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Lil see PIERRE GRATIOLET DE :ÉK 49 ee Vs, MOUVEMENTS D'EXPRESSION : || | SUIVI D'UNE NOTICE SUR SA VIE ET SES TRAVAUX, ET DE LA NOMENCLATURE | XC DÉ SES OUVRAGES XC \ FE e ; | L * PAR LÉQUIS GRANDEAU Em BIBLIOTHÈQUE D'ÉDUCATION ET DE RÉCRÉATION LUHETZELS 18 RUE JACOB DE LA PHYSIONOMIE ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION À 4} 4 J ee rage Ce À ” ” à g à à Qc à à FE æ. F : Re ee = a a — er RS — ET hie. gra FRAME OE P ts D'après une photo R & «A (er A @ Sn de _— hérité —_ en en qe D à md PIERRE GRATIOLET DE ÆA ETÉDES é MOUVEMENTS D'EXPRESSION 2 SUIVI D'UNE NOTICE SUR SA VIE ET SES TRAVAUX, ET DE LA doux DE SES OUVRAGES N PAR LOUIS GRANDEAU PARIS BIBLIOTHÈQUE D'ÉDUCATION ET DE RÉCRÉATION ‘ JR CNE A GOR « Tous droit: réservés, A PR, V4 / ee LL LI 4 | # GE RE PI ÉPNEENIRTE" PTE 1 | ; Î Fi} { L PI 4 | nt! Fa) | EH Bl Ë | 208 ke! 1 | £ : R.l J } Sa 1] pe | “4 | 1H | | xt 1! 1F “| JP Fe? R'A LU | | à à Vh A CAROLO DARWIN Cambridge University Library, On permanent deposit from |’ the Botany School X7IN PRÉFACE L'étude de la physionomie, c'est-à-dire des modifications que les sentiments, les sensations et les idées impriment à la forme d’un être vivant, a fixé dès les temps anciens l'attention des artistes, des poëtes et des philosophes. Bien. plus, l'in- térêt pratique qu’elle présente dans les relations Sociales, a fait que nul homme, même parmi les Plus humbles, n’a pu lui rester étranger. Qui donc, en effet, n’a analysé, pour son propre usage, les ellets de la douleur ou de la joie, de là colère ou de la terreur? qui n'a cherché la vérité derrière PRÉFACE. le sourire d’un flatteur ou dans le regard d’un envieux ? Mais pour la science physionomique comme pour la médecine, le désir, ou mieux, l’im périeuse nécessité d’une application immédiate a pendant longtemps donné une fausse direction à l'étude des mouvements d'expression. Les observateurs ont déserté les voies difficiles de la science pa- tiente pour se jeter dans un empirisme plus ou moins heureux et plus ou moins honnête. Ainsi, l'antiquité, le moyen âge et les temps plus récents nous ont légué une quantité presque innombrable d’écrits sur la physionomie; mais que sont-ils pour là plupart? Ou des séries de descriptions isolées sur les mouvements qui expri- ment telle ou telle passion; ou le plus souvent, hélas! de fallacieux procédés de divination, l’art trompeur de reconnaître le vrai du faux sur la figure humaine, ou de prédire à l'inspection des lignes du visage d’un enfant, les idées et les pas- sions qui l’agiteront un jour : règles mensongères, auxquelles l'assurance des affirmations, l’étran- geté des preuves, parfois l'éclat du style, mais surtout l'attrait du merveilleux et cette sorte de vertige que donnent aux esprits faibles les ques- PRÉFACE. 1 tions insondables, ont pu permettre d'acquérir une douteuse popularité, mais qui sont à la vraie Physiognomonique ce qu'est à l'astronomie la Science des almanachs. Lorsque, quelques jours avant cette mort sou- daine qui allait nous consterner tous et dont la Science portera éternellement le deuil , notre élo- quent ami nous parlait avec enthousiasme de ces théories du langage mimique universel tant mé- ditées par lui, il ne dissimulait point sa crainte de voir son livre confondu avec les productions de ces bas imitateurs de Lavater dont l'exploita- tion fructueuse a, de nos jours, déserté le champ de foire pour les salons. Mais le nom de l’auteur ne protêge-t-il pas suffisamment l’œuvre contre une pareille assimilation, et l'en défendre, serait-ce point leur faire injure ? Cependant, les mots qui servent de titre au livre que nous publions ont été si étrangement détournés de leur véritable sens, qu’il serait utile ne de donner, dans cette préface, une explication Succincte du but que s’est proposé l’auteur et du plan général de son ouvrage. Cette tâche, que la mort a empêché Gratiolet d'accomplir, nous incombait ; mais nous en avons ti PRÉFACE. pu décliner, au grand bénéfice de tous, la res- ponsabilité et l'honneur. Dans une conférence D pa ré = ru publique, accueillie par des acclamations en- thousiastes dont les échos de la vieille Sorbonne gardent encore le souvenir, Gratiolet avait lui- même résumé, de cette large manière qui n’ap- partient qu'aux maîtres, les traits principaux de cette œuvre, fruit des observations et des médi- tations de plus de vingt années. La dépouillant de ce qu'une exposition dogmatique peut offrir de OS A St ARS EE ge er mm ms pénible à des esprits un peu impatients, il avait su, Sans rien lui enlever de sa précision scienti- lique, en orner la sévère philosophie par de gra- cieux et vivants tableaux, décrits avec une verve pleme de charme et de poésie. Nous avons placé en tête de notre volume cette conférence, véritable chef-d'œuvre de science aimable et solide, où se peint tout entier cet esprit éminent, chez qui la grâce s’alliait à là grandeur, pour qui les moindres détails deve- naient un thème à de hautes pensées, et qui, jusque dans les plus subtiles analyses, était échaulfé par cette flamme généreuse qui fait les orateurs. La lecture de cette conférence, entraînante PRÉFACE: | v Comme cellé d'un roman, expliquera mieux que tout commentaire la difficulté des problèmes que S'était posés Gratiolet, et sa manière élevée de les résoudre. Nous ne croyons cependant pas inutile d'emprunter à une page inédite de notre Savant et malheureux ami quelques lignes, qui Précisent d’une façon bien nette le but et la méthode : “ L'étude générale des meuvemenis d’expres- sion dans l’homme et dans les animaux n’a conduit à aucune théorie applicable à l’ensemble des faits. Une multitude d'observations très- justes en elles-mêmes ont été publiées, mais « peu de naturalistes se sont occupés « coordonner d’après des Principes expér « lement établis. Cette étude mér de les imenta- ite cependant au plus haut degré l'attention des physiolo - gistes. Les mouvements d'expression sont en effet les éléments du langage spontané de « l’homme et des animaux. Il ne peut donc être Cindifférent de rechercher quel lien secret unit «les signes spontanément employés aux choses «signifiées, c’est-à-dire à l'idée ou au sentiment «qu'ils manifestent; de montrer comment ces mn (signes s’engendrent et comment ils s'associent: DER ER MENT ENS PRÉFACE. de rechercher enfin s’ils résultent d’une manière nécessaire des conditions intimes de l'organi- sation des animaux, ou s'ils dépendent d’une sorte de convention tacite entre tous les ani- maux d’une même espèce. » Un mot encore : notre volume se termine par la notice pleine d’élévation et de cœur que M. Gran- deau à consacrée à la mémoire de Gratiolet. L'EDITEUR. mm CONFÉRENCE LA PHYSIONOMIE EN GÉNÉRAL ERTAUEIN PARTICULIER SUR . LA THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION _ Messieurs, J'ai eu l'honneur de traiter l’année dernière, devant vous, de la dignité de la forme humaine. À cette occasion, j'affirmais que l’homme seul a le priviléce de cette parole libre et créatrice qui, donnant un corps à ses pensées les plus abs- traites, les fait agir et vivre au-delà de lui-même dans le monde extérieur ; mais je faisais en même temps remarquer qu'il parle encore un autre langage, qui lui est commun avec tous les ani- Maux, Ce langage commun, universel, est celui de la physionomie et du geste. Il est parlé dès le commencement des choses; et tant qu'un être # l CONFÉRENCE vivant foulera la surface de la terre, il se mani- festera, il retentira dans l’espace, il étincellera comme un rayonnement nécessaire de la vie unie à la sensibilité. Le hasard, Messieurs, n’a rien fait dans ce monde, Ce langage a donc ses lois, et c’est de ces lois que j'aurai l'honneur de vous entretenir aujourd’hui. Ges lois sont grandes : elles sont sim- ples, et comme elles sont écrites en vous, je n’au- rai besoin, pour vous les rendre sensibles, ni du secours de la physique, ni de celui de la peinture. Il me suflira de faire appel à la connaissance que vous avez de vous-mêmes. C’est en vous, c’est dans vos souvenirs et dans vos sentiments intimes que je trouverai mes preuves; c’est dans votre raison seule que j'espère trouver la justification de mes paroles. L’étude de la physionomie est aussi vieille que l'histoire; mais elle n’a jamais pris chez les an- ciens le caractère d’une science. À leurs veux c'était un art empirique de se mettre à l’abri de l'erreur dans les jugements immédiats qu’on porte sur les hommes, en devinant les caractères d’a- près certains signes fournis par la forme exté- rieure, Aristote nous apprend que, de son temps, SUR LA PHYSIONOMIE. 3 x On croyait parvenir à ce résultat, en mettant en usage trois méthodes peu différentes l’une de l’autre, et qui avaient pour point de départ com- mun le principe des ressemblances. Dans un premier cas, on jugeait du caractère des hommes d’après leur ressemblance plus ou moins prochaine avec certains animaux. Le lion, roi de la force, était le symbole accepté du cou- rage, de la générosité, du désintéressement ma- gnanime, et toutes ces qualités devaient être attribuées à l’homme dont la physionomie rappe- lait celle du lion; ressembler à une güenon ou à un macaque, était un signe irrécusable d’étourde- rie, d’impertinence et de malice : la sordidité était le partage de ceux dont les traits rappelaient ceux des pourceaux. Maïs on ne s’arrêta pas à ces ressemblances générales, et bientôt on osa con- clure d’après les similitudes partielles les plus futiles, et j’ajouterai les moins certaines. Dans un second cas, on réduisait davantage le champ de la comparaison. On sait que les gran- des nations, celles surtout dont la race est homo- gène et pure, se distinguent par un certain nom- bre de caractères physiques qui les font aisément reconnaître, et, Le plus souvent, avec ces physio- CONFÉRENCE nomies diverses, coïncident des aptitudes et des tendances morales très-différentes. Quelques phy- sionomistes anciens attribuaient, en conséquence, à ceux qui, dans une nation, rappellent les traits d’une race étrangère, les caractères intellectuels et moraux de cette race. Dans un troisième cas, la théorie des ressem- blances s’appliquait à un champ plus circonscrit encore, et par conséquent elle offrait peut-être moins de chances d'erreur. On examinait avec at- tention les formes, les mouvements, les tics, les attitudes de ceux que distinguaient exceptionnel lement certaines vertus, certains talents ou cer- tains vices ; et l’on attribuait aux personnes qui leur ressemblaient en quelque chose, les mêmes vertus, les mêmes talents, les mêmes vices. Aristote et tous les physionomistes anciens ont employé simultanément ces trois méthodes, dont le moyen âge s’empara en y mêlant des billevesées astrologiques. Il en résulta une foule de petits ouvrages, qui se répètent les uns les autres avec une désolante monotonie. Ajoutons que, de tout temps, les médecins s’en mêlèrent, et firent inter- venir l'étude des tempéraments. Parmi les auteurs qui ont écrit sous l'inspiration d’Aristote, le plus M PRE CREER ; SUR LA PHYSIONOMIE. Célèbre, à juste titre, est le Napolitain Porra; son livre est encore aujourd’hui recherché par les Curieux. À chaque page de cet ouvrage, le por- irait d’un homme est mis en parallèle avec celui de quelque animal, et des indices de ressem- blances physiques sont pour Porta des signes à PEU près certains de ressemblance morale. Vous apercevez, Messieurs, dès l’abord, le vice de ces méthodes anciennes; Porta lui-même en Téconnaît l'incertitude : « Ma science, dit-il, est Conjecturale, et n’atteint pas toujours la fin qu’elle $e propose. » Nous pourrions aller plus loin, et Prouver que toute sa théorie est fondée sur des principes futiles, sur des observation et ne pouvait conduire ridicules. S incertaines, Le dernier siècle a produit des œuvres meil- leures, et le nom de LAvATER se présente naturel- lement ici. | Le livre de Lavater sur la physionomie, écrit avec un charme naïf, accompagné de dessins choi- SiS avec un tact exquis, et publié d’ailleurs avec le plus grand luxe, acquit dès ses débuts une Célébrité européenne. I1 est encore aujourd’hui Populaire; mais c’est bien à tort que l’on dit et qu'à des ‘conséquences | CONFÉRENCE que l’on écrit à tout propos le sysrime de Lava- ter. La vérité est que Lavater n’a jamais eu de système. Doué d’une finesse et d’une sensibilité prodigieuse, une sorte de divination naturelle dicte ses jugements. Les moindres modifications de la forme ont pour lui une signification qui s'impose à son intelligence. Étonné lui-même des découvertes de son instinct, il les admire, il les chante; mais des phénomènes qu’il observe, il ne sait point la théorie; il ne s’en inquiète point : une physionomie le charme, une autre le repousse et produit en lui un certain malaise; il n’en sait pas davantage. En un mot, nous pourrions fort juste- ment le comparer à un homme qui entend et parie facilement une langue, sans en connaître la gram- maire et la genèse philologique. Le jugement que je porte ici sur Lavater a été déjà formulé en termes peut-être trop sévères par deux célèbres naturalistes allemands, MM. Srrx et Huscure. Nous parlerons peu de M. Spix; il est moins un physionomiste qu'un crâniologiste à la manière de Gall et de Carus. Quant à M. Huschke, il simagine trouver la clef du mystère dans ce que les naturalistes allemands ont adoré si long- temps sous le nom de Lor DE POLARITÉ. Les senti- 1 SUR LA PHYSIONOMIE. ments agréables sont expansifs; les sentiments OPposés contractifs, si je puis ainsi dire. Telle est en bref la théorie de M. Huschke; elle me semble réduire à des termes bien simples une question au Premier abord très-compliquée. Je doute d’ailleurs Que les acteurs et les peintres pussent appliquer avec un bien grand succès le principe qu’il in- voque. | Je ne ferai qu’indiquer ici des essais dus à des Physiologistes célèbres. Cnarces Perr, l’auteur fameux de la distinction des nerfs moteurs et sen- sitifs, avait cru pouvoir ranger. dans une classe distincte tous les nerfs qui concourent aux actions respiratoires. Or, Charles Bellen conclut que le principe qui déter- mine les mouvements respiratoires est le principe même de la physionomie, : Il faut pardonner à l'auteur d’une grande dé- couverte si, justement pénétré de l’importance de ses travaux, il se fait quelque illusion sur l'étendue réelle de leurs conséquences. La face n’est pas le seul organe expressif des passions; loin de là, la main, le pied de l’homme et des animaux, la Queue de certains carnassiers, tels que les chiens suivant lui, tous les mouvements : de l'expression faciale dépendent de ces nerfs, ni } | | | ee mp ee tete membre ne thontnirentniatinrn aérens nt mt nr . Do tree : " Du oo CNRS 8 CONFÉRENCE et les chats, ont des expressions qu’on ne saurait méconnaître. Nous pourrions ajouter qu’il n’est point de mouvement qui n’ait sa physionomie, et, dès lors, à moins d'admettre que tous les organes sont animés par des nerfs respiratoires, il faut reconnaître que la théorie de Bell est insuffisante et n'explique ni l’ensemble des phénomènes dont la physionomie se compose, ni leur véritable ori- gine. Un médecin, très-justement renommé, a cru récemment résoudre le mystère de la langue phy- sionomique en produisant artificiellement des mouvements, à l’aide de certains courants élec- triques très-habilement dirigés. Ces mouvements peuvent, à la vérité, simuler des expressions; mais sont-ce là des expressions véritables? L’es- sence de la physionomie est de raconter les senti- ments et les passions qui modifient l'être vivant. Or, comment des mouvements communiqués à mes muscles par une volonté étrangère pourraient-ils raconter mes sentiments et mes volontés ? Ils ne feraient qu’exprimer une idée de l’expérimenta- teur, me façonnant comme un statuaire façonne l'argile; produire une expression, déterminer avec plus de précision les muscles dont la contraction = - 3 _—_ er = : = it so sr ur vel de Se Fer Ne ” piétee has vi a æ 3 in OUPS S lc blesse ve era to fonds and er doit: - É … ce à à D SUR LA PHYSIONOMIE. | © Modifie alors la forme du visage, est-ce connaître le Principe vrai et la raison première de ces mou- Véments ? N'est-ce point oublier trop que la phy- Sionomie est un langage, et qu’à la raison seule il àPpartient d'en découvrir les lois ? Seuls, trois hommes me semblent avoir eu le sentiment des vraies méthodes : dans le XVIII* siè- cle, Dineror et ENGEL, et de nos jours M. Cur- | VREUL. J’aurai occasion de les citer plus loin : Mais il serait injuste de ne pas rappeler à leur Suite les grands poètes, les grands artistes , les grands acteurs, dont l'instinct as dés l’origine, devancé la théorie des Savants et des philosophes. J'aurais à ajouter beaucoup à ce que je viens de dire ; mais cette Conférence ne peut être exclusi- vément consacrée à la critique : vous attendez, Messieurs, quelque chose de plus. J'entre donc immédiatement en matière. Je n’aurai besoin, je le répète, d'invoquer que la Connaissance intime que vous avez de vous-mêmes , pour justifier la théorie que je viens essayer de défendre aujour- d'hui, théorie d’un langage que vous parlez, que VOUS interprétez tous » aussi bien, sinon mieux ; que moi-même, CONFÉRENCE Aristote, dont le petit traité sur la physionomie a servi de base à la plupart des essais publiés de- puis l’antiquité jusqu'aux temps modernes, à eu l'honneur d'exprimer le premier un principe dont les conséquences méritaient d'être mieux déve- loppées. Ce qui est durable dans la forme, dit ce grand philosophe, exprime ce qui est immuable dans la nature de l'être; ce qui est mobile et fugace dans cette forme exprime ce qui, dans cette nature, est contingent et variable. Remarque simple, grande dans ses résultats, et qui aurait dû l’obliger à di- viser, dès l’abord, la physiognomique générale en deux sciences distinctes. La première de ces sciences à reçu de mon il- lustre maître HENRI DE BLAINVILLE, le nom de 720r- phologie. Elle étudie dans le monde vivant l’ordre sérial des formes ; elle révèle au naturaliste philo- sophe la véritable nature des êtres qu’ilconsidère; elle permet au paléontologiste qui découvre dans les entrailles de la terre les ossements ou les restes d'animaux que les yeux de l'homme n’ont jamais vus, de dire, avec certitude, quel rôle chacun d'eux jouait dans l'harmonie des faunes disparues ; et, en effet, conçue dans un rapport immédiat et ons eg TR PS Li De ter rca deshistenesat hi sg pains ie mo a er eat Due Rs re Se x RS? | | SUR LA PHYSIONOMIE. _ parfait avec le but spécial que tout être créé doit, par la volonté divine, accomplir en ce monde, la forme absolue de l'être vivant raconte éloquem- Ment sa nature ; elle révèle sa place dans le con- cert de la création. La seconde de ces sciences, à laquelle je don- nerai le nom de cinéséologie, a pour objet ces Mouvements fugaces par lesquels les volontés, les Passions, les instincts actuels de l'animal sont traduits dans leurs modifications infinies; ces ex- Pressions sont très-distinctes, et les anciens ne l'avaient pas suffisammeut reconnu, de celles que l'œil du naturaliste lit dans les traits immuables GR Ra rpm pre de la forme spécifique ; et, en effet, quel que soit Un animal et quelle que soit la nature des fonc- tions qui lui sont imposées, il peut, vous le savez . ous, éprouver les passions les plus diverses. Une bête de guerre, un tigre, un lion, se montre à certains moments aimante et caressante; les er eaarer Plus inoffensifs des animaux, les plus doux dans l'opinion du vulgaire, un mouton, une colombe, Peuvent éprouver la haine et manifester la colère : toutes les passions liées à l'essence même de la Vie, peuvent à différents degrés, se manifester Chez tous les animaux. Ces passions, en effet, sont 12 CONFÉRENCE les formes de la sensibilité ; et, pour parler comme Aristote, c’est en réalité par la sensibilité seule que tout animal est constitué. Ce langage universel d'expression, si spontané, si multiple, si variable qu’il soit en apparence, a ses règles simples etintelligibles. Ces règles, bien qu’à chaque instant appliquées, sont cependant peu connues. Le plus souvent on n’étudie la phy- sionomie qu'au point de vue d’une divination égoïste, excusable peut-être quand lesclavage était dans les mœurs et quand l’homme, acheté comme on achète un cheval, pouvait avoir, comme SERRES ; de Se GE à 27 DNS lui, des vices rédhibitoires. Aujourd'hui, elle ne peut être étudiée au point de vue d’un pareil diag- nostic : la physionomie est une partie de la science ; or, le but de la science n’est point de satisfaire l’égoïsme et la malice, mais d'expliquer les mani- festations naturelles et, par conséquent, les des- seins mêmes de Dieu. Vous m'accorderez, Messieurs, un premier fait. , C'est qu’il n’y a pas un seul muscle, un seul or- | gane créé uniquement pour les besoins de l’ex- pression.Tout org ane, en effet, a en principe un but extérieur, un but déterminé. Ge but, il le raconte par sa forme et par son activité propre; ARS Pb LS 78 dés: 0 mo NE or © IL LS Pr Eee pie PE PR DR Mn nn . ne || Al {L: f- 11 1, SUR LA PHYSIONOMIE. 18 or, vous reconnaîtrez aisément que le degré d’é- nergie d’un mouvement quelconque fournit des indications immédiates. Ainsi, l'absence de mou- Yement dans un appareil extérieur, la flaccidité de ses muscles, indiquent le repos et, mieux en Core, un état absolu d’indiflérence ; un mouve- ment faible exprime une volonté nonchalante, un mouvement énergique correspond à une volonté forte; mais un mouvement contrarié, contenu. indiquera avec plus d’éviden®t encore la volonté _ Commandant à l'instinct et se dominant elle- ” même. | Les causes qui déterminent ces mouvements appartiennent toutes à l’ordre de la sensibilité. Ils ont la sensibilité pour principe: mais en retour, _ Serviteurs fidèles, ils favorisent l’action des or- ganes sensitifs; ils règlent automatiquement et Maintiennent dans ses limites naturelles le degré _ de leur action spéciale et, dans certains cas, les Protégent et même les défendent. Une analyse rapide des principaux mouvements du visage ren- dra, je l'espère, évidente la vérité de cette pro- Position. L’œil considère un objet et, créé pour la lumière, ‘il se réjouit quand il peut la contempler sans 14 CONFÉRENCE effort pénible. Dans cette condition, il se dirige, il s'ouvre doucement, et aucune contraction vio- lente ne trouble alors la pureté des lignes du vi- sage : telle est l'attitude de la vision facile; cette attitude de l’œil est naturellement accompagnée d'un sentiment de bien-être. On sait combien, après une longue nuit, la lumière réjouit à la fois la vie et la pensée. Mais souvent l’objet que l'œil regarde est peu distinct, et ce n’est#pas sans difficulté qu'on peut en reconnaitre les formes. Une vision nette de ces formes exige une attention plus ou moins vive, et, modifiées par cette attention même, les lignes expressives de ces parties du visage qui entourent l'œil, font deviner un effort plus ou moins grand et parfois excessif. M. Chevreul a montré dans un travail récent que, pour distinguer aisément un objet mêlé à une foule d'objets différents, mais visibles au même degré, il est bon de l’isoler, de le circon- scrire et d’écarter ainsi l'inconvénient qui résulte de la confusion d’une foule d’impressions égales et simultanées sur la rétine. On y parvient aisé- ment en dirigeant son regard dans l’axe d’un tube étroit dont l’intérieur a été noirci à la lampe. Un nn in ne io qht mn RO D ns irn SUR LA PHYSIONOMIE. 15 semblable tube n’est pas à la disposition de l'homme réduit à ses organes naturels, mais des mouvements déterminés ont pour but d'en com- penser l’absence. Et, en effet, considérez un homme qui cherche à reconnaître un objet qu'une grande distance rend pour ainsi dire imperceptible; voyez-vous ses sourcils se froncer et s’abaisser, ses joues se soulever, les angles des yeux se plisser et les pau- ‘pières se rapprocher de manière à circonscrire autant que possible la pupille elle-même ? À mon Le sens, ces mouvements ont un but évident, celui de rétrécir autant que possible l'étendue du champ $ Visuel. É Ce sont là des attitudes de vision difficile ; elles se produisent également toutes les fois que l’on veut distinguer les objets sous l'impression d’une | lumière trop vive qui éblouit et fatigue l’œil, et vous n’ignorez pas qu’elles sont, en tout cas, ac- compagnées par un sentiment d'effort et souvent de gène douloureuse. Je n’ai pas besoin d’ajouter que l'œil se dirige en haut pour considérer les Objets élevés ; en bas pour voir les objets infé- rieurs ; qu’il se dirige à droite et à gauche pour voir les objets situés sur les côtés du corps, qu’en- de da “ii g EU a Sl - 1 5 " m5 Agé ; : TP SR RO RER TEE PERTE 16 CONFÉRENCE fin les axes des yeux convergent légèrement quand il s’agit d'examiner quelque objet très-rapproché. Mais, Messieurs, les yeux ont parfois une ten- dance marquée à regarder en arrière: ce regard est très-facile chez certains animaux timides , chez les lièvres et les lapins, par exemple, dont les yeux situés aux deux extrémités d’un diamètre iransversal de la tête ont une égale facilité à voir en avant et en arrière du corps; cette facilité leur est fort précieuse : car, sans cesse exposés aux attaques des animaux carnassiers, ils peuvent ainsi, dans leur fuite éperdue, échapper plus aisé- ment au danger qui les menace, en mesurant constamment la distance qui les sépare encore du renard, du loup ou du chien qui les poursuit, sans avoir besoin pour cela de retourner la tête: mais vous conviendrez, Messieurs, que lorsqu'ils regardent ainsi, ils doivent naturellement éprou- ver un sentiment de préoccupation fort désa- gréable. Le parallélisme des axes oculaires rend chez l'homme ce regard en arrière absolument impos- sible. Il est cependant certains cas, et ces cas sont fréquemment réalisés dans le monde, où les yeux ont une tendance évidente, bien qu’inutile, EP RE SUR LA PHYSIONOMIE. 17 à regarder ainsi ; on les voit alors se porter simul- Tanément d'un côté ou de l’autre, jusqu'aux limites extrêmes de ce mouvement, et l’on dirait, passez- moi cette expression, qu'ils veulent faire le tour de la tête. Chez les animaux où cette manière de regarder est facile, elle est un symptôme de timi- dité, de frayeur ou du moins d'inquiétude; chez l’homme, elle est un signe de soupçon, de curio- / sité dissimulée, et parfois elle indique une préoc- Cupation jalouse qu’on n’ose avouer. En général, les yeux fixés sur un même objet déterminent automatiquement des attitudes symé- tiques du corps. Regarder devant soi un point fixe est une condition d’équilibre plus facile; si. ce point, perdant sa fixité, venait à osciller, ce Mouvement de l’objet, dérangeant la direction des Yeux, troublerait les conditions intimes de l'équi- libre primitif et serait une occasion de chute. En un mot, les tendances précises des yeux déter- Minent surtout des attitudes symétriques et des Mouvements en ligne droite. Des attitudes également symétriques se mani- festent également à l’occasion des sensations au- ditives, surtout quand ces ‘sensations sont atten- tives, chez tous les animaux dont l'oreille est e _ | FT Dome. '#) A À y #2, Es ER 18 ‘ CONFÉRENCE munie d’un pavillon mobile; qui de vous n’a vu chez les chiens à oreille droite, chez les chevaux, ce pavillon se dresser, s'étaler, s'agrandir et se disposer de la manière la plus favorable pour re- cueillir les impressions sonores? Souvent alors les deux pavillons sont dirigés dans le même sens que les yeux; chez les animaux chasseurs, ils s'ouvrent en avant; chez les animaux timides qu’un ennemi poursuit, ils se dirigent simultané- ment en arrière : toutes ces attitudes sont symé- triques. Mais une inquiétude quelconque s’est- elle emparée de l'animal, on voit ces pavillons se mouvoir en sens inverse l’un de l’autre, comme pour interroger tous les points de l'horizon. Enfin, les oreilles s’abaissent, se couchent, s’affaissent avec le corps tout entier quand le danger vient d'en haut, quand les serres du vainqueur ont déjà saisi la victime, ou quand un bruit terrible, inconnu, à déterminé l’épouvante. Or, dans, l’homme, les oreilles, je n’ai pas be- soin d’insister là-dessus, sont presque absolument immobiles. Leurs pavillons ont à la vérité quel- ques muscles, mais la volonté semble, surtout dans les races civilisées, les avoir à peu près ou- bliés. Symétriques et immobiles, ces pavillons SUR LA PHYSIONOMIE. 19 Li] s'ouvrent en sens opposé; l’un surveille à droite, # je 4 4 l autre surveille à gauche, et dès lors, quand l’au- dition est attentive, il y a nécessairement prédo- Minance d'action dans l’une ou l’autre oreille. Le Cou s'incline alors dans le sens de l'oreille direc- trice; de ce côté, le coin de la bouche est légè- rement soulevé et tiré en dehors, et le plus Souvent alors les yeux dirigés en sens opposés se Cachent à demi sous la paupière supérieure. Bien que ces mouvements troublent à certains égards la symétrie de la face, ils n’altèrent point d’une Manière sensible l'harmonie des formes quand l'attention n’exige aucun effort marqué. Telles Sont les expressions ordinaires d’une audition à la fois attentive et facile. Mais quand les sons trop faibles sont difficile- ment perçus, et surtout, quand les nerfs auditifs Sont peu sensibles , Le cou se tend avec effort dans le sens de l’oreille employée ; tous les muscles de Ce côté de la face expriment cet effort: l’œil se ferme et se crispe, la narine est tirée en dehors, le coin de la bouche s'ouvre en une sorte de rictus qui découvre les canines et même les molaires : des rides longitudinales sillonnent la joue; on dirait, en un mot, que tous les muscles de la face 20 CONFÉRENCE s’elforcent de suppléer à l’insuffisance des muscles du pavillon, et de cet effort résulte une fort laide grimace. Gette grimace est fort habituelle aux vieillards impatients et quinteux, qui ont l'oreille un peu dure, surtout si le discours qu'ils écoutent leur est importun ; on les voit se produire éga- lement quand lé discours leur plaît, mais alors l'œil du côté intéressé s’ouvre un peu davantage, celui du côté opposé beaucoup plus; la narine, du premier côté est froncée, mais l’autre se dilate ; en un mot, le côté non intéressé sourit. Ces ex- pressions sont fort connues des mimes habiles, des grands acteurs comiques. Elles indiquent à la fois que l’ouie est difficile et pénible, mais que somme toute l'impression qui à frappé l'oreille est agréable. Ajoutons qu’elles sont parfois accompa- gnées par un petit cri, je dirais presque par un point d'interrogation de la voix, qui porte au plus haut point d’évidence la signification de ces mou- vements. On pourrait aisément expliquer pour- quoi, quand l'audition est à la fois difficile et désagréable, le cou est violemment étendu sur des épaules très-abaissées et légèrement reculées en sens opposé, tandis que si l'impression est L agréable, elles sont légèrement voûtées , légère- SUR LA PHYSIONOMIE. 21 ment soulevées et se meuvent dans le même sens que l'oreille qui écoute, c’est-à-dire dans le même sens que le cou. it bent Ces expressions sont, pour ainsi dire, infinies: On pourrait parler plusieurs heures sur les modi- fications que peut éprouver un même mouvement de l'oreille ou des yeux; mais le temps me man uerait, et je dois me souvenir d’ailleurs que je parle à un public athénien, je veux dire à un pu- blic français, sur la divination duquel je puis Compter en toute sécurité. Les organes des sens inférieurs ont des expres- Sions non moins intelligibles. Voyez comme les narines se dilatent pour appeler un air pur et réjouissant ; comme elles se froncent sur les côtés, Comme elles se relèvent et se rétractent en souf- flant brusquement, pour repousser une odeur Mauvaise ; comme elles flairent avec délicatesse, appelant à petits coups les effluves odorantes qu'elles veulent à loisir examiner! Ces derniers Mouvements sont un indice très-significatif d’une attention de l’esprit analysant une odeur. Ils sont faciles et francs , si l'odeur est agréable; si, au Contraire, elle est mauvaise, ils sont-plus contenus. Le nez se recourbe alors plus fortement; la lèvre 22 CONFÉRENCE supérieure, légèrement soulevée et gonflée à sa base, s'apprête à s’appliquer aux ouvertures des narines comme un véritable opercule; les côtés du nez sont légèrement plissés. Ces mouvements sont accompagnés de défiance, d’un sentiment de doute sur un aliment qu’on à intérêt à connaître, mais à l'égard duquel on se tient en garde. De même que l’œil et l'oreille, le nez est à son tour un directeur du corps tout entier. Ceux de vous qui ont observé les carnassiers chasseurs, tels que le chien, n’en peuvent douter. Ces mou- vements sont, à la vérité, moins prononcés dans l’homme; mais n’est-il pas certain qu’une odeur agréable attire la tête, et qu’une odeur mauvaise la repousse? Le corps se porte en avant dans le premier cas; il se rejette en arrière et se détourne dans le second. Mais je m'étends mal à propos sur des mouvements que chacun de vous a pu obser- ver sur lui-même. La bouche, celle de l’homme surtout, à des mouvements plus variés encore. Elle est un organe de respiration, de toucher, de gustation et de trituration ; ajoutons que les dents qui triturent peuvent devenir, dans certains cas, des armes de guerre, des armes furieuses. La bouche est enfin SUR LA PHYSIONOMIE. 23 Un organe de déglutition, et nous devrions ajou- ter encore un organe modificateur des sons engen- drés dans le larynx: en sorte qu’elle est naturelle- Ment chez l’homme l'organe privilégié du langage. Considérons, en premier lieu, la bouche, en tant qu’elle est un organe respiratoire. Quand l’homme respire facilement un air pur, frais, et que n’altère aucune souillure, la bouche se dilate légèrement; la lèvre supérieure découvre plus ou Moins les incisives supérieures, et les coins de la bouche se relèvent alors avec grâce ; les muscles qui déterminent ce mouvement agissent en même temps sur les pommettes des joues et, les relevant, Soulèvent légèrement l'angle externe des yeux, qui deviennent un peu obliques. Ge mouvement | d’une respiration agréable s'appelle le sourire, et | l'on distin gue dans le langage le sourire des lèvres et le sourire des yeux; mais ce sourire des yeux est dans l’homme consécutif au sourire de la bouche, et ne dépend d'aucun muscle spécial. Aucun animal mammifère n’a le sourire de la bouche; mais le sourire des yeux existe dans les animaux carnassiers, et, ne pouvant dé- pendre du sourire buccal, il a pour cause dé- terminante un petit muscle qui agit sur l'angle : fi Al È È ; ir i Li CONFÉRENCE externe de l’œil. Les chiens, on le sait, ont ce sou- rire des yeux au suprême degré. Le sourire, je le répète, est la forme de la res- piration libre et heureuse; mais il est des circon- stances où la respiration est pénible et pleine d'efforts, soit que l’air manque au poumon, soit que le poumon manque à l'air; les mouvements que la bouche exécute alors sont précisément opposés à ceux du sourire. Dans le sourire, les coins de la bouche étaient relevés en même temps que la lèvre supérieure; dans le cas que nous examinons ici, Ces coins sont, au contraire, forte- ment tirés vers le cou, et la lèvre inférieure, entraînée dans ce mouvement, laisse à découvert | les dents inférieures; en même temps, la lèvre supérieure cache complétement les dents supé- rieures, contre lesquelles elle s’applique. Ces mou- vements ont pour cause immédiate les contractions de ce muscle peaussier du cou, dont la partie fa- ciale a recu de l’anatomiste Santorini le nom de muscle rieur, risortus, sans doute par antiphrase, car ce prétendu risorius est le muscle de la dys- pnée mortelle, de l’angoisse et de l’épouvante. Les lèvres font une petite moue pour toucher ou pour saisir; elles se pressent contre les dents SUR LA PHYSIONOMIE 25 incisives pour faire chéminer les liquides sapides ; elles exécutent en même temps de petits mouve- ments pour les agiter et favoriser leur contact vec la pointe si sensible de la langue: ‘elles font Cheminer à peu près de la même façon les ali- Ments que les mâchoires ont broyés. Viennent en- Suite, si l'aliment a été jugé bon, des mouvements de déglutition, sous l'influence desquels le dessous de la gorge s’arrondit et se gonfle légèrement. Quand l’impression sapide est fort agréable, on Cherche à la faire durer plus longtemps; la déglu- lition est alors plus lente. Aussi, la respiration ne Pouvant, en général, s’effectuer pendant qu’on vale, à la suite de ces mouvements voit-on la bou- che s’entrouvrir et exécuter un petit mouvement d'inspiration, qui varie et complète le tableau. Si l’aliment a peu flatté le goût, alors même il n’a point encore dépassé le vestibule de la Cavité buccale, on voit les lèvres se préparer d’a- Yance à le rejeter. La lèvre inférieure, tirée en bas, S'allonge en forme de bec d’aiguière pour lisser s'échapper librement la chose dédaignée; Si l'impression a été plus vive, il se produit des Mouvements d'expulsion que je n'ai pas besoin de décrire en détail. | CONFÉRENCE Ici, permettez-moi d'indiquer en passant une distinction physiologique très simple, mais impor- tome. LR tante à notre point de vue. Il est certain que le goût est double, et le langage usuel distingue fort à propos l’avant-goùt qui est plus analytique, plus intelligent, de l’arrière-goüt, qui s'adresse surtout à l'instinct. Get arrière-goùt s'exerce quand les mouvements de déglutition ont déjà commencé. Il juge en dernier ressort de la nature des aliments, et surtout du degré de leur conve- nance avec notre propre nature. Si ce dernier juge est satisfait, comme le mouvement de déglu- tition est à la fois doux et franc! Si l'aliment, au contraire, a déplu à l’arrière-goût, s’il l’a révoité, l'organisme entier le rejette. Vous connaissez, Messieurs, les attitudes du vomissement : le larynx se soulève; la bouche s’ouvre largement; les lèvres se rétractent, comme si toutes les parties de l'appareil buccal s’efforçaient d'éviter le con- tact d’une matière que le sens intime rejette. C'est là l'expression immédiate d’un suprême dégoût, d’une horreur profonde; cette expression est claire pour tous; elle est immédiatement intelli- gible. Les organes du toucher ont aussi des mouve- A ee LA D M en San SUR LA PHYSIONOMIE. 24 Ments divers, et ces mouvements ont leur physio- _nomie, Ils caressent les objets d'où leur viennent des impressions douces: ils repoussent les sensa- tions désagréables, ou s’en éloignent avec effort. Ces mouvements sont si connus qu'il serait super- Îlu d'y insister. Peut-être trouverez-vous, Messieurs, que je M'étends outre mesure sur des choses connues de VOUS tous ? Mais j'ai eu besoin de vous les rappe- ler, et mon but sera atteint si je suis parvenu à VOUS convaincre que ces mouvements automati- ‘fes ou volontaires, qui se produisent dans l’exer- “ice de nos sensations, sont des expressions natu- Telles, qui racontent avec une absolue évidence jusqu’à quel point ces sensations concordent avec otre propre nature. Je donne à ces mouvements le nom de mouvements directs où prosboliques. arrive maintenant à un point plus délicat. On . “nfond, en général, dans le langage usuel, ces deux expressions verbales sensation et senti- * Ment; elles sont cependant bien distinctes. L'objet de la Sensation est extérieur : le sentiment, sens intime, à pour objet les profondeurs du corps Vivant: le plaisir et la douleur nous sont propres; ous leurs modes sont en nous. Ces propositions . | LA il Ê | 28 CONFÉRENCE sont démontrées par les découvertes les plus cer- taines de la pathologie moderne. Dans certaines ma- ladies nerveuses, les sensations de contact peuvent se conserver dans un organe devenu compléte- ment insensible à la douleur et au plaisir; la réci- proque est également vraie. En principe donc, la sensation est indépendante du sentiment, et réci- . proquement. Ils peuvent exister l’un sans l’autre, quand l’harmonie des fonctions nerveuses a été troublée ou détruite. Dans l’état normal, au contraire, il n’est pas de sensation qui ne réveille un certain sentiment ; dans l’ordre naturel, le plaisir accompagne les sensations dont le développement favorise ou exalte le rayonnement de la vie; en revanche, toute action nuisible éveille un sentiment de dou- leur. On loue, on chante le plaisir; on maudit, on blasphème la douleur; et sans elle, cependant, qui protégerait le corps? Le plaisir ? on sait trop qu'il ouvre toutes les portes! Mais, surveillante toujours éveillée, la douleur crie; elle appelle au sècours, elle tourmente, elle sonne le tocsin toutes les fois qu’un danger menace cette vie, ce bien suprême de tous les animaux. Est-il juste d’amnistier ainsi le mal, et de n’accuser que sa SUR LA PHYSIONOMIE 29 Tévélatrice ? En sa qualité de gardienne fidèle, la douleur à ses titres légitimes; elle entre au même _titre que le plaisir dans l'harmonie du monde: Comme lui, elle joue son rôle dans le concert des actions Conservatrices, comme lui elle est fille de l'éternelle bonté. Ainsi, dans l’ordre naturel, toute sensation, devant être mesurée et jugée, est nécessaire- Ment accompagnée d’un plaisir ou d’une douleur. Les sources du plaisir, je n’ai pas besoin d’in- Sister là-dessus, sont aisément acceptées; les Gauses de douleur sont, au contraire, rejetées avec une énergie, une intensité de fureur qui est pas moins apparente dans l’homme que dans les animaux carnassiers. Dès lors, Messieurs, vous distinguerez aisément _ Se qui, dans l’ordre philosophique, distingue une Sensation d’un sentiment: la nature des sensa- tions est d’être essentiellement localisées, et abso- lument spécialisées dans des organes distincts. Îl'ya, en effet, des qualités distinctes dans un Même objet; en tant qu'il est lumineux, nous le perceyons par l'œil; sonore, par l'oreille: Odorant, par le nez; sapide, par le goût, tan- Sible, par les organes du toucher, Le corps ne : 2. 30 CONFÉRENCE pouvait obéir que par des organes spéciaux aux exigences multiples de l'intelligence, En sera-t-il de même des sentiments? en au- -cune façon, Messieurs. Si la nature de la sensa- tion est d'être spécialisée, car les organes des sens sont essentiellement des organes d’abstrac- tion et d'analyse, la nature du sentiment, au con- traire, est de se généraliser. Quand un plaisir s'éveille à propos d’une sensation quelconque, l'organisme entier chante sur divers tons un hymne de satisfaction et de joie; si la douleur en résulte, au contraire, quel concert de tous les organes dans la lutte ! quelle unité dans les ten- dances du corps entier! Comme tous les organes protestent! comme ils repoussent l'ennemi ! De ces faits, que l'habitude de la vie vous a rendus familiers, nous déduirons les conséquences sui- vantes : 4° Quand un sentiment de plaisir s’éveille à l’occasion de l’action d’un organe sensitif quel- conque, tous les organes à leur manière l’accep- tent, le déclarent bon. Je rendrai la vérité de cette proposition sensible par un exemple. Donnez à un petit carnassier, à un petit chat, par exemple, quelque liquide savoureux et sucré ; SUR LA PHYSIONOMIE. ei SSSR : Voyez-le s'avancer lentement et flairer avec atten- tion; ses oreilles se dressent; ses yeux, largement ouverts, expriment le désir; sa langue, impatiente, léchant les lèvres, caresse et déguste d'avance l'objet désiré. 11 marche avec précaution, le cou tendu, Mais, il s’est emparé du liquide embaumé ; ses lèvres le touchent, il le savoure ; l’objet n’est plus désiré, il est possédé; le sentiment que cet objet éveille s'empare de l'organisme entier; le Petit chat ferme alors les yeux, se considérant lui-même tout pénétré de plaisir. Il se ramasse Sur lui-même, il fait le gros dos, il frémit volup- tueusement, il semble envelopper de ses mem- bres, son corps, source de jouissances adorées, Comme pour le mieux posséder; sa tête se retire doucement entre ses deux épaules, on sent qu'il cherche à oublier le monde, désormais indifférent Pour lui; il s’est fait odeur, il s’est fait saveur, et . Î se renferme en lui-même avec une componction toute significative. | 2° Ce que je viens de dire du plaisir et des sen- sations agréablés peut être dit de la douleur. Un seul organe est directement lésé; cepen- dant l'organisme entier lutte avec un effort Suprême, effort tantôt concentré et muet, tantôt ere £ u, À ® rente "2, ere A re ere, er RÉ ee Cho re TRE rer ess a Lane A : Sn meerrere eus | ne à PR rs pere ssc Sa S SSL TE D ae me pr: Sens e 22 mi FR A nd æ > pére . ace " 22 CONFÉRENCE : expansif et manifesté par des cris. Les cris, Mes- sieurs, sont la voix de l'effort, ils sont la voix de la lutte contre la douleur. Si la douleur est sourde et profonde, on voit se produire des expressions un peu différentes : l'attention se concentrant sur un point intérieur, les yeux se ferment parfois; s'ils demeurent ou- verts, ne se dirigeant plus au dehors, ils devien- nent divergents et hagards. L'animal qu’une dou- leur profonde pénètre se retire dans quelque endroit écarté; il recherche les ténèbres et le silence. Cependant les douleurs profondes ont souvent, chez l'homme, une forme expansive. Un instinct irrésistible de fuite saisit alors le malade, qui semble vouloir s'échapper de lui-même; des eflorts terribles d'expulsion se produisent, ses mains crispées voudraient, pour ainsi dire, arra- cher du corps ces viscères auxquels la douleur s’est attachée; sa bouche, rétractée dans l'attitude du vomissement, exprime l’horrear; ses yeux se ferment avec effort; mais, d’autres fois, largement ouverts, ils semblent chercher quelque porte ou- verte à la fuite. Ces expressions diverses disent clairement que le corps tout entier fuit et rejette la douleur; parfois le membre malade la secoue SUR LA PHYSIONOMIE, 33 comme pour la détacher de lui; considérez un chat qui s’est brûlé la patte, un enfant qui s’est pincé le doigt. Mais, Messieurs, je n’en finirais pas si je voulais multiplier les exemples. Je me résumerai sur ce point en deux mots : La société des organes dans le corps vivant est comme une république parfaite; tous les organes gémis- _ sent à l’occasion de la douleur d’un seul, tous se réjouissent quand un seul est dans la joie. Je donne à ces mouvements homologues qui se pro- duisent automatiquement dans tous les organes à l’occasion du plaisir ou de la douleur d’un seul, le nom de mouvements sympathiques. _Abordons maintenant, Messieurs, une troisième classe de mouvements expressifs. | Nous avons, jusqu'à présent, considéré l’ éréal | comme vivant au milieu du monde extérieur et des objets réels. Mais il est un autre monde où il est également agissant et passif, monde où l’homme passe peut-être la plus grande partie de sa vie. Je veux parler du monde individuel, du monde de l'imagination. | Ce monde est aussi bien que le monde exté- rieur une source indéfinie de sensations, de senti- ments et d'idées. Est-il nécessaire d’insister sur te AT. D 4 TOO mer TR 22 34 CONFÉRENCE ce point? les rêves n'en sont-ils pas une preuve frappante et familière ? Mais, dans l’état de veille même, cette vérité n'est-elle pas évidente ? un peintre habile voit et parfait en lui-même ces chefs-d'œuvre dont la réalisation extérieure ne sera Souvent qu'une image affaiblie ; le musicien écoute dans ce monde imaginaire des chants in- connus; le voluptueux s’y enivre de jouissances idéales; le gourmand y compose les festins les plus délicats. Plus belles que la réalité, les formes de ce monde intérieur ont un charme sans pareil, une fraîcheur sans égale. La beauté y est plus apparente et plus parfaite, le bonheur plus com- plet. Ce n’est point du monde extérieur, c’est de l'imagination qu'est née la poésie. Si l'imagination est une source intarissable es sensations et d'images agréables, elle est égale- ment féconde en épouvantes et en douleurs; elle a ses haines, ses luttes, ses fureurs. L'homme, mystère incompréhensible, vit etse meut ainsi dans l’idée qu'il a du monde. Il se voit lui-même agissant au milieu de ses rêves, jouissant, espé- rant, souffrant, et, comme les dieux d'Homère, aimant ou combattant ses propres créations. Que dis-je ? pour l'homme ce monde imaginaire 7 UNE SUR LA PHYSIONOMIE. 35 est le monde immédiat. Quand la nuit à voilé le le monde réel, il s’illumine d’une lumière plus vive. C’est le monde des songes,des fantômes, de l'hallucination et de la folie. C’est aussi le monde de la méditation, des conceptions poétiques et du génie. Si les idées imaginaires sont objectives, ainsi Que nous venons de l'indiquer; si l’homme en réalité les voit, les écoute, les flaire, les goûte, les touche en lui-même, vous concevrez aisément comment de ces sentiments imaginaires peuvent naître des sentiments réels; que de craintes dans les rêves! que d’épouvantes! mais aussi que de conceptions faciles et charmantes, que de correc- tifs aux chagrins réels ! à coup sûr il est des som- meils dont les rêves sont oubliés avec joie, mais qui, dans sa vie, n’a parfois regretté de s’éveil- ler ? Or, entre le corps et l’âme, l’union est si in- time, que les organes extérieurs eux-mêmes sont loin d’être indifférents à ces sentiments qui nais- sent de l'imagination! Quand l'attention est fixée sur quelque image intérieure, l’œil regarde dans le vide et s'associe automatiquement à la contem- plation de l'esprit. Le musicien qui compose sem- 26 CONFÉRENCE ble écouter. Quel est l'Apicius songeant à quelque mets préféré qui n’exécute involontairement des mouvements de dégustation ou d’olfaction satis- faites ? Enfin les amours, les colères imaginaires sont traduits dans toutes leurs modifications par les expressions de l'amour apparent et des colères qui s'adressent à quelque but extérieur. Je me ré- sume en disant qu'il est à peu près impossible d'agir en imagination, sans trahir en un certain degré par des mouvements extérieurs les actions que l'esprit exécute en lui-même. Ces mouvements, que j’appellerai symboliques, se distinguent cependant de ceux qui ont pour but un objet extérieur par certains caractères suffi- samment tranchés. En premier lieu, leur énergie est habituellement plus faible; en second lieu, le corps les accomplit automatiquement à l'insu de celui qui imagine; cette proposition a été rendue certaine par les expériences de M. Chevreul sur le pendule oscillateur. Il m'est impossible d'entrer ici dans l’analyse de ce travail si remarquable; mais je choisirai, parmi les exemples qui ont été apportés en preuve par cet auteur célèbre, le fait suivant que vous avez tous observé. Cet exemple nous est donné par les joueurs de 1 SUR LA PHYSIONOMIE. 37 billard. Si une bille dévie légèrement de la direc- tion que le joueur prétend lui imprimer, ne l’avez- * VOUS pas vu cent fois la pousser du regard, de la _ tête et mème des épaules, comme si ces mouve- Ments, purement symboliques, pouvaient rectifier SOn trajet? Des mouvements non moins significa- tifs se produisent quand la bille manque d’une impulsion suffisante. Et, chez les ] Joueurs novices, ils sont quelquefois accusés au point d’éveiller le Sourire sur les lèvres des spectateurs. Le célèbre philosophe leibnitzien, Christian Wolf, reconnaissait, avec Hippocrate, qu' une sen- Sation forte éteint et masque en général une sen- Sation plus faible ; et il comparait les sensations imaginaires, ou comme le disent assez obscuré- Ment certains philosophes, les sensations subjec- lives, à ces sensations de cause extérieure, dont l'énergie est si faible qu’en les entendant, on Pourrait croire n’avoir fait que les imaginer; c’est dire assez que des impressions fortes venues du Monde extérieur masquent ou obscurcissent fré- uemment les impressions qui nous viennent de l'imagination. Ainsi des bruits extérieurs nuisent à la liberté de la pensée; on imagine bien plus facilement des formes dans une obscurité profonde 3 38 CONFÉRENCE qu'au milieu d’une vive lumière, vous imposant, pour ainsi dire, les formes des objets extérieurs ; de là des expressions diverses dont le souvenir peut être aisément évoqué dans votre mémoire. Le plus souvent l’homme qui veut alors imagi- ner librement tient ses paupières abaissées. L’œil regarde cependant et se dirige; mais regardant dans l'obscurité, il peut satisfaire à sa tendance symbolique sans nuire à la vivacité des images intérieures; l'expression est parfois plus accusée encore ; non-seulement les paupières s’abaissent, mais la tête s'incline et la main s'applique au front, moins peut-être pour le soutenir que peur voiler les yeux. Les anciens considéraient avec raison cette attitude comme la forme naturelle de la méditation. Je ne puis passer sûus silence certaines expres- sions un peu différentes d’une attention portée aux choses extérieures. Un homme parle devant vous, il sollicite votre attention personnelle : s’il réussit à la captiver, vos yeux franchement ouverts demeurent fixés sur lui; s’il n’y réussit point, la politesse tiendra à la vérité vos yeux ouverts, mais ce ne sera pas sans quelque eflort, votre pensée étant ailleurs, et l’attention de votre regard se SUR LA PHYSIONOMIE. 39 fixera non sur votre interlocuteur, mais sur quel- ue autre point de l’espace situé soit en decà, soit au delà de lui; le plus souvent les yeux conver- Sent légèrement. Si alors il porte les yeux sur Vous, il sentira que vous ne le regardez point, Que votre regard est distrait, et il en conclura, s’il à Quelque esprit, que vous ne l’écoutez point. C’est aussi de cette façon qu’on regarde dans les grandes préoccupations de l'âme. L’œil ha- Sard est largement ouvert; mais il ne voit rien, et Par conséquent ses regards inutiles ne nuisent en rien à la netteté des images intérieures dont l’es- Prit est préoccupé. Telle est la physionomie habi- luelle de la préoccupation. N'admirez-vous pas, Messieurs, la justesse de cette expression si fami- lière? Les mouvements de l'oreille, étant moins distincts que ceux des yeux, sont moins immédia- tement apparents. Toutefois les mouvements re- latifs au sens de l’ouïe peuvent se manifester dans : Un sens symbolique. Par exemple un homme qui Cherche à se rappeler un air oublié et qui n’y par- Vient qu'avec peine semble écouter, mais il écoute à la manière des gens qui ont l’oreille dure, ma- üière que j'ai décrite plus haut, Il est enfin, Messieurs, un quatrième ordre de otre “Frs _— £ d 2 à dy sis _ Le pe semer » nn Dir ER Te QU Die - >. ee tm. 40 CONFÉRENCE mouvements. Ceux-ci n’expriment ni la nature des sensations, ni celle des images dont la fantai- sie est occupée, ils sont déterminés dans les hau- teurs de l'esprit par la raison elle-même; ils ac- compagnent les actions les plus intimes de la pensée, qu’ils révèlent sur une face intelligente; ils racontent dans leurs symboles les jugements et les sentiments les plus élevés de l’âme. L'expérience, Messieurs, vous a appris depuis longtemps qu’une physionomie mobile est un signe d'intelligence. Vous dites tous les jours un regard spirituel, une bouche spirituelle, et si l’on allait jusqu'à dire une main spirituelle, je crois que cette expression ne vous révolterait pas. Et en effet, Messieurs, tout mouvement est un lan- gage dans les animaux, et tel est le rapport intime de l'esprit avec le corps, que dans l'homme nor- mal le verbe de l'intelligence se marie incessam- ment avec la parole de la vie. En effet, de même qu’il y a des jouissances et des douleurs physiques, il y a des jouissances et des douleurs morales, et pour l'esprit lui-même il y a des voluptés qui naissent de la vérité, et des douleurs que l'erreur engendre. Au-dessus des sentiments qui naissent du corps, nous placerons naturellement ceux qui SUR LA PHYSIONOMIE. 41 A Proviennent des états et des mouvements de l'âme, Mais leurs expressions visibles seront analogues. Elles étaient directes, immédiates dans un pre- Mier cas, sympathiques dans le second, symboli- ques dans le troisième, elles mériteront, dans ce dernier cas le nom d'expressions métaphoriques. Diderot a dit, dans un de ces petits traités! qui Sont peut-être ses plus beaux ouvrages : « Re- Marquez en passant combien le langage du geste est métaphorique. » Il n’a donné aucun dévelop- pement à cette idée, mais nous allons essayer d’en démontrer la justesse. n Oui, le geste de l'homme est plein de métapho- res, et instinctivement les animaux en font aussi Juelques-unes. Ces métaphores s’engendrent na- turellement, et j’ajouterai ici une remarque im- Portante, c’est que ces métaphores spontanées du Seste sont traduites instinctivement chez l’homme dans les métaphores similaires du langage. Nous l’avons déjà dit, de nos idées les plus abstraites naissent des sentiments réels. Le géo- Mêtre le plus élevé a le sentiment du vrai et le Sentiment de l'erreur. La vérité convient à la na- ture de l’âme: elle est une joie, un motif d’adora- 1. Lettres sur les sourds et muets. 42 CONFÉRENCE tion pour elle ; et pour elle encore l’erreur est un mal, un sujet d'impatience, de douleur et même de colère. Elle accepte avec joie le vrai, elle re- jette avec horreur l'erreur et le mensonge; or, ces sentiments sont racontés dans un double langage, dans le langage du verbe et dans celui de la forme visible. Une proposition philosophique qui agrée est acceptée, une proposition fausse est rejetée par les yeux qui se ferment ou se détournent, par le nez et les lèvres, qui semblent rejeter des odeurs ou des saveurs mauvaises; par les épaules qui s’agitent comme pour secouer un joug importun ; par les bras qui repoussent ; par le corps tout en- tier qui se rejette en arrière, se détourne ou s’é- loigne comme il s’éloignerait d’un spectacle indi- gne d’être vu. On écoute de plus près un homme dont la conversation vous intéresse, on se rappro- che de lui, et s’il fait simplement une lecture, on en vient à placer sa tête à côté de la sienne pour lire en même temps que lui. Engel a merveilleu- sement développé ce point; on lui doit une autre remarque non moins fine que juste. Examinez avec attention un philosophe, un ma- thématicien, un poëte, qui, tout en se promenant, poursuit dans sa pensée quelque trace lumineuse SUR LA PHYSIONOMIE. 43 ————— et s'élève de degrés en degrés à des vérités, à des Conceptions sublimes. Voyez comme son œil est ardemment fixé sous des paupières tantôt joyeu- sement ouvertes, tantôt à demi abaissées, comme dans la contemplation imaginaire. Voyez ses na- rines respirer ou flairer alternativement, ses lèvres Soûter avec amour les vérités qu’il découvre. Si le Mouvement des idées est rapide, notre promeneur | Marche plus vite; s’il devient plus vif encore, la Marche s'accélère; mais si tout à coup quelque Obstacle, quelque difficulté suspend ce mouvement de la pensée, le corps s’arrête pour reprendre sa / Marche, à l’image de la pensée, aussitôt que l’obs- tacle à été vaincu; aussi dites-vous naturellement Qu'un raisonnement marche, ou qu’il ne marche Pas. 40 ; Passons à d’autres mouvements et à des méta- Phores plus visibles encore, métaphores commu nes au langage oral et au geste. On écoute un homme, et quand on l’a compris, On dit très-naturellement : J'entends cela. Dans le cas contraire, tous les mouvements caractéris- tiques d’une audition pénible se produisent, et l'on affirme qu’on n’entend point. Si une descrip- . ion vous paraît claire, vous dites pareïllement : Je Re D re ep ur So ee ee ANS 7 di D TUE ETS oem ns A4 CONFÉRENCE vois cela. Si elle est obcure, vous dites ne la voir que difficilement, et vos yeux offrent alors toutes les attitudes d’une vision inquiète et difficile. Avez-vous l'instinct. d’une solution, vous dites très-bien : Je sens cela. Je n’ai pas besoin de rap- peler les gestes de ceux qui cherchent pour ainsi dire leur route à l’aveugle, au milieu de raison- nements et de souvenirs confus; leurs yeux se fer- ment, ils relèvent la tête, et les doigts, étenduset agités d’un mouvement léger, semblent chercher à toucher. C’est ainsi que J.-B. Rousseau fait dire à une vieille incrédule : Oui, je voudrais connaître, Toucher au doigt, sentir la vérité. Toucher au doigt! Mais ne dites-vous pas tous les jours une vérité tangible, une vérité palpable ? Un mot encore. Si quelque proposition vous charme, vous dites la goûter ; vous la rejetez au contraire des yeux, du nez, de la bouche, des épaules et de la main, si elle vous est importune; mais si elle attente à l’ordre moral, les expressions de la lutte violente sont plus énergiques encore; ce sont alors les expressions du dégoût physique, du vomissement, de la dyspnée mortelle; elles SUR LA PHYSIONOMIE. 45 lee ee à Prennent, dans ce dernier cas, la forme de l’hor- réur et de l’épouvante. Les jugements que nous Porions sur les choses d’art et de style sont accom- Pagnés par des mouvements analogues. Parmi tous les exemples que je pourrais en donner, je choisirai plus spécialement le suivant, que la plupart d’entre vous connaissent à coup Sûr : L 5 0 On rencontrait souvent autrefois, et l’on trouve Encore aujourd’hui quelques-uns de ces lecteurs délicats dont l'espèce était très-commune au com- Mencement de ce siècle. J’en ai vu lire quelques- Uns, il me semble les voir encore. Ils se recueil- laient doucement, rapprochant autant que possible leur livre de leurs yeux à demi fermés par un lé- ser sourire. Cependant, leurs narines semblaient, Par leurs mouvements, à la lecture de certains Passages, s’enivrer d’un parfum céleste: mais Combien plus éloquents encore étaient les mouve- Ments de leur bouche! Les lèvres, amoureusement SOuriantes, dégustaient avec délices; de petites fossettes se dessinaient alors sur les joues, expri- Mant une attention soutenue et charmée ; puis, à la suite de ces mouvements, survenait une déglu- tition satisfaite; on voyait alors notre lecteur se 3, pertes g: es = Mémo. “cn 46 CONFÉRENCE rengorger légèrement, et la scène se terminait par un soupir qu’accompagnait parfois un petit appel de langue tout à fait significatif; tout cela ne vous dit-il pas que le lecteur charmé, s’enivrait à la fois de la saveur du style, des ingrédients de la phrase, des parfums de l’expression ? Or, d’un homme qui lit ainsi, vous diriez naturellement : C’est un homme de goût; n'est-ce pas une preuve entre mille que les métaphores du geste sont parallèles aux métaphores du langage ? Des expressions du même ordre se produisent dans l’ordre moral et dans l’ordre social; d’un homme qui plait dans le monde on dit métaphori- quement qu’il est goûté. La bienveillance n’a pas une autre forme : l’œil doucement dirigé, les na- rines exécutant de petits mouvements d’olfaction satisfaite, la bouche exprimant par un sourire l'éveil d’une vie plus heureuse ; les lèvres agitées par de petits mouvements de dégustation agréable, les mains toujours prêtes à recevoir, à serrer dou- cement, à caresser, et, enfin, le baiser, cette ca- resse des lèvres qui semble attirer symboliquement l'âme de l'être aimé. Toutes ces expressions ne sont-elles pas simples, intelligibles ? en est-il de plus claires? ne voit-on pas que, dans cette har- SUR LA PHYSIONOMIE. 