEREIRA,
ANCIEIV GOUVERNEUR DE MALACCA
ET UB PLUSIEURS PARTIES DE l'inDE MERIDIONALE.
LISBONIVE, A. GONSALVEZ. — 1576.
PREFACE
DE LÉDITEUR FRANÇAIS
Pero de Magalhanesde Gandavo, auteur de l'histoire
du Brésil dont npus publions aujourd'hui la traduc-
tion, naquit' à Braga vers le milieu du XVP siècle.
Barhosa Machado {Bibliotheca Lusitana ^ t. III),
rapporte qu'il était fils d'un Flamand , et qu'après
avoir passé quelques années au Brésil il revint dans
sa patrie, et s'établit dans la province d'Entre Douro-
E.-Minho , où il se maria et employa le reste de
sa vie à la direction d'une école qu'il avait fondée. De
Magalhanes a publié aussi un ouvrage intitulé JRegras
que ensinào a maneira de escris^er a ortograjia da
lingoa Portuguesa com hum dialogo que adiante
segue em defensao da mesma lingoa Lishoa. A.
Gonsahez. i574, in-k" , Lisboa. B. Rodriguez.
1590, m-h'' et Lisboa, 1592, in-^°. Sous la forme
d'un dialogue entre Palencio et Petronio , l'auteur
4 PRÉFACE
discute les avantages particuliers aux langues espa-
gnole et portugaise , et la question de savoir quelle
est celle des deux qui ressemble davantage au latin.
Son histoire du Brésil , publiée à Lisbonne chez
Antonio Gonsalvez en 1576 , est certainement un des
ouvrages les plus remarquables qui aient paru dans
le seizième siècle, sur la description des pays éloignés :
le style en est simple , mérite bien rare chez les écri-
vains de sa nation. Quoiqu'elle contienne plusieurs
notions fausses ou inexactes que l'ignorance de l'é-
poque excuse facilement , on n'y trouve pas une de ces
fables ou de ces légendes que les auteurs contempo-
rains accueillaient si aveuglément; aussi tous ceux
qui en parlent s'accordent- ils à en faire l'éloge.
Antonio de Léon Pinelo( -6 i^/i, Orient. etOccident.)^
qui se contente presque toujours de donner simple-
ment le titre des ouvrages, appelle celui-ci, uua obra
ciiriosaj unica. Gil Gonsalez Davila ( Teatro de las
grandezas de Madrid., p. 50'i' ) , le nomme twa obra
muj eriiditay cunosa. Nie. Antonio et Joan Soarez
de Brito en font aussi l'éloge.
Malheureusement , l'indifférence des Portugais et
des Espagnols, même pour leurs meilleurs auteurs ,
a empêché que cet ouvrage ne fût jamais réimprimé.
Il est devenu d'une rareté si excessive qu'on n'en
connaîtque trois ou quatre exemplaires ; il ne se trouve
dans aucune bibliothèque publique de Paris, et
il n'est cité que très-rarement dans les auteurs
portugais qui ont traité du Brésil. Il paraît que
cette histoire est restée inconnue à la plupart d'entre
eux, même à Vasconcelos, car dans le grand
DE l'éditeur FKANÇAIS. 5
nombre de citations dont ce dernier aime à couvrir
ses marges , on ne lit pas une seule fois le nom de
M. de Gandavo. Je puis donc présenter cet ouvrage
comme un des livres sur TAmérique les moins con-
nus et les plus dignes de l'être.
Je crois nécessaire de rappeler en peu de mots les
principaux événements qui se sont passés au Brésil
jusqu'à la publication de cette histoire , afin de
rendre certains passages plus intelligibles. Quelque
t^mps après que cette contrée eut été reconnue par
Perdralvarez Cabrai , le roi dom Emmanuel envoya
Gonsalo Coella avec trois caravelles pour l'explorer
de nouveau ; quelques auteurs ont prétendu qu'Amé-
ric Vespuce l'avait déjà découverte auparavant , et
qu'il fut mis à la tête de cette seconde expédition ;
mais le silence de M. de Gandavo est un argument de
plus en faveur de ceux qui regardent cette version
comme une fable.
Plusieurs fois dans les années suivantes , cette côte
fut parcourue par les navigateurs portugais qui se ren-
daient aux Indes , entre autres par Alfonzo d'Albu-
querque en 1503 , et trois ans plus tard par Tristan
d'Acunha.
En 1508 , le roi d'Espagne, jaloux de conserver
la possession exclusive de l'Amérique , expédia pour
ce pays Vicente Yanez Penzon et Juan Diaz de
Solis : ce dernier y fit un second voj^age en 1516.
Ce fut dans cette deuxième expédition qu'il décou-
vrit le Rio de la Plata , que son étendue fit nommer
mardulce, OU mer d'eau douce.
Le Brésil fut ensuite visité par Magellan et par Se-
b PREFACE
bastien Cabot ; mais il paraît que Christovano Jaques,
gentilhomme de la maison du roi dom Joam III , y
fonda en 1525 le premier établissement permanent ,
et , selon l'historien Herrera , déjà en 1530 , cette co-
lonie était dans un état florissant. On établit plus
tard les diverses capitaineries dont il est fait men-
tion au chapitre III de cette histoire. Elles furent
données pour la plupart à titre héréditaire à des offi-
ciers qui s'étaient distingués dans l'Amérique , à la
charge d'en faire la conquête et de les coloniser à leurs
frais. Le gouvernement portugais , dont toute l'atten-
tion était concentrée vers ses possessions des Indes
orientales , s'occupait peu du Brésil , et laissait ces
capitaines se tirer d'affaire comme ils pouvaient.
Ils ne tardèrent pas à abuser de leur pouvoir , et
les plaintes de la colonie , qui devenait chaque jour
plus importante , parvinrent enfln jusqu'à la métro-
pole. Par une ordonnance de 1549, le roi dom Joam III
limita beaucoup les privilèges des capitaines hérédi-
taires , et nomma gouverneur général du Brésil Tho-
mé de Sousa, qui alla débarquer dans la baie de
Tous les Saints, où il bâtit la ville du même nom
[Bahia de todos os sanctos) , qui fut longtemps la ca-
pitale de la colonie.
Quelques années après eut lieu la désastreuse ten-
tative que firent les Français sous la conduite de
Nicolas de Yillegaignon pour fonder un établissemenf
au Brésil ; mais plusieurs circonstances qui sont en
dehors de notre sujet l'empêchèrent d'acquérir de
l'importance , et il fut bientôt détruit par les Portu-
gais. Ceux-ci, possesseurs tranquilles du pays, s'oc-
DE L ÉDITEUR FRANÇAIS. 7
cupèrent à soumettre les Indiens et à étendre leurs
découvertes dans l'intérieur. Enfin , le Brésil devint
si peuplé, que le roi dom Sébastien jugea nécessaire ,
par un décret de 1572, de le diviser en deux gouver-
nements. Ce fut probablement à cette époque que de
Magalhanes de Gandavo le visita, car la séparation du
pays en deux gouvernements cessa en 1576, époque
qui coïncide parfaitement avec la date de la publi-
cation de son ouvrage .
On trouve en tête de l'histoire de la province de
Sancta-Cruz, trente -quatre tercets de Camoës
adressés à dom LionisPereira. L'illustre auteur de la
Lusiade , raconte au gouverneur de Malacca un
songe de Magalhanes de Gandavo, dans lequel
Mars et Apollon lui apparaissent et se disputent la
dédicace de 1 histoire du Brésil. Mercure survient , les
engage à renoncer à leurs prétentions et leur expose
que dom Lionis est plus digne qu'eux d'être le pro-
tecteur de cet ouvrage. Cette pièce est suivie d'un
sonnet du même auteur sur une victoire remportée
par dom Lionis contre le roi d'Achem , de la pénin-
sule de Malacca . vient ^ensuite la dédicace de Ma-
galhanes. Je n'ai pas cru devoir traduire ces trois
morceaux presque sans intérêt aujourd'hui.
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AVERTISSEMENT
♦' .e«.
AU LECTEUR
... . 4i^ * ^v .,
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. Ce qui m'a surtout engagé à écrire la pré-
sente histoire et à la publier, c'est que jusqu'au-
\ jourd'hui personne ne l'a entrepris, bien qu'il y
, ait déjà plus de soixante-dix ans que cette pro-
vince est découverte. Suivant moi si cette his-
4
lO AVERTISSEMENT
toire a été profondément ensevelie dans l'ob-
scurité , c'est plutôt par l'indifférence que les
Portugais ont toujours eue pour ce pays , que
par le manque de gens habiles , instruits et
capables de l'écrire plus au long et d'un meil-
leur style que moi. Les étrangers semblent
faire plus de cas de ces contrées , et ils
les connaissent mieux et plus à fond, quoique
les armes des Portugais les en aient chassés
nombre de fois. Il me paraît donc convenable
et nécessaire que nous autres Portugais
nous les connaissions aussi ; particulièrement
afin que ceux qui vivent misérablement dans
notice patrie s'y rendent pour améliorer leur
sort; car tel est ce pays et la fertilité du
sol, qu'on y est accueilli tout pauvre et
malheureux que l'on soit. Il y a dans cette his-
toire des faits si curieux et si remarquables
AU LECTEUK* Il
que, de notre part, ce serait bien de la né-
gligence de ne pas les recueillir ^ pour en
conserver la mémoire, suivant l'usage des
anciens auxquels rien n'échappait, et qui
faisaient mention de choses bien moins inté-
ressantes, dont le souvenir s'est ainsi con-
servé jusqu'à nous et vivra éternellement*
Si les anciens Portugais n'avaient pas été,
comme nos contemporains, si peu curieux
d'écrire, on n'aurait pas perdu le souvenir
de tant d'événements passés qui nous sont
entièrement inconnus aujourd'hui, et nous
ne serions pas dans une ignorance si pro-
fonde sur tant de points , ce qui force les
hommes les plus savants à feuilleter une grande
quantité de livres sans pouvoir découvrir
la manière dont ces faits se sont passés. Les
Grecs et les Romains considéraient toutes les
. '^■'•.[
1 a AVERTISSEMENT
autres nations comme des barbares, et ils
pouvaient leur donner ce nom ajuste titre,
puisqu'elles étaient si peu curieuses et si
peu jalouses de gloire , qu'elles laissaient pé-
rir, par leur propre faute, le souvenir des
événements qui pouvaient rendre leurs noms
immortels. L'écriture en effet conserve le
souvenir des actes , et le souvenir est l'image
de l'immortalité à laquelle nous devons tous
aspirer, autant qu'il est en nous. Voilà donc
les raisons qui m'ont déterminé à entrepren-
dre cet ouvrage. Je ne l'ornerai pas de
termes choisis , ni d'autres fleurs du langage
que les orateurs éloquents ont coutume
d'employer pour accroître le mérite de
leurs œuvres. Je chercherai seulement à
écrire la vérité d'un style clairet facile , autant
que mon faible esprit me le permettra, désirant
AU LECTEUR.
l3
plaire à tous ceux qui en auront connais-
sance. Ainsi j'espère que les fautes que l'on
\ trouvera dans cet ouvrage seront excusées,
j'entends , par les gens d'esprit, toujours très-
disposés à l'indulgence : quant aux sots et aux
médisants , je sais qu'on ne peut leur échap-
per , car il est certain qu'ils n'épargnent per-
sonne. ^ * *- . T^IF^'
O il!* ■
9 •*
/^.c
HISTOIRE
D£ LA
PROVINCE DE SANCTA-CRUZ.
CHAPITRE PREMIER.
De la découverte de cette province, et delà raison pour laquelle
on doit la nommer Sancta-Gruz, et non le Brésil.
• Sous le règne du très-catholique et sérénis-
sime roi dom Emmanuel , une flotte , com-
mandée par l'amiral Pedralvarez Cabrai, se
mit en route pour les Indes ; ce qui fut le second
voyage que les Portugais firent dans cette
l6 HISTOIRE DE LA PROVINCE
partie de l'Orient. Elle quitta Lisbonne au
mois de mars de l'an i5oo; et ayant mouillé
aux îles du cap Vert , où elle devait faire de
l'eau , il s'éleva une tempête qui en empêcha ,
et qui sépara plusieurs vaisseaux du reste de la
flotte; mais ils réussirent à la rejoindre quand
le beau temps fut revenu. L'expédition prit
alors la pleine mer , tant pour éviter les calmes
de la côte de Guinée, que pour doubler plus
aisément le cap de Bonne-Espérance. Après
un mois de navigation par un vent favorable ,
elle arriva à cette province que l'on côtoya
toute la journée, la prenant pour une grande
île , sans que ni les pilotes ni nulle autre
personne en eussent jamais eu connaissance ,
et sans quïl supposassent qu'il existât un
Continent dans une direction aussi occiden-
tale (i).
-■AIT.
(i) La relation de Pedralvarez (^bral se trouve en italien
dans le recueil de Ramusio et en français , à la suite de la tra-
duction de Jean Léon par .1. Temporal ( Lyon, i556, t; If,
p. 8 ). On en lit aussi des détails dans Barros (^ Decad. i , lib. 5,
càp, tj^ siguienles ) , et dans Castaiiheda ( Lih. ^ , cap. XXVIII
DE SANCTA-GRUZ. I "7
Les Portugais prirent terre, vers le soir,
dans l'endroit qui parut le plus favorable ; ils
aperçurent bientôt des habitants du pays. Ils
furent fort étonnés à cette vue, car ces gens
étaient entièrement différents des naturels de
la côte de Guinée , et ne ressemblaient à aucun
de ceux qu'ils connaissaient. Mais pendant
la nuit, les bâtiments étant à l'ancre, il s'é-
leva un vent si violent, qu'on fut obligé
d'appareiller au plus vite; ils coururent ainsi
le long de la côte , et finirent par trouver un
port, bon et sur, dans lequel ils entrèrent.
On lui donna le nom de Porto-Seguro , parce
qu'il avait servi de refuge et d'abri contre
la tempête : il le conserve encore aujour-
d'hui.
Le lendemain , Pedralvarez descendit à terre
jr sigui.) : tous ces auteurs s'accordent complètement avec le
nôtre sur les principaux détails de cette expédition ; voyez
aussi la lettre de Pedro Vas de Caminha sur la découverte du
Brésil , publiée pour la première fois par M. Ferdinand Denis ,
et réimprimée dans VJrt de vérifier les dates ( 111® part.,
T.XIII).
II. 2
l8 HISTOIRE DE LA PROVINCE
avec une grande partie de son monde. Ils
chantèrent d'abord une grand'messe , ensuite
il y eut sermon. Les Indiens du pays, qui se
réunirent pour admirer ce spectacle , se com-
portèrent fort tranquillement, imitant tous
les gestes des nôtres et toutes les cérémonies
qu'ils voyaient pratiquer. Ils se mettaient à
genou , se frappaient la poitrine comme s'ils
eussent eu la lumière de la foi , ou comme
si le grand et ineffable mystère du Très-Saint-
Sacrement leur eût été révélé par un moyen
quelconque. Ils montraient ainsi qu'ils étaient
tout disposés à recevoir la doctrine chrétienne
quand elle leur serait enseignée, n'étant re-
tenus ni par le culte des idoles, ni par au-
cune croyance qui pût contrarier la nôtre,
comme on le verra dans le chapitre qui traite
de leurs mœurs.
Pedralvarez fit partir sur-le-champ un vais-
seau pour porter la nouvelle de sa découverte
au roi dom Emmanuel, qui la reçut avec beau-
coup de joie et de contentement; et depuis
DE SANCTA-CRUZ. I9
lors on commença à envoyer des navires dans
ce pays, que l'on explora peu à peu, et que
l'on connut de plus en plus. Enfin , on y éta-
blit des colonies, et on le divisa en capitai-
neries, comme il l'est aujourd'hui.
Revenons à Pedralvarez qui le découvrit.
Après y avoir passé quelques jours pour faire
aiguade et attendre un vent favorable, il vou-
lut, avant de partir, donner un nom à cette
nouvelle terre. Il commanda de placer, au som-
met d'un arbre , une croix , qui fut arborée avec
grande solennité, et bénite par les prêtres
qu'il avait avec lui : puis il donna le nom de
Sancta-Cruz {Sainte-Croix) à cette province;
car c'était précisément le 3 de mai , jour où
notre sainte mère l'Eglise en célèbre la fête.
Cet événement renferme un sens mystérieux:
ainsi , comme dans le royaume de Portugal on
porte sur la poitrine une croix , qui est l'em-
blème de l'ordre du Christ, la Providence vou-
lut que ce pays fût découvert à une époque
où ce saint jour lui donnât son nom, pour
20 HISTOIRE DE LA PROVINCE
montrer qu'il serait possédé par les Portu-
gais, et passerait, par succession, au pou-
voir des grands-maîtres de l'ordre du Christ.
C'est pourquoi il ne me parait pas bien que
nous lui étions ce nom, pour lui en donner
un autre dont se sert un vulgaire sans ré-
flexion, depuis qu'on a commencé à en rap-
porter du bois de teinture. On nomme ce bois
Brasil, parce qu'il est rouge et ressemble à de
la biaise; et de là, ce pays a. reçu le nom de
Brésil. Mais afin de narguer en cela le démon ,
qui a tant travaillé et travaille tant pour
effacer de la mémoire des hommes et éloigner
de leur cœur la sainte croix, par laquelle
nous avons été rachetés et délivrés de sa ty-
rannie , il est bon de rendre son nom à cette
province, et que nous la nommions, comme
dans le principe, province deSancta-Cruz. Joan
de Barros, cet illustre et fameux écrivain , le
prouve aussi dans sa première décade, en
parlant de la même découverte. En vérité,
les nations chrétiennes doivent plus estimer
DE SANCTA-CRIJZ. 31
un bois sur lequel s'est opéré le mystère de
notre sainte rédemption, qu'un bois qui ne
sert qu'à teindre du drap et d'autres choses
semblables^
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CHAPITRE II.
Dans lequel on décrit la situation et les avantages de cette pro-
vince.
