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DEUX

CANDIDATURES

L'ACADEMIE FRANÇAISE

BfBLIOTHECA Otttvu

CHARLES BAUDRLAIR]

en 1861.

A. DE VIGNY

ET

CHARLES BAUDELAIRE

CANDIDATS A

L'ACADÉMIE FRANÇAISE

ETUDE PAR

ETIENNE CHARAVAY

PARIS. CHARAVAY FRERES EDITEURS

5l RUE DE SEINE 5l 1879

■£4- 1,

A MON AMI

ALFRED BOVET

A ALFRED BOVET

Mon cher Ami,

Ce livre est constitué d'après des documents con- servés dans votre cabinet. Permettez-moi de le dire, d'abord parce que c'est faire acte de justice, ensuite parce qu'en histoire, vous le sav&ç, il faut citer ses sources. Je vous rends donc grâces d'avoir mis à ma disposition les correspondances du baron Guiraud et de Charles Baudelaire avec Alfred de Vigny, et les curieux vous sauront gré de votre libéralité.

L'étude qui a pour base vos documents est divisée en deux parties. Dans la première j'ai raconté, d'après les lettres du baron Guiraud, les vicissitudes diverses

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de la candidature d'Alfred de Vigny à l'Académie française, de son élection et de sa réception, restée fa- meuse. Dans la seconde j'ai exposé les phases bigarres de la candidature de Charles Baudelaire aux fau- teuils de Scribe et du Père Lacordaire. La correspon- dance du candidat avec Alfred de Vigny m'a cette fois servi de guide. Dans les deux parties, c'est l'Académie qui est en cause, et les documents publiés nous initient aux mystères des élections. Ce sont là, dira-t-on, les in- finiment petits de l'histoire littéraire. Assurément }mais ces petits côtés ne doivent pas être négligés. Il n'y a de vrai en histoire que l'anecdote, a dit Mérimée. No- tre siècle est celui de l'indiscrétion. On veut savoir par le menu ce qu'ont fait les personnages célèbres; on les dévoile sans vergogne. Tant pis pour ceux qui ne ga- gnent pas à être connus! Parfois on crie au scandale. Que voulez-vous? Quand un homme, par ses actes ou par ses écrits, devient célèbre, il appartient à l'histoire et doit s'attendre à être étudié intimement de son vivant ou après sa mort. Quand on a les avantages de la célébrité, il faut en subir les inconvénients.

Cette passion d'investigation à outrance a eu, au moins, pour résultat d'attirer l'attention des érudils et des historiens sur beaucoup d'objets ou de faits dédai- gnés jusqu'alors. Avec les bibelots on a reconstitué

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l'histoire intime de nos pères ; avec les autographes on a redressé les erreurs si nombreuses des biographes et des historiens. Vous, mon cher ami, qui êtes un curieux, un délicat, vous saveç combien la lecture de certaines correspondances en apprend davantage sur le carac- tère et sur la vie d'un personnage que toutes les biographies du monde. Un chercheur tel que vous devient le confident des hommes célèbres. Que de côtés intimes vous ont été révélés, et comme on comprend mieux les ouvrages d'un écrivain à mesure qu'on con- naît tnieux sa vie!

Mais c'est peine perdue que d'insister sur une idée qui vous est si familière. Revenons, si vous le voule^ bien, aux documents que vous m'ave^ communiqués. J'ai besoin de vous dire combien ces épisodes littéraires des dernières luttes romantiques m'ont intéressé, com- bien j'ai pris plaisir à retracer quelques traits de la sympathique figure du baron Guiraud, si inconnue de notre génération. J'ai suivi volontiers dans ses excur- sions académiques, l'auteur i'Éloa; j'ai écouté les sages conseils et les témoignages d'amitié que le vieux et encore ardent poète gascon prodiguait au noble candidat. J'ai vécu, en quelque sorte, dans ce monde littéraire, si vieilli, si oublié. Puis, brusquement, les lettres de Baudelaire m'ont rejeté dans les luttes

modernes. Quel singulier homme que ce Baudelaire ! mais, quel esprit rare et pénétrant! quelle intelligence aiguisée! L'aventure de sa candidature à l'Académie méritait d'être contée comme un des traits de caractère les plus bigarres de cet écrivain. J'ai recueilli, de la bouche même de ceux qui l'ont connu, quelques anec- dotes qui feront suffisamment sentir cette recherche de l'horrible, cette affectation malsaine d'étrangeté qui ont tant nui à la mémoire de Baudelaire. Vous répu- die^, comme moi, ces tristes défauts, mais vous ave? l'esprit trop élevé pour ne pas reconnaître le singulier talent du poète, et les Fleurs du Mal figurent dans votre bibliothèque de poètes contemporains au-dessous des œuvres de Lamartine, de Victor Hugo, de Sainte- Beuve, de Musset et d'Auguste Barbier.

C'en est asseç, mon cher ami. Si vous preneç quelque ragoût, comme disait Baudelaire, à la lecture de ce petit ouvrage, ma peine n'aura pas été perdue. Vous apprécierez, j'espère, les vignettes qui illustrent le volume et les essais d'innovation réalisés par Fernand Calmettes , qui nous est cher à tous deux; il vous montre en tête de cette lettre un des coins de l'île mo- rose où les anciens hôtels du quai d'Anjou dressent leurs façades noircies; c'est que Baudelaire vint réfugier sa mélancolie. Vous sente^ tout ce qu'il

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y eut d'harmonie entre la vague langueur de ce lieu solitaire et le cœur désolé du poète. Par sa morne lenteur, la Seine inspire une tristesse profonde comme ses eaux; qui dira quelles lugubres rêveries elle suscita au poète, de quelle morbidesse elle remplit son âme malade, quelle puissance attractive elle exerça sur ses sens énervés? C'est que Baudelaire avait un don d'ob- servation très-vive, et son génie impressionnable ne se complaisait que dans les visions douloureuses. Tout autre était Vigny ; constamment enveloppé d'un rayon- nement idéal, il n'entrevit jarnais qu'un inonde illu- miné, ennobli par une contemplation supérieure. Cette puissance d'idéalisme lui rendit inoins pénible la mé- diocrité de sa demeure. Son instinct de gentilhomme l'avait conduit près les Champs-Elysées et le fau- bourg Saint- Honoré, dans le quartier du sport et des élégances, mais la modicité de son avoir lui imposa une maison fumeuse, entre le bruit des industries, l'odeur du restaurant et la poussière du charbonnier. Il n'en aima pas moins sa vieille maison de la rue des Écuries-d'Artois; et dans cette retraite, dont vous pour- rez juger la triste apparence par le dessin qui termine cette lettre, rien n'altéra la belle sérénité du poète. J'ai mis à profit aussi, et non pour la première fois, l'expérience et le savoir littéraires de mon plus vieil

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ami, Anatole France. Qu'il reçoive ici, lui aussi, mes sincères remer ciment s. Enfin, je dois à l'amitié et à l'obligeance de M. Maurice Tourneux le portrait de Baudelaire que j'ai fait reproduire en héliogravure.

Et maintenant que j'ai rendu grâces à qui de droit, excusez-moi, mon cher ami, d'avoir abusé ainsi de votre attention. Retourne^, sans plus tarder, à vos maîtres bien-aimés, Tœppfer et Dickens, tandis que je vais me plonger de nouveau dans les chroniques et dans les documents du quinzième siècle.

ETIENNE CHARAVAY.

PREMIERE PARTIE

PREMIERE PARTIE

L'ACADEMIE FRANÇAISE EN MDCCCXLII

Au commencement de l'an de grâce 1842 l'Académie française comptait trente-neuf membres, dont les doyens étaient Chateau- briand, qui partageait sa vie entre le coquet arrangement de ses Mémoires et l'illustre amitié de Madame Récamier, et l'historien Charles de Lacretelle : tous deux avaient été admis dans le cénacle en 181 1. Les trente-sept

autres académiciens pouvaient être classés dans les genres littéraires suivants :

Poésie dramatique, neuf membres : Jouy, l'auteur de Tippoo-Saïb, dont Talma créa le principal rôle; Baour-Lormian, si plaisanté de son vivant, si oublié après sa mort, malgré ses imitations du Tasse et d'Ossian et son chef- d'œuvre tragique Omasis, qui le fit considérer comme un digne successeur de Racine ; Alexandre Soumet, le chantre de Jeanne d'Arc ; Casimir Delavigne, déjà sur son déclin; Charles Brifaut, père de deux tra- gédies, dont l'une, Ninus II, avait été, en 1814, un événement littéraire; le baron Alexandre Guiraud, tout à la fois élégiaque, tragique et mystique; Pierre-Antoine Lebrun, fier des lauriers déjà secs de sa Marie Stita)%t ; Viennet, maçon et pair de France, farouche adversaire des romantiques ; Ancelot, deux fois dramatique, par lui-même et par sa femme.

Comédie, cinq membres : Alexandre Duval, longtemps fournisseur en vogue des théâtres

et rival de Picard et d'Andrieux ; Roger, auteur de X Avocat, un des favoris de la Restauration \ Etienne, célèbre par ses Deux Gendres et par les persécutions qu'il essuya, comme libéral, sous la Restauration \ Eugène Scribe, toujours facile, toujours heureux, et mariant les cousins aux cousines pour le plus grand plaisir des bourgeoises sen- timentales ; Emmanuel Dupaty, vaudevil- liste, qui avait obtenu, dans un genre plus grave, un éclatant succès par son poème des Délateurs.

