AUGUSTULE ET BELLONI, à OU ENTRETIENS SUR L'ENTOMOLOGIE, Pa Tstone natuelle des Fnsectes F. ; POUR SERVIR D'INTRODUCTION À CETTE SCIENCE: eér8> SUIVIS D'UN DICTIONNAIRE HISTORIQUE DE QUELQUES PA—< PILLONS ET D'UN DISCOURS SUR LES AVANTAGES DES SCIENCES NATURELLES POUR L'ÉDUCATION DE LA JEUNESSE, par L'ABBÉ J. LALANNE, PrincrPAL DU GOLLÉGE DE GRax Er MEMBRE DE PLUSIEURS SOGIÈTÉS SAVANTES PARIS, Chez LEVRAULT , Libraire, Imprimeur du Roi, rue de la Harpe. Evte me [». ren c @L L13 : C.4107 De l'Imprimerie de FAYE aîné, à Bordeaux: nn enesnneenemontnnerre tan NE EN Pere errer nnne er ere nr rs ÉÀ néà PRÉFACE. eee FE, écrivant sur les insectes, je n'ai pas eu la préz tention de reculer les bornes d’une science déjà fort étendue. J'ai voulu seulement en faciliter les accès à ceux qui n’ont pas encore fait les premiers pas. On ne doit donc pas s'attendre à trouver dans mon livre des vues nouvelles, des considérations profondes, des coupes savantes, ni même, si j'ose le dire, cet appareil de science , qu'on voit depuis quelque tems dans les excellens ouvrages que nous avons sur cette partie de l'his- toire naturelle ; eussé-je été moi-même assez $a- vant pour me mettre à cette hauteur , j'aurais fait en sorte de ne pas m'y élever ; quand on veut être entendu par le vulgaire, il faut parler tomme lui. Je suis même allé plus loin : comme je dé= Sirerais sur-tout que mon livre fût mis entre les mains des enfans (quoique ce ne soit pas unique- ment pour eux que j'aie écrit), je me suis efforcé d'être si clair et si simple, que les enfans même pussent m'entendre ; j'ai passé sous silence tout te qui ne leur convenait pas. C4) Si j'ai eu principalement en vue cette intéres= sante partie de la société, c'est qu’il m’a toujours semblé qu'on ferait très bien de méler l’histoire naturelle aux études et au délassement du jeuné âge ; on peut voir les raisons que j'en donne dans un discours ajouté tout exprès à la fin de ce petit livre. Je terminerai cette courte Préface, comme on les termine toutes, en exprimant un vœu : celui d'être utile ; mais qui croira qu'un livre sur des ailes de papillon puisse être utile ? Je me bor= nerai donc à souhaiter qu’il procure à ceux poux qui je l'ai fait quelques momens agréables. (5) ENTRETIENS POUR SERVIR D'INTRODUCTION A L'HISTOIRE DES INSECTES. AL A LE CI CE LI A OT CT M EP 1. ENTRETIEN. Qui donne occasion à tous les autres. LA ES IL faut avouer, me disait l’autre jour B..., que vos livres d'histoire naturelle sont bien déplai- sans | Que pensent-ils donc, vos auteurs , de faire des livres que personne ne peut comprendre, et sur une chose que tout le monde voudrait savoir À Passe pour Buffon ; il est aussi beau , aussi attrayant que la nature ; passe pour Réaumur, pour Geof- froy.. ; — Un instant, mon ami, lui dis-je, prenez garde à vous accuser vous même en blä- mant si témérairement vos maîtres : et de quoi vous avisez-vous ? Connaissez-vous assez les pier- res précieuses , pour les aller chercher à la mine ? Ge n'est pas pour vous que ces savans hommes (6) ont écrit. — Tant pis : c’est pour moi qu'ils au raient dù écrire. Pour qui fait-on des livres , s'il vous plaît, si ce n’est pour ceux qui ne savent pas? Quel besoin en ont les autres ? — Il y a des livres de plusieurs sortes. — Je le sais bien. Il y a des livres qui sont bons, et des livres qui ne le sont pas ; des livres pleins de choses , et des li- vres pleins de riens ; des livres que tout le monde peut entendre, et des livres où personne n’a ja- mais rien compris, Ceux qui les ont faits, ni ceux qui les ont lus... N'est-ce pas cela que vous voulez dire? —Mon ami, vous ne raisonnez pas. Je vois bien que vous êtes de mauvaise humeur ! — Oui, je suis fâché, dépité, outré, poussé à bout : eh ! monsieur, la nature est si belle ! on à tant de plaisir à la contempler : il semble que: dans l'étude de tant de merveilles, on va trouver ce qu'il peut y avoir pour l'esprit de plus agréa- ble, de plus charmant... On ouvre leurs livres... Éleuthérates ,.. Rhingotes ….. Rhipiptères ,.…. Hémiptères..…. Que me veulent-ils? suis-je grec, moi, pour les entendre? ou faut-il que je le de- vienne, pour savoir ce que c’est que les mouches qui volent en France? Sagit-il de plantes? vous cherchez un chou... peine perdue... il n'y a plus de choux: pour les botanistes ; ces Messieurs (7) ne mangent en ce genre que ‘des Brassica, Ole racea…. Voulez-vous connaître les Fnabctés Voilà que vous rencontrez d'abord un grand mot barbare Æntomologie, comme un épouvantail qui vous transit de peur et vous repousse. C’en est assez ; on aura beau me crier : L’entomologie est la science des insectes; je n’y reviendrai pas, je n’en veux plus. — Et vous ne saurez pas autre chose. — Non certes, et je m’en garderai bien. —"Ainsi vous renoncez à cette aimable science , qui serait pour vous la source de tant de plaisirs. — J'y suis forcé. — Vous le voulez bien. — Non, je vous jure; je voudrais au contraire en faire mon étude ; mais comment faut-il que je fasse? Je ne comprends rien à ces livres ; rien : pas deux mots de suite. —Eh bien! si quelqu'un vous initiait à ces impénétrables mys- ières; si vous trouviez un interprète bénévole de cette langue énigmatique ? — Il comblerait mes vœux les plus chers ; il ferait la moitié de mon bonheur.—Je vous offre mes services. — Oh! mon cher ami, que je vous reconnais bien là! quel plaisir vous me faites ! comment vous en témoigner ma reconnaissance ? — facilement, mon cher B. ; vous n'aurez qu’à vous réconcilier quelque jour avec nos maitres. — Oh ! pour ga; (:8,] se. HS re * On ; je Vous en prie, ne m'imposez pas cette COT« dition ; elle est au-dessus de mes forces. — Vous y viendrez ; j'ai pensé autrefois comme vous ; un jour viendra que vous direz comme moi, je l’es- \ » is F père , que ces hommes laborieux qui ont apporté, dans les sciences naturelles, l’ordre , la précision, la méthode, ont acquis bien des droits à notre reconnaissance. (9) PT CUOCONNTENTEO TETE ONE P ENT TUT TE EE PCTT PTE UT CUT EEE E | ||, | | 4 OAI PIRATES IST TIR, II° ENTRETIEN. Il faut une méthode pour étudier les insectes , et des noms grecs, malgré qu’on en veuille. ee: Tourss les parties de l'histoire naturelle avaient des attraits pour B...; mais sur-tout celle qui traite des insectes : ces petits êtres piquaient singulière- ment sa curiosité; c’est assez l'ordinaire des pe- tits d’intéresser plus que les grands , sur-tout lors- qu'ils sont jolis, ingénieux , et quils nous offrent quelques images des grandes choses : tels sont la plupart des insectes. Que peut-on voir de plus brillant. que certains papillons, de plus actif qu'une fourmi, de plus industrieux qu’une abeille? tendresse maternelle, fidélité conjugale, soins assidus de la famille , lois sociales : on retrouve chez les insectes tout ce qu’on voit chez les hom- mes, excepté , peut-être , nos vices et nos misè— res... Ensuite, il est si facile d'étudier ces petits animaux ; on en trouve par-tout; il ne faut que faire quelques pas dans la campagne; les pren- dre , c’estune chasse , c’estun plaisir : une chasse, à la vérité, qui fait rire les sots; mais n'est-ce C1) pas une jouissance de plus pour celui qui a le bonheur de ne l'être pas? Quand on les a pris, si l’on veut les conserver vivans , pour les obser- ver, on peut s’en faire à peu de frais une ména- gerie. Il est facile aussi de les garder quand, ils sont morts, et je ne sais si, dans ce genre, il peut y avoir rien de plus agréable aux yeux. Que les botanistes ne me parlent pas de leurs herbiers, ni les droguistes de leurs minéraux ; je craindrai plutôt la comparaison avec une collec tion de coquilles, mais sur-tout avec un cabinet d'oiseaux, s'il ne fallait pas, pour ces derniers , tant de place, de temps et de dépenses.…, On voit bien, me dira-t-on Que vous avez une collection d'insectes ; vous ne vous trompez pas, et même si vous êtes amateur , elle est à votre service ( 1 ). Au milieu de ces amis muets, mais innocens et fidèles, on peut passer de bien agréables loisirs, J'étais là , quand B... vint me voir : je ne pou- vais mieux arriver, me dit-il, tenez! je vous apporte quelque chose de curieux , ét il tire de sa poche une petite boîte où il avait renfermé un Bupreste, Comment appelez-vous cela? — Mais | (1) Nous accueillerons toujours avec plaisir, et de notre mieux, les amateurs qui voudraient entrer .en correspondance avec nous, Ceux des pays étrangers, ou des autres départemens de la France, pourraient faire des échanges, * Cu) | vous-même, Jui répartis-je, que croyez-vous qu ce soit? — Eh ! je n’en sais rien ; C’est un barbot. — Et vous un barbare ! lui dis-je d’abord , indi- gné d'entendre encore ce mot dans la bouche d’un honnète homme. Cepéndant je me calmai aussitôt, et j'ajoutai : Si vous étiez bon méthodiste en en- tomologie, vous n’auriez pas besoin de moi pour savoir le nom de cet insecte.— C’est possible ; mais qué me dites-vous ? je comprends bien votre grec éntomologie ; mais un méthodiste, quel homme est-ce? —Ce serait vous-même, si vous saviez me dire maintenant à quel ordre d’insectes appartient celui que vous avez trouvé ; à quelle famille de cet ordre, à quel genre de cette fa- mille , à quelle espèce de ce genre. — Fort bien. De sorte qu'il y a parmi les insectes plusieurs or- dres ; que ces ordres se divisent en familles ; les familles en genres ; les genres en espèces , abso- Jument comme les armées romaines se parta- geaient en corps et en ailes , les aîles et le corps én légions ; les légions en centuries ; les centuries en décuries. — La comparaison est tirée d’un peu loin, mais vous avez parfaitement compris ; je suis content de vous.— Et moi je ne m'en trouve guère plus avancé , car je ne sais pas mieux qu'a- vant à: quel ordre appartient mon insecte. —.Je vais vous l’apprendre. IL est de l'ordre de ceux | (3) qui ont quatre aîles dont les deux supérieures sont en forme d’étui. — Bien : mais le nom de cet ordre? — Je ne puis vous le dire, vous m'avez déclaré que vous ne vouliez pas l'entendre. — comment donc?— Cest un mot grec. — Ah le méchant, dans quel embarras il va me mettre! quoi! tant de gens d'esprit n’ont pas pu trouver un mot dans notre langue qui valût autant qu'un mot grec et que nous aurions mieux compris. — C’est précisément parce que vous l’auriez mieux en- tendu , qu'on n’a pas tiré ce mot de votre langue , mais qu'on l'a pris plutôt dans un idiome que vous connaissez moins ; il était plus facile de faire signifier à ce terme tout ce qu'on voulait. Oui, mon ami, l'on a formé du grec un.seul mot, qui équivaut à toute cette phrase : aîles renfer- mées dans des étuis ; ne trouvez-vous pas l’expé- dient ingénieux ?—Très-heureux , je l'avoue ; quel est donc ce mot? Je ne veux pas encore vous le dire; j’entends bien pousser ma victoire jus- qu'au bout, et vous faire consentir à recevoir autant de mots grecs que je voudrai vous en donner. — Vous êtes un terrible homme ! eh bien! faisons nos conditions ; vous me direz des noms grecs autant qu'il vous plaira, mais pas un que vous ne m'expliquiez clairement. —La condition est trop juste pour que je puisse la refuser, et ( 13 ) A vous êtes raisonnable à faire plaisir... Venezme voir demain , et j'aurai préparé tout ce qu'il faut pour vous expliquer les ordres de M. Latreille. — Et mon insecte ? — Vous le trouverez bientôt dans cette partie de la collection qui estsous le titre de Coléoptéres. (ri) ÉanBPnnner aeraner rare pnes annee nee ane enr PRIRENT ONE ENTREE RENTAL À JILe ENTRETIEN. On expose les ordres de M. Latreille: eii6s J'avais disposé, dans quatre boîtes, 12 insec# tes, un de chaque ordre, etavec cet appareil ; j'attendais B... dans mon cabinet : je ne l’at- tendis pas long-temps ; il arrive tout empressé ; muni d'un filet de gaze, en négligé ; et comme un homme qui va partir pour la campagne. Il était dix heures : Vous allez être content de moi, me dit-il, en m'abordant; je suis libre aujour- d’hui ; il fait beau, je vais à la chasse en sortant d'ici. — Oh! lui répondis-je ; vous n'êtes pas en core sorti | Savez-vous que j'ai bien des choses à vous dire ce matin : voyez-Vous cet appareil ? — Eh bien? — Eh bien! autant d'insectes vous voyez dans ces boîtes ; autant de noms j'ai à vous expliquer, autant de divisions à établir, autant de caractères à tracer , et vous autant de choses nouvelles à apprendre ; mettez-vous donc, et commencez par oublier votre projet de chasse. Vous voyez là ( PL. 1.7° ) des insectes que vous ne connaissez pas ; mais VOUS EN VOYEZ aussi que 2 (8.3 dejà vous connaissez : dans la première , un pa“ pillon (fig. 10 ); dans la seconde , une mouche (fig. 11 ); dans la troisième, un hanneton (fig. 5); dans la quatrième (fig. 1 ), un mille-pieds. Consi- dérez un instant ces insectes, et dites- moi , S'il vous plait, quelle différence sous trouvez entr'eux : ayez égard sur-tout à leurs aîles. — Rien n’est plus facile à voir. Les insectes de la première boîte , où est le papillon ; ont quatre aîles, bien distinctes ; ceux de la seconde, parmi lesquels est la mouche, n’en ont que deux. Je n’en vois point à ceux qui sont dans la troisième avec le hanneton; mais je sais qu'ils en ont, puisqu'ils volent; enfin , dans la gusiièue boite, je ne vois que A Su qui n'ont point d’ îles, — Parfaitement; et vous avez R quatre grandes divisions : 146 à quatré ailes; 2.9 à deux ailes; È Insectes. … . 3.° à aîles cachées; 4.° sans ailes, Quoi! j'aurais deviné, s'écrie B..., avec un transport de joie : ce serait la méthode des natu- ralistes ! — Pas encore : pour établir de telles di- visions, il ne faut pas être naturaliste; il faut même ne pas être naturaliste , car elles sont trop générales pour être exactes. — Que me dites-vous CB la? vous m'attristez ; moi qui croyais... — Croyér éncore.... que vous venez de faire un grand pas , et qui vous introduit où je veux vous mener. Prenez cette boîte où sont les insectes à quatre aîles ; il y en a trois : un papillon, une demoi- selle et une guëpe ( PL. 1."°, fig. 9), vous connais sez bien tout cela? — Il y a long-temps. — Eh bien ! faites pour les insectes de cetteboïte, ce que vous venez de faire pour tous ensemble; courage | en quoi diffèrent-ils ? Voyez les aîles : encore. — J'y suis..... Le papillon a les ailes couvertes d’une poussière colorée; on m'a dit que c'était de petites écailles ; les ailes de la de- moiselle sont lisses , transparentes , étendues, fermes , nerveuses; celles de la guêpe sont courtes, inégales , molles et comme membraneuses. Où mous ménent ces différences? — À reconnaitre trois ordres dans la première division: 1.9 couvertes d'une poussière écailleuse; Insectes à 4 aîles. : 2.2 transparentes et nervées; Le 3.9 membraneuses, Bien , me dit alors B..., mais chacun de ces or- dres n’a-t-il pas un nonipropre?—Que je suis aise, ui répartis-je , que vous me fassiez cette ques- tion. Certainement il ya un nom pour chacun | (17) ‘ de ces ordres, et un nom qui, d’un seul mot, en exprime le caractère distinctif; et cela, comme je vous ‘le disais l’autre jour, au moyen de cette belle langue grecque que nous manions si com- modément depuis que nous la connaissons si peu; le mot Piérux (xripé) signifie aîle; on y a joint : Lepis (xrie), qui veut dire écaille ; Nevron (rüps ), qui signifie nerf ; Hymen (vuw), membrane , et lon a eu: : 1.° Lépidoptères (fig. 10) afles à écaille; 2.° Nevroptères (fig. 8) afles nerveuses ; 3.° Hyménoptères (fig. 9) afles membraneuses. Mais voilà bien des divisions et bien des mots ; parlons un instant d'autre chose, pour ne pas vous fatiguer. — Non, je vous prie, continuons; mon parti est pris, je soutiendrai jusqu’à la fin. Dans votre seconde boîte, j'ai beau regarder, -je ne trouve aucune différence ; on n’y voit que des insectes à deux aîles, nues , transparentes et bien distinctes. — Vous regarderiez encore plus long-tems, que vous n'y verriez pas autre chose. Il n’y a qu’un ordre dans cette boîte (fig. 11); c’est celui dts-insectes à deux aîles ; on à mis devant Prérux le mot duo (dw), qui B (18) signifie deux , et l’on a nommé les insectes de cet ordre : Diptères (fig.11 ), à deux ailes. Il n’en est pas de même de la troisième boîte, quoique vous auriez de la peine à voir, au pre- mier coup-d’œil, et même avec quelque atten- tion , ce qui distingue l’un de l’autre ces trois in- sectes: ce hanneton (1), eette punaise, cette sauterelle ( fig. 6, 7, 8 ); je vais vous aider. Le hanneton a deux aîles, repliées sous deux fourreaux d’une substance dure et cornée dans toute leur longueur. La punaise a deux aîles repliées sous deux : fourreaux ; mais ces fourreaux ne sont pas dans toute leur longueur de la même substance ; une moitié est écailleuse, et l’autre membraneuse comme l'aile d’une mouche. La sauterelle a deux aîles repliées sous deux fourreaux plats , droits , allongés et mous. Ainsi nous avons trois autres ordres, et ceux- ci prennent leur nom de la disposition de leurs aîles : à plérux. On a ajouté, pour Je premier, Coleos (ter), qui signifie fourreau ; pour le se- cond Aemi ( Hs ), demi ; pour le troisième orthos (opter ), droit ; de là : A ed en ete M RU (1) C’est une Cétoine. (19) 5.0 Coléoptères (fig. 5), afles à 2 fourreaux ; G.° Hémiptères (fig. 7), demi-ailes ; 7. Orthoptères(fig. 6), ales droites. Il y a bien un autre ordre dans cette troisième section des insectes à deux aïîles recouvertes ; mais cet ordre renferme si peu de genres ! les individus en sont si petits ! Ce sont des insectes qui vivent sur les autres. Ils ont pour caractère distinctif, que leurs aîles, placées en forme d’é- ventail , sont attachées, ainsi que les écailles qui les sarmontent, sur les parties antérieures du corcelet (de la poitrine ), ou de la partie du corps qui en tient lieu. On a saisi la forme de leurs aîles en éventail , pour donner à leur ordre le nom qu'il porte , de rhipidion (ri), petit éventail , et de #rigvé on a formé : 8.° Rhipiptères (fig. 12), ailes en éventail. Du reste, comme les ailes de cet insecte sont toujours libres, indépendamment du fourreau qui les surmonte , on peut placer eet ordre dans la deuxième section. J'avais mis un insecte de ce genre sur une pe- tite carte, où il s'était pris à un peu de glu. Comme B. n’y faisait point attention, je le lui fjs remarquer ; je lui mis ensuite dans les mains la quatrième boîte; il la considéra quelque tems (20) et me dit : Pour le coup, je n’y vois plus rien ; et que pourrai-je y voir? Jusqu'àprésent nous n’a- vons distingué les ordres, que par les aîles des insectes , et tous ceux que je vois ici sont privés d’aîles. — C'est-à-dire, repris-je, que ce sont des aptères ; car la lettre 4, devant un nom , marque la privation de la chose que ce nom signifie. A Piérux (Arript), privés d'ailes. — Est-ce que tous ces insectes ne forment qu’un ordre ? — Au- trefois il en était ainsi. Communément, les ento- mologistes suivaient en cela Linnœus , qui avait compris , sous le nom d’aptères , tous les insectes sans aîles; mais les observations plus exactes de MM. Cuvier et Latreille en ont fait quatre ordres et même cinq. Des quatre insectes que vous voyez dans cette boite, une puce, un pou, un lépisme (1), un mille-pieds (PI. 17e, ), les uns ont six pattes, les autres en ont ou, paraissent en avoir, un plus grand nombre : c’est de là que vous prendrez leurs caractères distinctifs, les plus saillans EM iC ils en ont d’autres, et de plus exacts que donne. l'anatomie de leur bouche. — C’est l'anatomie des infiniment petits. — Nous parlerons de cela om em DE | SORT (1) Les trois premiers très-grossis. (2) bientôt. La ,puce a six pieds, dont les deux derniers sont munis d’un ressort d’une grande force : elle a pour bouche une espèce de trompe qu’on appelle suçoir. Ce genre forme lui seul un ordre , celui des suçeurs. Le Pou a six pattes; mais pour bouche il n’a qu’une fente et point de suçoir apparent : comme les insectes du même caractère vivent sur les au- tres animaux , on a donné à l’ordre le nom de parasites (rajurirer ), qui vit sur les autres ; mot grec, mais devenu français par le grand usage !.. Le lépisme, que Geoffroy appelle forbicine, vous paraît avoir un assez grand nombre de pat- tes. Regardez de plus près ; il n’en. a que six ; le reste n’est qu'une rangée de soies qu’on a bien voulu comparer à une frange dont on l'aurait orné de chaque côté : de là le nom de l’ordre qu'il forme presque seul (@icarur) frangé ; remar- quez aussi ces trois pointes qui sortent de l’extré- mité du corps, et qui remplissent encore les fonctions de pieds, car plusieurs espèces s’en servent pour marcher et pour sauter. Il n’en est pas de même de ce mille-pieds (Jule }, il a réel- lement non pas mille pieds, mais il en a au moins “dix et jusqu'à vingt-quatre , et davantage. Nous avons donc encore là quatre ordres : 9.° Les suçeurs (fig. 4), insectes à suçoir ; 22 ) ° Les parasites (fig. 3), qui vivent chez les autres ; 11.0 Les thysanoures (fig. 2), ornés d’une frange ; ° Les myriapodes (fig. 1), quiontun grand nombre de véritables pieds : le nom est fort exact ( æwiar ) myrios mille, podes (roder) pieds. | Ce douzième est le dernier, mon cher B.., et nous touchons à la fin, mais nous n’y sommes pas encore. — Je le pense bien, car voici des arai- gnées, qui n ont point d’aîles, qui ont plus de six pieds, et qui n’en ont pas dix; je ne vois pas dans quel ordre vous les mettrez. — Dans aucun ; et c'est pour cela que je les ai mises ici dans une boîte à part : les araignées ne sont pas des insec- tes. — Vous m'étonnez ! — C’est ce que vous ne saviez pas encore , sans doute , et même vous ne pouvez pas le comprendre , parce que je n’en- treprendrai pas de vous l'expliquer aujourd’hui ; j'aime mieux profiter du beau tems, comme vous, et d’un moment de loisir, et je vous accompagne à la chasse : nous causerons en che- min. Nora. Si nous n'avons pas exposé les ordres de M. Latreille, comme ils le sont dans le plus (23) récent de ses ouvrages (1), ce n’est pas que nous voulions y changer quelque chose. N’est:l pas tems de se fixer, et n'est-ce pas ce qu'on peut faire de mieux , que de s’en tenir enfin à une mé- thode et à une nomenclature, y verrait-on quel- que imperfection ? Mais celle-là est universelle- ment adoptée, et il ne nous appartient pas de nous en écarter : c’est dans cette vue que nous plaçons à la suite de cet entretien un tableau où les ordres de M. Latreille sont établis comme il les a exposés lui-même ; nous y avons joint, en regard, les noms des classes de Fabricius. Il ne convient pas qu’on les oublie. (1) Règne animal, tom. 3. Cuvrer. 4 “SHENqUY 1 setranete es: “PSN sa] 11 % ‘SOU ÿ SaI * *SHESSO[) ot stresse es * suomi saT -sa3ezal4 6 cette re S3INOQ SaI *saieuopO { g “1. -gaps1omeg sat “saqeistuiS “snoSu£qy L :- *saeuoIN 9 ‘seat SG DE SC TE NcEr “snoSulqy “saSoug € Fe PES sowsidary de lait, qui est le résultat d’une nouvelle fonction vitale , dont les organes sont les mamelles; et de LR vient le nom de cette classe : mammiferes. Comme je disais ces derniers mots > B.., sou- | (43) riait d’un air réveur, et je n’osais lui demander pourquoi; mais je m’arrêtais, les yeux attachés sur lui; ilme comprit. Plaisante idée , me dit-il, quime passe maintenant par la tête! Quand vous me parliez des mammifères comme des animaux les plus parfaits, je me regardais moi-même , je vous regardais et je me disais tout bas : Mais l'homme, dans quelle classe le mettrons-nous ? Car enfin, c’est un animal , le plus parfait de tous, etil me paraît bien devoir occuper le dernier anneau de la chaîne. Mon ami, dis-je à B..., vous touchez là une question qui m'a toujours paru fort délicate. Sans doute l’homme est un animal; et si l’on n'avait égard qu'à l’organisation de son être ma- tériel , il faudrait bien le classer avec les autres. Il occuperait alors le premier rang; mais pour vous parler comme je pense, mon cher, et sur- tout d’après ce que je sens, il me répugne beau- coup de mettre en rang avec les viles brutes, même pour lui donner le premier, un être d’une destination si élevée : je craindrai vraiment de profaner par un rapprochement indigne, les ta- bernacles vivans de la Divinité. Là-dessus, je lui pris la main, et nous nous levämes. (44) RÉSUMÉ De lEntretien qu'on vient de lire. Divisions PRINCIPALES pu RÈGNE Anrmar. ' Lt dtti tt: 444) Infusoires. Polypes. Animaux rayonnés.....{ Orties de mer. Intestinaux, Echinodermes. Insectes, Animaux articulés ......{ Arachnides. Crustacés, Mollusques:=...114.. Reptiles. Vertébrés..….............…. Oiseaux. Poissons, Mammifères. (45) VIe ENTRETIEN. Exploit de chasse. Description d’un papillon ; son histoire. e ET ET] Après cette petite sortie, qui n'avait point déplu à B...., quoiqu'il fût jeune encore et un peu léger, notre conversation fut un instant suspendue, comme c’est l'ordinaire, et nous allions en silence, quand tout-à-coup , devant nos yeux, sur un panicule de ronces , un aglaë vient se sus- pendre... Cette belle et précieuse proie nous réveille, et nous électrise.. Mais ne voilà-t-il pas que cet étourdi de B... se met à crier comme un enfant : Oh ! oh ! qu’il est beau ! voyez donc. — Etne voyez plus; car la bête épouvantée était déjà bien loin : j'en eu le cœur serré, vraiment, et j'allais me fâcher..…. Mais lui, il avait un air si stupéfait, si contrit, que je ne pus m'empêcher , de rire : — Et que croyiez-vous donc que c'était, lui dis-je? un papillon, qu'un insecte qui s'en- vole quand on lui fait peur... Il ne fallait rien dire, et me laisser faire; mais attendez.. il va revenir... postons-nous ; allez au bout de la haie... Le voilà ; silence ! La majestueuse aglaë (46) était en cffet sur notre tête ; elle fait quelques tours, et planant d’une aile rapide, tantôt elle s’abaisse vers la haie, puis elle revient de mon côté; enfin, elle s’approche de B... et vient se poser près de lui... Je frémis , mais je me ré- signe... B... d’une main tremblante, avance son filet, il est sur le papillon... Il le manque. * Indigné , désespéré , je m’élance, je cours à l'animal, et la fortune secondant mon audace, je le prends à la volée... Il faut que j'avoue, dit B... , que je suis bien mal-adroit. — Et moi, repris-je, que je suis bien heureux , car je ne vou- lais pas le prendre; c’est beau, mon ami, c’est rare, sur-tout dans ce paysci; je n’en avais pas encore vu sur ces côtes. En un instant le papillon est étouffé , piqué, fixé dans la boîte , et nous reprenons notre chemin. À propos, me dit B..., l’occasion est bonne, faites-moi donc voir ce que vous appelez des antennes. — Quoi! : vous en êtes à? — Je vous ai dit trente fois que je ne savais rien. — Pas même prendre un papillon qui vous attend !.. Eh bien! vous avez raison , l’occasion est bonne, je vais vous met- tre au fait de tout, en vous décrivant l'aglaë, et je vous ferai son histoire, qui est à-peu-près celle de tous les papillons : dans la suite je vous dirai ce que chacun a de particulier. (47) Je prends le papillon à la main, par épingle, et je commence. Il faut distinguer, dans les papillons, le corps et les aîles ; dans le corps, la tête, la poi- trine ou corcelet , et le ventre ou abdomen. 