La province de Sancta-Cruz est située dans
la grande Amérique , l'une des quatre par-
ties du monde. Elle commence à deux de-
grés au sud de la ligne équinoxiale , et s'étend
sans interruption vers le midi jusqu'au qua-
rante - cinquième degré , de manière qu'elle
est en partie sous la zone torride, et en par-
24 HISTOIRE DE LA PROVINCE
tie sous la zone tempérée. Ce pays a la forme
d'une harpe : la côte septentrionale se prolonge
de l'est à l'ouest parallèlement à la ligne. Vers
le midi , il touche à d'autres provinces de l'A-
mérique, habitées et possédées par des peuples
barbares , avec lesquels jusqu'à présent nous
n'avons eu aucune communication. Baigné à
l'orient par la mer d'Afrique , il fait face aux
royaumes de Congo et d'Angola et au cap de
Bonne-Espérance. A l'ouest, il est borné par
la haute chaîne des Andes et les montagnes du
Pérou, qui s'élèvent si orgueilleusement au-
dessus de la terre , que les oiseaux même ,
dit-on, les traversent difficilement. Un seul
chemin conduit du Pérou à cette province,
et il est si dangereux que beaucoup de per-
sonnes y périssent. En tombant de cet étroit
sentier, les cadavres des voyageurs se précipi-
tent à une telle profondeur, que ceux qui
survivent, loin de pouvoir leur donner la
sépulture , ne les revoient même plus.'La pro-
vince de Sancta-Cruz n'offre pas de pareilles
DE SANCTA-CRUZ. a5
difficultés. Quoiqu'elle soit très-grande, il n'y
a ni montagnes , ni déserts , ni marais que l'on
ne puisse traverser facilement. Cette contrée
est meilleure pour y vivre qu'aucune de celles
de l'Amérique , car l'air y est très-bon : elle
est très-fertile et très-agréable à voir.
Ce qui la rend si salubre et si exempte de
maladies, ce sont les deux vents qui y ré-
gnent généralement: ils soufflent du nord-est
et du sud , quelquefois aussi de l'est et de
l'est-sud-est ; comme ils viennent tous deux
de la mer, ils sont si purs et si tempérés que
non-seulement ils ne font pas de mal , mais
encore ils allègent et prolongent la vie de
l'homme. Ces vents s'élèvent vers midi et
durent jusqu'au lendemain matin; alors les
vapeurs de la terre les font tomber. Au le-
ver du soleil , le ciel est ordinairement nua-
geux ; presque tous les matins il pleut ,
et la terre est couverte de rosée à cause
des nombreuses forêts qui attirent les va-
peurs. A ce moment de la journée il souf-
a6 HISTOIRE DE LA PROVINCE
fle un vent doux, qui vient déterre : il con-
tinue jusqu'à ce qu'il soit calmé par les rayons
du soleil , le vent de mer habituel commence
alors à s'élever, le ciel redevient serein , et
la terre est nettoyée et débarrassée de tou-
tes ces évaporations (i). *
Cette province est délicieuse à voir : elle
est très-fraîche : couverte de forêts hautes et
épaisses, et arrosée par des rivières abon-
dantes et nombreuses. La terre est toujours
verte, comme dans notre patrie aux mois
d*avril et de mai : le froid et les gelées de l'hi-
ver n'y détruisent jamais les plantes comme
elles détruisent les nôtres; enfin la nature
a tant fait pour ce pays et l'air y est telle-
ment tempéré , que jamais on ne souffre du
froid ni de la chaleur.
On y voit une quantité infinie de sources
dont les eaux forment beaucoup de grands
(i) Cette description est fort exacte , et ce vent de mer qui
succède au vent de terre est ce qu'on appelle la viraçao.
DE SANCTA-CRUZ. 2^
fleuves qui*e jettent à la mer , soit vers le
nord, soit vers l'orient. Quelques-uns nais-
sent dans les montagnes , et vont par une
route longue et tortueuse se perdre dans
l'Océan. Le courant en est si fort qu'il re-
foule les vagues ; ■ et ils entrent dans la
mer avec tant de violence qu'on ne peut y
naviguer sans beaucoup de dangers et de
difficultés. Un des plus connus et des prin-
cipaux est la rivière des Amazones , dont
l'embouchure est située sur la côte septen-
trionale, à un demi-degré sud de l'équa-
teur ; sa largeur est d'environ trente lieues.
Il y a datis ce fleuve beaucoup d'îles qui
le divisent en plusieurs bras : il sort d'un
lac des montagnes de Quito, dans le Pé-
rou (i). Quelques embarcations de Castil-
(i) La première expédition tentée par les Espagnols pour
descendre l'Amazone fut celle de Francisco de Orellana, en
1640; la seconde fut celle de Pedro de Ursua, en i56o. Mais
elle eut une fin malheureuse par la révolte du fameux Lope
d'Aguirre.
28 HISTOIRE DE LA PROVINCE
lans sont parties de cette province, et sont ar-
rivées en le descendant dans l'Océan, à un
demi-degré de lequateur, ce qui fait six
cents lieues en ligne droite; mais il faut
en compter bien davantage , à cause des dé-
tours. 1
Un autre fleuve très-grand a aussi son
embouchure sur la côte septentrionale ; c'est
le Maranhano (i) : il contient beaucoup d'î-
les : au milieu de la barre, il y en a une
qui est. habitée, et le long de laquelle peu-
vent aborder les plus grands navires. L'em-
bouchure a sept lieues de large , et l'eau
salée y entre avec tant d'abondance que
jusqu'à cinquante lieues dans l'intérieur
elle semble plutôt un bras de mer, et l'on
peut naviguer entre ces îles sans aucune dif-
ficulté.
La rivière des Amazones en reçoit deux
(i) L'auteur parait entendre ici par le Maranhano, le fleuve
Meary ou Mearim. ^
DE SANCTA-CRUZ. 20
autres qui viennent de l'intérieur , l'une fut
remontée , jusqu'à la distance de deux cent
cinquante lieues, par des Portugais envoyés
à la découverte; ils ne purent s'avancer au-
delà , parce que la rivière n'était plus as-
sez profonde et devenait si étroite qu'il
était impossible aux navires de passer outre.
Quant à l'autre , ils ne la reconnurent pas :
ainsi on ignore où toutes deux prennent leurs
sources.
Un autre fleuve très-considérable se jette
aussi dans l'Océan du côté de l'est, à dix de-
grés et un tiers : on le nomme Rio de Sam-
Francisco, il a une demi-lieue de large à
son embouchure. Tl se précipite dans la
mer avec tant de furie, qu'il en iait recu-
ler les vagues et que l'eau est douce jus-
qu'à la distance de trois lieues; il est très-
clair , très-rapide et coule du sud au nord.
On peut y naviguer jusqu'à la distance de
soixante lieues, ce qui a déjà été fait. Une cata-
racte fort considérable que ce fleuve forme en
3o HISTOIRE DE LA PROVINCE
cet endroit et d'où l'eau tombe d'une très-
grande élévation , empêche de remonter plus
haut. Au-delà delà cataracte, cette rivière s'en-
fonce sous terre et ne reparaît qu'à une lieue,
en jaillissant et en entraînant tout avec soi.
Le Rio de Sara-Francisco prend sa source
dans un très-grand lac qui est dans l'inté-
rieur du pays, que l'on dit être très-peuplé,
et dont les habitants passent pour posséder
beaucoup d'or et de pierres fines (i).
Un très-grand fleuve et des plus considéra-
bles du monde a son embouchure sur la rive
occidentale ; on le nomme Rio da prata {de la
Plat a), et il a quarante lieues de large. En
entrant dans l'Océan , la masse d'eau qu'il
amène de tous les versants du Pérou est
si considérable, que les navigateurs boivent
de l'eau douce avant d'apercevoir la terre.
A deux cent soixante lieues de la mer ,
(t) Ceci est une erreur, ce fleuve naît dans Ja Serra da Ca-
nastra, dans la province de Minas-Garaes.
DE SANCTA-CRUZ. 3 I
les Espagnols ont fondé une ville que l'on
appelle l'Ascension; on peut remonter jus-
que-là et encore beaucoup plus avant. A une
grande distance de là ce fleuve reçoit le Rio
Paragoahi {Parana) , qui prend sa source
dans le même lac que la rivière de Sam-Fran-
cisco, dont j'ai parlé plus haut (i).
Outre ces cours d'eau, un grand nombre
d'autres/tant grands que petits, sejettent dans
la mer le long de la côte. Il y a aussi beaucoup
de havres , de baies et de bras de mer, dont je
ne ferai pas mention , parce que mon inten-
tion est de ne parler que des choses les plus
remarquables, pour ne pas être accusé de
prolixité , et pour satisfaire tout le monde en
peu de mots.
(i) Le Parana naît aussi dans la province de Minas-Garaes ,
mais sur le versant oriental de la Serra do Mar, à cinquante ou
soixante lieues de la source du Sam-Francisco.
y
CHAPITRE III.
Des capitaineries et des colonies portugaises , établies dans cette
province.
Il y a dans cette province, en descendant de
la ligne ëquinoxiale vers le sud, huit capi-
taineries habitées par des Portugais, chacune
d'environ cinquante lieues de côtes.
Séparées par des lignes tracées de l'est à
l'ouest, elles sont bornées dans les deux autres
directions par la mer Océane et la ligne de
II.
34 HISTOIRE DE LA PROVINCE
démarcation des possessions espagnoles et
portugaises.
Ces capitaineries furent établies par le roi
dom Joam III, qui, désirant faire fleurir la
religion chrétienne dans ce pays, choisit
pour les administrer, ses sujets les plus
dignes de sa confiance par leur noblesse
et leur mérite. Ces derniers fondèrent des
colonies le long de la côte, dans les en-
droits qui leur parurent les plus conve-
nables et les plus avantageux pour l'éta-
blissement des nouveaux habitants. Elles ont
déjà une population considérable : les plus
importantes possèdent une forte et nombreuse
artillerie pour se défendre contre leurs enne-
mis , tant du côté de la mer que du côté de
la terre.
Quand les Portugais vinrent s'établir dans
cette contrée, il y avait aux enviions un
grand nombre d'Indiens. Mais comme ils se
soulevaient sans cesse contre les nôtres et
leur faisaient mille trahisons , les gouver-
DE SANCTA-CRUZ. 35
neurs et capitaines en tuèrent un grand nom-
bre, et les détruisirent peu à peu, de sorte
que le pays devint désert aux environs des
colonies. II reste cependant auprès de quel-
ques-unes, des villages habités par des Indiens
amis et alliés des Portugais et qui vivent dans
ces capitaineries. Afin de parler de toutes
dans le présent chapitre, je ne ferai que rap-
porter en passant les noms des capitaines qui
les conquirent, et je mentionnerai toutes les
colonies portugaises, en allant du nord au
sud, comme il suit : • . .
La première et la plus ancienne se nomme
Tamaracà {Itamaracd) : elle prend son nom
d'une petit île, sur laquelle la colonie est éta-
blie. Pero Lopez de Sousa fut le premier qui
la conquit et la délivra des Français , au pou-
voir desquels elle était quand il vint s'y fixer.
L'île est séparée de la terre ferme par un
bras de mer où se jettent plusieurs rivières
qui viennent des montagnes •. il se divise en
deux parties entre lesquelles l'île est située.
36 HISTOIRE DE LA PROVINCE
L'une des deux peut recevoir les plus grands
vaisseaux, qui vont jeter l'ancre jusque de-
vant la colonie , qui est à environ une demi-
lieue de la mer. L'autre, la plus septentrio-
nale , ne peut recevoir que de petites embar-
cations, parce qu'elle n'est pas assez profonde.
Du côté du nord , les terres de cette capi-
tainerie sont très-étendues et très-fertiles.
On vient d'y bâtir de grandes habitations,
et la colonie aurait augmenté beaucoup plus
vite et jouirait de la même prospérité que
les autres, si le capitaine Pero Lopez y eût
résidé pendant quelques années, et s'il ne
l'avait pas abandonnée quand elle commen-
çait à se peupler.
La seconde capitainerie se nomme Para-
nambuco ( Pemambuco ). Elle fut conquise par
Duarte Coelo, qui fonda la première colonie
sur une hauteur en vue de la mer, à cinq lieues
de l'île de Tamaracà , et par huit degrés de la-
titude ;ellesenomme01inda;c'estunedes villes
les plus belles et les plus populeuses du pays.
DE SANCTA-CRUZ. 87
A cinq lieues plus avant dans les terres il existe
une autre colonie, nommée Igaroçù ou Villa
dos Cosmos. Outre les Portugais qui peuplent
ces villes, un grand nombre sont dispersés
dans les fermes et dans les habitations; car,
les territoires des villes de cette capitainerie
et des autres sont entièrement colonisés; les
terres de Paranambuco sont des meilleures et
des mieux cultivées.
Les habitants ont été très-aidés par le&
Indiens du pays , dont ils ont tiré une
quantité d'esclaves pour travailler à leurs fer-
mes. La cause principale de l'augmentation ra-
pide delà population de cette capitainerie, c'est
que le gouverneur qui l'a conquise a con-
tinué d'y résider, et qu'étant plus connue elle
est plus fréquentée par les vaisseaux que celles
dont je vais parler. A une lieue au sud de la
colonie (i) d'Olinda, un récif ou chaîne de
(i) L'auteur emploie ici le mot povacao, qui signifie littéi-a-
Ifcinent village , lieu habité et qui est encore en usage au Brésil
comme terme de statistique pour désigner certains établisse-
38 HISTOIRE DE LA PROVINCE
rochers forme le port où se rendent les
* navires; il a son entrée par la plage, et
par une petite rivière qui traverse l'établis-
sement.
ïia troisième capitainerie, vers le midi, est
celle de Bahia de Todos-os-Sanctos ( le baie de
ToiLS-les-Saints) (i), quiappartientauroi notre
maître; c'est là que résident le gouverneur, l'é-
vèque et l'auditeur général de toute la côte. Le
premier capitainequilaconquit et y établitune
colonie, est Francisco Pereira Coutinho. Il fut
défait par les Indiens après une longue guerre,
et ne put résister à leur impétuosité , à cause
ments. On voit par-là que la ville d'Olinda était fort peu consi-
dérable à cette époque.
(i) Le premier Portugais qui visita Bahia fut Christovao
Jaques, dont il est parlé dans la préface. Mais il paraît qu'à
cette époque (i535) elle était déjà fréquentée parles Français,
car Vasconcellos ( Chronica da companhia de Jésus do Estado
do Brasil , lib. I , p. 35) raconte qu'il y trouva deux vaisseaux
français occupés à commercer avec les Indiens. Il voulut s'en
emparer, mais ils se défendirent bravement et aimèrent
mieux se laisser couler à fond que de se rendre. Francisco
Pereira Gîutinho , dont il est question , finit par tomber entre
les mains des Indiens qui le dévorèrent. (Vasconcellos, ib..
p. 36.)
DE SANCTA-CRLlZ. Sg
du grand nombre d'ennemis qui s'étaient réu-
nis de tous côtés contre les Portugais.
Plus tard , elle fut reconquise et colonisée
par Thomé de Sousa, le premier gouverneur
général qu'il y eut dans ce pays : depuis, la
culture et le nombre des habitants ont toujours
été en augmentant. Aussi, cette capitainerie
de Bahia de Todos-os-Sanctos est-elle une
des plus peuplées. Elle possède trois villes
belles et populeuses qui sont à cent lieues de
Paranambuco, par treize degrés de latitude.
La plus considérable, où résident le gou-
verneur et la principale noblesse du pays, est
celle de 0- Salvador. Il y en a une autre
qu'on nomme Villa-Velha; c'est la première
colonie que l'on établit dans cette province.
Thomé de Sousa fonda dans la suite, à une
demi- lieue plus avant dans les terres, la ville
de 0- Salvador, ayant trouvé l'endroit plus
convenable et plus avantageux pour les habi-
tants.
Quatre lieues plus loin dans l'intérieur, on
4o HISTOIRE DE LA. PROVINCE
trouve une troisième ville nommée Paripe, qui
se gouverne elle-même (i) comme les deux
autres. Toutes ces colonies sont situées près
d'une baie spacieuse et belle, où les plus
grands navires peuvent entrer sans danger.
Sa largeur est de trois lieues sur quinze
de longueur; des îles nombreuses et très -fer-
tiles sont dispersées çà et là. Elle se divise en
plusieurs bras : on y voit beaucoup d'anses et
de petites baies sur lesquelles les habitants
naviguent d'un habitation à l'autre, pour leurs
affaires.
On doit à lorge Figueiredo Correa, gen-
tilhomme de la maison royale, l'établissement
de la quatrième capitainerie , celle de Os-11-
heos. Ce fut par son ordre que Joam d' Almeida
alla fonder une colonie à trente lieues dcBahia
de Todos - os - Sanctos , par quatorze degrés
et quarante minutes de latitude. Cette ville,
(0 C'est-à-dire que cette ville a un corps municipal électif,
ce qui constitue une cité , tandis que les endroits qui n'ont pas
ce puivilége ne sont considérés que comme des bourgs.
DE SAINCTA-CRUZ. ^ï
très-belle et très-peuplée , est située au som-
met d'une colline, en vue de la mer, sur le
bord d'une rivière navigable qui se divise ,
dans l'intérieur , en beaucoup de bras. Les
colons ont établi leurs habitations sur ses
bords; ils s'y rendent avec des barques et -
des canots comme à Bahia de Todos - os-
Sanctos. ^ «
La cinquième capitainerie se nomme Porto-
Seguro ; elle fut conquise par Pero do Campo-
Tourinho. Elle contient deux villes situées
par seize degrés et demi de latitude et à trente
lieues de Os-llheos. Entre les deux villes coule
une rivière, dont l'embouchure forme une
baie où les vaisseaux peuvent entrer. Le prin-
cipal établissement se divise en deux parties :
l'une est bâtie du côté du nord, sur un rocher
qui domine la mer, et l'autre dans le bas au-
près de la rivière. La seconde ville , nommée
Sancto-Amaro, est située à une lieue plus au
sud. A deux lieues au nord de cette baie, il y
en a encore une, qui est celle où entra la
4^ HISTOIRE DE LA PROVINCE
flotte qui découvrit ce pays; on l'appela,
comme je l'ai dit plus haut, Porto-Seguro , et,
plus tard, elle donna son nom à toute la ca-
pitainerie.
La sixième capitainerie est celle de Spirito-
. Sancto , qui fut conquise par Vasco-Fernandes
Giutinho. La capitale est établie dans une pe-
tite île à soixante lieues de Porto-Seguro, par
vingt degrés de latitude. Cette île est dans une
grande rivière, à environ une lieue de son
embouchure : on y trouve une très-grande
quantité de poisson et de gibier, dont les ha-
bitants sont toujours abondamment pourvus,
et c'est, de toutes les capitaineries de la côte ,
la plus fertile et la mieux approvisionnée de
toutes choses.
La septième capitainerie porte le nom de Rio-
de- Janeiro; elle fut conquise par Mende Sa (i),
dont les armes, pendant le temps qu'il fut
gouverneur général de ce pays , obtinrent
(i) Mende Sa ou Mem de Sa fut le troisième gouverneur
DE SANCTA- CRIjZ. 0
plusieurs brillantes victoires sur les Français
qui s'y étaient établis. La capitale, très-belle
et très-peuplée , se nomme Sam-Sebastiam ;
elle est par vingt-trois degrés de latitude , et
à soixante-quinze lieues de Spirito - Sancto.
Cette ville est située sur un bras de mer qui
s'avance sept lieues dans les terres , il en a
cinq de large : mais l'entrée , qui est la
partie la plus étroite , n'a guère qu'un mille.