La poésie pure était représentée par les deux génies du siècle : Lamartine et Hugo. Puis venaient Vincent Campenon, un des chantres du premier Empire, Pongerville, fier, mais étonné d'avoir eu la hardiesse de traduire un poète aussi mal pensant que Lucrèce, et Tissot, suc- cesseur de Delille dans la chaire de poésie latine.

Villemain, Cousin et Guizot, les gloires de la littérature française dans la première moitié de ce siècle, étaient, dans l'Académie, avec

Royer-Gollard et Charles Nodier, les sévères gardiens de la langue.

L'histoire comptait sept représentants : Droz, qui a étudié la société française sous Louis XVI ; Barante, pâle imitateur de Froissart; le général Philippe de Ségur , qui a retracé les horreurs de la campagne de Russie ; Adolphe Thiers ; Salvandy, écrivain politi- que, dont YHistoire de Pologne sous Sobieski est traitée avec plus d'éloquence que d'exacti- tude; — Mignet, l'habile et clair historien de Philippe II et de Marie Stuart; le comte de Sainte-Aulaire, qui s'occupa, avant Cousin, de l'époque troublée de la Fronde.

La critique littéraire était plus particulière- ment représentée par l'abbé de Féletz ; l'élo- quence politique par Dupin aîné et par le comte Mole; le journalisme par Jay et la science par Flourens.

Le secrétaire perpétuel était, depuis 183.4, l'illustre Villemain.

Le dernier élu était le comte de Tocqueville,

Fauteur de la Démocratie en Amérique, qui, le 23 décembre 1841, avait remplacé Lacuée de Cessac.

Un fauteuil vaquait, celui de Tévêque Frays- sinous(i), décédé le 12 décembre 1841. Le g jan- vier 1842 la mort d'Alexandre Duval (2) créa une seconde vacance. Les compétiteurs ne man- quaient pas; car s'il était de mode, parmi les gens de lettres, de se moquer volontiers des académiciens, on n'en quêtait pas leurs places avec moins d'ardeur ; tel qui affectait du mépris pour les immortels séchait de dépit de ne pouvoir siéger à côté d'eux.

(1) Denis-Antoine-Luc, comte Frayssinous, évêque d'Hermopolis, grand-maître de l'Université sous la Restauration, à La Vayssière (Aveyron), le 9 mai 1765, avait remplacé l'abbé Sicard le 27 juin 1S22.

(2) Alexandre-Vincent Pineux, dit Duval, à Rennes le 6 avril 1 767, avait été élu le S octobre 1812 en remplacement de Gabriel Le Gouvé.

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CANDIDATURE D'ALFRED DE VIGNY

Il y avait alors, dans le monde littéraire, un gentilhomme de vieille souche qui, après avoir, par droit de naissance, servi dans la maison du Roi, avait quitté l'armée pour raison de santé, peu avant la révolution de Juillet. Plus propre à manier la plume que l'épée, il était devenu homme de lettres et avait, par des œuvres poétiques remarquables, par des romans de grand style, par des drames touchants, imposé à un nom honorable mais obscur une illustra- tion dont il était fier. Ce poète gentilhomme s'appelait le comte Alfred de Vigny. Il avait alors quarante-cinq ans, étant à Loches, en Touraine, le 27 mars 1 797 ( 1). Le chantre d'Éloa, l'auteur de Stello désirait, non sans raison, en- trer à l'Académie française ; il pensait avoir plu-

(1) Cf. Alfred de Vigny, par Anatole France; Paris, Bachelin- DeHorenne, 1868,111-1 S. Cette- remarquable étude est une des premières œuvres de critique littéraire de mon ami, le poète Anatole France. Voir aussi le Journal d'un poëte, publié sur les manuscrits d'Alfred de Vigny par son ami et exécuteur testamentaire, M. Louis Ratis- bonne; Paris, Michel Lévy, 1867, in-12.

sieurs titres à cet honneur; il était gentilhomme, et l'Académie, on le sait, aime les hommes bien nés ; comme poète et comme écrivain, il jouis- sait d'une réputation distinguée ; ses Œuvres complètes avaient récemment paru chez Char- pentier, l'éditeur à la mode, consécration nouvelle de la célébrité de l'auteur; enfin Vigny comptait dans l'illustre compagnie des amis bien chers, Charles Nodier et Victor Hugo, entre autres. J'allais oublier de dire que le futur candidat collaborait à la Revue des Deux Mondes depuis sa fondation, en i83i, et, dès lors comme aujourd'hui, les écrivains de la Revue étaient promis à l'immortalité. Plusieurs amis du comte le pressaient vivement, d'ailleurs, de se mettre sur les rangs et de commencer ses visites. Parmi ces amis était le baron Alexandre Guiraud qui, depuis 1826, siégeait à l'Académie française, Guiraud, poète tragique, qui ne connut au théâtre que les succès d'estime, mais fut le favori des salons de la Restauration et devint populaire par ses Elégies savoyardes,

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hôtesses obligées de toutes les anthologies. Cet académicien va remplir dans ce récit un rôle si considérable, et, d'autre part, il est si oublié de la génération présente, que je juge utile d'esquisser rapidement sa biographie :

Pierre-Marie-Jeanne-Thérèse-Alexandre Gui- raud, à Limoux (Aude) le 24 décembre 1788, fils d'un riche fabricant de draps, étudia le droit à la faculté de Toulouse. Il revint diriger les manufactures paternelles : ces soins industriels ne l'empêchèrent pas de cultiver les lettres et d'obtenir des couronnes poétiques à l'Académie des jeux floraux. Dès lors la carrière de Guiraud fut décidée ; le jeune poète abandonna ses ma- nufactures et vint à Paris en t8i3. il composa trois tragédies, Frédégonde et Bru- nehaut, Myrrha et Pelage, qui ne furent jamais représentées. C'est en 1822 qu'il aborda pour la première fois la scène de l'Odéon, avec ses Machabées, tragédie en cinq actes et en vers. Guiraud, esprit religieux, royaliste convaincu, s'était proposé de défendre dans ses pièces

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la religion, la morale et la légitimité, trop souvent attaquées.

Les Machabées, qui devaient, dans la pensée de l'auteur et de ses amis, donner au public parisien le goût des œuvres sérieuses et saines, n'obtinrent qu'un succès médiocre (i). Guiraud, toujours guidé par le désir de contribuer à l'édification de ses contemporains, répondit à ses adversaires par la représentation d'une nouvelle tragédie, le Comte Julien ou l'expia- tion. Hélas ! malgré certaines qualités de pas- sion, cette pièce ne fut guère plus goûtée que la première. On connaît la vogue extraordinaire des Elégies savoyardes , qui furent suivies d'une ode intitulée Cadix ou la délivrance de l'Espagne, des Chants hellènes, des Poèmes et Chants élégiaques, publiés en i8'23 et en 1824. L'année suivante, en bon royaliste, il collabora avec Ancelot et Soumet à un opéra, Pharamond, triste et éphémère produit officiel que fit naître

(1) Cf. aux Pièces justificatives, i, une lettre de Guiraud au ministre sur cette tragédie des Machabées.

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le sacre de Charles X. Guiraud, nommé che- valier de la Légion d'honneur, ne tarda pas à recevoir une consécration plus flatteuse encore de sa renommée littéraire, par son admission à l1 Académie française. Il succéda le 1 1 mai 1826 à un gentilhomme de vieille race, au duc Mathieu de Montmorency, un des fidèles de Madame Récamier. Deux nouveaux ouvrages, un poème, le Prêtre, une tragédie, Virginie, jouée au Théâtre-Français en 1827, furent une sorte de remerciement du nouvel académicien à ses collègues. Le 17 mars 1827 Charles X conféra le titre de baron à celui qui avait célé- bré son avènement au trône.

La révolution de Juillet frappa douloureu- sement Guiraud dans ses sentiments les plus intimes. Il chercha la consolation dans l'étude et dans la méditation. Il publia tout d'abord un roman psychologique, Césaire. qui portait ce sous-titre caractéristique : révélation. Césaire fut accueilli avec distinction dans les salons aristocratiques, qui cherchaient dès lors toutes

(&*&* i3 ^s>s les occasions de marquer leur opposition au régime nouveau. Deux odes, la Communion du duc de Bordeaux et les Deux Princes, qui parurent en i83'2, témoignèrent delà fidélité de Fauteur à ses principes légitimistes. Cette der- nière ode avait été inspirée par la mort du duc deReichstadt. Ensuite Guiraud écrivit, en 1834, un ouvrage politique, De la vérité dans le système représentatif, en iS35, un roman religieux, Flavien, ou Rome au désert, en i836, des Poésies dédiées à la jeunesse, et, enfin, de 1839 à 1841, une Philosophie catholique de l'histoire, en trois volumes in-8, du mysticisme le plus outré (1).