1.° La tête est ordinairement arrondie ; comme vous voyez; en dessus et sur ses côtés , elle vous . présente les yeux; il y en a deux ; ils sont grands, convexes, lisses et brillans , et si vous y regardez de près, comme taillés à facette ; c’est-à-dire que, sur chacune de ces surfaces à ‘il n’y a pas seulement un œil, ni cent, mais 2,400, à ce que prétend Leuwenhoeck , qui y voyait mieux avec ses microscopes, que vous et : moi avec nos yeux. Par la multitude de ces facet- tes, la nature a suppléé au défaut de mobilité ; et quoique les insectes ne puissent pas mouvoir leurs yeux en tous sens, comme beaucoup d’au- tres animaux , ils peuvent cependant voir de tous les côtés. — Bien, dit B..; mais comment se fait- il, qu'ayant 2,400 yeux, ils ne voient pas 2,400 arbres, 2,400 hommes au lieu d’un. —— C’est la question que se fait Valmont-Bomare > lui ré- pondis-je; mais je vous répliquerai avec lui : Et-vous , comment se fait-il qu'avec deux yeux, vous ne voyiez qu'un papillon? Leurs mille yeux viennent se rapporter À un même centre ; comme les deux vôtres. (48) Entre les deux yeux du dessus de la tête, vous voyez s'élancer deux cornes grêles et roides; c’est là ce que nous appelons des antennes, elles ont différentes formes que je ne puis vous décrire maintenant. Dessous la tête, vous voyez une pe- tite fente de haut en bas... Donnez-moi une épin- gle. … (Et je déroulai la trompe. ) Gette trompe qui est roulée dans cette fente, ces petits appenr dies de chaque côté, cette crête velue qui se prolonge entre les deux yeux; cet ensemble de parties , compose la bouche; et chaque pièce , qui a son nom, doit être considérée attentive- ment, car c’est sur la considération de la bouche qu’un célèbre entomologiste a fondé son sys- tème , et tous les savans ont égard à cette partie. pl possible? — Vous n’en serez pas surpris, Si vous réfléchissez à ce que nous avons dit sur les bases de la classification des animaux. Toutes les fonctions animales sont ordinairement propor- tionnées au développement de l'appareil diges- tif. L'appareil digestif lui-même est proportionné au développement de la bouche; de à, il ar- rive, et l’on a observé, que les animaux qui . ont la même conformation de la bouche, ont aussi la plus grande ressemblance , et pour l’orga- nisation intérieure, et pour les formes extérieu- res , et même pour les habitudes et les manières (49) de vivre. — L'observation est fort belle sans contredit, Revenons donc à la bouche de notre papillon. Ce long filet, replié en spirale , est la trompe. Cette partie est formée de deux lames qui lais- sent entre elles un canal; son extrémité libre plonge dans l’intérieur des fleurs ; elle y pompe le nectar ; la douce et subtile liqueur monte dans le tuyau, comme dans un capillaire , et s'écoule de là dans le tube digestif, qui commence à la base de la trompe. Ces deux petits appendices velus, que vous voyez de chaque côté de la bouche , en dessus, s'appellent palpes ; et on les a nommés récem- ment palpes labiaux ou supérieurs, pour les distinguer de deux petits tubercules ou boutons, quise trouvent à la base de la trompe, en dessus, et que vous ne pouvez pas voir. C’est M. Savigny qui les a découverts. On les a nommés palpes mazxillaires , ou supérieurs. Enfin, cette petite éminence velue que vous voyez au-dessus de la bouche, entre les deux yeux, et au-devant, c’est le chaperon. Dans les autres classes d'insectes, la bouche se compose de quelques autres pièces , mais nous verrons cela une autre fois. (50) 2.° La poitrine ou corcelet est un peu com- primée sur les côtés, comme vous voyez; c’est là que s’implantent les aîles ; et au-dessous de lin- sertion des aîles, il y a certaines ouvertures , comme des boutonnières, que je pourrais mieux vous faire apercevoir dans les chenilles, et qui sont les stigmates. C’est par ces ouvertures que l'air s’introduit dans le corps de l'animal. C’est aussi sur les côtés du corcelet, et sur les aîles, que sont fixées les pattes ; ou pieds. Les paites se composent de trois parties, qui s’articulent ensemble par charnières ; de là vient le nom d'articles ; pattes À trois, à quatre ar- ticles : le premier, le plus voisin du Corps, S’ap- pelle anche, le second cuisse, le troisième jam- be, le dernier tarse; celui-ci est composé de plusieurs pièces et ordinairement terminé par un crochet. À la jonction du tarse avec la jambe, vous voyez une double épine; dans quelques papillons, il y en à un plus grand nombre. 3.° Le ventre ou abdomen est comprimé sur les côtes, plus gros dans la femelle , que dans le mâle. Il est composé de plusieurs anneaux, peu distincts dans ce papillon, mais qui sont très-visibles dans les plus grosses espèces. : 4.° Les aîles, au nombre de quatre, sont distin- guées en 1." ou antérieures, ou supérieures , ce (5) sont les plus voisines de la tête; et 2.9 atles, ap- pelées aussi postérieures et inférieures. La cou- leur, la forme , la position des ailes varie beau- coup.-Je vous ai, déjà dit à quoi tenait la couleur ; c’est une espèce de peinture en mosaïque; car elle est formée par les teintes diverses d’une mul- titude d’écailles, implantées à côté l’une de l'autre et se recouvrant comme les tuiles d’un toit. Et c’est là tout pour la description ; vous connaissez maintenant toutes les parties extérieu- res des insectes de cette classe, et le nom qu’on leur donne. — Et les parties intérieures , me’ dit alors B... ? vous m’en avez bien donné une idée : je sais qu'il y a un long vaisseau, des conduits aériens, un estomac; mais comment tant d’or- ganes s’arrangent-ils dans un si petit être ? — Pre- nez patience, lui dis-je ; quand nous serons ar- rivés, je vous le dirai, et bien plus, je vous le ferai voir. Ecoutez maintenant l’histoire de l'aglaé. Ce papillon n’a pas toujours été ce que vous le voyez, tel qu'il était sur-tout quand il fendait les airs si rapidement, où qu'il planait avec tant de majesté. D'abord sa mère pond un œuf, qui, tout gluant encore , se fixe sur les feuilles où elle le dépose. De cet œuf, au printems, sort une chenille, bien (52) petite d’abord , mais qui trouvant, dans son ber- ceau même, la nourriture qui lui convient , gran- dit en peu de tems. Elle est noire, avec des ta- ches fauves, couverte d’épines , dont deux plus grandes sur le cou. La violette des bois, qui lui sert de pâture, est aussi son asile et sa retraite impénétrable ; elle se cache sous les broussailles avec cette fleur modeste , et il est bien difficile de la trouver. Manger et croître, voilà, pendant quelque tems, toute sa vie; mais bientôt elle change de peau , et c’est le premier événement , la pre- mière époque de son histoire. Aux approches de ce jour critique, elle cesse de manger : on dirait qu’elle est malade; on la voit immobile , roide, gonflée; tout-à-coup sa peau se fend sur le cou, une tête nouvelle ou du moins toute rajeunie sort de la tête ; les premiers anneaux, les premières pattes suivent; tout le corps se dégage, et de la chenille malade, il ne reste plus que la peau... mais la peau de tout, celle des pattes , des mâchoires , et la peau même des épines dont tout le corps est couvert ; car toutes ces parties sont demeurées inhérentes à l'animal. | Deux fois et jusqu’à trois cette opération se ré- pète, et la chenille va toujours prenant son ac- (53) croissement : quand elle est arrivée au dernier degré, nouvelle métamorphose et plus étonnante encore. | La chenille cherche une feuille qui lui offre une surface plane, horizontale , ‘un point d’ap- pui ; elle tapisse cette surface d’un tissu de soie ; et dans ce tissu, assez ferme pour la suppor- ter, elle implique l'extrémité postérieure de son corps , et se suspend ainsi la tête en bas. Dans cette position gênante, en un instant, en moins de tems qu'il n’en faut pour le dire, l'insecte a changé de forme. Plus de tête, plus de bouche, plus de pattes. C’est une coque de . figure à-peu-près conique, dont le sommet est attaché au tissu dans lequel les pattes de derrière s'étaient accrochées, et dont la partie la plus large est hérissée de pointes et d’angles : on a nommé cette coque chrysalide , de (kpurer) chry- sos, or, parce que, dans quelques espèces , elle est enrichie de taches d’or. Dans cette immobile enveloppe, l’aglaé de- meure quinze jours au moins sans prendre aucune nourriture ; elle ne fait que respirer par quelques stigmates ouverts de chaque côté; car elle est bien vivante , comme il paraît quand on la tou- che : cette inertie apparente n’est qu'un repos mystérieux , pendant lequel la nature achève en (54) secret eLsous lé voile, pour la perfection de cet être, ce qu’elle a préparé de si loin. Le moment arrive où le papillon va commencer enfin sa bril- lante carrière. Le matin ordinairement ( comme si un rayon de l'aurore venait lui donner le signal de sortir au moment où s'ouvrent les roses), la chry- salide se fend par le bas, et le papillon charmé, montrant sa tête et ses antennes , salue le jour. Bientôt il dégage ses premières pattes, et les ap- puyant sur l'enveloppe qu’il laisse , il retire peu-à- peu tout son corps. Ses aîles ne sont encore que des masses informes ; mais les fluides nutritifs s’élancent dans les vaisseaux ; ils les gonflent , ils les écartent ; les ailes s'étendent ; l'air les sèche; et frais et joyeux, et plus brillant, plus beau que jamais , dans cette première fraicheur, le papil- lon fait quelques pas, essaie ses forces, prend son essor, et le voilà dans les airs, dans les ré- gions de la lumière, celui qui naguères rampait sur l’humble gazon ; il plane au-dessus de nos tê- tes , ce reptile obscur que nous écrasions sous les pieds; et ce ver hideux, qui se trainait de feuille en feuille , pour les ravager d’une dent avide, vole maintenant de fleur en fleur ; son pied léger les touche sans les ternir ; il s’abreuve de leur nectar; il prend leur calice pour sa couche ; il relève sa parure de leurs brillantes couleurs , et désormais , (55) les plaisirs, la liberté, la gloire, embelliront tous les instans de son innocente vie. Que c’est frappant! s’écrie B... avec enthou- siasme ; et nous aussi, mon cher, nous aussi, quand nous aurons une fois quitté cette grossière enveloppe qui nous attache à la terre; quand cette machine animée sera tombée en ruine; nous aussi, avec cet être immortel qui vit en nous ; libres , enfin , et pour toujours, nous irons, dans un monde nouveau, jouir d’une nouvelle vie. Oh! la belle espérance ! que d’autres y re- noncent, qu'ils ne croient pas ce qu’ils ne peu- vent voir, comme feraient, sans doute, à leur place, les aveugles chenilles : pour moi , plein de confiance dans une lumière que je crois di- vine et dans un secret pressentiment, j'ouvre mon cœur tout entier à ce délicieux espoir. — Et bien sûr, mon ami, vous en êtes plus heu- reux ; ils peuvent bien avoir, comme vous, le le plaisir de contempler la nature ; mais vous et ceux qui partagent vos nobles sentimens, vous avez encore un bonheur qu'ils n’ont pas, de re- trouver dans les plus petites choses des images vraies et touchantes de l'avenir, qui vous conso- lent, qui vous rassurent, qui vous animent à pratiquer la vertu. Mais tout cet éclat de notre naissant pa- (56) pillon, et cette vivacité, ne sont, hélas ! que d’une courte durée ! Le grand jour, la vive lu- mière, le vent, la pluie, ternissent bientôt ces brillantes couleurs ; ajoutez à cela que la belle aglaé, aussi imprudente que vive, courant par- tout, et courant sans cesse, va se jéter inconsi- dérément à travers les branches du chêne et sur les épines de la ronce, et qu’elle laisse toujours, par-ci par-RÀ, quelques débris de sa robe ; ainsi, déchirée , pâle, boîteuse, on la voit bientôt ré- duite , cette reine des bois, auparavant si fière, à se traîner dans la prairie, parmi le petit peuple des plus obscurs papillons. — Ce que fait pour- tant l’imprudence et la légéreté ! dit en souriant B...; qui était vraiment en veine de philoso- pher ce jour-là. (57) SP PP PDP D PP AD PP PP PT PP AP AIN VIL: ENTRETIEN. Mélac. — Description d’une chenille. — Méta- morphose des chenilles. ke Erin nous arrivons à Mélac; qu'est-ce que Mélac? Ami lecteur, assurément vous ne le sa- vez pas. Figurez-vous une maison rustique, Une maison d'architecture antique , Qui jamais d’un château n'eut l'honorable nom ; Mais qui pourtant, de loin , a certaine apparence De quelque chose ; on voit.. une pointe, un donjon, Et sur-tout un certain balcon, Où six pigeons de front entreraient bien, je pense ; Les murs n’en sont pas blanes , ils le furent jadis ; Mais depuis bien des ans ces murailles sont faites , Et le fâcheux vieillard qui sait blanchir nos têtes, Ne sait peindre nos murs qu’en gris. Le dedans est plus beau , quoïqu’aussi fort modeste ; . On n’y voit point de marbres , de lambris , Ni briller nulle part ce métal si funeste , Source de nos ennuis : Arachné, seulement, a droit de s’y suspendre ; Elle fait bien, car, dit-on, les soucis , Ces lutins importuns que l’opulence engendre, Û Aux toiles d’Arachné se laissent toujours prendre : Cette tapisserie a bien d’ailleurs son prix : C'est la seule. Pourtant on y voit une glace Où l’on peut se mirer au moins toute Ja face; u (58 ) Puis une belle table en beau bois de noyer; Ensuite, d'espace en espace, Six fauteuils chamarrés s’étalent avec grâce... Ce n’est pas tout ; au-dessus du foyer, L'on voit encor une fine gravure : Vénérables portraits, images dé nos rois, Louis Seize et sa femme, et son fils, tous les trois, Unis par le malheur, comme par la nature. Enfin, sur un côté qu'il rémplit tout entier, S'ouvrent les larges flancs d’un vaste yaisselier ; Là, le fer et l’étain accompagnent l'argile : Point d'argent ; mais qu'importe ? À quoi peut-être utile Dans Les plus somptueux repas Cet argent qu’on ne mange pas ? Et sans que le plat l’assaisonne, La soupe de Fanchion est toujours assez bonne. Mais à propos de plats et de buffet , Oyez encore une merveille Oncques ne vites la pareille ! C’est un plat :le pendant de celui qui fut fait Par décret du Sénat, dans un conseil suprême ; Ce plat que Prométhée eût dû pétrir lui-même , «Dont les minces parois, dans leur immense tour (Gi), D'un immense turbot embrassaient le contour », Une autre antiquité nous inène à la cuisine: C’est un bas-relif, maïs... du tems de Clovis, Ou tout au moins du bon roi Saint-Louis ; Enfin, c’est un morceau d’une haute origine : Un crucifix grotesque occupe le milieu ; Puis de chaque côté, sous des formes plus belles , Quatre anges aux longues aîles Lèvent les mains au ciel pour priér le bon Dieu. Quelle simplicité ! belles mœurs de nos pères ; Les bonnes gens ! ils faisaient leurs prières RE ——————————————— (1) Que tenui muro spatiosum colligit orbem (Juv. ) (59) Devant des images grossières ; Mais le cœur était pur, Dieu les entendait mieux, Et le cultivateur de ces agrestes lieux Est encore un mortel de ce beau caractère. : Sa ferame se fâche ; mais lui, On prétend que jusqu'aujourd'hui Jamais on ne l’a vu tout de bon en colère : C'est le philosophe Ofellus ; Il ne s'en doute pas, non plus Que dans mes vers je fasse son histoire. Eh bien! Mélac, pourrez-vous bien le croire ? Ce Mélac , ce tant pauvre et si simple réduit , Pour bien des gens a pourtant quelques charmes. Sans répéter ce que déjà j'ai dit, Que l’on y vit loin des alarmes , Loin des affaires , loin du bruit, Je dirai que Mélac est aimé de l'enfance , Que c’est son élysée , aux jours de récompense. Sous ces ormeaux chéris, tout un peuple écolier , Vient quelquefois pour un jour oublier Le grec et le latin, l'étude er le silence. : Rempli de cet essaim joyeux, Asile heureux de l'innocence , Ïl retentit alors et de ris et de jeux. Or, tous les écoliers étant assez volages , Quoique ceux-là soient passablement sages , Vous devinez un peu pourquoi Mélac n’est pas si beau que les jardins du Roi. À peine étions-nous entrés, que nous vimes accourir le petit paysan. Je lui avais recom- mandé de conserver toutes les chenilles qu’il ver- rait, excepté les plus communes ; il m'en appor- tait une de la première grandeur, qu'il avait (60 ) trouvée le matin. C'était la chenille du Ne de la vigne (Elpénor ). Voilà, dis-je à B..., tout ce qu'il me faut pour vous expliquer ce Fe je mai pu vous dire encore, tant sur l’organisation intérieure des insectes que sur les chenilles en particulier. J'ai bien quelque idée de tout cela, me dit B..; mais j’ai besoin d’y revenir , sur:tout pour l’orga- nisation intérieure , car les chenilles.. — Et pour les chenilles aussi; savez-vous comment elles” marchent, comment elles mangent, de quelle manière s7 se dépouillent de leur peau, ou sortent de leurs chrysalides?.. Il n’avait rien à répondre ; je me mis donc en mesure de lui faire la leçon; nous tirâmes la chenille de la boîte, et je dis à B... Vous voyez sans doute à la démarche i incertaine de cette chenille, qu’elle n’y voit pas bien clair. — Oui, et c’est un point qui m'intriguait assez, de savoir si les chenilles avaient des yeux. — La question n’est pas encore absolument décidée ; mais on pense communément qu’elles n’en ont pas etque les deux grands yeux du papillon sont cou- verts dans la chenille par ces deux pièces écailleuses dont la tête est formée en dessus et sur les côtés comme vous pouvez l’apercevoir dans celle-ci. Regardez-y de près. — Bien , mais je distingue (61) aussi de petits points noirs sur ces pièces écailleu- ses ; puisque les yeux du papillon sont là-dessous, ne pourrait-on pas dire que l’animal ÿ voit au travers de ces écailles qui sont plus transpa- rentes dans les endroits où nous les voyons ponc- tuées ? ainsi ces points seraient comme des lunet- tes que l'animal dirige où il lui plaît, et au moyen desquels il voit les objets assez pour se conduire. — C’est possible; mais jusqu’à ce que l'observation ait appuyé cette conjecture, on ne ne peut pas dire autre chose. Au devant de la tête vous voyez la bouche. Elle est composée de trois pièces principales ; une en bas, qui est la lèvre inférieure : elle est fendue par le milieu, et chaque portion est mo- bile ; les deux autres de chaque côté en forme de tranchant de faulx : ce sont les mâchoires ; beau- coup plus mobiles que la lèvre inférieure , elles se rapprochent l’une de l’autre jusqu’à se croiser. Enfin, dans l’intérieur il y a une langue ou pa- pille qui pousse en dedans les alimens à mesure qu'ils sont incisés. Voyez-la manger ( nous lui ‘présentons une feuille de vigne ); elle prend la - feuille par le bord, lassujettit avec les pattes de devant, et dans la fente de la lèvre inférieure : et avec quelle facilité dans cette position elle ronge la feuille! À chaque coup de dent vous (62) voyez disparaître un lambeau en segment de cercle. Mais elle s'arrête à cette nervure ; c’est trop dur. Vous pouvez encore très-aisément reconnaître, pendant qu’elle est dans cette posture , ce que je vous ai nommé des stigmates. Ce sont ces huit plis ou boutonnières que l’on voit de chaque côté, le long du corps, au-dessus des pattes. C'est par-là que les insectes respirent. Et les pattes, vous les voyez aussi très-bien : il y en a six en avant ( trois paires ) qui sont faites comme de petit crochets; et dix en ar- rière (cinq paires, ) séparées des premières par un intervalle. Celles-ci sont plus grosses, et res- semblent assez à des miamelons hérissés d’as- pérités. Les trois premières paires sont appelées écail- leuses, la dernière, anale; les paires intermédiaires sont nommées de leur position même intermé-. diaires: Pourquoi cette distinction? C’est que dans lesdif- férentes espèces de chenilles, lespattes intermédiai- res varient pour le nombre : il yen a trois paires; deux, une, point du tout; conséquemment des chenilles à seize pattes comme celle-ci, à qua- torze , douze, dix ; ete, , huit. Plus de seize ct moins de huit, ce ne sont pas de vraies chenilles, (63) mais de fausses qui ne produisent pas un papil- lon, mais une mouche ( dyptère ) ou quelque autre insecte (1). L’extérieur des chenilles vous est maintenant bien connu ; mais pour l’intérieur, comment fe- rons-nous ?..... — Il faut faire un sacrifice à Minerve... Une chenille vaut bien une hibou. — Vous en aurez le courage? — De reste. Et n’ai-je pas vu sans frémir le cœur d’un chat tout vivant. — Malheureux ! Et vous ne craignez pas que dans lobscurité des nuits son pâle fantôme ne vienne en grondant vous redemander son ame! — À propos; les bêtes ont-elles une ame ? — L'extravagant, où va-til se jeter! Et sans doute, les bêtes ont une ame; comment wvi- vraient-elles autrement?.. Mais des ames de bêtes; ‘une mouche a une ame de mouche; un singe, une ame de singe. Mais il n'y a que les hommes qui aient des ames d'hommes, des ames raisonnables, capables de la divinité, immortelles ;: mais ce sont là de trop hautes questions > MOn ami; re- venons à nos chenilles. Pour disséquer celle-là, il faut la faire périr ; je vais dire que l’on fasse chauffer de l’eau , et en attendant je vous conterai une petite histoire. (1) Nous indiquerons aux articles des caractères généraux , les che- nilles qui ont moins de seize pattes. (64) Savez-vous bien ce que c’est qu'une chenille ? Il me vient maintenant un souvenir de mon en- fance qui peut merveilleusement servir à nous le faire comprendre ; il s’agit d’une gentillesse du cé- lèbre Franconi. Un soir, comme quelques-uns de ses gens fesaient le manège dans le cirque , cer- tain gros et lourd paysan à grand chapeau , porté sur deux sabots ferrés, se met à crier de haut et de loin, qu'il veut, et qu'il saura bien lui aussi courir sur les chevaux. On rit; il avance, on lui donne un cheval, il monte; et quand il a fait quelque manœuvre aussi gauchement qu’il peut , feignant d’avoir trop chaud , ou que ses vêtemens l’embarrassent et l’alourdissent, il rejette un pre- mier habit , veste et culotte , puis un second, un troisième , d’abord ses sabots, puis des souliers qui étaient dans ses sabots; en un instant il change deux et trois fois de costume ; trois per- Sonnages , au grand étonnement des spectateurs , paraissent dans le même homme et sur le même cheval ; il ne lui restait plus que sa chemise et sa dernière culotte, et l’on croyait que décemment il s’en tiendrait là. Point du tout. L’impertinent!.. On s’effraie , on se fâche.…... Mais quelle surprisel Un écuyer richement vêtu sort de cette dernière enveloppe, et ce qu’on prenait pour la peau, n’en était que la couleur. (65) Mais voici bien le plus merveilleux : ce lourd paysan , c’est exactement toute chenille, et un pa- pillon est contenu dans une chenille, comme Franconi était contenu dans le paysan. C’est tou- jours le même être, le même individu sous diffé- rentes enveloppes: Dans son premier état de chenille, le papillon quitte aujourd’hui une peau. C’est un robe qu'il dépouille. Dans huit jours, il en quittera une autre, puis une autre, quelquefois une quatrième. Enfin , il sortira de la dernière, qui est sa chrysalide , avec tout l'éclat, avec toute la légéreté que vous lui voyez quand il est parfait. Quoi, dit B., le papillon existe dans la chenille que je vois? —Certainement. — De sorte qu’en ouvrant cette chenille, nous allons en retirer le papillon ? — Vous nele verrez même pas. — Com- ment donc y est-il? — Comme un poulet dans un œuf qui n’a pas été couvé ; vous avez vu sou- vent casser des œufs, vous en avez mangé ; y avez - vous aperçu autre chose que du blanc et du jaune; y avez-vous jamais distingué quelque rudiment du poulet ? — C’est inconcevable. — Que vous le conceviez, ou non , cela n’en est pas moins vrai. — Une idée me vient... Ne pourrait-on pas regarder la chenille comme un œuf qui mange et qui marche. —— Que vos idées sont originales! — Mais sont-elles fausses ? — Pas E (66) tout-à-fait : il faut seulement y apporter quel- ques modifications. Le germe du poulet, qui n’est d’abord qu’un point dans le jaune de l'œuf, se développe par l’accroissement de tous ses or- ganes. Au contraire, ce sont les organes intérieurs de la chenille qui se retrécissent pour former le papillon. Gomment cela s’opère-t-il? Cest ce que vous ne pourrez bien comprendre que je ne vous aie fait voir ces organes intérieurs de la che- nille.. Aïnsi cette dissection que nous devons faire pour apprendre l’organisation intérieure des insectes , va nous servir à une double fin. Avant de plonger notre chenille dans l’eau chaude ( d’après les procédés de Swammerdam et de Réaumur, pour épaissir les fluides et les parties trop molles ), je fis remarquer à B., sur le dos de l’insecte, ce mouvement vermiculaire, qu'on y voit très-bien, et. qui se propage de l'anus à la tête. Je lui dis que ce mouvement correspondait aux baltemens du cœur dans les grands animaux, et que c'était À, le long du dos presque sous les tégumens, qu'était placé le grand vaisseau, ainsi que l'organe de la circulation dans les insectes. Ensuite nous fimes notre opération. Quand la chenille fut morte et suffisamment raffermie , je Vétendis sur une plaque de liège poli, où je la fixai par quatre épingles. - (67) Je fis une incision le long du dos ; nous crû- mes distinguer deux peaux, la chenille ayant sans doute dépouillé les deux premières. Ce que nous vimes d’abord immédiatement sous la peau, fut une substance graisseuse , blanche , dont tout le corps paraissait rempli, Ecartant les globules les plus superficiels de cette masse graisseuse, avec la pointe du névrotome (1), que la loupe suivait parstout, nous reconnûmes le vaisseau circula- toire , mais nous ne pûmes bien distinguer s’il est étranglé de distance en distance comme l’aflirme Malpighi, ou s'il a par-tout le méme diamètre commèé le prétend Réaumur; seulement il ne nous fut pas possible de le suivre jusqu’à la tête. Après cela, B. tenant un peu écarté avec une épingle à crochet le lambeau de la peau du côté droit, j’écartai vers la gauche avec une aiguille fine la masse graisseuse , et j'allai , toujours avec la loupe et le névrotome, à la recherche des bronches, et de l'appareil nerveux , et du tube digestif. 