Au milieu s'élève un îlot de cinquante - six
brasses de long sur vingt-six de large (i),
où l'on pourrait facilement construire un fort
pour la défense du pays. C'est une des rades
les meilleures et les plus sûres , car les plus
grands vaisseaux peuvent entrer et sortir
général du Brésil. Ce fut en 1667 qu'il attaqua l'établissement
que les Français avaient formé dans la baie de Rio-de-Janeiro ,
et dont il réussit à s'emparer malgré la vigoureuse ré-
sistance de ceux-ci et de leurs alliés les Indiens Tamoyos. La
plus grande partie des Français parvint cependant à lui échapper
en s'embarquant (Vid Vàsconcelos, Chr. do Brasil , lib. II,
p. 227 e segui.).i'atermna, P^ida do padre Jnchieta. Azevedo'
Pizarro e Arau^o, Memorias historiens do Rio-de-Janeiro, cap. I,
p. i5 a 24.
(i ) La brasse portugaise égale 2'",i 85().
44 HISTOIRE DE LA. PROVINCE
en tout temps sans aucun danger. Les
terres de cette capitainerie sont les meilleures
de toute la contrée , et celles qui doivent ré-
compenser le plus richement les travaux des
cultivateurs : je ne crois pas que ceux qui
iront dans cette espérance se trouvent déçus.
La dernière capitainerie est cell« de Sam-
Vicente, conquise par Martim-Alfonso de
Sousa. On y trouve quatre villes; deux sont
situées dans des îles séparées de la terre
ferme par un bras de mer, qui ressemble à
une rivière : elles sont par vingt-quatre degrés
de latitude , et à cinquante-cinq lieues de Rio-
de-Janeiro. Ce bras de mer se divise en deux
parties : l'une est assez étroite et peu pro-
fonde , de sorte qu'il n'y peut entrer que de
petites embarcations : c'est là qu'est fondé
l'établissement le plus ancien , nommé Sam-
Vicente. A une lieue et demie de l'autre
partie (la principale , qui peut recevoir de
grands navires et les bâtiments de toute es-
pèce qui vont à cette capitainerie), il y a
DE SANCTA-CRUZ. 4^
une autre ville nommée Sanctos , où , à cause
de ses échelles , résident le capitaine et son
lieutenant, ainsi que les autres membres du
conseil ou du gouvernement.
A cinq lieues plus au sud, on trouve une
autre colonie que l'on appelle Hitanhaém,
et enfin une dernière nommée Sam-Paulo, à
douze lieues dans l'intérieur des teires, et
fondée par les pères de la compagnie (^e Jésus).
Les habitants en sont nombreux; la plupart
sont nés de Portugais et d'Indiennes du pays.
Vers le nord, est une autre île, séparée
de la terre ferme par un second bras de mer,
qui se réunit avec le premier , et sur lequel
on a construit deux forts, un de chaque
côté , pour défendre cette capitainerie contre
les corsaires et les Indiens. Ils sont très-bien
garnis d'artillerie. Ils étaient très-utiles au-
trefois , car c'était par-là que les ennemis a
venaient d'ordinaire attaquer les habitants
du pays.
Outre les villes dont je viens de parler, il
46 HISTOIRE DE SANCTA-CRUZ.
en existe dans ces capitaineries un grand nom-
bre d'autres habitées par les Portugais, et
dont je n'ai pas fait mention , ayant l'intention
de ne traiter que des plus considérables, et de
celles qui ont des officiers de justice et une
juridiction particulière , comme plusieurs de
ce royaume.
M* *
«f«» ' il
û *
%0
CHAPITRE IV
Du gouvernement , des mœurs et coutumes des habitants des
capitaineries.
Lorsque la province de Sancta-Cruz com-
mença à être colonisée par les Portugais , elle
forma un seul gouvernement , à la tête duquel
se trouvait un capitaine-général , ayant sous
ses ordres les gouverneurs de chaque capitai-
nerie; mais comme elles sont fort éloignées
48 HISTOIRE DE LA PROVINCE
les unes des autres, et que les habitants aug-
mentent dans une proportion considérable,
aujourd'hui on l'a divisée en deux gouver-
nements : l'un se compose de la capitainerie
de Porto-Seguro et de toutes celles qui sont
au nord; l'autre de la capitainerie de Spiri-
to-Sancto et de toutes celles du midi. Le gou-
verneur de la partie septentrionale réside à
Bahia de Todos-os-Sanctos, et celui de la par-
tie méridionale à Rio-de- Janeiro. On les a pla-
cés ainsi chacun au milieu de sa juridiction ,
pour que les colons soient mieux gouvernés
et plus facilement.
Quant à ce qui touche les habitants et leur
manière de vivre : leurs maisons deviennent
de jour en jour plus belles et mieux con-
struites. Les premières étaient seulement
en torchis et en terre , et couvertes de feuil-
les de palmier; actuellement il y en a de
très-élevées , bâties en chaux et en pierre,
couvertes et lambrissées comme celles de ce
pays-ci. Elles forment même des rues fort
DE SANCTA-CRUZ. 49
longues et fort belles dans la plupart des éta-
blissements dont j'ai parlé.
Tel est l'accroissement de la population,
qu'on espère, avant peu de temps, qu'il
s'élèvera des églises magnifiques et d'autres
édifices qui achèveront d'embellir le pays.
Les capitaines et les gouverneurs ont répar-
ti des concessions de terrain à la plupart des
habitants qui sont répandus dans la province
(i). L'on cherche d'abord à avoir des esclaves
pour cultiver la terre ; et si une personne par-
vient à s'en procurer quatre ou six , elle a de
quoi subsister honorablement avec sa famille ,
quand même elle ne posséderait pas autre
chose ; parce que l'un va à la chasse, l'autre à la
pêche, et le reste cultive les terres; de sorte
que les colons n'ont aucune dépense à faire
pour leur nourriture et celle de leurs esclaves.
On peut calculer ainsi quelle est la richesse
(i) Dans le texte portugais ces concessions sont nommées
sesmarias ; on se sert encore aujourJ'hui de cettfe expression
pour désigner les teri-ains concédés par le gouvernement.
4
50 HISTOIRE DE SANCTA-CRLZ.
de ceux qui ont deux ou trois cents
esclaves, comme beaucoup d'habitants : il
y en a même qui en ont davantage. Ces co-
lons vivent très-bien entre eux, s'entre-
aident les uns les autres, se prêtent leurs
esclaves , et viennent volontiers au secours
des pauvres qui arrivent pour s'établir dans
le pays. Ceci est général dans toute la con-
trée ; et ces habitants font beaucoup d'autres
œuvres pies, si bien que tout le monde
a de quoi vivre, et l'on ne voit pas, comme
chez nous, des malheureux qui vont mendier.
f -Ss*
CHAPITRE V.
%
Des plantes, des vivres et des fruits de cette province.
Il y a dans cette province tant de plantes,
de fruits et d'herbes dont on pourrait rappor-
ter beaucoup de choses, que ce serait un
travail infini de les nommer toutes ici, et de
décrire les propriétés de chacune en particu-
lier. C'est pourquoi je ne ferai mention que
de quelques-unes des principales , surtout
52 HISTOIRE DE LA PROVINCE
de celles dont les vertus et les fruits sont
utiles aux Portugais.
Je parlerai d'abord de la plante et de la
racine dont les habitants tirent leur 'nour-
riture habituelle , et qu'ils mangent au lieu de
pain; cette racine se nomme mandioca {\) -.
la plante qui la produit s'élève environ à
la hauteur d'un homme. Elle n'est pas très-
grosse, elle a beaucoup de nœuds : pour la
planter en culture régulière , on la coupe en
morceaux puis on la fiche en terre ; on la cul-
tive ensuite comme on fait à l'égard des bou-
tures, en ayant soin de travailler la terre
comme pour d'autres plantes. Chaque mor-
ceau produit trois ou quatre racines , et quel-
( I ) On sera peut-être curieux de connaître les noms brési-
liens des diverses espèces de manioc, les voici tels que les donne
Vasconcelos. (Cronica da companhia do eslado do Brasil,
p. i5o.) i es principales espèces se nomment : Mandijbuçu,
Mandljbimana , Mandijbihiyana , ManJijhiyurucit , ^piiiuba,
-^ipir; elles se subdivisent en Jpijgoaçu, ^ipijarande,^ipijcaba.
■^'P'Jgoapamba, Jipijcaborandl, Jipijcurumu, Jipijurumumîrt ,
■^ipijiurueuya , ^ipijmachaxera , j^ipij mania xau , jiipijpocit,
Jipijtarapoj-a , ^ipijpilanga.
DE SANCPA-CRUZ. 53
quefois davantage , selon que la terre est plus
ou moins fertile : elles mûrissent en neuf ou
dix mois, excepté dans la capitainerie de Sam-
^icente , où il leur faut trois ans , parce que
le pays est très-froid. Au bout de ce temps
elles deviennent aussi grandes que les igna-
mes de Sam-Thomé ; mais la plupart sont
courbées et contournées comme des cornes
de bœuf. On les arrache à mesure qu'on veut
les manger ; on coupe la plante au pied et on
laisse la racine cinq ou six mois sous terre :
alors elle se conserve parfaitement; sans cela
elle se gâterait. A Sam-Vicente on la garde
ainsi pendant vingt ou trente ans.
Quand on a arraché ces racines, on les met
tremper dans de l'eau pendant trois ou quatre
jours , on les écrase avec beaucoup de soin ;
puis on introduit la pâte obtenue par cette
opération dans des espèces de manches lon-
gues et étroites , faites avec des baguet-
tes minces et tressées comme des paniers.
Ensuite on en exprime le jus de manière
54 HISTOIRE DE LA PROVINCE
qu'il n'en reste pas la moindre goutte ; car il
est tellement malsain et vénéneux que si un
homme ou un animal en buvait , il mourrait
sur-le-champ. Après avoir ainsi nettoyé
cette pâte , ils la mettent sur le feu dans une
marmite, et une Indienne l'agite continuel-
lement jusqu'à ce que la chaleur ait en-
levé toute l'humidité, ce qui a lieu en
une demie-heure à peu près. Cette farine
forme la principale nourriture des habitants
de cette province. Il y en a de deux sortes :
l'une se nomme farine de guerre et l'autre
farine fraîche; celle de guerre se prépare
en la faisant sécher et torréfier de manière
qu'elle se garde près d'un an sans se gâter ;
celle qui est fraîche est plus délicate et plus
agréable au goût, mais elle ne peut se con-
server plus de deux ou trois jours , après
quoi elle se corrompt.
On prépare aussi avec ce mandioca un autre
aliment, nommé beijàs; il ressemble à des
oublies , mais il est plus grand et plus blanc.
DE SANCTA-CRUZ. 55
Beaucoup d'habitants , particulièrement ceux
de Bahia de Todos-os-Sanctos, le mangent de
préférence parce qu'il est de meilleur goût
et de plus facile digestion.
Il existe une autre espèce de mandioca
dont les propriétés diffèrent de celle-ci ; on
le nomme aïpim; on en fait dans quelques
capitaineries des boules qui surpassent en
saveur le pain frais de ce pays-ci. Le suc de
cette espèce n'est pas vénéneux comme ce-
lui de l'autre , il ne fait pas le moindre mal
quand on en boit. Cette racine se mange
aussi rôtie, comme les patates ou les ignames,
et de toute manière elle est très-bonne.
On récolte en outre ^ns ce pays beau-
coup de maïs dont on fait du pain très-blanc,
du riz , des fèves , et toute sorte de légumes.
Il y a encore une autre plante qui vient
de l'ile Sam-Thomé et dont le fruit sert
de nourriture à beaucoup de personnes. Elle
est très - tendre, s'élève très-haut ; elle n'a
pas de branches, mais des feuilles qui sont
56 HISTOIRE DE LA PROVINCE /
longues de sept ou huit palmes. Le fruit
nommé hanàna , a la forme d'un concom-
bre , et vient en grappe; quelques-unes de ces
plantes sont si grandes qu'elles portent jus-
qu'à cent cinquante bananes, parmi lesquel-
les il y en a d'assez grosses et d'assez pesan-
tes pour briser la tige en deux. Quand il en
est temps, on cueille ces grappes > et quelques
jours après elles mûrissent. Dès qu'elles sont
cueillies, on coupe la plante, parce qu'elle
ne porte du fruit qu'une fois. Il pousse
à l'instant sur l'ancien pied des rejetons
qui reproduisent d'autres grappes. Ce fruit est
très-savoureux et des meilleurs du monde ;
il est couvert d'une peau semblable à celle
de la figue, quoique plus dure ; on l'ôte quand
on veut le manger. Mais les bananes sont
malsaines, et donnent la fièvre à ceux qui
en mangent.
Ce pays produit aussi une espèce d'arbres
très-élevés qu'on nomme zabucàes (i),sur
( I ) Lisez gapucayar , c'esl le fruit du Quatelé ou lecythis ollaria .
DE SANCTA-CRUZ. 5'J
lesquels il croît des espèces de vases aussi
grands que de grosses noix de cocos ; ils sont
fort durs , et remplis d'une espèce de châtai-
gnes'très-douce et très-savoureuse; à l'extré-
mité inférieure ils sont fermés par une sorte
de couvercle qui parait plutôt l'ouvrage de
l'industrie humaine que celui de la nature.
Quand ces châtaignes sont mûres , le couver-
cle se détache et ces fruits tombent les
uns après les autres , de sorte qu'il f^nit par
n'en plus rester.
Un fruit, meilleur encore et plus esti-
mé des habitants du pays, croît sur une
petite plante qui s'élève très-peu au-dessus
du sol et dont les feuilles ressemblent à cel-
les de l'aloès. Ce fruit se nomme ananâzes , et
vient comme les artichauts ; il ressemble
à la pomme de pin, il est de la même gran-.
deur ou un peu plus grand. Quand ils sont
mûrs ils ont une odeur très-suave, et on les
coupe en tranches pour les manger ; ils sont
si bons que, de l'avis de tout le monde, il
58 HISTOIRE DE LA PROVINCE '
n'y a pas de fruit dans notre patrie qui puisse
leur être comparé , et les naturels les es-
timent au-dessus de toutes les autres pro-
ductions de leur pays.
Une autre espèce de fruit vient dans les
bois sur des arbres de la grandeur des poiriers
ou des pommiers : il ressemble à une poire,
il est d'une couleur très-jaune. Ce fruit se
nomme cajàs (i); il a beaucoup de jus , et on
le mange dans les chaleurs pour se rafraî-
chir, car il est très-froid de sa nature et rend
malade quand on en fait excès. Au bout
de chacune de ces pommes, est un appen-
dice de la grosseur d'une châtaigne , qui a
l'apparence d'une fève ; il parait le premier, et
il en est pour ainsi dire la fleur. L'écorce est
extrêmement acre, et l'amande, quand on
la fait rôtir, est très-échauffante et plus agréa-
ble au goût qu'une amande douce.
On trouve dans cette province beaucoup
(f ) L'auteur parle ici de la pomme d'acajou.
DE SANCTA-CRUZ. 5^
d'autres espèces de fruits de différentes
qualités, et en si grand nombre que des per-
sonnes , voyageant dans l'intérieur, ont
vécu pendant longtemps sans autre nourri-
ture ; mais ceux dont j'ai parlé sont les meil-
leurs du pays et les plus estimés des Portu-
gais. On récolte aussi beaucoup de produits
du Portugal, des concombres, des melons, des
tomates, et des figues de plusieurs espèces. Les
vignes y donnent du raisin, deux ou trois fois
dans l'année, et tous les autres fruits sont en
même abondance , parce que , comme Je l'ai
dit , il n'y a pas dans cette contrée de froid
qui puisse leur faire tort. Les limons , les cé-
drats, les oranges, y viennent en nombre infi-
ni, car les arbres épineux sont très-communs,
et aucune espèce ne multiplie davantage.
Outre les plantes qui produisent les fruits
et les aliments qu'on mange dans ce pays ,
il y en a d'autres que les colons cultivent
dans leurs habitations, savoir, les cannes à
sucre et le cotonnier, qui sont les principaux
6o HISTOIRE DE LA PROVINCE
objets de l'agriculture : tout le monde s'en
occupe et l'on en tire de grands profits. Dans
toutes les capitaineries, on récolte beaucoup
de coton et de sucre, surtout dans celle de Païa-
nambuco. On y a établi une trentaine de sucre-
ries et autant dans la baie de Salvador , et elle
en fabrique plus sans comparaison qu'aucune
autre. 11 y a aussi dans ces capitaineries
une grande abondance de bois du Brésil
dont les habitants tirent de grands bénéfices.
On voit bien que ce bois est produit par la ,
chaleur du soleil , car il ne croît que dans
la zone torride ; et plus l'endroit qui le four-
nit est rapproché de la ligne équinoxiale ,
plus il est fin et de bonne couleur; c'est pour- »
quoi il n'y en a pas dans la capitainerie
de Sam-Vicente ni dans les pays plus méri-
dionaux. ^
Une autre espèce à'arbre que l'on trouve
aussi dans les forêts de la capitainerie de Pa-
ranarabuco , c'est le copahibas , qui donne
un baume excellent contre beaucoup de ma-
«
DE SANCTA-CRTIZ. 6l
ladies : il produit surtout des effets merveil-
leux dans celles qui sont causées par les fraî-
cheurs, et il enlève en peu de temps toutes les
douleurs , quelque graves qu'elles soient. Il
possède les mêmes vertus pour les bles-
sures et toutes les autres plaies , les guérit
très-promptement , et si bien qu'on ne voit
même pas où elles ont été faites , et en cela
il ne le cède à nul autre remède.
Cette huile se trouve toute l'année dans
l'arbre ; mais ceux qui la vont chercher s'en
occupent pendant l'été , parce que c'est l'épo-
que où elle est plus abondante. Pour se
la procurer ils donnent de grands coups au-
tour du tronc qui alors distille peu-à-peu
cette précieuse liqueur. Elle ne se trouve pas
également dans tous les arbres, mais seule-
ment dans ceux que l'on appelle femelles;
on nomme les autres mâles , et il n'est pas
facile de distinguer les deux espèces ; car elles
sont absolument de la même grandeur et
de la même apparence. La plupart de ces
6a HISTOIRE DE LA PROVINCE
arbres sont rongés par les animaux , qui ,
lorsqu'ils ont été mordus ou blessés, vont,
par un instinct naturel, y chercher un remède
à leurs maux.
Dans la capitainerie de Os-Ilheosetdans
celle de Sam-Vicente, croît une autre es-
pèce d'arbre, nommé caborahibas^ de l'écorce
duquel on tire un baume qui a une odeur
très-suave; il guérit les mêmes maladies.