47 monie vivante de toute notre matière avec notre esprit, tous les organes racontent, chacun à sa Manière, le sentiment dont l’âme est péné- trée ? | La joie, qui se mêle facilement à la bienveil- lance, est l'expression d’une vie complétement : épanouie ; le sang, circulant plus aisément, colore les joues; la respiration, plus active, s'accélère Jusqu'à devenir convulsive, éclatante, et prend le nom de rire; mais cette convulsion, loin de nuire aux actions respiratoires, les favorise, et mon Spi- Tituel maître, Étienne Pariset, pouvait la définir : _Une promenade joyeuse à l'intérieur de soi-même. Le corps tout entier s'associe à ces mouvements : un besoin indicible de marcher, de courir, de sau- ter, de tourner sur soi-même, agite alors les jeunes Enfants: toutes ces expressions disent clairement Combien la vie leur est facile et douce, combien ils sont heureux d’en célébrer la fête. Les expressions de la joie, mêlées à celle de la bienveillance, composent la physionomie de ce Contentement aimable des bons cœurs, qui vou- draient associer à leur bonheur tout ce qui les entoure. Parmi les animaux, les chiens seuls sont capa- 48 CONFÉRENCE bles d'exprimer avec une évidente clarté l’amour et la bienveillance. Ils lèchent en agitant la queue ceux qu'ils aiment !, ils les contemplent de leurs yeux ardemment fixés, ils aboient pour solliciter le regard; ils éveillent par de petits coups de leurs pattes antérieures l'attention de ceux qu'ils aiment : rien n’est plus éloquent. * Les carnassiers de la grande famille des chats ont aussi quelques expressions de bienveillänce, mais elles sont douteuses et pour le moins .obs- cures. D'ailleurs, le chat est souverainement égoïste. Le chat caressant ferme les yeux; mais, que dis-je? il ne vous caresse point : la vérité est qu'il se caresse lui-même en ondulant sous la main qui le flatte ; tout indique la supériorité du chien. | L'amour, dont les expressions mériteraient d’être attentivement examinées, a des formes très- diverses : dans quelques-unes de ses formes, il s'adresse surtout à des perfections idéales. Dans 1. C'est là une expression analogue au baiser de l’homme: mais le baiser est un mouvement de la bouche considérée comme organe respiratoire. Le chien lèche; et cette forme, empruntée à la bouche en tant qu’elle est un organe de la vie nutritive, est évidemment inférieure. SR PR De SUR LA PHYSIONOMIE. s 49 quelques autres, il a pour objet quelque satisfac- tion égoïste. | L'amour qui s'adresse aux choses de l’intelli- gence, à la beauté idéale, à la perfection céleste, mêle les expressions du désir à celle de l’admira- tion. Toute l’activité de l'âme se concentre dans les organes supérieurs des sens, et surtout dans les yeux, qui semblent vivre seuls ; les autres or- ganës. du visage s’épanouissent dans une sorte de dilatation extatique; les narines sont ouvertes, “Mais la respiration est parfois suspendue. La bou- che ne goûte plus, elle demeure entr'ouverte et . Comme figée dans l'attitude de l'inspiration; ce mouvement est mêlé de joie, et un indice de sou- rire est ébauché sur les joues, qui soulèvent et plissent l'angle externe des yeux; parfois, les bras et le cou sont tendus vers l’objet adoré; mais au erme d’une admiration souveraine, l'œil vivant Seul, tous les organes sont oubliés; le corps Îflé- chit, les bras retombent; la mâchoire inférieure, abandonnée à son propre poids, s’abaisse, et le tronc semble n’être maintenu dans l'extension que Par une sorte de contraction involontaire et cata- leptique des muscles. L’admiration est alors mê- lée aux expressions de l’étonnement; l'attention 50 CONFÉRENCE excessive conduit à peu près aux mêmes expres- sions, et, comme aller l’a si bien vu, elle peut également conduire à l’extase. La seconde forme de l’amour ne produit point l'extase, et modifie surtout la bouche et Les na- rines considérées comme organes d’olfaction et de dégustation avides. Ces mouvements sont surtout apparents dans les ruminants, et les anciens en avaient composé la physionomie de leurs sa- tyres. L’admiration est un mouvement et une passion de l’âme : elle ne peut s'exprimer que dans les organes de l'esprit, je veux dire dans les yeux, et par les mouvements qui concourent à une audi- tion attentive. Née de l'intelligence, elle se mani- feste surtout dans la sphère de ces organes privilégiés qui fournissent à la pensée ses aliments immédiats. Les odeurs:et les saveurs s'adressant surtout à la partie matérielle de l’homme, c’est dans leurs organes que s'expriment surtout les passions et les appétits d’un ordre inférieur; mais _je ne saurais ici m’arrêter plus longtemps sur ce point. J'insisterai seulement sur un fait qui fera suffisamment comprendre ma pensée. On ne dit point : une odeur admirable, une saveur admira- SUR LA PHYSIONOMIE. | 51 ble; mais vous admirez les harmonies musicales, Vous admirez les manifestations lumineuses; en un mot, née de l'intelligence, l'admiration ne s'adresse qu’à l'intelligence. J'ai parlé de l’étonnement. L’étonnement peut être mêlé de joie; je viens d’en signaler les carac- tères. Il peut être mêlé d’épouvante; dans ce cas, aux attitudes de l’étonnement s'unissent les expressions suivantes. Les sourcils se froncent sur un œil largement ouvert, l'angoisse est expri- Mée par les coins de la bouche abaissés et rétractés comme dans ces cas de dyspnée où l’air manque. à la respiration convulsive. Les pupilles, énormé- | : Ment dilatées, semblent regarder dans des ténè- Le bres épaisses; enfin, les narines s’affaissent au / /+ moment de l'inspiration, signe funèbre d’agonie et de mort imminente. | En parlant des expressions de la bienveillance, j'aurais pu dire qu’elle exerce sur les cœurs une attraction irrésistible. Nous pourrions ajouter que ses contraires, le dédain, le mépris, la haine, re- Poussent. Tous les mouvements qui accompagnent ces passions affirment la justesse de cette remar- que. Eh! ne voyez-vous pas que dans le mépris les métaphores du geste expriment une répulsion ae de - Ed 0 — 52 ° CONFÉRENCE universelle? Voyez comme les yeux du méprisant se détournent et regardent de haut! Le nez se plisse sur les côtés, les narines se relèvent comme 237 cdi TPE GATE du sié és EE ge an De DE RER RE EN pour repousser une odeur importune; la bouche rejette, crache, vomit, et dans certains cas se ferme expressément comme pour se mettre en défense ; le corps se détourne, les mains s’opposent à l’objet ou à l’idée méprisés avec une énergie contenue par une sorte de dégoût, tout le corps, en un mot, rejette métaphoriquement ce que l'esprit a rejeté. La haine est une fureur contenue. Les sourcils se mettent en défense et s’abaissent sur un œil ; ardent, les narines froncées se dilatent, les dents sont serrées, la respiration profonde est cependant oppressée par un effort caché. La colère est la fureur expansive mordant, brisant, déchirant. Tous les muscles en mouvement font frissonner la peau, la chevelure se hérisse, bientôt l'excitation se propage aux viscères eux-mêmes. La voix elle-même vibre et rugit. Qui de vous ne connaît ces expressions terribles qui annoncent la folie, la destruction et la mort? Il y a des colères directes, des colères symboli- ques, des colères de l'esprit, et celles-ci se tra- SUR LA PHYSIONOMIE. 53 duisent par les mouvements qui signalaient les Premières, La tristesse est le contraire de la joie. La joie est l'expression d'une expansion libre de la vie; la tristesse, au contraire, correspond à un senti- Ment de dépression générale, d’indifférence, de dégoût et d’affaissement; la face et le corps expri- ment ce dégoût et cet affaissement; les yeux, Presque sans regard, semblent ne sortir qu’à re- gret de leur atonie; les mouvements respiratoires Sont à | peine sensibles; la a lèvre inférieure passi- vement entraînée retombe; la tête inclinée s’af- faisse sur une épaule; et les chairs du + visage sont Si flasques, que dans cette attitude oblique de la tête, la joue inférieure abandonnée à son poids pend en quelque sorte, tandis que la joue supé- rieure s’aplatit sur le squelette de la face, et de ce côté paraît singulièrement amaigrie. Je citerai en exemple une de ces têtes antiques que les ar- üisies connaissent sous le nom de fille de Niobé; le génie de l'artiste avait deviné cette attitude passive des chairs dont l’expression est surtout frappante dans la période d’anéantissement du désespoir. Une analyse des expressions de la prière, dans leur évolution successive, ferait mieux sentir en- “ dE in RE et EN 54 CONFÉRENCE core cette valeur métaphorique des mouvements du corps vivant; l’homme qui prie éprouve une tristesse qu'accompagne un désir. Il a l’idée de la puissance de celui qu'il implore et en même temps le sentiment de sa faiblesse relative ; instinctive- ment, pour rendre plus sensibles cette grandeur et cette faiblesse, il se fait plus petit, ilse prosterne, il s’anéantit; dans cet état d’abaissement, ses yeux, tournés vers celui qu’il implore, semblent regarder le ciel même. Remarquez, en effet, Messieurs, que nous associons naturellement l’idée de puissance, de courage, de générosité et de noblesse à l’idée de grandeur; quand nous parlons de belles choses, nous levons métaphoriquement les yeux. Ge qui enferme une perfection souveraine, vous le nom- mez sublime; or, le sublime est considéré d’en bas, le sublime moral aussi bien que le sublime visible, et les yeux se tournent alors vers le ciel, source par excellence de la lumière physique et symbole éclatant de la lumière éternelle. Ce regard qui s'élève, c’est l’adoration. Or, on peut adorer Dieu debout, comme on peut debout considérer le ciel. Mais on ne peut adorer l’homme qu’en s’abaissant. Voilà pourquoi instinctivement le suppliant, admirez en passant, Messieurs, l’ad- SUR LA PHYSIONOMIE. 59 mirable justesse de cette expression, le suppliant Se prosterne: il étend les mains pour recevoir la grâce-implorée; bientôt la prière devenant plus ardente, il les joint comme pour la saisir; est-elle refusée aux premières instances, le suppliant, Semblable à un homme qui se noie et s'accroche, le mot existe métaphoriquement dans la langue, à quelque branche de salut, crispe avec effort ses Mains jointes; il les rapproche de sa poitrine Comme un homme qui se soulève à la force des bras, et ce mouvement si énergique se passant dans le vide les fait trembler. Ne VOyez-vous pas, dans l'excès même de ce mouvement, la lutte Souveraine de l’homme qui défend son dernier espoir ? Ajoutez à cela des yeux ardents, la bouche Contractée par l'angoisse, la poitrine haletante, et Vous concevrez aisément jusqu'à quel degré d'énergie terrible peuvent atteindre ces méta- Phores visibles. Si ces derniers efforts sont vains, ce drame de la prière se termine par une quatrième scène, celle du désespoir. Le désespoir qui s'empare de l'âme après une lutte inutile paralyse les mouve- Ments du corps ou du moins ne laisse plus sub- Sister que les mouvements convulsifs de l’agonie ; RE À OP rm ms ! ; $ : fi } ' 6; Er ‘t F *! OI 2: L Ë k 14 1 ] | } | 7 : { Ws À AR : À TE : ï Î } | 1% |5 L. ll bi: 1 | } LiR ho l: Ë ni 4 Lip; SR ELU LI ki Mio ! . 41 t t | E : h { 1 : Lf AB à &: ls Hi LE F 1 CS ni _— TIRE SRE Mr meet noter NS SRE EE LS 56 CONFÉRENCE dans le premier cas, les bras retombent, le corps s’affaisse, la tête s’incline sur la poitrine, passive comme dans la mort: dans le second, le corps lutte encore, la poitrine étoufle, les bras semblent déchirer des liens invisibles. Qui de vous dans sa vie n’a vu et compris l'horreur de ces expressions ? Borné par le temps qui m'est accordé, je ne saurais, Messieurs, multiplier ici les exemples de ces métaphores du geste; mais jusqu'ici nous n'avons parlé que des expressions franches; or, pour toucher autant que possible à tous les points principaux, je dois dire quelques mots de cer- taines expressions mixtes où les contraires sont associés ; ces expressions sont fréquentes et pres- que toutes ont une signification mauvaise. Parmi ces expressions mixtes je signalerai en premier lieu celle de l'incertitude; état oscillant de l’âme qui hésite entre deux partis opposés ou seulement différents l’un de l’autre. Gette hésitation est tra- duite très-naturellement par des mouvements alternatifs du corps. Supposez un chien affamé auquel on présente quelque pâtée savoureuse. Il se précipite sur elle; mais elle est trop chaude, elle est bouillante; à peine y a-t-il touché, qu’il recule subitement; SUR LA PHYSIONOMIE. 57 mais à mesure qu'il s'éloigne, l'impression et la crainte s’effaçant, le désir se réveille. Le chien S’approche de nouveau, bien qu’avec plus de pré- Cautions ; mais la pâtée n’est pas encore refroidie. Il recule donc une seconde fois pour se rapprocher encore, le regard toujours fixé sur l’objet désiré; ainsi alternativement poussé par son désir et retenu par la crainte, il oscille entre deux senti- ments opposés. Ces mouvements d'incertitude prosbolique traduisent dans un sens métaphorique les incertitudes de l’esprit dans des circonstances toutes morales ; mais ces incertitudes sont surtout propres à certains caractères, rappelant l’apologue philosophique de l'âne de Buridan. mi-parti entre deux prés et se laissant mourir de faim, ne pou- vant se décider à brouter l’un plutôt que l’autre. [ls laissent passer cette occasion rapide, occasio Prœceps, qu'il faut savoir, d’une main légère et décidée, saisir aux cheveux. Rien n’est plus intéressant pour le physiono- Miste que de considérer un homme qu’un désir sollicite, en même temps qu’il est retenu par quel- que raison cachée. Tantôt le désir est plus fort, notre homme se décide ; en un instant son parti est pris, il part. Mais tout à coup les remontrances Te lp = oo 58 CONFÉRENCE de la raison deviennent plus vives: il s'arrête alors et revient sur ses pas. Au bout de quelques moments il ne tient plus en place, un lutin capri- cieux le tourmente. Était-il couché, il se lève : levé, il se recouche; il se tourne sans cesse de gauche à droite et réciproquement. Tantôt il étend ses jambes, tantôt il les replie. Il ouvre les yeux et, l'instant d’après, les referme pour les ouvrir encore. Îl regardait d’un côté en se fixant à un avis, soudain son avis change et il se retourne du côté opposé : de là une inquiétude générale qui semble retentir dans les nerfs du Système cu- tané. Il se gratte spécialement au-dessus des re Se RTL TR TE nue CARE NS enter tm ARRET z oreilles, bien qu’il n’y éprouve aucune déman- geaison. Il se ronge les ongles; il piétine, il tourne Ki} | } sur lui-même, ne pouvant ni agir ni trouver le repos. Que de gens, hélas! ont été perdus par cette affreuse folie de l'incertitude !... Mais les expressions en sont frappantes ; elles intéressent à la fois le physionomiste philosophe et l'acteur comique. La peinture et la sculpture, dont les créations sont immobiles, éprouvent à les rendre EE des difficultés qui ne sauraient être vaincues que par ces artifices que seul peut inventer le génie. Les expressions ‘mixtes et contradictoires sont SUR LA PHYSIONOMIE. 59 le plus souvent désagréables et parfois repous- Santes : telles sont les formes de l’orgueil et de l'envie. Elles n’ont, à coup sûr, rien d’aimable et nuisent à la beauté du visage en troublant l’homo- généité de ses mouvements. Qu'est-ce que l’orgueil ? Vous m’accorderez, Messieurs, que c’est un extrême contentement de Soi-même. L’œil, dédaignant ce qui l'entoure, se Cache comme dans un rêve; les narines flairent quelque parfum idéal; la bouche exécute des Mouvements de déglutition satisfaite : aussi est-il Connu de vous tous, que les orgueilleux se ren- Sorgent; ils se redressent avec dignité, et parfois leur sourcil contracté légèrement exprime une Sorte de menace à l'adresse de ceux qui pourraient Méconnaître cette dignité. Ges attitudes sont quel- Quefois portées au point de rappeler certains oi- Seaux étalant fièrement leurs grâces, et l’on a pu dire, sans exagération, que les orgueilleux font la loue, remarque que les caricaturistes ont fort habilement exploitée. L'orgueil fait en général Sourire la bouche; mais ce sourire, dépourvu d'homogénéité, est légèrement répulsif, les coins. des lèvres sont insensiblement abaissés, et tous ces mouvements nous disent clairement qu’au Re roi SET CT TE D Re at RTS d 60 CONFÉRENCE moment même où se produit cette expression de dégustation satisfaite dont nous avons parlé, un sentiment de dédain des choses extérieures accom- pagne ce contentement intime; en un mot, l’or- gueilleux se déguste lui-même, mais il goûte peu les autres, et, quand ces mouvements se produi- sent sur une tête peu intelligente, ils apparaissent comme la forme naturelle d’une suprême sottise. Quand, au contraire, le visage est intelligent et beau, le tableau peut se modifier en quelques points; le sourire de la bouche est plus apparent que le dédain ; si alors l'œil consent à se diriger, à s’ar- rêter sur autrui, et si en même temps la tête s’in- cline un peu, ces modifications légères changeront les formes de l’orgueil simple en une expression de condescendance, et cette expression deviendra pour quelques personnes l’indice de la noblesse et de la dignité. Je pourrais retrouver aisément le dessin que j'ai essayé de tracer ici dans une foule de portraits du temps de Louis XIV. Mais si, au lieu de cette attention, qui exprime un commencement de bienveillance, des mouve- ments de légèreté sautillante et étourdie se mêlent aux mouvements qui racontent métaphoriquement une satisfaction intime de soi-même, il en résul- SUR LA PHYSIONOMIE. _61 tera une expression insupportable à tout homme de bon sens et de goût, celle de fatuité. Quel que soit le prestige que de semblables ex- Pressions puissent exercer sur l'opinion des pau- vres d'esprit qui abondent sur la terre; elles ne Méritent que le mépris du sage; quelle que soit l'idée que les modes attachent à ces formes de l'orgueil dans l’ opinion du vulgaire, ce fantôme S évanouira devant une physionomie forte, franche t bienveillante à la fois, exprimant, suivant le Principe chrétien, une estime des autres égale à Celle qu’on fait de soi-même. Forme visible d’une âme parfaite, cette physionomie est belle, au- dessus de toutes les autres; car la vraie, l’immor- telle beauté sur la terre n’est rien autre chose que la perfection de l’âme rendue sensible par la forme vivante. J'ai parlé des formes de l’orgueil ; mais, parmi les expressions mixtes, il en est de plus tristes en- Core, telles sont celles de l’envie. L’envie est le désir furieux d’une chose qu’on ne possède pas, désir mêlé de haine, eu égard à celui qui la pos- Sède, Haine et désir, y eût-il jamais d'association Plus discordante ? Mais, comme cette discorde in- üime est éloquemment exprimée ! Get œil ouvert, 4 62 CONFÉRENCE ardemment et symboliquement fixé sur l’idée de chose désirée, mais regardant de côté sous un sourcil contracté, foudroyant, pour ‘ainsi dire, celui qui la possède ; ce sourire, ébauché dans les joues, mais que démentent énergiquement ces mâchoires qui se contractent, ces narines et ces lèvres qui répudient; cette respiration agitée, symbole d’une souffrance, parfois horrible, qui dessèche les chairs, jaunit le teint et fait rétracter les mains crispées: tout cela ne raconte-t-il pas clairement ces tendances incompatibles de l'âme, troublant l’être dans ses profondeurs les plus in- times ? N’admirez-vous pas, Messieurs, cette harmonie qui lie naturellement le bonheur à la vertu et la souffrance aux passions mauvaises ? Je n’insisterai pas sur les expressions du rire faux : l'ironie est la gaieté de la haine; la moque- rie est celle du mépris. Signalons encore un autre exemple d'expres- sions mixtes, et décrivons la physionomie du trompeur. | Le trompeur agit évidemment sous la double influence d’un intérêt et d’un calcul. Il éprouve un sentiment et veut paraître en ressentir un autre SUR LA PHYSIONOMIE. 63 tout contraire. Un sentiment vrai, quel qu’il soit, à des expressions homogènes et franches: tous les Mouvements n’expriment alors qu'un même ins- tinct commun et tout spontané. Or, la simulation n'étant point instinctive, exige un certain degré d'attention. Mais l'attention est exclusive dans son objet ; elle peut, à la vérité, modifier les mouve- Ments d’un organe, mais ce que cet organe volon- tairement modifié indique alors est démenti par des expressions spontanées de tous les autres. Le trompeur regarde très-rarement en face; son legard est oblique, ou du moins voilé; s’il désire Une chose, il feint de s’en éloigner ; mais s’il s’é- loigne, en effet, une courbe savamment calculée l'y ramène. On dit fort bien un caractère droit, Un caractère tortueux; et, en elfet, les détermina- tions franches vont droit devant elles; le trompeur, au contraire, comme un renard qui s'approche d'un poulailler, ondule; il cherche à détourner l'attention de sa victime pour agir sans être vu, ni même soupçonné; il caresse d’une main, et Pendant qu’on croit à la caresse, il poignarde de l'autre, Boileau dit avec une noble indépendance : J'appelle un chat un chat, et Rollet un fripon. CONFÉRENCE Le langage du trompeur à d’autres allures. Il flatte celui qu'il veut dépouiller ; il parle d’abord le langage que, dans la fable du Renard et du Corbeau, La Fontaine attribue au renard, et quand sa ruse à réussi, il se moque de sa victime. Quand homme du peuple est l’objet de sollicitations doucereuses, sous lesquelles il croit trouver quel- que intérêt égoïste, il dit très-énergiquement : « Vous voulez m’entortiller ! » comme s’il devinait le serpent sous ces caresses; et, en effet, les re- gardes, la voix et le corps du trompeur ont des on- dulations félines : il est caressant, son regard vous endort, ses paroles vous flattent; il exerce sur vous cette fascination que l'opinion commune attribue au regard des reptiles. Mais, comédien maître en tout cela, il n’éblouira point un œil clairvoyant. En effet, son attention, je le répète, ne peut com- mander à la fois à tous les traits du corps et du visage. Ses mouvements sont lents, calculés. Il vous regarde de côté; de ce côté, la face vous sourit, l'œil à demi fermé. C’est l’œil du côté op- posé qui vous regarde, et, de ce côté, la narine soulevée se moque de vous. Parfois, les deux yeux vous considèrent; mais la bouche souriante man- que de symétrie; les ailes du nez vous dédai- SUR LA PHYSIONOMIE. 65 8nent. Tout cela ne vous dit-il pas clairement le Mépris du fripon pour l'homme qu'il veut trom- ber? Expression double de la physionomie : ca- resse volontaire, calculée, et mépris instinctif et réel, voilà ce que vous appelez du nom de duplicité. Je ne puis, Messieurs, multiplier ici les exem- Ples. Je dépasserais, avec la limite de votre atten- tion et de mes forces, les bornes d’une conférence. Mais j’en aurai assez dit, si j'ai pu vous faire com- Prendre que tous ces mouvements de la physiono- Mie, qu’ils soient employés dans un sens direct, Symbolique ou métaphorique, expriment de la fa- Son la plus simple et la plus naturelle les senti- Ments qui naissent des sensations, de l’imagina- ton et de l'intelligence. Permettez-moi de terminer i quelques re- Marques nécessaires. En premier-lieu, il rés ds tous les faits ue j'ai rappelés, que les sens, l'imagination et la * Pensée elle-même, si élevée, si abstraite qu’on la SUppose, ne peuvent s'exercer sans éveiller un , Sentiment corrélatif, et que ce sentiment se tra- SPhères des organes extérieurs, qui le racontent 15-24 " Re PR gi PES EI * duit directement, sympathiquement, symboli- | Juement ou métaphoriquement, dans toutes les | d 1 } { # 66 CONFÉRENCE tous, suivant leur mode d'action propre, comme si chacun d'eux avait été directement affecté. // 2° Cette proposition est incontestable; mais sa réciproque n’est pas moins vraie. En effet, les mouvements et les attitudes du corps, lors même qu'ils résulteraient de certaines causes fortuites, éveillent des sentiments corrélatifs, et, par leur intermédiaire , influent sur les mouvements de l'imagination et sur les tendances de l'âme elle- même. Je ne m’arrêterai point à démontrer cette vérité, que l'étude des phénomènes du sommeil et du somnambulisme a depuis longtemps mise hors de doute; mais j’en déduirai une conséquence utile : si de nos attitudes naissent des instincts, on comprendra combien la physiologie elle-même justifie l’importance que, chez les gens honnêtes, on attache aux bonnes manières ; les bonnes ma- nières sont les formes de la vertu, et celui qui, dès l'enfance, a contracté l’accent du bien, ne parlera jamais facilement le langage du mal. 3° De ce que nous venons d'indiquer, il résulte clairement que ces formes sont actives sur l’être qu’elles manifestent. Ajoutons qu’elles sont actives hors de lui. La vue de la joie inspire l’idée de la joie, et cette idée, s’emparant de l'âme, rend SUR LA PHYSIONOMIE. : 6 joyeux; la vue des expressions de la douleur im- pose une souffrance; elle opprime le cœur, qu’elle fait palpiter. Fait-on devant vous quelque effort prolongé, eomme ceux que la toux détermine, . Vous vous associez sympathiquement à cet effort. Les philosophes et les physiologistes ont, à l’envi les uns des autres, apporté des preuves merveil- leuses de ces sympathies. Malebranche raconte qu'une jeune servante, assistant un chirurgien Qui pratiquait une saignée au pied de son maître, ressentit au moment où la lancette piquait la peau Une douleur si aiguë à son propre pied, qu’elle ne : l'eût pas été davantage si on eût opéré sur elle- même, J'ai, moi-même, été témoin d’un cas pa- reil, Un jeune élève en droit, assistant pour la Première fois de sa vie à une opération légère (le Chirurgien excisait une petite tumeur à l'oreille d'un malade), ressentit au même instant une dou- leur si vive à l'oreille, qu'il y porta involontaire- Ment la main en poussant un cri. Ajoutez que l’in- justice que subit un autre homme vous révolte; et remarquez la perfection des langues : ces senti- ments, ces douleurs communiquées, je dirais presque contagieuses, s’appellent sympathie, com- Passion, souffrance avec, où miséré du cœur, mi- 68 CONFÉRENCE séricorde! Et, en effet, ces expressions de la dou- leur mordent le cœur; elles troublent les viscères, et c'est avec raison que, pour exprimer l’insensi- bilité morale d’un homme, on dit de lui qu’il n’a pas de cœur, qu’il n’a pas d’entrailles. Gette com- passion, cette charité s'adresse à tout ce qui souf- fre; elle s’éveille partout où la douleur crie; elle se manifeste par le succès toujours croissant de ces sociétés protectrices qui, à l'honneur de la ci- vilisation, font une guerre sainte à tous les arti- sans de la douleur. Grâce à ces expressions, grâce à ces sympathies divines, le sentiment de l'humanité s’éveille et protége le monde. L'animal n’est ému que par les choses présentes; mais l'intelligence n’a pas de limites, et les sympathies de l’homme embrassent l’univers ; et voilà comment, du nord au midi, de l’orient au couchant, du commencement à la fin de l’histoire, la force qui opprime, la force bru- tale est maudite, quand elle ne s’est pas faite la servante de l’éternelle justice. SUR LA PHYSIONOMIE. 69 Messieurs, En terminant cette conférence, trop longue sans doute, je devrais m’excuser d’avoir tenu si long- temps votre attention captive; mais votre bien- Veillance m'a encouragé. Grâce à elle, en vous | uittant, je pourrai peut-être, sans trop de pré- | L SOmption, emporter et caresser l’idée que les pro- Positions qui vous ont été soumises ont été goûtées Par votre intelligence. en —— DR arr nn De = Ge ne. A e si cs < 1e es É: TR AVERTISSEMENT Les mouvements dont la mimique de l'homme et des animaux se compose, ne réclament l'emploi ! d'aucun muscle spécial, d'aucun appareil particu- | lier. Ils se produisént comme les mouvements directs, et cela par les mêmes muscles, par les _Mêmes nerfs, par les mêmes vaisseaux. Ils ne diffèrent donc point d'avec ces mouvements d’une facon essentielle ; mais ils se manifestent dans des circonstances un peu différentes. Or, il m'a paru utile d'examiner de près cette classe de mouve- ments si intéressante et cependant si négligée, et de déterminer par des observations précises les règles qui président à leur enchaînement. J'ose Espérer qu’après avoir exposé ce résumé succinct - D] "4 AVERTISSEMENT. de mes recherches, je ne paraïtrai pas avoir perdu mon temps en études oiseuses. Il m’a semblé, en _effet, qu’en examinant avec soin ces questions difficiles, je touchais à l’une des sources premières du langage et par conséquent à l’un des sujets Les plus importants que l’histoire naturelle, la psycho- logie et la philosophie esthétique aient à consi- dérer. Ces raisons seules m’auraient encouragé à publier le résultat de mes observations. Mais un autre motif puissant m'y décide. Je ne pense point, en effet, qu’on puisse complétement refuser son attention à un sujet que les Lebrun, les Parson, les Buffon, les Engel, les Camper, les Spix, les Ch. Bell, n’ont point dédaigné d'examiner, et auquel un des plus illustres physiciens de notre siècle, M. Chevreul, a donné une importance scientifique toute nouvelle en montrant comment on le peut soumettre au criterium de la méthode expérimentale. PDE. LA. PHXSIONOMLIE ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION PREMIÈRE PARTIE. DES MOUVEMENTS PÉRIPHÉRIQUES CONSIDÉRÉS D'UNE MANIÈRE GÉNÉRALE. L. — L'observation oblige de distinguer quatre Sortes de mouvements périphériques, à savoir : 1° Des mouvements organiques. Ges mouve- _Ments liés en général aux mouvements intérieurs des viscères, ont essentiellement pour siége les trames celluleuses et vasculaires ; telles sont les : lougeurs et les päleurs subites: telles sont ces Constrictions du derme d’où naît le phénomène Connu sous le nom de chair de poule. 2° Des mouvements musculaires. Ces mouve- # RS du: + | ne DID RP EN ETON OMMEE ments, essentiellement actifs, ne sont pas tous également soumis à l'empire de la volonté. Ils modifient la surface du corps vivant en deux ma- nières : premièrement en changeant les attitudes des muscles et des parties mobiles ; secondement, en déterminant dans les parties contractées des dépressions et des saillies plus ou moins considé- rables, dues au jeu des faisceaux musculaires. 30 Des mouvements consécutifs. Ges mouve- ments se produisent dans certaines parties, à l’occasion d’une contraction qui a lieu dans lès parties voisines. Ces mouvements sont surtout manifestes dans les parties de la peau soumises à l’action des muscles peaussiers. k° Enfin, des mouvements passifs, aboutissant à des attitudes passives. C'est ainsi qu'un muscle paralysé retombe et pend. Ces mouvements ne sont point dus à une action vitale, ils dépendent de causes extérieures agissant sur des parties inertes. $ Tous ces mouvements ont des caractères bien tranchés qu’il importe de distinguer avec soin, et que les peintres qui visent à l'expression ne sau- raient trop étudier. He DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. eu À DES MOUVEMENTS ORGANIQUES. IE. — Les mouvements organiques qui ont pour Siège les trames superficielles comprennent tous les changements qui ont lieu : a — dans la coloration de Ia peau; b— dans son état d'expansion ou de con- striction. c — dans sa température : d — dans celles de ses fonctions qui sont relatives à l'absorption et à l’exhala- tion. Plusieurs causes peuvent influer puissamment Sur la production de ces mouvements. Parmi ces Caûses, les unes se rapportent à l’action du Cœur et des organes respiratoires; d’autres aux Modifications que les viscères abdominaux éprou- vent. D'autres enfin se rattachent aux influences Que le système nerveux exerce directement sur tous les organes. Ces choses se produisent avec Œuelque confusion. Je m’eflorcerai de les exposer avec toute la clarté dont le sujet est susceptible, 78 DE. HA PHYSLONOMIE Des changements qui surviennent dans la coloralion de la peau. HIT. — Ces changements sont trop connus dans l'espèce humaine pour qu'il soit nécessaire d'y insister beaucoup. Les plus habituels amènent de simples alternatives de rougeur et de pâleur. La rougeur peut présenter des teintes variées. Tantôt elle est pure et rutilante : c’est la rougeur ärté- rielle; tantôt elle est mélangée d’une certaine quantité de noir ou de bleu, et peut passer au pourpre, au violet, et même au bleu obscur : c’est la rougeur veineuse. I y à aussi plusieurs sortes de pâleur. Cest ainsi que nous distinguons la pâleur simple, la pâleur livide, la pâleur ver- dâtre, etc. On observe aussi quelquefois la teinte ictérique ; l'ictère peut se produire d’une façon subite, sous l'influence de certaines passions; sous ce point de vue, on peut le compter au nombre des mani- festations physionomiques. De la rougeur et de la pâleur en tant qu'elles sont liées au mouvement du cœur, du thorax et des poumons. IV. — Toutes les causes qui, sans altérer le rhythme et l'harmonie des mouvements du cœur, ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 9 en accélèrent la marche, favorisent la circulation du sang. Des courants plus riches parcourent alors les réseaux capillaires, et font prédominer à la Superficie de la peau la couleur vive du sang ar- tériel, Cette rougeur légère ne se répand point uniformément sur toute la surface du corps. Dans l'homme blanc, elle colore surtout le visage, où elle peint plus particulièrement les lèvres, les joues, et jusqu’à un certain point les conjonctives Palpébrales. Rien de semblable ne se produit chez les animaux mammifères, même les plus élevés, et pour retrouver quelque chose d’analogue, il faut arriver aux oiseaux dont la tête est ornée de ca- roncules. Mais si la cause de la rougeur est la! /° Vers même, quelle différence dans les effets ! qu’il y ; à loin de ces tuméfactions presque variqueuses à Y 47“ Cette expansion douce, à ces teintes harmonieuses qui sont à juste titre pour les peintres et les Poëtes le symbole de l'épanouissement et de la vie ! V. — L'apparition des teintes violettes sur al face tient à un obstacle quelconque apporté à la Circulation veineuse. C’est ainsi que, dans le cas d’un rétrécissement des orifices auriculo-ventri- | Culaires, les veines se déchargeant difficilement D aug 80 é DB A CRE FINRS ON VOTRE de leur contenu, le sang veineux s’accumule dans les réseaux cutanés, et donne à la peau une teinte violacée, souvent accompagnée d’une turgescence presque effrayante. Le même effet pourrait évi- demment résulter d’un rétrécissement de l’orifice artériel du cœur droit. VI. — Cette congestion veineuse est moins im- minente lorsque les lésions pathologiques, occu- pant l’orifice aortique, diminuent l'effet général qui résulte sur la masse du sang de la force im- pulsive du cœur. La pâleur est la conséquence ordinaire des rétrécissements qui ont pour siége l'orifice aortique. Une hypertrophie concentrique du cœur gauche, en oblitérant en partie la cavité du ventricule, aurait évidemment un effet ana- logue. Mais cette lésion, si elle existe, est fort rare, et d’habiles médecins se refusent à l’admettre. La pâleur qui accompagne les états asthéni- ques du cœur est un phénomène facile à expli- quer. Je crois inutile d'y insister, car les faits pathologiques ne sont point mon objet essentiel. Toutefois je ne pouvais absolument les négliger. Ils nous fournissent, en effet, les seulesbases réelles sur lesquelles peut être appuyée la démonstration de la proposition suivante : ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. sl Les symptômes généraux qu'améne une lésion du cœur peuvent résulier aussi d'une affection Spasmodique, qui, exagérant, affaiblissant, trou- blant les mouvements du cœur, précipite ou ralen- Lil les mouvements du sang, et par les convulsions qu'elle détermine crée, dans certains cas, des ob- Slacles réels à la circulation artérielle et veineuse. VII, — Cetté proposition, presque évidente par elle-même, peut être décomposée en quelques Propositions secondaires. 1° Une excitation légère, éveillant plus vivement les mouvements du cœur, rend la circulation plus rapide et colore le visage d’une rougeur arté- rielle. | 2° Une modification nerveuse, qui détermine \ l’affaiblissement ou la paralysie momentanée du Cœur, ralentit ou suspend le mouvement général du sang, et amène une pâleur nécessaire. 3° Un spasme du cœur, qui, n’empêchant point les mouvements du ventricule gauche, fait néan- . Moins obstacle au retour du sang veineux, amène la rougeur violette de la peau et particulièrement du visage. 4° Si une contraction tétanique rend le cœur immobile; si le rhythme de ses mouvements se 13, DE LA PHYSIONOMIE ralentit par excès d'énergie convulsive, les mou- vements du sang deviennent plus lents dans toute l'étendue du système vasculaire, et la surface en- tière du corps pâlit. VII. —— Les mouvements du thorax ont sur le . phénomène de la circulation une influence directe que l'expérience peut aisément constater. A. Une inspiration longtemps prolongée amène une congestion veineuse qui colore plus particuliè- rement la face et le cou. En effet, l'inspiration favorise l’entrée du sang dans le cœur, mais par cela même elle porte en un certain degré obstacle à sa sortie. Si donc l'in- spiration se prolonge, il vient, en somme, aux oreillettes plus de sang qu’il n’en sort des ventri- cules. Le sang s’accumule en conséquence dans les cavités veineuses, et donne aux parties les plus voisines des troncs veineux principaux et du cœur une teinte plus ou moins violette. B. Un mouvement d'expiration trop longtemps prolongé amène rapidement, avec la congestion veineuse, une cyanose plus où moins générale. En effet, l'expiration favorise l'émission du ang artériel ; mais en cela même qu’elle favorise les mouvements centrifuges, elle doit porter obstacle DA TU D CRÉES UN CSS RER ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 83 aux mouvements centripètes. Le sang noir s’accu- _ mule donc dans le système veineux et le distend plus ou moins. GC. Si le mouvement d'expiration est anormale- Ment combiné avec le mouvement d'inspiration, la congestion sanguine est portée à son comble, etes hémorrhagies sont imminentes. Cette proposition générale comprend deux cir- Constances distinctes. 1° Le thorax étant maintenu . l'attitude de l'inspiration, les muscles font effort pour expirer. Ce mouvement est l'effort (nisus). Il se produit toutes les fois que, dansle but de résister, le corps se dispose à produire des mouvements énergiques et durables. 20 Le thorax étant maintenu dans l'attitude de l'expiration pax une contraction spasmodique ou par une paralysie de la glotte, les muscles font efort pour inspirer. Get état est l'angoisse (an- gor). I se produit dans un grand nombre d’affec- tions convulsives, lorsqu'à la suite d’une expira- tion poussée à l'extrême, la constriction ou l’af- faissement du larynx portent obstacle à l’intro- duction de l'air appelé par le thorax, | La face devient pourpre et même violette dans d nl F u nil 4 iU © CH a} 14 t ‘Oil | dl ; | | ER paaneqe er VER, 81 DE LA PHYSIONOMIE l'effort et dans l'angoisse. Cette congestion s'étend, dans certains cas, aux veines du cou, de la poi- trine et des bras. L’habitude de l'effort amène, à la longue, la dilatation des veines des membres inférieurs. Je n’insisterai pas davantage sur cette proposition que l'observation et l'expérience dé- montrent également. , D. Si les mouvements d'inspiration et d'expi- ration se succèdent avec rapidité, en telle sorte que la respiration soit simplement accélérée, le mouvement de la circulation devient alors actif, et la peau se couvre de teintes plus vives dues à l’a- bondance du sang artériel. Gette proposition est évidente par elle-même. En effet, l'inspiration appelle le sang vers le cœur; l'expiration favorise, au contraire,’ son émission. Cette double action, venant en aide aux mouve- ments du cœur, doit rendre la circulation plus active, ce que l'observation démontre. Lorsque l'alternative des mouvements respira- toires est seulement accélérée, comme cela a lieu après une course rapide, elle prend le nom d’es- soufflement (anhelitus). Ge mot est impropre : je propose de lui substituer celui d'ocypnée. L'ocy- pnée n’est point l’essoufflement, mais elle lui suc- LS ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 85 cède en général, etson but est de rétablir la circu- lation embarrassée après une suite d'efforts avec lesquels les mouvements respiratoires n’ont pas été habilement combinés. IX. — Dans certains cas, l'accélération des Mouvements respiratoires prend une forme con- Vülsive. La poitrine et le diaphragme, étant alors maintenus dans l'attitude de l'inspiration, réa- Sissent par une sorte d’élasticité active contre de Petits mouvements expirateurs se succédant en | Saccades précipitées ; en sorte qu’à une inspiration Pérpétuelle sont opposées de petites expirations très-rapprochées l’une de l autre, mais dont aucune d'est complète. Cet état est le rêre (cackinnus). Il se compose d'une suite de petits chocs qui agissent brusque- Ment, ont sur l’ensemble de la circulation un eflet ExCitant que ne produisent point au même degré. les mouvements respiratoires uniformes, et ré- Veillent la circulation paresseuse, Les heureux ellets du rire sont assez connus surtout dans les affections par obstruction, où la congestion vei- ñéuse est imminente, Aussi dit-on fort exactement que le rire désopile. Je parte ici du rire normal : “a ellet, lorsque les expirations saccadées du rire 86 | DE LA PHYSIONOMIE se succèdent sans interruption, en sorte qu'il n'y a plus de place pour les mouvements antagonistes, le rire aboutit aux mêmes eflets qu’une expiration excessive, et, loin de favoriser la circulation, il peut, au contraire, amener une congestion dan- gereuse. X. — Le contact, et si j'ose le dire ainsi, le mélange de l'air et du sang étant le but de la cir- culation, | peut arriver que certains troubles arrivent dans la circulation, non de quelque ob- stacle apporté au jeu du thorax où du cœur, inais de la constitution du poumon lui-même. Ainsi la respiration est incomplète et difficile : 4° Toutes les fois que l'étendue des surfaces respiratoires est insuffisante, eu égard à la masse el à la vitesse du sang qui les parcourt ; 20 Dans tous les cas où, la rétractilité des vési- cules pulmonaires étant affaiblie, elles ne se vident pas complétement à chaque inspiration de l'air altéré qu’elles contiennent. Le premier cas est souvent un résultat de la pléthore. C’est ainsi qu’il arrive aux hommes très- sanguins d’éprouver des essoufflements qu'une saignée fait cesser aussitôt, Il se produit par une raison opposée dans l’emphysème pulmonaire et — rentre mimi Re ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 87 dans l anomalie assez fréquente qui consiste dans une insuffisance naturelle du poumon. Le second cas, d'après des expériences très- précises de M. Longet, a lieu toutes les fois qu'une lésion des pneumogastriques détruit ou diminue l influence nécessaire de ces nerfs sur la respira- tion. Or, quelle que soit la raison anatomique de cette insuflisance, elle ne peut porter aucun obstacle aux mouvements du thorax. L'inspiration et l'expiration peuvent se succéder en toute li- berté. De plus, dans l'hypothèse d’une lésion bornée au poumon, aucune raison directe ne S'Op- Pose aux mouvements du sang veineux dans le Cœur; ainsi les causes de congestion veineuse que Nous avons signalées plus haut, ne se retrouvent Point ici. Mais dans l'emphysème pulmonaire, et même dans le cas d’insuffisance naturelle du poumon, le Système capillaire de cet organe n'ayant point une étendue proportionnée à la force du cœur , le sang que le cœur chasse au travers des réseaux pulmo- haires, tend à les distendre et à les traverser avec Une trop grande vitesse. Et ces conditions sont défavorables : en effet, l'oxygénation complète du ES M Fa qe s Ed : ] DE LA PHYSIONOMIE sang dans le poumon suppose une division pous- sée aussi loin que possible des courants sanguins qui se répandent sur les surfaces respirantes, et, en second lieu, un contact de l’air et du sang as- sez prolongé pour que la saturation soit parfaite. Or, ces deux conditions fondamentales ne peu- vent être ici remplies : en effet, les réseaux pul- monaires offrant au sang chassé par le cœur une étendue trop restreinte, il n’y perd point l'excès de sa vitesse acquise, et en même temps qu'il les parcourt trop rapidement, il tend à les distendre et les dilate quelquefois jusqu'à la rupture. Dans le second cas, les circonstances sont plus défavorables encore, puisque, la quantité d’air pur introduit dans le poumon diminuant à chaque in- spiration nouvelle, la transformation üu sang veineux en sang artériel devient de plus en plus incomplète, si bien que de part et d'autre des phénomènes généraux d'asphyxie se développent lentement. Dès lors, le sang du cœur gauche, moins oxygé- né, moins excitant, ne porte plus dans les tissus la vivacité de ses couleurs rutilantes. Il ny a nulle part de congestion marquée, mais la produc- tion de la chaleur animale devient moins active, ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 89 a l'expansion vitale s’aflaisse, et, le sang laissant Percer au travers de la peau sa teinte violette, les tissus superficiels prennent une couleur livide et grisâtre. En même temps, les inspirations précipi- iées et profondes auxquelles l’état général du sang sollicite, faisant fréquemment le vide dans les veines, la pâleur de la face en est augmentée. Tous ces phénomènes sont surtout marqués dans l'espèce humaine et plus particulièrement dans la race blanche. Chez les animaux mammi- fères, les causes que nous avons mentionnées n’a- gissent d’une manière sensible que sur les con- _ jonctives ou la muqueuse orale. De la rougeur et de lu pâleur en tant qu’elles dépendent de l'influence des nerfs sur les éléments de lu peau. XI. — Le cœur est, à coup sûr, le moteur prin- Cipal du sang. Mais à son action s'unissent beau- Coup d'actions accessoires, dont les unes aident à la circulation, tandis que les autres lui nuisent plus Où moins, Parmi ces causes, nous avons déjà parlé des mouvements respiratoires. Mais ces mouve- Ments sont-ils les seuls qui puissent influer sur la Coloration de la peau par le sang? Je ne le pense pas. | Dar OST EN "JS pe ee nee ere É — —— Cr te F RTE —] Fe pare qu 2. en Po ne no Une PRES. ” DE LA PHYSIONOMIE Et en effet, il est des gens qui ne rougissent ja- mais ; on peut rougir d'un seul côté seulement; en outre, tous les tissus ne se prêtent pas également à la turgescence. En un mot, s’il y a dans ces effets une part qu'on peut rapporter au cœur et au thorax, il en est une autre qu’on ne saurait refuser à l’action des tissus où le sang s’épanche. XIT, — C'est ainsi qu’il faut tenir compte des tissus cutanés et de l’élasticité qui leur est propre. Cette élasticité, qu’on peut considérer comme une force antagoniste à la force expulsive du cœur, influe singulièrement sur la circulation. Dans le cas où l’action du cœur languit, elle repousse le sang, le chasse des réseaux capillaires et concourt singulièrement à la production de la pâleur. Dans les circonstances normales, elle est aux réseaux capillaires ce qu'est aux artères l’élasticité de leur tunique fibreuse. et ses réactions salutaires favo- risent la circulation dans les tissus cutanés. Nous ne pouvons considérer cette force comme une propriété invariable du tissu dermoïde. Elle peut agir, en elet, d’une façon très-différente, la force impulsive du cœur demeurant d’ailleurs la même. C’est ainsi qu'une douce chaleur semble affaiblir la rétractilité du derme vivant. L’élasticité ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 91 des tissus lutte alors d’une façon moins énergique contre les mouvements expansifs du sang, et ils se laissent pénétrer par les courants artériels. L'application du froid rend, au contraire, cette ré- | tractilité plus manifeste et détermine la COITuga- tion des tissus. Cette observation bien simple, et tirée d'actions extérieures, nous donne la clef de certains phénomènes produits par une action toute nerveuse en apparence. XIII. — La chaleur qui pénètre un membre vivant ne dépend pas seulement du degré de la température ambiante, loin de la; cette chaleur résulte surtout d'une cause intérieure qui se ma- nifeste partout où le mouvement de la vie com- pose et décompose les matières sur lesquelles son activité s'exerce. ; Gette activité est sous la dépendance nécessaire et immédiate du système nerveux. Ainsi, quand l’action des nerfs favorise le mouvement de la vie, une chaleur douce s'engendre dans les parties, Surgit de leurs profondeurs les plus intimes, et layonne en quelque sorte de toutes leurs molé- Cules, Mais supposons que l’action des nerfs languisse, le Mouvement vital se ralentit ou s’arrête, la pro- 92 DE A PA ON NIET duction de la chaleur immédiate est diminuée et même suspendue, et les parties subissent un refroidissement d'autant plus général, que les causes qui le produisent agissent sur les troncs nerveux eux-mêmes. Cette chaleur et ce froid de cause interne ont des effets pareils à ceux que détermine la tempé- rature ambiante. La chaleur vitale dilate les tis- sus, le refroidissement intérieur les resserre, et cette corrugation adynamique que la force répul- sive des vaisseaux ne peut plus combattre, s’op- posant à la pénétration du sang dans les tissus, toute circulation peut finir par $ y arrêter ; comme cela arrive quelquefois aux extrémités digitales des sujets affaiblis, et comme on le voit pendant l'hiver dans les membranes nalatoires des gre- nouilles engourdies par le froid. Le froid de cause interne a donc sur l'organisme entier les mêmes effets que le froid de cause extérieure. Dès lors, si les causes morales modifient pro- fondément le système nerveux, si les unes excitent au plus haut point sa force intérieure, tandis que d’autres la paralysent, pourquoi s’étonnerait-on \ de l'influence que les passions exercent sur les tis- /sus cutanés dont elles font palpiter la surface? ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 93 Mais à quels nerfs attribuer plus particulièrement celte influence? C’est là une question ardue et à peu près insoluble dans l’état actuel de la physio- logie. Les hypothèses de Dugès sur ce point, quel- que ingénieuses qu’elles paraissent, ne résolvent point cette grande difficulté. XIV. — Les mouvements du cœur, du thorax, du poumon, la qualité du sang, la rétractilité des tissus, l’excitabilité des nerfs, ne sont pas les seules causes qui puissent influer sur la coloration de la peau; les mouvements des viscères abdominaux ont aussi sur cette coloration une grande influence. On connaît la couleur jaune des ictériques:; en général, les affections abdominales amènent dans la coloration de la peau des modifications sen- sibles. Ces modifications surviennent le plus sou- vent d’une manière lente. Mais dans certains cas, elles se manifestent subitement. Nous reviendrons dans un moment sur ces choses. Ainsi l’organisme entier tient les réseaux san- guins et les trames de la peau sous sa dépen- dance. Ces systèmes différents en apparence, mais liés irrévocablement l’un à l’autre sous l'empire d’une harmonie nécessaire, font retentir ainsi à la surface du corps un écho de leurs plus secrètes ( t E 12 1. { Ê que | l as ve “ 7 La * Cm T7 2 -cffipte . = é ooé re cé dan à rénns ns Ê | 4! 4: El | UE D 20 phau 22 94 DE ELA PHYSIONOMEE commotions! Or, comme il est dans l’ordre de la nature que l'être social le plus intelligent soit aussi le plus intelligible, cette faculté de rougeur et de pâleur qui distingue l’homme, est un signe naturel de sa haute perfectiond et sous ce point de vue, l’homme blanc nous paraîtra réaliser une beauté plus grande que l’homme nègre, chez lequel ces rayonnements de l'intelligence et de la vie sont, si je l’ose dire ainsi, voilés et obscurcis. Des mouvements d'expansion et de constriction. XV. — Après ce que nous venons de dire sur les causes des mouvements du sang, nous aurions peu de chose à ajouter : en effet, ces mouvements de constriction ou d'expansion reconnaissent les mêmes causes, ou déterminent des effets ana- logues. Ainsi, l'expansion de la peau se lie en gé- néral à une coloration sanguine plus vive; sa constriction à la pâleur. La première est accom- pagnée d’uüne véritable turgescence, la seconde amaigrit les traits, qui se rétractent en quelqué sorte. Ge que nous avons dit (art. XI), nous dis- pense d’insister sur ce point; "# a A Sue, ne LT DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 95 D Des variations qui modifient la lempéralure des organes. XVI. — Ces variations se présentent sous l’in- fluence combinée de la rétractilité des tissus, du : Mouvement nerveux et du mouvement circula- toire. Partout où la vie languit, la température S'abaisse. Toutes les causes qui exaltent la vice . déterminent, au contraire, une production de cha- leur plus rapide. Ainsi ces trois choses: rougeur, Xpansion, chaleur, sont-elles à tel point paral- lèles qu’elles sont presque synonymes. Des changements qui modifient ou altérent ; les sécrétions. XVII. — Ces changements à chaque instant COnstatés sont néanmoins mal connus. Mille causes Concourent à les produire. Je me bornerai à à Tap- Peler ici les plus générales. Je crois utile de dis- tinguer cet article en deux parties. Dans l’une, je l'aiterai des sécrétions proprement dites, et dans l'autre, des transsudations. | T° Des sécrétions. L'histoire des modifications ue les sécrétions peuvent subir se résume, au Point de vue des recherches que nous poursuivons; cu quelques propositions très-générales. f ij M: M RS SR dr Eds di TS TT PISE EE + rer DE LA PHYSIONOMIE _—— A. Une trop grande rapidité dans le mouvc- ment du sang nuit à l’accomplissement de la sé- crélion. Gette proposition est rendue probable : 4° par l'induction anatomique; puisque la nature, en donnant aux glandes les plus importantes des ar- tères très-flexueuses, semble indiquer que le sang y doit ralentir son cours; 90 Par les faits pathologiques : en ellet, dans les vives ardeurs de la fièvre, quand le sang, solli- cité par les contractions accélérées du cœur, court avec une rapidité furieuse, les sécrétions sont pour quelque temps supprimées. B. Si le sang, mu sous une pression très-forle, circule néanmoins avec leñteur dans un organe de sécrétion par suite de quelque obstacle apporté à la circulation veineuse, les réseaux capillaires s0 gonflent, et la partie congestionnée devient le siége d’une sécrétion très-aclive. C'est ainsi que, suivant une belle remarque de Fodera, la sécrétion de la salive devient plus ac- tive après la ligature de la veine jugulaire. Une simple pression exercée autour du cou fait couler en plus grande abondance la sueur*du front el des joues. De même l’ellort, en congestionnant 10 ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 37 Système veineux tout entier, détermine une trans- Piration abondante. C. Les sécrétions sont appauvries quand le Sang arrive aux organes d'un mouvement trop lent et sous une pression trop faible. Gette proposition est démontrée par les phéno- mênes qui surviennent dans les cas de débilité du Cœur et dans l’anémie. D. Une douce chaleur favorise les sécrétions ; un froid trop intense les supprime. Il semble superflu d’insister sur cette proposi- tion. Elle est vraie, quelle que soit la source de la Chaleur et la cause du refroidissement. (Voyez art, XIII). Le E. St, au moment où une sécrétion s'opère, une cause quelconque s'oppose à l’excrétion des choses Sécrétées ; si, de plus, un spasme des conduits ex- Créteurs comprime les liquides contenus, le mou- vement de la sécrétion est suspendu, et les. élé- Ments déjà séparés du sang tendent à rentrer dans le torrent de la circulation. Nous rappellerons à ce sujet : 1° les métastases ; 2 les suffusions, telles. que celle de bile ou d'urine. F. SŸ des excitations directes sont portées sur G D ed _ SAT eafi « ph te ce eh “oi le D ox" FRA hi dde dép vu “à PR Un : oo 98 DE LA PHYSIONOMIE un organe sécréleur ou sur ses conduits, en telle sorte que la sensation de cet organe devienne plus distincte, la sécrétion est déterminée, el si elle avait déjà commencé, elle est sensiblement augmentée. C’est ainsi que la mulsion détermine les ma-. melles des animaux à sécréter davantage. Lorsque la source du lait paraît s’épuiser, les jeunes Tü- minants excitent à coups de tête la mamelle avare. De même des frictions légères sur la peau favori- sent son activité et déterminent des transpirations abondantes. G. Si l'âme devient attentive à un organe sécré- teur de manière à le distinguer plus particulié- rement au milieu des sensations générales qui naissent de l'organisme entier, celle attention de l'âme détermine une sécrétion plus active. Cette proposition est la conséquence d'une autre proposition beaucoup plus générale sur la“ quelle nous aurons à revenir plus tard, et ne s'applique d’une manière évidente qu'à un où deux organes sécréteurs. H. Les sécrélions s opérent sous Tr influence di système nerveux tout entier el dépendent de toutes les causes qui peuvent exalter, affaiblir ou per- vertir l'action nerveuse; ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 1970) LE Une multitude d'observations que tout le monde a pu faire et des expériences nombreuses dé- montrent cette proposition. On sait en particulier | l'influence singulière que les troubles apportés | dans le système nerveux exercent sur la sécrétion _ des mamelles, des glandes salivaires, etc. Les phénomènes qui surviennent alors du côté des glandes ne sont point une conséquence des modifications que les actions nerveuses déter- minent dans l’état des gros vaisseaux et du cœur. Ils paraissent, au contraire, résulter d’une action directe et locale. Un homme, dont la moelle épi- nière avait été tranchée par un coup de feu au-des- _Sus de la sixième vertèbre dorsale, ne transpirait plus que par les parties supérieures au point lésé. Dans un autre cas, le malade, soumis aux consé- Œuences d’une commotion cérébrale, ne transpirait plus que d’un seul côté de la tête, en sorte que cette transpiration était exactement limitée par la ligne médiane. La sécrétion de la salive est l’une de celles qui subissent le plus évidemment cette influence. Les larmes sont dans le même cas. On sait, en effet, - vec quelle abondance elles coulent dans la réso- lution des accès hystériques. 11 ne serait pas sans net DEN A PH YSION ONE intérêt d'examiner avec soin les sensations locales qui précèdent et accompagnent le moment de leur production. Malheureusement, cet examen est dif- ficile dans beaucoup de cas. On ne peut faire de pareilles observations que sur soi-même, et dans : le cas où les larmes coulent spontanément; qu'elles soient déterminées par la tristesse ou par la joie, on a rarement assez de puissance sur soi-même pour analyser les circonstances fort délicates où elles se produisent. Si ma mémoire, en me rappe- lant l'époque de ma vie où je pleurais, ne me {rompe pas, les larmes sont toujours précédées d'une sensation analogue à celle que léblouisse- _ ment détermine. Aussi suis-]e fort por té à penser que ces larmes de la tristesse et de la joie résultent des irradiations réflexes qui parcourent la cin- quième paire, dont les connexions avec le système viscéral sont si étendues. Je ferai remarquer, au surplus, que les mêmes causes qui déterminent l'éruption des larmes augmentent en même temps l'énergie de la sécrétion salivaire, et j'ajouterais des sécrétions nasales, si leur augmentation ne pouvait être attribuée à l’action directe des larmes que versent les voies lacrymales sur la muqueuse olfactive, tm TR ENERN ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 101 On peut résumer ainsi ces choses : (a) une eæci- lation trop grande, une faiblesse poussée jusqu'à la paralysie des organes de la circulation, ta- rissent les sécrétions. De même une douce chaleur les favorise, un froid trop intense les supprime. (b) Dans tous les cas où le mouvement centri- l uge des artères prédomine sur le mouvement centripète des veines, les sécrétions sont à la fois plus rapides et plus abondantes. _(c) Une excitation locale portée sur un organe Sécréleur rend la sécrétion plus active. Une exci- lation directe ou sympathique amène des résuliats analogues. à 2 Des transsudations. Il est nécessaire de dis- tinguer avec soin les transsudations d’avec les sécrétions vraies. (a). Les sécrétions sont essentiellement actives; elles exigent pour se produire l'intervention de la Puissance nerveuse. De plus, chaque organe, dans l'état normal, a ses affinités électives; autre, en effet, est la matière de la sueur et de l'urine, autre est celle des larmes, de la salive, du suc pancréa- tique ou de la bile; les glandes ne sont point de Simples filtres retenant certains éléments du sang : 86 laissant passer les autres : ce sont des filtres ac-- 6, ; } 102 DE LA PHYSIONOMIR ‘tifs qui séparent, il est vrai, certains éléments du sang, mais modifienten même temps les substances. séparées pour en faire des composés ou du moins des mélanges nouveaux. Or, il n'y a rien de sem- blable dans les transsudations. (b). En effet, les transsudations se produisent quand la vie nerveuse s'éteint, quand les vraies sécrétions sont taries. Elles ne modifient point les matériaux du sang, dont les principes les plus ténus s’échappent alors au travers des trames cel- luleuses, et qu’on voit s’écouler parfois avec une rapidité effrayante soit de l'intestin, soit de la peau. C’est ce qu'on observe en particulier chez les malheureux atteints du choléra asiatique. La sueur froide des mourants ne paraît pas être autre chose. Les transsudations se produisant quand les sé- crétions sont taries, elles ne paraîtront pas dé- pendre des mêmes causes. Les sécrétions sont, chez les animaux mammifères, accompagnées de cha- leur; la matière des transsudations périphériques est glacée. Les sécrétions sont liées d’une manière intime au phénomène de la circulation et au mou- vement général de la vie; les transsudations appa- raissent, au contraire, quand les mouvements du D + ut ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 163 cœur semblent près de s’éteindre, quand le froid de la mort envahit les membres deveñus insen- sibles. | (c). Cependant les transsudations ne peuvent . être considérées comme un phénomène absolu- ment passif résultant de l’extinction absolue de la vie; après la mort absolue, la transsudation s’ar- rête : un reste de vie ou du moins un reste de tonicité est donc une condition indispensable à sa production. Essayons d'expliquer ces #0 Quand la force vitale se dissipe, le cœur cessant de battre, la tunique élastique des artères réagit sans obstacles; le derme se rétracte et les réseaux capillaires se vident dans les veines du sang qu'ils contenaient; les veines s’enflent alors. Elles s’élar- gissent à mesure que le sang se refroidit, et la Séparation du caillot et du sérum commence. Gette expression vulgaire, que le sang se fige dans les veines, n’est donc point une simple métaphore. Lorsque, pendant l'hiver, j'essayais d'observer la circulation sur des grenouilles engourdies par le froid, je trouvais les globules déformés et le sang Coagulé dans les réseaux des membranes interdi- gitales, TRE RS PP Sr RS CPE LS NN in Se DE LA PHYSIONOMIE Or, quand ces phénomènes se produisent, la transsudation commence. Elle vient, en un mot, quand la circulation s'arrête, quand le froid de là mort envahit les parties, quand les tissus der- moïdes se resserrent. Dès lors, ne pourrait-on pas la considérer comme un dernier effort des tissus expulsant les parties les plus ténues d’un sang refroidi et rendu immobile par l'angoisse, la syn- cope et la mort? Je ne me dissimule pas toutes les difficultés que cette question soulève, et combien ces explica- tions laissent de lacunes dans l'histoire de ces phénomènes compliqués. Quoi qu'il en soit, il est certain qu’ils se rattachent aux derniers mouve- ments d’une vie qui s'éteint, de vaisseaux qui meurent : aussi les sueurs froides sont-elles, dans les maladies, du plus mauvais augure. Sudores RP ES frigidi, cum acula febre, morlem; cum mitiori, Le. ET di 3 | D 1} Le È A y et Li. & FL longitudinem morbi significant. (Aph. Hipp., sect. IV, 35.) f7 Or, je n’hésite point à croire que, pareilles aux re 2 sueurs de l’agonie, les sueurs froides qui glacent = — dans l’épouvante, dans l'horreur portée à son comble, dépendent d’une suspension de la circu- lation, à laquelle s'ajoutent d’autres effets résultant ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 105 d’un anéantissement momentané de l'influence” nerveuse. Et en effet, elles accompagnent fré- quemment la syncope, qui est une mort apparente, et qui précède toujours la mort réelle. 3° De la nutrition. Une analogie remarquable rapproche les phénomènes de nutrition des sé- crétions proprement dites : aussi convient-il d’en dire ici quelques mots. Plusieurs causes, au jugement de tous les phy- siologistes, influent sur l’ensemble des mouve- ments nutritifs. Les unes dépendent du jeu de l'appareil circulatoire, d’autres se rattachent aux actes préliminaires et aux phénomènes intimes de la respiration, l'état légitime du poumon, du système vasculaire et du sang étant la condition nécessaire d’une nutrition normale. Je n’insisterai point sur ces choses. Elles trou- vent plus naturellement leur place dans un traité de physiologie générale. Mais il paraît indispen- sable de dire ici quelques mots de l'influence que le système nerveux exerce sur l’ensemble des actes nutritifs, ce point ayant avec notre objet un rapport immédiat. À. Le systéme nerveux influe sur l'ensemble des fonctions intéstinales, : A | UE (l! | {| à ! Ÿ à | 106 DE LA PHYSIONOMIE Cette influence s'exerce d’une doublé manière, à savoir : en supprimant, diminuant, exagérant ou altérant les sécrétions intestinales ; et en second lieu, en modifiant la contractilité des couches mus- culaires de l'intestin ou même en les supprimant tout à fait. C’est ainsi qu'une émotion nerveuse supprime la digestion, tarit ou sollicite avec excès les sécré- tions intestinales et souvent détermine dans l’in- testin tout entier des spasmés convulsifs. Nous croyons inutile d’insister sur ces faits, que nous avons suffisamment exposés tout à l’heure et qu'une observation vulgaire oblige à admettre. B. Le système nerveux n'influe pas seulement sur Les actes digestifs, mais il tient sous sa dé- pendance le mouvement de nutrilion qui renou-. velle incessamment les parties vivantes. Tous les auteurs ne sont pas d'accord touchant la part d'influence qu'ils attribuent au système nerveux sur les phénomènes intimes de la nutri- tion, c’est-à-dire sur ce mouvement qui, rempla- cant à chaque instant les éléments organiques anciens par des éléments organiques nouveaux, semble réaliser au sein de nos tissus une création perpétuelle. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 107 Une première question se présente ici : la sec- tion des nerfs d’un membre influe-t-elle sur la nutrition de ce membre? Il y a, à cette question, des réponses contradictoires. Dans un premier camp se rangent avec quelques physiologistes la plupart des médecins. Atrophia presso pede sub- sequitur membra paralytica, dit Kænig. Dans l’autre camp semblent devoir être rangés d’habiles expérimentateurs pour lesquels cette influence est douteuse. ESA C’est ainsi qu’on a coupé les nerfs cruraux sui des grenouilles sans que la nutrition du membre abdominal parût troublée. D'autre part, la .même Opération, pratiquée sur un mammifère, n'a amené qu'un amaigrissement momentané du membre paralysé. La conséquence de ces observations semble être que les nerfs et la moelle épinière n’ont sur le phénomène local de la nutrition qu'une action presque insignifiante. Mais les faits sur lesquels cette conséquence est basée et sur la véracité desquels le respect dû au nom des expérimentateurs ne permet d'élever au- cun doute, ces faits, dis-je, méritent d’être sou- mis à une discussion rigoureuse. Les membres postérieurs d'une grenouille ne DE LA PHYSIONOMIE sont point amaigris après la section des nerfs cruraux : donc, nous dira-t-on, l'influence de Îa moelle épinière sur la nutrition est insignifiante. Cette conséquence me paraîtrait éminemment hasardée. En effet : (a) chez les animaux inférieurs, et en particulier chez les reptiles, la dépendance réciproque où sont entre elles les différentes par- ties du système nerveux est loin d'être aussi abso- lue que chez les mammifères ; (b) un nerf séparé de la moelle épinière conserve son excitabilité el par conséquent son influence, bien plus longtemps chez les reptiles que chez les mammifères. Dans le courant d'avril 1843, j'amputai les deux membres abdominaux d’une tortue grecque. Huit jours après, quand on irritait leurs nerfs, les muscles de ces membres se contractaient en- core. Gette expérience démontre que la propriété locomotive persiste dans les nerfs indépendam- ment de leurs connexions avec la moelle épinière. Or, les expériences de M. Magendie sur la cin- quième paire font voir également que Îles nerfs ont par eux-mêmes, indépendamment de l’axe nerveux, une influence réelle sur la nutrition. Ainsi un nerf peut vivre, bien que ses rapports avec la moelle épinière aient été détruits. L'in- ——— = de ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 109 fluence de sa masse propre peut donc suffire à la vie du membre lésé, surtout dans un reptile. Il y a chez les animaux inférieurs une ten- dance à la régénération des parties perdues que toutes les expériences constatent. Et cette ten- dance bien connue permet d’élever des doutes nombreux sur le sens d’un grand nombre d’ex- périences faites dans le but de mesurer la part d'influence que les nerfs ont sur la nutrition des Parties. Les expériences faites sur les mammifères semblent au premier abord plus concluantes. Tou- tefois, en y regardant de plus près, loin d'appuyer la thèse de la non-influence des nerfs, elles la combattent. Dans ces expériences, il y a'eu d’a- bord un amaigrissement notable. La section des nerfs n’a donc pas été sans influence. Mais, dira- t-on, cet amaigrissement n’a été que momentané. Je le veux concéder. Mais qui m’assurera que le rétablissement de la nutrition n’a pas tenu à quel- ue phénomène de régénération des nerfs, phé- homène vulgaire et si habituel qu'à peine est-il Permis de supposer qu'on puisse absolument le Prévenir? D'ailleurs, si la moelle épinière n’a pas été détruite et dans une assez grande étendue, 7 . DE LA PHYSIONOMIE quel anatomiste serait assez hardi pour assurer qu'aucun nerf n’a échappé au scalpel de lexpé- rimentateur ? et qui pourrait dire jusqu’à quel point l'influence de ces nerfs n’a pas suffi pour entretenir un reste de vie et de force assimila- trice ? | Ces réflexions ne sont point:de pures hypo- thèses. Au surplus, l'observation clinique ne parle-t-elle pas assez haut ? Sans. doute toutes les paralysies n’altèrent pas la nutrition des membres; mais qui n’a vu dans certains cas des muscles paralysés par la section de leurs nerfs pâlir, s’atrophier et disparaître ? qui ne connaît l’atrophie qu’amène la phthisie dorsale, si bien que, suivant une expérience commune, les mem- bres se dessèchent alors ? et ne sait-on pas qu'un pareil effet se produit souvent dans ces affections rhumatismales qui paraissent avoir pour siége certaines parties de la moelle épinière ? Mais un tableau plus triste se présente à notre souvenir. N'a-t-on pas vu souvent à la suite de ces affections comprises sous lenom générique de myélites, la gangrèñe s'emparer de membres morts sur un corps encore vivant ? Ne voit-on pas alors avec elfroi les téguments sphacélés se ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 111 _ détacher, et les chairs entraînées par un ichor fétide tomber en pourriture? Les eschares ne. sont-ils pas le cortége terrible des apoplexies, des vésanies chroniques, et de cette affection insi- dieuse que notre célèbre M. Esquirol a décrite sous le nom de paralysie générale ? Tels sont les effets ordinaires des lésions qui anéantissent la puissance nerveuse. Les affections morales déprimantes ont des résultats analogues ; la tristesse modifie profondément les sécrétions épidermiques. Rivale de la vieillesse et de la mort, elle dépouille les fronts qu’elle a touchés. L’hor-. reur et l’épouvante font parfois en quelques heures blanchir les cheveux. Les lypémanies altèrent la crâse des humeurs, dessèchent la peau, déter- minent des hétéromorphoses, et font naître une foule d’affections herpétiques. Souvent alors un Cancer caché se développe lentement et consume les viscères, symbole terrible du mal dont l'âme est dévorée. De ces résultats mortels de la tristesse, rappro= Chons les heureux effets de la joie, des excitations vives, de l'espérance qu'amène une foi sans limite, Leur action vivifiante explique ces prodiges, ces Suérisons obtenues par des formules et des amu- ee ne RER 112 DE LA PHYSIONOMIE lettes, ces-atrophies combattues par des moyens puérils, résultats étranges, et réels cependant, qui entretiennerit dans le peuple ces croyances superstitieuses que la religion elle-même peut à peine déraciner. Elle explique aussi les heureux effets des distractions dans la chlorose et dans la plupart des états anémiques si fréquents chez les jeunes filles. Nous pouvons donc conclure avec une véritable certitude, que le système nerveux tient sous Sa dépendance toutes les actions vitales. Cette asser- tion n'est point neuve, sans doute, mais son im- portance nous imposait Je devoir de la discuter. DES MOUVEMENTS MUSCULAIRES, DES MOUVEMENTS CONSÉCGUTIFS ET DES MOUVEMENTS PASSIFS.. XVIII. — Nous traiterons dans cette partie de notre travail des mouvements qu’exécutent les appareils locomoteurs, que ces mouvements soient volontaires ou involontaires. Qu'il me soit permis, en premier lieu, d'énoncer quelques propositions générales si évidentes par elles-mêmes que nous les donnerons ici comme des axiomes. Toute contraction musculaire suppose une ac- tion qui la détermine; ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 113 En conséquence : j 1° Une contraction musculaire faible indique une action nerveuse peu énergique ; 2° Une contraction puissante et rapide est l’ef- fet d’une excitation forte et instantanée: 3° Une action musculaire qui dure et aboutit à l’état de situation fixe, indique une excitation qui persiste ; h Le repos absolu d’un muscle est le signe d'un repos absolu dans les nerfs qui lui sont propres. En ce qui touche l'intelligence, ces propositions peuvent être ainsi transformées. 1° Une contraction musculaire faible indique une volonté faible et nonchalante : 2° Une contraction musculaire puissante et ra- pide est l’effet d’une volonté forte et instantanée : 3° Une action musculaire qui dure et aboutit à l’état de situation fixe, indique une volonté qui persiste ; 4° Le repos absolu d'un muscle est le signe d’un repos absolu de la volonté. Du souffle et de la voix. XIX, — Le souflle et la voix peuvent se pro- DE LA PHYSIONOMIE duire : 4 pendant un mouvement d'inspiration ; 9e pendant le mouvement d'expiration. 4° Le souffle qui se fait entendre pendant une longue inspiration, est l'aspiration. Le son qui se produit dans l'angoisse quand l'inspi- ration a vaincu la résistance du larynx est le sanglot. 9° Le souffle qui se fait entendre dans une ex- piration prolongée est le soupir. Le son qui se panguié au terme de l'effort (V. art. VII, G.) est le cri. Le son bref et saccadé qui se pr oduit dans le rire, reçoit plusieurs sens différents. En effet, il passe tantôt par la bouche ouverte et tantôt par les fosses nasales. Il y à donc un rire nasal. Gette manière de rire n’est pas propre à l'espèce humaine. On la retrouve ainsi dans les espèces du genre equus. C’est en effet à proprement parler le hennissement (hinnitus). I se produit dans un grand nombre d’affections opposées. Si le rire nasal retentit dans les fosses ethmoï- dales, c’est le ricanement (cachinnalio, canchas- mos). S'il passe à l'ouverture des narines, il a le caractère particulier du souflle nasäl. Mais si les fosses nasales sont remplies de larmes, le souffle ro —— HN ——— ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 115 a. devient humide et son accentuation est plus na- Sonnante encore. Haller et avec lui la plupart des physiologistes remarquent que la voix du rire emprunte chez l’homme adulte les voyelles © et À, tandis que chez les enfants le rire émet les voyelles Æ' et J. . Or, comme le rire est plus habituel aux femmes et aux enfants qu'aux hommes, il est plus naturel que le nom onomatopique du rire soit ZZ7, Si donc nous donnons à cette syllabe l’accentuation nasonnante, le nom du rire nasal qui se mêle aux larmes sera hin. Aussi la syllabe répétée hi hi hi par laquelle les acteurs comiques français indi- quent le commencement des larmes me paraît- elle insuffisante. C’est Aïn, hin, hin, qu'il faudrait écrire. Pour s’en convaincre, il suffit d'observer les petits enfants lorsqu'ils commencent à pleurer. La langue grecque, plus musicale et surtout plus imitative que la nôtre, a un mot admirable kin- nuomai (pleurer). L'analogie de ce mot avec le hinnire des Latins est frappante. Ge même radi- Cal onomatopique Ain, se retrouve dans le mot Cachinnus qu’on peut écrire cac-hinnus. Le radical At qui exprime essentiellement le ° rire oral se retrouve dans beaucoup de mots 2 4 | ! [4 !l H LÉ L #2 | LE L He 116 DE LA PHYSIONOMIE grecs et latins. Le mot kians le contient, en effet, bien qu’il soit évidemment détourné de son accep- tion primitive, car il signifie essentiellement en- tr'ouvrir la bouche pour respirer. Gette expression a plus d’une analogie avec le mot ridere, rire. Pour s’en convaincre, il suffira de faire prononcer ces mots à un enfant créole. Il ne dira point. ridere, mais hidere, {ne prononcera point riant, mais Arant. | De même, si nous ne nous en tenons pas exclu- sivement à la prononciation de notre langue, si nous donnons au g un son guttural et doux, si nous rappelons en même temps combien peu dans la prononciation des Grecs modernes le diffère de li, on sera obligé de reconnaitre le radical ki jusque dans le verbe gélaô bien que cette étymo- logie soit dissimulée par la différence de l'ortho- graphe. Mais nous le retrouvons avec une évidence nouvelle dans ces mots hilaris (hilarité), et sur- tout dans le mot ilaros qu’on pourrait, en le décomposant, traduire par ces mots: X? doux (hi-laros). | Ce n’est point sans dessein que j'insiste sur ces choses. Elles démontrent, en effet, entre la parole humaine et l'expression primitive du geste, une LA analogie qu'on a trop dédaignée peut-être. C’est là une mine féconde qu’on pourra un jour exploi- ter avec succès. Quand le rire passe librement par la bouche, on dit qu’il éclate. S'il est contenu, il entraîne toutes les conséquences de l'effort immodéré; la tête se gonfle à l’excès, on étouffe de rire. ; Le rire convulsif (N. art. IX) est douloureux. On cherche donc à le contenir en fermant la bouche, et ses éclats passent alors par les fosses nasales. Souvent alors les glandes lacrymales sont en même temps excitées et des larmes jaillissent des yeux; aussi cette expression rire aux larmes est- elle l'expression superlative du rire. Quoi qu’il en soit, le caractère nasal du rire excessif fait que dans les langues anciennes on le confond avec le ricanement (cachinnatio, canchasmos). Le rire excessif, conduisant à la congestion et à l'asphyxie, produit l’angoisse et alterne avec le sanglot. Aussi est-il dans beaucoup de cas difficile de distinguer certaines expressions de la joie d'avec celles de la douleur. Le rire oral est propre à l'espèce humaine et semble surtout particulier à l'enfance. Il se déve- loppe alors en roulades et en cadences brillantes. Fe ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. . 117. a non A © DE LA PHYSIONOMIE Ce rire franc, spontané, pur, produit un son qui s'éloigne de ki pour se rapprocher de ha. Dans l’homme adulte, le rire se mêlant à des expres- sions étrangères cadence souvent l’interjection ko. Le rire de la femme se rapproche beaucoup de celui de l'enfant. XX. — Disons maintenant quelques mots de l'effort. L’effort absolu (V. art. VIII, C, À) est muet. Il presse sans résultat sur la poitrine gonflée,et par là il détermine une congestion parfois mortelle. Au premier abord on peut difficilement expliquer en quoi cette congestion dangereuse peut être utile à la locomotion. Essayons de résoudre ce paradoxe. Je ferai remarquer en premier lieu que l'effort n’est point utile à la locomotion proprement dite, mais, au contraire, à l’immobilité active. Il ne peut être longtemps continué et conduit irrévocable- ment à un état d’engourdissement et de roideur, qu'explique aisément la congestion veineuse qui l'accompagne. On suppose, en général, que le mouvement de l'effort a pour but de préparer aux muscles un point fixe. Gette opinion ne peut être soutenue, et en effet, l'effort se produit dans certains cas où ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 119 une jambe seule est engagée. Or les muscles des membres inférieurs sont complétement indépen- dants du thorax et de la respiration. La théorie de l'effort est basée sur des faits d’un ordre tout différent. a. Tous les animaux à sang froid parmi ceux dont les globules du sang sont très-grands, c’est- à-dire les amphibiens et les reptiles, ont la faculté des mouvements très-longtemps prolongés. En un mot, pour parler le langage de Barthez, ils pos- sèdent la force de situation fixe. Leur circulation est d’ailleurs très-lente, les mouvements de leur cœur sont par moments suspendus. Ils semblent même avoir la faculté de ralentir ou d'accélérer à leur gré les pulsations de cet organe. b. Parmi les animaux à sang chaud, ceux dont les artères sont longues et grêles ont des mouve- ments très-lents ; ils peuvent garder longtemps la même attitude. Je citerai en particulier les singes du genre Atèles. c. Tous les animaux à sang chaud dont les ar- tères sont grandes et dont le cœur est puissant, ont la faculté de produire des mouvements énergiques et rapides. Mais il leur est impossible de garder longtemps la même attitude active. Leur nature 120 DE LA PHYSIONOMIE n’est point de continuer longtemps un mouvement, mais de le répéter souvent. Tels sont les mammi- fères coureurs et les oiseaux de haut vol. d. Toutes les fois que, dans un animal à sang chaud, certaines parties doivent se mouvoir avec lenteur ou conserver longtemps la même attitude, la nature ralentit la circulation artérielle dans ces parties, en divisant dès leur origine les troncs ar- tériels en longs faisceaux d’artères capillaires. Cette curieuse disposition a été observée dans les bradypes, les fourmiliers et certains lémuriens , tels que le Lori tardigrade, le stenops grêle, le tarsier. M. Vrolick l’a vue également aux mem- bres postérieurs de quelques oiseaux. J'en ai moi- même constaté l’existence dans la patte de l’écu- reuil et du rat, qui demeurent longtemps perchés sur leurs membres postérieurs. Si nous rapprochons ces faits, nous en tirerons cette conséquence naturelle que la faculté de pro- duire des mouvements lents et de garder une atti- tude fixe est liée à un ralentissement de la circu- lation artérielle, et que la faculté d'exécuter des mouvements rapides et souvent répétés est liée, au contraire, à une accélération du mouvement arté- réel, ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 121 Or, ainsi que nous l’avons dit plus haut (V. art. VID), quand la respiration s’exerce librement, la circulation s'accélère. La circulation languit, au contraire, quand la respiration est suspendue, et les réseaux capillaires s’engorgent d’un sang noir \ ' et veineux. YS Si donc il s'agit de produire des mouvements Ÿ vifs et rapides, s’il faut les répéter souvent, on : devra essayer de respirer à pleins poumons. Sa- voir respirer, c'est savoir courir, nager longtemps. Et les professeurs d’escrime attachent avec raison ; une grande importance à donner aux mouvements S respiratoires une indépendance complète. L- Faut-il, au contraire, soutenir un grand fardeau, \ >: garder longtemps la même attitude, lutter en ré- | _ sistant, nous faisons un grand mouvement d’ins- ne piration, puis nous cessons de respirer; c’est là / |< la vraie théorie de l’effort continu. 1 Ainsi donc, en nous résumant, l'effort, en ralen- | Ussant les mouvements du sang, est une des condi- tions premières de la résistance. XXI. — Mais si l’effort était continué au-delà de certaines limites, il amènerait rapidement la Mort. Quand donc il s’agit de produire une suite de mouvements prolongés destinés à vaincre suc- / d 122 DE LA PHYSIONOMIE cessivement une résistance, il est nécessaire de régler le mouvement de l’effort et de le combiner d'uné certaine manière avec la respiration. Le mécanisme de cet effort mitigé est bien connu des marins et des artisans qui l'emploient à chaque instant d’une façon toute naturelle. Au moment de produire l'effort, on fait une grande inspiration qu'on maintient une ou deux secondes, en attendant le signal du mouvement. Puis le mouvement commence, et pendant toute sa durée, on pousse un cri prolongé très-semblable à un gémissement, mais toutefois plus ferme et plus accentué. Ce cri très-caractéristique est un des éléments essentiels de la gymnastique des boulangers. Il se compose de deux parties ou de deux sons qu'on peut écrire ainsi : 00h, heë-chn. La double syllabe oôh se produit pendant l'inspiration préparatoire, la diphthongue soufilée heë-ehn, est émise et pro- longée pendant toute læ durée de l'expiration. Ce cri appuyé et prolongé produit des effets analogues à ceux de l'effort, comme le prouve la congestion des veines du cou. Mais il limite ces effets en leur donnant une durée déterminée. Je prie de remarquer qu'il ne se produit jamais quand ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 123 il s’agit seulement de lancer un coup rapide qu'on retire aussitôt. Le coup de poing du boxeur n'est accompagné d'aucun cri. Il en est de même de la riposte du spadassin. Mais le cri keé-ehn accom- pagne toujours le cri appuyé ou poussé. Le mot hisser est tiré d’un cri analogue que les gens qui enlèvent des fardeaux poussent fréquemment. De même un bücheron inexpérimenté appuie sur le” coup de sa cognée, et fait entendre chaque fois le cri heé-ehn, ou plutôt sa contraction hk ou hâh. Je ne puis m'empêcher de faire remarquer ici l’analogie frappante qui existe entre ce cri häh et ces mots hâche, hächer, les seuls mots peut-être auxquels la langue française ait con- servé une véritable aspiration. Les mots déivn, ascia, bien qu'adoucis, ont évidemment une source analogue. Ces remarques ne paraîtront point être (je l'espère du moins) un simple jeu de l'esprit. En effet, avant d'arriver à leur état abstrait, je dirai presque algébrique, les paroles de l’homme sont essentiellement des gestes de la voix. Dans la vie de l'humanité comme dans celle des individus, les sentiments ont dû précéder les idées. XXII, — Si j'ai eu le bonheur d'exposer ces ae. ro. we rer 124 DE LA PHYSIONOMIE choses avec clarté, peut-être me pardonnera-t-on de considérer comme démontrées les propositions suivantes : 4° L’effort se produit essentiellement quand on se prépare à la résistance; cet effort est immobile el muet. 2° Le cri de l'effort se produit quand, d’une facon quelconque, on mêle dans la lutte l'action ou l'attaque à la résistance. De quelques autres mouvements respiraloires. XXII. — Nous devons parler maintenant du gémissement qui ne diffère du cri poussé que par sa lenteur et sa faiblesse. Les cris d’un lutteur blessé dont les forces s’épuisent se changent en gémissements. Un grand nombre d’interjections imitent ce mouvement spontané de la voix. En thèse générale, le gémissement est l'effort de la faiblesse. C’est un dernier indice d'effort quand, au moment de la syncope et de la mort, le senti- ment des choses extérieures s'épuise par degrés. XXIV. — Quelques autres mouvements très- caractéristiques sont une modification du simple mouvement d'inspiration. Ainsi quand la circula- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 125 tion languit, quand un sentiment de torpeur ou d’engourdissement opprime, comme aux appro- ches du sommeil ou sous l'influence de l'ennui, un instinct caché sollicite à de grandes inspira- tions. Ces inspirations appellent un air excitant, et de peur que cet air ne s'échauffe au contact des sinus olfactifs, ce qui rendrait son action … moins stimulante, l'inspiration s'effectue alors par la bouche énormément ouverte. Une des choses _ qui soulagent et excitent le plus dans ce mouve- ment, est l’impression que l'air froid détermine en touchant le pharynx. Je ne doute point que ces nombreuses sympathies de l’arrière-gorge, sur lesquelles on a, dans ces derniers temps, essayé de fonder un système nouveau de théra- peutique, ne jouent dans l’enchainement de ces phénomènes un rôle important. Cette grande inspiration diffère du soupir par sa profondeur et par l’excessive dilatation de la bouche ; on lui a donné un nom particulier, celui de bäillement. Ge mouvement est l’un de ceux auxquels la théorie de M. Huschke sur l'homo- logie de l'expansion avec l’extension, s’applique le plus directement. Les animaux, en effet, s’al- longent en bâillant, ils s'étendent, on peut dire pe om re PR TE L . CE ce = car = Sie Pare RE ES # PR Eye dan PRRPETERS du intl PR Ce me nr 126 DE LA PHYSIONOMIE même avec quelque apparence de vérité qu’ils s’étirent. Tous les animaux ne bâillent pas, ou du moins quelques-uns bâillent rarement. Après l’homme, les singes et les animaux carnassiers bâïllent le plus souvent. J'ai vu bâiller très-caractéristi- quement des lapins. Je ne crois pas qu’on ait observé rien de semblable chez les vertébrés . ovipares. | | De même qu'un sentiment d’engourdissement et de stupeur commençante produit le bâïllement, _ l'angoisse détermine le sanglot. Le sanglot se fait entendre au moment où, l’inspiration triomphant de la résistance de la glotte, l'air se précipite dans le thorax. Souvent alors la tension subite du dia- phragme, amenant un choc brusque sur l'estomac, détermine une éructation. Gette combinaison du sanglot avec le bruit de l’éructation produit le hoquet ; cette simultanéité fait que les Latins con- fondent le sanglot et le hoquet sous un même nom , singultus. De même en grec lygmos est à la fois sanglot et hoquet. Pendant le hoquet le diaphragme agit seul, et, les muscles abdominaux cédant à son action, le ventre est poussé en avant à chaque hoquet. Si, ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 127 au contraire, les muscles abdominaux résistent ou se contractent, l'estomac est comprimé entre deux plans musculaires, il est frappé de deux côtés opposés, et le vomissement se produit. Le sanglot , le hoquet et le vomissement sont ainsi des mouvements du même ordre. J{s for- ment, en quelque sorte, une même famille de mouvements, et concourent ensemble à la produc- tion de phénomènes nombreux. Ils influent, en “effet, d'une manière directe sur la circulation et sur la production de la chaleur animale. Ce que nous avons dit de ces choses nous dispensera d'y revenir ici. XXV. — Il y a encore quelques mouvements liés au phénomène de la respiration, tels que l'éternüment, la toux et quelques autres sembla- bles. Le mécanisme de ces mouvements est bien Connu; et comme ils sont d’un emploi fort rare dans la mimique naturelle, nous croyons inutile d’y insister. Ainsi nous renvoyons sur ce point aux traités de physiologie générale. Des mouvements spasmodiques, du tremblement et de la roideur. XXVI, — On donne le nom de spasmes aux effets qui se produisent dans certains systèmes, print A — 128 DE LA PHYSIONOMIE et plus particulièrement dans les muscles, quand l'harmonie de la puissance est troublée. Souvent alors des contractions, des tremble- ments, des paralysies, des convulsions se pro- duisent et passent. Tantôt un froid mortel court sur le corps ; d’autres fois la peau semble brüler. Il semble alors que le corps soit étranger à l'âme; elle ne le connaît plus, et, pareille à un aveugle, elle semble errer çà et là dans les viscères. C’est ainsi qu’une jeune fille hystérique devient tout à coup sourde, muette, aveugle et retrouve un instant après toutes ses facultés. Tantôt elle bondit avec une force prodigieuse, et tantôt elle retombe paralysée. Parfois le moindre contact éveille en elle des douleurs terribles, d'autres fois elle demeurerait insensible aux plus atroces lésions ou s’en ferait une volupté; elle iève éveil- lée, agit, parle , écrit, raisonne en dormant, se précipite, s’aflaisse, s’oublie, se retrouve, rit, pleure, vit et meurt cent fois en un jour, passant alternativement des excitations les plus vives aux syncopes les plus complètes. Les spasmes se. produisent naturellement quand les limites normales du plaisir et de la douleur ont été dépassées. Aussi comme, dans le détail de ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 129 ces phénomènes, la nature semble ne suivre au- cune règle, les réactions extrêmes de toutes les passions se confondent, ce qu’il ne faut point ou- blier. XXVIL — La roideur et le tremblement étant souvent l'effet d’un spasme, l'analyse des circon- stances où ils se produisent n’est pas toujours _ aisée. C’est ainsi qu’il parait à peu près impossible d'expliquer ces tremblements vagues, perpétuels, Qui agitent certains hommes dès le début de leur vie. Toutefois, dans beaucoup de cas, on peut. atteindre à une explication suffisante de ces phé- nomènes. Le tremblement consiste soit dans la contrac- tion involontaire et répétée d’un muscle ou d’un _ Système de muscles, les autres restant en repos, Soit dans la contraction involontaire, répétée et alternative de muscles antagonistes. IL peut être localisé dans un membre, dans le cou, dans la mâ- choire inférieure, ou agiter le corps tout entier. Dans ce dernie: cas, il est évidemment sous l'in- fluence du système nerveux central et dépend d’incitations irrégulières dues à des excitations Morales, à l'action du froid, à des douleurs vives, à certains poisons. Mais le tremblement localisé DE LA PHYSIONOMIE trouve son explication dans une modification locale. Il est souvent, par exemple, l’une des consé- quences de la roideur. Or, celle-ci se produit, entre autres circonstances, toutes les fois que les muscles antagonistes agissent ensemble, si bien que les extenseurs et les fléchisseurs sont simul- tanément contractés. Une trop brusque énergie, un effort maladroit ou excessif produisent la roideur, et comme il faut une longue étude pour apprendre son corps et rendre ses divers mou- vements indépendants les uns des autres, les pre- miers mouvements d’un homme qu’on élève à une gymnastique quelconque sont roides et contrariés. Le tremblement est, avons-nous dit, dans beau- coup de cas, l’une des conséquences de la roi- deur. Si je fléchis mon bras, si les muscles extenseurs cèdent naturellement à l’action des fléchisseurs, le mouvement est homogène, il se développe graduellement, le bras ne tremble pas. Si, au contraire, en même temps que le bras se fléchit, les muscles extenseurs font effort pour l'étendre, le tremblement se produit, et il est d'autant plus fort que les contractions sont plus énergiques. La raison de ce tremblement peut être donnée ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 131 d’une manière suffisante ; je dis suffisante, car les explications de la science ne sont jamais absolues et sont toujours basées sur quelque fait que l'ob- servation et l'expérience démontrent, mais qu'on ne peut expliquer. Tout muscle a, dans l'état normal, une puissance moyenne de contraction qui se produit, si jose le dire ainsi, spontanément et sans effort senti. Cette puissance est mesurée au poids du corps en géné- ral et de chacune de ses parties en particulier. Aussi, dans l’ordre habituel, le corps est-il mu Sans effort, sans fatigue. Nous marchons, nous parlons, nous nous tenons debout sans qu’une intervention distincte et ressentie de la volonté Paraisse nécessaire. Si, par exemple, je tends le bras pour indiquer, je n’ai dans ce moment la sensation immédiate d'aucun poids. Mais si j'ajoute au poids habituel du bras un fardeau exceptionnel, la résistance que ce nouveau Poids oppose rend nécessaire l'intervention d’une houvelle quantité de mouvement, quantité va- fable suivant le degré de force moyenne qu’on Possède actuellement. Or, le plus souvent, cé inouvement est tremblé. Un mouvement peut n’être päs trémblé d’abord 132 DE LA PHYSIONOMIE et le devenir au bout de quelques instants; en effet, à mesure que ce mouvement se prolonge, la fatigue survient et le niveau de la force moyenne s’abaissant ainsi, l'intervention d'une volonté ac- tive devient de plus en plus nécessaire. Ainsi, d’une manière générale, le tremblement se produit toutes les fois que, une résistance quel- conque étant opposée à un mouvement, il faut, pour vaincre cette résistance, faire Intervenir avec une intention exceptionnelle la puissance motrice. Donnons, par exemple, une masse équivalente à enlever à bras tendu à deux hommes de force inégale. Le plus faible des deux sera obligé de faire un plus grand effort, et plus cet effort sera grand , plus les oscillations de son bras tremblant seront étendues. Par la même raison, un homme vigoureux et sain a des mouvements fermes et so- lides, si je puis ainsi dire. Mais pour un homme malade et dont la force est épuisée, son corps lui- même est un fardeau. Il ne soulève son bras qu'’a- vec peine. Par la même raison, un membre que la volonté maintient dans une attitude quelconque tremble quand la force de contraction commence à diminuer. Aussi est-il impossible de maintenir longtemps ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 133 son bras étendu sans que le tremblement l’enva- hisse. Deux hommes de force égale, le coude ap- Puyé sur une table, essayent la puissance de leur Poignet ; au bout de quelques instants d’efforts inutiles, leurs bras tremblent convulsivement et tremblent de plus en plus jusqu'au moment où toute contraction devient impossible. Ainsi, je le repète, le tremblement survient dans les muscles Qui font un effort excessif et prolongé pour vaincre Une résistance, et cette résistance sera d'autant Plus ressentie que l’éner rgie moyenne de l'être qui agit est plus faible. | Quand la faiblesse est grande, elle se traduit aussi par des tremblements de la voix. Ces trem- blements expriment de même la grandeur de l’ef- tort que fait l’homme affaibli pour mettre l'air en Vibration dans l'or gane vocal. | Ces faits nous donnent l'explication immédiate des tremblements qui accompagnent.la roideur. En effet, la résistance à un mouvement amène le tremblement. Or, dans la roideur, les muscles fléchisseurs et les muscles extenseurs se contrac- ant à la fois, se résistent réciproquement ; il y a donc là une double résistance et par conséquent Une double cause de tremblement. Ce tremblement 8 134 DE LA PHYSIONOMIE —————— est parfois si rapide qu'il donne l’idée d'une vibration véritable. XXVII. — Le tremblement n'arrive dans l'effort qu'on produit contre une chose résistante que dans les conditions suivantes : 1° La chose qui résiste est libre et ne fournit point un point d'appui extérieur ; tel est un poids que le bras tient suspendu dans Pespace. Dans ce _cas, l’effort est plus ou moins tremblé. 9 La chose qui résiste est immobile et fixe: mais les muscles qui s'efforcent sur elle se décom- posent en plusieurs parties mobiles, les unes par rapport aux autres. Dans ce cas encore, le mouve- ment est tremblé. C’est ainsi qu’un athlète, pous- sant de ses bras étendus contre un rocher, tremble et vibre pour ainsi dire. Toutefois, on doit remar- quer que ses mains, s'appuyant immédiatement sur la base immobile du rocher, sont immobiles comme elle. Si donc ses bras étaient composés de | cette main seulement, il ne tremblerait pas, di moins par cette partie de son corps. XXIX. — Ces remarques “expliquent pourquoi la roideur qui saisit les muscles maxillaires aù moment où la bouche est entr’ouverte, fait trem” bler les mâchoires et claquer les dents les unes ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 135 contre les autres, tandis que la roideur qui sur- Vient dans la constriction dominante des mâchoi- res ne le fait point trembler, les dents inférieures étant alors fixées contre les dents supérieures. Toutefois, certains mouvements latéraux sont quel- | Œuefois possibles et font grincer les dents, ce qui est une expression puissante d'énergie spasmodique. Ce mouvement de roideur très-marqué dans les mâchoires elles-mêmes peut s'étendre à la langue Qui s'élève alors contre le palais à la manière d’une lame élastique et plus ou moins rigide. Si, dans le moment où la langue est ainsi roidie, le Souffle d’une expiration passe sur elle, certains Phénomènes se produisent dont l’examen présente Quelque intérêt. | © XXX. — Parmi ces phénomènes, le plus immé- | diat est l'émission d’un bruit vibrant qu'on peut | écrire ainsi : Rrrr. Ge bruit peut subir naturelle- __ Ment plusieurs modifications qu'il est utile d'ex- __ Pliquer. | | | 1° Si, au moment où le bruit Rrrr est produit, la lèvre inférieure, légèrement tendue, s’applique contre les dents inférieures et affleure de son bord le tranchant des incisives supérieures, le souffle reçoit alors le caractère labial, et son écoulement DE LA PHYSIONOMIE contre la lèvre inférieure produit le bruit #ff. Du mélange contenu de ces deux bruits résulte un bruit composé qu'on peut écrire ainsi : Frrr. 20 Si la rétraction du peaussier cervical décou- vre les dents inférieures, la lèvre n’affleure plus le tranchant des incisives. Dans ce cas le bruit # ne se fait plus entendre, et de nouvelles modifica- tions apparaissent; ainsi (4) tantôt la pointe de la langue touche aux dents supérieures ; Le souflle prend alors la valeur d’une dentale, et l’on entend un bruit particulier : Trrr. (b) Tantôt la pointe de la langue touche aux parties moyennes du palais, et l’on entend Île bruit homogène Rrrr. (c) Ou bien la langue rétractée touche aux par- ties postérieures du palais; dans ce cas, le souffle prend un caractère guttural, et le bruit qui se produit alors peut s’écrire ainsi : Grrr. Remar- quons qu’on passe naturellement du premier au dernier de ces bruits, à mesure que la langue se rétracte et se retire vers l’arrière-gorge. XXXI. — Ces quatre bruits : Errr, Trrr, Rrrr, Grrr, sont les racines primitives et éminemment naturelles d’une multitude d'expressions ou d’on0- matopées directes et dérivées. Ainsi : ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 137 De Frrr découlent naturellement les mots pair, vpicco, opécoopar. Frigus, et en français les mots frimas, froid, frémir, frayeur, en pro- cèdent également. Ce même radical se retrouve, quoique d’une façon moins directe, dans ces mots fragor, fracas, etc. De Trrr viennent non moins directement ces mots Toéuo, 1remor ( tremblement, terreur). De Àrrr viennent £îyos (froid), qu’il faut pro- _noncer ainsi rrhigos à cause de l'esprit rude, et par suite les mots rigor, rigidus (roideur). Ge mot admirable, horror, vient de la même source, et comme la corrugation accompagne le frisson, horridus signifiera en même temps horrible et hérissé. Les mots rhonchus, é6yxos (ronflement) ont la même origine; nous ajouterons encore le mot rugir, et nous pourrions en citer beaucoup d’autres. Du radical Grrr, vient le mot gronder, qu'on applique fort poétiquement au tonnerre. L’orthographe adoucit la plupart de ces expres- sions; mais elles ont dans le langage oral une accentuation qui en rappelle l’origine première. C’est ainsi que le double À se prononce très-diffé- remment dans terre et dans {erreur. De même Se 138 DE LA PHYSIONOMIE mn la syllabe ru, dans rugir et dans ruban. Je ferai même remarquer que dans les mots analogues les mêmes lettres sont dites de façon à mettre l'ex- pression à l’unisson de l’idée ; c’est ainsi que l'A est bien plus rude et vibrant dans frisson que dans fraicheur; que dis-je? le même mot peut re- cevoir, suivant les occasions, une prononciation très-différente. Dans ces deux phrases : Certe mère gronde son enfant, le tonnerre gronde, VR du mot gronder est dit de deux manières qu'un orateur ne confondra jamais. Un grammairien peut se passer de dire ces cho- ses, mais un physiologiste les devait au moins signaler. Homère parle de certaines choses que les dieux nomment d’une façon et les hommes : d’une autre. Or, les noms donnés par les dieux ne sont-ils pas ces expressions mêmes de la nature? Le moment où elles furent oubliées ne fut-il pas celui de la confusion ou plutôt de la dispersion des langues ? XXXII. — Les expressions dont je viens parler ne sont pas exclusivement propres à l'espèce hu- maine. Nous les retrouvons également dans quel- ques animaux. | Mammalia pilosa in terra gradiuntur loquen- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 139 tia, dit admirablement Linnæus. Il ne serait pas sans intérêt de rechercher où s'arrête ce langage. Quoi qu’il en soit, cette consonne /? en est un des principaux éléments. C’est ainsi qu’un chien qui menace n’aboie point, il gronde. Le chat qui fré- mit sous les caresses fait entendre un ron/flement. Dans sa fureur terrible le lion rugit, et le cheval qui l'entend, vibrant d’épouvante, fait entendre un souffle rude et saccadé où le bruit Rrrr se pro- duit avec une énergie proportionnée à son effroi. Ce bruit remarquable se retrouve encore dans le grincement du singe, dans le petit cri en trilles des sajous, et dans celui de quelques rongeurs. Je ne doute pas que la faculté d'émettre cette articulation ne puisse être observée dans la plu- part des animaux mammifères, soit comme expres- sion de fureur, soit comme résultat de crainte et d’épouvante. De quelques bruits qui résulient du tremblement des peaussiers. XXXIIIL. — Le tremblement qui agite si fré- quemment les grands peaussiers des animaux, est quelquefois volontaire, et plus souvent automati- que: à l’aide de ce mouvement rapide, quelques- uns agitent, je dirais presque secouent leur peau eme er 140 :: DE LA PHYSIONOMIE comme un manteau. C’est ainsi qu’on voit frémir la peau des chevaux sous la piqûre d’une mouche ou sous l'atteinte du fouet. Ils repoussent ainsi certains diptères, leurs ennemis perpétuels. Lorsque le mouvement des peaussiers ne suffit pas, le corps entier leur vient en aide. C’est ainsi qu’un cheval vicieux s’agite pour se dérober à son fardeau. Ces mouvements sont toujours accompa- gnés d’un certain bruit. Mais ce bruit est surtout marqué chez certains animaux dont les poils, mé- tamorphosés en piquants, forment une armure défensive. On doit distinguer le mouvement qui redresse et hérisse les piquants d'avec celui qui les agite ; les piquants du hérisson, par exemple, se redressent, mais demeurent ensuite immobiles. Ceux du porc-épic, plus faibles à cause de leur longueur et moins favorablement disposés, se re- dressent à la fois et s’agitent rapidement. Cette agitation produit un bruit hétérogène et subit semblable à un grand frémissement, et ce bruit, né du choc de leurs armes, défend mieux ces ani- maux que leurs piqûres ne le pourraient faire. On peut rapprocher ces bruits de ceux que les din- dons et les paons produisent lorsqu'ils font vibrer les plumes de leur queue étalée en roue. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 141 On n’observe rien de semblable dans les rep- _tiles, les amphibiens et les poissons. Ces animaux ne tremblent pas. Je ne terminerai point sans faire remarquer la grande analogie qui existe entre les bruits qui résultent de cette cause et la stridula- tion des insectes. DE L'ACTION ET DE LA SENSATION. De l'application des sens en général. XXXIV. — Les sens révèlent à l'animal l’exis- tence des choses extérieures. Sans les indications qu'ils fournissent, il demeurerait isolé du monde, végétant à peine et s’ignorant lui-même. Lorsque ’être sensible aime, désire, poursuit une chose, il poursuit bien moins cette chose que les sensations" qu’elle détermine. ; Ainsi les sensations sont, dans l’homme du moins, les causes déterminantes de l’action. Si la sensation est nulle ou faible, si elle ne correspond à aucun besoin présent elle sera à peine aperçue. - Le corps demeurera impassible. Si la sensation est vive et distincte, elle sollicite des mouvements aü- tomatiques très-apparents. Si elle est faible, mais intéressante, tous les mouvements du corps sont | on mé à tt TE ER A 142 à DE LA PHYSIONOMIE en quelque sorte attirés par elle. Si elle convient en même temps à la nature de l’être qui sent, si, en un mot, elle éveille le sentiment du plaisir, le corps tout entier semble appeler cette sensation; si elle est au contraire douloureuse, le corps la repousse et s’en éloigne. Si l’objet qui excite l’at- tention de l’être sensible réveille des sentiments agréables par certaines de ses qualités et des sen- timents désagréables par quelques autres, les mouvements du corps se décomposent en quelque sorte en deux directions opposées. Enfin, si la sen- sation éprouvée est à la fois intéressante et dou- loureuse, le corps se dirige vers son objet, mais avec des précautions préliminaires dont l’analyse est du plus haut intérêt, On me pardonnera d'entrer à cet égard dans quelques détails. Je voudrais être bref, mais il ne faut rien omettre d’essentiel. XXXV,. — D'une manière générale, le mouve- ment de l’être sensible vers un objet qui le solli- cite s'appelle Attention ; si la sollicitation est plus vive, il reçoit le nom d’Atéraction. La douleur qu’éveille une sensation mauvaise sollicite deux mouvements divers, l’un de ces deux mouvements porte à refuser, l’autre porte à s’éloigner. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 143 XXXVI. — Ceci posé, parlons en premier lieu de l’Application de l'œil. 1° Vision facile. — Si une douce lumière vient à frapper l'œil, l'instinct de voir est éveillé. L’œil se dirige vers l’objet lumineux, il devient attentif. Dans cet état, l’œil est bien ouvert, la pupille est visible dans toute son étendue, et la ligne du sourcil est ferme et développée. Les deux yeux sont alors, quand toutefois la chose est possible, à la fois dirigés vers l’objet, en sorte qu’ils conver- gent si l'objet est rapproché: s’il s'éloigne, ils de- viennent de plus en plus parallèles, et s’il vient tout à coup à disparaître, ils divergent légèrement, . comme s'ils voulaient le retrouver en embrassant à la fois un plus grand espace. 90 Vision difiicile. — Si l’objet est fort petit ou faiblement éclairé, le moyen le plus direct d’en favoriser la perception est de soustraire la rétine à toute autre influence, en ne laissant autant que possible arriver sur elle que les rayons lumineux qui partent de l’objet. On obtient ce résultat, du moins d’une manière suffisante, en regardant au travers d’un tube qui soustrait l’œil à l’action des rayons lumineux qui viennent dans des directions différentes. C’est aussi dans ce but que nous fer: e— ele k \ TT REP 144 DE LA PHYSIONOMIE mons à demi les yeux, tandis que la joue, devenue plus saïllante, forme avec le sourcil contracté une sorte de rempart infundibuliforme autour de l'œil. Dans ce moment, la contraction de l’orbiculaire attire en quelque sorte vers l’œil toutes les parties de la face. La commissure externe des yeux se ride, le sourcil se fronce et s’abaisse, les côtés du nez se couvrent de plis, la narine est tirée consé- cutivement en haut, et la lèvre supérieure tout entière étant entraînée dans ce mouvement, les dents supérieures sont laissées à découvert. En même temps, les muscles zygomatiques venant en aide à l’action de l’orbiculaire, les commissures buccales sont tirées en dehors, et cet ensemble donne lieu à une grimace où domine un sourire désagréable. 3° Vision contrariée. 11 peut arriver que, lors- qu’on regarde un objet, l’œil soit ébloui par une lumière étrangère venant dans une direction dé- terminée. Si cette lumière vient d’en haut, comme cela a lieu le plus ordinairement, on détruit son in- fluence nuisible à la netteté de la vision, en plaçant au-dessus de l’œil une sorte d’écran. Les visières qu'on met aux coiffures des chasseurs ont surtout ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 145 cette utilité. C’est dans le même but que les sour- cils s’abaissent vigoureusement au devant de l'œil et qu’on aide souvent à cette action en étendant la main au-dessus du visage. Si la lumière inopportune vient d’un côté seu- lement, l'œil de ce côté se ferme, et la saillie du nez protégeant l’autre œil, c'est avec celui-ci qu’on regarde. | Si la lumière étrangère vient d’en bas, des rai- sons semblables veulent que les deux joues sé lèvent comme un rempart, tandis que le sourcil s'élève ; ce mouvement, dû surtout à l’action des zygomatiques, amène des mouvements consécutifs qu'il est aisé de prévoir. Il peut arriver que l'impression d’une lumière vive détermine une sécrétion trop active de larmes. Ces larmes, coulant en nappes ondulées au devant de l'œil, rendent la vision moins distincte. De là la nécessité de les chasser en essuyant fréquemment le globe oculaire. Le mouvement des paupières dans l’action de cligner u’a point d’autre but. De même on se frotte, on s’essuie les yeux au mo- ment du réveil, afin de rendre la vision plus dis- tincte. Ainsi le clignement des yeux répond à un embarras de la vision. remet nn pop eve Da D ee Ce D TE DE LA PHYSIONOMIE he Vision douloureuse. Si l'objet que l'œil re- garde est trop lumineux ou entouré de trop de lumière, il produit une sensation douloureuse, celle de l’éblouissement. L'ouverture oculaire se | plisse et se contracte, les larmes coulent en abon- dance ; beaucoup de mouvements accessoires se | produisent enfin, qui ressemblent tous à ceux de la vision difficile et de la vision contrariée. 5° Vision nulle. Si l'œil cherche et regarde dans les ténébres, l’œil s'ouvre démesurément. La pru- nelle nage dans le blanc de l’œil, la pupille est alors énormément dilatée. Tous les mouvements dont nous venons de par- ler se produisent lorsque les organes de la vue sont appliqués à un objet unique. Mais il peut arriver qu'on regarde plusieurs objets à la fois afin de découvrir s’il existe entre eux certains rapports géométriques. G° Vision simultanée. peut arriver, par exem- ple, qu'on cherche à déterminer si trois points pris dans l’espace sont en ligne droite. Dans ce cas, on ferme un des deux yeux et on regarde exclusivement avec l’autre. C’est ce qu’on appelle viser. Ce mouvement se produit en général quand on embrasse plusieurs points à la fois dans une ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 147 certaine étendue. Mais il se produit aussi, dans le Cas où l’on cherche à découvrir un objet si petit, qu'on se trouve, pour le regarder d'assez près, dans la nécessité de n’y appliquer qu’un seul œil à la fois. 7° Repos de l’œil. Lorsque le sommeil, l’extase ou la mort éteignent par degrés l’activité senso- riale , les yeux entraînés par les muscles obliques s'élèvent et convergent et se cachent ainsi sous la paupière supérieure. Sous ce point de vue, le nerf pathétique peut être considéré parmi les nerfs de l’œil comme l’ultimum moriens. Ce mouve- ment est l’un de ceux dont l'expression est la plus puissante. XXXVII. — Dans l’homme et dans les animaux dont les orbites sont dirigés en avant, la face tout entière se. tourne en général vers l’objet. Mais dans les animaux où les orbites sont divergents, les yeux ne peuvent s'appliquer commodément à un même objet ; aussi ces animaux regardent-ils le plus souvent avec un seul œil. Cette disposition est fort habituelle aux animaux timides , auxquels il importe de surveiller l'ennemi pendant la fuite afin de mieux éviter ses atteintes. Gette tendance à regarder en arrière sans tourner la tête n’est RS APR 148 DE LA PHYSIONOMIE cependant point l'apanage exclusif de ces ani- maux. Geux-là même dont les orbites ont leurs axes à peu près parallèles, la présentent aussi dans quelques cas. Ges axes tendent alors à s'é- carter, et dans l'impossibilité où la plupart des animaux se trouvent d'exécuter ce mouvement d’une façon snffisante, les deux yeux se portent alternativement à droite et à gauche, et oscillent entre deux limites infranchissables. Je ferai voir, dans les paragraphes suivants, l'importance de ces remarques. Pour le moment, j'ai dû me contenter de les énoncer. DE L'APPLICATION DE L'OREILLE. XXX VIII. — Nous distinguerons naturellement les animaux qui ont une oreille externe figurée en pavillon mobile, d'avec ceux qui sont privés de cet organe, ou chez lesquels il est presque abso- lument immobile. À. Animaux dont l'oreille externe est mo- bile. jo Si l'animal écoute un son qui résonne en avant, les pavillons se dressent et porten de ce Gas b gt RS ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 149 côté leur ouverture. Si les sons résonnent derrière l'animal, les deux pavillons se dirigent en arrière. Si l'animal cherche à distinguer un bruit ou à re- Connaître sa direction, tandis qu’une des oreilles se porte en avant, l’autre se tourne en arrière, et chaque oreille se portant alternativement dans des directions opposées, elles explorent ainsi l’ho- rizon. 2° Audition difficile. Les mouvements dont nous venons de parler se dessinent de plus en plus quand l'audition est difficile. Les oreilles Sont non-seulement dressées mais tendues dans la direction d’où vient le bruit. 3° Audition douloureuse. Si le bruit éveille des vibrations douloureuses, les deux oreilles se cou- chent et se replient en quelque sorte vers le cou ; dans ce cas, la transmission des sons jusqu’à l’o- reille est rendue moins facile. h° Audition contrariée. Certaines causes qui portent obstacle à la netteté de ia perception des Sons, peuvent tenir à certains états anormaux de l'oreille, tels qu'une oblitération de la trompe Eustache par des mucosités attachées à son orifice interne, ou bien l’obstruction du conduit externe par une cause quelconque. De ces deux mm, NN ONCE COUT PNR ME ee ee y AP ARS ” 150 DE LA PHYSIONOMIE ES causes d’embarras résultent deux mouvements très-habituels à l'homme. L’un consiste à se pré- parer à mieux entendre en toussant et en $e rar clant à plusieurs reprises le gosier. L'autre mou- vement a pour but de dégager les orifices externes de l'oreille, soit en secouant la tète pour écarter les cheveux, soit en les rangeant avec la main, soit enfin en allant plus profondément chercher l'obstacle à l'aide d’un doigt introduit dans le con- duit auditif externe. Remarquons que ce MOouve- ment qui n’appartient qu'à l’homme à, si j'ose le dire ainsi, plus de profondeur que les autres. Il témoigne d’une gène très-grande apportée à l'au- dition.. B. Animaux dont l'oreille externe esl immo - bile. Les animaux qui n'ont point d'oreille externe mobile et ceux qui n’ont qu'un pavillon rudimen- taire ne peuvent diriger leurs oreilles elles-mêmes vers le lieu d’où viennent le bruit ou le son. Dans ce cas, c’est la surface externe du crâne et de la face qui fait office de pavillon. Et dans l'impossi- bililé où l'animal ge trouve de rapprocher à la fois du même point les deux côtés de la tête, il ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 151 n’écoute que d’une seule oreille à la fois, mais il les emploie alternativement l’une et l’autre, soit pour prévenir la fatigue d’une seule oreille, soit pour les faire participer toutes les deux à de douces impressions. Ge mouvement est bien mar- qué chez l’homme et chez certains animaux que la musique charme, tels que beaucoup d'oiseaux et de sauriens et peut-être même quelques ophi- diens. Dans quelques genres où l'influence de l'homme a créé des races distinctes, l’oreille subit des mo- difications très-étendues. C’est ainsi que, tandis que les chiens à demi-sauvages ont l’oreille droite et pleine de mouvement, les chiens que la civili- sation a modifiés ont au contraire l'oreille flasque ‘et pendante. Ils ne peuvent la dresser, mais tout au plus la soulever en érigeant sa base. Aussi essaient-ils de compenser cette imperfection en écoutant de côté, ce qui arrive souvent aux chiens les plus intelligents. Tout le monde a pu faire ces remarques, qui, pour être vulgaires, n’en sont pas moins d'importance. DE L'EMPLOI DU NEZ. XXXIX. — Le nez peut être considéré comme 152 DE LA PHYSIONOMIE organe respiratoire et comme appareil d'olfac- tion. Les deux ordres de mouvements correspon- dant à ces deux fonctions sont d’ailleurs inces- samment combinés. Chez l’homme les narines sont actives pendant l'inspiration. Elles se dilatent et s’élèvent légère- ment chez quelques hommes; la pointe du nez s’abaisse alors, mais d’une manière insensible. Pendant l'expiration, les narines sont flasques et molles, et, repoussées par le souflle, elles se gonflent légèrement. Les singes n’ont point les narines mobiles et ces mouvements n’y sont jamais apparents. Ils le sont au contraire à l'excès chez quelques mammi- fères, tels que les chevaux. Chez d'autres animaux, les narines elles-mêmes sont peu mobiles ; mais, en revanche, le nez, dans sa totalité, à beaucoup de mouvement, et souvent il devient alors un organe de toucher. Les mouvements des narines sont nuls dans les oiseaux et dans la plupart des ovipares. Nous n'avons parlé jusqu'ici que des mouve- ments habituels. Si la respiration nasale est em- barrassée par un obstacle, l'animal cherche à re- jeter cet obstacle par une expiration brusque. == 5 - - _ : TE Se D ne en TT NT SO SES a rm jap 2 jp Se pen its CAES 3h ES — à |! péénas. one gere eh sé PR EU ne 7 mn ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 153 Sn, | Pendant cette expiration l’homme soulève ses na- rines, et les côtés du nez se froncent comme pour | laisser un libre passage aux choses expulsées, Ge | Mouvement témoigne d’un embarras local. XL. — Plusieurs de ces mouvements se repro- 4 duisent dans le cas où le nez agit comme organe L. | d’olfaction. 1° La simple attention du nez en tant qu'organe Li olfactif s'exprime par une légère dilatation des narines ; mais lorsque l'attention se prête aux exi- gences d’une analyse délicate et subtile, ce mou- vement reçoit quelques modifications intéressantes | dont l’ensemble caractérise l’action du plaisir. Dans le flair, le nez se couche légèrement, il se dilate et une inspiration saccadée fait entrer à petits coups les effluves odorantes. Dans l’homme, l’action de flairer a toujours la forme de l’inspi- ration, Mais il n’en est pas de même dans les ani- maux. En effet, chez un grand nombre de mammi- fères existe un appareil olfactif supplémentaire qu'a découvert, le premier, le célèbre Jacobson. | Cet appareil est fort développé dans les herbi- | vores, où il paraît jouer un rôle important ; et il | existe aussi, bien qu’à un moindre degré, dans les 9 N a ne UE TU 154 DE LA PHYSIONOMIE joe RUES. RE ES, animaux carnassiers. On s'assure, par l'expé- rience, que rien ne peut pénétrer dans cet organe accessoire que pendant un brusque mouvement d'expiration. Aussi, certains animaux mêlent-ils aux mouvements ordinaires du flair, un souflle nasal assez rude qui n’a, dans l’homme, aucun analogue. L’organe de Jacobson juge de la nature des choses odorantes, mais non de la direction des effluves. 11 contribue à la finesse des percep- tions, mais il ne concourt point à leur étendue. 90 Olfaction difficile. L'insistance avec laquelle flaire un animal, indique la difficulté de la per- ception, ou bien l'intérêt qu’elle inspire. Souvent les odeurs se dissipant dans l'atmosphère, la re- cherche de leur origine est un problème subtil. Certains animaux emploient à sa solution une finesse singulière. Leur tête se portant en avant, ils interrogent toutes les directions, toutes les voies. L'homme n’a qu'un diminutif de ces mou- vements. 3 Olfaction contrariée. Les causes qui appor- tent un obstacle à l'exercice de l’olfaction étant identiques à celles qui empèchent la respiration nasale, sont combattues de la même façon par des expirations brusques et expulsives. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 155 | h° Olfaction douloureuse. Si la chose qui agit | Sur les fosses nasales détermine des impressions désagréables ou douloureuses, plusieurs mouve- ments très-difficiles peuvent se produire. Or, il faut distinguer trois cas : | | (a) Les exhalaisons odorantes ont été introduites | dans les fosses nasales; on s'efforce alors de les | | rejeter par une expiration brusque. La lèvre supé- | rieure est presque toujours entraînée dans ce | mouvement qui ressemble à celui de l’olfaction contrariée, bien qu’il soit en général plus pro- longé. C’est là une expression de répulsion. (b) Les matières qui blessaient le sens de l’ol- faction ayant été rejetées, on s’efforce d’en pré- venir l'introduction nouvelle. Dans ce cas, le nez se recourbe, les narines s'appliquent contre la cloison, et la lèvre supérieure, relevée par son releveur propre et refoulée par la lèvre inférieure, s'applique comme un appareil contre les ouver- tures nasales. Ce mouvement exprime un refus formel. | | = (ec) Une odeur étant mauvaise, on veut néan- | moins l’analyser. Dans ce cas, on obture à demi | Son nez, ainsi que nous venons de le dire, et on _ne laisse passer les inspirations du flair que par 156 DE LA PHYSIONOMIE une ouverture fort étroite. Ge mouvement résulte de cet instinct naturel qui porte les êtres à se protéger; il exprime à la fois le doute, le soupçon, a répugnance et le dégoût commençant. XLI. — Tous ces mouvements sont à peu pres l'apanage exclusif de l’homme, la lèvre supérieure ne se distinguant d'avec le nez comme appareil nettement limité que dans l'homme et dans les vrais primates. Je veux parler ici des singes ex- clusivement. : Ces observations sont simples et vulgaires ; aussi l'insistance avec laquelle je les signale : pourra-t-elle paraitre au premier abord superflue. Mais les mouvements habituels sont les princi- paux éléments de la mimique naturelle, et la ri- gueur de la méthode expérimentale ne permet d’en négliger aucun, DE L'APPLICATION DE LA BOUCHE. XLII. — La bouche nous apparaît sous un as- pect multiple. 1° De la bouche considérée comme organe de préhension. — Les lèvres et les dents étant, chez la plupart des animaux, les agents principaux de cette fonction, l’homme lui-même, dans certaines ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 157 OCCasions accessoires, saisit avec les dents et les” lèvres, et, sous ce point de vue, le type animal se dessine encore chez lui. Les mouvements des lèvres comme organes de préhension sont bien connus. L’homme les pré- sente à un haut degré, et parmi les primates, ils / sont surtout marqués chez les singes anthropo- morphes. Les carnassiers ne saisissent point avec leurs lèvres ; mais ces organes ont dans ce but un mouvement très-prononcé dans les herbivores, et plus particulièrement dans les chevaux. Les mouvements préhensiles des lèvres sont _très-significatifs; on les voit alors s’avancer en pointe en s’écartant légèrement. Dans ce mouve- ment, la muqueuse se renverse légèrement à l’ex- térieur. Puis, quand l'animal a saisi l’objet qu’il désire, il les ramène vers la bouche par un mou- vement inverse qui fait rentrer en quelque façon dans cette cavité la face cutanée des lèvres. Chez un grand nombre d'animaux la langue aide et supplée à leur action en tant qu'organes préhensibles; c’est ainsi que les animaux carnas- siers et les ruminants, parmi lesquels je citerai plus particulièrement la girafe, en font un fréquent usage. On retrouve dans l’homme enfant des mou- “ pit pement ti oo ht, 158 DE LA PHYSIONOMIE vements analogues. Mais comme ils rappellent la voracité brutale des bêtes, les hommes chez les- quels le sentiment de la moralité s'élève, en pros- crivent l'emploi. _ Les lèvres et la langue étant en général des or- ganes fort délicats et d’une faible énergie motrice, on conçoit qu'instinctivement elles ne seront jamais employées à la préhension des objets trop résistants, ou de ceux qui affectent péniblement la sensibilité de l'animal ; ainsi l'emploi de la langue et des lèvres, dans la préhension d’une chose, indique à la fois que cette chose {latte agréablement les sens et qu’elle ne peut résister. Or, si la chose résiste, les dents interviennent pour saisir avec plus de force. Si elle résiste passivement comme le font les herbes que broute le ruminant, les dents et les lèvres agissent à la fois : mais si la proie est vivante, si elle lutte, les lèvres s’écartent, et les dents, mises à découvert, deviennent les agents exclusifs du rapt violent el de la préhension furieuse. C’est aussi avec les dents exclusivement que les carnassiers saisissent et mettent à mort cer- tains ennemis objet de leur haine, mais dont odeur les révolte, de peur sans doute que ce con- _— + . a qe D | 2 mE Se ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 159 tact impur ne blesse les parties sensibles. Des mouvements analogues sont quelquefois obser- vés dans l'espèce humaine. En nous résumant, l’action de saisir avec les dents exclusivement correspond à un sentiment de fureur et de dégoût. | 2 De la bouche en tant que ses mouvements re- fusent ou rejettent. | Lorsque l'introduction d’une substance qui ré- pugne menace l'animal, les lèvres se pincent par un effet de la contraction de leur orbiculaire; en outre, les dents se serrent, en sorte que la bouche est hermétiquement fermée. Cet ensemble de mouvements se développe chez les enfants avec une extrême évidence, lorsqu'on essaye de leur faire prendre un médicament dont la saveur les révolte. Si une substance capable de fatiguer où de blesser l’un des modes de la sensibilité dont la bouche est le siége, a été introduite, elle est aussitôt rejetée. Il importe de ne rien omettre dans l'analyse de ce mouvement. (a) Si l'impression reçue déplait simplement, ou mot, s’il s’agit d’une sensation fade ou ennuyeuse, pour dire plus naturellement ne plaît pas: en un 160 DE LA PHYSIONOMIE — on rejette la chose qui la fait naître: mais, dans l'ordre physiologique, l’action dans un système or- ganique étant proportionnelle à l'impression reçue, on rejette cette chose indifférente avec indiffé- rence, Ce mot de rejeter peut donc paraître trop fort; il enferme l’idée d’une action trop énergique. Il vaudrait mieux dire que la bouche ne retient plus cette chose, qu’elle la laisse s’écouler et se perdre. Dans ce mouvement empreint d’une su- prême indifférence, la lèvre inférieure et la mà- choire elle-même retombent abandonnées à leur poids. C’est là un exemple entre mille du mouve- ment passif, (b) Si la sensation dont il s’agit détermine plus d'impatience, on rejette avec plus de force. La lèvre inférieure fait alors saillie comme un bec d’aiguière, et dans ce mouvement les coins de la bouche s’abaissent. Ce mouvement est complété par une respiration soufflée qui chasse sur la lan- gue ainsi avancée en gouttière la substance qui éveille le dégoût. (c) Si l'impression reçue détermine une sorte de douleur mêlée d'angoisse, si elle se répand sur toute la muqueuse orale, la salive coule en abon- dance pour laver en quelque sorte les parties ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 161 souillées de la cavité buccale, et une expiration brusque, raclante, déblayant l’arrière-gorge, ra- mène tous les liquides vers la partie antérieure de la bouche dont l’expuition les chasse. Le mot ex- puilion exprime dans son sens général ce double “mouvement ; mais, dans son sens onomatopique, il imite plus particulièrement le second, tandis que le mot cracher imite plus particulièrement le bruit qui se fait entendre dans la gorge pendant le mouvement préparatoire, | | En eflet, le bruit qui se fait entendre quand ! nous rejetons des lèvres est naturellement Ft ou Pit; ces bruits, dans la langue familière, deviennent des gestes habituels, ils sont, à n’en point douter, les racines premières des mots Fetidus, Putidus, Ptusis, etc. Quant au mot français cracher, il dé- rive bien évidemment du son guttural qui se pro- | duit dans le temps préparatoire de l’expuition, et | qu'on peut écrire ainsi : Krrrk. Il correspond au verbe Krahen des Allemands. (d) Si l'impression douloureuse ou dégoûtante a agi sur les nerfs de l’arrière-gorge et de l’isthme du gosier, les sympathies habituelles de ces nerfs, déterminent le vomissement.: Dans le vomisse- \ ment, les arcades dentaires s’écartent, les lèvres | nr ste 162 DE LA PHYSIONOMIE se rétractent en tout sens de peur d’être souillées par le contact des matières expulsives, et l'effort seul de l'estomac chasse par un jet subit les sub- stances qui révoltent la sensibilité générale. Ces quatre mouvements ont une signification évidente. Le premier indique l'ennui, le second et le troisième le dédain et le dégoût; le quatrième exprime l'horreur, et, si je puis le dire ainsi, la révolte de l’organisation tout entière contre une sensation mauvaise. 