3 Je n’assurerai pas que nous vimes les rachées; cependant, vers les endroits qui correspondent aux stygmales, nous aperçumes un cordon qui oo (1) Instrument tranchant , à lame très-déliée. (68): s’étendait tout le long du côté ; je dis à B. ce que j'avais lu dans Lyonnet, que ce cordon était creux; qu'il renfermait une trachée , c’està- dire , un tuyau, roulé en spirale comme le laiton des bretelles ; que dans ve tuyau s’ouvraient les stigmates dont nous avions parlé, et que de toute sa surface il sortait une infinité de vais- seaux aériens appelés bronches, qui, se ramifiant eux-mêmes à l'infini, portent l’air dans toutes les parties de la chenille et sur-tout dans le corps graisseux. Lyonnet prétend que de chaque tra- chée il sort 236 bronches, desquelles naissent 1,336 sous-divisions, indépendamment de 232 petites bronches qui naissent isolément de cha- que trachée. On pense que nous ne vimes rien de ces étonnantes merveilles. En écartant un peu plus la masse graisseuse , nous mettions à découvert le tube digestif et les cordons nerveux qui reposent sur la surface infé- rieure du corps. Ces parties étaient enveloppées de graisse : mais en remontant vers la bouche, nous découvrimes, non sans peine, le commence- ment du tube digestif. Cette première partie qui s'ouvre dans la bouche, s'appelle comme dans les grands animaux , l’œsophage , et l’on pour- rait plutôt l'appeler pharynx , car elle est fort étroite et fort courte. Il n’y aurait point d’œso- (69) phage, la partie qui LA ensuite était évidem- ment l'estomac ; cette seconde partie, l'estomac, est la plus longue et la plus large. Ensuite , vers le tiers postérieur de la largeur du corps, le tube digestif nous présenta trois renflemens, formés par deux étranglemens. C’est ce qu'on appelle gros intestins ; sur le second, on voit avec le microscrope , ( ce que nous ne vimes pas ), plu- sieurs petits appendices , qu’ on a nommés les intestins gréles. Enfin , le tube aboutit à l'anus, en se retrécissant un peu , et cette dernière partie est le rectum. Sous l’œsophage, ou pharynx, nous crûmes voir le premier cerveau ; c'était un grain globu- leux, comme une tête d’é spingle ; duquel partait en TR un filament , qui se prolongeait le long de l’estornaé ; nous ne pûmes le suivre. Heureu- sement je savais que ce filet était le commence- ment du nerf principal; qu'il s’étendait entre le tube digestif et la peau du ventre, de la tête à l'anus; que, de distance en distance , il formait des nœuds ou ganglions, au nombre de treize, et je savais encore que l’admirable Lyonnet avait compté dans une chenille jusqu'à quarante- cinq paires de nerfs qui naissaient de ce nerf principal, du cerveau ou des ganglions. De quelle prodigieuse ténuité doivent être ces filets (7o) secondaires , puisque le principal échappait à nos yeux et à notre loupe ! Que doivent-ils être dans les plus petites chenilles, qui tout entières ne sont guère plus grosses que le nerf principal des plus grandes. Apparemment, me dit en plai- santant B. , ils sont un peu plus petits que ces ba- gatelles qui se promènent là-haut à quelques millions de lieues et qui l’emportent bien aussi quelques millions de fois sur notre machine ronde. — Ils n’en sont pas moins admirables , ni la main qui les a faits, ni le génie laborieux qui les a découverts. Je vous dirais des choses plus étonnantes peut- être, si je vous parlais des muscles , de la struc- ture des pattes et de la filière. Maïs c’en est bien assez pour aujourd'hui, et puis nous avons tant tré sur celle peau, qu'on n’y voit guère plus rien. Concluons donc, mon cher, et d’autant plus vite que quelque chose nous attend qui ne peut pas long-tems attendre (il était l'heure de diner ). Nous avons vu à l'extérieur la bouche avec ses mâchoires, les pattes et leur nombre et leur dif- férence ; enfin, toutes lés formes qui sont pro- pres à cette espèce d'insectes. Dans l’intérieur , nous avons trouvé ce qu'on voit plus où moins distinctement dans tous les insectes : uh vaisseau (ya ) circulatoire , sur le dos ; deux principales tra- chées de chaque côté, qui s'ouvrent au dehors par les stigmates; dans la partie inférieure, le tube digestif, qui est accompagné en dessous du nerf principal ou cordon de ganglions. Ajoutons seulement que le tube digestif n’a aucune com- munication apparente avec le vaisseau circula- toire, ni avec les conduits aériens. Lyonnet lui- même n’en a découvert aucune. Ce qui a fait penser et dire à M. Cuvier, que, dans les insectes, la nutrition, comme la respiration , se’ fesaient par émbibition ; c’est-à-dire que les différentes parties s’imbibent des sucs nutritifs qui sont préparés dans le tube digestif et dans l'unique vaisseau de la circulation. Mais comment le sang , ou ce qui en tient lieu, est-il entretenu et renouvelé dans cet unique vaisseau ? Pourquoi ce vaisseau a-t-il un mouve- ment si réglé ,, si constant, de l'anus à la tête? Ce sont des questions encore à résoudre ;.. et de dignes objets de vos recherches , si vous en êtes curieux. Mais nous n’avons pas besoin de cela pour finir notre histoire de la formation du papillon dans la chenille, et maintenant vous en savez assez pour comprendre fort bien tout ce phénomène. Le papillon, vous ai-je dit, existe dans la che- (72) nille; tous les viscères que nous y avons vus, sont ceux de papillon. Ils sont entourés, vous ai-je dit encore, et souvent, de plusieurs tégu- mens Ou peaux; les trois ou quatre premières appartiennent à la chenille : à mesure que l’ani- mal grandit, elles s’alongent et deviennent de plus en plus amples; mais en même-tems, elles s’amincissent , et tellement qu’elles finissent par se dessécher. Alors elles tombent, ou plutôt l’ani- mal s’en dépouille. à Il n’en est point de même des deux dernières, enveloppes , les plus intérieures; l’une est celle de la chrysalide , et l’autre est la peau même du papillon. L'une et l’autre sont dilatées et amin-, cies, dans la chenille. | Ainsi vous pouvez vous représenter le papillon dans la chenille, comme dans un état de dilata- tion : toutes ses parties extérieures sont écartées les unes des autres; il a la tête | avec les antennes et la trompe, dans la tête de la chenille; les pat- tes , dans ses six pattes écailleuses ; l'extrémité du ventre, à son anys ; ses aîles, appliquées. de cha- que côté du prémier anneau , comme des pellicu- les imperceptibles. L'écartement de ces diverses parties est main- tenu et rempli par le corps graisseux : c’est dans cetie substance, que rampent les grands vais- > (73) | seaux, et que se rend toute la nourriture qu'ils élaborent. | Or, à leur tour , les différentes parties du pa- pillon se nourrissent en absorbant les sues de la masse graisseuse , COMME le poulet se nourrit du blanc de l'œuf. À mesure que la masse graisseuse est absorbée, elle diminue de volume, et les par- ties qui s’en nourrissent deviennent plus épaisses ; leur épaississement est peu sensible jusqu'à ce qu’elles en soient venues à un point où elles puis- sent prendre une grande force de Ÿitalité. Dès ce moment, l'absorption se fait rapidement, la masse graisseuse est presque tout-à-coup réduite , et les deux enveloppes intérieures , (la peau de la chrysalide et les tégumens du papillon ), ont pris une consistance et une organisation bien mar- quée ; en même-tems tous les viscères se sont raccourcis ; alors la dernière peau de la chenille tombe , et la chrysalide paraît à nu; mais sur la chrysalide on ne voit plus ni pattes, ni bouche. L'animal n’a plus besoin de prendre de nourri- ture; il n’a qu’à changer en pärties solides celle qu'il a déjà prise. Dans l'intérieur de la chrysalide, on trouve encore le corps graisseux, mais il est plus fluide ; les mêmes viscères , mais très-raccourcis; et la circulation , sans que l’on sache pourquoi, se fait: de la tête à la queue. Les organes du pa- (74) pillon sont plus formés. On reconnaît en peu.de jours ses yeux , ses antennes > Sa trompe, ses pat- tes et sur-tout ses aîles. Ces diverses parties con- tinuent à se nourrir, à s'épaissir ; les substances intérieures , et les viscères , vont toujours en di- minuant, mais en proportion de la croissance des extérieures ; c’est pourquoi , il ne se fait pas de vide dans la chrysalide : enfin , la croissance est complète et le papillon sort; mais en sortant, il éprouve encore du côté du ventre un resserre- ment sensible, qui chasse de son corps, par l’ou- verture anale, un reste de matières fluides , inu- tiles désormais ou qui lui seraient même funestes. Alors l’insecte est parfait ; mais ce n’est, comme Vous voyez, qu'après bien du travail et de nom- breuses métamorphoses. B. parut satisfait , et nous nous mîmes à table. (75) nan errant Lol VIIL: ENTRETIEN. Le retour de la chasse. — Comment on prend les papillons et comment on les conserve. . — S'il y a de la cruauté à piquer les insectes. T1 La soirée était si belle, et promettait une si belle nuit, que nous ne pûmes nous résoudre à quitter la campagne. J'avais d’ailleurs une autre raison d’y demeurer ; je voulais montrer à B... comment on fesait la chasse aux papillons de nuil. | Après souper, nous allons planter un fallot, au milieu d’une prairie entourée de bois , et nous nous retirons à l'écart. Ce fut un moment déli- cieux. Assis sur l’herbe fraîche , au pied d’un ar- bre, nous fixions très-sérieusement notre fallot qui brillait tout seul au milieu des ténèbres , mais rien ne venait. Et croyez-vous , me dit B.., qu’il viendra quelque chose ? puisque ces papillons-là ne volent que la nuit, pourquoi chercheraient-ils la lumière? Aussi bien iraient-ils voler vers ces magnifiques flambeaux (et il lève la tête vers les étoiles). Que c’est beau , mon ami, quel sublime (76) spectacle ! On ne peut se lasser de contempley et d'admirer cela... Voyez-donc cette belle lumière de Jupiter. — Mon cher, ce n’est pas de Jupiter qu’il s’agitici, ni de Mars ; et toutes les planètes et tous les soleils du monde m’intéressent moins dans ce moment que mon fallot.….. Taisez-vous plutôt et gardez lesilence.—Ek bien , oui, le silence! n’en- tendez-vous donc pas tous ces diables de grillons qui font un tintamarre effroyable : c’est à qui . plus fort; tenez, en voici un qui commence sous mes pieds. — Écoutez-le bien, et moi, je vais prendre ce papillon qui vole là-bas autour de notre lanterne..; le voyez-vous ? Je le pris en effet, et après celui-là plusieurs autres... C’est toute l’industrie et tout le plaisir de la chasse aux »n1OCLUrneSs. * ; Le lendemain , dès le point du jour, nous re- primes le chemin de la ville ; et nous allions tout joyeusement, frais et rians comme les roses même de l'aurore, parlant de toutes sortes de thoses, quant, à l'issue d’un petit chemin, nous rencon- trâmes de la compagnie. A l’heure qu'il était, on ne devait guère s’y attendre ; mais M.me V., quand elle est à la campagne, se lève bon ma- ün, et son mari, qu’elle accompagnait à la ville, avait besoin d’y arriver de bonne heure. C'était des connaissances de B... et nos voisins de cam- (77) pagne. Nous fümes charmés de pouvoir passer quelques instans dans la société des hommes ; car nous n'avions vu, pendant tout un jour , que des papillons et des chenilles. On pense bien que, dans Pattirail où nous étions, la conversation tomba d’abord sur la chasse et sur les insectes. B.. d’un côté avec M.me V et sa demoiselle, eut un rude assaut à soutenir. Il n’y eut rien de si vif entre le père et ‘moi, qui marchions de l’autre côté du chemin avec un petit bon-homme. Camille s’était emparé de mon filet ; et une hispule s’étant levée devant nous, de bon matin aussi , et trop tôt pour elle, je montrai à l'enfant comment il fallait la pren- dre. Là-dessus M. V. me fit diverses questions : ce que je fesais des papillons quand je les avais pris, comment je les étendais, comment je les conservais , etc. À tout cela je répondis succintement , quoique par une dissertation méthodique , qui pourrait servir au besoin de traité sur cette matière. Dès qu’un papillon, lui dis-je, est dans cette poche de gaze, je tâche de le saisir par le corps, en dessous ; je le serre fortement entre deux doigts, par-dessus la gaze , et je l’étouffe. Alors , comme il ne remue plus, je puis à loisir le faire tomber sur ma main, dans ma boîte; et je le pique en (78) dessus ou en dessous, quelquefois en travers, mais toujours au milieu du corcelet, évitant de toucher les aîles avec les doigts. Le voilà dans ma boîte jusqu’à ce que je sois arrivé. J'arrive : il faut étendre mon insecte ; c’est-à- dire, lui rabattre les aîles sur un plan horizontal, écarter les premières des secondes en les portant en avant, éloigner les secondes du corps, éten- dre les pattes, dresser les antennes. Si le papillon est déjà desséché et ses aîles roides , l'opération n'est pas facile. Il faut d’abord le ramollir ; quel- ques-uns, pour cet effet, le posent pour une heure au moins sur du sable mouillé ; d’autres imbibent les jointures d'esprit de vin, avec un pinceau en cheveux , qu'ils y passent légèrement. À l'instant même, les jointures deviennent sou- ples, et l’on donne, aux différentes parties, les positions que l’on veut. Le tout est maintenant de les fixer dans cette position forcée. On peut s’y prendre de diver- ses manières ; mais voici la meilleure sans con- tredit. Nous avons une planchette revêtue de liège poli, sillonnée dans toute sa longueur par quatre ou cinq rainures profondes d’un demi-pouce , à un ou deux pouces l’une de l’autre. Je prends le pa- pillon, comme il est, traversé par une épingle, (79) et je fais comme si je voulais le piquer dans le fond de la rainure. Celle que j'ai choisie étant plus étroite que le corps du papillon n’est gros, le papillon remonte jusqu'au milieu de l’épingle ; son corps s’ajuste à l’entrée de la rainure, qui est creusée en gouttière tout exprès pour le rece- voir, et ses aîles reposent sur le plan horizontal que forme de chaque côté le liège poli dont la planche est recouverte. Il est fort aisé alors d’é- carter les aîles et de les maintenir dans leur écartement , au moyen de deux bandes de carton à cartes, qu’on applique dessus et qu’on y fixe avec des épingles. En moins de deux jours , j’enlève tout cet appa- reil, et mon insecte s'étant desséché dans cette position, la conserve désormais : il la gardera toujours, autant du moins que la fragilité des choses terrestres pourra le permettre... Debemur morté nos nostraque... (Hon. ) « Sous les eflorts du tems ici-bas tout succombe ». (M. Cr.) Comment des aîles de papillons résisteraient- elles à cette main puissante ? Bien loin de Rà, dans nos appartemens même , la poussière , l’hu- midité, la fumée, un souffle, un rayon du so- lil, un rien les altère , et elles tomberaïent enfin toutes seules de vétusté, si l'on ne prenait les ( 80 ) plus minutieuses précautions. Il faut d’abord mettre ses papillons sous verre , dans un cadre bien fermé, hermétiquement ; c’est-à-dire, tapissé avec soin d’un papier bien collé qui en ferme toutes les fentes et jusqu'aux moindres trous. Pour plus de perfection, on peut frotter encore le papier de craie pulvérisée. Je connais même un amateur qui a renfermé chacun de ses papil- lons dans une petite boîte de verre qu’il n’ou- vrira plus. On ne voit pas comment des papil- lons ainsi conditionnés peuvent périr: Il faut ensuite. dérober ces cadres ou ces boîtes à l’im- pression de la lumière, qui décolorerait les pa- pillons , et les mettre dans des armoires , ou tenir fermés les volets de l’appartement. En hiver, on doit y faire du feu. Ce n’est pas tout; les teignes, les mittes, et d’autres insectes entomophages accourent de leur côté , attirés, sans doute, par les émanations ca- davéreuses. En mettant du camphre dans les boites, on les empécherait peut-être d’y venir ; mais quand une fois ils se sont mis dans la col- lection , il n’y a ni camphre, ni essences , ni va- peur de souffre , qui puisse les faire périr ; il faut un œil attentif qui surprenne les brigands sur le fait, et des mains actives qui aillent aussitôt les saisir. Souvent, surtout dans le printems et en (8) automne , il faut visiter sa collection. Si l’on voit de la poussière sur un insecte , c’est une marque certaine qu'il est rongé intérieurement par une larve d’anthrène. Si un papillon est impliqué dans des fils de soie, ces filets sont l'ouvrage d’une teigne ; enfin, on voit aisément, sur les aî- les, les traces tortueuses des mittes , Si elles les ont ravagées. De quelque manière qu’un insecte soit attaqué, il faut le retirer de la collection : on tâchera de le sauver, en détruisant d’abord l'ennemi , qu’on ira chercher jusque dans ses plus profonds retranchemens. Avec la pointe d’un stilet, on fouillera, on ouvrira, s’il le faut, le ventre et la poitrine ; le papillon n’en figurera pas moins bien pour cela dans la collection. Si lon ne trouvait pas le ver destructeur, on pour- rait, en tout cas, verser sur le corps de l’insecte plusieurs gouttes d’eau de Cologne. Si cette li- queur ne fait pas le bien qu’on prétend, je puis au moins assurer qu’elle n’altère pas les couleurs les plus délicates. Il est possible, enfin, qu’elle brûle et détruise les mittes et les teignes ; mais pour ces derniers ennemis, et sur-tout pour les mittes , il n’y a rien de mieux que de laisser les cadres exposés une ou deux heures au soleil, dans les beaux jours de Mai où de Juin. C’est ainsi que je parlai longuement à M. V., F ( 82 ) qui m'écoutait avec une patience admirable, et que l’on ne croira pas ; mais sa femme n’était pas de cette humeur avec B..., et le pauvre garçon se trouvait là dans une mauvaise aflaire : il n’y avait pourtant rien de sérieux , ni aucun péril de vie, Le cruel, disait la demoiselle , faire souf- frir ainsi ces innocentes petites bêtes ! — Et par plaisir encore, ajoutait la mère. — Que c’est charmant ! répondait galamment B. ; quelle sen- sibilité ! que j'aime ces belles ames qui s’atten- drissent sur-les souffrances... même des mou- ches.— Vous faites le plaisant, mais vous n’en êtes pas moins un méchant bourreau. — De papillons ? — Eh bien! quoi, les papillons ? croyez-vous qu’ils ne souffrent pas quand ils ont une épingle au travers du corps. — La preuve qu’ils souffrent, dit la mère, c’est qu'ils se débattent, et qu’ils finissent par en mourir, — Pauvre petite bête! reprit la demoiselle, elle allait peut-être cher- cher de la nourriture pour sa mère ; vieille, in- firme, aveugle, cette. mère l’attend maintenant, sans doute, mais en vain , hélas ! elle mourra ! — On voit bien , Mademoiselle , comme vous aimez votre bonne maman; mais permettez. ..—Rien, je ne veux rien entendre ; vous êtes un méchant. — Bientôt mémema fille ne pourraplus vousregarder. — J'en souffrirai beaucoup plus, sans contredit, (85) que la mère du papillon, car ce papillon n’a point de mère. — Comment !-—Vous voulez dire , barbare , qu’il a oublié la sienne...—Comme moi la mienne , n'est-ce pas? oh ! que c’est méchant! Mais non, je suis bien sûr que la mère de ce pa- pillon est morte depuis l’année dernière, long- tems avant que son fils ne fût né. — A la bonne heure, dit M." V.; mais j'en reviens, enfin, toujours là, que cette petite bête doit souffrir beau- coup, et que c’est bien mal à vous de vous en faire un plaisir. — Vous avez raison en quelque manière, Mesdames; j'ai tort de prolonger ses souffrances, et d’un coup de pouce je vais l’étouffer en un instant. — Ah !.. ah! s’écrient à-la-fois nos dames épouvantées ; à ces cris , effrayés nous-mé- mes , le père et moi, nous accourons, et le petit bon-homme aussi ; etnous voilà , tous les trois , té- moins de la scène tragique. Nous en rimes beau- coup , et les dames ne purent s'empêcher de rire elles-mêmes de notre fausse alarme. —Voici, dit alors B. en me montrant, voici l’homme à qui vous devez vous en prendre ; c’est lui qui m’a endurci le cœur, c’est lui qui m’a mis les armes à la main, etil vient de les mettre entre les mains même de vo- tre fils. — Monsieur a chez lui, dit M. V., rom- pant là-dessus fort à propos pour me sauver de l'orage ; Monsieur a une collection de papillons (84) très-nombreuse et bien soignée, et je vous assure, ma femme , que si vous voyiez cela, ainsi qu'Amé- lie, vous ne seriez plus tentées d’arracher les yeux et de couper les mains à tous les chasseurs. — Oh! Monsieur, comme vous prenez la chose, dit M. V. en riant ; vous savez bien que votre femme n’est pas capable d’en venir là. — Non, sans doute, ma toute bonne ; mais c’est une ma- nière de parler... — Absolument , dit B.., comme quand on voulait me dire tout-à-l’heure que j'a- vais oublié ma mère. — Enfin, reprit M. V., passons là-dessus ;. vous savez bien, mon ami, que, pour faire bon ménage, il faut se pardonner quelque chose... Mais, ma femme , quand vous aurez vu la collection de M. ***, vous lui saurez bon gré de l'avoir faite, quoiqu'il en ait coûté à la gent papillonne..…. Après tout, ces petits êtres sont pour notre plaisir. — Oui, papa, dit alors Camille, c’est ce qu’on dit, je crois, dans une fable que j'ai apprise l’autre jour. — Vrai- ment, Camille ? eh bien ! voyons, récite-nous cette fable. — Tu me convertiras peut-être, dit la maman, çar tu sais que jaime beaucoup les fables, sur-tout celles que tu récites bien, — Je ne sais pas si je me la rappellerai toute... Elle est un peu longue... Cest le Grillon et le Pa- pillon. — Le petit homme se met au milieu de (85) nous, et chacun marchant en silence , nous l’é- coutons. Au plus fort de l'Été, deux écoliers fipons, ( Ils le sont tous , et de cette canaiïlle Le meilleur ne vaut rien qui vaille), F'esaient la chasse aux malheureux grillons. En dépit du soleil qui , sur les prés arides, Précipitait ses feux rapides Du haut des Cieux , Nos deux marmots, attentifs, sérieux , é. Étendus sur la terre , attendaient en silence, Qu'un grillon , par ses chants , décélât sa présence : Les grillons , quoïque noirs , ne sont pas bien méchans, Ni prudens ; Ainsi bientôt cette aflaire fut faite. L’hôte souterrain de nos champs, Joyeusement reprend sa chansonnette : Le chant du cygne, hélas ! il célébrait sa mort... Un des coquins, armé d’une paille légère , L’enfonce dans son trou , l'autre frappe la terre ; Et tous les deux font tant, par leur commun eflürt, Qu'ils le débusquent de son fort. Il fit d’abord le difficile : Que me veut-on, dit-il, et pourquoi ces méchans Me viennent-ils.-chercher dans mon obscur asile ? Sont-ils envieux de mes chants ? Et s'ils ne chantent pas, en puis-je davantage ? Seront-ils donc plus heureux, plus puissans, Lorsque petit grillon pleurera dans sa cage ; Qu'il languira dans l’esclavage, Quand il ne sera plus sous le ciel des vivans ? Hélas ! si les humains ne nuïsaient à personne ; Si, comme nous, ils étaient innocens , Comme nous ils seraient contens : i (86 ) Car c’est l'innocence qui donne Tranquille vie et joyeux chants... C'était bien dit ; mais tout fut inutile ; Eût-il parlé la langue de Virgile, On ne l’entendait pas : il sortit et fut pris. Dans une boîte aussitôt il fut mis Avec des papillons ; là, notre pauvre bête, En gémissant , sa complainte répète. C’en est donc fait, dit-il, adieu chère retraite , Tu ne m’entendras plus fredonner mes chansons ; Adieu nuits de l'Automne ! adieu chers compagnons ! Plus de plaisirs pour moi, plus de jeux ; plus de fête, Je vous quitte, et m'en vais dans les barbares mains Des humains. Cruels humains ! tyrans de la nature ! Encor si lés grillons vous fesaient quelque mal ; Si, comme ce rampant et nuisible animal, Qui dévore , au printems , la naissante verdure ; De l'espoir des vergers ils fesaient leur pâture... Mais les pauvres grillons ne-yous font aucun tort, Et vous n'avez , contr'eux, que le droit du plus fort, ais-toi , rebut chétif des souterrains royaumes , Répondit, à ces mots , un seigneur papillon, Qui partageait la loge et le sort du grillon. 1 te sied bien à toi de te plaindre des hommes. Chantres hideux , orgueilleux riens ! Et quand un jour ces rois, lassés de vos ramages , Vous écraseraient tous, ennuyeux musiciens , En seraient-ils et moins bons et moins sages ? Belle perte vraiment , quand on n’entendrait plus Les sots criaillemens de ces petits reclus, Qui troublent les accords du chantre des bocages ; Et dis-nous , après tout, pourquoi nous sommes nés : Tous, ici-bas, tant que nous sommes , À faire les plaisirs des hommes, Grillons et papillons , nous fûmes destinés ; (87) On nous a fait pour eux; je connais même un sage ; Un sage papillon , qui prétend, parmi nous, Que nous sommes leur propre ouvrage, Que de leurs mains ils nous formèrent tous. Au moins est-il bien clan: que c’est à ses dépens, Nous sur ses fleurs , toi dans ses champs, Que nous vivons , et dans sa dépendance ; Ainsi, prends ton parti, reconnais sa puissance ; Il est ton maître ; il peut faire de toi Tout ce qu'il veut, te protéger, te nuire, Te conserver ou te détruire : Pour nous et nos pareils son plaisir est sa loi : Que peut-il varriver de pire ? Mourir un peu plutôt n’est pas un si grand mal ; Mais... mourir de sa main ! c’est le sort où j’aspire : Pour toi, peut-être, est-ce à-peu-près égal ; Mais moi, moi, sais-tu bien quelle gloire immortelle De sa main je vais recevoir ? Vois-tu la pourpre et lor qui brillent sur mon aîle ? Séduit de tant d'éclat et ravi de me voir, ? Il saura prolonger ma fragile existence, Pour prolonger sa jouissance : I me conservera comme un bien précieux ; Il me préservera des vers , de la poussière, Et me gardera sous un verre Pour me montrer aux curieux ; 1] grayera mon nom dans sa mémoire , Car ilsaura mon nom ; il fera mon histoire ; Je vivrai, par ses soins , long-tems après ma mort ; Et diras-tu qu'au sein de tant de gloire Je pourrai bien ne pas bénirmon sort? ! À quoi de plus heureux pouvais-je done prétendre? Le vent eût dispersé ma cendre, Ou tout au plus j'aurais eu pour tombeau Le ventre affreux de quelque vil moineau.... Je suis donc trop heureux, et je me félicite (88) Qu'en ses filets l’homme mait attrapé : Sûr que ce qui m'attend yaut bien ce que je quitte, Je meurs en bénissant la main qui m'a frappé. Quoique cette espèce de fable soit un peu longue, Camille la récitait si bien qu’elle nous fit grand plaisir... à la maman sur-tout qui na- geait dans la joie , en nous voyant tous enchantés du petit talent de son cher fils. De peu s’en fallut qu'elle ne nous pardonnât entièrement notre cruauté... notre barbarie... Cependant, nos da- mes ne nous rémirent plus sur cet article ; on convint même, que le petit Camille ferait bien d'attraper des papillons , et que sa sœur les dessi- nerait sur les bouquets de fleurs qu’elle savait si bien peindre. ul u n [ LU KE NN à && ul LU ce (89) ’ 1 AA SA AR RAR A RS SR SA ARR AAA RS RÉSUMÉ DES ENTRETIENS. (Notre intention, en terminant nos entretiens par ce résumé , c’est qu'on puisse revoir avec méthode ce qu'on a lu d'essentiel. Ceux de nos lecteurs qui ne nous lisent pas pour le seul agrément (si nous avons été assez heureux que de leur offrir une lecture agréable); ceux qui voudraient étudier et retenir les élémens de la science, Jeront bien, peut-être, de revoir, selon l’ordre que nous ayons suivi ” dans ce résumé, les divers points que nous y'rappelons ). L’EnToMoLOGIE est cette partie de l'Histoire naturelle qui traite des insectes. On entend par insectes des animaux sans ver- tébres , articulés (4.° et 5.° Entretiens). On divise les insectes en douze ordres (3. En- tretien. f’oy. le tableau Synoptique ). Des Lépidoptères (papillons) en général. 1.° Leur forme et leurs diverses parties exté- rieures. Les Antennes, la trompe , les palpes infé- rieurs et supérieurs, le corcelet, l’abdomen (6.° Entretien , au commencement ). (90) 2,0 Leur histoire en général, depuis l'œuf jus: qu’à leur sortie de la chrysalide (6,° Entretien, à la fin). 3.0 Parties extérieures des chenilles , leur bou- che , pattes , stigmates (7.° Entretien ). Leur jilière. ru B. grand paon, ci-après Dictionnaire historique. 