Bereid aeh y 4! latret a Hitit if: trie seit 4 CHAR Net. in pue = 3 Ežo Léa re 9 2e ee né a 47 H sialéhes us 4 $ t q paa = x Z pra: ee mé ee D TE Put reine De ; $ i + re i Rin l i see í Artate 4: ne $, di it raa a aoga 6 à 2 i tr f si HAT Je He ca RD TT ere TE Tee ee à T lé F'RItNN TN t CS piat y A RA R? E T ? ES w. Fr + Ei Ahate is LÉ RE EE re 72 HSE | V2 A Au LAS < \ sert peer CH RCA lereiect p tr ral me Sri GER ri td i rene He THE as AR rra ; : dt A 47 or +, GÉNÉRALE DES RÈGNES ORGANIQUES, core qu y LI Re. 2 Rien AE PRINCIPALEMENT éroniée € CHEZ L’ ROME ET LES ANIMAUX, AE E ; = PAK PAEA 7 ‘ee M l FT GEOFFROY SAINT- -MILAIRE, } PEN SA MEMBRE DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES soiuncES), $ ia : "o 4 CONSEILLER ET INSPECTEUR GÉNÉRAL HONORAIRE DE L'INSTRUOTION PUBLIQUE , : i EURA gi iE : EE . PROFESSEUR-ADMINISTRATEUR AU MUSÉUM D’ HISTOIRE NATURELLE, $ Le PROFESSEUR PE ZOOLOGIE A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE PARIS, à : 3 f 3 ASSOCIÉ LIBRE DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'ACCLIMATATION ET DU CRE . D'ADMINISTRATION DU JARDIN | ZOOLOGIQUE, S t ee i anne ie Ai a » PREMIÈRE PARTIE, Fe, D a o LIBRAIRIE VICTOR MASSON; PLACE DE À EPU IES WRDEUINE: mass _MDCCCEX ` HISTOIRE NATURELLE GÉNÉRALE DES RÈGNES ORGANIQUES. pua - TOME TROISIÈME. PREMIÈRE PARTIE. PARIS. — IMPRIMERIE DE L. MARTINET, RUE MIGNON, 2. Ms HE. 1 LA V TAS HISTOIRE NATURELLE GÉNÉRALE DES RÈGNES ORGANIQUES, PRINCIPALEMENT ÉTUDIÉE CHEZ L'HOMME ET LES ANIMAUX, PAR M. Isom GEOFFROY SAINT-HILAIRE, MEMBRE DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES SCIENCES), CONSEILLER ET INSPECTEUR GÉNÉRAL HONORAIRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE , PROFESSEUR-ADMINISTRATEUR AU MUSÉUM D "HISTOIRE NATURELLE, PROFESSEUR DE ZOOLOGIE A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE PARIS, ASSOCIÉ LIBRE DE L’ ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D’ACCLIMATATION ET DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DU JARDIN ZOOLOGIQUE. TOME TROISIÈME. PREMIÈRE PARTIE. PARIS LIBRAIRIE VICTOR MASSON, PLACE DE L’ÉCOLE-DE-MÉDECINE. MDCCCEX a E aa co MUDE: EONO EA E de. E OU e ae cms nara a a a Š r 2 a A y ANOMALIES DE L'ORGANISATION. Ə aussi d'en éliminer d'autres qu'on n'eût jamais dù y faire intervenir. IL. La tératologie, cultivée depuis l'origine même de l’auatomie et de la physiologie, par tout ce que ces sciences ont possédé d'hommes éminents, et entre tous par Haller (4), était restée jusqu'à notre siècle presque éfrangère aux travaux des zoologisies. Buffon, qui. a distingué trois classes tératologiques, les monstres par excès, par défaut et par renversement ou fausse position des parties (2), et que cette division, souvent reproduite, a fait citer comme un des législateurs de la térato- logie, a écrit, sur les monstres, cinq pages en tout; et encore s’y montre-{-il bien plutôt compilateur qu'au- teur original, Les autres naturalistes ne nous ont guère transmis comme lui que quelques vues ou quelques faits isolés, - ou même, et c’est le plus grand nombre, ils ont laissé les anomalies complétement en dehors du cercle de leurs études, | | La raison en est simple : elle est dans ce classement vicieux qui a si longtemps fait de la science des anomalies une partie, indistincte, innomée, de l'anatomie patho- logique. Presque de ‘nos jours, Meckel lui-même ne songeait pas encore à placer la tératologie en dehors (1) De monstris, dans les Opera minoraį voy: lé t. HI (4768), p: 3 (2) Suppléments, t. IV, 1778, ps 578: TE ns COLE CRU E 3 ME PEA — a h NOTIONS FONDAMENTALES, LIY. M, CHAP. VHI. des sciences médicales. Le grand ouvrage qu'il Iui a consacré et qui en marque une des époques principales, a été publié, de 1812 à 1816, sous ce titre: Manuel d'anatomie pathologique (4). Jusque dans notre siècle, les naturalistes, à moins qu'il ne s'agit de simples variétés, devaient donc croire que déerire une anomalie, c'était s’aventurer dans le domaine de la médecine; ct « les animaux réguliers » restaient ainsi presque « le seul » fond où lon puisât les éléments de toutes les connais- » sances physiologiques » (2). C’est en 1820 et 1822 que Geoffroy Saint-Hilaire a, le premier, restitué à la « zoologie pathologique », comme il la nommait alors (3), à la tératologie, comme nous l'avons depuis appelée (4), sa place légitime parmi les sciences biologiques ; elle peut y « marcher de pair», disait Geoffroy Saint-Hilaire, « avec notre zoologie normale, » sous le point de vue d’une répétition des mêmes formes. » Et c’est aussi l’auteur de la Philosophie analomique qui nous a appris à faire intervenir les faits anomaux, comme autant d'éléments nécessaires, dans la discussion, non de quelques-unes des grandes questions de l'Histoire natu- (1) Handbuch der pathologischen Anatomie. Leipzig, 3 vol. in-8. (2) GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Philosophie anatomique, t. IF, 1822, Monstruosités, p. 103. (3) Ibid., p. 121, dans le second des mémoires dont se compose le tome II de la Philosophie anatomique. — Le premier, Sur plusieurs dé- formations du crâne de l’homme, avait été composé en 1820, et publié, une première fois, dans les Mémoires du Muséum d’'Hisloire natu- relle, 1821, t. VII, p. 85. (4) Histoire générale et particulière des anomalies de l'organisation, ou Traité de tératologie, 3 vol. in-8° et atlas, Paris, 1832-1836. ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 5 relle, mais de toutes, sans excepter celle de l'espèce; car c'est pour l’éclairer sur un de ses points les plus fon- damentaux, mais anssi les plus obscurs, que Geoffroy Saint-Hilaire a entrepris, sur la production artificielle des monstruosités chez les oiseaux, une série d'expériences devenues célèbres (4). De là, pour nous, la nécessité d’ajouter, à ce qui a déjà été dit de la variété, c’est-à-dire du premier degré de l’anomalie (2), queiques notions sur les autres dévia- tions du type; ce que nous croyons ne pouvoir faire d'une manière à la fois plus concise et plus claire, qu’en plaçant ici une esquisse de la classification térato- logique (3). lif. En procédant du simple au composé, c'est-à-dire des anomalies les plus légères et les. plus simples aux plus graves et aux plus complexes, nous trouvons d’abord ces variétés, dénuées de toute importance anatomique et physiologique, qui touchent de si près à ce que nous avons appelé les nuances. Mais ces variétés se lient à d’autres, de plus en plus marquées, et celles-ci aux vices de conformation ; et si intimement, qu’on ne saurait les en séparer dans la classification, quand même on n'aurait pas, pour réunir toutes ces anomalies en un seul et même (1) Voy. le Chap. VI, sect. x, t. Il, p. 417. (2) Vay. le Chap. HE, t. IT, p. 301. (3) Pour les développements, voy. l'Hist. gén. des anomalies. DR E 6 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. W, CHAP, VIN. eroupe, une raison décisive, que déjà nous avons indi- quée (1) : la même déviation du type qui n'est dans une éspèce qu'une variété à peine digne d'attention, peut con- stifuer dans une autre une conformation très vicieuse, parfois même nécessairement mortelle, si l'art chirurgical ne la fait promptement disparaître. La distinction des variétés et des vices de conformation, très importante au point de vue particulier de l'anthropologie, de la vétéri- naire, ou de toute autre branche spéciale de nos connais- sances théoriques et pratiques, s'évanouit done dès qu'il s'agit d'une étude générale des anomalies, et par consé- quent, dans la classification tératologique, où les unes et les autres se confondenten un seul et même groupe pri- maire ou embranchement. Nous avons proposé le nom d'hémitéries (2) pour ce premier embranchement térato- logique qui comprend toutes les anomalies qui peuvent être dites simples, c'est-à-dire qui n'atteignent qu'un or- gane ou un appareil, ou qu'un seul ordre de caractères. Les hémitéries portent, tantôt sur le volume, tantôt sur la forme, tantôt sur la structure, tantôt sur la disposition, tantôt encore sur le nombre des organes; etde là cinq groupes principaux ou classes, où se rangent, pour nous borner à citerici en exemples les faits les plus -connus chez l'homme et les animaux : le nanisme et le géantisme, hémitéries de la première classe; l'albinisme et le méla- nisme, qui appartiennent à la troisième ; l’ectrodactylie el la polydactylie, qui se rangent dans la dernière, (4) Loc. Cites C Il, p. 350. (2) C'est-à-dire, demi-monstruosités. Du radical #utov:, demi, et de rs025, MOnStre, pee em corn à CE ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 7 Toutes les autres anomalies sont compleæes : telles sont les hétérotaxies, embranchement tératologique qui restait encore innomé en 1832; les hermaphrodismes ; et enfin les monstruosités, quatrième embranchement, beaucoup plus étendu que les deux précédents, et terme extrême de la série tératologique (4). Les hétérotawies (2) sont des anomalies qu’on pourrait, au premier aspect, croire impossibles ; car elles sont ca- ractérisées à la fois par leur complexité et par leur inno- cuité : un très grand nombre d'organes sont atteints, et cependant la vie s'exerce sans trouble. C'est que les mo- difications anomales ne portent encore ici que sur des caractères secondaires, et presque toujours seulement de position, comme on le voit dans l'inversion splanchnique ou transposition des viscères, et dans l'inversion générale, telle qu’on l'observe chez les animaux extérieurement asymétriques. | Les hermaphrodismes laissent encore s'accomplir sans trouble la vie individuelle, mais non plus la vie de l'espèce, qui, le plus souvent même, devient compléte- ment impossible. Ils résultent de la réunion, chez un indi- vidu appartenant à une espèce normalement dioïque, des deux sexes ou de quelques-uns de leurs caractères. Dans l'hermaphrodisme, l’anomalie a tantôt lieu sans eæcès (4) Dans sa savante et ingénieuse Tératologie végétale (Paris, in -8, 4841), M. Moquin-Tanpon distingue d’abord (p. 28), comme nous le faisons en tératologie animale, les anomalies simples et les anomalies compleæes ; mais celles-ci ne sont pas subdivisées en embra nchements : toutes sont comprises sous le nom de monstruosités. (2) De érepos, autre, et 746s, arrangement, ordre. 8 NOTIONS: FONDAMENTALES, LIV.: H; CHAP. VIN, dans le nombre des parties; tantôt, et bien plus rarement, avec excès ; d’où deux classes anatomiquement très dis- tinctes. À la première appartiennent les hermaphrodismes masculin et féminin, où l'appareil sexuel, essentiellement mâle ou essentiellement femelle, revêt plus ou moins les apparences de l’autre sexe ; l’hermaphrodisme neutre, où l'appareil présente des conditions intermédiaires entre celles du måle et celles de la femelle, sans être réelle- ment d'aucun sexe ; et l’hermaphrodisme mixte, où l’ap- pareil est en partie mâle et en partie femelle. Dans la seconde classe, celle des hermaphrodismes avec excès , l'appareil sexuel est tantôt mâle avec quelques parties femelles surnuméraires, tantôt femelle avec quelques par- ties mâles, ce qui constitue les hermaphrodismes masculin complexe et féminin complexe ; tantôt encore, composé d’un ensemble de parties mâles et d’un ensemble de par- ties femelles, ce qui constitue l’hermaphrodisme bisexuel. Les anomalies auxquelles doit être réservé le nom de monstruosités, sont à la fois anatomiquement les plus complexes et physiologiquement les plus graves. Tandis que, dans les hétérotaxies, la vie continue à s’exercer normalement, et que, dans les hermaphrodismes, un seul ordre de fonctions est troublé; les monstruosités, selon leur nature ou leur siége, ne laissent s'accomplir la vie que dans des conditions très anomales, ou même, et le plus souvent, ne lui permettent pas de se prolonger au delà de la naissance. Le quatrième embranchement tératologique, restreint dans ces limites, reste encore très étendu, et présente, de ses premiers à ses derniers genres, des différences considé- ee re à e Taaka eas ms ` mn A A, 4 ANOMALIES DE L'ORGANISATION, "9 rables. Les plus importantes sont celles d’après lesquelles les monstres se partagent en deux grandes classes, les monstres unitaires et les monstres composés. Chez les pre- miers, comme l’exprime leur nom, on ne trouve que les éléments complets ou incomplets d'un seul individu ; les autres, au contraire, réunissent en eux les éléments, le plus souvent incomplets, de plus d’un individu. Les premiers sont tantôt autosites, tantôt omphalosites, et tantôt parasites; et les autres tantôt autositaires, et tantôt parasitaires. Parmi les monstres unitaires, les autosites sont les moins éloignés de l’état normal ; ils offrent même encore, dans plusieurs régions, la conformation ordinaire; aussi peuvent-ils encore vivre et se nourrir par le jeu de leurs propres organes : d’où le nom sous lequel nous avons désigné cet ordre (1), qui est de beaucoup le plus consi- dérable. Parmi les nombreux genres qu'il comprend, nous citerons, comme exemples très connus et très re- marquables, les monstres désignés sous le nom de siréno- mèles ou sirènes, à cause de la ressemblance que leur donne, avec les sirènes de la Fable, la fusion en un ap- pendice unique de leurs membres inférieurs, toujours plus ou moins atrophiés; les thlipsencéphales et nosencé- phales, où l’encéphale est remplacé par une tumeur vas- culaire; les anencéphales qui n’ont pas plus de moelle épinière que d’encéphale, et peuvent néanmoins vivre plusieurs jours ; enfin les rhinocéphales et cyclocéphales, vulgairement les cyclopes, ainsi nommés à cause de leur (1) Autosite, de adréaircs, qui se procure lui-même sa nourriture. 10 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. IF, CHAP. VIII, œil unique, que surmonte souvent une trompe formée par les parties cutanées du nez. Les omphalosites sont, à double titre, beaucoup plus imparfaits que les autosites. D'une part, ils manquent d’un très grand nombre d'organes, et, de Pautre, tous ceux qui existent sont très mal conformés ou même seulement ébauchés. Aussi ces monstres vivent-ils seulement d’une vie imparfaite, et pour ainsi dire passive, qui n’est entretenue que par la communication avec la mére, et cesse dès que le cordon est rompu; d’où le nom sous lequel ils sont désignés (4). Ce sont les monstres sans tête, si connus sous le nom d’acéphales, ou mieux, c’est la grande - famille des acéphaliens, qui compose la presque totalité de l’ordre des omphalosites. Toutefois, au-dessus de ce groupe, se placent les paracéphaliens, un peu moins incomplets, puisqu'ils ont encore une tête, il est vrai très mal conformée; et au-dessous, viennent les anidiens, monstres très singuliers et d’une simplicité extrême, chez lesquels, le corps se trouve presque réduit à une simple bourse-eutanée. Les parasites sont cependant, sinon plus simples, du moins plus imparfaits encore ; et tellement, qu'ils ont été longtemps confondus avec les môles. Ils se présentent à l'observation sous la forme de masses inertes, irrégulières, composées principalement d'os, de dents, de poils et de graisse. Ces singuliers monstres n’ont même plus de cor- don ombilical, et c’est ce qui forme leur caractère essen- tiel. Implantés directement sur les organes de la mère, (4) Omphalosite, de Suzav:, ombilic, et arcs, nourriture. arini a ché ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 44 ordinairement sur ses ovaires, ils vivent à ses dépens d'une vie obscure, végétative, et sans terme assignable. On a vu cette vie intérieure se prolonger quarante ans el plus, la naissance n’ayant lieu, pour ces monstres, que très rarement el dans des circonstances exceptionnelles. Les monstres composés ne sont presque jamais que doubles : on n’en connait aucun quadruple ou plus com- plexe encore, et à peine en peut-on citer quelques triples. La classification des monstres doubles se rattache très naturellement à celle des monstres unitaires. En effet, tout monstre double peut être représenté par l'union d'ùn autosite, soit avec un autre autosite, offrant le même degré de développement que lui, et contribuant à la vie commune; soit, au contraire, avec un omphalosite ou un parasite, très imparfaitement développé, incapable de vivre par lui-même, et qui ne subsiste qu'en se nourris- sant aux dépens de l’autosite dont il n’est physiologique- ment qu'un simple appendice. Dans le premier cas, le monstre double est dit autositaire, et dans le second, parasilaire. Chez les premiers autositaires, la duplicité est encore presque complète, et il n’y a guère entre les individus composants qu'une simple soudure, restremte à quelques organes: si bien qu'il y a ici plutôt deux vies associées qu'une vie commune. Mais, dans les groupes qui suivent, l'union devient de plus en plus profonde, la duplicité de plus en plus incomplète; d’où les monstres doubles supé- rieurement, uniques inférieurement, ou doubles inférien - rement, uniques supérieurement. Ces deux séries de modifications, partant de la dualité qui est iei l’état normal, 12 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. VIN. finissent presque l’une et l’autre par aboutir à Punité; offrant, en effet, à leur terme extrême, l'apparence d’un individu simple, chez lequel existeraient quelques organes surnuméraires. A la tête de l’ordre des parasilaires, nous trouvons aussi des monstres complétement doubles, les hétéro- pages; puis viennent des monstres semi-doubles, les hété- rodymes et hétéradelphes ; et enfin, de presque unitaires. L'hétéropagie, un des cas les plus rares de la tératologie, est l'implantation, à la partie antérieure d’un individu autosite et complet, d’un sujet accessoire, très petit, très imparfait, mais dont le corps porte encore une tête et des membres. Le sujet accessoire est semblablement implanté dans lhétérodymie et l’hétéradelphie, mais ne se compose plus, dans la première, que d’une tête, d’un cou et d'un thorax très rudimentaire, et dans la seconde, de la moitié inférieure du corps. Plus loin, le petit individu se réduit à une tête avec un rudiment de cou attaché par le sinciput au sinciput de l’autosite; puis à une tête rudimentaire, greffée sur la mâchoire inférieure ou sous le cou de celui-ci; et à des membres surnuméraires insérés sur divers points, parfois avec quelques parties accessoires. Dans les derniers enfin, les monstres endocymiens, le plus petit sujet, ordinairement encore plus réduit, est à l'intérieur du plus grand; il est comme emboïté dans celui-ci. La monstruosité consiste ici en une sorte de grossesse originaire; et celte grossesse, qui n’est au fond que l'union de deux jumeaux très inégaux et très diffé- rents par leur conformation, peut se rencontrer aussi bien chez un sujet mâle que chez un sujet femelle. L'in- Tiana es € i ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 18 clusion est tantòt superficielle et seulement sous cutanée, tantôt tout à fait intérieure. Si le parasite inclus est, comme il arrive le plus souvent, d’un très petit volume, le monstre double endocymien peut offrir une conforma- tion extérieure presque entièrement normale; en sorte que la série des monstres doubles parasitaires nous con- duit graduellement, comme celle des autositaires, de la dualité à l'unité. Ajoutons que le dernier terme de la monstruosité double se relie aussi avec le dernier terme de la monstruosité unitaire : à ce point qu’il est extrême- ment difficile, dans quelques cas, de distinguer l’un de l’autre, l'inclusion abdominale d'un sujet accessoire para- Sitique dans sa sœur jumelle pouvant simuler celle d’un monstre parasite dans sa mère. Tels sont les principaux groupes tératologiques, selon la classification que nousavons cru devoir adopter et proposer (4); et tel est le vaste champ où nous aurons à venir chercher, à plusieurs reprises, des notions appli- «bles à l'Histoire naturelle générale, et avant tout, à sa question fondamentale, celle de l'espèce. IV. Il suffirait de l'exposé qui précède, si concis, si incom- plet qu’il soit, pour faire au moins entrevoir le résultat capital de tous les travaux des tératologues modernes, celui que Geoffroy Saint-Hilaire surtout s'est attaché à (1) Nous aurons à revenir sur cette classification, afin de montrer qu'elle est à la fois, au moins pour le quatrième embranchement, naturelle et parallélique. (Voy. la troisième partie de cet ouvrage.) 7. PE E TEST N è $ i ï ai eiiiai S e m0 i a er to ur midi ur THÉ Ed due: mt A aa D do eo ge code en die : Y 6 ur, LS dr. Le ché shot ia à À at À É w EA $ ” mm on ha ru — ot 2 à RARE TERRES mew SPORE k T PNS ii iiia j NT damas f | t 7 pi $ Ah NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. VII. mettre en lumière : la régularité des êtres anomaux. Pour l'établir complétement, ił faudrait entrer dans des déve- loppements dont le moment n'est pas venu; mais avons-nous besoin d'aller plus loin pour saisir quelques relations entre l’ordre normal, et ce qu'on a si longtemps appelé les aveugles désordres de l’anomalie, les jeux bizarres de la nature? Entre les êtres qui ont leurs lois et leurs fins, et portent «la marque de l'intelligence su- prême », el ceux qu'un grand écrivain présentait en- core, il y a un demi-siècle, comme des « échantillons des lois du hasard » et « de la création sans Dieu» (4)! Entre « les espèces, comparables aux proportions définies » des chimistes » et les « mélanges », sans règle, de la monstruosité, a-t-on dit de nos jours même (2), en essayant de rajeunir par une forme plus scientifique, de vieilles croyances qui ont fait leur temps. Pour le montrer du moins en partie, il nous suffit des faits qui précèdent. Comment méconnaitre que parmi les anomalies que nous venons de mentionner, il en est dont la régularité est aussi parfaite que celle de l'état normal? Citons deux séries d'exemples, les uns pris en dehors des monstruosités, les autres parmi celles-ci elles-mêmes : les hétérotaxies, et les monstres doubles autositaires. Qu'est-ce que l’hétérotaxie? La transposition, soit de tous les viscères, soit de l'être tout entier. Evidemment il n’y a pas ici désordre dans le vrai sens de ce mot, c'est- à-dire, défaut d'ordre, confusion; mais, ce qui est bien (1) CHATEAUBRIAND, Génie du christianisme, liv. V, chap. tr. (2) BLAINVILLE, Leçons orales à la Faculté des sciences, 1833. — Blainville étendait cette vue aux hybrides, hi gg roe rm ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 15 différent, un autre ordre, et tout aussi parfait, à le prendre en lui-même, que l’ordre normal : car il en est exacte- ment l'inverse, le symétrique. Placez un miroir devant l'être anomal ; l'image représentera exactement les carac- ières normaux de l'espèce. Et c'est pourquoi l'hétéro- taxie laisse, aux individus qui en sont affectés, toutes leurs chances de vie : témoin l'invalide de Morand et de Méry, mort à soixante-douze ans, et chez lequel on trouva une hétérotaxie splanchnique jusque-là ignorée de. tous, à commencer par le sujet lui-même (4). Les hétérotaxies nous offrent donc l'exemple décisif d’une classe d'anomalies, ni plus ni moins régulières que l’état normal. Où l’on avait vu le désordre d’une « nature en débauche » (2), il y a seulement substitution à l’ordre commun d’un ordre inverse qui lui est parfaitement équivalent, La régularité des premiers monstres doubles autosi- taires n’est pas plus contestable. Le prétendu désordre de ees organisations anomales n’est autre chose que l’ordre normal redoublé; par conséquent encore, à le considérer en lui-même, et à part la rareté ou la fréquence des cas où il se présente, un état aussi régulier qu'aucun autre. Et même est-ce assez dire ? Sans aller jusqu’à cette asser- tion paradoxale que les premiers monstres doubles sur- (1) Mémoires de l'Académie des sciences, 1666 à 41699, t. H, p.44, ct t: X, p. 734. — Voyez aussi WiNsLOW, Mém. pour 1733, p. 374: L’hétérotaxie de Méry occupa, vers 1660, le public parisien, et même le public de toute l'Europe, presque autant que le monde savant. C’est ce fait tératologique qui inspira à Monière l’idée de faire placer, par le Médecin malgré lut, le cœur à droite et le foie à gauche. (2) Expressions tirées d’une pièce de vers sur l'hétérotaxie de Méry; ad ie PSE i s53 t À g ; $ ; E: | fr! ee NE TE Ant à Ne R LE ven RER niinen are tr 16 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. VII. passent en régularité létat normal lui-même, il est vrai que leur organisation est soumise à des règles plus mul- tipliées encore; car elle est assujettie à deux genres de symétrie, une double symétrie partielle, et une symétrie générale : la première, comme dans l’état normal, entre les deux moitiés de chacun des individus composants; et la seconde, entre l’un et l’autre de ces individus. En d’autres termes, et plus exactement, les organes sont coordonnés, dans l’état normal, par rapport à un seul plan médian ou épine; ils le sont, chez les monstres doubles autositaires, par rapport à deux épines, elles- mêmes coordonnées par rapport à un troisième plan qu'on a appelé le plan d'union. Voici donc encore des êtres anomaux qu’on ne saurait étudier, ne füt-ce que superficiellement, sans saisir, entre les principales parties de ces organisations dites « désor- données », une symétrie parfaite, un enchainement aussi bien ordonné qu'entre celles des êtres normaux. La régularité, ici, n’est pas seulement démontrable par la science, elle est manifeste avant toute étude. Pour la reconnaitre, il suffit de voir, et pour voir, de regarder. L'observation physiologique viendrait d’ailleurs ici en aide, s’il en était besoin, à l’observation anatomique. La double vie, ou plutôt pour les premiers monstres doubles autositaires, les deux vies associées peuvent se prolonger jusqu’à l’état adulte, et même jusqu’à la vieillesse. Tout le monde a lu dans Buffon l’histoire des jumelles hon- groises, nées en 1704 à Szony, baptisées sous le double nom d'Hélène et de Judith, offertes à sept ans en spec- tacle à la curiosité publique, conduites successivement RER eme mur ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 17 en Allemagne, en Italie, en France, en Hollande, en Pologne, examinées pendant ces voyages par tous les phy- siologistes, philosophes et naturalistes de l’Europe, célé- brées par plusieurs poëtes, au premier rang desquels se place l'illustre Pope, et mortes à vingt-deux ans dans un couvent de Presbourg. De nos jours, les frères siamois Chang-eng, que Boston et New-York ont vus en 1899, Londres en 1830, Paris en 1835, le nord de l'Europe dans les années suivantes, et que nous croyons encore vivants, n’ont pas moins fixé l'attention publique, et ont donné lieu, de notre part, et de celle d’un grand nombre d’autres naturalistes et médecins, à des observations que nous avons ailleurs résumées (1). Ces observations, et toutes celles plus ou moins analogues, qu’on avait déjà faites sur des monstres doubles adultes, mettent en lumière la parfaite harmonie de l’organisation des pre- miers autositaires, et par conséquent encore, sous un autre point de vue, leur régularité. Qu'est-ce que l'harmonie, Si ce n’est la coordination, la régularité physiologique, comme la symétrie est un des modes, et le plus simple, de la coordination, de la régularité anatomique ? y. La régularité de lêtre anomal était saisissable dès le premier aspect dans les exemples qui précèdent; ailleurs, et bien plus souvent, elle est cachée sous des apparences à travers lesquelles il appartient à la science de la, cher- (1) Hist. gén. des anomal., t. 111, p. 86 à 92. — Et pour Hélène- Judith, ibid., p. 50 à 56. HR < 2 B rS Œ | E | f kg LE ! E} Ef p | 4 | ñ | Í 14 [A 4 a À F) fi f J à PER į HE | tie: 1a E | Î | h f i 15 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. M, CHAP., VHI. cher et de la découvrir. C'est ce qu’elle a fait dans une multitude de cas, comblant peu à peu l'abime qu’une vieille et tenace erreur avait creusé entre l’état normal et l’anomalie : si bien qu’où l’on avait vu partout le désordre, elle a fini par retrouver partout l'ordre. Sans la suivre en ce moment jusque-là comme nous l'avons fait dans un autre ouvrage, indiquons du moins par des exemples la voie qu’elle a suivie; et afin qu'ils soient plus décisifs, choisissons-les parmi les anomalies qui constituent de hideuses difformités ou mettent obstacle à l’accomplissement de la vie. Un enfant naît avec un bec-de-hièvre, un autre avec une exomphale. Le premier est difforme, et il tette diffici- lement; le second, plus mal conformé encore, n’a que peu de chances de vie. Comment ne serait-ce pas là des désordres, et de graves désordres ? Dans ces deux vices de conformation, l’un hideux, l’autre mortel, comment, au premier aspect, ne pas voir des organisations sans règle comme sans fin, et ne pas donner raison à Pline et aux auteurs du moyen âge et de la renaissance ? C'est ce qu’on a longtemps fait; et tant qu'on a vu, dans l'anatomie et la physiologie de l'adulte, l'anatomie et la physiologie tout entières, la science semblait justifier les impressions que porte inévitablement à notre esprit la première vue de ces productions imparfaites de la nature. Mais comment sont-elles imparfaites ? Sont-elles en dehors de toute règle? Ou ce qui est bien différent, se- aient-elles simplement en dehors des règles ordinaires de l'organisation de l'enfant, au moment de sa naissance ? C'est ce qu'oh a pu savoir le jour où à côté de l’ordre ee ee 2 ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 19 normal définitif, est venu se placer, dans la science, l'ordre normal embryonnaire, ou plutôt cette suite d'états très divers qui, se succédant aux diverses phases de la vie embryonnaire et fœtale, sont tour à tour, pour elle, l’ordre normal. C’est à ces ordres normaux antérieurs qu'appartiennent, au moins par leurs traits essentiels, les deux dispositions qui, conservées jusqu’à la naissance, constituent, l’une le bec-de-lièvre, l’autre l'exomphale ; et de même, une foule d’autres anomalies, notamment des lissures, des perforations, des imperforations, des divi- sions, des cloisonnements, des atrophies, pareillement explicables par la conservation partielle, dans un âge, d’un ordre normalement propre à un autre. Série, aujourd’hui devenue immense, de cas tératologiques où l’arrange- ment organique qui constitue l’anomalie, non-seulement n'échappe pas à toute règle, mais n’est pas même étranger à l'espèce où on l’observe, et ne touche pas simplement à l’ordre normal, mais en dérive, en fait partie. Le bec-de-lièvre et l’exomphale ne sont ni les plus remarquables de toutes les anomalies de cet ordre, ni celles qu’on ramène le plus facilement et le mieux à un ordre normal antérieur ; mais elles sont les premières qu'on y ait ramenées. Elles présentent ainsi, historique: ment, un très grand intérêt, et c’est pourquoi nous les avons choisies, entre toutes, comme exemples. L'expli- cation du bec-de-lièvre par la persistance de caractères embryonnaires daté dans la science de plus de deux siècles : le grand Harvey l’a indiquée dès 1651 (4). Celle (1) Ecercitationes de generatione, exercit, LXIX. F Ei ai rl | i 4 | EI LE 14 < $ {i HE HEF A 1124 144 | ER qe mer 20 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. VIIL. de l’exomphale, ramenée à ce que nous appelons aujour- d'hui un arrét de développement, est très ancienne aussi : Haller l’a donnée en 1768 (1). Premier et second pas, à un siècle de distance, dans la voie où devaient s’avancer si loin, Meckel en 1812 (2), Geoffroy Saint-Hilaire en 1822 (3), et de nos jours M. Serres (4) et tant d'autres en France et en Allemagne. VA. L'anomalie peut n'être ni un ordre inverse, ni l'ordre normal redoublé, ni un ordre ancien conservé, et n'être pas encore le désordre. Est-ce le désordre dans le vrai sens de ce mot, que la présence, chez un être organisé, de dispositions qui ailleurs, et souvent très près de lui, constituent l’ordre normal lui-même? Et de ce que cet ordre se déplace, pour ainsi dire, et passe d'une espèce à une autre, suit-il qu'il échappe à toute règle ? (4) De monstr., loc. cit., p. 155. (2) Handb. der pathol. Anat., t. 1. (3) Philos: anat., t. I. Geoffroy Saint-Hilaire a été, comme on le voit, précédé par Méckel pour l'application de la Théorie des inégalités de développement à la tératologie. Il l’a au contraire précédé pour la conception générale de cette même théorie et pour son application à l'anatomie comparée. En attendant que nous ayons à traiter spécialement dans cet ouvrage de la Théorie des inégalités, voy. pour l’histoire de cette grande théorie, Vie et travaux de Geoffroy Saint-Hilaire, Paris, in-8 et in-12, 1847, Chap. V. (4) Recherches d'anatomie transcendante et pathologique, dans les Mém. del Acad. des sc, te X1, p. 583 à 895; et à part, Paris, in-4, 1832. ANOMALIES DE L'ORGANISATION, 21 Les exemples de ce genre de déviations abondent dans la science, Autant il est commun que l’anomalie soit expli- cable par la persistance de caractères embryonnaires , autant il l’est qu'elle résulte de la présence dans une espèce de conditions organiques normalement propres à une autre, Et c’est pourquoi la tératologie a pu être dite, non- seulement une embryogénie permanente, expression souvent employée de nos jours; mais aussi, une autre anatomie comparée, une autre zoologie. Nous citerons quelques exemples pour montrer jus- qu’où peut être suivie la vérification de cette proposition. Prenons-en d’abord un, déjà mentionné plus haut, et qui, très simple et très généralement connu, est, à ce double titre, très propre à servir d'introduction aux autres : l'absence du pouce aux membres thoraciques. Chez l’homme, cette disposition est une anomalie, dou- blement nuisible : elle rend la main difforme, et la pré- hension difficile; elle constitue donc un vice de con- formation, une des formes de l’ectrodactylie, et une des plus ficheuses. Mais la même anomalie n’est déjà plus chez le chien qu’une variété, absolument insigni- liante au point de vue physiologique, par laquelle le membre antérieur se trouve ramené au type du pied postérieur, normalement privé de pouce chez le même animal. Et après le chien, viennent d’autres animaux, par exemple, à ses côtés même, la cynhyène, chez lesquels le pouce antérieur, à son tour, cesse normalement d'exister; la tétradactylie devient l’état typique. L'absence du pouce est done, tour à tour, dans un grand 99 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP., VIII nombre d'espèces, la règle, dans d’autres, Pexception ; mais jamais, à vrai dire, le désordre. De même, qu'est-ce que le développement, plusieurs fois observé chez la femme, de deux mamelles surnumé- paires, soit pectorales, soit même inguinales ? La répé- tition, souvent très exacte, de dispositions ailleurs nor- males: car plusieurs mammifères ont quatre mamelles pectorales ; d’autres, une paire pectorale et une inguinale. Qu'est-ce encore, pour prendre aussi quelques exemples parmi des anomalies intérieures, et de genres très différents ; qu'est-ce, chez l'homme, que l'existence de cinq tubereules à la dernière molaire inférieure, la division des reins en lobules, l’embranchement de la ca- rotide gauche sur le trone brachio-céphalique , le cloison- nement longitudinal de l’utérus, l’hypospadias et la fissure palatine, sinon autant d’hémitéries, réalisant les condi- tions normales, la première des macaques et de plusieurs autres singes, la seconde des ours et des loutres, la troi- sième de divers rongeurs, la quatrième des didelphes, la cinquième de quelques oiseaux et d’une partie des rep- tiles, et la sixième des poissons ? Enfin, et nous passons ici des hémitéries à de véri- tables monstruosités, qu'est-ce que la phocomélie et la dérencéphalie, sinon, dans tous leurs caractères essen- tiels, la reproduction de conditions ailleurs parfaitement normales ? Les taupes et surtout les phoques ne sont-ils pas, selon l'expression de Daubenton, aussi empétrés que les phocomèles ? Et la classe des myélaires, dont l'amphioxe est le type, n'est-elle pas caractérisée, aussi bien que le genre dérencéphale, par l'existence ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 23 d'une moelle épinière, sans cerveau ni cervelet (4)? Ce qui a lieu de l’homme aux animaux, et réciproque- ment, pour d’autres anomalies, des animaux à l'homme, a de même lieu entre les animaux comparés entre eux. Qu'un gibbon normalement noir ou brun soit atteint d’al- binisme imparfait : son pelage se trouvera reproduire plus ou moins exactement celui de l’entelloïde, singe qui est, pour ainsi dire, normalement albinos. Que les bois d’un cerf ne se développent que partiellement : ils se rappro- cheront des caractères d’une autre espèce. Que la tête se déforme, que les déformations aillent même jusqu’à pro- duire, comme on le voit souvent chez la carpe, les appa- rences les plus bizarres : ces déformations. rentreront presque toujours dans les conditions normales d’autres animaux du même groupe : la carpe à bec ou mopse, la carpe « à visage humain », a elle-même son analogue dans le bané (2). Enfin, pour prendre un dernier exemple parmi les anomalies complexes, l'inversion de tous les vis- eères et de la forme générale ne fait encore que donner, par anomalie, aux poissons ou aux mollusques chez les- quels on l'observe, des conditions normalement réalisées (4) D'où il ne résulte nullement qu’un phocomèle doive être assimilé à un phoque, ou un dérencéphale à un myélaire. Les analogies que nous signalons ne sont que partielles. (2) Hist. gén. et part. des anomalies, t: 1, p. 284. — Nous ayons indiqué dans ce passage les curieuses analogies qui existent entre les diverses conformations anomales de la tête chez la carpe, et les diverses conformations normales de la même région chez les mormyres, pois- sons qui appartiennent aussi, comme chacun sait, au groupe des malacoptérygiens abdominaux. DT UE RTS ae Co FRONT CRT RP AS PAR E une gaa ET ar EE 7 e Temm e DR ont 7 D E Ne TER TTS a RRS né à a È d A titi + «mines 2} NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, II, CHAP, VIN, dans un plus ou moins grand nombre d'espèces des mêmes groupes (4). , Des centaines d'exemples, pris dans toutes les classes du règne animal, et de même parmi les végétaux, pour- raient être dès à présent cités après ceux qui précèdent ; et sans nul doute, une multitude d’autres viendront encore s’y ajouter, à mesure que se complétera ce qu’on peut appeler l'anatomie comparée générale, c’est-à-dire lana- tomie étendue à toutes les organisations, transitoires aussi bien que définitives, anomales aussi bien que normales. Devant ces innombrables faits, et sans même qu'il soit besoin de remonter à la théorie générale qui les embrasse et les explique tous, celle des inégalités de développement ; devant cette rencontre presque continuelle de la térato— logie avec la zoologie et la botanique normales, achève enfin de tomber la barrière, si longtemps maintenue par les naturalistes, entre les êtres « réguliers » et les «jeux de » la nature ». Nous apercevons bien, dans chaque espèce, une limite entre ce qui est la règle et ce qui ne l’est pas; mais il est impossible d’en tracer une, à un point de vue d'ensemble, entre l’état normal et l’anomalie. La distinc- tion entre l’un et l’autre n’est applicable qu’à tel être en particulier : elle n’a rien de général. Elle est relative, non absolue. (1) Hist. gén. des anomal., t. IT, p. 24, pour les pleuronectes, et p. 26 et suiv., pour les mollusques. Voyez aussi l'excellente Histoire naturelle des mollusques de France, récemment publiée par M. Moquin-TanDON, Paris, gr. in-8, 1855, t. T, p. 320 ; — et plusieurs Lettres du même auteur, Congrès scien- tifique de France, xix° session, Toulouse, 4852, t. T, p. 209 et suiv. \ ANOMALIES DE L'ORGANISATION. . 9 VIT. Si l’état normal était le seul ordre possible et l’anomalie le désordre, que serait la tératologie, et quel fruit pour- rions-nous retirer de son étude ? Sans principes au point £ de départ, sans méthode, sans applications possibles aux | autres branches de nos connaissances, elle resterait né- cessairement en dehors de la vraie science : inutile annexe DE de la biologie, elle serait bonne tout au plus à occuper les d loisirs de quelques curieux, amis du bizarre. L'idée de désordre est la négation même de l’idée de science. Si, au contraire, l’anomalie a ses règles, et si ces règles peuvent être rattachées aux règles qui président aux orga- nisations ordinaires, la tératologie est, par là même, res- | tituée à la science, et elle s'unit intimement à la biologie normale par la communauté des principes et la possibilité Qapplications réciproquement utiles. Parmi les résultats tératologiques dont peut s éclairer l’histoire des êtres normaux, il en est deux surtout qui intéressent la question de l'espèce, et que nous devons, à L. ce titre, mentionner dès à présent : l'origine acciden- i telle des anomalies, et leur hérédité, soit immédiate, soit | médiate. | L'origine accidentelle, et non primitive, des ano- malies, fermement défendue au xvin* siècle par Lémery contre Winslow (1), a été démontrée dans le nôtre par (1) Voyez les neuf mémoires de Lémery, et les cinq de WINSLOW, dans Ja collection de l’Académie des sciences, 4724 à 1743. — Nous D ES w 26 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. N, CHAP, VII, Geoffroy Saint-Hilaire (1). Grâce à ses observations sur Phomme et à ses expériences sur les animaux, nous pou- vons même rapporter à deux genres les causes acciden- telles de l’anomalie : la perturbation brusque du déve- loppement du nouvel être par une action mécanique, et l'influence prolongée de circonstances extérieures, diffé- rentes de celles au milieu desquelles s’accomplit d'ordi- naire l’évolution. Au nombre des anomalies dues au premier genre de causes, sont surtout les monetruosilés pseudencépha- liques. La naissance de l'être anomal a lieu, ici, à la suite d'une gestation troublée, durant ses premiers mois, par des violences exercées sur l'abdomen de la mère, par des chutes, ou d’autres causes analogues; ou encore par des impressions morales qui ont réagi sur l'organisme. Un monstre pseudencéphalien est, selon l'expression de Geoffroy Saint-Hilaire, un être blessé pendant la vie fœtale (2), et qui, au lieu de succomber aux suites de sa blessure, continue à vivre et à se développer, mais avons essayé de résumer clairement cette longue et mémorable discus- sion, Hist. gén. des anomal., t. TE, p. 484 à 492. (4) Du moins pour un grand nombre d'anomalies. (2) Voy. GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Sur un fœtus blessé au troisième mois, dans les Mémoires de la Société d'émulation, 1826, t. IX, p. 65. — Et Sur un nouveau produit de l’espèce humaine, dans la Revue médicale, ann. 4899, t. If, p. 433 (extrait). Dans le cas qui fait le sujet de ce second mémoire, la nature de la cause, et même aussi l’époque à laquelle elle avait agi, furent déterminées par Geoffroy Saint-Hilaire, malgré les dénégations formelles de la mère, qui voulait cacher un acte de violence commis sur elle par son mari. Nous avons rapporté les circonstances très remarquables de cette observation, Hist, gén. des anomal., t. TI, p. 538. m i ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 27 u$ | désormais en dehors des voies normales. Faits dont len- | chainement a été trop souvent constaté pour qu'il soit | possible de méconnaitre, entre les troubles de la gestation et la naissance anomale, une relation de cause à effet (1). | Ce sont, au contraire, des actions lentes qu’on met en jeu, lorsqu'on fait incuber des œufs en dehors des con- ditions ordinaires, comme dans une série d'expériences dues à Geoffroy Saint-Hilaire, et dont le double but était j | de ‘démontrer la fausseté du système de la préexistence des germes, et d'éclairer la question de l’espèce (2). Dans ces expériences, déjà citées, des œufs maintenus durant une partie de l’incubation dans la même position verticale ou horizontale, ou dont on avait partiellement recouvert la coquille d’un enduit propre à en diminuer la porosité, ont donné un nombre relativement très con- sidérable de poulets atteints de diverses anomalies, et | parfois de graves monstruosités (3). | Le même résultat que cherchait et qu'a obtenu Geoffroy | | Saint-Hilaire, qu'a aussi obtenu : récemment M. Dareste | dans des expériences analogues (4), se produit de lui- même, et sur une plus grande échelle, dans les éta- | blissements d’incubation artificielle : on y voit souvent j ; (4) Nous ajouterons ici deux résultats dont la liaison avec ce qui | précède est facile à apercevoir : il naît, proportionnellement, plus d'êtres anomaux dans les classes pauvres de la société que dans les classes aisées. TI en naît aussi plus de filles-mères que de femmes mariées. (2) Voy. t. Il, p. 417. (3) Nous avons déjà mentionné ces expériences à l’occasion de la | préexistence des germes. (Voy. t-I, p. 456.) | (4) Voy. aussi, pour M. DARESTE, bid. | np mihe. n 28 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. VIN, naître, surun nombre donné de sujets, plus de poulets anomaux que sur le même nombre d'individus éclos sous la poule. | Parmi les anomalies qui se produisent en ceite cir- constance, la plus fréquente nous a paru être un excès dans la longueur des jambes et des tarses : conformation qui est devenue, comme chacun sait, constante dans diverses races gallines, en même temps qu’elle constitue l'état normal d’un grand nombre d'oiseaux. VIII. La tératologie ne nous enseigne pas seulement que les individus peuvent acquérir des caractères étrangers au type de leur espèce; elle nous montre aussi que ces ca- ractères peuvent être transmis par les parents à leurs descendants. | L'hérédité de véritables monstruosités est très rare; et il est impossible qu’il en soit autrement. La naissance d’un monstre est par elle-même un fait rare, et des monstres qui viennent à naître, un petit nombre seule- ment est viable. On ne s'étonnera done pas que nous ne trouvions ici à signaler qu'un seul cas : celui d’une chienne éctromèle, mère, dans deux portées successives, de petits atteints, comme elle, d’une double ectromélie thoracique (L). la . d 3-4 o {| (1) Hist. gén. des anomal., t. 1, p. 223. | La famille des ectroméliens est la seule où l'on puisse observer la i PARS OE P egt | transmission héréditaire des monstruosités ; et encore cette trans- QE qu fie cer * ANOMALIES DE L'ORGANISATION. 29 Parmi les anomalies simples, au contraire, les exemples abondent. Nous citerons, dans les deux premières classes, chez l’homme et les animaux, diverses atrophies, hyper- trophies et difformités; dans la troisième, l’albinisme et quelques accidents partiels de coloration; dans la quatrième, chez l’homme, le strabisme, l’hypospadias (quoique, dans certains cas, il entraîne l'impuissance), le bec-de-lièvre et la syndactylie (1); et dans la cin- quième, chez l’homme et les animaux, l’ectrodactylie, et surtout l’anomalie inverse, la polydactylie. je Non-seulement l'hérédité de cette dernière anomalie digitale est commune chez le chien et la poule, mais elle n'est pas rare chez l'homme. Parmi les exemples recueillis antérieurement à notre siècle, deux ont été rendus presque célèbres par Maupertuis, et par Godeheu et Réaumur, dont il est bon de mettre les relations en regard; car elles se complètent l’une l’autre, par la diversité des faits qu’elles retracent. | Dans un des cas, celui de Maupertuis, il s’agit d’une Mission y est-elle nécessairement très rare : la plupart des ectromé- liens (surtout chez l’homme) sont inféconds. Des autres monstres unitaires, aucun n’est viable. Quant aux monstres composés, les conditions toutes spéciales de leur organisation exeluent la transmission héréditaire, comme nous l'avons montré (loc. cit., te UI, p. 379.) (1) Nous devons à M. le docteur LECLERC (de Caen), la com- munication de ses observations (inédites en ce qwelles ont de plus intéressant), sur une famille où la réunion partielle des doigts par des membranes avait été constatée chez vingt-trois per- sonnes, e. Une elles avait eu huit enfants, tous syndactyles. nai qu A ro A » ro y or a ne ee z s vai à ai AT s art à idee ÿ K } à g e eg 0 re M 4 D 7 a a gA D ha LÉ ms mn mn par PCT. mg. Res À DR ce mess “Me nt nid + “ sn” +. he r 30 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. VII, famille de sexdigitaires où la même anomalie s'était per- pétuée durant qualre générations consécutives (4). Dans l’autre, celui de Godeheu et de Réaumur, un homme ayant six doigts aux mains et aux pieds, était devenu père d’un fils sexdigitaire comme lui, puis d’un second fils et d’une fille, à cinq doigts, dont un, toutefois, offrait des traces de duplicité. A la génération suivante, non-seulement le fils sexdigitaire, mais son frère et sa ee mnt murs ge rang a Es PET rer re ai EE \4 a P |l | p i Jag sœur donnèrent le jour à des enfants dont les uns n'avaient que cinq doigts, mais dont les autres étaient sexdigitaires comme leur aïeul, Un dernier fils, dont les extrémités étaient exemptes de tout vice de conformation, eut seul le bonheur de n’engendrer que des enfants bien confor- més (2). er (1) MAUPERTUIS, Œuvres, Paris, in-8, 1756, t. LL, lettre xiv, p. 275. Le seædigitisme, comme disent plusieurs auteurs du xvie siècle, avait été ici transmis d’une mère à sa fille, de celle-ci à quatre de ses huit enfants, dont un eut, à son tour, deux fils sexdigitaires. Le sexdigi- tisme, conclut justement Maupertuis, « s’altère par l'alliance des quin- » digitaires. Par ces alliances répétées, il doit vraisemblablement » S’éteindre. » (2) GODEHEU, dans l'Hist. de l’Acad. des sciences pour 1754, p. 77. Extrait sommaire, et très insuffisant, d’une lettre à Réaumur. — Et d’après cette lettre: Réaumur, Art de faire éclore les oiseaux domestiques, Paris, in-12, 1749, t. I, p. 377. L'observation de Godeheu est ici donnée très complétement. — Et Bonner, Œuvres, Neuchâtel, in-4, 1779, t. IH, p.519 et suiv. L'auteur essaye d'expliquer l’hérédité du sexdigitisme. Voyez aussi, sur le sexdigitisme héréditaire, RENOU, Sur quelques familles sexdigitaires, dans le Journal de physique, 1774, t. IV, p. 372. Ce chirurgien assure qu’il existe en Anjou des familles où le sexdigi- tisme se perpétue « de temps immémorial ». Harris, Highlands of Æthiopia, Londres, in-8, 1844, parle de Danone gens dress Ar ÉD Ce a a um ~em a Taaa R A _— CREED PR DO A RUE Pr mes 2e ; ua ~ e S paee, ie aa fs ANOMALIES DE L'ORGANISATION. ' əl On voit que la transmission des anomalies s’accomplit dans des conditions très diverses: Les parents peuvent transmettre à tous leurs enfants, fussent-ils très nom- breux (4), le triste héritage de leurs anomalies aussi bien que de leurs maladies; mais ils peuvent aussi ne le trans- mettre qu’à une partie, et à des degrés très différents (2); comme dans l'observation très remarquable de Godeheu, où nous voyons naître, de l'union d’un homme sexdi- gitaire et d’une femme bien conformée, un individu semblable au père, un à la mère, et deux de conforma- tion intermédiaire. p 4 Des faits analogues peuvent être cités pour diverses anomalies, et notamment pour l’albinisme, que nous prenons de préférence pour exemple, à cause de la netteté des résultats qui se présentent ici à l’observation. D'un animal albinos uni à un sujet normal, on voit fré- quemment naître et parfois dans la même portée, des albinos, des individus normalement colorés, et d'autres panachés de blanc. | La transmission des anomalies, comparable encore ici à celle des maladies, a lieu, sous un autre point de vue, dans des conditions non moins variées. Chacun sait que les maladies héréditaires épargnent, ou, comme on dit communément, sautent souvent une où même plusieurs même (t. Í, p. 286) d’une famille arabe, vivant dans le désert près d'Aden, et «renommée pour la possession héréditaire de deux pouces » à la main droite.» — Le même voyageur cite (ibid.) une autre famille dont les membres devenaient presque tous borgnes. (1) Comme dans l'exemple cité, p. 29, note. (2) Is peuvent aussi, heureusement, né pas le transmettre. Durs ne wi ds De: "1 A ee OEN 26 92 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. VIN, générations. En tératologie aussi, l’hérédité, le plus sou- vent immédiate et continue, peut être médiate et discon- tinue. Un individu, et c'est encore ce que nous voyons dans l'observation de Godeheu, peut transmettre ce que lui-même ne possédait pas, mais ce qu'avait possédé un de ses parents; en sorte que le produit se trouve ressem- bler, non à ses ascendants immédiats, mais à son aïeul ou à d’autres ascendants médiats (4). L'atavisme, ainsi que les physiologistes et les agri- culteurs ont nommé l'influence de l'aïeul ou plus généra- lement des ancêtres sur les descendants, pourrait done être démontré par-la seule observation des êtres ano- maux. Nous le verrons bientôt mis en évidence par d'autres faits plus significatifs encore, et par lesquels aussi seront reliées la transmission des anomalies proprement dites, et celle des modifications constantes du type spé- cifique, produites par la domesticité et la culture. (1) Ce mode de transmission n’avait pas échappé aux anciens. Non- seulement PLINE (Historiæ naturalis lib. VIII, x) l'indique en termes généraux : similes alii avo; mais il cite en exemple un vice de con- formation (obductus membrana oculus) qui s'était trois fois reproduit dans la famille Lépide, intermisso ordine, c’est-à-dire comme traduit GUEROULT (in-8, 1803, 1.1, p. 47), « de deux en deux générations». VUVUVIY VUVANAAAIY à VVVVVVVININNINYNNYNNINNNINYJNNNNIYNYNVNUNS CHAPITRE IX. NOTIONS SUR LES RACES DOMESTIQUES ET DÉTERMINATION DE LEURS ORIGINES (1), SOMMAIRE. — I. Petit nombre des animaux réduits en domesticité. Diversité de ces ani- maux. — II. Grand nombre des plantes cultivées. II. Origines des animaux domestiques. Hypothèse de la création d'espèces originellement domestiques. — IV. Insectes. — V. Poissons. — VI. Oiseaux domestiqués dans les temps modernes. — VII. Oiseaux domestiqués dans l'antiquité romaine ; dans l'anti- quité grecque ; dans les temps anté-historiques. Poule. Pigeon. — VII. Mammifères domestiques n’existant pas en France. — IX. Mammifères domestiqués dans les temps Ane. — XI. Suite. Porc. Chèvre. Mouton. — XII. Suite. Bœuf. — XIII. Suite. Carnassiers. Chat. — XIV. Suite. Chien. XV. Tableau synoptique. Distribution par classes zoologiques, époques de domestication | ct patries originaires. — XVI. Résumé général et principales conséquences. Prédomi- nance des classes supérieures. — XVII. Animaux cosmopolites et non cosmopolites.…— | historiques. — X. Mammifères domestiqués dans les temps anté-historiques. Cheval, I | XVII. Origine orientale, et particulièrement asiatique, des animaux très anciennement domestiqués, et des végétaux très anciennement cultivés. — XIX. État des animaux domestiqués et des végétaux cultivés, chez les peuples civilisés et chez les peuples barbares ou sauvages. I. | On comprend communément sous le nom d'animaux domestiques tous ceux que «l’homme élève et nourrit | » dans sa demeure » (2) ou au voisinage de sa demeure. = Mais entre ces commensaux de l’homme, la science établit une distinction très importante. Des uns l’homme (1) Travail présenté et en partie lu à l'Académie des sciences, dans | la séance du 47 janvier 4859. Un extrait en a été publié dans les Comptes rendus des séances, t. XLVIII, p. 125 et suiv. — Voy. aussi le Bulletin de la Société impériale d'acclimatation, t. VI, p. 1. (2) Définition du Dictionnaire de l'Académie française. IL. Qa ne = a+ TES SE. Re er me ns “pe nn mg noue LE TRES PTE ee mo © Əl NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP, IX, possède seulement des individus; des autres il a des "suites d'individus, des races. Ces derniers animaux sont seuls domestiques dans le sens scientifique de ce mot; les autres ne sont que captifs ou privés (4). Il y a loin de la simple captivité à l’apprivoisement, de | l’apprivoisement à la domestication. Un animal captif e comparable à un prisonnier violemment arraché à ses habitudes, et toujours prêt à reprendre sa liberté; un animal apprivoisé l’est à un esclave réduit en servitude dès son enfance ou depuis de longues années, et qui vit paisiblement, sans espoir de liberté, sous un joug que l'habitude lui a rendu léger. L’apprivoisement a com- mencé pour lui le jour où le maître a pu cesser d'en enchainer le corps, parce qu’il a su en enchainer la volonté. Mais l’apprivoisement n'est toujours qu'un fait individuel, local et passager. La domesticité, au contraire, peut être dite un des faits permanents et généraux de la domination de l’homme sur le reste de la création; résultant, en effet, de l’action d’une suite indéfinie de générations humaines sur une suite indéfinie de généra- tions animales; et n'ayant guère plus de limites dans l’espace que dans le temps ; car la multiplication indéfinie des individus entraîne comme conséquence l’expansion indéfinie de la race ou de l'espèce. S'il est difficile de faire vivre un animal en captivité ou à l’état privé, il l’est bien plus de passer de la possession (1) Du moins selon les définitions que j'ai proposées, et qui ont été acceptées par la plupart des zoologistes. (Voy. Particle Domestication des animaux, dans l Encyclopédie nouvelle, t. IV, 4858 ; article repro- duit dans mes Essais de zoologie générale, Paris, in-8, 4841, p. 248.) ne af CT te me ne ANIMAUX DOMESTIQUES. 85 de l'individu à celle de la race. En dehors de létat de nature, les animaux sont le plus souvent inféconds ou peu féconds; et s’ils se reproduisent, leurs petits, le plus 7 7 p ? P souvent aussi, ne s'élèvent pas, ou, chétifs et maladifs, ne Peuvent propager leur race au delà de quelques généra- lions. Pour vaincre d'aussi grandes difficultés, et même encore, la race conquise, pour en étendre la possession à d’autres climats, il faut une si longue suite d'essais, d'efforts, de soins, qu’on ne saurait s'étonner de la rareté de ces victoires de l’homme sur la nature; eüt-il ici poursuivi le succès avec autant d'ardeur et de persévé- rance qu'il a mis, à l'obtenir, d’indécision, de mollesse et d’incurie. Aussi, sur les cent quarante mille espèces _ qui, selon les estimations les plus récentes, composent le règne animal, combien sont au pouvoir de l’homme ? Un peu plus de quarante! Encore n’arrive-t-on à ce nombre qu'en réunissant les animaux domestiques de tous les pays : : on doit le réduire d’un quart pour les contrées les plus civilisées et les plus agricoles; et de bien davantage pour les autres. i Mais l'étude de ces animaux tri a sans parler ici de son importance pratique, n’en est pas moins d'un très grand intérêt pour la théorie de F espèce. Leur di- versité compense, à ce point de vue, leur petit nombre. Répartis entre quatre classes et entre deux embranche- ments zoologiques très différents, ils sont, de plus, les uns terrestres, les autres aquatiques ; les uns herbivores, les autres carnassiers ou omnivores ; les uns vivipares, les autres ovipares ; les uns très précoces, les autres lents dans leur développement. Parmi eux, il en est de natu- ` G j y D TA mo = 36 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. rellement sociaux et, quoi qu’on en ait dit, de naturelle- ment solitaires; de très anciennement et de récemment domestiqués; de si complétement soumis à notre espèce, qu'on les conçoit à peine sans elle ou elle sans eux, et de si peu attachés à l’homme, qu'ils vivent plutôt par ses soins que sous sa loi. Enfin, géographiquement, ils ont eu les origines et ont encore les habitat les plus di- vers, venant les uns d'Asie, d’autres d'Europe, d’autres d'Afrique, d'autres d'Amérique, €t de régions tantôt chaudes tantôt froides, tantôt basses tantôt hautes ; et les uns n’occupant encore aujourd’hui que quelques points du globe, tandis que les autres le couvrent de leurs innombrables races, ne se laissant pas plus arrêter que Phomme lui-même par les différences les plus extrêmes de latitude et d'altitude. Par ces diversités organiques et par la variété de ces conditions d'existence, nos espèces domestiques sont cornme autant de spécimens heureusement choisis parmi les animaux les plus différents. Quand nous en faisons une étude approfondie, chacune d'elles vaut pour nous, après ce qu'elle est en elle-même, par ce qu’elle repré- sente; etleur comparaison, si faible qu’en soit le nombre, n’ouvre pas moins la voie à des inductions qui peuvent être d’une grande valeur et d’un ordre très général. RS RE RER k : ~ a anrea * u À d i IL. À còté de cette première série de faits, il en est d'ail- leurs une autre qu'on ne saurait négliger dans l'étude Ta TES De scott a DE st PO NEA a agoa saman AS ` ir 2e 408 Es -- GR: ce PLANTES CULTIVÉES. 37 générale de la question de l'espèce. Où cesse l'empire de l’homme sur les animaux, n’est pas le terme de ses con- quêtes sur la nature vivante. Comme il a ses espèces domestiques dans ses demeures, il a, autour d'elles, ses espèces végétales cultivées : et qu'est-ce que la culture, quand une espèce y est depuis longtemps soumise, si ce n’est la domestication du végétal? Autre mot, mais, au fond, même idée : celle de la possession par l’homme de races dont il a, selon ses besoins, modifié Porgani- sation et multiplié les individus. Aussi étend-on parfois aux plantes le mot domestiques, plus ordinairement réservé aux animaux (41); de même qu’on dit de ceux-ci, ct surtout des petites espèces, non-seulement qu’on les a domestiqués et qu’on les élève, mais qu’on les cultive. Culture du ver à soie, de l'abeille , sériciculture et apiculture, et même culture du bétail, sont autant de termes depuis longtemps en usage, et les mots piscicul- ture, aviculture, et d’autres encore, deviennent à leur tour d’un emploi très fréquent. Il est bien plus facile à l’homme de s'emparer d’une espèce végétale que d’une espèce animale. Le transport lointain de grands animaux, en nombre suffisant pour assurer leur reproduction, est une de ces difficiles et dispendieuses entreprises qui ne sont guère à la portée que d’un État ou d’une puissante association ; et si pour les petites espèces, les dépenses sont bien moindres, les difficultés restent considérables. Que d'efforts en vain (1) « Domesticatio plantarum, plantæ domesticæ, plantæ quæ do- mesticantur,» dit déjà ALBERT LE GRAND, De vegetabilibus, lib. VII tract. 1, édit. in-fol. de Lyon, t. V, p. 488 et suiv. — n ES S OSE —_— TETTIE ENEA RE map pea E VEEE EEEE PE ae à Ə NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. IX. tentés, depuis quelques années, pour introduire en Eu- rope de nouveaux vers à soie ! Et quand on a réussi, de combien d'obstacles il avait fallu triompher ! Pour faire du ver à soie du ricin (1) un insecte européen et africain, il n’a fallu rien moins que l'amener graduellement, par une suite d’acclimatations locales, et comme par étapes, de l'intérieur de l'Inde à Calcutta, de Calcutta en Égypte, de l'Égypte à Malte, de Malte à Turin, de Turin à Paris et à Alger. 3 Que de plantes introduites, au contraire, aussitôt que connues | Sci ons graines envoyées dans une lettre ont souvent suffi pour nous donner leur espèce. Aussi l'introduction d'un végétal nouveau est-elle un fait aussi commun qu'est rare celle d’un animal. De nos jours, nous avons vu prendre pied dans nos jardins, nos forêls ou nos champs, plus de plantes que nous n'avons, en tout, d'animaux domestiques dans nos demeures et dans nos fermes. Aussi n'est-ce plus par dizaines, mais par centaines, qu'il faut compter le nombre des plantes culti- vées. M. Alphonse DeCandolle en énumère cent cinquante- sept dans sa Géographie botanique ; près de trois. fois au- tant que nous connaissons d'animaux domestiques; et ee ne sont là, comme il le dit, que des « exemples choisis » (1) Ou plutôt d'un des vers à soie du ricin; car plusieurs espèces vivent sur cette plante. Ces espèces ont été souvent confondues, ou même le sont encore. Celle dont nous parlons a été d’abord déterminée par tous les en- tomologistes comme le Bombyx Cynthia, Dr. On la rapporte mainte- nant au B. eria; mais les caractères de la chenille nous paraissent infirmer cette détermination. Le ee age PLANTES CULTIVÉES. | 39 parmi les espèces les plus généralement cultivées (4). Les végétaux, comme les animaux, possédés par l'homme, présentent des organisations très variées, et des conditions très diverses d'existence. Il n’est pas d'embranchement botanique, et il est peu de classes et même de familles, qui n’aient parmi eux des représen- tants. Les uns sont vivaces, et quelques-uns d’une longévité séculaire; d’autres, bisannuels ou annuels. La plupart sont terrestres, quelques-uns aquatiques. Géographiquement et climatologiquement, il en est de toutes les parties du monde et presque de toutes les lati- tudes et de toutes les altitudes, comme, historiquement, leur conquête s’est poursuivie presque dans tous les temps : les uns sont au pouvoir de l’homme depuis la plus haute antiquité, les autres datent des époques grecque et romaine, de la renaissance, des temps modernes. La plupart ont été propagés hors de leur région originelle : un grand nombre se sont même étendus, sinon sous presque tous les elimats, comme nos principaux animaux domestiques, du moins sur une grande partie de la surface du globe, et dans des contrées topographiquement très diverses. Les uns ont passé dans la grande culture ; d’autres ne sont cultivés que dans les vergers, les parcs, les jardins ou même les serres ; et souvent par des mé- thodes et sur des sols si variés, qu’ils trouvent, sur les (4) Géographie botanique raisonnée. Paris et Genève, 4855, in-8, t. H, p. 984. i Pour une liste plus complète des plantes cultivées, au moins de celles qui le sont sous notre climat, voyez les éditions récentes du Bon jardinier. | : s O RE RE E PO R TE A EREE E nn ae Re ere rennes RS (4 fl 4 f s | i i; h0 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. IX. divers points d’un même pays, comme autant de patries différentes. Voilà donc, à côté des résultats relatifs aux animaux domestiques, une autre série de faits non moins variés et plus nombreux encore; et, par conséquent, pour les naturalistes et les agriculteurs, deux voies parallèlement ouvertes vers de semblables notions théoriques et de semblables applications pratiques. Entre ces notions théoriques, nous devons nous atta- cher seulement, dans ce Chapitre, à celles qui inté- ressent la question de l’espèce; et selon le plan de cet ouvrage, c’est par l'étude des animaux que nous essaye- rons de les obtenir, cherchant ensuite à les compléter et à les contrôler par quelques résultats empruntés à celle des végétaux. HIT. La première question qui se présente dans l’étude des races domestiques, est celle: ci : Quelle est leur origine? De quelles espèces sont-elles issues ? Question simple, selon les anciens, et dont la solution ne leur paraît offrir aucune difficulté. Les animaux do- mestiques sont des animaux apprivoisés ou des descendants d'animaux apprivoisés, et de ces descendants il est facile de remonter aux souches ; car, dit Aristote et redit Pline, a toutes les espèces qui vivent à l’état domestique ou ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. hå » privé, se retrouvent à l’état sauvage » (1). C’est ainsi, remarque Aristote, qu’il existe des chevaux, des bœufs, des pores, des brebis, des chèvres, des chiens, et même, ajoute-t-il, des hommes sauvages; ce que Pline ne manque pas de répéter. Aristote et Pline sont, comme on le voit, absolus dans leur affirmation : ils l’étendent à toutes les espèces. C'est aussi à toutes les espèces domestiques que quelques auteurs modernes, non moins absolus en sens contraire, assignent une origine primordiale. Les ani- maux domestiques, disent-ils, ne sont nullement des conquêtes de Phomme sur la nature sauvage; mais des dons initialement faits par Dieu à l’homme ; ou, selon les expressions elles-mêmes du plus éminent et du plus savant défenseur de cette opinion, « les animaux domes- » tiques le sont par nature, et ont été créés tels » (2). Autrement, dit M. l'abbé Maupied, « tandis que tous les » autres êtres ont été créés dans leur état parfait, l’homme » seul eût été créé dans une sorte d'état élémentaire, » contradictoire avec les conséquences logiques des lois » des êtres créés qui tous aboutissent à lui. » Vue ou plutôt hypothèse déjà admise par plusieurs théologiens; (1) Tavra yàp do mepa art yévn, xat &ypix. (ARISTOTE, Histoire des animaux, liv. I, 11.) | « In omnibus animalibus, cujuscumque generis ullum est placidum, ejusdem invenitur et ferum.» (PLINE, Naturalis historiæ lib. VI, LXXIX. ) eui Hpepoy et placidum, c’est ici, sans distinction, l'animal simplement apprivoisé ou dressé, et le véritable animal domestique. (2) MAUPIED, Dieu, l’homme et le monde, Paris, in-8, 1851, t. I, p. 586. h2 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP, IX. non par tous : Bossuet s’est netlement déclaré contre elle (4). En la reprenant, M. Maupied a, le premier, essayé de la revêtir d’an caractère scientifique. On ne lavait justifiée, avant lui, que par un mot mal compris de la Genèse (2) : c’est par les faits qu'ila cru pouvoir l’établir. On ne saurait, selon le savant théologien et naturaliste, remonter à l’origine des animaux domestiques, l’homme les ayant possédés dès les temps les plus reculés; etil serait impossible de soumettre à une véritable domestication des espèces originellement sauvages : celles-ci pourraient ` bai seulement être apprivoisées, c’est-à-dire possédées à l'état d'individus, et non de races. Mais, est-ce bien à ces conséquences que conduit l’ensemble des faits connus? Nous ne saurions l’admettre, L’impossibilité d'augmenter le nombre des animaux domestiques est formellement contredite par tout ce que nous savons des domeslications d accomplies depuis les temps historiques, et c'est en vain qu'on éssayerait de presenter ces domeslcations comme de simples reprises de possession d'espèces « originaire- ment soumises à l’homme »etplus tard «devenues sauvages DRE ET ji ES en s’éloignant de lui ». Quant à l'argument tiré, en faveur de la domesticité primitive, de l'obscurité des origines des animaux domestiques, il s'élève aussi contre lui bien j 4 11 | j PE TP E f F, 1 6 S 5 i i i H A ` í l i (LE (BE : EN è | A (FE 4 y h 1417 | t 4 | à { | | | i F 13 | FEG) ! |3 pE Î $ | $ (1) Discours sur l’histoire universelle, 2° époque, Noé et le déluge. Bossuer nous montre l’homme, à Forigine de la civilisation, « s’instruisant à prendre certains animaux, à apprivoiser les autres, » et à les accoutumer au service », c'est-à-dire, commençant la domes- tication des animaux. (2) Le mot Behemah. Voy. notre Introduction historique, t. I, p. l ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES.. hè des objections de fait; et my en eût-il aucune, devrions- nous regarder la question comme tranchée ? Aurions-nous le droit, par cela seul que les premières domestications seraient sans date dans l'histoire, parce que le commen- cement nous en échapperait, de dire qu'elles n’ont jamais commencé ? C’est entre l'affirmation générale d’Aristote et de Pline la négation absolue des théologiens, que se sont placés la plupart des naturalistes; et ils ont eu raison, en ce sens du moins qu'il n’y a ici rien de général. La recherche des souches de nos animaux domestiques parmi les animaux sauvages est, selon les espèces que l’on considère, un- des problèmes les plus simples, et un des plus complexes et des plus obscurs de l'Histoire naturelle organique. Nous le montrerons en résumant les vues déjà émises par plusieurs naturalistes et érudits (1), et les recherches (1) Voyez particulièrement GUELDENSTAEDT, Schacalæ historia, dans les Novi Commentarii Academiæ scientiarum petropolitanæ, 1776, t. XX, p. 449. — PALLAS, Spicilegia zoologica; voy. les fascicules IV, 1767, et XI, 4776. Nous aurons à citer plus loin quelques mémoires spéciaux de Pallas. — ZIMMERMANN, Specimen zoologiæœ ġjeographicœ quadrupedum. Leyde, 1777, in-4, p. 84 et suiv. — LINK, Die Urwelt und das Altherthum, 4'° édit., 1820; et 2e édit., 1834, Berlin, in-8 ; trad. par CLÉMENT-MULLET, Paris, 1837, in-8. C'est à cette traduction que renvoient les citations ci-après. — DUREAU DE LA MALLE, Économie politique des Romains, Paris, 1840, in-8, t. I; trop souvent d’après Link, dont il reproduit, avec trop de confiance, et parfois copie les arguments et les déterminations. Il est plus original dans ses mémoires spéciaux sur ie cheval et sur le chat, qui seront cités plus loin. — PrichARD, Histoire naturelle de l’homme, trad. de M. Roëüiix, Paris, 4848, in-8, t. T, p. 35 et suiv: — MAUPIED, loc. cit., p: 566. — Adolphe Prcrer, Les origines indo-européennes, ou les Aryas primitifs. Paris et Genève, 1859, in-8. Dans ce savant ouvrage, EE D EME PME RO SPORTS FT SR En e FT nas Eee a — + 2e | | t s inaa ro a a a A Š Daa \ ere Du y PS J oo O S S > S a ou EIA bi h à r sainte hh NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP, IX. que nous avons nous-même faites pour obtenir des déter- minations aussi exactes que le permet l’état de la science. La marche que nous avons suivie dans ces recherches, et qu'ilconvient d'indiquer à l'avance en termes généraux, est celle-ci : 4° Extraire des ouvrages des naturalistes, et, à leur défaut, des historiens et des autres auteurs des diverses époques, les renseignements qu'ils ont recueillis sur les premières introductions des animaux domestiques ; et pour les espèces dont la domestication se perd dans la nuit des temps, en déterminer du moins l'état chez les peuples de la haute antiquité, à l’aide des livres anciens de l'Asie, tels que la Bible, le Zend- avesta, les V édas et les Kings, et des monuments de l'Égypte et de l’Assyrie. - 2 Rechercher à l’aide des faits de l'Histoire naturelle, et par l’étude comparative des espèces sauvages et des races domestiques, les souches de celles-ci. dont la première partie vient de paraître (depuis la rédaction de notre travail), et qui est le fruit de longues recherches philologiques, l'au- teur compare les noms actuels des principaux animaux domestiques avec leurs noms sanscrits, zends, grecs, latins, celtiques, germains et slaves, afin de remonter, comme on remonte par des dérivés à leurs formes premières, aux noms que ćes animaux portaient chez nos anciens ancêtres asiatiques, les Aryas, et par cette voie, à la dé- termination des espèces qu’ils possédaient, de l'emploi qu'ils en faisaient, et, par suite, du degré de civilisation auquel ils étaient parvenus. | Nous avons nous-même traité à plusieurs reprises dans nos cours des origines des animaux domestiques. Pour quelques-uns des points principaux de cette question, voy. Domestication des animaux utiles, 3° édit., Paris, 4854, in-12, 4"° addition, p. 121 et suiv. trois vers à soie, quelques abeilles et une cochenille. ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. hö 3° Comparer les résultats obtenus par ces deux mé- thodes, et les contrôler les uns par les autres. Les résultats de ces deux méthodes concordent partout dune manière satisfaisante; ce qui ne veut pas dire qu'elles suffisent partout. La solution exacte et complète, c’est ici la détermination spécifique et certaine de la souche : on l’obtient dans la plupart des cas ; mais, dans d'autres, la détermination spécifique ne peut être mise complétement hors de doute, et la solution n’est que plus ou moins probable. Ailleurs on n’arrive qu’à circonscrire la recherche de la souche entre deux ou quelques espèces voisines, et la solution reste seulement approximative. IV. La répartition des animaux domestiques entre les divers groupes zoologiques est singulièrement inégale. Parmi les invertébrés, les espèces soumises à l’homme ne sont qu’au nombre de sept (4), et toutes lui ont été : fournies par la même classe, celle des insectes. Tels sont Encore faut-il faire ici une réserve. Plusieurs des insectes qu’on qualifie de domestiques sont loin de mé- riter ce nom au même titre que nos espèces supérieures. Ce sont, à vrai dire, des animaux introduits en divers lieux et propagés par Phomme, et non vraiment sou- mis à son empire. Nous leur préparons des demeures (1) Ce nombre ne doit être que provisoirement accepté. I y a lieu de croire à l'existence en Orient abeilles non encore distinguées. ar. = = aere ea A € upumoni a ae A aai ue D K ` = Ce adi a Ainoan = x 7 2 cé ca DEP E A RS PACE EE h6 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP., IX, dans lesquelles nous les aidons à vivre à leur gré, bien plutôt que nous ne les faisons vivre au nôtre. C'est ce qui est manifeste pour la cochenille du Mexique, pour notre abeille, et pour ses congénères du midi de l'Europe et de l'Égypte, Apis ligustica et A . fasciata. On sème, pour ainsi dire, la cochenille sur le nopal, et on la laisse s’y dévelop- per. On dispose des ruches pour les abeilles ; elles-mêmes ensuite s'y établissent, et se nourrissent selon leurs instincts propres. Et c’est pourquoi la cochenille, cultivée depuis plusieurs siècles (4), est encore presque ce qu’elle était originairement ; et pourquoi les abeilles, bien plus anciennement soumises au pouvoir de l’homme (2), con- servent elles-mêmes, à de légères différences près, leurs (1) La cochenille du nopal était cultivée au Mexique bien avant la découverte de l'Amérique. (2) L’abeille a été connue par l’homme dès la plus haute antiquité; mais les documents qui attestent ce fait, par exemple les figures d'abeilles qu’on voit sur les monuments égyptiens, peuvent se rap- porter à des abeilles sauvages dont on recueillait le miel. Mais, à | partir des Grecs, toute incertitude disparaît : l'abeille vit bien cer- tainement, dans de véritables ruches, sous la main de l’homme | (VOY. ARISTOTE, loc. cit., liv. IX, XL). Les Grecs possédaient même un mot, ueurroupyà, dont l'équiva- lent, apiculteur, est d’un usage récent dans notre langue. Quelques äuteurs ont vu une preuve de la culture de l'abeille à une époque très ancienne, dans un passage d'Homère (Odyssée, liv. XIII, vers 106), où le poëte représente des abeilles déposant leur miel dans les amphores des Nymphes. Ces vers ne supposent nullement, dans leur auteur, la connaissance de l'abeille domestique. C'est bien, au contraire, de celle-ci qw’il s'agit dans une des Fables d'Ésore, dont le sujet est l'enlèvement de gâteaux de miel, en Pab- sence du maître. On s'était introduit, dit l’auteur, dans le werroveyeior ; mot qu'on a rendu dans les vérsions latines par apiartum. La fable ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 47 caractères primitifs et même, dans leurs demeures con- 3 struites par l'art humain, les mœurs del état de nature : re LE Naturas a quas Aa gra ipse Addidit (4). EF da Les vers à soie sont bien plus complétement sous la main de l’homme; et non-seulement celui du mürier que les Chinois possèdent au moins depuis le règne d’Yae (2), et qui est aujourd’hui dans toutes les parties du monde ; mais le ver de l’ailante, très cultivé aussi en Chine, et l'espèce dite éria (3), qu'on élève très communément sur le ricin, dans d’autres provinces du même empire et dans l’Indoustan. Ces insectes ne reçoivent pas seulementcomme les précédents, hors des habitations humaines, des soins généraux donnés en commun à toute une colonie : élevés au sein même des demeures de l'homme, ils tiennent directement de lui leur nourriture dont il fixe la quantité et peut même varier la nature, comme il règle la tempé- rature et les qualités de l’atmosphère ambiante, Les vers à soie sont done, dans la magnanerie, au milieu de con- ditions très comparables à celles du bétail à l'étable; et par conséquent, ils sont, comme lui, véritablement do- mestiquée. DA er ve mm Aussi voit-on, au moins sur le Bombyæ mori, si anciennement possédé par l’homme, l'empreinte très pro- est intitulée Mexrrousyès; mais le titre a pu être ajouté opu coup. (1) VIRGILE, Géorgiques, liv. IV. # (2) Voy. l’Introduction, p. 10. — La culture du ver à soie en Chine remonte authentiquement à plus de quarante-cinq siècles, selon | M. P. Jurien. (Voy. les Compt. rend, de l dcad. des sc., te XXIV, p. 4071.) | (3) Voy. p. 38, note, \ De gets TT EE = ~ OA LS A ee nent done re nm 9 ce 8 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. IX. } ? fondément marquée de la domesticité. 11 existe de nom- breuses races de vers à soie très distinctes, et assuré- ment très modifiées. L'espèce sauvage dont elles se rapprochent le plus, est le Bombyx religiosæ ; et l’on a pensé qu’elles pourraient en être issues (1). Mais ce bombyce est indien et vit sur le Ficus religiosa : la vraie souche de nos vers à soie reste vraisemblablement à découvrir en Chine. y. Les vertébrés qui ne forment, comme nombre d'espèces, qu’une fraction très faible de l’ensemble du règne, ont fourni à l’homme la très grande majorité de ses animaux domestiques. Sur quarante-sept, quarante sont des verté- brés, deux de la classe des poissons, dix-sept de celle des oiseaux, vingt et un de celle des mammifères. Parmi les poissons, l’espèce la plus répandue et la plus connue est la carpe, dont la domestication remonte à une époque déjà éloignée de nous, mais qui reste indé- (1) Conjecture émise par M. JENKINS, à la suite du mémoire d'HUGON, Remark on the Silk Worms of Assam, dans le Journal of the Asiatic Society of Bengal, 1837, t. VI, part. 1, p. 36; trad. dans les Annales sciences naturelles, Zoologie, 2° série, t. XI, p. 178. M. GUÉRIN-MÉNEVILLE (art. Bombyx de l'Encyclopédie moderne, nouv. édit., t. VI, 1847) résume bien ce qui a été écrit sur l’histoire ancienne du B. mori par plusieurs auteurs, et particulièrement par KEFERSTEIN, Ueber den Bombyx der Alten, dans le Magazin der Entomologie, 1818, t. I, p. 8; et par LATREILLE, Cours d’entomo- logie, Paris, 1831, in-8, p. 95. m TIe ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. h9 terminée. La carpe est originaire, selon les uns, de l’Europe centrale (L), selon d’autres de la Perse (2), selon d’autres encore de l'Asie Mineure (3), où M. de Tchihatcheff l'a récemment trouvée dans plusieurs lacs « en immense quantité » (4). De quelque lieu qu'elle soit venue, elle s’est peu à peu propagée par toute l’Europe, en dernier lieu dans le Nord. Outre l'Asie et l'Afrique, elle existe aussi aujourd’hui en Amérique : on l'y a transportée sur divers points, notamment à Cayenne (5) et à la Marti- nique (6). ile | La carpe a été assez modifiée par la culture, pour qu’on distingue, dans nos eaux, plusieurs races, et surtout plu- Sieurs variétés fréquemment reproduites, dont quelques- unes sont très remarquables : telle est surtout la reine | des carpes, à grandes écailles, à peau ordinairement | | dénudée par places. (1) Cuvier, Règne animal, 2° édit., t. I, p. 271. (2) « Perse et contrées chaudes de l'Asie », dit M. VALENCIENNES, art, Carpe du Dictionnaire universel d'Histoire naturelle, tm, p. 189. L'auteur indique d'ailleurs cette origine plutôt qu'il ne l'admet, — M. Valenciennes n'est pas plus affirmatif sur l’origine de la carpe, dans l'Histoire naturelle des poissons (voy. t. XVI, p. 52), Si ce n’est sur un seul point, le transport de la carpe en Angleterre. L'introduction de ce poisson dans le nord de l'Europe continentale, notamment en Prusse et én Danemark, est aussi attestée par divers témoignages historiques. (8) Auguste Dumériz, Lecons orales au Muséum: (4) Asie Mineure, 2° partie, Climatologie et zoologie. Paris, 1856, Sr. in-8, p. 800. | - (5) VALENCIENNES, loc. cit. a (6) Ruisser, Historique du jardin des plantes de Saint- Pierre- Martinique. l'ort-Royal, 1846, in-8, p. 122. HI. li z a m A Dot a rharee ss nr po E pa ER ess es FRE F i = r- o RAS; Ten aaia yer n OP CT LFP EE RÉ E A A DE T nm E j AN cé 50 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. IX. La carpe est donc encore une de ces espèces dont l'homme a considérablement étendu la distribution géo- graphique et modifié les caractères, et qu'il a pour ainsi dire marquées de son empreinte; qu'il a faites siennes, et réduites à un état de véritable domesticité. Nous pouvons en dire autant d’un congénère de la carpe, le cyprin doré de la Chine, si commun à l'état domestique, mais qu’on ne connait pas encore avec cer- titude à l’état de nature. On le dit originaire du Tehe- kiang. Sa domestication remonte en Chine à une époque | reculée, à en juger par le nombre el la diversité des races / que possèdent les Chinois, et qu’ils mélangent sans cesse pour obtenir de nouvelles variétés. Les grands de lem- pire se plaisent à avoir dans leurs demeures un grand nombre de ces races et variétés, et l’empereur en possède la collection complète. Le cyprin doré a été introduit au xvie ou au xvir siècle dans l’Afrique australe et en Europe, et plus tard dans plusieurs autres régions. Les autres poissons, nourris dans les étangs et les viviers, ont bien moins subi l’empire de l’homme : ils n'ont pas été rendus véritablement domestiques, ils sont seulement retenus captifs. Celui de tous qui a été l’objet des essais les plus suivis, le gourami, si heureusement importé de Chine à l’île Maurice, n’est lui-même qu’en voie de domestication. L'homme ne l’a pas encore sen- siblement modifié. Sard Le nombre des ‘poissons véritablement domestiques se réduit done présentement à deux, l’un et l’autre du genre cyprin, ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 5i VE Parmi les dix-sept oiseaux domestiques, ceux dont il est le plus facile de retrouver les ancêtres à l’état sauvagé Sont naturellement les espèces qui en sont le plus nou- vellement sorties. Commencer par celles-ci, sera done aborder le problème par les cas les plus simples. Ces derniers venus sont au nombre de cinq : deux palmipèdes alimentaires et surtout d'ornement; et trois faisans, oiseaux par excellence d'ornement, en même temps que gibiers de luxe. Les deux palmipèdes sont F Anas cygnoides, de l'Asie orientale, et l À. canadensis, de l’ Amérique du Nord ; l’un et l’autre intermédiaires entre l'oie et le cygne. Nous savons mal l’histoire du premier, vulgairement connu, selon les pays, sous les noms d'oie de Chine, de Sibérie et surtout de Guinée ; son introduc- tion est récente, mais sans date certaine. Celle de l'oie à cravate ou du Canada a eu lieu en Angleterre, vers le milieu du xvr siècle, et c’est aussi dans le même pays, et à la même date, qu'ont été d’abord possédés et multipliés les trois faisans à collier, argenté et dore. La domestica- tion du faisan à collier paraît avoir commencé chez le duc de Northumberland, et celle de l’argenté dans les volières du célèbre fondateur du Masée britannique, Hans Sloane. } i Ces cinq oiseaux ont sensiblement conservé les carac- tères du type sauvage ; il y a parmi eux des variétés indi- Viduelles, mais point de races très distinctes, 1 592 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. M, CHAP. IX. ed IL n’en est déjà plus de même du serin des Canaries, du dindon de l'Amérique du Nord, et du canard mus- qué, dit de Barbarie, quoiqu'il soit originaire de l’ Amé- rique méridionale. Dans ces trois espèces existeni des races domestiques, plus ou moins différentes des types primitifs. Si l'on voit encore dans nos basses - cours des dindons et surtout des canards musqués , parés de couleurs métalliques aussi éclatantes que dans l état sau- vage, on cn voit aussi à plumage complétement terne. l s’est produit, en outre, chez le dindon, des différences très marquées de taille. Le canari s est encore bien plus mo- difié : on distinguait, dans le xwm siècle, plusieurs races et jusqu'à vingt-neuf variétés de serins domestiques ; on pourrait de nos jours en compter davantage encore. Dans quelques-unes il s'est développé une huppe, et la taille a notablement augmenté ; dans plusieurs, le plumage est devenu jaune, et cette couleur est même aussi com- mune chez le canari que le blane chez les autres animaux domestiques; ce qui, du reste, ne saurait étonner, puisque le flavisme, ainsi que nous l'avons montré ailleurs, est l'albinisme des oiseaux verts (1). A voir ces espèces si diversement modifiées, on pour- rait déjà prévoir qu’elles sont plus anciennement domes- tiques que les précédentes. Leur introduction date, en GR DR AA nee sean ein seen 1 po aasid i p TORR PAT e a eee eea + trier Lee ARS reg fra CRE SN de (1) Histoire générale et particulière des anomalies, t. 1, 1832, p. 317. — L'intensité que prend souvent le jaune du serin est, à ce point de vue, très remarquable. Le flavisme est aussi l'albinisme des végétaux, pour leurs parties vertes. (Voy. MOQUIN-FANDON, Éléments de tératoloyie végétale, Paris, in-8, 1841, p.45.) ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES: 58 effet, du xvie siècle, sans excepter celle du dindon, qui même, malgré une croyance très accréditée (1), avait précédé les deux autres. Le «coc d'Inde » a été importé en Angleterre sous Henri VII et en France sous Louis XII; elil était déjà « commun es mesteiries » vers 1550, comme le dit expressément Belon (2). A la même époque, le canard d'Inde ou de Guinée, comme on appelait alors l’Anas moschata, commençait aussi à se répandre en France : on le sofa «par les marchez pour s’en servir » es festins et noces » (3). Quant au serin, si abondant aux Canaries qu'on iy abat aisément vingt individus d’un coup de fusil, son intro- duction a dù suivre de très près l'établissement des Espa- &nols dans ces îles. Nous voyons, en effet, au xvit siècle, le commerce importer en grand nombre des canaris, comme aujourd’hui des bengalis et des sénégalis ; puis quelques individus, et bientôt un grand nombre, s’aceli- Maler ct se reproduire, et l’espèce se répandre partout. Après avoir orné, au xvi siècle, «les palais des grands, (1) « Le premier dindon qui fut mangé en France parut au festin » des noces de Charles IX, en 1575», dit TEMMINCK, Histoire des gallinacés, Amsterdam, in-8, 1813, p. 378; d’après SONNINI, qui lui- Même empruntait à ANDERSON Ce adu fait, reproduit par une multitude d'auteurs. Il ne suffit même pas à certains auteurs de reporter au delà du Milieu du xvi* siècle la domestication du dindon. Cet oiseau n'aurait été mené en Angleterre qu'en 1624, selon Link, loc. cit., t. 11, p. 316 (2) Histoire de la nature des oyseaux. Paris, in-fol., 1555, p. 248. Je wai pas besoin d'ajouter que Belon se trompe lorsqu'il dit le dindon commun aussi « es mestairies romaines ». 11 le confond ici avec la pintade. 7 (3) Ibid., p. 174. s Mn nat ki er tes L ETE p, i. or s ga re ~ À 5A NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. IX. magnatum ædibus alitur », dit encore Gessner en 1595 (4), « oiselet du sucre» descend, au xvn°, jusque dans les plus humbles demeures. Au nombre des oiseaux acquis par les modernes, de- vons-nous placer aussi le cygne? Non-seulement Aris- tote, mais Pline et les auteurs latins ne disent rien du eygne domestique (2), tandis qu'ils reviennent, à plusieurs reprises, sur le sauvage ; et Albert le Grand ne fait guère encore, au xn? siècle, que répéter et commenter ce qu'avait dit Aristote (3). Dès la renaissance, au contraire, et sans qu'aucun auteur en parle comme d'une conquête nouvellement faite, le cygne domestique est mentionné comme habituellement « nourri es douves des chasteaux (1) De avium natura. Francfort, in-fol., p. 240. (2) Et il en est de même de DIODORE DE SICILE, dans le passage remarquable (Bibliothèque historique, liv. XI, xx1) où il parle du lac artificiel d’Agrigente, de ses poissons et de ses cygnes: Les poissons y avaient été mis, mais non les cygnes, comme on l'a quelquefois entendu. Kézvov 7è maifeus sis aürhv xaramraueve, (lit Diodore; C'est- a-dire, mot à mot, s’y étant abattu en volant. Il s'agit done mani- festement d’une troupe de cygnes sauvages. Serait-on mieux fondé à considérer comme une preuve de lexis- tence du cygne domestique chez les anciens, la 74° fable d'Ésore, imitée par LA FONTAINE, liv. MI, xi? « Un homme riche, dit Ésope, » nourrissait ensemble une oie et un cygne, l’une pour sa chair, l’autre » pour son chant.» Ces derniers mots disent assez que le prétendu cygne domestique n'est qu'un des « héros de la troupe mensongère » d'Ésope. Autrement, l'antique fabuliste n’eût pas manqué de dire comme son immortel imitateur : TA Celui-là destiné pour les regards du maître, Celui-ci pour son goût. (3) ALBERT LE GRAND, De animalibus, lib. VITI, tract. 11, cap. 8. — Ailleurs, Albert parle de la possibilité d'apprivoiser ies cygnes quand on leur a coupé Faile. y: SS un à SE a ; Pom ES ET nt TT rpm gp ES 3 ge eo Tad p = is 2. du 4 nn ne En ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 55 » situez en l’eau » (1). La domestication du cygne daterait- elle du moyen âge? Dans tous les cas, il est peu vraisem- blable qu’elle ait été accomplie dans l’Europe occidentale, où le Cygnus olor, souche du cygne domestique qui en conserve les caractères, se montre bien moins nommuhé- ment que le C. ferus (2). Nous restons dans une semblable incertitude au sujet de la tourterelle à collier, espèce voisine, mais bien dis- tincte, de la tourterelle d'Europe. C’est celle-ci, Columba turtur, que les Romains nourrissaient en si grand nombre et avec tant de soin dans leurs maisons de campagne (3); et rien n'indique qu'ils aient possédé ni même connu la C. risoria qui est originaire des contrées orientales de l'Asie. Comment et quand nous en est-elle venue? Tout ce que nous pouvons en dire, c’est qu’elle est domestique en Europe depuis trois siècles au moins : que ses anciens noms, « colombe indienne, colombe turque, » semblent indiquer la voie qu'elle a suivie pour nous arriver; et qu’elle conserve sensiblement, dans la variété la plus com- mune, les caractères du type primitif, tel qu’on le trouve dans l'Asie orientale, et particulièrement en Chine (W. (4) BELON, loc. cit; D: 26. | (2) Aussi a-t-on pris d’abord le C. ferus pour la souche du cygne tuberculé. (3) On l'engraissait comme la grive et tant d’autres, mais on ne la _ faisait pas reproduire. COLUMELLE le dit expressément, De re rustica, lib, VIII, cap. IX. « Educatio supervacua, dit l'auteur... In orni- thone nec parit nec excludit (ou excudit, selon d'autres leçons). » (4) Elle est seulement devenue, en domesticité, in grande et un peu plus pâle. La C. risoria a été souvent confondue avec d’autres espèces, ce qui a induit en erreur sur sa patrie. PEL EDP MERE SAME O EA O PONT N iw 56 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. IX, { VI. Les autres oiseaux domestiques le sont tous depuis une date beaucoup plus ancienne. Nous croyons pouvoir, dans l’état présent de la science, faire remonter à l'antiquité romaine la domestication du canard, à l'antiquité grecque celle de l’oie (quoiqu’on l'ait généralement attribuée aux Romains), de la pintade, du paon et du faisan ordinaire, et à la haute antiquité celle de la poule et du pigeon. A l'égard du canard, nulle difficulté sérieuse. Nous connaissons aussi bien le canard sauvage que le canard domestique ; et parmi les nombreuses races et variétés qu'on a obtenues de celui-ci, il en est, et ce sont les plus communes, qui conservent encore, sauf une taille sensi- blement plus considérable, tous les caractères de l’ Anas boschas. La question d’origine est par là zoologiquement résolue; mais, historiquement, il reste quelques incerti- tudes. Elles ne portent, toutefois, que sur la date de la domestication ; encore cette date peut-elle être déterminée approximativement. Chez les Romains, à l’époque de \ Varron, il fallait encore couvrir de filets les enclos des- tinés aux oiseaux d’eau, « ne possit anas evolare » (1). La domestication était done encore très incomplète, et par (1) VARRON, De re rustica, lib. III, cap. XI. — DUREAU DE LA MALLE a exactement cité ce passage dans son Econom., polit. des Rom., t. II, p. 199. Mais, ailleurs, sa mémoire l’a mal servi. Varron n’a pas dit: « Anas aut anser », comme le prétend Dureau, dans son mé- moire Sur l'influence de la domesticité (Séance publique des quatre : f ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 57 conséquent récente, à la fin de la république romaine, et rien windique que cette domestication eût été même com- mencée chez les Grecs. Il n’en est pas de même de celle de l’oie. Je n’insisterai pas ici sur une fable prétendue antique (4) qui nous montre une ie (et non, comme dans la Fontaine, une poule) Pondant tous les jours un œuf d’or : mais un passage trop peu remarqué d’Aristote sur les œufs de vent pondus par les jeunes poules et les jeunes oies vierges (2), et même, bien plusanciennement, deux vers d'Homère (3), attestent que les Grecs, quoi qu’on en ait dit, avaient devancé les Romains dans l'éducation de cet oiseau. Quant à ceux-ci, ils l'ont possédé de très bonne | Académies, in-4, 1830, p. 38); et comme d’autres lont répété. « Clausæ pascuntur œnates » (et non : ænates et rad dit aussi COLUMELLE, loc. cit., lib. VITI, cap. xv. (1) Recueil des Fables d’Ésore, publié à Amsterdam, in-4, 1744, fable intitulée : « Du paysan et de son oie.» Mais dans le texte grec, il n’est nullement question de l’oie. Le titre est : Öv yppgvocréxes (dans les versions latines, Avis ou gallina auripara) ; et čows esttantôt, en un sens général, l'oiseau ; tantôt, en particulier, la poule, Cette fable est donc bien, comme a traduit la Fontaine, celle de la poule, et non de loite, aux œufs d'or. D’après une note intéressante qu’a bien voulu me remettre M. BOUR- GUIN, ancien magistrat et homme de lettres distingaé, « C’est » Avianus, auteur de la basse latinité, qui a maladroitement substitué » une oie à la poule du recueil ésopique. » Plusieurs ont suivi Antans en croyant suivre Ésope. (2) Hist. des anim.. liv. VI, 1. (3) Odyss., liv. XV, vers 165 et 174. M. A. Prcrer (loc. cit., p. 387) fait même remonter bien plus haut la domestication de l'oie : elle aurait été accomplie, suivant lui, en Asie, et y peee e aranana ~ PRATA RP TRES Je N De 2 58 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. heure; témoin, lors de la prise de Rome par les Gaulois, - « la vigilance des oies du Capitole, trahi par les chiens, » comme dit Pline (1). Nous avons une preuve d'un autre genre, et non d’une moindre valeur, dans lexis- tence à Rome, au temps des premiers Césars, d'oies de diverses variétés, notamment de diverses couleurs ; comme nous l’apprendrait au besoin ce vers d'Horace sur le foie d’oie qui était dès lors un des mets privilégiés des gastronomes : Pinguibus et ficis pastum jecur anseris albi (2). . L'oie blanche est en effet indiquée par Varron comme \ la meilleure variété alimentaire. | Cen’est plus Aristote, mais un de ses disciples, Clytus, de Milet, et d’après lui, Athénée, qui signalent l'existence chez les Grecs de la pintade. Clytus nous apprend qu'on élevait de son temps la meleagris dans l’île de Léros, près - du temple de Minerve (3), et Athénée cite l’Étolie comme dès l'origine de la civilisation. Mais les mots qu'il cite comme les noms sanscrits de l'oie domestique, sont-ils bien ceux de cet oiseau? Je ne vois, à l'appui de l'opinion de M. Pictet, aucune preuve, ni même aucun indice vraiment significatif. 4) Lib. X, XXVI. 2) Aspice quam tumeat magno jecur ansere MAJUS, dit aussi MARTIAL, Epigrammata, lib. XI, 58. On savait donc déjà obtenir des foies gras. — PLINE (lib. X, xxvii) a cru devoir transmettre à la postérité les noms des deux inventeurs de cet art : l’un d'eux était un personnage consulaire! (3) Dans un passage conservé par ATHÉNÉE, Deipnosophistes, liv. XIV, xx. | La pintade à caroncules rouges est bien décrite dans ce passage, et ja similitude des deux sexes déjà mentionnée. aeaii À a me ei ; a chastia VERERLLA Tangia CSS TS D ne p dE eee D LEE Da GS Ep BA = “ve hear” sue es Ed 7 Fu S V SE oi ‘3 a pe 7 a es. aa DA eA aa ikas z PEOS ara et AE NES 5 > par pa ee ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES, 59 la contrée où on l’a possédée d’abord (1); Link suppose que la Grèce l'avait reçue de Cyrène ou de Carthage (2). Mais ces premières éducations paraissent avoir eu peu de résultats, et ce sont surlout les Romains qui ont fait de la pintade un oiseau européen. Ils avaient même, et en abon- dance, deux espèces de pintades, la Numida ptilorhyn- chus, à caroncules bleues, que l'Europe n’a pas conservée, mais que nous essayons aujourd’hui de lui rendre, et la N. meleagris, à caroncules rouges (3); la même qu'on avait eue en Grèce, et qui est aujourd’hui si commune en Europe, soit qu'on l'y ait perpétuée depuis les Romains, soit, comme le croit Belon (4), qu'on l'y ait réintroduite, il y a quelques siècles, de la côte occidentale d'Afrique ; région où elle existe en effet, sur plusieurs points, à l’état sauvage, et avec des caractères qu’on retrouve, bien conservés, chez un grand nombre d individus domes- tiques ( (5). | (1) Loc. cit., liv: XIV, LXX. (2) Loc. cit., p. 315. — Voy. aussi Dena Spicil. zool., k IV, De 4; (3) Ces deux espèces sont très bien distinguées par COLUMELLF, lib. VIII, cap. n. C’est tout à fait à tort que cet auteur à été accusé d’avoir pris les deux sexes d’une même espèce pour deux espèces. (Voy. BuFFON, Histoire naturelle des oiseaux, t.11, p. 164; et DUREAU DE LA MALLE, Économ. polit. des Romains, t. IX, p. 193.) Notons en passant que la meleagris des Romains était l'espèce à caroncules bleues. « In meleagride cœrulea », dit COLUMELLE, lib. VII, u. L'espèce à caroncules rouges, à laquelle les zoologistes ont appliqué le nom de meleagris, était mr À par les Romains gallina africana ou numidica. (4) Loc. cit., p. 246. (5) Voy. HARTLAUB, System der Ornithologie Westafrica’s s. Brême, in-8, 1857, p. 199. à es VER PA pmi i Mi bd tes Gone cite datée "R ” HARTAT S apei A T a a SUN" ENER SE D RE E DR g H h è t $ P ii i n d f D SSi HAt i Pe |} f Xy t tg 1 : iN d 1 À: 4 “A a 141 3 J 41 1 ENF À j k : f \t t Pe | 2 H N 4 2 y { i E ? | B $ À + i v $ ri | î 3 H 4 pe s P k ln 2 | ` EE {E IE E 4 (À și ne t E y À 3 ‘4 + = ! if 14 w à nr $ it i 4 $ 2: EEE ITE ji $ $ $ s Et z r RE RE Ea EA m - 60 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. TX. L'origine asiatique du paon et du faisan est aussi incon- testable que l’origine africaine de la pintade ; nous devons certainement aux Grecs d’avoir fait de ces deux beaux "oiseaux des espèces européennes. C’est l'expédition d'Alexandre qui a enrichi la Grèce du paon, comme Fat- testent plusieurs documents historiques (1); et c’est celle des Argonautes qui lui a donné « l'oiseau du Phase », d’après une tradition généralement acceptée par les an- ciens (2). L'Histoire naturelle confirme pleinement ces origines ; car les contrées d’où l'histoire et la tradition font venir le paon et le faisan, sont précisément celles où on les rencontre aujourd'hui : le paon est de l'Inde, le faisan se trouve dans l’Asie Mineure. Et ici nulle incer- titude : s’il y a des paons blares, des faisans blancs et d’autres gris, les couleurs les plus communes dans ces deux espèces sont précisément celles qui les parent dans leur état primitif. La filiation se prouverait done au besoin par la ressemblance. (1) Le paon était certainement domestique du temps d’ARISTOTE. On l’a nié; mais l'Histoire des animaux renferme un passage décisif. Voyez liv. VI, 1x : «Les personnes qui élèvent des paons, dit l’auteur, font couver leurs œufs par des poules.» (Trad. de Cames, t. I, p.345.) — Dans la phrase suivante, Aristote oppose au paon les oiseaux sauvages (&ypiov evil). On avait vu quelques paons en Grèce avant Alexandre. A l’époque de Périclès, on en montrait un à Athènes pour de l'argent. Le paon était domestique à Samos, avant de l'être dans la Grèce proprement dite. (ATHÉNÉE, liv. XIV, LXX.) (2) Et notamment par Marriar, dans le distique suivant (Æpi- gramm., lib. XI, 72): Argiva primum sum transportata carina, Ante mihi notum nil. nisi Phasis, erat. RE A : ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. | 61 L'Asie est de même la patrie originaire de la poule, et de plus, le lieu de sa première domestication. De ces deux faits le premier est également attesté par l'Histoire natu- _relle et par l’histoire. C’est dans l'Asie, soit continentale, soit insulaire, que sont répandues toutes les espèces du genre Gallus, et particulièrement le G. Bankiva dont les caractères concordent parfaitement avec ceux de plusieurs de nos races domestiques. On voit encore communément dans nos basses-cours des coqs exactement colorés comme le Bankiva. Temminck, qui a le premier décrit le coq Bankiva et signalé son étroite parenté avec nos races domestiques (4), le disait originaire de Java, et d’autres lont dit des Philippines. Mais nous: pouvons affirmer que ce coq se trouve sur le continent de l'Inde; et par là disparait presque complétement la dernière des difficultés qwavait rencontrées la détermination de lorie gine . du coq (2). C’est en effet du continent de l'Asie, de la Perse, (1) Loc. cit., t.1, p. 87. — Temminck admet, du reste, d’autres « Souches ou espèces premières ». (Voy. p. 69.) Avant Temminck, on prenait pour le coq primitif, d’après Son- NERAT (Voyage aux Indes orientales, in-8, 1789, t. III, p. 139), une espèce rapportée de l'Inde par ce voyageur, et qui porte aujourd’hui son nom. Mais le Gallus Sonneratii s'éloigne de nos EJ par la plupart de ses caractères spécifiques. i Une troisième opinion a été récemment émise par M. PUCHERAN, Monographie des espèces du genre Cerf, dans les Ar chives du Muséum d'Histoire naturelle, 1858, t. VI, p. 400. Selon ce savant zoologiste, la véritable souche serait le G. Lafayettii, de Ceylan. Mais on ne retrouve pas dans nos races domestiques les caractèr es qui disting uent celui-ci (la coloration du dessous du corps et des rémiges secondaires). (2) Pour expliquer comment le coq avait pu venir des îles de la Sonde, Link supposait (loc. cit., t. I, p.312) d'anciennes «relations EE DEESA 2 VAR ENT E es SE FE à r ETEA AAE aree EA A Fate À ro a oen DRE G O AEE ES AS dE ; > g ep atia ği > + mr IT an 62 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. IX. qu'il est venu, un peu après l’époque d'Homère (4), dans la Grèce, qui l’a, plusieurs siècles après, donné à l'Italie. Persicus gallus, persicus dxéxrop, disent à plusieurs re- prises les auteurs anciens (2), sans nous apprendre tou- tefois si le coq est venu en Europe encore à l'état sauvage, ou déjà domestique. Mais le doute où nous laissent les livres grecs et latins est levé par un monument d'une bien plus haute antiquité, par le Zend-avesta. Ormuzd, selon les croyances des Duisen avait lui-même donné aux hommes le coq et la poule (3), et la religion mazdéenne prescrivait à tout fidèle de nourrir dans sa demeure un bœuf, un chien et un coq, « représentant du salut ma- tinal » (4). Le coq est donc, depuis une longue suite de siècles, domestique dans l'Asie en deçà de l'Indus. Y » de commerce entre ces contrées méridionales et celles du nord ». Nous n'avons plus besoin de recourir à ces conjectures toutes gra- tuites. Le seul point qui reste à éclaircir est celui-ci : Le coq Bankiva existe-t-il sauvage jusqu'en Perse? Ou avait-il été importé de PInde en Perse? J (1) Link, ibid., p. 310. — Le coq est mentionné dans la Batracho- ` myomachie, vers 191; mais il est reconnu que ce poëme est d’une époque postérieure à Homère. (2) Voyez particulièrement ATHÉNÉE, lb. XIV, cap. LXX, d’après CRATINUS. (3) Zend-avesia, traduction d'’'ANQUETIL-DUPERROX, t. Í, 2° part., p. 406. Tl s'agit ici du coq céleste; mais il est question, dans le mème passage, des soins à donner au Coq. (h) J.-ReyNauD. Voyez sur ce point, et sur le cog céleste des Mazdéens, le savant article Zoroastre de l'Encyclop. nouv., 1841, t. VIIL, p. 807. ' Sur la très ancienne existence du coq domestique ën Asie, voyez aussi A. Pictet, loc. cit., p. 895. RES SEA i NE E E n n ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 63 | était-il venu, plus anciennement encore, de la région où nous le connaissons aujourd'hui à l'état sauvage (4)? Autant nos coqs domestiques ressemblent souvent au Gallus Bankiva, autant il est commun de trouver dans nos colombiers des pigeons presque identiques avec la Columba livia ; nous avons même vu des individus re- produire si fidèlement les caractères du type sauvage, qu'il était presque impossible de les en distinguer. Nous s pouvons donc affirmer la parenté de nos bisets domes- | tiques avec la C. livia. Malheureusement, après ce pre- mier résultat qui est loin de nous suffire, nous sommes contraints d'entrer dans le champ des conjectures. Le biset sauvage est-il la souche unique ou une des souches multiples de nos nombreuses races et de nos innombra- bles variétés soit de colombier, soit de volière ? Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu’on retrouve parfois jusque dans les races les plus modifiées une partie des caractères du biset sauvage, et jamais ceux d’une autre espèce. Loin que la diversité d’origine puisse être prouvée, il y`a done B une présomption en faveur de la communauté, sans qu’il À | soit cependant permis de l'affirmer. $ i Nous ne sommes pas plus fixés sur le lieu ou les lieux E de la première domestication du pigeon. Oiseau de grand 6, Vol, et essentiellement voyageur, le pigeon se rencontre à l’état libre dans trois parties du monde, en Europe, dans le nord de l'Afrique, dans une très grande partie de (1) On ignore également à quelle époque la poule est venue d'Asie en Égypte, où on l’a possédée fort anciennement, et où les procédés de l'incubation artificielle étaient en usage dès le temps d'Aristote. | l (Voy. Hist. des anim., liv. VI, 11.) | À 64 NOTIONS VONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. IX. l'Asie. Même en supposant la question de l’origine zoo- logique exactement déterminée, la question de l’origine géographique resterait donc encore très incertaine, à moins que l’histoire ne l’eüt résolue. Or, non-seulement - elle ne la pas fait, mais il est peu de points sur lesquels elle nous donne aussi peu de lumières (4). En des temps reculés, nous voyons déjà le pigeon domestique dans les trois mêmes parties du monde où il vit sauvage ; et l’Eu- rope est la seule pour laquelle sa domestication ne se perde pas dans la nuit des temps. Le pigeon n’a été géné- ralement répandu chez les Grecs, peut-être même n’en a-t-il été connu (2), qu'après l’époque d’Homère ; et c’est au v° siècle avant notre ère qu'ils virent pour la pre- (1) L'ouvrage de M. A. Picrer sur les Aryas, publié depuis que ceci est écrit, ne nous a pas lui-même apporté sur ce point de lumières nouvelles. Sur les anciens noms du pigeon (voy. p. 399 et suiv.). (2) Cette dernière opinion est celle de Ling , loc. cit., p. 316, et de DUREAU DE LA MALLE, qui copie Link, loc. cit., p. 185. Mais M. BOURGUIN, dans la note manuscrite déjà citée, oppose à cette opinion un passage d'HOMÈRE (Iliade, liv. IN, vers 502 et 582), où le poëte donne à deux villes, Thisbé, en Béotie, et Messé, en La- conie, l'épithète de routoncsov, mot qu’on a rendu par columbis abun- dans. Des pigeons, nombreux dans des villes, ne sont-ce pas, se demande M. Bourguin, des pigeons domestiques ? Le pigeon aurait donc été déjà domestiqué, mais assez rarement « pour que la circonstance de lélever en grand nombre servit à dis- » tinguer certaines localités. » ; Le pigeon a d’abord été élevé par les Grecs dans les temples (comme . les pintades, voy. page 58, et comme d’autres oiseaux rares). C’est de là qu'il est passé dans les colombiers, en grec meotorepeüves; mot qui prouverait au besoin que #cp:67:0% était le nom grec du pigeon, au moins son nom le plus usité, et non toov, dont néanmoins Homère a pu se servir dans ses vers. Nos poëtes aussi ne disent-ils pas sou- vent colombe pour pigeon ? ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 65 mière fois des individus à plumage blanc, très vraisem- blablement venus de Perse (4). Avait-on aussi introduit le pigeon d'Asie en Égypte (2)? Ily a lieu, non de l'affirmer, car l’histoire est muette sur ce point, mais de le présumer, d’après l'ensemble des résultats auxquels conduit l'étude des races. Quel animal africain voyons- nous, dans la haute antiquité, passer d'Égypte en Asie? Un seul peut-être, le chat. Nous avons, au contraire, plu- sieurs exempies d'animaux domestiques donnés par l'Asie à l'Égypte : tels sont le coq, parmi les oiseaux; et parmi les mammifères, le cheval, le dromadaire, et d’autres encore, comme nous allons le voir : traces significatives, bien qu'à demi effacées par le temps, d’un antique cou- rant, non de l’Afrique vers l’Asie, mais de l'Asie vers l'Afrique. VIT. On vient de voir qu’il n’est aucun de nos dix-sept oiseaux - domestiques dont l’origine zoologique ne puisse être exactement déterminée, et qu'il en est deux seulement, le Cygne et le pigeon, dont l’origine géographique reste in- certaine; encore, ici même, ne sommes-nous pas en plein inconnu. (1) D'après un passage de CHARON, de Lampsaque, conservé par ATHÉNÉE, loc. cit., liv. IX, Chap. LI. í g Les Romains paraissent avoir possédé de bonne heure le pigeon. Ils lont quelquefois employé comme messager. (Voy. PLINE, liv. X, Lim.) (2) Du temps d’Arisrore, loc. cit., liv. VI, 1v, le pigeon était devenu extrêmement commun en Égypte. On en obtenait douze pontes Par an. IL. 5 eniam t En i f $ |: $ |

