DO Er VAE ES PRE 2. 4 in rs mem Eur a RTS pee ARTE ne SET ar RU fe #19 . Zi rar g re Ze rares i- aii bée À bios nt RATE ETS or aeaea ne TERRE Lait dirt À: \ He Ye THS FRTPETES + ih ii AETA CLS AT. Ces Ta Fee CNRC TE p = t ~ Dr t l É Aan = Fe mt ut + = eatetta sets r. otre i Wa R E ee Tu à re se. h > s Saad + 4 Biirk DEA mag i f 4: APR TEE opar aaie A Ah Sera t HISTOIRE NATURE MEMBRE DE ; L'INSTITUR. Fe DES SCIENCES), pos INSPECTEUR, GÉNÉRAL HONORAIRE pE L'INSÉRUCTION puig er ABRAIRIE DE VIC TOR MASSON, PLAGE DE 1'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, AT. MDGCGCLIV. 0 RO PI AN A D Pr ea GT mn SR de ` HISTOIRE NATURELLE GÉNÉRALE DES RÈGNES ORGANIQUES. TOME PREMIER. "ap Ouvrages du même auteur. HISTOIRE GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE DES ANOMALIES DB L'ORGANISATION CHEZ L'HOMME ET LES ANIMAUX, Où TRAITÉ DE TÉRATOLOGIE, 3 vol. in-8 et atlas ; Paris, 1832-1836. ESSAIS DE ZOOLOGIE GÉNÉRALE, ou Mémoires et notices sur la zoologie générale, l'anthro- pologie et l'histoire de la science, 4 vol. in-8, avec pl; Paris, 1841, VIE, TRAVAUX ET DOCTRINE SCIENTIFIQUE D'ÉTIENNE GEOFFROY SAINT-HILAIRE, À vol. in-8 (même format que le présent ouvrage), avec portrait ; Paris, 4847. Le même ouvrage, 4 vol in-12 ; Paris, 4847. CATALOGUE MÉTHODIQUE DU MUSÉUM D HISTOIRE NATURELLE ; MAMMIFERES ; Introduction et Primates, in-8; Paris, 1854. DOMESTICATION ET NATURALISATION DES ANIMAUX UTILES ; Rapport général adressé en 1849 à M. le Ministre de l'agriculture; 2e édition, avec fig., in-19 ; Paris, 1854 (sous presse). ANALYSE DES LEÇONS DE TÉRATOLOGIE , FAITES EN 1836 par M. IS. GEOFFROY SAINT- HILAIRE, par M. V. MEUNIER, in-8 ; Paris, 1836. RÉSUMÉ DES LEÇONS DE MAMMALOGIE, PROFESSÉES PAR M. Is. GEOFFROY SAINT-HILAIRE, par M. GERVAIS, professeur à la Faculté des sciences de Montpellier, in-8 ; Paris, 14836. MAMMIFÈRES; CLASSIFICATION PARALLÉLIQUE DE M. IS. GEOFFROY SAINT -HILAIRE, tableau synoptique avec caractères, par M. PAYER, professeur à la Faculté des sciences de Paris ; iu-plano, Paris, 1845. LEÇONS DE ZOOLOGIE GÉNÉRALE, faites au Muséum d'Histoire naturelle, résumées par M. A. BLANC, licencié ès-sciences naturelles, in-8; Paris, 1848. Paris. — Imprimerie de L. MARTINET, rue Mignon, 2 HISTOIRE NATURELLE GÉNÉRALE | DES RÈGNES ORGANIQUES. "Apr. PRINCIPALEMENT ÉTUDIÉE CHEZ L'HOMME ET LES ANIMAUX , PAR M. Ino GEOFFROY SAINT-HILAIRE, j MEMBRE DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES SCIENCES), l CONSEILLER ET INSPECTEUR GÉNÉRAL HONORAIRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, PROFESSEUR - ADMINISTRATEUR AU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, PROFESSEUR DE ZOOLOGIE A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE PARIS. s * D i a aa ao TOME PREMIER. ` PARIS LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON, a PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, 47. æ MDCCCLIV. Z í S ft Fe normal, de leur essence, de leur raison d'exis— iv PRÉFACE. » tence, et des principes auxquels peut se ratta- » cher leur infinie variété (1), » Introduit par la tératologie ainsi comprise dans les hautes régions de la science, comment ne pas éprouver le désir d'y pénétrer profondément? J'ai fait plus que le désirer. Appuyé à la fois sur la zoologie et sur la tératologie, j'ai voulu du moins le tenter; et de la nouvelle série de recherches que j'ai ainsi entreprises, est résulté le livre, longtemps médité, dont je commence aujourd’hui la publi- cation. Pour la seconde fois, je viens offrir au public un travail de coordination et de synthèse, mais celui-ci embrassant un champ bien plus vaste. Je ferai sans plus tarder l'aveu de ma témérité : l'Histoire naturelle, si riche en traités partiels, manque encore d’un ouvrage d'ensemble sur les êtres organisés, étudiés comparativement et.sous un point de vue général; Cest cet ouvrage que j'ai conçu la pensée de donner à la science. J'étais loin de prévoir, au début de mes recher- ches, jusqu'où elles allaient me conduire; et j'ai subi, bien plus que je mwai voulu, l'extension qu'elles ont graduellement prise. Simple zoolo- giste, j'ai longtemps essayé de me renfermer dans le cercle de mes études ordinaires. Mais je l'es- sayais en vain. Aux limites mêmes du règne ani- mal, l'application de la méthode restait incom- (4) Préface de l'Histoire générale et particulière des anomalies, t. Hp. xij; 1832, DES LI PRÉFACE. E. plète, les démonstrations pour la plupart inache- vées, la synthèse seulement partielle. J'ai donc dů m’avancer au delà, et quand je m'étais préparé à une Zoologie générale, quand j'en avais déjà commencé la rédaction , la logique m’a impérieu- sement prescrit, ou de déposer la plume, ou d'écrire un livre dont la zoologie ne serait plus qu'une partie, prédominante il est vrai: une Histoire naturelle générale des règnes organiques. Je ne me suis dissimulé ni l'étendue ni Dé difficultés immenses d’une telle entreprise. Ce qui me manque personnellement pour l’accomplir, je le sais aussi. Mais j'ai dû voir, j'ai vu par-dessus tout, combien il importe, combien il est urgent . qu'on ose, du moins, la commencer. Depuis long- temps déjà, nos maitres ont tracé toutes les grandes lignes de la science : le Systema nature et les premiers volumes de l'Histoire naturelle datent de plus d’un siècle, le Genera plantarum et la Métamorphose des plantes de plus de soixante années, la Philosophie zoologique et les Recherches sur les ossements fossiles de quarante, la Philosophie anatomique de plus de trente. N’est-il pas temps de rassembler en un même foyer les lumières venues de ces sources diverses? Et quand nous avons devant nous de tels guides, n’essaierons-nous pas enfin de constituer cette science déjà devinée et dé- nommée par Buffon, l'Histoire naturelle générale; VI PRÉFACE. d'exposer nos connaissances sur l’ensemble et sur les groupes principaux des êtres vivants; de relier, par une méthode commune, les notions, diverses d’origine, et de divers ordres, qui nous sont ac- quises ; de les subordonner hiérarchiquement selon leurs rapports de filiation logique et de causalité; par là même, en mettant chaque résultat à sa place, de le mettre dans tout son jour, et de lui donner sa juste valeur; de discuter, d'apprécier comparativement ces hautes conceptions qui for- ment, dépuis Buffon surtout, le brillant, mais trop problématique couronnement de la Philosophie naturelle; de faire entre elles la part de la vérité, de l'erreur et du doute; de séparer nettement de ces hypothèses, seulement vraisemblables, dont le jugement appartient à Vavenir, celles sur les- quelles nous sommes en droit de prononcer, les unes, décidément fausses, alliage impur qu'il faut rejeter loin de nous: les autres, déjà démontrées ou présentement démontrables: d’éleyér chacune de celles-ci, désormais partie intégrante et impé= rissable de la science, au rang d’une théorie ra- tionnelle, et toutes les théories, prises ensemble, toutes les formules, toutes les lois, au niveau d’un corps de doctrine; de remonter, en un mot, par échelons, des premières notions aux dernières conséquences, des racines au faîte, jusqu’à ce qu’enfin l’histoire des êtres organisés revête ce PRÉFACE. vH double caractère de toutes les parties vraiment avancées du savoir humain : certitude et unité! .… Ai-je besoin de le dire? ce que nul encore n'a tenté, je wai pas la présomptueuse espérance de le réaliser. Mais on pest pas seulement utile à la science par ce que l’on achève : on peut l'être aussi par ce que l’on commence. Je commencerai donc, dussé-je ne faire que quelques pas en avant. Chacun puise ses devoirs dans ses convictions; les miennes se sont depuis longtemps formées à l'école de celui que j'appellerais mon premier maître, si je n'avais à lui donner un nom plus . cher. Je lui dus de comprendre, aussitôt initié à la _… Zoologie, que nos efforts devaient tendre vers un double but. Appliquer, édifier, c'étaient alors, ce sont encore, et plus que jamais, les deux besoins, également impérieux, de l'Histoire naturelle. - Jai cru que je devais, que nous devions tous, quand la science attendait de nous un double pro- grès, lui payer un double tribut. À moi, moins peut-être qu'à tout autre, il eùt été permis de -délaisser l'Histoire naturelle générale ; l'exemple de à % mon père et le culte de ses travaux ne m’appelaient - pas moins de ce côté que mes propres prédilec- tions. Mais, en même temps, très heureusement placé pour les études expérimentales sur les ani- maux, j'étais redevable envers l'Histoire naturelle | VIII PRÉFACE. appliquée, du moins en ai-je jugé ainsi, de tous les essais qu'il était en mon pouvoir de tenter sur la naturalisation des espèces utiles. De 1A d'autres recherches auxquelles j'ai dù même tout subor- donner durant quelques années : une fois entré dans la voie pratique, je ne pouvais reporter ail- leurs les forces vives de ma pensée et l’ardeur de mes efforts, avant d’avoir obtenu quelques résul- tats qui fussent déjà plus que des promesses. Libre enfin, j'ai repris aussitôt, pour ne plus le quitter, le livre vers lequel ont toujours convergé mes travaux zoologiques et anatomiques, et qui doit être le fruit et comme le résumé de ma vie scientifique tout entière; car si, depuis cinq ans seulement, j'ai pu concevoir la pensée de l'exécu- ter dans son ensemble, il yen a vingt-deux que je lai partiellement commencé, et vingt-six que je m'y prépare. Comment j'ai été conduit à l’entreprendre, à continuer, durant plus d’un quart de siècle, des recherches parfois ralenties, jamais interrompues, je ne le tairai pas. Je dois compte à mes lecteurs des vues qui n’ont dirigé, des essais auxquels je me suis livré; car ces vues vont encore me diriger, et ce sont ces mêmes essais que je vais pour- suivre encore. Si l'ouvrage auquel J'ai consacré tant d’années est trop au-dessus de mes forces, que l'on sache du moins quelle conviction m'a entrainé ee ~ - PRÉFACE. m 45 à le croire nécessaire, et quels soins, quelle longue patience ont présidé à son exécution. J'avais eu le bonheur de préluder à l'étude de l'Histoire naturelle par des études trop restreintes sans doute, mais sérieusement faites, sur les ma- thématiques. Dans les habitudes intellectuelles auxquelles on se forme par la culture de ces Sciences sublimes, est la première origine de mes efforts vers un but si longtemps hors de ma portée. Je me trouvais, bien jeune encore, en présence de ces merveilles de la création animée, qui, comme celles de la création céleste, touchent déjà profon- dément le cœur, alors qu’elles échappent encore à l'esprit. Le premier sentiment que j'éprouvai devait être, il fut celui d’une religieuse admiration. Le second fut un profond découragement. Quand je passai de la contemplation à l'étude, quand je retombai de la nature à son histoire, la science m'apparut aussi incertaine, aussi inégale dans sa marche tour à tour hésitante et aventureuse, que je venais de la voir assurée, ferme, souverainement ` grande dans le monde idéal des vérités mathéma- tiques; J'apercevais devant moi d'immenses ho- rizons; mais comment les atteindre? La Théorie des analogues, que mon père venait de créer, restait encore incomprise de la plupart des naturalistes; et partout ailleurs en zoologie, je cherchais en 1. &. x PRÉFACE. vain une route où je pusse mengager avec quelque sûreté. Nous sommes déjà loin de cette époque , et les souvenirs en sont bien effacés. Les doctrines de l'école allemande des Philosophes de la nature avaient à peine pénétré de ce côté du Rhin, et les deux écoles françaises ne s'étaient pas encore définitivement constituées l’une en face de Fautre; mais tous les dissentiments qui devaient éclater quelques années plus tard existaient déjà en ger- mes dans les esprits. Tandis que, parmi les maîtres de l'Histoire naturelle, les uns s’élançaient de plein saut, et presque par les seules forces de leur pensée, vers les plus hautes sommités; d’autres, par une réaction qui allait jusqu’à condamner l'usage aussi bien que labus de nos plus belles facultés, préten- daient interdire à la science de s'élever au-dessus de la simple observation des faits. Au delà de ce qui est visible et tangible à nos sens, il n’y avait place, selon eux , que pour des hypothèses, c'est- à-dire pour le doute ou l'erreur. Dés lors l’absten- tion était érigée en sagesse, et presque, par quel- ques-uns, l'immobilisme en système. De ces exemples ou de ces préceptes si con- traires, lesquels suivre ? Ni les uns ni les autres. Ni ces exemples. Malheureux, ils portent avec eux leur enseignement. Heureux, ils sont trop aw PRÉFACE. XI au-dessus de nous; nous leur devons notre admi- ration, mais non notre imitation. L’audace n’est permise qu’au génie, et pour le génie même, elle a des périls où trop souvent il succombe. Ni ces préceptes. La vraie sagesse ne saurait être dans l'excès de la prudence. Faut-il nous arrêter à l'entrée de la route, parce qu’elle peut avoir des passages difficiles? De telles règles de conduite sont de celles que l’on ne pose guère qu'à la condition de s’en affranchir soi-même. N’avons-nous pas vu, heureusement inconséquents à leurs propres principes, les partisans les plus exclusifs de l'observation créer, eux aussi, d’ad- mirables théories, et, moins utilement pour la Science, ceux-là même qui l’acceptaient aride et étroite pourvu qu’elle fåt positive, ne pas craindre d'en parcourir le champ tout entier, en posant pour point de départ une hypothèse, la fixité de l'espèce, et pour point d'arrivée une autre hypothèse, la série ou l'échelle organique (1)? Démontrer qu'entre l'audace de ces exemples et la timidité de ces préceptes, il y a place pour une sage hardiesse; que l'Histoire naturelle n’est réduite ni à renoncer à la découverte des rapports (1) On verra que ces deux hypothèses sont inadmissibles dans le sens et avec l'extension qu'on leur donne généralement, Elles doi- vent être, non entièrement rejetées de la science, mais épurées des erreurs graves qui s'y mêlent à de grandes et fondamentales vérités. XII | PRÉFACE. et des lois générales, ni à les attendre, de loin en loin, des eflorts individuels de quelques hommes de génie : tel fut le premier objet des recherches et des méditations dont cet ouvrage est finalement résulté. Dans un travail rédigé de 1827 à 1829, je résolvais déjà en grande partie les questions rela- tives à la méthode zoologique, comme je les résous ou plutôt comme nous les résolvons presque tous aujourd’hui; faisant essentiellement consister cette méthode dans l'association logique de l'observation et secondement de l'expérience, pour la découverte des faits, du raisonnement et secondement du cal- cul, pour la découverte des rapports et des lois; montrant, dans l'observation, la source; unique en Histoire naturelle, de toute certitude, mais aussi, dans le raisonnement, le principe de toute gran- deur dans les résultats; l'une à laquelle il appar= tient de jeter les fondements de l'édifice, Vautre de le construire; tous deux également indis- pensables, non-seulement à la dignité, mais à l'existence même de la science. Sans l’une ou sans l'autre, nous n’aurions devant nous qu'un vain amas de matériaux, ou que des plans vainement tracés dans l’espace. Sur ces questions si controversées il y a vingt ans, et sur lesquelles on commence à tomber d’ac- cord, je n'ignore pas d’où est venue la lumière. Et lorsque J'ai dù traiter, il y a quelques années, PRÉFACE. XHI ce point capital de notre science (4), il ne m'est pas arrivé de faire la moindre mention d'essais qu'avait précédés et qu'allait suivre l'œuvre du maître. Dans la Philosophie anatomique ; la mé- thode rationnelle, seule vraie, seule possible en Histoire naturelle, n'est-elle pas déjà à la fois réalisée dans une direction par la Théorie ou Méthode des analogues, et indiquée pour les autres sous ce nom si caractéristique : l'observation con- centrée des faits? Et l'ère de son avénement dans Ja science n'est-elle pas cette mémorable discus- sion de 1830 où mon père eut, devant l'Europe attentive, Cuvier pour adversaire et Goethe pour allié? Tout devait s’effacer devant l'éclat de tels souvenirs, et je me rendis la justice de m'oublier moi-même. | Liga | j = Sans me faire davantage illusion, je rendrai aujourd’hui leur date à des travaux qui furent du moins les points de départ de recherches plus importantes. Jen avais publié deux parties avant la discussion de 1830; et même, encourage par le maître trop indulgent sur les pas duquel je mavan- çais, javais osé présenter l’une d’elles au premier de nos corps savants. J'eus le bonheur de la voir très favorablement accueillie de l'Académie, adoptée même par elle pour le recueil des Hémorres (4) Vie , travaux et doctrine scientifique d’ Étienne Geoffroy. Saint- Hilaire, Paris, 4847, Ch. V, VIII, X et XI- °, > 0 szt y Sg | , PE E Er ~ -a ap na PIS DOE STOERE PE EEEE i XIV PRÉFACE. des savants étrangers ; et dès lors je me crus le devoir, comme je me sentais le désir, de dévelop- per, d'étendre et d'appliquer, autant qu'il pouvait être en moi, des vues qui venaient d’être encou- ragées de si haut. Et quelques mois après, lorsque je dus présenter à la Faculté de médecine une thèse inaugurale, des deux séries de propositions dont je la composai, l’une était le prodrome de cette Histoire générale des anomalies à laquelle j'allais consacrer huit années, l’autre l'annonce et l’esquisse partielle de l'ouvrage que j'écris au- Jourd’hui. Depuis, les sujets de mes recherches ont été très variés; mais toutes s'inspirent de la même pensée : coordonner les faits à l'aide d’une mé- thode rigoureuse. Ainsi, dans mes mémoires sur les variations de la taille, présentés à l'Académie trois ans après mes premiers essais, et qu’elle voulut bien accueillir avec la même faveur, ce sont les lois de ces variations que je cherche à déter- miner, et, pour y parvenir, J'emploie déjà ce que j'ai nommé depuis la Méthode synthétique par divi- sion. Un an plus tard, c’est encore le perfection- nement de la méthode que j'ai surtout en vue, en. proposant cette Classification parallélique, d’abord propre à la zoologie, mais bientôt étendue par moi-même à la tératologie, et un peu plus tard à l'anthropologie par l’un de mes illustres maitres, à . | | PRÉFACE. XV la botanique par l’un de mes anciens élèves, au- Jourd’hui l’un de mes savants confrères (1). Que l'on me permette de rappeler encore quelques | = essais sur l’histoire de la zoologie, sur ses relations l nécessaires avec les autres branches des connais- sances humaines, sur la classification de celles-ci et leur unité subjective opposée à leur diversité Objective : essais bien imparfaits peut-être, mais du moins témoignages de mes efforts constants pour rapprocher la méthode de l'Histoire naturelle de la méthode suivie dans les sciences plus avancées; seul moyen pour le naturaliste d'assurer sa marche vers la découverte des lois générales de l'organi- sation. ù $ + is pe mr kirin nan ER pi taa FA *. Les mêmes, vues ont aussi dirigé mon ensei- gnement. Dès 1831, dans un cours dont le pro- gramme, publié en 1830, embrasse déjà l’ensemble de la zoologie générale, j'entreprenais de discuter les principes de la méthode, et d'exposer les lois de l’organisation animale (2). En 1837, sut un plus grand théâtre (3), j'ai renouvelé cette ten- () Et tout récemment à la classification des connaissances humai- nes, par un savant géomètre dont j'aurai bientôt à résumer et à discuter les vues. (2) Ce cours a été résumé en 1834 dans jar même chaire, celle de l'Athénée. J’ avais, en outre, souvent rappelé et appliqué mes vues dans deux autres cours faits en 1832 et 1833, l’un sur les vertébrés, l’autre Sur les embranchements inférieurs du règne animal. (8) A la Faculté des sciences où j ‘avais l'honneur de suppléer mon père. D pege e a e n- — > en Hénin. 2, Py ; £ p í ` COS PART STE. XVI PRÉFACE. tative, et depuis, à trois reprises, en 1839, en 1842 et en 1847, j'ai donné le plan et. les principaux résultats de mes recherches, Si yar fait d'année en année quelques progrès dans une voie si difficile, je le dois en grande partie à ces COUTS, les seuls peut-être que lon ait entreprisesur l’ensemble de la zoologie générale, les seuls assu- rément que lon ait faits sur ces bases. Au pied de sa chaire, parfois dans sa chaire même, sous l'influence féconde et comme à l’aide des muettes interrogations de son auditoire, quel professeur wa senti son esprit prendre tout à coup des forces nouvelles? Pourquoi ne le dirais-je pas? sans mon cours de 1847, pendant lequel m'ont soudainement apparu, au moment où j'en déses- pérais presque, des solutions longtemps cherchées dans le silence du cabinet; sans l'auditoire éclairé et vraiment ami de la science que j'avais le bon- heur. d'avoir devant moi, cet ouvrage n'aurait vraisemblablement jamais vu le jour. J'avais eu, depuis longtemps, la satisfaction d'entendre l'Académie reconnaître dans plusieurs de mes travaux le double caractère que je m’effor- çais de leur donner; elle les avait, en 1833, dé- clarés exacts et philosophiques. Mais, moins indul- gent à moi-même, je ne me faisais pas illusion sur ce qui leur manquait, et sept années s’écoulèrent + PRÉFACE. XVII encore avant que je les crusse dignes d’être réunis en un corps d'ouvrage. Mes Essais de zoologie 4 ? á . . 5 générale, car je wavais pas alors reconnu dans ? . bi 0 l'Histoire naturelle générale une science une et indivisible, n’ont paru qu’à la fin de 1840; et ce - livre n’est encore qu'un recueil de mémoires déta- chés, pierres d'attente posées pour un édifice qui Peut-être ne serait jamais élevé, J'en faisais moi- même l'aveu : | « Les résultats de mes recherches», lit-on dans la Préface, « pourront-ils un jour former un en- » semble, en tête duquel il soit permis d'écrire » sans trop de présomption ces mots : Traité de » zoologie générale? Je n’ose dire que telle est mon » espérance; mais telle est mon ambition, sans » doute au-dessus de mes forces (1). » Avec la même ambition, j'ai aujourd’hui plus d'espérance. Treize années de plus, treize années non moins remplies que les précédentes, me don- nent le droit, et, je crois aussi, le devoir d’oser … davantage. Voici donc un nouveau livre; mais que le public veuille bien Taccepter pour ce que je le donne. En 1840, je lui offrais des Essais partiels; C'est encore un simple essai que je lui offre au- Jourd’hui, mais étendu à la science entière. (1) Essais de zoologie générale, ou Mémoires et notices sur la zoologie générale, Panthropologie et l'histoire de la science, Paris, 1841 ; Préface, p. XV. i; b XVIII PRÉFACE. Je iermine ici ces explications préliminaires. Mes lecteurs savent maintenant la pensée de cet ouvrage. Îls savent aussi par quelles laborieuses recherches je m'y suis préparé, et c’est un souvenir que j'avais besoin d’invoquer auprès d'eux. Puis- sent-ils me suivre avec quelque bienveillance dans la longue route que je vais parcourir, soutenu par le sentiment qui inspirait à mon père la noble et simple épigraphe de la Philosophe anatomique : Urirrari ! 48 Décembre 1853 (1). (4) Il n’est pas inutile de rendre leur vraie date à cette Préface et à la pensée de cet ouvrage. Les pages qui précèdent, imprimées une première fois en 1851, ont été dès lors distribuées à mes confrères, à mes amis, et présentées à l’Académie des sciences. ( Voyez les Comptes rendus de l Académie, t. XXXII, p. 407.) La date que Pon vient de lire est donc celle, non de la rédaction, mais de la dernière révision de cette Préface, on. MAIN y VAN SNSIPASSISIINSNSSNIPISS SSII SSP SNS SN SIS NS DIVISION DE L'OUVRAGE ET DISTRIBUTION DES MATIÈRES. Quand un auteur traite d’une science depuis longtemps constituée, il lui suffit d'inscrire le nom de cette science en tête de son ouvrage, pour indiquer clairement à toute personne instruite quelles questions vont successi- vement l’occuper. Un traité nouveau d’une telle science À pour commentaires tous les traités antérieurement publiés, et son titre le cireonscrit en des limites à l’avance connues et acceptées. | Dans un traité qu'aucun autre n’a précédé, et lorsqu'il S'agit d’une science depuis longtemps cultivée dans plu- Sieurs de ses parties, mais dont l’ensemble n’a point encore été abordé, comment le titre adopté par l’auteur, fût-il l'expression exacte et complète de sa pensée, pourrait- il suffire au lecteur? Un titre est comme une de ces for- mules qui résument et, pour ainsi dire, concentrent en elles une multitude de notions ; pour y recourir utilement, encore faut-il en avoir la clef. On a déjà vu, par la Préface qui précède, quel est l'objet de cet ouvrage : c’est une histoire générale, et non, chose fort différente, une histoire universelle des _ tres organisés, que j'ose ici entreprendre. Il est néces- RÉ NÉS TS RS CN S a he > ue Las ro Ag hot à 5 Es Ces > i n XX DIVISION DE L OUVRAGE. saire d'indiquer, dès à présent, quelles questions prin- cipales m'ont paru du domaine d’un tel ouvrage, et dans quel ordre elles y seront traitées. Le lecteur saura du moins exactement sur quel terrain je lui propose de me suivre. Voici le programme très abrégé de l'Histoire naturelle générale des règnes organiques. | DIVISION DE L'OUVRAGE. INDICATION DES PRINCIPALES QUESTIONS TRAITÉES. /Origines, progrès et décadence de l'Histoire |- naturelle dans l'antiquité. — Aristote, Théo- phraste. — Pline. Renaissance et progrès dans les temps modernes. 3 irons gun / Z~ Rondelet. Belon. Gesner. — Harvey. — Les INTRODUCTION HISTORIQUE (1). Bauhin.— Leuwenhoeck.— Jean Ray.— Linné. Buffon, Les Jussieu. Adanson. Bonnet. Haller. Pallas. | Progrès récents. — Lamarck. Cuvier. Geoffroy Saint-Hilaire. — De Candolle. / Notions générales sur les rapports des sciences. | Classifications diverses des connaissances hu- maines. Classification objective et parallé- lique. Rapports nécessaires entre l'évolution des sciences biologiques et celle des sciences physiques. Conséquences relatives au perfectionnement de AR Ty D HIE r r é PETUERE EAER la méthode en Histoire naturelle. Vues émises sur la méthode des sciences natu- relles et sur la direction qui doit être suivie dans ces sciences. Prolégomènes., Cuvier et son école. Schelling et les philosophes allemands de la nature. Geoffroy Saint-Hilaire et son école. — Etat présent de la science. Progrès qu’elle doit accomplir, et méthodes auxquelles elle peut recourir. \ À (1) Cette Introduction, où sont résumés les principaux progrès des sciences naturelles, sera complétée par l'historique de chacune des questions qui seront successivement traitées. Les sources seront indiquées dans les notes bibliographiques placées au bas des pages ; notes où des combinaisons typographiques, uniformément adoptées dans tout l'ouvrage, permettent de saisir, dès le premier coup d'œil, les noms des auteurs et les titres des ou- vrages cités. pen SECONDE PARTIE. DIVISION DE L'OUVRAGE. xxI .Règnes de la nature. — Règnes organiques. , Caractères.— Vie individuelle. Vie spécifique. Individualité organique. Animaux et végétaux simples et complexes, unitaires et composés. Vie mixte et vie commune. h Hérédité organique.— Epigénėse. — Etres nor- maux et anormaux. — Hybrides, mulets, métis. — Animaux domestiques et végétaux cultivés. Origines. Retour à l’état sauvage. — Applications pratiques. Polymorphisme zoologique et botanique. — Génération alternante. Métamorphoses. In- Notions biologiques fluence du parasitisme. fondamentales. TROISIEME PARTIE. Faits généraux, rap- Filiation des êtres organisés. —- Variabilité li- mitée des types. — Permanence de la nature organique. Notion de l'espèce , relativement à l’ordre actuel l des choses; relativement à chacune des épo- ques géologiques antérieures; et à un point de vue général. — Application à l’histoire des races humaines, au point de vue de leur 1 Origine commune. — Première application à \ Ja géographie biologique, à la paléontologie, \ et plus généralement, à la géonémie. /Affinités, analogies, harmonies organiques. | Expressions diverses des affinités. — Système ce la chaîne ou de l'échelle des êtres. — Cartes, réseaux et autres représentations gra- phiques. — Classifications. Méthode naturelle, Caractères essentiels, généraux , subordonnés, indicateurs. — Répétition des mêmes formes, des mêmes caractères dans des groupes diffé- rents. Correspondants zoologiques et botani- ques. — Classification parallélique. Ses avan- tages sur les autres formes de classification, comme expression beaucoup plus approchée i ports et lois orga- des rapports naturels. — Elle est très géné- nologiques, ralement applicable en biologie. — Séries zoologiques, réductibles abstractivement à Pu- Relatifs aux êtres organisés nité. Dégradations successives. Détermination considérés en eux-mêmes où de l’ordre hiérarchique. — Examen au même dans leurs organes. Le = Res FN RER point de vue du règne végétal. Analogies individuelles, spécifiques , générales. Symétrie. — Théorie ou Méthode des analo- gues. Fixité des connexions. — Analogies primitives. — Inégalités de développement. —Balancement des organes.— Développement centripète, et affinité des parties similaires. — | Rénovation des organismes. — Théories de \ l'unité de composition, et de la répétition or- \ ganique en zoologie. — Théorie de la méta- e e e ~ LENA t CES EE D CS KES a na rm aian ASE Menus rt rés. pas DIVISION DE L'OUVRAGE. [ morphose, en botanique.— Concordance entre ; l’embryogénie, l’anatomie Comparée, la térato- logie, et même la pathologie., Harmonies individuelles, spécifiques, générales. Sympathies. — Rapports entre l'organe et la fonction. — Conditions d'existence, Abus du finalisme. — Harmonies transitoires et suc- cessives. Harmonies tératologiques et patho- À logiques. — Premier aperçu de lharmonie \ progressive, / Inteligence et instinct Chez les animaux. Actes automatiques. | Mœurs des animaux. Conservation de l'individu ; Conservation de l'espèce. — Recherches de fa nourriture. — Habitat. Espèces sédentaires À Faits généraux, rap- crratiques, Voyageuses. — Déplacements acci- ports et lois étho-| dentels. Migrations irrégulières, Migrations logiques , 7 périodiques. — Associations temporaires ou permanentes. Espèces sociales. — Prévisions Relatifs” aux instincis , aux maiernelles. Choix du lieu où doivent être mœurs, et plus generalas déposés les œufs. Nidification. Éducation. ment aux manifestations ; s 44 . + vitales extérieures des êtres Modification des habitudes zep par suite des in- organisés. stincts chez les animaux domestiques, Perma- + nencCe des instincts acquis. Considérations éthologiques , applicables aux végétaux. TROISIÈME PARTIE. . (Suite.) QUATRIÈME PARTIE. Géonémie actuelle ou géographie biologique, — 1 Distribution des animaux et des races humai- | nes à la surface d'un même Continent et des j tles qui s'y rattachent. Distribution à la surface du grand, du moyen et du petit continent, com- parés entre eux. Distribution dans les Océans, mers intérieures, lacs et cours d’eau. Contrastes et similitudes. Représentants géographiques. — Distribution des végétaux, comparée à celle CINQUIÈME PARTIE. des animaux. ni Conséquences biologiques. — Application à la géologie. , E, f Géonémie ancienne ou paléontologie. — Fossiles Faits généraux, rap- animaux et végétaux, anciens et modernes, eak E AT RSAT Fossiles humains modernes. — Distribution némiques, ES ë RU de Me de ces fossiles dans les Couches de la terre. — Relatifs à la distribution suc- Conséquences biologiques. — Application à la cessive et actuelle des êtres géologie. organisés à la surface du AGéonémie générale. globe terrestre. — Comparaison entre les êtres organisés, selon les temps, les licux et les conditions de leur existence. — Succes- sicn des êtres anciens, Modernes, récents et actuels. — Examen de l'hypothèse des créa- tions successives, et de l'hypothèse de la trans- lation, — Extinction d'un grand nombre de types ; conservation d’un grand nombre d’au- tres. Filiation. Déplacements , modifications. — Harmonie progressive DIVISION DE L'OUVRAGE. XXIII , Concordance des lois organologiques, des lois / éthologiques, et des lois géonémiques. Con- i vergence de la science tout entière vers ; l'unité philosophique. SIXIÈME PARTIE. Vue d'ensemble sur la nature organique. — Mobilité perpétuelle des détails, permanence \ \ Philosophie natu- générale. L'unité par la variété. — Succession relle, harmonique des phénomènes individuels et généraux. Harmonie progressive. — L'unité par la variété, l'harmonie progressive, lois z générales de la nature, et témoignages écla- tants de la sagesse suprême. / LA 4 + | À Mi i { £ R a s i | | + i ES i @ | > * » x a EEE _ RE a aa SS í EP RE NE TR: MS En D ATV DEP EOT PURES ENE YT TRE Re n REC FN Some te - j MAA = ennn EU prms m Gem S Le +3 D Do mm HISTOIRE NATURELLE | GÉNÉRALE DES RÈGNES ORGANIQUES. vvvvvvvvvyvy WY JYY YYYY YYVYVYVYVYVYVYVYYVYYVYYVYYVYYVVYVVYVUV YYYY Y INTRODUCTION HISTORIQUE. L'histoire philosophique des sciences naturelles n'existe pas encore, Cuvier, Blainville Pont préparée, ils ne lont Pas faite; peut-être n’était- elle pas alors possible. Peut- être même ne l’est-elle pas encore ; mais, sans nul doute, le Moment est proche où elle le sera; et il est dès à présent To en attendant qu’un des maîtres de la science et de la philosophie trace le tableau tout entier, d'en chercher, d'en rassembler les traits principaux. Tel est l’objet de cette Introduction. Onn 'y trouvera pas un exposé, même sommaire, de tous les progrès de l Histoire naturelle organiquė. ` Mais j'èssaierai de les résumer, d’en montrer lenchainement; seul but que je puisse me proposer, si je ne veux iais pour introduc - tion à cet ouvrage un autre ouvrage aussi étendu que lui- même. Je déterminerai historiquement la marche suivie Par l'esprit humain dans l'étude des êtres doués de vie ; I. ; 1 2 INTRODUCTION HISTORIQUE. marquant du mbins par des jalons cette longue route sur laquelle nous nous avançons à notre tour, entre les glo- rieux devanciers qui nous lont ouverte, et nos succes- seurs, dont le premier rang déjà se presse sur nos pas. D'où sommes-nous venus? Où tendons-nous ? se demande dès ses premières pages notre immortel Buffon (1). Nous aussi, nous devons nous poser ces questions : Où sommes-nous parvenus? Qu’a-t-on fait? Et qu'avons- nous à faire ? | A lHistoire seule appartient la première partie de la réponse; à l’union de l'Histoire avec la Philosophie appar- tient la réponse tout entière. Avant de nous tourner vers l’avenir, revenons donc rapidement sur le passé. Dans ce que la science a déjà fait, ce qu’elle doit faire est comme implicitement con- tenü, comme secrètement écrit à l'avance : c’est à nous de savoir le lire (2). (1) « Unde ortus (homo)? Quo tendat? » dit aussi LINNÉ au com- mencement du Systema naturæ ; mais ces mots sont pris ici dans un autre sens, dans le sens moral et religieux. : (2) Je me suis préparé au travail qui va suivre par plusieurs études partielles que Pon trouvera pour la plupart dans mes Essais de zoo- logie générale, 4°° partie, p. 1 à 223. La première esquisse de la partie zoologique de cette Introduction avait été d’abord publiée dans la Revue des deux mondes, livraison du 4° avril 1837. i VV A AI YUU YVYVVVVVYVVVVVYVYVYVVVYVVYVVYVYVUVVVYVYVUVUVYVUVUV UVVU PREMIÈRE SECTION. ORIGINES, PROGRÈS ET DÉCADENCE DE L'HISTOIRE NATURELLE . DANS L'ANTIQUITÉ. SOMMAIRE, = L. Notions contenues dans le Pentateuque. — II. Origines de l'Histoire natu- relle. — IIT. Notions chez les Chinois. — IV. Notions chez les Indiens et les Perses. — V. Notions chez les Égyptiens. — VI. Premiers progrès chez les Grecs. — VII. ARISTOTE. — VII. L'école d'Aristote. Théophraste. — IX. Auteurs romains et grecs. Pline, — X. Dioscoride. Galien. > JE L l L'Histoire naturelle, comme science, est récente ; les Connaissances sur les animaux et les plantes sont aussi anciennes que l'Homme lui-même. | La Genèse, ce monument mystérieux de l'origine de notre globe et de notre espèce, nous représente Adam, à peine sorti des mains de Dieu, et avant même la créa- tion de la femme, s'occupant de dénommer les animaux de la terre et les oiseaux du ciel; et les noms qu'il leur | donna furent, dit la Genèse, les noms véritables (1). Nous serions donc en droit de dire que le premier Omme fut aussi le premier naturaliste, et que la zoologie, ` i a £ f $ (1) C'est, du moins, la versión généralement admise; c'est, par exemple, celle de LEMAISTRE DE SAGY, pour ce passage de la Genèse, » 19 : Omne enim quod vocavit Adam animæ viventis, ipsum est nomen ejus. M. pE GENOUDE, toutefois, et plusieurs autres, traduisent ~i # différemment. mas ee | i Ce passage de lą Genèse a été presque reproduit dans le Coran. On y i AMIE, 31, que Dieu lui-même apprit à Adam les noms de tous les êtres. | Cr + | +. 1: j 4 Å z a SNN x a PRE 7 8 7 p ee a 2 aaa ai re a CO ER | sh 3 TAEA INR mn: j + € 4 à- J x in PE j : i à SERNA z e A ST IPEE e h INTRODUCTION HISTORIQUE. en particulier, devançant toutes les autres branches des connaissances humaines , a précédé même l'achèvement de notre espèce. Si l'ancienneté d’une science pouvait ajouter à sa valeur propre, à sa dignité, selon l’expres- sion de Bacon, la zoologie aurait done encore ce titre à la qualification que, par d’autres motifs, Linné n'hésite pas à lui donner : Zoologia, pars illa Historiæ naturalis nobilissima (1). | | La Genèse ne fait pas seülement remonter aux temps primitifs la connaissance des animaux; ses premiers cha- pitres nous les montrent employés par l’homme, soumis à sa loi. Selon plusieurs versions même, les espèces domes- tiques faisaient déjà partie de l'œuvre des six jours (2); ; dans toutes nous voyons: Abel pasteur de brebis, et c’est | le pigeon, messager intelligent et docile, qui, lors du dé- ‘ luge, annonce à Noé la retraite des eaux. Dans les cha- pitres suivants, après le voyage d'Abraham en Égypte, (1) Systema nature, edit. prima, dans les Observationes in Regnum animale, édition de Fée, p. 54. (2) Ce qui a été opposé, le croirait-on? à mes récentes expériences de domestication. Une courte explication, sans qu'il soit besoin de recourir aux faits, permettra d'apprécier à sa valeur cette objection prétendue religieuse. C'est le mot Béhémah que la plupart des traducteurs ont rendu par animaux domestiques. Mais le sens de ce mot est fort ambigu. Les Septante lui ont donné tour à tour pour équivalent xrñves, rerpdmous et Ongi, auxquels correspondent en latin jumentum, quadrupes et fera. M. l'abbé Rara, professeur au Lycée de Douai, hébraïsant dis- tingué, a bien voulu rédiger pour moi, sur cette question philo- logique, une intéressante note dont voici la conclusion : « Le mot » Béhémah paraît n’être jamais employé pour désigner les poissons, les » oiseaux, les reptiles, mais, du reste, s'appliquer à tous les animaux » (sauvages Où domestiques) qui se tiennent sur leurs pieds. » md gré die 57 | ORIGINES DE L'HISTOIRE NATURELLE. aO l’âne, la chèvre, le bœuf, le chameau , Sont mentionnés, presque à chaque | page. Il est digne de remarque que, parmi les autres qua- drupèdes. domestiques, un seul, le cheval, figure dans la Genèse ; encore n’est-cé que deux fois, et beaucoup plus tard, dans l’histoire de Joseph en Égypte. Le porc et le chat, la poule, parmi les oiseaux, sont complétement omis; et il en est ainsi de l'espèce elle- même pe l’on croirait avoir été partout la première asservie à l’homme. Si l’on a fait du chien le gardien du troupeau d’ Abel’, si on l'a représenté, après le crime de Caïn, sanfran le corps de son maître contre les bêtes drobée c'est d’après une tradition recucillie par quelques Rabbins (1), mais qui ne remonte qu’à une époque peu reculée, et doit être considérée comme dépourvue de toute valeur historique (2). Le Pentateuque, si riche en indications relatives aux (1) ELIEZER, Magna opera Domini seu cohhiéhes in , Pentateuchum, Venise, 1583 (en hébreu), cap. 21. i (2) Non seulement la Genèse ne fait figurer le chien dans aucune des scènes pastorales, dans aucun des événements qu’elle retrace; = Mais il wy est ni cité ni indiqué de quelque manière que ce soit. Je Wai pas trouvé. davantage son nom sur cette triple liste d'animaux Purs èt impurs que le législateur hébreu a dressée dans le Lévitique. _ Les indications que donne la Genèse sur les animaux domestiques, déjà intéressantes par elles-mêmes, seront rapprochées, dans la suite de cet ouvrage, de celles que l’on trouve dans les livres sacrés de la Perse et de F Inde. La discussion comparative des unes et des autres fournira quelques arguments que nous verrons ‘confirmés par des mn d’un autre genre, en faveur de cette hypothèse : Il y a eu, pour sine des rameaux principaux de la race caucasique. à domestication desanimaux, plusieurs centres correspondant à Tori- ” 6 INTRODUCTION HISTORIQUE. animaux, nous apprend beaucoup moins sur les végétaux. La connaissance et la culture des uns parait toutefois avoir marché de pair avec celle des autres. A côté d’Abel pasteur, est Caïn laboureur, et Noé ajoute la culture de la vigne à celle des céréales (1). II. Les livres les plus anciens de l'Asie centrale et orien- tale, les monuments de l'Égypte, nous montrent, comme la Genèse, les animaux et les plantes observés et cultivés dans une haute antiquité. L'histoire authentique confirme ici ce qu indiquent déjà les mythologies, cette histoire antérieure écrite par les poëtes au berceau de toutes les civilisations (2). (1) La mention de l'olivier (mais non de sa culture) précède celle de la vigne dans l’histoire de Noé (Genèse, VII, 44). La Flora biblica de SPRENGEL, insérée dans son Historia rei ker- bariæ, 1807, t: I, p. 6 à 19, comprend 70 plantes. Mais presque toutes les indications que donne ce célèbre botaniste sont extraites des par- ties de la Bible qui suivent le Pentateuque, principalement des Psaumes et des livres des Prophètes. | | Les plantes et les animaux de la Bible ont donné lieu à un grand nombre de travaux. On trouve la liste très complète de ceux qui se rapportent aux plantes, dans le Thesaurus litteraturæ botanicæ de PRITZEL, fascicul. V, 1850, p. 862. Pour les animaux, voyez surtout BOCHART, Hierozoicon, 2 vol. in-4, Leipzig, 1793 et 1794. (2) «S'il est vrai, comme l’a dit Fontenelle, que l'histoire n’est » qu'une fable convenue, il n'est pas moins vrai que la fable est » souvent une histoire méconnue.» Je trouve cette remarque, aussi vraie que spirituellement exprimée, dans un ouvrage anonyme et peu connu, Sur le progrès des connaissances humaines, Lyon, in-8, 1781. Voyez p. 31. L'auteur de cet ouvrage est le célèbre Michel SERVAN. ORIGINES DE L'HISTOIRE NATURELLE. 7 Chaque. peuple est comme chacun de nous : de sa première enfance, il ne sait rien ; sur les temps qui sont venus ensuite, il n’a que de vagues et douteux souvenirs. Mais ce qu'ont dû être d’abord les peuples de l'Asie et du nord-est de l'Afrique, véritables ancêtres intellectuels des Sociétés modernes, nous pouvons l'imaginer par ce que Sont encore aujourd’hui tant de pétiplés de l'Océanie et de l’ Amérique ; peuples enfants dont plusieurs s’éteignent déjà en présence des nations vieillies de notre Europe. Chasseurs et pêcheurs, les peuples primitifs sont sans cesse en face de la nature : leur subsistance, leur Conservation est au, prix d’une connaissance exacte des êtres vivants qui sont à leur „portée. S'ils deviennent pasteurs, s'ils commencent à cultiver le sol, c’est un nouvel ordre de faits qui se déroule devant eux : leurs rapports avec le monde extérieur S étendent, et avec. eux les notions dont ils ont besoin. La première Histoire natu- relle, c’est l’ensemble de ces notions toutes pratiques sur les animaux qui entourent l'homme, les uns ses ennemis, les autres sa proie, d’autres encore ses serviteurs; sur les végétaux utiles par leurs produits ou HAE par leurs poisons. Mais bientôt la curiosité , heureusement innée en nous, entraîne au delà, et elle est la source d'ùn Savoir qui, transmis traditionnellement, ne tarde pas à être altéré par la fiction. La nature est la plus grande des Merveilles ; elle ne suffit pourtant pas à la jeune imagina- tion de ces pait et quand l’homme se civilise, ce qu’il écrit d’abord dans ses livres et sur ses monuments, ce Sont autant des mythes et des légendes qué des faits. = Mais ces faits sont souvent bien observés ; cés mythes, S INTRODUCTION HISTORIQUE. ces légendes ne sont parfois qu'un voile transparent jeté sur d'importantes vérités. Il peut venir un jour où les naturalistes, revoyant les mêmes faits, retrouvant les mêmes vérités, et les archéologues, maîtres enfin de textes longtemps ignorés ou incompris, se rencontrent dans cette conclusion commune : la science moderne a été devancée, sur une multitude de points, par le savoir de l'antique Orient. IH. Il est, du moins, un peuple à l’égard duquel le doute n’est plus permis; peuplé immobile qui, seul entre tous, conserve et comprend encore des livres écrits par ses poëtes et ses législateurs primitifs. Non seulement les en- eyclopédies et les ouvrages scientifiques que possèdent les Chinois attestent, sur l'Histoire naturelle, des con- naissances étendues et variées dont il est difficile de ne pas faire remonter très loin la source (4). Mais, bien des siècles avant tous ces recueils, et par delà tous les autres livres de l’antiquité, chez quelque nation que ce soit, le Chi-king ou Livre des vers, et le Chou-king ou Chang- (4) La Chine a possédé, mais a perdu des livres beaucoup plus anciens sur les sciences. Brülés, avec les Kings, par ordre de l'em- pereur Chi-hoang-ti, vers la fin du m° siècle avant notre ère, ils n’ont pas été retrouvés ou rétablis, comme les Kings, après la per- sécution. Voyez DE Guicnes, préface de la traduction du Chou-king par le P. GAUBIL, p. Xiij; et l'Histoire universelle de l'antiquité, par SCHLOSSER, trad. de GOLBÉRY ; t. I, p. 98 : « Tous les livres sur les » sciences et sur les arts, dit l’auteur, ont péri. » NOTIONS CHÈZ LES CHINOIS. 9 Chou, le Livre auguste des Chinois (1), renferment déjà Sur les animaux et les végétaux de l'Asie orientale des indications dont le nombre et la précision nous étonnent. Et plus on pénètre dans l'intelligence de ces textes, trop Souvent défigurés par les traducteurs (2), plus l’étonne- ment augmente. Le Chi-king, en particulier, collection Codes et de chants divers, recèle, sous des formes va- riées, des notions, très nettement données , sur une mul- titude d'espèces sauvages, sur leur organisation exté- rieure, leur habitat ou leurs mæurs; et comme les auteurs ne sont pas des savants qui décrivent et exposent, mais des poëtes qui rappellent et comparent, on voit que toutes ces notions devaient être dès lors très généralement ré- pandues. Moins riche sous ce point de vue, le Chou-king nous offre un autre genre d'intérêt : livre historique et administratif , il mentionne surtout les animaux et les Végétaux utiles à l’homme; ceux dont les produits, comme les pelleteries, les dents, les perles, le vernis, étaient payés en tributs ou offerts en don à l’empereur ; (1) Ces livres, dans leur forme actuelle, sont attribués à Confucius ; le fond remonte authentiquement à une très háüte antiquité. (2) Dans un seul chapitre du Chou-king, et précisément l’un de ceux Qui intéressent l'Histoire naturelle (le Lou-ngao), là traduction de Gabit, à laquelle pourtant il faut recourir, ne renferme pas moins a € dix-sept contresens, relevés par M. Stanislas Julien. Sans l’obli- Séance extrême que ce célèbre sinologue à mise à me prémunir contre ces Causes d'erreur, sans les précieux documents dont je lui suis redevable, je me serais sans doute égaré dès lés premiers pas dans le difficile examen des deux Kings que j'ai dû consulter. À l'égard qu Chi-king, plusieurs notes relatives aux animaux et aux plantes ont été ajoutées par M. J. Mon à sa savanté traduction : H Cowrvenr Chi-king sive Liber carminum, Stuttgard, in-15, 1830. | I. 1. a D I PRE PT 2 E LEE 10 INTRODUCTION HISTORIQUE, puis les céréales (1), divers orangers, le müûrier et le ver à soie, cultivés dès le règne d’ Yao (2); et les quadrupèdes domestiques, le chien, le bœuf, la brebis, le cochon et le cheval: celui-ci employé, plus de vingt siècles avant notre ère, dans les travaux de la guerre aussi bien que dans ceux de la paix. IV. Nous avons de semblables indications, en moindre nombre toutefois, à l'égard des Indiens et des Perses ; et ici, avant toute étude des textes, on pouvait asseoir déjà quelques prévisions sur ee que lon sait des croyances religieuses de ces peuples. Tandis qu’à l’est de l'Indus, ladorateur de Brahma voyait dans les animaux, et jusque dans les plantes, ses frères momentanément. transformés (1) « Dans toutes les traditions sur les âges primitifs et dans tous » les commentaires sur ces traditions, dit SCHLOSSER, loc. cit., p. 110, » il est question des céréales que nous connaissons. » Le même auteur cite plus bas les pois, les fèves, qui faisaient partie nécessaire de certains sacrifices, le coton et le chanvre. (2) Presque dès les premières pages du Chou-king, il est question du ver à soie, du mûrier, et de leur culture qui remonterait ainsi à vingt-deux siècles avant notre ère. Mais M. JULIEN, Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. XXIV, p. 1071, la reporte à une époque bien plus reculée encore. Voici les premières lignes d’un passage dans lequel l’auteur énumère les principales inventions faites en Chine avant et après notre ère : « Il résulte de documents authen- » tiques déjà publiés ou faciles à produire, que deux mille sept cents ans » avant Jésus-Christ, les Chinois avaient inventé l’art d'élever les vers » à soie; mille ans avant, la boussole pour les voyages de terre et de » mer ;.… deux cents ans avant, l'encre et le papier à écrire, la poudre » de guerre... » NOTIONS CHEZ LES INDIENS ET LES PERSES. . al et déchus, la loi mazdéenne, sur Pautre rive du fleuve, érigeait en devoirs également pieux lamour et la protec- tion des espèces utiles, bienfaits d’Ormuzd, et la destruc- lion des animaux nuisibles, ouvrages détestés d’Ahri- man (4). Chez Pun et l’autre peuple, les dogmes théolo- giques rattachaient donce à la religion elle-même la connais- sance de la nature vivante. Les parties déjà connues des Védas et des Nackas attestent-elles, en effet, dans les temps reculés où elles furent écrites, un savoir réel sur les animaux et les plantes? On n'oserait l’affirmer ; mais on aperçoit du moins, dans plusieurs passages, les traces de notions très var iées, el parfois précises , sur un grand + nombre d'espèces indigènes, et peut-être même, pour le Zend-avesta. sur quelques animaux de pays étrangers, mais Voisins. | Le même recueil, dans le livre cosmogonique intitulé Boun- dehesch (2), renferme une longue énumération méthodiquement faite, dans laquelle on pourrait voir la première ébauche d’ une classification zoologique. Quant aux espèces utiles, les Védas aussi bien que les Nackas nous les montrent complétement, et depuis longtemps, en la possession de l’homme. Plusieurs animaux, en par- ticulier, ont déjà subi des modifications organiques qui doivent faire reporter très loin leur première domestica- | aan 0) Zend-avesta, traduct. d ANQUETIL-DUPERRON, t. 1 E aS Voy. aussi J. ReynauD, dans le bel article Zoroasrtre de l’ Encyclo- Pédie nouvelle, t. VIII, p. 807. (2) Loc. cit., t. I, p. 848. Ce livre perd malheureusement pour nous Une grande ciel de son intérêt, en raison des nombreuses imperfec- tions de la traduction. D TA TES 12 INTRODUCTION HISTORIQUE. tion. L'antique Rig-Véda lui-même nous montre, dans l'Inde, des vaches à mamelles hypertrophiées et pen- dantes (4), et des chevaux presque aussi variés de cou- leurs que ceux de nos jours. De même, le Zend-avesta mentionne, en Perse, dans plusieurs espèces, des races très distinctes, par exemple, des races de chiens dont chacune a sa taille, ses formes, son naturel propre et son emploi particulier (2). y. L'Egypte antique ne nous a pas laissé de livres, mais elle a écrit son histoire et sa religion sur tous ses monu- ments. Or sa religion, c’est aussi tout son savoir. Chez les peuples divisés en castes, l’une d’elles reste l'unique dépositaire de toutes les richesses intellectuelles, amassées par les générations antérieures. En Égypte, le prêtre est en même temps le seul philosophe, le seul lettré, le seul savant, et même le seul médecin. Le droit de savoir est l’une de ses prérogatives, et cette prérogative, il la con- serve précieusement. Il place dans le temple, entre lui et son Dieu, tout le trésor des connaissances humaines ; il en honore, il en agrandit la religion, et n’en révèle au peuple que quelques notions présentées sous le voile de l’allégorie, et comme des mystères que l’on doit révérer sans les comprendre. | (1) Sect. IM, lect. II, hymn. xvi; traduct. de M. LancLois, t. Il, p. 87. ae: (2) Boun-dehesch, dans le Zend-avesta, loc. cit., t. IE, p. 373, et plu- sieurs passages du Vendidad-sadé, t. 1, 2° part., p. 379 et suiv. i [| NOTIONS CHEZ LES ÉGYPTIENS. 15 Ce qu'était l'Histoire naturelle dans l'antique Égypte, quels furent le nombre et l'importance des faits déjà re- cueillis, ce sont des questions à jamais insolubles. Même aprés les admirables découvertes de Champollion et- TYoung, son émule doublement illustre, qui oserait Concevoir l'espérance d'arracher à la science Égyp- tienne les voiles qui la cachaient aux Égyptiens eux- mêmes? Mais nous en entreyoyons du moins les traits principaux, et les travaux des naturalistes de l'expédition française en Égypte ont dès longtemps montré combien Peut être ici féconde l'alliance de F Histoire naturelle et de l'Histoire. | | RCE A Les Égyptiens, comme tous les autres peuples de l'antiquité, ont moins fixé leur attention sur les végétaux que sur les animaux. Leurs connaissances sur le premier de ces règnes ne sont du moins attestées que par des Preuves beaucoup plus rares ou moins décisives, et qui, en outre, se rapportent presque exclusivement à des espèces alimentaires, textiles, ou diversement utiles dans les arts, la médecine et l’économie domestique. Cinq seulement sont mentionnées par Sprengel (1), dans Son érudite Historia rei herbariæ, comme figurées sur les monuments de l'Egypte : ce sont, avec le papyrus dont Chacun connaît l'usage, le figuier sycomore, plus précieux encore par son bois que par ses fruits; le sébestier (2), dont on mangeait les drupes ; la scille maritime , déjà N élumbo, ou le célèbre Lotus d’Isis et d'Osiris : ce der- (1) Loc, Cit., p. 29 à 31. (2) Cordia myca. employée dans le traitement de plusieurs maladies, et le — — M AT APS cr TT TT T ih INTRODUCTION HISTORIQUE. nier, plante sacrée, souvent représentée à ce titre et pour la beauté de ce lys en forme de rose (1) , mais aussi plante alimentaire ; le peuple, mais non les prêtres, mangeait ses fèves. Cette courte liste donnée par Sprengel est loin d'être complète; on trouve représentées aussi plusieurs autres plantes, par exemple, outre les céréales et la vigne, le lin et le dattier. Ce sont encore, on le voit, des espèces utiles; et il en est de même de celles dont des parties ou des produits , conservés dans les hypogées, sont venus jusqu’à nous en nature : les unes textiles, le cotonnier et le chanvre; d’autres diversement usuelles, telles que le palma-christi, dont l'huile servait à l'éclairage, et divers _ conifères et térébinthacées dont les résines et, les baumes étaient employés dans l’économie domestique et dans l'art des embaumements. Le savoir des Egyptiens sur les animaux s'étend bien au delà. Un peuple qui les divinisait, a dù en porter loin la connaissance. Nous voyons l'Égypte au moins aussi riche en races animales domestiques qu’en végétaux cultivés ; et plusieurs de ces races sont déjà singulière- ment éloignées des types spécifiques dont elles dérivent. Dans les scènes de chasse peintes sur les monuments, figurent des chiens à oreilles tombantes, fort semblables | à nosbraques, et des lévriers, ceux-ci toutefois à oreilles f droites. Ailleurs ce sont des bœufs de variétés diverses, | et parmi eux le zébu; ailleurs encore, des chevaux à riche crinière, des béliers à trois cornes, des chèvres | à oreilles longues et pendantes. | (4) C’est sous ce nom qu'Héropore désigne le Nélumbo. Voyez Tl Euterpe. |! | E | |! | | | NOTIONS CHEZ LES ÉGYPTIENS. 15 De semblables peintures où les animaux sont souvent représentés avec une parfaite entente de leurs habi- tudes, et de plus les figurines, les momies et d’autres documents de diverses sortes, conservés jusqu’à nos jours dans les hypogées, attestent que les Égyptiens ont de même possédé des notions étendues et souvent exactes sur les espèces sauvages; et non pas seulement Sur celles qu'il importait de connaître. Ces quadrupèdes, ces reptiles, ces insectes, ennemis de l’homme, de ses troupeaux, de ses cultures, que nourrit en si grand nombre l'Égypte aussi bien que toutes les autres terres africaines; cette multitude de poissons alimentaires qui | peuplent le ? Nil; ces animaux de diverses classes qui l vivent sur ses bords, et que le fleuve, à chacune de ses | inondations, livre à l'Égypte comme un tribut annuel, fournissaient déjà un champ bien vaste, d'observation. Les Égy ptiens ne s’y sont pas arrêtés. Ils ont recueilli ; en dehors de toute application pratique, un grand nombre de faits sur l’organisation et surtout sur les mœurs des animaux de l'Égypte et des déserts qui la bordent de deux côtés, soit que ces faits eussent été étudiés pour ] leur intérêt propre, soit qu’on les rattachât à cette religion, si izarre en apparence, dont chaque mystère était l’ expres- Sion allégorique de l’un des grands phénomènes naturels. Jusqu'où les Égyptiens ont été dans cette voie, nous l'entrevoyons surtout dans les écrits d'Hérodote, dont l'ouvrage est une histoire scientifique, religieuse et mo- rale,: en même temps que politique. Les détails qu'Héro- dote nous a transmis sur plusieurs animaux de l’ Égypte, les tableaux si fidèlement naïfs dans lesquels il a exprimé PS E 16 INTRODUCTION HISTORIQUE. leurs caractères et retracé leurs mœurs, ne sont sans doute qu’un pâle reflet du savoir des Égyptiens; et cepen- dant, tels qu’ils sont, ils eussent suffi pour faire vivre à jamais lé nom d'Hérodote, alors même que le Père de l’histoire eût perdu, par la mutilation de son admirable livre, ses titres à une autre et plus brillante immor- talité (4). VI. Ce n’est pas ici le lieu de rechercher si la civilisation et la science grecques procèdent de la civilisation et de la science égyptiennes ou indiennes, ou si ces vives lumières dont l'Ionie, la grande Grèce et l'Attique furent tour à tour le foyer, sont dues au génie propre des peuples hel- (4) La véracité d'Hérodote avait été contestée : chacun aujourd’hui lui rend hommage. En ce qui concerne l'Histoire naturelle, mon père, durant son séjour en Égypte, a repris de point en point les récits d'Hérodote, et en a établi la fidélité par des preuves auxquelles il reste peu à ajouter. Pour ne citer qu'un exemple, le passage dans lequel Hérodote nous dépeint un oiseau, le trochilus, pénétrant dans la gueule béante du crocodile ; ce passage qui, entre tous, avait excité l'incrédulité, a été, comme les autres, reconnu exact. Mon père a été à son tour, dans la haute Égypte, témoin oculaire de la merveilleuse scène décrite par Hérodote. — Voy. l'histoire des crocodiles d'Égypte insérée par GEOFFROY SAINT-HiLAIRE dans la grande Description de l'Égypte, Histoire naturelle, t. 1, p: 198 et suiv. Voy. aussi, sur le même sujet et sur plusieurs questions analogues, les mémoires suivants du même auteur : Mémoire sur les animaux du Nil, considérés dans leurs rap- ports avec la théogonie des anciens Égyptiens, dans le Bulletin philo- matique, 1802, t. HI, p. 199 (extrait). — Sur les habitudes attribuées par Hérodote aux crocodiles du Nil, dans les Annales du Muséum, 4807, t. IX, p. 378. — De l'état de l'Histoire naturelle chez les Egyp- tiens, dans la Revue encyclopédique, 1828, t. XXXVIII, p. 289. PR Te MO 4 PREMIERS PROGRÈS CHEZ LES GRECS. iT léniques (4). Mais il importe beaucoup de remarquer qu'en Grèce, comme en Égypte, la culture simultanée des branches les plus diverses du savoir humain reste le ca- ractère commun de toutes les écoles. Un sage, comme on 1 disait avant Pythagore, un philosophe, comme on a dit depuis , ne sépare ni les sciences de la philosophie pro- prement dite, ni une science quelconque de toutes les Autres. Le tronc commun des connaissances de l’homme | n'a point encore de branches distinctes. Thalès, le pre- ‘ mier des sages de la Grèce, est physicien, astronome , géomètre et moraliste; Pythagore fait de la science des nombres la science universelle ; Anaxagore associe l'his- toire naturelle et l'astronomie à la métaphysique, à la Morale; Aleméon est métaphysicien, naturaliste et mé- £ decin; Démocrite est de plus géomètre, et Empédocle , poëte et musicien. are F C'est que presque tous ont l'ambition de découvrir on "| la prétention d'avoir découvert un principe général et tT Pa commun dont ils veulent étendre l'application aux faits de | | tous les ordres. Dans ces efforts prématurés pour consti- E tuer l'unité de la science et de la philosophie , leur riche | IMagination déploie librement ses ailes, et trop souvent va | SC perdre dans les espaces infinis où elle erre sans guide : | | Mais parfois aussi l'observation vient à la suite; on in- r (1) Sur cette importante question, voy. RENOUVIER, Manuel de phi- M losophie ancienne, 1844, liv. II et suiv. Sur l’histoire de la philosophie et des sciences en Grèce, voyez, outre ce même livre: Cuvier, Histoire des sciences naturelles, leçons re- cueillies par M. MAGDELEINE DE SAINT-AGY, t. 1, 1831,p. 66 et suiv. x n — BLAINVILLE et Mauren, Histoire des sciences de l'organisation, 845, t. 1, p, 28 et suiv. | i i 2 t na 3 pe à ý AES ; à te pp ER TR ie » à y eee LI a er EU SN EE O 418 INTRODUCTION HISTORIQUE. voque son secours, non pour découvrir, mais lorsqu'on croit avoir découvert, pour justifier et étendre des idées préconçues. Cest, jusqu'à Aristote, là gloire unique d’Hippocrate d’avoir fait l'inverse, et c’est pourquoi il est le père de la médecine. | La science grecque a possédé, dès le vi° siècle avant l'ère chrétienne, avec beaucoup d'hypothèses , quelques notions positives sur les animaux. Dans le ve, le progrès est très marqué. IL y a déjà loin de Thalès cherchant dans l’eau le principe essentiel de la vie; d'Anaxi- mandre faisant sortir {ous les êtres vivants et l’homme lui-même de l'élément humide, et cet élément de l'infini ; de tous ces philosophes n’appelant à l'appui de leurs sys- tèmes qu'un petit nombre de faits vulgairement connus, à Anaxagore entrevoyant les fonctions de l’encéphale; à Alcméon, à Empédocle faisant déjà des observations em- bryologiques ; à Démocrite surtout, poursuivant avec per- sévérance, et non sans succès, l'étude des principaux appareils de l’homme et des animaux, à ce point que Cuvier a cru pouvoir l'appeler. le premier anatomiste comparateur (1). Jusqu'ici toutefois, et plus près de nous encore , nous ne trouvons que des essais. Dans le cours du v° siècle , et jusque chez Démoecrite, l'erreur la plus grossière s'allie encore trop souvent à la vérité. Si, dans le ivè siècle, et dans un autre ordre de questions, Xéno- phon fait preuve de connaissances plus précises ; elles se renferment du moins dans un cercle très étroit : les Cynégéliques nous montrent dans l'illustre général des (4) Loc. cit., pe 105: REF mere * ARISTOTE. > 19 Dix mille un chasseur consommé, mais non encore un auteur scientifique. Le premier naturaliste de la Grèce, le créateur de notre science, c’est Aristote, bientôt secondé et continué par son élève Théophraste ; car c’est là destinée et la gloire de l'anatomiste de Stagyre, de n'avoir avant lui que de simples précurseurs, comme après lui que des disciples. Aristote personnifie l’histoire naturelle des Grecs, ou, pour mieux dire,-des Anciens. VIL ire est js prince des naturalistes de l'antiquités il serait, si Platon n'eùt existé, le prince de ses phi- losophes; et après ces deux grands titres, on peut dire qu'il se serait immortalisé par ses seuls travaux Sur la poétique et la rhétorique, sur la politique, sur la Physique -et l'astronomie. Par l’universalité de ses con- naissances, il offre bien le caractère commun de tous les esprits éminents de son siècle et des siècles précédents; Mais il est spécial en même temps qu'universel. On trouve Partout et sur tout, dans ses livres, des notions certaines et précises, des idées complètes et arrêtées. Il est, dans Chaque branche du savoir humain, comme un maître qui la cultiverait seule ; il atteint, il recule les limites de toutes les sciences, etil en pénètre en même temps les profon- deurs intimes. Aristote est, à ce point de vue, une excep- tion absolument unique dans l’histoire de l'esprit humain, et si quelque chose doit nous étonner ici, ce n'est pas Aia? 15 i ts PREET r e | i qu elle soit restée unique, c’est qu’il en existe une : tant 20 INTRODUCTION HISTORIQUE. une semblable réunion de facultés et de connaissances est surprenante pour qui veut s’en rendre compte psycholo- giquement. S'il était arrivé, lors de l'invasion des barbares, que le souvenir d'Aristote périt avec tant d'admirables monuments de la civilisation antique, ses ouvrages eussent pu être pris par les modernes pour une vaste encyclopédie écrite en commun par l'élite des littérateurs, des philoso- phes et des savants de l’une des plus grandes époques de la Grèce. On eût refusé de croire à un seul Aristote, comme on a douté de l'existence d’un seul Homère. Aristote a abordé l'Histoire naturelle avee un plan qui la comprenait tout entière (1). Tout le monde connait et admire en lui le grand zoologisie ; il était aussi géologue et botaniste. C’est au pied de sa statue qu’on eût pu graver à bon droit cette inscription célèbre : Naturam amplec- titur omnem. Entre ses nombreux traités, la plupart conservés jusqu'à nos jours, d’autres dont il ne reste malheureusement que les titres (2), les deux monuments principaux de son génie sont l'Histoire des animaux et le Traité des parties. Après eux, viennent les livres sur la Génération des animaux. Par ces immortels ouvrages, que complétaient plusieurs autres traités d’une moindre étendue, quatre progrès qui, dans l’évolution graduelle de la science, semblaient devoir se suivre à longs intervalles, se trouvent simultanément (1) Voy. BLAINVILLE et MAUPIED, loc. cit., p. 180 et suiv. — Après ce savant travail sur Aristote et ses ouvrages, il suffira de citer ici les leçons de CUVIER, loc. cit., p. 130 et suiv. (2) Mentionnés par DIOGÈNE LAERCE, Vies des philosophes célèbres, ouvrage où se trouve aussi le testament d'Aristote et plusieurs docu- ments sur ce grand homme, ARISTOTE. l 21 accomplis : la zoologie, jusqu'alors si pauvre, est consi- dérablement enrichie , un esprit de sage critique y fait la Part de la vérité et de l'erreur; une classification ration- nelle, expression souvent heureuse des rapports naturels, enchaîne les faits, et déjà de ceux-ci sont déduites des Conséquences générales, souvent d’un ordre élevé; en d’autres termes, la synthèse est dès lors instituée avec et Par l'analyse, Parfois même, la synthèse d’Aristote est Si hardie, qu’elle atteint jusqu'aux plus hautes sommités de la science, jusqu'aux vérités les plus abstraites, et encore aujourd’hui les plus neuves et les moins comprises de la philosophie naturelle. Du sein de ces temps reculés, auxquels ses écrits appartiennent par leur date, Aristote , . , . . ` . 1 Bd -S avance ainsi au loin vers l'avenir; et par un privilége Weordé à lui seul entre tous, vingt et un siècles et demi après sa mort, il est encore, pour nous, un auteur pro- sressif et nouveau. | Tel est, tel m’apparaît du moins l’auteur de l'Histoire des animaux, Disons-le d’ailleurs, et sa gloire n’est en rien affaiblie par cette remarque : pour précipiter à ce degré le mouvement de la science, il ne fallut pas seulement le Sénie exceptionnel d'Aristote, il fallut aussi que ce grand omme vécût dans une grande époque; que le fils de Nicomaque et le disciple de Platon, heureusement initié dans sa jeunesse au savoir positif du médecin comme aux Spéculations abstraites de l’Académie, devint, dans son àge mûr, le maître etl’ami d'Alexandre. Aux productions de l'Europe méridionale, -Aristote put, le premier, com- Parer celles de l'Égypte, de l'Asie Mineure, de la Perse, de l'Inde : c’étaient les trophées que le jeune roi de Macé- 99 INTRODUCTION HISTORIQUE, doine, à chaque victoire nouvelle, se plaisait à envoyer en Grèce, comme s’il se fùt donné pour mission de con- quérir le monde pour la science autant que pour lui- même. Ilétait digne d'Alexandre de s'acquitter ainsi envers Aristote, | VIH. Si, après le naturaliste de Stagyre, l'Histoire naturelle se soutient quelque temps encore, c’est qu'il se survit pour ainsi dire à lui-même, dans ses disciples Théophraste et Praxagore, et dans les disciples de ses disciples, Hérophile et Érasistrate (4). | Plus jeune seulement de treize ans qu'Aristote, ‘et son condisciple à l'Académie, avant d’être son disciple et son successeur au Lycée, Théophraste avait aussi écrit son encyclopédie ; elle se composait de plus de deux cents traités, dont le temps a malheureusement détruit la plupart. Il nous reste, du moins, du mo- raliste, le célèbre livre des Caractères, et du natura- liste, le Traité des pierres, quelques opuseules el fragments zoologiques, l'Histoire des plantes et un Traité des causes de leur végétation. Aristote avait été surtout zoologiste; le second chef de l’école péripatéti- cienne se fit surtout minéralogiste et botaniste. Continuer et compléter son maître était sa noble ambition, et il com- prit quede seul moyen de le continuer dignement, c'était de l'imiter. L'Histoire des plantes de Théophraste, le plus (4) Érasistrate parait se rattacher plus directement encore à Aristote; selon plusieurs auteurs, il était son petit-fils. aa $ + wi e à w £ Aristote subsistent encore dans leurs traits principaux. THÉOPHRASTE. 23 important de ses ouvrages, est modelée sur l'Histoire des Animaux d’ Aristote : la méthode y est la même, et le plan analogue. Mais la même méthode n'y est plus employée d’une main aussi ferme, et ne conduit qu'à des résultats Tune moindre valeur. Théophraste est bon observateur , il est même parfois expérimentateur ; et néanmoins la botanique reste, après lui, infiniment moins riche que la zoologie après Aristote. Cet esprit de synthèse, brillant ractère de la science grecque, ne lui fait pas défaut, Mals ses généralisations ont une bien moindre portée. De Sesclassificationsil ne reste presque rien aujourd’hui ; celles j Théophraste ne demeure pas moins le second natura- liste de l'antiquité, et les études qu’il poursuivait assi- dûment dans son jardin botanique d'Athènes ont, en réalité, fondé la science des végétaux. La minéralogie lui s3 beaucoup aussi, et la zoologie elle-même trouve, ans font yi ; Ont vivement regretter les ouvrages perdus de Théo- Phraste (4), 2734 j) ê | : . Da D L'élève d Aristote n’a pas toujours obtenu de la postérité Une SA TRE . , : K +R š . ne complète Justice; l'illustration à laquelle il a droit a DA À à i 4 . . 5 Pali devant les rayons plus brillants de la gloire de son Me Meilleurs résumés des travaux de Théophraste sur l'Histoire Gb siy ceux que donnent, pour l'ensemble de ces travaux , GEL, Jo D. p. 176 et suiv.; et surtout, pour la botanique, SPREN- ee ka el D. 66 a 119. BLANNVALLE ot MAUPIED, lag. cit., p. 278 et à The ici très inférieurs à Cuvier; les pages qu'ils ont consacrées Cophraste Sont, en partie, empruntées à l’article THÉOPHRASTE , = h Biographie universelle. L'article est de M. THIÉBAUD DE BER- AUD; il ne méritait pas cet honneur. les fragments qui subsistent, des notions qui GA ni d E | à we | E $ { + a D A r ho aoii E E e E 24 Dey pitagan — araa ES PRE Pole ve page RSR ct 54 so ne NE a nl 9 INTRODUCTION HISTORIQUE. maitre. Si l'on eùt jugé Théophraste en lui-même, on cùt admiré à quelle hauteur il avait porté l’Histoire naturelle : en comparant les deux naturalistes grecs, on a surtout remarqué combien Aristote a su l’elever plus haut encore. Les autres péripatéticiens, Praxagore, Hérophile, Éra- sistrate ne sont plus, à proprement parler, des naturalistes : ce sont des médecins. Mais ces médecins ont fait plus pour notre science que bien des naturalistes de profession. L’Égypte est à peine devenue grecque, que Praxagore y commence, sur le cadavre humain, des études impossibles - dans sa patrie. Hérophile, son élève, puis Érasistrate, disciple de Théophraste après l'avoir été quelque temps d Aristote lui-même, viennent bientôt à leur tour sur la terre des Ptolémées, et, par le nombre et l'importance de leurs découvertes anatomiques, ils surpassent à là fois leur devancier Praxagore et tous leurs successeurs Jusqu'à = Galien. IX. Chez les Romains, l’agriculture est pendant longtemps la seule science ou mieux le seul des arts de la paix qui soit en honneur. Varron et Columelle, quelque intéres- sants que soient souvent au point de vue de l'Histoire na- turelle leurs traités De re rusticå, ne sont pas des natu- ralistes, mais des agriculteurs. A plus forte raison, parmi les Grecs, ne peut-on donner le titre de naturaliste ni à l'historien Polybe, ni au géo- graphe Strabon : leurs ouvrages ne renferment pas moins des documents que leur exactitude et leur précision nous PLINE. | 25 s i rendent parfois très précieux. Auctor non Incertus , à 4 dit Tite-Live de Polybe, et Strabon a souvent mérité le même éloge. i yia #10 Pline l’ancien, Athénée, Oppien , Elien, Ausone, sont consultés par nous bien plus souvent encore, et leurs ou- vrages. sont une source inépuisable de notions, que nous ne devons accepter, toutefois, qu'avec une extrême ré- serve. Disons-le sans détour : tous ces hommes que la longue flatterie des modernes envers l'antiquité a si souvent décorés du titre de naturalistes illustres, ne sont vraiment | . ue des littérateurs à propos de l'Histoire naturelle. Et F quand nous passons d'Aristote à ses prétendus succes- | Seurs, nous retombons de toute la hauteur qui sépare l'invention et le génie de la compilation fleurie et de la causerie spirituelle. | | -Pline lui-même n’est qu'un compilateur plus élégant Peut-être, plus spirituel, mais tout aussi peu scrupuleux, On peut le lire avec plus de plaisir, mais non avec plus de Profit. Il amuse, il charme ; il n’a pas la prétention d'in- Struire, La lui supposer , ce serait même porter atteinte une illustration, à d’autres titres si méritée; ce serait lui imputer d'avoir sérieusement reproduit, d'avoir adopté toutes ces fables absurdes ; d’avoir cru à tous ces contes de bonne femme dont il a rempli tant de pages, en dépit de à taison et malgré la réfutation de ces inepties populaires faite déjà quatre siècles auparavant par Aristote lui-même. * Que Pon cesse donc enfin, dans l'intérêt de Pline lui- Même, de le qualifier de naturaliste ; car la postérité aurait à lui devenir sévère : il n’est point de mérite de style ou ; de pensée qui puisse faire oublier ou racheter un défaut Į: o A . æ% “ te » à: à TE Tr ARE TT APT a 96 INTRODUCTION HISTORIQUE, aussi absolu de. critique, une aussi aveugle crédulité. Et surtout que l’on bannisse enfin del’histoire de lascience tous ces parallèles si chers aux rhéteurs, entre Aristote et Pline (4), entre Pline et Buffon : Buffon que ses contem- porains ont cru flatter, et que dans notre siècle même on à prétendu honorer, en le décorant du nom de Pline français (2). C'était louer Buffon comme on eût pu louer Valmont de Bomare (3)! X. Si la Grèce, devenue province romaine, ne se fût sur- vécu à elle-même, nous pourrions terminer ici cette esquisse de l’histoire des sciences naturelles de l'antiquité : (4) J'ai peine à croire que Cuvier, dans sés célèbres leçons histori- ques du Collége de France, ait pu comparer, lui aussi, Pline à Aristote, et prononcer ces paroles qu’on lui attribue dans la rédaction de son cours sur l'Histoire des sciences naturelles, loc. cit., p. 260 : « Pline » écrivit alors son Histoire naturelle, ouvrage qui n’est pas moins » remarquable parmi les Latins que celui d’Aristote parmi les Grecs. » Si l’illustre professeur avait, en effet, porté ce jugement, j'en appel- lerais à lui-même. On lit un peu plus bas (p. 264), dans la même leçon, et ici je retrouve Cuvier : « Pline est loin d’avoir le génie » d’Aristote.... Quoique écrivant à une époque plus éclairée, il a » accueilli avec peu de critique toutes les fables absurdes qui étaient » accréditées de son temps. Il semble même qu’il ait eu une prédilec- » tion particulière pour le fabuleux. Son ouvrage, d’ailleurs, manque » d'ordre, de méthode. » En résumé, Cuvier le considère comme le plus extraordinaire des compilateurs ; et ceci même n’est vrai que par rapport aux compilateurs de l'antiquité. (2) Linné a été de même appelé le Pline du Nord. (3) Je viens de reproduire, sur les ouvrages d'Histoire naturelle publiés du 1°% au 1v° siècle, une opinion que j’ai énoncée pour la pre- ` DIOSCORIDE. ._ 7 Dioscoride sous les Césars, Galien sous les Antonins, sont tous deux Grecs (1). Bien moins célèbre que Pline, Dioscoride a bien plus de droits que lui au titre de naturaliste. Il est, toutefois, médecin de profession, et c’est essentiellement pour l'appliquer à son art qu'il aborde notre science : il n'écrit pas un livre d'Histoire naturelle proprement dite , Mais ce que nous appellerions aujourd’hui, ce qu’il appelle déjà un traité de matière médicale : Mège Dane lurpixe, tel est le remarquable titre de son ouvrage. C’est le règne végétal qui fournit à la thérapeutique la plupart de ses mé- dicaments; Dioscoride est donc surtout botaniste : aussi l’a-t-on souvent comparé à Théophraste, qu'il égale selon Plusieurs, qu'il surpasse selon d’autres. Il est, en réalité, très inférieur à son devancier pour- l'art des descriptions, la méthode et l'esprit scientifique; mais il a vu plus de Plantes ; il sait et expose plus de faits de détail, et tandis mière fois en 1837 (Revue des deux mondes, livr. du 1% avril). On fut d'abord loin de s’y rendre. On la trouva injuste et irrévérencieuse envers plusieurs grands écrivains, envers Pline surtout. Je fus accusé du crime de lèse-antiquité. Depuis, j'ai relu Pline, je l'ai étudié de Nouveau, et je persiste dans mon opinion. J'ai eu, d’ailleurs, la satisfaction de la voir partagée, et presque dès le moment même où je venais de l’émettre, par M. VILLEMAIN, Cours de littérature, xvm° siècle, 1838, part. I, t. IL, p. 384. La sévérité de illustre professeur va même bien au delà. Elle atteint aussi, dans Pline, le littérateur. « Pline, dit M. Villemain, appartenait à cette école.d’ima- » gination plutòt que de goût, qui produisit dans Tacite un peintre 4 incomparable, mais qui, partout ailleurs, est empreinte de déclama- tion et de subtilité. Homme de lettres, bien plutôt que de sciences, Pline » jette souvent sur des fables ou des idées fausses un style recherché.» (1) Tous deux étaient nés, non sur le sol même de la Grèce, mais dans l'Asie Mineure : Galien, à Pergame, en Mysie; Dioscoride, à Ana- zarbe, en Cilicie. L A 1 LA >$ H LE on à A iaia ee - rm no Re A M ainle RSS Ré nn À SR EUR ae“ 28 INTRODUCTION HISTORIQUE. que Théophraste était surtout consulté par les savants, Dioscoride est bientôt devenu classique parmi les méde- cins, et il n’a cessé de l'être, en Europe, que dans les lemps modernes, et en Orient, de nos jours (4). Le siècle suivant est celui de Galien. Les traités de l'Administration anatomique et de l’Usage des parties font de cette dernière époque l’une des principales de la science. Un seul médecin de l'antiquité a pu être com- paré à Hippocrate: c’est Galien; un seul anafomiste et physiologiste, à Aristote : e’est encore Galien, du moins en ce qui concerne l’homme; et il s’est avancé bien au delà de l’un et de l’autre (2). Dernier effort du génie grec! Le mouvement imprimé par Aristote avait duré plus de cinq cents ans : il s'arrête. Après Galien, on écrit, oncommente, on discute ; on n’in- vente plus. (1) Sur Dioscoride, voy. SPRENGEL, loc. cit., p. 154 et suiv. L'au- teur énumère les plantes décrites par le botaniste grec, toutes celles du moins dont la détermination a pu être obtenue. Dans le même ouvrage, on trouve de précieuses indications sur les connaissances botaniques de. Pline et de Galien, (2) Sur les services rendus par ce grand médecin aux sciences na- turelles, voy. CUVIER, loc. cit., p. 842; et surtout BLAINVILLE et Maure, t. I, p. 842. Sur l'ensemble des travaux de Galien, en attendant l'ouvrage étendu que prépare M. DAREMBERG, ON consultera avec intérêt son Essai sur Galien considéré comme D Voy. la Gazette médicale, 1847, t. XVII, p. 591. Voy. aussi la Thèse inaugurale de M. Daremberg. Paris, in-4, 1841. Les consciencieuses recherches de M. Daremberg auront pour ré- sultat, non seulement de mieux faire comprendre et apprécier les parties déjà connues des œuvres de Galien, mais de faire connaître . des parties importantes jusqu’à ce jour plus ou moins complétement ignorées. AAA RAA APS INT NII VNVYNNNINININNNININ IN NU DEUXIÈME SECTION. RENAISSANCE ET PROGRÈS DE L HISTOIRE NATURELLE DANS LES LE pe S: Sorar, — L Réveil de l'esprit humain. — I, Renissanco des lettres et des sciences, ` Renaissance de l'Histoire naturelle. : Seizième siècle, — III. Naturalistes compilateurs. Premiers observateurs, WN: Clusius, Rondelet, Belon, — V. Gesner. — VI; Césalpin. i Fin du seizième siècle et première partie du diæ-septième. — VII. Physiologistés, Fabrice v Aquapendente. HARVEY. — VIII, Zoologistes et botanistes. Colonna. Les Bauhin: -Seconde partie du dig-septième siècle et commencement du dix - huitième. — ix. Micrographes. — X. Anatomistes, Zoologistes. Classificateurs. — XI. Résumé, ` Esprit nouveau de la science. Division du travail. t Dans le moyen âge, l'Histoire naturelle subit le sort Commun des connaissances humaines : c’est une longue | Nuit que va suivre une autre aurore. Un seul homme, sur les confins de l'antiquité et du Moyen âge, élève un instant la voix: Isidore de Séville rassemble dans un immense ouvrage, afin de le conserver àla postérité, ce qu’on sait encore de son temps. Mais, après lui, les ténèbres semblent s’épaissir encore. L’obs- Curité est surtout profonde en Occident. Dans l'Orient, du Moins, à Constantinople, à Bagdad, ailleurs encore, on entend, de siècle en siècle, quelques échos affaiblis de la Science antique. Un moment même, Ibn- -Sina, que nous n Saa ——— r a e À 50 INTRODUCTION HISTORIQUE. appelons Avicenne (4), semble près de faire revivre plu- sieurs branches des connaissances humaines : il est natu- raliste en même temps que médecin et philosophe. Il est de plus alchimiste, comme tous ceux de son temps et de son pays. Le réveil de l'esprit humain date pour l’Europe de la création des universités. Celles de plusieurs villes d'Italie et de France sont fondées dès le xnre siècle; celle d'Oxford au commencement du xm‘; celles de Prague et de Co- logne, au xive. A cette époque, la philosophie cesse d’être entièrement asservie à la théologie, ancilla theo- loaiæ, comme on l'avait appelée; et le nominalisme se ? ? pose en face du réalisme, si longtemps souverain dans toutes les écoles : c’est du moins, dans les voies sans issue de la vieille scolastique, une tentative de réforme et de progrès. | Entre les travaux qui, à cette époque, recommencent la science, et ceux qui, dix-huit siècles auparavant la ? 3 créaient chez les Grecs, ilya à la fois analogie sous un point de vue, opposition complète sous un autre. Point de sciences distinctes; c’est leur ensemble, ou la philosophie, (1) Un peu avant Avicenne, qui a écrit dans la première partie du xr siècle; le philosophe Alfarabi, le Phénix du quatrième siècle (de l'Hégire}, paraît avoir possédé des connaissances étendues sur les êtres vivants, particulièrement sur les plantes. M. HOEFER, dans sa savante Histoire de la chimie, Paris, 1842, t. I, p. 326, a récemment fait connaître un manuscrit d'Alfarabi qui offre quelque intérêt à ce point de vue. | Plus près de nous, le médecin et philosophe Ibn-Rochd, ou Averroès (xut siècle) , etle médecin Ben-Beithar (x1n° siècle), ont aussi, comme na- turalistes, honoré la science arabe. Ben-Beithar a laissé un dictionnaire de matière médicale où il ajoute à Dioscoride et le corrige quelquefois. D TE MOYEN AGE ET RENAISSANCE. òl que chacun, comme autrefois, prétend cultiver et ensei- sner. Mais les philosophes grecs s'avançaient hardiment vers la connaissance des vérités de tous les ordres, affran- chis de toute autorité, même trop souvent de celle des faits, cherchant surtout, dans la sagacité inventive et la force Synthétique de leur esprit, des ressources qui suppléaient Parfois merveilleusement à tout ce qui leur manquait d'ailleurs. Au moyen âge, et au commencement de la re- naissance, au contraire, nulle initiative scientifique (4), nul effort d'invention et d'imagination, nulle aspiration vers lavenir; tous se tournent vers le passé, et n’ont qu'une Seule et même pensée : étudier etcomprendre les anciens ; faire le dépouillement de tout ce qui est dans leurs livres; reconstruire pièce à pièce l'édifice de la science antique. Immense labeur par lequelil fallait en effet commencer ! Matre siècles y furent entièrement consacrés, sans même y Sulire ! Pour l'Histoire naturelle en particulier, des pre- miers érudits du moyen âge à Linné, il s’écoula plus de temps que des premiers philosophes grees à Aristote (2). IL i Dans une époque où la connaissance des anciens est le ut de tous les efforts, le mérite suprême est l’érudition, hie de glorieuses exceptions. Que d'initiative! quelle force ~ ve, quel génie novateur chez le moine Roger Bacon ! Man, sn don quelques "a des e e j'indique, je dans un 5 f _— Sur les US TUE s seizième et de ; “i tème aa dans mes Essais de zoologie générale, p. 98 CES. OUS ne devons donc reprocher aux naturalistes du xvue siècle, x r# NEEE or e EN E AE EII EON he Lorie in, RE cute: reve Wi e n EE R a a A s Fa + Mu. CT calé … ;. Lis ne re tie Ai vd 32 INTRODUCTION HISTORIQUE. et l’œuvre par excellence, la compilation commentée. C’est là, depuis le xn° siècle, le caractère commun des travaux accomplis sur divers points de l'Europe : partout des com- pilateurs et des commentateurs. Les uns compilent et com- mentent les ouvrages des anciens; les autres, les compi- lations et les commentaires des: auteurs précédents. Les uns le font avec une érudition lucide et intelligente; les autres, sans goût, sans critique; mais tous, interprètes habiles ou plats et serviles copistes, tous marchent dans les mêmes voies, poursuivent la même œuvre. On comprend ce que pouvait être alors l'Histoire natu- relle. A l'étude de la nature était substituée celle des livres qui en avaient autrefois traité; et l’on ne songeait, sans enrichir la science de notions vraiment nouvelles, qu'à remanier sans cesse les notions antérieurement acquises. Et encore, dans cetle époque de restauration érudite, les meilleures sources d'érudition manquèrent longtemps aux compilateurs: jusqu'au xme siècle, les livres eux-mêmes d'Aristote n'étaient connus, l'Organon excepté, que par quelques extraits peu fidèles; et quand enfin Albert » disais-je en résumant cet article, ni de s'être portés avec ardeur sur » l'étude des livres anciens, car cette étude était nécessaire, ni de lui » avoir consacré tant de temps, car elle était éminemment difficile. Ge » qui a été fait, était précisément ce qu'il fallait faire ; et ceux de nos » Contemporains qui, du haut de la science de leur siècle, ont jugé » sévèrement et presque avec dédain les travaux de cette époque, ont » fait acte à la fois d’injustice et d’ingratitude. Ces hommes laborieux » et persévérants qui ont consumé leur vie dans les recherches les plus » abstruses et les plus arides, et, par elles, ouvert la voie à leurs » successeurs, ne sont-ils pas pour nous de véritables ancêtres scien- » tifiques, auxquels nous devons notre reconnaissance aussi bien que » hotre estime? » mere dh B MOYEN AGE ET RENAISSANCE. 33 le Grand les rendit à l’Europe, cene fut, alors même, qu'à l'aide d’une traduction arabe, de seconde main. Il fallut attendre deux siècles encore (4), de Théodore Gaza, une restitution complète de ces trésors si longtemps désirés. Que pouvaient, pour les progrès de l'Histoire naturelle, des auteurs qui n’étudiaient, ni la nature elle-même dans ses productions partout négligées, ni les livres presque ignorés du grand naturaliste de l'antiquité? L'Histoire naturelle, délaissée par les auteurs qui précèdent Albert le Grand (2) et Vincent de Beauvais (3), l’est presque Autant par ceux qui les suivent : Manuel Phile excepté, elle reste presque, au xiv° siècle, ce qu’elle était dans lEty- Mologicon d'Isidore de Séville. Elle renait enfin du xnv° au xve. C'est l'époque où Théodore Gaza rend à l'Europe Aristote ct Théophraste, ou Hermolaüs Barbarus commente et essaie de corriger Pline et Dioscoride. C’est celle aussi où les médecins italiens, et Mundinus l'un des premiers (4), reprennent (1) Mais non jusqu’à la prise de Constantinople, comme on l'a sou- vent dit. Théodore Gaza s’est réfugié en Italie en 1429, après la prise de Thessalonique, sa patrie. C’est en 1453 que Mahomet IL s’est emparé de Constantinople. BUS | (2) Sur ce grand homme, et en général sur les auteurs qui, durant le moyen âge, ont écrit sur l'Histoire naturelle, on consultera avec beaucoup d'intérêt l'ouvrage que vient de publier M Poucner, et ui à pour titre : Histoire des sciences naturelles au moyen âge, ou Albert le Grand et son époque. Paris, in-8, 1853. Sur Albert, en par- ticulier, voyez le chapitre V, p. 203 et suiv. - i + (3) Poucuer, loc. cit., pe 47L et suiv. ROME 7 à (4) Non le premier, comme on l'a presque toujours dit. Mundinus à professé, à l'université de Bologne, de 1315 à 1396, époque de sa Mort. Dès le siècle précédent, l'empereur Frédéric H avait voulu que 1. s 3 4 AE g PE a RE RE N megir e ainia iN ie L tsar əh INTRODUCTION HISTORIQUE” l'étude, si longtemps interrompue , de l'anatomie (4). Enfin, dans cette époque encore, l'exploration du globe, entreprise par les Portugais, et activement poursuivie par plusieurs peuples, commence à faire connaitre les pro- ductions des contrées tropicales. Ainsi, au moment même où les érudits retrouvent les sources du savoir antique, les médecins, les voyageurs inaugurent déjà la science mo- derne dans deux de ses directions principales, la physio- logie et. l'histoire naturelle proprement dite. Si cette époque a à peine réalisé par elle-même quelques progrès en Histoire naturelle, elle a du moins préparé tous ceux qui se sont accomplis dans le siècle suivant; et c'est ce que les modernes ont trop oublié. I y a loin de Gaza à Gesner, de Mundinus à Vésale, des aneiens collecteurs de plantes où d'animaux, à Clusius et à Césalpin; mais un seul pas en avant, si ce pas est le premier, est encore des dissections fussent faites dans les diverses universités de l'Empire et du royaume de Naples. On ne voit pas que ces dissections aient utilement laissé trace dans la science : mais la mesure prise par Fré- déric ne reste pas moins comme un titre d'honneur pour ce prince, pro- tecteur si constant et si éclairé des lettres et des sciences renaissantes. Vest au même prince que l’on doit le traité De arte venandi cum avibus, où plusieurs oiseaux, dañs cette époque de compilation, sont exactement décrits d'après nature. (4) Mundinus paraît n'avoir jamais dissédué (du moins publique- ment) que deux cadavres humains, trois au plus; et ses dissections ont peu profité à la science. Mais il avait osé donner l'exemple. Un tel service vaut bien des découvertes. i Son Anatome omnium humani corporis interiorum membrorum a été longtemps classique. On Pa souvent réimprimée avec ou sans les précieux Commentaria de BÉRENGER DE CARPT, qui, plus heureux que son prédécesseur, avait pu s'éclairer d’un grand nombre d “obser- vations anatomiques. re r EAEE A ia EA BERNARD PALISSY. 39 Un titre au souvenir de la postérité. Longtemps après la Mort de Gaza, ceux qui passaient devant sa maison de Ferrare se découvraient avec respect : cet hommage n'était que justice. H. M S e Laconnaissancedes monuments de l'antiquité continue | à être, dans le xvi° siècle, l’objet des travaux les plus nom- t- breux et les. plus persévérants. Les naturalistes sont en- | Core en général des- érudits. Seulement les uns ne sont | | qu'érudits les autres, et ce ne sont pas ceux dont l’érudi- tion est Ja moins sûre, sont en même temps observateurs et inventeurs, quelques uns même penseurs pleins de har- iesse, Dans cette époque, il n’est guère qu’un seul homme dont on puisse dire qu’il procède de lui-même, et qu'il est toujours tourné vers l'avenir (4), et cet homme de génie N'aPpartient à l'histoire de notre science que par un seul k Côté de ses travaux si merveilleusement divers. C’est le Premier auteur. de la détermination de ces corps orga- nisés fossiles, dans lesquels on ne sut voir si longtemps que de simples jeux de la nature, dans lesquels il montre enfin les preuves (2) de l'antique submersion des conti- (1) Dans ses recherches scientifiques, du moins. | ge même auteur est aussi un archéologue distingué. On a de lui des études intéressantes sur divers monuments anciens qu'il avait 2 ne eue rer + r ` $ +” r : LN ORF: o a (2) Entrevues déjà par LÉONARD DE VINCI (voy. Poucuer, loc. cita, P. 509), et beaucoup plus. anciennement par AVIGENNE, dans des 30 INTRODUCTION HISTORIQUE. nents; c’est le père de la géologie, l’un des créateurs de l’agriculture moderne, et l'inventeur des rustiques figu- lines: c’est le potier de terre, Bernard Palissy (1). On pourra remarquer que les noms qui vont maintenant être cilés appartiennent presque tous à la médecine. C’est elle, en effet, qui a surtout initié les modernes aux sciences d'observation. Non seulement Vésale, Fallope, Eustache de Saint-Séverin, si bien nommés les triumvirs de lana- tomie; du Bois ou Sylvius; Fabrice d’Aquapendente , passages très remarquables pour le temps où ils ont été écrits, et sur lesquels M. Hogrer , loc. cit., t.1, p. 328, a récemment appelé l'attention. Ils se trouvent insérés dans la Bibliotheca chemica curiosa de MANGET, édit. in-fol. de 1702, t. F, p. 636 et 637. (4) Et cet ouvrier de génie est, en même temps, au xvi° siècle « un dés plus grands écrivains de la langue française, » vient de dire l'illustre auteur du Civilisateur. — Voyez, dans la cinquième livraison 1859, p. 250, le remarquable article de LAMARTINE, intitulé : Bernard de Palissy, le potier de terre. Est-il besoin d'ajouter que Palissy resta longtemps incompris? Près de deux siècles plus tard, en 1749, BUFFON, Théorie de la terre, dans l'Histoire naturelle, t. I, p. 267, lui rendit enfin cet hommage digne de WUS : .” «Un potier de terre, qui ne savait ni latin ni grec, fut le premier » qui osa dire dans Paris, et à la face de tous les docteurs, que les co- » quilles fossiles étaient de véritables coquilles déposées autrefois par » la mer dans les lieux où elles se trouvaient alors... ; et il défia har- » diment toute l'école d'Aristote d'attaquer ces preuves. C'est Bernard » Palissy, Saintongeois, aussi grand physicien que la natureseule en » puisse former un : cependant son système a dormi près de cent ans, » et le nom même de son auteur est presque mort. » Dans les travaux de Bernard Palissy est « l'embryon de la géologie » moderne, » à dit très justement CUVIER. — Voyez son Histoire des sciences naturelles, t. 11, p. 254; passage où le mot zoologie, substitué au mot géologie, Sans doute par une faute typographique, forme un contre-sens qui ne saurait échapper aux lecteurs attentifs. | MÉDECINS NATURALISTES, 37 aussi justement célèbre que son maître Fallope; Botal, Columbus, Ingrassias, Ambroise Paré ; non seulement tous ceux qui poursuivent alors avee succès l'étude du Corps humain sont des médecins ou des chirurgiens dis- tingués, mais il en est de même, à bien peu d’exceptions près, des naturalistes proprement dits de cette époque: L'Histoire naturelle n’est guère, alors, qu'une annexe dé la médecine, et c'est là une des différences les plus mar- quées que j'aie à signaler entre la première origine de notre science et sa renaissance moderne, Dans l'antiquité, l'Histoire naturelle est créée par les philosophes ; elle est done de bonne heure philosophique, et la prééminence, entre ses différentes branches, est longtemps acquise à Ja zoologie, principalement à l’histoire des êtres les plus Voisins de l’homme; de ceux chez lesquels les manifes- lalions de la vie sont les plus variées et les plus saisissantes Pour l'esprit. Maintenant l'Histoire naturelle est cultivée par les médecins; elle l’est donc surtout au point de vue de ses applications à l'art de guérir: et la botanique devient la branche la plus généralement et la mieux étudiée (4). Elle l’est même d'abord presque seule. Au début du xvre siècle, nous ne trouvons guère que des botanistes, ou, plus exactement, des érudits spécialement occupés de l'interprétation et du commentaire des livres anciens sur les végétaux. Tels sont, très utiles encore dans le cercle (1) Comme elle l'était déjà, et par la même raison, à l’école d'Alexandrie et chez les Arabes. Dès que l'Histoire naturelle passe des Mains des philosophes à celles des médecins, la botanique obtient une Préférence très marquée. ns ae ge Gt e NAESSENS i Kp SA ÿ à PTE k3 4 so ai R D A T e o amaai Ra ei PARRER E AER homme 4 qe RS eee de EU — aa Eata : = me canne a | 38 INTRODUCTION HISTORIQUE. où ils se renferment, le premier des Leonicenus, tra- ducteur de Galien et commentateur de Pline, qu'il ose déjà critiquer et réfuter, et Monardus qui établit, eńtre les corinaissances de l'antiquité et celles des Arabes au moyen âge, une comparaison tout à l'avantage des Grecs. Tous deux appartiennent à la fois aux xv° et xvi* siècles; et tous deux sont Italiens : car, pour l'Histoire naturelle aussi, la renaissance est surtout italienne. C’est par Brasavola, fondateur du premier jardin bota- nique qui ait existé dans les temps modernes (4), par Matthiole, par Ruel, que l'observation s’introduit dans les livres botaniques, qui pourtant restent encore essentielle- ment des commentaires des anciens. Lonicer commence aussi à s’en éclairer dans la vaste compilation où il essaie de traiter de l'Histoire naturelle tout entière. Enfin elle prend décidément, et de plus en plus, une grande place dans les ouvrages des botanistes Brunfels, Dodoens Rembert ou Dodonæus, Bock ou Tragus, les Cordus, Daléchamps , Lobel, Fuchs; et des zoologistes Gilles ou Gillius, Wotton et Salviani, auteurs aussi supérieurs aux précédents qu'ils sont eux-mêmes surpassés par Clusius, Rondelet et Belon, et, au-dessus de tous, par Gesner et 3 à Césalpin. | (4) Théophraste, comme on l'a vu plus haut, avait déjà un jardin botanique. . Celui qu'a créé Brasavola appartenait au duc de Ferrare, et n’était pas public. C’est Pise qui à dù, quelques années plus tard, au grand duc Cosme de Médicis, l'avantage de posséder le premier jardin bota- nique, librement ouvert aux études des naturalistes et des médecins. En Allemagne, Euricius Cordus paraît avoir fondé aussi de très bonne heure un jardin botanique. Ds RONDELET ET BELON. 