4.° Organes intérieurs des chenilles, et en een de tous les insectes (7.° Entretien, p. 67) ° Changement qu'éprouvent les lépidoptères das leur organisation , pendant le cours de leurs métamorphoses (7.° Entretien, page G4 et ensuite page 71 ) 6.e Comment on fait la chasse aux papillons , aux Diurnes (6.° Entretien , au commencement); Aux Nocturnes (8.° Entretien, au commence- ment ). Par quels procédés on prépare les PAPIRES (8.° Entretien, p. 71). Quel soin il faut prendre pour les conserver (8.2 Entretien, p. 79 ). DICTIONNAIRE HISTORIQUE y Lhudopteres ls las remarquables EP PS APS PR PT PP D PP CP PT D PL LI AVIS SUR LE TITRE. Ux Dicrionname HisToriQue DE Parircons, cher Lecteur, ne vous offrira aucune de ces actions mémorables que vous lisez avec tant de plaisir dans les dictionnaires historiques des grands-hommes ; mais ce mémorial d'un noweau genre n'en aura pas moins, peut- étre , de quoi vous intéresser. N°y at-il donc que les hommes sur la terre qui donnent ma- tière à l'Histoire ? Les plus petits êtres n’ont-ils pas, aussi bien que nous, leurs aventures comme leurs besoins et leur industrie, des sociétés et des lois , leurs habitations et leurs Jamilles : ils bétissent et ils voyagent ; les ré- coltes et les greniers ne leur sont pas incon- nus; ils font méme la guerre ; et qui sait s’il n'y a pas chez les fourmis des Crésus , chez les. cigales des Pindares , et parmi les papillons quelque Narcisse , fol adorateur de son éphé- mère beauté. Qu’il est malheureux que les in- secles aussi n’aient pas eu leurs historiens, pour apprendre à la-postérité , et les maximes (4) de leurs sages , et les exploits de leurs héros ! Nous avons , sans doute , beaucoup perdu. En tous cas , cher Lecteur, ayant eu commerce quelque tems avec certains papillons , comme vous venez de voir; informé par eux ou par leurs amis de ce qui se passe parmi eux ; je vais tâcher de vous le transmettre. Quoique je prenne un ton qui n’est pas ordinairement celui de la vérité, cette Déité ingénue , sans orne- ment et sans fard, cependant vous pouvez re- cevoir avec une entière confiance tout ce que je vais vous dire. Je n'imaginerai rien; je n’exagérerai méme pas ; je me conduirai tou- jours en historien fidèle et tout-à-fait impar- tial. PP PS IN PPS AP D LP PP APN 0 M MP NT I SP TP IN DICTIONNAIRE HISTORIQUE +5 EU DES PAPILLONS LES PLUS REMARQUABLES DE LA FRANCE. D ADONIS. — Ce papillon et ses congénères sont peut-être les plus légers, les plus délicats, comme les plus jolis des papillons de nos prairies. Ils en font l’ornement, et il n’y a pas de fleurs dans les champs qui l’emportent sur eux pour l'éclat du coloris, pour la variété des teintes , par le choix des couleurs. Voyez l’Adonis, qui va se poser sur le Chrysanthême : la belle fleur in- cline sa tête et recoit le papillon bleu , au milieu de son disque argenté et sur ses fleurons d’or ; mais, et la biancheur du disque , et le jaune écla- tant du fond, peuvent-ils être comparés à lazur brillant des cieux que le papillon étale ? IL écarte ses ailes , il les fait resplendir au soleil ; il pétillé; on le voit tressaillir, on dirait qu'il est sensible à la gloire de son triomphe. (6) ANACHORÈTE. — La Chenille de l'Anacho- rèle passe sa vie renfermée entre des feuilles dont elle s'empare , et qu’elle lie ensemble, dès sa naissance. C’est pour cela qu’on la nomme Anachorète ; mais comme il faut que cet Ana- chorète mange, et qu’il n’a pas de provisions dans sa cellule , il en attaque les parois même, et consume, peu-à-peu, les feuilles dont elle est formée. Bientôt, percée de tout côté, la cellule n’est plus logeable ; on en va construire une au- tre, qu'on mange encore ; et c’est, enfin, dans la dernière faite, que se forme la chrysalide : le Bombix en sort vers la fin de l'été. On l'avait nommé ausse-Queue , parce que, quand il est reposé , il relève , de tems en tems, comme cer- tains oiseaux , l'extrémité de son ventre. ANTIOPE. — La Chenille de ce papillon est une de celles qui, pour se mettre en chrysalide, se suspendent la tête en bas. Pour s'établir dans cette position singulière, elle choisit d’abord une petite surface plane, horizontale, sous quelque rameau, et plus souvent sous une pierre ou un rebord de toît. Cette petite surface est bientôt tapissée de ces fils” de soie dont la chenille a la matière en elle- même, dans des réservoirs placés près de -sa bouche , et qu’elle en fait sortir en un instant : C7 elle revient plusieurs fois sur le milieu de cette petite toile, et repliant plusieurs fils les uns sur les autres , elle y fait un monticule, comme une houpe de soie; dès que cette die partie est achevée, l’adroite ouvrière engage, dans la soie peu serrée de la houpe, ses deux dernières pattes qui, tout exprès, sont garnies d’une cou- ronne de crochets ; aussitôt elle se laisse tomber, et demeure suspendue Ja tête en bas, mais un peu relevée ; après quelques instans , en un clin d’œil, la peau de la chenille se fend; la chrysalide qu'elle soulève, par un dernier mouvement de contraction, va s'implanter par sa queue, qui est hérissée, dans la houpe de soie : la peau se détache, tombe , ou se dessèche à côté de la chry- salide, qui demeure nue et suspendue par la queue. Tous les papillons de ce genre et des quatre suivans , s’y prennent de la même manière. ARGIOLE. — Il me souvient que, dans l’en- droit même où je trouvai des Argioles pour la première fois, nous primes presqu'au même instant une Camille, un Machaon , et d’autres choses d’assez «bonne chasse : ce qui nous fit d'autant plus de plaisir, que dans toute la ma- tinée nous n'avions rien trouvé. Je dis cela, non pas pour avoir quelque chose à dire, comme on pourrait le croire, (8) mais pour donner aux chasseurs deux avis im- portans : de ne pas se décourager, s'ils ne pren- nent rien d’abord ; un moment suflit pour les dé- dommager d’une journée; et de s'arrêter dans les sites qui leur paraissent peuplés d'insectes : ce n'est pas en courant que l’on fait bonne chasse, mais en cherchant, en observant, et comme on dit pour d’autres proies, en faisant le guet. ARGUS. — Il est le seul de sa famille qui ait conservé son nom , au travers de toutes les révo- lutions de la nomenclature. Tout le monde con- naît Argus , ce ministre des jalousies de Junon, espion aux cent yeux, que Jupiter transforma en paon. Les entomologistes , encore plus puis- sans et plus habiles, l’ont transformé en papil- lon; et il faut avouer que, sous cette nouvelle métamorphose , Argus n’a rien perdu. Au moins est-il modeste ; au moins n’a-t-il pas à rougir de la difformité de ses pieds, de l’aigreur de sa VOIX... Ce nom d’Argus était commun autrefois à tout le genre; mais on lui a substitué celui de Polyommate , nom qui signifie à-peu-près la même chose (- rome ompare plusieurs yeux); si ce n’est que pour quelques amateurs, qui ne savent pas le grec, il ne signifie rien. C9) Mauduyt fait, au sujet de ces changemens , dans la nomenclature, une réflexion qui nous paraît fort juste; il pense que les noms tirés de la Fable sont préférables à d’autres. Ces noms, dit-il, ont l'avantage d’aider la mémoire plus qu'ils ne la chargent. Ce ne sont pas, en effet, des termes nouveaux, mais une nouvelle appli- cation de mots déjà connus; et une application ingénieuse , poétique , qui ajoute un certain inté- rét aux êtres qui en sont honorés (car c’est un honneur pour un papillon de s'appeler 4pollon , Achille), et l'on est curieux de revoir de fameux personnages sous une figure si différente. ARPENTEUSES. — C’est dans les Chenilles qu'on trouve le caractère principal et distinctif de cette tribu : elles n’ont pour la plupart que dix pattes ; quelques-unes même n’en ont que huit, les six écailleuses et les deux anales ( Foy. Enrnemen, 1." Parr.) Les quatre ou cinq an- neaux intermédiaires en sont dépourvus. La dé- marche de la chenille se ressent de cette disposi- tion: quand elle veut avancer, il faut qu’elle rapproche d’abord les dernières pattes (celles de l'extrémité de son corps) des pattes antérieu- res ; alors toute la partie intermédiaire se courbe en forme d'arc; mais aussitôt la chenille déta- chant ses pattes antérieures, porte sa tête en. (10) avant, et la courbure s’efface ; un second pas la forme de nouveau, et ainsi de suite : il semble que ceite chenille mesure son terrain, comme un arpenteur avec sa chaine : et l’on voit d’où lui est venu le nom d’Arpenteuse. Cette allure ne nuit cependant pas à la rapidité de sa mar- che, et les Arpenteuses vont ordinairement aussi vile que quelque chenille que ce soit. Elles ont même une manière de voyager qui leur est toute particulière, au moins parmi les chenilles. On en voit souvent descendre d’une branche élevée, jusqu’à terre, au moyen d’une corde, d’un fil de soie, qu’elles tirent à l'instant même de leur filière : la corde est attachée par un bout à la branche: la chenille ne quitte point l’autre, et si bon lui semble de remonter sur sa branche, elle y revient par le même chemin, et le méme fil l’y ramène. En des- cendant, elle a pris soin de ne pas aller trop vite ; la corde aurait pu lui manquer, et, en ou- tre, une chûte trop brusque, de si haut/, l’au- rait sans doute blessée. Elle va par étapes, pour ainsi dire ; et avant d’arriver à terre, elle s’arrête quatre ou cinq fois, et demeure quelques ins- tans pendue à son fil , roide et immobile. En re- montant c’est une autre manœuvre: elle ne se hisse pas le long de sa corde, comme ferait un (O4 1 matelot ; mais craïgnant , Sans doute , que quel- qu’un ne monte après elle, ou que son fil ne tra- hisse le secret de sa retraite, elle prend la peine de le pelotonner entre ses pattes écailleuses , et en le voyant se raccourcir à mesure que l’insecte monte, on croirait volontiers qu'il le ravale ; mais regardant de près, on voit qu'il le serre seule- ment entre ses dents, et que, souleyant son corps sur ce point d'appui, il incline successi- vement, tantôt à droite, tantôt à gauche, la partie supérieure de son corps, de manière à ce que les dernières pattes écailleuses aillent saisir à chaque fois le fil au point même que te- naient les dents ; alors la tête se relève, et va prendre le fil une ou deux lignes plus haut, tan- dis que les deux premières pattes écailleuses ras- semblent en peloton la portion que les dernières quittent : cela se fait si promptement , qu'on a de la peine à lé voir. Quand la chenille est ar- rivée en haut, elle se débarrasse aussitôt de son paquet de fils. N On croirait aisément que c’est par plaisir que les Arpenteuses descendent ainsi de leurs arbres, tant cette manière d'aller est agréable et com- mode ; mais comme elle est aussi fort dispen- dieuse, qu'il leur en coûte chaque fois un long fil, ce n’est guère que par nécessité qu’elles en- (12) treprennent le voyage , pour échapper aux pour- suites d’un ennemi, ou pour éviter quelque chüûte trop rude. ; Ce n’est pas qu’elles n'aient aucun autre moyen de défense. Il y a peu d’insecte qui se mette plus aisément en sûreté, et qui se dérobe plus facilement à nos yeux et à nos recherches ; mais ce qu'il y a de plus singulier, c’est qu’elles ne se cachent pas , et qu’on les voit à découvert, cramponnées par les pattes de derrière à quelque rameau de leur grosseur ; elles relèvent le reste de leur corps, le mettent en ligne brisée, ou l'alongent tout droit, et le tiennent roide assez long-tems dans la même position. Comme elles sont de la même couleur que l'écorce, on les prend pour un petit rameau desséché, et la res- semblance est si exacte, qu’on ne les reconnaît qu’en y portant la main. Ces postures singulières sont d'autant plus remarquables, que, pour se tenir si long-tems dans une position fixe et violente, il faut aux chenilles une grande force musculaire : c’est ce que suppose aussi leur manière de descendre, quand elles s'arrêtent à diverses reprises, et demeurent suspendues à leur fil C’est uni- quement à leur filière que ce fil est attaché, Il faut que l’orifice de cette filière, le gros bar- (135) billon, soit garni d'un anneau musculaire, du genre de ceux qu’on appelle $phincter , qui se resserre sur le fil, et le pince si bien et si fort, que tout le poids de la chenille en soit soute- tenu : or, ce Sphincter est d’une petitesse à ne pouvoir pas même être vu au microscope. Une si grande force dans un tel muscle, n'est-ce pas un des prodiges le plus surprenant que la na- ture puisse offrir à notre admiration ? Du reste , il y a quelques Arpenteuses dont la manière de vivre diffère un peu de ce que nous venons de dire en général. Nous avons indiqué ces différences dans les descriptions particulières. ATALANTE. — Il n’y a guère de papillon sur le nom duquel on ait plus varié : c’est qu’on le trouve par toute la terre, et que par- tout il a fixé les regards des curieux par l'éclat et la variété de ses couleurs. On l’a nommé Vulcain , à cause de ces traits de feu qui ressor- tent sur un fond noirâtre; numéro 98, parce qu'il porte ces chiffres au milieu des aîles , en- dessous ; Æmiral: un revers rouge sur un habit gros-bleu, était autrefois le parement des ami- raux; enfin, on lui a donné le nom brillant de Mars, parce qu'on lui a reconnu de la bra- voure ; il est vraiment intrépide : quand le chas- seur, par malheur ou par mal-adresse, l'a une , (14) fois manqué, il ne fuit pas, comme ferait un lâche, mais tournant deux fois et trois fois ra- pidement , il revient se reposer non loin de à, quelquefois sur le filet, quelquefois même sur le chasseur. | ATHALIE. — La Chenille de l’Athalie est in- téressante; elle vit en société : c’est un peuple d’Arabes, qui habite dans des tentes et campe dans le désert. A peine ces chenilles sont-elles nées, sur la fin de Septembre, qu’elles se mettent à filer, et recouvrent d’une toile la tente même de gazon qui leur sert de berceau ; ensuite elles mangent lherbe qui est sous cette tente et qu’elles ont mise à l'abri de la pluie et de la rosée; quand elles ont mangé ce qu'il y avait de meilleur , la horde émigre toute entière, mais sans plier les tentes, sans les emporter. Jeunes et actives , et les matériaux ne leur manquant pas, elles en auront plutôt fait de nouvelles: c’est le parti qu’elles prennent , et en une demi-journée , une autre tente, mais plus spacieuse, s'élève non loin de la première. Elles répètent cette opéra- tion, dans le cours de l’automne, toutes les fois qu’elles en ont besoin. Ainsi, on ne les voit pas errer en plein air, comme tant d’autres vaga- bondes , mais toujours à l'abri et sagement re- (15) tirées, c'est dans leur domicile même qu'elles prennent leur nourriture, qu’elles changent de peau, etc. Cependant l'hiver arrive : comme elles crai- gnent beaucoup le froid, ce n’est plus seule- ment une tente qu’elles font, c’est une espèce de sac dont l'ouverture est adaptée assez juste à la terre, pour qu'aucun étranger ne puisse y pé- nétrer, et dont la toile est deux fois plus forte que celle des tentes qu’elles avaient tissues jus- qu'alors ; c'est là-dedans qu'elles se renferment, et qu'elles passent l'hiver, roulées sur elles- mêmes , et accumulées les unes sur les autres. Au printems, en Mars, elles recommencent la vie qu’elles ont mené en Octobre, et jus- qu'à ce qu’elles aient pris toute leur croissance, Alors, elles se séparent , et chacune va, dans la. solitude , s’occuper de l'unique chose qu'elle aura désormais à faire ici-bas. ATROPOS. — Ce Sphinx est appelé vulgaire- ‘ment 7éte-de-Mort , parce qu’on a cru voir une tête de mort dans une figure que forment sur le corselet qnelques houpes de poils jaunes, entremêlés de poils bruns ; ajoutez à cela, qu'il fait entendre, en volant, un bruit sem- blable au cri aigre de la chauve-souris, et vous comprendrez pourquoi l'apparition de cet inno- 4 « à 7 : ds. +4 “x (16) cent animal est regardée comme un très-mauvais présage par les gens superstitieux et peu instruits. Mais les savans, accoutumés à rechercher les causes des faits extraordinaires, avant de les croire merveilleux , n’ont pas été long-tems sur- pris de ce bruit singulier. Les uns, Réaumur entr'autres, l'ont attribué au battement de la langue contre les palpes ; les autres ont pensé, comme M. Lorrey, qu'il était produit par le battement des aîles qui chassaient l'air de cer- taines cavités, où caisses Lympaniques ; placées près de leurs insertions. Ce qu'il y a de sûr, c’est qu'on n'entend ce bruissement , que lorsque l’in- secte vole , ou quand il agite ses aîles. Y n’y a pas long-tems que ce grand et beau lépidoptère est connu en France; même, dans le siècle dernier, il était très-rare à Paris, et Geoffroy dit qu'il ne Va jamais rencontré. Il nous vient de l'Italie, et à ce qu'on prétend, il est originaire de la Chine. Les œufs ou la chrysa- lide en aurait été apportés avec des marchandises ou des plantes de ce pays. Ne pourrait-on pas essayer de transporter ; de la même manière, d’autres espèces ? ce serait un ornement de plus pour nos belles campagnes... J'en excepte ce- pendant les espèces trop voraces , dont les che- pilles feraient payer trop cher le plaisir de voir leurs papillons. O7) C. BLANC. — Geoffroi dit qu’on a nommé ce singulier papillon Aobert-le-Diable , à cause de sa couleur de diable enrhumé. Nous ne con- naissons guère cette couleur-là ; mais nous ai- - mons autant dire que c’est son intrépidité qui lui a valu cet honorable nom. Tout le monde sait les exploits et la haute vaillance de Robert, ce noble preux que notre antique chevalerie avait surnommé le Diable. Il se ruait joyeuse- ment en tretous périls , voire de mort , dit une vieille chronique , et se retournait gaillard. C’est toute l’histoire de notre papillon. Il se jette par-tout ; rien ne peut l’arrêter : ce n’est pas qu’on puisse dire que rien ne l’effraie ; au contraire, à peine s'est-il précipité sur une fleur (car c’est ainsi qu'il vole), qu'au plus lé- ger mouvement de la feuille voisine, il s’élance et passe et repasse, comme un éclair, devant les yeux du chasseur déconcerté ; mais on a pris cela pour de la bravoure : en fait de courage , il est si facile de se méprendre. Ajoutons que ce diable-là ne revient pas tou- jours gaillard dé ses peureuses campagnes, et qu'il est assez rare d’en trouver un qui ait les aîles telles que la nature les lui avait données. CÉPHALE. — Je ne sais pourquoi lon a, nommé ce papillon Arcanie; le nom de Céphale B (18) était si bien trouvé , si bien placé à côté de celui de Procris, qu'on avait donné à l'espèce la plus voisine! Supposons qu’Arcanie vienne d’Ar- cana, secrète , qui aime à sé cacher; convenons que Néphélé, du grec (six ), signifie nuage ; tristitia au figuré. Que verrons-nous là qui nous _ intéresse à ces insectes, transformés en muets symboles de sombres idées ? Cela vaut-il la tou- chante histoire de Céphale et de Procris ; ces jeunes époux; si tendres et si malheureux... ‘Qu'on ne me dise jamais qu'un nom ne vaut pas mieux qu un autre. È + CHOU (Perir ). — Le: grand et le Petit-Chôu, ; _avecla Rave, le Navet et même l'Aurore, parais- sent bien ne former qu’une seule famille : ils ont été réunis sous le nom commun de Brassicaires ; parce qu'ils vivent tous sur les choux, ou sur des plantes analogues. Les uns et les autres se trouvent par toute l'Europe, et même dans le nouveau continent; on en a pris en Afrique et dans les Indes orientales. En sont-ils originaires, ou n'y auraient-ils pas été transportés avec les choux qui ont traversé toutes les mers, dit-on, sur les vaisseaux des Phéniciens? on peut bien Je conjecturer, et il faudrait en dire autant de J'Atalante, du Chardon (Belle-dame), qui sé trouvent aussi par-tout. C’est en supposant une (19) transposition semblable d'œufs ou de chrysa- lides , que j’explique comment il a pu se faire que le Pilargus d'Hubner , papillon du nord de l'Europe, soit venu se faire prendre dans un jardin , à Bordeaux. 11 y a en effet près de ce jardin un magasin de bois du Nord. Ne pourrait-on pas transporter ainsi dans nos contrées quelques belles espèces de papillons, des Parnassiens, par exemple, qui se trouvent sur les Pyrénées ( Voy. Arnropos )? CHOU (Gran ). — C’est le fléau des choux : chaque chenille mange, dit-on, dans un jour, le double de son poids; etsi l’on n’y prend garde, en moins d’une semaine, toute une planche est dévastée On a remarqué, avec raison, que toute la surface de la terre ne suffirait pas à la nourriture de ses habitans, si les grands ani- ‘maux mangeaient autant en proportion de leur taille. Cest ici, peut-être, l’article où il convient le mieux de parler du vol en zig-zag et du vol plane de certains papillons, car on peut aisé- ment et souvent observer l’un et l’autre dans celui-ci. Le vol des papillons est un des phénomènes les plus surprenans de la nature. Celui des oi- seaux est moins étonnant : ils ont des muscles (20) proportionnés à la grandeur de leurs ailes ; mais où peuvent être , dans les papillons, les puissan- ces assez fortes pour mouvoir des parties d’une surface aussi grande, sur-tout en proportion du corps? Aussi le vol des papillons.est-il faible, imparfait et pénible dans le plus grand nombre. A peine les ailes ont frappé l'air, que ne pouvant résister à la force réactive de son élasticité , elles se relèvent, et le volatile baisse : le moindre vent, la plus petite colonne d’air agité le fait dévier de la direction qu'il avait prise ; de à, tant de mouvemens irréguliers, tant d’aberrations qui caractérisent le vol de la plupart des papillons ; mais ce que la nature leur a refusé sous ce rap- port, se tourne à leur avantage, et ce qu'on pren- drait pour une disgrâce , est un bienfait de cette mère sage et prévoyante ; car, avec ce vol in- certain , les papillons échappent aisément à l’avi- dité des oiseaux, qui volant en ligne directe, les manquent le plus souvent, quand ils fon- dent sur eux, et ne peuvent plus ensuite les poursuivre. D’autres papillons qui ont, sans doute, les muscles des ailes plus forts, se suspendent quel- ques instans daus les airs, et y demeurent im- mobiles, les aîles étendues, à la manière des éper- viers ou/des autres oiseaux qui planent. Notre (2) chou paraît être doué de ces deux sortes de vol, car on le voit quelquefois planer : c’est du reste le seul de son genre qui ait cette faculté. COQUETTE. — Les chenilles des lépidop- tères de ce genre (Zceuzère) vivent, comme celles des Cossus, dans l'intérieur des arbres ; mais elles se tiennent plutôt dans les branches que dans les troncs. De distance en distance, elles percent la branche et rejettent leurs excré- mens par ces ouvertures , et les bouchent ensuite avec de la sciure de bois. C’est vers le mois de Septembre que l’on aperçoit ces indices de la pré- sence d’une chenille de Coquette dans un marron- nier; Car ces trous ne sont que grossièrement bouchés. Elle passe l'hiver dans cette retraite, et vers le mois de Juin de l’année suivante, cons- truit une coque avec les débris du bois qu’elle a rongé de tous côtés, liés par quelques fils de soie; elle se met en chrysalide, près de quel- qu'une des ouvertures qu’elle a déja pratiquées : le papillon sort de là vers le mois d’Août. CORYDON. — C'est un fait très-remarquable dans l’histoire des papillons que cette constance de certaines espèces, à se tenir dans les mêmes lieux, jusque sur les mêmes chardons, autour des mêmes arbres. Je suis allé, à coup sûr, cher- cher une Paphia sur une haie où j'en avais pris . (22) une il y avait quinze ans; ce qui est plus éton- nant , sans doute, dans la Paphia qui paraît faire de grandes courses, que dans ces petits et Uimi- des Corydons. Il est cependant très-facile de se rendre raison de ce fait. C’est que le papillon, par le même instinct qui le porte à la conservation de sa postérité, vient toujours confier ses œufs et le soin de nourrir ses petits à la plante qui l’a nourri lui-même. DISPARATE. — Vers le mois de Juillet, les chenilles hideuses de ce Bombix se mettent en chrysalide, sous quelques feuilles ou dans le creux d’un vieux tronc, après s'être entourées de quelques fils; la chrysalide est noire et ve- lue en certains endroits; le bombix en sort quinze ou vingt jours après. Le mâle, comme on la vu dans la description, est bien diffé- rent de la femelle ; il est remarquable par ses belles antennes pectinées, mais c’est tout ce qu'il a de beau; on le voit rarement voler ; la la femelle ne vole point du tout, elle se traîne en agitant ses aîles le long de l'arbre où elle est née. Elle dépose ses œufs sur l'écorce et se con- tente de les couvrir de poils, qui se détachent de son ventre à mesure qu’elle pond. On trouve la chenille, les chrysalides et les és À 33 N “Hobibix aisément et en grande quantité, sur les, saules qui bordent le ruisseau Ra de Bè- gles. ÉVÉRIE. — La enili de ce D be r'éus- sit rarement quand on l'élève : plusieurs lépidop- tères sont dans le même cas. Il est cependant très-avantageux d'élever des chenilles , soit parce que c’est la seule manière de bien connaître un insecte, que de le suivre dans tous les états de sa vie; soit parce que c’est le meilleur moyen d’avoir les lépidoptères en bon état et parfaite- ment conservés. Îl ne sera donc pas inutile, pour les amateurs , que nous disions ici quelques mots des précautions à prendre quand on élève des chenilles. On peut bien se contenter de mettre une che- nille dans une boîte, de bois ou de carton, avec quelques ieuilles de la plante dont elle se nour- rit ; il faut seulement renouveler les feuilles tous les jours, ou tous les deux jours. On voit des chenilles réussir sans aucun autre soin. Mais on peut faire beaucoup mieux, plus com» modément , sauf les premières dépenses, et tou- jours plus avaniageusement pour le développe- ment des chenilles, et pour les observer. Il faut avoir une sorte de cage, de deux pieds de haut sur trois de long, vitrée d’un côté si l’on veut , (24) ou si l’on aîme mieux, garnie de tous côtés d’une toile bien tendue. Cette cage s'ouvre par le haut ou sur le côté, On yÿ met, dans le fond, de petites caissés longues, que l’on remplit de terre ou de sable , si les chenilles qu'on élève font leur chrysalide dans la terre; ou dans lesquelles on met seulement des feuilles, ou un rameau, si les chenilles ont besoin de mon- ter et de s'attacher à quelquekcorps. Tous les jours oh doit visiter la caisse, la nettoyer , renouveler les feuilles, en retirer le corps des chenilles qui seraient mortes, ou les papillons qu'on trouverait éclos. | FEUILLE-DE-CHÉNE. — Réaumur avait ap- “pelé ce Bombix Paquet-de-Feuilles-Mortes. W est en effet de cette couleur et de cette forme: on le prend souvent pour une feuille morte , et il échappe ainsi aux recherches des chasseurs. La chenille est presque rase , grise ou noirâtre, avec deux taches bleues transversales sur le cou; une petite queue sur le dernier anneau , comme les chenilles du Sphinx ; sur les côtés, une rangée de petits tubercules velus : on la trouve difficilement; elle demeure tout le jour appli- quée contre quelque branche