haai & EA NE bé Le ÉLUS a 72 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Il, CHAP. IX. domestique chez les Péruviens (1); et n’eussions-nous pas ce témoignage, ce que nous savons de son état au xvi? siècle atteste suffisamment que si le cochon d'Inde étaitalors nouvellement introduit, il n’était pas récemment domestiqué. Peu d’années après l'expédition de Pizarre, on le voyait déjà tel qu’il est aujourd’hui, c'est-à-dire à | pelage bigarré de blanc, de noir et de roux, et variable d'un individu à l’autre : preuves non équivoques d’une domesticité déjà ancienne. On ne peut non plus douter que le cochon d'Inde ne soit issu d’une espèce du genre cobaye; mais est-ce bien de l’apéréa, comme on l’a admis d'après Azara (2)? I] était naturel de le croire, tant qu’on ne connaissait pas d'autre cobaye sauvage, par consé- quent d'autre souche dont on pùt faire sortir nos races domestiques. Mais, depuis trente ans, plusieurs natura- listes et nous-même avons décrit de nouvelles espèces de cobaye, très voisines aussi du cochon d'Inde, et l’on en découvrira sans doute encore d’autres. Pour que l'on püt opter avec certitude entre toutes ces espèces, il faudrait que le cochon d'Inde reproduisit parfois les caractères de son type primitif, ce qui n’a jamais lieu, surtout pour (1) Histoire des Ynkas, trad. par BAUDOUIN, Amsterdam, in-192, 1775, t. U, p. 526. Garcilasso parle des cochons d'Inde comme de « petits lapins champêtres et domestiques », appelés coy, et très diffé- rents « de ceux d'Espagne ». Coy ou cuy est précisément le cri du cochon d'Inde : il s’agit donc bien ici de ce rongeur. (2) Voyages dans l Amérique méridionale, publiés par WALCKENAER. Paris, in-8, 4849, t. I, p. 345. Plusieurs auteurs ont eu le bon esprit de n’admettre qu'avec doute la détermination d’Azara. Voy. particulièrement Cuvrer, Règne anim., WEE S GARES ZCS 220 a 2% LU" ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 78 les couleurs; ou, au moins, qu'on connût plus exacte- ment les limites de la patrie de chaque espèce, et en par- ticulier celle de l’apéréa ; rongeur qu’on sait être très commun au Brésil, mais dont l'existence au Pérou reste très douteuse, pour ne pas dire plus. L’apéréa peut donc n'être, ou mieux, n'est vraisemblablement qu'un des congénères, et non l'ancêtre de nos cochons d'Inde. La question d’origine n’est pas non plus sans difficultés pour le furet. Génériquement, ce carnassier est un puto- rius; mais qu'est-il spécifiquement ? Faut-il voir en lui le putois ordinaire, à l’état domestique ? La plupart des au- teurs, et à leur tête Linné, Buffon et Daubenton, ont nié cette origine. Nous sommes, au contraire, très porté à l’admettre. Les différences anatomiques qu’on croyait avoir constatées entre le furet et le putois se sont éva- nouies devant un nouvel examen (1) ; et il est des furets qui « ressemblent très parfaitement » (2) au putois, jusque par leurs couleurs. Mais l’histoire, au lieu de venir ici en aide à l'Histoire naturelle, complique la question d’une difficulté qui, heureusement, n’est pas pour toujours inso- #4 lüble. Strabon et Pline (3) nous parlent d’un petit quadru- (1) DAUBENTON, Hist. nat. de Burrow, t. VII (1758), p. 248 et 224, avait signalé, outre quelques différences sans importance, l'existence d’une paire de côtes de plus chez le furet (15 au lieu de 44). Mais les Squelettes du Muséum n’ont que 14 paires de côtes. — Ce fait a déjà été remarqué par BLAINVILLE, selon lequel on trouve chez le furet « absolument le même nombre d'os, et dans les mêmes proportions » et avec la même forme » que chez le putois. (Voy. Ostéographie, Mustélas, p.13. (2) DAUBENTON, ibid., p. 215. — Voy. aussi BUFFON, p. 209. (5) STRABON, Géographie, liv, HE. PLINE , doc. cit., liy: VIIE, LXXX 7h NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. pède que le premier appelle yañ, etle second viverra, et dans lequel tous les auteurs ont, non sans fondement, re- connu le furet. Les Romains employaient la viverra à la chasse du lapin, exactement comme nous le faisons du furet. « On l'introduit, dit Pline (4), dans les terriers qui » ont plusieurs ouvertures ; elle déloge les lapins qu'on » saisit à leur sortie. » Jusqu'ici nulle difficulté; mais Strabon, qni fait le même récit, y ajoute l'indication de la patrie de la yaxñ : 4 Aufôn géoer (2), dit-il expressément. La yañ était done du nord de l'Afrique : région où le putois n’est pas connu. L'y découvrira-t-on ? Ou Strabon n'au- rait-il pas ici confondu le furet avec une espèce africaine, comme l’a fait, dix-huit siècles plus tard, Buffon lui-même en prenant le nimse pour le furet sauvage (3)? . Strabon et Pline parlent, comme on vient de le voir, du lapin en même temps que du furet. L'exact Polybe et - Élien (4) mentionnent aussi le lapin, qui au contraire est (4) Traduction de GUEROULT, t. 1, p. AA. (2) Tećosı, selon une autre leçon; ce qui reviendrait au même. Taxi ypa; dit STRABON; car le mot yar avait chez les Grecs une valeur générique. On nourrissait souvent dans les maisons une des espèces comprises sous ce nom; espèce qui serait la fouine, selon DUREAU DE LA MALLE, Recherches sur l’histoire ancienne des animaux domestiques, dans les Ann. des sc. nat., 4829, t. XVII, p. 178. —Surle sens du mot yar, voyez aussi un remarquable mémoire de M. BAZIN, inséré dans les Actes de la Société linnéenne de Bordeaux, 1843, t. XII, p.97. (3) Loc. cit., p. 240. Burron avait été induit en erreur par SHAW, Voyages en Barbarie, trad. franç., la Haye, in-4, 47483, t. 1, p. 323. Lenimse, nims ou nems, est une mangouste, comme Fa su plus tard Buffon, qui l’a figuré Supplém., t. IH, p. 174. (4) POLYBE, Histoires, liy. XIL — ÉLIEN, Histoire des animaux, ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 75 passé sous silence par Aristote (1). De ces témoignages et de ce silence, il résulte que le lapin n'existait originai- rement ni en Grèce, ni en Italie, contrées où il était encore très peu connu vers le commencement du second siècle avant notre ère ; mais qu’il habitait l'Espagne et la Corse (2). C’est en Espagne qu’il paraît avoir été d’abord domestiqué ; et c’est de là qu’il s’est bientôt répandu sur une grande partie de l’Europe, où il a peu tardé à sé multiplier aussi à l’état sauvage. On sait que le lapin a été appelé par les anciens cuni- culus, xávxoç, xivweos. Ces noms, d’après Pline etÉlien, ne sont que les formes latine et grecques d’un mot ibère; ils témoignent donc aussi del origine espagnole du lapin (3). Liv. XMI, xv. Élien dit le lapin noir; il l’a done vraisemblablement décrit d’après des individus domestiques. (1) Camus, loc. cit., t. IT, p. 277, a le premier démontré (contrai- rement à l'opinion de Burron, Hist. nat., t. VI, p. 310) qu’Aristote n’a pas connu le lapin. — A l’appui de la non-existence du lapin en Grèce, voyez POLYBE qui, dans le curieux passage plus haut indiqué, parle du lapin comme d’un animal encore à peu près inconnu de son temps. Polybe s'attache à le distinguer du lièvre, avec lequel, dit-il, on le confond de loin; mais « en le prenant à la main, on recon- » naît aussitôt qu’il est d’une autre espèce. » (2) Au premier siècle avant notre ère, le lapin sauvage existait ` aussi dans le midi de la France; il y était même extrêmement com- mun.. Strabon nous dit que ce «pernicieux animal » étendait ses ravages depuis l'Espagne jusqu’à Marseille. C’est pour réprimer cette excessive multiplication qu’on avait introduit le furet. Il paraît que le lapin était encore plus commun aux, îles Baléares. Pline nous en montre les habitants réduits à implorer l'envoi de troupes. contre les lapins: Auwilium militare a divo Augusto pe- titum ! (3) Nous devons dire que CUVIER, après avoir admis cette origine, ke aiii ä nae O = RER PURE Ale pi né n Rare DS en MB mnt nm. D ER qd en en. - aiii iawa A "PT r ; d F À v [A j: 4 ti j L : f 11 f A) +! \1 ti i || R F į i i H | 4 : 1 LA a? | i à 4 į 11124 pH À + LE ji f | (a a i 1 E À { p3 | | i : LA: t ia : H t 2 j À A LEA . d | f E DIE 416 (E ÈlE- LA 1 : | $ f | Ha y | f RE 1 i ji dl $ Í gi. y} $ 1 | 4 A i i | 1a ] f f | f À ri A Le $ À MES i X ( , IE À| 14% 3 i a $ 14 i / 76 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. IX. X. Parmi les huit mammifères possédés par l’homme de temps immémorial, il en est deux dont on peut encore déterminer, sans trop de difficulté, l’origine zoologique et géographique : tels sont le cheval et l'âne. Dès la plus haute antiquité, nous voyons le pre- mier au pouvoir des cinq grands peuples de lOrient : les Chinois, les Indiens, les Perses, en ont souvent parlé dans leurs anciens livres, et il est très fréquemment figuré sur les monuments de l’Assyrie et de l'Egypte. En Asie, en particulier, la domestication du cheval semble se perdre dans la plus profonde nuit des temps. Ainsi que nous l’avons dit ailleurs d’après le Rig-F'éda et le Chou-king (1), les Indiens, aussi loin que peuvent remonter l’histoire et les traditions, avaient déjà des che- vaux très variés de couleur; et les Chinois chez lesquels le cheval avait été introduit (2), employaient deux mille Règne anim., 4°° édit., t. I, p. 214, l’a révoquée en doute, Ibid., 2° éd., t 1, p. 217, et dans une note du Pline de M. AJASSON DE GRAND- SAGNE, Paris, in-8, t. I, p. 559. Dans cette note, Cuvier explique le motif de son doute : il croit reconnaître le lapin dans un animal mentionné par XÉKOPHON, Cyné- gétiques, chap. V. Mais rien n’autorise à penser que ce passage $'ap- plique à notre espèce. C’est par erreur que Cuvier dit le lapin «très bien décrit » dans ce passage. (1) Tome 1, Introduction historique, p. 40 et 42. (2) Nous lisons en effet dans le Chou-king : « Le Ta@ï-pao (grand » personnage) dit : Un chien, un cheval sont des animaux étrangers à » notre pays. 11 n’en faut pas nourrir. » (Trad. du P. GAUBIL, in-4, 1770, p. 175.) ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 74 ans avant notre ère dans les travaux de la guerre comme dans ceux de la paix. La domestication du cheval remonte de même très haut chez les Perses : l'antique Zend- Avesta, et en particulier le Vendidad, ne nous laisse pas plus de doute pour les peuples en deçà de l'Indus que les V édas pour les Indiens. L'âne passe généralement pour moins anciennement domestiqué que le cheval, et nous n’avons aucune objec- tion à élever contre cette opinion que nous regardons comme vraisemblable, mais rien de plus. Ce qui est cer- tain, c’est que nous trouvons l’âne soumis aussi à l’homme depuis la haute antiquité; mais non plus aussi généra- lement que le cheval, et surtout moins loin en Orient. C'est particulièrement dans le sud-ouest de l'Asie et en Égypte que l'âne est de bonne heure domestique. Peut- être même l’est-il ici avant le cheval. Si les monuments égyptiens qui portent également les figures de l’un et de l’autre ne nous apprennent rien à cet égard, la Bible est très explicite en faveur de l’antériorité de l’âne, comme déjà nous l'avons fait remarquer (4): à partir du voyage d'Abraham en Égypte (2), l’âne figure presque à chaque page dans les récits de la Genèse ; il n° y est question du cheval qu’à l’époque de Joseph (3). (1) Introd. histor., p. 4 et 5. (2) La Genèse, XII, 16, cite l'âne comme un des animaux donnés à Abraham en Égypte. (3) Nous nous félicitons d’avoir reçu le livre de M. A. PICTET sur les Aryas (voy. p. 43, note), assez tôt pour pouvoir citer, à l'appui de ce qui précède, quelques-uns des résultats de ses savantes recher- ches philologiques. M. Pictet n’a trouvé ni dans le sanscrit, ni dans le zend, et il pense qu'il wexistait dans la langue des Aryas, aucun GE mn e ph te mi dt dé ~ TAN ig REOTA 78 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. IX. Si l’Asie centrale et orientale, d’une part, le sud-ouest de l'Asie et le nord-est de l’Afrique, de l’autre, sont les régions dans lesquelles le cheval et l'âne ont été primiti- vement ou principalement domestiqués, nous sommes con- duits, par une induction légitime, à chercher dans ces mêmes régions les patries originaires de nos deux soli- pèdes. Or c’est précisément là que nous les trouvons établis de temps immémorial : le cheval sauvage habite l'Asie centrale, particulièrement la Tartarie; et l’onagre s'étend de l’Asie jusque dans le nord-est de l Afrique (4). -Il est vrai que des animaux domestiques viennent parfois mot dont on puisse faire venir les noms européens de l'âne: ôvos, asinus, âne, Ass, Esel, sont autant de dérivés de l’ancien nom hébreu de l’ânesse, aton, ou d’autres formes sémitiques du même mot. Au contraire, izzos (forme éolienne, fexoc), equus, et presque tous les autres noms du cheval sont d’origine arienne, selon M. Pictet. Aussi conclut-il comme nous : « Nous trouvons le cheval associé à l’homme » chez les peuples les plus anciens Le sanscrit n’a pas moins » de 140 à 150 noms pour lui (p. 344 et 345). » Mais (p. 354), « rien » n'indique d’une manière certaine que les anciens Aryas aient » (comme les Sémites, ajoute M. Pictet, p. 356) dompté et utilisé » l’onagre. » Les résultats auxquels conduit la linguistique comparée concordent donc parfaitement avec ce qui précède, et avec les indica- tions déjà données dans notre Introduction historique. Nous n’avons pas besoin de dire que le cheval avait été introduit en Grèce dans des temps très reculés, lors de la fondation d'Athènes, et par Neptune, selon une fable qui semble indiquer une importation maritime. L’âne a aussi existé fort anciennement en Grèce, comme le montre une comparaison tirée par Homère (Iliad., liv. XI, vers 558 et suiv.) d’une de ces scènes populaires dont nous sommes encore chaque jour témoins. (4) Ce point m'ayant été contesté par mon savant ami le prince Ch. BONAPARTE (dans les Compt. rend. de l’Acad. des se., t. XLI, ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 79 recruter les troupes sauvages: mais rien n'autorise à croire qu’elles n'aient pour origines, comme on l’a sup- posé, que des chevaux et des ânes échappés (4). Ajoutons que la situation des lieux où vivent le cheval et l’âne sau- vage concorde parfaitement avec ce que nous savons de la distribution géographique de l’ensemble des soli- pèdes. C’est l'Afrique qui est, sans exception, la patrie des espèces zébrées ; l’Asie, de celles qui ont le pelage p. 1220), j'ai rassemblé (Ibid., p. 1221) plusieurs témoignages his- toriques qui établissent l'existence de l'âne sauvage en Afrique depuis antiquité jusqu’à nos jours. -~ Sur l’onagre, et aussi sur le cheval sauvage, voyez DUREAU DE LA MALLE, Histoire du genre Equus, dans les Ann. des sc. nat., 1832, t. XXVII, p. 5. — Il y a relativement à l’onagre, souvent confondu par les auteurs avec d’autres solipèdes, des difficultés dont Dureau n’a pas assez tenu compte dans ce travail. Partas lui-même, malgré sa science égale à son érudition, n’a pas toujours surmonté ces difficultés dans ses divers travaux sur les soli- pèdes. (Voy. ses Voyages, sa Zoographia rosso-asiatica, et surtout ses Neue nordische Beiträge, Pétersbourg, 4781, t. IL, p. 4 et 22, et son mémoire sur l’Ane sauvage, dans les Acta Academiæ scientiarum petropolitanæ, ann. 4787, part. IT, p. 258.) l (4) Rien, surtout, ne justifie une hypothèse émise par HAMILTON Smru, Horses (Édimbourg, in-12, 1841, dans The Naturalist’s Library), pour expliquer la très grande diversité de caractères, et particulièrement de couleurs, qu’on observe chez les chevaux. Ces animaux descendraient, selon Smith, de plusieurs souches ou espèces primitives, aujourd’hui confondues entre elles, par suite d’innom- brables croisements. Parmi ces espèces primitives, Smith a été jusqu’à en imaginer une panachée, qu'il appelle Equus varius! Un savant d’une plus grande autorité, M. FITZINGER, a récemment repris, en la modifiant, mais sans la justifier davantage, l'hypothèse de la multiplicité des origines du cheval domestique. (Voy. Versuch über die Abstammung des zahmen Pferdes, dans les Sitzungsberichte der Akademie der Wissenschaften de Vienne, t. XXI, n° 49, juillet 1 858.) ts aneirin té ne cz Dm à ge ms _ PART e E a E an 772 me” + ; PN à =- ae v n on EE A go 80 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP, IX. uniforme (4). Où donc, à ce point de vue encore, devions- nous chercher les patries primitives du cheval et de l'âne, si ce n’est précisément où nous venons de les trouver? Le cheval, de couleur uniforme, est asiatique ;. l'âne , intermédiaire entre les espèces concolores et les espèces zébrées (2), est aussi intermédiairement placé, partie en Asie, partie en Afrique. XL. Tandis que le cheval et l'âne appartiennent à un genre propre, dans l’état de nature, à l’Asie et à l’Afrique, nos autres herbivores domestiques se rapportent à des genres communs aux {rois parties de l’ancien continent. Comme nous avons le cochon, la chèvre, la brebis et le bœuf dans nos demeures, nous avons le sanglier dans nos forêts, le bouquetin et le mouflon dans nos montagnes; et si l'au- rochs ou bison d'Europe n’est plus, comme au temps de César, dans la forêt Hercynienne, il se retrouve encore en Lithuanie et en Moldavie. Sont-ce là de simples rencontres? (1) Depuis que j'ai appelé l'attention sur ce fait général (Sur le genre Cheval, et spécialement sur l’hémione, dans les Nouvelles An- nales du Mus. d’hist. nat., 1835, t. IV, p. 98), la nouvelle espèce que j'ai fait connaître sous le nom d'hémippe (Equus hemippus), est venue fournir un exemple de plus. L’hémippe, qui est comme le cheval et l’hémione, de couleur uniforme, est, comme eux, propre à l'Asie. (Voy. les Compt. rend, de l Acad. des sciences, 1855, t. XLI, p. 4214.) (2) L'âne sauvage n'a pas seulement la croix, qui est un commen- cement de zébrure : il a le bas des jambes zébré, ainsi qu'on peut le voir sur lonagre de la Ménagerie du Muséum. w ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES, 81 Ou aurions-nous encore, réunis dans notre Europe, les ascendants sauvages et les descendants domestiques ? Cette dernière supposition a été admise avant toute étude scientifique, et les noms mêmes du bouquetin (1) et de l’aurochs (2) en font foi. Les naturalistes eux-mêmes, jusqu’au milieu du xvnre siècle, n’ont pas hésité à conclure ici comme le vulgaire. Is on! jugé qu'il n’y avait pas lieu d'aller chercher au loin les ancêtres de notre bétail, Quand nous avons autour de nous des animaux qui lui Sont si semblables ; et sans discuter la question, on l'a tranchée. Le bouquetin des Alpes et l'aurochs de Ger- manie ont été déclarés les pères des chèvres et des bœufs; et si ces erreurs, rectifiées l’une par Güldenstädt et par Pallas (8), l’autre par Cuvier (4), ont disparu de la Science, le sanglier de nos forêts et le mouflon de Corse continuent à y être dits les ancêtres des pores et des Moutons domestiques (5). On à peine à concevoir que ces prétendues filiations aient pu être si longtemps acceptées, malgré les démentis (1) Bouquetin n’est qu'une forme corrompue du mot germanique Bockstein, ou mieux Steinbock (bouc des rochers). (2) En allemand, Urochs, et plus ordinairement, Auerochs (bœuf primitif, originel). (3) Voyez ci-après, p. 87. (4) Voyez la Section xir. (5) Le loup de nos forêts a de même été considéré comme la souche du chien, et le chat sauvage comme celle du chat domestique. De ces deux Opinions, la première a été abandonnée, mais la seconde est encore aujourd’hui très généralement admise. (Voy. les Sections xm et XIV.) Parmi les oiseaux, on a fait descendre la tourterelle à collier de la Colombe des bois, le cygne domestique du cygne sauvage d'Europe, etc, (Voy. ci-dessus la Section vr.) Sú HI. 6 Le ee me yo a n HI $ 4 t i i | | i À 3 { f } è h 2 E$ E Î H} E 4! } 14: H g FE RE! À TEE : | H j | i Li (l . p t 4 l. Í EI à E 1 H 1E (1 Í r p E: $ i n $ IE A1! i | P 4 Ig Ai À H 4. AR| 4 E : af } $ LE | i 4 l'A } (El | MCE : R 4 $ 4 EE 3 à i F $ | EEE E ' 4 f HE EE PEU 4 4 15 4 ki Li į $ i, | k, sereen Sa a ii a aaa aa mg" NE iape nt 82 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Il, CHAP, IX. que leur donnait l’histoire. Comment l'Occident, s'il a été peuplé et civilisé après et par l'Orient, aurait-il été le lieu des premières domestications ? Et si c’est en Orient que ces domestications ont été accomplies, comment les races d'abord soumises à l’homme auraient-elles pour ancêtres des espèces de l'Occident? Ces deux suppositions sont également inadmissibles, et c’est manifestement faire couler le fleuve vers sa source, que de faire descendre tout le bétail de l'antique Égypte et de l’Asié anté-historique des animaux de notre jeune Europe. Nous nous associons donc pleinement, au moins d’une manière générale et sauf quelques restrictions partielles, aux éfforts déjà faits par plusieurs auteurs pour démon- trer l’origine orientale, et surtout asiatique, du cochon, de la chèvre et du mouton; et aussi, comme nous le verrons bientôt, du chat et du chien (4). Nous croyons même pouvoir aller au delà, et restituer à l'Asie le bœuf; le seul entre tous les animaux très anciennement domestiqués, dont l'origine orientale fût restée généralement méconnue. C'est Link qui a, le premier, insisté sur l’origine orientale du cochon (2), mais d’après des arguments fort contestables. D’Aristote (3) à Pline (4), et de Pline à (4) A ces quadrupèdes peuvent être ajoutés trois autres animaux très anciennement venus d’Asie en Europe, la poule et le pigeon (voy. la Sect. VIT), et le ver à soie (Sect. 1v). (2) Elle avait été entrevue par ZIMMERMANN, loc. cit., p. 154 et suivantes. (3) En divers passages de l'Histoire des animaux. Le sanglier est habituellement appelé par Aristote, le cochon sauvage, ds &ypros. (W) Loc. cit., lib. VIT, LXXIX. — Parmi les Latins, citons aussi VARRON, loc. cit., lib, AL, 1. ; ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 83 Cuvier (1), on avait toujours vu dans les races porcines des dérivés du sanglier d'Europe. Link, et d’après lui Dureau de la Malle, les font descendre d'un sanglier oriental ; perse et égyptien, selon Link ; indien, selon Dureau; et qui est, disent-ils, d’une autre espèce (2). Il y a, en effet; en Orient, des sangliers différents du nôtre, mais par des caractères d’üne si faible importance, que la diversité Spécifique de ces animaux est loin d'être généralement | admise. Blainville lui-même, qui a fait une étude très attentive de tous les éléments de la question, dit n’avoir pu saisir, entre le sanglier d'Europe et celui de l'Inde, «aucun caractère d'espèce » (3). Il n’y a donc pas lieu de rapporter à l'un plutôt qu’à l'autre nos races porcines qui sont; les unes également voisines, les autres égale- ment distantes du Sus scrofa et du 8. indicus. Mais où l'Histoire naturelle nous laisse indécis, l’histoire nous (4) Règne anim., t: 1, 4"° édit., 4847, p. 235; 2° ëdit., 4829, p. 248. (2) Enk; loc: cit.; t: I p. 299; — DUREAU DE LA MALLE, Économ. polit, des Romains, loc. cit., p. 487; très certainement, d’après Link, quoique Dureau ne le dise pas. Avant ces auteurs, Frédéric Cuvier, d’abord partisan de l’opinion Commune (voy. l’art. Cochon du Dictionnaire des sciences naturelles, t. IX (1817), p: 512), avait émis le doute que « toutes les variétés » fussent issues du sanglier commun. » (Voy: l'Hist. nat. des MAMM., Cochon de Siam, 1890.) Rien de plus ici que l’énoncé de ce doute. Mais d’après DUREAU (ibid.), Fr. Cuvier aurait plus tard, ainsi que lui, considéré le Sus indicus comme la véritable souche des races porcines. S DESMOULINS, dans l’art, Cochon du Dict. class, d'Hist. nat., t: IV (1823), p. 274, a reproduit le doute émis par Fr. Cuvier, et essayé, le Premier, de le justifier par des remarques qui ne sont pas sans valeur. (8) Loc. cit., Des cochons et sangliers, p. 130. À A ee nae ain eate e e DT a se ERA $ | 1 Di HE R (PER | A pe ee erma RE a a TE D 8h NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. IX, permet de nous prononcer ; Car plus nous nous portons vers l'Orient, plus nous trouvons le cochon ancienne- ment domestiqué. La Grèce l'a possédé de très bonne heure, comme le prouve, sinon l’Jliade, où le. cochon est à peine indiqué, du moins l'Odyssée, où il figure à plusieurs reprises. Et il existait à une époque bien plus reculée encore en Orient; témoin, pour l’Asie occi- dentale, les prohibitions du Deuléronome, et pour la Chine, divers passages de l'antique Chou-king (1). Selon le premier de nos sinologues, la domesticité du cochon dans l'extrême Orient daterait au moins de quarante-neut siècles (2) ! Nos sangliers d'Europe ne sont donc pas les péres des cochons de l'Asie et de l'Égypte; et ce sont, au contraire, les cochons d'Europe qui descendent des sangliers de VAsie. | Mais les races porcines ont-elles toutes cette même origine? Les cochons de l'Océanie, par exemple ceux des îles de la Société, ne sont-ils aussi que le sanglier d'Asie modifié? Question insoluble, tant qu'on ne con- (4) Comme on l’a vu, Introduction, p. 10. C’est, au contraire, en vain que j'ai cherché le cochon dans les Nackas et dans les Védas. Le cochon paraît avoir existé très anciennement en Égypte. (Voyez HÉRODOTE, Euterpe.) (9) Stan. JuLIEN, note communiquée à BLAINVILLE ; YOY. l'Ostéogr., loc. cit., p. 163. — On trouve dans l’Ostéographie plusieurs autres preuves de l'antiquité de la domestication du cochon en Orient. Blain- ville croit que cette domestication a d’abord eu lieu en Mésopotamie ; mais rien ne justifie la désignation de cette contrée, de préférence à d’autres plus orientales. pes ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES, 85 naîtra pas mieux, et les races océaniennes, et lès sus sau- vages de la Nouvelle-Guinée ét de Célèbes : espèces propres à ces îles, selon plusieurs auteurs (4); simples races sauvages, issues de cochons domestiques, selon d’autres, et particulièrement selon Blainville (2). L’antique existence de la chèvre et du mouton chez les peuples orientaux n’est pas plus douteuse que celle du cochon. La Genèse mentionne dès ses premières pages le mouton, bientôt après la chèvre (3). Tous deux sont nommés dans le Zend-Avesta et dans les édas, et re- présentés sur les monuments de l'Égypte, où l’on voit même parfois des individus très modifiés. Le mouton est de plus cité dans le Chou-king. En sorte que, dès la plus haute antiquité, nous voyons la chèvre répandue de l'Égypte à l'Inde, et le mouton dans tout l'Orient, la Chine comprise. La chèvre ne descend done pas d'un de nos bouque- tins, ni le mouton de notre mouflon d'Europe, comme (1) M. FITZiNGER, Ueber die Racen des zahmen oder Hausschweines (loc. cit., t. XIX, n° 10, avril 1858), est un de ceux qui considèrent le Sus papuensis comme une espèce distincte et comme une des souches du cochon. Ces souches sont, selon le savant zoologiste, au nombre de six. Parmi elles serait un pachyderme qui ne fait pas même partie du genre Sus proprement dit, le Chæropotamus ou Potamochærus penicillatus, de l'Afrique occidentale. C’est aller chercher bien loin, zoologiquement et géographiquement, l’origine des races porcines. L'auteur ne justifie nullement ces vues plus que hasardées. (2) Loc. cit., p. 181. (3) Pour le mouton, chap. IV: Abel pastor ovium, lit-on au 2° verset. Voy. aussi chap. XI, 16, et XII, 5. — Pour la chèvre, chap. XV, 9 ; | 86 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. IX. l'avait eru Buffon (4), et comme on l’a répété jusqu’à nos jours, quoique Pallas ‘eût depuis longtemps relevé ces erreurs (2). Les faits de l'Histoire naturelle concordent ici avec les données de l’histoire, et confirment les conelusions aux- quelles celles-ci conduisent. Ils ne le font toutefois, à l'égard des races ovines, que d'une manière générale; nous montrant dans l'Orient plusieurs mouflons dont ces races se rapprochent autant que de notre espèce, mais sans qu’elles se rattachent à aucun d'eux en particulier par une similitude plus marquée de caractères. Nous n'avons d’ailleurs sur ces mouflons orientaux, fort difficiles à distinguer entre eux et à caractériser par rapport à ceux d'Europe, que des connaissances insuf- fisantes. Aujourd’hui, comme il y a trente ans, nous croyons prématurée toute tentative de détermination spé- cifique de la souche ou des souches des moutons. Nos races ovines sont originaires d'Orient; c’est à peu près tout ce que nous pouvons en dire (3). La question est moins obscure à l'égard des chèvres. (1) Hist: nat., t. XI, p. 363, pour l’origine des races ovines, et t. XII, p. 449, pour celle des races caprines. Nous laissons de côté les vues inadmissibles de Buffon (1bid., p. 157) sur le chamois considéré comme la « tige féminine» de la chèvre. PALLAS les a réfutées, Spic. zool., fasc. XI, p. 38. (2) Ibid., p. 16 et 43. Voy. A. PICTET, loc. cit., p. 357 et 365, pour les anciens noms asia- tiques du mouton et de la chèvre. Ces noms sont venus en Europe, avec les animaux qui les portaient. Ovis, capra (par conséquent chèvre), et surtout Bock, bouc, etc., sont des formes de ces noms primitifs. (3) L’argali a été considéré, d’après PALLAS, Spicil. zool., fase. XI, ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 87 Nos races caprines descendent certainement, au moins en grande parlie, de la Capra ægagrus, des montagnes de la Perse et de l'Asie Mineure; ce que Güldenstädt, Pallas, et, d’après Pallas, Cuvier, avaient déjà admis et rendu très vraisemblable (4); et ce que M. Brandt a achevé de dé- montrer dans un mémoire spécial, où il indique en même temps, comme seconde souche, la Capra Falconeri, des p. 3 et suiv., comme la souche unique ou Aie des races ovines, i Voy. WERO TiLESIUS, De ægocerote argalide, dans les Nova Acta naturæ curiosorum, 41824, t. XII, part. I, p. 281. Mais l’argali n’est pas la seule espèce asiatique à laquelle on puisse rattacher ces races. Elles ressemblent, par exemple, tout autant à un mouflon rapporté de l'Asie Mineure par M. de TCHIHATCHEFF, men- . tionné par ce savant voyageur, Asie Min., loc. cit., p. 726, figuré . pl. 1, et décrit par M. VALENCIENNES, fé, p- 727, et dans tes Compi. rend. de l’Acad. des se., t. XLII, p- 65. On ne connaît mal- heureusement qu’un jeune mâle, et l'espèce reste encore incomplé- tement déterminée. L’ovis tragelaphus, ou le mouflon à manchettes du nord et de l’est de l'Afrique (figuré par mon père dans la grande Description de l'Égypte, Hist. nat., Mammif., pl. VIL, fig. 2, d’après un individu tué près du Caire), ne serait-il pas aussi une des souches du mouton? Quelques races d’ Afrique reproduisent les dispositions très caracté- ristiques du pelage de cette espèce. Il est bon d'ajouter que, chez le mouflon à manchettes, la laine se produit chaque année spontané- ment en assez grande abondance pour apparaître à travers les poils ordinaires (remarque faite d'abord par M. F. Prévost). Nous avons décrit avec détail cette belle espèce (mais ayant de l'avoir vue vivante) dans l’art. Mouton du Dict. class. d’ Hist. nat., 1827, t. XI, p. 264. (1) Voy. GUELDENSTAEDT, Schacal. histor., loc. cit., p. 452. — PALLAS, Spicil. zool., fasc. XI, p. 43, et Zoograph., t. 1, p. 226. — CUVIER, Règne anim., t. 1, 1" édit., p. 265; 2° édit., p. 275. Voyez aussi Ménag. du Mus. Les individus figurés par Cuvier ne sont pas des égagres purs. 88 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. IX. montagnes de l’Inde (1). Grâce à la diversité très carac- téristique des cornes dans les espèces sauvages, il y a ici des éléments de détermination qui circonscrivent du moins les incertitudes dans un champ très étroit. Les cornes, comprimées, carénées, chez l’égagre et la Capra Falconeri, ont au contraire, chez les autres bouquetins, leur face antérieure élargie, ordinairement avec des bour- relets transversaux : deux types non-seulement différents, mais opposés. C’est ce dernier que présentent nos trois bouquetins d'Europe ; c’est le premier que reproduisent les chèvres domestiques, souvent avec de semblables courbures. Les caractères ostéologiques, parfois même les couleurs du pelage, rapprochent également les chèvres de Pégagre. C’est donc celui-ci qui est le père de nos races caprines; et s’il n’en était pas le seul père, ce ne (1) Considérations sur la C. ægagrus de Pallas, souche de la chèvre domestique, dans le Bulletin de la Soc. impér. d'acclim., 1855, t. T, p. 565; mémoire reproduit par M. de TCHIHATCHEFF (qui lavait tra- duit en français d’après le manuscrit allemand), Asie Min., loc. cit., p. 670, in-8, 1854. M. Brandt pense que l’égagre est la souche principale, mais non absolument unique, de nos chèvres domestiques. Il est porté notam- ment à voir dans la chèvre d’Angora (produite, selon Pallas, par le croisement du mouton avec la chèvre) une race issue de la Capra Falconeri. Cette opinion a été admise par M. Sacc, Essai sur les chèvres, dans le Bulletin de la Soc. d'acclim., 1856, t. I, p. 563. N'y a-t-il pas à faire à la C. Falconeri une plus large part dans là filiation des chèvres ? Sa patrie plus orientale et sa ressemblance avec quelques-unes de nos races autorisent à le penser, ou pour mieux dire, dans l’état présent de la science, à le conjecturer. Sur l’origine des chèvres domestiques, voy. outre les auteurs déjà cités, ROULIN, art. Daim du Dict. univ. d’Hist, nat., t. IV (1844), p. 578. Rs ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 89 serait nullement en Europe, mais dans l'Inde, qu'il faudrait chercher une seconde souche. D'où il suit que nous pouvons dire la chèvre, non- Seulement d'origine orientale, comme le cochon et le ` mouton ; Mais, en termes plus précis, d'origine asiatique, comme le cheval, et, ainsi que nous she le voir, comme le bœuf, XIE. Les arguments sur lesquels nous nous sommes fondé pour étendre cette conclusion au bœuf (1), sont encore empruntés, les uns aux témoignages de l’histoire, les autres aux faits de la zoologie, mais, nous le reconnais- sons, à des témoignages qui restent parfois incertains, et à des faits encore incomplets. , Si nous ouvrons, encore une fois, la Genèse, le Zend- Avesta, les édas, les Kings, nous y voyons le bœuf associé partout au cheval et au mouton, dès l'origine de Z (1) Voy. Domest. des anim. util., p. 425. Simple résumé de vues souvent exposées dans mes cours. 3 M. Jory les a, non-seulement le premier adoptées, mais confirmées par des arguments nouveaux. — Voy. Note sur la patrie primitive du _ bœuf domestique, dans le Journal d'agriculture pratique de Toulouse, 9° série, 1853, tr IV, D. 5. Les arguments employés dans ce travail sont tirés de la linguis- tique comparée. M. Joly établit que les noms européens du bœuf sont d’origine asiatique, et, par conséquent, sont venus d'Asie avec les animaux qui les portaient. M. A. Picrer, loc. cit., a, depuis, traité la même question dans lé même sens, mais d’une manière beaucoup plus étendue, selon le plan général de son ouvrage (voy. p. 330 à 343.) 90 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV: I1, CHAP. IX. la civilisation. Mais de ces antiques sources ne nous vien- nent ici que des enseignements incomplets. Sont-ce bien des bœufs du même sang que des nôtres, qu’ Abraham recevait en don des Égyptiens (14); que les anciens Perses nourrissaient, par grands troupeaux, avec un soin reli- gieux (2), et que les Chinois atielaient, il y a plus de quarante siècles, pour les travaux de l'agriculture et pour le service des armées ? Sont-ce bien des bœufs ordinaires qui traînaient les chars des Indiens et leur servaient de « coursiers ? » (3) Et ces « nourrices chargées de lait, à la » mamelle lourde et trainante, » que célèbre l'antique Rig- V'éda (4), sont-elles les ancêtres de nos vaches ? Nous ne saurions l'affirmer. Des passages, tous très courts et vagues, que nous avons trouvés dans les anciens (1) Gen., XII, 46. C’est la première mention du bœuf dans la Genèse. Quelques auteurs veulent que Noé eùt déjà possédé des bœufs; car, selon la Genèse, ou plutôt selon l'interprétation qu’en font ces auteurs, Noé labourait. Mais le labourage n'implique pas la possession du bœuf; le bélier a été attelé à la charrue dans l'antique Égypte. L'homme a aussi lui-même traîné la charrue. En outre, la Genèse ne dit pas que Noé labourait, mais qu'il travaillait à la terre : exercebat terram, cap. IX, 20. (2) On trouve souvent, dans le Zend-Avesta, des recommanda- tions faites par Ormuzd, ou en son nom, en faveur des bœufs. Voici, comme exemple, une des plus brèves : « Que vos troupeaux de bœufs soient en bon état!» (Trad. d'ANQUETIL-DUPERRON, t. 1, 2° part., p.406.) (3) Rig-Véda, sect. I1, lect. vi, hymn. xiv, trad. de LaNGLOIS, t. I, p. 169. — On attelait aussi les vaches. (4) Ibid., sect. IL, lect. 1, hymn. XVI, p. 87. — Ce passage est le plus remarquable de tous. L'appareil mammaire était donc, dès lors, hypertrophié comme dans nos races actuelles ; et, par conséquent, la domesticité remontait à une date déjà reculée, à Bit x a ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 94 livres de l'Asie, quelques - uns peuvent se rapporter, Sinon au buffle, du moins au zébu ou bœuf à bosse (1); €t comment faire ici le partage entre le bœuf ordinaire et le zébu ? Chose impossible, au moins pour nous, si nom- breux que soient les passages que nous avons recueillis dans ces livres, et surtout dans le Zend- Avesta. Mais il est d’autres preuves, et celles-ci décisives, de l'existence du bœuf en Orient. D’une part, on a sur le dieu Apis des témoignages précis qui permettent de reconnaitre en lui un véritable bœuf, et non un zébu; et de l’autre, nous trouvons le bœuf domestique représenté, et ici sans incertitude possible, sur les monuments de l'Égypte et sur ceux de l'Assyrie (2). Les peuples de ces (1) Sur le buffle et le zébu, voy. p. 68 et suiv. (2) Pour les anciens peuples de l'Asie centrale et orientale, qui ne nous ont pas laissé de monuments figurés, il est un autre genre de témoignages qui peut nous conduire, non avec la même certitude, mais avec vraisemblance, à une semblable détermination. Dans lou- vrage qu’il vient de publier sur les Aryas, M. A. PICTET donne la longue série des noms sanscrits et zends du bœuf, avec le sens étymo- logique de chacun de ces mots. Nous venons de faire le dépouillement de ces mots, et voici ce qui en résulte : de ces noms, les uns se rap- portent au beuglement, comme le sanscrit go (gu, gaus), et le zend gao, d’où viennent la plupart des noms européens, Boüc, bos, bœuf, et aussi Kuh, Cow, etc. D’autres expriment l’idée de force, comme le sanscrit Sthira, d’où, dans la plupart des langues européennes, le nom du taureau, reconnaissable surtout dans l'allemand Stier. D’autres Encore rappellent la grandeur, la douceur, la soumission à Phomme, la fécondité de la vache, etc. Si bien que l’ensemble de ces noms donne, en quelque sorte, le résumé complet de toutes les qualités de l'espèce bovine. Si le zébu eùt été alors le bœuf le plus répandu en Orient, un caractère distinctif aussi remarquable que l'existence Tune bosse n’eût-il pas été rappelé aussi par un des nombreux _ noms sanscrits ou zends ? m 92 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. IX, deux pays possédaient d’ailleurs aussi le zébu, ou du moins le connaissaient; mais il est indubitable qu’il était alors, et bien plus tard encore, beaucoup moins répandu en Orient qu’il ne l’est de nos jours. Hérodote qui avait voyagé en Orient, Aristote qui connaissait si bien l'Égypte, la Perse et l'Inde, parlent à plusieurs reprises des bœufs de l'Orient et des particularités de leur organisation, jamais de leur bosse (1). Le bœuf sans bosse, le Bos taurus, a donc été domes- tiqué très anciennement dans l'Orient; et c’est là le fait capital. Que la domestication du bœuf date de l’époque du Chou-king et du Rig-F'éda, ou de quelques siècles plus tard; qu’on l'ait possédé depuis l'Égypte jusqu’à la Chine, ou seulement de l'Égypte à l’Assyrie, la conclu- (4) Pour Héropore, voy. surtout liv. IT, IMI et V. Je ne trouve pas davantage le zébu dans ÉLIEN et dans ATHÉNÉE, locis cit. Au contraire, PLINE, lib. VII, Lxx, mentionne son existence en Syrie et en Carie. Quant à ARISTOTE, il y a, il est vrai, dans le livre VI, ch. xvm, un passage ambigu où quelques commentateurs, substituant XAUTÉS) à proprement parler, courbures, plis (et non bosses, comme on a tra- duit), à xairas, crinières (qu'on trouve dans la plupart des éditions), ont cru reconnaître le zébu. Mais cette interprétation est inadmissible; car elle ne saurait être vraie du bœuf sans l'être aussi da chameau, qu’Aristote associe, dans ce passage, au bœuf. Or, Aristote n’a pas pu dire que le chameau pour lequel la gibbosité dorsale est un caractère spécifique et même générique, présente, en Syrie, cette particularité qu'il porte une bosse sur le dos. Aristote dit d’ailleurs formellement, dans un autre passage (li- vre TI, 1): « Une chose qui n'appartient qu'au chameau, entre tous les » quadrupèdes, Cest qu'il a une bosse sur le dos ». (Trad. déjà citée de CAMUS, p. 59.) Done Aristote ne connaissait pas le zébu. ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 98 sion est la même : c’est en Orient que doit être cherchée sa patrie originaire. | Non cependant comme l’entendait Aristote (1). Selon lui, l’Arachosie « nourrissait un bœuf sauvage, différent » du bœuf domestique, comme le sanglier diffère du » cochon». Mais ce bœuf sauvage était très robuste, à cornes renversées, à pelage noir : caractères d’après lesquels il est facile de reconnaître le buffle. Non pas non plus comme Cuvier l’a un instant, nous ne dirons pas admis, mais conjecturé, au commencement de notre siècle. Le bœuf, disait alors Cuvier, pourrait bien être un « rejeton » du zébu, et celui-ci, à son tour, descendre de l’yak (2). Conjecture inadmissible, même à cette époque, comme Cuvier lui-même l’a bientôt re- connu; on ne la trouve pas même rappelée dans ses ouvrages ultérieurs, où le bœuf est dit par lui, comme par Buffon, d’origine européenne. C’est, du reste, le seul point sur lequel Cuvier s'accorde avec ses devanciers. Buffon (3), et d’après lui Pallas (4) et tous les natu- ralistes modernes, avaient vu dans le bœuf un aurochs modifié; Cuvier veut, au contraire, qu’il descende d’un animal « anéanti par la civilisation », mais dont les osse- (4) Liv. I, x (2) Ménag. du Muséum, art. Zébu. Il y a, dans cet article, a côté de ces conjectures plus que hasar- dées, des notions très exactes sur les caractères des bœufs, et une idée qui, sans être nouvelle, pouvait passer à cette époque pour très avan- cée : celle de l’origine asiatique de la plupart des animaux domes- tiques. Voy. plus bas la Section xvii. (3) Hist. nat., t. XI, 4754, p. 307. Voy. aussi la Table, t. XV, p. LXV. (4) Spicil. zool., fasc. x1, p. h, et Zoograph., t. 1, p. 240. pns re A a a à de tte S E SC SP RP 2 EST rever ee + = re pasa ya as - te — = né ia = sers basaa ns < 2 > PERE EE eiat i a À ee Re == RES SE 9 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. IX. ments fossiles, très peu rares dans les terrains d’alluvion, attestent l'antique existence sur notre sol (1). - De ces deux origines, la première est depuis longtemps rejetée. L’aurochs est, aujourd’hui surtout, trop bien connu pour que l'opinion de Buffon puisse conserver un seul partisan. Pour ne citer qu'un des caractères qui séparent ce bœuf sauvage des bœufs domestiques, il a quatorze paires de côtes (2). Nos races bovines en ont treize, comme la plupart des ruminants. L’aurochs, malgré son nom consacré par l'usage, n'est done pas l’Urochs, le bœuf primitif. Les bœufs fossiles décrits par Cuvier sont beaucoup plus voisins que l’aurochs de nos bœufs domestiques; mais ils le sont moins que Cuvier ne l'avait eru. Son disciple et collaborateur Laurillard a fini, abandon- nant lui-même l'opinion du maître, par regarder comme « probable » que « ces bœufs fossiles différaient de nos espèces» (3). Et en füt-il autrement, l’origine européenne de nos races bovines en serait-elle mieux démontrée ? On trouve aussi en Europe, et précisément dans les mêmes terrains, des ossements fossiles qu'on a cru pouvoir rap- porter à l’Equus caballus : qui les a jamais érigés en preuves de l’origine européenne du cheval? L'espèce (4) Ossements fossiles, édit. in-4 de 1821-1823, t. IV, p. 150 ; voy. aussi p. 108. (2) Fait déjà signalé par DAUBENTON, Hist. nat, de BUFFON; t. XI, p- 419. (8) Art. Bœufs fossiles du Dict. univ. d’ Hist. nat., t. IL, 1842; p: 627. — Voy. aussi GERVAIS, Zoologie et paléontologie française. Paris, in-4, 1848-1852, Mammif., p. 70, ` S ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 95 chevaline a pu exister sur notre sol en d’autres temps géologiques; mais, dans les nôtres, c’est en Asie que Phomme en a fait la conquête, et c’est là que sont les vrais ancêtres de nos races (L). Les faits sont parfaitement analogues, et par conséquent la conclusion est logiquement la même pour le bœuf; et bien que nous ne puissions encore déterminer pour lui plus que pour le mouton et le porc, quelle espèce est par- ticulièrement la souche de nos races domestiques, les faits zoologiques concordent trop bien avec les témoignages historiques, pour qu’on puisse récuser la conclusion com- mune des uns et des autres. Des quatre groupes ñäturels d'espèces entre lesquels on a récemment fractionné le genre Bos de Linné, c’est, comme on sait, à celui des Taurus qu’appartient le bœuf domestique. Or les au- teurs, d'accord sur ce point, le sont également sur un autre : la patrie de toutes les espèces connues de ce groupe, c’est l'Asie, soit continentale, soit insulaire. C’est donc en Asie, d'après les analogies zoologiques, comme d’après toutes les présomptions historiques (2), que nous devons (1) L'espèce chevaline a existé à l’état sauvage sur notre sol dans les temps historiques, mais parce qu'après y avoir été introduite à l’état domestique, elle y était redevenue sauvage. Cette explication, comme l’ont déjà fait remarquer M. Rovrin, dans le Dict. univ. d’Hist. nat., art. Aurochs (t. 11, p. 850), et M. l'abbé Maurie (loc. cit., p. 576), peut être étendue aux bæufs sauvages (différents de l'aurochs) qui, au temps de César, et plus ueo encore, se trouvaient dans la forêt Hercynienne. i (2) Fortifiées encore par les analogies philologiques, puisque le bæuf porte encore aujourd’hui, dans presque toutes les langues de l'Europe, des noms d’origine asiatique, et particulièrement sanscrite, comme l'ont montré MM. Jozy et A. PICTET, locis cit. 96 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Il, CHAP, IX. chercher la patrie primitive du bœuf, aussi bien que des cinq autres espèces domestiques du genre Bos, le gayal, le zébu, l’yak, le buffle et l’arni (4) XIII, Nous venons de voir que nos grands quadrupèdes her- bivores domestiques sont tous, sans qu'il y ait lieu d’excepter ni le cochon ni le bœuf lui-même, d’origine orientale, et particulièrement asiatique. En sera-t-il de même des deux carnassiers nourris à côté d'eux dans nos demeures, le chat et le chien ? Les auteurs n’ont pas manqué de reproduire ici leur conclusion ordinaire. Comme on a fait descendre les races porcines, Caprines, ovines, de nos sangliers, bouquetins et mouflons, et les races bovines de l’aurochs, on a vu dans le chien un loup modifié; et si cette opinion est depuis longtemps abandonnée, on a continué, jusque dans l’époque actuelle, à dire le chat « originaire de nos » forêts » (2); ce qui n’est pas plus vrai, comme l'ana- logie peut déjà le faire pressentir. Le chat et le chien sont l’un et l’autre très ancien- nement domestiques en Orient; non pas cependant dans les mêmes lieux, aussi généralement, et dans une anti- quité également reculée. Nous ne saurions affirmer, avec (4) Voy. la Section vm. s (2) Cuvier, Règne anim., t. I, 1° édit., p. 169 ; 2e édit., 4829, p. 465. La même assertion a été reproduite dans un grand nombre d'ou- yrages d'une date très récente, kd h 4 si ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 97 Buffon (1), que « le premier art de Phomme a été Védu- » cation du chien »; pas même, avec Güldenstädt (2), que, le chien est un des trois premiers animaux domestiques : Mais ce qui est certain, c’est que le chien a précédé le Chat dans les demeures humaines. Nul animal n’était plus naturellement préparé à y prendre place que le chien (3); nul ne l'était moins que le chat; comment dès lors y seraient-ils venus ensemble? | Dureau de la Malle a, cependant, rangé le chat parmi les animaux le plus anciennement possédés par l’homme (4). Le Felis catus, selon ce savant, aurait même été domestique, dès la haute antiquité, de la Chine à l'Égypte. Mais cette assertion est loin d'être justifiée par des témoignages suffisamment décisifs. Le miao des Chinois est sans nul doute un chat; mais, dans les livres très anciens, un chat encore sauvage. Il est, dans le Li-ki, comparé au tigre, ces deux carnassiers se rendant sem- blablement utiles à l’agriculture, comme destructeurs, l’un des rats des champs, l'autre des sangliers (5). Nous ne trouvons pas, pour le reste de l'Asie orientale, plus de preuves de l'existence du chat domestique à celle époque reculée où nous avons vu l’homme déjà maitre de plusieurs autres animaux ; et à peine a-t-on, (1) Hist. nat., t. VI, 1755, p. 188. (2) Voy. la Section suivante, p. 406, note 1. . (5) Comme nous l'avons fait voir, article Domestication, Encycl. ouv., loc. cit., p. 373, et Essai de zool. gén., p. 289. (4) Rech. sur les anim. domest. (Ann. des sc. nat., te XVIL p. 165 et suiv.). (5) Li-ki, liv. V; passage dont je dois la traduction à M. Stanislas JULIEN. i H | 7 + +. M} LP i 1 | | 1 | Š fi i i 115 } E 4 : 4 | y fi g | - À LA 11 x Al t S) IP a | À H 4! | ss N i 4 E mi h E à | À Í k (5 Io E Fy $ I$ i i i + P REINE à À IEE S A } ne | ME | | } ME à Í 1E 1g i 4 l HSE j t { t f \ E ` à À i r į | Je 2 | (B à | 114) : 414 4 | ct MA | j 1.4 98 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. IX. pour la Babylonie et les contrées voisines, des témoi- gnages ou même des indices sur lesquels il y ait lieu de s'arrêter (1). Au contraire, quand nous venons à l'Egypte, les preuves abondent, et plus décisives ici que pour aucun autre animal; car, indépendamment des peintures et des figures qui représentent le chat, on le trouve lui-même conservé à l’état de momie dans les catacombes. Ces faits historiques et ces documents nous conduisent manifestement à chercher surtout la patrie originaire du . chat en Égypte ou au voisinage de l'Égypte. L'Histoire naturelle va, ici encore, concorder avec l'histoire, et même mieux encore que pour aucune des espèces précédentes. Non-seulement nous connaissons, dans le voisinage de l'Égypte, plusieurs espèces ou races de chats peu différentes de nos chats domestiques ; mais, parmi elles, ilen est une qui présente tous les carac- tères de ceux-ci, y compris les couleurs du pelage telles qu'on les voit encore chez un grand nombre d'individus; et cette espèce est précisément celle qu'on trouve à l’état de momie dans les catacombes de l'Égypte; par con- séquent, celle qui vivait, du temps d'Hérodote, « dans les » maisons » (2). Ce chat a été découvert à l’état sauvage, en Nubie, par M. Rüppell: on l’a depuis retrouvé en Abyssinie, où il est à la fois sauvage et domestique. (1) Ceux dont s'appuie DurEaAU, loc. cit., p. 166, se réduisent à quelques mots douteux des prophètes Osée et Isaïe. (2) Liv. IL. — A la mort d'un chat « dans une maison », dit HÉRO- DOTE, «ceux qui y demeurent se font raser les sourcils»... Les chattes mortes sont mises « dans des sépulcres sacrés ». (Trad. de Du RYER.) rx S 4p. 130. Voy. aussi p. 77. — CRETZSCHMAR, Atlas zu der Reise von E. RuepreLr. Francfort, in-f., 1826, Säugethiere, p. 1. (2) Ostéogr., Felis, p. 89. — Travail qui renferme, avec un grand nombre de faits zoologiques et zootomiques, des notions très intéres Santes sur l’histoire ancienne du chat. ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES, 99 le nom de da ps (Felis M «Ne en le signalant comme «l'espèce primordiale ou le type de nos races » domestiques » (A). Cette détermination a été admise et confirmée, en France, par Blainville, après l'examen comparatif d'un crâne antique rapporté d'Égypte par Geoffroy Saint-Hilaire, et de plusieurs crânes récents de chats gantés sauvages et domestiques (2). | J'ai fait les mêmes études avec les mêmes matériaux et avec d’autres. Le chat ganté, vu extérieurement, semble plus svelte, plus élancé que le chat domestique : mais celte différence dépend simplement de l'abondance et de la longueur très inégale du pelage chez ces deux animaux de climats si différents. Dans le squelette, la longueur des membres et celle de chacun de leurs segments en parti- culier sont proportionnellement les mêmes. Ces animaux, si semblables ostéologiquement entre eux, le sont d’ail- leurs aussi au chat sauvage de nos forêts; et c’est surtout 3 ses caractères de coloration que le ai domestique m'a paru s'éloigner de notre chat sauvage, et se rap- rocher de diverses espèces orientales , particulièrement “du chat ganté. Le chat sauvage a le devant du cou, de couleur claire, sans bande; és tous les autres chats, (1) TEMMINCK, Monographies de mammalogie. Paris, in-4, t. I (1826), vi mme 100 NOTIONS FONDAMENTALÉS, EIV. IF, CHAP. IX. et entre autres le chat ganté, portent, au contraire, à la partie antérieure et inférieure du cou, une bande transver- sale plus ou moins foncée, et ordinairement le commen- cement d'une seconde. Ces particularités se retrouvent très communément chez le chat domestique : similitude qui justifie, par un argument de plus, cette double con- séquence : Nos races félines ne sont certainement pas sorties du chat sauvage de nos forêts, et par conséquent elles ne sont pas originaires d'Europe ; Elles sont, très vraisemblablement, issues du chat ganté, et par conséquent originaires du nord-est de PAfrique. | Le chat, avec cetle origine africaine, en aurait-il une seconde asiatique? On l’a pensé (4). Mais, ici, les faits manquent presque complétement, et il serait aussi témé- raire d'affirmer que de nier. (1) TEMMINCK, loc. cit. — CRETZSCHMAR, loc, cit. Temminck fait en particulier cette supposition pour le chat @’An- gora, comme d’autres (voy. p. 88, note) ont fait la supposition ana- logue pour les chèvres du même pays. Peut-être, comme je lai fait remarquer (Anim, util., p. 125), une pareille conjecture serait-elle plus vraisemblable pour la Chine, où paraît exister une race à oreilles tombantes; par conséquent, très anciennement domestique. — 1l y a aussi en Chine une race à courte queue (d’après des renseignements dus à M. l'abbé Huc). Depuis que ceci est écrit, M. A. PICTET (loc. cit., p. 382), a admis à son tour, comme vraisemblable, une seconde origine indienne. Selon lui, la domesticité du chat serait très ancienne en Asie, sans remonter cependant jusqu'aux Aryas. On a cru trouver, en Afrique même, une Seconde origine dans le F. bubastes, qui a été aussi momifié par les anciens Égyptiens. (Voy. Link, loc. cit., p. 308.) p Lis ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 101 . $% % i KIV Ak B Nous avons déjà vu tout l'Orient, de l'Égypte à l'ex- trême Asie, en possession dès la plus haute antiquité, du Cheval, du mouton et vraisemblablement du bœuf. 11 est un autre animal domestique qui se montre de même par- tout, à côté de l'homme, dès le berceau de la Fakai tion : c’est le chien (4). Le C ‘hou-king, les Fédas, Zend - Avesta et la Bible attestent, pour l’Asie, la + antiquité de la domestication du chien (2); les monuments de l'Égypte la prouvent pour le nord-est de l'Afrique. Entre tous les livres de l'Asie, c’est le Zend-A vesta qui mentionne le plus souvent le chien, un des trois animaux que la religion mazdéenne prescrivait aux fidèles de nourrir dans leurs demeures (3). Tout annonce aussi la très ancienne domestication du chien en Égypte : plu- Sieurs races déjà très modifiées sont représentées sur (1) Et chez presque tous les peuples. Le chien était, avant l’arrivée des Européens, ati une grande Partie de l Afrique, dans les deux Amériques, en Australie, dans plu- sieurs archipels de la mer du Sud, et chez les peuples circumpolaires. (2) Elle est attestée aussi par les cinquante noms sanscrits du chien (A. Picrer, loc. cit., p. 379). Le principal de ces noms, Cvan (Ibid., P. 576), est la souche de presque tous ceux que le chien a portés ou Porte encore en Europe : Kuov, canis, Hund, et leurs dérivés. (3) Voy. page 62. 7 ži Voici un des nombreux et très remarquables passages du FN Avesta, sur le chien : « Lorsqu'il a six mois, il faut qu’une jeune » fille le nourrisse : cette fille aura le même mérite que si elle gardait » le feu fils d'Ormuzd. » (Vendidad-sade, loc. cit.» p. 397.) RE nait ai E Zil 4 102 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. \ S \ les deia entre autres, une à oreilles tombantes. RE \ Ja domestication. du chien remonterait-elle à une moindre antiquité dans l’est, et aussi dans le midi de l'Asie? Le Chou-king en parle comme d’un « animal étranger », qualification. appliquée au cheval dans le même passage (1). Le Pentateuque est aussi très signi- ficatif à cet égard : la Genèse, qui ne mentionne le cheval qu'après six autres animaux domestiques, se tait même complétement sur le chien (2): pour le trouver, il faut aller jusqu’à l’Exode (3). L’Asie centrale et l'Égypte sembleraient donc avoir devancé, dans la possession du chien, les deux régions extrêmes de l’ Asie. La domestication du plus intime com- pagnon de l’homme aurait-elle eu deux origines, une vers le centre de l'Asie, une dans le nord-est de l'Afrique ? | L'histoire autorise cette induction, ou du moins cette conjecture. L'Histoire naturelle va-t-elle la justifier, ou la démentir ? Dans une grande partie de l’ancien continent, l’Asie chaude et tempérée, l’Europe orientale, l'Afrique tout entière, sont des animaux aussi semblables aux races ca- nines les moins modifiées que le Felis maniculata au chat, l’égagre à la chèvre, le sanglier au porc, et plus qu'aucun mouflon ne l’est au mouton. Ces animaux, qui (1) Voy. page 76, note 2. (2) Le chien et le cheval peuvent donc encore être ici rapprochés. Leur domestication paraît avoir suivi la même marche. (3) Le chien n’est pas non plus dans le Lévitique. Voy. notre Intro- duction, t. 1, p. 5. l ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 403 sont les chacals, varient dans quelques-uns de leurs caractères selon les régions qu’ils occupent, constituant ainsi, ou des espèces bien tranchées comme le Canis mesomelas du cap de Bonne-Espérance, ou des races plus où moins distinctes dont plusieurs aussi ont été érigées en espèces par les auteurs modernes (1). Er z A . . $ ‘ AY Le chien a la même organisation anatomique que les “ chacals sans qu’une seule différence constante puisse être aperçue (2). Il en reproduit parfois exactement | les formes extérieures, le système de coloration, et jusqu'aux teintes elles-mêmes. Sur plusieurs points de l’Asie, de l’Europe orientale et de l'Afrique, on trouve en même temps, à l’état libre, des chacals, et à létat domestique, des chiens qui leur sont très semblables : si semblables, qu'on ne saurait méconnaître ici, disent les voyageurs,- les ascendants et les descendants encore réunis dans les mêmes lieux, et pour ainsi dire les (4) Nous avons décrit la plupart de ces races ou espèces dans l’ Ex- pédition scientifique de Morée, Mammifères, 1839, p. 19. (2) Ce que reconnaissent eux-mêmes les deux Cuvier et Blainville, quoique ce résultat fournisse un argument puissant contre leurs vues "a sur l’origine du chien. Voy. Fréd. CUvIER, Recherches sur les caractères ostéologiques du chien, dans les Annales du Mus. d’hist. nat., 1841, te XVIIL, p. 383. — G. CUVIER, Ossem. foss., loc. cils, t. IV, p. 458. — BLAINVILLE, Ostéogr., Canis, p. 181. E a a dE M. MARCEL DE SERRES, Observations sur les caractères distinctifs tcrâniens) du chien (dans la Bibliothèque universelle de Genève, 1835, t. LVIH, p. 280), conclut, il est vrai, dans un autre Sens; mais lui-même reconnait m'avoir pas eu à sa disposition assez de matériaux. ur” Sy ee à ser T EES NES OE e? i ae a s es He Ses 104 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. rejetons encore implantés sur la souche commune (4). Si donc nous raisonnons comme nous l'avons fait jusqu'ici, et comme l'ont fait les auteurs pour tous les autres animaux domestiques, nous devrons dire : c’est parmi les chacals que nous avons à chercher l’origine du chien. Si naturel qu'il fùt d'étendre aux chacals et au chien une conclusion déjà admise pour l'égagre et la chèvre, le mouflon et le mouton, et plusieurs autres, elle ne s’est produite que très tard dans la science. Dans la plus grande partie du xvin° siècle, les naturalistes, sans excepter Linné et Buffon, connaissaient trop peu les chacals pour songer à en rapprocher le chien (2); et il semblait qu’on n'eût à opter, pour les races canines, qu'entre deux hypo- thèses : celle de quelques anciens auteurs qui avaient vu (1) Voy. comme exemples : Pour l'Asie et l'Europe orientale, GUELDENSTAEDT, Schac. histor., loc. cit., p. 474. Chiens russes. — PALLAS, Spic. zool., Fasc. IX, p. 3. Chiens calmouks. — NORDMANN, Voyage dans la Russie méridionale (avec le prince A. de DÉMIDOFF), t. IT, Faune pontique, 1840, p. 20. Chiens d’Awhasie. Pour l'Afrique, LICHTENSTEIN, Reise im südlichen Africa, Berlin, in-8, 1811-1819, p. 444. Chiens des Boschimans: très semblables, selon l’auteur, au Canis mesomelas. —HEMPRICH et EHRENBERG, Sym- bolæ physicæ, Berlin, in-fol., dec. 1, 1830. Chiens de Dongola et chiens d'Égypte, rapportés par ces savants voyageurs aux espèces qu'ils nomment Canis sabbar et C. lupaster (C. anthus, CRETZ.) Bien d’autres exemples pourraient être cités, mais d’après des voya- geurs qui wont pas la même autorité scientifique. En France même, il naît quelquefois des chiens à pelage de chacal. : ; (2) Linné lui-même le dit expressément : « Descriptio vera etiam- » num deficit. » (Systema naturæ, 10° édit., 1758.) Linné connaissait si peu le chacal, qu'il croyait devoir intercaler a. LE A ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 105 el + dans le chien un loup apprivoisé (1), et l'opinion vulgaire | qui en faisait et en fait encore une espèce à part. C’est | + cette dernière opinion qu'ont adoptée les deux grands na- À turalistes du xvin° siècle : Buffon a toujours cru retrouver dans le chien de berger le «vrai chien de la nature » D et Linné a inscrit dans le Systema, où son autorité l’a maintenu jusque dans notre siècle, le Canis familiaris, si is singulièrement distingué par un Caractère tiré de la direc- tion de la queue : cauda sinistrorsum recurvata (3). entre le chien et le chacal toutes les autres espèces du genre, y compris le Canis hyæna. > Le chacal n’a été bien connu qu'en 4774, par la publication du voyage de J. G. GMELIN, Reise durch Russland, in-4, Pétershoure. Voy. la 3° partie, p. 81. (1) Cette hypothèse est fort ancienne, ainsi que le prouve le pas- sage suivant de CARDAN, De subtilitate, lib. X: « Canes pluribus generationibus, dit l’auteur, transeunt in agrestes » primo canes, indè in lupos; sicut et lupi cicures post multas gene- » rationes in canes transeunt. » : L'opinion que le chien ne diffère pas spécifiquement du loup a été encore soutenue, vers la fin du xvne Siècle, par ZIMMERMANN, loc. cit., p- 89 (4777); selon lui, les races canines descendent des loups des divers pays où elles se sont formées. — Et par J. HUNTER, Observations ten- ding to shew that the Wolf, Jackal and Dog are of the same Species, dans les Philosophical Transactions, 1787, part. 11, D 253; traduit * dans les Œuvres de J. HUNTER, par RiCHELOT, Paris, in-8, 1841, t. IV, D. 14. Selon cet illustre physiologiste et chirurgien, le loup serait «le type primitif» du chien, et le chacal une première modification de ce type, produite sous l'influence des climats chauds. Le loup, le Chacal et le chien seraient donc tous trois de la même espèce. | (2) Hist. nat., t. V, 1755, p. 202, et Suppl. VII (posthume), Dao (3) Syst. nat., loc. cit. j Dans la Fauna suecica, Stockholm, in-8, 1746, p. 5, Linné dit le chien «d'origine exotique », ; A OR n ang al, ee “de ae CR SE PEN ere Re D PMP CRE EE D Genres ST CNP RENE. A: E IE A “ve a | 106 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Ti, CHAP. IX. Le premier auteur qui ait admis la parenté des chiens et des chacals, et qui ait entrepris de la justifier par les faits, est un naturaliste voyageur, Güldenstädt, qui avait eu l'avantage d'étudier comparativement sur les lieux mêmes, et à tous les points de vue, les chacals et les chiens de VAsie (4). Selon lui, la même région qui a donné aux hommes leur premier bétail, le mouton et la chèvre, leur a fourni aussi le gardien de ce bétail, le chien, dont la souche estle Canis aureus (2). Güldenstädt établit que cet animal vit à portée des habitations humaines où même il pénètre souvent; qu'il est éminemment sociable, très facile à apprivoiser, très affectueux pour son maitre; et qu’il se mêle volontiers avec le chien dont il se rapproche par tout ce qui l’élaigne du loup et du renard. Pallas paraît avoir conçu de son côté, et presque au même moment, une opinion voisine de celle de Gülden- siädt (3). Le chaeal, dit l'illustre voyageur et naturaliste, « animal humanissimum præcipueque homini ami- cum » (h), est la souche première, prima et primaria stirps, du chien domestique : non pas cependant la souche absolument unique. La multiplicité, lextrème (4) Le beau mémoire de GUELDENSTAEPT, Schacalæ historia, a été publié, comme on la vu, en 4776; il avait été communiqué l'année précédente à l’Académie des sciences de Pétersbourg. H est donc ` antérieur au travail ci-après cité de Pallas. (2) Loc. cit., p. 449. — Le mouton, la chèvre et le chien sont, selon l’auteur, les trois animaux les plus anciennement domes- tiqués. (3) Spic. zool., Fasc., XI, 1776, p. 3, note; et Zoograph., t. 1, p. 40 et 58. (kW) Mots d'Élien que Pallas applique au chacal. a~ + à à ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 107 variété des races canines ne - peut s'expliquer, selon Pallas, que par des unions hybrides avec les autres carnassiers du genre Canis, particulièrement avec le loup (4). (1) Et aussi, selon PALLAS, le renard et lhyène. Ces deux animaux étaient alors placés, comme chacun sait, dans le genre Canis, et con- Sidérés comme très voisins du chien. En ce qui concerne le renard et le loup, cette hypothèse de Pallas n’était pas nouvelle. DAUBENTON l'avait émise, il est vrai très dubita- tivement, Hist. nat. de BUFFON, t. V, 1755, p. 236. — On pourrait même la faire remonter à ARISTOTE, Hist. des anim., liv. VIE, XXVII, Où il est question, avec doute, de l'accouplement de la chienne avec le tigre, et, affirmativement, du mélange des chiens et des loups à Cyrène, et de la fécondation de la chienne par le renard; fécondation par laquelle on obtient, dit Aristote, le chien de Laconie. | Nous ne nous arrêterons ni sur cette dernière assertion, qui n’est appuyée sur aucun fait positif, ni, à plus forte raison, sur ce que disent Pallas de l’'hyène et Aristote du tigre. Quant aux loups, même au loup d'Europe, plus grand, plus féroce que ceux d'Orient (comme le dit déjà PLINE, liv. VIII, XXXIV), il est hors de doute que ces animaux mêlent parfois spontanément leur sang à celui des chiens : témoin les métis envoyés à la Ménagerie du Muséum et à divers musées comme | des loups fauves, et surtout comme des noirs (voy. le Chapitre X Sect. vi). Ces faits, qui ne sont pas rares de nos jours, ont dû l'être bien moins encore quand notre sol était en grande partie couvert de forêts, et quand, par suite, les loups étaient plus nombreux. Les Gaulois | “auraient même eu l'habitude, disent les auteurs anciens, d’attacher des chiennes en rut dans les forêts, pour les faire couvrir par les | loups (Putine, liv. VII, LXI). EE On verra, dans le Chapitre suivant, que les produits de l’accouple- vi ment du loup et du chìen sont le plus souvent intermédiaires entre lun et l’autre, mais quelquefois aussi très semblables au chien, et qu’en outre, ces produits sont féconds. Ces faits, de même que la très grande ressemblance de quelques races de chiens avec les loups, peu- vent être considérés comme des arguments d’une grande valeur, quoi- ` pts À 2 - ss » sr iaa oh ee "es fisia PC - \ D Te va Éd e die ai na éd g at dl © el À SUR 4 5 By Pr a : $ r ği A a js ` K ii i à où i n ba aaia | | j Il 108 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. Parmi les naturalistes éminents qui, dans notre siècle, ont voyagé en Asie et en Afrique, les uns ont pleinement adopté les vues de Güldenstädt: tel est surtout Tile- sius, après une étude très exacte de tous les éléments de la question (4). D'autres les ont reprises en les étendant aux chiens 4 et aux chacals africains. Le chacal à dos noir (Canis mesomelas), si distinct des autres chacals, a paru à Lichtenstein la souche d’une partie des chiens de l’ Afrique | australe (2); et MM. Ehrenberg et Hemprich, entrant à leur tour, mais plus largement, dans le même ordre d'idées, ont admis la domestication, par les peuples de l'Asie et de l'Afrique, de plusieurs des espèces ou races de chacals qui vivaient à leur portée : par exemple, pour la région explorée par ces célèbres voyageurs, de leur Canis lupaster (C. anthus, Cr.), dont se rapproche par- ticulièrement le chien de la basse Égypte, et de leur C. sabbar, dont, selon eux, la descendance, très peu modifiée, se retrouve plus au sud, notamment dans le Dongola (à). que non encore suffisamment démonstratifs, en faveur de la partie de l'hypothèse de Daubenton et de Pallas qui se rapporte au loup : hypothèse admissible qu'on doit se garder de confondre avec les suppositions, plus haut mentionnées (p.105, note 4), de Cardan, de Zimmermann, et surtout de Hunter. (1) Naturgeschichte des Eisfuchses, des kaukasischen Schakals, ete., dans les Nova Acta nat. cur., 1823, t. XL part D, Da o e (2) Loc. cit. — La description donnée par Lichtenstein nous parait établir plutôt une ressemblance générale avec les chacals qu’une iden- tité spécifique avec le C. mesomelas en particulier. (3) : Loc cit. Ces auteurs eussent sans doute ajouté à leurs Canis lupaster et sabbar, s'ils l’eussent alors connue, une autre espèce du nord-est de K _ Afrique, ailas que M. RUEPPELL a découverte dans les montagnes de ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 109 Le chien, outre son origine asiatique, à done aussi, selon MM. Ehrenberg et Hemprich, une ou même plu- sieurs origines dans le nord-est de Afrique : si bien que, d’après leurs travaux rapprochés de ceux de leurs prédécesseurs, ce que l’histoire nous avait indiqué est précisément ce que nous montre l'Histoire natu- relle (1). lAbyssinie, et nommée C. C. simensis (voy. Neue Wirbelthiere von Abys- ` sinien, in-fol., Francfort, 4 1835-1840, Mammif., p. 39, pl. x1y). Par | ses formes FF sa tête longue etfine, à dents espacées, ce carnassier tient de très près aux lévriers. N’en serait-il pas la souche? Non-seu- lement tout indique que les lévriers sont d’origine orientale; mais, | comme nous l'avons dit plus haut (t. I, Introduction, p. 14), de pre- Á miers lévriers, encore à oreilles droites, existaient, à une époque très reculée, dans le nord-est de l’Afrique. (4) Le chien, selon quelques auteurs, aurait encore d’autres ori- gines, sans parler du renard et des anig peep non congénères (voy. p. 107, note). Pour le loup, ou plutôt pour les loups, voy. p. 105 et 107, notes. Et pour le C. simensis, qu’on a quelquefois i le loup d’Abyssinie, voy. la note précédente. Selon DESMOULINS, article Chien du Dict. class. Hist. nat., t. IV (1823), p. 15, le chien se rattacherait à « quatre espèces : dans l’ancien » continent, le chacal et.le loup; en Amérique, le chien des bois (et » peut-être,un loup du Paraguay); et dans l’Australasie, le chien papou.» Mais, à l'égard de ces origines australienne et américaine, l’auteur ne fait qu'émettre de vagues conjectures, à l'appui desquelles il ne cite aucun fait. On n’a aucune raison de penser que les chiens austra- liens, ou dingos domestiques, descendent des dingos sauvages : il- est, au contraire, vraisemblable que ceux-ci descendent des do- mestiques, n'étant que ce qu’on appelle en d’autres pays des chiens marrons. Quant au chien des bois, ou crabier, il a pu, sans doute, être domestiqué en Amérique, comme les chacals en Asie et en Afrique mais, dans ces deux parties du monde, on connaît en plusieurs lieux, < its OEE NNA — ne " $ ¢ { } F4 HE i H © £ FE k £ pe PAS + RTE nil Pl Mn Ale a im + | TS Qu PU = > — + s 440 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. IX. Pour qu’on dût passer sur ces similitudes et sur ces concordances, sur ces preuves de la parenté du chien et des chacals, il faudrait qu'on eût à leur opposer de bien fortes objections. Or, il est facile de résoudre ainsi qu’on vient de le voir, des chiens très semblables à des chacals ; ‘au contraire, ni l’alco, ni les autres chiens trouvés en Amérique lors de la conquête, ne reproduisaient les caractères du crabier. Et c’est pourquoi la même opinion qui peut être dite,-à l'égard des chacals, une induction justifiée par les faits, reste, pour celui-ci, à l’état de simple conjecture. On a émis, sur l’origine multiple du chien, une autre hypothèse encore plus conjecturale : les principales races canines auraient eu leurs souches particulières, présentant déjà les caractères que nous montrent leurs descendants actuels. — Voy. ERXLEBEN, Sys- tema regni animalis, Mammalia, Leipzig, in-8, 1777, p. 357 ; simple doute émis. — BLUMENBACH, Handbuch der Naturgeschichte. « Quel- ques races, le basset, le lévrier, par exemple, » dit Blumenbach, ont une conformation trop particulière pour que je puisse croire pour eux à une « simple dégénération ». (Trad. franç., d’après la 6° édit., par ARTAUD, Paris, in-8, 1803, 4.1, p. 149.) La conjecture de Blumenbach. a acquis quelque vraisemblance pour le lévrier, comme on l’a vu (p. 108, note 3), mais pour lui seulement. Les vues de Blumenbach ont été reprises tout récemment par M. GER- vais, Histoire naturelle des mammifères, Paris, gr. in-8, 1855, t. II, p. 67, — Et surtout par M. GIEBEL , dans un mémoire spécia- lement consacré à la discussion de cette question : Hunderassen, oder Hundearten ? voy. Zeitschrift für die gesammten Naturiwissenschaf- ten, par GIEBEL et HEINTZ, 1855, t. V, p. 349. Voyez encore: Link, loc. cit., t. Il, p. 279. — JACQUINOT, Voyage au pôle sud (expédition de DUMONT -D'URVILLE), Zoologie, t. II, 1846, p. 79. — Norr, Types of mankinds, par Norr et GLIDDON, Londres, gr. in-8, 1854, p. 881 et suiv. ; avec des documents intéressants, , relatifs à l’histoire du chien dans l'antiquité. — Broca, Mémoire sur | Vhybridité en général, dans le Journal de Physiologie de M. BROWN- | SÉQUARD, 1858, t. I, p. 444. — De ces quatre auteurs, le premier fait sortir les races canines des chacals et d’une grande espèce indienne. ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. ail toutes celles qu'on a mises en avant; bien plus, d'en faire sortir de nouveaux arguments en faveur des vues de Güldenstädt et de Pallas. Le chacal, a-t-on dit, exhale une odeur dont le chien, s'il venait de cette espèce, conserverait « au moins quel- Les vues destrois autres se rattachent surtout à celles de Blumenbach. De tous ces travaux, celui qui mérite le plus d’être consulté est le mémoire de M. Giebel. L'auteur, qui est dans les mêmes vues: que Blu- menbach, cherche à les justifier en comparant les caractères des races canines à ceux des espèces et même des genres de la classe des mam- mifères, et en montrant que les uns ne sont pas d’ une moindre valeur que les autres. Ce résultat est, pour nous commè pour lui, incontes- . table (yoy. les Chap. suiv.); mais il peut se concilier avec toutes les hy- pothèses sur l’origine du chien, même avec la supposition d’une souche unique ; ce que l’auteur eùt sans doute reconnu s’il avait jugé à propos de discuter les motifs sur lesquels s'appuie BUFFON, pour dire, loc. cit., t. V, p. 192 et suiv.: «Le chien est, de tous les animaux, celui dans » lequel on trouve les plus grandes variétés. » — Fr, CUVIER (loc. cût., p.550) et M. PRICHARD (loc. cit., t. 1, p. 67) ont fait remarquer, contre ce système d'idées, qu’il conduirait à admettre au moins cinquante espèces de chiens. Il y a lieu d'ajouter que la paléontologie n’a jamais fourni aucune preuve, aucun indice même de l'existence primitive de dogues, de bassets, d’épagneuls, etc. i Il y a cependant une opinion encore plus contraire aux faits que l'hypothèse de l'existence primitive de dogues, de bassets, d’'épa- gneuls, etc. : c’est celle des auteurs qui, admettant plusieurs .Souches analogues aux espèces sauvages actuelles du genre Canis, prétendent expliquer, par de nombreux croisements, la diversité con- sidérable des races canines. Cette explication est absolument inad= missible. Comment le croisement de deux animaux offrant les carac- ières génériques actuels du genre Canis eût-il pu donuer un basset, un bichon, un dogue? Tout hybride ressemble à ses parents, tenant même souvent le milieu entre eux (voy. le Chapitre X): par con- séquent, l'hybridité ne fait que combiner, dans les descendants, des Caractères déjà existants dans les souches : elle n’en crée pas de nou- veaux. ' ! 112 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. IX. ques traces » (1). Ces traces existent; il y a même bien plus que des traces chez les chiens peu soignés et sur- tout nourris de viande. Il est bon d'ajouter que l’odeur du chacal est déjà faible, comparativement à celle du renard. La gestation serait plus courte chez le chacal, et même beaucoup plus courte. Elle dure, dit M. Bellingeri (2), soixante-trois jours dans les grandes races de chiens, | soixante-trois à soixante dans les petites ; elle dureraitun ! mois seulement chez le chacal. Différence énorme, si elle existait, mais elle n'a été admise que par erreur. Le chacal porte « cinquante-neuf jours », dit Blainville lui- même, qui pourtant reprend l'argument que nous com- battons ici (3); et plus encore, de soixante à soixante- \ trois jours, exactement comme le chien, d’après les | observations que nous avons recueillies à la Ménagerie / du Muséum. | On supposait aussi autrefois que le chacal ne produit pas avec le chien (4). C’est encore une erreur : non- | 11 s | $ (1) FLOURENS, Buffon, in-18, 1844, p. 92. Cette objection que Fr. Cuvier (Histoire naturelle des Mammi- fères, 1819) a le premier émise, est d’ailleurs, selon lui-même (Ibid., 1820), particulière à certains chacals, notamment à celui du Bengale. Son odeur, selon F. Cuvier, serait même un de ses carac- tères distinctifs,par rapport au chacal du Caucase (voy. Supplément à Buffon, Paris, in-8, 1831, p. 166). — Dans le même ouvrage, p. 164, Fr. Cuvier n’est pas éloigné d'admettre les vues de Güldenstädt et de Pallas. (2) Della fecondita degli animali vertebrati. In-4, Turin, 1840, p. 36. (3) Ostéogr., Canis, p. 142. (4) Argument reproduit par quelques auteurs récents, notamme par M. MARCEL DE SERRES, loc. cit., p. 232. h ta $ Lg ee et) crus 4 pie ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 14148 seulement des exemples de rapprochements féconds ont été cités, et quelques-uns depuis longtemps, par les voya- geurs; mais, dans des expériences sur lesquelles nous reviendrons bientôt ( 1), M. Flourens et moi avons obtenu | plusieurs générations consécutives. Le chacal et la- chienne, le chien et la femelle du chacal, sont également } portés l’un vers l’autre. % Selon Cuvier (2), et selon un grand nombre d' auteurs, les chiens, redevenus sauvages, ne ressemblent ni au loup ni au chacal; ils restent chiens. Non-seulement les chiens sauvages, mais les chiens domestiques eux- mêmes, comme on l’a vu, ressemblent souvent aux chacals. Les chacals, a-t-on dit, et répété encore tout récem- ment (3), S’apprivoisent facilement, mais en conservant toujours de la sauvagerie; il serait « impossible de les » laisser en liberté». Ce fait, fût-il vrai, n'aurait rien de concluant. Assurément, ce n’est pas dès la première gé- nération que le mouflon s’est changé dans nos champs en mouton, et que le chat a consenti à habiter nos demeures. Mais le chacal, l'animal humanissimum, est si bien dis- posé à entrer dans la société de l’homme, que ce qui n'est possible pour aucun autre l’ est pour lui. Nousavons vu à Grenoble, en 1849, un chien, doux, affectueux pour son maitre, familier avec tous, jouissant de la plus complète liberté, et en usant chaque jour pour aller jouer avec les autres chiens dans les rues et sur les places de la ville. (1) Dans le Chap. X. (2) Règne anim., t. 1, 1"° édit., p. 152; 2e édit., » De 149. (3) GERVAIS, loc, cit., p. 161; 1855. H. & j i [ 1 Ah NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Il, CHAP. IX. Ce chien, ainsi que tout le monde l'appelait, était un chacal venu d'Alger (41). Plusieurs voyageurs en Orient ont cité des faits analogues. | On avait dit aussi : le chien aboie, le chacal n’aboie pas. Tilesius a déjà résolu cette objection en rappe- lant que les chiens de plusieurs pays n’aboient pas plus que le chacal (2). Nous ajouterons, non-seulement que ces chiens apprennent à aboyer lorsqu'ils vivent au milieu des nôtres, mais qu’il en est exactement de mêmé des chacals. J'ai constaté à plusieurs reprises ce fait, et je lai fait constater au Muséum par l'auditoire tout entier d’un de mes cours (3). Le chacal a d’ailleurs naturelle- ment les autres voix du chien : « Vow desiderii caninæ simillima, » disait déjà Pallas (4). Voilà pourtant en vertu de quelles objections on a continué (il est vrai, dans un seul pays, le nôtre) à re- jeter très généralement la détermination de Güldenstädt, et à admettre comme une espèce distincte le Canis fami- liaris de Linné. Mais où existe cette espèce? Nulle part, on en convient. Elle aurait été, selon les uns, conquise (4) J'ai cherché à obtenir ce chacal qu’il eût été très intéressant de suivre en continuant à le traiter comme un chien, et de faire repro- duire à l’état libre. Mais son maître, après avoir consenti à le vendre, n’a pu se résoudre à s’en séparer, et a rompu le marché. (2) Loc. cit., p. 895. (3) Un des chacals de la Ménagerie, entre autres, aboyait exactement comme un chien. , Le loup apprend aussi à aboyer, mais non absolument à la manière du chien, au moins dans les exemples que j’ai recueillis. (a) Svicil. zool., fasc. XI, p. 3. « Homini cauda eodem modo ablanditur, » ajoute PALLAS. a x ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 115 ` tout entière ; selon les autres, en partie conquise, en partie anéantie par l’homme (1). Et où a-t-elle existé? On ne le dit pas. L'histoire est muette sur elle comme l'Histoire naturelle. Son existence est done purement conjecturale ; et dés lors, quel motif plausible de la maintenir dans la science ? Quand nous voyons, en Orient, désignés par la nature elle-même, tant d'ancêtres possibles du chien, pourquoi en imaginer un autre, et, dans une question déjà si complexe, introduire un être de raison qui n'y est qu'une difficulté de plus (2)? XV. Les faits que nous venons d'exposer se résument pour la plupart dans le tableau synoptique suivant où, les quarante-sept animaux domestiques sont en même temps distribués zoologiquement, d’après leur place dans la clas- sification, géographiquement, d’après leur patrie origi- naire, et historiquement, d’après l'époque à laquelle remonte leur domestication : (1) Et comment aurait-elle disparu ? Comment les tique Orient auraient-ils détruit le chien primitif, quand nous voyons le loup et le renard résister, jusque dans les pays les plus civilisés et les plus peuplés, à la guerre continuelle qu’on leur fait partout? L’Angleterre seule est parvenue à exterminer les loups, z eût pas réussi, sans sa situation insulaire. ` (2) Encore ne s’est-on pas contenté d'en imaginer un! Quelques- et elle wý -uns veulent autant de souches qu’il y a de races principales. (Voy. p.140 et 111, note.) peuples de Pan PsA m SAANS anbody ` 5 a salma Yri oweay \ P a jl ‘JOAÖIOLSIH TLA "UTEUOX ‘pao pieuer) EDOR p ‘uord pig ; “onboors operira -p10 uesre by amay | (1) 910 Subota D nn °nQ?Z ‘mog *(z) uomon ‘314940 9410PDWOUT °NDVIUDUY) *u049207) ‘ouy *JOTARUX ‘amod *[PA9) “le) Pyg EPPS RA ‘uoaSid | ‘(,) uoto *SHNÜIMOLSIH-HLNV Co “saI (| *S3J)0SUT INLIA | SANUWL JN -arsy *SaJ)SUT "INVITO |NUME E S900 DR OUR UC mego sonnum À ‘Sosa | *Suosstog | "neasg D D I~ “onbriounry NOILVOILSANOG pauu aaa “don “onbrayy ‘SHUIVNINDINO SHIULVAd ( Fe. (4) SAUIVNIOINO SMALYA LA NOILVOIISANOG 44 SHN0OdF ‘S4N0I90100Z SASSVT) YYd SFAUINISIA STAÒILSANOA XAVHINV SAA ANÛILAONAS AVATAVL se ne Bots hi a ==. rares na pe d “UD f E f j “onbnerse rssne 0139-04 (,) "aISY “onbnerse 1ssn2 0439-04 (g) E ‘wop] (g) __ ‘ouuogdouma 019-1004 (9) u9 opnbnsouop 919 arose rehod off “oute] (à) wopy (z) À | i nuuoo ten (s) “uagdoumo 3449-Məd (ç) . -499 sed jsa,u əuuəədomə aurio Uog (z) “onbnersenb sduo) ouput ua uuy (,) | 14 + Lee E 4 'SPINPOLUL JUAUUWIIP4 1N07 IND 979 quo AU no ‘aouvux UI svd quagsixa,u Mb @NDUNUD 8I] juonbipur Sanbyvyt S249190109 $97 () | . f L G 6% 9 1 f; D. CO CS ER, ZT 0 o TT, 4 LT I € € l Z Z e č 6 Gr g e l pavzo | E Daea EORR | E | EBER TT CE | SESTER | OAOE, po ; . © [Mo g 4 ; ojoprs \ + 1 7 p: “Aiuosae “à ax | k =e Mp 910 "910P uesa ; = . az f k i Z E: $ gnb ‘sorewen | rie | a | g -snu peue səp uməŞ IAX © T +uopuiq i d S | à = | 2e] | 2 l'A S | "AJUDND 1 | (10 “apurut A | Op 2105 D 424 (6) 1000) | pee 1 9 ‘2172094909 euna np ; ONNEN Ko (8) vuy ; mri u A 10S D A 4 | f (4 ; J | PE | AEE AARON | RARA À f - por “vovdiy] HEE “() odien}] “1017100 g "YVA j 3 Á g i : “ou £Ân 07 77) pe -aop und] ojoon, "IUUD | v apur, p yoonh 2221240 PA F P H (2 K Ai N \ x * At A N - E r A INOI PR RES PE A bé ne ré Fonte, A» ane nm anne dr ar 118 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. IX. XVI. Les notions sur lesquelles se fonde la détermination des origines des animaux domestiques sont empruntées; les unes à l’histoire, les autres à la zoologie. On peut doné prévoir que les conséquencés auxquelles elles recondui= ront seront aussi, les uñes historiques, les autres z0ologiques, ou plus généralement, biologiques; car la plupart pourront être étendues, comme on va le voir; aux deux grands règnes organiques. Nous énoncerons ici suécinctement toutes ces consé2 quences, sans excepter celles mêmes qui intéressent surtout la science pratique. Nous reprendrons ultérieure: ment, pour les considérer dans leurs rapports avec lé sujet que nous traitons, celles qui peuvent nous fournir des éléments de solution ou de démonstration, Parmi ces conséquences, les unes se présentent d’elless mêmes, à la seule inspection du tableau qui précède. Telle est celle-ci : La très grande majorité des animaux domestiques appartient aux deux classes supérieures du règne. Et plus spécialement, pouvons-nous ajouter, aux her= bivores, parmi les mammifères, aux granivores, parmi les oiseaux ; et aussi, dans ces deux classes, aux groupes les plus remarquables par la précocité de leur développe: ment. Sur 21 mammifères, nous trouvons, en effet, un ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 119 rongeur précoce (1), 3 pachydermes et 13 ruminants, dont 10 font partie des genres Bos et Camelus de Linné. De même sur 17 oiseaux, 8 sont des gallinacés et 6 des palmipèdes lamellirostres (2). Une prédominance aussi marquée des espèces végéti- vores et précoces ne saurait être fortuite : elle désigne manifestement les groupes qui les ont fournies, comme ceux qui réunissent les conditions les plus favorables à la domestication (3). L'histoire des bienfaits que nous ont légués nos ancê- tres peut ainsi nous éclairer sur les services que nous- mêmes pouvons rendre à nos descendants. Les groupes qui nous ont déjà le plus enrichis sont encore ceux aux- quels nous avons à demander le plus de richesses nou- velles. Et c’est ce que confirme déjà l'expérience; car, parmi les animaux que des essais récents autorisent à dire ou à demi-conquis dès à présent, ou promis à une domestication prochaine, la plupart sont de même des mammifères herbivores et des oiseaux granivores. Cette remarque peut être suivie plus loin. Les groupes qui, après les mammifères et les oiseaux, peuvent fournir à l’homme le plus d'animaux utiles, sont encore ceux qui déjà lui en ont donné quelques-uns : les poissons et les insectes , €t plus particulièrement dans ces classes, (1) Le cochon d'Inde. Le second rongeur déesse le lapin, est aussi herbivore, mais non précoce. (2) Et 2 sont des pigeons ; ceux -ci éminemment armiha mais non précoces. | (3) Voyez notre article sur la Domestication des animaux (Encycl. nouv., loc. cit., p. 374, et Essai de zool. génér., p. 273). 1 4 i JEH | a $ 18i; 1 14197 til 1% 4 1 À d PIRE dE : F : | 11! H i | rer R eeren E3 ra. mA der PER ee ES 420 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. les malacoptérygiens et les lépidoptères séricigènes. L'homme semble destiné à étendre peu à peu son em- pire des sommités du règne animal à des êtres de presque tous les degrés. Il n'avait guère possédé, dans les temps les plus anciens, que des mammifères ; dans les temps modernes, il a presque égalé à leur nombre celui des oiseaux. Le rapide mouvement imprimé depuis quel- ques années, en France surtout, à la pisciculture et à la sériciculture, atteste que le moment est venu où vont se multiplier à leur tour les poissons de nos viviers et les insectes de nos magnaneries ; et le progrès ne s’arrè- tera pas là (1). Pourquoi n’en serait-il pas un jour de nos domestica- tions animales comme de nos cultures végétales, où pré- dominent aussi de beaucoup les groupes supérieurs ; mais où les inférieurs ne sont pas sans quelques représen- tants ? Si bien que la longue suite des végétaux possédés par l'homme se termine presque, par les champignons, ou se termine, par les derniers cryptogames vasculaires, la série végétale tout entière. XVII. Notre tableau nous donne aussi quelques indications sur une question étroitement liée à celle de la domesti- cation, et qui, comme elle, intéresse tout à la fois la (1) Si même il s’y arrète, Les progrès récents de l’hirudiniculiure permettent presque de placer dès à présent les sangsues au nombre des groupes qui renferment des animaux domestiques. ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 191 Science théorique et appliquée : la question de l’acelima- tation. Un être organisé peut-il s’acclimater en des régions très différentes de celle où la nature l'avait placé? Oui, disent la plupart; non, disent quelques autres. Les faits qui viennent d’être exposés et résumés indi- quent ici la nécessité d’une distinction entièrement né- gligée jusqu’à ces derniers temps, et faute de laquelle on ne ferait jamais que trancher la question, au lieu de la résoudre. Non-seulement ce qui est vrai d’un règne peut ne pas l’être de l’autre; mais, dans le même règne, exis- tent des organisations si différentes, des modes si divers de vivre, des actions si variées de l'être organisé sur le monde extérieur, et réciproquement, qu'on ne saurait s'attendre à trouver dans tous les groupes une égale aptitude à l’acclimatation. D'où l’on peut prévoir déjà que, dans cette question, le oui et le non sont des réponses trop absolues; de Pun et de l’autre il faut appeler aux faits. -Or voici, pour le règne animal, ce que nous apprennent les faits : Les animaux domestiques ont des distributions géo- graphiques très inégalement étendues. Tandis que les uns sont encore localisés, c’est-à-dire propres à un petit nombre de régions ou même à une seule, d’autres sont devenus cosmopolites ; en d’autres termes, communs, sinon absolument à tous les peuples, du moins à toutes les parties du monde, et à la fois à leurs régions chaudes, tempérées et froides. Au nombre des animaux cosmopolites ne figure aucun 3 4 de ceux dont la domestication est plus ou moins récente Ce f ANPE AET WEAN FA o aa a P aa peser, ooa t me au aia a a ne sites ét FES gites oies - o j x r aes . DFA e + 18 "s x ais 122 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Il, CHAP. IX. faits’explique de lui-même et ne mérite pas de nous arrêter. Nous ne voyons non plus, parmi les animaux cosmo- polites, aucun poisson, ni surtout aucun insecte. Le ver à soie du mürier, dont la domestication remonte au moins à quarante-cinq siècles, est lui-même loin d’être cosmopolite. Il a-bien pu devènir commun aux cinq parties du monde, mais seulement à leurs régions chaudes et tempérées, et rien n’annonce qu'il en doive sortir, plus que ne l'ont fait l'arbre dont il se nourrit, et un grand nombre d’autres végétaux cultivés, originaires, soit des mêmes contrées, soit, à plus forte raison, de régions plus chaudes encore. | | Au contraire, parmi les mammifères et les oiseaux dont la domestication est très ancienne, non-seulement nous trouvons des animaux cosmopolites ; mais c’est le -plus grand nombre qui l’est devenu. Le cheval, le bœuf, le mouton, la chèvre, le chat, et même le cochon, qu’on a souvent dit, mais à tort, limité aux climats chauds et tempérés ; et de même, dans l’autre classe, la poule et le pigeon, sont répandus depuis l’équateur jusque sous de- très hautes latitudes, et pour notre hémisphère en parti- culier, jusqu’au cercle arctique. Mais le plus cosmopolite, c’est le chien. Où cesse la végétation, et où s'arrête l’her- bivore, le chien vit encore des restes de la chasse ou de la pêche de ses maitres. Le même animal qui, au sud, veille sur les moutons sans laine de l’Africain et chasse pour l’Indien de Amazone, qui sert de nourriture au Chinois et défend les huttes du Papou, se retrouve, au nord, gardant les rennes du Lapon, et trainant l'Eskimau jusque sur les glaces polaires. ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 198 Les autres mammifères très anciennement domesti- qués, lâne, le chameau, lé dromadaire et le zébu, sans avoir une distribution géographique aussi étendue, occu- pent néanmoins encore une grande partie de la surface du globe; et il en est de même de quelques autres espèces | dont la domestication remonte à une époque beaucoup. (ue | moins reculée, comme le buffle, l’oie, et mêmele canard. |, pA Ce dernier arrive, lui aussi, sur plusieurs points, au sud, | ae jusqu’à l'équateur et au delà dans l'hémisphère austral ; au nord, on le trouve jusqu’au cercle arctique. La conséquence pratique de ces faits se présente d'elle-même. L'homme peut modifier considérablement \ la distribution géographique, sinon de tous les êtres j f organisés sur lesquels il peut lui convenir d'étendre son d | action; sinon des poissons, des insectes et des autres | 141 | ro re os j PNE invertébrés, à l’égard desquels, comme à l'égard des végétaux, son pouvoir semble beaucoup plus restreint, quoique encore très grand ; du moins, des deux classes supérieures du règne animal; en d’autres termes, et collectivement, des animaux à sang chaud, ou mieux, à circulation double, à grande respiration, à température propre et indépendante de celle du milieu ambiant (4). Sur ces derniers, l’homme, à la faveur du temps, peut tout ce qu'il veut : ce qu'il a fait dans le passé est la mesure de ce qu'il fera dans l’avenir. Des mammifères et des oiseaux des régions chaudes, il a obtenu, il a done le pouvoir d'obtenir encore, en ménageant les transitions, E j |: andininy ET t a AE aii ana - ERR EI STE: ia (1) Nous avons déjà fait (Anim, util., p. 447) la distinction que nous renouvelons ici. EE A né ee + à — 1! | al ali 1 1 41 Fi E 11 11 i Hi E AEK Su Enr 42/4 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. des races aptes à vivre sous le ciel du Nord, et récipro- quement; et, abaissant graduellement les barrières qui séparent les espèces, il peut les acclimater partout, comme il s’y est acclimaté lui-même. XVIII. Un autre résultat, mis en évidence par notre tableau, et qui intéresse aussi l'Histoire naturelle appliquée, mais encore plus l'ethnographie et l’histoire, est le sui- vant : gr L'Orient, particulièrement l'Asie, est la patrie origi- naire de la plupart des animaux domestiques, et, sans exception, de tous ceux dont la domestication est la plus ancienne. La conséquence de cette proposition, au point de vue de l'Histoire naturelle appliquée, est facile à saisir : nul résultat n’est plus propre à mettre en évidence la possi- bilité d'augmenter considérablement le nombre de nos animaux domestiques. Quand une seule partie du monde, l’Asie, a donné à l'Europe plus de vingt animaux domes- tiques, et parmi eux tous ceux qui sont de première im- portance, est-ce assez d’en avoir obtenu quatre de l Afrique, autant de l'Amérique, et pas même un seul de l Australie et des archipels de la Polynésie? Et n'étions- nous pas fondés à dire, il y a quelques années (4) : (1) A la Société d’acclimatation, séance préparatoire, Bulletin de cette Société, t. T, 1854, p. 12. ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 195 « Une moitié du globe a été seule exploitée ; il reste à » exploiter l’autre. » | La prédominance des espèces d’origine orientale, et surtout asiatique, n’est pas, au point de vue ethnologique, d'un moindre intérêt. Les animaux domestiques, et de même les végétaux cultivés, par les modifications que l’homme leur a fait subir dans leur distribution et leur or- ganisation primitives, sont comme autant de monuments de l’action et du pouvoir de l’homme dans les temps an- ciens; et la détermination de leur origine géographique et du lieu de leur première domestication. ne saurait manquer de jeter du jour sur l’origine géographique de l’homme lui-même et sur le lieu de sa première civilisa- tion (1). Si, comme l’attestent les plus anciennes et les plus respectables traditions, «les hautes terres de l'Asie» ont été «le premier séjour » de l’homme; si, « dans ces » mêmes terres, sont nés les arts de première néces- » sité » (2), c’est manifestement aussi dans «les hautes » terres de l'Asie » que nous devons chercher les souches de nos plus anciennes et de nos principales espèces ; et si c'est là que nous les trouvons en effet, n'est-il pas vrai \ (1) Comme nous l'avons établi dans un Mémoire spécial intitulé : De la possibilité d'éclairer l'Histoire naturelle de l’homme par l'étude des animaux domestiques, dans les Compt. rend. de l’Acad. des SC., 1837, t. IV, p. 662. i En raison de la similitude de nos vues et de celles de Dureau de la Malle (voyez ci-après, p. 129, note 2), nous ferons remarquer qu’un extrait de ce Mémoire avait paru à l'avance dans le Bulletin de la Société des sciences naturelles, 1835, p. 58. (2) Burron, Suppl. V, 1778; Époques de la nature, p. 190. See tie 2 AE, — es nt AE NEO PNR NT PMP M NT dE UE E me on E he SC S RL ent à À mé RE < N ie ds >: : x RERE = Hgt y iniiai a a a a E E E E O S Le ji 126 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. IX. de dire que ce qui était déjà une vérité traditionnelle devient une vérité de fait ! | Or, c’est précisément à ce résultat que la science nous conduit, et non-seulement pour les animaux, mais aussi pour les végétaux ; si bien que tous les faits convergent ici vers la même conséquence historique. Il s’en faut, du reste, de beaucoup qu'ils soient par- tout également décisifs. La prédominance des espèces asiatiques semble, en botanique, moins marquée; et en outre, on y manque bien plus souvent de ces preuves directes auxquelles nous avons. pu souvent recourir en zoologie, Si l’on connaît en Asie les souches de plusieurs végétaux très anciennement cultivés, par exemple, celle de la vigne en Arménie, en Palestine et sur d’autres points encore, celles des plus anciennes céréales, et particulièrement du blé, n’ont jamais pu être retrouvées avec certitude ni là ni ailleurs, et peut-être ne le seront- elles jamais (1). f D. + n! $ ; } y i HE ip ; j} 14 FA 4 yi E i 4 i f! k } 1 A f $i E g { B LH À IR. : È {f d E £ = s Í | { { į t À 4 3 $ 3 P- j n f | i a! |] a LINE Á i] Si} t 1 at i à L 3 s “H À f | A M p n 5 Tis + ( LL. À | i ji i | \ A ' HU ! 3 i i | b f E | f, { i 3 i |! 4 | À L EI À a U | F | ‘ | m à ? (4) Dunaz, Introduction au Mémoire de E. FABRE Sur la méta- morphose (prétendue) de deux ægilops en triticum (dans le Bulletin de la Société d'agriculture de Montpellier, ann. 4852, p. 11}, résume ainsi l'état de la science, en ce qui concerne l’origine du blé. « Hérodote et » Diodore de Sicile assurent que le blé croissait naturellement dans » la Babylonie... Olivier a vu du blé sauvage dans les plaines incultes » de la Perse; et vers 1787, A. Michaux, de Satory, a trouvé sur une » montagne de Perse, éloignée de toute culture, quelques pieds bien » sauvages de froment épeautre. Tous ces faits donneraïent à penser » que les froments sont originaires d’Asie. Mais on a objecté que les » plantes ainsi trouvées à l’état sauvage n'étaient peut-être que des » individus provenant d'anciennes cultures. ». La science est donc encore ici « dans l'incertitude ». = akh i d = = z à Li ik il li arte E Oa aa Ne me vers à ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES, 127 La détermination de l’origine de ces plantes n’est ainsi fondée, de l’aveu des botanistes les plus savants et les plus exacts (1), que sur des arguments indirects, et seule- ment historiques, tels que celui-ci : comment ne seraient- elles pas asiatiques, puisqu'on les voit cultivées en Asie _ dès le commencement même de la civilisation ? “Argument qui encore fait défaut pour celles de ces plantes dont la culture remonte à une époque très reculée en Égypte aussi bien qu’en Asie; et au nombre de ces plantes, est le blé lui-même. Où faut-il chercher la première Cérès? Etcomment établir avec certitude un ordre de prio- rité entre des faits qui se perdent dans la nuit des temps ? On a done ici plutôt des indices que des preuves, et lon n'arrive, au lieu de conséquences démontrées, qu’à des conjectures plus ou moins vraisemblables. En zoologie, au contraire, ce que l’histoire indique, la science le confirme; le plus souvent, elle le démon- trerait par ses propres ressources. En même temps, le résultat auquel on arrive est bien plus net, en raison de la prédominance beaucoup plus marquée des espèces asiatiques. Sur 47 animaux domestiques, 29, dont 15 très anciennement possédés par l’homme, sont d’origine asiatique. RIT. En face d’un résultat aussi tranché, le doute n’est plus permis, et la notion de l’origine asiatique de nos princi- (4) Au premier rang desquels nous citerons M. Alph. DE CANDOLLE, auteur du plus récent et du meilleur travail que la science possède sur les origines des plantes cultivées. (Voy. Géogr. bot., loc. cüt. Pour le blé, p. 931.) l de. Due e « z DR PÆ f | i | 11 .. iaman a a i A mn Re de se mt Que ca am su a ce ère. die a | i 128 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. IX. paux animaux domestiques est assez solidement établie pour devenir à son tour un point de départ vers d’autres vérités. Cette notion n’est rien moins que nouvelle pour la science. Dés l'antiquité, Strabon avait dit, d’après Méga- sthène : « Une grande partie des animaux que nous avons » à l’état domestique vit sauvage en Asie (4). » Et Élien avait été plus explicite encore. On lit dans son Histoire des animaux : « Dans les montagnes intérieures et » presque inaccessibles de l'Inde se trouvent, dit-on, » sauvages les mêmes animaux qui sont domestiques » chez nous. Les brebis, les chèvres, les bœufs, errent » à leur volonté, et les chiens sont libres (2). » Mais ce n'étaient là que des assertions, et jusque dans la seconde moitié du xvin’ siècle, les naturalistes n’avaient pas cru devoir s’y arrêter : les ont-ils même con- nues (3) ? C’est à Güldenstädt et à Pallas (4) que l’on doit de les avoir reproduites, discutées et déjà même justifiées par les faits pour six espèces de quadrupèdes domestiques (5). (1) Dans le Caucase? Voy. le liv. XV, édit. citée, t. II, p. 1037. Chboclribsin. AVE xx (3) Pour les opinions si longtemps admises en Histoire naturelle, voy. p. 81. (4) GUELDENSTAEDT, Schacal. histor., 1776, loc. cit., p. 449. — PALLAS, Spicil. zool,, 1776, fasc. XI, p. 8. : (5) Le cheval, l’âne, le chameau, la chèvre, le mouton et le chien. Cuvier, dans son article déjà cité sur le Zébu, a admis l’origine asiatique des cinq premières de ces six espèces, et il était bien près, à cette époque, de dire aussi le bœuf asiatique. Il s'exprime, en effet, ainsi: «Il serait assez intéressant, dans l’histoire de l’homme, » de montrer que c’est aussi des montagnes de Tartarie qu’il a tiré le LT E ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 129 Dans notre siècle, elles ont été reprisés par quelques na~ turalistes et érudits, et étendues par eux, et surtout par Link (4) et par Dureau de la Malle, à d’autres espèces : «à presque toutes, à onze sur douze », disait Dureau dans ses derniers travaux de zoologie historique (2). La dou- zième, celle qu’il laissait à regret à l’Europe, entraîné par l'exemple et l'autorité de Cuvier, c'était le bœuf. Mais celte exception doit disparaître à son tour. Le bœuf, et de même son congénère le zébu, sont asiatiques, comme presque tous les ruminants domestiques. Et parmi les animaux très anciennement domestiqués, on doit attribuer à l'Asie, non pas seulement onze espèces sur douze, mais treize sur quatorze (3); et de ce nombre, sans aucune exception, toutes celles qui sont de première nécessité pour nous, comme le cheval, le bœuf, le mouton, le cochon, le chien, la poule, et d’autres encore ; OU qui rendent de semblable services aux peuples de l’Asie et de l'Afrique, comme le chameau, le dromadaire et le zébu, après lesquels peut être cité le ver à soie. Dureau de la Malle avait donc encore plus raison qu'il ne le croyait lui-même, lorsqu'il disait : « L'Histoire natu- » relle, quoique procédant par d’autres moyens que la » bœuf, comme il en a tiré le cheval, etc.» — Pour les vues défini- tives de Cuvier sur le bœuf, VOY. p. 93 et 94. (1) Loc. cit., t. II, passim. (2) « Presque toutes. » (con. polit. des Rom, t. I, p. 138, 1840.) — « Onze sur douze .» (Note inédite, écrite en 1847, et dont j'ai inséré le Passage principal, Anim. util., p. 193.) — Durgac avait déjà indiqué ses vues dans les Compt. rend. de l’Acad. des sc., 1837, 1. IV, p- 547. (8) Encore la quatorzième, qui estle chat, serait-elle, suivant plusieurs auteurs, originaire d'Asie en même temps que d'Afrique. (Voy. p, 100.) II. ; ; 9 j: b $ (3 a TE NENE E AE n T E: E E PPT e A EN NEE NETES r yanan w a ot à te ” > “ P 130 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. IX. » philologie, confirme ce fait remarquable, qu'antérieure- » ment aux temps historiques, il est venu dans notre » Occident une grande immigration des peuples orientaux » qui nous ont apporté les éléments de leur langage, leur » civilisation et leurs animaux (4). » (1) DurEau, Mémoire de 1837, loc. cit, p- 548. . - C’est au même point de vue que nous avions dit nous-même (Bull. de la Soc. des sc. natur., résumé du mémoire spécial, cité p. 125): L'étude des animaux domestiques peut éclairer l'histoire « soit sur » l'antiquité de la civilisation dans certains pays, soit sur les rapports » qui ont dù exister, dans les temps anciens, entre des peuples, depuis » séparés les uns des autres. » Je n'ai pas ici à exposer et à discuter les conséquences anthropolo- giques auxquelles peut conduire létude des animaux domestiques ; mais il ne sera pas inutile de donner du moins quelques indications générales, en reproduisant un passage du mémoire où j'ai pour la première fois abordé ce sujet (voy. les Compt. rend. de l’Acad. des sciences, 1837, t. IV, p. 670) : « Les animaux domestiques présentent dans toutes les modifications » qui les éloignent de leurs types primitifs autant de traces irrécu- » sables de l'influence et du pouvoir humain, dans les âges antérieurs : `» ce sont, en un mot, s’il mest permis de m’exprimer ainsi, des mo- » numents d'un genre particulier, monuments aussi durables qu'au- » cun de ceux auxquels on réserve ordinairement ce nom... D'où » découle manifestement la possibilité d'éclairer l'étude de l’homme » par celle des animaux domestiques. Ainsi, pour citet quelques » exemples, la détermination de la patrie originaire des espèces » peut jeter quelque jour sur les relations anciennes de diverses na- tions... En fixant l'ordre relatif de la domestication des espèces, oti » peut arriver à d'utiles inductions sur l'ancienneté relative de la - » civilisation chez divers peuples. Enfin, les idées émises pr divers p auteurs sur les analogies et les diversités, sur la commuhauté ou là » différence d’origine de certains peuples, peuvent être cohlirmées oli » infirmées, au moins dans quelques cas, par l'étude comparative dë » leurs animaux domestiques, aussi bien que par celle de leurs langues » et de leurs monuments de tout genre, » ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 1431 XIX. Les animaux domestiques, classés dans notre tableau selon leurs rapports zoologiques et leurs origines géogra- phiques, y sont en même temps distribués selon l’ordre chronologique de leur domestication. De là d’autres résul- tats dont le premier est celui-ci : Les espèces les plus utiles à l’homme ont été domes- tiquées non-seulement dès l'antiquité historique, mais dès l'époque la plus reculée de l'antiquité, dès leg temps anté- historiques. Cette proposition, vraie, sans aucune exception, pour les animaux, peut être étendue, sauf quelques réserves, aux végétaux. L'origine de la culture des principales plantes alimentaires, le blé, l'orge, la vigne, le dattier, se perd dans la nuit des temps, aussi bien que celle de la domestication du bœuf, du mouton, de la chèvre, du cheval, du chameau. Dès la plus haute antiquité aussi, on possédait une plante textile comme un insecte indus- triel : le lin est peut-être aussi anciennement cultivé que le ver à soie. Il devait en être ainsi. Les espèces utiles sont atx espèces de simple agrément ce que le nécessaire est au superflu. Aussi ont-elles de beaucoup précédé les autres. Dans le règne animal, la plupart des premières, et parmi elles, sans exception, toutes celles qu'on a si justement dites de première nécessité pour l'homme, ont été sou- mises par les peuples pasteurs de l'Orient. Ce sont les À 32 NOTIONS FONDAMENTALES; LIV. H, CHAP. IX. Grecs, amis du beau sous toutes ses formes, qui ont commencé à placer à côté des espèces utiles des espèces d'ornement : le faisan et le paon sont des trophées durables de leurs passagères conquêtes en Asie. C'est chez les animaux très anciennement domestiqués qu'on rencontre les extrêmes des modifications produites par la domesticité èt la culture : ce qu’on eùt pu annoncer à l'avance; car il existe des relations, faciles à saisir, entre l'ancienneté de la possession par l’homme d'une espèce animale, son extension à la surface du globe, le nombre et la diversité des conditions d'existence dans lesquelles elle a été placée, et le nombre et l'importance des variations qu’elle a subies. Eùt-on pu prévoir de même cet autre résultat de l'ob- servation des animaux domestiques? Chez ceux même qui ont le plus varié, on trouve encore des races très semblables au type primitif. Pour la couleur elle-même, à peine y a-t-il quelques espèces, et pas une seule parmi les oiseaux, où ne subsistent, dans une ou quelques races, les caractères des ancêtres sauvages. Cette per- sistance de la coloration primitive peut se rencontrer chez des animaux à d’autres égards très modifiés ; elle reste parfois le seul indice d’une filiation partout ailleurs effacée par le temps. Nous avons, chez nous, parmi nos animaux les plus rustiques et les plus abandonnés à eux-mêmes, quelques- unes de ces races voisines du type primitif; mais la plupart d’entre elles existent chez les peuples encore barbares et surtout sauvages ; et chez ceux-ci, fait très digne de remarque, il n’y en a pas d'autres. Eh M gs Ne SG M ruiné + ire ds abs ~ i ~ - ge ee s caeiie aa San ia x iaeia a + ii 4 imee eaae 2 pes e r we para ne we i 7 i | oil ci TA T rer " ~ " — r m ani aaz pan SA es = es ; 1 L D os AE mène that ii ll | | | | | 1 4 | 14 $ 1 Je ORIGINES DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 133 Si bien qu’en comparant dans leur ensemble les ani- maux domestiques des différents peuples, on arrive à ces résultats dont le premier a depuis longtemps fixe l'at- tention : Où l’homme est très civilisé, les animaux domestiques sont très variés, soit comme espèce, soit, dans chaque espèce, comme race; et parmi les races, il en existe de très différentes entre elles, et de très éloignées du type primitif. Au contraire, où l’homme est lui-même près de l’état de nature, ses animaux le sont aussi : son mouton sans laine est encore presque un mouflon; son cochon res- semble au sanglier ; son chien lui-même n’est qu’un chacal apprivoisé; et ainsi des autres, s’il ena. Ou, en d’autres termes, et ce sont ceux dont je me suis servi pour exprimer cette relation lorsque je l’ai fait con- naître : | i Le degré de domestication des animaux est en raison du degré de civilisation des peuples qui les possèdent (1). Proposition qu'il est même possible de rendre plus (1) Histoire générale des anomalies de l’organisation, t. I, p. 249, 1832. Il n’est encore ici question que du chien. — Et article Domes- tication, Encycl. nouv., t. IV, p. 376, 1838, ou Essais de zool. génér., p. 306, 1841. — Voy. aussi une courte note insérée dans les Compt. rend. de l’Acad. des sc., 1850, t. XXX, p. 392, et relative à une communication de M. TRÉMAUX, čbid., p. 391. Sur le Nil Bleu, disait ce voyageur, les hommes ont les cheveux lisses, et les moutons sont . laineux; au contraire, un peu plus haut, et « là même où l’homme » prend des cheveux laineux, le mouton n’a plus de laine ; il est cou- » vert de poils. » Ce contraste, qui avait paru fort singulier, renire parfaitement dans le fait général que je viens d'énoncer. on RP TS enr TOE rarement a ilni tiea a aS úi PERTE RS aa a À rt Ses à ler ns x ar pre ages nat — ais l | Ill 13/1 NOTIONS FONDAMENTALES, t. I, CHAP, IX. générale : car des faits analogues se présentent dans le règne végétal, mais ici bien moins tranchés. Au dernier échelon de la vie sociale, l'homme, seulement chasseur ou pêcheur, peut bien avoir encore et a le plus souvent un ou quelques animaux domestiques ; mais il n’a pas de vé- gélaux cultivés; et, par oonséquent, nous n'avons pas à opposer ici au plus haut degré de la civilisation le terme extrême de la barbarie. Telles sont les premières conséquences des faits qui _ précèdent, et que nous aurons bientôt à reprendre, pour les considérer dans leurs rapports directs avec la question de l'espèce, p wú w X f VMUUUUULUVUYUVVUNUNNY YVYYVYYYVVVVVVYVVYVVYYVY VMYNNYNNN SINANIN CHAPITRE X. NOTIONS SUR LES MÉTIS, SOMMAIRE, — I, Nomenclature. Métis homoïdes et métis hybrides. Hybrides stériles ou IV. mulets. — Il, Crédulité des auteurs jusque dans le xvitr siècle, Prétendus hybrides d'animaux de deux classes, de deux ordres différents. — TII. Scepticisme exagéré des auteurs modernes, partisans du système de la fixité de l'espèce, Négation des unions mixtes à l'état de nature, et des hybrides bigénères. HYBRIDES RIGÉNÈRES fabuleux; très douteux; douteux. — V., Hybrides bigénères authentiques. Mammifères, Oiseaux. Exemples à l'état sauvage, . HYBRIDES CONGÉNÈRES. Mammifères. — VII, Oiseaux. Exemples à l'état sauvage. — VIII. Poissons. Insectes, . Hybrides végétaux, ; . Rapports des métis avec les types originels. Distinction proposée par Kant entre les métis de deux variétés, et ceux de deux races. Distinction entre les métis homoïdes et les hybrides. État variable des premiers. — XI, État mixte des hybrides, XII. APTITUDE A LA REPRODUCTION chez les métis, Fécondité des homoïdes, Prétendue infécondité des hybrides. — XIIT, Hybrides inféconds et peu féconds, Faux exemples de fécondité ; exemples contestables, — XIV, Hybrides féconds chez les mammifères, — XV. Autres hybrides féconds. — XVI, Objections contre la fécondité des hybrides, E: Après les êtres dont traite la tératologie, et ceux qui ont subi, en domesticité ou par la culture, des modifica- tions devenues indéfiniment héréditaires, viennent les métis, qui, à un point de vue général, peuvent aussi être dits anomaux ; car ils sont aussi, au moins par leur ori- gine, en dehors des règles ordinairement suivies par la nature, et présentent des caractères qui ne sont ceux d'aucune de ses formes permanentes, précisément parce qu’ils sont en partie ceux de deux, i F | M EE ee \ è 436 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP, X. Mais ici l’anomalie résulte d e causes d’un ordre par- ticulier, l'union de deux êtres d'organisation différente ; et si Bonnet a pu appeler les métis « des espèces de monstres » (1), ce serait tout à fait à tort qu’on assimile- rait la métivite à la monstruosité. Une similitude n’est pas une identité. Un grand nombre d'auteurs ont employé indifférem- ment, et emploient encore comme synonymes, les mots métis, hybride et mulet. Mais chacun de ces termes a sa valeur propre. Tous les métis ne sont pas des hybrides, tous les hybrides ne sont pas des mulets. Les Latins nommaient déjà mulus, comme chacun sait, l'animal que nous appelons mulet. Ce produit, ordinaire- ment infécond, de lâne et de la jument, est devenu comme un type autour duquel ont été groupés, sous le nom généralisé de mulets, tous les animaux, et même, par une nouvelle extension, tous les êtres organisés qui lui ressemblent, soit par leur origine mixte et leur infécon- dité, Soit même, sans origine mixte, par leur infécondité, comme les neutres des ruches et des guêpiers (2). L'application du nom de mulets à ces neutres, et de même aux bourdons non sexués, est depuis longtemps consacrée par l'usage, et fait voir que des deux idées (1) Considérations sur les corps organisés, Amsterdam, in-8, 1762, t 1, peitz. « Mulet, espèce de monstre quadrupède », dit aussi le Dictionnaire de VALMONT DE BOMARE, qu’on peut consulter et citer utilement comme expression des idées les plus généralement admises au xvi siècle. — Voy. le tome IX de l'édition de 4800, p. 94. (2) Vox. le Chap. VII, Sects vit, t. Il, p. 484. MÉTIS HOMOÏDES ET HYBRIDES. 