Skip to main content

Full text of "Voyages, relations et mémoires originaux pour servir"

See other formats


/ 


-? 


VOYAGES, 

ORIGINAUX  ' 

PODR  SERVIR  A  LHISTOIRE  DE  LA  DÉCODVERTE 

DE  L'AMÉRIQUE. 

13512  Magalhanes  de  GandaTo,  P.  de,  Histoire  de  la  province  de  Sancta- 
Cruz,  que  nous  nommons  ordinairement  Le  Brésil.  (Lisbonne  1576.) 
Paris  1837.     Timbre  sur  la  titre.  22 

v>r,>.ué  nonr  la  crémière  fois  en  français  par  H.  Ternaux. 


IMPmiMERIE  ET   FOWDEBIE  DE   F  Ail», 

RUE  BACIKK,   4.    >■'•*"   "^   LODÉOB. 


IL 


VOYAGES, 

ORIGINAUX 

PODR  SERVIR  A   L'HISTOIRE   DE  LA  DÉCODVERTE 

DE  L'AMÉRIQUE, 

PUBLIÉS  POUR  LA  PREMIÈRE  FOIS  EN  FRANÇAIS, 
PAIL    HENRI    TKRBTAUX. 


HISTOIRE 
DE   LA   PROVINCE   DE   S  A  If  C  T  A -C  R  D  Z  , 

PAR    PERO    DE    MAGALHANES    DE  GAINDAVO. 


MSBOnRÏ 


.  —  1576. 


pa:rt©. 


ARTHUS  BERTRAND,  I.  IBR  A  IRE-ÉDITEUR 

IIRRAIRE    DE    I.A     SOCIÉTÉ     DE    uÉOGRAPHie     DE     PARIS, 
RUE    BADTIFEUILLE,     No         33. 


M.    DCCC    XXXVII. 


:.? 


1^1 


SANTA  BABBAKA 


BISTOIBE  , 

DE    LA 

QUE  NODS  NOMMONS  ORDINAIREMENT 

LE  BRÉSIL, 

FAR  FEKO   DE  M AGALH AZff ES   DE   GANDAVO, 

dÉdiÉb 
AU  TRÈS-ILLUSTRE    SEIGNEUR   D.   LIONIS  PEREIRA, 

ANCIEIV    GOUVERNEUR     DE    MALACCA 
ET    UB    PLUSIEURS    PARTIES    DE    l'inDE    MERIDIONALE. 


LISBONIVE,  A.   GONSALVEZ.  —  1576. 


PREFACE 
DE  LÉDITEUR  FRANÇAIS 


Pero  de  Magalhanesde  Gandavo,  auteur  de  l'histoire 
du  Brésil  dont  npus  publions  aujourd'hui  la  traduc- 
tion, naquit' à  Braga  vers  le  milieu  du  XVP  siècle. 
Barhosa  Machado  {Bibliotheca  Lusitana ^  t.  III), 
rapporte  qu'il  était  fils  d'un  Flamand ,  et  qu'après 
avoir  passé  quelques  années  au  Brésil  il  revint  dans 
sa  patrie,  et  s'établit  dans  la  province  d'Entre  Douro- 
E.-Minho ,  où  il  se  maria  et  employa  le  reste  de 
sa  vie  à  la  direction  d'une  école  qu'il  avait  fondée.  De 
Magalhanes  a  publié  aussi  un  ouvrage  intitulé  JRegras 
que  ensinào  a  maneira  de  escris^er  a  ortograjia  da 
lingoa  Portuguesa  com  hum  dialogo  que  adiante 
segue  em  defensao  da  mesma  lingoa  Lishoa.  A. 
Gonsahez.  i574,  in-k" ,  Lisboa.  B.  Rodriguez. 
1590,  m-h''  et  Lisboa,  1592,  in-^°.  Sous  la  forme 
d'un  dialogue  entre  Palencio  et  Petronio ,  l'auteur 


4  PRÉFACE 

discute  les  avantages  particuliers  aux  langues  espa- 
gnole et  portugaise ,  et  la  question  de  savoir  quelle 
est  celle  des  deux  qui  ressemble  davantage  au  latin. 

Son  histoire  du  Brésil ,  publiée  à  Lisbonne  chez 
Antonio  Gonsalvez  en  1576  ,  est  certainement  un  des 
ouvrages  les  plus  remarquables  qui  aient  paru  dans 
le  seizième  siècle,  sur  la  description  des  pays  éloignés  : 
le  style  en  est  simple  ,  mérite  bien  rare  chez  les  écri- 
vains de  sa  nation.  Quoiqu'elle  contienne  plusieurs 
notions  fausses  ou  inexactes  que  l'ignorance  de  l'é- 
poque excuse  facilement ,  on  n'y  trouve  pas  une  de  ces 
fables  ou  de  ces  légendes  que  les  auteurs  contempo- 
rains accueillaient  si  aveuglément;  aussi  tous  ceux 
qui  en  parlent  s'accordent- ils  à  en  faire  l'éloge. 
Antonio  de  Léon  Pinelo( -6  i^/i,  Orient.  etOccident.)^ 
qui  se  contente  presque  toujours  de  donner  simple- 
ment le  titre  des  ouvrages,  appelle  celui-ci,  uua  obra 
ciiriosaj  unica.  Gil  Gonsalez  Davila  (  Teatro  de  las 
grandezas  de  Madrid.,  p.  50'i'  ) ,  le  nomme  twa  obra 
muj  eriiditay  cunosa.  Nie.  Antonio  et  Joan  Soarez 
de  Brito  en  font  aussi  l'éloge. 

Malheureusement ,  l'indifférence  des  Portugais  et 
des  Espagnols,  même  pour  leurs  meilleurs  auteurs , 
a  empêché  que  cet  ouvrage  ne  fût  jamais  réimprimé. 
Il  est  devenu  d'une  rareté  si  excessive  qu'on  n'en 
connaîtque  trois  ou  quatre  exemplaires  ;  il  ne  se  trouve 
dans  aucune  bibliothèque  publique  de  Paris,  et 
il  n'est  cité  que  très-rarement  dans  les  auteurs 
portugais  qui  ont  traité  du  Brésil.  Il  paraît  que 
cette  histoire  est  restée  inconnue  à  la  plupart  d'entre 
eux,  même    à  Vasconcelos,    car   dans   le  grand 


DE    l'éditeur    FKANÇAIS.  5 

nombre  de  citations  dont  ce  dernier  aime  à  couvrir 
ses  marges ,  on  ne  lit  pas  une  seule  fois  le  nom  de 
M.  de  Gandavo.  Je  puis  donc  présenter  cet  ouvrage 
comme  un  des  livres  sur  TAmérique  les  moins  con- 
nus et  les  plus  dignes  de  l'être. 

Je  crois  nécessaire  de  rappeler  en  peu  de  mots  les 
principaux  événements  qui  se  sont  passés  au  Brésil 
jusqu'à  la  publication  de  cette  histoire  ,  afin  de 
rendre  certains  passages  plus  intelligibles.  Quelque 
t^mps  après  que  cette  contrée  eut  été  reconnue  par 
Perdralvarez  Cabrai ,  le  roi  dom  Emmanuel  envoya 
Gonsalo  Coella  avec  trois  caravelles  pour  l'explorer 
de  nouveau  ;  quelques  auteurs  ont  prétendu  qu'Amé- 
ric  Vespuce  l'avait  déjà  découverte  auparavant ,  et 
qu'il  fut  mis  à  la  tête  de  cette  seconde  expédition  ; 
mais  le  silence  de  M.  de  Gandavo  est  un  argument  de 
plus  en  faveur  de  ceux  qui  regardent  cette  version 
comme  une  fable. 

Plusieurs  fois  dans  les  années  suivantes  ,  cette  côte 
fut  parcourue  par  les  navigateurs  portugais  qui  se  ren- 
daient aux  Indes ,  entre  autres  par  Alfonzo  d'Albu- 
querque  en  1503 ,  et  trois  ans  plus  tard  par  Tristan 
d'Acunha. 

En  1508  ,  le  roi  d'Espagne,  jaloux  de  conserver 
la  possession  exclusive  de  l'Amérique ,  expédia  pour 
ce  pays  Vicente  Yanez  Penzon  et  Juan  Diaz  de 
Solis  :  ce  dernier  y  fit  un  second  voj^age  en  1516. 
Ce  fut  dans  cette  deuxième  expédition  qu'il  décou- 
vrit le  Rio  de  la  Plata  ,  que  son  étendue  fit  nommer 
mardulce,  OU  mer  d'eau  douce. 

Le  Brésil  fut  ensuite  visité  par  Magellan  et  par  Se- 


b  PREFACE 

bastien  Cabot  ;  mais  il  paraît  que  Christovano  Jaques, 
gentilhomme  de  la  maison  du  roi  dom  Joam  III ,  y 
fonda  en  1525  le  premier  établissement  permanent , 
et ,  selon  l'historien  Herrera ,  déjà  en  1530 ,  cette  co- 
lonie était  dans  un  état  florissant.  On  établit  plus 
tard  les  diverses  capitaineries  dont  il  est  fait  men- 
tion au  chapitre  III  de  cette  histoire.  Elles  furent 
données  pour  la  plupart  à  titre  héréditaire  à  des  offi- 
ciers qui  s'étaient  distingués  dans  l'Amérique  ,  à  la 
charge  d'en  faire  la  conquête  et  de  les  coloniser  à  leurs 
frais.  Le  gouvernement  portugais  ,  dont  toute  l'atten- 
tion était  concentrée  vers  ses  possessions  des  Indes 
orientales ,  s'occupait  peu  du  Brésil ,  et  laissait  ces 
capitaines  se  tirer  d'affaire  comme  ils  pouvaient. 

Ils  ne  tardèrent  pas  à  abuser  de  leur  pouvoir ,  et 
les  plaintes  de  la  colonie ,  qui  devenait  chaque  jour 
plus  importante ,  parvinrent  enfln  jusqu'à  la  métro- 
pole. Par  une  ordonnance  de  1549,  le  roi  dom  Joam  III 
limita  beaucoup  les  privilèges  des  capitaines  hérédi- 
taires ,  et  nomma  gouverneur  général  du  Brésil  Tho- 
mé  de  Sousa,  qui  alla  débarquer  dans  la  baie  de 
Tous  les  Saints,  où  il  bâtit  la  ville  du  même  nom 
[Bahia  de  todos  os  sanctos) ,  qui  fut  longtemps  la  ca- 
pitale de  la  colonie. 

Quelques  années  après  eut  lieu  la  désastreuse  ten- 
tative que  firent  les  Français  sous  la  conduite  de 
Nicolas  de  Yillegaignon  pour  fonder  un  établissemenf 
au  Brésil  ;  mais  plusieurs  circonstances  qui  sont  en 
dehors  de  notre  sujet  l'empêchèrent  d'acquérir  de 
l'importance  ,  et  il  fut  bientôt  détruit  par  les  Portu- 
gais. Ceux-ci,  possesseurs  tranquilles  du  pays,  s'oc- 


DE    L  ÉDITEUR    FRANÇAIS.  7 

cupèrent  à  soumettre  les  Indiens  et  à  étendre  leurs 
découvertes  dans  l'intérieur.  Enfin ,  le  Brésil  devint 
si  peuplé,  que  le  roi  dom  Sébastien  jugea  nécessaire  , 
par  un  décret  de  1572,  de  le  diviser  en  deux  gouver- 
nements. Ce  fut  probablement  à  cette  époque  que  de 
Magalhanes  de  Gandavo  le  visita,  car  la  séparation  du 
pays  en  deux  gouvernements  cessa  en  1576,  époque 
qui  coïncide  parfaitement  avec  la  date  de  la  publi- 
cation de  son  ouvrage . 

On  trouve  en  tête  de  l'histoire  de  la  province  de 
Sancta-Cruz,  trente -quatre  tercets  de  Camoës 
adressés  à  dom  LionisPereira.  L'illustre  auteur  de  la 
Lusiade ,  raconte  au  gouverneur  de  Malacca  un 
songe  de  Magalhanes  de  Gandavo,  dans  lequel 
Mars  et  Apollon  lui  apparaissent  et  se  disputent  la 
dédicace  de  1  histoire  du  Brésil.  Mercure  survient ,  les 
engage  à  renoncer  à  leurs  prétentions  et  leur  expose 
que  dom  Lionis  est  plus  digne  qu'eux  d'être  le  pro- 
tecteur de  cet  ouvrage.  Cette  pièce  est  suivie  d'un 
sonnet  du  même  auteur  sur  une  victoire  remportée 
par  dom  Lionis  contre  le  roi  d'Achem  ,  de  la  pénin- 
sule de  Malacca  .  vient  ^ensuite  la  dédicace  de  Ma- 
galhanes. Je  n'ai  pas  cru  devoir  traduire  ces  trois 
morceaux  presque  sans  intérêt  aujourd'hui. 


■**'ii-  «»?-tj^ 


*     »«(^  %- 


■^ 


^•« 


*^. 


;,V     .«t 


'  w 


h 


%     '"'     -^       » 


"  f'r 


>*  k" 


v#^ 


#■  •« 


■r        ft 


•* 


'   i 

>  *■  *     ' 

¥' 

.*■*•■  ■  • 

'   ^. 

"^'n 

'%'''4  •       '^-.# 

,  '      »> 

^       ,        ^  -^ 

f  *  «r 

*, 

#■     -â 

#» 

.      ^    ^ 

m 


'%, 


-*.   « 


AVERTISSEMENT 


♦'  .e«. 


AU    LECTEUR 


...        .  4i^  *     ^v  ., 

■*•'■*» 

.       Ce  qui  m'a  surtout  engagé  à  écrire  la  pré- 
sente histoire  et  à  la  publier,  c'est  que  jusqu'au- 
\   jourd'hui  personne  ne  l'a  entrepris,  bien  qu'il  y 
,    ait  déjà  plus  de  soixante-dix  ans  que  cette  pro- 
vince est  découverte.  Suivant  moi  si  cette  his- 


4 


lO  AVERTISSEMENT 

toire  a  été  profondément  ensevelie  dans  l'ob- 
scurité ,  c'est  plutôt  par  l'indifférence  que  les 
Portugais  ont  toujours  eue  pour  ce  pays ,  que 
par  le  manque  de  gens  habiles ,  instruits  et 
capables  de  l'écrire  plus  au  long  et  d'un  meil- 
leur style  que  moi.  Les  étrangers  semblent 
faire  plus  de  cas  de  ces  contrées  ,  et  ils 
les  connaissent  mieux  et  plus  à  fond,  quoique 
les  armes  des  Portugais  les  en  aient  chassés 
nombre  de  fois.  Il  me  paraît  donc  convenable 
et  nécessaire  que  nous  autres  Portugais 
nous  les  connaissions  aussi  ;  particulièrement 
afin  que  ceux  qui  vivent  misérablement  dans 
notice  patrie  s'y  rendent  pour  améliorer  leur 
sort;  car  tel  est  ce  pays  et  la  fertilité  du 
sol,  qu'on  y  est  accueilli  tout  pauvre  et 
malheureux  que  l'on  soit.  Il  y  a  dans  cette  his- 
toire des  faits  si  curieux  et  si  remarquables 


AU    LECTEUK*  Il 

que, de  notre  part,  ce  serait  bien  de  la  né- 
gligence de  ne  pas  les  recueillir  ^  pour  en 
conserver  la  mémoire,  suivant  l'usage  des 
anciens  auxquels  rien  n'échappait,  et  qui 
faisaient  mention  de  choses  bien  moins  inté- 
ressantes, dont  le  souvenir  s'est  ainsi  con- 
servé jusqu'à  nous  et  vivra  éternellement* 
Si  les  anciens  Portugais  n'avaient  pas  été, 
comme  nos  contemporains,  si  peu  curieux 
d'écrire,  on  n'aurait  pas  perdu  le  souvenir 
de  tant  d'événements  passés  qui  nous  sont 
entièrement  inconnus  aujourd'hui,  et  nous 
ne  serions  pas  dans  une  ignorance  si  pro- 
fonde sur  tant  de  points  ,  ce  qui  force  les 
hommes  les  plus  savants  à  feuilleter  une  grande 
quantité  de  livres  sans  pouvoir  découvrir 
la  manière  dont  ces  faits  se  sont  passés.  Les 
Grecs  et  les  Romains  considéraient  toutes  les 


.  '^■'•.[ 


1  a  AVERTISSEMENT 

autres  nations  comme  des  barbares,  et  ils 
pouvaient  leur  donner  ce  nom  ajuste  titre, 
puisqu'elles  étaient  si  peu  curieuses  et  si 
peu  jalouses  de  gloire ,  qu'elles  laissaient  pé- 
rir, par  leur  propre  faute,  le  souvenir  des 
événements  qui  pouvaient  rendre  leurs  noms 
immortels.  L'écriture  en  effet  conserve  le 
souvenir  des  actes ,  et  le  souvenir  est  l'image 
de  l'immortalité  à  laquelle  nous  devons  tous 
aspirer,  autant  qu'il  est  en  nous.  Voilà  donc 
les  raisons  qui  m'ont  déterminé  à  entrepren- 
dre cet  ouvrage.  Je  ne  l'ornerai  pas  de 
termes  choisis ,  ni  d'autres  fleurs  du  langage 
que  les  orateurs  éloquents  ont  coutume 
d'employer  pour  accroître  le  mérite  de 
leurs  œuvres.  Je  chercherai  seulement  à 
écrire  la  vérité  d'un  style  clairet  facile ,  autant 
que  mon  faible  esprit  me  le  permettra,  désirant 


AU    LECTEUR. 


l3 


plaire  à  tous  ceux  qui  en  auront  connais- 
sance. Ainsi  j'espère  que  les  fautes  que  l'on 
\  trouvera  dans  cet  ouvrage  seront  excusées, 
j'entends ,  par  les  gens  d'esprit,  toujours  très- 
disposés  à  l'indulgence  :  quant  aux  sots  et  aux 
médisants ,  je  sais  qu'on  ne  peut  leur  échap- 
per ,  car  il  est  certain  qu'ils  n'épargnent  per- 
sonne. ^        *  *-    .  T^IF^' 


O  il!*  ■ 


9  •* 


/^.c 


HISTOIRE 


D£    LA 


PROVINCE  DE  SANCTA-CRUZ. 


CHAPITRE  PREMIER. 


De  la  découverte  de  cette  province,  et  delà  raison  pour  laquelle 
on  doit  la  nommer  Sancta-Gruz,  et  non  le  Brésil. 


•  Sous  le  règne  du  très-catholique  et  sérénis- 
sime  roi  dom  Emmanuel ,  une  flotte ,  com- 
mandée par  l'amiral  Pedralvarez  Cabrai,  se 
mit  en  route  pour  les  Indes  ;  ce  qui  fut  le  second 
voyage  que  les  Portugais  firent  dans  cette 


l6  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

partie  de  l'Orient.  Elle  quitta  Lisbonne  au 
mois  de  mars  de  l'an  i5oo;  et  ayant  mouillé 
aux  îles  du  cap  Vert ,  où  elle  devait  faire  de 
l'eau ,  il  s'éleva  une  tempête  qui  en  empêcha , 
et  qui  sépara  plusieurs  vaisseaux  du  reste  de  la 
flotte;  mais  ils  réussirent  à  la  rejoindre  quand 
le  beau  temps  fut  revenu.  L'expédition  prit 
alors  la  pleine  mer ,  tant  pour  éviter  les  calmes 
de  la  côte  de  Guinée,  que  pour  doubler  plus 
aisément  le  cap  de  Bonne-Espérance.  Après 
un  mois  de  navigation  par  un  vent  favorable , 
elle  arriva  à  cette  province  que  l'on  côtoya 
toute  la  journée,  la  prenant  pour  une  grande 
île ,  sans  que  ni  les  pilotes  ni  nulle  autre 
personne  en  eussent  jamais  eu  connaissance , 
et  sans  quïl  supposassent  qu'il  existât  un 
Continent  dans  une  direction  aussi  occiden- 
tale (i). 

-■AIT. 

(i)  La  relation  de  Pedralvarez  (^bral  se  trouve  en  italien 
dans  le  recueil  de  Ramusio  et  en  français ,  à  la  suite  de  la  tra- 
duction de  Jean  Léon  par  .1.  Temporal  (  Lyon,  i556,  t;  If, 
p.  8  ).  On  en  lit  aussi  des  détails  dans  Barros  (^  Decad.  i  ,  lib.  5, 
càp,  tj^  siguienles  )  ,  et  dans  Castaiiheda  (  Lih.  ^  ,  cap.  XXVIII 


DE   SANCTA-GRUZ.  I  "7 

Les  Portugais  prirent  terre,  vers  le  soir, 
dans  l'endroit  qui  parut  le  plus  favorable  ;  ils 
aperçurent  bientôt  des  habitants  du  pays.  Ils 
furent  fort  étonnés  à  cette  vue,  car  ces  gens 
étaient  entièrement  différents  des  naturels  de 
la  côte  de  Guinée ,  et  ne  ressemblaient  à  aucun 
de  ceux  qu'ils  connaissaient.  Mais  pendant 
la  nuit,  les  bâtiments  étant  à  l'ancre,  il  s'é- 
leva un  vent  si  violent,  qu'on  fut  obligé 
d'appareiller  au  plus  vite;  ils  coururent  ainsi 
le  long  de  la  côte ,  et  finirent  par  trouver  un 
port,  bon  et  sur,  dans  lequel  ils  entrèrent. 
On  lui  donna  le  nom  de  Porto-Seguro ,  parce 
qu'il  avait  servi  de  refuge  et  d'abri  contre 
la  tempête  :  il  le  conserve  encore  aujour- 
d'hui. 

Le  lendemain ,  Pedralvarez  descendit  à  terre 


jr  sigui.)  :  tous  ces  auteurs  s'accordent  complètement  avec  le 
nôtre  sur  les  principaux  détails  de  cette  expédition  ;  voyez 
aussi  la  lettre  de  Pedro  Vas  de  Caminha  sur  la  découverte  du 
Brésil ,  publiée  pour  la  première  fois  par  M.  Ferdinand  Denis , 
et  réimprimée  dans  VJrt  de  vérifier  les  dates  (  111®  part., 
T.XIII). 

II.  2 


l8  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

avec  une  grande  partie  de  son  monde.  Ils 
chantèrent  d'abord  une  grand'messe ,  ensuite 
il  y  eut  sermon.  Les  Indiens  du  pays,  qui  se 
réunirent  pour  admirer  ce  spectacle ,  se  com- 
portèrent fort  tranquillement,  imitant  tous 
les  gestes  des  nôtres  et  toutes  les  cérémonies 
qu'ils  voyaient  pratiquer.  Ils  se  mettaient  à 
genou ,  se  frappaient  la  poitrine  comme  s'ils 
eussent  eu  la  lumière  de  la  foi ,  ou  comme 
si  le  grand  et  ineffable  mystère  du  Très-Saint- 
Sacrement  leur  eût  été  révélé  par  un  moyen 
quelconque.  Ils  montraient  ainsi  qu'ils  étaient 
tout  disposés  à  recevoir  la  doctrine  chrétienne 
quand  elle  leur  serait  enseignée,  n'étant  re- 
tenus ni  par  le  culte  des  idoles,  ni  par  au- 
cune croyance  qui  pût  contrarier  la  nôtre, 
comme  on  le  verra  dans  le  chapitre  qui  traite 
de  leurs  mœurs. 

Pedralvarez  fit  partir  sur-le-champ  un  vais- 
seau pour  porter  la  nouvelle  de  sa  découverte 
au  roi  dom  Emmanuel,  qui  la  reçut  avec  beau- 
coup de  joie  et  de  contentement;  et  depuis 


DE    SANCTA-CRUZ.  I9 

lors  on  commença  à  envoyer  des  navires  dans 
ce  pays,  que  l'on  explora  peu  à  peu,  et  que 
l'on  connut  de  plus  en  plus.  Enfin ,  on  y  éta- 
blit des  colonies,  et  on  le  divisa  en  capitai- 
neries, comme  il  l'est  aujourd'hui. 

Revenons  à  Pedralvarez  qui  le  découvrit. 
Après  y  avoir  passé  quelques  jours  pour  faire 
aiguade  et  attendre  un  vent  favorable,  il  vou- 
lut, avant  de  partir,  donner  un  nom  à  cette 
nouvelle  terre.  Il  commanda  de  placer,  au  som- 
met d'un  arbre ,  une  croix ,  qui  fut  arborée  avec 
grande  solennité,  et  bénite  par  les  prêtres 
qu'il  avait  avec  lui  :  puis  il  donna  le  nom  de 
Sancta-Cruz  {Sainte-Croix)  à  cette  province; 
car  c'était  précisément  le  3  de  mai ,  jour  où 
notre  sainte  mère  l'Eglise  en  célèbre  la  fête. 
Cet  événement  renferme  un  sens  mystérieux: 
ainsi ,  comme  dans  le  royaume  de  Portugal  on 
porte  sur  la  poitrine  une  croix  ,  qui  est  l'em- 
blème de  l'ordre  du  Christ,  la  Providence  vou- 
lut que  ce  pays  fût  découvert  à  une  époque 
où  ce  saint  jour  lui  donnât  son  nom,  pour 


20  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

montrer  qu'il  serait  possédé  par  les  Portu- 
gais, et  passerait,  par  succession,  au  pou- 
voir des  grands-maîtres  de  l'ordre  du  Christ. 
C'est  pourquoi  il  ne  me  parait  pas  bien  que 
nous  lui  étions  ce  nom,  pour  lui  en  donner 
un  autre  dont  se  sert  un  vulgaire  sans  ré- 
flexion, depuis  qu'on  a  commencé  à  en  rap- 
porter du  bois  de  teinture.  On  nomme  ce  bois 
Brasil,  parce  qu'il  est  rouge  et  ressemble  à  de 
la  biaise;  et  de  là,  ce  pays  a.  reçu  le  nom  de 
Brésil.  Mais  afin  de  narguer  en  cela  le  démon , 
qui  a  tant  travaillé  et  travaille   tant  pour 
effacer  de  la  mémoire  des  hommes  et  éloigner 
de  leur   cœur  la    sainte  croix,  par   laquelle 
nous  avons  été  rachetés  et  délivrés  de  sa  ty- 
rannie ,  il  est  bon  de  rendre  son  nom  à  cette 
province,  et  que  nous  la  nommions,  comme 
dans  le  principe, province  deSancta-Cruz.  Joan 
de  Barros,  cet  illustre  et  fameux  écrivain ,  le 
prouve  aussi   dans  sa  première  décade,  en 
parlant  de  la  même  découverte.  En  vérité, 
les  nations  chrétiennes  doivent  plus  estimer 


DE    SANCTA-CRIJZ.  31 

un  bois  sur  lequel  s'est  opéré  le  mystère  de 
notre  sainte  rédemption,  qu'un  bois  qui  ne 
sert  qu'à  teindre  du  drap  et  d'autres  choses 
semblables^ 


*  %■ 


* 
* 


4P 


1* 


«r. 