de pommier, ou de poirier, ou de chène, et ne se met en mou- vemeut que la nuit, pour aller manger : elle est (25) vorace et fait beaucoup de ravages. La coque dans laquelle cette chenille se renferme pour opérer sa dernière métamorphose , est d’un tissu lâche, et de couleur obscure: le bombix en sort au bout de deux ou trois semaines. FRITILLE. — La Chenille de ce petit papil- lon est très-remarquable. Elle se creuse une cellule dans quelque tête de chardon à foulon (Dipsacus). On ne voit pas d’abord comment elle peut y pénétrer, ces têtes de chardons étant des plus hérissées ; mais en-dessous de la tête , à l’endroit méme où elle se joint à son pédicule, il n’y a pas d’épines. C'est par là que la chenille pénètre, dès qu’elle est sortie de son œuf. Ceux qui ont une grande perspicacité de vue peuvent s'exercer à recon- naître les traces de son passage : ils verront une petite fente noirâtre : c’est là , c’est dans cet asile impénétrable , dans ce fort ne de mille dards, que la Fritille passe sa courte vie , dans une sé- curité parfaite. D'abord, en mangeant, elle y fait une cavité _ qu’elle remplit à mesure de son corps, qui croît, et de ses excrémens ; ensuite elle file un fourreau ; enfin, vers l’un des bouts, elle perce un petit trou rond, qui aboutit au dehors: ce n’est pas pour elle, sa tête peut à peine y passer; c’est d 4 ( 26 ) pote son papillon, qui sortira par là quand il sera éclos. , On ne voit pas ce trou en-dehors ; il est caché par les longues épines du chardon ; mais quand même quelque aventurier, en cherchant fortune dans cette haute forêt, viendrait à découvrir cette porte , il ne pourrait pas pénétrer dans l’ha- bitation ; il la trouverait fermée par une toile, et fortifiée de trois ou quatre madriers ( ou graînes de chardons ) que le maître du logis a eu l’art de croiser à l’entrée. Il les avait là, pourquoi ne pas s’en servir ? On avait remarqué qu’on ne trouvait jamais: qu’une chenille dans chaque tête de chardon. On à voulu savoir s’il ne serait pas possible d’en. faire vivre deux en bonnes sœurs , dans la même cellule. L'expérience a toujours eu de tristes ré- sultats. D'abord l’étrangère , respectant la pro- priété d'autrui, ne voulait pas entrer; on l'y contraignait en la piquant sur le derrière : à peine s’était-elle élancée dans l'habitation , qu’un com- bat opiniâtre se livrait entre les deux chenilles ; elles se mordaient à belles dents, et quelquefois toutes les deux demeuraient sur la place... On. comprend que, pour voir tout cela, on avait mis les chenilles, avec une portion de chardons, sous une cloche de verre. (27) Mais dans Lout ce qu’a fait la nature pour cet insecte , il n’y a rien de merveilleux comme ce que nous avons imaginé sur ses propriétés. Jus- ques à quel point l'excès de la douleur , comme les attraits du plaisir, ne nous rendent-ils pas crédules! On a prétendu que si l’on écrasait. entre deux doigts plusieurs chenilles de cette espèce, ces doigts conserveraient, pendant plu- sieurs années, la propriété d’apaiser les plus violens maux de dents. (Nous ne sommes pas certains que cette his- toire convienne à la chenille de l’Hespérie Fri- tille , plutôt qu'à celle de l'Hespérie Grisette ). GAZÉ. — Ce papillon n’est pas rare dans nos contrées, mais dans le Nord de l’Europe il est encore plus commun. Pallas rapporte que, dans certains pays du Nord de l’Europe, on en voit voler en si grand nombre, qu’on les pren- drait de loin pour des flocons de neige. Comme il est facile d'observer ce papillon , son histoire est bien connue, et elle nous offre des faits assez curieux. Pour commencer par son premier état, rien n’est joli comme ses œufs: on les trouve en Juin , sur les feuilles de l’aubépine ou de quelque arbre fruitier. Ce sont de petites pyramides tron- (28) quées , d’un jaune brillant, serrées l’une contre l’autre , et dont la surface, à Ja loupe , paraît ornée de cinq cannelures qui, se réunissant au sommet, y forment une étoile. Bientôt la cou- leur jaune s’alière et se rembrunit ; au milieu du sommet ou de l'étoile, apparaît un point noir qui s'agrandit de plus en plus , jusqu’à ce qu’on en voie sortir la tête de la chenille. Le petit animal ne va pas chercher au loin sa nourriture ; quelque faibles que soient encore ses dents, il ronge les bords de l’œuf même d’où il sort , et il attaque même les œufs où ses frères sont encore enfermés : on prétend que c’est pour leur rendre service et les aider à éclore ; ce qu'il y a de sûr , C’est que, quand toutes les chenilles sont sorties ; il ne reste plus sur la feuille qui les por- tait, que des traces de leurs œufs ; elles les ont presqu’entièrement rongés ; il leur faut alors un autre aliment ; elles ne se séparent pas pour l’al- ler chercher ; mais se mettant quatre et cinq ou six de front, elles s’avancent ensemble et en ba- taillon serré, sur quelque feuille voisine ; là, commençant à ronger la feuille depuis la Los » elles s’avancent , toujours mangeant , jusqu’à l’ex- trémité opposée : en un jour, elles ont pelé une feuille , car elles ne mangent que la surface supé- rieure. (29) En même tems , ou peu après , elles se mettent À filer, passent d’une feuille à l’autre, les lient ensemble , et s'en font un abri, ou pour mieux dire un repaire ; car c’est de là qu’elles partent pour aller fourrager, et c’est Ià qu’elles se retirent quand elles sont rassasiées. Ce n’est cependant pas encore le nid dans lequel ces pernicieuses chenilles doivent passer l'hiver ; elles ne le font qu’à l’en- trée de l'automne, quand les fraicheurs de l’hi- ver se font déjà sentir. Elles les sentent sans doute et se précautionnent en conséquence : ce - nid est plus fermé et mieux garni que le premier ; il est aussi plus grand, parce que les chenilles sont plus grandes. Dès que les feuilles sont tom- bées, elles n’en sortent plus; mais prévoyant bien que les froids vont devenir plus rigoureux, chacune d'elles se file une coque en étui, et s’y renferme entièrement, dans l’intérieur même du nid. Comme dans l'hiver elles sont complè- tement engourdies, elles n’ont pas besoin de prendre de nourriture , et passent quatre ou cinq mois sans manger. En Avril, quand le soleil les réchauffe, et que les arbres se couvrent de feuilles, elles se raniment et recommencent leurs excur- sions désastreuses ; mais plus fortes alors , elles sont aussi plus hardies; ce n’est pas seulement l’arbuste qui leur donnait asile, qu’elles dévorent; (30) ce sont les arbres voisins qu’elles attaquent, les fruitiers, particulièrement les prunier et cerisier ; si elles sont nombreuses , leurs dégâts sont très- considérables : Linné les avait appelées Æléaux des Jardins (pestis hortorum ). Les chasseurs n’ont donc rien de mieux à faire, pour l'avantage des vergers, que de tuer sans pitié tous les Gazés qu'ils pourront prendre; d’ailleurs , il est facile de détruire les chenilles dans leurs nids; ils sont apparens , et dans les jours pluvieux, ainsi qu’en hiver, on les y trouve toutes. : Encore un mot sur ce papillon. Il est aisé de voir, par l’histoire de sa chenille, qu'il diffère de tous ceux du même genre ; le papillon en dif- fère aussi ; ses premières aîles sont plus alongées, les secondes plus larges. À prendre les choses à la rigueur, le Gazé devrait faire un genre à part; on ne peut pas le faire rentrer dans les Parnas- siens, comme a fait Walkeneer ; il en est fort éloigné : le genre Piéride auquel nous l'avons réuni, est celui avec lequel il a le plus d’ana- logie. HERMINÉE (oy. Vinuzr ). LATHONE — Bien des gens donnent à ce joli papillon la préférence sur tous les autres, pour la beauté. Il ne faut point disputer des goûts; mais (C3 }) on ne peut pas contester qu'il ne soit très-riche- ment paré. A C’est un heureux rapprochement que celui de ce brillant papillon, avec une de nos plus jolies fleurs, sur laquelle il se pose souvent dans nos parterres, la Pensée. Un naturaliste de nos jours l’a bien saisi et bien exprimé : « Voyez sur ce vert gazon, au pied de.ce _» rosier dont les boutons vont s'épanouir, le » papillon Lathone, qui agite, sur la fleur cha- » marrée et veloutée de la Pensée, ses aîles d’ar- » gent, resplendissantes de tout l'éclat dès rayons » de l’astre du jour : dites-moi s’il est dans la na- » ture un plus délicieux assemblage de couleurs, » et si l'être qui végète et celui qui est doué » de la vie, peuvent se montrer à vous sous des ». formes plus riantes , et vous présenter l’image ». d’une plus aimable et plus ravissante harmonie » ( Walkeneer, discours sur les insectes } ». LICHNÉE-BLEUE. — Ce lépidoptère est très- rare -aux environs de Bordeaux. Des entomolo- gistes qui chassent depuis long-tems, ne l’ont pas encore trouvé; mais quelques jeunes clercs de ma connaissance l'ont pris du côté de Bègles. Je me plais à remarquer cette circonstance, peut-être avec la même intention qu'avait Geof- froi quand il écrivit sur ce même insecte que le (32) sai qu'il eût vu à Paris, avait été trouvé à la chasse par M. le Président de... Le nom nous intéresse peu ; mais il nous est agréable de voir que les goûts simples et innocens de notre aimable science, s’allient également avec les affections les plus saintes, et avec les fonctions les plus graves. LIVRÉE. — La chenille est une de celles qui vivent en société et que Réaumur a rendu célè- bres par l’histoire intéressante qu’il en a faite. On a quelquefois remarqué peut-être des œufs rangés en spirale, autour d’une petite branche. Ce sont les œufs d’une livrée : ils sont gris, lui- sans, serrés les uns contre les autres, et ils pré- sentent en-dessus un petit couvercle: au prin- tems, les chenilles en éclosent ; d’un coup de dent elles percent le couvercle, et à plusieurs repri- ses, emportant chaque fois un pelit morceau, elles y font enfin une ouverture assez grande pour passer la tête. À peine sont-elles sorties, qu’elles vont ensemble sur une feuille voisine, et se mettent à manger et à filer ; pendant quelque tems on ne leur voit pas faire autre chose , et les arbres fruitiers en souffrent beaucoup ; enfin elles se fixent et construisent un nid pour le reste de leur vie: ce nid n'offre rien de remarquable ; elles en sortent pour aller à la maraude, et y rentrent ensuite. Comme les processsionnaires , (33) elles vont ensemble , mais ne forment pas de files aussi bien ordonnées. Elles vont par trois ou quatre de front, quelquefois par petits détache- mens , quelquefois aussi en longue file : alors elles présentent au soleil un aspect assez agréable, sur-tout dans leur jeune âge; on dirait un filet d’or qui se joue sur un ruban argenté ; car la li- gne moyenne de leurs corps est d’un jaune bril- lant, et elles tapissent de soie les lieux par où elles passent. Dans leur état de société, ces cheniiles offrent encore une particularité bien remarquable ; elles paraissent d’une grande sensibilité : si on les in- quiète, et même quand on ne fait que se tenir auprès d'elles, on les voit s’agiter et donner des coups de tête en l'air ; dans la nuit, si on appro- che un flambeau de leur nid, elles se réveillent comme excitées par la lumière. Un grand bruit, le son d’un tambour ou d’un haut-bois, les frappe et les rend attentives; enfin, si on les touche , elles se remuent vivement, et portent leur tête en arrière, comme si elles voulaient mordre. La société des livrées ne dure pas au-delà de leur troisième mue ; dès que le tems de changer en chrysalide approche , elles se séparent, on ne les rencontre plus qu’isolément ; chacune va de G (34) son côté s'enfoncer dans la terre; et le bombix en sort, après quinze jours ou trois semaines. On trouve la chenille sur les arbres fruitiers, dans les vergers et les jardins potagers ; elle n'est que trop commune. MINIME. — La coque de ce bombix est un des plus admirables ouvrages que fassent les in- sectes; elle est cylindrique et arrondie par les deux bouts ; on conçoit à peine comment la che- nille , renfermée dans la coque qu’elle file, peut lui donner une forme aussi régulière, une si exacte rondeur, et sur-tout comment elle fait pour la fermer entièrement; sa manœuvre n’a pas encore élé bien observée, mais elle mérite de l'être. | Le bombix paraît vers le mois de Mai ou Juin de l’année suivante : il vole bien le jour (r). MOUCHETÉE. — Ordinairement, cette noc- tuelle passe l’hiver ; À la fin de l’Automne, les cheniiles qui, jusqu'alors, avaient vécu en so- ciété, se séparent, et chacune va de son côté chercher un asile; se cacher, voilà pour elles le point principal; il importe peu si ce sera sous une feuille, un éclat d’écorce : dans cet asile, ——— (x) On le trouve assez fréquemment dans les petits chemins qui traversent les côtes de Florac et de Bouliac, ; (35) enveloppées d’une robe de soie , à peu de frais, elles passent l'hiver chaudement et dans une paix profonde; le printems vient; le soleil de Mai, avec ses rayons ardens, frappe et ranime tous les êtres que le froid avait engourdis. A ce signal, les mouchetées sortent de leurs re- traites, mais avec une faim qui se ressent un peu de la longueur de leur jeûne, et se jettent de tous côtés, dévorant et les bourgeons , et les feuilles encore tendres. Heureusement ces che- nilles mangent peu et ne sont pas très-nombreu- ses. Au commencement de Juin, elles s’enfon- cent dans les broussailles, filent une coque de soie, où elles font entrer quelques-uns de leurs poils, et se mettent en chrysalide. PAON (crax ) — Cest le plus grand des lé- pidoptères d'Europe; mais ce n’est pas seulement par sa grandeur qu’il se fait remarquer ; sa che- nille construit une coque qui est depuis long- tems connue sous le nom de Coque-en-nasse (Dict. Hist. Nat. Valmont Bomare ). C'est un cylindre fermé et arrondi par un bout , allongé et ouvert par l’autre; mais ouvert de telle manière que, quoique le papillon doive en sortir aisément, en poussant de dedans en dehors, aucun autre insecte ne pourrait y péné- trer , en faisant effort de dehors en dedans : c'est (36) que , dans cet endroit, les fils dont la coque es£ formée , gros, roides comme des crins, sont in- clinés les uns sur les autres, comme sont les doigts de la main, quand on les ferme sans les, plier ; de telle sorte que ce qui vient du dedans, ne fait que les écarter, et les écarte aisément ; mais ce qui viendrait du dehors, rencontrerait les pointes, les pousserait l’une sur l’autre, et ne ferait que les rapprocher davantage. Pour construire cette coque, si ingénieuse- ment conçue, la chenille tapisse d’abord une petite surface plane , moins longue que son corps, d’une soie gluante et grossière , qui se colle aisé- ment sur cette partie, et qui, en se séchant, y adhère bientôt avec force : c’est là le fondement et la base de l'édifice ; de chaque côté et à l’un des bouts, elle élève les parties latérales et le fond de la coque, qui se joignent par-dessus en forme de voûte: la matière est la même que. celle de la base; c’est-à-dire, une soie gom- meuse , qui forme un tissu dur, épais, serré, et si solide qu'on ne le déchire qu’à grand’peine. En examinant de près ce tissu, on voit que les fils en sont disposés en zig-zag , et quelques-uns avec tant de symétrie, que le plus habile ruba- nier ne saurait faire mieux. Mais quand la chenille est arrivée à la cons- (37) truction de la nasse, elle change cette disposi- tion de ses fils, et les mène droit de l'extrémité du cylindre, à la base, en les inclinant plus ou moins ; elle attache ces fils à la base, ou les uns aux autres, mais faiblement, et en les doublant, elle leur donne plus de force et de consis- tance. Il est curieux, comme on le présume bien, de voir travailler cette industrieuse ouvrière , ct l'on peut aisément se procurer ce plaisir: si au moment où la chenille vient de finir sa coque, on en coupe l’extrémité pyramidale avec des ci- seaux, en prenant garde, toutefois, de blesser la chenille : aussitôt on la voit se mettre en œuvre pour réparer le dommage que vient de lui faire cette main inconnue; c’est l'affaire d'un instant : en moins d’une heure , la coque est rélablie dans son premier état. , Les fils dont cette coque est tissue, étant fort gros, on pense bien que la filière doit être très- développée dans cette chenille ; et comme d’ail- leurs elle est de la première grandeur pour notre pays , il n’en est pas sur laquelle on puisse plus ai- sément voir cet organe. On apercévra, avec une loupe, sur le devant de la lèvre inférieure, trois pe. üts boutons coniques : celui du milieu est la filière; (38) ceux de chaque côté ont été appelés gros bar- billons. La filière se compose d’une base ou partie plus large, qui est assise sur la lèvre, et peut s'y mouvoir en tous sens, et d’un tuyau dont la base est surmontée, qui peut aussi se mouvoir en tous sens sur elle : il s’appelle tuyau soyeux. Le tuyau soyeux (on ne le distingue bien qu'a- vec une forte loupe ou un microscope ) est pro- prement la filière, c’està-dire, l’instrument par lequel la soie prend sa forme filamineuse : il est composé d’une portion écailleuse et d’une por- tion membraneuse ; ce qui lui donne la faculté de se dilater ou de se retrécir, de manière à faire la soie plus grosse ou plus déliée. L’extrémité libre du tuyau soyeux , est taillée en bec de clarinette, mais ouvert par dessous, afin que, quand la soie en sort, elle se trouve directement appliquée sur le corps auquel la che- nille veut l’attacher. Ce n’est encore À, cependant, comme nous venons de le dire, que l’instrument qui donne une forme à la soie ; la matière en est fournie par d’autres organes , qu’on pourra aussi voir dans la chenille du Paon plus aisément que sur tout au- tre ; ce sont deux vaisseaux , un de chaque côté (39) de l’estomac : d’abord gros comme un fil, ils se portent le long de l'estomac jusqu’à l'extrémité postérieure de la chenille; puis, se repliant sur eux-mêmes, ils remontent jusqu'au niveau de la troisième paire de pattes ; là ils se recourbent encore, et retournant en arrière une troisième fois , ils reviennent en avant, jusque sur le der- rière de la tête, pour se terminer à la filière, après avoir fait un pleæus assez difficile à suivre dans ses détours. Lyonnet, cet admirable anatomiste des che- nilles, a cru voir un petit canal de communica- tion, qui va de la partie postérieure des vais- seaux soyeux , à une portion voisine des intes- üns. Ce serait par ce canal ( qui doit bien exister quelque part, s'il n’est pas dans cet endroit), que la matière soyeuse passerait des intestins dans les vaisseaux soyeux ; car il faut que cette matière soit un produit de la digestion, comme toute espèce de sécrétion animale. La matière de la soie est liquide dans les vaisseaux qui lui servent de réservoir; elle ne devient solide qu’à l’instant même où, réduite à une extrême ténuité, elle est exposée au con- tact de l’air ; mais en changeant de consistance, elle ne change pas de couleurs, et si elle est jaune dans le corps de la chenille , elle est encore (40) jaune au dehors; quelquefois on la voit de di- verses couleurs dans les différentes parties des vaisseaux soyeux; et alors, infailliblement, la coque est aussi de différentes couleurs ; du reste, nous parlerons plus au long de la soie, de sa nature , deses propriétés, à l’article ver-à-soie. Disons encore un mot de ce que nous appelons gros barbillons : on les nomme ainsi pour les dis- tinguer de deux petits points saillans , mais pres- que imperceptibles , qu’on voit à la loupe , sur les côtés de la filière , et qu’on appelle petits barbil- lons. Ces boutons ou tubercules sont de figure conique et surmontés d’un poil, alène ou tuyau dont on ignore entièrement l'usage. Quelques-uns ont avancé que ce pourrait bien être , dans les che- nilles, l'organe de l’odorat; mais il ne paraît pas que les insectes soient doués de ce sens. On pense communément, que les barbillons, gros et pe- tits, servent à seconder l’action de la filière, en relevant certains corps, en attendant que les fils y soient appliqués et collés, et aussi en détournant les fils de la ligne droite, selon le besoin. | Les organes que nous venons de décrire, à propos de la chenille à tubercules, se trouvent plus ou moins distinetement , et particulièrement dans celles qui font des coques. (41) Le bombix Paon de nuit, paraît en automne et vers la fin de l'été; on le rencontre plus sou- vent dans les vieux bâtimens , dans les charpen- tes des celliers et des ateliers d'ouvriers sur bois, que dans les campagnes ; et plus souvent la che- nille que l’insecte parfait, Ce bombix vole mal et peu de tems. PLIEUSES.—II y a plusieurs 54 de Phalé- nites dont les chenilles sont très-industrieuses pour se cacher : c’est le moyen de défense le plus sûr que la, bienveillante Providence ait donné aux êtres faibles, et qui n’en ont point d’autres : ces chenilles sont bien de ce nombre; nues, petites, délicates, elles pourraient à peine supporter le contact de l'air, et le souffle inégal des vents ; la nature les a douées, en conséquence, d’une industrie tout-à-fait ingénieuse ; elles se font, à peu de frais, une retraite impénétrable ; une feuille de chêne ou de pommier, et même la moitié d’une feuille leur suffit ; elles la plient, et s'y renferment au moyen. de quelques fils de soie; mais ce qui est curieux, c’est de savoir comment elles s’y prennent ; il faut de l’atten- tion et de la patience pour le voir et le com- prendre , quand on a les objets sous les yeux: serai-je assez heureux, cher lecteur, pour vous le décrire d’une manière claire et intéressante ? (42) Figurez-vous une pétite chenille verte , étendue sous une feuille de pommier ; la voici qui s’a- vance vers une extrémité de cette feuille; elle fixe un fil sur un des bords, et le tirant à elle, le porte en-dedans et l’attache tout près de là; ce fil, qu’elle a tendu de toute sa force, com- mence à retourner le bord, et conséquemment à plier un côté de la feuille ; elle en place suc- cessivement plusieurs , à quelque distance , dans la même direction; mais ce n’est encore qu’un échafaud : notre architecte monte sur ces cor- des, et vous voyez bien ce qui en arrive; le poids de l’ouvrier fait plier l'ouvrage , et les cordes n'étant pas de nature à se distendre, il faut que leurs points d'appui cèdent et se rapprochent ; alors la feuille se plie d’un peu plus qu’elle n’était. Il s’agit maintenant de l’as- sujétir dans ce nouveau degré de coubure; car la chenille ne peut pas toujours demeurer là; elle tire de nouveaux fils, du bord à la surface ; mais ceux-ci sont plus courts que les précédens , plus rapprochés ; ils forment une toile entière. Il n’y aurait encore, cependant, qu’un tuyau assez étroit, et il s’agit de faire un pli; l’ou- vrière, qui le sait bien, se met alors à tra- vailler sur un nouveau plan. Quittant sa pre- mière toile, elle vient se placer entre cette (43) toile, le pli qu’elle forme sur le bord de la feuille et la principale nervure ; là , attachant de nouveaux fs , par un bout, au milieu de la toile , et par l'autre, sur la nervure de la feuille, elle tire encore un peu plus, et ramène le bord auquel la première toile est attachée. Dès que ce second tissu est achevé, la chenille monte dessus , comme elle a fait pour les premiers fils, et dans les mêmes vues, et avec le même succès; le pli se forme davantage ; une troisième trame le fixe dans cet autre degré -de courbure; une quatrième lui en donne une autre encore, par le même procédé que la seconde toile, (celle qui a été attachée sur le milieu de la première); et aïnsi de suite, jus- qu'à ce que le bord de lx feuille, ayant été ra- mené sur la nervure principale, la feuille soit entièrement pliée : alors la chenille ne s'occupe plus qu’à fermer de tous côtés sa retraite ; elle se débarrasse aussi des premières toiles qu’elle avait faites, et qui lui deviennent inutiles ; elle les déchire et les pelotonne avec ses pattes de devant , et les pousse quelquefois vers les bords où elle s’en sert en manière de bourrelet , pour fermer toutes les ouvertures; elle n’en laisse qu'une , ordinairement fort petite : c'est par là que le papillon doit sortir; car, pour la chenille, elle passera le reste de sa vie dans la retraite ; (44) sobre et sédentaire, elle y trouvera toute sa s0- ciété et toute sa nourriture , encore ne mangera- t-elle que le parenchime intérieur de la feuille, ne touchant pas à la surface extérieure, ni aux nervures principales ; on remarque même qu’elle est fort propre dans son petit logement , et qu’elle a soin de ne déposer ses excrémens que dans un seul endroit. | PAPHTA. — Papillon rare et difficile à pren- dre: on en voit peu qui planent avec plus de majesté, et qui donnent au chasseur plus d’envie de lavoir ; mais il se pose rarement, presque toujours sur les ronces ; il faut hasarder le filet, et quand on l’a manqué , de long-tems on ne le revoit plus dans le même lieu ; il s’élance bien haut, et disparaît en passant par-dessus la cime des arbres d’alentour. Or. il arrive souvent qu’on le manque. La main d’un jeune chasseur tremble ; son cœur palpite, quand il suspend son filet sur une si belle proie... Aimables souvenirs ! PIN (Semwx pu Pi) — Nous avons dit, dans les caractères du genre, que les chenilles des Sphinx s’enfonçaient dans la terre pour $e mettre en chrysalide, Cette opération n’est pas si simple qu'on l'avait cru d’abord. La chenille ne se contente pas de se cacher sous terre ; elle s’y fait une loge qui à un peu plus de Capa» (45) cité que son corps n’a de grosseur, et dont elle tapisse l’intérieur de soie. On s’était ima- giné que, pour faire les parois de cette loge, elle s’agitait en tous sens , se mettait en sueur, et que c'était cette sueur qui pénétrant la terre autour d’elle, laglutinait, liait ensemble tous les grains pour en former une voûte solide ; l’ob- servation a démenti cette conjecture hasardée. On connait bien une chenille qui pétrit ainsi la terre avec une humeur qu’elle dégorge (y. Queur-Fourcuue ); mais les chenilles du Sphinx se contentent de lier les grains de terre ensem- ble, avec quelques fils très-déliés, et de tapis- ser ensuite l’intérieur de leur loge, comme nous venons de le dire, d’une toile très-fine. PITHYOCAMPA. — IL n’y a. personne qui n'ait remarqué , dans les pinadas , des têtes de jeunes pins ou des extrémités de leurs branches, enveloppées d’une toile grisâtre,, en forme de coiffe ou de poche ; c’est l'ouvrage des B. Pithyo- campa : leurs chenilles les filent en Automne, et les font peu spacieuses ; parce qu'étant elles- mêmes encore petites , elles n’ont pas besoin que leurs nids soient bien grands; mais à mesure qu’elles croissent, elles étendent d’autres toiles sur les premières ; le nid s'agrandit et se compli- que en même tems : il devient quelquefois de la (46) grosseur d’une tête d'homme, et si on l’ouvre, on le trouve formé de plusieurs couches, les unes sur les autres, et rempli de poils et de dé- pouilles brisées. Ces dépouilles indiquent assez que les chenil- les font leur demeure habituelle dans ces nids, qu’elles y vivent et y changent de peau; elles