En 1842 Guiraud avait retourner dans son pays pour diriger ses usines, qui avaient été mal gérées et lui valaient une série d'inter- minables procès. Quoiqu'il fût, ainsi qu'il le constatait lui-même, transformé d'académicien

(1) Cf. dans le Journal des Débats, n°s du 19 décembre 1841 et du 6 février 1842, deux articles de Saint-Marc Girardin sur ce livre sin- gulier, bien digne de l'oubli il est tombé.

en mécanicien, il ne pouvait oublier les belles- lettres, dont la culture avait honoré sa vie, et du château de Villemartin il correspondait avec ses amis. Malgré ses tragédies il n'avait pas été hostile au mouvement romantique; il avait même une certaine sympathie pour quelques- uns des novateurs et il la témoignait à l'oc- casion (1). Il aimait le talent et la personne d'Alfred de Vigny, qu'il engageait fortement à se présenter à l'Académie, et auquel il adressa, le 20 janvier 1842, la lettre suivante :

« Vous mettez-vous sur les rangs, cette fois, mon ami? Ballanche et vous, voilà mes deux candidats ; la belle prose et la belle poésie : l'Académie ne perdra rien à la mort de MM. de Frayssinous et Duval. Ce sera tout profit. Si vous vous présentez, faites dire à Lamartine,

(1) Cf. pour la biographie du baron Guiraud : L'Institut de France, par Alfred Potiquet ; Paris, Didier, 187 1, in-8; Notice biogra- phique sur la vie et les travaux littéraires du baron Guiraud; Paris, 1845, in-8 de 1 1 pages; —Journal d'un poète, publié par Louis Ratisbonne; Paris, Michel Lévy, 1867, in-12; Discours de récep- tion de J.-J. Ampère; Paris, 1848, in-4. Voir aux Pièces justifi- catives, n° 11, le jugement d'Alfred de Vigny sur Guiraud.

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par vos amis de la rue de Grenelle, que ses candidats de poche passeront peut-être plus tard, mais qu'ils doivent se ranger devant vous et Ballanche. Mais surtout, si ma voix vous est nécessaire, tâchez d'obtenir que vos amis fassent retarder l'élection jusqu'en avril, après la réception de M. de Tocqueville (i). Je ne puis pas sortir de mon volcan plus tôt.

« Entrez donc maintenant, et surtout, pré- sentez-vous; on n'entre pas dans notre salon sans cela. Cest presque toujours au plus obstiné. Quand vous serez introduit, vous trouverez que ce n'était pas la peine de frapper à la porte tant de fois. Mais que voulez-vous ? avec tous les éléments nécessaires pour constituer un corps important, une sorte de Chambre intellec- tuelle, nous ne sommes jusqu'ici que d'agréables discoureurs. Venez donc à notre aide, quelques- uns, et nous vivifierons un peu ces catacombes littéraires en y introduisant le jour et le bruit.

(i) La réception de M. de Tocqueville était fixée au 21 avril 1842.

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« Adieu, mon ami, cela vaut mieux que mon confrère, et ne se ressemble pas souvent le moins du monde. Veuillez faire agréer mes hommages à Mm0 de Vigny.

« Votre ami affectionné

« Château de Villemartin,près Limoux, 20 jan- vier 1842. »

Alfred de Vigny posa donc hardiment sa candidature au fauteuil de Frayssinous, se réservant, en cas d'échec, de solliciter la place de Duval. Les autres concurrents étaient le chancelier Pasquier, Ballanche, auteur d'An- tigone, et fidèle desservant de Notre-Dame de l'Abbaye au Bois, fonction qui lui valut, comme on verra, la faveur de l'Académie, le bibliothé- caire Vatout, le professeur Patin et un théo- logien, Guillon, évêque de Maroc (1). Sans plus

(1) Remarquons que tous ces candidats, sauf l'évêque de Maroc, arrivèrent successivement à l'Académie française, Vatout, le dernier, élu le ,6 janvier 1848. Vatout, ayant suivi Louis-Philippe en exil et

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tarder, Vigny commença ses visites académiques, singulière odyssée l'amour-propre du poète eut souvent à souffrir (1). S'il fut justement touché d'entendre ses propres vers récités par le vieux Baour-Lormian, aveugle et souriant, il apprit, dans l'antichambre du philosophe Royer-Collard, que parfois les vieillards ne pardonnent pas aux jeunes de les faire oublier. Eloa, Cinq-Mars, Stello, qu'importait tout cela à un homme qui disait avec ironie : « Je ne lis rien de ce qui s'écrit depuis trente ans ! » Sa visite à Chateaubriand fut peut-être encore plus cruelle, car il sut combien redoutables étaient ses concurrents : « M. Pasquier n'a rien de commun avec les lettres, avouait l'illustre vieillard; mais je le connais depuis quarante

-tant mort peu après (3 novembre iS^8), ne prononça pas son dis- cours de réception. Ce t'ait ne s'était produit encore qu'une fois, en 1776. pour Coiardeau, et il ne s'est pas renouvelé. Je ne compte pas. bien entendu, Chateaubriand et M. Emile OUivier qui, pour des considérations politiques, ne furent pas admis à prononcer de discours de réception.

(1) Vigny a eu soin de conserver les détails de ses visites. M. Ra- tisbonne a publié, dans le Journal d'un poète, quelques-unes des notes de Vigny à ce sujet. Le récit de la visite à Royer-Collard est des plus piquants. On le trouvera aux Pièces justificatives, m.

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ans, il voit souvent Madame de Chateaubriand, il est fort aimable avec nous. . . Oh ! j'y tiens peu, et je n'irais pas à cette élection si je ne devais pas voter pour le second fauteuil en même temps et mon pauvre Ballanche ; il y a soixante ans que je connais Ballanche. » Que répondre à des arguments si décisifs ? Vigny dut prévoir dès lors quel sort lui était réservé, mais il se piquait d'être soldat, il continua la lutte. Le 7 février 1842 il se rendit chez M. Thiers, qu'il trouva en habit noir, dans sa légendaire maison de la rue Saint-Georges, au milieu d'objets d'art de toute espèce. Il fut éconduit avec estime; Thiers était lié pour cette fois envers le chancelier Pasquier , un confrère politique, et envers Ballanche, qui l'intéressait par sa misère. Il n'en promit pas moins à Vigny sa voix pour les élections suivantes.

Cependant le jour du scrutin approchait : il était fixé au jeudi 17 février. Le jour consacré par les anciens à Jupiter a été réservé aux réunions des membres de l'Académie française,

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la plus olympienne des Académies. La Revue des Deux Mondes, dans son numéro du i5 fé- vrier, recommanda pour l'un des deux sièges vacants son éminent collaborateur (1). La veille même de l'élection Cuvillier-Fleury examina dans le Journal des Débats les titres des can- didats et consacra deux colonnes au plus jeune, Alfred de Vigny, « écrivain sérieux, réfléchi et laborieux, au milieu des plus grands excès de la littérature facile, poète et penseur profond, conteur pathétique et entraînant (2). » Rien n'y fit : au premier tour de scrutin le chancelier Pas- quier, tout étranger aux lettres qu'il fût, s'assit majestueusement dans le fauteuil de l'évêque d'Hermopolis, et le bon Ballanche recueillit la succession d'Alexandre Duval, plutôt par com- misération pour son âge et ses maux qu'à cause de son Antigonefi). Vigny n'obtint que huit voix!

(1) Cf. dans les Pièces justificatives, iv, le texte de l'article de la Revue des Deux Mondes.

(2) Journal des Débats du 16 février 1S42.

(3) II y avait 32 votants et la majorité absolue était de 17. Pour le fauteuil de Frayssinous le chancelier Pasquier fut élu par 23 voix

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La Repue des Deux Mondes, dans son numéro du Ier mars 1842, enregistra le résultat de l'élection dans les termes suivants :

« L'Académie française a nommé les succes- seurs aux fauteuils laissés vacants par la mort de M. Frayssinous et de M. Alexandre Duval. C'est M. le baron Pasquier qui remplace M. Tévêque d'Hermopolis; c'est M. Ballanche qui hérite de M. Duval. L'élection de M. Alfred de Vigny se trouve donc ajournée ; nous espé- rons toutefois que l'Académie ne laissera pas longtemps hors de son sein le poëte que des titres sérieux désignent à son choix, et parmi les voix qui sont d'avance acquises à l'auteur de Stello, on peut compter, nous aimons à le croire, celles des deux nouveaux académiciens. »

Ce même jour (ier mars) mourut Roger, auteur comique, un des favoris de la Restau- ration, qui en fit un directeur général des

contre 8 données à Vigny et un bulletin blanc. Pour le fauteuil d'Alexandre Duval, Ballanche fut élu par 17 voix contre 8 données à Vatout,2 àVigny et 4 à Patin. (Journal des Débats du iyfévrier 1842.)

postes (i). Nouvelle place vacante, nouvelle candidature de Vigny , qui , débarrassé du chancelier, courtisan de la vicomtesse de Cha- teaubriand, et du pauvre Ballanche, pouvait espérer un meilleur accueil. Néanmoins un premier échec avait rendu circonspect le poète, qui fit part de ses craintes à Guiraud : celui-ci, tout absorbé qu'il fût par les machines hydrau- liques et par les procès, lui répondit en ces termes :

« Votre lettre m'affligerait vivement, mon cher Alfred, si je n'avais assez bonne idée de nos confrères, pour ne pas douter un moment de votre élection moins qu'on ne trouve encore du chancelier dans Vatout). Je ne vois pas qui Ton peut décemment vous opposer. Au reste votre admission elle-même ne me consolerait pas de la tristesse profonde je suis de ne pouvoir aller vous servir d'infime parrain. Mais

(i) Jean-François Roger, à Langres (Haute-Marne) le 17 avril 1776, élu à l'Académie en remplacement de Suard le 2S août 18 17, mort à Paris le mars 1842.