Ceux qui parviennent à s'en procurer l'esti-
ment beaucoup et le vendent à un prix fort
élevé , car outi^e que ces arbres sont très-ra-
res , ceux qui vont à leur recherche courent
de grands dangers de la part des ennemis qui
sont perpétuellement en embuscade dans les
bois pour les tuer et qui ne font jamais de
quartier.
On voit aussi dans le capitainerie de Sam-
Vicente un certain arbre que les Indiens
appellent dans leur langue obirâ paramaçacî y
c'est-à-dire arbre contre les maladies ; quel-
ques gouttes d'un lait qui en sort sont
DE SANCTA-CRUZ. 63
un excellent purgatif , et si l'on en avalait seu-
lement plein une coquille de noix , on mour-
rait sans rémission.
Quant aux autres plantes et herbes qui
ne donnent pas de fruits et auxquelles on
ne connaît aucune espèce de propriété, je
n'en traiterai pas ici, quoiqu'il y ait bien
des choses à en dire , parce que , comme je
l'ai observé plus haut, j'ai eu l'intention de
parler seulement de celles qui sont utiles
aux naturels. Je ne ferai mention que
d'une seule espèce, qui est très-extraordinaire
et dont les propriétés causeront beaucoup
d'étonnement quand on les connaîtra (i).
Elle se nomme herva viva ; elle a quelque res-
semblance avec la ronce, mais quand on
la touche avec les mains ou d'une au-
tre manière, elle se retire et paraît pour
ainsi dire une créature sensible qui "souffre
(i) 11 s'agit ici de la sensitive, qui tapisse en effet des espaces
fort étendus et qui rampe , mais dont la feuille n'a aucune ana-
logie avec celle de la ronce que l'auteur nomme sj-lvam macho.
6^ HISTOIRE DE SANCT A-CRU Z
et est offensée de cet attouchement; et quand
on la laisse, comme oubliant cet affront, elle
commence de nouveau à s'épanouir etredevient
aussi verte et aussi robuste qu'auparavant.
Cette plante doit avoir quelque propriété que
nous ne connaissons pas , et dont les effets
sont peut-être encore plus étonnants ; car
nous savons que tous les végétaux que Dieu
a créés ont reçu des vertus particulières ,
chacun pour remplir le but de sa créa-
tion. Combien plus doit en posséder celui-ci,
que la nature a voulu distinguer d'une ma-
nière aussi frappante , lui donnant une exis-
tence si extraordinaire , et si différente des
autres !
CHAPITRE VI.
Des animaux et des reptiles venimeux de cette province.
Comme cette contrée est très-grande , et
que la majeure partie est inhabitée et rem-
plie de hautes et épaisses forêts, il ne faut
pas s'étonner qu'il y ait diverses espèces d'a-
nimaux très-féroces et de reptiles très-veni-
meux, puisque dans notre pays, qui est si
peuplé et si cultivé , on trouve dans les brous-
II.
66 HISTOIRE DE LA. PROVINCE
sailles de très-grands serpents dont on ra-
conte des choses étranges, et d'autres rep-
tiles et animaux répandus dans les landes
et les forêts. Les hommes , quoique très-mul-
tipliés , n'ont pu réussir à les tuer tous , ni
à en détruire la race ; combien ne doit-il donc
pas y en avoir dans cette province, où le climat
et l'air sont si favorables à leur reproduction,
où de nombreuses forêts leur [offrent un
refuge assuré? Je décrirai les insectes veni-
meux et les animaux que la nature y avait
répandus, car il n'y existait pas d'animaux
domestiques quand les Portugais commen-
cèrent à la coloniser; mais dès qu'ils eurent
connu le pays et remarqué l'avantage qu'il y
aurait à en élever, ils firent venir des îles du
Cap- Verd , des chevaux et des juments dont
il y a maintenant un nombre considérable
dans toutes les capitaineries. On trouve aussi
dans cette province une grande quantité de
bétail , et particulièrement des bêtes à cornes,
qu'on y a originairement amenées des mêmes
îles.
DE SANCTA-CRUZ. 6'^
Quant aux animaux indigènes , tous sont
sauvages , et il y en a que l'on n'a jamais vus
dans d'autres contrées. Je vais en donner
une description, en commençant par ceux que
l'on mange dans le pays , et dont la chair
est en abondance dans toutes Tes capitaineries.
On voit beaucoup de cerfs, et des sangliers
de diverses espèces ; les uns sont semblables
à ceux de notre patrie ; d'autres sont plus
petits, et ils ont le nombril sur le dos (i).
On tue un grand nombre de ces derniers.
Il y en a certains qui paissent et mettent
bas à terre , et vont sous l'eau quand ils veu-
lent. Comme ceux-ci ne peuvent pas courir,
parce qu'ils ont les pieds de derrière trop
longs et ceux de devant très-courts, la na-
ture a voulu qu'ils pussent vivre sous l'eau,
où ils ne manquent pas de se précipiter s'ils
voient un homme ou s'ils craignent quel-
que danger. Leur chair est très-savoureuse,
(i) Le pécari ou tajam.
68 HISTOIRE DE LA PROVINCE
ainsi que celle des autres sangliers; elle est si
saine qu'on la donne de préférence aux malades,
parce qu elle est bonne pour toutes les affec-
tions et ne fait jamais de mal à personne.
D'autres animaux que l'on appelle antas
{les ^op/r^), ressemblent à des mules, mais ils
ont la tête plus déliée et les lèvres allongées
comme une trompe. Les oreilles sont rondes
et la queue courte ; ils sont cendrés sur le
corps et blancs sous le ventre. Ils ne se
montrent que la nuit; et quand le jour
paraît, ils s'enfoncent dans les broussailles
ou dans l'endroit le plus reculé qu'ils
peuvent trouver, et ils y restent cachés
tout le jour, comme des oiseaux de nuit à
qui la lumière est odieuse. Quand le soir
arrive , ils sortent de nouveau et retournent
paitre dans le même endroit. La chair de
ces animaux a tellement le goût du bœuf,
qu'on ne peut distinguer l'une de l'autre.
Il y a encore des animaux nommés cotias
{les agoutis)fde la grandeur des lièvres : ils ont
1)E SANCIA-CRUZ. 69
la même saveur et sont aussi gros. Ces co-
tias sont rouges; ils ont les oreilles petites , et
la queue si courte qu'on la voit à peine.
D'autres animaux plus grands, nommés
pacas ^ ont le museau rond; ils ressemblent
à des chats : leur queue est comme celles des
cotias ; ils sont de couleur fauve et tachetés de
blanc par tout le corps. Quand on les pré-
pare pour les manger , on enlève le poil
comme au cochon de lait, sans les écorcher,
parce qu'ils ont la peau très-tendre et très-
bonne ; la chair en est aussi très-délicate et
des plus savoureuses.
Il existe aussi dans cette contrée une espèce
d'animaux très-remarquables, et qui selon
moi ne ressemblent à aucune autre espèce;
c'est le tatù ( Varmadille ) , animal de la gran-
deur du cochon de lait; il est couvert d'é-
cailles , couleur de cagado (i) et disposées en
lames , de telle façon qu'ils ont absolument
■%'■■ :,. -I . '^
( i) Avec un accent sur le premier à , ce mot signifie une tor-
tue dV au douce ; sans accent, conmie notre auteur l'écrit, la si-
gnification en est bien différente.
%,-*.
•JO HISTOIRE DE LA PROVINCE
l'air d'un cheval recouvert d'une armure. Leur
queue est longue et entièrement garnie de
la même écaille ; leur tète ressemble à celle
d'un cochon de lait, quoique un peu plus
pointue ; ils ont les jambes très-courtes et
moins couvertes d'écaillés que la tète. Ils
vivent dans des terriers comme les lapins;
la chair de ces animaux est la meilleure et
la plus estimée qu'il y ait dans le pays ;
elle a le goût du poulet.
Les lapins me paraissent ne différer en rien
de ceux du Portugal.
Enfin tous les habitants peuvent chasser
les animaux dont je viens de parler, et ils
en tuent une très-grande quantité sans beau-
coup de peine. On chasse partout où l'on
veut, et il n'y a pas de réserves comme
dans notre pays. Un seul Indien, s'il est
bon tireur, fournit toute une maison de gi-
bier ; car il ne se passe pas de jour qu'il
ne tue un sanglier, un cerf ou un des ani-
maux dont je viens de parler.
DE SANCTA-CRUZ. «y I
On y voit d'autres quadrupèdes très-féro-
ces , qui font de grands ravages parmi tout ce
gibier et dans les troupeaux des habitants.
Quelques-uns les nomment tigres, mais ils
sont plus généralement connus dans le pays
sous le nom d'onças ; cependant plusieurs
personnes qui s'y connaissent, et qui ont
vu des tigres dans d'autres parties du monde,
affirment qu'ils appartiennent à cette espèce.
Ils ressemblent tout-à-fait à des chats , et
n'en différent que par la taille, car il y en a
qui sont aussi grands que des veaux ; d'autres
sont plus petits; ils ont le corps rayé de
blanc, de jaune et de noir. Quand ils sont
affamés, ils entrent dans les enceintes où
l'on renferme le bétail , et tuent beaucoup
de veaux et de génisses qu'ils vont man-
ger dans les bois; et ils en font de même
de tous les animaux qu'ils peuvent attra-
per. Sont - ils poursuivis , ils attaquent les
hommes et sont si hardis, qu'un Indien s'é-
tant une fois réfugié sur un arbre pour échap-
72 HISTOIRE DE LA PROVINCE
per à un de ces tigres , cet animal s'établit
au pied sans que plusieurs personnes accou-
rues du village , aux cris de l'Indien , pussent
réussir à l'effrayer. 11 resta toujours à guetter
sa proie, de sorte que la nuit étant venue,
ces hommes dirent à l'Indien de prendre pa-
tience , que le tigre se fatiguerait d'attendre ;
mais le lendemain, soit qu'il eût voulu s'en
aller croyant le tigre parti, soit qu'il fût
tombé de l'arbre par accident, on ne trou-
va plus que ses os. Lorsqu'au contraire ces
animaux sont rassasiés, ils sont lâches, pol-
trons , et un chien suffit pour les mettre en
fuite. Quelquefois ils se réfugient sur les
arbres et s'y laissent tuer à coups de flèches
sans faire aucune résistance : d'où l'on voit
que la gourmandise détruit la prudence, le cou-
rage et la vivacité de l'esprit, non-seulement
chez les hommes; mais qu'elleaffaiblit aussi les
brutes et les rend incapables d'user de leurs
forces naturelles, même quand elles auraient
besoin d'en faire usage pour défendre leur vie.
DE SANCTA-GRUZ. "yS
Les cerigoês (les sarigues) sont des animaux
que l'on trouve aussi dans ce pays, et qui
sont de la grandeur des renards; ils ont sous
le ventre une ouverture qui forme deux
bourses dans lesquelles ils mettent leurs pe-
tits : alors chacun d'eux prend une mamelle'
dans sa bouche et ne la lâche pas avant d'a-
voir achevé de téter. On affirme que ces
animaux ne conçoivent et n'engendrent pas
leurs petits dans le ventre, mais dans ces
bourses : car parmi toutes les femelles
qu'on a prises, on n'en a jamais trouvé de
pleine ; et ce qui rend cette conjecture encore
plus probable, c'est qu'il paraît impossible
qu'elles mettent bas leurs petits , selon l'ordre
de la nature, comme le font les autres ani-
maux. !;• "
Le perguiça ( le paresseux) , autre animal
de la même grandeur, se rencontre aussi dans
cette province. Sa tête est fort laide, ses
griffes sont très-effilées et semblables à des
doigts. Il a sur la nuque une espèce de
j4 HISTOIBE DE LA PROVINCE
crinière qui lui couvre le dos ; il va toujours
traînant le ventre à terre , sans jamais se le-
ver sur les pieds de derrière comme les au-
tres animaux ; il marche si lentement que
pendant quinze jours il n'avance pas de la
distance d'un jet de pierre (i). Il se nourrit
de feuilles ; on le trouve ordinairement sur
les arbres , mais il lui faut deux jours pour
y monter et autant pour en descendre. Comme
il ne vit que de feuilles, et ne poursuit pas
d'autres animaux, il ne marche pas mieux
dans aucune occasion.
Les tamendoâs ( les tamanoirs ) sont encore
une autre espèce d'animaux du pays ; ils sont
grands comme des moutons; leur peau est
tachetée , leur museau très-allongé et très-
étroit au bout. Ils n'ont pas la bouche fen-
due comme les autres animaux , et elle est
si petite qu'à peine pourrait-on y mettre deux
(i) Ceci est une exagération dont l'histoire naturelle mo-
derne a fait justice. Voyez les observations de MM. Quoy et
Gaymard, dans le Voyage autour du monde de M. Freycinet.
DE SANCTA-CRCZ. '^S
doigts. Leur langue est très-étroite et a près
de trois palmes de long. La femelle a sur
la poitrine deux mamelles, comme celle d'une
femme, et un pis placé à l'extrémité du cou en-
tre les pattes, d'où descend le lait avec le-
quel elle allaite ses petits. Ils ont à chaque
pied deux ongles, allongés comme deux grands
doigts et larges comme un ciseau de menuisier;
leur queue est couverte de poil et presqu'aus-
si longue que celle d'un cheval. Toutes les
choses extraordinaires que l'on remarque
dans cet animal sont nécessaires à la conser-
vation de sa vie , parce qu'il ne mange que
des fourmis : ainsi ses grands ongles lui ser-
vent à ouvrir et à déterrer les fourmilières :
et dés que cela est fait, il enfonce sa grande
langue dans l'endroit qui est ouvert, et quand
elle est couverte d'insectes, il la retire, les
avale, et recommence ce manège jusqu'à ce
qu'il soit rassasié.
Il y a aussi dans ce pays un grand nombre
de singes et de beauco up d'espèces, mais comme
•^6 HISTOIRE DE LA PROVINCE
ils sont connus partout, je ne m'étendrai
pas sur ce sujet , et je dirai seulement avec
brièveté les choses les plus dignes d'êtie rap-
portées. ^ J\,
Il y en a quelques-uns , de couleur rousse ,
qui exhalent une odeur très-suave et très-
agréable à toutes les personnes qui s'en ap-
prochent : si on les frotte avec la main ou
s'ils transpirent, l'odeur devient plus forte.
Ils sont fort rares dans cette province et
ne se trouvent que très-avant dans l'in-
térieur. D'autres , plus grands , sont noirs et
barbus comme des hommes; on les dit si har-
dis que quand les Indiens les ont blessés à
coups de flèches , ils les arrachent de leur,
corps et les jettent à ceux qui les ont lan-
cées ; ils sont très-sauvages et les plus agiles
du pays. ' '
Deux espèces , un péîi plus grandes que
les belettes, vivent sur la côte; on les nomme
sagois {ou sahuis) : les uns sont jaune doré;
d'autres sont fauves; ils ont le poil très-fin , et
DE SANCTA-CRTJZ.* 'J^
ressemblent à des lions par la forme de
leur tête et la conformation de leur corps ;
ils sont très-beaux ; on les trouve depuis Rio-
de- Janeiro vers le sud (i). Les fauves au
contraire habitent les capitaineries septen-
trionales; on les apprivoise facilement, mais
ils ne sont pas aussi jolis que les jaunes. Ces
deux espèces sont si vives et si délicates que
les individus que l'on tire du pays pour les
embarquer et les envoyer en Portugal meu-
rent presque tous pendant la traversée , et ce
n'est que par hasard qu'il en échappe quel-
ques-uns.
Les bois renferment de très-grands ser-
pents , de diverses espèces , auxquelles les In-
diens donnent des noms différents, selon leurs
propriétés : il y en a dans l'intérieur d'une
taille si énorme, qu'ils avalent un cerf en-
tier ou tout autre animal de la même gran-
deur, et ce n'est pas bien étonnant, puisque
(i) C'est le simia rosalia , qu'on ne rencontre guère en effet
au-àdlà du Cap Frio en s' avançant vers la ligne.
•^8 HISTOIRE DE LA PROVINCE
nous voyons chez nous des reptiles qui ne
sont pas très-grands avaler un lièvre ou un
lapin , tandis que leur gosier est si petit qu'on
croirait pouvoir à peine y mettre le doigt.
Quand ces serpents veulent avaler leur
proie , il s'élargit de manière qu'elle y passe
en entier ; ils la sucent pour ainsi dire , et par
ce moyen parviennent à les introduire dans
leur estomac, comme cela arrive chez nous;
il paraît encore plus naturel que ceux-ci , à
cause de leur grandeur, puissent engloutir
quelque animal que ce soit.
Il en existe une autre espèce, moins grande
et plus venimeuse. Ce serpent a au bout de
la queue une chose semblable à une sonnette ,
et qui fait du bruit quand il s'agite , ce qui
avertit ceux qui l'entendent d'être sur leurs
gardes. 11 y en a une infinité d'autres ,
dont je ne parlerai pas pour éviter d'être
prolixe : presque toutes sont si nuisibles
et si venimeuses , particulièrement celle que
l'on nomme gerarâcas , que c'est un miracle
DE SANCTA-CRUZ. 'jg
quand ceux que ces serpents ont mordus en '
réchappent : ils vivent tout au plus vingt-
quatre heures.
Dans les lacs et dans les rivières d'eau
douce on trouve de très-grands lézards , dont
les testicules ont une odeur qui surpasse celle
du musc. Le linge qui y a touché conserve
cette odeur pendant plusieurs jours.
Beaucoup d'autres animaux et de reptiles
venimeux habitent ce pays; je n'en parle pas;
car il y en a tant qu'il faudrait faire un livre ex-
près pour les nommer tous et traiter de la na-
ture de chacun. Leur nombre est infini, comme
cela doit être à cause du climat et de la
disposition du pays. Les vents qui viennent
de l'intérieur arrivent empoisonnés par la
putréfaction des herbes, et l'influence du so-
leil en fait naître beaucoup d'animaux très-
venimeux; voilà pourquoi il y en a une si
grande quantité sur les côtes, comme je viens
de le dire.
J •
CHAPITRE VII.
Des oiseaux de ce pays.
De toutes les choses dont je ferai mention
dans cette histoire, la plus belle et la plus
agréable à la vue de l'homme, c'est la grande
quantité d'oiseaux magnifiques et du plu-
mage le plus varié qui habitent ce pays;
mais il y en a de tant d'espèces, que je trai-
terai seulement des plus remarquables , et
82 HISTOIRE DE LA PROVINCE
des plus estimées par les Portugais et les In-
diens.
On voit dans cette province beaucoup
d'oiseaux de proie, très-beaux et de diver-
ses espèces , comme des aigles, des faucons ,
des milans et bien d'autres du même genre.