3° De la bouche considérée comme organe du goût et des saveurs agréables. Si la substance introduite dans la cavité buccale flatte le sens du goût, lessucs salivaires abondent; de légers mouvements de mastication se produi- _sent; la langue cherche instinctivement le corps sapide jusque sur les lèvres et le promène sur le palais, et alors surviennent deux ordres de mou- vements très-curieux que nous allons étudier. ‘ke De la bouche considérée comme organe de déglutition. Si l'impression reçue est caressante et agréable, _elle peut se mêler à un sentiment de faim avide ; la substance est à peine goûtée qu’elle est aussitôt avalée et redemandée de nouveau. C'est là le = er no onto ec AE mn DT M ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 163 | | | mouvement animal qui prédomine chez les en- | fants et chez les hommes affamés. Quelquefois la langue est portée hors de la bouche avide et vi- | brante, elle caresse les lèvres : ces mouvements Ca expriment le désir impatient. Mais à ce premier | 4 | mode de déglutition, l'intelligence en substitue un | autre plus savant que j’opposerai à la déglutition | de l’homme affamé, comme formant avec celle-ci | 4 | le plus étonnant contraste. | Examinons un habile dégustateur ; après avoir me sais flairé une coupe remplie d’un vin précieux, il la porte légèrement à ses lèvres qui en saisissent le bord sans trop anticiper sur lui. Puis il aspire he avec lenteur une petite quantité du liquide par- Be fumé : je dis petite, et en effet une quantité trop grande s’opposerait à l'exécution des mouvements | que je vais décrire. Cette petite quantité de vin n’est point immé- 11 diatement avalée. Loin de là, elle est recue dans le vestibule oral, je veux dire dans l’espace qui sépare les lèvres d’avec les incisives. Puis les lèvres se pincent et chassent doucement et par | une pression mesurée, le liquide qui passe au tra- vers des interstices des dents et tombe goutte à goutte sur la pointe de la langue; celle-ci est abais- | | us 164 DE LA PHYSIONOMIE sée contre les incisives inférieures, en même temps que sa partie convexe touche au palais, de ma- nière à intercepter derrière les arcades dentaires un espace médiocre. De cette façon chaque goutte tombant dans ce petit espace est à son tour ana- lysée, appréciée, savourée, et de légères oscilla- tions de la langue agitant le liquide introduit contre le palais, multiplient les contacts et aug- mentent ainsi l'intensité de l'impression primitive. À mesure que ces mouvements s'exécutent, les lèvres de plus en plus tirées en arrière se pressent doucement contre les arcades alvéolaires, et leurs coins s'élèvent un peu; deux petites fossettes, où du moins deux plis légers se dessinent alors à la partie moyenne des joues; c’est là le prototype du sourire précieux. Quand tout ce que les parties antérieures peuvent percevoir de saveur a été épuisé, le liquide savouré est porté doucement vers les parties postérieures de la bouche entre le voile du palais et la base de la langue. La pointe de la langue est surtout le juge des saveurs excitantes; mais C'est surtout à la partie postérieure de la bouche que sont per- çues les saveurs chatouillantes et suaves. Pendant ce mouvement qui s'exécute avec d’autant plus de ET DES MOUVEMENTS D’EXPRESSION. 165 lenteur que le gourmet est plus délicat et plus fin, le plancher de la bouche se relève et se tend légè- rement: mais, l’instant d’après, commence une déglutition très-lente, que l’on exécute en tendant légèrement le cou. À mesure que la déglutition s'achève, latête s'incline légèrement etla mâchoire inférieure se rapproche de l’os hyoïde. Ce mouve-. _ment n’est point différent de celui par lequel on se rengorge; et lorsqu'il est continu il produit une attitude qui a été fort à la mode chez les femmes à une certaine époque, si on se fie aux portraits qui nous restent du temps de Louis XIII et de Louis XIV. | À ces mouvements en succède un autre qui en est comme le couronnement. Les lèvres s’entr'ou- vrent et la bouche se remplit d’air par une aspi- ration lente. Get air se répand, se dilate ; il dissout les dernières molécules volatiles du liquide qui mouille encore la cavité buccale, et les fait goûter sous une forme nouvelle. Il se peut que la sen- sation de l’air frais, se mêlant alors aux impressions rapides , les réveille et leur donne plus de vivacité. Quoi qu’il en soit, remarquons que ces mouvements propres à l'espèce humaine et particulièrement aux races civilisées, accompagnent des sensations “ ed le md qe ag mt. nr ne nsene _— e e - ge "5% Eee > ET 1. Aer A LR gl Sn Ge on RS ts ts 166 DE LA PHYSIONOMIE fines , voluptueuses, et aux caresses desquelles l'or- ganisme entier se délecte. Je dirai en parlant des mouvements sympathiques quelles expressions se mêlent à celles-ci; mais n’anticipons point sur ces choses, | 5 De la bouche en tant qu’organe de respi- ralion. La bouche est encore un organe habituel de respiration. Toutes les fois que la respiration nasale est insuffisante aux besoins de l'organisme, l'homme et les animaux respirent par la bouche. Mais c’est à l'homme surtout que s'appliquent les choses que je vais dire. Nous verrons en quoi les propositions que je vais énoncer devront être mo- difiées en ce qui concerne les animaux, Nous distinguerons dans l’homme deux modes de respiration buccale : le mode facile et le mode difficile. 1 y a donc deux manières de respirer par la bouche; et ces deux respirations sont dues au jeu de faisceaux musculaires complétement différents. | (a) Respiration facile. La respiration facile a pour agents principaux les muscles zygomatiques ; ces muscles élèvent la lèvre supérieure, et attirent légèrement en haut les commissures de la bouche. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 167 Dans ce mouvement, la lèvre supérieure vient le plus souvent affleurer le bord des incisives supé- rieures. Cela n'arrive cependant pas toujours, la bouche pouvant s’entr'ouvrir par un écartement léger des arcades alvéolaires. Ce mouvement est le sourire. 11 se produit toutes les fois qu'un sen- liment de plénitude, d'activité et de vie éveille l'instinct de respirer davantage, non par nécessilé Mais par plaisir, Mon but n’est point de distinguer ici entre les . différentes espèces de sourire; nous y reviendrons ailleurs. Je parle du sourire simple, qui est essen- tiellement un mouvement de respiration facile. (b) Respiration difficile. La respiration difficile à pour agents les muscles abaisseurs des lèvres, | tels que le triangulaire et surtout cette terminai- Son faciale du peaussier cervical, à laquelle on donne si improprement le nom de risorius. C’est Muscle {riste qu’on aurait dû l'appeler; et en effet, n'est-il pas le muscle de la dyspnée, de lhorripi- lation et de l’an goisse ? Ces muscles agissent toutes les fois que l'air manque, que les poumons sont insuffisants , qu’un spasme trouble l'harmonie des fonctions intérieures. Ils abaissent les angles de la bouche et rétractent la lèvre inférieure. Remar- 2 DE LA PHYSIONOMIE quons que ce Mouvement accompagne toujours le sanglot et coincide avec des impressions doulou- reuses. L'opposition des mouvements dont nous venons de parler n’est bien marquée que dans l'espèce humaine, à cause de l’angle droit que forme l’axe de la tête avec l’axe du rachis. Dans les animaux quadrupèdes où la tête se place de plus en plus: dans la direction générale de la colonne vertébrale, : les fibres des zygomatiques deviennent parallèles à celles du peaussier cervical, et les résultantes de leurs contractions se confondent. Il est une remarque que je ne puis omettre ici; c'est que le zygomatique n’est pas seulement un muscle de respiration. Chez quelques animaux éminemment carnassiers, tels que les jelis, il ne s'insère plus aux commissures des lèvres ; mais il soulève la lèvre au niveau des canines et agit surtout dans les cas où il s’agit de découvrir ces armes terribles. Il a donc ici une acception un peu différente. Dans ce cas comme dans celui ou le muscle canin mêle son action à celle des zygomatiques, il n'y a plus sourire véritable, mais réctus ; et si à ce mouvement produit par une grande inspiration se ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 169 mêle un grand abaissement de la lèvre inférieure et du maxillaire, ce mouvement s’appellera bäille- ment. Nous avons dit plus haut dans quelles cir- constances le bäillement se produit. Le sourire réel et simple, c'est-à-dire ce mou- vement qui élève l'angle de la bouche, est exclu- sivement propre à l'espèce humaine. Il n’y à rien de semblable même dans les singes les plus élevés. Parmi les carnassiers, les animaux des genres ursus, canis et hyæna ont certains mouvements qui rappellent le sourire, mais d’une façon éloi- gnée et douteuse qui ne permet point la compa- raison. Au-dessous des animaux mammifères, il n’y a plus de mobilité dans la face, et partant plus de sourire possible. Dans ce cas tous les mouve- ments aboutissent à deux actes opposés, ouvrir et fermer les mâchoires. Or, il est facile de produire ces mouvements sur le cadavre; mais les peaussiers qui agitent la face des animaux mammifères ne peuvent être imités après la mort absolue par au- cun moyen mécanique. Rien ne peut réveiller ou même feindre cette lumière de la vie. La variété de ces mouvements de la bouche, Presque toujours combinés à ceux du nez, est telle que je ne puis songer à les décrire tous. Ge 10 cinquante nd 170 DE LA PHYSIONOMIE que j’en ai dit suflira du moins pour faire com- prendre combien ils sont variés, combien leurs transitions sont délicates et subtiles. J'aurais voulu n’en omettre aucune, mais ce serait en quelque sorte me perdre dans l'infini, et les détails dans lesquels je suis entré paraîtront peut-être déjà trop étendus. DE L'APPLICATION DU TOUCHER; XLIIIL. — La bouche peut être encore consi- dérée comme organe du toucher. Les lèvres sont, chez la plupart des animaux, les agens d’un tou- cher subtil. Souvent, le nez pariage cette haute prérogative avec la lèvre supérieure qui se confond alors avec la marge de l’orifice nasal. Dans l’homme lui-même, les lèvres sont le siége d’un toucher fort délicat, mais moins fait pour apprécier la forme des corps que pour éprouver certaines impressions subtiles. Les sym- pathies de la cinquième paire, qui fournit aux lèvres de riches expansions nerveuses, permettent d'expliquer les effets singuliers .que ce toucher excite parfois dans tout le système viscérai. Mais nous expliquerons plus au long ces choses dans la suite de ce livre. serpe e ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 164 Du corps tout entier en tant qu'organe du toucher. XLIV. — Afin de mieux établir les propositions qui font le sujet de ce paragraphe, il importe de bien expliquer ici quelles sont les fonctions de la peau en tant qu'organe de sensation, et comment ces sensations peuvent influer sur l’ensemble des mouvements du corps. | 1° En tant qu’organe de sensation, à peau est essentiellement L organe de la perception de la température. En effet, toute action, toute pression, toute blessure, produisent au summum de la douleur qu’elles déterminent, une sensation de chaud où de froid; or, ces sensations elles-mêmes à leurs extrêmes limites se confondent; en sorte qu'un froid intense amène une sensation fort semblable à celle de la brûlure. 20 La faculté d'apprécier la résistance et la forme des corps n’a point son siége dans la peau, Mais dans les muscles. | Er effet: (a) je suppose que mon doigt soit pris entre deux masses dont l’une est immobile et l’autre en mouvement, entre les deux mâchoires d’un étau, par exemple. J’éprouve sans doute une Ds En — ME d'oise EE ane RE rocher nr 172 DE LA PHYSIONOMIE douleur plus ou moins grande; mais quelle que soit cette douleur, elle ne me donne directement l’idée d’aucune résistance. (b) J'applique mon doigt sur un coips dur. Si toutes les papilles sont uniformément pressées, la sensation est uniforme, et de cette uniformité nait, comme conséquence, l’idée d’un corps plus ou moins poli, mais cette idée n’a jamais la certitude qu’on lui suppose; elle nait d’un jugement, elle n’est point primitive; de mème si quelques points de mon doigt sont plus vivement affectés, je juge par habitude qu'ilyaen ces points une saillie plus grande. Mais ce jugement peut être égaré dans beaucoup de cas: en effet, un point saillant peut être remplacé par un point en mouvement où même par un point plus échauffé. Et, dans ces deux cas, l'idée de saillie se produira également ‘. L'idée de la résistance nous vient d’autres voies. Qu'est-ce, | en effet, qu'apprécier une résistance? Cest, comme ce nom le fait entendre, mesurer la quan- tité du mouvement nécessaire pour la vaincre. Dès lors, le sens de la résistance n’est point dans la peau, mais dans les nerfs musculaires. Un 4. On peut faire à ce sujet l'expérience suivante : AB est une lame de cristal très - régulièrement percée à son centre d'un RS ec ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 173 homme dont les muscles sont paralysés n’appré- cie point les résistances, bien que la sensibilité Soit complète. <. (c) Il y à encore dans le sens complet du toucher Un troisième élément par lequel nous apprécions dans les corps non plus leur température et leur ré- Sistance, mais la forme sous laquelle ils sont limités dans l’espace. C’est là encore une de ces questions de psychologie desquelles on peut heureusement trou C dont le diamètre ne doit pas excéder un millimètre. Une tige métallique cylindrique est adaptée à frottement dans cette Ouverture, et son extrémité est rigoureusement coupée par le | e Me [ JE 5) : NE E < 12 Plan FH qui limite supérieurement la lame de cristal. Une pe-. tite virole E empèche la tige DC de s ani au delà dans l’ou- Yerture C, É Les choses étant ainsi disposées, si le doigt est appliqué en C, les pressions seront uniformes et donneront l'idée d’un corps 10. RE EE a = nr RÉ EN ne Eee carnteme ane) 174 DELA PHYSIONOMIE faire des questions de physique expérimentale. La proposition principale que nous nous propo- sons de démontrer ici peut être ainsi formulée : La forme des corps n’est point directement per- cue par le sens du toucher en tant qu'il a pour siége les couches cutanées. Soit AB un disque de bois ou de métal parfaite- 12 HET AS pme de D ment tourné et poli ; ce disque peut tourner horizon- talement autour d’un axe de métal CD. L'appa- plan. Mais si l’on porte à 60° environ la température de la tige métallique et qu’on recommence l'expérience, l'équilibre de tem- pérature étant détruit entre la lame de cristal et l'extrémité de la tige ainsi échauffée, il y aura en C un point plus excitant. Dès lors, l’uniformité de l'excitation étant détruite, le doigt ap- pliqué de nouveau ne sentira plus une surface plane, mais une pointe saillante dans le point qu'occupe l'extrémité de la tige échauffée. Fa On obtient le mème résultat et d’une manière encore plus évi- dente lorsqu'on imprime à la tige DG un rapide mouvement de rotation sur son axe. Les mêmes faits peuvent être démontrés en cent manières: ss x ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 175 reil étant ainsi disposé, supposons qu'un homme aveugle ou les yeux bandés vienne toucher du bout d’un de ses doigts le bord poli du disque ; il: recevra de ce contact une certaine impression, et, après que le contact aura cessé, il en conservera quelque temps le retentissement, ou, si l’on aime mieux, le souvenir. | Or, supposons que notre aveugle salepitet de nouveau le bout de son doigt sur le bord de la table, je veux dire sur le point qu’il avait primi- tivement touché; il est clair qu’il recevra de ce contact une nouvelle impression en tout semblable äla première. Cette proposition n’exige aucune démonstration pour le cas où le disque est demeuré immobile. Mais admettons qu’il ait silencieusement tourné Ainsi si, le doigt étant couché sur une table, on pose verticale- ment une toupie sur sa pulpe, on pourta augmenter à son gré l'impression que ce contact détermine en faisant tourner plus ou moins rapidement ia toupie sur son axe. On aura-dans ce cas l'idée d’une pression plus grande. Ces expériences permettent de démontrer avec certitude que certaines idées que nous considérons comme le résultat direct d’une impression tactile, naissent de nos jugements plutôt que de nos sensations; que la peau n’apprécie en réalité que le plus ou moins de chaleur, le plus ou moins de douleur que les nerfs ressentent, qu’en un mot elles n’apprécient point réellement les pressions et les résistances. | OT ET eee gerin, 176 DELA PHYSIONOMIE. sur son axe pendant l'intervalle de deux contacts, il est évident qu’alors le point que le doigt ren- “contre n’est point nécessairement celui qu’il avait primitivement touché. Mais si ce point est en tout semblable au précédent, sil est à la même distance du corps et dans un même rapport avec lui, les impressions reçues devront être sem- blables, et l'intelligence devra conclure à l’iden- tité de ces points. Ainsi, dans cette sensation nou- velle, tout sera semblable à la première, et si souvent que l’expérience soit répétée, elle donnera toujours et irrévocablement le même résultat, c'est-à-dire après une sensation une autre sensa- tion pareille. L’idée de cercle ne sera nulle part. On peut faire avec le même appareil une autre expérience non moins concluante. Le doigt étant appliqué sur le bord de la table, et la main étant maintenue dans une situation fixe, on fait tourner le disque sous le doigt qui le touche. Le frotte- ment que le bord du disque exerce, mettant en quelque sorte les nerfs cutanés en vibration, fait naître l’idée d’un mouvement. Mais quelle est la forme du corps en mouvement? Voilà ce que notre aveugle ne peut dire. Cette succession uniforme d’impressions semblables réveille aussi bien en ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 171 lui l'idée d’une ligne droite que celle d’une ligne courbe. Il serait même impossible de distinguer, dans ce cas, une convexité d'avec une concavité , pour peu que la courbe du disque ou du cercle fût | étendue. L'expérience démontre aisément tous ces faits. : (d) Maintenant, rendons la liberté à notre aveugle, et demandons-lui quelle figure limite le corps qu’il a touché. Le procédé qu’il mettra en usage est simple : il tournera autour de la table, il décrira, soit avec la main, soit avec le corps tout entier, des cercles autour d’elle, et par la comparaisop des mouvements qu’il aura décrits avec certaines idées abstraites dont son esprit garde le type et la formule, il dira que cette table est circulaire. Or, que découvrirons-nous dans ce jugement ? Une faculté nouvelle ? Non, sans doute; mais une faculté admirable que nous employons à chaque instant, sans daigner lui rendre dans les rangs de nos facultés principales le haut rang qu’elle oc- cupe; je veux dire la faculté de sentir n0S MOU- vements , de sentir nos attitudes et de percevoir nos parties non-seulement en elles-mêmes , mais encore dans leurs rapports accidentels avec les RS RS Se PTE RSS DE LA PHYSIONOMIE autres parties de notre corps; en sorte que par elle nous sentons nos membres, ces membres que la volonté déplace à chaque instant, au lieu où ils sont réellement dans l’espace. Cest là, sans doute, une faculté admirable, et cependant peu de phy- siologistes en ont parlé. Un habile naturaliste, M. Hollard, discutant quelques-unes des proposi- tions fondamentales de la théorie de Ch. Bell, à fait observer que dans les raies les racines posté rieures ou sensitives des nerfs rachidiens étaient égales en volume à leurs racines antérieures ou motrices, bien que chez ces animaux la peau, sauf les parties qui dépendent de la cinquème paire, soit presque absolument dépourvue de nerfs, ceux- ci se répandant presque en totalité dans les muscles dont la masse de l’animal se compose. Cette observation très-juste ne détruit point la théorie de Bell, mais elle oblige peut-être de ne point considérer comme absolument synonyme ces expressions, nerfs cutanés et nerfs sensitifs, nerfs musculaires et nerfs moteurs. N’y aurait-il pas ici quelque nouveau mystère à dévoiler, quel- que nouveau problème qui semble soulever à T'envi tous les faits dont la science s’est enrichie pendant ces dernières années. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 179 Se Cette recherche a, dès à présent, des bases pré-. cieuses. En effet, les expériences de M. le pro- fesseur Flourens ont appris aux physiologistes que le cervelet n'est point le foyer générateur de la puissance motrice, mais qu’il en est l’ordonna- teur, si je puis ainsi dire. D'autre part, M. Foville, admirant à bon droit les connexions étendues que les faisceaux postérieurs de la. moelle ont avec le cervelet, fait de cet organe un centre de sensa- tions; or, ces deux théories , ou plutôt ces expé- . riences d’une part et ces inductions de l'autre, me paraissent conduire an même résultat général, et que je vais essayer d'expliquer. 4° Le cervelet ne peut être considéré comme. Organe de sensation cutanée. En ellet, dans tous les animaux auxquels M. Flourens a enlevé cet Organe, la sensibilité cutanée est demeurée in- tacte. a 20 On ne peut supposer davantage que le cer- velet soit la source de l'excitation motrice. Après la section du cervelet les mouvements ont encore une grande énergie, mais ils ne sont plus coor- donnés. | | 8° La faculté de coordonner les mouvements est donc la seule qui reste en propre du cervelel ; 180 4 -DE LA PHYSIONOMIE mais coordonner c’est mesurer, et mesurer c’est sentir. Le cervelet, organe coordinateur, est donc aussi un organe de sensation. - 4° Cr, quel nom donnerons-nous à ces sensa- tions dont le cervelet est le centre? À priori nous les nommerons sensations musculaires. : 5° Noussupposons, en effet, qu’il part des muscles certains nerfs qui portent au cervelet des impres- sions qu’il mesure, et suivant lesquelles il règle l'émission de la puissance motrice. Ce serait donc pär lui surtout que nous sentons nos membres où ils sont réellement. C’est là une hypothèse sans doute, mais une hypothèse infiniment probable. Malheureusement elle ne peut être démontrée que par des recherches faites sur l’homme lui-même. Or, il serait curieux de constater si, dans ces cas très-rares où des lésions du cervelet détruisent son influence sur les mouvements, l’homme a conscience de la position de ses membres dans l'espace. On conçoit, en effet, qu’à une pareille question l’homme seul pourrait répondre, et l’homme échappant en grande partie au domaine de la physiologie expérimentale, il ne m’est pas permis pour le moment de rien décider sur ce point. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 181 D CEST Quoi qu’il en soit, l’action générale du toucher Se compose de trois actions distinctes : Par la première, nous percevons nos sensalions cutanées. | Par la seconde, nous jugeons de l'énergie de LU III \ nos mouvements. Par la troisième, nous apprécions leur direc- lion. | : Nous allons essayer de dire quelles modifications amène dans le corps vivant l’exercice de chacune de ces facultés. | Du sens cutané. XLV. — Le sens cutané peut être envisagé en Premier lieu comme nous faisant percevoir des impressions simples , telles que celles du froid et de la chaleur. Ges impressions peuvent être plus. ou moins profondes, plus ou moins vives; et quand elles dépassent certaines limites elles se changent "224 en douleur. Les mouvements qui succèdent natu- 5 rellement à ces impressions sont faciles à inter- Préter. Si la main touche un corps brûlant, elle S'en éloigne avec précipitation; si la chaleur qui. émane du corps touché éveille au contraire des Sensations agréables, on cherche en quelque sorte 11 182 DELA. PHYSIONOMIE à les généraliser en appliquant les mains étendues sur ce corps et en les promenant sur lui: souvent on oppose alternativement à sa douce influence les deux faces opposées de la main. Ces mouvements ont en général un caractère tout particulier d’on- dulation. Toutefois, s'ils ont pour but de faire cesser une douleur, ils auront plus de roideur, de tension, d'insistance. On peut comparer à ce sujet des enfants lorsque, revenant d’une promenade d'hiver, ils se jettent en entrant sur un poële, et lorsque, déjà réchauffés, ils continuent cependant à se presser autour de lui, retenus par les douces sensations que sa chaleur détermine. Leurs mou- vements prennent dans ce cas le caractère d’une caresse véritable. C'est là, en effet, le prototype de toute caresse, l’instinct de caresser étant dans son principe essentiellement égoiste. Lorsque, au contraire, le contact a produit dans les organes une douleur très-vive, cette douleur “porte avec elle un certain caractère d’étrangeté, elle s'attache en quelque sorte au membre lésé, et c’est alors un mouvement naturel de secouer ce membre pour en détacher celte chose étrangère et ennemie. Ge mouvement n’est pas propre à l'espèce humaine ; on le retrouve aussi chez les animaux ——— 2e ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 183 dont les membres ont une certaine liberté de mou- Yements. J'ai vu un caracal qui s'était blessé à la Patte en lançant inconsidérément un coup de grifle au travers des barreaux de sa cage, se retirer Précipitamment sur trois pattes, en agitant ou Plutôt en secouant la patte endolorie. | Quelques personnes, donnant à la théorie des Causes finales une importance exagérée, seront tentées de supposer que ce mouvement a pour but d'amortir le sentiment de la douleur en amenant une congestion sanguine. Ge résultat peut être Vrai en lui-même, sans être pour cela le but du s Mouvement que je décris ; d’ailleurs le mouvement de circumduction serait à cet égard bien mieux Choisi ; et dans l'hypothèse où se placent les parti- Sans trop exclusifs des causes finales, il n’est pas Permis de penser que la nature se proposant un but, ait pu choisir pour l’atteindre le moyen qui Y conduit le moins sûrement. Quoi qu’il en soit, et nous pourrions entasser | à l'infini des observations analogues, nous con- Cluons de ces remarques < | 1° Que des sensations de contact capables de : faire cesser une sensation douloureuse sont pour- Suiyies ou du moins recherchées avec insistance : 184 DE LA PHYSIONOMIE 2° Que des sensations de contact douces et agréables sont recherchées pour le plaisir qu’elles donnent, et sollicitent des caresses : 3° Que des sensations de contact douloureuses déterminent un sentiment d’aversion instantané, et, si la douleur persiste, un mouvement de ré- volte qui porte à s’agiter comme pour détacher de soi la douleur, ou même à fuir à toute vitesse comme pour s’en éloigner. Ces propositions peuvent être ainsi transfor- mées : 4° Un mouvement tendu des appareils du tou- cher est relatif à une sensation qu’on désire. 20 Un mouvement ondulatoire et caressant des organes du toucher, est relatif à une sensation dont on jouit et qu'on savoure. 3° Un mouvement de révolte dans les membres vivement agités et secoués, ou un mouvement de fuite rapide, peuvent répondre à une douleur qu’on veut automatiquement détacher de soi, ou dont on voudrait s'éloigner. XLVI. — On peut encore considérer le sens cutané sous un autre point de vue : afin de mieux faire comprendre les phénomènes sur lesquels je vais appeler l'attention, je demanderai la permis- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 185 Sion de rappeler une observation que tout le monde à Pu faire, On sait que si l’on frappe avec un petit marteau Sur une lame sonore, ce coup peut avoir deux effets très-différents. 1° Le coup est appuyé; il frappe et pèse. Dans ce cas , le son produit est lourd et bref, 20 Le coup est enlevé; il ne touche qu’un seul instant la lame sonore. Dans ce cas, Le son produit est large et vibre longtemps. Quelque chose d’analogue se produit dans les Ofganes du toucher, surtout dans leurs parties les plus sensibles, celles qui sont le moins exposées aux contacts habituels. Si ces parties sont touchées, même légèrement, et que le contact dure un certain temps, l’impres- Sion est plus ou moins vive, mais sa durée est bornée. | Si les parties sont touchées ou plutôt légère- ment eflleurées et que le contact dure à peine, tous les nerfs touchés entrent pour ainsi dire en Vibration. | L’impression reçue semble d'abord pénétrer Comme un point; puis elle s’élargit et s'étend au- tour de ce point en zones plus ou moins étendues. de TT Men ee agen 6 2 Ë l | DE LA PHYSIONOMIE Cette sensation est singulière; on ne saurait dire si c'est un plaisir trop grand ou une sorte de douleur; elle excite au plus haut point le système nerveux tout entier. Cette excitation est telle que si elle est répétée plusieurs fois de suite, elle jette l'organisme dans un état hystérique accom- pagné de convulsions utiles parfois, le plus sou- vent dangereuses et quelquefois mortelles. La répétition de ces petits contacts sur des parties très-sensibles constitue le chatouillement. L’être dans lequel surviennent des réactions hystériques, est un être chatouïllé. Or, le chatouillement peut accompagner des sensations agréables et des sen- sations douloureuses ; et aux unes et aux autres il donne plus de vivacité et d’étendue, on peut dire qu’il les porte à un degré suprème. Tous les nerfs du corps ne sont pas à un égal degré susceptibles d'être chatouillés. Parmi ceux qui ressentent surtout cette impression, je citerai plus particulièrement les expansions terminales de la cinquième paire et les branches moyennes des paires rachidiennes, celles qui animent les flancs de l'animal. Nous ajouterons à ces nerfs ceux des faces palmaires des mains et des pieds, qu'on peut considérer en anatomie philosophique comme leurs LE ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 187 analogues. Dans la cavité buccale certaines parties Peuvent ressentir à un haut degré l'impression du chatouillement. Telles sont les rugosités pala- tines et la face antérieure du voile du palais. Ces régions méritent d’être attentivement considérées. Nous venons de dire que certaines impres- sions agréables peuvent recevoir du chatouillement plus de force pénétrante et plus de vivacité; de cette combinaison résulte la volupté, qui associe en quelque sorte tous les viscères au plaisir res- senti par un seul organe, et attire à elle toutes les forces, tous les instincts de l'animal. De là la passion singulière avec laquelle il recherche certains contacts. Toutes les espèces de jelis sont avides de caresses. Les hyènes les appellent avec fureur, les chiens les invoquent avec une égale ardeur, quoique avec un peu moins d’égoïsme ; et en général, les animaux sont d'autant plus Caressants que leur sensibilité cutanée esi plus Pxquise. C’est toujours la partie la plus senrilils de leurs Corps qui recherche les caresses ou les donne. Lorsque toute la longueur des flancs et du corps est sensible, l'animal serpente et rampe sous les | Caresses: et ces ondulations se propageant le long me 188 DE LA PHYSIONOMIE des muscles analogues des segments jusqu'aux extrémités de lg colonne vertébrale, la queue se ploie ets agite! ‘Si le corps caressant est immobile, notre animal se courbant et se développant, amène successivement à son contact toutes les parties de son corps. Ges mouvements sont d'autant plus rapides qu’il s’y joint plus d’impatience et moins de volupté. À défaut d'objet caressant, à défaut d’objet à ni caresser, l'animal peut arriver à se caresser lui- même. C'est ainsi que dans l’homme que tour- mente le besoin de sensations cutanées, le cou légèrement contracté s'incline sur l'épaule et glisse en se développant ondulairement sur elle. Le corps tout entier, courbé d’abord, suit le mou- vement ondulatoire et se redresse mollement, tandis que les bras ramenés vers lui pressent les flancs que leur contact fait frissonner. Ce besoin de volupté ramène aussi les membres inférieurs contre le tronc et les fléchit doucement. Ces mouvements qui accompagnent certaines formes du plaisir sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d’y insister ; on conviendra qu’ils n’ont rien de com- mun avec l'expansion que M. Huschkeñçonsidère comme la forme typique de toutes les passions a ns ——— ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 189 agréables. Nous aurons plus tard cent occasions de montrer combien d’exagérations renferme son “. Système. Nous avons dit plus haut que les sensations Qui naissent du chatouillement ont avec la douleur certains points de ressemblance. Elles conduisent même par des transitions insensibles aux plus ex- trêmes douleufs. Le chatouillement si limité que produit la piqûre d’une mouche peut amener une sorte de fureur. Un cheval frémit davantage sous _les picotements de l’éperon que sous l'impression d’une grande blessure. Le moyen le plus simple de faire cesser ces im- pressions chatouillantes est de les étendre ou de leur substituer des douleurs d’un autre genre. Ce dernier moyen est le plus fréquemment employé. On éteint la douleur qui résulte du chatouille- ] ment à l’aide d’une pression énergique, large et | continue. On lui substitue une autre douleur en grattant les parties où vibrent en quelque sorte les nerfs chatouillés. Ces moyens sont très-naturelle- ment et instinctivement employés. On se gratte plus particulièrement la tête où les contacts cha- touillants aboutissent presque toujours à une vive démangeaison. Mais c’est surtout par de grandes ie 190 DE LA PHYSIONOMIE les coudes pressions exercées sur les flancs avec que sont combattus les chatouillements qui por- tent sur les lombes ou sur le thorax. Le caractère essentiellement irritant des der- malgies est bien connu. Il faut plus d'énergie pour demeurer calme sous l'empire d’une déman- geaison que pendant la durée d’une douleur aiguë. J'ai déjà cité la piqûre des mouches. Dans les grandes chaleurs de l'été, leur retour obstiné éveille une impatience générale qui touche à la colère. Le moindre mouvement d’un cheveu dé- termine, dans certains cas, des démangeaisons insupportables, surtout vers la Tégion temporo- mastoïdienne, et la facilité avec laquelle ces im- pressions se produisent fait qu’il suffit de songer à une cause de démangeaison pour l’éprouver aussitôt. Si l’'impatience que la démangeaison sollicite est contenue ou modérée, l’un des doigts de la main se porte vers la partie affectée et presse plus ou moins énergiquement sur elle. Cette action amortit la douleur et peut procurer un calme né- cessaire à l'exercice de la pensée. C’est ainsi que dans les névralgies frontales et dans les odontäl- gies nous exerçons des pressions sur le front ou a ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 191 sur les dents douloureuses. En un mot, de même qu’on arrête en la touchant les vibrations d’une cloche, de même une pression intense suspend un instant la douleur. Mais si l’impatience que la démangeaison amène n’a pas de frein, l'animal abandonné à son instinct se gratte avec fureur , il s’excorie, il se déchire. L'homme fait de même, il imprime jusqu'au sang ses ongles dans les chaïrs, se guérissant ainsi d’un supplice par autre supplice. C’est là l'effet et le signe d'une impatience poussée jusqu'à la lureur. | l | Mais, que dis-je, dans certains cas les ongles ne suffisent plus, les dents se portent alors vers | la partie affectée, et leurs morsures suppléent à cette insuffisance. Dans un cas de panaris, on voit bien souvent le malade chercher à calmer sa dou- leur en mordant sa main au-dessus du point lésé. Ce mouvement est habituel, je dirais même con- stant, chez les personnes dont les doigts ont été comprimés jusqu’à l’écrasement. Le pt emier mou- vement est alors de secouer sa main, le second est de la comprimer au poignet avec la main opposée, le troisième est de la mordre. Souvent alors, tout ‘ en secouant la main lésée, on mord l’autre main. # £ £ : | L 1 Là 192 DE LA PHYSIONOMIE C’est là un exemple entre mille de ces mouvements de sympathie latérale qui nous occuperont dans le chapitre suivant. On peut penser que deux im- pressions égales agissant sur le même nerf, l’une à son extrémité périphérique, l’autre entre cette extrémité et le cerveau, celle-ci peut arrêter la première au passage. Cette hypothèse paraît prouvée par l’heureux emploi des ligatures dans les névralgies, par le ralentissement qu’elles amè- nent dans la marche de l'aura epileptica. Ces ob- servations peuvent jeter un grand jour sur la théorie des mouvements que je viens d'indiquer. Quoi qu'il en soit, ces mouvements répondent à l'existence de quelque irritation douloureuse qu’il s'agit d'arrêter. Du toucher en tant que sens de la résistance. XLVIT. — Cet élément de la sensation complexe du toucher par lequel nous mesurons la résistance que les corps apportent, est mis en jeu d’une ma- nière fort simple. Le membre qui touche est tenu aux trois quarts fléchi et dans un état de situation fixe. La main ainsi maintenue par sa base s'incline ensuite vers l'objet qu’on veut apprécier, tous les doigts étant ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 193 étendus et reliés à l'exception d’un seul, le plus Souvent le imedius, qui s'applique légèrement à l’objet qu'il touche, suspensä manu. La partie qui touche est fort à remarquer; on peut la déterminer à l’aide d’une ligne partant du point central de la pulpe de la dernière phalange, et coupant le som- . met de toutes les courbes que décrivent entre ce point et le sillon unguéal les rangées papillaires. Ce point une fois appliqué, le doigt fait un effort lent pour s’abaisser ; il presse avec mesure; et _Cédant ou pressant ainsi alternativement, oscillant _ par un mouvement latéral, il nous fait porter un double jugement sur la résistance . corps et sur leur immobilité. | Il est d’une extrême importance, lorsqu’on veut toucher avec délicatesse, de toucher autant que possible avec un seul doigt. En effet, plus l’instru- ment est simple et plus les résultats de son action Seront immédiatement acceptables, moins, en un mot, ils exigeront de corrections. Or, on touche plus particulièrement avec le medius, à cause de Son caractère dominateur, de sa force relative et de sa sensibilité. | En général, le jugement qu’on forme sur le degré de dureté et de résistance d’un corps n’est £ L 194 DE LA PHYSIONOMIE ‘ point porté aussitôt après une première expérience. Cette expérience est le plus souvent répétée plu- sieurs fois et parfois dans un espace de temps très-court. C’est cette répétition qu'exprime plus particulièrement le mot äter. D'ailleurs, cette ré- pétition d’un acte est la preuve certaine que le premier n’a pas suffi, que les bases du jugement sont incomplètes encore, en un mot, qu'il y à jusqu’à un certain point perplexité dans l'esprit. Lorsque la force d’un seul doigt n’est pas sufli- sante pour apprécier la résistance d’un corps très- lourd, on peut y employer deux doigts, trois doigts, la main, et enfin le corps tout entier. Ges efforts peuvent être quelquefois nécessaires. Mais je ferai remarquer qu’il en est de ces mouvements comme de ceux des balances : la puissance et la grandeur des résultats nuisent toujours à leur . exécution. Du toucher en tant que sens appréciateur de la forme. XLNIII. — Le toucher détermine encore et me- sure deux choses dans les corps ; à savoir : 1° leurs dimensions, et 2° leur figure. 4° Nous jugeons immédiatement des dimensions ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 195 . des corps, en les comparant à nos propres dimen- sions. Ces mots : (4/na) aune, coudée, pied, pouce, brasse, empan, pas, etc., le font voir assez claire- ment. La faculté.que nous avons de sentirle degré d’écartement qui existe entre deux parties définies de notre corps, nous permettant d'apprécier assez exactement la valeur des angles qu’elles forment entre elles, les rend en quelque sorte semblables à des compas. Aussi M. de Blainville comparait-il x très-heureusement la main à un compas à cinq branches, à l'aide duquel on pourrait mesurer Plusieurs épaisseurs à la fois. De même les deux mains figurent assez bien un grand compas d'épaisseur lorsque leurs pointes fléchies en dedans sont opposées l’une à l’autre. 2° Mais la figure des corps est sur toutr reconnue à l’aide d’un mouvement de circumduction cir- ” Conscrivant tous les contours d’un objet. La con- Science que nous avons du mouvement décrit per- met de concevoir la forme de l’objet avec une suffisante exactitude. Les aveugles-nés donnent à cet égard des preuves d’une extrême habileté ; et Sans parler du célèbre Ganibasius de Voliterre, elle peut aller quelquefois jusqu’au prodige. Rien ne prouve mieux peut-être l'existence des idées Pr £ Ù DE LA PHYSIONOMIE innées que cette faculté merveilleuse. Mais je ne veux point discuter sur un point de psychologie pure qui m'entrainerait trop loin de mon sujet. Les procédés dont nous venons de parler ne sont applicables qu’aux objets dont la grandeur, eu égard à celle de nos organes, est assez consi- dérable. Mais la figure des corps très-petits est appréciée par un autre artifice sur lequel je de- mande la permission de m’arrêter un instant. XLIX. — Nos doigts ayant une certaine gran- deur, une grandeur considérable relativement à certains objets que notre sensation doit atteindre, l'application d’un organe aussi grossier ne pour- rait nous donner qu'une idée générale, une es- quisse de la figure des corps; elle nous laisserait ignorer l'existence des différences ou des inéga- lités minimes qui peuvent accidenter leur surface, elle nous les révélerait tout au plus d’une façon inadéquate et confuse. Cette nécessité de distinguer nettement de fort petites parties a déterminé, sans aucun doute, la subdivision des troncs nerveux en une multitude de petits’ nerfs élémentaires indépendants les uns des autres, et capables de distinguer par cela même qu’ils sont distincts. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. , 197 En effet, la superficie de la peau n’est point semblable à un plan régulier et continu; mais sa surface est subdivisée en une multitude de petits compartiments de chacun desquels s'élève une petite saillie semblable à une sorte de petit doigt microscopique; et ces petits doigts se multiplient en foule, dans tous les points où le toucher est le plus délicat et le plus subtil. | Leur disposition est fort remarquable, et méri- terait d’être scrupuleusement comparée dans les différents animaux, au double point de vue de la psychologie comparée et de la philosophie zoolo- gique. Dans certains points où la sensibilité est vive mais confuse , ils sont en général semés d’une façon fort irrégulière. Mais quand la sensation du toucher se perfectionne, ils se disposent en plates- bandes d’une grande régularité. Parfois ces plates- bandes sont rectilignes et parallèles entre elles. Il ny a point alors de point dominateur sur la Surface sensible. | Lorsque, au contraire, un point dominateur existe, je veux dire un point plus saillant, les ran- gées de ces petits doigts décrivent autour de ce Point des courbes plus ou moins spiroïdes. (4 # Î | AU A: é . — a D x ar Pr pre RP e SRE EEE GR gr re en re DS Le. À | 11 | 198 DE LA PHYSIONOMIE Parfois le point dominateur est fixe et inva- riable. Par exemple, à l'extrémité de la dernière phalange. Dans d’autres cas, le point dominateur n’est que virtuel ; il n’existe que dans une certaine attitude. Dans ce cas, les arcs fort irréguliers que décrivent les papilles sont disposés de telle façon que le sommet de leurs courbes répond à ce point virtuel. Ges choses sont faciles à constater quand on compare la face palmaire de la main de l’homme à la face palmaire de la main des singes. Chacun des petits doigts sensibles qui forment ces arcs est contenu dans un étui épidermique qui. le protége et le soutient, de telle sorte que l'axe de chaque papille conservant une direction inva- riable, aucune d’elles ne peut anticiper sur le do- maine de l’autre. Ainsi, chaque papille forme un appareil distinct, etsur la surface tactile des doigts se trouvent, de cette facon, une multitude de points déterminés régulièrement espacés, dont chacun peut recevoir et communiquer des impres- sions distinctes. L. — Ceci posé, afin de faire mieux comprendre le rôle et l'utilité des papilles, il ne sera point mu- tile de recourir à un exemple dont l'analyse peut être faite aisément. me "ee 5 » ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 19) On sait avec quelle merveilleuse finesse les aveugles apprécient à l’aide de leurs doigts de fort petits caractères, au point de pouvoir, dans certains cas, déchiffrer des écritures imprimées à l’aide des dépressions légères que les carac- tères ont laissées dans le papier. Il est facile de démontrer que cette faculté ne pourrait s'exercer si la peau était complétement lisse et unie. n 1 Soit en effet la. courbe dec C ; pulpe digitale : si le point G de cette courbe est ap- À pliqué à un petit corps quelconque D, il y aura évidemment une sensation produite. Maïs cette sensation ne sera pas rigoureusement définie par les limites du corps D. L'expérience et le raison- nement démontrent, en effet, que cette courbe sera ainsi modifiée : A B 7 æ € Le F D E en sorte que le petit corps D touchant seulement le point CG, ce contact déterminera cependant dans la pulpe digitale une dépression infundibuli- forme dont le diamètre FE sera béaucoup plus DR. RS ÉE n ER on ES ù dl h Le d l'E | ? Le ES ch T Dons ee Eee he . | RE 200 DB DA DEN SE ON OC NATE considérable que celui du petit corps D. Ainsi, l'impression sera jusqu’à un certain point diffuse, si bien que si l’on touchait à la fois plusieurs points très-rapprochés , leur distinction devien- drait impossible, comme on peut le comprendre par la figure suivante : les points noirs D représentant les points réelle- ment touchés et les courbes ponctuées N les zones d'impression diffuse qui les circonscrivent. LI.— Ceci posé, admettons maintenant les faits tels qu'ils existent dans la réalité. Divisons la sur- face de la pulpe digitale, et hérissons cette pulpe d'une multitude de petits cônes espacés et con- tenus dans des tubes épidermiques. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. | 201 qué sur un très-petit corps, une ou deux papilles seulement seront affectées par la pression perpen- diculaire: or, les papilles voisines étant protégées contre les pressions latérales par les tubes épider- miques fort épais qui les enveloppent, l'impression sera très-rigoureusement limitée aux points qui seront directement touchés. Je parle i ici dans l’hy- _ pothèse où les papilles seraient considérées comme très-nerveuses ou très-sensibles. Mais ces choses seraient bien plus évidentes encore si, comme beaucoup d’observateurs tendent à le démontrer, les papilles étaient presque abso- lument dépourvues de nerfs. On pourrait, en eflet, : les comparer très-justement à de petites touches pressant légèrement sur une surface très-sensi- ble, mais n’y laissant que des impressions limitées. Ces impressions peuvent être comparées au bout des doigts à de fort petites distances, à une ligne de distance suivant M. Weber, et même à une demi-ligne d’ après Dugès. Mais je puis assu- rer que chez des personnes fort délicates le pou- voir de distinguer va beaucoup au delà. En effet, des expériences souvent répétées m'ont appris qu’en touchant deux points d’une même rangée papillaire, séparés seulement par l'orifice d’un 202 DE LA PHYSIONOMIE conduit sudoripare, les deux contacts sont évi- demment distingués ; cette distance égale 0,50 à la pulpe digitale de la dernière phalange du medius. LIT. — Il suffit d’avoir sommairement indiqué ces choses pour montrer combien il importe, quand il s'agit d'apprécier avec justesse la dimension de corps très-petits, de les tâter légèrement, suspensé mat, de manière à ne point altérer la courbure de la pulpe digitale par des dépressions trop éten- dues. C’est là, en effet, ce qu’on peut appeler la perfection dans l'exercice du toucher. Toucher avec lourdeur, c’est combiner deux contraires, c'est à la fois exciter une sensation et l’éteindre. Aussi la finesse du toucher étant un des éléments principaux de l'adresse, trouve-t-on rarement cette qualité dans l'esprit de celles qui touchent sans délicatesse. Ces faits sur lesquels j’ai insisté à dessein, mon- trent combien de modifications peut amener dans les mouvements des bras et des mains l'exercice du toucher. Ces fines applications de ce sens sem- blent propres à l'espèce humaine, et, en effet, elles répondent bien plus aux besoins de l'intelligence qu'aux mouvements de l'instinct. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 203 - LHT, — Nous résumons ainsi ces faits : 1° En ce qui touche nos sensations cutanées, elles‘sont agréables ou désagréables. Les sensa- üons agréables éveillent l'instinct des caresses ; les sensations désagréables inspirent l'éloigne- ment. Elles ont un caractère d’étrangeté, et l’on exécute des mouvements divers, — soit pour les repousser, les chasser, les essuyer par le frotte- ment, si je puis ainsi dire; — soit pour les arrêter Ou les éteindre par des pressions plus ou moins énergiques; — soit pour leur substituer quelque autre douleur. | | 2 En ce qui touche nos jugements sur la ré- Sistance et la solidité des corps, nous les pesons, nous les pressons en sens divers et nous intéressons à ce mouvement un nombre d'organes d’autant Plus grand que nous voulons apprécier de plus grandes résistances. 8° Enfin, en ce qui touche la figure des corps, nous arpentons avec nos mains, semblables à des COMmpas; nous exécutons des mouvements de Cir- cumduction, nous mesurons en tout sens les dia- mètres. Les accidents les plus délicats des surfaces tangibles sont perçus par une subtile application du toucher papillaire. | nm Pen ne =? 204 DE LA PHYSIONOMIE D Re LIV. — Les mouvements de la première classe correspondent, les uns, à des sensations intérieures, x —— à des sentiments de volupté; les autres, à des senti- ments d’embarras, d'inquiétude et de douleur fa- ligante. Les mouvemenls de la seconde classe répondent à des sentiments généraux d'examen, de doute et d'analyse. gr RS Dm ET a Re Enfin, les mouvements de la troisième classe ont avec ceux de la seconde des rapports évidents ; Re RES mais leur emploi implique l’idée d'une réflexion plus élevée, d’une intelligence plus grande, d’une faculté d'observation plus parfaite. Ceux que dé- terminent l’application du toucher papillaire, coïncident surtout avec la recherche de choses très-petites, très-difficiles à limiter, et ne se pro- duisent jamais que dans le cas d’une attention | 14 a LA 1 4 \É : [A k ! } Le } E ; profonde et soutenue. : DEUXIÈME PARTIE DES MOUVEMENTS SYMPATHIQUES. LV. — Je donhe le nom de mouvements sym- Pathiques ou associés, à une classe de mouvements qui se produisent dans le corps, non point relati- | vement à un but extérieur, mais à l’occasion des La Mouvements d’un organe dont l’action est seule |. Cbjective ou prosbolique. a | Cest ainsi que lorsque je regarde avec attention, tout mon corps s'associe au mouvement de mon | œil; que ma bouche et mon nez exécutent des Mouvements involontaires, mais naturels, puis- qu'ils se reproduisent invariablement chez tous les animaux d’une même espèce. L'histoire de ces Mouvements peut être aisément formulée sous Plusieurs propositions simples, mais générales. LNVI. — Lorsqu'un organe des sens est affecté el | Mis en mouvement d’un seul côté du corps, l’or- 12 (ht : 14 LA fl r: F) ’ 206 DE LA PHYSIONOMIE gane symétrique est le plus souvent entrainé dans le sens de ces mouvements;vet les répète en quelque sorte; toutefois, ces mouvements sont, en général, moins énergiquement exprimés que les mouvements directs. Nul organe ne montre ces choses à un plus haut degré que l'œil. Si un rayon de lumière vient à tomber obliquement sur un des yeux, de manière à ne point affecter directement celui du côté op- posé, l'œil affecté regarde d'un regard direct, et l'œil opposé regarde d’un regard sympathique. Mais le regard sympathique n’a point l'énergie du regard direct; son mouvenrent est incomplet, il semble attiré plutôt que dirigé, et sa marche inégale amène une divergence oculaire souvent assez sensible. Il est en même temps un peu moins ouvert que l’œil actif, et sa pupille toujours un peu moins contractée. En un mot, tous les /mouvements qu'exécute un seul œil appliqué à la | | vision sont imités par l’autre œil, mais avec une | | sorte de paresse relative. On peut penser, à priort, que l'habitude n’est point sans influence sur ce phénomène. Ainsi la tendance naturelle qu'on à à regarder des deux yeux à la fois les objets qui les affectent simultanément, pourrait donner aux yeux RS msresreeiie ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 207 l'habitude des mouvements simultanés. En sorte que dans le cas où un seul œil serait excité, l'autre œil exécuterait par habitude des mouvements semblables. Mais l'observation des nouveaux nés { montre que dès le début de la vie les mouvements des yeux se correspondent, et par conséquent l'habitude ne paraît pas avoir dans ce phénomène une part nécessaire. LV. — La sympathie Te est moins évi- dente entre les deux oreïlles; elles sont, en effet, à Peu près immobiles dans Pespèce humaine, et | Chez les animaux qui ont de grands pavillons au- ditifs, la faculté de les mouvoir indépendamment l'un de L'autre est à peu près universelle. Il est d'autant plus important de ne pas formuler ici de règle trop précise, que les deux oreilles, même dans des positions très-différentes, peuvent être Cevendant appliquées à l’audition d’un même son. En sorte que dans beaucoup de cas leurs mouve- ments pourraient paraître sympathiques plutôt Par simultanéité que par symétrie. Ç Les mouvements des oreilles ne laissent donc Point au premier abord apercevoir leurs sympa thies; mais, peut-être, pourrait-on rendre ces SYmpathies apparentes par quelques expériences 1: È i [1 D TE! 5 | » DS : i $ 14 (42 , Î [2 F 4 D. ni a 2 0, 7 Re SE pa A = us FT Gi emm Le ER. nr SES RE rm NE 64 | 208 DE LA PHYSIONOMIE décisives. Ces expériences consisteraient à dé- truire par un moyen quelconque la sensibilité d’une seule oreille, en ayant soin de ne léser en aucune façon les nerfs moteurs. Dans ce cas, une oreille seule étant sensible à l’action des sons, tous les mouvements que l’oreille sourde exécuterait pendant l'attention seraient des mouvements sym- pathiques. Pour que l’expérience fût concluante, il faudrait choisir de très-jeunes animaux et Les ob- server ensuite à l’état adulte, on préviendrait ainsi l'habitude du souvenir, et les résultats seraient plus évidents. À priori, il est probable que les mouvements exécutés par l'oreille sourde seraient, dans ce cas, une imitation plus ou moins exacte de ceux que l’oreille saine exécuterait d’une ma- nière directe. Les mouvements de sympathie latérale sont assez marqués dans le nez, maïs souvent avec une telle différence d'intensité dans la narine du côté qui est seul affecté, que l’autre semble au premier abord immobile. Mais un peu d'attention suffit pour démontrer qu’elle ne l’est pas et qu’elle exé- cute, quoique à un moindre degré, un mouvement analogue. Les mouvements dont nous nous occupons ici f. ù se si RS ner mr ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 209 Sont encore moins marqués dans la bouche, dont ‘les deux moitiés se meuvent avec une grande indé- Pendance. Les organes du toucher, et les mains en parti- Culier, présentent souvent des exemples de sym- Pathie latérale. Nous en avons cité un cas remar- Œuable (V. art. xLvV1), mais ces mouvements sont d'autant plus difficiles à apprécier qu’ils se déve- loppent avec une grande liberté, et n’ont en quel- Que sorte rien de nécessaire. Il est cependant des Cas où ces sympathies apparaissent nettement. de citerai en particulier les débuts des commen- Gants qui s’exercent sur le piano. On sait la diffi- Culté qu'ils éprouvent à donner aux mouvements des deux mains une complète indépendance. Et ce n'est pas sans peine qu’en exécutant une gamme ils font coïncider le mouvement du petit doigt de la main gauche avec celui du pouce de la main droite, de l'index d’une main avec celui de l’an- ülaire de l’autre main. Toutes ces choses sont Vülgaires, si je puis ainsi dire. Or, il ne paraît pas moins difficile de mouvoir Les bras avec une complète indépendance, comme le prouve l'exemple des personnes inexpérimentées AU essayent de décrire avec leurs mains deux 12. 210 DE LA PHYSIONOMIE cercles parallèles dans des plans verticaux, mais par des mouvements inverses, de telle sorte qu’une main se meut dans un sens et l’autre main en un sens opposé. La chose n’est point impossible sans doute, mais elle n’est point naturelle, c'est-à-dire instinctive. Elle est le fruit de la réflexion, de l'exercice et de l’habitude. LVIII. — Lorsqu'un sentiment de volupté, d’im- patience ou d'activilé intérieure met en jeu une ou plusieurs régions de la colonne vertébrale, cette excitation se propage Sympathiquement de segment en segment homologues jusqu'aux extrémités du rachis. Cette sympathie des muscles homologues que j'oppose à la précédente sous le nom de sympathie longitudinale, est telle que les mouvements qui résultent d’un sentiment un peu vif, agitent en général toute l’étendue d’un même système de muscles. Or, il est naturel que ce mouvement soit surtout apparent dans les parties les plus mobiles. Voilà pourquoi chez certains quadrupèdes à longue queue, les mouvements ondulatoires de cet organe sont toujours plus visibles, plus étendus que ceux du tronc. Ils peuvent même se développer seuls, trahissant l'énergie d’un sentiment caché, alors rs me» normes. de — HE Se - ‘ir ae ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 211 qu'une volonté contraire luttant contre ses impul- sions, maintient le corps dans une immobilité - apparente. À côté de cette sympathie entre organes homo- logues, se rangent naturellement celles qui se développent entre des organes analogues, tels que . le peuvent être la jambe et le bras. Ges sympa- thies sont naturellement beaucoup plus évidentes dans les animaux que dans l’homme dont les mou- vements acquièrent en général le sumanum de l'indépendance. LIX. — Lorsqu'un organe des sens est ajfeclé et mis en mouvement d'une manière quelconque, les organes annexes peuvent se mouvoir sympathi- quement, el répéter des mouvements analogues, chacun dans la sphère de son activité propre. C’est ainsi par exemple que les oreilles feignent d'écouter, quand les yeux seuls sont réellement en jeu; que les narines exécutent certains mouve- ments, quand le goût savoure quelque impression délicate. Gette proposition mérite d’être attenti- vement examinée. (a) Les sympathies dont nous nous occupons ici s'exercent surtout entre les organes capables d’éprouver des impressions d’une nature analogue. Le k 41 ’: mn DE LA PHYSIONOMIE Nous remarquerons en effet, afin de fixer les idées, que nos impressions se groupent naturelle- ment en deux catégories. Les unes déterminent à la fois des sentiments et des idées claires, les autres aboutissent surtout à des sentiments et tout au plus à des idées confuses. Parmi les premières se rangent les sensations de la vision et de l’ouïe, parmi les secondes celles de l’olfaction et du goût. Aussi l'observation nous fait-elle apercevoir un rapport de sympathie plus intime entre l'œil et l'oreille, tandis que l’olfaction et le goût ont entre eux une relation immédiate; l’action simple de l'œil détermine dans l'oreille des mouvements sympathiques, tandis qu’elle n’amène dans les autres organes que quelques mouvements con- sécutifs. De même les mouvements de l'oreille influent plus particulièrement sur ceux de l'œil. Quant aux mouvements des narines et de la bouche, ils ont entre eux des rapports si intimes, qu’il serait difficile de mouvoir isolément un de ces deux appareils; dans l’ordre naturel, leurs mou- vements sont toujours homologues. Il est facile de démontrer ces faits par quelques exemples très-précis; un jeune chien à oreilles droites, auquel son maître présente de loin quel- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 213 {{ que viande appétissante, fixe avec ardeur ses YEUX : «sur cet objet dont il suit tous les mouvements, et { pendant que les yeux regardent, les deux oreilles ‘se portent en avant comme si cet objet pouvait être « entendu. / L'attention des oreilles sollicite aussi des mou- vements dans les yeux. Ces mouvements sont surtout remarquables dans l'espèce humaine ; l'œil regarde alors en l'air ou de côté : en l'air, si le bruit qu’on écoute est faible et qu’on le suppose venir de loin; de côté, sil vient de très-près. Si l'audition du bruit écouté est facile, Pœil est modérément ouvert; si elle est difficile, il se place sympathiquement dans l'attitude de la vision . pénible. On trouve un exemple très-curieux de ces sym- ‘ pathies dans la tendance irrésistible qui porte en général à regarder un orateur, alors qu'on l'écoute, bien qu’on l’entende parfaitement. Gette tendance est si impérieuse, que toutes les causes qui la contrarient embarrassent en même temps le mou- vement de la pensée. Aussi, devrait-on proscrire absolument l'interposition des objets opaques entre le maître et les élèves, dans toutes les salles de _ cours. Un seul tuyau de poële qui s'élève au mi- ne & jan met ps) . D eg és SEE _ er te 214 DE LA PHYSIONOMIE lieu d’un amphithéâtre suffit pour jeter dans l’es- prit de quelques élèves une sorte d'inquiétude qui nuit singulièrement à l’intelligence des choses énoncées par le professeur. Dans l'ordre des faits ordinaires, la simple attention de l’œil et de l’oreille ne sollicite dans les narines et dans les lèvres que des mouvements insensibles. Mais il n’en est pas ainsi quand l'œil ou l'oreille, attentifs aux élémentsles plus subtils de la sensation, cherchent à les distinguer; aussi, LX. — Toutes les fois que l'œil ou l’oreille sont employés comme instruments d'analyse subtile, le nez, la bouche et les mains elles-mêmes, en tant qu'instruments d'analyse, exécutent sympathique- ment des mouvements analogues. C'est ainsi que la recherche par les yeux d’un fort petit objet qu’on s'efforce de distinguer entre beaucoup d'objets analogues, est souvent accom- pagnée de certains mouvements des narines et des lèvres, dont les uns sont des mouvements de flair et les autres des mouvements de dégustation pré- paratoire, qui se passent entre les lèvres, les dents et la pointe de la langue. Des mouvements ana- logues se produisent lorsque l'attention de l'oreille est en jeu. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 215 LXT. — Réciproquement, lorsque le nez et la bouche sont employés en tant qu'organes d'analyse subtile, l'œil et l'oreille exécutent des mouvements Sympalhiques analogues. Cette proposition a à peine besoin de démons- tration. Je suppose qu'il s'agisse ici de saveurs Qui n'aient point d'influence appréciable sur les mouvements viscéraux ; qu’il s'agisse par exemple de découvrir dans un mélange des traces d’alcool ; l'œil exécute dans ce cas des mouvements pareils à ceux qui se produisent lorsqu'il s’agit de décou- vrir de forts petits objets. La tête fait en même temps mine d'écouter finement et il faut remar- quer que c’est du côté qui semble écouter que les mouvements sympathiques de l'œil sont en géné- ral plus prononcés. | On peut résumer ainsi ces choses : Toutes les fois qu'un organe des sens est attentif à un objet, tous les autres organes donnent sym- Pathiquement des signes d'attention, et ces sympa- thies sont en général plus marquées entre les or- ganes de même espèce qu'entre des organes de Catégorie différente. 