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que voulez-vous ? Le feu de mon incendie est un vrai feu d'enfer qui ne s'éteint plus ; je souf- fre là dedans comme un vrai damné. Au lieu d'être académicien, je suis mécanicien ; je passe ma vie avec des ouvriers, et mon délassement est avec mon avoué et des avocats. Il faut que je reconstruise des usines que je n'aurais jamais construites, mais que j'avais achetées en état d'aller, pensant n'avoir jamais besoin de m'en occuper autrement. Je n'ai, de la vie, été si malheureux, et vos lettres m'achèvent, Je sens que je ne remplis pas mon devoir, ni mon vœu. Ma conscience et mon amitié en souffrent éga- lement. Mais le boulet que je traine est trop lourd pour que je m'échappe un seul moment. La vie a des parties bien amères; cette année, justement, j'étais en dispositions académiques si complètes, que j'ai mon appartement au fau- bourg Saint-Germain qui m'attend depuis six mois. Mais rien ne me réussit; j'ai eu, il y a quelques vingt ans, une sorte de veine dont je n'ai pas su profiter, et depuis, je perds toujours,

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je perds à tout jeu, en tout lieu, et à tout pro- pos. Aussi je m'applaudis chaque jour davan- tage d'être devenu bon chrétien ; je ne me serais jamais assez courageusement résigné sans cela. Je ne suis pas étonné que tout ce qu'il y a de distingué parmi nous, vous porte et vous appelle ; vous leur êtes sympathique en plus d'un point. J'envie leur bonheur de pouvoir manifester leur sympathie tandis que je ne puis que vous faire la confidence de la mienne; et je sens que ce n'est pas assez, ni pour vous ni pour moi.

« Adieu, mon cher de Vigny ; plaignez moi; plaignez moi bien, car j'ai un profond dégoût de la vie que je mène ici, et le désir que j'aurais d'être avec vous en ce moment change ce dé- goût en horreur ; je soupire après la paix et les loisirs, depuis vingt ans; j'ai cru m'en rappro- cher au moyen de la vie de famille, mais je reconnais bien qu'il n'y a de repos et de paix que il n'y a plus de vie ; et le meilleur souhait qu'on adresse à ceux qui s'en vont, est

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un vœu de repos et de paix. Vous trouverez ma lettre bien décousue, c'est que mes idées le sont beaucoup. Je ne sais me prendre pour sortir du gouffre je suis tombé; et je vous demande en grâce, comme une consolation, la seule qui puisse me toucher, de réapprendre, dès le soir même, par deux mots, votre nomi- nation.

« Soumet, dont je n'avais aucune nouvelle depuis quatre mois, m'écrit une lettre désespé- rée et désespérante. Il me parle de vous donner sa place, si sa voix ne vous est pas utile. Il paraît bien souffrant (1).

« Adieu, mon ami, je ne suis bon à rien en ce bas monde, puisque je ne puis servir mes amis en quelque chose. C'est tout ce qui me restait à faire maintenant. »

Vigny, toujours inquiet, poursuivit encore Guiraud de ses doléances , celui-ci lui écrivit le 20 mars 1842 la lettre suivante :

(1) Alexandre Soumet ne mourut que le 3o mars 1845. (Cf. Jour- nal d'un poëte, p. 204.)

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« Mais vous aurez plus de i5 voix, mon ami. Maintenant que le chancelier n'est plus là, tou- tes les consciences littéraires sont libres. Vous aurez donc la majorité. Au reste, c'est tout ce à quoi peut prétendre un homme de lettres dans notre Académie. Lamartine n'en a pas eu da- vantage, Chateaubriand, à peine à la deuxième fois. Et moi aussi, tout infime que j'étais, on m'a traité avec le même honneur, tandis que les hommes sans valeur littéraire ne descendent jamais au-dessous de 22, 24 suffrages. Comme tout cela est académique ! Maintenant tous mes vœux tendent à compter dans cette majorité qui ne peut vous manquer. J'arriverai donc, à moins d'impossibilité que je n'ose, que je ne veux pas prévoir. Mais ma présence serait beaucoup plus certaine si l'Académie, pour se donner le temps de respirer, après deux élections si soudaines, renvoyait la vôtre à la fin d'avril. Alors, je n'aurais qu'à sacrifier la chance d'un procès, et je hasarderais volontiers une course d'un mois. Dans ce moment, au contraire, des cons-

tructions hydrauliques, qui n'ont d'autre direc- teur que moi, touchent à leur fin ; et mon métier d'architecte et de mécanicien, mon hor- rible métier de propriétaire d'usines, l'attente d'une foule d'ouvriers qui ont besoin que mes fermiers rouvrent leurs ateliers, d'autres affai- res encore m'attachent par des liens si tenaces et si nombreux que je ne sais, en vérité, com- ment je pourrais les briser. J'espérais ma liberté, un mois plus tôt ; et je l'aurais déjà, si notre midi n'avait voulu cette année se donner un air russe ou norvégien qui a dérangé, tout un grand mois, mes reconstructions. Voilà j'en suis, mon ami.

« Obtenez de Nodier, qui vous est tout dé- voué, qu'il propose à l'Académie de renvoyer au mois de mai, après les prix de vertu, l'élec- tion qui reste ; elle y consentira volontiers, et alors ma voix, mon influence, si faible qu'elle soit, sont à vous, vous le ^avez bien.

« De toute façon, sitôt que le jour de l'élec- tion sera fixé, annoncez-le moi, et il faudrait que

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les empêchements fussent bien puissants, si je n'allais vous apporter ma voix.

« A bientôt donc, mon cher confrère, je vous tends la main d'ici, et plus de vingt vous la tendront de plus près.

« Bon A. GUIRAUD. »

« Villemartin, 20 mars 1842. »

Si Guiraud ne fut pas, comme Vigny, un grand poète, il eut, ce me semble, un excellent caractère et un sens plus pratique. Pourquoi redouter un échec, puisque les gens de lettres font toujours antichambre alors que les hommes sans valeur littéraire, mais bien élevés, entrent de plain pied ? Je ne sais si cet argument péremp- toire toucha beaucoup le noble écrivain -, ce- pendant il recommença les visites officielles. Guizot, avec son air puritain, lui déclara avoir des engagements pour le premier tour de scru- tin et lui promit sa voix au second. Casimir Delavigne, malade, les pieds sur un tabouret chauffé intérieurement, le reçut en confrère, mais allégua sa liaison de collège avec le

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professeur Patin. Barante traita le drame de Chatterton de pièce anti-sociale. Mole parut à Vigny moqueur et léger (1). Cette dernière visite avait lieu le 25 avril. Trois jours avant le poète avait reçu une nouvelle lettre de Gui- raud, dont voici le texte :

« Mon ami, quand j'ai vu l'élection renvoyée au 5 mai, j'ai espéré un moment que je pourrais y prendre part ; et, si le fardeau d'affaires qui pèse sur moi ne s'aggravait tous les jours au lieu de s'alléger, je crois vraiment que je serais parti à la fin du mois. Mais il ne m'est plus permis déformer des projets \ tous les éléments que j'ai mis, dans ma philosophie, à la dispo- sition de Satan, semblent ligués pour justifier mes indications. Voilà maintenant nos rivières qui se font de petits Rhônes et nous ravagent comme de grands fleuves, auxquels il faut un lit de deux jours. Mes tribulations recommencent sans cesse. En vérité, je me surprends à dire

(1) Cf. Journal d'un poète, p. 195 et suiv.

quelquefois : est le galetas ?... à défaut de palais.

« Je vais écrire , mon ami, mais j'en suis honteux pour notre Académie; mais vous, que faites-vous de vos amis de la Revue des Deux Mondes? Les Cousin, Thiers, etc., qui en sont, les Mole, les Barante qui les craignent, ne pou- vez-vous vous assurer leurs suffrages dont ils doivent se trouver fort embarrassés ?

« Votre modestie vous inspire des craintes que je ne saurais partager.

« J'ai rencontré cet hiver M. Patin chez Lamartine, qui me le demanda pour futur con- frère. C'est, je crois, un professeur spirituel ; mais il n'a pas fait Stello.

« Je vais raviver en quelques-uns un peu de zèle ; mais si vous saviez combien peu nous nous laissons influencer dans nos choix littérai- res ? quand il s'agit d'un choix politique, c'est tout autre chose.

« Adieu, mon ami; il est impossible que Tocqueville et Ballanche ne soient pas pour

rg^a* 3o '=s>=S;• vous. Si j'avais dix voix à donner, toutes vous appartiendraient. Maintenant M. Patin !... je ne dis pas; mais chacun à son rang, à moins qu'on ne nous octroyé tout le conseil univer- sitaire.

« Bonne chance, mon ami ; Lamartine peut beaucoup s'il veut;Mraode Lagrange (i) veut beaucoup, si elle peut, n'est-ce pas ? Voulez- vous l'en remercier de ma part ? Adieu en- core, plaignez-moi beaucoup et pardonnez-moi un peu. « A. G. »

« Villemartin, 22 avril 1842. »

L'élection était fixée au 4 mai. Outre Vigny, les candidats étaient Patin, Vatout, Sainte-Beuve et Edouard Alletz. Le concurrent le plus redou- table était Patin (2), professeur de poésie latine à la Sorbonne, humaniste distingué et homme d'esprit, auteur d'un livre intéressant sur les

(1) Femme du marquis Edouard ue La Grange, membre de l'Insti- tut, sénateur du second empire, mort récemment.