#. 


e 


*v> 


CHAPITRE  II. 


Dans  lequel  on  décrit  la  situation  et  les  avantages  de  cette  pro- 
vince. 


La  province  de  Sancta-Cruz  est  située  dans 
la  grande  Amérique ,  l'une  des  quatre  par- 
ties du  monde.  Elle  commence  à  deux  de- 
grés au  sud  de  la  ligne  équinoxiale ,  et  s'étend 
sans  interruption  vers  le  midi  jusqu'au  qua- 
rante -  cinquième  degré ,  de  manière  qu'elle 
est  en  partie  sous  la  zone  torride,  et  en  par- 


24  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

tie  sous  la  zone  tempérée.  Ce  pays  a  la  forme 
d'une  harpe  :  la  côte  septentrionale  se  prolonge 
de  l'est  à  l'ouest  parallèlement  à  la  ligne.  Vers 
le  midi ,  il  touche  à  d'autres  provinces  de  l'A- 
mérique, habitées  et  possédées  par  des  peuples 
barbares ,  avec  lesquels  jusqu'à  présent  nous 
n'avons  eu  aucune  communication.  Baigné  à 
l'orient  par  la  mer  d'Afrique ,  il  fait  face  aux 
royaumes  de  Congo  et  d'Angola  et  au  cap  de 
Bonne-Espérance.  A  l'ouest,  il  est  borné  par 
la  haute  chaîne  des  Andes  et  les  montagnes  du 
Pérou,  qui  s'élèvent  si  orgueilleusement  au- 
dessus  de  la  terre ,  que  les  oiseaux  même , 
dit-on,  les  traversent  difficilement.  Un  seul 
chemin  conduit  du  Pérou  à  cette  province, 
et  il  est  si  dangereux  que  beaucoup  de  per- 
sonnes y  périssent.  En  tombant  de  cet  étroit 
sentier,  les  cadavres  des  voyageurs  se  précipi- 
tent à  une  telle  profondeur,  que  ceux  qui 
survivent,  loin  de  pouvoir  leur  donner  la 
sépulture ,  ne  les  revoient  même  plus.'La  pro- 
vince de  Sancta-Cruz  n'offre  pas  de  pareilles 


DE    SANCTA-CRUZ.  a5 

difficultés.  Quoiqu'elle  soit  très-grande,  il  n'y 
a  ni  montagnes ,  ni  déserts ,  ni  marais  que  l'on 
ne  puisse  traverser  facilement.  Cette  contrée 
est  meilleure  pour  y  vivre  qu'aucune  de  celles 
de  l'Amérique ,  car  l'air  y  est  très-bon  :  elle 
est  très-fertile  et  très-agréable  à  voir. 

Ce  qui  la  rend  si  salubre  et  si  exempte  de 
maladies,  ce  sont  les  deux  vents  qui  y  ré- 
gnent généralement:  ils  soufflent  du  nord-est 
et  du  sud ,  quelquefois  aussi  de  l'est  et  de 
l'est-sud-est  ;  comme  ils  viennent  tous  deux 
de  la  mer,  ils  sont  si  purs  et  si  tempérés  que 
non-seulement  ils  ne  font  pas  de  mal ,  mais 
encore  ils  allègent  et  prolongent  la  vie  de 
l'homme.  Ces  vents  s'élèvent  vers  midi  et 
durent  jusqu'au  lendemain  matin;  alors  les 
vapeurs  de  la  terre  les  font  tomber.  Au  le- 
ver du  soleil ,  le  ciel  est  ordinairement  nua- 
geux ;  presque  tous  les  matins  il  pleut , 
et  la  terre  est  couverte  de  rosée  à  cause 
des  nombreuses  forêts  qui  attirent  les  va- 
peurs.  A  ce  moment  de  la  journée  il  souf- 


a6  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

fle  un  vent  doux,  qui  vient  déterre  :  il  con- 
tinue jusqu'à  ce  qu'il  soit  calmé  par  les  rayons 
du  soleil ,  le  vent  de  mer  habituel  commence 
alors  à  s'élever,  le  ciel  redevient  serein ,  et 
la  terre  est  nettoyée  et  débarrassée  de  tou- 
tes ces  évaporations  (i).      * 

Cette  province  est  délicieuse  à  voir  :  elle 
est  très-fraîche  :  couverte  de  forêts  hautes  et 
épaisses,  et  arrosée  par  des  rivières  abon- 
dantes et  nombreuses.  La  terre  est  toujours 
verte,  comme  dans  notre  patrie  aux  mois 
d*avril  et  de  mai  :  le  froid  et  les  gelées  de  l'hi- 
ver n'y  détruisent  jamais  les  plantes  comme 
elles  détruisent  les  nôtres;  enfin  la  nature 
a  tant  fait  pour  ce  pays  et  l'air  y  est  telle- 
ment tempéré ,  que  jamais  on  ne  souffre  du 
froid  ni  de  la  chaleur. 

On  y  voit  une  quantité  infinie  de  sources 
dont  les  eaux  forment  beaucoup  de  grands 


(i)  Cette  description  est  fort  exacte  ,  et  ce  vent  de  mer  qui 
succède  au  vent  de  terre  est  ce  qu'on  appelle  la  viraçao. 


DE    SANCTA-CRUZ.  2^ 

fleuves  qui*e  jettent  à  la  mer ,  soit  vers  le 
nord,  soit  vers  l'orient.  Quelques-uns  nais- 
sent dans  les  montagnes ,  et  vont  par  une 
route  longue  et  tortueuse  se  perdre  dans 
l'Océan.  Le  courant  en  est  si  fort  qu'il  re- 
foule les  vagues  ;  ■  et  ils  entrent  dans  la 
mer  avec  tant  de  violence  qu'on  ne  peut  y 
naviguer  sans  beaucoup  de  dangers  et  de 
difficultés.  Un  des  plus  connus  et  des  prin- 
cipaux est  la  rivière  des  Amazones  ,  dont 
l'embouchure  est  située  sur  la  côte  septen- 
trionale, à  un  demi-degré  sud  de  l'équa- 
teur  ;  sa  largeur  est  d'environ  trente  lieues. 
Il  y  a  datis  ce  fleuve  beaucoup  d'îles  qui 
le  divisent  en  plusieurs  bras  :  il  sort  d'un 
lac  des  montagnes  de  Quito,  dans  le  Pé- 
rou (i).    Quelques    embarcations  de  Castil- 


(i)  La  première  expédition  tentée  par  les  Espagnols  pour 
descendre  l'Amazone  fut  celle  de  Francisco  de  Orellana,  en 
1640;  la  seconde  fut  celle  de  Pedro  de  Ursua,  en  i56o.  Mais 
elle  eut  une  fin  malheureuse  par  la  révolte  du  fameux  Lope 
d'Aguirre. 


28  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

lans  sont  parties  de  cette  province,  et  sont  ar- 
rivées en  le  descendant  dans  l'Océan,  à  un 
demi-degré  de  lequateur,  ce  qui  fait  six 
cents  lieues  en  ligne  droite;  mais  il  faut 
en  compter  bien  davantage ,  à  cause  des  dé- 
tours. 1 

Un  autre  fleuve  très-grand  a  aussi  son 
embouchure  sur  la  côte  septentrionale  ;  c'est 
le  Maranhano  (i)  :  il  contient  beaucoup  d'î- 
les :  au  milieu  de  la  barre,  il  y  en  a  une 
qui  est.  habitée,  et  le  long  de  laquelle  peu- 
vent aborder  les  plus  grands  navires.  L'em- 
bouchure a  sept  lieues  de  large ,  et  l'eau 
salée  y  entre  avec  tant  d'abondance  que 
jusqu'à  cinquante  lieues  dans  l'intérieur 
elle  semble  plutôt  un  bras  de  mer,  et  l'on 
peut  naviguer  entre  ces  îles  sans  aucune  dif- 
ficulté. 

La  rivière   des  Amazones  en  reçoit  deux 


(i)  L'auteur  parait  entendre  ici  par  le  Maranhano,  le  fleuve 
Meary  ou  Mearim.  ^ 


DE    SANCTA-CRUZ.  20 

autres  qui  viennent  de  l'intérieur ,  l'une  fut 
remontée ,  jusqu'à  la  distance  de  deux  cent 
cinquante  lieues,  par  des  Portugais  envoyés 
à  la  découverte;  ils  ne  purent  s'avancer  au- 
delà  ,  parce  que  la  rivière  n'était  plus  as- 
sez profonde  et  devenait  si  étroite  qu'il 
était  impossible  aux  navires  de  passer  outre. 
Quant  à  l'autre ,  ils  ne  la  reconnurent  pas  : 
ainsi  on  ignore  où  toutes  deux  prennent  leurs 
sources. 

Un  autre  fleuve  très-considérable  se  jette 
aussi  dans  l'Océan  du  côté  de  l'est,  à  dix  de- 
grés et  un  tiers  :  on  le  nomme  Rio  de  Sam- 
Francisco,  il  a  une  demi-lieue  de  large  à 
son  embouchure.  Tl  se  précipite  dans  la 
mer  avec  tant  de  furie,  qu'il  en  iait  recu- 
ler les  vagues  et  que  l'eau  est  douce  jus- 
qu'à la  distance  de  trois  lieues;  il  est  très- 
clair  ,  très-rapide  et  coule  du  sud  au  nord. 
On  peut  y  naviguer  jusqu'à  la  distance  de 
soixante  lieues,  ce  qui  a  déjà  été  fait.  Une  cata- 
racte fort  considérable  que  ce  fleuve  forme  en 


3o  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

cet  endroit  et  d'où  l'eau  tombe  d'une  très- 
grande  élévation ,  empêche  de  remonter  plus 
haut. Au-delà  delà  cataracte, cette  rivière  s'en- 
fonce sous  terre  et  ne  reparaît  qu'à  une  lieue, 
en  jaillissant  et  en  entraînant  tout  avec  soi. 

Le  Rio  de  Sara-Francisco  prend  sa  source 
dans  un  très-grand  lac  qui  est  dans  l'inté- 
rieur du  pays,  que  l'on  dit  être  très-peuplé, 
et  dont  les  habitants  passent  pour  posséder 
beaucoup  d'or  et  de  pierres  fines  (i). 

Un  très-grand  fleuve  et  des  plus  considéra- 
bles du  monde  a  son  embouchure  sur  la  rive 
occidentale  ;  on  le  nomme  Rio  da  prata  {de  la 
Plat  a),  et  il  a  quarante  lieues  de  large.  En 
entrant  dans  l'Océan ,  la  masse  d'eau  qu'il 
amène  de  tous  les  versants  du  Pérou  est 
si  considérable,  que  les  navigateurs  boivent 
de  l'eau  douce  avant  d'apercevoir  la  terre. 

A  deux  cent  soixante  lieues  de  la    mer  , 


(t)  Ceci  est  une  erreur,  ce  fleuve  naît  dans  Ja  Serra  da  Ca- 
nastra,  dans  la  province  de  Minas-Garaes. 


DE    SANCTA-CRUZ.  3  I 

les  Espagnols  ont  fondé  une  ville  que  l'on 
appelle  l'Ascension;  on  peut  remonter  jus- 
que-là et  encore  beaucoup  plus  avant.  A  une 
grande  distance  de  là  ce  fleuve  reçoit  le  Rio 
Paragoahi  {Parana) ,  qui  prend  sa  source 
dans  le  même  lac  que  la  rivière  de  Sam-Fran- 
cisco,  dont  j'ai  parlé  plus  haut  (i). 

Outre  ces  cours  d'eau,  un  grand  nombre 
d'autres/tant  grands  que  petits,  sejettent  dans 
la  mer  le  long  de  la  côte.  Il  y  a  aussi  beaucoup 
de  havres  ,  de  baies  et  de  bras  de  mer,  dont  je 
ne  ferai  pas  mention ,  parce  que  mon  inten- 
tion est  de  ne  parler  que  des  choses  les  plus 
remarquables,  pour  ne  pas  être  accusé  de 
prolixité ,  et  pour  satisfaire  tout  le  monde  en 
peu  de  mots. 


(i)  Le  Parana  naît  aussi  dans  la  province  de  Minas-Garaes , 
mais  sur  le  versant  oriental  de  la  Serra  do  Mar,  à  cinquante  ou 
soixante  lieues  de  la  source  du  Sam-Francisco. 


y 


CHAPITRE  III. 


Des  capitaineries  et  des  colonies  portugaises ,  établies  dans  cette 
province. 


Il  y  a  dans  cette  province,  en  descendant  de 
la  ligne  ëquinoxiale  vers  le  sud,  huit  capi- 
taineries habitées  par  des  Portugais,  chacune 
d'environ  cinquante  lieues  de  côtes. 

Séparées  par  des  lignes  tracées  de  l'est  à 
l'ouest,  elles  sont  bornées  dans  les  deux  autres 
directions  par  la  mer  Océane  et  la  ligne  de 


II. 


34  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

démarcation   des    possessions   espagnoles  et 
portugaises. 

Ces  capitaineries  furent  établies  par  le  roi 
dom  Joam  III,  qui,  désirant  faire  fleurir  la 
religion  chrétienne  dans  ce  pays,  choisit 
pour  les  administrer,  ses  sujets  les  plus 
dignes  de  sa  confiance  par  leur  noblesse 
et  leur  mérite.  Ces  derniers  fondèrent  des 
colonies  le  long  de  la  côte,  dans  les  en- 
droits qui  leur  parurent  les  plus  conve- 
nables et  les  plus  avantageux  pour  l'éta- 
blissement des  nouveaux  habitants.  Elles  ont 
déjà  une  population  considérable  :  les  plus 
importantes  possèdent  une  forte  et  nombreuse 
artillerie  pour  se  défendre  contre  leurs  enne- 
mis ,  tant  du  côté  de  la  mer  que  du  côté  de 
la  terre. 

Quand  les  Portugais  vinrent  s'établir  dans 
cette  contrée,  il  y  avait  aux  enviions  un 
grand  nombre  d'Indiens.  Mais  comme  ils  se 
soulevaient  sans  cesse  contre  les  nôtres  et 
leur  faisaient  mille  trahisons ,   les  gouver- 


DE    SANCTA-CRUZ.  35 

neurs  et  capitaines  en  tuèrent  un  grand  nom- 
bre, et  les  détruisirent  peu  à  peu,  de  sorte 
que  le  pays  devint  désert  aux  environs  des 
colonies.  II  reste  cependant  auprès  de  quel- 
ques-unes, des  villages  habités  par  des  Indiens 
amis  et  alliés  des  Portugais  et  qui  vivent  dans 
ces  capitaineries.  Afin  de  parler  de  toutes 
dans  le  présent  chapitre,  je  ne  ferai  que  rap- 
porter en  passant  les  noms  des  capitaines  qui 
les  conquirent,  et  je  mentionnerai  toutes  les 
colonies  portugaises,  en  allant  du  nord  au 
sud,  comme  il  suit  :   •  .    . 

La  première  et  la  plus  ancienne  se  nomme 
Tamaracà  {Itamaracd)  :  elle  prend  son  nom 
d'une  petit  île,  sur  laquelle  la  colonie  est  éta- 
blie. Pero  Lopez  de  Sousa  fut  le  premier  qui 
la  conquit  et  la  délivra  des  Français ,  au  pou- 
voir desquels  elle  était  quand  il  vint  s'y  fixer. 
L'île  est  séparée  de  la  terre  ferme  par  un 
bras  de  mer  où  se  jettent  plusieurs  rivières 
qui  viennent  des  montagnes  •.  il  se  divise  en 
deux  parties  entre  lesquelles  l'île  est  située. 


36  HISTOIRE    DE    LA   PROVINCE 

L'une  des  deux  peut  recevoir  les  plus  grands 
vaisseaux,  qui  vont  jeter  l'ancre  jusque  de- 
vant la  colonie ,  qui  est  à  environ  une  demi- 
lieue  de  la  mer.  L'autre,  la  plus  septentrio- 
nale ,  ne  peut  recevoir  que  de  petites  embar- 
cations, parce  qu'elle  n'est  pas  assez  profonde. 
Du  côté  du  nord ,  les  terres  de  cette  capi- 
tainerie sont  très-étendues  et  très-fertiles. 
On  vient  d'y  bâtir  de  grandes  habitations, 
et  la  colonie  aurait  augmenté  beaucoup  plus 
vite  et  jouirait  de  la  même  prospérité  que 
les  autres,  si  le  capitaine  Pero  Lopez  y  eût 
résidé  pendant  quelques  années,  et  s'il  ne 
l'avait  pas  abandonnée  quand  elle  commen- 
çait à  se  peupler. 

La  seconde  capitainerie  se  nomme  Para- 
nambuco  (  Pemambuco  ).  Elle  fut  conquise  par 
Duarte  Coelo,  qui  fonda  la  première  colonie 
sur  une  hauteur  en  vue  de  la  mer,  à  cinq  lieues 
de  l'île  de  Tamaracà ,  et  par  huit  degrés  de  la- 
titude ;ellesenomme01inda;c'estunedes  villes 
les  plus  belles  et  les  plus  populeuses  du  pays. 


DE    SANCTA-CRUZ.  87 

A  cinq  lieues  plus  avant  dans  les  terres  il  existe 
une  autre  colonie,  nommée  Igaroçù  ou  Villa 
dos  Cosmos.  Outre  les  Portugais  qui  peuplent 
ces  villes,  un  grand  nombre  sont  dispersés 
dans  les  fermes  et  dans  les  habitations;  car, 
les  territoires  des  villes  de  cette  capitainerie 
et  des  autres  sont  entièrement  colonisés;  les 
terres  de  Paranambuco  sont  des  meilleures  et 
des  mieux  cultivées. 

Les  habitants  ont  été  très-aidés  par  le& 
Indiens  du  pays  ,  dont  ils  ont  tiré  une 
quantité  d'esclaves  pour  travailler  à  leurs  fer- 
mes. La  cause  principale  de  l'augmentation  ra- 
pide delà  population  de  cette  capitainerie, c'est 
que  le  gouverneur  qui  l'a  conquise  a  con- 
tinué d'y  résider,  et  qu'étant  plus  connue  elle 
est  plus  fréquentée  par  les  vaisseaux  que  celles 
dont  je  vais  parler.  A  une  lieue  au  sud  de  la 
colonie  (i)  d'Olinda,  un  récif  ou  chaîne   de 


(i)  L'auteur  emploie  ici  le  mot  povacao,  qui  signifie  littéi-a- 
Ifcinent  village ,  lieu  habité  et  qui  est  encore  en  usage  au  Brésil 
comme  terme  de  statistique  pour  désigner  certains  établisse- 


38  HISTOIRE    DE  LA   PROVINCE 

rochers  forme   le   port    où    se  rendent    les 
*  navires;   il   a  son    entrée  par   la   plage,    et 
par  une  petite  rivière  qui  traverse  l'établis- 
sement. 

ïia  troisième  capitainerie,  vers  le  midi,  est 
celle  de  Bahia  de  Todos-os-Sanctos  (  le  baie  de 
ToiLS-les-Saints)  (i),  quiappartientauroi  notre 
maître;  c'est  là  que  résident  le  gouverneur,  l'é- 
vèque  et  l'auditeur  général  de  toute  la  côte.  Le 
premier  capitainequilaconquit  et  y établitune 
colonie,  est  Francisco  Pereira  Coutinho.  Il  fut 
défait  par  les  Indiens  après  une  longue  guerre, 
et  ne  put  résister  à  leur  impétuosité ,  à  cause 


ments.  On  voit  par-là  que  la  ville  d'Olinda  était  fort  peu  consi- 
dérable à  cette  époque. 

(i)  Le  premier  Portugais  qui  visita  Bahia  fut  Christovao 
Jaques,  dont  il  est  parlé  dans  la  préface.  Mais  il  paraît  qu'à 
cette  époque  (i535)  elle  était  déjà  fréquentée  parles  Français, 
car  Vasconcellos  (  Chronica  da  companhia  de  Jésus  do  Estado 
do  Brasil ,  lib.  I ,  p.  35)  raconte  qu'il  y  trouva  deux  vaisseaux 
français  occupés  à  commercer  avec  les  Indiens.  Il  voulut  s'en 
emparer,  mais  ils  se  défendirent  bravement  et  aimèrent 
mieux  se  laisser  couler  à  fond  que  de  se  rendre.  Francisco 
Pereira  Gîutinho  ,  dont  il  est  question  ,  finit  par  tomber  entre 
les  mains  des  Indiens  qui  le  dévorèrent.  (Vasconcellos,  ib.. 
p.  36.) 


DE    SANCTA-CRLlZ.  Sg 

du  grand  nombre  d'ennemis  qui  s'étaient  réu- 
nis de  tous  côtés  contre  les  Portugais. 

Plus  tard ,  elle  fut  reconquise  et  colonisée 
par  Thomé  de  Sousa,  le  premier  gouverneur 
général  qu'il  y  eut  dans  ce  pays  :  depuis,  la 
culture  et  le  nombre  des  habitants  ont  toujours 
été  en  augmentant.  Aussi,  cette  capitainerie 
de  Bahia   de  Todos-os-Sanctos   est-elle   une 
des  plus  peuplées.  Elle  possède  trois   villes 
belles  et  populeuses  qui  sont  à  cent  lieues  de 
Paranambuco,  par  treize  degrés  de  latitude. 
La  plus  considérable,  où  résident   le  gou- 
verneur et  la  principale  noblesse  du  pays,  est 
celle   de  0- Salvador.  Il  y  en  a  une   autre 
qu'on  nomme  Villa-Velha;  c'est  la  première 
colonie  que  l'on  établit  dans  cette  province. 
Thomé  de  Sousa  fonda  dans  la  suite,  à  une 
demi- lieue  plus  avant  dans  les  terres,  la  ville 
de  0- Salvador,  ayant   trouvé  l'endroit  plus 
convenable  et  plus  avantageux  pour  les  habi- 
tants. 

Quatre  lieues  plus  loin  dans  l'intérieur,  on 


4o  HISTOIRE    DE    LA.    PROVINCE 

trouve  une  troisième  ville  nommée  Paripe,  qui 
se  gouverne  elle-même  (i)  comme  les  deux 
autres.  Toutes  ces  colonies  sont  situées  près 
d'une  baie  spacieuse  et  belle,  où  les  plus 
grands  navires  peuvent  entrer  sans  danger. 
Sa  largeur  est  de  trois  lieues  sur  quinze 
de  longueur;  des  îles  nombreuses  et  très -fer- 
tiles sont  dispersées  çà  et  là.  Elle  se  divise  en 
plusieurs  bras  :  on  y  voit  beaucoup  d'anses  et 
de  petites  baies  sur  lesquelles  les  habitants 
naviguent  d'un  habitation  à  l'autre,  pour  leurs 
affaires. 

On  doit  à  lorge  Figueiredo  Correa,  gen- 
tilhomme de  la  maison  royale,  l'établissement 
de  la  quatrième  capitainerie ,  celle  de  Os-11- 
heos.  Ce  fut  par  son  ordre  que  Joam  d' Almeida 
alla  fonder  une  colonie  à  trente  lieues  dcBahia 
de  Todos  -  os  -  Sanctos ,  par  quatorze  degrés 
et  quarante  minutes  de  latitude.  Cette  ville, 


(0  C'est-à-dire  que  cette  ville  a  un  corps  municipal  électif, 
ce  qui  constitue  une  cité  ,  tandis  que  les  endroits  qui  n'ont  pas 
ce  puivilége  ne  sont  considérés  que  comme  des  bourgs. 


DE    SAINCTA-CRUZ.  ^ï 

très-belle  et  très-peuplée ,  est  située  au  som- 
met d'une  colline,  en  vue  de  la  mer,  sur  le 
bord  d'une  rivière  navigable  qui  se  divise , 
dans  l'intérieur ,  en  beaucoup  de  bras.  Les 
colons  ont  établi  leurs  habitations  sur  ses 
bords;  ils  s'y  rendent  avec  des  barques  et  - 
des  canots  comme  à  Bahia  de  Todos  -  os- 
Sanctos.         ^        « 

La  cinquième  capitainerie  se  nomme  Porto- 
Seguro  ;  elle  fut  conquise  par  Pero  do  Campo- 
Tourinho.  Elle  contient  deux  villes  situées 
par  seize  degrés  et  demi  de  latitude  et  à  trente 
lieues  de  Os-llheos.  Entre  les  deux  villes  coule 
une  rivière,  dont  l'embouchure  forme  une 
baie  où  les  vaisseaux  peuvent  entrer.  Le  prin- 
cipal établissement  se  divise  en  deux  parties  : 
l'une  est  bâtie  du  côté  du  nord,  sur  un  rocher 
qui  domine  la  mer,  et  l'autre  dans  le  bas  au- 
près de  la  rivière.  La  seconde  ville ,  nommée 
Sancto-Amaro,  est  située  à  une  lieue  plus  au 
sud.  A  deux  lieues  au  nord  de  cette  baie,  il  y 
en  a  encore  une,  qui  est  celle  où  entra  la 


4^  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

flotte  qui  découvrit  ce  pays;  on  l'appela, 
comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  Porto-Seguro ,  et, 
plus  tard,  elle  donna  son  nom  à  toute  la  ca- 
pitainerie. 