5 LXII. — Dans tous les cas qui nous ont jus- qu’à présent occupés, il s'agissait de mouve- ————— grrr | | | mn RS Re ee : ie. re Î Vs te \ | 7 gi TRES En in — — 216 DE LA PHYSIONOMIE ments d'attention simple, concentrés sur des choses extérieures. Or, il peut arriver que l'attention ait au contraire pour objet certaines sensations inté- rieures, certaines modifications organiques succé- dant à une sensation de cause externe, en un mot certains sentiments. C’est ainsi que certaines odeurs éveillent en nous des sentiments de dégoût ou de volupté. Il en est de même de certaines saveurs, et, plus particu- lièrement de celles que perçoivent le palais et l’arrière-bouche. Ces sentiments, lorsqu'ils sont agréables, sont caressés et assimilés, si j'ose le dire ainsi. Autant l'organisme rejette et secoue la douleur, autant il appelle à lui le plaisir; il le savoure, il le médite. La douleur est une étrangère qu’on re- pousse, mais le sentiment du plaisir s’identifie avec le sentiment même de la vie ; aussi les mou- vements de la douleur ont-ils quelque chose d'érup- tif, tandis que la volupté se manifeste dans un sens personnel et réfléchi. Elle s’isole du monde et s’enveloppe avec des joies intimes. La volupté est comme un écho, un retentisse- ment sucessif dans tous les viscères de certaines impressions agréables, enivrantes, analogues au ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. Pile chatouillement. Ces impressions résultent plus naturellement du toucher, de l’olfaction et du goût, que de toute autre sensation. L’œil et l’oreille peuvent, il est vrai, donner lieu à des impressions voluptueuses, mais d’une façon moins directe et moins habituelle ; ils sont, si je puis le dire, plus près de l’intelligence et moins de la vie organique. Or, les mouvements sympathiques étant d'autant plus fréquents dans un organe qu’il est plus natu- rellement porté à des mouvements directs d’un ordre analogue, il sera facile d’accepter a priori les propositions suivantes, que l'observation dé- Montre ensuite d’une façon évidente. LXIIL. — 1° Toutes les fois qu'une sensation née du toucher, du goût ou de l’odorat éveille un sentiment de volupté, l'être vivant absorbé par la Contemplation exclusive de ce sentiment repousse loute autre espèce de sensations, et condamne à linaction tous les organes qui pourraient jeter à la traverse de ces douces impressions, des im- Pressions étrangères. C’est ainsi que l’action de savourer une odeur Où une saveur porte à fermer les yeux. Je pourrais même dire qu’elle oblige de fermer les oreilles: et, en effet, dans le mouvement de déglutition qui 13 Rs nt "009 ere EN OR nn SE con va y AR RE " 2 es PP aet SE : eee Li 218 DE LA PHYSIONOMIE accompagne presque toujours la dégustation des saveurs agréables, certaines modifications de l'arrière-gorge rendent l'audition à peu près im- possible. Dans ce mouvement, l'œil va chercher les ténè- bres sous la paupière; le muscle pathétique agit comme dans la défaillance ou dans la mort. Dans certains cas moins tranchés, les yeux se ferment à demi et la prunelle se noie sous la paupière supé- rieure comme si le sommeil arrivait. Ce mouve- ment est très-marqué pendant l'inspiration qui suit la déglutition voluptueuse. Ces choses sont si vraies qu'il serait impossible peut-être de trouver un homme qui se délectât sous l'impression d'une odeur ou d’une saveur sans fermer les yeux au moins à demi, ce que ne doivent point oublier les peintres. Ces mouvements des yeux sont les mêmes lorsque la peau est le | siége de chatouillements agréables. C'est ainsi que Îles chiens et les chats ferment les yeux sous les caresses, en même temps qu'ils couchent leurs oreilles; on sent qu’il ne s’agit point ici de voir ou d'entendre, mais de savourer. LXIV. — 2° Si l'œil ou l'oreille est le point de départ de sensations voluptueuses, celui des deux mme ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 219 organes qui n'est point actif, loin d’éprouver des Mouvements sympathiques, demeure immobile, et, Si je puis ainsi dire, complétement indifférent. Gette proposition peut être aisément démontrée en ce qui touche les sensations auditives. Ceux que l’attrait du spectacle tient éveillés à la repré- Sentation d’un opéra , plus curieux que véritable- ment musiciens, ne peuvent passer que pour des amateurs vulgaires. Les vrais dilettanti, les dé- lectants, comme les appelle admirablement la langue italienne, ferment habituellement les yeux dans ces moments où l'ivresse est plus délicieuse- ment chatouillante, n’ouvrant les paupières qu'à la dérobée et retombant aussitôt dans leur rêve. Car, il faut le remarquer ici, le vrai musicien écoute moins les sons qui le charment, qu’il ne les Pense. C’est en lui-même qu’il entend ces chants que ses émotions intérieures traduisent en une langue passionnée et vivante. Tout entier au sen- timent qui l'absorbe, il ne vit plus que par un Seul sens. le Mais cette proposition , en ce qui touche l'œil, est d’une démonstration moins facile. En effet, bien que certaines impressions suaves et chatouil- dantes de l'œil soient jusqu'à un certain point LL AU Terre mins. = HR A 220 DE LA PHYSIONOMIE absorbantes, elles le sont beaucoup moins que les sensations auditives; quoi qu’il en soit, l’homme que la couleur charme, arrivé à ce point où la préoccupation se change en contemplation, de- viendra sourd à tous les bruits médiocres ; mais l'oreille à peu près immobile de l’homme ne tra- duit point ces modifications. LXV. — 3° Lorsque l’un des deux organes de la vision ou de l’ouie est le point de départ d’impres- sions chatouillantes et voluptueuses, il associe à son action tous les organes dont le jeu sympathique ne peut contrarter l'action principale. C’est ainsi que l'attention voluptueuse de l'œil est accompagnée de mouvements sympathiques de flair et de dégustation, parmi lesquels les mouve- ments de déglutition dominent. Rien de plus fré- quent que de voir une femme savourant les reflets chatoyants d’une étofle se rengorger et exécuter une déglutition véritable, mais ce der- nier mouvement ne se produit jamais dans l'at- tention voluptueuse de louïe, car il contrarie J'audition: les actions sympathiques de la bou- che se résument alors dans un mouvement d’as- piration. Les mouvements sympathiques de l'organe gé- Ses ET DES MOUVEMENTS D’EXPRESSION. 221 néral du toucher sont très-marqués dans les deux CaS que nous venons d'examiner. Tout le corps reçoit alors une sorte d’impulsion ondulatoire et semble éprouver de délicieuses caresses ; j énonce lapidement ces faits dont l'analyse m'’entrainerait à des détails infinis. LXVI. — Les règles particulières que je viens de formuler ici s'appliquent uniquement aux cas où des sensations agréables sont éprouvées. Néan- Moins, les sensations désagréables déterminent aussi des mouvements sympathiques. C’est ainsi, : Pour ne citer qu’un exemple, qu'un son aigre oblige de fermer les yeux et détermine dans l’ap- Pareil buccal tous les mouvements de la répulsion et de l'horreur. Il suffit de signaler ici ces Choses. LXVIT.— Mais il n’est pas inutile de nous arrêter Un instant, et dé dire quelques mots des mouve- Ments du corps, en tant qu'ils succèdent sympa- thiquement à des sensations ou viennent en aide A mouvement principal. Lorsque nous examinons un objet intéressant, il 6St dans la nature de tendre vers cet objet ou de s'en rapprocher autant que possible ; c’est là un acte instinctif auquel le corps tout entier se prête, DR AD it mg PT ds mine == D nn ue = f4 | DA $ L'\ Ly Î 292 DE LA PHYSIONOMIE et qu’on exprime par un mot admirable : attention (tendere ad). Il y a une très-grande différence entre les mour- vements que le corps exécute lorsque l animal re- garde, suivant que l’objet regardé est immobile ou mobile. Je suppose l'objet immobile : l'œil se dirige vers lui, puis tout le corps s'avance dans la direc- tion du regard, on pourrait dire qu'il & allonge et qu'il est attiré. Dans ce mouvement, le corps s'étend en avant jusqu'où peuvent le permettre les lois de l'équilibre, en sorte que l'animal, après avoir établi d'une manière ferme sa base de sustentation, s’élance autant qu’il le peut au delà de cette limite. Mais l'attitude de l’homme est surtout remar- quable. Le mouvement d'attention étant inconci- liable avec la station bipède, on le voit alors porter les mains en avant et s'appuyer sur tous les corps qu’il trouve à sa portée, substituant à son attitude habituelle une véritable station quadrupède obli- que. Gette tendance à se porter en avant, entrai- nant comme conséquence nécessaire le besoin d’un appui, explique le danger qu'il y a à regar- der attentivement un objet éloigné, du bord d'un ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 223 _ toit où de toute autre plate-forme sans balustrade. Souvent, quand on ne trouve à sa portée aucun objet dont on puisse faire un point d'appui, les Mains se posent sur les genoux symétriquement Îléchis, comme j'essaye de l'indiquer dans la figure Suivante : Mais l’objet peut être mobile : dans ce cas, l'œil fixé vers l’objet le suit, et le corps s’allongeant, S'inclinant, suit tous les mouvements de l'œil. Jen donnerai pour exemple les spectateurs d’une mg à etre mn: - . AT . QU RP PP SG > di RE Pr 224 DE LA PHYSIONOMIE partie de boules. Ges mouvements peuvent s’exé- cuter en quelque sorte autour d’un centre, les pieds demeurant immobiles. Mais il peut arriver, si l'objet qui sollicite l’attention s'éloigne, qu’on le suive à son insu. C’est ainsi qu’on raconte d’un mathématicien fameux, qu'ayant écrit quelques formules dont l'idée le préoccupait, sur la paroi postérieure d’une voiture, on le vit, lorsqu'elle eut repris sa marche, suivre son calcul qui fuyait devant lui, sans s’éveiller de sa méditation. Je ne puis assurer que cette histoire soit absolument vraie, mais à coup sûr elle est absolument selon la raison et selon la nature, Les jeunes chiens donnent un exemple assez évident de mouvements de ce genre lorsqu'ils guettent les petits oiseaux, courant après eux lors même que les oiseaux envolés sont hors de leur portée. Je crois inutile d’insister plus longtemps sur ces choses. Ainsi, l'œil suivant le mouvement d’un objet qui s'éloigne ou se détourne, le corps tout entier suit le mouvement de l’œil, mais cela d’une ma- nière bien remarquable : c’est d’abord la tête qui est attirée, puis le tronc et enfin les jambes, en eo ce Sn A me 0 . : ne. _. c x ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 225 a Sorte que l'impression paraît se propager succes- Sivement et de segments en segments jusqu'à l'extrémité de la moelle épinière. C’est là, s’il en fut jamais, un exemple de sympathie longitudi- nale, Or, ce mode de propagation du mouvement ä pour conséquence nécessaire de détruire gra- duellement les conditions de l'équilibre du corps, et une chute deviendrait inévitable si une jambe ne la prévenait en se portant tout à coup en avant, | | On comprend alors qu’il y ait danger naturel et imminent à considérer d’une grande hauteur un .objet en mouvement, quelle que soit d’ail- leurs sa position dans l’espace. Mais ce danger est d'autant plus grand que cet objet se meut au- dessous de l'observateur, parce qu'il sy joint alors les effets particuliers au vertige. Il y a à cet égard entre l'œil et le corps de telles sympathies, que les illusions les plus singulières en résultent. L’une des plus frappantes est celle qui s'empare de nous lorsque, penchés sur la rampe d’un pont Suspendu, par exemple, nous regardons l’eau Couler au-dessous de nos pieds. On sait que dans Une certaine condition de notre esprit et de nos yeux , l’eau paraît réellement couler, tandis que 13, 226 DE LA PHYSIONOMIE le pont reste immobile; mais cette apparence n'a rien de nécessaire, et l'instant d’après l’eau pourra paraître immobile, tandis que le pont sem- blera courir au-dessus d’elle, et nous nous senti- rons alors entraînés par un mouvement plus ou moins rapide. On peut à volonté produire en soi la conscience de l’une ou l’autre de ces deux im- pressions; celui des deux objets sur lequel le re- gardse fixe plus particulièrement prenant toujours l'apparence du point immobile, à l'égard duquel tous les autres semblent se mouvoir. Geci posé, supposons que, penchés sur la rampe du pont, nous regardons en amont couler l’eau. Nous penserons courir en avant; mais Si nous regardons en aval nous croirons marcher à reculons. Or, chose remarquable, l'illusion n’égare pas seulement les mouvements de l'esprit, elle trompe en même temps ce ministre subordonné, ce demiourgos qui règle à tous les moments de la vie l'harmonie de nos mouvements, et nous oscillons alors, pareils à un passager inexpéri- menté qu'emporte une embarcation rapide. Ainsi, l'illusion qui fait voir aux yeux le pont en mouve- ment détermine des effets semblables à ceux qu'amènerait un mouvement réel; lon a con- om oo dr LD ET NES Eee ss : mé ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 227 Science d’une chute imminente, contre laquelle on essaye de réagir par des mouvements involontaires, Souvent assez marqués pour être sensibles aux yeux d’un observateur étranger. Il est probable que la sensation de tournoie- ment qu'on éprouve après un mouvement pro- longé de rotation sur soi-même, entraîne la chute Par des raisons analogues. En effet, dans ce mo- ment, tous les objets semblent tourner. Toutefois, je ne m’exprimerai qu'avec réserve sur ce phéno- mène qui n’a point été l’objet d'expériences assez Précises?, À à L'influence des yeux sur les mouvements du 1. Ces faits s'expliquent aisément si l'on a égard à ces harmo- hies intérieures qui nous portent instinctivement à maintenir notre corps, et que M. Chevreul considère comme la conséquence d'un principe général qui les domine, j'entends parler du prin- Cipe de stabilité. Ce savant en a fait dernièrement une applica- tion heureuse à l’explication du phénomène nerveux connu sous le nom de mal de mer, considéré dans ses rapports avec les causes Qui le produisent. Ses observations nous seraient ici d’un grand Secours ; mais comme il se propose de les exposer lui-même, une prudence respectueuse m’impose l'obligation d’attendre qu'il les ait publiées, mon premier devoir étant de profiter de ses ensei- &nements, et non de les devancer en m’exposant à les affaiblir. 2. L'analyse de ce phénomène pourrait conduire à des obser- Vations du plus haut intérêt. Un homme tourne. sur lui-même les Yeux ouverts. Au moment où il s'arrête, il lui semble que tous les objets continuent à tourner devant lui; bien qu’en réalité gg 2e ; Re De ES CS “Mr DAT NOURE O oemqe -—. à re rm Re de 0 serie “ ns rm he PR HD RARE PRAIRIE 228 ss DH RAS PHNSIONOMIE corps est prouvée par un grand nombre d’autres considérations. La science est redevable sur ce point à M. Ghevreul de plusieurs belles expé- riences que nous exposerons dans le chapitre sui- vant, où nous ne ferons réellement que le suivre, en tirant des principes qu’il a posés les consé- quences naturelles qui en dérivent. LXVIIT. — Si le corps est mis sympathiquement en mouvement par l’action de la lumière sur l'œil, en revanche :l est arrêté par la sensation des aucun d'eux ne soit déplacé. Cette remarque m'a fait supposer qu’il pourrait bien y avoir quelque analogie entre ce phénomène et l'illusion qui a fait assimiler le mouvement des cils vibra- tiles dans les Systolides et les Mélicertiens à un mouvement rota- toire. Une illusion toute pareille se produit lorsqu'on regarde d’une certaine distance ces cercles de flammes dont certains mar- chands décorent le soir l’arcade de leurs portiques. C’est un pe- tit mouvement de détail qui n’amène jamais un grand déplace- ment, et qui se comçose d’un mouvement simultané de contrac- tions et de dilatations alternatives dans tous les éléments de la courbe lumineuse. Toutes les fois que ces conditions sont rem- plies, l’apparence d’une rotation plus ou moins rapide se produit, et avec une telle intensité qu’elle trompe les yeux, alors même que la raison prévenue met l’esprit en garde contre cette illusion. Ainsi, il me semble probable que dans le cas particulier qui nous occupe, la sensation de tournoiement. dépend de certaines oscillations insensibles qui déplacent dans des limites très-étroites, il est vrai, les axes oculaires. Or, de cette oscillation de l'œil, résulte nécessairement, dans ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 229 ténèbres. En effet, en posant des limites à l'action de l'œil, les ténèbres sont une limite aux mouve- ments du corps. On s’arrête, on recule même, et la sensation d’un obstacle qui se crée autour de vous est telle qu’on porte sympathiquement les Mains en avant comme pour se protéger 1. LXIX. — Telles sont, en général, les sympathies | de l’œil et du corps tout entier; il existe entre le corps et l'organe auditif des sympathies analogues. Ainsi, | tous les éléments des images formées sur la rétine, une oscilla- tion de détail tout à fait pareille à celle qui se produit dans les roues des Systolides ; il y aura donc là une vague apparence de rotation. Et, en effet, un peu d’attention suffit pour se convaincre Que rien ne tourne, mais que les éléments de l’image se meuvent dans un fort petit espace sans changer de lieu. Cette observation sera surtout facile si on la répète devant un mur rayé longitudi- . halement. Si l’on tourne en tenant les yeux fermés et qu’on les ouvre Subitement au moment où l’on s'arrête, les objets paraissent éga- lement tournoyer et toujours dans un sens opposé à celui de la Totation. L’explication de ce fait repose évidemment ici sur le même phénomène, jé veux dire l’oscillation insensible des yeux. Il reste à démontrer pourquoi les yeux oscillent. C’est là un Sujet de recherches fort délicates sur lesquelles je me propose de . Tevenir un jour. Mais ce n’est point ici le lieu d’insister sur ces choses. os 4. J’emprunte au beau mémoire de M. Arago sur léclipse totale Es se Se me. en eee. 2 Ds de ae rar DE LA PHYSIONOMIE Lorsque nous écoutons, le corps tout entier se porte vers le corps sonore, dans la direction de l'oreille qui écoute. Cette remarque est aisée à vérifier. Lorsque nous regardons avec attention, nous regardons, en général des deux yeux à La fois, et le corps est tendu vers l’objet d’une manière symétrique. Lorsque, au contraire, nous écoutons, nous écou- tons de côté, le cou étant tendu vers l’objet, et l’un des pariétaux étant porté parallèlement aux surfaces vibrantes. Dans cette position, le corps tout entier se porte sur un seul genou, celui du côté qui écoute, tandis que la jambe opposée, plus ou moins tendue, pousse le corps dans la direction du son. En même temps, une tendance naturelle à semettre en garde du 8 juillet 1849, les faits suivants qui sont du même ordre que celui que je signale ici : « Quatre à cinq pages, «dit M. Arago, » «ne me suffiraient pas si je voulais reproduire ici tout ce qui « m'a été raconté concernant des chevaux, des bœufs et des ànes « qui, attelés à des fardeaux, s’arrélèrent tout court quand l’é- « clipse totale arriva, se couchèrent et résistèrent obstinément à « l’action du fouet ou de l’aiguillon (p. 309), à l'instant où le soleil « disparut entièrement. » M. Fraisse de Perpignan remarque : « Que les fourmis s’arrè- « tèrent, mais sans abandonner le fardeau qu’elles trainaient. » (Voy. Araco, Annuaire du bureau des longitudes, p. 311, 1846.) ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 231 _ contre toute impression étrangère fait qu’une main s’écarte du corps en faisant le geste de repousser. Quelquefois, le corps tout entier se maintient dans _ cette position pénible sans l’aide de la main du côté dont on écoute, et cette main portée vers l'oreille fait alors l'usage d’un véritable cornet acoustique. Nous distinguerons à ces signes l'attention de l'oreille d'avec celle de l'œil. On sent combien toute cette mimique est simple et naturelle, et en 232 DE LA PHYSIONONMIE effet toutes ces observations générales pourraient être résumées en une seule proposition que nous formulerons ainsi : Le corps entier est dirigé vers l’objet senti, et tendu dans la direction de l'organe du sens qui révèle l’existence de cet objet. LXX. — Je ne puis m'empêcher de faire ici une remarque. C’est que l'attention est fixante de sa nature, et que pour cette raison elle n’est jamais sans quelque mélange d'effort. Get effort suspend pour un instant la respiration. De là ce besoin urgent de respirer et de bâiller après quel- ques moments d’une attention soutenue. Cet état estsouvent très-pénible, etcommeil est instinctif, la volonté ne le gouverne pas, et les personnes de tra- vail en sont souvent singulièrement incommodées. Cette incommodité que chacun a pu ressentir explique l'impossibilité où certaines personnes, fort intelligentes d’ailleurs, se trouvent d'étudier des choses dont l'analyse réclame beaucoup d’atten- tion et de subtile délicatesse; elles n’ont point d’haleine au travail et elles l’abandonnent bientôt parce qu’il est à la fois pour elles une souffrance et une cause de paralysie. C’est icile cas de remar- quer combien les règles d'éducation sont grossières ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 233 encore; souvent, en effet, considérant la paresse comme une sorte d’entité abstraite, comme un Vice moral, on la punit au lieu de chercher à la guérir. Cependant, la plupart du temps, Cette paresse que les châtiments ne peuvent vaincre tient, lorsqu'elle n’est pas liée à un défaut d'intelligence ou à une passion dominante, à ce qu’en s’efforçant de travailler , les enfants oublient de respirer. J’ai moi-même beaucoup souffert à de” cet oubli qui croît en général avec la préoccupa- tion dont on est saisi. Il ne serait pas impossible d’instituer à cet égard quelques exercices gymnas- tiques qui préviendraient de tristes résultats. Mais qu’il me suffise d’énoncer ces choses en passant, leur analyse me conduirait beaucoup trop loin. Il est cependant utile d'indiquer à ce propos combien ces expressions s’efforcer de voir, s’eflor- cer d'entendre, sont justes en elles-mêmes; en effet, l'attention est toujours mêlée de quelques mouvements d’effort qui se traduisent dans quel- ques mouvements plus ou moins marqués du visage ou du corps. Mais cet effort se développe sous des formes un peu différentes dans l'attention de l'œil et dans celle de l'oreille. LXXI, — Quand nous cherchons à découvrir un 234 DE LA PHYSIONOMIE objet fort petit, l'effort est complet dans sa forme. Nous fermons la bouche avec insistance, la glotte s'élève et se contracte; et comme les conséquences de cet effort trop prolongé pourraient altérer la vision, on s’y reprend à plusieurs fois, cessant de respirer quand on regarde, et respirant pendant les intervalles. La plupart de ces mouvements étant, nous l’avons dit tout à l'heure, inconciliables avec l’au- dition, l'effort qui se produit dans l'audition attentive se borne à une simple suspension des mouvements respiratoires, en sorte que la bou- .| che demeure entr’ouverte, hiante, attitude trèes- expressive qui, se mêlant souvent à des signes ca- ractéristiques d’impatience, est un des éléments les plus habituels de la mimique théâtrale. LXXIL. — Mais il n’est pas hors de propos de revenir pour un instant sur nos pas et d'étudier avec plus de détails l'influence que les sensations auditives ont sur les mouvements du corps. On sait par expérience vulgaire que les sons les plus purs ne prennent le caractère musical qu’à la condition d’être soumis à une certaine mesure et rangés en un certain ordre. Ils reçoivent de cet arrangement une puissance nouvelle; puissance Re pt ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 235 telle, qu’à peine est-il possible de se soustraire alors à leur influence. L’habitude seule nous em- pêche d'admirer cette harmonie merveilleuse qui enchaîne des milliers d'hommes, leur inspire une _ Volonté commune, les anime d’un même mouve- ment quand les sons d’une marche guerrière se font entendre. Chez tous les peuples du monde, les sons cadencés règlent le mouvement de la danse et les évolutions des troupes armées. Ces sons éveillent à la fois l’action et la règlent victo- rieusement, et leur puissance est telle que des. gens d'intelligence qui se piquent d’être maîtres : d'eux-mêmes, s'appliquent vainement à ne point céder à leurs impulsions dominatrices. e Ce prodige, cette merveille que la philosophie et la poésie ont tour à tour célébrée, n’échappe point à l'analyse de la physiologie rationnelle ; nous partirons dans nos explications d’un fait imple et facile à constater. Supposons un homme plongé dans une préoccupation profonde, et dans ce moment étranger aux choses extérieures. Qu'un Son éclatant et subit se fasse entendre ; éveillé soudainement, il se dresse et demeure fixé dans un état plus ou moins marqué d'extension et de. roideur. mt A D ae NE nie ve +: # CN NT dede 7 NS Lo péen, F a 22 236 DE LA PHYSIONOMIE De ce fait que démontrent l'observation et l’ex- périence, résultent deux conséquences immédiates: 1° Le son est une cause d’excitation; il arrache subitement l'organisme au repos. 2° Le son est fixant, si je puis ainsi dire : il dé- termine une sorte d'extension générale. Or, dans ce mouvement, en même temps que la tête s'élève, la jambe s’allonge; de là, une tendance naturelle à frapper du pied la terre. Ces choses étant posées, supposons que des sons se succèdent à intervalles égaux. À chaque émission nouvelle du son, la tendance au mouve- ment sera denouveau excitée, le corps se dressera, le pied pressera sur la terre. Or, ce qui a lieu dans un homme se produira également dans un autre homme; ainsi dix hommes, cent hommes, mille hommes, réunis en un même lieu, ressentiront l'excitation au même instant; ils se redresseront à la fois, tous à la fois frapperont du pied la terre. Si donc ces bruits cadencés se produisent pendant le mouvement de la marche, la marche sera réglée, toute cette foule semblera n'avoir plus qu’un seul corps et qu'une âme, et c’est dans ce sens qu'on à pu dire avec beaucoup de justesse : un corps de troupe, un ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 237 corps d'armée. Ainsi, toute une armée sous l’in- fluence de ces sons, ou de ces bruits, s’avance d’un même pas. Le rhythme des bruits est-il ra- pide, la tendance au mouvement se reproduit souvent, la marche s'accélère. Le rhythme est-il plus lent, la marche se ralentit d’une façon cor- respondante. Ces effets sont relatifs à la marche du son, au mouvement du rhythme; quelques autres elfets très-remarquables dépendent de la nature et de la qualité des sons. Ainsi, d’une manière générale, un son aigu dé- termine une excitation plus vive qu’un son moins élevé, et cette qualité des sons aigus s'explique aisément si l’on considère les conditions physi- ques de l’acuité du son. | l Cette excitation qu’un son élevé détermine est si vive, qu'on ne peut guère écouter une gamme ascendante sans élever en même temps le corps, tandis qu’on s’affaisse par l’effet d’une transition graduelle d’un son aigu à un son bas. Le premier éveille, le second déprime ou endort; aussi toute marche est-elle essentiellement composée de pé- riodes ascendantes, tandis que le chant des nour- rices qui endorment les petits enfants se dé- AS ccm A ee RME 2 ; sm RP — j " - 238 DE LA PHYSIONOMIE veloppera surtout en périodes descendantes ‘. Cette influence des sons élevés produit des effets singuliers dont l’étude serait d’un haut intérêt. C'est ainsi que dans ces périodes musicales, où les pas, qu'on me permette cette expression, sont composés d’un double son, l’un aigu, l’autre plus bas, la tête s'élève constamment au son aigu et s'abaisse au son plus bas, en sorte qu’elle exécute des oscillations obliques de haut en bas, et de l'oreille qui écoute plus particulièrement vers l’autre, et cela plus ou moins rapidement, avec plus ou moins de mollesse suivant que le rhythme est plus rapide ou plus lent. Si les chants chro- matiquement prolongés descendent en mourant, les mouvements du corps sont traînés comme les sons eux-mêmes, et l'organisme tout entier s’as- sociant à ces sympathies, les mouvements des viscères eux-mêmes sont ralentis et le système nerveux sollicité au sommeil. Ainsi s'expliquent les singuliers effets de la musique, ces effets op- posés par lesquels, excitant tour à tour et calmant 1. On peut, à cet égard, comparer deux chants célèbres. Je veux parler de la Marseillaise et du Chant du Départ. La supériorité du premier sur le second comme musique guerrière sera sentie de tout le monde. * ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 239 les passions, elle s'empare victorieusement de l'âme elle-même et anéantit toute liberté. Voilà Pourquoi, sans doute, dans son utopie de répu- blique parfaite, Platon proscrivait certains modes Musicaux comme indignes d’être enseignés à des : hommes libres !. Nous venons de voir qu’il y a, entre les sons en- - tendus et les excitations qu'ils amènent, un cer- tain rapport déterminé par le plus où moins d’a- Cuité. Ce même rapport existe entre le degré d’excitation qu’on éprouve et le son qu'on émet. C’est ainsi que la voix de la joie est haute, celle de la colère est suraiguë ; de même, la douleur qui lutte jette des cris perçants, cris dont le ton S'affaiblit et s’abaisse à mesure que la force s’é- puise. De même, c’est sur un ton très-haut qu’on excite la lenteur et la nonchalance; tandis que la menace, ayant pour but d’affaiblir et de terrifier 1. Je voudrais qu’il me fût permis d’en appeler à ce sujet au &rand ouvrage que M. Chevreul prépare sur la philosophie des: Sciences, et qui du point de vue élevé où l’auteur s’est placé, Pourrait à juste titre être intitulé : L'Histoire naturelle de l'esprit humain, Ces questions y sont traitées de cette manière large qui L’appartient qu'aux, maîtres. Plus j’avance dans cette exposition et plus je regrette de ne pouvoir à chaque instant invoquer cette &tande autorité. 240 SODHYLA PEYSTONOMIE à la fois, émet des sons graves et vibrants dont le timbre retentit et détermine le frisson. Il est évi- dent que la lenteur apparente de ces sons n’ac- cuse point alors un défaut d’énergie, mais indique, au contraire, l’effort d’une puissance qui se mai- “trise, d’une force contenue t. Ces remarques donnent immédiatement l’expli- cation d’un grand nombre de phénomènes; elles permettent de concevoir comment chaque passion, parlant une langue spontanée dont l'énergie est relative à la sienne, produit des intonations capa- bles d’exciter, dans la mesure même de l’excita- tion qui les a produites. Ainsi, des cris suraigus, effets d’une excitation exubérante, éveillent dans l'être qui les entend une stimulation équivalente, et sollicitent à la colère. Ils irritent l’homme le plus grave; au contraire, des sons bas, faibles , traînants, attristent, tandis que les sons graves et vibrants éveillent un instinct de contention et de Sic quum, squalentibus arvis _ Æstiferæ Lybies, viso leo cominus hoste Subsedit dubius, totam dum colligit iram; Mox ubi se sævæ stimulavit verbere caudæ, Erexitque jubam, et vasto grave murmur hiatu Infremuit (Luc. Pharsaliæ, lib. I). =. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 241 retraite que toute l'attitude du os exprime, dans les animaux qui se menacent. LXXNI. —Ces choses peuventêtreainsirésumées: 1° Une sensation vive détermine l'émission de Sons très-aigus. Pareillement des sons aigus éveil- lent et déterminent une excitation générale pro- Portionnée à leur acuité. Ge que je dis ici de lacuité du son peut se dire également de la rapi- dité du rhythme. 2° Des sons lents, faibles et bas, une voix trai- Dante, sont l'effet d’une puissance affaiblie et d'une volonté qui s'éteint. Réciproquement, des accents faibles, lents, trainants, ralentissent une action trop vive, calment par degrés les grandes excitations et sollicitent au sommeil. 3° Des sons bas et vibrants sont l'expression d’une volonté luttant contre l’éruption imminente de la voix, ils ont le caractère d’une action rétro- Stade. L'énergie de leurs vibrations sollicite à l’action, mais leur gravité impose une sorte d’im- Mobilité. Or, l’immobilité dans l'action, c’est la lOideur. Aussi produisent-ils la rigidité du corps, l'horripilation , le tremblement; leur effet immé- diat est d'arrêter et de contenir. Ainsi, par ces trois choses : le rythme, le 14 eee 242 DE LA PHYSIONOMIE . ton, le timbre, les animaux entrent dans la com- munication d’une vie commune, une harmonie nécessaire s'établit entre eux, et ils vibrent à l'unisson les uns des autres. Sous ce point de vue; l'oreille est surtout le sens social, tandis que l'œil est Le sens de la pensée intérieure et de l’intelli- gence pure. Aussi les intelligences créées sont-elles surtout entendement, tandis que l’être infini s’ap- pelle lumuëre. LXXIV.— Le jeu des organes de l’olfaction, du goût et du toucher, amène également dans le corps tout entier des mouvements sympathiques. Or, ces mouvements diffèrent singulièrement, suivant qu’ils répondent à la recherche extérieure de l’objet, ou à la contemplation intérieure de l'impression qu’il a produite. Dans le premier cas, les mouvements se rappro” chent de ceux de l'attention, leur caractère est- expansif. Dans le second, ces mouvements on une grande analogie avec ceux de l'intention, si je puis me servir dans ce sens de cette expression remarquable, leur caractere est essentiellement réfléchi où intuitif ?. 4. Si les néologismes n'étaient pas à redouter dans notre lan” gue, je serais tenté de proposer ici le mot intentif qui s’opposerait 7 ue "hi SR SO TR ELLE ere ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION, 243 ee Se A ne Il y a, à cet égard, entre les mouvements que les Organes des sens sollicitent, une différence très- Srande, et cette différence trouve sa raison dans le mode de leur action, dans leur essence même, Si je puis ainsi dire. C'est ainsi que, l'œil, l’oreille, et dans certains Cas le toucher, nous donnant des sensations, la nature ou l'habitude de notre intelligence nous Porte immédiatement à les considérer comme ex- iérieures. En sorte que, par une illusion singu- lière, nous nous sentons, nous nous voyons au Milieu des objets que cette sensation nous repré- Sente, bien qu’en réalité nous les contemplions en nous-mêmes, comme la plus simple observation le démontre. Ainsi, nous nous imaginons voir bien loin de Nous, et dans une perspective infinie, les diffé- rentes choses visibles, les eaux, les forêts, les Montagnes, le ciel, tandis qu’en réalité nous ne Contemplons qu’un tableau microscopique peint Sur notre rétine. De même, nous entendons bien loin de nous les Sons d’un cor que l'écho nous renvoie, tandis vec tant d’évidence au mot attentif. Mais il ne m'est pas permis de l’employer. D as a 244 DE LA PHYSIONOMIE qu’en fait nous n’entendons directement que les vibrations intérieures de notre bulbe auditif. Cette illusion, qu’elle résulte d’une disposition première de la nature ou de l'habitude, a sur nos mouvements une influence remarquable et néces- saire ; elle nous porte à sortir en quelque façon de nous-mêmes ; si bien que l'attention de l’œil et de l'oreille a, dans sa forme générale, un caractère évident d'expansion. Or, il n’en est pas tout à fait ainsi des mouve- ments d'attention qui accompagnent les sensa- tions de l’odorat, du goût et certaines sensations cutanées. Si le besoin que l’animal ressent éveille le dé- sir ou l’idée de l’objet qui le doit satisfaire, l'être exécute des mouvements de recherche dont la forme estévidemment et nécessairement expansive. Mais, l’objet une fois trouvé, une fois possédé, l'animal s’en empare; il l'amène à lui, l’'embrasse, l'enveloppe, le cache, et tout son corps prend alors une attitude contractée, égoïste, avare. Il ferme les yeux, ses oreilles se couchent; il s’ac- croupit en voûte, et ces mouvements sont d'autant plus marqués qu’il s’y mêle un nfouvement de crainte de voir sa proie lui échapper. Puis, ces pre- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 245 LS | Miers mouvements passés, l'animal, maître de sa Proie, commence à la savourer. Il y applique ee SOn attention, toutes ses forces. Alors, ainsi que nous l'avons vu plus haut, C'est moins l’objet lui-même qu'il savoure, que les Sensations que cet objet détermine. C’est là une Volupté immédiate qu’il considère en lui-même: il ne revêt point de ces sensations l'idée d’une Chose extérieure pour se la mieux représenter; en réalité, il ne voit que lui-même sentant et savou- rant, il n’est attentif qu’à ses impressions intimes. Ges mouvements ne peuvent donc avoir la forme d’une expansion vers le monde; mais ils expri- Ment un retour vers soi et se rapprochent singu- lièrement de ceux qui accompagnent la réflexion, OU pour m’exprimer plus he la contempla- tion intérieure. C’est ainsi que tout homme qui déguste ramène ses bras contre son corps; sa tête se fléchit, ses Yeux se ferment à demi, si bien que le mouvement d'attention se réduit à une extension partielle et à Peine apparente du corps. Ce que je dis ici du Soût peut se dire également du sens des odeurs, $t à certains égards du sens cutané lui-même. L’analogie singulière qui rapproche de la ré- 14, DE LA PHYSIONOMIE flexion ces actes divers a frappé à juste titre les plus vulgaires observateurs, comme le prouvent les expressions naturelles du langage familier. C’est ainsi qu’en ayant égard au mouvement d’ab- sorption qui les caractérise, le mot rwminer ex- prime à la fois et d’une manière aussi vraie que pittoresque la réflexion stupide des brutes et l'idiotisme majestueux de la pensée intérieure. LXXV. — Ces observations nous révèlent des analogies nouvelles entre le sens de l'olfaction, celui du goût et même celui du toucher, ils se ré- pondent sympathiquement et leurs actions sont en quelque sorte inséparables. Aussi voit-on les enfants qui se régalent d'un mets savoureux, se caresser l'abdomen, et réciproquement les caresses cutanées amener un mouvement de déglutition très-marqué. Les yeux et les oreilles, au contraire, se ferment alors, l’être se suffisant en quelque sorte à lui-même et s’isolant du monie extérieur. Les sensations génitales donnent lieu à des re- marques analogues ; semblables, en effet, au cha- touillement, leurs sympathies s’exercent surtout sur les organes des sens inférieurs. Je citerai, à cet égard, ces mouvements des narines, des lèvres et de la langue si habituels aux ruminants et aux ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 247 _ boucs, ces animaux lubriques auxquels les anciens avaient emprunté la forme idéale de leurs pans et de leurs satyres. Ces remarques pourraient nous conduire à des développements infinis; mais je dois me borner ici aux choses essentielles. LXXVI.— Les propositions que nous venons de . : développer s'appliquent avec une grande évidence aux sensations agréables, et elles semblent égale- ment convenir aux sensations pénibles, à quelques exceptions près que nous allons examiner. En général, toute sensation douloureuse dont le | Siége est à la périphérie du corps, possède au plus haut degré le caractère excitant. L'animal, ainsi que nous l'avons dit plus haut. se révolte contre cette douleur, il fait effort contre elle et les mu- marque évidente de cet effort. De même, l'homme qu'une douleur excessive tourmente s ‘agite avec . fureur; il essaye par tous les moyens possibles d'échapper à ses étreintes, de briser ses liens in- visibles, et tous les mouvements de son corps rappelant ceux d’un combat suprême, le langage le moins figuré peut employer avec la plus grande justesse ces expressions : lutter contre la douleur, la vaincre, S'en délivrer. _ gissements ou les clameurs qu’il pousse sont la 2 < | ii 41! # pal | Hi F F1 ELA 41! LH h HA Fi b FD DE LA PHYSIONOMIE Ainsi voit-on les malheureux qu’une grande douleur possède, se roidir de toutes leurs forces, serrer les poings et les dents, et pousser avec une insistance furieuse ; leurs muscles tremblent, leur corps se couvre de sueur, et les organes des sens expriment dans la sphère de leur activité une douleur sympathique. D’autres fois, au terme de l’impatience et du désespoir, l’homme essaye de se dépouiller; il déchire ses vêtements comme pour détacher de soi cette robe de Nessus ; 17 veut s’en- fuir, il s’élance, il veut en quelque façon sortir de lui-même, son cou s'étend et se détache des épaules comme si l’âme voulait s'envoler en emportant. avec elle la tête, son organe es- seutiel. Ceux qui ont éprouvé de grandes et longues douleurs, telles que les douleurs néphrétiques, . Savent bien que je n’imagine rien dans cette ex- position des sympathies de la douleur et que mes expressions traduisent la réalité. Ainsi les dou- leurs extrêmes ont, comme la joie, un caractere essentiellement éruptif; et ce que je dis ici des douleurs extérieures s'applique également aux douleurs intimes. De là cette inquiétude, ce be- soin incessant de changer de lieu, dont sont tour- e ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 249 Mentés la plupart des malades. Dans l'angoisse Qui accompagne l'invasion des maladies pestilen- ielles, le premier mouvement est de s'enfuir. Toutefois ces faits, bien que vulgaires, 1 ne se pro- duisent pas toujours. Et, en effet, certaines douleurs intimes, loin de Soiliciter des mouvements d’éruption, semblent, au Contraire, isoler l’être vivant du monde par un re- tour complet vers lui-même. Cette absorption Peut-être portée si loin qu’il devient alors insen- . Sible aux excitations extérieures. Cette forme de la douleur a donc avec celle de la volupté une sorte d’analogie. Mais les expressions sympathiques qui se développent alors ne permettent pas de les Confondre; en effet, tous les signes de l’indiffé- rence et du dégoût se développent alors vers le vi- Sage, et l'abandon du corps est tel qu'il donne l’idée d’une paralysie générale. Cette forme con- centrée de la douleur parait surtout se produire lorsque des lésions profondes, troublant ou arré- tant l'action des principaux viscères, ébranlent les bases et les fondements de la vie. LXXVII. — Telles sont les sympathies qui modi- fient la surface du corps. Disons maintenant un mot de celles qui agissent sur les viscères. Il RS gr Ua va Pre er u PE à & sa « ES TR en ne nee ME SORTE Fe Lier is rep ST Te ee PR 250 DE LA PHYSIONOMIE ER suffira d’énoncer quelques propositions très-gé- nérales. 1° Toute cause capable d’exciter le système nerveux cérébro-spinal sollicite au mouvement, non-seulement dans le système entier des muscles Périphériques, maïs encore dans toute l'étendue du système viscéral. Ainsi une excitation modérée détermine, en même temps qu’une tendance au mouvement ex- térieur, une accélération dans le rhythme des mouvements du cœur, et dans la succession des mouvements respiratoires; des observations nom- breuses permettent d'admettre que les viscères hypogastriques ressentent en même temps les effets de cette excitation. Une excitation excessive capable de solliciter outre mesure la contraction des muscles périphé- riques et d'amener la roideur, peut déterminer dans les muscles viscéraux des contractions spas- modiques capables de suspendre les fonctions des organes. C’est ainsi qu'un excès de contraction tétanique peut arrêter les mouvements du cœur. Cet effet se produit fréquemment dans le pa- roxysme de la colère, et détermine une pâleur su- bite du visage. a ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 251 Des effets analogues peuvent se produire dans le système des organes respiratoires, et dans ce. .Cas la dyspnée et l'angoisse surviennent, soit à l’occasion d’un spasme du poumon ou d’une con- traction de la glotte, soit à la suite d’une roideur tétanique des muscles du thorax. Nous ayons parlé plus haut des congestions périphériques que ces différents états déterminent. Enfin, des effets semblables sont ressentis dans les viscères hypogastriques, mais l'excitation ex- cessive de la colère peut-elle amener un spasme tétanique des conduits biliaires d'où résulterait une suffusion de bile ? Ces choses ne peuvent être qu'indiquées ici, mais nous en avons dit assez, j'ose du moins l’espérer, pour en faire comprendre l'importance. 2 Toute cause capable d'affaiblir ou de para- lyser l’action nerveuse agit à la fois sur les sys- lêmes de la vie animale et sur le système viscéral. Ainsi, les causes qui ralentissent la production du mouvement dans les muscles périphériques, se propagent dans la profondeur des viscères. Elles ralentissent les mouvements du cœur, para- lysent l'appareil respiratoire et relâchent les ca- _Vités hypogastriques. C’est ainsi que les grandes | \ \ 252 DE LA PHYSIONOMIE commotions, en même temps qu’elles suspendent l'innervation dans les muscles volontaires, déter- minent une sorte de diffluence, d’où résultent des, effets presque subits chez les natures faibles et ‘impressionnables. Aussi dans beaucoup d’expé- riences physiologiques, voit-on les animaux ré- pandre leurs excréments. La plupart des grandes douleurs sont sympathiquement ressenties dans les viscères : elles portent au cœur; elles suffo- quent. Ges choses n’ont pas besoin de commen- taires, LXX VIII. — Mais puisque j'ai parlé de commo- tions, il ne sera pas inutile, je pense, de dire ici quelques mots d’une de leurs conséquences les plus habituelles. Je veux parler de l’éconnement, dont l’analyse trouve ici sa place naturelle. L'étonnement est la suite ordinaire d’une grande impression subite, Nous n’essayerons point d'expliquer à la manière des cartésiens les mou- vements du fluide nerveux d’où l’étonnement ré- _Sulte, mais nous essayerons de déterminer expéri- mentalement dans quelles circonstances il modifie l’organisation. Formulons en premier lieu deux règles fonda- mentales : ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 253 A. Toutes les fois qu'une impression d'une cer- laine vivacité frappe subitement l'organisme, la conscience des impressions concomitantes s’uf- aiblit et peut même s'éleindre d'une manière complète. | Gette règle répond à cet aphorisme célèbre d'Hippocrate : « Duobus doloribus simul obortis fon in eodemn loco, vehementior obscurat alte- um. » (Aph. Sect. 2. 49.) Elle domine en patho- logie toute la théorie des révulsions. On dirait que l’âme tout entière se concentre alors dans la con- templation de l'impression dominatrice et qu’elle _ (St attirée vers un seul organe. C’est ainsi qu'un _ Son terrible et soudain venant à frapper inopiné- ment l'oreille, l’œil cesse de regarder et de voir. Voici la seconde règle expérimentale : B. Une tendance particulière au mouvement S’éveille duns les organes dont on «à la conscience Acluelle, c'est-à-dire sur lesquels l'attention de l'âme est dirigée. Elle s'éteint au contraire dans Ceux où ne s'élèvent point des sensations dis-. Unctes. ; ‘, C’est ainsi qu’il suffit d’écouter les battements de son cœur pour les sentir bientôt s’accélérer ; Nous avons vu plus haut que lorsqu'un organe des 15 k DRAC RES PA ERTRE ï | | | î| + RE ren té oo 254 DH LA PHYSIONOMIE sens est seul attentif, il dirige et diminue sympa- thiquement l’action de tous les autres organes. Toutefois au terme d'une attention absolue, \ lorsqu'elle est exclusive, absorbante, ces sympa- thies cessent de se produire; les autres organes semblent oubliés. Dès lors, des phénomènes de résolution paralytique se développent de toutes parts : la bouche, abandonnée à son propre poids, s’entr'ouvre: les bras retombent, les jambes flé- chissent, les mouvements du cœur lui-même sont ralentis, et ce ralentissement peut aller jusqu’à la syncope. LXXIX. — Sur ces remarques est basée toute la théorie de l’étonnement. Je suppose qu’une grande lumière vienne tout à coup à luire aux yeux d’un homme et le surprenne au milieu d’une nuit ‘profonde; cette grande impression anéantit la conscience de toutes Îles sensations étrangères ; son œil s'ouvre démesurément; mais, en vertu de la deuxième règle (S LXXVII. B), tout le reste re- tombe; la mâchoire inférieure s’affaisse, les joues pendent, et cela d’une manière passive, sans au- cune apparence de contraction; les lèvres sem- blent paralysées, la voix s’éteint; en même temps les bras se détendent et le corps tout entier s’af- LE . ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 255 laisse, Ces choses sont grossièrement indiquées dans la figure suivante. Dans ce mouvement, toute l’activité de la vie : Semble s’être concentrée dans l'organe oculaire. D | a. c. 5 le, % L'œil s'ouvre d’une manière démesurée ; la pru- elle, découverte de tous côtés, semble nager dans le blanc de la conjonctive; enfin la paupière DRE] Ts, ns ee x. LE un Rai et RUES Ur AE PÉ Z — D 7 je GPL jean dames RÉ = Re me EE” ésu : { Il | aa 256 DE LA PHYSIONOMIE supérieure et le sourcil, énormément élevés, sont entraînés par la corrugation du front. Il peut arriver que ces mouvements se produisent au milieu d’une stupéfaction telle, que le mouvement intérieur de la pensée est suspendu. L’étonne- ment reçoit alors le nom caractéristique de stu- peur. Cette résolution subite du mouvement muscu- laire, cette paralysie ou plutôt cet abandon instan- tané du corps, ont fait comparer à juste titre l’étonnement à l’état d'un homme frappé d’un coup de tonnerre; de là le mot étonné (attonitus), c'est-à-dire foudroyé. L’étonnement que produit uñe sensation audi- tive subite donne lieu à des mouvements analo- gues, sauf quelques modifications légères; c’est ainsi que dans ce cas la tête se porte légèrement de côté, les yeux sont également très-ouverts, mais leurs axes s’abaissent et convergent. La pu- pille est le plus souvent énormément dilatée. Le mouvement de l’œil est alors absolument sypa- thique, et la dilatation de la pupille indiqie qu'il est dirigé sans conscience, sans motif qui lui soit propre. Dans tout le reste du corps, les mouve- ments passifs de paralysie dominent. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 251 Cette paralysie ou plutôt cette suspension du Mouvement vital ne s'étend pas seulement aux muscles qui accomplissent les actions volontaires, elle envahit successivement tous les organes de la vie végétative. Les mouvements respiratoires | S'arrêtent, le cœur cesse de battre, les actions in- testinales sont suspendues. De ces différentes Causes résulie la päleur; toutefois, il ne s'y Mêle aucun sentiment d'angoisse. 1 n'y à dans l'étonnement ni dyspnée, ni rigidité, ni douleur. . Ces choses distinguent l’'étonnement simple d'avec l’épouvante. J'insiste à dessein sur ces observations ; j’y re- Viendrai ailleurs. Quoi qu’il en soit, je dirai par änticipation qu'il y à orthopnée dans l’épouvante ét affaissement dans la stupeur. Celle-ci est carac- térisée par une résolution complète, par une sorte de syncope des muscles; la rigidité et les Spasmes tétaniques sont au contraire les signes habituels de l'effroi; en un mot, l’un est une con- bulsion, l'autre une paral yste. Ge que les peintres ne devraient jamais oublier. LXXX. — Nous résumerons en quelques mots les propositions générales émises dans ce cha- Pitre, en Re PMEre rs nn es PR CE EST MR 5 - e de æ ve + ce n nttenn “AreRÉ SV Énteere d'éfetiens Tnt re rhte in Een ee et DE LA PHYSIONOMIE 4° Les mouvements directs qu’exécutent les or- ganes des sens sont accompagnés de mouvements sympathiques dans tous les organes capables de ressentir des impressions d’une nature analogue. ‘2% Les sensations réfléchies ne sont accompa- gnées de mouvements sympathiques que dans les organes dont l’action ne peut se substituer à l'ac- tion principale. 3° Les mouvements sympathiques qui pour- raient empêcher ou contrarier l’action principale ne se produisent jamais à l’occasion d'une sensa- tion directe ou prosbolique. 4° Lorsqu'un objet éveille douloureusement la sensibilité de. l'animal, les mouvements sympa- ym} thiques se développent tels qu'ils se produiraient si les organes des sens étaient le siége d’impres- sions analogues. La même remarque se reproduit à l'égard des impressions qui ne sont que gê- nantes. 5° Lorsqu'un mouvement se produit directe- ment ou idiopathiquement dans un organe, des mouvements sympathiques se développent, d’un côté à l’autre, dans les organes symétriques et, le long de l'animal, dans toutes les parties homo- logues des segments vertébraux. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 259 6° Dans ce cas, le mouvement sympathique ou _Îmitateur a toujours une énergie inférieure à celle du mouvement idiopathique. | 7 Si des sympathies générales se produisent, elles sont en général plus marquées du côté du Corps qui est primitivement affecté, 8° Toute sensation vive a dans les viscères des létentissements sympathiques. Ces mouvements, le plus souvent spasmodiques, se développent chez les divers individus d’une même espèce sous des formes très-variées. Toutefois, il est possible d'y découvrir certaines règles qui, d’une manière gé- nérale, dominent ce développement. 9% Toute sensation douce est attirante de sa Nature, mais dans une direction variable: cette direction diffère en effet suivant que l’objet éSt extérieur, ou intime et personnel. C’est ainsi ue la joie dont l'objet est extérieur se déve- loppe au dehors et rayonne en quelque sorte, tandis que la volupté dont l’objet est intérieur, détermine des mouvements dont la forme est réfléchie. 10° Toute sensation mauvaise est le plus sou- vent repoussée. Elle détermine en conséquence des mouvements expulsifs, des mouvements de RÉ Para + LA EE a ei RER ot ns Rte | 14 | \f Terme 260 DE LA PHYSIONOMIE révolte. Le corps là chasse comme une ennemie ou comme une étrangère. 11° Toutefois, quand l'attention se porte sur quelque douleur sourde et profonde, des mouve- ments de réflexion ou d'absorption peuvent se mêler à certaines formes expulsives de la douleur et produisent ainsi une expression mixte qui est celle de la tristesse. 12° D'une manière générale, l'attention peut être définie l’application de la volonté à l'examen d’une chose sensible. Cette application produit des attitudes fixes et n’est jamais sans quelque mélange d'effort sympathique. 43° L’attention qu'attire un objet visible porte à se diriger vers cet objet et à se mouvoir comme lui. L’attention de l'oreille donne lieu à des re- marques analogues. 14° L’attention de l’odorat, du goût et du tou- cher incline le plus souvent à la forme réfléchie et déterminée, en conséquence des expressions mixtes où l’expansion et la réflexion dominent alternativement. 15° Certaines sensations, telles que les sensa- tions auditives, sont éminemment excitantes et dé- terminent au mouvement; et suivant qu’elles sont ER A vero D Pl Vu tpm fn és 6 A dé Sd NC à M di ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 261 Plus ou moins excitantes, elles y déterminent plus OU moins. De là des variations continuelles dans la rapidité du mouvement général, dans son in- tensité, et par conséquent dans le degré de lex. Pansion corporelle qui répond à l'impression res- Sentie. : 16° Lorsqu'une impression excessive saisit tout d’un coup l'organisme, les actions vitales sont sus- bendues dans les organes sympathiques, et l'on voit se développer dans le corps entier des sy mp- tômes d’affaissement et de paralysie. TROISIEME PARTIE DES MOUVEMENTS SYMBOLIQUES. LXXXI. — Les mouvements idiopathiques, les mouvements consécutifs et les mouvements sym- pathiques se produisent à l’occasion d’une sensa- tion venue d’une chose extérieure ou du moins d’une sensation localisée. Mais des mouvements analogues peuvent se produire par des causes un peu différentes, je veux dire à l’occasion d’un mouvement de l’ima- gination et de la pensée. C’est là une conséquence naturelle d’un fait lrès-remarquable que Wolf a fort habilement dé- veloppé dans sa psychologie. Phantasmatis respondent ideæ materiales in _Cerebro !. Or, ces images matérielles (ideæ inateriales), 1. Psychol. ration. Sect. I, ch. ui, S 206. DE LA PHYSIONOMIE sont des représentations des choses extérieures, ou, pour m'exprimer plus clairement encore, elles sont en tout semblables aux idées immédiates qu’éveillent en nous des sensations actuelles. Il est donc naturel qu’elles soient #maginées dans les conditions mêmes où ces sensations se produi- sent le plus habituellement, et par conséquent rapportées à quelque chose d’extérieur. C’est ainsi que nous concevons comme extérieures les choses visibles que nous imaginons; que nous entendons hors de nous les sons dont l’idée occupe notre pensée. Il est donc naturel qu’en écoutant en nous, nous fassions mine d'écouter au dehors, qu’en contem- plant dans notre pensée une image idéale, nous dirigions nos yeux vers le lieu de l’espace où cette chose est imaginée ; en un mot que nos idées dé- terminent des effets à peu de chose près sembla- bles à ceux que détermine un objet réel, capa- ble de déterminer des sensations pareilles. Ainsi, par une illusion irrésistible, l'instinct et la volonté recherchent au dehors ces objets inté- rieurs de la pensée, le désir s’y laisse attirer, la volupté les caresse, la haine les attaque ou les fuit. | mo 5 ME ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 265 D Sn RE Nous développerons ces faits en quelques pro- Positions très-générales : | : Eh est impossible de voir, d'écouter, de Îlairer, de goûter, de toucher une chose en imagination sans exécuter en même temps les: _ Mouvements qui, dans la sphère des actions exté- rieures, répondent idiopathiquement ou sympa- thiquement à ces actions diverses. 2° Il est impossible de vouloir, de désirer, d'agir en un mot par la pensée sur ces images | extérieures, sans exécuter les mouvements ou du Moins un indice de ces mouvements qui, dans Tordre de la vie extérieure, répondent à ces actions. Ges propositions sont sommairement démontrées par lobservation des hommes qui rêvent, des Somnambules et des hallucinés. Or, nous donne- rons à ces mouvements qui résultent du jeu de | l'imagination et de la pensée créatrice, le nom de} mouvements symboliques. sm Ces mouvements symboliques sont une image des mouvements directs, image adéquate dans Certains cas, mais le plus souvent incomplète, ébauchée, Ils en diffèrent d’ailleurs par certains lraits caractéristiques dans la plupart des cas, et’ gt on or tte mn 266 DE LA PHYSIONOMIE pour des raisons qu’il n'est pas inutile de déve- lopper ici. LXXXIT, — Il y a deux sources de sensations et de pensées; le monde extérieur et l’imagi- nation. De ces deux mondes naissent incessamment, dans l’état de veille, des impressions simultanées, quelquefois harmoniques, d’autres fois contraires, et ces impressions sont dans la vie de l'homme alternativement dominatrices. Ainsi, parfois l’imagination l'emporte, ce que l’on voit surtout dans les hallucinations et dans l’'extase. Mais le plus souvent et dans l’ordre habituel des choses, les impressions venues du monde extérieur dominent, leurs teintes sont plus accentuées et plus vives et elles obscurcissent jus- qu'à un certain point les sensations venues du monde idéal. Idecæ materiales in motu minusceleri consistunt, st phantasmati quam si ideæ sensuali respondent, dit Wolf avec une grande justesse? Hobbes recon- naît également cette vérité : « Ces images, dit-il, sont plus confuses quand on est éveillé, parce qu'alors quelque objet présent remue ou sollicite continuellement les yeux ou les oreilles, et, en ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 267 us lenant l'esprit dans un mouvement plus fort, l'empêche de $ apercevoir d’un mouvement plus faible. » Dès lors, la liberté que l’homme possède d’ap- bliquer à son gré son attention aux choses du monde et aux choses. de l'imagination implique en lui l’existence d’une faculté nécessaire, le pou- voir de faire prédominer à son gré l’une ou l’autre de ces deux catégories d’impressions. | Gette faculté met en usage des procédés fort simples que nous n’aurons aucune peine à ana- lyser ici. EXXXIIT. — Je suppose que deux images for- mées au foyer de deux lentilles, l’une faiblement éclairée, l’autre pleine de lumière, soient recues en un même point sur un écran. De ces deux images, la plus forte éteindra la plus faible; celle-ci disparaîtra comme la clarté d’une lampe à la lumière du jour. Or, il est évident que le Moyen le plus simple de faire apparaître l'image la plus faible est d’affaiblir l'intensité de la plus forte ou même de l’intercepter tout à fait. Deux bruits viennent simultanément frapper Voréille, L'impression du bruit le plus fort afai- blira le sentiment du bruit le plus faible, Ainsi, Se eme ? 4° nr? Re h 2 Fa LE: er 14 je D rE 268 DE LA PHYSIONOMIE dans les quartiers populeux, les bruits de la rue rendent sourd aux conversations particulières. Que fait-on dans ce cas? on éteint ces bruits im- portuns, on les intercepte en fermant les fenêtres et les rideaux des appartements, et le bruit le plus faible devenant à son tour dominateur, peut être distingué et clairement entendu. Ge cas d’une double impression, l’une forte et l’autre faible, est à chaque instant réalisé dans l’état de veille. L’impression forte vient le plus souvent du monde extérieur; l'impression faible de l’imagi- nation. Ges deux impressions existent et agissent simultanément; toutelois, ainsi que nous venons de le dire, l'impression imaginaire est dissimulée, ce qui arrive pour plusieurs raisons fort nécessaires à bien apprécier, à savoir : 40 Par l'effet d'une impression de même ordre venue du monde extérieur. C'est ainsi qu'il est à peu près impossible d'imaginer une odeur quand on en sent une autre. De même peu de gens ont la faculté de s’abstraire assez pour imaginer ou simplement retrouver quelque chant familier, au milieu de l’exécution d’un concert. 2 Par l'effet d'une impression venue du monde D ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION: 269 es NRESR exlérieur, bien qu’elle soit d'un ordre différent. Cest ainsi qu'une grandé douleur, un grand tumulte, s’emparant de toutes les forces de l’être sensible, rendent fort difficile l'application de l'esprit aux sensations intuitives. 3° Par l'effet d'une attention trop vive, portée à certaines actions que le corps exécute. C’est ainsi qu’en s'appliquant à quelque travail manuel fort délicat ou à quelque exercice de gymnastique | difficile, on ne peut diriger à son gré les mouve- ments de l'imagination, si bien que la pensée n’a plus aucune liberté réelle. LXXXIV. — Il résulte de ces remarques que la liberté de s'appliquer aux impressionsintuitives suppose : | FES 1° L'absence de toute impression extérieure distincte, de même ordre que l’impresssion intui- live, C’est ainsi qu’en général on imagine mieux dans les ténèbres des objets visibles; de même un musicien, quand il se livre à la composition, recherche en général le silence. % L'absence de toute impression étrangère trop vive et surtout de toute impression génante. Des liens serrés autour du corps, des vêtements trop justes, nuisent au mouvement de l’imagination: mg gg ct L PA APE ENT I mé c'e im À — Re me ae = ee dec nes ul ete cd eo ge _ 11 k | | f H | 270 DE LA PHYSIONOMIE aussi la plupart des écrivains et des artistes adop- tent-ils pour le travail une grande liberté de cos- tume. 8° L'absence de toute espèce d'effort distinct, exigeant l'intervention spéciale de la volonté. Kt voilà pourquoi, en général du moins, les sensa- tions intuitives sont plus distinctes pendant le sommeil et dans certaines attitudes du repos. Ges remarques permettent d'expliquer très-na- turellement pourquoi, dans l'application de l'esprit aux choses intérieures, l’homme recherche ces positions où l’équilibre du corps est en quelque sorte passif, s’asseyant et laissant parfois retom- ber sa tête sur sa main, le coude étant mollement appuyé. Dans l’action automatique elle-même, dans la marche par exemple, l’homme qui imagine laisse retomber sa tête sur sa poitrine ou la sou- tient avec sa main. Aussi, dans ce repos du corps, : dans cette absence presque absolue d’impressions extérieures, passe-t-on par des degrés insensibles de l’état de veille à celui de sommeil somnambule et de la pensée ordinaire aux songes et à l’extase. Dans cet état, le. mouvement de la pensée con- tiue souvent l’œuvre commencée pendant la veille, et c’est ainsi qu’on peut jusqu’à un certain __n = D ne PRES ” htm Donne CEE ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 271 point expliquer cette élaboration singulière qui développe pendant le sommeil les idées qui occu- Paient l'imagination au moment où l’on s’endort après des études nocturnes. | LXXXV. — Lorsque les idées ou les images dont l'imagination est occupée sollicitent l’atten- tion, mais sans éveiller aucun sentiment de con- Venance ou de volupté, on voit se développer en Premier lieu quelques indices généraux de mou- vements attentifs. Ainsi, le nez se courbe légère- ment et flaire, la bouche exécute de petits mouve- ments de gustation préparatoire; souvent alors les doigts, pressés les uns contre les autr es, se meu- vent comme dans l’action du toucher. Si l’atten- tion aux choses intérieures est plus vive, à ces mouvements se joignent des mouvements symbo- liques d'effort. La respiration est suspendue et des contractions plus ou moins énergiques se des- _Sinent sous la peau de la face. | _ L’attitude générale du corps dans le mouve- ment symbolique est semblable à celle qui se pro- duit dans le mouvement direct. Ainsi, de même Qu'on regarde avec les deux yeux, on imagine, si je puis ainsi dire, des deux yeux à la fois; la tête Se dirige alors en avant et dans une attitude sy- CEE RUES M rer ne = re SU NE gage SE tpm ro res _ CPE 22 DE LA PHYSIONOMIE métrique. Pareillement, quand on imagine des sons, le corps semble écouter : une oreille se porte en avant et la tête se penche. Ges mouve- ments sont accompagnés de tous les mouvements sympathiques qui s'y associent, lorsqu'ils sont exécutés dans un sens direct et réel. Toutefois, ces mouvements symboliques d’at- tention par lesquels l’homme se cherche en. quelque sorte hors de lui-même, faisant interve- mir des causes d’excitation nouvelle, sembleraient, en raison des choses qui ont été plus haut expli- quées, devoir apporter quelque trouble dans le développement des sensations imaginaires, en substituant à des impressions légères et fugaces des impressions fortes et constantes. Et il en serait réellement ainsi si la nature, en donnant satisfaction à ce mouvement d’attention expansive qui entraine le corps, n'avait en même temps prévu ces obstacles et institué, dans les préordinations harmoniques de l'instinct, la solu- tion du paradoxe. Elle à en effet instruit l’animal à regarder sans voir, à écouter sans entendre. Ces choses me pa- raissent devoir être scrupuleusement examinées. LXXXVI, — Si, deux images, l’une forte l’autre Te ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 273 faible, tombant à la fois sur un tableau, nous vou- lons faire apparaître la plus faible, nous inter- Ceptons la première au moyen d’un écran. Telle est la solution que l’homme invente, telle est la Solution qu'a instituée la nature. J'imagine en effet et je regarde. Qu’en résulte- t-il dans mon esprit ? deux impressions simulta-- nées, l’une forte qui vient du monde, l’autre faible qui vient de l'imagination. Que ferai-je pour rendre celle-ci apparente ? J’intercepterai au moyen d’un écran l’image qui vient du monde extérieur, . j'abaisserai mes paupières au-devant des globes oculaires. Or, que fait l'œil dans ces ténèbres? Il con- temple symboliquement l’objet dont l'imagination est occupée, il voit surgir dans cet horizon vide les créations que l'imagination y fait successive- ment apparaître. Si l’objet de l'imagination est immobile, l'œil paraîtra fixé sous la paupière. Un artiste qui ne sent pas ces choses n’atteindra ja- mais aux secrets les plus élevés de son art. Tels sont les mouvements les plus habituels des yeux pendant que l’âme imagine ; toutefois, il n’est pas indispensable que les yeux soient fermés pour que l'inagination puisse s'appliquer « ; ; a. Ep “ æ D Arr. : . à £ u à $ ; és “0 VO LIL CE _ Ÿ J) | \; : 4 LP! t a PR Re pre | Fenemennrane CR TT P à be & : 47 h : [Are ! t'p } Fi L the) 14 d ( I ! ! IE 274 DE LA PHYSIONOMIE à l’idée d’une chose visible; loin de là, on pense et on imagine souvent les yeux ouverts. LXXXVIE, — Cette circonstance fait apparaître des faits nouveaux et du plus haut intérêt. C'est ainsi qu’on peut constater expérimentale- ment qu'il est impossible d'imaginer un objet fort éloigné du corps, sans accommoder symboli- quement l'œil à cette distance. De même lors- qu'on imagine un objet très-rapproché, l'œil se place dans l'attitude de la vision myope. Un autre fait non moins important est celui-ci. Lorsque nous imaginons une chose visible, les yeux étant ouverts, l’êmage intérieure est toujours supposée dans l’espace en decà ou au delà de tout objet visible, et les deux yeux s’accommodent sur ce point. | Il résulte de ce fait que les objets qui pourraient détourner l'esprit de la contemplation intérieure, ne laissent sur la rétine que des impressions con- fuses Incapables d'occuper l'attention et de laisser des traces dans la mémoire. On s'explique ainsi comment un homme qui imagine voit sans les reconnaitre passer ses meilleurs amis, comment il se laisse surprendre, comment, lorsque Fimagi- nation s'applique vivement au sujet d’une lec- Lo] si KA ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. — ture, les caractères du livre se confondent par Moments sous les yeux, si bien que pour arriver à les distinguer de nouveau il faut un effort sou- _ Vent assez pénible surtout lorsque l’œil est fa- tigué; on s'aperçoit alors que la plupart des ca- lactères étaient vus doubles, et cette diplopie Montre évidemment que le point d’accommoda- tion était changé. LXXXVIIL, — Les mouvements de l'œil, lorsque les sensations intuitives ont une certaine vivacité, Peuvent sympathiquement entraîner tout le COrpPS. C’est ainsi qu'on se penche en avant, qu'on tend les bras vers la chose qu’on imagine ; et à son insu on exécute une foule de mouvements qui ne Sont qu’un indice de certaines actions relatives à là chose imaginée. Ges mouvements sont des mouvements d’attrac- tion ou de répulsion semblables à peu de chose Près aux mouvements directs; ils sont accompa- 8nés des mêmes actions sympathiques et modi- fient le corps d’une facon analogue. LXXXIX. — L'imagination, en tant qu’elle se développe sous la forme des sensations auditives, Produit des mouvements pareils à ceux de l’audi- tion extérieure; or, ces mouvements donnent lieu PE CS EE re TE TRE - … mer ll = = = a = = ” Ép no = 276 DE LA PHYSIONOMIE à quelques remarques analogues à celles que nous venons de formuler. En effet, lorsque nous imaginons des sons, la tête écoute et se dirige avec une insistance : plus où moins vive, le cou étant plus ou moins tendu et les phénomènes de vision difficile qui accompagnent l'action d'écouter étant d'autant plus marqués que l'objet est plus éloigné. Mais rien ne traduit à l'extérieur ces modifications in- times de l'organe auditif par lesquelles il s’ac- commode réellement aux distances, comme on peut s’en convaincre en s’observant attentivement soi-même, bien que les procédés de cette accom- modation nous soient, dans l’état actuel de la physiologie, absolument inconnus. D'ailleurs, les règles que nous venons de déve- lopper au sujet de l’œil se retrouvent ici. Vou- 1 LE (IE FE LE (EEE il Î lons-nous imaginer des sons, nous recherchons en général le silence, de manière à faire prédo- miner l'intensité des bruits imaginaires sur l'inten- sité des bruits réels. Et si nous sommes au milieu d’un grand bruit, nous fermons nos oreilles enenve- loppant notre tête denos mains; d’ailleurs, le mou- vement symbolique d’audition se produit sous ces apparences dont le vrai sens ne saurait être douteux. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 277 XCG. — Il n’est pas hors de propos de résoudre ici quelques objections naturelles et qui reposent Sur des exceptions qui ne sont pas absolument lares. Ainsi, certaines personnes d'imagination recherchent le tumulte, et c’est au milieu d’une Sorte de fracas que leurs idées se développent avec plus de force. Mais remarquons à cet égard Qu'un certain degré d’excitation moyenne est in- dispensable au mouvement de la pensée, et qu’a- ant d'imaginer vivement, tout homme doit être ramené à ce degré d’excitation. C’est ainsi que l'ivresse exalte quelquefois l'intelligence, tandis que le plus souvent elle abrutit. Je ne doute Point que l'excitation qu’éveillent les bruits exté- ieurs ne puisse produire des effets analogues ; elle amènera les uns au point d'activité nécessaire, Mais chez les autres ce point sera dépassé et le Mouvement de l’âme en sera plus ou moins em- Pêché. D'ailleurs, remarquons que ces musiciens Que les bruits extérieurs animent ne recherchent Point des concerts harmonieux où les chants se développent d’une façon plus ou moins distincte, Mais au contraire, les bruits confus et tumul- lueux des foules, bruits monotones pareils à ceux de Ia mer, qui affectent, il est vrai, l’organisation 16 ÿ cp nee ; re LE qe » # SCPI AL CT us: = « e 7 . we . _ _— ee mn _ es = (A h 11 | fl ai! l k : E ' ji 278 DE LA PHYSIONOMIE d'une manière générale, mais dans lesquels rien ne se distingue assez pour préoccuper nécessaire- ment et dominer le mouvement de la pensée. Toutefois, il est un cas où l'impression imagi- paire peut se distinguer et s’accroître au milieu d’impressions extérieures distinctes, à savoir : quand elle est de même ordre, et peut se déve- lopper harmoniquement avec elles. Loin d’en être alors empêchée, elle sy développe avec plus de puissance, et c’est en s’accompagnant d’instru- ments divers que les compositeurs. éveillent leur génie, la muse descendant, pour ainsi dire, charmée par ces accords et mêlant ses accents à ces chants extérieurs; mais ces chants dominent alors le mouvement de la pensée; elle se meut. avec eux, portée en quelque sorte sur leur ailes, et ne crée rien au delà des limites que tracent autour d'elle les lois souveraines de l’harmonie. XCI. — Ces remarques tirées d'observations vul- gaires suffisent pour démontrer d’une manière générale la liaison naturelle qui unit les mouve- ments du corps à ceux de la pensée. Mais on s'en ferait une idée trop incomplète si l’on se bornail à ces seules remarques; en effet, l'intimité de ces relations va beaucoup au delà et a été mise dans ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 10 tout son jour par de belles expériences de M. Che- Vreul, dont je dois résumer ici les principaux ré- Sultats. | Ces expériences ont eu pour but d'examiner et de discuter la vérité de la proposition suivante : CUn pendule formé d'un corps lourd et d’un lil flexible oscille lorsqu'on le tient à la main au-dessus de certains corps, bien que le bras soit _ immobile. » ns Au premier abord, cette proposition fut vérifiée par l’expérience. Un pendule tenu à la main au- dessus d’une cuve à mercure, décrivit des oscil- lations faibles d’abord, mais dont l'amplitude augmenta de plus en plus. Ge premier fait une fois observé, M. Chevreul se demanda si en interpo- Sant certains corps entre la surface du mercure et le pendule en mouvement, ces oscillations s’arré- teraient. Or, lorsqu'on interposait une plaque de Verre ou de résine entre le mercure et le pendule oscillant, on voyait ses mouvements diminuer d’amplitude et s'arrêter tout à fait. Ces résultats plusieurs fois obtenus et avec une Constance singulière, auraient pu induire en erreur Un esprit peu sévère. Dans les observations précé- dentes, le pendule avait été tenu suspensä manu : nl Mc +. BDD Ru Ne € 7 à A A DUR 2 a DE LA PHYSIONOMIE l'influence que cette circonstance pouvait avoir sur les résultats de ses expériences n’échappa point à M. CGhevreul. Il crut dès lors devoir com- mencer une nouvelle série d'observations, en ayant soin de donner à la main un point d'appui immobile et fixe. Or, dans ce cas, le pendule ne se mit point en mouvement ou du moins ses oscilla- tions ne tardèrent pas à s'arrêter. « D’après cela, dit M. Chevreul, je devais con- clure qu'un mouvement musculaire, qui avaitlieu à mon insu, déterminait le phénomène ; et, ajoute- t-il, je devais d'autant plus prendre cette opinion en considération, que j'avais un souvenir, vague à la vérité, d’avoir été dans un état tout particulier lorsque mes yeux suivaient les oscillations du pen- dule, que je tenais à la main. » Or, de nouvelles expériences lui donnèrent la conviction qu'il y avait alors en lui une tendance au mouvement, et, tout involontaire qu’elle lui semblait être, cette tendance était d'autant plus satisfaite que le pendule décrivait de plus grands axes. Toutes ces observations avaient été faites en plein jour, les yeux suivant les oscillations du pendule. L'influence que ces mouvements des D DE ONE ES ee CITÉ Me Dee ns 7 _—_——— a ue TE ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 281 Yeux pouvait avoir sur les résultats généraux des expériences, n’échappa point à M. Chevreul; il crut en conséquence devoir les répéter encore, Mais cette fois les yeux exactement bandés; et Chose remarquable, le pendule n’entra point en Mouvement ou du moins ses oscillations ne tar- dèrent pas à s'arrêter. Or, en rapprochant les unes des autres ces différentes expériences, elles don- nent des résultats précis. 1° Un pendule que l’on tient (suspensä manu), au-dessus de certains corps, se met en mouvement et exécute des oscillations dont l'amplitude aug- mente de plus en plus. | 2° Ce mouvement diminue et s'arrête si l’on interpose, avec la pensée qu'il s'arrêtera, certains Corps entre le pendule en mouvement et le corps au-dessus duquel il oscille. | 3° Il s’arrête nécessairement si l’on donne à la Main qui tient le pendule un point d'appui solide. h° 11 s'arrête également si l'observateur à la Précaution préalable de bander les yeux de l'homme qui tient le pendule. | XCII. — Si l’on rapproche le premier fait du troisième, on demeure convaincu qu'un mouve- Ment, insensible, il est vrai, du bras qui porte le J6, DELA -PHYSIONOMIE pendule, est la première cause qui le meten mou- vement. Le deuxième fait montre que ce mouvement peut s'arrêter, je ne dis pas sous l'empire de la volonté, mais lorsqu'on a simplement la pensée d'essayer si telle chose l'arrêtera. Le quatrième fait montre l'influence que les mou- vements oculaires ont sur la production du phé- nomène et sur l'amplitude des oscillations. Ainsi : 1° Penser qu'un pendule tenu à la main peut se mouvoir, lui imprime un mouvement, sans qu’on ait conscience d’un mouvement produit dans les organes musculaires. | 2° Le pendule une fois mis en oscillation, ses mouvements deviennent de plus en plus étendus par l'influence que la vue exerce sur les organes musculaires. | La seconde de ces propositions a été, dans le. chapitre précédent où nous l’avons commentée par anticipation, le point de départ d’une multi- tude d'observations particulières que nous croyons d'une grande importance; mais nous pensons devoir insister d’une manière toute particulière sur le premier fait dont M, Chevreul résume ainsi les conséquences. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. ess À 28 is Il y à une liaison intime établie entre l’exécu- tion de certains mouvements et l’acte de la pensée qui y est relative, quoique cette pensée ne soit pointencore la volonté qui commande aux organes musculaires. | A. Influence de la pensée sur les mouvements organiques et sur les mouvements des viscères. XCIHII. On sait en particulier l'influence que l'imagination exerce sur les mouvements du cœur. Un médecin préoccupé de certaines sensations ressenties du côté du cœur, examinait fréquem- ment son pouls. Au bout de quelque temps appa- : rurent tous les symptômes de la cardiopathie la | plus grave. On lui prescrivit, entre autres choses, | de ne plus examiner son pouls, et cette seule pré- . Caution amena sa guérison rapide. J'ai eu occasion d'observer un fait analogue. . Un médecin connu par la vivacité de son imagi- | nation, éprouva après le diner un léger malaise ; il examina son pouls et crut trouver une ou deux intermittences; cette circonstance l’inquiéta, il devint attentif, et plus son attention fut excitée, { Plus il constata d’intermittences. Gela vint au Point que de six pulsations il en manquait au moins Une, Tout à coup, il aperçut dans son gilet un 4 | - 1 1 [4 Ë # LE | 14 D LS up ES SE ee tn DE LA PHYSIONOMIE bouquet de violettes à moitié desséchées. L'idée lui vint que l’odeur des violettes avait causé tout ce désordre, il les jeta loin de lui, et le rhythme des battements du cœur reprit comme par enchan- tement sa marche habituelle. XGIV. On pourrait multiplier les exemples de ce genre; l'effet de l'imagination sur les mou- vements intestinaux n’est pas moins remar- quable. Qu’après un repas pris avec appétit, quelque mauvais plaisant fasse naître en le spécifiant l’idée de quelque aliment révoltant, comme peuvent | l’être pour certaines personnes un chat substitué LLC à un lapin, ou des crapauds servis en place de grenouilles, cette simple supposition suffira pour jeter le trouble dans la digestion des personnes présentes, et ce trouble pourra aller jusqu’à pré- senter les symptômes d’une indigestion grave ou même d'un véritable empoisonnement. N'a-t-on pas vu de même dans les hôpitaux, où l'a plusieurs fois constaté mon ami M. Cloez, des . pilules inertes ou absolument innocentes, telles que des pilules de mie de pain, amener, l’imagi- nation aidant, des superpurgations véritables. I est à peine nécessaire d’insister sur ces faits, qui Er ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 285 se reproduisent à TT instant sous toutes Îles formes possibles. | XCV. — [L'imagination influe à un égal degré Sur toutes les formes du mouvement organique. _ Aune époque où certaines idées d’association Mal entendue fermentaient chez les jeunes gens de nos écoles, un étudiant fut admis à subir les : épreuves de l'initiation maçonique. L'épreuve im- Posée fut la suivante : on lui banda les yeux, puis on se mit en devoir de le saigner. En conséquence, une ligature fut serrée autour du bras; on fit mine d'ouvrir la veine et un filet d’eau recu dans une cuvette imita le bruit du sang qui s'échappe d’une veine ouverte. Or l'opération, ou plutôt ce simu- lacre d'opération se prolongeant, on vit au bout de quelques instants notre homme pâlir, il s’af- faissa peu à peu et finit par tomber en syncope, l'idée d’une hémorrhagie amenant ainsi l'effet ‘d’une hémorrhagie réelle. Raconterai-je ici ces sécrétions exagérées ou taries, ces constrictions spontanées du derme, ces Pâleurs subites et tous ces phénomènes si variés que le mouvement de l'imagination fait apparai- tre? Ne sait-on pas que les larmes se tarissent aux Yeux de l'hypocrite qui pense ne pas pleurer 286 DE LA PHYSIONOMIE assez, tandis que la crainte de trop pleurer les fait couler en plus grande abondance ? Chacune des propositions que -j’énonce ici sommairement pourrait être l’objet d’un long mémoire. XCVI. — B, L’imagination n’influe pas moins directement sur les mouvements et sur les sensa- tions extérieures, Ainsi, l’idée d’une cause de démangeaison . éveille des démangeaisons véritables, l’idée vive d’une douleur la fait réellement éprouver. Au milieu d’une de nos dernières émeutes, un groupe de soldats et de gardes nationaux engagé dans la rue Planche-Mibray demeure pendant quelques instants exposé à un feu meurtrier et plongeant de tous les côtés. L’un des combattants recoit à l’épaule un coup léger d’une balle réfléchie paï quelque corps environnant et n’y fait d’abord au- cune attention. Mais le combat fini, un peu de douleur se faisant ressentir dans le lieu contus, il a l’idée d’une blessure plus grave, et au même instant il sent sur le côté de la poitrine comme le passage d’une lame de sang coulant d’une bles- sure; il le sent manifestement, et cependant la peau n'avait pas été entamée. Voici un autre fait analogue à celui-ci : deux ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 287 étudiants s’aidaient réciproquement dans une dis- Section. Pendant que l’un d’eux, attentif à ses re- Cherches, étend le doigt, son compagnon promène en plaisantant sur ce doigt le. dos d’un scapel. Notre anatomiste recule aussitôt et pousse un cri terrible, puis, riant de sa méprise, il avoue avoir senti le tranchant du fer et une douleur cuisante Pénétrer jusqu’à l'os. | . Ajouterai-je que l’idée du froid fait frissonner, que la vue d’un citron fait éprouver comme un avant-goût de son acidité et couler abondamment ? la salive? 1 Ces faits se reproduisent à chaque ins- tant et sous toutes les formes possibles; ils mon- trent quelle grande influence peuvent avoir sur nos sensations les mouvements de notre imagi- nation et combien la médecine, lorsqu'elle se borne à l'emploi des moyens naturels, est, en ce . Qui touche l’homme, incomplète et grossière. XCVITI. — L’imagination n’a pas sur nos mou- vements une moindre influence : imaginer qu’on tremble fait trembler; imaginer qu’on ne peut se mouvoir paralyse. Montaigne, à son habitude, a 1, On sait que le physiologiste Eberle se procurait abondam= Ment la salive dont il avait besoin pour ses expériences en occu Pant son imagination de l’idée d’un fruit trèssacide. 288 DE LA PHYSIONOMIE très-judicieusement parlé de cette sorte d’im- puissance qui vient de l’imagination. En un mot, à chaque instant, à tous les moments de la vie. l'imagination modifie le corps. Comment ces pro- diges .n’auraient-ils pas excité l'admiration de philosophes tels que Malebranche et Boerhaave ? Mais il importe d'étudier de plus près cette ques- tion et d’insister sur cette influence singulière que l'imagination exerce sur nos mouvements. À. Pour se mouvoir, il n'est pas nécessaire de vouloir; il suffit de penser d’une manière géné- rale à un mouvement possible. Getre proposition est rigoureusement démontrée : par les expériences de M. Chevreul. B. Il y à dans toute action volontaire l'effet de deux volontés distinctes ; l’une subjective et in- time pousse à l'acte, l’autre immédiate et active le détermine. Ainsi, je veux marcher d’une ma nière générale, et cependant, un motif me rete- nant, je ne marche pas; et si dans ce moment je viens à marcher, je sens que ma volonté, en dé- terminant ce mouvement, intervient d’une façon directe et plus distincte. Toutefois, bien que Îa volonté efficiente puisse seule produire des mou- vements adéquats, on ne peut dire que la volonté ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 289 intime , la volonté pensée, soit sans influence sur les mouvements du corps. Ainsi : Vouloir en idée éveille, dans celui qui veut, une tendance irrésistible à l'action ; Il suffit de penser qu'on exécute une action Œuelconque pour ébaucher à son insu tous les mou- vements extérieurs qui ont rapport à cette action ; Il suffit d'agir par la pensée sur une chose réelle que suit le regard, pour exécuter automati- quement un indice de tous les mouvements qui Ont rapport à cette action. XCVIII. — Cette dernière proposition est prouvée par des exemples qui pour être vulgaires n’en sont Pas moins concluants. Assistons avec M. Che- nn ES vreul à une partie de boule ou de billard, suivons dans ses remarques ce grand observateur; voyez avec quelle insistance le joueur qui suit du re- gard sa bille appuie du geste sur elle pour la ramener dans la direction d’où elle s’écarte, avec Quelle intensité d’effort il lui trace de l’œil et de la main un sillon idéal. C’est là à coup sûr un des plus beaux exemples du mouvement symbolique. XCIX. — Les mêmes principes dominent toute une catégorie de gestes qui occupent dans le lan- Sage un rang important, je veux parler des gestes ii} RS ni Me. ANR uns = Mules. dé PERD Ne EL ue : 1 PR disais) si at j ? ” k à ue, NE SE ù + cenieue ] Î | 290 DE LA PHYSIONOMIE indicateurs et des gestes advocateurs, si je puis ainsi dire. Je suppose qu'un homme me demande son chemin. Instinctivement mon regard et mon bras, se dirigeant dans le sens de la voie, tracent la route qu'il doit parcourir. Mais je n'indique plus seulement, j’envoie; que dis-je? j’ordonne. Dès lors, la violence de ma volonté assimile le mes- sager à un mobile, mon geste le lance en quelque sorte. Tarde-t-il au gré de mes désirs? Je fais effort de loin comme pour le pousser. L’orgueil ou le sentiment de ma dignité enchaînent-ils mon action dans les limites d’une indication simple, mon bras est retenu dans une attitude moyenne ; mais l'effort de la contraction musculaire, le trem- blement des membres trahissent la volonté in- flexible et violente cachée sous la forme simple de l'indication. C. — S'agit-il au contraire de ramener, d’'ap- peler à moi un homme éloigné? mon bras tendu vers lui comme pour l’atteindre, se fléchit et se rapproche de mon corps comme pour l’attirer à moi. Plus l'intensité de mon désir est grand, et plus je répète ce mouvement. Il se modifie d’aïl- leurs d’une manière très-significative suivant que ———_—_—————— :. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 291 ne la personne appelée m’est agréable ou désagréable. Dans le premier cas, j'attire vers mes yeux, vers Ma bouche, vers les organes les plus délicats de là sensation. Dans le second cas, j'attire en tenant ce que j'attire éloigné de moi; et le geste amène l’appelé aux pieds de celui qui commande, Le bras n’est pas seul intéressé dans ce mouve- ment ; le bras et le corps tout entier y participent Souvent. Les mouvements de la tête surtout sont Temarquables; elle se tend alors vers l’homme ou l'animal qu'on appelle, et, par un mouvement oblique, le ramène avec efort vers l'épaule op- Posée. Dans ce mouvement on ferme à demi les Yeux et on serre les mâchoires en poussant le cri de l'effort. Ne dirait-on pas qu’on traîne pénible- Ment avec les dents l'individu tardif dont on excite la lenteur ? CI. — La seconde proposition n’est pas moins facile à démontrer par l'observation. Il suffit de Penser qu’on païle ou qu'on discute vivement Pour parler réellement très-haut, Cette tendance . 6St fort apparente dans les rêves. Le somnambu- lisme n’est qu'un rêve d'action. Lady Macbeth, dans le drame effrayant de Shakespeare, erre la Nuit essuyant ses mains où sa conscience bour- _— rer nee Se me. se A A EE SES + : 4 : 292 DE LA PHYSIONOMIE relée voit une tache sanglante; Diderot admire avec raison ce jeu muet plus éloquent cent fois que toutes les amplifications possibles. Que sont les fureurs d’Oreste? Eh! ne devinons-nous pas à chaque instant, à des traits analogues, les pensées qui animent nos interlocuteurs? ces choses ne sont-elles point tous les jours visibles au plus haut point dans les hallucinés? CIL.— L'application des principes qu’à formulés notre illustre guide, M. Chevreul, ne s'étend pas seulement à ces phénomènes; elle permet d'expliquer en outre les sympathies naturelles qui naissent, entre les hommes, des sens et de l'imagination. C'est ainsi, pour commencer par les exemples les plus simples, qu’en assistant à une lutte quel- conque on s'y mêle symboliquement et presque à son insu. Il suffit même d’en entendre un récit animé ; alors l'imagination suivant toutes les péri- péties du combat, l’automate vivant se meut au gré des fils cachés qu’elle dirige, et l’on voit se succéder tour à tour sur le visage du spectateur, la fureur, l’effroi, la tendresse, la haine, l'effort, l’abattemeut, la douleur et la joie. Ces mouvements intérieurs n’étant point satis- ne ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 293 faits, et complétement neutralisés par l’expansion * de l’action corporelle et du mouvement extérieur, il peut arriver. que ces différentes impressions Soient plus vivement ressenties par les spectateurs d’une scène émouvante que par les acteurs eux- mêmes. « Les spectateurs étaient plus inondés de Sueur que les combattants eux-mêmes, » dit Euri- pide dans ses Phéniciennes en parlant du combat d'Étéocle et de Polynice. Ainsi, l’effroi est bien Plus naturel à ceux qui assistent simplement à un Combat qu'à ceux qui combattent; et ne voit-on Pas certains hommes qui ont maintes fois prouvé dans des combats singuliers leur sangfroid et leur impassible courage, pâlir et se troubler lorsqu'un de leurs amis étant engagé dans la lutte, ils en Sont seulement les témoins? . CI. — Ne se produit-il pas quelque chose d'analogue dans l'angoisse réelle que fait éprouver à , . À à quelques hommes l'embarras d’un ami ou même d’un indifférent engagé dans une entreprise hasar- deuse? Voyez, par exemple, un père assister à un Examen subi par son fils. Le corps en suspens, la tête tendue, comme il le suit du regard! Pendant Que son fils parle, il est immobile, sa respiration est suspendue; les questions faites au candidat RS Se < A e — A RAS VLC 5 re Ar ENRR : re . Ca 1 Le nn nm ‘4 4 “ EE CT gr EI dpt gg bu =. Ds mg < : Der OCTO EE et, eds 294 DE LA PHYSIONOMIE sont-elles suivies de réponses faciles, le mouve- ment d'anxieuse attention se résout peu à peu; les réponses, au contraire, sont-elles pénibles, embar- rassées, le pauvre père s'associe à cet embarras: à cet effet, il pousse de la tête et de l'épaule, serre les dents, serre les poings et agit métaphorique- mentcomme pour aider à quelque action diflicile‘. Les examinateurs eux-mêmes, malgré leur lon- gue habitude, n’échappent point à cette nécessité. Ne les voit-on pas aussi manifester par tous les mouvements de leur visage un effort caché, ces- ser de respirer, et quand enfin le récipiendaire, ramené à la question, est parvenu quoique avec peine à une réponse suffisante, mettre un terme à cet effort par ces mots poussés avec une insistance caractéristique : « Eh! allons donc!! » et expri- mer ensuite par toute leur attitude qu'ils se sen- tent soulagés d’un grand effort et d’un grand poids ? Cette influence singulière qui s’établit par l’ima- gination entre les hommes, est une des bases pre- mières de la société humaine. Par elle tout homme 1. Tussis violenta si fit in aliquo homine, nullus est quin nixu quodam conabitur juvare suum amicum. (Boerrh. de morb. nerv- de sympathia. T..IT, p. 519.) ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 295 digne de ce nom peut dire comme le Chrémès de Térence : | « Homo sum; humani nihil a me alienum puto. » On peut même dire qu’elle est la base de la Société qui s'établit naturellement entre nous et les animaux ; société d’autant plus parfaite qu’ils nous sont, si j'ose le dire ainsi, plus semblables Par la forme, plus semblables par les tendances de leur activité physiologique. Ainsi la vue d’un être joyeux éveillant en nous l’idée de la joie, nous anime d’une joie symbo- lique. La vue d’un être souffrant nous faitsouflrir ; en un mot, nous éprouvons plus ou moins vive- Ment le contre-coup des passions qui se développent _ à nos yeux, en y participant plus ou moins sui- _vant que notre nature est plus ou moins délicate. CIV. — Malebranche n’a en quelque sorte posé aucune limite à cette puissance de l'imagination. « L'expérience, dit-il, nous apprend que, lors- Que nous considérons avec beaucoup d'attention Quelqu'un que l’on frappe rudement ou qui à quelque grande plaie, les esprits se transportent ävec effort dans les parties de notre corps qui correspondent à celles que l’on voit blesser dans Un autre. » RER PTE en ER TP on 2, ++ Et TD ES ommaenge + Fr % , Dé roorae ce Se 2 En PT CT #e an pet. DE LA PHYSIONOMIE À ce sujet, il cite l’observation suivante qui lui a été communiquée : € Un homme d'âge étant malade, une jeune servante de la maison tenait la chandelle comme on le saignait au pied. Quand elle lui vit donner le coup de lancette, elle fut saisie d’une telle appréhension, qu’elle sentit trois ou‘quatre jours ensuite une douleur si vive au même endroit du pied, qu’elle fut obligée de garder le lit pendant ce temps. » Il explique aïnsi ces influences mystérieuses que l'imagination d’une mère peut avoir sur la conformation extérieure ou sur le moral de l’en- fant.qu’elle porte dans son sein. Nous ne prétendons pas aflirmer la réalité de toutes les hypothèses et de toutes les explications de Malebranche. Toutefois, elles ne sont pas con- traires au sens général des faits que nous avons signalés plus haut ; si la vue d’un homme qui se gratte éveille une démangeaison, si voir ou entendre bâiller sollicite au bâillement d’une : . PR , . se . maniere irrésistible, sera-t-il impossible que l'imagination frappée de la vue de quelque grande blessure, ne puisse éveiller en nous le sentiment d’une blessure analogue ? Je ne l’ai jamais observé ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 297 Sur moi-même‘, mais un de mes parents, alors élève en droit, ayant vu pour la première fois pra- tiquer une opération (il s'agissait d’exciser une tumeur au pavillon de l'oreille), m’a assuré avoir ressenti au même instant une douleur très-vive à l'oreille: et cette observation est d'autant plus _concluante que l’observateur n’était préoccupé d'aucun système, d’aucune idée préconçue. 1. J'éprouve toutefois avec une grande évidence une sensation. Symbolique qu’on peut rapprocher de celle-ci. Étant encore en- fant, comme ma vue avait subi un affaiblissement notable, on Conseilla l'emploi des conserves. Or, la pression que le poids des lunettes exerçait sur la partie dorsale du nez m'était à tel point insupportable qu’il me fût impossible de continuer à en faire usage. 11 y a vingt ans de cela, eh bien! encore aujourdhui, je ne puis remarquer des lunettes sur le nez de quelqu'un, sans éprouver aussitôt et d’une façon désagréable cette sensation qui Winquiétait si fort autrefois. Je rapprocherai de ces faits l’angoisse terrible qu'on éprouve lorsqu'on voit un homme suspendu à une grande hauteur, dans une position qu’on suppose dangereuse. On participe alors au danger, on est saisi d’une crainte terrible. Lorsque dans l’exer- Cice de la corde volante, le voltigeur abandonne tout d’un coup sa Corde et demeure suspendu par les pieds, la foule des assistants Pousse un cri simultané, et il n’est pas un homme qui n’éprouve En soi quelque chose du sentiment d’angoisse qui accompagne une chute. Quand l’intrépide gymnaste Thévelin suspendu dans l'espace à la nacelle d’un aérostat y exécute ses tours de gymnas- tique, l'impression est si terrible qu’un grand nombre de femmes, ne la pouvant supporter, ferment les yeux et les couvrent instinc- tivement de leurs mains. 17. 298 DE LA PHYSIONOMIE GV. — Mais la réalité de l'impression symbo- liquement ressentie demeurât-elle un fait douteux, il n'en serait pas de même des mouvements qui suivent, je ne dis pas l'impression reçue, mais même la simple idée de cette impression. C'est ainsi que lorsque nous voyons quelqu'un frappé d'un grand coup à la tête par exemple, nous por- tons symboliquement la main à la tête en faisant un geste de douleur. De même, si nous voyons quelqu'un se faire quelque brûlure, nous exécu- tons à peu de chose près les mêmes gestes que si nous nous étions brûlés nous-mêmes. Les faits de ce genre sont trop évidents, ils se présentent trop souvent à l'observation de tous les hommes pour qu'il soit nécessaire d’y insister, GVI. — Ces remarques obligent de reconnaître avec M. Chevreui que la plupart des faits qu’on rapporte en général à une faculté particulière, je veux dire à limitation, ne sont, en dernière ana- lyse, qu'un résultat nécessaire des mouvements intimes de l'imagination et de la liaison mys- térieuse qui unit dans une minutieuse harmonie le jeu intérieur de la pensée au jeu des organes corporels. Or, s’il est impossible, et la chose paraîtra, je ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. . 299 l'espère, suffisamment prouvée, d’être saisi d’une idée vive sans que le corps se mette à l'unisson de l'idée, on concevra aisément comment la vue ha- bituelle de certains hommes pousse nécessaire-" ment à reproduire leurs attitudes et leurs gestes; comment les tits sont contagieux; comment enfin les accents se communiquent par des voies lentes mais sûres, à tel point qu’on peut assurer que le commerce habituel de chanteurs habiles doit avoir à la longue sur la qualité de la voix la plus heureuse influence. Mais que sert d’insister sur ces choses? n'est-ce pas sur elles que sont basées ces ressemblances qui s’établissent entre gens d’une même sorte, ressemblance générale d’où résulte la physionomie des professions ? Ne dis- tingue-t-on pas sous un costume analogue le militaire d’avec le prêtre, le médecin d’avec l'avocat, le grand seigneur d’avec le plus hautain financier. Les Français qui ont vécu quelque temps avec des étrangers ne recoivent-ils pas à leur insu une marque durable de cette fréquentation ? Ces choses ne sont-elles pas prouvées par l’obser- Yation de tous les temps? Ces remarques permettent aussi de jeter beau- Coup de jour sur cette belle théorie d'éducation Lo PT SR AE D ne nee tt ET ee ” bee ( be LE ne cr er FE } | I 300 DE LA PHYSIONOMIE fondée sur la puissance de l'exemple. De même que la vue du grand monde porte aux belles ma- nières, de même la fréquentation des hommes de bien, des hommes de probité et de courage, con- duit bien mieux que des préceptes les jeunes gens à la vertu. Que de choses cachées sous ces simples observations! CVIL. — Je me résume en disant : 1° Tous les mouvements qui dans le Corps résultent directement de l’action des causes occa- sionnelles extérieures, peuvent résulter également des mouvements de l'imagination, 2° Toutefois, dans ces cas où les mouvements: symboliques des organes des sens pourraient mo- difier d’une manière sensible le mouvement de la pensée, ces organes sont mus de façon à obéir à cette tendance au mouvement, sans toutefois faire intervenir quelque sensation de cause exté- rieure, 8° Vouloir simplement, dispose à se mouvoir; penser à une action, dispose à l’exécuter ; avoir la simple idée d’un mouvement possible, dispose d'une manière générale au mouvement. QUATRIÈME PARTIE DES MOUVEMENTS TROPIQUES OU MÉTAPHORIQUES. CVIIL. — Saint Thomas a dit avec une grande Profondeur : « Intellectus noster secundum stalum præsentem, nikil intelligit sine phantasmate. » IL n’est en effet aucune notion, si haut qu’elle S’élève dans la sphère de l’abstraction, qui puisse être absolument conçue en soi et indépendam- ment d’une idée sensuelle à laquelle elle est Pour ainsi dire. attachée et qui est en réalité Comme son corps. fs De cette nécessité générale qui porte l’homme à incarner, si je puis ainsi dire, ses pensées , ré- sulte le langage, cet art ingénieux qui sait donner de-la couleur et du corps aux pensées. Or, de l'acception de signes communs d'idées entre plu- Sieurs hommes par suite d’une convention réci- eee NE RENE TERRE —— ne nu ue fn tit AS #7 = mm soc CFE" EE" por rm “= ï ss. SERRE : _ = en Los 7 app SE D ARE . 802 DE LA PHYSIONOMIE proque résulte ce que nous appelons une lan- gue. CIX. — Les signes que l'intelligence fait inter- venir dans la formation de ce discours intérieur que l’âme se parle à elle-même dans l'acte de la pensée, sont essentiellement empruntés à l’ordre des sensations visuelles et auditives. Quand l’homme pense sa parole, cette parole est tantôt visible et tantôt elle est écoutée. Ces choses qu'une expérience continue nous dit assez claire- ment, n’ont pas besoin d’être démontrées. Toutefois, bien que ces deux ordres de sensa- tions intuitives soient les sources habituelles où nous puisons, ces signes où nos pensées s’incar- nent, ces sources ne sont pas les seules, et le toucher peut, dans certains cas, donner à nos pen- sées un corps et une base, comme le prouve en particulier l'exemple du fameux aveugle Saun- derson. Il raisonnait en effet sur certaines pro- priétés des figures géométriques avec une pro- fondeur à laquelle ne pouvaient contribuer les sensations visuelles qu’il avait toujours ignorées. Quant aux signes que pourraient fournir le sens de l’odorat et celui du goût, ils seraient plus dif- ficilement employés, les notions qui résultent de ———— ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 303 leur activité naturelle étant le plus souvent bor- _ nées, incertaines ou confuses. CX. — Quoi qu’il en soit, si nous considérons Surtout ces deux sens dont l’action vient plus Particulièrement en aide à l'intelligence, il sera évident pour nous que les analyses ontologiques des philosophes, et surtout cette distinction pre- Mière des idées de temps et d'espace, ont été écrites d'avance dans les préordinations de For- Sanisation animale. Ainsi les modes et les acci- dents de l’espace, la forme, l'étendue, le mouve- ment, sont essentiellement distingués par l'œil, tandis que l’oreille nous révèle surtout l'existence des choses, en tant qu’elles sont dans le temps, et soumises au courant perpétuel de ces flots qui Viennent et passent'. Or, bien que ces deux sens 4, M. Chevreul a victorieusement démontré le rôle élevé de l’abstraction considérée comme principe fondamental de la science ét de l’art. Or, elle n’est pas seulement le principe de ces sciences Qui se développent dans l'humanité. Elle est encore la source de la science individuelle, de cette science élémentaire que le mou- Yement de la vie fait éclore chez tout homme convenablement Organisé. Considérés comme source de nos connaissances, nos Sens sont de véritables machines à abstraction, et l’idée la plus Simple qu’on puisse se former d’un corps, n’est qu’un ensemble d'abstractions coordonnées dans la conscience par l'instinct, l’ha- bitude et la raison. PE 7 > EE me ven — Re ” EEE 2e ler ere aan caen € RAR PSP ee = ES D CRE nr ue à A ue 7e à me PAG PS ——— D ES A M ne re 304 DE LA PHYSIONOMIE nous donnent simultanément des éléments qu’un acte spontané de la pensée associe et combine en une seule idée, nous pouvons néanmoins affirmer que l'idée que nous avons de l'existence des choses extérieures et de leur mouvement, nous vient surtout par les yeux, tandis que l'oreille parait au fond moins nous instruire que nous avertir. Aussi les idées qui nous viennent par le sens de la vue sont-elles plus réelles, plus immé- diates; mais si le sens de l’ouïe a, sous ce point de vue, une infériorité relative, en revanche il exerce sur le développement des sentiments en général une influence singulière, en telle sorte qu'en éveillant indirectement une idée, il rend l'esprit plus attentif à cette idée par le sentiment corrélatif qu’il existe ; et cette infériorité se trouve à bien des égards compensée. Aussi, devient-il par cela même le sens habituel du langage; or, l'habitude devenant, comme le dit fort justement le vulgaire, une seconde nature, nous paraissons souvent écouter les choses que nous pensons, l’idée du signe se substituant.alors d’une manière suffisante à la chose signifiée. C’est ainsi qu'en écoutant la marche et le développement d’un discours, nous paraissons surtout attentifs aux É ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 305 sons dont ce discours se compose. Aussi disons- nous fort naturellement au sujet de certaines Propositions dont le sens est saisi par l'esprit : J'entends cela, cette expression j'entends étant alors synonyme de celle-ci : Je comprends, ce Que notre belle langue a merveilleusement ex- primé par ce mot entendement, qu’elle fait syno- nyme d'intelligence. Mais si un certain enchainement de signes Suffit au développement de certaines choses ou de Certains principes dont l’idée est très-familière à l'esprit, il n’en est plus ainsi lorsqu'il s’agit de Pénétrer profondément dans l'analyse de certaines dhotions plus ou moins compliquées dont l’objet _ est de l’ordre de ceux que la géométrie considère. C’est ainsi qu'en raisonnant sur les propriétés d'un triangle, un géomètre qui n’est point, comme Saunderson, un aveugle né, attachera son attention beaucoup moins aux termes du dis- Cours qu'à la considération de quelque triangle idéal : aussi les expressions du langage ont-elles ici pour rôle exclusif d’avertir, l'objet essentiel de l'esprit étant alors une idée revêtue d’une forme visible !. 1. Cela est si vrai qu’il n’est pas un seul professeur de géomé- fl UC TT PTT es -n = nues A5 dns + ox mp ne vr1 nee sie k nes Me “RE ro à 1 nus! 7 PR tome EE En gti A re ha DE LA PHYSIONOMIE =, Or, dans ce cas, comment s’exprimera le géo- mètre lorsqu’arrivé au terme de ces conceptions à abstraites, il touchera au but où l’ont conduit des raisonnements exclusifs? Dira-t-il : J’entends cela? Non sans doute, mais : Je vois cela. Et cette remarque fait clairement voir, je pense, comment ces deux expressions j'entends et je vois, fort analogues d’ailleurs, ne sont cependant pas abso- lument synonymes. CXI. — L'exemple de Saunderson montre com- ment les sensations visuelles faisant défaut à l'esprit, un exercice plus intelligent du toucher peut suppléer à cette pauvreté. En effet, ce sens nous révèle non-seulement la figure sous laquelle les corps sont circonscrits, mais encore leur ré- sistance, et de la sorte il nous donne l’idée la plus prochaine que nous puissions avoir de l’existence des corps. Dès lors, en acceptant la vérité de quelque proposition géométrique, Saunderson n'eût point dit : J'entends cela, nous avons vu que dans ce cas cette expression ne serait point exacte; il n’eût point dit non plus : Je vois cela; trie qui s’avisät d’essayer la démonstration du théorème le plus simple, tel que celui de la mesure du carré de l’hypoténuse, sans S’aider d’un crayon et d’une image visible, re ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 307 —_—_—————__——— mais il eût dit : Je touche cela. Or, Jean-Baptiste Rousseau comparant implicitement à un aveugle une vieille femme incrédule, lui fait très-fine- ment dire dans une de ses épigrammes : « Oui, je voudrais connaître, | « Sentir au doigt, toucher la vérité. » Mais quand, plus attirés que convaincus, nous sommes plutôt disposés à la foi que dominés par l'évidence, nous ne disons plus : J'entends, je vois Ou je touche, ces expressions ayant un sens trop absolu; nous disons naturellement : Je sens cela, et il est aisé de voir combien cette expression est juste et naturelle. Or, nous parlons ici surtout de ces choses abstraites que le langage présente aux considérations de l'esprit. Mais il peut arriver en outre que ces choses nous affectent par quel- Que rapport nouveau d’où naît un sentiment plus ou moins vif de convenance, et dans ce cas nous disons très-naturellement : Je goûte cela, manière de parler éminemment heureuse et fine qui est passée dans l'habitude du langage. CXII. — Ainsi, en nous tenant aux expressions du langage, nous voyons, nous entendons, nous touchons les choses et les vérités que l'esprit seul Ne CE OS LE miel À PR 02 PR PE RTS TER PAT CT SES D ne ne OC 308 DE LA PHYSIONOMIE comprend. Nous sentons celles dont il a la prévi- sion ; enfin, si elles nous apparaissent non-seule- ment comme vraies, mais comme bonnes, nous les goütons. S'agit-il au contraire d’une proposition fausse, l'esprit s'y refuse, nous en détournons nos regards, nous y demeurons sourds, nous ÿ répugnons. La proposition est-elle à la fois fausse et mauvaise, eile excite l'horreur: nous la cra- chons et nous la vomissons. Or, ces métonymies et ces métaphores ne sont pas seulement dans le langage, elles sont aussi dans le geste. Ainsi, le simple assentiment se manifeste essen- tiellement par de légers indices de flair agréable, de gustation satisfaite. On indiquera par tous les mouvements de son corps qu’on est caressé par l'idée. On inclinera la tête en signe de repos ou de confiance; la négation au contraire est ex- primée par tous les signes du refus matériel. Nous refusons de voir et nous fermons métaphori- quement les yeux. Nous refusons d’entendre et nous bouchons nos oreilles: nous détournons en même temps la tête, le nez et la bouche exécutent tous les mouvements de la répugnance et du refus. Les mains repoussent ou rejettent, la tète et les épaules s’agitent comme pour secouer un ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 309 joug pesant; enfin tous les signes de l'horreur et du dégoût physique, tous les signes d’une impa- tience poussée à son comble, peuvent se mêler à ces expressions et sont employés alors dans un sens figuré. Ç ; | Quoi de plus simple, quoi de plus naturel que ce langage? Comment Buffon qui avait eu le pres- Sentiment de ces choses, n’a-t-il vu dans ces tropes du geste que des conventions variables Comme le caprice des hommes ? Il les connaît en effet, mais il les considère comme un résultat de la réflexion et de l'habitude ,“tandis qu’elles sont ce que Leibnitz appelle avec tant de profondeur automate vivant. (Voy. Buflon, Histoire natu- relle, t.2, p. 534, in-4°.) Diderot semble à cet égard s'être rapproché davantage de la vérité; malheureusement il n’a pas développé toutes ses idées sur ce point. Mais il est évident que son esprit était préparé aux plus subtiles, aux plus délicates analyses. C’est ainsi que dans sa curieuse lettre sur les sourds et muets, il fait remarquer en passant combien la langue des gestes est métaphorique. Il a même Connu la signification et la source de ces expres- une conséquence naturelle des lois qui régissent . D f f À! Se mn CN MR mg 310 DE LA PHYSIONOMIE Érthe sions métonymiques qui dérivent des sympathies des organes entre eux. Il dit en effet :« Qu'entendez-vous par ces ex- pressions heureuses ?.. Je vous répondrai que ce sont celles qui sont propres à un sens, au toucher par exemple, et qui sont métaphoriques en même temps à un autre sens, comme aux yeux. D'où il résulte une double lumière pour celui à qui l’on parle, la lumière vraie et directe de l'expression et la lumière réfléchie de la métaphore. (Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient.) » Mais nul n’a mieux connu que Engel cette classe de mouvements, nul n’en a mieux appréciés l'importance. La théorie de Engel repose tout entière sur un fait incontestable duquel il à tiré d’admirables conséquences. Ce fait consiste dans | une tendance innée de l’âme à rapporter ses idées intellectuelles aux matérielles, et à imiter par des modifications matérielles les modifications intel- lectuelles. Toute l'histoire des mouvements tropi- ques est en germe dans cette simple observation. Le travail de Engel à pour titre : Lettres sur le geste et sur l’action théâtrale. Ge travail presque oublié aujourd'hui, serait lu avec un grand profit par les comédiens et les artistes philosophes. Il a + Ts ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 311 Été traduit en francais, et cette traduction occupe Une place honorable dans une collection fort Curieuse qui à été publiée vers la fin du dernier Siècle et au commencement de celui-ci sous ce ütre : Recueil de pièces intéressantes concernant les antiquités, les beaux-arts, les belles-lettres et la Philosophie. (Paris, chez Barrois l'aîné, 1787.) J'aurais eu à peine quelques remarques à ajou- ter à ces belles recherches si l’auteur n’avait eu en vue surtout le jeu des comédiens, et n’avait par Conséquent donné à ses travaux une couleur spé- Ciale ; ajoutons que l’auteur, ayant choisi la forme istolaire, ne s’est point cru obligé à cette préci- ais, tel qu’il est, son ouvrage n’en a pas moins Une haute valeur, et l’on pourrait s'étonner qu’on ait pu lui préférer le livre de Lavater, si l’emphase Vide du style, le verbiage et la malice n’étaient le Plus souvent estimés dans le monde au dessus de la raison et même du génie. CXIII. — J'ai dit en ce qui touche Les. mouve- Ments métaphoriques les choses les plus essen- telles. Mais nous ferons sentir encore plus Vivement ces choses par quelques exemples im- Portants. n qu'un sujet vraiment philosophique exige; D are hé APTE DE LA PHYSIONOMIE C'est une tendance invincible de l’homme de considérer comme choses inséparables la cause efficiente et le résultat de son activité. Dès lors, la manière dont une chose nous impressionne nous fait porter un jugement instinctif sur le degré de l'effet qu’elle est capable de produire, et récipro- quement la manière dont un effet nous frappe dé- termine souvent et domine le jugement que nous portons sur sa cause; c’est ainsi que l’idée de puissance et celle de grandeur se développent dans l'esprit avec une telle analogie qu’elles nous sem- blent au premier abord identiques. Ge qui est grand en effet ayant sur nos sens une plus grande influence, nous sommes naturel® lement portés à attribuer à ce qui nous affecte paï sa grandeur, plus d'activité et de puissance, et nous avons une certaine tendance à figurer la force sous des proportions colossales, Ne dit-on pas, d’un homme qui a fait de belles et fortes actions, qu’il est un grand homme? Si l’on ne racontait de Pepin le Bref que l'exemple qu’il donna de sa force prodigieuse, quel peintre, quel historien s’a- viserait de le supposer petit? N'est-ce pas une dif- ficulté réelle que de représenter le grand Alexan- dre, le grand Napoléon avec leur taille historique: £ ———_—_…—— ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. _ 813 ee. E ét n'a-t-on pas à les grandir une extrème ten- dance? Aussi, les héros des temps fabuleux se pré- Sentent-ils à notre imagination avec une taille _Bigantesque. « Quand je lis Homère, disait le célè- bre Sculpteur Bouchardon, les hommes ont dix Pieds de haut. » Tels sont à nos yeux dans leurs Combats prodigieux les guerriers du Tasse et de PArioste. | Et en effet, comment échapperait-on à cette tendance? 11 faut un acte de la réflexion ou l'idée vive de quelque qualité exceptionnelle occulte Pour faire acception des petites choses. Concevoir Une grande puissance dans une petite chose, c’est distinguer la puissance en tant que notion pure de l'esprit, c’est en un mot s’élever à une abstrac- üon véritable. Aussi les gens du peuple ont-ils une inclination naturelle à mépriser les petits hommes, là petitesse et la médiocrité de la taille n’impo- Sant point à l'imagination. L'une des qualités Physiques les plus importantes d’un chef de Woupe, c’est d’être grand et large, c’est de domi- Qer par sa taille les hommes qu’il commande. De là Encore cette tendance qui pousse les généraux de cavalerie à choisir des chevaux grands et fou- Süeux qui, se dressant sur leurs jarrets, élèvent 18 | x NET à DE cu mous COS NS ee nn - ce LE 314 DE LA PHYSIONOMIE ang leurs cavaliers comme un étendart. C’est sur des coursiers prenant cette belle attitude, dit Xéno- phon, que l’on nous représente les héros et les dieux. | À côté de la grandeur considérée comme condi- Lou 7 Fr a > RL TR RE LEP tion de force, se placent naturellement les signes immédiats de la force. Tels sont un vaste thorax, des muscles grands, mobiles et saillants. D’ail- leurs, cette puissance nous frappera d’autant plus qu'elle se développera avec moins d’effort. Il est RER in mt PRES été à oc te > + + ES aisé de voir en effet que l'effort naît d’un senti- ment d’infériorité, et l'instinct saisit spontanément cette vérité. On sent qu’alors les limites de la puissance sont proches et qu’elle touche à son É « EX { | terme. Aussi cette apparence d'effort déshonore-t-elle en quelque sorte l'expression de la dignité hu- maine. La roideur du corps, des muscles trop apparents nous frappent beaucoup moins dans un homme fort que des allures grandes et libres: & t { 44 H ñ j | une puissance naturelle et spontanée qui a le sen- timent d'elle-même se développe avec aisance; et la bonne grâce, cette parure de l’homme qu'ont anobli l'intelligence et l'éducation, résulte sur- tout de l’art avec lequel, proportionnant ses mou- Re Era ue CC OS ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 315 Vements à l'effet qu’on veut produire, on y em- Ploie le minimum des organes et des efforts mus- Culaires que la nature de l’action exige. | Le sentiment de ces rapports est, dansune autre Sphère, l’un des guides les plus sûrs de l’orateur _€t du poëte. - Annuit, et totum nutu tremefecit olympum. dit Virgile en parlant de Jupiter. Or, ce dieu Qui d’un signe de sa tête ébranle le monde, ne donne-t-il pas l’idée d’une irrésistible puis- Sance? C’est bien là la force sans limites qui con- Vient au maître absolu de toutes choses, au père des dieux et des hommes. .Les dieux inférieurs auront moins de puissance et déjà ün certain €ffort se trahit dans les expressions de leur cour- Toux, dans l’emphase des discours que leur prête le poëte : Tantane vos generis tenuit fiducia vestri ? Jam cœlum terramque, meo sine numine, venti Miscere, et tantas audetis tollere moles ? Quos ego! Sed motos præstat componere fluctus. (Æn., lib. I, v. 132). Cest en ces termes que Neptune gourmande er » ' . DAS Re TN ; me ne Ti 316 DE LA PHYSIONOMIE les vents révoltés. La puissance souveraine de l’'Homme-Dieu est exprimée dans l'Évangile par des termes plus simples : « Alors Jésus parle aux vents, et dit à la mer : Tais-toi, et aussitôt il se fit un calme profond, » Quelle majesté, quelle puis- sance ! On voit bien que rien ne pouvant résister, l'effort serait ici superflu. La peinture ne peut toujours s'élever autant que la parole à ce degré du sublime: certains Sujets dépassent la sphère de cet art, et ce serait un acte de génie de ne les point aborder. Cette admiration inintelligente dont on entoure les œuvres les plus médiocres de Raphaël ne m'em- pèchera point, quelle que soit d’ailleurs la per- fection du dessin, de considérer comme une œuvre déplorable cette composition célèbre où il a re- présenté Dieu séparant la lumière des ténèbres. Ce vieillard furieux poussant du pied et des mains pour séparer deux épaisses nuées, ne me donne point l’idée d’une puissance régulatrice et encore moins d’une puissance infinie. Mais quand j'en- tends ce passage de la Genèse : Fiat lux, et ut facta est, l'admiration me ravit et j'ai comme une révélation de cette puissance infinie qui crée comme nous pensons ! Sn TT mn yat og RE mn oo ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION, 317 CXIV. — Ainsi les idées de grandeur, de force et d’aisance, se développent comme choses corré- latives ; l’une suppose l’autre, et elles sont en Quelque façon inséparables. De là cette tendance naturelle qui nous porte à nous croire plus grands Quand nous nous croyons plus forts. Ce sentiment fait que tous nos organes se redressent, et nous | grandissons comme l’idée quenous avons de nous- mêmes, | | CXV. — D'ailleurs, ce sentiment de puissance intime étant le résultat d’une proportion qui s’éta- blit naturellement entre l’idée générale que nous avons de notre force et l’idée que nous nous faisons des obstacles qu’elle peut rencontrer, cette tendance à se redresser peut encore être conçue dans un autre sens : l’être intelligent qu’un désir indéfini agite, ne sent qu'avec peine des limites Posées à son action, et comme la vue est, si je lose ainsi dire, la lumière de l’action, un obstacle àpportéauregard éveille le sentiment d’un pénible esclavage. On ressent au plus haut point cet effet dans les pays des montagnes ; si bien qu’en géné- ral le site le plus beau est celui d’où l’on embrasse Un plus grand espace, surtout si l'œil errant sur des ceintures de montagnes, des horizons succes 18. 318 - DE LA PHYSIONOMIE sifs apparaissent aux regards charmés, comme les premières zones d’une auréole infinie ! Cette raison explique l'attrait singulier qui pousse l’homme à monter toujours, à rechercher les cimes les plus élevées; or, à mesure qu'il s'élève, son horizon grandissant et se dilatant pour ainsi dires cette sympathie du mouvement avec la sensation oculaire que M. Chevreul a démontrée dans ses expériences, fait qu’en sentant grandir autour de soi l’espace, on pense grandir et se dilater soi- même. Si bien que de la simple idée d'espace, quand toutefois il ne s’y mêle aucun mouvement de crainte, résulte nécessairement dans n0$ organes une expansion consécutive. Or, ces mouvements dont le sens direct ou symbolique apparaît au premier coup d'œil, se développent dans un sens métaphorique toutes les fois que l’âme occupée de grandes idées ou de grandes choses ouvre ses ailes, pour parler le magnifique langage de Platon, et s'élève dans la sphère lumineuse des idées. Le poëte lyrique que l'inspiration ravit gagne en imagination les hau- teurs du ciel. Il se sent emporté au-dessus des horizons visibles et nage dans l'espace comme l'aigle de Pathmos, et son regard plonge dans ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 819 l'infini. Alors, car ce sentiment est réel, il pense se détacher de la terre; son corps se dresse, sa tête s'élève et respire au-dessus des foules, et cette tendance conduit par des degrés insensibles à cet état extatique, à ces hallucinations si fré- Quentes dans l’histoire des mystiques. « Scio ho- Mminem in Christo ante annos quatuordecim (sive in COrpore nescio, sive extra corpus nescio, Deus Scil), raptum hujusmodi usque ad tertium cælum. (Ép. II aux Corinth., ch. x1r, v. 2.) C’est encore dans le même sens et par suite des mêmes lois que nous disons : des pensées éle- vées, des pensées basses, une âme sublime, une âme dégradée. Pensons-nous à quelque chose de grand, que dis-je? à quelques-unes de ces idées auxquelles nous attachons métaphoriquement l’épithète de grandes, la liaison qui existe entre les mouvements du corps et ceux de la pensée nous porte à notre insu à nous grandir et à nous gonfler. Un panégyriste racontant les exploits d’un héros, se dresse de toute sa hauteur, et l’empha- tique lenteur de ses paroles, un je ne sais quoi de redondant et de vaste dans le geste, traduisent Métaphoriquement l’étendue d’une puissance ma- jestueuse. 320 DE LA PHYSIONOMIE CXVT. — Ces propositions ne sont pas vraies seulement quand on les envisage d’une manière directe, leurs réciproques elles-mêmes sont évi- dentes. Ainsi : Instinctivement nous unissons l’idée de fai- blesse à celle de petitesse. Si nous nous sentons faibles, nous nous sentons petits ou plutôt nous nous sentons rapetisser. Le mouvement du corps suit ce mouvement de la pensée, toutes nos atti- tudes s’amoindrissent alors et l'organisme entier se rétracte. Or, le sentiment de faiblesse n’est pas toujours primitif, il naît souvent dans un être par l’idée d'une puissance supérieure à la sienne. Voilà pourquoi si deux hommes de condition très-différente, un prince, par exemple, et un pauvre bourgeois, se trouvent en présence, le sen- timent de cette différence fait que l’un se redresse et se gonile, tandis que l’autre s’affaisse et s’a- moindrit. Ge mouvement se développe très -naturellement lorsque l'être qui s’enorgueillit est le plus grand par la taille, tous les faits étant alors harmoni- ques et de même signification. Mais quand l'être qui s’enorgueillit est petit et ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 821 que l’être qui s’humilie est plus grand, l’orgueil reçoit de cette contradiction un caractère ridicule, tandis que l'humilité devient, dans ces conditions, plus vile ou du moins plus pénible. … GXVIL. — Les faits sur lesquels je viens d’in- Sister méritaient d’être examinés à part; leur ana- lyse, rendant nécessaire l’emploi de procédés un peu subtils, a embarrassé notre marche. Main- tenant il deviendra plus facile de développer et de faire admettre les propositions suivantes : 1° L’attention de l'esprit à des idées abstraites est nécessairement accompagnée" de signes exté- rieurs d'attention. Ces signes sont modifiés dans le même sens que ceux de l’attention symbolique. Il serait superflu d’insister sur cette proposition dont l'évidence est immédiate. 2 Si l’idée est claire, présente, et, si j'ose le dire ainsi, en la puissance de l'esprit, le corps est fixé dans l'attitude de l’attention facile. | 3° Si l’idée est mal définie, si elle échappe et fuit comme une ombre, l’esprit semble la suivre et le corps imite ce mouvement. Or, il se produit à cet égard des modifications d’un sens admirable. C’est ainsi que dans l’ana- lyse d’un problème un peu compliqué, l'œil semble 322 DE LA PHYSIONOMIE regarder avec insistance et exécute automatique- ment tous les mouvements qui correspondent à la vision difficile. Au moment où l'attention cherche à se fixer, l'œil paraît chercher en même temps quelque objet fort éloigné du corps. À mesure que les choses deviennent plus distinctes, cet objet semble se rapprocher de plus en plus; si bien qu'au moment où la pensée est arrivée au point de décomposer l’idée première en ses éléments les plus subtils, les yeux passent à l'attitude de la vision myope et convergent avec une intensité . plus ou moins grande. | De même un homme attentif à un raisonnement ardu fait mine d'écouter et d'écouter avec une scrupuleuse instance, bien que le discours soit haut et intelligible. Tous les signes de l'audition difficile se développent alors sur la face, dont l'expression rappelle celle d’un homme sourd qui s'efforce d'entendre. 4° Si l’idée est fort compliquée, en même temps que l'esprit en sent tous les détours, le regard et le doigt élevé semblent suivre le fil conducteur de quelque méandre très-compliqué. En effet, il arrive souvent que dans une démons- tration la solution ne soit point immédiate et ne ——— ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 323 — Soit aperçue qu'au terme d’une longue série de Propositions et de démonstrations successives. Le sentiment d’un mouvement ou d’une progression S'éveille alors dans l'esprit. « Suivez bien ce rai- Sonnement, je vous prie, dit Molière. » On le suit en effet, et lorsque, arrivé au terme du raisonne- ment, l'esprit en saisit la conséquence, nous disons communément : J'y suis, m'y voilà, et tout le corps prend en même temps une attitude de repos. | 5 « Lorsque l’homme développe ses idées sans « obstacle, dit Engel, sa marche est plus libre; , « quand la série des objets se présente difficile- | « ment à son esprit, son pas est plus lent. Lors- € qu’un doute important s’élève soudain, il s’ar- « rête tout court. De même, des idées disparates «amènent une marche irrégulière. Quand on « change d'idée, on change d’attitude. Si, par « exemple, cherchant quelques faits intellectuels, _«un‘homme regarde en bas et ne trouve point, «ses yeux changeront de direction, il regardera «en haut, etc. » Ges remarques sont pleines de génie. | © 6° Si la marche dé la pensée est embarrassée et Pénible, un mouvement général d’ embarras retentit 324 DE LA PHYSIONOMIE dans tous les organes du corps, et des signes d’im- patience se développent de toutes parts. C'est ainsi qu’on se gratte la tête ou le corps; on se frotte les yeux ou on cligne fréquemment, on se mouche sans besoin, on crache, on secoue la tête; on se débarrasse d’habits qui ne gènent en aucune façon. Ces mouvements se produisent avec plus d’évi- dence encore quand, au mouvement intérieur de la pensée, se mêle un travail simultané d’expres- sions, comme cela a lieu dans une improvisation. Rien de plus fréquent que de voir alors des per- sonnes vives, mais dont l’éloquence est moins rapide que la pensée, se frotter à chaque instant les yeux, s’essuyer la tête, se moucher, cracher sans nécessité, signes d’embarras extérieur qui répondent toujours à ces moments où se produit dans l’esprit un certain embarras. Un de mes amis, homme fort intelligent d’ailleurs, a quel- que peine à développer ses idées dans la conver- sation. Sitôt que l’expression fait défaut, on le voit secouer la tête et chasser bruyamment de l’air par lenez, bien que ses fosses nasales soient d’ail- leurs absolument libres. 7° L'esprit fait-il un premier effort infructueux; ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. _ 825 FT on s'apprête à le recommencer. Le corps imite ce mouvement. On s'arrête, on respire, puis on sem- ble reprendre son action. Les habitudes de la vie donnent quelquefois au geste une forme particulière. Aïnsi, les gens qui ont l'habitude du dessin font mine d’effacer quel- Que chose comme pour tracer un nouveau con- tour, Un musicien, au contraire, frappe du doigt . Comme pour commander le silence, puis il recom- mence son raisonnement. CXVIHI. — Tels sont d’une manière générale les mouvements qui accompagnent l’action de l'esprit. Mais ces mouvements sont remarquables surtout quand l’idée dont l'intelligence estoccupée éveille en nous des sentiments d’une nature toute par- ticulière : | | A Si l'évidence d’une idée lumineuse charme l'esprit etle ravit dans une contemplation joyeuse, tous les signes de l’admiration se développent sur le visage et dans le corps tout entier. 