(2) Henri-Joseph-Guillaume Patin, à Paris le 21 août 1793, mort le 19 février 1876, doyen de la Faculté des lettres et secrétaire perpétuel de l'Académie française.

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Tragiques grecs, œuvre unique de son auteur et qui devait rester telle, ou peu s'en faut. Les élè- ves de l'École normale, qui se servent beaucoup de ce livre, ont généralement l'indiscrétion d'y relever la phrase du chapeau, mémo- rable exemple de logomachie (i). Mais on peut être un éminent humaniste sans avoir le don d'écrire. Que pouvait alors la Revue des Deux Mondes contre cet universitaire éminent, ami de collège de Casimir Delavigne, protégé par tous les adversaires de la littérature dite romantique et par Lamartine lui-même ? Ce- pendant la lutte fut vive et l'élection disputée; Vigny, au premier tour de scrutin, n'obtint que six voix, tandis que Patin et Vatout en

(i) Cette phrase, qui est une curiosité littéraire, se trouve dans toutes les éditions des Etudes sur les tragiques grecs. Je l'ai copiée sur l'édition de 1842 (t. I, p. 114) et je la reproduis fidèlement comme le plus mémorable exemple de logomachie. Celui seul qui décrivit put ne pas sentir combien cette phrase est divertissante.

« Disons-le en passant, ce chapeau, fort classique, porté ailleurs par Oreste et Pylade, arrivant d'un voyage, dont Callimaque a décrit les larges bords dans des vers conservés, précisément à l'occasion du passage qui nous occupe, par le scoliaste, que chacun a pu voir suspendu au cou et s'étalant sur le dos de certains personnages de bas- reliefs, a fait de la peine à Brumoy, qui l'a remplacé par un parasol. »

@<^< 32 '=s*@ avaient chacun dix, Sainte-Beuve sept, et Alletz deux. A la quatrième épreuve seulement, Patin fut élu par vingt et une voix contre neuf don- nées à Vigny, deux à Vatout, et trois à Sainte- Beuve (i). C'était un échec honorable, qui prouvait au poète qu'il pouvait compter sur la fidélité de ses amis de l'Académie.

Guiraud, avec sa bonté habituelle, consola Vigny, auquel il n'avait pu apporter sa voix :

« Vous le dirai-je, mon cher Alfred, j'en veux moins à l'Académie de son inconcevable injustice envers vous, pour avoir rendu inutile le vote que je vous aurais apporté et m'avoir réservé le plaisir de concourir à votre prochaine élection.

« Et puis, je lui en veux moins aussi, parce qu'elle est l'Académie, c'est-à-dire un corps

(i) Voici, d'après le Journal des Débats du 4 mai 1842, les résul- tats de l'élection. Il y avait 35 votants, et la majorité absolue était de 18 voix :

Ier tour : Patin, 10 Vatout, 10 Vigny, 6 Sainte-Beuve, 7 Alletz, 2.

tour : Patin, i3 Vatout. 10 Vigny, 5 Sainte-Beuve, 7.

tour : Patin, i5 Vatout, 8 Vigny, 7 Sainte-Beuve, 5.

tour : Patin, 21 Vatout, 2 Vigny, 9 Sainte-Beuve, 3.

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il y a quelques jeunes membres, mais rien de jeune dans la vitalité, et l'intelligence collec- tive est loin de valoir l'intelligence individuelle. Au reste nous avons tous fait (Lamartine compris) le même noviciat. Il n'y a de portes cochères que pour les hommes sans lettres ; pour les autres, un très-sévère guichet, et c'est un honneur d'entrer par là.

« Voyez M. Patin... du premier coup. M. Pasquier... mais pour Victor Hugo, 4 scru- tins, pour Berryer , portes de bronze (1). Consolez-vous donc, mon cher Alfred ; le mal n'est pas grand, et consolez nous aussi par quelque belle publication comme vous savez les faire. Adieu, à bientôt pourtant; mes tribu- lations tendent à leur fin, et j'en secoue avec impatience le dernier fardeau.

« Vous trouverai- je à Paris ?

« Vale et me ama. « Villemartin, 10 mai 1842. » « A. G. »

(1) Berryer attendit encore longtemps : il ne fut élu que le 12 fé- vrier i852.

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La prochaine vacance ne se produisit que le 24 novembre 1 843 par la mort de Vincent Cam- penon (1). Cette fois la victoire paraissait certaine : il s'agissait d'un poète, médiocre, à la vérité ; il était juste qu'on le remplaçât par un poète meilleur. Peu après, le 1 1 décembre, Casimir Delavigne s'éteignit, après de longues souffrances. Deux places libres : c'était une chance favorable de plus. C'est ce que pensa Vigny, qui, pour la troisième fois, recommença les visites. Je ne connais les détails que de celle qu'il fit au chancelier Pasquier, son pre- mier et heureux adversaire. Le poète a vanté le charme de la conversation fine et spirituelle de l'homme d'État. « C'est, s'écrie-t-il, la vieillesse la plus jeune que j'aie vue (2) ! »

Alfred de Vigny, fatigué de cette lutte, aigri de son insuccès, en était arrivé à douter de ses amis ; il somma, en quelque sorte, Guiraud de

(1) François-Nicolas- Vincent Campenon, à la Guadeloupe le 29 mars 1772, élu le 10 juin i8i3 en remplacement de l'abbé Delille, mort à Villecresne (Seine-et-Oise) le 24 novembre 1843.

(2) Journal d'un poète, p. 200.

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lui apporter sa voix. L'excellent académicien lui reprocha doucement ses injurieux soupçons, lui annonça son arrivée prochaine et l'engagea fortement à disposer son armée.

« Je ne croyais pas, mon cher de Vigny, qu'il vous fallût presqu'un procès verbal dû- ment signé et paraphé, pour vous convaincre de la durée de ma vieille amitié et du désir que j'ai de resserrer officiellement notre confrater- nité littéraire. Mon affection et l'estime que j'ai pour votre talent m'engagent tout autant à vous, croyez-le bien, que toutes mes lettres. Je désire donc que vous entriez dans notre cé- nacle et j'espère, pour l'honneur du corps, que ce sera bientôt. Mais je dois vous dire en même temps que les mêmes motifs, qui m'attachent à vous, m'intéressent, tout aussi vivement, en faveur d'un de nos amis communs, et que je porte la même ardeur à préparer son admis- sion qu'à assurer la vôtre (i). Mon bonheur

(i) Il s'agit probablement de Sainte-Beuve.

cs*^ 36 -s>@ serait si complet si vos deux noms venaient réparer nos deux pertes, que je n'ose l'espérer, ce qui ne m'empêchera pas de travailler de mon mieux, si j'arrive à temps.

« Pour arriver, j'use de tous les moyens. Je présente requête sur requête ; je me ruine en papiers timbrés, et j'ai enfin obtenu que je se- rais jugé le 9 ou le 10 par urgence. Je serai donc probablement le 18 (jeudi) à Paris. Vous voyez que mon absentéisme n'est pas volon- taire, et que je ne m'épargne pas pour le faire cesser. Et vous ne savez pas que je laisse à Mont- pellier une autre affaire à juger qui nécessitera un voyage au mois de mars. Ce sont les étin- celles de mon incendie qui ont allumé tous ces procès presqu'aussi interminables que ceux de votre Angleterre.

« J'arriverai donc, mon ami, j'arriverai.... mais sera-ce pour me faire battre ? Je le crains, car l'université est puissante à l'Académie. Elle se venge des échecs que lui font subir les évêques. Nous sommes menacés de devenir un

collège et non plus une Académie. Nous som- mes bien cependant déjà assez pédants comme ça. Disposez toujours votre armée, avec ardeur, mais avec précaution et douceur ; je me per- mets de vous le recommander, parce que je désire votre succès, et que je tiendrais cette fois (par essai) de compter parmi les vain- queurs.

« Adieu, mon ami, confrère ou non. J'ai- merais mieux au reste que vous fussiez chargé de parler de Campenon que de Lavigne. Ce serait plus aisé et plus consciencieux.

« Veuillez faire agréer mes hommages res- pectueux à M,ue de Vigny, et parlez de moi à tous ceux de nos amis qui n'ont pas oublié mon nom. « Bon A. G. »

« Villemartin, 28 décembre 1843. »

Il y avait cinq concurrents pour les deux fauteuils vacants, à savoir : Alfred de Vigny, Saint-Marc Girardin, Sainte-Beuve, Emile Deschamps et Vatout. L'élection n'était pas encore faite quand mourut Charles Nodier

<3*^, 38 ^^s> (27 janvier 1844). La perte de cet écrivain fut un deuil pour le monde lettré : Vigny, qui avait dès longtemps été l'ami de Nodier, la res- sentit cruellement. « Hélas ! s'écria-t-il, il ne s'était pas trompé ; il ne devait pas m'apporter sa voix (1). »

Le 8 février 1844, le poète Campenon fut remplacé, comme Roger, par un universitaire, Saint-Marc Girardin, spirituel, comme Patin, et, qui plus est, homme politique. Au premier tour de scrutin, dix-huit voix assurèrent le triomphe de Saint-Marc, tandis que Vigny et Deschamps obtenaient, l'un sept voix et l'autre huit (2).