La  sixième  capitainerie  est  celle  de  Spirito- 
.  Sancto  ,  qui  fut  conquise  par  Vasco-Fernandes 
Giutinho.  La  capitale  est  établie  dans  une  pe- 
tite île  à  soixante  lieues  de  Porto-Seguro,  par 
vingt  degrés  de  latitude.  Cette  île  est  dans  une 
grande  rivière,  à  environ  une  lieue  de  son 
embouchure  :  on  y  trouve  une  très-grande 
quantité  de  poisson  et  de  gibier,  dont  les  ha- 
bitants sont  toujours  abondamment  pourvus, 
et  c'est,  de  toutes  les  capitaineries  de  la  côte , 
la  plus  fertile  et  la  mieux  approvisionnée  de 
toutes  choses. 

La  septième  capitainerie  porte  le  nom  de  Rio- 
de- Janeiro;  elle  fut  conquise  par  Mende  Sa  (i), 
dont  les  armes,  pendant  le  temps  qu'il  fut 
gouverneur  général  de  ce  pays ,  obtinrent 

(i)  Mende  Sa  ou  Mem  de  Sa  fut  le  troisième  gouverneur 


DE    SANCTA-  CRIjZ.  0 

plusieurs  brillantes  victoires  sur  les  Français 
qui  s'y  étaient  établis.  La  capitale,  très-belle 
et  très-peuplée ,  se  nomme  Sam-Sebastiam  ; 
elle  est  par  vingt-trois  degrés  de  latitude  ,  et 
à  soixante-quinze  lieues  de  Spirito  -  Sancto. 
Cette  ville  est  située  sur  un  bras  de  mer  qui 
s'avance  sept  lieues  dans  les  terres ,  il  en  a 
cinq  de  large  :  mais  l'entrée ,  qui  est  la 
partie  la  plus  étroite ,  n'a  guère  qu'un  mille. 
Au  milieu  s'élève  un  îlot  de  cinquante  -  six 
brasses  de  long  sur  vingt-six  de  large  (i), 
où  l'on  pourrait  facilement  construire  un  fort 
pour  la  défense  du  pays.  C'est  une  des  rades 
les  meilleures  et  les  plus  sûres ,  car  les  plus 
grands   vaisseaux   peuvent  entrer   et  sortir 


général  du  Brésil.  Ce  fut  en  1667  qu'il  attaqua  l'établissement 
que  les  Français  avaient  formé  dans  la  baie  de  Rio-de-Janeiro , 
et  dont  il  réussit  à  s'emparer  malgré  la  vigoureuse  ré- 
sistance de  ceux-ci  et  de  leurs  alliés  les  Indiens  Tamoyos.  La 
plus  grande  partie  des  Français  parvint  cependant  à  lui  échapper 
en  s'embarquant  (Vid  Vàsconcelos,  Chr.  do  Brasil ,  lib.  II, 
p.  227  e  segui.).i'atermna,  P^ida  do  padre  Jnchieta.  Azevedo' 
Pizarro  e  Arau^o,  Memorias  historiens  do  Rio-de-Janeiro,  cap.  I, 
p.  i5  a  24. 

(i  )  La  brasse  portugaise  égale  2'",i  85(). 


44  HISTOIRE    DE    LA.    PROVINCE 

en    tout    temps    sans    aucun    danger.    Les 
terres  de  cette  capitainerie  sont  les  meilleures 
de  toute  la  contrée ,  et  celles  qui  doivent  ré- 
compenser le  plus  richement  les  travaux  des 
cultivateurs  :  je  ne  crois  pas  que  ceux   qui 
iront  dans  cette  espérance  se  trouvent  déçus. 
La  dernière  capitainerie  est  cell«  de  Sam- 
Vicente,   conquise  par  Martim-Alfonso   de 
Sousa.  On  y  trouve  quatre  villes;  deux  sont 
situées    dans    des   îles  séparées  de  la  terre 
ferme  par  un  bras  de  mer,  qui  ressemble  à 
une  rivière  :  elles  sont  par  vingt-quatre  degrés 
de  latitude ,  et  à  cinquante-cinq  lieues  de  Rio- 
de-Janeiro.  Ce  bras  de  mer  se  divise  en  deux 
parties  :  l'une  est  assez   étroite  et  peu  pro- 
fonde ,  de  sorte  qu'il  n'y  peut  entrer  que  de 
petites   embarcations  :  c'est  là  qu'est  fondé 
l'établissement  le  plus  ancien ,  nommé  Sam- 
Vicente.    A  une  lieue   et  demie  de   l'autre 
partie  (la  principale ,  qui  peut  recevoir  de 
grands  navires  et  les  bâtiments  de  toute  es- 
pèce qui  vont  à  cette  capitainerie),    il  y  a 


DE    SANCTA-CRUZ.  4^ 

une  autre  ville  nommée  Sanctos ,  où ,  à  cause 
de  ses  échelles ,  résident  le  capitaine  et  son 
lieutenant,  ainsi  que  les  autres  membres  du 
conseil  ou  du  gouvernement. 

A  cinq  lieues  plus  au  sud,  on  trouve  une 
autre  colonie  que  l'on  appelle  Hitanhaém, 
et  enfin  une  dernière  nommée  Sam-Paulo,  à 
douze  lieues  dans  l'intérieur  des  teires,  et 
fondée  par  les  pères  de  la  compagnie  (^e  Jésus). 
Les  habitants  en  sont  nombreux;  la  plupart 
sont  nés  de  Portugais  et  d'Indiennes  du  pays. 

Vers  le  nord,  est  une  autre  île,  séparée 
de  la  terre  ferme  par  un  second  bras  de  mer, 
qui  se  réunit  avec  le  premier ,  et  sur  lequel 
on  a  construit  deux  forts,  un  de  chaque 
côté ,  pour  défendre  cette  capitainerie  contre 
les  corsaires  et  les  Indiens.  Ils  sont  très-bien 
garnis  d'artillerie.  Ils  étaient  très-utiles  au- 
trefois ,  car  c'était  par-là  que  les  ennemis  a 
venaient  d'ordinaire  attaquer  les  habitants 
du  pays. 

Outre  les  villes   dont  je  viens  de  parler,  il 


46  HISTOIRE    DE    SANCTA-CRUZ. 

en  existe  dans  ces  capitaineries  un  grand  nom- 
bre d'autres  habitées  par  les  Portugais,  et 
dont  je  n'ai  pas  fait  mention ,  ayant  l'intention 
de  ne  traiter  que  des  plus  considérables,  et  de 
celles  qui  ont  des  officiers  de  justice  et  une 
juridiction  particulière ,  comme  plusieurs  de 
ce  royaume. 


M*   * 


«f«»  '  il 


û  * 


%0 


CHAPITRE  IV 


Du  gouvernement ,  des  mœurs  et  coutumes  des  habitants  des 
capitaineries. 


Lorsque  la  province  de  Sancta-Cruz  com- 
mença à  être  colonisée  par  les  Portugais  ,  elle 
forma  un  seul  gouvernement ,  à  la  tête  duquel 
se  trouvait  un  capitaine-général ,  ayant  sous 
ses  ordres  les  gouverneurs  de  chaque  capitai- 
nerie; mais  comme  elles  sont  fort  éloignées 


48  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

les  unes  des  autres,  et  que  les  habitants  aug- 
mentent dans  une  proportion  considérable, 
aujourd'hui  on  l'a  divisée  en  deux  gouver- 
nements :  l'un  se  compose  de  la  capitainerie 
de  Porto-Seguro  et  de  toutes  celles  qui  sont 
au  nord;  l'autre  de  la  capitainerie  de  Spiri- 
to-Sancto  et  de  toutes  celles  du  midi.  Le  gou- 
verneur de  la  partie  septentrionale  réside  à 
Bahia  de  Todos-os-Sanctos,  et  celui  de  la  par- 
tie méridionale  à  Rio-de- Janeiro.  On  les  a  pla- 
cés ainsi  chacun  au  milieu  de  sa  juridiction , 
pour  que  les  colons  soient  mieux  gouvernés 
et  plus  facilement. 

Quant  à  ce  qui  touche  les  habitants  et  leur 
manière  de  vivre  :  leurs  maisons  deviennent 
de  jour  en  jour  plus  belles  et  mieux  con- 
struites. Les  premières  étaient  seulement 
en  torchis  et  en  terre ,  et  couvertes  de  feuil- 
les de  palmier;  actuellement  il  y  en  a  de 
très-élevées ,  bâties  en  chaux  et  en  pierre, 
couvertes  et  lambrissées  comme  celles  de  ce 
pays-ci.   Elles    forment  même  des  rues  fort 


DE    SANCTA-CRUZ.  49 

longues  et  fort  belles  dans  la  plupart  des  éta- 
blissements dont  j'ai  parlé. 

Tel  est  l'accroissement  de  la  population, 
qu'on  espère,  avant  peu  de  temps,  qu'il 
s'élèvera  des  églises  magnifiques  et  d'autres 
édifices  qui  achèveront  d'embellir  le  pays. 

Les  capitaines  et  les  gouverneurs  ont  répar- 
ti des  concessions  de  terrain  à  la  plupart  des 
habitants  qui  sont  répandus  dans  la  province 
(i).  L'on  cherche  d'abord  à  avoir  des  esclaves 
pour  cultiver  la  terre  ;  et  si  une  personne  par- 
vient à  s'en  procurer  quatre  ou  six ,  elle  a  de 
quoi  subsister  honorablement  avec  sa  famille , 
quand  même  elle  ne  posséderait  pas  autre 
chose  ;  parce  que  l'un  va  à  la  chasse,  l'autre  à  la 
pêche,  et  le  reste  cultive  les  terres;  de  sorte 
que  les  colons  n'ont  aucune  dépense  à  faire 
pour  leur  nourriture  et  celle  de  leurs  esclaves. 
On  peut  calculer  ainsi  quelle  est  la  richesse 


(i)  Dans  le  texte  portugais  ces  concessions  sont  nommées 
sesmarias  ;  on  se  sert  encore  aujourJ'hui  de  cettfe  expression 
pour  désigner  les  teri-ains  concédés  par  le  gouvernement. 

4 


50  HISTOIRE    DE    SANCTA-CRLZ. 

de  ceux  qui  ont  deux  ou  trois  cents 
esclaves,  comme  beaucoup  d'habitants  :  il 
y  en  a  même  qui  en  ont  davantage.  Ces  co- 
lons vivent  très-bien  entre  eux,  s'entre- 
aident  les  uns  les  autres,  se  prêtent  leurs 
esclaves ,  et  viennent  volontiers  au  secours 
des  pauvres  qui  arrivent  pour  s'établir  dans 
le  pays.  Ceci  est  général  dans  toute  la  con- 
trée ;  et  ces  habitants  font  beaucoup  d'autres 
œuvres  pies,  si  bien  que  tout  le  monde 
a  de  quoi  vivre,  et  l'on  ne  voit  pas,  comme 
chez  nous,  des  malheureux  qui  vont  mendier. 


f  -Ss* 


CHAPITRE   V. 


% 


Des  plantes,   des  vivres  et  des  fruits  de  cette  province. 


Il  y  a  dans  cette  province  tant  de  plantes, 
de  fruits  et  d'herbes  dont  on  pourrait  rappor- 
ter beaucoup  de  choses,  que  ce  serait  un 
travail  infini  de  les  nommer  toutes  ici,  et  de 
décrire  les  propriétés  de  chacune  en  particu- 
lier. C'est  pourquoi  je  ne  ferai  mention  que 
de  quelques-unes   des  principales ,    surtout 


52  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

de  celles  dont   les   vertus  et  les  fruits  sont 
utiles  aux  Portugais. 

Je  parlerai  d'abord  de  la  plante  et  de  la 
racine  dont  les  habitants  tirent  leur 'nour- 
riture habituelle ,  et  qu'ils  mangent  au  lieu  de 
pain;  cette  racine  se  nomme  mandioca  {\)  -. 
la  plante  qui  la  produit  s'élève  environ  à 
la  hauteur  d'un  homme.  Elle  n'est  pas  très- 
grosse,  elle  a  beaucoup  de  nœuds  :  pour  la 
planter  en  culture  régulière ,  on  la  coupe  en 
morceaux  puis  on  la  fiche  en  terre  ;  on  la  cul- 
tive ensuite  comme  on  fait  à  l'égard  des  bou- 
tures, en  ayant  soin  de  travailler  la  terre 
comme  pour  d'autres  plantes.  Chaque  mor- 
ceau produit  trois  ou  quatre  racines ,  et  quel- 

(  I  )  On  sera  peut-être  curieux  de  connaître  les  noms  brési- 
liens des  diverses  espèces  de  manioc,  les  voici  tels  que  les  donne 
Vasconcelos.  (Cronica  da  companhia  do  eslado  do  Brasil, 
p.  i5o.)  i  es  principales  espèces  se  nomment  :  Mandijbuçu, 
Mandljbimana ,  Mandijbihiyana  ,  ManJijhiyurucit  ,  ^piiiuba, 
-^ipir;  elles  se  subdivisent  en  Jpijgoaçu,  ^ipijarande,^ipijcaba. 
■^'P'Jgoapamba,  Jipijcaborandl,  Jipijcurumu,  Jipijurumumîrt , 
■^ipijiurueuya  ,  ^ipijmachaxera  ,  j^ipij mania xau  ,  jiipijpocit, 
Jipijtarapoj-a  ,  ^ipijpilanga. 


DE    SANCPA-CRUZ.  53 

quefois  davantage  ,  selon  que  la  terre  est  plus 
ou  moins  fertile  :  elles  mûrissent  en  neuf  ou 
dix  mois,  excepté  dans  la  capitainerie  de  Sam- 
^icente ,  où  il  leur  faut  trois  ans ,  parce  que 
le  pays  est  très-froid.  Au  bout  de  ce  temps 
elles  deviennent  aussi  grandes  que  les  igna- 
mes de  Sam-Thomé  ;  mais  la  plupart  sont 
courbées  et  contournées  comme  des  cornes 
de  bœuf.  On  les  arrache  à  mesure  qu'on  veut 
les  manger  ;  on  coupe  la  plante  au  pied  et  on 
laisse  la  racine  cinq  ou  six  mois  sous  terre  : 
alors  elle  se  conserve  parfaitement;  sans  cela 
elle  se  gâterait.  A  Sam-Vicente  on  la  garde 
ainsi  pendant  vingt  ou  trente  ans. 

Quand  on  a  arraché  ces  racines,  on  les  met 
tremper  dans  de  l'eau  pendant  trois  ou  quatre 
jours ,  on  les  écrase  avec  beaucoup  de  soin  ; 
puis  on  introduit  la  pâte  obtenue  par  cette 
opération  dans  des  espèces  de  manches  lon- 
gues et  étroites ,  faites  avec  des  baguet- 
tes minces  et  tressées  comme  des  paniers. 
Ensuite  on  en   exprime  le  jus  de  manière 


54  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

qu'il  n'en  reste  pas  la  moindre  goutte  ;  car  il 
est  tellement  malsain  et  vénéneux  que  si  un 
homme  ou  un  animal  en  buvait ,  il  mourrait 
sur-le-champ.  Après  avoir  ainsi  nettoyé 
cette  pâte ,  ils  la  mettent  sur  le  feu  dans  une 
marmite,  et  une  Indienne  l'agite  continuel- 
lement jusqu'à  ce  que  la  chaleur  ait  en- 
levé toute  l'humidité,  ce  qui  a  lieu  en 
une  demie-heure  à  peu  près.  Cette  farine 
forme  la  principale  nourriture  des  habitants 
de  cette  province.  Il  y  en  a  de  deux  sortes  : 
l'une  se  nomme  farine  de  guerre  et  l'autre 
farine  fraîche;  celle  de  guerre  se  prépare 
en  la  faisant  sécher  et  torréfier  de  manière 
qu'elle  se  garde  près  d'un  an  sans  se  gâter  ; 
celle  qui  est  fraîche  est  plus  délicate  et  plus 
agréable  au  goût,  mais  elle  ne  peut  se  con- 
server plus  de  deux  ou  trois  jours ,  après 
quoi  elle  se  corrompt. 

On  prépare  aussi  avec  ce  mandioca  un  autre 
aliment,  nommé  beijàs;  il  ressemble  à  des 
oublies ,  mais  il  est  plus  grand  et  plus  blanc. 


DE    SANCTA-CRUZ.  55 

Beaucoup  d'habitants ,  particulièrement  ceux 
de  Bahia  de  Todos-os-Sanctos,  le  mangent  de 
préférence  parce  qu'il  est  de  meilleur  goût 
et  de  plus  facile  digestion. 

Il  existe  une  autre  espèce  de  mandioca 
dont  les  propriétés  diffèrent  de  celle-ci  ;  on 
le  nomme  aïpim;  on  en  fait  dans  quelques 
capitaineries  des  boules  qui  surpassent  en 
saveur  le  pain  frais  de  ce  pays-ci.  Le  suc  de 
cette  espèce  n'est  pas  vénéneux  comme  ce- 
lui de  l'autre ,  il  ne  fait  pas  le  moindre  mal 
quand  on  en  boit.  Cette  racine  se  mange 
aussi  rôtie,  comme  les  patates  ou  les  ignames, 
et  de  toute  manière  elle  est  très-bonne. 

On  récolte  en  outre  ^ns  ce  pays  beau- 
coup de  maïs  dont  on  fait  du  pain  très-blanc, 
du  riz ,  des  fèves ,  et  toute  sorte  de  légumes. 

Il  y  a  encore  une  autre  plante  qui  vient 
de  l'ile  Sam-Thomé  et  dont  le  fruit  sert 
de  nourriture  à  beaucoup  de  personnes.  Elle 
est  très  -  tendre,  s'élève  très-haut  ;  elle  n'a 
pas  de  branches,  mais  des  feuilles  qui   sont 


56  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE  / 

longues  de  sept  ou  huit  palmes.  Le  fruit 
nommé  hanàna ,  a  la  forme  d'un  concom- 
bre ,  et  vient  en  grappe;  quelques-unes  de  ces 
plantes  sont  si  grandes  qu'elles  portent  jus- 
qu'à cent  cinquante  bananes,  parmi  lesquel- 
les il  y  en  a  d'assez  grosses  et  d'assez  pesan- 
tes pour  briser  la  tige  en  deux.  Quand  il  en 
est  temps,  on  cueille  ces  grappes  >  et  quelques 
jours  après  elles  mûrissent.  Dès  qu'elles  sont 
cueillies,  on  coupe  la  plante,  parce  qu'elle 
ne  porte  du  fruit  qu'une  fois.  Il  pousse 
à  l'instant  sur  l'ancien  pied  des  rejetons 
qui  reproduisent  d'autres  grappes.  Ce  fruit  est 
très-savoureux  et  des  meilleurs  du  monde  ; 
il  est  couvert  d'une  peau  semblable  à  celle 
de  la  figue,  quoique  plus  dure  ;  on  l'ôte  quand 
on  veut  le  manger.  Mais  les  bananes  sont 
malsaines,  et  donnent  la  fièvre  à  ceux  qui 
en  mangent. 

Ce  pays  produit  aussi  une  espèce  d'arbres 
très-élevés    qu'on   nomme  zabucàes  (i),sur 

(  I  )  Lisez  gapucayar ,  c'esl  le  fruit  du  Quatelé  ou  lecythis  ollaria . 


DE    SANCTA-CRUZ.  5'J 

lesquels  il  croît  des  espèces  de  vases  aussi 
grands  que  de  grosses  noix  de  cocos  ;  ils  sont 
fort  durs ,  et  remplis  d'une  espèce  de  châtai- 
gnes'très-douce  et  très-savoureuse;  à  l'extré- 
mité inférieure  ils  sont  fermés  par  une  sorte 
de  couvercle  qui  parait  plutôt  l'ouvrage  de 
l'industrie  humaine  que  celui  de  la  nature. 
Quand  ces  châtaignes  sont  mûres ,  le  couver- 
cle se  détache  et  ces  fruits  tombent  les 
uns  après  les  autres ,  de  sorte  qu'il  f^nit  par 
n'en  plus  rester. 

Un  fruit,  meilleur  encore  et  plus  esti- 
mé  des  habitants  du  pays,  croît  sur  une 
petite  plante  qui  s'élève  très-peu  au-dessus 
du  sol  et  dont  les  feuilles  ressemblent  à  cel- 
les de  l'aloès.  Ce  fruit  se  nomme  ananâzes ,  et 
vient  comme  les  artichauts  ;  il  ressemble 
à  la  pomme  de  pin,  il  est  de  la  même  gran-. 
deur  ou  un  peu  plus  grand.  Quand  ils  sont 
mûrs  ils  ont  une  odeur  très-suave,  et  on  les 
coupe  en  tranches  pour  les  manger  ;  ils  sont 
si  bons  que,    de  l'avis  de  tout    le  monde,   il 


58  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE  ' 

n'y  a  pas  de  fruit  dans  notre  patrie  qui  puisse 
leur  être  comparé  ,  et  les  naturels  les  es- 
timent au-dessus  de  toutes  les  autres  pro- 
ductions de  leur  pays. 

Une  autre  espèce  de  fruit  vient  dans  les 
bois  sur  des  arbres  de  la  grandeur  des  poiriers 
ou  des  pommiers  :  il  ressemble  à  une  poire, 
il  est  d'une  couleur  très-jaune.  Ce  fruit  se 
nomme  cajàs  (i);  il  a  beaucoup  de  jus ,  et  on 
le  mange  dans  les  chaleurs  pour  se  rafraî- 
chir, car  il  est  très-froid  de  sa  nature  et  rend 
malade  quand  on  en  fait  excès.  Au  bout 
de  chacune  de  ces  pommes,  est  un  appen- 
dice de  la  grosseur  d'une  châtaigne ,  qui  a 
l'apparence  d'une  fève  ;  il  parait  le  premier,  et 
il  en  est  pour  ainsi  dire  la  fleur.  L'écorce  est 
extrêmement  acre,  et  l'amande,  quand  on 
la  fait  rôtir,  est  très-échauffante  et  plus  agréa- 
ble au  goût  qu'une  amande  douce. 

On   trouve  dans  cette  province  beaucoup 

(f  )  L'auteur  parle  ici  de  la  pomme  d'acajou. 


DE    SANCTA-CRUZ.  5^ 

d'autres  espèces  de  fruits  de  différentes 
qualités,  et  en  si  grand  nombre  que  des  per- 
sonnes ,  voyageant  dans  l'intérieur,  ont 
vécu  pendant  longtemps  sans  autre  nourri- 
ture ;  mais  ceux  dont  j'ai  parlé  sont  les  meil- 
leurs du  pays  et  les  plus  estimés  des  Portu- 
gais. On  récolte  aussi  beaucoup  de  produits 
du  Portugal,  des  concombres,  des  melons,  des 
tomates,  et  des  figues  de  plusieurs  espèces.  Les 
vignes  y  donnent  du  raisin,  deux  ou  trois  fois 
dans  l'année,  et  tous  les  autres  fruits  sont  en 
même  abondance ,  parce  que ,  comme  Je  l'ai 
dit ,  il  n'y  a  pas  dans  cette  contrée  de  froid 
qui  puisse  leur  faire  tort.  Les  limons  ,  les  cé- 
drats, les  oranges,  y  viennent  en  nombre  infi- 
ni, car  les  arbres  épineux  sont  très-communs, 
et  aucune  espèce  ne  multiplie  davantage. 

Outre  les  plantes  qui  produisent  les  fruits 
et  les  aliments  qu'on  mange  dans  ce  pays  , 
il  y  en  a  d'autres  que  les  colons  cultivent 
dans  leurs  habitations,  savoir,  les  cannes  à 
sucre  et  le  cotonnier,  qui  sont  les  principaux 


6o  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

objets  de  l'agriculture  :  tout  le  monde  s'en 
occupe  et  l'on  en  tire  de  grands  profits.  Dans 
toutes  les  capitaineries,  on  récolte  beaucoup 
de  coton  et  de  sucre,  surtout  dans  celle  de  Païa- 
nambuco.  On  y  a  établi  une  trentaine  de  sucre- 
ries et  autant  dans  la  baie  de  Salvador ,  et  elle 
en  fabrique  plus  sans  comparaison  qu'aucune 
autre.  11  y  a  aussi  dans  ces  capitaineries 
une  grande  abondance  de  bois  du  Brésil 
dont  les  habitants  tirent  de  grands  bénéfices. 
On  voit  bien  que  ce  bois  est  produit  par  la  , 
chaleur  du  soleil  ,  car  il  ne  croît  que  dans 
la  zone  torride  ;  et  plus  l'endroit  qui  le  four- 
nit est  rapproché  de  la  ligne  équinoxiale , 
plus  il  est  fin  et  de  bonne  couleur;  c'est  pour-  » 
quoi  il  n'y  en  a  pas  dans  la  capitainerie 
de  Sam-Vicente  ni  dans  les  pays  plus  méri- 
dionaux. ^ 

Une  autre  espèce  à'arbre  que  l'on  trouve 
aussi  dans  les  forêts  de  la  capitainerie  de  Pa- 
ranarabuco ,  c'est  le  copahibas ,  qui  donne 
un  baume  excellent  contre  beaucoup  de  ma- 


« 


DE    SANCTA-CRTIZ.  6l 

ladies  :  il  produit  surtout  des  effets  merveil- 
leux dans  celles  qui  sont  causées  par  les  fraî- 
cheurs, et  il  enlève  en  peu  de  temps  toutes  les 
douleurs ,  quelque  graves  qu'elles  soient.  Il 
possède  les  mêmes  vertus  pour  les  bles- 
sures et  toutes  les  autres  plaies  ,  les  guérit 
très-promptement ,  et  si  bien  qu'on  ne  voit 
même  pas  où  elles  ont  été  faites ,  et  en  cela 
il  ne  le  cède  à  nul  autre  remède. 