39 i Pi x | 4 À Lois E 4 Fr à [EE 1 f Î | =. Ces cinq noms, justement célèbres, rappellent non seu- lement des efforts nombreux et utiles, mais aussi des Progrès importants. Si resserré quesoit le cadre de ce travail, je ne saurais renoncer, ni à indiquer ce que firent É i | pour la science Clusius, Rondelet et Belon, ni à dire ce | qu'elle dut à Gesner et à Césalpin. : | | Clusius, ou pour rétablir ici un nom qui honore la p France, Charles de lÉcluse, représente par excellence, entre tous ses contemporains, l'introduction dans les cadres de la zoologie et de la botanique, des animaux ct des plantes exotiques, découverts dans ce siècle et dans le Siècle précédent. Par Clusius, l'Histoire naturelle com- mence à revêtir l’un des caractères sans lesquels elle ne Sérait pas digne du nom de science; elle cesse d’être D. locale, elle s'étend sur toutes les régions connues du | Slobe; elle tend à se faire universelle et comparative. Rondelet et Belon sont, dans l’histoire de la zoologie, Séparables l'un de l’autre : par leurs efforts, paral- à lement continués durant un grand nombre d'années, LA 1 AE el par ceux de Salviani, l'une des b anches principales d 5 f da zoologie, l’histoire des poissons, se trouye dès lors w portée très loin. Rondelet et Belon sont les créateurs | | # Le ra l'ichthyologie. Et ce titre; auquel tous deux ont des : | | 4 oits égaux, n’est pas le seul dont la science doive leur tenir compte, A Rondelet, il appartient d’avoir pré- HS. ee a Angi ER FT PARU opte ne. á -y E a n hO INTRODUCTION HISTORIQUE. paré par de justes et ingénieux rapprochements, d’avoir ébauché même, dans son Histoire des animaux aquatiques, une classification rationnelle; premier pas vers l’un des progrès les plus importants et alors les plus difficiles de la zoologie. Supérieur à son émule dans la connaissance et l'interprétation des anciens, Belon est en même temps, dans son époque, l’un des explorateurs les plus actifs du globe dont il va étudier les productions en Allemagne, en Italie, en Grèce, en Turquie, en Égypte; son retour enrichit la science autant que les efforts réunis de tous ses prédécesseurs, depuis l'antiquité, et de tous ses Contemporains. Puis, penseur audacieux dans ses ouvrages, il ose, pour la première fois, à la tête d’un livre ornithologique (1), dresser le squelette d’un oiseau en face de celui de l’homme, et désigner par des signes com- muns toutes les parties analogues de l’un et de l’autre (2) : pensée d'une immense portée, et qui, dans une époque aussi reculée, assure à Belon l'honneur du premier essai tenté pour la démonstration partielle de l'unité de compo- sition organique. Conrad Gesner est, avant tout, un compilateur ; nul n’a plus compilé que lui, et ce sont bien les qualités du com- pilateur, son immense érudition, sa merveilleuse assi- (4) Histoire de la nature des oiseaux. Paris, in-fol., 1555. (2) « Pour faire apparoistre, dit Belon, combien l'affinité est grande » des vns aux autres. » | GESNER. WA duité (4), que ses contemporains ét ses successeurs ont Surtout admirées en lui. Mais nul mallie mieux à ces qua- lités, communes à tons les bons travaux du xvie siècle, celles qui pouvaient les rendre vraiment fécondes, et c’est pourquoi ‘Gesner conserve un rang si élevé dans la science. J'avoue n'avoir jamais eu la patience de lire dans son entier ces ouvrages que Gesner a eu la patience bien plus grande de composer; et je crois pouvoir dire que nul n'a, plus que moi, poursuivi jusqu’au bout leur laborieuse étude. Qui le pourrait dans une époque riche de plus de livres qu’elle ne possédait de pages au temps du naturaliste de Zurich ? rés | Mais si Gesner n’a plus p> lecteurs, il est encore con- sulté chaque jour, il ne cessera jamais de l'être; et ceux qui le consulteront, le feront toujours avec un immense profit pour eux et une égale admiration pour lui. Sa grande Histoire des animaux, dont les diverses parties parurent de 1551 à 4587 (2), n’est pas un simple traité, mais bien Plutôt une bibliothèque complète de zoologie. Tout ce qu'on savait alors sur les animaux, tout ce que l'antiquité et le moyen âge avaient transmis aux temps modernes de notions zoologiques, tout s’y trouve fidèlement rapporté, méthodiquement classé, éclairé par une intelligente eriti ‘ue, et, de plus, enrichi de faits habilement observés par Gesner lui-même. (1) « Proliwissima eruditio et stupenda fere assiduitas. » SCHMIEDEL; Vita Conradi Gesneri , à la tête de l'édition qu'on lui doit des Opera botanica de GESNER (Nuremberg, in-folio, p. xxxvij ). (2) Des cina parties qui composent ce grand ouvrage, la cinquième, tui traite des serpents, est posthume. Aussi jrek A E mij à la plu- part des exemplaires de l'œuvre de Gesner: k 3: a GR SE iaa- vraie sage D us rar = - TN aF À de mé Be ré D 20 + ae pens ms anao: i w : d | d (| À | jii HE d e] i EEN EUR |: il i 1 { ni A] h2 INTRODUCTION HISTORIQUE. L'Histoire des végétaux, monument non moins vaste selon le plan de l’auteur, est malheureusement restée ina- chevée ;elle eût eu les mêmes mérites, et un autre encore, et d’un ordre supérieur, qui donne aux parties publiées une valeur considérable. L'auteur fait, dès lors, des mo- difications de la fleur et du fruit, une étude toute spéciale ; il signale la prééminence des caractères qu’elle fournit, et jette ainsi les premiers fondements de la classification naturelle des plantes (1). Immenses travaux sur lesquels on ne peut reporter son souvenir sans être frappé d'étonnement! Le zoologiste qui ne connaîtrait de Gesner que sa grande Histoire des ani- maux, supposerait que l'exécution d’un aussi gigantesque ouvrage a dù remplir tous ses moments; le botaniste pourrait penser de même de ses œuvres botaniques. Et pourtant Gesner a laissé aussi un livre sur les miné- raux; il a écrit sur la médecine; il a traduit du grec Stobée, Héraclide de Pont, et d’autres auteurs ; il a donné une excellente édition d'Elien; sa Bibliothèque universelle est, pour l’époque, un véritable traité de bibliographie ; et son Mithridate est presque pour la linguistique ce que ses autres grands ouvrages sont pour l'Histoire naturelle. Voilà ce qu'avait faitGesner lorsque la mort le surprit à quarante- neuf ans : mort aussi belle que sa vie elle-même! Dans l'épidémie pestilentielle qui sévit en Suisse en 1564 et 1565, Gesner, dévoué au soin des malades, est atteint (t) Gesner s’est toute sa vie occupé de botanique. Enfant, il collec- tait et desséchait des plantes; plus tard, il cultivait et observait dans son jardin, et commençait une riche série de dessins botaniques. Il en a laissé.plus de quinze cents. i CÉSALPIN. | 13 Son tour de symptômes mortels : il se fait porter dans Son cabinet, met en ordre ses ouvrages inachevés , et ne cesse de travailler, le cinquième jour, qu'en cessant de vivre! > Gesner a été dit le Pline de l'Allemagne et le Restau- rateur de l'Histoire naturelle. De tous les savants du \ siècle, il est, en effet, et au-dessus de toute compa- raison, celui qui à fait le plus pour notre science. Une des raisons pour lesquelles il lui a été si utile, c’est que tous les progrès qu'il a réalisés étaient de ceux que réclamait immédiatement l'état de la science, ou qu'elle allait réclamer dans son avenir le plus prochain. Gesner devançait ses contemporains autant qu'il le fallait Pour mwen être jamais perdu de vue, pour les entraîner à Sa Suite en avant. Pour être le plus grand naturaliste de Son siècle, Gesner n’était point un naturaliste de génie, à Moins qu'on ne veuille adopter cette définition célèbre : le Bénie, c’est la patience. yI. 5 L'homme de génie, dans le vrai sens de ce mot, c’est, dans cette époque, Césalpin, et il n’est besoin pour le Prouver que de dix pages, les dix premières de son livre immortel De plantis. Dans la préface, Césalpin s'élève à la conception générale de la méthode naturelle dont il indique dès lors, àvec une étonnante netteté, le principe, le plan et les avantages. Dans le premier chapitre, il an- nonce formellement la circulation du sang; et non pas hh INTRODUCTION. HISTORIQUE. seulement, comme le dit Haller lui-même, comme le répète Cuvier (4), la pe tite circulation, connue aussi de Michel Servet (2) et de Columbus, mais aussi la grande circula- tion, par conséquent la circulation tout entière; et c'est la gloire unique de- Césalpin jusqu'à Harvey! Ce même livre est encore le premier où l’organisation et les fonctions (1) Les physiologistes, sans excepter Haller lui-même, avaient seu- lement donné attention à divers passages des Quæstiones peripatetica et des Queæstiones medicæ, les uns obscurs, les autres relatifs seulé- ment à la petite circulation. Mais dans le traité De plantis, iu-4, Florence, 4583, on lit (au commencement du premier chapitre du second livre, p. à) : « Qua autem ratione fiat alimenti attractio, et nutr itio in plantis , » consideremus. Nam in animalibus videmus alimentum. per venas » duci ad cor tanquam ad officinam caloris inditi , et adepta inibi ul- » tima perfectione per arterias in universum corpus distribui agente » spiritu, qui ex eodem alimento in corde gignitur. » - DUPETIT-THOUARS; auteur d’un excellent article sur Césalpin , in- séré dans la Biographie universelle, 1813, t. VII, p. 561, a le pre- mier appelé l'attention sur ce passage si important pour l'histoire de la science, et si longtemps négligé. — MM. de BLAINVILLE et MAU- PIED, Histoire des sciences de l’organisation, t. IE, p. 227 , ont aussi insisté sur ce même passage ; mais ils n’ont guère donné ici qu'un extrait de la Biographie universelle. On lira avec beaucoup plus d'intérêt et de fruit un travail récent de M. FLOURENS, inséré dans le Journal des savants, année 1849, p. 193 et suiv., et qui est intitulé : Nouvelles recherches touchant l’histoire de la circulation du sang. | (2) Le même qui fut brûlé par Calvin. Son ouvrage, Chrishanismi restitutio, qui était encore inédit, fut mis avec lui sur le bûcher : deux exemplaires toutefois échappèrent, et Servet ne mourut pas tout entier ! C’est dans cet ouvrage, malgré son titre tout théologique , qu'est indiquée la petite circulation. Servet était médecin, et l'on n'a aucun motif sérieux pour croire, avec plusieurs historiens de la science, qu'il n’était ici que le copiste ‘de Nemesius, évêque grec du ye siècle, et auteur d’un très pauvre ouvrage sur la physiologie. GÉSALPINS + - HS des plantes soient l'objet de recherches suivies : Césalpin est le vrai créateur de l'anatomie végétale. Et ce novateur | hardi est en même temps l’un des hommes qui marchent du pasle plus ferme dans les voies déjà ouvertes. Entre tous les commentateurs et les interprètesde l'antiquité, Césalpin SL, dans cette époque, l’un de ceux dont l’érudition est la plus solide, la critique la plus sagace; il s'avance fort loin ` dans l'étude des minéraux et des roches; et il devance - tous les botanistes ordinaires dans la connaissance exté- rieure des plantes : 1520 espèces sont purs déterminées. dans le traité De plantis. AR HT i; 10 Un tel homme n’est pas de ceux que son siècle com- _ Prend, mais de ceux qu'il persécute. Sans la protection d’un pape éclairé, Clément VIH, Césalpin eût peut-être terminé sa vie comme Galilée ! ii postérité a-t-elle, du Moins, réparé envers lui l'inévitable injustice de ses con+ lemporains ? I est triste d'avoir à le dire: sa glorieuse mé moire a attendu plus de deux siècles de dignes hom- ages (4), et aujourd’hui encore, combien, parmi les Savants eux-mêmes , ignorent ce que fut Césalpin! TI est des histoires récentes des sciences naturelles où- Césalpin reste confondu dans la foule des observateurs ; $ à F a 1: $ (1) A auteurs qui, hors de l'Italie, ont rendu de dignes hommages à Césalpin, sont surtout : Dupgrir-THOUARS, loc. cit., 1813. — GEOF- FROY-SAINT-HiLaIRE, Cours de l'histoire naturelle des mammifères, 1828, leçon I, p. 4; et Fragments biographiques, 1838, p. 37. « On » V accusa d’athéisme, » lit-on dans ce dernier ou rage. « Tout homme » de génie, parce qu’il pense autrement que son siècle, qu'il est créa- » leur d'idées nouvelles, excite l'envie et reçoit ce salaire. » — Co- VIER, loc. cit., t. I, p. 198. — SERRES, Leçons orales au Muséum d'histoire naturelle. — FLOURENS, loc. cit., , P. 202 et 208. s è su le, M à PE EE ME IT E TOURS ——- pare coton: DE iget sos RS in a D aa "j f É a 1 & E f f f E, ] TO | $ i. $ ‘311 EE FE } À E 19) 24 F f d EL ? 4 18 PE r] | | | $ 114 14 L Le: 4 | l LA 46 INTRODUCTION HISTORIQUE. il est des histoires dela physiologie où ce grand nom est omis (1)!> | VII A l’époque de Vésale, de Gesner, de Césalpin, succède celle d'Harvey et des Bauhin. . La science avait reçu une impulsion trop vive, pour que lon ne vit pas surgir bientôt de nombreux et d'il- lustres disciples. Les naturalistes continuent, en effet, dignement leurs maitres ; les anatomistes surpassent les leurs. | Après Vésale, Fallope avait enseigné à Padoue, et cette école était devenue, pour l'anatomie, la première de l'Italie (2) et du monde. C'est de là que se propage le mouvement nouveau de la science, Fabrice d’Aquapen- dente est l'élève de Fallope, et quand il a succédé à Fal- lope, comme celui-ci à Vésale , immortel Harvey est le (4) Il n’est pas un des ouvrages de CÉSALPIN où ne se révèle-son génie progressif. Dans le traité De metallis, l’idée devenue si vulgaire aujourd’hui, alors si hardie, que venait d'émettre sur les corps orga- nisés fossiles notre illustre Palissy, est conçue aussi et néttement formulée par Césalpin, etil y a peu de vraisemblance que les écrits du premier de ces novateurs (ou ceux d’Avicenne ou de Léonard de Vinci, voy. p. 35 et 36) soient la source où a puisé le second. Voici la première phrase du passage sur lequel je crois devoir appeler l'attention : «Etsi enim aliquando in eorum (saxorum) cæsura ostrea- » rum tesi®, aut cœtera conchylia reperta sint, hæc recedente mari el » lapidescente solo inibi derelicta in lapides concreverunt. »: De me- tallis, éditions de Rome, 1596, et de Nuremberg, 4602, p. 5. (2) « L'Italie, cette terresi éminemment classique pour l'anatomie.» (CUVIER, Rapport historique sur les progrès des sciences, in-8, 1840, p. 929). 2% HARVEY. h7 sien. Admirable filiation de travaux et de découvertes qui rattache au plus grand anatomiste du xvi® siècle le plus srand physiologiste de tous les temps ! Vésale est l'ancêtre direct d'Harvey ! | Fabrice n’est pas seulement le maître de l’immortel Harvey; il a la gloire plus grande d’être son précurseur dansles deux voies où celui-ci s’est avancé si loin. Fabrice reconnaît et signale la disposition des valvules des veines, toutes dirigées vers le cœur; Harvey part des observa- tions de Fabrice, il en tire hardiment la conséquence ; il découvre comme autrefois Césalpin , il démontre le pre- mier, et par des expériences, la circulation du sang; il ouvre, par ce grand fait, l'ère nouvelle de la physiologie. Fabrice étend ses recherches anatomiques de l’homme tux animaux, bien plus encore, de l’homme etdes animaux adultes à l'homme et aux animaux en voie de formation; Harvey s'élance à sa suite dans ces études nouvelles, et ce qui pouvait sembler impossible , il s’égale lui-même : l’auteur immortel de la découverte de la circulation est ussi le créateur de l’embryogénie, dès lors assise sur ses véritables bases, l'unité originelle des divers types et la formation. successive des organes-(4). Et Harvey ne Sarrête pas là: il conçoit et proclame déjà l'analogie des caractères transitoires de l’homme et des animaux | p ( } (1) Voyez Serres, Précis d'anatomie transcendante, 1849, t. 1%. Je citerai en, particulier, parmi les nombreux passages de ce livre relatifs a Harvey et à ses travaux , le chapitre IV de la première partie, inti- tulé : Des préliminaires du système de l'épigénèse organique. Harvey ne me parait nulle part mieux apprécié que dans ce chapitre, écrit de Main de maître. Ie | GRR a où À on rare ARE AR a 18 | INTRODUCTION ‘HISTOR supérieurs avec les carac tères permanents des animaux inférieurs (4)! Voilà ce quw Harvey osait penser et écrire, non pour son siècle qui ne pouvait le comprendre, mais pour le nôtre ! La vérité est lente à se faire jour. La circulation elle- même du sang, dont la démonstration était cependant aussi facile à saisir que rigoureuse, n'eut pas beaucoup plus-de succès , à l’origine, que les hautes vues d'Harvey sur l'embryogénie. Dès 1619, l’auteur avait complété sa dé- couverte, et l’enseignait publiquement; en 1628, il fit paraître son célèbre traité De motu cordis (2), et- il semblait dès lors qu’ Harvey ne půt plus avoir contre lui que ceux «qui ne savent pas distinguer les raisons-vraies » et certaines d'avec celles qui sont fausses et incer- (4) De même que j'ai reproduit plus haut le passage, si long- temps négligé, où l'on voit Césalpin devancer Harvey de pa Tun quart de siècle, je reproduirai celui, encore moins connu peut- ètre, où Pon voit Harvey toits d'un siècle et demi mon père et Meckel: Ce passage d'Harvey, déjà cité par M. SERRES, loc. cit., et par moi- même, Vie, travaux et doctrine d'Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire, p- 460, se trouve dans les Exercitationes anatomicæ de motu cor dis, p. 164 des édit. in-18 de Rotterdam, 4654 et 1660. L'auteur $ exprime Haien; « Sic natura perfecta et Para nihil faciens fr vtr nec çuipiam » animali cor addidit, ubi non erat opus, neque, priusquam esset ejus , usus, fecit; sed iisdem gradibus , in formatione cujuscunque ani- malis, transiens per omnium animalium constitutiones (ut ita di- » CAM, OVUM, vermem, fætum), perfectionem in singulis acquirit. Hæc » alibi in fœtus. formatione , multis observationibus pren sunt. » - y (2) ) Exercitatio sakinin de motu cordis et sanguinis in anima- libus, in-4, Francfort. HARVEY. h9 » taines (4). » Mais le nombre en fut grand. La décou- verte d'Harvey eut quelques défenseurs, et parmi eux Willis, mais une foule d’adversaires ; et Riolan lui-même se mit à leur tête, lui que ses contemporains appelèrent le prince des anatomistes (2). Au milieu du xvne siècle, les vieilles idées dominaient encore dans les écoles. Un professeur de Leyde, ayant osé dire, en 4640, que le sang circule dans les vaisseaux et que la terre tourne autour du Soleil, se vit sévèrement réprimandé; et l'autorité supé- rieure défendit, par un acte spécial, l’enseignement de CeSdangereusesnouveautés dont l’une pourtant datait déjà de plus de vingt ans (de soixante même, si nous remon- tons à Césalpin), et l'autre d’un siècle tout entier! Et c’est à peine si Harvey, aprés avoir employé sa jeunesse à faire Sa découverte, son âge mûr à la défendre, put, durant quelques années, se reposer dans sa gloire (3). (1) Expressions de Descartes, De l’homme, in-A, 1664, p. 194. » Cela à été si clairement prouvé par Hervæus, dit encore Descartes, ý qu'il ne peut plus être mis en doute que par ceux qui sont attachés » à leurs préjugés, ou... accoutumés à mettre tout en dispute. » . (2) Anatomicorum sui sœculi princeps. Telle est l'inscription mise ° au bas d’un portrait de Riolan, appartenant à l’ancienne Faculté de Médecine, et qui existe encore aujourd'hui. C’està Riolan que sont spécialement adressées les deux Exercitationes | a : : | «+ natomicæ de circulatione sanguinis, publiées par HARVEY en 1649. ©) Selon Cuvier (ou du moins selon une phrase que lui attribue ` TAGDELEINE DE SAINT-AGY), loc. cit., t. II, p. 53, Harvey aurait dû fi bonheur à l'adhésion donnée à sa découverte par Descartes, dans le traité De l’homme. Cette adhésion (voy. p. 48, et ci-dessus, note 1) est * cffet des plus explicites ; et Descartes a fait, comme le dit Cuvier, de x circulation du sang, Pune des bases de sa physiologie. Mais le traité f $ homme ne parut que plusieurs années après la mort d'Harvey : une uction latine fut d'abord publiée én 1662, puis le texte français I i LA INTRODUCTION HISTORIQUE. VII, Les noms illustres de l'Histoire naturelle à la fin du xvi? siècle et dans la première moitié du xvne sont ceux de Fabio Colonna, plus connu sous le nom de Fabius Co- lumna, et des deux frères de Bâle, Jean et Gaspard Bauhin. Aldrovande et Jonston, très renommés aussi de leur temps, sont aujourd’hui tombés à un rang secondaire. Tous deux marchaient au xvn* siècle dans des voies où le xvie n'avait fait lui-même que suivre le xv°. On est étonné de trouver à Fabrice et à Harvey des contemporains aussi arriérés. Aldrovande et Jonston ne sont que des compi- lateurs. Le gigantesque ouvrage du premier, dont la pu- blication, commencée par l’auteur de 1599 à 1605 , s’est longtemps poursuivie par les soins de divers continuateurs ; l'Histoire naturelle de Jonston, qui a paru de 1649 à 1653, sont le fruit de recherches, malheureusement aussi mal dirigées qu'immenses. L'esprit scientifique y fait pres- que complétement défaut. Nulle critique, nul discerne- ment dans le choix des matériaux. Souvent même, en copiant Gesner, Aldrovande le gâte; et Jonston le traitant lui-même comme il avait traité Gesner, leur double travail n’aboutit parfois qu’à introduire dans les anciens textes des erreurs nouvelles. L'ouvrage de Thomas Moufet, Theatrum insectorum, en 1664. Harvey avait cessé de vivre le 3 juin 4657 (et non 1658, comme le dit JOURDAN, Biographie médicale , t. V, p. 94, dans un ar- ticle d’ailleurs généralement exact). | | LES BAUHIN. o1 mérite une plus haute estime, parce que l'observation y tient une plus grande place. Mais si important qu’il puisse être dans l’histoire particulière de l’une des branches de Science, il n’a exercé sur son ensemble qu’une influence à peine sensible. L'entomologiste anglais fait à l'égard d'une partie des animaux articulés ce que Rondelet et Belon avaient fait pour les poissons ; etil le fait, malgré la différence des temps, sans une supériorité marquée sur nos deux illustres compatriotes. Les travaux de Colonna sur les mollusques pourraient le placer , Comme Zoologiste, à côté de Moufet. Mais Colonna est bien supérieur comme botaniste; c’est un observateur infatigable, et il dessine et grave lui-même les résultats de ses observations : on lui doit la Connaissance de près de cent plantes nouvelles, et des notions très pré- cises sur les organes de la fructification dans un grand nombre d'espèces. Colonna s’est donc distingué comme organographe, et sous ce point de vue, il est hors ligne dans son époque. En outre, dans ses ouvrages, on trouve Parfois les plantes rapprochées selon leurs affinités; et les sroupes qu'il forme ainsi peuvent être considérés déjà comme des genres naturels. | Les deux, ou plutôt les trois Bauhin, car Jean Gaspard Bauhin , fils de Gaspard, doit être cité à la suite de son père et de son oncle (1), ont écrit, comme presque tous (1) Je ne rendrais pas à cette illustre famille un hommage complé- tement juste, si je ne citais deux noms de plus : ceux de Baunin le père, uteur d'une partie de l Historia naturalis plantarum de DALÉCHAMPS ; et de CHERLER, gendre et collaborateur de Jean Bauhin. Plusieurs Bauhin, petits-fils et arrière-petits-fils de Gaspard, se sont distingués dans la carrière médicale. ; 7» ` 52 INTRODUCTION HISTORIQUE. ceux de leur temps, sur des sujets variés ; mais c’est essen- tiellement comme botanistes qu’ils ont illustré leur nom. Les recherches de Jean et de Gaspard, parallèlement pour- suivies, mais dans lesquelles ils se prêtaient souvent une aide fraternelle, embrassent le règne végétal tout entier. Ni l'un ni l’autre ne conduisirent jusqu’au terme leurs colossales entreprises. L'Historia universalis de Jean Bauhin, dans laquelle on trouve jusqu'à 5000 plantes décrites et plus de 3600 figurées, nombres immenses pour cette époque, fut entièrement rédigée, mais ne parut que trente-huit ans après la mort de l’auteur, et alors que les progrès de la science lui avaient enlevé une grande partie de son intérêt. Le Theatrum boianicum, œuvre du second des Bauhin, dut pareillement atiendre plus de trente ans un éditeur ; et alors même il n’en parut qu'un volume, le seul qui eût été terminé. Mais le Pinax avait vu le jour du vivant de Gaspard , et quoique ce livre ne soit, en réalité, qu'un abrégé, ou, selon son titre même , la table, faite à l'avance, du Theatrum botanicum , il a suffi pour placer son auteur à la tête de tous les bota- nistes de cette époque, sans excepter Jean Bauhin lui- même. Le Pinax, c'est un relevé habilement fait de tous les travaux antérieurs ; c’est la coordination, lasynonymie de tous les auteurs enfin établie; c’est la nomenclature qui commence à se fixer; c’est une voie heureusement tracée à travers le chaos de toutes les terminologies et de toutes les classifications jusqu'alors concurremment et confusément en usage. Ainsi, des deux frères , Pun a surtout enrichi la science; Pautre a dressé l’inventaire de ses richesses, l’a perfectionnée dans ses formes, et a e e LES BAUHIN, 58 4 contribué plus que personne à la dégager de ces inextri- cables difficultés qui jusqu'alors en hérissaient les abords. Ce sont là assurément de grands titres; etsi quelques modernes en ont contesté la valeur, c’est parce qu’ils n’a- vaient pas su se reporter à l'é époque des frères Bauhin. Que ceux qui ont immédiatement profité de leurs travaux aient mêlé un peutrop d'admiration à leur juste reconnaissance ; que ces deux astres delabotanique, sidera lucida fratrum, aient dû avec le temps perdre un peu de leuréclat, je Pad- mets volontiers ; mais il n’en reste pas moins vraique leur influence sur la science a été considérable, et qu'il wa fallu rien moins, pour enlever aux Bauhin le sceptre de la bota- pique does Le que l’avénement de Linné lui-même (4). IX. De siècle en siècle, le même fait historique se repro- duit : Ja foule des travailleurs se précipite, toujours plus nombreuse, dans les voies qui viennent d’être ouvertes; quelques hommes délite s’en ouvrent parallèlement une nouvelle. La voie nouvelle, dans la seconde. partie du xvn° siècle et au commencement du xvne , c’est la micrographie. (1) SPRENGEL s'exprime ainsi à leur égard, Historia rei herbariæ, t U, p. 445 : « Fratrum Bauhinorum, tot tantaque sunt in promo- » venda et perficienda re herbaria merita y ut ab uno fere Linnæo » Superentur. » Et Cuvier dit, loc. cit., t. Il, p. 208 : « Linnæus seul peut être ” regardé comme les ayant surpassés. » T |] + i 5h INTRODUCTION HISTORIQUE. Non que la première invention du microscope appar- tienne à cette époque. Elle n'appartient pas même, COMME on l'a si souvent répété, au célèbre physicien hollandais Drebbel. Il est bien vrai que vers 1620, époque où ce savant imagina le thermomètre, il possédait aussi le mi- croscope ; mais il le tenait de son compatriote Jansen (1). Et celui-ci, dont la découverte est sans date certaine, est peut- être précédé à son tour par Galilée. C'est en 1609 que ce grand homme dirigea sur le ciel le premier télescope (2), celui que l’on voit encore à Florence. Peu de temps après, trois ans au plus, il avait construit aussi un microscope. Mais cet admirable’ instrument, après Galilée, après Jansen et Drebbel , restait très imparfait; à peine était-il connu, et surtout nul n'avait songé à l'utiliser. Les princes s’en amusaient, les savants ne s’en servaient pas. On avait inventé le microscope , il restait à inventer son emploi. C’est ce que firent enfin deux compatriotes de Jansen et de Drebbel, Leuwenhoeck et Hartsoeker. A tous deux, au premier surtout, appartient Phonneur d’avoir donné le microscope à l Histoire naturelle. Im- mense progrès, et tel qu'aujourd'hui même, après deux siècles presque écoulés, nous ne saurions peut-être en- core en mesurer toute la portée. Jusqw’au xvne siècle, et pendant une grande partie de sa (4) Ce point historique a été mis hors de doute par BORELLUS, De vero telescopii inventore, la Haye, 1655. 0n wen a pas moins continué, durant deux sièclés, à attribuer à Drebbel l'invention du microscope! (2) Le premier du moins qui fût assez perfectionné pour être utile- ment applicable à l'astronomie. La première découverte du télescope appartient à ce même Jansen qui a attaché son nom à l'invention du microscope. | LES PREMIERS MICROGRAPHES. 55 durée, les naturalistes négligeaient habituellement l'étude des très petites espèces végétales et surtout animales. Non seulement on n’observait pas tous ces êtres, aussi Merveilleux pourtant que ténus et délicats, dont l'immense multitude remplit les classes inférieures du règne animal; et comment alors eût-on pu pénétrer dans les mystères de leur organisation? mais encore il existait depuis long- temps, parmi les zoologistes, comme un accord tacite pour en dédaigner la connaissance. I semblait qu’elle fût inutile et tout au plus curieuse. Pareillement , pour les grandes espèces, dans les rares occasions où l’on songeait à en faire l'anatomie, on n'étudiait guère que les détails prin- cipaux. Tous les petits animaux et tout ee qui est petit dans les grands, restait ainsi, à peu d’exceptions près, en dehors de la science, comme si la grandeur matérielle d'un objet était la juste mesure de son intérêt. Ce fut donc toute une révolution qu’opérèrent Leuwen- hoeck, puis Hartsoeker, lorsque, par le perfectionnement du microscope et l'application qu’ils en firent à l'Histoire Naturelle, ils appelèrent à leur suite tous les observateurs, non seulement à l'étude des petites choses, mais même à l'exploration de ce monde invisible dont l’homme avait si longtemps ignoré jusqu’à l'existence. A l'instant même, et dès l'annonce des premiers résultats obtenus, les natura- listes, comme il arrive après toutes les grandes décou- vertes, se divisérent en deux camps, les hommes du passé et ceux de l'avenir; les uns aussi empressés de nier le pro- grès que les autres dy applaudir et d’y prendre part. Mais l'opposition rétrograde et envieuse dut tomber bientôt de- Vant des faits que chacun pouvait voir, pourvu qu’il voulût LT OU T a S = a i = — - ET De PER ES LM: ssl 7e HS 56 INTRODUCTION HISTORIQUE. les regarder. Si le danger des illusions microscopiques fut dès lors signalé et démontré, l’importance et le mérite des observations bien faites n’en ressortirent que mieux ; ét leur nombre alla croissant rapidement de jour en jour. Aussi l'application du microscope à l'Histoire naturelle datait encore d’un petit nombre d'années , et déjà cette science devait à Leuwenhoeck, à Hartsoeker et à quelques autres, la découverte d’une multitude d'infusoires; au même Leuwenhoeck, des faits du plus grand intérêt sur la structure intime de nos organes, sur le sang, sur ses corpuscules ou globules, sur la génération; à Malpighi, des recherches d’une haute importance sur l’homme, sur les animaux, sur les végétaux ; à Grew, une suite d'observations qui, à l'égard de ces derniers, associent son nom à celui de Malpighi; à Henshaw, la connaissance des trachées des plantes, et à Swammerdam, d'admirables études sur l'or- ganisation et les métamorphoses des insectes, et par elles, la prémière fondation de l’entomologie. X. La grande époque des Leuwenhoeck, des Malpighi, des Swammerdam:, est celle aussi des anatomistes et physio- logistes Pecquet et Willis, des zootomistes Perrault et Duverney, des naturalistes classificateurs Ray, Tournefort et Magnol. Les premiers marchent dans les voies que vient d'ouvrir Harvey; les seconds s'avancent à la suite de Fabrice d’Aquapendente; ceux-ci s'inspirent de l'esprit LES ZOOTOMISTES. 57 dé Césalpin, dont, après un siècle, le moment est enfin venu. | F3 Après Harvey, comment tous les anatomistes ne seraient ils pas physiologistes ? Comme ce grand maître, presque tous cherchent à remonter, par un examen de plus en plus _ délicat des organes, à la connaissance de leurs fonctions ; comme lui aussi, ils recourent souvent à l'expérience, et Parfois à la dissection des animaux. Tel est le caractère des travaux de Pecquet sur les vaisseaux chylifères et le ré- Servoir auquel son nom est resté justement attaché; d'Olaïüs Rudbeck sur les vaisseaux lymphatiques, dont la découverte lui a été, mais en vain, contestée par Thomas Bartholin; de Willis sur l’encéphale ; de Borelli sur l'ap- Pareil locomoteur, dans l'étude duquel le célèbre iatro- Mathématicien fait si souvent du calcul et de la mécaniqué les utiles auxiliaires de la physiologie. Le même caractère, Nous le retrouverions encore, quoique à un moindre degré, dans les travaux de Ruysch; mais ce nom rappelle Surtout des recherches de fine anatomie, et ces merveil- leuses injections dont le secret n’a jamais été compléte- Ment retrouvé : ces injections par lesquelles Ruysch, dit Fontenelle (1), prolongeait en quelque sorte la vie, tandis que les Égyptiens n’avaient su prolonger que la Mort, ) En zootomie, le mouvement, imprimé par Fabrice, Semble devoir se propager surtout en Italie. Redi surtout, de 1664 à 1684, enrichit la science d’un grand nombre te faits anatomiques, et même aussi physiologiques, sur trot) Éloge de Ruysch, dans les Éloges des académiciens, édit. dé 1766, t. IT, p. 435. | L i 58 | INTRODUCTION HISTORIQUE. les vipères et leurs venins, sur les oiseaux, sur la torpille, et plusieurs autres animaux. Mais, à la même époque, L ouis XIV crée à Versailles une. riche ménagerie, et tout aussitôt l’Académie des sciences de Paris devient le foyer principal des études sur l'orga- nisation des animaux. Claude Perrault, l’immortel auteur de l'Observatoire et de la colonnade du Louvre (4), et Duverney, secondés par quelques uns de leurs collègues, laissent bien loin derrière eux tous les travaux descriptifs, faits en d’autres temps ou en d’autres lieux. Par eux l'ana- tomie zoologique devient une science française, comme le seront plus tard l'anatomie comparée ef l'anatomie géné- rale, plus tard encore l'anatomie philosophique. Dans une autre ligne, on poursuit en même temps, avec une grande activité, l'exploration du globe, la détermination et la description des espèces, l'établissement de synony- mies exactes. Les Bauhin ont de nombreux et utiles conti- nuateurs. Mais les esprits les plus distingués visent déjà plus haut : ils s'efforcent de créer une classification ration- nelle et conforme aux rapports naturels. Quand Césalpin, au xvie siècle, esquissait, et déjà d’une main si ferme, le plan de la classification naturelle, il n'avait pas été compris, et ne pouvait l'être : il était aussi en avant de son époque que sont aujourd’hui en arrière ceux qui voient encore dans la classification l'Histoire na- turelle tout entière. Mais, dans la seconde moitié du _(1)-Le même Perrault est l'auteur d’un travail important sur la séve des végétaux. Dodart cultive aussi, dès la même époque, la physiologie végétale, et recherche expérimentalement les causes de-la direction de la racine vers l’intérieur de la terre. RAY. 59 | vne siècle et dans le xviue, il mest ni trop tôt ni trop tard; le progrès, indiqué par Césalpin, devient de plus en plus possible et nécessaire. Les Gesner, les Clusius, les Colonna, les Bauhin, ont en même temps assez pré- paré le terrain pour qu’il soit permis de commencer à con- struire , et assez étenduile domaine de la science, pour qwelle-ne puisse se contenter plus longtemps de ces anciens et imparfaits procédés, tout au plus suffisants pour les premiers inventaires de ses richesses. Les classificateurs sont done, en ce moment, après les Micrographes, ceux qui servent le mieux la science , et C'est parce que Jean Ray se met à la tête des classifica- leurs, qu'il est au premier rang des naturalistes de son temps. | Jean Ray ou Rajus, qu'il ne faut pas confondre avec un autre naturaliste du même nom, mais d’un autre pays, d’un autre siècle et d’une bien moindre portée (4); Jean Ray est un de ces hommes d'intelligence qui, entre ces deux Voies toujours ouvertes à notre esprit vers le passé ou vers lavenir, choisissent sans hésitation le progrès, et se por- tent hardiment et habilement en avant. L’ Angleterre peut S honorer d’avoir en lui donné naissance au précurseur de Linné. Comme le grand naturaliste suédois, il excelle en zoologie, plus encore en botanique. En zoologie, soit Par lui-même, soit par son élève et ami Willughby, dont (1) Augustin Ray, zoologiste français, auteur d’une Zoologie uni- berselle et portative, publiée en 4788. … Jean Ray a été aussi quelquefois confondu avec un autre savant, appartenant comme lui au xvn‘ siècle, mais Français et chimiste, Jean Rey, qui a mérité d’être cité comme le précurseur de Lavoisier Sur Pun des faits capitaux de la chimie pneumatique. ` +} 60 INTRODUCTION HISTORIQUE. il a complété et publié les travaux, Ray fait connaitre un grand nombre de faits nouveaux; mais surtout, par ses classifications rationnelles, régulières, souvent conformes aux. rapports naturels, il ouvre une voie facile aux recher- ches des observateurs futurs. En botanique, il est Pun des premiers à défendre la théorie des sexes des plantes que venaient de concevoir ses compatriotes Millington et Bobart (4); il enrichit la science d'espèces nouvelles, et comme classificateur, surpasse tous ses prédécesseurs et ses émules : non seulement Morison, Hermann et Bachmann, plus connu sous le nom de Rivinus Quirinus; mais même, sous plusieurs points de vue, Tournefort, dont la classification, si facile et si clairement présentée, mérita la popularité dont elle jouit si longtemps; et cette illustration de l'école de Montpellier, Magnol, qui, le premier, et tout un siècle avant le Genera plantarum, commençait la distribution des plantes en familles natu- relles, et dans lequel les Jussieu se sont plu à reconnaitre et à honorer leur devancier (2). (4) Rodolphe Jacques CAMERARIUS, auquel on a souvent attribué la découverte des sexes des plantes, n’a fait, aussi bien que Vaillant, que la confirmer et la propager ; son Epistola de sexu plantarumest de 1694. Dès 16814 , Bobart avait fait sur le Lychnis dioica une expérience de- venue célèbre. Millington est encore antérieur à Bobart, mais il n'avait pas expérimenté. (2) Voyez Antoine Laurent DE JUSSIEU, article Méraope dans le Dic- tionnaire des sciences naturelles, 1824, t.XXX, p. 443. «Magnol, dit-il, » a le premier, en 1689, cherché à faire des rapprochements naturels » sous le nom de familles: si son travail... n’obtint pas l’assentiment » de ses contemporains, il a au moins le mérite d’avoir le premier eu » l'idée de la réunion des plantes en familles. » Achille RICHARD, dans l’article Méruope du Dictionnaire classique iaman ang ESPRIT NOUVEAU DE LA SCIENCE. 61 XL La micrographie créée, l'anatomie considérablement enrichie et devenue physiologique, l’organisation des ani- maux étudiée avec le même soin que celle de hommes des classifications rationnelles et méthodiques instituées pour les deux grands règnes organiques ; ces progrès, si importants qu'ils soient, ne sont pas encore tout ce que nous devons à la seconde moitié du xvn® siècle et aux premières années du xvme. Cette mémorable époque, et ce n’est pas son moindre titre à notre recon- naissance, est celle aussi où un esprit nouveau pénètre dans la science. Bacon avait publié dès 1620 le Novum organum; Descartes, en 1637, le Discours sur la méthode; et P Histoire naturelle, comme les autres sciences, était hbre du j Joug de la vieille scolastique, Mais il restait aux natu- ralistes à dire avec Pascal (1) : « Bornons ce yp que nous avons pour les anciens»; àcomprendre qu’on peut, sans crime, les contredire (2); à s'affranchir de l'autorité l'histoire naturelle, 1826, t. X, p. 502, rend encore un plus bel hom- Mage à Tillustre professeur de Montpellier : « L'ouvrage de Magnol ? NOUS paraît renfermer l’idée mère de la méthode naturelle que, plus » tard, d’autres botanistes, aidés des progrès de la science, ont » fécondée et exposée dans tout son jour. » (1) Pensées, part. I, art. 1°. (2) «Il est étrange de quelle sorte on révère leurs sentiments. On de un crime de les contredire et un attentat d'y ajouter.» (PASCAL, ? id), ` ‘». DER RER A TT ER SE ue te ln 7e mn id ie Eee ee ee on D : Li ROME e AN cs ` p P à bi de I 62 INTRODUCTION HISTORIQUE. des péripatéticiens comme de celle des scolastiques, à ne plus reconnaitre que celle des faits bien observés et de leurs déductions légitimes. C’est ce que commencent à faire les naturalistes de la seconde partie du xvn® siècle. Après Harvey, et au temps de Leuwenhoeck, comment prendre les limites du savoir des anciens pour celles de la science elle-même? et comment, là même où ils affirment, les croire sur parole, quand , tant de fois déjà , on les a surpris en flagrant délit d'erreur ? De là l'esprit de doute et de critique; de là la nécessité vivement sentie de tout voir, de tout vérifier par soi-même. C’est, sous une autre forme et sur un autre terrain, la lutte, sans cesse renou- velée durant trois siècles, du scepticisme philosophique contre la tradition et l'autorité. | Š “Dans cette phase de la science, il est clair que la mé- thode doit être essentiellement analytique. L'observation n’est plus seulement appelée à étendre la science , elle doit reprendre et vérifier toutes les notions anciennement acquises. Les naturalistes se font donc de plus en plus observateurs et analystes. On voit que le mouvement de la _ science les entraîne déjà du côté où ils vont de plus en plus se porter, à mesure que Le uwenhoeck déroulera devant eux les merveilles inconnues du monde des infiniment petits. L'analyse exacte, l'observation minutieuse et délicate, la connaissance des derniers détails des choses, supposent presque nécessairement la spécialité des études. La divi- sion du travail commence aussitôt que prédominent l'ob- servation et l'analyse. | Elle répond d’ailleurs à un autre besoin de la science. Les voyages des Hernandez, des Pison, des Marcgra, ne | ESPRIT NOUVEAU DE LA SCIENCE. 63 des Bontius et de tant d’autres explorateurs du globe, ont tellement augmenté le nombre des espèces con- nues, que la confusion ne peut plus être évitée que par la spécialité et l'heureuse coordination de tous les efforts. Sans elles, l'Histoire naturelle serait menacée de perir, accablée sous le poids même de ses immenses richesses. Tels sont, dans la tendance générale des esprits et dans la méthode, les progrès qui se produisent peu à peu au xvre siècle, pour sè manifester surtout dans le xvurre. Disons-le : l'honneur en revient au premier, qui les a Préparés. bien plus qu’au second, qui les a pleinement réalisés. L'un avait semé, l’autre a recueilli. Il a été facile à Buffon et à ses contemporains de relever les erreurs de Pline et d’Elien, parfois même celles d’Aristote ; mais Claude Perrault, pour défendre dans les sciences la même cause que son frère dans les lettres (4), avait dû lutter contre des passions dont la violence n'est que trop attestée par les grossières et odieuses épigrammes de Boileau (2). De même, on (D) Dans son célèbre Parallèle des anciens et des modernes í Charles PERRAULT a sans nul doute été trop loin contre les premiers ; D les vues qu’il développe sont parfois aussi belles que neuves, et Métitent à leur auteur une place distinguée parmi les philosophes dù AVR Siècle, M. Pierre Leroux n’a donc été que juste envers Charles Errault dans son article Sur la loi de continuité qui unit le xvn° siècle aù XVrrre (Revue encyclopédique, t. LVII, p. 465-538). Mais comment, dans ce rema marquable travail, Claude Perrault ne se trouve-t-il pas men- 10nné à côté de son frère, dont il a souvent partagé les travaux ? Ma Assassin et maçon! Ce sont les mots qui viennent sousla plume OILEAU, dans ses Epigrammes contre Claude Perrault, et il les PSAE sm ne TS Le. TO n PR Nm TOS vallée RC + > + "N Des. © RE a EN S gli de, ds 1 GA INTRODUCTION HISTORIQUE. a bientôt dépassé, pour le nombre et la précision des observations, les Leuwenhoeck et les Swammerdam , les Pecquet et même les Malpighi; mais on Pa fait le plus souvent en suivant les mêmes voies, et à l’aide de leurs instruments et de leurs procédés perfectionnés. Enfin la division du travail a été depuis portée plus loin et mieux entendue ; et surtout l’ Histoire naturelle a com- plétement cessé d’être une branche de la médecine. -Mais déjà, des médecins naturalistes du xvn“ siècle , plusieurs ne sont plus que nominalement médecins ; la zoologie, la botanique, l'anatomie, la micrographie, les occupent en- tièrement. Quelques uns même sont plus spéciaux encore : il est déjà tel naturaliste dont le nom se rattache à l’histoire d’un seul groupe zoologique ; tel anatomiste dont la vie s'écoule dans l'étude d’un seul système d'organes. Quand la tendance à la spécialité est, dès cette époque, si marquée chez la plupart des naturalistes, qui ne s’éton- nerait de n’en pas même retrouver l'indice chez d’autres ? Claude Perrault, le grand architecte, illustre zootomiste et physiologiste, est aussi mécanicien, il est érudit; et cette glorieuse exception n’est pas encore la plus re- marquable que j'aie à signaler : il est un naturaliste que Pon rencontre dans presque toutes les voies ouvertes aux spéculations de l’homme. L'Histoire naturelle dans reproduit jusque dans l'Art poétique. Un long passage du quatrième chant, tache doublement regrettable dans un tel ouvrage, est dirigé éontre Perrault; on y trouve entre autres Ce vers trop Connu : « Notre assassin renonce à Son art inhumain. » C'est ainsi que Boileau se plaisait à traiter un savant et un artiste qui était, lui aussi, une des gloires du siècle de Louis XIV! ESPRIT NOUVEAU DE LA SCIENCE. 65 toutes ses branches, la littérature, la philosophie, les Mathématiques, il a tout étudié. Il a fait plus, il a tout enseigné. On le voit, à de courts intervalles ou même simultanément, professeur de mathématiques, professeur d’humanités et prédicateur; puis auteur sur la philoso- phie, la théologie, et, plus heureusement pour sa gloire, : Sur la zoologie et la botanique. Et cet homme universel qui fait revivre une dernière fois, à la fin du xvne siècle, le savoir encyclopédique du moyen âge et de la renais- Sance, Cest le même qui, à d’autres égards, se porte le Plus en avant : c’est Jean Ray ! v YYVVVVVVVVUVVVVUVUVUVUVVUVVVV VVU vyvvvvvvvvvÊvvvvvvvy TROISIÈME SECTION. PROGRÈS DE L'HISTOIRE NATURELLE DANS LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE (4). Some. x ELes deux grands naturalistes du dix-huitième siècle. LINNÉ., BUFFON. = Il. Progrès dus à Linné. — II. Progrès dus à Buffon. — IV. Les Jussiou. — V. Les autres naturalistes illustres du dix-huitième siècle. Adanson. Charles Bonnet. Haller, Pallas. à re Le xvin° siècle, s'ouvrant sous l’influence d'idées auss heureusement nouvelles, ne pouvait manquer d’être mar- é pour l'Histoire naturelle par d'éclatants progrès ; il A avait qu’à suivre son cours pour s’avancer de succès en Succès. Les esprits les plus éminents, entre ceux qui lont YU S'ouvrir, ont sans doute beaucoup espéré de lui; mais eurs prévisions sur la grandeur future de leur siècle n’ont PU, si sagaces qu'on les suppose, s'élever jusqu’à la réalité, en approcher même. Qui eût osé attendre de la Provi- ence qu'elle doterait à la fois l'humanité de deux de ces (1) Cette section comprend la plus grande partie du xyimf siècle, no iè i OU TUD BE GG On le siècle tout entier, dont le commencement est inséparable de la fin re A , 4 , i S À x du xvne, De même, ses dernières années, et les premières du x13, Tn nécessairement une seule et même époque, qui fera le sujet iie première partie de la section suivante. TEA ARE PRIORE SIOS” RARES ARRE E DRENTE EN S ES N R EAER. TE a 66 INTRODUCTION HISTORIQUE. rares génies qu'elle se plait d'ordinaire à nous montrer de loin en loin, comme ces météores éclatants qui tra- versent tout à coup le ciel aux acclamations des peuples, et dont le magnifique spectacle ne doit se renouveler ni pour les hommes qui lont une fois admiré, ni, après eux, pour plusieurs générations | Je n’agiterai pas ici la vaine question de la supériorité de Linné sur Buffon, ou de Buffon sur Linné. Chacun de nous a ses sympathies et ses préférences personnelles; mais comment mesurer la grandeur intellectuelle de ces hommes qui nous dépassent de si haut? A peine pouvons- nous essayer un jugement sur la valeur absolue des progrès qu'ils ont fait faire à l'esprit humain. Nous ne voyons que le passé et le présent ; leurs ouvrages appar- tiennent aussi à l'avenir. C'est en effet, dans ma pensée, une erreur grave de croire que, venus un demi-siècle après Linné et Buffon, nous avons laissé loin derrière nous ces grands natu- ralistes, et qu'il ne nous reste qu’à retourner sur nos pas pour leur rendre hommage. Ce que j'ai dit plus haut d'Aristote, je dois le dire, à plus forte raison , de Linné et surtout de Buffon : tous deux sont encore aujourd’hui des hommes nouveaux et progressifs. Si les faits se sont après eux multipliés au centuple, il s’en faut de beaucoup que nous ayons déroulé toutes les con- séquences de leurs idées; que nous ayons parcouru en entier les voies nouvelles qu'ils ont ouvertes à leurs successeurs. Et qui s’en étonnerait? Le plus beau privi- lége du génie n'est-il pas de deviner, sur peu d'éléments, ce que d’autres, plus tard, démontreront lentement et pas LINNÉ ET BUFFON. p 69 à pas? Et si les poëtes ont donné des ailes au génie, si cette image, belle en elle-même, est aujourd’hui usée et devenue presque triviale, n'est-ce pas à cause de la vérité trop évidente de l’idée qu’elle exprime ? E. C'est parce que bien des siècles sont nécessaires à l'intelligence complète des œuvres des grands hommes, que la postérité porte sur eux tant de jugements succes- Sifs et divers. Pensera-t-on dans quelques années sur Linné ce qu’on en a pensé il y a cinquante ans, ce qu’on en pense aujourd’hui? Et l'opinion qu'ont eue de Buffon les naturalistes du xvm“ siècle et ceux du commencement du nôtre, est-elle celle qu’acceptera la postérité? Je ne šaurais le croire, et il y a également à revenir sur ce Won a loué et sur ce qu’on a cru pouvoir blâmer dans le Systema nature et dans l'Histoire naturelle. Linné et Buffon sont nés précisément dans la même année, et à quatre mois seulement de distance, lun en Mai, l’autre en septembre 1707 ; mais cette presque iden- tité de dates, la puissance de leur génie, la grandeur des services qu'ils ont rendus à l'Histoire naturelle, sont les seules similitudes réelles que l’on puisse signaler entre eux. Linné naquit pauvre dans un petit village de la Suède guerrière et encore barbare de Charles XII; Buffon, au sein d’une noble et riche famille, dans cette France que le règne de Louis XIV venait de faire si rande. Linné, contraint un instant de se mettre en ap- Prentissage chez un ouvrier, eut à soutenir une longue et pénible lutte contre l’adversité : si Buffon eut besoin d’une lerme volonté, ce fut pour résister aux séductions de cette vie molle et oisive dont sa fortune et son rang lui offraient PO PO PP © AU M VOST NAPE N Me IT AAEE ES PP ANNEE TAPER" ‘si 70 INTRODUCTION HISTORIQUE. le privilége. Tous deux enfin avaient reçu de la nature des tendances intellectuelles plus diverses encore que les cir- constances au milieu desquelles ils durent se développer ; il fut dans leur destinée de se compléter l’un l'autre par K opposition des qualités contraires, et de s’estimer sans se comprendre. Linné, aussi patient, aussi sagace dans la recherche des faits, qu "ingénieux à les coordonner ; plus prudent encore que hardi dans ses déductions; ne dédaignant pas de se tenir longtemps terre à terre, perdu en apparence au milieu d'innombrables détails, pour s’é- lever ensuite d'un vol plus sûr vers les hautes régions de la science; habile à former des hypothèses, mais ne se faisant pas illusion sur elles, et lors même qu'il les étend à l'ensemble de la création terrestre, ne se laissant pas éblouir par leur grandeur ; assignant, ayec une étonnante sûreté de jugement, à chaque notion son rang et sa va- leur, comme À chaque être sa place; doué d'une persévé- rance qui ne fut jamais ni découragée par les obstacles ni fatiguée par le temps ; aimant la vérité pour elle-même, et trouvant que son expression la plus brève et la plus simple est aussi la plus belle; recherchant surtout dans son exposition cette élégance propre aux écrits scienti- fiques, qui résulte de l'enchainement des pensées plus que du choix des mots ; enfin, sans cesser jamais d’être exact et concis, variant son style depuis la précision austère de la formule jusqu'à cette haute poésie dont la Genèse nous offre les plus sublimes modèles : Buffon , sagace, ingénieux à l'égal de Linné, mais dans un autre ordre d'idées; dédaignant les détails techniques, négli- geant í de multiplier autour de lui les faits d'observation, LINNÉ ET BUFFON. 74 mais saisissant les conséquences les plus cachées de ceux qu'il possède, et sur une base fragile élevant hardiment un édifice durable, dont lui seul et la postérité concevront le gigantesque plan ; se refusant à emprisonner sa riche imagination dans le cercle étroit des méthodes, et cepen- dant, par une heureuse contradiction, créant un jour une classification que Linné même put lui envier; s'égařant parfois dans ces espaces inconnus où il s’élance sans guide, mais sachant rendre fructueuses ses erreurs même; pas- Sionné pour tout ce qui est beau, pour tout ce qui est . Srand, et s’il ne termine rien, osant du mibins tout com- mencer; avide de contempler la nature dàns son en- semble, et appelant à son aide, pour la peindre digne- ment, les trésors d’une éloqueñce que nulle autre nä Surpassée : Linné, un de ces types si rares de la perfection de l'intelligence humaine, où la Synthèse et l'analyse se complètent dans un juste équilibre, et se fécondent l’une l’autre : Buffon, un dë ces hommes puissants par la syn- thèse, qui, franchissant d’un pied hardi les limites de leur époque, s'engagent seuls dans les voies nouvellés, et S’avancent vers les siècles futurs en ténant tout de eur génie, comme un conquérant de son épée ! … Telle est l’idée que je me fais des deux grands natura- istes du xvm° siècle; tels sont les caractères que j'ai cru trouver empreints dans leurs ouvrages. Si maintenant J'essaie de dire quels pas chacun d'eux a fait faire à lá Science; ici encore j'aurai à protester contre les juge- ments faux ou incomplets que les naturalistes de notre *Poque ont hérités et acceptés de la génération à laquellé ils Succèdent. | | ADA PEPE T EUR ee he ee — ni (> ASE SUN ef PE ERRE EE Eee T EPON EEEE T oa p 4 | E. jd out RES NET Le maien a — INTRODUCTION HISTORIQUE. ER On sait l'immense succès quw'obtint le Systema na- turæ, du vivant même de son auteur. A une époque où l'Histoire naturelle, n'ayant encore ni les méthodes sûres et faciles qu’elle allait devoir à Linné, ni l'éclat et la grandeur que devait lui donner Buffon, était peu cultivée chez les nations même les plus avancées ; à une époque où l’on comptait à peine quelques naturalistes de profession, on reconnut, on pressentit du moins, dans le Systema naturæ , dès sa première apparition, une de ces œuvres privilégiées qui honorent leur époque, et qui doivent in- struire l'avenir. En vain plusieurs voix s’élevérent contre un livre trop nouveau pour être compris de tous, contre une réforme trop fondamentale pour être acceptée sans résistances en vain deux des grandes illustrations du siècle, Haller en Allemagne, et, pourquoi faut-il le dire? Buffon en France, protestèrent contre des vues trop dif- férentes des leurs; en vain quelques uns, franchissant les limites de la critique permise, se laissèrent entrainer jusqu’à la censure acerbe : Linné poursuivit ses innova- tions d’une main ferme et sûre, ne se laissant jamais dé- courager par la critique, parfois en profitant, cherchant le progrès par toutes les voies, rendant ainsi d'année en année son succès plus mérité, plus assuré et plus général, et contraignant ses adversaires eux-mêmes à lui repro- cher, par conséquent à reconnaître, ce qu'ils appelaient LINNÉ, ; 73 K RS bsBriable domination(1) du legialuieus de l'Histoire naturelle. En zoologie, l'influence de Linné resta puis- sante en présence même des travaux dë Buf fon ; il est même vrai de dire que ceux-ci y ajoutèrent encore, gràce au grand nombre d’ intelligences qui furent tout à coup appe- lées à à la culture de l'Histoire naturelle, et dont la plupart, à peine initiées à la science par Buffon, applaudirent êt voulurent participer à l’œuvre de Linné. Et la génération qui a Suivi a partagé pour Linné les sentiments de Ses coñtéiporains. Ses ouvrages ont continué à êtré ad- mirés, je dirai même, trop admirés ; car l'admiration dué à Linné s’est parfois exaltée, vers la fin du xvine siècle Surtout, jusqu’au fanatisme le plus exclusif, jusqu’à l'in justice envers Buffon (2). Parmi les progrès accomplis par le Systema nature, il en est trois dont l'importance a été généralement re- connue : la nomenclature binaire, uniformément appli- quée aux deux grands règnes organiques; la langue Scientifique soumise à d'invariables règles ; les êtres na- turels coordonnés et classés selon úi plan aussi nouveau que vaste. Tels sont pour nous, aussi bien que pour ses contemporains, les titres principaux de Linné, mais non i entièrement par les mêmes motifs, au même point de vüë, et dans li même mesure. On avait admiré, trop peut- être, le nomenclateur; pas encore assez, comme on va le Voir, le classificatéur. | (1) Expression de HALLER: Voy. FÉE, Vie de Linné, dans les Mrs e la Société des sciences de Lille, année 1839, part. I, p. 299. (2) Voyez GEOFFROY SAINT-HILAIRE , Fragments biographiques Päris, in-8, 1838, p. 34. — Voyez aussi plus bas, p. 82. i 5. Sr patrie a De er Re A T ES Don ST TS ENE A NS E ES K "a Pr i ENE a a a aaa 4 S à z dns. nié ont ER PE ELET E qi à 1 EET ATN ET N TNE er OE Mecs s EEEL ML ms QT TAERE eV TI Th INTRODUCTION HISTORIQUE. Bien que la nomenclature présentement admise dans la science soit également appelée nomenclature binaire et nomenclature linnéenne, bien que lon ait désigné sous le nom de style linnéen le langage si serré et si concis de nos caractéristiques et de nos descriptions techniques, il faut reconnaître que Linné n’est, en réalité, le premier inventeur ni de l’une ni de l’autre. La langue descriptive du Systema naturæ était née, plus d’un siècle avant Linné, des premiers efforts des naturalistes et de lim- perfection elle-même de l'Histoire naturelle dans ces temps reculés : avant qu'on se servit de noms vraiment spécifiques, il fallait bien suppléer à leur emploi par des phrases sommairement descriptives; phrases dont le mé- rite consistait surtout dans l'alliance d’une exactitude suffisante et d’une extrême concision. La nomenclature binaire est bien plus ancienne encore. Dans les livres de toutes les époques; bien plus, avant qu'il existâåt des livres, dans toutes les langues, des exemples se trouvent en foule de cette association ingénieuse de deux noms simultanément donnés à une espèce animale ou végétale, et exprimant, l’un les conditions communes qui la relient avec les êtres les plus rapprochés d'elle, l’autre les carac- tères propres qui Pen distinguent. Cette nomenclature, si précieuse déjà comme artifice mnémonique, seul mérite que lui aient reconnu quelques esprits superficiels, était employée chez les Romains ; elle l'était et l’est encore chez les Arabes; elle l'est chez les Malais et chez les Nègres eux-mêmes dans plusieurs parties de l'Afrique ; et souvent les noms binaires usités chez ces peuples bar- bares sont tellement conformes aux principes linnéens, LINNÉ. 75 tellement rationnels, que les naturalistes n’ont pu mieux faire que de les traduire et de les adopter. Ce qui appartient ici à Linné, c’est done d’avoir, non inventé, mais perfectionné, étendu, généralisé, revêtu du caractère scientifique ce qui ne constituait encore que de vagues essais, tentés sans règle et sans suite; d’avoir Converti en une langue logiquement descriptive ce qui en était tout au plus ébauche ; d’avoir élevé la nomenclature binaire au rang d’une méthode philosophique, fournissant, Pour chaque espèce, l'expression la plus concise de ses Affinités les plus fondamentales et de l’une de ses particu- larités les plus caractéristiques ; méthode qui, en même temps, diminue, dans une immense proportion, le nombre des termes nécessaires à la science. Importants , inappré- Ciables services, dont notre époque surtout recueille le bienfait ! Après les découvertes faites, depuis un siècle, sur toute la surface du globe, quand on compte par centaines de mille les êtres vivants actuellement connus, l’applica- tion continue et uniforme des préceptes linnéens pouvait Seule, en prévenant le désordre dans les mots, prévenir aussi son inévitable conséquence , le désordre dans les idées, et empêcher la science de retomber dans le chaos(1). ) Comme classificateur, Linné a été surtout, à l’origine, admiré comme botaniste. En créant, pour les végétaux, ‘ne classification générale, rationnelle et de l’usage le de. facile, en la fondant sur ces organes floraux dont es (1) « Nomina si nescis , perit et cognitio rerum. » Ce vers (ou du moins ce prétendu vers) se trouve dans la Philo- Sophia botanica de LINNÉ, $ 241. fonctions , récemment connues, excitaient si vive- - y AS à ó K e en - 2 4x à å £ a î lu S - La $ z ARR AA EINE ENTER e.i aii b nA” E E TETEA dir be or date FENETRE TER DE «7 AN TTEA z y- PER o s SIN TE re ENE WAP MNT NPA ie a ge 7 y Re db: d bis 5 m Å taira aa LAN 76 INTRODUCTION HISTORIQUE. ment l’interêt du monde savant , il avait réuni dans son œuvre tous les éléments d’une immense popularité. Plus complexe dans son plan, plus difficile à concevoir et à appliquer, pr écisément parce qu'elle recélait une science plus profonde et des vues plus nouvelles, la classification des animaux, dans un temps surtout où la zoologie comp- tait si peu d’observateurs, ne fut ni aussi bien comprise, ni autant appréciée, Comment eüt-elle pu l'être? Lorsque ces deux classifications, réunies dans le même livre, re- vêtues des mêmes formes, exposées dans le même langage, se pr ésentaient comme le complément l’une de l’autre, ne devait-il pas sembler évident qu'une œuvre identique ye- nait d'être accomplie pour les deux grands règnes orga- niques; avec moins de bonheur, toutefois, puisque c'était avee moins de simplicité et d’ élégance, pour le règne ani- mal ? ? Quel esprit à celte époque déjà si éloignée de nous, eùt été assez pénétrant pour reconnaître que, sous des apparences semblables , le fond était divers ; assez- saz gace pour apercevoir , dans l'une des moitiés d’un même ouvrage, le couronnement du passé, le plus parfait, mais le dernier modèle des classifications artificielles ; dans l'autre, un premier pas fait dans les voies de l'avenir ? Qui eùt pu prévoir et prédire que le rapide succès de l’une ne serait qu'éphémère, et qu'une tardive, mais du- rable admiration était dans les destinées de r autre ? On elles av At les n mêmes Ad reposaient sur ai mêmes principes. Et non seulement on l’admit du vivant de Linné, mais aussi dans tout le cours du xvin* siècle. Les travaux eux-mêmes des Jussieu ne détruisirent pas cette illusion. “À LINNÉ. | 77 En vain Villustre auteur du Genera plantarum en- Seigna-t-il à tous, par la double autorité de ses préceptes et de son exemple, les différences fondamentales du sys- tème et de la méthode; en vain les règles et la pratique même de celle-ci devinrent-elles familières à tous : le véri- table caractère de la classification zoologique de Linné continua d’être méconnu. | Et cependant, dès 1735, Linné avait entrevu les prin- cipes féconds de la classification naturelle; il en avait fait une première application au règne animal, préludant , Tune main ferme, aux travaux qui devaient illustrer la fin du xvm siècle ! Comment lui contester cet honneur, en présence de ces exposés généraux dans lesquels il résume avec une si grande supériorité, et en les classant selon leur valeur (1), les caractères de chaque groupe ? Comment supposer une différence fondamentale entre les Principes linnéens et les principes aujourd’hui univer- Sellement adoptés, quand les conséquences des premiers “ont identiques avec celles des seconds; quand la plupart des divisions primaires, secondaires et tertiaires de Linné n'ont jamais cessé d’être admises par ses SUCCESSEUTS ; Tand d’autres n’ont été momentanément abandonnées ue pour être bientôt reprises sous d’autres noms, et Parfois à l'insu des auteurs eux-mêmes qui rendaient à Linné cet hommage (2)? La classification zoologique de (1) Voyez, sur ce point important de l’histoire de la science, l Eloge te Linné par Conporcer; Recueil des Eloges des académiciens, Paris, M-12, 1799, t. IT, p. 131, on Œuvres, publiées par MM. CONDORCET O'CONNOR et ARAGO, Paris, in-8, 4847, t. II, p. 345 et 346. (2) L'exemple le-plus remarquable est celui sur lequel j'ai appelé ae g 1 78 INTRODUCTION HISTORIQUE. Linné, c’est, en réalité , la classification actuelle , nais- sante, imparfaite encore , ou pour mieux dire, seulement ébauchée, mais renfermant déjà en elle le principe de ses perfectionnements futurs. Si Linné a compris la méthode naturelle , sil la appliquée à l’ensemble de la zoologie, comment n'en aurait-il pas tenté l'application, au moins partielle, à la botanique ? Il Pa fait. Sa méthode artificielle devait faire - place, lui-même Pa dit avec la plus grande netteté (1), à la méthode naturelle, aussitôt que celle-ci pourrait être établie ; et pour hâter ce moment, nul n’a fait des efforts plus persévérants(2). Les Fragmenta methodi naturalis, l'attention dans mes Considérations générales sur les mammifères, 1826, p. 26, et dans l’article Mammalogie du Dictionnaire classique d'histoire naturelle, t. X, p. 69. C’est de là que je suis parti pour reconnaître dans Linné le véritable inventeur de la méthode naturelle. On sait que la classification actuelle des mammifères est un perfec- tionnement de la classification créée par Cuvier et par mon père, dans leur célèbre mémoire de 4795 sur la première classe du règne animal, et sur l’application de la méthode naturelle à la zoologie. Cette classi- fication était, dès l’origine, digne de ses deux auteurs : cependant, des modifications y furent bientôt reconnues utiles, et elle fut remaniée à plusieurs reprises par Cuvier , jusqu’à ce qu'enfin, en 1818, elle fut présentée comme définitive. Or, que l'on suive Cuvier dans ses rema- niements successifs, et l'on reconnaitra que chacun de ses pas vers le progrès est un retour vers Linné; si bien que, pour le nombre des ordres et leurs caractères principaux, la classification se trouva finalement replacée sur les mêmes bases où l'avait créée tout d’abord ce grand naturaliste. Par ce seul fait, on pourrait prouver l'identité fondamentale des principes de Linné et de ceux de Cuvier. (4) Dans sa première lettre à Haller. On trouve cette lettre tout en- tière dans l'excellente Vie de Linné par FÉE, loc. cit., p. 93 et suiv. Cette remarquable lettre a été écrite en avril 4737. (2) Voyez la même lettre, p. 94 et p. 98. Linné s'exprime ainsi dans w LINNÉ. 79 postérieurs de trois ans seulement au Systema naturæ, en sont, en 1738, les fruits déjà précieux (1); et presque tous les ouvrages ultérieurs de Linné portent la trace de ses efforts constants pour ajouter à ces premiers résultats. ll finit par arriver, en partie, à des vues si conformes à elles qu’allait bientôt émettre Bernard de Jussieu , que Plusieurs auteurs ont vu ici autre chose que la rencontre de deux grands esprits. On doit croire, dit Cuvier lui- Même (2), que Linné avait profité des conversations de Bernard de Jussieu ; car de tels rapprochements, ajoute- t-il, «auraient pu difficilement naître des vues qui ont » dirigé cet homme célèbre dans ses autres ouvrages. » le premier des passages auxquels je renvoie: «Jai travaillé long- » temps sur ce sujet, quoiqu'il fût peut-être au-dessus de mes forces, » et je pense avoir réuni plus de matériaux que beaucoup d’autres ? personnes ; néanmoins j'ai laissé bien des lacunes : il est douteux ” que je termine jamais ce que j'ai commencé. » Admirable persévérance ! et admirable modestie ! On trouve dans les ouvrages de Linné plusieurs passages analo- Sues. On lit, par exemple, dans l'introduction des Fragmenta me~ L odi naturalis : « Diu et ego circa methodum naturalem inveniendam » laboravi., ; perficere non potui; continuaturus dum vixero. » Voy. aussi, dans la Philos. bot., § 206, le passage, souvent cité, où inné dit : « Methodus naturalis hinc ultimus finis botanices est et erit. » Sur ce sujet, consultez encore les LINNÆI Prælectiones in ordines naturales plantarum, par FABRICIUS et GISEKE, in-8, Hambourg , 1792; Ouvrage rédigé d’après les ouvrages, les leçons et les conversa- tions de Linné. | (i) Ces remarquables Fragmenta ont paru dans les Classes planta- n, in-8, Leyde, 4738. | Sur Soixante-cinq groupes considérés par Linné comme naturels, "ne moitié environ est restée dans la science. (2) Eloge de Michel Adanson, dans le Recueil des éloges historiques de CUVIER, t. 1, p. 286. 80 INTRODUCTION HISTORIQUE. Jugement hasardé, où une première erreur sur l'esprit général des travaux de Linné a conduit à une conjecture que rien ne justifie (1). Non, ce grand naturaliste n’a eu besoin de s'inspirer que de lui-même; et pour devancer sur quelques points les Jussieu , ił lui à suffi de porter dans l'étude dés plantes les vues qui l'avaient si manifes- tement dirigé dans ses ouvrages zoologiques. Sachons être fidèles au culte de la justice, fallùt-il enlever un rayon à la gloire nationale ; et que dans une œuvre capitalé chacun reprenne enfin la part qui lui appartient. Restituons à Linné son titre de premier inven- teur de cette méthode naturelle qu’avaient pressentié Césalpin et notre Magnol, et dont il a si longtemps pour- suivi l'application aux deux grands règnes- organiques ; destiné à se voir presque aussitôt surpassé, en botanique, par les Jussieu , mais à rester en zoologie, jusqu'à la fin du siècle, jusqu’à Cuvier, non seulement sans supérieurs, mais sans égaux. Ses droits sont incontestables; et pour la zoologie en particulier, nous devons reconnaitre dans Linné l’auteur, non seulement, comme tous le disent , des formes présentement admises, mais du fond actuel de la classification. Les modernes ; comme classifica- teurs, ont été bien au delà de Linné, mais dans les mêmes (4) Ou plutôt que tout dément : le silence de Linné sur ce point, lorsqu'il fait connaître les obligations qu’il eut à Bernard de Jussieu (voy. Ses Mémoires, insérés dans sa Vie par Fée, loc. cit., p. 34); puis les dates. C’est en 1753 que Cuvier nous montre Linné s'inspirant, dans ses travaux, des conversations de Bernard de Jussieu; et c’est au prin- temps de 1738 que Linné était venu à Paris. Quinze ans d'intervalle ! De plus, doit-on supposer conçues, dès 1738, par Bernard de Jussieu, des idées qui ne virent le jour que si longtemps après ? 1 m 7 t | BUFFON. 81 : / g i i k ; 3 T t ° 1 ’ . , i k ` Voies, et en le continuant. Ils ont perfectionné , Linné j avait créé (1). a D ) i IL. | ! La postérité a, comme les contemporains, ses prédi- lections, ses préjugés, ses préventions. Buffon a long- temps attendu des. juges équitables. Quand on relit, après aVoir mürement médité sur ses ouvrages, les apprécia- tions qu’en ont faites, non seulement ses contemporains, Mais les nôtres eux-mêmes, On ne peut se défendre de ĉe Sentiment pénible qu'on éprouve, avant toute ré- | flexion, à la vue ou au récit d’un acte d’injustice ! Comme écrivain, Buffon occupe depuis longtemps le rang qui lui appartient. Nul écho, dans notre siècle, de ees critiques qui osèrent, dans le xvm® s'attaquer à l'admirable style de l'Histoire naturelle : de ces eri- tiques auxquelles Voltaire, homme d’un goût si exquis, Mais encore plus homme de passion, eut le tort de S'associer par une célèbre et trop transparente allu- sion (2). T) n'est plus aujourd’hui qu'un seul sentiment Sur Buffon, proclamé par tous l’une des gloires littéraires (1) J'ai seulement indiqué ici, maisje crois avoir démontré ailleurs es droits de Linné au titre de créateur de la classification zoologique, Successivement perfectionnée par les zoologistes modernes, et non sim- plement d'auteur d'une classification zoologique, remplacée par celles © Cuvier’, de Blainville et des autres naturalistes de notre siècle. Oyez l'article intitulé: Des travaux de Linné sur la nomenclature et i classification zoologiques , dans mes Essais de zoologie générale, 1841, p. 406-134. | (2) «Dans un style ampoulé parlez-nous de physique. » n 6 82 INTRODUCTION, HISTORIQUE. les plus brillantes du siècle où vécurent Voltaire et Mon- tesquieu, où vécut Jean-Jacques Rousseau. Mais en faisant si grande la part de l'écrivain, a-t-on rendu justice au naturaliste, au penseur ? De son temps, non ; après lui, et jusque de nos jours, moins encore peut- être (1). Faut-il le dire? Quelques lignes écrites par (4) Dans les années qui suivirent la mort de Buffon, l'injustice et ingratitude envers lui furent portées jusqu'aux dernières limites. Montrons-le par des exemples : il importe à la gloire de Buffon de rap- peler les jugements auxquels il fut alors em butte; ils feront voir de combien ce grand homme avait devancé son époque. Entre tous les passages que je pourrais mettre sous les yeux du lecteur, les deux suivants me semblent assez caractéristiques pour dispenser de toute autre citation. J'emprunte l’un aux éditeurs des loges de CONDORCET, in-12, 1799, t.I, p. 24. « Les ouvrages de Buffon, disent-ils, ne présentent » peut-être aucune vérité nouvelle. » Qua donc fait Buffon pour la sciènce? Rien, selon ces auteurs. Eh bien ! le croirait-on? d’autres ont trouvé le moyen d’aller plus loin encore: « On ne peut disconvenir qu’il » (Buffon) a retardé les progrès des véritables connaissances en His- » toire naturelle, par le mépris qu’il a fait et inspiré des systèmes. » Cependant on ne saurait nier qu’il á rassemblé des faits intéres- » sants et peu connus.» Ce dernier passage a une très grande impor- tance, comme exprimant incontestablement l'opinion générale des naturalistes à la fin du xvin siècle; je l’extrais de l Introduction des Actes de la Société d'Histoire naturelle de Paris, in-fol., 1792, p. xij ; introduction que l’on trouve aussi dans quelques journaux scienti- fiques du temps. Cette introduction, intitulée : Discours sur l’origine et les progrès de l'Histoire naturelle en France, a été rédigée par le secrétaire de la Société, Mizzix. Ajoutons que la Société se donnait pour mission expresse de rendre à la France l'importance qu’elle « devait avoir dans la science de l'Histoire naturelle, » et dont Buffon l'avait fait déchoir, au jugement de « la nouvelle génération, » décidée, depuis la mort de Buffon , à laisser «à l’ancienne ses vieilles erreurs » et ses préjugés. » (Même Introduction, p. xiij.) ; On peut voir, dans l'ouvrage plus haut cité de mon père (p.34 et35); $ BUFFON. 59. Goethe, peu de mois avant que s'éteignit cette lumière de l'Allemagne (1), et dans la patrie même de Buffon , quelques pages de mon père (2), tels étaient encore, il y à quelques années (3), les seuls hommages dignes de lui que la science eût rendus au naturaliste et au philosophe! Partout ailleurs, on laissait Buffon au-dessous et à une Que la Société n’a été que trop fidèle à la mission qu’elle se donnait à elle-même, au nom de Linné, contre Buffon. = (4) Voyez le second des articles publiés par Gorrue sur les Prin- cipes de la Philosophie zoologique de mon père. Cet article, le dernier {ue Goethe ait écrit, se trouve dans les Jahrbücher fur wissenschaft- liche Kritik, mars 4882, et dans les OEuvres d'Histoire naturelle de GOETHE, traduites par M. Martīns, Paris, in-8, 1837, p. 161. 0) L'article Buffon de l'Encyclopédie nouvelle. Voyez t. III, 1836, D: 105. Voici le début de cet article; il en résume en peu de mots les- “Prit: « Buffon, que la voix publique plaça avec Voltaire, Rousseau et x Montesquieu au premier rang des écrivains du XVIH* siècle, attend » encore peut-être du savoir philosophique de nos jours le salut d’admi- » ration dû, selon moi, au plus grand naturaliste des âges modernes.» (3) En 1837, j'essayai, à mon tour, l'appréciation des services rendus à la science par Buffon, et j'écrivis, dans la Revue des deux mondes, - Quelques pages en partie reproduites ici. | À Depuis, un mouvement très marqué s’est produit dans l'opinion en faveur de Buffon ; et il ne peut manquer de se prononcer de plus en plus, après les im portantes publications successivement faites en l'hon- neur de notre grand naturaliste. Voyez principalement : GEOFFROY SAINT-Hir arme, Études sur la vie, les ouvrages et les doctrines de Buffon, dans les Fragm. biograph., p. 4 à 102; article publié d’abord en 1837, à la tête d’une édition nouvelle de l'Histoire naturelle. — VILLEMAIN , Cours de littérature : Tableau du dix-huitième siècle, p part., 1838, t. II, p. 352. —-FLOURENS, Buffon; Histoire de ses travaux et de ses idées, in-19, Paris, 1844; et 2° édit., 1850. — lenni Martın, Histoire de France, t. XVIII, p. 247 à 272; 1853. Ce veau travail vient de paraître durant l'impression même de ces feuilles; Je suis heureux de pouvoir mentionner ici celucide résumé et cette haute appréciation des vues de Buffon par un historien philosophe. v 84 © INTRODUCTION HISTORIQUE. immense distance de Linné! On s'étendait sur la réfuta- tion de ses hypothèses, de ses erreurs; on la dit mème, de ses aberrations et de ses fantastiques rèveries (1)! et parfois, la critique était à peine tempérée par quel- ques éloges vagues et pleins de restrictions sur ces vues sublimes de philosophie naturelle, sur ces voies nou- velles" ouvertes à l'esprit humain, sur ces lois générales qui attesteront à jamais le génie créateur de Buffon ! Il semblait, en un mot, qu'on se complût à étendre les ombres et à voiler la lumière! Et les maîtres de la science eux-mêmes ne se sépa- raient pas ici de la foule. Cuvier, dont le jugement à fait loi pour les zoologistes contemporains, semble lui- même placer le mérite le plus réel de Buffon dans ses droits au titre d'auteur fondamental pour l’histoire des quadrupèdes (2)! Oui, ses droits à ce titre sont incontes- fables, mais sa gloire n’est pas là. Si Buffon ne fùt pas (1) Encore ne cité-je ici que des critiques relativement modérées, Je me tais sur les autres, sur celles que je n ’appellerais plus des criti- ques, mais des insultes. En général, les attaques sont d'autant plus violentes qu’elles viennent de moins haut. i Signalons aussi l'insistance extrême avec laquelle certains Z0010- gistes se sont plu à rechercher de page en page, à énumérer, à mettre en relief diverses erreurs de détail échappées à Buffon, comme si l'abaissement de ce grand homme eùt pu les élever eux-mêmes! Ne _dirait-on pas des nains se dressant sur leurs pieds pour dépasser un instant le géant étendu et endormi! (2) « La partie de son ouvrage... où il restera toujours l’auteur fon- » damental , c’est l’histoire des quadrupèdes. » ( CUVIER , article sur Buffon, dans la Biographie universelle, 1812, t. VI, p. 298.) Article d'ailleurs remarquable, et qui, à part l'appréciation de Buffon, ne sera lu ni sans intérêt ni sans profit. Dans l'Éloge de Lacépède, rédigé en 1826, et inséré dans le Recueil ? Bra BUFFON, 7 85 igx venu, l’histoire des, quadrupèdes eùt pu être écrite par un autre; mais qui eût écrit la partie générale de l His- loire naturelle ? Oui encore, parla magnificence-de son style, Buffon a rendu général le goût de l Histoire natu- relle, et conquis pour elle, par toute l’Europe, la protec- lion des souverains et des grands(A). Oui, le mouvement immense qui s’est produit du vivant même de Buffon et après lui, est dû, pour une très grande partie, à son in- fluence souveraine; et ce serait assez pour faire de son nom l’un des premiers de notre science, assez pour lui mériter la reconnaissance des naturalistes de tous les âges, Mais leur admiration doit tendre plus haut. La Sloire de Buffon ne saurait. être dans ce qu'il a fait faire, Mais dans ce qu'il a fait lui-même, dans ce qu’il a créé; j'ajouterai qu’elle est moins encore dans ce qu'il à fait Pour ses contemporains, que dans ce qu'il a préparé Pour nous. Elle est dans ces soudaines inspirations qui Si souvent l’entrainent hors de son siècle, et parfois le portent en avant du nôtre; dans les éclairs de sa pensée, dont la lumière, au lieu de s'affaiblir avec la distance, semble se projeter plus éclatante à mesure qu’elle atteint Un plus lointain horizon. Elle est dans la première création | de la zoologie générale, ou, pour mieux dire, de la phi- , ii losophie elle-même de l'Histoire naturelle: Jà aussi Buffon | wos Pourrait presque être dit l'auteur fondamental ! Elle est déja cité, t. III, p.296 et suiv., Cuvier a donné de Buffon une autre ap- Préciation dont la sévérité ne semblera pas assez tempérée par quel- Mues phrases élogieuses, trop semblables à de simples précautions Oratoires, i ' k ($) CUVIER, Biogr, univers., loc. cit, H: e E r, ET a EE E E ET O E NNA merria ii a j = — e= à PE TRA niai Er FRERE b ù NETE EEE E EE PEIE TIES MERN + < inaki gar- er m e vtm a SA —— de 86 INTRODUCTION HISTORIQUE. dans ses vuës sur les harmonies variées des animaux et les contrastes des diverses modifications locales des mêmes types; dans cette belle étude de l’homme et de ses variétés, qu'il élève dès lors au rang d’une science particulière(1), par la conception rationnelle de la communauté d'ori- gine; dans ces admirables pages où, à peine maître de quelques faits, il déduit ou plutôt devine les lois prin- cipales de la distribution géographique des êtres, ct même aussi de leur apparition successive à la surface du globe (2); dans celles où il s'élève jusqu à la conception de l'unité de plan dans le règne animal, du principe non moins fondamental de la variabilité limitée des espèces, et de plusieurs de ces linutés vérités dont les unes vien- nent à peine d’ être rendues accessibles à la démonstra- tion, et dont les autres, encore à demi comprises au- jourd’hui, _ appartiennent : moins au re qu’à l'avenir de la science ! Voilà où est, pour moi, la loire de Buffon; car là sont les En de : son ais Après l'avoir on presque seul {1) « Ayant, li, L'Histoire naturelle de l’homme n'existait pas. » Depuis lui, l'étude des variétés des races humaines est devenue une » science particulière. » nb loc. cit., 1844, p. 164, et 1850, p 155.) (2) & Revinnaissotis les droits de Buffon à la priorité pour tout ce » qui regarde l’histoire éminemment philosophique des vieux monu- » ments de notre globe. TI à dit simplement le pourquoi et le comment » del antique transformation des corps or ganisés en pierres, éternisant » dans la mort la structure et les formes de la vie : exemples admira- » bles de modelages opérés par la nature; sculptures antédiluviennes » quel art humain semble imiter de nos jours, lorsque par lui des traits » chéris et vénérés sont conservés pour l'amitié ou transmis à la posté- p rité. » (GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Études sur Buffon, loc, iit, p: 57.) me BUFFON. 87 il y a seize ans, je suis heureux de le redire aujour- d’hui avec tant d’autres : Buffon est aussi, grand comme naturaliste et comme penseur que comme „écrivain : Majestati naturæ par ingenium (1)! Et s’il est si grand écrivain, c’est parce qu'il est si grand penseur. « Le style est l'homme même. » C’est Buffon qui l’a dit D et il a fait micux que le dire : il l’ a prouvé! IV. De la science telle que Linné et Buffon l'ont faite, nous pourrions passer sans transition à à la science de SA époque; le rapide mouvement de l'Histoire naturelle pendant la révolution française et de nos jours n’a plus rien qui étonne, lorsqu'on se reporte à ces deux vivants foyers dont il émane, le Systema naturæ et l'Histoire naturelle. Pourtant, nous ne l'aurions encore que bien incomplétement expliqué , si nous terminions ici cette esquisse des progrès qui l'ont immédiatement préparé. (1) La statue au pied de laquelle on lit cette belle inscription a été élevée à Buffon de son yivant. Pourquoi faut-il qu'on la doive bien plutôt à une flatterie intéressée qu’à une juste et pure admiration ! (2) Discours de réception à l’Académie française, dans le Recueil des pièces d'éloquence et de poésie de 4747 à 1753, in-12, p: 338, et dans le Supplément de l'Histoire naturelle, t. IV, p. 14. ; Mon | père a déjà fait ressortir, dans ses Études précédemment citées, D. 45 et 16, le lien intime qui unit dans Buffon le grand penseur et le grand écrivain, 6 Sur le style de Buffon, „yoyez aussi MM. Vian et Frouness, ocis cit, 09 INTRODUCTION HISTORIQUE. Il est d’autres services rendus, d’autres gloires auxquelles nous devons aussi notre tribut. Par l'immensité de leurs travaux, Linne et Buffon sem- blent remplir, pour l'Histoire naturelle, le xvnr siècle tout entier, et cependant il est vrai de dire que ce serait encore pour nous un grand siècle, alors même que ni Linné ni Buffon n’eussent existé. Pour lui mériter ce titre, il suffirait qu'il fùt celui où la classification naturelle a été définitivement comprise et établie, où elle a pris pour jamais possession de la science. Or ce progrès capital n’est l’œuvre, ni de Césalpin, qui lavait pressenti; ni de Gesner, de Ray, de Morison, de Magnol, de Heister (1) et de plusieurs auteurs du xvme siècle, qui l’avaient diversement préparé ou commencé; ni de Linné lui-même, qui lavait en (1) Sur Heister, auteur dont le nom n’a pas encore été mentionné, voyez plus bas, p. 93. On verra aussi, dans la suite de cette section, p. 95 èt 96, Adanson et Haller poursuivre, dans des voies qui leur sont propres, et de très bonne heure, la recherche de la méthode naturelle. Tous les grands esprits, tous les esprits distingués se tournent, au XVI siècle, du même côté. A tous ces noms illustres ou célèbres, j'en pourrais joindre un plus illustre encore, celui de Jean-Jacques ROUSSEAU, qui rapprochait les végétaux par uhe méthode très analogue à la distribution en fa- milles naturelles : expressions de GOETHE dans l’ histoire qu’il a donnée lui-même de ses études botaniques. Voyez ses Œuvres d’ Hist. natur., trad. par M. Marins, 1837, p. 497. Les travaux de Rousseau que rappelle Goethe sont d’ailleurs postérieurs à ceux de Bernard de Jus- sieu qui vont être tout à l'heure cités : ils sont de 1770 et de 4774. Quoi qu'il en soit, ils montrent, par un exemple de plus, que léta- blissement de la méthode naturelle est, au xvme siècle, le but commun des désirs et des efforts de tous les hommes de progrès. LES JUSSIEU. 59 partie réalisé. La voix publique en a depuis longtemps attribué l'honneur aux Jussieu, et il leur appartient. Méthode naturelle et Méthode des Jussieu : ces expres- Sions sont devenues synonymes, et dans tous les temps les naturalistes pourront les employer l’une pour l’autre, sans manquer à la justice, même envers Linné. Dans le Systema naturæ , pour la zoologie ; dans les F ragmenta methodi naturalis (4), pour la botanique, Linné énonce des résultats; mais comment les a-t-il obtenus? il ne le dit pas. Il est manifeste qu’il avait aperçu les principes de la méthode, mais d’une manière encore incomplète et Obscure. Tl n’en était pas maître; il les eût donnés, s’il avait pu le faire. Les Jussieu en sont maitres. Bernard. le prouve.en 1759, lors de la plantation du jardin de Trianon (2) ; Antoine Laurent, bien mieux encore, lors- Qu'ikexpose, en 1778, dans son célèbre mémoire sur la famille des renoncules, l'ensemble encore inconnu dès Vües de:son oncle et des siennes; lorsqu’ il les reprend, les développe, les démontre, les applique, en 1789, dans ce livre si grand, sous un titre si simple : Genera plan- tarum secundum ordines naturales disposita. Cuvier a dit du Genera plantarum, qu'il est presque Pour les sciences sr obeprye pgn ce qu'est la Chimie de u) Et dans les autres parties de ses ouvrages botaniques où il a fait Ou essayé des rapprochements naturels. C (2) La classification qu'il y avait suivie n’a été Sue que trente ans plis tard dans le Genera plantarum, p: LXI et suiv., SOUS ce litre ; Ordines naturales in Ludovici XV horto trianonensi dispositi. Mais la plantation du jardin donne une date certaine aux vues de Ber- e de Jussieu, et devient ainsi un fait important de T histoire de la CIENCe, I. Le —— PORN nee E TE EMEA CT GED T RTE pear ee | sr rédghereshe da ie 5 Fi té prees - T 90 INTRODUCTION HISTORIQUE. Lavoisier pour les sciences expérimentales (4). En effet, de même que, pendant une longue suite d'années , nous voyons dans tous les chimistes dignes de ce nom autant de disciples de Lavoisier, tous les naturalistes, pendant près d’un demi-siècle, procèdent directement ou indirec- tement des Jussieu. Les botanistes n’ont longtemps qu'une pensée : perfectionner la Méthode des Jussieu. En zoologie, les efforts des méthodistes ont leur point de départ dans le célèbre mémoire de Cuvier et de mon père sur les Mammifères, publié en 1795 (2); mais Cuvier et mon père éfaient eux-mêmes partis du Genera, dont ils voulaient étendre les principes à leur science. Tous deux lont dit à plusieurs reprises, n'ayant pas alors reconnu qu'ils avaient dans Linné, pour l'application à la zoologie, un devancier plus ancien, qui, pour la pre- mière invention, l'était aussi des Jussieu, et de Bernard lui-même (3). J'ai essayé de distinguer ce qui, dans l'un des progrès principaux de l'Histoire naturelle, appartient à Linné, ce qui appartient aux Jussieu. Chercherai-je aussi à faire la part de Bernard et d'Antoine Laurent? Ce ne sera du moins qu'avec la plus grande réserve et en termes géné- raux. Le génie de Bernard de Jussieu a jeté les fondements et tracé le plan de l'édifice ; les immenses travaux g’ An- toine Laurent lont élevé, à la gloire de tous deux. (1) Rapport historique sur les progrès des sciences naturelles depuis 1789, in-8, 4840, p. 305. (2) Mémoire sur une nouvelle division des mammifères, et sur les principes qui doivent servir de base dans cette sorte de travail, inséré dans le Magasin encyclopédique, 4° ann., t. IE, p. 164. | (3) Voyez p. 76 et suiv. LES JUSSIEU. 94 En réalité, l’œuvre est commune (1), et il serait témé- raire d'accorder ici à Pun ou à l’autre une prééminence que chacun eût refusée pour lui-même. Dans tout ce qu'il avait créé, Bernard ne voyait que de premiers essais à peine dignes d’être sauvés de l'oubli, et il se fùt mo- destement jugé le précurseur de son neveu; et celui-ci S'était déjà placé au premier rang des botanistes de son temps, qu'il s’honorait surtout du litre de continuateur de son oncle et d’applicateur de ses vues (2). (1) Sans imiter la réserve de l'héritier actuel de ces illustres natu- - talistes, quelques botanistes ont récemment essayé de déterminer exactement la part de chacun d’eux dans l'œuvre commune; et ils l'ont essayé en établissant une comparaison entre les Ordines naturales de Bernard de Jussieu et le Genera d'Antoine Laurent, Ces auteurs ne se Sont pas aperçus qu’ils prenaient pour base de leur comparaison un travail qui est loin de représenter complétement ce qu’a fait Bernard. Les Ordines sont de 1759, et Bernard, qui n’est mort qu’en 1777, ne S'est jamais arrêté. Vieux et presque aveugle, la méthode naturelle était encore Te sujet habituel de ses méditations et de ses entretiens avec Antoine Laurent qui, depuis 1765, l'entourait de soins presque filiaux. Ils travaillaient donc ensemble; ils avançaient du même pas et par de communs efforts. Voyez l'Éloge de Bernard de Jussieu, par CONDORCET, recueil déjà cité, t. T, p. 411, ou OEuvres, loc. cit., p. 263; et T Éloge d'Antoine Laurent de Jussieu, par M. FLOURENS, dans les Mémoires de l’Académie des sciences, t. XVII, p. v et vj. Je suis convaincu, quant à moi, que l'oncle et le neveu n’eussent pu faire entre eux-mêmes ce partage qu’on a hasardé tout récemment encore, Conclusion que ne contredisent en rien, que confirment bien Plutôt les intéressants documents publiés en 1837 par M. Adrien DE USSIE à Ja suite de la seconde édition de la préface du Genera plan- tarum, Voyez les Annales des sciences naturelles, Botanique, 2° série, L VIN, p. 227; età part, Paris, in-8, p. 99. (2) Dans le remarquable Éloge qui vient d'être cité, CONDORCET a fait l'analyse des travaux de Bernard de Jussieu, d’après Antoine u ee Per Eu a INTRODUCTION HISTORIQUE. Nous sommes loin d’avoir épuisé la liste des natura- listes justement célèbres du xvm? siècle. L'époque où la méthode naturelle est inventée et appliquée à la zoologie, puis établie en botanique, est marquée, en: même temps, pour l’une et l'autre science, dans plusieurs autres direc- tions, par des progrès importants, où même par de bril- Jantes découvertes. Si rapide que soit cette esquisse, plusieurs noms doivent donc encore y trouver place, après ceux de Linné, de Buffon, des Jussieu. Quelques üns de ces noms appartiennent exclusivement ou principalement à la botanique. Tels sont, Pun au commencement, l'autre à la fin de cette époque, ceux du physicien Hales, l'auteur de cette Statique tant admirée par Haller; ét de Joseph Gærtner, si patient et si excellent Laurént qui, très vraisemblablement, a plus d'une fois enrichi son oncle de ses propres idées. J'ajouterai qu'Antoine Laurent s'est plu à reproduire, en tête du Genera plantarum, en 4789, un Rapport fait à la Société de méde- cine par l'illustre Harré, qui s'exprime ainsi, p. 43: « Bernard de » Jussieu est le premier qui, donnant à son travail une base vraimeñt » philosophique, soit parvenu à poser les fondements d'un édifice plus , solide (que ceux de Linné et d’Adanson), préparé longtemps dans » le silence; et ce travail, ayant acquis, entre les mains de son élève et » de son neveu, un accroissement considérable et un nouveau degré ‘» de perfection, paraît aujourd'hui dans l'ouvrage dont nous allons » donner l'idée. » | ‘ HEISTER.. 93 observateur, dont les travaux sur le fruit, si bien accueillis lorsqu'ils parurent, tiennent encore aujourd’hui une si grande place dans l'estime des botanistes. Tels sont encore les noms de Lamarck, deux fois illustre, et dans deux époques et deux sciences différentes (1); auteur de cette Flore française si appréciée de Buffon, et bientôt si appré- ciée de tous (2), en attendant qu'il le fût de F Histoire des animaux sans vertèbres et de la Philosophie zoologique, deux des œuvres principales de l'Histoire naturelle du xx siècle (4 J; de Hedwig, qui a donné une si vive im- pulsion à étude si difficile et si longtemps négligée des plantes cryptogames; de Duhamel du Monceau, dont les ingénieuses expériences ont résolu: ou éclairé tant d’obs- cures questions de physiologie végétale; de Heister, dont l'influence sur ses contemporains et sur la marche de la science a été infiniment moindre, mais qui n’en reste pas moins l’un des botanistes principaux du xvin? siècle : Heister, l’un des devanciers des Jussieu dans la conception de la méthode naturelle; encore un de ces hommes qui ont eu, dirai-je? le mérite où le mal- heur de précéder de trop loin leurs contemporains où (1) Lamarck est botaniste dansle XVI siècle, zoologiste dans le xx. (2) Cette Flore française, où il « se montrait également ingénieux, » Soit qu’il inventât des procédés pour arriver à la connaissance des » noms spécifiques, soit qu'ils 'appliquåt à découvrir les rapports na- » türels qui unissent les genres. » (CMIRBEL, Éléments de physiologie végétale et de botanique, II° partié, 1815, p- 565.) (3) Voyez la section sùivante. (0 Le Systema plantarum generale de HEISTER , publié è en 1748, Ra obtenu que bien tard, et encore d'un petit nombre de botanistes, le tribut auquel il avait droit. Il avait paru trop tôt pour être bien Compris, ét quand enfin il le fut, il était de beaucoup dépassé par les 94 INTRODUCTION HISTORIQUE. Dans la même époque, la zoologie, si longtemps en retard sur la botanique, marche de pair avec elle, De combien de noms illustres nous la trouvons aussi parée: Et de quels noms! Fabricius, le second fondateur de l'entomologie; Othon Frédéric Müller, qui est presque pour les infusoires ce que Fabricius est pour les insectes; Trembley, cet observateur ingénieux, dont les merveil- leuses expériences, connues de tout le monde depuis un siècle, étonnent encore les naturalistes eux - mêmes ; Lyonet, ce prodige de persévérance et d'adresse ; Peys- sonnel, en partie précédé par Rumpf, qui fit reconnaitre enfin des animaux dans ces élégantes fleurs de la mer, les coraux et les madrépores; Réaumur, qui sut pénétrer, à force de patience et de sagacité, les mystères les plus cachés de la vie des insectes ; Degeer, qui l’a quelquefois heureusement continué; Spallanzani, expérimentateur si ingénieux, si habile, parfois si hardi; Pierre Camper, qui porta, dit Cuvier (4), sur tant d'objets divers, le coup d'œil du génie; Daubenton , ce collaborateur laborieux de Buffon, qui a fait seul tous ses travaux, et sans lequel peut-être Buffon n'eùt pas fait les siens, Daubenton au- quel on doit en outre la première application ration- nelle de la zoologie à l'agriculture (2); Jean Hunter, le travaux des Jussieu. Heister n’en a pas moins droit historiquement à une place très élevée parmi les méthodistes. DE CANDOLLE est, à ma connaissance, le premier qui lui ait rendu une pleine justice. Voyez Théorie élémentaire de la botanique, 4813, p. 12. (4) Rapport historique déjà cité, p. 821. | (2) Les immenses services que Daubenton a rendus dans cette di- rection ont été rarement appréciés à leur juste valeur. Je suis heu- reux d’avoir à citer, du moins, un excellent résumé des travaux du — ği ADANSON. 95 premier des zootomistes aussi bien que des pathologistes de son époque et de son pays; Blumenbach, dont les tra- Vaux si variés ont exercé une si grande influence sur l'Allemagne, et qui reste l’un des créateurs de l'Histoire naturelle de l’homme ; Vicq d’Azyr, qui a, comme lui, embrassé l'anatomie comparée presque dans son en- semble, et dont les conceptions, aussi belles qu’éloquem - Ment exprimées, se sont plusieurs fois élevées jusqu’à l'anatomie philosophique elle-même ! Quels noms encore, et maintenant pour l'Histoire na- turelle organique tout entière, que ceux d’Adanson, de Charles Bonnet, et par-dessus tous, de Haller et de Pallas! Adanson, dont les travaux immenses, trop peu appréciés de son vivant (1), ont embrassé à la fois la zoologie, la botanique, la minéralogie et même la physique ; l’un des hommes les plus inventifs qui aient existé dans notre Science; arrivant de son côté, par une marche qui lui èst Propre, et en partie avant Bernard de Jussieu, à la con- berger Daubenton contenu dans le Rapport fait, en mars 1849, par Mon ami M. RicHaRD (du Cantal), à l’Assemblée nationale constituante, Sur une proposition relative à la production des chevaux. Voyez sur- tout les Notes à la suite de ce remarquable Rapport, p. 85 et suiv. (1) M. Payer a rendu un véritable service à la science en publiant ĉn 1845 la partie zoologique d’un Cours d’histoirenaturelle, fait par ADANSON en 1779, et dont le manuscrit avait été heureusement con- Servé par la famille de cet illustre naturaliste. On lira avec beaucoup intérêt l'Introduction placée par M. Payer en tête du premier volume. i l | Il est fort regrettable que diverses circonstances aient fait ajourner la Publication de la partie botanique de ce Cours; toutefois les Fa- Milles des plantes qu'Adanson a fait paraître en 1763 peuvent, jusqu'à un certain point, en tenir lieu. PTS ; HE JE D RS NE a SNS CES ane 1. 5 PPT anin “CENT Ans nd ES ER -a 96 INTRODUCTION HISTORIQUE. ception et à l'application de la méthode naturelle; parfois même, novateur hardi, émettant sur la botanique, la zoologie et l'anthropologie, des vues que l’on considère aujourd’hui comme très nouvelles. Charles Bonnet, obser- vateur aussi sagace que son compatriote Trembley et que notre Réaumur; penseur profond et audacieux, presque à l'égal de Buffon lui-même, et qui a eu ce rare privilége de servir la science autant par ses erreurs elles-mêmes si habilement exposées , et d’ailleurs si ingénieuses, que par ses découvertes. Haller, dont la grande Physio- logie , bien que consacrée surtout à la connaissance de homme, renferme tant de faits nouveaux et importants sur les animaux ; et qui, en même temps, en. botanique, par ses propres A a ches, et parallèlement à Bernard de Jussieu, à Adanson , à Heister, à Linné lui-même (4), s'avance d’un pas si ferme dans les voies de la méthode naturelle. Pallas, enfin, qui a tant fait pour la science par ses voyages, et plus encore par .ses beaux tra- vaux sur la classification des zoophytes et des infusoires, sur l'anatomie zoologique, sur la zoologie générale, sur l'anthropologie, sur la paléontologie, sur la botanique, sur la géologie elle-même (2); Pallas, dont les travaux (0 En 1787, FINNÉ, dans la lettre déjà citée “si p. 5.78), écrivait à Haller : « Je vous sais occupé à établir les familles naturelles ; plaise » à Dieu que vous fénéssiez bientôt ce travail !»{Voy. Fée, loc. cit., p- 94.) (2) de ne saurais d’ailleurs partager l'opinion de BLAINVILLE, qui voit dans Pallas (loc. cit., t. IL, p. 542) le créateur, non seulement « de la géologie positive», mais aussi « de l'anatomie paléontologique, » de l'anatomie zoologique et zooclassique..., et de l'anthropologie. » Ilyaici une exagération extrême. Pallas a fait beaucoup; il n’a pas tout fait. ne r PALLAS. 97 Sont si nombreux, et si parfaits malgré leur nombre, que quelques naturalistes modernes ont hésité à le proclamer, en présence de Linné et de Buffon, le premier naturaliste du xvm siècle (L). En mentionnant ici les services rendus par ces illustres naturalistes , comment ne pas reporter un instant notre pensée vers le xw siècle? Tous les quatre, par l’éton- nante variété de leurs recherches, par la diversité des Connaissances et des mérites qu’ils font briller dans leurs Ouvrages, rappellent exceptionnellement, dans leur siècle, Ces savants universels de la renaissance, inventeurs en Même temps qu'érudits, les Gesner, les Césalpin, les Belon, les Colonna. Comme eux, et comme Ray, dans une époque plus rapprochée, Adanson, Bonnet, Haller, Pallas, Sagaces et patients, exacts et hardis, sont en même temps observateurs, coordinateurs et créateurs. Comme eux, ils embrassent le cercle presque entier des sciences Naturelles, et encore sont-ils loin de s’y tenir renfermés : Voyageur au Sénégal, et après son retour, Adanson traite des sujets les plus variés; Bonnet est l’un des premiers Philosophes de son époque ; Haller en est l’un des poëtes les plus justement renommés ; et Pallas a laissé sur l'his- toire, ethnographie et la linguistique, un livre qui, seul, eùt illustré le nom de son auteur. (1) Sur Adanson , Bonnet et Pallas, je ne saurais omettre de citer les Éloges de ces illustres savants, par CUVIER, loc. cit., t. Tett. II. L Éloge d Adanson est particulièrement remarquable : l’illustre histo- "en de la science devance ici de beaucoup ses contemporains dans. l'appréciation de l’auteur des Familles naturelles. N i Å gem PR ee E E DE e err T nc ob E VAARAAAAIUIU AAYYY NN QUATRIÈME SECTION. PROGRÈS RÉCENTS DE L'HISTOIRE NATURELLE, SOMMARE. — I. Mouvement rapide de la science durant la Révolution française et au XIX* siècle. — I. Botanistes. De Candolle. — II. Zoologistes. Lamarck. Cuvier. — IV. Geoffroy Saint-Hilaire. — V. Direction nouvelle de la science. 3 ii A mesure que nous avançons vers notre époque, le Mouvement de la science va sans cesse s’accélérant, com- parable à celui du corps grave qui se précipite de plus en Plus rapide vers le point qu’il doit atteindre. À peine les Jussieu, après trente années de travaux, Ont-ils définitivement établi la méthode naturelle pour -le règne végétal, que déjà Goethe inaugure une botanique nouvelle, trop nouvelle pour qu’on la comprenne de longtemps encore. Le Genera plantarum est dé 1789 ; Ei Métamorphose des plantes, de 1790. En zoologie, cette même année 4789 voit paraître le dernier des Suppléments de l'Histoire naturelle dë Buffon ; c’est Lacépède qui le met au jour un an après la Mort de son maître, et déjà sur ses pas s’avancent de jeu- nes émules, mon père, introduit dans la science par Dau- benton, et Cuvier, qui devient bientôt le collaborateur de Be EE ner 100 INTRODUCTION HISTORIQUE. mon pêre (4). Leur travail commun sur les principes de la classification zoologique est de 1795, et il est le fruit de recherches qui remontaient pour mon père à 1795, et pour Cuvier à 1791. I y a donc à peine un intervalle de trois années entre la fin de l Histoire naturelle et les premiers essais de l’auteur de l Anatomie comparée. Ces essais, où déjà Cuvier se révélait tout entier, où étaient en germe une grande partie des découvertes qui devaient illustrer la fin du xvne siècle et le commencement du nôtre, marquent, en traits ineffaçables , la date d’une époque nouvelle de la science : époque qui précède immé- diatement les temps où nous vivons, et à laquelle nous devons, avec autant d'admiration qu'à celle même de Linné et de Buffon, une reconnaissance, sinon plus (1) Cet enchainement, cette sorte de filiation ininterrompue de Buffon à Daubenton, de Daubenton à mon père et à Cuvier, à vive- ment frappé Gorue. Voyez les Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik, mars 1832, p. 403, ou les Œuvres d'Histoire naturelle de GoETHE, traduites en français par M. Martins, Paris, in-8, 1837, p. 162. Ces faits remarquables de l'histoire dela science française n’ont pas échappé non plus à PARISET, qui les à résumés avec autant de conci- sion que d’exactitude. Voyez le recueil de ses éloquents discours, pu- bliés sous ce titre: Histoire des membres de l’Académie de médecine, t. II, p. 502. «Un trait singulier de l’histoire de nos quatre natura- » listes, dit Pariset, c'est qu’ils se sont pour ainsi dire ouvert l’un » à l'autre le chemin de la science et de la gloire. Un auxiliaire » était nécessaire à Buffon ; il choisit Daubenton. Daubenton adopta » Geoffroy Saint-Hilaire... Sur la foi de quelques essais que lui envoya » Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire eut hâte de le tirer de son obscurité » en l'appelant à Paris et en lui donnant l'hospitalité. » Pour plus de détails sur les faits indiqués par Goethe et par Pariset, voyez Vie, travaux et doctrine scientifique de Geoffroy Saint-Hilaire, chap. I, sect, 1v et v, et chap. I, sect. v. 4, DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 101 grande, du moins plus directe et plus vivement sentic: c’est l’époque de nos maitres. Au moment où elle s'ouvre, que de progrès à faire, mais que de progrès déjà faits ! De toutes les branches de PH stoire naturelle, il n’en était aucune qui n’eût été, dans xvi siècle, le sujet de travaux plus où moins impor- tants; de toutes les directions, aucune où l’on n’eût au moins fait quelques pas! Pour la classification et la déter- mination des espèces, après Linné, les Jussieu, Adanson, Pallas, Fabricius, Müller ; pour l'étude de l'organisation et des fonctions chez les animaux, après Pallas, Dauben- ton, Haller, Camper, Hunter, Lyonet, Spallanzani ; pour l'anatomie et la physiologie végétales, après Linné, Gært- - ner, Hales, Duhamel; pour l’embryogénie et la térato- logie , après Haller; pour l'observation des mœurs des animaux , après Bonnet, Réaumur , Buffon, Pallas; pour. la géographie zoologique et botanique , après Buffon , Linné, Pallas; pour l'Histoire naturelle générale, après Buffon, Linné, Bonnet; pour l'anthropologie, après Buffon, Blumenbach, Pallas, il est manifeste que les voies étaient à l'avance largement ouvertes au xix° siècle par le xvme. Et s’il n’en est pas de même de la paléontologie et de l'anatomie philosophique, si ces deux branches datent et doivent rester la gloire propre de l’époque moderne, encore est-il juste de rappeler ici, pour l’une, les re- cherches de Pallas sur les grands ossements fossiles du nord de l’Europe; pour l’autre, les vues, parfois si admi- ablement précisées, de Vicq d'Azyr; pour toutes deux, les hautes conceptions de Buffon. | Ainsi, dans quelque direction que ce soit, il est vrai de RE anene e ENEN — ie 402 INTRODUCTION HISTORIQUE. dire que notre siècle a son point de départ dans les décou- vertes du siècle précédent. Mais, combien il s’est éloigné rapidement de ce point de départ! Combien il l'a laissé loin derrière lui! En zoologie surtout, on l’a dit souvent, et nul ne l’a contesté, les cinquante années qui se sont écou- lées à partir du commencement de la Révolution française, ont plus fait, à elles seules, que tous les siècles qui les ont précédées (4). J'aurais aimé à continuer ici pour l’époque moderne , pour cette époque dont j'ai eu le bonheur de connaître presque tous les naturalistes illustres, ce que j'ai essayé pour ceux des temps antérieurs; à déterminer quelle part chacun a prise aux progrès de la science; à dire, selon ma conscience, sa portée intellectuelle et la valeur de ses travaux. Mais comment apprécier avec justesse des hommes au milieu desquels j'ai vécu, au milieu des- quels je suis encore ? De même qu’un objet, trop rapproché de nos yeux, ne saurait être nettement perçu par eux, ne devons-nous pas craindre d’être égarés par des illusions, en présence de travaux dont nous. avons été presque témoins, et qui ne peuvent nous apparaitre, quoi que nous fassions, sous le point de vue où ils apparaïtront à la posté- rité? Pour ne parler ici que des savants dont la science a déjà eu à déplorer la perte, s’il est vrai, comme on l'a dit (4) Nul doute que la vive impulsion que reçut la zoologie en France, et par suite dans toute l’Europe, à l'époque de la Révolution française, ne dérive, en grande partie, de la réorganisation du Jardin des plantes en juin 1795 (due surtout au conventionnel Lakanal), et de la création de la Ménagerie cinq mois plus tard. Sans ce dernier progrès, réalisé par l'initiative hardie et les soins persévérants de mon père, lana- tomie comparée eût-elle pu être créée dès cette époque ? + *: DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 103 tant de fois, que la mort d’un homme ouvre à la vérité tous - ses droits sur lui, il faut reconnaître aussi que la vérité ne peut en user aussitôt, puisque chaque contemporain, quels que puissent être son amour pour la justice et l'in- dépendance de son esprit, ne saurait entièrement franchir le cercle. des idées , des opinions, je dirai même des pas- sions de son époque, et se trouve ainsi enlacé dans une multitude de liens qu’il ne saurait briser; car il ne les sent même pas. -A Je ne renonce pas cependant à compléter cette esquisse par un aperçu des principaux progrès accomplis dans l’é- poque moderne. Mais ici je m’exprimerai avec plus de réserve encoré; et si j'ose hasarder quelques apprécia- tions, je suis le premier à les déclarer incomplètes, et à en appeler d'elles à l’avenir. IT. | Zoologiste par les études de toute ma vie, c’est en bota- nique surtout qu’une grande réserve m'est imposée. Il est toutefois quelques noms sur lesquels je ne puis eraindre d'égarer mon admiration ou mon estime, Les uns rap- pellent des travaux assez anciens déjà pour que la posté- rité ait commencé pour eux; les autres, des progrès trop Capitaux ou detrop éclatantes découvertes, pour qu'elle puisse ne pas confirmer le jugement des contemporains. Parmi les travaux qui ont reçu la consécration du temps, je citerai ceux de Desfontaines sur la structure des végétaux Monocotylédonés , opposée à celle des dicotylédonés; ils ste Su ES Eram IO e NP gay P nant PEA FRP à — i — 5 Tik + ge, ge SPRL in. TE RE plane à cer amer ne corn E pt E 104 INTRODUCTION HISTORIQUE. remontent au commencement même de l’époque à la- quelle nous arrivons, à 1798, et leurs résultats, bien que modifiés par les progrès récents de la physiologie végé- tale, n’ont rien perdu de leur importance. Les recher- ches d’Acharius et de Persoon sur les cryplogames , quoiqu’on les ait dépassées de beaucoup; les ingénieuses observations faites par Claude Richard à Cayenne et en Europe (1); les nombreux ouvrages de Wildenow, malgré de justes critiques, ont de même valu à leurs auteurs vivants une place élevée dont ils ne sauraient déchoir. Parmi ceux que la mort a plus récemment moissonnés, ilen est dont le temps pourra obscurcir la réputation ; mais tels ne seront assurément ni Dutrochet ni De Can- dolle. Pour le premier, il se peut que la postérité réforme l'opinion qu’en ont eue ses contemporains ; mais Ce sera “pour placer plus haut encore l’auteur de tant de belles expériences sur lesfonctions des végétaux, et de la décou- verte de l’endosmose ; auteur aussi de deux admirables et philosophiques mémoires sur l’embryogénie animale et l’ovologie ; Dutrochet, dont la physiologie végétale, la physique et l’anatomie comparée se disputent ou plutôt se partagent la gloire. (1) Richard a été appelé Vun des plus grands botanistes de l'Eu- rope par Kuntu, lui-même botaniste si éminent. Voyez l Éloge histo- rique de Richard , par CUVIER, Recueil des éloges lus par lui à l’Aca- démie des sciences, t. III, 1827, p. 251. Claude Richard est mort sans avoir publié une grande partie, peut- être la partie principale, des résultats de ses observations; et le digne héritier de son nom, Achille Richard, enlevé tout récemment aux sciences par une mort prématurée, n'a pu lui-même faire, pour les travaux de son père, tout ce que lui inspirait la piété filiale. DE CANDOLLE. 