137 qu’exprime ce mot, celle qui s’y rattache le plus essentiel- lement est encore celle de l’infécondité. Mulet, à moins de s'élever contre l'usage, et par là même de tomber dans de graves inconvénients depuis longtemps signalés par Buffon (L), doit done se dire, non de tous les êtres d’origine mixte, mais de ceux de ces êtres « qui n’engendrent point». Définition Qui est aussi bien celle de l’Académie française (2) que de la plupart des naturalistes. | ai jn Le mot hybride est aussi d'origine ancienne. Les Grecs appelaient déjà 560i (3), et les Latins, d’après eux, hybrida, ibrida, hybris ou ibris (4), l'animal engendré de deux _ (4) Des mulets, dans les Suppléments, t. II, p. 19, 1776. (2) Dictionnaire, 6° édit., 4835, (8) Yéoi, et non dpr. Ce dernier mot, qui signifie outrage, et par extension, viol, adultère, a été souvent confondu avec bGpts. L’hybride a été ainsi nommé, parce qu'on l’a considéré comme le fruit d’une union illégitime, d’une sorte d’adultère. De la même assimilation dérive le nom qu’on donne encore aux métis dans plusieurs langues: par exemple, en allemand, où Bastard est beaucoup plus usité, même dans les livres scientifiques, que le mot germanisé Hybrid. (4) Hybrida ou ibrida, même sens que têpis. « Hybridas ceu semiferos », dit cependant Prine, liv. VIII, LXXIX. Dans ce passage, le nom d’hybride est appliqué au produit d’un ani- i mal domestique et d’un animal sauvage, et particulièrement du cochon et du sanglier. Hybris, ou ibris (mot de la basse latinité), paraît avoir été plus spécialement employé dans ce dernier sens : Apris atque sue setosus nascitur hybris, ; ; (ou selon d’autres leçons, ibris); dit un auteur du var‘ siècle, EUGENIUS le jeune, dans une curieuse pièce de vers, De ambigenis, qu'on trouve dans le recueil de ses opuscules (publié en 1649 par FIRMOND, a E ou 1 Rd. SES aasa enO er Borena en Eee + à e x 1668 5 = D = D a ne Léo ne es SRE se a" A ` ie A ins. Ea àj EES p aa n PSAE, VE j n E i st n P parea = ui = Sn à ah + mme = Dianaan aa aa O p nn = bà “ = : À Ta DE. LT pute E RUN A A og NE AR En er RE i a 438 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. X. espèces différentes. Les naturalistes ont depuis longtemps fait passer ce nom dans la science, en lui conservant la même signification, Plus tard, la découverte des sexes et de la fécondation chez les plantes en a fait un terme de botanique aussi bien que de zoologie (1). Le mot métis a un sens plus étendu que les précédents. Donné d’abord par les Européens établis en Amérique au fruit de l'union du blanc avec l’Indienne (2), il a été suc- cessivement étendu, par analogie, aux animaux et aux végétaux d'origine mixte, et aussi bien à ceux qui pro- viennent de deux races ou variétés {une même espèce, Paris, in-8, 4649), et dans d’autres ouvrages, tels que l’Historia naturæ maxime peregrinæ de NIEREMBERG, in-fol., Anvers, 1635, p. 90. (4) Voy. la thèse de HaARTMANN, Plantæ hybridæ (4751), dans les Amœnitates academicæ de Linné, Holmiæ, 1756, t. HI, p. 28. Haartmann , ou plutôt Linné, distingue (p. 84) les hybridæ bige- neres, issues de deux espèces de genres différents, et les congeneres, issues de deux espèces du même genre. (2) En espagnol, mestizo (c'est-à-dire mélé, mivtius). En latin (moderne), mestissus, et quelquefois mestindus et metifus. Au lieu de métis, quelques anciens voyageurs français ont dit métif. (Voy. LABAT, Nouveau voyage, in-12, 1722, t. IL, p. 192.) Ce même mot métif, métive (féminin encore employé au xvim siècle, et même depuis), ou plutôt mestif, mestive, avait cours dans la langue française, aux XVI° et xvit? siècles, avec le sens général que nous donnons aujourd’hui à métis, et de plus, comme nom parti- culier d’une race de chiens, le mátin, en anglais Mastiff; ce qui est presque notre vieux mot mestif. « Mastivus, nonnullis mastinus » , dit Ray, Synopsis methodica animalium quadrupedum, Londres, in-8, 1693, p. 176. D’autres auteurs voient dans mastivus une altération de mastinus qui paraît en effet plus ancien. Métiner est, comme on le voit, presque le même mot que métisser (terme de zootechnie) ; aussi a-t-il à peu près le même sens, MÉTIS HOMOÏDES ET HYBRIDES. 139 que de deux espèces distinctes; par conséquent, à tout tre organisé tirant son origine de parents non sem- blables ; à tout produit d’un croisement. En ce sens, qui est consacré par l'usage le plus géné- ral (1), les hybrides forment une des divisions principales des métis, celle des métis issus de deux espèces. Et à côté d'eux doivent être placés, comme seconde division, les métis qui proviennent de deux races ou variétés d’une même espèce. Nous désignerons sous le nom d’ho- moïdes (2) ces derniers métis, bien moins remarquables . á SL A G ei Fr < (1) Selon le Dict. de l'Acad. franç., 1885, « métis se dit d'ani- » maux, de fleurs, de fruits, nés du mélange de deux espèces, » Ce dernier mot est pris ici, comme on l’a fait si longtemps (voy. le Chap. V), pour sortes; ce que montrent bien les exemples cités : ` métis de chiens, poire métisse, etc. — Voy. aussi la définition toute récente du Diot, universel des sciences et lettres, par M, BOULET, 2e édit., 1855. Dans ce livre, qui donne très bien la terminologie ac- tuelle, le mot métis est, de même, appliqué à tous les produits mixtes « dans le règne animal comme dans le règne végétal ». La nomenclature n’est d'ailleurs pas si bien fixée qu'on ne trouve le mot métis appliqué en particulier par quelques auteurs aux métis de deux races ou variétés, et tout au contraire, par quelques autres, aux hybrides ou métis de deux espèces. — « Le métis est le produit fécond de deux races d'une même espèce », dit M. FLOURENS, De l'in- stinct el de l'intelligence des animauæ, 2° édit,, in-19, Paris, 1845, p. 420, — Pour Frédéric CuviER, au contraire, le métis est « l'indi- » vidu qui naît de l'union de deux espèces, » Exemples : le mulet, le bardot. (Voy. l’article Métis du Dictionnaire des sciences naturelles, t. XXX, p. 468, 1824. | BUFFON a employé le mot métis dans cette dernière acception. «Métis produits par le bouc et la brebis. Métis des serins et des autres » oiseaux », dit-il, loc, cit, — Un peu plus bas, ce mot est étendu aux plantes. , (2)Homoïdes, de ouaudn, qui est de la même espèce. ~ rentrer a a a + éd PS ae M AR E e k è D a Ea | . A =. \ de ho Fo ed LR a ae E ni Due RE CT US maiia a a CROP me A. dan A ma a a dde ete A dns ad A0 bone sn em" am mm nr 140 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, II, CHAP. X. que les hybrides au point de vue de la science théorique, mais dont l’étude est de la plus grande importance pour l Histoire naturelle appliquée. Il ne faudrait rien moins qwun livre tout entier pour faire l’histoire de tous les métis homoïdes ou hybrides déjà décrits, ou conservés dans les ménageries, les jardins et les musées. Il serait plus difficile encore d'analyser tous les travaux auxquels ils ont donné lieu, et auxquels ont pris part, chacun au point de vue propre à sa science, plus de quatre cents physiologistes, zoologistes, botanistes et agriculteurs. Mais nous n’avons pas plus à faire ici l’histoire com- plète des métis, que nous n'avions à traiter précédemment de tous les êtres anomaux : il nous suffira de réunir les faits propres à éclairer, entre toutes les questions qui pourraient se présenter, celles qui intéressent direc- tement la notion de l’espèce. Tel sera l’objet de ce cha- pitre : nous y suivrons la métivité, et particulièrement l'hybridité, dans les diverses classes du règne animal, et chez les végétaux (1); nous attachant à dégager la science de plusieurs erreurs trop longtemps admises, et surtout à déterminer, aussi exactement que le permet l'état de nos connaissances, le degré d’aptitude des métis à la reproduction (2), et leurs rapports de similitude avec leurs parents (3). (1) Mais seulement, chez ceux-ci, d’une manière sommaire, con- formément au plan de cet ouvrage (voy. la Préface). (2) Voy. les Sections XN, XIN, XIV, XV et XVI. (3) Sections x et xI. m HYBRIDES. Ant IL. On a longtemps admis. la possibilité d'unions fécondes entre des animaux d'organisations très différentes. Le moyen âge surtout a poussé, à cet égard, la crédulité jus- qu'aux dernières limites. C'était peu, pour les auteurs de cette époque, de faire naître d’accouplements hybrides des animaux vrais, tels que le camelopardalis, c’est-à-dire la girafe (1) ; ils croyaient à l'existence de monstres demi- humains et demi-animaux, issus du commerce de Phomme avec la vache, la chèvre, la truie, ou de la femme avec le chien, le bouc, et même le jars! Et ils y croyaient jusqu’à ii aux plus horribles supplices les parents présumés de ces monstres impossibles ! Au xvi? siècle encore, et peut-être plus tard, le bûcher se dressait pour ces malheureux : une femme dont l'enfant avait paru tenir du chien par quelques traits de sa conformation, fut brûlée à Avignon en 1543, en compagnie de son amant quadrupède ! « Una cum cane amasio vindicibus flammis facinus expiavit», dit Licetus dans son traité De monstris, livre très estimé et presque classique jusque dans Je xvne siècle (2). H Si le xvin' siècle a été exempt de ces horreurs, il ne l’a (4) à xapnkom 20) ahs viveror amd émmubias Coov érepeyevov, dit un auteur du xi*siècle dont MATTHÆI a publié le curieux manuscrit sous ce titre: Brevis historia animalium (græce), Moscou, in-8, 1811. (Voy. p. 24.) (2) Lib. II, cap. uvm. Édition d'Amsterdam, 1665, p. 186. A LES a ta Apii POE EE dédié a+ £ D a nd a D rt e \ cage >< A42 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. X. pas été entièrement des erreurs qui leur avaient donné naissance. Voltaire, et il n’était pas le seul parmi les phi- losophes de cette époque, croyait que « des femmes en- » ceintes de la façon des singes » avaient pu enfanter des « espèces de satyres» (Å); et plusieurs natura- listes admettaient, entre divers animaux, des unions fécondes, plus impossibles encore, Pour ne citer qu'un exemple, et pour le prendre dans les hautes régions de la science , Réaumur, témoin des « étranges amours d’une » poule et d’un lapin », espérait en voir naître « ou des » poulets vêtus de poils, ou des lapins couverts de » plumes (2). » Buffon, Haller, Bonnet, ont pris tous trois FC GRR. mue nr nuit asus ndlr De Ar daik taiata e a aii o ae ai a ER a a sanata miá e o (1) Voy. Les singularités de la nature (sans nom d'auteur). Bâle, in-8, 4768, p. 121. Dans notre siècle, l'existence d'hybrides humains a été rejetée, sinon par les voyageurs, du moins par les naturalistes, comme une grossière erreur: Quelques-uns cependant se sont tenus dans le doute, ou même ont incliné à admettre la possibilité d’alliances entre l’homme et les singes. — « Ces alliances sont, sinon impossibles, du moins fort y rares » , dit VirEY, article Races du Dictionnaire d'Histoire natu- relle de Déterville, nouv. édit, t. XXVII p. 504, 1819, — Plus près de nous, BORY DE SAINT-VINCENT dit encore, dans l’article Orang du Dictionnaire classique d'Histoire naturelle, t. XII, p. 274, 1827 : « On cite plusieurs exemples. de l'existence de métis,» nés de femmes enlevées et violées par de grands singes d'Afrique. Non-seulement il n’y a pas, dans la science, un seul exemple de l'existence de tels métis (voy. t. IT, Additions, p. 544); mais l’enlève- ment de femmes par des singes n’est établi par aucun témoignage digne d’être pris en considération. Il n’y a ici que des fables popu- jaires et des contes de voyageurs. On peut consulter à ce sujet lé mé- moire que j'ai récemment publié Sur le gorille, dans les Archives du Muséum d'Histoire naturelle, 1858, t. X, p. 58. (2) Art de faire éclore les oiseaux. Paris, in-12, 4749, te I; p: 322 | 2 ve + ou ms 2 A De de i E rs 2 nee a ai Tape a HYBRIDES. Au 143 la peine de discuter ce récit et cette prévision ; et Bonnet n'ose pas les condamner absolument : Réaumur, dit-il, avait « probablement trop espéré » (4). A côté de ces hybrides de deux classes différentes, les auteurs plaçaient une multitude d'autres métis nés de deux ordres de la même classe, mais non moins inad- missibles, en raison des diversités de taille ou d’organi- sation sexuelle qui séparent les espèces dont on les Supposait issus. Entre autres exemples, on a cru à l'union féconde du sanglier avec la chamelle (2), et l’on a admis l'existence de métis de coq et de cane, d’hybrides de singe et de chienne, de mulets de cerf axis et de laie : les premiers sont très sérieusement cités par Bonnet et par Haller lui-même (3); les seconds, par Blumen- (1) Loc, cit., t. IE, pe 251. - Linné lui-même paraît avoir cru, non-seulement à la possibilité, mais à l'existence de l’hybride prévu par Réaumur ; car il a laissé son élève HAARTMANN dire, dans les Amænit., loc. cit., p. 61: « Pullus » exclusus erat yallus lanatus, observante Reaumurio. » Il a été aussi question, dans le xvin° siècle, d’un pigeon à poil et à chair de lapin, « provenu d’une pigeonne couverte par un lapin ». Voy. les Remarques de Fabbé DICQUEMARE sur la possibilité de liai- sons étranges entre divers animauæ, dans le Journal de physique, 1778, t. XII, p. 242. (2) On y croyait encore au xvrr siècle. Voy. NEREMBERG, loc. cit., MTS | i (3) HALLER, Sur la formation du cœur dans le poulet, 2° partie, Lausanne, in-12, 4758, p. 189; et BONNET, loc. cit., t. 1, p. 24. Les pieds, dit Bonnet, étaient « parfaitement ressemblants à ceux d'un » coq ». — Cette histoire, ou plutôt ce conte a été introduit dans la Science par TAUBE, Beitrage zur Naturgeschichte des Herzogthums Zelle, t. IE, p. 257: Ce prétendu hybride de coq et de cane mest pas le seul qu’on ait EE ma x 4 * bx AA NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. X. bach (1); les derniers, de nos jours, par Hamilton Smith et par Morton (2). Et ces contes ne sont pas encore les plus incroyables de tous ceux auxquels on a cru et essayé de faire croire : Locke assure avoir vu un métis de chat et de rat (3); le peu scrupuleux Rafinesque parle de cinq chats didelphes, nés dans les admis dans le xvim* siècle. ScHOEPF, Reise durch die vereinigten nordamerikanischen Staaten, Erlang, 1788, in-8, t. I, p. 138, en mentionne trois autres. Jl dit avoir vu un de ces hybrides qui était semblable en avant au coq, et se rapprochait en arrière du canard. Dans notre siècle, ce métis et celui de Taube ont été encore admis par quelques auteurs. MECKEL lui-même semble porté à croire à las- sertion de Schæpf (voy. son Anatomie comparée, 1821, t. I, p. 309; trad. franç., p. 404). Un prétendu métis de coq pintade et de cane est mentionné par M. SCHEIDWEILER, Sur les principes des croisements, dans le Journal vétérinaire de Belgique, et le Journal (français) des haras, ann. 4848. Pour ce dernier journal, voy. t. XLV, p. 440. (1) De generis humani varietate nativa, édit. de Gættingue, 1784, p. 9. : (2) Suit, Horses, dans The Naturalist's Library, t. XII, 1841, p. 340. . Le nom de cerf-cochon, sous lequel les naturalistes désignent habi- tuellement le cervus porcinus, paraît avoir donné lieu à cette erreur, que je ne rappellerais même pas, si le Hog-deer de Smith n’avait été admis par des auteurs ordinairement plus scrupuleux que lui; entre autres par G. Morton. — Voyez son mémoire intitulé : Hybridity in Animals, dans The American Journal de SILLIMANN, 2° série, 1847, t. IH, p. 43 (travail que l’on consultera d’ailleurs avec fruit .sur d’autres points, ainsi que la suite insérée, Jbid., p. 203). (3) Human Understandig, liv. IJI, chap. vi, 28. «I once saw », dit Locke. — L'illustre philosophe cite ce prétendu hybride pour prouver que nous n'avons «aucun sujet de croire im- possible » que des femmes aient été fécondées par des singes. Pour ce même prétendu hybride, voy. DIGQUEMARE, loc. cit., p. 2138. (3 HYBRIDES. 145 bois du Kentucky (1), et l’on ne s’est pas fait faute d'expliquer la naissance, dans le Massachusetts, de quel- ques agneaux à membres très courts, par le commerce des brebis dont ils étaient nés avec les loutres des rivières du voisinage (2)! | EN | Après ces hybrides impossibles, on a rejeté de la science les cinq produits mixtes de solipèdes et de ru- minants, désignés par les auteurs sous le nom de jumarts : d'abord, et sans hésitation, ceux qui naîtraient fréquem- ment, à en croire divers auteurs, de l’union de la vache avec l’âne(3) ou avec le cheval (4), et quelquefois de celle (1) Sur quelques animaux hybrides, dans les Annales yénérales des sciences physiques de Brucelles, t. VII, 1820, p. 85. (2) HUMPHREYS, On a New Variety in the Breeds of Sheep, dans les Philosophical Transäctions de Londres, 1813, p. 85. L'auteur ne présente qu'avec beaucoup de réserve cette explication de la naissance de lancon ou mouton-loutre (Otter-breed), animal dont on a fait depuis une race. — J'ai vu un semblable mouton basset, né en France. Après tous les contes qui précèdent, citons encore, à cause de la classe dont il s’agit, et où nous ne connaissons authentiquement aucun métis, une conjecture de TREVIRANUS (Biologie, t. III, p. 445, 1805), relative à de prétendus hybrides de grenouilles et de sala- mandres, dont on aurait vu paraître une multitude en Silésie, à la Suite d’une inondation. Voyez, pour le fait quia donné lieu à cette inadmissible conjecture, KUNDMANN, De singulari eluvie, dans les Acta Academiæ naturæ curiosorum, t. V, P. 366; 4740. , (3) SHAW, Voyage en Barbarie, in-4, la Haye, 1743, t. I, p. 309, parle de ce jumart comme d’une « petite bête de charge, de fort grand usage » en Barbarie, où on l'appelle Kumrah. C’est, sans nul doute, ou un bardot, ou un petit mulet, — BUFFON, loc. cit., p. 38, se montre très disposé à admettre le jumart d'âne et de vache. (4) Union hybride très vaguement indiquée par les auteurs. Je n’en LIL. 40 146 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. de la jument avec le cerf (1); mais aussi, après de longs débats, le jumart d’ânesse et de taureau, et même le ju- mart proprement dit, fruit de la fécondation de la jument par le taureau, L'existence de ce dernier hybride a été souvent attestée depuis trois siècles; il ne serait même pas rare, assure-t-on, dans le Dauphiné et dans le Pié- mont (2). Le savant Bourgelat dit l'avoir possédé, dis- séqué, et vu disséquer à l’école vétérinaire d’Alfort, et, sur ce grave témoignage, Haller a fini par lad- mettre, après l'avoir nié. Son existence paraissait aussi à Spallanzani très digne de foi, Mais on ne l'a que très vaguement décrit. On ne lui a jamais assigné un seul ca- ractère zoologique ou anatomique, vraiment étranger au type des solipèdes. On n’a pu le montrer auæ naturalistes, ou on ne leur a fait voir, sous le nom de jumart, qu'un bardot ou même un mulet ordinaire : et tous s'accordent aujourd’hui à laisser en dehors de la science ce produit, extrêmement douteux, sinon décidément fabuleux, d’une union qui est d’ailleurs loin d’être sans exemples (3). connais pas un seul qui dise avoir vu lui-même le jumart de cheval et de vache. (4) NIEREMBERG, loc. cit. — Voy. aussi le Bulletin des sciences naturelles de FÉRUSSAC, t. XI, p. 405, 1827, et le mémoire de SCHEIDWEILER, loc, cit. (2) Les jumarts de jument et d’ânesse seraient connus en Piémont sous les noms de Baf (celui de la jument) et de Bif (celui de l’ânesse); ` selon J. LÉGER, Histoire générale des églises évangéliques du Piémont, Leyde, in-fol., 1669, p. 7. {3} Sur les jumarts, et particulièrement sur le jumart proprement dit, voyez, entre autres auteurs: BLUMENBACH, De jumaris eæcursu; dans le De gen, hum. var. nal;, p. 42. | Et dans notre siècle : TuppuTI, Lettre sur la physiologie vétérinaire, HYBRIDES. 147 M, Si les anciens, les auteurs du moyen âge et quelques modernes ont poussé jusqu'aux dernières limites la cré- dulité à l'égard des métis, n’atrait-on pas, de nos jours, exagéré le sceplicisme ? Est-ce à bon droit i qu'après toutes les éliminations qui précèdent, après le rejet de tous les métis de deux classes ou de deux ordres, on en est venu à rétrécir encore le Chanip de la génération hybrides à n'y plus laisser place qu’à de rares exemples, observés dans des circonstances exceptionnelles ? C'est Cuvier surtout qui a fait prévaloir dans notre siècle ces vues nouvelles. La limitation des phénomènes de lhybridité à un très petit nombre de cas a paru une conséquence presque nécessaire de la fixité, de l’im- mutabilité de Pespèce ; et Cuvier n’a pas hésité, non-seu- lement à tirer cette conséquence, mais même å rejeter, en dehors de l’ordre de la nature, les naissances dans les Annales de l’agriculture française, t. XXXI, 4807, p. 204 et suiv. L'auteur résume ici tous les témoignages qui lui paraissent mettre hors de doute l'existence des jumarts, Il convient, du reste, n'en avoir « jamais vu » un seul. — HUZARD, Réponse à M. Tupputi, Ibid., p. 237. — Et Turpunt, Réplique à une letire de M, Huzard, Paris, in-8, 1808, avec figures d'un des prétendus jumarts de Bourge- lat. — Où trouve rappelé et discuté dans Ces trois écrits à peu près tout ce qu'on pouvait dire alors pour et contre l'existence du jumart. Au- cune publication importante n’a été faite depuis sur le même sujet. Pour des exemples d’accoupleméiit stérile du taureau avec la jument, voy. BUFFON, loc, cit., p: 37. Selon lui, «la nullité du produit », dans les cas qu'it rapporte, prouverait « qu’au moins dans notre ii le à) taureau n'engendre pas avec la jument. » - die rares 141 12! EE ER | 4: p à | L 115! lai 41 f PE o Me + a De ra an AnS NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. hybrides et même les unions mixtes dont elles résultent. « La nature, dit-il, a soin d'empêcher l’altération des » espèces qui pourrait résulter de leur mélange, par » aversion naturelle qu’elle leur a donnée; il faut toutes » les ruses, toute la puissance de l’homme, pour faire con- » tracter ces unions, même aux espèces qui se ressemblent » le plus (4). » Cuvier n’a été, sur aucun point de sa doctrine, plus fidèlement suivi par ses disciples. Les hybrides, dit Fré- déric Cuvier « ne sont point, à proprement parler, des » êtres naturels ; ils sont essentiellement le produit de » Part... ; sans artifice, ou sans désordres dans les voies » de la Providence, jamais leur existence n'aurait été con- » nue.» Les hybrides ne peuvent naître, ajoute l’auteur, « sans une interruption dans les lois générales (2). » « Si l’on se représente », disait de même Duvernoy il y a peu d'années, «le désordre qui serait la suite de ce mé- » lange fécond qui modifierait les espèces, on en conclura » logiquement que les espèces ne se mêlent pas dans leur » état de complète liberté... C’est Phomme seul qui pro- » voque toujours ces rapprochements forcés... L'animal a » l'instinct de se rapprocher de son espèce et de s’élor- » gner des autres, comme il a celui de choisir ses ali- » ments et d'éviter les poisons (ò). » (4) CUVIER, Ossements fossiles, Discours préliminaire (édit. in-4 de 1821-1823, t. I, p. LIX). (2) Fr. CUVIER, Histoire naturelle des mammifères, article sur un mulet de macaque, 1830. (3) Dictionnaire universel d’ Histoire naturelle, t. X, 1847, art. Propagation, p. 545 et 547. HYBRIDES, 4h49 En d’autres termes, et c’est sous cette forme que les vues de Cuvier et de son école sont ordinairement résu- mées: il ne se produit d’hybrides qu'entre animaux réduits À l’état domestique, où tout au moins privé (A). Et chez ces animaux eux-mêmes, l’hybridité ne serait possible qu'entre espèces très rapprochées par les rapports naturels : aussi rapprochées que peuvent l'être des êtres spécifiquement différents. « Pour que la femelle soit fé- » condée par le mâle d’une autre espèce, dit Frédéric » Cuvier (2), il faut que toutes deux appartiennent à un » même genre naturel. » Idée que M. Flourens a reprise, en la précisant encore mieux, en ces termes (3) : « Les » espèces seules du méme genre produisent. Le ta et » le chien, de genres si voisins, mais de genres différents, » ne produisent pas. » Cette opinion n’est pas e encore la plus restrictive qu’on ait récemment émise. Selon G. Morton, dans ses der- niers travaux, la fécondité ne serait possible qu'entre les espèces alliées E surtout voisines du même genre. (4) Encore cette formule n'a-t-elle été admise que récemment. On était d’abord bien plus absolu. On voulait (opinion encore soutenue en 1835, par M. MARCEL DE SERRES, dans la Revue du Midi, t. IK, P. 345) qu’il ne püt y avoir @’ hybrides qu'entre des espèces, toutes deux ou une au moins à l’état de domesticité, — Contre cette erreur, voy. F. Cuvier, Hist. nat. des mamm., art. sur les chacals métis, 1821, et FLOURENS, Travaux de G. Cuvier, Paris, in-19, 1841, p. 265. M. Flou- rens cite ici en exemples des métis de lion et de tigresse, nés dans une ménagerie ambulante. — Pour ces métis, et pour un grand nombre d’autres exemples, voy. les Sections 1v à vm. (2) Dict. des scienc. nat., loc. cit. (3) De Vinst. et de lintell. des anim., p. 195. Voy. aussi ide même ouvrage, p. 424, et Trav. de Cuvier, p. 263. 150 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP, X, Les autres, ou les espèces éloignées, ne produiraient jamais d'hybrides (1). I wy aurait donc, selon Frédéric Cuvier, M. Flourens, et Morton, et selon un grand nombre d’autres natura- listes, que des hybrides congénères (2), et point de bigé- nères (3). Encore les premiers seraient-ils « en très petit nombre », ajoute Frédéric Cuvier ; ce qui doit être, si les métis, comme il le veut, et comme le veut son illustre (1) Les termes employés par l’auteur sont les suivants : proximated, allied et remote species. Les hybrides des espèces voisines seraient féconds; ceux des espèces seulement alliées seraient inféconds. Voy. Types of Mankind, par G. MontoN (œuvre posthume), Norr et GLIDDON, Londres, gr. in-8, 1854, ps 84 et 375, Morton n'est arrivé à ces vues que dans les derniers temps de sa vie. Voyez, pages 144, 152 et suiv., les citations relatives à un travail antérieurement publié sur l'hybridité par le célèbre anthropologiste américain, : (2) Pour les mots congénères et bigénères, termes depuis longtemps introduits en botanique par Linné, voy. p, 438, note 4, (3) « Cette règle », disait déjà RAFINESQUE en 1820 (loc. cit.,) «est » à peu près reçue maintenant comme axiome, » Ce prétendu axiome a cependant trouvé des contradicteurs. Voy. Burnac, Physiologie, Leipzig, in-8, t. 1, p. 462, 4826; trad: franc. par JOURDAN, t. H, p: 483. « Un accouplement fécond », dit Burdach, ou plutôt son traducteur, en termes plus précis que les siens, « peut » avoir lieu entre des individus appartenant à deux genres différents. » Mais Burdach ne cite à l'appui de son assertion qu'un très petit nombre d'exemples, tous inadmissibles où pour le moins douteux, comme l'hybride du cerf et du bœuf, du chamois et de la chèvre, etc. Ces deux exemples, et d’autres, sont empruntés au Neujahrsgeschenk für Jagdliebhaber, recueil peu digne de la confiance que Burdach parait lui avoir accordée. Quelques autres indications, puisées à d'autres sources, n’ont pas plus de valeur. J Après toutes les restrictions qui viennent d'être indiquées, en voici une autre encore, mais telle que personne n'a pris et ne prendra là HYBRIDES. 151 frère, sont étrangers à l’état de nature et dus seulement à l'intervention de l’homme, à sa « puissance », a ses « artifices ». | Plus grande est l'autorité des naturalistes qui ont émis ces assertions et les ont jusqu'à ce jour maintenues dans la science, plus nous devons dire qu’elles ne sont pas fondées. Nous ignorons, disait Bonnet il y a un siècle, quelle « latitude » on doit accorder à la fécondité des unions hybrides, et « l'expérience seule peut nous la faire connaître » (4). Nous n’oserions dire encore qu’elle l’a complétement fait; mais du moins nous met-elle en droit de dire qu’il faut de beaucoup reculer les limités assignées à cette latitude par l'école de la fixité de l'espèce : l'hybridité n’est ni rare, ni étrangère à l'ordre de la nature, ni limitée aux espèces d'un même genre naturel. IV. C'est par les faits que nous allons justifier ces trois propositions, mais non par {ous ceux auxquels on a donné place dans la science. Pour faire le choix de nos preuves selon les règles d’une sage critique, il faut, après le rejet en masse des prétendus métis de deux ordres, et surtout de deux classes, éliminer encore, par un examen de dé- peine de la réfuter. Selon un auteur tout récent (Revue de zoologie, 1852, p. 509), la possibilité de l’hybridation serait limitée aux espèces chez lesquelles les spermatozoïdes et les ovules ont entre eux «une sympathie réelle et réciproque» ! (1) Loc. cit.,:p, 250. 452 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV., 1, CHAP. X. tail, un grand nombre d’hybrides seulement bigénères ; les uns manifestement fabuleux, parfois même absolument impossibles ; d’autres seulement douteux. Au nombre des premiers, parmi lesquels il suffira de citer quelques exemples, nous placerons ces métis de tigres et de chiennes, auxquels croyait l'antiquité, et Aristote lui-même (1): la crocuta ou crocotta (2), et Pono- lycus (3), fruits de l'union de l’hyène, l’une avec la lionne, l’autre avec le loup ; et, pour citer aussi, après ces vieilles fables, une erreur contemporaine, le métis du taureau et de la brebis (4). Non-seulement l’existence de ces divers hybrides n’est établie par aucun témoignage Sérieux ; mais les unions qui leur auraient donné naissance sont physiquement impossibles, en raison des différences d’or- ganisation ou de taille qui séparent les prétendus pa- rents. Les hybrides du chevreuil et de la chèvre, de la chèvre et du lama, sont physiologiquement moins inadmissibles. Mais sur quelles preuves repose l'existence, certaine, dit (1) Non cependant sans faire quelques réserves (voy. l'Histoire des animauæ, liv. VIIL, XXVIN). — PLINE copie le passage d’Aristote en supprimant les réserves (voy. Historiæ naturalis lib. VIII, LXI). NIEREMBERG, loc. cit., admet, au xvr? siècle, non-seulement le tigre-chien, mais aussi le lion-chien. (2) Ou encore, selon une autre leçon, corocotta (voy. PLINE, lib. VII, XLV); passage où Pline oublie qu’il a déjà fait naître (cap. xxx) la crocotte de la chienne et du loup, d’après un passage de CTÉSIAS sur le Cynolycus. (3) Ovéauxos (pour Yatvéruxce?). Brev. hist. anim. (græce), p. 1et 61. (4) Ce métis a été admis par G. MORTON, Hybrid. in Anim., loc. cit., p- 43, d’après le Dictionary of Literature and Science de BRANDE, art. Hybrid, HYBRIDES BIGÉNÈRES. 153 Meckel lui-même (1), de ces deux métis? Celle du che- vreuil-chèvre, sur le témoignage d’un auteur, Hellenius, qui n’a pas écrit un seul mot de ce qu’on lui prête (2). _ Et celle du lama-chèvre, sur un passage du savant Mat- thiole (3), qui parle, ilest vrai, de l'accouplement du lama avec la chèvre, mais pour le dire stérile (4)! Pour d’autres métis, s’il n’est pas permis de nier, il y a du moins lieu de douter. On a Souvent, mais vaguement, parlé de métis de chiens et de chats, et nous avons vu nous-même deux de ces prétendus hybrides : leur examen, fait seulement sur de jeunes animaux vivants, ne nous à pas plus convaincu que les indications données par les auteurs (5). Les métis du chatet de la fouine, du chat etde la marte, qu'ont mentionnés quelques naturalistes, ne nous semblent pas mieux à l'abri du doute (6). Ceux de l’ours (1) Loc. cit., p. 310, et trad. franc., p. 403. (2) Voy. plus bas, p. 155. Voy. aussi BECHSTEIN, Gemeinnützige Naturgeschichte Deutsch- lands, Leipzig, in-8, t. I (1801), p. 491. Vague mention du croise- ment fécond du chevreuil avec la chèvre, et aussi avec le mouton. (5) Epistolæ medicæ, Lyon, in-42, 1564, lib. V, p. 630. Le lama est appelé par l’auteur ERLOA umo. (4) « Non concepere capræ, » dit expressément MATTHIOLE, p. 631, (5) Il est bon de rappeler ici que SPALLANZANI à essayé, mais en vain, d'obtenir des hybrides de chiens et de chattes, par les procédés de la fécondation artificielle (voy. Lettera, dans les Opuscoli scelti de Milan, t. VI, p. 76; 1783). — Spallanzani remarque judicieusement que ses insuccès ne prouvent nullement l'impossibilité de réussir dans d’autres expériences. | | Le métis de chien et de chat est placé par HALLER (Elementa phy- Siologiæ, t. VIII, p. 8) sur la même ligne que les hybrides de chien et de singe, de chat et de lapin, et autres manifestement fabuleux. (6) Je ne vois que des chats d’une robe particulière, soit dans les den E JA z PERE, - 154 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. X. êt de la chienne, du renard d’ Amérique et du raton, sont bien moins admissibles encore; ce dernier n'est qw'in- diqué par Rafinesque (1), et eût-il affirmé, on sait ce què valent ses affirmations. Parmi les ruminants, l'illustre chirurgien Larrey (2) parle d’une vache fécondée à Terre- Neuve par un caribou (Cervus canadensis); mais la question de paternité reste ici très indécise; et divers hy- brides de cerf et de vache, mentionnés soit par le même chirurgien, soit par d’autres auteurs, ne sont pas mieux mis hors de doute (3). Nous en dirons même autant d'un cas d'hybridité qu’on a presque toujours cité comme aussi au- thentique que curieux : Hellenius et Holmberg auraient suivi, durant plusieurs générations, la descendance d’une prétendus chats-fouines de PALLAS (Zoographia rosso -asiatica , Pétersbourg, in-4, 1824, t.I, p. 87); soit dans les chats-martes dont VSEVOLOJSKI a présenté la quatrième génération à la Société des naturalistes de Moscou, et qui, bien qu'autrement dénommés, étaient les descendants des précédents. — Voy. Sur un chat-marte, dans les Mémoires de cette société, t. I, p. 249, 1806, et par extrait, dans les Ann. gén. des se. phys. de Bruxelles, t. II, p. 389; 1890. (1) Loc. cit., p. 86. Pour le prétendu hybride d'ours et de chienne, voy. J. A. FISCHER, Naturgeschichte von Livland, Kænigsberg, in-8, 14791, p. 146. — BECHSTEIN (loc. cit., p. 702), et à son exemple, plusieurs autres auteurs, ont admis cet hybride, qui aurait été fécond. (2) Mémoires de chirurgie et campagnes, t. I, p. 30; 4842. (3) Voyez, entre autres, le cas récemment publié dans les Sitzungs- berichte der Akademie der Wissenschaften de Vienne, t. XII, 4854, p. 444, et (travail de M. FrrziNGER), p. 163. — A l’occasion de ce prétendu hybride, M. Hyrr£ a donné. Zbid., p. 143, un travail étendu sur les métis: Burrox avait un instant cru à l'existence d’hybrides de cerfs et de vaches, comme on le voit par un passage de l’ Hist. nat. des oiseaux, t. IV, p- 15; 1778. HYBRIDES BIGÉNÈRES. 155 chevrette (Cervus capreolus) fécondée par un bélier (4). La prétendue chevrette, sujet de ces observations, faites en Finlande, y aurait été amenée de Sardaigne : ne serait-ce pas une mouflonne? Cette dernière espèce était encore bien peu connue en Finlande, il y a soixante ans, et des médecins ont pu s’y tromper (2). Plusieurs auteurs citent aussi, d’après Sparrman, des hybrides de phacochère et de truie, nés dans une ferme de l'Afrique australe. Mais Sparrman n’a pas vu lui-même ces métis (3), et le phacochère-cochon reste très douteux. Le même croisement a été ‘essayé en Hol- lande, et n'a pas donné de résultats. L'insuccès de cette expérience ne saurait d'ailleurs autoriser une conclusion négalive générale. : Au nombre des hybrides douteux, devons-nous placer aussi ceux du chien et du renard ? Leur existence est bien moins invraisemblable que celle de Ja plupart des métis précédents, en raison des rapports qui unissent les genres Canis et Vulpes; et elle a pour elle l'autorité de bien grands noms, celle d'Aristote dans l'antiquité, de Pallas (1) HELLENIUS (præses) et HOLMBERG (respondens), Cogitationes quædam de animalibus hybridis, Aboæ, in-h, 1798. RUDOLPHI, qui attachait Ja plus grande valeur à cette observation, en a donné plu- sieurs extraits dans divers ouvrages, particulièrement dans un travail étendu sur les métis, qui fait partie des Beytrüge zur Anthropologie, Berlin, in-8, 4819, p. 165. (2) Cette conjecture a déjà été émise dans le Catalogus bibliothecæ ` J. Banks, Londres, in-8, t. 11, 1796 (voy. p. 496). L'auteur, DRYANDER, ajoute, d’après CETTI, qu'il n’y a point de chevreuils en Sardaigne. (8) Comme il le dit lui-même, Voyage au cap de Bonne-Espérance, chap. X; trad. franç. de Le Tourneur, Paris, in-8, 1787, t. I, p. 214. ‘ ne D me md map og PR de gr y D a ne + 50 og sed de à 156 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. X. et de Daubenton dans le xvme siècle, de Blumenbach dans le nôtre (4). Mais, en science, les plus grandes autorités sont- insuffisantes, si elles ne s'appuient sur des faits avérés, et nous n'avons pas encore ici une seule obser- vation exacte ! | Enfin nous ne tenons pas non plus pour certaine l'existence des métis de chèvre et de chamois, si sou- vent atteslée, mais toujours, jusqu'à présent, par de vagues assertions ou par des témoignages dont l'extrême brièveté ne permet pas de contrôler les éléments (2). (1) Voy. ARISTOTE, loc. cit., liv. VIII, xxvur. Le chien de Laconie vient, dit-il, d'un renard et d’une chienne. — DAUBENTON, dans PHist. nat. de BurroN, t. V, p. 236, 1775, et surtout dans un dis- cours prononcé à l’École vétérinaire d’Alfort dont BERNARDIN DE SAINT-PIERRE donne le résumé dans son Mémoire sur un projet de Ménagerie (Paris, in-12, 1799, p. 54). « Il résulte des observations de » Daubenton », dit Bernardin. Mais il ne donne pas les observations sur lesquelles il s'appuie. — Partas dans plusieurs de ses ouvrages, et particulièrement dans sa Zoograph. rosso-asiat., loc. cit., p. 58 et 61. — BLUMENBACH, loc. cit., p. 6. « Non est quod dubites », dit l’auteur, et il cite des descendants, encore existant à Gœttingue et vus par lui-même, d’un renard femelle, fécondé par un chien. Mais Pori- gine avait-elle été authentiquement constatée ? Dans notre siècle, l’existence du chien-renard a été de même admise comme certaine par plusieurs auteurs. Voyez, entre autres, MECKEL, loc. cit., p. 310, et trad. franç., p. 403. HALLER (Elem. phys., t. VII, p. 8) avait cru devoir se borner à dire : « Ex vulpe et catella, satis probabiliter », et tel nous paraît être encore aujourd’hui l’état de la science. (2) Voyez, par exemple, BERTHOUT VAN BERCHEN, Lettre, dans le Journal de physique, t. XXIX, p. 75 ; 1786. Berthout, qu’on a cité comme très prononcé contre ce cas d’hybri- dité; dit positivement lavoir constaté. Mais il ne justifie point son assertion, HYBRIDES BIGÉNÈRES. 157 Quant aux chamois-chèvres qui nous ont élé présentés “en divers lieux, il en est dont les caractères nous ont paru nn | mixtes entre ceux des espèces dont on les disait issus ; d d f mais sans que les ressemblances avec le chamois fussent ' | assez prononcées pour autoriser une conclusion absolu- : M ment certaine (1). a Parmi les oiseaux, on aurait, selon G. Morton (2), un fl exemple de croisement fécond entre le rossignol et le || canari femelle. Mais, s’il y avait eu société entre ces deux | 4 oiseaux, et si l’un s'était accouplé avec l’autre, rien n'établit qu'il l’eût fécondé. L'œuf pondu par la serine, | l'auteur le dit lui-même, ne vint pas à éclosion (3): ce | n’était, selon toute apparence, qu’un de ces œufs clairs i que pondent même les femelles sans måles. | L'hybridité du coq avec le grand tétras, celle du dindon avec ces deux espèces et avec les hoccos, sont moins invrai- semblables, mais nous ne voyons pas qu’elles soient mieux attestées. On invoque à l'appui du premier de ces croise- ments l'autorité de Bechstein, mais nous avons en vain cherché dans les ouvrages de ce célèbre ornithologiste H l'affirmation qu’on lui prête. Les croisements du dindon 4 A avec le coq et les hoccos, et celui du même oiseau avec | mis «tr phil à mae Que me (1) Sur d’autres hybrides fabuleux ou douteux, cités par divers au- teurs, voyez le savant travail de HYRTL, loc. cit., p. 449 et suiv. L'auteur rejette plusieurs de ces métis, ou en révoque l'existence en doute. Parmi ceux qu'il admet, plusieurs ne nous paraissent pas plus | authentiques que ceux qu’il élimine. : (2) Hybrid. in Animals, loc. cit., 2° partie (Birds), p. 206. i | g | | Í pole i a (3) « That could not be hatched. » -- Et il w y avait pas de fœtus ; l’auteur en aurait fait mention. Dé AEE N E N Er CE 158 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. X 4 mm la poule, sont admis par des savants d’une grande autorité ; les premiers par Temminck (4), et le dernier par Meckel (2), mais sans que ni l’un ni l’autre de ces auteurs cite un seul fait. I} faudrait ici des observations, et nous ne trouvons que des assertions. Nous voyons encore mentionné, et au moins avons- nous ici une deseription et une figure, un hybride de dindon et de faisan, tué sauvage en Angleterre vers le milieu du xvme siècle, et que George Edwards a fait connaître avec soin, revenant même à deux reprises sur cet oiseau (3). Mais ici s'élèvent des difficultés. L'origine, admise par Edwards, n'est point directement établie, mais seulement déterminée d'après des carac- tères de forme et de plumage qui ont paru mixtes entre eeux du faisan et du dindon. Nous croyons cette déter- mination juste. Mais elle n'est pas si bien mise hors de doute, qu’elle n'ait trouvé des contradicteurs. Buf- fon (4) admet, dans ce eas, l’union du faisan et du grand tétras, au lieu de celle du faisan et du dindon ; et Tem- minek (5) partage cette opinion qui tend, du reste, à donner plus d'intérêt à l'observation d'Edwards; car ag ĝi { i W =. | eme paa e Da nr (1) Histoire naturelle des pigeons et des gallinacés, Amsterdam, in-8, t. III, p: 75, 1818. | (2) Loe. cit., p. 404, d’après de vagues indications qui he méritaient pas d’être relevées par cet illustre anatomiste. ` (3) Voyez An account on æ Bird, dans les Philo Transact. de Londres, t. LE, part: HE, p: 833, 4764 ; et Glanures d'Histoire naturelle, Londres, in-4, 3° part:, p. 267 ; £764. (4) Hist: nat. des oiseaux, t: 1E, p. 160. (5} Loe: eit., p. 339. Temminck copie ici textuellement Buffon, qu’il oublie de citer: HYBRIDES BIGÉNÈRES. 199 les faisans sont, dans la série ornithologique, bien plus loin des tétras que des dindons. | Un croisement plus remarquable encore que le précé- dent, et auquel pourtant il n’y a pas moins lieu d'ajouter foi, est celui d’une espèce du groupe des Anas et d'un harle, Anas clangula (Clangula vulgaris de plusieurs ornithologistes récents), et le Mergus albellus; ou, selon leurs noms vulgaires, le garrot et la piette. Il s’agit encore * ici d’un hybride tué à l’état sauvage (4), et par conséquent dont l’origine n’a pu être déterminée que par des simili- tudes sur lesquelles on peut ne pas s'accorder, Aussi + s'est-il produit des opinions contraires, discutées, à plu- | sieurs reprises, dans des réunions d’ornithologistes alle- mands, Où la plupart ont vu et voient des individus hybrides (2), quelques-uns ont cru à une espèce distincte à la fois des harles et des canards, et si bien intermédiaire entre les uns et les autres qu’on l’a tour à tour nopimée Mergus anatarius (3), et Anas clangula mergoïdes (h). Nous partageons entièrement, pour notre part, F opinion de la grande majorité des ornithologistes allemands, et (1) Trois individus, deux mâles et une femelle, ont été pris sur divers points de l’Europe, en 1825, 1829 et 1843. (2) Voyez le savant mémoire de M. GLOGER, Ueber Neigung zum Verbastardiren, dans le Journal für Ornithologie de M, CABANIS, 1854, p- 405.—Voyez aussi SÉLYS-LONGCHAMPS, Récapitulation des hybrides observés dans la famille des anatidés, dans les Bulletins de l Académie des sciences de Bruæelles, t. XIL, part. II, p. 354, 1845: et surtout Additions, ibid., t. XXIII, part. IE, p. 21; 1856. MM. TATRY Naumann, Baldamus, croient aussi à F hybridité. (3) EmmBECcx, dans l’Isis, 1831, (4) KJAERBOELLING, dans la Naumannia, 1853, p: 327: PR A ia ie ir ea A x aisan A a a - o anae mamaia me mms ct Re A < M ~ DE ES LAB T i ? f | à i { $ 160 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. nous croyons que le harle-garrot ne tardera pas à être inscrit, d’un accord unanime, sur la liste des hybrides authentiques (1). V. Les nombreuses éliminations que nous venons de faire sont loin d’avoir épuisé la liste des hybrides bigénères. Nous allons en trouver plusieurs, parmi les mammifères, et presque un grand nombre, parmi les oiseaux, à l'égard desquels on ne saurait élever le moindre doute. Dans la première de ces classes, l’hybridité bigénère est surtout connue chez les ruminants. Non-seulement, parmi les Bos de Linné, la vache est fécondée par l’yak, espèce génériquement différente, selon plusieurs auteurs (2), et (4) Nous laissons de côté les prétendus hybrides de grenouilles et de crapauds, mentionnés par plusieurs auteurs, entre autres par BurDACH, loc. cit., p. 462, trad. franç., p. 183, et par G. MORTON, Hybr. in Anim. , loc. cit., p. 208.— L'origine de ces fausses indications est dans un passage, lu avec inattention, des Kleine Schriften de BLUMENBACH, Leipzig, in-12, 1800. Cet illustre savant parle bien de l'accouplement, qu’il paraît même croire peu rare, des grenouilles avec les crapauds. Mais il ajoute qu’il ne connaît aucun exemple de la fécondité de ces unions contre nature. Pour une autre indication aussi peu admissible, relative au mème groupe d'animaux, voy. p. 145, note 2. (2) Voy. la Section vı. La femelle du zébu est aussi fécondée par l’yak, et réciproque- ment. L’hybride du taureau yak et de la vache zébu est le dzo, HYBRIDES BIGÉNÈRES. _ 161 par le bison, qui s'en éloigne davantage encore (1); mais il y a aussi des faits d’hybridité entre deux genres déjà distingués par Linné, Capra et Ovis. La chèvre est fécon- | dée par le bélier, et surtout la brebis par le bouc. Ces derniers faits étaient déjà connus des anciens. On doit même penser que ni le produit de la brebis et du bouc, ni celui de la chèvre et du bélier, n'étaient très rares chez les Romains ; car l’un et l’autre avaient leurs noms, cités par Eugenius dans ces deux vers, qui font partie d’une courte pièce déjà mentionnée E Titirus ex ovibus oritur hircoque parente, Musmonem capra verveco (3) semine gignit. Chez les modernes, le premier de ces deux hybrides habituellement employé dans l'Himalaya, comme bête dé somme. (Voy..p. 174.) (1) Sans cependant que la valeur véritablement générique des Caractères distinctifs soit généralement admise, et c'est pourquoi nous n'insistons pas sur ces exemples. On voit dans les galeries du Muséum d'Histoire naturelle un jeune K \ À i métis de bison et de vache, né dansla Ménagerie de cet établissement. On obtient souvent de tels métis aux États-Unis, mais, le plus ordi- “ nairement, la vache ne peut mettre bas, et périt dans le travail, à cause du volume de la tête du produit. Je ne connais ni le métis du buffle et de la vache, ni celui du taureau et de la bufflesse. FOUCHER D’OPSONVILLE, Essais philosophiques sur les mœurs des animaux étrangers, Paris, in-8, 4783 (sans nom d'au- teur), cite, page 445, des exemples de celte seconde sorte de métis ; mais ces exemples sont très douteux. (2) Page 137, note 4. } (3) Verveco, d'après les bonnes leçons ; et non verbeno, barbarisme ; reproduit même par des érudits. Vervex correspond exactement à notre mot mouton. C’est, à pro- IL. Les al TEL corner RE es" Deere ane agen igi (#14 4 # | f ji 1] f 162 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. il, CHAP. X. est de beaucoup le plus connu (4). Des expériences faites par Buffon sur le croisement du bouc avec la brebis ont donné, en 4751, un produit, et en 4752, huit autres, observés aussi par Daubenton, qui les a décrits avec soin (2). Depuis, d’autres naturalistes ont tenté en vain la même expérience, et je suis de ce nombre. Mais il est un pays, le Chili, où le croisement du bouc avec la brebis est pratiqué industriellement et sur une immense échelle : les pellones, sortes de chabraques dont l'usage est très répandu au Chili, et qu’on exporte en quantités considé- rables dans toute l'Amérique du Sud, sont des peaux de métis de bouc et de brebis (3). prement parler, le mâle coupé; mais c’est aussi, par extension, l'espèce ovine. On lit dans CARDAN, De rerum varietate, Bâle, in-fol., 1557, p. 179, sans doute par suite d'erreurs de copiste: « Cinirus ex hirco et ove, musinus ex ariete el capra. » (1) Quoique le second soit seul mentionné par BECHSTEIN, loc. cit., D pue: (2) Voy. Hist. nat., t. XI, p. 365, 4754; passage où l’auteur men- tionne la fécondité de hybride; — Ibid., t. XIL, p. 444, 4764 ; l’auteur donne ici, mais par hypothèse, cette fécondité comme indéfinie ; — et surtout, Supplém., t. IL, p. 3,7, et 15, 4776. La description des hy- brides, p. 7, est rédigée par Daubenton, ainsi que Buffon le dit en note. Nous voyons cependant l'ilustre collaborateur de Buffon douter, vingt ans plus tard, de la fécondité de l'accouplement, non-seülement du bélier avec la chèvre, mais aussi du bouc avec la brebis. (Voy. Plan d'expériences, dans les Mémoires de l’Institut, t. 1, p. 378 ; 1798.) J'ai fait rapprocher, à plusieurs reprises, des boucs et des brebis. L'accouplement a eu lieu sans difficulté, mais il est resté impro- ductif. (3) Voy. C. GAY, Historia de Chile, Zoologia, t. 1, p. 166; 4847. — Et VICUNA-MACKENNA, Le Chili, Paris, in-42, 1855, p. 92. Ces métis sont connus au Chili sous le nom de carneros linudos. « HYBRIDES BIGÉNÈRES. é 163 On fait aussi des pellones dans quelques parties du Pérou, particulièrement dans la Cordillère, aux environs du Cerro de Pasco. Mais ici on croise, tantôt le bouc avec la brebis, tantôt le bélier avec la chèvre ; et ce dernier croisement, d’après M. de Castelnau (1), serait même le | plus usité. | | On a eu, au Jardin zoologique de Londres, deux exem- ples de la fécondation de la chèvre par le mouflon à manchettes; mais les jeunes sont morts en naissant (2). Dans le même établissement, on a obtenu un produit du porc-épic ordinaire et de l’acanthion de Java (3). Chez les oiseaux, les exemples d’hybridité bigénère sont beaucoup plus nombreux, et quelques-uns beaucoup plus remarquables. Nous en connaissons dans trois groupes ornithologiques très différents. | | Parmi les passereaux, on a obtenu et l’on obtient tous les jours du canari, et surtout de sa femelle, de nom- breux hybrides, la plupart congénères, mais quelques-uns aussi bigénères. Le canari produit en effet, non-seule- ment avec le cini, le venturon et le tarin, qui sont ses plus proches alliés ; avec les linottes, qui en sont encore voi- sines; mais aussi avec le chardonneret, croisement dont les produits sont extrêmement communs et connus de (1) Note manuscrite. (2) Note de M. MitonezL. — D'après M. CHEVREUL (Rapport sur lAmpélographie de M. le comte Odart, dans les Mémoires de la Société royale et centrale d'agriculture, 1846, p- 339), M. FLOURENS aurait obtenu un hybride du mouflon de Corse et de la chèvre. (3) GERVAIS, Histoire naturelle dés mammifères, 2° partie; Paris, gr. in-8, 1855, p. 153: ss 1 | | [j 1GlL NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. IE, CHAP. X. tout le monde; avec le pinson et le verdier; et même avec le bouvreuil et le bruant (1). Dans la même famille, un oiseau que Vieillot a long- temps possédé et observé, nous offre un exemple d'hybride bigénère trouvé à l'état sauvage. D’après la taille, les caractères de plumage et la voix de cet oiseau, Vieillot l'a déterminé comme le produit mixte d’un ver- dier et d’un chardonneret (2). Nous avons un plus grand nombre de faits, et surtout de plus variés, parmi les palmipèdes. Sans parler ici des alliances fécondes souvent observées entre des palmi- pèdes congénères, on a des exemples d'hybridité (8) : Entre le souchet ordinaire et la sarcelle d'été; Entre l'oie cendrée, et aussi l'oie rieuse, et la ber- nache ; Entre l'oie cendrée et le canard musqué ; (1) Sur ces divers croisements, YOY. Hervieux, Nouveau traité des serins de Canarie, Paris, in-19, 4743 (2° édit.), p. 258 et suiv. — Burron, Hist. nat. des oiseaux, t. IV, p. 11 et 379; 1778. — BECH- STEIN, loc. cit., t. III, p. 196 ; 1807. — VIEILLOT, articles Bouvreuil, Bruant, et Fringille du Dict. d’hist. nat. de Déterville, nouv. édit., t. IV et XIL, 4816 et 1847. — Et G. MORTON, Hybr. in Anim., loc. cit., 2° partie, Birds, p. 206. Pour le chardonneret-serin en particulier, nous citerons l'exemple rapporté avec détail, d’après VON AKEN, par Linné, Wastgotha Resa, Stockholm, 4747, in-8, p. 44; traduct. allemande, Halle, 1765, in-8, p. 44. — Et pour le linot-serin, des observations dues à SPRENGER, et relatives non-seulement à des métis, mais à leur progéniture. Voy. la Section XV. (2) Voy. l’article Fringille, loc. cite, t. XII, p. 162. (3) Pour ces divers exemples d'hybridité, voyez l'excellent résumé sur les anatidés hybrides, dû à M. DE SÉLYS-LONGCHAMPS, locis cit., t. XH, p. 335, et t. XXIL, p- 6. HYBRIDES BIGÉNÈRES. 465 g Entre l'oie cygnoïde et le tadorne d'Égypte ; Et même entre le cygne sauvage et l'oie domestique. | Le cygne-oie, produit du croisement de ces deux der- nières espèces, est né à la Ménagerie du Muséum en 4808. Son authenticité est mise à l'abri de toute objection par des observations dues à Frédéric Cuvier (4). Parmi les gallinacés, nous avons des exemples d'hy- bridité bigénère dans le vaste groupe compris par Linné sous le nom de Tetrao, et entre plusieurs des genres qui se groupent autour de la poule. Chez les premiers, nous citerons, d’après Naumann et M. Gloger (2), l'hybride, plusieurs fois rencontré à l’état i sauvage, du tétras à queue fourchue (T. tetriæ) et du la- | gopède des saules. Dans le croisement qui donne nais- sance à cet hybride, le måle appartient au tétras. Un autre croisement bien plus remarquable, est celui de la femelle de ce même tétras et du faisan ordinaire : deux oiseaux considérés par presque tous les ornitholo- _gistes comme appartenant à deux familles très distinctes. (1) Notice sur l’accouplement d'un cygne chanteur et d’une oie, dans les Annales du Muséum d'histoire naturelle, t. XII, p. 119 ; 1808. L'hybride, sujet de cette observation, était né d’une oie femelle et d’un cygne sauvage mâle (Cygnus musicus, et non C. olor, comme le dit par inadvertance, Fr. Cuvier ; ce qui a induit quelques auteurs en erreur, et fait croire à l’hybridité de l’oie avec les deux cygnes). Dans le cas rapporté par Fr. Cuvier, neuf hybrides avaient été pro- duits par la même union ; mais un seul était éclos. (2) Naumann, Naturgeschichte der Vögel Deutschlands, Leipzig, in-8, t. VI (1833), p. 333; figure en tête du volume. — GLOGER, Handbuch der Naturgeschichte der Vögel Europa’s, Breslaw, in-8, t. I, p. 533; 1854. Wf b e gN + ot f TAE EEE r E 166 NOTIONS FONDAMENTALES, Liv. II, CHAP. X. Ils n’en ont pas moins donné ensemble des hybrides, qu'on a surtout obtenus en Angleterre. Nous n'avons jamais eu occasion d'étudier par nous-même ces curieux métis; mais nous croyons pouvoir en présenter lexis- tence comme authentique, d’après l’ensemble des docu- ments que possède la science (1), et d’après ceux que nous avons pu recueillir à diverses sources (2). Selon Temminck, qui a fait des gallinacés une étude spéciale, non-seulement « la plupart des faisans et » tous les hoccos s’allient entre eux en domesticité »; mais « le faisan s'allie au coq, celui-ci avec le dindon, et les hoc- » COS nés en domesticité s'unissent avec le dindon (3). » Entre ces divers hybrides bigénères, nous n’admet- tons, comme dès à présent authentique, que celui du faisan et de la poule (4); mais nous avons à ajouter ceux de la poule et de la pintade, de la pintade et du paon. De ces trois métis, celui du faisan et de la poule est le plus connu. Frédéric Cuvier, dont le prétendu principe était démenti une fois de plus par l'existence de cet hy- (1) Voyez entre autres auteurs, EYTON, dans les Proceedings of the Zoological Society de Londres, 1835, p. 62.— Et GLOGER, Ueb. Neig, zum Verbast., loc. cit., p. 408. (2) Plusieurs de mes savants confrères, et particulièrement le prince C. BONAPARTE, ont bien voulu recueillir en Angleterre, à ma demande, sur les oiseaux désignés comme des faisans-tétras, des renseignements qui confirment pleinement leur origine hybride. (8) « Je crois même, ajoute Pauteur, qwavec quelques soins, on » viendrait à bout de tirer des métis de la majeure partie des gallina- » cés dont le naturel est susceptible d’être cultivé en domesticité. » (Loc. cita, te IE, p. 75.) | (4) Pour plusieurs autres de ces hybrides, voy. la Section précédente, HYBRIDES BIGÉNÈRES. 167 bride, a pris le parti de le révoquer en doute. Mais il n’y a pas de fait mieux établi que son existence. Le faisan ordinaire s'allie presque aussi volontiers avec la poule qu'avec les autres faisans, et donne très communément naissance, avec elle, à des métis connus sous le nom de coquarts (1). Frédéric Cuvier eût pu en voir de nombreux individus, non-seulement dans les volières des amateurs d'oiseaux et dans les musées, mais jusque dans les basses-cours ; car le coquart est parfois élevé pour la table (2). Ce n’est donc pas assez de dire ce métis parfaitement authentique ; il est très peu rare, presque commun. | | 197 Les pintades sont, dans la série ornithologique, bien plus loin, soit des paons, soit des poules, que celles-ci des faisans ; et à ce point de vue, les deux métis qu’il nous reste à faire connaître, sont bien plus remarquables que le coquart. Ils sont aussi beaucoup plus rares, mais non moins authentiques. Le paon-pintade a existé récemment, et pendant plu= |. sieurs années, au Jardin zoologique d'Anvers. Tous les | | naturalistes ont pu ly voir vivant ou en examiner la dé- pouille dans la collection de l'établissement, et en constater par eux-mêmes les caractères , presque exactement moyens entre ceux du paon et de la pintade. La pintade-poule, fruit d’un croisement non moins (1) Nom qu’on a donné aussi aux vieilles poules faisanes, à plu- mage de mâles, que nous avons déjà eu occasion de mentionner (t. I, p. 500). (2) Et même, depuis plusieupa siècles, — Voy. CARDAN, loc. cit,, qp 242, D f + bé EEE Eve ane l | | | 168 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, H, CHAP. X, remarquable, était déjà connue de Bechstein (1). On Fa revue récemment, et à la fois au Jardin zoologique de Londres et à la Ménagerie de Paris, où ont vécu deux individus nés en Angleterre, dans une ferme du Wiltshire, d’une poule appariée avec un mâle de pintade. Les carac- tères de cet animal, mixtes entre l’une et l’autre espèce, étaient parfaitement d'accord avec cette origine, comme chacun peut s’en convaincre par l’examen de l’un d'eux, aujourd’hui déposé dans les galeries ornithologiques du Muséum. Voilà donc, dans deux classes du règne animal, de nombreux exemples d’hybridité entre des espèces de genres différents, De ces genres, les uns, il est vrai, se suivent de très près dans la série, et il en est dont la va- leur générique a été contestée. Mais d’autres présentent des caractères assez tranchés et assez importants pour que les zoologistes s'accordent non-seulement à les admettre, mais à les rapporter à des tribus ou sous-familles dis- tinctes (2). La possibilité de l’hybridation est donc loin de se renfermer dans les étroites limites qu’on lui avait assi- gnées. Si une femelle ne peut être fécondée par un mâle d’une autre classe ; s'il estau moins douteux qu’elle puisse l'être par un individu d’un ordre différent: si Pon n’a pas un seul exemple irrécusable de fécondation par un animal d'une autre famille; V'existence d’hybrides bigénères est (4) Loc. cita, t. T, p. 4147. (2) Et même à des familles, Phasianideæ et Tetraonidæ, selon plu- sieurs classifications récentes. Mais ces deux groupes ne sont, en réa- lité, que des tribus d’une seule et même famille naturelle, HYBRIDES CONGÉNÈRES. 169 aussi certaine, quoique plus rare, que celle des métis congénères. VI. Nous passerons plus rapidement sur les hybrides con- génères, et surtout sur les métis homoïdes. Les uns et les autres sont connus de tout le monde par des exemples, autour desquels on peut en grouper un très grand nombre d’autres plus ou moins analogues, recueillis soit dans les mêmes classes zoologiques, soit dans d'autres, et tantôt à l'état domestique ou privé, tantôt à l’état sauvage. Dans la classe des mammifères, nous citerons d'abord, comme ayant donné soit des hybrides, soit des métis homoïdes très remarquables , quelques primates et plu- sieurs carnassiers. -Tels sont parmi les primates : le macaque ordinaire (Macacus cynomolgus) et le bonnet-chinois (M. sinicus); le même et le maimon (M. nemestrinus); et les cynocé- phales papion et chacma (Cynocephalus sphinæ et C. por- carius), dont un métis est né à la Ménagerie du Muséum d'histoire naturelle (4); | Et parmi les carnassiers : le lion et la tigresse; cinq portées ont été obtenues du même couple, en Angleterre, (1) Voyez, pour le premier des hybrides de macaques, Fr. CUVIER, Hist. nat. des mamm., article publié en 4830, sur un métis qui venait de naître à la Ménagerie du Muséum. — Et pour le second, M. HYRTL, -0C. Cit., p. 149, d’après M. FITZINGER, qui avait vu ce métis, en 1852, dans une ménagerie particulière. Pour le troisième hybride, né d’un chacma mâle et d’un papion femelle, voyez une note sur la menstruation et la gestation chez les 470 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. X. dans une ménagerie ambulante (4); le jaguar et la panthère, métis observés aussi en Angleterre (2); le furet et le putois (3); le chat domestique et divers autres chats, tels que le chat sauvage d'Europe, le chat de Cafrerie, et d’autres encore, selon quelques voyageurs, mais moins authentiquement; le chien et la louve ; le loup et la chienne, croisement bien connu des anciens, qui en désignaient le produit sous le nom de lycisca (4), mais dont on avait douté, sur la foi primates, que j'ai rédigée à la demande de BRESCHET, et que mon savant confrère a annexée à un de ses mémoires, publié dans les Mémoires de l’Académie des sciences, t. XIX, p. 406 ; 1845. Selon M. Gervais, loc, cit., t. I, p. 153, nous aurions aussi possédé à la Ménagerie un métis bien plus remarquable, un hybride bigénère de macaque et de grivet. Mais dans le cas dont il s’agit, la paternité était restée très incer- taine : la mère, qui était une macaque, avait été saillie par plusieurs mâles. (1) Pour ces remarqtables faits d’hybridité, dont se sont occupés un grand nombre d'auteurs, il nous suffira de citer Fréd. CUVIER, Hist. nat. des mamm., 1826; bonne figure d'un des jeunes lions- tigres ; — et M. GERVAIS, loc. cit., t. 1, p. 84; résumé sommaire de ce qu’on sait sur les cinq portées. (2) D'après des notes qu'a bien voulu me remettre M. MITCHELL. 3) ERXLEBEN, Systema regni animalis, Leipzig, in-8, 1787, p. 467. Les métis du furet et du putois sont-ils de véritables hybrides? Ou ne doit-on voir en eux que les métis homoïdes d’une race domestique croisée avec son type sauvage ? Sur cette question que pose Erxleben, voyez le Chapitre précédent, p. 73. La même question doit être posée à l'égard de plusieurs autres croi- sements entre animaux sauvages et animaux domestiques. (h) At lupus et catula formant coeundo lyciscam, dit Eucenius, àla fin de ses vers déjà cités, De ambigenis. Voy. p.137. CARDAN, loc. cit., pe 179, ajoute que lyncisius était le nom du pro- HYBRIDES CONGÉNÈRES. 474 de Buffon (4), jusqu'aux observations recueillies et faites, pour rectifier son erreur, par ce grand naturaliste lui- même (2); le chien et le chacal, à l'égard duquel de semblables doutes, quelque peu fondés qu'ils fussent (3), duit du chien et de la louve. Mais ce passage, rempli de fautes de copiste (voy. p. 462, note), ne mérite aucune confiance. (1) Hist. nat., t. V, p. 210, 1755, et t. VII, p. 43, 1758. (2) Supplém., t. HI, p. 7, 4776, et surtout, t. VII, p. 464, 1789 (volume posthume). Parmi les cas recueillis depuis, le plus remarquable est sans nul doute celui qu’a fait connaître GEOFFROY SAINT-HILAIRE (VOY. Chiens. q y mulets, dans les Ann. du Mus. Whist. nat., t. IV, p. 402, 4804). Tandis que dans les cas publiés par Buffon et par d’autres auteurs, comme dans la plupart de ceux que nous avons obtenus ou recueillis, les métis étaient intermédiaires, souvent même moyens, entre le chien et le loup, ceux qu'a observés Geoffroy Saint-Hilaire, et qui étaient au nombre de huit nés dans la même portée, ressemblaient tous à leur père beaucoup plus qu'à leur mère. La ressemblance paternelle s’est de plus en plus prononcée chez ceux qu'on a conservés. Lun d'eux, qui a été élevé jusqu’à l'état adulte, a fini par devenir un vrai dogue, comme je l'ai souvent fait voir dans mes cours. Un second cas, très analogue, s’est produit depuis à la Ménagerie du Muséum : un métis de chien et de louve s’est trouvé aussi très sem- blable à son père; tout le monde le prenait pour un chien. Mais, ici, le père appartenait à une race de mâtins, peu différente du loup; les résultats de cette seconde observation sont done loin d’être aussi tranchés que ceux de la première, Pour les résultats très divers de plusieurs accouplements entre le chien et le loup, voyez le travail déjà cité de M. SCHEIDWEILER. (3) On avait dès 1787, outre de vagues indications données par quelques voyageurs, une bonne observation due au célèbre physio- logiste et chirurgien Jean HUNTER. — Voy. Observations tending to shew that the Wolf, Jackal and Dog are of the same Species, dans les Philos. Transact., 4787, part. IL, p. 253: ou OEuvres de J. HUNTER, trad. par M. Ricnecor, Paris, in-8, 4844, t. IV, p. 420. Une seconde observation a été recueillie et publiée en 4835 par 172 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. If, CHAP. X. ont subsisté jusqu'aux expériences, faites à la Ména- gerie de 1840 à 1850 (1); enfin, divers chacals entre eux, et particulièrement ceux de l’Inde et du Sénégal, dont les métis ont été décrits et figurés par Frédéric Cuvier (2). Parmi les rongeurs, le croisement du lièvre et du lapin avait été inutilement essayé par Buffon, et jugé par lui impossible (3). On a continué à le nier jusqu'à nos jours, mais très certainement à tort. L’hybride de ces deux es- pèces avait été obtenu en Italie il y a plus de quatre-vingts ans (4) ; il paraît l’avoir été récemment en Angleterre (5) ; et il l’est aujourd’hui en France, non plus comme cas rare, mais habituellement et sur une échelle assez grande SERINGE. — Voy. Croisement du chien et du chacal, dans la Biblio- thèque universelle de Genève, t. LIX, p. 438, 1835, et De l’hybridité, dans les Annales de la Société linnéenne de Lyon, 1836, p. 6. (4) Voy. la Section xry, pour ces expériences, particulièrement inté- ressantes par la reproduction des métis pendant plusieurs générations. (2) Hist. nat. des mammif., 1821. (3) Hist. nat., t. VI, p. 803; 1756. — Cette prétendue impossibilité a été de même affirmée par plusieurs auteurs récents. Voyez, entre autres, MARCEL DE SERRES, dans la Revue du Midi, publiée à Toulouse, t. IX, p. 343, 1835. 4) En 41778. Voy. AMORETTI, Sul? accoppiamento fecondo d'un coniglio e Cuna lepre, dans les Opusc. scelti de Milan, t. I, p. 258, 4780. Croisement du lapin mâle avec la hase. La même expérience paraît avoir été faite récemment avec succès par M. FLÉGNY, vétérinaire à Lagny. (5) Voy. TuursriELp et R. OWEn, dans les Proceedings of the Committee of the Zool. Soc. de Londres, part. 1, p. 66, 4831. Croi- sement inverse de celui qu'avait observé Amoretti. La lapine, qui avait été successivement accouplée avec un lapin et avec un lièvre, mit bas en même temps des lapins purs et des hybrides. HYBRIDES CONGÉNÈRES. 173 pour donner lieu à une exploitation commerciale (1). Parmi les mammifères herbivores, nous mentionne- rons les chameaux à une et à deux bosses, dont les hybrides, communs en Perse, sont très employés, et, assure-t-0n, encore plus estimés que les animaux des races pures ; le lama et le guanaco; le lama et l’alpaca ; l’alpaca et la vigogne qui donnent ensemble l’alpa-vigogne, à toison si admirablement belle ; divers cerfs et biches, et particulièrement le cerf gymnote et la biche de Virginie (2), et le cerf pseudaxis et la biche axis (3) ; la chèvre et divers bouquetins ; les diverses races ovines (4); la brebis et (1) Voy. la Section x1v. (2) De ce croisement nous avons obtenu à la Ménagerie, une femelle qui a produit avec une troisième espèce, très différente des cerfs gymnote et de Virginie, le daim. — La même femelle hybride a produit aussi avec le cerf de Virginie. (3) Voy. la Section xIv. (4) Dans de nombreuses expériences faites à diverses époques à la Ménagerie du Muséum, nous avons obtenu ou vu naître des hybrides des races ovines les plus différentes. Nous insistons sur ces résul- tais, en raison d’une opinion très répandue parmi les agriculteurs. Selon plusieurs auteurs, et particulièrement selon Bosc (articles Chien et Races du Nouveau cours d'agriculture de Déterville, t. IV, p. 374, et t. XII, p. 6, 1821 et 1893), on obtiendrait très difficilement des produits de deux races domestiques « très opposées »; ces races répugneraient à s’accoupler ensemble, presque comme « des espèces » bien distinctes», et les mères refuseraient « de reconnaître leur » progéniture ». Nous n'avons jamais rien observé de semblable. Lorsque des indi- vidus de races même érès opposées, ont été rapprochés en temps opportun, nous les avons vues s'unir et se féconder sans difficulté. C’est surtout sur les races ovines que nous avons constaté ces faits; mais nous avons aussi des observations relatives aux races canines, caprines, porcines et gallines. 174 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAF. X. le mouflon de Corse, dont Pline mentionne les produits sous le nom d’umbri (1); les divers bœufs, et particuliè- rement l’yak femelle et le zébu mâle dont le produit, le dzo, tient le premier rang, comme bête de somme, parmi les animaux domestiques du Thibet (2) ; divers sangliers et cochons; et enfin, les solipèdes qui se mêlent tous plus ou moins facilement entre eux, comme le prouvent un grand nombre d'expériences faites en France et en An- (1) Lib. VIT, Lxxv. — Umbri, imbri, ibri; formes diverses d’un seul et même mot, suivant quelques commentateurs. Ces métis, qui sont féconds, sont parfois couverts de laine (voy. MARCEL DE SERRES, Note sur Paccouplement du mouflon avec le mouton, dans les Compt. rend. de l’Acad. des scienc., t. VII, p. 724, 1838). — Nous avons nous-même fait de semblables observations à la Ménagerie du Muséum. Une mouflonne de Corse, saillie par un bélier anglais, y a mis bas, en 1849, un métis couvert d’une toison compa- rable, pour sa longueur et presque pour sa beauté, à celle de son père. Le même métis ressemblait au contraire à sa mère par la con- formation très robuste de ses membres. (2) Voy. JAGQUEMONT, Voyage dans l’Inde, Journal, t. Ii, 1841, p. 212, 845, 370 et 400. — Voy. aussi sur le dzo notre travail zoolo- gique dans le même ouvrage, t. IV, p. 73. Une belle figure du dzo a été publiée par M. MrrcmeLL dans les Proceed. of the Zoolog. Soc. de Londres, 4849. Voy. encore, sur le dzo, CAMPBELL, Notes on Eastern Thibet, dans le Journal of the Asiatic Society of Bèngal, 1855, n° 3, p. 245. — Campbell donne aussi quelques détails sur le produit du zébu måle et de l’yak femelle, . On voit en ce moment à la Ménagerie du Muséum, outre un dzo femelle amené d’Asie par M. de Montigny avec onze yaks purs, un métis mâle de taureau yak et de vache ordinaire. D’autres métis de ces deux espèces ont été récemment obtenus dans les Alpes. Pour les autres hybrides du même groupe, voy. G. Morton, Hybr. in Anim., loc. cit., p. 42. — HYRTL, loc. citi, p. 154. — Voy. aussi plus haut, p. 161. HYBRIDES CONGÉNÈRES, 175 gleterre : l'hémippe (Equus hemippus) que nous avons fait récemment connaître, est le seul solipède dont on n'ait point encore obtenu d’hybrides (4). Nous n'avons pas, chez les mammifères, d'exemples (1) Outre le mulet et le bardot, nous connaissons les produits hy- brides des espèces suivantes : 1° Cheval et zèbre. — Voy. Fr. CUVIER, Sur l’accouplement d’un zèbre (femelle) et d’un cheval, dans les Ann. du Mus. d’hist. nat., t. XI, p. 237; 1808. La mère est morte avant d’avoir mis bas. Accou- plée antérieurement avec un âne, elle avait produit un métis qui sera mentionné plus bas. | 2° Cheval et couagga. — Lord MORTON, Singular Fact in Natural History, dans les Philos. Transact. de Londres, 1821, part. E, p. 20; et EVERARD HOME, Lectures of Comparative Anatomy, Londres, in-4, t. I, p. 307; 1823. Jument arabe fécondée par un couagga. Le mulet est figuré par HAMILTON SMITH, loc. cit. pl. xxix. La même jument, fécondée les années suivantes par un cheval arabe, a donné, à trois reprises, des produits dont les formes étaient celles de la race chevaline arabe, mais dont le pelage rappelait, par des zébrures très. marquées, le couagga, père du premier poulain. Ils ont été figurés par SMITH, pl. XIV, XXVI et XXVII, d’après des dessins faits d’après nature par AGASSE. 3° Ane et zèbre, — BUFFON, d’après ALLAMAND, Suppl. VI, p. 40, 1782. Voyez aussi, sur le même cas, On the Propagation of the Zebra with the Ass, dans le Journal of Natural Philosophy de NICHOLSON, t. I, p. 267; 1799, Femelle de zèbre fécondée, chez lord Clive, par un baudet qu’on avait peint des couleurs du zèbre. « J'ai de la peine à » croire, dit justement Buffon, que la femelle zèbre ait reçu l'âne » uniquement à cause de son bel habit. »— GIORNA, Sur un zèbre métis, dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Turin, t. XII, p. 453; 1804. Autre exemple de la fécondation du zèbre femelle par l'âne: — GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Sur un métis d’dne et de zèbre femelle, dans les Ann. du Mus., t. IX, p. 223, 1807 (voy. aussi t. VIL, p: 245). Fr. CUVIER, Hist. nat. des mamm., 4820, a donné une figure de ce même hybride, né à la Ménagerie du Muséum, où il a vécu trente ans, Comme dans le cas précédent, le baudet avait été accepté sans es mm EN me tmp i e a aa aaa S R O _ RETE gopet . < DS Se D Des = 4 176 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. X. authentiques de croisement fécond entre deux animaux sauvages, à l’état de liberté (1); mais nous en connaissons plusieurs entre un animal devenu momentanément libre et un animal sauvage, comme entre le chien et le loup, le chien et le chacal, le chat et plusieurs de ses congénères, difficulté par la femelle zèbre. — Pour d’autres cas analogues, voyez encore FITZINGER, dans le rapport de M. HYRTE, loc. cit., p. 151. — Et J. E. GRAY, Gleanings from the Menagerie at Knowsley Hall, Knowsley, in-fol., 4850, pl. Lvnr, fig. 2.— H. Surru a aussi cité et re- présenté un âne-zèbre (loc. cit., p. 343, pl. xxvm); mais celui-ci, dit l’auteur, paraît issu d'un zèbre mâle et d’une ânesse. k? Ane et dauw (E. Burchellii).— FITZINGER, loc. cit. — GRAY, loc. cit., pl. LYNI, fig. 4. — Dans le premier cas, le dauw était femelle; dans le second, le croisement inverse paraît avoir eu lieu. 5° Ane et hémione. De nombreux hybrides d'hémione mâle et d’ânesse ont été obtenus à la Ménagerie du Muséum. — J'ai figuré le premier d'entre eux, Animaux utiles, 3° édit., Paris, in-19, 1854, | p. 74. Voy. aussi, sur ce métis, Ricarp (du Cantal), Rapport sur l’hénvione, dans le Bulletin de la Société d’acclimatation, t. I, p. 387, pl. v; 1854. — Le même croisement a eu lieu avec succès à la Ména- gerie de Knowsley. Voy. GRAY, loc. cit., pl. LVII, fig, 2. 6° Hémione et zèbre. — Hybride obtenu à Knowsley, d'un zèbre femelle fécondé par un hémione. Le produit a été figuré par GRAY, loc. Gites pl. EYID fig. 1. 7° Hémione et dauw (E. Burchellii). — Gray, ibid., pl. LIV, fig. 4. L'hémione est encore ici le mâle, d’après le Catalogue of the Mena- gerie at Knowsley, in-4, Liverpool, 1854, p. 8. Après les hybrides qui viennent d’être cités, l'ouvrage de M. Gray sur la Ménagerie de lord Derby fait connaître le produit d'une jument fécondée par un hybride d'âne et de zébresse. Voy. pl. LIX, tig. 2. L'auteur appelle ce produit double mulet. (1) Le croisement de deux otaries des mers arctiques a été admis par RupoLpur (loc. cit., p.165), et à son exemple par G. MORTON (Hybrid. in Anim., loc. cit., p. 50), et par plusieurs autres auteurs, d’après STELLER, disent-ils. Mais j’ai en vain cherché dans les ouvrages “es HYBRIDES CONGÉNÈRES. 177 le cochon et le sanglier (4). Dans ces unions mixtes, qui ne sont nullement rares, la femelle appartient ordi- nairement à l’espèce ou à la race domestique : mais le contraire peut aussi avoir lieu. La Ménagerie du Muséum d'Histoire naturelle a reçu plusieurs fois, sous le nom de jeunes loups, des individus pris à la suite de louves qui les allaitaient, mais tenant du chien par leurs formes et leur coloration, et dans lesquels il était facile de reconnaitre des métis de chien et de louve (2). Ces métis de ce célèbre voyageur, le fait qu’on lui attribue. En outre, Rudolphi lui-même mentionne seulement le croisement, sans le dire fécond. (1) Métis très commun chez les Romains. «Tn nullo genere æque facilis mixtura cum fero,» dit PLINE, lib. VIH, LxxIx. — Ce métis était pour les Romains l’hybride proprement dit. (Voy. p. 137, note 4.) Les hybrides nés de chattes ou de chiennes échappées ne sont pas rares non plus. Pour le chat, je connais des exemples en Europe, en Afrique et en Amérique. "2 ? Jai dù récemment à M. Guyon, ancien chirurgien en chef de l'ar- mée d'Algérie, un exemple de l’hybridité, plus rare, de la chienne, à l’état libre, et du chacal. La note (manuscrite) de M. Guyon renferme aussi des observations d’hybridité entre la truie et le sanglier, la chatte domestique et le chat sauvage d'Algérie. (2) Ces métis out été plusieurs fois pris pour des individus de cette prétendue espèce de loup, que les auteurs ont désignée sous le nom de Canis lycaon. Pour des faits plus ou moins analogues à ceux que j'ai moi-même recueillis, voy. BUFFON, Supplém., t. VIL, 1789 (posthume) p. 209 et suiv. — Et MaupuyrT, Du loup et de ses races et variétés, Poitiers, in-8, 1851. : Un nouvel exemple vient encore d’être recueilli depuis la rédaction de ce Chapitre (voy. HOLLARD, Nouvel exemple du croisement fécond du Canis lupus et du C. familiaris, dans les Compi. rend. de l’Acad. des sc., t. XLVII, p. 1072; 1859). M. Hollard à bien voulu m'envoyer, pour la Ménagerie du Muséum, deux des sujets de cette observation. pi. ' 12 478 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. sont bien connus des chasseurs, qui les ont désignés sous lé nom de loups-chiens (1). VII. Chez les oiseaux, les hybrides congénères ne sont rares ni à l’état domestique ou privé, ni même à l’état sauvage. En domesticité ou à l’état privé, on en obtient très fréquemment, dans les trois mêmes groupes où nous venons de trouver des hybrides bigénères : les passe- reaux conirostres, les palmipèdes lamellirostres, les vrais gallinacés ; et de plus, dans un quatrième, les pigeons. Dans le premier de ces groupes, nous citerons les pro- duits si connus du canari, et surtout de sa femelle, avec ses congénères européens (2), ét un hybride des Frin- gilla punctularia et molucca, né chez un marchand d’oi- seaux, et qu'on voit aujourd’hui dans la collection du Muséum d'histoire naturelle. Aù second se rapportent un grand nombre de métis d’oies, et surtout de canärds, parmi lesquels le mulard, produit très commun, dans le Midi surtout, du canard musqué et de la cane commune (3). On connait aussi des hybrides de bernaches, et même de cygnes; entre (1) MAUDUYT, loc. cit., p: 8. (2) Voy. p. 163. (5) Le canard mulard est élevé en grand dans plusieurs de nos départements du Midi, pour les foies gras, comme les oies dans d’autres pays. Le mulard est aussi servi sur les tables, pour lesquelles HYBRIDES CONGÉNÈRES, 179 autres, l’hybride, très curieux par sa coloration mixte, du cygne blanc domestique et du cygne noir (4). Nous mentionnerons, dans le troisième groupe, les métis des divers faisans, et surtout ceux, si communs dans les oiselleriés, du faisan ordinaire croisé avec les faisans à collier, argenté et doré (2) ; ceux du dindon et du paon primitifs, et de divers coqs sauvages, avec les dindons, paons et coqs domestiques ; ceux des divers hoccos, de toutes les espèces, dit Temminck (3), qu’on nourrit en captivité; enfin de deux colins récemment importés en … il est recherché, à cause de sa taille très supérieure à celle du canard ordinaire. La culture de ce métis paraît être, en France, une industrie de date récente. En 4783, Burron, Ois., t. IX, p. 167, ne signale l'existence du mulard que dans les basses-cours de Cayenne et de Saint-Domingue. (1) GLENCON, dans les Proceed. of the Zool. Soc: de Londres, 1847, p. 97. — Ce très remarquable hybride mest en outre connu par une note manuscrite de M. MITCHELL. _ Six œufs furént pondus par une femelle de cygne domestique qu’à- vait cochée un cygne noir, Quatre jeunes vinrent à éclosion ; mais un . seul fut élevé, Il ressemblait beaucoup plus à sa mère qu’à son père; la plus grande partie de son plumage était blanche ; mais la tête était noire, Ce métis rappelait ainsi påř ses couleurs l'espèce américaine à col noir (Cygnus nigricollis): Pour les autres palmipèdes hybrides, voy. SÉLYS-LONGCHAMPS , locis cit. vi : (2) J'ai figuré plusieurs de ces métis dans mes Essais de zoologie générale, Paris, in-8, 4844, pl. VI, VIT et vin. J'ai vu depuis de très beaux hybrides de faisan à collier mâle et d'ar- genté femelle chez M. A. Mitivié, d’argenté mâle et de doré femelle, dans le beau jardin zoologique de M. le docteur Le Prestre, près de Caen. 4 (3) Hist. nat. des pig. et gallin., t: Il; p. 76, et t. HI, p: 43, 19, 25 et 39; 1813 et 1815: ee mi RE. ~ qw na È ss minis - encens = aea, zi S des: spé ADR Pr ne à de rl) CONPRA RETE R RTD ae = sue RE memrega, me EEE p p p asas pe Due cs 180 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. X. Europe, le houi et celui de la Californie (Ortyæ virginia- nus et O. californicus). Un grand nombre de ces élégants hybrides existent en ce moment à la Ménagerie du Mu- séum et dans diverses volières particulières (4). Les métis ne sont pas plus difficiles à obtenir parmi les pigeons. Entre les hybrides de cette famille, nous cite- rons ceux de la tourterelle domestique (Columba risoria) avec la tourterelle d'Europe (C. turtur), et de la même espèce avec le biset domestique, les premiers communs, et les seconds très peu rares ; ceux, plusieurs fois obtenus à la Ménagerie, de la colombe à oreillon noir (C. aurita) J avec la maillée (C. cambayensis), et avec la colombe B à nuque perlée (C: suratensis); enfin, celui, beaucoup plus remarquable et plus rare, du goura couronné, ct d'un congénère, récemment découvert, de ce géant des pigeons, le goura Victoria (2). On peut affirmer que les croisements hybrides ne sont pas très rares entre espèces sauvages du même genre. Mais les métis qui en résultent échappent le plus souvent à notre observation : et, lors même que nous en aurions connaissance, il se présente, sur leur origine, des diffi- cultés et des doutes qu’on ne saurait toujours résoudre. Les oiseaux hybrides sauvages qu'ont cités les auteurs appartiennent pour la plupart aux Tetrao de Linné. Parmi les perdrix, Dureau de la Malle (3) a mentionné, (1) Sur ces métis, voy. P. Prcnor, Les colins, Paris, in-8, 1858, p. 40. (2) Voy. MITCHELL, Notice of a Crowned-Pigeon, dans les Proceed. of the Zool. Soc. de Londres, 1849, p. 170, pl. xur. (3) Métis de bartavelle grecque, dans les Compt. rend. de l’Acad. des sc., t. XLII, p. 783; 1856. HYBRIDES CONGÉNÈRES. AS mais trop sommairement, et sans justifier complétement ses asserlions, l'existence, fréquente dans le Perche depuis quelques années, d'hybrides de la bartavelle femelle, fécondée, au défaut de mâles de son espèce, par la perdrix grise roquette (1). La même bartavelle unie à la perdrix rouge, et le grand tétras accouplé avec le Tetrao tetrixæ, donnent de même, et très sou- vent, selon plusieurs auteurs, des métis qui sont sur- tout connus, ceux des deux perdrix, dans les Alpes, et ceux des deux tétras, dans le nord de l’Europe : les uns et les autres ont été pris, en raison de leur fré- quence, pour des espèces distinctes, qu’on a nommées Perdix Labatiei (2) et Tetrao medius (3). Déjà le Tetrao (1) P. cinerea, minor; race érigée par plusieurs auteurs en une espèce, P. damascena, Briss. ll y aurait aussi, selon plusieurs ornithologistes, des métis de per- drix grise et de rouge. La P. montana de quelques auteurs serait établie sur ces derniers métis. Mais cette opinion est contredite par plusieurs faits. (2) Décrite comme espèce par M. BOUTEILLE, Ornithologie du Dau- phiné, Grenoble, in-8, 1843, t. II (additions), p. 337. — Parmi les auteurs qui ont rejeté cette espèce, fondée seulement, suivant eux, sur des cas d'hybridité, voy. DEGLAND, Ornithologie européenne, Paris, in-8, 4849, t. II, p. 53, et BaiLLY, Ornithologie de la Savoie, Paris, in-8, t. IM, p. 467, 1854. — Si bien placé que soit M. Bailly pour éclairer cette question, on ne saurait encore la considérer comme décidée contre l'opinion de M. Bouteille. Je partage à cet égard les doutes émis par mon savant ami, le prince Ch. BONAPARTE, dans sa Revue critique de l'ouvrage de M. Degland, Bruxelles, in-19, 1850, p. 78, | (3) Considéré encore comme une espèce distincte, par plusieurs auteurs. Mais cette question, bien plusanciennement débattue que celle qui précède, est beaucoup plus avancée, et le T, medius est aujourd’hui un - = Emo me ORNE 182 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. IT, CHAP. X. tetriæ nous avait offert d’autres faits analogues, et plus remarquables encore; car ceux-ci étaient des exemples d'hybridité bigénère (4). L’ardeur immodérée des Tetrao, à l’époque du rut, signalée par tous les auteurs depuis Aristote, explique comment peuvent se produire présque communément, chez ces oiseaux, des faits qui, par leur nature même, sembleraient devoir ne se présenter qu’à l'état de rares exceptions. En dehors des gallinacés, un hybride sauvage, très remarquable, et étudié avec beaucoup de soin, par M. Gloger (2), est celui des hirondelles de fenêtre et de cheminée. Dans le cas de M. Gloger, le mâle appartenait à la première de ces espèces. Les ornithologistes citent, mais sans les faire connaître avec la précision nécessaire, d’autres exemples d'hybri- dité à l’état sauvage chez des passereaux, Savoir : Parmi les dentirostres : entre le merle et la grive (à); et entre les bergeronnettes grise et noire; mélange qui n’a lieu, dit Temminck, que dans les contrées où l’une est commune et l’autre rare (4). Et parmi les cultrirostres : entre la corneille noire et la mantelée ; espèces dont le croisement n’est pàs rare, rejeté par les ornithologistes les plus compétents, Sur cette question, voyez, en particulier, GLOGER, Naturgesch. der Vüg., t. I, p. 512, et Das Verbastardiren der Waldhühner, dans le Journ. für Ornithol. de CABANIS, 14854, p. 129. (1) Voy. p. 165. (2) Handb. der Naturgesch. der Vögel Europ., t. l, p. 447. (3) Voy. le Magazine of Natural History de Loudon, t. IX, p. 616; 1836. (4) Manuel d'ornithologie, Paris, in-8, 1820, t. I, p, 254. Le HYBRIDES CONGÉNÈRES,. 483 dit Naumann ; on l'observe tous les ans, et « aussi sou- » vent que lon veut» (1). VII. Les autres classes du règne animal, moins riches en animaux domestiques, et moins bien représentées dans les ménageries, sont loin de nous offrir des exemples aussi remarquables d'hybridité. Nous n’en manquons cependant ni parmi les poissons, ni parmi les insectes. Parmi les premiers, plusieurs hybrides avaient été de- puis longtemps mentionnés ‘par les ichthyologistes, no- tamment parmi les cyprins : les espèces qui donnent ces hybrides sont, dit Bloch (2), la carpe ordinaire, la gibèle et le carassin. Defay (3) a, de plus, décrit un hybride de carpe et de barbeau, pêché dans la Loire en 1786. Ces divers métis, nés dans des circonstances inconnues, peu- vent donner lieu à quelques objections (4); mais il en est (4) NAUMANN, loc: cit., t.11, p. 63, pl. LIV, fig. 2, 4822. — Voy. aussi TEMMINCK, Man. d'ornith., t. 1, p. 109. (2) Naturgeschichte der Fische Deutschlands, part. 1, p: 98. — Bloch cite ici les observations de plusieurs de ses devanciers. (3) Bemerkung über eine Bastardart von Barden und Karpfen, dans les Schriften der Gesellschaft der naturforschenden Freunde de Berlin, t. VIE, p. 490 ; 4787. : (4) M: VALENCIENNES (Histoire naturelle des poissons, t. XVI, p. 55, 1842) suppose que Bloch et ses devanciers ont pris pour des métis .Ț des cyprins d’espèces encore imparfaitementdistinguées à cette époque. Nous croyons cette remarque justement applicable à plusieurs des cas rapportés par les auteurs, mais non à tous. eurent eee nee ans on o à n CE ER ro élit "© a a a A i RS is ele 48h NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP, X. d'autres dont l'authenticité est irrécusable. M. Millet a récemment obtenu, par les procédés de la fécondation ar- tificielle, des métis des trois mêmes espèces de eyprins qu'avait citées Bloch, et en outre, des hybrides de plusieurs saumons (1). Par les mêmes procédés, très heureusement appliqués sur une grande échelle, M. Coste a aussi réussi à féconder artificiellement divers saumons ; particuliè- rement, en 1857, le saumon proprement dit par la lai- tance de la grande truite des lacs (Salmo lemanus), et en 1858, la truite commune et l’ombre-chevalier (S. umbla), par les laitances du saumon et de la truite commune. Plusieurs centaines de ces hybrides sont élevés à Ville- neuve-le-Roi et à Meudon; plusieurs ont déjà près de 80 centimètres de long (2). Parmi les insectes hybrides, les mieux connus sont ceux que M. Guérin-Méneville vient d'obtenir, en très grand (1) Discours sur la pisciculture, fait à la conférence Molé, Paris, in-8, 1854, p. 20. « J'ai obtenu, dit l’auteur, quelques bons résultats, même avecdes truites et des ombres. » —M. Millet a aussi obtenu des hy- brides en rapprochant des mâles d’une espèce, des femelles d’une autre. Nous extrayons d’une note inédite de M. Millet la liste des espèces dont il a obtenu des hybrides : — « Salmonoïdes : 4° Salmo salar, 2 S. hamatus, 3° S. umbla, 4° S. fario, 5° S. ferox (?), 6° S. lemanus. — Cyprins : 4° Cyprinus carpio, 2° C. carassius, 3° C. gibelio. » (2) Extrait de notes manuscrites de MM. COSTE et GERBE. M. Coste avait déjà mentionné, en 1855, un poisson hybride, résul- tant de la fécondation naturelle d'œufs de S. lemanus par une truite commune mâle. (Voy. Acclimatation des poissons, dans les Compt. rend. de l’Acad, des sc., t. XLI, p. 995.) Pour de prétendues hybridations obtenues dans la même classe par les anciens Romains, voy. deux notes de DUREAU DE LA MALLE et de Hame, citées ci-après, p. 185 et 186. s -m HYBRIDES CONGÉNÈRES. 185 nombre, de deux vers à soie asiatiques, récemment intro- duits en Europe, ceux du ricin et de l’ailante (1). Ona, en oulre, des exemples d’'hybridité entre divers autres lépidoptères, élevés par des collecteurs, les Bombyæ spini et carpini, divers Salyrus, la Vanessa urticæ et l Atalanta, et plusieurs zygènes. La Zygæna filipendula, en particulier, a été croisée au moins avec six de ses congénères, et surtout avec l’ephialtes (2). On a aussi quelques exemples d'unions à l’état sauvage entre des insectes spécifiquement même génériquement différents; mais ces unions paraissent avoir été presque toujours improductives. On cite cependant des larves, nées, assure-t-on, du croisement de deux coccinelles, Coccinella tripunctata et C. quadripustulata (3). L'hybridité aurait été autrefois obtenue, selon Dureau de la Malle, entre quelques mollusques élevés et engrais- sés pour les tables des Romains (4). Mais cette assertion (1) Note sur l’hybridation des vers à soie du Hla et du vernis du Japon, dans les Compt. rend. de l’Acad. des sc., t. XLVII, p. 541, 1858, et Rev. de zool., 1858, p. 399 et 488; et seconde note sur les mig métis, Compt. rend., t. XLVIII, p. 742, 1859, et Rev., 1859, 183. z M. Vallée, employé au Muséum d'histoire naturelle, très habile éducateur de vers à soie, a aussi obtenu, en nombre considérable, des hybrides de ces deux vers à soie. (Voy. la Section xv.) (2) Notice (encore inédite) de M. GUÉRIN-MÉNEVILLE, Sur les accou- plements d'insectes d'espèces différentes. | (3) Ibid. — (Pour quelques autres faits d’ hybridité chez les insectes, voy. Wesrwoon, daus les Transactions of the Entomological nd de Londres, t. 1I, p. 495, 1848. (4) Ce qui aurait lieu aussi pour les poissons, d’après DUREAU. (Voy. Migrations et fécondations artificielles chez les Romains, dans les Compt. rend. de V Acad. des sc., t. XXXIV, p. 163; 1852.) he dci. Tekija SDS SE 186 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. n'est justifiée par aucun témoignage digne de foi (1); et il en est de même d’unė conjecture émise par M. Halde- mann, sur l'origine hybride de quelques mollusques, ordinairement considérés comme des animaux d'espèce ou de race distincte (2). | f IX. Pour trouver au-dessous des insectes des exemples certains d'hybridité, il faut laisser le règne animal, et arriver aux fécondations mixtes des végétaux. Nous franchirions à la fois les limites que nous trace le plan de cet ouvrage, et celles de nos études habituelles, si nous entreprenions de traiter des hybrides végétaux comme nous venons de le faire des hybrides animaux. Mais ce qui peut et ce qui doit trouver ici place, c'est l'examen de ces questions : Ce qui est vrai des uns, l’est-il aussi des autres? Peut-on étendre au règne végétal les trois propositions qui viennent d’être établies pour les animaux ? Et dire aussi des végétaux : Que les hybrides ne sont pas rares parmi eux ; Qu'on trouve des hybrides, non-seulement parmi les plantes cultivées, mais aussi à l'état sauvage, et à part toute intervention et tout «artifice » humain; | Et que ces hybrides sont tantôt congénères, tantôt bigénères. L'existence d'hybrides chez les végétaux avait été (1) Hame, Note sur l’état de la pisciculture chez les anciens Romains, dans le Bulletin de la Soc, d’acclim., t. IL, p. 245, 1854. (2) Voy. G. MorTON, Hybr. in Anim., loc, cit., part, IT, p. 208. HYBRIDITÉ CHEZ LES VÉGÉTAUX. 187 soupçonnée dès l’époque même où fut découvert le sexe des plantes. « Quæritur an femella vegetabilis impregnari possit a masculo diversæ speciei? » disait déjà Jacques Camerarius dans sa célèbre lettre De sewu plantarum, publiée en 1694. Et dès le milieu du siècle suivant, la question était résolue, non dans le sens de la téméraire hypothèse de Linné sur les espèces d’origine hybride (1), mais en faveur de l'hybridité accidentelle des végétaux. Les exemples en ont été multipliés depuis par l’observation et par l'expérience, jusqu’à devenir, non pas seulement peu rares, mais communs. Nous sommes loin du temps où Haartmann, ou plutôt Linné, sous le nom de son élève, pouvait traiter, dans une courte dissertation (2), de tous les cas d’hybridité qu'il connaissait ou croyait connaître : une simple liste des hybrides végétaux demanderait au- jourd’hui un grand nombre de pages, et le botaniste le plus érudit ne parviendrait pas à la rendre complète. Entre ces nombreux hybrides, les uns sont produits par des fécondations artificielles; d’autres résultent de fécondations naturellement opérées. La fécondation artificielle d’un végétal par un autre, pratiquée dès le milieu du xvm° siècle par Külreuter (3), ; a été obtenue depuis par un grand nombre d’autres expé- rimentateurs (4). De j une première et longue série de (4) Voy. le Chap. VI, sect. rv, t. 1I, p, 879. (2) Plant. hybr., loc. cit. — La plupart des faits cités par Linné ne sont plus considérés comme de véritables exemples d’hybridité. (3) Nachricht von einigen das Geschlecht der Pflanzen betreffenden Versuchen und Beobachtungen, Leipzig, in-8, 1764; et suites, 1768, 1764 et 1766. (4) Entre autres par KniGnr, dans plusieurs mémoires insérés dans Goes i pq one ren di + ER VE ÿ f m i ài i à y me a in ge PRE dci sig re 0 CP nm + 1 0 EN ERP EE RENE Ne TERRES meme: > : > uen at: = m romans PETEN m -amg : ai ee e B - > ee + + mn RE EE ee a Aee D e e -= £ 1 4 F F wp $ 188 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. X. métis végétaux, les uns hybrides, les autres homoïdes, qui, des dicotylédones, s'est bientôt étendue aux mono- cotylédones. Aujourd’hui, elle ne s’arrête même plus où cessent d'exister les étamines et le pollen, l'ovaire et les carpelles. Non-seulement on a obtenu, par une féconda- tion hybride artificielle, des fougères intermédiaires entre les deux espèces d'où elles provenaient (4); mais des faits analogues ont été récemment obtenus jusque dans les dernières acotylédones. Parmi les fucacées, un de nos plus habiles observateurs, M. Thuret, est parvenu à féconder des spores de Fucus vesiculosus par des an- thérozoïdes de Fucus serratus, et à produire ainsi « des » germinations qui se sont très bien développées» (2). Les algues ont donc aujourd’hui leurs hybrides. A côté de cette première série de métis végétaux artificiels, créés par les expériences scientifiques des bo- le recueil de la Société d’horticulture de Londres. — SAGERET, Consi- dérations sur la production des hybrides, dans les Annales des sciences naturelles, t. VITI, p. 294 ; 1826.— A. F. WIEGMANN, Ueber die Bastard- erzeugung im Pflanzenreiche, Braunschweig, in-4, 4828. — C. F. de GAERTNER, dans une suite de recherches résumées et complétées dans un ouvrage étendu et remarquable, intitulé: Versuche und Beo- bachtungen über die Bastarderzeugung im Pflanzenreiche, Stuttgard, in-8, 1849. La Methode der künstlichen Bastardbefruchtuny, qui ter- mine ce remarquable ouvrage, a aussi paru à part (Stuttgard, in-8,1849). (1) Expérience faite par M. MARTENS à Louvain. Voy. BORY DE SAINT-VINCENT, Note sur l’hybridité chez les fougères, dans les Compt. rend. de l’Acad. des sc., t. V, p. 125 ; 1837. (2) Recherches sur la fécondation des Fucacées, dans les Ann. des sc. naturelles, Botanique, 4° série, t. IT, p. 206 ; 4854.— L'auteur a essayé aussi, mais en vain, le croisement inverse. Plusieurs expériences tentées entre d’autres espèces n’ont pas non plus réussi. HYBRIDITÉ CHEZ LES VÉGÉTAUX. 189 tanistes, nous en avons une seconde, non moins riche, due aux essais praliques des horticulteurs. L'hybridation, ou mieux, en termes généraux, la fécondation mixte, est devenue, depuis trente ans surtout, un des procédés les plus usuels de la culture; nos jardins et nos serres lui doivent chaque jour, comme aux semis d'essais, de nou- velles variétés, bientôt multipliées par la bouture et le marcottage. Parmi elles, il est souvent difficile, ou même impossible, de faire la part de l’hybridité et de la simple métivité homoïde (1) ; mais on peut affirmer que, si celle- ciestla plus commune, la première n’est pas rare non plus: elle existe notamment dansles genres Pelargonium, Passiflora, Fuchsia, Camellia, et d’autres encore (2), dont on pourrait dire aussi qu'ils sont « par là même, la » désolation des botanistes et le lucre des jardiniers » (3). Dans d’autres cas, l’homme n'intervient qu'indirecte- ment dans l’hybridation, et seulement en ce qu'il la pré- pare sans la vouloir, et souvent contre sa volonté, par la multiplication et le rapprochement, dans ses cultures, d'espèces originairement peu nombreuses en individus et séparées par la nature. Le transport fortuit du pollen d’une plante sur une autre n’est pas rare dans nos jardins ; le vent, les oiseaux, les insectes surtout, en sont les agents, et opèrent ici ce que fait ailleurs la main de (1) Elles confondent souvent leurs effets dans les variétés des plantes depuis longtemps cultivées et croisées. | (2) Pour ces exemples et pour d’autres, voyez, outre les livres gé- néraux sur l’horticulture, H. LECOQ, De la fécondation et de l’hybri- dation, Paris, in-19, 1845. — Voy. aussi GAERTNER, loc. cit. (3) SERINGE, loc, cit., p. 4, au sujet des Pelargonium. 190 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. l'homme: Quand le transport n’a pas lieu en temps par- faitement opportun et dans des conditions à tous égards favorables, il reste improductif, et c’est ce qui a lieu le plus souvent; car il faut des circonstances très excep- . tionnelles pour que le stigmate d’une plante ne reçoive pas, avant tout autre, son pollen ; et en si petite quantité que soit celui-ci, la fécondation, comme l’ont montré Tôlreuter et Gärtner, est déjà faite ou va l'être, à lex- clusion du pollen étranger. Les exemples de fécondation hybride ne manquent cependant ni dans les jardins bota- niques, où l’on cultive d'ordinaire dans la même plate- bande toutes les espèces congénères, ni dans les parterres, ni dans les vergers et les potagers ; et si la plupart, plus ou moins rares, ne sont connus que des botanistes, 1l en est d'assez communs pour avoir fixé l'attention des plus vulgaires jardiniers. L'hybridation n’est que trop commune dans les potagers où elle oppose parfois à la conservation des espèces pures des obstacles depuis longtemps signa lés : personne n'ignore la dégénérescence que subissent les melons et les autres cucurbitacées cultivées, quand on n’a pas le soin d’en éloigner les congénères (1). Si l’hybridité est si commune parmi les végétaux cul- tivés, comment ne.se retrouverait-elle pas parmi les vé- gétaux sauvages? La nature rapproche souvent, elle aussi, (1) L'hybridation a toutefois dans cette dégénérescence une part moindre que celle qu’on lui fait communément. Les horticulteurs attribuent souvent à l'hybridation des dégénérescences dues à d’autres causes. C’est ce qui résulte d’un mémoire récent et très remarquable de M. Naudin, Sur les plantes du genre Cucurbita, dans les Ann. des sc, nat., Bot,, 4° sér., t. VI, ps 5; 1856: HYBRIDITÉ CHEZ LES VÉGÉTAUX. | 491 des espèces voisines ; elle en multiplie parfois les indi- vidus, au point d’en composer ce qu’on pourrait appeler des champs naturels. Toutes les mêmes causes dont nous voyons les effets sur les plantes de nos cultures, se re- trouvent ainsi en action, pour faire de même, surles pistils . des plantes sauvages, des transports de pollens de diverses origines. Linné, et c’est la base erronée de son hypo- thèse sur la multiplicité des espèces d’origine hybride, Supposait que ces transports sont habituellement suivis de fécondations mixtes ; et s’il s’en faut de beaucoup qu'ilen soit ainsi, au moins est-il vrai de dire qu’ils sont loin d’être toujours stériles. Et ici encore les preuves abondent. Quoique, entre les faits de cet ordre, la plu: part soient inévitablement perdus pour la science, les herborisations et de heureux hasards ont fait rencontrer, à l’état sauvage, encore plus de végétaux hybrides que nous n’y connaissons d'animaux métis. MM. Schiede et Lasch (1) ont donné, les premiers, de ces hybrides, des listes bien faites, que De Candolle (2) a épurées de quelques cas douteux, mais que les mêmes observa: teurs et un grand nombre d’autres ont successive: ment enrichies de faits nouveaux (3). On a des exem: (1) Scniebe, De plantis hybridis sponte natis, Cassel, in-8, 1895. — LAsCH, Beitrag zur Kenntniss der Varietäten und Bastardformen einheimischer Gewächse, dans la Linnæa, t. IV, p.405, et t. V p. 434; 4829 et 1830. - (2) Physiologie végétale, Paris, in-8, 1832, t. H, p. 707. (3) Voy., entre autres sources, l'ouvrage déjà cité de GAERTNER, et une dissertation de KREMER, intitulée : De la sexualité et de l’hybridité des plantes, Montpellier, in-8, 18592, Le genre Verbascum est, de tous, celui où l’hybridité est le moins rare on pourrait presque la dire ici commune. Presque toutes Jes W oara SE. 2 ee en ere rene per mene oo rein a + AER TA > DDRs ME ee RA rite vs arte a ERARA A wnn manii FT marie 192 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. X. ples, aujourd’hui, jusque parmi les acotylédones (4). Les hybrides portés sur ces listes, et de même ceux, encore bien plus nombreux, qu’on a recueillis dans les jardins ou créés par la fécondation artificielle, sont, en grande majorité, congénères ; la plupart résultent même du croisement d'espèces de la même section du même genre. Mais il en est aussi qui sont issus d’espèces bien moins rapprochées, et même de genres différents. Si De Candolle, dont lesprit était aussi sévère que la science profonde, a révoqué en doute une partie des cas d’'hybri- dité bigénère cités par les auteurs, il n’a pu se refuser à en admettre plusieurs, non moins remarquables que ceux qu'il rejette : entre autres, l’hybridité d’une campanule avec un autre genre linnéen, Phyteuma ; de l’Ipomæa purpurea avec le Convolvulus sepium, du chou avec le raifort, de la lentille avec la fève, de la vesce avec le Pisum arvense; enfin de divers tabacs et jusquiames avec deux espèces de Datura, solanées séparées des Wicotiana et des Hyoscyamus par des caractères non-seulement de genres, mais de tribus. Exemples à la suite desquels les travaux de plusieurs botanistes récents, et particulièrement de Gärtner, en ont placé d’autres, obtenus, aussi bien que la plupart des précédents, par les procédés de la fécon- dation artificielle. Tels sont divers hybrides de Rhodo- flores récentes décrivent ou citent des molènes hybrides. (Voy. entre autres, NOULET, Flore du bassin sous-pyrénéen, Toulouse, in-8, 1837, p. 451. — Et GODRON et GRENIER, Flore de France, Paris, in-8, t. II, 1859, p. 554.) | (1) Parmi les fougères (groupe déjà mentionné, p. 188), et particu- lièrement dans le genre Aspidium. (Voy. Lascn, Ueber Bastarde unter den wildiwachsenden Farrn, dans la Botanische Zeitung, 1856, p. 433.) HYBRIDITÉ CHEZ LES VÉGÉTAUX. 193 dendron etde Rhodora, de Rhodora et Q'A zalæa, {`A za- læa et de Rhododendron, et surtout de plusieurs ca- ryophyllées des genres Lychnis, Cucubalus et Agro- stemma, dont quelques-unes ont été croisées à plusieurs reprises et dans des combinaisons très varices (4). L’hybridité bigénère, qu'on avait niée en botanique comme en zoologie (2), existe donc parmi les végétaux comme parmi les animaux; bien plus rarement toute- fois que lhybridité congénère. Et ce qu’écrivait Wieg- mann il y a plus de trente ans (8), reste l'expression de l'ensemble des faits connus : « Plus sont rapprochées » les plantes paternelle et maternelle, plus facile est la » fécondation hybride. Elle l'est au plus haut degré entre » sous-espèces ou variétés; ensuite entre espèces diffé- » rentes du même genre; moins entre genres différents » ; et elle ne s'observe plus entre plantes séparées par des caractères de famille (4). 7 Ce qui est vrai pour un des grands règnes organiques, (1) Toutes ne réussissent pas également. Gärtner a obtenu à plu- sieurs reprises des hybrides de Lychnis diurna femelle et de Cucu- balus viscosus mâle. Mais le croisement inverse a toujours été tenté en vain par cet habile expérimentateur, au moins jusqu’à la publica- tion de son ouvrage (1849). (Voy. loc. cit., p. 131.) (2) Ge que fait même encore, en 1859, M. KREMER, Loc. cit., p. 47. (3) Loc. cit,, p. 27. (4) Cette dernière proposition, seulement sous-entendue par Wieg- mann, est formellement énoncée par DE CANDOLLE, loc. cit., p. 703. De Candolle rapproche l'aptitude à l'hybridation de l'aptitude à la greffe, l’une et l’autre limitées aux espèces d'organisation très ana- logue. — C'est ce que fait aussi M. LECOQ, Études sur la géographie botanique de l'Europe, Paris, in-8, t. L, p. 158: 1854. III. 13 * ES GRR ENT a RES 194 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. l'est donc aussi pour l’autre, et la concordance existe entre leurs hybrides sur tous les points où nous venons de les considérer. Disons à l'avance qu’elle va se retrouver dans la suite de cette étude, où il nous reste à considérer les métis dans leurs rapports avec les espèces, races ou variétés dont ils proviennent, et dans leur aptitude à la reproduction. X. On pourrait penser que les unions mixtes donnent généralement lieu, lorsqu'elles sont fécondes, à la nais- sance d'individus mixtes comme elles. Comment un produit ne tiendrait-il pas des deux producteurs , et ne serait-il pas, aussi bien par ses caractères que par son origine, en partie de l'espèce ou de la race paternelle, en partie de l'espèce ou de la race maternelle ? En faisant appel aux faits, on serait de même porté, au premier abord, à attribuer aux métis un’état mixte entre les types de leurs deux parents. Cet état mixte est, en effet, celui des métis dont la connaissance nous est le plus familière. Qu'est-ce que le mulet? Les anciens l'ont exprimé par le nom même qu'ils donnaient à cet hybride : un demi-dne, ‘uiovos, et par conséquent aussi, un demi-cheval : un « animal mi- parti », comme a dit Buffon (4). (4) Hist. nat., t. U, p. 14; 1749. CARACTÈRES DES MÉTIS. 199 Il en est ainsi de plusieurs autres hybrides, presque aussi communs que le mulet lui-même. Le canard mulard, le chardonneret canari, le coquard, et, après ceshybrides, un grand nombre de métis homoïdes, produits des croise- ments les plus en usage dans les haras et dans les fermes, sont, sinon exactement moyens, du moins manifestement intermédiaires entre les deux espèces ou races dontils pro- viennent. De même encore, chez l’homme, le mulâtre tient à la fois du blane et de la négresse ; et le produit de l’union de l’Européen et de LArnétientuss est si bien un être miwte ou mélé, que son nom même le dit: mestizo, dont nous avons fait métis, n’est qu'une des formes néo- latines de mistus (1). Mais des exemples ne sont pas des preuves, et si nom- breux qu'ils soient, on ne doit pas moins rechercher, avant toute conclusion, s'ils ne seraient pas contredits par d’autres faits. Ici, en particulier, n’a-t-on pas à prévoir qu’il devra en être ainsi, et que pour résoudre la question, il faudra la diviser? Nous avons distingué deux ordres de métis, les homoïdes et les hybrides ; et de plus, nous savons les métis homoïdes issus, tantôt de deux variétés et tantôt de deux races, et les hybrides, tantôt de deux espèces et tantôt de deux genres. Est-il supposable que des êtres si divers d’origine soient, avec leurs parents, dans des rapports toujours et invariablement les mêmes ? Kant ne l’a pas pensé, et dans sa dissertation sur les races humaines (2), il est très explicite sur la nécessité de (4) Voy. p. 138, note 2. (2) Citée plus haut, t. IE, p. 312 et suiv., pour les mêmes vues que nous rappelons ici. eme: = -< np EP a ni tin. DE. > ef Re a A a A Re ue >an mme pe mn nana ee is D a ns a pa 2 7 mg 2, ED à or Er aaa me ne re raa a ee ne encre à > En ME en ms = ~- =~ P - ARE PE m n ce re D ET un + + cn anne 196 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. X. séparer même, parmi les homoïdes, les métis de deux races, de ceux de deux simples variétés. A cette ques- tion: Sont-ils moyens entre les deux types originels? Kant veut qu'on réponde, pour les premiers : Ils le sont toujours, et même, ose-t-il ajouter, nécessairement; et pour les seconds : Ils peuvent l'être, ils le sont quelquefois. C'est là, selon lui, une distinction essentielle; et sur elle doivent reposer la définition de la race et celle de la variété. “Ces vues ont été adoptées, après l'illustre créateur du criticisme, par plusieurs de ses disciples immédiats, mais bien plutôt parmi les philosophes que parmi les natura- listes; car, dans notre science, sans même avoir été sérieusement discutées, elles ont été délaissées, jusqu'à tomber bientôt dans un oubli profond. Pas un seul natu- raliste peut-être ne les avait citées depuis un demi-siècle ! Et cependant, si la distinction admise par Kant n’est pas exacte, elle repose sur une notion incontestablement vraie, et qui en 1775 pouvait passer pour nouvelle : celle de la moindre variabilité, sinon de la fixité, des produits homoïdes, lorsqu'ils résultent du croisement de deux races différentes. J'ai moi-même, un demi-siècle plus tard, proposé une distinction analogue, mais entre les deux groupes princi- paux de métis, les hybrides et les homoïdes (1); et non- (1) Article Mammifères du Dict. class. d’ Hist. nat., t. X, p. 121, ou Considérations générales sur les mammifères, Paris, in-18, p. 232; 1826. J'ai depuis reproduit cette distinction dans d’autres ouvrages et dans mes cours, en l’appuyant de nouveaux faits. — Voy. Histoire CARACTÈRES DES MÉTIS: 197 seulement celle-ci s’est maintenue dans la science, mais elle s’y est généralisée. Je l'avais à peine émise, qu'elle était étendue à. l'anthropologie par un des maîtres de cette science, William Edwards (1); et elle l’a été depuis à la botanique par M. Lecoq (2). Cette distinction peut être ainsi formulée : | Les hybrides sont constamment mixtes. Les métis | homoïdes, au contraire, sont très variables : ils peuvent J étre mivtes, mais aussi ne pas létre. Ou, en développant ces deux propositions, considérées par Edwards comme « deux principes fondamentaux et » féconds en applications » : Les hybrides « ont des ca- » ractères assez fixes, et qui sont en partie ceux du père, » en partie ceux de la mère. Le produit peut bien res- » sembler à lun plus qu'à l’autre, mais non pas eæclu- ~ » sivement à lun Ceux; on reconnait toujours en lui > un métis. I n'en est pas toujours ainsi du croisement » de deux variétés d’une même espèce : le produit tient » le plus souvent de l’un et de l’autre ; mais très fréquem- » ment aussi, il ressemble entièrement à l’un des animaux £ » dont il est provenu (8). » Cette ressemblance entière, cette « reproduction . du > type pur primitif», comme l'appelle Edwards, est extrê- NA EE: Bi i y d tÉ | 4 4 [= LE 4014 11 1111 k i i Li - 4 i Es pi 2 Vi! NA NA NA générale des anomalies, t. 1, p. 306, 1839, et Ess. de zool. gén., p. 516; 1841. Voy. aussi le Bulletin de la Société ethnologique de Pa- ris, t. 1, p. 26054847. ; l (1) Des caractères physiologiques des races humaines, Paris, in-8, p. 26; 1899. (2) Géogr. botan., t. 1, p. 159 et 160 ; 1854. (3) Extrait de mon travail de 4896. 198 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Il, CHAP, X. mement fréquente dans les produits homoïdes issus de deux variétés. Tout le monde sait que les enfants sont souvent « tout du côté » de leur père ou de leur mère ; expression dont la vulgarité même atteste la fréquence des ressemblances unilatérales. On ne voit pas moins communément, parmi les animaux domestiques, l'union de deux variétés de la même race donner des produits semblables à l’une, à l'exclusion de Vautre. Parfois même, dans les espèces multipares, on voit naître ensemble des individus semblables, les uns au père, d’autres à la mère; d’autres encore mixtes ; et ceux-ci mixtes, non-seulement à des degrés, mais sous des formes très diverses; les caractères du père et de la mère pouvant se combiner entre eux, ou simplement se mélanger: par exemple, les couleurs se fondre en une nuance moyenne, ou, au contraire, se juxtaposer en panachant l’animal des deux teintes pures. Ces faits n'avaient pas échappé à Kant, mais il les avait regardés comme propres aux métis issus du croisement de deux simples variétés, et c’est ce qui n’a pas lieu : ils se retrouvent bien au delà; de moins en moins, il est vrai, à mesure qu’on passe des races les moins tranchées, les plus récentes, et par conséquent, les plus rapprochées des variétés, aux races que distinguent des caractères plus importants, plus anciennement acquis, et mieux com- parables à ceux des espèces. Les produits sont à peine plus fixes que ceux de deux variétés, lorsqu'on croise deux races très voisines et séparées depuis peu du tronc commun : Comme celles qu’on a obtenues de nos jours du lapin, du rat, du cochon d'Inde et de divers oiseaux ; . CARACTÈRES DES MÉTIS. 199 et, pour citer en particulier l'exemple qui a le premier fixé mon attention sur ces faits, comme le daim blane et le daim noir dont j'ai vu naître tour à tour des individus de l’une ou de l'autre de ces couleurs, ou de toutes deux, ou encore de pelage moyen. | Dans les autres races, la variabilité est bien moindre ; mais, là même, il s’en faut de beaucoup que la fixité soit absolue. Encore moins doit-on admettre, avec Kant, que le produit. soit toujours moyen entre les deux types originels. Rien n’est plus ordinaire que la prédominance très marquée d’un 'de ces types; prédominance qui va, dans quelques cas, jusqu'à l'effacement de l’autre type. C'est ce qui avait lieu, et avec des circonstances très remarquables, dans un exemple que j'ai déjà cité ailleurs. Sur onze petits, nés dans une même portée d’une grande chienne de montagne, je n’en ai pas trouvé un seul qui tint de sa mère : six, tous femelles, étaient des braques; cinq, tous de l’autre sexe, des chiens de Terre-Neuve. ! Deux mâles, de ces races, s'étaient tour à tour aecouplés ` avec la chienne, et chacun avait nettement et exclusive- ment imprimé son type sur ce qui lui appartenait dans cette progéniture d’origine doublement mixte (1). ( 1) Jai recueilli, en 1824, à la Ménagerie du Muséum, cette obser- vation qui offre aussi de l'intérêt au point de vue de la théorie de la procréation des sexes.