Pour le fauteuil de Casimir Delavigne, la lutte fut des plus vives. Il y eut, chose rare, sept tours de scrutin ! et au septième, Sainte-Beuve

(1) Journal d'un poète, p. 202.

f2) Il y avait 34 votants et la majorité absolue était de 18. Saint- Marc Girardin obtint 18 voix contre 7 données à Alfred de Vigny, 8 à Deschamps et 1 à Vatout. {Journal des Débats du 9 février 1844.) Emile Deschamps, qui obtint cette fois plus de voix que Vigny, ne put jamais, malgré son talent poétique et ses illustres amitiés, parve- nir à l'Académie.

et Vatout obtinrent chacun seize voix, et Vigny trois seulement. Aucun des candidats n'ayant pu réunir les dix-huit voix requises pour la majorité absolue, l'élection fut ren- voyée au 14 mars, jour fixé pour le remplace- ment de Charles Nodier (1) .

Le peu de voix obtenues par Vigny ne devait guère encourager le candidat, mais, avec une constance digne d'un ancien officier de la mai- son du Roi, il maintint sa candidature aux fau- teuils de Casimir Delavigne et de Nodier. Quatre nouveaux concurrents avaient surgi : Prosper Mérimée, l'impeccable auteur de tant de livres sans phrases ; Casimir Bonjour, auteur dra- matique ; Aimé Martin, l'éditeur de Bernardin

(1) Voici le tableau des sept tours de scrutin :

i«r tour : Sainte-Beuve, 14 Vatout, 11 —Vigny, 7 Des- champs, 3.

tour : Sainte-Beuve, i5 —Vatout, i3 Vigny, 7.

3e tour : Sainte-Beuve, 17 —Vatout, r3 Vigny, 5.

4e tour: Sainte-Beuve, 17 Vatout, i5 Vigny, 2 Des- champs, 1.

5<> tour : Sainte-Beuve, 17 Vatout, 16 Vigny, 2.

tour : Sainte-Beuve, 17 Vatout, i5 Vigny, 3.

tour : Sainte-Beuve, 16 Vatout; 16 Vigny, 3. {Journal des Débats du g février 1844.)

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de Saint-Pierre, dont il avait épousé la veuve ; et Onésime Leroy, littérateur peu connu.

Le 14 mars 1844, vingt et une voix élurent, au second tour de scrutin, Sainte-Beuve en remplacement de Casimir Delavigne (1). Il ne fallut pas moins de sept épreuves pour assurer à Mérimée le fauteuil de Charles Nodier (2). Vigny n'obtint qu'un nombre de voix infime, mais, malgré ce nouvel insuccès, il dut applau-

(1) Il y avait 36 votants et la majorité absolue était de 19 voix. Au premier tour de scrutin Sainte-Beuve obtint 17 voix contre 11 don- nées à Vatout, 7 â Vigny et 1 à Onésime Leroy. Au second tour il eut 21 voix contre 12 à Vatout et 3 à Vigny. {Journal des Débats du i5 mars 1844.)

(2) Le Journal des Débats nous a conservé les détails de cette lutte acharnée :

i<"- tour : Mérimée, 10 Bonjour, 7 A. Martin, 7 Va- tout, 5 Vigny, 4 Deschamps, 2 O. Leroy, 1.

tour : Mérimée, 11 Bonjour, 10 A. Martin, 4 Vatout, 6 Vigny, 5.

3e tour : Mérimée, i3 Bonjour, 12 —A. Martin, 4 —Vatout, 5 Vigny, 2.

40 tour : Mérimée, 14 Bonjour, i5 A. Martin, 1 Vatout, 2 Vigny, 4.

tour : Mérimée, 17 Bonjour, 14 Vigny, 5.

tour : Mérimée, 18 Bonjour, ic Vigny, 3.

tour: Mérimée, 19 Bonjour, i3 Vigny, |.

On le voit, Mérimée obtint péniblement la majorité absolue. Vigny eut, jusqu'au bout, ses fidèles. Casimir Bonjour, qui tint si longuement Mérimée en échec et arriva, cette fois, si près du but, ne fit jamais partie de l'Académie.

dir au double choix de l'Académie. C'était en effet un honneur pour l'illustre compagnie et un véritable triomphe pour les lettres que l'élection de ces deux écrivains de race, dont la réputation, déjà si solide, devait grandir encore après leur mort.

D'ailleurs le terme des mésaventures acadé- miques de Vigny approchait. Il semblait pour ainsi dire convenu d'avance que l'auteur d'Éloa serait élu, dès qu'une place serait vacante. C'était l'opinion de la Repue des Deux Mondes qui, dans son numéro du 1 5 mars 1844, annonça en ces termes flatteurs la nomination de ses deux éminents collaborateurs :

« L'Académie française a nommé aujour- d'hui MM. Sainte-Beuve et Prosper Mérimée aux fauteuils laissés vacants par la mort de Casimir Delavigne et de Charles Nodier ; ce sont d'heureux choix. Nous, surtout, nous avons à nous féliciter de voir l'Académie appe- ler dans son sein deux de nos amis et collabo- rateurs. A la première vacance, M. Alfred de

s^. 42 -<$>& Vigny sera admis, nous l'espérons, et le concours des nouveaux élus ne manquera pas à une candidature qui réunit tant de titres glorieux et incontestables. »

ÉLECTION ET DISCOURS DE RÉCEPTION D'ALFRED DE VIGNY

Pendant une année aucune vacance ne se produisit. Le i3 mars 1845 mourut Etienne, auteur des Deux Gendres, conteur sous l'Empire et journaliste sous la Restauration. C'était un esprit moyen, un écrivain de peu de style. Il fut l'objet de persécutions à sa taille, c'est-à-dire de tracasseries. On le raya de l'Aca- démie. Cela lui donna de l'importance; le petit

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homme, victime de cette petite proscription, devint tout doucement un personnage et s'épanouit au soleil de Juillet; mais il était déjà trop mûr, caduc.

La Revue des Deux Mondes, dans son nu- méro du i5 avril 1845, rappela, en ces ter- mes, la candidature de son noble collaborateur, le comte Alfred de Vigny :

« L'élection du successeur de M. Etienne à l'Académie française ne tardera pas à avoir lieu ; nous n'avons pas besoin de dire qu'entre les candidats qui se présentent, nos sympathies sont acquises à l'auteur âCÉloa et de Stello : nous sommes heureux de nous rencontrer ici avec le public. La nomination de M. Alfred de Vigny paraît d'ailleurs assurée ; on peut félici- ter d'avance l'Académie. Par l'éclat que son nom a jeté dans la moderne école, par l'incon- testable distinction de ses livres, parle caractère réservé et sérieux de son beau talent, qui fait si heureusement contraste avec la dispersion d'aujourd'hui, M. de Vigny mérite à tous

égards un titre littéraire que l'illustre com- pagnie ne saurait lui refuser plus longtemps sans injustice. »

Vigny avait pour concurrents l'auteur dra- matique Empis et l'aimable poète Emile Des- champs. Le 8 mai il fut élu par 20 voix contre 10 données à Empis et 4 à Deschamps. Il n'y eut qu'un tour de scrutin, comme si l'Aca- démie avait voulu en quelque sorte faire oublier au poète sa longue attente (1).

Alfred de Vigny avait alors quarante-huit ans. C'était un homme de lettres, dans la meil- leure acception du mot. Il n'appartenait ni à l'Université ni à l'administration : il était resté étranger à la politique active et ne collaborait à aucun journal quotidien. L'héritage paternel lui avait assuré le droit de méditer à son gré son œuvre, de l'accomplir, de la parfaire. Jamais Vigny n'avait connu l'impérieuse néces-

(1) Journal des Débats du 9 mai 1845. Le 8 mai, Vitet avait été élu, au second tour de scrutin, en remplacement de Soumet, par 20 voix contre 14 données à Victor Leclerc.

site de livrer à un éditeur impatient un travail trop hâtif. Il écrivait, non par métier, mais par goût et à loisir, et il avait conquis une gloire discrète, mais solide. Guiraud enviait juste- ment cette noble indépendance dont jouissait son ami, et il avait compris que l'admission de cet écrivain de race dans l'Académie serait un triomphe pour le monde lettré. En effet, Télec- tion de Vigny, exempte de toute cabale et de tout esprit de parti, fut bien accueillie.

A peine un académicien est-il élu qu'il est obligé de s'occuper de son discours de récep- tion. Il lui faut étudier la vie et les œuvres de son prédécesseur, qui souvent jusqu'alors lui avaient été peu familières. Il ne doit pas oublier que c'est un éloge que la Compagnie exige de lui. Que d'écueils à éviter pour conten- ter à la fois l'Académie, à laquelle on appar- tient désormais, les parents et les amis du défunt auquel on succède, le public, auquel on doit compte des principes professés jusqu'ici, et sa propre conscience, souvent révoltée contre

ces convenances diverses ! Vigny fut soumis à toutes ces épreuves. Il écrivit son discours de réception et le prononça au sein de l'Académie le 29 janvier 1846.

Au début de son discours, Vigny, selon l'usage, remercia ses collègues de l'avoir admis parmi eux, en des termes qui montraient com- bien le poète avait désiré cet honneur et com- bien il en avait été heureux.