105 ae Les titres du second sont moins variés, mais plus | a i considérables encore. Par la Théorie élémentaire de la NS P í i botanique, De Candolle, précédé par Goethe (1), mais par si 1 Goethe encore incompris, est entré d’un pas ferme, et il a l l 4 entrainé à sa suite un grand nombre de botanistes dans ® les voies nouvelles de la généralisation philosophique (2). Son Prodromus systematis naturalis regni vegeta- 1 bilis n’est rien moins que le catalogue descriptif et i méthodique de tous les végétaux connus. Ce qu'avaient À osé, à l'admiration de leurs contemporains, les Bauhin p au xvu° siècle, quand on n'avait distingué que cinq mille plantes, et Linné au xvin®, quand on en possédait sept … Mille, De Candolle l’ose au xix°, quand il voit devant lui 1 Soixante mille, puis quatre-vingt mille espèces ! Le nombre | | de celles que lui-même a ajoutées à la science ne s'élève a à À pas à moins de sept mille! Tel est le Prodromus : tout | ; i À : ‘incomplet que l’a laissé son auteur, et ne füt-il jamais | Le achevé par les mains filiales d’un digne successeur , il | ur est l’une des œuvres principales de notre siècle : immense 1% monument que nos successeurs, qui l’admireront comme | nous, ne manqueront pas d'agrandir, dont ils pourront LA modifier le plan, mais qu'ils ne referont pas. te Te (1) Et par Gaspard-Frédéric WoLr, par lequel Goethe est lui-même précédé, ainsi qu'il s’est plu à le reconnaître. Voyez Œuv. RÉ é naturelle de GOETHE, p. 271. (2) Comme Goethe, De Candolle resta d’abord incompris. En 1813, To "T Plus de quarante ans après la Méramorphose des plantes, les parties de | K | la Théorie élémentaire, qui feront vivre cet ouvrage, étaient trop nou- velles encore pour recevoir des botanistes l'accueil auquel elles avaient droit, Voyez plus bas, p. 112, note 1. à 7. 3 > . Le ES 7 Ne DR o ON LS D "hi E NE ne SAMI INTRODUCTION HISTORIQUE. IT. Parmileszoologistes, la postérité distinguera sans doute comme l'ont fait leurs contemporains : Lacépède, dont les ouvrages sur les cétacés, sur les reptiles et les pois- sons, trop loués pendant sa vie, ont été trop sévèrement jugés après sa mort; Everard Home, auquel on doit un si grand nombre de recherches sur l'anatomie comparée ; Meckel, de beaucoup supérieur à Home comme zooto- miste, et de plus l’un des fondateurs de la tératologie ; Rudolphi, auteur aussi de plusieurs travaux remarquables sur l'anatomie comparée, mais surtout de recherches d’une grande importance sur les entozoaires ; Huber, de Genève, qui, aveugle dès l'enfance, a su se conquérir une place au rang des observateurs les plus sagaces ; Latreille, que la voix unanime de ses contemporains a nommé le prince des entomologistes ; Blainville, dont la pensée et les observations se sont étendues avec succès sur presque toutes les branches de la science; Savigny, qui réunissait à un si haut degré les mérites de l’obser- vateur exact, ingénieux, plein de sagacité, et du généra- lisateur sage en même temps que hardi; enfin, et ces deux noms , bien qu’inégalement célèbres, méritent d’être associés l’un à l’autre, Lamarck et Cuvier. La longue et honorable vie de Lamarck se divise en deux époques. Botaniste éminent dans le dernier tiers du xve siècle, Lamarck est malgré lui appelé, en 1793, à s LAMARCK, 107 l’enseignement de la zoologie, jusque-là presque étran- gère à ses travaux. Ainsi le voulait un décret de la Con- vention, qui changeait en même temps la destinée de mon père, alors minéralogiste. Lamarck obéit au décret de la Convention, ainsi qu'il appartenait à un homme tel que lui, De botaniste distingué, il se fit zoologiste illustre. E I avait publié la Flore française ; il donna le Système des animaux sans vertèbres et la Philosophie zoolo- gique. De ces deux ouvrages, lun, œuvre linnéenne, présentait pour la première fois méthodiquement classés dans leur ensemble tous les groupes intermédiaires et in- + Krieurs du règne animal. Dans Pautre, livre jusque-là sans modèle, et livre de première force (1), Pauteur aborde de E front la grande question de la variabilité des espèces, ré- forme du moins, s’il ne justifie pas ses propres idées (2), t celles qui ont si longtemps dominé la science, et résout Plusieurs de ces immenses problèmes que l’on eût pu croire 4 k ACeessibles tout au plus aux vagues spéculations, aux rêve- "E ries de la métaphysique. La destinée de ces deux ouvrages, , l Si différents dans leur plan, si inégaux dans leur portée, £ devait être et fut bien diverse. Le premier, immédiatement VE intelligible à tous, fut immédiatement admiré de tous. j Oserai-je le dire? le second non seulement resta d’abord incompris et fut vivement critiqué; non seulement la cri- r | (1) Expression de BLAINVILLE, Mémoire sur les principes de la S00classie, in-8, Paris, 1847, p. 21. « Fa Philosophie zoologique », dit, P après de justes réserves, l'illustre zoologiste, « de l'aveu de tous les ” hommes en état de la juger, peut être considérée comme un ouvrage » de première force. » — Voyez aussi BLAINVILLE et MAUPIED, Histoire es sciences de l'organisation, t. 11, p. 355. (2) Malheureusement poussées beaucoup trop loin. va 4 ge” 5 t m E O ornen 108 INTRODUCTION HISTORIQUE. tique n’y épargna pas plus lesrgrandes vues qui y brillent que les exagérations et les erreurs qui le tachent, malheur inévitable pour une œuvre aussi nouvelle! mais ces esprits légers, toujours portés à accueillir par la plaisanterie ce qui est au-dessus de leur portée, ne virent dans l'immortel ouvrage de Lamarck qu'une occasion de faire rire le pu- blic aux dépens d’un homme de génie. Oserai-je dire sur- tout que des savants illustres firent eux-mêmes comme le public, et que quelques autres crurent être cléments en pardonnant à Lamarck sa Philosophie zoologique en faveur de son Système des animaux sans vertèbres ? Plus heureux que Lamarck, dont la vie s’est écoulée modeste et presque obscure, et qui, sur sa tombe même, n’a pas obtenu justice, Cuvier a vu pendant sa vie, et presque dès sa jeunesse, ses travaux récompensés par une admiration que lui conservera sans nul doute la postérité. Louer Cuvier, c’est presque aujourd’hui un lieu commun. Qui ne sait que, par un privilége accordé à lui seul peut- être, il lui a été donné d'opérer, par chacun de ses grands ouvrages (1), une révolution dans une des branches de (1) Par les Leçons d'anatomie comparée, les Mémoires sur les mol- lusques et les Recherches sur les ossements fossiles. Le Règne animal, œuvre considérable, et qui eût suffi à l'illustration de son auteur, ne peut pourtant être placé sur le même rang que ces trois ouvrages. Dans le Règne animal, Cuvier améliore, perfectionne ce qui existait avant lui; dans ceux-ci il est créateur. Je renvoie à cet égard à lar- ticle que j'ai publié sur le Règne animal de Cuvier dans mes Essais de zoologie générale, p. 135-152. Dans la suite même de ce volume, j'aurai à exposer et à discuter les vues générales de Cuvier sur la science. Je développerai alors plusieurs des indications que je donne ici. Voyez Prolégomènes, liv. H, chap. H. 4 = CU: CO CUVIER. 109 l'Histoire naturelle, et de la faire immédiatement accepter par tous? Qui ne sait que, par ses travaux sur l'anatomie comparée, il est le véritable fondateur de cette science (1) et le rénovateur de la zoologie ? Double progrès accompli au moment même où, par une autre anatomie toute fran- çaise, l'anatomie générale de texture, Bichat renouvelait en partie la physiologie, et par elle, la médecine ! Qui ignore ce que les recherches de Cuvier ont jeté de jour sur lor- ganisation de ces êtres innombrables qui restaient con- fondus sous le nom de vers, de cet autrerègne animal (2), encore à peine connu des zoologistes, et qui est presque devenu, de nos jours, l’objet privilégié de leurs études ? Et surtout, qui n’admire dans Cuvier le créateur de la paléon- tologie , le naturaliste qui, fondant cette science sur les bases, seules immuables, de l'anatomie comparée, a su exhumer de la nuit des âges les espèces primitives, et, ranimant devant nous leurs débris mutilés, nous introduire dans ce monde antique dont le Créateur nous avait sé- parés par tant de siècles et de bouleversements ! (1) En anatomie véritablement comparée, Cuvier n’a guère qu’un devancier, Vicq d'Azyr. Les travaux faits aux xvrre et xvm? siècles Sur l’organisation des animaux, étaient, les uns seulement descriptifs, les autres bien plutôt descriptifs que comparatifs. Il importe de rappeler ici que le Handbuch der vergleichenden Ana- tomie de BLUMENBACH, loin d’être antérieur aux Leçons d'anatomie Comparée de CUVIER, n’a paru que cinq ans après les premiers volu- mes de cet ouvrage. Ceux-ci ont vu le jour en 4800 ; les trois derniers volumes, de même que le livre de Blumenbach, sont de 1805. Cuvier a donc sur Blumenbach le double avantage de l’avoir précédé, et de s'être avancé beaucoup plus loin. (2) Expression de M. FLOURENS, Éloge de Cuvier, dans les Mémoires de l’Académie des sciences, t. XIV, p. vij. I S INTRODUCTION HISTORIQUE. IV. Il est un autre nom inséparable dans la science de celui de Cuvier, auquel de doubles souvenirs le rattachent : à l'origine, unité de vues et communauté de travaux; à la fin, diversité radicale de doctrine, débats prolongés et sans conciliation possible, par-devant l’Europe savante, attentive et partagée (1). Ce nom, c’est celui de l’auteur de la Philosophie ana- tomique, du créateur de la Méthode des analogues et de la Théorie de l’unité de composition organique; du natu- raliste qui, après la grande époque de Cuvier (2), en inau- gure une autre non moins grande, et que Goethe a ainsi apprécié : « Il rappelle Buffon sous quelques points de » vue. Il ne se borne pas à la nature actuelle, exis- » tante, achevée ; il l’étudie dans son germe, dans son » développement, son avenir. Il se rapproche de la (4) Ici, plus encore que partout ailleurs, une grande réserve m'est imposée; je ne saurais toutefois la pousser jusqu’au silence; ce serait laisser cette esquisse historique incomplète, sans conclusion, sans lien avec la suite de cet ouvrage. J'essaierai de tout concilier à l’aide d'emprunts faits à quelques savants français et étrangers. Ils diront ce qu’il west seulement permis de penser. (2) Il importe de remarquer que Cuvier, plus âgé seulement de trois ans que mon père, et quoique en partie introduit par lui dans la science (voy. p. 100 ), l’a de beaucoup devancé dans la science. Quand commencèrent en 1806 les grands travaux de mon père, Cuvier avait déjà produit presque tout ce qui devait immortaliser son nom. L’ana- tomie philosophique ne pouvait venir qu'après l'anatomie comparée. GEOFFROY SAINT-HILAIRE. A414 » grande unité, abstraction que Buffon n'avait fait qu’en- » trevoir ; loin de reculer devant elle, il s’en empare, la » domine, et sait en faire jaillir les conséquences qu’elle » recèle (1). » Bel hommage rendu à la science française par l’un des plus grands esprits de l Allemagne, de cette noble nation qui seule pouvait disputer à la nôtre le sceptre de la science synthétique et philosophique! Le premier volume de la Philosophie anatomique a paru en 1818. L'auteur avait préludé à cette grande pu- blication par plusieurs mémoires, les uns antérieurs de près d’un quart de siècle, mais où ne sont encore que les premiers linéaments de sa doctrine ; les autres, datés de 1806 et de 1807, où elle est déjà presque tout entière (2). Mais qui l'avait alors comprise? Meckel et Blumenbach en Allemagne (3); chez nous, personne ! T en fut d’elle, (1) GogtuEe, Œuvres d'Hist. natur., trad. de M. MARTINS, p. 163 et 164. Ce passage est extrait du second des articles de Goethe sur les Principes de Philosophie zoologique de GEOFFROY SAINT-HILAIRE. Voy. Jahrbüch. für wissensch. Kritik, mars 1832, n° 51, 59 et 53. (2) Jai rassemblé, dans mes Essais de zoologie générale,p. 84 à 99, les principaux passages dans lesquels mon père a indiqué, de 1796 à 1806, et exposé en 1806 et 1807, ses vues sur l’unité de com- Position organique. (3) On était préparé en Allemagne, et malheureusement on ne l'était pas chez nous, às’avancer dans les nouvelles voies. L'Allemagne devait surtout cet avantage à l’enseignement fécond de KIELMEYER. On à Souvent exagéré, on a aussi parfois atténué les services rendus à la Science par cet illustre professeur et par ses disciples Meckel, Auten- rieth et plusieurs autres. Ces services, en réalité considérables, seront résumés et appréciés dans la suite de cet ouvrage. En attendant, j'ai dù signaler les exagérations de quelques uns de nos compatriotes en aveur de Kielmeyer et de ses disciples. Voyez Vie, trav. et doctrine Scient, de’ Geoffroy Saint-Hilaire, p. 158 à 160. ES COR 2 Tr LL RS it, à. ur, ENCRES 112 INTRODUCTION HISTORIQUE. en 1807, comme, en 41790, de la Métamorphose des plantes (A); elle venait trop tôt. Et lorsqu'en 1819, un savant qui commençait, par l Analyse de la Philosophe anatomique, cette belle série d’études historiques qu'il enrichit chaque jour encore; lorsque M. Flourens osa dire le premier (2): « La publication de cet ouvrage , fixera la date d’une direction nouvelle pour les études > anatomiques», il étonna plus qu'il ne convainquit ses lecteurs. Sa prédiction, si hardie pour cette époque, a ce- pendant été pleinement justifiée ; elle a même été dépassée. La Philosophie anatomique, par elle-même et par les développements que renferment les nombreux mémoires de son auteur, par toutes les recherches qu’elle a susci- tées, a étendu son influence bien au delà de l'anatomie. Non seulement toutes les études relatives au règne ani- mal Pont plus ou moins profondément ressentie, mais P Histoire naturelle tout entière, toutes les sciences d’ob- servation (3), ‘et, ne craignons pas de le dire, la philoso- (1) Cest la Philosophie anatomique et le mouvement scientifique qu’elle a suscité qui ont fait comprendre enfin la Métamorphose des plantes, et aussi, bien que présentées plus rigoureusement et d’une manière plus accessible, les idées analogues à celles de Goethe qu'avait émises De Candolle en 4813 (voy. plus haut, p. 105). C'est ce qu'a signalé M. FLOURENS dans le très remarquable Éloge de De Candolle qu’il a lu à l’Académie des sciences en 4842. « Ce n’est, dit-il (Mém. » de l’Académie des sciences, t. XIX, p. xvj), que lorsqu'une lutte, » survenue entre deux illustres rivaux, a porté le débat devant cette » Académie, que l'opinion publique a compris enfin tout ce qu'il y » avait de puissance et de force dans les nouvelles idées. » (2) Page 6. — L’Analyse de la philosophie anatomique par M. FLOU- RENS a paru dès 1819. (3) Dès 1844, M. Dumas disait sur la tombe de Geoffroy Saint-Hilaire (voy. Gazette médicale, 2° série, t, XI, p. 416) : « Cette Unité de com- RE © GEOFFROY SAÏNT-HIL AIRE. 4113 phie générale elle-même. Et voilà pourquoi Goethe, quand éclatent en 1830 ces mémorables débats desquels date, en réalité, l avénement de la nouvelle doctrine zoologique, n’a plus qu’une pensée, les suivre assidüment, pour en ex- pliquer le sens et la portée à ses compatriotes et au monde savant; pourquoi encore, deux ans plus tard, le grand poëte dei: «Nous avons été attentif à suivre les con- » Séquences de cette révolution scientifique autant qu’à » observer celles de la révolution politique qui s’accom- » plissait en même temps (4).» Ces lignes sont presque + les dernières qu’ait tracées la main de Goethe. Le principal caractère de la Philosophie anatomique, Si l'on considère ce livre au point de vue le plus général, c’est l'esprit nouveau, l'esprit de vie et de progrès, dont » position, cette Unité de type qui sert de base pour classer tous les » faits de l'anatomie comparée, la science des végétaux s’en est em- » parée et a su l’entourer des démonstrations les plus convaincantes. » Elle pénètre maintenant dans les sciences chimiques et y prépare .» peut-être une révolution dans les idées. » Plusieurs médecins et chirurgiens, plusieurs philosophes illustres, Ont semblablement signalé l'influence exercée sur leur science par la nouvelle philosophie zoologique. (4) Locis cit., traduction française, p. 181, et Jahrbücher, n° 52, D. 422. On a signalé souvent cet admirable sentiment du public français qui en fait si souvent le juste appréciateur de l'importance future d'un | événement qui commence ou se prépare. Ce que Goethe dit en 1832 _ des débats qui avaient eu lieu, en février et mars 1830, entre les chefs des deux écoles z00logiques, la presse française l’avait dit au moment même de ces débats. On lisait dans le National, n° du 22 mars 1840: « Toutes les sciences sont par contre- -coup mises en cause, et ont un » intérêt majeur à leur résultat.» Et dans la Revue encyclopédique, juin 1830 : « La question en litige est européenne et d'une portée » qui dépasse le cercle de l Histoire naturelle. » f 8 E All INTRODUCTION HISTORIQUE. il est venu animer la science, bien plus encore que les résultats auxquels a conduit l'application de cet esprit nouveau à une science spéciale; c’est un changement dans la méthode, et, comme l’a sibien dit M. Flourens, dans la direction jusqu'alors suivie; c’est par-dessus tout, et de là son influence en dehors même du cercle où elle semblait devoir se renfermer, c’est l'émancipation de la pensée, trop‘ longtemps enchaînée à la suite des faits et de l'observation (1). Qu'on me permette d'insister sur ce grand résultat, d'essayer de le mettre dans tout son jour, et par à même de cara ictériser la direction nouvelle de la science. Où sommes-nous parvenus? Qu’a-t-on fait, et qu'avons-nous à faire ? I est enfin possible de répondre, du moins en termes généraux, à ces questions, posées au début de cette Introduction (2). | Dés la fin du xvme siècle, Schelling avait tenté de s’ou- vrir et d'ouvrir à tous l'accès des hautes régions de l His- (1) Cette pensée a été exprimée, avec une remarquable fermeté, . par M. Coste dans son Embryogénie comparée. L'auteur dit, Intro- duction, 1837, p. 83 : « Déjà de graves et d'importants travaux ont » dans cette direction glorieusement ouvert le siècle... M. Geoffroy » Saint-Hilaire arrachait de vive force la science à cette école indiffé- » rente qui avait pour système de n’en avoir aucun, et qui perdait son » temps dans la Contemplation grossière d’un fait isolé qu’elle s’obsti- » nait à ne rattacher à aucune loi... » (2) Voyez p. 2 < à LATE i DIRECTION ACTUELLE DE LA SCIENCE. 445 | toire naturelle. Mais Schelling, et cette école des Philo- Sophes de la nature dont il est le fondateur et le chef illustre, avaient pris pour guide l'imagination quienfante des systèmes, et non le raisonnement basé sur les faits, auquel il appartient seul de créer des théories. Schelling avait osé dire : Philosopher sur la nature, c'est créer la nature (1). Peu de naturalistes (aucun en France ) l’a- Vaient suivi dans ces voies périlleuses ; et, à la vue des exagérations dans lesquelles ils étaient tombés, et qui avaient semblé compromettre la science et la menacer jusque dans son avenir, Cuvier et son école, par une réaction extrême, s'étaient prononcés contre toute tenta- : tive de généralisation, et en faveur de la recherche exclusive des faits et de leurs conséquences les plus immédiates (2). | Ainsi deux écoles non seulement différentes, mais di- rectement opposées, marchaient en sens inverse dans des voies où elles ne pouvaient ni se rencontrer ni se com- prendre, Schelling donnant tout à la pensée, Cuvier et ses disciples tout à l’observation (8). L'un faisait la science grande commela création elle-même ; mais il la composait (1) Jessaierai, dans la suite de cet ouvrage (voy. Prolégomènes , liv. IT, chap. 11), de rétablir le vrai sens, si souvent méconnu, de cette proposition, et de faire connaître la doctrine de Schelling dans son application à l'Histoire naturelle. - CL (2) Voyez l'analyse comparative des vues de Cuvier et de celles de mon père dans mon ouvrage déjà cité : Vie, trav. et doctrine scientif. de Geoffroy Saint-Hilaire, chap. V, sect. 1, et chap. VIII, sect. x. Ce qui Suit est en partie emprunté à ce dernier chapitre. 4 (3) Voyez le chapitre II du second livre des Prolégomènes. On trou- vera, dans ce chapitre, exposées par Cuvier et Schelling eux-mêmes (sect. 1m et v), les vues que je résume ici en termes très généraux. ka 416 INTRODUCTION HISTORIQUE. d'hypothèses qui, dans la haute sphère où les tenaient ses abstractions, planaient pour ainsi dire au-dessus des faits sans les atteindre. Les autres, préoccupes surtout du besoin de rigueur dans la méthode et de certitude dans les résultats, n’osaient s'élever au-dessus des faits, de peur de s'égarer en les perdant de vue : semblables à ces navigateurs d'autrefois qui, faute de boussole, suivaient timidement les côtes. | L'auteur dela Philosophie anatomique a pensé, comme Cuvier, que le premier besoin de la science est la certitude ; d'où la nécessité de l'observation. Mais il a cru aussi, comme Schelling, que l'observation ne saurait donner qu’une idée imparfaite de l’ensemble ; que le raisonne- ment, la pensée seule peut apercevoir cet admirable réseau de rapports et d’harmonies qui unit si magnifique- ment entre elles toutes les œuvres du Créateur. Voilà ce qu'il y a de commun, et voilà aussi ce qu'il y a de profondément différent entre l’école de Geoffroy Saint-Hilaire et celle de Cuvier, entre elle et celle de Schelling. Comme celle de Cuvier, elle procède des faits et de l'observation, mais ne s’y arrête pas; elle en suit les conséquences aussi loin qu'elle le peut rationnelle- ment. Comme celle de Schelling, elle cherche à s’élever à la conception de l’ensemble; mais elle veut la faire dériver des faits, et non la déduire d’un type idéal, admis à priori. De là, pour elle, la nécessité logique de l'emploi succes- sif de l'observation et du raisonnement : Pune élément de ertitude, l’autre de puissance et de grandeur ; l'une source unique de la connaissance des faits naturels, l’autre de la DIRECTION ACTUELLE DE LA SCIENCE. 417 découverte des rapports, desgénéralités et, finalement, des lois dela nature. La science, comme elle a deux ordres de vérités à connaître, aura désormais deux méthodes. Aprés avoir recueilli tous les enseignements qu'il peut devoir au témoignage des sens, le naturaliste osera s'élever, par la pensée, vers de plus hautes vérités; et dans cette lutte Si inégale de l'esprit humain contre les difficultés infinies de l'étude des êtres vivants, il ne se présentera plus désarmé de ses plus nobles et d ses plus belles facultés , et semblable au soldat qui, de peur de se blesser lui-même, aurait jeté ses armes sur le champ de bataille. Tel est l'esprit de la Philosophie anatomique bien comprise; et c’est pourquoi la publication de ce livre fixe la date d’une direction nouvelle (1), et inaugure l’époque actuelle, caractérisée par l'alliance intime du raisonnement avec l’observation, de la synthèse avec l'analyse : en deux mots, l’époque de la GÉNÉRALISATION LOGIQUE (2). (4) Expression de M. Flourens, comme on Fa vu plus haut, p. 412. (2) Les vues qui forment le terme de cette esquisse historique sont nécessairement le point de départ de l'ouvrage auquel elle sert d'in- troduction. J'aurai donc successivement, et en partie dès ce volume, à reprendre, à développer, à établir ce qui vient d’être ici indiqué historiquement. pe ere akas ame meran E en 07 ho inai TR 2277 aAA- L TT a E a a E a RÉSUMÉ L’INTRODUCTION HISTORIQUE «1. . Arrivé au terme de cette longue esquisse historique, j'essaierai de la résumer. y Pendant un grand nombre de siècles, l'Histoire natu- relle, dans sa marche inégalement progressive, nous a présenté le même caractère : l'intime union, plus exacte- ment, la confusion de l'Histoire naturelle avec les autres Sciences. Selon l'expression dont je me suis servi, le tronc commun des connaissances humaines n’a point encore de brunches distinctes. Le sage ou le philosophe, Pour employer l'expression des anciens, le savant, selon (1) Une remarque est ici nécessaire au sujet des trois périodes qui „Ont été précédemment indiquées, et qui vont être reprises ici comme fournissant une expression très nette des tendances successives de l'Histoire naturelle. 11 s’en faut de beaucoup que ces trois périodes Soient parfaitement tranchées, et c’est pourquoi je me suis abstenu d'en déterminer avec une entière précision les limites chronologiques. La même remarque est applicable aux époques secondaires que j'ai distinguées dans le cours des trois périodes principales. Dans tous les temps, il a existé des hommes qui ont fait mieux ou plus mal que leurs contemporains : il y a des intelligences qui avancent, et d’autres qui + di i E “4 120 INTRODUCTION HISTORIQUE. l'expression des modernes, comprend dans ses larges, mais vagues méditations, tous les phénomènes que les mondes extérieur et intérieur offrent à ses yeux où à sa pensée. Ardente, avide, téméraire, comparable à un enfant dont les facultés nouvelles, dont la jeune intelligence s’exercent incessamment , sans réserve et sans Choix, sur tout ce qui l'entoure (1), la science se hâte de recueillir des faits dans toutes les directions, et d’enfanter des systèmes pour l'explication de tous les phénomènes ; mais ces faits, non soumis à l'analyse, ces systèmes, œuvres brillantes, mais fragiles de l'imagination, instruisent moins l'esprit qu'ils ne lui plaisent et ne l’étonnent. La poésie s’en inspire, mais la science y cherche en vain les éléments d’une doctrine positive : elle reste débile, hésitante, incer- taine ; ou pour mieux dire, la vraie science n'existe pas encore. | La confusion des connaissances humaines est encore le caractère de la première partie des temps modernes ; retardent. Aristote, du sein de la première période, s'avance jusque dans la nôtre, et sauf le nombre de siècles écoulés, il en est de même de plusieurs autres des hommes illustres dont j'ai rappelé les travaux. Réciproquement, et par une triste compensation, combien de natura- listes, après les belles créations théoriques qui ont signalé ces dernières années, continuent à écrire dans l'esprit de la seconde période! Mais de rares exceptions ne détruisent pas une règle : elles la con- firment quelquefois. Les périodes que j'ai distinguées existent réelle- ment; elles ont été tracées d’après les faits; et il reste vrai que len- semble des travaux de chaque époque peut être rapporté à un type spécial, et a, pour ainsi dire, sa physionomie propre et ses traits caractéristiques. (1) « Pour l’âge où tout est mystère, il n’y a point de mystère. » (J.-J, ROUSSEAU, Émile, liv. IV.) | RÉSUMÉ. 7 | 424 mais bientôt le faisceau se rompt : au xvir’ siècle la division du travail est déjà très marquée ; l Histoire naturelle a ses observateurs spéciaux, et l'observation, l’analyse, se substituent aux méthodes vagues et incertaines des pre- miers temps. De là une précision, une rigueur jusqu'alors inconnues. Aussi la zoologie, la botanique, jusque-là sans faits bien étudiés, sans classifications rationnelles, s'enrichissent rapidement de faits authentiquement con- statés, examinés avec soin.dans toutes leurs circonstan- ces, analysés dans leurs détails, ou, pour mieux dire en un mot, de faits bien observés. Dès lors, elles prennent. place, elles acquièrent un rang distinct et important dans le cercle des connaissances humaines. Dans le xvne siè- cle, la division du travail et l'analyse sont portées de plus en plus loin, et les découvertes se succèdent, de plus en plus nombreuses. “Sila science s’avançaitindéfiniment dans ide direction, la division du travail finirait par en devenir le morcelle- ment, et le progrès ne consisterait, que dans la perpétuelle accumulation d’inutiles matériaux. Bientôt la science ne serait plus seulement riche; elle serait encombrée. Heu- reusement cette même richesse de la science qui rend la Coordination nécessaire, la rend possible. Le moment est venu où, à l’analyse, peut s'allier la synthèse. Elle appa- rait, durant la seconde partie du xvm? siècle, mais encore complétement subordonnée à l'analyse, dans les travaux des classificateurs ; elle domine à son tour, quand, au xix®, les efforts se dirigent vers la découverte et la démonstra- tion des lois de la nature. L'Histoire naturelle devient ainsi une ; et par un progrès de plus, après que toutes ses I. 8. 199 INTRODUCTION HISTORIQUE. branches se sont reliées entre elles, elle-même se relie avec la philosophie et les autres sciences ; non pas confon- due comme dans les premiers âges, mais distincte, quoi- que unie, en un mot, associée. Alors apparaissent de - nouveau des conceptions aussi vastes que la création elle- même : comme à l’origine, mais avec la raison pour guide, l'imagination peut déployer ses ailes vers les som- mités les plus élevées; et la poésie, effrayée un instant par les formes sévères et le langage aride de l'analyse, retrouve de sublimes inspirations dans la contemplation des harmonies de la nature et de ses éternelles lois. Ainsi, dans une première période, longue enfance de l'esprit humain, confusion de toutes les sciences ; dans une seconde, division du travail ; dans la troisième, asso- ciation des diverses branches de l'Histoire naturelle entre elles, et de l'Histoire naturelle avec les autres sciences (1). Dans la première, la méthode, si ce nom peut être ici employé, c’est hypothèse vague et conjecturale ; dans la seconde, c’est l'analyse; dans la troisième, c’est la syn- thèse unie à l'analyse. Et les efforts aboutissent, dans la première, à la conception de systèmes ; dans la seconde, (1) Sur la division des sciences et leur association, considérées comme Condition: nécessaire de leurs progrès, voyez la préface de mon Histoire générale des anomalies, 1839, t. I, et mes Essais de zoologie générale, 1840, p. 55. En indiquant d'une manière générale, en 4832, les trois périodes historiques des sciences d'observation, je wai jamais eu la pensée que toutes ces sciences dussent, à la même date, entrer dans les mêmes périodes ; et je cherche en vain ce qui a pu induire un célèbre chi- miste à m'attribuer une opinion aussi inadmissible et aussi contraire aux vues que j'ai toujours professées. RÉSUMÉ. | 123 à la découverte des faits; dans la troisième, à la création des théories et à la démonstration des lois : double pro- grès qui fait succéder à un faux savoir un savoir Vrai, Mais partiel, et à celui-ci la science elle-même (2). (1) La première période, pour recourir à une comparaison facile à Saisir, c’est, dans la construction d’un édifice , l’échafaudage provi- Soirement dressé ; la seconde, c’est l'apport des matériaux ; la troisième est la construction elle-même de édifice. E. ES eeN . bas POSE ani ANNINNS SSII SSII PSS SNS PIS SSII INSNSNSSN SN SNSNSNSNNININININS TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS CITÉS DANS L’INTRODUCTION HISTORIQUE w. J I. — Antiquité. (Première section de l'Introduction historique, p. 3 à 28.). A ALCMÉON , philosophe grec, né à Crotone, environ 500 ans avant notre ère. Diversité de ses connaissances, p. 17. —Il a fait des observations embryologiques, p. 18. | ANAxAGORE ; philosophe grec, né à Clazomènes en Lydie, l'an 500 avant notre ère, et mort à Lampsaque, en 428. Diversité de ses connaissances, p. 47. — Il a entrevu les fonctions de l’encéphale, p.18. ANAxIMANDRE , philosophe grec, né à Milet, l'an 610 avant notre ére, mort en 546 ou 547. Il considérait les êtres vivants comme tirant leur Lire de A" “et faisait tout dériver de l'infini, p. 18. (a ) On n’a point compris dans cette table les noms qui ne figurent que, dans les notes purement bibliographiques. Les combinaisons typographiques adoptées pour l'impression de ces notes y mettent les noms d'auteurs assez en évidente pour que leur reproduction soit ici superflue. | 5 f j T ii = t | = Ty El E J ; 4 4‘ E E $ é ; CR E F + el bifat ANE PP 4 126 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. ARISTOTE , né à Stagyre en Macédoine, lan 384 avant notre ère, mort en 822, à Chalcis, dans l'ile d'Eubée, après avoir passé une grande partie de sa vie à Athènes. Ce grand homme pérsonnifie en lui l'Histoire naturelle des Grecs, et même plus généralement des anciens, p. 49. — Étendue et diversité de ses Connaissances , p. 49 et 20. — Haute importance de ses travaux en Histoire naturelle, ibid. — Il a accompli quatre progrès qui semblaient devoir se suivre à de longs intervalles, 21. — Il est encore aujourd’hui, par plusieurs de ses conceptions, un auteur progressif et nouveau, ibid. — Il dut à son élève Alexandre les moyens d'étendre ses connaissances sur les productions de plu- sieurs contrées lointaines, ibid.— TI a été heureusement continué par . plusieurs deses disciples, principalement par Théophraste, p. 22 et 23; et par les disciples de ses disciples, p. 22 et 24. Les ouvrages d’Aristote ont été très imparfaitement connus pen- dant plusieurs siècles, p. 32. — Il furent restitués enfin à l'Europe par Albert le Grand, p. 33; et plus complétement, au xv° siècle, par Théodore Gaza, p. 33 et 35. ATHÉNÉE, écrivain grec, né à Naucratis en Egypte, dans le ne siècle de notre ère, et mort dans le m° (dates inconnues ). | Il n’est point, à proprement parler, naturaliste: mais il nous a transmis, sur l'Histoire naturelle, un grand nombre de notions intéressantes, p. 25, AUSoNE (Decius Magnus Ausonius), poëte latin, né à Bordeaux vers l'an 309, et que l’on croit mort en 394. On lui a donné à tort le titre de naturaliste, p. 25. CoLuMELLE (Lucius Julius Moderatus Columella), célèbre agronome, né à Cadix, et ayant vécu dans le 1° siècle de notre ère. C'est à tort qu’on l’a considéré comme naturaliste, p. 24. ANTIQUITÉ. 197 Conrucius, philosophe chinois, né vers Pan 551 avant notre ère dans la principauté de Lou, et mort vers 479. Des notions sur l'Histoire naturelle sont contenues dans les an- ciens livres dont on attribue la rédaction à cetillustre philosophe, p. 9. D Démocrire, philosophe grec, né à Abdére vers le commen- = cement du y° siècle avant notre ère, et mort vers le com- mencement du 1v°. i Diversité de ses connaissances, p. 17. — Il a été appelé par Cuvier le premier anatomiste comparateur, p. 18. — L'erreur la plus gros- sière s'allie encore chez lui à la vérité, ibid. i Diogène dit LAERCE, écrivain grec, de la fin du n° et du commencement du m° siècle, né à Laerte en Cilicie. Il nous a conservé les titres de quelques ouvrages perdus d’Aris- tote, et plusieurs documents sur ce grand homme, p. 20. Dioscorine, médecin et naturaliste grec, né à Anazarbe, en Cilicie, et que l'on croit avoir vécu dans le 1 siècle de notre ère. i importance de ses travaux sur la matière médicale et l'Histoire naturelle, p. 27. — Son ouvrage sur la matière médicale est long- temps resté classique parmi les médecins, p. 28. E ; LA Erien (Claudius Ælianus), auteur du nr siècle, qui, qu'Italien, a écrit en grec. | ll ne peut être considéré comme un véritable naturaliste, p. 25. EmPénocce, philosophe grec, né à Agrigente en Sicile, dans le ve siècle avant notre ère, et mort dans le Péloponése, vers le commencement du 1v°, bien i MP | mnt ee Da a TE PRE 2 2e Da aa aa ; RDE. NT CRE PARENT PURE D E PR POR > DO GE. ARE nn. Lie 198 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Diversité de ses connaissances, p. 47. — Il a fait quelques obser- vations embryologiques, p. 18. ÉRASISTRATE, médecin grec, né dans l’île de Céos (et: non de Cos) vers la fin du 1ve siècle avant notre ère; et mort vers 297. Il est Pun des créateurs de l’anatomie, p. 22 et 24. G Garen (Claude), né à Pergame en Mysie, vers l'an 131, - et que l’on croit y être mort vers 200, après avoir passé une grande partie de sa vie à Rome. Ses travaux font de son époque une des plus grandes de la science, p. 28. — Des parties encore ignorées de son œuvre ont été enfin retrouvées, et doivent être prochainement publiées par les soins de M. Daremberg, ibid. H Héronore, le Père de l'histoire, né à Halicarnasse, l'an 484 avant notre ère, et mort en Italie, vraisemblablement à Thurium, à la fin du v‘siécle ou au commencement du 1v°. Importance de ses ouvrages au point de vue de l'Histoire natu- relle, p. 15. — Sa véracité sur plusieurs des points où l'on s'était cru le mieux fondé à la révoquer en doute a été reconnue et établie par Geoffroy Saint-Hilaire, p. 16. HéroPuiLe, médecin grec, né vers l'an 554 avant notre ère à Chalcédoine en Bithynie, selon les uns, à Carthage, selon les autres, et qui vivait en Egypte sous Ptolémée Lagus. li est l’un des créateurs de l'anatomie, p. 22 et 24. Hippocrate, né vers lan 460 avant notre ère, dans l’île de Cos, et mort en Thessalie, vraisemblablement à Larisse, vers le commencement du 1v° siècle. VER ANTIQUITÉ. 199 I est le seul, jusqu'à Aristote, qui ait fondé la science sur Tob- servation, p. 18. N NeuEsius, évêque grec, qui paraît avoir vécu à la fin du iv° siècle et durant le v°. | Rien ne prouve que cet auteur ait connu la petite cireulation du Sang, p. 44. 0 ‘Oppen, poëte grec, né en Cilicie, et qui a vécu à la fin da L n° siècle et au commencement du m°. Il ne peut être considéré comme un vrai naturaliste, p. 25. P Priye, dit l’ancien ou le naturaliste (Caius Plinius Secun- dus), né lan 23 de notre ère, à Come, selon les uns, à Vérone, selon les autres; mort en 79 sur le Vésuve dont il observait l’éruption. Il peut être considéré comme le plus élégant et le plus spirituel des écrivains anciens sur l'Histoire naturelle, mais non comme un véritable naturaliste, p. 25. — C’est à tort qu'il a été comparé à Aristote, p. 26; et qu’on lui a comparé Buffon et Linné, appelés, Pun le Pline français, l’autre le Pline du Nord, ibid. — Gesner lui a été aussi comparé, et a été appelé le Pline de l'Allemagne, p. 48. — Appréciation de Pline par Cuvier, p. 26; et par M. Villemain, P 2s Porysg, historien grec, né à Mégalopolis en Arcadie, à la fin du m° siècle avant notre ère ou commencement du n, et mort vers la fin de ce dernier siècle. Il n’est pas naturaliste, mais nous a transmis des faits qui don- nent un véritable intérêt à ses ouvrages au point de vue de l’Hi - toire naturelle, p. 24. — Comment il est apprécié par Tite-Live, p. 25. ii e 9 130 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Praxacore, médecin grec, né à Cos, et qui a vécu dans le iv siècle avant notre ère. Il est l’un des créateurs de l'anatomie, p. 24. PyrHAcorE, né à Samos à la fin du vne siècle avant notre ère, ou au commencement du vi‘, mort en Italie vers la fin de ce dernier siècle. Il a embrassé l’ensemble des connaissances humaines, faisant de la science des nombres la science universelle, p. 47. S STRABON, géographe grec, né dans le milieu du premier siècle avant notre ère à Amasée en Cappadoce; mort vers l’an 40 après Jésus-Christ. Sans être naturaliste, il s’est souvent rendu utile à l'Histoire naturelle, p. 23, T THaLës, philosophe grec, né en Phénicie lan 639 avant notre ère, mais qui vint, vers l’âge de quarante ans, se fixer à Milet; mort en 547 ou 548. Diversité de ses connaissances, p. 47. — Il cherchait dans l’eau le principe de la vie, p. 18. TaéopnrasTEe, né à Eresos, dans l’île de Lesbos, l'an 374 avant notre ére, et mort vers 285 à Athènes, après avoir longtemps enseigné au Lycee. Importance de ses travaux en Histoire naturelle, p. 24. — Il n’a pas été seulement observateur, mais aussi expérimentateur, p. 22. — Il est le second naturaliste de l'antiquité, ibid. — Ses ouvrages ont été longtemps mal connus en Europe, où ils furent enfin ap- portés, dans le xv° siècle, par Théodore Gaza, p. 85. Tire-Live, historien latin, né lan 59 avant notre ère, à Padoue, où il est mort vers l'an 48 après Jésus-Christ. Comment il apprécie Polybe, p. 25. ANTIQUITÉ: 131 | dot VARRON (Me arcus Terentius Varro), dit le plus savant des Romains, né à Rome vers l'an 116 avant notre ère; mort en Italie vers lan 26. Est un agriculteur et non un naturaliste; mais ses ouvrages intéressent Souvent au point de vue de l'Histoire naturelle. X Xénornox, le célèbre général des Dix mille, né en Attique vers l’an 445 avant notre ère; mort à Corinthe vers 355. Il ne peut être considéré comme un véritable naturaliste; mais ses Cynégétiques attestent des connaissances précises sur plusieurs animaux, p. 18. TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS, EI. — Moyen âge et Renaissance. (Seconde section de l'Introduction historique, p. 29 à 35.) A Agen-Birar. — Voyez BeEN-BEITHAR. ALBERT LE GRAND, nė à Lauingen en Bavière, en 1193 selon les uns, en 1205 selon les autres; mort.à Cologne en 1280. Il est presque le seul auteur qui en Occident ne néglige pas l His- toire naturelle durant le moyen âge, p. 33. — Il a rendu à cette science un immense service par la restitution des ouvrages long- temps mal connus d’Aristote, ibid. AzraraBt (Monamme, dit), philosophe arabe, né à Farab, dans la Transoxiane vers la fin du 1x° siècle; mort à Damas en 950. Il parait avoir possédé des Connaissances étendues sur l'Histoire paturelle, p. 30. Averroes ou IBx-Rocnp, philosophe et médecin arabe, né à Cordoue vers le commencement du xuf siècle ; mort à Maroc en 1198. Il s’est occupé avec distinction d'Histoire naturelle, p. 30. AVICENNE ou Iex-Sixa, médecin arabe, né en 980 près de Chiraz, mort en 1037 à Hamadan en Perse. Variété de ses connaissances et importance de ses travaux, p. 30. — Il est le premier qui ait compris et indiqué la vraie nature de ces corps organisés fossiles qu'on a si longtemps regardés comme de simples jeux de la nature, p. 35 et 36, B Bacon (Roger), dit le Docteur admirable, né en 1214 à Ilchester en Angleterre, mort vers 1292, MOYEN AGE ET RENAISSANCE. 133 Son génie novateur dans une époque où tous sont tournés vers le passé, p. 34. Bargarus (Hermolaüs), érudit italien, né à Venise en 1454, mort à Rome en 1498. Commentateur de Pline, traducteur de Dioscoride, et l’un des auteurs de la renaissance de l'Histoire naturelle, p. 38. Bex-BerrHar ou ABen-Brrar, vétérinaire et naturaliste arabe, né en Espagne, près de Malaga, vers la fin du xne siècle : mort à Damas en 1248. Son dictionnaire de matière médicale atteste des connaissances très étendues et très précises en botanique, p. 80. F FrépéRic I, né en 4494 à Jesi dans la marche d'Ancône, empereur d'Allemagne et roi de Naples en 1197, mort en 1250 à Firenzuola dans la Pouille. Son ouvrage sur la fauconnerie est remarquable pour l’époque, p. 54. — Mesure prise par ce prince, zélé protecteur des sciences et des lettres, en faveur des études anatomiques, ibid. G Gaza (Théodore), grammairien grec, traducteur d’Aristote, de Théophraste et d'Elien, né à Thessalonique vers 1400 A mort en 1478, en Italie, dans les Abruzzes. Il a rendu aux sciences un très grand service en apportant en Europe et en traduisant les ouvrages d'Aristote et de Théophraste, p. 33 et 34. — Justes hommages rendus à sa mémoire, p. 35. I Iex-Rocap. — Voyez AVERROES. IBN-Sina. — Voyez ÅVICENNE. Isvore, dit pe SÉVILLE, évêque de Séville, né à Carthagèene vers lan 570, et mort à Séville en 636. ne ln See taa 13h TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Il à réuni et transmis à la postérité, dans son immense Ouvrage, ce qu’on savait encore au VIF siècle , p. 29. M Monpino ou Munpinus, médecin et anatomiste italien auquel Milan, Florence, et, avec moins de motifs, Bologne et Forli se disputent l'honneur d’avoir donné naissance ; mort à Bologne en 13826. Il est presque le premier qui ait repris, depuis l'antiquité, l’etude de l'anatomie, p. 33 et 34. — Il paraît n'avoir disséqué que deux ou trois cadavres humains, p. 34. — Son Anatomie est restée long- temps classique, ibid. V Vincent, dit pe Beauvais, savant français que l'on croit né à Beauvais ou dans le Beauvoisis vers 1200; mort vers 1260. Il est, avec Albert le Grand, le seul qui, dans l'Occident, wait pas entièrement négligé l'Histoire naturelle durant le moyen àge, p. 38. H f h | 5: Å TEMPS MODERNES. 135 } IE. — Temps modernes (1). (Seconde, troisième et quatrième section de l'Introduction historique, p. 35 à 111.) A ACHARIUS (Eric), né en Suède, province de Helsingland, en 4757 ; mort à Wadstena en 1819. Il est auteur de travaux importants sur les végétaux cryptogames, p. 104. Apanson (Michel), naturaliste et voyageur, né en 1727 à Aix en Provence ; mort à Paris en 4806. Variété et importance de ses travaux, nouveauté de ses vues, p. 95-97. — Il est arrivé de son côté, et en partie avant Bernard de Jussieu, à la conception et à l'application de la méthode naturelle, p. 95. — Il a fait à Paris, en 1772, un cours remarquable d'Histoire naturelle, dont une partie a été récemment publiée par M. Payer, ibid. — Cuvier a de bonne heure signalé la haute importance des travaux d’Adanson , p. 97. Ta ALDROVANDE (Ulysse), naturaliste collecteur et compilateur, né en 1527 à Bologne, et mort dans la même ville en 1605. Son gigantesque ouvrage, continué longtemps après sa mort, manque de critique, et n’est guère qu’une compilation trop souvent mal faite, p. 50. AurenrieTH (Jean Hermann Ferdinand), anatomiste, né à Stuttgardt en 1772; mort à Tubingue en 4835. Il est Pun des premiers qui se soient avancés dans les voies de l'anatomie philosophique, p. 411. (1) Depuis le xvr° siècle inclusivement. Les travaux de l’époque actuelle n’entrant pas dans le cadre de l’Intro- duction historique à laquelle renvoie cette table, les citations des auteurs contemporains que l’on trouvera plus bas sont seulement relatives aux appréciations que ces savants ont faites des travaux de leurs prédécesseurs, ou aux documents nouveaux dont ils ont pu enrichir l’histoire de la science. ke er y À on By E TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. B Bacamanx (Auguste Quirm), ou Rivinus Quirixus, médecin, botaniste et chimiste, né à Leipzig en 1652, et mort dans la même ville en 1723. il est auteur d’une classification botanique très remarquable pour l'époque où elle parut, p. 60. Bacon (François), le plus illustre des philosophes de TAn- gleterre, né à Londres en 4564, mort en 1626. Il a exercé sur l'Histoire naturelle, comme sur toutes les autres sciences d'observation, une très grande influence, p. 61. BARTHOLIN (Thomas), médecin, anatomiste et érudit, né à Copenhague en 1619 ; mort dans cette ville en 1680. Il a disputé à Olaüs Rudbeck la découverte des vaisseaux lym- phatiques, p. 57. Baunin. (Jean), médecin, né à Amiens en 1514, mort à Bâle en 1582. Il avait dù quitter la France comme pro- testant. Il a aidé Daléchamps dans ses travaux botaniques, p. 54. — Il est le père de deux naturalistes illustres, et l'ancêtre de plusieurs médecins distingués. Baumin (Jean), médecin, érudit, et surtout naturaliste, fils du précédent, né à Bâle en 4541, mort à Montbéliard en 16143. Il est un des naturalistes principaux de son époque, p. 50, — Il a considérablement enrichi la botanique, p. 52. — Comme bota- niste, il n’a été surpassé, dans son époque, que par son frère Gas- pard, et a exercé avec lui, sur la science, une influence considérable, p. 52 et 06. Baunin (Gaspard), frère du précédent, et, comme lui, méde- cin, érudit, et surtout naturaliste, né à Bâle en 1560, et mort dans la même ville en 1624. r + TEMPS MODERNES, 137 -Il est l’un des naturalistes principaux des xve et xvi? siècles, p. 50. — Progrès divers que lui doit la botanique, p. 52. — Il s’est placé à la tête de tous les botanistes de son époque, ibid. — Il ma été surpassé, en botanique descriptive, que par Linné, p. 53. — Appréciation des frères Bauhin par Sprengel et par Cuvier, ibid. Baunin (Jean Gaspard), fils du précédent, médecin et bota- nisle, né en 1606 à Bäle , où il mourut en 1685. Il est digne d'être cité à la suite de son père, dont il a continué et publié les travaux, p. 54. | à Beron (Pierre), médecin, naturaliste et voyageur, né dans un hameau du Maine en 1518, assassiné près de Paris en 1564. fe ii | il est l’un des principaux naturalistes de son siècle, p. 38. — Caractère et importance de ses travaux zoologiques, p. 39. — Ses voyages, p. 40. — Comparaison hardie du squelette de Phomme et de celui de l'oiseau, dbid. — A Belon appartient l'honneur du pre- mier essai tenté pour la démonstration partielle de l'unité de com- position organique, ibid. BÉRENGER ou BERENGARIO dit pe Carpi (Jacques), médecin et anatomiste, né à Carpi dans le duché de Modène, dans la seconde moitié du xv®siècle, mort à Ferrare vers 1550. Il a fait un grand nombre d'observations anatomiques, et par là, surpassé de beaucoup Mundinus > dont il a enrichi l'anatomie de précieux commentaires, p. 34. Bicnar (Marie François-Xavier), médecin, anatomiste, né en Bresse, à Thoirette, en 1774, mort à Paris en 1802. Il a créé l'anatomie générale au moment même où Cuvier créait l'anatomie comparée, p. 109, Bcanvirce (Henri Ducroray DE), naturaliste et historien de la science, né à Arques près de Dieppe en 1777, mort à Paris en 1850. Ses travaux, qui se sont étendus sur presque toutes les branches de la zoologie, en font l'un des naturalistes principaux de son époque, p. 406. À Il a l’un des premiers rendu justice à Césalpin, sur un point im- portant de l’histoire de la science, p. 44. — T1 a de beaucoup exagéré L 9. 138 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. l'importance des travaux de Pallas, p. 96. — IT est du petit nombre de ceux qui ont rendu justice à Lamarck, p. 107. BLunwensaca (Jean Frédéric), naturaliste et anatomiste, né à Gotha en 1752, mort à Goettingue en 1840. Importance de ses travaux zootomiques et anthropologiques , p. 95. — Ses travaux en anatomie comparée n’ont pas précédé ceux de Cuvier, p. 109. il est l'un des premiers qui aient compris les vues nouvelles de Geoffroy Saint-Hilaire sur l'anatomie philosophique, p. 1114. Bogart (Jacques), médecin et botaniste, fils d'un autre Jacques Bobart, aussi médecin et botaniste, né à Oxford vers le milieu du xvn° siècle, mort vers 4710. Jl a le premier expérimenté pour démontrer l'existence des sexes chez les plantes, p.60. Bocnart (Samuel), érudit, né à Rouen en 4599, mort à Caen en 1667. Il a dressé la liste des divers animaux mentionnés dans la Bible, p. 6. Bock. — Voyez TraGus. Boxer (Charles), philosophe et naturaliste, né en 1720 à » | li Genève, où il mourut en 1793. Il est à la fois observateur ingénieux , penseur hardi et profond , p. 96. — Il a servi la science même par ses erreurs , ibid. — Il est l'un des premiers philosophes de son époque , p. 97. Bonrius (Jacques), naturaliste, voyageur, né en Hollande, à Amsterdam ou à Leyde, vers la fin du xvi siècle ; mort en 4631, à Batavia, selon les uns, après son retour en Hollande, selon les autres. Ses voyages ont considérablement enrichi l'Histoire naturelle , p. 62. BoreL. — Voyez BoRELLUS. BorezLi1 (Jean-Alphonse), chef de l'école médicale dite 1atro- mathématicienne, né à Naples en 1608, mort à Rome en 1679. TEMPS MODERNES. 139 Il est auteur de recherches importantes sur l'appareil locomo- teur, p. 57. | BoreLLus ou Borz (Pierre), médecin, érudit, né à Castres vers 1620, et mort à Paris en 1689. Ia rectifié une erreur généralement admise sur l'invention du microscope, p. 54. Borar ou Borazut (Léonard), médecin, anatomiste, né dans le Piémont à Asti, dans le xvi° siècle; mort dans la der- nire partie du même siècle (dates inconnues). I est l’un des principaux anatomistes de son siècle, p. 37. Brasavora ou BrassavoLa (Antoine), médecin et botaniste, né à Ferrare en 1500, et qui a vécu en Italie et en France pendant une grande partie du xvi siècle. Il est le fondateur du premier jardin botanique qui ait existé dans les temps modernes, p. 38. BRUNFELS ou BRUNSFELD (Othon), médecin et botaniste, né à Mayence vers la fin du xv° siècle, mort à Berne en 1534. Il est l’un des botanistes distingués du xvr siècle, p. 38. Borron (Georges Louis Leccerc pe), né à Montbard, en Bourgogne, en 41707, mort à Paris en 1788. Il a été comparé à tort à Pline, auquel il est infiniment supérieur, p. 26.—Éclat et grandeur de ses travaux, p. 68-74, et 81-87, — Il est encore aujourd'hui un auteur progressif et nouveau, p. 68 et 74. — Parallèle avec Linné, p. 69-71. — Il a été très incomplétement apprécié par ses contemporains, p. 74 et 84. — La statue qu'ils lui ont élevée de son vivant fut due bien plus à une flatterie inté- ressée qu'à une juste et pure admiration, p. 87. — Buffon n’a pas été mieux apprécié par les naturalistes qui sont venus après lui, p- 82 et 83; pas même par Cuvier, p. 84. — Il a été surtout méconnu à la fin du xvm siècle, époque où l'on a poussé à l'extrême linjus- tice envers ce grand homme, p. 72 et 82.— Goethe et Geoffroy Saint- Hilaire étaient encore, il y a peu d'années, les seuls qui lui eussent rendu de dignes hommages, p. 83.— Plusieurs auteurs ont récemment apprécié, à leur juste valeur, les services qu’il a rendus à la science et à la philosophie, ibid.— Buffon est le premier créateur de la zoologie générale, ou pour mieux dire de la philosophie naturelle, p. 85 et 86, * È | RS am NP, a me ee Ph pa FES ra 140 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. et de l'anthropologie, p. 86. — Grandeur et nouveauté de ses vues sur ja géographie zoologique et la paléontologie, ibid. — Il s'est élevé jusqu’à la conception de l'unité de plan dans le règne animal, et du principe de la variabilité limitée des types , ibid. — Buffon est aussi grand comme naturaliste et comme penseur que comme . écrivain, p. 87. — Il a souvent relevé les erreurs de Pline, d’Élien, et quelquefois même celles d'Aristote, p. 63. Buffon a le premier rendu justice à Bernard Palissy, p- 34. — Il s’est élevé contre les vues nouvelles de Linné, p. 72; et pourtant, indirectement, il a contribué à étendre l'influence et la célébrité de l'auteur du Systema naturæ, p. 78. — I a reconnu et signalé, au moment même où parut ce livre, la valeur de la Flore française de Lamarck, p. 93. Camerarius (Rodolphe Jacques), fils et petit-fils de mè- decins célèbres, médecin et botaniste, né en 1665 à Tubingue, où il mourut en 1721. On lui d attribué à tort la découverte des sexes chez les végétaux, découverte qu’il a seulement propagée, p. 60. Camper (Pierre), médecin et naturaliste, né à Leyde en 1722, et mort à la Haye en 1787. Importance de ses travaux, p. 94. — Appréciation de cet illustre anatomiste par Cuvier, ibid. CaNDoOLLE (Augustin Pyramus pe), botaniste, né en 1778 à Genève, où il est mort en 1841. Il est entré, un des premiers en botanique, dans la voie de la généralisation philosophique, p. 105. — Ses travaux dans cette direction ont été d’abord incompris, p. 405 et 112. — Son Pro- dromus , catalogue descriptif et méthodique de tous les végétaux connus, est une des œuvres principales de notre siècle, ibid. JI est le premier qui ait rendu une pleine justice à Heister, p. 94. Carri. — Voyez BÉRENGER DE CARPI. Césaupin (André), médecin, naturaliste, philosophe, né en 1529 à Arezzo en Toscane, mort à Rome en 1603. Il est un des grands naturalistes du xvi* siècle, p. 38. — Esprit à re TEMPS MODERNES. 1/1 novateur, génie de Césalpin, p. 43. — Il a conçu , dès le xvre siècle, le principe, le plan et les avantages de la méthode naturelle, ibid. — I a indiqué la circulation du sang, et aussi bien la grande circu- lation que la petite, p. 43 et 44. — Citation d’un passage qui ne laisse aucun doute à cet égard, p. 44. — Césalpin est le créateur de l'anatomie végétale, p. 45. — Ses autres travaux, ibid. — Ce grand homme est resté longtemps incompris, ibid. — Auteurs qui lui ont enfin rendu justice, p. 44 et 45. — Césalpin a indiqué la vraie nature de ces corps organisés fossiles, si longtemps regardés comme de simples jeux de la nature, p. 35 et 46. — La réalisation de ses vues sur la classification est devenue enfin possible à la fin du xvi’ siècle et dans le xvin°, p. 59. CnerLer (Jean Henri), médecin et botaniste du xvu° siécle, citoyen de Bâle, où il paraît être né, et où il a passé la plus grande partie de sa vie. Il a été l’utile collaborateur de Jean Bauhin, dont il était le gendre, p. 54. Crusius ou pe L'EcLuse (Charles), naturaliste, né à Arras en 1526, mort à Leyde en 1609. | Il est un des principaux naturalistes de son époque, p. 38. — Importance de ses travaux; progrès qui lui est dû, p. 39. CoLouso. — Voyez CoLumBus. Coconna (Fabio) ou Fabius CoLumna, médecin et nâtura- liste, né en 1567 à Naples, où il mourut en 1650. Importance de ses travaux, p. 50. — Il est à la fois un des prin- cipaux Zoologistes et un des botanistes les plus éminents de son siècle, p. 51. CoLumgus ou GoLomso (Mathieu Réald), né à Crémone vers le commencement du xvwi siècle, et que lon croit mort à Rome en 1577. Il est un des principaux anatomistes du xvre siècle, p. 37. — Il a connu la petite circulation du sang, p. 44. CoLumxa. — Voyez CoLONNA. Connorcer (Marie Jean Antoine Nicolas Carirar DE), philo- sophe et historien de la science, né en 1740 à Ribemont wi 155$ x a, ee gif Sa ET i i E ES et ce NRC a E ANRIA “i Sas Lu. en P3 a i ii TEL i EEE “a me dl AE. ET aae im ja PRET - 42 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. en Picardie, mort au Bourg-la-Reine, près de Paris, en 4794. Jl a indiqué, dans l’EÉloge qu’il a fait de Linné, le véritable ca- ractère de sa classification zoologique, p. 77. — Son Eloge de Bernard de Jussieu nous montre cet lilustre botaniste et son neveu Antoine Laurent en communauté de vie et de travaux, p. 91. — L'analyse des travaux de Bernard, dans ce dernier éloge, est faite d'après Antoine Laurent, p. 92. Corpus (Euricius), médecin, naturaliste, poëte, né à Simst- hausen, en Hesse, vers la fin du xv° siècle, mort à Brême en 1538. Il est un des botanistes distingués du xvi siècle, p. 38. — Il paraît avoir fondé, en Allemagne, l'un des premiers jardins botaniques qui aient existé dans les temps modernes, ibid. Cornus (Valerius), médecin et naturaliste, filsdu précédent, né à Simsthausen, en Hesse, en 1515, mort à Rome en 1544. Malgré sa mort très prématurée, il est, comme son père, un des botanistes distingués de son époque, p. 88. Coste (Jean Jacques Victor), physiologiste contemporain. Il a nettement signalé le résultat le plus général des travaux de Geoffroy Saint-Hilaire, p. 114. Cuvier (Georges Chrétien Frédéric Dagobert), naturaliste et historien de la science, né à Montbéliard en 1769, mort à Paris en 1832, Il a débuté dans la science trois ans seulement après la fin de l'Histoire naturelle de Buffon, p. 400. —II est auteur, avec Geoffroy Saint-Hilaire, d’une classification mammalogique qu'il a modifiée ensuite, et rendue très semblable à celle de Linné, p. 77 et 78.— Le mémoire où est publiée cette classification est le point de départ des travaux modernes des zoologistes sur la méthode naturelle; mais Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire étaient eux-mêmes partis des principes établis en botanique par les Jussieu, p. 90. — Il a, par chacun de ses grands ouvrages, opéré une révolution dans une des branches de la science, p. 408. — Le Règne animal, sans pouvoir être placé aussi haut que les autres ouvrages de Cuvier, eut suffi à TEMPS MODERNES. 1143 son illustration, ibid. — Cuvier n’a pour devancier. en anatomie véritablement comparée, que le seul Vicq d’Azyr, p. 409. — Ce qu'il y a de commun et ce qu'il y a de différent entre son école, celle de Geoffroy Saint-Hilaire et celle de Schelling, p. 415 et 446. Cuvier a reconnu et signalé la haute portée des travaux de Ber- nard de Palissy, p. 36. — Il n’a point connu toute l'importance des résultats obtenus par Césalpin en ce qui concerne la circulation du Sang, p. 44. — H a d’ailleurs dignement apprécié ce grand natura- liste, p. 45. — Il a appelé l'Italie la terre classique de l'anatomie, p.46. — I a attribué à tort à l'intervention de Descartes l'admission dans la science de la découverte d'Harvey, p. 49. — Comment il a apprécié les services rendus à la botanique par les frères Bauhin , p. 53. — Il n'a point reconnu les droits de Linné au titre de premier inventeur de la classification naturelle, p. 79 et 90; et il a cherché à expliquer, par les relations de ce grand naturaliste avec Bernard de Jussieu, les résultats les plus heureux de ses efforts pour l’applica- tion de la méthode naturelle aux végétaux, p. 79. — Il a très im- complétement apprécié Buffon, p. 84 et 85. — Il a donné de justes et belles appréciations du Genera plantarum d'Antoine Laurent de Jussieu, p. 89, des travaux Camper, p.94, et de ceux d’Adanson, D97. D DaLécnamprs (Jacques), médecin et botaniste, né à Caen en 1513, mort à Lyon en 1588. Il est un des botanistes distingués de son siècle, p. 38. Dausexrox ou D’AupenTox (Louis Jean Marie), naturaliste, anatomiste, né à Montbard en Bourgogne en 4716, mort à Paris en 1799. : | Importance de ses travaux zootomiques, p. 94. — Il est, en outre, l'auteur de la première application rationnelle de la zoologie à l’agri- culture, ibid. — C'est lui qui, introduit dans la science par Buffon, vers 1742, y a introduit Geoffroy Saint-Hilaire en 1793, p. 100. Decanpozce. — Voyez CANDOLLE. DesronTaines (René Louicae}, botaniste, né à Trembley, en Bretagne (Ille-et-Vilaine), mort à Paris en 1833. re TRS gr" "à TE NAG e AA ai EERTSE, a_a EPREV T. sp N area das on o Dette non tests - rh D ce a CR Al. TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Il a surtout attaché son nom à un travail sur la structure com- parée des végétaux dicotylédonés et monocatylédonés, p. 408. Decger (Charles nE GEER ou), naturaliste suédois, né en 1720, mort en 1778. Il est auteur d’un grand nombre d'observations intéressantes sur les insectes, p. 94. Descartes (René), né à Lahaye, en Touraine, en 1596; et mort à Stockholm en 1650. Il s’est prononcé en faveur de la circulation du sang, très con- testée encore après les travaux d'Harvey , p. 48 et 49. — L'Histoire naturelle a ressenti, comme les autres sciences, l'influence des vues de ce grand homme sur la méthode, p. 61 Dopart (Denis), médecin et naturaliste, né en 1634 à Paris, où il est mort en 1707. Il est auteur de travaux importants sur la physiologie végétale, p. 58. Dopoxœus ou Dopoëxs (Rembert), médecin, botaniste et érudit, né en Hollande, dans la Frise, en 1517, mort à Leyde en 1585. Il est un des botanistes distingués du xvi° siècle, p. 38. Dressez (Corneille van), physicien, né en 1572 à Alck- maer, en Hollande, mort à Londres en 4634. Il a été regardé à tort comme l'inventeur du microscope, p. 54. Du Bois. — Voyez SyLvius. Dumamez pu Monceau (Henri Louis), naturaliste, agronome, né à Paris en 1700, mort en 1782. Importance de ses travaux sur la physiologie végétale, p. 93. Dumas (Jean-Baptiste), chimiste et physiologiste contem- porain. ll a signalé l'influence des vues nouvelles émises en zoologie par Geoffroy Saint-Hilaire, sur les autres sciences d'observation, et jusque sur la chimie, p.112. Du Perir-THouars (Aubert), botaniste, né dans l’Anjou en 4758, mortà Paris en 1831. » TEMPS MODERNES. " SIO Il a fait connaitre les droits ‘de Césalpin au titre de premier inventeur de la circulation du sang, p. 44 et 45. Durrocaer (Joachim), naturaliste, physicien, né au chàteau de Néon (Indre), en 4776, mort à Paris en 1847. Importance de ses travaux sur la physiologie végétale, p. 104. — ll est auteur d’un grand nombre d’autres recherches, principale- ment sur l’endosmose, qu’il a découverte, et sur Pembryogénie animale et lovologie, ibid. Duverney (Joseph Guicmarp), anatomiste, né à Feurs en Forez en 1648, mort à Paris en 1730. I est un des fondateurs de l'anatomie comparée, p. 58. å A Wi Eczuse (Charles pe r’). — Voyez Crusius. Euezer, rabbin de Crémone, mort à Cracovie en 1586. I rapporte une tradition curieuse, mais sans valeur, relative au chien, p. 5. | : Eusracne ou Eusracni (Barthélemy), médecin et anato- i miste, né à Saint-Séverin dans la marche d'Ancône, À | disent les uns, dans le royaume de Naples, disent les f autres ; mort à Rome en 1574. Il est l’un des principaux anatomistes de son époque, et a été appelé l’un des triumvirs de l'anatomie, p. 36. F Fagrice ou Fagrizo dit D'AQUAPENDENTE (Jérôme), médecin et anatomiste, né en 1537 à Aquapendente, dans les + Etats romains ; mort en 1619. Il est un des principaux anatomistes du xvi siècle, p. 37. — Il a été l'élève de Fallope, le maître d'Harvey, p. 46; et le précurseur de ce grand physiologiste, p. 47. -— Ila ouvert la voie aux auteurs qui, dans les époques suivantes, se sont livrés à des recherches ZO0tomiques et embryogéniques, p. 47 et M te a” r 10. EEEE PSS ENARA ORE an ARDE e ee M EER 116 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Fagricrus (Jean Chrétien), zoologiste, né en 1742 à Tun- dern en Jutland, mort en 1808. Il est le second fondateur de l’entomologie, p. 94. Fazcore ou FazLopio (Gabriel), chirurgien, anatomiste et botaniste, né à Modène en 1523, mort à Padoue en 1562. Il a été un des triumvirs de l'anatomie, p. 36. — Il a été élève de Vésale, et maître de Fabrice d'Aquapendente, p. 46. Fée (Antoine Laurent Apollinaire), botaniste contemporain. Il est auteur d’une Vie de Linné où se trouvent un grand nombre de documents intéressants, p. 73, 78 et 79. FLourens (Marie Jeañ Pierre), physiologiste contemporain. Il a, l’un des premiers, reconnu dans Césalpin le premier inven- teur de la circulation du sang, p.44 et 45. — I a, Pun des premiers aussi, replacé Buffon au rang qui lui appartient dans la science, p. 83, 86 et 87. — L'Éloge qu'il a fait d'Antoine Laurènt de Jus- sieu nous montre cet illustre botaniste en communauté de vie et de travaux avec son oncle Bernard, p. 91.— 1l a heureusement exprimé l'importance des travaux zoologiques de Cuvier, p. 109. — Il est le premier qui ait compris et signalé la portée des travaux de Geoffroy Saint-Hilaire sur l'anatomie philosophique, p. 412 et 114. FontENELLE (Bernard Le Bovigr pe), littérateur, historien de la science, né à Rouen en 1657, et mort à Paris en 1757. Mot sur Ruysch et ses célèbres injections, p. 57. Fucus (Léonard), médecin et botaniste, né en 1501 à Wembdingen, en Bavière, mort à Tubingue en 1566. Médecin illustre, Fuchs a été aussi un des principaux botanistes de son siècle, p. 38. GÆRTNER (Joseph), botaniste, né à Kalb dans le Wurtem- berg, en 1782, mort en 4791. Importance de ses travaux botaniques, p. 92. TEMPS MODERNES. 447 GALILÉE ou Galileo GALILEr, né à Pise e en 1564, mort près- de Florence en 1642. Il est peut-être l'inventeur du microscope, comme il l’est, en grande partie, du télescope, p. 54. GEER (DE). — Voyez DEGEER. Grorrroy Sarnt-Hitaie (Étienne ), naturaliste, né à Etampes en 4772, mort à Paris en 1844. Il a été introduit dans la science par Daubenton, p. 99 et 100. — Il est devenu zoologiste, par suite d’un décret de la Convention, en 1793, p. 108.— 1 est auteur, avec Cuvier, de la première applica- tion des principes dela méthode naturelle à la zoologie, p. 77 et 78. — Le célèbre mémoire où est faite cette application est le point de départ des travaux modernes sur la classification naturelle zoologi- que; mais Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire étaient eux-mêmes par- tis, ainsi qu’ils lont dit très expressément, des principes établis en botanique par les Jussieu, p. 90. — Nouveauté et importance de ses travaux sur l'anatomie philosophique, p. 440 et suiv. — Ils ont été - compris en Allemagne avant de l’être en France, p. 444. — L'in- fluence des vues de Geoffroy Saint-Hilaire s’est étendue sur presque toutes les sciences naturelles, et même au delà, p. 412. — Ce qu’il ` y a de commun et ce qu'il y a de différent entre l’école de Geoffroy Saint-Hilaire et les écoles de Cuvier et de Schelling, p. 415 et suiv. Geoffroy Saint-Hilaire est le créateur de la Ménagerie de Paris, p. 104. — Il a vérifié, en Égypte, l'exactitude d’un grand nombre de faits rapportés par Hérodote, p. 46. Il a, l’un des premiers, rendu justice à Césalpin, p. h5.— I] a le premier, en France, rendu un digne hommage à Buffon, et re- placé ce grand homme au rang qui lui appartient dans la science, p. 83 et 86. Gesner (Conrad), médecin, naturaliste et érudit, né à Zurich en 1516, mort en 1565. Il est un des grands naturalistes du xvre siècle, p. 38. — Sa su- périorité sur les compilateurs précédents, p. 41. — Sa mort, ibid. — Il a été dit le Pline de l'Allemagne, p. 43. — Caractère de ses travaux, ibid. Giiuis, Gyrtiws ou Gizzes (Pierre), naturaliste et érudit, né à Alby en 1460, mort à Rome en 1555. 418 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. il est un des naturalistes les plus distingués de IX première par- tie du xvr’ siècle, p. 38. Gogrue (Jean Wolfgang), poëte, philosophe etnaturaliste, né“ en 1749 à Francfort-sur-le-Mein, mort à Weimar en 1832. Ses vues nouvelles sur la botanique ont été émises aussitôt après l'établissement de la méthode naturelle, p. 99. — Elles n’ont été comprises que fort tard, et gràce au mouvement imprimé depuis à la science par Geoffroy Saint-Hilaire, p. 142. Goethe est le premier qui ait rendu un digne hommage à Buffon, considéré comme naturaliste, p. 83. — Il a signalé l'importance des travaux botaniques de Jean Jacques Rousseau , p. 88. — Il a signalé aussi l’enchaînementet, pour ainsi dire, les liens de filiation qui rattachent à Buffon Daubenton, Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier, p. 100.—Comment il a apprécié les vues de Geoffroy Saint-Hilaire, p. 442 et 415. Grew (Néhémie), médecin et naturaliste, né vers 1628 à Coventry, en Angleterre, mort en 1714. Importance de ses observations microscopiques sur les végétaux , p. 56. H Hares (Étienne), physicien et physiologiste, né en 1677 en Angleterre, dans le comté de Kent; mort en 17614 à Ted- dington, dans le comté de Middlesex. Importance de ses travaux botaniques, et particulièrement de sa Statique, p. 92. Harré (Jean Noel), médecin, né en 1754 à Paris, où il mourut en 1822. | Dans un rapport fait en 1789, il a rendu justice à la fois à Bernard et à Antoine Laurent de Jussieu, p. 92. Harrer (Albert ne), physiologiste, botaniste et poëte, né en 1708, à Berne, où il mourut en 4777, après avoir passé un grand nombre d'années à Gœttingue. Sa grande Physiologie renferme un grand nombre de faits nou- TEMPS MODERNES. 449 veaux sur l'anatomie et la physiologie comparée, p. 96. — En bo- tanique, il a conçu, de son côté, et cherché de bonne heure à appliquer la méthode naturelle, ibid. — 1l est poëte en même temps que savant, 97. L'histoire qu ‘Haller fait des travaux de la circulation du sang n’est pas exacte en ce qui concerne Césalpin, p. 44. — Il s’est élevé à plusieurs reprises contre les vues nouvelles de Linné et contre ce Qu'il appelait son insupportable domination, p. 72 et 73.— Il a signalé l'importance des travaux de Hales, et particulièrement de sa Siatique des végétaux, p. 92. Harrsogker (Nicolas), métaphysicien, géomètre, physicien et micrographe, né en 4656 à Gouda, en Hollande, et mort en 1725 à Utrecht. Ila contribué au perfectionnement du microscope, et l’a, un des premiers, appliqué à l'Histoire naturelle, p. 54 et 55. — Ila fait des observations importantes sur les animaux US, p- 56. Harvey (Guillaume), médecin, physiologiste, né en 1578 à Folkstone , dans le comté de Kent: mort à Londres en 1657. Il a eu Fabrice d'Aquapendente pour maître et pour précurseur, D. 47. — Il a découvert, après Césalpin, et démontré, le premier, la circulation du sang, ibid. —-Il est le créateur de l'embryogénie, ibid. — Il a entrevu a indiqué l'analogie des caractères transitoires de Phomme et des animaux supérieurs avec les caractères perma- nents des animaux inférieurs, p. 47 et 48. — Citation du passage remarquable où se trouve cette grande vue, p. 48. — La circulation du sang, d’abord repoussée par la plupart des anatomistes et des physiologistes, et par Riolan lui-même, p. 49; admise par Willis et par Descartes, p. 48 et 49. Heowic (Jean), médecin et botaniste, né en 1739 à Cron- stadt en Transylvanie, et mort en 1799. Importance de ses travaux sur les cryptogames, p. 98. Heisrer (Laurent), chirurgien, anatomiste et botaniste, né en 1683 à Francfort-sur-le-Mein, et mort LEE en 1758. M aa = RTE z x gs A a maaa vt Ge, Eann eme) gp AT ET enter ee SES En «ai + ~ pe Sy E E te ~ an a Te Mere 2 de, Ni. i 150 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Chirurgien et anatomiste célèbre, Heister est en même temps, en botanique, l'un des devanciers des Jussieu dans la conception de la classification naturelle, p. 88 et 93. — Sestravaux, incompris lors- qu'ils parurent, n’ont pas exercé sur la marche de la science une influence proportionnée à leur mérite, p. 93. — De Candolle est le premier qui ait rendu à Heister une pleine justice, p. 94. Hensuaw, botaniste anglais de la seconde partie du xvi? siècle. TI a fait connaître les trachées des plantes, p. 56. Hermann (Paul), botaniste, né en 1646 à Halle, mort en 1695. TI est auteur d’une classification botanique, p. 60. HERNANDEZ (François), médecin, naturaliste et voyageur espagnol, qui a vécu au xvi° siècle, mais dont les travaux ne parurent que dans le xvn°. Il a considérablement enrichi l'Histoire naturelle par ses voyages, p. 62. Hogrer (Ferdinand), historien de la science et chimiste con- temporain. Il a récemment appelé l'attention sur un passage d’Avicenne, important pour l’histoire de la paléontologie, p. 36. Home (Everard), chirurgien et anatomiste , né à Hull en Angleterre, en 1756, mort en 1832. Importance de ses travaux zootomiques, p. 106. Huser (François), zoologiste, né à Genève en 1750, mort à Lausanne en 1831. Il a su, quoique aveugle, prendre rang au nombre des meilleurs observateurs de son époque, p. 106. Hunter (Jean), chirurgien et anatomiste, né en 1738 à Long Calderwood, en Écosse, mort à Londres en 1793. Ses travaux zootomiques sont dignes de ses travaux pathologi- ques, p. 94. TEMPS MODERNES 151 A INGrassias ou Ixrassia (Jean Philippe), médecin et anato- miste, né vers 1510, à Palerme (selon quelques auteurs, en Styrie); mort à Palerme en 1580. ' I est un des principaux anatomistes du xvr° siècle, p. 97. | Jansen , physicien hollandais qui vivait dans la première partie du xvir siècle. I est considéré par plusieurs auteurs comme l'inventeur du microscope, p. 54. — Il a aussi attaché son nom à l'invention du’ télescope, ibid. Jonsron (Jean), naturaliste, né en 1603 près de Lissa, dans le duché de Posen, mort en 1675 près de Liegnitz en Silésie. Il est auteur de travaux considérables de compilation, p. 50. Jurien (Stanislas), sinologue contemporain. Il a cité plusieurs inventions très anciennes des Chinois, p. 40. Jussieu (Bernard ne), naturaliste, né à Lyon en 1669, mort à Paris en 1777. Les vues heureuses de Linné sur la méthode naturelle botanique n'ont pas, comme on l’a dit, leur origine dans ses relations avec Bernard de Jussieu, 79 ; mais ce dernier a presque aussitôt surpassé son illustre devancier, p. 80. — Il était maître des principes de la classification naturelle botanique en 1759, ainsi que le prouve la plantation du jardin de Trianon, p. 89, — Il est impossible de dé- terminer exactement ce qui appartient en propre à Bernard de Jussieu dans létablissement de la méthode naturelle en botanique; ` mais on peut dire, en termes généraux, qu’il a jeté les fondements et tracé le plan de l'édifice, élevé depuis par son neveu, p. 90 et 91. —Les botanistes qui ont essayé récemment de faire, dans l'œuvre commune, la part de Bernard et d'Antoine Laurent de Jussieu, ont établi leur appréciation sur des bases erronées, p. 91. À à à ” $ eee aa nids ii j -H ile ER RE dasi dis, hé El ee ee RENE NE ER g en AiR RS PTE NP RS “x Eee poeme" EEEE SO OORDEN- Ad x à z LEN A OEO Su fs RENE CETELE" EME ON © PRET sde cie aa US PADET TE EE D me D NA ITA Lente r " i DEAE 3 FRA APE ne PA 152 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS, — Bernard et Antoine Laurent n’eussent pu faire entre eux-mêmes ce partage qu’on a essayé de nos jours, ibid. Jussieu (Antoine Laurent), botaniste, né à Lyon en 1748, mort à Paris en 1536. Jl a, en 1775, pour la première fois, exposé l’ensemble des vues de son oncle et des siennes, p. 89; et les a, en 4739, développées, démontrées et appliquées dans le Genera plantarum, ibid. — Haute importance de cet ouvrage, et influence considérable qu’il a exercée sur le progrès, non seulement de la botanique, mais aussi de la zoologie, p. 90. — Sans qu’il soit possible de déterminer exactement ce qui, dans l'établissement de la méthode naturelle en botanique, appartient à Bernard de Jussieu, et ce qui est propre à Antoine Laurent, on peut dire que le premier a jeté les fondements et tracé le plan de édifice, que le second l’a élevé à la gloire de tous deux, p. 90 et 91. — Cette appréciation des travaux des deux illustres botanistes diffère peu de celle qu’en a donnée Hallé, dans un rap- port fait en 1789, et qwA. L. de Jussieu a reproduit en tête du Genera plantarum, p. 92. A. L. de Jussieu a signalé l'importance des travaux de Magnol, qui a cherché le premier à faire des rapprochements naturels sous le nom de familles, p. 60. Jussieu (Adrien pe), botaniste, né en 1797 à Paris, où il est mort en 1855. Il a récemment publié des documents intéressants pour l’histoire des travaux de son grand-oncle et de son père, et pour celle de la méthode naturelle, p. 94. K Kiecmeyer (Charles-Frédéric), naturaliste et chimiste , né en 1765 à Babenhausen , dans le Wurtemberg, mort dans la première partie du xix° siècle. Son haut enseignement avait préparé, de bonne heure, l’Alle- magne à entrer dans les voies de l'anatomie philosophique, p. 414. Kuxru (Charles Sigismond), botaniste, né à Leipzig en 1788, mort à Berlin en 1850. Il a exprimé la plus haute estime pour les travaux de Claude Richard, p. 104. TEMPS MODERNES. 153 L de - LacÉpènE (Etienne DE LAVILLE DE), naturaliste, historien, né à Agen en 1756, mort à Paris en 1895, Il a publié, un an après la mort de Buffon, le dernier supplé- ment de l'Histoire naturelle, p. 99. — Comme zoologiste, il a été trop loué pendant sa vie, et jugé trop sévèrement après sa mort, p- 406. Lamarck (Jean-Baptiste Pierre Antoine be Moner DE), natu- raliste, nė en1744à Bazentin, village de Picardie (Somme); mort à Paris en 1829. Il est l’un des botanistes principaux du xvin° siècle, l’un des Zoologistes les plus illustres du xix°, p. 93 et 108. — Importance et Succès de sa Flore française, p. 93, et plus tard, de son Ouvrage Sur les Animaux sans vertèbres, p. 107. — Importance plus grande encore de sa Philosophie zoologique, ibid. — Ce dernier livre est resté longtemps incompris, ibid. Lawarrine (Alphonse DE), poëte et historien contemporain. H a écrit la vie de Bernard Palissy, qu’il considère comme l'un des grands écrivains de la langue française, p. 56. LarreiLLe (Pierre André), zoologiste et érudit, né à Brives en 1762, mort à Paris en 1833. Il a été justement nommé, dans son époque, le prince des ento- mologistes, p. 106. LécLuse. — Voyez CLusius. LEONICENTS (Nicolas), médecin, naturaliste , érudit, né en 4428 à Lonigo, dans le Vicentin, mort en 1524. ll a traduit Galien et commenté Pline, p. 38. Leroux (Pierre), philosophe contemporain. ll n’a pas associé Claude Perrault à la justice qu’il a rendue à Charles Perrault, p: 63. : l l Leuwennorcx (Antoine), naturaliste, iicrographe, né en 1632 à Delft en Hollande, mort en 1793. ii A 10. APR RP PAPE EAP ENUANIET AEDR ENS EEP EE PT EREC Ty QU arts | EN CAE PEER ge TE PRETI asi iii De eoa pind 15/1 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Ita perfectionné le microscope, l'a appliqué à l'Histoire naturelle, et par là, a fait faire à cette science d'immenses progrès, p. 54 et 55. — Importance de, ses observations sur les animaux microscopiques, p. 56; et sur la structure intime de divers organes, sur les corpus- cules ou globules du sang, ete., ibid. Linxé ou Lnæus (Charles), né en 1707, en Suède, dans un village de la Smolande, mort à Upsal en 1778. Il a été appelé le Pline du Nord, p. 26. — Jean Ray est, à quelques égards, son précurseur, p. 59. — Grandeur de ses travaux, 68-80. — Jlest encore aujourd’hui un auteur progressif et nouveau, p. 68. — Parallèle avec Buffon, p. 69-71. — Juste et immense succès du Systema naturæ, p. 72. — Linné n’a point inventé la nomenclature binaire ou linnéenne, p.74; mais il l'a perfectionnée, généralisée et revêtue d'un caractère véritablement scientifique, p. 75. — Le style dit linnéen existait de même avant lui, mais il se l'est approprié en en rendant l'emploi régulier et général, p. 73-75. — Trop admiré peut-être comme nomenclateur, on peut dire que Linné ne l'a pas été assez comme celassificateur, p. 78. — Causes du succès immédiat de la partie botanique de sa classification, p. 75 et 76.— Pourquoi sa partie zoologique, moins bien accueillie à l'origine, a été plus durable, p- 76-78. — La classification zoologique de Linné est une classifica- tion naturelle, p. 77 et 78. — Cuvier ne s’en est écarté, en ce qui concerne les mammifères, que pour s'en rapprocher peu à peu, ef il a fini, sans le savoir lui-même, par y revenir presque entièrement, p. 78. — Identité fondamentale des classifications actuellement adoptées en zoologie avec la classification de Linné, p. 78 et 80. — Linné a tenté aussi, et non sans succès, l'application de la méthode naturelle à la botanique, p. 78 et 79. — Nul n'a fait, en vue de ce progrès, des efforts plus persévérants, p. 78. — Rien ne justifie la conjecture de Cuvier qui présente Linné comme ayant emprunté à Bernard de Jussieu ses vues les plus heureuses sur la classification naturelle des végétaux, p. 79. — En résumé , Linné est le premier inventeur de cette méthode naturelle qu'avaient pressentie Césalpin et Magnol, p.80. — Il a été presque aussitôt surpassé, en botanique, par les Jussieu; mais il ne l'a été en zoologie que par Cuvier et les autres auteurs de la fin du xvu siècle et du xIx", ibid. — Ce qui lui appartient, et ce qui appartient aux Jussieu, dans la conception et l'établissement de la classification naturelle, p. 83. Les premiers mots du Systema naturæ, p. 2. — La zoologie a été dite par Linné la partie la plus noble de l’histoire naturelle, p. 4.— TEMPS MODERNES. 455 Lettre à Haller, alors occupé, dit Linné, à établir les familles natu- relles, p. 96. Loser (Mathieu pr), botaniste, né à Lille en 4538, mort en 1616 à Highgate, près de Londres. lest un des principaux botanistes de son époque, p. 38. Loxicer où LONICERUS (Adam), médecin, naturaliste, né à Marbourg en 1528, mort en 1586. Il est auteur de travaux de compilation, où l'obéerfation com- mence à tenir quelque place, p. 88. Lyoxer (Pierre), naturaliste et graveur, né en 1707 à Maes- tricht, mort en 1789. ll est célèbre par ses travaux sur l'anatomie de la chenille du saule, p. 94. M MacxoL (Pierre), botaniste, né en 1638 à Mn où il mourut en 1715. l Il a commencé, dès le xvrr° siècle, la distribution des plantes en familles naturelles, p. 60. — Les Jussieu ont reconnu en lui leur devancier, ibid. — L'ouvrage de Magnol, selon Achille Ricaard, renferme l’idée mère de la méthode naturelle, p. 614. i Marrıcni (Marcel), médecin, botaniste et naturaliste, né près de Bologne en 1628, mort à Rome en 1694. Importance de ses observations microscopiques pour l'anatomie et la physiologie comparées, p. 56. Marcérar (George), voyageur, naturaliste, né en 1610 à Liebstadt, en Saxe, mort en 1644 en Guinée. Il a considérablement enrichi l'Histoire naturelle par ses voyages, p. 62. 3 Marin (Henri), historien contemporain. Il a donné, dans sa grande Histoire de France, un résumé étendu et une haute appréciation des vues de Buffon, p. 83. Mario ou Marriout (Pierre André), médecin, botaniste, né à Sienne en 1500, mort à Trente en 1577. D E EEEE T e n TEET y er Mu SRE DR PEN AD ME RD Er, D RE 2 sa TE TS pee he 156 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Il est Pun des premiers qui, dans les temps modernes, aient allié l'observation à lérudition, p. 38. MecreL (Jean Frédéric), médecin, anatomiste, né à Halle en 1784, mort en 1833. - Importance de ses travaux zootomiques et tératologiques, p. 106. — Ila, le premier, compris les vues nouvelles de Geoffroy Saint- Hilaire, et s’est aussitôt avancé dans les mêmes voies, p. 114. Mi (Aubin Louis), archéologue, naturaliste, né en 1759 à Paris, où il est mort en 1818. Comment il a apprécié Buffon en 1792, dans un travail où il était l'organe de la Société d'Histoire naturelle de Paris, p. 82. MisinGToN, naturaliste anglais, qui vivait à Oxford dans le xvn° siècle. Jl a connu et indiqué les sexes des plantes, p. 60. Mireez (Charles François Brisseau DE), botaniste contem- porain. Son appréciation de la Flore française de Lamarck, p. 95. Monarpus ou Monari (Jean), médecin, botaniste, né à: Ferrare en 1462, mort en 1536. Il a mis en parallèle les connaissances des anciens sur l'Histoire naturelle, et celles des Arabes au moyen âge, p. 38. Morisox (Robert), médecin, botaniste, né en 1620 à Aber- deen, en Écosse, mort à Oxford en 1683, après avoir passé en France une grande partie de sa vie. il est auteur d’une classification botanique, remarquable pour l'époque où elle a paru, p. 60. Mourer (Thomas), médecin, zoologiste, né à Londres, et qui vivait dans la seconde partie du xvie siècle. Il est auteur de travaux importants sur les insectes, p. 50 et 51. Muucer (Othon Frédéric), naturaliste, micrographe, né à Copenhague en 1730, mort en 1784. Importance de ses travaux sur les infusoires, p. 94. TEMPS MODERNES. 157 P PaLissy (Bernard), né dans l’Agénois au commencement du xvi? siècle, mort en prison à Paris en 1589. Variété, importance et nouveauté de ses travaux, p. 35. —Appré- ciation de cet auteur, comme savant, par Buffon, p. 36; par Cuvier, ibid. ; et comme écrivain, par M. de Lamartine, ibid. Partas (Pierre Simon), naturaliste, géographe, voyageur, né en 1741 à Berlin, où il est mort en 1811, après avoir passé une grande partie de sa vie en Russie. Diversité et haute importance de ses travaux, p. 96 et 97.— II a été considéré par quelques auteurs, en présence de Linné, de Buffon et des Jussieu, comme le premier naturaliste du xvm’ siècle, p. 97. Paré (Ambroise), chirurgien, anatomiste, né à Laval vers 4515, mort à Paris en 1590. Ce grand chirurgien est aussi un des principaux anatomistes du xvr? siècle, p. 37. PaRISET (Etienne), médecin, historien de la science, né près de Neufchâteau (Vosges) en 1770, mort à Paris en 4847. Il a faitremarquer que Buffon, Daubenton, Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier se rattachent les uns aux autres par une sorte de filiation, p. 400. du. PascaL (Blaise), né en 1623 à Clermont-Ferrand, mort à Paris en 1662. Nécessité, signalée par lui, d’affranchir l'esprit humain de l'auto- rité des anciens, p. 61. | Payer (Jean-Baptiste), botaniste contemporain. Il a récemment publié un Cours d'Histoire naturelle, fait en 1772, à Paris, par Adanson, p. 95. Pecquer (Jean), anatomiste, né à Dieppe vers 1610, mort en 1674. | | Il est surtout célèbre par ses importants travaux sur les vaisseaux lymphatiques, p. 57. - } È g $ : i $ f meer men NE En) re 158 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Perrauzr (Claude), médecin, anatomiste, architecte, né en 1613 à Paris, où il est mort en 1688. Il est un des fondateurs de l'anatomie comparée, p. 58. — Il est auteur d'un travail important sur la séve des végétaux, ibid. — Ila beaucoup contribué à affranchir l'Histoire naturelle de l'autorité, si longtemps souveraine, des anciens, p.63. — I a été en butte aux attaques les plus violentes de la part des défenseurs des anciens, et particulièrement de Boileau, p. 63 et 64. — T s’est illustré par des travaux de genres très divers, p. 58 et 64. PererauLr (Charles), littérateur, philosophe, frère du pré- cédent, né en 4628 à Paris, où il est mort en 1703. Il mérite une place distinguée parmi les philosophes du xvn' siècle, p. 63. Persoon (Chrétien Henri), botaniste hollandais, né en 1767 au cap de Bonne-Espérance, mort à Paris en 1856. Il est auteur de travaux importants sur les végétaux cryptogames, p. 404. y PeyssonneL (Jean Antoine), naturaliste, voyageur, né à Marseille en 1694, mort vers le milieu du xvin° siècle, TI a reconnu et démontré Tanimalité des coraux et des madré- pores, p. 94. Pison (Guillaume), naturaliste et voyageur hollandais du , N © xvn? siècle, né à Leyde. I a considérablement enrichi l'Histoire naturelle par ses voya- ges, p. 62. Poucuer (Félix), zoologiste contemporain. On lui doit un ouvrage’étendu et fort utile à consulter, sur Albert le Grand et son époque, p. 33. Rasus. — Voyez Ray. Ray (Augustin), zoologiste français du xvme siècle. Il est auteur d’une Zoologie universelle et portative, p. 59. pi + TEMPS MODERNES, 459 Ray ou Wray (Jean), ou Rasus, naturaliste, théologien, né en 1628 en Angleterre, comté d’Essex, mort en 1704. Importance et nouveauté des travaux qu'il entreprenait au Xvi” siècle sur la classification zoologique et botanique, p. 59 et 60. — Il est, à quelques égards, le précurseur de Linné, p. 59.— Ila, Pun des premiers, défendu la théorie des sexes des plantes, p. 60. — Il a embrassé, dans ses études, presque toutes les branches des con- naissances humaines, et rappelle ainsi, à la fin du xvir' siècle et au commencement du xvm’, les auteurs encyclopédiques des xv° et XVI‘, p. 64 et 65. Réaumur (René Antoine Fercaaup DE), naturaliste, physi- cien, né à la Rochelle en 4683, mort dans le Maine en 1757. Ses belles observations sur les mœurs des insectes, p. 94. Rep: (François), médecin, physiologiste et poële, né à Arezzo en 1626, mort en 4697, I est auteur d’un grand nombre d'observations anatomiques et physiologiques sur les animaux, p. 57. Rey (Jean), médecin, chimiste, qui vivait dans le Périgord durant la première moitié du xvn® siècle. Il a été confondu avec Jean Ray, p. 59. ReynauD (Jean), philosophe contemporain. Son travail sur le mazdéisme; ce que sont les animaux selon cette religion, p. 41. RICHARD (Louis Claude Marie), naturaliste , voyageur, né à Versailles en 4754, mort à Paris en 1821. Ses observations botaniques, faites tant à Cayenne qu’en Europe, en font l'un des principaux naturalistes de son époque, p. 104. — ll a été dignement apprécié par Kunth, ibid. — Malheureusement, tous ses travaux n’ont pas vu le jour, ibid. Ricmard (Achille), botaniste, né en 1794, à Paris, où il est mort en 1852. | Il asignalé la haute importance des travaux de Magnol, dont lou- vrage, selon lui, renferme l’idée mère de la méthode naturelle, p. 64, — Il a mis au jour une partie des travaux de son père, p. 104. LR a nn en no re yi ea ares 460 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. RicHarp (du Cantal) (Antoine), agronome contemporain. Il a donné un excellent résumé des travaux zootechniques de Daubenton, et en a signalé l'importance longtemps oubliée ou mé- connue, p. 95. Rıoran (Jean), médecin, anatomiste, né vers 4580 à Paris, où il est mort en 4657. ll a repoussé et longtemps combattu la circulation du sang que venait de découvrir Harvey, p. 49. Rivinus QuiRINUS. — Voyez BACHMANN. RonpeceT (Guillaume), médecin, naturaliste, né à Mont- pellier en 1507, mort en 1566. | Iesi un des principaux naturalistes du xvi° siècle, p. 38. — Caractère et importance de ses travaux zoologiques, p. 39. — Essai de classification ichthyologique, p. 40. Rousseau (Jean Jacques), né en 1712 à Genève, mort en 1778 à Ermenonville (Oise). Il rapprochait les végétaux par une méthode très analogue, dit Goethe, à la distribution en familles naturelles, p. 88. — Pensée sur l'enfance, p. 449. Rupgecx (Olaüs), anatomiste, botaniste, érudit, né en 1630 à Westeras, en Suède, mort en 1702. Il a découvert les vaisseaux lymphatiques, p. 57. Rupozpxi (Charles Asmond), médecin, naturaliste, né à Stockholm en 4771, mort à Berlin en 1832. Il est surtout célèbre par ses travaux sur les entozoaires, p. 106. Ruez ou Ruezuius (Jean), médecin, botaniste, né à Sois- sons en 1479, mort à Paris en 1539. IL est l’un des premiers qui, dans les temps modernes, aient allié l'observation à l’érudition, p. 38. Rumpr ou Rumpxius (Georges Everard), médecin, natura- liste, voyageur, né en 1626 à Solm , en Allemagne, mort en 1693. Il est auteur de travaux importants sur les zoophytes, où ilaen partie devancé Peyssonnel, p. 94. P i Ka aa TEMPS MODERNES. 164 Ruyscn (Frédéric), anatomiste, né à la Haye en 1638, mort en 1731. H est célèbre par ses travaux de fine anatomie, et surtout par ses injections, p. 57. 5 pia (Hippolyte), médecin, zoologiste, né en 1514 à Citta di Castello dans l'Ombrie, mort à Rome en 4572 Il est un des zoologistes les plus distingués du xvr’ siècle, p. 38. — Importance de ses travaux ichthyologiques, p. 39. SAviGNY (Marie Jules César LELORGNE DE), zoologiste, né à Provins en 4772, mort à Versailles en 1851. À la fois observateur ingénieux et généralisateur hardi, il est l'un des principaux zoologistes de son époque, p. 406. SCHELLING (Frédéric Guillaume Joseph pe), philosophe, né en 1775, à Leonberg, en Souabe, résidant depuis long- temps à Berlin. Ses hardies tentatives de généralisation, p. 115. — Dineren fon- damentale entre la direction qu’il voulait donner à la science et celle qu'elle a reçue de Geoffroy Saint-Hilaire, p. 445 et 416. Scamienez (Casimir Christophe), naturaliste du xvine siécle. Ce que lui et ses contemporains admiraient dans Gesner, p. 41. SERRES (Etienne Renaud Augustin), médecin et anatomiste contemporain , Il a, dans ses leçons orales, rendu justice à Césalpin, p. 45. — Nul auteur n’a mieux que lui apprécié Harvey, p. 47. — Il a mis en lumière un remarquable passage d'Harvey, où se trouve indiquée l’analogie des caractères transitoires de l’homme et des animaux su- périeurs avec les caractères permanents des animaux inférieurs, p.48. Servan (Joseph Michel Antoine), né à Romans en 1737, mort en 4807 ? Remarque sur les fables, p. 6. SERVET (Michel), théologien, né en 1509 à Villeneuve en Aragon, brülé vif à Genève en 1553. M: T. 14 _ "ER a - ES RS SE 2 nd ne Ce Nu ss MU U i 162 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Il a connu la petite circulation du sang, p. 44. — Rien ne prouve qu'il ait emprunté à Nemesius ce qu’il dit à cet égard, ibid. SPALLANZANI (Lazare), physiologiste, ne en 1729 à Scandiano, près de Reggio, duché de Modène, mort à Paris en 1799. Importance de ses travaux physiologiques, p. 94. SPRENGEL (Court), médecin, botaniste, historien de la science, né en 4766 à Boldekow en Poméranie, mort en 1838. Ce botaniste érudit a énuméré les plantes mentionnées dans la Bible, p. 6; — les plantes figurées sur les monuments anciens de l'Égypte, p. 13; — et les plantes mentionnées par divers auteurs anciens, p. 28. — Comment il a apprécié les services rendus à la botanique par les frères Bauhin, p. 53. SWAMMERDAM (Jean), anatomiste, naturaliste, né en 1637 à Amsterdam, où il est mort en 1680. Importance de ses observations sur l’organisation et les méta- morphoses des insectes, p. 56. — Il est le premier fondateur de l'entomologie, ibid. SyLvius, LE Bois, pu Bois ou pe LE Boe (François), médecin, anatomiste, né en 1614 à Hanau, mort en 1672 à Leyde, où il avait longtemps professe. Il est l’un des principaux anatomistes de son siècle, p. 36. T TourneroRT (Joseph Pirron pe), botaniste, né en 1656 à Aix en Provence, mort à Paris en 4708. Sa classification botanique est restée longtemps et justement populaire, p. 60. Tracus ou Bock (Jérôme), botaniste, né en 4498 pres de Bretten dans le bas Palatinat, mort en 4554 à Hornsbach. JI est l’un des botanistes distingués de son siècle, p. 38. TremgLey (Abraham), naturaliste, né à Genève en 1700, mort en 1764. Il est surtout célèbre par ses expériences sur les polypes, p. 94. | p TEMPS MODERNES. _. 168 ot Varrant (Sébastien), botaniste, né à Vigny, prés de Pon- toise en 1669, mort à Paris en 4722. il a contribué à démontrer et à faire admettre dans la science l'existence des sexes chez les végétaux, p. 60. Vésazg (André), médecin, anatomiste, né à Bruxelles en 1514, mort en 1564, dans lile de Zante, par suite d’un naufrage. Ii avait véeu longtemps en Espagne. H à été dit l'un des triumvirs de Panatomie, p. 36. — Harvey se rattache à ce grand anatomiste par Fabrice d’Aquapendente et Fallope, p. 47. | Vico-n’Azyr (Félix), médecin, anatomiste, historien de la science, né à Valognes en 1748, mort à Paris en 1794. Il a embrassé l'anatomie comparée presque dans son ensemble, p. 95. — Il s’est élevé à-plusieurs conceptions importantes en ana- tomie philosophique, ibid. Vittemarn (Abel François), littérateur et historien contem- porain. Son jugement sur Pline, p. 27. — 1 a l’un des premiers rendu à Buffon un hommage digne de lui, p. 83 et 87. Vinci (Léonard pe), peintre et littérateur, né en 1452 prés de Florence, mort en 1519 à Amboise. lH a indiqué la vraie nature de ces corps organisés fossiies, si longtemps considérés comme de simples jeux de la nature, p. 35. W Wizpexow ou Wizzpenow (Charles Louis), botaniste, né en 1765 à Berlin, où il est mort en 1812. Ses travaux botaniques, malgré de justes critiques, le placent à un rang élevé dans la science, p. 404. miiy- PE SE EN PS O R EEEN, O NETT Ee P 164 FABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. Wiuis (Thomas), médecin, anatomiste, né en 4622 en An- gleterre, dans le Wiltshire, mort à Londres en 1675. Ila l’un des premiers admis la circulation du sang, p. 49.— Il est auteur de travaux importants sur l’encéphale, p. 57: Wizzuesy (François), zoologiste, né en 1635 à Middleton en Angleterre, mort en 1672. Il a été l'élève et le collaborateur de Jean Ray, p. 59. Wozr (Gaspard Frédéric), anatomiste, ne à Berlin en 1735, mort à Pétersbourg en 1794. Goethe à reconnu en lui son devancier, en ce qui concerne la métamorphose des plantes, p. 405. Worron (Edouard), médecin, naturaliste, né à Oxford en 1492, mort à Londres en 1555. H est l’un des zoologistes distingués de son siècle, p. 38. Waray. — Voyez Ray. HISTOIRE NATURELLE abat DES RÈGNES ORGANIQUES. PREMIÈRE PARTIE. = PROLÉGOMÈNES. i + ne r a £ 1. A RS EEE TRS Di e DEIT VE PRRI ae rg be né DOTE a me DETTE rte De Ter te v qia EE a Le té nan. ii aia s a ÿ UVVUVUUUNNIINYUNNYUNNIINYNSINININUNNY VUVYNVINNNYNNNNNS IUVNNUNM PREMIÈRE PARTIE. PROLÉGOMÈNES. | 14 L'Histoire naturelle générale des règnes organiques, ou plus brièvement, la Biologie générale (4), est, comme 14 l'expriment ces noms , la science dans laquelle viennent se toucher par leurs sommités et s'unir les branches par- l ticulières de nos connaissances sur les corps organisés. | Tous les résultats généraux, toutes les hautes vérités aux- E ; 1 quels a conduit, dans les temps modernes, et de nos jours surtout, l'étude comparée des êtres qui vivent ou ki ont vécu à la surface du globe, sont donc du domaine de cette science supérieure , et cet ouvrage a pour objet, autant que le comporte un premier essai sur un ensemble aussi vaste et aussi complexe, leur exposition r: raisonnée ef leur démonstration méthodique. Ceux qui écriront à leur tour, dans une époque plus | 14 avancée, de semblables traités, pourront passer , sans (1) Biologie générale. Ce nom, aussi exact que concis, est le seul Š que j’eusse employé dans cet ouvrage, si le premier n’eût été consacré et popularisé par l'emploi qu'en à fait Buffon. Tout le monde sait que son immortel ouvrage porte ce titre : : Histoire naturelle générale et particulière. | 2 L'emploi du mot Biologie, comme synonyme qi pe naturelle st og aae aaa aa aT ——" ~- CE TO Y A EE REEE EA O EET 468 PROLÉGOMÈNES . même sy arrêter, sur des difficultés préliminaires dont je dois, au contraire, tenir grand compte dans un sujet aussi neuf. Une Histoire naturelle générale est-elle présente- ment possible? le sera-t-elle jamais? Doutes singuliers, et qu'il n’y a pas même lieu de discuter, pourra-t-on dire par la suite. Doutes qu'il me faut, au contraire, résou- dre sur le seuil même de cet ouvrage, sous peine d’être arrêté à chaque pas par des objections multipliées; celles qu'émettait et que soutenait, il y a vingt ans, d’une voix aussi puissante que convaincue, le plus célèbre des natu- ralistes de notre siècle, entraînant ici après lui, dociles et respectueux disciples, la plupart des naturalistes con- temporains. Réduire à leur juste valeur des objections si souvent présentées comme décisives et souveraines; déterminer, pour y parvenir sûrement, les rapports des sciences organique, remonte au commencement de notre siècle. LAMARCK emploie déjà ce mot, en 1802, dans son Hydrogéologie, et en 1803, dans son Discours d'ouverture sur la question de l'espèce. L'Histoire naturelle organique avait reçu bien plus anciennement un autre nom, très usité aujourd'hui, mais dans une tout autre acception. Cette science est la psychologie de Christofle de SAVIGNY, auteur, au xvr° siècle, d’un curieux ouvrage sur lequel je reviendrai bientôt. | Dans notre siècle, elle a été successivement appelée, somiologie, par RAFINESQUE-SCHMALTZ, en 4814; physique organique, par M. Auguste Comte (qui a employé aussi, et de préférence, le mot biologie), en 1830; organomie, par M. p'OmALIUS D'HALLOY, en 1838; zoologie (nom indiqué seulement comme provisoire), par M. Jean REYNAUD, en 4843 ; et organologie, par M. GERDY, en 4844. Je me borne à indiquer ici ces divers noms en synonymie. Les ouvrages où mémoires dans lesquels ils ont été proposés seront bientôt cités dans ces Prolégomènes. (Voy. liv. I, chap. nr, v et vi.) D: zai PROLÉGOMÈNES. 