Les aigles sont très-grands et très-forts ;
ils attaquent avec tant de furie les oiseaux
ou les animaux qu'ils veulent prendre, et
quelquefois ils poursuivent si aveuglément
le gibier, qu'ils se heurtent contre les mai-
sons des habitants et tombent sans pouvoir
se relever. Les Indiens ont coutume d'enle-
ver leurs petits et de les nourrir dans des
cages : quand ils sont devenus grands, ils
se servent de leurs plumes pour se parer.
Les faucons sont comme ceux de notre
pays, mais une centaine espèce a les pieds
si velus et si couverts de plumes , qu'on
ne peut distinguer leurs serres; ils sont extrê-
mement légers, et il est bien rare que l'oi-
seau ou le gibier qu'ils poursuivent par-
DE SANCTA-CRUZ,. 83
vienne à leur échapper. Les milans sont aussi
très-agiles et très-forts, surtout une petite es-
pèce qui ressemble à l'émérillon, et qui , mal- -
gré sa petitesse , prend une perdrix dans
ses serres et l'emporte. Ces animaux sont si
hardis que souvent ils poursuivent un oi-
seau et le saisissent au milieu des gens, sans
se retirer quoiqu'on fasse du bruit pour les
effrayer.
Les oiseaux du pays que l'on mange ou
dont les habitants font usage , sont les sui-
vants :
On nomme macucagoâs (i) une espèce
qui est noire, et plus grande que les poules;
ces oiseaux ont trois rangées de plumes aux
ailes; ils sont très-gras et très-tendres. Les
habitants en font grand cas , parce qu'ils sont
très-savoureux et meilleurs que tous ceux
qu'on mange chez nous. ^
Il V en a une autre espèce presque aussi
. --l . ..
■ - - ■ ■ . .V, ■ - • i '
(i) Ce nom n'est plus usité. • -:
84 HISTOIRE DE LA PROVINCE
grande que celle-ci, qu'on nomme j'a cils , et
que nous appelions poules des bois ; on en
voit de fauves et de noires. Elles ont un
cercle blanc sur la tête, et la poitrine ver-
meille ; on en tue beaucoup. Elles sont très-
savoureuses et des meilleures qu'il y ait
dans les bois. Il y a aussi des tourterelles ,
des perdrix et des pigeons semblables à
ceux d'Europe , ainsi que beaucoup d'oies et
de canards sauvages , le long des lacs et des
rivières, et une multitude d'autres espèces
aussi bons , aussi savoureux que les meil-
leurs qui se mangent chez nous, et très-esti-
més pour cette raison.
On trouve dans cette contrée une grande
variété de très-jolis perroquets. Les plus beaux
et en même temps les plus rares, sont plus
grands que les faucons et se nomment ana-
purus. Le plumage de ces perroquets est
de couleurs différentes ; ils ne se trou-
vent que très-loin dans l'intérieur du pays,
mais on les apprivoise si bien qu'ils vien-
DE SANCTA-CRliZ. 85
nent pondre dans la maison, et s'accoutument
mieux à vivre avec les hommes qu'aucune es-
pèce d'oiseau, quelque privée et domestique
qu'elle soit. C'est pourquoi les Indiens les
estiment autant que deux ou trois esclaves ,
et les Portugais qui parviennent à s'en pro-
curer en font le même cas ; car, ainsi que je
l'ai dit, ils sont très-beaux et parés de cou-
leurs plus brillantes qu'aucun autre oiseau
du pays.
Une autre espèce fort belle, très-estimée et
presque aussi grande , porte le nom de ca-
nindés ,• elle est entièrement bleue, à l'excep-
tion de quelques plumes jaunes aux ailes.
D'autres perroquets de la même grandeur
ont le plumage rouge parsemé de plumes
jaunes ; on les nomme arâras ; ils ont les ailes
bleues ; et une queue très - grande et fort
belle.
Ceux qui parlent avec plus de facilité et
mieux que tous les autres se nomment per-
roquets véritables; ils sont d'une espèce
86 HISTOIRE DE LA PROVINCE
beaucoup plus petite. Les Indiens les appor-
tent des montagnes pour les échanger con-
tre des bagatelles ; ils sont à peu près de la
grandeur d'un pigeon -tout leur corps est d'un
vert clair, la tête jaune et le dessous des ai-
les rouge. On trouve sur la côte habitée par
les Portugais une autre espèce de même
grandeur et d'un vert foncé , leur tête est
bleue comme le romarin. Ils y sont plus nom-
breux que , chez nous , les corneilles ou
les étourneaux; on ne les estime pas autant
que les autres , parce qu'ils s'échappent
souvent, et qu'outre cela ils parlent diffi-
cilement. On a ordinairement beaucoup de
peine à le leur apprendre; mais quand
on y parvient, ils ont le même prix que
les autres et sont aussi estimés. C'est pour-
quoi les Indiens les plument quand ils sont
jeunes, et les frottent avec le sang d'une
certaine grenouille (ij et autres substances
(i) Rana tinctoria, on appelle encore cette curieuse opération
tapirer un perroquet.
DE SANCTA-CRUZ. ^ Ô'J
qu'ils y ajoutent : les plumes qui repous-
sent sont alors de la couleur de celles des
perroquets véritables , et souvent les naturels
parviennent à tromper les acheteurs en les
vendant pour tels.
Une certaine espèce très-petite, et qui
vient de l'intérieur, se nomme tujns. Ils
sont un peu plus grands que les moineaux,
entièrement verts, sans aucun mélange , leur
bec et leurs pieds sont blancs : leur queue est
très-longue; cette espèce parle, elle est très-
belle et s'apprivoise facilement. On en trouve
aussi sur la côte de la grandeur des merles ,
on les nomme marcanâos ; ils ont la tête fort
grosse ainsi que le bec ; ils sont verts et par-
lent comme les autres.
Outre les différentes espèces d'oiseaux dont
je viens de parler , je ferai encore mention
de quelques autres, et je commencerai par
les oiseaux de mer.
Les goaras sont à peu près de la grandeur
des poules d'eau; le premier plumage dont
88 HISTOIRE DE LA PROVINCE
les revêt la nature est blanc , sans aucun mé-
lange et d'une grande finesse ; ils en chan-
gent au bout d'environ deux ans , et de-
viennent entièrement fauves. Deux autres
années après ces plumes tombent et sont
remplacées par d'autres d'un noir parfait ;
enfin ils deviennent du plus beau rouge cra-
moisi qu'il soit possible de voir , et restent
ainsi jusqu'à leur mort.
On trouve dans la capitainerie de Param-
buco une espèce d'oiseaux fauves, deux fois
grands comme les coqs du Pérou; ils ont
sur la tête , au-dessus du bec, une sorte d'épe-
ron pointu comme une corne, mêlé de blanc
et de fauve foncé, long d'une palme environ,
et trois autres un peu plus petits aux ailes,
savoir : un à la naissance , un à la jointure
du milieu, et le dernier à la pointe. Leur bec
est comme celui des aigles; leurs pieds sont
gros et très-longs ; ils ont aux genoux des
callosités grosses comme le poing : quand ils
se battent avec d'autres oiseaux ils se tour-
DE SANCTA-CRUZ. S9
tient de coté et se servent ainsi de toutes
les armes que la nature leur a données.
Il y a dans le pays une autre espèce d'oi-
seaux, dont le nom est connu de tout le mon-
de : ils ressemblent plutôt à des animaux ter-
restres qu'à des oiseaux, par les raisons que
je vais donner ; et cependant comme ce sont
des volatiles, je ne laisserai pas d'en faire
mention, ainsi que des autres. On les nomme
hémas ; ils ont autant] de chair qu'un mou-
ton; leurs jambes sont si longues qu'un
homme arrive à peine à la hauteur de leurs
ailes ; ils ont le cou très-long et la tête comme
celle des canes; ils sont fauves, blancs et
noirs , et ils ont sur le corps des plumes très-
belles, que dans notre pays les élégants et
les militaires portent à leur bonnet ; ces oi-
seaux paissent l'herbe comme le bétail , ne
s'élèvent jamais de terre , et ne volent pas
comme les autres. Ils ouvrent seulement les
ailes et courent alors en rasant la terre. C'est
pourquoi ils ne vont jamais dans les endroits
90 HISTOIRE DE SANCTA-CRljZ.
OÙ il y a des broussailles et des arbres, afin
de pouvoir voler et courir à la Ibis, comme je
l'ai dit.
Il me serait facile de parler de beaucoup
d'oiseaux de ce pays, que la nature a parés
de très-belles couleurs ; mais comme mon in-
tention en écrivant cette histoire a été d'être
bref et d'éviter tout ce qui pourrait m attirer
le reproche de prolixité, je n'ai parlé que des
choses qui sont les plus remarquables , et je
passerai sous silence celles qui sont moins
dignes d'attention.
CHAPITRE VIII.
De quelques poissons remarquables , des baleines et de l'ambre.
On trouve dans ce pays une telle abon-
dance de poissons savoureux et sains, tant
dans la mer que dans les baies et les riviè-
res, qu'ils suffiraient amplement pour nour-
rir les habitants de toutes les capitaineries,
quand même la terre ne produirait pas tous les
aliments et tout le gibier dont j'ai parlé plus
92 HISTOIRE DE LA PROVINCE
haut. Sans tenir compte d'une multitude de
poissons qui ressemblent à ceux que nous
avons en Portugal, je parlerai seulement
d'une espèce , que l'on nomme poissons
bœufs, parce qu'ils sont aussi grands que ces
animaux , car il y en a qui pèsent quarante
ou cinquante arrobas (i). Leur tète est sem-
blable à celle des bœufs : ils ont deux na-
geoires qui sont faites comme des jambes ,
et les femelles ont deux mamelles pour allaiter
leurs petits ; leur queue est large , plate et
courte : quoiqu'on ne puisse les comparer à
aucun poisson, cependant ils ressemblent un
peu au thon. On trouve ces poissons dans les
rivières et dans les baies de cette côte, par-
ticulièrement dans les endroits où il y a
quelque ruisseau qui se jette à la mer, par-
ce qu'ils sortent la tête hors de l'eau et pais-
sent l'herbe qui croît dans ces endroits. Ils
mangent aussi les feuilles d'un arbre que
(i) L'arroba contient Si livres portugaises, chacune équiva-
lant à kil. 0,468,948.
• DE SANCTA-CRUZ. gS
l'on appelle mangues , et qui est très-commun
le long de ces mêmes rivières. Les habitants
les tuent à coups de harpon ; ils en prennent
aussi quelques-uns dans les pêcheries, où ces
poissons remontent avec la marée, et quand
elle baisse ils cherchent vainement à retour-
ner à la mer d'où ils sont venus. La chair en
est très-bonne ; elle ressemble à de la viande
et elle en a le goût ; quand elle est rôtie on
nepeutla distinguer du filet de porc : on la fait
cuire aussi avec delà viande, et on la prépare de
même; si bien que personne en la goûtant ne
croirait manger du poisson, s'il ne le savait pas.
On pêche une autre espèce de poissons,
nommés camhoropins , et qui sont de la
grandeur des thons ; ils ont des écailles très-
dures et plus grandes que celles des autres
poissons. On les tue avec des harpons et lors-
qu'on en veut prendre on se place sur un
rocher, une pointe de terre ou tout autre en-
droit commode pour cette sorte de pêche.
Quand on est bon pêcheur et qu'on les voit
94 HISTOIRE DE LA PROVINCE
venir, on les laisse d'abord passer , pour ne
pas porter de coups inutiles, et l'on attend
jusqu'à ce qu'on puisse les harponner par
derrière , pour que le fer entre sans que
les écailles l'en empêchent ; car, ainsi que je
l'ai dit, elles sont très-dures, et si on les
atteint, il est presqu'impossible de les tra-
verser. C'est un des meilleurs poissons de ces
parages ; il est non-seulement très-savoureux ,
mais encore fort sain et moins gras qu'aucun
de ceux qu'on y mange.
Une autre espèce de poissons d'eau douce
se nomme tamoatâs\ ils sont environ de la
grandeur des sardines et couverts d'ëcailles
séparées par bande, de sorte qu'ils ressem-
blent aux tatous dont j'ai parlé plus haut ;
leur chair est très-bonne, et les naturels du
pays en font grand cas.
Les mayacûs , autre espèce de poissons
très-petits, ressemblent aux xarocos (i) ; ils
(i) Les dictionnaires désignent le xaroco comme une sorte
de poisson , sans préciser l'espèce.
DE SABrCTA-<:RUZ, .96
sont très-venimeux; la peau surtout en est si
malfaisante que toute personne qui en avale-
rait seulement une bouchée mourrait sur
l'heure : car on ne connaît dans le pays au-
cun moyen qui puisse empêcher ni même
suspendre l'effet de ce poison mortel. Quel-
ques Indiens se hasardent à en manger après
en avoir retiré la peau et la partie inférieure
du corps, où l'on dit que se trouve le ve-
nin; cependant ils ne laissent pas d'en
mourir quelquefois. Ces poissons enflent tel-
lement quand ils sont hors de l'eau , qu'ils
ressemblent à une vessie pleine de vent. Ils
sont assez peu craintifs, pour qu'on puisse
facilement les prendre avec la main , et soU"
vent ils se tiennent si tranquilles auprès du
bord, qu'on est pour ainsi dire invité à les
prendre et à les manger.
On ne trouve pas dans ces parages d'autres
poissons qui méritent que je m'en occupe par-
ticulièrement, parce que, comme je l'ai dit,
ils ne diffèrent pas essentiellement de ceux de
96 HISTOIRE DE LA PROVINCE
notre pays, et beaucoup sont des mêmes
espèces, mais très-savoureux et si bons qu'on
ne les défend pas aux malades et qu'ils ne
leur font aucun mal ; ils sont très-faciles à
digérer dans toutes les maladies : de quel-
que manière qu'on les mange , ils ne nuisent
pas à la santé.
11 ne me paraît pas hors de propos de trai-
ter ici des baleines et de l'ambre qu'elles pro-
duisent, dit-on. Ce que j'en sais, c'est que dans
ces parages il y en a beaucoup qui ont l'ha-
bitude de venir delà haute mer sur la côte, du-
rant certaines époques , de préférence à d'au-
tres ; et c'est précisément au moment où elles
se montrent que l'ambre est rejeté par les
flots dans divers endroits de la province.
Voilà pourquoi beaucoup de personnes
pensent que cet ambre n'est autre chose que
l'excrément des baleines. C'est ainsi que les
Indiens l'appellent dans leur langue , qui n'a
pas d'expression particulière. D'autres pré-
tendent que sans aucun doute c'est le sper-
DE SANGTA-CRUZ. 97
me de ces mêmes baleines ; mais je suis per-
suadé ( mettant de côté ces opinions et d'au-
tres également erronées ) que c'est une li-
queur qui se forme au fond de la mer, non
pas partout , mais seulement où la nature
a disposé les choses pour en produire.
Comme cette liqueur est l'aliment des ba-
leines , on peut affirmer qu'elles en man-
gent jusqu'à satiété, et que les morceaux
rejetés par la mer sortent de leur esto- ,.
mac. S'il n'en était pas ainsi, et si l'am-
bre était le produit des baleines elles-mêmes,
on en trouverait sur toute la côte, puisqu'il
y a partout des baleines. D'ailleurs, on l'a vu
par l'expérience, plusieurs de ces poissons
étant venus échouer sur la côte, on trouva
dans leur ventre de gros morceaux d'ambre
dont les qualités avaient déjà été altérées
par les sucs digestifs, parce qu'il y avait
quelque temps qu'ils étaient avalés; et on
en vit d'autres dans leur estomac qui étaient
encore tout frais et qu'elles paraissaient avoir
II. 7
7K
9^ HISTOIRE DE LA PROVI^'CE
mangés un instant avant de mourir. Leurs ex-
créments , au contraire, soit dans l'endroit où
ils se forment, soit dans celui par où ils
sortent, ne ressemblent en rien à l'ambre, et
ne paraissent pas diÊFérer de ceu:x des autres
animaux ; ce qui prouve clairement la fausseté
de la première opinion dont j'ai parlé. La
seconde n'est pas plus exacte , car le sperme des
baleines est ce que nous nommons balso :
on en trouve beaucoup dans cette mer ; on
le dit très-bon pour les blessures, et il est
connu pour cette vertu par tous ceux qui
naviguent. L'ambre, lorsqu'il sort de la
mer, est mou comme du savon, et presque
sans aucune odeur, mais au bout de quelques
jours il se durcit et prend ce parfum que
tout le monde connaît. Il y en a deux espè-
ces . l'un est fauve, c'est celui qu'on nomme
ambre gris , l'autre est noir ; le premier est
très-fin et très-estimé dans toutes les parties
du monde ; le noir est bien moins apprécié
pour l'excellence du parfum qu'on en tire.
DE SANCTA-CRUZ. 99 *
€t ne sert pas à grand'chose, selon ce que
j'ai pu savoir. On en trouve beaucoup des
deux espèces dans cette province , et il y a
des habitants qui se sont enrichis et s'en-
richissent tous les jours par ce trafic. En-
fin , comme Dieu a destiné de tout temps «
cette contrée au christianisme et que l'intérêt
est le principal guide des hommes dans cette
vie, il lui a donné ce précieux produit maritime ^
avant qu'on ait découvert dans l'intérieur *'
les riches mines que ce pays promet, afin
que les nations sauvages et barbares qui l'ha-
bitent arrivent à la connaissance de notre
sainte foi catholique , ce qui sera une mine
bien plus estimable. Que le Seigneur per-
mette qu'il en soit ainsi, pour sa gloire et le
salut de tant d'àmes !
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CHAPITRE IX.
Du monstre marin tué dans la capitainerie de Sam-Yicente,
en i564 (i). • "^
Le monstre marin qui fut tué dans cette
province en i564, fut une chose si nou-
velle et à laquelle les yeux des hommes étaient
(i) Cette anecdote est le seul passage de l'ouvrage de Maga-
Ihanes qui paraît peu digne de foi , encore est-ce plutôt un fait
exagéré qu'il rapporte sur des ouï-dire , qu'une fable faite à
plaisir; cet animal était probablement un phoque d'une taille
extraordinaire. Dans l'original on trouve à la fin du chapitre une
mauvaise gravure qui représente le combat dont il est question.
^ ^ LIERA RI
103 HISTOIRE DE LA PROVINCE
si peu accoutumés, que, malgré qu'elle soit déjà
connue dans toutes les parties du monde ,
je ne laisserai pas d'en parler, racontant tout
au long ce qui se passa à cette occasion.