en sortent cependant pour aller chercher leur pâture; mais elles sortent ensemble, et l’ordre qu’elles observent leur a fait donner le nom de processionnaires du pin. Nous verrons comment se rangent les processionnaires du chêne ; celles du pin ne se mettent pas en rang comme elles, mais seulement à la file ; elles se suivent sans in- terruption une à une, quelquefois dans un assez long espace , descendent du plus haut des arbres, traversent les sentiers, montent sur les arbres voisins, reviennent à leur nid, sans que jamais aucune s’écarte ou quitte la route; elles ne suivent pas une ligne droite, mais la première portant sa tête tantôt à droite, tantôt à gauche, et toutes les autres marchant exactement sur ses traces , elle communique à toute la file un mou- vement d’ondulation , et la chaîne entière a l’as- pect d’une longue guirlande. Si les chenilles se trouvent trop éloignées de leurs nids, les premières s'arrêtent, et les autres (47) ensuile, et toutes se ramassent en un las; en même tems, elles se mettent à filer ; quelquefois elles se font dans cet endroit un nouveau nid ; le plus souvent elles retournent dans l’ancien , et ne sont même pas embarrassées pour en retrou- ver la route, Ces chenilles filent sans cesse en marchant; elles marquent leurs traces chacune d’un fil, et la réunion de tous ces fils fait une voie assez large, un ruban de soie, dont tous les endroits par où elles sont passées se trouve, comme tapissés. Olivier dit agréablement là- dessus, qu’elles ne vont que sur des tapis de soie ; c’est cette trace qu’elles suivent pour reve- nir dans leurs nids, quelque éloignées qu’elles en soient, et si on veut les voir embarrassées , il n'y à qu'à interrompre le ruban, en passant le doigt dessus : la première de la file s'arrête ; une des suivantes s’avance comme pour sava@ir ce qui l'a retenue ; la plus hardie franchit le passage , et jette un fil que suivent toutes les autres. Vers le mois de Mars ou d'Avril , les proces- sionnaires du pin se séparent ; chacune s’enfonce dans la terre , et file séparément une coque très- faible, d’où le bombix sort quelques semaines après. La grande quantité de soie que produit la che- nille de ce bombix, a fixé l'attention de ceux (48) qui s'intéressent au bien public; on a fait di- verses tentatives pour retirer de cette soie quel- que avantage : ces expériences n’ont pas eu tout le succès qu’on avait attendu , et que l’on devait désirer. On coñvient cependant qu'il ne serait pas impossible d’en tirer quelque parti. Les B. Pithyocampa, quoiqu'en très-grand nombre dans les pins, n’y font aucun dégât et ne nuisent point aux arbres : il faut seulement toucher leur nid avec précaution , sur-tout quand on les ouvre. PODALYRE. — Dans la plupart des chenilles de ce genre et du genre parnassien , on voit sor- ür, sur le cou, entre le premier et le second an- neau, un tentacule (1), en forme de fourche ou d'Y. Il est mol, peu élevé, jaunâtre. La che- nille le fait sortir quand elle est irritée, et le fait rentrer àg#on gré. On ignore entièrement l’usage de cet organe singulier : ce qu’on peut conjectu- rer de plus probable , c’est que l’animal s’en sert comme d’une défense contre les ichneumons , ou autres insectes qui viendraient se poser sur lui pour le piquer; comme ces chenilles sont lisses , elles sont fort exposées à cet accident. Ainsi 0 (x) A-peu-près ce qu’on appelle vulgairement cornes dans les lima- çons. (49) cette fourche apparaissant subitement, ne serait “autre chose qu’un épouvantail. Le Podalyre est très-voisin du Machaon; même singularité dans la chenille, même con- formation dans la chrysalide: ils habitent les mêmes lieux, vivent dans le même tems ; mêmes couleurs, même forme ; le chasseur les confond au vol, et ne les distingue que lorsqu'ils sont sous sa main : aussi leur. a-t-on donné le nom de ces frères fameux, Machaon et Podalyre, qui exerçaient la médecine au siége de Troyes. Ce papillon est du nombre de ceux dont les chenilles, pour se mettre en chrysalide, se cei- gnent d’un fil de.soie. Quoique plusieurs autres lépidoptères de différens genres s’y prennent de la même manière , nous exposerons à cet article le procédé dont elles se servent, parce qu'il est facile de se procurer une chenille de Podalyre et de la voir travailler. Après qu’elle aura trouvé une surface plane, horizontale , sous quelque feuille ou rameau , on la verra d’abord tapisser cet endroit d’une toile fine; on remarquera que sur le milieu de cette toile , repliant plusieurs fils les uns sur les autres, elle en fait un petit paquet ou monticule ; quand ce premier travail est fini, la chenille change de place, et mettant ses dernières pattes là où elle D ( 50 ) avait sa tête, elle les engage toutes les deux dans le monticule de soie ; ce qui se fait d'autant plus aisément, que le tissu en est lâche , et que les pattes, les dernières sur-tout, sont garnies d’une couronne de petites pointes. Ce n’est pas tout; comme elle veut s'attacher par le milieu du corps, elle se courbe alors en portant sa tête sur son ventre , et dans l'endroit qui correspond au milieu de son corps; elle file un cordon en forme d’anse ou de demi-anneau, et en attache les deux bouts dans cet endroit même ; elle en mesure l’ouverture sur la gros- seur de sa tête, et la fait assez grande pour que: cette partie puisse y passer à l’aise : elle l’y passe en effet et s’y engage jusqu’au milieu de son corps; la chrysalide se forme ; la peau se fend ; la chrysalide , par les mouvemens de sa queue , qui est encore libre, la fait descendre en bas. Comme le lien est lâche, la peau se dégage aisément ; alors elle tombe ; mais, auparavant, la chrysalide alonge son derrière, terminé en pointe hérissée , l’engage dans les fils de soie , et s'y arrête: la peau demeure quelquefois pen- dante tout auprès; quand le papillon éclot, il sort par une fente de la chrysalide, au-devant du lien, et cette coque demeure suspendue , ‘mais vide et ouverte. (5) PRASINAIRE, — La forme de sa coque est une des plus élégantes et des plus singulières qu'on puisse voir: c’est celle d’un bateau plat renversé , dont le devant serait relevé en carëêne 2 et le derrière large et aplati. Il faut cependant se figurer les choses dans des proportions fort exiguës , toute la coque n'ayant guères plus d’une ligne de largeur sur trois de longueur. La ma- nière dont la chenille s’y prend pour la cons- truire , rend aisément compte de la forme singu- lière qu’on lui voit. Supposons-la d’abord appli- quée sur une feuille de chéne ou d’aulne , étendue en ligne droite ; elle commence par entourer la partie moyenne de son corps depuis l’avant-der- nier anneau, jusqu'au septième environ ,: d’un fil de soie, et s’en fait comme une ceinture ; en- suite, de chaque côté de la partie antérieure de la ceinture, elle prolonge une toile, un mur droit, mais un peu penché vers son corps, et qui va graduellement en s’élevant. Ces deux pe- tils murs ne s’avancent pas jusqu’au-delà des pre- miers anneaux de la chenille ; de sorte que , lors- qu'ils sont finis , sa tête les dépasse ; les premiers et les derniers de ces anneaux sont également hors de la coque. Voilà donc notre industrieuse ouvrière , ren- fermée entre deux murailles triangulaires ét dans (52) une espèce de pyramide ; pour en faire un ba- teau , il n’y a plus qu’à rapprocher les deux mu- railles sur le devant, et construire un plancher. La chenille fait cette dernière partie, en con- duisant des fils parallèles et courbes d’un mur à l'autre ; elle commence depuis le bord supérieur de la ceinture; mais à mesure qu’elle avance et qu’elle se couvre de plus en plus , sa têle ayant moins de jeu, fait les fils intermédiaires plus courts. Il arrive de là, que les côtés se rapprochant gra- duellement vers le haut, et la chenille venant à retirer sa tête, rien n'empêche qu’ils ne se rap- prochent exactement. L'endroit de leur réunion est marqué par une petite crête longitudinale, qui répond à un commencement de ce qu’on appelle quille dans un bateau ; mais il demeure toujours à cette extrémité une fente, quoique nos yeux ne puissent l’apercevoir : c’est la porte qu'ouvrira la Pyrale quand elle sortira de cette prison ; mais qui se refermera aussitôt, par l’élasticité propre des parois: aussi trouve-t-on quelquefois des coques en bateau , d’où l’insecte est sorti, et qui n'offrent à l’œil aucune ouverture. Si on regarde le tissu de ces coques avec une forte loupe, on voit qu'il n’est pas formé, comme celui des coques ordinaires, de fils en- trelacés sans ordre et sans symétrie ; mais d’une (53) série assez régulière de mailles bien alignées les une sur les autres. I y plusieurs autres Pyrales qui font leurs coques de la même manière. PROCESSIONNAIRES. — On a nommé ces bombix Processionnaires , parce que, dans l’état de chenilles, ils ne sortent jamais de leurs nids, que par longues files très-bien rangées, et qu'ils observent dans tous leurs mouvemens un ordre parfait : on les appelle aussi Évolutionnaires , et ce nom leur convient peut-être mieux. Ces nids d’où sortent les Processionnaires, n’ont qu’une ouverture, et si étroite, qu'il ne peut y passer qu'une chenille à la fois. Il n’en sort qu'une en effet; le soir, au coucher du soleil, cette première chenille, qu’on prendra, si l’on veut, pour le chef de la bande, s’avance toute seule hors du trou ; elle est suivie d’une autre, mais de si près, qu’il semble que cette autre la pousse ; celle-ci, d’une troisième , et puis d’une quatrième et toujours à la file ; alors la première s'arrête ; c’est un ordre aux suivantes de se met- tre par deux , et ensuite à mesure qu’il en sort, et que le chef s’arrête , par trois, par quatre, jusqu’à dix et quinze de front, très-serrées dans les lignes et dans les rangs ; on ne voit pas une intervalle, pas une chenille qui se détourne ou (54) qui se hâte plus que les autres ; la première s’ar- rête, toutes s'arrêtent ; elle marche, la colonne s'ébranle et la suit ; seulement, quand le terrain le permet , les rangs se doublent et les lignes s’é- largissent ; ou bien s’il faut passer par un défilé, on fait aussitôt une évolution par file; quand on arrive sur une branche garnie de feuillage, et qui présente une abondante pâture, on se divise par pelotons, sans cesser de marcher en rang, et au moins par trois de front. Les chenilles se pla- cent plusieurs ensemble sur la même feuille, et partagent en bonnes sœurs l'aliment qu’elles y trouvent; chacune mange ce qui se rencontre sous sa dent, sans usurper sur la part de la voisine ; la feuille n’en est pas moins dévorée toute entière en peu d’instans ; et quelquefois une branche de chêne, qui était ornée la veille d’une verdure charmante , n’olfre plus le lendemain que le hi- deux aspect de ses rameaux dépouillés et de ses feuilles rongées. Cependant, le jour arrive, et ces petits bri- gands , qui ne craignent pas moins la lumière que les grands voleurs, se hâtent de rentrer dans leur fort :‘ils y reviennent dans le même ordre qu'ils en sont sortis; une chenille (on n’assure pas que ce soit la même qui les conduisait en venant), part la première ; les autres la suivent (55) aussitôt ; l’appât d’une feuille tendre n’en retient aucune; et après diverses évolutions, gardant toujours leurs rangs et leurs lignes, elles ren- trent toutes dans leurs nids. La structure de ces nids est fort simple : c’est une grande poche alongée , ouverte par un côté, et fixée, par les bords de cette ouverture , sur le tronc de l’arbre ; la toile dont elle est faite, est d’abord mince et transparente ; mais plus les che- nilles y séjournent, plus elle devient épaisse, parce qu’elles y déposent leurs excrémens, et leurs peaux, quand elles en changent; les poils de ces peaux se mêlent en tous sens au tissu soyeux, et en peu de tems cette toile, chargée de tant d’élémens étrangers , acquiert une plus grande consistance. Dans l’intérieur , il n’y a guère de prolonge- mens de toile, en forme de cloison, comme on voit dans d’autres nids ; à l'extérieur , la poche est bien peu apparente, quoique d’une assez grande étendue ; sa .couleur grisâtre se confond avec celle de l'écorce, et la saillie qu’elle fait, n'est pas bien différente de celles que forment les nodosités ou bosselures que lon voit sur le tronc des grands arbres. Le nid que nous venons de décrire n’est pas le premier qu’aient fait les Processionnaires : ( 56 ) ; dans leur jeune âge, elles étaient stationnaires ; nées sur une branche de chêne, où leur mère avait fixé ses œufs, elles y filèrent d’abord une toile qui les enveloppait, et se mirent à manger toutes les feuilles qui étaiént compri- ses dans l'étendue de leur camp. Quand il n’y eut plus que du bois ou des nervures trop du- res pour leurs jeunes dents, elles furent s’éta- blir ailleurs, et filèrent une nouvelle toile sur l'extrémité de quelques branches ; elles restèrent dans cet endroit jusqu’à ce qu’elles y eussent con- sommé tout ce qu'il y avait de mangeable , puis : elles s’en furent ailleurs, et ainsi de suite qua- tre ou cinq fois. Je laisse à penser si le mal- heureux chêne se trouve bien de tous ces chan- gemens de domiciles ; mais enfin ce n’est que dans les derniers tems de leur vie, quand elles ont presque toute leur croissance, que les Pro- cessionnaires construisent leur grand nid, et qu’elles commencent leurs grandes évolutions. Nous avons dit que, renfermées dans leur nid pendant tout le jour, nos chenilles n’en sor- taient, pour faire leur ravage, que vers le soir et pendant la nuit. Il arrive cependant quel- quefois que , le jour même, au plus fort de la chaleur, elles en sortent aussi, non pas pour manger, mais, dit-on, pour prendre le frais : (37) si c’est bien leur intention, elles s’y prennent assez mal; car elles observent toujours , avee le méme soin, de se tenir serrées les unes contre les autres ; on les voit même les unes sur les autres, entassées et entrelassées: ce n’est point comme cela, ordinairement, qu'on se ra- fraîchit ; mais il est vrai que dans leur nid, non- seulement entassées aussi, mais renfermées, elles doivent éprouver une plus forte chaleur. Pour en finir sur cet article, nous donnerons un avis important: c’est de ne point toucher ces nids, ni avec les mains nues, ni avec un bâton, et de ne pas s’en approcher de trop près. Ils sont remplis de débris de poils et de peaux , ré- duits en une poussière très-fine ; cette poussière leur forme un atmosphère délétère, pour ainsi diré, parce qu’elle s'attache à notre peau , s’in- sinue dans les pores, et cause des démangeaisons fort incommodes , avec inflammation; évelures, gonflemens ; on en a, quelquefois , pour quatre ou cinq jours ; il est même darigereux , à ce que l’on prétend, de s’asseoir et de s’endormir sous un chêne qui serait chargé de ces nids. PRUNIER. — La chenille fait une coque ovoïde, pour s’y renfermer dans le tems de sa dernière métamorphose. La ressemblance de cette coque avec celle du wer-à-soie , avait fait (58) penser qu’on pourrait en tirer le même parti ; mais la soie qu’on en dévide, est si peu abon- dante et si inférieure à celle qui est dans le com- merce , qu’on y a renoncé dès les premières ten- tatives. QUEUE-FOURCHUE. — Elle se fait remar- quer par son industrie dans la construction de sa coque. Ce n’est d’abord qu’un réseau de soie , dont les “mailles sont assez larges, mais qui n’en est pas moins solide : avant de le former, la chenille en sort ; elle s’en va près de là chercher de la terre, et en apporte dans sa coque autant qu’il peut en en- trer dans l'intervalle de ses mâchoires ; sans doute il faut qu’elle y revienne souvent ; mais ce n’est pas aux chenilles que la patience manque : elle fait tant de tours et de voyages, qu’elle remplit de terre une partie de son réseau; ce n’est qu’a- lors qu’elle l’achève : dès que l’ouverture en est fermée, la chenille imprègne d’une humeur qu'elle | dégorge, les grains de terre qui sont dans son réseau , et applique ce mortier contre les mailles; mais en pressant, et'de manière qu'il passe au travers ; comme la pression est par-tout égale, la couche de terre détrempée est aussi par-tout égale, et la coque qui en est bientôt entièrement revêtue en-dehors, est parfaitement lisse, (59 ) C'est dans cette loge si bien formée, que le bombix attend le moment de sortir et de jouir d’une nouvelle vie. On le voit paraître vers le mois d’Août. RIVERAINE. — C’est la Potamogeta de la plupart des entomologistes. Nous l'avons appelée Riveraine , pour traduire, en français, le mot grec, qui signifie voisine du fleuve. Ce nom lui vient de la plante qu’elle habite, le Potamo- geton, et des lieux où croît cette plante, qui est aquatique ; ainsi la chenille de cette Del- toïde vit au milieu des eaux, et dans l’eau même : c’est une singularité qui la distingue de la plupart des chenilles, incompatibles avec cet élé- ment. à Il ne faut cependant pas croire que cette che- nille vive dans l'eau à la manière des poissons ou des amphibies ; organisée comme les autres chenilles, elle ne peut vivre, comme elles, que d’air libre (1). Il faut donc qu’elle prenne quelque moyen de, s’isoler dans l'eau, et d'y être toujours entourée de globules d'air : c’est ce qu’elle fait d’une manière fort ingénieuse. MÉSE 2 RP) PSS 1 PR ee Ye 16 nos (x) I y a cependant quelques chenilles de ce genre dont Le corps, dit M. Latreille, a plusieurs appendices pour larespiration ; ce serait de fausses Branchies. Nous n’avons pas assez observé la Potamogeta , pour assurer qu’elle-même n’est pas dans ce cas. (60) - Dès qu’elle est née , sur une feuille de pota- mogeton , elle s’insinue doucement sous lépi- derme de la feuille, du côté de sa surface infé- rieure , qui est légèrement concave ; bientôt elle se met à détacher, en rongeant tout au tour , un petit écusson ; quand cette petite pièce est enle- vée, où qu’elle ne tient plus que par une très- faible languette, elle la renverse sur la partie voisine de la feuille, et se met dessous; comme la surface inférieure de la feuille est concave , et que cette pièce, renversée, s'applique sur cette surface , par son côté concave aussi, il en résulte une petite cavité, dans laquelle la chenille, à l'abri des vents et des flots, trouve encore tout l'air dont elle a besoïn ; il n’y en a pas beaucoup, mais il ne lui en faut pas davantage , et quoique fort industrieuse , comme on voit, elle n’a pas assez d'esprit pour ne pas se contenter du né- ocssaire. Il ne lui reste plus qu’à fixer l’une sur l’autre, les deux pièces de sa demeure; elle le fait, en les attachant par les bords, avec quel- ques fils de soie très-serrés. On trouve quelquefois des chenilles qui se sont fait des demeures ambulantes , avec deux pièces de la dimension de leur corps, qu’elles ont découpées séparément , et attachées étroite- ment ensemble. Ces tuyaux sont ouverts à un (CG) de leurs bouts, pour laisser à la chenille un libre passage, quand elle veut manger, ou s’en aller ailleurs. RONGE-BOIS. — On présume bien que ce n’est pas le papillon (le Cossus) qui a mérité ce nom, mais sa chenille ; elle ronge en effet le bois. Tout le long de sa vie, renfermée dans l'in- térieur d’un saule, retraite obscure, impénétra- ble, ellle s'y creuse pour demeure de longues et tatin galeries. C’est à qu’elle trouve sa nourriture, aux dépens de l'arbre qu’elle dé- truit. Comme la substance est un peu dure, la nature a pourvu cette chenille d’une humeur corrosive qui est contenue dans des vésicules de chaque côté de l’estomac, et que l’insecte dé- gorge à mesure qu'il ronge le bois avec ses ma- choires écailleuses ; de cette manière, elle va vite en besogne; et pour peu que d’autres larves (celles des Cérambix , entr'autres), se joignent à elle , un malheureux saule est, en quelques an- nées, entièrement creusé, réduit à son écorce et à son Liber: on ne se doute pas que tant de mal est l'ouvrage de quelques faibles chenilles. Quand la chenille de ce Cossus sent que le tems est venu de se mettre en chrysalide (vers le mois de Mai), elle se rapproche de l'écorce et.y fait un trou, si elle n’en trouve quelqu'un (62) qui ait été déjà fait par ses aïeux , anciens habi- tans de cette vieille demeure : ce trou n’est pas plus large qu'il ne faut pour laisser passer l’in- secte , dans son dernier état. C’est près de son orifice intérieur que la chenille s'arrête ; là, cou- pant de tous côtés des éclats de bois, elle s’en fait, autour d'elle, une charpente en forme de coque , et tapisse l’intérieur d’une toile fine ; elle a soin de se placer de manière que sa tête soit tournée vers le trou qui doit conduire le Cossus au-dehors, et jamais elle n’y manque: autre- ment, le papillon marchant en avant, dès qu'il sortirait de sa chrysalide , s’enfoncerait dans l’ar- bre, et son berceau deviendrait, hélas ! le tom- beau de toute sa postérité. Comme le Créateur a voulu que cette chenille vécût dans l’intérieur d’un arbre, ce n’est jamais impunément qu’on la tire de son asile : on la voit alors s’agiter violemment, comme si elle souffrait du contact de l'air et de l'éclat du jour; elle cherche À se cacher, et se met aussitôt à filer autour d’elle quelques toiles, comme pour se mettre à l'abri; mais cette défense est in- suffisante , et si elle ne peut rentrer bientôt dans un morceau de saule, ou dans de la sciure de bois, et s’y cacher, elle meurt. On lit, dans Pline , que les Romains servaient (63) sur leurs tables des vers de Cossus , et qu'ils s’en faisaient un mets délicat. Il est bien probable que ce n'est pas de notre chenille qne parle le na- turaliste latin, et que nous ne nous entendons plus. Il n’y a rien de plus dégoûtant que cette larve ; on la trouve souvent dans Je bois pourri, et l'humeur qu’elle dégorge, lui donne une odeur repoussante. [l n’est pas possible que les hommes aient jamais convoité un tel aliment , et qu’ils en aient fait les délices de leurs tables. Ce ver dont Pline parle, était plutôt une larve de Coléop- tère , de Cerf-Volant ou de Capricorne ; celles-ci au moins ne sont pas plus dégoûtantes que le ver palmiste | qui est si recherché dans des Antilles, acheté si cher, et servi sur les meilleures ta- bles. C’est un régal qui ne serait peut-être pas du goût de bien des gens parmi nous; cepen- dant nous mangeons des limaçons.… des excré- mens de bécasses... Que sais-je, moi ? Finirai-je mon livre, si je voulais y faire l’histoire de toutes les bizarreries humaines ? Le cossus Ronge-Bois a été placé par Lin- nœus, mais à tort, parmi les Sphinx : dans l’'En- cyclopédie , il est confondu avec les Bombix, proprement dits. ROULEUSES. — Nous avons vu plusieurs Arpenteuses se faire un abri eontre les injures De … (64) du tems, tout simplemènt en pliant une feuille (Fi 0. PutRUSES ). Il en est de plus ingénieuses et qui savent mieux prendre leurs piépantionE Elles roulent entièrement une feuille, et s’y ren- ferment comme dans un cylindre ou dans un cornet. Rouler une feuille, n’est pas pour nous une chose fort difficile; il ne nous est pas si aisé de concevoir comment une petite chenille peut y parvenir : elle s'y prend à-peu-près de la méme manière. Quand nous. voulons rouler une feuille ou en faire un cornet, nous por- tons d’abord une de ses extrémités en-dedans, et nous la poussons avec un de nos doigts, tandis que k l’autre nous ramenons en-dessus la partie inférieure de la feuille. La Rouleuse n'a pas sitôt fait; mais au lieu de pousser la feuille de dehors en-dedans , elle la tire de dedans- en-dehors : d’abord , à une de ses extrémités, elle attache quelques fils qui maintiennent cette partie dans un commencement de courbure ; ensuite, fixant de nouveaux fils sur ce demi-rouleau, elle force le point de sa surface , où elle les atta- che, et qui était dessus, de venir dessous; en même tems, l'extrémité de la feuille se porte en-dedans ; les fils qui y-sont attachés, la retien- nent suffisamment , pour qu’elle ne s’avance pas trop dans l'intérieur du cilyndre, car alors elle (65) le boucherait : trois et quatre fois cette mantu= vre est répétée, et déjà la feuille est roulée plus qu’à demi ; les derniers cordons la main- tiennent dans cet état, et l’on remarque qu’ils sont obliques et croisés ; ce qui leur donne plus de force. Restent les deux bouts des rouleaux qui sont demeurés ouverts; mais un tissu de soie les a bien- tôt fermés ; non pas tellement que la maîtresse du logis n’en puisse sortir quand il lui plaît; mais si bien cependant que personne ne peut pie entrer, ni mouche, ni fourmi. Du reste, les rouleuses, comme les plieuses , trouvent leurs provisions de vivres dans les murail- les même de leurs domiciles, dont elles rongent la la surface intérieure. TEIGNES. — Ce sont les plus petits des lépi- doptères ; mais ce ne sont pas les moins célèbres. Les Teignes sont connues de tout le monde, comme. le grand Alexandre, par les ravages qu’elles ont faits ; il n’y a personne qui n’ait été té- moin ou victime de leurs dégâts : des étoffes pi- quées, des cuirs dégradés, des pelleteries perdues, des livres gâtés ; la rareté, ni la beauté, ne sont jamais épargnées par ces petits vandales , et sous leurs dents barbares, périssent indifféremment l'écarlate et la bure , la serge grossière et les élé- E (66) gans cachemires, et souvent Racine, ou Des- préaux , aussi impitoyablement que La Serre ou Brébeuf, Excusons-les, cependant, et pardonnons à des êtres faibles le tort qu’ils nous font sans le sa- voir, et seulement pour satisfaire à leurs plus in_ dispensables besoins : une teigne ne ronge nos étoffes que pour se nourrir, se faire un vête- ment ou une demeure; elle est petite; peu de chose lui suffit ; c’est à nous de ne pas être si dé- licats ; ou si, enfin, nous avons des objets de luxe tellemént précieux, qu’un coup de dent d’une teigne puisse les dégrader, veillons attentive- ment à les mettre à l'abri de leurs atteintes : ne faut-il pas que les sollicitudes accompagnent par- tout les richesses ? Les petits brins de laine, ou de soie, ou de coton, qu'une teigne coupe dans une étofle, servent. d’abord à sa nourriture; ensuite, les taillant, sans doute, un peu plus gros, elle les ajoute et les enlace autour de son corps, de manière à s’en faire un fourreau; la soie qu’elle fait sortir de son imperceptible filière , et une certaine humeur gluante qu’elle dégorge en même tems, lient ensemble toutes ces pièces et les aglu- tinent : il en résulte une étoffe très-solide , ru- gueuse et grossière au-dehors, polie et tapissée (67) ‘dé soie en-dedans ; du veste , plus ou moins fine selon la matière dont elle est formée ; et, enfin, de la même couleur que la substance qui a été rongée; rouge, si la teigne vit dans une étoffe rouge ; verte ou bleue, si cette étoffe est de l’une ou de l’autre couleur. De cette dernière circonstance , il résulte qu’à mesure que la teigne croit, son fourreau peut offrir différentes teintes ; car , elle l'alonge et l’é- largit en proportion de la croissance qu’ello prend , et toujours aux dépens de la substance dont elle s’alimente ; ainsi, une teigne