Cette  huile  se  trouve  toute  l'année  dans 
l'arbre  ;  mais  ceux  qui  la  vont  chercher  s'en 
occupent  pendant  l'été ,  parce  que  c'est  l'épo- 
que où  elle  est  plus  abondante.  Pour  se 
la  procurer  ils  donnent  de  grands  coups  au- 
tour du  tronc  qui  alors  distille  peu-à-peu 
cette  précieuse  liqueur.  Elle  ne  se  trouve  pas 
également  dans  tous  les  arbres,  mais  seule- 
ment dans  ceux  que  l'on  appelle  femelles; 
on  nomme  les  autres  mâles ,  et  il  n'est  pas 
facile  de  distinguer  les  deux  espèces  ;  car  elles 
sont  absolument  de  la  même  grandeur  et 
de  la    même  apparence.    La  plupart  de  ces 


6a  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

arbres  sont  rongés  par  les  animaux ,  qui , 
lorsqu'ils  ont  été  mordus  ou  blessés,  vont, 
par  un  instinct  naturel,  y  chercher  un  remède 
à  leurs  maux. 

Dans  la  capitainerie  de  Os-Ilheosetdans 
celle  de  Sam-Vicente,  croît  une  autre  es- 
pèce d'arbre,  nommé  caborahibas^  de  l'écorce 
duquel  on  tire  un  baume  qui  a  une  odeur 
très-suave;  il  guérit  les  mêmes  maladies. 
Ceux  qui  parviennent  à  s'en  procurer  l'esti- 
ment beaucoup  et  le  vendent  à  un  prix  fort 
élevé ,  car  outi^e  que  ces  arbres  sont  très-ra- 
res ,  ceux  qui  vont  à  leur  recherche  courent 
de  grands  dangers  de  la  part  des  ennemis  qui 
sont  perpétuellement  en  embuscade  dans  les 
bois  pour  les  tuer  et  qui  ne  font  jamais  de 
quartier. 

On  voit  aussi  dans  le  capitainerie  de  Sam- 
Vicente  un  certain  arbre  que  les  Indiens 
appellent  dans  leur  langue  obirâ  paramaçacî  y 
c'est-à-dire  arbre  contre  les  maladies  ;  quel- 
ques   gouttes   d'un    lait    qui    en    sort   sont 


DE    SANCTA-CRUZ.  63 

un  excellent  purgatif ,  et  si  l'on  en  avalait  seu- 
lement plein  une  coquille  de  noix ,  on  mour- 
rait sans  rémission. 

Quant  aux  autres  plantes  et  herbes  qui 
ne  donnent  pas  de  fruits  et  auxquelles  on 
ne  connaît  aucune  espèce  de  propriété,  je 
n'en  traiterai  pas  ici,  quoiqu'il  y  ait  bien 
des  choses  à  en  dire ,  parce  que ,  comme  je 
l'ai  observé  plus  haut,  j'ai  eu  l'intention  de 
parler  seulement  de  celles  qui  sont  utiles 
aux  naturels.  Je  ne  ferai  mention  que 
d'une  seule  espèce,  qui  est  très-extraordinaire 
et  dont  les  propriétés  causeront  beaucoup 
d'étonnement  quand  on  les  connaîtra  (i). 
Elle  se  nomme  herva  viva  ;  elle  a  quelque  res- 
semblance avec  la  ronce,  mais  quand  on 
la  touche  avec  les  mains  ou  d'une  au- 
tre manière,  elle  se  retire  et  paraît  pour 
ainsi  dire  une  créature  sensible  qui  "souffre 


(i)  11  s'agit  ici  de  la  sensitive,  qui  tapisse  en  effet  des  espaces 
fort  étendus  et  qui  rampe  ,  mais  dont  la  feuille  n'a  aucune  ana- 
logie avec  celle  de  la  ronce  que  l'auteur  nomme  sj-lvam  macho. 


6^  HISTOIRE    DE    SANCT A-CRU Z 

et  est  offensée  de  cet  attouchement;  et  quand 
on  la  laisse,  comme  oubliant  cet  affront,  elle 
commence  de  nouveau  à  s'épanouir  etredevient 
aussi  verte  et  aussi  robuste  qu'auparavant. 
Cette  plante  doit  avoir  quelque  propriété  que 
nous  ne  connaissons  pas ,  et  dont  les  effets 
sont  peut-être  encore  plus  étonnants  ;  car 
nous  savons  que  tous  les  végétaux  que  Dieu 
a  créés  ont  reçu  des  vertus  particulières  , 
chacun  pour  remplir  le  but  de  sa  créa- 
tion. Combien  plus  doit  en  posséder  celui-ci, 
que  la  nature  a  voulu  distinguer  d'une  ma- 
nière aussi  frappante ,  lui  donnant  une  exis- 
tence si  extraordinaire ,  et  si  différente  des 
autres  ! 


CHAPITRE  VI. 


Des  animaux  et  des  reptiles  venimeux  de  cette  province. 


Comme  cette  contrée  est  très-grande ,  et 
que  la  majeure  partie  est  inhabitée  et  rem- 
plie de  hautes  et  épaisses  forêts,  il  ne  faut 
pas  s'étonner  qu'il  y  ait  diverses  espèces  d'a- 
nimaux très-féroces  et  de  reptiles  très-veni- 
meux, puisque  dans  notre  pays,  qui  est  si 
peuplé  et  si  cultivé ,  on  trouve  dans  les  brous- 


II. 


66  HISTOIRE    DE    LA.    PROVINCE 

sailles  de  très-grands  serpents  dont  on  ra- 
conte des  choses  étranges,  et  d'autres  rep- 
tiles et  animaux  répandus  dans  les  landes 
et  les  forêts.  Les  hommes ,  quoique  très-mul- 
tipliés ,  n'ont  pu  réussir  à  les  tuer  tous ,  ni 
à  en  détruire  la  race  ;  combien  ne  doit-il  donc 
pas  y  en  avoir  dans  cette  province,  où  le  climat 
et  l'air  sont  si  favorables  à  leur  reproduction, 
où  de  nombreuses  forêts  leur  [offrent  un 
refuge  assuré?  Je  décrirai  les  insectes  veni- 
meux et  les  animaux  que  la  nature  y  avait 
répandus,  car  il  n'y  existait  pas  d'animaux 
domestiques  quand  les  Portugais  commen- 
cèrent à  la  coloniser;  mais  dès  qu'ils  eurent 
connu  le  pays  et  remarqué  l'avantage  qu'il  y 
aurait  à  en  élever,  ils  firent  venir  des  îles  du 
Cap- Verd ,  des  chevaux  et  des  juments  dont 
il  y  a  maintenant  un  nombre  considérable 
dans  toutes  les  capitaineries.  On  trouve  aussi 
dans  cette  province  une  grande  quantité  de 
bétail ,  et  particulièrement  des  bêtes  à  cornes, 
qu'on  y  a  originairement  amenées  des  mêmes 
îles. 


DE  SANCTA-CRUZ.  6'^ 

Quant  aux  animaux  indigènes ,  tous  sont 
sauvages ,  et  il  y  en  a  que  l'on  n'a  jamais  vus 
dans  d'autres   contrées.  Je  vais   en   donner 
une  description,  en  commençant  par  ceux  que 
l'on  mange  dans   le  pays ,  et  dont  la  chair 
est  en  abondance  dans  toutes  Tes  capitaineries. 
On  voit  beaucoup  de  cerfs,  et  des  sangliers 
de  diverses  espèces  ;  les  uns  sont  semblables 
à  ceux   de  notre  patrie  ;   d'autres  sont  plus 
petits,  et  ils  ont  le  nombril  sur  le  dos  (i). 
On  tue  un  grand  nombre   de  ces  derniers. 
Il  y  en  a  certains  qui  paissent  et    mettent 
bas  à  terre ,  et  vont  sous  l'eau  quand  ils  veu- 
lent. Comme  ceux-ci  ne  peuvent  pas  courir, 
parce    qu'ils  ont  les  pieds  de  derrière  trop 
longs  et  ceux  de  devant  très-courts,  la  na- 
ture a  voulu  qu'ils  pussent  vivre  sous  l'eau, 
où  ils  ne  manquent  pas  de  se  précipiter  s'ils 
voient  un  homme  ou  s'ils   craignent  quel- 
que danger.  Leur  chair  est  très-savoureuse, 

(i)  Le  pécari  ou  tajam. 


68  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

ainsi  que  celle  des  autres  sangliers;  elle  est  si 
saine  qu'on  la  donne  de  préférence  aux  malades, 
parce  qu  elle  est  bonne  pour  toutes  les  affec- 
tions et   ne  fait  jamais  de  mal  à  personne. 

D'autres  animaux  que  l'on  appelle  antas 
{les  ^op/r^), ressemblent  à  des  mules,  mais  ils 
ont  la  tête  plus  déliée  et  les  lèvres  allongées 
comme  une  trompe.  Les  oreilles  sont  rondes 
et  la  queue  courte  ;  ils  sont  cendrés  sur  le 
corps  et  blancs  sous  le  ventre.  Ils  ne  se 
montrent  que  la  nuit;  et  quand  le  jour 
paraît,  ils  s'enfoncent  dans  les  broussailles 
ou  dans  l'endroit  le  plus  reculé  qu'ils 
peuvent  trouver,  et  ils  y  restent  cachés 
tout  le  jour,  comme  des  oiseaux  de  nuit  à 
qui  la  lumière  est  odieuse.  Quand  le  soir 
arrive ,  ils  sortent  de  nouveau  et  retournent 
paitre  dans  le  même  endroit.  La  chair  de 
ces  animaux  a  tellement  le  goût  du  bœuf, 
qu'on  ne  peut  distinguer  l'une  de  l'autre. 

Il  y  a  encore  des  animaux  nommés  cotias 
{les  agoutis)fde  la  grandeur  des  lièvres  :  ils  ont 


1)E    SANCIA-CRUZ.  69 

la  même  saveur  et  sont  aussi  gros.  Ces  co- 
tias  sont  rouges;  ils  ont  les  oreilles  petites ,  et 
la  queue  si  courte  qu'on  la  voit  à  peine. 

D'autres  animaux  plus  grands,  nommés 
pacas ^  ont  le  museau  rond;  ils  ressemblent 
à  des  chats  :  leur  queue  est  comme  celles  des 
cotias  ;  ils  sont  de  couleur  fauve  et  tachetés  de 
blanc  par  tout  le  corps.  Quand  on  les  pré- 
pare pour  les  manger ,  on  enlève  le  poil 
comme  au  cochon  de  lait,  sans  les  écorcher, 
parce  qu'ils  ont  la  peau  très-tendre  et  très- 
bonne  ;  la  chair  en  est  aussi  très-délicate  et 
des  plus  savoureuses. 

Il  existe  aussi  dans  cette  contrée  une  espèce 
d'animaux  très-remarquables,  et  qui  selon 
moi  ne  ressemblent  à  aucune  autre  espèce; 
c'est  le  tatù  (  Varmadille  ) ,  animal  de  la  gran- 
deur du  cochon  de  lait;  il  est  couvert  d'é- 
cailles  ,  couleur  de  cagado  (i)  et  disposées  en 
lames ,  de  telle  façon  qu'ils  ont  absolument 

■%'■■    :,.     -I    .       '^ 
(  i)  Avec  un  accent  sur  le  premier  à ,  ce  mot  signifie  une  tor- 
tue dV  au  douce  ;  sans  accent,  conmie  notre  auteur  l'écrit,  la  si- 
gnification en  est  bien  différente. 


%,-*. 


•JO  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

l'air  d'un  cheval  recouvert  d'une  armure.  Leur 
queue  est  longue  et  entièrement  garnie  de 
la  même  écaille  ;  leur  tète  ressemble  à  celle 
d'un  cochon  de  lait,  quoique  un  peu  plus 
pointue  ;  ils  ont  les  jambes  très-courtes  et 
moins  couvertes  d'écaillés  que  la  tète.  Ils 
vivent  dans  des  terriers  comme  les  lapins; 
la  chair  de  ces  animaux  est  la  meilleure  et 
la  plus  estimée  qu'il  y  ait  dans  le  pays  ; 
elle  a  le  goût  du  poulet. 

Les  lapins  me  paraissent  ne  différer  en  rien 
de  ceux  du  Portugal. 

Enfin  tous  les  habitants  peuvent  chasser 
les  animaux  dont  je  viens  de  parler,  et  ils 
en  tuent  une  très-grande  quantité  sans  beau- 
coup de  peine.  On  chasse  partout  où  l'on 
veut,  et  il  n'y  a  pas  de  réserves  comme 
dans  notre  pays.  Un  seul  Indien,  s'il  est 
bon  tireur,  fournit  toute  une  maison  de  gi- 
bier ;  car  il  ne  se  passe  pas  de  jour  qu'il 
ne  tue  un  sanglier,  un  cerf  ou  un  des  ani- 
maux dont  je  viens  de  parler. 


DE    SANCTA-CRUZ.  «y  I 

On  y  voit  d'autres  quadrupèdes  très-féro- 
ces ,  qui  font  de  grands  ravages  parmi  tout  ce 
gibier  et  dans  les  troupeaux  des  habitants. 
Quelques-uns  les  nomment  tigres,  mais  ils 
sont  plus  généralement  connus  dans  le  pays 
sous  le  nom  d'onças  ;  cependant  plusieurs 
personnes  qui  s'y  connaissent,  et  qui  ont 
vu  des  tigres  dans  d'autres  parties  du  monde, 
affirment  qu'ils  appartiennent  à  cette  espèce. 
Ils  ressemblent  tout-à-fait  à  des  chats ,  et 
n'en  différent  que  par  la  taille,  car  il  y  en  a 
qui  sont  aussi  grands  que  des  veaux  ;  d'autres 
sont  plus  petits;  ils  ont  le  corps  rayé  de 
blanc,  de  jaune  et  de  noir.  Quand  ils  sont 
affamés,  ils  entrent  dans  les  enceintes  où 
l'on  renferme  le  bétail ,  et  tuent  beaucoup 
de  veaux  et  de  génisses  qu'ils  vont  man- 
ger dans  les  bois;  et  ils  en  font  de  même 
de  tous  les  animaux  qu'ils  peuvent  attra- 
per. Sont  -  ils  poursuivis ,  ils  attaquent  les 
hommes  et  sont  si  hardis,  qu'un  Indien  s'é- 
tant  une  fois  réfugié  sur  un  arbre  pour  échap- 


72  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

per  à  un  de  ces  tigres ,  cet  animal  s'établit 
au  pied  sans  que  plusieurs  personnes  accou- 
rues du  village ,  aux  cris  de  l'Indien ,  pussent 
réussir  à  l'effrayer.  11  resta  toujours  à  guetter 
sa  proie,  de  sorte  que  la  nuit  étant  venue, 
ces  hommes  dirent  à  l'Indien  de  prendre  pa- 
tience ,  que  le  tigre  se  fatiguerait  d'attendre  ; 
mais  le  lendemain,  soit  qu'il  eût  voulu  s'en 
aller  croyant  le  tigre  parti,  soit  qu'il  fût 
tombé  de  l'arbre  par  accident,  on  ne  trou- 
va plus  que  ses  os.  Lorsqu'au  contraire  ces 
animaux  sont  rassasiés,  ils  sont  lâches,  pol- 
trons ,  et  un  chien  suffit  pour  les  mettre  en 
fuite.  Quelquefois  ils  se  réfugient  sur  les 
arbres  et  s'y  laissent  tuer  à  coups  de  flèches 
sans  faire  aucune  résistance  :  d'où  l'on  voit 
que  la  gourmandise  détruit  la  prudence,  le  cou- 
rage et  la  vivacité  de  l'esprit,  non-seulement 
chez  les  hommes;  mais  qu'elleaffaiblit  aussi  les 
brutes  et  les  rend  incapables  d'user  de  leurs 
forces  naturelles,  même  quand  elles  auraient 
besoin  d'en  faire  usage  pour  défendre  leur  vie. 


DE  SANCTA-GRUZ.  "yS 

Les  cerigoês  (les  sarigues)  sont  des  animaux 
que  l'on  trouve  aussi  dans  ce  pays,  et  qui 
sont  de  la  grandeur  des  renards;  ils  ont  sous 
le  ventre  une  ouverture  qui  forme  deux 
bourses  dans  lesquelles  ils  mettent  leurs  pe- 
tits :  alors  chacun  d'eux  prend  une  mamelle' 
dans  sa  bouche  et  ne  la  lâche  pas  avant  d'a- 
voir achevé  de  téter.  On  affirme  que  ces 
animaux  ne  conçoivent  et  n'engendrent  pas 
leurs  petits  dans  le  ventre,  mais  dans  ces 
bourses  :  car  parmi  toutes  les  femelles 
qu'on  a  prises,  on  n'en  a  jamais  trouvé  de 
pleine  ;  et  ce  qui  rend  cette  conjecture  encore 
plus  probable,  c'est  qu'il  paraît  impossible 
qu'elles  mettent  bas  leurs  petits ,  selon  l'ordre 
de  la  nature,  comme  le  font  les  autres  ani- 
maux. !;•  " 

Le  perguiça  (  le  paresseux) ,  autre  animal 
de  la  même  grandeur,  se  rencontre  aussi  dans 
cette  province.  Sa  tête  est  fort  laide,  ses 
griffes  sont  très-effilées  et  semblables  à  des 
doigts.   Il  a   sur  la   nuque   une    espèce    de 


j4  HISTOIBE    DE    LA    PROVINCE 

crinière  qui  lui  couvre  le  dos  ;  il  va  toujours 
traînant  le  ventre  à  terre  ,  sans  jamais  se  le- 
ver sur  les  pieds  de  derrière  comme  les  au- 
tres animaux  ;  il  marche  si  lentement  que 
pendant  quinze  jours  il  n'avance  pas  de  la 
distance  d'un  jet  de  pierre  (i).  Il  se  nourrit 
de  feuilles  ;  on  le  trouve  ordinairement  sur 
les  arbres ,  mais  il  lui  faut  deux  jours  pour 
y  monter  et  autant  pour  en  descendre.  Comme 
il  ne  vit  que  de  feuilles,  et  ne  poursuit  pas 
d'autres  animaux,  il  ne  marche  pas  mieux 
dans  aucune  occasion. 

Les  tamendoâs  (  les  tamanoirs  )  sont  encore 
une  autre  espèce  d'animaux  du  pays  ;  ils  sont 
grands  comme  des  moutons;  leur  peau  est 
tachetée ,  leur  museau  très-allongé  et  très- 
étroit  au  bout.  Ils  n'ont  pas  la  bouche  fen- 
due comme  les  autres  animaux ,  et  elle  est 
si  petite  qu'à  peine  pourrait-on  y  mettre  deux 


(i)  Ceci  est  une  exagération  dont  l'histoire  naturelle  mo- 
derne a  fait  justice.  Voyez  les  observations  de  MM.  Quoy  et 
Gaymard,  dans  le  Voyage  autour  du  monde  de  M.  Freycinet. 


DE    SANCTA-CRCZ.  '^S 

doigts.  Leur  langue  est  très-étroite  et  a  près 
de  trois  palmes  de  long.  La  femelle  a  sur 
la  poitrine  deux  mamelles,  comme  celle  d'une 
femme,  et  un  pis  placé  à  l'extrémité  du  cou  en- 
tre les  pattes,  d'où  descend  le  lait  avec  le- 
quel elle  allaite  ses  petits.  Ils  ont  à  chaque 
pied  deux  ongles,  allongés  comme  deux  grands 
doigts  et  larges  comme  un  ciseau  de  menuisier; 
leur  queue  est  couverte  de  poil  et  presqu'aus- 
si  longue  que  celle  d'un  cheval.  Toutes  les 
choses  extraordinaires  que  l'on  remarque 
dans  cet  animal  sont  nécessaires  à  la  conser- 
vation de  sa  vie ,  parce  qu'il  ne  mange  que 
des  fourmis  :  ainsi  ses  grands  ongles  lui  ser- 
vent à  ouvrir  et  à  déterrer  les  fourmilières  : 
et  dés  que  cela  est  fait,  il  enfonce  sa  grande 
langue  dans  l'endroit  qui  est  ouvert,  et  quand 
elle  est  couverte  d'insectes,  il  la  retire,  les 
avale,  et  recommence  ce  manège  jusqu'à  ce 
qu'il  soit  rassasié. 

Il  y  a  aussi  dans  ce  pays  un  grand  nombre 
de  singes  et  de  beauco  up  d'espèces,  mais  comme 


•^6  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

ils  sont  connus  partout,  je  ne  m'étendrai 
pas  sur  ce  sujet ,  et  je  dirai  seulement  avec 
brièveté  les  choses  les  plus  dignes  d'êtie  rap- 
portées. ^       J\, 

Il  y  en  a  quelques-uns ,  de  couleur  rousse , 
qui  exhalent  une  odeur  très-suave  et  très- 
agréable  à  toutes  les  personnes  qui  s'en  ap- 
prochent :  si  on  les  frotte  avec  la  main  ou 
s'ils  transpirent,  l'odeur  devient  plus  forte. 
Ils  sont  fort  rares  dans  cette  province  et 
ne  se  trouvent  que  très-avant  dans  l'in- 
térieur. D'autres ,  plus  grands ,  sont  noirs  et 
barbus  comme  des  hommes;  on  les  dit  si  har- 
dis que  quand  les  Indiens  les  ont  blessés  à 
coups  de  flèches ,  ils  les  arrachent  de  leur, 
corps  et  les  jettent  à  ceux  qui  les  ont  lan- 
cées ;  ils  sont  très-sauvages  et  les  plus  agiles 
du  pays.  '  ' 

Deux  espèces ,  un  péîi  plus  grandes  que 
les  belettes,  vivent  sur  la  côte;  on  les  nomme 
sagois  {ou  sahuis)  :  les  uns  sont  jaune  doré; 
d'autres  sont  fauves;  ils  ont  le  poil  très-fin ,  et 


DE    SANCTA-CRTJZ.*  'J^ 

ressemblent  à  des  lions  par  la  forme  de 
leur  tête  et  la  conformation  de  leur  corps  ; 
ils  sont  très-beaux  ;  on  les  trouve  depuis  Rio- 
de- Janeiro  vers  le  sud  (i).  Les  fauves  au 
contraire  habitent  les  capitaineries  septen- 
trionales; on  les  apprivoise  facilement,  mais 
ils  ne  sont  pas  aussi  jolis  que  les  jaunes.  Ces 
deux  espèces  sont  si  vives  et  si  délicates  que 
les  individus  que  l'on  tire  du  pays  pour  les 
embarquer  et  les  envoyer  en  Portugal  meu- 
rent presque  tous  pendant  la  traversée ,  et  ce 
n'est  que  par  hasard  qu'il  en  échappe  quel- 
ques-uns. 

Les  bois  renferment  de  très-grands  ser- 
pents ,  de  diverses  espèces ,  auxquelles  les  In- 
diens donnent  des  noms  différents,  selon  leurs 
propriétés  :  il  y  en  a  dans  l'intérieur  d'une 
taille  si  énorme,  qu'ils  avalent  un  cerf  en- 
tier ou  tout  autre  animal  de  la  même  gran- 
deur, et  ce  n'est  pas  bien  étonnant,  puisque 

(i)  C'est  le  simia  rosalia ,  qu'on  ne  rencontre  guère  en  effet 
au-àdlà  du  Cap  Frio  en  s' avançant  vers  la  ligne. 


•^8  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

nous  voyons  chez  nous  des  reptiles  qui  ne 
sont  pas  très-grands  avaler  un  lièvre  ou  un 
lapin ,  tandis  que  leur  gosier  est  si  petit  qu'on 
croirait  pouvoir  à  peine  y  mettre  le  doigt. 
Quand  ces  serpents  veulent  avaler  leur 
proie ,  il  s'élargit  de  manière  qu'elle  y  passe 
en  entier  ;  ils  la  sucent  pour  ainsi  dire ,  et  par 
ce  moyen  parviennent  à  les  introduire  dans 
leur  estomac,  comme  cela  arrive  chez  nous; 
il  paraît  encore  plus  naturel  que  ceux-ci ,  à 
cause  de  leur  grandeur,  puissent  engloutir 
quelque  animal  que  ce  soit. 

Il  en  existe  une  autre  espèce,  moins  grande 
et  plus  venimeuse.  Ce  serpent  a  au  bout  de 
la  queue  une  chose  semblable  à  une  sonnette , 
et  qui  fait  du  bruit  quand  il  s'agite ,  ce  qui 
avertit  ceux  qui  l'entendent  d'être  sur  leurs 
gardes.  11  y  en  a  une  infinité  d'autres  , 
dont  je  ne  parlerai  pas  pour  éviter  d'être 
prolixe  :  presque  toutes  sont  si  nuisibles 
et  si  venimeuses ,  particulièrement  celle  que 
l'on  nomme  gerarâcas ,  que  c'est  un  miracle 


DE    SANCTA-CRUZ.  'jg 

quand  ceux  que  ces  serpents  ont  mordus  en  ' 
réchappent  :  ils  vivent  tout  au  plus  vingt- 
quatre  heures. 

Dans  les  lacs  et  dans  les  rivières  d'eau 
douce  on  trouve  de  très-grands  lézards ,  dont 
les  testicules  ont  une  odeur  qui  surpasse  celle 
du  musc.  Le  linge  qui  y  a  touché  conserve 
cette  odeur  pendant  plusieurs  jours. 

Beaucoup  d'autres  animaux  et  de  reptiles 
venimeux  habitent  ce  pays;  je  n'en  parle  pas; 
car  il  y  en  a  tant  qu'il  faudrait  faire  un  livre  ex- 
près pour  les  nommer  tous  et  traiter  de  la  na- 
ture de  chacun.  Leur  nombre  est  infini, comme 
cela  doit  être  à  cause  du  climat  et  de  la 
disposition  du  pays.  Les  vents  qui  viennent 
de  l'intérieur  arrivent  empoisonnés  par  la 
putréfaction  des  herbes,  et  l'influence  du  so- 
leil en  fait  naître  beaucoup  d'animaux  très- 
venimeux;  voilà  pourquoi  il  y  en  a  une  si 
grande  quantité  sur  les  côtes,  comme  je  viens 
de  le  dire. 