Dans la capitainerie de Sam-Vicente , la
nuit étant déjà assez avancée , à l'heure où
tout le monde commençait à se livrer au som-
meil, une Indienne, esclave du capitaine,
sortit par hasard de la maison. Ayant jeté
les yeux sur une plaine qui se trouve en-
tre la mer et l'établissement des Portugais,
elle vit un monstre qui marchait d'un
endroit à l'autre avec des mouvements extra-
ordinaires, de temps en temps si effroyables,
que cette femme, épouvantée et presque hors
d'elle-même, alla trouver le fils du capitaine,
qui se nommait Baltesar Ferreira, et lui
rendit compte de ce qu'elle avait aperçu , pen-
sant que c'était une vision diabolique. Mais
comme il était aussi sensé que brave , et que
les gens du pays ne méritent pas grande
confiance, il ne fitpas beaucoup attention à ses
DE SANCTA-CRUZ. 1 o3
paroles , resta tranquillement dans son lit ,
lui ordonnant de retourner pour s'assurer du
fait. Elle obéit, et revint encore plus effrayée
que la première fois, protestant de nouveau
que c'était une chose si effroyable que ce
ne pouvait être que le diable. Il sauta à bas
de son lit , et prenant une épée qu'il avait
à côté de lui , il sortit en chemise , de la mai-
son, persuadé que ce devait être un tigre
ou un autre animal du pays , et qu'il ver-
rait bientôt la fausseté de tout ce que Tln-
dienne avait voulu lui persuader. Ayant
jeté les yeux du côté qu'elle lui montra ,
il aperçut confusément une masse énorme
le long de la plage sans pouvoir distinguer
ce que c'était, à cause delà nuit, d'autant
plus que ce monstre était une chose qu'on
n'avait jamais vue et entièrement différente
de tous les autres animaux. S'étant appro-
ché pour mieux l'examiner, le monstre le sen-
tit, et ayant levé la tête, l'aperçut, et commen-
ça à se diriger vers la mer d'où il était sorti f
104 HISTOIRE DE LA PROVINCE
ce jeune homme devina de suite que c'était
un animal marin , et se hâta de lui couper la
retraite avant qu'il pût arriver au bord.
Voyant que sa retraite était coupée, le mons-
tre se leva droit comme un homme , en s'ap-
puyant sur les nageoires de la queue. Bal-
tesar Ferreira , se trouvant en face, profita du
moment pour lui enfoncer son épée dans le
corps, puis il sauta légèrement de côté, afin que
cette masse ne tombât pas sur lui, et il échappa
ainsi, non sans danger, car la masse de sang
qui sortit de la blessure lui coula sur la face
et l'aveugla presque entièrement. Alors le
monstre, tombant à terre, suivit la route qu'il
tenait; et, tout blessé qu'il était, courut sur lui,
la gueule ouverte, pour le déchirer avec ses
dents et ses ongles ; mais Baltesar lui donna
sur la tète un coup d'épée qui affaiblit beau-
coup cet animal , qui se dirigea de nouveau
vers la mer. '^ '"•
Quelques naturels accoururent dans ce mo-
ment aux cris de l'Indienne, qui observait*
DE SANCTA-CRTJZ. I o5
le combat; ils se jetèrent sur le monstre, et
l'emportèrent presque mort dans la ville , où
il fut exposé le jour suivant à la vue de tout
le monde. ^'"'^
Malgré la valeur que ce jeune homme
montra dans cette aventure qui l'avait déjà
rendu célèbre dans le pays , il avait telle-
ment perdu l'haleine pendant le combat et
avait été si effrayé de la vue de cet effroyable
animal, que quand son père lui demanda
ce qui lui était arrivé , il ne put lui ré-
pondre et resta muet d'épouvante pendant
un long espace de temps. On trouvera à la
fin du chapitre le portrait de ce monstre ,
fait d'après nature . il avait quinze palmes
de haut , le corps tout velu , et sur le museau
de longs poils semblables à des moustaches.
Les Indiens du pays le nomment en leur
langue hipupiâra, ce qui veut dire démon
des eaux. On en a déjà vu , dans ces parages ,
mais rarement.
Il doit y avoir, dans les abîmes de la mer,
I06 HISTOIftE DE SANCTA-CHUZ.
bien d'autres monstres divers et effroyables
qui s'y cachent, et qui sont non moins étran-
ges et admirables que celui-ci. On peut donc
tout croire , quelque extraordinaire que cela
paraisse ; car les secrets de la nature n'ont
pas tous été révélés à l'homme , et l'on ne
peut nier et regarder comme impossibles les
choses qu'on n'a pas vues et dont personne
n'a entendu parler.
CHAPITRE X.
De» habitants de la province , de leurs mœurs et coutumes ,
et de leur gouvernement en temps de paix.
Puisque nous avons parlé du pays et de ce
qu'il produit pour l'usage de l'homme , nous
devons ici donner des détails sur les indi-
gènes, sinon sur tous en général, du moins
sur ceux qui habitent la côte et sur quel-
ques-uns qui demeurent très-loin dans l'in-
térieur, mais avec lesquels nous avons des
Io8 HISTOIRE DE LA PROVINCE
communications. Car quoiqu'ils soient divi-
sés en plusieurs nations qui ne portent
pas le même nom, leurs figures, leurs mœurs ,
leurs coutumes et leurs cérémonies religieu-
ses sont absolument les mêmes, et s'il y
a quelques différences , elles ne méritent pas
de fixer l'attention ni d'être rapportées par-
mi tant de choses également vraies pour
tous.
Ces Indiens sont de couleur obscure; leurs
cheveux sont lisses; ils ont le visage comme
pétri, et ressemblent un peu aux Chinois. Ils
sont généralement dispos , robustes et bien
faits ; ils sont braves , ne craignent pas la
mort, sont téméraires à la guerre et sans pru-
dence. Ils sont ingrats, inhumains, cruels,
vindicatifs et querelleurs; ils mènent une vie
oisive, ne pensant qu'à boire et à manger ;
c'est pourquoi ils deviennent fort gros,
mais ils maigrissent à la moindre contrarié-
té. L'imagination a tant de pouvoir sur eux ,
que si l'un d'eux désire la mort ou se met
DE SANCTA-CRUZ. I O9
dans la tête qu'il doit mourir tel jour ou
telle nuit , ce terme n'est pas écoulé qu'il
expire.
Ils sont légers et inconstants, croient fa-
cilement tout ce qu'on leur raconte, quel-
que extraordinaire que ce soit. Il est aussi
facile de les en dissuader et de leur, faire
nier ce qu'ils ont cru. Ils sont débauchés,
sensuels , et s'abandonnent aux vices comme
s'ils étaient privés de la raison humaine;
cependant , dans leurs réunions , les hommes
et les femmes se comportent convenablement ,
et en cela ils montrent de la pudeuriâ*
La langue qui se parle le long de toute cette
côte est la même (i), quoiqu'elle diffère un
(i) Vasconcelos, § 162. « Les Indiens qui habitent les
côtes et parlent la langue connue sous le nom de langue
générale du Brésil , sont les Tobayaras , Tupis , Tupinambas ,
Tupinaquis, Tupigoaes, Tumiminos, Amoigpiyras,Araboyaras,
Rariguoraras, Potigoares, Tamoyos, Carijos, etc. LesGoyanas,
qui demeurent au sud des Carijos, parlent une langue différente,
ainsi que les Tapuyas, qui se subdivisent en Aymores , Poten-
tus, Guaitacas, Guaramomis, Goaregoares, lecaruçus, Ama-
nipaques et Payeas.»
,4 %
I lO HISTOIRE DE LA PROVINCE
peu dans certains endroits , mais pas assez
pour qu'ils ne puissent pas se comprendre ,
et cela jusqu'au vingt-septième degré, car plus
avant il y a d'autres Indiens que nous ne
connaissons pas si bien, et qui parlent une
langue tout à fait différente. Celle en usage
le long de la côte est très-douce et facile à
apprendre pour toutes les nations. 11 y a
des mots dont les hommes seuls se servent ,
et d'autres que les femmes seules emploient.
Il leur manque trois lettres , savoir : VF ,
VL et l'R, chose étonnante, car ils n'ont en -,
effet ni Foi , ni Loi , ni Roi , et vivent ainsi -^
sans ordre, ni poids ni mesure, et sans comp-
ter. Ils n'adorent rien , mais ils pensent qu'a-
près leur mort il y a de la gloire pour les
bons et des châtiments pour les méchants;
et tout ce qu'ils savent de l'immortalité de
l'âme, c'est que les morts arrivent dans l'au-
tre monde blessés , coupés en morceaux,
tels enfin qu'ils ont quitté celui^^i. Ils en-
terrent leurs morts dans un caveau, assis
Sr
41
•*
S-
*
4» "âr
DE SANCTA-GRUZ. III
sur leurs, talons et ils placent à côté d'eux le
filet qui leur a servi de lit. Pendant les pre-
miers jours , les parents vont déposer des vi-
vres sur la fosse; quelquefois même on ense-
velit avec le mort des aliments : ils se figu-
rent qu'il les mange et qu'il dort dans le filet
qu'ils ont placé près de lui.
Ces gens n'ont ni roi ni souverain ; cepen-
dant il y a un chef dans chaque village à qui
ils obéissent volontairement, mais non pas
parce qu'ils s'y croient obligés. A sa mort, son
fils lui succède; néanmoins il ne fait qu'aller
avec eux à la guerre et leur conseille com-
ment ils doivent combattre, sans pouvoir
les punir ni s'en faire obéir contre leur vo-
lonté. ^*.i ^
Les guerres qu'ils ont entre eux n'ont pas
pour cause la différence des lois et des cou-
tumes , ni des motifs d'intérêts : ils se bat-
tent parce qu'autrefois un Indien aura été
tué par un autre, ce qui arrive encore quel-
quefois; car, ainsi que je l'ai dit, ils sont
112 HISTOIRE DE L\ PROVINCE
très-vindicatifs, et vivent sans chef qui se fasse
craindre ou obéir. Les parents du mort se
réunissent contre le meurtrier et les siens,
et les poursuivent avec une haine mortelle ,
qui a fini par les diviser en différents par-
tis, et les a rendus ennemis les uns des autres
comme ils le sont à présent.
Pour que ces querelles ne soient plus si
communes à l'avenir, ils ont résolu d'y met-
tre un terme , de la manière suivante , afin
de conserver la paix entre eux et d'être plus
forts contre leurs ennemis. Ils ont décidé
que, lorsqu'un Indien en tuerait un autre,
les parents du mort se vengeraient et étran-
gleraient le coupable en public; qu'alorsceux-
ci devraient se trouver satisfaits, et qu'on vi-
vrait en paix et en amitié comme auparavant.
Mais comme cette loi est volontaire et qu'il
n'existe pas d'officiers de justice chargés de
la faire exécuter, plusieurs ne veulent pas
s'y soumettre; dans ce cas, ils se divisent
de nouveau en partis, comme je l'ai dit plus
haut.
DE SANCTA-CRUZ. Il3
Les Indiens habitent des hameaux qui n'ont
que sept ou huit maisons très-longues et
semblables à des corderies ou à des gre-
niers ; elles ne sont bâties qu'en bois, et
couvertes de feuilles de palmier et d'autres
plantes de même genre ; elles sont entièrement
remplies de monde, et chacun a sa place et son
hamac dans lequel il dort, et ils logent ainsi
deux ou trois ensemble. Au miheu est
un long corridor ouvert qui leur sert de
dortoir, et ressemble à l'entrepont d'une
galère. Ils vivent tous en paix dans ces
maisons sans avoir jamais de querelles ;
ils sont au contraire si amis ensemble que
qui l'est de l'un, l'est de tous, et quand l'un
d'eux a de quoi manger, quelque peu que ce
soit, il le partage avec tous ceux qui sont
autour de lui. ■ «fe-^*
Quand on va les visiter dans leurs villages,
quelques filles ëchevelées s'approchent du
voyageur et le reçoivent avec de grandes la-
mentations, versant beaucoup de larmes, et
Il4 HISTOIRE DE LA PROVINCE
\m demandant (si c'est un Indien ) (i) où il
est allé, et quelles fatigues il a éprouvées de-
puis son départ, lui représentant tous les
dangers qu'il aurait pu courir, cherchant pour
cela les expressions les plus tristes et les plus
touchantes qu'elles peuvent trouver, afin d'ex-
citer les autres à pleurer comme elles. Si c'est
un Portugais, elles plaignent le malheur des
morts qui n'ont pas assez vécu pour voir
des hommes si braves et si vaillants que les
Portugais , du pays desquels viennent toutes
lesbonnes choses; et elles nomment celles dont
elles font le plus de cas. Cette réception est
tellement usitée chez eux, qu'il est bien rare
qu'on y manque , excepté s'ils ont à se plain-
dre de celui qui vient les visiter ou s'ils mé-
ditent quelque trahison.
Leur grande parure est de se percer la
lèvre inférieure et d'y placer une pierre ob-
(i) Cette habitude des femmes brésiliennes de pleurer à l'ar-
rirée des voyageurs est confirmée par tons les historiens.
DE SANCTA-CRUZ. Il5
longue ; d'autres ont Ja figure pleine de
trous et de pierres , de manière qu'ils sont
affreux et difformes. On leur fait ces trous
quand ils sont tout petits; ils ont aussi l'ha-
bitude de s'arracher la barbe et ne pas lais-
ser un seul poil sur tout leur corps. Les fem-
mes tiennent beaucoup à leurs cheveux : elles
les portent longs, très-propres et très-bien
peignés, et généralement en tresses. Les hom-
mes et les femmes ont l'habitude de se teindre
avec le suc d'un fruit que l'on nomme geni-
pâpo ; d'abord il est vert , mais il devient très-
noir quand il est étendu sur la peau et qu'il
a eu le temps de sécher ; on a beau le laver,
la couleur ne s'en va pas avant le neuvième
jour.
Ils ont l'habitude de se marier avec leurs
nièces , filles de leurs frères ou de leurs
sœurs; ils les regardent comme leurs fem-
mes légitimes; le père ne peut les refuser, et
personne autre n'a droit de les épouser. Ils ne
font aucune cérémonie lors des mariages , ils
Il6 HISTOIRE DE LA PROVINCE
emmènent simplement leur femme avec eux
quand elle est parvenue à un certain âge; car
ils attendent qu'elle ait quatorze ou quinze
ans environ. Quelques-uns ont trois ou qua-
tre femmes , mais la première est plus esti-
mée que les autres ; c'est surtout l'usage des
chefs, et ils le regardent comme un luxe et
une gloire, et tiennent beaucoup à se distin-
guer en cela.
Il y a parmi eux des Indiennes qui font
vœu de chasteté ; elles ne veulent connaître
aucun homme, et n'y consentiraient pas
quand même on les tuerait. Celles-ci ne se
livrent à aucune occupation de leur sexe (i);
elles imitent en tout les hommes, comme si
elles avaient cessé d'être femmes; elles ont
(i) Ce fait important n'a été signalé, à ce que nous croyons ,
ni par-Lery, ni par Francisco d'Acunha. Thevet, Claude
d'Abbcviile , Le p. Yves d'Évreux , se taisent également sur ces
espèces d'amazones sauvages ; il ne faut pas les confondre avec
celles dont parlent Yves d'Évreux et plusieurs anciens voya-
geurs, et qui selon eux vivaient seules et formaient une tribu
à part.
DE SANCTA-CRIZ. 1 I -^
Jes cheveux coupes comme eux; et vont à
Ja guerre avec un arc et des flèches : elles
chassent avec les hommes. *
Chacune d'elles a une Indienne pour la ser-
vir, et avec laquelle elle dit qu'elle est mariée :
elles vivent ensemble comme des époux.
Quant aux autres, aussitôt après l'accou-
chement elles vont se baigner à la rivière , et
se portent ensuite aussi bien qu'auparavant.
Elles élèvent leurs enfants aussi facilement
qu'elles les mettent au monde ; au contraire
leurs maris se couchent dans leur hamac, et
elles les soignent et les visitent comme si c'é-
taient eux qui eussent enfanté. Cela vient de
ce qu'elles aiment beaucoup le père de leurs
enfants, etqu'elles désirent lui complaire après
êtreaccouchées. Elles gàtentextrêmementleurs
enfants, sans jamais les châtier, et les laissent
téter jusqu'à l'âge de sept ou huit ans, si
elles restent toutefois jusqu'à cette époque
sans en avoir d'autres , ce qui les met quel-
quefois dans la nécessité de sevrer les pre-
Iï8 HISTOIRE DE LA PROVINCE
micrs. Ils ne s'appliquent à aucune industrie
utile, et leur seule occupation est de cher-
cher avec leurs pères de quoi subsister, et
ceux-ci en ont soin jusqu'à ce qu'ils soient
en âge de pourvoir à leur existence, sans
qu'ils aient d'auti'C héritage ni légitime à en
espérer. En les élevant, ils font seulement
ce que la nature a inspiré à tous les ani-
maux qui n'ont pas l'usage de la raison.
Ils se procurent facilement de quoi vivre sans
qu'il leur en coûte beaucoup de peine, et
ils sont bien plus oisifs que nous. Ils ne
possèdent pas de terres et ne se soucient
pas d'en posséder, de sorte qu'ils vivent
sans cette avarice et cet amour des ri-
chesses qu'on trouve chez toutes les autres
nations : ainsi l'or, l'argent et les pierres
précieuses n'ont aucune valeur parmi eux , et
ils ne se servent de rien qui leur ressemble.
Les hommes et les, femmes vont entière-
ment nus, et ne couvrent aucune partie de
leur corps. Leurs lits sont des filets de co-
DE SANCTA-CRUZ. II9
ton que les Indiennes fabriquent sur des
métiers à leur manière : ils ont neuf ou dix
palmes de long ; on les attache avec des cor-
des aux deux bouts, et ils sont ainsi sus-
pendus à environ deux palmes au-dessus du
foyer , de manière qu'on peut faire du feu
pour se réchauffer pendant la nuit ou quand
cela convient. Les plantes qu'ils cultivent
dans leurs champs sont celles dont j'ai parlé
plus haut, savoir : le mandioca et le mais.
Ils mangent la chair de beaucoup d'ani-
maux qu'ils tuent à coups de flèches ou qu'ils
prennent au lacet et dans des fosses, ce qui
est leur manière la plus habituelle de chas-
ser. Ils se nourrissent aussi de coquillages et de
poissons qu'ils vont pêcher dans des Janga-
das : on nomme ainsi trois ou quatre perches
attachées ensemble et disposées à peu près
comme les doigts d'une main ouverte , et sur
lesquelles peuvent se placer deux ou trois
personnes, et plus si les perches sont en plus
grand nombre , car ces jangadas sont fort lé-
I20
HISTOIRE DE SANCTA-CRUZ.
gères et peuvent supporter un grand poids ;
elles ont quatorze ou quinze palmes de long
et environ deux de large.
Ces Indiens vivent ainsi sans avoir de fer-
mes ni faire de récoltes, sans honneurs et
sans pompe. Comme je l'ai dit, ils sont tous
égaux, leurs conditions sont en tout sembla-
bles, enfin dans ce pays l'on vit selon la
justice et les lois de la nature.