169 naturelles avec les autres parties du savoir humain, et leur rang hiérarchique dans ce qu’on a appelé l Encyclo- pédie ; démontrer logiquement la nécessité, déjà histo- riquement établie, de la généralisation (1) après lob- servation, et par conséquent, de la constitution d’une Histoire naturelle vraiment générale au-dessus de toutes les branches particulières de nos connaissances sur les êtres organisés ; faire voir que ce progrès, prévu depuis un siècle et si admirablement préparé par notre immortel Buffon, ne deviendra pas seulement possible dans un temps indéfini, mais qu'il l’est dès à présent; rechercher par quels moyens on peut tout à la fois en assurer et en hâter l’accomplissement; quelle direction il convient d'imprimer à la science; quelle méthode doit y être sui- vie : tel est le but des Prolégomènes étendus que l’on va lire, et qui seront divisés en deux Livres, compléments nécessaires l’un de Pautre. Le premier traitera, au point de vue et dans les limites où la solution de ces questions générales i importe à notre sujet, des rapports et de la classification dès con- naissances humaines, et particulièrement, des connexions logiques entre l'Histoire naturelle et les sciences qui, nécessairement développées avant elles, doivent lui servir tout à la fois d’appuis, de guides et de modèles. Dans le second, qui sera de beaucoup le plus étendu, j'essaierai de résumer et d'apprécier les vues générales émises sur les sciences naturelles et sur leurs méthodes, par les chefs des trois principales écoles biologiques , (4) Voyez plus haut, p. 417, la fin de l’Introduction historique. 1. 11. 4170 PROLÉGOMÈNES Cuvier, Schelling, Geoffroy Saint-Hilaire; de reconnai- tre, entre les voies diverses que nous ont ouvertes ces maîtres, celle où est le vrai progrès, celle où la science doit désormais s’avancer, prudente sans hésitation, hardie sans témérité; enfin, de déterminer, à l’aide de tous les résultats précédemment obtenus tant par la voie historique que par la voie logique, comment et sur quelles bases peut être sûrement et définitivement constituée l’Histoire naturelle générale des règnes organiques. : VMVUVVNVI UNS SUN NN IN à SNJ UINSNISSNINININS SNS VUNNININIUNANSASINSINUANS NS - LIVRE PREMIER. DES SCIENCES EN GÉNÉRAL, ET PARTICULIÈREMENT DES RAPPORTS DES SCIENCES NATURELLES AVEC LES AUTRES BRANCHES DES CONNAISSANCES HUMAINES. CHAPITRE PREMIER. DE L'UNITÉ DES CONNAISSANCES HUMAINES, ET DE LEUR DIVERSITÉ. SOMMAIRE, — I. Considérations générales sur les connaissances humaines. —IL, Leur unité fondamentale ; leur diversité secondaire. l; La science, dans l'acception la plus générale et la plus philosophique de ce mot, est la connaissance rai- sonnée de la vérité. Tout ce que notre raison, par ses | propres forces, ou avec le secours de nos sens, peut démontrer, c’est la science. D'où cette belle définition de Bossuet qui, plus concise encore que celle qui précède, n'en diffère pas au fond: « Le fruit de la démonstration » est la science (1). » | (1) Bossuer, De la connaissance de Dieu et de soi-même, chap. I, xiij. — On trouve plus bas, dans le même chapitre, le développement de cette pensée. Bossuet traduit ici d’une manière digne de lui cette vieille défini- 12 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. I. ; Qu'est-ce que la vérité? L’accord de nos représenta- tions avec les choses représentées , disait-on avant Kant et Schelling. L'accord des représentations avec leurs ob- jets, selon Schelling (4). C'est, dit, de son côté, le célèbre Balmes (2), s'inspirant d'une tout autre ni. c'est, dans les choses, la réalité même des choses; et, dans l’en- tendement, la connaissance des choses telles qu’elles sont. Définitions plus ou moins rationnelles, dont nous n'avons pas, heureusement, à pénétrer le sens, à apprécier la valeur. L'idée de vérité est. une de ces idées premières qui, pour être saisies par notre esprit, n’ont besoin du secours ni d’une définition, ni d’un commentaire. « La » vérité, cet être métaphysique dont tout le monde doit » avoir une idée claire, » dit notre immortel Buffon (3), et il passe outre. Nous ferons comme lui. La vérité est une, et nécessairement une. Toute vérité émane de Dieu, et aboutit à Dieu, qui est la vérité pre- tion scolastique, si souvent reproduite par les logiciens : Disciplina que certis demonstrat argumentis. On a donné de la science une foule d’autres définitions, dont la plupart sont au fond identiques. Elles ne diffèrent que par les termes employés pour exprimer les mêmes idées, ou encore, en ce que les unes énoncent ce qui est explicitement contenu dans les autres. Telle est, par exemple, celle-ci que donne Ozanam, dans son Dictionnaire mathématique, Paris, 1691, in-4, p- 4 =« La science » est une connaissance acquise par des principes clairs et évi- » dents. » (1) «On ne connaît que le vrai, et la vérité se trouve dans l'ac- » cord des représentations avec leurs objets.» (SCHELLING, System des transcendentalen Idealismus, Tubingue, 1796, in-8, p. 4; tra- duction de M. GRIMBLOT, Paris, 1849, in-8, p. 4.) (2) A la fin d'El criterio, Barcelone, in-8, 1845 et 18/8. (3) Histoire naturelle, t. 1, p. 52. UNITÉ DES CONNAISSANCES HUMAINES. 178 mière (4) aussi bien que la cause première de toutes + choses. Mais celte vérité, une et universelle, n'a et ne peut avoir d'existence que dans l'intelligence suprême. 1 Dieu la possède, et l’homme la cherche. H ne fait que 4 lentrevoir, ou plutôt même il la pressent, il la devine, comme on devine, par un rayon de lumière, le foyer caché dont il émane. C’est là sa faiblesse, mais c’est aussi sa grandeur, La vérité une et divine est devant 1 lui comme le modèle, idéalement parfait, de sa science imparfaite ; comme un but dont il iii est donné, sans’ l’atteindre jamais, de se rapprocher par un mouve- ment continu, et sans autre terme possible que celui de + l'existence elle-même de l'humanité. D'Alembert osait écrire il y a un siècle : « L'univers, » pour qui saurait l’embrasser d’un seul point de vue, ne » serait, s'il est permis de le dire, qu'un fait unique et une » grande vérité (2). » Sans nul doute, cette conception d’un illustre géomètre qui fut aussi un philosophe éminent, ne m sera jamais réalisée ; mais la science en poursuit de jour Mae. en jour la démonstration partielle ; et qui oserait assigner D 2 la limite où elle doit s'arrêter? Dès à présent, des relations assez multipliées, assez manifestes pour ne pouvoir échap- ‘ per aux esprits les plus vulgaires, unissent toutes nos connaissances rationnelles, tous les éléments de notre EEE OR > € - -4 P y ENERE E N RNG | Aee A T Sarir N a o mri LEÉi > (4) « Toute vérité vient de Dieu; elle est en Dieu; elle est Dieu » méme... Il est la vérité originale. » (BOSSUE T, loc. cit. , Chap. IV, 1x.) C'est dans le même sens que mon père a dit: « Conquérir un prin- » cipe à la pensée publique, c’est prendre à Dieu et sur Dieu. » (Voy. Vie, travaux et doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire, chap. XII, 1. + (2) D'ALEMBERT, Encyclopédie, Discours préliminaire; édit. origi- nale in-fol. t. I, p. ix, 1854. dy, ES. miia ee TE vewa i à m n n RUE pe 3 a ni 47h PROLÉGOMENES, LIY. 1, CHAP. 1. savoir scientifique, et le propre de chaque progrès nou- veau est de resserrer et de multiplier encore les liens logiques qui déjà les rattachaient entre eux. Tous, de quelque source qu'ils proviennent, convergent les uns vers les autres, par conséquent vers la vérité une ; à peu près comme les eaux qui, de tous les points du globe, se font jour à sa surface, s'écoulent vers les mêmes bas- sins, innombrables ruisseaux d’abord, puis fleuves majestueux, et se confondent, finalement, dans la mer “unique et immense. La conception philosophique de la vérité une, et par suite de l'unité fondamentale de la science, n’est nulle- ment contradictoire avec le point de vue auquel nous devons nous placer dans la recherche de la vérité, dans l'étude de la science. A la recherche impossible de la vérité une, nous substituons la recherche, seulement dif- ficile, des notions, des vérités partielles, que nous pou- vons nous représenter, bien que nous ignorions la vérité première, comme y étant contenues, et, pour ainsi dire, résumées et concentrées ; et nous les étudions, en les subordonnant hiérarchiquement, selon leur ordre de géné- ralité, depuis les plus particulières et les plus simples, jus- qu'aux plus composées et aux plus vastes; jusqu’à celles qui, dans leur haute abstraction, touchent à la vérité suprême. Cette marche, si elle n’est pas la seule absolu- ment possible, est du moins la seule rationnelle; et si la vérité une, dont elle nous rapproche sans cesse , ne nous était pas pour toujours inaccessible, c’est elle encore, et elle seule, qui saurait nous y conduire. Les vérités qu’il nous est donné de connaître, nè sont UNITÉ DES CONNAISSANCES HUMAINES. 475 done pas autres, au fond, que la vérité une et universelle, que la vérité originale (4). C’est elle-même, mais res- treinte, incomplète. Ce sont des éléments, des parties de la grande unité; ce sont, pour reprendre la comparaison employée plus haut, des rayons émanés du foyer éclatant de toute lumière. Parties minimes, sans doute, mais qui donnent un aperçu de l’ensemble. Rares et pâles ayons, mais, en réalité, de même nature que le foyer lui-même. De là la grandeur et, selon l'expression de Bacon, la dignité suprême de la science. Si imparfaite qu’elle soit et qu'elle doive à jamais demeurer, son objet n’en est pas moins le plus haut que puisse atteindre l'esprit de l’homme. Elle voit, elle entend les choses comme elles sont (2) ; elle pénètre réellement quelques uns des secrets du Créa- teur; elle a, selon la belle expression du Psalmiste, ses regards sur Dieu lui-même. Et c’est pourquoi, entre tous les noms qu'a consacrés l'admiration publique, il n'en est pas, il ne saurait en être de plus véritablement glorieux que ceux des grands inventeurs scientifiques. Hs étaient, pour les anciens, l'élite presque divine de Phu- manité: viri ingentes suprâque mortalia, dit Pline (3) ; ils n’ont pas été moins honorés par les modernes. Et de même qu'Hipparque avait été comparé à un Dieu par l'auteur des Historie mundi (h), un contemporain (1) Expression de BossuET, loc. cit. ; voyez p. 178, note 1. (2) BOSSUET, loc. cit., chap. IV, viij. (3) Historiarum mundi lib. XX, 1x. - 7 (4) Voyez ARAGO, Sür la constilution physique du soleil, dans l'Annuaire du bureau des longitudes pour 1859, p. 354. ne: Le passage auquel M. Arago fait ici allusion est sans doute celui-ci E p p op 0h mr EEEE a E è , Ge g CNE ES 3j LR SE 7 DES 476 PROLÉGOMÈNES, Ve, y CHAP: i illustre de Newton, l’astronome Halley, n’a fait qu'exprimer le sentiment publie, lorsqu'il a dit de ce grand homme ces mots qui seront répétés de siècle en siècle : Nec fas est propiùs mortali attingere Divos (4)! IE. Les idées de vérité et de science étant corrélatives, la science, une au point de vue le plus élevé, se divise et se subdivise en sciences partielles, comme la vérité une en vérités partielles. Autant on peut admettre de groupes principaux, secondaires, tertiaires de vérités, autant on « Ausus, rem etiam Deo improbam, adnumerare posteris stellas. » (PEINE, loc. cit., lib. IL, xx1v.) (4) Ce vers est le dernier d’une pièce composée par Halley à l’époque même où Newton découvrit la loi de la gravitation universelle, et imprimée en tête de la première édition des Philosophiæ naturalis principiamathematica ; Londres, 1687. De nos jours, Newton a été appelé le Christ de la science et le second Verbe, — Voyez, dans la Revue des deux mondes, h° série, t. II, p. 249 (1835), la pièce de vers intitulée : Contemplation par M. J. J. AmPèRE, pièce qu'on lit avec un double intérêt; l’auteur semble, dans ses beaux vers, le filial interprète de la pensée de l'un de nos plus illustres savants. L'admiration na été ni moins légitime ni moins grande envers ceux qui se sont immortalisés dans d’autres directions. On disait Divus Hippocrates, aussi bien que Divus Plato ; et c’est aux applaudis - sements d’une nombreuse et savante assemblée qu'un célèbre médecin comparait tout récemment au divin vieillard, au divin Hippocrate, le divin jeune homme, le divin Bichat. Voy. BouizLauD, Discours de rentrée, prononcé dans la séance publique de la Faculté de médecine de Paris, nov. 4844; in-4, p. 47. DIVERSITÉ DES CONNAISSANCES HUMAINES. 177 peut distinguer de sciences principales, secondaires, ter- _ liaires ; et tels sont les rapports, directs ou indirects, de ces groupes les uns avec les autres, tels aussi ceux de ces sciences entre elles. Comme, au fond, il n’y a qu'une vérité et qu'une science, on ne saurait ni déterminer d'une manière abso- lument rigoureuse le nombre des sciences partielles, ni délimiter chaeune d'elles avec une entière précision. Il peut être, il est, dans l’ensemble, des parties moins intimement unies; il n’en est pas de séparées (1). Il ne saurait y avoir de rigueur parfaite que dans les deux conceptions extrêmes, celle, pour nous impossible, de la vérité ou de la science une, et celle de chacune des vé- rités ou notions qui composent élémentairement celle-ci. Mais de ce qu’une distinction n’est pas d’une rigueur absolue, il ne suit pas qu’elle soit sans fondement. De ce qu'un tout est essentiellement un, il ne résulte pas que les divisions qu’on y établit soient purement artificielles. Elles peuvent correspondre à des différences réelles et importantes, et représenter, dans l’ensemble unique, autant d'ensembles secondaires, ayant aussi leur valeur propre, et, par conséquent, leur existence logiquement (1) Je ne trouve nulle part cette vérité plus nettement énoncée que dans l'Art de raisonner, par CONDILLAC, introduction; Œuvres, édit. de 1798, t. VIII, p. 3. « Les sciences, dit Condillac, rentrent les unes dans les autres... Il » est très raisonnable à des esprits bornés comme nous de les consi- » dérer chacune à part, mais il serait ridicule de conclure qu'il est de » leur nature d’être séparées. Il faut toujours se souvenir qu ‘il n'ya » proprement qu'une science, et si nous connaissons des vérités qui » nous paraissent détachées les unes des autres, c’est que nous igno- » rons le lien qui les réunit dans un tout. » i sp h À PP ARE ETAT EP Re NET € 178 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. 1. distincte. Rien de plus légitime et de plus rationnel que cette décomposition de lunité principale en unités d’un ordre inférieur, et même successivement de plusieurs ordres inférieurs, toutes les fois qu’elle est établie sur une connaissance, suffisamment avancée, de leurs véritables rapports. C’est ainsi, et ainsi seulement, que la science, essen- tiellement une au point de vue philosophique, est divisible en sciences multiples et diverses, subdivisibles à leur tour en sciences plus restreintes et plus spéciales ; ensem- bles secondaires, tertiaires, moindres encore, mais dont la distinction nous est à la fois possible et nécessaire. La science une, autant qu’il nous est donné de nous élever jusqu’à ses hauteurs, c’est la philosophie, dans le séns que les plus grands esprits de l'antiquité et des temps ` modernes ont donné à ce mot, si souvent et si malheureu- sement détourné de sa haute et juste acception (4). Les sciences partielles, ce sont les sciences proprement dites : nom que l’on applique également aux divisions princi- pales et naturelles du savoir humain et à leurs subdivi- sions secondaires, tertiaires, et parfois purement artifi- cielles; simples chapitres et sections de chapitres, comme les appelle M. Jean Reynaud (2), assimilés ainsi dans la nomenclature aux groupes primitifs. (4) Ge mot si souvent appliqué, dit Bacon dans le traité De digni- tate et augmentis scientiarum, lib. II, cap. 1, à « un certain fatras, » une masse indigeste de matériaux tirés de la théologie naturelle, de » la logique et de quelques parties de la physique. » ( Voy. traduction de LasALLe, édit. de Dijon, 4800, t. II, p. 5.) (2) Dans le très remarquable article Encyclopédie de l'Encyclopédie nouvelle, t. IV, p. 763; 1845. $ | 1 DIVERSITÉ DES CONNAISSANCES HUMAINES. 179 ” E On sent trop ici que la langue scientifique et philoso- ` dj: phique, pour être parlée surtout par les savants et les phi- m 44 losophes, n’a pas été faite par eux; mais ainsi le veut | 1: x l'usage, et, Sur ce terrain même, son pouvoir est tel qu’on PS essaierait en vain d'innover contre lui, au nom de la t + rigueur logique. Soumettons-nous done aussi, mais sans Fil oublier jamais qu'ici, sous des termes semblables, se A cachent des idées très distinctes; plus distinctes même, | D y comme nous le verrons bientôt, qu’elles ne le semblent 1 L à au premier abord. : i B. | ; 4 E É i 1: À E 1 k f Ji i + j Dpi à E i IAA EAST j OP Sr AA AET —# PNR M EN M PO RP MARS ~ TPN D PEORIEN sat ai i s 9 SOY i A ly a 1 ; | 44 E 3 i] į 4 ' à Ç m æ s | À l + $ * A . à Lie + i a Le eaa mer à de 4 Fe A a e E EU FFE ES ž ’ < à TU pr — EE ————— SAFAI SASI SLSS SISINSNS ANISINI SSI AESI So SINI G SENISE NN ENS NINNNNSNENSSSNI CHAPITRE TI. porrua DES VUES DIVERSES ÉMISES SUR LES RAPPORTS ET LA CLAS- SIFICATION DES CONNAISSANCES HUMAINES., SOMMAIRE. — I. Résumé historique. — If. Arbres encyclopédiques , et autres images ou représentations graphiques. — II, Considérations diverses sur lesquelles peut être fondée la classification des connaissances humaines., Diversité de source. Diversité de but, Diver- sité d'objet. La conception de la science fondamentalement une $ secondairement multiple, est, en elle-même et en termes généraux, d’un accès facile à notre esprit. La coordination des sciences partielles, la détermination rationnelle de leurs véritables rapports, de leurs affinités, de leurs dé- pendances mutuelles, de leur enchainement logique , constitue , au contraire, l’un des problèmes les plus diffi- ciles que puisse se proposer l'intelligence humaine. D'une part, comme on vient de le voir, impossibilité de fixer d’une manière complétement rigoureuse le nombre et les limites des divisions et subdivisions formées dans un tout essentiellement un. De lautre, complexité extrême des rapports qui existent entre les divisions et subdivi- Sions : les uns, directs, immédiats et de simple subordi- nation; les autres, et c’est le plus grand nombre, indi- rects, médiats, par enchainement collatéral, ou même diversement entrecroisés et récurrents. + Es 42 air ; S4 + $ # # i k t 3 $ k E TR 182 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. Il, Prétendre à l'expression exacte et complète d’une telle suite, OU, pour mieux dire, d’un tel réseau de rapports, serait chimérique. Obtenir une solution approchée, nous est au contraire possible, et dès lors nécessaire ; car nous avons besoin de savoir tout ce que nous pouvons savoir. La mathésiologie (4) a done sa place marquée dans ce cercle des sciences, dans cette encyclopédie (2) dont il lui appartient de tracer le plan. On attribue généralement à Aristote l'honneur d’avoir le premier, ce sont les expressions mêmes de Cuvier (3), soumis le grand tout à plusieurs divisions importantes. C’est, en effet, de la Métaphysique (h) que date la pre- (4) J'ai cru devoir admettre le mot Mathésiologie et ses dérivés, mots peu usités encore, mais nécessaires à la langue philosophique, dans laquelle Ampère les a introduits en 1834. (Voy. son célèbre Essai sur la philosophie des sciences, t. I, Préface, p. xxxvj). La mathésiologie traite des rapports et de la classification des connaissances humaines, et, ajoute Ampère, des lois qu’on doit suivre dans leur étude ou leur enseignement. il est singulier que cette science des sciences, selon Ampère, ne figure nulle part dans le tableau des 224 sciences de- premier, de second et de troisième ordre que l'illustre physicien a cru devoir dis- tinguer, dénommer et classer dans les Tableaux synoptiques, placés à la fin du volume plus haut cité. | (2) Les anciens prenaient déjà le mot Encyclopédie, Èyzuziorað eio, par une extension très naturelle de son sens principal, dans l'accep- tion où nous l’employons aujourd’hui : le cercle des connaissances humaines. Je citerai, par exemple, le passage suivant de Prine dans sa Lettre dédicatoire (en tète du livre 1“ des Historiæ mundi): « Jam » omnia attingenda quæ Græci tas yxuxiomadeias vocant, el tamen » ignota , aut incerta ingeniis facta; alia vero ita multis prodita, ut » in fastidium sint adducta. » (3) Histoire des sciences naturelles; cours du Collége de France, recueilli et publié par M. MAGDELEINE DE SAINT-AGY, t: l, p. 151; 1844. (4) Voyez surtout les livres VI à XI. — Parmi les historiens de la Ed VUES DES AUTEURS. 183 ~ mière distinction logique, dans la science une, des prin- _Cipales sciences partielles; mais l’idée féconde qu’a dé- veloppée Aristote se retrouve, et déjà avec de premiers essais d'application, avant lui chez Platon (4), et avant Platon chez Pythagore, ou du moins chez lés premiers pythagoriciens (2) ; car, dans obscurité où reste plongée l’histoire de l’école italique, on ne saurait discerner ce qui appartient au maître, des développements ajoutés à sa doc- trine par ses disciples immédiats. Toujours est-il qu’à l'é- poque même où nous voyons commencer la philosophie, la géométrie, l'astronomie, la médecine, nous trouvons aussi les premières tentatives pour coordonner ces sciences nais- santes : les pythagoriciens ébauchent déjà l'encyclopédie. Le moyen âge, les temps modernes, l’époque contem- poraine, ont, comme l'antiquité, donné leurs solutions: tour à tour admises, modifiées, rejetées, en partie reprises : œu- vres pour la plupart des espritsles plus puissants des siècles où elles ont paru: Albert le Grand et son élève saint Tho- mas d'Aquin; Bacon, nom illustre auquel j'associerai celui, presque toujours omis, d’un obscur devancier, Savigny (3); plus près de nous, Descartes, Leibniz , Philosophie qui ont analysé et commenté Aristote, on consultera utile- ment : DEGÉRANDO, Histoire comparée des systèmes de philosophie; 2° édit., Paris, 1822, t. II, p. 329. — RAVAISSON, Essai sur la méta- Physique d'Aristote, t. I, 4837; liv. Il, chap. 1m, p. 244 à 266. —- PiërRON et Zévort, traduction annotée de la Métaphysique, t. 1, 1840; voy. la note de la p. 210.—RENOUVIER, Manuel de philosophie ancienne, t. II, p. 106 à 136 ; 1844. $ (1) DEGÉRANDO, loc. cit., p. 255, et RAVAISSON, loc. cit., P- 244. (2) RENOUVIER, loc. cit., t. I, p. 269, et surtout p. 197. (3) Christofle de Savieny, auteur d’un ouvrage intitulé : Tableaux EEE EOIR ADR 23 1e Pere 184 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. H. Wolf, D'Alembert, Diderot; etde nos jours, Ampère et De Candolle. On voit déjà que la conception de la science une et multiple ne reparaît pas moins souvent dans l'histoire de l'esprit humain qu’elle s’y est anciennement produite. II. Pour exprimer l'unité, la diversité harmonique, les doubles rapports des connaissances humaines, Aristote les avait classées, divisant l’ensemble en parties qu'il subdivisait ensuite, selon la méthode dont lui-même a introduit l’usage en Histoire naturelle, et qui nous est devenue à tous si familière. Son exemple a été suivi par la plupart des auteurs, dont les conceptions, conformes ou non au plan tracé par Aristote, sont encore des classi- fications comparables à celles des naturalistes. accomplis de tous les arts libéraux, Paris, 1587, in-folio; et 2° édit., avec les mêmes tableaux etquelques différences et additions dans leur explication, Paris, 1619, in-fol. Cet ouvrage se compose d’une suite de tableaux synoptiques, presque toujours dichotomiques, avec texte explicatif. Le premier, dont tous les autres sont des développements, porte ce titre remarquable : Encyclopédie, ou la suite et liaison de tous les arts et sciences. Par quelques unes des vues qu’il indique, Savigny peut être regardé comme le devancier de Bacon ; il est en même temps celui de Diderot par la forme sous laquelle il les présente. M. Ferdinand Denis se propose de publier très prochainement une notice sur ce curieux ouvrage, très peu connu jusqu'à ce jour, et de rendre enfin à son auteur la place qui lui appartient dans l'histoire de la mathésiologie. C’est à M. Denis que j'ai dû la commu- nication des deux éditions des Tableaux accomplis. VUES DES AUTEURS, 185 Il est des auteurs qui ont revêtu leurs vues de formes très différentes. Plusieurs ont eu recours à des ima- ges, constructions ou représentations graphiques, pro- pres à rendre sensibles, soit les rapports des sciences partielles, soit surtout l'unité fondamentale et la diversité Secondaire des connaissances humaines. C’est ainsi que les sciences, ou, plus généralement, les connaissances humaines, ont été représentées chez les Grecs par uñ cercle et ses rayons, image souvent reprise dans le moyen âge et dans les temps modernes, admise tout récemment encore par MM. de Blainville et Maupied (4), et d’où nous est venu le mot Encyclopédie (2); comparées par Saint Thomas d'Aquin (3) à la Société politique et aux divers individus qui la composent, à ses membres, tous concourant à une œuvre commune; assimilées à un arbre, sans remonter jusqu'à Raymond Lulle (4), par (1) Histoire des sciences de l’organisation, 1845. — Voy. particu- lièrement l'Introduction, t I, p. xiij, le tableau qui y est annexé, et ` le Résumé général, t. WI, p. 519. Voy. même vol. sP 340. (2) Voyez p. 482, note 2. (5) Selon Tillustre auteur de la Somme, toutes les sciences ont un Principe régulateur commun, et tendent harmoniquement vers le même but. Les vues de saint Thomas, difficiles à suivre dans la vaste encyclo- pédie théologique et philosophique que l’on doit à l’Ange de l'école, Ont été, entre autres ouvrages, très bien résumées par MM. les abbés DE SALINIS et DE SCORBIAC, dans leur Précis de l’histoire de la phi- losophie, 1835, in-8, p. 261. | (4) Voyez Arbor scientiæ, ou scientie, comme il est écrit dans des éditions espagnoles très anciennes; par exemple, dans l’édi- tion in-fol. de Barcelone , 1505, où se trouvent figurés, non seulement l'arbre général (generalis) de la science, mais aussi les seize arbres spéciaux (speciales), tels que l'arbre des éléments (ele- 1. 12 SR Ecrit E T vélo Un a D Sr» 186 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. H. Bacon (4), par Descartes (2), et surtout par D’Alem- bert et Diderot (3), qui ont suivi l'arbre encyclopé- dique jusque dans ses rameaux ; conception tant de fois reproduite, depuis deux siècles, que les termes qui en dérivent ont fini par passer, de la langue philoso- phique, jusque dans le langage vulgaire. Après ces mentalis), l'arbre végétal et l'arbre de l'humanité (humanalis), etc. Selon Raymond Lulle, les racines de l'arbor scientiæ sont les prin- cipes généraux; le tronc estle chaos: les branches (branchæ) et les ra- meaux (rami) sont les éléments simples et composés, etc., et les fruits, les corps élémentés et individualisés (elementata et individuata). On voit que nul n’a poursuivi plus loin, n’a plus développé que ne l’a fait Lulle dès le xme siècle, cette conception d’un arbre de la science ou des sciences qui a eu tant de succès parmi les mo- dernes; etil y a tout lieu de penser que Bacon, et tous les auteurs venus ensuite, procèdent, quant à l’idée générale, du célèbre philo- sophe espagnol. Mais on voit aussi, par ce qui précède, que l'arbor scientiæ, expression plus curieuse qu'instructive des vues métaphy- siques de cette époque, diffère beaucoup au fond, tout en lui res- semblant pour la forme, de ce qu'on a appelé depuis l'arbre ency- clopédique des sciences; et c'est pourquoi, en rappelant la conception de Raymond Lulle, je ne fais pas remonter jusqu’à lui la construction de cet arbre. (1) De dignitate et augmentis scientiarum , lib, HE, cap. 1. (2) Principes de philosophie, Préface; édition des œuvres philoso- phiques par M. GARNIER, t. I, p. 192. On trouvera cité plus bas, p. 000, le passage auquel se rapporte cette indication. (3) D'ALEMBERT, Encyclopédie ; Discours préliminaire, t. 1, p. xv et suiv. de l'édition in-fol. de 4754. > DinEROT, même Encyclopédie; Système figuré des connaissances humaines (tableau synoptique), et Explication détaillée de ce sys- tème, à la suite du Discours préliminaire, p. xlvij à 1j. D'Alembert est généralement cité comme le seul auteur du célèbre travail sur l'arbre encyclopédique ou arbre généalogique des sciences, et plus généralement sur les rapports et la classification des connais- að VUES DES AUTEURS. 187 ingénieuses images, on pouvait assurément se dis- penser d'en inventer de nouvelles. Nous voyons cepen- dant les connaissances humaines comparées encore, d’une part, aux faces diverses d’une pyramide (4), de l’autre, aux allées multiples et entrecroisées d’un laby- rinthe (2). Expressions beaucoup moins heureuses que Sances humaines, qui se trouve en tête de la grande Encyclopédie A ne consulter que l Encyclopédie elle-même, il est difficile de détermi- ner la part qui revient à Diderot dans ce travail, et de Ià l'erreur qui à fait si généralement attribuer à D'Alembert seul une conception qui est en réalité commune à D'Alembert et à Diderot, et qui même semble appartenir plus encore à Diderot qu'à son ami. D’Alem- bert lui-même la dit expressément dans ses Mélanges de littéra- ture, d'histoire et de philosophie, Amsterdam, 1759, en insérant dans ce recueil son Discours préliminaire. — Voy. l'Avertissement, p. 8, Où se trouve cette phrase, textuellement reproduite dans les Œuvres philosophiques , historiques et littéraires de D'ALEMBERT, Paris, 1805, BR. TI : ; « C’est à lui (Diderot) qu'appartient aussi la table ou le système » figuré des connaissances humaines et l’explication de cette table. » J'ai joint de son aveu l’une et l’autre au discours, parce qu’elles ne » forment proprement avec lui qu’un même corps. » ` Après une déclaration aussi formelle, comment se peut-il qu’il soit encore nécessaire, après un siècle, de rétablir Ja vérité sur ce point important de l’histoire de la science et de la philosophie? (1) Bacon serait aussi le premier auteur de cette image, selon BLAIN- VILLE et MAUPIED, loc. cit., t. I, p. 339. Je lai en vain cherchée dans les ouvrages du philosophe anglais. (2) Image employée par l’un des commentateurs de Bacon, qui semble la lui emprunter. C’est la moins satisfaisante de toutes celles qui ont été proposées. L'auteur qui donne cette image se sera sans doute rappelé cette Phrase, où l’ensemble des connaissances humaines est en effet comparé à un labyrinthe, mais en attendant une image plus juste qu’on trouve dès la page suivante: 188 PROLÉGOMÈNES, LIV, 1, CHAP. 1. celles de saint Thomas d’Aquin, de Bacon, de Descartes, de D'Alembert, de Diderot, aussitôt oubliées que produites par leurs auteurs, et que je ne mentionnerais pas ici, sans. le désir de compléter ce résumé des efforts successivement faits pour représenter les doubles rapports des connais- sances humaines. - Entre toutes ces comparaisons et représentations gra- phiques, successivement proposées, et celles que l’on pourrait imaginer encore, les plus imparfaites s’arrètent à une expression générale et vague de l’unité fondamentale et de la diversité secondaire des connaissances humaines ; d’autres, plus heureuses, peuvent indiquer, en outre, la dépendance réciproque des sciences, leurs rapports, si complexes qu’ils puissent être, et la réaction nécessaire des progrès de l’une sur les autres et sur l’ensemble. Ces der- nières comparaisons ou représentations graphiques, phi- losophiquement très supérieures, sont en même temps les seules qui aient quelque valeur pratique, et encore est-elle très restreinte. Je n’excepte pas la conception tant célébrée de l'arbre philosophique des sciences ou arbre encyclo- pédique ; non que je ne reconnaisse dans cet arbre, tel que lont tracé D’Alembert etDiderot, et surtout tel qu'on pour- rait le tracer aujourd’hui, tous les avantages que peut «Le système général des sciences et arts est une espèce de laby- » rinthe, de chemin tortueux où l'esprit s'engage sans trop connaître » la route qu’il doit tenir. » Cette phrase n’est pas de Bacon, mais de D'ALEMBERT, Encyclopé- die, loc. cit., p. Xiv. La même image est reprise par lui, p. xv. Mais dans cette même page, D’Alembert y substitue celle qu'il adopte défi- pitivement, l'arbre encyclopédique. ARBRE ENCYCLOPÉDIQUE. 189 offrir une classification ; mais parce qu’il en présente, avec tous les avantages, toutes les difficultés, n'étant, à bien dire, que la classification elle-même mise sous une forme particulière , ou mieux, que le plan figuratif d’une classi- fication, facilement réductible à la forme ordinaire. Et l’on se tromperait beaucoup en supposant qu’en chan- geant la forme, on simplifie, au fond , la question. Il n’est pas une construction, une représentation graphique qui ait ce pouvoir. Qu'il s'agisse de divisions et de subdivi- sions à établir à la manière des naturalistes, ou des bran- ches principales ou secondaires d’un arbre, ou encore des rayons d’un cercle, ou des faces d’une pyramide, ou des parties de tout autre ensemble, il faut toujours en venir à déterminer le nombre de ces divisions, de ces branches, de ces rayons, de ces faces, de ces parties, quelque nom qu'on veuille leur donner, et à découvrir et démontrer les relations qu’elles ont entre elles ou quiles rattachent à len- semble; problème identique dont, seulement, les données sont diversement traduites. A ce point de vue, l'arbre encyclopédique perd beaucoup de l'importance qu’on lui a souvent attribuée : ce n’est pas, au fond, une solution, c’est seulement la forme d’une solution, ou si l’on veut, sa formule ; formule qui est d’ailleurs également applicable à des solutions très différentes. L'arbre encyclopédique de D'Alembert et de Diderot n’est déjà plus celui de Bacon ; il n’est nullement celui de Descartes ; et surtout Cest une construction très différente que voudrait aujour- d’hui la science. | Mais cette formule n’en aura pas moins laissé une trace profonde dans l’histoire de la philosophie. C'est OP PT ER e En NE A 3 0 er 190 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. N. par elle surtout, par les citations, les commentaires, les développements sans nombre dont elle a été le texte depuis deux siècles, qu'uneidée abstraite, d’un ordre élevé, d’un accès difficile, celle de l'unité fondamentale du savoir humain et de ses diversités secondaires, a fini par passer dans tous les esprits éclairés. La fraternité des Muses était, pour les anciens, une allégorie dont les philosophes seuls pénétraient le sens caché. La fraternité des sciences est aujourd’hui une vérité généralement comprise et accep- tée sous cet emblème : le tronc commun et les branches diverses des connaissances humaines. I, On vient de voir que les classifications proprement dites, et les arbres encyclopédiques ou autres représenta- tions analogues, ne se distinguent que par des différences secondaires et, pour ainsi dire, tout extérieures. L'étude comparative des nombreuses solutions proposées par les auteurs conduit, au contraire, à établir parmi elles trois catégories séparées par des différences réelles et impor- tantes ; différences non plus seulement de forme, mais de fond; car elles résultent de la diversité essentielle des considérations sur lesquelles on a fondé la distinction de nos Connaissances et leur répartition en groupes princi- paux. | Ces considérations peuvent être tirées, en premier lieu, de la diversité des facultés par lesquelles il nous est donné de connaître, des procédés que nous appliquons à la CLASSIFICATIONS MATHÉSIOLOGIQUES. 494 recherche de la vérité, des sources où nous puisons nos connaissances. | Elles peuvent l'être aussi de la diversité des buts, en vue desquels nous sentons le besoin de connaître. C'est, pour ainsi dire, la considération du point d'arrivée, substituée ici à celle du point de départ. | | Elles peuvent l'être, enfin, de la diversité même des objets de nos connaissances, quels que soient le but que nous nous proposions en les acquérant et les facultés ou les procédés par lesquels nous puissions les obtenir. Ainsi, à un premier point de vue, diversité de source ; à un second, diversité de but; à un troisième, diversité d'objet. l | C’est au premier point de vue que les connaissances humaines ont été si souvent distinguées en sciences ration- nelles et expérimentales, et, depuis deux siècles, en sciences de mémoire, d'imagination et de raison. Au second, elles Tont été, dès les temps les plus an- ciens, en théoriques ou spéculatives et appliquées ou pratiques (À). | Au troisième correspond la distinction, si ancienne aussi, en sciences de Dieu, de l’homme et de la nature. C’est au premier point de vue que s’est surtout placé Bacon (2), qui tient compte, secondairement, des deux der- niers. Le troisième est celui qu'il sabordonne aux autres. (4) I importe deremarquer que ces mots, sisouvent reproduits dans la Métaphysique d'ARISTOTE, n'ont pas entièrement, dans cet admi- rable livre, le même sens que dans les ouvrages modernes. —Voyez plus bas p. 192, notes. (2) Voyez le chapitre IV. 2 ns AO m iara . Mn AL te 61 si ji 2 i nr TS a sis ss é à amer 14 mr a — mana 192 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. H. Descartes (4) a fait l'inverse : la conception encyclopé- dique qu'on lui doit, et qui n’est pas, à proprement parler, une classification, mais d'où une classifica- tion peut être facilement déduite, est essentiellement objective. Tous deux se Sont ainsi considérablement éloignés d'Aristote dont la classification mathésiologique est, en grande partie, fondée sur le second point de vue (2). Les deux autres sont d’ailleurs loin d’avoir été négligées par ce grand homme; sa classification, est, en réalité, mixte (3). Parmi les auteurs plus modernes, la plupart ont accordé la prééminence, comme Descartes, au troisième point de vue; quelques autres, comme Bacon, au premier; quel- ques uns aussi, au second. iŒ) Voyez le chapitre V. (2) « Toute conception intellectuelle a en vue, ou la pratique, ou la » création, ou la théorie, » dit ARISTOTE, Métaphysique, liv. VI, 1; trad. de MM. PIERRON et Zévorr, t. I, p. 240. D'où la célèbre classification des connaissances humaines en sciences pratiques ( Rpaxrux ), poé- tiques ou mieux créatrices (mowmrwr) et spéculatives ou théoriques (Bewpnrwr). Les premières sont pour Aristote, la politique, l'économie et la morale; les secondes, les lettres et les beaux-arts ; les dernières, la théologie et les sciences mathématiques et physiques. (5) Voyez les développements donnés par ARISTOTE, locis cit. M. RAVAISSON, Essai sur la métaphysique d’Arisiote , p. 250, a donné des vues de l'auteur un excellent résumé que sa concision me . permet de reproduire ici : « Les sciences poétiques et pratiques ont pour objet ce qui peut être » autrement qu'il n’est, et qui, par conséquent, dépend plus ou moins » de la volonté. Les sciences spéculatives ont pour objet ce qui » est nécessaire, au moins dans ses principes, et que la volonté ne » peut pas changer. » La comparaison et l'appréciation des principales classi- fications mathésiologiques, et des vues sur lesquelles on les a fondées, seront les objets des trois chapitres qui vont suivre (1). J’énoncerai à l'avance le résultat auquel nous Le s’est engagé le plus grand nombre est aussi la plus ration- P nelle. Entre toutes ces projections diverses par les- quelles, dit D'Alembert (2), on essaie de représenter les rapports des sciences, et dont chacune, ajoute-t-il, a des avantages particuliers, les divisions établies au point de vue objectif sont, incontestablement, celles qui en offrent le plus, et de l'ordre le plus élevé. (1) On y trouvera, soit analysées où mentionnées dans le texte, soit Citées dans les notes, les classifications mathésiologiques successive- ment proposées par un grand nombre d'auteurs français et étrangers. Comme complément de ces indications, en ce qui concerne l'Allemagne, Sa je renvoie à l’Allgemeines Handwærterbuch der philosophischen Wis- senschaften deKruG, article Wissenschaft, t. IV de la seconde édition publiée en 1834. (2) Discours préliminaire de l'Encyclopédie, loc. cit. CLASSIFICATIONS MATHÉSIOLOCIQUES. 193 allons être conduits , en disant que la voie dans laquelle ms pee $ CHAPITRE IM. + DE LA CLASSIFICATION DES CONNAISSANCES HUMAINES ` D'APRÈS LA DIVERSITÉ DES BUTS OU ELLES TENDENT. SOMMAIRE. — I. Double but des connaissances humaines. Sciences théoriques ou spéculativés. Sciences appliquées ou pratiques. — IT. La classification ne peut être fondée sur la diversité des buts où tendent nos connaissances. Classifications de MM. d'Omalius d'Halloy et Gerdy. , i Si l’homme , dans les efforts qu'il ne cesse de faire pour étendre ses connaissances, se proposait seulement d'ajouter à son bien-être ; s’il lui suffisait, comme on l’a dit récemment encore, de se procurer de nouveaux avantages et de nouveaux plaisirs, il n’existerait, il ne saurait exister que des sciences pratiques ou appliquées, et des arts. Les vérités purement spéculatives devraient être délaissées, ou si elles étaient recherchées, c’est par la prévision des conséquences directement utiles qui pour- raient un jour en être déduites (4). (4) BLAINVILLE, dans son Histoire des sciences de l’organisation (publiée en commun avec M. MAUPIED) reproche à Cuvier (voy. t. HE, p. 374) d’avoir lui-même posé à la science un but purement matériel, et d’avoir omis le terme philosophique et moral. Il est éga- lement juste de dire que Cuvier ne mérite pas ce reproche dans toute ! i e y CU NE EEA à AE Ed nine ré croco cn : 196 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. UI. Si, au contraire, il est, dans la nature de l’homme, d'aimer et de rechercher la vérité pour elle-même, si c’est aussi bien un besoin de notre intelligence de savoir que d'agir et de faire (4), il existe deux classes de vérités, et par conséquent deux ordres de sciences : les vérités théoriques et les vérités pratiques ; les sciences spécula- tives et les sciences d’application. Bossuet, qui s'inspire ici d'Aristote, définit les sciences appliquées ou pratiques, celles qui tendent à l’action (2). | À la rigueur, nos connaissances théoriques conduisent elles-mêmes à l’action, et si toutes les sciences aboutis- sent philosophiquement à Dieu lui-même, il est vrai de dire qu’elles ont toutes aussi, pour terme matériel, le bien-être de l’homme. Tel fait qui ne semble que curieux, telle vérité abstraite qui, pendant des siècles peut-être, n'intéressera que le philosophe, est le premier pas vers une application déstinée à devenir pour l’humanité un véritable bienfait., Pensée déjà souvent exprimée, et qui sa rigueur, mais qu'il ne luiéchappe pas complétement. Il n’a pas mé- connu, mais il a trop laissé dans l'ombre le terme philosophique et moral. (1) « Il y a trois modes possibles du développement d’un être intel- » ligent, dit Aristote : Savoir, agir et faire. » (RAVAISSON, Essai sur la métaphysique d’Aristote, t. 1, p. 250.) Voyez les notes de la page 192. (2) Connaissance de Dieu et de soi-méme, chap. I, Xv. Dans le passage auquel je renvoie ici, Bossuet non seulement suit de très près Aristote, mais ilen reproduit même en partie les expressions. On remarquera que Bossuet ne comprend sous le nom de sciences pratiques que la logique et la morale. Mais il est clair que sa définition est bien plus large que l'application qu'il en fait, | i A | yi | À | l : | j v A | f | E SER g le, Enn 11 f t A rS da $ L |: E- À f g F] ig i 1 £ 3 # L j j 7 H f |! 4 * L'un F De F E 18 2 E ns 1 Ut à 9 T TE f +: 3 | j | HE AN EEP 7 | | 4 D i | $ A E p gs f ji A ii i w | Eo E i CLASSIFICATIONS SUBJECTIVES DES SCIENCES. 497 l'a été surtout, à plusieurs reprises, et avec autant d’élo- quence que de justesse, par notre illustre Condorcet (1). Ces conséquences indirectes et éloignées des vérités - théoriques ne sauraient d’ailleurs ni leur ôter leur carac- tère propre, ni effacer les limites de tout temps reconnues entre les sciences appliquées ou pratiques et les sciences théoriques ; les unes, pour reprendre, en la modifiant légèrement, la définition de Bossuet, tendant direc- tement & l’action; les autres, comme le dit encor ce grand homme (2), s'attachant à la contem plation de la vérité pour elle-même. é Mais en admettant cette distinction si souvent repro- duite (3), devons-nous lui attribuer une valeur supérieure (1) « Toute découverte est un bienfait pour l'humanité », dit CoN- DORCET dans son Discours de réception. à l’Académie française ; « aucun système de vérités n’est stérile. » (Voy. OEuvres, édition de MM. CONDORCET O'CONNOR et ARAGO, t. I, p. 391.) On trouve plusieurs passages analogues dans les Éloges et dans l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain. C’est dans ce dernier ouvrage, Œuvres, f VI, p. 235, que Condorcet donne cet exemple, devenu célèbre par les nombreuses citations qui en ont été faites : « Le matelot qu'une exacte observation de longitude préserve du » naufrage doit la vie à une théorie qui, par une chaîne de vérités, » remonte à des découvertes faites dans l’école de Platon, et ensevelies » pendant vingt siècles dans une entière inutilité. » Dans tous les temps, ces vues de Condorcet seront aussi belles que justes. Peut-être ont-elles de plus aujourd’hui, comme au temps de leur immortel auteur, le mérite de l’à-propos. (2) Loc. cit. » | (3) Elle l’a été à toutes les époques de la science. Elle est admise, = par exemple, par ALBERT LE GRAND, aussi bien que par Bossuet. —Voy. entre autres passages, Metaphysicorum lib. 1, tract. I, cap. 1, et Politicorum Aristotelis commentarii, lib. I, c, 8. NE EE ee a . á - ; ki as A E AREE E \ PT Le ia Ts Tr 198 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP., MI. aux divisions que lon peut établir à d’autres points de vue ? Devons-nous en faire la base principale de la clas- sification des sciences ? Poser cette question, c’est presque l'avoir résolue, surtout si l’on ne se borne pas à l’énoncer en termes généraux. N’est-il pas évident que si la méca- nique pratique, la technologie, l'agriculture, la médecine, la morale, ont entre elles des affinités intimes, en tant que connaissances appliquées et immédiatement utiles, chacune d'elles en a, en même temps, de plus intimes encore avec la science théorique qui, à un autre point de vue, considère et étudie les mêmes objets? Affirmer le contraire, ce serait dire que la médecine a plus de prin- cipes communs avec la mécanique ou la technologie qu'avec la physiologie; que l’agriculture tient de plus près à la géométrie ou à la morale pratiques qu’à la con- naissance théorique des végétaux. Et de même de toutes les autres sciences d'application. Avant chacune, quelle qu'elle soit, il est une science ou un groupe de sciences théoriques dont elle dépend logiquement, dont elle forme une annexe ; plus encore : elle en est la suite immédiate, le développement dans une direction particulière (1), et, pour ainsi dire, selon une juste et ingénieuse pensée de Descartes, le fruit au bout de la branche (2). Et il serait aussi irrafionnel d’éloigner l'une de lautre, sans égard à (1) Je me place ici au point de vue logique. En réalité et histori- quement, les connaissances immédiatement utiles à l'homme ont sou- vent précédé les connaissances théoriques dont, logiquement, elles eussent dů être l'application. La pratique n’a pas moins fait pour la théorie que celle-ci pour la pratique. (2) Voyez plus bas, chap. V, p. 224. CLASSIFICATIONS SUBJECTIVES DES SCIENCES. . 499 L ; _ leur unité objective, que de ne tenir aucun compte de la diversité soit de leurs buts, soit des procédés auxquels elles recourent. | aih + kt On nie saurait admettre que les doubles rapports qui = relient, d’une part, toutes les sciences pratiques entre elles, = et de l’autre, chacune d'elles avec les connaissances ` théoriques dont elle dérive, aient échappé aux auteurs qui, de siècle en siècle, ont écrit sur la mathésiologie. Hest cependant de fait que, philosophes ou savants, tous, ~ jusqu'à ces derniers temps (1), en ont complétement négligé l'expression , peut-être pour l'avoir jugée trop difficile ou même impossible. On s’est presque toujours contenté, à l’exemple de D’Alembert et de Diderot dans le xvm“ siècle, et d’ Ampère lui-même dans le nôtre, d’inter- caler les sciences d'application, dèslors sanslienentreelles, # parmi les sciences théoriques, dont elles viennent ainsi in- terrompre à plusieurs reprises la série et briser l’enchaîne- ment naturel, Et si quelques savants, pour échapper à ce h, | double inconvénient, ont fondé la classification de nos con- naissances sur la diversité même des buts où elles tendent, ils n’y ont réussi qu’en sacrifiant , à leur tour, les rapports (4) M. CourNor, dans son Essai sur les fondements de nos con- naissances (2 vol. in-8), a fait une heureuse tentative sur laquelle t À je reviendrai plus bas. C’est la seule exception que je puisse citer, et elle est toute récente, L'ouvrage de M. Cournot a paru en dé- cembre 1851. à ; i P res n aiaa: iradi ù AA OSA a RR a a ECIN A TES A re 2 200 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. III. essentiels de chaque science appliquée avec la science théorique dont elle dérive. C’est ce qu’a fait, par exemple, Pun des savants les plus distingués de la Belgique, M. d’Omalius d'Halloy (4), lorsque, assignant à nos efforts intellectuels cinq buts distincts, il a distingué parmi les connaissances humaines cinq branches principales : les sciences de calcul, les sciences naturelles, les arts, les sciences sociales et la littérature. Il en est de même, et bien plus encore, de M. Gerdy (2), qui, sous les noms d'ontologie et de technologie, presque complétement détournés de leur acception ordinaire, admet deux classes de connaissances : l’une comprenant les sciences mathé- matiques et physiques, l’histoire et la théologie; l’autre, ce que l’auteurappelleles sciences des arts, c'est-à-dire toutes nos Connaissances appliquées ou pratiques. Par exemple, et dans l’ordre où elles sont ici énoncées, la politique, la morale, la médecine, l’agriculture, les sciences des arts chimiques et mécaniques, et enfin les mathé- matiques appliquées , dernier terme de cette même série mathésiologique qui commence par les mathématiques pures. | Je devais rappeler ici et analyser, au moins sommaire- (1) De la classification des connaissances humaines, dans les Nou- veaux Mémoires de l’Académie des sciences de Bruxelles, t. IX, 1835; - et Note additionnelle, ibid., t. XI, 1858.— On trouve un court résumé des vues de M. »’OmaLius D’HALLOY, en tête de son Introduction à la géologie, p. £ et suiv., 1853, et de son Précis élémentaire de géologie, p. 4 et2, 1843. Voyez la note 2 de la page suivante. (2) Article Science de l'Encyclopédie du dix-neuvième Siecle, te XXII, p. 422; 1844. f CLASSIFICATIONS SUBJECTIVES DES SCIENCES. 201 ment, ces deux classifications : la juste célébrité de leurs auteurs me le preserivait, et leur comparaison peut Qail- leurs ne pas être sans profit pour nous. A celle de M. Gerdy, on peut reprocher, comme chacun a pu s’en convaincre, des réunions hétérogènes, et par contre, des séparations contre nature, qui en rendent trop manifestement l'en- semble inacceptable (1). L'autre classification, celle de M. d’Omalius, est beaucoup plus satisfaisante ; mais com- ment l’auteur l’a-t1l rendue telle? Par l'abandon des bases qu'il vient lui-même de poser : il annonce qu’il va classer les sciences d’après leurs buts divers, et, en réalité, c’est d’après leurs diversités objectives que sont surtout établis plusieurs de ses groupes principaux : la branche des arts est peut-être la seule qui échappe complétement à cette observation (2). | D'où je suis en droit de conclure que M. Gerdy, arri- (1) En un mot, comme on dit en zoologie et en botanique, cette classification n’est nullement naturelle. k (2) Les mathématiques, dit le célèbre géologue belge, ont « pour but » dë calculer le nombre, l'étendue, le mouvement et la valeur des P oses. » Il est clair que les mathématiques atteignent ce but, mais qu'elles vont bien au delà; et c’est bien ainsi que l’entend en réalité l’auteur; car il réunit dans cette première branche toutes les con- naissances théoriques aussi bien que pratiques qui se rapportent au nombre et à l'étendue. i Les sciences sociales, dit plus bas l’auteur, ont pour but « de con- » naître l'état et les actes des sociétés humaines, et d'établir des règles » pour maintenir et améliorer ces sociétés. » Connaître, d'une part ; maintenir et améliorer, de l’autre, ne sont-ce pas là deux buts très distincts, l’un théorique, l’autre pratique? L'unité de cette branche west admissible qu’au point de vue objectif. La cinquième branche, celle de la littérature, peut donner lieu à de semblables remarques. L, 13, TM VATRO e adnet a S - = > Li MR TT CS Opens m graver 41 4 Py ZEN p: H Bf 4 E | | $ E TEE P Aa pac o i a i a RARE a ne Li se ee T à ti NME ë A a e c EE SE EN Sre mE raa Se z 5 RTRS Der | cé nr a RE 202 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. I. vant, en raison de son point de départ, àdes résultats très inférieurs à ceux que l’on devait attendre d’un savant aussi distingué, et M. d'Omalius d'Halloy , s’écartänt presque aussitôt, pour une voie meilleure, de celle qu'il venait de se tracer, justifient également, en fait et histo- riquement , ce qui a été tout à l'heure établi à un autre point de vue. La classification des connaissances humaines ne peut être fondée sur la diversité des buts qu’on s’y propose : on doit seulement en tenir compte à un point de vue secondaire (4). (1) Dans son Cours de philosophie positive, M. Auguste COMTE, dont la classification nous occupera plus tard, a admis, comme M. Gerdy, la division première des connaissances humaines en théoriques et pratiques ; mais il a seulement indiqué cette division, la classifi- cation des premières entrant seule dans son plan. — Voy. plus bas, chap. V et VI. a op RER MG RE RS a a ne a r: TET CEEE D IE E E ges RÉ = 4 À | ! À į | n aii - LL ee = D VUV UNIL NASNAS IN UN VVNASAANANNSINSNNPSSIINISS NS SNS YNNNYNSYN CHAPITRE IV. DE LA CLASSIFICATION DES CONNAISSANCES HUMAINES D'APRÈS LA DIVERSITÉ DES SOURCES ET DES MÉTHODES DONT ELLES DÉRIVENT, SOMMAIRE. — I. Diversité des sources d'où émanent nos connaissances. Observation , expérience et témoignage; raisonnement et calcul. Faits et théories. — II. Sciences rationnelles. Sciences dites d'observation et d'expérience. — III. Classification de Bacon. Classification de D'Alembert et de Diderot. — IV. Classification de De Candolle. L h La diversité des sources d’où émanent nos connais- sances, des méthodes et procédés par lesquels nous les … Obtenons, peut-elle fournir à la classification une meilleure … base? … De même qu elles tendent vers: deux buts différents, mA ks connaissances nous viennent de deux sources très distinctes : d’une part, nos sens; de l’autre, notre enten- p dement, dont l’action est double, Il agit, comme disent les psychologistes, par la réflexion appliquée aux idées sen- sibles; en même temps, il se réfléchit, pour ainsi dire, sur lui-même : d’où, indépendamment de celles-ci et des idées intellectuelles qu'il en déduit, d’autres idées intel- lectuelles dont le principe est en lui-même. C’est ce que Descartes, Malebranche et Leibniz ont démontré après s$ á w a L > Ši Dei Y * 2 Fa 2 Re, de MT Der à Cahir A y à n á NPN da du à à LU z 5 ¥ j R D fe AP dise dar He LA A ARIE i Laj NR EA N > j vec hate sr dati?) ANS ES uki ET: a aa na PO D aa a = Pa EE RE COM Ta GAME a ENS A mx» 3 on Eco ET CE me SE a Tu SIRET ramaan sien Raa TR - ze Re y ~- k ‘1 ji | 4 d résolution des questions relatives aux nombres. 20/4. PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. IV. les Platoniciens, l’école d'Alexandrie et les Pères de l'Église; et ce serait peine inutile que de réfuter de nou- veau la vieille maxime péripatéticienne : Nihilest inintel- lectu quod non prius fuerit in sensu (1). Les notions que nous obtenons à l’aide de nos sens, ou, pour nous servir ici de termes depuis longtemps consacrés dans la langue philosophique, nos connaissances expé- rimentales, sontl’œuvre, tantôtdel observation ordinaire, qui est l'étude directe, et dans les conditions naturelles, du monde extérieur et de nous-mêmes; tantôt de l’expéri- mentation ou de l'expérience proprement dite, qui n’est que l'observation préparée et faite dans des conditions spéciales. Ajoutons que souvent le témoignage vient en aide à toutes deux ou les supplée, ajoutant aux résultats de notre propre expérience ceux de l'expérience d'autrui. Nos connaissances intellectuelles ou rationnelles peu- vent être de même subdivisées. Les unes, qu’elles aient ou non leur première origine dans notre entendement, sont obtenues et démontrées par le raisonnement ; les autres le sont par le calcul, qui n’est, selon la définition qu’on en donne dans tous les livres, que le raisonnement abrégé et généralisé (2). Le calcul se ramène ainsi, en dernière analyse, au raisonnement, comme l'expérience et le témoignage à l'observation. Les vérités auxquelles nous conduisent l'observation, l'expérience et le témoignage, sont ce qu'on nomme des (1) Ou: Omnis quæ in mente habetur idea, ortum ducit a sensibus. (GasseNDI, Institutiones logicæ, pars I, canon 11.) (2) A Taide, ajoutent les auteurs, de signes propres à faciliter 1a 5 r $ US, D CLASSIFICATIONS SUBJECTIVES DES SCIENCES. 205 = faits (A). Celles auxquelles on arrive par le raisonnement ou le calcul, simples aperçus de l'esprit, théorèmes, géné- _ralités, lois, principes ou notions de causalité, constituent dans leur ensemble les théories. Toutes ces distinctions entre les notions Fe dont se composent les sciences ne sauraient être contestées ; . mais les retrouvons-nous entre les sciences elles-mêmes? Et pouvons-nous, comme nous le ferions pour chacune des vérités élémentaires qui la constituent, rapporter chaque science à l’une des sources d’où dérivent nos connais- sances, à l’une des méthodes, à l’un des procédés dont nous disposons? Pouvons-nous la qualifier d’exclusivement tg + D UD RU E CS D aA ma: t, e rationnelle, expérimentale ou d'observation; la dire 7 purement théorique ou de faits, abstraite ou réelle (2)? 4 ; a ' a $ | | $ ENT A ES HATER i i x Hdi AAN # Les sciences rationnelles, abstraites, théoriques, ce # sont, par excellence, les mathématiques. Elles n'emprun- S A tent à lobservation, dit Ampère (3), que des notions de 13 0 D. grandeur ; et encore ajouterons-nous que si l'observation # 4 (4) « Fatto... risultamento di osservazione e sperienza », a très bien f ; dit MARTINI , Della necessita della metafisica nel-culto delle scienze i naturali, in-8, Paris (sans date), p. 18. Lo, Pr i ad (2) Ces dernières expressions sont celles dont se pe iaaii, 4 M Discours sur la manière d'étudier l'Histoire naturelle. Chacun sait que E ce discours forme l'introduction de l'Histoire naturelle. — Voy. t.I, i p.55, dans l'édit. in-4 de Pimprimerie royale. (3) Essai sur la philosophie des sciences, t. 1, 4884, p. 38, 61 et 71. i ~ : A pre De aoe - . ME p E AI T E T TO ee oiai E T EE TS o aeS T a RS E Dn a de da SE ai À co aa M Ste ds x à dim Bret DORE pei mag t apr merre 8 D RE a p a a t 206 PROLÉGOMÈNES, LIV, I, CHAP, IV, nous est ici une introductrice nécessaire, elle ne l’est qu’en raison de l'insuffisance de notre entendement. La surface, la ligne, le point géométriques, le nombre, toutes les gran- deurs mathématiques sont des êtres purement abstraits, imaginaires, et sur lesquels, puisqu'ils n’ont aucune exis- tence en dehors de notre esprit, nos sens ne sauraient nul- lement avoir prise. Pourtant, c’est par euxquenous arrivons à les concevoir, extrayant en quelque sorte la notion abs- traite de ces entités, des notions concrètes que nous rend familières l'observation des êtres réels, c'est-à-dire de nous-mêmes et du monde extérieur (4). C’est pourquoi, comme on l’a fort justement remarqué (2), la géométrie elle-même a été d’abord et pendant longtemps entachée d’empirisme: elle a été d’abord inductive (3); elle l’est encore, pour chacun de nous, à l’origine de nos études. Et ce qui est vrai de cette science, l’est aussi, non seulement de la mécanique, mais de l’arithmétique elle-même : l'ob- servation est intervenue à l’origine, et elle intervient 5 pour chacun de nous, dans ces sciences qui, à ne consi- (1) Parmi les ouvrages où il est traité de l’origine denosidées mathé- matiques, voyez lexcellente dissertation de FRIBAULT, Sur la méta- physique de la géométrie, insérée dans les Fragments philosophiques de M. Cousin, t. I, p. 257 ; 1826. On consultera aussi avec beaucoup d’intérèt sur ce sujet: Ré- MUSAT, Essais de philosophie, t. 1, p. 288. — JAVARY, De la certitude, p- 149; 4847. — Henri Th. Martis, Philosophie spiritualiste de la nature, t. I, p. 108 et suiv.; 4849. (2) JAVARY, loc. cit., p. 150. | (8) Inductif et déductif. Ces termes philosophiques qui ont depuis longtemps cours dans la langue anglaise (voy. WnEweLz,, History of the inductive sciences, t. I, Introduction, 1837, et 2° édit , 1847), sont pour la nôtre de très utiles acquisitions. uw à CLASSIFICATIONS SUBJECTIVES DES SCIENCES. 207 dérer que leur nature, eussent pu être créées aussi bien que développées par notre entendement. Si nous ne pouvons donner, sans quelques restrictions, le nom de sciences exclusivement rationnelles aux mathé- matiques elles-mêmes, si distinctes objectivement par la nature des vérités qu’elles considèrent, comment pour- rions-nous admettre Ja division, si souvent reproduite, des autres branches des connaissances humaines, des sciences réelles, comme les appelle Buffon (4), en | sciences expérimentales proprement dites et sciences d'observation ? L'expérience et l'observation ordinaire se ramenant à une seule et même méthode générale, la méthode dite expérimentale, il est manifeste que ces deux groupes ne sauraient avoir logiquement, fussent-ils bien distincts, qu'une valeur secondaire. Mais, de plus, comment les dis- tinguer? Où placer la limite entre les sciences de simple observation et d'expérience ? Il est facile de reconnaître que la méthode expérimentale est presque toujours appli- Cable à la même science sous ses deux formes, ou, si l'on veut, par ses deux procédés, l’un d'eux, seulement, y étant d’un usage habituel, l’autre plus rarement employé, et à ce titre plus ou moins accessoire. | Les sciences où l’on expérimente le-plus sont donc aussi des sciences d'observation ; et celles qui recourent le plus généralement à l'observation s’aident souvent d’expé- riences. Que seraient les premières, si elles ne tenaient compte des phénomènes qui se produisent d'eux-mêmes (4) Loc, cit. 208 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. IV. dans la nature ? L'explication de ces phénomènes, la dé- couverte de leurs lois n'est-elle pas le but principal de l’expérimentation? Et que dirait-on d’un chimiste ou d’un physicien pour lequel le monde finirait aux portes de son laboratoire? A l'inverse , si le zoologiste, si le botaniste étudie surtout la nature, telle qu’elle se présente à lui, s’il n’agit et ne peut agir que sur une partie relativement très petite des êtres innombrables qu'il doit connaître, com- ment renoncerait-il à éclairer , par les expériences qu’il peut faire du moins sur quelques uns, les observations qu’il fait sur tous? La botanique, la zoologie, sont donc aussi expérimentales; et est-il besoin de dire qu’elles le sont souvent aussi heureusement que la physique et la chimie elles-mêmes? Où trouver des expériences plus ingénieuses que celles de Spallanzani et de Duhamel sur une multitude de questions; plus merveilleuses que celles de Trembley sur l’hydre ; plus utiles que celles de Dau- benton sur les races ovines ; de plus de portée que celles de Charles Bell sur les cordons de la moelle épinière; plus délicates, plus scientifiquement dirigées, plus décisives que tant d’autres exécutées par les émules de ces illustres naturalistes, et de nos jours, par leurs successeurs non moins habiles et toujours de plus en plus nombreux? Les uns déterminent les fonctions de nos organes, et de ceux des animaux et des végétaux, avec une précision et une rigueur qu'on eût pu croire impossibles en physiologie. D’autres s’éclairent de l’expérience pour résoudre des ques- tions relatives aux instincts et aux mœurs des animaux, ou l’appliquent à la détermination des espèces zoologiques et botaniques; parties de la science où il semblait que l'ob- . CLASSIFICATIONS SUBIECTIVES DES SCIENCES. 209 servation dût à jamais régner seule. D’autres encore, par lerégime, par l’action des circonstances extérieures, ou en- core par descroisements, modifient les individus, les races, les espèces, soit dans un but pratique, soit, théorique- ment, pour remonter , par les variations produites sous nos yeux, à celles qui ont pu se produire anciennement dans la nature. Travaux après lesquels on est en droit de dire qu'il n’est point de branche de notre science où l ex- périmentation ne puisse intervenir utilement, et qu ‘il en est où déjà elle marche de pair avec l'observation, Et ainsi se trouve justifiée, après deux siècles, l’admirable prévision de Bacon, lorsque, imaginant, dans sa Nova Atlantis, une ville, un peuple pour lesquels sont réalisés les vœux qu'il forme pour toutes les villes et pour tous les peuples, il fait parler ainsi l’un des sages de son idéale Bensalem : «TI nous arrive de retrancher quelques parties » pour les voir renaître, de tenter la métamorphose de » plusieurs autres, de rechercher enfin ce qui diffé- » rencie la forme, la couleur et même les dispositions » naturelles des espèces; car nos vues s'étendent jusqu’à » les faire varier elles-mêmes, seul moyen de com- » prendre comment elles se sont diversifiées et multi- » pliées (1)! » (1) Je reproduis ici ce passage comme on l'a souvent cité, C'est-à+ dire en en donnant, non une traduction, mais un simple extrait. Le texte est plus explicite sur quelques points, beaucoup moins sur d'au- tres. — Voy. The works of F. BACON, édition de Londres, 1778, t. V, p- 492 et 493. Je reviendrai ailleurs &ur ce passage qui est, à plusieurs entah, d’une grande importance. i; S Â4 «p En net — sui —. - Pre D LÉ db D — | ASE OR ao a ans se ee Ce LE OT me cran otre haine 210 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP, IV. Est-ilmaintenant besoin de le dire? l'ancienne distinction des sciences expérimentales et d'observation fùt-elle pré- sentement admissible, rien ne prouve qu’elle dût l'être tou- jours. Elle n’exprime, en effet, rien qui soit inhérent à ces sciences, mais seulement la diversité dés procédés aux- quels elles recourent dans leur état actuel et passager, el indépendamment de l'intervention ultérieurement possible d’autres moyens d'investigation. Cuvier pouvait, à la rigueur, il y a trente-cinq ans, par opposition aux sciences de raisonnement et de calcul, dire de la Chimie et de l'Histoire naturelle , que lune est une science toute d'ex- périence, l’autre toute d'observation (À) : qui voudrait aujourd’hui leur attribuer des méthodes aussi exclusives ? L'une expérimente et observe, l’autre observe et expéri- mente; et toutes deux, les faits ainsi constatés, les relient, quelquefois par le calcul, toujours par le raisonnement : car, dans les sciences, dit un célèbre chimiste contempo- rain (2), la raison est partout, dominant dans les ma- thématiques pures; ailleurs, subordonnée à l'observation et souvent à l'expérience qui la précèdent et lui ouvrent la voie. | (1) L'illustre zoologiste reconnaissait d’ailleurs et indiquait clai- rement qu'il n’en serait pas toujours ainsi. « La Chimie, dit-il, est » encore une science toute d'expérience; l'Histoire naturelle restera » longtemps, dans.un grand nombre de ses parties, une science toute » d'observation. » — Voy. Cuviær, Règne animal , t. I, p. 5, soit dans Ja première édition, soit dans la seconde, où ce passage a été identique- ment reproduit, malgré tous les progrès alors accomplis; circonstance très digne de remarque, en raison des doctrines professées par l’auteur dans la seconde partie de sa vie. — Voy. liv. I, chap. H, sect. Iu. (2) CHEVREUL, Discours d'ouverture de la séance annuelle des eing Académies pour 1839, p. 13. ma CONCEPTION ENCYCLOPÉDIQUE DE BACON. 2A LB” Da Hi. L'analyse des conceptions mathésiologiques fondées sur la diversité de nos moyens de connaître confirme t pleinement les considérations qui précèdent. Il en est d'elles comme des classifications basées sur la diversité des buts vers lesquels tendent nos connaissances : aucune n'a pu s'établir dans la science, et celles même qui y. avaient jeté le plus d'éclat n “ont plus de place que dans son histoire. ri å La plus importante, celle qui a exercé le plus d'in- | fluence sur le mouvement de la philosophie et de la L science, est la célèbre classification de Bacon (1). Toutes les autres ne sont même que des dérivés de celle-ci; celle de D’Alembert et de Diderot (2) n’en est, en grande « partie, qu’une simple modification. À | | La conception de Bacon se recommande, au premier aspect, par la rigueur apparente de la marche suivie par _ Pauteur. Il prélude à l'analyse de nos connaissances par celle de notre entendement, et c’est parce qu'il distingue _ (4) De dignitate et augmentis scientiarum, lib. II et II. La première édition de cet important ouvrage a paru en 1698. JE Les citations faites en français, dans la suite de ce chapitre, sont | empruntées à la traduction des OEuvres de BACON par LASALLE, . édit. de Dijon, 4800. (2) Enċyclopédie, discours préliminaire, édit. in-fol. de Wot tel, p. xy et suiv., pour D'ALEMBERT; et même volume, p. xlxvij et suiv. pour DiperoT. — Voy. la note 3 de la page 166. Je reproduirai plus bas (voy p p. 216) une partie du célèbre tableau s où Diderota figuré son système des connaissances humaines. w l e RTS I Re le ee ue w a me aan RA ia es Tra à 212 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. IV. trois facultés principales, la mémoire, l'imagination et la raison, qu'il reconnait trois sources (L)de connaissances, et trois genres, l’histoire, la poésie et la philosophie (2). La première est pour lui, non seulement l’histoire propre- ment dite, mais toutes les connaissances relatives aux in- dividus, toutes celles que nous acquérons par la voie de nos sens ; en un mot, et dans l’acception la plus large de ce mot, l'ensemble de nos connaissances expérimentales (3). La poésie, c’est la littérature, histoire feinte, imitation, par une sorte de jeu, des individus que l'observation nous a fait connaitre, et dont les images sont gravées dans notre mémoire. Enfin la philosophie embrasse toutes les notions extraites des premières impressions faites sur nos sens par ces mêmes individus ; notions que notre raison digère en les composant ou les divisant (h), et à l’aide des- (4) « Ex tribus his fontibus... tres emanationes », est-il dit dans le texte latin, loc. cit., lib. U, cap. 1. (Voy. The Works of F. BACON, t. IV, p 55.) (2) Au-dessus de cette grande division des connaissances humaines, Bacon en conçoit une autre au point de vue de l’origine même de ces connaissances. « La science, dit-il, est semblable aux eaux. Or de ces » eaux, les unes viennent du ciel, les autres jaillissent de la terre. » Mais ces eaux, ajoute-t-il, viennent se réunir dans les mêmes vases, et il n'y a pas lieu de séparer, des notions que nous acquérons par nous-mêmes, celles qui nous viennent d'en haut. Toute science se compose ainsi de deux sortes de connaissances, les unes humaines (et proprement scientifiques), les autres divines ( ou révélées). Voyez BACON, loc. cit., lib. II, cap. 1, et lib. III, cap. 1; traduction de LASALLE, édit. de Dijon, 4800, t. I, p. 266, et t. II, p. 2. (8) Lib. II, cap. 1. « Nous regardons, dit Bacon, l’histoire et l’expé- » rience comme une seule et même chose, » (Voy. la trad. déjà citée, t. I, p. 266.) | (4) Loc. cit. On voit que pour Bacon, le premier des trois genres de connais- TL- CONCEPTION ENCYCLOPÉDIQUE DE BACON. 213 quelles elle s’élève à la connaissance des trois objets de la philosophie. Ces trois objets sont Dieu, la nature et l’homme, d’où trois doctrines dont les sommités se con- fondent dans la philosophie première, « science univer- » selle, dit Bacon, qui est la mère de toutes les autres, et » comme une portion de route commune à toutes (1). » Il y a, dans cette théorie de la connaissance humaine, des parties éternellement belles et vraies; et elle n’a pu être conçue dans son ensemble, à une époque déjà si éloignée de nous, que par un esprit d’une rare puissance, On com- prend, on partage l’admiration dont elle a été si long- temps l’objet, et l’on ne peut qu’applaudir aux efforts de D'Alembert et de Diderot pour la mettre, un siècle et demi plus tard, au niveau de la science et de la philosophie. Mais ces efforts ne pouvaient porter que sur des points secondaires, et sous sa forme nouvelle comme sous l’an- cienne, c’est au point de départ même que la conception de Bacon, comme toutes les classifications qui en déri- vent, rencontre les objections les plus graves. En plaçant dans les sources distinguées par Bacon, admises par D’Alembert et Diderot, la triple origine de notre savoir (division d’ailleurs inexacte), il était du moins facile de reconnaître que ces sources convergent les unes vers les autres, qu’elles se mêlent, et souvent se confondent. Com- sances se rapporte directement à la mémoire; les deux autres déri- vent de celui-ci. Au fond, pour Bacon, il n’y a pas trois sources, comme il le dit, mais une source unique. Tout le monde sait que, dans la mythologie grecque, la mère des Muses était Mnémosyne ou la Mémoire. C’est presque l'idée de Bacon sous une forme poétique. (1) Loc. cit., et ba lII, cap. 1. » = E A 1% | H 4! E | 44 \ 11 34 i ; E. | 40 { En 1 1 | 21h PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. IV, bien de fois arrive-t-il que tel fait constaté par l’observation, telle idée que l'imagination a créée, el telle notion obtenue par voie de raisonnement, ne sont que les éléments d’une seule et même vérité générale, et comme les prémisses d'un même raisonnement, inséparables l’une de l’autre comme elles le sont de leur commune conséquence? Quelle est, en dehors des mathématiques, la théorie qui ne soit à la fois expérimentale et rationnelle (4), qui ne soit mixte entre les connaissances de mémoire et les connaissances de raison? Dans laquelle aussi la troisième source, imagination, n'intervient-elle pas d’une manière plus ou moins manifeste? « L'imagination n’agit pas moins, » dit D'Alembert lui-même, dans un géomètre qui crée » que dans un poëte qui invente (2); » et il en est encore ainsi, ajoute-t-il, du métaphysicien. Précieuses con- cessions, arrachées par la rectitude de son esprit au défenseur le plus convaincu et le plus habile des vues -de Bacon; mais concessions bien incomplètes. Ce que D'Alembert reconnait pour la métaphysique et la géomé- trie, n’est pas moins vrai-de toutes les autres sciences; et si Archimède, comme le dit si bien D'Alembert, mérite d’être placé à côté d'Homère (3), quel est le grand inven- teur, dans quelque branche que'ce soit, auquel on ne puisse décerner le même honneur ? | C’est donc en vain que Bacon, D’Alembert et Diderot essaient de rapporter les connaissances humaines à trois ` (4) emploie ici ces expressions dans le sens très étendu que Bacon donne aux mots expérience et raison. (2) D'ALEMBERT, loc. cit. p. XYj. (3) Ibid. CONCEPTION ENCYCLOPÉDIQUE DE BACON. 215 groupes distincts, qui ne s’uniraient que dans la science universelle, et pour ainsi dire à trois fleuves, distincts à leurs sources et dans leurs cours, confondus seulement à leur embouchure. En réalité, ils se rencontrent etse mêlent sur une multitude de points; et les limites qu’on essaie de leur assigner ne sont, le plus souvent, que des lignes arti- ficiellement tracées. Et c’est pourquoi, en’suivant les trois auteurs dans le développement de leurs communes vues, tant de sagacité d’une part, tant de savoir et de profon- deur, tant de finesse de l’autre, n’aboutissent, comme clas- sification, qu’à des résultats si peu admissibles. Les con- naissances que les auteurs disent de mémoire sont aussi, pour la plupart, des connaissances de raison et d’imagi- nation ; et parfois, des parties arbitrairement découpées d’une même science se trouvent, à titre de sciences dis- tinctes, partagées entre la philosophie et de l’histoire. Il en est ainsi, entre autres, de nos connaissances sur la nature ; bien plus, de nos connaissances sur les mêmes groupes d’êtres naturels : connaissances objectivement et essentiellement indivisibles, et que pourtant on voit, dans la classification de Bacon, et dans celle de D’Alem- bert et de Diderot eux-mêmes, scindées en deux groupes qu’on rejette à grande distance l’un de l’autre : l’un, con- sidéré comme science de raison et comme une branche de la philosophie; le second, prétendue science de mémoire et branche de l’histoire , figurant, sous le nom d'histoire naturelle à côté de l’histoire sacrée, ecclé- siastique et civile (1). Rapprochement que Bacon croyait (1) Nous verrons plus tard (Prolégomènes, livre I, chapitre Il, sect. IV et v) les philosophes allemands de la nature, et principalement 216 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. 1V. justifier en disant : « Dans l'Histoire naturelle sont rap- » portés les actes et les exploits de la nature, comme » dans l'Histoire civile ceux de l’homme (1) !» M. de Schelling, arriver, malgré les différences fondamentales de leur doctrine et de celle de Bacon, à une semblable scission de la science de la nature. | Il west pas inutile d'ajouter que la doctrine de l'illustre philosophe allemand, si je m'étais placé à son point de vue, m'aurait fourni elle- même des arguments décisifs contre les classifications subjectives des sciences. | (4) Je ne puis mieux éclaircir ce qui précède, qu’en reproduisant ici les parties du tableau figuratif de Diderot qui offrent le plus d'intérêt au point de vue de notre science. Mémoire. J SACRÉE. ECCLÉSIASTIQUE. CIVILE. HISTOIRE Uniformité de la nature. des végétaux. des animaux. Histoire | Histoire céleste. NATURELLE. Végétaux monstrueux. écarts de la nature . . { À Fi Animaux monstrueux. Usages ( Arts \ de la nature. À et Métiers, Raison. >p MÉTAPHYSIQUE. SCIENCE DE DIEU. PHILOSOPHIE, SCIENCE DE L'HOMME. ENTENDEMENT. Mathématiques. SCIENCE DE LA NATURE. Physique hs i l particulière. (Botanique. Imagination. LITTÉRATURE. | BEAUX-ARTS. 4 CLASSIFICATION DE DE CANDOLLE. 217 IV. Quand on voit d'aussi grands esprits entraînés par l'erreur de leur point de départ à de telles conséquences, et réduits à les justifier ainsi, comment s'étonner qu’on ait généralement délaissé la voie où s'était avancé Bacon, où l'avaient suivi D’Alembert et Diderot? J'y trouve encore, dans notre siècle , un naturaliste illustre, De Candolle (4); mais il est le seul ; et encore, que reste-t-il, dans sa classification, de celles de ses devanciers? S'il conserve, sous le nom de sciences rationnelles, la troi- sième classe de Bacon , il fait entièrement disparaître la classe des sciences d'imagination, et substitue aux sciences de mémoire les sciences expérimentales et les sciences testimoniales ; les unes dérivant, dit-il, de l'expérience acquise par nos propres sensations, les autres fondées sur le témoignage des autres hommes. Cette classification, ternaire, comme celle de Bacon, est, comme elle aussi, simple et ingénieuse ; mais elle prête à de semblables objections. Les notions qui nous viennent par le témoignage ne sont pas d’une autre nature que celles auxquelles nous arrivons par l'expérience proprement dite et par l'observation : ellesont, au fond, la même origine, à laquelle seulement nous ne remontons qu'indirectement. Aussi nos connaissances te stimoniales et éxpérimentales S 'unissent-elles très fréquemment. Est-il besoin de démon- (1) Voyez sa Théorie élémentaire de la botanique, 4" édit, 1813, w 1 2, à ` Ta i 14. | I F: . +16 ‘4 z] ie ii t ii T | De CM TT EE SE ES 215 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. IV. trer aujourd’hui que dans les sciences elles-mêmes qui se fondent principalement sur le témoignage et la tradition, on s'éclaire souvent et très utilement par l'observation (4)? Réciproquement, et bien mieux encore, qui ne reconnaitra que dans les sciences d'observation et d'expérience, on se voit obligé, à chaque instant, de recourir au témoignage des hommes qui ont vécu autrefois, où qui habitent où ont habité d’autres lieux? Que serait notre savoir, s’il fallait ne tenir compte que de ce que nous avons constaté par nous- mêmes (2)? Et comme d’ailleurs, ainsi que le reconnait De Candolle, le raisonnement intervient toujours à côté de l'observation et de l'expérience, il est vrai de dire de la (1) Tout le monde reconnaît aujourd'hui, dans l'anthropologie et ses nombreusesbranches, l’auxiliaire indispensable de l’histoire. On verra dans la suite de cet ouvrage, qu'il est d’autres sources encore où ron peut puiser par l'observation des connaissances applicables aux sciences historiques. J'ai déjà donné quelques indications à cet égard dans mon mémoire Sur la possibilité d'éclairer l'histoire naturelle de l’homme par l'étude des animaux domestiques. (Voy. les Comptes ren- dus de l’Académie des sciences, t. IV, p. 662, 1837, ou mes Essais de zoologie générale, p. 247 et suiv.) (2) De Candolle reconnaît que dans les sciences qu'il nomme expé- rimentales, on recourt avec beaucoup d'avantage au témoignage des autres hommes; mais, suivant lui, dans ces sciences, et ce serait leur caractère distinctif : « Tout individu qui en a la volonté, peut à la » rigueur... s'assurer, par le témoignage de ses propres sens, de la » vérité des faits que le raisonnement ou le témoignage d'autrui lui » ont fait connaître. » ; Cette distinction est plus spécieuse qu'exacte. Parmi les sciences que De Candolle considère comme essentiellement expérimentales, la- quelle n’est pas en même temps testimoniale, dans le sens que l'illustre botaniste donne à ce mot, c’est-à-dire composée en partie de notions non susceptibles d'être soumises à volonté à une vérification expéri- mentale? Où en seraient, sans les notions purement testimoniales, en CLASSIFICATION DE DE CANDOLLE. -249 plupart des sciences qu’elles sont à la fois expérimentales, testimoniales et rationnelles, aussi bien que de mémoire, d'imagination et de raison. Sous leur forme nouvelle, et après toutes les correc tions que leur a fait subir De Candolle, les vues de Bacon ne sont done guère plus admissibles qu’elles l'étaient d'abord. Et c’est ainsi qu'on en a généralement jugé. L'autorité si grande de De Candolle leur a valu à peine quelques adhésions; et l’on peut dire aujourd’hui aban- donnée de tous, et abandonnée d’une manière définitive, la pensée de fonder la classification des sciences sur la diversité de nos facultés, de nos méthodes, et plus géné- ralement, comme le dit De Candolle, de nos moyens de parvenir à la vérité (1). | astronomie, l’histoire des comètes et celle des bolides ; en géologie, celle des éruptions volcaniques, des tremblements de terre et d’une foule d’autres phénomènes; en médecine, celle des épidémies et épi- zooties ; en zoologie, la connaissance des mœurs des animaux ? Où en seraient surtout la météorologie et la tératologie? (1) Sciences rationnelles, testimoniales et expérimentales (d’observa- tion et d'expérience), telle est, on vient de le voir, la division admise par De Candolle. Dans un ouvrage intitulé : De methodo philosophandi, Rome, 1898, le père VENTURA a donné une classification des sciences que l’on pour- rait croire, au premier aspect, fort analogue à celle de De Candolle. L'auteur (voy. le chap. IL, p. 296) admet trois groupes principaux, et ces groupes sont : scientiæ auctoritatis, scientiæ ratiocinii et scientiæ observationis. I n’y a guère ici qu’une analogie apparente. Les scientiæ auctoritatis (soit d'autorité divine, soit d'autorité humaine) sont la psychologie, la théologie naturelle et révélée, la jurisprudence. Les | scientiæ ratiocinii comprennent la rhétorique, la poésie, les arts. Les scientiæ observationts réunissent, aux diverses branches des sciences naturelles, la chimie, la physique, l'astronomie et les mathématiques. Les premières composent toutes les connaissances qui se rapportent à E + { w $ sh $ $. 220 PROLÉGOMÈNES, LIV; 1, CHAP. I. Dieu; les secondes, celles qui sont relative: à l’homme ; les dernières, celles qui le sont à la matière et aux corps, ou à la nature. Deus, homo, corpus, dit l'auteur, et à ces trois objets de la connaissance il fait correspondre trois sciences principales : Ethica, logica, physica. Il est facile de voir que la classification du père Ventura devrait être, selon sa pensée, à la fois subjective et objective. Elle est en réalité objective. C’est en vain que l’auteur essaie de faire concorder, avec les divisions plus ou moins satisfaisantes qu’il établit d’après la diversité des objets de nos connaissances, célles qu’il fonde sur la diversité de nos moyens de connaître. %, . “ès VV AIN AAA AAA AA AAA AAA AAA AAA AAA" YUYVVNSYINNNINI UNS E r: + ` CHAPITRE V. DE LA CLASSIFICATION DES CONNAISSANCES HUMAINES , D'APRÈS LA DIVERSITÉ DES OBJETS QU'ELLES CONSIDÈRENT: + SOMMAIRE. — I. Conception encyclopédique de Descartes; sa détermination de l'ordre hiérarchique ou-de la série des connaissances humaines. — H. Classifications mathésiolo- . giques plus ou moins conformes à la série de Descartes. Classifications de M, Auguste Comte et d'Ampère. — II. Concordance de ces diverses conceptions, et particulièrement . de celle de Descartes, avec l'ordre logique et avec l’ordre historique de l’évolution des diverses branches des connaissances humaines. = Le xvu? siècle a un nom plus grand encore que celui de Bacon : Descartes. Opposons aux vues de l’auteur du Novum organum celles de l’auteur du Discours sur la méthode, et, sur ses pas, nous reconnaîtrons l’incontes- table supériorité de la classification objective sur toutes les classifications établies d’après les diversités de source, de méthode ou de but; en un seul mot, sur toutes les par arte subjectives. Il s’en faut de beaucoup que Descartes se soit avancé le premier dans la voie où, selon moi du moins, la science doit se tenir à sa suite. Il y a fait, non as premiers pas, mais les pas les plus décisifs. Aristote avait parfaitement distingué, d'après la diver- sité de leurs objets, la physique, les mathématiques , la amateur STE des = — mr a DEV Eee N ET as anann "mater hit M de # ré ES T epe SERRET Re E T E n ATEUA E S he ei patiaa- w one LA 0 RE) 5 de Ru n a 2 acte = p” pae pae ds a |} HH (1 [| | = PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP: V. théologie (1). Bacon, mettant à profit d'anciennes indica- tions, n'avait ni moins nettement séparé, ni moins bien défini ce qu’il appelle la science de Dieu, la science de l’homme, la science de la nature (2). Mais, soit dans la Métaphysique, soit dans le livre de Bacon, les diver- sités objeetives ne fournissent encore que des subdivisions dans un groupe de sciences, préalablement déterminé à un point de vue subjectif. Pour Aristote, les mathématiques, la théologie, rentrent, comme unités d’un ordre secon- daire, dans le groupe des sciences théoriques. Pour Bacon, les connaissances relatives à Dieu , à l’homme sh la nature, ne sont que les trois branches des sciences de raison ou de la philosophie. Les diversités objectives sont donc ici subordonnées à de simples diversités subjectives. C’est Descartés qui a le mérite d’avoir renversé le premier cet ordre, et par là même il a porté la question sur le seul terrain où elle pùt être heureusement abordée. Aussi lui devons-nous, après ce qu'il a fait par lui-même, une grande partie de ce qu’on a fait depuis deux siècles (3). Sciemment ou à leur insu, et quelle que soit ailleurs l'opposition de leurs (t) Métaphysique, liv. VE, 1, et XI, vir, traduct. de MM. PIERRON et ZÉVORT, t. I, p. 209. | (2) De dignitate et augmentis scientiarum, lib. III, cap. 1. « La » nature, » dit Bacon, qu'il est permis de trouver ici un peu subtil et recherché, «la nature frappe l'entendement par un rayon direct; la » divinité... par un rayon réfr acté: enfin l’homme par un rayon réflé- » chi. » (Trad. de LASALLE, t. TI, p: 3.) (3) Son influence s’est même étendue très sensiblement et très heu- reusement sur les travaux des auteurs qui ont fondé la classification sur d’autres bases, principalement sur ceux de De Candolle et de CONCEPTION ENCYCLOPÉDIQUE DE DESCARTES. 293 doctrines , presque tous les auteurs modernes sont ici disciples de Descartes ; et si l’on doit surtout aux efforts des savants et des philosophes français les lignes secon- daires de l'édifice dont il avait tracé lés lignes principales, c’est sans doute parce qu’ils procédaient p directement à de ce grand homme. Combien Descartes l'emporte ici sur son contemporain et son émule Bacon! Combien son raisonnement, sans j être moins ingénieux, est plus ferme et plus sûr! Et de quelle vive lumière il sait éclairer les rapports des sciences entre elles! Non qu'il essaie de les exprimer tous; non qu'il veuille classer rationnellement toutes les sciences, ou, comme il les appelle, les parties de la philosophie. C’est leur ordre hiérarchique, leur enchaînement, c’est leur filiation logique, qu'il a essentiellement en vue ; | c’est-à-dire, non leur classification elle-même , mais les $ - fondements de leur classification; non le problème tout entier, mais la partie capitale du problème. C'est Descartes qui nous a enseigné, pour les diverses sciences entre elles, comme, dans chaque science, pour les diverses notions qui la composent, le grand art de ; « conduire par ordre ses pensées, » de « monter peu à » peu, comme par degrés, des objets les plus simples et » les plus aisés à connaître, jusqu’à la connaissance des Ë 5 plus composés (1). » A ce point de vue, il reconnait la M. d'Omalius d'Halloy, dont les divisions secondaires sont, pour la plupart, conformes à la série de Descartes. On peut dire des auteurs modernes qu'en ce qui concerne la mathé- . Siologie, tous, sans aucune exception, sont plus ou moins cartésiens. X (1) Discours sur la méthode, édit. de 1668, p. 20 et 24, et dans les Œuvres philosophiques, édition de M. GARNIER, t. T, p. 18. DES PR TE PE pes pas DR E E EE E er E a Spesi Ai 22/ PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. V. priorité logique des mathématiques, associées par lui à la métaphysique , sur ce qu'il appelle la physique, c'est-à- dire sur les sciences relatives à la nature; et parmi celles- ci, des sciences qui traitent d’une manière plus générale de la matière, sur celles qui considèrent les propriétés des corps, et principalement sur’ celles qui ont des objets très composés. Ces dernières sont la botanique, la zoo- logie ; puis la science de l’homme , ou plutôt les diverses sciences, subordonnées entre elles selon les mêmes vues, auxquelles donne lieu l'étude si complexe de l'être créé à l’image de Dieu. ; Après toutes ces connaissances théoriques, viennent pour Descartes leurs applications ; celles-ci sont pour lui les branches d'un arbre dont la métaphysique représente les racines, et les sciences de la nature, le tronc. Or, remarque-t-1 ingénieusement, dans la préface de ses Principes (1), « comme ce n’est pas des racines ni du » tronc des arbres qu’on cueille Jes fruits, mais seule- » ment des extrémités de leurs branches, aussi la princi- » pale utilité de la philosophie dépend de celles de ses » parties qu’on ne peut apprendre que les dernières (2). » Tel est, selon Descartes, l’ordre hiérarchique des (1) Œuvres, édit. citée, p. 199. (2) La philosophie, c'est-à-dire ici, l’ensemble - peN sciences, dont chacune est pour Descartes, comme-on l’a vu plus haut, l’une des parties de la philosophie. Il est. curieux de mettre en regard de ce passage de Descartes l'arbor scientiæ de RAYMOND LULLE (voyez plus haut, p. 185 et 186), dont chaque branche se termine par une fleur ou un fruit. Descartes aurait-il fait à l’auteur de l’Ars magna l'honneur de se souvenir ici de son arbre? CONCEPTION- ENCYCLOPÉDIQUE DE DESCARTES. 225 sciences; telle est sa conception encyclopédique : concep- tion une, simple et logique, dont le seul énoncé fait déjà ressortir lincontestable supériorité. Malheureusement cet énoncé, tel que je viens de le donner, ne se trouve point dans les œuvres de Descartes: ses vues y sont exposées par parties, ou même seulement indiquées ; elles n’y sont nulle part présentées didactiquement et dans leur ensemble; et c’est pourquoi l'arbre encyclopédique de Descartes est si longtemps resté, non pas seulement moins célèbre que celui de Bacon, mais méconnu et presque ignoré de tous (4). Si, à la fin du xvine siècle, les vues de Descartes sont comprises et partagées par quelques hommes d'élite, si même elles deviennent, en 1795, la base de la première r AN p (4) Outre le Discours sur la Méthode, les Méditations et les Prin- ] cipes de philosophie, voyez, pour la conception encyclopédique de 1877 DESCARTES, les traités des Météores et des Passions de l’âme. m j x- Ce n’est pas une œuvre sans difficulté que de poursuivre l enchaîne- ET ment des vues de Descartes dans ses nombreux écrits. Le meilleur f $ guide que l’on puisse ici choisir, est sans nul doute le travail de r ag M. Jean Revnau», intitulé: De lencyclopédie de Descartes (dans ; n l’article Encyclopédie de l'Encyclopédie nouvelle, t. IV, 4843, p. 775 et suiv.) ; travail où Descartes a trouvé, dans Pun des philosophes les l 1 plus éminents de notre époque, un interprète et un commentateur digne de lui. Je dois faire remarquer que M. Reynaud a été sur quelques points au delà de Descartes, énonçant ce que l’auteur du Discours sur la Méthode n'avait fait qu'indiquer, et ne concevait sans doute encore qu’obseuré- ment; parfois aussi enrichissant la conception encyclopédique qu'il analysait de vues qu’il eût pu revendiquer pour lui-même, mais qu'il a voulu rapporter à Descartes comme des conséquences nécessaires, non encore tirées toutefois, des prémisses posées par ce grand homme. Il est donc vrai de dire que nous ne devons pas seulement à M. Reynaud un excellent résumé et une haute appréciation de l'œuvre de Descartes : il en a développé quelques parties, il y a rempli quelques lacunes. I. on D 296 | PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. V. organisation de l’Institut national (1), il faut venir jusqu’à nos jours pour les trouver scientifiquement exposées et démontrées. M. Auguste Comte en 1830, Ampère, en 1834, sont ici, après deux siècles d'intervalle, les continuateurs immédiats de Descartes. ` | IL On pourra s'étonner de voir ici rapprochés ces deux noms si inégalement et surtout si diversement célèbres, Ampère et M. Auguste Comte. Partisan et ardent défenseur de doctrines en opposition radicale avec les théories philosophiques de Descartes, avec les convic- tions d'Ampère, l’auteur du Cours de philosophie po- sitive (2) ne semble pas moins séparé d’eux en mathésio- (4) La loi organique de l’Institut national des sciences et arts, votée le 25 octobre 1795 par la Convention, et dernière œuvre de cette assemblée, divisait l'Institut en trois classes : les sciences physiques et _ mathématiques, subdivisées en mathématiques, arts mécaniques, astronomie, physique, chimie, minéralogie, botanique, zoologie, mé- decine et économie rurale; les sciences morales et politiques ; la litté- rature et les beaux-arts. Il est facile de voir que l’ordre adopté dans cette loi dérive directement de la série de Descartes. _ On a souvent rappelé que Daunou fut le rapporteur et Pun des auteurs principaux de la loi organique de l’Institut; mais on sait beaucoup moins généralement qu’il y eut pour coopérateurs, non seulement Boissy d'Anglas et Lanjuinais, ses collègues dans la Com- mission dite des Onze, mais aussi Lagrange et surtout Laplace. On ne s'étonnera pas que de tels hommes se soient inspirés des vues de Descartes. (2) Le Cours de philosophie positive de M. Auguste COMTE a été publié de 4530 à 4842; mais, dès le premier des six volumes qui com- CONCEPTION ENCYCLOPÉDIQUE DE DESCARTES. 297 logie que partout ailleurs. A ne le comparer qu’à son illus- tre contemporain (1), qu'y a-t-il de commun, au premier aspect, entre la classification très simple de M. Comte, très simple toutefois parce qu’il se borne aux traits princi- paux (2), et cet échafaudage complexe de divisions et de subdivisions dichotomiques, si laborieusement édifié par Ampère (3)? Entre l’une et l’autre, cadres de classification, nomenclature, mode d'exposition, tout diffère, et de la manière la plus tranchée. Pourtant ne nous y trompons posent cet ouvrage, l’auteur avait fait connaître l’ensemble des vues qu’il a successivement développées. Il est nécessaire d'ajouter qu'avant la publication de cet ouvrage, M Comte avait fait connaître sa conception mathésiologique par des -cours particuliers faits de 1826 à 1829 Dans l’un de ces coursil avait eu l'honneur d’avoir pour auditeurs Fourier, Blainville, Broussais, Navier, Esquirol, M. Poinsot, M. Binet, et plusieurs autres savants distingués. (1) Le célèbre Essai C’ AMPERE sur la philosophie des sciences se compose de deux parties, l'une publiée en 1834, et l'autre, en 1843, sept ans après la mort de l’auteur. Une première exposition des vues d'Ampère avait été faite en 1832 . _ par l’auteur lui-même dans la Revue encyclopédique, t. LIV, p. 223. H venait, à cette époque, de les développer dans une suite de leçons au Collége de France; leçons dont d'excellents résumés ont été publiés dans le journal le Temps. Ces résumés sont dus à M. Roulin. (2) M. Comte, dans son ouvrage et dans ses Cours, ne s’est occupé que très accessoirement, d’une part, des sciences pratiques, de l’autre, parmi les sciences théoriques, de ce qu'il appelle les sciences concrètes, c’est-à-dire particulières et descriptives (voyez t. I, p. 57 et suiv.). Ses recherches ont donc surtout porté sur les sciences générales et fondamentales; sciences qui sont, suivant lui, au nombre de six : la mathématique, l'astronomie, la physique, la chimie, la physique orga- nique ou biologie, la physique sociale ou sociologie. (3) Selon Ampère, les sciences se partagent d’abord en deux règnes, savoir: les sciences cosmologiques, comprenant, dans un premier groupe ou embranchement, les sciences mathématiques et physiques ; dans un A rs i TES Pal z inni RE m n bu “+. er] Hs “à Same de A ion 2 dm. saga can share — x e ON OE TPE S å aa a a ET m à ah ad dd erd en iiiaae ar a e i a o D og i r de Ez 228 PROLÉGOMÈNES, LIY. 1, CHAP. V. pas : toutes ces différences ne sont qu'extéricures; elles s'arrêtent à la surface; et sous ces apparences diverses, . que d’analogies, que de similitudes! Dans ces deux classi- fications, tant admirées par quelques uns, si sévèrement appréciées par le plus grand nombre, on retrouve égale- ment, pour l'essentiel, la série de Descartes. C’est le même arbre, où seulement l'un, M. Comte, se borne à énumérer les branches mères, où l’autre, Ampère, considère l’une après l’autre toutes les divisions successives, et jus- qu'aux rameaux eux-mêmes. M. Comte et Ampère ne pro- cèdent-ils pas, comme Descartes, des objets les plus sim- ples aux plus composés ? Les mathématiques, première partie de la philosophie pour Descartes, ne sont-elles pas, pour M. Comte, la première des six sciences fon- damentales, et, pour Ampère, les trois premières sciences du premier embranchement? Dans la série de Descartes viennent ensuite les sciences relatives à la nature , à la nature inanimée d'abord, puis à la nature vivante : l'as- ` tronomie, la physique, la chimie, ne précèdent-elles pas pareillement, chez M. Comte, la cinquième science fon- damentale ou la biologie, et, chez Ampère, le second second, les sciences naturelles et médicales ; puis, comme second règne, les sciences noologiques, semblablement divisées en deux embranchements, comprenant, le premier, les sciences philosophiques et dialeymatiques, et le second, les sciences ethnologiques et politiques. Viennent ensuite d’autres subdivisions, toutes régulièrement et dicho- tomiquement faites. J'aurai à revenir plus tard (Chap. VI, sect. 1v et v, p. 248 et suiv., et p. 258) sur cette classification des sciences, qui, malgré les nom- breuses critiques dont elle a été justement l’objet, n’en est pas moins une œuvre fort remarquable et digne, à plus d’un titre, du grand nom de son auteur. : - trois classifications. CONCEPTION ENCYCLOPÉDIQUE DE DESCARTES. 229 règne , celui des sciences physiologiques ? Enfin, con- formes encore ici aux indications de Descartes, ne voyons- nous pas la série de M. Comte se terminer par ce qu'il nomme la physique sociale, et celle d'Ampère com- prendre dans sa seconde moitié les sciences noologiques, dont les sciences philosophiques, dialegmatiques, ethno- logiques et politiques forment les quatre divisions prin- cipales ? | Il est donc vrai de dire que les vues de Descartes se retrouvent au fond, chez M. Comte et chez Ampère. Son principe est le leur aussi; il est par eux semblablement appliqué, et ce sont ces mêmes résultats, déjà énoncés ou indiqués par Descartes dès le xvne siècle, qu'ils re- FE , he RE % prennent dans le nôtre, ou plutôt qu'ils inventent à leur a 4 p j + tour, et qu’ils développent, démontrent et mettent dans tout leur jour (4). | (1) Les vues de Descartes se retrouvent, non bien moins comprises et appliquées, en ce qu’elles ont d’essentiel, dans trois autres classifi- cations mathésiologiques qui appartiennent aussi à des savants ou à des philosophes éminents de notre temps et de notre pays. Telles sont celles de MM. BABINET, Jean REYNAUD et COURNOT. | Le premier de ces auteurs s’est malheurensement borné à indiquer brièvement ses vues dans un Discours prononcé à une distribution de prix, et qui a paru sous ce titre : Sur la classification des sciences, considérées d’après la nature des objets qu’elles embrassent, Paris, in-8, 4896.