J       • 


CHAPITRE  VII. 


Des  oiseaux  de  ce  pays. 


De  toutes  les  choses  dont  je  ferai  mention 
dans  cette  histoire,  la  plus  belle  et  la  plus 
agréable  à  la  vue  de  l'homme,  c'est  la  grande 
quantité  d'oiseaux  magnifiques  et  du  plu- 
mage le  plus  varié  qui  habitent  ce  pays; 
mais  il  y  en  a  de  tant  d'espèces,  que  je  trai- 
terai seulement  des  plus  remarquables ,    et 


82  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

des  plus  estimées  par  les  Portugais  et  les  In- 
diens. 

On  voit  dans  cette  province  beaucoup 
d'oiseaux  de  proie,  très-beaux  et  de  diver- 
ses espèces ,  comme  des  aigles,  des  faucons  , 
des  milans  et  bien  d'autres  du  même  genre. 

Les  aigles  sont  très-grands  et  très-forts  ; 
ils  attaquent  avec  tant  de  furie  les  oiseaux 
ou  les  animaux  qu'ils  veulent  prendre,  et 
quelquefois  ils  poursuivent  si  aveuglément 
le  gibier,  qu'ils  se  heurtent  contre  les  mai- 
sons des  habitants  et  tombent  sans  pouvoir 
se  relever.  Les  Indiens  ont  coutume  d'enle- 
ver leurs  petits  et  de  les  nourrir  dans  des 
cages  :  quand  ils  sont  devenus  grands,  ils 
se  servent  de  leurs  plumes  pour  se  parer. 

Les  faucons  sont  comme  ceux  de  notre 
pays,  mais  une  centaine  espèce  a  les  pieds 
si  velus  et  si  couverts  de  plumes  ,  qu'on 
ne  peut  distinguer  leurs  serres;  ils  sont  extrê- 
mement légers,  et  il  est  bien  rare  que  l'oi- 
seau ou  le   gibier    qu'ils  poursuivent    par- 


DE    SANCTA-CRUZ,.  83 

vienne  à  leur  échapper.  Les  milans  sont  aussi 
très-agiles  et  très-forts,  surtout  une  petite  es- 
pèce qui  ressemble  à  l'émérillon,  et  qui ,  mal-  - 
gré  sa  petitesse ,  prend  une  perdrix  dans 
ses  serres  et  l'emporte.  Ces  animaux  sont  si 
hardis  que  souvent  ils  poursuivent  un  oi- 
seau et  le  saisissent  au  milieu  des  gens,  sans 
se  retirer  quoiqu'on  fasse  du  bruit  pour  les 
effrayer. 

Les  oiseaux  du  pays  que  l'on  mange  ou 
dont  les  habitants  font  usage ,  sont  les  sui- 
vants : 

On  nomme  macucagoâs  (i)  une  espèce 
qui  est  noire,  et  plus  grande  que  les  poules; 
ces  oiseaux  ont  trois  rangées  de  plumes  aux 
ailes;  ils  sont  très-gras  et  très-tendres.  Les 
habitants  en  font  grand  cas ,  parce  qu'ils  sont 
très-savoureux  et  meilleurs  que  tous  ceux 
qu'on  mange  chez  nous.  ^ 

Il  V  en  a  une  autre  espèce  presque  aussi 

.   --l    .    .. 

■    -         -  ■       ■  .  .V,        ■         -  •      i  ' 

(i)  Ce  nom  n'est  plus  usité.  •  -: 


84  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

grande  que  celle-ci,  qu'on  nomme  j'a cils ,  et 
que  nous  appelions  poules  des  bois  ;  on  en 
voit  de  fauves  et  de  noires.  Elles  ont  un 
cercle  blanc  sur  la  tête,  et  la  poitrine  ver- 
meille ;  on  en  tue  beaucoup.  Elles  sont  très- 
savoureuses  et  des  meilleures  qu'il  y  ait 
dans  les  bois.  Il  y  a  aussi  des  tourterelles  , 
des  perdrix  et  des  pigeons  semblables  à 
ceux  d'Europe ,  ainsi  que  beaucoup  d'oies  et 
de  canards  sauvages ,  le  long  des  lacs  et  des 
rivières,  et  une  multitude  d'autres  espèces 
aussi  bons ,  aussi  savoureux  que  les  meil- 
leurs qui  se  mangent  chez  nous,  et  très-esti- 
més  pour  cette  raison. 

On  trouve  dans  cette  contrée  une  grande 
variété  de  très-jolis  perroquets.  Les  plus  beaux 
et  en  même  temps  les  plus  rares,  sont  plus 
grands  que  les  faucons  et  se  nomment  ana- 
purus.  Le  plumage  de  ces  perroquets  est 
de  couleurs  différentes  ;  ils  ne  se  trou- 
vent que  très-loin  dans  l'intérieur  du  pays, 
mais  on  les  apprivoise  si    bien   qu'ils  vien- 


DE    SANCTA-CRliZ.  85 

nent  pondre  dans  la  maison,  et  s'accoutument 
mieux  à  vivre  avec  les  hommes  qu'aucune  es- 
pèce d'oiseau,  quelque  privée  et  domestique 
qu'elle  soit.  C'est  pourquoi  les  Indiens  les 
estiment  autant  que  deux  ou  trois  esclaves , 
et  les  Portugais  qui  parviennent  à  s'en  pro- 
curer en  font  le  même  cas  ;  car,  ainsi  que  je 
l'ai  dit,  ils  sont  très-beaux  et  parés  de  cou- 
leurs plus  brillantes  qu'aucun  autre  oiseau 
du  pays. 

Une  autre  espèce  fort  belle,  très-estimée  et 
presque  aussi  grande ,  porte  le  nom  de  ca- 
nindés  ,•  elle  est  entièrement  bleue,  à  l'excep- 
tion de  quelques  plumes  jaunes  aux  ailes. 
D'autres  perroquets  de  la  même  grandeur 
ont  le  plumage  rouge  parsemé  de  plumes 
jaunes  ;  on  les  nomme  arâras  ;  ils  ont  les  ailes 
bleues  ;  et  une  queue  très  -  grande  et  fort 
belle. 

Ceux  qui  parlent  avec  plus  de  facilité  et 
mieux  que  tous  les  autres  se  nomment  per- 
roquets   véritables;    ils    sont    d'une    espèce 


86  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

beaucoup  plus  petite.  Les  Indiens  les  appor- 
tent des  montagnes  pour  les  échanger  con- 
tre des  bagatelles  ;  ils  sont  à  peu  près  de  la 
grandeur  d'un  pigeon  -tout  leur  corps  est  d'un 
vert  clair,  la  tête  jaune  et  le  dessous  des  ai- 
les rouge.  On  trouve  sur  la  côte  habitée  par 
les  Portugais  une  autre  espèce  de  même 
grandeur  et  d'un  vert  foncé ,  leur  tête  est 
bleue  comme  le  romarin.  Ils  y  sont  plus  nom- 
breux que  ,  chez  nous  ,  les  corneilles  ou 
les  étourneaux;  on  ne  les  estime  pas  autant 
que  les  autres  ,  parce  qu'ils  s'échappent 
souvent,  et  qu'outre  cela  ils  parlent  diffi- 
cilement. On  a  ordinairement  beaucoup  de 
peine  à  le  leur  apprendre;  mais  quand 
on  y  parvient,  ils  ont  le  même  prix  que 
les  autres  et  sont  aussi  estimés.  C'est  pour- 
quoi les  Indiens  les  plument  quand  ils  sont 
jeunes,  et  les  frottent  avec  le  sang  d'une 
certaine  grenouille  (ij  et  autres  substances 


(i)  Rana  tinctoria,  on  appelle  encore  cette  curieuse  opération 
tapirer  un  perroquet. 


DE    SANCTA-CRUZ.  ^  Ô'J 

qu'ils  y  ajoutent  :  les  plumes  qui  repous- 
sent sont  alors  de  la  couleur  de  celles  des 
perroquets  véritables ,  et  souvent  les  naturels 
parviennent  à  tromper  les  acheteurs  en  les 
vendant  pour  tels. 

Une  certaine  espèce  très-petite,  et  qui 
vient  de  l'intérieur,  se  nomme  tujns.  Ils 
sont  un  peu  plus  grands  que  les  moineaux, 
entièrement  verts,  sans  aucun  mélange ,  leur 
bec  et  leurs  pieds  sont  blancs  :  leur  queue  est 
très-longue;  cette  espèce  parle,  elle  est  très- 
belle  et  s'apprivoise  facilement.  On  en  trouve 
aussi  sur  la  côte  de  la  grandeur  des  merles , 
on  les  nomme  marcanâos  ;  ils  ont  la  tête  fort 
grosse  ainsi  que  le  bec  ;  ils  sont  verts  et  par- 
lent comme  les  autres. 
Outre  les  différentes  espèces  d'oiseaux  dont 

je  viens  de  parler  ,  je  ferai  encore  mention 

de  quelques  autres,  et  je  commencerai  par 

les  oiseaux  de  mer. 

Les  goaras  sont  à  peu  près  de  la  grandeur 

des  poules  d'eau;  le  premier  plumage  dont 


88  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

les  revêt  la  nature  est  blanc ,  sans  aucun  mé- 
lange et  d'une  grande  finesse  ;  ils  en  chan- 
gent au  bout  d'environ  deux  ans ,  et  de- 
viennent entièrement  fauves.  Deux  autres 
années  après  ces  plumes  tombent  et  sont 
remplacées  par  d'autres  d'un  noir  parfait  ; 
enfin  ils  deviennent  du  plus  beau  rouge  cra- 
moisi qu'il  soit  possible  de  voir ,  et  restent 
ainsi  jusqu'à  leur  mort. 

On  trouve  dans  la  capitainerie  de  Param- 
buco  une  espèce  d'oiseaux  fauves,  deux  fois 
grands  comme  les  coqs  du  Pérou;  ils  ont 
sur  la  tête ,  au-dessus  du  bec,  une  sorte  d'épe- 
ron pointu  comme  une  corne,  mêlé  de  blanc 
et  de  fauve  foncé,  long  d'une  palme  environ, 
et  trois  autres  un  peu  plus  petits  aux  ailes, 
savoir  :  un  à  la  naissance ,  un  à  la  jointure 
du  milieu,  et  le  dernier  à  la  pointe.  Leur  bec 
est  comme  celui  des  aigles;  leurs  pieds  sont 
gros  et  très-longs  ;  ils  ont  aux  genoux  des 
callosités  grosses  comme  le  poing  :  quand  ils 
se  battent  avec  d'autres  oiseaux  ils  se  tour- 


DE    SANCTA-CRUZ.  S9 

tient  de  coté  et  se    servent   ainsi  de  toutes 
les  armes  que  la  nature  leur  a  données. 

Il  y  a  dans  le  pays  une  autre  espèce  d'oi- 
seaux, dont  le  nom  est  connu  de  tout  le  mon- 
de :  ils  ressemblent  plutôt  à  des  animaux  ter- 
restres qu'à  des  oiseaux,  par  les  raisons  que 
je  vais  donner  ;  et  cependant  comme  ce  sont 
des  volatiles,  je  ne  laisserai  pas  d'en  faire 
mention,  ainsi  que  des  autres.  On  les  nomme 
hémas  ;  ils  ont  autant]  de  chair  qu'un  mou- 
ton; leurs  jambes  sont  si  longues  qu'un 
homme  arrive  à  peine  à  la  hauteur  de  leurs 
ailes  ;  ils  ont  le  cou  très-long  et  la  tête  comme 
celle  des  canes;  ils  sont  fauves,  blancs  et 
noirs ,  et  ils  ont  sur  le  corps  des  plumes  très- 
belles,  que  dans  notre  pays  les  élégants  et 
les  militaires  portent  à  leur  bonnet  ;  ces  oi- 
seaux paissent  l'herbe   comme  le  bétail ,  ne 

s'élèvent  jamais  de  terre ,  et  ne  volent  pas 
comme  les  autres.  Ils  ouvrent  seulement  les 
ailes  et  courent  alors  en  rasant  la  terre.  C'est 
pourquoi  ils  ne  vont  jamais  dans  les  endroits 


90  HISTOIRE    DE    SANCTA-CRljZ. 

OÙ  il  y  a  des  broussailles  et  des  arbres,  afin 
de  pouvoir  voler  et  courir  à  la  Ibis,  comme  je 
l'ai  dit. 

Il  me  serait  facile  de  parler  de  beaucoup 
d'oiseaux  de  ce  pays,  que  la  nature  a  parés 
de  très-belles  couleurs  ;  mais  comme  mon  in- 
tention en  écrivant  cette  histoire  a  été  d'être 
bref  et  d'éviter  tout  ce  qui  pourrait  m  attirer 
le  reproche  de  prolixité,  je  n'ai  parlé  que  des 
choses  qui  sont  les  plus  remarquables ,  et  je 
passerai  sous  silence  celles  qui  sont  moins 
dignes  d'attention. 


CHAPITRE  VIII. 


De  quelques  poissons  remarquables ,  des  baleines  et  de  l'ambre. 


On  trouve  dans  ce  pays  une  telle  abon- 
dance de  poissons  savoureux  et  sains,  tant 
dans  la  mer  que  dans  les  baies  et  les  riviè- 
res, qu'ils  suffiraient  amplement  pour  nour- 
rir les  habitants  de  toutes  les  capitaineries, 
quand  même  la  terre  ne  produirait  pas  tous  les 
aliments  et  tout  le  gibier  dont  j'ai  parlé  plus 


92  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

haut.  Sans  tenir  compte  d'une  multitude  de 
poissons  qui  ressemblent  à  ceux  que  nous 
avons  en  Portugal,  je  parlerai  seulement 
d'une  espèce ,  que  l'on  nomme  poissons 
bœufs,  parce  qu'ils  sont  aussi  grands  que  ces 
animaux ,  car  il  y  en  a  qui  pèsent  quarante 
ou  cinquante  arrobas  (i).  Leur  tète  est  sem- 
blable à  celle  des  bœufs  :  ils  ont  deux  na- 
geoires qui  sont  faites  comme  des  jambes  , 
et  les  femelles  ont  deux  mamelles  pour  allaiter 
leurs  petits  ;  leur  queue  est  large ,  plate  et 
courte  :  quoiqu'on  ne  puisse  les  comparer  à 
aucun  poisson,  cependant  ils  ressemblent  un 
peu  au  thon.  On  trouve  ces  poissons  dans  les 
rivières  et  dans  les  baies  de  cette  côte,  par- 
ticulièrement dans  les  endroits  où  il  y  a 
quelque  ruisseau  qui  se  jette  à  la  mer,  par- 
ce qu'ils  sortent  la  tête  hors  de  l'eau  et  pais- 
sent l'herbe  qui  croît  dans  ces  endroits.  Ils 
mangent  aussi    les    feuilles  d'un    arbre  que 


(i)  L'arroba  contient  Si  livres  portugaises,  chacune  équiva- 
lant à  kil.  0,468,948. 


•  DE    SANCTA-CRUZ.  gS 

l'on  appelle  mangues ,  et  qui  est  très-commun 
le  long  de  ces  mêmes  rivières.  Les  habitants 
les  tuent  à  coups  de  harpon  ;  ils  en  prennent 
aussi  quelques-uns  dans  les  pêcheries,  où  ces 
poissons  remontent  avec  la  marée,  et  quand 
elle  baisse  ils  cherchent  vainement  à  retour- 
ner à  la  mer  d'où  ils  sont  venus.  La  chair  en 
est  très-bonne  ;  elle  ressemble  à  de  la  viande 
et  elle  en  a  le  goût  ;  quand  elle  est  rôtie  on 
nepeutla  distinguer  du  filet  de  porc  :  on  la  fait 
cuire  aussi  avec  delà  viande,  et  on  la  prépare  de 
même;  si  bien  que  personne  en  la  goûtant  ne 
croirait  manger  du  poisson,  s'il  ne  le  savait  pas. 
On  pêche  une  autre  espèce  de  poissons, 
nommés  camhoropins ,  et  qui  sont  de  la 
grandeur  des  thons  ;  ils  ont  des  écailles  très- 
dures  et  plus  grandes  que  celles  des  autres 
poissons.  On  les  tue  avec  des  harpons  et  lors- 
qu'on en  veut  prendre  on  se  place  sur  un 
rocher,  une  pointe  de  terre  ou  tout  autre  en- 
droit commode  pour  cette  sorte  de  pêche. 
Quand  on  est  bon  pêcheur  et  qu'on  les  voit 


94  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

venir,  on  les  laisse  d'abord  passer ,  pour  ne 
pas  porter  de  coups  inutiles,  et  l'on  attend 
jusqu'à  ce  qu'on  puisse  les  harponner  par 
derrière ,  pour  que  le  fer  entre  sans  que 
les  écailles  l'en  empêchent  ;  car,  ainsi  que  je 
l'ai  dit,  elles  sont  très-dures,  et  si  on  les 
atteint,  il  est  presqu'impossible  de  les  tra- 
verser. C'est  un  des  meilleurs  poissons  de  ces 
parages  ;  il  est  non-seulement  très-savoureux  , 
mais  encore  fort  sain  et  moins  gras  qu'aucun 
de  ceux  qu'on  y  mange. 

Une  autre  espèce  de  poissons  d'eau  douce 
se  nomme  tamoatâs\  ils  sont  environ  de  la 
grandeur  des  sardines  et  couverts  d'ëcailles 
séparées  par  bande,  de  sorte  qu'ils  ressem- 
blent aux  tatous  dont  j'ai  parlé  plus  haut  ; 
leur  chair  est  très-bonne,  et  les  naturels  du 
pays  en  font  grand  cas. 

Les  mayacûs ,  autre  espèce  de  poissons 
très-petits,  ressemblent  aux  xarocos  (i)  ;   ils 

(i)  Les  dictionnaires  désignent  le  xaroco  comme  une  sorte 
de  poisson  ,  sans  préciser  l'espèce. 


DE    SABrCTA-<:RUZ,  .96 

sont  très-venimeux;  la  peau  surtout  en  est  si 
malfaisante  que  toute  personne  qui  en  avale- 
rait seulement  une  bouchée  mourrait  sur 
l'heure  :  car  on  ne  connaît  dans  le  pays  au- 
cun moyen  qui  puisse  empêcher  ni  même 
suspendre  l'effet  de  ce  poison  mortel.  Quel- 
ques Indiens  se  hasardent  à  en  manger  après 
en  avoir  retiré  la  peau  et  la  partie  inférieure 
du  corps,  où  l'on  dit  que  se  trouve  le  ve- 
nin; cependant  ils  ne  laissent  pas  d'en 
mourir  quelquefois.  Ces  poissons  enflent  tel- 
lement quand  ils  sont  hors  de  l'eau ,  qu'ils 
ressemblent  à  une  vessie  pleine  de  vent.  Ils 
sont  assez  peu  craintifs,  pour  qu'on  puisse 
facilement  les  prendre  avec  la  main ,  et  soU" 
vent  ils  se  tiennent  si  tranquilles  auprès  du 
bord,  qu'on  est  pour  ainsi  dire  invité  à  les 
prendre  et  à  les  manger. 

On  ne  trouve  pas  dans  ces  parages  d'autres 
poissons  qui  méritent  que  je  m'en  occupe  par- 
ticulièrement, parce  que,  comme  je  l'ai  dit, 
ils  ne  diffèrent  pas  essentiellement  de  ceux  de 


96  HISTOIRE     DE    LA    PROVINCE 

notre  pays,  et  beaucoup  sont  des  mêmes 
espèces,  mais  très-savoureux  et  si  bons  qu'on 
ne  les  défend  pas  aux  malades  et  qu'ils  ne 
leur  font  aucun  mal  ;  ils  sont  très-faciles  à 
digérer  dans  toutes  les  maladies  :  de  quel- 
que manière  qu'on  les  mange ,  ils  ne  nuisent 
pas  à  la  santé. 

11  ne  me  paraît  pas  hors  de  propos  de  trai- 
ter ici  des  baleines  et  de  l'ambre  qu'elles  pro- 
duisent, dit-on.  Ce  que  j'en  sais,  c'est  que  dans 
ces  parages  il  y  en  a  beaucoup  qui  ont  l'ha- 
bitude de  venir  delà  haute  mer  sur  la  côte,  du- 
rant certaines  époques  ,  de  préférence  à  d'au- 
tres ;  et  c'est  précisément  au  moment  où  elles 
se  montrent  que  l'ambre  est  rejeté  par  les 
flots  dans  divers  endroits  de  la  province. 

Voilà  pourquoi  beaucoup  de  personnes 
pensent  que  cet  ambre  n'est  autre  chose  que 
l'excrément  des  baleines.  C'est  ainsi  que  les 
Indiens  l'appellent  dans  leur  langue ,  qui  n'a 
pas  d'expression  particulière.  D'autres  pré- 
tendent que   sans  aucun  doute  c'est  le  sper- 


DE    SANGTA-CRUZ.  97 

me  de  ces  mêmes  baleines  ;  mais  je  suis  per- 
suadé (  mettant  de  côté  ces  opinions  et  d'au- 
tres également  erronées  )  que  c'est  une  li- 
queur qui  se  forme  au  fond  de  la  mer,  non 
pas  partout ,  mais  seulement  où  la  nature 
a  disposé  les  choses  pour  en  produire. 
Comme  cette  liqueur  est  l'aliment  des  ba- 
leines ,  on  peut  affirmer  qu'elles  en  man- 
gent jusqu'à  satiété,  et  que  les  morceaux 
rejetés  par  la  mer  sortent  de  leur  esto-  ,. 
mac.  S'il  n'en  était  pas  ainsi,  et  si  l'am- 
bre était  le  produit  des  baleines  elles-mêmes, 
on  en  trouverait  sur  toute  la  côte,  puisqu'il 
y  a  partout  des  baleines.  D'ailleurs,  on  l'a  vu 
par  l'expérience,  plusieurs  de  ces  poissons 
étant  venus  échouer  sur  la  côte,  on  trouva 
dans  leur  ventre  de  gros  morceaux  d'ambre 
dont  les  qualités  avaient  déjà  été  altérées 
par  les  sucs  digestifs,  parce  qu'il  y  avait 
quelque  temps  qu'ils  étaient  avalés;  et  on 
en  vit  d'autres  dans  leur  estomac  qui  étaient 

encore  tout  frais  et  qu'elles  paraissaient  avoir 

II.  7 


7K 


9^  HISTOIRE    DE    LA    PROVI^'CE 

mangés  un  instant  avant  de  mourir.  Leurs  ex- 
créments ,  au  contraire,  soit  dans  l'endroit  où 
ils  se  forment,  soit  dans  celui  par  où  ils 
sortent,  ne  ressemblent  en  rien  à  l'ambre,  et 
ne  paraissent  pas  diÊFérer  de  ceu:x  des  autres 
animaux  ;  ce  qui  prouve  clairement  la  fausseté 
de  la  première  opinion  dont  j'ai  parlé.  La 
seconde  n'est  pas  plus  exacte ,  car  le  sperme  des 
baleines  est  ce  que  nous  nommons  balso  : 
on  en  trouve  beaucoup  dans  cette  mer  ;  on 
le  dit  très-bon  pour  les  blessures,  et  il  est 
connu  pour  cette  vertu  par  tous  ceux  qui 
naviguent.  L'ambre,  lorsqu'il  sort  de  la 
mer,  est  mou  comme  du  savon,  et  presque 
sans  aucune  odeur,  mais  au  bout  de  quelques 
jours  il  se  durcit  et  prend  ce  parfum  que 
tout  le  monde  connaît.  Il  y  en  a  deux  espè- 
ces .  l'un  est  fauve,  c'est  celui  qu'on  nomme 
ambre  gris ,  l'autre  est  noir  ;  le  premier  est 
très-fin  et  très-estimé  dans  toutes  les  parties 
du  monde  ;  le  noir  est  bien  moins  apprécié 
pour  l'excellence  du  parfum   qu'on  en   tire. 


DE    SANCTA-CRUZ.  99      * 

€t  ne  sert  pas  à  grand'chose,  selon  ce  que 
j'ai  pu  savoir.  On  en  trouve  beaucoup   des 
deux  espèces  dans  cette  province ,  et  il  y  a 
des  habitants  qui   se   sont  enrichis  et  s'en- 
richissent tous  les  jours  par  ce  trafic.   En- 
fin ,  comme   Dieu  a  destiné   de   tout   temps    « 
cette  contrée  au  christianisme  et  que  l'intérêt 
est  le  principal  guide  des  hommes  dans  cette 
vie,  il  lui  a  donné  ce  précieux  produit  maritime  ^ 
avant   qu'on   ait  découvert  dans  l'intérieur  *' 
les  riches  mines  que   ce  pays   promet,  afin 
que  les  nations  sauvages  et  barbares  qui  l'ha- 
bitent arrivent  à  la    connaissance  de    notre 
sainte  foi   catholique ,    ce  qui   sera  une  mine 
bien  plus  estimable.    Que  le  Seigneur  per- 
mette qu'il  en  soit  ainsi,  pour  sa  gloire  et  le 
salut  de  tant  d'àmes  ! 


% 


<• 


i  " 


♦       f 


>* 


4? 


.f  * 


'H 


^w 


^ 


CHAPITRE  IX. 


Du  monstre  marin  tué  dans  la  capitainerie  de  Sam-Yicente, 

en  i564  (i).  •    "^ 


Le  monstre  marin  qui  fut  tué  dans  cette 
province  en  i564,  fut  une  chose  si  nou- 
velle et  à  laquelle  les  yeux  des  hommes  étaient 

(i)  Cette  anecdote  est  le  seul  passage  de  l'ouvrage  de  Maga- 
Ihanes  qui  paraît  peu  digne  de  foi  ,  encore  est-ce  plutôt  un  fait 
exagéré  qu'il  rapporte  sur  des  ouï-dire ,  qu'une  fable  faite  à 
plaisir;  cet  animal  était  probablement  un  phoque  d'une  taille 
extraordinaire. Dans  l'original  on  trouve  à  la  fin  du  chapitre  une 
mauvaise  gravure  qui  représente  le  combat  dont  il  est  question. 