— Voy. l’art. Mammifères, loc. cit., ou Consid. gén. sur les mamm., p. 284, et, avec plus de détails, dans les Ann. des sc. nat,,t. XF, p. 441; 4827. Cette observation a été reproduite et commentée par GIROU DE BUZAREINGUES, De la génération, Paris, in-8, 1828, p. 188. Il est curieux de rapprocher de cette observation les exemples, plus haut cités (p. 171, note 2), de chiens-loups, nés de louves, et très és TRE dm A AD C T * z ne DE 7 aaa e—a —— a il w a: Ft . _ 3 mn nn pr e gs 200 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. X, XI. Cette fixité « nécessaire », cet état constamment moyen que Kant avait attribué aux métis homoïdes de deux races, n’est même pas admissible, d'une manière générale, pour les métis de deux espèces, ou les hybrides. Mais, du moins, au milieu des variations qui peuvent encore ici se produire, un fait subsiste toujours : si tous les hybrides ne sont pas moyens, tous sont miætes. Pour justifier la première de ces propositions, nous n'avons pas même besoin d'aller au delà des croise- ments les plus connus, ceux de l'âne et du cheval, et des hybrides auxquels ils donnent naissance. Le produit de la jument fécondée par le baudet, et celui de l’ânesse fécondée par le cheval, l’un et l'autre très constants (4), sont établis sur deux types assez différents pour qu’on n’en ait jamais méconnu les caractères. Les Grecs dis- tinguaient déjà l'ivvos de l’âuiovos, les Latins l’hinnus ou semblables à des chiens. Encore ici, le père avait imprimé son type à ses produits, et celui de la mère s'était plus ou moins complétement ` effacé. 11 y a donc des cas où il en est exactement de l’accouplement du chien et du loup, comme de celui de deux chiens de races diffé- rentes : fait manifestement très favorable à l'opinion des naturalistes qui admettent la parenté du loup et du chien. (1) À quelques légères variations près. Ce qu’on peut appeler le type du mulet et celui du bardot, se modifie, selon les races chevaline et asine dont on obtient ces hybrides, et selon le pelage et les autres caractères individuels des parents, : CARACTÈRES DES MÉTIS. 201 hinnulus (1) du mulus, comme nous distinguons le bardot du mulet proprement dit : celui-ci plus grand, ayant «Fencolure plus belle et plus fournie, les côtes plus » arrondies et la croupe plus pleine» ; l’autre, plus petit, « à encolure plus mince, à dos plus tranchant, en forme » de dos de carpe, à croupe plus pointue et avalée » (2), comme chez l'âne. Le bardot n’est done plus, comme le mulet, un « animal mi-parti », demi-âne et demi-cheval, Il tient moins que le mulet de l'espèce chevaline, plus de « l'espèce asine »(3) : il est encore intermédiaire, il n’est plus moyen. Les autres hybrides sont-ils tous, ou, comme le mulet, moyens entre les deux types originels, ou, comme le bardot, plus rapprochés du type maternel? Même à ne considérer que les solipèdes, nous pouvons répondre qu’une troisième combinaison peut se présenter : la prédo- minance du type paternel. L’âne-zèbre de M. Gray (4), et surtout celui de Geoffroy Saint-Hilaire et de Frédéric Cuvier (5), tenaient plus de la souche paternelle qui était (1) Plus tard, burdus où burdo, mot moins usité, et seulement dans la basse latinité. Le sens en est fixé par ces deux vers d'EUGENIUS, ot eur. Burdonem sonipes generat, commixtus asellæ. Mulus ab Arcadicis et equina matre creatur. (2) Burron (d’après le vétérinaire La Fosse), Supplém., t. 1, p. 2, 1776. Buffon figure comparativement le mulet et le bardot, pl. 1 etir (3) Pour l’ensemble de la conformation. 11 est, au contraire, quel- ques détails par lesquels le bardot se rapproche plus du cheval que le mulet. i (4) Voy. p.176, note. (5) Même note, p. 175. (4 202 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. X. l'espèce asine. C'est aussi le type du père, c’est-à-dire ici, celui de l'hémione, qui domine chez la plupart des hémiones-ânes que nous avons obtenus à la Ménagerie du Muséum. Quelques-uns seulement se sont trouvés sensiblement moyens entre l’hémione et l'âne, ou plus voisins de l'âne que de l’hémione. On voit combien il faut se défier des généralités hasar- dées par {ant d'auteurs sur les rapports des hybrides avec leurs parents, et sur l'influence de chacun de ceux-ci dans l'acte reproducteur. Ces généralités ne résistent pas même à l'étude des croisements observés dans un seul genre. Que serait-ce de celle de tous les hybrides! Ce qui, au contraire, reste vrai, non-seulement de tous les hybrides de solipèdes, mais de tous les animaux hybrides, c’est ce qu’en disait déjà Pline il y a dix-huit siècles : « Le produit de deux espèces n’est semblable » ni à l’une ni à l’autre, mais forme une troisième » espèce : tertii generis fieri, et neutri parentum simi- » lia (1) ». Et c’est là un résultat de l'observation, « observatum est », ajoutait Pline, auquel il n’a manqué, pour avoir tout dit, que dénoncer ce que, sans doute, il a sous-entendu : cette troisième espèce, ou, comme nous nous exprimerions aujourd'hui, cette troisième forme est intermédiaire entre les deux dont elle dérive. Nous ne connaissons pas un seul fait qui démente la généralité si nettement posée par le naturaliste romain. Parmi les nombreux hybrides qui se sont présentés à l'observation, on trouve des exemples de toutes les com- (1) Lib. VII, LXIX. CARACTÈRES DES MÉTIS. 203 binaisons possibles, hors une seule, celle dont Pline nie l'existence. Tl arrive fréquemment qu'un hybride tienne plus de sa mère que de son père, ou réciproquement; on ne le voit jamais tenir d'elle ou de lui seul. A une double origine spécifique correspond toujours une double similitude. Mais cette double similitude peut se manifester très ` diversement. Il peut y avoir fusion plus ou moins intime des deux types originels ; ou, au contraire, simple mélange de ces types, par juxtaposition de caractères empruntés à chacun d'eux. Dans le premier cas, les deux types, partout altérés l’un par l’autre, ne se montrent plus nulle part : où retrouver les types purs du cheval et de l’âne dans le mulet etle bardot, ceux dela poule et du faisan dans le coquard, ceux des canards commun et musqué dans le canard mulard? Et de même, après ces exemples si con- nus, pour un grand nombre d’autreshybrides ; car c'est là le cas ordinaire. Ailleurs, au contraire, chaque type est séparément empreint sur hybride : telle région ou tel ordre de caractères est comme chez le père, tel autre comme chez la mère : seconde et curieuse forme de l’hybridité, dont les exemples ne sont pas très rares chez les oiseaux. Dans une expérience récemment faite en Angleterre, le produit de la fécondation, par un cygne noir australien, d’une femelle de l'espèce domestique, S'est trouvé être un cygne blanc à tête noire (4). On a vu aussi le croisement du faisan commun, où celui du faisan à collier, avec l’argenté, donner des hybrides qui les re- (1) Voy. p. 179, note 1, + de EE. A N 4 siiki é: ite i = à er 2 Pl nr i D PPT OS RE on ee MR 20/4 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. produisaient tous deux partiellement; et ce mélange est même assez peu rare dans les oiselleries pour que tous les ornithologistes en connaissent des exemples. Le plus souvent, au moins quand le mâle appartient à l'espèce argentée, les hybrides sont blancs en dessus comme celle-ci, roux en dessous comme l'espèce commune, avec la tête, tantôt huppée et caronculée, tantôt huppée sans caroncules, et tantôt ni huppée ni caronculée (4). Voilà ce que nous avons vu chez les hybrides que nous avons pu examiner par nous-même; et c'est aussi ce qui avait lieu dans tous les cas qui nous sont connus par de bonnes descriptions. Fusion ou mélange en pro- portions très diverses, ou encore, fusion et mélange par- liels des deux types; mais jamais un seul type. Tel est le résumé de tout ce qu’on sait positivement des nombreux hybrides observés parmi les mammifères, les ‘oiseaux, les poissons, et même aussi chez les végétaux (2). Si le contraire a été quelquefois admis, c’est presque toujours parce qu’on s’en était tenu à un examen très (1) Peut-être est-ce d’après quelques faits de ce genre que M. CORNAY a cru devoir présenter la «coexistence» comme le caractère des hy- brides, par opposition à la « coïncidence », quiserait celui des espèces pures. —- Voy. le Bullet. de la Soc. ethnolog., 1847, p. 260 et 261, et Éléments de morphologie humaine, Paris, in-12, 1850, p. 147. (2) Les hybrides végétaux, selon M. LECOQ, Géog. bot., t. I, p. 159, ne seraient pas seulement mixtes, mais moyens, et ils le seraient par fusion, et non par mélange des caractères. «Tous les organes», dit le savant botaniste et géologue, « tiennent à la fois du père et de la » mère et paraissent dépendre autant de l’un que de l'autre. » Mais on a des faits contraires à cette assertion, et le mélange des caractères des deux sexes ne parait mème pas très rare dans les plantes hybrides. DE CANDOLLE a vu et mentionné, loc. cit., p. 7417. PS ha CARACTÈRES DES MÉTIS. 205 superficiel et très incomplet, ou faute de connais- sances suffisantes sur les caractères des types originels. Ainsi s'expliquent les vagues assertions de plusieurs voyageurs, et les erreurs où d’apparentes similitudes entraînent parfois non-seulement le public, mais les naturalistes eux-mêmes. On a, par exemple, assimilé à l’hémione pur des hémiones-ânes, qui en différaient par les proportions de la tête, la longueur des oreilles, les formes de plusieurs parties du corps, et la distri- bution des couleurs du pelage. Mais les teintes étaient sensiblement celles de l’hémione, et il avait suffi de cette similitude pour faire illusion à des yeux peu exercés (L). De telles erreurs ne méritent pas qu’on s’y arrête ; mais il n’en est pas de même d’un prétendu exemple de ressemblance unilatérale, récemment annoncé par un un hybride del Amaryllis vittata fécondée par l'A. reginæ, qui ressem- blait «complétement à sa mère par l'herbe et à son père par la fleur». Il y a aussi, parmi les végétaux, des exemples d’un état mixte plus rapproché de l’un des parents. M. MOQUIN-TANDON à fait connaître (voy. le Journal d'agriculture pratique de Toulouse, t.1T, p. 364, 1839) un hybride de Tigridia pavonia fécondée par la T. conchiflora, et plus voisin de la première. Et il faut bien que les faits de ce genre ne soient pas rares; car il y a des botanistes qui veulent que « le sujet se » rapproche toujours davantage de l’un des deux types, de celui qui a » exercé les fonctions de mère. » (NOULET, loc. cit., p. 450.) j Voy. sur cette question qu’il a traitée avec le même soin que les autres, GAERTNER, loc. cit., p. 276 et suiv. (1) Nous retrouvons, au contraire, la distribution des couleurs de l'hémione chez un autre hybride, un hémione-dauw, qu'a figuré M. GRAY, loc. cit., et qui se rapprochait beaucoup plus de l’hémione que du dauw. On retrouvait, néanmoins, aussi plusieurs des carac- tères de cette dernière espèce, et entre autres des traces très mani- festes de zébrures. 206 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. X. naturaliste dont la compétence et l'autorité ne sauraient être contestées, M. Guérin-Méneville. Selon ce savant entomologiste, les chenilles hybrides du ver à soie du ricin et de celui de l’ailante auraient « tous les caractères » de cette dernière espèce. Mais, lorsqu'il s'exprimait ainsi, M. Guérin n'avait vu ces chenilles que très jeunes encore (1). À mesure qu’elles se sont développées, l'état mixte est devenu manifeste, et M. Guérin a lui-même reconnu (2) qu'il y avait simplement prédominance (très marquée, il est vrai) du type de l'espèce de l’ailante, soit dans les chenilles elles-mêmes, soit, après la montée, dans les cocons. Des éducations faites au Muséum d'his- toire naturelle nous ont permis, non-seulement de revoir à notre tour les mêmes faits, mais de reconnaître que le type du ver de l’ailante ne prédomine pas chez toutes les * chenilles hybrides; qu’il existe parmi celles-ci de très grandes différences au milieu desquelles l’état mixte reste seul constant ; etque ce qui est vrai de la larve et du cocon, l’est aussi du papillon, qui a, lui aussi, ses caractères propres, intermédiaires entre ceux des types originels. Ainsi disparaît, ou plutôt se change en une preuve de plus en notre faveur, le seul fait zoologique qui parût de nature à nous être opposé comme une objection sérieuse. Nous croyons donc pouvoir maintenir les conclusions que nous posions il y a trente ans, et redire aujourd’hui : (1) Lui-même le dit, Compt. rend. de l'Acad. des sc, t XLVII, p. 542, et Rev. zool., 1858, p. 402. ; (2) Compt. rend., ibid., p. 692, et Rev, zool., ibid., p. 489. — Les différences, « peu sensibles» , sont, selon M. Guérin, 1 a petitesse des points noirs, et un léger excès de taille. CARACTÈRES DES MÉTIS. 207 Les métis homoïdes, très variables dans leurs rapports de similitude avec leurs parents, peuvent étre miætes ; les hybrides le sont toujours. Double proposition en regard de laquelle nous avons maintenant à placer celle-ci : | Les hybrides, très variables au point de vue de la fa- | culté reproductrice, peuvent étre féconds. Sauf les vices | individuels de conformation, les métis homoïdes le sont Î toujours. XII. La question de la fécondité des hybrides a été posée dès l’origine de la science. Sans remonter jusqu’à Alc- méon, Démocrite et Empédocle, qui se préoccupaient déjà des causes de la stérilité du mulet, Aristote (1), les discutant à son tour, avait cru les trouver dans des faits propres à cet animal, et dérivant des tempéraments des deux espèces qui lui donnent naissance. La stérilité ne serait ainsi chez le mulet qu’un cas particulier dont il n’y aurait rien à conclure à l'égard des autres hybrides (2). Nous trouvons chez Pline(3), quelques siècles plus tard, des vues contraires. Selon lui, les animaux nés de deux (4) De la génération, liv. I, chap. vin. (2) « Tò dé roy piivoy Yévos Ékov dyovóv écruw », dit ARISTOTE au COM- mencement du chapitre. Mais il ne s’agit ici que des mulets propre- ment dits, et non des hybrides en général, comme pourraient le faire croire certaines traductions. (8) Lib. VIIN, LXIX. C’est la suite du passage cité p. 202. 208 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. X. espèces (1) seraient stériles, et ce serait là un fait constaté par l'observation, et vrai de tous les animaux : « in omni » animalium genere », dit Pline. Si des métis ont mis bas, ajoute-t-il, ce sont de rares exceptions, mises au rang des prodiges : « prodigii loco habitum ». Ces vues de Pline et de plusieurs anciens sont deve- nues, dans le moyen âge et la renaissance, des croyances presque religieuses. Non-seulement, disait-on alors, les hybrides sont stériles, mais ils doivent l'être ; car ce sont les fruits réprouvés d'unions adultères; animalia adulterina, comme les appellent plusieurs auteurs (2), et leur posté- rité serait une race contre nature. Ces opinions paraissent avoir eu cours jusque dans le xvim siècle ; car le savant Sprenger croit encore devoir réfuter, en 1753, ce vieil argument : Deum subjecisse animalia hybrida exsecra- tioni, ut nequeant se propagare (3). Et Sprenger le réfute par un autre argument théologique, tiré du sens très général de ces paroles de la Genèse : Crescite et mul- tiplicamini. Les vues de Pline ont été aussi celles de Buffon dans ses premiers travaux. Aussi absolu qwaucun de ses devanciers, notre grand naturaliste voulait d’abord que, de l'union de deux espèces différentes, půt tout au plus « résulter un animal mi-parti dont il ne résulterait (1) « E duobus generibus nata. » Genera signifie ici espèces, et non genres (voy. t. II, p. 354), et par conséquent il s’agit, dans ce passage, non des hybrides bigénères, mais des hybrides en général, (2) Entre autres NIEREMBERG, loc. cit., p. 90. (3) SPRENGER, Opuscula physico-mathematica, Hanovre, in 8, 1753, p. 27 et 29. PRÉTENDUE INFÉCONDITÉ DES HYBRIDES. 209 » rien (1). » Cette première opinion de Buffon a été plus tard réfutée par lui-même (9) ; et si bien, qu'il n’a plus été possible de la soutenir après lui, sans l'avoir profondément modifiée. Au faif net et simple de l'infécondité des hy- brides, on a substitué la notion complexe d’une fécondité tantôt nulle, tantôt incomplète. Telle est la doctrine de Cuvier et de presque tous les naturalistes de notre époque, tendant encore ici, sous l'influence du système de la fixité de l'espèce, à resserrer entre les plus étroites limites le champ de la génération hybride (3). « Quand les pro- » duits, dit Cuvier, sont féconds, ce qui est rare, leur » fécondité ne va point au delà de quelques généra- » tions (h). » « Quatre ou cinq», selon Frédéric Cuvier(5), qui a essayé de compléter et de préciser l'assertion de son illustre frère. Cette doctrine est encore aujourd’hui celle qui règne dans la science. Nous y trouvons très généralement admises par les naturalistes les deux propositions sui- vantes, l’une et l’autre démontrées, disent-ils , par l'ob- servalion et par l'expérience : Les produits de deux races ou de deux variétés de la méme espèce, en d’autres termes, les métis homoïdes, (1) Hist. nat., 1. 11, p. 11; 1749. (2) Voy. le Chap. VI, sect. Vi; t. Il, p. 391. (8) Voy. la section m de ce Chapitre, p. 147. (4) Ossem. foss., loc. cit., p. LIX; 4824. (5) Hist. nat. des mammif., article sur des métis de lion et de tigre, 1826. L'auteur ne dit pas ce qui le conduit à adopter ce nombre. Ila sans doute en vue les faits relatifs aux chiens métis de Buffon. Voy. plus bas, p. 216. HI i 3 FES 210 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. X. sont féconds ; leurs descendants le sont aussi. La fécon- dité est continue. Les produits de deux individus d'espèces différentes, en d'autres termes, les hybrides, sont généralement infé- conds. Si, par exception, ils viennent à produire, leur fécondité est du moins limitée à une ou à quelques géné- rations ; par conséquent, non continue. Les espèces seraient donc « toutes séparées par un inter- » valle que la nature ne peut franchir » (1). Conséquence éminemment favorable au système de la fixité de l'espèce; car elle nous montrerait, avec évidence, la nature prenant soin, comme le disait Cuvier (2) «d'empêcher l’altération » des espèces ». Et nous aurions ainsi, ajoute M. Flou- rens, «la raison, et la raison démontrée, de la fixité des » espèces » (à). Mais les deux propositions qui précèdent sont-elles justifiées par l'observation ? Contre la première, nous trouvons des opinions, mais point de faits. C’est une croyance répandue parmi les agriculteurs, qui même ont parfois été plus loin (4), que les produits de deux races domestiques très éloi- gnées l’une de l’autre ne jouissent pas d’une fécondité complète et continue (5). Mais rien ne justifie cette (4) Cette phrase, souvent citée, est de BUFFON, avant qu’il fût devenu partisan de la variabilité de l'espèce. Voy. Hist. nat., t. V, p. 59; 4755. (2) Loc. cit. (3) Buffon ; histoire de ses travaux, Paris, in-12, 1844, p. 105. — Voy. aussi les autres ouvrages, déjà cités, de M. Flourens. (4) Voy. p. 175, note 4. (5) Le croisement de races humaines très différentes ne serait, de l PRÉTENDUE INFÉCONDITÉ DES HYBRIDES. 211 croyance; et en füt-il autrement, il resterait à examiner si ces races très éloignées, et imparfaitement fécondes entre elles, ne proviendraient pas d'espèces diffé- rentes. Contre la seconde proposition s'élèvent aussi des opi- nions : les unes, il est vrai, irès hasardées ; mais d’autres plus réfléchies, et dont on eût dù tenir compte plus qu’on ne l’a fait. Sans doute, et il ne peut y avoir qu'une opi- nion à cet égard, quand Bacon nous représente les phy- siologistes de sa ville imaginaire, Bensalem, en possession d’hybrides « non stériles, malgré l’opinion commune »(4), il ne s'appuie pas sur les faits, mais il les devance; il ne conclut pas, mais il conjecture; et les naturalistes pou- vaient ne pas s'arrêter à cette témérité philosophique. Mais leur était-il permis de passer de même sur la ferme réfutation, faite par Buffon lui-même, de Ja pré- tendue «infécondité des hybrides » (2) , et sur le rejet, même, que très peu fécond, selon plusieurs auteurs récents, et par- ticulièrement selon M. JACQUINOT, dans le Voyage de Dumont D'UR- VILLE au pôle sud, Zoologie, t. II, p. 92 et suiv., 4846. C’est un des arguments dont se sert l’auteur pour établir la diversité spécifique des principaux types humains, qui seraient, selon lui, au nombre de trois. Ce sujet vient d’être abordé de nouveau par M. BROCA, Mémoire sur | l’hybridité, dans le Journal de physiologie de M. BROWN-SÉQUARD, | t. 1, p. 729; 1858. La question doit être traitée dans la troisième { partie, encore inédite, du mémoire de M. Broca. | (1) « Neque eas steriles, prout communis fert opinio », dit BACON, dans le même passage de la Nova Atlantis, où il se prononce pour la variabilité de l’espèce, et dont nous avons déjà cité quelques lignes (t, I, p. 384, note). (2) Voy. t. IL p. 395. 212 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. X. par Pallas (1), de ce « paradoxe », échafaudé, dit-il, sur quelques expériences, mais que ne sauraient accepter des observateurs sérieux ! On a continué cependant, on continue encore à l'ac- cepter, et à en faire, avec où même sans les tempéra- ments admis par Cuvier, un des éléments de la doctrine de la fixité de l'espèce, et par suite un des principes de la science. Nous nous sommes déjà à plusieurs reprises élevé contre ce faux principe, mais sans prétendre lui substituer le principe contraire. La première erreur, dans l'étude des hybrides, a été de prétendre ramener à une loi commune des faits qui ont chacun leur règle propre. On avait fait du mulet, à tous les points de vue, le type des hybrides de toutes les classes; et nous avons montré qu'il n’est pas même, pour les rapports du produit avec les produc- teurs, le type des hybrides de solipèdes. I n’est pas plus vrai que tous ces hybrides lui ressemblent par leur inaptitude à la reproduction; et à plus forte raison, trou- verons-nous dans d’autres groupes des exemples d'hy-” (1) Spicilegia zoologica, Fasc. XI, 1776, art. sur les Ibex, p. 31 etsuiv. En s'élevant ici contre ce qu'il appelle « Paxiome » de Buffon, Pallas n’a pas seulement le tort d’exagérer la critique jusqu’à l’injure envers le grand naturaliste français. Il oublie que l'opinion qu’il combat avait été, depuis dix ans, abandonnée par Buffon qui lavait réfutée, à l’aide des mêmes faits, et parfois dans les mêmes termes. Ce n’est qu’une «opinion préconçue, præconcepla opinio », dit Pallas en 1776; ce n’est qu’un « préjugé», avait dit Buffon en 1766, Hist. nat , t. XIV, p. 336. Le mot préjugé a été reproduit par Buffon en 1776, Supplém., t. 1H, p. 20, et en 4785, Histoire naturelle des oiseaux, t. IX,p. 166. 1 HYBRIDES INFÉCONDS. | 913 brides plus ou moins féconds; parfois même féconds à l'égal des races pures (1). XMI. Les hybrides inféconds ne sonl, à vrai dire, que les hybrides les plus rarement féconds; car leur infécon- dité n’est jamais absolue. Le mulet lui-même produit, (i) Dès 1847 j'avais pu réunir à la Ménagerie du Muséum, outre des métis de chien et de loup, de chien et de chacal, six produits d’hy- ` brides de différentes espèces, comme on peut le voir par une com- munication faite à la Société ethnologique de Paris, et résumée dans son Bulletin, loc. cit., p. 260. | Le prétendu principe de Pinfécondité, admis presque unanimement par les zoologistes, est loin d’avoir été aussi généralement accepté par les botanistes et par les anthropologistes. — Parmi les premiers, voy. De CANDOLLE, loc. cit., p.712, 1839 ; C.-F. GAERTNER; loc. cit., p. 381, et LECOQ, dans sa Géogr. bot., loc. cit., p. 462, et dans ses publica- tions spéciales sur les hybrides. — Et parmi les seconds, D'OMALIUS D'HALLOY, Note sur la succession des étres vivants, dans les Bull, de l’Acad. des sc. de Belgique, t. XII, 47° part., p. 581 ; 1846; et G. MOR- TON, Hybrid, in Anim., loc. cit., 4847. De ces deux derniers auteurs, le second a malheureusement recueilli avec trop peu de scrupule les faits rapportés par les auteurs. Et le premier s’est borné à quelques remarques générales très brièvement présentées, mais très justes : « Quand nous parlons de » la stérilité des hybrides, dit M. d'Omalius d’'Halloy (p. 587), ne » ressemblons-nous pas à un cornac indou qui dirait que les élé- » phants sont stériles, parce que l’on n’en à pas vu encore se repro- » duire en domesticité?. . I est probable que si les hybrides stériles » ne se reproduisent pas, c’est qu'ils ne se trouvent pas dans les con- » ditions nécessaires pour que leur reproduction ait lieu. » Dans le petit nombre des auteurs récents qui se sont élevés contre 214 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV; H, CHAP. X. mais très exceptionnellement, sous notre climat; moins rarement dans les pays chauds (4). Le produit du mulet et de la jument aurait même été assez connu des an- ciens, pour avoir eu chez les Grecs, selon quelques auteurs, un nom particulier, vos ou yívvoç, rendu en latin par les mots ginnus et parvus mulus (2). Le genre Equus nous offre déjà, dans d’autres croise- ments, l'exemple d’une fécondité moins exceptionnelle, quoique encore très limitée. Nous pouvons citer plusieurs produits d’hybrides d'âne ou d’ânesse. Entre ces produits, le plus remarquable est un mulet obtenu, en Angleterre, d’une jument qu'avait fécondée un hybride d'âne et de le prétendu principe de linfécondité des hybrides, nous pouvons citer aussi un illustre chimiste, M. CHEVREUL, qui dit en propres termes (loc. cit.) : « La fécondité de plusieurs animaux hybrides est » incontestable. » L'auteur cite deux faits à l'appui de cette pro- position. (1) Voy. Burron, Suppl., t. II, p.16, 4776, et t. VII, p. 140; addition relative à une mule qui avait donné six poulains en Espagne, de 1763 à 1776. — MOREAU DE SAINT-MÉRY, Observations sur les animaux utiles aux Colonies, dans les Mémoires de la Société royale d’agricul- ture, 1789, 2° part., p. 181. — Turpuri, Mémoire déjà cité, dans les Ann, de l'agric. franç., 1807; voy. p. 196. Voy. aussi sa Répl, à Huzard, 1808. (2) PLINE, Lib. VII, LxIx.— Voy. aussi ARISTOrE, Hist. des anim., liv. VE, Xxīv. D'après MAGON et d’autres auteurs cités par COLUMELLE, De re rustica, lib. VI, cap. XXXVII, la reproduction aurait été aussi habi- tuellement obtenue, en Afrique, pour la mule que pour la jument : «tam familiares partus, dit l'auteur, quam sunt nobis equarum. » Quant aux mulets féconds de Syrie dont parle ARISTOTE, loc. cit., lui-même les dit d'une autre espèce. Ce m'étaient pas des mulets, mais, selon toute apparence, des individus de l'espèce, nouvellement retrouvée, que j'ai nommée hémippe (Equus hemippus). HYBRIDES INFÉCONDS 319 zébresse (4). A la Ménagerie du Muséum, un autre hybride mâle, né d’un hémione et d’une ânesse, a fécondé les deux espèces dont le croisement Favait produit. Des expériences multipliées nous ont toutefois appris que cet hémione-âne, s'il est plus fécond qu'un mulet ordinaire, l'est moins qu'un individu d'espèce pure. | L'infécondité ou une fécondité très restreinte est de même le caractère de plusieurs autres hybrides, soit parmi les mammifères, soit dans d’autres classes. On a vu très fréquemment des oiseaux hybrides ne pondre que des œufs clairs; d’autres ne rien produire. Le coquard mâle, les produits du croisement du faisan ordinaire avec le doré et avec l’argenté, et une partie des palmipèdes, des pigeons et des passereaux hybrides, sont au nombre de ces oiseaux inféconds ou très rarement féconds. Il n’y a done nullement lieu, malgré une assertion que le nom de ses auteurs (2) ne nous permet pas de négliger, de faire, en faveur des oiseaux « en général », une excep- tion à la prétendue règle de l'infécondité des hybrides. Dans les mêmes classes où nous venons de citer des hybrides inféconds, nous en connaissons aussi de féconds, (1) Voy. p. 176, note. (2) Vico D'AZYR, dans l Encyclopédie méthodique, Système anato- mique. Quadrupèdes, t. I, p. elxj, 1792. — Et surtout GUILLEMIN et Dumas, Observations sur l’hybridité des plantes, dans les Mémoires de la Société d'Histoire naturelle de Paris, t. I, p.91, 1828. Nous ne citerons pas ce mémoire, sans rappeler que Guillemin avait- entrepris sur l'hybridité végétale une série de recherches, inter- rompue par la mort si prématurée et si regrettable de ce savant bo- taniste. On trouve du moins les premiers résultats de ses recherches dans le remarquable article Hybridité du Dict. class. d'Hist, nat., te VII, 1825. BENQ NS oh mt mm" 5 SR à à ét Ce Tag 2 — PRE 7 e De v- e n A ~ E -i oo pm ie ee is - ige an k 216 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. et ceux-ci bien plus dignes d'intérêt, puisque chacun d'eux est un démenti donné à une des erreurs les plus souvent reproduites dans la science. Aussi nous attache- rons-nous à faire d’abord, avec le plus grand soin, le départ des faits faux ou douteux, et de ceux contre lesquels ne saurait s'élever aucune objection. Déjà plusieurs éliminations se trouvent faites à l'avance. Comment croirions-nous à la descendance des hybrides de chien et d'ours, de chat et de fouine, de chat et de marte, de bélier et de chevreuil, quand ces hybrides eux- mêmes sont douteux, ou même ne reposent que sur des erreurs de détermination ou sur des contes? Comment pourrions-nous affirmer que des chiens-renards se sont reproduits jusqu’à la troisième génération, quand lexis- tence elle-même de ces métis n’est pas suffisamment attes- tée ? Avec ces divers cas déjà mentionnés, nous laisserons de côté la prétendue race de bisons-bœufs dont parlent, sans nulle preuve, plusieurs auteurs, copistes trop con- fiants de Rafinesque, et les douteuses postérités attribuées de même, sans nulle preuve, à divers oiseaux. La reproduction des chiens-Joups est, au contraire, in- contestable. Tous les naturalistes connaissent les célèbres observations de Buffon sur quatre générations métives, issues d’un braque et d’une louve (1). Depuis, d’autres exemples se sont produits spontanément ou ont été obte- nus en divers lieux, et, notamment, au Muséum d'histoire naturelle. (1) Voy. Supplém., t. HI, p. 9, 4776, premières observations faites chez le marquis de Spontin ; et surtout t. VIE, p. 161 et suiv., pl. XLIV à XLIX. HYBRIDES FÉCONDS. 217 Dans le même établissement, deux séries d'expériences, inslituées pour le chacal par M. Flourens et par moi, ont donné de semblables résultats. Du croisement du chacal avec le chien, j'ai eu trois générations métives, et M. Flourens quatre (4). | Au Muséum aussi, eten plusieurs autres lieux, on a de même obtenu, de métis issus du croisement du mouflon de Corse avec la brebis, et de divers bouquetins avec la chèvre, des produits qui eux-mêmes ont été féconds. Ici encore plusieurs générations ont été facilement obte- nues (2). (1) Les métis que j'ai obtenus étaient issus d’un chacal mâle et d'une chienne d'Islande. | ba Pour les expériences de M. FLOURENS, voy. De Pinst. et de Pintellig. des anim., 2° édit., Paris, in-12, 1845, p. 419 ; et De la longévité humaine, Paris, in-12, 4854, p. 144. — M. Flourens n’a pas seulement répété à plusieurs reprises l’expérience que j'avais faite: il a aussi / obtenu des produits de la chacale, fécondée par le chien. M. Flourens a fait plusieurs fois, dansses cours, l'exposition détaillée ` deses expériences, et il les a souvent citées dans ses ouvrages, à l'appui de ses vues théoriques; par exemple, pour réfuter le système de la préexistence des genres. (Voy. plus haut, t. II, p: 457, note.) C'est de même, dans mes cours, que j'ai exposé les résultats de mes expériences, qui remontent à plus de dix ans. « Mes expériences sur les métis du chien et du chacal », disais-je en 1849 (Comptes rendus de l Acad. des sc., t. XXVIII, p. 56), « ont bien réussi, et M. Flourens les a répétées non moins heureusement, et même, je crois, poursuiviest plus loin ; et quoique le chien descende du chacal, ce fait a de la valeur, | puisque le chien donne aussi avec le loup des métis féconds. » Į Sur ces faits, et sur les autres exemples d’hybridité constatés à la J Il Ménagerie du Muséum, voy. Duvernoy, article Propagation du Dict. univ. d'Hist, nat.,t X.,p. 547; 1847. (2) Pour le mouflon, voy. p.174, note 1. Pour le bouquetin, soiten captivité, soit à l'état sauvage, plusieurs a RP UNE NUE — ins SR 0 a QI a op NÉE PA AP pére pen D Gr mg n dE j z SE TES F z ii os ito EN hii z TRS eh mo EEE AIE = AETA PIRE SUA ~ D TA F ANNA x 218 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV: li, CHAP. X. Mais si tous ces faits sont à Fabri du doute, leur inter- prétation ne lest pas. Lés produits du croisement du chien avec le loup et avec le chacal, du mouflon avec la brebis, du bouquetin avec la chèvre, sont-ils de véri- tables hybrides? Oui, selon les uns; mais non, selon les autres (1); et dans ce partage des opinions, comment ne pas reconnaitre que, là encore, ne sont pas des preuves irrécusables de la fécondité des hybrides ? Passons donc à d’autres faits et à de plus décisifs, c’est- à-dire, à des exemples à la fois authentiques et exempts de toute incertitude sur la diversité spécifique des parents des animaux hybrides. XIV. Un premier fait, et très remarquable, puisqu'il s’agit ici d'un hybride bigénère, nous est offert par le métis du bouc et de la brebis. Est-il, comme l’a dit un auteur (2), « aussi fécond que sa mère et son père»? Les faits n'au- faits ont été réunis par CUVIER dans la Ménagerie du Muséum ` d'Histoire naturelle (1801-1804), article Paseng ; — Et par TSCHUDI, dans son ouvrage récent Sur les Alpes; trad. frang., Paris, gr. in-8, 1859, p. 655. (1) Voy. le Chapitre X. (2) GUEROULT, traduction de l'Histoire naturelle des animaux, de Puing, Paris, in-8, 1802, t. I, notes, p. 475. L'auteur paraît avoir été induit en erreur par une supposition de Borron (Hist. nat., t. XII; voy. plus haut, p. 162, note 2), supposi- tion prise par Gueroult pour une affirmation. Buffon a mentionné très brièvement ailleurs (t. XF; voy. la même note) la fécondité du produit du bouc et de la brebis. HYBRIDES FÉCONDS, 219 torisent pas, jusqu’à présent, une assertion aussi absolue. Mais ce que nous pouvons affirmer, c'est que ce métis est très apte à la reproduction. Dans les troupeaux du Chili, on fait habituellement féconder par les boucs, non-seulement les brebis (4), mais aussi les femelles de la seconde, de la troisième, de la quatrième génération hybride. C'est là qu’on s'arrête généralement; non qu’on ait reconnu l'impossibilité d'aller au delà; mais parce qu’à la quatrième génération, et souvent dès la troisième, la toison perd en grande partie les qualités qu’on recherche dans les pellones, et devient de peu de valeur. D'autres troupeaux américains nous offrent des faits analogues. L'alpa-lama, ou le produit de l’alpaca et du lama, est incontestablement très fécond, et aussi bien avec lui-même qu'avec le lama et l'alpaca pur. Ce fait est vul- gaire au Pérou et en Bolivie, où l’on rencontre dans les troupeaux une multitude de métis à tous les degrés. La plupart des prétendus alpacas qu’on à introduits et fait reproduire en Europe, ne sont que des alpa-lamas, La facilité avec laquelle se croisent le lama et l’alpaca a induit un grand nombre d'auteurs à rapporter ces deux animaux à une seule et même espèce : mais celle opinion _füt-elle fondée, les défenseurs de l’infécondité des hybrides n'en seraient pas plus avancés. L’alpaca ne peut être, à la fois, de même espèce que la vigogne et que le lama. Or il donne des métis féconds avec l’une et avec l’autre. Sur ce fait, déjà indiqué par Francisco de Theran (2), (4) Voy. p. 162. (2) Primero ensaio feito paradomestiear as Vigonhas, dansles Annaes das Sciencias, das Artes e das Letras, t. XIV, part. 11, p. 16, 1821, \A me À XL aei Poire ne nee he a s M PE “gy DR Te a a E Fs E e 2 sioni 220 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. i1, CHAP. X. mais qu’on avait contesté, le doute n’est plus aujourd’hui possible. Des croisements, faits au point de vue industriel, et qui n'intéressent pas moins la science que l’industrie, ont mis récemment M. l’abbé Cabrera, curé au Pérou, en possession de tout un troupeau d’alpa-vigognes. Une partie de ces animaux, à laine longue comme chez l'alpaca et presque fine comme chez la vigogne, était issue de vigognes saillies par un alpa-vigogne, et d’alpa-vigognes fécondées par des alpacas; d’autres avaient à la fois pour père et pour mère des alpa-vigognes (4). La fécondité de l’hybride du chameau et du droma- daire est affirmée par plusieurs voyageurs, et sur leur témoignage, Buffon (2) n’a pas hésité à admettre lexis- tence d’une « race » hybride, résultant du croisement des deux chameaux. Nous n'avons aucune raison de nier qu'il en soit de ces animaux comme des camélidés américains ; mais nous sommes loin de pouvoir être aussi affirmatif à leur égard que nous l'avons été pour ceux-ci, et que nous allons l'être, d'après les résultats de nos expériences et de nos observations à la Ménagerie du Muséum, pour les hybrides de l’yak avec le zébu, et de divers cerfs entre eux. | La fécondité de l’yak-zébu, ou dzo, est également (1) J'ai reçu de M. WEDDELL, sur ce troupeau visité par lui en 1847, et de M. F. Denis, si bien au courant de tous les faits relatifs à Amérique, de très intéressants détails sur les résultats des essais de M. Cabrera. On les trouvera en partie dans une Note sur l’alpaca el l'alpa-vigogne, que j'ai communiquée à l’Académie des sciences en 1829. Voy. les Compt. rend., te XXVIIL, p. 52. (2) Hist. nat., t, XI, p. 212 et213; 1754, HYBRIDES FÉCONDS. 291 attestée par les relations des voyageurs (1), et par ce que nous avons vu à la Ménagerie, enrichie par M. de Monti- gny,en 1854, d’un troupeau composé de onze yaks purs et d’un dzo femelle (2). De tous ces individus, le plus fécond s’est trouvé être celui même qui, d’après l'opinion généralement reçue, aurait dû être stérile : en cinq années, le dzo nous a donné cinq produits. Le premier né d’entre eux a déjà fait des saillies, mais il est encore impossible de savoir si elles seront productives. Parmi les ruminants à bois, nons avons eu à la Ména- gerie des produits des métis du cerf d'Algérie (Cervus barbarus) et de la biche commune, du cerf gymnote et de la biche de Virginie, du cerf pseudaxis et de la biche axis. Le premier de ces exemples, en raison de la proximité des deux types originels, ne mérite pas de nous arrêter ; et il en serait de même du second, si la biche hybride, d’abord obtenue, n’eûtété fécondée, non-seulement par un cerf de Virginie, mais aussi, une autre année, par une espèce d’une section très différente, le daim : l’individu fruit de ce der- nier croisement avait donc, mélangé dans ses veines, le sang de trois espèces. Cette famille d’hybrides s’esthientôt / éteinte; mais celle des hybrides de pseudaxis et d’axis se perpétue à la Ménagerie depuis vingt ans : nous avons eu une seconde génération métive en 1842, et une troisième (4) Voy. entre autres CAMPBELL, Notes on East. Thibet, dans le Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, 1855, n° 3, p. 245, note. (2) Voy. p. 67. De ces douze individus, trois ont été définitivement attribués au Muséum, dans le partage du troupeau, réglé, quelques mois après son arrivée en France, par M. le Ministre de l'instruction publique. Le dzo a été, heureusement pour la science, un de ces trois individus. ra dé nes A, TS 222 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. X. en 1850; et dans notre petit troupeau, les hybrides ne se sont pas montrés moins féconds que les axis pur sang (4). Aprés tous ces exemples d’hybrides féconds chez les ruminants, nous en avons un, et plus remarquable encore, entre deux rongeurs, le lièvre et le lapin, aussi éloignés l’un de l’autre que peuvent l'être deux espèces congé- néres. Les produits de lapin et de hase, sujets d’une an- cienne et intéressante observation recueillie par Amo- retti (2), étaient féconds ; et les hybrides nés du lièvre et de la lapine jouissent de même d’une fécondité qu'ils transmettent à leurs descendants. Sur ce fait constaté par lui de 1847 à 1850, un habitant d'Angoulême , M. Rouy, a même fondé une industrie nouvelle à la- quelle il a donné, graduellement, une grande extension : depuis 1854, il livre au commerce, chaque année, plus de mille lièvres-lapins. D’après les essais très multipliés et très diversement combinés qu’on doit à M. Rouy, ces hybrides peuvent être croisés et sont féconds soit avec l'espèce paternelle, soit avec l'espèce maternelle, soit entre eux. Entre tous les résultats de ces mélanges, le trois-huit, comme l'appelle M. Rouy, c'est-à-dire le produit du demi- (1) M. PUCHERAN, dans sa Monographie du genre Cerf (Archives du Mus. d'Hist. nat., t. VI, p. 419), a donné quelques détails sur les naissances obtenues de 1839 à 1842. Nous avons eu depuis huit autres métis. Ces animaux viventen troupeau, dans un des parcs de la Ménagerie, et leur naturel farouche ne permet ni de les approcher, ni de les marquer, ni de connaître toujours les unions qui se font librement entre eux. Nous sommes cependant certains d’avoir obtenu, en 4850, une troisième génération métive. (2) Voy. p. 472. HYBRIDES FÉCONDS. 2923 sang par le quarteron (quart lapin et trois quarts lièvre), est celui qui offre, commercialement, le plus d'avantage, et c’est à le multiplier qu’on s’est surtout attaché. En 1857, les unions des trois-huit entre eux, d’après ád M. Rouy, avaient déjà donné sept générations : au com- mencement de cette année (1), on était arrivé à la dixième des trois-huit, par conséquent, à la treizième génération hybride; et rien n’annonce que ce soit le dernier terme. Le trois-huit n'est pas seulement apte à se reproduire : : il est très fécond. Sa femelle fait cinq ou six petits par |` portée. Après avoir allaité trois semaines, elle peut rece- voir de nouveau le mâle ; et l’on obtient « sans difficulté » six portées par an ». Si bien que le moment ne semble pas éloigné où une véritable race hybride sera issue de deux animaux dont les naturalistes ont dit si longtemps et redisent encore : leur accouplement même est im- possible (2). (L) 1859. (2) Tous les détails qui précèdent sont extraits d’une note que je dois à l’obligeance de M. Broca, professeur agrégé à la Faculté de i médecine. Cette note est le résumé d’un chapitre, encore inédit, d’un savantmémoire Sur l’hybridité, dont deux parties ont déjà été publiées (voy. p. 21 note). M. Broca s’est rendu, à deux reprises, à Angoulême, pour étudier les lièvres-lapins de M. Rouy, et après l'avoir fait avec le plus grand - soin, il a lui-même entrepris une série d'expériences analogues qu’il poursuit en ce moment. | En attendant les résultats de ces expériences, ceux qu'a obtenus M. Rouy sont déjà d’un grand prix pour la science ; car ses essais ont été faits avec le plus grand soin. « Les animaux », dit M. Broca, dans sa note manuscrite, « sont classés, numérotés, élevés dans des cages » séparées. Chacun d'eux, comme dans les haras, a son nom inscrit » SUT Sa cage. » n man ST M a a À 3 mt: ss p 22h NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. XV. Après tant de faits, et de si remarquables, constatés dans la classe elle-même où Pinfécondité hybride a été surtout affirmée, nous pouvons passer rapidement sur les exemples moins contestés, et pourtant, en réalité, moins décisifs, que nous offrent les oiseaux. En laissant de côté leurs métis sauvages, sur la reproduction desquels on n'a que des observations très imparfaites, nous cite- rons comme féconds les hybrides des faisans ordinaires et à collier, de quelques espèces de hoccos (1), d'oies, de canards, de colombes, ef, parmi les passereaux, du canal, croisé, soit avec les espèces qui l’avoisinent, soit même avec le chardonneret ; faits très fréquemment constatés par les naturalistes, et plus souvent encore par les amateurs et les marchands d'oiseaux (2). Malheureusement, entre tous les Cas qui sont ici connus, un seul a été l’objet d’une (1) Voy. TEMMINCK, Hist. nat. des pig. et gallin., t. HI, p. 43 et 25. — 1] nait, dit l’auteur, tantôt des mulets, tantôt « des races ». Mais ce mot west pas pris ici dans sa véritable acception, et n'exprime nulle- ment une reproduction perpétuée « ad infinitum », comme le dit MORTON, Hybrid. in Anim., part. Il, p. 204 (non d’après Temminck lui-même, mais d’après un extrait donné par M. GRIFFITH, Animal Kingdom, Londres, in-4, t. VIII, 1899, p. 113). (2) Sur les hybrides féconds de canari et de chardonneret, voy. HER- VIEUX, loc. cit. « Les petits qui sortent de ces mulets, dit Pauteur (p. 269), en font » d’autres l’année suivante, contre le sentiment de celui qui a écrit » le contraire, » ka HYBRIDES FÉGONDS. as relation détaillée et bien faite; on la doit à Sprenger : son ; histoire d’une famille de linots-canaris, filii, nepotes, pro- nepotes, se recommande autant par la finesse de l’obser- vation que par l'élégance spirituelle du style (A) Chez les poissons, selon Lacépède, les hybrides sont | quelquefois féconds; ils peuvent devenir, ajoute-t-il, « les » souches d'espèces métives, mais constantes » (2). Au- cun fait, malheureusement, n’est cité à l'appui de cette assertion, et nous croyons que le célèbre élève et colla- borateur de Buffon n’a fait ici qu'appliquer, conjec- turalement, aux poissons, les vues générales sur les hybrides, admises dans les derniers volumes de l'Histoire naturelle. C'est, au contraire, d’après l’observation, et en S'ap- puyant d'expériences étendues à un grand nombre d'indi- vidus, que M. Guérin-Méneville a récemment annoncé la fécondité des hybrides de deux vers à soie asiatiques, ceux du ricin et de l’ailante (3). Depuis la publication du travail de ce savant entomologiste et sériciculteur, les naissances ont continué et continuent encore (4); leur (1) Elle a pour titre: De avium hybridarum virtute generandi, et se trouve dans les Opusc. phys. math. de SPRENGER (et non SPRENGEL), 1753, p. 24 à 48. — C’est le titre trop général de cette dissertation qui parait avoir induit en erreur Vicq d’Azyr, MM. Dumas et Guillemin, et quelques autres auteurs. Voy. p. 215. (2) Histoire naturelle des poissons, à la fin du Discours sur la nature des poissons. . (3) Métis féconds de deux espèces d'insectes, dans les Comptes rendus de l’Acad. des sc., t. XLVHI, p. 742, 1859; travail qui fait suite à un autre cité plus haut, p. 206. Voy. aussi la Rev. zoolog., 1854, p. 183. (4) En mai 1859. — Ces naissances ont eu lieu, comme les précé- HI. 15 296 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. nombre est aujourd’hui de près de cinq cents; les unes résultent de l'accouplement des métis avec des papil- lons du ricin; les autres, et c’est le plus grand nombre, d'unions diversement combinées, entre les métis (1). Tous ces croisements ont été également pro- ductifs ; la fécondité des métis parait ne le céder en rien à celle des individus de pur sang. Déjà les pre- | miers-nés ont fait leurs cocons, et il deviendra possible, dès cette année, d'obtenir une troisième génération hybride. Cet exemple, nouvellement acquis à la science, est le dernier que nous ayons à citer dans le règne animal; mais, avec les végétaux, recommence une nouvelle sérle d'hy- brides ; et dans celle-ci se retrouvent tous les degrés que nous venons de rencontrer. Comme il y a nombre d'hybri- des animaux inféconds, peu féconds, et féconds, il y a des plantes hybrides infertiles, de peu fertiles et de fertiles; et le nombre de ces dernières s’est rapidement accru depuis le commencement de notre siècle. Dans l'ouvrage auquel il faut toujours en revenir pour l’histoire de l’hybridité dentes, au dépôt de la Société d’'acclimatation, confié aux soins de M. Vallée, au Muséum d'Histoire naturelle. (4) De ces métis, les uns sont nés d’un papillon mâle de Pailante et d’un papillon femelle du ricin ; les autres ont été produits par le croisement inverse. Des mâles de la première catégorie ont été réunis à des femelles de la seconde, et réciproquement. D’autres unions ont eu lieu entre des mâles et des femelles de même origine. Il reste à croiser nos métis avec le pur sang du ver de l’ailante. Cette expérience ne sera possible que dans quelques semaines. À l'époque où j'écris (8 mai), on n’a même pas encore de chenilles de cette espèce. HYBRIDES FÉCONDS. 297 végétale (4), Gärtner citait déjà, il y a dix ans, vingt hy- brides fertiles des genres 4 quilegia, Datura, Dianthus, Geum, Lobelia, Lychnis, Petunia, Matthiola et Verbas- cum; el encore faisait-il remarquer, dès cette époque, qu'il entendait simplement donner une liste d'exemples, et non dresser le catalogue de tous les cas connus. Il en est donc, encore ici, des végétaux comme des animaux. L'aptitude des hybrides à la reproduction ne peut être, chez les uns comme chez les autres, ni niée en général, ni simplement acceptée à titre de rare exception ; et le parallèle entre les deux grands règnes organiques se soutient ici, comme sur tous les autres points où nous avons eu à les comparer (2). XVI. Sur une question aussi importante que celle de la fé- condité des hybrides, et lorsque nous la résolvons con- trairement aux vues qui depuis deux mille ans régnent (1) Vers. und Beobacht. üb. die Bastarderzeug. im Pflanzenr, p. 388. Voy. aussi les ouvrages déjà cités (p. 489 et 193) de M. LECOQ, celui de tous nos botanistes qui s’est le plus occupé des hybrides. Un fait, d’un très grand intérêt, constaté par M: Lecoq, est la fer- tilité « à la fin de l'année », ou lorsqu'on les a « mutilées pour les » affaiblir », de plantes qui avaient donné d’abord de nombreuses fleurs stériles. (Voy. Géogr. botan., t. I, p. 462.) Cette vigueur extrême des végétaux hybrides, qu'indique ici M. Lecoq, a été signalće aussi par plusieurs autres botanistes, Les animaux hybrides sont de même très remarquables par leur vigueur. Ce fait est depuis longtemps connu. (2) Voy. la section 1x, p. 186 à 194. Voy. aussi le résumé, p. 233. x = a i R RS o A E a 228 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. dans la science, nous ne saurions laisser sans réponses deux objections qui se sont déjà produites à plusieurs re- prises, et dont sans nul doute on s’armera encore contre nous. La première est celle-ci : La fécondité des hybrides « ne va point, dit Cuvier, » au delà de quelques générations » (4) : quatre ou cinq, selon Frédéric Cuvier, précisant la pensée de son frère ; et selon leurs successeurs. Une fécondité aussi limitée, ce n'est pas la véritable fécondité : c’est une infécondité qui seulement n’est pas absolue. Argument spécieux, et qui ne tendrait à rien moins . qu'à retourner les faits contre la conséquence elle-même qu'ils nous ont paru établir. Mais argument, au fond, d’une bien faible valeur; car l’assertion qu’on lui donne pour prémisse n’est rien moins que justifiée. Une limi- tation numérique, aussi bien qu'une négation, ne peut être établie que par une longue suite d'observations ou d’expé- riences : où sont celles de Georges et de Frédéric Cuvier? Nulle part. L'un et l’autre ont cru pouvoir généraliser d’après un très petit nombre d'exemples particuliers, et surtout d’après ce que rapporte Buffon de ses quatre géné- rations de chiens métis. Depuis, d’autres faits sont venus s'ajouter à ceux qu'on connaissait, mais toujours en très petit nombre; et fussent-ils plus nombreux, quelle en serait la Conséquence légitime ? Celle-ci seulement : les animaux hybrides ne se propagent pas habituellement au delà de quelques générations en captivité, dans les ména- 4) Voy. la section XI p. 209, HYBRIDES FÉCONDS. 299 geries, dans les volières. Ce qui est vrai; mais ce qui ne saurait étonner; car, dans les mêmes conditions, les espèces pures s'éteignent elles-mêmes très rapidement par le défaut de liberté, les alliances consanguines, et les autres causes de débilitation et de dégénérescence. On nous objecte l'impossibilité où nous avons été d'entretenir à la Ménagerie la descendance de nos chacals-chiens (4); mais dans quelle ménagerie a-t-on mieux où même aussi bien réussi pour le chacal pur ? Nos hybrides des cerfs gymnote et de Virginie se sont éteints, et il pourra en être de même dans quelques années de nos pseudaxis-axis ; mais quelle est la ménagerie anciennement existante qui n'ait plusieurs fois perdu le cerf de Virginie et l’axis purs ? C’est dans d’autres conditions, dans celles où vivent nos animaux domesliques, qu’on doit s'attendre à trouver, si elle est possible, une plus longue succession de géné- rations hybrides. Et c’est là que nous la trouvons en effet. Non-seulement la notion de l’origine multiple du chien, et peut-être aussi de quelques autres de nos animaux domestiques : par conséquent, Pexistence de races hy- brides indéfiniment fécondes a pris place dans la science; mais, à côté de l’alpa-lama, est venu récemment se placer l'alpa-vigogne, aussi fécond que lui, et de ces deux ani- maux, l’un au moins doit son origine à une union hybride. Dans un autre ordre de mammifères, le lièvre-lapin a dépassé de plusieurs générations la prétendue limite de la reproduction hybride, sans que sa fécondité ait subi la _ (1) Doit-on, d’ailleurs, considérer ces chacals-chiens comme de véritables hybrides? Nous renvoyons, à cet égard, au chapitre précé- dent. Voy. la section xiv, p. 404. l ne D d j H il ji | | | nt 230 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. moindre diminution, et nous touchons au moment où il constituera une véritable race. Quand nous ne connaissions encore ni l’alpa-vigogne, ni le lièvre-lapin, nous repoussions déjà la prétendue limitation à quatre ou cinq générations hybrides ; et nous ne doutions pas que cette fausse règle, illogiquement induite de quelques exemples particuliers et négatifs, ne fût un jour démentie par les faits. Le démenti est venu; et avec la prétendue règle, achève de tomber l’objection qu'on avait basée sur elle. Et aucun argument véritable- ment scientifique ne s'élève plus, d’une manière géné- rale, contre l'aptitude des hybrides à la reproduction. A moins cependant que cette conclusion, après avoir résisté à la première objection, ne doive succomber de- vant la seconde, qui est tout autre. Où nous voyons la fécondité hybride, les auteurs dont nous venons de discuter les opinions avaient contesté la fécondité et reconnu l’ hy- bridité. D’autres ont fait l'inverse : ils ont concédé la fécondité, et c’est l’hybridité qu'ils ont niée. Leur objec- tion qui suppose notre conclusion viciée par une erreur initiale peut être ainsi formulée : , La prétendue fécondité hybride n’est que la fécondité entre deux races de la même espèce, prises à tort pour des espèces distinctes. Cette objection a été surtout soutenue et acceptée dans toutes ses conséquences par Knight, dans ses travaux sur les végétaux hybrides et prétendus hybrides. « Si, dit-il, » des plantes, d'espèces distinctes en apparence, pro- » duisent ensemble sans donner naissance à des mulets, » c’est-à-dire à des plantes stériles, « je n'hésiterai pas à les HYBRIDES: FÉCONDS. Ç 231 » considérer comme appartenant à une même espèce (1). » Passage où Knight s'inspire manifestement de Buffon ; où même il s'exprime comme lui; mais comme lui en 1749, à l’origine même de ces travaux qui devaient conduire plus tard notre grand naturaliste à une tout autre doctrine (2). L'opinion à laquelle s'arrête Knight peut n'être pas sans application à quelques cas particuliers; mais elle est manifestement mal fondée dans sa généralité. Et sur ce point, les partisans de la fixité de l'espèce devront être pleinement d’accord avec nous ; car l'adhésion aux vues de Knight serait, pour eux, l'abandon complet de leur hypothèse fondamentale, la fixité de l'espèce. Comment la concilier, en effet, avec les conséquences qui se présentent ici, et devant lesquelles Knight n’a pas reculé? Selon lui, non-seulement des végétaux considérés comme distincts, mais voisins, par exemple, divers Pru- nus, devraient être ramenés à l'identité spécifique; car ils donnent entre eux des métis féconds; mais il en serait _ de même, et par la même raison, d'espèces bien moins rapprochées; parfois même de végétaux séparés par des caractères très tranchés. Tels seraient eux-mêmes, entre autres exemples, le pêcher et l'amandier : ces deux genres de Tournefort, encore conservés par un grand nombre de botanistes, sont réunis par Knight en une seule espèce! Avec le même point de départ, on n’arriverait pas en (1) il s’agit particulièrement ici de divers Prunus. Voy. KNIGHT, Observations on Hybrids, dans les Transactions of the Horticultural Society de Londres, t. IV, 4822, p. 868, et dans la collection des mémoires de Knight, Londres, in-8, 1851, p. 252. (2) Voy. le Chapitre VI, section vr; t. II, p. 894 et 395. 232 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. X. zoologie à des conséquences moins contraires à l’hypo- thèse de la fixité de l'espèce. Telles seraient les suivantes : Hunter voulait, vers la fin du xvmr siècle, que le loup et le chacal fussent de la même espèce, parce qu'il avait vu la louve et la chacale produire avec le chien. Nous savons aujourd’hui que les produits de ces unions sont féconds : et par là serait complétée la « preuve absolue », comme l'appelle Hunter, de l'identité spécifique du chacal, du loup et du chien. Les partisans de la fixité de l'espèce voudront-1ls accepter cette conséquence ? Le même raisonnement, appliqué à la vigogne et au guanaco, qui ne sont pas moins différents que le chacal et le loup, et aux races domestiques qui produisent avec l’un et avec l’autre de ces ruminants, conduirait à mad- mettre qu'une seule espèce dans le genre Auchenia. Plus manifestement encore, puisque l'union de ces animaux donne directement des hybrides féconds, on devrait considérer comme spécifiquement identiques , non-seulement plusieurs mammifères qui passent pour des espèces congénères et voisines, mais : Le lièvre et le lapin, types de deux sections très dis- tinctes dans le genre Lepus ; Le bœuf etl’yak, encore plus différents l’un de l’autre; Et le mouton et la chèvre, placés par les auteurs dans des genres séparés. Parmi les oiseaux, il en serait de même, de la linotte et du canari, du canari et du chardonneret; par consé- quent aussi, de la linotte et du chardonneret. Seraient-ce là, en effet, de simples races de la même espèce, prises à tort pour des espèces distinctes ? RÉSUMÉ. 233 Lamarck eùt peut-être répondu oui; mais alors où s'arrêter ? Et que devient la notion de l'espèce? Et si l’on répond non, comme le feront tous les zoolo- gistes actuels, la seconde et dernière objection est résolue; et il demeure établi que Phybridité, la vraie > get n'exclut pas la fécondité. Ce qui a été appelé le principe de Buffon, mais n’est que celui de Pline, doit donc disparaître enfin de la science, où il a si longtemps régné, constituant, avec plusieurs propositions qui ne sont pas plus vraies que lui, ce que les partisans de la fixité de l'espèce appelaient la doctrine classique sur les hybrides. De cette doctrine, que reste-t-il aujourd'hui? Elle disait les hybrides rares, n'admettait l’hybridation qu'à l’état domestique ou privé, la limitait aux espèces du même genre, et niait la repro- duction. Nous avions successivement montré que les hybrides ne sont nullement rares, qu'il s’en produit spon- tanément à l'état sauvage, et qu'il en existe de bigénères aussi bien que de congénères ; ce qui est également vrai des animaux et des végétaux. A ces trois rectifications, nous sommes maintenant en droit d’en ajouter une quatrième, applicable aussi aux deux règnes; et de dire des hybrides : Il en est de stériles, mais il en est aussi de féconds ; et l'observation qui a depuis longtemps fait connaître le pre- mier de ces faits, a mis aussi le second hors de doute. On s’était donc, cette fois encore, trop hâté de généra- liser. I n’y avait point ici-de principe à poser, mais seu- lement deux faits à constater. Et c’est ce qu'aurait depuis longtemps reconnu l’école dite positive, si elle avait su, plus fidèle à ses propres préceptes, se garder de cet 2 —— Te 23] NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. X. esprit de système, d’hypothèse, de généralisation hâtive, qui est l’opposé de la vraie science (4). (1) Outre les nombreux travaux précédemment cités, voyez, sur lhybridité : GODRON, De l’espèce et des races dans les étres organisés, Paris, in-8, 4859; t. I, Chapitres v et vi. Cet ôuvrage est une seconde édition, considérablement étendue, et enrichie d’un grand nombre de faits nouveaux, d’un savant mémoire publié sous le même titre en 1848, et que nous avons eu souvent occasion de citer; voy. parti- culièrement, t. Il, p. 426'à 429. Et Ch. Darwin, On the Origin of Species by means of natural Selection, Londres, in-8, 4859; Chapitre vur. De ces deux livres, le premier a paru, il y a quelques semaines; le second, il y a quelques jours, et le chapitre qui précède était alors non-seulement composé, mais presque entièrement imprimé et tiré. Heureusement la publication de ces livres ne modifie en rien nos conclusions. M. Godron reprend, il est vrai, et défend de nouveau les idées admises, à égard des hybrides, par Georges et Frédéric Cuvier et par M. Flourens; mais les arguments auxquels il recourt sont les mêmes que nous avons discutés et croyons avoir réfutés, Quant aux vues de M. Darwin, elles s'éloignent peu de celles que nous venons de développer, au moins en ce qui concerne la question de la fécondité ou de linfécondité des hybrides, dont le savant anglais s'occupe surtout. Lui-même se résume ainsi (page 276) : « Les premiers produits d’un croisement entre deux formes assez distinctes pour être considérées comme des espèces, et leurs hy- brides, sont très généralement, mais non universellement stériles. La stérilité est de tous les degrés. Elle est variable dans les indi- vidus de même espèce. Le degré de la stérilité n’est pas exactement selon les affinités, mais dépend de lois particulières et complexes. » . Nous aurons occasion de revenir, à plusieurs reprises, dans les chapitres suivants, sur les savants ouvrages de MM. Godron et Darwin. VMUYUU UUL URANA NNI AAVA YY VUV SAS NSNINSI NS INSNININS WALA CHAPITRE XI. COMPLÉMENT DE LA NOTION POSITIVE DE L'ESPÈCE ET DES NOTIONS SUR LES RACES DOMESTIQUES ET SAUVAGES. SOMMAIRE. — I. Termes complémentaires de la définition de l’espèce.— IT. Suites spécifiques. Transmission naturelle, régulière et indéfinie de leurs caractères distinctifs. — HI. Suites non spécifiques. Suites naturelles par transmission irrégulière et passagère de caractères anomaux ou dépendant de l’hybridité. — IV, Suites régulières et d’une durée indéfinie, formées sous l'influence de l'homme. Races domestiques dites artificielles. — V. Races domestiques dites naturelles. — VI. Suites naturelles, régulières et indéfinies comme les espèces, mais non distinctes. Races sauvages. -— VIT, Résumé. P L'étude des variations normales des êtres organisés nons avait précédemment conduit à reconnaître dans la similitude héréditaire, entendue en un sens très général, le premier et le principal caractère de l'espèce (4). Si la similitude, si Fhérédité n’appartenaient qu'aux véritables espèces, nous n'aurions pas besoin d'aller au delà : l'espèce serait définie. Mais l'étude des variations anomales vient de nous montrer, à côté de ces suites d'individus que nous nommons espèces, d’autres suites qui, moins importantes dans l’ordre de la nature, ne sau- raient cependant être négligées; non-seulement celles (4) Chap. VII, sections 1x et x; t. H, p. 497 et suiv. 236 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XI. qui sont si généralement connues sous le nom de races, mais d’autres encore, caractérisées par des anomalies de- venues héréditaires, ou mixtes entre des espèces dont elles sont sorties par des croisements hybrides. La similitude héréditaire n’est donc, dans la définition de l'espèce, qu’un premier terme, essentiel, mais insuf- fisant; et il faut le compléter par plusieurs autres, desti- nés à caractériser l’hérédité véritablement spécifique, par rapport à l’hérédité des modifications dépendant de la do- mesticité, de lanomalie, de lhybridité, ou d’autres causes. Ces termes complémentaires sont ou, du moins, nous ont paru être au nombre de quatre. Que l'espèce soit une suite d'individus qui, devenus adultes, se ressemblent tous; ou, autre forme, plus complexe, de la similitude héréditaire, que le type spécifique se dédouble, se frac- tionne en deux ou plusieurs types coexistants ou alternes; les traits héréditaires sont distinctifs, et leur transmis- sion, continue ou discontinue, immédiate ou médiate, n’en présente pas moins constamment les trois mêmes carac- tèrces généraux : elle est naturelle, régulière et indéfinie. Parmi les suites d'individus qui ne constituent pas des espèces, celles qui dérivent de l’anomalie, de l'hybridité, de la domesticité, ont souvent un, elles peuvent avoir deux de ces caractères; elles ne les réunissent jamais tous les trois. Dans celles de ces suites où la transmission est natu- relle, elle n’est pas régulière; dans celles où elle est ré- eulière, elle n'est pas naturelle; et par suite, elle n’est jamais indéfinie, ou ne l’est que dans des circonstances COMPLÉMENT DE LA DÉFINITION DE L'ESPÈCE. 237 exceptionnelles créées et maintenues par le pouvoir de l'homme. Les seules suites non spécifiques où la transmission soit àla fois naturelle, régulière et indéfinie, sont les races sauvages : il ne leur manque, pour réunir tous les carac- tères des espèces, que de constituer des suites distinctes. Les races sauvages tiennent donc de très près aux véri- tables espèces, mais sans leur être complétement assi- milables ; et c’est ce que plusieurs auteurs ont cherché à exprimer en les nommant sous-espèces. Nous consacrerons ce Chapitre à la discussion des quatre caractères complémentaires de l'espèce, ou de la seconde partie de sa définition. Comme dans la première, nous nous tiendrons sur le terrain des faits et de l'obser- vation, délaissant, sauf à y revenir plus tard, toutes les conceptions systématiques et conjecturales où se sont complu la plupart des naturalistes qui nous ont précédé, sans excepter ceux de l’école dite des faits. Nous croyons que la définition de l'espèce doit en être, non la théorie, mais, en abrégé, la notion positive; et ce n’est pas sur elle que doit commencer le débat, mais après elle, et lorsqu'il s'agira, non plus seulement d'exprimer ce qui est, mais de l'expliquer. IL. Entre les termes complémentaires de la définition de l'espèce, le premier, dans l’ordre logique, est la trans- mission naturelle. C'est par la seule impulsion de la na- 238 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. U, CHAP, Xi. ture que le mâle, dans les espèces où les sexes sont sépa- rés, choisit et recherche, pour s'unir avee elle, une fe- melle semblable à celle dont il est né, ou, en cas de génération alternante, médiatement issu. Et dans toutes, qu'il y ait ou non sexualité, c’est par les phénomènes d’une évolution réglée par la nature seule, que le nouvel être revêt peu à peu cet ensemble de caractères distine- tifs que nous appelons le type spécifique. La transmission de ces caractères d’une génération à l’autre est donc, dans l’espèce, toute naturelle. | Elle y est, de plus, régulière. A part de très rares exceptions individuelles, ce qui a lieu d’une génération à l'autre avait eu lieu de même entre les générations pré- cédentes, et aura lieu de même entre celles qui suivront. Les produits seront tous établis sur un seul et même type, ou, s'il y a alternance, sur des types qui feront retour les uns aux autres dans un ordre déterminé, Succession régulièrement continue, dans le premier cas : régulière - ment alternative, dans le second; mais toujours régula- rité. Si bien que le naturaliste, avant même les premiers actes reproducteurs, peut prévoir les résultats de la fécondation, et déterminer les caractères de l'être futur ; presque exactement comme le chimiste, au moment de mettre en présence deux corps bien connus, annonce les réactions qui vont avoir lieu, et les composés qui seront obtenus. La transmission spécifique a un troisième caractère qui dérive directement du second. Si nous constatons que la transmission spécifique est naturellement régulière , nous arrivons, par cela même, à la concevoir comme ‘+ COMPLÉMENT DE LA DÉFINITION DE L'ESPÈCE. 289 naturellement indéfinie. Si nous voyons toujours les mêmes faits, et si les observateurs qui nous ont précédés ont toujours vu ce que nous voyons; si nous savons ainsi, par notre propre expérience et par leur témoi- gnage, que les mêmes caractères se sont perpétués de- puis vingt, cinquante, cent générations, sahs décroissance ni altération d'aucune sorte, nous sommes fondés à en induire que ces vingt, ces cinquante, ces cent généra- tions, pour être les seules à l'égard desquelles on les ait -constatés, ne sont pas les seules qui les aient possédés et doivent les posséder. Comment supposer que la similitude cesse brusquement d'être où nous cessons de l’apercevoir, par cette seule raison que là s'arrête la lumière? Comment les mêmes relations qui se retrouvent toujours, aussi loin que nous pouvons remonter, entre deux générations CON - séeutives, n’auraient-elles pas existé entre la première de celles qui nous sont connues et la dernière de celles qui ne le sont pas? Et comment n’en serait-il pas de même entre cette dernière et la pénultième, entre celle-ci et lanté- pénultième? Et ainsi de suite, entre chacune des généra- tions filles et chacune des générations mères : autant du moins que se sera maintenu l’ensemble des circonstances au milieu desquelles subsiste l'espèce. Où toutes les causes ont été les mêmes, comment les effets auraient-ils varié? Et quelle raison aurions-nous de ne pas dire ici avec Linné : Specierum generatio est vera continuatio (1). De même que nous arrivons ainsi à la notion d’une succession indéfinie dans le passé, nous en concevons (4) Philosophia botanica, développement de l'aphorisme 162. ns Loc nn. z -g M qe a a n = anii 210 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XI. dans l'avenir une autre pareillement indéfinie. L’appari- tion subite de nouveaux caractères, la brusque rupture de l'ordre établi n’est pas plus admissible au delà qu’en deçà des générations qui nous sont connues; et même, cest au delà, c'est-à-dire pour les descendants des êtres actuels, que notre esprit arrive le plus facilement à la notion de la continuité de la série et de la constance du type. Ce que nous n’apercevions tout à l'heure, dans le lointain du passé, qu'un peu confusément, à l’aide d’une induction rétrospective, se présente ici comme la. conséquence très nette, et presque évidente, des faits dont nous sommes chaque jour témoins. Que penserait-on du naturaliste qui émettrait un doute prétendu philoso- phique sur la ressemblance de la génération prochaine avec la génération actuelle, de la seconde des généra- tions futures avec la première, de la troisième avec la seconde, et ainsi des autres? Un tel naturaliste ne serait pas de l’école de Descartes, mais de celle de Pyrrhon, et son scepticisme serait mis au rang de ces aberrations qu'on ne s'arrête même plus à réfuter. Autant vaudrait soutenir qu'un mobile depuis longtemps animé d’un mou- vement uniforme peut, tout à coup et sans cause, modifier sa vitesse et changer de direction. La régularité et la continuité indéfinie de la transmis- sion spécifique se lient si naturellement l’une à l’autre, que le danger n’est pas, la régularité une fois constatée, qu'on nie la transmission indéfinie, mais qu'en l’affir- mant, on l'exagère. Une durée à laquelle on ne peut assigner aucune limite est facilement prise pour une durée illimitée; et c’est ce qui est arrivé ici. De légi- COMPLÉMENT DE LA DÉFINITION DE L'ESPÈCE. 2M4 times inductions aulorisaient à dire la transmission indéfinie : on ne s’en est pas tenu là, on l'a dite perpé- tuelle. En sorte que les types ne seraient pas seulement fixes depuis et pour une longue suite de générations ; ils le seraient depuis l’origine des choses et jusqu’à la fin. Ils ne seraient pas seulement constants; ils seraient im- muables (4). Les auteurs qui se sont laissé entraîner à cette conclu- sion, sont surtout les naturalistes de l'école des faits; et en l’admettant, ils ont cru se tenir sur le terrain de la science positive, et ne faire qu'étendre et prolonger, aussi loin qu'il est permis de s’avancer, le raisonnement . inductif auquel nous avions tout à l'heure recours. Mais il est facile de voir qu’ils se sont fait illusion, et de recon- naître que leur conclusion (en attendant que nous la com- battions comme erronée) repose essentiellement sur une supposition dont la nôtre n'avait nul besoin. Nous partions tout simplement, en le combinant ayec la notion de la continuité sériale (2), de ce vieil axiome logique : point d'effet sans cause; et nous nous arrêtions à cette consé- quencè : dans de sembiables conditions d'existence, les générations successives se ressemblent. Est-ce simple- ment sur de plus lointaines conséquences du même rai- sonnement, que se fonde le système de limmutabilité de l'espèce? Ou ne serait-ce pas bien plutôt sur une sup- position contraire au principe même d’où nous sommes (1) Pour l’histoire du système de la fixité de l'espèce, voy. le Chap. VI; t. Il, p. 365 à 496. (2) Sur les séries, considérées en général, voyez les Prolégomènes, Liv. H, Chap. VI; € I, p. 406. nl. 16 242 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XI. parti? Affirmer la similitude de toutes les générations passées, présentes et futures, quelles qu’aient été ou doivent être leurs conditions d'existence, n'est-ce pas supposer que les variations successives de ces conditions sont restées et resteront toujours sans influence sur les caractères des êtres organisés? N'est-ce pas admettre qu'en présence de nombreuses causes possibles de per- turbation, il ne s’est jamais produit et ne devra jamais se produire de modifications dans l’ordre primitivement éta- bli? A moins toutefois que les partisans de limmutabilité des êtres organisés ne le soient aussi de l’immutabilité de notre globe lui-même, depuis que ces êtres ont commencé à en peupler la surface. La nullité des effets s'expliquerait alors par la nullité des causes. Mais en échappant au reproche d'illogisme et aux objections des physiologistes, on rencon{rerait aussitôt celles des géologues, si toutefois ils daignaient discuter une conjecture si manifestement démentie par tous les faits de leur science. Les naturalistes qui ont admis l’immutabilité de Pes- pèce ont-ils réussi à démontrer cette résistance à l’action des causes extérieures, que suppose leur système? On verra bientôt que le contraire a eu lieu, et qu'ils n’ont pu passer de la stabilité dans l’ordre actuel des choses à la stabilité absolue, de la transmission indéfinie à la transmission perpétuelle, sans substituer à de légitimes inductions de pures et vaines conjectures. Mais leurs arguments fussent-ils aussi décisifs qu'ils le sont peu, et eussent-ils résolu les difficultés que nous venons d'indi- quer, nous croirions encore qu'il n’y aurait pas lieu d’en faire intervenir la solution dans la définition positive de COMPLÉMENT DE LA DÉFINITION DE L'ESPÈCE. 243 l'espèce. En disant que la transmission spécifique est naturelle, régulière, et indéfinie, nous énonçons tout ce que nous apprennent l'observation directe et Finduction simple ; eten même temps, tout ce dont nous avons besoin pour caractériser les espèces, par rapport aux races do mestiques etaux suites anomales ou hybrides. Arrêtons- nous donc ici; et n’essayons pas de faire intervenir dans la définition, c’est-à-dire presque au point de départ, des vérités d’un ordre supérieur que ce qui précède nous laisse tout au plus entrevoir. Heureux encore s'il nous est donné de les atteindre au terme de notre route! HI. En regard des espèces, considérées comme des snites naturelles, régulières et indéfinies, plaçons maintenant les suites qui sont naturelles, sans être régulières et indé- finies, ou régulières et indéfinies, sans être naturelles. Les premières sont celles qui résultent de la transmis- sion de déviations accidentelles du type, ou qui ont pour origine l’hérédité hybride. Parmi les êtres anomaux, un grand nombre sont viables, et aptes à se reproduire : et il n'est pas rare qu'ils transmettent à leurs descendants, en tout ou en partie, les déviations qui les caractéri- sent (4); de là les suites anomales. De même, quoi qu'en aient dit et disent encore tant d'auteurs, une partie des hybrides, non-seulement est douée de fécondité, mais (1) Voy. le Chap. VII, sect. vii. Stone manner se = be - H airina e eu ~ Əlil NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. XI. produit aussi facilement que les individus de pur sang(4); et de là les suites hybrides. Ces suites anomales et ces suites hybrides peuvent être des « produits de l'art » (2); c'est-à-dire résulter d’expé- riences entreprises par les physiologistes en vue d’éclai- rer la science, ou encore par les agriculteurs dans un but industriel. Mais elles peuvent aussi se former sponta- nément, puisqu'il naît des monstres et des hybrides, et puisque des reproductions sont possibles, en dehors de toute intervention de la science. D'où la distinction, parmi les suites anomales et hybrides, de celles qui sont vraiment artificielles et de celles qui peuvent être dites naturelles. Ces dernières méritent ce nom, en ce qu’elles se rapprochent, à quelques égards, des suites spéci- fiques (3); sans en avoir toutefois les deux caractères les plus essentiels : la continuité par transmission régu- lière, et, ce qui en est une conséquence, la longue durée. Les espèces, comme le dit justement Buffon, « comptent » dans les ouvrages de la création » (4); les suites natu- relles, soit anomales, soit hybrides, ne sont, au contraire, dans l’ensemble du monde organique, que de simples accidents, presque aussitôt effacés que produits. Et si elles méritent notre attention, c’est bien moins pour elles- mêmes que pour ce qu'elles nous apprennent indirecte- ment sur « les seuls êtres de la nature » (5). (4) Voy. le Chap. X, sect, XIV, XY et XVI. (2) Voy. p. 1h48. ; (8) Et aussi des races dites naturelles ; voy. p. 260. (4) Burron, De la nature, seconde vue, dans l'Histoire naturelle . XI, p. j, 1765. (5) BUFFON, Jbid. SUITES ANOMALES ET SUITES HYBRILES. 246 : Pourquoi les suites qui dérivent de l'anomalie et de l’hybridité ne sont-elles pas naturellement de longue durée? Pour l'expliquer clairement, supposons la nais- sance d’un individu anomal ou hybride, ou même, parmi les espèces multipares, la mise bas d’une portée d'êtres anomaux ou hybrides. Supposons encore que ces êtres anomaux soient du nombre de ceux qui sont viables, et ces hybrides, de ceux qui jouissent d’une complète fécondité. Que devra-t-il arriver, lorsque viendra pour eux l’époque de la reproduction? Par cela même qu'ils n'existent qu'à létat de rares exceptions dans la nature, toutes les probabilités sont pour l'union de ces êtres ano- maux avec des sujets normaux, et de ces hybrides avec des individus purs d’une des espèces dont ils sont issus. Et ce qui est probable à la première génération, le sera de même à la seconde, et successivement à chacune des suivantes. Que deviendront, au milieu de tous ces mé- - langes, les caractères de l’anomalie ou de Fhybridité? lls s’effaceront, et avec une extrême rapidité: bientôt il n’en restera plus de traces; et l'on arrivera à des in- dividus qui, pour avoir parmi leurs ancêtres des êtres anomaux ou des hybrides, n'en seront pas moins des représentants complétement normaux d’une espèce par- faitement pure. Le plus simple calcul indique très clairement la rapi- dité de ce retour à un des types purs de la nature. En supposant qu'à chaque génération, le produit tienne également de ses parents, la somme de ses rapports avee l'être anomal ou hybride dont il est issu prendra une suite de valeurs représentées par% et ses puissances suc- 216 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. il, CHAP. XI. cessives (1); progression dont la rapide décroissance amène bientôt des termes dont l'observation ne saurait plus tenir compte. Ce qui aurait nécessairement lieu si les produits étaient toujours moyens entre leurs parents, n’est pas moins vrai si, à la simplicité de cette hypothèse, nous substituons la réalité des fails très complexes que nous présente la nature. Nous avons vu avec quelle irrégularité se suc- cèdent, dans les suites anomales ou hybrides, des individus, tantôt plus, tantôt moins rapprochés de leurs. parents. Cette irrégularité n’empêche nullement la prompte disparition des caractères anomaux ou hybrides; elle tend bien plutôt à la hâter; et c’est ce qui résulte des faits que nous avons précédemment exposés, sur les rapports des hybrides avec leurs parents, et sur l'hérédité tératolo- gique (2). En traitant des hybrides, nous avons pris soin d'établir qu'ils sont constamment intermédiaires entre leurs parents. Mais, en les disant toujours mixtes, nous nous sommes bien gardé de les dire toujours moyens : on a vu que s'ils le sont souvent, on les voit, très fréquemment (1) On a en effet : 17e génération (demi-sang). ès — (quarterom)i ie DIRA FE A pem (octavon) ne génération . (2) Locis cit. SUITES ANOMALES ET SUITES HYBRIDES. 2h47 aussi, se rapprocher beaucoup plus de leur père que de leur mère, ou réciproquement. Parfois même, ils sont assez voisins d’un des types originels pour qu’un examen attentif soit nécessaire pour faire découvrir des vestiges de l’autre type : aussi est-il des hybrides auxquels on a attribué une ressemblance exclusivement unilatérale. Quand on en est là dès la première génération issue du croisement de deux espèces, et que le produit hybride vient à se mêler avec celle de ces espèces dont il diffère à peine, comment en distinguera-t-on la seconde généra- tion ? Tl y a donc des cas où le retour au type paternel ou maternel sera presque immédiat; et dans d’autres, il sera du moins très prompt, plus même que dans notre pre- mière supposition. | Ce qui est vrai, à ce point de vue, des hybrides, l'est aussi des êtres anomaux; et même ici, une cause de plus tend à ramener rapidement l'exception à la règle. Les individus nés ou issus d’un être anomal, ont avant eux, d’une part, une ou quelques générations anomales, flottant encore, pour ainsi dire, entre des caractères incertains; ef, de l’autre, une longue suite d’ascendants normaux, tous établis sur un type commun, très constant, et fixé depuis des siècles. L’atavisme ajoute done le plus souvent ses effets à ceux de l’hérédité directe; ila, manifestement, sa part d'influence dans la disparition, fréquemment obser- vée dès les premières générations, parfois dès la pre- mière, des anomalies elles-mêmes qu’on sait les plus facilement transmissibles. Il est vrai que l’atavisme agit aussi parfois en sens contraire. Après avoir épargné une ou même plusieurs générations, une anomalie peut repa- 248 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. IH, CHAP. XI. raître dans la suivante ou une des suivantes ; mais comme un fait individuel et passager; elle disparait bientôt de nouveau, et pour toujours, grâce à la prédominance rapi- dement croissante du sang versé dans la suite mixte par les individus normaux. La disparition des suites anomales et hybrides est done, en général, le résultat définitif, et promptement réalisé, des mélanges entre elles et les espèces. Et cette dispari- tion a lieu, comme on le voit, non par des raisons ac- tuelles et d’une valeur passagère, mais en vertu de causes dont l’action a dù s'exercer dans le passé comme dans le présent. L'absorption des caractères du plus petit nombre par ceux du plus grand nombre dérive du fait même de l'hérédité organique. Ce qui ne veut pas dire cependant que le contraire soit absolument impossible ; que des alliances anomales ou hybrides n'aient jamais pu et ne puissent jamais se répé- ter un grand nombre de fois dans la même suite, en fixer à la longue les caractères, et la rendre permanente et plus où moins assimilable à une espèce. Un fait improbable n'est pas un fait impossible; et il serait téméraire de reje- ter, sans réserve, l'hypothèse plusieurs fois émise, sur l'origine anomale, et surtout hybride, d’une partie des espèces actuelles. Mais ce qu’il est permis d’aflirmer, cest que si cette hypothèse est fondée, elle ne l'est que dans des limites très restreintes ; et non pour « beaucoup » d'espèces, comme l'a conjecturé Bonnet (1), comme Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier lui-même l’ontun moment (1) Contemplation de la nature, à la fin de la septième partie; 1764, í P, SUITES ANOMALES ET SUITES HYBRIDES. 249 supposé (1), comme l’a surtout admis Lamarck (2) ; mais pour quelques-unes seulement, pour un nombre relati- vement très petit. La disparition babituellement très rapide des suites anomales et hybrides n’est pas un résultat moins bien acquis à la science que la rareté elle-même de ces suites, conséquence de celle des êtres anomaux viables et des hybrides spontanés féconds. Où quelques auteurs, étendant à la zoologie la célèbre hypothèse bota- nique de Linné sur les hybrides (3), inclinaient à voir un des modes habituels de la formation des espèces, il n’y a donc (et encore en est-on à démontrer leur existence) que des cas particuliers, isolés, produits contre le cours naturel des choses : de simples exceptions qui se perdent dans l’ensemble des faits. (1) Mémoire sur les Orangs, commun à CUVIER et à GEOFFROY SAINT-HILAIRE ; 1795. Voy. t. II, p. 402. Ni l'un nf l’autre des auteurs n’a, depuis, reproduit cette conjecture. (2) Sur la question : Qu'est-ce que l’espèce parmi les corps vivants? Discours d'ouverture d’un cours fait au Muséum en l’an XI, Paris, in-8, p. 33 ; 1803. (3) Pour l'hypothèse de Linné, et son explication, par l’hybridité, de la multiplicité des espèces végétales congénères, voy.-le Chap. VI, Sect. 1v; t. H, p. 879. — L'hypothèse de Linné, comme celle qui lui correspond en zoologie, n’est admissible que pour des cas particuliers, et ne saurait devenir le point de départ d’une explication générale. Elle supposerait, chez les végétaux, les fécondations hybrides beau- coup plus faciles et plus fréquentes dans la nature, et les hybrides beaucoup plus généralement féconds, que les faits ne nous les mon- trent. Voy. les deux sections que nous avons consacrées, dans le. Chapitre précédent, à l'hybridité végétale. On trouvera indiquée, dans l’une de ces sections (p. 190), d’après Kôlreuter et Gärtner, la principale des causes qui rendent souvent improductif le transport sur les carpelles d’un pollen étranger. Ellis | LH ana CES Da f 1 ii $ 4 | KF | Y E À nn ot. e e ni de tags ce ý m s + n io mr x 5 250 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XI. IV. Ce qui est impossible à la nature, à plus forte raison, ce qu’elle fait rarement, abandonnée à elle-même, l’homme a souvent le pouvoir de le faire, ou plutôt de la contraindre à le faire pour lui; car c’est encore par elle qu'il agit, lors même qu'il semble la combattre et la vaincre. La fixation des caractères d’un grand nombre de suites anomales ou hybrides est, sans nul doute, un des exemples principaux de ce pouvoir presque sans limites, exercé par l’homme sur tout ce qui l'entoure. La nature eût fait disparaitre ces suites après quelques générations, sans continuité régulière; l’homme en fixe les caractères, 1l leur donne une durée indéfinie. En un mot, il en fait des races (4). Ce n’est pas seulement en modifiant, c’est en renver- sant le cours ordinaire des alliances , que l’art humain par- vient à élever au rang de races domestiques de simples suites d'êtres anomaux ou hybrides. Chacun de ces êtres livré à lui-même se fût uni à un individu normal ; et après quelques générations, la suite eût fait retour au type. Au contraire, que chacun, au moment de la reproduction, soit rapproché, par les soins de l’homme, d’un individu pris dans la même suite anomale ou hybride, cette union préparée, choisie, cette sélection, comme disent les agriculteurs, donnera des produits qui, par le sang, (4) Sur les races, voy. le Chap. IV; t. II, p. 332. RACES DOMESTIQUES. 251 tiendront de plus en plus de la souche anomale ou hybride (4). Les caractères de l’anomalie ou de l’hy- (4) C’est là, dans la question, un point trop capital pour que nous ne cherchions pas, encore ici, à sortir de ces vagues aperçus dont on se contente trop souvent. Supposons qu'un individu anomal ou hybride soit uni à un indi- vidu normal, puis au produit de cette union, puis à l'individu né de cette seconde union, et ainsi de suite; il est clair que les produits seront successivement : . Un individu chez lequel la part de la souche anomale sera fy Un pliyidu tenant, pour moitié, de ce demi-sang, par Nr pour > = de l'individu anomal ou hybride, et pour l’autre moitié, de ce même individu : en somme, S Un grinig tenant pour moitié du second produit, par conséquent pour z = de l'individu anomal ou labrides et pour l’autre moitié, de ce même ridi : en somme, à 3 Et ainsi de suite, les quatrième, cinquième, sixième gnere et les suivantes, tenant de l'individu exceptionnel pour les = >i à i > Etc. ; c’est-à-dire, se rapprochant de plus en plus de l'individu anomal ou hybride, et si rapidement, que les différences deviendront bien- tòt absolument insignifiantes. Les nombres qui expriment ces diffé- rences sont, en effet, #3 fractions ayant pour dénominateurs les puissances successives de à 3: et pour numérateurs, ces mêmes puis- sances diminuées d’une unité. ; Ce qui peut se mettre sousla forme suivante, très propre à faciliter la comparaison des résultats des unions sélectives avec ceux des unions libres { voyez la note de la page 246 ) : are génération (demi-sang). é gme . e Dk z 1—15 gme E a à. ; i j =s =i E 5 1 me o 41m DEET = qs i= l—x HP. S M ns nt des À AIRE US Les unions sélectives, n’eût-on possédé d’abord qu’un seul individu 252 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. il, CHAP. Xi. bridité qui, naturellement, tendaient à s’effacer, ten- dront donc à persister, et, si l’on continue les unions sélectives, à prendre une régularité de plus en plus grande. Et lon finira par obtenir, après un plus ou moins grand nombre de générations, cette constance, cette fixité, presque spécifique, qui est le caractère de la race. | C'est ainsi que l'homme, fixant des caractères propres d'abord à quelques individus ou même à un seul, par- anomal ou hybride, tendent donc aussi manifestement à en fixer les caractères, que les unions, formées selon le cours naturel des choses, tendaient à rétablir le type dans toute sa pureté. Il importe de remarquer que la formule 1 — A n'exprime exacte- ment que les proportions des sangs mélangés dans chacun des produits, et non la tendance de ces produits à reproduire tel ou tel type. Cette formule, en effet, ne tient pas compte de l'influence de Patavisme; influence qui est, non-seulement très grande, mais aussi très variable, et qui même s'exerce successivement en des sens con - traires. Durant les premières générations, latavisme tend à ramener les produits au type des nombreuses générations normales qui ont pré- cédé, et par conséquent il fait obstacle à la formation de la race ano- male. Plus tard, au contraire, et après un certain nombre de géné- rations anomales, l'influence plus prochaine de celles-ci prédomine sur le produit, et atavisme devient lui-même une des causes de la fixation de la race. En désignant par A linfluence de l’atavisme, la véritable expression est donc pour les premières générations 1 — 5i — À; A ayant une valeur d’autant plus grande que n est un nombre plus petit. On a, au contraire, plus tard, 4 2e + A; et ici, à mesure que n grandit, et par conséquent que %4 diminue, A aug- mente Ajoutons que rien n’est plus- variable selon les espèces, que le nombre des générations après lesquelles l'influence de l’atavisme cesse (l'être sensible. Ce nombre, souvent très petit, est quelquefois aussi considérable, comme on Je verra par un exemple, cité p. 254, note 4, RACES DOMESTIQUES. 253 vient à former des races d’origine incontestablement anomale ou hybride. Il l’a fait à des époques plus ou moins anciennes, pour des races dont l’origine est attestée, au défaut de témoignages historiques, par la nature des modifications qui les caractérisent; etil le fait tous les jours pour d’autres dont la science a pu et peut suivre pas à pas la formation, et pour ainsi dire dresser la généalogie. Parmi les premières sont les chiens bassets, les vaches ct les chèvres sans cornes; les chiens nus dits tures, les poules à cinq doigts, et plusieurs autres races, non moins manifestement caractérisées par des vices de conforma- tion devenus héréditaires et constants. Un exemple aussi remarquable qu'authentique des secondes est la belle race française de Mauchamp, issue d'un bélier anomal, né en 1828 (1). Une autre race ovine, récemment obte- nue, qui est aux autres moutons ce que le basset est aux autres chiens, lancon, vient, de même, de quelques individus, nés avec une conformation vicieuse des membres, que des agriculteurs américains se sont atta- chés et ont réussi à perpétuer (2). Depuis quelques années aussi, on voit dans les basses-cours des races nouvelles de poules. de canards, de cochons d'Inde, et surtout de pigeons et de lapins, créées par des amateurs qui se sont plu à fixer, par la méthode sélective, de légères anomalies d’abord simplement individuelles, et particulièrement, des accidents plus où moins singuliers (1) Voy. t. Il, p. 340. (2) Nous avons déjà eu l’occasion de mentionner l’ancon, et la sin- gulière explication qu’on avait donnée de la brièveté de ses membres. Voy. le Chapitre X, p. 145. 254 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAF. XI. de coloration (4). On a fait aussi, dans ces derniers temps, des races de rats diversement bigarrées de noir et de blanc; et, pour que la distribution des couleurs devint chez ces rats pies, aussi constante qu'elle est bizarre, il A k a suffi de quelques années, grâce à la rapide succession des générations chez les petits rongeurs (2). Par la même raison, le lièvre-lapin, bien que très récemment (1) Au nombre des races domestiques d’origine anomale, créées par sélection, on peut encore citer diverses races de vers à soie, et entre autres, une race à cocons blancs, qui a offert l'exemple le plus remar- quable que nous connaissions de l'influence de l’atavisme sur des générations déjà très éloignées de leur souche. Pour former cette race, on avait, à chaque génération, éliminé tous les cocons jaunes, et élevé, au contraire, avec soin, pour la repro- duction, les vers sortis de cocons blanes. En 1784, époque de l'intro- duction en France de la race, elle donnait, sur dix cocons, un jaune et neuf blancs. Combien avait-il fallu de générations põur arriver à ce résultat? On l'ignore : mais les résultats obtenus par la culture des soixante- cinq générations suivantes sont exactement connus, gràce à une série d'observations recueillies et en partie faites par le savant directeur de la magnanerie expérimentale de Sénart, feu M. Camille Beauvais. Ces résultats peuvent se résumer ainsi : quoi- qu'on eût continué durant soixante-cinq ans à éliminer tous les individus à cocons jaunes, on n'avait pas encore réussi, en 1849, à épurer complétement la race, par conséquent, à annuler Pinfluence de l’atavisme; seulement, on s'était beaucoup rapproché du but depuis si longtemps poursuivi : de 0,4, le nombre des cocons jaunes s'était réduit à 0,035. L'influence de l'atavisme était donc encore sensible sur des indi- vidus séparés de la souche, à cocons jaunes, par une longue série d’ascendants, tous à cocons blancs : soixan te-Cinq générations connues, et un grand nombre d’autres inconnues! (2) La succession rapide ou lente des générations n’est ici qu’un des éléments qui tendent à favoriseretà hâter, ou, au contraire, à entraver ` et à ralentir la fixation des caractères. Il est des espèces où la repro RACES DOMESTIQUES. 255 obtenu (4), a déjà acquis des caractères presque fixes; et il s'en faut de bien peu qu'il ne constitue dès à présent une race d'origine hybride, aussi constante qu'aucune des races d'origine anomale (2). Par cela même que toutes ces suites sont constantes, elles tendent à subsister indéfiniment. Non-seulement il n'y à aucune raison pour que des caractères, régulière- ment transmis depuis un grand nombre de générations, cessent tout à coup d’être transmissibles; mais ce serait bien plutôt le contraire. En raison de l'influence de l’ata- visme, une suite peut être considérée, toutes choses égales d’ailleurs, comme d'autant plus fixe qu’elle lest depuis plus longtemps. On ne saurait done pas plus faire de la durée indéfinie, que de la régularité de la transmis - sion, un caractère propre à l'espèce : la race le partage avec elle, et si elle ne le possédait pas, elle ne mériterait pas ce nom. duction est très rapide, et où le type, au moins dans quelques-uns de ses caractères, résiste opiniâtrément à nos efforts pour le modifier. C’est ce qu’on voit clairement par l'exemple remarquable cité dans la note précédente. (1) Voy. p. 172 et 222. (2) Un autre exemple nous serait fourni par l’alpa-vigogne, s’il était démontré que cet animal fût le produit d’une union véritablement hybride. Mais il s'élève ici des doutes qu'on n’a pu encore résoudre, voy. p. 67 et 249. L'hybridité de quelques-unes des races canines est, au contraire, - hors de doute, Pour la contester, il faudrait nier l'origine multiple du chien, attestée, comme on l’a vu, par des faits décisifs. La même conséquence se déduirait, pour le mouton, la chèvre, le: porc, etc., de la multiplicité de leurs origines, si l'on parvenait à les mettre hors de doute. Mais, ici, on n’a encore que des indications, et non des preuves, Voy. le Chapitre X. PRET $ a E EN, ET i 7 LTA EN CORDES ERI HE a 5 à 256 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP, XI. Mais la durée de l'espèce n’est pas seulement indéfinie, soit dans le passé, soit dans lavenir; elle l’est naturelle- ment. C'est la nature seule qui l’a faite, et c’est elle seule aussi qui la conserve. La race, au contraire, ne se maintient, comme elle s'est formée, que par le pou- voir de l’homme, et à la condition qu'il règle les unions qui doivent la perpétuer. Pour qu’elle reste pure, pour qu'elle ne mélange pas son sang avec celui des autres races, il faut qu’elle soit tenue isolée des autres races; car sesinstincts ne l'en éloignent pas. Livrée à elle-même, elle s’allérerait donc rapidement; et après quelques géné- rations, fruits d'unions abandonnées au hasard des cir- constances, on n'aurait plus qu’un mélange confus de métis, sans caractères définis, sans type, comme disent les agriculteurs : en un mot, au lieu d’une race, des « animaux des rues » (4). V. La sélection, si utilement pratiquée par les agricul- teurs, est le principal, mais non le seul moyen dont l’homme dispose pour créer des races domestiques. Il en est un Second, et non moins efficace; il le serait du moins, si les agriculteurs savaient l'employer avec la même habi- leté : c'est le déplacement, la translation dans un pays, ou plus généralement, dans un ensemble nouveau de circonstances. (4) Voy. t. IT, p. 548. RACES DOMESTIQUES. | 257 Les races qui ont cette seconde origine sont, sans nul doute, plus nombreuses encore que les autres : car, parmi elles, se trouvent, avec une partie des nôtres, toutes celles des peuples barbares et surtout sauvages, et l’on sait combien celles-ci sont multipliées et variées. On a trouvé, sur un grand nombre de points du globe, des races bovines, caprines, ovines, porcines, et, presque partout, des races canines, très distinctes les unes des autres, mais qui ont toutes quelque chose de commun : elles s'éloignent peu de leurs types originels ; et par là même, comme nous l'avons fat voir (1), elles sont dans un rapport intime avec létat des peuples chez lesquels on les trouve. Une des conséquences de ces faits, d’un si grand intérêt par eux-mêmes, est sans nul doute l'im- possibilité d'expliquer la formation de toutes les races domestiques par une suite d’unions sélectives, ou même, dans les termes plus généraux dont se servait Cuvier, “par « la puissance de l’homme ». Où les races, comme les peuples qui les possèdent, sont près de ce qu’on a appelé l’état de la nature, on ne saurait méconnaître que leur formation a pour cause, non les soins de leurs maitres, mais l'influence naturelle, également ressentie par ceux-ci, des circonstances locales. Supposer le con- traire, ce serait aller contre le bon sens. Imaginera-t-on que des peuples, incultes eux-mêmes, aient su cultiver leurs animaux? qu'ils se soient attachés à pratiquer la sélection ou toute autre méthode propre à fixer la race par des soins individuellement donnés à chaque généra- tion? Et voudra-t-on faire remonter jusqu'aux âges les (1) Voy. le Chapitre IX, Section xIx. ILE, 17 ii: ne aisé R 258 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XI. plus reculés lart des Allom et des Bakewell, pour expli- quer des faits dont la clef nous est facilement donnée par d'incontestables analogies ? Si, en effet, l’origine, par déplacement, d’une multi- tude de races ne peut être établie que par voie d’induc- tion, il en est aussi, et en grand nombre, dont la formation, bien connue, nous éclaire sur celle des autres. La translation d'une province à l’autre, érigée en méthode agricole par quelques éleveurs, suffit déjà pour imprimer aux types des animaux domestiques des mo- difications très appréciables : mais combien d’autres, et de bien plus profondes, non moins bien constatées par les naturalistes que celles-ci par les agriculteurs, ont été les effets de la translation des animaux de notre Europe dans les régions lointaines, successivement découvertes et con- quises depuis quatre siècles ! Qui ignore d’où sont venues et comment ont été formées toutes ces races qui sont aujourd’hui la richesse agricole des colons de l'Afrique, de l'Australie et des deux Amériques? Qui ne sait que, partout où les Européens se sont établis, ils ont transporté avec eux leurs animaux, el que parlout où ces animaux ont rencontré un autre climat, ou même simplement un autre sol, le même fait s’est invariablement produit : sous l’action des causes naturelles locales, et non par les soins de l’homme, parfois même malgré ses efforts pour en prévenir la dégénérescence, les animaux d’origine européenne ont revêtu peu à peu de nouveaux caractères ; et après quelques générations, l'hérédité ajoutant son influence à celle des mêmes causes toujours agissantes, ces caractères se sont fixés, sont devenus constants, et de i RACES DOMESTIQUES. 259 nouvelles races, souvent très distinctes, se sont trouvées constituées (À). Ce qui a eu lieu àla suite des colonisations modernes des peuples civilisés, est nécessairement aussi ce qui s’est produit à la suite des migrations plus ou moins anciennes des peuples barbares ou sauvages. Ces peuples, entraînant, de même, à leur suite, leurs animaux domestiques, ne les ont pas, à vrai dire, modifiés, mais laissé modifier par la nature, sous l'influence, ressentie par eux-mêmes, d'un ensemble nouveau de circonstances extérieures et de conditions d'existence. (4) La plupart de ces races nouvelles sont inférieures aux animaux européens dont elles sont issues: par exemple, moins robustes, plus petites, moins fécondes, moins bonnes laitières, moins laineuses. L’infériorité de ces races atteste clairement, en elles, les produits de causes naturelles, et non de l'art humain ; car on ne saurait supposer que l’homme ait volontairement privé la vache de son lait, la poule de sa fécondité, la brebis de sa laine. Consultez surtout, à l'égard des animaux domestiques américains, le mémoire de M. Rouri, Recherches sur quelques changements observés dans les animaux domestiques transportés dans le Nouveau Continent, dans les Annales des sciences naturelles, t. XVI, p. 16, 1899. Voy. aussi le Rapport fait à l’Acâdémie des sciences sur ce remar- quable mémoire, par GEOFFROY SAINT-HILAIRE, et inséré dans les Mémoires du Muséum d'histoire naturelle, t. XVIL, p. 204, et les Ann. des sc. nat., t. XVI, p. 84; 1829. En attendant que nous revenions sur les faits rapportés par M. Rou- Jin, voici les deux conclusions principales de son mémoire (page 33) : « Lorsqu'on transporte dans un climat nouveau certains animaux, il » s'opère communément dans les races certains changements durables » qui mettent leur organisation en harmonie avec les climats où elles » sont destinées à vivre. » Les habitudes d'indépendance font promptement remonter les » espèces domestiques vers les espèces sauvages qui en sont la souche.» = 260 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP. XI. De là, par opposition avec les races domestiques arti- ficielles, ce qu'on a quelquefois nommé les races domes- tiques naturelles; distinction due surtout à M. Richard (du Cantal) qui appelle justement les premières des « pro- » duits artificiels créés par les mains de l’homme », et les secondes, les produits naturels de « l’action du climat, » de la nourriture et du sol», en un mot, des «influences » de localité » (1). Les différences sur lesquelles repose la distinction éta- blie par M. Richard, pour être d’une grande valeur, ne sont cependant pas absolues. Les races dites artificielles ne sont, à vrai dire, comme on l’a vu, que les moins na- turelles. L'homme, lorsqu'il crée une race, ne le fait pas sans le secours de la nature; mais, au contraire, à l’aide de la nature elle-même qu'il dirige, et qu'il finit par maîtriser, au point de la contraindre à agir contrairement à ses propres tendances. Réciproquement, il s’en faut de (4) Dictionnaire raisonné d'agriculture, Paris, in-8, 1854, article Races (t. 1, p.427). — Consultez aussi l'article Courses du même Dictionnaire, et l'ouvrage de M. Richard sur le cheval; voyez particu- lièrement la seconde édition, publiée sous ce titre : Étude du cheval de service et de guerre, Paris, in-12, 1857. On y trouve, p. 394, un résumé, aussi clair que concis, des vues de l’auteur. La distinetion établie par M. Richard est pratiquement très impor- tante, comme l’a fait voir ce savant agronome. Nous verrons bientôt combien il importe aussi d’en tenir compte au point de vue théorique. A l'exemple de M. Richard, M. de QUATREFAGES a distingué, dans ses cours (voy. la Revue des cours publics, 2° année 1856, p. 69), des races naturelles et des races artificielles. Mais ces mots sont pris par lui dans des sens très différents. Les races naturelles sont, pour M. de Quatrefages, les races sauvages, et toutes les races domestiques sont dites par lui artificielles. RACES DOMESTIQUES. 964 beaucoup que les races dites naturelles soient exclusive- ment l'œuvre de la nature. Là même où elles sont le plus manifestement les s produits de son action librement exercée, cette action a du moins été préparée par la translation des êtres qui la subissent, dans des lieux et au milieu de circonstances où ils ne fussent jamais venus se placer d'eux-mêmes. Les races naturelles sont done ` Join d’être les races de la nature; sans Pintervention de l’homme, elles ne se seraient pas plus formées que les races artificielles elles-mêmes. Et il est vrai de dire qu'il n’y a pas une seule race domestique qui ne résulte de l'action combinée de la nature et de l'homme (4). Il n’en existe pas une seule non plus qui puisse se maintenir sans l'intervention de l’homme; et, à ce point de vue, les races les plus naturelles peuvent même être assimilées aux plus artificielles. Le jour où elles échappe- raient au pouvoir de l’homme, où elles cesseraient, pour ainsi dire, de vivre sous sa tutelle, elles commenceraient à dégénérer; elles tendraient déjà à disparaitre. Pour qu'une race pt subsister par elle-même, il faudrait que son instinct propre élevât une barrière entre elle et toutes les autres; qu'elle répugnàt à toute union étran- gère. Or c’est ce qui n’a pas lieu, et l’expérience journa- lière ne peut nous laisser aucun doute à cet égard. Qui ne sait qu'on croise aussi facilement, avec les autres (4) M. Richard la toujours entendu ainsi, comme le montrent plu- sieurs passages des ouvrages plus haut cités. Seulement, mon savant collègue et ami, en raison du But spécial qu'il se proposait, n’a pas eu à insister autant que nous devions le faire ici, sur ce qu'il y a de natu- rel dans les races artificielles, et d’artificiel dans les races naturelles. TER ce Ca es ; ; 202 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XI. races, le cheval arabe que l'anglais, les béliers de nos anciennes races indigènes que le Mauchamp, le coq dit de Cochinchine que le dorking, et en général les étalons des races naturelles que ceux dont les caractères ont été fixés par la sélection et la culture? Abandonnées à elles-mêmes, les races naturelles ne se conserveraient donc pas plus que les autres : c’est l'intervention de l’homme, et son intervention perpétuelle et continue, qui : fait subsister séparément, sur le même sol, tous ces reje- tons d’une même tige. Et s’il cessait d'intervenir, non- seulement les types créés par l’art, mais tous les types, de quelque origine qu'ils soient, dégénéreraient avec une extrême rapidité. Altérés dès les premières générations, ils s’effaceraient complétement dans les suivantes; et toutes les races de la même contrée ne tarderaient pas à se confondre en une seule (4). Ce qui peut se résumer ainsi : s’il est des races natu- rellement formées, et, en ce sens, naturelles, il men est pas de naturellement persistantes (2). Et la transmission naturellement indéfinie reste le caractère distinctif de (1) Ny eùt-il, dans une contrée, qu’une seule race, elle ne con- serverait pas davantage ses caractères propres, si l’homme l’aban- donnait à elle-même. En l'absence de tout mélange, et sans chan- gement de climat, le retour à l’état sauvage est déjà une cause de modifications très notables. Parmi les nombreux faits que possède la science, et par lesquels nous justifierons bientôt cette proposition, plusieurs, dont quelques- uns sont très remarquables, ont été consignés dans le mémoire, déjà cité, de M. ROULIN. (Voyez page 259, note.) (2) On a vu plas haut (p. 260, note), qu'il wy a pour M. de Qua- trefages que des races domestiques artificielles ; toutes le sont, eu égard à leur mode de conservation. RACES DOMESTIQUES. 263 l'espèce, à l'égard de toutes les races domestiques, soit artificielles, soit même naturelles, aussi bien que des simples suites anomales ou hybrides. VI. En passant des suites anomales et hybrides aux races domestiques artificielles, de celles-ci aux races dites na- turelles, nous nous sommes de plus en plus rapprochés des véritables espèces. Un pas de plus va nous amener bien plus près encore de celles-ci : car, en arrivant aux races sauvages, nous allons trouver des suites très régu- lières, d’une durée indéfinie, et qui, formées par la nature seule, doivent aussi à elle seule leur stabilité, égale à celle des espèces elles-mêmes. Les trois caractères géné- raux que nous avions vus se partager entre les suites anomales ou hybrides et les races domestiques, la trans- mission naturelle, régulière, indéfinie, sont done réunis dans les races sauvages : races vraiment et complétement naturelles ; car elles le sont, non plus à un point de vue seulement, mais sous tous les rapports, etsi bien qu'elles peuvent sembler presque assimilables à des espèces. Le seraient-elles en effet? Une race sauvage ne serait- elle, sous un autre nom, qu'une espèce? Et s'il y a lieu à une distinction, comment l'établir? A ces questions, par lesquelles nous touchons aux plus graves difficultés de notre sujet, deux réponses ont été faites par les naturalistes de la fin du xviue siècle et du commencement du nôtre. 26/4 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XI, La race, a-t-on dit, est une simple modification de l'espèce, une « dégénération », selon l'expression de Blumenbach (4). Elle en diffère, a-t-on dit aussi, en ce que ses caractères sont d'une très faible valeur, et d’un ordre inférieur à ceux des véritables espèces : en un mot, sub spécifiques, et non spécifiques. De ces deux réponses, la première est loin de nous suffire. Que les races soient des dégénérations, c’est ce qu'admettent tous les naturalistes; mais sont-elles par là distinguées des espèces? Celles-ci ne seraient-elles pas aussi des « dégénérations d'un même type»? C'est la question que posaient en 1795 Cuvier et Geoffroy Saint- Hilaire (2); et si tant de naturalistes ont cru pouvoir répondre : non, combien d’autres, et d’une égale autorité, ont dit : oui, et le disent encore , et plus fermement que jamais! En faisant de l’origine accidentelle le caractère de la race, par opposition à l’origine primitive qui serait celui de l'espèce, on pose donc en fait précisément ce qui est en question. Il faudrait une définition; on ne nous donne qu'une hypothèse. C'est parce qu’on l’a compris, et afin de rentrer sur le terrain solide des faits, qu’on a mis en avant la valeur, seulement sub spécifique, des caractères acquis des races sauvages. Celle seconde solution n’est pas plus exempte d’objections que la première, à laquelle même il est facile de la ramener ; car elle ne fait guère que déguiser, sous (1) Voy. t. Il, p. 318 à 398. (2) Tbid., p. 402. | RACES SAUVAGES, 265 l'apparence d’une distinction purement taxonomique, la supposition: elle-même dont on voulait dégager la ques- tion. Prétendre que les caractères des races sont toujours d'une valeur inférieure à celle si faible déjà des carac- tères spécifiques, n'est-ce pas dire en d’autres lermes, que les êtres organisés ne sont susceptibles que de modifications très légères et seulement accessoires ; par conséquent encore, affirmer cette immutabilité du type, qui est la question elle-même qu'il s’agit de ré- soudre ? Où sont, d’ailleurs, les faits dont on prétend s'appuyer? Ç Ce que l'observation nous apprend, c'est qu'entre deux races de la même espèce, les diversités sont le plus souvent moindres qu'entre deux espèces ; mais que, parfois aussi, le contraire a lieu; et notamment, chez les espèces dont la distribution géographique est très éten- due, et dont les habitat sont très divers. C’est là un des résultats, non-seulement les mieux établis, mais aujour- d'hui les plus vulgaires, des études des naturalistes de notre époque ; et le nier, ce serait se refuser à lévi- dence. Quel naturaliste peut ignorer, de nos jours, qu'il ya, même à s'en tenir aux animaux sauvages les plus connus, des races dont la différence saute aux yeux les moins exercés, tandis qu’il est des espèces dont la dis- tinclion n'est possible qu'au prix d'une analyse minu- tieuse de leurs caractères (4)? Mais ces races si tranchées ne seraient-elles pas des (1) Dans ses travaux récents sur l'espèce, M. GobRoN émet lopi- nion que les modifications éprouvées par les espèces animales sau- vages, non-seulement « Sont légères », mais « ne deviennent jamais 4 4 “al D amea nat 266 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XI. espèces méconnues? Et ces espèces si voisines ne de- vraient-elles pas descendre au rang de simples races dune même espèce? Oui, sans doule, pour quelques- unes, connues seulement par quelques individus, et dont la détermination reste à compléter ; mais non assurément pour toutes. Jamais on ne parviendra à établir, par une suite de rectifications de détail, la suprématie con- stante des caractères de l'espèce sur ceux de la race. Et ici, ce qui peut sembler, au premier aspect, une anomalie, une contradiction, est, au fond, en parfaite concordance avec l’idée même de l'espèce, et par con- » permanentes, tant que les animaux continuent la vie sauvage. » Ce qui conduit l’auteur à cette conséquence : « Il n’y a pas de races naturelles, dans le sens strict du mot : la » race est le cachet de l'intervention de l'homme. » Voyez (De l'espèce et des races dans les étres organisés, Paris, in-8, 1859, t. I, p. 51.) Le savant auteur de ce livre s'appuie ici sur des faits dont nous sommes loin de contester l'intérêt, mais qui sont d’un ordre parti- culier et exceptionnel. De ce qu'un mollusque, qui, dans une localité très pauvre en carbonate de chaux, ne forme qu'un têt mince et transparent, peut, transporté sur un sol calcaire, se revêtir d’une coquille épaisse ; de ce que les graines d’un végétal, rabougri dans le nord ou à une grande hauteur, peuvent donner, sous un climat plus favorable, des plantes bien développées, et réciproquement, suit-il qu'il ne puisse exister de races sauvages dans aucune espèce? Ce serait admettre que le lion de Perse, transporté en Barbarie ou au cap de Bonne-Espérance, doit presque aussitôt se revêtir de la cri- nière et des autres caractères des races de ces pays? Et ainsi d’une multitude d’autres exemples. La conclusion de M. Godron est appli- cable, nous le reconnaissons, à un grand nombre de végétaux ; et un aussi éminent botaniste ne s’y fût pas arrêté, s'il en eût été autre- ment; mais ce qui est souvent vrai pour les végétaux, ne l’est plus pour les animaux que dans quelques cas particuliers. L'auteur a fait ici, de l'exception, la règle. RACES SAUVAGES. 