90 Si une solution inattendue se présente à l'esprit, le corps peut éprouver tous les effets de l’étonnement. ns 3° Une idée se développe-t-eile en harmonie avec le sens du bien ? est-elle bonne ? cette idée 19 rene È £ 4 pl À : \N IN RL in are EE A Ps phare ae 326 DE LA PHYSIONOMIE nous charme, elle nous caresse et nous applau- dissons. Que dis-je, nous la respirons, nous la goûtons, nous l’assimilons, et à tous les signes de l’assentiment extérieur se mêlent ceux de la dé- glutition satisfaite. h° La forme sous laquelle l’idée est présentée éveille-t-elle dans l'esprit ce sentiment de conve- nance et d'harmonie qui est l’une des conditions premières du beau? le charme de l’expression . peut éveiller des idées parallèles ou analogues à celles que l’idée sollicite. Souvent même, le sens abstrait de la pensée n’excitant qu'un sentiment médiocre, le corps de cette pensée, je veux dire l'enchaînement des mots, lerhythme de la phrase, le choix des expressions, pourront affecter très- vivement etéveiller des impressions très-distinctes de plaisir et de volupté, de douleur ou de dégoût, Dans ce cas, ces sentiments sont exprimés par les mouvements extérieurs qui leur sont relatifs, et cela dans un détail si fin qu'’analyser ces choses c'est au premier abord tomber dans la subtilité. Je prendrai pour exemple un de ces fins con- naisseurs, un de ces littérateurs délectants, dont l'espèce qui se perd chaque jour aété si commune en France au commencement de ce siècle. Suppo- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. OL _SOns notre homme attentif à la lecture d’un pas- Sage où le charme de l'expression, la vivacité du Mouvement, la suave harmonie du style lui font apercevoir des perfections merveilleuses; le sen- _timent de ces perfections l’occupe tout entier; et, de peur d'en laisser échapper une seule, il lit avec une lenteur précieuse, relit sa phrase, s’ar- rêtant à chaque mot et faisant durer par mille ar- tifices l'impression de ces choses sur l'esprit. Ces actions, propres aux délicats, ont avec la friandise du gourmet plus d’analogie; et chose remar- Quable !'ils en produisent sur le visage toutes les expressions, tous les mouvements principaux. Voyez en effet ces mouvements de dégustation dans les lèvres, ce nez qui flaire, ces yeux à demi fermés, ces petites fossettes dessinées sur les joues par un mouvement de déglutition vo- luptueuse ! et vous demeurerez convaincu que cet homme ne voit pas, n’entend pas seulement l’idée lenfermée sous les formes du langage, mais en léalité la goûte et la savoure, et, ap en cela au SOurmet, semble moins attentif à l’idée elle- Même, à la base nutritive de la pensée qu’à la Säveur du style, aux ingrédients de la phrase, AUX parfums de l'expression. DE LA PHYSIONOMIE Or, d’un homme qui lit ainsi, nous disons na- turellement : c’est un Lomme de goût. Ainsi cette figure n’est pas seulement dans le langage, elle est aussi dans le geste. On sent bien que des impressions opposées à celles que je viens de décrire amèneront des mou- vements inverses, en sorte que des mouvements d'impatience et de dégoût, seront la conséquence naturelle de certaines lectures. De même l'indif- férence de l'esprit se traduira par des mouve- ments d’indiflérence dans les organes du corps, le mépris par des signes de rejet, le dégoût et l'horreur par des mouvements d'expulsion dans tout l'appareil buccal. Enfin, la négation de l’es- prit sera traduite dans le corps par des mouve- ments de refus ou de révolte, CXIX. — Afin de montrer dans quel détail merveilleux le mouvement du corps se plie à toutes les exigences de la pensée, je rapprocherai de ces faits certains faits analogues, relatifs aux idées que l’homme se fait de sa personne, à la manière dont il s’affecte lui-même. L'homme en effet est souvent son objet à lui- même, et dans ce retour vers soi, il éprouve dans certains cas des sentiments de satisfaction et ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 829 d’orgueil, et, dans d’autres cas, de tristesse, de dégoût de soi-même, d'abandon et d’humilité. Or, chose remarquable, dans le premier cas, il se goûte lui-même. Tantôt il se rengorge et exé- cute le mouvement de la gustation satisfaite. D’autrefois, c’est le mouvement d'inspiration vo- luptueuse dont la déglutition du gourmet est suivie. Des mouvements sympathiques de caresse individuelle accompagnent souvent ces méta- Phores, et je ne puis m'empêcher de faire remar- Quer ici combien les expressions du contentement intérieur et de la suffisance ont avec ces mouve- ments de frappante analogie. Quand à ces signes du contentement se mêlent ceux de l’orgueil, on voit le corps se redresser et se gonfler. Ges choses se développent dans un ordre simple et intelligible. à La tristesse a des signes diamétralement oppo- sés ; elle prend la figure du dégoût le plus pro- fond. Elle laisse par un mouvement naturel la sa- live s’écouler ; les lèvres retombent, le gosier se ferme. Tous ces mouvements sont dans le langage : ne dit-on pas à chaque instant que la tristesse amène le dégoût de la vie? De même le sentiment de l'humilité amoindrit. | den # As, 44 gt ze + à EE “2 a TE CRE " Es ————— PR EC reve amer tr re do mm pr 330 DE LA PHYSIONOMIE em mm mn ee OO CXX. — Dans la série des faits innombrables que produit le développement de l’activité hu- maine, pourrais-je tout embrasser et tout dire ? Qu'il me suffise d’avoir fait entendre le sens des propositions que je résume ici : 1° Les mouvements de l'esprit qui sont relatifs aux idées abstraites, sont toujours accompagnés de mouvements analogues dans les organes du Corps. 2° Les sentiments de plaisir ou de douleur, d'amour ou d’aversion qui sont éveillés à l’occa- sion d’une idée abstraite, sont accompagnés de tous les mouvements analogues qu’amène un sen- timent de même ordre qui se développe dans l'occasion d’une impression physique directe. 3° Les mouvements analogues se développent dans le corps, à l’occasion des impressions qu’ex- cite dans l’âme la propriété même des signes auxquels l'idée est attachée dans le langage. A° Les sentiments qu’éveille dans l'être vivant l'idée de sa propre existence, sont accompagnés de mouvements physiques analogues à la nature de ces sentiments. 5° Ces expressions du corps sont toujours iden- tiques ou du moins parallèles à celles du langage ; ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 331 en sorte que, dans beaucoup de cas, pour tra- duire une passion dans le dessin d’un visage, il Suffirait d’imiter directement les figures du lan- gage et les expressions naturelles par lesquelles la parole peint métaphoriquement cette passion. 2 NÉ en D td OI 7 PRE A —— RS Re PENTIER ET à à DIN 01 nn A té Œet > 7 LR So creer. CINQUIÈME PARTIE APPLICATION DES PRINCIPES PRÉCÉDEMMENT EXPOSÉS. DE L'EXPRESSION DES PASSIONS D'UNE MANIÈRE GÉNÉRALE. CXXI. — Des mouvements directs et SyMmpa- thiques, des mouvements symboliques, des mou- vements métaphoriques, apparaissent, se SuCCèe- dent, se mêlent, se combinent en cent manières et composent la physionomie des passions. Mon intention n’est point de donner ici une ana- lyse complète des passions; cette question, d’un grand intérêt d'ailleurs, m’entraînerait pour le moment trop loin de mon sujet. Mais parmi ces passions je prendrai les plus apparentes, et en montrant de quels mouvements elles sont natu- rellement accompagnées , je ferai une application facile des principes qui ont été établis dans le courant de ce travail. Nous distinguerons dans cette exposition deux 19, RE j M a RP —— 334 DE LA PHYSIONOMIE RSR re à: ja ÉE PIU OS ordres de passions : 4° des passions homogènes dont tous les éléments sont harmoniques et de même signification: 2 des passions hétérogènes dont les éléments sont de signification contraire. 1° Des passions homogènes. GXXIL. — Nous rangerons au nombre des pas- sions homogènes : AE PSI 40," RS douleur. ALTO à + 1, En filon Ea volupté} 2444 L’angoisse. Le contentement . .:, L’ennui. La confiance . . . . . Le doute. RÉOARe. là colère. L'énergie. . "INR La Het, à +. = < RMI, L'orgueil. ‘. , .-, * JUS basses | L'impudence . . . . . La honte et la timidité. L'amoueioctisrins "br. . Eine EARROANT, cire de mépris. L'admiration. . ,. L’horreur, La bonté. . . . . . . La méchanceté. La générosité. . . . . L’avarice. LÉ COURS, ; - . ,L' peur et l’épouvante. Nous pourrions pousser beaucoup plus loin cette énumération; elle diffère beaucoup de celle qui a 1 | 4 ET DES MOUVEMENTS D’EXPRESSION. 335 été proposée par Descartes, et bien que j'aie dû profiter du travail de ce grand philosophe, il m'a fallu pour obéir aux exigences de rnon sujet, accepter une classification un peu différente. Je Vais essayer de définir tour à tour ces différentes passions et je démontrerai le rapport naturel qui existe entre la définition de chacune d'elles et les mouvements corporels qui l’expriment. Du Plaisir et de la Douleur. CXXIHII.— Le plaisir naît d’une excitation douce qui éveille le sentiment de la vie et sous l’impres- Sion de laquelle on s’épanouit. Cetépanouissement se manifeste par des efforts sensibles. C'est ainsi que le plaisir augmente la force impulsive du cœur, excite le système nerveux et détermine ainsi de la chaleur et de la rougeur artérielle. Un besoin plus actif de respiration s’éveille. La ten- dance à l’action s'exprime dans tous les muscles, dans tous les appareils de la sensation; aussi le plaisir fait-il sourire, ouvrir les yeux, dilater les narines, Chez beaucoup d'animaux les oreilles se dressent. La voix devient aussi plus rapide et plus aiguë. En même temps, la tendance au mouve- ment que le plaisir excite, porte à s'agiter sans hd rpe-menrcre vues # = ne HN ie Lgre r g a TORRENT" ES RE nr eu mars " res 336 " DE LA PHYSIONOMIE effort, à courir, à bondir, à agiter ses bras comme un oiseau ses ailes, lorsqu'il veut s'envoler. Cet état que le plaisir amène, cette surexcitation douce de la vie, est la joie. Quand la joie est très-vive, très-distincte, et cela arrive plus particulièrement dans l'enfance, elle détermine dans les viscères des effets sem- blables à ceux d’un chatouillement agréable et produit ainsi ces éclats de rire accélérés qui sont particuliers à cet âge. Ce phénomène est en géné- ral moins apparent dans l’âge adulte. La douleur naît d’une sensation anomale qui éveille le sentiment de la vie, mais sous une forme étrangère et pénible. Aussi l’organisme repousse- t-1l la douleur avec une énergie souvent déses- pérée. Getie action, considérée de près, a tous les caractères de l'effort. La douleur lutte en effet | avec une violence proportionnée à la force du pa- | tient. Considérez un homme qui subit quelque grande opération. Il produit tous les mouvements d’une lutte désespérée et pousse des cris affreux et prolongés; ses veines se congestionnent, sa Peau se couvrede sueur. Cette tendance aux mou- vements de l'effort est si marquée qu’il cherche instinctivement des points d'appui, saisissant la " ET DES MOUVEMENTS D’EXPRESSION. 337 Main des personnes qui l'entourent et la serrant convulsivement. Il est bien à remarquer que les Personnes de courage se contiennent et ne crient point ; mais leur attitude est alors celle d’une résistance obstinée, elles serrent les mâchoires et les lèvres et cessent absolument de respirer. Aussi les chirurgiens habiles recommandent-ils alors à leurs malades de ne point se retenir et de n'avoir point honte de crier, les cris étant dans ce cas un moyen d'entretenir un reste de respiration. Il est d’ailleurs aisé de prévoir que des efforts de cette nature épuisent s'ils sont trop souvent répétés. Ils anéantissent les forces par la con- gestion veineuse qu’ils amènent et tarissent les Sources de l’activité nerveuse. Aussi, à ces con- vulsions succède le plus souvent un sentiment pénible d’épuisement et de faiblesse. Cette fatigue intérieure, cet abandon qui suit l’excès de la dou- leur, est la tristesse. Aussi les caractères de la tristesse sont-ils généralement ceux d’un affaisse- ment général. La face pâlit, les mouvements du cœur et du thorax se ralentissent, la vue s’affai- blit et devient traînante, la peau se refroidit et se dessèche, le corps se courbe, s’affaisse; enfin toutes les chairs de la face, entraînées par un mou- + Er ms NE om grrr ue qu dE à 338 DE LA PHYSIONOMIE vement passif, semblent abandonnées à la pesan- teur, comme l'artiste l’a merveilleusement exprimé dans les têtes penchées des filles deNiobé. Dans ce mouvement, la respiration s’arrêtant, les ailes du nez s’alfaissent et le poids des joues entraine la paupière inférieure, si bien que celle-ci agis- sant par continuité sur la paupière supérieure, le globe de l'œil est découvert au-dessus de la pru- nelle, tandis que la pupille est recouverte et à demi voilée. Get effet est rendu plus sensible par ce mouvement d’élévation de l'œil que détermine dans les défaillances la prédominance des muscles obliques supérieurs. Ces choses sont très-faciles à constater. GXXIV. — Lorsque la joie ou la douleur sont subites, elles peuvent exciter au point de détermi- ner un spasme tétanique du cœur, d’où résulte une grande et subite päleur. La rougeur succède en général à cette pâleur aussitôt que le spasme a cessé. D'autres fois elles produisent l’étonnement et peuvent dans certains cas amener la défail- lance et la syncope. De la Voluplé et de l'Angoisse. CXXV. — La volupté est une sorte de plaisir ]. | ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 339 Chatouillant dont l'effet court dans les viscères et rend insensible aux excitations extérieures. Elle 8St donc essentiellement caractérisée par un re- tour vers soi-même. Nous en avons décrit ailleurs les principaux effets. Il n’est pas besoin de rappeler ici que les mou- . Vements de la volupté peuvent accompagner une action directe, se développer dans un sens sym- bolique ou métaphorique, et se montrent dans ces différentes circonstances sous la même forme. Gette simple remarque nous épargnera des répé- ütions et des longueurs. L'angoisse résulte d’une douleur qui retentit dans les nerfs viscéraux et trouble plus ou moins le jeu des intestins, des poumons et du cœur. Cet État est toujours accompagné d’une dyspnée intense et d’une extension convulsive du corps. Il Semble qu'alors les mouvements des viscères étant Suspendus, l’organisme entier cherche à y sup- Pléer par des mouvements accessoires des mus- €les périphériques. C’est ainsi qu’en général l’an- Soisse précède la mort. Dans cet état, un senti- ment profond de gêne douloureuse éveille l’idée de l'esclavage. Ainsi, selon le principe que nous ons développé en plusieurs lieux, l'angoisse À rm — io à nn tp er 340 DE LA PHYSIONOMIE pousse les moribonds à se dépouiller de leurs vè- tements, bien qu'alors la peau soit le plus souvent glacée. Souvent, presque au moment de mourif ils veulent se lever et changer de lit : que de fois, hélas! n’ai-je pas vu ces choses dont l’idée me saisit douloureusement! | S1 l’angoisse est subite, elle se change en épou- vante; on essaye de fuir, de s’arracher à soi-même et cette tendance sans but et sans regard constitue l’égarement. C'est ainsi que dans les grandes dou- leurs on se précipite, on s’échappe, on court au hasard. Les empoisonnements amènent des effets analogues; au début d’une invasion, un dés immodéré de fuir saisit souvent les pestiférés et les cholériques, et ces effets ne s’observent pas uniquement dans l'espèce humaine, les animaux les présentent souvent à un haut degré. On peut voir ici jusqu'à quel point ces effets sont opposés à ceux de la volupté. Dans la volupté» les yeux se ferment à demi, les oreilles s’incl- nent, le corps est ramené vers lui-même par une sorte d’enveloppement ondulatoire. Dans lan- goisse, au contraire, les yeux s'ouvrent démesu” rément, les oreilles se dressent et le corps tout entier s’érige. D'ailleurs, l'animal n’a alors la Sen” ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 341 Sation d'aucun objet extérieur, il regarde dans les ténèbres et ne voit pas. Dans ce cas, les yeux di- vergent légèrement et la pupille est alors énormé- ment dilatée. Nous reviendrons tout à l’heure sur ces choses en parlant de l’épouvante. Du Contentement et de l'Ennui. _ CXXVI. — Le contentement est une sorte de joie tranquille, mêlée d’un sentiment de force in- térieure et de liberté. Aussi, dans le contentement, le corps semble grandir; tous les mouvements se développent avec aisance, la vue se promène sans effort sur les objets extérieurs, et le léger sourire de la bouche entr’ouverte indique la liberté des mouvements respiratoires. On voit alors la face se Colorer d’une rougeur légère et les joues gonflées Par le: sourire élever jusqu’à la prunelle la pau- Pière inférieure. En général, ce mouvement n’est Pas sans quelque mélange de volupté. Aussi, dans la plupart des cas, l’homme content se rengorge- t-il un peu. L’ennui est une tristesse mêlée d’un sentiment plus vif de répulsion et de dégoût. Aussi les mou- Vements d'effort et de révolte sont-ils plus pro- is. SL és put: te 3 RÉ ae = ere rare = +, .- Eu A ne 28 » À = nn nie à mar er US D netgear 2 342 DE LA PHYSIONOMIE noncés dans l'ennui proprement dit que dans la tristesse. De là cette congestion pénible, cette oppression qui amène à chaque instant le besoin de bäiller. Il est fort à remarquer qu’on s'ennuie plus facilement dans les lieux où l'air n’est pas renouvelé, tandis qu’il se produit difficilement sur les montagnes et sur les bords de la mer, dans tous les lieux enfin où de grandes masses d'air circulent; de là ce besoin de prendre l'air qui s'empare de tous ceux que l'ennui a saisis. L’ennui est donc en soi un commencement de con- gestion et d’asphyxie. On conçoit dès lors com- ment toutes les causes qui peuvent directement ou par sympathie ralentir les mouvements respi- rateurs, un chant lent et monotone par exemple, sollicitent irrésistiblement à l'ennui, tandis qu'il est le plus souvent vaincu par l'influence d’une musique d'un rhythme rapide et entrainant. De la Confiance et du Doute. CXXVIL., — La confiance naît d’un contente- ment intérieur mêlé d’un sentiment de liberté indéfinie. L'homme qui marche au grand jour dans une plaine découverte et sur un terrain uni, nous donne directement l’expression de la con- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 343 fiance; la tête haute mais sans roideur, la r'espi- lation grande et facile, le regard assuré, les na- lines ouvertes, la bouche souriante, les épaules dégagées, la marche aisée et libre, tels sont les Signes les plus habituels de la confiance, Il n’est Pas nécessaire de rappeler que ces expressions Peuvent avoir un sens tantôt symbolique tantôt métaphorique, et dans tous les cas elles seront les mêmes, sauf les modifications que nous avons indiquées au chapitre des mouvements symbo- liques. La vue, l'apparence, l’idée d’un obstacle dans la marche du corps ou de l'esprit produit le doute. Le doute s'arrête à la vue ou à la simple idée de l'obstacle. Parfois il recule devant cet obstacle lorsqu'il apparaît comme chose douée d’une acti- Vité mauvaise. Mais le plus souvent le corps est. Seulement dévié de sa direction première. L’obstacle étant nuisible en soi, on a direc- lement, symboliquement ou métaphoriquement tendance à se mettre en garde contre lui. Les Mains se portent en avant et l'œil se met en dé- fense par certains mouvements du sourcil. Des Signes de refus ou même de dégoût se dessinent dans les contractions du nez et des lèvres. Toute- NP nue Lies ie gun La 244 DE LA PHYSIONOMLE fois, les yeux demeurant ouverts et attentifs, cette circonstance permet de distinguer le doute d’avec le simple refus. Quand le doute est mêlé de quelque inquiétude on essaye de tourner l’obstacle et les yeux cher- chent à droite et à gauche une issue. De là, ces oscillations furtives de la tête et du corps qui se porte tantôt sur la jambe droite, tantôt sur la jambe gauche, mouvements que les mimes popu- laires emploient avec d'autant plus de succès que leurs grimaces ne sont au fond que des exagéra- tions, plus ou moins heureuses, de signes naturels dont chaque spectateur a en lui le type et l'imstinct. | Du Calme et de la Colère. CXXVIIL — Le calme diffère du contentement et de l'énergie dont nous parlerons tout à l'heure par des caractères qui ne permettent point de les confondre. C’est le repos dans l’action. Une cer- taine lenteur dans les mouvements, la bouche un peu pendante, la paupière supérieure haute, Je corps droit, mais sans aucune espèce de roideuf: la circulation grande mais lente, la peau plutôt pâle que colorée, tels sont les signes qui caracie” ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 345 risent en général la physionomie des gens calmes. Ils en ont en général le front uni et peu de rides sur le visage. Leurs muscles sont en général peu apparents; toutefois, le plus souvent, ils ont l'aspect de la force. La faiblesse rend en effet nécessaires des efforts habituels, et ces efforts incompatibles avec un calme réel ne peuvent se concilier avec les signes généraux qui l’expriment. Si le calme est le repos dans l’action, la colère pourrait être à certains égards définie l'action dans l’action, c’est à la fois une révolte et une poursuite furieuse; elle court, se précipite, bondit, lutte avec une rapidité foudroyante, brise et anéantit. De là une tendance invincible à battre, à casser, à * déchirer, à mordre, à fouler aux pieds, tendance qui s’épuise sur toutes choses, même sur les innocents, que dis-je, sur des êtres inanimés. La colère, étant le résultat d'une excitation extrême, accélère en général les mouvements du cœur et fait rougir la face. Mais souvent cette exci- tation poussée trop loin détermine un spasme du cœur qui cesse un instant de battre. Dans ce cas, la colère fait pâlir. Ainsi la pâleur est le signe d’une colère poussée à ses limites extrêmes. La colère amène dans certains cas des spasmes En ES nr RES DE LA PHYSIONOMIE dans les viscères, spasmes d’où résultent tous les symptômes de l’hystérie et de l'angoisse : c’est ainsi qu’elle fait tantôt couler les larmes et tantôt éclater un rire terrible. Souvent l'an goisse est alors poussée si loin, que la colère paraît au premier abord ressembler à l’ épouvante; mais, en y regar- dant de plus près, elle s’en distingue aisément, en ce que (comme nous le dirons tout à l'heure) dans l’épouvante le corps se retire en arrière, tandis que dansla colère ilse porte le plus souvent en avant. En outre, les pupilles sont toujours énormément dilatées dans l épouvante, tandis qu'elles sont toujours contractées dans la colère. Cette passion se développe sous une forme essen- tiellement éruptive. En conséquence elle ne peut, en aucun cas, être contenue sans un effort de la volonté qui intervient avec plus ou moins d’éner- gie. De là, deux mouvements opposés, l’un qui pousse, l’autre qui retient. Les muscles antago- nistes entrant ainsi simultanément en action, un tremblement plus ou moins énergique en résulte, et la voix prend plus ou moins la forme du rugis- sement. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. : De l'Énergie et de la Mollesse. CXXIX. — N'écrivant point ici pour les Peintres, je n’insisterai point sur la forme de ces sentiments. Essentiellement, l'énergie résulte d’un sentiment très-distinct de sa force, et se traduit Par des symptômes de tonicité dans les muscles. Ce sentiment peut se développer quelquefois chez des personnes qui n’ont, il est vrai, qu’une force musculaire très-bornée, mais chez lesquelles l'habitude du commandement à fait naître artifi- Ciellement un sentiment de puissance. D'ailleurs, l'énergie n ’a point le caractère éruptif de la colère. Son attitude est celle de l’action, mais d’une action Calme et qui se possède; d’une action dominante Qui n’a pas besoin d'effort pour se produire. Aussi est-elle accompagnée d’une grande liberté, d’une &rande aisance de mouvement. Toutefois, la con- traction apparente de certains muscles, tels que le sourcilier et le masséter, la netteté ferme du Mouvement, indiquent la persistance vivace d’une Volonté toujours prête à se manifester. | Lorsque l'énergie n’est point éclairée par l’in- telligence et qu'elle est unie à un caractère SOupçonneux, elle prend la forme de l’entêtement. — 2 .. Te ne + =. di A à St « A. 5 ee 348 - DE LA PHYSIONOMIE st On découvre chez l’homme entêté les indices d’un effort perpétuel. Les yeux sont contractés, la bouche est pincée, la mâchoire habituellement serrée; les épaules sont en même temps élevées et contractées, la tête est enfoncée dans le thorax, le dos se courbe dans l'attitude de la ré- sistance, et les poings ont, à se fermer, une ten- dance habituelle. C’est ainsi que l’entêtement, qui est une disposition à la résistance intellectuelle; se traduit par des symptômes de résistance cor- porelle. Il y à un caractère opposé à l'énergie et sur- tout à l’entêtement, caractère toujours prêt à céder. Les signes de celui-ci sont ceux d’un aban- don qui laisse tout aller, tout tomber; ce qu’ex- priment métaphoriquement certains mouvements des yeux, de la bouche et surtout des mains: mouvements passifs, attitudes pesantes, affaisse- ment partiel du corps, tout dénote une noncha- ‘ Jance habituelle, une paresse de l’âme qui semble à regret intervenir et gouverner son empire. De la Fierté et de l'Humilité. } CXXX. — La fierté diffère de l'énergie par UP sentiment plus élevé de force relative, elle se ré- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 349 Sume dans un instinct de domination virtuelle, et _Sexprime essentiellement dans la hauteur de l'attitude. Ge sentiment, plus intellectuel que sen- Suel, influe peu sur les mouvements de la bouche ; Mais il rend la circulation plus active et détermine une légère dilatation des narines qui frémissent aisément. L’attitude de l'œil est ferme et calme, Seulement un léger mouvement du sourcil et du front trahit cet excès d'énergie intérieure , cette Conscience de volonté et de force indomptable Qui contracte le sourcil du Jupiter antique. Il n’est pas hors de propos de rappeler ici ce Que nous avons dit plus haut sur l'association qui se forme naturellement dans l'esprit entre l’idée . de puissance et celle de grandeur. L'homme fier se sent grand, il se dresse de toute sa hauteur, et . Ce sentiment de sa hauteur se combinant avec un Pressentiment de petitesse relative dans autrui, il regarde de haut en bas. Nous avons vu qu'un Mouvement semblable se produit dans ces mo- Menis de surexcitation intellectuelle, où la pensée, brisant en quelque sorte ses chaînes, s'élève et Plane au-dessus du monde; l’homme inspiré se ledresse alors dans l'attitude d’une fierté sublime, Si son regard, embrassant l'horizon, semble do- 20 350 DE LA PHYSIONOMIE miner d’une incommensurable hauteur la terre qu’il voit à ses pieds. Ge mouvement, ce vol de la pensée dominant tout dans l'organisme, les métaphores dont le langage est rempli s'expliquent naturellement. On comprend comment l'aigle et l’épervier sont chez les anciens le signe symbolique de la divinité; et ces objets accessoires entraînant la pensée vers ces hauteurs où l’imagination les figure, ils exal- tent l’homme le plus froid et le pénètrent d’une joie sublime ou d’une terreur mystérieuse. A la fierté, opposons l’humilité. Être humble c'est se sentir faible et petit. Ge sentiment de re- titesse porte à s’amoindrir. Se sentir faible oblige de se mouvoir avec lenteur. Ainsi l'humilité marche la tête baissée, sa marche est peu assurée, sa parole est douce et lente; mais cette expression; semblable en ces choses à la tristesse, en diffère par une expression plus tranquille des traits el plus particulièrement de la bouche et des yeux. De l'Orgueil et de la Bassesse. CXXXI. — L’orgueil est la fierté ravalée aux formes de la sottise et du brutal égoïsme. Absorbe dans une âmoureuse contemplation de soi-même: ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 351 es ee l'orgueilleux n’a point dans l'attitude cette liberté noble de l’homme fier. Il ne se redresse pas, il se roidit ; il ne se dilate point, il se gonfle. L’œil de l’homme fier plane au loin; l’orgueilleux tient ses paupières baissées par une indifférence géné- rale à tout ce qui n’est pas lui. Il se flaire, se goûte, se savoure lui-même, et, tous ses mouve- Ments se mêlant, il se dresse comme l’homme fier et se rengorge comme le voluptueux. Ge mou- Vement est si caractéristique qu’on prend habi- tellement pour symbole de l’orgueil les animaux qui en offrent habituellement Faphatenos, tels que les dindons et les paons. La bassesse, qui est l'opposé de l'orgueil, est une sorte d'humilité calculée, un volontaire abais- sement de soi-même, un esclavage sollicité et dont on prend son parti, Elle n’est point un hom- Mage rendu à des qualités sublimes, c’est, si j'ose le dire ainsi, l’abaissement volontaire d’un homme au-dessous de ce qui est bas. Je me sers de ces métaphores du langage parce qu’elles in- diquent par avance les métaphores du geste. L'homme bas exprime en effet la bassesse dans toute son attitude ; 11 rampe, il s’aplatit, et l’ef- fort qui se traduit alors dans les muscles, montre à Da... vo qe + op ge mn sm L L à ù -352 : DE LA PHYSIONOMIE quel point la bassesse diffère de l'humilité na- turelle. | La crainte produisant, comme nous le verrons tout, à l'heure, des effets analogues à ceux de la bassesse, un peintre de caractères dont le but serait de peindre une image de la servilité, devra bien se garder de donner à l'idole quelque qualité sublime ou terrible; c’est ainsi qu'il n’y a point de bassesse devant Dieu. Un petit enfant qui rampe aux pieds d’un maître courroucé, n’ex- prime point la bassesse et n’excitera point le mépris. Un caricaturiste fort spirituel a bien senti cette vérité; aussi, voulant peindre la bas- sesse d’un solliciteur, l’a-t-il représenté se cour- bant devant un homme à tête de paon. Remplacer cette tête de paon par une tête d’aigle ou de lion, . eût été manquer absolument le but. Le peintre fera donc sagement de distinguer par quelque signe ridicule, par une expression de sottise et de faiblesse, l’être aux pieds duquel se traîne la bassesse. Il le rapetissera; et en gran- dissant l’homme vil qui l'adore, il fera mieux encore sentir son abaissement. On ne peut à cet égard trop remarquer lim pression pénible qu’on éprouve en voyant des ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 353 Valets gigantesques, couverts des insignes d’un général ou d’un grand seigneur, se traîner et lamper pour complaire aux caprices d’un enfant Maussade, comme un sauvage devant son fétiche. Ge sentiment n’est-il pas la condamnation éter- nelle de ces modes honteuses, qui, sans grandir le maître, abaissent davantage le serviteur, qui les avilissent tous les deux par un égal oubli de là dignité humaine? Mais ce n’est pas ici le lieu d'insister sur ces choses. De l’Impudence, de la Timidité et de la Honte. CXXXIT. — L'imnpudence est une sorte d’orgueil Stupide compliqué d’entêtement et de mépris. Des épaules élevées, la tête au vent, la lèvre dédai- Sheuse, le regard porté cà et là avec fermeté, mais Sans attention, tels sont les mouvements habituels de l'impudence. L'impudent a l'œil ouvert et sec, il ne rougit point, ses sourcils sont rapprochés, ce . ui donne aux sourcils naturellement peu écartés là physionomie de l’impudence. Tout le monde a dans les souvenirs quelque physionomie de ce Senret, 1. Inverecundi signa oculus apertus et splendidus. Palpebræ 20. % En — Later or 354 ) DE LA PHYSIONOMIE La timidité, que nous opposons ici à l'impu- dence, a avec l'humilité quelques analogies qui sont loin toutefois d'établir leur identité: il Y a en effet entre elles cette différence essen- tielle : l'humilité accepte le sentiment de sa faiblesse relative et n’y trouve aucune douleur; la timidité ne fait que le subir, et il en résulte une sorte d’esclavage pesant et d’embarras pé- nible qui s'explique métaphoriquement dans toute l'attitude. L'analyse des formes de la timidité peut ètre ramenée à des expressions assez simples; toute- fois, cette analyse exige une assez grande attention et une certaine méthode. Nous avons vu plus haut qu’il suffit de se croire faible pour s’affaiblir en effet, de craindre l’im- puissance pour être impuissant. Ce sentiment, s'il se mêle à un instinct de fierté, fait souffrir, et, 2 volonté luttant contre cet affaiblissement involon- taire, l'effort qui en résulte ajoute aux phéno-. mènes généraux de la faiblesse les effets de roideur : ainsi la timidité fait trembler. Gette roïdeur n’est pas localisée dans les mem” -sanguineæ et crassæ; et parum curvus; musculi scapularum sul EE e 909 Lo-.90 F4 PekkeT: ysiogn., $ 3, p. 3692, lig: 29. Ed. BekKcC ) Fr Toxrats “jet sur elevati... (Arist. ph ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. GE ©t ot bres seulement, elle s'étend à tous les muscles respiratoires et particulièrement à ceux du larynx. Aussi, elle éteint la voix en même temps que la faculté d’articulation. La timidité produit donc le bégayement et détermine l’aphonie. | L’effort étant d’ailleurs suivi de ses effets ordi- naires, un certain embarras se produit dans la circulation; la face se congestionne, et le cœur : luttant contre un PRO ses battements s’accé- lèrent. Get état est donc à la fois un malaise et une dou- ieur qui peut se rapprocher de l'angoisse. Or, dans le cas d'angoisse, un des mouvements les plus naturels est l’aversion qui nous éloigne de la cause de la douleur. Or, quand cette douleur nous vient surtout par la vue d’une chose présente, on se soustrait en partie à son influence, en baissant les yeux et la tête ou en les détournant; on diminue la vivacité de l'impression qu’on éprouve, en se tenant éloigné Ou en s’éloignant par degrés. La timidité, sous ce point de vue, diffère 4040 cœlo d'avec la bassesse. En effet, la bassesse se: traîne aux pieds de son idole et s’en rapproche de plus en plus comme pour rendre son néant plus DE LA PHYSIONOMIE visible. Latimidité, au contraire, recule et s'éloigne comme pour retrouver dans cet éloignement le sentiment d’une grandeur perdue. La bassesse se courbe, s'aplatit, ondule et rampe. Dans la timidité, au contraire, le corps tout entier se redresse et la tête seule se penche pour soustraire les yeux à l’influence de l’im- pression déprimante. En un mot, la timidité est l'expression d’une fierté que la nécessité domine. C’est le sentiment d’une infériorité relative, contre laquelle se révolte un mouvement d’orgueil. Ces remarques expliquent comment la plus haute indépendance se lie souvent à la timidité : comment l'homme le plus fier, le plus grand dans *-.un milieu où s’épanouissent librement son génie et ses aptitudes spéciales, peut être ailleurs d’une excessive timidité; comment un héros indomptable dans les batailles, peut trembler dans un salon: comment enfin le plus sublime orateur peut se troubler au milieu des futilités d’une conversation spirituelle : je veux dire de tout ce qu'il y a de plus vain dans le monde. ‘On confond en général dans le langage la timi- dité et la honte. Toutefois, ces deux passions dif- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 857 fèrent sous plusieurs points de vue qu'il est utile d'examiner ici : | 1° L'homme qu’on surprend dans une position humiliante ou dans la perpétration d’une action Coupable éprouve de la honte. La honte résulte. aussi d’un sentiment très-vif d’infériorité relative. 2° Ce sentiment est vif surtout quand on est Surpris au grand jour dans une cars humi- liante. 3° L’homme honteux essaye de se soustraire à la vue de tous. Il se cache, il s’enveloppe. La lu- mière le blesse; aussi détourne-t-il la tête en même temps qu’il se voile les yeux. 4° L'homme honteux cesse de respirer; son cœur bat avec violence; il rougit, il tremble, il se Couvre de sueur. 5° L'idée seule d’une action honteuse racontée au grand jour peut amener chez les personnes - présentes l'embarras de la honte. 6° Penser à une action honteuse, s’y complaire et être en même temps regardé, détermine . honte. 7° Voir commettre une action honteuse et dé- Sradante fait naître Rens une impression de honte, Es # Î | dt. PR a 258 DE LA PHYSIONOMIE Ces derniers faits se rattachent de la manière la plus facile à la théorie du geste telle que M. Che- vreul l’a conçue. En ellet, en vertu des règles établies plus haut, -voir exécuter une action, y penser, c’est avoir une tendance réelle à l’exécuter, et cette tendance nous fait malgré nous participer à cette action. Gette tendance et cette participation seront d'autant plus vives que l’action qu’on imagine; quoique humiliante et condamnée, sera cependant selon la nature, selon certains instincts primitifs réduits au silence par l'éducation. Ces faits sur lesquels je ne puis ici m’étendre, sont hors de doute pour ceux qui savent observer. Nous avons dit dans quelles circonstances la honte se produit. Expliquons maintenant plus au long les effets directs de la honte : Être vu ou simaginer vu commettant une action dégradante, conduit à la honte. Or, la lumière extérieure étant la condition nécessaire de l’exercice de la vue, la honte déter- mine en premier lieu l’aversion de la lumière. Gette aversion morale ou plutôt imaginaire dé- termine dans les organes visuels toutes les consé- quences, toutes les modifications d’un embarras ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 359 direct. L'œil ressent véritablement dans ce cas la haine de la lumière. Il est douloureusement ébloui. De là une tendance irrésistible à couvrir ses yeux de ses mains, à détourner la tête, à la courber, à | là retirer entre les épaules par un mouvement x ànalogue à celui qui ramène la tête des tortues | Sous leur carapace. Or, un jugement habituel nous apprenant que naturellement nous pouvons être vus de ceux que nous voyons, fait que l’homme honteux, pareil à Certains oiseaux timides, pense, en voyant, être vu davantage. De là, cette impossibilité de regarder et de fixer les yeux d'autrui dans la honte. Il suit aussi très-naturellement de là que l’homme hon- eux fait la moue. Au mouvement qui porte l’homme honteux à se Soustraire à l’action de la lumière, succède un au- tre mouvement qui le porte à fuir, à se cacher, à S’envelopper, à se soustraire à tous les yeux. Ecce ejicis me hodie à facie terræ et à facie luû abscondar. (Gen., chap. 1v, v. 44.) { Les peintres connaissent bien ces mouvements. ( Ils se produisent, chez les petits enfants surtout, avec une extrême évidence. On les voit alors re- Culer, se détourner tout en cachant leurs yeux de | in À | A À \| |] | | | | | | 360 DE LA PHYSIONOMIE ns leurs bras, puis se plonger en quelque sorte entre les bras de leur mère ou de leur nourrice. Or, cette tendance à fuir, à chercher les ténèbres, à se cacher dans quelque profondeur inaccessible, à s’enfoncer sous terre, est en même temps accom- pagnée d’un désir d’anéantissement. « Timidus animus, dit fort énergiquement M, Huschke, rece- dit ab externis in se ipsum, et lubentissime, st possel, correperet usque ad punctum mathemati- cum. » (Mimice et phyg. frag., $ 16.) De là une contraction générale du corps, un retrait carac- téristique d'où résulte un amoindrissement gé- néral. Or, en elle-même, la tendance à fuir porte au mouvement, c’est-à-dire à l'expansion. La ten- dance à s’amoindrir produit au contraire la cons- triction et par conséquent l’immobilité. Mouve- ments opposés, contradiction réelle qui se résout de la manière suivante. Les viscères, moins directement mis à l’em- pire de la volonté, moins extérieu. subissent l'impression primitive; le mouvemer xpansif les domine, ils sont agités avec force, les contrac- tions du cœur s’accélèrent et leur aptitude aug- mente. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 361 Mais en même temps le mouvement de constric- tion saisit les muscles extérieurs, les. muscles _ Expirateurs se contractent avec effort, et ces effets se combinent d’une manière anomale avec ceux Qui résultent des mouvements du cœur. De là, une rougeur subite toujours un peu violette; en Même temps, le corps se couvre de sueur. Ces phé- nomènes sont surtout apparents dans l’enfance : € Widete pueros verecundos quibus factæ Minæ faciunt ut, demissis oculis, stent ferè quieti € impediatur respiratio. Tunc enim statim color ruber effunditur supra faciem, et mens ita tur- batur ut confusè tantum respondeant, imd la- Crymæ excutiantur oculis….(Herm. Boerrh, præ- lect. acad. de morb. nerv. Ed. Van-Eems. 1764. Rd, p. 145.) » Cette tendance à deux mouvements opposés Produit en même temps dans tout le corps un Sentiment de & atradiction profonde et d’embarras. Les membre$ %llicités dans deux directions op- posées deyi“#ent roïdes. L'homme honteux sent S'évanouir tue sa force, toute son énergie, toute Son intelligence, et son imagination fuyant en quelque sorte et l'emportant loin de lui-même, il Perd toute présence d’esprit. 362 : DE LA PHYSIONOMIE Dès lors, toute faculté de discuter et de raison- ner l’abandonne ; ses réponses s’embarrassent et se confondent, ses paroles balbutient et meurent sur ses lèvres, il n’aperçoit plus rien, n'entend plus rien, son regard se trouble, il tombe dans la confusion. La confusion est donc le suprême degré de la honte. Ce n’est donc pas absolument un pléonasme que de dire avec notre La Fontaine : Le corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. Les critiques de J.-J. Rousseau sur ce point me paraissent plus pédantes que fondées. Tels sont, d’une manière générale, les effets de la honte, l'un des mouvements les plus difficiles à expliquer d’une manière complète. De l'Amour et de la Haine. CXXXIIT. — L'amour est un mouvement qui nous attire vers un être moral semblable à nous par certaines quâlités harmoniques avec les nôtres. Ce rapprochement aboutit à une sorte de combinaison ou de composé moral d'autant plus stable que ses éléments ont entre eux une plus : grande affinité. >. cs MOUVEMENTS D'EXPRESSION. | Cette arts Lot avoir sa raison dans certaines qualités très- différentes. Les unes, en effet, sont du corps; elles répon- _ dent à certains besoins physiques; les autres sont de l'intelligence et répondent aux modes les plus élevés de l’activité humaine. e Or, l'amour revêt des formes très- différentes en tant qu'il peut être excité par le sentiment de Qualités diverses. À. La plus noble source de l'amour, c’est la beauté, ou plutôt, afin de parler d’une manière plus précise, c’est l’attrait du plaisir que l’admi- ration détermine. L'amour revêt alors les formes de l'admiration et se révèle surtout dans le visage - par des mouvements expressifs des yeux. Nous avons parlé plus haut de l'admiration ; l'expression générale de ce mouvementse compose - de celle de l'attention et de la : joie. L’expression de l'admiration suprême emprunte de plus quelques Waits à celle de l’étonnement. Ettandis que le plaisir dilate encore les yeux, les narines et fait sourire . l'œil et la lèvre supérieure, un commencement de . Stupéfaction paralyse la lèvre inférieure qui re- ie k _ lombe mollement abandonnée à son propre poids. _ Le contraste qui résulte de la combinaison de ces rd de 2 mn Em > CR Ai a @ ra tapes ; —— FT RS pa > à mm , D RO D. SH Gt A LS one 364 DE LA PHYSIONOMIE ne deux mouvements est du plus grand effet. Un peu niais chez l'adulte, il donne à l’admiration des enfants l’expression d’une simplicité charmante. Notre adorable peintre Prud'hon a rendu ces choses d’une façon merveilleuse dans cette com- position pleine de sentiment, où une petite fille, recevant “ans sa jupe relevée un nid de petits chiens queïlui apporte son frère, laisse éclater sa naïve admiration. Or, dans l'admiration simple, l'effet principal de l'impression perçue est une excitation intime qui fait en quelque sorte rayonner Fâme hors du corps. Mais dans l'amour admiratif, l’âme est en même temps retenue par le lien d’un plaisir inté- rieur. De là, deux expressions opposées ou plutôt une expression mixte qui mérite d’être analysée. Dans ce cas, l’œil dirigé vers l’objet aimé se cache à demi sous la paupière comme dans la forme méditative de l’amour. En outre, la pau- pière supérieure coupe la pupille qui se noie sous l'ombre des cils, et ce mouvement donne aux re- gards une expression de douce langueur. Souvent alors les impressions chatouillantes qui parcourent les viscères montent vers les yeux et font couler les larmes; de là ces regards humides, ce brillant ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 365 cristallin de l’œil que les anciens considéraient Comme le signe certain d’une tendance naturelle à la compassion et à l'amour. Éhetpoves dcot YhAtquoot xo Aeuxdy poor où imopôuaror xa Tè bia Gvowbey À évouévor xa dei daxpfoucu où adroi or ka, quhoyüvaort, (Aristot. Physiognom. $ 3, p. 808, lig. 33. Ed. Bekker.) D'ailleurs, cette expression n’est point immo- bile et son intensité varie. Ainsi tantôt l'expansion de l’admiration y domine, et tantôt c’est la con- Centration propre à la volupté. Cette dernière forme prédomine surtout chez les femmes, et si elle s’unit à certains mouvements ondulatoires de la tête, elle donne lieu à cette physionomie cares- sante qui plait souvent et séduit par la magie Propre à ce genre d'expressions. Quand le mouvement d’admiration domine dans l'amour, le nez et la bouche se dilatent comme Pour respirer; le visage entier sourit, le corps et les mains se portent en avant; quand l'impression de volupté l'emporte, à ces mouvements se mé- 1. Oculi diluti et inundantes se ipsos, vénereum et affectibus Obnoxium significant. neque dico abjectum tale signum. (Ex Polemon. physiogn. e grœc. in lat. vers, par Em. Carol. Mon- tecucollum, p. 31. Mut. 1612.) je < reparer. CL ue Le PI RER AEREREEER ER RE ÿ RE 7 NT LINE SPP. PA a er ESS ee 366 DE LA PHYSIONOMIE ‘lent certains mouvements symboliques de l’appa- reil buccal semblables à ceux que déterminent les saveurs suaves, L’attitude du corps exprime dans toutes les parties des choses analogues. Les mêmes formes de mouvements se reproduiront, soit que l’amour s'adresse à un objet extérieur, soit qu'il poursuive un objet imaginaire; mais dans ce dernier cas avec toutes les modifications propres à la forme symbolique que nous avons expliquée plus haut. B. L'amour que l'admiration dirige, né de cette union sublime de l'intelligence et de la vie, laisse à l’homme sa grandeur et ne ravale point sa beauté naturelle. Il n’en est pas de même de cet amour qu'un appétit brutal aiguillonne; amour stupide qui se laisse conduire par des émanations odorantes, par des indices matériels. Aussi, reçoit- il la forme d’un appétit sordide; des regards ardents, un besoin furieux d’impressions maté- rielles qui fait alternativement mouvoir les na- rines, les lèvres et la langue, tous les indices du désir matériel composent la physionomie des sa- tyres. C’est ainsi que Prud’hon, dans cette allé- gorie où il a peint la Vertu aux prises avec le Vice, a peint avec raison celui-ci sous la forme d’un ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 367 “homme affamé qui se lèche les lèvres comme à la vue d’un mets savoureux, De même, des mouve- ‘ments convulsifs de la langue, des appels répétés des lèvres, des frémissements saccadés du corps, des aspirations furieuses cherchées dans des di- rections alternativement opposées, expriment chez certains ruminants l'invasion de l'amour. Rappe- lons ici ce besoin de mordre, de manger, de goû- ter avec passion, de s’enivrer d’émanations odo- rantes qui semble tourmenter ceux dont s'empare la fureur érotique. Ces mouvements sympathiques qui dominent et éteignent tous les autres dans les formes brutales de l’amour, ne sont pas complétement étrangers aux formes plus élevées sous lesquelles cette passion se développe dans les êtres intelligents. Mais alors, réduits à leurs indices les plus subtils, ils semblent en quelque sorte effleurer l’objet du désir. Get état se trahit par des expresssions délicates, légères, voltigeantes: tel, dans sa forme la plus pure, le baiser, qui semble respirer dans son contact léger, l’âme, la vie de l'être aimé, pes Toutefois, si pur que soit l'instinct d’un pareil Mouvement, sa source n’est point dans l’intelli- L.. 368 DE LA PHYSIONOMIE gence. Le baiser des mystiques n’est plus qü'uns signe mort, un contact symbolique, une expres- sion artificielle. Mais le baiser naturel est toujours plus ou moins selon la chair. Aussi se concilie-t-il rarement avec les formes du sublime. D'ailleurs, il est si difficile de séparer complé- tement les mouvements de l'intelligence d’avec ceux du corps, que ces mouvements de la chair se mêlant aux plus pures aspirations de l'esprit, altèrent chez certains hommes l'expression de la dévotion la plus sincère. Toutefois, ces choses ne sont pas de la piété, elles accompagnent seule- ment la piété des natures voluptueuses, et ces re- tentissements des viscères, se mêlant aux chants de l'esprit, en déparent la céleste harmonie. Si ce livre était un livre de critique, en examinant les attitudes préférées des personnes d'église et leur tendance aux expressions voluptueuses, que de choses n’aurais-je pas à reprendre? Ne sait-on pas les raisons cachées qui font, qu’en ceci du moins, la physionomie des prêtres est en général moins digne que celle des guerriers? L’estime est une sorte de contentement relatif à certaines ‘qualités qu’on apprécie dans une chose extérieure. L’estime n’est pointaccompagnée | . ——————_— — - ÉT DHS MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 369 D RS ee co eee de volupté, mais de satisfaction, et se traduit par les expressions de l'attention auxquelles se mêlent Certains mouvements de gustation et même de déglutition employés dans un sens métaphorique. On dit fort bien d’un homme qu’on estime qu'il est goûté. C’est là un exemple nouveau de l’ho- mologie des figures du geste avec celles du lan- gage. | | | Les contraires de l'amour, de l'estime et de l'admiration, sont la haine, le mépris et l'horreur, Le sens dans lequel se développe l'expression de ces passions peut être indiqué en deux mots : La haïne est une colère contenue mélée à un Sentiment prononcé d’aversion. En même temps que la tête se détourne, l'œil ardent, fixé de côté, se fronce et menace! \Les dents se découvrent, et imitent symboliquement l’action de déchirer et de mordre. Mous ces mouvements, d'après les règles que nous avons indiquées plus haut, seront plus Marqués du côté de l’œil qui regarde l'objet de la haine, et les modifications du visage ne seront Pointsymétriques. Pendant que ces choses se pas- sent, le corps se roidit, les poings se ferment, la i tête se retire entre les épaules, et la voix incline au rugissement. 21. DE LA PHYSIONOMIE nt L'expression du mépris s’éloigne de celle de la colère pour se rapprocher davantage du dégoût. Le mouvement d’aversion fait que la tête se dé- tourne en partie et se rejette en arrière: l'œil, les narines, la bouche, les bras, les jambes même font mine de rejeter : ces mouvements ne soni point symétriques, un seul œil étant plus parti- culièrement intéressé dans ce mouvement d’aver- sion du corps. C’est ainsi que, dans le mépris, l'œil qui est le plus voisin de l’objet, se contracte, si bien qu'on ne regarde plus qu’avec l'œil opposé défendu par la saillie du nez. En même temps le dégoût s’ex- prime par le mouvement des narines, par l’expres- sion des lèvres, par certains mouvements expulsifs de la gorge. De là, cette tendance générale à cra- cher sur l’objet du mépris, ou plutôt à cracher l'objet lui-même. En un mot, le mépris est la forme métaphorique du dégoût. L’horreur morale s'exprime par tous les mou- vements de l'horreur physique. Elle se hérisse et vomit. C’est la révolte des viscères contre l'effet de quelque poison. Nous avons plus haut indiqué ces mouvements : il suffit, pour rendre l'horreur morale, deles employer dansun sens métaphorique* æ® : ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 871 De la Bonté, de la Générosité et du Courage. La bonté est une sorte de disposition à l'amour, ; sans violence, estime générale plutôt qu'amour, d’où résulte une satisfaction douce et continue. C’est un mouvement doux et calme dont l'expression se rapproche de celle de l'estime, mais dans un degré tel que le repos des traits en est à peine altéré. Aussi, la physionomie de la simple bonté a-t-elle toujours un certain caractère de mollesse. Un sourire permanent des lèvres toujours un peu saillantes comme pour caresser ou goûter, une certaine tendance du corps à s’in- cliner, à condescendre, une abnégation conti- nuelle de sa hauteur naturelle, tels sont les traits principaux de la bonté, traits qui nous rappellent involontairement le calme et bienveillant visage du malheureux roi Louis XVI. Je ne dirai que quelques mots de la générosité et du courage. Les premiers indices de la puis- sance ont nécessairement une forme expansive. La générosité, quoi qu'en ait dit Descartes, n’est point identique avec l’orgueil. C’est plutôt une sorte de fierté tempérée par une expression de bienveil- lance et de confiance joyeuse. Le courage est à oo — RUE ec PE RDS on er pres in 372 DE LA PHYSIONOMIE peine différent de la générosité. Leurs signes pre- miers sont ceux de l'expansion et de la puissance vitale. Le corps dressé sans effort, le regard haut et vaste, les narines larges, les lèvres entr’ouvertes par un léger sourire, l'allure aisée, la maïche grande et libre, la respiration vaste et calme, une: sorte de tonicité générale, tels sont leurs princi- paux symptômes. Empreint d’une énergie actuelle plus grande, le courage contracte légèrement les muscles sourciliers et les masséters. Mais cette contraction est d'autant plus faible que le courage est d’un ordre plus élevé. Tel est le courage serein des héros; ce courage sans colère qui sourit au milieu des batailles, et brave joyeusement les tour- ments. De la Méchanceté, de l’Avarice et de la Peur. À ces passions qui honorent l’homme, opposons des sentiments qui le dégradent et disons quel- ques mots de la méchanceté, de l’avarice et de la peur. La méchanceté est une sorte de haine géné- rale et contenue qui stéréotype sur les traits les stigmates de la fureur et du mépris. Ce mépris indéfini, cette attitude perpétuelle de dégoût et de révolte, enfante à la longue tous les caractères ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 378 d’une souffrance intérieure, et tandis que la bonté épanouit le visage, la méchanceté le contracte et le ride. Ainsi la mimique de la méchanceté est un diminutif de celle de la haine. _ La même analogié qui rapproche le courage de la générosité, rapproche la peur de l’avarice. Sem- blables en ceci, du moins, ces deux passions comme la honte rapetissent le corps, l’amoin- drissent, rétractent les membres et poussent au Silence, aux ténèbres, à la solitude. Le lâche qui - fuit, emporte sa vie comme l’avare son trésor. Mais la peur est mêlée d’ angoisse, d’une angoisse Qui fait pâlir et essouflle, tandis que du milieu de Son anéantissement, l’avarice laisse échapper les éclairs d’une volupté sordide. C’est une joie mêlée de peur pareille à celle d’un animal faible . qui emporte sa proie. Aussi, l'expression de l’avarice, à cause de sa nature inerte, est-elle une des plus difficiles à saisir. Toutefois Hobbein, dans son Judas, l'a merveilleusement rendue. Une expres- Sion générale de souffrance et de frayeur trem- blante, un regard furtif, un sourire maigre et Misérable, mais toutefois empreint d’une certaine volupté par un mouvement d'attraction qui ramène Vers le corps tous les organes de la préhension et CT 374 DE LA PHYSIONOMIE en particulier les lèvres qui se pincent et s’amin- cissent, tels sont les signes les plus habituels de l'avarice. Mais la peur mérite d’être plus attentivement considérée. Nous avons expliqué plus haut l’aver- sion naturelle des êtres animés pour la douleur; aversion qui s'étend à toutes les causes apparentes de douleur et de destruction. Or, ce mouvement d’aversion peut se manifester en trois manières. 1° On éloigne de soi, on repousse la canse de la douleur, on lutte énergiquement contre elle. 2° On s'éloigne de la cause de la douleur. 3° On s’amoindrit, on se réduit, on se réfugie en soi, on s’enveloppe, on se contracte de toutes parts comme le font si manifestement les hérisson; les tortues, les mollusques et un grand nombre d'animaux articulés. Le premier cas est haine plutôt que peur. La peur est plus particulièrement réalisée dans le second et le troisième. A. On s'éloigne de la cause de la douleur dan$ deux circonstances trés-différentes, à savoir : 08 s'éloigne à reculons, les yeux étant fixés sul ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 375 l’objet de la peur. Cette manière de se comporter vis-à-vis l'objet de la peur est particulière aux animaux dont les yeux peuvent regarder en face et qui ont en avant leurs moyens de défense. Elle répond en général à un danger imminent. Mais le plus souvent, la cause de la douleur est à tergo, et dans ce cas, l’animal, sans retourner la tête, s’élance loin d’elle de toute sa vitesse, préoccupé de l’idée de la mort qu’il sent attachée à ses pas. Excité par l’aiguillon de la peur, il fuit sans retourner la tête. Toutefois, ses yeux ne voient rien devant lui, il se précipite en aveugle, et en effet, son imagination regardant (qu’on me permette cette expression), regardant en arrière, ses yeux suivent symboliquement ce mouvement; ils divergent, et cette tendance universelle, bien qu’inutile dans la plupart des animaux, détruit chez tous ceux dont les axes optiques sont à peu près parallèles, les conditions de la vision dis- tincte. B. La constriction et l’amoindrissement du corps, le retrait de toutes les parties sont encore un des effets de la peur. Il semble que l'animal essaye d'échapper dans tous les sens à la fois au contact de la douleur. Ce mouvement est tout à ù se sue 5 en LT , un nt CH sem : > ec Ù it dis sur à cdd" dust RE * ee M Le Ce PART ais édit gs à 4.5 MR MG ” a no a M OS oc 316 DE LA PHYSIONOMIE fait indépendant de celui par lequel certains ani- maux hérissent leurs piquants, bien qu’il puisse dans certains cas coïncider avec lui. Il ne répond point essentiellement à un instinct de défense, mais, si j'ose le dire ainsi, à un instinct de fuite centripète. Or, bien que les muscles fléchisseurs aient dans ce mouvement une action prépon- dérante, on peut dire qu’à certains égards tous les muscles se contractent à la fois, les muscles fléchisseurs déterminant la coarctation générale du corps, mais chaque muscle en particulier y contribuant dans chaque partie du corps par des pressions exercées sur les-tissus interstitiels réduc- tibles. Gette simultanéité de contraction de tous les muscles dans la peur explique pourquoi cette pas- sion fait trembler. Or, la crainte éveillant comme un avant-goût de la douleur, à ces effets s’ajou- tent ceux d’une lutte symbolique, lutte anxieuse qui trouble les mouvements du cœur, entre- coupe la respiration, éteint les actions organiques et couvre le corpsd’une transsudation glacée. Ge froid, ajoutant à la roideur générale, la rend plus intense encore, et aux frémissements profonds des organes s'ajoutent les horripilations qui cou- he + a ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 3 + | RS rent sur le corps comme des flots chassés par la tempête. +. , Dans beaucoup de cas, cette rigidité "et cette angoisse sont poussées si loin qu’au terme de cette Convulsion les forces de l’animal se résolvent ets s’affaissent, les sphincters se relâchent et laissent échapper la matière des transsudations intestinales, et la peur livre ainsi à la mort sa victime. Mais le plus souvent ces mouvements se combinent d’une façon très-remarquable avec le mouvement de la fuite; en sorte que, l'expansion se développant dans les organes essentiels d’une progression rapide, ceux qui y concourent moins directement expriment au contraire cette tendance à la con- Striction et à l’enveloppement que j'ai essayé d'expliquer il n’y a qu’un instant. Les chiens qu'on menace nous donnent un fort bel exemple de cette harmonie contraire, quand on les voit fuir en ramenant avec effort leur Œueue entre leursmembres postérieurs, bien qu’ils Courent à toute vitesse et qu’une extension com- Plète se développe dans tous les organes essentiels de la progression. De même un homme que la Peur saisit, ramène sa tête entre ses épaules et se courbe tout en courant à toutes jambes. Ces 378 DE LA PHYSIONOMIE mouvements peuvent subir un grand nombre de modifications, mais je dois me borner à énoncer ici les faits principaux. L'épouvante se rapproche à certains égards de la peur. Mais c’est une peur convulsive, à la fois mêlée d’étonnement et d'angoisse. Ainsi. l’épou- vante paralyse comme l’étonnerhent et roidit comme l'angoisse. Les principaux symptômes sont ceux d’une roideur tétaniqué dans le corps et d'une dyspnée mortelle sur le visage. Tous les muscles peaussiers se rétractent, le système pileux s’érige. Le front se ride transversalement, les sourcils se rapprochent ét s'élèvent, l'œil s'ouvre d’une façon démesurée, et le muscle transverse du nez aplatissant les narines, celles-ci ferment tout passage à la respiration qui s’effectue alors par la bouche comme celle des asthmatiques, respiration saccadée, singultueuse, entrecoupée, incomplète à tel point que l'émission de la voix devient tout à fait impossible. Mais un des symptômes les plus effrayants de l’épouvante, c’est une dilatation si grande de la pupille que son disque noir semble quelquefois avoir envahi le cercle entier de l'iris. C’est là son signe pathognomonique, l'œil semble regarder alors ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 319 dans des ténèbres profondes. Une pupille con- . Wactée ne convient pas à cette passion. M. Steu- ben, dans sa Czarine, me paraît avoir parfaite- Ment saisi ces caractères. Ge serait peut-être ici le lieu de montrer, comme Descartes, l'utilité de la peur, et comment elle met eu jeu les instincts défensifs de l’animal; mais ce serait aborder un sujet presque sans limites. Qui pourrait dire, en effet, toutes les ressources dont la nature a armé ses créatures contre la mort? Combats acharnés, fuite rapide, stratagèmes multipliés, quels moyens ne met-elle pas en usage? Celui-ci menace de la corne ou du pied, de la dent | Ou des ongles, celui-là prépare sourdement ses poisons; d’autres fois il répand des humeursinfectes et sème autour de lui le dégoût et l'horreur. Tel s’'enveloppe d’une armure impénétrable, tel autre fait rayonner autour de son corps une forêt de dards. Guerre infinie, lutte acharnée où chacun apporte ses armes, ses stratagèmes et, si j'ose le dire ainsi, son génie particulier; aussi, ne peut-on songer à découvrir ici quelque loi particulière dominant tous les faits: ici tout est possible, et l’inépuisable fécondité de la nature ne semble Point s'être imposée de règles. ; 380 DE LA PHYSIONOMIE : Nous avons déjà rappelé les opinions de M. Huschke qui, prenant pour type et pour point | de départ les animaux inférieurs, pense que la flexion et la concentration sont choses homolo- gues, et considère l'expansion comme synonyme 1 € d'extension : d’où il a été amené à supposer que l'extension du corps répond aux affections agréa- bles ou expansives, tandis que les mouvements de flexion expriment les affections tristes, dépri- mantes ou douloureuses. : Nous avons vu, en parlant de la volupté, com- bien cette théorie, prise dans un sens trop général, est erronée. Elle ne le serait pas moins si, regar- dant avec M. Huschke la flexion et la constriction comme des actions homologues, on essayait d'ex- pliquer, à l’aide d’un mouvement général de flexion, le jeu de tous les organes que les ani- maux font concourir à leur défense. Si cette théorie s'applique aisément à certains cas, elle est incompatible avec beaucoup d’autres, comme il est facile de s’en convaincre par une observation immédiate. La nature a donné à certains animaux une af- mure formée d’écailles imbriquées; tels sont les gloméris, les cloportes, et, parmi les mammi- ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 381 fères, les pangolins et les phatagins. Or, si le mou- vement de flexion qui recourbe ces animaux dans la peur était leur seul moyen de protection et de défense, il est évident que ce moyen serait plus nuisible qu’utile, la courbure du corps devant né- cessairement amener la divergence des écailles, et mettre à nu de la sorte une multitude d’inter- valles vulnérables. Ainsi, outre le mouvement général de flexion du corps, nous devons admettre à priori un mouvement antagoniste qui abaisse les écailles ets les rapproche les unes des autres. L'animal ne se protége donc pas parce qu’il se fléchit, mais parce qu'en même temps il se fléchit; tous les muscles peaussiers homologues et antagonistes entrent simultanément en con- traction sous l'influence de la peur. Ainsi, la loi de polarité et d’antagonisme que M. Huschke pré- conise, ne se concilie point rigoureusement avec les faits. En un mot, flexion et enveloppement ne sont point synonymes de constriction. Mais admettons un instant le système de mi- mique de M. Huschke. Le côté dorsal de l'animal sera nécessairement le côté de l'extension, et le côté ventral celui de la flexion. Or, dans cette hy- PRE De ans Re nr — pese min” res Es] TE AMRTEES R Le 382 DE LA PHYSIONOMIE pothèse, comment expliquera-t-on que la peur qui oblige l'animal de s’envelopper, fasse en même temps contracter tous les peaussiers dorsaux? Comment expliquera-t-on ces différences sin- gulières qu’on observe chez les animaux dont les uns couchent leurs poils dans la peur, tandis que d’autres les hérissent? Le porc-épic et le héris- son érigent, il est vrai, leurs piquants dans la peur, mais comment se fait-il que le mécanisme de cette érection diffère au point d'employer des moyens absolument contraires ? Que concluons-nous de ces remarques? C'est qu'il faut simplifier la science par l'observation de la nature et non par des procédés arbitraires. Or. l'observation et la simple raison nous apprennent que le mouvement par lequel nous nous rétrac- tons, nous nous anéantissons dans la peur, est différent du. mouvement qui nous porte à la résis- tance et à la lutte. La nature, dans ses combinaisons merveilleuses, peut unir ces deux choses, mais elle ne s’est point imposé ces règles étroites que certains hommes ont imaginées, et elle n’a posé à ses créations d’autres limites que celles du possible. Les mouvements dont nous avons parlé peuvent ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 383 se développer chez l'homme dans un sens direct, dans un sens symbolique et dans un sens méta- Phorique. C’est ainsi qu’une proposition coupable Nous effraye ; l'annonce ou la menace d’un malheur Nous épouvante, et cette frayeur, cette épouvante, Sont accompagnées de tous les symptômes de roi- deur, de frisson, d'angoisse, de tous les mouve- . Ments d’aversion ou de défense qui caractérisent ces passions dans l’ordre des passions directes. DES PASSIONS MIXTES OU HÉTÉROGÈNES. Nous mettons au nombre des passions hétéro- &ène celles qui résultent de deux passions con- traires qui se développent simultanément dans * l'esprit. Telles sont : La compassion. La vénération. ; Le dédain. L’hypocrisie. L’hésitation. La jalousie et l’envie. La moquerie. La ruse. De la Compassion et de la Vénération. Nous ne dirons qu'un mot de la compassion, 384 DE LA PHYSIONOMIE —— qui est un mélange de tristesse et d'amour, et qui mêle aux expressions d’une douleur symbolique celle d’une bonté caressante. La vénération est un composé d’admiration et d’humilité; enfin l’ado- ration qui s’annihile devant l’objet, mêle aux ex- pressions passionnées de l’admiration et de l’a- mour, celle d’une humilité sans limite qui s’oublie et s’anéantit. Cette tendance à l’amoindrissement domine toute la théorie des prosternations, des génuflexions. Quant à l'acte par lequel nous joi- gnons les mains dans la prière, il se rattache na- turellement à la série des formes métaphoriques de la demande et de la supplication. L'analyse des formes visibles de la prière pourrait donner lieu à de curieuses remarques. Le contraste qui résulte de ces combinaisons hétérogènes apparaît surtout dans les passions mauvaises. C'est ainsi que le dédain, composé de l’amour de soi-même et du mépris d'autrui, détermine tous les mouvements de l’orgueil et du contente- ment, mais y mêle certaines expressions de dé- goût. Ainsi, tandis que le dédaigneux se rengorge et se déguste, les lèvres semblent se préparer à l’expuition, l'œil et le nez indiquent l'indifférence ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 385 Ou le mépris d’une chose extérieure; mouvements Contradictoires, dissonances odieuses qui révol- tent et sollicitent l’impatience et la colère. La moquerie est toute voisine du dédain. C’est un mélange de joie rieuse et de mépris, C’est, si j'ose le dire ainsi, la joie et l'admiration du dé- dain, Aussi, son rire éclate-t-il au milieu des ex- pressions du dégoût ou du moins de l'indifférence. L'ironie est dans le langage une figure qui loue pour avilir davantage. De même, tandis que Certaines expressions du geste semblent exalter l'objet de l'ironie, d’autres gestes le couvrent de Mmépris ou de colère. Je ne puis qu’indiquer ici ces choses dont l'importance exigerait d’autres développements. C’est aussi un acte d’ironie que d'élever sur un char triomphal et de couvrir des insignes d’un héros ceux qu’on expose à la risée Populaire. Mélange d'amour et de haine, la jalousie et l'envie expriment à la fois l'amour et la colère ou l'aversion. L'envie est un mélange de haine directe 8t d'amour symbolique. Le jaloux, voyant dans Un même objet le but de son amour et l'obstacle à cet amour, aime et déteste à la fois. Le plus Souvent, ces deux mouvements se partagent en 22 E | 44 L L Es 886 DE LA PHYSIONOMIE mini quelque sorte les organes de la face et du corps: les deux contraires s’associant ou plutôt se dispu- tant cet empire où leur mélange ne produit qu’une expression tumultueuse. L'hésitation est une sorte d'oscillation entre le désir et la crainte. Les jeunes chiens nous en donnent un exemple curieux, lorsqu'on leur pré- sente un mets dont l’odeur les allèche mais dont la chaleur les blesse. Au moment où ils touchent à l’objet ils sont brülés et reculent. Puis l'impres- sion de brûlure cessant, l'odeur les sollicite et ils sont attirés de nouveau. Ils oscillent ainsi, et des mouvements d'impatience se mêlant à ces oscilla- tions, il en résulte l’une des expressions les plus puissantes. Ces phénomènes ne sont pas moins apparents dans l’espèce humaine. Mais alors los- cillation peut se produire non-seulement entre deux sensations, mais encore, si je puis ainsi dire: entre deux idées. La ruse est une volonté cachée et réelle, qu'on dissimule sous les apparences d’une volonté trompeuse. Voulant aller en un certain lieu, On feint d’aller ailleurs et l’on y revient par un dé- tour. De même un assassin caresse celui qu'il V2 frapper. : ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 387 En vertu des règles que nous avons discutées plus haut, l'intention principale ne peut jamais être complétement dissimulée. Quelque savant que soit l’art du fripon, il ne peut complétement éteindre les rayonnements de l'intention réelle, et tandis qu’il est attentif à modifier certains or- _ ganes, celle-ci se fait jour par d’autres voies. C’est ainsi qu’à des degrés différents, tout trom- Peur témoigne contre lui-même. _ Voilà comment la duplicité de la volonté se traduit par l'ambiguïté d’une expression double combinant ou plutôt associant deux éléments con- tradictoires. Aussi, les gens qui savent observer éprouvent-ils pour ceux qui la présentent une irrésistible aversion. Un regard caressant que des Oscillations soudaines rendent par moments médi- taf, un sourire qui ne meut que les lèvres avec une expression de mépris dans les narines, des Mouvements d’orgueil dans le visage et d’humi- lité dans le corps accompagnent la fausseté et la bassesse, Je ferai remarquer ici cette irrésistible | tendance que les fourbes , au nombre desquels se Tangent les hypocrites, ont à fermer à demiles yeux, Comme si en dissimulant la direction de leurs re- Sards ils pouvaient cacher celle de leurs pensées. DE LA PHYSIONOMIE. En nous résumant : de l’homogénéité des expres- sions dans les gestes du corps et du visage, résulle la physionomie de la franchise; de leur hétérogé- néité, celle de la duplicité. Je pourrais pousser beaucoup plus loin ces re- marques, mais ce serait se perdre dans l'infini. Mon but n’est point de décrire ici toutes les com- binaisons que peut réaliser la physionomie de l’homme et des animaux; j'ai voulu seulement établir par l'observation et par le langage Îles bases de ce langage admirable. Les remarques dont la coordination forme le sujet de ce mémoire ne donnent, en effet, si je puis ainsi dire, que des caractères élémentaires qui, se combinant, 56 mêlant en cent manières, en mots, en phrases, en périodes, racontent les mouvements de l’âme, et la rendent visible en un certain degré. M'étendre davantage et poursuivre plus longtemps l’applica- tion de ces principes, ce serait m’écarter des li- mites de la physiologie proprement dite, pour pénétrer dans le domaine de l'aït et de la plus subtile philosophie. esprit au moment où je me propose d’esquisser à mort prématurée. Quelle autre épigraphe en effet NCITES,E SUR LA VIE ET LES TRAVAUX DE PIERRE GRATIOLET L'homme est visiblement fait pour penser; c’est toute sa dignité et tout son mérite. ( Pensées de Pascal.) Ce mot célèbre de Pascal se présente à mon grands traits la vie et les travaux de l’éminent anatomiste dont la science et l'amitié déplorent la Pourrait caractériser avec plus de précision l’œu- vre dont Gratiolet poursuivait encore, il y a quel- ques jours à peine, la réalisation? Tous ses tra- vaux, marqués au coin de la philosophie la plus élevée, décèlent une préoccupation constante : 22, : et men - rnrrtReee 390 PIERRE GRATIOLET asseoir les doctrines spiritualistes sur les données positives de la science. Le but sans cesse présent à sa vue, dans ses belles recherches sur l’encé- phale, c’est l'étude des rapports de la fonction avec l’organe, de la pensée avec la forme, le vo- lume et la structure du cerveau : la conclusion de ses méditations profondes, de ses investigations patientes, de ses délicates dissections, c’est que la pensée, l’esprit ou lâme — quelque nom qu'on lui donne —est une essence, l’être par excellence, et non point un pur phénomène. Enfin, de ses magnifiques observations sur l’ana- tomie comparée de l’homme et des singes anthro- pomorphes, il déduit une nouvelle confirmation de ses conceptions philosophiques; il nous fait me- surer la profondeur de l’abîime qui sépare l'homme de la brute la plus voisine de lui par sa confor- mation et par son aspect extérieur : il nous mon- tre l'homme, seul doué de la faculté de faire des abstractions et de les réaliser par la création de formes, seul capable de représenter des idées par des signes matériels. Pour lui, comme pour Pas- cal, « l'homme est visiblement fait pour penser. » Des voix plus autorisées que la mienne rappelle- ront les services éminents que Gratiolet a rendus SA VIE ET SES TRAVAUX. 