qui, dans sa jeunesse, aura vécu d’une étoffe grise , logera d’abord dans un fourreau entièrement gris ; si elle passe de là sur une étoffe jaune, où si on l'y transporte à dessein, on verra bientôt son four- reau s’alonger d’une bordure jaune : il prendrait une seconde bordure et une troisième encore de diverses couleurs, si la teigne changeait encore une seconde et une troisième fois d'habitation et de nourriture. Il est facile d’en faire l'expérience si l’on veut s’en amuser; on verra même se for- mer de nouvelles teintes longitudinales, et e’est ce qui.a fait voir que le fourreau de la teigne s’élargit en même tems qu’il s’alonge. Comment cela se fait-il ? Il est permis de conjecturer que l’insecte fend d’abord, avec ses dents, son four- (68) reau, däns la longueur , et qu'il fait ensuite , en: tre les deux bords de la scissure , avec les matiè- res qui sont à sa disposition ; un pan d’une cons- truction nouvelle , qui ajoute à l'ampleur du four- eau. Je dis qu'il est permis de le conjecturer , parce que je doute qu'on ait! jamais pu l’ob- server. | | ; Comme toutes les teignes ne vivent pas dans les étoffes , l’industrie de toutes les espèces n’est pas absolument la même; c’est bien toujours! dans un fourreau qu’elles habitent; : mais ce fourreau est fait de différentes matières, et.se présente quelquefois sous des formes très-bizar- res. Il y a une tejgne qui vit dans les bois, et qui s’y charge de fagots plus gros qu’elle, sous lesquels il est bien difficile de la voir: on comprend ce que je veux dire. D’abor< elle se file une robe de soie, et à mesure, elle y attache fort adroitement, en-dehors,: de petits éclats d’écorce, des débris de, ra- meaux, ou de feuilles sèches: ainsi équipée, elle ressemble ‘assez à un petit fagot; mais il faut marcher ; et comme on ne voit guères de fagots ambulans, pelits ou gros, c’est là ce qui Jui est souvent funeste ; c’est ce qui la trahit, -Quelquefois cette même teigne , ou un'autre (69 ) (je n'ose pas bien préciser sur des faits si peu observés jusqu'ici), met ses pièces en travers ; elle est alors singulièrement hérissée , et encore plus méconnaissable, L'histoire d’une autre teigne, qui vit sur les murailles, terminera cet article. Elle ne ronge pas la pierre, comme on l'avait cru; mais une espèce de lichen, très-peu apparent (1), qui croit sur les vieux murs : on a dit aussi qu’elle faisait entrer les molécules de la pierre dans la composition de son fourreau : ce serait plus vrai- semblable ; car il est d’une grande solidité ; ce- pendant sa couleur n’est pas celle de la pierre : il est grisâtre, comme le lichen ; on pourrait en conclüre que ce fourreau est fait à la fois , et de grains détachés de la pierre, et de petits mor- ceaux de cette plante; le tout lié et maintenu par la soie et le gluten animal, dont toutes les chenilles font usage dans la construction de leurs toiles ou coque. TEIGNE HARRISELLE. — Le lépidoptère connu sous ce nom, n’est pas une teigne pro- prement dile, mais une Yponomeute de La- treille ( Y. Harrisella ), appelée par Geoffroy : Teigne blanche, à points noirs. M. Huber, (1) Lepra antiquitatis. (70 ) qui a soigneusement observé et bien décrit cet insecte , l’a aussi nommé Teigne aux Hamacs, à cause de la forme des toiles que fait sa che- nille. Ce sont de véritables hamacs, comme ceux dans {esquels les marins passent les nuits, suspen- dus de la même manière , par les deux extrémités , et balancés aussi, mais plus doucement peut- être, avee la feuille qui tremble, ou la branche qu'agite le vent. On voit ces hamacs en assez grand nombre dans les vergers, sous les feuilles des pommiers , ou quelqu’autre arbre analogue. Ils sont attachés, sans ordre, les uns à côté des autres, ou enve- loppés dans une toile commune ; car les chenil- les vivent en société. Difliciléement, il faut l'a- vouer , on y reconnaît des hamacs , et la ressem- blance n’est pas aussi merveilleuse pour lobser- vateur que pour le lecteur. À la première vue, c’est un assemblage assez confus de petites toiles transparentes , fixées de tous côtés, plutôt que suspendues , à l'extrémité d’une branche d’arbre. Quoiqu'il en soit de ces hamacs , les chenilles qui les habitent, sont d’une extrême délicatesse ; jamais elles ne sortent de leurs nids, même pour prendre leur nourriture. Délicieusement couchées sur cette soie mollette , bercées par le souffle ca- (71) ressant du Zéphyre, elles’ n’ont qu’à soulever la tête, pour atteindre à la feuille tendre , et jamais elles n’en touchent que la pellicule inférieure : on les voit au travers de leur toile, réunies en plusieurs petits groupes, qu’on a comparés no- blement à des paquets d’allumettes , travaillant ensemble, et mangeant ensemble, et (car leurs exercices sont réglés) se reposant et prenant leurs repas à-peu-près aux mêmes heures. Indépendamment de l'enveloppe générale , et de la toilé qui‘soutient chaque groupe, on a observé que chaque chenille est dans une cellule ou fourreau qui lui est propre ; de sorte qu’elles ne se touchent pas immédiatement. Quelque travail que demande une habitation si compliquée, ce petit peuple , aussi actif que vorace, en fait une nouvelle presque tous les deux jours; car il a bientôt mangé le dessous de quelques feuilles , et il faut bien déloger quand il n’y a plus de vivres. | VER:-A-SOIE.— On est toujours étonné de voir à quel point certains insectes nous sont devenus uti. les et même nécessaires. La cire, le miel, la soie, la cochenille, produits de l’industrie et du travail des insectes, sont des objets importans de commerce pour plusieurs contrées; et souvent la fortune d’un grand nombre d'hommes, le sort de leurs (72) familles, la prospérité de tout un pays dépend de quelques insectes. Une chenille peu remarquable par sa couleur et par sa forme, filait paisiblement, sur les mü- riers, une coque d’un tissu plus brillant que le lin et que la laine. Elle travaillait pour ses pro- pres besoins , pour sa conservation et pour celle de sa postérité. Nous voulûmes qu’elle travaillât pour nous. Une étoffe légère, belle, précieuse, latta le luxe et la mollesse asiatique. La cupidité aiguillonna l’industrie , et l’on parvint, à force de soins et de machines ingénieuses , à faire une étofle pour vêtir les hommes avec la soie qu'une faible chenille avait filé. | Ce fut originairement en Chine, dans la par- tie septentrionale du grand empire , que l’on tra- vailla la soie. Selon M. Latreille, Turfan, dans la petite Bucherie , fut long-tems l’entrepôt de ce commerce ; des caravanes y venaient des au- tres contrées de l’Asie et des parties orientales de l'Europe, et les étoffes de soie se répandaient dans l'Inde, dans l’empire grec, en Sicile, en Italie. Les Grecs ne les connurent que sous Justi- nien : des missionnaires leur apportèrent des vers- à-soie du Serindi ; plusieurs siècles plus tard, du tems des croisades , les Italiens, et particulière- ment les Napolitains, reçurent la soie de la Mo- (73) rée. Ils nous la transmirent enfin, mais long-tems après; et sous Henri IV, la soie était encore si rare en France, qu’elle s’y vendait au poids de l'or ; les princes seuls pouvaient s’en vêtir. On transporta d’abord la soie en étoffe ou prête à être mise en œuvre ; mais on apprit bien- tôt que les vers qui la faisaient pouvaient s’accou- tumer à la température de nos climats. On trouva plus commode et plus avantageux d’avoir chez soi ce qu’on allait chercher à grands frais chez ses voisins. La culture de la soie offrit au gou- vernement une nouvelle branche d'industrie , et un surcroît de richesses territoriales. En France, le sage Sully en eut la pensée; il fayorisa, il propagea les entreprises des particuliers. Les vers-à-soie se multiplièrent dans nos provinces méridionales, et leur éducation , et le produit de leur travail, occupa bien des bras, qui furent souvent enlevés à la charrue dans des pays fer- tiles. : Bientôt, de semblables établissemens s'étant formés en Espagne, en Portugal et ailleurs, cette matière, si précieuse et si rare jusqu'alors , devint plus commune et moins chère ; l’industrie lui fit prendre diverses formes, et multiplia, pour-ainsi-dire , son éclat et sa beauté. Le ve- lours moelleux imita les fourrures les plus déli- (74) cates et surpassa les draps les plus fins : il s’em- bellit encore et de toute la richesse de la pour- pre, ét de la gaîté du vert-tendre , ou du bel azur; et il prit, avec le noir , un lustre inimitable ; il de- vint la décoration et l’ornement des plus hautes dignités ; les magistrats l’allièrent à la gravité de leurs fonctions. On le vit s’étaler avec orgueil dans les salons et dans les palais, parmi les mar- bres et les dorures ; les rois et les pontifes s’en revétirent dans les plus augustes cérémonies , tandis que la gaze légère et mystérieuse, né- gligement abandonnée au caprice des zéphyrs, voilait à demi la beauté modeste, où cachait, à propos , un malin sourire : les rubans, enrichis de toutes les couleurs, mélèrent leurs ondes aux boucles gracieuses d’une savante coiffure ; ils se nouèrent, avec art, sur un chapeau de paille ; les reines et les princesses ne les dédaignèrent pas dans leurs magnifiques atours ; et la simple villageoise , les entrelaçant avec les fleurs de la prairie, en fit sa plus belle parure dans les jours de fête; on vit briller le satin de tout l’éclat de l'argent, et dans les amples replis d’une robe traînante , l’azur et le rouge de feu se poursuivre et se fuir tour-à-tour, sans jamais se séparer et sans jamais se confondre, comme deux rayons de l'aurore, qui se jouent sur une feuille velou- (75) tée , “dans une gouttelette tremblante. L’aiguille de l’adroite brodeuse , les dévidoirs et les fu- seaux de l’ingénieux passementier , firent encore d’autres merveilles avec les fils de la soie : on en forma des glands, des cordons, des nœuds, des franges variées à l’infini. Peinte de diverses cou- leurs , habilement distribuées, sur un canevas de lin, la soie imita toutes les figures que le dessin lui avait tracées ; elle réprésenta des arbres, des fruits, des papillons , des oiseaux; on en fit même des fleurs qui le cédaient , sans doute , pour le par- fum à celles de la nature, mais qui l’emportaient pour la durée, et quelquefois pour la beauté. | Dans le pays d’où il est originaire, le ver- à-soie croît et se développe en plein-air, et l’on n’a qu'à recueillir sur les arbres le fruit de son travail. C’est un coup-d’œil assez agréable, dit- on, qu'offrent les müûriers en Chine, dans la belle saison: on les voit chargés de cocons, presque aussi gros que des œufs, de différentes couleurs ; les uns jaunes et les autres verdâtres ; tous suspendus et attachés , par quelques fils , dans les enfourchures des plus petites branches. Avant que les bombix n’en sortent, les habitans montent sur les arbres, et ils enlèvent tous les cocons , à la réserve des plus beaux ; ils laissent ceux-ci pour conserver l'espèce et la propager. C76 ) Mais, däns nos climals, cette matièré pré- cieuse, ou plutôt l’insecte qui la fournit, nous donne bien d’autres peines : il faut le tenir de- dans, et l'élever depuis l'œuf, jusqu’à son état parfait; c’est ce qui exige de grands soins , et plu- sieurs précautions. D'abord, il ne faut pas songer à élever des vers-à-soie, si l’on n’a point des màriers ; les blancs (morus alba)sont préférables aux noirs (morus nigra) : les chenilles qui s’en nourrissent, donnent une soie plus belle, Il faut environ six grands müriers blancs pour une once de graine: On appelle graine, parmi les gens qui font état d'élever des vers-à-soie , les œufs même du bombix. C’est la première chose à ‘faire pour avoir des vers , que de se procurer de la graine. On la trouve dans le commerce ; elle nous vient des environs de Montpellier, du Languedoc et de la Provence , d'Espagne ou de la Sicile ; mais celles-ci réussissent difficilement en France, à cause de la trop grande différence des climats. La meilleure graine est pesante, d’un gris un peu obscur : on l’éprouve à l’eau et sous l’on- gle; si elle surnage quand on la jette dans l’eau, ou si elle ne casse pas brusquement sous le SuRte on la croît trop vieille ou gâtée. Comme les vers-à-soie ne peuvent pas sup- porter une trop grande chaleur, on doit les (77) faire éclore assez tôt pour qu'ils puissent finir leur travail avant le fort de l'été ; il leur faut à- peu-près six semaines : aussi, c’est vers le mois d'Avril, sur la fin, qu'il conviendrait que les chenilles sortissent de l’œuf ; mais, alors, la cha- leur atmosphérique n’est pas assez élevée pour les y déterminer ; on est donc obligé de produire une chaleur artificielle , et ily a plusieurs moyens de l'obtenir à un degré suffisant: le moins dispen- dieux et le plus simple, sans contredit, c’est de porter les vers sur soi ; mais ce procédé n’est pas sans inconvéniens, ni sans incommodités , et on ne peut l’employer que pour une petite quan- tité de vers. Dans les établissemens où l’on fait ces opérations en grand , on se sert de chaufloirs. Les boîtes où l’on a mis la graine y sont placées sur des claies , d’étages en étages, et l’on entre-- tient la chaleur à un degré uniforme et modéré. Dans chaque boîte on met peu de graine ; elle doit y être à l'aise, et convenablement éten- due. di . Avarit que les vers n’éclosent, on doit avoir préparé le lieu-où l’on veut les nourrir et les faire’ travailler. Dans une chambre saine et aérée, blanchie à la chaux, exposée au midi, on dis- pose, des espèces de buffets à plusieurs étages ; il faut en avoir au moins deux, afin de pou- (78) voir transporter les chenilles de l’une à l'autre, quand on veut les nettoyer et changer leur litière. A mesure que les vers percent leurs œufs et qu’on les voit marcher dans le fond de la boîte ou sur une feuille de papier dont on les a cou- verts, on leur présente une feuille de mürier, des plus tendres ; ils s’y attachent, et on les trans- porte avec la feuille sur une des tablettesdu buffet. Ne pas mettre les chenilles en trop grand nombre sur une même tablette; séparer celles qui meurent ou qui sont malades ; leur four- nir assidüment des feuilles fraîches ; renouve- ler au moins une fois le jour, s’il ne fait pas froid, l'air de la chambre; nettoyer de tems en tems les tablettes, à mesure qu’elles'se cou- vrent de débris de feuilles et d’excrémens ; veiller à ce que les rats, les grillons, les oi- seaux et d’autres animaux qui peuvent nuire aux vers-à-soie ou les inquiéter, ne s’intro- duisent dans la chamdre : c’est à-peu-près tout ce que l’on doit faire durant le tems de leur édu- cation, jusqu’à ce qu'ils se disposent à filer. C’est pendant ce tems que les vers-à-soie chan- gent de peau comme toutes les autres chenilles ; et ils éprouvent, comme les autres, à ces épo- ques critiques , les mêmes symptômes d’engour- dissement et d’inédie. (79) Il ne faut pas s’en inquiéter, mais les laisser tranquilles et leur tenir de la feuille toute prête pour le moment où elles sortiront de leurs vieil. les peaux; car, alors, après un jeûne: de quel- ques jours , elles sont d’un grand appétit. La quatrième mue étant faible, la chenille mange encore pendant quelques jours, puis on la voit changer de couleur , se gonfler ; elle prend une teinte jaunâtre ; souvent elle s'arrête , immo- bile , et levant la tête comme si elle voulait mon- ter: ce sont les signes auxquels on reconnaît qu’elle véut commencer son cocon : on dit alors que le ver est en fraise; dès ce moment, on lui donne les moyens de filer. Dans un autre buffet plus spacieux, on dispose, à la distance de dix pouces ou un pied les unes des autres, des branches de genêt ou de vigne, qui se recour- bent par le haut, de manière à former entr’elles des berceaux. Ces branches doivent être fraîches et bien nettoyées. À peine les chenilles sont-elles dans ce nou- veau logement , qu’elles se mettent à monter, et chacune choisit le lieu où elle établira son cocon. C’est ordinairement dans le haut, sous la voûte du berceau , qu’elles se fixent. D'abord elles atta- chent de côté et d’autre quelques fils ; puis, se reposant elle-même, et s’asseyant, pour-ainsi- ( 80 ) dire, sur ce premier échaffaudage , chaque che: nille file autour d’elle un tissu plus serré, et qu’elle serre de plus en plus : en peu de jours, elle est renfermée et entièrement dérobée à tous les regards, dans une enveloppe soyeuse: Ià, elle se met en chrysalide ; et au bout de quinze jours , on verrait sortir le bombix , si les mêmes mains qui avaient jusqu'alors nourri et protégé cet intéressant animal, ne se hâtaient de lui ôter la vie. : Malheur à ceux qui nous servent, quand nous n’avons plus besoin d’eux ! Ce n’est pas cependant par ingratitude , ni moins encore par le plaisir de nuire, qu’on fait périr , dans leurs cocons , les chrysalides de vers- à-soie ; c’ést parce que le bombix , en sortant de la chrysalide, jette une humeur noirâtre, qui salirait la coque, et une partie de la soie serait endommagée. Ainsi, dès que tous les: cocons sont achevés , on les détache des rameaux dans lesquels ils sont entrelacés ; et pour étouffer la chrysalide, on l’expose pendant quelques heures dans un four très-chaud , ou mieux encore à la vapeur de l’eau bouillante. La chaleur fait cre- ver les chrysalides dans leurs coques , et pour les dessécher, on les expose ensuite à un soleil ardent. Après avoir pris cette précaution , l’on peut (8) garder quelque tems les cocons sans les filer; rnais il vaut mieux ne pas différer de faire cette opération , la soie en a plus de lustre. Rien n’est plus simple que le procédé dont on se sert pour dévider les cocons et en tirer des fils de soie : on les a d’abord débourrés; c’est-à-dire qu'on a enlevé de leur surface extérieure tous ces. fils et tout ce tissu lâche qui servait à les atta- cher aux branches : on appelle cela du fleuret ; ensuite on jette les cocons dans une chaudière que l’on entretient à une chaleur au-dessous de l’eau bouillante. Toute la matière gommeuse se dissout ; les fils de soie n’adhèrent plus que fai- blement les uns aux autres. On ne cesse d’agiter la matière dans le chaudron , et de tourner, avec de petits faisceaux de genêt coupés également, jusqu'à ce que les cocons se dissolyant, ils s’at- tachent en fil de soie à l'extrémité des baguettes du faisceau; alors le fileur réunit ces fils par huit, dix, douze, et les porte sur une machine placée au-devant du chaudron , et qui est cons- truite de manière à croiser les fils et À les con duire sur les bras d’un dévidoir, où ils sont fixés. Le dévideur tourne sa manivelle , les fils suivent, et le fileur, près de la chaudière , les entretient, en les rétablissant, s'ils se rom- (82) pent , ou quand un cocon est entièrement dévidé (1). On appelle soie cuite , celle qu'on obtient par ce procédé ou par quelqu’autre semblable ; mais il en est une autre plus estimée ; à cause de son lustre, et uniquement employée dans certains ouvrages. C’est la soie crue, dont on se sert. particulièrement pour faire la gaze.. Pour avoir cette qualité de soie, on ne fait que. brouiller les cocons ; on ne les expose même pas à la va- peur; mais après les avoir fendus par un bout pour en ôter les chrysalides , on les file à la que- nouille. Quant aux chrysalides que lon tire de leurs cocons , elles sont entièrement perdues ; on les jette aux poules , qui en sont, dit-on , très-frian- des ; mais on a pris soin de réserver les cocons les plus beaux pour la conservation de l'espèce. Ceux-à poursuivent jusqu’au bout la carrière PR RER D ES LE MEE PACE CAT PER CE UE (1) On a beaucoup perfectionné ces procédés , comme ceux de tous les autresarts. Nous n'entreprendrons pas de décrire ici les mécaniques ingénieufes qui ont été inventées. On' trouvera ce qu’on peut lire de mieux, sur ce sujet, dans l'excellent ouvrage de M. Bonafous ,.divec- teur du jardin d'agriculture de Turin; il a pour titre : De l'Éducation des Pers-à-soie. Nous citerons encore les perfectionnemens indiqués par M. Bernard, de Lyon, qui ont été présentés à l'exposition de l'industrie francaise, en 1823, (85) de leur vie, ils éclosent, s’accouplent presqu’ {uus- sitôt ; le mâle meurt peu de tems après; et l’on ruelle avec soin les œufs que poffd la fe- melle. On trouvera, peut-être , que nous nous som- mes trop étendus sur cet article ; mais il of- frait un si grand intérêt! C’est pour ne pas lui donner plus d’étendue encore, que nous avons placé dans un autre article la description de la filière, ou organes des chenilles qui pré- parent et travaillent les matières de la soie. (Foy. bombix Grand-Paon ). ï VINULE ou HERMINÉE. — On à aussi nommé ce Bombix queue-fourchue , à cause de sa chenille, qui est munie en effet d’une double | queue ; deux prolongemens sétacés, que Geof. roy compare à des fouets , partent de ses der- niers anneaux et s'étendent en arrière en s’écar- tant l’un de l’autre. On ne sait pas pour quel usage la chenille se sert de cet organe singulier: Ce n’est peut-être qu’un ornement ; peut-être , aussi, est-ce un épouvantail, qui défend cette chenille de l'approche des ichneumons : elle est rase, et par conséquent très- susceptible d’être piquée. * Une autre singularité très-remarquable , ‘c’est une espèce de fente qu’on lui voit en-dessous, (84) entre le premier anneau et les pales antérieures. Il en sort une liqueur transparente, d’une odeur désagréable , qui se fait sentir sur-tout quand l’in- secte est irrité. Degéer a éprouvé qu’elle était aussi très-âcre, et c’est ce qui nous porte croire, que la chenille s’en sert pour ramollir l'écorce du saule, quand elle veut construire sa coque ; car elle fait entrer des rognures de bois ou d’écorce sèche dans la construction de ce grand ouvrage, le. plus important de sa vie : il en résulte beau- coup de solidité, et un autre genre de sûreté non moins avantageux. La coque de la même couleur que l'écorce, en est à peine distinguée ; alors même qu'on y a la main dessus, on la prend pour une de ces bosselures ou rugosités si nom- breuses sur les saules. Enfin, cette chenille s’écarte encore de l’or- dre commun, par son attitude ; sa tête est fort petite, elle la fait rentrer sur ses premiers an- neaux, qui forment alors une saillie anguleuse , et en même tems, la partie moyenne du corps se relève en bosse. Malgré tant de caractères saillans dans la che- nille, l’insecte parfait n’a rien que de très-ordi- naire. DISCOURS PRONONCÉ A L’OUVERTURE DU CABINET ENTOMOLOGIQUE DE LA MAISON D'ÉDUCATION, RUE DES MENUTS, À BORDEAUX. RÉPONSE A CETTE QUESTION : Serait-il avantageux de faire entrer les Scién- ces naturelles dans le cours des études de la jeunesse ? RON E RENE CORTE (TA 1e en QE A ANNE Missions ; Quoique les sciences naturelles aient pris, dans le dernier siècle, une prédominance bien mar- quée, nous ne voyons pas qu’on leur ait encore donné une grande part dans le cours des études de la jeunesse. Les langues anciennes , la littéra- ture, les mathématiques, le remplissent tout entier ; l’histoire et la géographie y occupent une place, quoique très-secondaire ; mais les sciences naturelles, si l’on en excepte la physi- que, n’y entrent ordinairement pour rien. Sont-elles donc, MessIEURS , si frivoles, si su- perflues, les sciences naturelles , qu’on doive en faire si peu de cas ? ou sont-elles si élevées qu’on pense que, trop faible encore, la raison, dans le premier âge , ne puisse s'élever à leur hauteur ? ou bien , enfin, les croit-on si absolument stéri- les , que des semences qu'on en jeterait dans l’es- prit des jeunes gens, on ne püt espérer de retirer ‘aucun fruit ? Tout le monde convient, Messtuns, que si / (88 ) : nous cultivons l'esprit des jeunes gens, ce n’est pas tant pour les instruire > Que pour les rendre capables de s’instruire ; c’est pour développer leur intelligence, en exercer les facultés, corri- ger autant que possible les défauts de l'esprit, et les rendre tels, enfin , qu’à quelque science qu'ils veuillent s’adonner exclusivement dans la suite ; ils puissent y pénétrer aisément , découvrir dans les choses le faux et le vrai, classer et retenir leurs connaissances, Qu'est-ce donc qui doit nous fixer dans le choix des études que nous devons faire suivre aux jeunes gens? Évidemment, c’est la propriété, Pour-ainsi-dire , que nous trouverons dans telle ou telle étude, d’exiger ou de faciliter le dévelop- pement des facultés de l'esprit, et particulière- ment de celles que nous estimons davantage. Ainsi, pour entrer dans notre sujet, pour répondre à cette question : serait-il avanta- geux de donner aux sciences naturelles quel- que part à l'instruction de la jeunesse, i faut nous mettre sous les yeux deux choses : Quelles sont les facultés de l'esprit qu'il importe le plus de développer ? à quel point les sciences naturelles sont-elles propres à produire cet heu- reux résultat ? La mémoire , mais une mémoire des choses et (89) non-seulement des mots; mais une mémoire qui ne sépare jamais les objets des signes qui les lui représentent ; une habitude d’attention à tout ce qui frapppe les sens, habitude qui produit la- vantage inappréciable de l'esprit d'observation, une habitude encore d’ordre et de méthode, qui forme si bien le jugement, en faisant chercher en tout les convenances qui rapprochent les ob- jets, et les différences qui les distinguent : voilà, je crois, Messrurs , si vous y joignez la justesse du raisonnement et la sagesse de l’imagination, les facultés ou qualités qu’on doit chercher avec le plus de soin, je ne dis pas à produire, ce n’est point en notre pouvoir ; mais à développer dans l’esprit des jeunes gens: avec de la mémoire, de l'esprit d'observation , de la méthode , un raï- sonnement juste , une imagination sage, un jeune homme, à quelques sciences qu’il s’applique, y fera certainement tous les progrès que puisse faire l'esprit humain : par l'esprit d'observation et la mémoire, il se fera un trésor de faits et de notions exactes ; par la méthode, il les classera, il les rattachera à un assez petit nombre de prin- cipes, pour les avoir à sa demande ; le raisonne- ment le guidera dans les sentiers étroits de la vé- rité ; l'imagination, mère du génie, le lancera dans des routes inconnues. (90 ) Prenez garde, MessEuns, je ne vais point vous dire maintenant que les sciences naturelles développeront, sans y manquer jamais, dans tout esprit, ces précieuses qualités ; je ne dirai même pas que , sans les sciences naturelles , on ne puisse les former, ou qu’elles ne puissent se former elles-mêmes ; mais je dis, et je croirai être fort modéré, comme sans enthousiasme, qu'aucune science n’est plus propre que celle de l’histoire naturelle: à développer, par le genre d'étude qu’elle exige , et l'esprit d'observation, et l'esprit de méthode ; qu’elle exerce autant qu’au- cune autre la mémoire des choses comme celle des mots ; je donne la palme aux mathématiques pour la justesse du raisonnement; je ne le dispute pas à l'étude des langues, pour ce qui est de’ régler l'imagination par le bon goût ; mais je ne le lui