267 séquent:avec la notion de la race qui n’est qu'une annexe de celle de l'espèce. Tandis que le genre et les groupes supérieurs, conceptions abstraites de notre esprit, re- posent sur l'appréciation des ressemblances et des diffé- rences des êtres organisés que nous avons à comparer, l'espèce n’est nullement caractérisée par un degré déter- miné d’affinité et de similitude. OEuvre de la nature elle- même, elle est la réunion de tous les individus, semblables ou non, qui naissent les uns des autres, vivent les uns par les autres, et, par à même, constituent, comme l’a dit Buffon, une des « unités » (1) de la création. En d’autres termes, une espèce est, dans le grand ensemble, un ensemble partiel dont la nature seule a marqué les limites : la science ne fait que les constater. Or, qu'est-ce qu'une de ces unités, un de ces en- sembles naturels, sinon la collection de tous les individus entre lesquels aucune distinction précise ne saurait être établie, soit qu'ils se ressemblent tous, soit qu'étant plus ou moins différents, ils se trouvent reliés par une chaine continue d’intermédiaires, ou, comme disent les natu- ralistes, de passages? Où, en effet, diviser la chaine, sans rompre ce que la nature elle-même a uni? Chaque anneau, semblable au précédent, semblable aussi au sui- vant, ne saurait être séparé ni de Fun ni de l'autre; par là même, tous sont inséparables. Et si des différences existent entre eux, elles n’autorisent nullement à admettre l'existence de plusieurs espèces confondues à leurs limites ; mais seulement à établir secondairement des (1) Voy. te I, p. 271. z pédi Pt, T p Aa LE ies ASD a SADT PIES e Brn e F4 rs LE PCR 7 CLR CE LUC CA %: 3 PE TEIRA ERON HE Harpe sun i pa en ne ie ppe ee Aprea Preis taf: Sg r s HN PAPAS CCE Ut, fs ti tte An Vtt À i ‘ t t st bG pt ra +$ Å p PA į >a PTE e pe me i ae 47% Ti . + À La Er EN NEEE, + RAA MERE à AH ‘ IMAC A fatatetatet i + r g 1 (al QE, E 4 + ++ t . > Orns veldi t'a", «| ` 5 Hiii KI r! € (4 MX RRI 3 i T Eataa) SEX RS a + + ele? Lace +. HE rs! poi MN te tieta HAA b + 4 { xt Te AT 6 Ant nid 14 CCS bd DE $ ai Pae (x LAR Te trs ee CHNCNCIES k EEE EER CA 4 yt nee n'a ra K BE RC 2 PR p et Rene CRE Rs CCR Eee G ae pais CE RS CARE se d'n + #7 PET i $ ( $ *: $ à $ R t A + at i4 i t (i $ { 4 . ta Prr taasi Cu è t 4 t ss taa #4 th 4 + > acarar EIEC g+ i i T { «4! į { NA ns g + t > KOOKI { te t ‘ PARA Ete Le M f LATE à i ie ida h b ts f ti 55 ALARE TAHASAN. i ehtii sat RICE HU UT HI un à RE z Soe le ardiai PAAA : RES 3 Yre ras di [i LRU Fes cer TN ans 2 2 p 159321? i TEEPEE pi SEGEN E AIER FORUS E MOGI yi dit ere rye ssai iasi Eara hdg 3% x: GÉNÉRALE DES RÈGNES ORGANIQUES. PRINCIPALEMENT ÉTODIÉE CHEZ L'HOMME ET LES ANIMAUX, ” PAR = Me Hs GEOFFROY SAINT- -HILAIRE, MEMBRE DE. L'INSTITUT (ACADÉMIE DES SCIENCES), CONSEILLER ET INSPECTEUR GÉNÉRAL HONORAIRE DE D'INSTRUCTION PUBLIQUE ; | PRÔFESSEUR-ADMINISTRATEUR AU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, PROFESSEUR DE ZOOLOGIE A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE PARIS, i ASSOCIÉ LIBRE DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, de PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DIPÉRIALE D'AGGLIMATATION ET DU CONSEIL. : p "ADMINISTRATION ! DU JARDIN Fa OUT TOME TROISIÈME. DEUXIÈME PARTIE. PAIE VICTOR MASSON ET FILS, PLACE DE L'ÉCOLE--DE-MÉDECINE. MDCCCLXIL 1 6 © HISTOIRE NATURELLE _ GÉNÉRALE DES RÈGNES ORGANIQUES. TOME TROISIÈME. TP OP AE VERRE. PARIS, — IMPRIMERIE DE L. MARTINET, RUE MIGNON, Li HISTOIRE NATURELLE GÉNÉRALE DES RÈGNES ORGANIQUES. PRINCIPALEMENT ÉTUDIÉE CHEZ L'HOMME ET LES ANIMAUX , LD ms PAR i , M. Isone GEOFFROY SAINT-HILAIRE, MEMBRE DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES SCIENCES), CONSRILLER ET INSPECTEUR GÉNÉRAL HONORAIRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE , PROFESSEUR-ADMINISTRATEUR AU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, PROFESSEUR DE ZOOLOGIE A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE PARIS, ASSOCIÉ LIBRE DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'ACCLIMATATION ET DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DU JARDIN ZOOLOGIQUE. TOME TROISIÈME. PARIS e : VICTOR MASSON ET FILS, PLACE DE L'ÉCOLE--DE-MÉDECINE. be M DCCC LAII RE e EE ee TD eee e CE ee To Lid499Y WALYWOA1I z e È < A P- © ml | ob @ < < D KORNY + FR NAIL NI NS SIN SNNNNNNSININYNNININSNINNINSNINININS NN NNINNYNINNYNINI VUS i CHAPITRE XII. INTRODUCTION A LA THÉORIE DE LA VARIABILITÉ LIMITÉE DU TYPE, ed ET REMARQUES GÉNÉRALES SUR LES SYSTÈMES _ OPPOSÉS A CETTE THÉORIE, +. SOMMAIRE. — I. La notion, dite positive, de l'espèce ne suftit pas à la science. La néces- - sité d'une notion plus complète est reconnue par tous les naturalistes. — II. Cette notion ne peut être obtenue qu'à l'aide de la méthode de généralisation logique. Inobservation des règles de cette méthode par presque tous les naturalistes. — III. Direction suivie par Lamarck : ses efforts pour remonter, des êtres actuels, aux êtres primitifs, supposés très simples et produits par génération spontanée. — - IV. Direction inverse, suivie par Linné. Ses efforts pour fonder la science sur la Genèse, interprétée dans le sens de la fixité ; d'où l'aphorisme sur l'espèce. — V. Efforts de Cuvier dans la même direction.— VI. Insuccès de tous ces efforts. Impossibilité, au moins actuelle, de parvenir à des ; BE notions véritablement scientifiques sur l'origine des choses et la première apparition 4 des êtres organisés. ird A cette question : Qu'est-ce que l'espèce ? nous | venons de faire une première réponse vraie, mais * incomplète. En nous bornant à considérer la transmis- sions pécifique comme naturelle, régulière el indéfinie dans l’ordre actuel des choses, nous nous arrêterions où s'arrêtent, comme disait Cuvier, les « conséquences immédiates des faits positifs (1) » de Pordre actuel. Or, (4) Expressions de Cuvier, dans l'Avertissement placé en tête- des / Nouvelles Annales du Muséum d'histoire naturelle, mars 1832. ID. 18 97h NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XII. est-ce bien là le terme de nos efforts ? Ce premier horizon de la sciencé en est-il aussi le dernier ? Nous ne saurions le penser. Au delà sont les conséquences médiates, et par elles, la notion philosophique de l'espèce, qui n’est pas moins nécessaire à la science que la notion dite positive. Si même celle-ci nous est d’un si grand prix, n'est-ce pas surtout parce qu’elle peut nous conduire à l'autre? Ce ne sont pas seulement les écoles philosophiques de Geoffroy Saint-Hilaire et de Lamarck qui l'entendent ainsi; ce sont, avec elles, et autant qu'elles, Cuvier et l’école positive, l’école des faits et de l'observation presque exclusive (L). Si bien qu’une fois encore, mais c’est la dernière dans la question de l'espèce, nous ne trouvons parmi les naturalistes qu'une seule opinion : Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire ne veulent pas moins que Cuvier, tous les faits, ceux de l’ordre ancien, ou plutôt des ordres anciens, aussi bien que de l’ordre actuel ; et Cuvier, comme Geoffroy Saint-Hilaire, accepte toutes les conséquences, aussi bien médiaies qu'immédiates, des faits soit actuels soit anciens; c’est-à-dire, contre les maximes habituelles de l’école des faits, contre son « axiome fondamental » (2), tout ce que peut nous apprendre le raisonnement aussi bien que ce que peut nous montrer l'observation. Pour Cuvier comme pour Geoffroy Saint-Hilaire, la (1) Pour les vues, presque en tout opposées des deux principales écoles françaises, et aussi de l’école allemande des philosophes de la nature, voyez les Prolégomènes, Liv. 11, Chap. II (T. 1, p. 281 à 336). (2) Voy. le Chapitre déjà cité, t. I, p. 292. EE - THÉORIE DE LA VARIABILITÉ LIMITÉE. 275 « vraie science », C'est donc ici «toute la science, la science complète ». Et ce que Cuvier a voulu, tous ses disciples le veulent aussi. Parmi ces partisans exclusifs des faits qui, répétant et parfois exagérant encore la doctrine de leur maître, réduisaient l’histoire naturelle, comme méthode, à lob- servation, et comme but, comme «idéal» même, au per- fectionnement de la classification, il ne s’en est pas trouvé un seul qui prétendit abaisser la question fonda- mentale de l'Histoire naturelle au rang d’une simple question de fait et de classification ; pas un qui erût pou- voir nier le caractère essentiellement philosophique de la notion de l'espèce, et contester au raisonnement ses droits, partout ailleurs méconnus. - Et même ici, est-ce assez dire? L'école dite positive n’a-t-elle fait, dans la question de l'espèce, qu'observer et raisonner ? : = Raisonner, C'est «combiner entre elles deux ou plu- » sieurs notions antérieurement acquises, de manière à » en faire sortir une notion nouvelle » (4); et par consé- quent, c’est déduire ou induire. Or est-ce ce qu ont fait Cuvier et ses disciples ! ? Se sont-ils tenus dans les limites de la déduction et de l'induction légitimes ? Ou, tout en plaçant, en principe, dans la prudence extrême, pour ne pasdire dans la timidité, le premier devoir du naturaliste ; en rejetant, en général, le raisonnement de la science; n’ont-ils pas ici introduit l'hypothèse, ou pour mieux dire, la conjecture? Sans son dangereux Secours, eussent-1ls pu, (1) Prolégomenes, Liv. 1, Chap. VI (TJ, p. 367.) 976 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. XII. comme ils ont prétendu le faire, rattacher et assimiler les êtres actuels à tous ceux qui les ont précédés, à quelque date qu'ils aient apparu dans l'évolution du globe; cette date fût-elle celle de la création elle-même! Sur les ani- maux etles végétaux dont lesdébris se retrouvent conservés dans les couches de la terre ; sur ceux mêmes qui, entiè- rement détruits, ont laissé des traces, si effacées qu’elles soient, de leur antique existence; sur tous ces êtres anciens, l'observation a partiellement prise; nous en savons du moins quelque chose. Mais que savons-nous de tant d’autres dont rien n’est venu jusqu'à nous ; rien, ni débris, ni empreinte, ni vestige quelconque ? Que savons-nous surtout, et que saurons-nous jamais de l’état des couples ou des individus initialement produits, mys- térieux ancêtres de tous les autres? Nous sommes ici en plein inconnu, au moins en nous tenant au point de vue de l'Histoire naturelle, puisque les faits nous man- quent absolument et nous manqueront toujours ; et il est manifeste qu’on se place complétement en dehors des connaissances positives et des arguments de l’ordre scientifique, lorsqu'on ose dire : telles nous voyons les espèces actuelles, telles elles ont été, non-seulement autrefois, depuis un temps plus ou moins reculé, mais toujours et « depuis l'origine des choses » (4). Voilà pourtant ce qu'a dit, ce qu'a cru pouvoir affirmer l’école qui « faisait profession de s’en tenir à l'exposé des faits » positifs » (2); et même, c’est là ce qu’elle appelle la (1) Expressions de CUvIER, Règne animal, 1'° édit., t. I, p. 19; 9e édit., t. 1, pe 46. (2) Voyez nos Prolégomènes, t. I, p. 288. r THÉORIE DE LA VARIABILITÉ LIMITÉE. 277 vérité fondamentale de la science ; ne s’apercevant pas qu’elle tombe, elle aussi, dans l'hypothèse, et dans la plus téméraire des hypothèses : car elle s'avance dans l'inconnu jusqu’à l'extrême limite du possible, ne s 'arrê- tant qu’où s'arrête la création elle-même, et, comme écrivait un voyageur parvenu aux confins du monde, mais dans un sens bien plus large : ubi desinit orbis. » Nous devons prendre acte de cet excès d’audace qui n'a d'égal que les témérités, en sens inverse, de La- marck, et où nous nous garderons bien de suivre l'école «positive et prudente ». De ses conclusions hypothé— tiques ressort du moins clair ement qu ‘elle a su voir, saussi bien qu'aucune autre école, toute la grandeur de la question, et comprendre que si chaque espèce, à un point de vue élémentaire, est un des degrés de l'échelle taxonomique, déterminable par l'observation (4), elle est aussi et surtout une des « unités principales » de la nature vivante que, « toutes ensemble », elles « composent et représentent », dit Buffon (2); d’où, entre elles toutes, et entre chacune d'elles et l’ensemble, des rapports dont l'importance, mais aussi la complexité, sont telles qu'il est également impossible à la science, et de renoncer à les saisir, au moins partiellement, et d'y parvenir par l'observation seule. | C'est là ce qu'a compris l'école positive elle-même ; ce qu’elle a implicitement, mais complétement admis; et quoiqu’elle n’ait pu le faire sans méconnaitre ses propres (4) Voy. le Chapitre 1l de ce livre (T. I, p. 381). #3 aussi le Chap. I, sect. 1 à nr. (2) Histoire naturelle, t. XIT: De la nature, sale vue, p. J; 1765, Ce ie matt MA Ce T E er 278 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XII. principes si souvent et si énergiquement affirmés, il faut lui en savoir gré, et nous féliciter de cette heureuse inconséquence ; car voici, du moins, un point sur lequel les opinions sont unanimes, et qu’on peut dire acquis : La notion dite positive n’est que le commencement de la vraie notion de l'espèce ; elle peut suffire à la classifi- cation, elle ne suffit pas à la science. Quand on est parvenu, par l'observation, à cetie pre- mière solution, relativement élémentaire, il reste donc à en obtenir une seconde, plus complète, d’une méthode moins restreinte : celle qui, procédant par l'observation, poursuivant par le raisonnement, ne s'arrête pas, à quel- que point de la route qu’elle soit arrivée, si elle peut aller plus loin. ! IL. La vraie science n’est pas tout ce qu'on voudrait savoir; mais ce qu'on peut bien savoir. C'est pourquoi l'essentiel n’est pas d’aller vite et d'arriver tout d’abord très loin, mais d’aller toujours en avant, füt-ce lente- ment, et d'arriver sûrement jusqu'où l’on peut parvenir ; et c’est pourquoi aussi la Méthode de généralisation logique est la seule méthode véritablement scientifique. IL faut laisser à quelques rares génies le privilège , dangereux pour eux-mêmes, de s'élancer de plein saut vers le but. C’est pas à pas que nous devons essayer d'y parvenir, s’il est accessible ; de nous en rapprocher, s'il ne l’est pas; réglant notre marche sur nos forces et sur - THÉORIE DE LA VARIABILITÉ LIMITÉE. 979 les difficultés du chemin, sans jamais la précipiter par impatience ou par présomption, car les résultats pré- maturément obtenus ne sont souvent que des erreurs spécieuses ; comme aussi sans la ralentir ou la suspendre par timidité et surtout par découragement; car limpos- sible d'aujourd'hui sera le possible demain; et s’en tenir à la découverte qui vient d'être faite, c'est s'arrêter au moment d’en faire une autre. | Ces préceptes, développés dans nos Prolégomènes (1), et que nous ne faisons que rappeler ici, sont d’une sagesse si vulgaire, et ils ont été, comme règles fonda- mentales de la méthode scientifique, recommandés si souvent et de si haut, qu’on devrait s'attendre à les voir généralement appliqués à la question de l'espèce. Où les règles sont-elles le plus nécessaires ? Là sans doute où les difficultés sont les plus grandes. Pourtant on s’en est affranchi dans la question de l'espèce; et ce n’est pas de quelques naturalistes seulement, c’est de presque tous, que va nous éloigner l'observation rigoureuse de ces mêmes préceptes qu’un assentiment si général con- sacre en théorie. Nous avions pu, un instant, nous appuyer sur les autorités si rarement réunies de Cuvier et de Lamarck, et sur l'accord unanime des écoles ordi- nairement les plus opposées : il va suffire de quelques pas en avant pour rompre cet accord d'un moment, et pour faire renaître tous les dissentiments des écoles; et nous resterons presque isolé entre toutes, et parti- (1) Le livre II (t. 1, p. 267 à 450) est consacré tout entier à l'exposi- tion et au développement de la Méthode de généralisation logique. Voy. aussi la Préface, p. xX et suiv. dE Ce ls AU D nn vd | 280 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XII. culièrement entre Cuvier et Lamarck, et à grande dis- tance du premier aussi bien que du second. Avant même que ces deux maitres se séparent l’un de l’autre, nous serons déjà obligé de nous séparer de tous deux ; et: avec eux, de presque tous leurs disciples : les uns, déviant, dès le point de départ, de ce qui nous semble la vraie roule; d’autres s’y engageant il est vrai, mais pour la quitter presque aussitôt. Et quant au petit nombre de ceux qui y persévèrent, la plupart encore s’y avancent si résolüment et d’un pas si rapide, que nous ne saurions les y suivre: ils s’y élancent, ils y courent; nous voulons y marcher. MI. Au nombre des naturalistes avec lesquels nous pou- vons du moins faire une partie de la route, sont plusieurs des partisans de la variabilité illimitée du type, et particu- lièrement le principal d’entre eux, Lamarck. L’illustre auteur de la Philosophie zoologique part d’où nous par- tons : des faits biologiques actuels, d’abord constatés par l'observation; et il tend où nous croyons devoir tendre aussi : à la détermination, à l’aide de ces faits, de l’état antérieur des êtres organisés. Lamarck, et l’on eùt dû en faire avant nous la remarque à sa louange, ne se laisse pas aller à une illusion à laquelle ont cédé d’autres grands naturalistes ; il n’essaye pas, en vue de procéder logique- ment des causes aux effets, de descendre des êtres primi- tifs aux êtres actuels; ce qui ne pouvait le conduire en DIRECTION SUIVIE PAR LAMARCK. 281 réalité qu’à procéder, très illogiquement, de ce que nous ignorons et ignorerons toujours, à ce que nous savons ou pouvons savoir. Plus positif ici que ceux qui lui ont tant reproché de ne pas l'être, Lamarck s'avance du connu à l'inconnu, et se conforme du moins à la pre- mière et à la plus nécessaire des règles de la méthode. Malheureusement, il en estune seconde dont Lamarck s’affranchit presque dès les premiers pas. Où l’obser- vation lui fait défaut, il recourt à l'induction, et nous le ferons aussi; mais où l induction lui manque à son tour, Lamarck ne consent pas à s'arrêter : il fait succéder l'hypothèse à l'induction, la conjecture à l'hypothèse. Un esprit aussi ardent devait aller devant lui tant qu'il ne serait pas parvenu aux limites nettement tracées de la science ; et comme ces limites ne se rencontraient nulle part sur sa route, il a été à l'extrême; remontant de proche en proche jusqu'au commencement des choses, jusqu’à la première formation des êtres organisés. « Des » générations directes ou spontanées » , dit Lamarck, ont produit « les animalcules les plus gi en organisa- » tion » (4); et ceux-ci ont « donné l'existence » par des évolutions successives, à « tous les autres animaux » (2); aux aquatiques d’abord, puis aux terrestres. « L’ échelle, (1) Philosophie zoologique, Additions au tome I, p. 456 et 457; 1809. (2) Ibid., et pages suivantes. Lamarck résume dans ce passage les vues qu'il a développées plus haut, p. 61 à 90. Nous avons tenu à reproduire les expressions elles-mêmes Lau Pau- teur. Nous ne voulons pas nous exposer à mériter le reproche que nous avons dû faire ailleurs (t. 1I, p. 407) à quelques prétendus his- toriens et critiques des vues de Lamarck, de . NT Dr * ET Pré a 982 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. If, CHAP. XII. » soit animale, soit », de même, « végétale » (1), se déve- loppe ainsi « progressivement » (2) du simple au com- posé. Telle est la dernière conclusion de Lamarck, ou mieux, telle est l'hypothèse générale et finale à laquelle il fait aboutir toutes ses conjectures partielles. Nous ne saurions suivre Lamarck, ni dans l'emploi d’une méthode aussi périlleuse, ni dans la poursuite d’un bùt aussi lointain, Nous aimons mieux de petites vérités, ne pussions-nous jamais aller au delà, que de grandes hypothèses en dehors des faits. Et comment pourrions- nous accepter celles de Lamarck ? S'il se trompe ou ne se trompe pas dans ses conclusions partielles, c’est ce que nous aurons à examiner ultérieurement ; mais ce que nous pouvons dès à présent reconnaître, c’est que son hypothèse générale n’est nullement selon l'esprit de la vraie méthode scientifique ; c'est-à-dire, de la Méthode de généralisation logique, telle que la conçoivent et la mettent en pratique les sciences les plus anciennement constituées et les plus avancées, et telle que nous devons aussi la concevoir et la pratiquer en Histoire naturelle (3). Pour obéir aux règles fondamentales de cette méthode, règles qui ne sont autres que les préceptes si bien formulés par Descartes (4), il ne suffit pas de partir « des objets les » plus aisés à connaître » ; il faut aussi « monter peu à peu, (1) Phil. zool., Table des matières, p. 468. (2) Ibid. Outre la Philosophie zoologique, Lamarck a exposé sa doctrine dans plusieurs ouvrages qu'on trouvera cités, t. IE, p. 405 à 440. (3) Voyez les Prolégomènes, et particulièrement le Livre IJ, Chap. I (t. I, p. 269 à 280). (4) Voy. t. I, p. 225 et 234 et suiv. 21 . DIRECTION ` SUIVIE PAR LAMARCK. — 289 » comme par degrés », jusqu’à ceux dont la connaissance est la plus difficile ; il faut « conduire par ordre ses pen- » sées ». Or, est-ce là ce que fait Lamark? Il est trop manifeste qu'il fait tout le contraire. Quand on le voit atteindre en quelques pages, et à l’aide de quelques idées intermédiaires, jusqu'aux derniers confins imaginables de la science, il faut bien reconnaitre que l’auteur de la Philosophie zoologique ne s ’avance pas peu à peu et par degrés, mais qu’il s’élance, par-dessus toutes les diffi- cultés, vers des solutions qu "il ne déduit pas, mais qu'il suppose, Et si l’on doutait qu’il en fût ainsi, qu'on l'écoute lui-même : les solutions de Lamarck ne sont, nous citons ses propres expressions, que des « conjectures » , de « simples conjectures »; seulement, à son sens, « Ces » conjectures acquièrent », par les « observations », exposées dans son ouvrage, «une probabilité des plus éminentes». Et c’est par ce jugement de l'auteur sur son œuvre que se termine la Philosophie zoologique (1 ). Malheureusement, les hypothèses de Lamarck n’ont pas inspiré à ses successeurs autant de confiance qu à lui-même. Il se flattait d’avoir découvert de grandes vé- _rités; la plupart ont pensé qu’il n'avait fait que soutenir de graves erreurs, n'étant même, a-t-on ajouté, que le continuateur de Demaillet (2). Sans souscrire à la sévé- rité de cette appréciation, et surtout à l'injustice d’une assertion historique qui prétend assimiler les vues d’un grand naturaliste aux conjectures en l'air d’un rêveur mc on doit reconnaître que les hypothèses de (1) T. II, p. 462. | (2) Et même, a-t-on dit, d'Anaximandre. vi t. 11, p. 385. 28 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XII. Lamarck sont loin d’avoir recu de ses recherches la « probabilité des plus éminentes » qu'il croyait pouvoir leur attribuer. Le moins qui puisse arriver quand on se précipite en avant sans mesurer son élan, c’est de dépas- ser le but, ce qui est encore un moyen de le manquer. Lamarck a ainsi manqué le sien ; il allait trop vite pour ne pas aller trop loin. | Mais la puissance d’un grand esprit se montre jusque dans ses erreurs. Ne regrettons pas les illusions par les- quelles Lamarck s'est laissé ici entraîner ; car il a semé de découvertes qu'un plus prudent n'eùt pas faites, sa route périlleuse vers un but impossible. La varia- bilité limitée du type pourrait-elle aujourd’hui être éta- blie, si Lamarck n’eût accumulé durant vingt ans de prétendues preuves à l’appui de la variabilité sans limites? Et ses admirables vues sur la série animale, aussi vraies que grandes, auraient-elles pris place dans la science , sans ses longs efforts pour y faire entrer l'hypothèse de la transmutation progressive des êtres organisés ? IN: On ne s'étonnera pas que, voulant avant tout la rigueur et la certitude de la science, nous soyons con- duit à nous séparer des naturalistes qui se sont surtout préoccupés de sa grandeur. Mais que nous devions aussi nous éloigner de ceux qui recommandent et pratiquent habituellement les mêmes préceptes que nous prenons pour guides, c'est ce qui pourra sembler singulier et Bu DIRECTION SUIVIE PAR LINNÉ. 285 presque inadmissible; et cependant, c’est ce qui va avoir lieu. Et même, est-ce de Lamarck, qui a méconnu ou dédaigné ces préceptes, ou de Linné, de Cuvier, qui les ont habituellement pratiqués, que nous allons le plus tôt nous séparer? Ce sera, surtout au point de vue de la méthode, de Linné et de Cuvier. Si Lamarck quitte bientôt le terrain de la science positive, Linné n’essaye pas même d'y prendre pied au point de départ; et Cuvier semble bien plutôt le faire qu’il ne le fait réellement. Linné, ici, est le maître et le guide; Cuvier, le disciple : disciple, il est vrai, un peu hésitant; mais était-il possible qu’il ne le fùt pas au dix-neuvième siècle (1)? Aussi est-ce surtout Linné que nous devons mettre en opposition avec Lamarck : ailleurs nous trouverons des divergences très marquées; ici sont des doctrines direc- tement contraires. Nous venons de voir l’auteur de la Philosophie zoologique remonter, de proche en proche, des êtres actuels jusqu'aux êtres primitifs, pour en éta- blir la diversité : l’auteur de la Philosophia botanica des- cend, de proche en proche, des êtres primitifs aux êtres actuels, pour en démontrer la similitude. Ce passé loin- tain et inconnu dont Lamarck faisait son point d'arrivée, Linné en fait son point de départ ; et, plus hardi ou pour mieux dire, plus téméraire encore, en sens inverse, que Lamarck, il ne dit pas comme le grand naturaliste fran- çais : telle est ma conjecture, éminemment probable: mais : telle est incontestablement la vérité. Et au pre- mier rang des propositions fondamentales de la science, (1) Et surtout après avoir longtemps considéré la science sous un point de vue très différent. Voy. t. IT, p. 399 et suiv. RE EE — rene = SE RO E 9286 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XIL. on devrait, suivant lui, placer cet aphorisme : « Autant » de formes ont été primitivement créées, autant il ya » d'espèces : Species tot numeramus quot diversæ formæ » in principio sunt creatæ (1). » Qu'est-ce donc, pour Linné, que l’état présent des choses? C’est l'état originel perpétué. : En procédant ainsi des premiers ancêtres aux derniers descendants, des premières causes aux effets actuels, Linné, pourrait-on dire, suit l’ordre naturel; et comment l'ordre de la nature ne serait-il pas aussi l’ordre de la _ logique? C'est donc lui, et non Lamarck, qui serait dans le vrai. Ceux qui raisonneraient ainsi, oublieraient qu'avant de préférer ce qui est ou semble plus naturel, il faut choisir entre ce qui est praticable et ce qui ne l'est pas, et que, pour partir dans la science d’une idée ou d’un fait, comme en voyage d’un lieu, on doit d’abord y être arrivé. Il est naturel aussi de suivre le cours d'un fleuve; il peut sembler logique de l'étudier à partir de son origine; car ses eaux descendent, elles ne remontent pas : fallait-il cependant déterminer et suivre le cours du Nil, à partir de ses sources inconnues? Non; il fallait faire ce qu’on a fait : remonter le fleuve, puisqu'on ne pouvait le descendre, et puisqu'il n’y avait pas d'autre moyen d'aller du connu à l'inconnu. Il est vrai que Linné, en procédant des êtres primitifs aux êtres actuels, croit pouvoir considérer les premiers comme connus, par cela même que les derniers le sont. Selon lui, les êtres primitivement créés, « quos ab initio (1) Fundamenta botanica et Philos. bot., Aphor. 157. Voyez plus haut le résumé des vues de Linné, Chap. VI, sect. nr. DIRECTION SUIVIE PAR LINNÉ. 287 produit Infinitum Ens» (1), ont donné naissance à d'autres semblables à eux, et ceux-ci à d’autres toujours semblables, en plus grand nombre, « plures, at semper sibi similes (2) »; et ainsi, de génération en génération. Voilà ce que dit Linné, et ce qu'ont répété de nom- breux disciples, qui ont cru pouvoir ajouter d’après le maître : C’est là une vérité établie en même temps par la révélation et par la raison : « Revelatione duce, et teste ratione didicimus » (3). | Mais Linné ne s’est pas fait cette illusion. Il se garde bien de confondre, comme tant d’autres après lui, deux idées qui, pour se compléter ici l’une l’autre, ne restent pas moins logiquement très distinctes : la multiplicité toujours croissante des individus, et la persistance du type primitif. C’est la première seule que Linné présente comme doublement prouvée : prouvée par le texte de la Genèse et par le raisonnement ; par la foi, « fide divina », et par la science. Que nous apprennent, en effet, dit Linné, d’une part, nos méditations sur l’ensemble des faits qui nous sont connus, de l’autre, la lecture des livres saints? Par l'observation et le raisonnement, nous _reconnaissons que les êtres d'aujourd'hui sont plus nom- breux que leurs ancêtres, comme ceux-ci l'avaient été plus que les leurs, et ainsi de suite : « Multi originem debent paucis, hi paucioribus, et ita porro (h). » Et que (4) Philos. botan., développement de la Propos. 157. (2) Expressions de LINNÉ, ibid. ` (3) Voyez le préambule de l'Oratio de telluris habitabilis incre- mento, 1745. (4) Ibid., Propos. 45. MES, Mer ou 288 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. XII. nous enseigne la Genèse ? Qu’ila existé à l’origine un seul couple humain, ét un seul aussi de chaque sorte d'êtres vivants : « Unicum hominum par; unicum par ex omni specie viventium (1) ». La Genèse, dit Linné, affirme donc ce qu’indiquait la science ; car il est clair que la décroissance du nombre des individus, si elle se continue indéfiniment dans l’ordre ascendant, a pour terme, chez les êtres à sexes non séparés, l'existence d’un seul indi- vidu, et, chez les autres, celle d’un couple primitif uni- que. C’est ce couple primitif, entrevu « par la raison » au dernier horizon de la science, que nous montre la foi : la science confirme done la Genèse, la Genèse complète la science, et la même vérité est ainsi, selon Linné, doublement prouvée. Mais où sont, même au point de vue où se place Linné, les preuves que les descendants de ce couple unique lui sont restés semblables ? Ici, non-seulement Linné ne s'appuie plus sur les résultats de l’observation et du raisonnement ; mais il ne trouve même plus à invo- quer cette autorité de la Genèse, à l’aide de laquelle il croyait tout à Fheure pouvoir remonter par delà tous les faits connus. Et comment eùt-il pu justifier par (1) Ibid., Propos. 8 et Propos. 7. -— Cette dernière proposition n’est que sous-entendue dans la Genèse. L'homme est le seul être pour lequel élle mentionne expressément l'existence primitive d’un seul couple. Dans ce passage, dont Linné emprunte les termes à la Genèse, spe- cies n’est pas l'espèce, dans le sens où nous prenons aujourd’hui ce mot. Pour l'ancienne signification de species (et aussi de genus, qui a eu longtemps le même sens vague que species), voyez le Chapitre V (t.11, p. 849 et suiv.)- + = DIRECTION SUIVIE PAR LINNÉ. 289 elle cette seconde. partie de la formule : Sibi semper similes ? Si affirmative sur l'existence de couples primi- tifs uniques, la Genèse passe entièrement sous silence l’état de ces mêmes couples: Ils sont directement sortis des mains du Créateur, c'est tout ce qu'elle nous en dit; ne niant pas sans doute, mais n’affirmant pas davantage la similitude des premiers ancêtres et de leurs descen- dants d'âge en âge. Et même est-ce assez dire? Il serait assurément peu difficile de faire sortir du texte même de la Genèse le système de la variabilité limitée. Un seul couple, dit la Genèse, a donné chaque sorte d'animaux : ce couple avait-il done réuni en lui tous les caractères des races, si variées et parfois si tranchées, que nous distin- guons parmi ses nombreux descendants? Adam, père de tous les hommes, n'a-t-il eu que des fils semblables à lui ? Affirmer cette similitude universelle, ce serait pré- tendre que le même homme a pu être à la fois blanc, jaune, rouge et noir, barbu et imberbe, à cheveux lisses et crépus, orthognathe, eurygnathe et prognathe, ou, pour résumer en quelques mots toutes ces diflé- rences et bien d’autres, caucasique, mongolique et éthiopique. | | gr Rien, même dans la Genèse, n’autorisait donc Linné, après avoir-dit : plures, à ajouter cette seconde propo- sition, tout à fait indépendante de la première : semper ' sibi similes. Ici Linné ne prouve plus, il émet une sup- position dont il ne trouve pas plus la justification dans la tradition que dans la science; une pure conjecture: car quel autre nom donner à une opinion qui ne repose sur aucune preuve ? HL 3 19 -. j E EREA REA ue f Í |! } 1 y | E p { i '} jé L u BP À f H f f E e A1 (0° { |; 3 } À iN to T : f L ‘mn Fe A na | 4 F S ! j 4 f i = i w E; E f E 4] h + 4 ya LA ESVE f | i: { 990 NOTIONS FONDAMENTALES, GIV. I, CHAP, XII. Et qu'est-ce que « l’aphorisme » sur lequel nous avons vu Linné et ses disciples fonder si longtemps la science ? Encore une supposition non justifiée. Il est vrai qu'ici Linné prétend démontrer ce qu’il avance, et même par un argument qu'il juge assez rigou- reux pour le revêtir de la forme d’un syllogisme. Mais cette formé même ne rend que plus sensible le vice d’un raisonnement où la similitude perpétuelle des ancé- tres et des descendants ést posée, sans démonstration préalable, comme prémisse, et la permanence des diverses formes spécifiques , déduite comme conséquence. Or, qu'est-ce que cette conséquence, sinon, en d'autres termes, celte même prémisse non démontrée? Idem per idem, comme disent les logiciens. | ; Linné, en voulant descendre des couples primitifs à leurs descendants actuels, n’est donc pas plus heureux que Lamarck essayant de remonter des êtres actuels à leurs premiers ancêtres. C’est en vain que ce grand naturaliste veut faire du premier chapitre de la Genèse le premier chapitre de l'Histoire naturelle : dès qu’il prétend pénétrer les secrets de la création, il est manifestement entrainé, non-seulement en dehors de la science, mais aussi au delà des termes du récit biblique. Et quand il dit : « Tot species quot diversæ formæ in principio sunt creatæ », cet aphorisme prétendu fondamental et dont on a voulu faire le premier axiome de la philosophie naturelle, n’est qu’une assertion toute gratuite; une supposition aussi peu justifiée, pour reprendre les expressions de Linné, au point de vue de la révéla- DIRECTION SUIVIE PAR LINNÉ. 294 tion qu’à celui de la raison : « revelatione duce et teste ratione » (1). LA C'est aussi de la Genèse que part Cuvier; mais, tandis l que Linné met en pleine lumière l’origine de sa doctrine, Cuvier laisse dans l'ombre celle des vues auxquelles, (1) Les passages de la Genèse, rappelés plus haut, sont loin d’être les i seuls de-ce livre et des autres parties de la Bible qui soient en con- tradiction avec le système de la fixité. Nous citerons, à titre d'exemple, quelques versets du Chapitre VII. Nous avons vu plus haut Burron (ses opinions ont été résumées, t. H, p. 388), et nous avons vu aussi d’autres naturalistes partisans À de la variabilité, admettre lexistence de «souches principales » dont une grande partie des espèces actuelles seraient successivement sor- ties, ou, selon l'expression dont nous nous sommes plusieurs fois servi, dérivées. N'est-ce pas ce système d'idées, si souvent combattu au nom de la Genèse mal interprétée, que l’on retrouve, pour ainsi dire, mis en action, dans le Chapitre VII de cette même Genèse, relatif au déluge et à l'arche? Les versets 2, 3, 8, 9, 44, 45 et 16 nous montrent, en effet, entrant dans l’arche, par les soins de Noé : fie Deux couples de chacun des animaux immondes : « de animan- .tibus immundis duo et duo » (vers. 2); Sept couples de chacun des animaux non immondes: « ex omni- » bus animantibus mundis, septena et septena, masculum et femi- » nam » (Ibid.); ; Sept aussi de chaque espèce d'oiseaux : « de volatilibus cœli septena » et septena» (vers. 3); Et demême, pour toutes les autres classes terrestres: « Orne quod -= movetur super terram, dit la Genèse » (vers. 8). Et elle semble ne pas trouver encore ces termes assez généraux; car elle ajoute un peu plus bas (vers. 15) : « Bina et bina ex omni carne in qua erat spiritus « vitæ.» ; : z l i | En partant de l'hypothèse de la fixité de l'espèce, on trouverait, 292 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XII. après de longues hésitations (4), il croit devoir s'arrêter. Au xvin siècle, Linné se plait à citer, presque en théolo- gien, les textes de la Genèse ; de nos jours, Cuvier, qui avec ces données; que des millions d'animaux ont dù entrer, deux à deux, bina et bina, dans l'arche de Noé! Car, pour obtenir le nombre des animaux de l'arche, il faudrait, dans cette hypothèse, multiplier, pour une partie, par quatre, et pour une autre (qui est de beaucoup la plus considérable), par quatorze, le nombre des espèces terrestres alors existantes ; c’est-à-dire, toutes celles qui existent encore aujourd’hui, plus de cent mille, selon les évaluations les plus modérées; et en outre, celles, en nombre considérable aussi, qui se sont éteintes depuis l'entrée dans l'arche ! Combinez ces diverses données numériques, et calculez le temps qu’eût exigé le défilé de ces innombrables animaux! Essayez aussi de ramener l'arche à des dimensions possibles, comme l'ont fait les Pères (voyez le résumé de leurs opinions dans les livres théologiques, et entre autres dans La Genèse, traduite avec expli- cations , Paris, in-8, 1699, p. 295). Nous laissons aux défenseurs de la fixité le soin de concilier, avec leur respect pour la Genèse, des conséquences auxquelles on ne saurait manifestement échapper, tant qu'on admet laphorisme pré- tendu fondamental : « Species tot numeramus quot diversæ forme in principio sunt creatæ. » Nous n’insisterons pas davantage, soit sur les passages que nous avons cités, soit sur d’autres plus ou moins analogues. Nous croyons que chaque ordre de connaissances doit s’avancer dans les voies et par les moyens qui lui sont propres, et que, s’il y à lieu, la science une fois faite, d'en vérifier, d’en signaler la concordance avec la Genèse, il est contraire aux principes essentiels de la méthode de chercher dans la Genèse des arguments à l'appui de ce qui est ou nous semble la vérité scientifique. Aussi les remarques qui précèdent ont-elles pour objet, non de justifier par-la Genèse le système de la variabilité du type et l'hypo- thèse des « souches principales », mais de montrer combien on était peu fondé à invoquer l'autorité de la Rible en faveur du -système L g 1 jh t È x 1 j | (4 | 4 F e} 1 E | | 1 1 { { ‘ 34 It | i | ti i Ee E ia- ` { |i i LE j 1 \ } j j il | | s í t f ni Er- ; Fi | ni | 1e f | f i f | i | | cd sai Em sd contraire. (4) Voy. to I, p. 402. Lu ee or TENE DIRECTION SUIVIE FAR CUVIER, à 2983 veut rester naturaliste, se borne à des allusions très indi- rectes, et évite de nommer la Genèse dont pourtant il s'inspire. Ce que dit Moïse est, pour Linné, la vérité démontrée; c’est encore la vérité pour Cuvier, mais la vérité à démontrer, à confirmer du moins, par les faits et à l’aide des ressources propres à la méthode scientifique. Voilà ce qui ressort pour nous du rappro- chement des livres de ces deux grands naturalistes; et si nous sommes certains d’être dans le vrai pour Linné, dont nous ne disons rien qu'il n’en ait dit lui-même, nous croyons aussi ne pas nous tromper à l'égard de Cuvier, bien que ses réserves sur plusieurs points, son silence sur d’autres, nous obligent ici à interpréter, au lieu d'analyser. Si Cuvier n'eùt observé, pensé et conclu sous l'in- fluence d'idées préconçues où préadmises, et si ces idées n’eussent été celles que Linné et tant d’autres natu- ralistes avaient déjà puisées dans la Genèse mal com- prise; si la justification d’une doctrine consacrée, et non la libre recherche de la vérité inconnue, n’eût été, peut- être à linsu de lui-même, dans les tendances de son esprit, se füt-1l abusé sur l'insuffisance de sa démonstra- tion, prétendue scientifique, de la permanence des types originels? Et se fût-il contenté pour résoudre la question fondamentale de la science, et pour remonter jusqu’à la Création elle-même, d'arguments tels que ceux qu il a invoqués, et dont voici le résumé : « On n'a aucune preuve que toutes les différences » qui distinguent aujourd’hui les êtres organisés soient » de nature à avoir pu être produites par les circon- SA 99/4 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XII. stances L'expérience paraît montrer au contraire que, dans l’état actuel du globe, les variétés sont ren- fermées dans des limites assez étroites ; et aussi loin que nous pouvons remonter dans l'antiquité, . nous voyons que ces limites étaient les mêmes qu'aujour- » d’hui. » | « On est donc obligé d'admettre certaines formes » qui se sont perpétuées depuis l'origine des choses, sans » excéder ces limites ; et tous les êtres appartenant à » l'une de ces formes constituent ce que l’on appelle une » espèce. » Ce résumé n’est pas de nous, il est de Cuvier lui- même (1); et il a été souvent reproduit par ses disciples comme l'expression la plus claire en même temps que la plus concise de ses vues définitives, et presque comme le dernier mot de l’école positive dans la question de l'espèce, | C'est précisément parce que Cuvier est très clair, qu’il est facile de reconnaitre combien peu la logique autorise la conclusion à laquelle il s'arrête. Nous discu- (A) Règn. anim., Introd., 4° édit., 1817, p. 19; 2e édit., 1829, p. 16. Quelques changements sans importance ont eu lieu, d’une édition à l'autre, dans la première phrase. Nous avons cité la rédaction de 1829. Le reste du passage a été reproduit sans variations d’une édition à l’autre. Il est done l'expression très réfléchie et définitive de la doctrine de Cuvier. sà La fin de ce passage est presque littéralement traduite de Linné. On remarquera que Cuvier évite de se servir du mot biblique créa- tion ; mais les expressions par lesquelles il le remplace ont, pour lui, exactement. le même sens, DIRECTION SUIVIE PAR CUVIER. 295 terons plus tard les faits sur lesquels il croit pouvoir s'appuyer (4); mais ne ressort-il pas déjà de son résumé lui-même que ces faits ne disent pas tout ce qu'il prétend leur faire dire? En ramenant les divers termes de la pré- tendue démonstration de Cuvier à une expression plus simple et plus concise encore, qu'y trouvons“mous : Comme prémisse, cette proposition dubitative : « L'expérience paratt montrer » que les différences qui distinguent les êtres, actuellement et depuis l'antiquité, n’ont pas été produites par les circonstances. Comme conséquence, cette proposition affi rmative : i « On est obligé d'admettre » que les différences ont tou- jours existé, qu’elles sont primitives. Une conséquence à laquelle on ne saurait se refuser, en un mot certaine, se déduirait donc d'une proposition qui paratt justifiée par l'expérience; par conséquent, on le reconnaît, d’une proposition seulement vraisemblable, et qui reste à démontrer. Mais la prémisse, füt-elle démontrée, en serait-on beaucoup plus avancé ? Cette prémisse est restreinte aux êtres organisés «actuels» et à ceux auxquels “CROUS pou- vons remonter dans l'antiquité» : la conséquence, bien plus étendue, comprend aussi, par delà tous ces: êtres, ceux auxquels nous ne pouvons remonter; ceux de tous les temps anté-historiques, de tous les âges paléontolo- giques; tout ce qui a vécu «depuis l'origine des choses ». (4) Ces faits ont été exposés et commentés dans le Discours préli- minaire des Recherches sur les ‘ossements fossiles, et dans les leçons sur l'Histoire des sciences naturelles. | Pour leur discussion, voy. les Chapitres XIII et suiv. J 296 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Ii, CHAP. XII. Or une vérité démontrée pour les premiers l'est-elle, par cela même, pour les seconds? Cuvier l’admet impli- citement, mais a-t-il le droit de le faire? Possède-t-il et donne-t-1l la preuve que ce que nous ignorons est néces- sairement conforme à ce que nous savons; que ce qui a lieu, causes et effets, depuis vingt, depuis trente siècles, a dù toujours avoir lieu? Non-seulement Cuvier n’a jamais établi cette stabilité perpétuelle, cette immutabilité des causes et des effets; mais tous ses travaux géologi- ques et paléontologiques ont tendu à en prouver la varia- bilité aux divers âges de la terre ; et moins que tout autre, l'auteur du Discours sur les révolutions du globe eùt voulu redire dans notre siècle : « Natura constans; eadem tem- peratura, eædem operationes (4). » Le raisonnement de Cuvier manque donc des prémisses qui seraient nécessaires à sa rigueur ; et la conclusion en est contestable à double titre. | Elle l’est, parce que la permanence des êtres orga- nisés, depuis l'antiquité historique, n’est, pour Cuvier lui-même, que vraisemblable, mais non démontrée. Elle l’est encore, parce que la permanence, füt-elle démontrée pour trente siècles et plus, ne saurait entrai- ner, comme conséquence nécessaire, la permanence dans les temps inconnus qui ont précédé ces siècles, et, encore moins, l'existence de « formes perpétuées depuis l’origine des choses ». = (4) Expressions de JonstoN dans son curieux traité : Naturæ constantia, Amsterdam, in-24, p. 38; 1692. = LIMITES DE LA SCIENCE. 297 VI. L'impossibilité de pénétrer, par la science, les mys- tères. de «l'origine des choses» et de la première appari- tion des êtres organisés, pouvait sembler évidente par elle-même. Nous venons de voir cependant, non-seule- ment un des naturalistes les plus hardis de notre siècle, mais le chef lui-même de l’école qui se qualifiait de pru- dente et que d’autres ont appelée timide, ne prétendre à rien moins qu’à la détermination, exacte ou très approchée, de l’état primitif des êtres organisés et de l’origine des types actuels. Mais nous avons vu aussi que ni Lamarck, ni Cuvier, ni, à plus forte raison, ceux qui les ont précédés, ne sont parvenus à justifier les conclusions auxquelles ils “avaient.cru devoir s’arrêter. Qu'est-ce que la doctrine de . la génération spontanée d'êtres primitifs très simples, d k -et de la formation graduelle, par transmutation, de types ta ` hd de de plus en plus complexes ? Malgré tous les efforts de Lamarck, un système, une hypothèse non justifiée. Et qu'est- ce que la doctrine de la formation primitive des ty pes actuels, et de leur immutabilité? Un autre système, une autre hypothèse, que Cuvier s'efforce en vain de fon- der sur l'observation, comme Linné sur la Genèse. La- marck croit avoir donné à ses opinions une « probabilité des plus éminentes» ; Cuvier, plus confiant encore’ dans les siennes, va jusqu'à dire qu on «est obligé » de s’y ranger : en réalité, l'un et Pautre s'appuient sur des EM . à ce $a PENEN RER es iza CE R. De a : 77 2 RE ES EE A E mm g Éd pi poiar K = + Ri Ai ; i l | | E À DES hate 0 os +2 ni cu mc he > dei ci as Biens FE E à SR mm ia. $ \ 298 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XII. suppositions également douteuses. Pouvait-il en être autrement, du moment qu'ils prétendaient également, quoique en sens inverse, faire sortir des faits une genèse scientifique ? L'erreur de ces deux grands naturalistes, car il faut bien que nous disions respectueusement, mais nettement notre opinion, a été de prétendre conduire tout d'abord une science, naissante encore, jusqu'où n’est parvenue aucune autre science d'observation (4); jusqu’à la connais- sance de la première origine des corps qu'elle considère, et jusqu’à la raison des choses. L’astronomie, la physique ne sont pas la cosmogonie ; la chimie n’est pas la recher- che de l’absolu et des premiers principes de la matière ; la géologie n’est pas l’histoire de l’origine de la terre; et c'est précisément parce qu’elles ne le sont pas et qu'elles ne prétendent plus l’être, qu’elles se sont élevées si haut. En se refusant à la fausse grandeur des hypothèses, elles ont atteint la grandeur vraie de la science, qui n’est pas et ne saurait être où l'esprit humain n'est pas, avant tout, sûr de lui-même. E Pour qu’il le soit aussi en histoire naturelle, pour qu'il ne risque pas de s’y égarer à la poursuite de bril- lantes chimères, que faut-il que fassent les naturalistes ? Qu'ils suivent l’exemple que leur donnent les astronomes et les physiciens depuis le dix-septième siècle, les chi- mistes depuis le dix-huitième, et les géolognes depuis quelques années ; qu’ils fassent ce qu’on fait dans toutes (1) Et où la nôtre ne parviendra sans doute jamais. Voyez le Chapitre suivant, sect. 1. LIMITES DE LA SCIENCE. | 299% les sciences successivement devenues exactes (1); qu'ils se résignent à ne s’avancer ainsi que « peu à peu, par de- » grés » ; en un mot, qu’ils mettent constamment en pratique la méthode de généralisation logique, dùt leur impatience de découvrir et de savoir en accuser parfois les lenteurs salutaires. Comment ce qui est inévitable là même où les résultats de l'observation peuvent être tout à la fois soumis au calcul et contrôlés par l'expérience, ne le serait-il pas dans les sciences biologiques où l’observa- tion, éclairée par le raisonnement, reste le plus sou- vent notre unique ressource? Et comment celles-ci, moins bien armées en présence de difficultés incompa- rablement plus grandes, pourraient-elles sé uR en avant de toutes les autres? À Voilà pourtant ce qu'on n’a pas seulement, pendant longtemps, jugé possible; on a entrepris, à plusieurs reprises, de le réaliser, et l’on a cru y avoir réussi. On se trompait, et la notion, enfin obtenue, de la hiérarchie des connaissances humaines et de l’ordre de leur évo- lution, nous montre aujourd'hui clairement en quoi et pourquoi on se trompait (2). Une science ne se développe (4) Depuis les mathématiques jusqu’à la géologie, la dernière qui ait « pris rang parmi les sciences exactes. » Voy. Araco dans l'Annuaire du Bureau des longitudes pour 1829, p. 207. Dans l’ordre logis de l’évolution des diverses branches des con- naissances humaines, c’est aux sciences biologiques qu’il appartient d'accomplir ce progrès, après la géologie. Voy. les Pro de , cet ouvrage, Liv. I, Chap. 1 et im. (2) Il ne faut pas perdre de vue que, bien que la notion de ia hié- rarchie des connaissances humaines n’eût pas échappé à Descartes, A mg onde grasse à ~an ~ 4 D pan RES NON. SE ONERA. se 8300 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Ii, CHAP. XI. pas avant son antécédent logique; elle ne devance pas ses ainées; elle les suit comme des guides, comme des initiatrices nécessaires. 1 Lamarck et Cuvier voulaient donc l'impossible, et le génie même ne fait pas l'impossible. elle n’est véritablement acquise à la science que depuis un quart de siècle, et par conséquent depuis la rédaction et la publication du Règne animal et de la Philosophie zoologique. Voy. les Prolégomènes, Liv. 1, Chap. v. ` AYYVYYVYYYVYVYYYYVVYVYVYVYVYVYVVYVYYVVVvVvVy vvvvyY Va a "4" 2 "2 "2 "2 "4 "A "A AA CHAPITRE XIH. PREMIÈRES PREUVES DE LA VARIABILITÉ DU TYPE, CONSIDÉRÉE _ CHEZ LES ÊTRES ORGANISÉS ACTUELS. . SOMMAIRE. — I. Division du sujet. Impossibilité d'en atteindre les limites. Point de départ. — Il. Premiers exemples de variations chez les animaux et chez les végétaux. — HIT. Premières preuvesde l'influence des circonstances extérieures sur les êtres orga- nisés. I. Plus une question est difficile, plus il est nécessaire de procéder sévèrement à son examen; plus elle est complexe, plus il faut s'attacher, soit à la simplifier, si des simplifications sont possibles, soit à la décomposer, si l’on peut y parvenir, en questions secondaires et par- tielles. 11 faut bien, comme le vieillard de la Fable, délier le faisceau, quand on ne peut le rompre dans son unité. De là le soin que nous avons pris de préparer la solu- tion de la question de l’espèce, par l'étude préalable de tous les éléments qu’on y fait ordinairement intervenir, et de ceux qu’on y avait à tort négligés. Et de là aussi l’ordre que nous avons suivi, nous bornant d’abord aux conséquences immédiates des faits, nous attachant à obtenir ce qu’on peut appeler la notion positive de les- pèce, avant d'en rechercher la notion philosophique, à l’aide de toutes les ressources de la science. La première étant logiquement indépendante de la seconde, qui, au 902 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XUI. contraire, repose sur elle, cette marche nous était rigou- reusement prescrite par cette Méthode générale des sciences, dont nous avons ailleurs montré l'extension successive à toutes les branches les plus avancées des connaissances humaines, et dont l'application à l'Histoire naturelle est l’objet même de ce livre (1). Cette première division de notre sujet n’est ni la seule possible, ni la seule utile. Ce n’est pas tout d’un coup et par un seul effort, mais en deux temps et pour ainsi dire en la dédoublant, que nous sommes parvenus à la notion positive de l'espèce; nous l'avons déduite d’abord, plus élémentairement, de quelques ordres de faits, des plus simples, des mieux connus : premier résultat qui, une fois | obtenu, a facilité la discussion très complexe qui devait nous donner plus complétement une des vérités fonda- mentales de la science. Nous ferons de même pour la notion philosophique : nous « conduirons par ordre nos pensées »; nous procéderons, encore une fois, par divi- sion (2), ne cherchant pas d’abord la vérité tout entière, ou pour mieux dire tout ce qu'il nous est donné d’en savoir, Mais ce qui nous en est le plus accessible. Suivant cet ordre, et dans ce-vaste sujet, où est le point de départ, et quelle est la partie la mieux à notre portée ? Où est ce premier « degré » dont nous avons ensuite à « monter peu à peu »? Nous croyons l'avoir établi dès le commencement de cette étude sur l'espèce : le point de départ, le degré initial, est où l’on avait cru (1) Voyez les Prolégomènes, Liv. 11; t. 1I, p. 266 et suiv. (2) Sur la Méthode synthétique par division, voy.. t. 11, p. 401 et suiv. / REMARQUES GÉNÉRALES, 303 trouver le point d'arrivée : il est, non dans les premiers ancêtres, mais dans les derniers descendants ; car ils sont les mieux connus, puisque c’est pour eux seuls que nous disposons de toutes les ressources de l'observation, de l'expérience et du raisonnement, « Monter par degrés », selon le précepte, c'est donc, ici, remonter, contre le cours des âges, des êtres actuels à ceux qui ont antérieu— rement vécu dans des circonstances analogues à celles qui subsistent encore aujourd'hui; puis à ces lointains ancé- tres qui ont appartenu à des temps géologiques de plus en plus reculés; par conséquent, de plus en plus inconnus. Dans cet ordre logique, inverse de l’ordre chronolo- gique, les derniers de tous les termes seraient représentés par les premiers ancêtres; mais de ceux-ci, que savons- nous? Nous en concevons l'existence, rien de plus; et toute notre science à leur égard peut se résumer dans cet enthymème : Ils ont été; car nous sommes. Et non-seulement il en est ainsi aujourd’hui, mais nous croyons qu'il en sera toujours de même. Le point où commence pour nous la nuit s’éclairera sans nul doute par la suite ; rnais la science n'aura fait que déplacer la limite : elle ne l'aura pas effacée. Par la nature même de ces questions, c’est en face des plus grandes difficultés que nous nous trouvons le plus désarmés. Les moindres d’entre elles, bien graves déjà, se rencontrent néces- sairement dans cette première partie de la question où il ne s’agit encore que des êtres actuels ; car c’est où nous pouvons multiplier à notre gré nos observations, qu'il nous est aussi donné d’en contrôler les résultats par l'ex- périence, et d'en étendre les conséquences par le raison- mn. à H k E E xli à S af te EPE SEEEN I E P T 90/4 NOTIONS FONDAMENTALES, LlV. 1, CHAP. XII, nement. Au contraire, quand la comparaison s'établit entre les êtres de deux mondes, la diversité des temps géologiques, par conséquent la diversité présumable des conditions d'existence, pose le problème dans toute son étendue et dans toute sa complexité ; c’est à ce moment même que l'expérience devient impossible, l'observation difficile et le raisonnement incertain; en attendant que l'observation et le raisonnement nous fassent compléte- ment défaut, comme Pexpérience. Quand nous en sommes là, et non-seulement en pré- sence du mystère des origines animales et végétales, mais longtemps avant d'y parvenir, la science s'arrête. Et si Tesprit humain ne veut pas s'arrêter avec elle, il ne lui reste plus qu'à recourir à la tradition théologique, ou à se jeter dans les hypothèses prétendues philosophiques. Ferons-nous, à notre tour, quelques pas dans ce champ plein de périls que nous entrevoyons par delà les limites, sans cesse reculées, jamais effacées, de la vraie science? Peut-être ; car, plus tard, nous aurons à traiter de la géo- némie, et à nous élever, à l'essayer du moins, jusqu’à la philosophie naturelle (4). Mais c’est précisément pour que plus de hardiesse nous soit alors permise, que plus de prudence est nécessaire, alors qu’il s’agit de poser les notions fondamentales de la seience (2). Faisons donc, selon les faits, et en nous arrêtant où s'arrêtent leurs conséquences légitimes, l'exposé de la question dont nous (1) Voyez le Programme de VHistoire naturelle générale, t. I Pe XXEL El XXI. (2} Ibid., p. xxr. ? PREMIÈRES PREUVES DE LA VARIABILITÉ. 305 avons préparé la solution par tout ce qui précède, et que le moment est venu d'aborder de front pour les êtres actuels et récents (1). | jait lI. S'il suffisait, pour être partisan de la théorie que nous allons exposer, d'admettre l'existence, chez les êtres organisés, de variations dues à l'influence des circon- stances, nous serions fondé à dire qu’une seule et même doctrine règne en Histoire naturelle, et que celte doc- trine est celle de la variabilité. Dans le temps même où les naturalistes soutenaient le plus fermement et le plus unanimement le système contraire, lequel s’est jamais refusé à donner place dans la science, à côté de la notion de la fixité de l'espèce, à celle de la variété, soit indivi- duelle, soit même héréditairement transmise ? Or, la va- riété, c’est, en quelque langage qu’on traduise cette défini- lion si connue de Linné, le résultat d’un changement dans l’organisation produit par une cause accidentelle : « Muta- tum a causa quacumque accidentali (2). » L'existence, entre des individus de même espèce, de différences produites sous l'influence des circonstances extérieures, est donc admise par tous les naturalistes ; et je n’en excepte pas même ceux qui ont dit l'espèce composée « d'individus (1) Ce dernier mot est pris dans son sens géologique, ou mieux géonémique, et nou historique. (2) Voy. t. I, p. 308. "I. ; 20 ee 306 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XII. absolument semblables » et « sans la moindre différence »; ‘où encore, et comme si ce n’était pas assez, « identique- ment les mêmes » (4). Prises isolément, ces expressions sembleraient une négalion formelle de la variété; mais qu’on les rapproche de ce qui les précède ou les suit, et les explique; et l’on voit aussitôt reparaître la notion de la variété. On lavait laissée un instant dans l'ombre, afin de poser mieux, en pleine lumière, celle de l'espèce: afin de lui donner idéalement, pour un instant, une rigueur et une netteté qu’elle ne comporte pas en réalité. C'est ce procédé, si en usage dans les livres didactiques, qui consiste à énoncer d’abord la règle en termes absolus, et comme si elle était partout applicable : vient ensuite la liste des exceptions, et si longue parfois, que la règle disparaît sous leur multitude. j L'existence de variations chez les êtres organisés , affirmée par les uns, sous-entendue par les autres, est donc, au fond, admise par tous : c’est un point de départ commun à toutes les doctrines; aussi bien à celles contre lesquelles elle crée une objection qu'à celles qui y trou- vent leur premier argument. Et comment en serait-il autrement ? Pour contester l'existence de variations, soit individuelles, soit même héréditaires, pour nier absolu- ment la variabilité du type spécifique, il ne faudrait rien moins que fermer les yeux à l'évidence. Et cela est si vrai que, si un auteur se laissait jamais entrainer jusque- là par les illusions de l'esprit de système, les naturalistes ne seraient pas les seuls à reconnaître son erreur, et à (4) Voy. t. I, p. 428 et 424. PREMIÈRES PREUVES DE LA VARIABILITÉ, 907 en faire justice ; elle sauterait, pour ainsi dire, aux yeux de tous, et le premier venu n'aurait besoin que de recou- rir aux faits les plus vulgaires, pour rétablir une vérité qu'on peut dire du domaine publie. Qui, en effet, ne sait, au moins superficiellement, pour quelques espèces, ce que les naturalistes ont depuis long- temps constaté pour une multitude? Parmi les animaux domestiques surtout, qui n’a vu par lui-même un grand nombre de: variations locales, parmi lesquelles il en est de très remarquables ? Non-seu- lement chaque pays, chaque province a ses races pro- pres ; mais, dans chaque pays, que de différences locales, s'il est assez étendu ou assez accidenté pour présenter d’une partie à l’autre des différences notables de climat et de sol! Que penserait-on d’un amateur de chevaux qui irait prendre indifféremment ses normands dans l'Orne ou dans le Calvados, ses bretons dans le centre ou sur les côtes de la Bretagne? Ou d’un agriculteur qui ne saurait pas choisir en Auvergne, selon les besoins auxquels il veut satis- faire, entre le bæuf d’Aubrac et celui de Salers ? Ou encore d’un éleveur qui, transportant des poulains normands ou ’ des veaux flamands sur les prairies hautes des Alpes ou des Pyrénées, s ‘attendrait à voir ses animaux reproduire, l'éducation achevée, les traits purs des races originelles ? _ Les modifications qui résultent de ces déplacements sont si bien connues, que la translation d’une province à l’autre est devenue, dans l'élevage de diverses races, un des procédés habituels de la zootechnie. Mémes faits chez les animaux sauvages, et non moins généralement connus. Consultez un chasseur expéri- 308 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XIM. menté : il vous dira aussitôt quels caractères distinguent le renard ou le lièvre de plaine, et celui de montagne. Demandez-lui si le cerf est le même partout, et il vous apprendra que non-seulement chaque pays, mais pres- que, dans le même pays, chaque forêt a sa variété ou sa race distincte : ici plus grande, là plus petite, et modifiée aussi dans sa conformation. Il vous dira aussi qu'on ne prend pas indifféremment le faisan dans un lieu ou dans un autre, pour le servir sur les tables recherchées; et il en est de même de tous les gibiers fins. Interrogez le commerçant en fourrures, et il ne vous instruira pas moins sur les diversités des animaux exotiques, que le chasseur sur celle des espèces indigènes. Et même est-il besoin de l’interroger ? Qui ignore qu'où varie le climat, varient aussi la taille de animal et surtout la qualité de sa pelleterie? Quel commerçant oserait vendre et qui voudrait acheter les fourrures de nos martes ou de nos hermines de France; pour des martes ou des hermines de Sibérie, ou simplement de Russie ou de Pologne ? Dans le règne végétal, les modifications ne sont ni moins communes, ni moins remarquables, ni moins gé- néralement connues. Telles sont surtout celles des végé- taux que leur utilité fait cultiver sur un grand nombre de points du globe, par exemple, des vignes, des arbres fruitiers, des plantes fourragères, des céréales. Non- seulement il n’y a pas un agriculteur qui ne sache com- bien ces végétaux varient selon les lieux, les climats et les sols; mais il n’est pas une personne, si ignorante qu’elle soit, qui n'ait au moins une idée de leurs varia- tions: Où trouverait-on un vigneron assez simple pour PREMIÈRES PREUVES DE LA VARIABILITÉ. 309 s’imaginer qu'il lui suffira de faire venir des cépages du Médoc ou de la Côte-d'Or pour obtenir à Suresnes ou à Argenteuil des vins de Bordeaux ou de Bourgogne ? Qui ignore qu'il y a des terres à blé, et des sols convenables à la culture du seigle ou d'autres céréales? Certes le blé semé sur ces sols y lèvera sans difficulté; il pourra y mürir, 1nais il n’y sera pas ce qu'il eût été en meilleure terre ; il dégénérera; car ce n’est pas seulement des végétaux abandonnés à eux-mêmes ou mal cultivés qu’on peut dire avec Virgile (4) : Degenerant, succos oblita priores ; c'est aussi des mieux cultivés, s'ils le sont sur un sol ou sous un climat défavorable. D'autres variations qui ont aussi très anciennement fixé l'attention sont celles que présentent les végétaux selon les altitudes. Plantæ omnes in Alpibus parvæ, a dit Linné (2), et il n’est personne qui ne se fasse au moins une idée des modifications que subissent dans leur taille, el aussi dans leur port, les végétaux des montagnes. Sur les hauts sommets, on ne trouve plus que des arbres rabougris dans lesquels on a peine à reconnaitre les sapins et les autres conifères des futaies des régions moyennes. On sait peut-être plus généralement encore, quoiqu'il s'agisse ici de végétaux exotiques, que chaque colonie a _ses cafés propres : plusieurs sont également bons, mais avec des qualités différentes; d’autres, quoi qu'ait pu (4) Géorgiques, liv. IL. (2) Critica botanica, propos. 260. AO NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XII. faire la culture, sont restés de qualité inférieure. De même, on a bien pu introduire le thé en divers pays, particu- lièrement au Brésil et en Algérie ; mais le monopole des thés les plus délicats n’en est pas moins resté à la Chine. Les plantes qui, de pays plus chauds, ont été trans- portées dans le nôtre, y ont subi de nombreuses modi- fications dont plusieurs sont aussi très connues; tant elles sont remarquables, et tant on les a souvent signa- lées. Le moindre jardinier n’ignore pas que quelques- unes des plantes herbacées, annuelles ou bisannuelles, dont il orne ses plates-bandes, sont, sous d’autres cli- mals, ligneuses et vivaces : l'humble réséda de nos jar- dins est un arbuste dans les pays chauds, et déjà même dans nos serres; et le ricin devient, dans l'Inde êt en Afrique, un arbre d’une taille élevée : en Europe même, on voit des bois de ricins. | Nous pourrions multiplier ces exemples ; mais ceux-ci suffisent pour faire voir que ce qui est vrai de l’un des deux grands règnes organiques l'est aussi de l’autre. Soit dans l’état de nature, soit surtout placés sous la main de l’homme, les animaux et les végétaux de même espèce présentent souvent des différences locales, soit propres à quelques-uns, soit communes à un grand nombre et héréditaires ; différences individuelles dans le premier cas, différences de race dans le second. Le type spécifique n’est donc pas absolument inya- riable. Première vérité que nous n'avons pas à démon- trer : elle n’est ni contestée, ni contestable ; elle est du domaine public. Nous n'avons pas à y arriver; nous pouvons en partir pour aller au delà. PREMIÈRES PREUVES DE LA VARIABILITÉ, 9114 I. o Il est une seconde vérité qu’on peut dire de même acquise, du consentement de tous, à la théorie de la variabilité. Non - seulement l’ensemble des faits généralement connus qui viennent d’être rappelés établit l'existence, dans l'espèce, de différences soit individuelles, soit de race; mais plusieurs de ces mêmes faits prouvent clairement que ces différences dépendent de l'influence des circonstances extérieures. Autant il est difficile de faire exactement, dans cette influence, la part du sol, du climat, de chacune des causes de variations, autant il est facile de reconnaitre d’une manière générale la relation de ces causes avec les effets produits. Quand les unes changent, les autres changent aussi; et ils changenl selon que celles- ci ont changé. | Il est d’abord incontestable qu'il en est ainsi des végé- taux. Pour mettre en évidence, chez eux, l'influence des circonstances extérieures, des circumfusa et des ingesta, comme disent les hygiénistes, nousn’avons besoin, en core une fois, que de faire appel à des faits connus de tout le monde, et aux réflexions qu'ils suggèrent immédiatement à tout esprit droit et non prévenu. Qui ne le sait ici? Tels sont le climat, le sol et le mode de culture, tels sont aussi les produits. Pourquoi voit-on la même espèce végétale, sous le même elimat et sur le même sol, pousser ici des jets vigoureux, et là rester chétive, s'étioler ? Parce que, 912 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XII. développée, dans un cas, au milieu d’un ensemble favo- rable de circonstances, elle a manqué dans l’autre, ou de nourriture, où de lumière. Pourquoi, de deux champs voisins, l’un est-il couvert de riches moissons, et l’autre, de aies courts et clair-semés que couronnent de maigres épis ? Parce que l’un a été bien amendé, et l’autre laissé à lui-même. Supposons maintenant qu'aux diffé- rences de la culture s’ajoutent celles du sol et du climat ; les variations iront jusqu'à rendre la plante presque méconnaissable. Dans l'arbre rabougri des hauts sommets et des hautes latitudes on ne retrouve pas plus le port que la taille de ses congénères des régions moyennes. J'ai vu des colons, propriétaires de sucreries, hésiter à recon- naître le Saccharum officinarum dans les chétives cannes, à nœuds rapprochés et presque contigus, et si pauvres en sucre, qui représentent dans nos serres cette belle plante tropicale. ll y a plus de différence encore, et sans que nous ayons à faire intervenir l’action d'un climat factice, entre les diverses variétés de tant de plantes, herbacées et an- nuelles chez nous, ailleurs ligneuses et vivaces. Quel fait est plus connu que celui-ci, et lequel en même temps est plus propre à mettre en évidence la puissante influence des circonstances extérieures? Des graines venues sur le même pied, müries dans le même fruit, donneront une herbe, un arbuste, un arbre, selon qu'elles seront semées à Paris, en Andalousie ou en Sicile, au- Brésil ou en Afrique. i L'influence des circonstances extérieures sur les caractères et les qualités des produits n'est pas, en a PREMIÈRES PREUVES DE LA VARIABILITÉ. 3138 zootechnie, un résultat moins avéré de l'observation et de l'expérience journalière. De la même portée ne voit-on pas sorur, quand on les a nourris différemment, des animaux différents de taille et de conformation ? Suffit-il, pour avoir de beaux chevaux ou de bons animaux de boucherie, de les avoir obtenus de reproducteurs bien choisis? De deux frères, de deux jumeaux, des éle- veurs, inégalement habiles, ne feront-ils pas des animaux de valeurs très différentes? Ne sait-on pas que l'animal, même devenu adulte, peut encore être modifié par le régime ou le climat? Les jeunes organisations sont, de beaucoup, plus flexibles, sous l’action des circonstances extérieures; mais à aucun âge, l'être organisé ne cesse d'en ressentir les effets; et sur cette vérité reposent l'hygiène et la médecine elle-même, aussi bien que lagri- culture. Qu'est-ce, en effet, que l’hygiène, qu'est-ce que la médecine, sinon, comme l’agriculture, la connaissance scientifique des modificateurs, et l’art d’en diriger l'action selon les résultats à obtenir ? De l’une à l’autre, le but et par conséquent les moyens varient; mais le principe est le même; et ce principe, avant d’être démontré par la science proprement dite, appartient déjà à ce qu’on peut appeler le savoir de tous. Et c’est pourquoi les naturalistes de l'école de la fixité sont obligés, sous peine de se heurter contre les faits les plus vulgaires, non-seulement de tenir compte de lexis- tence de variations, mais de reconnaitre dans l'influence des circonstances extérieures la cause déterminante des variations. C'est ce qu'avait déjà fait Linné (1); et si les (4) Voy. p. 305. à TN EE CR PT E pl: D * à R ES z R rene PES M sp OEE 2 I EON aaen ana e paipis ne ee En —— ~ ) 3 EE TN F menena EN T 1 n 31/j NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP, XIII. termes dont il s’est servi sont -trop concis pour être suffisamment explicites, ils ont reçu de nos jours des développements dont la clarté ne laisse rien à désirer. Où trouver l'influence modificatrice des circonstances plus explicitement, plus nettement exprimée que dans le pas- sage suivant : « Le développement des êtres- organisés est plus ou » moins prompt et plus ou moins étendu, selon que les » circonstances lui sont plus ou moins favorables. La cha- » leur, l'abondance et l'espèce de la nourriture, d'autres » causes encore y influent, et cette influence peut être géné- » rale sur tout le corps, ou partielle sur certains organes. » On pourrait croire ce passage écrit par un partisan de la variabilité du type ; il est du chef lui-même de l’école qui la nie : il est de Cuvier (1); etles autres naturalistes de la même école, aussi bien parmi les botanistes que parmi les zoologistes, ne reconnaissent pas moins explici- tement l’incontestable vérité de ces deux propositions : Il existe des variations ; Et elles dépendent des circonstances extérieures. (1) Et de Cuvier dans la seconde partie de sa vie scientifique, et alors qu’il était arrivé (non sans de longues hésitations, voyez plus haut, t. 11, p. 401) à ses opinions définitives, encore partagées par la plupart des naturalistes. Le passage que je viens de citer se trouve dans le Règne animal, t. I, Introduction, 1"° édit. (1817), p. 48; 2° édit. (1829), p. 16. VAS SSINNINSNINN YVYYYV VVU VIIU UYU VYNAS YYYY NII YYYY CHAPITRE XIV. DÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE, PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX ACTUELS, DANS L'ÉTAT DE NATURE. SOMMAIRE. — Í. Objet de ce chapitre : preuves tirées de l'étude des animaux sauvages. — Il. Mammifères. Modifications sous l'influence du climat. Elles ne sont pas seulement superficielles, — II. Oiseaux. Les espèces voyageuses offrent elles-mêmes des exemples de diversités locales. Modifications chez les espèces sédeütaires, sous l'influence du cli- mat et sous celle du sol. — IV. Vertébrés inférieurs, terrestres et aquatiques. Poissons d’eau douce et de mer : Différence selon le climat et les eaux. — V. Crustacés. Anne- lides. Insectes et autres articulés terresires. Variations dans la taille et les proportions selon le climat. Variations dans les couleurs. Développement ou atrophie des ailes selon les climats. — VI. Mollusques et classes inférieures du règne animal. Variations sous l'influence du climat : similitude des modifications produites par les différences de lati- tude et d'altitude. Influence de la nature du sol et de celle des eaux, Conclusion pour les mollusques, et conclusion générale, Nous avons voulu prendre notre point de départ dans ce qu'on peut appeler la science de tous , et, comme on vient de le voir, nous avons pu arriver, avec son seul secours, jusqu’à la notion, très certaine déjà, de la va- riabilité sous l'influence des circonstances extérieures. Il peut sembler même que, comme démonstration, tout soit dit, et que placer de nouveaux faits à côté de ceux qui précèdent, soit moins compléter que compliquer un ensemble de preuves, dès à présent suffisant : à quoi bon prouver encore ce que personne ne saurait contester ? 316 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP. XIV. Mais la science embrasse des horizons bien plus éten- dus que le savoir vulgaire. Une notion certaine, mais vague, telle que celle qui nous est déjà acquise, n’est encore que le commencement de la notion vraiment scientifique de la variabilité ; et nous devons nous garder avec soin de toute illusion qui nous ferait croire que nous sommes arrivés, quand nous venons seulement de nous mettre en route. Après avoir pris des exemples et cherché de premières preuves parmi les faits généralement connus, venons donc à d’autres qui le sont moins; et, de ce qui constitue en quelque sorte le domaine publie, passons aux résultats de l'observation scientifique , de l’observation étendue à tous les faits qu'elle peut atteindre. Comment nous suffirait-il de saisir les modifications d’une espèce ani- male ou végétale dans quelques localités et dans quel- ques circonstances particulières , quand nous pouvons la suivre dans un grand nombre d’autres ; dans toutes celles où nous savons qu'elle vit? Laissons le chasseur , l’homme du monde s'arrêter à la connaissance locale des êtres qui l'entourent, et qui seuls l’intéressent : tous intéressent le naturaliste, et il a besoin de les com- parer dans l’ensemble de leurs variétés, et surtout dans celles que la nature a séparées par les plus grandes distances et par les plus extrêmes différences de climats. Dans cette seconde partie de notre démonstration, nous ne ferons d’ailleurs, dans le vaste domaine de la science, que ce que nous venons de faire dans le champ étroit des connaissances vulgaires : nous donnerons, à l'appui de la théorie de la variabilité du type, non toutes les \ VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 317 preuves dont nous pourrions l’appuyer, mais une partie, une faible partie même, de ces preuves ; en un mot, des exemples. Si nous demandions ces preuves à toutes les espèces à l'égard desquelles il est dès à présent possible de les obtenir, un volume entier ne suffirait pas à leur simple énumération; que serait-ce de leur discussion ? Heureusement, nous n’avons pas besoin de nous engager dans cet inextricable dédale. La vérité, comme le disait Bacon, «est surabondante » ; et il est rarement nécessaire, pour la mettre hors de doute, de recourir à toutes les preuves qu’on en pourrait donner. Les entasser, sans choix, les unes sur les autres, est, le plus souvent même, encombrer la science, bien plutôt que l’enrichir : ne quid nimis. L'économie des moyens est aussi un des prin- cipes de la méthode scientifique, par cela seul qu’elle doit conduire non-seulement à mettre la vérité hors de doute, mais aussi à la mettre en lumière. | | Des faits par lesquels nous allons essayer d'obtenir ce double résultat, ceux qui n’avaient point encore été introduits dans la science, se rapportent presque tous à des espèces bien connues et représentées par un grand nombre d'individus dans les musées, où même, pour les animaux supérieurs, dans les ménageries : chacun, pour peu qu'il veuille prendre la peine de regarder, pourra donc revoir ce que j'ai vu. Quant aux faits, déjà connus, que je rappelle et dont je m'appuie, la vérification est. on peut le dire, faite à l'avance pour presque tous; car je les ai surtout empruntés, afin qu’on ne pùt en contester la valeur, à des naturalistes qui, non-seulement n'avaient pas de parti pris en faveur de la théorie de la variabilité, 918 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XIV. mais qui lui étaient opposés, quelques-uns même de la manière la plus absolue. Ces naturalistes n’ont donc pu être influencés par des idées préconeues ; et si nous leur devons des exemples plus ou moins remarquables de variations, c’est manifestement parce que, se renfermant dans leur rôle d’observateurs, ils ont préféré des faits certains à des opinions douteuses, et dit simplement ce qu’ils avaient vu. Nous ne nous occuperons encore dans ce chapitre que des êtres du monde récent et actuel, et même seulement de ces êtres à l’état de nature; car où l’homme intervient, le problème se complique d’un élément de plus : le moment viendra plus tard d’en tenir compte. H. Parmi les classes du règne animal, nous commence- rons par la première, celle dont les espèces, regni ani- malis magnates, selon une expression de Linné, ont été de tout temps les plus étudiées, et sont les mieux connues dans leurs variations. Parmi elles, reprenons d’abord une espèce déjà citée, le renard : exemple très propre à faire connaître comment la science, en mettant à profit les connaissances acquises en dehors d'elle, ‘y ajoute et les précise. Le chasseur, avons-nous dit (1), distingue facilement le renard des bois en plaine, de celui des lieux monta- (1) Chapitre XIII, p. 308. ET EN de VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 219 gneux. Les négociants en pelleteries ne savent pas moins bien que la fourrure de ce carnassier varie d’un pays à l’autre, et parfois même dans des localités voisines. Le naturaliste tient nécessairement compte de ces différences, mais il ne s’en contente pas : un champ bien plus étendu » est ouvert devant lui, et il faut bien qu'il le parcoure tout | entier, et qu'il suive les variations de l'espèce partout où elle existe, c’est-à-dire sur presque toute la surface de l’Europe et dans une grande partie de l'Asie. Quelles Af seront, aux limites de cette vaste zone d'habitat, les varia- ré tions du type spécifique ? Se renfermeront-elles dans les limites entre lesquelles nous les voyons se maintenir chez nous d’une localité ou d’une province à l’autre ? Ou les excéderont-elles, et comment? Les relations et les i : envois des voyageurs nous ont mis à même de résoudre $ | ces questions. À mesure qu’on s'avance vers le nord, on voit le renard acquérir une fourrure plus longue, plus abondante et plus fine, et en même temps ses proportions 4 se modifier, et surtout sa taille grandir. Le renard de ; Norvége, entre autres, súrpasse tellement le nôtre à tous ces points de vue, qu’on n’eût pas manqué, sans les tran- sitions de Pun à l’autre, de l'ériger en une espèce dis- tincte. Donc, à de plus grandes différences climatolo- wi | giques correspondent, comme on pouvait s'y attendre, | des variations plus marquées et qui déjà ne s'arrêtent plus aux caractères superficiels. | + p- | x Ce qui est vrai du renard, lest d’une foule d’autres m quadrupèdes. Pour eux aussi, la science, en tenant l o compte d’un beaucoup plus grand nombre de données que su ? ne le fait le savoir vulgaire, obtient, en faveur de la varia- 320 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XIV. bilité, une solution plus décisive par cela même qu’elle est plus complète. Citons quelques autres exemples, et pre- nons-les encore parmi les animaux qui partout où ils vivent, fixent surtout l'attention. comme ennemis de l’homme lui-même ou de ses troupeaux, ou comme gibiers, et sont assidûment poursuivis, à l’un ou à l’autre de ces titres, par les chasseurs de tous les pays. Entre toutes les espèces européennes, le principal ennemi de l’homme, c’est le loup; aussi est-il un des carnassiers les plus généralement et les mieux connus. Ses variations ne sont pas moins prononcées que celles du renard, et ont lieu dans le même sens. Le loup aussi est plus grand dans le Nord : il y est aussi plus velu. De plus, s'avançant plus loin au nord que le renard, il y blanchit. Dans les contrées méridionales, il est, au con- traire plus petit que chez nous. Aristote avait déjà con- naissance de ce fait pour l'Égypte, et il croyait même pouvoir l’étendre à d’autres animaux (4); mais sont-ce bien les mêmes espèces qu'on trouve chez nous et en Afrique? On en a douté. N’insistons done pas sur les modifications du loup en Afrique; celles qu'il présente en Europe et en Asie nous suffisent. Parmi les herbivores, nous ne saurions prendre un meilleur exemple que le premier de nos animaux de vénerie, le cerf. Les variations de taille, si connues des chasseurs, et déjà rappelées, qu’il présente d’une localité à l’autre dans le même pays, peuvent nous en faire pré- voir d’autres, et de bien plus remarquables, dans une (1) Entre autres, au renard. — Voyez l'Histoire des animaux, liv. VITE XXVnE. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 321 espèce répandue, sinon en Afrique, comme l'ont admis plusieurs auteurs, au moins dans presque toute l'Europe = Ctdans une grande partie de l'Asie. On trouve, en effet, le cerf sur les pentes du Caucase et des monts Altaï comme sur celles des Pyrénées, et sur les bords du lac Baïkal et de la Léna aussi bien que sur les rives de la Méditerranée. Comme le renard, comme le loup, le cerf est plus grand dans le nord : un individu de deux mètres et demi de long n’est pas regardé, en Sibérie, comme d’une taille extraordinaire. Un autre fait, très digne aussi de remar- que, est la taille notablement inégale, à part les différences de latitude, des cerfs du continent ou des grandes îles, et de ceux des petitesiles (1) : lescerfs des Hébrides sont particulièrement signalés comme plus petits que ceux de l'Écosse (2 ). Avec les différences de taille existent ordi- nairement des différences, soit dans le pelage, qui devient plus abondant au nord, soit, fait beaucoup plus remar- quable, dans les prolongements frontaux : chez les cerfs des régions méridionales, les bois sont notablement moins grands et moins rameux; il n’y a point de cerfs dix cors dans les pays chauds. Les exemples de variations ne nous manquent pas davantage parmi les animaux étrangers à notre pays. Les différences locales de la couleur, de l’état de la crinière, de la taille, des proportions de la queue et même des | (1) PUCHERAN , Monographie des espèces du genre Cerf, dans les Archives du Muséum d'histoire naturelle, t. VI, p. 380; 1852. (2) Ceux de Corse et de Sardaigne sont, de même, plus petits que ceux de France et d'Italie; mais il se présente ici une difficulté sur laquelle nous reviendrons, Wh le Chapitre XVII, ni. 21 y ER à ct SATE ——, D PRET Rene jar ere ne E PT RS ~ e 3292 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP., XIV. formes de la tête chez le lion, ont depuis longtemps fixé Pattention des zoologistes (1) : je l’appellerai sur celles qu'on observe dans plusieurs autres añimaux du même groupe : celles-ci non moins remarquables, et pourtant bien moins connues; car je les vois, ou passées sous silence, ou même formellement niées dans les ouvrages les plus récents et, à d’autres égards, les mieux au courant de l’état de la-science. « Le jaguar (Felis onca, L.) et le couguar (F. concolor, L.) restent identiques », dit l’auteur qui a le plus nouvellement résumé nos connaissances sur (4) Pour les principales, ou du moins les plus connues, voyez sur- tout : TEMMINCK, Monographies de mammalogie, t. I, 1827, p. 84 ; Et J.-A. WAGNER, Die Süugethiere (supplément à SCHREBER), Raubthiere, Erlang, in-4°, 4844, p. 464. 4 Voici en substance, et résumé par lui-même, ce que dit M. Wagner des différences de pelage : relis leo barbarus. Fusco-fulvus. Juba amplissima (nigra), F. Ieo senegalensis. Flavicans. Juba mediocri, fulva. F. leo persicus. Pallide isabellinus. Juba elongata, ex nigro ful- | voque miæta. F. leo guzeratensis. Juba brevi. Celui-ci, ajoute Pauteur, dans la description, varie de couleur: il prend parfois un ton rouge (rothen Ton). Ce même ton rouge existe chez un lion africain, encore peu connu, celui du Sennaar, remarquable en même temps par sa crinière courte, non tombante, ne se prolongeant guère au delà des épaules. Les lèvres sont blanches en avant sur une plus grande étendue que chez les autres lions. A côté de cette race, du lion de Barbarie, de celui du Cap, à cri- nière moins prolongée en arrière et en grande partie fauve, et de celui du Sénégal, on voit à Ja Ménagerie une cinquième race fort rare, le lion du Darfour. Celle-ci a le pelage d’un fauve doré, la crinière très prolongée en arrière (moins cependant que chez le lion de Barbarie), en grande partie brune, assez longue et frisée. Un bouquet de poils existe en arrière, de chaque côté, sur le bas du ventre, VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES, | 323 les variations de Pespèce ; et cependant, ajoute-t-il, ces carnassiers « habitent depuis le 30° degré de latitude » sud jusqu’à 40° de latitude nord (4). » Cette asser- tion, si fermement émise, n’est d'accord avec les faits, ni pour le jaguar, ni pour le couguar. Tous deux se modifient, selon les localités, dans leur taille, leurs pro- portions et leur pelage. Chez le j jaguar, les taches varient considérablement de forme et de disposition; et chez le eouguar, qui n’a point de taches, c’est le fond de la colo- ration qui change, jusqu’à faire croire, si l’on ne rencon- trait toutes les nuances intermédiaires, à l'existence de deux espèces, l’une d’un fauve roux et parfois d’un roux presque marron, l’autre d’un gris roussâtre qui passe même chez certains individus au gris cendré presque pur. Ces variations de couleur sont dans une relation ma- nifeste avec les différences climatologiqnes : les individus les plus roux sont ceux des régions les plus chaudes, et les plus gris, les plus décolorés, ceux des pays où la température est le moins élevée. C’est de la Guyane que nous avons vu venir le couguar à pelage roux-marron ; et c’est aux États-Unis, particulièrement vers la limite septentrionale de l'expansion de l’espèce, qu’elle devient grisâtre, et même tout à fait grise. Dans l’ancien continent, sans insister sur le lion qui Subit aussi des variations très marquées (2), nous avons une autre espèce concolore, le caracal. Ce lynx varie, lui aussi, selon les climats; il passe d’un fauve plus ou (1) GODRON, De l’espèce et des races dans les êtres organisés, si in-8, 4859, t. I, p. 144. (2 )Voyez la note de ia p. 322. 324 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XIV. moins roux, seule couleur que nous lui connaissions dans les pays intertropieaux , av gris roussâtre, quelquefois tiqueté de noir. C'est en Algérie qu’il se présente avec cette dernière robe. Parmi les espèces tachetées, la panthère est si souvent noire à Java, qu'on a longtemps cru à l'existence, dans cette île, d’une espèce distincte, à pelage noir, le Felis melas de Péron et de Cuvier. A part cette variété méla- nienne (1) que sa fréquence locale rend très remarquable, la panthère est loin d’être toujours la même. On a si- gnalé ses variations de taille et de proportions, les diffé- rences que présentent sa queue, très inégalement longue, et ses taches, plus ou moins grandes et plus ou moins nombreuses; mais on a omis d'ajouter que le fond de la coloration n'est pas non plus toujours le même. Les belles taches noires de la panthère se détachent parfois, au lieu d'un fond jaunâtre ou même d’un jaune presque pur, sur une teinte d’un gris plus où moins pâle et à peine nuancé de jaune. Voilà done encore, dans la même espèce, deux pelages très différents, lun à coloration plus intense, laure plus pâle et plus gris; et encore ici, le premier se rencontre dans les localités les plas chaudes, le second dans celles qui le sont moins. Nous ne con- naissons encore la panthère à pelage gris qu'en Algérie, et seulement dans les régions élevées, les différences d'altitude produisant ici ce qui est ailleurs l'effet des (4) Variété, et non race. Il nait dans les mêmes portées des indi- vidus noirs, ét d’autres à pelage ordinaire. En dehors de l’île de Java, la variété mélanienñe de la panthère paraît au moins aussi rare que celle du jaguar en Amérique. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 325- différences de latitude : dans les régions basses , l'espèce reste jaune ou fauve, même dans le nord de l'Afrique, et dans les régions où grisonne déjà le cara- cal (4). La teinte fauve ou jaunâtre qui, avec des nuances diverses, caractérise si généralement les Felis des pays chauds, est done plus ou moins stable selon les espèces ; mais quand elle varie, les différences sont. dans le même sens, et par conséquent il y à lieu de les attribuer à de semblables influences. | Le même savant selon lequel le jaguar et le couguar seraient partout « identiques », croit pouvoir affirmer que «le tigre royal n’a pas varié » : cependant, ajoute Pau- teur (2), d’après Humboldt (3), «le tigre vit dans les îles » de Java et de Sumatra ; il se retrouve dans l'Inde con- » tinentale, dans l'empire chinois, en Mongolie, -et s'étend » même en Sibérie jusqu'aux sources de FIrtisch et de » Obi. » Telle est, en effet, la distribution géographique actuelle du tigre royal; on l’a trouvé jusqu’au 50° degré de latitude nord, et même au delà; et ce carnassier qu'on avait si longtemps présenté comme propre à la faune de Asie méridionale, se rencontre, dans quel- ques localités, avec des espèces plus ou moins boréales ; (4) Et où le lion lui-mème est, comme on l’a vu (p. 322, note), moins roux que dans les parties les plus chaudes de sa zone d'habitation. (2) Loc. cit., p. 45 et 44, | (3) Asie centrale, Paris, in-8, 1843, t. I, p. 339, et t. II, p. 96. — HuuBoLpr avait déjà appelé l'attention sur ces faits dans ses Frag- ments de géologie et de climatologie asiatique, Paris, in-8, 1834, t. H, pb. 391. y Voyez aussi ERRENBERG, Sur le tigre du nord, dans les Annales des sciences naturelles, t. XXI, p. 387; 1830. 326 NOTIONS FONDAMENTALES; LIV. 11, CHAP,- XIV. l'élan lui-même devient quelquefois la proie du tigre royal. Nous pourrions faire remarquer que, Humboldt , qui à surtout appelé l'attention des naturalistes sur ces rencontres, les a réduites à leur juste valeur en mon- trant qu’elles ne sont qu'accidentelles : elles n’ont lieu que l'été, dans les excursions que le tigre fait sous l'influence de diverses causes, hors de sa véritable zone d'habitation. Toutefois, ses limites ainsi rectifiées, cette zone reste encore très vaste : elle s'étend depuis l'équateur jusqu’en Mantchourie (4) et en Sibérie ; et l’on est fondé à dire que le tigre habite à la fois des régions climatologiquement très différentes. Mais on se trompe, lorsqu'on ajoute que le tigre conserve, dans toutes, les mêmes caractères. A la vérité, le fond de la coloration de sa robe varie peu ; le fauve, plus stable déjà chez la panthère que chez le caracal et le couguar, l’est encore davantage chez le tigre : dans ces mêmes régions septentrionales où la panthère ordinaire (Felis pardus) est remplacée par la panthère du nord (Felis irbis) à longs poils gris (2), le tigre est encore d’un beau fauve roux. Mais, sur ce fond à peine modifié (3), les barres varient, selon les pays, (1) Une peau de ce pays, malheureusement incomplète, a été don- née au Muséum d'histoire naturelle par notre généreux consul en Chine, M. de Montigny. , S. A. I. le prince Napoléon a bien voulu me communiquer une au- tre peau, envoyée aussi en France par M. de Montigny, et qui offrait généralement les mêmes caractères (voyez p. 327 et 828, note). (2) Voyez HuwBozpr et surtout EHRENBERG, locis cit. — Cette pan- thère estsouvent d’un gris très clair, d’où le nom de Panthère blanche sous lequel elle a été désignée par plusieurs auteurs. (3) Encore existe-t-il au Musée de Moscou, où il a été vu par VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 927 en nombre et en étendue, et forment des dessins très dif- férents; tellement qu'entre ces mêmes tigres du sud et du nord que quelques auteurs disent si semblables, d'autres ont cru trouver des différences de valeur spécifique. Le tigre de Sibérie a le pelage beaucoup plus long, et la queue abondamment fournie; une petite crinière sur- monte le derrière de la tête et le, devant. du cou, et il existe, sur la moitié postérieure du corps, « une raie noire longitudinale presque complète », résultant de la réunion des origines des raies transversales (1). N'y a-t-il même entre les diverses races ou variétés locales du tigre royal que des différences extérieures, ou M. EHRENBERG (loc. cit., p. 398), un tigre sibérien, qui, en même temps qu’il est plus grand, « se distingue par un fond bien plus » pâle et par des bandes transversales plus brünes que noires ». Cë même tigre a un rudiment de crinière. La couleur varierait-elle, selon les saisons, chez le tigre, comme chez plusieurs espèces qui, fauves ou rousses lété, pâlissent et grison- nent durant l'hiver? On sait combien est grande en Sibérie, comme dans tous les climats dits continentaux, la différence des températures estivale et hivernale. (1) EHRENBERG, loc. cit.; et Fiscaer, de Moscou (cité par M. Ehren- berg, ibid.): Fischer est du nombre des naturalistes qui avaient cru pouvoir distinguer le tigre de Sibérie de celui du Bengale. Mais les auteurs se sont généralement rangés à l'opinion qui voit dans le tigre du nord une variété ou mieux une race du tigre royal. Cette race a été appelée Felis tigris altaicus, par TEMMINCK (voy. Coup d'œil sur les possessions neerlandaises dans l'Inde archipélagique, ph in- -8, L 1, p- 88; 4847). | Temminck admet deux autres races: F. tigris indicus et F. tigris sondaicus. ogi giis . Le tigre de Mantchourie que ce savant zoologiste wa pas connu, ressemble par la plupart de ses caractères, à celui de Sibérie. Voici les 398 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. IH, CHAP. XIV. de taille et de pelage? J'ai plusieurs fois répondu, dans mes cours, à cette question, en mettant comparativement sous les yeux de mes auditeurs, une série de crânes de divers pays. Cette série établie, la comparaison fait saisir aussitôt, à part les caractères de sexe et d'âge, des différences dont les plus marquées se rencontrent chez le tigre de Sumatra : chez lui, l’apophyse zygomatique se détache du temporal sous un angle voisin de l’angle droit, et se porte notable- ment plus en dehors que chez les tigres de Java (4) et chez ceux du continent : d’où résuitent un écartement plus grand de l’arcade zygomatique et une inégalité moindre entre les diamètres longitudinal et transversal principaux, d’après l'examen que j'ai fait des deux peaux envoyées par M. de Montigny, et surtout de celle du Muséum. L’une et l’autre viennent d'individus de grande taille : celle du Muséum n’a pas moins, sans compter la queue, de 2,40. Les barres sont plus nombreuses que chez le tigre de l'Inde, et un plus grand nombre d’entre elles sont bifurquées. Sur le des, les bandes droite et gauche se réunissent deux à deux, en s’infléchissant en arrière, et dessinant comme une suite de pointes de flèches dirigées vers la queue, et dont la série forme sur le milieu du dos une ligne longitudinale continue sur les deux tiers postérieurs, et qui existe aussi plus en avant, mais non continue. La teinte générale est la même que chez les tigres indiens, mais les poils sont beaucoup plus longs et moins rudes, et ils ont, au moins dans une grande partie du pelage, la racine brunâtre. Le dessous du cou, au lieu d’être blanc, est gris. Enfin il existe vers la nuque, une petite crinière qui rap- pelle celle du guépard : elle est composée de poils plus doux que les autres, et longs de 7 à 9 centimètres. On sait que chez le tigre du Bengale, les poils s’allongent sur les côtés de la face, mais ils sont ras sur la tête et le col. (4) On voit qu'il est peu exact de réunir les tigres des diverses îles de la Sonde, comme le fait TEMMINCK (Voy. p. 327, note), en une seule race, F. tigris sondaicus, race que l’auteur avait été sur le point d’ériger en espèce distincte. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 929 de la tête (1). Ces différences, après lesquelles j'en pour- rais citer quelques autres moins remarquables, indiquent un développement encore plus considérable que chez les autres tigres, des muscles élévateurs de la mâchoire inférieure : le tigre de Sumatra doit être le p redou- table de tous les carnassiers actuels (2 sà ILE. Parmi les classes du règne animal, il en est une, celle des oiseaux, où l’on trouve, dans un grand nombre d’es- pèces, ce qu’on avait prétendu exister chez plusieurs des précédentes : une distribution géographique très étendue, des habitats climatologiquement très différents, et pour- tant des différences à peine appréciables ou même nulles. On voit dans tous les grands musées des espèces de plusieurs familles, représentées par des séries d'individus semblables entre eux, et pourtant originaires de deux ou même de plusieurs parties du monde. Mais que conclure de ces faits contre la variabilité du type? (1) Ces diamètres sont l'un de 32 centimètres, l’autre de 95. Je les trouve chez les autres tigres, de 35 et 24, 34 et 25, 88 et 22, 31 et 20. La différence est, comme on le voit, très prononcée. Je n’ai pu, malheureusement, étendre cette comparaison au > du nord. Celui-ci ne mest connu que par sa peau. (2) Des différences craniennes analogues existent entre les tions de divers pays. Je me borne à indiquer ici ces différences. Si elles wont pas été mises suffisamment en lumière, du moins les auteurs tie les ont-ils pas niées comme les précédentes. MAL AMIE A $ £ 2 de SERIEA T NEEN E EEREN ‘à EERE UT E Re ENR OAN 7 EENEN LE r ds: iaa ACT M a a aea ii a o j 9390 NOTIONS’FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XIV. L’explication en est facilement donnée par ce qu’on sait des lointains et rapides voyages des oiseaux : les uns, erratiques, et souvent entraînés à de grandes distances par des causes accidentelles ; d’autres, très nombreux aussi, émigrant chaque année, selon le cours des saisons. Comment s’étonnerait-on de voir plusieurs espèces d'oiseaux de proie, à vol puissant, répandues de la France aux extrémités de l'Europe, et même jus- \ qu’en Asie ou en Afrique, quand on a vu un aigle botté venir, à la suite d’une tempête en Orient, jusqu'aux portes de Paris (1); un faucon pèlerin, trop ardent à la chasse, s'égarer à Fontainebleau et se retrouver le len- demain à Malte; et un autre s'envoler, en seize heures, d’Espagne aux îles Canaries (2)! Et comment nos hiron- delles ne se retrouveraient-elles pas en Afrique, jusque dans la zone torride et sur la côte occidentale, avec les caractères que nous leur voyons chez nous? La même hirondelle est tour à tour curopéenne en été, africaine en hiver : une semaine, moins encore, lui suflit pour passer du nord de la zone tempérée dans la zone torride : ce n’est donc pas seulement l'espèce, c’est l'individu qu'on peut dire presque cosmopolite. Ici donc, et de même, à des degrés divers chez toutes les espèces émigrantes, point d'influence permanente des circonstances locales. | (4) Cet individu fait aujourd'hui partie des collections du Muséum d'histoire naturelle. i i (2) De ces deux faucons, le premier appartenait au roi Henri If; le second au premier ministre du roi d'Espagne, le duc de Lerme. Ces exemples, dont les circonstances principales sont hors de doute, ont été rapportés par un grand nombre d'auteurs. Voyez, entre autres, BurFon, Histoire naturelle des oiseaux, t. 1, p. 32, VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 281 Il en est même encore ainsi des espèces qui, sans être périodiquement émigrantes, sont voyageuses ou très erratiques : des échanges d'individus ont souvent lieu entre les divers pays où elles sont répandues, et les mélanges qui en résultent empêchent la formation de races locales aussi distinctes que dans les autres groupes. Cependant, ici même, et jusque parmi les espèces les plus voyageuses, une observation attentive fait parfois saisir des traces manifestes de l'influence des différences de climat. D’après les observations de l’ornithologiste qui s’est le plus attaché à la mettre en lumière, M. Gloger, les hirondelles elles-mêmes n’éthappent pas compléte- ment à la loi commune : celles dont la zone d'habitation comprend des contrées généralement plus chaudes, sont d’un noir plus profond ou plus rougeâtres que celles. dont l'habitat est, en moyenne, plus septen- trional, En somme, la coloration des premières est plus intense (1). | Chez les oiseaux sédentaires ou peu voyageurs, les variations sont bien plus prononcées, et elles ne le cèdent même en rien à celles que nous venons de ren- contrer chez les mammifères et que nous retrouverons dans d’autres classes. On pourrait même croire les oiseaux plus variables encore que les autres animaux ; car, tandis qu'on a souvent nié l'existence de changements notables chez la plupart des mammifères, je ne vois aucun auteur qui se refuse à en reconnaitre chez les oiseaux. Les (1) GLOGER, Das Abündern der Vögel durch Einfluss des Klima’s, Breslau, in-8, 1830. — Pour les Hirundo rupestris et H. rustica, voy. p. 154. 992 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. HI, CHAP. XIV. espèces de cetle classe, dit M. Godron lui-même (4), « qui se rencontrent à la fois dans le nord de la France » et en Algéric, sont plus petites dans notre colonie » africaine. » d'auteur ajoute qu’il a lui-même constaté celte inégalité de taille (2). | De semblables faits ne sont pas rares dans la science, et pour en trouver, on n'a pas besoin de comparer entre eux les oïseaux de deux parties du monde. En Afrique, selon Temminck (3), on voit les mêmes espèces de passereaux (4) plus grandes, et aussi plus vivement colorées, au Sénégal et en Guinée que dans diverses contrées plus arides de l'Afrique méridionale. Des diffé- rences non moins prononeées, mais en sens inverse, existent chez l’autruche; et elles ont été chez elle bien mieux étudiées, en raison de l'intérêt qui s'attache com- mercialement aussi bien que zoologiquement au plus grand des oiseaux. L’autruche est de plus haute taille au sud et au nord de l'Afrique qu'au Sénégal et dans le Sahara; et les proportions et les couleurs de ses pennes alaires et caudales présentent des variations locales bien con- nues des naturalistes et surtout des négociants en plumes : (4) Loc, cit., p. 38. (2) J’admets avec lui cette inégalité, mais non comme générale; elle est seulement commune à un grand nombre d'espèces. i (3) Histoire naturelle générale des pigeons et des gallinacés, Ams- terdam, in-8, t. III; 1815. Voy. p. 394. (4) « Tous les oiseaux », dit l'auteur. Mais il est clair, d'après ce qu'il dit des « couleurs brillantes » des espèces dont il parle, qu'il Sagit surtout ici des passereaux. Même ainsi restreinte, la proposi- tion émise par Temminck ne peut pas être acceptée comme absolu- ment vraic. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 333 ceux-ci ont depuis longtemps distingué, comme ils le disent, autant de sortes qu'il y a de provenances (1). La dénudation des membres postérieurs, caractère auquel les zoologistes ont attaché chez les oiseaux une grande valeur, n’est pas non plus également étendue chez les autruches de tous les pays (2). En Asie, j'ai signalé depuis longtemps (3) des diffé- rences très sensibles dans la taille de la plupart des passereaux de Ceylan, comparés à ceux du Pégou : ce sont les individus insulaires qui sont les plus petits, et ils différent en même temps, mais très faiblement, par leurs couleurs. Parmi les espèces de notre faune, des variations plus ou moins marquées s'observent, non-seulement chez les individus européens comparés à leurs analogues dans d’autres parties du monde, mais, en Europe même, d'un pays à l'autre, particulièrement selon les différences de latitude. Les observations très multipliées et très (4) Sur ces diverses sortes, voyez GOSSE, Des plumes d'autruche, dans le Bulletin de la Société d’acclimatation, t. I, 1856; p. 552 et 565, et Des avantages que présenterait la domestication de l'autruche, Paris, 4857, in-8, p. 52 et suiv. | (2) Comme l’a surtout reconnu le prince Ch, BONAPARTE: Ce célèbre zoologiste avait même pensé un instant (voyez les Comptes rendus de l'Académie des sciences, te XLHI, p. 841, 1856) à ériger en une espèce distincte, Struthio epoasticus, une race plus dén udée en même temps que plus petite, chez laquelle, il est vrai, on avait cru trouver aussi une différence ostéologique. (3) Introduction à la Zoologie du Voyage aux Indes CE de M. BELANGER, p. 15; 1830. Comme les précédents, ce fait n’est pas absolument général, mais je T'ai constaté pour la plupart des passe- reaux proprement dits et des zygodactyles. À 38% NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XIV. exactes de M. Gloger mettent hors de doute, pour un grand nombre d'espèces, l'existence d’un plumage plus terne, plus grisâtre, moins coloré, dans le sens physique de ce mot, chez les individus de pays plus septentrionaux ; plus teinté de jaune, ou encore et plus souvent, de rouge, ou de roux, c’est-à-dire à la fois de jaune et de rouge, dans les régions plus méridionales. Ces différences sont très sensibles, lorsque l’on compare les individus euro- péens à des représentants des mêmes espèces en Afrique; et dans plusieurs espèces, il n’est même pas besoin, pour les saisir, de sortir de l’Europe. Plusieurs oiseaux, de dif- férents ordres, sont déjà sensiblement plus rougeûtres ou plus jaunâtres dans le midi de l’Europe qu’en France et en Allemagne, ou encore, dans ces deux pays, relativement méridionaux, qu'en Russie. M. Gloger cite particulière- ment le chat-huant comme un exemple de ces dernières différences : les premières, qui sont bien moins rares, se rencontrent dans des espèces de presque tous les ordres, mais surtout du groupe des passereaux (1). Des différences assez prononcées pour n’avoir pas été remarquées seulement par les naturalistes, s’observent même entre les individus de pays voisins, mais divers par la nature de leur sol, et par conséquent par la quantité et la qualité de leurs productions végétales. On s'ex- plique facilement que des animaux inégalement nourris ne s’accroissent pas également; mais, dans ces cas, ce n’est pas seulement la faille, c’est souvent aussi la coloration qui se modifie. En comparant les perdrix (1) GLOGER, loc. cit., p. AGA et suiv. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 399 grises de la basse Hollande et celles de la Belgique, Temminck a constaté que les premières sont moins grandes et de couleur plus sombre que les secondes ; et de semblables différences, ajoute-t-il, ont souvent lieu dans les diverses parties d’un même pays, selon leur degré de fertilité (4). Les chasseurs ont fait presque dans toutes les parties de l’Europe des observations analogues à celles du célèbre ornithologiste hollandais ; et, les étendant à la perdrix rouge, ils ont, en quelque sorte, vulgarisé ce fait : les perdrix varient, selon les localités, de taille, de couleur et de goût. ne oiseaux peuvent donc également se modifier sous l'influence des différences de climat, et, le climat étant le même ou peu différent, sous celle des différences de sol. Telle est la conclusion de l’ensemble des faits qui précèdent et d’une multitude d’autres, et les partisans de la fixité du type ont été eux-mêmes obligés de le recon naître (2). (4) Hist. nat. des pig. et des gallin., t. IE, p. 393. (2) Plusieurs, toutefois, né le font que très incomplétement. Les uns n’admettent guère que l'influence du climat, les autres que celle du sol et de la nourriture : n’aperceyant ainsi que la moitié de la vérité. C’est ainsi que, même pour les variations les plus connues, celles de la perdrix grise, par exemple, DEGLAND fait de l'influence du climat la cause prédominante et presque unique des variations : la nourriture, selon lui, « procure seulement plus d'embonpoint» (voyez Ornithologie européenne, Paris et Lille, in-8, 4849, t. TI, p. 61). Pour TEMMINCK, » au contraire (loc. cit., p. 194), «les dissemblances dans la taille » ou bien dans les couleurs plus ou moins pures ou brillantes du » plumage, tiennent uniquement à des causes locales, et sont déter- » minées par l’abondance ou la disette de la nourriture ». Ge dernier membre de phrase est manifestement beaucoup trop restrictif. 336 NOTIONS- FONDAMENTALES, LIV, I, CHAP.. XIV, IV. Les variations ne sont pas plus rares chez les autres vertébrés. En comparant nos sauriens et nos ophidiens aux représentants des mêmes espèces dans d’autres régions, On voit, sinon tous ces animaux, du moins les plus communs, qui sont trop souvent les seuls bien connus, subir graduellement des modifications notables, au moins dans leurs caractères de couleur et de taille. Pour prendre un exemple dans chacun des groupes principaux, je citerai notre lézard vert et notre vipère commune : le premier beaucoup plus grand, et aussi plus vert, dans le midi de l’Europe (1) ; la seconde pré- sentant des différences locales plus remarquables encore, différences qu'on a peine, il est vrai, à distinguer de la multitude des modifications individuelles que subit aussi l'espèce. Dans la même classe, on a aussi des exemples parmi les espèces étrangères, particulièrement chez celles sur lesquelles les singularités de leur organisation, leur grande taille, ou d’autres particularités ont surtout fixé l'attention des observateurs, comme le crocodile vulgaire, le caméléon ordinaire, le scinque official, si recherché autrefois comme espèce médicinale, et ces grands ser- (1) Il est déjà très modifié en Provence. En Sicile, il a tant « changé de livrée » qu'il semble avoir «changé | d'espèce », dit M. de QUATREFAGES, Cours d'anthropologie, dans la Revue des cours publics, n° du 3 août 1856. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 337 penis ces genres python et boa qu'on voit aujourd'hui si souvent dans les ménageries , et jusque dans les exhibitions foraines. Parmi les batraciens, nous n'avons pas même besoin de sortir de notre pays pour rencontrer de notables variations, soit chez les urodèles, soit chez les anoures. Pour citer en exemple l'espèce la plus commune, notre grenouille verte est assez différente du nord au midi de la France, et des régions basses aux régions hautes, | pour que de savants zoologistes aient cru à l'existence, à côté de notre Rana viridis, d'une espèce méridionale, R. maritima, et d’une autre alpine, R. alpina. Les différences locales des poissons intéressent non- Seulement l Histoire naturelle, mais aussi l'alimentation publique , et elles n’ont pas pour observateurs les zoologistes seuls : les pêcheurs mettent le plus grand soin à les constater. Aussi a-t-on ici un grand nombre d'exemples. D'une mer, d’un lac, d'une rivière à l'au- tre, la même espèce varie souvent dans ses proportions et surtout dans ses dimensions : avec sa taille se modifie d'ordinaire la qualité de sa chair, Le brochet est beaucoup plus grand dans les eaux du Nord : en Écosse, où sa chair est de très bonne qualité, en Russie, en Sibérie, il dépasse souvent en longueur, un mètre et demi, et en poids, 25 kilogrammes. La truite est plus petite sur les hautes montagnes que dans les vallées : sa longueur moyenne, d’après des mesures prises par M. Valenciennes sur un grand nombre d'individus, est, dans les torrents du mont Cenis et des parties hautes des Pyrénées, de 14 centimètres, HE, 22 338 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XIV. et dans les rivières de la Normandie, de 32 (1). Parmi les poissons de mer, le hareng présente de même des inégalités de taille, et aussi quelques autres dif- férences, depuis longtemps remarquées par les pêcheurs écossais et norvégiens : selon eux, on devrait même admettre que « chaque espace d’eau contient des harengs » de grande ou de petite taille, presque toujours faciles » à distinguer de ceux qui habitent les eaux voisines. » M. Valenciennes, qui résume en ces termes l'opinion «unanime » des pêcheurs (2), ne la partage pas entière- ment ; et encore moins accepte-t-il la distinction spéci- fique du grand et du petit hareng, admise un moment comme presque spécifique par Linné lui-même (3). Mais ce que le savant ichthyologiste n'hésite pas à re- connaître, c'est l’existence de « différentes races de harengs ». Il cite, par exemple, comme plus petits, les ; harengs de la Manche, et comme plus grands, ceux des îles Shetland, qui sont en même temps moins bons, et ceux de la mer Blanche et de plusieurs autres localités, la plupart très septentrionales. Ces inégalités de dimensions dépendent, dit M. Valenciennes, de la nature des fonds ; d’où «autant de variétés ou de races qui se perpétuent par » voie de génération (4). ». (4) Histoire naturelle des poissons, par CUVIER et VALENCIENNES, t XXI, 1848, édit. in-8, p. 398 ; el aussi p. 534; passage où M. Va- lenciennes compare les variations de taille que présente la truite, à celles qui ont lieu chez divers mollusques. i (2) Tbid., t. XX, p. 406; 4847. (3) Fauna suecica, Stockholm, in-8, 1746, p. 190. — « Major ex mari oceidentali (dit Linné), minor ex marë Botnico. » Il s’agit donc bien ici de races locales, et non de variétés individuelles. (A) Loc. cit., t. XX, p. 49. Voy. aussi p. 105 et suiv. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES, 339 1 a L \ 0 \ e Dans d’autres espèces, la taille est moindre chez les individus des mers septentrionales : le maquereau Commun, selon Cuvier, ne parviendrait, dans la Baltique, qu'à la moitié de la longueur, et par conséquent au hui- tième du volume qu'il atteint dans la Manche (1). Est-il besoin de faire remarquer l'intérêt qui s'attache à ces faits, et pour eux-mêmes, et en raison des autorités dont nous nous appuyons pour les établir?.C’est le chef lui-même de l'école de la fixité, et c’est un de ses plus fidèles disciples, qui insistent ici Sur les variations des êtres qu'ils décrivent; et ils le font en des termes tels que nous n'aurions pu qu'affaiblir nos arguments en les fondant sur nos propres observations. | Parmi les variations de couleur qui s'associent parfois chez les poissons aux inégalités de taille, ou. qui existent indépendamment de celles-ci, les unes portent sur les téguments. Selon les localités où on la pêche, les taches de la truite sont plus ou moins marquées. La couleur du hareng est aussi, selon les lieux, plus ou moins riche : sur D ; 7 À diverses côtes, et particulièrement sur celles d'Écosse, ce Poisson « a des couleurs jaunes cuivrées », au lieu du « vert » glauque » et du « glacé d'argent » qui forment sa livrée habituelle (2). Ces différences dans la couleur des tégu- Ments ont de nombreux analogues dans d’autres classes. Chez d’autres poissons, les différences de coloration, au lieu d’être extérieures, sont intérieures et profondes. C’est la chair elle-même, comme chacun le sait, qui prend une (4) Loc. cit. t. VIIL, p, 23; 4834. Te. (2) VALENCIENNES, article Hareng du Dictionnaire universel d'His loire naturelle, t. VI, p. 477; 1845. - | s \ i 340 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XIV, , teinte plus ou moins rougeâtre chez les poissons dits saumonés; et parmi ces poissons ne se trouvent pas seule- ment le saumon et d’autres espèces chez lesquelles cette teinte est normale ; elle existe aussi chez un grand nombre de truites communes, quoique la blancheur de leur chair soit un des caractères de leur espèce, selon les ichthyolo- vistes(4). Les truites communes saumonées et les blanches se trouvent parfois dans le même pays, mais dans des cours d'eau différents (2). I est remarquable que les truites saumonées sont quelquefois, extérreurement, plus pales que les autres. Un autre fait, bien plus remarquable encore, qu'a fait connaître M. Coste, est la transmission héréditaire de la teinte saumonée : les femelles qui l'ont prise, pondent des œufs dont « le contenu est lui-même imprégné de » la matière colorante, et l'intensité de la coloration est » proportionnée à celle de la mère (3). » (1) CUVIER Règne animal, t. I, 1° 6d.,1817, p. 161; 2° édil.,1829, p. 504. (2) C'est ce qu’on observe, par exemple, dans les Vosges, dont les diverses truites ont été étudiées et comparées avec soin par M. le docteur Turck. Celles du ruisseau de Plombières ont la chair blanche, celles de la Moselle sont saumonées. Les premières sônt plus brunes. M. Turck a aussi comparé les truites d'étang et celles de rivière; et a constaté entre elles des différences, notamment dans la forme de la tête. . M. Turck a bien voulu m'envoyer des truites de ces diverses loca- lités, et me mettre ainsi à même de constater les différences qu'il avait observées. (3) COSTE, Observations relatives à l’hérédité, dans les Compt. rend. de l’Acad, des sc., t. L, p. 1012; 1860. « Si, au contraire, ajoute l'auteur, les femelles sont placées dans des conditions où la chair perd cette teinte, les œufs qu'elles ponden sont blancs comme la chair de la mère. » VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES, OA ke Les exemples de variations locales sont nombreux aussi dans les autres classes du règne animal, et ils le seraient bien davantage si les zoologistes, trouvant réunies dans les musées et dans les collections parti- culières une multitude de variétés, ne s'étaient bien plus attachés à pue exactement chacune d'elles à son ty pe spécifique qu’à en déterminer rigoureusement l'origine géographique : d’où la confusion, si fréquente encore dans la science, des variétés seulement indivi- duelles, et de celles qui, localement constantes ou habi- tuelles, peuvent être rapportées aux influences climatolo- giques. Les zoologistes comprendront-ils enfin générale- ment que, s'il est utile de savoir comment varient les espèces, il ne l’est pas moins de savoir où elles varient ? Les lacunes qu’on regrette de rencontrer ici dans la science, ne sont du reste pas telles que nous soyons condamné à nous arrêter, dans notre démonstration, à la limite qui sépare les vertébrés des autres embranche- ments zoologiques. Bien loin qu’il en soit ainsi, nous pouvons affirmer que ce qui est vrai des uns l’est aussi des autres; ou s’il existe une différence, c’est que les variations deviennent encore plus fréquentes après les vertébrés que parmi eux. i Chez les articulés, ele le sont même, dans les espèces aquatiques, au point de pouvoir être dites non- -seulement peu rares, mais communes. Il en est surtout ainsi de 342 NOTIONS FONDAMENTALES, LIVS 11, CHAP. XIV, celles qui portent sur la taille et les proportions. Ce qui est connu de tout le monde pour larticulé le plus habituellement servi sur nos tables, l'écrevisse, est vrai aussi de plusieurs autres crustacés, soit fluviatiles ou lacustres, soit marins. Au milieu des nombreuses variétés individuelles que ces animaux présentent dans les mêmes eaux, on arrive souvent à reconnaître qu'ils parviennent, dans les unes, à une taille au-dessous de laquelle ils restent toujours dans les autres; si bien que les individus qu'on regarde dans une localité comme grands, seraient parfois appelés petits dans une autre. | è mn | - Mêmes faits chez les vers aquatiques, et particulière- ment chez les sangsues, à l'égard desquelles ils sont bien mieux connus, parce qu'il était bien plus utile de les connaître. La sangsue médicinale a ses « races très grosses, petites, très pelites, » dit l’auteur. qui a le plus récemment exposé létat de nos connaissances sur cettè hirudinée (1); et ce n’est pas au hasard et sans tenir compte du vrai sens de ce mot, qu'il se sert du mot faces; car, comme il le fait remarquer, les diffé- rences de taille sont héréditaires, « les races très grosses » produisant des germements plus gros qui croissent plus (1) ÉBRARD, Nouvelle monographie des sangsues médicinales, Paris, in-8, 1857, p. 44. — Voyez aussi FERMOND, Monographie des sangsues médicinales, Paris, in-8, 4854, p- 443. Ces aeux auteurs, soit d’après des documents commerciaux, soit d’après leurs propres, observations , ont ajouté de nouveaux: faits à ceux qu'avait déjà réunis M. MOQUuIN-TaNDON dans sa classique Monographie de la famille des hirudinées, Paris, 47° édit., in-4, 1827: 2°, in-8, 1846. ns . VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 3h83 » rapidement et atteignent plus tôt kiin poids des sangsues » marchandes. > Parmi les i terrestres, la taille, sujette à moins de variations, est cependant loin d'être fixe ; et ici il n’y a nullement lieu d’excepter les insectes, malgré l'autorité, très grande particulièrement à l'égard de cette classe, d’un de mes plus savants confrères. « Jusqu'ici », disait-il il y a vingt ans, «on n’a pas remarqué que la taille de »ces animaux (1) soit notablement modifiée par V'in- » fluence des circonstances extérieures au milieu des- » quelles leur développement s ’effectne. » Le zoologiste éminent qui a écrit ce passage se garderait bien, nous croyons pouvoir le dire, de le reproduire aujourd’hui, si partisan qu’il soit encore de la fixité de l'espèce. Tous les entomologistes, ceux du moins qui ne voient pas toute la science dans la distinction et la description des espèces, et qui s’attachent à les suivre dans toute leur zone d’habi- tation, reconnaissent en effet, aujourd’hui, l'existence, dans presque tous les ordres, de variations locales très marquées dans la taille et dans les proportions. Chez les coléoptères en particulier, il n’est pas rare . que l'espèce soit représentée dans les pays chauds par des individus de plus grande taille que. dans les pays froids ou tempérés. C’est ce qui a lieu chez plusieurs carabes, dans quelques genres voisins de ceux-ci, et - parmi les lucanes. Le plus remarquable de ces derniers, lecerf-volant, a ordinairement, aux environs de Paris, de (i) e Des. animaux inférieurs», dit, en termes généraux, l’auteur de ce passage. Mais les mots qui suivent montrent qu'il s'agit plus particulièrement des insectes. Le ang TRES Se 9 a DT 84h NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP, XIV, hO à 45 millimètres de longueur (4): plus grand déjà à Fontainebleau, le Lucanus cervus arrive, dans la France méridionale, et déjà même dans le centre, sur quelques points, à 6 centimètres : il présente donc, selon les lieux, des différences très notables dans ses dimensions, et c’est dans le Midi qu'il atteint la plus grande taille (2). A côté de ces différences dans les dimensions, liées à des différences de climat, il en est d'autres, chez lesin- sectes, dont la loi nous échappe complétement. M. Pic- tet a vu varier d’une partie à l’autre de la Suisse, une des espèces du genre Perla, si bien étudié par lui (3). Des observateurs non moins exacts, qui ont comparé les lépidoptères communs à l’Europe et à l'Amérique du Nord, ont reconnu que les individus américains sont , dans quelques espèces, plus grands, dans d’autres, plus petits que les nôtres (4). Les variations de couleur ne sont pas non plus rares (1) On trouvait autrefois; très près de Paris, des individus de 5 cen- timètres. Ces grands cerfs-volants venaient d'une localité particu- lière du bois de Boulogne. On voit par cet exemple que des influences locales peuvent, dans quelques cas, produire les mêmes effets que l'influence générale d’un climat plus favorable. : (2) Au contrairé, selon M. Lucas, Exploration scientifique de l’AI- gérie (Articulés, 1e part., p. 3814), un myriapode commun à l'Europe età l'Algérie, le Craspedosoma polydesmoïdes, serait plus petit dans ce dernier pays. Mais, d’après les détails dans lesquels entre M. Lucas, les individus algériens paraissent appartenir à une espèce notable- ment différente. (3) La Perla cephalotes. — Voyez l'Histoire naturelle des insectes névroptères, Perlides, Genève, in-8, 1841, p. 199. (4) Voyez BOISDUVAL et LECONTE, Histoire générale des. lépido- ptères de l'Amérique septentrionale; Paris, in-8, 1832. Voyez, par exemple, Phistoire des Colias, p. 63. ; R VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES, l5 _chez les articulés; il est même des groupes où elles sont très communes. Parmi les aquatiques, l’écrevisse présente des différences locales de coloration, presque aussi mul- tipliées que ses variations de taille : elle est, dans plu- sieurs rivières Où ruisseaux, plus claire ; dans d’autres, de nuance plus foncée; dans quelques-uns, elle passe presque au noir. Les crustacés marins sont de même de # s k t ` A teintes diverses, selon les mers où on les pêche : tel est, entre autres exemples, le Carcinus mænas. Parmi les vers, la sangsue médicinale est encore le meilleur exemple qu’on puisse citer. L'Histoire naturelle a été ici devancée par le commerce dans la distinction de plusieurs races locales différentes, soit par la teinte générale, soit par la disposition des taches. Telles sont, entre autres, la sangsue landaise, qui vient du midi de la France ; la hongroise et Ja géorgienne, dont les noms indiquent bien les origines, et la syrienne, qui vient de . q ; y >q diverses parties de l'Orient : celle-ci d’une valeur eom- merciale notablement moindre; ce qui montre que toutes aN ces sangsues ne diffèrent pás seulement par la couleur de | leurs téguments (1). (1) Sur ces variations, voyez: MOQUIN-TANDON, FERMOND, ÉBRARD, et les autres auteurs d'ouvrages, soit sur les hirudinées, soit sur la sangsue médicinale ; Et FoURNET , Recherches sur quelques animaux aquatiques du bassin du Rhône, dans les Annales de la Société des sciences et d'agriculture de Lyon, 1853, pages 152 à 459. Dans cet excellent travail, l’auteur, mettant à profit, outre ses propres observations, des indications données par M. Poggi, suit la sangsue dans le nord de la France, dans le Lyonpais, en Provence, dans les landes de Bor- deaux, en Corse, en Italie, en Dalmatie, en I ngrie, en Pologne, en “+. EP. nn Fa Er one Seul, CPP ne, re ys Dee y A $ $ n $ j si į 19 4 946 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP, XIV. Chez les articulés terrestrès, les exemples de variations locales dans la couleur ne sont pas rares. Je ‘citerai, comme exemples, parmi les lépidoptères diurnes, notre belle vanesse Antiope , de teinte notablement moins foncée, à l'état de chenille, en Amérique qu’en Europe; parmi les diurnes encore, la Colias edusa, qui n’est pas chez nous, à l’état de oil ce qu'elle est, d’une part, dans l'Europe orientale, de l’autre, en Amérique; et parmi les nocturnes, la Saturnia Pluto, espèce d’un fauve qui, tour à tour, selon les parties de l’Aus- tralie. qu'elle habite, se teint un peu de gris, ou, au contraire, devient plus intense et passe au roux : Cest précisément, chéz cet: insecte, la même suite de nuances qu'on fencontre chez plusieurs grands mammifères des pays chauds. Parmi les coléoptères, les individus méridionaux sont parfois, en même temps que plus grands, de couleur plus vive; c’est le cas de quelques carabes et de plusieurs espèces des genres voisins (4). Parmi les arachnides, plusieurs espèces, à la fois européennes et algériennes, ont été comparées avec soin Asie et dans le nord de l'Afrique. La conclusion de l’auteur peut être ainsi résumée : autant de pays, autant de sangsues médicinales. Les différences portent le plus souvent sur la couleur, quelquefois sur les proportions. (1) Exemples : parmi les vrais carabes, le C. purpurascens ; et en dehors du genre Carabus, VAgonum modestum. Voy. pour ces deux exemples et pour d’autres : DEJEAN et BOISDUVAL , Iconographie et histoire naturelle des coléoptères d'Europe, Paris, in-8, t. I, 4829, et t. IT, 1830. Voyez aussi, pour divers exemples, les autres ouvrages de M. Bois- duval, un des entomologistes qui ont recueilli le plus de nt bien observés sur les variations locales des espèces. _ Scytodes. pere ` s VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES, əl7 par M. Lucas, qui a constaté l'existence de modifications locales, parfois très notables, mais non toujours dans le même sens : la Segestria senoculata est plus annelée et a ses taches abdominales plus marquées en Algérie ; mais il est des espèces, et parfois de genres très voisins, où l'inverse a licu (4). Le même observateur à signalé sibles entre les individus algériens et les égyptiens, et même entre ceux d'Alger et Sie autres provinces algériennes (2). Chez les articulés, aussi bien que chez les Pertot nous devons mentionner, à côté de ces variations de taille et de couleur dont les analogues se retrouvent dans tous les groupes, des modifications spéciales propres à certains types, Parmi les crustacés, les écrevisses sont, dans quelques localités, revêtues d’un test plus induré : c'est plusieurs ruisseaux de l’ Auvergne dont les éaux coulent ou plutôt se précipitent sur des lits très inclinés : cette race est en même temps plus petite que les autres, et trés | noire. Parmi les insectes, le Papilio pammon a la queue de son aile postérieure très inégalement allongée, selon les localités; il en est où disparaît cet appendice, Le lygée aptère qui, chez nous, justifie presque toujours son nom, est, sinon constamment, du moins habituellement ailé dans le Midi. Et ce n’est pas seulement chez les hémiptères qu’on voit ainsi les ailes disparaître ou re- (1) Loc. cit., p. 100 et suiv.‘ (2) Ibid. Voyez particulièrement les descriptions des LR at et des L . AUSSI, dans quelques espèces, des différences sen- ce qui a lieu chez l’écrevisse dite de roche, qui habite ) 348 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, H, CHAP. XIV. paraître d’une localité à l’autre : il résulte d'observations dues à M. Boisduval que de semblables variations ont lieu chez un coléoptère du genre carabe, le Carabus clathratus : les individus septentrionaux, par exemple ceux de Suède et de Sibérie, « sont plus petits et aptères », et ceux de l'Italie et du midi de la France « sont plus » grands etont souvent des ailes sous leurs élytres (2) ». Th Dans la plupart des animaux des classes inférieures, l'espèce est sujette à un grand nombre de variations individuelles, au milieu desquelles il devient difficile de faire la part des influences locales, On a le plus souvent, dans un même pays, au lieu d’un seul type, un ensemble de variétés dont le type spécifique est pour ainsi dire la moyenne. C'est ce qu'on sait sur- tout pour les coquilles, si faciles à recueillir et surtout à conserver, et dont il existe, par ce double motif et en raison de l'élégance de la plupart d’entre elles, un si grand nombre de collections publiques et particulières, d'une très grande richesse. Aussi n'est-il rien de plus . connu en his{oire naturelle que l'extrême variabilité des coquilles, soit aquatiques, soit même terrestres : par exemple, parmi les premières, des olives et des peignes, et parmi les secondes, des hélices et des agathines. Mais l'existence d’une multitude de variétés indivi- (1) DEJEAN et BOISDUVAL, loc, cit, t. 1, p. 564. 4 + x 4 + VARJATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. > 349 duelles ne fait pas qu’il soit impossible, quand on a ras- semblé un nombre suffisant d'individus, d’assigner à chaque espèce ses caractères propres, et de déterminer en quel sens ces caractères se modifient habituellement dans les diverses localités comprises dans la zone d’habi- tation de l'espèce. Si la science est encore, à ce dernier point de vue, très peu avancée, c’est bien moins parce w qu'il se rencontrait ici de graves difficultés, que parce qu'on a trop souvent négligé de recueillir les éléments de leur solution. La plupart des collecteurs, soit de coquilles, soit, de même, d’échinodermes et de polypiers, se sont bien plus attachés à multiplier leurs échantillons qu’à en connaître exactement la provenance; et ils ont eru faire assez en écrivant, à la suite du nom de l'espèce, celui de la mer oude la région qu’elle habite. Lamarck lui-même, si intéressé à recueillir tous les faits propres à justifier son système sur l'espèce, n'allait guère au delà (4), et presque tousles conchyliologistes font encore aujourd’hui comme lui (2). Il est cependant certain, et il l'était dès le temps hd ON Ke 7 3 ” né r din ol li be ii : Alta L a A REA dt Le. su ES ACÈR D DRE _(4) Qu'on lise, par exemple, les pages que LAMARCK a consacrées, “dans son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, à un des genres les plus remarquables par la multitude de leurs variétés. Dans le genre des olives, dit l'auteur (1"° édit., t. VII, p. h47), non-seule- ment les espèces, mais leurs variétés mêmes (caractérisées par des différences de couleurs, et aussi dé forme) « sont constantes dans les » lieux d'habitation où on les recueille ; ce que le nombre des indi- » vidus que j'ai observés ma forcé de reconnaître. » Mais quels sont « ces lieux d'habitation»? A peine Lamarck les indique-t-il, et très vaguement, pour trois ou quatre variétés. (2) Il faut toutefois excepter ceux qui se sont particulièrement occupés des mollusques de notre sol et de nos eaux. Aussi les faits- abondent-ils pour ces derniers, RETES S 350 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, I, CHAP. XIV. de Lamarck; que les mollusques et les animaux des classes inférieures varient, non-seulement d'une mer ou d’une région à l’autre, mais dans les différentes parties de la même mer ou de la même région ; et jusque « dans des localités très voisines, » ajoute M. Deshayes, celui de nos conchyliologistes actuels qui a donné le plus d’atten- tion aux différences locales des espèces (1). Pour prouver l'existence de variétés locales chez les mollusques et dans Jes classes inférieures, il pourrait suffire de rappeler ici quelques faits très généralement connus, et dont quelques-uns le sont même depuis lanti- quité. Longtemps avant qu’on eût découvert la nature animale du corail, on savait que ses arbres sous-marins croissent davantage sur plusieurs points de la côte barba- resque, mais qu'ils sont plus beaux et plus rouges dans les eaux-européennes de la Méditerranée : ils le sont aussi sur quelques points de la rive africaine de la même mer. Les négociants en éponges savent de même depuis longtemps que ces Corps organisés, à part les différences spécifiques, (1) Voyez les remarques générales sur l'espèce, que M. DESHAYES a placées en tête de sa Description des coquilles fossiles de Crimée, dans les Mémoires de la Société géologique, t. II, p. 37 ; 1838. — Parmi les autres ouvrages du même zoologiste, voyez aussi Explor. scient. de l'Algérie, Mollusques, Introduction, D. v; 1846. Des remarques analogues ont été faites par d’autres naturalistes. Il est des espèces, dit M, l'abbé MAUPIED, où «l'on ne trouve peut- » être pas deux coquilles semblables, à moins qu’elles ne soient tout à » fait dans le même lieu » ; et telle estla Venus pullastra. Voyez Dieu, l’homme et le monde, Paris, in-8, 1854, t. I, p. 530, et t. II, p. 232. — Ce fait et d’autres analogues mentionnés aussi par ce savant natu- raliste et théologien offrent un double intérêt dans son ouvrage, entièrement écrit dans le système de la fixité de lespèce. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES, 391 Warriyent pas à former, dans toutes les localités, des masses également volumineuses, et que leurs qualités varient aussi selon les provenances. Bien plus faciles à constater, les modifications locales des espèces comes- übles sont aussi bien mieux connues : telles sont sur- tout celles, à la fois très nombreuses et très marquées, qui ont lieu chez les clovisses, nom sous lequel on désigne en Provence un acéphale, la Venus decussata, dont des millions d'individus sont consommés chaque année sur nos côtes méditerranéennes et en d’autres lieux. Quant aux huîtres, aussi faciles à transporter qu’es- timées, et qui servent, par millions aussi, à l'alimentation des habitants de l’intérieur des continents comme à ceux du littoral, leurs variations locales, quoique moins pro- __noncées, ne sont ignorées de personne : c’est un fait devenu vulgaire que les huîtres, même en laissant de côté celles des parcs, ne sont identiques ni dans toutes les mers, ni sur toutes les côtes de la même mer; ce que les Romains savaient déjà il y.a deux mille ans, et mieux encore qu'on ne le sait de nos jours : ils n iaminn pas laissé servir sur leurs tables, pour des huîtres de Baies, et surtout de Brindes et de quelques autres points de l’Adriatique, les produits de bancs moins estimés (1). A ces exemples généralement connus, j'en ajouterai, d’après les observations des z00logistes, quelques: au- tres relatifs aux mollusques, et particulièrement à leurs (1) Voyez PLINE, liv. IX, LXXIX. — Pline revient dans le livre XXXII Sur les huîtres, et énumère une foule de différences locales. Mais il paraît comprendre dans ce second passage, sous le nom d’Ostreæ, des mollusques fort différents des véritables huîtres. 852 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP., XIV. coquilles, bien plus étudiées, dans leurs variations, que les animaux des classes inférieures. Ces exemples seront d'autant plus concluants, que je les emprunterai encore pour la plupart à des partisans plus où moins décidés de la fixité du type (1). gt di Parmi ces variations , les plus communes sont ici, comme toujours, celles qui portent sur les dimensions. Au milieu des nombreuses différences individuelles, on reconnaît que, s’il existe dans les mêmes localités de plus pelits et de plus grands individus, la limite où s'arrête la taille n’est pas dans toutes la même. Ce qui est sur un point le maximum, n’est parfois, sur un autre, que la moyenne, et peut même n'être que le minimum. Les variations peuvent dépendre de causes pure- ment locales. Dans la même région, on rencontre le même mollusque, selon les points où on l’observe, avec des tailles très différentes. Parmi les espèces aquatiques, on a des exemples de ces variations à petite distance chez la nérite fluviale et chez les lymnées. Ces der- nières, et particulièrement la Zymnæa stagnalis, sont parfois notablement différentes dans des localités très voisines : à quelques kilomètres de distance, on les trouve beaucoup plus grandes dans les étangs, beaucoup plus petites dans les rivières. Les exemples ne sont pas non plus très rares parmi les mollusques terrestres : on en a chez plusieurs hélices, entre autres, chez lMeliæ aspersa que M. Moquin-Tandon a trouvée « toujours (4) Les variations locales des mollusques étant encore niées par plusieurs conchyliologistes distingués, je crois devoir donner ici plus d'exemples que je ne l'ai Fait précédemment, ! ne id ite y 1 Å VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 393 CXtrêmement petite dans une localité près de Tou- louse (4. » Mais le a souvent, les variations de taille dépendent de cet ensemble d'influences que nous désignons en général sous le nom de climat; et c'est encore ce qu'on ne saurait présentement contester, ni pour les espèces Aquatiques, ni surtout pour les terrestres. Parmi les premières, je prendrai mes exemples dani les tellines et dans les anodontes, si communes, les unes sur nos côtes, les autres dans nos eaux douces. Les variations de taille n’ont sans doute rien de plus remar- quable chez les premières que chez bien d’autres, mais elles sont bien mieux connues, grâce à l'étude attentive qu'en a faite M. Deshayes. Selon ce savant z0ologiste, plusieurs : espèces dont Lamarck indique seulement l'existence dans l'Océan, comme la Tellina fabula et la jolie T. tenuis, existent aussi dans la Méditerranée ; mais elles y sont plus petites : elles « semblent diminuer à «mesure qu'on s'avance vers des mers plus chaudes { 2).» Quant aux anodontes, c'est presque à linfini qu'elles varient, selon les lieux, soit pour la grandeur, soit aussi pour d'autres caractères. TI semblerait, dit M, oO (1) Histoire naturelle des molusques de France, Dis in-8, tipp, D. 313. | Je cite de préférence cet exemple, non-seulement parce que l'exac- titude si bien reconnue des observations de M. Moquin- -Tandon le Met à l'abri de toute contestation, mais parce que, relatif à une loca- lité méridionale, il offre beaucoup plus d'intérêt, ainsi qu’on va le . Voir par ce qui suit. (2) DESRAYES, Exploration scientifique de l'Algérie, Mollusques, p. 550. | mI. 5 wD 35/1 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XIV. ‘Tandon (4), que « chaque rivière, chaque mare, chaque » fossé nourrit son anodonte. » A Tandis que les mollusques marins de notre hémi- sphère (2) grandissent souvént du midi au nord, lin- verse a lieu pour les mollusques terrestres ; et ce fait est bien plus généralement connu. La Succinea putris et l’Helix arbustorum, comme Fa fait remarquer M. Valen- ciennes, sont plus petites dans le nord de l’Europe (3). L’Æ. arbustorum, si intéressante à suivre dans les divers points de sa vaste zone d'habitation, n’a plus à Archangel que la moitié, en diamètre, de la grandeur que nous lui voyons chez nous. Si l’Heliæ aspersa, répandue d’une extrémité à l’autre de la France, y varie peu dans ses dimensions, même dans nos départements du Midi, il n’en est plus de même dans d’autres pays plus méri- dionaux encore; par exemple, dans le nord de l'Afrique : en Algérie, la taille de cette hélice se rapproche parfois de celle de H. pomatia. (4) Loc. cit., t. Il, p. 556. (2) Pour des exemples dans l'autre hémisphère, cons. PÉRON et LE- SUEUR, Voyage aux terres australes. Voyez particulièrement le résumé de leurs observations sur la grande haliotide australe, 1. TI, p. 349. (3) VALENCIENNES, Hist. nat. des poiss., 1. XXI, 1848, p. 384. La Succinea putris dont M, Valenciennes a justement signalé les variations locales, est précisément ùne des espèces dont la prétendue fixité prouverait, selon quelques auteurs (voy. GODRON, loc. cit., p. 48), la permanence des caractères, au milieu de la diversité des circon- stances locales. Il n’est pas sans intérêt de voir la fixité du type réfutée par un des partisans de cette même hypothèse. Ajoutons que, d’un lieu à l'autre, la Succinca putris ne varie pas seulement par ses dimensions. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 355 Parmi les espèces propres au Midi, si bien étudiées par M. Moquin-Tandon, le Zonites candidissimus et le _ Bulimus decollatus, si singulier par la troncature con- stante de sa spire, deviennent beaucoup plus grands.en Algérie : le diamètre transversal du premier s’y élève, de 15 à 18 millimètres, dimension ordinaire de nos individus, à 30 et même 35, et celui du second, de à centimètres à 8. Le volume de l’un est donc octuple, et celui de l’autre est dans le rapport de près de 49 à 4 (1), pour les individus d'Algérie comparés à ceux de l’autre rive de la Médi- terranée (2). iilo a a | Ce ne sont pas seulement les différences de latitude, ce sont aussi celles d'altitude, qui font varier la taille des mollusques. Les espèces qui s'élèvent très haut sont ordinairement représentées, dans les régions les plus élevées de leur habitation, par de petites variétés. C’est le cas, dans quelques localités, des Heliæ pomatia, hor- tensis, nemoralis, cespitum, et surtout, sur des points très variés, de l'H. arbustorum ; mollusque qu’on trouve dans quelques chaines jusqu’à 1200 mètres et même davantage. A cette altitude, la taille de VH. arbustorum (4) En effet, le cube de 3 est 27, et celui de 8 est 512. Or, YF = 18,96. i (2) Voyez, pour ces dons mollusques, nami sale Hist. nat. des moll., t.1, p. 344, et t. I, p. 69 et 344 et suiv. — L'auteur, qui a rassemblé une série très complète des variations de cette espèce, fait remarquer un fait qu’il est intéressant de rapprocher du précédent 3 à Toulouse (et surtout à Cahors), le B. decollatus est un peu plus petit qu’à Montpellier. Or, on sait que Montpellier, quoique sous la même latitude, à une très légère différence près, que eur a un niid beaucoup plus méridional. A Ex C T a E aix à Dr > Ki 356 NOTIONS FONDAMENTALES; LIV. 11, CHAP. XIV. est, dans les Alpes, aussi pelite que dans le nord de l'Europe (1). Les espèces, en changeant de lieu, changent parfois aussi de couleur. L'hélice des arbustes est encore ici un des meilleurs exemples : sa teinte générale devient, dans plusieurs localités, plus pâle, dans d’autres plus foncée ; sur quelques points de l'Auvergne, MM. Lecoq, Bouillet et moi-même l’avons trouvée brunâtre, par conséquent beaucoup plus foncée qu’à l'ordinaire. Ailleurs, les modifications portent sur les taches qui. si souvent, se dessinent sur le fond en clair ou en foncé. Plusieurs de nos hélices perdent plus ou moins com- plétement dans quelques localités, et surtout dans lës lieux très élevés, lės bandes qui les ornent dans nos plaines (2). A l'inverse, on voit dans le plus méridional de'nos départements continentaux, celui des Pyrénées- Orientales, le péristome de VH. splendida se colorer de rose; parfois même une teinte rosée se substitue au blanchâtre sur presque toute la coquille (3). Parmi les espèces étrangères, un des mollusques les plus remar- quables par les nombreux rubans, si vivement colorés, (4) Sa taille est la même sur le Saint-Gothard qu'à Archangel, fait signalé par M. VALENCIENNES, dans le passage cité, p. 338, note 1. . Voyez aussi, pour cette espèce, et pour d’autres bien observées en Auvergne par M. LECOQ, ses Études de géographie botanique de l'Europe, Paris, in-8, t. 11, p. 142, 4854. (2) Ce qui a particulièrement lieu dans les variétés minces et trans- lucides dont il sera fait mention plus bas. (3) On avait fait de cette jolie variété une espèce, H. roseo-labiata, que les auteurs Ont ramenée à son type. Voyez MOQuIN-TANDON, Hist. nat, des moll,, t M, p. 450 et 152, VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES.. 357 dont est peinte sa coquille, P Achatina virginea des Antilles, est encore plus zébrée à Cuba qu'à Haïti. | ) I Parmi les mollusques d’eau douce, la coquille de la Physa acuta passe, dans quelques ruisseaux, de la cou- leur d'ambre clair qui lui est ordinaire àune teinte brane, parfois vineuse et violacée. Les anodontes et les mulettes ne varient pas moins selon la nature des eaux : ‘élles Sont tantôt verdâtres, tantôt d’un brun violacé. Une de ces dernières, l Unio littoralis ou rhomboideus, à, dans les Pyrénées-Orientales, une variété où la couleur inté- rieure est aussi modifiée : la nacre, ordinairement d'un blanc azuré, quelquefois verdâtre, devient rose. Parmi les mollusques marins, un grand nombre d'es- pèces paraissent avoir été bien étudiées, au point de vue de leurs variations de couleurs, par M. Deshayes ; mais il n’a publié ses observations que sur quelques acé- phales des genres Psammobia, Tellina et Mactra (1). Au nombre des plus remarquables variations qu'ait con- Slatées cet éminent conchyliologiste, sont ‘celles de la Mactra stultorum, parfaitement concordantes dans leur ensemble, avec les différences de latitude, et par consé- quent de climat. En étudiant cette mactre depuis les mers du nord de l’Europe jusqu'au midi de la Méditer- ranée, M. Deshayes a reconnu que sa coloration devient de plus en plus intense, à mesure qu'on s'avance vers » le Midi; ce qui se vérifie également, soit qu'on suive l'espèce de l'Océan à la Méditerranée, soit même qu'on (1) Par suite d'une décision ministérielle qui à interrompu la publi- cation du grand ouvrage de la Commission scientifique de l'Agérie, ndlr "es CE we Mer > A de dt cie é i. 5 OS és Le nes À 358 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP, XIV. la compare dans les diverses localités méditerranéennes; car elle est sensiblement plus colorée à Oran que sur les autres points, moins méridionaux, de la côte algérienne. L'étude de cette série de variations, si bien en rapport avec les différences de latitude et de climat, a conduit M.. Deshayes- à se demander si la Mactra stultorum , continuant « à se modifier en avançant vers les régions » tropicales » , ne viendrait pas « se lier: insensiblement » avec l'espèce du Sénégal (4). » L'influence de la nature du sol n’est pas moins mise en évidence par d’autres faits que, par ceux-ci, celle du cli- mat. Tandis que, chez les mollusques, la coquille devient, dans certaines localités, plus épaisse, et parfois rugueuse ou même cannelée, elle s’amincit, dans d’autres, au point de céder à la moindre pression : elle devient alors translucide. Ces dernières modifications se rencontrent chez les mollusques qui, vivant sur des sols granitiques ou siliceux, ne trouvent pas autour d'eux assez de carbo- nate de chaux pour former une coquille épaisse et solide comme celle des individus ordinaires (2). C’est ce qui a (1) DESHAYES, Explor. scient. de l'Algérie, loc. cit., p. 881. Mal- heureusement, dit Pauteur, « les observations n'ont pas été poussées » plus loin. » M. Deshayes ajoute à cette occasion, et tous les vrais naturalistes seront de son avis : « La science aurait plus à gagner pour la philo- » sophie à l'étude complète de quelques mollusques suivis dans tou- » tes leurs modifications, qu’à la découverte d’un nombre plus ou » moins coûsidérable d'espèces. » (2) Le défaut de calcaire est si bien la vraie cause de la minceur, du défaut de solidité et de la translucidité de la coquille, que le test ne tarde pas à s’épaissir quand l'animal est transporté sur un sol riche en calcaire, Ce fait résulte de quelques observations de M. LECOQ, loc. cit. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 359 lieu chez plusieurs espèces des genres Pupa et Bulimus, et chez quelques hélices, mais surtout chez P Heliæ arbustorum , espèce particulièrement remarquable par la facilité ayec laquelle elle s’accommode des sols comme -des climats les plus différents. Son enveloppe est par- fois extrêmement mince, incolore, et tout à fait transpa- rente : une de ses variétés a élé justement comparée par M. Moquin-Tandon à une vitrine (4). Ces faits ont leurs analogues parmi les espèces aqua- tiques. La coquille de la Limnæa peregra est épaisse quand l'animal vit dans des eaux riches en calcaire. Dans le cas contraire, elle devient mince, transparente, et, par suite, faute d’une solidité suffisante, elle est toujours brisée au sommet (2). | A toutes ces variations nous avons encore à joindre des différences très notables dans la proportion et dans la forme : les unes coïncident souvent avec les autres. Parmi les espèces terrestres, la variété brune de ` l'Helic arbustorum qu’on trouve en Auvergne, est plus renflée, plus globuleuse que les autres hélices de la même (1) Hist. nat. des PACS t. 1, p- 56. Voyez aussi, p. 520, et t. 1, p. 124. Voyez aussi sur ces faits, entre autres auteurs, BOURGUIGNAT, Monographie d’un Ancylus, dans la Revue de zoologie, 1853, p. 203. L'auteur résume ainsi les conséquences qui lui paraissent résulter dès faits : « A quoi tiennent le plus souvent les formes et les signes exté- » rieurs des coquilles? Aux milieux et aux circonstances dans les- » quels elles vivent... Le terrain, les eaux font sentir leur action... > Le calcaire est-il abondant, le test est opaque. Fait-il défaut, la » coquille est vitracée... Lorsqu'elle est mince et vitracée, la couleur > en est jaunâtre et succinée, » | (2) BOURGUIGNAT, loc. cit. 360 NOTIONS FONDAMENTALES, LIY. I, CHAP. XIV, espèce. Chez d’autres hélices, on trouve des variétés très déprimées. Dans les eaux douces, la nérite fluviatile, très bien étudiée par M. Moquin-Tandon, a présenté à ce très exact observateur des variations remarquables aussi bien de forme que de taille et de couleur, « suivant les localités, » et surtout suivant les eaux (1). » Parmi les espèces marines, la Mactra stultorum, en même temps qu'elle devient, du nord au midi, plus colorée, passe de la forme ovalaire à celle d’un triangle plus ou moins élargi; et la Tellina tenuis devient dans la Méditerranée plus étroite en même temps que plus petite. Enfin, de même que dans les autres embranchements, après toutes ces différences de taille, de couleur, de structure, de forme, nous avons à en mentionner d’autres qui vont jusqu'à modifier les espèces dans leurs traits les plus caractéristiques. Les plis, les dents de louver- ture de la coquille se modifient, dans quelques localités, chez les elausilies et surtout chez les maillots, soit dans leur disposition, soit dans leur nombre : tantòt c’est un des plis normaux qui s’efface, tantôt un pli surnuméraire qui se produit. Les espèces unidentées ou uniplissées peuvent ainsi perdre un caractère que les conchylologistes regardent ` comme très imporlant, et qui serait même, selon un grand nombre d'entre eux, de valeur générique (2). Il en est done exactement des mollusques, quoi qu'en (1) MOQUIN-TANDON, Hist. nat. des moll., t. IE, p. 552. (2) Voy. l'ouvrage, déjà plusieurs fois cité, de M. MOQUIN-TANDON, auquel on doit (t. 1, p. 815 à 316) la meilleure histoire que l’on pos- sede des nombreuses espèces françaises des genres Clausrlra et Pupa. * ti $ VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES. 361 disent encore quelques conchyliologistes, comme de tous les embranchements qui précèdent. A moins d’être aveuglé par l'esprit de système, il est impossible de méconnaître, en présence des faits qui précèdent et de tant d’autres qui pourraient être ajoutés, ce que Blainville apercevait déjà et déclarait sans hésitation, tout partisan qu'il était de la fixité de l'espèce. Le passage suivant a été écrit, ik y a près de quarante ans, par cet illustre zoolo- giste (4) : | | « L'ensemble des circonstances, jusqu'à un certain point appréciables, qui constituent les localités, et qui ont agi depuis un temps fort long, auront pu se faire sentir d'une manière presque fixe sur une succession d'individus de la méme espèce, et déterminer sur les coquilles des différences dans la grandeur, la proportion, les couleurs , le système de coloration, et même dans l'état de la superficie, lisse ou rugueux. Ces différences ne constituent réellement, à ce qu’il nous semble, que de simples variétés fixes, d'autant plus dissemblables que les localités seront plus éloignées, et que l’on pourra, si l’on veut, décorer du nom d'espèces LocaLes, mais qui ne sont pas réelles (2); en effet, elles passent les (4) Article du Dictionnaire des sciences naturelles, t. XXXII, p. 169 et 170, 4824; et Manuel de malacologie et de conchyliologie, Paris, in-8, 1825, p. 205. | (2) Sans la deruière phrase dece passage, on pourrait croire que, par ces mots « qui nesont pas réels », Blainville revient sur ceux par les- quels il vient d’assimiler les «variétés fixes » à des « espèces locales ». Une telle interprétation serait tout à fait erronée. Blainville reconnait que les modifications produites par les circonstances portent, dans ces variétés, sur des caractères de valeur spécifique : mais il dit que, RE sn ai si m -uam 3 mA NA — Re < ERNE. EN à L md ml © 5 pr me” LD pis PP E TRE A z 4 {4 ra } 4 } į i e 1 f 362 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. l, CHAP. XIV. 1 3 “unes aux autres d’une manière tout à fait insensible. » Passage doublement remarquable, dans une époque déjà éloignée de nous, et dans les écrits d’un naturaliste qui peut presque ĉtre cité, dans notre siècle, comme le partisan le plus absolu de l’immutabilité du type : telle- ment que Cuvier lui-même était presque pour Blainville, qui le lui a reproché, de l’école de la variabilité (4). Mais Blainville était ici en présence des faits ; et la force de la vérité l’a entraîné en dehors du cercle de ses idées préconçues et jusqu'à cette proposition qui peut être donnée comme le résumé de tout ce qui vient d’être dit, non-seulement des mollusques, mais du règne animal . entier; i ! | Les modifications qui se produisent chez les animaux peuvent devenir assez constantes pour caractériser des « variétés fixes», en d’autres termes, des races (2); et assez importantes pour que ces races soient comparables à des « espèces locales ». \ par suite des passages qui ont lieu des unes aux autres, il n'est pas possible de trouver entre elles des limites, et par conséquent d'arriver a reconnaître des types spécifiques distincts. Ce qui est vrai (et vrai pour les naturalistes, de quelque école qu’ils soient ; voyez plus haut, pages 270 et 271), et d’où résulte précisément cette conclusion : C'est dans Ja même espèce qu’on trouve des variations très notables et portant sur les caractères spécifiques. ` (1) Voyez le résumé des vues émises par les auteurs sur la question de l’espèce, t. II, p. 428. (2) Voy. le Chapitre IV, t. Il, p. 833 el suiv. MU UYNUVYUYVYNYUYNINYNYINYNMIYNYNNSNINSNS\SNSNYINS JYS NNS AI JIII INVIT CHAPITRE XV. DÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE, PAR L'ÉTUDE DES VÉGÉTAUX ACTUELS DANS L’ÉTAT DE NATURE. t SOMMAIRE. — I. Remarques générales sur la variabilité chez les végétaux. — II. Végétaux Phanérogames. Variations produites sous l'influence du climat, et particulièrement de la, latitude. Modifications de l’ensemble de la plante et de plusieurs de ses caractères, — HI. Autres variations chez les phanérogames. Influence de la nature du sol et du milieu.— IV. Cryptogames. — V, Conclusion pour l'ensemble des végétaux : elle est la même que . Pour les animaux, La question que j'ai entrepris d'éclairer, et que j'essaye de résoudre, n'est pas seulement zoologique; elle est essentiellement biologique, c’est-à-dire, relative à l’en- semble des êtres doués de vie: ne la considérer que dans un seul des règnes organiques, serait, non en simplifier la solution, mais la laisser incomplète. Il existe ici entre les faits anthropologiques et zoologiques, et les faits bota- niques, des connexions intimes et nécessaires, et entre les conséquences des uns et celles des autres, un enchaîne- ment qu'on ne saurait méconnaitre. Comment concevoir la création végétale, toujours et immuablement la même, en face d’un monde animal incessamment modifiable et modifié; et réciproquement? Ceux-là seuls pourraient croire à la possibilité d’un tel contraste, qui se représen- teraient les règnes organiques comme simplement juxta- ƏGÖ4 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XV. posés dans la nature; qui oublieraient que, tout au con- traire, ils agissent et réagissent sans cesse lun sur l'autre; qu'ils se mêlent et pour ainsi dire se pénètrent partout ; qu'ils sont reliés par une dépendance intime et réciproque, par une véritable solidarité; à ce point que, comme on l’a souvent remarqué, ils ne sauraient ni se nourrir, ni respirer, ni par conséquent subsister l’un sans l’autre ; «les plantes cédant aux animaux, et les animaux » rendant à l'air » et au sol tout ce que l'air ct le sol avaient donné aux plantes : « cercle éternel dans lequel, dit M. Dumas, la vie s'agite et se manifeste (1). » Par cela même que nous avons vu les animaux subir l'influence des circonstances extérieures, nous devons done nous attendre à apercevoir chez les végétaux les effets de la même influence. Les premiers. étant variables, les seconds doivent l'être aussi. Et même, ils le seront à plus forte raison. Doué de la faculté de changer de place. l'animal a, par là même, celle de faire varier son milieu : la plante, au contraire, toujours fixée sur le même point du sol, reste soumise, sans pouvoir jamais sy soustraire, - à Faction du même ensemble de circonstances exté- rieures. Donc, toutes choses égales d’ailleurs, elle doit davantage la ressentir (2). C’est en effet ce qui a lieu, et Adanson en faisait déjà la remarque il y a près d’un siècle (3). Si les preuves de (1) Essai de statique chimique des êtres organisés, leçons profes- sées en 1841; 2° édit., Paris, in-8, p. 46. (2) Cette remarque a déjà été faite par GERARD, article Espèce du Dictionnaire universel d'Histoire naturelle, t. V, p. 440; 1844, (3) «1l paraît, dif AbansON, que la nature est moins constante et VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES. 309 la variabilité abondent chez les animaux, on peut dire qu'elles surabondent chez les végétaux. La multitude des modifications que subissent ceux-ci est telle qu'un volume entier suffirait à peine pour les faire connaître : elles vont à l'infini, dit Goethe (1). Et les plus illustres défenseurs de la fixité du type le reconnaissent comme les naturalistes de l’école opposée : c’est l'étude des multiples et profondes modifications des végétaux qui a fait dire à Linné : « La nature se joue en des variétés sans nombre : ludens polymorpha natura (9). p Après les exemples de variations que nous a fournis le règne animal, et dont nous aurions pu, si multipliés qu'ils soient, décupler, centupler le nombre, viendrait done la série plus longue encore de ceux que nous offri- raient les végétaux. Mais nous ne devons pas oublier que cet ouvrage, selon le plan que nous nous sommes tracé et que nous avons partout suivi, est, non exclusivement, mais principalement zoologique. Le seul résultat vers lequel nous devions tendre ici, pour rester dans les limites que nous nous sommes imposées, est la vérifiea- » plus diverse dans les plantes que dans les animaux; et qui connaît » les bornes de cette diversité? » (Familles naturelles des plantes, Préface, p. cxnt; 1762. à: Le paragraphe auquel j j'emprunte cette citation est consac ré au dé- veloppement dé cette pensée : « Les espèces changent de nature. » (1) Additions à la Métamorphose des plantes, édit. et traduct. de Stuttgard, 1831. Voyez particulièrement page 150. (2) Philosophia botanica , à la fin de la section 1x, intitulée; Varietates. La même idée a été plusieurs fois reproduit par Ha pres: que dans les mêmes termes, 8366 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XV. tion, à l'égard du règne végétal, des conséquences aux- quelles nous venons d'arriver pour l’autre grand règne organique. Peut-être même, ayant déjà cité à l'égard des plantes plusieurs faits aussi décisifs que généralement connus (1), aurions-nous regardé cette vérification comme suffisamment faite, si un savant botaniste n’eût repris tout récemment la défense de la fixité de l’éspèce, et s’il n’eût cru pouvoir présenter cette hypothèse comme définitive- ment acquise à la science. Selon M. Godron (2), la con- clusion qui doit être déduite des faits, est celle-ci : « Les » agents physiques, tels que le climat, les différences de » Station, les propriétés mécaniques du sol, et même ses » propriétés chimiques, ne changent en aucune facon les » Caractères spécifiques des espèces végétales. » M.Godron est bien, comme on le voit, en botanique, le même natu- raliste qui avait dit en zoologie : « Le climat ne modifie pas, » du moins dans leurs caractères spécifiques, les animaux » sauvages; il les tue plutôt que de les modifier (3). » En présence de telles conclusions, il ne nous était plus permis de nous contenter, pour les végétaux, des (1) Voy. le Chapitre XII. < (2) De l'espèce et des races dans les étres organisés, Paris, in-8, 4859, t. I, page 195. Voy. aussi p. 54. | Les vues de ce savant botaniste avaient déjà été exposées, maisavec moins de développement, dans un mémoire qui fait partie du recueil de la Société des sciences de Nancy, année 1847. (3) Même ouvrage, p. 48, et même mémoire, p. 197. On ne doit pas oublier que, malgré ce que ces termes ont d'absolu, M. Godron ne doit pas être rangé parmi les partisans sans réserve de limmutabilité. Il veut que l’espèce ne puisse changer « en aucune façon » dans l'ordre actuel des choses; il n’affirme point qu’elle n'ait jamais changé. VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES. 867 indications qui précèdent : il fallait, ou nous incliner devant l'autorité d’un de nos botanistes les plus distingués, ou faire un nouvel appel à une autorité plus grande encore que la sienne, celle des faits. C’est ce que nous allons essayer. Comme nous l'avons fait pour les animaux, nous emprunterons de préférence nos exemples aux défenseurs eux-mêmes de l'hypothèse de la fixité. Plusieurs, et des plus précieux, parce qu'ils sont au nombre des mieux étudiés, nous seront fournis par M. Goûron lui-même. i „ih Parmi les modifications les plus fréquemment obser- vées chez les végétaux, sont, comme chez les animaux, celles que produisent sur la taille les différences soit de latitude, soit d'altitude; et déjà nous avons pu (1) en citer de remarquables exemples, sans sortir du cercle des faits les plus généralement connus. On n’a pas besoin d’avoir fait des études botaniques pour savoir que plusieurs de nos espèces acquièrent dans le Midi de plus grandes dimensions que dans le Nord, et que d’herbacées et annuelles, quelques-unes y deviennent ligneuses et vi- vaces. Le rabougrissement des arbres, particulièrement des conifères, dans les régions boréales et surtout sur les hauts sommets, est plus connu encore : on trouve ce fait cité jusque dans les livres des simples touristes, comme une preuve de l'influence du climat sur l'accrois sement (1) Voyez le Chap. XIII. | 368 NOTIONS, FONDAMENTALES, LIV: I, CHAP. XV, des végétaux. Preuve, en effet, irrécusable, et à laquelle les défenseurs de la fixité du type opposent en vain la facilité avec laquelle on ramène à une plus grande taille « les variétés rabougries des montagnes » en les: « trans- » portant dans nos jardins » (1), c’est-à-dire sous un meilleur climat et sur un meilleur sol. Ce passage à d'autres conditions, sous d’autres influences, est mani- lestement un exemple de plus, et non moins remarquable en sens inverse, dés modifications que produit chez les végétaux la diversité des circonstances ambiantes. Dans les plantes rabougries des régions très élevées ou très boréales, ce n’est pas seulement la taille qui diminue, c'est aussi le port qui change. La tige est ordinairement moins rameuse, et le feuillage plus rare. Une partie des ‘espèces qui, en plaine ou dans-les vallées, se parent de nombreuses fleurs, n’en portent plus, sur les hautes montagnes, que très peu ou même une seule : par compensalion, da corolle devient parfois plus grande. L'ensemble de ces modifications change parfois la plante au point de la faire prendre, au premier aspect, pour une autre espèce; et cependant, comment contester que ces (4) GODRON, De Vesp. et des races, 1859, t.1, p. 87.— Elles « sont » ramenées à leur type primitif, dit l’auteur, immédiatement ou dès » Ja première génération. » .Y sont-elles complétement ramences ? Il est au moins permis d'en douter. Un forestier qui aurait à faire des semis dans les régions basses, se garderait d'aller prendre ses graines sur les sommets des Alpes; et il ferait bien. Et telle n’est pas seulement notre opinion, mais celle des hommes les plus compétents. Voyez, entre autres auteurs, Alphonse De CAN- DOLLE, Géographie botanique raisonnée, Paris, in-8, 1855, L. If, p. 1088 et 1090, VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES. 369 modifications soient dues à l'influence de circonstances locales, et non à une diversité primitive ? On pourrait s'y tromper, en comparant quelques échantillons dans un herbier; mais en se livrant à une étude plus complète des faits, on voit les différences se produire et se prononcer de plus en plus, à mesure qu'on s'élève davantage, ou qu'on s'avance plus loin vers le Nord; et l'on arrive ainsi à reconnaitre que les extrêmes se trouvent reliés par une série d'états intermédiaires. J1 devient donc impos- sible de recourir à une supposition dont on ne s’est pas -fait faute dans un grand nombre de cas, au fond très analogues, mais moins bien connus : celle de deux espèces distinctes, se remplaçant, et pour ainsi dire se représentant lune lautre dans des stations géographi- quement très diverses. A défaut de cette supposition, on a cu recours ici, pour Sauvegarder le prétendu principe de la fixité de l'espèce, à une distinction qui n’est pas plus admissible. Il est vrai, a-t-on dit, que les variations sont très marquées ; mais elles sont, en réalité, de peu de valeur, au point de vue taxonomique; car, portant sur l'ensemble du végé- tal, et ñon en particulier sur l'état de chacun des organes dont il se compose, elles n’atteignent pas les caractères par lesquels on distingue d'ordinaire les espèces. Cette allégation est peut-être fondée dans quelques cas ; mais, assurément, clie ne l’est, ni pour tous, ni même pour le plus grand nombre. Quand l’ensemble du végétal varie, les détails de son organisation sont ordinairement plus ou moins altérés; et loin qu'une plante rabougrie puisse être considérée comme une miniature du type de son espèce, M 24 e r Tr 370 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XV. elle s’en écarte par de nombreux caractères qu'a particu - lièrement mis en lumière un savant médecin et botaniste, M. Gubler (4). La conclusion d’un mémoire qu'il a spécia- lement consacré à les faire connaître, est celle-ci: « Le » nanisme entraîne, pourles végétaux qui en sont affectés, » des réductions de nombre dans les parties de la fleur et » dans celles du système foliacé (2). » Parmi les modifi- cations de la fleur qui s'associent parfois à la diminution de la taille, une des plus remarquables est assurément la substitution d’un calice tétrasépale, d’une corolle tétrapé- ; | tale, à des enveloppes à cinq divisions, et de 4 ou 8 éta- mines à 5, 6 ou 10. Ce changement dans le nombre des parties, qui avait été déjà signalé dans plusieurs espèces, notamment chez Arenaria tetraquetra des hautes montagnes (8), est d'autant plus remarquable (4) Voyez ses Observations sur quelques plantes naines, et ses Remarques générales sur le nanisme dans le règne végétal, dans les Mémoires de la Société de biologie, t. WA, p. 237; 1854. . (2) Cette proposition est également applicable, selon M. Gubler, aux végétaux vraiment nains, c’est-à-dire, aux variétés rabougries d'es- pèces qui prennent ailleurs un plus grand développement, et aux espèces normalement très petites. Nous avons à peine besoin de faire remarquer combien cette concordance est remarquable au point de vue de la théorie de l'espèce considérée comme” dépendaut des cir- constances extérieures. (3) Voy. Jacques Gay, Histoire de l’Arenaria bete dans les Annales des sciences naturelles, t. HE, p. 27, 1824; et Lettres, t. IN, p. 88; 1825. Plusieurs des conséquences admisés par l’auteur ont - été depuis retirées; mais non ses observations relatives à la diminu- tion dans le nombre des s parties de la fleur sur les hautes montagnes. — Voyez, sur les mêmes faits : MOQUIN-TANDON, Éléments de térato- logie végétale, Paris, in-8, 1841, p. 129 et 324; — et GRENIER €l Goprox, Flore de France, t. 1, 1848, p. 262. Ces savants botanistes VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES. 374 qu'il en entraîne souvent un, très marqué aussi, dans la disposition générale de la fleur, et que des modifications corrélatives à celles des. verticilles floraux ont parfois lieu dans les verticilles foliacés A) - En présence de ces faits, nous le demandons, lesquels ont raison des botanistes qui disent encore, il ne se pro- duit que des « modifications superficielles »; et de ceux qui en admettent de profondes? de ceux qui affirment la con- slante « intégrité » des caractères distinctifs des espèces, et de ceux qui la contestent? De ces. deux opinions, la seconde, parce qu’elle est encore celle du plus petit nombre, peut sembler la plus hardie; mais la voici déjà justifiée par une première série de changements bien constatés : ceux qui résultent des différences de climat, el particulièrement de latitude et d'altitude. Ont mis beaucoup de soin à caractériser les deux variétés qu’ils appellent legitima et condensata (uniflora de M. J. Gay). Il ne sera pas inutile de mettre en regard. les Caractères qu’ils leur assignent : i Š A. T. legitima. Fleurs pentamères : 5 sépales ; 5 pétales; 10 étamines. Tiges florifères, allongées (3 à 6 centim.), portant au sommet 5 ou 6 fleurs en tête, environnées de bractées. Feuilles lancéolées-étroites, aiguës, pu- bescentes sur la nervure dorsale, ainsi que | À. T. condensata. 4 à r 3 Fleurs polygames, tétramères : 4 sépales ; 4 pétales ; 8 étamines. Tiges très courtes (4 à 2 centim,), portant au sommet une fleur unique. Feuilles ovales, obtuses, glabres sùr la nervure dorsale, étroitement imbriquées. Il y a aussi des différences dans l’état de la racine, (1) GUBLER, loc. cit, p. 240 et Suiv. à, A Lo dr PR ir y Fr sud à k ii . rm ES prie mper n à a TT ÈS TUE EN EI ue 7 Là 1 Aa AR RTL DTi re Li FER NE y Hi. NOTIONS FONDAMENTALES, LIV,-11, CHAP, XV. HE. Si, de ces faits, nous passons à d’autres, nous allons reconnaître qu'ils convergent vers la même conclusion. On avait vu la fixité parlout : c’est la variabilité qui nous apparaît à chaque pas. Commençons par quelques exemples très simples. On sait depuis longtemps que, sous diverses influences, et à part les effets de la culture, les fleurs changent assez fréquemment de couleur. Tantôt leur nuance est plus vive, tantôt elle est plus pâle dans une localité que dans une autre. Ailleurs elles se décolorent tout à fait; ce qui a lieu notamment dans les hautes montagnes, et plutôt, d’après les auteurs, pour les fleurs à corolle bleue ou à corolle rouge, que pour les autres. Linné, tout jeune encore, avait constaté cette variation chez son Astragalus alpinus (1), et Séncbicr, non-seulement l’a connue chez les gentianes, mais il en a cherché ct a cru en avoir trouvé l'explication physiologique (2). Dans les montagnes aussi, mais sur un autre sol et moins haut, on a vu des corolles, peintes de couleurs plus vives, devenir en même temps plus grandes (3). Des changements dans la nuance s’observent de même parmi (1) Flora lapponica, Amsterdam, in-8, 1737, p. 218. (2) Physiologie végétale, Genève, in-8, 1800, t. V, p. 64. (8) GODRON, doc. cit., t. 1, p. 85; d'après ses propres observations dans les Vosges, et d’après celles de quelques autres botanistes dans diverses chaînes. am» VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES, 0/9 les plantes des régions basses, selon les localités où elles croissent. | Les feuilles. varient souvent aussi dans leur coloration, et plus fréquemment encore dans leur grandeur. Leur forme, aussi, est très peu fixe : on les voit tantôt s’élar- gir, tantôt se rétrécir et sahog quelquefois elles se divisent et se découpent, jusqu’à \ devenir laciniées. Enfin leur structure se modifiant, elles s'épaississent au point de pouvoir être dites charnues, presque comme dans les plantes grasses. Cette dernière modification est un des effets habituels « de la salure de l’eau et du sol, » et de l'atmosphère marine», dit M. Gubler, dans un mémoire encore inédit sur les plantes de nos côtes, com- parées à celles de l’intérieur des terres (4). Les différences ne sont pas moindres, quant au nombre et à la grandeur des poils qui revêtent, soit.les feuilles, soit la tige et ses divisions. La même espèce peut se montrer tour à tour glabre et très velue. Les variations de ce genre sont très communes; Linné en faisait déjà la remarque en citant plusieurs exemples, tels les sui- vants : l’Asperula odorata, velue dans les forêts, ne l’est pas dans les lieux découverts où on la trouve souvent aussi, malgré son nom de Reine des bois ; la persicaire, très glabre dans les lieux aquatiques, est velue lors- qu’elle pousse au see; et le serpolet, nu dans nos (4) Voici la conclusion de ce mémoire : « Les recherches spéciales » que j'ai faites sur la flore du littoral me permettent d'affirmer qu'il » n'est pour ainsi dire aucune espèce qui échappé à l'action modifi- » catrice des influences maritimes. » ; 374 ` NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, IE, CHAP. XV. champs, se hérisse de poils dans les sables maritimes (D). Ce sont toutes ces modifications qui, successivement reconnues par Linné, Vont conduit à accepter, en détail, les preuves de cette variabilité qu'il avait cru devoir nier dans son ensemble, et à dire tour à tour (2) : Desfleurs, qu’elles changent souvent de couleur : « Co- lore in floribus nihil inconstantius est: nimium ne crede colori. » Des feuilles, qu'elles se modifient très facilement : « Foliorum luwuratio facillime accidit. » Et des poils, qu'ils disparaissent souvent sòus lin- fiuence, tantôt de l'âge, tantôt aussi des lieux : « Hirsuties loco et æœlate facillime deponitur (3). » Ces variations peuvent se produire, soitisolément, soit plusieurs ensemble. Dans le premier cas, le végétal, modifié dans un seul de ses organes ou dans ‘un seul ordre de caractères, se laisse encore facilement ramener à son espèce. Dans le second, la détermination spéci- fique peut devenir très difficile : elle serait même, dans beaucoup de cas, absolument impossible, même pour le botaniste le plus exercé, s$ w, n'avait sous les yeux que (1) Linné, Philos. bot., prop. 272. (2) Ibid., prop. 266 à 312. l (3) Après ces faits particuliers, Linné ajoute même, d'une manière générale (Philos. bot., prop. 316) : « Solum mutat plantas.» Et il jus- tifie cette proposition par une série d'exemples. Parmi ces exemples, j'en citerai quatre qui sont relatifs à autant de genres différents de variations : Buxus arborescens, C. B., et B. humilis, Don. Acanthus mollis, G. B., et A. aculeatus, C. B. Myosotis foliis hirsutis, H. C., et M. f- glabris, H. G., Cerinthe floreex rùbro purpurascente, G. B., et C. flavo flore. asperior. VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES. 375 les deux états extrêmes de la plante. H faut encore le re- connaitre. ici : il est des variétés qui diffèrent entre elles autant que des espèces ; et il en est. même qui s'éloignent | plus, beaucoup plus, T une del’ autre, que ne le font d’or- dinaire deux espèces d'un même genre naturel. Si le Plan- tago coronopus, premier exemple que j ’empr unte encore à Linné (4), n’était commun dans une grande partie de : l'Europe, n’aurait-on pas été exposé à le scinder én.deux espèces ? Dans les lieux humides, il est glabre et à feuilles entières ; dans les lieux secs, il est velu et à feuilles den- tées. Parmi ses congénères, le P. lanceolata n’est pas, | selon les lieux, moins différent de lui-même : on en trouve, notamment dans les landes de Bayonne, dit =| M. Moquin-Tandon, « une variété qu’on serait tenté de A Wa prendre pour une espèce bien tranchée » (2). Si l’on ne s’est pas trompé ici, on l’a souvent fait ail- # D leurs. Les plus savants, les plus éminents botanistes n’ont } ER o“: pas échappé à des erreurs qui témoignent de la valeur É des modifications subies par le type dans quelques va- | TS -riétés. L'aconit tue-loup, des hautes montagnes, a été considéré par Lamarck(8), avec doute, et par De Candolle, très aflrmativement A comme une espèce distincte, l (1) Philos. bot., prop. 272, . aia 2) Éléments de tératologie végétale, Pariss in- 8. A844, p 66- — Cette variété ne diffère pas seulement par l'abondance du duvet soyeux qui la recouvre, mais aussi par d’autres caractères. En outre, elle est loin d’être la seule modification remarquable du type que présente le - P. lanceolata. Les feuilles et lépi varient beaucoup selon les lieux. (3) Encyclopédie RER Re ty k 1788, article Aconit, D. 99. h k (4) « Affine A. lycoctono, sed certe distinctum » », dit De CANDOLLE, 376 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XY. Aconitum pyrenaïcum; tant cette variété diffère de VA. lycoclonum ordinaire, à la fois par son port, par son inflorescence et par son feuillage. Dans d’autres condi- tions d'existence, lAtriplex latifolia s'écarte si diverse- ment du type, qu’elle a été scindée en plusieurs espèces. Parmi les botanistes qui les ont admises, il faut encore compter De Candolle lui-même : son A. oppositifolia, à graines peliles, convexes, sans sillons sur les bords, à feuilles blanches et épaissies, n’est autre, en effet, qu’une variété de l’arroche à larges feuilles, propre aux terrains salifères ; si, en effet, on suit cette plante, comme l'ont fait plusieurs botanistes, et particulièrement M. Godron, de puis les marais salants, où elle est très répandue, jusque dans les localités ordinaires, on voit « disparaître d’une » manière insensible les modifications acquises » (4 ). Voilà donc « une espèce très polymorphe qui se modifie d’une « manière évidente par l’action de l’eau salée »; et cette conclusion n’est pas de nous, elle est de M. Godron lui- même (2). Regni vegetabilis systema naturale, t. 1, p. 368; 1818. — Dans le Prodromus systematis nat. regni veget., TA. pyrenaicum qui, dans l'intervalle, avait été bien étudié par Seringe, est rapporté à PA. ly- coctonum. Voy. t. I, p. 57; 1894. i (1) GODRON, loc. cit., t. I, p. 418. — Voy. aussi le mémoire déjà cité Sur l'espèce et les races, dans les Mém. de la Soc. des sciences de Nancy, ann. 1847, p. 214. | (2) Ibid. — M. Godron dit, il est vrai, que l'A. latifolia des marais salants «ne se distingue guère que par ses feuilles plus blanches et » un peu plus épaisses ». Mais il existe plusieurs autres caractères dig- tinctifs, et des plus importants, comme on l’a vu plus haut, et comme M. GoproN lui-même et M. GRENIER le reconnaissent dans leur excel- lente Flore de France, t. HE, 47e partie, M 42:4855 | VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES. 877 Des différences plus marquées encore s’observent chéz ` plusieurs plantes aquatiques ou platôt amphibies, car on les rencontre tantôt dans l’eau, tantôt dans les lieux seu- lement humides : tels sont le Juncus bufonius (1), le J. supinus (2), l’Alisma plantago , vulgairement le plantain d'eau (3), et surtout la fléchière ou sagittaire. Cette dernière plante, dont les variations ont été très bien étudiées par M. Moquin-Tandon (A), porte des feuilles à pétiole et à limbe bien distincts, lorsqu'elle croît hors de l’eau, et au contraire, de longues feuilles rabanées lorsqu'elle pousse dans l’eau : il n’est pas rare, comme le fait remarquer M. Moquin, que « des pieds de sagit- » taire réunissent ces deux sortes de feuilles, parce » qu'ils se développent moitié à Pair, moitié dans _»leau». On a vu aussi, sur des vases maritimes consolidées, la même plante, en même temps qu’elle acquérait des dimensions gigantesques, s'écarter du type par l'état imparfait de ses fleurs, généralement stériles, et par la terminaison obtuse, et non plus sagit- tée, de ses très longues feuilles (5) : forme qui avait con- duit plusieurs savants botanistes à croire à l'existence (1) Voyez LAMARCK, Rech. sur lorgan. des corps viv., Paris, in- 8, 1802, p. 447. (2) GRENIER et GODRON, loc. A t. I, 47 part., p. 344. (3) ) MOQUIN-TANDON, Élém. de térat., p. 173. (4) Ibid. (5) Ch. DESMOULINS, far iété gigantesque de la sagittaire commune, dans le Bulletin de la Société linnéenne de Bordeaux, t. l, p.51; 1826. — Transportée dans le jardin botanique de. Bordeaux, cette variété fut bientôt ramenée au typé : sa taille diminua, ses feuilles rede- vinrent pointues, et ses fleurs fécondes # Ai ii i SS SAT PAP ` PE Pre Op D D em E~ > à x $ + > ý iei e SNT RAT: i OR ONE S ET i SRE TE génies à id nt: D "a f 3718 NOTIONS FONDAMENTALES; LIY. H; CHAP, XV. ` d'une seconde fléchière européenne, au moment même où d’autres, par une erreur plus grave, mais non moins explicable pat l'extrême mutabilité de cette plante, pre- naient pour une Vallisneria une des formes aqua- tiques de la Sagittaria sagittifolia (1). ; Nous citerons encore, comme dernier exemple, umautre deces végétaux qu’on trouve tour à tour dans les milieux aquatique et aérien, le Ranunculus aquatilis, plus diffé- rent encore de l’un à l’autre que la sagittaire elle-même : aussi est-ce celte plante que Lamarck se plaisait surtout à citer, lorsqu'il voulait faire voir «combien le changement » de quelque circonstance importante influe pour changer » les parties des corps vivants » (2). Si en effet, le R. aqua- tilis se développe dans l'eau, il a les feuilles « toutes » finement découpées » ; s’il pousse hors de l’eau, il les a » élargies, arrondies et simplement lobées», et sa tige est courte et dressée; et si enfin, comme il arrive le plus souvent, il se trouve en partie submergé et en partie hors de l’eau, il porte des feuilles de ces deux formes très dif- férentes. Sans l'observation de cet état mixte qui se produit quand habitat est lui-même mixte, comment ramener Pun à l’autre des extrêmes (3) séparés par des différences (4) Voy. Ch. DESMOULINS, Ibid. — On trouve particulièrement dans la Charente la variété qui avait été prise pour une vallisnérie. (2) Philosophie zoologique, 47° édit., te I, p: 280. — Voy. aussi Rech. sur Vorgan. des corps viv., p. 145. (8) Ranunculus aquatilis submersus et R. A. terrestris de MM. GRE- NIER et GODRON, loc. cit., t. I, dre part., 1848, p. 23. — Ces variations, ajoutent ces savants botanistes, après les avoir décrites, « dépendent » de la rapidité plus ou- moins grande avec laquelle Peau s'est » retirée. » 37 aaa VARIATIONS CHEZ LES: VÉGÉTAUX SAUVAGES: 879 -aussi « élonnantes » (4)? Aussi s’y est-on parfois trompé : plusieurs botanistes ont cru ici à deux espèces (2), Comme d’autres ont vu des aconits et des arroches spé- cifiquement distincts dans des variétés du même Aconi- tum et de la même Atriplex» ; comme d’autres encore ont admis une seconde espèce européenne de Sagittaria, ou se sont laissé entraîner à prendre une variété très modifiée de cette dernière plante pour une ospåpÕ du genre Vallisneria. - A côté des faits qui rendent incontestable l'influence modificatrice des différences de climat, il en est done d'autres, tout aussi décisifs, en faveur de celle des diffé- rences de sol et de milieu : et nous arrivons encore une fois à cette conséquence : | Les modifications produites par les circonstances exté- rieures ne sont pas seulement « superficielles » : elles ne sont pas «circonscrites dans des limites ewtrémement « étroites » ; elles peuvent être rimes et d’une grande valeur. Ee PAN N Après ces exemples, et une multitude d’autres que nous offriraient encore les végétaux phanérogames, viendrait (1) Expression dë M. Gonrow, De Vesp., t. 1, p. 420. — Ce savant botaniste ne se borne pas à reconnaître ici l'existence de` « change- » ments fort étonnants » (fort étonnants, en`effet, pour les partisans » de la fixité de l'espèce); il fait remarquer que « ce quia lieu pour le » R. aquatilis se produit également pour toutes les autres SRE » batraci iennes. » (2) LAMARCK, locis cit., s'est trompé en des inverse, en préteidant ramener aussi au R. aquatilis le R. hederaceus. pue. S PEN PRSE RER NE VENIR M re Des bna Ara RS ee Daa rai pg ai iei DEET IETS Ur NAT EA CRTI a ji RER Tr ee a di ds di gt Si PS aa, aoi r i S Ò $ CNY ar a a s AA RE, y EL? i : HS "7 2 D manm 7 980 NOTIONS -FONDAMENTALES, LIV. U, CHAP. XV. Ja multitude de ceux que nous pourrions trouver parmi les cryptogames, Et ici, les variations seraient bien plus grandes encore : nous verrions se produire, non plus seulement des modifications relatives à un ou plusieurs ordres de caractères, mais des formes totalement diffé- rentes, des états organiques qu'on pourrait croire sans autre rapport entre eux que ceux de la plus lointaine analogie. Qui eût cru, il y a quelques années, que les mêmes spores qui, à l'air et dans les circonstances ordi- naires, donnent des moisissures, peuvent, si elles sont im- mergées, se développer avec des caractères extrême- ment différents, et bien plus, immergées encore, mais dans d’autres conditions, se transformer en cellules de ferments? Même après tout ce qu’on savait déjà de l'extrême variabilité des mucédinées et des autres cham- pignons, de telles métamorphoses semblaient dépasser les bornes du possible; et cependant la réalité en est attestée par un grand nombre d'observations et d’ex- périences dont les résultats ont fixé et fixent encore au plus haut degré l'attention du monde savant (4). C'est (1) Voyez particulièrement Mermann HOFFMANN, Mycologische Studien über die Gährung, dans la Botanische Zeitung, ann. 1860, n° 5, p. 44, et n° 6, p. 49; trad. dans les Ann. des sc. nate, l° série, Botanique, t. XNI, p. 49, et, par extrait, dans le Æulletin de la Société botanique, t. VIE, p. 120. Voyez aussi les nombreux mémoires sur les végétaux ferments, dus à notre habile chimiste M. Pasteur, qui les a publiés dans les Compt. rend. de l’Acad. des sc. et dans les Annales de chimie et de physique, 1857 à 1860. — On trouve aussi, dans le premier de ces recueils (LU, p. 284), un mémoire de M. Poucuer qui, partisan convaincu et défenseur habile de la génération spontanée, a émis sur les fer- RE a O Oü VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES. 381 là, assurément, un exemple éminemment remarquable de l'influence qu'exerce sur les êtres organisés « le change- »ment de quelque circonstance importante »; -et nulle part même, nous ne saurions en trouver un plus frappant, car il ne nous montre rien moins que la substitution, à un état organique, d’un autre qui en diffère à l'extrême, et qui semblait n'avoir rien de commun avec lui. Mais, dans une question aussi pleine de difficultés, et lorsqu'il s’agit d'une vérité par excellence fondamentale, les exemples les plus frappants ne sont pas les meilleurs, S'ils ne sont aussi les plus authentiques, les mieux con- nus dans leurs circonstances, et, à tous les points de vue, les plus exempts d’objection; car il faut que des faits salisfassent à toutes ces conditions pour être les plus pro- pres à servir de base à une démonstration rigoureuse. Voilà pourquoi, si remarquables que soientles faits rela- lifs aux ferments végétaux et aux mucédinées, nous nous bornons à les indiquer en terminant; et pourquoi aussi nous n'insisions pas sur les innombrables variations signalées parmi les autres champignons, parmi les al- ments, tout en les considérant aussi comme de nature organique, des vues très différentes de celles de M. Pasteur, Nous ne saurions citer ici les travaux importants de MM. Hoffmann, Pasteur et Pouchet, sans rappeler qu'ils ont pour point de départ une découverte faite presque simultanément, il ya plus de vingt ans, par CAGNIARD-LATOUR et par SCHWANN, celle de la nature «organisée» et « paraissant végétale » de la levûre de bière. Voyez, pour le premier, Son Mémoire sur la fermentation vineuse, dans les Compt. rend. de l’Acad. des sciences, 1. IV, p. 905; 1837; Rapport par TURPIN, Ibid., t. VIL, p. 227; 1838. — Et pour le second, ses Versuche über die Weingäührung und Füulniss, dans les Annalen der Physik und Chemie de POGGENDORFE, t. XLI, p. 1843; 1837, a es Me: z a diaii: iri n 7 ee a N pa Qi ere à à pu tm e ARENA TER bi D rats pd nt AA OESE Lcd Ve st y ds dé ind we EE TO SA at A NA r pie Bi à $ n H D ar qe A 2 md j PE z % $ VAT 3 TT à a en a e E m < 382 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XV. gues, si souvent et si justement qualifiées de polymor- phes, et- parmi les lichens, qui ne méritent pas moins ce nom. C’est en pleine lumière que nous devions chercher les preuves de.la variabilité du type, et non dans ces échelons inférieurs du règne végétal, longtemps enve- loppés de ténèbres qui ne sont pas encore entièrement dissipées. La variabilité une fois démontrée, à l’aide des faits qui nous sont le mieux connus, il sera temps de revenir aux autres pour rechercher et démontrer, s’il est possible, jusqu'où elle s'étend. Ainsi, du moins, nous aurons obéi à cette règle fondamentale de toute méthode scientifique : aller du connu à l'inconnu; et à cette autre, posée au commencement de cet ouvrage (1), et dont l'observation n’est pas moins essentielle : aller moins . loin et moins vite, s’il le faut, pour aller plus sûrement en avant : lente, ut tuto. V. De là la marche que nous avons suivie. Nous nous sommes attaché aux familles végétales les mieux con- nues, et, parmi elles, aux espèces européennes les plus répandues et les plus souvent observées, donnant partout la préférence aux faits que chacun a sous les yeux, et qu'il peut constater par lui-même, s'il veut en prendre la peine. En nous.renfermant dans ce cercle, serons-nous arrivé (1) Livre H des Rodin sai Sur la méthode CE son application aux sciences naturelles. Voyez t. I, p. 267 à 450, GORGE maine nca momie se a TS Re ee een VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX SAUVAGES. 385 à obtenir la vérité tout entière? Non ; mais nous croyons, Pouvoir dire que nous en connaissons ce qu’il nous est en ce moment essentiel de connaître. Nous avons suc- cessivement vu le végétal se modifier sous l'influence du sol, du milieu, et généralement des circonstances am- biantes ; et se modifier, tantôt dans son ensemble, tantôt dans plusieurs de ses caractères, sans excepter ceux par lesquels se distinguent généralement les espèces. Tels sont, entre autres, ceux que fournissent l'état de la tige, là pubescence, la forme et la constitution des feuilles, $ inflorescence, la couleur et la grandeur de la corolle, et, jusqu’au nombre et àla disposition générale des éléments des divers verticilles floraux; parties dont les variations sont considérées par les botanistes comme de valeur non-seulement spécifique, mais générique. Voilà ce que nous venons de voir, et, je crois pouvoir le dire, d'établir par les faits. Contestera-t-on ces faits ? nous ne le pensons pas : bien d’autres d’ailleurs pour- raient leur être ou ajoutés ou substitués. Et si on ne les conieste pas, comment maintenir. ce prétendu principe de la fixité de l'espèce, dont on a si longtemps voulu faire, en botanique comme en zoologie, « l'arche sainte de _» la science »? On disait, et l'on dit encore.: « Une dispo- » sition naturelle maintient dans leur intégrité les carac- » tères réellement distinctifs des espèces »; les variations «sont seulement superficielles , et restent toujours cir- » conscrites dans des limites extrêmement étroites » (1). (1) Gopron, loc. cit., t I, p. 53 et 195. — En résumant cette opi- nion pour la combattre et la rejeter, j'ai cru devoir la reproduire dans les termes mêmes où elle a été formulée par ses plus récents et ses nannan ia or Pan nt rabe E Ra dues RM Dis aiiin: “han APAE mms à e 38/4 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XV. Cette proposition, trop longtemps acceptée dans la science, doit y faire place à celle-ci : | Les végétaux se modifient sous l'influence du monde ambiant. Les modifications sont le plus souvent superfi- cielles et renfermées dans d’étroites limites; mais on les voit aussi, et même dans un grand nombre de cas, deve- nir profondes, acquérir une grande valeur, ét même atteindre jusqu'aux caractères par lesquels on distingue généralement les espèces. Cette proposition est identique avec celle que nous avons déjà établie pour les animaux, et par conséquent, nous voici encore une fois arrivés à cette conclusion déjà plusieurs fois obtenue (1): Ge qui est vrai du règne qui fait le sujet principal de cet ouvrage, l'est aussi de l’autre grand règne orga- nique. Natura semper sibi consona. plus savants défenseurs. Résumer par moi-mème, au lieu de citer, c'eût été interpréter et peut-être aller au delà ou rester en deçà de la véritable expression de la fixité de l'espèce, telle qu’on l'a conçue et admise en botanique. (1) Voyez, entre autres parties de cet ouvrage, le chapitre que nous avons consacré, dans ce volume même, à l'hybridité, et particulière- ment les comparaisons que nous avons établies entre l'hybridité ani- male et l'hybridité végétale (p. 486 à 194, et p. 227). x LINISTII LES NN SIN NN JUN S'INNN NN YNV UVY LPEE RE origen” NÉCESSITÉ D'UN COMPLÉMENT DE DÉMONSTRATION PAR L'ÉTUDE DES ÊTRES ORGANISÉS QUI ONT ÉTÉ OU SONT SOUMIS A L'HOMME. “À ON SOMMAIRE. — I, Insuffisance des Ssu lis de l'observation des êtres organisés, considérés © seulement dans l'état de nature. — II. Insuffisance des résultats de toutes les expériences que nous pouvons instituer. — III. Nécessité de recourir à r élude des êtres qui ont été | depuis longtemps svumis à l’action de l'homme, S'il importe de ne pas s'arrêter en deçà des consé- quences légitimes des faits, il est plus nécessaire encore de.ne passe laisser entraîner au delà : mieux vaut la vérité incomplète que le doute ou l'erreur; mieux vaut rester en bon chemin que s'égarer. Aussi, après nous être séparés des auteurs qui dénient aux faits qui précè- dent toute valeur comme preuves de la variabilité, nous garderons-nous de suivre jusqu'au bout ceux qui croient pouvoir s’avancer, à l’aide de ces mêmes faits, jusqu'à cetle proposilion extrême : | Les êtres organisés sont indéfiniment variables. Si cela est, au moins est-il vrai de dire que nous ne le Savons pas encore. Nous avons démontré que le type se H 29 TE + . SR SET (| nee aa 386 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAF. XVI. modifie sous l'influence des circonstances extérieures ; nous sommes en droit d'ajouter que les variations pro- duites portent parfois sur des caractères importants, et, par conséquent, excèdent de beaucoup. les limites « extrê- ` » mement étroites » dans lesquelles on prétendait les ren- fermer. Ces deux vérités nous sont désormais acquises, mais elles le sont seules : rien encore ne nous autorise À aller au delà; et si nous ne pouvons plus nous en tenir aux vues de Linné et de Cuvier, il s’en faut de beaucoup que nous devions aller, dès à présent, jusqu’à celles, non-seulement de Lamarck, mais de Buffon et de Geoffroy Saint-Hilaire (4). Voilà où nous sommes parvenus; et il était facile de prévoir que nous n’irions pas plus loin dans les voies où jusqu’à présent nous nous sommes tenus. En considérant les êtres organisés seulement dans l’ordre actuel des choses, par conséquent, à part les effets des révolutions du globe, et seulement aussi dans l’état de nature, et à part l'intervention de l’homme, nous nous sommes placés sur le terrain où nous pouvions faire le plus sûrement les premiers pas, mais seulement ceux-ci. Il est clair que, sileseffets sont en raison des causes, les déviationsles plus considérables du type doivent se rencontrer chez les êtres organisés qui se sont le plus écartés des conditions de leur existence originelle; et, s’il en est ainsi, comment lesanimaux et les végétaux actuels nous présenteraient-ils, dans l’état de nature, les extrêmes possibles de la varia- ` bilité du type ? Où les influences naturelles agissent seules, (4) Vovez le Chapitre VI, I, p. 373 à 421. NÉCESSITÉ D'UN COMPLÉMENT DE DÉMONSTRATION. 387 quelle cause pourrait produire actuellement ces extrêmes ? Voit-on les êtres org ganisés, lorsqu'ils sont abandonnés à eux-mêmes, passer à de nouvelles conditions d'existence? Les voit-on, dans l’état de nature. Quitter leur patrie pour une autre dont le climat est très différent? Arrive-t-il que, sans changer de lieu, les animaux passent à un autre régime ou à d’autres habitudes; qu’ils se fassent, en un mot, de quelque manière que ee soit, un autre « monde » ambiant »? | | On ne s’est pas fait faute de dl à de tels change- ments; on les a même présentés comme irès peu rares dans la nature; mais on n’est jamais parvenu à les y montrer, et par une raison toute simple, c'est qu'ils ne s’y produisent jamais. Une espèce ne sort pas plus spontanément de ses harmonies naturelles, qu'un corps, l'équilibre une fois établi, ne le rompt de lui-même. Nous ne dirons pas, avec les finalistes, que chaque être a été fait pour les lieux où il se trouve, et que le Créateur l’a initialement adapté aux circonstances dans lesquelles il le destinait à vivre; mais, en fait, puisque l'espèce s’est perpétuée, il est indubitable que son or- ganisation actuelle est en harmonie avec ces Circone stances, par cela même, elle ne le serait pas ou le serait moins bien avec un ensemble différent d'actions extérieures. Un être organisé qui délaisserait les pre- mières pour venir se soumettre à celles-ci, qui chan- serait de lieu, de climat, de régime, d’habitudes, et Surtout, car on a été jusque- -lì, de milieu, substituerait donc nécessairement à des conditions d harmonie, ct par conséquent de bien- ht un état de trouble et de 308 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVI. malaise : il irait contre la loi même de son existence. De là les limites entre lesquelles se renferme ce qu’on peut appeler le mouvement normal de la nature vivante. Partout de petits changements, nulle part de grands; et par cette raison que, s’il y a partout de petites causes de variations, il n’y en a nulle part de très puissantes. La principale, celle dont l'influence est la plus étendue, est l’expansion graduelle des espèces à la surface da globe, par suite de la multiplication des individus. Cr cette expansion elle-même s'arrête devant les différences très prononcées de climats : les déplacements ne sont jamais très étendus, si ce n’est dans les directions où les espèces peuvent rencontrer des conditions climatologiques peu différentes : la même espèce se rencontrera bien, et quelquefois très peu modifiée, de l'extrême Occident à l'extrême Orient, de l'Irlande ou de l'Espagne au Japon ; mais on ne la trouvera pas depuis l'équateur ou même depuis les tropiques jusqu'aux régions polaires. Les variations dans le régime qui résultent des dépla- cements d'une espèce, sont nécessairement en raison de celui-ci : elles doivent donc être peu considérables ; et, en effet, il en est ainsi. HET Enfin, il n’y a pas plus de raison pour que l'espèce s'éloigne beaucoup de ses conditions éthologiques natu- relles ; et encore ici l'observation est d'accord avec ce que nous pouvions prévoir : elle ne nous montre nulle part ces passages à d’autres mœurs, à de nouveaux modes de vivre, dont le tableau a été si complaisamment tracé par les partisans de la variabilité illimitée. L'oiseau terrestre qui, prenant l’habitude d'aller à l’eau, allonge peu à peu NÉCESSITÉ D'UN. COMPLÉMENT DE DÉMONSTRATION, 989 ses jambes ou palme ses doigts ; le quadrupède qui, selon l'usage qu'il en fait, eee ses ongles en sabots ou les aiguise en griffes ; le reptile qui, ne se servant pas de ses quatre membres, les laissant dans une complète iner- tie, les atrophie graduellement et finit par les perdre ; et tant d’autres exemples, invoqués par un de nos grands naluralistes, ne sont que dans ses livres et dans ceux de ses disciples, et ne font qu'y montrer, par un exemple de plus, j jusqu'où peut entraîner l'esprit de PR n° Puisque la nature, laissée à elle-même, ne nous rend jamais témoins de grands changements dans les conditions d'existence, il est clair qu’ilne nous reste qu’un moyen de voir de tels changements et d’en constater les effets sur l'organisation : c’est de contraindre la nature à faire ce qu’elle ne ferait pas spontanément. Les animaux, les végétaux, à l’état libre, ne nous donnent qu'un commen- cement de solution; venons donc, après ceux-ci, aux ani- maux, aux végétaux, soumis à l'empire de l’homme, ou en subissant l'influence, et demandons-leur cette solution complète dont les éléments, s'ils n'étaient pas là, ne seraient nulle part (1). Mais comment y parvenir? L'homme, dit Buffon (2), (1) Au moins dans l’ordre actuel des choses, Nous rechercherons plus tard ce qu’on pent obtenir de la comparaison de cet ordre avec ce qui l’a précédé. (2) Première vue sur la nature, en tôle du t. XII de l'Histoire 390 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP. XVI. est « maitre du domaine de la terre » ; il. y « règne », après et par le « Dieu bienfaiteur »; il y « achève », ajoute Geoffroy Saïnt-Hilaire «le sublime arrangement » des choses », comme un «actif et tout puissant ministre » de l’auteur de toutes choses (1). Mais le pouvoir de ce «maître de la terre» ira-t-il jusqu'à commander la nature, jusqu’à l’entrainer hors de ses voies? En dehors, non ; car il n’est donné à l’homme d'agir sur la nature que par la force qu'il lui emprunte. Mais, dans ces voies, et par ces forces mêmes, il peut l'en- trainer au delà des limites où elle s’arrêterait, et, comme il arrive quand lexpérience se substitue à la simple observation, obtenir, dans des circonstances plus favo- rables, des phénomènes plus remarquables et plus décisifs. Ag Ne serait-ce pas là, toutefois, une simple possibilité théorique? On serait porté à le croire. Dés qu’on veut aller au delà de cette indication générale, la réaliser, la convertir en fait, on rencontre des difficultés extrêmes, el, à ce qu'il peut sembler, au-dessus de toutes les res- sources dont nous disposons. Expérimenter sur les ani- maux et les végétaux, et agir sur eux, est possible, facile même, mais l'est-il de rendre nos essais décisifs, nos expériences démonstratives? Nous pouvons bien con- traindre une espèce à faire ce qu’elle ne ferait pas d’elle- même ; transporter des plantes sur un sol et sous un ciel nouveaux ; faire passer des animaux dans des climats naturelle, 1764. — Voy. aussi les Époques de la nature, dans les Sup- pléments, t. V, p. 246 etsuiv.; 1778. (1) Fragments biographiques, Paris, in-8, 4838, p. 350. _ NÉCESSITÉ D'UN COMPLÉMENT DE DÉMONSTRATION. 394. étrangers et très différents; les soumettre à une autre nourriture, à d’autres habitudes, en changer, en un mot, le monde ambiant; mais est-ce là toute l'expérience ? I est clair que ce n’en est que le commencement ; et pour la compléter, pour la mener à bien, il faudrait, de toute nécessité, faire intervenir un élément dont malheureu- sement nous ne disposons pas : le temps, Les partisans les plus extrêmes de la variabilité ne prétendent pas qu’il suflise de transporter une espèce dans un ensemble nouveau de circonstances, pour la voir passer à de | nouveaux caractères, et qu’elle doive, pour ainsi dire, s’y métamorphoser à vue; la nature ne procède pas par coups de théâtre : et ici, il n’y a qu'une opinion parmi les naturalistes; ce serait perdre sa peine que d’en entreprendre la justification expérimentale. Mais ce que les uns affirment, ce que les autres nient, et, par con- séquent, ce qui reste à vérifier par l’expérience, c’est la possibilité de modifications profondes, de déviations très _graves du type primitif, produités, à la longue, par l’action de causes extérieures suffisamment intenses ; par leur action exercée, non passagèrement el sur quelques ani- maux ou sur quelques végétaux, mais pendant un temps très prolongé et sur une suite de générations; en un mot, non sur l'individu, mais sur la race. Voilà où est la vraie, la seule question; et qui ne voit que là aussi sont les plus grandes difficultés ? La solution n’est pas abso- lument impossible; mais comment y parvenir? Le che- min est ouvert devant nous, mais comment le parcourir : ? Il faudrait ici des expériences à si long terme, que la vie humaine n’est rien en comparaison de leur durée néces- 392 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XVI, saire ; ou plutôt, des séries très complexes d'essais et d'expériences; car, en même temps qu’elles devraient se prolonger pendant des siècles, il faudrait, pour les rendre complètes, et tout à fait décisives, qu'on pùt les- répéter dans des régions très variées, et presque leur donner le globe entier pour théâtre ! IT. Sommes-nous done condamnés à nous arrêter ici sur le seuil? En présence de la question fondamentale de notre science, notre mission èst-elle seulement de pré- parer de loin les éléments de la solution ? Et quand Pau- teur de la Nova Atlantis osait imaginer, il y a deux siècles et demi déjà, des expériences dont l’objet et le résultat seraient la «transmutation» d’une espèce en une autre, et una in aliam, plusieurs siècles devront- ils encore s'écouler avant qu'on sache si Bacon a fait une prophétie ou n’a fait qu’un rêve (1) ? (1) Les vues de Bacon sur la variabilité du type ont été émises, non- seulement dans la Nova Atlantis, mais aussi dans la Sylva sylvarum, comme je l'ai déjà fait "remarquer, t. II, p. 384. Ces vues doivent être rapportées non à 1635 (comme une erreur de chiffre me la fait dire dans le passage auquel je renvoie), mais à 1625 environ. La Nova Atlantis a été composée en 1620, et la Sylwa sylva- rum, de 4620 à 1626, d’après le savant éditeur de Bacon, M. BouIL- LET, qui a bien voulu me remettre une intéressante note sur ce point historique. | Ces deux ouvrages ont été publiés pour la première fois en 1627, peu de temps après la mort de l’auteur. » NÉCESSITÉ D'UN COMPLÉMENT DE DÉMONSTRATION. 393 Heureusement, non. Si Pavenir nous échappe, le passé est à nous; et dans le passé ont agi ces mêmes causes que nous avons à mettre en action, et les effets en sont sous nos yeux. Ces expériences que nous n'avions - pu instituer qu'au profit de nos arrière-nẹveux, nos ancêtres les ont, sans le vouloir, sans le savoir, mais non moins utilement pour nous, commencées dès les temps reculés, continuées de siècle en siècle, étendues succes- sivement à toute la surface du globe, ct sinon conduites à leur dernier terme, car on peut y ajouter encore, du moins poursuivies assez loin pour en faire sortir des résultats décisifs. Qu'importe qu'ils ne. l’aient pas fait dans un. but scientifique, s'ils lont fait à Pavantage de la science ? Les auteurs du déplacement lointain d’un animal, ceux qui lui ont imposé un autre régime ou d’autres habitudes, ou transplanté un végétal sur un autre sol ou à une autre altitude, n'en auront pas moins substitué, aux conditions naturelles de l'espèce, un ensemble différent de circonstances et d'actions exté- rieures; et si elle a été longtemps maintenue, l'expé- rience dont nous avions tout à l'heure reconnu limpos- sibilité actuelle en même temps que la nécessité, non- seulement peut ne pas nous faire défaut, mais se trouve toute faite, et il ne nous reste qu’à en constater les ré- sultats, à les discuter, et à conclure. Et ici, pas d’équivoque, pas d'incertitude possible. Ou bien les êtres organisés, après plusieurs siècles passés en dehors de leurs conditions naturelles d'existence , se montrent à peu près tels qu'ils étaient initialement, et alors l’ hypothèse de la fixité du type se trouve vérifiée : EE > zy 39/4 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XVI. si elle n’est pas encore absolument démontrée (4), elle acquiert du moins une très grande probabilité, et nous devons être avec Linné contre Buffon, avec: Cuvier et Blainville contre Geoffroy Saint-Hilaire et surtout contre Lamarck. Ou, au contraire, nous sommes amenés à reconnaître qu'à de grands changements de lieux et de circonstances, correspondent aussi de grands changements dans les caractères, dans l’organisation, et plus généralement (2), dans létat des êtres organisés; dans ce cas, c’est avec l'hypothèse de la variabilité que concordent les résultats de l'observation ; et, disciples de Buffon et non de Linné, de Geoffroy Saint-Hilaire et non de Cuvier et de Blain- ville, nous ne devons plus voir qu’une vieille erreur dans ce prétendu «principe » de la fixité sur lequel on voulait baser la science tout entière. Entre ces deux ordres de résultats, et ces deux con- clusions, entre ce qu’exigerait le système de la fixité et ce que veut l'hypothèse de la variabilité, comment pro- noncent les faits ? C’est ce que nous allons rechercher, en nous occupant suceessivement des espèces que l’homme n’a fait que déplacer, sans les enlever à la vie sauvage ; et de celles qui ont été, non-seulement déplacées, mais domestiquées ; par conséquent, pliées par l’homme à un nouveau régime et à de nouvelles habitudes en même temps qu'amenées dans une autre patrie. AL (1) Car les causes de variations qui dérivent de l’action de l’homme ne sont pas les seules, ni même les plus puissantes que l’on puisse concevoir. (2) Afin d'employer une expression qui puisse comprendre aussi les modifications survenues dans les instincts. E O -i NÉCESSITÉ D'UN COMPLÉMENT DE DÉMONSTRATION, 995 =` Parmi les animaux et les végétaux domestiques, la Plupart, une fois soumis à l’homme, n’ont plus cessé de > lui appartenir ; le plus souvent même son empire sur eux s’est affermi et étendu de génération en génération. Mais d’autres espèces, ou du moins une partie de leurs indi- vidus, ont échappé à son joug d’abord accepté, et ont recouvré leur liberté, tantôt volontairement rendue , tantôt reprise malgré le maître. Voici donc, à côté des résultats de l'étude des espèces dans l’état de nature, trois autres séries de faits relatifs aux animaux et aux végétaux sauvages, et qui n'ont | jamais cessé de l'être, mais qui ont quitté leur patrie Originaire ; à ceux que l’homme s’est soumis et qui sont domestiques ou cultivés, comme on dit plus habituelle- ment pour les végétaux ;'et à ceux qui sont redevenus sauvages, c'est-à-dire qui, étant issus d’ancêtres domes- tiques, sont cependant sauvages et vivent dans des con- ; ditions au moins très voisines de l’état de nature. Deux chapitres ont été consacrés à cette première partie de la démonstration, qui se fonde sur l'étude des êtres organisés actuels à l’état de nature ; deux autres le 11 seront de même à la seconde partie, où, ne nous occu- pant encore que des êtres actuels, nous les suivrons hors de leurs conditions originelles d'existence. EEN pS VUY JUNNS SIN SSI SNINS JUVVUVY WAVY YY K à » 4 CHAPITRE XVII. DÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX QUI ONT SUBI L'INFLUENCE DE L'HOMME SANS ÊTRE RÉDUITS EN DOMESTICITÉ. SOMMAIRE. — I. Déplacement des animaux et des végétaux à l’état sauvage. Les faits sont ici en petit nombre et ordinairement peu décisifs. — II. Déplacements des végétaux. Les exemples ne sont pas rares, mais ils n’amènent que de légères variations. — III. Dé placements des animaux. Exemples récents. — IV. Exemples anciens. Cerfs de Barbarie et cerfs de Corse, — V. Conséquences des faits de cet ordre, | L Des trois séries de faits qui dérivent de l'influence de l’homme sur les êtres organisés, il n’en est aucune qui ne puisse éclairer la question de l’espèce; mais toutes ne sauraient le faire également. Comment pourrons-nous apprendre par l'observation des espèces seulement dé- placées à l’état sauvage, ce que peut nous enseigner l'étude des espèces soumises d’une manière permanente à la domesticité? Quand l'homme n’a enlevé une espéce à l’état de nature sur un point que pour la rendre aus- sitôt sur un aulre à la vie sauvage, il est clair qu'il n’a fait agir sur cette espèce qu'un seul ordre de causes ; il | en fait agir, au contraire, un grand nombre, et pendant | très longtemps, sur les espèces qu'il s’est soumises ; et il = 398 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XVII. n’en faut pas davantage pour qu’on doive s'attendre à ne pas rencontrer, parmi les êtres déplacés, mais restés sauvages, des exemples de variations, aussi tranchés et aussi décisifs que parmi les animaux domestiques. Mais ce n'est pas à ce point de vue seulement que cette première série de faits est d’un moindre intérêt que la seconde. L'homme qui compte parmi ses biens les plus précieux, les plus nécessaires, ses animaux domes- tiques et ses plantes cultivées, ne se déplace guère sans les déplacèr avec lui; mais pourquoi transporterait-il aussi au loin des espèces sauvages? Les difficultés de la translation sont nécessairement plus grandes pour celles- ci; le succès est bien plus douteux, et les avantages bien moindres ou nuls. Donc les exemples de déplacements lointains d'espèces sauvages, par les soins de l’homme, ne sauraient être très nombreux. | = En outre, quand, par exception, l'homme déplace une espèce sauvage, il arrive de deux choses l’une : -si les circonstances au milieu desquelles est amenée l'espèce sont très analogues à celles qu’elle a quittées, il n’y a point de causes puissantes de variations; et si, au contraire, les circonstances nouvelles sont très différentes, l'espèce, abandonnée à elle-même, a peu de chances de s’y accou- tumer et de subsister. Or, sans causes puissantes de variations, l'expérience ne saurait être décisive ; et sans acclimatement, elle n’a pas même lieu. Enfin, il faut aussi remarquer que les exemples qui offriraient pour nous le plus d'intérêt, sont les plus an- ciens, ceux qui datent de l'antiquité ou au moins de plu- sieurs siècles, et ce sont aussi les plus rares. C’est une VARIATIONS SUBIES SOUS L'INFLUENCE DE L'HOMME. 399 pensée toute moderne que celle d'introduire dans de loin- taines colonies, comme la Réunion et surtout l'Australie, les gibiers de nos bois, les oiseaux chanteurs de nos bocages, et les plus belles plantes de nos champs et de nos montagnes ; eût-on songé plus tôt à rendre aux colons les plaisirs des chasses européennes et à « réjouir » par les souvenirs de la mère patrie ses enfants exi-, >» lés »(1), comment eùt-on pu l’entreprendre avec des Chances suffisamment favorables ? Il est clair qu'on a dû, même àune époque encore très rapprochée de nous, s’en tenir, sauf quelques cas où le transport est exception- nellement facile, à des déplacements à petite distance. Prétendre aller au delà avant les derniers perfectionne- ments de la navigation, eût été chimérique el presque insensé. U est donc à peu près impossible que l'étude des ani- maux et des végétaux sauvages, déplacés par l’homme, nous conduise beaucoup au delà du point où nous sommes ` arrivés par l'étude des espèces encore dans l'état de na- p ture. Toutefois, chaque ordre de faits a ses enseignements propres, et eussions-nous peu à apprendre ici, négli- ger ce peu serait ouvrir une porte au doute et peut-être à l'erreur. i I | La translation au loin d’une espèce végétale est bien Plus facile que celle d’une espèce animale (2). Des grai- (1) Voyez le Bulletin de la Société impériale d'acclimatation, t. VE, P. LXIV ; 4861. — Expressions empruntées à une lettre de M. E. WILSON, (2) Voyez plus haut, p. 37 et 38. | re nt i a name sé me ren" 5" * > A00 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVI, nes, des tubercules, des bulbilles, s’envoient sans peine à de grandes distances; et quand on ne déplace pas à dessein une plante, elle se déplace quelquefois par le hasard des circonstances, au moyen de graines appor- tées, sans qu’on s'en aperçoive, par des navires, parmi les marchandises, dans le lest, ou encore, accrochées, on en a des exemples, aux vêlements des voyageurs. C'est ainsi que, soit par la volonté de Phomme, soit seu- lement sous son influence, les diverses régions entre les- quelles existent de fréquentes relations, ont échangé quelques-unes de leurs espèces. Le nombre dé celles dont la flore européenne s’est enrichie depuis quatre siècles ne s'élève pas, d’après les recherches de M. De Candolle. (4), à moins-de cinquante et une; et encore treize autres peuvent être ajoutées à celles-ci avec une très grande probabilité. Presque toutes nous sont venues du cap de Bonne-Espérance et d'Amérique, particulière- ment des États-Unis. Les déplacements à l’élat sauvage ne sont done pas très rares, mais les plantes déplacées n’ont donné lieu à aucune observation décisive pour ou contre la variabilité du type. Les différences des climats étant pour les végé- taux des barrières presque infranchissables, l’acclimate- ment n’a eu lieu que dans des conditions peu différentes de celles du pays originel (2) : le type n’a donc pas été (1) Géographie botanique raisonnée, Paris et Genève, in-8, 1855, t. II, p. 742 et suiv. (2) Comme l’a fait voir M. A. DE CANDOLLE, loc. cit., pour les plantes naturalisées en Europe. Les espèces du nord des États-Unis se sont seules répandues dans le nord de l’Europe : celles qui venaient VARIATIONS SUBIES SOUS L'INFLUENCE DE L'HOMME. 401. mis à l'épreuve de causes puissantes de variations. Done, en toute hypothèse, il a dù ne subir que de légères modifications. Nous n'avons d’ailleurs, pour les végétaux, que des exemples de déplacements plus ou moins récents. Les anciens, qui ont enrichi leurs jardins et leurs vergers, et par suite-les nôtres, de plusieurs végétaux étrangers, ont sans doute, füt-ce à leur insu, introduit aussi quelques espèces sauvages, mais nous ne pouvons que le suppo- ser; et si ees espèces se sont maintenues et multipliées en ORG comment les distinguer en l'absence de tout témoignage précis, de celles qui faisaient originairement partie de notre flore ? HI. Venons donc aux animaux, et si rares que soient les déplacements et les naturalisations, nous serons ici plus heureux. | Nous n’insisterons pas sur les déplacements de date récente : deux exemples nous suffiront, un pris parmi les espèces aquatiques, et un parmi les terrestres. Pour les premières, le passage d’une rivière à une autre ou dans un lac ou un étang, équivaut souvent, en raison des différences dans la nature et la température des eaux, à un déplacement très lointain. Aussi west-il pas du climat chaud ne se sont naturalisées que dans le midi de l'Europe, et (deux seulement) dans l'ouest de la France, région qui jouit, comme on sait, d’une température très douce. mi. | TE 26 "0 jé 02 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. II, CHAP. XVIL. besoin ici d'étendre nos comparaisons à des régions géo- graphiques très différentes. C’est ainsi que les pêcheurs de divers pays, et particulièrement des Vosges, ont pu, sans sortir du champ très rétréci de leurs observations habituelles, constater chez la truite des variations très notables. Introduite et acclimatée dans les étangs, cette espèce, si recherchée, et par suite; si souvent et si bien observée, change de forme ; elle devient plus effilée et sa tête, s'allonge. Ces changements ont été constatés par M.'le docteur Turck (4), et il suffit d’un petit Heiphes de générations pour les produire. Parmi les animaux terrestres, nous prendrons aussi pour exemple un mollusque comestible, l'Hehæ lactea. Ce Gastéropode étant fort apprécié en Espagne et en Afri- que, on a voulu en doter le midi de la France, et il a été introduit, en 1819, dans le département des Pyré- nées-Orientales (2); il y a réussi, et a formé, après un petit nombre d'années, dit M. Moquin-Tandon, une «race » distincte, qui n'est « ni aussi grande ni aussi » colorée que celle d'Espagne » (3). Cette belle hélice n’a pas été seulement propagée par l’homme au delà des Pyrénées, on lui a fait franchir l'Océan. En commençant, en 4826, son grand voyage en Amérique, Alcide d'Orbigny fut fort étonné de re- (4) Note manuscrite déjà citée, page 340. (2) Voyez Companyo, Rapport inséré dans le Troisième bulletin de la Société philomathique de Perpignan, p. 96; 1837. — On trouve aussi dans ce Rapport plusieurs faits intéressants relatifs à d’autres hélices récemment introduites dans les Pyrénées. (3) Histoire naturelle des mollusques de France, 1.11, p. 158; 4855. VARIATIONS SUBIES SOUS. L'INFLUENCE DE L'HOMME. 403 trouver, dans la banlieue de Montevideo, l'Helix lactea qu'il venait de rencontrer quelques mois auparavant à Ténériffe. Les renseignements pris par le savant voya- geur lui apprirent bientôt que l'espèce avait été apportée des Canaries en Amérique vers la fin du xvnr siècle ou au commencement du nôtre : les Espagnols avaient voulu «naturaliser avec eux un de leurs mets favoris » (L). Dans sa nouvelle patrie, l’Helix lactea est loin d’être restée ce qu’elle était aux Canaries : la coquille, dit M. d’Orbi- gny, s’est amincie et a subi un changement très marqué dans ses couleurs; « sa bouche n’a jamais cette. belle » teinte brun foncé qui caractérise les individus africains; : » son sommet est toujours brun ou marqué d'une bor- » dure violet foncé » (2). En outre, d’après des renseigne- ments recueillis par M. Dareste et des observations faites par lui-même sur des individus de divers pays, la taille de l’Helix lactea a notablement diminué à Monte- video (3). Ainsi, différence dans la structure de la co- quille, AEN dans la coloration, différence dans la taille. Si l’on n’eûl pu remonter à son origine, l’Helie lactea de Montevideo, importée seulement depuis un quart de siècle, eût été inscrite, sans hésitation, parmi les espece propres à la faune américaine. _ (4) A. D'ORBIGNY, Von yage Wais l'Amérique méridionale, Mollus- ques, p. 939. - (2) Ibid. (8) DARESTE, Note. sur un fait d’acclimatation, ‘lue à la Société d’ac- climatation en mai 1855. Cette note est malheu reusement restée inédite. « Ce fait est d'autant plus remarquable, ajoute M. DARESTE, qu ‘il » est analogue à celui que l’on observerait, d’ apon Buffon, chez les » mammifères ER en Amérique, » ot ne mn mn can AOA NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, 11, CHAP, NVH. IV., -A côté de ces faits, de date très récente, nous pou- vons en placer deux qui remontent à une époque recu- lée, vraisemblablement à lantiquité romaine. C’est la classe des mammifères, et particulièrement le genre cerf qui va nous les fournir. Dans le genre cerf, les espèces se distinguent par deux ordres de caractères : d’une part, des différences dans les proportions, la taille et les couleurs ; de l’autre, dans la forme et la grandeur des bois et dans le nombre des andouillers. A tous ces points de vue, le cerf de Bar- barie, et le cerf de Corse et de Sardaigne, offrent des caractères qui leur sont propres. Comparé au cerf d'Europe, dont il se rapproche surtout, le premier est plus petit, ses bois sont moins grands, ses andouillers moins nombreux, son pelage est tacheté, les taches étant toutefois bien moins distinctes que chez l’axis et le daim (4). Le cerf de Corse et de Sardaigne est bien plus différent encore du Cervus elaphus. Le cerf de Corse, dit Buffon, qui l’a le premier étudié, « n’a guère que la moitié de la » hauteur des cerfs ordinaires ; c’est pour ainsi dire un » basset parmi les cerfs; il a le pelage brun, le corps » trapu, les jambes courtes» (2); caractères auxquels nous (1) « Obscurely white spotted. » J.-E. GRAY, Gleanings from Mena- geries at Knowsley Hall, in-fol., Knowsley, 1850, p. 59; et Synopsis of the species of Deer, dans les Annals of natural History, 2° série, t. IX, p. 418; 1852. (2) Histoire naturelle, t. VI, p. 95 : 1756. VARIATIONS SUBIES SOUS L'INFLUENCE DE L'HOMME, h05 | pouvons aujourd’hui ajouter une conformation très diffé- rente des prolongements frontaux ; ses bois sont toujours peu développés, je ne leur ai jamais vu plus de cinq andouillers ; et ils sont tellement aplatis, qu'on peut les considérer comme tenant le milieu entre ceux du groupe des cerfs proprement dits et celui des daims (1). Tous ces caractères se retrouvent chez le cerf de Sardaigne, que Celti décrit aussi comme petit, bas sur jambes, de pelage très foncé, et à cinq andouillers seulement (2); on sait que notre cerf en a ordinairement, dans son état parfait, de dix à seize, et quelquefois bien davantage. > Buffon, tout en insistant sur les caractères du cerf basset de la Corse, n'avait pas hésité à le rapporter, comme race ou variété, au C. elaphus ; et il eùt, sans nul doute, émis la même opinion, s’il les eût connus, au sujet du cerf de Sardaigne, qui ne peut être séparé de celui de Corse, et, à plus forte raison, du cérf de Bar- barie (3). Mais, autant la réunion de tous ces cerfs est conforme à l’ensemble des vues de Buffon sur l’origine commune des espèces congénères, autant elle l’est peu avec les vues généralement admises sur TE DEC. Aussi s’en est-on bientôt écarté. A peine avait-on dans les ménageries de l’Europe de cerf, jusque-là presque (1) Leur largeur chez les individus adultes, à cinq andouillers, est prise immédiatement au-dessous de la bifurcation supérieure, de 73 0 9 et quelquefois 10 centimètres, l'épaisseur étant de 2 seulement. (2) Storia naturale di Sardegna, Sassari, in-8, t. I (quadrupedi), p. 95; 4774. — Voy. aussi KÜSTER, Beiträge zur Naturgeschichte der Insel Sardinien, dans l'Isis, ann. 1835, p. 83. , (3) Cette opinion a été et est encore celle de plusieurs naturalistes de notre siècle, tant poar le cerf de Barbarie que pour celui de Sardaigne, e Tes cafe ques had vds Su Emme un eu Lu dei ga p Gt ps AOG NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP, XVH inconnu, des forêts algériennes et tunisiennes, que Ben- nett et M. Gray l’érigeaient en une espèce distincte, sous le nom de €. barbarus (1). Quant au cerf de Corse, Gmelin l'avait inscrit, dès 1788, dans le Systema naturæ, comme une espèce distincte, C. corsicanus; et sous ce nom ou sous d’autres, C. mediterraneus (2) et C. corsinia- nus (3), cette espèce a été admise par un grand nombre de naturalistes (4). Il suffira de citer ada eux le zoolo- (1) BENNETT, Gatalomy (manuscrit) du Jardin zoologique de Lon- dres. — J.