^       ^  LIERA  RI 


103  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

si  peu  accoutumés,  que,  malgré  qu'elle  soit  déjà 
connue  dans  toutes  les  parties  du  monde  , 
je  ne  laisserai  pas  d'en  parler,  racontant  tout 
au   long  ce  qui  se  passa  à  cette  occasion. 

Dans  la  capitainerie  de  Sam-Vicente ,  la 
nuit  étant  déjà  assez  avancée ,  à  l'heure  où 
tout  le  monde  commençait  à  se  livrer  au  som- 
meil,  une  Indienne,  esclave  du  capitaine, 
sortit  par  hasard  de  la  maison.  Ayant  jeté 
les  yeux  sur  une  plaine  qui  se  trouve  en- 
tre la  mer  et  l'établissement  des  Portugais, 
elle  vit  un  monstre  qui  marchait  d'un 
endroit  à  l'autre  avec  des  mouvements  extra- 
ordinaires, de  temps  en  temps  si  effroyables, 
que  cette  femme,  épouvantée  et  presque  hors 
d'elle-même,  alla  trouver  le  fils  du  capitaine, 
qui  se  nommait  Baltesar  Ferreira,  et  lui 
rendit  compte  de  ce  qu'elle  avait  aperçu ,  pen- 
sant que  c'était  une  vision  diabolique.  Mais 
comme  il  était  aussi  sensé  que  brave  ,  et  que 
les  gens  du  pays  ne  méritent  pas  grande 
confiance,  il  ne  fitpas  beaucoup  attention  à  ses 


DE    SANCTA-CRUZ.  1  o3 

paroles  ,  resta  tranquillement  dans  son  lit , 
lui  ordonnant  de  retourner  pour  s'assurer  du 
fait.  Elle  obéit,  et  revint  encore  plus  effrayée 
que  la  première  fois,  protestant  de  nouveau 
que  c'était  une  chose  si  effroyable  que  ce 
ne  pouvait  être  que  le  diable.  Il  sauta  à  bas 
de  son  lit ,  et  prenant  une  épée  qu'il  avait 
à  côté  de  lui ,  il  sortit  en  chemise ,  de  la  mai- 
son, persuadé  que  ce  devait  être  un  tigre 
ou  un  autre  animal  du  pays ,  et  qu'il  ver- 
rait bientôt  la  fausseté  de  tout  ce  que  Tln- 
dienne  avait  voulu  lui  persuader.  Ayant 
jeté  les  yeux  du  côté  qu'elle  lui  montra  , 
il  aperçut  confusément  une  masse  énorme 
le  long  de  la  plage  sans  pouvoir  distinguer 
ce  que  c'était,  à  cause  delà  nuit,  d'autant 
plus  que  ce  monstre  était  une  chose  qu'on 
n'avait  jamais  vue  et  entièrement  différente 
de  tous  les  autres  animaux.  S'étant  appro- 
ché pour  mieux  l'examiner,  le  monstre  le  sen- 
tit, et  ayant  levé  la  tête,  l'aperçut,  et  commen- 
ça à  se  diriger  vers  la  mer  d'où  il  était  sorti  f 


104  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

ce  jeune  homme  devina  de  suite  que  c'était 
un  animal  marin  ,  et  se  hâta  de  lui  couper  la 
retraite  avant  qu'il  pût  arriver  au  bord. 

Voyant  que  sa  retraite  était  coupée,  le  mons- 
tre se  leva  droit  comme  un  homme ,  en  s'ap- 
puyant  sur  les   nageoires  de  la  queue.  Bal- 
tesar  Ferreira ,  se  trouvant  en  face,  profita  du 
moment  pour  lui  enfoncer  son  épée  dans  le 
corps, puis  il  sauta  légèrement  de  côté,  afin  que 
cette  masse  ne  tombât  pas  sur  lui, et  il  échappa 
ainsi,  non  sans  danger,  car  la  masse  de  sang 
qui  sortit  de  la  blessure  lui  coula   sur  la  face 
et   l'aveugla   presque  entièrement.   Alors    le 
monstre,  tombant  à  terre,  suivit  la  route  qu'il 
tenait;  et,  tout  blessé  qu'il  était,  courut  sur  lui, 
la  gueule  ouverte,  pour  le  déchirer  avec  ses 
dents  et  ses  ongles  ;  mais  Baltesar  lui  donna 
sur  la  tète  un  coup  d'épée  qui  affaiblit  beau- 
coup cet  animal  ,  qui  se  dirigea  de  nouveau 
vers   la  mer.  '^  '"• 

Quelques  naturels  accoururent  dans  ce  mo- 
ment aux  cris  de  l'Indienne,   qui  observait* 


DE    SANCTA-CRTJZ.  I  o5 

le  combat;  ils  se  jetèrent  sur  le  monstre,  et 
l'emportèrent  presque  mort  dans  la  ville ,  où 
il  fut  exposé  le  jour  suivant  à  la  vue  de  tout 
le  monde.  ^'"'^ 

Malgré  la  valeur  que  ce  jeune  homme 
montra  dans  cette  aventure  qui  l'avait  déjà 
rendu  célèbre  dans  le  pays  ,  il  avait  telle- 
ment perdu  l'haleine  pendant  le  combat  et 
avait  été  si  effrayé  de  la  vue  de  cet  effroyable 
animal,  que  quand  son  père  lui  demanda 
ce  qui  lui  était  arrivé ,  il  ne  put  lui  ré- 
pondre et  resta  muet  d'épouvante  pendant 
un  long  espace  de  temps.  On  trouvera  à  la 
fin  du  chapitre  le  portrait  de  ce  monstre  , 
fait  d'après  nature  .  il  avait  quinze  palmes 
de  haut ,  le  corps  tout  velu ,  et  sur  le  museau 
de  longs  poils  semblables  à  des  moustaches. 
Les  Indiens  du  pays  le  nomment  en  leur 
langue  hipupiâra,  ce  qui  veut  dire  démon 
des  eaux.  On  en  a  déjà  vu ,  dans  ces  parages , 
mais  rarement. 

Il  doit  y  avoir,  dans  les  abîmes  de  la  mer, 


I06  HISTOIftE    DE    SANCTA-CHUZ. 

bien  d'autres  monstres  divers  et  effroyables 
qui  s'y  cachent,  et  qui  sont  non  moins  étran- 
ges et  admirables  que  celui-ci.  On  peut  donc 
tout  croire ,  quelque  extraordinaire  que  cela 
paraisse  ;  car  les  secrets  de  la  nature  n'ont 
pas  tous  été  révélés  à  l'homme ,  et  l'on  ne 
peut  nier  et  regarder  comme  impossibles  les 
choses  qu'on  n'a  pas  vues  et  dont  personne 
n'a  entendu   parler. 


CHAPITRE  X. 


De»  habitants  de  la  province ,  de  leurs  mœurs  et  coutumes , 
et  de  leur  gouvernement  en  temps  de  paix. 


Puisque  nous  avons  parlé  du  pays  et  de  ce 
qu'il  produit  pour  l'usage  de  l'homme ,  nous 
devons  ici  donner  des  détails  sur  les  indi- 
gènes, sinon  sur  tous  en  général,  du  moins 
sur  ceux  qui  habitent  la  côte  et  sur  quel- 
ques-uns qui  demeurent  très-loin  dans  l'in- 
térieur, mais  avec  lesquels  nous   avons  des 


Io8  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

communications.  Car  quoiqu'ils  soient  divi- 
sés en  plusieurs  nations  qui  ne  portent 
pas  le  même  nom,  leurs  figures,  leurs  mœurs , 
leurs  coutumes  et  leurs  cérémonies  religieu- 
ses sont  absolument  les  mêmes,  et  s'il  y 
a  quelques  différences ,  elles  ne  méritent  pas 
de  fixer  l'attention  ni  d'être  rapportées  par- 
mi tant  de  choses  également  vraies  pour 
tous. 

Ces  Indiens  sont  de  couleur  obscure;  leurs 
cheveux  sont  lisses;  ils  ont  le  visage  comme 
pétri,  et  ressemblent  un  peu  aux  Chinois.  Ils 
sont  généralement  dispos ,  robustes  et  bien 
faits  ;  ils  sont  braves ,  ne  craignent  pas  la 
mort,  sont  téméraires  à  la  guerre  et  sans  pru- 
dence. Ils  sont  ingrats,  inhumains,  cruels, 
vindicatifs  et  querelleurs;  ils  mènent  une  vie 
oisive,  ne  pensant  qu'à  boire  et  à  manger  ; 
c'est  pourquoi  ils  deviennent  fort  gros, 
mais  ils  maigrissent  à  la  moindre  contrarié- 
té. L'imagination  a  tant  de  pouvoir  sur  eux , 
que  si  l'un  d'eux  désire  la  mort  ou  se  met 


DE    SANCTA-CRUZ.  I O9 

dans  la  tête  qu'il  doit  mourir  tel  jour  ou 
telle  nuit ,  ce  terme  n'est  pas  écoulé  qu'il 
expire. 

Ils  sont  légers  et  inconstants,  croient  fa- 
cilement tout  ce  qu'on  leur  raconte,  quel- 
que extraordinaire  que  ce  soit.  Il  est  aussi 
facile  de  les  en  dissuader  et  de  leur,  faire 
nier  ce  qu'ils  ont  cru.  Ils  sont  débauchés, 
sensuels  ,  et  s'abandonnent  aux  vices  comme 
s'ils  étaient  privés  de  la  raison  humaine; 
cependant ,  dans  leurs  réunions ,  les  hommes 
et  les  femmes  se  comportent  convenablement , 
et   en   cela  ils  montrent  de  la  pudeuriâ* 

La  langue  qui  se  parle  le  long  de  toute  cette 
côte   est  la  même  (i),   quoiqu'elle  diffère  un 


(i)  Vasconcelos,  §  162.  «  Les  Indiens  qui  habitent  les 
côtes  et  parlent  la  langue  connue  sous  le  nom  de  langue 
générale  du  Brésil ,  sont  les  Tobayaras  ,  Tupis  ,  Tupinambas , 
Tupinaquis,  Tupigoaes,  Tumiminos,  Amoigpiyras,Araboyaras, 
Rariguoraras,  Potigoares,  Tamoyos,  Carijos,  etc.  LesGoyanas, 
qui  demeurent  au  sud  des  Carijos,  parlent  une  langue  différente, 
ainsi  que  les  Tapuyas,  qui  se  subdivisent  en  Aymores  ,  Poten- 
tus,  Guaitacas,  Guaramomis,  Goaregoares,  lecaruçus,  Ama- 
nipaques  et  Payeas.» 


,4     % 


I  lO  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

peu  dans  certains  endroits ,  mais  pas  assez 
pour  qu'ils  ne  puissent  pas  se  comprendre , 
et  cela  jusqu'au  vingt-septième  degré,  car  plus 
avant  il  y  a  d'autres  Indiens  que  nous  ne 
connaissons  pas  si  bien,  et  qui  parlent  une 
langue  tout  à  fait  différente.  Celle  en  usage 
le  long  de  la  côte  est  très-douce  et  facile  à 
apprendre  pour  toutes  les  nations.  11  y  a 
des  mots  dont  les  hommes  seuls  se  servent , 
et  d'autres  que  les  femmes  seules  emploient. 
Il  leur  manque  trois  lettres ,  savoir  :  VF , 
VL  et  l'R,  chose  étonnante,  car  ils  n'ont  en  -, 
effet  ni  Foi ,  ni  Loi ,  ni  Roi ,  et  vivent  ainsi  -^ 
sans  ordre,  ni  poids  ni  mesure,  et  sans  comp- 
ter. Ils  n'adorent  rien ,  mais  ils  pensent  qu'a- 
près leur  mort  il  y  a  de  la  gloire  pour  les 
bons  et  des  châtiments  pour  les  méchants; 
et  tout  ce  qu'ils  savent  de  l'immortalité  de 
l'âme,  c'est  que  les  morts  arrivent  dans  l'au- 
tre monde  blessés  ,  coupés  en  morceaux, 
tels  enfin  qu'ils  ont  quitté  celui^^i.  Ils  en- 
terrent leurs  morts  dans  un   caveau,  assis 


Sr 


41 
•* 

S- 
* 

4»  "âr 


DE    SANCTA-GRUZ.  III 

sur  leurs,  talons  et  ils  placent  à  côté  d'eux  le 
filet  qui  leur  a  servi  de  lit.  Pendant  les  pre- 
miers jours ,  les  parents  vont  déposer  des  vi- 
vres sur  la  fosse;  quelquefois  même  on  ense- 
velit avec  le  mort  des  aliments  :  ils  se  figu- 
rent qu'il  les  mange  et  qu'il  dort  dans  le  filet 
qu'ils  ont  placé   près  de  lui. 

Ces  gens  n'ont  ni  roi  ni  souverain  ;  cepen- 
dant il  y  a  un  chef  dans  chaque  village  à  qui 
ils  obéissent  volontairement,  mais  non  pas 
parce  qu'ils  s'y  croient  obligés.  A  sa  mort,  son 
fils  lui  succède;  néanmoins  il  ne  fait  qu'aller 
avec  eux  à  la  guerre  et  leur  conseille  com- 
ment ils  doivent  combattre,  sans  pouvoir 
les  punir  ni  s'en  faire  obéir  contre  leur  vo- 
lonté. ^*.i  ^ 

Les  guerres  qu'ils  ont  entre  eux  n'ont  pas 
pour  cause  la  différence  des  lois  et  des  cou- 
tumes ,  ni  des  motifs  d'intérêts  :  ils  se  bat- 
tent parce  qu'autrefois  un  Indien  aura  été 
tué  par  un  autre,  ce  qui  arrive  encore  quel- 
quefois; car,   ainsi   que    je  l'ai  dit,  ils  sont 


112  HISTOIRE   DE    L\    PROVINCE 

très-vindicatifs,  et  vivent  sans  chef  qui  se  fasse 
craindre  ou  obéir.  Les  parents  du  mort  se 
réunissent  contre  le  meurtrier  et  les  siens, 
et  les  poursuivent  avec  une  haine  mortelle , 
qui  a  fini  par  les  diviser  en  différents  par- 
tis, et  les  a  rendus  ennemis  les  uns  des  autres 
comme  ils  le  sont  à  présent. 

Pour  que  ces  querelles  ne  soient  plus  si 
communes  à  l'avenir,  ils  ont  résolu  d'y  met- 
tre un  terme  ,  de  la  manière  suivante ,  afin 
de  conserver  la  paix  entre  eux  et  d'être  plus 
forts  contre  leurs  ennemis.  Ils  ont  décidé 
que,  lorsqu'un  Indien  en  tuerait  un  autre, 
les  parents  du  mort  se  vengeraient  et  étran- 
gleraient le  coupable  en  public;  qu'alorsceux- 
ci  devraient  se  trouver  satisfaits,  et  qu'on  vi- 
vrait en  paix  et  en  amitié  comme  auparavant. 
Mais  comme  cette  loi  est  volontaire  et  qu'il 
n'existe  pas  d'officiers  de  justice  chargés  de 
la  faire  exécuter,  plusieurs  ne  veulent  pas 
s'y  soumettre;  dans  ce  cas,  ils  se  divisent 
de  nouveau  en  partis,  comme  je  l'ai  dit  plus 
haut. 


DE    SANCTA-CRUZ.  Il3 

Les  Indiens  habitent  des  hameaux  qui  n'ont 
que  sept  ou  huit  maisons  très-longues  et 
semblables  à  des  corderies  ou  à  des  gre- 
niers ;  elles  ne  sont  bâties  qu'en  bois,  et 
couvertes  de  feuilles  de  palmier  et  d'autres 
plantes  de  même  genre  ;  elles  sont  entièrement 
remplies  de  monde,  et  chacun  a  sa  place  et  son 
hamac  dans  lequel  il  dort,  et  ils  logent  ainsi 
deux  ou  trois  ensemble.  Au  miheu  est 
un  long  corridor  ouvert  qui  leur  sert  de 
dortoir,  et  ressemble  à  l'entrepont  d'une 
galère.  Ils  vivent  tous  en  paix  dans  ces 
maisons  sans  avoir  jamais  de  querelles  ; 
ils  sont  au  contraire  si  amis  ensemble  que 
qui  l'est  de  l'un,  l'est  de  tous,  et  quand  l'un 
d'eux  a  de  quoi  manger,  quelque  peu  que  ce 
soit,  il  le  partage  avec  tous  ceux  qui  sont 
autour  de  lui.  ■    «fe-^* 

Quand  on  va  les  visiter  dans  leurs  villages, 
quelques  filles  ëchevelées  s'approchent  du 
voyageur  et  le  reçoivent  avec  de  grandes  la- 
mentations, versant  beaucoup  de  larmes,  et 


Il4  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

\m  demandant  (si  c'est  un  Indien  )  (i)  où  il 
est  allé,  et  quelles  fatigues  il  a  éprouvées  de- 
puis son  départ,  lui  représentant  tous  les 
dangers  qu'il  aurait  pu  courir,  cherchant  pour 
cela  les  expressions  les  plus  tristes  et  les  plus 
touchantes  qu'elles  peuvent  trouver,  afin  d'ex- 
citer les  autres  à  pleurer  comme  elles.  Si  c'est 
un  Portugais,  elles  plaignent  le  malheur  des 
morts  qui  n'ont  pas  assez  vécu  pour  voir 
des  hommes  si  braves  et  si  vaillants  que  les 
Portugais ,  du  pays  desquels  viennent  toutes 
lesbonnes  choses;  et  elles  nomment  celles  dont 
elles  font  le  plus  de  cas.  Cette  réception  est 
tellement  usitée  chez  eux,  qu'il  est  bien  rare 
qu'on  y  manque ,  excepté  s'ils  ont  à  se  plain- 
dre de  celui  qui  vient  les  visiter  ou  s'ils  mé- 
ditent quelque  trahison. 

Leur  grande  parure  est  de  se  percer  la 
lèvre  inférieure  et  d'y  placer  une  pierre  ob- 


(i)  Cette  habitude  des  femmes  brésiliennes  de  pleurer  à  l'ar- 
rirée  des  voyageurs  est  confirmée  par  tons  les  historiens. 


DE    SANCTA-CRUZ.  Il5 

longue  ;  d'autres  ont  Ja  figure  pleine  de 
trous  et  de  pierres ,  de  manière  qu'ils  sont 
affreux  et  difformes.  On  leur  fait  ces  trous 
quand  ils  sont  tout  petits;  ils  ont  aussi  l'ha- 
bitude de  s'arracher  la  barbe  et  ne  pas  lais- 
ser un  seul  poil  sur  tout  leur  corps.  Les  fem- 
mes tiennent  beaucoup  à  leurs  cheveux  :  elles 
les  portent  longs,  très-propres  et  très-bien 
peignés,  et  généralement  en  tresses.  Les  hom- 
mes et  les  femmes  ont  l'habitude  de  se  teindre 
avec  le  suc  d'un  fruit  que  l'on  nomme  geni- 
pâpo  ;  d'abord  il  est  vert  ,  mais  il  devient  très- 
noir  quand  il  est  étendu  sur  la  peau  et  qu'il 
a  eu  le  temps  de  sécher  ;  on  a  beau  le  laver, 
la  couleur  ne  s'en  va  pas  avant  le  neuvième 
jour. 

Ils  ont  l'habitude  de  se  marier  avec  leurs 
nièces ,  filles  de  leurs  frères  ou  de  leurs 
sœurs;  ils  les  regardent  comme  leurs  fem- 
mes légitimes;  le  père  ne  peut  les  refuser,  et 
personne  autre  n'a  droit  de  les  épouser.  Ils  ne 
font  aucune  cérémonie  lors  des  mariages ,  ils 


Il6  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

emmènent  simplement  leur  femme  avec  eux 
quand  elle  est  parvenue  à  un  certain  âge;  car 
ils  attendent  qu'elle  ait  quatorze  ou  quinze 
ans  environ.  Quelques-uns  ont  trois  ou  qua- 
tre femmes ,  mais  la  première  est  plus  esti- 
mée que  les  autres  ;  c'est  surtout  l'usage  des 
chefs,  et  ils  le  regardent  comme  un  luxe  et 
une  gloire,  et  tiennent  beaucoup  à  se  distin- 
guer en  cela. 

Il  y  a  parmi  eux  des  Indiennes  qui  font 
vœu  de  chasteté  ;  elles  ne  veulent  connaître 
aucun  homme,  et  n'y  consentiraient  pas 
quand  même  on  les  tuerait.  Celles-ci  ne  se 
livrent  à  aucune  occupation  de  leur  sexe  (i); 
elles  imitent  en  tout  les  hommes,  comme  si 
elles  avaient  cessé  d'être  femmes;  elles  ont 


(i)  Ce  fait  important  n'a  été  signalé,  à  ce  que  nous  croyons , 
ni  par-Lery,  ni  par  Francisco  d'Acunha.  Thevet,  Claude 
d'Abbcviile ,  Le  p.  Yves  d'Évreux  ,  se  taisent  également  sur  ces 
espèces  d'amazones  sauvages  ;  il  ne  faut  pas  les  confondre  avec 
celles  dont  parlent  Yves  d'Évreux  et  plusieurs  anciens  voya- 
geurs, et  qui  selon  eux  vivaient  seules  et  formaient  une  tribu 
à  part. 


DE    SANCTA-CRIZ.  1  I -^ 

Jes  cheveux  coupes  comme  eux;  et  vont  à 
Ja  guerre  avec  un  arc  et  des  flèches  :  elles 
chassent  avec  les  hommes.      * 

Chacune  d'elles  a  une  Indienne  pour  la  ser- 
vir, et  avec  laquelle  elle  dit  qu'elle  est  mariée  : 
elles  vivent  ensemble  comme  des  époux. 

Quant  aux  autres,  aussitôt  après  l'accou- 
chement elles  vont  se  baigner  à  la  rivière ,  et 
se  portent  ensuite  aussi  bien  qu'auparavant. 
Elles  élèvent  leurs  enfants  aussi  facilement 
qu'elles  les  mettent  au  monde  ;  au  contraire 
leurs  maris  se  couchent  dans  leur  hamac,  et 
elles  les  soignent  et  les  visitent  comme  si  c'é- 
taient eux  qui  eussent  enfanté.  Cela  vient  de 
ce  qu'elles  aiment  beaucoup  le  père  de  leurs 
enfants,  etqu'elles  désirent  lui  complaire  après 
êtreaccouchées.  Elles  gàtentextrêmementleurs 
enfants,  sans  jamais  les  châtier,  et  les  laissent 
téter  jusqu'à  l'âge  de  sept  ou  huit  ans,  si 
elles  restent  toutefois  jusqu'à  cette  époque 
sans  en  avoir  d'autres ,  ce  qui  les  met  quel- 
quefois dans  la  nécessité  de  sevrer  les  pre- 


Iï8  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

micrs.  Ils  ne  s'appliquent  à  aucune  industrie 
utile,  et  leur  seule  occupation  est  de  cher- 
cher avec  leurs  pères  de  quoi  subsister,  et 
ceux-ci  en  ont  soin  jusqu'à  ce  qu'ils  soient 
en  âge  de  pourvoir  à  leur  existence,  sans 
qu'ils  aient  d'auti'C  héritage  ni  légitime  à  en 
espérer.  En  les  élevant,  ils  font  seulement 
ce  que  la  nature  a  inspiré  à  tous  les  ani- 
maux qui  n'ont  pas  l'usage  de  la  raison. 
Ils  se  procurent  facilement  de  quoi  vivre  sans 
qu'il  leur  en  coûte  beaucoup  de  peine,  et 
ils  sont  bien  plus  oisifs  que  nous.  Ils  ne 
possèdent  pas  de  terres  et  ne  se  soucient 
pas  d'en  posséder,  de  sorte  qu'ils  vivent 
sans  cette  avarice  et  cet  amour  des  ri- 
chesses qu'on  trouve  chez  toutes  les  autres 
nations  :  ainsi  l'or,  l'argent  et  les  pierres 
précieuses  n'ont  aucune  valeur  parmi  eux ,  et 
ils  ne  se  servent  de  rien  qui  leur  ressemble. 
Les  hommes  et  les,  femmes  vont  entière- 
ment nus,  et  ne  couvrent  aucune  partie  de 
leur  corps.  Leurs  lits  sont  des  filets  de  co- 


DE    SANCTA-CRUZ.  II9 

ton  que  les  Indiennes  fabriquent  sur  des 
métiers  à  leur  manière  :  ils  ont  neuf  ou  dix 
palmes  de  long  ;  on  les  attache  avec  des  cor- 
des aux  deux  bouts,  et  ils  sont  ainsi  sus- 
pendus à  environ  deux  palmes  au-dessus  du 
foyer ,  de  manière  qu'on  peut  faire  du  feu 
pour  se  réchauffer  pendant  la  nuit  ou  quand 
cela  convient.  Les  plantes  qu'ils  cultivent 
dans  leurs  champs  sont  celles  dont  j'ai  parlé 
plus  haut,  savoir  :  le  mandioca  et  le  mais. 
Ils  mangent  la  chair  de  beaucoup  d'ani- 
maux qu'ils  tuent  à  coups  de  flèches  ou  qu'ils 
prennent  au  lacet  et  dans  des  fosses,  ce  qui 
est  leur  manière  la  plus  habituelle  de  chas- 
ser. Ils  se  nourrissent  aussi  de  coquillages  et  de 
poissons  qu'ils  vont  pêcher  dans  des  Janga- 
das  :  on  nomme  ainsi  trois  ou  quatre  perches 
attachées  ensemble  et  disposées  à  peu  près 
comme  les  doigts  d'une  main  ouverte ,  et  sur 
lesquelles  peuvent  se  placer  deux  ou  trois 
personnes,  et  plus  si  les  perches  sont  en  plus 
grand  nombre ,  car  ces  jangadas  sont  fort  lé- 


I20 


HISTOIRE    DE    SANCTA-CRUZ. 


gères  et  peuvent  supporter  un  grand  poids  ; 
elles  ont  quatorze  ou  quinze  palmes  de  long 
et  environ  deux  de  large. 