%
iê
CHAPITRE XI.
Des gueri'es que les Indiens ont entre eux et de leur manière
de combattre.
Ces Indiens ont continuellement de gran-
des guerres entre eux ; jamais ils ne font
la paix ; ils sont si haineux et si vindica-
tifs que la religion chrétienne , propagée
chaque jour par les pères de la compagnie
( de Jésus), pourra seule mettre fin à ces dis-
cordes. Ils se servent d'arcs et de flèches, avec
I 22 HISTOIRE UE LA PROVINCE
lesquels ils sont si adroits qu'ils manquent
bien rarement leur coup; ils les lancent
avec une grande promptitude ; ils sont hardis
dans le danger et intrépides contre leurs
adversaires. Quand ils vont à la guerre ils
paraissent toujours certains de la victoire
et de ne pas perdre un seul homme ; et en
partant ils disent, nous allons tuer nos
ennemis; sans autre discours ni considéra-
tion, et sans penser qu'ils peuvent aussi être
vaincus , animés seulement par la soif de
la vengeance, sans espérance de butin et sans
autres intérêts. Ils font de longs voyages dans
l'intérieur, traversent des forêts et des dé-
serts pour aller chercher leurs ennemis.
Quand ils veulent faire une expédition le
long de la côte, ils vont par mer sur de
petites embarcations qu'ils appellent canoas
( canots ). Ces bateaux sont faits d'un seul
tronc d'arbre , en forme de navette de tisse-
rand ; ils portent jusqu'à vingt ou trente
rameurs. Les Indiens en font d'autres de
DE SANCTA-CRUZ. J 23
même grandeur avec l'écorce d'un arbre, ils
résistent bien à la lame, et sont très-légers,
quoique moins sûrs, parce qu'ils coulent
à fond quand ils sont pleins, ce que ne
font pas ceux de bois, de quelque manière
qu'on les tourne. Quand un de ces canots se
remplit d'eau, les Indiens sautent à la mer,
le soulèvent pour le vider, et se rembarquent
pour continuer leur route.
Leurs combats sont très-acharnés, et ils se
battent vaillamment sans aucune arme dé-
fensive. C'est une chose très-extraordinaire
que de voir de part et d'autre deux ou trois
mille hommes nus se lancer des flèches
en poussant de grands cris , sautant légère-
ment d'un côté et de l'autre, afin que les
ennemis ne puissent pas les viser et diri-
ger sûrement leurs coups. Ils combattent
tumultueusement et sans ordre , sans avoir
ni chefs ni officiers qui les commandent
dans cette occasion. Quoiqu'ils soient pri-
vés de cet avantage, cependant ils prennent
124 HISTOIRE DE LA PROVINCE
de grandes précautions avant d'en venir aux
mains, et savent bien Choisir leur moment
pour attaquer les villages ennemis, ce qui
est ordinairement de nuit et à l'instant où
ceux-ci s'y attendent le moins. Quand ils ne
peuvent y entrer, parce que l'on aura fait à
l'entour une muraille de bois, ils en élèvent
une autre qu'ils approchent toutes les nuits
de dix ou douze pas jusqu'à ce qu'elle soit
assez près de la première pour qu'ils puis-
sent se blesser mutuellement en se jetant
des pieux de bois. Mais la plupart du temps
ce sont ceux du village qui restent vain-
queurs, et les assaillants retournent chez
eux, sans avoir obtenu le triomphe qu'ils es-
péraient, et cela, parce qu'ils n'ont ni ar-
mes défensives ni aucunes machines de
siège, et ne savent pas se mettre à l'abri
des coups de l'ennemi. Une autre raison de
leur défaite, c'est qu'ils croient aux présa-
ges, et que la moindre chose les fait renon-
cer à leurs résolutions. Ils sont en cela si
DE SANCTA-CRUZ. 125
inconstants et si pusillanimes, que souvent ,
après avoir quitté leur pays, très-décidés et
trèsKiésireux d'assouvir leur cruauté, s'ils ren-
contrent certain oiseau ou toute autre chose
qu'ils regardent comme étant de mauvais
augure , ils renoncent à leur dessein et s'en
retournent sans qu'il y en ait parmi eux
un seul qui s'y oppose. Ils perdent facile-
ment courage pour quelque sottise du même
genre, même quand ils sont presque sûrs
d'obtenir la victoire.
Il est arrivé qu'un village étant déjà pres-
que rendu , et qu'un perroquet ayant pro-
noncé certaines paroles qu'on lui avait en-
seignées , ils levèrent subitement le siège ,
et renoncèrent à un succès presque certain,
croyant que s'ils ne se retiraient pas ils
mourraient tous de la main de leurs enne-
mis. Mais, excepté leur pusillanimité à cet
égard , ils sont très-hardis, comme je l'ai
dit , et ils ont tant de confiance dans leur
valeur, que le nombre de leurs ennemis ne
%
126 HISTOIRE DE LA PROVINCE
les épouvante jamais et ne peut éteirtdfé
leur désir de vengeance. Je veux à ce propos
conter quelques événements arrivés parmi
eux, et j'en omettrai un grand nombre d'au-
tres, qui pourraient former un gros volume
s'il entrait dans mon plan de les rapporter
chacun en particulier.
Dans la capitainerie de Sam - Vicente, sous
le gouvernement de Jorge Ferreira , un
village, non loin des établissements portu-
gais, fut assailli par les ennemis, et le
fils d'un des principaux fut tué dans l'at-
taque. Gomme il était fort aimé de tout le
monde, il n'y eut personne qui ne le pleU"
ràt, et ils montraient, par leurs larmes et
leurs paroles de regret, la douleur qu'ils
avaient de sa perte. Mais le père , outré et
offensé de ne pas l'avoir encore vengé , pria
tous ses amis de cacher la mort de son
fils et de ne pas le pleurer. Trois ou qua-
tre mois après, il réunit tout son monde,
croyant le moment favorable pour effectuer
DE SANCTA-CRUZ. 12»^
son projet , et tous répondirent à son ap-
pel. Au bout de quelques jours, il entra
sur les terres des ennemis ; elles pou-
vaient être éloignées d'environ trois jour-
nées. Il s'établit prés d'un village, dans
l'endroit d'où il croyait pouvoir attaquer
plus facilement. Quand la nuit fut arri-
vée, il s'éloigna des siens avec dix ou
douze archers, en qui il avait le plus de
confiance , et il er^tra avec eux dans le village
des ennemis qui l'avaient offensé, et, lais-
sant ses amis derrière lui , il s'avança seul et
commença à examiner les maisons les unes
après les autres, avec beaucoup de précau-
tion, de manière à n'être pas aperçu. Grâce
à l'usage qu'ils ont de vivre ensemble , il
réussit à savoir quel était celui qui avait tué
son fils et où il se trouvait. Pour en être
plus sur, il s'approcha tout près de sa mai-
son, et après s'être assuré du fait, il se cou-
cha par terre en attendant que tout le mon-
de fût tranquille. Dès qu'il vit que l'in-
128 HISTOIRE DE LA PROVINCE
stant était prospice , il rompit une des feuil-
les de palmier dont la maison était couverte,
allant droit au meurtrier de son fils, lui
coupa la tète avec un couteau qu'il avait
apporté à cet effet, l'emporta et se sauva. Les
Indiens , réveillés par les convulsions et les
ràlements du mort, s'aperçurent de la pré-
sence d'un ennemi et le poursuivirent; mais ses
compagnons, qu'il avait laissés dehors , et qui
étaient sur leurs gardes, en tuèrent un grand
nombre qui sortaient de leurs maisons et
se retirèrent en combattant jusqu'à la forêt,
d'où le reste chargea avec fureur ceux qui
les poursuivaient, et ils en massacrèrent un
bien plus grand nombre. Après avoir rem-
porté cette victoire, ils retournèrent chez
eux très-joyeux et très-satisfaits. La première
chose que fît, en arrivant au village , le
chef qui apportait la tête de son ennemi, fut
de la placer sur un pieu au milieu de la
place publique, en disant ces mots : Mes
amis , à présent que j'ai vengé la mort de
DE SANCTA-CRUZ. I 29
mon fils et que j'ai apporté la tête de son
meurtrier, je vous donne la permission de
le pleurer , car auparavant c'est sur moi que
vous auriez dû verser des larmes, puisque vous
pouviez croire queje négligeais ma vengeance,
ou même qu'accablé par le poids de mon
malheur , j'y avais renoncé , étant celui qui
devais être le plus affligé de sa mort. De-
puis lors ce chef ne cessa d'être redouté , et
son nom devint célèbre dans tout le pays.
Un autre événement, non moins extra-
ordinaire , arriva entre Porto - Seguro et
Spirito - Sancto , dans la guerre où fut tué
Fernano de Sa, fils de Mem de Sa, qui
était alors gouverneur-général de cette pro-
vince. Les Portugais, s'étant emparés d'un vil-
lage à l'aide de quelques Indiens, nos alliés,
s'approchèrent d'une maison pour faire pri-
sonniers ceux qui s'y trouvaient, comme
ils avaient déjà fait des autres habitants.
Mais ceux - ci, décidés à mourir, résolurent
d'en défendre fentrée ; les assaillants, voyant
II. 9
l3o HISTOIRE DE LA PROVINCE
qu'ils ne voulaient pas se rendre, les mena-
cèrent, s'ils ne le faisaient, d'incendier la
maison. Cette menace ne servant à rien , et
ceux qui gardaient la maison étant ré-
solus de tuer tous ceux qui approche-
raient, on y mit réellement le feu. La mai-
son brûlait déjà , quand leur cacique ,
voyant qu'il n'avait aucun espoir de se sau-
ver, ni de se venger, s'élança sur un
chef des ennemis , qui passait près de là ,
le saisit avec tant de force qu'il ne put
échapper de ses mains, et l'entraîna avec
lui au milieu des flammes, qui les consu-
mèrent ainsi que tous ceux qui y étaient
renfermés, sans qu'il en échappât un seul.
A pareille époque et au même endroit ,
un Portugais ayant donné à un Indien un
si violent coup de revers qu'il le coupa
presqu'en deux, celui-ci tomba expirant,
mais avant de rendre le dernier soupir il
prit un brin de paille qui se trouvait près
de lui, et le jeta à celui qui l'avait blessé,
DE SANCTA-CRIJZ. l3l
comme s'il eût voulu lui dire : « Vois mon
intention, car je ne peux me venger autre-
ment de toi.» D'où l'on peut conclure que ce
qui les tourmente le plus au moment d'ex-
pirer, c'est le regret de ne pouvoir se ven-
ger de leurs ennemis.
CHAPITRE XII.
De la mort que les Indiens infligent à leurs prisonniers, et de
leur cruauté envers eux.
Un des actes de ces Indiens, qui répugnent
le plus à la nature humaine et en quoi ils
diffèrent davantage des autres hommes , ce
sont les grandes cruautés qu'ils exercent
sur toutes les personnes étrangères à leur
tribu, dont ils peuvent se rendre maîtres. Car
non-seulement ils leur font subir une mort
l34 HISTOIRE DE LA PROVINCE
cruelle dans le moment où ils sont le plus
libres et le plus éloignés de toute appréhen-
sion, mais ils dévorent ensuite leur chair
avec tant de barbarie, qu'ils surpassent en
cela même les animaux féroces qui sont nés
sans avoir l'usage de la raison et sans éprou-
ver de la pitié.
Quand ils parviennent à s'emparer d'un
de leurs ennemis, loin de le tuer sur-le-
champ , ils l'emmènent dans leur pays
pour savourer leur vengeance. Dés que
les habitants du village apprennent qu'il
arrive un captif, ils vont au-devant de lui
à plus d'une demi -lieue et le reçoivent
avec des injures et des insultes , au son de
flûtes fabriquées avec les os des jambes d'au-
tres ennemis qu'ils ont fait périr de la mê-
me manière. En arrivant au village , ils le
promènent en triomphe d'un endroit à l'au-
tre, et lui attachent sous les aisselles une
corde en coton , faite exprès pour cet usage,
très-forte à l'endroit qui l'entoure, et dont
DE SANCTA-CRUZ. l35
le nœud est si artistement fait qu'il ne peut
être dénoué que par celui qui l'a arrangé.
L'on attache les deux bouts , qui sont très-
longs , de manière à ce qu'il ne puisse pas
s'enfuir pendant la nuit. On le met dans
une maison et près de lui on tend un ha-
mac; aussitôt qu'il s'y est placé les injures
cessent et personne ne lui adresse plus une
seule parole insultante. On lui donne pour
femme une fille jeune , belle , et des plus
vertueuses du village; elle est chargée de
lui donner à manger et de le surveiller, de
sorte qu'il ne peut aller nulle part sans
qu'elle l'accompagne. Après l'avoir gardé ain-
si un an ou pendant tout le temps qu'ils
désirent , en le traitant très-bien, ils se déci-
dent à le tuer.
Quelques jours avant sa mort, ils prépa-
rent beaucoup de vaisselle neuve pour fêter
et exécuter leur vengeance , et ils fabriquent
une boisson avec le suc d'une plante qu'ils
nomment aïpim , et dont j'ai parlé plus haut.
l36 HISTOIRE DE LA PROVINCE
On bâtit ensuite au prisonnier une maison
neuve , où il va demeurer. Le matin du jour
où il doit mourir on l'en fait sortir avant
le lever du soleil puis on le mène se baigner à
la rivière , en chantant et en dansant. Quand
il est de retour , on le conduit à la place du
village : là on lui attache la corde autour
de la ceinture , et deux ou trois Indiens s'em-
parent des deux bouts. On lui laisse les deux
mains libres, pour sa défense, et l'on place
près de lui un tas d'une espèce de pom-
me très-dure de la grosseur des oranges afin
qu'il puisse les jeter à qui il voudra (i). L'In-
dien chargé de le tuer est toujours un des
plus vaillants et des plus considérés du pays,
et c'est une faveur et une marque de dis-
tinction que d'être choisi pour cet office.
Celui-ci commence par se couvrir tout le
corps de plumes de perroquets et d'autres
(i) Ces fruits étaient remplacés dans certain» villages par des
pi«rr«s «t des tessons.
DE SANGTA-CRIJZ. ï 37
oiseaux de diverses couleurs . accoutré de
cette manière , il s'avance suivi d'un Indien
qui porte son épée sur un grand plat. Elle
est faite d'un bois très-lourd et très-dur, en
forme de massue, et le bout ressemble un
peu à une pelle. Lorsqu'il approche du pa-
tient, il la saisit et fait le moulinet avec
cette arme en la passant sous ses bras et
sous ses jambes. Après cette cérémonie, il
s'éloigne un peu, et commence à adresser
au prisonnier un discours en forme de ser-
mon, l'exhortant à se défendre vaillamment,
afin qu'on ne dise pas qu'il est mort en
homme faible , efféminé et de peu de cœur :
qu'il se rappelle combien de braves ont
péri ainsi de la main de leurs ennemis , et
non pas dans leur lit, tels que de faibles fem-
mes qui ne sont pas nées pour une fin aussi
glorieuse. .' .
Si le prisonnier est un homme de cœur,
et s'il ne perd pas courage dans cette occa-
sion, comme le font quelques-uns, il ré-
l38 HISTOIRE DE LA PROVINCE
pond avec orgueil et fierté : « Vous avez rai-
son de me tuer ; car j'ai traité de même
vos parents et vos amis, et, s'ils sont ven-
gés par ma mort , sou venez- vous que mes
amis et mes parents me vengeront aussi,
et vous traiteront vous et vos descendants de
la même manière. » Quand il a dit tout cela
et d'autres choses semblables, l'exécuteur s'ap-
proche de lui, tenant à deux mains son épée
levée et fait plusieurs fois semblant de le
frapper. Le misérable patient voyant cette
épée entre les mains de son mortel ennemi,
fixe les yeux sur cette arme redoutable
et se défend du mieux qu'il peut. Il arrive
quelquefois qp'ils luttent corps à corps et
qu'il maltraite l'exécuteur avec sa propre
épée. Mais cela est rare , parce que les as-
sistants s'empressent de l'arracher de ses
mains. Ce dernier prend ordinairement si
bien son temps, qu'il lui brise la tète d'un
seul coup. A l'instant une vieille Indienne, qui
se tient toute prête avec une calebasse à la
DE SANCTA^CRUZ. _ iSg
main, accourt pour recevoir le sang et la
cervelle. Aussitôt qu'il est mort , on le coupe
en morceaux, et tous les chefs qui se trou-
vent là en emportent un pour régaler les
gens de leur village. Ils font tout cuire et
rôtir, et il n'en reste rien qui ne soit dé-
voré par les gens du pays. Mais l'exécuteur
n'en mange pas, et se fait scarifier par tout
le corps ; et ils croient qu'il mourrait lui-
même s'il ne se tirait du sang après avoir
rempli son office. Ils font fumer un bras, une
jambe ou quelque autre partie du corps du cap-
tif, et la gardent ainsi pendant plusieurs mois.
Lorsqu'ils veulent la manger, ils célèbrent les
mêmes fêtes et renouvellent par les mêmes
cérémonies le souvenir de leur vengeance.
Quand une fois ils ont mangé de la chair
de leurs ennemis, ]a haine devient éternelle;
car c'est une injure qu'ils ne pardonnent
pas, et ils cherchent toujours à se venger les
uns des autres, comme je l'ai dit. Si la femme
qu'ils ont donnée au captif est enceinte , ils
l4o HISTOIRE DE LA PROVINCE
tuent l'enfant après sa naissance et le man-
gent, sans que personne parmi eux ait
pitié d'une mort aussi injuste : et les père
et mère de la femme, qui devraient le
plus regretter cette mort, sont ceux qui
en mangent le plus volontiers , disant que
c'est le fils de son père et qu'ils se vengent
de lui. Ils ne croient pas que cet en-
fant ait rien de sa mère ou qu'il y ait le
moindre mélange de leur sang, et voilà pour-
quoi ils donnent une femme à leur prison-
nier; car ils sont si barbares, qu'ils ne se croi-
raient pas assez vengés du père s'ils ne se ven-
geaient aussi sur cette innocente créature.
Souvent la mère, prévoyant cette cruau-
té, fait périr son fils et l'empêche de ve-
nir à terme ; il arrive aussi quelquefois
qu'elle s'attache tant à son mari , qu'elle s'en-
fuit avec lui dans son pays pour le délivrer
de la mort , et il existe encore aujourd'hui des
Portugais qui ont échappé de cette manière.