391 à l'histoire et à la philosophie naturelles. En écri- vant cette notice bien imparfaite, je le sens, je- viens payer mon faible tribut d'admiration et de respect à la mémoire de l'ami que la mort nous à si brusquement ravi; je cède au désir de raconter cette vie si noble, si pure, si bien remplie; de re- tracer l'existence de cet homme de bien, qui n’a connu ni la vanité, ni l'envie, ni l'ambition, et qu’une excessive modestie, jointe à une rare abné- gation, ont seules empêché d'occuper dans le monde le rang élevé que ses travaux lui assignent dans le domaine de la science. Louis-Pierre Gratiolet est né le 6 juillet 1815, à Sainte-Foy-la-Grande, petite ville du départe- ment de la Gironde, où son père exerçait la méde- cine. Le docteur Gratiolet, allié par son mariage à l’une des plus anciennes familles nobles du Pé- rigord, était un homme d’une grande austérité ; il parlait peu; l’exaltation de ses sentiments reli- gieux n’était égalée que par l’ardeur de ses con- victions politiques. Catholique fervent et royaliste passionné, il dut, vers 1820, quitter Sainte-Foy- la-Grande à la suite de tracasseries politiques qui lui rendaient insupportable le séjour de cette petite ville. Dee er PIERRE GRATIOLET ———— Il s'établit à Bordeaux, où s’écoulèrent les pre- mières années du jeune Pierre. Madame Gratiolet était une femme intelligente, de mœurs douces et douée d’une grande affabilité; sa conversation, empreinte d’une légère teinte de mélancolie, offrait un charme tout particulier; son fils se plaisait fré- quémment à rappeler l’heureuse influence qu’elle avait exercée sur la direction de son esprit, à cet âge où les impressions, en apparence fugitives, laissent cependant dans l’âme de l'enfant des traces ineffaçables. À son arrivée à Bordeaux, Pierre fut placé dans une école primaire, tenue par les jésuites; il y resta quatre ans. En 1824, il entra dans une ins- titution particulière, dirigée par un homme d’une vaste érudition, unie à des sentiments religieux très-prononcés. Ce maître, nommé Laborde, savait inspirer à ses élèves le goût des fortes études; il se plaisait à leur donner des compositions en vers français ou latins, genre dans lequel excellait le jeune Pierret. 4. M. le docteur Labourdette, condisciple de Gratiolet, a bien voulu me donner des détails intéressants sur les premières années d’étude de son camarade; je lui en exprime ma recon- naissance. mn An - r. US S A VIE ET SES TRAVAUX. 393 Déjà se révélaient chez l'enfant les facultés puissantes que nous rencontrerons plus tard chez l’éloquent professeur de la Sorbonne et dans l’é- légant et correct auteur de l’Anatomie comparée du Système nerveux. À l’âge de quatorze ans, Pierre improvisait des discours spirituels et bien tournés; il écrivait avec goût et témoignait, par les illustrations dont il couvrait ses cahiers d'étude, d’une rare aptitude pour le dessin. Tout en cultivant les lettres, il se sentait déjà entraîné, par la vocation, vers les sciences naturelles; il consacrait les jours de congé à parcourir les bois et les marécages des environs de Bordeaux, pour recueillir des plantes et collectionner des insectes qu’il rangeait au retour avec beaucoup de soin dans des boîtes et dans de petits flacons patiem- ment étiquetés. Une chose surtout frappait vive- ment les camarades de Gratiolet : c'était la tour- nure chevaleresque de son esprit. L'injustice qu’il a su, durant toute sa vie, Supporter avec tant de calme alors qu’elle n’atteignait que lui, le révol- tait profondément lorsqu'il s'agissait des autres. Brave jusqu’à la témérité, il prit, dès son enfance, le parti du faible contre le fort; n’écoutant que le sentiment de la justice et du droit, il oubliait sou- 394 PIERRE - GRATIOLET vent que la force physique n’égalait pas en lui la vigueur de l'esprit et la générosité du cœur. Il succombait fréquemment dans ces petites luttes inséparables de la vie de collége; mais le bon droit était de son côté, et, vainqueur ou vaincu, il voyait chaque jour s’accroître l’affection et l'estime qu’il inspirait à ses camarades. Cette droiture de carac- tère, cette haine pour tout ce qui ne lui paraissait pas juste et honnête, Gratiolet les a conservées toute sa vie : d’une bonté et d’une bienveillance à toute épreuve lorsqu'il était seul en jeu, il prenait avec une ardeur extrême la défense de ses amis injustement attaqués. Qu'il me soit permis d’invoquer ici un souvenir personnel, et de transcrire quelques lignes d’une lettre qu'il m'écrivait au mois de janvier dernier, dans ce style aimable, moitié sérieux, moitié en- joué, dont personne mieux que lui ne possédait le secret, Après m'avoir exposé l’état d’un débat scientifique sur lequel il appelait mon attention, il ajoutait : « Vous jugerez, mon cher ami, de la « justice des prétentions de X... qui a pour sou- « tiens et trompettes MM... Mais le public peut «s’y tromper. Nous sommes de race pure; «vous avez une lance, je me servirais au be- SA VIE ET SES TRAVAUX. 395 « soin de ma courte épée. Transperçons, je vous « prie, ces coquins, ces Sarrasins de bas étage, « ces mécréants qui prétendent voler les travail- « leurs consciencieux et empoisonner, de leurs « mensonges, la croyance publique. » Ce n'est pas Sans dessein que j'insiste sur ce trait saillant du caractère de Gratiolet, car cet amour de la vérité: et de la justice, que nul n’a poussé plus loin que lui, n’a pas été l’un des moindres obstacles à son avancement dans la carrière par lui parcourue avec tant de profit pour la science. Mais n'anticipons pas sur les événements. En 1829, Pierre partit pour Paris avec sa mère, et. _ entra au collége Stanislas où il devait terminer ses études classiques. Effrayée par les événements de 1830, madame Gratiolet retourna à Bordeaux peu de temps après les journées de Juillet, emmenant avec elle son jeune fils, dont les études furent suspendues jus- qu'à la fin des vacances. Revenu au collége Sta- nislas au mois d'octobre de la même année, Gra- tiolet y suivit régulièrement les cours jusqu’en 1833, époque à laquelle il se présenta au bacca- lauréat. | C’est durant ces trois années qu’il noua, avec 396 PIERRE GRATIOLET rte quelques hommes, aujourd’hui haut placés dans les lettres, les sciences et les arts, des relations d'amitié que la mort seule pouvait rompre‘. En 183%, M. Gratiolet, que les devoirs de sa profes- sion et plus encore les soins réclamés par la santé de sa fille avaient retenu jusque-là à Bordeaux, vint s'établir à Paris pour y suivre les études de droit de son fils. Le jeune homme eut, en effet, la pensée d’em- brasser la carrière du droit; le chagrin que lui causa la mort de sa sœur, enlevée à l’âge de dix- huit ans, amena en lui un moment de décourage- ment profond, et le détourna pour quelques mois de la voie où sa vocation, mieux comprise, ne x devait pas tarder à le faire rentrer. Il ne prit à l'École de droit que deux inscriptions et, dès 2 l'hiver de 1834, il s’adonnait âvec ardeur à l’étude des sciences médicales, et spécialement à l’anato- mie qui fera l’objet des méditations de toute sa vie. Deux hommes éminents, M. Étienne Pariset, le 1. Au collége Stanislas, Gratiolet eut pour condisciples M, 1€ docteur Th. Roussel, M. le conseiller Dauchez, M. Hetzel, M. Henri Sainte-Claire Deville, M. John Lemoinne, M. Ulysse Ladet, M. Jean Macé, etc. SA VIE ET SES TRAVAUX. 397 secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine, et M. de Blainville, professeur au Muséum, de- vaient, par leurs conseils, par leurs lecons et par leur amitié, exercer sur Gratiolet une influence décisive dans la vie d’un savant; c’est sous le pa- tronage du premier qu’il entra dans la carrière médicale et qu’il se prépara, par de fortes études, au concours de l’internat, dont il subit, avec succès, les épreuves en 1839, M. Pariset développa, par son enseignement et par ses conversations, les tendances philoso- phiques de l'esprit de son jeune ami. Je ne saurais mieux mettre en lumière la profonde influence de l’illustre secrétaire perpétuel sur la direction des idées de Gratiolet, qu’en reproduisant ici la lettre que le futur professeur de la Sorbonne écrivait à son maître, en lui envoyant sa thèse de doctorat. Voici cette dédicace : es « Un pareil hommage est peu digne de vous, je « le sais : un essai, écrit en quelques jours d’après « des matériaux incomplets, mériterait peu le pa- « tronage de votre nom ; aussi ne l’ai-je point offert « à mon maître, mais, oserai-je le dire ? à cet ami « si bon, si éclairé, si bienveillant, qu’on aime « avec l’esprit et qu'on respecte avec le cœur. Vous ïü 4 à M ‘4 da. #. Pac M éd J * te pu à te SR RS en, Dre Le È RE e. 398 PIERRE GRATIOLET m'avez appris à reconnaître, dans la succession des phénomènes naturels, la trace d’une intelli- gence qui ne se repose jamais. Occupé sans cesse de la lecture de ses œuvres, je n’ai point oublié les principes que j'ai reçus de vous. « La hardiesse dans les vues, la délicatesse dans l'analyse, la sagesse dans les conclusions, et, si j'envisage le style, l'élégance, la force, la préci- sion, la netteté : tels sont les modèles que vous me présentez toujours. Si Dieu me donnait d’ac- « quérir enfin ces qualités précieuses, si je pouvais « être un jour de quelque utilité aux lettres et aux « sciences, ma gloire la plus chère serait de penser « que je continue votre œuvre et que votre élève est devenu digne de vous, « Paris, 23 mai 18145!, » Le vœu de Gratiolet s'est accompli : ces qualités qu’il énumère avec tant de charme, en s’adressant à M. Pariset, il les possédait toutes. Qui ne recon- naîtra, en effet, qu'on ne pourrait louer avec plus de vérité et d'exactitude les œuvres de l'élève qu’en 4. Cette lettre m'a été communiquée par M. le docteur Lemer- cier, sous-bibliothécaire au Muséum, ami intine de Gratiolet. Een PR SA VIE ET SES TRAVAUX. 399 lui appliquant ce qu’il dit lui-même des écrits de son maître ? M. Pariset, avec cette promptitude de jugement et cette sûreté de coup d'œil que donnent l'expé- rience et la connaissance des hommes, avait, dès l'abord, apprécié comme il le méritait le jeune interne des hôpitaux de Paris: il avait entrevu le brillant avenir qui pouvait s'ouvrir devant lui, si une main intelligente lui offrait son appui; il avait pressenti les services qu’il rendrait à la science. À partir du jour où le naturaliste Laurent pré- Senta Gratiolet au savant médecin de la Salpê- trière, une amitié toujours croissante unit ces deux hommes, si bien faits pour se comprendre et pour s'aimer. Un des premiers témoignages d'estime que M. Pariset voulut donner à son protégé fut de le présenter à M. de Blainville, successeur de Guvier dans la chaire d'anatomie comparée au Muséum. Les trois premiers travaux de Gratiolet furent ainsi publiés dans un recueil que venait de fonder le professeur du Jardin des Plantest, Dès 1842, l'illustre anatomiste l’attachait à son labo- 1. Annales françaises et étrangères d'anatomie et de Physio- Ogie. 400 PIERRE GRATIOLET ratoire avec le titre de préparateur (aux appoin- tements de 900 fr.); il devait conserver ce titre jusqu’en 1853, époque à laquelle il fut nommé aide-naturaliste, ce qui portait son traitement à 1,800 fr. C’est dans ces modestes fonctions que Gratiolet, livré tout entier au culte le plus désinté- ressé de la science, devait attendre, jusqu’en 1864, c’est-à-dire pendant dix-neuf années, une chaire du haut enseignement qu'aucun naturaliste parmi ses contemporains n’eût remplie avec plus d'é- clat que lui; M. de Blainville, heureusement pour l'honneur de la science française, avait compris quel concours précieux la parole éloquente ef élevée de Gratiolet pouvait prêter au haut ensei- gnement. Décidé en 1844, par l’état de sa santé, à se faire suppléer dans sa chaire du Muséum, il jeta tout naturellement les yeux sur le jeune anatomiste, dont il avait pour ainsi dire deviné le talent ora- toire. Plus d’un professeur, en pareille occurrence; aurait choisi un suppléant dont le succès füt au moins douteux, un homme auquel une sup- pléance, se prolongeât-elle dix ans, ne püt créer de titres sérieux pour l’avenir. Cela ne se voit que trop souvent. É SA VIE ET SES TRAVAUX. 401 M. de Blainville, profondément attaché à son préparateur, et que la nature élevée de son esprit mettait d’ailleurs à l’abri de ces _mesquines ré- flexions, pensa sans doute que l'intérêt de la science était seul en jeu, et que son devoir, comme titu- laire, était-de désigner un remplaçant digne de. lui. 11 fit nommer Gratiolet. J'ai sous les yeux une lettre datée du 40 juin 1844, qui témoigne assez quels sentiments divers agitaient, au moment de cette nomination, l'esprit du futur suppléant. Je ne résiste pas au plaisir de publier cette aimable et Spirituelle correspondance. « Je suis si accablé de travail et d'’ inquiétudes « que je ne sais plus où trouver un moment pour « aller te voir, m’excuser de toutes mes impar- « donnables négligences, et me confesser encore « de fautes que je commets toujours de nouveau. « Ricard? à commis une indiscrétion. Je me _« réservais Le plaisir d’aller moi-même t’'apprendre « les bonnes intentions de M. de Blainville à mon 1. Je dois la communication de cette lettre à l’obligeance de : M. le conseiller Dauchez, l’un des amis d’études de Gratiolet, auquel elle était adressée et qui a bien voulu m autoriser à la publier, . 2. M. le docteur Ricard, compagnon d'études et ami de Gra- tiolet. 402 PIERRE GRATIOLET égard, mais il n’en fait jamais d’autres. Je pen- sais trouver un moment aujourd'hui pour aller te dire bonjour à la Cour des comptes; mais pris entre trente bouquins au moins, je ne puis parvenir à me débarrasser. « Tu as oublié, sans doute, ce que c’est qu'un examen; j’en ai trois à passer dans deux mois”, et par-dessus le marché .un cours à faire, un cours à grand orchestre, mon Dieu! avec des claqueurs et des sifleurs tout prêts. Malgré tout mon courage, j'ai peur parfois, et la tête me tourne; en songeant à ce que je devrai dire; j'oublie même par où je dois commencer. Mes matériaux presque achevés se mêlent dans ma tête, et j'ai peine à dégager mon plan enfoui sous tant de décombres. C'est vraiment une chose terrible que d'être pris à l’improviste. Puis, mêler l’histoire des cautères et des vési- catoires? à des considérations de philosophie naturelle, poursuivre à grand'peine ce qué l'anatomie a de plus délicat, systématiser tous 1. Il préparait ses examens de doctorat; les internes des hôpi- taux ne peuvent, on le sait, se faire recevoir docteurs avant l'expiration de leurs fonctions, sous peine d’être considérés comme démissionnaires. 2. Allusion à l’examen de pathologie qu’il préparait. SA VIE ET SES TRAVAUX. 403 « ces détails et travailler en même temps à dé- « brouiller le fatras obscur des livres de méde- « cine que je suis obligé de dévorer; voilà ce « qui, certainement, me démantibulera la cer- « velle, si mes amis ne font pas une neuvaine à « saint Jean pour qu’il me fasse retrouver, comme « à Astolphe ou à Roland, ma raison perdue. «Enfin, je vais avoir un public! Je lui parlerai « gravement de ce que je ne sais pas, de ce qu'on « ne saura jamais peut-être. Voilà une affaire bien Cimportante. C’est cependant sur cet amas de « futilités que je vais peut-être fonder mon avenir! € Allons! d'autres lancent leur citadelle dans les «eaux de la mer, moi, je vais élever la mienne « sur les nuages. Nous sommes dans le siècle des « grands aéronautes. Je prie Dieu de me tenir en « sa sainte et digne garde et de faire que je ne « me Casse pas le cou. : « Adieu, mon ami. » On voit dans quelle situation d'esprit la pro- position de M. de Blainville trouva Gratiolet et avec quel plaisir, au fond, il acceptait la perspec- tive d’un enseignement pour lequel, malgré son : ne Pere mes MS Bei ere D A ren mt ts mi ve este: Fées 7 EPST ee Feu ee à a + ee none ' à Srisintée "A re (à dns. ET Last, 2 404 PIERRE GRATIOLET extrême modestie et sa grande jeunesse, il se sen- tait bien préparé. Sa première lecon au Muséum fut un véritable triomphe, dont les journaux du temps nous ont gardé le souvenir. Son maître, le digne M. Pari- set, caché dans un coin de l’amphithéâtre, avait voulu assister à ce brillant début. Après la teçon, en face de ce nombreux auditoire enthousiasmé par les vues élevées et l’éloquente diction du jeune professeur, il pressa sur son cœur celui au- quel il avait ouvert la carrière. Des larmes d’at- tendrissement s’échappaient des yeux du vieil- lard, qui répondit à son élève surpris et ému de le voir là: «Je viens écouter mon maitre. » Longtemps après cette journée, M. Pariset ne pouvait rappeler le premier succès de Gratiolet sans une profonde émotion. Les applaudissements chaleureux qui avaient accueilli le suppléant de M. de Blainville l’attendaient à chaque nouvelle leçon ; le succès du cours d'anatomie comparée allait croissant, et loin d’en prendre ombrage, le respectable titulaire s’en réjouissait, et ne son geait qu'aux moyens d'assurer d’une façon défi- nitive, à celui qui la remplissait avec tant d'éclat la chaire illustrée autrefois par Cuvier. C’est ainsi SA VIE ET SES TRAVAUX. 405 que de 1844 à 1850, Gratiolet suppléa constam- ment M. de Blainville, émerveillant les auditeurs par le charme de sa parole, non moins qu'il les surprenaït par l’étendue de ses connaissances et la profondeur de ses vues, C'est dans le cours _de cette suppléance, au mois de mai 4848, que Gratiolet perdit sa mère, devenue veuve depuis quelques années *, Il chercha dans l'étude, cettecon- solatrice par excellence, et dans l'amitié de quel- ques cœurs dévoués, un adoucissement à ce cruel chagrin. Grâce aux soins empressés de ses, amis, grâce à ses livres et à son enseignement, il sur- monta peu à peu la douleur poignante que lui avait causée cette séparation. Sa croyance iné- branlable à l'immortalité de l'âme, croyance qui a seule adouci les dernières heures de son exis- tence, l’aida aussi puissamment à traverser cette phase douloureuse de sa vie, Deux ans après, un nouveau malheur devait fondre sur lui. Son maître, M. de Blainville, su- bitement frappé par une attaque d’apoplexie , expirait le 1% mai 1850, M. Béclard a retracé en ces termes, devant l’Académie de médecine, les derniers moments de l’illustre anatomiste : 1. M. le docteur Gratiolet est mort à Paris le 30 mai 1840. 23. sa _ SR nb LS mg nr dunes de sd pce PT NT AR! mp UCI RE GARE ARTE PIERRE GRATIOLET « Les luttes qu'avait soutenues M. de Blain- ville, le chagrin qu’il ressentit de la perte d’un petit-neveu qu'il adorait, avaient altéré sa santé. En 1850, il demanda à être remplacé à la Sor- bonne. Le suppléant qu’il avait désigné n'ayant pas été agréé, il déclara qu’il refusait celui qu’on prétendait lui imposer, et il remonta dans cette chaire qu’il honoraït depuis près de quarante ans. Mais il ressentit vivement cette blessure. Il avait à peine terminé les premières leçons, qu’il voulut profiter d’un congé de quelques jours pour aller visiter une de ses nièces dans les environs de Dieppe. « Le 1% mai, à dix heures du soir, il quittait la modeste maison dans laquelle il ne devait pas rentrer. Au moment où il montait dans un wagon du chemin de fer, il fut frappé d’une attaque d’apoplexie foudroyante. Transporté dans une salle d'attente, il rendit le dernier soupir sans avoir repris connaissance {. » 1. Éloge de M. de Blainville, prononcé à l’Académie de méde- cine, le 15 décembre 1863, par J. Béclard, secrétaire annuel de l’Académie. — Le suppléant qui fut refusé à de Blainville, pour son cours de la Faculté en 1859, était M. Hollard, professeur à la Faculté de Poitiers, et, comme Gratiolet, l'élève de l’illustre ana- tomiste. Le vœu de Blainville était que sa chaire du Muséum ap- SA VIE ET SES TRAVAUX. 407 En perdant son maître, Gratiolet perdait son plus ferme appui; s'il avait pu en douter un in- Stant, les événements n’eussent pas tardé à dis- siper ses illusions à cet égard. La mort de M, de Blainville laissait deux chaires vacantes, l’une au Muséum, l’autre à la Faculté des sciences. Le successeur naturel de l’éminent anatomiste est désigné d'une commune voix par le monde savant. Qui mieux que Gratiolet pouvait continuer l'œuvre du maître avec lequel, durant huit an- nées, il avait vécu dans une communauté parfaite . d'idées philosophiques et scientifiques? Qui, mieux que lui, pouvait.développer et féconder les doc- trines du rude et vaillant adversaire de Cuvier? partint à Gratiolet et celle de la Sorbonne à M. Hollard. 11 avait fait agréer ce savant en 1849 pour son suppléant dans cette der- nière chaire, malgré la vive opposition de ses collègues qui pré- sentaient un candidat, dtjà titulaire de deux chaires du haut en- seignement. En 1850, M. Hollard ayant eu un véritable succès dans cette suppléance, de Blainville le présenta de nouveau. Nou- velle lutte à la Sorbonne contre la proposition de de Blainville, qui cette fois succombe, et, ne pouvant faire agréer le candidat de son choix, se décide à remonter dans sa chaire. A la mort inat- tendue de de Blainville, M. Hollard fut chargé de termirer le cours de l’année 1850. Le double vœu de M. de Blainville est resté stérile; Gratiolet est mort sans que le Muséum ait eu l’hon- neur de le compter au nombre de ses professeurs, et M. Hollard attend encore la chaire de la Sorbonne. re UE Pr So Ph. . êhe > EU NT CREER re .— = Mo — mettrai *. eds, RE de: ME Eau LESC 408 PIERRE GRATIOLET L'immense succès des cmq années précédentes ne devait-il pas d’ailleurs assurer à l’éloquent sup- pléant la chaire devenue vacante par la mort du titulaire ? Personne, parmi les auditeurs de Gra- tiolet, ne pouvait douter un instant de l'issue de la lutte qui allait s'engager au Muséum et à la Sorbonne; mais les esprits clairvoyants, les gens avisés qui, connaissant les petites passions hu- maines, savent quel obstacle le talent reconnu de tous, l'indépendance morale, la dignité du carac- tère peuvent, à un jour donné, mettre à l’avan- cement d’un homme, ceux-là avaient peu d'espoir. Seuls ils ne furent pas déçus. De Blainville fut remplacé au Jardin des Plantes par Duvernoy, et à la Sorbonne par I. Geoffroy Saint-Hilaire; Gra- tiolet demeura préparateur au Muséum aux ap- pointements de 4,800 francs. Dans les académies, comme dans les chaires du haut enseignement, comme partout peut-être, les gens médiocres redoutent toujours de voir s’asseoir à leurs côtés les hommes supérieurs, comme s'ils _ne tenaient pas de ces derniers, et de ces derniers seulement, l'éclat passager qui les environne ! L'il- lustre directeur du Muséum, dans le dernier adieu qu'il adressa à l’ami que nous pleurons, déchire US | oh 19 sk SA VIE ET SES TRAVAUX. 409 " Ni | ni | un coin du voile et cherche à expliquer à tous 4 | comment Gratiolet avait attendu dix-sept ans une | ; 1) | chaire du haut enseignement : | 11 «Aujourd’hui, dit M. Ghevreul, que les faits i \ sont si fatalement accomplis, répondons à cette A À question : comment M. Gratiolet, avec les qualités | di | brillantes de l’orateur et de l'écrivain, ayant pour à h | _amis dévoués tous ceux qui l’ont connu ; comment if Ë cet homme, si heureusement doué pour capter | ï | ( tous les suffrages en les méritant, at-il si long- il l À temps attendu que la /ortune le favorisât? Au lieu 3 | il de répondre: « parce qu’elle est aveugle, » cher- À L | chons-en la véritable cause et nous la trouverons. (ll î | « Sans doute M. Gratiolet avait la conscience de li, c & sa force, mais sa conviction des limites étroites de al | l'esprit et de la science de l’homme lui donnait fl É | une modestie qui ne fut pas toujours un titre de ; fl | _ recommandation près de plusieurs de ses juges; h { 4 | car il n'existe que trop de gens pour lesquels | 4 l'assurance est la mesure de mérite! Convenons encore que la conscience de ses forces, alliée à la DR ee ce 3 —— A PRE Mn pe ee RER dignité du caractère, est souvent un obstacle à l'avancement. Or, la dignité du caractère, Gra- tiolet l'avait au plus haut degré, et je sais qu’en plus d'une occasion, faute d’y avoir sacrifié légè- #| Ts hrmvrt ce —— ER Î Î d A 11e * À 3 yA le fi ; É 410 PIERRE GRATIOLET rement, il n’obtint que tardivement ce que beau- coup plus tôt il aurait dû avoir Mais, messieurs, une cause à contribué sans doute encore à la len- teur de l'avancement de M. Gratiolet dans le monde, c’est son extrême bonté. Et certes aucune voix ne me démentira quand je dirai que jamais l'intérêt personnel ne l’a guidé; que l'amour de la gloire, et, le dirai-je, l'avancement même de la science, ont toujours été subordonnés à deux penchants : obliger le pauvre et donner son temps à l'amitié qui réclamait sa personne et ses soins. Voilà ce qu’il a fait durant toute sa vie. » Je m’associe de grand cœur à cet éloge, et je pense, avec M. Chevreul, que, chose triste à con- fesser, les rares qualités et la noblesse de cœur de Gratiolet ont jeté dans sa laborieuse carrière des entraves qu'il eût évitées avec ce qu'on nomme dans le monde de l’habileté, terme dont le syno- nyme n’est pas toujours indépendance et probité. Mais je ne puis oublier et je ne veux pas omettre de rappeler ici que l’un de ses plus grands défauts aux yeux de la coterie qui l’a si longtemps op- primé, c'était précisément l'honneur dont il était le plus jaloux, le titre d’élève et d'ami de M. de Blainville. La jalousie, et pourquoi le taire, la SA VIE ET SES TRAVAUX. 411 malveillance qu’avaient excitées dans certaines âmes le talent supérieur, l’âpre nature du maître, on les concentra sur l'élève. Gratiolet, simple et doux, mais ferme et recon- naissant, continua, sans se plaindre comme sans fléchir, à remplir ses modestes fonctions de pré- parateur. L'estime des honnêtes gens et le senti- ment du devoir accompli le consolaient aisément de l'injustice des hommes et de la rigueur des évé- nements. En 1852, il fut de nouveau chargé d’une sup- pléance; il remplaça Duvernoy au Collége de France. Nouvel enseignement, nouveau succès. Cette fois encore se pressent autour de sa chaire les auditeurs avides d'entendre sa magnifique pa- role : le public voit dans cette seconde suppléance, non moins brillante que la première, un heureux présage; il espère que Gratiolet s’assoira bientôt enfin dans l’une des chaires d'anatomie comparée de Paris. Vain espoir! M. Duvernoy meurt, sa suc- cession est vivement disputée au Muséum. Des questions de convenance personnelle, des arran- gements de famille se mêlent à cette lutte, dont il semble que toute considération extra-scientifique devrait être bannie. Bien plus, on va jusqu’à 412 PIERRE GRATIOLET invoquer des raisons politiques et religieuses pour combattre la candidature du suppléant de Duvernoy. Parmi ceux qüi ont intérêt à le voir succomber dans cette lutte inégale, les uns le re- présentent comme un révolutionnaire dangereux ; les autres en font un ultramontain déclaré. Ses amis, confidents de sa pensée intime, savent com- bien ces imputations étaient calomnieuses. Comme tous les esprits à la fois honnêtes et éclairés, Gra- tiolet chérissait la liberté et ne s’en cachait pas; de plus, il était spiritualiste et chrétien; mais la vérité est que sa nature élevée et généreuse répu- diait avec une égale énergie l'autorité absolue, sous quelque forme qu’elle se présentât. Son esprit in- dépendant et droit ne pouvait s’accommoder à aucun despotisme; l'amour de la justice et de la vérité, tel fut le guide souverain de sa vie. Ceux qui, au lendemain du coup d’État, s’efforçaient de le faire passer pour un révolutionnaire, ceux-là oubliaient son attitude courageuse et énergique lors des événements de juin 1848; ils ne se souve- _naient pas davantage du désintéressement dont il fit preuve en ces jours difficiles, comme dans tout le cours de sa carrière‘. Quoi qu’il en soit, 4. Capitaine d'artillerie dans la garde nationale, en juin 1848, SA VIE ET SES TRAVAUX. 413 les habiles triomphèrent, des mutations eurent lieu dans le personnel du haut enseignement, et définitivement Gratiolet ne fut pas nommé. L'année suivante, à titre sans doute de dédom- magement, il fut promu au rang d’aide-naturaliste au Muséum, avec un traitement de 2,400 francs. En 1854, un grand bonheur l’attendait; cédant à un attachement qui n’a fini qu'avec sa vie et qui a rendu si terrible la dernière séparation, Gra- tiolet se mariait selon son cœur. De cette union, dans laquelle il ne cherchait que les douceurs de la vie de famille, sans lui demander la fortune, date la phase la plus heureuse de son existence, phase trop courte, hélas! A cette époque aussi com- mence la. période la plus active de sa vie scienti- fique. Son grand mémoire sur les Plis cérébraux - _ du cerveau des Primates, mémoire justement ad- miré par tous les naturalistes, a été publié dans cette même année 1854. Trois ans plus tard parut l’œuvre capitale de sa vie, son Anatomie comparée du Système nerveux, livre admirable où Gratiolet a révélé à la fois les qualités de l'écrivain, du philosophe et de l’ana- Gratiolet refusa la décoration pour laquelle il avait été proposé, après l'affaire du petit pont de l'Hôtel-Dieu. PPT nm à me à are gl né Re 414 PIERRE GRATIOLET tomiste à un degré qu’il sera donné à peu d'hommes d’égaler, à aucun peut-être de ja- mais surpasser! Get ouvrage est l’un des plus considérables de la littérature scientifique con- temporaine, par le nombre et l'exactitude des observations qu'il renferme, par l’étendue des horizons qu’il ouvre à la physiologie et à la psy- chologie, par la manière supérieure dont le sujet est traité; il suflirait à lui seul pour perpétuer le nom de son auteur. De 1857 à 1860, Gratiolet a publié quelques importants mémoires, parmi lesquels je me bor- nerai à citer son travail sur le Système vasculaire des Hirudinées. Les circonstances de la publica- tion de cette étude me ramènent à parler encore de la carrière officielle de Gratiolet. À la mort de I. Geoffroy Saint-Hilaire, l'heure de Ia justice pa- raît enfin venue. Ses travaux, connus de tout le monde savant, le font depuis longtemps déjà con- sidérer comme l'autorité la plus compétente dans la branche de l’anatomie à l'étude de laquelle il avait voué sa vie, la connaissance de l’encéphale : il a pris rang, par ses recherches sur le système nerveux et sur les fonctions du cerveau, au nombre des anatomistes les plus distingués de la France et SA VIE ET SES TRAVAUX. "415 de l'étranger, il semble désormais impossible de lui fermer a porte du haut enseignement. Grâce au zèle de quelques amis dout je tairai les noms, malgré moi, pour ne pas blesser leur modestie, Gratiolet est enfin présenté en ordre utile par la Faculté des sciences de Paris, au ministre de l’In- struction publique, pour succéder à Geoffroy Saint-Hilaire. C’est alors qu’il publie, sous la forme d’une thèse de doctorat, son mémoire sur les Hirudinées. M. Rouland qui, cinq ans auparavant, lui avait donné une première marque de sympathie en lui remettant au Muséum la croix de la Légion d'hon- neur, s’empresse de le charger du cours de zoolo- gie à la Faculté des sciences de Paris. A la fin de 1863, ce ministre le nomme titulaire de la chaire qu’il devait occuper deux années à peine. Les portes de l’Académie des sciences, si long- temps fermées à Gratiolet, au grand étonnement des savants étrangers, ne pouvaient tarder à s’ou- vrir aussi, en dépit des intrigues des coteries, de- vant l’auteur de l’Anatomie du Système nerveux. Tout paraissait sourire enfin à notre excellent ami, bien résolu à suivre, comme par le passé, le droit chemin, sans se laisser détourner par des À } f 416 PIERRE GRATIOLET sentiments qui n’ont jamais trouvé place dans son âme, la vanité, l’ambition et la haine ; à user de l'influence que lui donnait sa nouvelle position pour aider, comme il l'avait fait jusque-là, ceux qu'il rencontrait sur sa route. Partageant sa vie entre les affections de la famille, les épanchements de l’amitié et le culte de la science, il jouissait pleinement de la douceur de la vie après n’en avoir trop longtemps connu que l’amertume. Ce bonheur, hélas! ne devait pas être de longue durée! Les veilles, l’excès du travail, les préoccu- pations inséparables d’une existence si pénible parfois, l'injustice des hommes n’avaient rien fait perdre à Gratiolet de la sérénité de son âme ni de l’enjouement de son esprit. Son cœur droit et noble avait pris le dessus, il avait pardonné beau- coup et toujours rendu le bien pour le mal, esti- mant, comme il nous le disait souvent, que le souverain bien est le contentement de soi-même, et que presque toujours les hommes sont plus aveugles que coupables. Mais si cette nature ar- dente et enthousiaste, généreuse.et vibrante, avait su trouver. dans la paix intérieure, dans le culte de la famille, de l’amitié et de la science, un remède souverain à tous les maux de l’âme, il n’en SA VIE ET SES TRAVAUX. 417 était pas de même du corps qu'animait ce puis- sant esprit. | Il y a trois ans, à la suite de recherches qui nécessitaient de longues veilles après des journées. entièrement consacrées aux travaux de dissection, Gratiolet ressentit les premières atteintes du mal terrible qui devait l’arracher brusquement à la vie. Au mépris de ce que la prudence lui commandait, _ilne put se résoudre à suspendre ses travaux, es- _ pérant que ses forces ne le trahiraient pas, et qu’il mènerait à bien l’œuvre commencée et poursui- vie avec trop d’ardeur. Il semblait en effet ré- tabli. Jamais sa parole n'avait été plus précise et plus _entraîinante que dans cette soirée de la Sorbonne qui fut pour lui un véritable triomphe. Jamais, comme l’a si bien dit M. de Ghevreul, « tant de qualités brillantes et profondes n’ont été réunies par la philosophie pour faire d’un sujet, ancien= nement vulgaire (l'étude de la physionomie), traité souvent par des gens du monde et des ar- tistes, une œuvre précise, profonde et originale. C'était le champ du cygne. » La Sorbonne ne de- vait plus retentir des accents de cette mâle parole, et l'Académie des sciences ne. devait pas avoir D gr no mi ir Ps Lit. Se 2 as série hr D Pponre e E RÉ US ES EE Een a 2 nm pe 5, EE En D A gen rip, SR a one cn NS nr : ù a 418 PIERRE GRATIOLET l'honneur de compter parmi ses membres l’homme éminent que nous pleurons.. Le jeudi 16 février, une lugubre nouvelle se ré- pandit dans Paris. Gratiolet venait d’expirer après quelques heures d’agonie. Celui que la veille en- core nous avions quitté plein de santé et de vi- gueur, n’était plus. Une mort aussi cruelle qu’im- prévue venait de trancher ces jours si précieux, d'enlever à une famille éplorée son plus ferme sou- tien, à la science l’un de ses plus vaillants soldats. Le mercredi 15 février, à une heure de l’après- midi, au milieu de ses occupations favorites, dans ce laboratoire témoin de tant d'admirables re- cherches, Gratiolet fut pris subitement de vertiges et d'éblouissements. Chancelant, et déjà frappé de paralysie, il put à grand’peine regagner sa de- meure. Il n'eut pas un seul instant d'illusion sur la gra- vité de son état; sans espoir de salut, mais coura- geux et ferme comme toujours, il fit lui-même les premières prescriptions, pressa contre son cœur sa femme et ses enfants, qui bientôt n’allaient plus entendre sa voix chérie, et les recommanda à quelques amis accourus à son chevet en apprenant la fatale nouvelle. SA VIE ET SES TRAVAUX. 419 Quelques heures plus tard sa langue s’embar- rassa, son intelligence s’obscurcit ; le soir il avait perdu conaissance, la paralysie marchait à grands pas. Le 16, à cinq heures du matin, il rendait le dernier soupir. Deux jours après, une foule immense, atterrée par la douleur, accompagnait Gratiolet à sa der- nière demeure. M. le ministre de l'Instruction pu- … blique voulut rendre à la mémoire de cet homme éminent un hommage digne de lui : il décida que ses funérailles seraient faites aux frais de l'État. M. Duruy témoigna de sa sympathie pour l’élo- quent professeur de la Sorbonne, en se joignant à la foule émue qui encombrait l’église Saint- Étienne-du-Mont, trop petite pour contenir les amis de l'homme de bien et les admirateurs du savant. Jamais douleur plus vraie n’éclata sur le bord d’une tombe. C’est que la perte que nous avons faite est immense : la science pleure une de ses illustrations les plus pures, la jeunesse l’un de ses maîtres les plus justement aimés, l’amitié un cœur qu'on ne remplace pas. Plus heureux encore que bien d’autres, Gra- tiolet vivra par ses œuvres, il vivra aussi par les tendres souvenirs qu'il laisse à tous ceux qui l’ont 420 PIERRE GRATIOLET, SA VIE ET SES TRAVAUX. connu. Il revivra enfin dans ses enfants auxquels il lègue le plus bel héritage qu’il soit donné à l'homme de. transmettre à ses descendants, l'exemple d'une existence qui se résume en trois mots : honneur, abnégation et science! 15 avril 1865. TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE PIERRE GRATIOLET 1839-1865 Une analyse détaillée des découvertes dont Gra- tiolet a enrichi la science m’entraînerait hors du cadre que je me suis tracé en écrivant cette notice. Je me bornerais donc à joindre, sous forme d’ap- pendice, au pieux hommage que j'ai voulu rendre à la mémoire d’un ami, la liste de ses principaux travaux, si je ne trouvais résumés en quelques pages, avec un talent que le lecteur appréciera j'en suis certain, l’idée dominante de l’œuvre et les principaux résultats des recherches de Gra- tiolet. Je demande donc à celui qui fut l'élève et l'ami du savant anatomiste, la permission d'emprunter quelques pages à la Notice qu’il a publiée dans les Archives générales de médecine. Je ne saurais à 24 a nan tege annee fan. TE ie cu EDR art 2 2 2 due AO ee 422 TRAVAUX SCIENTIFIQUES coup sûr dire aussi bien en si peu de mots ce que les sciences biologiques doivent à Gratiolet. « Ce qui signale toutes ses œuvres, dit M. le docteur Bertt, c’est un singulier carac{ère de gran- deur. Profondément versé dans les sciences méta- physiques, jouant pour ainsi dire avec les plus hautes questions de la psychologie, Gratiolet n'oubliait jamais que la science biologique n'est qu'une partie de la philosophie. Son puissant esprit, loin de dédaigner les détails, les cherchait, mais pour les féconder. Des considérations élevées lui servaient comme de flambeau dans ses minu- tieuses recherches, et à la fin de chacun de ses travaux, on les voit éclater en riches consé- quences, en lumineux et souvent poétiques aperçus. Ses études ont toujours été dirigées vers deux buts philosophiques : d’abord la synthèse des faits naturels, leur formule statique : aussi la recherche des types zoologiques était sa préoccu- pation favorite, et il y excellait; — puis, l'har- monie de ces faits, leur expression dynamique, les rapports de l'organe avec l'acte, qu'il inter- _prétait toujours au point de vue d’un finalisme élevé. 1. Archives générales de médecine, mars 1865. DE PIERRE GRATIOLET. 423 « Avec d'aussi grandes qualités d'esprit, de si hautes visées, on ne doit pas s'étonner que Gra- tiolet, nature artiste et prime-sautière, mais qui travaillait à ses heures et méditait longtemps, n'ait pas manifesté cette activité vulgaire qui en- combre journaux et comptes rendus de notes sans valeur et sans liaison. Aussi ses travaux, malgré leur importance, peuvent être assez facilement résumés en se plaçant au point de vue des idées qui les relient. « Gratiolet croyait profondément à la réalité de l'espèce, qu’il considérait comme expression in- carnée d'une volonté créatrice, expression SUSCep- tible de varier seulement entre des limites d’élas- ticité peu étendues. Il s’est élevé toute sa vie contre ces tendances issues des doctrines d'Étienne Geolfroy-Saint-Hilaire, qui s'efforcent aujourd’hui de faire considérer les êtres supérieurs comme le : résultat de la progression continue, indéfinie des êtres inférieurs. Un des arguments employés par cette école philosophique est tiré de la simplicité des animaux qui ont peuplé les couches les plus anciennes du globe. Quelques-uns de ces types, témoins des premiers âges du monde, ont encore aujourd’hui des représentants dans notre faune puPen Je | À f | 424 TRAVAUX SCIENTIFIQUES vivante : telles sont les lingules et les térébra- tules. Gratiolet étudia à fond leur anatomie, et, dans des travaux qui ont acquis en Angleterre une juste célébrité, il découvrit ou précisa plu- sieurs points importants de cette organisation, dont la complexité et la perfection semblent pro- tester contre la théorie du progrès spécifique. C'est à côté de ces recherches sur les brachio- podes qu’il faut placer son anatomie du système vasculaire des hirudinées, si remarquable par la richesse et l'intérêt des détails. « Des-travaux remarquables sur le système vei- neux des oiseaux, conçus au point de vue d’un rapprochement en apparence étrange, mais bien réel, entre ce type et le type des reptiles, l'ont amené à démontrer l’exactitude de l'hypothèse de Jacobson sur l'existence d’une veine porte rénale chez les oiseaux; il a tiré de ce fait, et de quelques observations sur la distribution des vaisseaux san- guins des batraciens à respiration cutanée, des conséquences physiologiques extrêmement impor- tantes sur le rôle des poumons, du foie et des reins. Il a encore découvert l'existence d’une veine porte propre aux capsules surrénales chez tous les vertébrés allantoïdiens ovipares. Enfin, relative- DE PIERRE GRATIOLET. 425 ment à ces Corps surrénaux, c’est à son initiative que l’on doit le renversement des hypothèses mises en avant sur le prétendu rôle fondamental de ces organes singuliers. « Gitons encore quelques recherches intéres- santes sur le système vasculaire des mollusques, où Gratiolet se refusait à voir le signe d’une dé- gradation sériale; sur le système vasculaire des bradypes, de l’hippopotame; sur l'organe de Ja- cobson, l’os intermaxillaire, la reproduction des _hélices, le développement du crâne en l'absence du cerveau, etc., et arrivons immédiatement aux beaux travaux qui ont fait et assureront sa gloire, à ses travaux sur le système nerveux. « Des études sur un ensemble d'organes qui jouent dans les corps animés un rôle primordial etsi merveilleux convenaient admirablement à son esprit philosophique. Aussi a-t-il étudié le Sys- tème nerveux à tous les points de vue : zoologi- que, anatomique, physiologique et psychologique. « Quelques mots d’énumération seulement. Au point de vue zoologique, Gratiolet à appliqué à la recherche des types mammifères les considérations tirées de la composition de l’encéphale et de la disposition des circonvolutions cérébrales, dont 24. 426 TRAVAUX SCIENTIFIQUES l'un des premiers il a démontré l'importance. Il a été ainsi conduit à formuler les lois qui président à la complication de ces sinuosités dans la série mammalogique, et l'étude des empreintes qu’elles laissent sur la voûte osseuse du crâne lui a permis de déterminer la place zoologique de certains ani- maux fossiles, ou même d'en découvrir de nou- veaux. « Au point de vue anatomique il a, en même temps que R. Wagner, découvert la communica- tion qu’ont entre elles les cellules de la moëlle épinière; il a démontré l'épuisement d’arrière en avant, et la renaissance continuelle des fais- ceaux postérieurs de cet organe, fait capital en physiologie. Suivant dans l’encéphale l’épanouis- sement de la moelle épinière, il y a étudié la transformation de ses différentes parties, et à _montré qu’à. cette moelle épinière, qui constitue le noyau encéphalique, se superposent trois organes de centralisation : cervelet, tubercules optiques, cerveau. Gelui-ci fut surtout l’objet de ses médi- tations. Il décrivit dans la composition de ses hé- misphères six systèmes de fibres nerveuses, dont un, propre à l’homme et aux singes, provient du nerf optique. Enfin, dans son magnifique travail DE te se GRATIOLET. 427 sur les plis cérébraux de l’homme et des primates, il établit entre eux une identité typique complète, mais avec un ordre de développement embryolo- gique totalement différent. . « Dans ce mémoire encore, il est amené à la conception d'un système nouveau de localisation cérébrale qu'on peut résumer par ces mots : que le cerveau, un par rapport à l'âme, est multiple eu égard aux différents appareils du corps. Par les considérations vers lesquelles Gratiolet aimait dans cette voie à se sentir attiré, la psychologie se confond avec la physiologie. Aussi toute une partie de son livre célèbre sur l'anatomie comparée du système nerveux dans ses rapports avec l’in- telligence est consacrée à une analyse comparée des fonctions de l'intelligence humaine: analyse nouvelle, où les plus ardus problèmes de la méta- physique et de la psychologie sont abordés avec une aisance pleine de grandeur, exposés dans un style toujours clair et tour à tour concis ou bril- lant des plus riches couleurs, où l’observation dé- licate du naturaliste se mêle à la puissante analyse du philosophe et aux aspirations poétiques d’un esprit profondément religieux. « Cet amour pour tout ce qui se rattache à PAL à UE séés: cal date, | 11 498 TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE PIERRE GRATIOLET. l’étude de l’homme en tant qu’être sensible et in- telligent fit de Gratiolet l’un des membres les plus actifs de la Société d'anthropologie, qu'il contri- bua à fonder. Il enrichit ses Bulletins de mémoires d’une importance capitale sur la manière dont s’oblitèrent les sutures crâniennes chez les diffé- rentes races humaines, sur la microcéphalie con- sidérée dans ses rapports avec la question des ca- ractères du genre humain, sur les circonvolutions crâniennes des races inférieures, sur les rapports duwvolume du cerveau avec le développement de l'intelligence, etc.; grandes, immenses questions, à la hauteur desquelles il s'élevait sans eflorts, car il était semblable à ces oiseaux de haut vol qui, nés pour planer, nagent dans l'atmosphère lumineuse, sans qu’on voie même remuer leurs ailes. » INDEX BIBLIOGRAPHIQUE DES TRAVAUX DE GRATIOLET 1839-1865 4. — Observations sur un cas d'absence pres- que complet des hémisphères cérébraux, coïn- ” cidant avec une conformation régulière du crâne. (Ann, franc. et étrang. d'Anat. et de Physiol., t. IIL, p. 180, 1839.) , 2, — Mémoires sur les scissures anomales de la bouche, et sur le bec de lièvre en particulier. (Ann. franc. et étrang. d’Anat. et de Physiol., t. III, p. 193, 1840.) - 3. — Note sur l'existence et la composition de l'os intermaxillaire dans l’homme. (Ann. franc. et étrang., t. IT, p. 207, 1840.) h. — Recherches sur l’organe de Jacobson. (Thèse pour le doctorat en médecine, in-h, avec quatre planches, 1845.) 5. — Sur les zoospermes des hélices et sur les D Poe ASE 430 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE métamorphoses qu'ils subissent dans la vésicule copulatrice, où 15 ont été Géhosés pendant l'ac- couplement. (Journal de conchyliologie, t. T°”, p. 116 et 236, 1850.) 6. — Mémoire sur les plis cérébraux de l'homme et des primates, in-4, avec un atlas de treize planches in-folio, 1854. 7. — Mémoire sur l’organisation du système vasculaire de la sangsue médicinale et de l'aulas- tome vorace, pour servir à l'histoire de la circu- lation du sang dans les hirudinées bdelliennes. (Comptes rendus de l'Acad. des Sciences, t. XXXT, 4850.) Thèse pour le doctorat ès-sciences, 1862, in-h. avec planche. 8. — Observations sur la végétation des plantes submergées (en commun avec M. Cloëz). (Comptes rendus, t. XXXI, 1850, et Annales de Chimie et de Physique, troisième série, t. XXXI, 1550.) 9.— Observations sur les propriétés vénéneuses que présente l'humeur lactescente sécrétée par les pustules cutanées des batraciens (en commun avec M. Cloëz). (Comptes rendus de l’Acad., t. XXXIL et t. XXXIV, 1851-1852.) 40. — Recherches sur le système veineux des reptiles, et sur quelques points de leur système artériel, (Journal l’Institut, t. XXI, p. 60, 1853.) DES TRAVAUX DE GRATIOLET, 431 11. — Note sur la veine porte rénale des oi- seaux, et sur la découverte d’une veine porte dans leurs capsules surrénales. (Journal lIn- stitut), t. XXI, p. 386, 1853.) 12. — Note sur l'existence de réseaux admira- bles analogues à ceux que présentent les artères des membres des bradypes et de certains lému- . riens, dans ja région palmaire de l'aile des chauves-souris et dans le pied de quelques rongeurs. (Journal l'Institut,t. XXI, p.433, 1853.) 13.— Sur la structure intime de la moelle épi- nière, (Journal l'Institut, t. XX, p. 272. 1852.) 44. — Comparaison du noyau de l’encéphale et de la moelle épinière. (Journal l Institut, t. XX, p. 373, 1852.) 15.— Mémoire sur l'anatomie de la térébratule australe. (Comptes rendus de l’Acad., t. XXXWII, 1853. — Journal de conchyliologie, huitième nu- méro, 1857.) 16. — Observations sur un travail de M. Da- reste ayant pour titre : « Mémoire sur les circon- volutions du cerveau.» (Comptes rendus de l'Acad., t. XXXIV. — fievue zoologique, 1852.) | 47. — Note sur la disposition des plans fibreux de différents ordres qui entrent dans la composition de l’hémisphère cérébral. (Bull. de la Société Phi- lomatique, 1854.) À oo D me SE A Cr onde mes en INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 18.— Note sur la découverte d’un plan fibreux résultant des expansions cérébrales du nerf op- tique. (Comptes rendus de l’Acad., t. XXXIX, p. 27h, 1854.) 19,—Notice sur les travaux de Souleyet. (Jour- nal de conchyliologie, t. IV, 1853.) Gette notice contient des observations inédites de Gratiolet sur l'anatomie des mollusques. 20. — Compte rendu des séances de la Société des sciences médicales pour l’année 1853. (Moni- teur des hôpitaux, 1856.) Dans ce compte rendu, Gratiolet résume deux travaux encore inédits. L'un relatif au sens de la pression, envisagé dans ses rapports avec l’organi- sation des phalanges onguéales; l’autre relatif à Thistoire physiologique des mouvements d’ex- pression, (Voir pour ce dernier travail le n° 5 de cette liste.) 94, — Mémoire sur l’encéphale des éléphants. (Comptes rendus de l’Académie, t. XL, 1853, 1855.) 29, — Mémoire sur la structure du cervelet. (Journal l'Institut, vol. XXII, p. 184.) 23, — Sur quelques particularités de la myolo- gie des singes supérieurs, et sur l’organisation de la main considérée comme organe du toucher dans ces animaux. (Bull. de la Société philomathique, p. 68, 1855.) DES TRAVAUX DE GRATIOLET. 433 2h. — Sur la composition du faisceau posté- rieur de la moelle épinière et sur la signification des petits cordons accessoires connus sous le nom de cordons médians postérieurs. (Bull. de la So- ciêté philomathique, p. 80, 1855.) 25, — Note sur les effets que détermine l’abla- tion des corps surrénaux. (Comptes rendus de d'Acad., t. XL, 1856.) 26.— Note sur le développement de la forme du crâne humain et sur quelques différences qu’on observe dans la marche de l’ossification des su- tures. (Compies rendus de dose . VOL AM p. 428, 1857.) 27. — Sur quelques différences que présente l'organisation intime du cerveau dans les animaux mammifères. (Bull. de la Société des ne p. 95, 1855.) 28. — Anatomie comparée du cerveau de . l’homme et des singes, un vol. in-8, avec atlas de dix planches in-folio, 1857, Paris. 29.— Mémoire sur la microcéphalie considérée dans ses rapports avec la question des caractères du genre humain. (Wémoïres de la Société d'an- thropologie, t. 1, 1860.) 30.— Description de l’encéphale d'un animal fossile, le cainotherium commun. iso l'Inst., t. XXVI, p. 95, 1858.) [a Qt INDEX BIBLIOGRAPHIQUE. 31. — Note sur l’encéphale de l'oreodon gra- cilis. (Journal l’Institut. t. XXNIT, 1859.) 32. — Note sur un fragment de crâne trouvé à Montrouge, près Paris. (Bull. de la Société géol. de France, t. XV, p. 620, 1859.) 33. — Études anatomiques sur la lingule ana- tine. (Journal de conchyliologie, 1860.) 3h.— Note sur l’encéphale du gorille. (Comptes rendus de l’Acad., t. L, 1860.) 35. — Mémoire sur le système vasculaire de l'hippopotame. (Comptes rendus de l Acad. t. LT, 1860.) 36. — Mémoire sur l’encéphale de lhippopo- _tame. (Comptes rendus de l’Acad,, 1. ‘EH, 1860.) 37. — Recherches relatives aux mouvements de rotation sur l'axe du corps que déterminent certaines lésions du cervelet. (Comptes rendus de l’Acad., t. LI, 1860.) 38. — De la génération spontanée depuis 1858. (Moniteur scientifique du docteur Quesneväle, n° 80, 15 avril 1860.) 39.—Sur un crâne d'idiot. (Bull. de la Société d'anthropologie, t. IN, p. 194, 1863.) 0. — Sur un crâne de Totonaque. (Bull. de la Société d'anthropologie, t. I‘, p. 562, 1860.) h1.— Description d’un crâne de Mexicain Toto- = the dipnaten h af 7 me + PPS MR NEO EL CAR AMONT ENT 435 naque. (Mém. de lu Société d'anthropologie, t. K°, p. 300, 1863.) 12. — Mémoire sur la structure des hémis- phères cérébraux dans l’homme et dans les pri- mates. (Comptes rendus de l'Acad., t. XL. 4855.) A3. — Note sur la structure du système ner- veux. (Comptes rendus de l’Acad., t. XLI, 1855.) h4. — Comparaison du bras et de la main de l’homme avec l’avant-bras et la main des grands singes. (Comptes rendus de l'Acad., t. LIX, 1864.) A5. — Observations sur un jeune rorqual. (Comptes rendus de l’Acad., t. LH, 1861.) A6. — Notice historique sur Félix Dujardin, lue le 5 avril 1864, à la séance annuelle de la Société des Amis des sciences. A7. De l’homme et de sa place dans la créa- tion. Conférence de la Sorbonne. (Revue des cours scientifiques du 19 mars 1864. — Revue germa- nique, n° d'avril 1864.) | A8. — Observations sur le poids et la forme du cerveau. (Bull. de la Société d'anthropologie, 1864 passim.) A9. — Sur la région du front chez l’homme et les singes anthropomorphes. (Bull. de la Société d'anthrop., t. V, p. 653, 1864.) 50, — Lettre au rédacteur du Moniteur srien- 25, Pre > cri. As} (DT rase tif Sea res TE NTS Je +: "SR R LAURE 1 Rule 0 Le AT nage se À MN Er _ s 436 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE. Lifique-sur la théorie de M. Thury, relative à la loi de création des sexes. (Moniteur scientifique du docteur Quesneville, vol. VI, p. 39, 1864.) 51. — Sur la physionomie en général et en particulier sur la théorie des mouvements d’ex- pression, Conférence de la Sorbonne. (Revue des cours scientifiques, n° du 11 février 1865.) Gette leçon est l'introduction d’un livre que Gratiolet était sur le point de publier. L'avant- veille de sa mort, il entretenait son ami Hetzel de cette publication qu'il projetait depuis plusieurs années déjà. C'est le manuscrit de cette œuvre importante qui, retrouvé complet dans ses pa- piers, constitue le présent livre. 52, — Mémoire sur l'anatomie d'une nouvelle espèce de singe anthropomorphe, de chimpanzé. En collaboration avec M. le D: Alix. Ce travail, complétement terminé au moment de la mort de Gratiolet, est en cours de publication dans les nouvelles Archives du Muséum. | } | | : Î : L ANR RENTE A en sn os DE LA PHYSIONOMIE ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION PRÉFACE DES ÉDITEURS . . . … . . . À... CONFÉRENCE. SUR LA PHYSIONOMIE EN GÉNÉRAL. : à « . . 1e parRTIE. Des mouvements périphériques considérés d’une manière générale ART RE ae à 0 à Des changements dans la coloration de la peau. Des mouvements d'expansion et de sécrétion. Des variations qui modifient la température des DRASS ST et 4: SN Re Des changements qui modifient ou altèrent les SÉGTÉHONS LES EN PTS Des mouvements musculaires, des mouvements consécutifs et des mouvements passifs. . Du souffle et de ia voix. .". . . PNEU RE ee 0 De quelques autres mouvements respiratoires. , Des mouvements spasmodiques. . . . (IV TE NE. De quelques bruits résultant du tremblement des peaussiers . . RL Sn 6 nie sr e TABLE. Pages. De l’action et de la Sensation en général. . . De l'application de l’oreillé. . . . . … . . De l'emploi du nez De l'application de læbouche. De l'application du toucher. . . + + . . . Du corps tout entier en tant qu’organe du tou- (ui Nes de APE PONES | NUM QUES sens cutané. 41.0." » Du toucher en tant que sens de résistance. . . Du toucher en tant que sens appréciateur de la Gin SR RCE" ÆNS Ie parTie. Des mouvements sympathiques . IIIe parTIE. Des mouvements symboliques. . NOTICE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX DE PIERRE GRATIOLET . TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE PIERRE CGRATIOER. : : un 141 148 451 156 170 171 181 192 PARIS, — Jj. CLAYE, IMPRIMEUR, RUE SAINT-BENOIT, de | \ COLLECTION TERALZEE 18, RUE JACOB Beaux volumes in-18 à 3 francs JEAN MACÉ. — HISTOIRE D'UNE BOUCHÉE DE PAIN..l Vol. — L’ARITH- MÉTIQUE DU GRaND-Para, hislotre de deux pelits marchands de Pommes. 1 vol. 6e édition. (1 fr.) — CONTES Du, PETIT-CHATEAU. 1 vol. — THEATRE DU PETIT-CHATEAU. 4e édition. (2 fr.) 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