Ces  Indiens  vivent  ainsi  sans  avoir  de  fer- 
mes ni  faire  de  récoltes,  sans  honneurs  et 
sans  pompe.  Comme  je  l'ai  dit,  ils  sont  tous 
égaux,  leurs  conditions  sont  en  tout  sembla- 
bles, enfin  dans  ce  pays  l'on  vit  selon  la 
justice  et  les  lois  de  la  nature. 


% 


iê 


CHAPITRE  XI. 


Des  gueri'es  que  les  Indiens  ont  entre  eux  et  de  leur  manière 
de  combattre. 


Ces  Indiens  ont  continuellement  de  gran- 
des guerres  entre  eux  ;  jamais  ils  ne  font 
la  paix  ;  ils  sont  si  haineux  et  si  vindica- 
tifs que  la  religion  chrétienne ,  propagée 
chaque  jour  par  les  pères  de  la  compagnie 
(  de  Jésus),  pourra  seule  mettre  fin  à  ces  dis- 
cordes. Ils  se  servent  d'arcs  et  de  flèches,  avec 


I  22  HISTOIRE    UE    LA    PROVINCE 

lesquels  ils  sont  si  adroits  qu'ils  manquent 
bien  rarement  leur  coup;  ils  les  lancent 
avec  une  grande  promptitude  ;  ils  sont  hardis 
dans  le  danger  et  intrépides  contre  leurs 
adversaires.  Quand  ils  vont  à  la  guerre  ils 
paraissent  toujours  certains  de  la  victoire 
et  de  ne  pas  perdre  un  seul  homme  ;  et  en 
partant  ils  disent,  nous  allons  tuer  nos 
ennemis;  sans  autre  discours  ni  considéra- 
tion, et  sans  penser  qu'ils  peuvent  aussi  être 
vaincus  ,  animés  seulement  par  la  soif  de 
la  vengeance,  sans  espérance  de  butin  et  sans 
autres  intérêts.  Ils  font  de  longs  voyages  dans 
l'intérieur,  traversent  des  forêts  et  des  dé- 
serts pour  aller  chercher  leurs  ennemis. 
Quand  ils  veulent  faire  une  expédition  le 
long  de  la  côte,  ils  vont  par  mer  sur  de 
petites  embarcations  qu'ils  appellent  canoas 
(  canots  ).  Ces  bateaux  sont  faits  d'un  seul 
tronc  d'arbre ,  en  forme  de  navette  de  tisse- 
rand ;  ils  portent  jusqu'à  vingt  ou  trente 
rameurs.  Les  Indiens  en   font  d'autres  de 


DE    SANCTA-CRUZ.  J  23 

même  grandeur  avec  l'écorce  d'un  arbre,  ils 
résistent  bien  à  la  lame,  et  sont  très-légers, 
quoique  moins  sûrs,  parce  qu'ils  coulent 
à  fond  quand  ils  sont  pleins,  ce  que  ne 
font  pas  ceux  de  bois,  de  quelque  manière 
qu'on  les  tourne.  Quand  un  de  ces  canots  se 
remplit  d'eau,  les  Indiens  sautent  à  la  mer, 
le  soulèvent  pour  le  vider,  et  se  rembarquent 
pour  continuer  leur  route. 

Leurs  combats  sont  très-acharnés,  et  ils  se 
battent  vaillamment  sans  aucune  arme  dé- 
fensive. C'est  une  chose  très-extraordinaire 
que  de  voir  de  part  et  d'autre  deux  ou  trois 
mille  hommes  nus  se  lancer  des  flèches 
en  poussant  de  grands  cris ,  sautant  légère- 
ment d'un  côté  et  de  l'autre,  afin  que  les 
ennemis  ne  puissent  pas  les  viser  et  diri- 
ger sûrement  leurs  coups.  Ils  combattent 
tumultueusement  et  sans  ordre ,  sans  avoir 
ni  chefs  ni  officiers  qui  les  commandent 
dans  cette  occasion.  Quoiqu'ils  soient  pri- 
vés de  cet  avantage,  cependant  ils  prennent 


124  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

de  grandes  précautions  avant  d'en  venir  aux 
mains,  et  savent  bien  Choisir  leur  moment 
pour  attaquer  les  villages  ennemis,  ce  qui 
est  ordinairement  de  nuit  et  à  l'instant  où 
ceux-ci  s'y  attendent  le  moins.  Quand  ils  ne 
peuvent  y  entrer,  parce  que  l'on  aura  fait  à 
l'entour  une  muraille  de  bois,  ils  en  élèvent 
une  autre  qu'ils  approchent  toutes  les  nuits 
de  dix  ou  douze  pas  jusqu'à  ce  qu'elle  soit 
assez  près  de  la  première  pour  qu'ils  puis- 
sent se  blesser  mutuellement  en  se  jetant 
des  pieux  de  bois.  Mais  la  plupart  du  temps 
ce  sont  ceux  du  village  qui  restent  vain- 
queurs, et  les  assaillants  retournent  chez 
eux,  sans  avoir  obtenu  le  triomphe  qu'ils  es- 
péraient, et  cela,  parce  qu'ils  n'ont  ni  ar- 
mes défensives  ni  aucunes  machines  de 
siège,  et  ne  savent  pas  se  mettre  à  l'abri 
des  coups  de  l'ennemi.  Une  autre  raison  de 
leur  défaite,  c'est  qu'ils  croient  aux  présa- 
ges, et  que  la  moindre  chose  les  fait  renon- 
cer à  leurs  résolutions.  Ils  sont  en  cela  si 


DE   SANCTA-CRUZ.  125 

inconstants  et  si  pusillanimes,  que  souvent , 
après  avoir  quitté  leur  pays,  très-décidés  et 
trèsKiésireux  d'assouvir  leur  cruauté, s'ils  ren- 
contrent certain  oiseau  ou  toute  autre  chose 
qu'ils  regardent  comme  étant  de  mauvais 
augure ,  ils  renoncent  à  leur  dessein  et  s'en 
retournent  sans  qu'il  y  en  ait  parmi  eux 
un  seul  qui  s'y  oppose.  Ils  perdent  facile- 
ment courage  pour  quelque  sottise  du  même 
genre,  même  quand  ils  sont  presque  sûrs 
d'obtenir  la  victoire. 

Il  est  arrivé  qu'un  village  étant  déjà  pres- 
que rendu ,  et  qu'un  perroquet  ayant  pro- 
noncé certaines  paroles  qu'on  lui  avait  en- 
seignées ,  ils  levèrent  subitement  le  siège , 
et  renoncèrent  à  un  succès  presque  certain, 
croyant  que  s'ils  ne  se  retiraient  pas  ils 
mourraient  tous  de  la  main  de  leurs  enne- 
mis. Mais,  excepté  leur  pusillanimité  à  cet 
égard  ,  ils  sont  très-hardis,  comme  je  l'ai 
dit ,  et  ils  ont  tant  de  confiance  dans  leur 
valeur,  que  le  nombre  de  leurs  ennemis  ne 


% 


126  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

les  épouvante  jamais  et  ne  peut  éteirtdfé 
leur  désir  de  vengeance.  Je  veux  à  ce  propos 
conter  quelques  événements  arrivés  parmi 
eux,  et  j'en  omettrai  un  grand  nombre  d'au- 
tres, qui  pourraient  former  un  gros  volume 
s'il  entrait  dans  mon  plan  de  les  rapporter 
chacun  en  particulier. 

Dans  la  capitainerie  de  Sam  -  Vicente,  sous 
le  gouvernement  de  Jorge  Ferreira ,  un 
village,  non  loin  des  établissements  portu- 
gais, fut  assailli  par  les  ennemis,  et  le 
fils  d'un  des  principaux  fut  tué  dans  l'at- 
taque. Gomme  il  était  fort  aimé  de  tout  le 
monde,  il  n'y  eut  personne  qui  ne  le  pleU" 
ràt,  et  ils  montraient,  par  leurs  larmes  et 
leurs  paroles  de  regret,  la  douleur  qu'ils 
avaient  de  sa  perte.  Mais  le  père ,  outré  et 
offensé  de  ne  pas  l'avoir  encore  vengé ,  pria 
tous  ses  amis  de  cacher  la  mort  de  son 
fils  et  de  ne  pas  le  pleurer.  Trois  ou  qua- 
tre mois  après,  il  réunit  tout  son  monde, 
croyant  le  moment  favorable  pour  effectuer 


DE    SANCTA-CRUZ.  12»^ 

son  projet ,  et  tous  répondirent  à  son  ap- 
pel. Au  bout  de  quelques  jours,  il  entra 
sur  les  terres  des  ennemis  ;  elles  pou- 
vaient être  éloignées  d'environ  trois  jour- 
nées. Il  s'établit  prés  d'un  village,  dans 
l'endroit  d'où  il  croyait  pouvoir  attaquer 
plus  facilement.  Quand  la  nuit  fut  arri- 
vée, il  s'éloigna  des  siens  avec  dix  ou 
douze  archers,  en  qui  il  avait  le  plus  de 
confiance  ,  et  il  er^tra  avec  eux  dans  le  village 
des  ennemis  qui  l'avaient  offensé,  et,  lais- 
sant ses  amis  derrière  lui ,  il  s'avança  seul  et 
commença  à  examiner  les  maisons  les  unes 
après  les  autres,  avec  beaucoup  de  précau- 
tion, de  manière  à  n'être  pas  aperçu.  Grâce 
à  l'usage  qu'ils  ont  de  vivre  ensemble ,  il 
réussit  à  savoir  quel  était  celui  qui  avait  tué 
son  fils  et  où  il  se  trouvait.  Pour  en  être 
plus  sur,  il  s'approcha  tout  près  de  sa  mai- 
son, et  après  s'être  assuré  du  fait,  il  se  cou- 
cha par  terre  en  attendant  que  tout  le  mon- 
de  fût    tranquille.   Dès    qu'il    vit  que    l'in- 


128  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

stant  était  prospice ,  il  rompit  une  des  feuil- 
les de  palmier  dont  la  maison  était  couverte, 
allant  droit  au  meurtrier  de  son  fils,  lui 
coupa  la  tète  avec  un  couteau  qu'il  avait 
apporté  à  cet  effet,  l'emporta  et  se  sauva.  Les 
Indiens ,  réveillés  par  les  convulsions  et  les 
ràlements  du  mort,  s'aperçurent  de  la  pré- 
sence d'un  ennemi  et  le  poursuivirent;  mais  ses 
compagnons,  qu'il  avait  laissés  dehors  ,  et  qui 
étaient  sur  leurs  gardes,  en  tuèrent  un  grand 
nombre  qui  sortaient  de  leurs  maisons  et 
se  retirèrent  en  combattant  jusqu'à  la  forêt, 
d'où  le  reste  chargea  avec  fureur  ceux  qui 
les  poursuivaient,  et  ils  en  massacrèrent  un 
bien  plus  grand  nombre.  Après  avoir  rem- 
porté cette  victoire,  ils  retournèrent  chez 
eux  très-joyeux  et  très-satisfaits.  La  première 
chose  que  fît,  en  arrivant  au  village  ,  le 
chef  qui  apportait  la  tête  de  son  ennemi,  fut 
de  la  placer  sur  un  pieu  au  milieu  de  la 
place  publique,  en  disant  ces  mots  :  Mes 
amis ,  à  présent  que  j'ai   vengé  la  mort  de 


DE    SANCTA-CRUZ.  I  29 

mon  fils  et  que  j'ai  apporté  la  tête  de  son 
meurtrier,  je  vous  donne  la  permission  de 
le  pleurer ,  car  auparavant  c'est  sur  moi  que 
vous  auriez  dû  verser  des  larmes,  puisque  vous 
pouviez  croire  queje  négligeais  ma  vengeance, 
ou  même  qu'accablé  par  le  poids  de  mon 
malheur  ,  j'y  avais  renoncé ,  étant  celui  qui 
devais  être  le  plus  affligé  de  sa  mort.  De- 
puis lors  ce  chef  ne  cessa  d'être  redouté ,  et 
son  nom  devint  célèbre  dans  tout  le  pays. 
Un  autre  événement,  non  moins  extra- 
ordinaire ,  arriva  entre  Porto  -  Seguro  et 
Spirito  -  Sancto ,  dans  la  guerre  où  fut  tué 
Fernano  de  Sa,  fils  de  Mem  de  Sa,  qui 
était  alors  gouverneur-général  de  cette  pro- 
vince. Les  Portugais,  s'étant  emparés  d'un  vil- 
lage à  l'aide  de  quelques  Indiens,  nos  alliés, 
s'approchèrent  d'une  maison  pour  faire  pri- 
sonniers ceux  qui  s'y  trouvaient,  comme 
ils  avaient  déjà  fait  des  autres  habitants. 
Mais  ceux  -  ci,  décidés  à  mourir,   résolurent 

d'en  défendre  fentrée  ;  les  assaillants,  voyant 
II.  9 


l3o  HISTOIRE     DE    LA    PROVINCE 

qu'ils  ne  voulaient  pas  se  rendre,  les  mena- 
cèrent, s'ils  ne  le  faisaient,  d'incendier  la 
maison.  Cette  menace  ne  servant  à  rien ,  et 
ceux  qui  gardaient  la  maison  étant  ré- 
solus de  tuer  tous  ceux  qui  approche- 
raient, on  y  mit  réellement  le  feu.  La  mai- 
son brûlait  déjà ,  quand  leur  cacique  , 
voyant  qu'il  n'avait  aucun  espoir  de  se  sau- 
ver, ni  de  se  venger,  s'élança  sur  un 
chef  des  ennemis ,  qui  passait  près  de  là , 
le  saisit  avec  tant  de  force  qu'il  ne  put 
échapper  de  ses  mains,  et  l'entraîna  avec 
lui  au  milieu  des  flammes,  qui  les  consu- 
mèrent ainsi  que  tous  ceux  qui  y  étaient 
renfermés,  sans  qu'il  en  échappât  un  seul. 
A  pareille  époque  et  au  même  endroit , 
un  Portugais  ayant  donné  à  un  Indien  un 
si  violent  coup  de  revers  qu'il  le  coupa 
presqu'en  deux,  celui-ci  tomba  expirant, 
mais  avant  de  rendre  le  dernier  soupir  il 
prit  un  brin  de  paille  qui  se  trouvait  près 
de  lui,  et  le  jeta  à  celui  qui   l'avait   blessé, 


DE    SANCTA-CRIJZ.  l3l 

comme  s'il  eût  voulu  lui  dire  :  «  Vois  mon 
intention,  car  je  ne  peux  me  venger  autre- 
ment de  toi.»  D'où  l'on  peut  conclure  que  ce 
qui  les  tourmente  le  plus  au  moment  d'ex- 
pirer, c'est  le  regret  de  ne  pouvoir  se  ven- 
ger de  leurs  ennemis. 


CHAPITRE  XII. 


De  la  mort  que  les  Indiens  infligent  à  leurs  prisonniers,  et  de 
leur  cruauté  envers  eux. 


Un  des  actes  de  ces  Indiens,  qui  répugnent 
le  plus  à  la  nature  humaine  et  en  quoi  ils 
diffèrent  davantage  des  autres  hommes ,  ce 
sont  les  grandes  cruautés  qu'ils  exercent 
sur  toutes  les  personnes  étrangères  à  leur 
tribu,  dont  ils  peuvent  se  rendre  maîtres.  Car 
non-seulement  ils  leur  font  subir  une  mort 


l34  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

cruelle  dans  le  moment  où  ils  sont  le  plus 
libres  et  le  plus  éloignés  de  toute  appréhen- 
sion, mais  ils  dévorent  ensuite  leur  chair 
avec  tant  de  barbarie,  qu'ils  surpassent  en 
cela  même  les  animaux  féroces  qui  sont  nés 
sans  avoir  l'usage  de  la  raison  et  sans  éprou- 
ver de  la  pitié. 

Quand  ils  parviennent  à  s'emparer  d'un 
de  leurs  ennemis,  loin  de  le  tuer  sur-le- 
champ  ,  ils  l'emmènent  dans  leur  pays 
pour  savourer  leur  vengeance.  Dés  que 
les  habitants  du  village  apprennent  qu'il 
arrive  un  captif,  ils  vont  au-devant  de  lui 
à  plus  d'une  demi -lieue  et  le  reçoivent 
avec  des  injures  et  des  insultes ,  au  son  de 
flûtes  fabriquées  avec  les  os  des  jambes  d'au- 
tres ennemis  qu'ils  ont  fait  périr  de  la  mê- 
me manière.  En  arrivant  au  village ,  ils  le 
promènent  en  triomphe  d'un  endroit  à  l'au- 
tre, et  lui  attachent  sous  les  aisselles  une 
corde  en  coton ,  faite  exprès  pour  cet  usage, 
très-forte  à  l'endroit    qui  l'entoure,  et  dont 


DE    SANCTA-CRUZ.  l35 

le  nœud  est  si  artistement  fait  qu'il  ne  peut 
être  dénoué  que  par  celui  qui  l'a  arrangé. 
L'on  attache  les  deux  bouts  ,  qui  sont  très- 
longs  ,  de  manière  à  ce  qu'il  ne  puisse  pas 
s'enfuir  pendant  la  nuit.  On  le  met  dans 
une  maison  et  près  de  lui  on  tend  un  ha- 
mac; aussitôt  qu'il  s'y  est  placé  les  injures 
cessent  et  personne  ne  lui  adresse  plus  une 
seule  parole  insultante.  On  lui  donne  pour 
femme  une  fille  jeune ,  belle ,  et  des  plus 
vertueuses  du  village;  elle  est  chargée  de 
lui  donner  à  manger  et  de  le  surveiller,  de 
sorte  qu'il  ne  peut  aller  nulle  part  sans 
qu'elle  l'accompagne.  Après  l'avoir  gardé  ain- 
si un  an  ou  pendant  tout  le  temps  qu'ils 
désirent ,  en  le  traitant  très-bien,  ils  se  déci- 
dent à  le  tuer. 

Quelques  jours  avant  sa  mort,  ils  prépa- 
rent beaucoup  de  vaisselle  neuve  pour  fêter 
et  exécuter  leur  vengeance ,  et  ils  fabriquent 
une  boisson  avec  le  suc  d'une  plante  qu'ils 
nomment  aïpim ,  et  dont  j'ai  parlé  plus  haut. 


l36  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

On  bâtit  ensuite  au  prisonnier  une  maison 
neuve ,  où  il  va  demeurer.  Le  matin  du  jour 
où  il  doit  mourir  on  l'en  fait  sortir  avant 
le  lever  du  soleil  puis  on  le  mène  se  baigner  à 
la  rivière ,  en  chantant  et  en  dansant.  Quand 
il  est  de  retour ,  on  le  conduit  à  la  place  du 
village  :  là  on  lui  attache  la  corde  autour 
de  la  ceinture ,  et  deux  ou  trois  Indiens  s'em- 
parent des  deux  bouts.  On  lui  laisse  les  deux 
mains  libres,  pour  sa  défense,  et  l'on  place 
près  de  lui  un  tas  d'une  espèce  de  pom- 
me très-dure  de  la  grosseur  des  oranges  afin 
qu'il  puisse  les  jeter  à  qui  il  voudra  (i).  L'In- 
dien chargé  de  le  tuer  est  toujours  un  des 
plus  vaillants  et  des  plus  considérés  du  pays, 
et  c'est  une  faveur  et  une  marque  de  dis- 
tinction que  d'être  choisi  pour  cet  office. 
Celui-ci  commence  par  se  couvrir  tout  le 
corps  de  plumes  de  perroquets  et  d'autres 


(i)  Ces  fruits  étaient  remplacés  dans  certain»  villages  par  des 
pi«rr«s  «t  des  tessons. 


DE    SANGTA-CRIJZ.  ï  37 

oiseaux    de   diverses  couleurs  .  accoutré   de 
cette  manière ,  il  s'avance  suivi  d'un  Indien 

qui  porte  son  épée  sur  un  grand  plat.  Elle 
est  faite  d'un  bois  très-lourd  et  très-dur,  en 
forme  de  massue,  et  le  bout  ressemble  un 
peu  à  une  pelle.  Lorsqu'il  approche  du  pa- 
tient, il  la  saisit  et  fait  le  moulinet  avec 
cette  arme  en  la  passant  sous  ses  bras  et 
sous  ses  jambes.  Après  cette  cérémonie,  il 
s'éloigne  un  peu,  et  commence  à  adresser 
au  prisonnier  un  discours  en  forme  de  ser- 
mon, l'exhortant  à  se  défendre  vaillamment, 
afin  qu'on  ne  dise  pas  qu'il  est  mort  en 
homme  faible ,  efféminé  et  de  peu  de  cœur  : 
qu'il  se  rappelle  combien  de  braves  ont 
péri  ainsi  de  la  main  de  leurs  ennemis ,  et 
non  pas  dans  leur  lit,  tels  que  de  faibles  fem- 
mes qui  ne  sont  pas  nées  pour  une  fin  aussi 
glorieuse.  .' . 

Si  le  prisonnier  est  un  homme  de  cœur, 
et  s'il  ne  perd  pas  courage  dans  cette  occa- 
sion, comme   le   font   quelques-uns,   il  ré- 


l38  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

pond  avec  orgueil  et  fierté  :  «  Vous  avez  rai- 
son de  me  tuer  ;  car  j'ai  traité  de  même 
vos  parents  et  vos  amis,  et,  s'ils  sont  ven- 
gés par  ma  mort ,  sou  venez- vous  que  mes 
amis  et  mes  parents  me  vengeront  aussi, 
et  vous  traiteront  vous  et  vos  descendants  de 
la  même  manière.  »  Quand  il  a  dit  tout  cela 
et  d'autres  choses  semblables,  l'exécuteur  s'ap- 
proche de  lui,  tenant  à  deux  mains  son  épée 
levée  et  fait  plusieurs  fois  semblant  de  le 
frapper.  Le  misérable  patient  voyant  cette 
épée  entre  les  mains  de  son  mortel  ennemi, 
fixe  les  yeux  sur  cette  arme  redoutable 
et  se  défend  du  mieux  qu'il  peut.  Il  arrive 
quelquefois  qp'ils  luttent  corps  à  corps  et 
qu'il  maltraite  l'exécuteur  avec  sa  propre 
épée.  Mais  cela  est  rare ,  parce  que  les  as- 
sistants s'empressent  de  l'arracher  de  ses 
mains.  Ce  dernier  prend  ordinairement  si 
bien  son  temps,  qu'il  lui  brise  la  tète  d'un 
seul  coup.  A  l'instant  une  vieille  Indienne,  qui 
se  tient  toute  prête  avec   une  calebasse  à  la 


DE     SANCTA^CRUZ.  _      iSg 

main,  accourt  pour  recevoir  le  sang  et  la 
cervelle.  Aussitôt  qu'il  est  mort ,  on  le  coupe 
en  morceaux,  et  tous  les  chefs  qui  se  trou- 
vent là  en  emportent  un  pour  régaler  les 
gens  de  leur  village.  Ils  font  tout  cuire  et 
rôtir,  et  il  n'en  reste  rien  qui  ne  soit  dé- 
voré par  les  gens  du  pays.  Mais  l'exécuteur 
n'en  mange  pas,  et  se  fait  scarifier  par  tout 
le  corps  ;  et  ils  croient  qu'il  mourrait  lui- 
même  s'il  ne  se  tirait  du  sang  après  avoir 
rempli  son  office.  Ils  font  fumer  un  bras,  une 
jambe  ou  quelque  autre  partie  du  corps  du  cap- 
tif, et  la  gardent  ainsi  pendant  plusieurs  mois. 
Lorsqu'ils  veulent  la  manger,  ils  célèbrent  les 
mêmes  fêtes  et  renouvellent  par  les  mêmes 
cérémonies  le  souvenir  de  leur  vengeance. 
Quand  une  fois  ils  ont  mangé  de  la  chair 
de  leurs  ennemis,  ]a  haine  devient  éternelle; 
car  c'est  une  injure  qu'ils  ne  pardonnent 
pas,  et  ils  cherchent  toujours  à  se  venger  les 
uns  des  autres,  comme  je  l'ai  dit.  Si  la  femme 
qu'ils  ont  donnée  au  captif  est  enceinte  ,  ils 


l4o  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

tuent  l'enfant  après  sa  naissance  et  le  man- 
gent, sans  que  personne  parmi  eux  ait 
pitié  d'une  mort  aussi  injuste  :  et  les  père 
et  mère  de  la  femme,  qui  devraient  le 
plus  regretter  cette  mort,  sont  ceux  qui 
en  mangent  le  plus  volontiers ,  disant  que 
c'est  le  fils  de  son  père  et  qu'ils  se  vengent 
de  lui.  Ils  ne  croient  pas  que  cet  en- 
fant ait  rien  de  sa  mère  ou  qu'il  y  ait  le 
moindre  mélange  de  leur  sang,  et  voilà  pour- 
quoi ils  donnent  une  femme  à  leur  prison- 
nier; car  ils  sont  si  barbares,  qu'ils  ne  se  croi- 
raient pas  assez  vengés  du  père  s'ils  ne  se  ven- 
geaient aussi  sur  cette  innocente  créature. 
Souvent  la  mère,  prévoyant  cette  cruau- 
té, fait  périr  son  fils  et  l'empêche  de  ve- 
nir à  terme  ;  il  arrive  aussi  quelquefois 
qu'elle  s'attache  tant  à  son  mari ,  qu'elle  s'en- 
fuit avec  lui  dans  son  pays  pour  le  délivrer 
de  la  mort ,  et  il  existe  encore  aujourd'hui  des 
Portugais  qui  ont  échappé  de  cette  manière. 
Mais  tous  ceux  qui  ne  peuvent  se  sauver 


DE   SANCTA-CRUZ.  l4l 

ainsi  ou  par  une  autre  ruse,  sont  sùi*s  de 
ne  pas  éviter  la  mort,  car  ils  n'accor- 
dent jamais  de  grâce  à  un  ennemi ,  homme 
ou  femme,  et  aucune  richesse  du  monde  ne 
les  ferait  renoncer  à  leur  vengeance.  Néan- 
moins ,  quand  un  chef  ou  un  autre  habitant 
du  village  se  marie  avec  une  esclave  faite 
sur  l'ennemi,  ce  qui  n'est  pas  rare,  ils  lui 
donnent  la  liberté  -et  renoncent  à  leur  ven- 
geance par  amour  pour  celui  qui  l'a  épou- 
sée. Après  la  mort  de  cette  femme  ils  lui 
brisent  la  tête  pour  assouvir  leur  ven- 
geance, ce  dont  le  mari  ne  s'offense  point. 
Mais  quand  elle  a  des  fils ,  ceux-ci  ne  per- 
mettent à  personne  d'approcher  leur  mère, 
et  gardent  son  corps  jusqu'au  moment  de 
l'enterrer. 