— Pour la classification objective de M. Jean REYNAUD, voy. son article Encyclopédie, déjà cité, p. 793; 1843; — et pour celle de M. CourNoT, son Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851, p. 265 et suiv. — J'aurai à revenir, dans le Chapitre suivant, sur ces D'autres savants et philosophesfrançais ont publié, depuis un demi- siècle, des classifications objectives, ou princpatcmeni objectives (fon- dées aussi en partie sur des considérations subjectives), qui ont joui, +7 Re re P EE R Free Due Aa + eu n- van in den te «+ Chats è rnani piion PROLÉGOMĖNES, LIV. I, CHAP. V. MI. Il est rare qu'une théorie, une conception véritable- ment logique, n'aille pas au delà des données que l’auteur avait spécialement prises en considération, et sur les- quelles il l'avait fondée. Elle fournit presque toujours une expression très heureuse, outre celles-ci, de toutes celles, aperçues Ou inaperçues, qui sont avec elles en connexion nécessaire. à l’époque où elles ont paru, de quelque célébrité, mais qui sont loin de mériter une place à côté de celles qui viennent d’être rappelées. Telles sont, par exemple, celles de LaAnCELIN et de JULLIEN ‘de Paris), qu’on trouvera citées avec plusieurs autres dans la liste bibliographique placée en note dans le Chapitre suivant, p. 237. En tête de tous les auteurs qui, dans notre siècle, ont fondé la classi- fication des sciences sur des considérations objectives, j aurais aussi à citer notre immortel BicnaT, s’il eût développé les vues indiquées par lui, dès 1801, au commencement de son Anatomie générale. (Voy. plus bas, p. 249 et 250.) Les classifications objectives ont, dans notre siècle, dominé à l'étran- ger aussi bien qu’en France. Mais les savants et philosophes que nous avons ici à citer, se sont beaucoup plus écartés de la voie ouverte par Descartes, et avec peu de bonheur dans la plupart des cas. Combien les classifications de M. Comte et d'Ampère, bien que des objections très graves puissent, sur plusieurs points, leur être opposées; combien, parmi les plus récentes, celles de M. Reynaud et de M. Cournot, sont supérieures à celles qui ont été ailleurs proposées, par exemple, à celle de KRkyG, malgré la célébrité éphémère dont elle a joui en Allemagne, et bien plus encore, à celle de Jérémie BENTHAM, malgré la juste illus- tration de son auteur! Comment admettre, avec le premier, ces trois groupes dont deux au moins sont si loin d’être naturels, les sciences libres, comprenant la philologie et l’histoire; les sciences positives, rela- y 4 o CONCEPTION ENCYCLOPÉDIQUE DE DESCARTES. 281 C’est ce qui a lieu pour la conception encyclopédique de Descartes, devenue après lui celle de M. Auguste Comte, puis celle d’Ampère (1), et plus tard, toujours la même, pour l'essentiel, sous des formes diverses, celles de plusieurs autres philosophes ou savants français, prin- cipalement de M. Jean Reynaud et de M. Cournot (2). Et il n’est pas besoin des modifications plus ou moins profondes que lui ont fait subir ces auteurs, de l'extension qu’ils lui ont donnée, pour que les ingénieuses remarques présentées par eux à l’appui de leurs vues soient appli- tives (liées, gebundene, dit l’auteur) aux faits de la réalité, groupe où la philosophie et l’anthropologie se trouvent interposées entre les mathé- matiques et la physique ; et les sciences mixtes, où la médecine se ren- contre avec les connaissances administratives? Et comment accepter du second cette longue suite de dichotomies arbitraires, ou, comme il le dit, ce système de bifurcation exhaustive, divisant et subdivisant toutes les connaissances humaines en groupes aussi bizarrement dénommés qu'artificiels : inextricable dédale où le fil conducteur semble à chaque instant près d’ échapper à l’auteur lui-même ? Voyez, pour la classification de Jérémie BENTHAM, la seconde partie de sa Chrestomathia, publiée d’abord à part, in-8, en 1816 et 1817; réimprimée dans The Works, édition d'Édimbourg, partie XV, p. 4 à 192; — et aussi l Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d'art et science, publié à Paris en 1823, d’après Jérémie Bentham, mais avec quelques développements, par Georges BENTHAM. Pour celle de Kruc, voyez son Allgemeines Handwærterbuch der philosophischen Wissenschaften, article Wissenschaft, publié en 1829, dans la première édition, et en 1834, dans la seconde (pour celle-ci, voy. t. IV, p. 529). Cet article résume plusieurs travaux antérieure- ment publiés par l’auteur sur les mêmes questions. (1) Celle aussi de M. BABINET, antérieur à M. Comte et à Ampère, d’après les trop courtes indications que donne ce célèbre physicien dans le Discours plus haut cité. ( Voyez p. 229, note.) 2 Ibid. i oaas me - cd T pra mt ENTER RAR AS bts sr iso où DR E aE EN ETS e S h a 5 caii di ue pae n = LEE Mb" A "2h Ad re he £ à 22 2 0 at ES im anne — mme a | RAR UT és re" : z i Er ES Cd p ob pt, T 2 a aaa aA à aa EN e O he demie a d PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. V. cables, avec la même force et tout aussi heureusement, à la conception de Descartes. Ces remarques, en effet, en tout ce qu'elles ont de juste et de vrai, dérivent, non des développements secondaires qu'a pu recevoir le principe de Descartes, mais de ce principe lui-même ; et si manifestement, si simplement, que les concordances philosophiques et historiques, signalées et démontrées dans notre siècle par MM. Auguste Comte, Ampère et Reynaud, eussent pu être en grande partie énoncées dès le milieu du xvn’. Quelques mots suffiront pour le faire voir, du moins à l’égard des deux points principaux. En premier lieu, par cela même que Descartes, con- duisant sa pensée par ordre, s'avance rationnellement des objets les plus simples aux plus composés , l'ordre qu'il établit donne lieu à une série très régulièrement et hiérarchiquement constituée. Chaque science y vient pré- cisément après celle sur laquelle elle doit s'appuyer comme sur une introductrice , ou mieux, une {utrice nécessaire ; après celle qui doit l’éclairer, comme elle-même éclairera celle qui lui succède. C’est une chaine où chaque anneau, suspendu à celui qui le précède, porte à son tour l'anneau qui le suit. Les sciences qui, pour Descartes, viennent les pre- mières comme relatives à des objets plus simples, les sciences antérieures, sont done en même temps les antécédents logiques des autres; et la série, établie au premier point de vue, coïncide avec celle que l’on éta- blirait au second. | Elle concorde , de plus, avec l’ordre auquel on serait CONCORDANCE AVEC L'HISTOIRE. 933 conduit, en ayant égard au développement successif de nos -connaissances : les sciences, logiquement anté- rieures, intermédiaires, postérieures, sont aussi histo- _riquement antérieures, intermédiaires, postérieures. Et comment n’en serait-il pas ainsi? Des efforts ont bien pu être tentés simultanément dans toutes les directions (1); mais ceux qui s’adressaient aux sciences les plus simples ont été nécessairement les premiers heureux, puisque ces sciences, indépendantes des autres, qui, au contraire, dé- pendent d'elles, étaient à la fois, pour l'esprit humain, les premiers points d'arrivée et les premiers points de départ pour aller au delà. Ainsi, sous ce pointde vue encore, la conception cartésienne se montre digne de son auteur : la logique et l’histoire se vérifient ici réciproquement ; ou plutôt les antécédents logiques étant toujours aussi les antécédents historiques, l’une est partout la clef de l’autre. Et quand Descartes nous montre, selon l’ordre de la com- plexité de leurs objets respectifs, les mathématiques pré- cédant la physique générale, et celle-ci, toutes les autres sciences qui traitent des propriétés des corps bruts ; quand il place à leur suite la botanique, et au delà encore (2), la zoologie, puis les sciences relatives à notre espèce, ce grand homme, par là même, nous fait apercevoir, dans -cette suite de progrès qui, de l'antiquité à nos jours, se sont succédé à intervalles si inégaux, dans cette suite de découvertes où le vulgaire ne voit souvent que d’heureux (4) Voyez l’ Introduction historique, p. 17 et suiv., et Résumé, p. 119 et 120. | (2) Mais sans distinguer, autant qu'il était nécessaire, les sciences qui suivent la botanique. I. 15. 29 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. V. hasards, un enchaînement régulier de causes et d'effets, et application constante d’une même loi générale ; loi qui a permis que la Grèce vit naître dès le vie siècle avant l'ère chrétienne un Pythagore, et au 1v°un Euclide ; que la Sicile possédât au 1° un Archimède, et Alexandrie, sous les Césars, un Diophante; mais qui a voulu que l’Europe attendit jusqu’au xv° siècle un Copernic, jusqu’au xvie un Galilée et un Keppler, jusqu’au xvn® un Newton, jus- qu'au xviu un Lavoisier; qui a voulu, qui veut que le développement des sciences biologiques soit plus tardif encore, ét qu’il doive à son tour précéder et préparer celui des sciences sociales, les plus complexes et les plus dépendantes de toutes, par conséquent les dernières dans l'ordre de l’évolution de l'esprit humain : qui, aujourd’hui même, oserait annoncer l’avénement prochain de leur Lavoisier ou de leur Newton ? Y NVR VVV IY U YYVYVYVYVYYYVUYUVYYVYYVYVVYVVVYV Y VNASAAININININNINAY CHAPITRE VI. DE LA CLASSIFICATION OBJECTIVE ET PARALLÉLIQUE DES SCIENCES, ` ET DU RANG DE L'HISTOIRE NATURELLE DANS LA SÉRIE DES CONNAISSANCES HUMAINES. SOMMAIRE. — I. État de la question après Descartes. — IT, Division objective des sciences. Sciences mathématiques, Sciences physiques. Sciences biologiques. Sciences humani- taires ou sociales. Philosophie ou sciences philosophiques. —TIT, Concordances diverses. — IV. Vérification par l'étude comparative des travaux modernes. — V., Subdivision de chacun des groupes primaires. Sciences théoriques. Sciences appliquées ou pratiques. Expression de leurs doubles rapports à l'aide de la classification parallélique. — VI. Ré- sumé. Rang des sciences naturelles dans la série générale des connaissances humaines. En présence de toutes les concordances qui viennent d’être signalées, comment ne pas reconnaître dans la série de Descartes l’ordre vrai de nos connaissances ? Elle se démontre, en quelque sorte, par elle-même, par sa simplicité logique, par son caractère éminemment ra- tionnel. Elle se justifie par sa corrélation parfaite avec la suite des développements de l'esprit humain. Elle est confirmée par les travaux des auteurs modernes, par l'identité fondamentale de leurs résultats avec ceux de l'immortel auteur du Discours sur la méthode. Mais la détermination de l’ordre sérial est loin d’être tout le problème. Soit qu’il ait suffi à Descartes de poser le principe et de marquer la direction générale de la série, s à < N: 1 K f i 5 E DT OR be de ed ej pare airean te Pa = PES à AS hé otiia + che nds due aliha om 236 LPROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VL 9 $ soit que le temps lui ait manqué, il a laissé à ses succêsseurs le soin, difficile encore, de la réaliser, ou, Comme on peut le dire en empruntant ces expressions àla belle science mathématique qu'il a créée, de la tracer, de la construire. C’est cette seconde partie du problème qu'ont essayé de résoudre plusieurs auteurs modernes; notamment, M. Auguste Comte, de 1826 à 1830 (1), et Ampère, pen- dant une longue suite d'années et jusqu’à sa mort (2); tous deux également (peut-être sans avoir su eux-mêmes jus- qu’à quel point) disciples et continuateurs de Descartes, dont ils ont diversement adopté et appliqué les vues fon- damentales, en les développant, souvent très ingénieuse- ment, en les modifiant selon leurs vues propres. Tels sont encore, auteurs de travaux beaucoup moins étendus, mais importants aussi, sur les mêmes questions, M. Jean Reynaud (3), qui a fondé directement, selon ses expressions, son encyclopédie sur celle de Descartes, si savamment et si habilement exposée par lui (4); et M. Cournot (5), qui, tout récemment et le dernier venu, a su trouver encore des sentiers nouveaux sur un terrain parcouru (4) Et mème jusqu'en 1842, date du sixième volume du Cours de philosophie positive de M. COMTE; mais, comme on l’a vu, p. 226, note 2, la conception tout entière de M. Gomte avait été publiée dès 1850. Voyez surtout les deux remarquables leçons qu’il a intitulées Ewposi- tion, t. E, p. 4 à 116. i (2) Voyez l’histoire qu'AMPÈRE à lui-même donnée de ses travaux dans son Essai sur la philosophie des sciences, 1" part., 1834, Pré- face, p. 5 et suiv. | À (3) Article Encyclopédie de l'Encyclopédie nouvelle, t. IV, 1843. (4) Voyez plus haut, p. 225, note. | (5) Essai sur les fondements de nos connaissances, 1854, t. H p. 265 et suiv. s $ Pi « | Ye CLASSIFICATION OBJECTIVE DES SCIENCES. 237 par de si illustres et de si nombreux devanciers (4). Ce sont les mêmes questions que j'avais, de mon côté, abordées en 1840; mais seulement, comme je vais le faire ici, dans leurs données principales, et dans leurs rapports avec les sciences auxquelles est particuliè- (1) Outre DESCARTES, M. Auguste COMTE; AMPÈRE, M. Jean REY- NAUD et M. Cournor, dont les travaux viennent d’être rappelés, et les auteurs qui ontété cités précédemment (voyez ch. IT, p. 183 etsuiv.; ch. TE, p. 200; ch. IV, p. 241 et suiv., et p. 247 et 219; et ch. V, p. 229, 230 et 231), j'aurais encore, pour être complet, à mentionner une foule de noms que recommandent des recherches ou des essais plus ou moins estimables sur la classification des sciences. Pour abréger une liste qui serait presque interminable, je renverrai à l’article Wis- senschaft de l'Allgemeines Handiwærterbuch der philosophischen Wissenschaften de Kruc. 2° édit., t. IV, 1834, p. 531 et 532; et je citerai seulement les auteurs suivants, dont les travaux, les uns omis (quoique déjà publiés), par le savant professeur de Leipzig, les autres d’unedate postérieure, ne figurent pas dans son relevé bibliographique : LANCELIN, Introduction à l'analyse des sciences, t. III, 1803. Ce volume tout entier est consacré à l’exposition des vues ded’auteur sur la mathésiologie. — Desrurr DE TRACY, Logique, ou 3° partie des Éléments d'idéologie. ch. 1x; édit. in-8, 1805, p 386-591; édit. in-18, t. I, 4895, p. 337-439. Il n'ya que de très légers changements d’une de ces éditions à l'autre; mais Destutt de Tracy avait publié des vues à quelques égards très différentes dans un travail (principale- ment bibliographique), inséré dans le Moniteur, n°° des 8et9 bru- maire an VI (1797). — GENCE, Tableau méthodique des connaissances humaines, avec texte explicatif, in-folio, 1806.—JüLLIEN (de Paris), Esquisse d’un essai sur la classification des sciences, in-8, 1819, avec un Tableau synoptique des connaissances humaines, in-fol. — To- ROMBERT, Exposition des principes et classification des sciences dans l’ordre des études, in-8, 1821. — WALKER, Esquisse d’un système naturel des sciences, dans la Revue européenne, juillet 1824.—FARCY, Aperçu philosophique des connaissances humaines, in-18, 1827. — Henri Cassini, Opuscules phytologiques, t. I, 1834, p. 178 et suiv. 3 LARROQUE, Cours de philosophie, Logique, chap. vi; Je édit., 1838, » 238 PROLÉGOMÈNES, LIY., 1, CHAP, VI rement consacré cet ouvrage. On verra bientôt que les solutions auxquelles j'ai été conduit sont, comme celles d'Ampère, de MM. Comte, Reynaud et Cournot, très conformes à la conception encyclopédique de Descartes. J'exposerai d'abord mes vues, en prenant pour point de départ les notions qui viennent d’être exposées. Je comparerai ensuite les résultats que j'ai cru et crois devoir admettre, avec ceux qu'ont obtenus, dans la même direction, les auteurs qui m’y ont précédé ou suivi (1). ge P aas aae = = pre un. ai AD A ie AER e a —— ee MR sc rl RC araa a iii entre re hélas i me a ai té GA v EE enaA hrs ain IL. Nous venons de reconnaître que la classification ma- thésiologique doit être essentiellement objective, les diffé- rences subjectives n’ayant à y intervenir que secondaire- p. 266-271. L'auteur fait précéder l'exposé de sa propre classification de remarques très judicieuses sur celle d'Ampère. Cette liste, déjà très longue, le serait bien plus encore, si je voulais y tenir compte des indications données par une multitude d'auteurs, sans les développements qui seuls pouvaient rendre leurs travaux vraiment dignes d'intérêt. — Parmi ces auteurs, je me bornerai à citer MARIOTTE. Outre les travaux qui l'ont illustré comme physicien, Ma- riotte à laissé un Essai de logique, qui, bien qu'aujourd'hui oublié, n’est pas indigne de ses autres écrits. (Voy. ses Œuvres, Leyde, 1747, t. II). Dans sa Logique, Mariotte ne s'étend pas sur la classification des sciences, mais il indique leur division en trois groupes, les sciences intellectuelles (les mathématiques), les sciences naturelles, et les sciences morales. (1) Communiqués par moi en 1840 au prince Charles Bonaparte, les résultats de mes études sur les rapports et la classification des sciences, ont été exposés par lui, en 1844, dans l’un des congrès italiens. Un résumé très concis, mais exact, de la communication du prince | i E. 4 14 ES re tt Tete PE ee a alé so ES CLASSIFICATION OBJECTIVE DES SCIENCES. 239 ment. Si nous nous demandons combien doivent y être établies de divisions primaires, nous pouvons donc déjà répondre : autant que nos connaissances ont d'objets principaux ; autant qu'il est de groupes principaux ou d'ordres de vérités. Et c’est à déterminer le nombre de ces groupes et leur enchainement logique, que nous devons d’abord nous attacher. Essayons de le faire, en écartant à © ces données arbitraires qui, jusqu’à présent, ont tenu une si grande place dans la solution des questions de ce genre. Il est d’abord un groupe dont la détermination, au point de vue objectif, ne peut faire difficulté : groupe telle- ment distinct que déjà nous avons pu le définir, et c’est le seul, à l’aide de considérations seulement subjectives (4). C’est le groupe des vérités mathématiques, vérités essen- tiellement abstraites, absolues, nécessaires. Ces vérités, Cu. BONAPARTE se trouve dans les Atti della terza riunione degli scienziati italiani, Florence, 4841, p. 382. J'ai à plusieurs reprises (en mai 1841, puisen 4843, 4844 et 1847) exposé les mêmes vues dans mes cours au Muséum d'Histoire naturelle, les développant dans leurs rapports avec le sujet spécial que j'avais à traiter, et cherchant à faire nettement saisir la classification qui en dérive, à l’aide de tableaux synoptiques mis sous les yeux de mon auditoire. Peut-être rendrai-je plus clair ce qui va suivre, en repro- duisant ici un de ces tableaux (celui de 4844). Ce sera résumer à T'a- vance la première partie de ce chapitre. FOR DIE o Wst a PIS US SCIENCES MATHÉMATIQUES ò` =å i = f à P) 7 T EPE à la matière. . . . . . . . , SCIENCES PHYSIQUES. = VÉRITÉS PE S relatives < à la vie (ou aux étres vivants). SCIENCES BIOLOGIQUES. 2 | à l'humanité . à . . . . . SCIENCES SOCIALES. = (4) Chap. IV, sect. 1. i il est facile de xoir que les différences subjectives précédemment indiquées résultent comme corollaires des différences objectives. ve hr AE le 2 à 3 ECR EEE T EA ARETA Aa nt ii e de ee TE RTS A eee Do 240 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP, Vi. et tel est leur caractère le plus général, sont indépendantes de tout, hormisde l’entendement qui les conçoit. Faites abs- traction de tous les êtres matériels, et même, en général, de la matière : supprimez-les, pour ainsi dire, par la pensée ; la seule notion de l’espace subsistant, ces vérités subsisteront encore, au moins virtuellement (1). Elles ont éternellement préexisté dans la suprême intelligence, et je puis dire, empruntant les expressions de Bossuet (2) : » Ces vérités subsistent devant tous les siècles, et devant qu'il y ait eu un entendement humain ;... elles seraient » toujours bonnes et toujours véritables, quand il ny » aurait personne qui fùt capable de les comprendre... » Elles subsistent éternelles et immuables. » Les sciences mathématiques ont pour objet ces vérités abstraites, indépendantes, nécessaires, éternelles. Après elles, les sciences physiques. A la notion de l’espace que nous supposions seule sub- sistant, ajoutons celle de la matière : un second ordre de vérités devient aussitôt, par l'intermédiaire de nos sens, accessible à notre esprit; et nous concevons une seconde classe de sciences. Les vérités physiques ne sont plus abs- traites et purement intellectuelles, mais réelles, en pre- nant ce mot dans l'acception que lui donne Buffon (3); elles ne sont plus absolues, nécessaires, éternelles, mais subordonnées à l'existence de la matière et des corps, (1) « Personne ne s’est hasardé encore à nier ce que dit Montes- » quieu, qu'avant qu’on eùt tracé de cercle, tous les rayons étaiént » égaux. » (RÉMUSAT, Essais de philosophie, t. I, p. 288.) (2) Connaissance de Dieu et de soi-méme, ch. IV, v. (3) Voyez Chap. IV, p. 205. CLASSIFICATION OBJECTIVE DES SCIENCES. 244 indépendamment desquels elles ne sauraient être conçues, même virtuellement. Très distinctes ainsi des vérités du premier ordie, les vérités physiques onten même temps ce caractère, qu’elles s’étendent à toutes les propriétés de la matière, sous toutes ses formes et dans toutes ses conditions, étant rela- tives à sa distribution dans l’espace, aux agglomérations et aux combinaisons qu’elle v forme, aux forces, aux actions, aux phénomènes qui s’y produisent. Elles sont telles que souvent, alors même que nous les constatons uniquement à l’égard de notre globe ou du système dont notre globe fait partie, nous pouvons, ‘par la pensée, les suivre au delà et par tout lunivers ; vérités ainsi réduc- _tibles à des lois que nous sommes fondé à considérer, non seulement comme d’un ordre très général, mais, dans le vrai sens de ce mot, comme universelles, selon cette pensée hardie de Descartes (4) : « Encore que Dieu aurait » créé plusieurs mondes, il n'y en saurait avoir aucun » où elles manquassent d’être observées! » i 44) Discours sur la méthode, 5° partie. ; Il importe de faire observer, en citant cette pensée ‘de Descartes, qu’elle n'implique nullement la nécessité de ces lois qui, en effet, pourraient n'être observées dans aucun monde. La notion de la contin- gence des corps, et en général de la matière, est donc parfaitement conciliable avec la proposition de Descartes, et l'on doit se garder de la confondre avec les vues des auteurs qui ont admis la nécessité de la création ; par exemple, d’un philosophe récent, qui, citant cette belle parole de D'Alembert: L'univers est un fait unique (voyez plus haut, p. 173), ose ajouter : Ce fait unique est nécessaire. Ce philosophe si hardi, ou plutôt si téméraire, est une femme, mademoiselle Sophie Germain. — Voyez son remarquable ouvrage, intitulé: Considérations générales sur l’état des sciences et des lettres, 1833, p. 57 et 59. T 16 Re SUMMER VAE 212 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VI. Après les vérités relatives à la matière et à tous les corps dans toutes leurs conditions et tous leurs états, vien- nent des vérités qui, loin d’être encore générales ou univer- selles, se circonscrivent dans des cercles de plus en plus restreints, devenant aussi de plus en plus dépendantes. , Telles sont les vérités biologiques où relatives à la vie: vérités qui ont pour objets ces êtres encore étendus et matériels, cés corps dits organisés et vivants, que distinguent, entre tous les autres, et d’une manière si tranchée, leur accroissement graduel à partir d’un mo- ment initial, la mobilité continuelle de leur composition physique, leur durée limitée, et par conséquent la resti- tution, d’abord lente et partielle, puis, finalement, entière, de la substance qui a successivement constitué leur indi- vidualité (4). Telles sont encore les vérités humanitaires ou so- ciales, relatives, comme ces noms l’expriment, à nous- mêmes, à l'humanité; en d’autres termes, à l’homme considéré comme être intelligent, moral et social, et, à ce point de vue, non moins distinct de tous les autres êtres doués de vie, que ceux-ci de tous les autres corps ; en d’autres termes encore, aux sociétés humaines ; êtres collectifs auxquels chacun de nous est ce que sont à un être vivant et individuel les diverses molécules qui concourent momentanément à le former; êtres dont on (4) Êtres qui se distinguent aussi en ce qu’ils sont à eux-mêmes cause et effet, ajouterais-je avec Kant, si je ne voulais m'abstenir ici de le suivre dans des considérations métaphysiques dont je reconnais d'ail- leurs la justesse. On trouvera une bonne analyse des vues de Pillustre philosophe allemand sur ce sujet, dans l'Histoire de la die et de la philosophie de Kant, par SAINTES, 1844, p. 211. prob CLASSIFICATION OBJECTIVE DES SCIENCES. 213 peut dire aussi, abstractivement, qu'ils naissent, vivent, se renouvellent sans cesse, et finissent par se dissoudre en leurs éléments, mais à longs périodes, et sans qu'on puisse à l'avance assigner le moment de leur vieillesse et le terme de leur durée. FIG | sif Aux vérités relatives à la vie ou aux êtres vivants; à celles qui se rapportent à l'humanité ou aux. sociétés hu- maines, correspondent les sciences biologiques et les sciences humanitaires ou sociales, sciences constituant ainsi naturellement le troisième et le quatrième terme fondamental de la série mathésiologique : sciences à la fois très distinctes, et liées par des affinités qu’on ne saurait méconnaitre plus que leurs différences objectives. Les unes et les autres se rapportent à des phénomènes dont le propre est d’être très complexes, incessamment variables, passagers, et, comparativement à ceux qui sont du do- maine des sciences physiques, seulement locaux : phéno- mènes dont l'existence est, par conséquent, très restreinte, aussi bien dans l’espace que dans le temps, et qui restent sans influence sur l’ensemble; en sorte qu’autant les vérités mathématiques sont indépendantes des vérités | physiques, autant celles-ci le sont des vérités relatives, d’une part, à la vie où aux êtres vivants, de l’autre, à l’humanité ou aux sociétés humaines. Les sciences biologiques et les sciences humanitaires ou sociales forment donc naturellement les troisième et qua- trième groupes fondamentaux de Ja série mathésiologique, qui se trouve ainsi très logiquement constituée; car elle procède, selon une progression très mee et dont la raison est partout la même, des vérités les plus DR nn ER | | 1 1 1 {NS T Ega” PTA E T grec RE Ce rie ES Le SN. EESE E à de TT LS rares SEE Ro D ue Er PT CS à -aa ans C2 | US ER Se 5 7 D TPE IEEE SE niani a a aa nés: ch PTE a Dé M vu w pe a p a pia Dh . PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. VI. simples, les plus générales et les plus indépendantes, à celles qui sont le plus complexes, le plus spéciales et le plus subordonnées.. A la suite des sciences physiques, biologiques el hu- manitaires, ou, comme ont dit plusieurs philosophes, après les sciences de la nature, et au-dessus de la science de l'homme, nous ne saurions plus concevoir que la science de Dieu, et plus généralement, la philosophie ou les sciences philosophiques, dont la connaissance de Dieu est le sublime couronnement. Mais la philosophie, science des rapports généraux, de l’ensemble, de la cause pre- mière, n’est pas une science que l’on puisse assimiler aux autres, et placer à leur suite; ou parmi elles comme un terme de plus dans la série, füt-ce comme le terme prin- cipal et prédominant. Elle est le résumé général, len- semble des corollaires communs de toutes les autres sciences, unies et confondues en elle dans leurs sommités; elle est le foyer où convergent et se concentrent les ayons divers du savoir humain. La philosophie, dans le sens vrai de ce mot, la philosophie première, comme ont dit Aristote (1) et Bacon (2), et qui serait mieux dite la philosophie dernière, puisque tout y aboutit, n'est pas une science; elle est la science des sciences, la fin de toutes les autres : en deux mots, en tant qu'elle nous est accessible, la science une et suprême. (A) Métaphysique, liv. VI, 1. La philosophie première, la science première, dit ARISTOTE, est à science universelle, la science par ex- cellence ; et comme telle, elle doit avoir pour objet létre par excellence. (2) De dignitate ef augmentis scientiarum, lib. I, cap. t. — Bacon définit la philosophie première la science des choses divines et hu- maines. dde CONCORDANCES LOGIQUES ET HISTORIQUES. 245 IN. Arrivés à ce point, qui ne voit que nous sommes reve- nus à la série de Descartes, mais maintenant à sa série divisée, décomposée, dont nous connaissons les termes principaux aussi bien que la direction générale, et dont l’ordre se trouve vérifié par de multiples concordances? Ces termes sont les sciences mathématiques, physiques, biologiques et humanitaires ou sociales, que relient, dans leurs sommités, les sciences philosophiques (1). Cet ordre est celui dans lequel je les énonce ici : ordre dont je puis dire d’abord, avec Descartes, qu’il procède des objets les plus simples aux plus composés(2), eten outre, des objets les plus généraux aux plus particuliers; de (1) Des noms dont je me sers ici, les deux premiers et le dernier sont depuis longtemps sanctionnés par l'usage : nulle difficulté à leur égard. Le nom de sciences biologiques, appliqué au troisième groupe, est beaucoup plus récent ; mais un grand nombre d'auteurs s’en sont déjà servis à l'exemple de Lamarck (voyez p. 168), et il est aujourd’hui très généralement usité. On ne saurait d’ailleurs lui substituer un terme plus satisfaisant en lui-même, et mieux en rapport avec l'idée qu’il doit exprimer. Encore ici, nulle difficulté. J'ai, au contraire, beaucoup hésité sur le choix du nom qu'il con- viendrait d'adopter pour le quatrième groupe. Aucun des termes jus- qu'ici employés n’est exempt d'objection. Provisoirement je me sers tout à la fois du mot sciences sociales, très généralement usité (trop peut- être, par les extensions diverses qu’on lui a si souvent données), et du mot sciences humanitaires, qui, plus large, etpar cela même, plus exact, semble pouvoir être utilement introduit dans la nomenclature mathésiologique. Je laisse aux auteurs qui s'occupent spécialement de ces sciences, le soin de M es sur le nom a leur être défi- nitivement donné. } (2) Voyez Chap. V, p. 223 et 224. gs E s! 2 “g A ai ‘+ z X ni dx dé ide s: á Ve a r s DE dé LU 4 EM r Dh. < to sé di +. t ER DE? + RES Dec AE ns LÉ 4, | E ~ i Lo ol ER 7 déduit: x o ” PRE B Pr nt z ane mn anian aa Re 8e me md + son ment 5 - s p RL C1 Lo a aaa DM 7 aa a a £ r3 Ki ane rennatmeere a tin 2h6 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VI. ziger is onn | PNR TR NS CPR EE neo À ği r L adii ji at rij A 4 TO 7e LE Gi. 3 ki ee sia SE: Hans oh mt nt ill à ces êtres abstraits qui ne sont qw'étendus, à des êtres étendus encore, et de plus, matériels; de ceux-ci à des êtres matériels encore, et de plus, vivants; de ces derniers enfin, à des êtres vivants encore, et de plus, intelligents et moraux. Ordre où, par cela même, on s'avance progres- sivement de vérités et de sciences dont le domaine est in- fini, puis universel, à des vérités et àdes sciences de plus en plus limitées ; par conséquent, et à tous égards, des plus complétement indépendantes aux plus dépendantes. Sous tous ces points de vue, notre ordre sérial se vé- rifie logiquement. Puisque cet ordre est l’ordre même de Descartes, je puis ajouter qu’il ne se vérifie pas moins heureusement par l’histoire : čest ainsi, nous le savons déjà, qu'a commencé, que s’est opéré et que se pour- suit encore l’évolution des connaissances humaines. A toutes ces concordances, à celle-ci surtout, je puis en rattacher une autre encore, et la plus remarquable peut-être, bien qu’indirecte; dernière et décisive confir- mation de notre ordre sérial. Les mêmes relations de temps et de succession quiexistent entre les quatre groupes principaux de la série mathésiologique, se retrouvent entreleurs objets eux-mêmes. En effet, ce sont les mathé- matiques, sciences des vérités éternelles, qui ont devancé historiquement toutes les autres. Plus récentes que les mathématiques, les sciences physiques ont préexisté aux sciences biologiques; de même la matière et les corps bruts aux êtres vivants. Enfin les sciences humanitaires sontcelles dont le développement est le plus tardif, comme l’homme est le chef-d'œuvre final et le couronnement de la création. Les sciences se développent donc précisément, dans l’ordre même où leurs objets se sont produits. a db anne a piae < A ae ET] jy es er 4 T's CONCORDANCE AVEC LES TRAVAUX MODERNES. 247 IV. La classification des sciences en quatre groupes prin- cipaux vient d’être obtenue directement et rationnellement, à l’aide de diverses considérations théoriques, et princi- palement en partant des vues de Descartes. Elle peut aussi être déduite indirectement, et par voie éclectique, de l'étude et de l'appréciation comparative des principales conceptions encyclopédiques, de celles qui ont eu et ont encore cours parmi les savants et les philosophes Je puis presque dire l'assentiment des auteurs de ces diverses conceptions, acquis à l'avance à la classification dont j je viens de poser les bases; classification que j 'appellerais volontiers celle de tous, car il pouvait suffire d’en extraire, d’en dégager tous les éléments essentiels des travaux les plus récents et les plus estimés. C’est ee que je vais som- mairement démontrer (4). Nul dissentiment, en premier lieu, sur l’ordre général de notre série : c’est l’ordre même de Descartes; par conséquent, celui qui prévaut dans la science depuis MM. Comte et Ampère surtout. Je l'ai montré ailleurs, et je n'ai plus à revenir sur ce point (2). (1) Je comprendrai dans l'exposé analytique qui va suivre, aussi bien les classifications postérieures à la première publication de mes vues (voyez plus haut, p.238) que celles quii les ont précédées, et dont j'ai pu me servir en 18/0. (2) Voyez le Chapitre précédent, sect. 11. | Depuis la rédaction de ces Prolégomènes, les idées que j'ai tout à ep Lu i ed pe n E ENT K : "TEN EE. à STALLONE ARE 1 4 1 f } 2 E 28 i à | 3 | ‘4 Li 1° 4 M j 4 A 1 ! } i] saia pu en à poemes TE 245 PROLÉGOMÈNES, LIV, 1, CHAP. VI. On est d'accord aussi, et presque sans exception, à l'égard du groupe par lequel s'ouvre la série, celui des sciences mathématiques. Il est, de nos ‘jours, généralement admis; il la été de tout temps. Parmi les modernes, il occupe le même rang dans les clas- sifications objectives de MM. Auguste Comte, Ampère, Reynaud, Cournot (4), et dans celle, basée sur les mêmes principes, qu'a indiquée M. Babinet (2); 1l l'occupe aussi dans les classifications subjectives de De Candolle, de M. d’'Omalius d’'Halloy et de M. Gerdy (3). Tous ces auteurs le placent à la tête de la série. On lui assigne presque partout aussi les mêmes limites. A l’arithmétique et à algèbre , à la théorie des fonctions et à celle des probabilités, à la géométrie et à la mécanique, Ampère presque seul adjoint l'astronomie ; et il est trop manifeste l'heure exposées, et que je rappelle ici, ont été encore confirmées et mises en lumière par quelques auteurs; par exemple, résumées, avec autant de concision que de netteté, par le disciple le plus éminent de M. Comte, M. Lrrrré. Voyez son article sur les Étoiles filantes, inséré dans la Revue des deux mondes, t. XIV (nouvelle période), p- 289, avril 4852 : « Une juste hiérarchie des sciences, dit M. Littré, place au » premier degré cequi est plus général et plus simple, pour venir à ce qui » est plus particulier et par conséquent plus compliqué... Rien ne peut » plus faire que cette notion suprème, aujourd'hui mise dans la cir- » culation, ne pénètre enfin les esprits, et qu’on ne comprenne la » subordination réelle des sciences. » ; (4) Pour les classifications de MM. COMTE, AMPÈRE, REYNAUD et COURNOT, voyez p. 226 et suiv. — Pour celles d'Ampère et de M. COUR- NOT, voyez aussi, outre la suite de cette Sectiow, p. 258 et p. 262. (2) Discours sur la classification des sciences, prononcé en 1826 à une distribution de prix, et déjà cité, p. 229. (3) J'ai résumé les vues de DE GANDOLLE, p. 217 et suivantes; celles de MM. D'OMALIUS D'HALLOY et GERDY, p. 200 et 201. — Pour ces trois auteurs, VOYEz en outre plus bas, p. 252. CONCORDANCE AVEC LES TRAVAUX MODERNES. 249 qu’il le fait bien plus pour la symétrie de son cadre que pour des motifs de fond (4). Le groupe des sciences physiques et celui des sciences biologiques , seulement indiqués par Descartes, mais dont la distinction avait été plus nettement faite en 1801 par Bichat et en 1802 par Lamarck (2), n'avaient pas (4) Quelque grande que soit l'autorité d’ Ampère, son opinion sur le rang et les rapports mathésiologiques de l'astronomie n’a eu qu’un bien petit nombre de partisans; elle n’en a plus, et surtout ne saurait en avoir dans lavenir. On s'accorde de plus en plus à reconnaître que l'as- tronomie appartient au groupe des sciences physiques. Il est bien vrai que, pour nous faire connaître le volume, la figure, la masse, les distances, les mouvements des astres, et plus générale- ment la distribution de la matière dans l’espace, l'astronomie emprunte aux mathématiques leurs méthodes; mais elle les applique à des faits essentiellement physiques, qu'elle ramène à des lois physiques aussi. Le principe lui-même de la gravitation a ce caractère ; l'astronomie en tire mathématiquement les plus sublimes conséquences auxquelles püisse s "élever l'esprit humain ; mais il n’est au fond ni mathématique ni astronomique; il est, il reste un principe de physique générale, puisque tous les COrps, qüels qu'ils soient, s’attirent réciproquement, puisque la pesanteur est un fait universel. L’astronomie ne consiste d’ailleurs pas tout entière dans ce qu’on a appelé la géométrie et la mécanique célestes. Sans parler de la chimie qui a pu, grâce à la chute des aérolithes, démontrer l'existence, hors de notre globe, de la même matière qui en constitue l'écorce, la physique intervient utilement, et de jour en jour davantage, dans l'étude des corps célestes. A l’aide des rayons lumineux, propres ou réfléchis, qu’ils nous envoient, et par lesquels il nous est donné de communi- quer avec eux, elle les explore, et parfois obtient des résultats qui vont jusqu’à en pénétrer à quelques égards la nature : par exemple, à rendre compte de la formation des montagnes de la lune, et bien plus encore à démontrer l’état gazeux de la surface incandescente du soleil ; admirable application de l’optique, qui suffirait pour faire naea jamais le nom de M. Arago. (2) Pour BicHaT, voyez le remarquable début de P Anatomie générale. I. 16. Er é n 6 agin TE” rp . fee à us ES ee Or à urines + aie dr pr 250 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VI, été admis par les auteurs de la première partie de notre siècle. La physique générale qui examine d’une manière abstraite les propriétés des corps, et la physique particu- lière ou histoire naturelle qui étudie individuellement ces mêmes Corps, aussi bien les corps bruts que les êtres vivants, telle était la division adoptée jusqu’à nos jours dans ce qu'onavait appelé en général la physique ou science naturelle : division tellement consacrée par lu- sage, que ni Haüy (4), ni Cuvier et De Candolle eux- . mêmes (2) n’ont songé à s’y soustraire ou ne lont osé. Cest par Bichat que la distinction des sciences physiques et des sciences physiologiques a été le plus nettement faite. I importe d’ailleurs de faire remarquer que les sciences physiologiques de Bichat ne sont pas exactement ce que nous appelons sciences biologiques, mais seule- ment une partie de celles-ci. Bichat laisse en dehors des sciences phy- siologiques, et considère comme constituant un groupe à part, les sciences biologiques descriptives. Quant à LAMARCK, on a déjà vu (p. 468) que cet illustre zoologiste avait indiqué, en 1802 et 1803, la nécessité de réunir toutes nos connaissances sur les êtres vivants en une science commune, la biolo- gie. Mais Lamarck n’a ni développé ni précisé ses vues, et il est resté, sur ce point, sans influence sur les travaux ultérieurs. A plus forte raison en a-t-il été ainsi de RAFINESQUE-SCHMALZ, auteur connu surtout par ses nombreuses innovations terminolo- giques, et dont les vues ont rarement mérité de fixer l'attention, et surtout d'être accueillies dans la science. Sur ce point pourtant, Rafi- nesque a été mieux inspiré qu’à l'ordinaire : sous le nom de somiologie, il a nettement admis le groupe des sciences biologiques dans l’opus- cule, déjà cité, qu’il a fait paraître en 4814 sous ce titre : Principes fondamentaux de somiologie, Palerme, in-8. (4) Traité élémentaire de physique, Introduction, p. j. (2) Voyez CUVIER, Tableau élémèntaire de l'Histoire naturelle des animaux, p. 1et2, 1788; et surtout Règne animal, p. 2-et 8. — De CANDOLLE, Théorie élémentaire de la botanique, Introduction. Les définitions qui viennent d’être données sont empruntées à Cuvier et à De Candolle. CONCORDANCE AVEC LES TRAVAUX MODERNES. 251 Elle est tombée enfin devant les progrès récents de nos connaissances; et les travaux modernes ont fait prévaloir la distinction, entrevue par Descartes, Bichat et Lamarck, entre ces deux groupes éminemment naturels : d'une part, toutes les sciences relatives à la matière en général et aux Le f corps bruts; de l’autre, toutes celles qui traitent des êtres organisés et doués de vie. A son tour, cette distinction fon- damentale est sanctionnée par usage. On peut sans doute signaler ici de nombreuses divergences d'opinion; mais la plupart, depuis M. Comte, et surtoutdepuis Ampère, ne sont que secondaires et souvent de pure forme. Je retrouve les sciences physiques (1) et les sciences biologiques sous ces mêmes noms chez M. Cournot ; sous ceux de sciences phy- siques el physiologiques chez Ampère (2); de physique (4) On disait autrefois indifféremment science de la nature, science naturelle et physique. I n’en est plus de même aujourd’hui. Quoique parfaitement équivalentes par leurs données étymologiques, ces ex- pressions sciences physiques et sciences naturelles, ont reçu de l'usage des sens très différents. Ces dernières sont, par excellence, dans le lan- gage actuel, les sciences qui traitent des êtres vivants, en d’autres termes, les sciences biologiques théoriques. i (2) La nécessité logique de comprendre dans un même groupe la physique générale, la chimie, la minéralogie et la géologie, avait été reconnue avant Ampère ; mais c’est surtout grâce aux travaux de Pil- lustre physicien qu’elle a été comprise et qu’elle a prévalu. vest sous l'influence d'Ampère que la Société philomathique de Paris, si anciennement et si justement renommée, s’est divisée en trois grandes sections, Correspondant l’une aux sciences biologiques, les deux autres aux sciences mathématiques et physiques, la minéralogie et la géologie faisant partie de la section mathématique. Dans l'Académie des sciences de Paris, au contraire, ces deux dernières branches de nos connaissances, et la chimie elle-même, continuent à être écartées de la physique, et réunies à la botanique et à la zoologie, selon les idées qui ont si longtemps régné en mathésiologie. 252 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VI. inorganique(! }etde physique organique ou biologie chez M. Comte; de physique et de zoologie chez M. Rey- naud (2); d'inorganomie etd'organomie chez M. d’Omalius d'Halloy(3); l’une de ces sciences s’oceupant, dit le célèbre géologue belge, des forces et des corps bruts, l’autre de la vie et de ses produits. L’organologie de M. Gerdy, F his- toire naturelle organique de De Candolle, sont encore le groupe des sciences biologiques, mais considéré ici comme une simple subdivision de l’histoire naturelle ou physique particulière; subdivision opposée à l’histoire particulière des corps bruts qui est l’inorganologie du premier, l’histoire naturelle inorganique de celui-ci (4). (1) Subdivisée en astronomie, physique et chimie. (2) M. REYNAUD, loc. cit., p. 789, a donné au mot zoologie, pour éviter d'en créer un autre, un sens beaucoup plus étendu qu’on ne le fait d'ordinaire. C’est pour l'auteur la science des êtres vivants. On sait que (oc ne répond en.grec à notre mot animal, que parce que les animaux sont les étres vivants par ra fé pres L'adjectif tòcs signifie animé, vivant. (3) M. D'OMALIUS D "ITALLOY, dans ses premiers travaux mathésiolo- giques, avait encore admis l’ancienne division en physique générale et histoire naturelle particulière; mais il a très heureusement modifié sa classification dans son Tableau des connaissances humaines; Note additionnelle, 1838 (Toy. p. 200). Dans ce Tableau, M. d’Omalius d'Halloy donne ainsi les divisions principales de l'organomie et de l’inorganomie : er { Physique. énérale Er ; \ RET Chimie. INORGANOMIE pnek Météorologie. . Minéralogie. Géologie. ORGANOMIE Botanique. t Zoologie. L uii de toutes ces sciences forme, pour M. d'Omatius, le groupe des sciences naturelles. l D'UMOULOLE. s we 2. 4 PEUT (4) M. BABINET, loc, cit., a parfaitement déterminé le groupe des - r a 5 anias Pa En ian S p naana T- RE Ti à L 4% > $ r5 | Le pee Fi À H | | Dh y k i | à 1 i- 5 b Fi i À TEREE | A à É pE PF i 1 dd À d 4 . $ EË 4 | X | 1 L © | : D: : 41 E i b $ E pe i d 4 Pei i Y 5 à a" i } F. IE + 5 Eig AEri HE, 41: | i gi i $ g: i Q | $ H F E À À CONCORDANCE AVEC LES TRAVAUX MODERNES. 253 a Ajoutons enfin que la distinction des sciences physi- | ques et biologiques $e retrouve, et ici officiellement consacrée, dans les programmes actuels de l'instruction publique (1). Le quatrième groupe principal, celui des sciences huma- nitaires ou sociales, a été admis plus généralement encore que les deux précédents. On le retrouve, sous des noms i divers, dans presque toutes les conceptions encyclopédi- ques, aussi bien dans celles qui datent de l'antiquité -ou du moyen âge, que dans les plus modernes. Parmi celles-ci, il occupe le plus souvent le même rang. C'estainsi que sous le nom de physique sociale ou sociologie, il constitue la dernière des six sciences, fondamentales de M. Auguste Comte; sous celui de sciences nooloÿiques, groupe subdivisé en sciences noologiques proprement dites et en sciences sociales (2), le second des deux règnes mathésiologiques d'Ampère (3); sous le même sciences physiques, mais non celui des sciences biologiques. Il fait de nos connaissances sur les végétaux, d’une part, sur les animaux, de l'autre, deux groupes de premier ordre, au lieu d’un seul groupe prin- cipal, secondairement divisé. (1) Voyez la note de la page 255. (2) Celles-cisubdivisées encore en sciences ethnologiqueset politiques. (3) Ampère s'écarte d’ailleurs ici, sous un point de vue important, " des auteurs avec lesquels il est le plus ordinairement d'accord. De E ses sciences noologiques, c'est-à-dire des sciences humanitaires, tant pratiques que théoriques, et de quelques auires branches de nos connaissances qu'il y rattache plus ou moins heureusement, Ampère compose ce qu'il appelle un de ses deux règnes, c’est-à-dire une moitié tout entière de l'encyclopédie. C’est attribuer à ce groupe une im- portance très exagérée. Tous les auteurs en ont ainsi jugé, et l’on doit s'étonner qu’Ampère n'ait pas abandonné ses vues à cet égard, en voyant à quelles conséquences il allait être conduit. La valeur des divisions et PE ET RTS RT E CE SL A ETE T és cialis és ot du hi arts ADS RE es, Ven ne pare ES DT a sr on 3 + 4 . Pr lé uses: a ok pe” Ds a > HAT: A peer oi 5 s r S r aAA pe : : x és 254 © PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VI. nom, la dernière des divisions admises par M. d’Oma- lius d'Halloy etpar plusieurs autres; sous celui de sciences relatives au microcosme (1), la dernière des trois classes auxquelles Blainville rapporte toutes nos connaissances ; enfin, sous celui de sciences politiques, la cinquième et dernière des divisions principales, admises par M. Cour- not parmi les sciences théoriques. De nos quatre groupes principaux ou embranchements mathésiologiques, il nen est done pas un seul auquel on ne püt être conduit par l'analyse, comparativement faite, des travaux modernes. Et s’il est vrai que la distribution des connaissances humaines que j'ai cru devoir adopter il y a quelques années, n'avait élé encore proposée par aucun des savants et des philosophes qui m'ont précédé, elle était en quelque sorte par parties dans la science, et je subdivisions étant exagérée dans la même raison que celle du groupe principal, il se trouve que dessciences qui ne sont et ne seront jamais admises par personne, figurent dans les tableaux d'Ampère avec le rang de sciences de second ordre, quand, dans l’autre règne, des sciences d’une très grande importance sont considérées comme étant seulement de troisième ordre. Tl en est ainsi, par exemple, de l'analyse mathématique, de la minéralogie, de l'anatomie, de Ja chimie elle- même, qui, par là, se trouvent placées hiérarchiquement à côté de la lexiographie et de la mnémiognosie, au-dessous de la bibliologie et de lhoplismatique ! Plus l'autorité d'Ampère est, en général, légitime et imposante, plus il est nécessaire de dire qu’il s’est ici trompé, entrainé par le désir de retrouver partout, et à tous les degrés de la classification , ses quatre points de vue (voyez p. 258, note) et ses quadruples divisions et subdivisions. (1) Par opposition aux sciences relatives au macrocosme, c'est-à- dire à celles qui étudient le monde en masse et dans ses parties. (Voyez BLAINVILLE et MAUPIED, H istoire des sciences de l’organisation, t. 1, 4845; Introduction, p. xxj.) CONCORDANCE AVEC LES TRAVAUX MODERNES. 255- suis presque en droit de la présenter comme la résultante de tous les efforts antérieurement faits (4). v. Les groupes fondamentaux ou embranchements ma- thésiologiques viennent d’être déterminés au point de vue objectif : à leur tour pour les subdivisions. | Il est encore ici des points sur lesquels tous les auteurs sont d'accord, et que lon peut regarder comme mis hors de doute. Telle est la distinction, que déjà nous avons re- (4) J'ai eu la satisfaction de voir les divisions que j'avais proposées en 1841, admises en 1848 dans les Programmes officiels des examens dans les Facultés des sciences, Paris, in-4 (programmes que les nou- veaux décrets et arrêtés de 1852 n’ont nullement modifiés à cet égard). Cest sur la proposition de la Faculté des sciences de Paris, et de l'avis du Conseil de l'Université, qu'ont été instituées trois séries d'épreuves pour la licence et le doctorat: la première pour les sciences mathéma- tiques; la seconde pour les sciences physiques; la troisième pour les sciences naturelles, c’est-à-dire pour les sciences biologiques; car la minéralogie a été reportée parmi les sciences physiques. En ajoutant aux trois groupes admis par la Faculté les sciences humanitaires ou sociales dont elle n'avait pas à s'occuper, On A retrouve exactement la classification que je viens d'exposer. Tout récemment, cette même classification a été en très grande partie adoptée par M. Cournot, comme on a pu le voir par ce qui précède. Ce savant admet avec moi, et sous les mêmes noms aussi bien que dans le même ordre, les sciences mathématiques, physiques et biologiques. Après celles-ci, M. Cournot termine l’encyclopédie par deux groupes, les sciences noulogiques et symboliques, et les sciences politiques et l'histoire. Ces deux groupes correspondent, mais non exactement, aux sciences philosophiques et aux sciences sociales. les considérations subjectives vont intervenir g> + de ee a s: D aak o Sa MEE E O E E ER £ EU a. ORA n A a aa he at En aaa Ea -< p alt A EAE E ER sa aidati Lg aiad ESERE SE NORNAN a ph PS hi dm 256 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. Vi. connue d’une manière générale, entre les sciences es- sentiellement théoriques et nos connaissances appliquées ou pratiques (1); distinction qui se reproduit dans-chacun des embranchements, et à laquelle aucune objection n’est opposée et ne saurait l'être. Dans l’embranchement qui nous intéresse plus spécialement, quelle difficulté pourrait s'élever contre la division des sciences biologiques en théoriques et appliquées, c’est-à-dire, ainsi qu’on les nomme généralement, en sciences naturelles et sciences médicales et agricoles ? Parmi les autres branches de nos Connaissances, la distinction des mathématiques pures ou théoriques et appliquées est devenue vulgaire ; et la division des sciences physiques et des sciences hu- manitaires en théoriques ou spéculatives, et pratiques ou d'application, se présente tout aussi naturellement, et n’est guère moins généralement admise. La difficulté n’est done pas là (2); elle est dans la dé- termination du rang qu'il convient d’assigner à ces diverses subdivisions, dans l'expression des multiples rapports de ces connaissances pratiques, dans lesquelles Descartes (3), s'inspirant très vraisemblablement de Ray- mond Lulle (4), voyait autant de fruits à l'extrémité des branches de l'arbre de la science. Simple et ingénieuse comparaison qui tenait compte, à la fois, du caractère (4) Voyez le Chapitre HI. (2) Réserve faite toutefois de la détermination des limites des divers groupes théoriques et pratiques. Ces limites sont parfois très difficiles à tracer; inévitable conséquence de l'unité fondamentale des con- naissances humaines. (3) Voyez Chap. V, p. 224. (4) Chap. IT, p. 185. CLASSIFICATION OBJECTIVE ET PARALLÉEIQUE. 257 propre de ces connaissances, et du lien qui unit chacune Telles à la science théorique dont elle dérive. Il était dif- ficile de mieux indiquer comment la disposition des fruits sur l'arbre encyclopédique, pour nous servir de l’image employée par Descartes, dépend de la disposition des branches; comment la détermination de l’une devait donner implicitement celle de l’autre. Malheureusement, personne, durant deux siècles, ne s’est avancé dans la voie que Descartes avait si bien indi- quée à ses successeurs. Il y avait deux genres de rapports à exprimer : les auteurs ont tous délaissé l’un pour s’atta- cher exclusivement à l’autre ; ceux-ci, mettant ensemble tous les fruits, sans s'inquiéter de leurs relations néces- saires avec les branches ; ceux-là mêlant, dans une union intime, par cela même confuse, les fruits produits avec les branches productrices. Les deux auteurs qui, dans les temps modernes, se sont occupés avec le plus de succès de la classification des sciences, Ampère et M. Comte, ont fait eux-mêmes ici comme leurs devanciers : le premier méconnaissant la diversité de nos deux ordres de connais- sances qu’il éntremêle à chaque instant ; le second, les séparant entièrement l’un de l’autre, et voyant en eux deux systèmes essentiellement distincts et la division la plus générale que lon doive admettre en mathésiologie (4). Entre ces deux solutions inverses, également inadmis- sibles comme expressions des doubles rapports des sciences, on peut heureusement en concevoir une troi- sième où se trouvent réunis, sans leurs inconvénients, les (L) Loc. Cites 1. 1, p. 64 et 66. I. : 47 = cd =. Ve Me 20 RE AEE N ” dolls AR E OE s, Ae za a. DE es y os et pl the ee ET j ja ” iles iii Pr] A doi cris ne Ponte cité él à a hs 258 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VI. avantages de toutes les deux. Comment un esprit aussi péné- trant, aussi inventif que celui d'Ampère, et naturellement porté, plus qu'aucun autre peut-être, vers de telles con- ceptions (4), n’a-t-il pas reconnu qu’il existe un moyen de relier sans réunir, de distinguer sans isoler; un moyen (4) Quand je traiterai, dans la suite de cet ouvrage, de la classifica- tion par séries parallèles et de son application à l'Histoire naturelle, je montrerai par des documents inédits ou peu connus que l'illustre physicien avait compris, dès. 4834 (deux ans seulement après moi), la possibilité de cette application; bien plus, qu'il avait essayé de la réaliser. Dans la mathésiologie elle-même, Ampère s’est montré, et autant qu'on peut l'être, partisan de la classification par séries parallèles : sa classification tout entière peut être dite parallélique ; elle est même, dirais-je, trop parallélique, à cause de la symétrie parfaite que l’auteur a voulue partout entre ses divisions de divers degrés. C’est ce qu'on reconnaît facilement, si, au lieu de suivre l’auteur dans le dédale des innombrables sciences qu’il admet, on se borne à mettre en rapport ses divisions principales; par exemple, les divisions primaires et se- condaires de ce qu’il appelle son premier et son second règnes. Voici le tableau qu'il en donne lui-même à la fin de la première partie: Premier règne. Second règne. Noologiques { Philosophiques. SG. GOSMO-) propr. dites | Physiques. SG, NOOLO- | propr dites UDialegmatiques. LOGIQUES. Naturelles. GIQUES. Médicales. Les { Mathématiques. Ethnologiques. Physiologiques ki u | Politiques. Sociales . * { Si le parallélisme des deux séries comprises dans ce double tableau ne réssortait pas de sa simple inspection, je ferais remarquer que, selon Ampère, les sciencés mathématiques et philosophiques, physiques et dialegmätiques, naturelles et ethnologiques, médicales et politiques, se correspondent d’un règne à Pautre, comme se rapportant respective- ment à ce que l’auteur appelle les points de vue autoptique, crypto- ristique, troponomique, el cryplologique. — Voyez AMPÈRE, loc. cit., Préface, et Observations, à la suite des exposés de classification, notamment, 4° partie, p. 41. C’est là que les quatre points de vue sont définis et dénommés. CLASSIFICATION OBJECTIVE ET PARALLÉLIQUE. 259 d'exprimer à la fois les rapports de toutes les connaissances théoriques entreelles, de toutes les connaissancespratiques entre elles aussi, et des unes avec les autres ? Ce moyen, fort simple, est l'emploi de cette forme particulière de classification que j'ainomméeen Histoire naturelle parallé- lique où par séries parallèles, et dont l'application est bien loin de se limiter à notre science. | C’est un savant qui, à l'exemple d'Ampère, s’est livré en même temps à l'étude des mathématiques et à celle de la philosophie, et qui a fait à la classification des sciences d’heureuses applications de son double savoir; c’est M. Cournot qui a le premier, el tout récemment, em- ployé la méthode parallélique en mathésiologie (4). 11 l’a fait avec un incontestable succès. Après lui, ibne me reste qu'à constater, sauf quelques réserves partielles, un pro- ` grès que j'essayais de réaliser par moi-même, mais sans doute d’une main moins ferme et moins sûre (2). Au lieu de disséminer, comme Ampère, les sciences pratiques parmi les sciences théoriques, ou de les.en isoler et éloi- gner, comme M. Comte, M. Cournot les dispose collaté- ralement à celles-ci, chacune d'elles étant placée vis-À-vis de la science théorique dont elle dérive; d’où il suit que leur ensemble forme une autre série, semblablement | (1) Essai sur des fondements de nos connaissances, t. IE, p. 265 et suiv. Voyez particulièrement le tableau synoptique annexé à la page 269. (2) I était impossible qu'après avoir conçu, il y a plus de vingt ans, le plan de la classification par séries parallèles, et en ayant poursuivi d'année en année l'application aux sciences naturelles, je n’eusse pas conçu la pensée de l’étendre à la mathésiologie. Mais je n'avais rien publié sur ce sujet, lorsqu'a paru le remarquable ouvrage de M. Cournot. a F “AR RENDRA ss +. A né CA į Dr | 3 FA F1 i z f PNE E 44 w TETEE E EN Te Lente Lis -P ye RENE rai À cn Le + LE SR LCA ~ 4 i j; ‘114 À IR 11 V + ge 2e st D o HA ee A de mc RE ee A Ra a he mme = em 260 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. VI. ordonnée, composée de termes respectivement ana- logues à ceux de la première, et pouvant lui être dite parallèle. yi La classification mathésiologique, ainsi établie, et en écartantun autre ordre de considérations qu'y fait interve- nir M. Cournot, est ce qu’on peut appeler bi-parallélique. C’est la série de Descartes dédoublée , et néanmoins se présentant encore sous une forme assez peu complexe pour être saisie dès le premier aspect. Tel en sera en effet le plan : Premièrement, quatre groupes principaux où embran- chements, coordonnés selon les relations objectives des sciences qu’ils comprennent (4); | Dans chacun de ces embranchements, deux groupes secondaires, deux classes, subjectivement établies, en raison de la diversité des buts; c’est-à-dire, l’une théo- rique, lautre appliquée ou pratique. De là, quatre classes théoriques, superposées les unes aux autres, en une série, qui doit être dite principale; quatre classes pratiques, de même superposées, et con- stituant une seconde série, essentiellement subordonnée ou dérivée. l En même temps, chaque groupe pratique est juxtaposé au groupe théorique dont il dérive (2). Et les groupes (4) Ces quatre embranchements, outre les transitions directes qui peuvent exister de l’un à l'autre, s'unissent, comme on l'a vu plus haut (sect. 11, p. 244), dans la science une et supréme ou la philosophie. (2) J'ai essayé d'exposer aussi clairement que possible le plan de cette classification parallélique des sciences, où les deux ordres de rapports qui les relient sont exprimés par ces deux modes de rap- prochement, la superposition et la juxtaposition. CLASSIFICATION OBJECTIVE ET PARALLÉLIQUE. 264 juxtaposés se correspondent, non seulement dans leur ensemble, mais aussi partie par partie, et pour ainsi dire, terme à terme et science par science : l'arpentage se trouvant à côté de la géométrie ; la technologie chimi- que, de la chimie; la médecine, de la physiologie; et pour prendre aussi un exemple dans le quatrième em- branchement, la politique à côté de l’économie sociale. La classification des sciences en deux séries parallèles peut se ramener, comme il est facile de le voir, à une construction très simple, et dont l'usage nous est à tous familier, la table à double entrée, si anciennement Pour ne laisser ici aucune obscurité sur un sujet difficile, je crois devoir mettre sous les yeux du lecteur un free qui résumera Sy noptiquement ce qui vient d’être dit. ‘N Plan de la classification objective et t parallélique des sciences. SÉRIE GÉNÉRALE. (Quatre embranchements.) || (Quatre classes.) $ é 1. SC. MATHÉMATIQUES. Í PREMIÈRE SÉRIE PARTIELLE. SECONDE SÉRIE PARTIELLE, (Quatre classes.) HI. SC. PHYSIQUES. SC. PHYS. THÉORIQUES ou sc. cosmologiques. HI. SC. BIOLOGIQUES. (Classe 1.) (Classe 11.) SC. MATH. THÉORIQUES SC. MATH. PRATIQUES ou pures.. ou appliquées.” (CI. 1.) (GTR S0. PHYS. PRATIQUES | ou sc. technologiques: (Cl. r.) SC. BIOL. THÉORIQUES ou sc. naturelles. IV. SG. SOCIALES. (CL 11.) SC. BIOL. PRATIQUES ou sc. agricoles et médicales. (CL 1.) SC. SOC. THÉORIQUES. (CL 11.) SG. SOC. PRATIQUES ou se, politiques. Pour les rapports des quatre embranchements avec la philosophie, voyez le petit tableau, p. 239. E 262 . PROLÉGOMÈNES LIV. 1, CHAP. VI. imaginée (4) et si souvent employée par les mathémati- ciens. Dans la table mathésiologique, les sciences objec- tivement analogues se trouveront sur la même ligne ho- rizontale, et celles qui se ressemblent par leur but, sur la même verticale : sorte de projection qui donnera, de leurs doubles rapports, une expression graphique aussi nette que facile (2). i (1) Chacun sait que la table de multiplication, celle des tables à double entrée qui nous està tous le plus familière, a été attribuée à Pythagore. | (2) Entre les deux séries parallèles que j'admets avec lui, la série théorique et làa série pratique, M. Cournot en interpose une-autre, appelée par lui cosmologique et historique. Sa classification est donc tri-parallélique. Ses vues à cet égard me paraissent devoir être non pas rejetées, mais modifiées. Les sciences cosmologiques et histori iques de M. Cournot sont les mêmes sciences théoriques aussi, mais plus particulières et plus descriptives, que M. Auguste Comte avait déjà distinguées sous le nom de concrètes (voy. Chap. V, p. 227, note 2). Voici, par exemple, comment M. Cournot divise et classe les sciences biologiques. 5 + SÉRIE COSMOLOGIQUE $ ar SÉRIE THÉORIQUE. je ; SÉRIE TECHNIQUE OU PRATIQUE. ET HISTORIQUE. ; Anatomie Botanique. Embryogénie í : Tératologie Classification des végétaux. Physiologie ` Pàléontologie botanique. | Phytotechnie. végétales. A i Sciences agronomiques. Anatomie ; Zoologie. z Zootechnie. Mmaa Classification et distribution Tératologie des animaux. _! Élève des animaux. Physiologie Paléontologie zoologique. Art véférinaire, etc. animales. Anatomie | A Anthropologie. Hygiène. | Pathologie. Embrjogénle À humaines à paa ue. | Clinique. Tératologiė Classification et distribution | Éducation phy- Chirurgie. Physiologie |) des races humaines. sique. (Pharmaceutique. LD RG EE 2 ire mue RAPPORTS DES SCIENCES NATURELLES. 263 VI. Si j'écrivais un traité de mathésiologie, et non les sim- ples prolégomènes d’une Histoire naturelle générale, que de divisions secondaires et tertiaires, que de subdivisions je devrais maintenant introduire dans les cadres, vides encore, de la classification qui vient d’être esquissée ! Ampère n’admettait pas moins de 32 sciences du pre- mier ordre, 64 du second, 428 du troisième, et celles-ci ne correspondaient, selon lui, qu'aux groupes d’un ordre encore si élevé que les naturalistes appellent familles (4). Qui osera pénétrer jusque dans les derniers replis de ce dédale dont Ampère lui-même s’est contenté d’ éclairer les voies principales? Pour moi, ici dumoins, je mai pas même à le tenter. Pai atteint le seul but que je dusse me proposer; les pas que j'essaierais de faire encore ne pourraient que men éloigner. Ce but, c'était la détermination du rang que doivent occuper les sciences natúrelles dans la hiérarchie des connaissances humaines; celle de leurs rapports mé- diats ou immédiats avec les autres sciences, soit logique- ll ya sans nul doute, entre ce que M. Cournot appelle, ses séries théorique proprement dite et cosmologique, des rapports de parallé- lisme; mais ce sont là des rapports d’un ordre inférieur, dont il suffit de tenir compte dans l'arrangement des subdivisions. En d’autres termes, la série théorique (comme aussi la série pratique) peut être secondairement fractionnée, et, en quelque sorte, de nouveau dédoublée ; mais elle doit ir au point de vue de l'ensemble, être considérée comme une. (1) Loc. city tI, p. 29: 264 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VI. ment antérieures, et dontelles dérivent nécessairement, soit postérieures, et dont elles-mêmes à leur tour fournis- sent les antécédents logiques. Déterminations mdispensa- bles au début de ce livre; car par elles se trouve nettement tracée à l'avance la voie où nous devons nous avancer. Tels sont les rapports hiérarchiques d’une science et ses antécédents logiques, et telle sera sa méthode. Résumons, avant de terminer, quelques unes des con- séquences auxquelles nous sommes arrivés. Les sciences biologiques, dont les sciences naturelles font partie, disons plus, dont elles constituent la partie théorique et fondamentale, ont leur place marquée entre les sciences physiques et les sciences humanitaires ou sociales. Celles-ci s'appuient sur elles; elles-mêmes s’ap- puient sur les premières. Tel est, logiquement, leur ordre de filiation; tel aussi, historiquement, l’ordre dans lequel devait s’opérer leur développement, dans lequel en effet il s'est opéré et se poursuit encore. Notre classification exprime ces relations en disant que les sciences physiques constituent le second embranche- ment mathésiologique , les sciences biologiques le trot- sième, les sciences humanitaires le quatrième. En plaçant les mathématiques en tête et comme premier embranche- ment, la classification indique aussi très exactement les rapports de ces sciences avec toutes les autres : rapports immédiats avec les sciences physiques; aussi leur sont- elles directement et très efficacement applicables ; rapports seulement médiats avec les sciences biologiques et humani- taires; aussi n’ont-elles plus sur celles-ci qu'une action indirecte et de plus en plus affaiblie. les sciences biologiques théoriques ou sciences naturelles, RAPPORTS DES SCIENCES NATURELLES. 265 Les sciences humanitaires ne sont pas les seules qui aient, dans les sciences naturelles, leurs antécédents logiques. Il en est ainsi des sciences médicales et agri- coles. Mais ici les rapports sont beaucoup plus intimes, et d’un autre ordre. Ce ne serait pas assez de dire que les sciences médicales, la zootechnie, l’agriculture s'appuient sur les sciences naturelles ; elles sont, en quelque sorte, ces sciences elles-mêmes, prises à un point de vue diffé- rent, et développées dans les parties où elles peuvent nous ètre directement utiles. En termes plus précis, les unes et les autres se confondent objectivement : elles ne se dis- tinguent que subjectivement. | La classification exprime ces rapports, non plus seule- ment immédiats, mais intimes. en disant que ces diverses seiences constituent, dans un seul et même embranche- ment, deux groupes secondairement distincts : d’une part, D ne NS de De ee et ERP A POP TAN RCPETE la botanique, la zoologie, l'anthropologie; de l’autre, les sciences biologiques appliquées , l'agriculture, la zootechnie, la médecine. On voit que dans les sciences He et particulière- ment dans leur dernière et plus haute branche, lanthro- pologie, se trouvent en même temps les antécédents logi- ques, d’une part, des sciences humanitaires, de l’autre, des sciences médicales. Théoriquement et pratiquement, toutes les sciences biologiques convergent done vers l’homme. ; | Mais elles ne s’y arrêtent pas. Par la connaissance de la création, elles s’élèvent jusqu’au Créateur : elles aboutis- sent où aboutissent toutes les branches des connaissances I. AT: PE PAE EIE N Re E R S Une — ER ONTARIO PETER Dir ed ee wp Lo © AS wa mi ii 11 19: HE | HN PTE RE 266 _PROLÉGOMÈNES LIV. 1, CHAP. VI, humaines : elles viennent se confondre par leurs. som- mités dans la science une dont l'être un et divin est le suprême objet. La philosophie naturelle, selon la juste et heureuse dénomination que l'usage a consacrée, est encore du domaine du naturaliste : elle est déjà de celui du philosophe. VUVNVNYNYNYNYNINYNNIUNNN UN VYNVSNYNNNSNYNSNINYINSNNINMN NN VYVYVYVYYYYVY y LIVRE Il. DE LA MÉTHODE, DANS SON APPLICATION AUX SCIENCES NATURELLES. On entend le plus souvent par Méthode, en Histoire naturelle, « une distribution des êtres de même nature en » plusieurs divisions, servant à les faire reconnaitre avee » plus de facilité »; « sorte de dictionnaire où lon part des » propriétés des choses pour découvrir leurs noms. » Ainsi s'expriment, d'une part, l'ouvrage qui représente par excellence, et pour ainsi dire officiellement, l’état de la langue scientifique aussi bien que de la langue vulgaire (4); et de l’autre, le livre qui a si longtemps fait loi pour les zoologistes, le Règne animal de Cuvier (2). Dans les autres sciences et en philosophie, le mot Méthode a un sens beaucoup plus général. C’est, suivant une définition souvent reproduite , « l’art de combiner les » moyens à l’aide desquels la vérité peut être découverte » ou démontrée; » en d’autres termes, l’ensemble des procédés intellectuels à l’aide desquels il nous est donné de découvrir et de démontrer la vérité. (4) Sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française, 1835, t. II, p. 199. — Cette édition mérite d'autant mieux d’être citée, au point de vue qui nous occupe ici, que les articles d'Histoire naturelle y ont été rédigés ou revus par Cuvier. (2) Première édition, p. 9; deuxième, p. 8. pe PS CUS) 5 TRET eee æ ee mai m per x e—a Mr Le er set —— D si PRAE T. NPP E R ERSA EN is 3 M a ag A a METTEN ETT S T E AARSE CE a T A EPTO y E EREE A TEEN E Da à rates a> BEEST A = LE RE eee ent = — — FRA EE 2 sr D ag a ASS re A PE te $ © EE ns Ve CT RARE s Lans. à a Eater DE | a D Ea e > ma mnt mar Le 265 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1. Suivant cette dernière définition, ce qu’on a appelé Méthode en Histoire naturelle n’est, en réalité, qu’une partie de la méthode : la méthode appliquée à la distinction et à la classification des êtres, à la connaissance des faits. Méthode partielle qui, il est vrai, pouvait suffire et devait prévaloir dans une première époque de la science. Tant qu’on faisait de l'observation notre seul moyen de con- naître, et de la classification naturelle le terme de nos efforts, idéal auquel l Histoire naturelle doit tendre (1), il est clair qu'on devait voir dans l’art de classer la mé- thode par excellence, la méthode tout entière. Si, au contraire, l'Histoire naturelle doit être, ainsi que la conçoit l’école moderne (2), la science des lois aussi bien que des faits de l’organisation, la méthode, agrandie comme la science elle-même, redevient ce qu’elle est en logique, en mathématique, dans toutes les autres branches de nos connaissances : L'ensemble de nos procédés intel- lectuels. Dès lors ce qu'on avait appelé la méthode n’est plus qu'un de nos procédés ou de nos moyens de décou- verte et de démonstration, spécialement applicable à un ordre déterminé de questions; une des formes, un des côtés de la méthode, dont l'importance reste et sera tou- jours très grande, mais sans qu’on puisse désormais le con- sidérer, ni comme exclusif, ni même comme prédominant. - C'est à ce dernier point de vue que nous nous place- rons dans la suite de ce livre : il est le seul que puisse ad- mettre l’état présent de la science. (1) Voyez le Chap. TI de ce Livre, sect. mr et vm. (2) Ibid., sect. VII et Vii. VYVYVUYUYVYVYVVYYVYVUYVYVYVYVYVYVYVYVYVVYV NN NN NINSNIN NN NINNINNIN UNIS CHAPITRE PREMIER. DE LA MÉTHODE, DANS SON APPLICATION AUX SCIENCES NATURELLES. SOMMAIRE. — I. Considérations préliminaires. — Il. Rapports nécessaires entre l'évolution des sciences naturelles et celle des sciences physiques. — III. Conséquences relatives au perfectionnement de la méthode en Histoire naturelle, — IV. État présent de la question, Sans la méthode, point de science; et dans toute science, telle est la méthode, telle la science elle-même. La mé- thode, comme l’a dit Laromiguière, estl’instrument de les- _ prit (A). C’est par elle qu’il découvre et démontre; et le principe de sa force, comme la cause de sa faiblesse ou de seserreurs, est surtout dans la rectitude, l'insuffisance ou le vice de la méthode qu'il emploie. Nous admirons trop Des- cartes pour expliquer avec lui (2) sa supériorité sur lec com- a ) Leçons de philosophie, I partie, leçon 1; 2° édit., t. I, p. 57. — « Un enfant, aidé d’un levier, remarque le même auteur, p. 55, estplus » fort qu'Hereule livré à ses propres forces. Celui qui connaît l'artifice » des chiffres étonnera le génie d’Archimède, si Archimède ne calcule » que dans sa tête ou avec ses doigts. » à La méthode est comme l'architecture (ou mieux, comme l'architecte) S des sciences, dit JAUCOURT, article Méthode de l Encyclopédie métho- dique, Grammaire et littérature, t. Il, p. 546. (2) Première partie du Discours de la méthode. 270 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP, f. mun des hommes, par les règles etles maximes dontil s'é- clairait dans la recherche de la vérité; mais le génie lui- même, s’il devance parfois la méthode, ne saurait man- quer bientôt, sans elle, ou de s'arrêter, ou de s'égarer. Améliorer la méthode, ajouter à nos moyens de connaître, c’est donc faire autant, plus peut-être, que d'ajouter à nos connaissances (4) : Bacon, sans avoir fait lui-même au- cune découverte importante, n’a pas été moins grand dans son siècle, il ne l’est pas moins aux yeux de la postérité, que Galilée, que Keppler lui-même. Les logiciens ont dit souvent que la méthode est toute la logique. Elle est le fond même de la philosophie, ajou- terai-je avec le savant traducteur de la Psychologie d’ Aristote (2); et c’est pourquoi, dans les temps modernes comme dans l'antiquité, on ne saurait citer un seul grand nom en philosophie, auquel ne puisse se rattacher le sou- venir d’une réforme ou d’un progrès dans la méthode. Et s’il existe dans cette science supérieure plusieurs écoles rivales etadverses, c'est surtout parce qu’on y a conçu plu- sieurs méthodes de rechercher et de démontrer la vérité ; ou, pour mieux dire, parce qu’on n’a su voir encore que sous des aspects partiels et divers la méthode générale, essentiellement une, qui pourra seule un jour constituer la vraie philosophie : cette philosophie dont Pythagore se (4) « Dans toutes les sciences, la connaissance de la méthode employée » à trouver les vérités est pour ainsi dire pius précieuse que celle de ces » vérités même, puisqu'elle renferme le germe de celles qui restent à » découvrir. » (CONDORCET, Eloge de Lieutaud, dans les Éloges des Aca- démiciens, édit. de 1797, t. If, p. 224, et dans les Œuvres, t. IL, p. 398.) (2) BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE, article Méthode du Dictionnaire des sciences philosophiques, t. IV, p. 263 ; 1839. MÉTHODE DES SCIENCES NATURELLES. en croyait déjà maître, mais qu'après tant de siècles écoulés, nous cherchons à notre tour, et que nos successeurs chercheront sans doute longtemps encore : car c’est par elle, science dernière et suprême (1), que se fermera, s’il doit être jamais fermé, le cercle des connaissances humaines. IL. gs L'Histoire naturelle, heureusement, n’a pas besoin que la philosophie se soit définitivement constituée et complé- tée, pour trouver sa vraie méthode, et se constituer elle- même. La science de Platon et d’Aristote, de Descartes et de Leibniz, telle que l'ont faite ces grands hommes, s’est du moins assez rapprochée du but, pour indiquer sûre- ment à ces sciences partielles, qu’elle relie déjà ën atten- dant qu’elle les unisse, la voie où elles doivent s’avancer, chacune à leur tour, et selon une marche rigoureusement déterminée par leurs relations réciproques : les sciences physiques à la suite et à Paide des mathématiques; les sciences naturelles après les sciences physiques, leurs ini- tiatrices, leurs tutrices nécessaires, comme elles-mêmes le seront des sciences médicales et des sciences humani- taires. Admirable succession de progrès dont le génie de quelques uns et le travail de tous ont pu et pourront accé- lérer le mouvement, mais non intervertir l’ordre général, identique, comme on l’a vu dans le premier Livre de ces 1) Voyez Liv. 1, Chap. Vi, p. 244. ait 2 nt Mn 3 PAR pee TE TR DES E IIRAS EE EAEN SE E Bihar a AE sarana a T a ie dr a À Arr COGS PAPA N € 4 nr tit y a a tai OT O. € EPE eT À D E S apii LT nee PRES 279 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1i, CHAP. i. Prolégomènes (4), avec la hiérarchie rationnelle de nos connaissances, et dès lors, logiquement invariable dans son ensemble (2). Dans cette évolution graduelle de l'esprit humain où chaque science prend, sur son antécédent logique immé- diat, un appui qu'elle rend plus tard à la science suivante, la connaissance des progrès déjà accomplis, et de leurs auses, est une source de précieuses indications sur ceux qui restent à accomplir, et sur les moyens den hâter le cours. Pour ne prendre d’un aussi vaste sujet qu'un seul point, celui qui nous intéresse le plus en ce moment, on Va Voir que, si la question de la méthode en Histoire natu- relle (3) n'est pas résolue par la notion de l’ordre hiérar- chique des sciences, par celle de l'influence successive des unes Sur les autres, elle est du moins posée sur un terrain bien préparé, et où ne peut se faire longtemps attendre une solution qu'indiquent déjà de précieuses anal ogies. . Quels sont les antécédents logiques de l'Histoire natu- nelle: On l'a vu: médiatement, les mathématiques; immé- diatement, les sciences physiques. Tout en subissant l'in- fluence de la philosophie qui domine toutes les connais- sances humaines, et des mathématiques qui en ouvrent si magnifiquement le cercle, c’est done aux sciences phy- siques que l'Histoire naturelle est essentiellement subor- donnée; c’est d'elles qu’elle recoit directement son impul- (1) Chap. V, p. 233, et Chap. VI, p. 246. (2) Ce qui wexclut pas quelques exceptions partielles, presque toutes facilement explicables par les circonstances où ellés se sònt produites. (8) Et plus généralement, dans les sciences biologiques. MÉTHODE DES SCIENCES NATURELLES. 273 sion, absolument comme le globe terrestre, objet principal des sciences physiques, entraîne dans son mouvement tous les êtres dont l'étude est du domaine du naturaliste. Ce- que les sciences du premier embranchement ont été pour celles du second, celles-ci sont appelées à l’être pour celles du troisième; et il viendra un jour où l’histoire du perfectionnement des sciences physiques par l’interven- tion des mathématiques, et celle du perfectionnement des _ Sciences naturelles par l'intervention des sciences physi- ques, seront deux chapitres très semblables, et également admirés, de l’histoire de l’esprit humain. | mM. Les sciences mathématiques ont exercé sur les sciences | physiques une double influence. Elles leur ont prêté le se- cours de leurs théories, si heureusement applicables à la coordination et à l'explication des résultats partiels, à leur enchaïnement par des lois simples et fécondes. Elles leur ont donné, de plus, l'exemple de leur méthode, ou plutôt leur méthode elle-même dans ce qu’elle a de plus général ; _ c’est-à-dire, selon les expressions mêmes de Descartes(1), l'art de parvenir aux plus difficiles démonstrations par de longues chaînes de raisons toutes simples et faciles. Et c’est à mesure que ces théories et celte méthode, des sciences purement abstraites auxquelles elles appartenaient (4) Discours de la méthode, 2 partie; édition de M. Cousin, t. H, p. 442, 18 274 PROLÉGOMÈNES, LIV. ii, CHAP. 1. d’abord en propre, se sont étendues à toutes les sciences physiques, en renouvelant d’abord l'esprit pour les renou- veler bientôt elles-mêmes; c’est dans l'ordre où chacune a subi l’action de ce double progrès, que l'astronomie d’abord, puis la physique, la chimie, la minéralogie, et de nos jours, la géologie, ont revêtu un caractère vérita- blement scientifique, et se sont constituées ou ont com- mencé à se constituer sur leurs bases définitives. | Est-ce là l’histoire future des sciences naturelles? Sans prétendre établir entre leur évolution et celle des sciences physiques un parallèle dont l’un des termes manque en- core en si grande partie, ne pouvons-nous, du moins, en saisir quelques traits? Nesommes-nous pas rationnellement conduits à chercher de même, dans une double alliance avec les sciences antérieures, les moyens les plus sûrs et les plus prompts de constituer l'Histoire naturelle sur ses bases définitives ? Double alliance où elle recevrait, à son tour, l'appui de théories, heureusement applicables à la coordination et à l'explication d’une multitude de faits et de résultats partiels, et l'exemple d’une méthode qui n’est, au fond et à vrai dire, ni la méthode physique, ni la mé- thode mathématique, mais, par excellence, la méthode logique ; la méthode de toutes les sciences déjà parvenues à un degré très avancé de développement, où on la retrouve, en effet, partout la même en ce qu’elle a d’essentiel, mais diversifiée dans ses formes et ses conditions secondaires, selon la variété des applications qu’elle comporte. Ce ne sont là que des prévisions analogiques, e’est-à- dire des indications, et non des preuves. Mais de ces prévisions, une partie est déjà pleinement justifiée. Ial- £ MÉTHODE DES SCIENCES NATURELLES. 275 liance des sciences physiques, quant à leurs théories, et des sciences naturelles, est depuis longtemps consommée, et il n’est pas un physiologiste, pas un vrai naturaliste qui wen apprécie le bienfait. Plus on en resserre les liens, plus les fruits en sont heureux. Le mouvement de lascience tend aujourd’hui de plus en plus à ramener les faits bio- logiques à des lois physiques, comme autrefois, les faits Physiques à des lois mathématiques; et le moment west pas très éloigné où la physiologie tout entière, les fonctions exceptées du système nérveux, méritera ce nom de phy- sigue animale et végétale ou de physique organique, qu'elle a si longtemps porté chez les anciens, qu’elle portait encore dans le xvne siècle, et qu'elle n’a complétement perdu que de nos jours, au moment même où elle allait enfin le justifier. | Si l'alliance de l'Histoire naturelle avec les sciences physiques peut lui être aussi profitable au second point de vue, celui de la méthode, nous ne saurions le dire : il n'y a pas de communes mesures pour ce qui est et pour ee qui. peut être un jour. Mais ce que nous pouvons, dès à présent, affirmer, c'est que, du moins, les conséquences possibles de ce second genre de PROBRÉS sont d’un ordre beaucoup plus général. ÉTÉ TT Jusqu'où devront s'étendre ces fécondes applica- tions des théories de la pesanteur, du calorique, de la capillarité, de l’endosmose, des vibrations sonores et luminenses, de l’électro-magnétisme, des affinités chimi- ques, qui ont donné la clef de tant de phénomènes organi- ques jusqu'alors imexpliqués, et pour la plupart jugés inexplicables? Elles seront, sans nul doute, poursuivies TR E e o o mMM D TT = x A DATÉE «Sd ANSE en - i E HE Le | A (i À 11 4) a er | 4} 2 R 3 Mi i y KE $ tE À 1 (4 1e t gi ABLE Yi | | A 6 PROLÉGOMÈNES , LIV., I, CHAP. I. beaucoup plus loin encore; car un mouvement aussi rapide que celui qui entraîne en ce moment la science ne saurait être près de son terme; mais si loin que ce soit, elles wat- teindront jamais tous les ordres de phénomènes biolo- giques; elles ne parviendront pas à faire de toutes les branches de l'Histoire naturelle une suite d'applications et de corollaires de la physique et de la chimie ; prétention tellement exagérée , Chimère tellement absurde, que, mal- gré un mot célèbre de Descartes contre les philosophes(L), on n'en citerait pas un seul, et à plus forte raison, pas un naturaliste, qui ait jamais osé ou qui voulût aujourd’hui s’en avouer le partisan. | Heureusement, les limites où s'arrête l'application aux faits biologiques des théories et des lois de la physique et de la chimie, ne sont pas celles des rapports des sciences physiques avec l'Histoire naturelle. Il est un côté par lequel celle-ci peut encore ressentir efficacement leur influence, la méthode; et ici, si faibles que doivent être d’abord les progrès obtenus, si faibles qu’ils puissent rester toujours, ils vaudront du moins par leur généralité. Comment conce- voir un perfectionnement de la méthode, sans un perfec- tionnement, non de telle ou telle branche, mais de la science elle-même? En sorte que, cette fois encore, les sciences physiques seraient un jour à l'Histoire naturelle ce que les mathématiques ont été et sont aux sciences physi- ques, où, dans quelques branches seulement, elles réus- (4) « Ayant appris dès le collége qu’on ne doit rien imaginer de si » étrange et de si peu croyable qu’il mait été dit par quelqu'un des » philosophes... » (DESCARTES, loc. cit., 2e partie; édit. de M. COUSIN, BC, p138.) MÉTHODE DES SCIENCES NATURELLES. 277 sissent, par les plus sublimes applications qui en aient jamais été faites, à coordonner, à relier géométriquement les résultats partiellement obtenus ; mais où elles sont par- tout, et là même où leurs théories, leurs lois et leurs for- mules ont le moins pénétré, les sources de cet esprit de précision et de rigueur, de cette méthode sûre et puissante, dont la géométrie reste le plus parfait modèle, mais dont heureusement elle perd de plus en plus le privilége (4)! IV. Est-il bien vrai que toutes les branches de nos con- naissances soient appelées à participer à ce mouvement de réforme et de progrès, qui, graduellement propagé de la géométrie aux autres sciences mathématiques et aux sciences physiques, vient d'atteindre jusqu’à la géolo- gie , cette science , jusqu’à ces derniers temps, vaine et (1) Ce privilége que PAscAL, Pensées, part. I, art. 1t, réclame pour elle, mème à l'exclusion de la logique. « La méthode de ne point errer, » dit-il, est recherchée de toutle monde. Les logiciens font profession » d'y conduire, les géomètres seuls y arrivent. » Chacun sait que Platon avait fait placer à l'entrée de l'Académie cette inscription : Oùdd'els dycmpméTpnTos EtOLTO. « Que personne n'entre ici sans savoir la géométrie! » N'était-ce pas dire sous une forme ingénieuse, que la géométrie, ce type par excellence de la méthode scientifique, est notre introductrice nécessaire dans toutes les autres sciences ? | C’est aussi la géométrie, qui est présentée comme le type de la méthode scientifique par ARISTOTE, Analytica posteriora, 1, I et XIV. r E voué ch id N de it diras sd D Nc 0 sc ie do. dou Ve > ca à < 278 PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. I. chimérique entre toutes? Le même esprit, les mêmes principes, la même méthode générale, diversement mo- difiés dans leur application, doivent-ils régner un jour dans le cercle entier des connaissances humaines, et réa- liser au point de vue logique cette pensée hardie d’un phi- losophe moderne? « Il n'existe qu’un seul modèle du vrai (4). » Si le but où sont parvenues les sciences des deux pre- miers embranchements est celui où tendent celles des deux derniers, celles-ci s’y avancent, du moins, d’un mou- vement très inégalement rapide, les sciences naturelles laissant bien loin derrière elles les sciences médicales et surtout les sciences sociales ou humanitaires. Dans toutes ces sciences, des dissentiments sur les questions fondamen- tales, sur Ja question de la méthode aussi bien que sur les autres, avaient créé plusieurs écoles profondément sépa- rées. En médecine, et bien plus encore, en économie sociale, en politique, les dissentiments sont encore ar- (1) Mademoiselle Sophie Germain, Considérations générales sur l’état des sciences et des lettres aux différentes époques de leur culture, in-8, 1833, p. 4O et suiv. — » Dès leur naissance, dit mademoiselle Germain, » p. 47, les sciences mathématiques ont offert à l'esprit humain len- » tière réalisation de ce type du vrai: » Ce remarquable ouvrage d'une femme également distinguée comme géomètre et comme philosophe est consacré en grande partie au dé- veloppement de la pensée que je viens de rappeler; pensée que je ne saurais d’ailleurs admettre avec toute l'extension que lui donne l'auteur. i o3 On ne doit pas oublier, en lisant ce livre, que mademoiselle Germain a été enlevée à la science avant d’avoir pu Fachever et le revoir. De là quelques exagérations où le lecteur doit voir bien plutôt le motif d’un regret que d’une critique. MÉTHODE DES SCIENCES NATURELLES. 279 dents, les écoles irréconciliables. En Histoire naturelle, au contraire, les dissentiments s'éteignent, les écoles se rapprochent de jour en jour. La science marche depuis longtemps, et maintenant à grands pas, vers l'unité. Cuvier, Schelling, Geoffroy Saint-Hilaire, soutenaient, chacun contre les deux autres, des vues théoriques radi- calement opposées : en fait, et dans la pratique, Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire ont souvent été entraînés, par la force des choses, dans les mêmes voies; Schelling, s’il eût cru devoir descendre des hauteurs de l’idéalisme transcendantal, s’y fût rencontré avec eux; et aujour- d'hui, les disciples de tous trois s’y mêlent, s’y unissent de plus en plus. | | Et c’est ce qui a lieu surtout pour la méthode. Peut-on aussi, en Histoire naturelle, pour employer les expressions de Descartes (1), peut-on, conduisant ses pen- -sées par ordre, parvenir à de difficiles démonstrations, par une suite de raisons toutes simples et faciles, enchai- nées à la manière des géomêtres ? La méthode des sciences antérieures peut-elle se plier aux données particulières des sciences naturelles? Devons-nous essayer de l'y intro- duire, et, pour ainsi dire, de l'y naturaliser? Et est-ce par ce progrès qu’elles peuvent arriver à s'établir enfin sur leurs bases définitives, à se constituer? A ces questions, Cuvier et Schelling, par des motifs contraires, répondent : Non. Geoffroy Saint-Hilaire a déjà, en partie, répondu : Oui. | Mais Cuvier se réfute lui-même, en faisant, à l’aide de (A) Voy. p. 273. : p i ‘1 E Ÿ 3 F4 j {4 anii et an a ons aaea r LM + iii FHE. a: g TE PE E" L ` E Ep Hg f À $ r 4 (281 ag à À ' E IR : d y L+ m ? à + À IE: h | 2 à "À i À BF $ E TA E U : F, à $ RE } ) : : Ei igi } "1 | : sion Fi | à 4 1 F À | T pE 1 À $ î | HE | RE | i i $ $ $ à À i 280 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. i. la méthode qu'il récuse, d'admirables découvertes, devant lesquelles la sienne lui commandait de s'arrêter. Celle de Schelling, si large qu'en soient les bases, reste impro- ductive, tant que l'on s’y tient strictement renfermé. Et c’est pourquoi les disciples de ces deux maîtres, étendant l’une, réformant l’autre, viennent bientôt se rencontrer (1), avec ceux de Geoffroy Saint-Hilaire, sur le seul terrain où l’ His- toire naturelle puisse être à la fois prudente et positive, comme la voulait surtout Cuvier, hardie et grande, eomme la concevait Schelling. Fait capital dans l’histoire de la science, et que nous devons nous efforcer de mettre en lumière, en résumant, dès à présent, dans ce qu’elles ont d’applicable àla mé- thode, les vues des trois chefs d'école. (1) Se fondre, communier, a dit M. Victor MEUNIER, dans un passage remarquable de son Histoire philosophique des progrès de la zoologie générale, Paris, 4840. (Voy. Discours préliminaire, p. 80.) VV UN VIASIIN NN SNNSSNSNSINANNSNSNS NS NII YYYY INNNNNS VUVVN 4 Gj CHAPITRE Il. DES TROIS ÉCOLES PRINCIPALES EN HISTOIRE NATURELLE , ET DE LEURS VUES SUR LA MÉTHODE. SOMMAIRE. — I. Parallèle des trois méthodes et des trois écoles. I. Vues de Cuvier dans sa jeunesse. — II. Exposé des vues définitives de Cuvier et de son école sur l’ensemble de la science et sur la méthode. ; IV. Caractère et influence de la Philosophie allemande de la nature. Accueil fait en ” France aux travaux des Philosophes de la nature. — V. Exposé des vues de Schelling et de son école. | 3 VI. Sources de l'esprit nouveau de la science. École philosophique française. -— VII. Ex- posé des vues de Geoffroy Saint-Hilaire et de son école. — VIII. Réfutation des objections de Cuvier. IX. Résumé. _ Pourquoi, en Histoire naturelle, trois écoles principales, celles dont Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Schelling ont été les chefs dans notre siècle, et dont ils restent les principaux représentants ? | C’est parce qu’on a conçu trois manières, fondamenta- lement différentes, d'étudier la nature et d'en pénétrer les mystères. Autant de méthodes, autant d'écoles : En premier lieu, l'observation (4), c’est-à-dire l'étude directe de la nature, dans tous les phénomènes, dans (1) Soit l'observation proprement dite, soit l'expérience qui n’est que l'observation préparée, et faite dans des circonstances spéciales. (Voyez p. 204.) i 48. P i y ş | b N = | >|. FI UE $ À Net 11 8 t ‘14 3 ( | t E K 11e | j 14 E oS TE W i | LH ÿ TE 4 3 k T RR k i NR IE | E 1 U À 4 tH S f i f ET f f 4 E ES p } 0 4 | A 4 N p a i à ; ME TE y Eii | 4 à 5 1 ji $ | 4: | 4 į | ji il {į | | i : 289 PROLÉGOMÈNES, LIV. n, chab. ii, toutes les manifestations accessibles à nos sens; d’où la connaissance des faits. | En second lieu, l'observation, et, de plus, après et par elle, le raisonnement, d’où la connaissance des faits, et, à l’aide de ces faits, celle des lois de la nature. En troisième lieu, le raisonnement, d’une part; de l’autre, l'observation; d’où, en même temps, la connais- sance des lois de la nature, déduites, indépendamment des faits, de principes métaphysiques préétablis; et parallèlement, la connaissance des faits (4). Pour les naturalistes de la première école, la science est essentiellement une histoire, l’histoire de la nature, dans le sens spécial de ce mot. Elle est l'exposé descriptif et méthodique des faits. Pour ceux de la seconde, elle est, de plus, la connais- sance de leurs rapports généraux et de leurs lois. C’est une histoire raisonnée de la nature qui peut en devenir la philosophie positive. | Pour ceux de la troisième école, elle est à la fois une histoire et une philosophie de la nature : deux sciences, comme ils le disent, dans une science; la première seu- lement empirique et accessoire, la seconde purement . rationnelle et fondamentale; sciences parallèlement déve- loppées, et réciproquement indépendantes. (4) On pourrait concevoir encore le raisonnement commeseul moyen de découvrir, et la connaissance des lois comme objet unique de la science. Parmi les disciples de M. de Schelling, quelques uns ont semblé voir la science tout entière dans cette méthode et dans cet ordre de résultats, et poussé aussi loin que possible la négligence et le dédain des faits. Mais c’est ici l'abus extréme de la doctrine du maître, abus qui toutefois en découlait naturellement, nd D t JA | ~ p y PRINCIPALES ÉCOLES BIOLOGIQUES. 283 Quiconque définit l'Histoire naturelle seulement une science de faits, doit, s’il est conséquent avec lui-même, adopter la première méthode. Il est de la première école. Les naturalistes en étaient autrefois presque tous. Mais Cuvier a ici tellement surpassé ses prédécesseurs, et surtout, dans une époque où se posaient, en face de l’ancienne méthode, les vues plus hardies de Schelling et de Geoffroy Saint-Hilaire, il Pa, contre eux, si éner- giquement défendue, qu’il se l’est en quelque sorte ap- propriée : il s’est constitué, il restéra le représentant par excellence de l’école qu’elle caractérise. C’est done dans les ouvrages de Cuvier que nous devons étudier les vues de la première école, commeles doctrines opposées dans les ouvrages des fondateurs des deux nou- velles écoles, Schelling et Geoffroy Saint-Hilaire. ` Dans le résumé qui va suivre, je m’attacherai à repro- duire aussi fidèlement que possible, non seulement les pensées des deux naturalistes français et du philosophe allemand, mais les expressions elles-mêmes dont ils les ont revêtues. Autant qu al sera possible, je n’interpréterai pas, je citerai. M, Entre les vues de Cuvier jéune et à l'entrée de la car- rière, et les doctrines qu’il a professées et défendues dans son âge mùr, la distance est immense. La hardiesse poussée jusqu’à la témérité, tel est Cuvier lorsqu'il débute en Histoire naturelle (4); la prudence portée j jusqu A | (1) Citons du moins, comme exemples, deux passages écrits 43 Cuvier, Pun en 1795, l’autre en 1796 : A SSi 3 N k a A IEEE a IEEE RERE DET I AE Ee ON EEEa e > = a dés SE aa aa aai ET are. grillé adidas tie 28/1 PRÔLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. If, la circonspection la plus extrême, tel il est plus tard, et surtout vers la fin de sa vie. Il semble d’abord qu'un autre Buffon va se lever dans la science ; au terme de ses tra- vaux, c'est Daubenton qui reviten lui ; et Goethe en a fait, il ya vingt ans, la remarque (4), dans ce célèbre parallèle des naturalistes français qu’il écrivit presque sur son lit de mort (2). Dans ces glorieuses années de sa jeunesse, à laquelle se rapportent à la fois les travaux de Cuvier sur les Mollus- ques, son Anatomie comparée et ses premières recher- ches sur les Fossiles, tout ce qu'il a fait de vraiment neuf, tout ce qu'il a créé de vraiment grand (3), qu'est-ce pour lui que l'Histoire naturelle? Une science placée sur la limite qui sépare les sciences de pur raisonnement des « Dans ce que nous appelons des espèces ne faut-il voir que les » diverses dégénérations d'un méme type? » (Histoire naturelle des Orangs-Outangs, par CUVIER et GEOFFROY SAINT-HILAIRE, dans le Magasin encyclopédique, 4° ann., t. HI, p. 452.) « Qu'on se demande pourquoi on trouve tant de dépouilles d'ani- » maux inconnus, et l’on verra combien il est probable qu’elles ont » appartenu à des êtres d’un monde antérieur au nôtre...; étres dont » ceux qui existent aujourd'hui ont rempli la place pour se voir » peut-étre un jour également détruits et remplacés par d'autres. » (Mémoire sur les espèces d'éléphants vivants et fossiles, dans les Mémoires de l’Institut national, t. II, p. 21.) (1) Mais sans la distinction, nécessaire pour que cette remarque soit juste, entre la jeunesse de Cuvier et son âge mûr. (2) Voyez p. #00, note. ` (8) L'année 1812 peut sembler grande entre toutes dans la vie de Cuvier. C’est l'apogée de ses travaux et de sa gloire dans les trois di. rections qu’il a suivies. La division du règne animal en embranche- ments, le mémoire sur la tête osseuse des vertébrés, les Recherches sur les ossements fossiles, ont paru en 1842. Mais tous ces travaux étaient depuis longtemps commencés ou pré- ? ha VUES DE CUVIER. - 099 sciences de faits; une science où, tandis que l'esprit du naturaliste contemple une multitude de faits et d'êtres, son génie s'élève avec enthousiasme à la recherche des causes de ces faits, à la considération des rapports de ces êtres! C’est par ces paroles que Cuvier ouvre, en 41796 (1), la série de ces admirables Mémoires par lesquels il allait fonder la paléontologie; et l’on peut également supposer qu'il a puisé dans la prévision de ses futures parés : l’impulsion dont ils sont en 41812 le résultat date en réa- lité de la jeunesse de leur auteur. 1795 à 1800, ce sont là les grandes, les immortelles années de la vie de Cuvier. Cette assertion pourra étonner mes lecteurs. Je la h dustiferai briè- vement. En zoologie, les premiers mémoires sur les vermes de Linné, et ce sont les mémoires fondamentaux, sont de l’année 4795, année où Cuvier a aussi posé, avec mon père, les bases de la classificatoin naturelle. Aux années 1796, 1797, 1798, appartiennent plusieurs mémòires im- portants sur les mollusques; à 1798 et 1799, plusieurs découvertes capitales sur les annélides, et le mémoire sur les méduses. Les deux premiers volumes de l’Anatomie comparée, les seuls qui soient presque entièrement l’œuvre de Cuvier, sont de 4800 ; les trois autres ont paru en 1805. Mais les leçons elles-mêmes de Cuvier, dont cet ouvrage est le résumé, avaient commencé dès la fin de 1795; et dès 1799, l’auteur avait jeté les fondements et recueilli les matériaux de l'ouvrage tout entier. i ; Parmi les travaux paléontologiques, le Mémoire sur les éléphants, qui a été publié en 1796, avait été composé en grande partie en 1795; le Mémoire sur les rhinocéros est de 1797; enfin, à l’année 1798 ap- partiennent les recherches sur les ossements du gypse de Montmartre. Daus la vie de quel savant trouverait-on, ensi peu d'années, d'aussi grands travaux? Et jusqu'où se serait élevé Cuvier, si toute sa vie eût répondu à sa jeunesse? Les fonctions administratives et politiques que Cuvier a remplies durant les trente dernières années de sa vie seront dans tous les temps un sujet de regret pour les amis de sa gloire et . pour ceux de la science. é (1) Mém. sur les éléphants, loc. cit., p. 4 et 2. M «À 2 [ ia $ 14 11 ig ii Ia A 3 4 44! | ABLE i IEU 4 | 4 W LR 1114 À | Sp 1 | 286 PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. I. découvertes ce sentiment si vivement exprimé de la gran- deur de la science, et dans ce sentiment lui-même la force de les poursuivre et la puissance de les accomplir. L'Histoire naturelle , disait encore, deux ans plus tard (1), Pillustre zoologiste, c’est la connaissance de toutes les propriétés sensibles et de toutes les parties des corps naturels, l'explication de tous les phénomènes dont ils sont le théâtre, et la démonstration de la con- formaté de ces phénomènes, selon leur nature, avec les lois générales des sciences physiques et mathématiques, ou avec celles des sciences morales et psychologiques. D'où, au delà des branches diverses de l'Histoire naturelle particulière, et dérivant de toutes à la fois, comme elle les relie et les résume toutes, une science supérieure et sublime, l Histoire naturelle générale ; science qui « con- » Sidère d’un seul point de vue tousles corps naturels, et le » résultat commun de toutes leurs actions dans le grand » ensemble de la nature. » L'Histoire naturelle générale, ajoute Cuvier, « ne peut être portée à sa perfection que » lorsqu'on aura complété les histoires particulières de » tous les corps naturels (2). » Ainsi, en 4795, en 1796, en 1798 encore, pour Cu- vier, les faits, leurs rapports, leurs lois, leurs causes, tel est l’objet de l'Histoire naturelle. Notre science touche aux sciences de pur raisonnement : elle observe, dé- couvre, explique, démontre ; elle tend vers une sublime unité, et elle y parviendra : car, dans son jeune enthou- (1) Dans son Tableau élémentaire de l'Histoire naturelle des ani- maux, an VI (1798), p. 2 et 3. (2) Ibid., p. 4. E 4% VUES DÉ CUVIER. 