-E. GRAY, loc. cit. (2) BLAINVILLE, Mémoire sur les cerfs, dans le Journal de physique, t. XCIV, p. 262; 4822. L'espèce n’est admise ici que sous réserve. (3) GERVAIS, Mémoire sur les animaux vertébrés de l’ Algérie, dans les Annales des sciences naturelles, Zoologie, 3° série, t. X, p. 206; 1848. — Dans son Histoire naturelle des mammifères, tout récemment publiée (1855), M. Gervais considère de même le cerf de Corse comme spécifiquement distinct, mais il le nomme C> corsicanus ou mediter- raneus. Ce cerf diffère surtout, dit-il, en ce qu'il « n’a ordinairement » qu’un seul andouiller basilaire ». (4) ) Il est aussi des auteurs qui l'ont rejetée, ei s'en sont tenus à l'opinion de Buffon; mais la plupart ne savaient pas que le cerf de Corse diffère autant par ses bois que par ses proportions et sa taille. Voyez particulièrement : J.-B. FiscHER, Synopsis mammalium, Stutigard, in-8, 1829, p. 447, et J.-A. WAGNER, Pts Süugethiere, supplément, Leipsig, in-4, 4855, p. 854. M: GRAY a aussi adopté l'opinion de: Buffon, Ann. of nat. Hist., loc. cit. — Ailleurs, au contraire, il considère le cerf de Corse et celui de Barbarie comme distincts du C. elaphus, mais comme ne constituant ensemble qu’une seule et même espèce (voy: les Glean. from Menag. at Knowsley Hall, loë. cit.) Dans sa savante Monographie des espèces du genre Cerf, M. PUCRE RAN, tout en se montrant disposé à rapporter le cerf de Corse au C. elaphus, conclut « qu'il wy a pas lieu de regarder le problème comme » résolu» et que « la spécificité du cerf de Gorse » est « à réserver ». (Voy. Archives du Muséum d'histoire naturelle, t. NI, p. 384; 4852.) VARIATIONS SUBIES SOUS L'INFLUENCE DE L'HOMME. 407 giste qui s’est le plus assidûment occupé de la délermi- . nation des vertébrés de l’Europe méridionale, le prince Charles Bonaparte (4), et l'auteur de l'ouvrage le plus récemment publié sur l’ensemble de la classe des mam- mifères, M. Gervais (2). Il est impossible de méconnaître que la conclusion à laquelle se sont arrêtés, pour le cerf de Barbarie, Bennett et M. Gray, et pour le cerf de Corse et de Sardaigne, Bonaparte et M. Gervais; est la seule qui soit en rapport, non-seulement avec l'hypothèse de la fixité du type, mais aussi avec ce qu'on peut appeler la notion pratique de l'espèce telle qu'elle est généralement acceptée par tous les naturalistes, de quelque école qu'ils soient (3). Le critérium de la diversité spécifique, c’est l'impossibilité de passer graduellement, et par transition insensible, d'un groupe d'individus à un autre, en fût-il très VOISIN ; c’est, en un mot, la discontinuité ; et toute collection ou suite d'individus nettement distincte, est une espèce. À . ce point de vue, le cerf de Corse est bien une des « unités » de la nature ». Où trouver ici, z00logiquement aussi bien | que géographiquement, un passage du C: barbarus et du C. corsicanus au C. elaphus? Parmi les nombreuses races et variétés de ce dernier, on en trouve, il est vrai, qui se rapprochent pius que le ce#f de nos bois, du cerf d'Afrique et de celui de la Corse et de la Sardaigne; mais (1) Catalogo metodico dei mammiferi Sa dé Milan, in- 1845, -= p 26. j | (2) Voy. la note. — L'auteur considère aussi (locis cit.) le C. bar- barus comme une espèce voisine, mais distincte, du C. elaphus. (3) Voy. le Chap. XI, sect. vr et vit, p. 263 et suiv. Tann, aona are EE r CIE TOR Re er re = RE RE -i i pre es pit AE LA l cdi éd jee à Jens y 4 i 3 Ets: g vp ; bi ds di d vs fl E t 1a EE l'es E Eo 4 r} E E Y } | Jig 14 LE: E A08 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVII. elles s’en rapprochent seulement et ne vont pas jusqu'à eux ; et ils restent zoologiquement séparés par l'ensem- ble de leurs caractères, comme géographiquement circon- scrits dans leur habitat, ultra-méditerranéen pour lun, insulaire pour l’autre. Donc, selon les vues admises et les règles suivies par tous les naturalistes, le C. barbarus etle C. corsicanus sont bien des espèces, et l’on peut ajouter, au moins pour le cerf de Corse, que plusieurs de ses con- généres différent des espèces qui les avoisinent, par des caractères bien moins importants que ceux qui lui sont propres. Si nous ne savions rien de plus sur les cerfs de Bar- barie et de Corse, nous ne verrions donc en eux que deux espèces de plus à inscrire dans nos catalogues, au même titre que leurs nombreux congénères. Mais, si nous mettons en regard des faits actuels l’état ancien des choses tel que nous le montrent de précieux témoignages, voici ce que nous sommes amenés à reconnaître : tandis que l'origine des autres espèces du genre Cerf se perd dans la nuit des temps, celle du C. barbarus et du C. corsicanus doit être reportée, au plus loin, à Panti- quité romaine, Il n’y avait autrefois de cerfs ni dans le nord de l’Afrique ni en Corse. Pour l’Afrique, c’est Hérodote qui nous l'apprend, et il est très net à cel égard (1). Aristote ne l’est pas moins : «Point de cerfs, dit-il, dans toute la Libye : ev Axfôn rc » (2). Et ce qui était vrai, selon ce témoignage, au (4) Histoire, liv. IV (Melpomence). (2) Histoire des animaux, liv. VIH, XXVII à en : i VARIATIONS SUBIES SOUS L'INFLUENCE DE L'HOMME. 409 temps d'Alexandre, Létait encore, assure Pline (4), au ‘temps de Titus (2). L'Afrique, dit l’auteur de l'Histoire naturelle, ne produit pas de cerfs (cervos Africa non gignit); et il n’y a guère qu’elle, remarque- til, i, n'en produise pas. | Pour la Corse, nous n'avons qu’un seul témoignage, mais c’est celui du plus exact des historiens et des géo- graphes de l'antiquité, de Polybe, auctor non incertus, comme l'appelle Tive-Live. Dans un passage où il fait preuve de connaissances très précises sur les mammi- fères de la Corse, Polybe nous apprend que des deux ru- minants sauvages nourris aujourd’hui par cette île, un seul yexistait il y a deux mille ans : c’estJa brebis sauvage, red6aroy dypov, Où comme l’appellent les modernes, le mouflon. Quantau cerf, la Corsene le possédait pas, ct n'avait non plus aucun animal qui lui ressemblât (3). Voilà ce qu'affirme Polybe, et dans un passage où il a dû se garder plus encore qu'ailleurs de toute assertion hasar- dée, car il y répondait à Timée, et chacune de ses phrases est un démenti donné, au sujet de la Corse et » léger et crédule à l’excès ». Ce n’est pas au moment où (4) Liv. VII, LL. | (2) Et même, au temps d'Alexandre Sévère, s’il fallait en croire ELIEN, Histoire tles animaux, liv. XVII, x, Mais on sait combien cet auteur mérite peu de créance. Il ne fait manifestement ici que copier ses devanciers. (3) Histoires, liv. XIL. \ On ne trouve non plus en Corse, dit Polybe, ni la chèvre et le but b sauvages, ni le loup, ni même le lièvre; mais l'ile possède le renard, le lapin (voy. plus haut, p. 74 et 75) et la brebis sauvage. RP OP iai e del’Afrique, à cet auteur « sans lumières, sans jugement, + AO NOTIONS FONDAMENTALES, LAV. II, CHAP. XVIL. Von fait de ses devanciers une critique aussi sévère, qu’on s'expose à la mériter pour son compte. Si la Barbarie, si la Corse n'avaient pas autrefois de cerfs, et si elles en ont aujourd’hui; et si de plus, leurs cerfs, C. barbarus et C. corsicanus, ne se retrouvent nulle part ailleurs, la conclusion se présente d’elle-même : des cerfs ont été autrefois introduits dans le nord de l’Afrique et en Corse; et, dans leurs nouvelles patries, les descendants ont graduellement pris des caractères que n'avaient pas présentés leurs ancêtres. Que sont donc ces caractères? Non des caractères primitifs, mais des caractères acquis; par conséquent, des effets de- l'influence modificatrice des circonstances extérieures. Et que sont le C. barbarus et le C. corsicanus ? Selon les règles généralement acceptées, des espèces, plus distinctes même, le cerf de Corse surtout, que- bien d’autres qui sont admises; en réalité, de simples races locales, mais des races qui, en raison de l'habitat ultra- méditerranéen de l’un, de l'habitat insulaire de l’autre, sont entièrement séparées de la souche commune, facile- ment reconnaissable dans le C. elaphus du continent de l'Europe. | Ce beau ruminant élait, chez les anciens aussi bien que chez nous, le premier animal de vénerie; et sa chair, au moins chez les Romains, était beaucoup plus estimée que chez nous (1). Il n’est donc pas étonnant qu'on ait (1) PLINE dit (loc. cit.) que des dames de la plus haute distinction, « des impératrices » (le traducteur GUÉROULT rend ainsi les mots de VARIATIONS SUBIES SOUS L'INFLUENCE DE L'HOMME. 411 cherché à l'introduire en divers lieux, et surtout à le _ faire passer de l'Europe méridionale, vraisemblablement de l'Italie, dans la Corse, qui en est si voisine, et dans l'Afrique romaine. V. Les variations dont quelques animaux déplacés par l’homme nous ont offert des exemples, sont très analo- gues, par leur nature, à plusieurs de celles que nous avons vues se produire sous la seule influence des causes naturelles : et celles-ci sont souvent tout aussi pronon- cées, quelquefois davantage. . À ce point de vue, les faits que nous venons de citer ne feraient guère que prendre rang parmi un grand nombre d’autres, et, pour ainsi dire, se confondraient dans la foule. | = Mais toules les variations qui témaitersé de l'expansion graduelle desespèces, et des causes que celle-ci met natu- rellement en jeu, sont sans date assignable : les variations produites sous l'influence de l’homme ont au contraire la leur, soit exactement connue, soit, pour le moins, dé- ‘terminable entre certaines limites. Et c’est pourquoi l'étude de ces diverses variations nous rend accessible une question que jusqu'à ane nous n'avions même Pline, principes feminæ) mangeaient tous Jes matins dé la viande de cerf. i Non-seulement on la trouvait he mais on en eiid propre.à prévenir ou à guérir la fièvre. pbs a x i P; i ` EF i huis 5 RSS à PT TP EA ase oy . nain A nes a me. his > ci E A12 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, 1, CHAP. XVII. pu poser : Combien faut-il de temps, combien de géné- rations, pour qu'il se produise des changements notables dans létat des espèces ? On a souvent répondu : Il faut un grand nombre de siècles, une longue suite de générations ; et il était inévi- table que cette réponse fùt faite par les partisans de la fixité du type. Ne pouvant nier, en fait, l'existence d’une multitude de variations, il ne leur restait, pour atténuer du moins leurs inévitables concessions, qu’à dire les va- riations très faibles et très lentes à se produire. Elles ne sont, en réalité, ni l’un ni l’autre : l'observation des êtres dans l'état de nature nous avait déjà conduits à reculer de beaucoup les limites des variations ; l'étude des ani- maux déplacés par l’homme nous autorise maintenant à rapprocher celles du temps nécessaire à la production de changements très notables. ; A la vérité, les faits relatifs aux cerfs ne sont pas ici entièrement décisifs. Entre l’époque, déterminable seu- : lement par approximation, où le Cervus elaphus a été transporté outre mer, et celle où l’on a retrouvé, à la place de cette espèce, le C. corsicanus et le C . barbarus, il s’est écoulé des siècles: et l’on peut supposer que tout ce temps a été nécessaire pour faire sortir, de la tige Commune, deux rejetons si profondément modifiés. Peut-être les types du C. corsicanus et du C. barbarus étaient-ils depuis longtemps constitués lorsqu'on a connu Pun au xvin siècle et l'autre au xIX° ; mais NOUS n'avons aucun moyen de le savoir. Un autre doute s'élève ici, et sur le fait lui-même de la formation de types noti- veaux, Malgré les connaissances si positives des anciens L VARIATIONS SUBIES SOUS L "INFLUENCE DE L'HOMME, h48 sur le nord de l'Afrique, malgré le savoir si précis de Polybe sur la Corse, leur autorité n’est pas ici telle qu'on soit absolument obligé de s’y rendre; et l’on pourrait, à la rigueur, supposer aux cerfs de Barbarie, de Corse et de Sardaigne, des ancêtres cachés dans quelque repli des montagnes de ces iles ou de l'Atlas, et restés inconnus même aux plus savants. Les plus savants sont seulement ceux qui ignorent le moins. Mais quelle objection pourrait s'élever contre les autres exemples cités plus haut? C’est en un demi- siècle, en un quart de siècle, et moins encore, que se sont pro- duites les modifications constatées par MM. Turck, Moquin-Tandon, d'Orbigny et Dareste; et par consé- quent, arrivés à ce point de notre étude, et avant même d’avoir abordé les deux dernières séries de faits, nous voici amenés à cette conclusion : N on-seulement le type est sujet à à des variations, et ces variations peuvent être considérables et notamment porter sur les caractères spécifiques, mais elles se produisent quelquelois très rapidement, et la constitution d’une race nouvelle est loin d'exiger, comme on l'avait supposé, | une longue suite de siècles. Telle est la conclusion générale de nos études sur les animaux et les végétaux sauvages, dans Pordre actuel des choses, et telle va être aussi, mais complétée et éten- due sur plusieurs points, celle des faits relatifs aux ani- maux domestiques et aux végétaux cultivés. eo imei P= e aa CHAPITRE XVII. DÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES ET DES VÉGÉTAUX CULTIVÉS, SOMMAIRE, — I, Importance de l'étude des variations des animaux domestiques. — IJ. Opi- nions diverses des auteurs sur l'étendue des variations organologiques. Opinions de Cuvier et de M. Flourens; de plusieurs autres partisans de la fixité de l'espèce ; de Lämarck. — HT, Examen des faits. Chat. — IV. Bœuf, mouton, et autres ruminants anciennement domestiqués.— V. Cheval, âne et cochon, — VI. Chien.— VII. Oiseaux.— VIII. Poissons et insectes, Conclusion commune de tous les faits relatifs aux variations organologiques chez les animaux. — IX. Variations organologiques chez les végétaux, — X, Variations biologiques. — XI. Variations éthologiques, Conclusion générale. Des êtres qui ont toujours échappé à l’action de l'homme, nous étions venus à ceux qui l'ont subie, mais un instant seulement, et qu'il s’est borné à déplacer; nous arrivons à ceux qui, une fois en son pouvoir, n’en sont plus jamais sortis; à ceux sur lesquels il a étendu et maintient non-seulement son influence, mais son em- pire. Tels sont les animaux qu'il a pr sp Le et les -plantes gi il cultive. Ces animaux que l’homme a faits ses « esclaves », ces végétaux sur lesquels « ilrègne par droit de conquête » (4), (4) Expressions de BUFFON, Histoire naturelle, t. IV, p. 169, 1753 : CEt AD, P XIV, 1768 AAG NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. il, CHAP. XVI, sont, comparativement aux autres, en très petit nombre : quelques centaines d'espèces végétales, et moins de cinquante espèces animales(1). Voilà tout ce que l’homme possède, et c’est bien peu. Mais ce peu suffit pour nous ouvrir un vaste champ d’observation et d'étude. De chaque espèce, l’homme en a fait pour ainsi dire plu- sieurs, par la variété presque infinie des conditions où il la placée et des aspects sous lesquels elle se présente à nous. Le même animal, obéissant à la volonté du « maitre», s’est parfois répandu de l'extrême Orient à l'extrême Occident, ou même depuis l'équateur jus- qu’au cercle arctique (2), et même au delà, ne s’arrêtant qu’où toute vie devient impossible : Ulterius nihil est nisi non habitabile frigus. Dans cette expansion presque sans limites, et selon les différences de latitude, d'altitude, de sol et de circon- stances, la même espèce aussi est passée à un nouveau régime et à d’autres habitudes ; si bien que son monde ambiant, circumfusa, ingesta, percepta, comme disent les (4) Voyez le chap. IX, sect. xv, p. 115. (2) Même chapitre, sect. xvit, p. 122. Les animaux que j'ai cités en exemple dans ce passage sont tous au nombre des espèces le plus anciennement domestiquées. Mais il est encore des faits en dehors de celles-ci. Non-seulement l’oie est, elle aussi, Commune à des contrées thermologiquement très différentes, mais il en est de-même du canard, dont la domestication date, comme on Fa vu, de l’époque romaine: ce palmipède arrive sur plusieurs points, au sud, jusqu’à l'équateur, s'étendant même au delà, dans l'hémisphère austral; au nord, on le trouve jusqu'au cercle arc- tique. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES, 447 hygiénistes, s’est, pour ainsi dire, renouvelé tout entier. C’est ce qui a eu lieu pour quelques espèces dans les temps modernes, presque sous nos yeux; et, pour d'au- tres, dans l’antiquité, comme nous le savons, pour l’époque grecque et romaine, par de nombreux récits ; et, pour des temps bien plus reculés encore, par de précieux témoignages que nous avons pris soin de discuter à l'avance (1). Chez les animaux et les végétaux domestiques, nous allons donc voir l’organisation à l’épreuve de change- mentstrès multipliés et très considérables dans l'ensemble des conditions d’existence ; et nous pouvons en suivre les effets sur le globe ‘entier, depuis les temps les plus anciens. Ce sont les expériences, prévues par Bacon (2), que nous trouvons ici toutes faites, et sur la plus grande échelle qui puisse être ; car arrivés au dernier degré de l’action de l’homme sur la nature vivante, nous le sommes par cela même aux causes les -plus puissantes de varia- tions qui aient pu se produire dans l’ordre actuel des choses. | Pour en trouver de plus énergiques encore, et d’une date plus reculée, il faudrait remonter jusqu'aux change- ments qut se sont produits au passage d’un âge géologique à l’autre : mais ceux-ci, nous ne les voyons pas, nous les Supposons; et nous avons encore moins prise, soit par l'observation, soit même par le témoignage, sur les mo- difications qu’ils ont pu amener dans l’organisation des êtres vivants. Tout ce qui nous est possible, c’est de nous | (1) Ibid., sect. Iv, VIT, x, XI, XI, XIU, XIV €t XVII. (2) Voyez p. 392. — Voyez aussi t. lI, p. 384. i | 27 RAS NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVIL faire une idée de ces modifications, an moyen d'induc- tions rétrospectives; et ces inductions, sur quels fonde- ments les assoirons-nous légitimement, sinon sur la détermination des “effets produits, à l'égard des espèces zoologiques et botaniques, par les plus grands change- ments dans leur monde ambiant, dont nous puissions acquérir la connaissance positive? Or, les plus grandes modifications du type que nous fassent connaître l'observation et l'expérience, les plus grandes dont Phomme puisse être le témoin, ce sont celles dont lui- même est, sinon l’auteur, du moins la cause ; celles qui sesont produites, sous son influence puissante et continue, chez les animaux et les végétaux domestiques. Si, au delà de ces modifications des types primitifs, la science en entrevoit d’autres encore plus considérables et d’une date plus reculée, leur existence ne saurait être qu'une raison de plus pour qu'on s'attache à bien con- naître les premières; car c'est par leur intermédiaire qu’on pourra remonter jusqu'aux autres. Sans la solution de cette question : que pent l’homme sur les êtres qui l'entourent? on ne saurait même aborder celle-ci : qu'a pu faire et qu'a fait la nature avantles temps de l’homme ? D'où l'on peut voir déjà que l'étude des variations du type chez les animaux et les végétaux domestiques est le nœud de la question tout entière de la fixité ou de la variabilité du type; de cette question, non-seulement comme elle peut se poser pour l’ordre actuel des choses, mais dans toute l'extension qu’elle peut recevoir ; non- seulement, au point de vue zoologique ou botanique, mais au point de vue géonémique. | VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. M9 IL. F . F ’ _Sicette dernière proposition avait besoin d’être justifiée par d’autres considérations, nous pourrions la confirmer par l’histoire de la science. Quel est l’auteur qui a cherché le premier à déterminer, et pour ainsi dire, à mesurer l'écart que peut subir le type chez les animaux domes- _ tiques ? C’est le créateur lui-même de la paléontologie. Et dans lequel de ses livres ? Dans ses Recherches sur les ossements fossiles, dans ce discours célèbre Sur les révo- lutions du globe, qui forme l'introduction de ce grand ouvrage, et comme le péristyle de ce monûment (4). Pour découvrir jusqu'où les animaux ont-pu varier dans la suite des temps, Cuvier sent qu’il a besoin, avant tout, de savoir jusqu’à quel degré ils peuvent présente- ment se modifier sous l'influence et par les soins de l’homme ; et s’il croit devoir conclure, en géonémie, que « les espèces perdues ne sont pas des variétés des es- » pèces vivantes », c’est parce qu’il se flatte d'avoir préalablement démontré, en zoologie, la très faible valeur des déviations actuelles du type, même de celles qu'a produites la domesticité. dé. s | Les faits sur lesquels Cuvier fonde cette Opinion peu- vent, d’après lui, se résumer ainsi : dans les herbivores eux-mêmes, quoique «nous les {ransportions en toutes » sortes de climats, et les assujettissions à toutes sortes de ` (4) Ossem. foss., édit, in-4 de 1821, t. 1, p. Ix et suiv: 420 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVUI. » régimes », les variations sont «toutes superficielles » . Elles sont plus légères encore chez presque tous les au- tres animaux domestiques, et particulièrement chez le chat. La seule espèce à l'égard de laquelle on observe « des effets plus marqués de l'influence del’homme, c’est » le chien » ; mais « dans toutes ses variations les rela- » tions des os restent les mêmes ». Done, conclut Cuvier, il ne se produit chez les ani- maux, même « sous l'empire de l’homme », que des va- riations très peu importantes, presque toujours limitées aux caractères extérieurs. | Cette conclusion que Cuvier présentait comme pleine- ment justifiée par les faits, a été acceptée comme incon- testable par une partie de ses successeurs. Parmi ses disciples, quelques-uns, et surtout M. Flourens, ont. même cru pouvoir aller au delà. Cuvier avait admis une exception pour le chien ; ils ont retiré, au moins impli- citement, cette unique concession ; et ce que Cuvier n'avait énoncé qu'avec réserve, ils l'ont affirmé en termes absolus. « Les variations, dit M. Flourens, sont beau- » coup plus grandes dans les animaux domestiques (que » dans les animaux sauvages), mais toujours superfi- » cielles (4). » Et non-seulement, ajoute M. Flourens, cela est, mais il ne saurait en être autrement; car « les » conditions rigoureusement posées de la génération de » chaque espèce donnent la raison de sa fixité et sa con- » stance ». | (1) Journal des savants, année 1837, p. 259. Voyez aussi BUFFON, Histoire de ses travaux, Paris, in-12, 18/4, p. 96 et 97, VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 424 Mais, ni cette opinion, qu’on peut qualifier d'extrême, car il n’y a plus après elle que la négation de toute diffé- rence, ni même celle de Cuvier, n’ont prévalu dans la science. Parmi les partisans eux-mêmes de la fixité de l'espèce, la plupart ont fini par reconnaître l'existence, chez les races domestiques, de déviations de type plus étendues que Cuvier ne l'avait pensé; et quelques-uns de ces naturalistes ont tellement reculé les limites de ces déviations qu’on doit les considérer comme ayant, non plus modifié, mais condamné et rejeté l'opinion de Cuvier. Au nombre deces auteurs, etau premierrang parmi eux par le soin qu’il a mis à réunir et à discuter une multitude de faits, est M. Godron. Tout en affirmant, encore une fois, que « les espèces animales sauvages sont, depuis leur créa- » tion, restées fixes», M. Godron convient franchement et s'attache à démontrer, que «il n'en est pas de même des » espèces domestiques; celles-ci ont subi des modifications » plus ou moins nombreuses et importantes » (1). D'autres ont été encore plus explicites; sous « lin- » fluence de la domesticité », dit un auteur, disciple or- dinairement fidèle de tidir il s’est produit « des races » si bien distinctes, que leur caractère serait suffisant pour » les faire regarder comme des espèces particulières de » leur genre, si nous n’assistions pas pour ainsi dire à » leur formation». Qui ne croirait cette phrase écrite par un partisan de la variabilité du type? Elle est, cependant, d’un des défenseurs les plus convaincus de l hypothèse contraire, M. l'abbé Forichon (2). (1) Ouvr. cit; t: 1; p. 463. og (9) Loc. Oits; D. 997. h22 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVII. Nous trouvons la même proposition aussi nettement admise, et presque dans les mêmes termes, par M. l'abbé Maupied (4), qui n’est pas un partisan moins décidé de la fixité. Et ce savant théologien et naturaliste fait même un pas de plus : après avoir ajouté, dans les développements de son opinion, qu’on ferait du cheval seul trente espèces particulières, il passe aux races canines, et fait voir qu’elles différent encore plus entre elles que les races chevalines ; si bien que celles-ci offrant des caractères spé- cufiques, les races canines se distingueraient par des diffé- rences plus que spécifiques. Si ce n’est pas le mot dont se sert M. Maupied, c’est du moins la pensée qu’il exprime. Voilà ce qu'ont admis les partisans eux-mêmes de la fixité du type (2) ; entrainés par la force des faits, ils en sont venus peu à peu à admettre des conséquences qui sont celles mêmes que nous avons à plusieurs reprises énoncées et que nous allons encore essayer de justifier, en croyant confirmer en même temps notre conclusion générale en faveur de la variabilité. Et même, ce n’est pas seulement avec nous, partisans (1) Loc. cit., te Il, p. 350. D S : (2) Des hommes aussi distingués que MM. les abbés Forichon et Maupied n'ont pu méconnaître combien leur conclusion, en ce qui concerne les races domestiques, est peu en rapport avec leur conclu- sion générale en faveur de la fixité. Mais, d’une part, ils ne pouvaient aller contre les faits ; et de l’autre, ils trouvaient à appuyer, sur ces faits mêmes, une notion plus essentielle encore, à leur sens, que celle même de la fixité du type: la notion de l'unité originelle de l’homme. | j Nous reviendrons sur l'enchainement qui existe entre la question que nous traitons ici, et le problème fondamental de l'anthropo- logie. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 428 de la variabilité limitée, que s’est ici rencontré l'abbé Maupied, c’est aussi avec le naturaliste que lui et M. F 0- richon ont le plus souvent et le plus énergiquement com- battu ; avec celui qui n'admettait pas seulement la varia- bilité sous l'influence des cir constances extérieures, mais l'instabilité la plus extrême sous l'influence de change- ments d'habitudes. La domesticité, avait dit Lamarck, dans sa Philosophie zoologique (1), «a changé ou considérable- » ment modifié quantité d'animaux », et les plus modifiés de tous, les chiens, « offrent entre eux de plus grandes » diversités que celles que nous admettons comme spéci- » fiques entre les animaux d’un même genre qui vivent » librement à l'état de nature ». Entre ce passage, écrit dès 1809, et les vues récentes de M. Maupied, nous voyons des différences dans la forme, mais nous n’en voyons pas au fond. Cette rencontre de deux savants, venus pour ainsi dire l’un à l'autre des deux pôles de la science, indique bien où est la vérité. Mais, sur un point aussi fondamental, il nous faut, non des indices, mais des preuves; c'est aux faits que nous allons les demander, et par eux que nous essayerons de résoudre à notre tour ces questions : les caractères par lesquels se distinguent les races domesti- ques, comparées, soit à leurs souches, soit entre elles, ne sont-ils que d’une très faible valeur ou même seulement superficiels? peuvent-ils être profonds et acquérir. une valeur spécifique où même plus que spécifique? En d’autres termes, jusqu'à quel point les êtres sou- (4) de édition, t. I, p. 227 et 298; 4809 SSP rar A EN AT RÉ à ne $ h2 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVNI. mis à l'empire de l'homme se sont-ils écartés des types primitifs ? Les conditions à remplir pour mesurer une distance parcourue sont essentiellement de bien savoir où est le point de départ et où' est le point d'arrivée : plus ils seront exactement connus, plus exacte aussi sera la mesure. Nous croyons avoir rempli à l'avance, du moins pour les animaux, la première de ces conditions. Les points de départ, ce sont, pour eux, les types des espèces dont ils sont issus ; et nous avons consacré une longue série de recherches, résumées plus haut (1), à déterminer ces {ypes que nous sommes en droit de dire, la plupart, exactement, et les autres, très approximativement connus. S'il reste, en effet, quelques animaux domestiques à l'égard desquels nous échappe la détermination spécifique de la souche, du moins arrive-t-on à en circonscrire la récher- che dans les étroites limites, non-seulement d’un genre naturel, mais, dans ce genre, d’un petit groupe d'espèces si intimement unies, qu'on a peine à les distinguer. Ce qui nous reste à apprendre sur les origines de nos races ne saurait done désormais modifier en rien d’essentiel les résultats auxquels nous allons arriver. Les points de départ étant connus, venons done aux points d'arrivée, c’ést-à-dire, à l’état des diverses races dérivées et aux modifications que présentent celles d’entre elles qui sont depuis longtemps possédées par l'homme (2). ` A l'appui de son opinion, Cuvier avait fait une rapide (4) Chapitre IX. (2) Pour quelques espèces récemment soumises à l'homme, et en- core très peu modifiées, voyez le-même chapitre, p. 54 et suiv. F VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. h25 revue des principaux mammifères domestiques, depuis les moins modifiés jusqu’au plus modifié de tous, le chien. Pour justifier les vues que je crois devoir adopter, je suivrai le même ordre, rappelant en peu de mots les variations dont Cuvier reconnaît l'existence, y ajoutant très rapidement celles sur lesquelles il se tait, et tenant compte aussi des faits qu’on observe en dehors de la classe des mammifères (1). (1) Avant et depuis Cuvier, plusieurs auteurs ont vu aussi dans l'étude des variations des animaux domestiques une source de notions applicables à la solution de diverses questions importantes, comme celles de l'espèce, de l’unité ou de la pluralité d'origine des races hu- maines, etc. En tête de ces auteurs, il faut citer BUFFON, qui, après avoir traité des animaux domestiques dans les premiers volumes de l'Histoire naturelle, est souvent revenu sur eux, soit dans la suite de ` cet ouvrage, soit dans les Suppléments. — Les Spicilegia et les Miscel- laneæ de PALLAS, ainsi que ses Voyages et ses mémoires spéciaux, sont encore des sources très utiles à consulter. — Parmi les auteurs plus récents, nous citerons particulièrement : BLUMENBACH, Beyträge zur Naturgeschichte, Gœttingue, in-12, 1806, p. 32 et suiv. — L'abbé FORICHON, Examen des questions scientifiques, Paris, in-8, 1887, p. 397 et suiv. — PRICHARD, Histoire naturelle de l’homme, traduc- tion de M. ROULIN, Paris, in-8, 1843, t. I, p. 35 et suiv. — GODRON, De l'espèce et des races, dàns les Mémoires de la Société des sciences et lettres de Nancy pour 4847, publiés en 1848, p. 240 et suiv. ; et ou- vrage publié sous le même titre, Paris, in-8, 1859, t. I, p. 335 et suiv. — L'abbé Maupiep, Dieu, l’homme et le monde, Paris, in-8, - 1851, t. Il, p. 350 et suiv. — DE QUATREFAGES, Unité de l'espèce hu- maine (extrait de la Revue des deux mondes, 15 déc. 1860 et numé- ros suiv.), Paris, in-8, 1861, p. 82. J'ai moi-même traité des variations des animaux domestiques, dans les ouvrages et mémoires suivants: Recherches sur les variations de la taille chez les animaux, mémoire inséré dans le reeucil de l’Aca- démie des sciences, Savants étrangers, t. IT, p. 303 et suiv., 4833, et dans mes Essais de zoologie générale, Paris, in-8, 1841, p. 379 et an Ag ad si, AR, Dee per either onto omagrrerhé ni RO NE Nr AA LEE] Rare RS te RCE TN T ÿ A, rl pa A a om Dm Re k ES TE 26 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, I, CHAP, XVIN. IH. Dans cet ordre, Cuvier place en tête le chat, et ce carnassier est, en effet, de tous les mammifères très anciennement domestiqués , celui dont l’organisation s’est le moins éloignée du type primitif. Est-ce aussi peu, cependant, que le dit Cuvier? Des modifications dans la finesse et les couleurs du pelage, des différences plus ou moins marquées dans la taille, est-ce bien Jà «tout ce » qu'éprouve » celte espèce seulement « demi-domestique »? Nous pouvons indiquer au moins deux différences de plus. i La première, et assurément celle-ci n’est ni superfi- cielle ni dénuée d'importance, est l'allongement du tube: digestif chez nos chats domestiques. C’ést Daubenton qui a mis en lumière ce fait remarquable (1), en même temps qu’il indiquait quelques autres différences “intérieures. suiv. Voyez aussi Histoire générale et particulière des anomalies, Paris, in-8, t. I, p. 218 et suiv., ét Acclimatation et domestication des animaux utiles, 4° édit., Paris, in-8, 4864, p. 224 et suiv. Le travail inséré dans ce dernier ouvrage est un extrait de ce chapitre qui avait été en grande.partie composé dès 1859. | (4) Hist. natur. de BUFFON, t. VI, p. 18 et suiv. CUVIER, qui, dans ses remarques sur les animaux domestiques, passe complétement ce fait sous silence, ne lignorait cependant pas, et il l’avait même vérifié, comme ou peut le voir dans les Leçons d'ana- tomie comparée, t. II, 1805, p. 445 et 450. Suivant Guvier, la lon- gueur totale du corps est à la longueur du.canal intestinal : Dans Ie chat Sarago M r à PET Dans le chat domestique. . :: À : 5. D'après des mesures que nous venons aussi de prendre, la diffé- a RS NET PÉTER ere TT ER S VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 427 Selon lui, tous les chats domestiques se ressemblent beau- coup entre eux; «à peine» même, dit-il, « peut-on se » permettre de les distinguer en diverses races »; mais, comparés aux chats sauvages, ils présentent des diffé- rences très notables. La plupart de leurs viscères sont, dit Daubenton, plus larges, plus longs, plus épais, plus gros et plus grands ; et quant aux intestins, la différence est très marquée : ils sont, « dans les chats sauvages, » de plus d’un tiers moins longs que dans les chats do- » mestiques ». De cette différence, facilement explicable par la nourriture plus abondante et le régime moins exclusivement carnassier du chat domestique, résulte, dit Daubenton, « une altération de l'espèce qui a plus » dégénéré dans les parties intérieures du chat domes- » tique que dans la figure extérieure du corps ». Dau- benton l'avait donc déjà dit en d’autres termes, mais très nettement : les modifications sont profondes, et non pas seulement superficielles, de valeur spécifique, et non pas seulement accessoires. Il est vrai que Daubenton a comparé les races félines au chat sauvage d'Europe, et non à l'espèce qui en est. la souche principale, le chat ganté. Mais le groupe des chats proprement dits est tellement naturel, qu une de rence entre le chat domestique et 1e chat sauvage serait même encore plus grande. -Ghez un chat sauvage dont la longueur totale était de d 0,70, le canal intestinal avait 4%,95. Or ces deux sipi sont séulement entre eux ` à peu près : :'4,8: Cuvier a pra remarquer (ébid., p. n45 et suiv.) qu’une différence semblable s'est produite entre le sanglier et le cochon, et une inverse entre le lapin sauvage et le domestique. 128 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVI. ses espèces, quelle qu’elle soit, peut représenter anato- miquement touteses autres. Il est néanmoins à désirer que les voyageurs en Abyssinie et en Nubie ne négligent pas l’occasion d'examiner ou de nous mettre à même d'examiner le tube digestif chez le Felis maniculala, afin de changer en une vérité d'observation ce qui n’est en- core qu'une présomption extrêmement vraisemblable. Une autre différence qui, sans être aussi remarquable, est encore très digne d'attention, est l'extrême brièveté de la queue dans une race. propre à quelques provinces chinoises. Cette race ne m'est malheureusement pas- connue par mes propres observations; je ne crois pas qu'on en ait encore amené un seul individu en Europe; mais son existence m’a été attestée de la manière la plus formelle par feu l'abbé Huc, et il n’y a pas à supposer que ce voyageur ait été induit en erreur par des mutila- lions habituellement pratiquées par les Chinois. Parmi les individus observés par M. Huc, est une femelle qu'il a vue mettre bas des petits semblables à elle. On assure qu'il y a aussi en Chine une race de chats à oreilles pendantes; ct il a même été question de celle- ci (4) plus souvent et moins nouvellement que de la pré- cédente. Son existence m'a encore été affirmée, il ya quelques mois, par un voyageur que j'avais prié de la (i) Il en est déjà question en 1735, dans le grand ouvrage du P. Du HALDE. Voyez Description.de l'empire de la Chine, in-fol., t. 1, p. 112. ~ — D'après Du Halde ce «chat singulier » se trouve particulièrement ans la province de Pe-tche-li, où il «sert d'amusement » aux dames . qui, à ce titre, «le recherchent fort et le nourrissent avec beaucoup » de délicatesse » . a —— __— VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 429 constater (1). La même demande, adressée à plusieurs membres de l'expédition actuelle en Chine, me pro- curera sans doute bientôt les éléments d’une solution définitive. IV. Les variations des herbivores, selon Cuvier, sont «plus grandes», mais toujours renfermées dans des limites très étroites. En vain l’homme a-t-il transporté ces animaux « sous toutes sortes de climats » et leur a-t-il imposé « toutes sortes de régimes »; les variations, dit Cuvier, sont restées « toutes superficielles ». Ainsi des causes considérables n'auraient produit que de très faibles effets (2). | Nous croyons que Cuvier a ici un peu amplifié les causes en ce qui concerne les différences de régime, et beaucoup trop restreint les effets. Les variations que Cuvier cite comme superficielles à (1) Elle est affirmée également par les orientalistes. Voyez F. Scnürz, Des animaux et des plantes de l'extrême Orient, Paris, Nancy, in-8, 41860. (2) M. FLOURENS, Buffon, loc. cit., a ainsi résumé, en lPadoptaut, ce qu'avait dit CUVIER, loc. cit. : « Plus ou moins de taille, des cornes » plus ou moins longues ou qui manquent, une loupe de graisse, for- » ment toutes les différences des bœufs.» « Et il y a quelques races » de cochons où les ongles se soudent. » ; Le zébu ayant été séparé du bœuf proprement dit (voy. p. 68), l'existence de la bosse doit être considérée comme un caractère spéci- fique, et non comme une modification produite par la domesticité, Nous laisserons donc de côté ce caractère dans ce qui va suivre. À 4 {i a j $ A30 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVIH: sont, d’une part, plus étendues qu’il ne parait l’admettre, portant même parfois sur des caractères regardés comme spécifiques ; et de l’autre, elles ne sont pas les seules qui existent : nous en trouvons aussi de profondes. Cu- vier lui-même nous fournira quelques-uns des arguments à l’aide desquels nous établirons, contre son Opinion, ces deux faits généraux. Au nombre des variations superficielles sont, par excel- lence, celles qui portent sur la coloration. La variété des couleurs de la robe, chez le bœuf et les autres ruminants domestiques, est connue de tout le monde : la variété est portée ici à l'extrême, et l’on pourrait, au premier aspect, la croire presque: infinie Les variations les plus com- munes sont celles qui se rapportent à l’albinisme, soit complet, soit incomplet, soit partiel, mais à un albinisme qui, dans beaucoup de races, devient héréditaire et nor- mal. Les autres variations peuvent être ramenées, les unes à l’état inverse de l albinisme, au mélanisme, qui peut aussi être complet, incomplet ou partiel, les autres, fait longtemps méconnu, à la prédominance d’une ou de plusieurs des couleurs qui existent normalement dans l'espèce souche, Ces couleurs, de locales qu'elles étaient, peuvent devenir générales ; elles peuvent aussi, au lieu d’être combinées avec d’autres, devenir į pures et prendre une grande intensité, mais on ne voit pas, à vrai dire, se produire de couleurs nouvelles. La nature du pelage n'est pas plus fixe que ses cou- leurs. Ce n’est pas seulement dans la plupart des races ovines et dans quelques races caprines qu'on trouve des poils longs et plus ou moins laineux, très différents Re eme PERRET Same VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 434 des pelages primitifs. Ailleurs, au contraire, les poils se raccourcissent au lieu de s'allonger, comme chez les moutons sans laine des pays chauds, dans lesquels le . père Labat inclinait à voir des chèvres « honorées d’un » nom plus noble » (1). Chez les ruminants des pays | ` chauds, les poils deviennent parfois beaucoup plus rares en même temps que plus courts et plus secs, et la peau se dénude même, notamment dans les grandes espèces, telles que le dromadaire et le bœuf (2). | Les variations de la taille ne sont pas moins remar- quables chez les ruminants domestiques. Dans chaque espèce, il existe à la fois des races notablement plus ! grandes, et d’autres beaucoup plus petites que la souche / | | ou les souches auxquelles ces races doivent être rappor- | tées. Les variations s'étendent même parfois très loin. Tout le monde sait quelle énorme différence de taille | existe entre la vache bretonne et nos grandes races de boucherie. La même inégalité se retrouve entre.les pe- -tits et les grands zébus. Il est, parmi les premiers, des races qui, selon les expressions de Cuvier (3), « surpas- Gekoni e a o n D et or met Aa ps PNA ü 7e EENE RE S STEP sr ar act: obama tn (4) Nouvelle relation de l'Afrique occidentale. Paris, in-12, 1798, bhpe 976 (2) RouULIN, Sur quelques changements désptais chez les animaux domestiques transportés dans le nouveau continent, dans le recueil de l Acad. des sc., Sav. étrang., t. VI, 1835, p. 338. Les bœufs nus, dit M. Roulin, « étant plus faibles, plus délicats, » on a coutume de les détruire avant qu’ils soient propres à la repro- » duction ». Sans cette coutume, il aurait pu se former une race nue qui eût été, parmi les bœufs, ce qu'est, parmi les chiens, la race im- \ proprement connue sous le nom de chien turc. (3) CUVIER, Ménagerie du Muséum d'histoire naturelle, in- -folio, / vae Nai dr Si GA e ts aano Dame Me NP ~ 4 ž à LR | Te a H32 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVI. » sent à peine un cochon médiocre ». Le grand zébu du Soudan a plus de deux fois la hauteur de ces nains de son espèce, et il a un volume presque décuple du leur. Les extrêmes ne sont pas à une moindre distance dans les races caprines et ovines; il y a des boucs et des mou- tons presque aussi hauts que des ânes, d’autres presque aussi petits que des lièvres. La domesticité n’a pas fait moins varier les propor- tions, c’est-à-dire les dimensions relatives , que les dimen- sions absolues ou la taille. Il n’est pas de ruminant, an- ciennement domestiqué, depuis le chameau jusqu'à la chèvre, qui n’ait ses races légères et ses races trapues ou à corps allongé et près de terre. Parmi les différences de cet ordre, il s’en est produit, par rapport au type originel, de itrès considérables, comme on peut s’en as- surer en comparant aux espèces sauvages du genre Bos plusieurs races bovines perfectionnées pour la bou- cherie ; aux bouquetins, la chèvre naine de Buffon, et aux mouflons, d’'úne part, le mouton morvan, Ovis lon- gipes, et de l’autre, lancon, Ovis brevipes : l’un est le lévrier, l’autre le basset des races ovines. On peut s'étonner de voir de telles variations considérées par plusieurs auteurs comme sans valeur, et même comme seulement superficielles. Le squelette lui-même est mo- difié dans ces races à membres tantôt très allongés, 1801-1804, et in-19, 1804, article sur le petit zébu sans cornes. Il y a aussi une race à cornes, tout aussi naine. Elle existe en ce moment au Jardin zoologique d’acclimatation. Le taureau , très bien fait et très vigoureux dans ses petites proportions, n’a au garrot, que 0™,88. . VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 433 tantôt très raccourcis; les connexions restent, il est vrai, les mêmes, mais les formes des os des membres sont très modifiées ; elles le sónt même, quelquefois, sans des changements très marqués dans les proportions géné- rales. l - Les caractères les plus variables, avec ceux de la cou- leur, de la taille et des proportions, sont ceux qui se rapportent aux prolongements frontaux. La chèvre, le mouton, le bœuf, le zébu, l’yak, c’est-à-dire, tous les ruminants à cornes; anciennement domestiqués, ont des races, sans cornes; et chez la chèvre et le mouton, mais non plus chez les bœufs, il en existe d’autres où, au con- traire, les cornes se doublent où même se multiplient, A plus forte raison, y a-t-il d'innombrables variations dans la grandeur, la direction et les courbures de ces prolon- gements frontaux dont les dispositions, différentes des bœufs aux moutons, de ceux-ci aux chèvres, ont cepen- dant été érigées en caractères génériques. La queue présente aussi, selon les races, des diffé- rences très multipliées et quelquefois très remarquables. On en trouve chez tous les animaux domestiques, mais nuile part d'aussi prononcées que chez les mou- tons. Non-seulement chez ceux-ci, il s’accumule autour de la queue d'immenses quantités de graisse, telles sont quelques races déjà signalées par Hérodote comme «dignes d'admiration » (1), mais le prolongement caudal (4) Livre IH (Thalie), traduction de Duryer, in-12, 4777, t. J, p. 456; — En Arabie, dit HÉRODOTE, il y a deux sortes de moutons à grosse queué ; si grosse dans l’une, que «si on la laisse traîner, iis se »l'écerchent contre terre ». C'est pourquoi on la supporte sur « de Ain 28 iaa a m ee -= DÉS enr ere Re a a Éz D a re SNA ET Our MON à TE EE SE RE EE D ea D. nes eco ar" Ve 3 D ml bo dE a pre pas. pos aen - 1 ot oo sa 000 A z — : =o anase Sale: A RÉ Nine. À | Sam oaeo rh a ai QUE OR ina ED as A SAR en D, 7 “de de o | 18 H | mt Pr RS Re : | | ! iF f f | | H 14 1 F1 ia 1 f 3 AE o ame a ; h8h NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. fi, CHAP. XVII. LA varie lui-même dans sa longueur, dans le nombre de ses vertèbres et surtout dans sa disposition (4). C'est sur d’autres points que se rencontrent chez la chèvre les plus remarquables modifications. Le scrotum, qui commence déjà à à s’échancrer dans d’autres races, se divise parfois profondément en deux lobes (2). Les glands sous-cervicaux tantôt existent et tantôt manquent; et quand ils existent, ils varient dans leur structure. C’est chez la chèvre aussi qu'on trouve, à son maximum , celte hypertrophie de l'appareil mammaire, qui est déjà portée si loin chez la vache : chez ces deux animaux, ce caractère, qui nous les rend:si précieux, n'existe pas dans toutes les races, et il se perd même bien- tôt chez celles qui le possèdent, lorsqu'on les trans- porte en dehors des contrées et des conditions sous J'influence desquelles il s'était produit. Enfin, on ren- contre encore chez la chèvre un autre genre de variations » petits chariots que les moutons traînent après eux en marchant v. On emploie encore aujourd’hui ce moyen en divers lieux. (4) Sur les variations de la queue chez les moutons dits à grosse queue, voyez particulièrement : PAL LAS, Spicil. 2006, fase. XL Ip: 58, "1776, — GENÉ, Descrizione di una varieta di pecôra a coda adi- posa, dans les Memorie della Accademia delie scienze de Turin, te XXXVII, p. 275; 1834.— , PRICHARD, loc. cit, t. 1, p. 58 et suiv., et FITZINGER, Ueber die Racen des zahmen Schafes, dans les Sitzungsbe- richte der Akademieder Wissenschaften de Vienne, t. XXXVII, 1859. — Dans ce dernier recucil est un autre mémoire de M. Fitzinger, re- latif aux races caprines, et très bon aussi à € PANIER sur les variations des animaux domestiques. (2) Sacc, Essai sur les chèvres, dans le Bulletin de la Société im- périale d'acclimalation, t. 1V, p. 43 4857. — J'ai vérifié ce fait au Muséum, Er 1 VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 4385 qu'on a cru pouvoir aussi considérer comme accessoires et seulement superficielles, mais qui me parait très digue d'attention : c’est l'amplitude et surtout l'allonge- ment très marqué des oreilles, qui deviennent pen- dantes. Cette déviation du type, qui n'a son analogue chez aucun ruminant sauvage (1), se retrouve anssi chez le mouton et chez plusieurs autres animaux domestiques de divers ordres ; : mais chez aucun, le chien excepté, aussi prononcée à beaucoup près que dans la race ca- prine du Népaul, et chez une des chèvres d’ Égypte, Js même, sans. nul doute, dont Aristote a connu l'existence en Syrie, et dont il décrit les oreilles « longues de » plus d'une palme » et « pendant quelquefois jusqu’à » terre (2) . » | Selon la plupart des auteurs récents, au nombre et même au premier rang des caractères qui distinguent les chèvres des moutons, par conséquent parmi leurs meilleurs caractères génériques, on devrait placer l'ab- _sence dans le genre Capra, . l'existence dans le genre Ovis, de la poche interdigitale sur laquelle M. Gené a, le premier, fixé l'attention des naturalistes (3). Je me suis assuré, et j'ai pu faire voir aux auditeurs de mes cours, que cette poche fait défaut à quelques races de moutons, - et qu'en revanche, on la trouve, mais très rarement, chez la chèvre domestique. (1) En dehors du ruminants, on trouve cet analogue chez les élé- phants. (2) Histoire des animaux, liv. VIH, xxvm. TA (3) Observations sur quelques particularités organiques, dans les Memor. della Acad, delle scienze de Turin, t. XXXVII, p. 195; 1834. nasa té ds dns se A, a naiinis aAa “tal i A36 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVIN. Enfin, après les variations de ces caractères qu’on dira peut-être encore superficiels et de détail, nous ci- terons celles qui portent sur l’ensemble de la tête, et celles-ci, comme les précédentes, en très grand nombre et souvent très prononcées. Cuvier a réuni au Muséum d'histoire naturelle les crènes des principales races bo- vines françaises : dans cette précieuse collection est la preuve que, sans sortir d'un même pays, l'écart entre les extrêmes est déjà très grand. Il s'accroît notablement quand on étend la comparaison aux races étrangères. Les variations des races ovines ne sont pas moins remarqua- bles que celles des races bovines, et celles des races ca- prines le sont bien davantage. Le chanfrein, dont la con- cavité a été généralement regardée comme un des carac- tères du genre linnéen Capra, par rapport au genre Ovis qui l'a convexe, se redresse dans plusieurs races de chèvres, et, dans d’autres, devient convexe: sa convexité est parfois très prononcée. Il est même des chèvres où ce caractère, emprunté au type des races ovines, s’exagère jusqu’à dépasser ce qu’on observe dans celles-ci; c’est ce que chacun peut vérifier chez une chèvre égyptienne et nubienne que ses bonnes qualités laitières ont fait ré- pandre depuis quelques années en France, et qui com- menceà ne plus y être rare. Pas un mouton n’a le chanfrein aussi convexe; si bien que, classée seule- ment d’après la conformation générale de sa tête, cette chèvre viendrait prendre place non-seulement dans le. genre Ovis, mais en tête des moutons, comme le mieux caractérisé de tous et le- plus différent du genre Capra, VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 437 V. Les autres herbivores ne varient pas moins pour la couleur, la taille et les proportions, que nos ruminants E aae, C'est chez le cheval qu’on trouve les couleurs les plus varićes. Pour exprimer toutes les nuances de sa robe, il a fallu enrichir la langue de plusieurs termes nouveaux: Après le cheval vient, à ce point de vue, le cochon, qui est tantôt blanc, tantôt noir, tantôt gris, tantôt brun et tantôt rougeâtre. Quant à l'âne, originairement d’ un gris isabellin, il est le plus souvent gris ou noir, rarement isabellin ou blanc ; c’est le seul animal chez lequel on ne puisse rapporter à Ealain qu'un nombre relativement très petit de variétés de coloration. L'âne perd rarement les bandes latérales qu'on a appelées chez lui les branches -de la croix (4). _ Les variations dans la nature du`pelage sont aussi très marquées chez le cheval ct le cochon. Chez le premier, le poil est le plus souvent très ras (2): il s'allonge dans (1) Comme je l'ai fait remarquer depuis longtemps, on se trom- perait gravement en attribuant à toutes les espèces une aptitude égale à se plier aux circonstances qui agissent sur elles. (2) Une modification qui, bien que limitée à un petit nombre d'indi- vidus, doit être citée comme un exemple remarquable de l'influence des circonstances extérieures, est celle qui se produit dans le pelage des chevaux vivant depuis longtemps dans les mines, par exemple, des chevaux employés pour les charrois dans quelques houillères belges très profondes. Quelques années après qu'ils y ont été descen- en me a mme a - — 138 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVI. beaucoup de races, et se frise dans quelques-unes, par exemple dans une des races norvégiennes, la race baskire; mais dans l'hiver seulement celle-ci porte une véritable toison: on prendrait de loin le poulain pour un mouton. Chez le cochon, la dénudation est pres- que complète dans quelques races, tandis qué d’autres sont très velues ; il en est même, sur les parties élevées des Cordillères, dont le poil, très épais ét un peu crépu, recouvre une sorte de laine (1). Les races asines, qui sont encore ici celles où l écart est le moins considérable, différent seulement entre elles par la longueur de leurs poils, aussi courts que chez l'onagre, dans les races des pays chauds, et longs ou même très longs dans celles du nord de l'Europe et de l'Asie. | C’est encore l'âne qui varie le moins par la taille et les proportions, mais, même chez lui, les extrêmes sont ici à grande distance. Les beaux ânes d'Orient, et, plus en core, les grands ânes mulassiers du Poitou, sont presque des géants en eomparaison de l'âne rabougri de nos campagnes ; celui-ci, en même temps que réduit dans ses dimensions générales, est parfois iis bas sur jambes. Les formes, chez le cochon, ne sont jamais légères, mais elles sont très inégalement lourdes; ily a des races à membres très courts ettrès forts, comme les cochons dits dus, ces chevaux sont revêtus d'un pelage noir, touffu, moelleux, comme velouté, et qui, à fous ces points de vae, rappelle celui de la taupe. (Voyez une note de GEOFFROY SAINT-HILAIRE, dans les Comptes rendus de l Acad. des sc., t- VU, p. 141; 1838.) i Il nait parfois des poulains dans les houillères : ces individus pré- sentent, à plus forte raison, ce singulier pelage de taupe. (4: ROULIN, loc. cût., p. 327. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES: 439 ras, qui sont de véritables bassets. La taille varie bien plus encore dans les races porcines que les propor- tions; -il existe des cochons grands comme des bæufs, d’autres sont plus petits que des moutons. Le cheval a des races très légères et d’ autres très lourdes, et aussi des races très grandes et des races très petites. D’un peu moins d’un mètre et demi au garrot, qui est la moyenne, sa faille s'élève, dans plusieurs races , jusqu’à près de deux mètres, et descend à un miètre, et même moins, chez quelques autres, qui se trouvent ainsi, en volume, huit, dix, douze fois moindres. J'ai eu locca- sion d'examiner, en 1824, deux chevaux d’une petite race propre à la Laponie : presque au terme de leur acerois- sement, à en juger par leurs dents, ils mesuraient au garrot, l’un 947 millimètres, l'autre 892 seulement. La taille du cheval parait méme s'abaisser davantage encore dans les contrées à la fois septentrionales et insu- laires, comme les îles Hébrides, les Orcades et les Shet- land : selon des auteurs dignes de foi, elle ne serait, dans quelques-unes de ces iles, que dé 36 à 30 pouces anglais, ou, en mesures métriques, de 91 à 76 centi- mètres, et il Ly aurait môme des individus plus petits (1). (4) D. Low, sde Animals of € Great Britain, Londres, i igel, 1842, traduction de ROYER, sous ce titre : Histoire naturelle agricole des animaux domestiques, Paris, in-8, 1846, 4. I, p. 95 et 96; Ces poneys nains seraient doublement remarquables, s’il était vrai qu'ils eussent pour ancêtres des chevaux andalous transportés dans les îles au nord de | sg paf suite du désastre de karmadg en 1588. Il ne paraît pas qu'on ait encore amené en France d'aussi Hits chevaux. Mais, sans parler d’une petite race corse et des chevaux Let le et RC -x litige) 111 A! Ë { | À es mi s ae oi ne ee Ce aiana prepa re Pr a 0 nimes PA | Ho —— >- anea r Ae aE Ceara AAO NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVI, Tout le monde sait que les oreilles sont pendantes chez plusieurs races porcines. Elles le seraient aussi, d’après divers témoignages, dans une race chevaline chinoise, le Kouang (1). Cette disposition des oreilles est loin d’être inconnue en Europe; mais les chevaux oreillards, nom sous lequel on désigne en France ceux qui la présen- tent (2), étant sans cesse mélangés avec les autres, elle ne se transmet pas assez régulièrement pour caractériser une race. Chez l'âne, les oreilles sont toujours droites comme dans l’état sauvage. La conformation générale de ła tête se modifie peu chez l'âne; et dans les races chevalines elles-mêmes, où les variations sont beaucoup plus multipliées et beaucoup plus marquées, elles ne vont jamais aussi loin que dans les races caprines. Il en est de même des races porcines. Mais, dans celles-ci, les modifications dans la conformation de la tête se trouvent associées à des différences d’un autre ordre Un caractère, non-seulement spécifique pour les divers sangliers entre lesquels se circonscrit la recherche de l’origine du cochon (3), mais générique pour tous les sus d'Ouessant, qu’on amène souvent à Paris, comme montures pour les enfants, on voit, en ce moment même, au Jardin zoologique d’accli- matation, une jument shetlandaise, avec son poulain de la taille d’une brebis, et une autre race naine nouvellement amenée des îles de la Sonde. L’étalon a, au plus haut du garrot, 4",80, et il n’est pas un des plus petits individus de sa race. : (i) Scnÿrz, loc. cit. — M. Schütz a reproduit dans sa Note sur les noms, une figure de ce cheval. (2) DAUBENTON, dans l'Hist. natur. de BUFFON, t. IV, p. 281; 1753. (3) Tous ces sangliers sont, comme on l’a vu (p. 83), très voisins les uns des autres, si même ils sont distincts, On peut donc étendre 4 VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. AAA sauvages, consiste dans le développement considérable des canines qui se convertissent en des armes très redou- tables. Ce développement, malgré une assertion souvent répétée, relative à la prétendue invariabilité du syslème dentaire, n’a pas lieu chez le cochon, comme chacun le sait, et comme l’exprime la nomenclature vulgaire : les canines du sanglier sont des défenses, celles du cochon ‘ne sont que des crochets. Cuvier, qui mentionne cette différence, en oublie, dans ses remarques sur les variations des animaux domesti- ques, une autre qu'il avait cependant aperçue et signalée depuis longtemps, et celle-ci n’est assurément ni acces- soire ni superficielle. Si bien que je puis opposer ici à l’assertion de Cuvier son propre témoignage : le canal intestinal, dit-il dans son Anatomie comparée (1), « ex- » cède de beaucoup, dans le verrat, la longueur propor- » tionnelle qu’il a dans le sanglier. Son étendue en lon- » gueur excède dans le cochon de Siam celle de plusieurs » ruminants, ceux de tous les mammifères chez lesquels » le canal intestinal est le plus long (2).» Ce qui montre aux autres les résultats constatés à l'égard de nôtre sanglier occi- dental. (4) Loc. cit., p. 245. — En partie, TA DAUBENTON, loc. cit., EV p. 137 et suiv. | (2) CUVIER (ibid., p. 453) complète et précise ce passage dans son Tableau numérique, où il donne les chiffres suivants : Lerapport de la longueur du canal intestinal à la longueur totale est : Chez Je sanglier. . . . . or ES r 2 un GN esera ea t POES AUS, Si se A Soa r , Chez lecoghonsdo Riam a.i 4 45 0 e, CP lIl west pas hors de propos de remarquer que ce n’est pas seulement le cochon, mais aussi le sanglier qui est omnivore (et non exclusive- ment frugivore). « J'ai trouvé dans l'estomac d'un sanglier, dit, | purs D oa PE + LS TR Dr -A orme AT y ” p a S E a AIZ NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVII. tout à la fois qu'il y à ici de grandes différences, soi entre la souche et les races dérivées, soit entre ces di- verses races comparées entre elles. Il existe aussi entre ces races des différences notables dans les nombres des vertèbres. Daubenton l'avait depuis longtemps reconnu pour les vertèbres de la queué (1); un anatomiste anglais, M. Eyton, a récemment montré qu'il en est de même de celles du dos, des lombes, et du sacrum, qui sont tantôt plus et tantôt moins nombreuses que chez le sanglier. -Les différences partielles feraient osciller le nombre total, dans les races porcines, entre 44 et 55 (2). Quant aux côtes, on en a compté tantôt 13 paires, tantôt 14, tantôt 45. L'existence de simples crochets au lieu de défenses, l'allongement du canal intestinal, et les différences, tantôt en plus, tantôt en moins, des nombres vertébraux et » entre autres auteurs, l'exact DAUBENTON (loc, cit., p. 140), des » plumes et des pattes d'oiseau; et dans celui d’une laie beaucoup de » poil de chevreuil, avec quelques lambeaux de la peau de cet animal.» ` (4) Loc. cit., t. V, p. 166. — Les nombres donnés par Daubenton sont : 1% pour le cochon de Siam, et 17 pour le verrat. (2) Dans les Proceedings of the Zoological Society de Londres, 4837, p. 28. — M. Eyton résume tout ce qu’il a vu dans le tableau suivant : Cochon anglais. C. d'Afrique. C.deChine. Verrat (d’après Cuvier). V. Cervicales. .” 7 ji er À Dorsala pay ia mt ant 13 Lombaires 6 - 6 Sacrées 5 CRIS EL. 41. ra 13 Nombres totaux. . . . 44 Quelques-uns de ces nombres sont à revoir, comme le remarque M. Eyton lui-même pour les vertèbres de la queue. Dans la première colonne, la somme n’est pas juste, VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. h43 costaux, ne sontpas encore les variations les plus remar- quables qu'on ait constatées chez le cochon. Il s’en est produit, chez cet animal, une autre dans laquelle on ne saurait méconnaître une déviation singulière, @r- seulement du type de l'espèce, mais.de celui du genre : ou solipède, comme on l’a quelquefois nommé (1), la race à un seul ongle, comme l'appelle Frédéric Cuvier (2), ou mieux, comme il. le dit, le cochon à ongles réunis, i parait avoir existé fort anciennement : il a même été, sans nul doute, plus répandu et mieux connu dans l'antiquité que de nos jours. À l’époque d’Aristole, on. le trouvait surtout en Péonie et en Hlyrie. C’est aussi en Ilyrie que le place Pline (3). Dans les temps modernes, la Hongrie, (1) Movwébs, ARISTOTE, Hist. des anim., iv, Ir “Sus monungula, LINNÉ, Fauna suecica, Stockholm, in-8, 1746, p. 13. ` « Varietas frequens Upsaliæ suis domestici semper monunguli », ajoute Linné, Syst. nat., 10° édit, — Voyez aussi les Amænitates de Linné qui renferment (t. V) une dissertation de Linnu sur le Sus scrofa. / « Solidipes quasi porcus domesticus », PALLAS, Misc. dohi p. 19, 1766. — Le cochon solipède se rencontre surtout, selon lui, en Po- « jeu de la nature », Comme il l'appelle, était donc alors très commun en Pologne. L'est-il encore ?. (2) Article Cocon du Dictionnaire des scienc. nat., t. IX, p. 518, 1817. — F. Cuvier a décrit un pied qu'on lui avait envoyé ‘comme celui d’un cochon solipède. Les deux grands ongles étaient réunis par l'intermédiaire d’un troisième ongle terminant un doigt surnumé- raire entre les deux doigts principaux. Si ce sont là ses véritables caractères, le cochon dit solipède présenterait une disposition encore plus remarquable que la soudure des ongles. mais tout à fait téra- f tologique : la polydactylie. ; (3) Lib. XIE, cvr. oe pi mg ER dm hit la soudure des ongles. Le cochon monongulé, solidipède | | logne : « Lanionibus germanis notissimum est », ajoute Pallas. Ce cr ca 03 ag < vai 7 nansa 7 A tt Pre SR ER pr nu: fn MES CT En NESEN SE gt r r E O ” D ee re midt - ~ - d p ~ ` D + mn. ahi atian r a p> < + ds > n m - a a m CEST š ee e a PIRE J ne inc A TU CO UE NS MODS à re EE — Fate L2 4 4 i E : 1 m R r a Ahli NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XVHI. la Pologne et la Suède sont les contrées où on l’a parti- culièrement observé ; il est, ou il était à une époque très voisine de nous, commun en ces pays (1). Frédéric Cuyġgr le considère comme « une race singulière , encore »imparfaitement connue »; et tous les naturalistes, ajoute- t-il, en ont admis l'existence. Mais des mélanges doivent avoir lieu continuellement entre les cochons dits solipèdes qu'on n’a aucun intérêt à conserver purs, et les cochons ordinaires, et il est douteux que les premiers constituent aujourd'hui une véritable race. Au moins n’avons-nous jamais eu occasion de l’observer, ni même d'acquérir des preuves certaines de son existence actuelle. C'est pour tenir compte des singuliers caractères des cochons dits solipèdes, quw Aristote, après avoir distingué les herbivores en deux grandes sections, ceux qui ont le pied fourchu, comme la brebis, et les solipèdes, comme _le cheval, ajoute (2) que le cochon peut être rangé à la fois dans l’une et dans l’autre de ces sections. En raison de ces faits, le cochon a été cité par Cuvier comme présentant « l'extrême des différences produites » dans les herbivores domestiques ». Je me range volon- tiers à cette appréciation, mais en la complétant par cetle proposition : | i On trouve déjà, chez les mammifères herbivores, des variations qui portent sur les organes profonds aussi bien (4) Voyez la note. « On en trouve beaucoup en Hongrie et en » Suède », dit aussi PRICHARD, loc. cite, p.42. Et page 43 : « On trouve des cochons solipèdes dans quelques parties de l'Angleterre. On en trouve aussi qui ont le sabot divisé en cinq parties. » P EOC: Bee. VARIATIONS CHEZ LES. ANIMAUX DOMESTIQUES. 445 que sur les parties superficielles, et sur les caractères spécifiques etméme génériques. "OT. Chez le chien, les variations sont portées plus loin encore; Cuvier le reconnait très explicitement, et il fait mieux, il le prouve (4) : « Les chiens varient, » dit-il, non-seulement « pour la couleur, pour l'abondance du » poil, qu'ils perdent même quelquefois entièrement; » pour sa nature; pour la taille qui peut différer comme » À à 5 dans les dimensions linéaires, ce qui fait plus » du centuple de la masse» ; mais aussi «pour la » forme des oreilles, du nez, de la queue; pour la hau- » teur relative des jambes ; pour le développement pro- » gressif du cerveau », et par l'existence, dans quelques «races », d'un « doigt de plus au pied de derrière avec » les os du tarse correspondants v. Reprenons des principaux de ces faits, très suffisants assurément pour justifier la double conclusion que j'ai énoncée à l'avance, mais qui restent encore trop en deçà de la vérité pour que la science puisse s’y tenir. Les chiens, dit Cuvier, varient pour la couleur; au moins devons-nous ajouter qu'ils varient plus encore que les autres animaux domestiques, et tellement, que les variations semblent ici excéder toute limite et échapper à toute règle. L'étude attentive des faits dément toutefois la conclusion à laquelle conduirait un examen superficiel, Chez les chiens eux-mêmes, on ne voit apparaître au- (1) Ossem. foss., édit, in-4 de 4821, t. 1, p. LXI, r 1 H | |: $ Í ja ¥ i'i $ | j anaE AAG NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVIIL. cune couleur qu’on ne trouve, au moins très affaiblie ou mélangée, dans les types originels; les couleurs secon- daires dérivent toujours des couleurs primitives. De plus, la distribution des taches, si variable et, pour ainsi dire, si capricieuse qu'elle puisse sembler, est elle-même sou- mise à quelques règles. Non-seulement il est vrai, comme on l'a dit, que « toutes les fois que la queue offre une » coulenr quelconque et du blanc » (1), ou encore, au lieu de blanc, une couleur plus claire, « ce blanc » ou cette couleur plus claire « est terminale » (2); mais il est très ordinaire’aussi, quand l'animal n’est pas de teinte uni- forme, que le blane ou la couleur claire se retrouve en dessous, aux pattes et sur le milieu du museau, et qu’au contraire, le noir ou la couleur foncée occupe, en avant, la partie supérieure et postérieure de la tête et la base ou la totalité des oreilles, et en arrière, la croupe et la base de la queue. En un mot, rien de plus variable, chez le chien, que la proportiondes couleurs claire et foncée dont sa robe est teinte, couleurs dont l’une peut même disparaître complétement; mais, lorsqu'elles existent toutes deux, leur distribution présente une fixité dont on est d'autant plus frappé qu’on l’étudie davantage. Chez le chien, ce ne sont pas seulement les poils et la peau qui varient dans leur couleur, c'est aussi la mu- queuse buccale. Elle est noire chez quelques races euro- péennes de chasse et chez le chien chinois de boucherie. (4) DESMAREST, Encyclopédie méthodique, Mammaloygie, Paris, in-4, 1'e partie, 1820, p. 190. | (2) J'ai vérifié ce fait sur des milliers de chiens ; je nai jamais ren- contré que deux exceptions. UNE \ l VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 447 L'abondance, lal ongueur, la natare du pelage, se mo- difient considérablement chez le chien. Ilest des races dont les soies: tombent jusqu’à terre, et d’autres dont les E poils sont frisés et laineux ; d’autres encore, comme le "if chien du Kamichatka, sont {protégées contre le froid par une épaisse fourrure formée de deux sortes de poils. Dans les pays chauds, au contraire, le pelage devient ras ; à peine y a-t-il assez de poils pour couvrir l'animal, et la peau est même dénudée, sauf deux bouquets de poils, dans la singulière race connue autrefois sous le nom de chien de Barbarie ou d'Égypte, aujourd’ hui sous celui de chien turc, et qui n’est, en réalité, ni barbaresque ni turque, mais originaire de la côte de Guinée, et particu- lièrement du Cacongo (1), dont elle porte encore piy nom dans quelques pays. Les extrêmes des variations nv: ici, pour TP pe- lage, à plus grande distance encore que fii aucun autre animal AINS; sans excepter le FOUR et la chèvre. PRET te. qu DR, gr es TM nE P Er spi og is er rt gong satin er nat () ) Le Lacit est aussi appelé Calongo, d’où Éd. nom sous lequel on désigne en Colombie, d’après M. ROULIN, loc. cit., p. 333, les chiens nus dits turcs, et, par extension, les bœufs nus qui naissent | aussi parfois dans le pays (voy. p. 434) |‘ Le chien nu est très répandu dans l'Amérique chaude, particulière- ment au Pérou. Voyez HumBoLDT, Tableaux de la nature, traduction d'Evriës, Paris, in-19, 1808, t. I, p. 191 et 122; — et LESSON, Com- plément des œuvres de Buffon, Paris, in-8, 1899, t. HI, p. 206. ’ Quelques auteurs ont cru le chien, turc originaire de l'Amérique | chaude. Dans quelques parties de l'Amérique, on le croit originaire- ment chinois; d’où le nom de Perro chinesco ou Chino. (HUMBOLDT, loc. cit.). : ' i Ei 4 i N A N Aa à DAUBENTON assimilait le chien ture à un petit danois ayant eu « à » peau altérée et le germe des poils détruit par la grande chaleur ». (Hist. natur. ae 2 Buffon, t- HI,- p. 248; 1755.) LAS NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVIII. Il en est de même pour les variations relatives à la taille; et quoique Cuvier le dise très explicitement, il ne le dit pas encore assez ; les limites qu’il admet doivent être reculées de beaucoup. On en jugera par le tableau suivant, où J'indique les dimensions des principales races de chiens, d’après des mesures prises, les unes par Daubenton, les autres par moi-même (4). LONGUEUR HAUTEUR NOMS DES RACES. (la queuenon du train de à comprise). devant, Grand chien de montagne 1,582 0,770 Autre chien de montagne i 4,240 0,761 ; LITE 05110 1h, 107 0,690 1,056 0,690 4,042 0,629 0,947 0,636 Chien des Esquimaux 0,900 0,595 Chien courant 0,892 0,588 . Dogue de moyenne race 5 0,541 Kris 0,487 Basset à jambes lorses (rs DZ Braque de Bengale i 0,469 Chien marron de la Nouvelle-Hollande..... 0,568 ` Chien de berger.. i 0,546 Lévrier de moyenne race 5 0,365 — de petite race 34 0,365 Épagneul de Pékin 0,245 — à museau court du Japon (2).... ; 0,240 Petit danois 36 0,225 Épagneul de petite taille 0,162 Petit bichon Oe 5 D (4) Tableau déjà donné dans mes cours, dans mes Essais de zool. génér. (mémoire sur les variations de la taille), p. 381, et plus com- plet dans la 4° édition de mon ouvrage sur les Animaux utiles, p. 232. j (2) Le museau, qui est comme retroussé, n’a pas plus de 2 centim. de long, la tête en ayant 11. | J'ai pu mesurer cette race, extrêmement curieuse, ainsi que la pré- cédente, chez M. de Montigny, qui a ramené et possède un couple de chacune d'elles. a =æ ñ VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 449 La taille ordinaire du chien est, comme on voit, de 8 décimètres environ ; elle se trouve ainsi intermédiaire entre celle du loup et celle du chacal. Les extrêmes étant1",332 et0",220, 0",770et0",142, la taille maximum n’est pas seulement, comme le dit Cuvier, quintuple, mais plus que seæluple linéairement du minimum ; par conséquent, la plus grande race n’est pas centuple, mais plus de deux fois centuple en volume de la plus petite. Il est à remarquer que, parmi les races les plus diffé- rentes par leur taille, se trouvent des races extrêmement voisines par leur organisation, comme le grand et le petit lévrier, le grand et le petit danois. Ce rapproche- ment fait voir que les variations de taille doivent être en grande partie attribuées, quelques vues qu’on adopte sur les origines du chien, à des déviations du type spécifique, et par conséquent à l'influence de la domesticité. Le tableau qui précède ne fait pas seulement aperce- voir d'énormes différences dans la taille des races canines, il montre aussi combien en varientles proportions : avec la même longueur, deux chiens peuvent différer dans le rapport de 4 à 2, et à 3, et même près de 4, s nous faisons entrer les lévriers en ligne de compte. Tandis que ceux-ci sont plus élancés et plus sveltes encore que le guépard et la cynhyène, les bassets, par la brièveté | des membres, qui même deviennent tors dans une race, et par l'allongement extrême de leur corps, se rappro- chent des carnassiers dits vermiformes, et même des plus vermiformes de tous, des loutres et de Aie genres | longtemps confondus avec elles. IT, « 29 $ PEP A V | RS n > AT -i i | dé om horse PRE “ere APE à r AONE: des w a pe aae eran dé aunit pr mm RS Te D ie SE FRET e oe a | l F É ADO NOTIONS FONDAMENTALES, LIV; Hy GHAP. XVIL. On trouve souvent, même chez des chiens dont les proportions générales sont les mêmes, de très grandes différences dans la grandeur relative des. oreilles.. Les conques auditives sont beaucoup plus courtes chez le chien chinois de boucherie, que chez le loup.ou le cha- cal ; dans un grand nombre de races, elles deviennent très longues et tombantes ; chez quelques chiens, elles pendent presque jusqu'à terre. Une déviation du type fort singulière, et qu'on ne con- naît, à part les anomalies individuelles, que chez le chien, est celle qui caractérise les races dites à deux nez : la fissure soit nasale et labiale, soit seulement nasale. D'autres aussi ont une fissure labiale sans fissure nasale. Une auire, très intéressante en ce que nous en saisissons la concordance avec les habitudes, est l'existence d’une membrane interdigitale très étendue chez le chien de Terre-Neuve, si remarquable par ses habitudes aqua- tiques. Cette-membrane, au lieu de s'arrêter à l’origine de la seconde phalange, s'étend dans cette race jusqu'à la troisième : les pattes sont done palmées (1). Une autre, bien plus remarquable encore que les pré- cédentes, est l’obliquité des molaires dans les races à mu- seau très court. La brièveté des arcades dentaires rendant impossible le placement des molaires les unes à la suite desautres et dans le sens de leur longueur, elles se mettent ea travers, parallèlement les.unes aux autres. Quand, au contraire, les mâchoires s’allongent beaucoup, les dents (4) Sur les instincts de ce chien palmipède dans leur rapport avec ses caractères organiques, voyez Fr. CUVIER, Histoire naturelle des mammifères, articles sur le Chien de Terre-Neuve, 1820, #4 À HARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX iiaia i i haut en bas comme à l'ordinaire. Enfin il y a aussi, selon les races, des différences dans - les dents elles-mêmes : les carnassières et les tubercu- leuses ne sont pas toujours développées dans le même rapport, fait qui a surtout été reconnu et qui a été très bien établi par M. Giebel (4). x z . En présence de ces variations, presque toutes si faciles à constater, on ne lit pas, sans quelque étonnement, dans le mémoire de Frédéric Cuvier sur les caractères. ostéolo- giques des chiens (2), cette assertion reproduite depuis un i (4) Hundêrassen oder Hundearten ? dans la Z eitschrift für die ge- était Naturvissenschaften de GIEBEL et HEINTZ, t. V, 1855, p. 558. (2) Annales du Müséum d'histoire ue VIE, 1811, el pe Əlli | j 454 conservent leur direction ordinaire ; mais, ne pouvant plus occuper toute l'arcade, elles cessent d'être vontigües. Dans ce dernier cas, il se développe quelquefois une molaire de plus, et cette molaire peut être une tuberculeuse aussi bien qu’une fausse molaire. Mais ces déviations du. type se présentent rarement et ne sont guère que des ano- malies purement individuelles ; l’obliquité des molaires | et leur non-contiguité sont au contraire des caractères de races, et par conséquent se montrent très commu- | _nément à l'observation. Il en est de même de l'inégalité des mâchoires dans quelques races, Où, inférieure étant la plus longue, des rapports nouveaux en résultent pour les dents d’une må- -choire avec celles de l’autre : les incisives et même aussi _ les canines inférieures sont très en avant des i incisives. supérieures, et les molaires ne se correspondent plus de D SA Gone hs potter mater 7 msu e sde rage RÉ EEIEIE Aee E RAEADR T Jr pae È É { E ie 0 À | 40 S y ig £ ni | | nr ut I 4. = A PAL mr 2 re raie paresse 152 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVIII. demi-siècle : « De toutes les dents (chez les chiens), » aucune ne change d'une manière appréciable pour la » forme et pour les rapports dans quelque race que ce » soit; seulement on trouve quelquefois une fausse molaire » ou une tuberculeuse de plus. » | Aucun changement appréciable dans les rapports ! Faut-il croire que Frédéric Cuvier n'avait pas connu ou qu’il oubliait les faits que nous venons de citer, et parti- culièrement les dispositions si curieuses par lesquelles le système dentaire s’accommode aux longueurs iné- gales des arcades alvéolaires ? Y a-t-il des changements non-Seulement plus appréciables, mais plus remarquables, dans les rapports, que l’écartement de ce qui se touchait, et surtout que la juxtaposition, pour ainsi dire ‘bord à bord et parallèlement, de ce qui était bout à bout dans en car rene rétro ms cd tar € Le Tl un ordre sérial ? Les caractères ostéologiques ne sont pas plus fixes que les caractères odontologiques. Nous venons déjà de le voir pour les proportions des mâchoires, etil en est de même de tout le reste du squelette, particulièrement du crâne. | Selon Frédéric Cuvier, les différences crâniennes sont à la fois nombreuses et importantes. Celles qui séparent Je chien de berger du barbet sont, dit-il, «considérables », mais, quelles qu’elles soient, «elles paraissent faibles », par comparaison avec celles bien plus considérables que présente le dogue : ici «il semble que toutes les parties » aient été repoussées en haut »; ici « les pariétaux, au » lieu d’être bombés, sont aplatis », ét «la tête, quoique » d’un tiers plus grande, est loin d’avoir la capacité 5 VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUESe 458 » du crâne aussi étendue ». Dans les races canines, dit àson tour Georges Cuvier, « la forme de la tête, tantôt _» grêle, à museau effilé, à front plat, tantôt à museau » court, à front bombé » amène des « différences ap- » parentes plus fortes que celles d'aucunes espèces sau- » vages d'un méme genre naturel». A cette déclaration, ne semble-t-il pas qu’on ne puisse rien ajouter ? Et ce- pendant, si elle est vraie, elle est loin encore d’être toute la vérité. Les différences ne sont pas seulement plus fortes que celles des espèces congénères, elles vont au delà de celles qu'on rencontre d'ordinaire dans les genres placés l’un à la suite de l’autre dans la série. Où trou- = verait-on, parmi les mammifères, non-seulement deu «espèces d'un méme genre naturel », mais deux genres voisins différant entre eux par les caractères suivants : d’une part, un crâne aplati latéralement, à crêtes crå- niennes considérables, à cavité cérébrale très réduite ; de l’autre, une boîte cérébrale globuleuse, à crêtes plus ou moins effacées, et dont la cavité est assez amplifiée pour loger un encéphale double en volume, en même temps que d’une conformation à plusieurs égards très ~ différente? Voilà ce qu'on chercherait en vain entre deux genres très rapprochés dans la série, et ce que pour- tant nous rencontrons parmi les races canines, entre les dogues d’une part, et de l’autre le barbet et le roquet. | Ilya aussi à ajouter à ce qu'on a dit des autres parties du squelette. Le nombre des vertèbres caudales varie, selon Frédéric Cuvier, de 21 à 16; mais, d’après lui-même, le minimum doit être beaucoup baissé, car il ia ts _ V4} pi 4 i one ee Matte po R N a z — = A T Re E n 3 : me nne aar DE e A54 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVIIL. paraît exister une race À queue extrêmement courte (1); toutefois ce fait n’ést pas encore bien établi. Quant aux variations des nombres des vertèbres dorsales, lombaires et sacrées, ni F. Cuvier, ni M. Giebel et les auteurs récents nont cherché à les déterminer. Les os des membres, très modifiés dans leurs propor- tions, et parfois dans leurs formes, notamment chèz les bassets, ont aussi leurs variations numériques. Au lieu de quatre doigts avec des vestiges sous-cutanés de pouce, on trouve en arrière, dans quelques races, quatre doigts sans trace du cinquième ; dans d’autres, au contraire, cinq doigts. La première de ces variations $e rencontré surtout dans les petites races, comme l’a récemment constaté M. Giebel (2), et la seconde dans les grandes, comme je l'avais aperçu depuis longtemps (3). Georges Cuvier, qui a passé si rapidement sur plusieurs des faits précédents et laissé tous les autres de côté, a insisté au contraire sur la pentadactylie postérieure du chien, comme sur un Caractère très remarquable, le plus remarquable mêmé de tous; car, dit Cuvier, « ceci est le » maximum de variation connu jusqu'à ce jour dans le (1) Quant à l'absence de la queue, je ne la connais, soit par le témoignage des auteurs, soit par mes propres observations, que comme anomalie individuelle. Cette anomalie est d’ailleurs moins rare qu’on ne l’a prétendu. On s’est trompé en supposant qu’elle n'avait même jamais été vue par les naturalistes actuels. Voyez une note de M. MARTIN SAINT-ANGE, insérée dans les Annales des sciences naturelles, t. XI. (2) Loc. Gita p. 355. (8) Histoire générale et particulière des anomalies, Paris, in- 8, t I, p. 692, 1882. — La pentadactylie est, tantôt et le plus souvent, un fait individuel, tantôt un caractère de race, | i # VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. h55 » règne animal» ou, selon. les expressions de M. Flou- rens (1), « l'extrême des différences que l'esclavage, » porté à l'extrême, a produites». Le maximum, lew- tréme, est bien plutôt, pour nous, dans les changements - que subissent la conformation générale de la tête, le dé- veloppement relatif du crâne et de la face, et la propor- tion même dé l’encéphale qui varie en volame du simple au double. Mais nous n'en voyons pas moins dans la substitution de la pentadactylie à la tétradactylie une dévia- tion très remarquable du type; déviation à importance de laquelle ajoute même beaucoup un fait omis par Cuvi et par tous ceux qui sont venus après lui. Non-seulement, dans la pentadactylie, on voit se sure ajouter au lypenormal, avec le doigt lui-même, un méta- tarsien, «deux os du farsé», comme le dit Cuvier, et les parties molles correspondantes ; mais les connexions mêmes changent parfois, malgré cette affirmation de Cuvier : du moins, «dans toutes les variations, les rela= tions » des os restent les mêmes». Pour reconnaître le contraire, Cuvier n’avait qu'à jeter les yeux sur plusieurs pièces dès lors. préparées par ses ordres, ou plus sim- plement encore, à se souvenir des résultats d’un travail qu'il avait non-seulémént suivi pas à pas, mais dirigé, celui de son frère. Frédéric Cuvier, signale, en effet, expressément. «dans quelques variétés » pentadactyles, des changements notables dans les connexions dés os du t arse, et particulièrement l'union du grand cunéiforme avec l'astragale par «unelarge face articulaire » (2). Donc, (1) Buffon, hist. de ses trav., Yo. cut... Di 97 « 2) Loc. cit., p. 343. a 3 SAT a S PRE EEA SIERE a T RP EREES de Aou Ar er SN L a iE pue un Potro an aes su n TS EE US UNE Re. cs Í En Ram Qt dm Sat h56 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XVIU. ici encore, la limite doit être reculée : si les connexions sont infiniment moins variables que les caractères de forme, de disposition, de grandeur et de nombre, encore ne sont-elles pas absolument constantes. Aprés tous ces exemples de variations nous sommes loin d'avoir épuisé un sujet qui est, à vrai dire, inépui- sable; mais ce qui précède suffit amplement à notre démonstration. Les caractères acquis par les races canines, sous l'influence de la domesticité, ne sont, pour quelques- unes, qu'accessoires et superficiels, mais dans d’autres ils deviennent profonds et acquièrent une grande valeur. Appréciés selon les règles ordinaires de la zoologie, ils devraient souvent être dits, non-seulement spécifiques, mais plus que spécifiques, conclusion de Lamarck (1), en partie admise par Cuvier (2), en un mot, génériques (3) ; et encore n'est-ce pas assez dire jusqu'où elles s’éten- dent, car si les différences qui séparent les races ca- nines sont souvent assimilables à celles de deux genres voisins, elles sont parfois plus considérables encore, et (4) Voy. p. 423. ; s . (2) Au moins en ce qui concerne le crâne, voy. p. 455.— Parmi les défenseurs de la fixité de espèce, voy. aussi MAUPIED, Loc. cit. (3) Comme je lai dit, dès 4832, pour l’ensemble des caractères, voy. Hist. génér. des anom., loc. cit., p. 219.— Et comme M. GIEBEL l'a parfaitement établi pour le crâne, loc. cit., p. 356. BUFFON, Sans employer ce mot, n’a-t-il pas exprimé la même idée, lorsqu'il a dit (Hist. natur., t. V, p. 192) : « Dans le même pays un » chien est très différent d’un autre chien, et l'espèce est pour ainsi » dire toute différente d'elle-même dans les différents climats. » La succession rapide des générations chez le chien est, selon Buffon, une des causes de la multitude et de l'importance des variations qu'il subit. | E "s * VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 457 telles qu’on ne saurait rencontrer d'aussi grandes diver- sités qu'entre deux genres plus ou moins distants dans la série. sf, VIL Dans ses remarques sur les variations subies par les animaux domestiques sous l'influence de la domesticité, Cuvier s’arrêle après le chien. Avait-il jugé moins dignes d'attention les modifications qui se sont produites, sous ‘la même influence, chez les autres animaux ? De celles-ci cependant, on peut dire aussi bien que de celles qui pré- cèdent : elles ne sont pas seulement superficielles et ac- cessoires, mais souvent profondes, et assez importantes pour être considérées comme de valeur spécifique, et même plus que spécifique. Nous n’avons pas besoin, pour le montrer, de longs détails ; les faits qui vont se présenter à nous ont avec ceux qui précèdent une analogie qui rend notre tâche facile. Les oiseaux sont, après les mammifères, la lai qui a donné à Phomme le plus grand nombre d'espèces domestiques (1), et quelques-unes sont très anciennement en son pouvoir. Aussi est-ce dans cette classe que nous allons trouver le plus de variations. : Nous y voyons d’abord changer, comme chez les mam- mifères, les couleurs des téguments, soit celles de la peau elle- -même, soit celles des EE épidermiques. Le plu- w Voy. p. 51. - A ES E E miid AE A a CES E. R ile à 4 h58 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP. XVHE, mage est, chez les poulès surtout, de teintes: si diverses, qu'il faut, ici aussi, une grande attention pour ramener les couleurs secondaires aux couleurs primitives. Chez: certaines races gallines, il y a même quelque chose de plus : la coloration varie à l'intérieur comme à l'exté- rieur. Déjà, chez le chien, nous avions vu noircir la mu- queuse buccale ; la coloration noire pénètre bien plus profondément chez les poules dites négresses. Non-seu- lement la plupart des muqueuses deviennent beaucoup plus foncées qu’à l'ordinaire, mais il en est de même du périoste, de la dure-mère et de plusieurs autres mem- branes qui peuvent devenir bleuâtres, noirâtres et même noires : on voit, dans presque tous les musées d’ana- tomie comparée, des poules à squelette entièrement noir, si le périoste a été intégralement conservé. Il n’est pas sans intérêt de faire remarquer que les poules négresses sont originaires de pays chauds. Chez la poule négresse à plumes blanches, race dont la peau noire est en effet recouverte d'un plumage par- faitement blanc, la région auriculaire est revêtue d’une peau bleuâtre, brillante, nacrée. re La couleur des œufs a elle-même changé sous l'in- fluence de la domesticité. Les poules Nankin et Brahma- poutra pondent des œufs très colorés, leur teinte est rous- sâtre ; les races européennes pondent toutes, au contraire, des œufs blancs : la domesticité les a décolorés. > | L'abondance, la nature, la disposition du plumage, se modifient aussi considérablement. Il y a des races gallines dont le plumage, en conservant les caractères ordinaires, devient plus serré, plus abondant ; d’autres où les-plumes | \ VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 459 <. sont frisées ét dirigées en arrière ; d’autres où elles sont molles et presque laineuses comme chez le Gallus lanatus; d’autres que recouvre seulement du duvet qui ter d'o or- dinaire la base des plumes. Un fait intéressant, dû à M. Roulin (4), est la nudité du poulet de læ race galline quis’est constituée en Colom- bie depuis quelques siècles : ce poulet naît avec un péu de a duvet, le perd bientôt, et reste complétement nu. Les poulets, de races plus récemment importées, sónt au contraire vêtus de duvet. Une modification très remarquable aussi, mais deve- nue si commune qu'on y fait le plus souvent peu d’atten- tion, est celle qui a lieu chez les poules et les pigeons dits pattus : des plumes poussent sur les tarses et même les doigts, s'étendant ainsi sur des parties qui, dans le type originel, ne sont recouvertes que d'écailles. La taille n’est pas moins variable que l'état du -o mage. Dans quelques races, les coqs sont hauts comme des dindons ; dans d’autres, ils sont petits comme dés pigeons ou des perdrix : d’où les noms de poule- pigeon et poule-perdriæ. Par contre, on a des pigeons gros comme des poules de moyenne taille. Chez le dindon, le canard, chez Toie surtout, les différences sont moindres, mais très marquées encore : d’une race à l’autre le volume varie dans le rapport de 4 à 2 et même 3. C’est en grande partie, comme chacun le sait, sur les caractères fournis par lebec qu'est fondée, en ornithologie, f la distinction, non pas seulement des espèces, mais des (4) Loc. cit., p. 350. Re es |: SC TL te ER Rd à 4 Ci aa oaa Hs mn» = de vu. > [460 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XYIHL. genres. Dans les races domestiques, le bec tantôt se rac- courcit, tantôt s'allonge notablement ; ailleurs il devient plus grêle, ou au contraire s’épaissit: ces variations sont surtout prononcées chez la poule et le pigeon, dont plu- sieurs races, à ce point de vue, formeraient des espèces et même des genres bien caractérisés, si l’on appliquait aux animaux domestiques les règles ordinaires de la zoologie. Pour les poules en particulier, 1l est même vrai de dire que ce ne sont pas quelques-uns des caractères généri- ques, mais tous qui viennent tour à tour à disparaitre. Dans quelques races on voit la queue, dont la disposi- tion est si remarquable chez le coq et la poule sauvages, non-seulement se simplifier, mais cesser complétement d'exister ; parfois, avec les rectrices, manquent les ver- tébres coccygiennes : ainsi s'efface un des deux princi- paux caractères distinctifs du genre Gallus. Le second, qui est l'existence d’une crête charnue, n’est pas plus constant : la crête, qui se dédouble dans certaines races, manque dans plusieurs autres, dont quelques-unes, huppées, ont le crâne singulièrement modifié dans sa partie supérieure : il se relève, en effet, pour former une sorte de renfle- ment au-dessus duquel la voûte crânienne est percée de trous ou même largement perforée : le cerveau, très dé- veloppé et très modifié dans sa forme, se prolonge dans | l’intérieur de ce renflement (1). (1) «Cerebrum præter modum luxurians omnem cavitatem explet », dit PALLAS, qui avait déjà très bien étudié les poules à vertex renflé, vertice tuberoso, comme il les appelle. Voyez les Spicil. zool., asc. IV, p. 20, 1767. — Sur ces poules, voyez aussi VIMONT, Traité de phrénologie, Paris, 1832-1836, in-4 avec atlas in-fol. Dans la pl. XVII sont figurés cinq crânes. VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 461 Nuant aux doigts, chez les poules, non-seulement la disposition, mais le nombre même en est variable : il y a des races ò cinq doigts. | On observe, soit chez la poule, soit chez d’autres oi- seaux domestiques, des modifications dont il ne suffit pas de dire qu'elles altérent le type spécifique ; elles changent les conditions de la locomotion. Les jambes s’allongent dans quelques races gallines, qui deviennent compa- rables à des échassiers; d’autres races ont, au con- traire, les membres si courts, que leur plumage traîne à terre, et qu'elles ne peuvent plus s’avancer rapidement que par une suite de petits sauts : d’où le nom de poule | sauteuse. Dans d’autres, c’est sur les membres antérieurs que porte la diminution de volume. Chez la poule de Nankin, l’aile entière, pennes, squelette, muscles, y compris les trois pectoraux, est imparfaitement dévelop- pée, en sorte qu’à vrai dire, l’oiseau ne vole pas, il vol- tige. A l'inverse, dans quelques races colombines, on voit les ailes se développer bien au delà des conditions, déjà si favorables au vol, qu'on rencontre dans le type primitif. Quelques pigeons se rapprochent de l’hirondelle, et on leur en a depuis longtemps donné le nom. Dans d’autres races, la queue se compose souvent d’un beaucoup plus grand nombre de rectrices, et de rectrices autrement disposées qu’à l'ordinaire ; d’où résulte encore une modification très notable, non-seulement dans l'aspect général de l'oiseau, mais aussi dans les conditions de sa locomotion (1). | (1) Outre les ouvrages ornithologiques, les nombreuses publications spéciales (parmi lesquelles le journal le Pigeon, 1855), voyez sur les ge cette NU bus | a ed a psg tes mr roi ES mir En EL 2? a igs tanne i nier ie iii 48 si di La -aiii ù h62 NOTIONS FONDAMENTALES; LIV, H} CHAP. XVIN. Enfin, chez le canard, les membres abdominaux sont reportés si loin en arrière dans une race, le canard-pin- gouin, que l'oiseau, pour équilibrer sa station, surtout lorsqu'il marche et se hâte, se tient dans une attitude presque verticale, comme les manchots et comme les pingouins, auxquels on l’a comparé. Ce dernier exemple, peut-être moins remarquable en lui-même que plusieurs des précédents, offre un intérêt particulier par l'espèce où on l'observe, et qui n’est pas, à beaucoup près, une des plus anciennement domestiquées. VII. En dehors des deux premières classes du règne ani- mal, nous n'avons, à l’état domestique, que deux pois- sons et quelques insectes, dont un seul est, à la fois, très complétement et très anciennement au pouvoir de l’homme. Nous n'aurons donc ici qu'un petit nombre d'exemples, mais encore ne seront-ils pas sans intérêt. Parmi les poissons, la carpe varie non-seulement dans sa Coloration, sa taille et la grandeur de ses écailles, mais dans ses proportions générales (1) et dans w conforma- races colombines, Ch. DARWIN, On the basis of vue Londres, in-8, 4859, p. 20 et suiv. (1) VALENCIENNES, Hist. nat. des poissons, Paris, in-8, t. XVI, p. 62, 18/2. — GODRON, loc. cit., p. 458. Il est particulièrement question dans ce passage d’une carpe introduite de Pologne en Lorraine par le roi Stanislas, et dont « la longueur est seulement double de la » hauteur. » : VARIATIONS CHEZ: LES ANIMAUX. DOMESTIQUES. h68 tion’ si satête, qui tantôts’allonge, tantôt et-plus souvent se raccourcit ; qui, parfois même, est comme tronquée, la mâchoire. inférieure.restant seule, allongée, comme dans la carpe à bec ou carpe mopse (1) des Allemands, dont on a fait quelquefois même la carpe à visage humain. Ces diverses déformations, et notamment la dernière, qui est, de toutes, la plus remarquable en même temps que la plus commune, se trouvent reproduire, par anomalie, chez la carpe, les caractères normaux de plusieurs autres poissons malacoptérygiens,el notamment de divers mormyres PIN Le cyprin doré, non moins variable que la carpe dans sa couleur, sa taille et ses proportions, se modifie aussi dans ceux de ses caractères qu’on considère comme par excellence spécifiques ou même comme génériques. Les nageoires se sont considérablement écartées du type dans quelques races; et il arrive même que la dorsale, non- seulement. devienne très petite, mais disparaisse com- plétement. | + Parmi les insectes, on connaît plusieurs races chez l'abeille elle-même, qui pourtant n’est qu'imparfaitement domestiquée. Les apiculteurs distinguent particulièrement la petite hollandaise, qu'ils préfèrent aux autres (3), etla (1) MOPSKARPFE.— Cyprinus rosiratus de plusieurs auteurs; entre autres de HAMBERGER, De sn MONSITOSO +; he Iéna, 1792 {trois dissertations). | $ (2) Comme je lai fait voir, Hist. génér. + anom., t. 1, p. 285, 1832. (3) On faisait déjà, chez les anciens, les mêmes distinctions, et l’on avait les mêmes préférences ; témoin ces vers : à Namque aliæ turpes horrent... .…… élucent aliæ, et fulgore coruseant, - Ardentes auro, et paribus lita corpora guttis. Hæc potior soboles ..... t EEr (VIRGILE, Géorgiques, liv. IV.) \ sd RU CI i ei i ] | pi LH. f | Rhume | D AL ed été 7 RES mal) à a PE AS % ass. - P ne A ih AE : As | | ji į E aS e ne a [GE NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVII. noire, qui se distingue, non-seulement par sa couleur, mais aussi par sa taille beaucoup plus grande (1). Chez le ver à soie du mûrier, les races sont plus nom- breuses, et distinguées par des caractères plus impor- tants. Selon les races, les cocons sont jaunes ou blancs, gros, moyens ou petits, presque sphéroïdaux, ellipsoïdes ou étranglés dans leur milieu. A ces différences, qui sont les plus connues parce qu'elles intéressent surtout la culture et l’industrie, il faut ajouter celles que présentent les insectes eux-mêmes, très inégalement volumineux, et très diversement colorés, soit dans leur ensemble, soit dans leurs parties. Une déviation très remarquable du type, commune à toutes nos races européennes, est la privation plus ou moins com- plète du vol. Elle a lieu sans nul doute, en partie parce que leurs instincts se sont modifiés, mais en partie aussi parce qu'elles se sont alourdies, et parce que l'appareil locomoteur n’y subit plus une complète évolution. Parmi les insectes, c’est chez le ver à soie du mûrier, l'espèce dont l’homme s’est le plus complétement rendu maitre, que les modifications ont été portées le plus loin. Si, chez les insectes, et de même chez les poissons, les faits ne sont plus aussi décisifs que dans les classes précédentes, ils sont donc du moins dans le même sens, (1) Selon quelques auteurs, les abeilles, transportées en d’autres lieux, se modifieraient très rapidement. « Les petites abeilles brunes » de la Bourgogne, dit GÉRARD, transportées dans la Bresse, devien- » nent grosses et jaunes à la seconde génération. » (Voyez l’article Espèce du Dict. univ. d'hist. natur., te V, p. 438, 1844.) VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX CULTIVÉS, 465 et concourent également à justifier cette PRoponition si ; longtemps contestée : Partout où des causes puissantes ont agi d’ une manière permanente, le type a subi, chez les animaux domestiques, des modifications, non pas seulement accessoires et su- _perficielles, mais importantes et profondes; et, pour préciser davantage, il s’est produit des caractères égaux en valeur à ceux par lesquels on différencie d’ordiaaire, en zoologie, les espèces, soit mêmé les genres. IX. Les faits relatifs aux végétaux ne tendent pas seule- ment vers la même conclusion; ils sont, autant que ceux qui précèdent, décisifs en sa faveur. Nous sa- vons déjà, par l'étude des plantes sauvages, que, dans le ` roer S ia s à: AD aai se règne végétal aussi, l'organisation se modifiè sous l'in- -fluence des circonstances extérieures ; l'étude des plantes cultivées montre que les modilications produites sous l'influence de l'homme sont très multipliées et peuvent être très considérables; plus multipliées même et non moins considérables que chez les animaux où nous avons trouvé l'extrême des variations zoologiques. J A défaut de cette étude. qui ne saurait trouver place dans cet ouvrage essentiellement zoologique, jetons du moins un rapide coup d'œil sur les effets de cet ensem- ble très complet de causes qui résultent de l'action com= binće du déplacement et de la culture. L'existence, chez les végétaux cultivés, d’une multi- ie ‘ 30 è f ky $ Ë 466 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVIN. tude de variétés, estun premier fait généralement connu ; pour l’ignorer, il faudrait n'avoir jamais ni. parcouru un verger, ni visité une exposition florale : mais ce que tout le monde sait de la variabilité des végétaux, n'est encore qu’une bien faible partie de ce qui est. Chez plusieurs végélaux utiles, chez plusieurs plantes d'ornement, c’est par centaines, c’est par milliers qu’on compte les variétés obtenues par la culture, ou plutôt on ne les compte plus, on lesdistribue par groupes, distinguant seulement, dans chacun, ce qu’on a appelé les variétés de choix ou d'élite. Pour commencer par les plantes les plus utiles de toutes, comment faire le dénombrement exact de toutes les céréales, et particulièrement de tous lès froments ? Olivier de Serres y renonçait lui-même il y a deux siècles et demi, tant il voyait les blés « autant diversifiés les uns. » des autres » : diversifiés, ajoutait-il, « autant comme » il a de terres qui les produisent » (1). Les variétés sont cependant plus multipliées encore parmi les plantes de nos jardins, qui sont, pour ainsi dire, dans un contact plus intime avec l'homme. Les œillets sont si variés, qu’ils ont dû être rapportés à quatre groupes prin- cipaux, très distincts, et comprenant chacun une multitude de-variétés et de sous-variétés. On a des milliers de tuli- pes : celles que l’on cultive de préférence comme variétés d'élite, sont au nombre de huit cents. Les dahlias, qu’on ne cultive que depuis un demi-siècle, sont déjà presque aussi variés que les tulipes ; et les pensées, les reines-margue- rites, les camellias et bien d’autres (2), ne le sont guère es s Aam Da aara aa a Te -p á (4) Théâtre d'agriculture, édit. in-4 de 4804, t. 1, p. 434. (2) de laisse de côté les Pelargonium, Leurs innombrables variétés VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX CULTIVÉS. 467 moins. Parmi les rosiers, arbustes dont la culture paraît remonter à la plus haute antiquité, on a distingué et dénommé jusqu'à trois mille variétés auxquelles bien d’autres pourraient être ajoutées (4). On les partage en dix groupes principaux qui sont comme autant de grands genres subdivisés en sous-genres. Les arbres fruitiers ont donnéaussi de très nombreuses variétés. On cultive des centaines de pommiers, soit pour la table, soit pour la fabrication du cidre. Les poiriers sont bien plus multipliés encore : on compte aujourd’ bui, selon le Bon jardinier (2), « plus de trois mille noms de » poires inscrits sur les catalogues ». Quant aux vignes, Virgile disait déjà (3) : comment en savoir les noms et les nombres ? autant vaudrait compter les grains de aaie dont le vent se joue au bord de la mer : ..æquoris idem Discere quàm multæ ukih turbentur arènæ (4). La valeur considérable des modifications produites par la culture n’est pas moins généralement connue que leur multitude. Parmi les Fate les plus vulgaires, se rencon= ont pour souches, non un petit nombre d'espèces ou même une seule, mais au contraire un assez grand nombre qu’on a à la fois mystik par la culture et hybridées. 3 (4) Ces variétés se rapportent, il est vrai, à pisieurs rides dis- tinctes. (2) Année 1861, p: 359. | Ex (3) Géorgiques, liv. I. : (4) Dans une seule collection formée à Grinzing, près de Vienne, on avait réuni 565 cépages français, 632 autrichiens, 489 italiens, etc., et la collection était loin d'être complète. (ODART, Arpélographie universelle, 2° édit., Paris, in-8, 1849, p. 56.) SET AE OS ia e Sem | \ one DDR EN NE E NRGRE “set ons DR. n 3 : i A A Fip - (0 LE E $ GEO COEIRE E E e EE 4 ME + € es He CU de DA rca nd à 168 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP. XVIII. trent ici, à chaque pas, les exemples les plus décisifs. Qu'est-ce. que la pomme et la poire sauvages? De petits fruits acerbes qu’acceptent à peine les animaux. On sait ce qu'en a. fait la culture, Qu'est-ce que la rose-dans l'état de nature? Cinq pétales en couronne, entourant un grand nombre de pistils, un très grand nombre d’étamines. La rose de nos jardins, au contraire, est à cent feuilles, ou plutôt à innombrables pétales, sans ou presque sans:or- ganes reproducteurs : cum damno staminum quæ excres- cunt in petala, comme l'avait déjà reconnu Linné (4); en sorte que nos plus belles fleurs sont, c’est encore Linné qui le dit, des monstres et des eunuques : monstra sunt, eunuchi evaserunt; et encore n'est-ce pas là le dernier _ degré de la métamorphose des organes floraux, car la rose prolifére est encore plus loin du type que la rose à cent feuilles (2). Nos polagers n'offrent pas aux études tératologiques un champ moins riche que nos vergers et nos jardins fleuristes. C'est déjà un fait très remarquable, surtout après les belles expériences qui l'ont mis en pleine lumière (3), que la transformation de la racine pe- > kaaa nn pr ar Cum 2 2 à | (1) Philosophia botanica, prop. 150. On sait de plus aujourd’hui que dans les roses doubles il y a souvent multiplication en même temps que métamorphose. (Voyez MoQUiIN-TANDON, Éléments de téra- tologie végétale, Paris, in-8, 1841, D 25) (2) C'est encore ce que dit Linné, ibid.: « Proliferi monstrorum » augent deformationem. » | (3) Le plus grand nombre et les plus décisives sont dues à ViLMo- RIN père, qui les a ainsi résumées lui-même, (Description des plantes potagères, Paris, in-19, 1856, p. 43): «En prenant à sa source le type » de la carotte, nous avons voulu expérimenter par quels moyens on VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX CGULTIVÉS. — 469 tile et mince, coriace et filandreuse du Daucus carota en un légume conique ou même presque globuleux, épais, quelquefois énorme, et, dans presque toutes ses variélés, tendre et charnu. On n'arrive pas sans étonnement À re- connaître un seul et même végétal, modifié par la cul- ture, dans le radis, globuleux ou allongé, rouge, ‘rose, blanc ou gris, qu’on sert habituellement sur nos tables, le raifort noir, à tissu si dur, recherché quelquefois pour son âcrelé même, et le radis de Chine, grêle, sec, ulile seulement par ses graines huileuses. Mais, si remar- quables que soient ces variations, celles que présente le chou le sont bien plus encore : les choux pommés ou cabus, les choux de Milan, les choux verts sans tête, les choux raves et leurs innombrables variétés (1), ne sont que des dérivés de la même Brassica; et il en . même encore ainsi des choux-fleurs et des brocolis, les fleurs étant atrophiées et les pédoncules:ayant pris au contraire un accroissement outre mesure, « toute l’inflo- ». ppnsait saines une plante de l'état sauvage à la perfection qui en » fait une plante usuelle par des semis successifs... et par des choix » faits avec discernement, nous avons obtenu, après quelques années » de culture, des racines de volume égal à celles qui sont cultivées » dans les jardins: nous y avons même aiiin: plupart des variétés » cultivées. » Pour plus de détails, voyez le mémoire de Vilmorin inséré en 1840 dans les Transactions of the Horticultural Society de Londres, 2° série, t. Il, p. 348, et reproduit par son fils Louis VILMORIN, No- tices sur Vamétioration des plantes par le semis, Paris, in-8, 4859, p. 5. On a, par des expériences où dans des circonstances inverses. ramené lá carotte cultivée au type sauvage. ; (4) Voyez sur ces variétés, GODRON, loc, Cils, t, J, pe Bi. e LE ML Up fl Ti . 1 į néant x M mn er es tt rt nd ce LS LÉ A ee ` ai A ERE a e E PET e RER AR RAR ah e Mers mm that A eve p T Éd e ot b p» à i à i j a pee eas 470 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVIIL. » rescence prend l'aspect d’un corymbe régulier, énorme, » charnu» (4). | De ces dévialions du type, il en est qui ne sauraient être que des variétés proprement dites, et non des races, car leurs caractères mêmes exeluent la possibilité de la fécondation. D'autres, quoiqu'il y ait fécondation, ne sont pas transmissibles par semis, ou ne le sont que très irré- guliérement, et par conséquent ne constituent encore que de simples variétés. Mais il en est aussi, et en grand nombre, dans lesquelles les caractères produits par la culture sont régulièrement transmis par la génération; si bien que, de même que les animaux domestiques ont leurs races, les végétaux cultivés ont aussi les leurs. Les botanistes lont nié longtemps, mais ils le niaient contre l'évidence des faits, et quand De Candolle a dit, en 1843 (2) : il y a des races chez les végétaux cultivés, et « les jardiniers le savent tous », il eût pu ajouter : les agti- eulteurs le savent aussi et depuis bien plus longtemps ‘encore; Car ce ne sont pas seulement, ajoute cet illustre botaniste, « toutes les nuances de nos haricots, de nos » pois, » qui « se conservent par les graines » ; ce sont aussi toutes celles « de nos blés, et, en général, de nos » plantes cultivées annuelles »; ce qui est incontestable- ment vrai, mais ce qui n’est pas encore la vérité tout (1) MOQUIN-TANDON, loc. cit., p. 166. Pour diverses modifications qu’a subies le chou transporté dans des pays chauds (ainsi que pour des faits non moins intéressants relatifs à d'autres légumes), voyez SAGERET, Pomologie physiologique, Paris, in-8, 4830, p. 442. | (2) Théorie élémentaire de la botanique, Paris, in-8, 1813, p. 474, VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX CULTIVÉS. 474 entière (1). Les plantes bisannuelles, les trisannuelles, les vivaces, en effet, ont, aussi bien que les plantes annuel- les, leurs caractères fixes et héréditairement transmis, leurs races, leurs « espèces culturales », comme on les à appelées (2); et si De Candolle, qui ne l'ignorait pas,a omis de le dire, il est facile de suppléer à son silence, car les exemples abondent dans toutes nos cultures. Parmi les arbres d'ornement, plusieurs sont obtenus de graines, avec toutes les qualités qu'ils ont acquises: tel est l’élégant pêcher à fleurs semi-doubles ; de ses graines, dit M. Alphonse De Candolle (3), sortent « invariablement » des pieds à fleurs semi-doubles ». Parmiles végétaux utiles, « les pepins de raisin blanc », comme le fait remarquer le même botaniste, donnent « des vignes à raisin blanc (4)», et l’on a bien d'au- _tres exemples, selon les expressions de M. Chevreul, de « variétés de vignes assez fixes pour se propager de grai- » nes », et mériter le nom de «races » (5). Les exemples (1) Pour plusieurs autres légumes, voy. GODRON, Loc. cit., t. IL, p. 56 et suiv. — Voyez aussi, et surtout, le Bon jardinier. i Pour les melons et les'autres cucurbitacées, voyez les mêmes ou- vrages, et surtout les mémoires spéciaux de M. NAUDIN, particulière- ment : Nouvelles recherches sur les plantes du genre Cucurbita, dans les Ann. des sc. nat., Botanique, Le série, t. VI, p. 5, 1856. (2) Ou espèces conditionnelles. LECLERC-THOUIN, Considérations sur l'étude des races végétales, dans les Annales de la ne royale - horticulture, t. XXX, p. 382 à 389, 1842. À L'auteur insiste particulièrement sur les variétés et races précoces, et sur celles qui résistent au froid. (3) Géographie botanique raisonnée, Paris, in- -8, 1855, t. “i p. 1082. (4) A. DE CANDOLLE, ibid. fé (5) CHEVREUL, Rapport sur l’Ampélographie de M. Opär, dans les Mém. de la Soc. royale et centrale d'agriculture, année 1846, p. 859. saine otre ae vent Ps i ‘2 E he LE iE H s PR E aee ia AA 28e pes or CM AT aa AE > LR rie “dé Le Se PU PER PRET PS 472 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, I, CHAP. XVIIL. ne nous manquent pas non plus parmi les arbres des vergers : selon les variétés dont on sème les pepins ou les noyaux, on obtient, tantôt, et il est vrai le plus souvent, des sauvageons, tantôt, au contraire, des végétaux qui reproduisent les caractères de l'arbre pater- nel. Donc il y a aussi des races parmi les arbres fruitiers, et l’on aurait tort de croire qu’elles n’y existent que par exception : elles y sont au contraire en grand nombre, et il n’est pas un bon livre d’horticulture qui ne le con- state en plaçant, à côté des préceptes relatifs à la greffe et aux autres procédés analogues, les règles pratiques, de la propagation par semis de ce qu’ils appellent les variétés constantes. On a de ces « variétés constantes », c'est-à- _ dire de ces races (1), parmi les poiriers, les pommiers, _les pêchers, les abricotiers, les pruniers, les cerisiers, ct chaque jour en augmente le nombre (2). (1) Ce mot paraît avoir été introduit de la zoologie en botanique et en horticulture par DucuEsnE, Histoire naturelle des fraisiers, Paris, in-12, 1766. Voyez les Remarques particulières ajoutées à la fin, p. 18. i > On trouve un grand nombre de faits intéressants et de vues, alors très neuves, daus ce livre, trop peu consulté aujourd’hui. DE CAN- DOLLE n'a pas hésité à le qualifier d'admirable. Voyez sa Théor. élém. de la bot., p. 182. (2) M. CHEYREUL a rassemblé (loc. cit., p. 327) un assez grand nombre d'exemples des « variétés de nos arbres fruitiers» qui «peuvent se reproduire par graines ». ` Une partie de ces exemples sont empruntés à l'excellente Pomologie déjà citée, de M. SAGERET. Parmi les races qu’on pourrait ajouter, je me bornerai à mention- ner le pècher de Tullins, importé il y a un demi-siècle d'Égypte dans le Dauphiné, d'où ses noyaux ont été, dans ces dernières années sur- tout, envoyés et semés avec succès dans un grand nombre de lieux VARIATIONS CHEZ LES VÉGÉTAUX CULTIVÉS. 