Mais tous ceux qui ne peuvent se sauver
DE SANCTA-CRUZ. l4l
ainsi ou par une autre ruse, sont sùi*s de
ne pas éviter la mort, car ils n'accor-
dent jamais de grâce à un ennemi , homme
ou femme, et aucune richesse du monde ne
les ferait renoncer à leur vengeance. Néan-
moins , quand un chef ou un autre habitant
du village se marie avec une esclave faite
sur l'ennemi, ce qui n'est pas rare, ils lui
donnent la liberté -et renoncent à leur ven-
geance par amour pour celui qui l'a épou-
sée. Après la mort de cette femme ils lui
brisent la tête pour assouvir leur ven-
geance, ce dont le mari ne s'offense point.
Mais quand elle a des fils , ceux-ci ne per-
mettent à personne d'approcher leur mère,
et gardent son corps jusqu'au moment de
l'enterrer.
Il y a encore dans ce pays une autre tri-
bu d'Indiens plus féroces et moins civilisés
que ceux-ci; on les nomme Aimores (i). Ils
(i) Ce sont les Indiens désignés maintenant sous le nom de
Botocoudos.
l/^2 HISTOIRE DE LA PROVINCE
courent la côte comme des bandits, et sont
venus vers i555 s'établir dans l'intérieur , de-
puis la capitainerie de Os-Ilheos jusqu'à celle
de Porto-Seguro. Ils habitent ce pays de pi é-
férence , parce que la disposition du terrain
leur est plus favorable tant à cause de l'é-
tendue des forêts, qui favorise les em-
buscades, qu'à cause de la grande quantité
de gibier qu'on y trouve, et qui forme leur
principale nourriture. Les Aimores, d'une plus
hautestaturequelesautreslndiens,parlentune
langue tout-à-fait différente. Ils vivent comme
des bètes fauves, dans les bois, sans avoir ni
villages ni maisons. Ils sont très -robustes,
ont des arcs très-longs, très-forts, propor-
tionnés à leur stature, et des flèches de même.
Ces espèces de bédoin s ont fait beaucoup de
mal depuis qu'ils sont venus s'établir dans
ces capitaineries ; ils ont tué beaucoup de
Portugais et des esclaves, car ils sont très-
barbares et ennemis de tout le monde. Ils
ne se battent pas en rase campagne , et n'ont
: DE SANCTA-CRUZ. 1 ^^
pas assez de courage pour cela ; mais ils
s'embusquent au coin d'un bois, près d'un
chemin, et quand quelqu'un vient à passer,
ils lui percent le corps d'une flèche sans ja-
mais manquer leur coup. Les femmes por-
tent de gros bâtons en forme de massue , et
les aident à tuer leurs ennemis quand l'oc-
casion s'en présente. Jusqu'à présent on n'a
trouvé aucun moyen de détruire ces per-
fides, parce qu'ils font leur coup quand ils
trouvent un moment favorable, et se ré-
fugient ensuite dans les forets. Ils sont
si agiles et si adroits que, quand on les
poursuit dans leur retraite , au moment où
on croit les saisir on en trouve d'auti^es en
embuscade qui massacrent ceux qui ne se
tiennent pas bien sur leurs gardes, et de
cette manière ils tuent quantité de monde.
C'est pourquoi les Portugais et les Indiens
les craignent beaucoup , et dans les pays où
il y en a , personne ne va par terre à sa ferme
sans être accompagné de quinze ou vingt
l44 HISTOIRE DE LA PROVINCE
esclaves, armés d'arcs et de flèches pour pou-
voir se défendre. Ils vivent ordinairement
dispersés , mais quand ils veulent se réunir
ils s'appellent en sifflant comme les singes
ou comme les moineaux, et s'entendent et
se comprennent entre eux sans qu'on puisse
les comprendre. Ils ne font quartier à per-
sonne , et sont si prompts et si expéditifsdans
leur vengeance, que quelquefois ils coupent
des morceaux de chair à un homme encore
vivant et les font rôtir ainsi devant ses yeux.
En un mot, ces sauvages sont plus sangui-
naires et plus cruels qu'il n'est possible de
l'exprimer. Les Portugais en ont pris quel-
ques-uns ; mais ils sont si barbares et d'un
caractère si farouche, qu'ils n'ont jamais pu
les apprivoiser., et on n'en trouve aucun
parmi les esclaves, ne pouvant pas, comme
les autres Indiens, se soumettre à la sujé-
tion.
Sur la rive occidentale du Maranham ,
vers le deuxième degré de latitude , habite
DE SANCTA-CRUZ. 1^5
une nation nommée Tapuyas , qui prétend
être de la même race que ces Aimorés,
ou du moins leurs frères d'armes , et quand
ils se ' rencontrent, ils ne se font pas de
mal. Ces Tapuyas ne mangent pas la chair
de leurs prisonniers ; ils sont au contraire
les ennemis mortels de ceux qui ont cet
usage , et ils les poursuivent avec fureur.
Mais ils ont une autre coutume contre nature
plus affreuse, plus diabolique et plus digne
d'exécration.
Quand l'un d'eux est tellement malade
qu'il ne peut en revenir, son père, sa mère,
ses frères, ses sœurs, ou bien ses proches
parents , le tuent de leurs propres mains ,
croyant lui témoigner ainsi plus de pitié
qu'en le laissant se débattre avec la mort
et se consumer lentement. Ce qui est pis
encore, ils font cuire et rôtir sa chair et
la mangent , disant qu'ils ne veulent pas
qu'une chose aussi vile et aussi méprisable
que la terre, dévore les chairs de celui qu'ils
10
l46 HISTOIRE DE SANCTA-CRUZ.
aiment, et que, puisqu'il est leur parent et
qu'ils ont tant de raison de l'aimer , la se--
pulture la plus honorable qu'ils puissent lui
donner, est leur propre corps, où ils le con-
serveront toujours ( I ).
Comme mon intention est de traiter seu-
lement des Indiens qui habitent le long de
la côte, et avec lesquels les Portugais ont
des communications journalières , je n'ai pas
voulu décrire les coutumes des autres na-
tions, croyant que ce serait témérité et dé-
faut de prudence que de parler, dans une his-
toire aussi véritable, de choses qui pour-
raient se trouver fausses, tant nous avons
peu de connaissance des mœurs de celles
qui vivent dans l'intérieur.
(i ) Ce fait curieux est attesté par l'auteur du Roteiro do Brasil
de la bibliothèque royale, qu'on peut, selon M. Ferdinand Denis,
attribuer à Francisco d'Acunha. Moreau et Roulox Baro en font
aussi mention.
CHAPITRE XIII.
Des succès que les pères de la compagnie {de Jésus) ont obtenus
en prêchant la doctrine chrétienne dans ce pays.
Les pères de la compagnie de Jésus pos-
sèdent des maisons dans toutes les capitai-
neries de cette province, et ils ont. fondé
chez les Indiens soumis des églises où ré-
sident quelques pères, pour les instruire
dans la doctrine chrétienne , qu'ils reconnais-
sent sans difficulté. Comme ils n'ont ni loi
l48 HISTOIRE DE LA PROVINCE
ni culte, il leur est très-facile d'adopter les
nôtres ; mais aussi ils les abandonnent pour
le plus léger motif et s'enfuient dans l'inté-
rieur, après avoir été baptisés et instruits
dans notre religion. C'est pourquoi les pères,
voyant leur grande inconstance et leur peu
de disposition à observer les commande-
ments de Dieu , principalement quand ils
sont vieux; car alors la doctrine a plus de
peine à germer, préférèrent s'occuper des
enfants, qu'ils instruisent dès leur plus ten-
dre jeunesse , dans l'espoir qu'avec le temps
et l'aide de Dieu ils pourront répandre la
i^ligion chrétienne dans toute cette pro-
vince, et que notre sainte foi catholique y
sera aussi florissante que dans tout le
reste de la chrétienté. Pour ne pas perdre
le fruit de leur enseignement , et mieux
propager leur doctrine , les pères ont ré-
solu d'éviter toutes les occasions qui pour-
raient être de notre part un sujet de scan-
dale,un empêchement, ou causer un préjudice
DE SANCTA-GRLZ. l49
à la conscience des habitants du pays; car,
comme les Indiens désirent avec passion plu-
sieurs choses, qui viennent de Portugal, telles
que des chemises, des casaques, de la quincaille-
rie et d'autres objets de ce genre , ils se ven-
daient les uns les autres aux Portugais pour en
avoir. Quelquefois ceux-ci les enlevaient tant
qu'ils le pouvaient, et leur faisaient toutes
sortes de dommages, sans que personne les
en empêchât. Mais maintenant ces abus ont
cessé , et l'on ne fait plus de pareils mar-
chés; car, lorsque lespèresont vu les désordres
qu'ils occasionnaient , et le tort qu'ils fai-
saient à la loi de Dieu, ils les ont défendus
et ont empêché les descentes que les Portu-
gais avaient l'habitude de faire le long de la
côte, ce qui chargeait beaucoup leur con-
science, car ils s'emparaient des Indiens con-
tre tout droit, et leur faisaient une guerre
injuste. Pour obvier à tous ces inconvénients,
les pères ont obtenu des capitaines et gou-
verneurs du pays, qu'il n'y eût plus de
l50 HISTOIRE DE LA PROVINCE
commerce de ce genre avec les Indiens, et
qu'aucun Portugais ne pût aller à leur vil-
lage sans une permission du gouverneur
lui-même; et ils ont donné des ordres en
conséquence; et si quelqu'un contrevient à
cette défense ou maltraite les indigènes après
avoir obtenu une permission, ils ont soin
de le faire châtier conformément à son dé-
lit. Pour éviter toute fraude, quand on
amène des esclaves de l'intérieur ou d'une
capitainerie à l'autre, on les conduit d'abord
à la douane, et là on les examine, et on leur
demande qui les a vendus et achetés; car per-
sonne ne peut les vendre, excepté leurs pères
et mères, qui le font quelquefois par nécessité,
ou ceux qui les ont pris à la guerre , et on re-
met en liberté ceux qu'on croit injustement
réduits en esclavage. Aussi tous les esclaves
ne se vendent qu'à bon droit, ce qui n'em-
pêche pas les habitations de prospérer.
Les pères ont fait et font encore tous les
jours, une foule de bonnes actions et d'œu-
DE SANCTA-CRXJZ. l5l
Vies pies, et l'on ne peut avec raison leur
refuser des louanges; mais ces actes sont si
nombreux et si connus dans le pays, que je
n'ai pas besoin de m'étendre sur ce sujet.
Il me suffira de dire que tout le monde les
trouve saints et bons, et qu'ils n'ont d'au-
^ tre but que le service de Dieu, de qui seul ils
espèrent la récompense de leurs vertus.
CHAPITRE XIV.
Des grandes richesses qu'on espère trouver dans l'intérieur.
Non-seulement la province de Sancta-Cruz
est très-fertile et très- abondante en vivres,
comme je l'ai dit plus haut , mais elle est aussi
fort riche, et l'on a de grandes espérances d'y
trouver beaucoup d'or et de pierres précieuses.
On les a découverts et on s'est assuré de leur
existence, par les rapports des Indiens de Fin-
|54 HISTOIRE DE LA PROVINCE
tërieur. N'ayant pas de terres cultivées qui
les retiennent dans leur patrie, ils sont sans
cesse occupés à chercher des habitations nou-
velles, croyant gagner ainsi l'immortalité et le
repos éternel (j). Il arriva que quelques-uns
d'entre eux quittèrent leur pays, et s'enfoncè-
rent dans l'intérieur. Après quelques journées
de marche, ils rencontrèrent d'autres Indiens,
leurs ennemis, à qui ils firent une guerre
cruelle; mais ceux-ci, étant très-nombreux,
les vainquirent. Ne pouvant retourner dans
leur patrie, ils s'enfoncèrent encore davan-
tage dans les terres. La fatigue et la misère en
firent périr un grand nombre, et ceux qui sur-
vécurent arrivèrent dans un pays où il y avait
de grandsvillages, unepopulation nombreuse,
(i) Celte histoire est fort singulière, mais ceqni l'est presque
autant , c'est qu'elle se trouve tout au long dans l'ouvrage du
père Simon (Nolicias historiales de' iierra Jirme . Cuenca, 1C2G,
folio noticia VI, capw I); il place cet événement vers i5ft>,
et dit que ce furent les rapports de ces Indiens qui dëtenninè-
rent le gouverneur à faire partir une expédition de découverte
à 1* tête de laqpielle il plaça Pedro de Ursua,
DE SANCTA-CRUZ. l55
et tant de richesses qu'ils affirmèrent qu'il y
avait de très-longues rues habitées par des gens
dont l'unique occupation était de travailler
l'or et les pierreries. Ils y passèrent quelques
jours, et les habitants, leur voyant des
outils de fer qu'ils possédaient, leur deman-
dèrent d'où ils les avaient eus et comment ils
étaient venus entre leurs mains. Nos Indiens
répondirent qu'ils les tenaient d'hommes bar-
bus qui habitaient la côte orientale, leur don-
nant encore d'autres indications pour désigner
les Portugais. Ceux-ci leur dirent, parlant
sans doute des Espagnols du Pérou, qu'ils
avaient entendu dire que, sur la côte opposée,
il y avait aussi des hommes semblables. Ils
leur firent présent de boucliers garnis d'or
et d'émeraudes, les priant de les emporter
dans leur pays, et d'annoncer qu'ils étaient
prêts à échanger des choses de ce genre contre
des outils de fer, et disposés à bien recevoir
ceux qui voudraient traiter avec eux.
Etant partis de là, ils parvinrent à la ri-
l56 HISTOIRE DE LA PROVINCE
vière des Amazones , s'embarquèrent sur tics
canots qu'ils construisirent, et, après une na-
vigation de deux années , ils arrivèrent dans
la province de Quito, habitée par les Cas-
tillans. CeuxKîi , voyant que c'était une nation
inconnue, s'étonnèrent fort, ne sachant pas
qui ils étaient, ni d'où ils venaient. Mais quel-
ques Portugais qui se trouvaient là les re-
connurent pour des habitants de la province
de Sancta-Gruz; les ayant questionnés sur
le but de leur voyage, ils leur racontèrent
avec de grands détails tout ce qui leur était
arrivé. Nous en avons eu connaissance tant
par les Espagnols du Pérou , qui ont acheté
ces boucliers à un prix très-élevé , que par
les Portugais qui étaient chez eux quand
cela arriva. Il y a dans ce royaume des per-
sonnes d'autorité et dignes de foi , qui assu-
rent qu'elles leur ont entendu dire tout ce
que je viens de raconter. Mais il est certain
que ce pays est situé dans le domaine du roi
de Portugal, et plus près , sans comparaison ,
DE SANCTA-CRUZ. l5'J
des colonies portugaises que des colonies es-
pagnoles; ce qu on voit clairement par le peu
de temps que les Indiens mirent à y arriver,
et par le long voyage qu'ils firent de là aux
possessions espagnoles, qui fut, comme je l'ai
dit, de près de deux ans.
Outre l'assurance que nous tirons de ce rap-
port, beaucoup d'Indiens affirment qu'il y a
une grande quantité d'or dans l'intérieur. On
peut les croire en cela , car tous , et dans les
différentes provinces, sont d'accord sur ce
point, et il est très-connu parmi eux, qu'il
existe dans l'intérieur un lac où la rivière de
Sam-Francisco , dont j'ai parlé plus haut,
prend sa source.Ils disent que, dans les îles qu'il
renferme et sur ses bords, on trouve de grands
villages où il y a beaucoup d'or et en plus grande
quantité, suivant eux, que dans aucune autre
partie du pays. Les Espagnols ont découvert
dans l'intérieur, non loin du Rio de la Plata ,
une mine dont le minerai a été porté au Pé-
rou , et de chaque quintal on a tiré cinq cent
l58 HISTOIRE DE LA PROVINCE
soixante - dix cruzades (i), et d'une autre
mine trois cents et plus, et il y en a en outre
une grande quantité de cuivre.
Ilsonttrouvé aussi d'autres mines de pierres
blanches, vertes, et d'autres couleurs diver-
ses , qui sont à cinq ou six pans comme
les diamants, et travaillées par la nature
comme si «les l'étaient de la main des
hommes. Ces pierres se forment dans une es-
pèce de vase de la grandeur d'une noix de
coco, au nombre de plus de quatre cents
enchâssées dans la masse et dont les pointes
sortent en dehors. Quelques-unes de ces pierres
sont encore imparfaites, car on dit que quand
la masse est parfaite , elle éclate avec un bruit
tel qu'on croirait entendre une armée entière
tirer des coups de fusil , et les pierres sont
lancées avec tant de violence qu'elles s'enfon-
cent d'un ou deux estadio dans la terre (2). Je
(i) La creuzade vieille , monnaie réelle, vaut 3 fr. 3o cent.
(î) Le estadio représente la toise ancienne ou 6 pieds.
DE SANCTA-CRUZ. iSq
ne parle pas de leur valeur, parce qu'on ne la
connaît pas encore; mais je sais que, dans
cette province, on trouve beaucoup de pierres
et de minéraux dont on pourra tirer une ri-
chesse infinie. Que Dieu permette qu'on les
découvre tous de nos jours ; car la gloire de la
couronne en sera beaucoup augmentée, et nous
espérons bientôt (par la faveur divine) nous
voir dans un état si prospère que nous n'au-
rons plus rien à désirer.
FIN.
TABLE ANALYTIQUE
DES MATIERES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
Pages.
Préface de l'Editeur français 3
Avertissement au lecteur g
Chap. P'. — De la découverte de cette province , et de
la raison pour laquelle on doit la nommer Sancta-
Cruz , tt non le Brésil i5
Chap. 11. — Dans lequel on décrit la situation et les avan-
tages de cette province 28
Chap. III. — Des capitaineries et des colonies portugaises ,
établies dans cette province 3iJ
Chap. IV. — Du gouvernement, des mœurs et coutumes
des habitants des capitaineries 47
Chap. V. — Des plantes , des vivres et des fruits de cette
province 5i
n. II
162 TASLU DKS MATIÈRES.
f'ajes.
(}uAP. VI. — Des animaux et des reptile» venimeux de cette
province 65
Chàp. \II. — Des oiseaux de ce pays 8i
Chap. Vlll. — De. quelques poissons remarquables , des ba-
leines et de l'ambre 91
Chap. IX. — IJu monstre marin tué dans la capitainerie
de Sam-Vicente, en i564 101
Chap. X. — Des habitants de la province , de leurs mœurs
et coutumes , et de leur gouvernement en temps de
paix 108
Chap. XI. — Des guerres que les Indiens ont entre eux
et de leur manière de combattre 121
Chap. Xll. — De la mort que les Indiens infligent à leurs
prisonniers, et de leur cruauti envers eux i35
Chap. XIII. — Des succès que les pères de la compagnie
{de 7wuj ) ont obtenus en prêchant la doctrine chré-
tienne dans ce pays 147
Chap. XIV. — Des grandes richesses qu'on espère trouver
dan» l'intérieur i53
FIN DE LA TABLE DKS MATIERES.
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