987 siasme, Cuvier ne met de terme ni à son ambition, ni à nos espérances; nul progrès ne lui semble au-dessus des forces de l'esprit humain ; nul mystère ne lui paraît impé- nétrable : il entrevoit le jour où l'Histoire naturelle par- ticulière sera complétée, et l'Histoire naturelle générale portée à sa perfection! JL. $ Est-ce bien le même naturaliste que nous allons en- | tendre maintenant? Est-ce bien Cuvier qui va blâmer et proscrire tout ce qui peut faire la science grande et su- blime, tout ce qui l'avait fait si grand lui-même durant les belles années de sa jeunesse ? | Ses paroles sont formelles. Observer, constater, dé- crire les faits, les coordonner à l’aide de la classification, telle est pour lui la science. Au delà, à une seule ex- ception près (4), il n’y a plus que des hypothèses et des systèmes: éphémères productions de Pesprit, que l’histoire nous montre passant tour à tour à la surface de la science, y jetant parfois un éclat passager, mais bientôt my lais- sant que des ruines auxquelles chaque siècle vientajouter les siennes. ' Telle est la doctrine de Cuvier; et une fois qu'elle s'est E établie dang son sus il ne lui arrive guère de prendre la (4) Elle est relative à la Lot ou au Principe des conditions d'existence que Cuvier assimile au principe des causes finales. (Règne animal , t. I, Introduction, 47° édition, p. 6; 2°, p. 5.) PNEU De Ve RE © vi LR lire E E Lies À de - - : aN e dt ir ia vpi TIEN SAE AER e chili 0 DE. cs pe HE pate ie PR a; á S ys pas v da D + à ns mega ur. > sakik ds i : ai bt ansni i "à me dant - van été A maese : ss - 2 ais a re cies - 288 | PROLÉGOMÈNES, LIY.: Il, CHAP. I. plume ou la parole, sans la reproduire ou la rappeler. Dans le mouvement dès lors si manifeste de la science vers les idées générales , Cuvier voit le plus grand des périls qui puissent la menacer ; et, chef respecté de nombreux dis- ciples, il croit de son devoir de signaler hautement les écueils où ils pourraient s'égarer et se perdre. On doit regretter une si longue et si énergique résistance à d’iné- vitables progrès; on ne peut qu’honorer les fermes con- victions qui en étaient le mobile. De là ces retours si fréquents, et sous tant de formes diverses, à cette science des faits qui est pour lui la saine Histoire naturelle, la vraie, la seule science. «L'Histoire naturelle est une science de faits, » dit-il en commençant sa grande Ichthyologie (1 \# Nous faisons profession, et dès longtemps, ajoute-t-il un an plus tard. « de nous en tenir à l'exposé des faits positifs (2). » Que lon se borne à cet exposé , au détail des circonstances, c’est ce que Cuvier recommande formellement dans l’un (1) Histoire naturelle des poissons, t. 1, p. 1; 1898. (2) Mémoire sur un ver parasite d’un nouveau genre (Hectocotylus) dans les Annales des sciences naturelles, t. XVIII, p. 147; 1829. Je citerai textuellement le passage auquel je viens d'emprunter quelques mots : « Que l’on juge combien de systèmes il serait possible de fonder » sur des ressemblances aussi extraordinaires. Jamais l'imagination » Wa eu à s'exercer sur un sujet plus curieux. Pour nous qui, dès » longtemps. faisons profession de nous en tenir à l'exposé des faits » positifs, nous nous bornerons aujourd’hui à faire connaître aussi » exactement qu'il nous sera possible l'extérieur et l’intérieur de notre » animal. » L'ensemble de ce passage ne laisse aucun doute sur le sens du mot faits positifs, employé par Cuvier dans plusieurs articles de la même époque. T est à remarquer qu’au moment même où l'illustre zoologiste VUES DE CUVIER. p 289 de ses derniers écrits(4), autorisant à peine les naturalistes à ne pas «s’interdire absolument la faculté d'indiquer les » conséquences immédiates qui leur paraîtront dériver » des faits qu'ils auront observés. » C’est dans ces limites, sous ces réserves, que Cuvier permet à ses disciples de penser et d’oser ! | | Après l'observation qui constate les faits, doit venir la classification qui les met en ordre : « sorte de dictionnaire, » ditCuvier(2), où l'on part des propriétés des choses pour » découvrir leurs noms, » et en même temps, «le plus » sûr moyen de réduire les propriétés des êtres à des » règles générales, de les exprimer dans les moindres » termes, et de les graver aisément dans la mémoire. » La classification, à ce point de vue, est la méthode par excellence : si elle-était naturelle, c’est-à-dire telle que Opposait la prudence et la certitude de sa méthode d'observation à la témérité des auteurs habitués à exercer leur imagination, lui-même ` donnait, au lieu d’un fait positif , un résultat doublement erroné: le prétendu ver parasite n'était ni un ver ni un parasite. (1) Avertissement placé en tête des Nouvelles Annales du Muséum d'Histoire naturelle, et publié à ie comme prospectus de ce recueil, „mars 1832. (Voy. p. 3.) l est à remarquer que Cuvier parle ici, non en son nom propre, mais au nom collectif des professeurs administrateurs du Muséum. Ses collègues ont, dit-il, résolu de composer exclusivement leur collection de l'exposé des faits et du détail de leurs circonstances ; car « ce qui, » dans des recueils de ce genre, conserve un intérét durable, ce sont » les descriptions exactes et les bonnes figures. .., les caractères, les » détails positifs et bien décrits... » Ainsi la majorité des membres du corps illustre qui représente par excellence l'Histoire naturelle en France, partageait alors les vues de Cuvier ; et la doctrine que je rappelle et résume ici, est bien celle qui dominait parmi nous il y a vingt ans. (2) Règne anite., Introd., 1° édit., p.9; 2°, p. 8 et 9. L Le 19 = 7 PE ~“ + En AT: oia o AD DOTE ER cr car À Aa he Eee a de à Ne Vo at Cane Sn acte SP > sc a as E 290 PROLÉGOMÈNES, LIV. il, CHAP. 1i. les êtres des mêmes groupes fussent partout plus voisins entre eux que de ceux de tous les autres groupes, on aurait réalisé l'idéal auquel l'Histoire naturelle doit tendre; on posséderait l'expression exacte et complète de la na- ture entière. « En un mot, la méthode naturelle serait » toute la science, et chaque pas qu’on lui fait faire ap- » proche la science de son but (4). » Le perfectionnement de la classification, c’est donc le but, le terme de l'Histoire naturelle. Sur la recherche des causes, Cuvier se tait maintenant, et s’il revient sur ces lois et ces théories d'ensemble dont la découverte avait fait un instant sa sublime ambition, c’est pour les déclarer vaines et chimériques. Au delà de ce qu’il appelle la loi ou le principe des conditions d'existence ou des causes finales, plus rien que la raison puisse avouer ! Supposer le contraire, ce serait même, selon Cuvier, porter atteinte à la liberté du Créateur. « En effet, si l’on remonte à l’auteur de toutes choses, quelle autre loi pou- vait le gêner, que la nécessité d'accorder à chaque être qui devait durer, les moyens d’assurer son existence? Certaines lois de coexistence dans les organes étaient | donc nécessaires; mais c'était toùt; pour en établir d’autres, il faudrait prouver ce défaut de liberté dans l'action du principe organisateur, que nous avons > vu n'être qu’une chimère (2). » Ainsi, point de lois, point de théories d'ensemble ; et cette science sublime, l’ Histoire naturelle générale, dont Sn seee … RAS RE taii ne ehalliténéres dust «PRE de Er: ASS mers . h dE (1) Règne anim., loc, cit., 1° édit., p. 14 et 12; 2°, p. 10. (2) Article Nature du Dictionnaire des sciences naturelles, 1. XXXIV, p. 267; 4825. VUES DE CUVIER. 291 _ Cuvier inscrivait du moins le nom dans le premier de à ses ouvrages, cette science n’est qu’un rêve, sans réalisa- tion possible, ni aujourd’hui, ni jamais ! Elle n’est pas, elle ne saurait être. Renoncez done, dit Cuvier, à pour- suivre une ombre; et revenez à la vraie science, à la science positive, celle des faits, en dehors de laquelle il n’y + a que succès illusoires et triomphes d’un jour (1). Les faits (1) C'était là l'argument favori de Cuvier, et il se plaisait à y reve- nir sans cesse. Comme exemples, voyez particulièrement, dans le Cours sur l'Histoire des sciences naturelles, recueilli par M. MAGDE- LEINE DE SAINT-AGY, la leçon d'introduction, et celle qui résume les travaux des xvi° et xvi® siècles. : x ; L'histoire, dit Cuvier dans la première (t. I, p. 2), enseigne le mode d'investigation qui conduit le plus souvent aux découvertes; elle en- seigne, et le professeur annonce qu’il le démontrera de nouveau, que les systèmes et les hypothèses n’ont dans la science qu’une existence Passagère, et que les faits seuls subsistent Dans la leçon de résumé (2° partie, p. 536), Cuvier s'exprime ainsi : _« Nous avons mis pour ainsi dire l'esprit humain en expérience... .» Voyez ce qui subsiste de l'antiquité, pour les sciences physiques ét » naturelles : une partie des ouvrages d’Aristote et de Théophraste... » Le réste intéresse tout au plus notre curiosité. Toutes les hypothèses, » toutes les idées systématiques doivent ainsi tomber dans l'oubli. » Voyez encore l'Avertissement déjà cité. L'expérience, dit Cuvier, parlant ici au nom des professeurs du Muséum, leur a appris l’intérét . durable qui s'attache aux faits, les hypothèses et les dissertations théoriques tombant au contraire bientôt dans le méme oubli où sont tombées les hypothèses ou les théories qui les avaient précédées. C'est là, suivant Cuvier, l’un des résultats fondamentaux de ses études historiques, et il faut bien remarquer qu'il admet, qu'il entend démontrer ce résultat dans le sens le plus large; qu'il l'oppose en réalité, bien qu’il se serve habituellement des mots hypothèses et systèmes, à toutes les conceptions théoriques. Les faits seuls sont durables, c’est là laxiome fondamental. Voila sa pensée telle qu'elle ressort de len- semble des passages que je cite ou pourrais citer, et telle, comme on va le voir, que lui-même l’a résumée. «cc Mar E ee 0 en Enpg DE D à ÉD dre El dé robe are rt us SP + re SANS TS : 292 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. ll. bien observés, l'expérience le prouve, sont, pour Pesprit humain, la seule acquisition durable. C’est là «axiome » fondamental des sciences positives (1)» , et la plus grande utilité de l’histoire des sciences est de nous l’enseigner. Telles sont, résumées par son illustre chef, les vues générales de cette grande école des faits, si exclusive, et si longtemps prédominante en Histoire naturelle; telle est sa méthode, à laquelle, heureusement, elle a su ne pas se tenir toujours. Nous n'aurions besoin que des exemples donnés par elle-même, pour prouver, contre ses pré- ceptes, qu'observer, décrire, classer, est le commence- ment de la science, non la science tout entière (2). (1) Exorde de l’Éloge de Desmarest, dans le Recueil des Éloges historiques de CUVIER, t. II, p. 339; 1819. Cet éloge a été lu à Aca- démie des sciences le 16 mars 1818. C’est la première fois que Cuvier a énoncé aussi fermement l’idée qu’il a depuis si souvent développée. (2) Ce n’est ici le lieu, ni de faire connaître avec détail, ni surtout de discuter les vues de Cuvier sur les autres grandes questions de la science. Mais je crois compléter utilement le résumé qui précède, en indiquant dès à présent par quel lien logique ces vues se rattachent aux idées de l’illustre naturaliste sur la méthode , et aussi comment elles s’enchainent entre elles. J'ai essayé déjà dans un autre ouvrage (Vie, travaux et doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire, chap. X, p. 364) de faire saisir ces relations par un aperçu général de la doctrine de Cuvier. Je crois devoir reproduire ici ce rapide aperçu qu'il serait à peu près impossible d’abréger encore. « Admettons pour un moment, selon l'hypothèse si longtemps con- sacrée dans la science, que les germes qui devaient se développer dans la suite des siècles, soient sortis directement, à l’origine, des mains du Créateur; que dans ces germes soient en petit, ou, comme on disait, en miniature, tous les organes, la génération ne faisant, selon l'ex- pression de Régis, que les rendre plus propres à croître d’une manière plus sensible. Cette hypothèse dominant à la fois la zoologie propre- ment dite, l'anatomie et la philosophie naturelle elle-même, chacune DRE RE D E E E PORE dm. PB. ARRET same sgh VUES DE SCHELLING. 293 IV. r Opposons à l’école des faits l’école qui en est le plus éloignée. A Cuvier n’admettant qu’une seule idée théori- que: c’est que toute théorie est impossible; à Cuvier res- X n " > "Wet p j + treignant, à l'extrême, l'exercice de la pensée, oppo- sons Schelling, fondant sur elle la science tout entière ; de ces branches en subira nécessairement et profondément l'influence. Ses conséquences directes seront, en anatomie, la réduction de lem- bryogénie à un rang très secondaire, puisqu'il ne reste plus qu’à épier le moment où tous ces organes préformés auront assez grandi pour devenir perceptibles à nos sens; en zoologie, la fixité des espèces, et l'admission sans limites des causes finales : la première, parce que toutes les différences entre les êtres organisés sont initialement établies par le Créateur lui-même; celle-ci, parce que la Sagesse suprême, en appelant dès l’origine tous les êtres à une vie ou dès lors active ou la- tente, en a nécessairement ordonné les conditions. Il est clair que ce Système laisse peu de place à la recherche des lois générales : chaque type ayant été fait seulement en vue de sa destination propre, et étant essentiellement distinct de tous les autres, il ne reste guère qu’à constater, d’une part, l'accord de son organisation avec cette desti- hation, ce sera le but le plus élevé de la philosophie naturelle; de l'autre, la nature et la valeur des différences extérieures et intérieu-- res, d’où la prééminence accordée aux travaux d'observation, de des- cription et de classification. » Soyez partisan du système de la préexistence des germes, et soyez conséquent avec vous-même; vous ne sauriez sortir de ce cercle. » Tel est précisément le cercle où Cuvier s’est renfermé. La doctrine de Cuvier est une et logiquement indivisible, et je montrerai qu'il ne s’est écarté de ses principes que sur une seule grande question, celle des races humaines, résolue par lui dans le sens de l'unité, comme elle pouvait et devait l'être selon la doctrine, logiquement indivisible aussi et partout concordante, de l’école opposée, celle de Geoffroy Saint- Hilaire. | we: D rs is de LES FAST 294 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. 1. Schelling qui a osé dire : « Philosopher sur la nature , ‘» C'est créer la nature (1)! » Les vues de M. de Schelling datent de la fin du xvne siè- cle. En 4795 et 1796, à peine âgé de vingt ans, l’auteur les indiquait déjà (2); il en exposait l’ensemble (3), - dès 1797, 1798, 1799, dans plusieurs ouvrages dont le titre même était une nouveauté hardie. Kant avait dit la Science de la nature(h); Schelling ose dire la Philosophie (1) Sur cette proposition, aussi célèbre que peu comprise, voyez plus bas, p. 805 et 306. . (2) Dans les Philosophische Briefe über Dogmatismus und Kriticis- mus, 1795. — Dans cet écrit se trouvent, ainsi, que M. de Schelling l’a plusieurs fois rappelé, les premiers germes de la doctrine qu’il a développée durant les sept années suivantes. On retrouve cette même doctrine, non toutefois sans de notables modifications, dans tous les écrits que l’auteur a publiés jusqu’en 1845. I s'en est, au contraire, considérablement écarté, lorsqu'il a repris la plume, en 4841, après un long silence, pour exposer ce qu’il ap- pelle maintenant sa Philosophie positive. (3) Il est regrettable que M. de Schelling, bien moins physicien et naturaliste que métaphysicien, ne s’en soit pas tenu à cette exposition d'ensemble. Les tentatives qu'il a faites pour appliquer ses vues à la physique et à la chimie sont, le plus souvent, peu dignes du grand nom de leur auteur, et trop analogues aux conceptions bizarres par lesquelles plusieurs Philosophes de la nature, s'autorisant de l'exemple de leur maître, ont prétendu renouveler, par la seule force de leur pensée, l'Histoire naturelle et la médecine. (4) Naturivissenschaft. On trouve quelques vues analogues à celles que Schelling a depuis développées, dans les Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissen- schaft de Kanr, Riga, 1786 ; 2° édit., 1787; 3°, Leipzig, 4808 ; et dans les Werke, t. V, p. 304 à 486. M. MicueLeT, de Berlin, dans sa Geschichte der letzten Systeme der Philosophie, t T, a fait avec raison ressortir l'intérêt des vues émises par Kant dix ans avant Schelling; mais il va beaucoup trop loin, $ i $ { $ VUES DE SCHELLING. 295 4 de la nature (4). De ses ouvrages, de ceux de Goethe et de l’enseignement si justement admiré de Kielmeyer, lorsqu'il ajoute, p 129 : « La Philosophie de la nature de Schelling » repose entièrement sur les principes posés par Kant. » (1) Philosophie der Natur ou Naturphilosophie. Trois ouvrages et un mémoire de SCHELLING portent le titre de : Philosophie de la nature. Ce sont, par ordre de dates : Ideen zu einer Philosophie der Natur, Leipzig, 4797; 2° édit., Landshut, 4808. — Erster Entwurf eines Systems der Naturphilosophie, Iéna et Leip- | zìg, 1799. — Einleitung zu seinem Entwurf eines Systems der Na- turphilosophie, Iéna et Leipzig, 1799. — Aphorismen zur Einleitung in die Naturphilosophie, insérés dans les Jahrbücher der Miot als HE Wissenschaft, Tubingue, t. I, p. 4; 4806. Voyez aussi l'ouvrage intitulé : Von der Weltseele, eine Hypothese der höhern Physik, Hambourg, 1798 ; 2° édit., 1806 ; 3e, 1809. Aucun de ces ouvrages n’a été traduit dans notre langue : mais les _ lecteurs français peuvent s’en faire une idée exacte par les analyses, très consciencieusement faites, qu’on doit à M. WiLLM (voy. son excellente Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel, t. III, 1847, p. 72 et suiv.). Dans ce même ouvrage, la Philoso- phie de la nature, telle que l’a conçue Schelling, est en outre résumée dans son ensemble, p. 204 à 237, et appréciée, p. 866 et suiv. Voyez aussi t. IV, 4849, p. 605. É beei Les trois ouvrages suivants de Schelling, où la Philosophie de la nature woccupe qu'une place très secondaire, ont été au contraire traduits en français : System des transcendentalen Idealismus, _ Tubingue, 1800, in-8. Traduit par M. GRIMBLOT, Paris, 4842. Bruno, oder über das güttliche und natürliche Princip der Dinge + (sous forme de dialogue); Berlin, 1802; 2° édit., 4842. Traduit par M. Husson, Paris, 1845. ; Vorlesungen über die Methode des academischen En Tubin- gue, 4803 ; 2° édit., Stuttgart et Tubingue, 1813 ; 850. Traduit par M. BÉNaRD, avec quelques articles détachés et piama fragments dont trois se rapportent à la Philosophie de la nature. — M. Bénard a réuni tout ce qu’il a traduit de Schelling, dans un volume intitulé : Schelling, Écrits philosophiques, Paris, 1847. Enfin je citerai deux recueils publiés par Schelling de 4800 à 4802, 296 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. ii. date cette vive impulsion qui, à travers tant de systèmes erronés ou exagérés , a porté si loin, dans notre siècle, la gloire scientifique de l Allemagne (4). En France, il est peu de philosophes contemporains dont le nom soit plus célèbre (2) et plus honoré (3) que sous les titres de Zeitschrift et de Neue Zeitschrift für die speculative Physik; recueils dont il est lui-même en grande partie l’auteur. Par ces indications bibliographiques, et par celles qui vont bientôt les compléter, j'épargnerai, je l'espère, aux naturalistes qui voudront a leur tour étudier M. de Schelling, une partie des difficultés que j'ai ren- contrées dans mes efforts pour remonter aux sources,et pour pénétrer le vrai sens d’une doctrine jusqu’à ce jour si imparfaitement connue. (1) Goethe et Kielmeyer sont l’un et l’autre antérieurs à Schelling. La Métamorphose des plantes de Gogre est de 1790, et une partie de ses travaux zoologiques est plus ancienne encore. On peut consul- ter à cet égard mon rapport Sur les travaux zoologiques et anatomi- ques de Goethe, dans les Comptes rendus des séances de l’ Académie des sciences, t. VI, p. 320 , 4838, et dans mes Essais de zoologie générale, 18414, p. 153. Le célèbre discours de KIELMEYER, Ueber die Verhältnisse der or- ganischen Kräfte unter einander, a été prononcé en février 1793 à Stuttgart, et aussitôt imprimé. Par ce discours où, au milieu de vagues énoncés et de développements sans intérêt, se trouvent d'admirables aperçus, on peut du moins se faire une idée de cet enseignement de Kielmeyer, qui a laissé de si profondes traces dans Pesprit de ses élèves, et qui a donné à l'Allemagne tant de naturalistes et d’anato- mistes justement célèbres. Comment se peut-il que pas un des disciples de Kielmeyer ne nous ait fait connaître, n'ait conservé à la postérité les lecons d’un tel maitre ? (2) La célébrité du nom de Schelling date, parmi nous, du beau livre: De l’Allemagne, par M"° DE STAEL. (Voy. la troisième partie, chap. VIL) (3) « Le plus beau génie de tous les philosophes allemands, celui » qui à le plus de rapport avec Platon, est M. de Schelling, » dit M. pe RÉMUSAT, dans un remarquable Rapport, fait à l'Académie des sciences morales, au nom de la Section de philosophie, sur le Concours pour l'examen critique de la philosophie allemande (voy. les Mémoires ER Lire VUES DE SCHELLING. 297 celui de M. de Schelling : il en est peu dont la doctrine (4) y soit restée, après un demi-siècle, aussi imparfaitement connue. Conception mixte entre la philosophie générale et l Histoire naturelle, elle ne pouvait être scientifiquement appréciée parmi nous, que par le concours denos métaphy- siciens et de nos, naturalistes. Les premiers, encore est-ce depuis peu (2), ont consciencieusement donné le leur, de l'Académie des sciences morales et politiques, t. V,1847, p. 223 à 237.) M. de Rémusat résume ici le jugement que M. WALLA à développé et motivé, loc, cit., t. IV, p. 605, (1) En ce qui concerne la nature. (2) On a vu par l’une des notes précédentes (p. 295) que les seules traductions que nous ayons de SCHELLING, celles de MM. GRIMBLOT, Husson et BÉNARD, ne remontent qu'à 1842, 1845 et 1847. L'ouvrage de M. Wittm (voy. la même note) n’a paru, pour les parties relatives à Schelling, qu'en 1847 et 18/9. C'est vers la même époque qu'un ouvrage spécialement consacré à la philosophie de Schelling a été publié, par M. MATTER, sous ce titre: Schelling, ou la Philosophie de la nature et la Philosophie de la révéla- “tion, Paris, 1845 ; ouvrage qui est, en très grande partie, la reproduc- tion textuelle d’articles publiés dans le Dictionnaire de la conversa- tion, t. L, 1839, et dans la France littéraire, nouv. série, t. VII, 1841. Voyez encore : BARCHOU DE PENHOEN, Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz jusqu’à nos jours, Paris, 1836. L'auteur de ce livre s’y est peu étendu (voy. t. I, p. 1 à 107) sur Schelling et son école, auxquels il se proposait de consacrer un ouvrage spécial. — Orr, Hegel et la Philosophie allemande, Paris, 1844; savant ou- vrage où, comme son titre l'annonce, la philosophie de Hegel est seule exposée avec développement. } Dans les derniers volumes (posthumes) de l'Histoire comparée des systèmes de philosophie, par DEGÉRANDO, 1847, on trouve aussi, t. IV, p. 348 et suiv., un aperçu de la doctrine de Schelling. Enfin, je citerai un intéressant et savant article sur Schelling, ré- cemment publié par M. Wirum, dans le Dictionnaire des sciences phi- losophiques, t. V, p. 508; 1854. M. Willm wa d ailleurs fait ici que résumer son important travail déjà cité, | LÉ 49: 298 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. 1. examinant la doctrine de Schelling sous tous les points de vue où ils avaient à le faire. Ils Pont commentée, dis- cutée , métaphysiquement, dans ses principes; morale- ment, dans ses conséquences ; historiquement, dans ses rapports d’analogie avec les philosophies de Pythagore, de Platon, de Xénophane, de Bruno, de Spinosa, dans ses rap- ports de filiation avec celles de Hume, de Kant et deFichte. lei, ce qu'on devait faire a donc été fait. Mais le reste appartient aux naturalistes, etle reste est encore à faire. Quand il fallait à Schelling un interprète impartial au- tant que compétent, ce sont ses adversaires eux-mêmes qui se sont chargés de nous le faire connaître. C’est le chef illustre de l'école des faits ; ce sont, après lui, ses disciples, qui, en France, se sont le plus occupés de la philosophie de la nature et de l’idéalisme transcendantal; ce sont eux qui ont surtout commenté et discuté la doctrine de Schelling ; etils Pont fait, non comme on discute quand on veut éclairer, mais comme on combat quand on veut vaincre; délaissant l'examen des principes pour la critique de leurs conséquences secondaires les plus manifeste- ment erronées, le fond de la doctrine pour ses parties les plus vulnérables; ne distinguant pas même, le plus sou- vent, entre Schelling et ses disciples, ou même eeux de Kielmeyer (1) ; frappant, sans choix et sans ré- (1) Test d’ailleurs vrai qu'un grand nombre de savants allemands sont disciples à la fois de Schelling et de Kielmeyer, dont les idées sur plusieurs points capitaux étaient analogues; si bien que ces deux grands esprits se Sont plus d'une fois rencontrés. Par exemple, SCHELLING, Von der Weliseele, p. 297, reconnaît que Kielmeyer était arrivé avant lui, par une autre voie, à ce résultat, que toutes les fonctions de la vie ne sont que des modifications diverses d’une force un'que. : VUES DE SCHELLING; 399 serve (4), la Philosophie de la nature, dans toutes ses éexagérations allemandes, de quelles sources qu’elles vinssent; se complaisant dans leur énumération , dans leur développement ; recherchant, entre toutes, les plus bizarres pour les mettre le plus en lumière; ne dé- daignant pas d’en triompher-par le plus facile, mais le moins démonstratif des arguments, la plaisanterie, et y réussissant, du moins au jugement du publie scientifique qui, ayant sans cesse sous les yeux le tableau de toutes ces aberrations de l'esprit humain, finissait parles prendre, qu’elles fussent ou non de Schelling, pour la doctrine elle-même dont elles ne sont que l'abus! Combien de savants encore, parmi les zoologistes eux-mêmes, croient connaître assez la Philosophie de la nature, parce qu’ils ont ri, avec Cuvier, de la décomposition de la tête en membres, corps et tête (2), ou de tel autre de ces (1) Et parfois, trop manifestement, sans études sérieuses, sans avoir pris la peine de remonter aux sources. Tels auteurs français n'avaient pas même vu les titres des ouvrages dont ils se portent juges! L'un d'eux, par exemple, qui prétend nous faire connaitre Kiel- meyer, et le juger, ne sait pas en écrire le nom! Le même juge re- porte à Tubingue, et en 1796, le célèbre discours qui fut prononcé par Kielmeyer à Stuttgart, le 44 février 1793. (2) La téte de la téte! Cet exemple des idées fantastiques des Philo- sophes de la nature est celui que Cuvier se plaisait le plus à citer. Combien de fois il l’a reproduit dans ses cours du Muséum et du Collége de France, toujours spirituel et mordant, et toujours sûr de provoquer le rire de ses auditeurs! Ses disciples ont depuis essayé de faire comme lui. : M. de Schelling entendait autrement la critique scientifique. « Je » n’attaquerai jamais, dit-il, une philosophie par ses derniers ré- -= » sultats; mais je la jugerai dans ses premiers principes, comme doit » le faire tout esprit philosophique. » (Voyez le Discours ouverture W sé E i i ia F | i 14 di Ig KE H t | \ RARE SERRE SP RERO ne near ses 9300 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. II. systèmes qui devaient inévitablement compromettre , avéc leurs auteurs, la doctrine qu’ils prétendaient déve- lopper ! Nous aussi, nous aurons souvent à combattre, dans lé cours de cet ouvrage, les vues de Schelling, celles aussi de son émule Hegel (1) etde ses principaux disciples (2). Que ce du cours de philosophie de Berlin en 1844, traduit par M. GRIM- BLOT, à la suite de l’Idéalisme {ranscendantal; loc. cit., p. 442.) On doit savoir gré au savant traducteur d’avoir ajouté à l’Idéalisme cet admirable discours par lequel Schelling a ouvert, près d’un demi- siècle après ses premières publications, la nouvelle série de travaux qu'il poursuit encore en ce moment. (1) Condisciple de Schelling, puis son disciple quoique un peu plus âgé que lui, et plus tard son adversaire, Hegel a surtout eu en vue de donner une forme plus rigoureuse à la philosophie de Schelling. Sur beaucoup de points il en a modifié le fond. Voy. sa Naturphilosophie. Cet important ouvrage forme la seconde partie de PEncyclopadie dèr philosophischen Wissenschaften. D'abord publié en 1817, et plu- sieurs fois réimprimé, il la été en dernier lieu dans les HEGEL’S Werke, t. VII, Berlin, 1842. (2) Schelling se proposait d'exposer dans un ouvrage spécial la Philosophie de la nature organique. Il ne l'a jamais fait; mais de nombreux disciples ont repris son projet, et ont essayé de le réaliser, chacun selon ses vues propres. A leur tête se place l'illustre OKEN, qui a développé les siennes dans son Lehrbuch des Systems der Na- turphilosophie, Iéna, 1809; 9° édit., 1831; 3°, Zurich, 1843. — Voyez aussi: Grundriss der Naturphilosophie, Francfort, 1802. — Abriss des Systems der Biologie oder Moralphilosophie, Goettingue , 1805. — Lehrbuch der Naturgeschichte, Leipzig et Iéna, 1812 à 1846, — Esquisse du système d'anatomie, de physiologie et d'histoire natu- relle, Paris, 1821. à Fri: Parmi les disciples et les continuateurs de Schelling, il mé suffira de citer ici après Oken : TREVIRANUS, Biologie oder Philosophie der lebenden Natur, Goettingue, 1802. — J. WAGNER, Von der Natur der Dinge, Leipzig, 1803; ouvrage où l'auteur annonce qu’il exposera dans leur ensemble les vues de Schelling. Il s’en écarte parfois. — STEFFENS, EAE VUES DE SCHELLING. 301 soit du moins par d’autres armes et avec le sérieux, disons plus, avec le respect dù à d'aussi hautes conceptions ! Que ce soit en distinguant avec soin, dans la Philosophie de la nature, ce qui est l'œuvre propre de Schelling et ce qui ap- partient à ceux qui l'ont suivi; car chacun doit répondre de ses proprés vues et de celles qui en dérivent nécessai- rement, mais non dè tout ce qu'ont: eru y découvrir de té- méraires interprètes, où de ce qu'y ont ajouté des disci- ples qu’il eût désavoués. Ainsi, seulement, notre critique pourra être juste, et si elle ne l'était pas, comment pour- rait-clle servir la science? La justice, c’est sous un autre nom, sous un nom plus saint encore , la vérité elle- même (D). ni ( Grundzüge der philosophischen Naturiwissenschäft , Berlin, 1806, É; et Anthropologie, Breslau, 1824. — ESCHENMAYER , Einleitung in de Natur and Geschichte, Erlangen, 4806. — Fr. WALTHER; Phy= siologie des Menschen, Landshut, 4807. — SrUTZMANN, Philosophie der Geschichte der Menscheit, Nuremberg, 1808. — KIESER , Aphoris- men aus der Physiologie der Pflanzen, Goettingue, 1808. —WILBRAND, = Darstellung der gesammien Organisation, Giessen et Darmstatt, 1809, et Gesetz des polaren Vorhaltens in der Natur, Giessen, 1819. = Nees D'EsENBECK, Handbuch der Botanik, Nuremberg, 1820. Les vues de quelques uns de ces auteurs ont été analysées par M. BARCHOU DE PENHOEN, loc. cit., t. II, p. 84 et suiv. Je me borne présentement à ces iudications, renvoyant aux parties de cet ouvrage où j ’aurai à traiter des classifications, des harmonies, et surtout des analogies, la citation de divers ouvrages ou mémoires, Auelques uns d’une grande importance, dont les auteurs se sont plus a4 moins directement inspirés de la philosophie de Schelling. _ (4) Voici les principales sources où, avec les ouvrages déjà cités, les lecteurs français, étrangers à la langue allemande, peuvent trouver des -notions plus ou moins exactes sur les vues dë Schelling et de ses disciples. Celui de nos naturalistes qui est le plus souvent revenu sur la rA anai e a aa ai a ma % \ "` O AE AE o à PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. I. y. Laissons toutes ces interprétations incomplètes, tous ces commentaires inexacts, au milieu desquels n'apparaît que confusément la vraie pensée de Schelling sur la nature : C'est aux sources, c’est à ses livres eux-mêmes, à ceux de Philosophie de la nature, c’est Cuvier; mais il l’a fait dans ses cours plus que dans ses ouvrages, et bien plus souvent pour lancer contre elle quelques traits destinés à atteindre en même temps l’école philo- sophique française, que pour exposer et discuter les idées de Schel- ling et de ses disciples. — Parmi ses ouvrages, voyez surtout: Recher- ches sur les ossements fossiles, 2° édit., t. V, 9° part., p. 3; 18924, — Article Nature, loc. cit., p. 267; 1825. — Hist. nat. des POISSONS , t. E, p. 228 à 239; 1898. — Dernière leçon, publiée à part, Paris, 1832, p. 18. — M. Duvernoy, dans son excellente Notice historique sur Cuvier, Paris, 1833, p. 67, a succinetement résumé les vues de son illustre maître sur la doctrine de Schelling. | Dans un article qui porte le même titre que l’un des précédents, et qui est en partie destiné à lui répondre, l’article Nature de l'Ency- clopédie moderne (t. XVII, p. 24, et à part, in-8, Paris, 1829), mon père a fait connaître aussi son opinion sur la Philosophie allemande de la nature. Je reviendrai sur cet article. — Voyez encore Victor MEU- NIER, Histoire philosophique des progrès de la zoologie générale, 1840, p.73 et suiv.— Et BLAINVILLE , Histoire des sciences de l’organisation, publiée par l'abbé Maupin, t. IHI, 4845, p- 484. Ces travaux, particulièrement ceux de Cuvier, de mon père et de M. Meunier, sont surtout de critique ou de discussion. Les suivants sont principalement des exposés ou des résumés. * L'auteur du volume complémentaire de l'Histoire des sciences natu- relles de CUVIER (t. V, 1845), M. MAGDELEINE DE SAINT-AGY, a consa- cré la seconde partie de ce volume à Phistoire, la plus développée qu’on en ait donnée parmi nous, de la Philosophie de la nature en Mn ess, $ 7 VUES DE SCHELLING. 303 ses principaux disciples,qu’ilfautremonter pour se faire une idée juste de la méthode des Philosophes de la nature. Et il est nécessaire d’y remonter sur leurs pas, bien que je n’aie pas à exposer dans ces Prolégomènes l’ensemble de leur doctrine, jusqu’au point d’où elle est partie, jusqu’à la pro- position fondamentale, celle de l'identité des lois de la nature avec les lois de l'intelligence humaine. Qu'est-ce que la nature? Schelling répond : Le côté réel (1) tout entier dans lacte éternel de la manifes- tation divine (2) ; acte compris lui-même dans la pensée de Dieu, à la fois sujet et objet, par une sublime trans- formation dont la nature visible et finie est le symbole. Acte éternel, ajoute Schelling, qui se reproduit en toutes France et en Allemagne (voy. p. 343 à 435). I expose, p. 323 et suiv., les vues de Schelling, dont il fait (comme CUVIER, Dernière leçon, p. 18) le continuateur de Kielmeyer ; p. 534 et suiv., celles d’Oken, de Spix, de M. Carus et de quelques autres anatomistes allemands et - ffançais. Il est fort regrettable que ce travail étendu ait été fait avec peu d’exactitude et de critique. L'auteur, qui n’est pas remonté aux sources, s’est souvent mépris, et parfois sur des points capitaux. J'indiquerai avec plus de confiance, quoique ce travail laisse lui- même beaucoup à désirer, un discours prononcé et publié à Genève en 4828 sur la Philosophie de la nature par un savant pasteur, M. Crorzx. Voyez son ouvrage intitulé: Des doctrines exclusives en philosophie rationnelle, p. 63 à 415. (4) Réel (reale) par opposition à Idéal. (2) Vorlesungen, eilfte Vorles., 2° édit., p. 254; trad. de M. BÉNARD, loc. eut., p. 178. M. Bénard (auquel j'ai emprunté tout ce qui, dans cet alinéa, est en italiques) a cru ne pouvoir faire passer dans notre langue, ni les expres- sions, en effet intraduisibles, ni la pensée tout entière de Schelling- In dem ewigen Act der Subject-Objectivirung, dit l'auteur ; c’est-à-dire, mot à mot, selon la périphrase qu’il emploie ailleurs (p. 288) : Dans l’acte éternel de la transformation de la subjectivité en objectivité. L sn Get LE AR ren sig réagi 30/4 PROLÉGOMÈNES, LIV. Ii, CHAP. Il. choses et se continue dans les formes particulières, toutes réductibles à l'universel et à l'absolu (4), dont elles sont comme autant d'aspects divers. La nature est donc, pour Schelling, la manifestation de Dieu ; c’est sa pensée réalisée, et où il se contemple lui- même (2). La création de l'univers ou l’évolution de l'absolu est un acte éternel de connaissance (3) ; et le système de la nature est l’expression de l'esprit uni- versel dans la matière (l), la révélation de l'infini dans le fini (5). L'intelligence humaine qui voit Dieu dans la nature, selon Schelling, s’y retrouve aussi elle-même. D’ cou gence et la nature sont parallèles, dit-il (6). Les lois de l’une sont les lois de l’autre. Et la nature reproduit en elle les lois de notre esprit par une concordance, non pas sim- plement accidentelle, mais nécessaire et primordiale(7); ` et il ne suffirait pas de dire qu'elle exprime ces lois; Schelling veut qu'elleles réalise (8). S'il conçoit la possi- (4) Vorles., p. 257. (2) Ibid., p. 292. — Et oùil s'affirme lui-même, dit J.-B: WILBRAND, Darst. der ges. Organis., t. 1, p. 4 ; (3) WiLLu, loc. cita t. I, p. 368. — Dans le savant résumé qu'il a donné des vues de Schelling, M. Willm dit aussi un peu plus haut : « L'intelligence divine est créatrice; ses idées se réalisent par cela » même qu’elles sont pensées; les choses en sont le reflet, la copie, » l'expression phénoménale. » (4) Ibid., p. 208. (5) FRIES, Systema orbis vegetabilis, Lund, 1825, Introductio, peL (6) Transcend. Idealismus, Préface; traduction de M. GRIMBLOT, p. LXVIII (7) Ideen, Introduction, 4 édit., p. LXIV. (8) Ibid. — « Nicht nur ausdricke , dit Pauteur, sondern selbst » realisire. » i VUES DE SCHELLING. -305 bilité d’une nature en dehors de nous, c’est par son iden- tité absolue (1) avec l'esprit en nous. C’est en ce sens que Schelling a dit: « La nature n’est que l’organisation visible » de notre esprit (2). » Et ailleurs : «La nature doit être » l'esprit visible, comme l'esprit la nature invisible (3). » La Philosophie transcendantale, qui expose les lois de l’esprit, n’est donc, pour ainsi dire, qu’une philosophie inverse de celle de la nature, où l’on part du subjectif comme principe pour en faire sortir l'objectif, au lieu de déduire le sub- Jectif de l'objectif (h). Pour Schelling, l’activité de notre esprit peut donc être assimilée à l’activité de la nature, ou, mieux, à celle de Dieu lui-même , réalisée dans la nature. Nous pensons comme Dieu a créé. Notre pensée, c’est presque une création intérieure. D'où cette proposition, devenue si célèbre, et tant admirée par les Philosophes de la nature, si ambitieuse qu'ils la trouvassent eux-mêmes : « Philoso- _» pher sur la nature, c’est créer la nature (5)! > » (1) Ce sont les mots eux-mêmes dont s’est servi pere daoi Identität, dit-il dans les Ideen, loc. i z (2) Einleitung, p. 3. (3) Ideen, p. LXIV. (4) Transcend. Idealismus, loc. cit. — Ces deux sciences sont théo- riquement égales, dit Schelling; car il est indifférent, à ce point de vue, de partir de l’objectif ou du subjectif. OKEN, Lehrb. der Naturphil., Begriff (voy. 8° édit., p. 2), considère comme parallèles la philosophie de l'esprit et celle de la nature, et il insiste sur la priorité de celle-ci. (5) Erster Entwurf, p. 6. — Voici les propres paroles de Schelling : « Ueber die Natur philosophiren heisst die Natur schaffen. n Cette proposition, souvent: citée en Allemagne, y est considérée comme la plus haute expression de la doctrine de M. de Schelling; L 20 m A R3 806 PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. Il. A la témérité de ces hypothèses et de ces déductions, qu’en ce moment nous n'avons pas à suivre plus loin (4), quelle méthode pourra correspondre, dontl’audace ne doive aussi nous étonner ? Puisque la raison humaine est déposi- taire des idées éternelles, des idées créatrices, il lui suffira de les chercher en elle-même. Qu'elle s'interroge donc, êt si elle peut se répondre sur son être propre et sur ses rapports avec le Créateur, elle devra, par là même, ré- pondre sur la création entière; elle comprendra , elle reconstruira lunivers (2). “Dans l'exercice de notre pensée est, pour Schelling, la source de toute vraie science. Tout doit ydériverd’axiomes, de principes que trouve en elle ou que crée notre raison; et c’est par elle aussi que doivent être déroulées toutes les con- séquences. Que seraient des faits sans théories ? Rien (3). comme son expression énergique, inspirée, dit M. MICHELET, de Ber- lin, dans la savante préface qu’il a placée en tête de la Naturphilosophie de HEGEL. « Si cette proposition de Schelling semblait trop présomp- tueuse, ajoute M. Michelet, si elle encourait le reproche d'étre une di- vinisation de la philosophie par elle-méme (eine Selbsivergütterung), on pourrait la traduire ainsi : Philosopher sur la nature, C’est « repenser la grande pensée de la création. » (Voy. HEGEL’S Werke, t. VIL, p. v et vi.) ; (4) Je wai à donner ici un aperçu de l’idéalisme panthéistique de M: de Schelling que dans les parties de cette doctrine, indispensables à l'intelligence de la méthode des Philosophes de la nature. Je revien- drai, en traitant des harmonies générales, et surtout des analogies, sur l'ensemble de la doctrinede M. de Schelling, et sur les conséquences prin- cipales qui en ont été déduites soit par lui-même, soit par ses disciples. (2) WiLLM, loc, cit., t. IV, 1849, p. 598. (3) Zeitschrift, 1800; dans un article Sur la spéculation et l’expé- rience en physique, qui a été traduit par M. BÉNARD, loc. cit., p. 365 à 372. VUES DE SCHELLING. 307 Et si des théories sont nécessaires, comment y parvenir ? En dehors des faits, et non par eux. Toute théorie, dit Schelling, qui est abstraite de l'expérience, est contraire à l'expérience elle-même. « Il ne peut y avoir ou se for- » mer de vraies théories que celles qui se construisent å » priori (4). » Au fond, « tous les phénomènes se ratta- » chent à une seule loi absolue et nécessaire, de laquelle » ils peuvent tous être déduits. En un mot, dans la science » de la nature, tout ce que l’on sait (dans le sens le plus » rigoureux du terme), on le sait à priori (2). » La méthode recommandée par Schelling est donc es- sentiellement déductive, et la science de lanature, comme il la conçoit, devient une science toute rationnelle où, bien loin de remonter des faits à leurs lois, on descend de celles-ci aux faits. Si l'observation, l’expérience, ont à in- tervenir dans la vraie science, ce sera donc, à prendre dans toute leur rigueur les idées de Schelling, non plus pour découvrir, mais pour vérifier des conceptions déjà existantes dans notre esprit; et encore pourrait-on dire qu’elles ne sont pas indispensables, même à ce titre; car si Schelling part d'hypothèses, c’est, suivant lui, d’hypo- thèses nécessaires, par conséquent démontrées.… Schelling, auquel on a reproché à juste titre, comme à ses disciples, de dédaigner, de mépriser les faits, se garde cependant d'admettre ces conséquences extrêmes. Il re- connaît formellement la nécessité de l’expérimentation. Lui-même l’a dit : «Il serait impossible de pénétrer la con- (1) Zeitschr., loc. cit. Trad. de M. BÉNARD, p. 368, : | (2) Fragment Sur l’idée d'une physique spéculative; traduit par M. BÉNARD, Ibid., p. 374. we. Re EES À er PRIE es 308 PROLÉGOMÈNES, LIV. Il, CHAP. Ii. » struction intérieure de la nature, si notre liberté ne nous » permettait pas de mettre la main sur elle (1). » L’expé- rimentation, telle que la conçoit Schelling, n’est d’ailleurs que la vérification d’une idée préexistante dans l'esprit, et il s’en explique très nettement : « Chaque expérimentation » est une question adressée à la nature, et dont la ré- » ponse est préjugée. Chaque expérimentation qui mé- » rie ce nom, est une prophétie (2). » Il ne s’agit ici, pour Schelling, que de la vérification, ou mieux, pour employer un terme plus conforme à sa doc- trine, de la réalisation de ses idées préconçues, de ses prophéties. Ailleurs il va plus loin, et c’est d’une manière générale qu'il admet, qu’il recommande l'observation et l'expérience. Schelling veut, à côté de l'étude philoso- phique ou spéculative, une étude empirique de la nature. Seulement il fait à celle-ci une bien modeste place, dont il lui défend sévèrement de sortir. Qu'elle n’ait pas la pré- tention, dit-il, d’être la science elle-même (3)! Qu'elle saches’abstenir de toute explication et de toute hypothèse; qu'elle se renferme dans la simple et fidèle exposition des phénomènes eux-mêmes! Et surtout qu’elle ne tente pas de porter ses regards sur lunivers, de pénétrer l'essence des êtres, d'édifier un système (h) où elle se perdrait aussitôt : autant vaudrait essayer la traversée de l'Océan sur un brin de paille (5)! (1) Même fragment, p. 373. (2) Ibid. (8) Vorlesungen, p. 254. (4) Ibid., p. 252; trad. de M. BÉNARD, p. 477. (5) « Den Durchbruch des Oceans mit Stroh. » + aS Ii à VUES DR SCHELLING. 309 i ne serait frappé de la similitude de ces paroles et k ce lles du chef illustre.de l’école la plus opposée? Schel- - ling parle ici comme Cuvier! Il veut, comme lui, la pru- dencela plus circonspécte; il veut, comme lui, plus que lui, da recherche exclusive des faits. I dit, lui aussi : Observer et décrire, et il wajoute même plus : Classer! Il entend faire des naturalistes de simples collecteurs de faits! Ren- contre singulière entre les doctrines les plus extrêmes ! Mais la rencontre n’est que là, et sur un seul point, Où la science se termine pour Cuvier, c’est seulement, pour Schelling, empirisme (1) qui finit, et la vraie science va commencer ; ét si le naturaliste est condamné à ne pas faire un seul pas en avant de l'observation, un champ sans limites est librement ouvert au philosophe : c’est l'univers entier, où il contemplé, dans la nature, Dieu ét lui-même. é+- Telle est, autant que nous avons besoin de le connaître dès le début de cet ouvrage, ce système de Schelling, dont le dernier résultat est ainsi de nous placer en face de deux sciences de la nature : Pune, purement ration- nelle, spéculative, philosophique, toute d'idées, la vraie science, qui, allant, selon les expressions de Schelling lui-même, du centre à la circonférence , comprend le cercle tout entier; qui peut et doit tout oser; lautre, à peine digne du nom de science empirique, descriptive, toute de faits, seulement périphérique, et pour toujours impuissante : l’une, chaîne immense où tout se rattache à la conception suprême, à l’absolu; Vautre, vaine suite de notions fragmentaires, et pour ainsi dire, de pr émisses (4) Empirie où Empirismus. bre peine pere EEE D) ER EA D o AA e e a . | 310 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. Il. sans conclusions possibles; sans lien avec la première, qui ne daigne pas descendre jusqu’à elle, et jusqu’à la- quelle il lui est interdit d’aspirer ! Scission singulière, plus singulière dans le système unitaire par excellence, de la science essentiellement une de la nature, en deux sciences diverses et partout sépa- rées! en deux sciences telles, que je ne craindrai pas de dire l’une au-dessous de la dignité de l'esprit humain; l’autre à jamais au-dessus de sa puissance | yI. Serons-nous condamnés à opter entre ces deux voies et ces deux ordres de résultats? D'une part, l'étude par les sens; les fondements jetés, et sans cesse agrandis, d’un édifice qui jamais ne doit s'élever : de lautre, l’é- tude par l'esprit; des plans, tracés au loin dans l’espace ; un édifice immense qui demeure suspendu sur le vide! Est-ce là la vraie science? Ne rien oser, est-ce assez? tant oser, n'est-ce pas trop ? Et sera-ce, les reg gards toujours abaissés vers la terre ou toujours élevés vers la nue, que nous connaîtrons, dans sa majestueuse réalité, le monde qui nous entoure ? Non, avait dit Linné dès la première page du Systema naturæ (4): la vraie noblesse de l’homme, le carac- tère éminent de sa supériorité sur les animaux, est d'observer, de raisonner et de conclure; et c’est (1) Introitus, p. 4. — Cet introitus ne se trouve que dans les der- nières éditions du Systema nature. Le » ; VUES DE LINNÉ ET DE BUFFON. 3114 ainsi qu’illui est donné d'admirer l’œuvre du Créateur (4). Non, avait dit aussi Buffon, dans son Premier dis- _ cours (2), en des termes que je voudrais pouvoir com- plétement reproduire, tant ici la netteté et la fermeté philo- sophiquede la pensée,aussi bien que l’éloquente perfection du style, inaugurent dignement l’immortel monument de l'Histoire naturelle française ! F ‘aire des descriptions exactes et s'assurer des faits particuliers, c’est, pour Buffon, le but essentiel qu'on doit se proposer d’abord. . « Mais, ajoute-t-il, il faut tâcher des ‘élever à quelque PR, » de plus grand et de plus digne encore de nous occuper ;. - » c’estde combiner les observations, de généraliser lesfaits, w » de les lier ensemble par la force des analogies, et de tå- : » cher d’arriver à ce haut degré de connaissance où nous » pouvons juger que les effets particuliers dépendent gef- » fets plus généraux , où nous pouvons comparer la na- » ture avec elle-même dans ses grandes opérations. » Ainsi s’exprimaient déjà les deux grands naturalistes du xvine siècle, aussi bien d'accord ici qu’ils le sont peu presque partout ailleurs. Mais, dans cette voie de la généra- lisation logique qu’ils indiquaient dès lors à tous, qui les a suivis jusqu’à nos jours ? Quelques-uns à peine, et pour en # sortir presque aussitôt. Tandis que Lamarck s’en écar- | tait (3), ayant su, trop rarement pour sa gloire, modérer (1) « Curdosum esse (hominem) similemque quidem reliquis animan- » tibus, sed nobiliorem utpotè qui curiosiüs observat que sensibus » patent, indèque sapientius raciocinando ritè concludit, adeòque » miratur pulchrum sapientis opus artificis. » , (2) De la manière d'étudier et de traiter l'Histoire naturelle. (Voy. Histoire naturelle., édit. de l'imprimerie royale, t. I, p. 50 et 54, 4749.) (3) 1 l'avait nettement indiquée, et à une époque déjà fort éloignée tse RSR SRE SENT dit mn tm D 7 4 rer ge - = - 912 PROLÉGOMÈNES, LIV. Il, CHAP. il. sa témérité habituelle et wêtre que hardi; tandis que Goethe la délaissait (1), abandonnant, comme lui-même l’a dit, son maître Loder pour son ami Schiller, et Linné pour Shakespeare (2), la multitude des naturalistes n'avait pas même osé faire un seul pas, en dehors de ce qu'on appelait la science positive. En Linné, elle n’admi- rait toujours que le descripteur et le classificateur; et encore, ici, s’'attachait-elle aux parties les moins neuves etles moins durables de son œuvre (3). En Buffon, elle voyait l’auteur de discours philosophiques, de descrip- tions littérairement admirables , mais aussi d'hypothèses de nous : « Rassembler les faits observés, et les employer à découvrir » des vérités inconnues, c’est, dans l’étude de la nature, la tâche que » doit se proposer d’une manière inébranlable quiconque se dévoue à » ses véritables progrès. » (Recherches sur l'organisation des corps vivants, publiées en 1802.) (1) Sans même publier d'importants travaux déjà achevés. Plusieurs beaux mémoires zootomiques que Goethe avait composés vers la fin du xvn? siècle wont paru qu’en 1820. (Voy. les Œuvres d'histoire naturelle de GOETHE, traduction de M. MARTINS, Paris, 1837; Pré- face, p. 5.) Goethe, qui avait conçu la nécessité d’une grande ré- forme en anatomie comparée, s’est ainsi privé de l’honneur d’accom- plir ce progrès. | : ‘ Au reste, eussent-ils été publiés, ses mémoires zootomiques eussent bien pu avoir le même sort que ses travaux botaniques, compris si tardivement, et seulement après ceux de Geoffroy Saint-Hilaire, et sous leur influence. J'ai cité plus haut, p. 119, la juste remarque de M. Flourens sur ce point important de l’histoire de la science. (2) Goethe, faisant l’histoire de ses travaux, s’est représenté lui- même comme partagé et en quelque sorte indécis entre Spinosa, Linné et Shakespeare. L'influence de Schiller l'emporta enfin, et Goethe de- vint l'un des plus grands poëtes d'une époque dont il eût pu être l'ur des plus grands naturalistes. (3) Voyez plus haut, l'Introduction historique, p. 72 et suiv. P 3 AVES - à Sr LES VUES DE LINNÉ ET DE BUFFON. : 313 vagues, de systèmes fantastiques qui ne servent qu'à les déparer; d'un livre où le vice de la méthode se fait sentir aux plus prévenus (1). Ainsi, à l'appui d’une cause qui, au fond, n’était celle ni de Fun ni de l’autre, tous deux , étaient invoqués en sens contraire : Linné comme un par- fait modèle de la vraie science ; Buffon comme un éclatant exemple des funestes écarts, des aberrations (2) où le gé- nie lui-même se laisse entraîner, dès qu’il tente de s'élever au-dessus des faits ! Longue injustice de l’Europe savante, dont la patrie même de Buffon ne sut pas s'affranchir ! Après Buffon étaient venus les Philosophes de la na- ture ; et par leurs témérités, si admirées de quelques-uns, mais si redoutées de tous les autres; par celles aussi, il faut le dire, de notre illustre Lamarck, la méthode restreinte d'observation exclusive, contre laquelle ils réagissaient, semblait plus consacrée que jamais. Non seulement la foule, mais les hommes d’élite eux-mêmes, près de s ’élan- cer vers un horizon entrevu et désiré, s’arrêtaient, tou- jours retenus sur la rive par le tableau, si souvent et si habilement renouvelé, de naufrages qui pourtant n lapin pas été sans gloire. Ainsi, après Buffon, après Goethe, Kielmeyer et Schel- (1) CUVIER, Éloge de ne. dans le Recueil : déja one È M, p. 296 et 297. On sait l'opposition et les critiques si vives de Pallas sani Buffon. Que serait-ce, si j'avais à rappeler les passages où tant de natu- ralistes secondaires se sont faits sans nulle mesure et sans respect les échos des deux illustres z00logistes dont je viens de citer les noms! (2) Cuvier du moins n’a appliqué qu ‘indirectement à Buffon un mot aussi dur. 11 est tels auteurs qui ne l'ont même pas trouvé assez sévère contre Buffon : ils ont cru devoir le fortifier par des épithètes, par- fois en chercher d’injurieux synonymes! (Voy plus haut, p. 82 et.84.) F 20. ai + A j ya ain e bi Si dini a s W p I IE UE 1 fe ESA PME st SET 2 gi Paena EE D gt re aiiin RASE LÉ Pat nr Eu 314 PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. I. ling, après Lamarck, l’ancienne méthode régnait encore, et plus que jamais, en Histoire naturelle. Fortifiée, affer- mie par les attaques même dont elle semblait avoir triom- phé, et maintenant, représentée, défendue par Cuvier qui jetait sur elle comme un reflet de sa propre grandeur, on eùt crue pour longtemps maîtresse de l'avenir de la science. Dans les voies où s’avançait si glorieusement le maître, la multitude suivait respectueuse et confiante. C’est à ce moment même que parut la Philosophie anatomique; livre si nouveau (4) qu'il semblait devoir rester incompris. Il le fut, en effet, mais non de tous. Il y eut des esprits assez elairvoyants pour apercevoir, dès ses premières lueurs, la lumière qui allait se répandre sur la science; et, à l'étranger et en France, il s'éleva des voix pour dire dès lors à un publie, qui s’en étonnait, ce qu'il devait répéter un quart de siècle plus tard (2). A ces premiers interprètes de la Philosophie anato- mique, à ces juges du lendemain, nous ne devons pas seulement d’avoir hâté le mouvement en s’y associant; nous leur devons aussi d’en avoir bien marqué le sens et fixé l’origine. Double et éminent service rendu à la science elle-même et à son histoire. Celui qui vient dire aux hommes de son temps, à ses (1) Très nouveau encore en 1818 et 1822, quoique l’auteur eût conçu et exposé l’ensemble de ses vues dès 1806 et 1807. (2) U était naturel que la Philosophie anatomique fùt d’abord com- prise en France. Le premier volume à peine publié, elle fut appréciée avec une rare sagacité et une grande hauteur de vues par M. FLou- RENS. — Voy. son Analyse de lu philosophie anatomique, Paris, in-8, 1819, imprimée aussi en partie en 1820 dans la Revue encyclopédique, t. V, et traduite en grec par M. PrccoLo dans V Epu. VUES DE GEOFFROY SAINT-HILAIRE. 315 émules, engagés tous ensemble dans les mêmes voies : Quittez cette direction, et suivez-moi! celui qui ose impri- mer à la science un mouvement nouveau, par cela même qu’il va contre les doctrines régnantes, semble aller contre les principes : il subit le sort de tous les novateurs, il est taxé de témérité, et la réforme qu’il propose est repoussée. Honneur aux savants assez sagaces pour se dire les pre- miers : Le progrès est À! et assez fermes pour le proclamer! Avec le temps, la vérité triomphe : les hommes avan- cés, puis les savants d’une portée ordinaire, puis les re- tardataires eux-mêmes, viennent. au novateur, adoptent ses idées, entrent dans ses voies. Mais, au sein de son triomphe, et par son triomphe même, un danger le me- nace. Quand tous marchent avec lui, quand tous sont pleins de l'esprit dont il a animé la science, il peut arriver, après quelque temps, que cette direction, cetesprit, par cela ` même qu'ils sont devenus la direction commune, Tesprit de tous, et qu’on n’en comprend plus d’autres, semblent avoir été toujours ceux de la science. C’est une illusion, c’est un oubli dans lequel il est difficile de ne pas tomber. En cueillant les fruits d’un arbre, songeons-nous aux ef- forts de celui qui autrefois, quand nous n'étions pas en- = core, laboura péniblement le sol pour y déposer une précieuse : semence ? Dans les sciences, heureusement, les témoins du temps passé subsistent; et tels sont, pour la réforme accomplie par la Philosophie anatomique , les écrits contemporains, précieux monuments d’une époque que la plupart des naturalistes actuels ne peuvent déjà plus connaître par leurs propres souvenirs. t GENRE De À Re ~- ni 0 brio A 816 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. IL. VH. La lutte fut longue et difficile. Il ne fallait rien moins, selon une juste et énergique expression (1), qu’arracher de vive force l'Histoire naturelle des mains elles-mêmes qui en tenaient le sceptre. Ce ne fut pas assez de la Phi- losophie anatomique ef des travaux, si avancés dès 1806, qui l'avaient préparée; ce ne fut pas assez que, par eux, l’auteur eût introduit et fait triompher dans l’une des branches principales de la science la méthode féconde qu'il recommandait pour toutes (2). Bien des années s’écoulèrent avant que l'esprit nouveau pénétrât profon- dément dans la science; plus de temps encore, avant qu’il y prédominât à son tour, grâce aux efforts, sans cesse (1) Expression de M. Coste, lorsqu'il caractérise dans l'Introduction de son Embryogénie comparée le mouvement imprimé à la science par Geoffroy Saint-Hilaire. (Voy. plus haut, p. 414, note 4.) (2) Il importe de remarquer que si, de l’auteur de la Philosophie ana- tomique, datent surtout l'esprit nouveau et la méthodé philosophique qui ont changé la face de la science, ce n’est pas seulement parce qu’il a conçu plus nettement et proclamé plus fermement que tout autre ce double progrès : c'est aussi, et surtout, parce qu'il l'aréalisé dans une branche que j'appellerais volontiers la branche fondamentale de la science ; car Sur elle s'appuient toutes les autres. Avant les travaux de Geoffroy Saint-Hilaire en 1806 et 4807, il n'existait en anatomie com- parée aucune méthode rationnelle. Je crois pouvoir le montrer dans la suite de cet ouvrage, de manière à ne laisser aucun doute dans l'esprit de tout lecteur impartial. — Voy., en attendant, Vie, trav. et doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire, chap. VII, sect. t et Suiv. kd VUES DE GEOFFROY SAINT-HILAIRE 317 disciples, par-dessus tous, de M. Serres (4); grâce aussi au puissant concours de Meckel et de plusieurs autres élèves de Kielmeyer ou de Schelling, réformant heureu- sement la méthode de leurs maîtres. Il fallut tout ce temps et tous ces efforts. Et, cepetidant au fond, il ne s'agissait pas de renverser, de détruire, - comme un grossier échafaudage qui a fait son temps, l'œuvre si laborieusement édifiée par les siècles anté- rieurs; il s'agissait de l’étendre, de l'agrandir, par consé- -quent de la conserver. La révolution, dont la Philosophie “anatomique apportait le principe, n’était pas de celles qui couvrent d’abord le sol de ruines, pour reconstruire e, c'était une pacifique réforme, pourrait-on dire, , par elle, la science weût dù être ‘Si profondément | mode. ~ Tout ce qu'on a fait est bien, disait Geoffroy Saint Hilaire: mais il faut faire plus. L'observation, l'analyse, = sont indispensables; mais elles ne suffisent pas : le rai- sonnement, la synthèse ont aussi leurs nt Usons de nos ` 0 Voyez, entre autres, son beau mémoire sur l Anatomie transcen- ` dante, inséré dans les Annales des sciences naturelles, t. XI, p. 47; 1827. Le premier morts a pour titre: De l’abstraction en ana- tomie. - Peut-être me sera-t-il permis de laatia après les ai de mon père et ceux de mon illustre maître, les efforts que je n’ai cessé de faire aussi en faveur de la même cause (voy. la Préface de cet ouvrage), et qui datent presque de mon entrée dans la science. L'introduction de mon premier mémoire sur les primates, insérée dans les Mémoires du Muséum d'histoire naturelle, t. XVIL, p. 121, et l’article Natu- raliste de l'Encyclopédie moderne, 47° édit., t. XVIII, remontent, l’une à 1828, l’autre à 4829. RAN continués, du chef de la proie école, de ses premiers De rade ES m E: mito EEEE EN A y X P ai DURE E or A orie RORA O Der. ca Et 318 PROLÉGOMÈNES, LIV. Il, CHAP. Il, sens, pour l’observation, le plus et le mieux possible ; mais aussi, après l'observation , des plus nobles facultés qui soient en nous, notre jugement et notre sagacilé com- parative (1). Établissons des faits positifs, mais ensuite sachons déduire leurs conséquences scientifiques : ne faut-il pas qu'après la taille des pierres, arrive leur mise en œuvre (2)? « Autrement, quel fruit retirer de ces » matériaux? Vraie déception, s'ils sont inutiles, si on » ne les assemble et ne les utilise dans un édifice (3). » Vous pensez, a dit encore Geoffroy Saint-Hilaire. s'adressant ici à cette école qui, pour croire, voulait, comme l’un des apôtres, avoir vu corporellement (h); (1) Notice historique sur Buffon, discours placé en tête de l'édition de Buffon dite Buffon Saint-Hilaire, t. 1, 1837, et dans les Fragments biographiques, 1838 (voy. p. 12 et 13.) (2) Rapport à l’Académie des sciences, dans le Moniteur du 29 oc- tobre 1829; passage reproduit dans les Principes de philosophie zoo- logique, p. 188, note; 1830. (3) Ibid. — « Voudrait-on, dit-il ailleurs, quesemblable à un bûche- » ron qui nè ferait d’abatis que pour abandonner ensuite ce produit et » le laisser périr sur le sol, je disséquasse pour découvriret observer des » dimensions, pour donner des mesures? » (Premier mémoire sur les organes sexuels dela poule, dans les Mém. du Muséum, t. X, p.84;18923.) (4) Le passage auquel j’emprunte ces expressions se trouve dans un des mémoires paléontologiques de l’auteur (recueil des Mémoires de l’Académie des sciences, t. XII, p. 436); mémoire écrit en 1831, au plus fort de la lutte des deux écoles françaises, et qui, à ce point de vue, mérite doublement l'attention. Je lui emprunterai encore le pas- sage suivant, où la question: en litige est très nettement posée: « C’est un parti pris de repousser les idées pour n’admettre exclu- » sivement que des reliefs corporels : seulement des faits que ron » puisse pratiquer matériellement, et par conséquent qui ne cessent » jamais d’être palpables par nos sens! Pour cette école, la science du » naturaliste doit se renfermer dans ces trois résultats : nommer, 4 = Pe VUES DE GEOFFROY SAINT-HILAIRE. 319 vous pensez « que le soin de nommer et de classer les » êtres doit former le maximum de nos efforts dans les » sciences naturelles... On a dû commencer par les travaux » de classification, parce qu’il a d’abord fallu inventorier, » c’est-à-dire voir avec ordre les productions- de la na- » ture. Mais croire que la science se doive contenter des » perfectionnements des distributions méthodiques, ce » serait exiger que le littérateur s’ en tint àadmirer le bon » ordre de ses livres sur les rayons de sa bibliothèque. » Le littérateur qui range ses livres et le naturaliste qui » classe ses animaux en sont au même point... Il y à, » par delà les travaux de classification, un autre but à » enregistr er et décrire... Des faits, même très industrieusement fa- » çonnés par une observation intelligente, ne peuvent jamais valoir, » à l'égard de l'édifice des sciences, s'ils restent isolés, qu’à titre de » matériaux plus ou moins heureusement amenés à- pied d'œuvre. Or » comme on ne saurait porter trop de lumière sur cette thèse, je ne » craindrai pas d'employer le secours de la parabole suivante : » Paul a le désir et les moyens de se procurer toutes les jouissances » de la vie : il est intelligent, inventif, et il s'est appliqué à recher- » cher et à rassembler ce qu’il suppose lui devoir être nécessaire. Il » approvisionne son cellier des meilleurs vins; il remplit son bûcher » de tout le bois que réclame son chauffage : il agit avec le même » discernement pour tous les autres objets de sa- -consommation pro- » bable, Les qualités sont bien choisies, les objets habilement rangés, » et un ordre savant règne partout. Mais, arrivé là, Paul s'arrête. De » ce vin, il neboira pas; de ce bois, il ne se chauffera pas ; de toutes » les autres pièces de son mobilier il n’usera pas !.… » Que dire d’un savant qui déclare s’en tenir à la production ou à la » bonne. disposition de faits positifs? S'il ne se plaît qu'à bien éla- » borer ses matériaux, et qu'à les livrer parfaitement façonnés pour » être un jour employés, il renonce à ce qu'il y a de plus vif, de plus » enivrant et de plus profondément piilosapiipmes dans la vie des sciences, » - x zx agii n, Pond x se pale deve Tv i 41e. aaa EE EEA CLS sr de ls $ ‘à HE | 2: f f gii 1 $ i E` | f f è +i % ‘à E f 1 | ‘4 N k 3 « { r } | ral : (IE À Eh) p 1 & i | {l Ai IRI | H | i t L © Í } LS EH | t 320 PROLÉGOMÈNES, LIV. Il, CHAP. 11, » atteindre, c’est la connaissance des rapports des choses : > telle est la vrate science, la haute Histoire naturelle. » Tout ce qui y prélude est de métier, n’est qu'un ache- » minement à ce grand et important résultat, Les idées philosophiques formeront toujours la véritable moisson à retirer du grand champ de la nature; magnifique ré- compense des plus nobles efforts ; trésor des âmes fortes, sur quoi se fondent les progrès de la civilisation, les indéfinis perfectionnements de la raison humaine (4). » En d’autres termes, les faits d’abord ; leurs consé- quences ensuite. Les faits pour arriver aux idées (2). C’est là la vraie science; car c’est la science ‘complète, la seule qui admette l'emploi suecessif et combiné de toutes les ressources, de toutes les forces qui sont en nous; la seule où il nous soit donné de nous avancer, à la fois pru- dents et hardis. Prudents sans hardiesse, nous resterions (1) Ce passage est la fin d’un Mémoire publié en 1893 sous ce titre : Considérations et rapports nouveaux d’ostéologie comparée, (Voy. Mém. du Mus., t. X, p.184; 1893.) « Les idées philosophiques... trésor des âmes fortes » , dit ici mon père. « Ces hautes connaissances, les délices des êtres pensants », avait dit LAPLACE, à la fin de son Æxposition du système du monde. La création n’est pas moins admirable, contemplée dans ses détails ter- resires que dans son céleste ensemble ! Aussi voit-on ici le naturaliste non moins pénétré que l’astronome de la grandeur de sa mission. (2) C’est ce qu'a parfaitement compris et résumé M. Henri MARTIN, de Rennes, lorsque dans sa savante Philosophie spiritualisie de la na- ture, Paris, 4849, il dit, t. I, p. 141: « Prétendre que les formules » biologiques auraient pu être trouvées à priori, C'est là une illusion » qu'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire a combattue aussi énergiquement » que Georges Cuvier, et d'autant plus efficacement qu’il a soutenu en » même temps les droits légitimes du raisonnement et de la synthèse » dans la science de la nature, »— Voy. aussi V. MEUNIER, loc. cit., p.78. ni | E |: pa fé ml M G s sr VUES DE GEOFFROY SAINT-HILAIRE 321 immobiles. Hardis sans prudence, comment ne pas nous égarer dans les champs sans limites de la pensée! Et par là, l’école de Geoffroy Saint-Hilaire ne s’eloigne pas moins de celle de Schelling que de celle de Cuvier. Disons plus : en principe, sinon dans les résultats, Geof- froy Saint-Hilaire est plus opposé encore à Schelling qu'à Cuvier; car il accepte tout ce que fait Cuvier, qui n'est, pour lui, qu'incomplet; il rejette, au contraire, dans son application à notre science, le fond même de la doctrine de Schelling dont la grandeur l’étonne, mais ne l’entraïne pas. Jamais il ne parle de Schelling sans admiration, jamais des Philosophes allemands de la nature, sans reconnaissance pour l'élan qu'ils ont im- primé à la science (4) : disons aussi , sans reconnaissance personnelle pour le concours que lui prêta souvent cette école, sa puissante alliée contre leurs adversaires com- muns (2). Mais il ne la combat pas moins dans ses espérances, trop sublimes, selon lui, pour ne pas être illusoires. Les idées, dit-il aux disciples de Schelling (3), (4) « L'Allemagne, cette admirable nation !» s'écrie-t-il dans l’un de ses derniers écrits, en parlant des services rendus par les Philosophes de la nature. (2) On verra, dans la suite de cet ouvrage, qu'il est plusieurs fois arrivé à Schelling et à Geoffroy Saint-Hilaire, le premiér descendant des hauteurs abstraites de sa pensée vers les faits, le second s'élevant de ceux-ci à leurs lois, de se rencontrer dans leurs marches inverses. (8) Voyez l’article Nature de Y Encycl. mod., i. XVII, p. 24; 1829. « Opposons, dit-il plus bas dans le même article, cette juste sévérité » deprincipesà l'affligeante flexibilité d'opinion des doctrines á priori.» Etil emprunte à la Cephalogenesis de Sptx un trop célèbre exemple, pour faire justice, dit-il, d'un tel mode d'établir ou de supposer des rapports. ; L 21 í 24 3 | $ 4 j 14 | AF p | ; = i | d i |. | H 4! à pi mir 1! k Eo | 47 2 Si l i f } $ F | pa | N $ y + | | 4 E i E f # Li Dpt CE | HE | Ef + i$: | J F À f i | f R 4 w HE | AAE 322 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. Il. doivent être immédiatement engendrées par des faits précis et évidents, non créées par votre esprit pour le besoin du moment, et comme à volonté. La subtilité de votre pensée ne vous conduit qu’à des suppositions : vous élevez de vastes édifices, mais craignez qu’ils ne soient fondés que sur l'erreur. Vous pressentez les faits, quand il faudrait les saisir actuellement : démontrez-les ; et dans votre ardeur pour la science, n'’essayez pas Qy cueillir des fruits qui n’y sont point encore (4). Ce qui ne veut pas dire, cependant, qu’il faille toujours attendre que les idées naissent d’une étude patiente des faits. Ce serait interdire au génie de deviner. Ce que demande la logique, c’est que les idées qui se font jour dàns notre (4) 1 dit aussi, dans les Principes de philos. zoologique, p. 189 : « Une certaine école qui abuse de la méthode à priori..., principale- » ment formée des Philosophes de la nature, se fait de sa confiance » en ses pressentiments un moyen d'explication pour la solution des » plus hautes et des plus difficiles questions de la physique... Une » autre veut trop que l’on s’en tienne au seul enregistrement des » faits... Faisons mieux; évitons l’un ou l’autre de ces écueils... : in » medio stat virtus. » L'auteur avait déjà dit, en 1818, dans la Philosophie anatomique, t. I, p.2: « Entre ces deux extrêmes, se déterminer seulement d’après » l'analogie, ou se rendre trop difficiles sur les faits, il me semble » qu’il est un milieu à tenir. C’est la ligne dont je chercherai à ne « point m'écarter. » i On pourra remarquer que, sauf ce dernier passage, tous ceux que je viens de citer sont de 1823 à 4837. Dans les voies où il marchait depuis 1806, et même plus anciennement, Geoffroy Saint-Hilaire n’a commencé qu’en 1820 à rencontrer quelques adversaires, et Cuvier ne s'est mis à leur tête qu'en 1825. Les passages qui précèdent sont presque tous empruntés aux réponses faites par Geoffroy Saint-Hilaire aux objections dont ses vues avaient été l’objet. VUES DE GEOFFROY SAINT-HILAIRE. 323 intelligence ne soient prises par elle que pour ce qu'elles sont, ne dérivant pas des faits: pour des conceptions seulement provisoires, pour de simples hypothèses, ou, selon l'expression dont Geoffroy Saint-Hilaire s’est servi si souvent pour lui-même : pour des pressentiments. Ces idées préconçues peuvent guider très utilement dans la recherche des faits (1); mais elles ne sauraient en dis- penser : l’observation seule peut leur donner droit de cité dans la science. Voilà l'esprit vrai de la doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire, et c'est par là qu'il se sépare essentiellement des Philosophes allemands de la nature. Comme eux, il conçoit souvent à priori, mais il démontre à posteriori (2). Où ceux-ci se ne hasardés à dire : (1) Et mème, sans alles, où irait la science? Combien lents seraient ses progrès! « Pour bien voir, » dit SCHELLING, dans un passage de là Zeïtsch. für spec. Phys., trad. par M. BÉNARD, loc. cit., p. 368, « il » faut savoir de quel côté on doit regarder. » Et il ajoute spirituelle- ment : « Beaucoup d’expérimentateurs ressemblent à ces voyageurs » qui pourraient, disent-ils, faire beaucoup de questions sur le pays, » s'ils savaient seulement sur quoi ils doivent questionner. » (2) C’est ce qui explique comment il a pu qualifier ses découvertes, à la fois, par rapport aux procédés de l’école de Cuvier, de découvertes à priori; par rapport à ceux ui l'école de Schelling, de découvertes à posteriori. Cependant (à part les erreurs inévitablement attachées ! à toute œuvre humaine), mon père a quelquefois dévié sciemment, avec une témé- rité dont il fait l'aveu (voy., par exemple, son Mémoire sur la concor- dance de l'hyoïde dans les Nouvelles Annales du Muséum, t. 1, p. 328; 4839), de la ligne qu'il s ‘était tracée, et qu'il a toujours considérée et recommandée exclusivement comme celle de la vraie science. Il est des cas exceptionnels où une logique supérieure prescrit elle-même aux novateurs ce que la logique ordinaire interdit à ceux qui les suivent. (Voy. Vie et travaux de Geoffroy Saint-Hilaire, chap. VITI, sect. v.) 144 LE Al 324 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. 1. Cela est! il dit: Cela peut être ! quelquefois : Cela doit être! et il examine (1). I cherche, et il trouve (2). Doctrine dont l’ensemble peut se résumer ainsi : « On s’est bien trouvé de la route suivie jusqu’à présent, » de l'observation préalable des faits : mais, dans l'ordre » progressif de nos idées, c’est le tour présentement des » recherches philosophiques, qui ne sont que l’observa- » tion concentrée (les mêmes faits, que cette observation » étendue à leurs relations et ramenée à la généralité par » la découverte de leurs rapports. » Ce résumé est de Geoffroy Saint-Hilaire lui-même, et il y a plus de trente ans qu'il est écrit (3). Ainsi, une science nécessairement positive, mais aussi nécessairement philosophique, et philosophique parce qu’elle a commencé par être positive : œuvre, non d’ob- servateurs, décrivant la nature sans prétendre jamais l'interpréter, ou de philosophes, de penseurs, l'interpré- tant avant même de l’avoir observée, mais de naturalistes qui observent et pensent, qui constatent.et interprètent, qui fondent et édifient! (4) Citons un exemple. Quand Geoffroy Saint-Hilaire pressent le système dentaire des jeunes oiseaux, admet-il aussitôt l'existence de ce système? Non, il le cherche, et parce qu’il le cherche sous l'influence de son pressentiment, il le découvre. Le pressentiment devient une vérité. Et ainsi dans une foule de cas. Quels sont le but et le résultat des longs travaux sur lesquels repose la théorie de l'Unité de composition? Leur auteur la dit lui-même plusieurs fois : changer en une vérité démontrée ce qui n’était encore qu'un pressentiment philosophique, Grand exemple après lequel tout autre serait superflu. (2) Quærite et invenietis; pulsate et aperietur. Ces paroles ont, en science aussi, leur juste application. (3) Phil, anat., t. I, Discours préliminaire, p, xxiij. © w Ot OBJECTIONS DE SCHELLING ET DE CUVIER. ; VII. On s5 'étonnera un n jour, on peut s étonner déjà, qu'une telle doctrine ait eu peine à s’élablir dans la science. Il n'y avait pas même, dira-t-on, à la défendre : il suffisait de l’énoncer. Il est des propositions d une vérité si mani- feste qu” 'elles se prouvent par elles-mêmes. On ne démon- tre pas un axiome. « Si l’homme, a dit. Laplace kat: "était borné à recueil- » lir des faits, les sciences ne seraient qu'une nomencla- » ture stérile, et jamais il n 'eùt connu les grandes lois de la » nature. C’est en comparant les faits entre eux, en Saisis- » sant leurs rapports, et en remontant ainsi à des phéno- » mènes de plus en plus étendus, qu'il est enfin parvenu _» À reconnaitre ces lois, toujours empreintes dans leurs » effets les plus variés. ». Que voulait Geoffroy Saint-Hilaire pour l Histoire natu- relle? Précisément ce que veut ici, pour les sciences en général, le continuateur de Newton, ou plutôt ce qu'il pro- clame, au nom de la logique et de la dignité de l'esprit humain, comme une règle fondamentale et généralement reconnue. Règle contestée pourtant par deux des plus grands esprits de notre siècle : Schelling et Cuvier. Schelling se prononce ici, on l’a vu, de la manière la plus absolue. Pour lui, il n’y a, il ne e peut y avoir de 7 (4) Loc, cit., Liv. I, Chap. XI. O E S Q + Te : j ; Dre sprint ht D SE TE ET il ee ES eona t ERPE ATE EEA a n aaa Vin RE NN" ES 326 PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. IL vraies théories, que les théories construites & priori (4). Proposition extrême, et qui, en dehors de la ferveur de ses premiers disciples, n’a pu trouver un seul parti- san! Quoi! le système du monde, parce que son point de départ est dans l'expérience, serait contraire à l’ex- périence elle-même! Et il en serait ainsi de toutes ces su- blimes conséquences, déduites depuis trois siècles, des faits physiques, chimiques, géologiques! Cuvier est moins absolu, mais aussi moins conséquent. Schelling était parti d’un principe, et il y reste partout fidèle. Que fait Cuvier ? Ce qu’il trouve bon dans les autres branches de nos connaissances, il le trouve mauvais en Histoire naturelle. Il croit ailleurs à la puissance de l'es- prit humain ; il la nie dans la science où lui-même venait d'en donner % siéclatantes preuves ! | On a lu plus haut, résumées par Cuvier lui- -même (2) J les vues qu'il fit un instant prévaloir, bien plus par l'au- torité et l'ascendant de son nom, que par la force de sa logique. Faibles et fragiles arguments que les siens, osons le dire, et dont bientôt il ne restera que le souvenir, si caractéristique de l’époque où ils furent produits ! Nous sommes loin du temps où, bien que déjà réfutés, ils de- meuraient dans la science, tenus encore pour décisifs ct souverains par la foule, qui ne les discutait pas, qui les acceptait. ; Le danger de l'erreur : tel est le thème invariable qui s’y reproduit sous mille formes, la menace sans cesse suspendue sur le novateur et son école. (4) Voyez plus haut, sect. v, p. 307. (2) Sect. 1I. OBJECTIONS DE CUVIER. 397 Danger réel, et que je suis loin de méconnaitre. Mais il est deux manières d'échapper à un danger prévu : s'arrêter à l’éntrée de la route; la parcourir avec pru- dence. Le premier parti serait sans doute le plus sûr. Mais voyez à quelle conséquence on serait conduit! Dans cette science de faits que vous dites seule positive et seule vraie, l'erreur ne s’est-elle jamais fait jour (4)? Notre raison n’est pas infaillible, mais vos sens le sont-ils (2)? Les observations erronées sont-elles beaucoup plus rares dans les annales de la science que les aberrations de rai- sonnement ? Si, de peur de celles-ci, nous devons cesser de raisonner, cessez donc aussi d'observer : tenez-vous immobiles, ne faites rien (3) ; seul moyen, en effet, d'en- lever toute chance à l'erreur (4). Mais la vérité vaut bien qu’on risque quelque chose pour elle, et vous l'avez com- pris. Pour échapper aux illusions microscopiques , avez- vous brisé votre microscope? Non; vous avez fait une étude attentive du mécanisme de l'instrument, de tous les _ phénomènes dont il est le théâtre, et la micrographie est devenue de plus en plus exacte. Notre raison, nos plus nobles facultés (5), ne mériteraient-elles pas qu'on en fit (4) Voyez p. 288, note 2, l'exemple singulier d'une double erreur, commise par le chef illustre de l’école des faits, au moment où il in- voquait son propre exemple à l'appui de ses préceptes. (2) Sur les innombrables erreurs de nos sens, voy. le Ghap.1V, sect. m. (8) Et contentez-vous d'une science morte, selon l'expression de M. SERRES, loc. cit. (4) « Toute méthode, disais-je en 1828, loc. cit., est comme un » instrument dont un homme adroit tire un parti avantageux, mais » qui, entre les mains d’un ouvrier inhabile, reste inutile et peiral » venir dangereux. » (5) Voyez p. 318. 7 Er F => «Fa AT ES vs {$ p t * i d k UE LU [3 y 3 ý |: k |" E |! d 1E 3 * É t 3 ¢ £ y | r l i À pi | g | è | : D ‘| € | |- i í Š f + Lo $ 4 328 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. Il. autant poux elles, qu'on apprit à en user logiquement, et, comme dit Descartes s, à les conduire ? Se pourrait-il que les plus magniliques dons que le Créateur nous ait ac- cordés ne fussent que des dons trompeurs, et que nous dussions, par prudence, nous en abstenir ? Véritable ab- dication intellectuelle après laquelle nous rappellerions ce prétendu sage qui, ayant trop médité sur les dangers d’une chute, avait trouvé le seul moyen sûr de ne. jamais die il ne marchait plus. Mais, disait Cuvier, ici la chute n’est pas seulement possible : elle est inévitable, et nous le démontrons par l’histoire de la science. | La démonstration historique de Cuvier est célèbre; elle a été souvent développée par lui-même (4), souvent re- produite par ses disciples. Mais tous ces échos, répétant la parole du maître, n’ont pu lui donner la force qui lui man- quait. Dépouillé de ces formes oratoires qui ont pu faire illu- sion à de bons esprits, l'argument historique de Cuvier est le suivant: « L'histoire prouve que les résultats théoriques, successivement introduits dans la science, même ceux qui y ont jeté le plus d'éclat, n’y ont eu qu’une existence pas- sagère : les faits, au contraire, une fois aperçus, sont pour jamais acquis : done les faits sont, pour l'esprit humain, la seule acquisition durable, et c’est vers leur découverte que les esprits sages doivent diriger leurs efforts (2). » Triste argument qui nous montre la science entière cou- pa RARE n Ti 78 w PIERE (1) Voyez sect, rit, p. 294 et 292. l (2) Réduit à sa plus simple expression logique, ce raisonnement se réduit à ceci : Aucune des théories déjà imaginées wa subsisté; donc aucune théorie ne subsistera, Enthymème dont la proposition moyenne OE E EE à SOS at NÉS ES E EEE ane DE tn —— E mu OBJECTIONS DE CUVIER. -= 329 verte de ruines, et qui, sous ces ruines, ensevelit jusqu’à l'espérance ! HO j T L'histoire est, heureusement, à notre point de vue, moins sombre et moins désespérante(4). En nous retournant vers le passé, nous n'apercevons pas seulement des ruines, et la conclusion dernière de nos études n’est pas le décou- ronnement de toutes nos gloires. Mais Cuvier aurait-il le malheur d’avoir ici raison, quelle force en recevrait son argument? Mesurera-t-on la puissance de la science, par- venue à sa maturité, sur les essais de son enfance (2)? Et sous-entendue devrait être : Or il ens sera de cr comme du passé. Ceux mêmes qui ont le plus applaudi au raisonnement oratoire de Cuvier, l'eussent-ils admis ainsi ramené à la sie de la forme syllogistique ! | à | (1) Voyez l'Introduction historique, et particulièrement le résumé. Pour résumer la question au point de vue où je me suis placé dans. cette Introduction, l’histoire conduit à reconnaître trois périodes, caractérisées, l’une par la confusion des diverses branches des con- naissances humaines, l’autre par la division du travail et l'esprit d'analyse; la troisième par l'association et l'esprit de synthèse. ` Pour Cuvier, au contraire, après ce que j'appelle Ha période de con- fusion (période qu’il divise en religieuse et philosophique), il n'est plus qu’une seule période, celle de division et d'analyse (voy. son Cours sur l’histoire des sciences, part. I, p. 40. Toute tentative pour rendre l'Histoire naturelle philosophique serait donc un retour vers une méthode que la vraie science a dépassée, Serait-il vrai que l'association des sciences, après la période de division, après la découverte des faits par l'analyse, dût être assi- milée à leur confusion avant elles? L’esquisse historique par laquelle j'ai commencé cet ouvrage a eu en partie pour objet de réfuter cette assimilation , si souvent faite par Cuvier, entre la vague et confuse unité de la science dans sa première période, et cette savante et harmo- nique unité qui s'établit définitivement dans la troisième. (2) Voyez la note ci-dessus. - ‘ « La vie des sciences a ses périodes comme la vie humaine, » a dit I. IA US 48 ER SA OERE: = : $ F | 4 j & E À 330 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. 1l de ce qu’elle n’a pas construit quand les matériaux man- quaient, résulte-t-il qu'elle ne saurait construire quand ils abondent ? On se serait trompé dans le passé, et la consé- quence serait qu'on doit se tromper aussi dans le présent, dans l'avenir, à perpétuité! L'erreur, pour avoir gou- verné le monde, en devrait donc rester la reine éternelle : le progrès ne serait qu’un mot; et parce que ni Ptolé- mée ni Brahé n’ont connu le vrai système du monde, Keppler et Newton eussent été impossibles ! Que prouve donc ici l’histoire tant invoquée? Rien. Ou plutôt, c’est elle-même qui nous enseigne ce qu'a été pour les autres sciences, ce que sera pour la nôtre, la méthode féconde qui s’y introduit aujourd’hui (4); c’est elle ainsi qui nous montre le chemin, devenant notre alliée contre ceux mêmes qui l'avaient invoquée. Se pouvait-il que l’histoire ne fût pas, ici encore, avec la logique (2)? GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Princ. de philos. zool., p. 489; « elles se » sont d’abord traînées dans une pénible enfance, elles brillent main- » tenant des jours de la jeunesse : qui voudrait leur interdire ceux de » la virilité? » Voyez aussi un fravail déjà cité, qui fait partie des Mém. de l Acad. des sc., t. XII. L’auteury reproduit, p. 436, la même pensée en réponse au célèbre argument historique, et il ajoute : « Quant à cette affecta- » tion de présenter les faits comme constituant seuls le domaine de » la science, il serait aussi, jë crois, plus juste de dire qu’ils war- » rivent aux âges futurs que s'ils sont escortés et protégés par les » idées qui s’y rapportent, et qui seules, par conséquent, en font la » principale valeur. » (4) Voyez le Chapitre précédent. (2) Quelques mots sufliront pour répondre à une troisième objec- tion, la seule qui, après les précédentes, mérite de nous arrêter. Celle-ci -est de Frédéric CUVIER. (Voy. son Rapport à l’Académie des sciences sur OBJECTIONS DE CUVIER. 351 Poursuivons done l’œuvre commencée; que les in- succès de nos devanciers ne nous découragent pas, et que plus tard les nôtres n’effraient pas nos successeurs ! Observons les faits; ne nous y arrêtons pas : cherchons avec confiance leurs rapports et leurs lois. Ne donnons pas, comme Schelling, tout à l'intelligence ; mais faisons lui sa part légitime : petite d'abord, il se peut ; mais bientôt plus grande, et immense dans l'avenir ; car chaque géné- ration viendra l’aecroitre à son tour ; et qu'est-ce qu'une génération ? un instant dans la vie de l'humanité ! Témérité singulière dans une école, qui se disait pru- dente et sage entre toutes, et qui osait dire : Je trace ce cercle; la science wen sortira pas (1)! un de mes mémoires, plus haut cité; Ann. des se. nat., t. XVI, p. 216: 1829.) Ce que vous voulez, disait le savant zoologiste, Cest le juste milieu. Or le juste milieu est un point où chacun croit être, et la question est malheureusement insoluble. | On peut répondre : Le milieu est déterminé, si les extrèmes le sont. Or un extrême, c’est ici l'observation exclusive ou presque exclusive. L'autre, c’est le raisonnement à priori. Entre ces deux extrêmes est le milieu de la vraie science qui n’est pas un point insaisissable comme l'indique Frédéric Cuvier, mais un large intervalle où chacun doit s’avancer selon le nombre et la valeur des faits qu’il possède, et selon la portée logique de son esprit. i (4) Je ne saurais terminer cette discussion sans fine remarquer qu’ une réforme en Histoire naturelle était nécessaire, qu’elle lest encore sur un très grand nombre de points, non seulement pour rendre la science grande et philosophique, mais aussi, et avant tout. pour lui donner ce caractère positif, cette certitude, cette stabilité, en vue desquels on prétendait restreindre entre d'aussi étroites limites l'exer- cice de notre pensée. i Cette assertion étonnera sans doute que TQues uns de mes lecteurs. Quand une école qui se qualifiait elle- même de positive. a dominé jusque dans notre siècle, quand un chef tel que Cuvier a été si loug- 4 4 don ait nf Lis AORE", is a: ET EE E r ÿ a Ds. ai PT uag Se RE PE A LS EEE inp eE n ET s — b pin = = RE RÉ Mere ch OR St SP D aea mp y AY réa ln he 4 Lcd Sas FC te 5 ES PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP, I. IX. Résumons ce long chapitre, qui doit être , à quelques égards, comme la préface de cet ouvrage tout entier. Trois méthodes et trois écoles étaient en présence : trois méthodes que je crois pouvoir caractériser, pour le faire en un mot, en disant celle de Cuvier, élémen- temps à sa tête, comment croire qu’elle wait pas introduit dans la science, qu'elle n’y ait pas fait régner partout, avec l esprit positif, la précision et l'exactitude? La vérité a ses droits, et il faut bien le dire : cela peut paraître étrange, mais cela est. Cuvier lui-même a donné l'exemple d'abus d’une extrême gravité qui malheureusement se sont perpétués jusqu’à ce jour. On le voit tantôt placer arbitrairement dans une division des êtres qu’il eût été nécessaire, lui-même le dit, de ranger ailleurs dans un système rigoureux (Règne animal, t. 1, 1" édit., p. 184; 2° édit., p. 488); tantôt, et très souvent, il assigne à un groupe tout entier une caractéristique vraie seulement d’une partie des animaux que ce groupe comprend; tantôt encore, et aussi bien dans les détermi- nations des organes en anatomie comparée que des espèces en zoologie, ilsemble admettre également deux opinions opposées et contradictoires, par conséquent l’une au moins fausse; comme s’il était indifférent d'adopter l’une ou l’autre, de dire oui ou non; comme si, dit Geoffroy Saint-Hilaire (Philos. anat., t. IT, p. xv et xviij) une inconnue x n'était pas nécessairement a ou B, l’un à l'exclusion de l’autre. Les disciples de Cuvier ne pouvaient manquer de limiter ia. Ils l'ont fait et le font encore. Tels d’entre eux ont décrit, comme types d'espèces nouvelles, des individus qu'eux-mêmes présument appar- tenir comme variétés à des espèces déjà connues, mais dont il est bon, disent-ils, de faire mieux ressortir les caractères; mode de pro- céder qui a surtout été reproché à l’auteur de l'Histoire des mammi- fères de la Ménagerie, mais qui est loin de lui être propre, et que nous voyons pratiquer chaque jour encore. Tels autres, ou les mêmes _ RÉSUMÉ, 333 taire: celle de Schelling, selon sa propre expression (1), transcendantale ; celle de Geoffroy Saint-Hilaire , scien- tifique. | l | De là le rôle et le sort de chacune. On doit commencer, logiquement, par ce qui est élé- mentaire. La première des trois méthodes devait donc d'abord dominer dans l'Histoire naturelle. Ses défenseurs ont donc eu raison , temporairement, contre ceux qu'ils eombattrient. Mais ils ont voulu avoir trop longtemps rai- son, et c’est pourquoi la science a échappé de leurs mains. Ils s’arrêtaient : elle ne s'arrête jamais. La méthode de Schelling est transcendantale. S'appli- quera-t-elle un jour heureusement à la science réelle ? Deviendra-t-elle, selon l'espoir toujours nourri par son auteur, un instrument de découverte (2)? Plus générale- ailleurs, rapportent à des groupes prétendus naturels des êtres chez lesquels on chercherait en vain les caractères de ces groupes ; ou encore ils associent entre eux des types qu’ils reconnaissent eux-mêmes étrangers les uns aux autres : abus que nous voyons se reproduire jusque dans les travaux récents des disciples directs et des collabora- teurs eux-mêmes de Cuvier. Voyez, par exemple, le Dictionnaire uni- versel d'Histoire naturelle, t. 1, p. 619; 1843. Plus l'autorité de Cuvier est légitime et imposante, plus grand est le nombre des naturalistes qui ont ici suivi l'exemple du maitre, plus il importe d'insister sur la nécessité d’une marche plus logique. Je l'ai fait déjà à plusieurs reprises ; je le ferai de nouveau en toute occasion, tant que les naturalistes, qu’ils soient de l’école positive ou de l’école philosophique, ne s’accorderont pas entre eux sur un point aussi fondamental. (1) Voyez p. 295, note 4, et p. suiv. j Je laisse ici de côté cette science empirique el périphérique que re- connaît Schelling, mais qui est en dehors desa doctrine fondamentale. (2) Schelling croit qu'il n'eut pas été absolument impossible de pré- ete ÿ PR O R pewon EPP a i a TES Len manon — 2 me te A ne 394 PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. I. ment, sera-t-il donné au naturaliste, partant, soit des idées de Schelling, soit de celles, nées ou à naître, de tout autre philosophe, de conclure à priori, de déduire les faits biologiques de principes rationnellement établis ? On répondra : Non. Je n'irai pas jusque-là. Instruit par Fhis- toire de l'esprit humain, j’admire trop sa puissance pour ne pas rester, même ici , dans le doute. Mais, entre celte science idéale et la nôtre, quel abime! Et dût-il un jour être franchi par le génie, comment pourrions-nous au- jourd’hui porter au delà nos regards ? On peut rêver cet . avenir, On ne peut le prévoir. Pour avoir dépassé la méthode de Cuvier, nous sommes donc bien loin d'arriver à cèlle de Schelling. La première ne suffit plus à la science; comment la science suffirait- elle à la seconde ? C’est entre les services rendus par l’une dans le passé et les espérances illusoires ou indéfinies de l’autre, que doit s'accomplir le mouvement actuel de l'esprit humain. A la méthode mixte, à la méthode de géné- ralisation logique, l’état présent de l'Histoire naturelle et tout ce que nous pouvons apercevoir de son avenir. Buffon (1) entrevoyait, il y a plus d’un siècle, ce pro- grès; Geoffroy Saint-Hilaire a entrepris de le réaliser. La prévision est aujourd’hui justifiée ; le progrès se réalise de jour en jour. Que reste-t-il de la vive opposition qu’il ren- voir le galvanisme, Ne regrettons pas que Galvani et Volta aient évité à l'illustre philosophe la peine d’en faire la découverte. Les Philo- sophes de la nature ont prévu un grand nombre de faits et de phéno- mènes ; mais bien rarement ces faits et ces phénomènes se sont retrou- vés dans la nature. (4) Linné aussi (voy. p- 810 et 314); mais bien plus vaguement et un peu plus tard. RÉSUMÉ. 939 contrait encore il y a moins de vingt ans? Des dissentiments sur de graves questions : mais, dans ces luttes nouvelles, il ne s’agit plus, pour personne, de la méthode elle-même, i mais de son application. On n’a ni le même point de e départ, ni la pensée d'arriver au même but ; mais on n'en T marche pas moins, dès à présent, dans les mêmes voies. Où sont aujourd’hui les partisans de l'observation à l’exclu- sion du raisonnement, de lanalyse à l'exclusion de la | synthèse? Et où trouver, fût-ce dansla patrie de Schelling, : k un naturaliste qui voulüt fonder ses théories sur une À ši idée conçue à priori et non vérifiée? Non; tous obser- wi vent; tous concluent et généralisent, plus hardis seule- ment ou plus timides, parfois encore hésitants, selon l’école d’où ils procèdent. Ainsi s’apasent de “te gs dé- bats, et si séparés autrefois qu’ils semblaient n'avoir point pour but l'étude du même univers (1), les disciples de Cuvier, ceux de Schelling sont bien près de se donner la main sur le terrain mixte où les appelait depuis long- temps Geoffroy Saint-Hilaire; et il nous est permis de dire à notre tour, sans être accusés de devancer les temps : ğ « Pesprit humain triomphe enfin de la contradiction de » ses propres efforts (2)! » #s 1 1 { | naix, D TP aa (1) Expressions de GEOFFROY SAINT- HiLairE, dans les Comptes | Ka (| rendus de l'Acad. des sc., t. II, p. 525; 1836. | (2) C’est encore l’auteur de la Philosophie anatomique qui s’ "exprime ainsi. (Voy. son Cours de l'Histoire naturelle des mammifères, leç. 1, p. 26 ; 4828.) Il est incontestable que les idées de l’école philosophique ont heu- f A reusement pénétré jusque dans les travaux des disciples les plus dé- + 4 voués de Cuvier. Je citerai, entre tous, ceux du représentant actuel le r plus éminent de l’école de ce grand maître, du savant deux fois choisi eree TR re ANAR N AEN DUA EAEra TE men = 336 PROLÉGOMÈNES, LIV, 11, CHAP. II. par lui à quarante ans de distance, comme son collaborateur dans l’un de ses ouvrages capitaux. Pour prendre un exemple, lequel des deux adversaires dans la célèbre discussion de 1830, lequel de Cuvier ou de Geoffroy Saint-Hilaire eût partagé les vues de M. Duvernoy sur Pam- phioxe? Lequel eût applaudi à l'explication qu’il a donnée, par la théorie des inégalités de développement, de l'organisation si remar- quable de ce dernier des vertébrés? (Voy. dans le Magasin de zoologie, ann. 1846, p. 327 et suiv., analyse des Leçons de M. DUVERNOY au Collége de France.) D'une autre part, le progrèsn’est pas moins marqué, en sens inverse, dans l’école deSchelling, école aujourd’hui d’observateurs aussi bien que de penseurs : « Integer et œquus rerum œstimator, disent-ils » aujourd'hui, facilè concedit, Philosophiam naturæ tùm primüm » œquis procedi passibus, quando altera (via quæ ducit per observa- » tionum sylvam immensam) alteri (viæ per intuitionis deserta im- » mensa) amicas porrigit manus, » emprunte ce passage à M. FRIES, Systema orbis vegetabilis, Lund, 1837. Ce que dit ici M. Fries est ce que pensent et disent aujourd’hui tous les Philosophes distingués de la nature; même ceux qui ne sont que philosophes, et non naturalistes. (Voy. Micneuer, de Berlin, Préface de la Naturphilosophie de HEGEL, dans l Encycl. der phil. Wissensch., loc. cit.) L'auteur de cette savante préface, parlant des travaux de Goethe, se montre très favorable à cette méthode intermédiaire qui prévaut maintenant, et dont Goethe, qui a souvent combattu Schel- ling, avait fait plusieurs belles applications dès le xvme siècle. (Voy. plus haut, p. 295 et 312.) ; AEAEE A ENE did pear pm D, AAN ` = pna S a CHAPITRE III. DU PERFECTIONNEMENT DE LA MÉTHODE , ET DES PROGRÈS QUE DOIT FAIRE L'HISTOIRE NATURELLE}, m A L'EXEMPLE ET AVEC LE SECOURS DES SCIENCES ‘ANTÉRIEURES. SOMMAIRE. — I. Direction que doivent suivre les sciences naturelles. Rapports entre leur méthode et celle des sciences antérieures. — II. Progrès qu’elles doivent accomplir, carac- tères qu'elles doivent revêtir, à l'exemple et avec: le secours de celles-ci, — TII. Simplifi- cation possible du problème. Par ce qui précède, la question fondamentale à laquelle nous consacrons ce Chapitre a reçu une première solu- tion : la direction générale que nous devons suivre, est du moins indiquée. La vraie méthode, c’est pour nous, dès à présent, celle qui embrasse le domaine entier de la science, qui emploie et utilise, en les coordonnant, toutes | nos facultés de connaître. C’est celle qui procède des faits, soigneusement observés, à leurs conséquences logique- ment déduites, et de plus en plus généralisées. Et nous n'avons pas seulement déterminé le point de départ et le point d'arrivée; de un à l'autre, nous n ’AVORS pas seulement pour guides les règles générales, et, pour I. 22 he. Ee x PRE. ES SRE peee - SR TSERE EEN. > PRE - E SEPE anra n NE AKEE W A taste KE ni us CR Bandes = z E 338 PROLÉGOMÈNES, LIV. If, CHAP. HI. ainsi dire, purement théoriques, de la logique; mais ses règles déjà heureusement appliquées à d’autres branches des connaissances humaines, et qui, par là même, nous sont, à l'avance, pratiquement connues. Vérité capitale, et qu’il importait d'établir dès le début de cet ouvrage. Que l'Histoire naturelle soit considérée, ainsi qu’elle l’a été si longtemps, comme une science de simple observation, et, à ce litre, opposée aux sciences expérimentales, de raisonnement et de calcul, elle reste nécessairement isolée, entre toutes les autres branches de nos connaissances, par sa méthode comme par son point de départ ; elle ne peut que s'avancer péniblement, comine au hasard et par lâfonnement, vers un but que rien ne lui indique à l'avance. Qu'elle rentre, au con- traire, science d'observation, mais aussi d'expérience et de raisonnement, parfois de calcul, dans la série géné- rale des connaissances humaines; qu’elle y prenne sa place, anneau nécessaire de la chaine, au rang marqué par ses connexions logiques : sa méthode se trouve rat- tachée à la méthode plus parfaite des sciences plus avan- cées, et la route lui est sûrement tracée vers un but sur lequel nulle hésitation n’est possible ; ear c’est celui vers lequel ont successivement marché toutes les sciences an- térieures, et qu'elles ont atteint plus ou moins compléte- ment, chacune à son tour, selon sa nature propre, ou, ce qui revient au même, selon son rang sérial. Non cependant que la méthode de l'Histoire naturelle doive ou puisse jamais se confondre avec celle des sciences physiques, et, à plus forte raison, des mathéma- tiques; sciences où les mêmes facultés, mais diverse- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 339 ~ ment exercées, s'appliquent à des connaissances objecti- vement diverses (4). Jamais l'expérience, en biologie, ne prédominera sur l'observation proprement dite, et le cal- cul n’y tiendra toujours qu’une place secondaire. Il y a des limites qui ne sauraient ĉtre franchies. s ` Mais, entre ces limites, le champ est vaste encore, et pour tenir la même route, il n’est pas indispensable de suivre le même sentier. C’est ainsi que, dans les sciences PA te ia sn tres cherchent la vérité par le pur raisonnement; les algé- bristes par le raisonnement et le calcul ; les astronomes par l'observation, le raisonnement et le calcul; les physiciens, par l'expérience, le raisonnement et le calcul: tous ne s’a- vançant pas moins vers le même but, et selon la même logique; tous pratiquant en réalité une même méthode gé- nérale dont les méthodes propres à chaque science, si dis- tinctes qu'elles soient, ne sont qu’autant de formes secon- daires, autant de sentiers divers dans une route com- mune. Et de là vient que dans touies les sciences des deux premiers embranchements, se retrouvent, à des de- grés inégaux, il est vrai, plusieurs caractères communs d’une grande importance, ceux-là même d’où résulte la supériorité de ces sciences sur toutes les autres branches du savoir humain. | | C’est celte méthode générale qu’il s’agit d'importer et pour ainsi dire de naturaliser dans notre science, sous les formes et avec les modifications que comporte la nature des phénomènes biologiques ; ee sont ces caractères géné- raux qu'il s’agit de lui imprimer, au degré où ils lui sont ee AS eee ER ER à | | E| nPE i E g _— . {£) Prolégomènes, Liv. I, Chap. Y et VI. | 4 ol Dania il ms 3 A miai aa _— — Dina i pa +, x D. pan. s PERA Xe m D dt de ul capes >: es Sn E ENAT DENER E OIER ER E e PE 240 PROLÉCOMÈNES, LIV. 11, CHAP. Il. applicables.: Ainsi seulement la biologie deviendra ce qu’elle doit être, non une science mathématique ou une autre physique expérimentale ; tel n’est pas et ne peut être son avenir; mais, à l’exemple et avec l'appui des sciences antérieures, et tout en restant elle-même, une science complétement digne de ce nom, et comparable à ses aînées, à la physique, aux mathématiques elles-mêmes, dans les limites résultant des diversités objectives, par la sévérité de sa marche, la rigueur de ses déductions et la grandeur incontestée de ses résultats. IL. Ces considérations ont pour nous trop d'importance pour que nous ne cherchions pas à nous en rendre plus complétement maîtres. Nous avons besoin ici, non d’un aperçu général des progrès futurs de notre science, mais de notions assez précises pour nous devenir pratique- ment utiles. Le point de départ doit en être pris dans une compa- raison établie, au point devue de la méthode et de la valeur logique de leurs résultats, entre toutes les sciences des deux premiers embranchements. En procédant ainsi, on arrive bientôt à saisir entre elles, d’une part, plusieurs dif- férences caractéristiques dont les principales nous sont déjà connues, Celles qui distinguent entre eux les deux em- branchements, et dans chacun les sciences particulières qu’il comprend ; de l’autre, une somme de traits com- muns å toutes ces sciences, qui établit entre elles, malgré CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. _ al les diversités spécifiques, une analogie marquée et comme {: une similitude d’ensemble. Chacune diffère, et toutes se ressemblent; et il s’en faut de peu qu'on ne puisse dire d'elles, comme Ovide des divinités de la mer (4) : HUE US RS Facies non omnibus una, Nec diver sa tamen, qualem decet esse sororum (2). Pei 2 COUR: F7. d € Laissons, -pour le soitin, les diversités dont nous avons ailleurs essayé de tenir compte. Ce qui nous inté- | resse ici, C'est Ce qui est commun, ce T réunit, non ce qui distingue. Ce qui est commun, € 'est d'abord et nécessairement ce qu’énonce ou implique la définition même de la science. Toute science raisonne, c’est-à-dire, de notions déjà re- connues vraies en déduit ou induit d’autres plus com- | plexes ou plus cachées (3). Toute science aussi démontre, c’est-à-dire s'élève, par des méthodes et procédés dail- leurs variables, à des notions dont la légitimité ne peut plus être révoquée en doute par aucun esprit droit (W); les unes étant certaines dans le sens absolu de ce mot, les autres ayant du moins cette certitude physique ou expéri- les) fan. ire aii “ iii à tee. RE r aaaea EE oi SANEA mih, (4) Metamorphoseon lib. I. ; (2) Ou, et mieux encore, comme le dit rl des formes (Ge- stalten) : Allé Gestalten sind ähnlich, und keine gleichet der andern, ` L Und so deutet das Chor auf ein geheimes Gesetz. E Ces vers où le grand poëte de l'Allemagne se fait si heureusement E Vimitateur du poëte latin, se trouvent dans la pièce intitulée : Die ` Metamorphose der Pflanzen. dd (3) Voÿez Chap. V, sect. r =” À VA (4) JAVARY, De la certitude, 1847, Chap, I. A, A, aaa + 342 PROLÉGOMÈNES, LIV. Ii; CHAP. III. mentale qui résulte d’une probabilité infinie ou très grande. Ce qui est commun, c’est done d’abord le raisonne- ment, la démonstration, d'où la certitude des résultats obtenus (4). Ce sont ensuite les neuf caractères suivants, domt quelques uns, comme il est facile de le voir, ne sauraient exister sans les précédents, et réciproquement : La positivité (2) et la précision, principes de tout progrès dans les sciences, qu’elles affranchissent, qu’elles épurent, pour ainsi dire, de la plupart des causes d’er- reurs : l’une en éliminant, non seulement ce qui est dé- montré faux, mais provisoirement aussi ce qui n’est pas démontré vrai; l’autre, toute expression vague, confuse ou équivoque de la vérité; en deux mots, l’une, le conjec- tural et l'arbitraire; l’autre, indéfini. La généralité, à laquelle l'esprit s'élève par une suite d’abstractions de plus en plus compréhensives. Ces abs- tractions ont pour terme la découverte des rapports gé- néraux et constants de coexistence , de succession ou d’analogie ; en d'autres termes , la connaissance des lots auxquelles se ramènent les Labs particulières d’abord obtenues. La déduction, toute loi, même inductive, renfermant (1) Atfitement on n'aurait pas la incl, et c’est ce qu’a parfaite- ent exprimé BossugT, De la connaissance de Dieu et de soi-méme, Chap. 1, xm : « Quand, par le raisonnement, on entend certainement » quelque chose, qu’on en comprend les raisons, et qu’on a acquis la » faculté de s’en ressouvenir, c’est ce. qni s'appelle science. » (2) Mot déjà employé par plusieurs auteurs, comme aussi nécessaire que les mots positif et sb sda à depuis longtemps consacrés par l'usage. CARACTÈRES DES SCIENCES AVANCÉES. 