Il  y  a  encore  dans  ce  pays  une  autre  tri- 
bu d'Indiens  plus  féroces  et  moins  civilisés 
que  ceux-ci;  on  les  nomme   Aimores  (i).  Ils 

(i)  Ce  sont  les  Indiens  désignés  maintenant  sous  le  nom  de 
Botocoudos. 


l/^2  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

courent  la  côte  comme  des  bandits,  et  sont 
venus  vers  i555  s'établir  dans  l'intérieur  ,  de- 
puis la  capitainerie  de  Os-Ilheos  jusqu'à  celle 
de  Porto-Seguro.  Ils  habitent  ce  pays  de  pi  é- 
férence ,  parce  que  la  disposition  du  terrain 
leur  est  plus  favorable  tant  à  cause  de  l'é- 
tendue des  forêts,  qui  favorise  les  em- 
buscades, qu'à  cause  de  la  grande  quantité 
de  gibier  qu'on  y  trouve,  et  qui  forme  leur 
principale  nourriture.  Les  Aimores, d'une  plus 
hautestaturequelesautreslndiens,parlentune 
langue  tout-à-fait  différente.  Ils  vivent  comme 
des  bètes  fauves,  dans  les  bois,  sans  avoir  ni 
villages  ni  maisons.  Ils  sont  très -robustes, 
ont  des  arcs  très-longs,  très-forts,  propor- 
tionnés à  leur  stature,  et  des  flèches  de  même. 
Ces  espèces  de  bédoin s  ont  fait  beaucoup  de 
mal  depuis  qu'ils  sont  venus  s'établir  dans 
ces  capitaineries  ;  ils  ont  tué  beaucoup  de 
Portugais  et  des  esclaves,  car  ils  sont  très- 
barbares  et  ennemis  de  tout  le  monde.  Ils 
ne  se  battent  pas  en  rase  campagne ,  et  n'ont 


:         DE    SANCTA-CRUZ.  1  ^^ 

pas  assez  de  courage  pour  cela  ;  mais  ils 
s'embusquent  au  coin  d'un  bois,  près  d'un 
chemin,  et  quand  quelqu'un  vient  à  passer, 
ils  lui  percent  le  corps  d'une  flèche  sans  ja- 
mais manquer  leur  coup.  Les  femmes  por- 
tent de  gros  bâtons  en  forme  de  massue ,  et 
les  aident  à  tuer  leurs  ennemis  quand  l'oc- 
casion s'en  présente.  Jusqu'à  présent  on  n'a 
trouvé  aucun  moyen  de  détruire  ces  per- 
fides, parce  qu'ils  font  leur  coup  quand  ils 
trouvent  un  moment  favorable,  et  se  ré- 
fugient ensuite  dans  les  forets.  Ils  sont 
si  agiles  et  si  adroits  que,  quand  on  les 
poursuit  dans  leur  retraite ,  au  moment  où 
on  croit  les  saisir  on  en  trouve  d'auti^es  en 
embuscade  qui  massacrent  ceux  qui  ne  se 
tiennent  pas  bien  sur  leurs  gardes,  et  de 
cette  manière  ils  tuent  quantité  de  monde. 
C'est  pourquoi  les  Portugais  et  les  Indiens 
les  craignent  beaucoup ,  et  dans  les  pays  où 
il  y  en  a ,  personne  ne  va  par  terre  à  sa  ferme 
sans  être  accompagné  de  quinze   ou    vingt 


l44  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

esclaves,  armés  d'arcs  et  de  flèches  pour  pou- 
voir se  défendre.  Ils  vivent  ordinairement 
dispersés ,  mais  quand  ils  veulent  se  réunir 
ils  s'appellent  en  sifflant  comme  les  singes 
ou  comme  les  moineaux,  et  s'entendent  et 
se  comprennent  entre  eux  sans  qu'on  puisse 
les  comprendre.  Ils  ne  font  quartier  à  per- 
sonne ,  et  sont  si  prompts  et  si  expéditifsdans 
leur  vengeance,  que  quelquefois  ils  coupent 
des  morceaux  de  chair  à  un  homme  encore 
vivant  et  les  font  rôtir  ainsi  devant  ses  yeux. 
En  un  mot,  ces  sauvages  sont  plus  sangui- 
naires et  plus  cruels  qu'il  n'est  possible  de 
l'exprimer.  Les  Portugais  en  ont  pris  quel- 
ques-uns ;  mais  ils  sont  si  barbares  et  d'un 
caractère  si  farouche,  qu'ils  n'ont  jamais  pu 
les  apprivoiser.,  et  on  n'en  trouve  aucun 
parmi  les  esclaves,  ne  pouvant  pas,  comme 
les  autres  Indiens,  se  soumettre  à  la  sujé- 
tion. 

Sur    la   rive  occidentale    du  Maranham  , 
vers  le  deuxième  degré  de  latitude ,  habite 


DE    SANCTA-CRUZ.  1^5 

une  nation  nommée  Tapuyas ,  qui  prétend 
être  de  la  même  race  que  ces  Aimorés, 
ou  du  moins  leurs  frères  d'armes ,  et  quand 
ils  se  '  rencontrent,  ils  ne  se  font  pas  de 
mal.  Ces  Tapuyas  ne  mangent  pas  la  chair 
de  leurs  prisonniers  ;  ils  sont  au  contraire 
les  ennemis  mortels  de  ceux  qui  ont  cet 
usage ,  et  ils  les  poursuivent  avec  fureur. 
Mais  ils  ont  une  autre  coutume  contre  nature 
plus  affreuse,  plus  diabolique  et  plus  digne 
d'exécration. 

Quand  l'un  d'eux  est  tellement  malade 
qu'il  ne  peut  en  revenir,  son  père,  sa  mère, 
ses  frères,  ses  sœurs,  ou  bien  ses  proches 
parents ,  le  tuent  de  leurs  propres  mains , 
croyant  lui  témoigner  ainsi  plus  de  pitié 
qu'en  le  laissant  se  débattre  avec  la  mort 
et  se  consumer  lentement.  Ce  qui  est  pis 
encore,  ils  font  cuire  et  rôtir  sa  chair  et 
la  mangent ,  disant  qu'ils  ne  veulent  pas 
qu'une  chose  aussi  vile  et  aussi  méprisable 
que  la  terre,  dévore  les  chairs  de  celui  qu'ils 


10 


l46  HISTOIRE    DE    SANCTA-CRUZ. 

aiment,  et  que,  puisqu'il  est  leur  parent  et 
qu'ils  ont  tant  de  raison  de  l'aimer ,  la  se-- 
pulture  la  plus  honorable  qu'ils  puissent  lui 
donner,  est  leur  propre  corps,  où  ils  le  con- 
serveront toujours  (  I  ). 

Comme  mon  intention  est  de  traiter  seu- 
lement des  Indiens  qui  habitent  le  long  de 
la  côte,  et  avec  lesquels  les  Portugais  ont 
des  communications  journalières  ,  je  n'ai  pas 
voulu  décrire  les  coutumes  des  autres  na- 
tions, croyant  que  ce  serait  témérité  et  dé- 
faut de  prudence  que  de  parler,  dans  une  his- 
toire aussi  véritable,  de  choses  qui  pour- 
raient se  trouver  fausses,  tant  nous  avons 
peu  de  connaissance  des  mœurs  de  celles 
qui  vivent  dans  l'intérieur. 


(i  )  Ce  fait  curieux  est  attesté  par  l'auteur  du  Roteiro  do  Brasil 
de  la  bibliothèque  royale,  qu'on  peut,  selon  M.  Ferdinand  Denis, 
attribuer  à  Francisco  d'Acunha.  Moreau  et  Roulox  Baro  en  font 
aussi  mention. 


CHAPITRE  XIII. 


Des  succès  que  les  pères  de  la  compagnie  {de  Jésus)  ont  obtenus 
en  prêchant  la  doctrine  chrétienne  dans  ce  pays. 


Les  pères  de  la  compagnie  de  Jésus  pos- 
sèdent des  maisons  dans  toutes  les  capitai- 
neries de  cette  province,  et  ils  ont.  fondé 
chez  les  Indiens  soumis  des  églises  où  ré- 
sident quelques  pères,  pour  les  instruire 
dans  la  doctrine  chrétienne ,  qu'ils  reconnais- 
sent sans  difficulté.  Comme  ils  n'ont  ni  loi 


l48  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

ni  culte,  il  leur  est  très-facile  d'adopter  les 
nôtres  ;  mais  aussi  ils  les  abandonnent  pour 
le  plus  léger  motif  et  s'enfuient  dans  l'inté- 
rieur, après  avoir  été  baptisés  et  instruits 
dans  notre  religion.  C'est  pourquoi  les  pères, 
voyant  leur  grande  inconstance  et  leur  peu 
de  disposition  à  observer  les  commande- 
ments de  Dieu ,  principalement  quand  ils 
sont  vieux;  car  alors  la  doctrine  a  plus  de 
peine  à  germer,  préférèrent  s'occuper  des 
enfants,  qu'ils  instruisent  dès  leur  plus  ten- 
dre jeunesse ,  dans  l'espoir  qu'avec  le  temps 
et  l'aide  de  Dieu  ils  pourront  répandre  la 
i^ligion  chrétienne  dans  toute  cette  pro- 
vince, et  que  notre  sainte  foi  catholique  y 
sera  aussi  florissante  que  dans  tout  le 
reste  de  la  chrétienté.  Pour  ne  pas  perdre 
le  fruit  de  leur  enseignement ,  et  mieux 
propager  leur  doctrine ,  les  pères  ont  ré- 
solu d'éviter  toutes  les  occasions  qui  pour- 
raient être  de  notre  part  un  sujet  de  scan- 
dale,un  empêchement,  ou  causer  un  préjudice 


DE    SANCTA-GRLZ.  l49 

à  la  conscience  des  habitants  du  pays;  car, 
comme  les  Indiens  désirent  avec  passion  plu- 
sieurs choses,  qui  viennent  de  Portugal,  telles 
que  des  chemises,  des  casaques,  de  la  quincaille- 
rie et  d'autres  objets  de  ce  genre ,  ils  se  ven- 
daient les  uns  les  autres  aux  Portugais  pour  en 
avoir.  Quelquefois  ceux-ci  les  enlevaient  tant 
qu'ils  le  pouvaient,  et  leur  faisaient  toutes 
sortes  de  dommages,  sans  que  personne  les 

en  empêchât.  Mais  maintenant  ces  abus  ont 
cessé ,  et  l'on  ne  fait  plus  de  pareils  mar- 
chés; car,  lorsque  lespèresont  vu  les  désordres 
qu'ils  occasionnaient  ,  et  le  tort  qu'ils  fai- 
saient à  la  loi  de  Dieu,  ils  les  ont  défendus 
et  ont  empêché  les  descentes  que  les  Portu- 
gais avaient  l'habitude  de  faire  le  long  de  la 
côte,  ce  qui  chargeait  beaucoup  leur  con- 
science, car  ils  s'emparaient  des  Indiens  con- 
tre tout  droit,  et  leur  faisaient  une  guerre 
injuste.  Pour  obvier  à  tous  ces  inconvénients, 
les  pères  ont  obtenu  des  capitaines  et  gou- 
verneurs   du    pays,    qu'il    n'y  eût   plus  de 


l50  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

commerce  de  ce  genre  avec  les  Indiens,  et 
qu'aucun  Portugais  ne  pût  aller  à  leur  vil- 
lage sans  une  permission  du  gouverneur 
lui-même;  et  ils  ont  donné  des  ordres  en 
conséquence;  et  si  quelqu'un  contrevient  à 
cette  défense  ou  maltraite  les  indigènes  après 
avoir  obtenu  une  permission,  ils  ont  soin 
de  le  faire  châtier  conformément  à  son  dé- 
lit. Pour  éviter  toute  fraude,  quand  on 
amène  des  esclaves  de  l'intérieur  ou  d'une 
capitainerie  à  l'autre,  on  les  conduit  d'abord 
à  la  douane,  et  là  on  les  examine,  et  on  leur 
demande  qui  les  a  vendus  et  achetés;  car  per- 
sonne ne  peut  les  vendre,  excepté  leurs  pères 
et  mères,  qui  le  font  quelquefois  par  nécessité, 
ou  ceux  qui  les  ont  pris  à  la  guerre ,  et  on  re- 
met en  liberté  ceux  qu'on  croit  injustement 
réduits  en  esclavage.  Aussi  tous  les  esclaves 
ne  se  vendent  qu'à  bon  droit,  ce  qui  n'em- 
pêche pas  les  habitations  de  prospérer. 

Les  pères  ont  fait  et  font  encore  tous  les 
jours,    une  foule  de  bonnes  actions  et  d'œu- 


DE    SANCTA-CRXJZ.  l5l 

Vies  pies,  et  l'on  ne  peut  avec  raison  leur 
refuser  des  louanges;  mais  ces  actes  sont  si 
nombreux  et  si  connus  dans  le  pays,  que  je 
n'ai  pas  besoin  de  m'étendre  sur  ce  sujet. 
Il  me  suffira  de  dire  que  tout  le  monde  les 
trouve  saints  et  bons,  et  qu'ils  n'ont  d'au- 
^  tre  but  que  le  service  de  Dieu,  de  qui  seul  ils 
espèrent  la  récompense  de  leurs  vertus. 


CHAPITRE  XIV. 


Des  grandes  richesses  qu'on  espère  trouver  dans  l'intérieur. 


Non-seulement  la  province  de  Sancta-Cruz 
est  très-fertile  et  très- abondante  en  vivres, 
comme  je  l'ai  dit  plus  haut ,  mais  elle  est  aussi 
fort  riche,  et  l'on  a  de  grandes  espérances  d'y 
trouver  beaucoup  d'or  et  de  pierres  précieuses. 
On  les  a  découverts  et  on  s'est  assuré  de  leur 
existence,  par  les  rapports  des  Indiens  de  Fin- 


|54  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

tërieur.  N'ayant  pas  de  terres  cultivées  qui 
les  retiennent  dans  leur  patrie,  ils  sont  sans 
cesse  occupés  à  chercher  des  habitations  nou- 
velles, croyant  gagner  ainsi  l'immortalité  et  le 
repos  éternel  (j).  Il  arriva  que  quelques-uns 
d'entre  eux  quittèrent  leur  pays,  et  s'enfoncè- 
rent dans  l'intérieur.  Après  quelques  journées 
de  marche,  ils  rencontrèrent  d'autres  Indiens, 
leurs  ennemis,  à  qui  ils  firent  une  guerre 
cruelle;  mais  ceux-ci,  étant  très-nombreux, 
les  vainquirent.  Ne  pouvant  retourner  dans 
leur  patrie,  ils  s'enfoncèrent  encore  davan- 
tage dans  les  terres.  La  fatigue  et  la  misère  en 
firent  périr  un  grand  nombre,  et  ceux  qui  sur- 
vécurent arrivèrent  dans  un  pays  où  il  y  avait 
de  grandsvillages,  unepopulation  nombreuse, 


(i)  Celte  histoire  est  fort  singulière,  mais  ceqni  l'est  presque 
autant ,  c'est  qu'elle  se  trouve  tout  au  long  dans  l'ouvrage  du 
père  Simon  (Nolicias  historiales  de'  iierra  Jirme .  Cuenca,  1C2G, 
folio  noticia  VI,  capw  I);  il  place  cet  événement  vers  i5ft>, 
et  dit  que  ce  furent  les  rapports  de  ces  Indiens  qui  dëtenninè- 
rent  le  gouverneur  à  faire  partir  une  expédition  de  découverte 
à  1*  tête  de  laqpielle  il  plaça  Pedro  de  Ursua, 


DE    SANCTA-CRUZ.  l55 

et  tant  de  richesses  qu'ils  affirmèrent  qu'il  y 
avait  de  très-longues  rues  habitées  par  des  gens 
dont  l'unique    occupation  était  de  travailler 
l'or  et  les  pierreries.  Ils  y  passèrent  quelques 
jours,    et   les   habitants,    leur   voyant    des 
outils  de  fer  qu'ils  possédaient,  leur  deman- 
dèrent d'où  ils  les  avaient  eus  et  comment  ils 
étaient  venus  entre  leurs  mains.  Nos  Indiens 
répondirent  qu'ils  les  tenaient  d'hommes  bar- 
bus qui  habitaient  la  côte  orientale,  leur  don- 
nant encore  d'autres  indications  pour  désigner 
les  Portugais.   Ceux-ci  leur  dirent,  parlant 
sans  doute  des  Espagnols   du   Pérou,  qu'ils 
avaient  entendu  dire  que,  sur  la  côte  opposée, 
il  y  avait  aussi  des  hommes  semblables.  Ils 
leur  firent  présent  de  boucliers  garnis  d'or 
et   d'émeraudes,  les   priant  de  les  emporter 
dans  leur  pays,  et  d'annoncer  qu'ils  étaient 
prêts  à  échanger  des  choses  de  ce  genre  contre 
des  outils  de  fer,  et  disposés  à  bien  recevoir 
ceux  qui  voudraient  traiter  avec  eux. 

Etant  partis  de  là,  ils  parvinrent  à  la  ri- 


l56  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

vière  des  Amazones ,  s'embarquèrent  sur  tics 
canots  qu'ils  construisirent,  et,  après  une  na- 
vigation de  deux  années ,  ils  arrivèrent  dans 
la  province  de  Quito,  habitée  par  les  Cas- 
tillans. CeuxKîi ,  voyant  que  c'était  une  nation 
inconnue,  s'étonnèrent  fort,  ne  sachant  pas 
qui  ils  étaient,  ni  d'où  ils  venaient.  Mais  quel- 
ques Portugais  qui  se  trouvaient  là  les  re- 
connurent pour  des  habitants  de  la  province 
de  Sancta-Gruz;  les  ayant  questionnés  sur 
le  but  de  leur  voyage,  ils  leur  racontèrent 
avec  de  grands  détails  tout  ce  qui  leur  était 
arrivé.  Nous  en  avons  eu  connaissance  tant 
par  les  Espagnols  du  Pérou ,  qui  ont  acheté 
ces  boucliers  à  un  prix  très-élevé ,  que  par 
les  Portugais  qui  étaient  chez  eux  quand 
cela  arriva.  Il  y  a  dans  ce  royaume  des  per- 
sonnes d'autorité  et  dignes  de  foi ,  qui  assu- 
rent qu'elles  leur  ont  entendu  dire  tout  ce 
que  je  viens  de  raconter.  Mais  il  est  certain 
que  ce  pays  est  situé  dans  le  domaine  du  roi 
de  Portugal,  et  plus  près ,  sans  comparaison , 


DE    SANCTA-CRUZ.  l5'J 

des  colonies  portugaises  que  des  colonies  es- 
pagnoles; ce  qu  on  voit  clairement  par  le  peu 
de  temps  que  les  Indiens  mirent  à  y  arriver, 
et  par  le  long  voyage  qu'ils  firent  de  là  aux 
possessions  espagnoles,  qui  fut,  comme  je  l'ai 
dit,  de  près  de  deux  ans. 

Outre  l'assurance  que  nous  tirons  de  ce  rap- 
port,  beaucoup  d'Indiens  affirment  qu'il  y  a 
une  grande  quantité  d'or  dans  l'intérieur.  On 
peut  les  croire  en  cela ,  car  tous ,  et  dans  les 
différentes  provinces,  sont  d'accord  sur  ce 
point,  et  il  est  très-connu  parmi  eux,  qu'il 
existe  dans  l'intérieur  un  lac  où  la  rivière  de 
Sam-Francisco ,  dont  j'ai  parlé  plus  haut, 
prend  sa  source.Ils  disent  que,  dans  les  îles  qu'il 
renferme  et  sur  ses  bords,  on  trouve  de  grands 
villages  où  il  y  a  beaucoup  d'or  et  en  plus  grande 
quantité,  suivant  eux,  que  dans  aucune  autre 
partie  du  pays.  Les  Espagnols  ont  découvert 
dans  l'intérieur,  non  loin  du  Rio  de  la  Plata , 
une  mine  dont  le  minerai  a  été  porté  au  Pé- 
rou ,  et  de  chaque  quintal  on  a  tiré  cinq  cent 


l58  HISTOIRE    DE    LA    PROVINCE 

soixante  -  dix  cruzades  (i),  et  d'une  autre 
mine  trois  cents  et  plus,  et  il  y  en  a  en  outre 
une  grande  quantité  de  cuivre. 

Ilsonttrouvé  aussi  d'autres  mines  de  pierres 
blanches,  vertes,  et  d'autres  couleurs  diver- 
ses ,  qui  sont  à  cinq  ou  six  pans  comme 
les  diamants,  et  travaillées  par  la  nature 
comme  si  «les  l'étaient  de  la  main  des 
hommes.  Ces  pierres  se  forment  dans  une  es- 
pèce de  vase  de  la  grandeur  d'une  noix  de 
coco,  au  nombre  de  plus  de  quatre  cents 
enchâssées  dans  la  masse  et  dont  les  pointes 
sortent  en  dehors.  Quelques-unes  de  ces  pierres 
sont  encore  imparfaites,  car  on  dit  que  quand 
la  masse  est  parfaite ,  elle  éclate  avec  un  bruit 
tel  qu'on  croirait  entendre  une  armée  entière 
tirer  des  coups  de  fusil ,  et  les  pierres  sont 
lancées  avec  tant  de  violence  qu'elles  s'enfon- 
cent d'un  ou  deux  estadio  dans  la  terre  (2).  Je 

(i)  La  creuzade  vieille ,  monnaie  réelle,  vaut  3  fr.  3o  cent. 
(î)  Le  estadio  représente  la  toise  ancienne  ou  6  pieds. 


DE    SANCTA-CRUZ.  iSq 

ne  parle  pas  de  leur  valeur,  parce  qu'on  ne  la 
connaît  pas  encore;  mais  je  sais  que,  dans 
cette  province,  on  trouve  beaucoup  de  pierres 
et  de  minéraux  dont  on  pourra  tirer  une  ri- 
chesse infinie.  Que  Dieu  permette  qu'on  les 
découvre  tous  de  nos  jours  ;  car  la  gloire  de  la 
couronne  en  sera  beaucoup  augmentée,  et  nous 
espérons  bientôt  (par  la  faveur  divine)  nous 
voir  dans  un  état  si  prospère  que  nous  n'au- 
rons plus  rien  à  désirer. 


FIN. 


TABLE   ANALYTIQUE 


DES  MATIERES 


CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


Pages. 

Préface  de  l'Editeur  français 3 

Avertissement  au  lecteur g 

Chap.  P'.  —  De  la  découverte  de  cette  province ,  et  de 
la  raison  pour  laquelle  on  doit  la  nommer  Sancta- 
Cruz ,   tt  non  le  Brésil i5 

Chap.  11.  —  Dans  lequel  on  décrit  la  situation  et  les  avan- 
tages de  cette  province 28 

Chap.  III.  —  Des  capitaineries  et  des  colonies  portugaises , 
établies  dans  cette  province 3iJ 

Chap.  IV.  —  Du  gouvernement,  des  mœurs  et  coutumes 
des  habitants  des  capitaineries 47 

Chap.  V.  —  Des  plantes ,   des  vivres  et  des  fruits  de  cette 

province 5i 

n.  II 


162  TASLU    DKS    MATIÈRES. 

f'ajes. 

(}uAP.  VI.  —  Des  animaux  et  des  reptile»  venimeux  de  cette 

province 65 

Chàp.  \II.  —  Des  oiseaux  de  ce  pays 8i 

Chap.  Vlll.  —  De. quelques  poissons  remarquables ,  des  ba- 
leines et  de  l'ambre 91 

Chap.  IX.  —  IJu  monstre  marin  tué  dans  la  capitainerie 
de  Sam-Vicente,  en  i564 101 

Chap.  X.  —  Des  habitants  de  la  province ,  de  leurs  mœurs 
et  coutumes  ,  et  de  leur  gouvernement  en  temps  de 
paix 108 

Chap.  XI.  —  Des  guerres  que  les  Indiens  ont  entre  eux 
et  de  leur  manière  de  combattre 121 

Chap.  Xll.  —  De  la  mort  que  les  Indiens  infligent  à  leurs 
prisonniers,  et  de  leur  cruauti  envers  eux i35 

Chap.  XIII.  —  Des  succès  que  les  pères  de  la  compagnie 
{de  7wuj  )  ont  obtenus  en  prêchant  la  doctrine  chré- 
tienne dans  ce  pays 147 

Chap.  XIV.  —  Des  grandes  richesses  qu'on  espère  trouver 
dan»  l'intérieur i53 


FIN    DE    LA    TABLE    DKS    MATIERES. 


University  of  Caiifomia 

SOUTHERN  REGIONAL  LIBRARY  FACILITY 

305  De  Neve  Drive  -  Parking  Lot  17  •  Box  951388 

LOS  ANGELES,  CALIFORNIA  90095-1388 

Retum  this  material  to  the  library  from  which  it  was  borrowed. 


3  1205  02652  7752 


UC  SOUTHERN  REGIONAL  LIBRARY  FACILITY 


AA    000  853  997    5