473 Ce qu'avait admis De Candolle pour les plantes culti- vées annuelles doit donc être étendu aux autres, même aux vivaces ; et, comme le dit son digne fils et successeur, c’est dans « toutes les catégories de végétaux phanéro- » games » qu'il existe des « races » distinguées par des ca- ractères tantôt d’une faible valeur, tantôt très importants ; car « toutes les modifications des individus (1) sont sus- » ceptibles de devenir héréditaires », et même, « variations, » monstruosités, variétés», toutes ont « une certaine » tendance à le devenir » et à «passer à l’état de races ». Ainsi s'exprime M. Alphonse De Candolle dans sa savante Géographie, si souvent citée, notamment parmi les par- très différents. Voyez le Bulletin de la Société impériale d’acclimata- tion, qui a beaucoup contribué à propager ce pêcher, et particulière- ment une note de M. CHATIN, insérée dans le t. IV, p. 233, 4857. Ce pêcher, dit M. Chatin «est très précieux par la qualité qu'il possède » de se perpétuer par graines sans aucunement dégénérer. » (1) « Toutes les modifications », dit M. A. DE CANDOLLE, De Le pe 1084. Les faits qu'il cite, p. 1082, seraient loin de justifier, à eux seuls, cette assertion. Mais ce ne sont que des exemples auxquels un grand nombre pourraient être ajoutés : les uns, très analogues à plu- sieurs de ceux que cite M. De Candolle, les autres très différents. Parmi les premiers, je mentionnerai l'existence de plusieurs races de reines-marguerites très distinctes par les couleurs et la disposition de leurs fleurs: races dont j’ fai pu constater par moi-même la constance à une époque où les faits de cet paire étaient encore Hòs contestés par les botanistes. - Parmi les seconds, un des plus remarquables est la création, due à M. Louis VizmoriIN, d’une nouvelle race de betteraves, très riche en sucre. (Voy. les Compt. rend. de V Acad. des sc., t. XLII, ] p. 874, 4856, et les Notices déjà citées de L. Vilmorin, p. 25.) La mort si regrettable de cet éminent agriculteur n'a pas inter- rompu ses belles expériences ; elles se poursuivent encore aujourd’hui, grâce aux soins aussi éclairés que pieux de madame L. Vilmorin. pran. PERENE EOSEID , ERS RE PE TR EE ü pai 2-52 a man h7h NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVIII. tisans de la fixité de l'espèce, comme la plus fidèle et la meilleure expression de l’état présent des connaissances botaniques (4). i La culture produit donc sur les végétaux des effets de tout point analogues à ceux de la domesticité sur les ani- maux. Les premiers, aussi bien que les seconds, subis- sent, sous l'influence de l’homme, des modifications qui peuvent n'être que superficielles, qu’accessoires et qu'in- dividuelles, mais qui, souvent aussi, sont profondes, im- portantes et héréditairement transmises. Et encore une _ fois, ce qui est vrai d'un des grands règnes organiques, lest aussi de l’autre. iro X. ` En descendant successivement des mammifères aux oiseaux, aux poissons, aux insectes domestiques, et en venant de ceux-ci aux végétaux, nous avons parcouru la série tout entière des êtres organisés soumis à l'empire (1) Dans son ouvrage plus récent encore sur l'espèce et les races, M. GoproN arrive aux mêmes conclusions qu’il formule ainsi, (loc. cit., t. IE, p. 107): «La culture modifie les végétaux, méme dans les carac- » tères importants. » LE « Elle a donné naissance, surtout parmi les plantes annuelles et » bisannuelles, à des variétés devenues permanentes. .., véritables races » analogues à celles que nous observons chez les animaux domestiques.» M. Godron était déjà arrivé aux mêmes conclusions, dans le mé- moire publié en 1848 et déjà cité, dont son livre De l’espèce est le développement. l Dans ce mémoire, et surtout dans son livre, M. Godron a réuni un grand nombre de faits à l'appui de ses conclusions. VARIATIONS BIOLOGIQUES. h75 de l’homme, et il peut sembler que notre tâche soit ache- vée. Mais elle l’est tout au plus en ce qui concerne/les variations organologiques, c’est-à-dire celles des organes considérés en eux-mêmes et des caractères organiques, el, à côté de ces variations, il en est d’autres, relatives aux fonctions, au naturel, aux habitudes, aux instincts : en deux mots, biologiques et éthologiques. Ces variations ne sont, en elles-mêmes, ni moins mul- tipliées, ni moins remarquables que les précédentes ; mais leur étude n'appartient pas autant à notre sujet que celle des variations du type lui-même ; et c’est pourquoi, sans entrer dans de longs développements, nous nous borne- rons à citer quelques exemples, pris, en zoologie, dans divers ordres de faits. Parmi les effets biologiques de la domesticité, nous - mentionnerons, en premier lieu, pour commencer par les faits les plus connus, la rapidité plus grande du dévelop- pement et l'accroissement de la fécondité, | La première de ces variations n’est pas rare chez nos mammifères domestiques. On l'observe particulière- mént dans les races bovines, ovines, porcines, et c’est un fait qui n’est ignoré de personne. Dans quelques-unes de ces races, le mâle est déjà apte à féconder, et la femelle en état de concevoir, dans un âge où les individus sau- vages peuvent être dits tout au plus adolescents. La pra- tique agricole utilise même de plus en plus cette matu- rité hâtive, particulièrement dans les races ovines. Les animaux de races perfectionnées ne sont même pas les seuls dont la domesticité rende le développement très pré- coce : nous avons vu, à la ménagerie du Muséum, une 1 f | Il LE pa mai a aaa 176. NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, I, CHAP. XVIII. vache yak concevoir avant neuf mois et devenir mère avantdix-huit; son petit a été, il est vrai, beaucoup moins beau que les produits de ses portées ultérieures. Les oiseaux et les insectes domestiques ont aussi, soit leurs individus, soit leurs races précoces. L'extrême ra- pidité du développement est une des qualités qui rendent si précoce la race galline de Crèvecœur : « à cinq mois » une volaille de cette taille est presque complète comme » taille, poids et qualité (1) ». Parmi les vers à soie pré- coces, on peut citer, comme exemple de développement plus rapide, à des points de vue différents, les vers à trois mues seulement au lieu de quatre, vers qui filent plus promptement que les autres, etles trevoltini dont les œufs éclosent de quinze à vingt jours après la ponte ; d’où la possibilité de faire, dans la même année, trois éducations, ou même davantage encore. | L’accroissement de la fécondité n’est pas un effet moins général et moins connu de la domesticilé. Parmi les races gallines pondeuses, plusieurs sont encore, comparative- ment aux poules sauvages, d’une étonnante fécondité. Les femelles des mammifères produisent aussi beaucoup plus en domesticité que dans l’état de nature; et par deux rai- sons, comme Buffon en a fait à plusieurs reprises la remar- que (2) : elles entrent en rut et conçoivent plus souvent, et elles mettent bas, à chaque portée, en moyenne, un plus grand nombre de petits (3). C'est ce qui a lieu chez les (4) JACQUE, le Poulailler, Paris, in-8, 4858, p. 130 (2) Voyez particulièrement Hist. natur., t. XIV, p. . 350, 1766, et Suppléments, t. I, p. 24, 1776. (3) On cite des exemples de portées de 49 individus chez le chien, et VARIATIONS BIOLOGIQUES. hi7 chiennes, les chattes de nos maisons, et les truies de nos fermes, qui produisent plusicurs fois par an, au lieu de deux ou d’une seule, et dont les pelits sont souvent beau- coup plus nombreux que ceux des chacales, des chattes sauvages, des laies et des femelles domestiques de races moins modifiées. La même différence existe, mais bien plus marquée encore, des cobayes domestiques aux sau- vages : tandis que, dans l’état de nature, les cobayes ne produisent que pendant une partie de l’année (1), et seu- lement deux petits à la fois, quelquefois même un seul, le cochon d’Inde ne cesse pas de produire : il n’est pas rare que la même femelle mette bas huit fois par an, et le nombre des petits est communément de 4 à 8 individus ; : on en a vu naitre ensemble jusqu’à 12 : « Avec un seul » couple, dit justement Buffon (2), on pourrait en avoir +» un millier dans un an. | J: = La précocité et rh mes de la fécondité S’EX- pliquent par l’ abondance plus grande de la nourriture en domesticité et par diverses influences qu'on peut de même rattacher à l’action directe de l'homme sur les animaux qu'il s'est soumis. Parmi les variations dont une n'est ii con- traire que très indirectement la cause, sont celles que subissent les phénomènes périodiques, lorsqu'une espèce ou une race est transportée dans une région de plus de 20 chez le cochon. Voyez BELLINGERI, Della fecondita nelle nascite degli animali vertebrati, Turin, in-4, 4840. Voy. les tableaux. (1) Mais deux fois et peut-être plusieurs, et non pas une seule, _ comme le disent généralement les auteurs, (2) Hist. natur., t. VHI, p. 3, 4760. 478" NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Il, CHAP. XVII; géographiquement et surtout climatologiquement très différente. Il est déjà remarquable de voir un animal, s’il a été déplacé dans le sens de la longitude, prendre presque aussitôt de nouvelles heures d'éveil et de som- meil ; il l'est bien plus encore de le voir, si le déplacement a iab dans le sens de lalatitude, se reproduire à d’ autres époques de l’année et toujours selon le cours des saisons. Ces variations sont particulièrement très marquées chez’ les oiseaux. Transportées sous notre ciel, des espèces des pays chauds, comme le paon, le faisan, la pintade, en sont venues à s’apparier et à pondre plus tard, pour attendre le retour tardif de la belle saison. Originaire de l'hémisphère austral, le canard musqué a fait plus que de retarder l'époque de ses amours, il couve durant notre printemps, qui est l'automne de sa région natale, et élève ses petits durant notre été, qui en est l'hiver ; c’est ainsi que nous voyons chaque année, dans nos basses- cours, les poussins de ces espèces méridionales ou aus- trales naître et se développer à côté de ceux de nos oi- seaux indigènes. La rapidité avec laquelle s accomplissent ces déplacements, ces inversions d'époque, ajoute en- core à leur intérêt. A la ménagerie du Muséum, il a suffi d'un très petit nombre d'années pour amener la bernache armée d'Égypte et de Nubie, qui pondait d’a- bord chez nous, selon ses habitudes naturelles, à la fin de décembre ou en janvier, à reporter ses pontes en février, puis en mars, puis en avril(4). Les cygnes noirs, (4) Ces thanéetiatts remarquables ont eu lieu sous mes yeux (voyez Note sur quelques essais d'acclimatation, dans les Compt. rend. de w ` VARIATIONS BIOLOGIQUES. ‘h79 amenés d'Australie en Europe, se reproduisent l'hiver ; ceux qui sont nés chez nous le font dans la belle saison ; et un de leurs congénères, tout récemment importé de l Amérique du Sud, a déjà commencé à se se plicit aux con- ditions de notre climat. À Conduits dans l hémisphère austral, nos animaux do~- mestiques reportent, au contraire,-du printemps à l'au- tomne l'époque annuelle de leur reproduction : c’est l'expérience inverse, avec des résultats inverses aussi. On pourrait déjà prévoir, d’après ces faits, les résultats de la translation des animaux domestiques dans les pays dont les conditions climatologiques varient extrêémemeni peu durant tout-le cours de l’année. S'il n’y a point de différence marquée entre le printemps et l'automne, entre l'hiver et lété, il n’y a pas de raison pour qu'il y ait _ d'époque fixe pour la reproduction. On voit, en effet, dans ce cas, les animaux se rechercher presque in différemment en toute saison. Ce fait remarquable, . qu'Oviedo (1) avait déjà aperçu il y a plus de deux siècles pour le chat, n’est pas vrai seulement de cette espèce, mais doit être étendu à presque tous les maminifères domes- tiques, ainsi que M. Roulin l'a constaté en Colombie, durant le long séjour qu'il a fait dans l Amérique cen- trale (2). l Acad. des sc., t. XXV, p. 528, 1847), mais non, comme on l’a dit, par mes soins. Je n'ai pas agi sur les bernaches d'Égypte, j'ai laissé agir le climat, et 7 résultats ms n'en sont que plus remar- quables. | x (4) L'Histoire naturelle et générale des Indes, trad. franc., Paris, i in- -fol., 4656, p. 99, verso. i (2) + à son remarquable mémoire e déjà ‘cité, p. 346. ss ia a QE ee S aan ae or SN a EAE Ex z coteteen Da PPS. a De Re à ce LT Den me BR Pr age eg LT DE AA A i RE ASO NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XVII. Tous ces faits, auxquels bien d’autres encore pourraient être ajoutés, ont leurs corrélatifs parmi les végétaux ; et nulle part même ne se manifeste mieux cette analogie, ce parallélisme des modifications subies, sous de sem- blables influences, dans l’un et l’autre des grands règnes organiques: La culture, en effet, a aussi bien donné des races végétales hâtives, que la domestication des races animales précoces. Les végétaux de nos jardins et de nos champs, comme les animaux qui vivent autour de nos _ demeures, surpassent pour la plupart, en fécondité, leurs souches sauvages ; et c’est surtout chez les premiers que la différence est le plus marquée : la multitude des graines obtenues sur le même pied est quelquefois prodigieuse. Enfin les phénomènes périodiques, journaliers, se modi- fient selon la longitude, et les phénomènes annuels selon la latitude, aussi bien dans le règne végétal que dans le règne animal, et exactement selon les mêmes lois; si bien que les animaux et les végétaux d’un même pays, étant ensemble transportés dans un autre, y déplacent sembla- blement ou même y renversent à la longue leurs heures de sommeil et d'éveil, de reproduction et de repos, et finissent par se retrouver en harmonie les uns avec les autres. | XI. Les variations éthologiques, c’est-à-dire relatives au naturel, aux instincts, aux habitudes, ne sont, chez les animaux, ni moins multipliées ni moins remarquables que VARIATIONS ÉTHOLOGIQUES. h54 les variations organologiques et biologiques, et peut-être même est-ce ici que se rencontrent les effets sinon les plus importants en eux-mêmes, du moins les plus frappants, de l'influence modificatrice de la domesticité. Si elle a fait varier le type et notablement altéré l’ordre normal des fonctions, elle a, on peut le dire, entièrement changé le naturel des animaux que l’homme s’est soumis. Ils élaient farouches, sauvages, quelquefois même féroces, feri; ils se sont apprivoisés, adoucis, familiarisés avec l'homme, mansueti, familiares : ce dernier mot est, comme on sait, dans la nomenclature linnéenne, appliqué au chien, et il ne conviendrait pas moins à d’autres ani- maux. Dans des espèces naturellement ennemies, l'homme a trouvé des serviteurs, des compagnons intimes, et le plus fidèle des amis. Ce changement, ou plutôt cette inversion des instinets naturels, a incontestablement pour point de départ l'appri- voisement individuel continué et complété durant les S pre- _ mières générations ; ľhérédité a fait le reste. La domes- ticité, c'est l’apprivoisement transmis de l'individu à la race. Pour quelques espèces du moins, nous le savons positivement, il fallait, chez les Romains, enfermer les canards dans des lieux clos et-couverts, ne possit anas evolare, dit Varron (1) : on a cessé peu à peu d’avoir | besoin de ces précautions, et depuis plusieurs siècles, les canards, quelque liberté qu'on leur laisse, ne quittent plus les demeures de l’homme; c’est à peine si, de loin en loin, les bandes de canards sauvages se recrutent de (1) De re rustica, lib, IN, cap. xr. HT, , - gl RTE it tnt EL Tiii g Û + p w | £ E F. Å | š E y ; Î cé A | 4 à) 1 Á H F a = D E { 3 í 4) à Y | pi LA 1 f l À à $ ? ] “A pS + |: h | i | a < + 38 11 P À kig T | 4 t | À f 411 Sr f “j D ai EF À h i $ | ii S FE ii F 4 ae + ii pe = = wese e. LAS nn ee à an md RM NI à ” sr > "i kr a jipa à n gtoar aeri E E a E aa EE, y 82 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XVII. quelques déserteurs. H n’est pas douteux qu’il n’ait fallu de mêmé, dans des temps très reculés, tenir la brebis et la chèvre dans des enceintes, la poule etle pigeon en cage, et le chien à la chaîne ; aujourd’hui, là brebis et la chèvre suivent le berger; la poule ne quitte plus nos maisons ; et le pigeon et le chien n’y restent pas seulement, si on les en chasse, ils y reviennent. | Les animaux domestiques ne différent pas seulement par leur naturel de leurs ancêtres sauvages, il y a aussi entre eux des différences d’habitudes et d’instinets, et souvent très marquées d’une race à l’autre. | _ Parmi les mammifères, il est des races chevalines plus ardentes, d’autres plus patientes; d’autres encore se recommandent par leur frugalité. Il y a des che- vaux qui marchent naturellement l'amble; nous avons de ces chevaux en Europe, et Pon a de même en Amérique, dit M. Roulin (4), « une race, les aguïlillas, » chez laquelle l'amble est pour les adultes allure » naturelle ». Les bæufs ont, comme les chevaux, lenrs races lourdes èt lentes, et leurs races plus actives et plus rapides. Les vaches à demi sauvages de la Camar- gue ne laissent pas approcher de leurs petits, qu'elles câchent autant, qu ‘elles le peuvent à tous les regards (2). La chèvre d’Angota n’a pâs les habitudes vagabondes et destructives des autres chèvres ; elle se laisse garder et conduire en troupeaux presque aussi facilement que 2 (1) Loc. çit., p. 337. l (2) GERVAIS, Histoire naturelle des mammifères, Paris, in-8, 1855, t. I, p. 184. — On a observé des faits analogues en Écosse, comme le fait remarquer M. GODRON, loc. cit., t. I, p. 426. VARIATIONS ÉTHOLOGIQUES. 183 le mouton (1). Le chat d’Angora est bien plus séden- taire que notre race féline commune; dans celle-ci, le chat, plus vagabond, va parfois chasser dans les champs ou les bois. Transporté d'Europe dans l'Amé- rique méridionale, le même animal, comme l'ont con- staté Oviedo. et M. Roulin (2), a perdu « Phabitude » de faire entendre ces miaulements incommodes par » lesquels, dans nos pays, il exprime ses désirs et sa » jalousie». | Le chien est bien plus différent encore de lui-même d’une race à l’autre : le dingo, et parmi nos chiens d'Eu- rope, les dogues et surtout le boule-dogue, contrastent, par leurs habitudes hargneuses, guerrières, souvent fé- roces, avec-les épagneuls, les bichons et tant d’autres, si doux, si affectueux, si caressants. Le barbet, et le chien de Terre-Neuve vont volontiers à l’eau : le premier a même été nommé Canis aquaticus. Plusieurs races, Sur- tout dans le Nord, sont fouisseuses, etse réfugient parfois dans des trous. Les chiens de chasse sont habiles à à dé- couvrir la trace du gibier, ardents à le poursuivre, et parmi les races de vénerie, chacune a ses gibiers de pré- férence, son mode de recherche et d'attaque : des chiens, autrefois dressés, soit à arrêter, soit à rapporter, ont même produit des races qui savent, avant toute éduca- tion, soit arrêter, soit rapporter (3) : exemples remar- (1) Voyez Albert GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Rapport à la Société d’acclimatation sur les animaux déposés en ANT UE dans le recueil de cette société, t. V, p. 53, 4859. (2) OVIEDO, loc. cit., p. 99, verso. — ROULIN, FA cit., p. 346. (3) DUREAU DE LA MALLE, Sur la domestication des animaux, ASil NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVIII. quables d'habitudes imposées à des animaux contre leurs instincts naturels, et devenues, à la longue, héréditaires el innées. Les exemples de variations ‘éthologiques que nous rencontrons dans la classe des oiseaux ne sont guère moins remarquables. Il est des pigeons sédentaires, d'autres sont très vagabonds; il en est qui, sortis du colombier, perdent bientôt leur voie, et ne reparaissent plus; d’autres, si lointaines que soient leurs excursions, ou même si loin qu’on les ait transportés, reviennent bien- tôt au point de départ. Les uns sont peu habiles à trouver leur nourriture : la plupart des pigeons de volière péri- _raient si le grain ne leur était apporté; d’autres, comme les pigeons de colombier, savent explorer les champs qui environnent leur demeure, ils maraudent, ils pillent. Les poules ont aussi leurs races sédentaires et leurs races vagabondes et maraudeuses; au nombre des pre- mières est la poule de Nankin; parmi les secondes sont plusieurs de nos races indigènes. Plusieurs races sont excellentes couveuses et excellentes mères; d’autres laissent à désirer comme reproductrices. Il est des poules qui se recommandent par leur-nalurel tranquille et doux, dans les Annales des: sciences naturelles, t. XXVII, p. 5, 1832, d'après MAGEenDIE qui avait vérifié par lui-même ce fait à l'égard d'une race anglaise. M. Rou£In (loc. cit., p. 339) cite plusieurs faits analogues consta- tés par lui en Colombie. D'individus dressés il y a trois siècles pour la chasse, les uns des cerfs américains, les autres des pécaris, sont issus des chiens qui chassent d'eux-mêmes ces animaux selon la tac- tique enseignée à leurs ancêtres, et sans se laisser ni frapper par les cerfs, ni entourer par les pécaris* VARIATIONS ÉTHOLOGIQUES. ` ASS ou par le courage avec lequel elles se défendent et dé- fendent leurs petits; d’autres sont querelleuses, violentes, et ne manquent guère, si elles sont laissées en société, d'ensanglanter la basse-cour : telle est la race malaise, qu’un de nos plus habiles aviculteurs n’hésite pas à dé- clarer « de mœurs féroces » et « impossible au milieu de » nos volailles » (1). Il west pas jusqu'aux insectes domestiques chez les- quels on ne puisse signaler, selon les races, des diffé- rences très notables de naturel, d’habitudes et d’instincts. Le papillon du mürier est loin d’être partout lent, lourd cet inerte, comme nous le voyons dans nos magnaneries. Parmi les abeilles, on connaît des races plus laborieuses, plus actives, et d’autres qui le sont moins; et si la race jaune, connue sous le nom de petite hollandaise, est si appréciée des apiculteurs, « potior soboles »(2), c'est parce qu'elle est à la fois, comme ils le disent, « vive, ardente, > active au travail et d'humeur facile » (3). Il en est donc, chez les animaux, du naturel et des instincts comme des fonctions et comme des organes ; de l'état sauvage à l’état domestique, ils se sont considéra- blement modifiés, et ils varient même souvent, très no- tablement, d’une race à une autre. | (1) JACQUE, loc. cit., p. 204. (2) VIRGILE, Géorg., liv. IV. Voy. p. 463. Tout ce que dit Virgile de la race préférée par les apiculieurs ro- mains s'applique très bien à la race qu’on connait aujourd’hui sous le nom de petite hollandaise. (3) DEBEAUVOYS, Guide de l'apiculteur, 5° édit., 1856, pag. 9. — Voy. aussi FÉBURIER, Traité sur les abeilles, Paris, in-8, 4810, p. 18, Jp A È E 4 E: | (1 a 14 r s. Ip Ef ES ni é | $ Í R j H | {JE | o RE | LE | NE roi A agit mots” > rz es ESEP A86 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XVIIL, D'où cette conclusion, dans laquelle peuvent se résumer tous les faits exposés dans ce chapitre, et une multitude d’autres qui pourraient encore être ajoutés : Les variations qui se produisent chez les animaux, sous l'influence de la domesticité, et de même chez les végé- taux, sous l'influence de la culture, sont beaucoup plus étendues et plus complexes qu'on ne lavait prétendu et que ne prétendent encore les principaux défenseurs de la fixité de l'espèce. On n’observerait, selon eux, que de très légères modifications des organes: d’après les faits, plus complétement étudiés, les modifications organiques sont souvent importantes aussi bien qu’accessoires, pro- fondes aussi bien que superficielles, biologiques et étho- logiques, aussi bien qu'organologiques. Quand l'être organisé, enlevé par l’homme à l’état de nature, a été maintenu dans un ensemble très différent de circon- stances, ce n'est donc pas un peu et à quelques points de vue seulement qu’il s'écarte du type, c’est beaucoup, presque en tout, el assez pour qu’on puisse dire : il est, il vit et il agit en dehors des conditions de son espèce. VUNVYVYNYSNNNN YY AEAII NAAI NENII NS NII NAALD IAD IAIA ADASINA DNINE NINII NIS r i Ÿ CHAPITRE XIX. i DÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX REVENUS DE LA DOMESTICITÉ A L'ÉTAT SAUVAGE (1). SOMMAIRE. — I. Remarques générales. — IT. Retour à l’état sauvage de quelques espèces végétales et animales. — II. Animaux redevenus sauvages en Europe et dans les autres parties de l'ancien monde. — IV. Animaux redevenus sauvages en Amérique et en l Australie. — V. Modifications subies par les animaux au sortir de la domesticité. Retour | vers un type uniforme. — VI. Détermination de ce type qu'on avait considéré à tort | comme le type spécifique restitué. — VII. Goncordance des faits entre eux et avec la théorie de la variabilité. i "EA v Les forêts et les champs de divers pays n’ont pas été peuplés seulement par l’homme d'animaux étrangers, arrachés tout à la fois à leur région natale et à la vie sauvage; ils lont été aussi de descendants, devenus libres, d'animaux depuis longtemps réduits en domesti- cité. Un peuple, même barbare, n’établit pas une colonie, si lointaine qu’elle soit, sans s’y faire suivre de son bétail et de ses animaux auxiliaires ; et s’il le fait sur une grande échelle, s’il emmène un grand nombre d'individus, un - | s ; (1) Ce chapitre est le développement de vues déjà indiquées dans | * l'article Domestication des animaux de l'Encyclopédie nouvelle, t. IV, _p. 576, 4838 ; article reproduit dans mes Essais de zoologie générale, Paris, in-8, 1841. Voy. p. 300. pen . Lo 488 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP, XIX. double résultat suit le plus souvent leur translation: ils se multiplient à l'état domestique dans les colonies, à l’état sauvage dans les forêts, les pampas, les steppes qui l'entourent, et la même espèce donne ainsi à da fois un bétail et un gibier. Les migrations des peuples entraînent de même, dans les limites tracées par la différence des climats, T expan- sion des végétaux en dehors de leur zone naturelle d’ha- bitation. Il n'arrive guère qu’on introduise des plantes nouvelles dans les Champs cultivés et dans les jardins, Sans que quelques-unes se naturalisent dans les lieux sur lesquels ne s’est pas encore étendue la main de l’homme. Nous avons donc des plantes, comme des animaux, sau- vages par retour à l’état libre; en d’autres termes, redevenus sauvages, verwilderte , comme disent, en un seul mot, les Allemands (1). | On peut rapprocher des espèces que l’homme a seule- ment transportées hors deleur patrieoriginelle, et par suite modifiées ou plutôt laissé modifier par le climat, les ani- maux et les végétaux qui, de l’état de domesticité ou de culture, sont revenus à la vie sauvage; car sur les uns et sur les autres, les effets du déplacement ont été les mêmes. Qu'ils soient issus d'individus tous et de tout temps sauvages, ou, qu'entre des ancêtres sauvages et des descendants sauvages aussi, quelques générations aient vécu en domesticité ; qu'ils soient à proprement par- ler sauvages, ou qu’on doive les dire redevenus sauvages, (1) Par opposition à Wilde, ou ursprünglich Wilde, comme je dit BLUMENBACH, Beiträge zur Naturgeschichte, 2° édit., Göttingen, 1806, p. 34. RETOURS A L’ÉTAT SAUVAGE. i89 les animaux ét les végétaux qui vivent librement hors de leur région natale, donnent lieu à des observations qui se résument de même dans cette conclusion : le type primitif se modifie rapidement sous l'influence d’un cli- mat nouveau; et les modifications produites sont très | marquées quand l’ancienne et la nouvelle patrie de ces êtres déplacés diffèrent notablement entre elles. IL. Les végétaux cultivés sont en bien plus grand nombre que les animaux domestiques. Des centaines de plantes _ sont devenues communes dans nos champs et nos jardins; plusieurs y sont représentées par des milliards d'individus ; et leurs graines, qui sont au nombre de nos premières richesses, sont chaque année transportées en nombre immense à travers les continents et par delà les mers. De ces transports, sans cesse renouvelés sur la plus grande échelle, et des accidents qu’ils amènent inévitablement, résulte la perte d’une multitude de graines dont une partie tombe sur le sol en des lieux non cultivés. D’autres semis accidentels sont faits par les animaux, particulièrement par les oiseaux voyageurs, quelques-uns même par le vent, par les inondations ou par d’autres phénomènes du même ordre (1). Il semblerait donc que le nombre des plantes reve- nues à l’état sauvage duüt être He ct que nous (1) Voyez pages 58 et 39. PL Tr nr mL aS. LE, jin Ga = a 3 E ii | 4 4 "i $ 490 notions FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XIX. dussions faire ici du règne végétal l’objet principal de notre étude. | Mais, par des causes qu'indique très bien M. Alphonse de Candolle (4), les semis accidentels restent le plus sou- vent sans résultat. Tantôt la graine est mangée par les _ oiseaux ; ou, tombée sur un mauvais sol, elle y pourrit ou s’y dessèche, et ne lève même pas; tantôt la jeune plante paraît, mais pour languir entre d’autres végétaux plus robustes qui l’étouffent, ou pour périr bientôt par les intempéries d’un climat trop chaud ou trop froid, trop sec ou trop humide. Bien peu de plantes résistent à toutes ces épreuves et arrivent à donner des graines mûres, à se resemer d’elles-mêmes, et à plus forte raison, à se perpétuer dans des lieux où leurs graines avaient été accidentellement apportées. De là le petit nombre des végétaux véritablement rede- “venus sauvages, qu’on trouve décrits dans les livres des botanistes. Il est commun que des graines de plantes cul- tivées, par exemple de céréales, soient semées acciden- tellement en dehors de nos cultures; il arrive assez fré- quemment que ces graines produisent des pieds sauva- ges (2); mais il est très rare qu’elles donnent des suites durables d'individus; et quand la flore d’un pays s'enrichit d'espèces étrangères, c’est presque toujours d'espèces importées à l’état sauvage, où récemment introduites dans les jardins et non sorties de nos anciennes cultures. (1) Géographie botanique raisonnée, Paris, in-8, 4855, t. I, p. 625. (2) Comme on peut le voir par l'ouvrage déjà cité de M. A. De GAN- DOLLE, particulièrement dans son savant travail sur l’origine des plantes les plus généralement cultivées, t. H, p. 809 et suiv. RETOURS A L'ÉTAT SAUVAGE, ` h94 Le contraire a lieu pour le règne animal. Les espèces zoologiques, introduites d’un pays dans un autre, arri- vent bien plus souvent à l'état de véritable et ancienne domesticité qu'à l’état sauvage, et quand des demeures de l’homme, elles ont, par diverses causes, passé dans les forêts, les steppes, les savanes, il n’est pas rare, non-seulement qu’elles y subsistent à l’état libre, mais qu'elles s’y multiplient, et, de proche en proche, se ré- pandent au loin. C’est ce qui a eu lieu pour labeille, pour quelques oiseaux, pour le chien, le chat, et pour presque toutes les espèces herbivores anciennement domestiquées. Plusieurs de celles-ci ont même formé en dehors et souvent fort loin de leur patrie originaire, des troupes innombrables qui doivent leur origine à des individus, tantôt échappés, d’où les noms de marrons, de fugitifs, d'insurgés, tantôt mis en garenne ou lâchés dans les champs pour faire souéhe de gibier, ou simple- ment à cause de leur grand nombre, tantôt encore, comme en Orient, volontairement rendus à la liberté, dans une intention de bienfaisance et de piété. De quelque manière qu’elles se soient formées, les troupes d’animaux redevenus sauvages ne manquent guère de se recruter d'individus enlevés à la domesticité, aux dépens des habitations ou des. caravanes qui ne savent pas se garder de leur approche : plus d’un cava- lier a été démonté par son cheval , appelé dans les steppes lartares ou dans les pampas américaines par les hennis- sements des chevaux sauvages. Chaque troupe peut ainsi être composée d'éléments très divers, et donner lieu à à des observations très variées. a a pr Sa ins PE FRE Í - | “4 „o y Pat C We š E E. 1 | à D | + RIE | f Hi 4 ir © f Gii f À +14 A “HAT Gng å : (i Re | y pi f j; f R reren- SE 492 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XIX. Les animaux redevenus libres ont, de l'antiquité à nos jours, fixé l'attention des voyageurs : il n’est pas de partie du monde où l’on n’en ait constaté l'existence; et si nous manquons trop souvent sur eux d'observations exactes, nous pouvons nous éclairer d’une multitude de témoi- gnages qui, bien qu'incomplets, sont dans leur ensemble d’un grand prix pour la science. A côté de chaque auteur il s'en rencontre presque toujours ici un autre qui le complète en ce qu'il a omis de dire et le rectifie sur ce qu'il a dit à tort. | Et c'est pourquoi ce n’est pas seulement en raison du plan de cet ouvrage essentiellement zoologique, c’est aussi parce que les faits relatifs au règne animal sont plus nombreux, mieux déterminables et d’un plus grand intérêt, que nous étudierons, particulièrement dans ce règne, les effets du retour à l’état sauvage. TT. L'Europe a été très riche en animaux redevenus sau- vages. Quand elle était moins peuplée et en grande partie couverte soit de forêts, soit de steppes, les mammi- fères les plus répandus à l’état domestique y vivaient presque tous aussi à létat marron, et plusieurs n’y étaient pas rares : tel était particulièrement le cheval, dont des troupes sauvages existaient, dans l'antiquité, sur un grand nombre de points, de l'Espagne à la Scythie ; il y en avait encore, au moyen âge, en Germanie et ail- leurs, et jusque dans les temps modernes, dans quelques + p ' TA | A 4 ~“ $ * |! A“ à a | RETOURS A L'ÉTAT SAUVAGE. 193 parties de l’Europe septentrionale (1). Parmi les oiseaux, la poule parait de même avoir recouvré sa liberté, chez les Romains, dans l'île Gallinaria, ainsi nommée en raison même de ce fait (2). Aujourd’hui nous ne connaissons plus dans l’Europe, soit centrale soit occidentale, que Jes fai- sans, qui encore ne se conservent que parce qu’ils sont pro- | tégés, etle lapin : celui-ci bien véritablement libre ou mar- | ron; car son extrême fécondité en a fait un animal aussi commun aujourd’hui, et parfois aussi nuisible dans le nord et dans le centre, qu’il l'était originairement dans le - (4) Les témoignages relatifs aux chevaux sauvages d'Europe sont nombreux. Les principaux ont été cités ou résumés, pour l'antiquité, par H. CLOQUET, Faune des médecins, article Cheval, t. IV, p. 64,1823. — DUREAU DE LA MALLE, Considérations générales sur la domestica- tion; Histoire du genre Equus, dans les Annales des sciences natu- relles, t. XXVI, p. 5, 1832 (travail qui renferme aussi de nom- breuses indications relatives à l'âne sauvage); et Économie politique des Romains, Paris, in-8, 4840, t. Il, p. 457. — Link, Die Urwelt und das Alterthum, Berlin, in-8, 4834, traduct. de M. C. MULLET, Paris, in-8, 4837, t. II, p. 301. — HamiLTON Smrrn, Horses (dans le Naturalist library de W. JARDINE), Edimbourg, in-42, 1841, p. 146 et suiv. ;—etGODRON, Del’espèce et des races, Paris, in-8, 1859, t.I, p. 386, (ouvrage où ont été soigneusement recueillis un grand nombre de faits relatifs aux animaux, soit domestiques, soit redevenus sauvages). : Pour le moyen âge et les temps modernes, voyez les mêmes ouvrages et mes Lettres sur les substances alimentaires, et particulièrement sur la viande de cheval, Paris, in-12, 1856, lettre vin. (2) On chassait la poule dans cette île, dit COLUMELLE, De re rus- tica, lib. VIII, 1. — VARRON (De re rustica, lib. IIL, rx) mentionne les mêmes faits, mais en des termes qui laissent du doute sur la détermi- nation des gallinacés de lile Gallinaria. | i D'après les mêmes auteurs, quelques Romains faisaient élever des paons à l’état sauvage, — A94 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XIX, midi (4). Le cheval paraît s'être conservé à l’état sauvage en Sardaigne ; au moins existait-il encore dans cette île vers la fin du xvm? siècle (2). Quant aux chevaux de la Camargue et d’autres pays peu habités, et aux bœufs dits sauvages de quelques parties de l'Espagne, ils ont leurs maîtres; les chevaux se laissent même facilement prendre et dresser, et si ces animaux ne sont pas véritablement domestiques, encore moins peut-on les considérer comme tout à fait libres; à plus forte raison en est-il ainsi des paons et des pintades qu'on che parfois dans des parcs pour les chasser ou chasser leurs jeunes : on obtient ainsi des individus très farouches, mais on ne fait point, ou du moins on n’a pas fait encore une race sauvage. Les animaux revenus à l’état sauvage sont plus nom- breux dans l’Europe orientale et dans les autres parties moins civilisées et moins peuplées de l'ancien continent, La poule, parmi les oiseaux, le chien, le porc, le bœuf, la chèvre, le chameau, l'âne, ont repris leur liberté en divers lieux (3). Mais, de tous les mammifères, le cheval (4) Voy.le Chap. IX, sect. 1x, p. 75. (2) Cerri, Floria naturale di Sardegna, Quadrupedi, Sassari, in-8, 1774, p. 8. I s’agit bien ici de chevaux véritablement sauvages. lls sont, dit l’auteur, indompiables et tout à fait libres : « Soggetti a nes- » suno ed occupabili da tutti. » MARMOL, dansson ouvrage sur l'Afrique (voy. la traduction de PER- ROT D'ABLANCOURT, Paris, in-4, 1667, t. I, p. 54), place aussi en Sar- daigne l'âne sauvage, mais il est contredit par CETTI, ibid., p. 17 à 20. (3) Des troupes de chiens libres vivent, selon plusieurs auteurs, dans diverses parties de l’ancien continent, notamment l'Ind lAsie Mineure et l'Afrique occidentale, auxquelles devrait être ajoutée l'Afrique australe. Mais les citations par lesquelles on a cru pouvoir Ru casa ARR ee | . menti rer à a a RE im SES DL 2 nasii — PERRET PRES io 5 “| \ RETOURS A L'ÉTAT SAUVAGE. h95 est celui qui dans l’ancien continent a de plus souvent échappé au joug de l’homme. | En Afrique, Kolbe a vu des chevaux sauvages au cap | de Bonne-Espérance (4); Mungo-Park, près de Sem- | bing, petite ville frontière du royaume de Ludamar (2); | d’autres voyageurs au Congo (è); d’autres encore à Sainte- | Hélène (4), sans parler du nord de l'Afrique, qu’on a RE i? it N L justifier ce dernier habitat, se rapportent, au moins pour la plupart, à la cynhyène : c’est ce carnassier qui est connu au cap de Bonne- Espérance sous le nom de chien sauvage. Le porc est redevenu sauvage dans quelques forêts, mais en se mê- lant avec lesanglier. | La vache sauvage existe, ou du moins existait sur quelques points de l'Afrique occidentale, d’après le père LABAT, Nouvelle relation de l'Afrique occidentale, Paris, in-12, 1728, WE me 277. ‘La chèvre s’est échappée et thutéptééé. sur les montagnes ou les rochers de plusieurs îles de la Méditerranée et sur le pic de Ténériffe. Dans cette dernière localité elle existe de tempsimmémorial, dit Hum- BOLDT, Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent, Paris, in-4, t. I, p. 422, 4814. — La chèvre existe aussi, ou du moins exis- tait au xvure siècle, à Sainte-Hélène. Voyez Forster, note adressée à Buffon, qui l’a insérée dans l'Histoire naturelle, Suppléments, t. IV; p. 84, 1782. Le chameau et l'âne vivent Lib aux quelques points de l’Asie et de l'Afrique, par troupes qu’on a lieu de croire originairement sau- vages, mais auxquelles des individus marrons se réunissent assez D 2 “souvent pour que leur sang se soit mêlé en grande proportion au pur | sang, ou même ait fini par prédominer. Voyez, pour ces deux mam- diem p. 497, note 1. (1) Description. du cap de Bonne-Espérance, Amsterdam, in-49, 1743, t. MI, p. 22. (2) Premier Voyage dans l’intérieur de Afrique, à kitak + Cas- tera, Paris, in-8, 1800, t. I, p. 466. . (8) BUFFON, Suppl. , t. I, p. 50; d'après A. DEGLI AUZI. (4) BUFFON, ibid., P A9. va ie 196 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XIX. / souvent cité, mais d’après un témoignage très dou- teux (1), comme riche en chevaux libres. ; En Asie et dans la Russie d'Europe, qu’on ne peut sé- parer de l'Asie, il existe un grand nombre de chevaux sauvages : des troupes, ordinairement composées de dix à vingt individus, vivent dans les steppes, soit de l'Ukraine, soit de l’Asie centrale : au xvni? siècle, si l’on doit en croire Forster, ces troupes étaient même répandues « dans toute » l'étendue du milieu de l'Asie depuis le Volga jusqu’à la » mer du Japon » (2). La plupart doivent certainement leur origine à des chevaux domestiques échappés ; mais d’autres, établies de temps immémorial dans le pays même dont le cheval est originaire, paraissent remonter à la souche de l'espèce, dont toutefois elles sont loin de présenter le type dans toute sa pureté (3); car, dans ces troupes primitives, comme dans celles qui se (1) MARMOL, loc. cit, t. 1, p: 54. L'auteur, comme le remarque BUFFON, Hist. nat., t. I, p- 237, ne fait que reproduire un passage très court et très vague, de LÉON L'AFRICAIN, De Africæ ot tione, lib. IX. (2) FORSTER, loc. cit. — Sur les chevaux de l'Ukraine et de l'Asie, consultez aussi, et de préférence à tous les autres auteurs : S. G. GMELIN, Reise durch Russland, Pétersbourg, in-4, 4r° partie, 1770, p. 441, pl. 1x; — et PALLAS, Zoographia rosso-asiatica, t. I, p. 260, et Voyages dans l'empire de Russie. Voy., dans la trad. de G. DE LA PEYRONIE, édit. in-8 de 1794, le t.l, p. 376, et le t. VIE, p. 89 à 98. — Voyez aussi, pour diverses localités, HAMILTON SMITH, loc. cit.; — et (sur les chameaux sauvages aussi bien que sur les chevaux) Du HALDE, Description de l'empire de la Chine, Paris, in-fol., 1735, t. IV, p. 28. -: | (8) Ainsi que l'ont déjà fait remarquer quelques auteurs, et parti- culièrement DEsMOULINS, article Cheval du Dictionnaire classique d'histoire naturelle, t. II, p. 560, 1893. ~ = e—a RETOURS A L'ÉTAT SAUVAGE. 497 sont successivement formées, des individus domestiques viennent fréquemment rejoindre les autres (4). AG IV. Dans le nouveau monde, les faits sont plus nombreux encore que dans l’ancien, et ils s'y présentent, si ce n’est pour le chien, complétement exempts des difficultés et des doutes qui nous arrêtent quelquefois dans l'étude des ani- maux de l'Asie et du nord de l'Afrique. | Avant l'arrivée des Espagnols , l'Amérique du Sud (1) Il en est de même des troupes d'ânes sauvages qu’on rencontre sur quelques points de l'Asie occidentale et méridionale et dans le nord-est de l'Afrique. On n’a aucune raison de croire que l'âne sau- vage primitif, après s'être éteint dans ces localités, y ait été remplacé, ét non continué, par les onagres actuels. J'ai présenté quelques remarques à ce sujet dans une note Sur le genre cheval, insérée dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. XLI, p- 1221, 1855.. La même remarque est applicable, au moins avec une très grande vraisemblance, au chameau, qui, selon la plupart des auteurs, wexisterait plus qu'à l’état domestique : les petites troupes qu’on rencontre. dans quelques déserts de l'Asie centrale ne seraien absolument composées que d'individus redevenus libres et de leurs descendants. A l'appui de cette opinion, CUVIER fait remarquer (Règne animal, t. I. 4re édit., p. 250 ; 2° édit., p. 257) que les DURS « par principe de religion, donnent à liberté à toutes sortes » d'animaux ». Le faitest vrai, mais rien ne prouve que, sur quelques points, il n'existe des troupes originairement sauvages auxquelles sont venus et viennent de temps en temps se réunir les individus domestiques évadés ou libérés. La question est au moins « probléma- » tique», comme le dit HUMBOLDT, Tableaux de la nature ; Addition, traduct. de M. GALUSKI, Paris, in-42, 1851, t1, p. 85. WI, * ii 15 BE ‘| i | | 10 243 E ii { x H. 1 ; LE | A 1 Li m À L à Le t | | Î + } ad + 4985 NOTIONS FONDAMENTALES,. LIV. Hi, CHAP, XIX. n'avait d’autres herbivores que les tapirs, les pécaris, les lamas et quelques ruminants à ‘bois : les: chevaux, les sangliers et cochons, les chèvres, les bœufs qu’elle nourrit aujourd’hui descendent donc tous des animaux domes- tiques amenés d'Europe par les colonies successivement fondées par les Espagnols, les Portugais, les Français, les Anglais et les Hollandais. | Des quatre classes qui ont donné à l’homme des ani- maux domestiques, il en est trois où l'on peut citer des exemples de retour à l’état sauvage en Amérique. Parmi les insectes, l'abeille est passée, aux États-Unis, des ruches dans les forêts. Un oiseau, la pintade, a été chassé comme gibier à Saint-Domingue (1), et un autre, l’oie, a repris sa liberté sur un point dé la région argentine (2). Parmi lès mammifères, les faits sont en bien plus grand nombre et plus remarquables : six espèces au moins, le porc, la chèvre, le bœuf, le cheval, le chien, le chat (3), sont redevenues sauvages, soit sur le continent de l'Amérique, soit aux Antilles ou dans d'autres îles, et la pupart depuis longtemps déjà. C'est en Bo l’année (1) Wiii? Voyage à Saint- Domingue, Paris, in-8, 1797, t. l, p. 249, Le même auteur parle aussi (p. 465) de dindons tués à la chasse. Mais cet oiseau parait n'avoir existé dans lile, à l’état sauvage, que très passagèrement, et exceptionnellement. Lie être en a-t-il été de mème dela pintade. (2) MARTIN DE Moussy, Description de la confédér ation | Argentine, Paris, in-8, t. H, 1861. Voy. p. 99. (3) Après ces animaux, On peut mentionner, mais avec doute, l'âne et le lapin. Quant au mouton, nous ne trouvons aucune indication. Pour l'âne, voyez RENGGER, Naturgeschichte der Säugethiere von Paraguay, Bâle, in-8, 4830, p. 211. Mais ce n’est qu’une très brève RETOURS A L'ÉTAT SAUVAGE. h99 qui a suivi la découverte du nouveau monde, et par Colomb lui-même, que le cochon a été introduit en Amé- rique (1); on pouvait le chasser, un quart de siècle après, dans les forêts des Antilles, et un peu plus tard dans celles de l'Amérique continentale espagnole : aujourd’hui encore, le cochon existe à l’état marron dans les deux Amériques (2). La chèvre s’est mulipliée à l'état sau- vage dans plusieurs îles, entre autres à Juan Fernan- (ANR et l’auteur, après l'avoir donnée en passant, n’y revient pas à l’article de l'âne. Quant au lapin, nous croyons devoir considérer comme une race redevenue sauvage une prétendue espèce des Malouines, Lepus magel- lanicus de LESSON et GARNOT (voy. la Zoologie du Voyage autour du monde de la Coquille, Paris, in-4, t. I, p. 168; 1826). Les auteurs rappellent eux-mêmes que les Français avaient porté, en 1764, aux Malouines, diverses espèces d'animaux domestiques. Le lapin a sans doute été du nombre de ces animaux. (1) Sur l'introduction du cochon en Amérique, el sur son existence actuelle dans cette partie du monde (soit à l'état marron, soit en domesticité),voyezle remarquable mémoire de M. RouLIN, Sur quelques changements observés dans les animaux domestiques transportés ; recueil de l’Académie des sciences, savants étrangers, t. VI, 1835, — Pour les cochons marrons de Colombie, voy. p. 324. Pour d’autres parties de l'Amérique du Sud, voyez entre autres au- | teurs : LABAT, Voyage aux îles de l'Amérique, la Haye, in-4, 4724, t 1, p. 494, et t. H, p. 74. — FERMIN, Description de la colonie de Surinam, Amsterdam, in-8, 4769, t. I, p. 94. — MARTIN DE Moussy, loc. cit., pe 92 (2) Les auteurs ne parlent, pourla plupart, que des cochons marrons de l'Amérique du Sud. Mais l'Amérique du Nord a aussi les siens. Le Muséum d'histoire naturelle possède un de ceux-ci, rapporté des États Unis par Lesueur. Le cochon marron des États-Unis a été mentionné par WARDEN, Description des États-Unis, traduct. franç., Paris, in-8, 1820, t. V, p. 633; — et par HARLAN, Fauna americana, Mammife- rous animals, Philadelphie, i in-8, 1825, p. 249, < =. y SR a E NE 900 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XiX. dez (4), et aussi sur quelques points continentaux de l'Amérique du Sud, par exemple, dans la presqu'ile d Araya, près de Cumana (2). D'innombrables troupeaux de bœufs errent dans les vastes prairies naturelles de l Amérique du Sud, particulièrement vers la Plata : leur chasse ou plutôt leur destruction organisée sur une grande échelle, alimente depuis près de trois siècles un com- merce important, autrefois de cuir seulement, aujour- d'hui de cuir et de viande (3). Les mêmes régions et (1) JORGE Juan et ULLOA, Relacion historica del viage a la America meridional, Madrid, 4748, pars I, cur, p. 284. — Sur les chèvres de Juan Fernandez et la guerre qui leur fut faite à diverses époques, voyez ROULIN, loc. cit., p. 343 et suiv. i Parmi lès destructeurs de ces chèvres, il faut surtout compter Sel- kirk; dont le long séjour dans l'ile, alors déserte, de Juan Fernandez et les aventures onteu tant de retentissement au commencement du xve siècle, et qui est le vrai Robinson Crusoé. (2) HUMBOLDT, nog aux rég. équin., loc. cit., p. 329. — táin- boldt a aussi trouvé des chèvres sauvages Pas une des îles Caraques (bid., p. 534). (3) La viande des bœufs d'Amérique a été, depuis queiques années, apportée en immenses quantités par nôtre commerce maritime. Mais, pendant très longtemps, on tuait lanimal, ou tout simplement, on l’arrètait en lui coupant les jarrets, et l'on prenait le cuir. Le reste du cadavre était abandonné «à cause de l’abondance : tellement qu’en » quelques endroits, l'air s'était corrompu », dit Acosra, dans son Histoire naturelle et morale des Indes, liv. AV, chap. XXXII; traduc- tion de R. Cauxois, Paris, in-42, 1606, p. 484, verso. Voy. aussi liv. 1, chap. xxr, p. 42. « En la flotte de 1587, dit l'auteur, il vint de » Saint-Domingue le nombre de 35444 cuirs de vache, et de la neufve » Espagne 64 350. » Ces nombres ontencore été de beaucoup dépassés. depuis un siècle. Voy. AZARA, Voyages dans l'Amérique méridionale, publiés par WALCKENAER, Paris, in-8, 1809, t. 1, p. 378; — et A. D'ORBIGNY, Voyage, Partie historique, t. 1, p. 521 ; 1855. | ad our aid me TON SEE si ss ès eà ameo . nS tt mere n RE IF RETOURS A L'ÉTAT SAUVAGE. 501 d'autres, soit de l Amérique du Sud, soit de celle du Nord, sont peuplées de chevaux libres, vagabonds, insurgés, fugiifs (1), comme on les appelle selon les lieux ; ces chevaux vivent tantôt par petits troupeaux, où même, comme en Colombie, par compagnies (2), tantôt, comme dans les pampas de Buenos-Ayres , par milliers d'individus (3) : ces immenses troupes ont pour souches (1) Salvajes, Laguales. alzados, cimarrones, tels sont les noms les plus usités des chevaux sauvages. | (2) RouzIN, loc. cit., p. 335. - (3) AZARA, Essai sur l'histoire naturelle des quadrupèdes du Para- guay, trad. de MOREAU-SAINT-MÉRY, Paris, in-8, 18014, t. T, p. 298; et Voy. dans l’Amér. mérid., t. i, p. 37. — Ces deux ouvrages d'Azara sont les principales sources à consulter sur les chevaux sauvages d'Amérique. í Sur ces chevaux, daħs d’autres localités de l'Amérique du Sud, voyez : OEXMELIN, Histoire des avanturiers, Paris, in-12, 1686, t. I, p.110; — LABAT, Voy. auw îles de l’Amér., t. U, p. 245, et presque tous les voyageurs du xvi et du xvie siècle. — Voy. aussi BUFFON, Supplém., t. TII, p. 49. Dans ce volume sont aussi réunis divers faits relatifs à d’autres animaux redevenus sauvages. | Sur l'existence actuelle de chevaux libres dans l'amérique du Sud, ‘voyez : RENGGER, loc. cit, p- 534. Cet auteur relève l'erreur si souvent commise, qui peuple le Paraguay d’une multitude de che- vaux sauvages; les pampas de Buenos-Ay res et la Bande orientale en ont une multitude, mais on n’en voit pas au Paraguay. — HAMILTON Surru, loc. cit., p. 73 et suiv. — A. D'ORBIGNY, loc. cit., p: 206, 481 et h32. — C. Gay, Historia de Chile, Zoologia, tebopetib ni MARTIN DE Moussy, loc. cit., p. 72. Pour l'Amérique septentrionale, voyez, entre autres indications : BEVERLEY, The History of Virginia, 2° édit., Londres, in-8, 1722, p. 276. — HAMILTON Smitu, loc. cit., p. 179, d'après C. A. MURRAY. — AUDUBON, Ornithological biography, gr.. in-8, Edimbourg, t. HI, p. 270, 1835, traduction de M. BAZIN, Paris, in-8, 4857, t. 1, p. 469, L'auteur décrit un cheval sauvage pris vers les sourcesde l’Arkansas. 902 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV: 11, CHAP. XIX. des chevaux amenés d'Espagne en 1535 par le fondateur même de Buenos-Ayres, Mendoza. Enfin l'Amérique et quelques-unes de ses îles ont eu aussi leurs chats (1) et surtout leurs chiens, sauvages, ces derniers vivant èn troupes souvent très nombreuses et très-féroces : un siècle après la découverte de l'Amérique, ils s'étaient tel- lement multipliés aux Antilles et étaient devenus si redou- tables, qu’il avait fallu mettre leur tête à prix (2). Ces (4) Les exemples, beaucoup plus rares pour le chat,ne nous manquent cependant pas absolument. Voyez Ovrepo, Histoire naturelle des Indes, Paris,in-fol., 1656, p. 101. — M. RouLan, loc. cit., p. 843, mentionne aussi, d’après divers auteurs, des chats d’origine domestique, trouvés sauvages à Juan Fernandez. — L'existence de chats marrons dans la - région argentine est attesté par M. MARTIN DE Moussy, loc. cit., p. 96. (2) Acosta, loc. cit., liv. IV, chap. XXXI, p. 182. asiy aussi liv. 1, chap. XXI, p. 42. En quelques lieux, on avait utilisé leur férocité. Des chiens avaient été lächés à Juan Fernandez, afin d’y obtenir, par la création d’une race de chiens sauvages, la destruction des chèvres, afin de couper les vivres aux corsaires qui venaient relâcher dans cette île. Voy. JORGE JUAN et ULLOA, loc. cit., et C. GAY, loc. cit., p. 58. Selon M. Gay, ! Pilea en- core aujourd’hui ses chiens sauvages. HUMBOLDTA réuni quelques faitsintéressantssur les« hordes de chiens » devenus sauvages » des pampas de Buenos- Ayres. Voy. Tabl. dela nat., trad. d'Evriks, Paris, in-42, 4808,t. 1, p. 21, et p. 147 et suiv. L’au- teur considère comme des « chiens européens » devenus libres, les chiens qui se trouvaient déjà à l’état sauvage à Cuba et à Saint- Domingue lors de la conquête par les Espagnols. Cette opinion n’a pas été reproduite par Humboldt dans l'édition récente des Tableaux, traduite par M. Gazuskt en 4851. Voy. t. I, p. 198 et suiv. Pour d’autres parties de l'Amérique, voyez HAMILTON Surrx, Dogs (dans The Natur. libr.), Edimbourg, 4840, p. 120 et suiv. — ROULIN, loc. cit., p. 841 et suiv.; bon résumé des faits recueillis par les voya- geurs. — CASTELNAU, Expédition dans les parties centrales de l? Amé- rique du Sud, Histoire du Voyage, t. I, p. 387; 4854. — MARTIN mm | RETOURS A L'ÉTAT SAUVAGE. 503 troupes se sont perpétuées sur divers points jusqu’à nos Jours as En voyant avec quelle pipili les animaux domes- | tiques transportés aux Antilles et sur le continent de | -l'Amérique y sont revenus à la liberté, on ne s’étonnera | pas que d’autres terres plus noûvellement découvertes aient déjà aussi leurs animaux redévenus sauvages. Non- seulement le cochon et surtout le lapin, transportés par les navigateurs (1) dans plusieurs îles du grand océan 1 méridional et du sud de l'Atlantique, se sont multipliés dans | quelques-unes à l’état libre; mais le plus grand de nos ru- minants domestiques estlui-même devenu marron en Aus- tralie. Dans la Nouvelle-Galles du Sud, cinq individus échappés en 1788 d’un des premiers troupeaux amenés dans la colonie, ont été les ancêtres d’un grand nombre | de bœufs sauvages (2) : ces animaux s'étaient multipliés, | il y a un demi-siècle, au point d'obliger les colons à leur faire la guerre, et d’en détruire un grand nombre. Parmi les animaux redevenus sauvages en Austra- lie, on a placé le dingo, ou, comme on l’a d’abord ap- pelé, le chien marron de la Nouvelle-Hollande. Mais, pour ce carnassier qui tantôt habite, demi-domestique, les huttes des Australiens, et tantôt, PRE sauvage, DE Mouse, loc. nl. Pi 93. Selon ce dernier voyageur, on est encoré obligé dé faire de temps en temps des battues pour détruire les chiens sauvages, ou bien on les empoisonne en saupoudrant de strychnine des cadavres de chevaux. ' (1) Notamment par le. capitaine Cook, dens er a été souvent. suivi. ~ (2) Voyez FREYCINET, Voyage autour du monde de PUranie, Paris in-h, t. 1, p. 697; 1849, | PE E RES RG asie" arme 50% NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. M, CHAP. XIX. leur fait la guerre et la fait aux troupeaux des colons, la domestication et l'état libre sont également sans dates ; et dans l'obscurité qui enveloppe son origine comme celle des Australiens eux-mêmes, on a cru pouvoir considérer le dingo comme étant, non un chien redevenu sauvage, mais tout au contraire une espèce distincte et aborigène dont une partie aurait été domestiquée par les Australiens. Laissons donc le dingo, et, nous réservant de faire valoir ailleurs les raisons qui militent contre cette dernière opinion, ne nous attachons en ce moment qu'aux faits exempts de toute équivoque; à ceux dont on peut dire qu'ils ne sont pas seulement vrais, mais qu’ils le sont de l'aveu de tous; autrement, avant de justifier par eux les conséquences auxquelles nous devons arriver, il nous fau- drait les justifier eux-mêmes, et pour ainsi dire prouver nos preuves. | V. Les voyageurs qui ont rencontré et observé des troupes d'animaux redevenus sauvages, nous les représentent sous les couleurs les plus diverses. Les uns nous en par- lent comme d'agrégations plus ou moins nombreuses d'individus très variés de couleur, de taille et même de formes ; d’autres nous les pr, D comme des associa- tions d'animaux, lous ou presque tous très semblables les uns aux autres. On aurait tort de prendre pour des con- tradictions ces appréciations opposées d'auteurs qui ont observé dans des circonstances et dans des lieux diffé- VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX REDEVENUS SAUVAGES. 505 rents : chacun a dit ce qu'il avait vu, seulement il n'avait vu qu'un des états successifs par lesquels passent les troupes redevenues libres, Toutes se éomposent d’abord d'individus très divers de type comme d'origines, et toutes aussi deviennent, de génération en génération, de plus en plus homogènes. | Comment le seraient-elles au début Pont qu'elles fus- saut dès lors composées d'individus semblables, il faudrait que des animaux de la même race et de la même variété ` se fussent seuls échappés dans la même forêt ou la même steppe, ce qui n’est peut-être jamais arrivé; ou que les individus marrons se fussent groupés d'eux-mêmes par races et par variétés, ce qui est encore moins supposable : car, comme tout le monde le sait, les chevaux, les bœufs, et les autres animaux domestiques, sans même excepter les chiens, malgré l'extrême diversité de leurs carac- tères, se reconnaissent entre eux et se recherchent, sans distinction, soit de variétés, soit même de races. De là, dans les compagnies ou les sociétés de formation récente, et c’est en effet ce qu’on y a généralement vu, des mé- langes d'individus très dissemblables : par exemple, de pores différents de taille ou de couleur, de bæufs et sur- tout de chevaux de plusieurs robes, et de chiens de toute race, de toute taille et de toute couleur, comme le disent des premières- troupes américaines plusieurs auteurs espagnols du xvi° siècle. | | De parents aussi dissemblables ne sauraient naître des fils ni même des petits- -fils qui se ressemblent tous. Mais ce qui peut et ce qui doit arriver, c’est que les différences individuelles deviennent moins nombreuses et moindres pacan neii D e < aaia ars ere TR eo pa 4 j 1 f ` à 506 — NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XIX. de génération en génération; c’est que la vie sauvage en commun, plaçant tous les individus de la même troupe dans les mêmes conditions d'existence, les amène gra- duellement à un type uniforme. Si les innombrables varia- tions des animaux domestiques dépendent, comme tout le monde l’admet, de l'extrême variété des circonstances dans lesquelles ils naissent, se développent et vivent, et des influences qu’ils subissent, il est clair que lorsque ces influences diverses cessent d'exister, leurs effets n’ont plus de raison d’être. Dans une troupe dont les individus vivent tous de même, puisent leur nourriture dans le même sol et subissent les mêmes actions climatologiques, il ne reste plus, comme cause de diversité dans les géné- rations nouvelles, que l'influence de l'hérédité soit directe, soit médiate, ou de la tendance qu'ont les descendants à reproduire les caractères des parents et des ascendants ; or cette cause elle-même va toujours en s’affaiblissant, car les. croisements.et le métissage ont nécessairement pour effet de faire disparaître les formes extrêmes et de multiplier les intermédiaires, et par conséquent, eux aussi, de les faire converger toutes vers l'unité. ‘Une troupe d'animaux sauvages, si disparate qu’elle ait été à son origine, doit donc graduellement devenir homo- gène; et s’il ne s’y mêle pas de temps en temps des indi- vidus nouvellement échappés à la domesticité, il doit venir un moment où il n'existe plus, au lieu de diffé- rences de race ou de variélé, que de simples nuances, comme on en observe chez les animaux sauvages. Ce qui doit être, selon ces prévisions théoriques, est précisément ce qui est, et les témoignages des voyageurs VARIATIONS CHEZ LES ANIMAUX REDEVENUS SAUVAGES. 907 ne peuvent laisser ici aucun doute ; on peut dire même qu'ils vont parfois au delà des indications de la théorie. Que des animaux redevenus sauvages se ressemblent tous lorsque leurs troupes, établies dans des régions plus ou moins désertes, sont depuis longtemps sans communi- cations avec les troupeaux domestiques; que, par exem- ple, les cochons marrons de quelques forêts de l’ Amérique soient tous noirs, et que les chevaux sauvages vus en Afrique par Mungo-Park, et les chèvres libres caraques, décrites par Humboldt, fussent « tous de la même cou- » leur » (1), c'est ce que la théorie indiquait comme-une | conséquence de l'isolement plus ou moins absolu de ces animaux, Mais eùt-on pu prévoir que des troupes qui se recrutent sans cesse d'animaux domestiques, se mon- treraient elles-mêmes composées d'individus presque tous semblables, la descendance des nouveau-venus rentrant _ presque aussitôt dans le type commun ? Si étonnante que puisse sembler une si prompte disparition des différences individuelles, elle est parfaitement constatée par divers voyageurs pour les chiens, et surtout pour les chevaux sauvages. Azara surtout l'a mise hors de doute par lob- servation des Alzados des pampas de la Plata; il a vu ces chevaux appeler, très fréquemment, leurs frères domes- tiques « les caresser avec des hennissements affectueux, » et parvenir ainsi à les séduire » (2), et à les réunir « pour jamais à leurs troupes». Et cependant ces troupes (4) Expression de MUNGO-PARK, loc. cit, — Quant aux chèvres vues par HUMBOLDT (voy. p. 500, note 2) dans une des Caraques, elles étaient toutes uniformes. | (2) Essai sur l'hist. nat. des quadrup, du Paraguay, loc. cit, diiad d NÉ. Dpt" — 7 e 1. {| 1 £} 4 1 1 1 À | SD E ne ne. PR ap mg ti AB onian e TN a, i à PE, PE — . O RE a amta ARE nn RE 2 k; = -e s edi 488 i 908 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP. XIX. se composent toujours d'individus en très grande majorité semblables de formes et surtout de couleurs : sur cent individus, quatre-vingt-dix sont bai châtain, et les dix autres zains; et « quand on en voit un d’une autre teinte, » onest certain que c'est un cheval qui s’est échappé », ou au moins le descendant presque immédiat d'un cheval échappé. | | l Le retour des animaux redevenus sauvages à un type uniforme a donc lieu, non pas seulement selon cè qu'in- diquait la théorie, mais au delà même de ce qu'elle pou- vait nous faire prévoir; et, à ce point de vue, on peut dire avec Buffon (4) : « La nature.... ne manque jamais de » reprendre ses droits dès qu’on la laisse agir en liberté », et avec le temps, on la verrait « détruire le produit d'un » art qui la contraint, et... se réhabiliter » (2). VI. Les auteurs ont généralement supposé que ce type uni- forme dans lequel tendent à se fondre toutes les diffé- rences individuelles, n'est autre que le type primitif, le type spécifique restitué (3) ; etque c'est précisément parce qu'il est spécifique que les animaux y reviennent. Dans (t) Mais non tout à fait comme l'entend Buffon, trop disposé à admettre la restitution du type spécifique lui-même. Voyez la section suivante. l (2) Hist. nat., t. V, p. 196; 1755. Voy. aussi t. XIT, p. XIV; 1764. (8) Burron le suppose lui-même, mais non sans des réserves, dans le passage qui vient d’être cité. á f - FR DÉTERMINATION DU TYPE DE L'ANIMAL SAUVAGE. 509 ce fait dont ik n'y aurait pas à douter, serait même, selon les partisans de la fixité de l'espèce; une des preuves les plus démonstratives de cette « vérité fondas. » mentale ». L’empreinte de l'espèce est, disent-ils, ineffa- cable : si la nature s’est momentanément écartée du type, elle y revient aussilôt que cesse sur les animaux l'em- pire de l’homme et dès qu’elle reprend le sien. Ce qui conduirait à considérer le type spécifique comme tou- jours subsistant en tendance, sinon en réalité; où nous n’en voyons plus rien, il existerait encore en quelque sorte tout entier, au moins virtuellement. Les auteurs qui ont développé ces arguments et admis cette conclusion, en eussent bientôt reconnu le peu de solidité, s'ils eussent tenu compte, non de quelques faits seulement, mais de lous ceux que possède la science. Les résultats de létude d’une seule troupe ou de troupes voisines peuvent sembler favorables à la suppo- sition du retour au- type primitif et spécifique; mais il suffit, pour dissiper cette illusion, d'étendre la compa- raison à deux ou plusieurs troupes. Si c'était le type ori- ginel et spécifique que fit reparaitre dans chacune d'elles le retour à l’état sauvage, il est clair qu'il ne devrait y avoir qu'un seul et même type pour toutes celles qui sont de même origine ou de même sang. Or, c'est ce qui n’a pas lieu. L'observation montre que l’ensemble de carac- tères vers lequel tendent les divers individus d’une même troupe, n’est pas celui vers lequel tendent ceux d’une autre : chacune a le sien propre; chacune à son type uniforme distinct, et par conséquent ce type n’est pas le type originel et spécifique, mais une forme locale en | $ : | 2! ` | 4 | Î fj à | t 4 ui TIR - 1 A PA A E SEH jii 2 naite ta Kane 3 ec ms ee 510 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, H, CHAP. XIX. rapport ayee les- circonstances ambiantes. Et où l’on | avait cru trouver un argument décisif en faveur de la fixité de l'espèce, nous trouvons, les faits plus compléte- ment étudiés, une preuve de plus du pouvoir des in- tluences lócales, et par conséquent de la variabilité. Pour éclaircir par un exemple ce qu’il peut y avoir d'obscur dans ces remarques générales, nous en ferons l'application aux chevaux redevenus sauvages. Est-ce le type originel et spécifique qui est restitué chez eux par le retour à la vie sauvage? Oui, disent les auteurs. Mais, d'accord sur ce point, ils se divisent aussitôt qu’ils veu- lent répondre à cette seconde question : Quel est ce type spécifique ? Car autant de pays et d'ensemble différents de circonstances, autant d'ensemble de caractères : et c'est ce qui ressort clairement de la comparaison des faits con- statés par les voyageurs. Il est des pays où les chevaux sau- vages sont de moyenne stature, et d’autres où ils sont très petits, et leurs formes ne varient pas moins que leur taille. Leur poil est tantôt ras, tantôt long, touffu. Ce dévelop- pement du pelage se rencontre dans les pays froids : les anciens l'avaient déjà observé chezles chevaux sauvages du Caucase (1). La robe varie, selon les pays, du noi- râtre au fauve clair, à l'isabelle et au gris (2). Ces der- nières teintes sont celles qui dominent en Asie, tandis que le bai châtain est la couleur habituelle des innom- brables troupes des pampas de l'Amérique du Sud. S'il n'ya et ne peut y avoir, à proprement parler, qu'un seul _ (4) STRABON. : (2) Gris de souris (Mausfarbe), dit même GMELIN, loc. cit., p. 46. DÉTERMINATION DU TYPE DE L'ANIMAL SAUVAGE, | SU cheval sauvage, c’est-à-dire un seul originairement sauvage et encore dans sa pureté primitive, il y a donc incon- testablément seen chevaux redevenus sauvages ; cha- que pays peut avoir le sien; etlorsque Azara (4) et d’autres auteurs, raisonnant cornme- on l’a fait si souvent en pa- reil cas, nous disent : le cheval sauvage américain était bai châtain, le premier cheval et la première jument ont dù être aussi bai châtain, leur conclusion n’est ni plus ni moins fondée que ne l’eût été celle-ci : le premier couple a dû être ou fauve, où gris, ou bai brun; car les chevaux sont génér alement, dans tel pays avei dans telautre gris, et dans tel autre encore bai brun (2). (L) Essai sur l’hist, nat. des quadr. du Paraguay, loc. cit., et Voy. dans l’Amér. mérid., loc.-cit., p. 87h. — A cette conclusion, Azara croit même pouvoir ajouter celle-ci ; Les chevaux bai châtain doivent être les meilleurs comme moins «éloignés du cheval primitif ». (2) Ajoutons que la conclusion d’Azara n’est pas seulement contes- table au point de vue logique : les faits lui sont aussi défavorables. Les troupes dans lesquelles nous devons chercher sinon le cheval pri- mitifdans toute sa pureté, du moins le cheval aussi voisin que possible de son type, sont évidemment celles des steppes de l'Asie centrale. D'une part, il y. a tout lieu de croire qu 'il y esttoujours resté des ċhe- vaux sauvages; et quant aux chevaux marrons, s'ils doivent quelque part revenir au type originel, c'est assurément dans ces troupes où ils se mêlent à des individus d’erigine sauvage et retrouvent toutes les conditions de l'existence primitive de leur espèce. Or, en Asie, la cou- leur qui domine est le fauve tirant sur l’isabelle ou sur le gris. Azara a fait pour le bœuf un raisonnement analogue à celui qu'il a fait pour le cheval. La couleur des taureaux et des vaches sauvages d'Amérique est d’une manière « invariable et constante, brun rou- » geâtre sur le dessus du corpset noir sur le reste ». De ce fait Azara croit qu’on peut avec vraisemblance assigner ce mode de coloration au « couple primitif ». (Voyage dans lAmér. mér., loc. cit., p. 378). 11. IE $ f ) 512 NOTIONS FONDAMENTALES; LIV. H, CHAP. XIX. Ce qui est vrai des chevaux l’est aussi des autres ani- maux redevenus sauvages en plusieurs lieux. Si l'em- preinte de la domesticité s’est bientôt effacée chez tous, elle ne l’a pas fait partout de même. ‘On ne voit plus, après quelques générations, chez les chèvres libres, ni oreilles longues et tombantes, ni mamelles hyper- trophiées et pendantes, ni cornes bizarrement con- tournées. Les cochons marrons ont bientôt les oreilles droites, et leurs crochets se développent, non cependant dans loutes les troupes, en véritables défenses dont ils se servent contre les chasseurs et les chiens, avec une vigueur et une énergie qui ne le cèdenten rien à celles des bêtes de nos forêts. Les chiens sauvages, fussent-ils issus des chiens domestiques les plus modifiés, en perdent eux- mêmes les caractères : dans les troupes libres, et après un temps dont la brièveté a souvent étonné les observa- teurs, plus d'orcilles tombantes, plus d'anomalies dans le nombre ou la disposition des doigts, et à peine quel- ques traces deces déformations du crâne et de ces accrois- sements du volume de l’encéphale, qui rendent si remar- quables quelques-unes des races de nos villes. Ajoutons que les chiens marrons se modifient dans leur naturel et dans leurs mœurs comme dans leur organisation : ils deviennent farouches, souvent féroces ; ils cessent d’a- boyer (1) ; quelquefois ils fouillent la terre; et il est vrai de dire qu’ils se rapprochent à tous les points de vue des loups et des chacals, comme les cochons marrons des (1) Sur le mutisme des chiens redevenus sauvages en Amérique, voyez surtout ROULIN, loc. cit., p. 341. | | DÉTERMINATION DU TYPE DE L'ANIMAL SAUVAGE. 513 sangliers, et les chèvres libres des bouquetins. Mais ce n’est là qu'une partie de la vérité; ce qui n’est pas moins digne d'attention, c’est que, chez la chèvre, le cochon et le chien, comme chez le cheval, les effets de la domesticité ne disparaissent, par le retour à l’état sau- vage, ni au même degré, ni par les mêmes modifica- , | = tions; celles-ci tendent, non à reproduire partout le type | spécifique, mais à produire, selon les lieux, des types très divers, dont le plus souvent aucun ne peut être assimilé à celui-ci. Chez la chèvre libre, moins étudiée que le cochon et le chien marron, il y a au moins, d’une troupe à l’autre, des différences de robe et de taille; etil ne paraît pas qu'elle soit complétement revenue, ni en Afri- que, ni en Amérique, au type de sa souche unique ou | principale, l’égagre (4) : si elle l’eût fait, les voyageurs n'eussent pu manquer d'indiquer au moins la grandeur et la disposition si caractéristique de ses cornes. Chez le cochon, les défenses sont, selon les localités, très inégalement développées et les dimensions notable- ment différentes. La peau est tantôt dénudée, tantôt cou- verte de longues soies, quelquefois d'une couleur voisine de celle des sangliers, soit d'Europe, soit d'Orient, mais bien plus souvent noire, surtout dans les pays chauds. Chez le chien, les troupes diffèrent, non-seulement par la couleur et par la taille, mais par les proportions et les formes : s’il en est qui, à ce point de vue, se rappro- chent beaucoup du chacal, d’autres sont plus sveltes et plus hauts sur jambes, à ce point que les voyageurs les | (1) Voy. le Chap. IX, Sect, x1, p. 85 et suiv. HI. 90 5AA NOTIONS FONDAMENTALES, LIV, H, CHAP, XIX. ont comparés, non-seulement au mâtin, mais au lévrier(4). Voilà les faits; et la conclusion à laquelle ils condui- sent est bien différente de celle qu'on avait admise. On croyait pouvoir dire : le retour de la domesticité à l'état sauvage efface les différences individuelles et restitue le type originel et spécifique. La vérité est qu’il amène simplement la restitution de ce qu’on peut appeler, en général, le type de l'animal sauvage. Cette restitution, non du type spécifique, mais seule- ment des traits généraux de l’état sauvage, concorde par- faitement avec la théorie des influences extérieures et de la variabilité. Ce qu’on observe est précisément ce qu’elle pouvait nous faire prévoir. Quand cessent la domesticité et toutes les causes modificatrices qui en dérivent, com- ment n’en verrait-on pas disparaître plus ou moins com- plétement les effets? Sublalä causd, tollitur effectus. Les animaux perdent, pour ainsi dire, la livrée qu'ils por- taient comme serviteurs de l’homme. Mais alors ap- paraissent les eflets d’autres influences ; les animaux ne sont presque jamais domestiqués, sans être transportés en des lieux plus ou moins différents de lèur patrie pri- mitive. Les effets de la domesticité elle-même étant sup- primés, et n’y eût-1l même plus à tenir compte de l'atavisme, restent donc du moins les effets du déplace- ment des animaux; et comment pourraient-ils être nuls quand nous avons vu la translation à l’état sauvage al- térer rapidement le type spécifique (2) ? (1) Voyez BUFFON, Hist. nat., t. V, p: 197; d’après divers voyageurs. J'ai moi-même recueilli récemment des témoignages analogues. (2) Voyez le Chapitre XIV. —— © M CONCORDANCE DES FAITS. 915 Done les animaux ne doivent pas, en revenant à la liberté, revenir aussi à leurs caractères primitifs : ils doi- vent se rapprocher de leurs congénères sauvages, mais non leur devenir semblables (4), et c'est ce qui a lieu. + VII. ` La fréquence des variations individuelles chez les ani- . maux domestiques soumis individuellement à une mulți- tude d’influences diverses, ct le retour à un type uniforme chez les animaux revenus aux conditions uniformes de la vie sauvage, sont deux faits dont il est impossible de méconnaitre la liaison. L'un est la contre-partie de Pau- tre, que, par là même, il complète et éclaire, et tous deux se rattachent directement à la théorie de la varia- bilité des êtres organisés sous l'influence deg circon- stances ambiantes. Posez, en effet, cette variabilité en principe, et vous en déduirez immédiatement ces deux conséquences : hk Étant donnés des êtres semblables, et ces êtres étant placés séparément dans des circonstances permanentes très diverses, ils devront se modifier très diversement et donner lieu à de nombreuses variétés. Et au contraire : étant gonnées ces nombreuses va- (1) A moins qu'ils ne soient redevenus sauvages précisément dans leur patrie primitive, ou dans des localités et des conditions équiva- lentes. Mais c’est là un castrès particulier et exceptionnel qui ne s’est peut-être jamais complétement réalisé. Voyez, pour le cheval, la uote 3 de la page 504. $ "I LA! | du rt DER en dB SE aadA PR Creme DCR bai 546 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 11, CHAP, XIX. riétés, et les êtres qui les présentent étant placés dans des circonstances permanentes semblables, ces êtres devront devenir semblables. Dans le premier cas, il devra y avoir divergence, dans le second convergence. | Voilà ce que veut la théorie et voici ce que montrent les faits : | Chez les animaux amenés de l’état sauvage à Pétat domestique, la multiplicité des influences et des causes est substituée à l'unité d'influence et de cause : la multi- plicité des effets est substituée aussi à l’unité, la variété à l’uniformité, et toujours avec une relation entre l'in- tensité, et la durée des causes, et la multitude et la grandeur des effets. Chez les animaux revenus de l’état domestique à l'état sauvage, à l'inverse, c’est l'unité d'influence et de cause qui se substitue à la multiplicité des influences et des causes : l'unité des effets est de même substituée à la multiplicité, l'uniformilé à la variété. Donc, nous avons la preuve et la contre-preuve, lune et l’autre également nelles et décisives ; et les faits que nous venons d'exposer dans ce chapitre, tout inverses qu'ils sont des précédents, ou mieux, parce qu'ils le sont, concordent parfaitement avec eux et sont exactement conformes à la théorie de la variabilité, à ce point que nous sommes en droit de dife : Ce que nous montre l'observation, la théorie l’expli- que, et ce que la théorie nous faisait prévoir, l’observa- tion le met sous nos yeux. SSII SSII INIST PEII EISEIN EISDEN SI SINI SSSI oa Ea RE ES ANS AINA CHAPITRE XX. CONCLUSION GÉNÉRALE EN FAVEUR DE LA VARIABILITÉ LIMITÉE DU TYPE ET RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS. SOMMAIRE. — T. Conclusion commune des faits relatifs aux animaux et aux végétaux, soit dans l'état de nature, soit déplacés, soit domestiques ou cultivés, soit redevenus sauvages. Réponse à quelques objections. — 11. Objection contre ies preuves de la variabilité, fournies par l'étude des animaux domestiques : ceux-ci auraient été modifiés par la main de l'homme. Distinction des races artificielles et des races naturelles. — HT. Nous venons de considérer les êtres organisés dans toutes les conditions où ils se présentent à l'observation ; à l’état de nature, dans la vie sauvage, mais hors de leur patrie originelle, en domesticité, dans le retour à l’état sauvage; et partout, les mêmes conclusions sont ressor- ties des faits, et aussi bien pour les végétaux que pour les animaux. Ces conelusions sont celles-ci : Les caractères des êtres organisés ne sont fixes qu’au- tant que les circonstances extérieures restent les mêmes : si elles changent, et selon le sens et le degré des change- . ments qu’elles subissent, l’organisation se modifie, et il se produit de nouveaux caractères dont la valeur peut être spécifique et plus que spécifique. 11 ii n gs 7" r o A P $ i fi {| fl | 518 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. H, CHAP. XX. Qu'est-ce done que le principe, si longtemps affirmé, de la fixité du type, de l’immutabilité de l'espèce? Nous disions au commencement de ce livre : ce prétendu prin- cipe n’est qu’une hypothèse ; nous sommes maintenant en droit d'ajouter : cette hypothèse est erronée. Et c’est en vain qu'on voudrait recourir, pour la maintenir dans la science, à ces réserves, à ces concessions, dont Cuvier et ses disciples ont fini par reconnaître la nécessité; s’il est faux que l’espèce soit immuable, qu’elle ne se modifie «en aucune façon », il n’est pas vrai non plus que les modifications qu’elle subit, n’aillent jamais au delà des ca- ractères accessoires et superficiels. Si ceux-ci sont seuls atteints dans le plus grand nombre des cas, les variations portent aussi, dans d’autres, sur les organes profonds et sur les caractères considérés par tous les naturalistes comme spécifiques, ou même comme génériques. Il eùt été digne de Cuvier et de ses principaux disciples de ne pas s'arrêter à mi-chemin, et de rejeter compléte- ment une hypothèse vieillie, au lieu de se borner à la res- treindre par des concessions qui ne pouvaient satisfaire personne. Les partisans absolus de la fixité les ont re- poussées comme de premiers pas vers le système con- traire; et nous ne saurions y voir que d’inutiles efforts pour atténuer l'erreur, au lieu de l’extirper. Mais Cuvier et ses disciples se voyaient en présence du système de Lamarck et d’exagérations qui atteignaient jusqu’à la notion elle-même de l'espèce, et ne concevant pas qu'elle püût être autrement conservée à l'histoire na- turelle qui, sans elle, retomberait dans le chaos; voulant aussi ne pas s'écarter de la Genèse, telle qu’ils l'avaient, | | 1! | | i RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS. 519 à tort, interprétée (4), ils devaient être presque inévita- blement entraînés, au défaut de l'hypothèse, trop mani- festement fausse, de l’immutabilité spécifique, à essayer d'en maintenir les débris debout dans la science, à peu près comme on étaye, pour en retarder la chute, les ruines d’un édifice qu’on ne saurait plus restaurer. C'est là ce qu'avait fait Cuvier et ce qu'essayent encore de faire ses disciples, malgré la multitude des preuves présentement acquises à la science ; aujourd’hui encore, ils passent, comme s'ils n’existaient pas, sur la plupart des faits qui contredisent leur hypothèse favorite, ou ne les mentionnent que pour leur opposer des dénégations que rien ne justifie; et s’il en est qu'ils croient ne pou- voir contester, ils s'efforcent d'en atténuer la valeur et de les réduire, à l’aide de distinctions et d'arguments, tout au plus spécieux, au rang de simples exceplions par les- quelles la règle ne saurait être infirmée. Nous pourrions, à la rigueur, nous dispenser de nous arrêter sur ces distinctions et ces arguments. Après tous les faits qui précèdent, nous sommes en droit de dire notre démonstration achevée, et par conséquent, de reje- ter tout ce qui est en désaccord avec notre conclusion contre la fixité du type. Il n’y a pas d'arguments contre les faits, et une vérité une fois établie, il ne peut s’en ren- contrer une autre qui la confredise. Mais où il n'est plus nécessaire de prouver, il est en- core utile d'éclairer : car, comme nous l'avons dit ailleurs, si le premier objet de la science est de mettre la vérité (1) Voy. le Chap, XII, p. 291. 920 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. 1, CHAP. XX. hors de doute, le second est de la mettre en lumière. Ne laissons donc derrière nous aucun argument sans l'avoir discuté, aucune objection sans lavoir résolue, surtout lorsque, comme ici, l'argument et l'objection émanent de Cuvier, et empruntent, de ce grand nom, une valeur qu'aucun naturaliste ne contestera, fût-il obligé de se po- ser encore une fois en respectueux adversaire de l'illustre auteur des Recherches sur les ossements fossiles (4). Il C'est dans ce grand ouvrage que se trouve, sinon dé- veloppé, du moins pour la première fois ipiang ia ), un argument qui ne tendrait à rien moins qu’à désarmer d’un seul coup la théorie de la variabilité de la plupart des faits qui la justifient le mieux. Des animaux domestiques et des végétaux cullivés, il n’y aurait rien à conclure à l'égard des animaux dans l’état de nature et des végétaux sauvages; Car les influences qui s’exercent sur les uns et les autres seraient de deux ordres différents, les unes étant « naturelles », les autres. au contraire, « humaines » ou artificielles. Un animal, un végétal, très modifié par la domesticité, ne serail ainsi qu’un produit exceptionnel (1) Les faits et les considérations par lesquels je crois pouvoir ré- pondre aux objections de Cuvier, ont déjà été exposés dans mes cours, mais non dans mes Ouvrages. On les trouve seulement indiqués Vie, travaux et doctrine scientifique PE. Geoffroy Saint-Hilaire, 1847, p. 355 et suivantes. (2) Tome I de l'édition in-4° de 4821, p. LXI et Lx. RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS. 5H de l’art humain, dominant la nature et entraînant en dehors de ses voies et au delà de limites qu’elle meñt jamais franchies d’elle-même. C'est par cette vue que Cuvier a cru pouvoir justifier ce qui serait, selon lui, le résultat capital de ses recherches sur les animaux fossiles : la non-filiation de ceux-ci et de leurs analogues actuels. En effet, dit Cuvier, « quand il » Serait vrai que les éléphants, les rhinocéros, les élans, » les ours fossiles ne diffèrent pas plus de ceux d'à pré- » sent que les races de chiens ne diffèrent entre elles, on » ne pourrait pas conclure de là l'identité d'espèces, parce » que les races des chiens ont été soumises à l’influence » de la domesticité, que ces autres animaux n’ont ni subie » ni pu subir ». Argument où se trouve manifestement sous-entendue la non-existence, même au passage d’un ordre géologique à l’autre, « d’influences naturelles » ana- logues ou équivalentes aux causes « humaines », c’est-à- dire étrangères à l’ordre naturel, qui dérivent de la do- mesticité. | Les animaux domestiques et les plantes cultivées doi- vent, sans nul doute, à l'intervention de l’homme, les caractères par lesquels ils s'éloignent de leur type origi- nel. Il wy a et il ne peut y avoir, dans la science, qu’une opinion à cet égard. Mais de ce que cette intervention est le point de départ des modifications qu’ils ont subies, suit-il que les « influences » dont elles dérivent directe- ment, que leurs véritables causes ne doivent pas être considérées comme « naturelles »; et qu’on soit fondé à | ; ` les dire d’un autre ordre que celles qui agissent sur les D | animaux sauvages ? ii d | 1 4 J 3 4 4 a í $i $ F i wi 7 1 ÉD z z . ne nn ae re | ú m S ET 75 Le un z S 25 522 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XX. Au moins eût-il fallu faire ici une distinction entre les races si singulièrement modifiées, qu'ont. créées pour ainsi dire de toutes pièces les Bakewell, les Colling et leurs successeurs, et celles qui, dans tous les temps, dans tous les pays, se sont formées sans la moindre interven- tion de l’art zootechnique. Que les premières aient été « façonnées de mille manières, tant au physique qu'au » moral», et comme «pétries par la main de l’homme(l)», nous l’admettons, tout en remarquant qu’elle n’a fait ici même que diriger la nature. Mais ces races ne sont que de rares exceptions, à côté de celles, infiniment plus nombreuses, dont il est vrai de dire : l’homme ne les a “pas créées, il les a laissé créer, sous ses yeux, par la nature. Í Les premières sont particulièrement celles qui ont été formées par la sélection longtemps continuée des repro- ducteurs. La sélection est-elle, comme le croit M. Dar- win, et comme il a ingénieusement entrepris de le dé- montrer (2), le moyen habituellement employé par la nalure pour créer de nouveaux. types? Il est au moins permis d’en douter : mais, en fût-il ainsi, on pourrait encore se refuser, malgré une analogie générale incon- testable à assimiler aux « sélections naturelles (8) », à celles qui, selon M. Darwin, ont multiplié les espèces à la surface du globe, les sélections que pratiquent nos agri- (1) Expressions de M. GoprON dans son ouvrage déjà plusieurs fois cité : De l'espèce et des races dans les êtres organisés, Paris, in-8, 4859. Voy. t. Il, p. 6. (2) On the Origin of species, Londres, in-8, 1859. (3) Natural Selection. DARWIN, loc. cit. RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS. 523 culteurs : celles-ci, en effet, si peu naturelles que, non- seulement la nature n’eût jamais fait naître sn races qui en sont sorties, mais qu’elle tend sans cesse à les faire disparaitre. Sans les soins assidus dont on les entoure, le cheval anglais de course, le bœuf de Durham, le cochon de Berkshire, la poule de Dorking, auraient bientôt perdu leurs caractères distinctifs. Ces races, et plusieurs autres, sont donc, à double titre, des œuvres de l’art humain : c'est lui qui les a produites, et c’est lui encore qui les maintient. Mais ce qui est vrai de quelques races plus. ou moins récemment créées par d’habiles agriculteurs, ne l’est nullement de toutes les autres; c’èst-à-dire, d’une part, du plus grand nombre des nôtres, et, de l’autre, de toutes celles que possèdent les peuples barbares ou peu avancés. Sans nul doute, celles-ci n'existeraient pas plus que les précédentes, si l’homme n’était pas inter- venu; s'il n'avait pas altéré l'ordre de la nature, si, trans- portant en divers lieux des individus enlevés à la vie sauvage ou déjà domestiques ailleurs, il ne les avait, par là même, soumis aux conditions d'un nouveau climat, d'un nouveau régime, et amenés à prendre de nouvelles habitudes. Voilà ce qu'a fait l’homme, et ce qui résulte, pour reprendre les expressions de Cuvier, des « influences » humaines »; mais le reste est l'effet des « influences na- » turelles»; et si les premières peuvent être considérées comme les causes des modifications produites, c’est seule- ment comme leurs causes indirectes et occasionnelles : les vraies causes, les causes directes et efficientes, sont les secondes, c’est-à-dire les influences exercées sur les \ 021, NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XX. caractères des êtres organisés, qu'ils soient domestiques ou sauvages, par le climat, le sol, la nourriture, et en général, par l’ensemble des circonstances locales. Cette proposition est complétement justifiée par les faits. Tous tendent manifestement à rattacher au même principe et à rapporter au même ordre de causes les mo- difications qui se sont produites chez la plupart des races domestiques, et celles, en si grand nombre aussi, qu'ont subies, selon les lieux et les circonstances, les espèces encore dans l’état de nature; par conséquent, à faire tomber la barrière qu’on prétendait élever entre les in- fluences qu'on disait seules naturelles, et celles qu'on qualifiait d’humaines ou artificielles. Avant d'introduire cette distinction dans la science et d’en faire la prémisse de conclusions d’une si grande portée, on eùt dù réflé- chir combien elle est peu conciliable avec ce que nous savons de l'ancienneté de plusieurs races domestiques dont l'origine se perd dans la nuit des temps, et de lexis- tence à toutes les époques, et encore actuellement, d’une multitude d’autres chez tant de peuples barbares ou même sauvages. Comment imaginer, en des temps si re- culés et chez des peuples aussi grossiers, d’autres effets de l’activité humaine que la simple translation des ani- maux dans un ensemble nouveau de circonstances, où la nature agissait ensuite à son gré? On eût dù remarquer aussi que les animaux sauvages et les animaux domes- tiques qui se trouvent réunis sur un même sol et sous un même ciel, subissent très souvent des modifications toutes semblables : la similitude des effets serait-elle possible sans celle des causes, et s’il fallait attribuer les modifica- RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS. 525 tions produites, d'une part aux influences naturelles, de lautre, àl’'influence de l’homme agissant contre la nature ? Ces arguments, sous ces formes générales et abstraites, laisseraient peut-être du doute dans quelques esprits : citons donc, à l'appui d’une proposition qu'il importe de mettre en pleine lumière, quelques exemples, pris parmi des faits, les uns généralement connus, les autres déjà établis dans cet ouvrage (4). C’est l’homme, a-t-on dit, qui a palmé les pattes du chien de Terre-Neuve; c'est lui aussi qui a allongé le canal digestif chez le chat domestique et l’a raccourci chez le cochon. De telles phrases, générales et vagues, sont de celles qu’on ferait bien de bannir de la science; car, susceptibles d’interprétations très diverses, ellesdisent vrai en un sens, faux dans un autre. Entend-on seule- | ment que l'influence exercée par l’homme sur les ani- : maux est le point de départ de ces modifications? C’est | incontestable. Veut-on dire, au contraire, que cette in- fluence les a directement et artificiellement produites? Une telle explication ne saurait rencontrer dans la science un seul partisan, car elle supposerait la pratique des | ; procédés de la zootechnie dans des temps et en des lieux où, assurément, l’homme n’avait ni le pouvoir, ni même la pensée de lutter contre la nature. Les vraies causes sont donc ici, non les actes eux-mêmes par lesquels il est intervenu, mais les influences naturelles qu'il a e ens a 4a mises en jeu, c’est-à-dire le nouveau régime et les nou- | 1 f velles habitudes qui sont résultées de la domestication et E (4) Chapitres XIV et XVIIL. E A ORS a RS a. aii a a . x rs v 926 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. Il, CHAP. XX. du déplacement des animaux. Le caractère naturel de ces influences est ici justifié par celui de leurs effets; car les modifications qu'elles déterminent, loin d’être étrangères à l’ordre naturel, réalisent précisément les états naturels des espèces soumises à ces mêmes influences par leur mode normal de vivre et de se nourrir. La conclusion qu’il faut, dans ces exemples, dégager des faits, est, dans d’autres, presque évidente par elle- même : tels sont les deux suivants. Parmi les modifica- tions qui se sont produites chez les descendants des races bovines transportées d'Europe en Amérique, une des plus remarquables est la dimension des mamelles qui cessent même de donner du lait après l'allaitement du jeune (1); sur les mêmes points et sur d’autres, la laine du „mouton a perdu sa finesse; elle s’est mêlée de jarre. Ces modifications que l'agriculteur appelle des dégénéres- cences, sont des retours vers le type sauvage : elles sont donc manifestement des effets, non de l’art humain lut- tant contre la nature, mais, tout au contraire, des in- fluences naturelles surmontant la volonté de l'homme. On ne saurait davantage attribuer à l’art humain ou aux influences humaines dans le sens où ce mot a été employé, les variations corrélatives à celles du climat, que pré- sentent les mammifères domestiques dans l'abondance, la longueur et la finesse de leur pelage. Tout le monde sait qu'ils sont généralement représentés, dans les pays chauds, par des races à poils ras, dans les pays froids, par des races à poils longs et touffus : le chien, le cheval (1) Fait constaté par M. Roux. Voy. p. 434. RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS. 527 lui-même sont enveloppés de véritables fourrures dans les régions voisines du cercle arctique. Ces changements sont-ils les effets d’influences humaines, artificiellement exercées sur les animaux qui les présentent, ou ceux des influences naturelles du climat? Tous les naturalistes feront ici la même réponse; car aucun d’eux n’ignore que les espèces qui vivent dans l’état de nature, ont aussi, lorsque leur distribution géographique est très étendue en latitude, leurs races à poils plus courts dans les pays chauds, plus longs et plus touffus dans les pays froids. Les races domestiques ne font donc, quant aux variations de leur pelage, qu'obéir à la loi commune, et céder aux influences naturelles du climat, agissant dans le même sens sur tous les animaux, sauvages ou non, qui y sont soumis. Ce qui est indubitable pour ces variations qui dépen- dent de la seule action du climat, ne l’est pas moins pour d’autres où interviennent, avec les influences naturelles du climat, celles du sol et de la nourriture. Nous citerons en exemple les petites races domestiques, et notamment les très petits chevaux, qu'on rencontre dañs plusieurs pays septentrionaux, et particulièrement dans les îles au nord de l'Écosse. Voudra-t-on soutenir que ces races sont devenues telles parce que leurs maîtres les ont ren- dues telles par la sélection ou par tout autre procédé zoo- technique? Ce serait oublier que l'observation a constaté, à côté d'elles, parmi les animaux sauvages, des races ca- raciérisées par de semblables modifications : le petit cerf des Hébrides est, en particulier, aux autres cerfs, ce que le cheval nain de ces îles est aux autres chevaux. Donc D: A ai 928 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XX. encore ici les animaux domestiques se sont modifiés sous les mêmes influences que les animaux dans l’état de na- ture, par conséquent, sous les influences naturelles. Pour échapper à cette conséquence, il faudrait supposer que les influences générales sont restées sans effet sur les animaux domestiques, mais qu’elles ont été rempla- cées par d’autres, agissant exactement dans le même sens, et produisant des effets tout semblables. Nous ne pensons pas que personne veuille abriter derrière un tel sophisme une supposition que rien d’ailleurs ne vient justifier. Qu'est-ce donc que l'explication des variations des animaux domestiques par les « influences humaines »? Une opinion que contredit l'immense majorité des faits, car elle west applicable qu'aux produits artificiels de la sélection et des autres procédés zootechniques; c'est-à- dire, à une partie seulement, et de beaucoup la moindre, des races domestiques qui nous sont connues. Les vues que nous venons d'exposer pourront sembler nouvelles aux naturalistes ; elles ne le paraîtront pas aux agriculteurs, à ceux du moins qui savent réfléchir sur les laits qu'ils ont tous les jours sous les yeux. Comment, livrés à l'étude et à la culture assidue des races domes- tiques, n’auraient-ils pas reconnu que les unes, races de pays, comme on les a quelquefois appelées, subsistent pour ainsi dire d'elles-mêmes, et que d’autres, au con- traire, ne peuvent être maintenues, comme elles n'ont pu être créées, qu’à force de soins et d'efforts toujours renouvelés? L'agriculteur n’a, pour conserver les pre- mières, qu’à agir selon la nature, et presque à la laisser RACES ARTIFICIELLES ET RACES NATURELLES. 529 agir; il ne reste maître des secondes qu'à la condition de lutter contre elle et de la vaincre par l’art. | ; š Voilà ce que les agriculteurs ne pouvaient manquer | è | au moins d'entrevoir, et ce qu'un des plus éminents d’entre eux, M. Richard (du Cantal), a nettement aperçu et établi (1). C'est à ce savant, également consommé dans la théorie et dans la pratique agricole, qu’on doit la distinc- tion des races en deux groupes qu’on peut nommer, avec E o lui, les races naturelles, et les autres, races artificielles ; À celles-ci étant, dit M. Richard, des « produits créés par » la main de l'homme » ; et les premières, qui sont en bien | E plus grand nombre, ayant été au contraire « formées par » les influences de localité», c'est-à- dire, par « l'action »du climat, de la nourriture et du sol où elles se » trouvent ». | L'expérience des agriculteurs nous vient donc ici en aide; ce que nous avions reconnu par l'étude des faits zoologiques est précisément ce que leur avait appris (1) Dictionnaire raisonné d'agriculiure, Paris, in-8, 4854, t. I, article Race. — Voyez aussi l’article Courses. En histoire naturelle, ces mêmes mots Races naturelles et Races ar- lificielles ont été souvent employés par M. DE QUATREFAGES, dans ses cours et dans ses ouvrages, notamment dans le livre qu'il vient de i P À publier sous ce titre : Unité de l'espèce humaine, Paris, in-12, 4861 À (voy. p. 79 et suiv.). Mais ce sont les races sauvages que M. de Qua- 4 trefages appelle naturelles. Ce mot a donc ici une autre sigaiiication j que dans les livres de M. Richard. ò A plus forte raison, n’y a-t-il rien de commun entre les vues de ce Hi . savant agronome et celles d'Illiger, qui, un demi-siècle avant lui, 1 Fc | avait proposé de distinguer les espèces en naturelles et artificielles. i - Voyez Versuch einer systematischen Terminologie, Helmstadt, in-5, 4800. Ile öl 530 NOTIONS FONDAMENTALES, LIV. I, CHAP. XX. l'étude des faits agricoles, et la théorie et la pratique se rencontrent dans cette conclusion : Les modifications que présentent la plupart des races domestiques sont dues, comme celles qui caractérisent les races sauvages, à l'influence naturellement exercée par le climat, le sol et, en général, le monde ambiant; et la barrière qu’on avait prétendu élever entre les uns et les autres, tombe devant les faits bien observés et exacte- ment interprétés. ; M. Isidore GEOFFROY SAINT -HILAIRE est mort le 40 no- vembre 1861, avant d’avoir terminé l’œuvre qu'il avait entreprise. Le tome [° de l'Histoire naturelle générale des règnes orga- niques avait paru en 1854, — le tome IL en 1859, —la4re partie du tome INT en 1860, et la 2° partie de ce même tome devait paraître à la fin de 1861. Au mois de novembre 1861 , les feuilles 18, 19, 20, 21 et 22 du tome Il, comprenant les chapitres XI, XII et XIV, étaient imprimées et reçues par l’auteur; — les feuilles 23, 24, 25 et 26, comprenant les chapitres XV, XVI et XVII étaient à l’état d'épreuves, en correction plus ou moins avancée ; — les chapitres XVII, XIX et XX n'étaient qu’en manuscrit. La famille de M. Isidore GEorrRoY SAINT-HILAIRE a pensé que ce manuscrit devait être publié sans additions ni retran- chements, et elle a livré à l’impression jusqu'aux dernières pages écrites par l’auteur. Paris, juin 1802. i NINSSSSPT SJ NSSENIISNT se SI a NINISI SASS SNS S SISI SINANI NM INISSSSNINSNSNINSNINSNTS a SISI a SANA TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TROISIÈME VOLUME. SUITE DE LA SECONDE PARTIE. NOTIONS BIOLOGIQUES FENDABMERNTALES. SUITE DU LIVRE DEUXIÈME. DE L'ESPÈCE CHEZ LES ÊTRES ORGANISÉS CHAPITRE VIH. — NOTIONS SUR LES ANOMALIES DE L'ORGANISATION. . I. Modifications anomaies de l'organisation I. Confusion longtemps faite de la tératologie aves l'anatomie pathologique ; i HI. Esquisse de la classification tératologique. Hémitéries. Hétéro- taxies. Hermaphrodismes. Monstruosités; monstres uni- taires et monstres composés. . . Régularité des êtres anormaux. Inversion et redoublement de l'ordre normal . Conservation d'un ordre ancien. Arrêts dans le développement. I. Similitude des anomalies d'une espèce avec les états normaux d’une autre... VII. Origine accidentelle d'un grand nombre d'anomalies VHI. Hérédité tératologique. CHAPITRE IX. — NOTIONS SUR LES RACES DOMESTIQUES ET DÉTERMINA- TION DE LEURS ORIGINES. aah aine i aaa ti ; I. Petit nombre- des animaux para en domesiicité. Diversité de ces animaux. nasal 4 JI. Grand nombre rs etes CULDIVÉCS so cabine » His HI. Origines des animaux domestiques. Hypothèse de la création d'espèces originellement domestiques, .,..,,,....,,... . Insectes... « POOS A i ? . Oiseaux domestiqués dans les temps modernes Oiseaux domestiqués dans l'antiquité romaine; dans l'anti- quité grecque ; dans les temps anté-historiques. Poule. Philom: 4 MATRIOIT AR SAA RNE. Mammifères domestiques n’existant pas en France... . Mammifères domestiqués dans les temps historiques. ... . Mammifères domestiqués dans les temps anté-historiques. Cheval ANE MIT AE 4 AE, ONE. TETE. a . Suite : Porc. Chèvre. Mouton....... OC T BU Tes Den ner re Suite : Carnassiers. Chat.....,... . Suite : i ge 0, s.. O cesse eee `o . Tableau synoptique. Distribution par classes zoologiques, époques de domestication et patries originaires. ... XVI. Résumé général et principales conséquences. Prédominance des classes supérieures, ..,.........., XVII. Animaux cosmopolites et non cosmopolites XVII. Origine orientale, et particulièrement asiatique, des ani- maux très anciennement domestiqués, et des végétaux chez les peuples civilisés, et chez les peuples barbares EON T ven 6 CHAPITRE X. — NOTIONS SUR LES MÉTIS. I. Nomenclature. Métis homoïdes et métis hybrides. Hybrides stériles oÑ, MUlCiS > pasted use . ovoss s IL. Crédulité des auteurs jusque dans le xvm® siècle. Prétendus hybrides d'animaux de deux classes, de deux ordres dif- férents | HI. Scepticisme exagéré des auteurs modernes, partisans du système de la fixité de l'espèce. Négation des unions mixtes à l’état de nature, et des hybrides bigénères..…. 1V. Hybrides bigénères fabuleux ; très douteux; douteux.. .. V. Hybrides bigénères authentiques. Mammifères. Oiseaux. Exemples à l’état sauvage.. .. TABLE DES MATIÈRES. VI. Hybrides congénères. Mammifères. . ... VIL Oiseaux. Exemples à l’état sauvage. ... VII. Poissons. Insectes. IX. Hybrides végétaux. ..... X. Rapports des métis avec les types originels. Distinction pro- posée par Kant entre les métis de deux variétés, et ceux de deux races. Distinction entre les métis homoïdes et les hybrides. État variable des premiers. . XI. État mixte des KDa n a A a Re XII. Aptitude à la reproduction chez les métis Fécondité des homoïdes. Prétendue infécondité des hybrides... ..... XI, Hybrides inféconds et peu féconds. Faux exemples de fécon- dités-exemples.contestables. ss Arare matt ash. ae XIV. Hybrides féconds chez les mammifères... XV. Autes Ay HdEs COS ee mie a sente e en one d XVL Objections contre la fécondité des hybrides... see... CHAPITRE XI. — COMPLÉMENT DE LA NOTION POSITIVE DE L'ESPÈCE, ET DES NOTIONS SUR LES RACES DOMESTIQUES ET SAUVAGES. ee. oo. I. Termes complémentaires de la définition de Pespèce.... IH. Suites spécifiques. Transmission naturelle, régulière et indé- . finie de leurs caractères distinctifs.. Res à IH, Suites non spécifiques. Suites naturelles par transmission irrégulière et passagère de caractères anomaux ou dépen- dant de PONT sn ei... JV. Suites régulières et d’une durée indéfinie, formées sous l'in- fluence de l’homme. Races domestiques dites artificielles . Races domestiques HIDÉS MACUCOS rire à à nes ed e ce à, VI. Suites naturelles régulières et indéfinies comme les espèces, mais non distinctes. Races sauvages... , VIT. Résumé . CHAPITRE XII. — INTRODUCTION A LA THÉORIE DE LA VARIABILITÉ LIMITÉE DU TYPE, ET REMARQUES GÉNÉRALES SUR LES SYSTÈMES OPPOSÉS A CETTE THÉORIE I. La notion, dite positive, de l'espèce ne suffit pas à la science. La nécessité d’une notion plus complète est reconnue par tous les naturalistes. ......, uen to‘ o IT. Cette notion ne peut être obtenue qu’à l’aide dela méthode 939. 169 178 183 186 590 TABLE DES MATIÈRES. de généralisation iogique. [nobservation des règles cette méthode par presque tous les naturalistes . IH. Direction suivie par Lamarck : ses efforts pour remonter, des êtres actuels, aux êtres primitifs, supposés très simples et produits par génération spontanée............... IV. Direction inverse, suivie par Linné. Ses efforts pour fon- der la science sur la Genèse, interprétée dans le sens de ‘la fixité; d’où l’aphorisme sur l’espèce. ... V. Efforts de Cuvier dans la même direction .....,... VI. [nsuccès de tous ces efforts. Impossibilité , au moins actuelle, de parvenir à des notions véritablement scien- tifiques sur l’origine des choses et la première apparition des êtres organisés... ,.....s.s.ss.. ses CHAPITRE XII. — PREMIÈRES PREUVES DE LA VARIABILITÉ DU TYPE, CONSIDÉRÉE CHEZ LES ÊTRES ORGANISES es ses... I. Division du sujet. Impossibilité d’en atteindre les limites. Point de départ. ...........sssessssssesrersesee H. Premiers exemples de variations chez les animaux et chez les végétaux.. .....,... nes snesfal.".b. HI. Premières preuves de l'influence des circonstances extérieu- res sur les êtres organisés. . CHAPITRE XIV. — DÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE, PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX ACTUELS, DANS L'ÉTAT DE NATURE. ... Objet de ce chapitre : preuves tirées de l'étude des animaux SAUVALES a Ts Mammifères. Modifications sous l'influence du climat. Elles ne sont pas seulement superficielles. ............+.. Oiseaux. Les espèces voyageuses offrent elles-mêmes des exemples de diversités locales. Modifications chez les espèces sédentaires, sous l’influence du climat et sous celle: du: 80 es sen ia enermsmesnuh à Vertébrés inférieurs. terrestres et aquatiques, Poissons d’eau douce et de mer : différence selon le climat et les Crustacés. Annelides. Insectes et autres articulés terrestres. Variations dans la taille et les proportions selon le cli- mat, Variations dans les couleurs. Développement ou 336 TABLE DES MATIÈRES. atrophie des ailes selon les an tanins ateina r ati, VI. Mollusques et classes inférieures du règne animal. Varia- tions sous l'influence du climat : similitude des modifica- tions produites par les différences de latitude et d'altitude. Influence de la nature du sol et de celle des eaux. Con- clusion pour les mollusques, et conclusion générale... . CHAPITRE XV. -— DÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE, PAR L'ÉTUDE DES VÉGÉTAUX ACTUELS DANS L'ÉTAT DE NATURE. . Remarques générales sur Ja variabilité chez les végétaux . IL. Végétaux phanérogames. Variations produites sous l'in- fluence du climat, et particulièrement de la latitude, Modifications de l'ensemble de la plante et de plusieurs Ne SR ATARI OS Ne. AURE VI, HI. Autres variations chez les phanérogames. Influence de Ja nature du sol et du milieu . .... IV Ænyplosannes :2 te sur E Arer V. Conclusion pour l’ensemble des végétaux : elle est la même de pou Ie dniedamnn ns, 200 PO a area us HN CHAPITRE XVI. — NÉCESSITÉ D'UN COMPLÉMENT DE DÉMONSTRATION PAR L'ÉTUDE DES ÊTRES ORGANISÉS QUI ONT ÉTÉ OU SONT SOU- MS. A RAM a aara a Insuffisance des résultats de l'observation des êtres organi- - sés, considérés seulement dans l’état de nature.. .... IL. Insuffisance des résultats de toutes les expériences que nous põuvons mstitder nr es 0 var uns : MEGA I. Nécessité de recourir à l'étude des êtres qui ont été depuis ` longtemps soumis à l’action de l’homme .....,..,.., CHAPITRE XVII. — DéÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX QUI ONT SUBI L'INFLUENCE DE L'HOMME SANS ÊTRE RÉDUITS EN DOMESTICITÉ. . « «..sesseseese I. Déplacement des animaux et des végétaux à l’état sauvage. Les faits sont ici en petit nombre et ordinairement peu UNE. dure aa Hp ours x ce vol ler E à dd, . 1}, Déplacement des végétaux, Les exemples ne sont pas rares, ‘mais ils n’amènent que de légères variations. ...,.,.,. HL Déplacements des animaux. Exemples récents.. s... ..., Dm noms TABLE DES MATIÈRES. IV, Exemples anciens. Cerfs de Barbarie et cerfs de Corse. V. Conséquences des faits de cetordre...,..,..,...... CHAPITRE XVII. — DémMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE L'ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES ET DES VÉGÉTAUX CUL- I. Importance de l'étude des variations des animaux domes- tiques. E ve CPE 00 1 4 2 IL. Opinions diverses des auteurs sur l'étendue des variations organologiques. Opinions de Cuvier et de M. Flourens : de plusieurs autres partisans de la fixité de l'espèce; de bamar assise sus Ans A AA E 2 Hi: Examen. des, faiteuChibt en a INA US. IV. Bœuf, mouton, et autres ruminants anciennement domes- Ve Cheval, ne cb cochon. sis nds temaiée Ve CHE CR Ne Ode Vilba Oise Re sors maté bye r te VIII. Poissons et insectes. Conclusion commune de tous les faits relatifs aux variations organologiques chez les animaux. IX. Variations organologiques chez les végétaux ...... "RENT À PVATIALIONS DOOSAN EAN R T, SE a a XI. Variations éthologiques. Conclusion générale........... CHAPITRE XIX., — DÉMONSTRATION DE LA VARIABILITÉ DU TYPE PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX REVENUS DE LA DOMESTICITÉ A L’ÉTAT C E EE ES TA Remarques générales ...... Retour à l’état sauvage de quelques espèces végétales et AA less tord TS Re one Mens +. Animaux redevenus sauvages en Europe et dans les autres parties de l’ancien monde........................ Animaux redevenus sauvages en Amérique eten Australie. Modifications subies par les animaux au sortir de la do- mesticité. Retour vers un type uniforme..,......... Détermination de ce type qu'on avait considéré à tort comme le type spécifique restitué. ....,:.,...::..... Concordance des faits entre eux et avec la théorie de la variabilité ets, roue a aoa a TABLE DES MATIÈRES. CHAPITRE XX. — CONCLUSION GÉNÉRALE EN FAVEUR DE LA VARIABILITÉ LIMITÉE DU TYPE ET RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS. «e... I. Conclusion commune des faits relatifs aux animaux et aux végétaux, soit dans l’état de nature, soit déplacés, soit domestiques ou cultivés, soit redevenus sauvages. Ré- ponse à qüelques objectiohss. 35 +4. sauerre. IL Objection contre les preuves de la variabilité, fournies par l'étude des animaux domestiques : ceux-ci auraient été modifiés par la main de Phomme. Distinction des races artificielles et des races naturelles ................. Note de l'éditeur... vec ses Ce re 1 ERRATA. PAGES. | LIGNES. MOTS A EFFACER. MOTS A SUBSTITUER. 18 AO 2 0: 5 bee ee el TAPER FOUR Æa e kaa se à es MIO Tabloan t Cocke d Inte: i sa S.. a. v) CGR, d'inde: col. 12. 3 Aurait . Pnr A 34 a OMR, E RA A i 23 MAS SSF SRE M 2. 2% Donte AS SUNSET MN 3 BASES. 2. a Seulement celle-ci. . . . . . . .| Seulement; celle-ci. PERD LE are de dr ED Mas PÉÉCOUB TR RES Dre Précieuse. ON NO en ur eme cd aa MN AIDNIOe L 4 pipro MR RARE EE EE à na qu m pa AANE A ne etats à G 4 HART PT LETCTE TETE OUVRAGES DU MÊME AUTEUR. Considérations générales sur les Mammifères, in-18; Paris, 1826. Histoire générale et particulière des anomalies de l'organisation chez l'homme et les animaux, ou Traité de tératologie. 3 vol. in-8 et atlas; Paris, 1832-1836. Essais de zoologie générale, ou Mémoires et notices sur la zoologie générale, l'anthropologie et l'histoire de la science, 1 vol. in-8, avec pl.; Paris, 1841. Vie, travaux et doctrine scientifique d'Étienne Geoffroy Saint - Hilaire, 1 vol. gr. in-8, avec portrait; Paris, 1847. Le même ouvrage, 1 vol. in-12; Paris, 1847. Catalogue méthodique du Muséum d'histoire naturelle, Mamuirères. Intro- duction et Primates, in-8 ; Paris, 1851. Domestication et naturalisation des animaux utiles. Rapport général adressé en 1849 à M. le Ministre de l’ agriculture ; 3° édition, avec fig. in-i2; Paris, 1854, Lettres sur les substances alimentaires et particulièrement sur la viande de cheval, 1 vol. in-12; Paris, 1856, Histoire naturelle générale des Règnes organiques, principalement étudiée chez l’homme et les animaux, grand in-8, t. I, 1854; t. IF, 1855-1859. Analyse des Leçons de tératologie, faites en 1836 par M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire, par M. V. Meunier, in-8; Paris, 1336. Résumé des Leçons de mammalogie, professées par M. Is. Geoffroy Saint- Hilaire, par M. Gervais, professeur à Ja Facuité des sciences de Montpellier, in-8 ; Paris, 1836. Mammifères; Classification parallélique de M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire, Tableau synoptique avec caractères, par M. Paver, de l’Institut, professeur à la Faculté des sciences de Päris; in-plano ; Paris, 1845. Leçons de zoologie générale, faites au Muséum d'Histoire naturelle, résumées par M. A. BLANC, licencié ès-sciences naturelles, in-8; Paris, 1848. Leçons sur l'usage alimentaire de la viande de chevai, faites au Muséum d'Histoire naturelle, résumées par M. DeLvAILLE, in-8 ; Parts, 1856. Leçons sur l'anthropologie, faites à la Faculté des sciences par M. GEOFFROY SAINT-HiLAMRE, résumées par M. DELVAILLE, in-8: Paris, 1856. Paris. — Imprimerie er MATE T, Tue M'gnon, 2 2 * š REN CRT RA Fog e [RE sx d'atsteté {an ss. iA DE + CARRE: Heia larar DECI d'ats xt À t i [NRC i i Hpt CECCO OA E es 0e o a ee a De a E 5. aie EU Der ea AT res MER AR mt ant mt et ee RR E A t ` m *. { er AA WWE MAO $ pa + gis Le i m Miet ii T 4 F. BER ie este pi di CA pi li i val ) 4 Le { tit letetut,? A. / Lie Le Gily { gitt M i +4 i i eie { où : : : RAS tit Hi i St ear - ae . a si #4 st RRQ | va Ko + Add at en re Me me ee ar te ee CROP PNR MAMAN NE CCR ACCESS f ++ A eae eS DERN t K HO CALOCALIE 2 LA JET CLR a HE Gr co og ir ST A * 0 4 : LAURE DE 1, “st iris Ge . Ceux 4 tts x CRT PODE t3 je arpa s'e “ + +144 eve ta title A a è tot r:e stt CHAR (AC