318 en elle des conséquences qui peuvent être déduetivement obtenues (4). | E gn irisoj La fixité de la science, indéfiniment variable , tant qu 'elle ne se compose que de notions vagues et d hypo- thèses douteuses ; qui se fixe, au contraire, dès qu’elle est devenué précise et positive. | La hiérarchie des résultats obtenus ; résultats qui, dé- rivant les uns des autres par une véritable filiation logique, se subordonnent naturellement entre eux dans un DU déterminé par cette filiation même. | _ La concordance des diverses méthodes ét : ét plus généralement, des divers moyens dé connaître ; en i d’autres termes, la possibilité de démontrer les mêmes- "E résultats de plusieurs manières différentes : vérification décisive, non seulement de ces résultats, mais s des mé- ` thodes elles-mêmes qui y conduisent. | ý L'association des diverses méthodes par tielles, des di- verses branches de la science, et plus tard des diverses sciences ; d’où la réalisation, par le concours de plusieurs | ou de toutes, de progrès PUSAN chacune Telles n’eût É pu s'élever isolément. tal Enfin application au bien social, l'utilité pratique se trouvant au terme des efforts eux-mêmes qui ne tendaient d’abord qu'à agrandir le domaine intellectuel de l'esprit humain (2). t | (1) Ces conséquences ne sauraient d'ailleurs avoir, malgré leur ori- gine mixte, que la valeur de résultats seulement inductifs. Elles doi- vent être soumises à une vérification expérimentale. (2) D’après les philosophes de l’école de Saint-Simon, il y afBait lieu d'ajouter un treizième caractère, commun, selon eux; non seule- dhh PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. IH. Tels sont les caractères que je crois pouvoir dire aujourd’hui communs à toutes les sciences des deux pre- miers. embranchements, et d'où résulte leur supériorité actuelle sur toutes celles qui les suivent. Chacune les a revêtus à son tour, et très exactement, selon un ordre chronologique conforme à l’ordre hiérarchique; depuis les branches élémentaires des mathématiques où on les voit briller, partiellement il est vrai, dès l'antiquité ; jus- qu’à l'astronomie, la physique, la chimie, la minéralogie, qui les ont graduellement acquis du xvi siècle à la fin du xvme, de Galilée et de Keppler à Lavoisier et à Haüy ; jusqu’à la géologie elle-même, plus complexe en- core, par conséquent plus tardive : science qui, à une ment à toutes les sciences des deux premiers embranchements, mais à toute science : Ja prévision. Parmi les naturalistes, BLAINVILLE et MAUPIED, Histoire des scien- ces de l’organisation, T. 1, 1845, p. xvij, ont dit aussi que toute science conduit à la prévision. L'exactitude de cette assertion dépend du sens que lon attache au mot prévision. S'agit-il de la prévision proprement dite, de la vue des choses futures, selon la juste définition de l’Académie française? Il est clair qu “elle ne peut appartenir qu'aux sciences appelées dynamiques par quelques uns de ces philosophes et par Blainville : ces sciences sont en effet les seules qui aient à étudier des phénomènes successivement produits. - Veut-on entendre, au contraire, par prévision, Comme on le fait si souvent, le premier aperçu d’un résultat, non futur, mais seulement inconnu? La prévision est alors possible dans toute science, mais elle rentre dans l'induction ou la déduction ordinaires. En un sens, la prévision n’est donc pas un caractère alenlemunt général; dans l’autre, elle ne constitue pas un caractère distinct. Disons d’ailleurs, à l'avance, que, de quelque manière qu’on en- tende ce mot, la prévision est possible en Histoire naturelle, CARACTÈRES DES SCIENCES AVANCÉES. 345 | \ époque voisine encore de nous, n'était guère qu'une collection de conjectures en Pair et d'hypothèses bi- zarres, à ce point qu'on avait pu appliquer aux géologues, sans qu'ils eussent trop le droit de se plaindre (4), le mot de Cicéron contre les augures de Rome : scienee où un esprit heureusement positif a enfin pénétré, et avec lui la précision, la certitude, la fixité; où, de nos jours, l'expérience a pu être appelée en aide à l'observation, et le calcul au raisonnement induetif et déductif; où une multitude de faits, source d'importantes applications, ont été ramenés à des généralités aussi Certaines qu eux- | mêmes; grâce au concours des méthodes diverses dont on dispose, et qui tantôt se complètent, tantôt. se con- trôlent l'une l’autre, de manière à -ne plus laisser la moindre place au doute. Immenses progrès qui datent presque tous d'hier, qui se poursuivent encore sous nos yeux, mais déjà incontestés, et après lesquels il est vrar de dire avec M. Arago : « La géologie AE) se paa » les sciences exactes (2): » | q gí 14 1 ir (4) Expressions d’ARAGO dans l Annuaire du bureau des longitides pour 1829, p. 207. f {2) Loc. oit. à Il y a quatorze ans qu a été rédigé le passage T, je renvoie TOI et les progrès qu'a faits depuis la géologie Pont de plus en plus justifié jé. ~ Au moment où je termine ce Chapitre, vient de paraître l'important ouvrage de M. ÉLm ne BEAUMONT sur les Systèmes de montagnes (octobre 1852). Combien l’auteur s’y avance encore au delà de ses pré- cédents travaux ! Et après les progrès qu ‘il réalise, combien d’autres il nous montre à l'horizon! La grande idée de l'évolution régulière du globe (et non plus de révolutions, dans le sens ordinairement attaché à ce mot) me paraît ressortir comme conséquence dernière du livre de M. Élie de Beaumont : vue nouvelle destinée à exercer une L 22; E E Er = EA S Ai LES CRETE 3h6 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. I. Sciences exactes ! ce beau titre dont les mathématiques ont eu si longtemps le privilége, s’est done étendu, de proche en proche, jusqu’à la dernière des sciences du second embranchement. Pensera-t-on qu'il doit s’y arrêter ? Si, dans une progression, dans une série, régulière- ment ordonnée, et que l’on étudie successivement à partir de son origine, les mêmes propriétés, les mêmes caractères se sont reproduits, sans lacunes , pour un grand nombre de termes consécutifs, n’y a-t-il pas lieu de présumer (je ne dis pas d'affirmer) qu'ils appar- tiennent aussi aux termes ultérieurs de la série (4)? influence aussi grande et aussi heureuse sur les sciences biologiques que sur la géologie elle-même. Il m'est du moins impossible de ne pas le penser, C’après les vues auxquelles j'ai été conduit, et que j'ai exposées depuis plusieurs années. Qu'est-ce, à l'égard des êtres orga- nisés, que cette hypothèse des destructions et créations successives qui a été admise et qui l’est encore par tant de naturalistes? C’est l'hypothèse d’une svite de révolutions biologiques, concordant avec les révolutions géologiques. Au système de l’évolution plus ou moins régulière du globe, au contraire, quel système d'idées doit correspondre ? Précisé- ment celui auquel j'étais à l'avance arrivé. L’harmonie progressive, selon l'expression dont je m'étais servi, n’est autre chose, en biologie, que l’évolution régulière. Vue que je développerai dans la suite de cet ouvrage, et que j'indique seulement ici pour montrer comment, dès à présent, les sciences biologiques s'apprêtent à suivre les sciences _ antérieures, et particulièrement leur antécédent immédiat, la géo- logie, dans la voie où elles doivent les avoir à la fois pour exemples et pour guides. Rss (1) En traitant plus bas de ce que j'appelle la Méthode sériale, je la - considérerai spécialement dans son application à l'Histoire naturelle. Mais les considérations que je présenterai, sont en très grande partie vraies de toutes les applications de la méthode sériale. Voyez Chap. VI, sect. mr. CARACTÈRES DES SCIENCES AVANCÉES. 847 Cette supposition n’acquiert-elle pas surtout une très grande vraisemblance, s’il s’agit du terme immédiatement suivant ? | La série mathésiologique est une de ces séries régulière- ment ordonnées. Si done il est des caractères déjà recon- nus pour un grand nombre de sciences consécativement placées dans la série, on doit présumer leur extension possible et future à celles qui viennent ensuite, Constater les conditions communes à toutes les premières, c’est done du moins déterminer (et quel autre moyen de le faire ?) les lacunes qui subsistent encore dans les secondes : par cela même, marquer les points sur lescuels doivent se diriger, avec de grandes chances de succès, les efforts ultérieurs de notre esprit. Nous en sommes précisément là pour les sciences biologiques, et plus spécialement pour les sciences natu- relles. Ce sont elles qui, dans l’ordre sérail, succèdent immédiatement à la géologie. A elles done, si accord qui a jusqu’à présent régné entre la logique et l’histoire ne doit pas se rompre tout à coup à leur préjudice, à elles de s'élever enfin aux caractères dont ne mangue plus au- cune de leurs aînées. | à | Voilà le but, et si loin qu'il puisse être encore, c’est beaucoup de l apercevoir nettement à l’ horizon. | Nous avions dit : Il faut que les sciences biologiques se rapprochent des sciences antérieures par leur méthode et là valeur logique de leurs résultats : première expression d’un progrès qui, sous cette forme, se laisse plutôt deviner qu'il ne se montre. | | E RERET à * RE EENEN T RAA Fr | | | f- li |- |: Trees i Ca hi 5 P H iai 0 à prés CE a A OSIE. ar o APORTE orr ARAP OE y P ra D E ee re ET —— 318 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP, HI. Nous dirons maintenant : Il faut qu’à l'exemple des sciences antérieures, parti- culièrement des sciences physiques, modèles plus-proches et plus. imitables, elles deviennent de plus en plus pré- cises, positives, généralisatrices, déductives, cCOncor- dantes et fixes; que les résultats de tous les degrés s’y coordonnent Mérarchiquement; qu'une association intime de leurs diverses branches prépare, à l'avantage commun, des alliances plus étendues; et qu’elles multi- plient de jour en jour leurs applications au bien de la société. 1I. Si la réforme, si la constitution définitive des sciences biologiques ne peut être obtenue qu'après tant de condi- tions remplies, n'est-il pas à craindre qu’elle ne puisse se réaliser qu'après une longue suite d'années, après des siècles peut-être? N’aurions-nous ici qu'une de ces lointaines perspectives, en vue desquelles le voyageur, déjà fatigué d’une longue course, se décourage, et parfois s'arrête? | Heureusement non. ; | En réalité, le problème, pour être très complexe, ne l’est pas tout à fait autant qu'il le semble à un premier aperçu..On peut. du moins le simplifier. Entre les nom- breux caractères que je viens d’énoncer, il existe des rap- ports multiples et intimes qui ne sont pas seulement de concordance ou d’affinité, mais souvent de filiation et de Re 4 PE res CARACTÈRES DES ‘SCIENCES AVANCÉES. 849 dépendance. D'où il suit que pour arriver à tous ces-ca- ractères, il suffit d’en avoir directement réalisé quelques uns, pour que les autres soient, par là même, indirec- tement obtenus. Ainsi, que lon: parvienne à rendre la re à _ science précise et positive : il est clair qu’elle aura bientôt | acquis la certitude, d’où, à son tour, la fixité. Quon fasse succéder le raisonnement à l'observation ; qu'on généra- lise, et qu’on le fasse logiquement, il sera impossible que les diverses méthodes, que les divers résultats partiels ne soient pas concordants ; car la concordance est partout où est la logique. Il sera impossible aussi que les branches voisines de la science, en s'étendant, ne viennent pas à se rencontrer et à s'unir. Enfin, les applications se produi- ront aussi d'elles-mêmes quand le moment en sera venu, comme, sur l'arbre, les fruits après les fleurs, au moment voulu par les lois de son évolution naturelle. Rendre la science précise, positive et logiquement généralisatrice, voilà donc, en dernière analyse, le véri- table problème à résoudre, et quand il sera résolu, le reste ira de soi. | Problème dont l'étendue et la complication, même en le posant ainsi, sont immenses encore. Mais il est du moins nettement posé, et c’est un pas vers sa solution. Essayons maintenant d'en faire un second. Rendons- nous compte de toutes les difficultés que nous allons ren- contrer sur notre route, et des ressources à l’aide des- quelles nous aurons à lutter contre elles. Si graves que soient les premières, si faibles que soient celles-ci, nous serons soutenus par cette pensée qu'il s’agit ici de progrès clairement annoncés, pour les sciences naturelles, par TT mn, D D TS Ur AENA EA n PNR 1e den. AE 4 FT R CEE OP ft Ter Bo ms sa ci TR TR ee TEE POARI” A EE EA REN a Ea R EEE E z REII EA EE 990 PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. HI. l'exemple de toutes leurs aînées, et dont nous pourrions au besoin trouver la promesse dans leur propre histoire : car il n’en est aucun qu’on n’y puisse dire dès à présent partiellement réalisé (1), ou qui ne commence manifeste- ment à sy produire. Marchons donc avec confiance : le passé même de notre science nous assure ici de son avenir. | (4) Mais aucun encore complétement; aucun, sans excepter même les progrès qui doivent précéder tous les autres. On a vu (Chap. I, p. 334, note 4) combien l’école dite” positive est loin d’avoir justifié le nom qu’elle se donnait à elle-même. VVVVYVYIYNINNNNNNYNNNININNYNYNYNYNNAINSNNINNNNNSISNINAINSNSYNNSNINS CHAPITRE IV. DES DIFFICULTÉS, DU CARACTÈRE ET DE LA VALEUR | DE L'OBSERVATION DANS LES SCIENCES NATURELLES. SOMMAIRE. — I. Immensité et difficultés de la science. — II. Causes d'erreur dans l'obser- vation. —TIL. Valeur différente de l'observation dans les sciences physiques et dans les sciences naturelles. Observation typique. Observation seulement individuelle. Nécessité de l'intervention du raisonnement, non seulement pour saisir les lois des faits biologiques, mais même pour obtenir et établir ces faits. Il est des difficultés communes à toutes les sciences; ilen est aussi de propres à chacune. Celles que nous ren- controns dans l'étude de la nature organique, sont telles que, nulle part ailleurs, l'esprit humain ne saurait avoir à en surmonter de plus grandes et, en apparence, de plus invincibles. Immensité du nombre, complexité et instabi- lité des phénomènes, multiplicité des causes d’erreurs, tout ici se réunit contre nous. Si les créateurs de l'Histoire naturelle eussent pu voir dés l’origine où ils tendaient, où ils nous appelaient après eux, ils se seraient sans doute arrêtés dès les premiers pas, Comme le voyageur s’arrête au bord de l’abime dont son œil a mesuré les inaccessibles profondeurs. - Qui eût osé entreprendre de distinguer et de dénom- =- — FRE LPS NUE AE SRE EO PR RE TTEE TR x Done Rd AE OE o pE EE or ENOTE CS UE dd, OER D, pA W i eo g 9292 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. IV. brer tous les êtres vivants qui peuplent la terre et les eaux, si l’on avait su dès l’origine qu'ils se comptent par centaines de mille ? Plus d'unités qu’il n’y a d'heures de travail dans la vie la plus pleine-et la plus laborieuse (4)! Qui n’eût reculé, à plus forte raison, devant la pensée de pénétrer jusque dans l’organisation intime de ces innom- brables produits de la puissanee créatrice ? Les uns si petits qu'ils échappent à la vue, et cependant si pleins de mer- veilles : natura in minimis maxime miranda! Etla plu- part si diversement complexes! Dans une seule chenille, Lyonet nous montre quatre mille muscles (2) et plus de dix mille branches trachéennes (3) ; et quand il a accompli ce prodige’de patience et d'adresse, qu’a-t-il fait ? Il n’a décrit encore que le premier des trois états dans lesquels nous apparaît l'animal après sa naissance. Pour un seul in- secte, il eût fallu plusieurs Lyonet! - Et-pour ces innombrables parties dont se compose cha- eun de ces êtres, que de problèmes à résoudre, et quels problèmes ! Leur complexité, non moins que leur multi- tude, confond tout d’abord l'imagination ; et quand on a pénétré dans leur étude, l'esprit s'étonne en présence de difficultés nouvelles, et peut-être plus redoutables encore. (1) Supposez un homme qui, de vingt à soixante-dix ans, travaille sans jamais s'arrêter douze heures par jour, et faites le calcul. Cette assiduité idéale, ce travail impossible donnerait 219 444 heures. Les estimations récentes les plus modérées portent au delà le nombre des espèces connues. (2) Quatre mille quarante et un. (Lxoner, Traité anatomique de la chenille qui ronge le bois de saule, in-4, La Haye, 1760, p. 584.) (3) « Le nombre des bronches égale peut-être celui de toutes les autres » parties dé l'animal prises ensemble.» (LYONET, ibid., Préface, p. x.) p S IMMENSITÉ ET DIFFICULTÉS DE LA SCIENCE. 353 Comment ramener à des lois des phénomènes, non seus lement si diversifiés, mais si instables? Où fixer są pensée au milieu de ces variations incessantes, de ces fluctuations perpétuelles, de ces différences fugitives ; mobile tableau dont on ne distingue quelques détails que pour les voir aussitôt modifiés ou effacés ? Il n’est que po pas, dit un vieil adage, deux feuilles semblables : est-il une feuille que l’on puisse dire semblable à elle-même à deux instants successifs de son existence? La nature orga- nique est comme un océan sans bornes, où un ensemble, qui néanmoins est permanent, se compose de parties continuellement agitées, déplacées, changeantes , et telles qu’elles semblent fuir sans cesse devant notre obser- vation, condamnée à ne saisir ici qu'un instant dans la durée comme un point dans l’espace ! Que ne peut l’homme quand il multiplie ses forces par la double puissance du nombre et de l'association ! Cette nature organique dont l'immensité n’est surpassée que par celle des cieux, il l’a embrassée tout entière. Dans le dédale des faits biologiques, il a su se rendre maître du fil conducteur; il a démêlé le plan simple des orga- nisations les plus complexes. Sur le terrain mouvant de phénomènes indéfiniment variables, il a jeté les fon- dements solides d’une science une et immuable, et il a entrepris, avec succès, de démontrer la fixité générale de la nature, à l’aide des phénomènes eux-mêmes qui sont, en apparence, les plus contraires à cette haute abs- traction de notre esprit; à peu près comme on prouve en _ astronomie l’immobilité relative du soleil par les déplace- ments mêmes dont nous eroyons être témoins. i 23 35 = PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. IV. Admirables résultats, dont nous devons toutefois ne pas nous exagérer la valeur. Si importants qu'ils soient, et fussent-ils complétement obtenus, la science se fait; elle n’est pas faite. Ce que nous possédons est considé- rables ce qui nous reste à acquérir, bien plus considé- rable encore; et si loin qu’aient pu aller nos prédéces- seurs, il est toujours vrai de dire: L'infini est devantnous. Mais, grâce à eux, dans ce champ infini, nous savons maintenant nous orienter. Par tant d'épreuves si décisives et si heureusement franchies, la science a appris à se con- naître elle-même ; elle a la mesure de ses forces ; et, entre tous les progrès qu’elle a faits, celui-ci n’est pas un des moindres. Il n’est plus de difficultés si ardues, que nous ne puissions regarder en face, que nous craignions Q'a- border de front. | Et non seulement nous le pouvons, mais nous le de- vons. Il était bon qu’elles restassent voilées à tous les yeux , quand il s'agissait d'imprimer le mouvement. Quand il ne s’agit plus que de le continuer et de le di- riger, il importe de n’ignorer aucun des obstacles et des périls qu’il reste à surmonter. C’est pourquoi , dans mes efforts pour rapprocher, autant qu'il est possible, notre science des sciences anté- rieures, jé ne manquerai jamais d’en faire ressortir toutes les difficultés (1), convaincu qu’on est encore utile en les signalant là même où l’on ne peut les vaincre, et en éclairant la route, là même où l’on ne saurait la par- courir. (1) Voyez surtout ce Chapitre et le suivant. ERREURS ET INSUFFISANCE DE L'OBSERVATION. 909 € IL. En Histoire naturellé, et plus généralement, dans les sciences qui ont la nature pour objet, tout dérive médiate- ment ou immédiatement de l'observation : c’est par les faits seuls que nous allons aux idées. Posons donc avant tout ces questions : Que nous donne l'observation? Que sont pour nous ses résultats? Et sera-ce par l'exercice seul de nos sens que nous obtiendrons ces faits, dans lesquels nous avons reconnu, non la science tout entière, mais le commencement nécessaire de la science (1)? | Je n'hésite pas à le dire : L'observation ne nous donne de résultats certains et utiles, de faits vraiment scienti ques, qw’autant qu’ils ont élé rationnellement con- rôlé TA Quoi qu’on en ait pu dire, la science, i e qu’ on la veuille concevoir, ne peut pas plus être créée par l'observation pure que par la spéculation pure; pas plus par le seul exercice nos sens que par celui de notre esprit. ` Une multitude d'auteurs ont pensé le contraire, ou, pour mieux dire, se sont exprimés comme s'ils le pensaient. On dirait, à les entendre, l'observation exempte de toutes ces difficultés, de tous ces périls qui, selon ces mêmes au- teurs, nous arrêtent invinciblement dès que nous voulons penser et conclure. A leur point de vue, il suffirait pres- (jte d'interroger la nature, de prendre la loupe et le i nosy mepo m P Eae E iid i É ere TE ETRS adii ch di ét , i (4) Voyez le Chapitre IL. > ë i a TE 3 á i A ; H. üi AS i á $ BE i i id > 2e 356 PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. IV. scalpel, pour obtenir sûrement des résultats qu'il ne reste- rait qu’à fixer par ce qu'on a appelé la méthode descrip- tive ; en d’autres termes, à enregistrer et à classer. La science n’est malheureusement ni aussi simple, ni d’un accès aussi facile. Il n’est guère plus aisé d’en jeter les fondements par l'observation, qu’il ne le sera ensuite d'édifier par le raisonnement. Dès l’origine, des difficul- tés de divers genres, et d’une extrême gravité, se dressent devant nous. Les unes signalées de tout temps. Combien de pages, combien de volumes écrits depuis Aristote, sur les erreurs de nos sens (1)! Et combien encore à écrire sur un sujet que l’on peut dire inépuisable ! Partout des apparences, des illusions! Nous vivons entourés de prestiges etcomme en proie à un perpétuel mirage, entre ce ciel dont nous voyons les astres là où ils ne sont pas, et pour quelques uns peut-être, quand, depuis des siècles, ils ne sont plus; et cette terre qui nous entraîne, quand nous croyons nous y reposer immobiles, d’un mouvement plus rapide qua- rante fois que celui du boulet à la sortie du canon, et treize cent cinquante fois que le vol de l'aigle! Et tantôt, ainsi que dans ces grands phénomènes, c’est la nature elle-même qui nous trompe, nous montrant ce qui n’est pas : par exemple, en physique, pour citer des causes d’erreurs dont on peut rendre exactement compte, deux objets pour un, derrière un spath d'Islande; (1) Voyez entre autres un travail de lillustre physicien MARIOTTE, intitulé : Des erreurs où les sens sont capables de nous faire tomber. C’est un chapitre de son Essai de logique. (Voyez Œuvres, Leyde, 1717, t. Il, p. 687.) . ; ERREURS ET INSUFFISANCE DE L'OBSERVATION. 997 ou, par l'immersion partielle, une ligne brisée au lieu d'une droite; par la perspective, la convergence de deux lignes parallèles; où bien encore, après la pluie, un arc-en-ciel , en apparence localisé et le même pour - tous. | | _ Ailleurs la nature se présente à nos yeux telle qu elle est, et ce sont nos sens qui nous égarent, substituant, à la réalité des phénomènes qui sont devant nous, leur image fausse ou altérée. Si, par exemple, nous agitons rapide- ment et circulairement un corps en ignition, il trace pour nous un arc lumineux, occupant à la fois, en appa- rence, toutes les positions par lesquelles il vient de passer tour à tour. Ailleurs, ce seront deux surfaces pareille- ment blanches que nous verrons successivement teintées, l’une de vert, l’autre de rouge, ou de bleu et d’orangé, ou de violet et de jaune, selon les couleurs qui leur se- ront juxtaposées. Réciproquement, dans d’autres cir- constances, il nous arrivera de tenir pour semblablement colorés des corps de couleur. différente. S'agit-il de la dimension des objets, nos sens ne sont pas plus infail- libles. Deux cercles, l’un blanc, placé sur un fond noir, l’autre noir, sur un fond blanc, paraîtront inégaux, s'ils sont égaux; et réciproquement, s'ils sont inégaux, le noir l’emportant un peu sur le blanc, l'œil, à telle distance donnée, les tiendra pour égaux ; à telle autre même, le plus petit sera jugé le plus grand. Et ainsi dans une foule d’exemples. Que serait-ce maintenant, si, après toutes ces illusions | physiques et physiologiques dont nul ne peut se défendre, nous mentionnions les aberrations individuelles des sens 998 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. IV. et les autres causes particulières d'erreurs dont chaque observateur a en lui le principe (1)? Et que sera-ce surtout, si nous passons des phéno- mènes, relativement simples et fixes, dont les corps inor- ganiques sont le théâtre, à ceux dont l’ensemble constitue ce qu'on a si bien nommé le tourbillon de la vie? Ici, en même temps que les causes ordinaires d'erreurs se com- pliquent d’une foule d’autres, les corrections deviennent d’une extrême difficulté, surtout lorsque les instruments d'optique, appelés au secours de notre vue, en étendent si loin le pouvoir, mais si loin aussi les illusions. Ily a quel- que chose de plus insaisissable encore à l’homme que l'in- fini de la distance : c’est l'infini dela petitesse. Plus mer- veilleux que le télescope lui-même, le microscope est aussi plus difficile à manier; et combien y a-t-il de grandes questions où il mait pas à intervenir, et de plus en plus? Dans la connaissance des premières formations, dans celle des êtres les plus simples qui sont aussi presque toujours les plus petits, dans celle des tissus dont se composent élémentairement les organes, est le nœud de la science(2), et ce nœud, nos yeux seuls ne sauraient même l’entrevoir. Dans une multitude de cas, l'observateur n'arrive donc à la vérité cachée sous l'apparence des phénomènes, qu’autant qu'il sait l'en dégager ; ce qu’il ne peut souvent qu’à l’aide d'instrumentsappropriés à la nature de ces phé- nomènes ; ce qu'il ne peut jamais sans le secours du rai- (1) Les erreurs personnelles, comme on dit en astronomie. (2) N'est-ce pas ici surtout que lon sent la justesse de cette pensée : Les plus petits faits sont souvent en réalité les plus grands! Eminet in minimis maximus ipse Deus ! ` OBSERVATION INDIVIDUELLE ET, OBSERVATION TYPIQUE. 399, sonnement et des connaissances antérieurement acquises. Et encore, quand il est assez heureux pour y parvenir, que possède-t-il? Le plus souvent, un résultat incom- plet, et.qui ne peut encore être admis dans la science. On a passé du fait apparent au fait réel, mais brut: il: p | reste à passer de celui-ci au fait scientifique, ou tx Ê / scientifié. IT. C’est ici que se rencontre, dans l'étude des faits par- r observation, un second genre de difficultés, et celles-ci ne sont guère moins graves que les premières, qui pourtant ont presque seules fixé l attention des naturalistes. Il sem= ble qu’on ne se soit pas bien rendu compte des différences considérables qui existent entre l'observation zoologique, botanique, physiologique, essentiellement relative à des phénomènes ou à des caractères individuels, et observa- tion physique ou chimique, portant sur les propriétés de la matière en général, des corps élémentaires et de leurs combinaisons diverses. Dire, comme on l'a fait si souvent, qu'ici, les faits étant plus simples et plus fixes, l’observas | tion préparée ou l’expérimentation (4) peut être le plus souvent substituée à l'observation ordinaire, c’est, sans doute, signaler l’un des grands avantages de la physique et de la chimie sur l'Histoire naturelle , et l’une des causes principales de la sûreté de leur mari ct de la rapidité de leurs progrès. Mais je vois ailleurs, entre ces diverses sciences, une différence bien plus importante (4) Voyez Liv. I, Chap. I, sect. x et rr P mi 1 360 PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. IV. encore, et vraiment fondamentale, que j’énoncerai ainsi : En zoologie, en botanique, l'observation n’est qu'in- dividuelle. En physique, en chimie, elle est, le plus souvent, typique, c’est-à-dire représentative de toutes les obser- vations analogues déjà faites ou qui pourront l'être, et telle, par là, qu’elle les résume, pour ainsi dire, en elle, et qu’elle peut suffire pour légitimer des inductions. Citons des exemples. à Qu'un physicien fasse tomber sur un miroir plan un faisceau de rayons lumineux, ou qu’il lui fasse traverser, dans une chambre obscure, un prisme de verre: la lu- mière, dans le premier cas, sera réfléchie, selon un plan et sous un angle qu'il sera aisé de déterminer ; dans le second, réfractée et de plus décomposée en rayons colo- rés dont l’ordre et la disposition seront facilement recon- nus. Qu'un autre physicien, ou le même, un autre jour, en d’autres lieux, avec un autre miroir ou un autre prisme, agisse semblablement sur un autre faisceau lumi- neux : s'il se sert encore d'un miroir plan, si le second prisme est égal au premier et de même nature, de même densité et dans la même situation relative, si la lumière émane de la même source, la réflexion ou la décomposi- tion aura lieu exactement de la même manière. Et ainsi autant de fois que l’on recommencera dans les mêmes cir- constances. | | D'où il suit qu’à la rigueur, la première expérience pou- yait donner, å elle seule, les lois de la réflexion ou de la dé- composition de la lumière : toutesles expériences ultérieures peuvent être considérées comme de simples vérifications. OBSERVATION INDIVIDUELLE ET OBSERVATION: TYPIQUE. 364 Il en est encore à peu près de même en chimie. ` Veut- on, par exemple étudier l'oxygène? Qu'on extraie Ce gaz, comme dans la célèbre expérience de Priestley : en 1774, du précipité per se; qu’on le tire de tout autre peroxyde, d’un chlorate, d’une substance organique, d'un corps oxygéné quelconque; par quel procédé qu'il ait été décomposé, réaction chimique ou action de la pile; ou encore qu'on puise le gaz dans l'atmosphère, sur un point ou sur un autre, vers le pôle ou vers l'équateur, près du sol, au fond d’une mine, ou aussi haut que peut nous porter un aérostat ; on aura partout et toujours un gaz identique avec lui-même : l’oxygène et non tel oxygène . Les propriétés qu’on aura une fois constatées sont celles que retrouveront, s'ils agissent de même, tous ceux qui viendront ensuite. Encore ici, après le premier observa- teur, on ne fera plus que répéter ses expériences, que revoir ct vérifier. Théoriquement, pour découvrir, il suf- fisait au chimiste d’un seul flacon de gaz pur, comme tout à l'heure au physicien d’un seul faisceau lumineux. Étudier, analyser, dans toutes ses parties, un animal ou une plante, est bien plus difficile encore, qu’étudier, ana- lyser un gaz où un faisceau lumineux : mais, de plus, quand on y à réussi, qu'a-t-on obtenu? Des résultats seu- lement individuels. Qui pourrait dire i ici, même au point de vue purement théorique, et abstraction faite de toutes les difficultés pratiques, que de tel chêne, par exemple, -un rouvre ou d' un liége, le SUPPORT OM parfaitement et complétement décrit, on pût conclure, à tous les rouvres, à tous les liéges, à plus forte raison, à tous les chênes ? On ne le pourrait PR prendre pour le représentant, pour L 23. #; 362 PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. IV. le type de tous les rouvres, de tous les liéges d’une seule forêt, fussent-ils venus de glands simultanément tombés sur un sol de même composition et dans des lieux sem- blablement exposés. On ne saurait davantage admettre que les caractères zoologiques de tel lion ou de telle pan- thère, si bien qu’on les connût, pussent donner ceux de tous les lions ou de toutes les panthères, et encore bien moins, si nous arrivons aux animaux domestiques, qu'il fût permis d'étendre ceux de tel cheval ou de tel bœuf à tous les chevaux et à tous les bœufs. Chacun de ces animaux n’est qu'un individu, et non un type : un lion n'est pas le lion; un taureau, un bœuf, une vache, une génisse ne sont pas le bœuf, et pour prendre en nous-mêmes un der- nier exemple, l'anatomie d’un homme n’est pas lana- tomie humaine. D'où l’on voit, premièrement, la nécessité de multiplier les observations et, autant qu’il est possible, les expé- riences. Quand vous aurez fait l’étude d’un individu, si parfaite qu’elle puisse être, l'étude d’un autre, de plu- sieurs autres ne répétera pas ce que vous aurez vu : elle le complétera. Elle ne sera pas seulement utile pour vérifier, mais indispensable pour découvrir (1). bu ed matinée f j | j l! A $ T a R .| 1 Eg | 3a i Hii i| -| | AA : j f i H 4i ED : 153 4 ‘M i y 1 AS | 1 mibi E ti f j 1E i À 11 fi i Jf ? iFa | À | ig CIE i | i F K $ — es 7 (4) On objectera peut-être que cette étude ultérieure est souvent impossible. La science sera-t-elle done condamnée, toutes les fois qu’il en sera ainsi, à s'arrêter impuissante ? De telle espèce on ne con- naît encore qu’un individu : renoncera-t-on à l’établir ? Il est des types tératologiques qu’on n’a vu se produire qu’une fois : doit-on renoncer à en tenir compte? Non, sans doute. La comparaison de cette espèce avec des congénères bien connus, de ce type avec des types analogues bien déterminés, ournira le plus souvent des notions équivalentes à celles que l’on ne peut, dans ces cas, obtenir par une étude directe, à és doi = F = ad OBSERVATION INDIVIDUELLE ET OBSERVATION TYPIQUE. 963 Et, en même temps que ressort toute l'importance des travaux d'observation, se montre ici, non moins claire- ment, leur insuffisance. Que seraient nos raisonnements sur la nature, s'ils ne reposaient sur l'observation? Rien, à moins que nous ne prétendions, comme Schelling (1), lire en nous-mêmes les lois du monde physique. Mais aussi, que sont nos observations, si nombreuses et si parfaites qu'on veuille les supposer, tant que notre esprit n’est pas intervenu, pour en saisir les rapports et le lien? Beaucoup par ce qu’elles nous promettent, mais bien peu par ce qu’elles nous donnent immédiatement. S'il est vrai qu’elles renferment en elles d'importantes vérités, c’est, qu’on me permette cette image empruntée aux eroyances po- pulaires, comme le caillou renferme l’étincelle : encore faut-il qu’on la fasse jaillir. Dix, cent, mille individus, ne sont toujours que des individus; non l’espèce, non le type. Et de quel intérêt sont pour la science des individus ? Que lui importerait, si l’on ne devait aller au delà, leur exis- tence d’un instant sur un point de l’espace ? Mais, où nos yeux ne voient que des individus, notre esprit sait voir le type; dans leur existence éphémère, il aperçoit l'espèce elle-même, l’une des unités permanentes de la nature, comme a si bien dit Buffon (2). C’est un mot de l’histoire de la création qui en fait deviner une page. Voilà par quel côté les faits individuels, en dehors même de toute application pratique, méritent, non seule- ment de fixer notre attention, mais d’être étudiés avec le plus grand soin, ct R dans leurs derniers détails. : 4) Voyez Chap. HF, sect. v. (2 Seconde vue sur la nature, dans l'Histoire ereite, t XUP T. Yt 26h PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. IV. -Il n’en est pas de trop petits pour que le vrai naturaliste dédaigne de les constater au prix de longues heures d’é- tude, et de les fixer, s'il le faut, par les plus minutieuses descriptions. Etil ne se laisse pas non plus effrayer par la multitude des notions particulières qu'il lui faut trop souvent re- cueillir pour la solution d’une seule question. En est-il de plus simple, en apparence, que celle eï : décrire telle veine chez l’homme ? Ou cette autre : déterminer combien de fois le pouls bat par minute dans l’état normal de telle espèce? Et cependant, que d'observations anatomiques, d'observations et même d'expériences physiologiques, ont été ici nécessaires pour donner la notion vraie du type autour duquel oscillent, pour ainsi dire, toutes les varia- tions individuelles ! Il en est de même, à plus forte raison, lorsqu'il s’agit de déterminer, en botanique ou en zoologie, Jesicaractères d’une espèce. Les connaïtra-t-on sûrement et exactément, s'ils n'ont été étudiés chez des sujets jeunes, d'âge moyen, vieux, pris dans différentes saisons, sur des sols variés, sous des latitudes et à des altitudes diverses (1)? Encore ici, il faut s'élever par la comparai- son d’un nombre suffisant d'individus à la connaissance du type; de ce type qu'ils représentent tous ensemble, et que pas un peut-être, dans toute la nature, ne montre en lui seul; de ce type qui est, par conséquent, au seuil même de la science, une première et nécessaire abstrac- tion de notre esprit, qui le voit partout, quand, pour nos sens, il peut n’être nulle part réalisé. (1) Et même encore, pour l'espèce végétale, à des expositions diverses. | mn M ʻ OBSERVATION INDIVIDUELLE ET OBSERVATION TYPIQUE. 865 Observons donc; multiplions les observations, mais ne nous y tenons pas. Voir n’est pas savoir. Il faut le travail | de l'esprit en même temps que celui des sens, pour les diriger, en corriger les erreurs, et dégager le résultat vrai, le fait réel, du résultat, du fait apparent ; il le faut aussi, et encore dès l’origine, pour substituer au fait réel, mais brut, le fait scientific. J'avais dit plus haut (1), montrant la nécessité du rai- sonnement en Histoire naturelle : | Après l'observation, quand nous avons établi les faits, posé les prémisses, notre esprit doit intervenir pour tirer les conséquences, pour généraliser, pour expliquer. A lui la découverte des lois, la recherche profonde des causes. ON de Énoncé vrai, mais incomplet. C’est partout et toujours, c’est dès le commencement de la science, on le voit main- tenant, que doit intervenir notre esprit; non seulement après l’observation, pour conclure, pour édifier; mais aussi, pendant l'observation elle-même, pour jeter, avec elle, les fondements de l'édifice qu’il devra ensuite élever par ses propres forces. (1) Voyez le Chapitre précédent. 4 1% * { mine pute OS API AAAAANAIY INA £ CHAPITRE V. 4 f DES DIFFICULTÉS, DU CARACTÈRE ET DE LA VALEUR E DU RAISONNEMENT DANS LES SCIENCES NATURELLES. i | y SOMMAIRE. — Î. Caractère et valeur de l'induction. Induction démonistrative, Induction E ; inventive. — II. Caractère et difficultés du raisonnement dans les sciences naturelles. $ Première source de difficultés : nécessité d'aller du particulier au général, — III. Seconde { | source de difficultés : nécéssité de procéder, dans un très grand nombre de cas, du tk composé au simple. — IV. Vérification, par l'observation, des résultats induits. — s i V. La certitude peut être obtenue par l'emploi combiné de l observation et du raisonne- à: ` j A | ment, et par la considération des rapports nécessaires. — VI. Elle peut l'être même, È. SE, d | dans certains cas, par voie analogique. — VII. Le critérium de la certitude est dans la i À z concordance des résultats obtenus par des voies diverses, et surtout dans la vérification | # “A ‘ expérimentale des conséquences déduites. , ; ` y " I. | è y À |: à - Raisonner, dans le sens le plus général et, par là même, E” a le plus vrai de ce mot, c’est combiner deux ou plusieurs {4 \ notions antérieurement acquises, de manière à en faire E sortir une notion nouvelle. E Il n’y a que deux modes fondamentalement, différents E de raisonner, la déduction et l'induction, parce qu’il ne > 5 peut y avoir que deux sortes de relations entre les notions i Co déjà obtenues et celles qu'il reste à obtenir. Il n° y à que Fe TON deux chemins possibles du connu à l'inconnu ; comme il > (A n’y a que deux manières de naviguer s sur un fleuve : le né II ; #4 Pa B 5 descendre ou le remonter. ": = 4 ý s Aik, | 4 | i Eo j | “à $ £ reg ea a an 368 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. V. Le raisonnement est déductif, lorsque, des notions déjà acquises, on passe à des notions qui en sont les con- séquences logiques; c’est-à-dire, telles que, les premières étant admises, les nouvelles notions sont, pour ainsi dire, elles aussi, virtuellement admises. On peut, en effet, con- sidérer celles-ci comme implicitement contenues dans les notions d’abord obtenues, si bien que tel esprit clairvoyant pouvait les y entrevoir avant tout examen ultérieur. Et encore pourrait-onaller plus loin, et dire, avec Buffon (4); des vérités de déduction, qu’elles se ramènent souvent les unes aux autres, et se réduisent à des identités, n'étant, dans beaucoup de cas, que des expressions différentes de la même chose. Le raisonnement déductif est rigoureux @). Si les no- tions dont on est parti sont certaines, celles auxquelles on arrivera, le seront pareillement; en sorte que d’elles aussi, combinées à leur tour avec d’autres notions certaines, on pourra déduire de nouvelles conséquences, présentant | (4) Dans le célèbre discours De la manière d'étudier et de traiter VHistoire naturelle, tome I de l'Histoire naturelle, p. 54. Buffon parle ici des vérités mathématiques. . Je crois ne devoir pas renvoyer à ce passage sans faire quelques ré- serves. Les idées que Buffon y expose me semblent, sur plusieurs points, empreintes d’exagération, parfois même tout à fait inadmissi- bles. Je laisse d’ailleurs aux géomètres le soin de les réfuter, et de défendre leur science, comme l’a essayé déjà, contre les vues analogues de Leibniz et de Condillac, le célèbre métaphysicien DUGALD STEWART (voy. Elements of the philosophy of the human mind, Chap. IE, sect. m1; traduct. de M. Persse, t. II, p. 445). — On peut consulter aussi avec fruit sur ce sujet WHEWELL, The philosophy of the inductive np t. I, 4847; appendice, p. 595. (2) En supposant, bien entendu, qu'il soit conforme aux. c règles de la logique. CARACTÈRE ET VALEUR DE L'INDUCTION. 369 encore le même caractère de certitude ; et ainsi de suite. D'où ces longues chaînes de raisons (1) qui s'étendent parfois, sans interruption, des premiers éléments d’une science à ses plus hautes et plus complexes vérités. Le raisonnement inductif ou par induction procède tout autrement. L'esprit y doit faire un effort de plus. Il n’a pas seulement à obtenir, à l’aide des notions an- térieurement acquises, des résultats qui en dérivaient nécessairement. Induire, c'est tirer d’un certain nombre de cas particuliers, le plus souvent, de faits, des con- séquences générales; en d’autres termes, et ceci fait clairement ressortir le vrai caractère de l’induction, passer, non du contenant au contenu, mais du contenu au contenant. Il y a des raisonnements PERIA rigoureux; tellement que, comme les logiciens l’ont remarqué, ils peuvent être assimilés à un argument syllogistique. Ce sont ceux où la conséquence générale est induite de toutes les no- tions particulières auxquelles elle est applicable. En sup- posant certaine chacune des notions dont on est parti, il est clair qu’on arrive à une conséquence certaine aussi. Mais qu'est-ce que cette conséquence ? L'expression pour l’ensemble de ce qu’on savait déjà pour toutes les par- ties (2). De toto concluditur, quod de singulis partibus (4) Voyez plus haut, p. 273. 12) Expression qui ne peut d’ailleurs être générale, sans ajouter quelque chose aux notions qu’elle comprend. On a parfois commis ici une erreur que, déjà, j'ai dû relever ailleurs : « Toute idée générale » suppose un rapport saisi entre les différentes idées individuelles » dont elle se compose; d’où il suit que dans une idée générale est ren - A 24 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP, V. fuit demonstratum, comme on dit dans les traités de logique (4): Bien plus souvent, le raisonnement inductif manque de rigueur, et dès lors, füt-on parti de données certaines; les notions auxquelles il conduit ne sauraient l'être. Il en est ainsi toutes les fois qu’on induit une conséquence générale d’une partie seulement des notions particulières _qwelle doit comprendre. On suppose alors la conformité des notions déjà obtenues avec celles qui manquent encore : hypothèse que de légitimes analogies rendent souvent très vraisemblable, et que l’on peut, souvent aussi, soumettre à des vérifications décisives : d’où, pour la conséquence induite, au défaut de la certitude absolue, qui est ici impossible, une très grande probabilité; si grande même parfois qu'on est en droit de la tenir pour infinie et dès lors équivalente à la certitude elle-même. Contradiction singulière, mais plutôt apparente que réelle, entre la logique et la science : l’induction rigou- reuse qui, seule, satisfait notre esprit, le sert peu; à peine pourrait-on citer quelques progrès qui lui soient dus. À l'inverse, une multitude de découvertes ont été depuis » fermée, outre la connaissance de plusieurs idées particulières, la » connaissance d’un rapport. De même, un fait général a une valeur » scientifique plus considérable que la somme des faits particuliers dont » il se compose; car, outre ces faits, il suppose nécessairement la con- » naissance d’un rapport entre les faits. » Mémoires du Muséum d'his- toire naturelle, t. XVII, p. 427, note, 1829. . Voyez aussi le remarquable ouvrage déjà cité de M. WHEWELL, t. I, p. 48. (4) Voyez, par exemple, le traité si longtemps classique, et si souven copié, de S'GRAVESANDE, Introductio ad philosophiam, Leyde, 4736. Logica, p. 366. Tr DIFFICULTÉS DU RAISONNEMENT EN HISTOIRE NATURELLE. 371 le Novum organum, et sont tous les jours, l’œuvre de cette induction non rigoureuse, hypothétique, dont la plupart des logiciens, pendant des siècles, n’ont pas même daigné dire un mot; à moins que ce ne fût pour la con- damner: l | C'est que l'induction démonstrative, ainsi qu'on peut nommer le premier genre d’inductions, ne démontre guère que ce qu’on savait déjà, moins bien toutefois (1) : voie sûre, mais étroite, où devait se tenir celte logique desécoles qui s’est définie elle-même l’art de démontrer la vérilé, mais qui n’était guère en réalité, chose fort différente, que l'art d'éviter l'erreur. L'autre, l'induction analogique, ou par opposition avec la précédente, l'induction inven- tive, fait, au contraire, connaître ce qu’on ignorait, souvent ce qu’on eût toujours ignoré sans elle : la science et la vraie logique, toujours d’accord avec elle, ne pouvaient man- quer de s’en faire un puissant instrument de découverte. IE. Il n’y a pas de sciences, pas même la géométrie, pas même l'algèbre, où l’on ne procède que par déduction; il n’y en a pas non plus où l’on se borne à l'induction; mais il en est où l'induction ne tient qu’une très petite place, et d’autres où la déduction reste subordonnée à induc- tion. C’est à ce point de vue qu’on peut admettre, avec M. Whewell, la distinction des sciences en déductives et (4) Voyez plus haut, p. 369, note 9, 372 PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. V. inductives (1) : distinction qui, du reste, avait été depuis longtemps faite en d’autres termes (2). L'Histoire naturelle organique est essentiellement in- ductive (3). Il n’y a qu’une voie pour s'élever des faits à leurs lois : c’est l'induction, et généralement, l'induction analogique, et non démonstrative. L'Histoire naturelle organique est, en même temps, mais secondairement, déductive. Non que la déduction y soit rare, et qu’elle n’y joue souvent un rôle important; mais elle y succède à l'induction, et ne peut rien que par elle, ne faisant, en réalité, qu’en étendre et multiplier les résultats, sans même en changer la valeur logique. Une no- tion déduite de notions préalablement induites n’est tou- jours qu’une conséquence, plus indirecte seulement, de l’observation ; par suite, bien qu’obtenue par un raison- nement rigoureux, une notion seulement expérimentale, et non purement rationnelle; contingente, et non néces- saire ; plus ou moins probable, et non absolument certaine. Les sciences physiques aussi sont essentiellement in- ductives, secondairement déductives. Mais, après cette analogie générale, que de différences! et toutes, au dés- avantage des sciences biologiques. Combien s’aggravent ici toutes les difficultés que l’on rencontrait déjà dans l’étude des corps inorganiques! (1) Deductive sciences et Inductive sciences, WHEWELL , ouvrage déjà cité, et History of the inductive sciences, 3 vol. in-8, Londres, 4837; 2° édit., 1847. (2) Voyez Prolégomènes, Liv. I, Chap. IV. (8) A moins d'admettre, avec les Philosophes de la nature, qu’on doive descendre des lois aux faits. Voyez plus haut, Chap. II, sect. v, l'analyse des vues de Schelling. i DIFFICULTÉS DU RAIPONNEMENT EN HISTOIRE NATURELLE. 373 Où l'observation est typique (A), où chaque fait bien étu- dié représente une infinité de faits analogues, l'induction est manifestement aussi légitime que peut l être un raison- nement du particulier au général. Et comme, en outre, il s’agit ici, le plus souvent, de notions qui peuvent être soumises au contrôle décisif de l’expérience (2), on obtient, dans la plupart des cas, et parfois très promptement, non la certitude métaphysique ou déductive, mais à son dé- faut, ce qu’on a appelé la certitude physique, c’est-à-dire cette probabilité infinie ou presque infinie, en présence de laquelle l'esprit le plus sévère n'hésite pas à se dé- clarer satisfait. | Il faut bien aussi, en Histoire naturelle, que nous arri- vions, par l'induction, à la certitude physique; mais ici, de l'observation à la généralisation, de la connaissance du fait à celle de la loi, quelle longue route à parcourir ! Qu'est-ce qu’une généralité, et surtout une de ces hautes généralités que nous appelons lois? En biologie comme en toute autre science, une abstraction de notre esprit qui, dans une seule notion, comprend, résume, concentre une multitude de notions particulières. Et qu'est-ce qu’un fait biologique? Un résultat seulement individuel, vrai peut-être du seul individu chez lequel on le constate, 5 seulement dans l'instant où on le constate. Et c’est de cette variété indéfinie que le naturaliste doit faire sortir l’unité; car aucune autre route ne lui est 1.4 ne - k etia erie ml ue E A E E E ET a Prat J arm e A 11 | 14 cor en ET Be nn FA re pe (1) Voy. le Chap. précédent, p. 360. (2) « Le contrôle est le caractère de la méthode expérimentale », a 14 $ 1 $i 4 | lj j- $ 1E f f [3 | iF LE : à X $ À | f à H n "4 l to 3 1: E. g dit récemment et très justement M. CHEVREUL, dans l’un de ses savants t articles sur l'Alchimie. Voyez le Journal des savants, ann. 1851, f | p. 765. * w { mrana x > aen L a nr Dh A = ee SU ein asa - f e MORET GP er NE z A der « ni ! à gi dd ne V T E e a aan a a ation ne mem NS y a i = CES a = E CS. . AGa E aia 7 bd. | E “ai m ii tr, h = MRE iaae iga | 4 ii E ay 4 ai 3 | \ | \ $ E (HE |: | À f i i : | \ LE ME HE $id f gni 2 | PTY 374 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. V. ouverte. Il lui faut, remontant pour ainsi dire contre le cours nafurel de sa pensée, conclure en général et syn- thétiquement, quand il ne possède, avec certitude, que des notions particulières et isolées; conclure à un ordre entier de faits, non de tous, successivement vérifiés, mais d’une partie seulement de ces faits; pas même du grand nombre au pelit, mais presque toujours du petit nombre au grand; bien plus encore, quand il s’agit d’une loi, du fini à l'infini ; car toute lot, vraiment digne de ce nom; est l'expression, non de cent, mille, dix mille faits, mais d’un nombre illimité de faits déjà produits ou pouvant se produire. | La présomption analogique par laquelle, en de tels cas, on assimile aux faits observés les faiis passés ou présents, mais inconnus, et les faits futurs, et en vertu de laquelle on induit, ne semble-t-elle pas une hypothèse trop hardie pour être avouée par la logique? Et se peut-il qu'ici l'in- duction ne tombe pas au rang de la simple conjecture ? TII. On a signalé plusieurs fois déjà les graves difficultés sur lesquelles je viens à mon tour d'insister. Celles dont il reste à parler, ont été, au contraire, passées sous silence par les biologistes ; et pourtant, comme on va le voir, elles ne méritaient pas moins leur attention. A côté de cette règle logique qui est le premier principe de toute méthode scientifique : -Aller du connu à lin- connu, il en est une autre que l’on a regardée comme DIFFICULTÉS DU RAISONNEMENT EN HISTOIRE NATURELLE. 97D non moins fondamentale : Aller du simple au composé. Règles connexes qui souvent même se confondent l'une -avec l’autre, le simple étant aussi le connu, et l'inconnu _ne restant tel que parce qu’on n’a pu encore le décompo- ser. Il en est ainsi en mathématiques, et presque toujours aussi, dans les sciences physiques (4). Mais il n’en est plus de même en Histoire naturelle. Comment a-t-on pro- cédé lorsque, dans l'antiquité, cette science a été créée, et créée, comme on l’a vu (2), par les philosophes ? D'une part, de l’homme aux animaux, de ceux-ci aux plantes ; de l'autre, de l’homme adulte au fœtus. En d’autres termes, du plus composé au moins composé. Et com- ment a-t-on procédé dans les temps modernes, quand la science a été pour la seconde fois créée, et maintenant par les médecins (8)? Encore de l’homme aux animaux et aux végétaux qui l'entourent, et de l'état adulte à l’état fætal; et plus tard, par l'extension et le perfectionnement graduel des notions d’abord obtenues, des animaux et des végétaux les plus élevés en organisation, aux types les plus simples des deux règnes, et du fœtus aux états +. embryonnaires antérieurs. Toujours du plus composé au moins composé et aw simple. Tellement que les confins de nos connaissances zoologiques, botaniques, embryogé- niques, reculant peu à peu jusqu'aux animaux et aux végétaux les moins complexes, jusqu'aux premiers pro- (4) Les exceptions sont surtout relatives à la géologie, la dernière en effet des sciences physiques, et celle qui lie le second embranchement au troisième. (2) Voyez l’Introduction historique, p- 16 et suiv. (8) Ibid., p. 37. EEN di r: des ARR S À un De er PE R tn i HEN E 2 FEE mm E 7 Aide Pneu dem 20 a i > san oo D + 2 g z pin San dd 376 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. V. duits de la conception, les êtres les plus simples sont aujourd’hui les seuls dont l’histoire reste enveloppée de ténèbres qui, heureusement, commencent à se dissiper. Et il ne pouvait en être autrement. Les êtres et les états les plus simples ne sont-ils pas aussi les plus difficiles à étudier? La nature les dérobe à nos yeux, les cachant dans les eaux ou à l’intérieur d’un autre être organisé, dans la graine, l’œuf ou le sein maternel; et là, encore, que sont-ils pour la plupart? Des points vivants que leur petitesse et leur transparence nous rendent double- ment invisibles! Le plus souvent, pour savoir même qu'ils existent, il a fallu l'invention du microscope; pour pénétrer les mystères de leur nature, il faut ses perfec- tionnements, tout récents encore, et ceux que l’on réalise de jour en jour. Le simple devait donc être ici l'inconnu. Et réciproquement, le composé devait être le connu. A la fois sujet et objet, l’homme n’est pas seulement l'être dont la connaissance, médicalement et philosophiquement nécessaire, nous importe le plus : si complexe qu’elle soit, elle est aussi celle qui peut être portée le plus loin, puis- qu'ici l'observation de soi s'ajoute, chaque jour, chaque heure, et autant de fois qu'il y a d'hommes éclairés, à tous les moyens ordinaires de savoir, L'étude de l’homme par lui-même commence pour chacun de nous le jour où il commence à penser; elle ne cesse que lorsque sa pensée s'éteint avec sa vie. Voilà comment le naturaliste est contraint à marcher, le plus souvent (1), du composé au simple, sous peine de (4) Non toujours, Il est heureusement plusieurs ordres de question ne ia DIFFICULTÉS DU RAISONNEMENT EN HISTOIRE NATURELLE. 977 s’aventurer de l'inconnu au connu. C’est la logique elle- même qui le condamne à s’avancer en sens contraire de ce qu'elle veut presque partout ailleurs, et de ce qu in- diquait i ici même l’ordre de la nature, procédant g généra- lement pour l’ensemble des règnes org ganiques, ainsi qu'on le verra plus tard, comme elle procède dans la formation de chaque être en particulier : du simple au composé. D'où l’on voit qu’il en est, en Histoire naturelle , de l'interprétation et de la généralisation des faits par le raisonnement, comme de leur constatation par lobserva- tion et l'expérience. En même temps que les difficultés communes à toutes les sciences qui ont la nature pour objet, se reproduisent toutes, et plus complexes que partout ailleurs, d’autres viennent s’y ajouter; et toutes ensemble opposent à nos progrès des obstacles si graves, elles mulliphient tellement sous nos pas les causes d'er- reurs, qu’on se demande si Pascal a été ici au delà du vrai, en disant de l'intelligence de homme : « Tout ce » qu’ elle peut faire est d'apercevoir quelque apparence » du milieu des choses, dans un désespoir éternel d’en » connaître ni le principe, ni la fin... Nous brûlons du » désir d'approfondir tout, et d'édifier une tour qui s’é- . » lève jusqu’à l'infini. Mais tout notre édifice craque, et » la terre s'ouvre jusqu ’aux abimes (1). » Rassurons-nous cependant, et ne concluons pas des chimères de l'esprit humain aux monuments de sa sa- où l'on peut marcher en Histoire naturelle du simple au composé. Ajoutons qu’il en sera ainsi de plus en plus à mesure que Ia science se perfectionnera. : ; s (1) Pensées, Part. 1, art. IV. i 24. ë ul VO REN Er NAF: RL E B i E : E i |F 3 TEE RESA ET ge 378 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. V, gesse; de la tour qui, semblable à celle de la Genèse, élèverait orgueilleusement son faîte jusqu'au ciel (4), à l'édifice moins gigantesque, mais stable, dont les assises lentement, mais solidement superposées, portent sur des fondements affermis. Ici les fondements, ce sont les résultats de l’observa- tion; c’est l'induction qui pose les premières assises, et la déduction continue l'édifice, IV. Quand il s'agissait des faits, nous avons vu l’observa- tion, d’où ils dérivent tous, soumise à un double contrôle : d’une part, l'observation elle-même, plusieurs fois renou- velée, expérimentalement quand il est possible, et recti- fiée, au besoin, à l’aide d'instruments appropriés; de l’autre, le raisonnement, intervenant d’abord pour véri- fier, puis pour apprécier. C’est par ce double et indispen- sable contrôle que nous arrivons, en ce qui concerne les faits, à la certitude physique. jomment, les faits reconnus certains, s'assurer de la validité des conséquences qu’on en a tirées? Encore par le double contrôle de l'observation, rendue expérimen- tale toutes les fois qu’il est possible (2), et du raisonne- ment. ) (4) Genèse, XI, 4. (2) Il est à peine besoin d’avertir qu'ici, comme plus haut, le mot expérimental est pris dans le sens qu’on lui donne le plus ordinaire- ment, et non dans l'acception beaucoup plus générale qu’il a reçue en philosophie, VÉRIFICATION NÉCESSAIRE PAR L'OBSERVATION, 879 C'est à l'observation seule qu'il faut ici recourir, ont dit un grand nombre d'auteurs. Comme eux, je recon- nais l'observation, ét surtout l'observation sous sa forme expérimentale, comme le juge souverain de toutes les théories et de toutes les idées théoriques en Histoire naturelle; mais j'ajoute que, le plus souvent, elle ne saurait prononcer sans l'intervention du raisonnement. Toujours la même conclusion : ni l'observation exclusive, ni le raisonnement seul : l’observation et le raisonnement intimement associés. Les seuls cas où l'induction puisse être légitimée par le seul secours de l’observation, sont ceux où elle se ren- ferme dans le cercle des analogies les plus prochaines(1), et où, de plus, les observations sont parfaitement concor- dantes et très multipliées ; où elles ont pu être répétées, non seulement dans le même lieu, au même instant et d’une seule manière, mais dans des lieux, des temps et, s'il se peut, par des procédés différents. C’est ainsi qu'il nous arrive à chaque instant d'étendre à toute une espèce, sans crainte d'erreur, tels résultats dont nous ne pouvons nous rendre raison, dont la cause nous échappe, mais que nous avons successivement vérifiés sur un très grand nombre d'individus ; si bien que nous sommes invinci- blement entrainés à les tenir pour communs à tous. On rirait d’un sceptique, venant révoquer en doute, au nom de la logique, l’existence de cinq doigts et de huit inci- sives chez les peuples encore inconnus du centre de (4) Et encore est-il vrai de dire que dans ce cercle même, « il faut » quelque chose de plus que l'expérience», comme le remarque DUGALD STEWART, loc, cit ,2° part., Ch. I, sect. 1v; traduct., t. T, p. 160. 380 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. V. l'Afrique ! Et l’on en rirait à bon droit, et tout autant que si son doute portait sur l’un des organes essentiels à la vie. L’excès du scepticisme touche à l’absurde. Mais ce scepticisme, qui tout à l'heure était folie, ne deviendra-t-il pas sagesse, si les observations n’ont pas été très multipliées, ou même si, faites en très grand nom- bre, elles ne Font pas été dans des circonstances, des temps et des lieux divers ; en un mot, si l’on n’a pas pris le soin de les varier autant qu’il est en notre pouvoir de le faire? N’en sera-t-il pas ainsi, et à bien plus forte rai- son, si l’on ose, s’autorisant de faits dont la raison échappe encore à. la science, franchir le cercle des analogies les plus prochaines ? Que peut alors l’observation? Rendre la probabilité très grande, jamais assez pour nous tenir lieu de la certitude. Un résultat a été induit de cinquante, -de cent, de mille observations : que l’on parvienne à constater encore le même résultat cent, mille fois encore : le tien- dra-t-on pour suffisamment vérifié et légitimement admis- sible? Sera-t-on en droit d'affirmer qu’un nouveau fait ne viendra pas le lendemain contredire les précédents? Non. Si vraisemblable qu'il puisse être devenu, on n’aura pour- tant pas encore, selon les expressions de Bossuet, «dla » science elle-même, mais seulement une opinion qui; » encore qu’elle penche d’un certain côté, n'ose pas s’y » appuyer tout à fait (A). » Etict, l’histoire ne nous enseigne que trop la circonspec- tion. Cuvier, au terme de ses longues recherches paléon- tologiques, croit pouvoir dire : « [n’y a point d’os humains poétika m " D ARRET i. À a AE Rae ete ana Utd + | + dome es mon A a titine vs > ft ee ct iles Mb. 1 "mi sisi dc Dead (4) BOssuET, De la connaissance de Dieu et de soi-même, chap, I, XUI et XIV. ARLE E ETEA IS ~ C2 V0 3 % > x z y y: VÉRIFICATION NÉCESSAIRE PAR L'OBSERVATION. 884 » fossiles (A); » c'est à ce moment même qu'on en dé- couvre en plusieurs lieux différents (2). Exemple dont on pourra dire qu’il ne porte que sur un résultat négatif, et qu’il est pris dans l’une des branches les moins avancées de la science. Mais, dans toutes, que de résultats positifs aussi, longtemps confirmés par l’observation, parvenus ainsi à un très haut degré de probabilité, ont été à la fir condamnés par de nouveaux faits, au moment même où on les admettait universellement, comme on en admet encore tant d’autres qui peut-être auront le même sort! En zoologie, pour citer en exemples des résultats très iné- galement généraux, n’avait-on pas attribué à tous les animaux une cavité digestive; à tous les vertébrés un cerveau; à tous les mammifères des corpuscules san- guins circulaires; à tous les mammifères supérieurs, des circonvolutions cérébrales; à tous les carnassiers, des ongles et des molaires plus ou moins tranchantes ? Au- jourd'hui, on ne saurait le nier, autant de ces prétendus caractères généraux (3), autant de rectifications à faire ! Il existe des Mau sans cavité digestive; des yoy A (1) Ce sont les termes mêmes. Pi se sert CUVIER, Recherches sur les ossements fossiles, Discours préliminaire. Voy. 2°édit., 1821, t. f, P: lxiv, ou Discours sur les révolutions du globe, 6° édit., 1830, p. 135. (2) La découverte d'ossements humains fossiles dans diverses ca- | vernes et brèches et dans des terrains meubles, n’a d’ailleurs rien de contraire au grand fait que Cuvier cherchait à démontrer : l'appari- tion tardive de l’homme à la surface du globe. La démonstr ation était inexacte, mais la conclusion subsiste. , (8) On verra par la suite que ces caractères, quoique n "étant plus que presque g généraux, conservent, sous plusieurs points de vue, une très grande valeur. Ce TS e A Pre DES ka PREN sh D nds TEE EA 382 PROLÉGOMÈNES, LIV. II, CHAP. V. vertébrés , les amphioxes (1), sans cerveau ; des mammi- fères, les chameaux et les lamas, à corpuscules sanguins elliptiques ; des primates, des singes même, sans circon- volutions cérébrales; et, sur le même point du globe, il s’est trouvé simultanément deux carnassiers, l’un sans on- gles, l’aonyx, l’autre, à molaires d’édenté, le protèle (2)! Combien d'exemples encore, dans les mêmes branches de la science, et dans toutes les autres! Un volume entier ne suffirait pas à énumérer toutes les généralisa- tions trop hâtivement faites, et sur lesquelles il a fallu revenir. Na C'était là, comme on l’a vu plus haut(3), le grand argu- ment de Cuvier, défenseur, durant la seconde moitié de sa vie, de l'observation exclusive ou presque exclusive : c’est contre cette même doctrine que je l’invoquerai à mon tour. J’essaierai de faire voir qu'où ne saurait nous conduire l'observation seule, on peut parvenir par lem- ploi, heureusement combiné, de l'observation et du rai- sonnement inductif et déductif. | L'induction qui succède à l'observation, n’est d’abord qu'une conséquence isolée, plus ou moins probable, selon (4) Ou plus généralement les myélaires, ainsi que j'ai proposé (dans mon cours de 1852) d'appeler cette dernière classe de vertébrés, dont les amphioxes sont le type, et jusqu'à présent le seul genre connu. (2) Tous deux trouvés dans l'Afrique australe par Delalande. (3) Chap. IT, sect. m et vur. LI pr À # < x “+ 5 + ` DÉMONSTRATION PAR LES RAPPORTS NÉCESSAIRES. 388 le nombre et la valeur des faits dont elle découle. Mais quand plusieurs résultats ont été ainsi obtenus, il peut arriver, il arrive souvent que notre esprit, faisant un effort de plus, saisisse entre eux des rapports, qu'il + - enchaîne, qu’il en compose un ensemble. Ces rapports, dont le réseau, de plus en plus serré, s'étend peu à peu sur la science tout entière, sont de deux genres. Peut-être serait-on fondé à penser qu'ils ne dif- fèrent pas au fond ; mais nous devons les prendre ici pour ce que les montre l’état actuel de nos connaissances. Les uns, et il est trop vrai que ce sont encore aujourd’hui les plus nombreux, sont de simples rapports de coexistence, de succession, ou d’analogie, ou autres encore, dont nous pouvons dire tout au plus : ils sont. Mais il en est aussi que nous concevons Comme étant, non pas seule- ment de coexistence, mais d'harmonie nécessaire, non de simple succession, mais de causalité, et dont nous ar- rivons à dire : ils doivent être. | IL est facile de voir que l’enchaïinement d’un plus ou moins grand nombre de résultats par des rapports de ce second genre, peut leur donner cette probabilité infinie ou presque infinie qu'on a justement appelée la certitude physique. Il suffit, en effet, que quelques notions parti- culières ou générales soient placées au-dessus de tout douté raisonnable, pour qu'on ne puisse douter non plus de toutes les notions qu’on reconnaîtrait nécessairement liées, soit avec les premières, soit avec une de leurs consé- quences rigoureusement déduites. D'où une certitude qui, résultant de raisonnements où la déduction se combine avec l'induction, est manifestement d’un ordre bien supé- 581 PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. V. rieur à eette certitude purement inductive dont il était tout à l'heure question : car, ici, nous ne nous bornons plus à voir, à constater ; nous comprenons, nous savons. Nous concluons, non plus comme la foule de ceux qui, pour avoir quotidiennement assisté au lever du soleil, n'hésitent pas à dire : il se lèvera demain dans telle région du ciel; pas même comme celui qui induirait le même résultat, non seulement de ee qu’il a pu constater par lui- même des milliers de fois, mais de ce qu'ont vu aussi, des milliers de fois, les hommes qui l'ont précédé ; mais comme l’homme instruit qui sait que la terre tourne sur son axe, et que son mouvement de rotation s’accomplit en un jour d'occident en orient. C'est dans des cas analogues qu’il devient permis au na- turaliste d'affirmer, de déclarer telle conséquence non seu- lement probable, mais certaine. Soient deux phénomènes dont le second ne peut exister que comme un effet d’un autre; si, d’une part, je suis sûr de ce rapport de causa- lité, si, de l’autre, j'ai constaté l'effet, je ne puis plus douter de la cause, n’eussé-je pu jusque-là que linduire avec vraisemblance, où même me füt-elle restée complé- tement inconnue. De même, si une espèce, ou plus sim- plement, un individu, a subsisté pendant un certain temps, l'harmonie, par là même constatée, de ses organes entre eux , et aussi de tous avec les circonstances ambiantes, permettra de déduire, des connaissances déjà acquises sur quelques uns, de précieuses notions sur d’autres, du . moins en ce qui concerne leurs conditions essentielles d'existence. C'est ce que fait le naturaliste, lorsque, sur l'examen extérieur d’une espèce nouvellement découverte, D dE n ne iaa TA: F7 a te: a" Ur: US AS - ETS 4 | | EE a A aao AE be a e mza etiaai NE ear pus DÉMONSTRATION PAR LES RAPPORTS NÉCESSAIRES. 385 il dit, en vertu des harmonies nécessaires (4), ce que sont les principaux organes intérieurs; lorsque, par exemple, à la. vue d’un mammifère ou d’un oiseau, il affirme l'existence d’un cœur à quatre cavités, sans _ qu'aucun doute s’élève dans son esprit, et sans qu'aucun zoologiste puisse lui refuser son assentiment. Le droit d'affirmer emporte pour le naturaliste celui de nier. Il n’hésitera pas à dire : Ceci est certainement faux, comme inconciliable avec tel autre résultat certaine- ment vrai; et encore ici, quand il s'agira de causes et d’ef- fets, ou d’harmonies nécessaires, il obtiendra l'adhésion unanime. Qu'un prétendu naturaliste s’avise de chercher un oiseau sans poumons, ou uh mammifère sans cerveau ; il ira de pair, au jugement de tous les hommes instruits, avec le prétendu géomètre qui s’efforcerait de construire un triangle rectangle à côtés égaux. Il y a des impossibi- lités biologiques aussi bien que mathématiques. Répétons-le cependant. Quoi que nous puissions faire, la certitude à laquelle nous arriverons, ne sera toujours que la certitude physique; car la chaine de nos raison- nements, si grande qu'y soit la part de la déduction, a tout au moins, pour premier anneau, un résultat simplement induit. Mais la chaîne n’en est pas moins assez solide, pour que le plus circonspect puisse, selon l'expression de Bossuet, s’y appuyer tout à fait (2). Qui pour- (1) Des harmonies, disons-nous , et non, comme il arrive le plus souvent, des analogies. Nous porterons plus tard notre attention sur celles-ci. (2) Voyez p. 380. — seat faite, bien entendu, des erreurs individuelles de raisonnement. La géométrie, la logique elle-même ne Le 29 386 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. V. rait le contester? En douter même? Un Pyrrhon, un Sextus, ou mieux, un Marphurius. Mais on ne réfute plus Sextus, et il faut laisser Marphurius à Molière. VI. ` N'y a-t-il de certitude possible, en Histoire naturelle, que pour ces deux ordres de résultats : l'induction simple dans le cercle des analogies les plus prochaines, et après un très grand nombre d'observations; et la notion plus complexe, abstraite par induction et déduction des rap- ports nécessaires de causalité ou d'harmonie? Il est clair qu’en partant des rapports de simple succes- sion, de coexistence, d'harmonie, on peut aussi soit induire , soit déduire. Nous devons examiner de quelle valeur seront les nouvelles notions ainsi obtenues. Ces rapports sont-ils, au fond, d'une autre nature que ceux que nous disons nécessaires? N'y aurait-il pas seu- lement entre eux cette différence, que nous nous rendons compte des uns, et point encore des autres? Pour beaucoup de eas, poser cette question, c’est presque la résoudre. Si deux faits se succèdent toujours l’un à l’autre, le rapport de simple succession est bien près de se.changer en un rapport de causalité. De même, le rapport de coexistence, s'il est constant, semble indiquer un rapport sont pas exemptes de cegenre d'erreurs; mais elles y sont bien moins exposées que les sciences biologiques. Nous verrons bientôt comment, dans celles-ci, l'observation peut nous fournir un critérium. pomme th mme mériterait DÉMONSTRATION PAR VOIE ANALOGIQUE. 387 d'harmonie, qu'avec quelques efforts nous découvrirons sans doute. Il en a été ainsi dans une multitude de cas, et ce qui a éu lieu si souvent dans le passé ne peut manquer de se reproduire dans lavenir, et d'autant plus que la science Sera plus perfectionnée. Quant à l'analogie, S'il est clair qu’elle ne peut se con- fondre ni avec une cause, ni avec une harmonie encore méconnue , il peut arriver du moins que des rapports d’analogie s’enchaînent avec d’autres rapports néces- saires, et viennent à participer, par là même, à leur ca- ractère de nécessité. Combien d'exemples, sans parler de ceux que nous trouverons plus fard dans notre propre science, attestent déjà cette possibilité! Pour n’en citer qu'un, et le prendre dans la page la plus glorieuse de l’histoire de l'esprit humain, que savait-on autrefois de la marche des planètes ? On savait, dès les temps les plus re- culés (4), que cette marche est analogue ; que les orbites de tous ces astres sont des courbes du même genre; en d’autres termes, des courbes analogues (2). Pourquoi? On l'ignorait ; et de ces grandes analogies, vingt et un siècles après Philolaüs, les astronomes étaient encore réduits à (1) Philolaüs, qui vivait dans le cinquième siècle. avant notre ère, avait déjà reconnu uniformité des orbites planétaires. Voy. sur l'illustre disciple de Pythagore, le remarquable ouvrage püblié par M. Renouvier, sous le titre modeste de ia de philosophie ancienne , 1844, t. I, p. 200 et suiv. (2) Circulaires, a-t-on dit d’abord. C'est ce que Keppler en a pensé lui-même avant de les supposer ovalaires, et enfin de les démontrer elliptiques, Mais l'analogie était également admise dans ces trois con- ceptions, qui ont.été comme autant de pas vers la vérité, enfin plei- nement obtenue. é i ii % M PONE K ain PEATOED DEA TEA ATE ERRAL CRE TRE N LEE 3 | F i ‘4 mi | | | E i H 280 PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. V. dire, comme nous disons aujourd’hui en Histoire natu- relle : Elles sont. Ils disent maintenant : Elles doivent être, etils en ontle droit; car l’immortel Keppler avait à peine achevé de démontrer ces analogies, que Newton faisait voir en elles autant de conséquences harmoniques et nécessaires d’une même loi générale, la loi suprême qui régit les cieux. Qui pourrait affirmer qu'une semblable révolution s'ac- complira un jour en Histoire naturelle? Qui, surtout, oserait en fixer le moment? Mais aussi, qui oserait dire que ce moment ne viendra jamais? La science des analo- gies organiques, je le prouverai, n’en est plus à Philolaüs : elle en est, ou peu s’en faut, à Keppler. Pourquoi n’aurait-elle pas un jour son Newton? En prévoyant ici l’un des plus grands progrès que puisse accomplir notre science, avons-nous d’ailleurs à attendre sa réalisation, pour faire intervenir légitimement, dans nos raisonnements, les rapports d’analogie? Non, sans nul doute : une autre voie nous est ouverte. Néces- saires ou nom, il est des analogies tellement manifestes que l'esprit le plus difficile ne saurait leur refuser son acquiescement; et, celles-ci admises, il en est d’autres qui s’en déduisent aussitôt avec une probabilité égale à la leur, c’est-à-dire encore, dans un grand nombre de cas, avec une probabilité très grande ou même infinie. Encore une source de certitude physique. Et comment? Pour le comprendre clairement, tour- nons-nous encoreune fois vers les sciences antérieures(1, (4) Chap. I, sect, 11 et nt. DÉMONSTRATION PAR VOIE ANALOGIQUE. 389 à tant d'égards modèles de la nôtre, et ses guides dans la longue route qu elle parcourt après elles. ne | | -U démontre directement, en géométrie, légalité de = deux grandeurs, en les superposant, et en constatant | _ qu’elles coïncident dans toute leur étendue. Il est des ana- logies qui se démontrent par un procédé très exactement comparable à la superposition géométrique, on peut le dire même, par une véritable superposition analogique. il Ce sont celles que nous obtenons en mettant en rapport ne || deux êtres ou deux organes, et en constatant qu’ils se cor- respondent soit dans toutes leurs parties , mode élémen- taire de démonstration qui a été usité de tout temps, soit LE par tous leurs rapports essentiels, mode nouveau intro- | 1" duit dans la science par Geoffroy Saint-Hilaire (1). Que 4 lon compare la main d’un homme à celle d’un enfant k. nouveau-né : comment ne pas voir aussitôt que, n'étant + ni égales, ni semblables, l’une et l’autre sont cepen- 1 dant composées de parties semblablement constituées = et disposées : en un mot, qu'il y a analogie entre elles? E ii Résultat sur lequel on ne saurait avoir plus de doute Eo que sur légalité de deux grandeurs géométriques par- T | tout superposables Gé | ; j. - Tl en sera de même dans une multitude de cas plus ou | p moins simples; par exemple, si l’on compare, à la main de \ 4 l’homme, au lieu de celle de l'enfant, d’une part, celle du | 4 fœtus, de l’autre, celle d’un singe, ou encore la patte d’un 12 (1) En attendant la suite de ce traité, je puis renvoyer à l'exposition E que j'ai déjà faite de la Théorie ou plutôt de la Méthode des analogues, E dans mon ouvrage sur la Vie, les travaux et la doctrine scientifique g |! de Geoffroy Saint-Hilaire, Voy. Chap. VII, t E ENT ET 390 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. V. ours, dégagée des grossiers téguments qui en masquent les rapports ; et je puis même ajouter le pied de la plupart des maminifères, si je tiens compte de toutes les ressources nouvelles qu'offre la Théorie des analogues pour la dé- termination directe analogies aussi certaines, quoique moins frappantes au premier aspect. Mais n’existe-il, en Histoire naturelle, d’autres ana- logies que celles qui peuvent être mises en lumière par une comparaison directe plus ou moins facile? Et, s’il en existe, devons-nous renoncer à les connaître? Ce serait s'arrêter, en géométrie, à ces cas simples où légalité se prouve par superposition, au lieu de nous faire, comme elle, de ceux-ci démontrés , les moyens de démontrer les autres. Son exemple est devant nous, Ssuivons-le; la logique nous y autorise pleinement. Deux quantités, égales à une } troisième, sont égales entre elles : Tel est l’un des axiomes fondamentaux dé la géométrie, et plus généralement des mathématiques , et chacun sait jas čest, de tous, celui dont elles ont tiré le plus de parti. L’algèbre tout entière nen est qu’une suite d'applications. Nous dirons à notre tour : Deux parties, deux organes, T à un troi- sième, sont analogues entre eux. Chacun reconnaîtra que c’est là aussi un axiome; et non pas seulement dans le sens abusif quelquefois donné à ce mot en Histoire naturelle; mais dans son acception vraie, et comme l'entendent les géomètres. Nous ne per- drons done pas plus notre temps à démontrer notre axiome, qu'ils ne lont fait du leur. Nous lapplique- i + | | 5 11 f HE | E HE 414 H LEE ‘4 EE A We air | i A L | 11 112 $ J TE ai i S PE mr) NE 2 8 AS A ol ad ds à AR GA de 25 Le ao re | DÉMONSTRATION PAR VOIE ANALOGIQUE. 394 rons; et les nouveaux rapports d'analogie, que nous dé- duirons, avec son secours, des analogies d’abord consta- -tées par voie de comparaison directe, auront exactement la même valeur logique que celles-ci. D'où la possibilité -de les combiner à leur tour entre elles et avec celles dont elles dérivent, pour obtenir encore de nouvelles con- séquences auxquelles la certitude ne saurait non plus faire défant, si elle existait au point de départ (1). On yerra plus tard jusqu’ où peut conduire cette mé- thode nouvelle et rigoureuse de comparaison indirecte, instituée à côté de cette comparaison directe si long- Sps seule en usage, et condamnée par sa nature même s'arrêter presque partout dès les premiers pas (2). (4) Reprenons ceci sous une autre forme. En mathématiques, lors- qu’on a A=B, B=C, et d'une autre part, G=D, on conclut d’abord A=C, puis A—D. On ne saurait contester que le naturaliste raisonnera semblable- ment, èt avec non moins de rigueur, lorsqu'il dira : A est analogue à B, B l’est à C, et G à D; donc A est analogue à C, et par conséquent aussi à D. Ou en pren à l'aide de notations (le signe ::: exprimant l’analogie) : i j X pie Au, B #10, CH insusnen nik | ‘OU : ; | Matte 143 Az: Bin C: D. dy De l emploi dcs notations que j'indique ici, peut RARS il est facile de le voir, une expression aussi claire que concise de rap- ports très complexes, et même une sorte de calcul des analogies dont la science pourra tirer, par la suite, un parti très avantageux. (2) A ce qu'on peut appeler en général la méthode de comparaison indirecte se rapportent une multitude de tentatives faites, depuis un demi-siècle surtout, pour déterminer les analogies des êtres ou de- quelques uns de leurs organes, à l’aide de moyens termes ou, selon l'expression reçue, de Japi Ces tentatives ont souvent été très heu- { | j À Rep ere ee / PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. V. VII. Quelque assurés que nous puissions être de notre point de départ et de chacun de nos pas, il importe, un résultat obtenu, que nous puissions le contrôler. Tout homme est sujet à l'erreur; cujusvis hominis est errare; et la mé- thode théoriquement la plus parfaite n’est pas, pratique- ment, infaillible. C’est pourquoi le calculateur qui vient de trouver un produit, d'extraire une racine, ne manque pas de faire la preuve. Le marin s’est à peine éloigné de la côte, qu’il fait le point. Peut-on faire la preuve en Histoire naturelle ? Un con- trôle y est-il possible ? | Un contrôle absolu, non; car, pas plus par cette voie indirecte que par la voie directe, nous ne saurions attein- dre à la certitude métaphysique ; mais un contrôle, et . même un double contrôle, d’une très grande valeur. En premier lieu, comme dans les sciences physiques, et surtout comme en mathématiques, il arrive souvent, en Histoire naturelle, que le même résultat puisse être obtenu de plusieurs manières ; et non pas seulement en reuses, quoiqu’on n’agit guère, jusqu’à la Théorie des analogues, que par tâtonnements, et trop souvent sans qu’il fût possible de se rendre compte de la légitimité des rapports premièrement admis, et par con- séquent, de celle des résultats ultérieurement obtenus. Aussi que erreurs ! On en compterait presque autant que de vérités découvertes, que de services rendus ! mnt ai DOUBLE CONTRÔLE. 393 partant des mêmes données, mais à l’aide de données en grande partie ou même totalement différentes. Ces suites d’inductions et de déductions, indépendantes les unes des autres, et n'ayant de commun que leur conséquence , forment, chacune étant déjà d’une grande force par elle- même, un faisceau que rien ne semble plus pouvoir bri- ser. Qui pourrait raisonnablement douter d’un résultat qui, d’abord solidement établi en anatomie comparée, s’est trouyé ressortir aussi, un peu plus tard , d’une part, des faits de la tératologie, de l’autre, de ceux de l’embryo- génie, ou réciproquement? Admirable concours , dont les exemples , depuis Meckel , Geoffroy Saint-Hilaire et M. Serres, sont devenus innombrables (4), et qui n’est pas le dernier terme des progrès déjà réalisés ou possibles dans cette direction : je montrerai, plus d’une fois, d’une part, la physiologie expérimentale, de l'autre ; la patho- logie elle-même, apportant aussi leurs lumières au foyer commun, et toutes ces sciences, satisfaisant ensemble à ce double besoin de notre esprit : da certitude et l'unité. . Ces multiples et réciproques contre - -épreuves d une ar et d’une science par une autre, si imposante que soit leur autorité, laissent pourtant place, après elles, à une vérification. plus décisive encore; et celle-ci, qui d’ailleurs est souvent la seule possible, pat: un dernier appel aux faits. y | L'observation est le point de dénert de tous nos raison- nements; c'est à elle aussi qu’ils doivent aboutir; ; mais à a) J'en ai exposé ou indiqué E centaines dans les Do volumes. de mon Histoire générale des anomalies. g L. ei: S 25, D A le mn bn AR are Sp ©" © Der es T A E puta Aaaa sain A ne O a aa ataa. E EE 3 Aa = Do Lou ro dhadi aa aaa a Ga i. Q iin n RER PONDE NENEA 591 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. V., elle, chargée maintenant, et principalement sous sa forme expérimentale, d'un rôle nouveau, de la solution de ques- tions nouvelles. Répéter les observations dont on est parti, ce ne serait toujours, le fit-on à l'infini, que s’assu- rer du point de départ : c’est au terme de la route qu'il faut placer les vérifications. Or, il y en aura autant de possibles que le résultat obtenu pourra fournir de consé- quences générales, secondaires ou particulières, suscep- tibles d’être contrôlées par les faits. Si ces conséquences sont toutes reconnues vraies, si nos prévisions logiques se justifient constamment, si la nature nous montre maté- riellement réalisés tous les faits dont nous venions de faire, pour ainsi dire, la découverte virtuelle, le résultat dont ils dérivent, est manifestement-confirmé et mis hors de doute ; sinon, infirmé. L'Histoire naturelle a aussi ses démonstrations négatives par la réduction à l'absurde. Les règles ordinaires de la logique trouvent d’ailleurs ici leur application. A peine est-il besoin d'ajouter que l'erreur d’une ou de quelques unes des conséquences ne prouvé nullement la fausseté de toutes les notions anté- rieures, et la nécessité de les rejeter, sans distinction , de la science. On mabat pas un arbre, parce qu'il porte une branche morte; on le taille. Dans une longue chaîne d'in- ductions et de déductions , il peut suffire de changer un anneau pour rattacher solidement aux faits de lointaines conséquences dont on s'était d’abord écarté. Réciproquement, la vérification elle-même de toutes les conséquences obtenues, de toutes les prévisions légi- times de notre esprit, ne démontre pas absolument la vérité des notions, à l’aide desquelles on y est arrivé. DOUBLE CONTRÔLE. | 995 A la rigueur, une notion vraie peut résulter de prémisses fausses. Une erreur parfois en annulle une autre. Mais ces cas exceptionnels dont la vieille scolastique s'est tant préoccupée , intéressent peu la vraie science, et ils n’empêcheront aucun esprit droit de s'arrêter à cette conclusion : | Quand d’une notion théorique, ARAPA e, établie, on ne peut tirer que des conséquences conformes à la réalité des phénomènes ; quand les prévisions auxquelles elles nous conduisent légitimement, se justifient toutes, et ne sont que les faits eux-mêmes, vus des yeux de l'esprit avant de l'être de ceux du corps, nous sommes en droit de dire : la certitude nous est acquise, et nous en avons le critérium. | A qui ne suffirait-il pas? Nier ici, ce serait, les bé matiques exceptées, nier partout; nier en physique, en astronomie, comme en Histoire naturelle. Qu'on ne s'y trompe pas : où le calcul peut efficacement intervenir, les résultats sont, sans doute , beaucoup plus rapidement obtenus ; ils sont susceptibles de plus de précision, mieux enchaînés, et plus satisfaisants pour notre esprit; mais la route par laquelle-on est parvenu à ces résultats n’en change pas le caractère : on ne’ possède toujours que la certitude physique, et pour crüérium , la parfaite concordance de toutes nos déductions avec la réalité des phénomènes. Le prineipe lui-même de la gravita- tion universelle, cette clef de voûte de la philosophie naturelle, n’échapperait pas à la logique faussement rigou- reuse qui ne se contenterait pas de ce genre de preuves. Pour s'être servi de la géométrie dans la démonstration émis aaar ri spé credo He RE tie ST Tee 1! 1 4 4 1 i 9396 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. V. de cette vérité sublime, Newton ne l’a pas rendue géomé- trique; elle ne l’est que par l'expression ou la forme, non par le fond. Mais, par elle, ce qu’on savait, s’ex- plique, et ce qu’on ne savait pas, se déduit; les problèmes regardés comme les plus insolubles, se résolvent de la manière la plus satisfaisante; les astres les plus rebelles se laissent eux-mêmes dompter (1); et l’ordre règne dans les cieux. Et c’est pourquoi on ne dit plus, comme autre- fois Newton lui-même, l’hypothèse, mais la loi de New- ton; la loi des lois, régulatrice de tous les astres connus et inconnus de notre système, et plus générale encore ; si bien qu’on peut presque aujourd’hui lui appliquer ces paroles hardies de Descartes sur les lois fondamentales dè la nature : « Encore que Dieu aurait créé plusieurs mondes, » il n’y en saurait avoir aucun où elles manquassent d’être » observées (2). » (1) Expression de FONTENELLE dans un passage de l’ Éloge de Newton, où l’auteur traduit, ou plutot imite, deux vers de l’illustre astronome Halley. | (2) Discours de la Méthode, cinquième partie, édit. de 1668, p. 48; et dans les Œuvres, édit. de M. Cousin, t. I, p. 170. | re ol Rae Er AE Al he D. da 2 ne MS à M M à à de a em 2 arm die — entres ais dite «1 3e + i Par à g ‘at 3 e $r 2, f Á š E ; į r s + Là UNE RPAIU NII APRISSISSSI III AISSSINNIISININIIIINININNNI VY é. À / 1 | i å 1; CHAPITRE VI. Pi | | + {+ > r a j \ z 4 f +” DES PRINCIPALES MÉTHODES DE DÉCOUVERTE y ET DE DÉMONSTRATION EN HISTOIRE NATURELLE. 4 | 1 É f PES: 4 | à i SOMMAIRE, — I. Décomposition de la méthode générale des sciences biologiques en méthodes i 3 À 1 f F partielles. — II. Méthode synthétique par division. —IM. Méthode par ordination sériale, , f Al! | ; ou, par abréviation, méthode sériale. — IV. Méthode par coordination parallélique, ou, | p | par abréviation, méthode parallélique. — V. Emploi de la méthode parallélique pour < $ LE . l'éxpression des rapports naturels des êtres, Classification par séries parallèles ou classi- :; M | T parallélique. — VI. Emploi de la méthode hitii considérée comme . 1 g | | _ méthode inventive. 4. =. k J k pa 54 j į A z 1 + } F ; 1 : I. ; = # t i è + à A SYA un point de vue général et philosophique, la mé- thode est une comme la science : elle est l’ensemble de nos moyens de connaitre, comme celle-ci l ensemble de | # nos connaissances raisonnées (1). Mais de même que la | science se partage en sciences partielles de plusieurs | ordies (2), la méthode, philosophiquement une, se dé- ig compose en méthodes partielles, telles que la méthode ma- | s thématique, la méthode expérimentale, lainéthode dite Eo des naturalistes; méthodes divisibles et subdivisibles à | 14 leur tour en méthodes plus particulières, dont chacune n’en E. reste pas moins , dans la sphère de plus en plus restreinte LP ET M Sak he. (4) Prolégomènes, Liv. 1, Chap. I, sect. t. (2) Ibid., sect, rt. è 998 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. VI. de ses applications , l’art de bien conduire sa raison et de chercher la vérité dans les sciences (1). De là, autorisé par la logique, et consacré par l'usage, l'emploi habituel du mot Méthode, pour indiquer tout à la fois ces règles, ces procédés généraux de notre esprit qui se retrouvent dans toute recherche scientifique, et qu'a si admirablement résumés Descartes dans son immortel Discours, et ces moyens divers de découvrir ou de démontrer, dont dis- pose spécialement chaque science ; absolument comme il est, dans presque toutes les langues, un nom commun à la route magnifique, menée, à travers une vaste contrée, d'une frontière à l’autre, et à l'humble sentier qui relie deux hameaux voisins. | . C’est à ce point de vue que je me suis cru fondé, d’une part, comme je l’ai fait, à ramener la méthode des sciences biologiques, prise dans son ensemble, à la méthode géné- rale, commune à toutes lès sciences avancées; et de lau- tre, ainsi que je vais le faire maintenant, à considérer cette même méthode biologique comme décomposable en mé- thodes partielles, les unes principalement inventives, d’autres démonstratives, d’autres encore mixtes, qui, tour à tour se suppléant ou se complétant, concourent , à des litres et à des degrés divers, et chacune par ses moyens propres, à l’œuvre commune, l'institution de la science. Ce sont les principales de ces méthodes partielles qui vont faire le sujet de ce Chapitre. J'en exposerai dès à présent le plan et les avantages. Si je n'ignore pas que ces méthodes ne peuvent être complétement appréciées (4) DESCARTES, titre du Discours de la méthode. ” MÉTHODES PARTIELLES. 399 | f indépendamment des applications qui en seront faites À de” plus tard , je sais aussi qu’il importe, pour donner toute A == leur valeur à ces applications elles-mêmes, de les avoir | p _ préparées , dès ces Prolégomènes, par quelques remar- Jj ques générales. On ne connaît bien qu’ à luser le parti 1 k à qu'on peut tirer des instruments ou des armes dont on R dispose; mais encore est-il bon d'en faire la revue avant "de s'engager dans une lutte difficile. Fr + ti h E ae” Cette revue, je n ’essaierai pourtant pas de la faire ici | f complète. Laissant aux traités de logique ce qui est d'une | A application générale à à tous les travaux de l'esprit, je ren- À verrai à la suite de cet ouvrage tout ce qui ne s'étend pas | jat -À l’ensemble de notre science. Comment, quand je le b 4 = youdrais, traiter ici de la Méthode naturelle , à laquelle se rattache, par excellence, le nom des Jussieu (1), et de la Méthode des analogues , œuvre propre de Geoffroy 1 | Saint-Hilaire (2)? Clefs, l’une de la zoologie et de la bota- n H E nique descriptives (3), Tautre de l'anatomie comparée | : et de anatomie philosophique, on ne saurait ni les juger, ni même les comprendre, sans une étude préalable et a approfondie, d'une part, des rapports naturels des êtres ; de l’autre, des conditions d'existence et des rapports essentiels des organes et des éléments organiques. Et S'il en est ainsi de ces deux grandes méthodes, par les- - (1) Voyez l'Introduction historique, p. 89. J (2) Voyez Vie, travaux et doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire, chap. VII, sect. rt et IV. (3) Et longtemps considérée comme la méthode par excellence. | Voyez l'introduction du second livre des Prolégomènes , p. 267 et 268. aN E = : 4 f 1 {11 ai EITE E E ER sou i a A e-< a MR li es pre dure pu. db ai th blé ns 258 ià adii ” n aditi ' «à NE iE aie dé ao » bn és PE pers 100 PROLÉGOMÈNES , LIV, 11, CHAP. VI. quelles plusieurs branches de l'Histoire naturelle ont fait des progrès si décisifs qu'ils ont été ressentis par la science tout entière, comment wen serait-il pas de même des autres méthodes partielles; de celles dont l'application se limite, non plus à une ou plusieurs branches de la science, mais, dans une branche, à quel- ques questions d’un ordre déterminé, parfois à une seule ? Réservons pour l’histoire de chacune de ces ques- tions, la recherche des moyens particuliers à l’aide des- quels elle peut être résolue, et dont la connaissance, en effet, est inséparable de celle de la nature propre des phénomènes qu’il s’agit de pénétrer, et des difficultés dont il faut triompher. Rien, au contraire, ne s'oppose à ce que je donne place dans ces Prolégomènes à trois méthodes d’un ordre assez général pour que leurs applications s'étendent, à mesure qu'elles seront bien comprises, à toutes les branches de la science, et exercent sur leurs progrès l'influence la plus marquée. Telles sont la Méthode sériale, depuis longtemps en usage parmi les naturalistes, mais incom- plétement, et trop souvent à contre-sens ; la Méthode pa- rallélique, tout récemment introduite dans la science, et la Méthode synthétique par division qui, bien qu’on puisse citer quelques anciens et heureux exemples de son emploi, n’est guère moins nouvelle : les deux premières, intimement liées entre elles, et ayant pour caractère com- mun, en Coordonnant la science, de l’enrichir de faits nouveaux ; Celle-ci, fort différente, à laquelle appartient, par excellence, la recherche et la découverte des lois bio- logiques. _ 5 MÉTHODE SYNTHÉTIQUE PAR DIVISION. LOT Les développements dans lesquels il sera nécessaire d'entrer sur ces trois méthodes, à mesure que nous avan- cerons dans nos études, sont loin de rendre ici inutile un premier exposé général, destiné à servir de lien entre toutes les applications partielles, disséminées dans la suite de cet ouvrage. Essayons de leur donner ici une base commune. Aller au delà, ce serait peut-être franchir les limites de ces chapitres seulement préliminaires ; rester en deçà, ce serait assurément ne pas les avoir atteintes. PR IL La Méthode synthétique par division n’est pas celle dont les applications seront les plus nombreuses; mais elle se place au premier rang par leur importance. Comme l'indique le nom sous lequel je l’ai désignée (4), diviser est ici le moyen; réunir est le but. | L'immense extension que la science a prise depuis un siècle, et qu elle prend chaque jour encore, y rend de plus en plus nécessaire cette division du travail que nous : (4) En 1847, et depuis, dans plusieurs de mes cours. J'avais formulé cette méthode, j'avais même commencé à l'appli- quer dès 1834, mais sans la dénommer, dans mes Recherches sur les variations de la taille chez les animaux. Voyez le recueil des Mémoires de l’Académie des sciences, Savants étrangers, t. II, 1832, p: 503, et mes Essais de zoologie générale, 1841, p. 331. Je montrerai par la suite que Buffon et mon père, sans avoir conçu dans son ensemble ce que j'appelle la Méthode synthétique par division, l'ont très heureusement pratiquée dans a. cas par- ticuliers. } L 26 | Hi 14 [i aadi aaee ans A o a Da LA A EIE EEEIEE S. ri k 402 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. VI. avons vu s’y produire dès la lin du xvn® siècle, comme une conséquence des progrès antérieurs, et comme la source féconde de progrès nouveaux (1). Jusqu'où elle est aujourd'hui portée, chacun le sait : jusqu’au fractionne- ment, jusqu'au morcellement le plus extrême, surtout en ce qui concerne l'Histoire naturelle descriptive (2). Si, plus haut, lunité de la science subsiste, s’il n’est pas un vrai naturaliste dont les connaissances générales ne s'é- (1) Introduction historique, p. 62 et suiv., et Résumé, p. 124. (2) Chaque branche de l'Histoire naturelle, et plus généralement des sciences biologiques, est devenue, dans notre siècle, comme une science distincte, spécialement et séparément cultivée. Ainsi que je le faisais remarquer il y a vingt ans, « c’est à peine si, parmi les naturalistes dis- tingués de notre époque, on peut en compter quelques uns dont les re- cherchess’étendent à l’ensemble du règne végétal ou du règne animal. On ne cultive plus véritablement la zoologie, mais seulement l’ornithologie, l'histoire naturelle des mammifères, l'ichthyologie, ou quelque autre division de la science; encore est-il une de ses branches, l’entomo- logie, dont il est devenu nécessaire de subdiviser immense étendue. Comment pourrait-il en être autrement, lorsqu'il est tel ordre, celui des coléoptères, par exemple, qui comprend à lui seul plusieurs milliers de genres, presque tous composés eux-mêmes de nombreuses espèces !... Qui ne conçoit l'immense difficulté de saisir, au milieu de cette diversité presque infinie, quelques uns de ces aperçus philoso- phiques dont chacun lie entre eux et résume en lui une multitude de faits spéciaux, semblable à ces formules aigébriques où se trouve à la fois, sous une forme simple et générale, la solution de tant de cas particuliers ? » Mémoire cité, Introduction. | La division de la science a encore eu lieu d’une autre manière. Par exemple, l'anatomie est devenue une science distincte de la physiolo- gie; et, en outre, la première s’est fractionnée à mesure qu’elle s’est enrichie. Il est aujourd'hui à peu près impossible d'embrasser dans de communes études l'immense étendue de l'anatomie comparée, de l'embryogénie, de la tératologie, de l’anatomie pathologique, de l'anatomie générale et de l'anatomie philosophique. G MÉTHODE SYNTHÉTIQUE PAR DIVISION. 