« Il y a, dans la vie de chaque homme, disait-il, une époque il est bon qu'il s'arrête, comme au milieu de son chemin, et considère, dans un moment de repos et de préparation à des entreprises nouvelles, s'il a laissé derrière lui sur sa route une pierre qui soit digne de rester debout et de marquer son passage ; de quel point il est parti, quels voyageurs l'avaient précédé, desquels il fut accompagné, desquels il sera suivi.

« Ce moment d'arrêt est aujourd'hui venu pour moi ; votre libre élection l'a marqué ; et la sobriété de mes ambitions, le calme et la sim-

plicité de ma vie me permettent de vous redire, messieurs, avec justice et en toute conscience, les paroles de l'un de vos devanciers, de ce moraliste profond qui disait en entrant à l'Académie française, il y a cent soixante ans :

« Cette place parmi vous, il n'y a ny poste, « ny crédit, ny richesses, ny authorité, ni fa- « veur qui ayent peu vous plier à me la « donner, je n'ay rien de toutes ces choses. « Mes oeuvres ont été toute la médiation que « j'ai employée et que vous avez receùe. Quel « moyen de me repentir jamais d'avoir es- « crit ? »

Ensuite il prit le ton de trop haut, perdit pied et devint chimérique. L'auteur à'Eloa n'é- tait pas homme à suivre terre à terre le bon monsieur Etienne. Le sujet voulait de la finesse, un ton de belle humeur, et pour agré- ments quelques citations de La Fontaine; Vigny n'avait rien de cela à son service.

Après avoir tracé un tableau emphatique et vague des deux races qui composent, selon lui,

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la famille intellectuelle, et dont les types sont le Penseur, « possesseur durable de l'admi- ration », et l'Improvisateur, « ce dominateur rapide des volontés et des opinions publi- ques », il esquissa la vie de son prédécesseur. Il montra Etienne, « allié à la modération armée », défendant Lyon en 1793, puis, à l'é- poque du Directoire, composant des vaudevilles, sous la protection de l'illustre tragédienne Clairon qui lui légua sa bibliothèque, « comme à Voltaire enfant Ninon avait légué la sienne. » Il passa en revue toutes ces œuvres, souvent inspirées par les circonstances, témoignant d'une plume facile, vaudevilles, impromptus, opéras comiques, et arriva enfin aux Deux Gendres, comédie de caractère, qui établit la réputation dramatique de son auteur. Il men- tionna seulement la bruyante accusation de plagiat qui suivit l'éclatant succès des Deux Gendres, mais il parla longuement de Ylntri- gante. Cette comédie, représentée au château de Saint-Cloud, en 181 3, bafouait les mariages

imposés par la Cour, et critiquait par consé- quent les actes de Napoléon. Celui-ci s'em- pressa d'interdire la représentation de Y In- trigante. Vigny, à cette occasion, peignit, sous les plus sombres couleurs, le souverain et sa cour.

« Grâce à la fortune de la France, s'écria-t-il, les temps sont déjà bien loin de ces rudesses du pouvoir absolu, qui ne renaîtront jamais sans doute, et que la gloire même ne saurait absoudre. Les générations auxquelles j'appar- tiens, et qui depuis l'adolescence n'ont respiré que l'air de la liberté parlementaire, ont déjà peine à croire qu'on ait pu supporter la pesanteur de l'autre. »

Après avoir ainsi caractérisé l'Empire, il étudia, dans Etienne, le publiciste libéral, luttant contre les hommes de la Restauration et exclu par eux de l'Académie, et il termina par l'apologie de l'école romantique (i).

(1) Voir, aux Pièces justificatives, v, le fragment du discours de Vigny qui concerne les Romantiques.

ca^s* 5o ~_- Le vieux comte Mole, directeur de l'Aca- démie au moment de la mort d'Etienne, répondit à Vigny. Plus homme d'État que litté- rateur, tour à tour ministre de Napoléon Ie'-, de Louis XVIII et de Louis-Philippe, il était resté fidèle au souvenir de «on premier maître, et il avait eu peu de sympathie pour les novateurs littéraires. C'était donc une male- chance pour Vigny, royaliste et romantique, d'avoir à subir l'éloge d'un tel adversaire. D'ailleurs, le discours du comte Mole ne fut qu'ironie et dédain. Après avoir, suivant l'ha- bitude des vieillards, payé son tribut de regrets au passé, toujours si préférable au présent, Mole, citant avec perfidie une phrase que Vigny avait écrite mais qu'il avait cru devoir retirer, s'appliqua à venger l'Empire des atta- ques du récipiendaire. Avec quel dédain il reprocha au poète de n'avoir pas parlé de Cha- teaubriand ! Avec quelle justesse cette fois il le blâma d'avoir, dans Cinq-Mars, fait bon mar- ché de la vérité historique et glorifié un étourdi

^ 5 1 ambitieux aux dépens du cardinal de Richelieu ! Sur ce point le vieil homme d'État avait beau jeu contre le poète rêveur. Puis, après avoir attaqué la doctrine exposée dans Stella, tout en louant, par exception, la création pleine d'art et de charme de Ketty Bell, ce qui témoi- gnait d'un goût assez frais chez un vieillard usé par les affaires, il termina en reprochant à Vigny d'avoir, dans les préface- de ses tra- ductions du Maure et du Marchand de Venise, prodigué a Racine et aux écrivains de son école de dédaigneuses rigueurs, et il exprima le vœu de voir cesser enfin la lutte entre les classiques et les romantiques. Le vieux comte avait encore raison à cet égard : la rancune de Vigny contre Racine est vraiment puérile.

Jamais, de mémoire d'académicien, pareil réquisitoire n'avait été prononcé contre un récipiendaire. La coutume de faire approuver d'avance, par une commission, les deux dis- cours, semblait devoir prévenir un tel scan-

dale. Vigny a eu soin de nous apprendre que, devant la commission, le discours de M. Mole lui fut escamoté (i). Le mot est vague.

Il ne semble pas que la critique fût favorable au poète. Sainte-Beuve, en rendant compte, dans le numéro du i°r février 1846 de la Revue des Deux Mondes, de la récente solen- nité académique, analysa le discours de son nou- veau collègue, « le plus long qui ait été pro- noncé », et reprocha très-finement à Vigny d'a- voir loué Etienne autrement que de raison. « Il l'a loué, disait-il, à côté et au-dessus, pour ainsi dire; il l'a, en un mot, transfiguré.... son élé- vation, encore une fois, l'a trompé ; sa haute fantaisie a prêté des lueurs à un sujet très-réel. » Puis il excusa les attaques du comte Mole, sur- tout alors que ce dernier expliqua les retards que l'Académie met dans certains choix et l'espèce de quarantaine que paraissent subir au seuil

(1) Journal d'un poète, p. 207. Vigny (p. 208) prétend que le comte Mole a été l'exécuteur d'une vengeance politique.

certaines renommées (i). Enfin Sainte-Beuve applaudit au désir exprimé par Mole de voir cesser la guerre entre les romantiques et les classiques. Les romantiques, fort ignorants, menaient mal la campagne, depuis longtemps; Saànte-Beuve avait pris possession, comme critique, au-dessus de ces querelles.

Vigny, déjà justement blessé des reproches publics dont l'avait accablé le comte Mole, ne dut pas être consolé par l'article acéré de Sainte-Beuve. Il refusa, tout d'abord, d'être, selon ru sage, présenté au Roi par Mole. Il expliqua son refus à Thiers et à Mignet en ces termes : « J'ai voulu répondre par une marque publique de mécontentement à un accueil scan- daleux, acerbe, fait en public le 29 janvier (2) ». Il résista à toutes les sollicitations, même à celles de son ami Guiraud. Sur ces entrefaites l'Académie renouvela son bureau le ier avril :

(1) Cf. aux Pièces justificatives, vi. le passage de Sainte-Beuve à ce sujet.

(2) Journal d'un poète, p. 206.

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elle élut le comte Mole directeur, et Vitet chan- celier. En apprenant cette élection, Vigny s'écria : « Ainsi l'Académie a montré qu'elle soutenait M. Mole et me blâmait, en le nom- mant directeur (1). » Il s'abstint de siéger aux séances particulières jusqu'au icr juillet, jour prirent fin les fonctions de son adver- saire. Il avait, dès le 14 juin, été reçu par Louis-Philippe, qui, par des compliments mérités, s'attacha à faire sentir au nouvel acadé- micien combien il se souciait peu de soutenir la conduite de son ancien ministre (2).

Vigny fut, dès lors, assidu aux séances de l'Académie. Il encourageait volontiers les jeu- nes talents, et, voulant l'honneur des lettres, il s'efforçait d'élire le plus haut possible (3). De cruelles soutfrances sur la fin de sa vie affectèrent son humeur, naturellement triste,

(1) Jourjialdjinpoéte, p. 208. Vigny avait obtenu deux voix pour les fonctions de chancelier.

(2) Journal d'un poète, p. 21?.

(3) Ce sont les termes dont Vigny se sert en parlant de l'élection d'Ampère. (Journal d'un poète, p. 2i.i.>)

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et, comme on l'a dit, il ne sortit plus de sa tour d'ivoire. Mais il conserva intact son amour des lettres. Sans avoir beaucoup de sentiment critique, sans savoir au juste, il faut le dire, ce que valaient les vers qu'on lui soumettait, il se montrait gravement affectueux. Jamais un écrivain, quelque inconnu qu'il fût, ne sollicita en vain ses conseils et son appui. Je vais en citer un exemple notable.