cède pas pour l'imagination elle-même; en peu de mots, je vais m'expli- quer. ï Qui jamais a fait un pas dans l’histoire natu- relle, et n’est point demeuré convaincu que l’é- tude de cette science n’est autre chose qu'une suite d'observations ? Quelque branche qu'on em- brasse, c’est un nombre prodigieux d’êtres qu'il faut connaître , chercher d’abord et trouver , dis- ünguer les uns des autres, à des traits quelque- (9) fois très-subtils; étudier sous les différens rap- ports de leur naissance , de leurs accroissemens , de leur génération , de la vie qui les anime , des mœurs mêmes qu'ils paraissent avoir , et des Lois qui les régissent , s’ils sont en société. Un regard pénétrant , une attention qui se soutient jusque sur les choses les plus petites ; de la constance dans l’observation jusqu'à la patience, telles sont les qualités que requiert nécessairement l’é- tude des sciences naturelles. Excusez-moi, Mes- sIEuRs , si je vous arrête plus long-tems sur une chose si claire; mais représentez-vous dans une campagne deux hommes, ou, si vous voulez, deux enfans, ce qui vient mieux à notre sujet: on a donné à l’un le goût de l’histoire naturelle , de l’'entomologie, de la botanique ; l’autre n’en a jamais entendu parler : tandis que celui-ci errera sans dessein et sans but dans le bois et dans la prairie, ne voyant autour de lui que de l'herbe et des arbres qui ne lui disent rien, l’autre, at- tentif au moindre insecte qui vole, à chaque plante qu'il foule aux pieds, tantôt s’abaissera vers une fleur qu'il reconnaît ou qui veut con- naître , tantôt avec empressément il poursuivra quelque brillant papillon; il suivra de l'œil, sur l'écorce de cet arbre, le charançon , qui le sur- prend par sa forme singulière ; il considérera sur (92) la feuille l'araignée qui guête sa proie : à chaque instant , peut-être, quelque nouvel objet viendra frapper ses yeux, et ses yeux se fixeront sur quelque nouvel objet: or, que l’on me dise si cet enfant ne se forme point, par cet exercice, d’une manière aussi agréable qu’efficace , à cette habitude d’observation , qui lui sera si utile par la suite, quand il l’apportera dans l'étude des -sciences , ou dans le commerce de la société ? Allons plus loin : non content de colliger des plantes , des insectes , ou quelqu’autre production de la nature, de les posséder , de les admirer et de les montrer aux curieux , le jeune naturaliste voudra bientôt les connaître : s’il veut en faire une collection , comme le goût en vient naturel- lement, il faudra d’abord les classer ; il lui fau- dra se familiariser avec quelque systéme, quel- que méthode; et tout le monde sait assez qu'il n’est point de genre de connaissances humaines où les sayans aient porté la classification plus loin, pour l'étendue et les détails, que dans les sciences naturelles ; il suflit de jeter un coup d'œil sur quelqu'un de leurs ouvrages, ou sur une collection bien soignée ; non-seulément le jeune adepte étudiera les systèmes, mais il se plaira infiniment à comparer, avec ces méthodes, les êtres qu'il aura sous la main : observateur at- (93) tentif de leurs caractères, il les disposera par fa- mille, par classe, par ordre, par espèce ; il ap- prendra, en les pratiquant, et l'analyse et la synthèse, mieux, peut-être, qu’un logicien ne les lui aurait fait concevoir; par une impul- sion comme naturelle , il appliquera ensuite à toute chose cet esprit d’ordre et d’arrangement ; et il est bien superflu de dire quels avantages il en retirera. Cependant, quelque branche qu'on étudie, les êtres sont multipliés, comme à l'infini; au point sur-tout où la science en est de nos jours. La nomenclature , dans toutes les branches, en est devenue une partie fort étendue : ce sont des noms grecs et latins, ordinairement fort étranges; ce qui n'est pas, sans doute , le plus intéressant ; mais c’est un exercice pour la mé- moire, tellement que l’on connaît peu de natu- ralistes forts dans la nomenclature , qui ne s’y soient exercés presque dès l'enfance. Jene veux rien outrer: il y a certainement bien d’autres manières d'exercer la mémoire des enfans ; mais au moins, en étudiant quelques parties des scien- ces naturelles, les enfans n’apprendrontils rien qu'ils ne comprennent, aucun mot qu'ils n’y puissent attacher l’objet qu'il représente. Au moins ne reprochera-ton pas à cette étude, ce (94) qu’on pourrait reprocher à bien d’autres, de for- mer une mémoire exacte et facile, à la vérité, mais aux dépens du jugement et de .l’imagina- tion. Pour ce qui est du jugement et de lui don- ner de la justesse, j'ai cédé au mathématiques le premier rang; mais, dussiez-vous me trouver un peu ambilieux , je reviendrais presque sur cette concession ; non pas pour la rétracter , mais pour associer, à certains égards, aux mathéma- tiques les sciences naturelles. Quelqu’estime que j'aie, Messieurs, pour cette admirable science des mathématiques, je ne voudrais pas lui livrer entièrement le jugement d’un jeune homme ; je vous l'avoue, je craindrais que mon élève ne s’habituât tellement à l'évidence mathématique, qu'il finit par n’admettre d’autres vérités que celles qu'il en verrait revêtues : et certes, com- bien il en rejetterait qui sont nécessaires au bon- heur des familles et au maintien des rapports so- ciaux? On ne démontrera jamais mathématique- ment qu'il faut être juste, tempérant, fidèle. N'est-ce pas vrai, cependant ?.... En observant la nature, un jeune homme sera forcé quelque fois d'admettre , par les effets qu’il voit ; des vé- rités dont il ignore le principe ; il verra souvent exister ce qu'il aurait pu, ce qu'il aurait dà quel- (95) quefois présumer impossible. Il n’osera plus trancher avec tant de hardiesse et de témérité, qu’on le fait si souvent sur des vérités de la mo- rale et de la religion, dont la raison ne voit pas clairement les liaisons avec les principes de l'évidence ; il comprendra, en un mot, qu'in- dépendante de nos faibles conceptions, la vé- rité n’est pas ce que nous concevons bien, mais seulement ce qui existe. Enfin, Messieurs, nous voici sur le sujet de l'imagination : aussi bien que moi vous savez ce qui développe, ce qui nourrit, ce qui règle cette brillante et précieuse faculté. Laissons à la litté- rature le soin de la diriger, en lui mettant sur son chemin, pour prévenir ses écarts ou la ra- mener, des guides et des indices , je veux dire les règles de l’art, et ces productions de l’es- prit humain, que l'esprit humain approuve uni- versellement comme des modèles ; mais pour ce qui est dé l’alimenter , de lui donner cette fécon- dité, cet élan libre et fier qn’on estime tant en elle, qui l’emportera, Messieurs , sur le spectacle de la nature, en présence duquel nous met tous les jours. notre science ? O champs de l’Ausonie ! Beau ciel de l’Attique ! et vous aussi vallons délicieux de la Sicile, que ne vous ont point dû ces heureux génies, dont l'imagination brillante a fait passer (96) jusqu’à nous les tableaux de vos belles campa- gnes ! C’est dans les champs, oui, c’est sous cette voûte magnifique des cieux, que les idées s’agrandissent; c’est dans la solitude et dans le silence des forêts, que se creusent les profon- deurs de la réflexion ; trésors inépuisables de pensées fortes et vraies! C’est au milieu des scènes riantes des fleurs et de la verdure, que jaillit cette étincelle d’enjouement et de gaîté, le plus heureux ornement de l'esprit. C’est le spectacle de la nature, qui donne à la pensée de la vérité, de la naïveté, une variété infinie, tout ce qu’elle peut avoir de gracieux et d’orné ; parce qu’on trouve tout dans la nature; parce que c’est dans la nature qu'est la première source de ce qu'il y a dans la poésie et dans les beaux- arts, de naïf, de varié, de vraiment beau, de grâces et d'ornement ; et nous n’enverrions pas les jeunes gens à cette excellente école !.. et tandis que nous les tenons si long-tems ensevelis entre les murailles dés colléges, nous ne les trans- porterions pas souvent au milieu de ces tableaux si propres à donner au génie le premier essor, et nous hésiterions de les mettre dans l’heureuse nécessité de contempler la nature, en dirigeant vers cet objet si digne d’être connu , leur at- tention , leur curiosité naturelle, une partie de ‘ C97) leurs études. Il faut en convenir, Messeüs, nous pourrions bien sans cela faire leur éducation avec beaucoup de soins et de méthode; mais certainement, nous aurions négligé un des moyens les plus puissans qu’un instituteur puisse avoir. : Et en résumant, Messieurs, ce que je viens de dire, ce n’est pas sans fondement, je crois, que nous pensons qu'il y aurait de grands avan- tages, à faire entrer pour quelque chose les sciences naturelles dans l'instruction de la jeu- .nesse ; mais comment le faut-il faire ? com- ment, sur-tout, le peut-on faire ? Comment éviter, en le faisant, des inconvéniens qui paraissent inévitables ? C’est une seconde question que je me suis faite, On se plaint, Messreurs, et c’est avec raison, que, depuis le dernier siècle sur-tout, on fait beaucoup d'innovations dans les systèmes d’édu- cation de la jeunesse : c’est un des points sur les- quels se sont le plus exercés des esprits inquiets et follement épris de je ne sais quelle chimère de perfection dont les choses humaines ne sont peut-être point capables ; des plans d’éducation ! Nous en avons vu de toutes les formes ; raisons spécieuses, expériences favorables, promesses attrayantes, rien n’y a manqué que la possibilité G (98) de l'exécution, le plus souvent, pour d'autres que ceux qui les avaient proposés. Ne serait-ce pas dans un travers du même genre que nous.irions nous jeter nousmême? Je n’en sais rien, Mes- siEurs, et je ne me défends pas de le craindre ; clair-voyans pour les autres, nous savons si peu apprécier au juste nos propres idées ! Mais , d’abord, qu’on n’aille pas croire que , pour introduire dans les études des jeunes gens les scien- ces naturelles , je veuille renverser le cours d’ins- truction à-peu-près universellement reçu ; que je veuille aux livres de grammaire substituer des méthodes entomologiques , et mettre entre les mains d’un enfant, un insecte ou une fleur , à la place d’un rudiment : non, je respecte trop tant de siècles d'expérience, et je vois trop bien qu’il n'y a pas de moyen plus naturel et plus sûr de développer la pensée:, que de la faire venir sous les sens par l'étude des mots ; c’est-à-dire, de ce qui en est une image sensible. Je veux donc suivre , en cela , exemple de nos pères : je con- tinuerai de faire apprendre comme eux, aux plus jeunes enfans, les principes des langues ; je les appliquerai ensuite à interpréter de leur mieux nos premiers maîtres. dans l'art d'écrire ; je les conduirai, si je peux, jusqu’à leur faire goûter, ( 99) dans Homère et dans Virgile, quelque consola- tion de leurs travaux ; je ne les distrairai point d’ailleurs des mathématiques , et je ne veux, pour les sciences naturelles, prétention bien modeste, et peut-être surprenante , que leurs momens de récréation et leurs heures de loisir. Ainsi, je ne change rien à ce qui est établi, et de la part des esprits sages , qui se défient tou- jours des nouveaux systèmes et des nouvelles expériences , mon intention bien entendue, ne doit pas être, je crois, reçue défavorablement. En réduisant à si peu de chose ce que je de- mande pour les sciences naturelles, il me semble que j'évite tout inconvénient grave qu’ on pour- rait m’objecter. Que pourrait-on dire , en effet? que l’on em- ploie aux sciences naturelles un tems toujours précieux au jeune âge, et dont on pourrait tirer un meilleur parti? mais à quoi donc de si utile les enfans emploient le tems de leurs récréations et leurs promenades ? que savent-ils de plus, quand ils ont, pendant trois heures, promené leurs pas nonchalans et leurs regards hébétés par la ville et par les chemins des campagnes? car c’est là, Messieurs, ce qu'il en est, s’il ne se fait rien de pire : ils prennent de l'exercice ? Mais l’infatiga- ble Éduse, ou la rapide Atalante, en feront-ils ( 100) prendre moins à mon jeune entomologiste ? Ne faut-il pas aller au loin, si l’on veut faire une riche herborisation ? L'exercice sera le même et souvent plus vigoureux ; au lieu de lennui que, le plus souvent, les écoliers apportent jusque dans leur promenade , ils auront éprouvé un vrai plaisir, et l’avantage sera pour ce que nous pro- posons. Dira-t-on que, dans les colléges, les promenades sont trop rares, et qu’elles ne peuvent être assez longues pour que les jeunes gens puissent y ap- prendre grand’chose en histoire naturelle ? que, d’ailleurs , c’est ne pas connaître les sciences na- turelles, que de croire qu’on puisse les appren- dre en manière de récréation ? On colligera des plantes ; on prendra des insectes ; on fera des herbiers et des collections; mais on ne sera pour cela ni entomologiste, ni botaniste : alors, que deviendront tous ces grands avantages qu’on se promettait de l’étude des sciences naturelles , si, dans le fait, on n’acquiert rien, ou fort peu de chose? Singulière chûte ! Parler avec éloge de ‘étude des sciences naturelles, pour faire ensuite aboutir cette étude à courir une fois par semaine après quelques papillons; j’en conviens, Mes- seurs, c’est user avec bien de la discrétion, avec trop de discrétion, peut-être , de ce trésor qu’on ( rot ) a trouvé; mais en est-il moins vrai qu'on la trouvé, ce trésor ? qu’on la ouvert, qu'on sait où ik est caché, que l’on en possède la clef, et que , lorsqu'on voudra , on y pourra venir puiser des richesses en abondance? Et n’en est-il pas de même de tout ce que nous enseignons aux enfans ? Leur apprenons-nous le latin, pour les mettre en état de comprendre Cicéron et Virgile ? en fai- sons-nous des mathématiciens, pour leur faire réciter des démonstrations mathématiques ? Je l'ai déjà dit: dans l'instruction, il s’agit moins de ce qu'on apprend, que de ce qu’on met en état d'apprendre ; et certes, quand un enfant, pendant toute la durée de son éducation , aura utilisé ses petites promenades à faire conhais- sancé avec les insectes ou avec les plantes qui lui tombent sous la main; quand il aura ainsi brisé les épines les plus aiguës de la science} cel- les de la nomenclature ; quand on lui aura appris à lire dans les livres des interprètes de la nature, qui ne parlent pas toujours un langage que tout le monde puisse entendre ; quand ils en seront à ce point, croyez-vous, Messieurs, que si l’oc- casion leur en est offerte, si leur loisir le leur permet ; si leur inclination les y porte, ils ne deviendront pas, en peu de tems, d’habiles na- turalistes ? n’auront-ils pas même déjà retiré, de (102 } l'étude de la science un avantage proportionné à à la fréquence des rapports qu'ils auront eus avec elle ; plus ou moins, c’est-à-dire, selon les cir- constances ; mais toujours plus que ne pourraient s’imaginer ceux qui ne connaissent pas bien l'économie d’une maison d'éducation , et la ma- nière dont on y occupe les élèves? Car, Mes- siEURs , à parler franchement, que de tems on y perd uniquement pour ne pas savoir employer celui qu’on est obligé de donner au délassement de l'esprit, à l'exercice du corps, et même à la répugnance naturelle que les jeunes gens ont pour l'étude ! Sans doute , si pour délasse rles en- fans, les petits , et les grands sur-tout; si, pour les distraire, un instituteur ne connaît d'autre moyen que de s’en débarrasser le plus souvent qu'il peut, pour en charger les familles, ou plu- tôt le pavé des rues et les promenades publiques ; alors, sans doute, les momens que l’on pourra consacrer à l’histoire naturelle , seront trop rares ettrop courts ; mais si l’instituteur , tel que je le conçois et tel qu’il doit être, aimant sincèrement et les élèves, et les fonctions qu'il exerce au- près d'eux, n’a pas de plaisir qui lui soit plus cher que le plaisir de leur faire du bien ; cet ins- tiluteur , si digne de ce nom, emploira , au con- traire, toute son industrie à leur rendre agréa- (103 ) bles les promenades pour l’histoire naturelle. 11 ne les y amènera pas tous ; il en fera un privi- lége, une récompense, s’il veut, que l’on dési- rera, que l’on recherchera. Dans l'hiver, il pren- dra, sur les longues journées de congé, une heure pour leur donner quelques leçons qu'il rendra facilement intéressantes. Dans la belle Saison , lui-même, il les conduira ; il ne craindra pas la fatigue , s’il peut absolument la supporter ; il ne croira pas cet exercice au-dessous de la di- gnité de son âge ou de sa profession; serait-il’ revêtu d’un caractère sacré, il ne croira jamais que l'étude des merveilles de la nature soit in- digne d’un ministre de celui qui en est l’auteur ; et quand ses cheveux auront blanchi sur sa tête ; s’il ne peut plus suivre ses chers élèves dans ces chères campagnes, il excitera du moins leur zèle, il encouragera leurs travaux ; et avec quel plaisir encore, vous le verrez sourire à cet en- fant qui lui rapportera quelqu'une de ses an- ciennes connaissances ! Soit, dira-t-on enfin : avec du zèle et de l’in- telligence , on peut conduire les enfans à un cer- tain point, dans certaines branches de l’histoire naturelle; mais de ce succès ne naîtra-t-il pas un autre inconvénient ? Ne craignez-vous pas que ce goût que vous donnez à vos élèves, ne se C104) change en passion ; que dégoûtés, alors, de leurs autres études , ils ne les fassent plus qu'avec ennui ; que livrés d’avance à celte inclination passionnée , ils ne se laissent entraîner à ses attraits, quand vous les aurez rendus à leur famille, et au préjudice de leur intérêt le plus cher, de leur devoir, de leur fortune méme ? car, jusqu'où les passions, même les plus nobles, ne peuvent-elles pas emporter ? Et pour le caractère , que n’avez-vous pas à crain- dre? nous avons tant d'exemples d'hommes de bien, qui, pour s'être abandonnés à l'étude de la nature, sont devenus eux-mêmes si naturels , que , trop étrangers aux manières de la société , ils s'en éloignent et vivent comme des misan- tropes. Vous le voyez, Messieurs, c’est le sort des choses humaines : il n’y a rien de si beau et de si parfait, qu’on n'ait à reprendre quelque dé- faut, à craindre quelque mal; mais que faut-il en conclure? Renoncerons-nous aussi à l'étude des belles-lettres , parce qu’elles peuvent allumer la passion de la poésie, et faire des métromanes ? renoncerons-nous aux mathématiques , parce que ces études profondes , abstraites, donnentsouvent à l'esprit quelque chose de sérieux et de sombre qui se communique au caractère ? prendrons-nous enfin Le parti de ne rien faire, par la crainte de faire mal? Quelle pusillanimité ! Non, sans doute, e É ( 105 ) j'introduirai mes élèves dans les sentiers de toutes les sciences où ils pourront entrer; mais je les conduirai, car c’est pour cela que je suis placé auprès d'eux; je leur montrerai en même tems et les voies par lesquelles ils pourraient s’égarer , et les bornes qu'ils ne doivent pas dépasser , et les pierres d’achoppement qu’ils doivent éviter : je leur inspirerai constamment, comme un re- mède à cette passion et à toutes les autres, l’a- mour de leurs devoirs; je leur ferai fortement sentir, par les moyens puissans que j'ai pour agir sur leurs cœurs, la nécessité de les remplir , s'ils veulent être heureux et genside bien ; et en- suite, Messieurs, si, comme il arrive quelque- fois, oubliant mes conseils, quelqu'un d’eux vient à s’égarer; si, enfin, il faut que quelque passion s'empare du cœur de l’homme ; si cette passion, que malgré moi je lui aurai inspi- rée, tient à mon élève la placé de bien d’au- tres: ah! Messturs , vous me permettrez bien de m'en réjouir! celle-là, du moins, n’agite point l'ame de désirs inquiets ; elle ne la consume pas de chagrins profonds ; elle n’y plonge pas le poignard de remords ; elle ne conduit pas , peut- être, dans les voies de la fortune; mais les voies de la fortune sont-elles toujours bien celles du bonheur et de la sagesse? elle ne fait pas éprou- ( 106 ) ver de joies bruyantes, une volupté jusqu’à l'i- vresse ; mais dans les jouissances pures et sim- ples et durables qu'elle fait goûter, ne trouve- t-on pas la paix, et s’il en est quelque part sur la terre, quelques instans de vrai bonheur? Les pas- sions ! On craint les passions ! elles sont à crain- dre, sur-tout dans la jeunesse ; mais si j'avais à faire un vœu pour cette jeunesse, qui m'est si si chère, ce serait, Messuns , celui-là, qu’elle n’en eût point d'autre que celle d’un cœur épris des beautés de la nature ; alors nous verrions des jeunes ‘gens modestes et simples encore, comme on le doit être àtcet âge , vertueux comme on le peut être, nous charmer par la simplicité de leurs goûts, par la douceur de leur caractère , par leur modération dans les plaisirs ; nous ver- rions sur leurs fronts briller, à quinze ans, comme on ne le voit guère plus , la candeur de linnocence et la fraîcheur de la santé ; nous ne né trouverions pas si souvent, peut-être, dans les repaires de la débauche , l’adolescence sans pudeur, habile’ déjà dans la science du vice, et préparée à: tous les crimes. Ainsi , Messieurs , et voyez comme: elle est fé- conde en preuve, érvérité > Pour se maintenir : nous, ne cherchons dans étude des sciences na- turelles que les avantages de l'esprit, et voilà que ( 107 ) nous pourrions aisément trouver, dans les goûts qu’elles inspirent, les avantages du cœur ; car je n'ai pas tont dit, et je ne peux point tout dire ; assez et trop long-tems , Messæuns, j'ai abusé de votre complaisante indulgence. Oui , je l'espère, ce sera pour le plus grand bien de nos jeunes gens, pour le perfectionnement de leur éducation, que nous pourrons les initier à quelque partie de l’histoire naturelle, Ce ne sera pas en vain que nous nous serons réjouis , d’avoir pu pla- cer au milieu d’eux une collection assez. nom- breuse, bien soignée, et qui pourra leur être d’un si grand secours. Je l'espère aussi : les soins et le zèle du laborieux Ducluzeau recevront une juste récompense. Quel autre vœu cet ami des sciences aurait-il pu former pour sa précieuse collection ? Pendant sa vie , elle faisait ses dé- lices; après sa mort, elle fera sa gloire, et ren- dra sa mémoire chère à une jeunesse studieuse. FIN DE LA TROISIÈME ET DÉRNIÈRE PARTIE. fi: LOT | TOY Le ci AONT 41 de tr, J.-B. Barvriène, rue de l'Ecole-de-Médecine , 174 in nalomie comparée, avecl'étude duquel lessayants françaisse familiariséront aux idée fllemandes, avantage qui a son importance à une époque où les Allemands rendent tant de services à0la z0010; aUas fort bien gravé facilite l'étude et donne la représentation fidèle des forme & imal, Il contient aussi les constructions lypohétiques d'après lexquelloesl. es Unes organisés; elles serveuk à l'intelligence du troisième volume, où l'aute: mie philosophique. Fr 0 CASSAN, R£&omknGUES ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR LES GAS DUTÉHUS DOUBLE KT DE SUPERFÉTATION; par À.-L. Cassan, docteur en médecingsdesla Faculté de Paris, ancien interne des hôpitaux. Paris, 1826 , in-8, figures. afr, 5oc. CASTELNAU ET DUCREST, REGHERCUES SUR LES ABCÈS MULTIPLES, COMpParés sous leurs différents rapports, par MM. les docteurs H, px Casreznau et J.-P, Ducresr, anciens internes des hôpitaux, Mémoire couronné par l’Académie royale de médecine. Paris, 1846, in-4. a fr, Bimportantes du ré: onçoit une formation théories sur l'anato- CASTEL. ExrosiTION DES ATTRIBUTS DU SYÈTÈME NERVEUX , Réfutation de la doctrine de Charles Bell, et Explication des phénomènes de la paralysie, par le docteur L. Casrer, membre de l'Académie royale de médecine. Deuxième édition, augmentée, Paris, 1845, in-8, A fr. CELSE (A.-C.). Taaïré 8 LA MÉDECINE en vin livres; traduction nouvelle par MM. Fouquier , professeur de la Faculté de Médecine de Paris, et Ramimm. Paris, 1824, in-18 de 550 pages. 3 fr. GELSI (A -C.). De ne mepica Lipni ocro, editio nova, curantibus P, Fouquier , in saluberrima Facultate Parisiensi prolessure , et F,-S, Rarien, D, M. Parisiis, 1823, in-18, pap. fin des Vosges, : 3 fr. — Le même, papier vélin. 5 fr. GHAILLY. TaAÏTÉ PRATIQUE D& L'ART D&S AcnOUGnEMeNES, par M. Cuarcuy (Honoré), professeur de l’art des accouchements, ancien chef de clinique de la Clinique d'accou- chement à la Faculté de médecine de Paris. Deuvième édition, considérablement augmentée. Paris, 1845, « vol. in-8 de 900 pages, accompagné de 248 pl. interca- lées dans le texte, et propres à faciliter l'étude. og fr. Ouvrage adopté par le Conseil royal de l'instruction publique pour les facultés, les écoles préparatoires et les cours départementaux institués pour les sages-femmes. « Nous ne devons pas craindre d'avancer qu'il n’est point de livre élémentaire d'ob- stétrique, quelque mérite qu'il ait d'ailleurs, qui soit pour un jeune accoucheur, à qui ne manquent pas les lumières, mais à qui peut faire défaut l'expérience, un guide plus éclairé, plus sûr que ne l'est l'ouvrage de M, Chailly. Là, en effet, dans tous le cours de la grossesse , dans chaque présental*on du fœtus, dans les suites de couches, partout où peuvent se manifester des accidents, sont présentés, sont clairement exposés les plus efficaces moyens d’ÿ remédier. L'auteur est entré dans des détails de conduite que les praticiens sauront certainement apprécier. »Un perfectionnementauquel on ne saurait donner trop d'éloges est l'intercalation dans le texte de deux cent quarante-huit figures, qui toutes ont été composées et dessinées par l'auteur, Outre celles entièrement nouvelles qui représentent le développement du col utérin, le baïlottement et l'auscultation obstétricale, nous n'avons pas pu ne pas remar- quer celles qui élucident les articles Vices de conformation du bassin et des parties molles, Forceps, Présentation du sommet, Présentation de l'extrémité pelvienne , Evo- lution spontanée , Dégagement du sommet, Dégagement de la face. I] nous semble impossible que quelques unes de ces figures n'aient pas été surprises au lit du travail, tant elles sont frappantes de vérité, (Journal des conn. méd,-chirurg.) CHAUFFARD. EssAr SUR LES DOGTRINES MÉDICALES, suivi de quelques considéra- tions sur les fièvres, par le docteur P.-E, Cmaurrano, ancien interhe des hô2 pilaux civils de Paris. 1546, in-8 de 130 pages, a fr, oc. CHERVIN, LOUIS et TROUSSEAU, Documenrs SUR LA FIXv JAUNE, recueillis par les membres de la commission médicale envoyééà Gibraltar par le gouvernement français, pour observer l'épidémie de fièvre jaune qui a régné dans cette place en 1828, Paris, 1830, 2 vol. in-8, avec cartes et plans. 16 fr, CHEVALLIER, Essar sûR £A SSOLGTION DE LA GRAVELLE ET DES CALCULS DE LA VEssir : par À. Cnevacuers, professeur à l'Ecole de Pharmacie, membre de l'Académie royale de Médecine, etc, Paris, 1837, in-8. 3 fr, 50 A : CGHOSSAT, Rrcnencues &XPÉRIMENTALES SUR L'INANITION, par le docteur Ch. Gnos= - sar, (Ouvrage qui a remporté le prix de physiologie expérimentale à PAcadémie Royale des sciences de lipstitut.) Paris, 1844, in-4. F : …