08 5 Eà mere ET tendent à la totalité des êtres organisés, chacun a dù se spé- cialiser pour l'étude des faits de détail, et il se tient pour satisfait ši, dans cet ordre de recherches, il est parvenu - à se rendre maître d’une ou de quelques parties de l'im- _mense ensemble. L'ambition d’un naturaliste, fùt-il un Gésner, fût-il un Linné, ne saurait ici prétendre davan- tage; on iest plus universel dans notre science, on ne peut plus l'être, qu'à là condition d'y avoir tout effleuré, rien approfondi. Ne savons-nous pas que la vie la plus pleine et la plus laborieuse com pte moins d'heures de tra- vail qu’on ne connaît aujourd’hui d'êtres organisés (4)? Comment concilier la nécessité où nous sommes, d’une part, de borner nos études spéciales à un nombre rela- tivement très petit de faits particuliers, de Pautre, de les ċomprendre tous dans de communes généralités : ?Alaidé - de la Méthode synthétique par division, combinaison de deux procédés logiques, l’un décomposant les questions qu'il s’agit de résoudre, l’autre les rire après de premières solutions partielles. Le premier n’est qu'une des formes ordinaires et les plus connues de l'analyse. Décomposer un problème trop complexe en plusieurs plus simples, délier le faisceau qu'on ne saurait rompre dans son entier, c’est ce qu’on fait, à chaque instant, non seulement dans toutes lês sciences, mais dans tous les travaux difficiles de l'esprit et du corps. Divide ut vincas : cette maxime des tacticiens n’est rien moins que propre à leur art : elle est d’une application universelle. ES (4) Chap. V, sect. r n ES s PA L c bedii F z e RS S RÉ i és Sore TS a A dé P n: v araa Abe Ph rm ré kO! PROLÉGOMÈNES, LIV. H, CHAP. VI. . Appliquons-la done aussi àla recherche des généralités et des lois en Histoire naturelle. Sachonsrenoncer d’abord, pour mieux y parvenir ensuite, à la connaissance des lois zoologiques ou botaniques, à plus forte raison biologiques: car nul d’entre nous ne possède tous les ordres de faits que doit embrasser chacune d'elles, et les connût-on, quel regard serait assez vaste pour les embrasser dans le même: instant, assez perçant pour en saisir le lien secret? Quel effort assez puissant pour ramener au foyer commun tous ces rayons dispersés? Ne tenions pas l'impossible, et Pimpossible, c’est ici la solution complète directement obtenue : on ne voit que dans la fable Minerve sortir tout armée du cerveau de Jupiter. Ne prétendons pas aller vite, mais faisons en sorte d'aller sûrement. Chacun dans le cercle de nos connaissances spéciales, sur le terrain que l'étude nous a rendu familier, mammalogisies, orni- thologistes, entomologistes, botanistes livrés à l'étude de tel embranchement, de telle classe ou même de telle famille végétale, essayons seulement d’enchainer les faits d’un même ordre, ceux dont de longues études nous ont rendus maitres ; de déterminer leurs rapports, de décou- vrir les lois partielles qui les régissent ; de démontrer ces lois, et d'en donner une expression aussi générale que le comporte ce degré de recherche. Premiers résultats, d’une grande valeur par eux- mêmes (1) ; bien plus précieux encore par les conséquences générales dont ils peuvent nous ouvrir l'accès. (4) Fût-il impossible d'aller au delà, ce qui a parfois lieu. Il est des généralités partielles qui restent sans application en dehors de tel ordre de faits ou de tel groupe zoologique ou botanique. MÉTHODE SYNTHÉTIQUE PAR DIVISION. 405 Comment franchir maintenant les limites dans les- quelles nous nous tenions d’abord renfermés? A lana- lyse, nous avons fait succéder une synthèse partielle : par quel procédé logique nous élever de celle-ci à la synthèse générale? Faudra-t-il, pour chaque généralisation nouvelle, recommencer l'effort d'esprit et d'invention nécessaires pour nous mettre en possession de notre première loi par- tielle? Non, il n’est plus besoin de découvrir; la décou- verte se trouve faite, pour ainsi dire, une fois pour toutes; il ne s’agit plus que d'en étendre l'application aux autres groupes, aux autres ordres de faits. Dirons-nous cette seconde partie de notre tàche exempte de difficultés? Non, sans doute; en Histoire naturelle, tout est complexe, tout est difficile. Mais les difficultés principales sont apla- nies; et le reste de la solution n’exigera plus cet effort créateur dont si peu d'esprits sont capables. Tout peut se réduire maintenant à un simple travail de vérification. J) suffira , en effet, d’examiner successivement, pour chaque groupe ou ordre de faits, si la loi ailleurs connue est ici applicable; ce qui revient à répondre par oui ou par non à une question , à l'avance nettement posée. Sur un terrain ainsi préparé, comment celui qui a fait le premier pas, le plus difficile, ne réussirait-il pas à en faire d’autres? En dehors du cercle de ses études spé- ciales, il a , pour s’éclairer, la lumière que lui-même a fait jaillir de celles-ci. Il a d’ailleurs ouvert la voie à tous, et au besoin, les diverses synthèses partielles dont la syn- thèse générale doit finalement résulter, peuvent être obte- nues, comme elles ont été préparées, par une division bien entendue du travail. / - sa manie, Em nel sy aen ne de aa Š ù P Jai ones urban té 3: T ne ji ss RE mr rer ~ mare ar cyan eames pina i a È aaa a latt ia au ju emma PRIRENT REP MENT I RE p E en \ |: 2 A ere ne e h06 PROLÉGOMÈNES, LiŸ. ii, CHA. Vi. Telle est la Méthode sy gt par division. m la ré- süme ainsi : Décomposer lë problème; découvrir sur ün point, le plus favorable à la découverte (1); substituer, sur tous les autres, à l'invention la Simple constatation d’un résultat prévu, ët parvenir ainsi, par une Suite de synthèsés partielles, à cetté synthèse générale qui, directement cherchée, nous fût restée inaccessible. HI. Remplacer l'invention proprement dite, par la simple constatation d'un résultat prévu, tel est encore lun des caractères et l’un des avantages principaux de la Méthode par ordination sériale, ou plus simplement , Méthode sériale. Mais, dans la plupart des cas, ce que celle-ci nous fait prévoir, ce sont, non plus des résultats généraux, des lois, mais des résull ats particuliers , principalement des faits, dont la réalité est ensuite soumise au contrôle de l’observation ou de l'expérience. _ Qu'est-ce qu’ une série? C’est, dans les sciences s qui ont seien ea (4) Ce point plus favorable se trouvera souvent, pour la zoologiè, dans les degrés inférieurs de l’animalité, en raison de la simplicité de l'organisation et des phénomènes; mais souvent aussi, plus souvent même, on devra le chercher à l'extrémité opposée du règne animal, c'est-à-dire parmi les êtres, non les plus simples, mais les mieux con- nus. C’est chez les mammifères que Buffon a d’abord recherché les lois de la distribution géographique des animaux. C'est par l'étude des vértébrés, et d’abord par leur étude ostéologique, que mon père a commencé la démonstration de l'unité de composition organique. a is AE re CE TS Sa = = | Í 5s d j E$ : JE | £ $ x 1 t } 1 d » 1i 1 N 13 ; Î \ f; MA A 1 Io F | i igi f ‘l H 1 1 14 d LE] : Í i } 1 4 # 1 1 f ig f ii É. 10 TS h i. i E ES if W) 111 + (0 | | ii i E 1 BEL | LE $ $ E S il (| i Re | t mt 1 | E. GE x T) p 1621 mt H i À À ii HA { (PE < i | | $ } f i E c} | ca d k e ti r 4 ati à S | 111 4 i | ! «| Ç 1 3 F | SE 2 | . E) f À i b F À | j | i| X 3 À LE d à. f À. | MÉTHODE. SÉRIALE. sil 407 les premières employé ce mot, «une suite de GAROU » qui croissent ou décroissent suivant une certaine lot ; > et, en dehors des mathématiques, définition très orme où rentre la précédente, une suite de termes ordonnés suivant une certaine loi. Dans les cas les plus simples, chaque terme est à celui qui lui succède, à son conséquent, comme est, à lui-même, son antécédent, Dans d’autres, les relations entre les divers termes sont plus compli- quées , mais telles encore que les variations d’une extré- mité à l’autre de la série ont toutes lieu dans le même sens. Dans d’autres encore, le sens des variations change à uné ou même à plusieurs reprises, la série revenant, pour ainsi dire, Sur elle-même, et son développement raz menant des termes plus ou moins analogues à ceux par lesquels elle avait commencé. | | Afin de ne laisser aucune obscurité sur les préli- minaires d’un sujet parfois difficile, citons immédia- tement, pour ces {rois formes de séries, quelques exem- ples, pris parmi les plus élémentaires : pour la pr emière, la suite des nombres entiers, celle des puissances suc- cessives d’un de ces nombres, ou toute autre progression soit arithmétique, soit géométrique; pour la seconde, la suite des carrés ou des cubes des nombres entiers et po- sitifs; pour la troisième, celle des distances de chacun des points d’une demi-circonférence au diamètre, ou des durées des jours durant le cours d’une année, ou encore, pour recourir à une Comparaison vulgaire, mais exacte, celle des longueurs des échelons dans une échelle double. Dans ces derniers exemples, au lieu de la demi-circonfé- rence, considérons séparément les deux arcs de 90 degrés À SE T Re S re mmen umempa cer i K i k p LE i |: E $ |: j- e en Fa fi 4 | $ Bt | J {: à chats ” ahan k EE ET PO PTE DE T dai ai da te eoan AVES gts SR EARE ei mina Pre E aa 4 h08 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. VI. dont elle se compose; de même, divisons l’année en deux périodes de six mois, s'étendant d’un solstiée à l’autre ; séparons l’échelle double en deux échelles simples : il est clair que les distances, les durées des jours, les longueurs des échelons seront toutes croissantes dans Pun de ces ares, l’une de ces périodes, l’une de ces échelles simples; toutes décroissantes, au contraire, dans l’autre. Dé- composition possible, sinon facile, dans tous les cas analogues; ce qui nous dispensera de nous occuper ici séparément des séries successivement croissantes et décroissantes, progressives et rétrogrades. Ainsi entendu dans son sens le plus général, le mot série, comme l’idée qu'il exprime, a depuis longtemps passé en Histoire naturelle, et il y est de nos jours aussi usité que dans les mathématiques elles-mêmes. Tous les êtres organisés peuvent-ils être disposés dans un ordre sérial? La série naturelle, si elle existe, et si elle est unique, est-elle continue, ou présente-t-elle des solu- tions de continuité? S'il y a plusieurs séries, sont-elles ramifiées, entre-croisées, parallèles? Il suffit de rappeler ici ces questions si fondamentales, et, de nos jours encore, tant débattues, pour faire préjuger toute limpor- tance de la Méthode sériale, appliquée à l'expression des affinités des êtres. C’est par elle seule que nos classifica- tions peuvent, en restant naturelles, devenir exactes. Elle fournit d’ailleurs un si grand nombre d’autres ap- plications , et à des sujets si variés, qu'il n’est pas une branche de la science où elle ne puisse trouver son em- ploi utile. En anatomie comparée, n’avons-nous pas chez les animaux, et plus manifestement encore, chez les MÉTHODE SÉRIALE. - 409 végétaux, des; suites soit d'organes, soit d'appareils | | organiques plus ou moins complexes, modifiés des pre- miers aux derniers dans leurs dimensions, leur disposi- tion, leur structure, de manière à nous faire suivre, degré par degré, l'accroissement ou le décroissement , le perfectionnement ou la dégradation d'un même type? En géographie biologique , à la série des climats qui se Suc- cèdent de la zone équatoriale aux régions polaires, ne voit-on pas correspondre, pour les espèces dont la dis- tribution géographique est très étendue, une suite corré- Jative de modifications, notamment en ce qui concerne les caractères extérieurs et la taille? Et pour citer un exemple plus remarquable encore, pour le prendre dans la tératologie elle-même, les divers degrés d’anomalie ne se succèdent-ils pas, pour certains organes, ou même pour l’ensemble de l’organisation, de manière à repré- senter des suites de termes, parfois si régulièrement ordonnés qu'on. pourrait dire l'échelle tératologique, comme on a dif si longtemps, comme on dit encore l'échelle animale (1)? i ama Re = TE SAR D ES TERESA nr RTE ee a r PRES Al E if H (£) Ce dernier exemple est pris dans un ordre de faits, avec lequel beaucoup de naturalistes sont encore peu familiers ; mais je ne pou- vais passer SOUS silence Ja possibilité, aujourd'hui complétement dé- montrée, d'appliquer aux monstres eux-mêmes les idées de série, de . progression régulière, d'or dre hiérarchique. Pour citer un exemple propré à mettre en lumière ce résultat capital des recherches mo- dernes, là série tératologique, établie d’après les principes des classifi- cations zoologiques et botaniques, est naturelle, à ce point que le rang de chaque groupe dans la classification, en d’autres termes, son rang sérial, se trouve exprimer ayec uile grande précision len- semble des conditions d'existence des êtres que comprend ce groupe, et particulièrement , leur degré de viabilité. La concordance, à ce $. = 26. RE ne ce die ES: à di EENE RUE te RS EN AET E E ETT EN: TORETE ini e a e a a ie US Lo a rasis iniaa A h40 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. VI. Que sont ces suites graduées de formes biologiques, de modifications climatologiques, de variations organiques, sinon des séries, dans le vrai sens de ce mot? Et mest-il pas clair qu'autant de séries, autant d'applications de la Méthode sériale ? Ces applications se ramènent toutes à ceci : conclure dans une série, des termes bien connus, à ceux dont la connaissance est encore imparfaite (1), en vertu des rap- ports ‘qui relient plus ou moins manifestement les uns avec les autres, comme autant de degrés suecessifs d’un même type ou d’un même ensemble de phénomènes, comme autant de chainons de la même chaîne, d'échelons de la même échelle. Procédé logique, d’où résulte lavan- tage, dès qu’un certain nombre de faits ont été constatés, de les utiliser doublement; d’en obtenir, outre leurs con- séquences directes, d’autres indirectes, seulement analo- giques, mais souvent d’une très grande probabilité. Comme toute méthode, comme tout instrument de l'esprit aussi bien que du corps, la Méthode sériale mal dernier point de vue, est surtout très manifeste à l'égard des monstres unitaires. Ceux qui forment la tête de la série, c’est-à-dire, tous les types de la première famille, peuvent vivre des années, et même atteindre l’âge adulte. Les suivants peuvent vivre des jours ou des heures; ceux qui viennent plus bas dans l’ordre sérial, des minutes seulement. Plus bas encore sont des monstres qui meurent en naissant, et en dernier lieu, d’autres qui ne naissent méme pas au monde extérieur. Voyez mon Histoire générale et particulière des anomalies, i. HI, p. 367; 1856. | (1) Parfois à des termes encore inconnus et qu'il devient possible de prévoir. Je pourrais citer des exemples de types zoologiques ,et même tératologiques, annoncés et caractérisés à l'avance à l’aide de la méthode sériale, et qui plus tard se sont présentés à l'observation tels qu'ils avaient été prévus. MÉTHÔDE SÉRIALE,. hit comprise, mal appliquée (4), a ses dangers. A quels résultats absurdes ne serait-on pas conduit, si l’on ve- nait à assimiler aux vraies séries de simples suites de termes non régulièrement ordonnés ? Et où les premières elles-mêmes ne conduiraient-elles pas, si l’on venait à prendre une série successivement croissante et décrois- sante, progressive et rétrograde, pour une série unifor- mément croissante ou décroissante (2)? Ou si une série (4) Et surtout appliquée à des sciences peu avancées et non encore revêtues du caractère positif. On s’est hâté d'appliquer la méthode sériale à l’histoire et à l’économie politique. Pour quelques admirables travaux, que d'erreurs! Ne rendons pas la méthode responsable de Pabus qu'on en a fait. (2) On s’exposerait alors à conclure, comme celui qui, ayant vu les jours croître depuis le solstice d’ hiver, jugerait qu’ils doivent croître encore après le solstice d'été. Il en est, du reste, presque toujours des séries successivement progressives et rétrogrades, comme de cet exemple, où un observa- teur attentif, ignorât-il complétement les causes de l'accroissement et du décroissement des jours, se mettrait facilement à l'abri du genre d'erreurs que je signale ici. A l'approche du moment où la série, de croissante qu'elle était, va devenir décroissante, 6 réciproquement, les variations d'un terme à l'autre deviennent i faibles. C’est comme un temps d'arrêt entre deux mouvements con- traires. Cetemps d'arrét s'observe presque toujours en biologie aussi bien que dans les autres sciences. Je citerai comme exemple une série fort simple, en raison du petit nombre de termes dont elle se compose, la série des âges, et je lindiquerai ici telle que je l ai donnée piers fois dans mes cours depuis 4846. | Dans cette série, il y a d’abord ascendance ou progrès plus ou moins rapide, puis état stationnaire, puis marche rétrograde ou déclin. Essayons d'exprimer avec précision ces faits qui nous sont à tous fa- miliers, et de définir chaque âge physiologiquement. y La période ascendante comprend trois termes, caractérisés, le pre- mier, ou la première enfance (infantia), par un seul ordre de fonc- Le ur conne i s a z - si | LE P Al i EE E l 111 fl si À 1E) PE IEE El Ai | 11 1 l \ E EL 4 1 114 | j BE F| H $i i | ‘1 | $ T n jdi 1411 Pi i h12 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. VI. iétait pas composée de termes tous homogènes, c'est-à- dire de même nature, et aussi, du même degré de géné- rälité; par exemple, dans l’application de la Méthode sé- riale à là classification, d'espèces toutes dù même genre, de genres tous de la même faille, de familles toütes du même ordre, et ainsi de suite (4)? Où même encore, la série étant régulièrement composée et ordonnée, si l’on préten- tait y conclure, de quelques termes, seuls bien étudiés, à un grand nombre encore mal connus, ou si l’on dépassait de toute autre manière le cercle des conséquences légitimes(2)? tions, nutrition; le second, l'enfance (pueritia); par deux, nutrition et relation ; le troisième, l'adolescence ou la première jeunesse ; par trois, nutrition, relation, reproduction. H y a aussi trois termes dans la période descendante; termes inver- sement caractérisés : le premier, l'âge mûr, ou mieux le premier déclin; par les trois ordres de fonctions; le second, la vieillesse, par deux, nutrition et relation; le troisième et dernier, la décrépitude, par un seul, la nutrition, qui survit aux autres fonctions comme elle les avait précédées. | Entre ces deux portions de la série, ou ces deux séries partielles, sy- métriquement croissante et décroissante, est la virilité, caractérisée par le développement complet de l'être et le plein exercice de ses fonctions : summum, apogée de la vie, où homme semble s'arrêter quelques an- nées, entre le moment où il atteint, et celui où il va en descendre. (4) On verra bientôt que les relations plus complexes qui échappent a la méthode sériale, peuvent donner lieu à l'emploi d’autres pro- cédés logiques. | - (2) Une des exagérations, un des abus de la méthode sériale, auquel les auteurs se sont le plus souvent laissé entrainer, est celui qui dérive du raisonnement suivant : Tel caractère, tel organe, telle fonction ont été constatés dans un groupe B; tel être appartient à un groupe A, supé- rieur au précédent ; done, à plus forte raison, cet être doit posséder cé même caractère, ce même organe, celte même fonction. Citons, entre cent exemples, cette fausse application de la méthode sériale, en vertu de laquelle un physiologiste distingué niait si énergiquement, il y a quel- MÉTHODE SÉRIALE. š hi8 aè _ L'analogie est un guidé sûr, a-t- on dit (4) j, mais pour lès esprits sages ; et dans tous les cas, elle ni 'est qu'un guide; elle indique, elle tie prouve pas. Ne demandons pas ques années, les résultats des observations par lesquelles M. Owen et moi | > venions de constater, chacun de notre côté, le défaut de circonv olutions | cérébrales chez quelques singes. Elles existent, disait-on , chez les makis, qui sont au-dessous des singes ; donc elles doivent exister chez > tous ceux-ci. Et cet argument paraissait si démonstratif; qu'on ne vou- + lait pas même examiner les pièces produites à Londres et à Paris. Voyez les Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. XVI, 1843. Aujourd’hui, le fait que nous annoncions a été vérifié par tous les zoologistes ; il est généralement admis. Faut-il en conclure que la mé- l thode sériale était en défaut? Non, mais seulement qu'on l’appliquait mal, qu’on dépassait le cercle des conséquences légitimes. De l'existence d’un organe ou d’un caractère chez plusieurs animaux d’un groupe, on peut induire avec vraisemblance dans beaucoup de cas, qu'il se re- trouvera dans le groupe immédiatement supérieur (ou inférieur, selon la nature de cet organe ou de ce caractère), mais non qu’il doit exister, ce qui est bien différent, dans toutes les espèces de ce groupe. Cette dernière extension ne serait légitime que si, un groupe À étant supérieur dans son ensemble à un groupe B, chacune des espèces À, prise en particulier, était nécessairement, par cela même, supérieure Le toutes les espèces B. Ge qui reviendrait à dire que la baleine, en tant que mammifère, est nécessairement su périeure en organisation au perroquet, où encore, la lamproie et l’amphioxe lui-même, en tant que vértébrés, à abeille ou au poulpe. Citer ces exemples, c’est faire sentir, autant que je dois le faire dans ces. Prolégomènes, le vice d’une hypo- thèse qui a longtemps régné dans la science, mais qui est aujourd’hui appréciée à sa valeur par tous les vrais naturalistes. Je montrerai ail- leurs qu'il en est le plus souvent de deux groupes supérieurs et infé- rieurs, comme de deux branches d'arbre, nées l'une au-dessus de l'autre ~ sur le même tronc : ne voit-on pas les rameaux ascendants de la branche inférieure atteindre ou même dépasser les rameaux descen- dants de la branche supérieure ? (1) Géorrroy SaiNT-HiLAIRE, Mémoire sur les Holosses, dans les Annales du Muséum d'histoire mäturelle, t. VIT, p. 450; 1805. Re coms DRE CR 2 vo 8 E T NO a in Ph AE du ve hAh PROLÉGOMÈNES, LIV, I, CHAP. VI. davantage à la Méthode sériale, qui n’est qu’une forme de ce qu’on peut appeler en général la Méthode analogique ; _et pour qu’elle nous devienne ce guide sùr dont nous éprou- vons à chaque instant le besoin dans des études aussi com- plexes, ne franchissons jamais la limite de ses légitimes ap- plications , qui toutes peuvent se ramener à la solution de deux genres de problèmes que l’on peut énoncer ainsi. Tantôt nous connaissons plusieurs termes consécutifs d’une série; il reste à déterminer les conditions d’exis- tence, les propriétés, les caractères du terme qui vient en- suite dans l’ordre sérial. Tantôt, au contraire, la déter- mination porte sur un terme intermédiaire à deux autres, préalablement étudiés. La comparaison avec les termes connus, particulièrement avec les termes antérieurs dans l’un de ces cas, avec l'antécédent et le conséquent dans l’autre, conduit presque toujours à la solution par une fa- cile induction. Soit, par exemple, une suite de dix termes, ou, pour fixer les idées, de dix genres d’un même groupe, constituant, par les modifications graduelles des carac- tères principaux, une série régulièrement ordonnée : si lon a constaté, pour neuf de ces termes, un ensemble de caractères secondaires, variant aussi, et corrélativement, par degrés, n’est-on pas fondé à prévoir, avec une très grande probabilité, ce que seront ces caractères dans celui qui reste à étudier? Si celui-ci est le dernier dans l’ordre sérial, comment supposer la brusque cessation, au dixième terme, de la concordance jusque-là observée ? Et s'il s’agit d’un terme de rang intermédiaire, comment pré- sumer l'interruption, sur un point, de rapports communs à fous les termes antécédents et à tous les conséquents? MÉTHODE SÉRIALE. M5 Dans ces deux cas, dans le dernier surtout, l'esprit le li g plus sévère ne se défend pas lui-même de conclure ; et, sauf le recours à un contrôle ultérieur, pourquoi s'en défendrait-il? On conclut ici en vertu d’un raisonnement assimilable, sinon à celui des géomètres, du moins à celui des astronomes et des physiciens, lorsqu’à l'exemple de Galilée (1), ils déterminent une grandeur, une distance, À une vitesse, une température , une intensité magnétique ou lumineuse, en vertu de la loi dite de continuité. La méthode dont ils se servent par application de cette loi, et par laquelle tantôt ils simplifient et abrégent un travail tft trop complexe, tantôt suppléent à des calculs ou à des ob- servations impossibles, n'est au fond que ce que j'ap- pelle, en Histoire naturelle, la Méthode sériale. | Et cela est si vrai qu'il est des cas où le physicien et le | 4 naturaliste s’avancent parallèlement, chacun sur son ter- rain, vers des résultats dont la liaison intime est manifeste, | et qui même s'expliquent les uns par les autres. Qu'un physicien, par exemple, détermine expérimentalement les M températures moyennes, et plus généralement, les condi- $ à tions climatologiques, de deux points A et € situés sous le même méridien entre l’un des pôles et l'équateur ; et qu’en même temps un naturaliste constate les différences orga- niques d’une espèce animale ou végétale, successivement observée en À et en C : si ces points sont peu distants, et s’il n'existe aucune cause locale de perturbation, comment ne pas prévoir, pour le point B, intermédiaire entre A et C, ce double résultat? En ce point, le climat, d’une "P (A) Voyez WHEwELL, The philosophy of the inductive sciences , 1847, t. T, p. 443: h16 PROLÉGOMÈNES, LIY. 1, CHAP. VI, part, l'animal ou le végétal, de l’autre, se trouveront dans des conditions intermédiaires aussi entre celles que le physicien et le naturaliste auront constatées en A et en B; conditions qu'on pourra déterminer, avec une très grande probabilité et une très grande approximation, par une simple interpolation. Sachons, du reste, nous défendre d’une illusion trop naturelle. Dans ces cas eux-mêmes où le naturaliste s'a- vance ainsi à côté du physicien, il ne peut se flatter de marcher d’un pas aussi sûr. Il a beau raisonner et con- elure de même ; son raisonnement et ses conclusions ne sont pas au même degré légitimes. Le physicien a pu éviter les causes d'erreur, ou en tenir compile : quel naturaliste prétendrait connaître toutes celles dont il est entouré? Quand le physicien a le droit de s'arrêter, le paturaliste doit donc poursuivre : encore ici, parti de l'observation, c’est à l'observation qu'il devra aboutir. Par les applications dela Loi de continuité, on se dispense souvent, en physique, de recourir à l'expérience, comme, en mathématiques, au calcul. Le rôle, bien compris, dela Méthode sériale, est, non de dispenser de l'observation, mais de la devancer, de lui ouvrir le chemin. Elle an- nonce les résultats; celle-ci en est juge. IN. Dans toute science, l'étude des séries peut être faite à deux points de vue : étude isolée de chaque série; étude comparée de plusieurs séries. De là deux genres de rap- ports : les uns, directs, entre les divers fermes qui se MÉTHODE PARALLÉLIQUE. h17 font suite dans la même série ; les autres, indirects, entre -des termes de séries différentes : ceux-là nécessaires, ĉar sans eux il n'y aurait pas série; ceux-ci du moins possi- bles, et c’est assez pour que nous recherehions s'ils exis- tent, et quel parti nous pourrions en tirer. Sur les premiers se fonde la Méthode sériale, ou par simple ordination linéaire des termes d’une série. Je baserai sur les rapports du second genre, après la Méthode sériale simple, une méthode sériale composée : méthode non moins féconde, que je nommerai Méthode par coordination parallélique., ou plus simplement Méthode parallélique, le parallélisme des séries étant la condition nécessaire de l’emploi de celle-ci, comme la succession sériale ou linéaire des termes était celle de l'emploi de la Méthode sériale (4). = Jl est à peine besoin de dire, après ce qui précède, qu 'il ne s’agit pas seulement ici d’ une méthode de classi- fication, mais d’une méthode beaucoup plus générale, et applicable à à plusieurs ordres de questions. La Classifica- tion parallélique où par séries parallèles que j'ai pro- posée en Histoire naturelle, ily a Dis de vingt ans (2), n’est (4) TIl est facile de concevoir, pour deux ou plusieurs séries, plusieurs modes de coordination. D'autres Méthodes sériales composées vien- dront-elles un jour s'adjoindre à la Méthode parallélique? On peut le prévoir et on est fondé à l’espérer. J'ajouterai qu'une grande partie des considérations qui vont suivre sont applicables, non seulement à la Méthode parallélique ; mais à toute méthode sériale composée, quelle qu’elle puisse être. Je me borne ici à cette indication : le moment ne mẹ semble pas venu aller au delà. (2) J'avais antérieurement, comme plusieurs auteurs, signalé des exemples plus où moins remarquables de parallélisme; mais en n'y fs 97 hi8 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. VI. qu'un côté de cette méthode. Très heureusement appli- cable à l'expression des rapports naturels des êtres, elle est, de plus, essentiellement inventive. J'aurai done à la considérer, comme la précédente, sous deux points de vue très distincts. Que devons-nous entendre par séries parallèles (4)? Des suites, semblablement ordonnées, de termes res- pectivement analogues, par conséquent, semblablement croissantes ou décroissantes. Soit une série figurée par la suite des lettres A, B, C, D....., et ainsi de suite : BC, D et A", B", Cr, D” seront deux séries parallèles, dans lesquelles A sera représenté par A’, A”, voyant encore que des cas particuliers, fort dignes toutefois d’atten- tion. C’est seulement en 1832 que j'ai compris d’une manière géné- rale, et que j'ai signalé la haute importance des résultats auxquels on peut arriver, en substituant à la vieille hypothèse de l'échelle ou de la série unique, la considération des séries multiples et parallèles qui se présentent à chaque pas dans l'étude des êtres vivants. En attendant que je puisse traiter ex professo de la grande ques- tion que j'indique ici, et des tentatives faites, en divers sens, pour parvenir à sa solution, mes lecteurs me sauront gré de les renvoyer, outre les livres habituellement cités par les naturalistes, aux deux ouvrages suivants : J. Reynaud, Encyclopédie nouvelle, article Cuvier, t. IV, p. 178 ; 1843. — Henri Martin (de Rennes), Philoso- phie spiritualiste de la nature, t. I1, p. 297; 4849. Voyez aussi Alph. BLANC, Leçons de zoologie générale - (d'après lun de mes cours au Muséum), Paris, in-8, 1848, p. 444 et suiv. L’excellent ouvrage de M. Blanc avait d’abord paru par frag- ments dans le Journal général de Instruction publique, 1847 et 1848. pi _ (4) Ou séries collatérales, ou encore séries à entrée double ou mul- tiple. Voyez le savant ouvrage déjà cité de M. Couror, Sur Les fon- dements de nos connaissances, t. I, p. 64 et 67; 18514. — Sur la préférence à accorder au nom dont je me suis habituellement servi, voyez BLANC, loc. cit., p- 425. MÉTHODE PARALLÉLIQUE. h19 B, par B', B”, et ainsi de suite, ces termes se correspon- dant comme feraient les échelons d’échelles juxtaposées, que l’on monterait ou descendrait parallèlement (4). Qu'il y ait de telles séries en Histoire naturelle, qui peut en douter ? Les exemples se présentent i ici en foule. Citons- en trois seulement, et choisissons-les dans des brañichêi très différentes de la science. (4) Disposons plusieurs sér ies parallèlement les unes aux autres sous la forme suivante : £ A! AU A!" B DENA p" C Glas éC} g!!! D D’ D” pD” 7 ; A g! ; g -JI suffit de jeter les yeux sur ce tableau pour voir qu'outre les suites ou séries principales, verticalement disposées, nous avons transversa- lement des suites determes qui peuvent aussi être considérées comme sériales, À, À', A”, A! ; B, B', B", B; C, C, C”, C” ; d'où l’on voit déja la possibilité, au moins théorique, de déterminer un terme inconnu, B', par exemple, en vertu de deux ordres de rapports. Il est clair que B’ n’est pas seulement intermédiaire ou moyen entre A'et 0’; il l’est aussi entre B et B”. Afin de ne négliger aucun moyen de me faire comprendre, je re- produirai ici une comparaison déjà employée par deux chimistes distingués : les images les plus vulgaires sont quelquefois les meil- leures. Que l’on range ainsi un jeu Ge cartes : toutes celles d’une même couleur, les unes au- -dessus des autres, du roi à l'as; et à côté d'elles, les cartes des trois autres couleurs, semblablement disposées. 11 est facile de voir qu'on aura ainsi un double ordre sérial : toutes les cartes de mème couleur seront en série verticale; toutes les cartes de même figure ou de même point, en série transversale. C’est exacte- ment ce que représentent sous une autre forme les lettres que j'ai ci- dessus employées. ` Les chimistes qui ont recouru à cette comparaison, sont MM. GER- HARDT et CHANCEL, dans un remarquable mémoire Sur la constitu- tion des corps, que l’on trouvera cité plus bas. h20 PROLÉGOMÈNES, LIV. IR, CHAP. VI. En embryogénie,ne voyons-nous pasle développement de deux animaux de la même classe ou de classes voi- sines, s'opérer par une semblable succession de phéno- mênes? d’où résulte une semblable succession d'états organiques, termes respectivement analogues, jamais identiques, de deux suites semblablement ordonnées. En géographie biologique, quand deux espèces congé- nères ou de genres voisins ont une distribution très éten- due, n’arrive-t-il pas que les types spécifiques, sans pour- tant se confondre, se modifient graduellement dans le même sens, de manière à représenter des suites de variétés qui se correspondent de lune à l’autre, selon les latitudes ou les altitudes ? En tératologie, des causes d’une autre nature, et dont l'influence s'étend bien plus profondément, ne produi- sent-elles pas encore, à partir de divers types spécifiques, des suites correspondantes, mais partout distinctes, de déviations ? Si bien que la série des anomalies humaines, celle des monstruosités du chien, du chat, et des autres espèces zoologiques, étant entre elles comparables terme à terme, mais jamais identiques, nous n’arrivons à concevoir la série tératologique comme umne que par une pure abstraction de notre esprit, et en la composant de termes dont chacun est l'expression générale, et pour ainsi dire, la somme de tous les termes de mème rang dans chaque série partielle. wi il serait difficile d'imaginer des exemples plus diffé- rents par la nature des phénomènes auxquels ils se rapportent, et pourtant, qui n’en saisit aussitôt lanalo- gie ? Dans tous trois, et dans une foule d’autres que cha- MÉTHODE PARALLÉLIQUE. h24 cun ajoutera facilement à leur suite, Pétude des séries parallèles conduit également à ceci : Pour tous les termes de la même série, un ensemble de propriétés qu’on peut appeler la constante de la série, et qui la caractérise relativement à toutes les autres ; Pour chacun des termes d’une série, une modification déterminée de la constante; ou, suivant une expression en usage dans plusieurs sciences, une variation ; Pour les séries cornparées entre elles terme à terme, des suites de modifications qui se répètent d’une série à l'autre, une constante différente s’y combinant successi- vement avec de semblables éléments de variation. D'où partout similitude, jamais identité; correspon- dance point par point, nulle part rencontre. Comment se rencontrer en s'avançant dans la même direction, à partir de points différents ? Reconnaître en Histoire naturelle l'existence fréquente de ces suites de termes homologues ou correspondants, que j'ai nommées séries parallèles, c’est reconnaitre aussi la nécessité d’une méthode qui soit pour l'étude com- parée de ces séries, ce qu'est pour l'étude isolée de l’une d'elles la Méthode sériale simple. Cette méthode heureusement comparative, c’est la Méthode parallélique, dont les applications seront par la suité, on peut l'affirmer sans témérité, tout aussi nom- breuses et tout aussi importantes que celles des deux méthodes précédentes; et non pas seulement dans les sciences naturelles, mais dans presque toutes les branches des connaissances humaines (4). (4) J'ai déjà montré plus haut (Liv. 1, Chap. VE, sect, v)la possibilité d'appliquer la Méthode parallélique à une question importante qui, . 122 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. Vi. y. Concevons deux ou plusieurs séries de termes homo- logües, parallèlement disposées; vis-à-vis de la suite des termes A, B, C...Z, ðn à placé A’, B', ©... Z'et Ar, Br, C”... Z", chaque terme se trouvant en regard de son corres- pondant dans la première (4). On voit, tout d’abord, l'avan- tage que peut offrir une telle disposition pour l'expression des rapports dont on doit tenir compte. Ces rapports sont de deux genres : rapports entrees termes de la même série; Papports entre certains termes de séries différentes. Les uns et les autres ne sont-ils pas exactement et clai- rement indiqués, disons mieux, graphiquement tracés, pour chaque terme, par un arrangement qui, le laissant à sa place dans sa série, entre son antécédent et son sans son secours, ne saurait recevoir une solution satisfaisante : l'ex- pression des doubles rapports des connaissances humaines. (4) Comme dans la note de la page 419. Dans cette disposition, d’où résulte une table à double entrée (voyez p. 261), tous les termes de la méme série se trouvent sur la méme ligne verticale; tous les termes correspondants des diverses séries, sur la méme ligne transversale. Ainsi nous avons, pour de doubles rats à exprimer, un double ordre linéaire. Outre les séries A; B,C...Z; An, B!, -Ch Zu AN Br, CZ, qui se succèdent et peuvent être ordonnées de manière à donner pour ainsi dire utieSérié de séries, on peut concévoir üñe ou plusieurs autrésséries a, D, Ci. Z; @, b, c...3, parallèles aux précédentes, mais rie pouvant ni se placer à leursuite, ni s’intercaler entre elles. De tels cas se présentent à chaque instant dans les classifications zoologique et botanique. La Méthode parallélique leur est tout aussi facilement applicable qu'aux autres. Seulement, ici; les termes correspondants ne seront plus tous sur une même ligne transversale, mais sur un même plan transversal. MÉTHODE PARALLÉLIQUE. h23 conséquent (1), lemet, en même temps, en regard de ses correspondants ou homologues dans les autres séries? Et ce que je dis ici d'un terme, étant vrai de tous, l’est par conséquent des séries elles-mêmes dont les rapports réciproques sont clairement exprimés; sans que, pour aucune, l’ordre sérial soit en rien troublé; car, dans l'en- semble plus ou moins complexe dont elle fait partie, cha- cune reste exactement ce qu'elle était, prise isolément (2). De là, en premier lieu, d'importantes applicetions à la classification des êtres organisés. Nous ne sommes plus au temps où le perfectionnement de la classification était proclamé le but, l'idéal auquel doit tendre l'Histoire naturelle (3); où les avenues du sanctuaire (4) étaient prises pour le sanctuaire luismême. Mais aujourd’hui, comme alors, et comme toujours, une (4) Entre son antécédent et son conséquent, S'il s’agit d’un des termes intermédiaires. Après son antécédent où avant son conséquent, s'il s’agit de l’un des extrêmes. (2) Qui voudrait soutenir que les rapports d'un terme tel que B’avec A' et C! seront moins exactement et moins ‘clairement exprimés, parce que B',en même temps qu’il se trouve entre A'et C', est aussi “entré á ses correspondants des autres séries, B et B”? Qui ne voit la possibilité de considérer successivement chaque ordre de rapports à part, abso- lument comme s’il était seul exprimé ? (3) Guvier, Règne animal, Introduction ; 4"° édit., 1847, t. b, g 44 eoa edite & L p.10. (4) Pensée et expression de CUVIER, Éloge historique # “Bose, dans les Mémoires de l'Académie des sciences, t. X, p. exe” ‘1831. - Cuvier pourrait sembler ici en contradiction avec le$ principes qu'il a si longtemps et si fermement défendus (voyez Chap. 1, sect. 1m): I n’en estrien. Ce que je dis ici de la classification en général, Guvier nele dit que des systèmes artificiels de classification ; des sèches nomencla- tures et des autres moyens de se préparer à la véritable science, celte science dont la Méthode naturelle serait l'idéal. id és. * f f fl { t E i ee ee ie nn a aa k24 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP, VI. histoire, vraiment naturelle, des êtres organisés, suppose, comme expression de leurs rapports entre eux, une classi- fication qui les rapproche selon les ressemblances qu'ils présentent (1); c'est-à-dire, un arrangement tel que les plus semblables par leur organisation, se trouvent plus voisins entre eux que de tous les autres (2). Ainsi s'expriment, à quelque école qu’ils appartiennent, tous les auteurs qui ont traité de ce qu’on nomme, depuis les Jussieu surtout, la Méthode naturelle. Si tous sont ici d'accord, comment ne le seraient-ils pas bientôt sur les avantages de la Méthode parallélique appli- quée à l'expression des rapports des êtres, ou, en deux mots, de la Classification parallélique? Comment, sans elle, parvenir à cette expression dans une multitude de cas? Si un groupe B ressemble, sous un point de vue, à A et à C, sous un autre à B', est-ce exprimer ses rapports, est-ce le classer naturellement, que le rapprocher de A et de C, en l’éloignant de B'? C’est pourtant ce que lon fait à chaque instant dans les classifications prétendues natu- relles qui ont rempli jusqu’à ce jour les livres de bota- nique et de zoologie (3). La Méthode parallélique donne, au contraire, une solution satisfaisante du problème, et quel (4) Achille Ricnarp, article Méthode du Dictionnaire classique d'Histoirenaturelle, t. X, p. 494; 1826. (2) Cuve. Pôqne animal, locis cit. (3) Citons *exemple propre à fixer les idées. Les lamantins res- semblent, par plusieurs systèmes d'organes, aux cétacés; par plusieurs aussi, aux pachydermes. Impossible d'exprimer ces doubles rapports dans le système ordinaire de classification. Aussi qu’est-il arrivé ? Pour Cuvier, les lamantins viennent près des cétacés, à grande dis- tance des pachydermes ; pour Blainville, c’est l'inverse . ils sont placés à la suite des pachydermes, loin des eétacés. Et pourtant Cuvier et MÉTHODE PARALLÉLIQUE. | h25 autre moyen de l'obtenir? Elle place B entre A et C, à côté de B', c'est-à-dire, met en relations immédiates, el pourtant diverses, de voisinage, les êtres ou les groupes d'êtres entre lesquels existent des ressemblances très grandes, mais à des: points de vue et par des côtés différents de leur organisation. Et cela, sans qu'il en coùte rien à la clarté, sans que le iiiki de toutes ces séries connexes, mais distinctes, qui ré- Blainville cherchent également à rendre plus voisins enire eux que de tous les autres, les types qui se ressemblent le plus. Il est clair qu'il faudrait ici, pour y réussir, rapprocher à la fois les lamantins des pachy- dermes et des cétacés. Comment y parvenir ? Par la Méthode parallé- lique. Faites deux séries parallèles ; mettez, dans Pune, les lamantins au- -dessus des cétacés ; dans l’autre, les pachydermes, à côté des laman- tins; vous aurez exprimé nettement, non seulement que les lamantins ressemblent en même temps aux pachydermes et aux cétacés, mais de plus qu’ils leur ressemblent à des points de vue différents. Et ainsi dans une multitude de cas. Les exemples se présenteraient ici par centaines. Si la Classification parallélique ne peut exprimer exactement tous les rapports naturels des êtres, ce qui est et sera toujours impossible, quoi qu'on fasse, elle fournit du moins de ces rapports une expression approchée, et elle la fournit, sans tomber dans la complication extrême de ces arbres ou de ces réseaux, auxquels ont recouru quelques auteurs, frappés de l'insuffisance de la classification unilinéaire. Je montrerai plus tard à quel point de vue, dans quelles circon- stances particulières ces réseaux ou arbres peuvent être utilement substitués à la‘ disposition parallélique. En attendant, signalons, et c'est assez pour la réfuter, l'erreur de quelques auteurs qui n’ont vu dans la Classification parallélique, lorsque je lai proposée, qu'une légère variante des dispositions rétiforme et arboriforme. Des séries parallèles, c’est-à-dire partout distinctes, assimilées à des séries (si encore on admet ici un véritable ordre sérial) entre-croisées, embran- chées, diversement réunies! Autant vaudrait Sd dt parallèles, en géométrie, des lignes qui se coupent. L 27. PROLÉGOMÈNES, LIV. M; CHAP, VI, sultent de l'application de la Méthode parallélique, puisse compliquer de la moindre difficulté l'étude analytique de chacune d'elles. Nous est-il plus difficile de lire une ligne associée à plusieurs autres que de la lire isolée? Non ; car au moment où nous la lisons, nos yeux ne voient pas toutes les autres; il est un instant où elle existe seule “pour eux (4). VI, D'une expression heureusement approchée des rap- ports connus des êtres, il n’y a qu'un pas à l'indication de rapports jusque-là ignorés, et de celle-ci, à la découverte de faits encore inconnus. La Méthode parallélique est, en effet, inventive aussi bien que la Méthode sériale, et elle ne l’est pas moins utilement pour la science. Quand deux ou plusieurs séries de termes homologues ont été parallè- lement ordonnés, il est clair que, de ceux qui sont bien connus, on peut conclure à des termes encore mal con- nus, aussi bien s'ils sont correspondants, que s'ils sont consécutifs (2). Dans l'un et l'autre cas on procède par (4) Voyez page 423, note 2. (2) D'où la possibilité, dans un grand nombre de cas, d'obtenir le même résultat de deux manières différentes, en vertu des relations d’un terme telqueC’, d’une part, avec les termes de la même série, A’, B's D'.., de l’autre avec ses correspondants, C, G”, préalablement connus. A peu près comme, en arithmétique , la valeur Ge l’un des termes d’une progression géométrique peut être calculée d’après sesrelations, d’une part, avec les nombres auxquels il fait suite, de l’autre, avec ses cor- respondants dans d'autres progressions géométriques ou même arith- MÉTHODE PARALLÉLIQUE. h27 des inductions si semblables, et applicables à la solution de problèmes tellement analogues, que je pourrais répé- ter ici tout ce que j'ai dit de la Méthode sériale, des avantages qu'elle procure, mais aussi des dangers où elle pourrait entrainer des esprits trop peu circonspects, et oublieux de cette maxime, ici encore fondamentale : l'analogie indique, annonce les résultats ; l'observation en est le juge. 3 Ici comme partout, n’abusons pas, mais sachons user. Ne demandons à la Méthode parallélique que ce qu'elle peut légitimement nous donner; mais aussi, dans ces limites, ne craignons pas de tout demander. Quand nous serons en présence de deux séries parallèles, l’une bien connue, l’autre encore. imparfaitement étudiée, ne crai- gnons pas, sauf le contrôle ultérieur de l'observation , de transporter à l’une les connaissances acquises sur l'autre ; de calquer, pour ainsi dire, sur les résultats déjà obtenus, ceux qui restent à obtenir. D'où la prévision de rapports et de faits auxquels l'observation, abandonnée à elle-même, n'eùt peut-être de longtemps conduit, mais auxquels il lui devient facile d'arriver, dès que son rôle se réduit à une simple constatation, à une réponse par oui ou par non, à une question à l'avance posée (1). En procédant ainsi, que ferons-nous, sinon ce qu’on a métiques. Qu'est-ce que lelogarithme d’un nombre, sinon, en prenant ce mot dans le sens le plus général, son correspondant dans une autre | série? (4) Comme on le voit, la Méthode parallélique conduit, elle aussi, où l’on arrive par la méthode si différente, exposée plus haut sous le nom de Méthode synthétique par division. Voyez p. 401 et suiv. | 4. LS f EE Ei fi j | 4 |: |: $ h28 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. VI. souvent fait, ce qu'on fait chaque jour en physique et en chimie; sinon suivre , sous la forme et dans la mesure que comporte l'Histoire naturelle, l'exemple donné par les sciences où nous sommes habitués à trouver les guides et les modèles de la nôtre? Sans doute la Méthode paral- lélique n'existe pas en physique comme méthode géné- rale de classification et d'invention ; mais dans combien de cas particuliers nous l'y voyons habilement et heureu- sement pratiquée! N'est-ce pas en vertu d’analogies vrai- ment paralléliques que de savants et ingénieux physiciens, comparant la chaleur à la lumière, viennent de chercher et de trouver, en thermologie, les correspondants des phénomènes et des lois optiques, précédemment constatés où démontrés par Malus et Fresnel, par MM. Arago, Biot, Faraday et Cauchy (4)? Eût-on pu, en chimie, aussitôt le brome découvert, découvrir et pré- parer, comme on l'a fait si sûrement et si promptement, une multitude de composés bromés, si leur existence et jusqu'à leurs propriétés principales n’eussent pu être pré- vues, à l’aide de leurs relations avec les termes corres- pondants parmi les corps chlorés et iodés? Enfin, pour prendre encore un exemple, et le plus remarquable de tous, dans la même sciencé, n'est-ce pas à la Méthode parallélique, et ici presque exactement telle que nous la concevons en Histoire naturelle, qu'on recourt chaque jour, et de plus en plus, en chimie organique, lors- qu'un corps ayant fourni un plus ou moins grand nombre (1) Voyez principalement les mémoires de MM: DE LA PROVOSTAYE, et P. DESAINS, dans les Annales de chimie et de physique, t. XXVII a XXX; 1849 à 1850. a i pN CT EE coia i Cae ai a “MÉTHODE PARALLÉLIQUE. h29 de dérivés, on obtient, d’un corps analogue, soumis à de semblables réactions, d’autres suites de dérivés cor- PR a aa respondant terme à terme aux précédents; en d’autres ; termes, des séries chimiques parallèles (4)? | Puisqu'ici encore, les physiciens et les chimistes nous i 1 ont devancés (2), suivons-les, dussions-nous ne le faire | | que de loin. Ne négligeons rien pour nous approprier p complétement une méthode qui, comme classification, tient déjà une si grande place dans les sciences biologiques, | qui n’y est encore, comme méthode inventive, qu'à ses | RS EE sd SORT (4) Non seulement le mot série est, depuis quelques années, aussi usité en chimie qu'en mathématiques ou en Histoire naturelle, mais 1 quelques chimistes ont expressément parlé de séries parallèles. Dès 1838, très peu d'années après que ce terme avait été introduit en His- toire naturelle, MM. Dumas et PétIcor donnaient l’exemple de son emploi en chimie. Voyez les conclusions placées à la fin de leur beau Mémoire sur un nouvel alcool, l'esprit de bois ou alcool méthylique, dont les produits ont offert, disent les auteurs (Mémoires de l’Aca- À démie des sciences, t. XV, p. 621) « une série de Fr. parallèle i » à celle de l'alcool commun. » de (2) Maisseulementau pointde vue de l'application de la Méthode paral- lélique, considérée comme inventive. C’est tout le contraire au point de vue de l'application de cette méthode à l'expression des rappor ts natu- rels, à la classification et à la coordination. La classification par séries parallèles, telle queje emploie en zoologieet en tératologiedepuis1832, a bientôt passé de ces deux sciences dans les autres sciences biologiques. Au contraire, aujourd’hui mème, je la cherche en vain en physique; et c’est tout récemment qu'on a pu émettre en chimie, d'une manière générale, les idées que résume cette phrase remarquable de deux chi- mistes. aussi ingénieux que hardis : « Pour déterminer la constitution » d'un corps, il faut préciser la place qu'il occupe à la fois dans les » deux espèces de séries. » Voyez GERHARDT et CHANCEL, Sur la constitution des cor "ps organisés, dans les Comptes rendus des travaux de chimie, par MM. Laurent et Gr “RHARDT, 7 7e année (1851), p 73. | i | b 1 į j K | l} À h À y 1 à | 1 I \ B E (1 j p E 11! kb EE | 41 4 E | | E EE E ET DEN. | ki j: N V i z E i a a | b x Béaè ex diiidan : er 7 a M te a v A. mé ~ gén aroen CORRE RTE h30 PROLÉGOMENES, LIV, H, CHAP. VI. débuts. Jusqu'où pourra-t-elle nous conduire un jour ? H serait téméraire de prétendre le dire aujourd’hui; mais aussi téméraire de lui dénier que de lui promettre un grand avenir. Qui pouvait prévoir, au commencement de notre siècle, et plus près de nous encore, cet immense mouve- ment des études chimiques, dont nous avons été, dont nous sommes les témoins, et dans lequel une si grande part revientà d'admirables travaux, manifestement conçus et exécutés dans l'esprit de la Méthode parallélique ? Et comment nous serait-1linterdit, en voyant dans ces travaux nos modèles, d'y chercher aussi une espérance? Au surplus, si nouvelle que soit, dans notre science, la Méthode parallélique considérée comme méthode inven- tive, elle a déjà heureusement commencé à y faire ses preuves. Il a presque suffi de concevoir nettement le parti qu'on peut tirer, en Histoire naturelle aussi, des correspon- dances paralléliques, pour que des rapports ou même des faits nouveaux fussent aussitôt obtenus; c'est-à-dire prévus analogiquement, cherchés comme à coup sûr, et bientôt trouvés par l'observation; ou, mieux vérifiés par elle, après avoir éte théoriquement découverts (4). Entre ces faits, il enestun dont j'ai cru devoir, il y a unan environ, entretenir l’Académie des sciences, c’est le défaut (1) Après avoir été prophétisés, dirait Schelling. Voyez p. 308. Il n’est pas inutile de remarquer à cette occasion que, même ici, la voie qu'a prétendu ouvrir l'illustre philosophe allemand; n’est pas celle où s'avance la science. S'il y a ici, selon les expressions de Schel- ling, prophétie vérifiée expérimentalement, du moins est-il à remar- quer que la prophétie se fonde, non sur des vues admises à priori, mais sur des notions obtenues à posteriori; non sur des idées pré- conçues, mais sur des faits pré-observés. MÉTHODE PARALLÉLIQUE. AS | +2 i | de circonvolutions cérébrales chez un primate , le micro- | _cèbe. Il ma paru que cette petite découverte anatomique mé- ritait de fixer l'attention, sinon pour son intérêt propre, du moins en raison de son origine théorique, et comme application de la Méthode parallélique. Tous les lémuridés connus ont des circonvolutions : ne semblait-il pas qu'il dùt en être de même du microcèbe, genre appartenant, sans Ha | nul doute, à cette famille éminemment naturelle? Il n'en est rien pourtant : le microcèbe a le cerveau lisse (1). | LL Où trouver une exception plus tranchée? Pourtant il Re | -avait été possible de la prévoir (2). Elle avait été annoncée d À l'avance en vertu des correspondances paralléliques, et lorsqu'il est devenu possible d'observer après avoir raisonné, le scalpel a exactement tenu les promesses de la sh te tp da théorie. à Une exception découverte analogiquement : ces deux mots semblent impliquer contradiction ; et cependant, c’est bien ce qui a été réalisé dans ce cas et dans quelques au- tres moins remarquables; et il en sera de même dans une B, foule d’autres, dès que la Méthode parallélique sera géné- . (4) Voyez Note sur l'encéphale du microcèbe, et sur une application \ f nouvelle de la Classification par séries parallèles, dans les Comptes La rendus de l'Académie des sciences, t. XXXIV, p. 77; janvier 1852. (2) 1l suffisait en effet de savoir que les circonvolutions cérébrales | font défaut chez les ouistitis, dernier terme ou échelon de la série des À " singes, pour prévoir qu'elles manqueraient aussi chez les microcèbes, \ Fe yg terme correspondant de la série parallèle des lémuridés. ; | On voit que la Méthode parallélique s'est appuyée ici précisément sur x ces mêmes caractères ducerveau des ouistitis, qu’on avait un instant ~ii a révoqués en doute, au nom de la Méthode sériale mal comprise. Voyez p. 4138, note. | 482 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. VI. ralement comprise et pratiquée. Ce qui est ou semble exception, au point de vue des analogies directes ou de famille, est souvent la règle au pointde vue de ces analogies indirectes ou collatérales que j'appelle correspondances paralléliques, et que j'ai essayé de restituer à la science, en dehors de laquelle elles restaient depuis si longtemps méconnues ou négligées. Et maintenant, comment nier que la Méthode parallé- lique, à part même son importance pour le perfectionne- ment de la classification, puisse nous conduire à des résul- tats nouveaux, parfois même à des faits, à des rapports, à des lois, auxquels nous n’eussions pu parvenir par aucune autre méthode, ou même dont les méthodes ordinaires ten- daient à nous détourner? Depuis que la science existe, les inductions auxquelles on recourt chaque jour, ont toutes pour objet d'étendre analogiquement à un genre, àun ordre, à une classe, des conditions déjà connues chez d’autres êtres du même genre, du même ordre, de la même classe. Si paradoxal que puisse sembler ce résultat, on estbien obligé de reconnaître que la considération des séries parallèles peut conduire, en outre, à des inductions d'un ordre précisément inverse ; est-à-dire, faire prévoir dans un genre, une famille, une classe, des conditions qui ne sont encore connues que dans d’autres genres, d’autres familles, d’autres classes. RAR PSRS RS AU VY VV SNINNNININS VUV U vuvu VIVOU V UUV OAA NNINS CHAPITRE VII. DES HYPOTHÈSES ET DE LEUR RÔLE UTILE EN HISTOIRE NATURELLE. ; . SOMMAIRE, — T. Rôle utile des hypothèses dans les sciences. Point de vue auquel elles doivent être considérées en Histoire naturelle, — II. Méthodes de vérification. II. Véri- fication directe ou positive. — IV. Simplification possible de la vérification directe. Élimi- - nation des hypothèses non scientifiques ; essai préalable des hypothèses vraisémblables. # Vérification par les conséquences nécessaires ; vérification par les faits d'exception. — © V. Vérification indirecte ou négative. A T M. de à | E Dans une grande entreprise, la vraie sagesse ne consiste TE | pas à s’en tenir aux moyensles plus sûrs et les plus faciles, + f i ~ maig à faire converger vers le but où l’on tend tous ceux ` - + qui peuvent y conduire. Les premiers d’abord, et seuls, 1 à d s'ils suffisent; mais, après eux, au besoin, tous les autres, d - dùtleur emploi être difficile, dùt-il même nous faire Courir R quelques hasards. | r. Cette marche est celle qu’on suit dans les sciences, lors- 4 qu'après la déduction, on recourt à l'induction, moins à D sùre déjà, puis, où elle cesse à son tour d’être possible, à P LE. l'hypothèse. Où l'on ne sait pas, on conjecture, on essaie bé de deviner. Et ce que la science fait ici, avec les ressources de la méthode, n’est au fond que ce que nous faisons tous, F I. 285% Br i a e ( peparen Ee enamn arte A A a le e Seoni R E has inada a aE È daitété ea RTE À s "2an -A Ps, EnS = EE — i LENER: RE M | iii Lee hah PROLÉGOMÈNES, LIV. mais sans elles et parfois si témérairement, dans les circonstances les plus ordinaires de la vie; tant notre esprit se résigne difficilement à ignorer, même dans les plus petites choses il suffit d'un coup d'œil jeté sur l’histoire des sciences physiques, pour prévoir le rôle de l'hypothèse dans les sciences biologiques. Ne doit-elle pas être ici ce qu'elle est ailleurs? Où les théories manquent encore, ne viendra-t-elle pas parfois grouper, coordonner utilement les faits déjà obtenus? Ne nous conduira-t-elle pas à en prévoir de nou- veaux , par là même, à faire de nouvelles observations, à instituer de nouvelles expériences? En un mot, ne nous portera-t-elle pas en avant des connaissances acquises ? Ne nous fera-t-elle pas entrevoir, dans des régions inconnues, de lointains horizons, vers lesquels désormais nous sau- rons nous diriger, rit lables au voyageur qui, d’un point culminant, a aperçu longtemps à l'avance le terme de sa route? Plus d’un naturaliste n’hésitera pas, je le sais, à répon- dre : Non. Les arguments de Cuvier contre l'intervention du raisonnement en Hist gine nabrek e(1),les innombrables amplifications € Ah ils ont été, dont ils sont, chaque jour encore, le thème devenu banal, ont fini par donner, à quelques zoologistes surtout, des convictions tellement arrêtées, qu'ils ne tolèrent ici ni la contradiction ni même l'examen. Pour eux, il y a chose jugée : en fait d’hypo- thèses, l'usage et l'abus, c’est tout un. Un peu plus, et ils diraient que devancer de quelques pas les faits, c'est presque inévitablement marcher contre eux. (1) Voyez Chap. IF, sect. m et vin. UTILITÉ DES HYPOTHÈSES. 35 © Nous ne saurions souscrire à cette condamnation absolue , . des hypothèses, pas plus qu'à la doctrine au nom de la- | quelle on la prononce. C’est toujours au fond la même # thèse : le danger de l'erreur (4). Et à la même thèse nous tiy = ferons encoreune fois la même réponse : soyons prudents, i jA mais gardons-nous de cette circonspection extrême qui f == n'est plus de la prudence, et n'allons pas imiter celui qui bga" * craindrait de s’'avancer sur le milieu d’une route, pe | mu” un fossé la borde. - Qu'est-ce que former une hy paihèse? Supposer qu'une | chose est possible ; tout au plus, prévoir sa réalisation E i dans un temps plus ou moins éloigné. | Où donc est l'err pores et où la vérité? Où est l'abus? el où l'usage? x | ja TE 2 Prendrela possibilité qu’une chose soit, pour la réalité ré de cette chose, voilà l'erreur, et assurément l’une des plus gravesque l’on puisse commettre. Considérer l'hypothèse à comme un doute émis, une question posée (2), tout au plus comme un problème mis en équation, et qu'il s’agit 1 t FL EU © 1 maintenant de résoudre; voilà la vérité. i Raisonner: à partir d'une simple supposition-de notre esprit, si ingénieuse qu’elle soit, comme à partir d'une vérité démontrée, voilà l'abus, et je me hâte de recon- naître qu'il wen est ni de plus réprouvé par la logique, ni de plus préjudiciable à la science. Raisonner à partir d'une hypothèse , donnée: seulement pour, ce qu elle (4) Même chapitre, sect. vin, p. 326. és (2) Un soupçon, comme le dit CONDILLAC, Traité des Éisièmes, chap. X11; voyez les OEuvres, t. l, p. 898 ; 1798. f, E9 | PE f i A E FH fi {1 í 414 LE f | | i j vtr! f { p i p d Í j | Hig i 4 1 1 À \ } $ ‘A 4 ps r fi z | 1 EEN 1. | 15: (4 i i$ N | $ Î ei | *. E ; FA à i | g Le E n _. ‘a T his 436 PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. VII est (L); en dérouler les conséquences, données de même pour ce qu'elles sont, c’est-à-dire encore pour de simples possibilités ; chercher à vérifier ces conséquences, ét, avec et par elles, l'hypothèse dont elles dérivent : en un mot, prendre celle-ci, non comme un résultat, mais comme un but, comme une direction donnée à de nou- velles recherches ; voilà l'usage. Rien de plus, mais rien de moins. Et ici l'usage a pour lui, avec l'assentiment de la logi- que, la sanction de l'histoire. Qu'étaient, ilya deux siècles, les plus hautes vérités de l'astronomie? Qu'étaient hier encore celles de la physique? De hardies hypothèses. Véri- liées par l'observation, elles se sont trouvées d'accord avec l'œuvre de Dieu (2), et elles sont aujourd’hui le sublime couronnement de la science. Pourquoi ce qui est permis en astronomie, en phy- sique, serait-il interdit en Histoire naturelle? Comment ce qui là est utile, ne serait-il ici que funeste? L'Histoire naturelle est-elle -une de ces sciences où une hypothèse ne saurait être soumise à une vérification positive? N’en est-il pas ici, en réalité, du naturaliste comme du physi- sien? N’a-t-il pas toujours devant lui, pour reprendre pied, le terrain solide de l'observation et des faits? Que risque-t-il donc? Ce que risque le physicien : d’avoir à revenir sur ses pas pour choisir, en connaissance de (1) Voyez Henri Marrin (de Rennes), Philosophie spiritualiste de la nature, 1849, t. 1I, p. 105, dans un très remarquable chapitre qui a pour titre: Sur les lois Physiques générales et sur la manière de les découvrir. (2) H. MARTIN, loc, cit., p. 108. beaz VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES. 487 cause, une autre route. Longs détours, il est vrai, et plus . longs pour lui, je le reconnais, que pour le physicien; mais, pour tous deux, exempts de périls sérieux. Pru- dents, ils pourront s'égarer un instant, mais non se per- dre. Et qu'importe si, de détour en détour, l'hypothèse parvient où n’eussent pu atteindre les méthodes directes? Ne craignons donc pas, quand celles-ci nous font dé- faut, de recourir parfois aux hypothèses, comme au chemin de traverse après la grande route. Ne craignons pas d’en imaginer, d'en proposer au besoin de nouvelles, à la condition de ne les donner que pour ce qu’elles sont, pour de simples vues de notre esprit, pour des conjec- tures plus où moins probables, rien de plus, tant que la démonstration n’a pas été faite. Vérité peut-être, erreur peut-être aussi. En un mot, accordons à l’hypothèse sa place légitime dans la science, ne füt-ce que je ne pas lui en laisser prendre une autre. IL. « L'œuvre du génie dans les sciences, a dit un auteur déjà cité (4), c'est la création des bonnes hypothèses. » Celles-ci ne sont, en effet, que des conséquences pré- maturément obtenues, formulées avant le temps où elles se manifestent aux esprits ordinaires. N'essayons ni d'in- spirer ni d'expliquer ces prophéties du génie; mais, lors- (4) H. MARTIN, loc. cit., p. 108. ‘On avait dit déjà: «Les bonnes hypothèses seront toujours les ou- « vrages des plus grands hommes. » Article it TI de l’ Encyclo- jede, 1. VIM765, p. 418. DE PIE nn EA — "4 % D at APS Un ne TRE à Diy atan di ct ee ue pt pr : re FR Ey e z: mr dr A SO a AT a a. SE L sea a : rer nes vod. + Aberdeen rade rnb Me n g — om gi Qu Se MR gr or a din ni “ RERS ù 4 de Ai: č rig kia : a aa ca, cer Era š re Cr DO LE ee ~ bi j re aaeeea ma EE rate ce | 138 PROLÉGOMÈNES, LIV. If, CHAP, VI. qu'il a créé, il reste à tous une tàche qui, pour avoir moins d'éclat, n’a guère moins d'importance : distinguer nette- ment les bonnes hypothèses des mauvaises, la vérité déjà aperçue de l'erreur spécieuse, l'or pur du métal qui, brillant comme lui, n’est pourtant qu'un vil alliage. Après la création, la vérification. ` Chaque science y procède par les moyens qui lui sont propres. Dans chacune aussi, ils varient selon la nature des questions à résoudre; ici plus rapides, là plus lents; mais, au fond, tous se ramènent À deux moyens généraux, tantôt complémentaires, tantôt confirmatifs l’un de l’autre. Quand deux ou plusieurs hypothèses sont en pré- sence (4), qu'est-ce que le jugement à porter sur elles? Une option motivée entre le pour et le contre : d’une part, la sanction de l'hypothèse vraie; de l’autre, la condamna- tion de toutes les hypothèses rivales. Double jugement dont les deux parties, comme les deux faces d’une même médaille, sont manifestement et mutuellement dépen- dantes, si bien que l’une étant obtenue, l’autre l’est par là même aussi. Ou mieux, il n’y a là qu’un seul et même jugement, exprimé de deux manières différentes. D'où l’on est fondé à dire : Une hypothèse est vraie, si nous pouvons en prouver la parfaite concordance avec tous les faits déjà connus, avec tous ceux qu'ellemême nous fait prévoir et découvrir. (1) Nous n’avons pas à considérer ici le cas d’une seule hypothèse. I est évident que si l’on ne pouvait former sur un sujet qu’une suppo- sition, attribuer un effet qu'à une cause, donner d’un effet qu’une explication, cette supposition serait par là même vérifiée, cette cause démontrée, cette explication mise hors de doute. “À VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES. | 139 Elle est vraie encore, si l'on peut prouver que toute autre supposition est en désaccord avec les faits. Démonstration directe ou positive dans le premier cas; indirecte seulement et négative dans le second, c'est-à- dire, par voie d'exclusion, ou, selon l'expression tech- nique, par syllogisme disjonctif : démonstration dont la méthode par réduction à l'absurde, si usitée en géomé- trie, n’est qu’une forme particulière. Voilà done deux modes de vérification également auto- risés par la logique. Et si maintenant on demande de quel avantage ils peuvent être un jour pour l'Histoire naturelle, je répondrai en rappelant ce qu'ils sont dès à présent dans - les sciences où nous cherchons toujours, où nous trou- vons si souvent les modèles de la nôtre. Comment le grand Keppler, concevant, après deux suppositions erro- nées (4), l'hypothèse de l’ellipticité des orbites plané- taires , l'a-t-il presque aussitôt vérifiée , mise hors de doute, et érigée en une loi générale, la seconde de celles qui portent son glorieux nom ? Par la concordance, géo- métriquement démontrée, des faits avec cette loi; par le mode direct de démonstration. N'est-ce pas, au contraire, au mode indirect que recourait, en 1838, M. Arago (2), pour trancher (3), après deux siècles de débats, la ques- tion fondamentale de l'optique, pour prononcer entre (4) Mais dont chacune l'avait rapproché de la vérité. Admirable exemple de persévérance qu’on ne saurait JR rappeler et trop honorer. (2) Sur un système d'expériences à l’aide duquel la théorie de Vémission et celle des ondes seront soumises à des épreuves décisives, dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. VIT, p. 954. (3) C’est l'expression même dont se sert M. Arago. | ann pme à mn 2e N RER a ss racer di dE à ARENIG: iia oii i AR TN fu le D Lou Se, de. Aho PROLÉGOMÈNES, LIV. 11, CHAP. VII. l'hypothèse de Descartes et celle de Newton, soumises ensemble à une épreuve décisive, où, par l'erreur re- connue de lune, l’autre devait être démontrée, et la élé (4)? Travaux justement admirés, après lesquels toute autre citation serait superflue. Où trouver enseigné par de plus éclatants exemples ce qu’on peut appeler lart d'in- terroger la nature par l'hypothèse ? LR I est deux excès dont nous devons egalement nous garder : méconnaitre les analogies ; les exagérer, Com- ment la vérification directe serait-elle exactement, en Histoire naturelle, et plus généralement dans les sciences du troisième embranchement, ce qu’elle est dans les sciences du second? Sans doute, la certitude physique étant de même, dans les unes et dans les autres, le seul terme de nos efforts (2), les preuves y seront de même nature, en tant que toujours réductibles, en dernière ana- lyse, à la simple constatation d’une concordance entre les conceptions de notre esprit et les résultats de l’observa- tion. | Mais, au grand désavantage de notre science, les dif- férences l’emportent bientôt sur les analogies. A moins qu'il ne se renferme dans le cercle des faits ou des no- (1) Voyez les beaux Mémoires de M. Foucaur et de MM. FIZEAU et L. BREGUET, dans les Comptes rendus de l Acad. des sciences, t: XXX, 1850, p. 554 et p. 562 et 771. (2) Voyez le Chap. V. VÉRIFICATION DIRECTE. hhA tions les plus simples, il est rare que le naturaliste puisse appeler à son aide, comme le chimiste, une expérience sûrement et promptement décisive (4); plus rare encore, qu'il lui soit donné, comme à l’astronome, de recourir à la géométrie, ou, comme au physicien, de faire inter- venir tout à la fois l'expérience et le calcul. L'Histoire naturelle, science principalement d'observation, se re- trouve ici ce que nous l'avons vue presque partout (2), condamnée à lutter, avec de moindres ressources, contre des difficultés plus grandes. Il est clair que, pour toute hypothèse sur laquelle l'observation ordinaire, et non expérimentale, est seule où presque seule appelée à pro- noncer, la vérification se résout en une suite plus ou moins longue de vérifications partielles ; chacune de celles-ci pouvant n’être que peu significative, mais toutes ensemble étant d’une grande valeur, et telles que nul esprit droit ne saurait à la fin refuser son adhésion. C’est encore le faisceau qui, solidement lié, résiste; brin À brin, le moindre effort l'eût ployé où TR En réalité, on ne vérifie pas autrement une hypothèse qu’on ne démontre une induction ; et comment n’en serait- (1) Davy, par exemple, après son expérience fondamentale de 4807, est à peine conduit à supposer analogiquement, dans tous les alcalis et dans les terres, des métaux inconnus, qu'il en obtient plusieurs à l'aide de la pile. Les découvertes du calcium, du baryum et du stron- tium sont presque de même date que celle du potassium. Le naturaliste se ferait illusion, s’il prétendait jamais obtenir aussi rapidement d'aussi grands résultats. Mais assurément la plus funeste des illusions serait celle qui lui ferait croire à l'impossibilité d'imiter, même de loin, de tels exemples. (2) Voyez les Chap. IV et V. À 28. A42 PROLÉGOMÈNES, LIV; 11, CHAP. VII. il pas ainsi? N’avons-nous pas vu que les bonnes hypo- thèses ne sont que des inductions devançant les faits dont elles eussent dù logiquement dériver? Et réciproque- ment, les inductions ne sont-elles pas de simples hypo- thèses, très vraisemblables dès l’origine, en raison du grand nombre ou de l'importance des faits, à partir des- quels on a induit ? Une hypothèse, c’est donc une induc- tion téméraire; l'induction, une hypothèse prudente. On devra se défier de l’une, on pourra se confier à l’autre; mais, au fond, les démonstrations seront nécessairement de même ordre, seulement plus faciles ici, entourées là de difficultés plus graves. dure IV. On se résignerait bien difficilement à s'engager dans une suite presque infinie de vérifications de détail; à en entre- prendre, pour chaque hypothèse , autant qu’elle doit comprendre de résultats partiels. Marche lente, pénible, incertaine, au terme de laquelle on apprendrait enfin si l’on vient de conquérir une vérité, ou si l’on n’a fait que poursuivre une chimère. La science bien comprise a heureusement de moins sombres perspectives. S'il est vrai que toute supposition soit une porte ouverte à l'erreur aussi bien qu’à la vérité , du moins pouvons-nous le plus souvent, le seuil à peine franchi, nous détourner de l’une, nous orienter vers l’autre, choisir notre route, et écarter , sinon toutes les chances défavorables, du moins, et c’est l'essentiel, du: aaia 7 À cu TT de DORE de Er ae DEL. CS ua a - VÉRIFICATION DIRECTE. 4h83 le danger des longues erreurs. Ici même, sur le terrain mouvant des hypothèses, la méthode vient à notre aide, et les moyens qu’elle nous indique, sont, avant la véri- fication proprement dite, l'élimination et l'essai ; l'éli- mination préalable des hypothèses non scientifiques ; l'essai de celles qu’il y a lieu de prendre en considé- ration. | cag Hiao Dans la recherche de la vérité à l’aide des hypothèses, quelles sont celles dont nous devons faire abstraction comme non scientifiques? Les hypothèses dont l’invrai- semblance, la singularité, la bizarrerie même nous frappent tout d’abord ? Non. Du bizarre à l’absurde il peut y avoir loin, et, tout autant du moins qu'il s’agit de jugements portés à priori, le mot impossible doit être banni de la langue de la vraie science. Nil incredibile existimari de rerum naturà , dit Pline (1), et d'innombrables exem- ples nous enseignent combien il a ici raison. Ne condamnons done pas une idée, par cela seul qu'elle répugne à notre esprit : l’erreur est peut-être dans celle où il se complaît. Les seules hypothèses que nous ayons le droit et le devoir d'éliminer immédiatement, sont celles qui ne donnent prise qu’à la simple conjecture, et non à l'examen; à l'imagination , et non à l’observa- tion; sur lesquelles , par conséquent, on peut disserter à l'infini, mais non discuter. Conceptions souvent ingé- nieuses, dont parfois même nous admirons la grandeur ; peut-être même vraies en partie; mais comment le savoir, si elles ne sont pas discutables? Sachons donc RENTE Torre esse nb j (4) Historiarum mundi lib. 11, 11. hhh PROLÉGOMÈNES, LIV, 11, CHAP. VIIL passer outre, en réservant les droits de l’avenir ; et con- tentons-nous de chercher la vérité, plus humble peut-être et moins séduisante, où elle nous est accessible. Après l'élimination des unes, vient la prise en considé- ration, l'essai des autres, et d’abord, des plus simples comme étant les plus vraisemblables (1). Les essayer, c’est substituer à ce qu’on peut appeler le mode normal de vérification, un mode abrégé et aussi prompt que possible ; sorte de jugement sommaire après lequel viendra, S'il y a lieu , le jugement définitif. Les épreuves, les moyens d'essai varieront nécessai- rement, plus ou moins nombreux, plus ou moins sûrs; selon la nature des hypothèses : mais le premier, le plus décisif, sera presque toujours la vérification de l’hypo- thèse par ses conséquences nécessaires. Déroulons, sans nous arrêter à les vérifier par l’obser- vation à mesure qu'elles se produisent , les conséquences successives et nécessaires de l’hypothèse que nous vou- lons juger. Il arrivera souvent, trop souvent, qu’une ou plusieurs d’entre elles viendront rencontrer et contredire des faits déjà constatés, des propositions déjà démontrées ; d’où, les contradictoires ne pouvant subsister en même temps, la fausseté de ces conséquences , par suite, celle de l'hypothèse elle-même. On voit qu'ici le jugement sommaire est définitif. Si, au contraire , les conséquences , si loin qu'on les (1) Sur les plus mémorables exemples que l’on puisse citer à cet égard, ceux qu'ont donnés les immortels réformateurs de l'astronomie, Copernic et Keppler, voyez CourNoT, Essai sur les fondements de nos connaissances, 1851, t. I, p. 6 et 81. a sa VÉRIFICATION DIRECTE. hhS 2 ait suivies, concordent avec ce qu'on savait d'ailleurs, ily aura lieu de continuer la vérification sommaire, c'est- à-dire de procéder à une seconde épreuve, à peu près comme on fait passer par un second crible le grain qu’on veut épurer. Au On pourra, le de souvent, faire sortir. cette seconde . épreuve de l'examen, fait au point de vue de l'hypothèse, , | de ce qu’on peut appeler en général les faits d'exception ; faits contre la coutume, dirons-nous avec Montaigne (4), mais selon la-nature, et par conséquent, pour qui les comprend bien, réduetibles aux lois communes. Mais la -réduction est ici difficile, et par là même, s'il est une “hypothèse qui nous y fasse parvenir, le succès devient très significatif en sa faveur. En science aussi, les preuves ne se comptent pas , elles se pèsent; et un fait tératolo- gique ramené à sa loi, un groupe anomal ou aberrant, un être monadique, comme disait Bacon (2), rapporté à ses analogues , mis à sa vrai place ; une exception dans la distribution géographique d'une famille heureusement rattachée à sa canse, peut valoir une longue suite de résultats obtenus sur un terrain plus facile. H y a des faits si simples qu’ils se prêtent pour ainsi dire à toutes les hypothèses : il en est de si difficiles à pénétrer, que la vérité semble en avoir seule le pouvoir (3). RIRE RECRÉER TE RTE TERRE | $. | (1) Essais, liv. H, chap. xxx. l ai (2) Novum organum, lib. H, $ xx vi. j (3) Après les travaux tératologiques de mon père, de Meckel, de M. Serres, de leurs disciples, est-il besoin d'ajouter que les faits Lex- ception ne fournissent pas seulement à la méthode un moyen précieux de vérification? Jls sont souvent aussi, et non moins utilement, le point de départ de nouvelles inductions. C’est pourquoi, comme je J ? dé f r3 ‘# + # ) Š y h6 PROLÉGOMÈNES, LIV. 1, CHAP. VII. Pourtant ne nous y trompons pas. Même après ces épreuves, et après celles qu’on pourra encore instituer dans chaque ordre de questions, la vérité ne nous est pas encore complétement acquise. Le jugement sommaire n'est jamais définitif que lorsqu'il condamne. S'il est favorable, il reste à le confirmer par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, les mêmes maintenant qu'à l'égard de l'induction proprement dite (4); car, devenue aussi probable qu’elle, l'hypothèse ne s’en distinguera plus que par son origine. Ce sera, pour ainsi dire, une autre forme de l'induction; l'induction légitimée, au lieu de l'induction primitivement légitime. LE ` Pour parvenir, par le mode direct, à la démonstration de l'hypothèse vraie, il n’est pas nécessaire de savoir me suis cru fondé à le dire dès 1839 : «la tératologie, dans les mille » et mille faits qui lui appartiennent, embrassant toutes les condi- » tions de l’organisation chez tous les êtres, il west aucun fait gé- » néral, aucune loi anatomique ou physiologique qu’elle ne puisse » éclairer d’une vive lumière, et à laquelle elle ne donne ou une infir- » mation ou une confirmation positive. » (Préface de l'Histoire naturelle générale des anomalies, p. xij.) Proposition à plus forte raison vraie, si On l’applique, non plus seulement aux faits tératologiques, mais à tous les faits d'exception, dans le sens le plus étendu de ce mot. Je ne vois d’ailleurs pas que l'étude des faits d'exception, considérée comme moyen de découverte, puisse être élevée au rang d’une méthode distincte, ayant ses procédés et ses règles propres. De là le silence que j'ai gardé dans le chapitre précédent, sur ce qu’on à nommé en général la Méthode des résidus. Voyez WukweLL, The philosophy of the inductive sciences, 1847, t. Il, p. 499, et H. MARTIN, loc. cit., t. I, p. 67. (4) Voyez le Chap. V. VÉRIFICATION INDIRECTE. h47 combien d’hypothèses fausses se trouvent par elle éli- minées. La solution obtenue , il ne reste plus qu'à rejeter en bloc tout ce qui lui est contradictoire. Tout au plus, dans quelques cas particuliers, pourrait-on juger utile de fortifier la preuve, déjà acquise , par des contre- épreuves négatives. Il en est tout autrement de la démonstration indirecte. Le dénombrement des hypothèses que l’on peut former sur une question, est ici la condition première et essen- tielle de sa solution : une option négative ou par exclusion ne saurait être valable, si toutes, moins une seule, n'ont été successivement examinées, jugées et condamnées. D'où, pour une multitude de questions, l'impossibilité de recourir au mode indirect. Il n’est, comparé au mode direct, qu'une méthode particulière à côté de la méthode générale, à laquelle, dans certains cas, elle vient en aide, et dans d’autres se substitue. | En outre, la méthode la moins généralement applicable estaussi la moins rationnelle. Par ladémonstration directe, nous Savons comme nous aimons à savoir , comme nous avons besoin de savoir; par les rapports, parles causes (1). Comment leur connaissance serait-elle accessible à la méthode par vérification indirecte? Procédant par l’exclu- sion successive de toutes les hypothèses erronées, celle-ci ne peut que dégager à la fin les résultats cherchés , Sans les rattacher à leur principe, sans les expliquer. Ils sont vrais, Car ils ne peuvent pas être faux; e’est là son der- (1) « Verè scire esse per causas scire. » BAGON, Nov. organ., lib. M, aphor. 2. AAS -` PRoLÉGOMÈNES, LIV. m, CHAP. vu. nier mot, son unique argument; et s’il suffit À la logique, Sil entraîne notre raison , il est loin de la satisfaire. Mais ces graves inconvénients ne restent pas pour elle sans compensation. Elle fait vite ce que font lentement et péniblement des méthodes plus régulières. Celles-ci, dans chaque question, abordent, examinent, résolvent les difficultés une à une : la méthode par vérification indi- recte; les laissant irrésolues, résout pourtant, par les voies détournées qui lui sont propres, la question elle- même. | Ilest presque toujours plus facile de déceler, de prouver l'erreur, que de dévoiler, de démontrer la vérité. Quand deux où plusieurs hypothèses sont en présence, que faut-il pour condamner et éliminer celles qui sont fausses ? Contre chacune d’elles il suffit d’une preuve négative. Pour mettre hors de doute l'hypothèse vraie, il est besoin d’une infinité de preuves positives. Done, où les hypo- thèses rivales sont en nombre déterminé et très res- treint, la vérification indirecte est nécessairement la plus courte. . Par là même, il peut arriver qu’elle reste la seule pra- ticable. La vérification directe supposemalheureusement, dans beaucoup de cas, une si longue suite de preuves, et des preuves si difficiles à obtenir, qu’elle cesse d'être pos- sible; méthode satisfaisante encore en théorie, mais, en réalité, inapplicable ; dédale sans fin, détours sans nombre, où s’égarerait le plus sagace, où succomberait le plus p ersévérant. -C'est ici qu'interviendra, avec ses avantages pro- pres, la méthode par vérification indirecte. Nous allions \ i- . VÉRIFICATION INDIRECTE» Who | nous arrêter, elle nous fera faire encore quelques pas, Partout où les conceptions entre lesquelles il s’agit d'opter sont en petit nombre et toutes en présence, elle ne s’ef- frayera ni de leur étendue ni de leur complexité, füt-elle - extrême. Parfois même elle saura les mettre à profit, pour multiplier, pour varier ses épreuves, pour les rendre plus sûrement décisives; car’ autant de notions diverses p seront impliquées dans une hypothèse, autant il y aura de K voies pour la prendre, si elle est fausse, en flagrant délit d'erreur. En sorte que, dans ce même ordre de questions E où les difficultés d’une démonstration directe sont portées le plus loin, si loin qu'elles restent hors d'atteinte, l'élimi- nation des fausses hypothèses et le dégagement final de l'hypothèse vraie seront peut-être plus rapidement obtenus que dans des cas plus simples et en apparence plus faciles. Exemple peut-être unique d’un problème dont la com- plexité même tend à favoriser la solution. Qu'est-ce, au fond, que la méthode par vérification indirecte ? Simplement l'art de tourner les obstacles. C’est par là qu’elle pèche; mais par là aussi qu'elle vaut. Où les difficultés peuvent être autrement surmontées , | abordons-les de front, afin dé nous en rendre compléte- | j ment maîtres. Où elles sont insurmontables, voici du | moins un moyen de passer outre, et nous ne devons pas | hésiter à y recourir. Tous les moyens sont bons, hors í i ceux qui ne réussissent pas : maxime ailleurs fausse et À | dangereuse, ici légitime et salutaire. On s’étonnera un jour qu’une méthode aussi heureuse- ment applicable aux questions les plus difficiles ait si peu fait encore pour leur solution. Par la nature même des z 29 RES PRIT ER ET EST STRESS a se Bora, Lee a ee PAL D ON ah 450 PROLÉGOMÈNES, LIV. I, CHAP. VII. arguments qu'elle emploie, elle pouvait être l’une des pre- mières mise en usage; elle sera, en fait, venue la dernière. Encore ici les sciences physiques avaient donné l’exem- ple à l'Histoire naturelle, et s’offraient à nous pour guide ; encore ici l'exemple n'avait pas été imité, le guide n’avait pas été suivi. Essayons du moins de réparer le temps perdu ; sachons enfin nous mettre en possession de cette méthode, tantôt si utile pour abréger la route, tantôt indispensable pour l'ouvrir; dans le premier cas, instrument secondaire de la science, mais dans le second, l’une de ses ressources principales ; celle qui subsiste par delà toutes les autres ; dernière réserve en face des derniers obstacles, et par là même, couronnement nécessaire de cette Méthode géné- rale des sciences naturelles que j'achève ici d'exposer, et qu'il s'agira maintenant d'appliquer. FIN DES PROLÉCGOMÈNES ET DU PREMIER VOLUME. YVYVVYVVYVVYYYYVYVYYYYYYYVY YY VUYVVYVYVYVYYVYVYVYYVYVYVVYVYYVYVYYYVVvVvVvvyY TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME, EA as 6 e or NES re LAS RCI EU ll Division de l’ouvrage et distribution des matières, .....e.0+e9ex XIX INTRODUCTION HISTORIQUE. SECTION I. — ORIGINES, PROGRES ET DÉCADENCE DE L'HISTOIRE NATURELLE DANS L ANIIOUNE. <2 eme mouse n T A A NE 3 I. Notions contenues dans le Pentateuque. .,..,......,... 3 Ii. Origines de l'Histoire Hat@iéller. 1.100,02 6 III. Notions chez les Chinois.....,..... es a ren Mis 8 IV. Notions chez les Indiens et les Perses. ........,,.,...., 10 V. Notions chez les ÉenDODRS. à Lens SE, 0 0 VI. Premiers progrès chez les Grecs......,...,.......,,, Heer 26 NI ARS Dies. ce HT SEE ET. © SERRE : VII. L'école.d'Aristote. Théophrastéessm:z se. conte 22 IX. Auteurs romains et grecs. Pline........... Toro 24 X. Dioscoride. Galien...... irrist see DEEE 26 SECTION II. — RENAISSANCE ET PROGRÈS DE L'HISTOIRE NATURELLE DANS LES TEMPS MODERNES 1.05. 12:18 _ PIC EPS drame . 29 I. Réveil de l'esprit humain. s.s.s.. ERARAS SAT TS 29 IT. Renaissance des lettres et des sciences. Renaissance de l’His- toire naturelle.. esse EESE EN SE sery Es un E i i (xvi° siècle.) I. Naturalistes compilateurs. Premiers observateurs... s.s.. 35 IV. Clusius» Rondelet: - Belon.. séise siss E OE TE 39 V,- Gesnetrssmeress mod SRE RO ER GS 40 era 40 VE. -Césalpiie serres: D à tosssssosssssssse 43 (Fin du xvi° siècle et première partie du xvn°.) VII. Physiologistes. Fabrice d’Aquapendente. Harvey........, 46 VII. Zoologistes et botanistes. Colonna. Les Bauhin..........: 50 h52 TABLE DES MATIÈRES. (Seconde partie du xvn° siècle et commencement du xvin*.) IA NICE OS PAPE eanu em Est ere: -cmdiiters ire X. Anatomistes. Zoologistes. Classificateurs. . . «ses... XI. Résumé. Esprit nouveau de la science. Division du travail. SECTION HI.— PROGRÈS DE L'HISTOIRE NATURELLE DANS LE XVIII? SIÈCLE . I. Les deux grands naturalistes du xvu? siècle. Linné. Buffon. IE Progrés dus à. .hinér-enma sœurs ae semmenrenuen se ce su sde LMPTOS TES duS BON, e e ane ce seen sereténre ee IY e Ees JUnit er RE a tte elfe et V. Les autres naturalistes illustres du xvm? siècle. Adanson. Charles Bonnet. Haller. Pallas. ......,.............0. SECTION IV. — PROGRÈS RÉCENTS DE L'HISTOIRE NATURELLE» oes ee I. Mouvement rapide de la science durant la révolution fran- aisé Et ARR lOr MN RME TES ETA à + so des tepotantstes:: Dé CaAndUIes eee ste vesvesssetobreeser 1208 IE Zoologistes. Lamareék.: Cuvieres 2,4. 408.204 06 ave dote 806 IVr-Greoffrey Sane Attor sir cri Il LTÉE LT Pa er MIO Ve Direction nouvelle de la seente tee. R coco. 114 RÉSUMÉ DE-L'INTRODOUCTION HISTOMIOUR: 4 ee « ss rec etes overte e 119 TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS CITÉS DANS L'INTRODUCTION HISTORIQUE. 125 o L RRS e EAE ass messe esse eratevse” 129 IL. Moyen âge: et renaissance. ............................ 132 IL. Temps modernes ......2.....4........e..ssrssees. 135 PREMIÈRE PARTIE. — PROLÉGOMÈNES. IRIRODUCTION ERA 5 PO sante sauter. nas - BOT LIVRE PREMIER. — Des SCIENCES EN GÉNÉRAL, ET PARTICULIÈREMENT DES RAPPORTS DES SCIENCES NATURELLES AVEC LES AUTRES BRANCHES DES CONNAISSANCES HUMAINES. CHAPITRE I. — DE L’UNITÉ DES CONNAISSANCES HUMAINES ET DE LEUR AOSE anian target eee era etat at ete RES, SM où à s I. Cousidérations générales sur les connaissances humaines. . ... IL. Leur vérité fondamentale; leur diversité secondaire. ....... CHAPITRE IL. — DEs VUES DIVERSES ÉMISES SUR LES RAPPORTS ET LA CLASSIFICATION DES CONNAISSANCES HUMAINES. soon oeseeesse I. Résumé historique. ..............s...oesessseusuns II. Arbres encyclopédiques, et autres images ou représentations graphiques. secs A PT ntaa. II. Considérations diverses sur lesquelles peut être fondée la classification des connaissances humaines. Diversité de source. Diversité de but. Diversité d’objet.......,..... l TABLE. DES MATIÈRES. h53 CHAPITRE HI. — DE LA CLASSIFICATION DES CONNAISSANCES HUMAINES D'APRÈS LA DIVERSITÉ DES BUTS OU ELLES TENDENT essoseseoseese 195 I. Double but des connaissances humaines. Sciences théoriques ou spéculatives. Sciences appliquées ou pratiques.......... 195 IL. La classification ne peut être fondée sur la diversité des buts où tendent nos connaissances. Classifications de MM. d'Oma- dus d'Hallapiet Gérdes sue et cad drama eo eue sie 199 CHAPITRE IV. — DE LA CLASSIFICATION DES CONNAISSANCES HUMAINES D'APRÈS LA DIVERSITÉ DES SOURCES ET DES MÉTHODES DONT ELLES DÉRI- I. Diversité des sources d’où émanent nos connaissances. Obser- vation, expérience et témoignage; raisonnement et calcul. Faits etthéonies à » 3 à dut ve r ena AN OM RS 712035 Il. Sciences rationnelles. Sciences dites d'observation et d’expé- PR stand da euh cet Cho TRES : LIL Classification de Bacon. Classification de D’Alembert et de dE... choisies domamann.si cbédagins te... 214 5 : ivaciaencatonr de Do Candal sd eksnaine dodhest se 21T CHAPITRE V. — DE LA CLASSIFICATION DES CONNAISSANCES HUMAINES D'APRÈS LA DIVERSITÉ DES OBJETS QU'ELLES CONSIDÈRENT « e ee esesees 224 I. Conception encyclopédique de Descartes ; sa détermination de il ' l'ordre hiérarchique ou de la série des connaissances hu- MAÎNES . cesser esses ds. 221 «| Il. Classifications mathésiologiques plus ou moins conformes à la série de Descartes. Classifications de M. Auguste Comte et > d'AIMPÈTE se cemesssesrsesssssssseessesesestesss.. 226 II. Concordance de ces diverses conceptions, et particulièrement de celle de Descartes, avec l’ordre logique et avec l’ordre | historique de l’évolution des diverses branches des connais- 1 SA COS IRAN. es ei uurhenma titine caupant se. 230 CHAPITRE VI. — DE LA CLASSIFICATION OBJECTIVE ET PARALLÉLIQUE DES SCIENCES, ET DU RANG DE L'HISTOIRE NATURELLE DANS LA SÉRIE DES i; COANA ANO ONA INES ea aaa Dan a ee M eee A e nea AD I. État de la question après Descartes. +................:.. 235 I. Division objective des sciences. Sciences mathématiques. Sciences physiques. Sciences biologiques. Sciences humani- taires ou sociales. Philosophie ou sciences philosophiques.. 238 IL. Concordances diverses «eue. crida i eann a a a 245 IV. Vérification par l'étude comparative des travaux modernes... 247 V. Subdivision de chacun des groupes primaires. Sciences théori- ques. Sciences appliquées ou pratiques. Expression de leurs doubles rapports à l’aide de la classification parallé- Note a Le En IPN PE Re en. cé 205 VI. Résumé. Rang des sciences naturelles dans la série générale : + des connaissances humaines.......................... 263 5h TABLE DES MATIÈRES. LIVRE IE. —DE LA MÉTHODE DANS SON APPLICATION AUX SCIENCES NATURELLES. INTRODUCTION Le PR Rien 6 Pete es as vba ce dont 0 OT JOT CHAPITRE I. — DELA MÉTHODE, DANS SON APPLICATION AUX SCIENCES NABURELLENS es Ena cales oo 8e Me de à de doc soso 269 F.Gaonsidérations DIÉMMIMAITES . mot oivoocere eco steel se 269 II. Rapports nécessaires entre l’évolution des sciences naturelles et cehe de saences DIS MERE » » «es cosmos ne s UI. Conséquences relatives au perfectionnement de la méthode en Histoire Nare Lt 32 PE RER UOTE. 1 IV. État présent dé IEE a se D MN. An. CHAPITRE II. — Des TROIS ÉCOLES PRINCIPALES EN HISTOIRE NATURELLE, ET DE LEURS VUES MUR METHODE è e v Epes eso an ERN E e neo ee I. Parallèle des trois méthodes et des trois écoles. ..,.,.,.,.. I. Vues de Cuvier dans sa jeunesse. . .s.eicsocssesos oeoo II. Exposé des vues définitives de Cuvier et de son école sur lensemble de la science et sur la méthode. ........... IV. Caractère et influence de la Philosophie allemande de la na- ture. Accueil fait en France aux travaux des Philosophes de ja names. sur ea rase e à de eos à RE V. Exposé des vues de Schelling et de son école. ........... VI. Sources de l'esprit nouveau de la science. École philosophi- QUE LANCE Pet DR RL EN. VII. Exposé des vues de Geoffroy Saint-Hilaire et de son école. . VIIT. Réfutation des objections de Cuvier...........,,,,..,, ERREUR. à OR OS 6 » no. ne 0 4 « CHAPITRE IL. — Du PERFECTIONNEMENT DE LA MÉTHODE, ET DES PRO- GRÈS QUE DOIT FAIRE L'HISTOIRE NATURELLE, A L'EXEMPLE ET AVEC LE SECOURS DES SCIENCES ANTÉRIEURES « o «sos setousceeseoeseesee I. Direction que doivent suivre les sciences naturelles. Rapports entre leur méthode et celle des sciences antérieures... ... IT. Progrès qu’elles doivent accomplir, caractères qu’elles doivent revêtir, à l'exemple et avec le secours de celles-ci....... LL. Simplification possible du problème,.........,.,,,,...,. CHAPITRE IV. — DES DIFFICULTÉS, DU CARACTÈRE ET DE LA VALEUR DE L'OBSERVATION DANS LES SCIENCES NATURELLES. «soso LE. Immensité et difficultés de la science. .............4%.,.. JI. Causes d'erreur dans l'observation.. seese eses esiste it. à IT. Valeur différente de l'observation dans les sciences physiques et dans les sciences naturelles. Observation typique. Obser- vation seulement individuelle. Nécessité de l'intervention du raisonnement, non seulement pour saisir les lois des faits biologiques, mais même pour obtenir et établir ces faits.. CHAPITRE V. — Des DIFFICULTÉS, DU CARACTÈRE ET DE LA VALEUR DU RAISONNEMENT DANS LES SCIENCES NATURELLES. + soso eoovenses ee TABLE DES MATIÈRES. Į. Caractère et valeur de l'induction. Induction démonstrative. IMMO AVENTURES see Il. Caractère et difficultés du raisonnement dans les sciences naturelles. Première source de difficultés : nécessité d'aller uparticuliertau Seneta 2 ne 2, HI, Seconde source de difficultés : nécessité de procéder, dans un très grand nombre de cas, du composé au simple. ...... IV. Vérification, par l'observation, des résultats induits. ...... V. La certitude peut être obtenue par l’emploi combiné de l'ob- servation et du raisonnement, et par la considération des rapports-nécessäires. a. . «us ss. messe a a ss z VI. Elle peut l'être même, dans certains cas, par voie analogique. VII. Le critérium de la certitude est dans la concordance des ré- sultats obtenus par des voies diverses, et surtout dans la vérification expérimentale des conséquences déduites..... CHAPITRE VI. — DES PRINCIPALES MÉTHODES DE DÉCOUVERTE ET DE DÉMONSTRATION EN HISTOIREMNATURELLE ML, M: eo, Los o » 870 0 ee I. Décomposition de la méthode générale des sciences biologiques entiméthodes partielles. oi mi 4 48 ur, 4 cine oo 0e IT. Méthode synthétique par divisions. ...:...,,.4......,.... HIT. Méthode par ordination sériale, où, par abréviation, Méthode séro OD Me. eus vase io es SES EU «à à IV. Méthode par coordination parallélique, ou, par abréviation, Méthode parallélique. . come oo ehan i sus V. Emploi de la Méthode parallélique pour l'expression des rap- ports naturels des êtres. Classification par séries parallèles ou classification parallélique. ................ss..sse.e VI. Emploi de la Méthode parallélique considérée comme méthode inventii eee ne HET HE LE CCS ares e CHAPITRE VII. — DES HYPOTHÈSES ET DE LEUR RÔLE UTILE EN HISTOIRE E E E semi de 2h A O OR E I. Rôle utile des hypothèses dans les sciences. Point de vue au- quel elles doivent être considérées en Histoire naturelle... IT. Méthodes de vérification... :.........e.sss.sssesesseus II. Vérification directe ou positive. . ses .es ses IV. Simplification possible de la vérification directe. Élimination des hypothèses non scientifiques; essai préalable des hypo- thèses vraisemblables. Vérification par les conséquences nécessaires ; vérification par les faits d’exception......... V. Vérification indirecte ou négative... esse. sosesereree D PLATS à + ce à eee + de 0 ee à Te 7, 016 FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME. 422 429 433 433 437 440 442 446 451 ERRATA. | | N | PAGES:| LIGNES. ~ MOTS A ERFACER. MOTS `A SUBSTITUER. 27 4 Quarante. De En Vingt. 25 L’a de beaucoup devañcédanslascience.| L’y a de beaucoup devancé. 24 Importants. ` . .| Imposants. Babenhausen. i 5 Bebenhausen. Dans la première partie du XIx® siècles, | A Stuttgart, en 1844. Plus généralement, sip . . cts.. a Avait 2e 20 | A. Pínil. rise. be s … fa J Séridl, LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON. ; GAZETTE HEBDOM. DAIRE -DE MÉDECINE ET DE CHI- BURGIE. Ce journal, dont la direction est confiée au docteur DecHamBRE, paraît le vendredi de chaque semaine; à partir du 7 oc- tobre 1853. — Chaque numéro comprend 32 colonnes in-2, L'abonnement part du 1° de chaque mois. | Prix : Un an, 24 fr. — 6 mois, 43 fr, — 3 mois, 7 fr. BLANCHARD (ÉMILE). ORGANISATION DÙ RÈGNE ANIMAL publiée par livraisons grand in-4°, contenant chacune deux planches magnifiquement gravées et une feuille et demie de texte. Prix de chaque livraison MR nee nn ee dise die SL CU 00e se DDR DELAUNAY. COURS ÉLÉMENTAIRE D'ASTRONOMIE, concor- dant avec tous les artiċles du nouveau programme officiel pour Fensei- gnement de la Coswocrarnie dans les lycées. Paris, 1853, 1 vol. grand: in-18, avec figures dans le texte. :...,......:.. 1 fr. 50 FIGUIER (L.). DÉCOUVERTES SCIENTIFIQUES MODERNES (Exposition et histoire des). Troisième: édition. Paris, 1854, 3 volumes | sors dvi seras es HO TE. 50 Bateaux à vapeur. — Che- Le tome IT comprend : Photographie. — Télégraphie aérienne et télégraphie électrique. — Galvanoplastie et dorure chimique. Le tome II comprend : Aérostats. — Éclairage au gaz. — Planète Leverrier. — Ethérisation. — Poudres. GAUTIER (A.). INTRODUCTION PHILOSOPHIQUE à l'étude de la géologie. Paris, 14853, 1 vol. in-8° 5 fr. 50 KLEE (Frén.). LE DÉLUGE, Considérations géologiques et historiques sur les derniers cataclysmes du :globe. Paris, 1847, 1 volume grand ` IR ne í 3.fr. 50 LONGET. TRAITÉ DE PHYSIOLOGIE. Paris, 1850-1854, 2 forts yolumes grand in-8° compactes, avec figures dans le texte et plancheSen taille-douce noires et coloriées. ... . MATTEUCCI. LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES PHYSIQUES DES CORPS VIVANTS. Paris, 1#ol.gr.in-18,avec18fig. 3 fr. 50 ROUSSEAU (L.). PHOTOGRAPHIE ZOOLOGIQUE, ou Représentation des animaux rares des collections du Muséum d'histoire naturelle. Ou- vragé dédié à MM. les professeurs-administrateurs du Muséum, et gravé sur acier par l’héliographie. d l A La Photographie zvologique se composera de soixante planches qui seront publiées en 40 livraisons de six planches chacune. Des tables méthodiques seront données avec la dernière livraison. -Prix de la livraison. +... Paris. — Imprimerie de L. MARTINET, rue Mignon, CR, TER ARCS CE NGN ÿ SCA DA in CPR ETC ARE OMR. pr At. La rs 4. de TER he es i f Le ari e DATE Ha 2e KANE ut 414 + E 4 ARLES ds Aate PETEERE HT notes EST + (HN h ut cu ne. nr ets E + 1. LUAR DÉS FT ee À au en 92% e: na hate T a lun ie Un HAHA i MEE TARIA t TIPA Je PESAS O CE ar iae an e A P a E, de e, Mate a ~ sfr) ts t 1,4 its ' r (a KAR { tir HUE tre RAC rss + Da Es ee : RCI La ton D ot AARS giy 147 S Crete tte PEPESE JE E A HEN : rs s Dan ENS ES Rss ET A TS Ak ne a ma eg Pt LA ego a AERA OTLA TET a aa tte EOR x 7 erg fs x $ s; PORT re gs 7 E KANAK ae LI M! DDR =. re De + | K K ” Us HEC + rt: e Re mers PC MNT) HAN PEN ee e porn at ue AMACIN ets rie + à pin à À ERRAILEN, SERAN | SAURE 5 AA SR ET