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SECONDE PARTIE

SECONDE PARTIE

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LES CANDIDATS EN MDCCCLXI

A la fin de Tannée 1861, deux fauteuils vaquaient à l'Académie française, celui de Scribe, mort le 20 février, et celui de Lacor- daire, décédé le 2 1 novembre. Les compétiteurs étaient nombreux : MM. Autran , Camille Doucet, Belmontet, Jules Lacroix, Gozlan, Geruzez, Guvillier-Fleury, Mazères, Octave

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Feuillet, Léon Halevy, Albert de Broglie, de Carné, avaient posé leur candidature. Au- cun de ces écrivains ne s'imposait par la célé- brité, mais presque tous étaient estimés à des titres qu'il est bon de rappeler :

Autran , originaire de cette ville de Mar- seille, qui avait fourni déjà à l'Académie plu- sieurs membres, dont deux vivaient encore et comptaient parmi les plus illustres, Thiers et Mignet, cultivait la poésie. En 1848, sa Fille d'Eschyle lui avait valu un prix de l'Académie, et le poète couronné en même temps que lui, Emile Augier, était devenu, depuis 1857, le collègue de ses juges. Combien peu de lauréats obtiennent cette insigne faveur ! Autran, riche et indépendant, employait une vie calme et heureuse à composer des poèmes et à les pu- blier, et sa seule ambition était d'être acadé- micien (1).

(1) Autran (Joseph- Antoine), à Marseille en juin i8i3, fut élu membre de l'Académie le 7 mai 1868 en remplacement de Ponsard, et mourut dans sa ville natale le 6 mars 1877. Il a eu pour succes- seur M. Victorien Satdou.

Camille Doucet, poète dramatique, auteur de la Considération, connu surtout par ses fonctions de chef de la division des beaux-arts au ministère d'État (1). Lettré d'un esprit fin, d'un caractère bienveillant, il avait mis son influence administrative au service des gens de lettres avec tant de grâce et de délicatesse, qu'il avait conquis de nombreuses et illustres ami- tiés. Comme candidat, on pouvait lui objecter ses fonctions qui l'attachaient au gouvernement impérial, peu en faveur, on le sait, auprès de l'Académie.

Louis Belmontet (2), jadis poète patriote, lauréat des Jeux floraux, maintenant chantre de la dynastie napoléonienne et député officiel. Il rappelait, dans sa lettre à l'Académie, qu'il avait, en 182g, écrit avec Alexandre Soumet Une fête sons Néron; mais son nom n'était que

(1) Doucet (Charles-Camille), ne à Paris le 16 mai 1812, fut élu le 6 avril i865 en remplacement d'Alfred de Vigny. Il a été nommé secrétaire perpétuel de l'Académie, en 1876, après la mort de Patin.

(2) Belmontet (Louis), à Montauban en 1799. Il est encore vivant; la chute de l'Empire lui a enlevé son mandat de député ; il n'en continue pas moins à faire des vers en l'honneur de la dynastie tombée, mais il semble avoir renoncé à l'Académie.

trop connu par des vers burlesques comme celui-ci :

Le vrai feu d'artifice est d'être magnanime.

Jules Lacroix (1), romancier et auteur dra- matique, émule de Léon Halevy, un de ses compétiteurs. Il avait imité en beaux vers le Macbeth de Shakespeare et Y Œdipe-Roi de Sophocle, et l'Académie l'avait couronné, en 1847, pour sa traduction des Satires de Juvê- nal et de Perse. C'était un lauréat qui voulait devenir à son tour un juge.

Léon Gozlan (2), originaire de Marseille, comme Autran, auteur de nombreux romans et drames. Doué d'une prodigieuse fécondité, il méritait, à ce titre, de succéder à Scribe. De plus il avait de l'esprit à outrance, et les personnages de ses romans s'abandon- nent à des gaîtés terribles, témoin Aristide Froissard.

(1) Lacroix (Jules), à Paris le 7 mai 1809. Il se console, par le culte constant des lettres, des échecs qu'il a subis à l'Académie.

(2) Gozlan (Léon), à Marseille le ie>- septembre i8o3, mort à Paris le 14 septembre 1866. Il ne fit jamais partie de l'Académie.

Eugène Geruzez (i), universitaire de mé- rite, suppléant de Villemain pendant dix-neuf ans, et actuellement secrétaire de la faculté des Lettres. Son Cours de philosophie, son His- toire de l'Éloquence politique et religieuse en France aux XIVe, XV0 et XVIe siècles, son Histoire de la littérature française, lui don- naient le droit de siéger à côté de Patin et de Saint-Marc Girardin.

Guvillier-Fleury, ex-précepteur des princes d'Orléans, humaniste distingué, publiciste re- marquable, apportait, comme bagage littéraire, deux volumes d'études d'histoire et de cri- tique (2). A ceux qui auraient trouvé ce ba- gage un peu mince, on aurait pu citer l'exemple de M. Silvestre de Sacy, qui tint à honneur, dans son discours de réception, de déclarer qu'il était, avant tout, un journaliste, et que

(1) Geruzez (Nicolas-Eugène), à Reims le 6 janvier 1799, mort à Paris le 29 mai 1 86 5, sans avoir pu parvenir à l'Académie.

(2) Cuvillier-Fleury (Auguste-Alfred), à Paris le iS mars 1802. a été élu membre de l'Académie le 12 avril 1SÔ6 en remplacement de Dupin aîné.

l'Académie l'avait admis comme tel. M. Cu- villier-Fleury était le critique du Journal des Débats. Combien de fois il avait apprécié dans cette feuille les mérites divers des candidats à cette Académie, dont il sollicitait depuis si longtemps les suffrages! que d'heureux succès et que d'échecs il avait enregis- trés !

Mazères, fécond auteur dramatique, jadis pourvoyeur des théâtres de genre (i). Pauvre Mazères! Sous Louis-Philippe il avait céder la place à son collaborateur Empis (2). Ce dernier, à la vérité, avait été directeur de la Co- médie-Française, mais, au point de vue litté- raire, Empis et Mazères étaient inséparables. Empis, après des candidatures réitérées, força

(1) Mazères (Edouard-Joseph-Ennemond), à Paris le ir septem- bre 1796, mort dans la même ville en mars 1866. Outre ses nombreuses collaborations avec Picard, Scribe et Empis, il a donné au Théâtre- Français, en 1826, une comédie, le Jeune mari, qui est restée au répertoire. En i858 il a réuni en trois -olumes ses meilleures pièces sous le titre de Comédies et souvenirs.

(2) Empis ( Adolphe-Dominique-Florent-Joseph Simonis ) . à Paris le 29 mars 1795, mort à Bellevue le 11 décembre 1868. Il avait été élu à l'Académie le 11 février 1817 au fauteuil de Jouy. 11 a été remplacé par M. Auguste Barbier, l'auteur des ïambes.

les portes de l'Académie en 1847. C'était main- tenant le tour de Mazères. Hélas ! la révolution de Février changea les courants et les influences. En vain Mazères fit valoir ses titres. Pouvait-il ne pas suivre la destinée de son ami, de son collaborateur, de cet autre lui-même? Empis ne lui tendait-il pas les bras ? L'Académie resta sourde à ces prières. Parfois, dans les scrutins, quelques voix, parmi lesquelles celle d'Empis peut-être, s'égaraient sur le vieil auteur dra- matique. Vaine consolation. Mazères mourut sans avoir vu son ambition satisfaite. Les deux amis se suivirent de près dans la mort; une égale obscurité les recouvre tous deux. Mazères est vengé! entre les deux collaborateurs, notre génération ne sait pas distinguer l'académicien de celui qui ne le fat pas.

Octave Feuillet, esprit d'une distinction raf- finée, auteur de romans et de comédies senti- mentals (1). Que de larmes féminines avait

(1) Feuillet (Octave), à Saint-Lô le 10 août 1821, fut élu à l'Académie en remplacement de Scribe le 3 avril 1862.

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fait couler, à la lecture et au théâtre, le Romaji d'un jeune homme pauvre! Le tempé- rament essentiellement nerveux de l'écrivain communiquait à ses ouvrages une teinte mé- lancolique qui impressionnait vivement les femmes. Dans les salons, dans les châteaux, à la cour, on raffolait de ses romans; ses prover- bes, comme ceux d'Alfred de Musset, son inimitable modèle, ravissaient les invités de Fontainebleau ou de Compiègne; en un mot, c'était le romancier à la mode.

Léon Halevy (i), poète tragique, frère puîné de l'auteur de la Juive, avait été, dans sa jeu- nesse, le plus fidèle disciple de Saint-Simon, qu'il assista à son lit de mort, en 1825. Il avait débuté dans la littérature par une traduction des Odes d'Horace et avait ensuite donné au théâtre le C\ar Démétrius et Luther. Ses imi- tations d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide avaient obtenu le suffrage des lettrés; l'Aca-

(1) Halevy (Léon), à Paris le 14 février 1S02. Il semble avoir renoncé aux honneurs académiques.

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demie française avait couronné ses fables : pourquoi repousserait-elle un lauréat, un vété- ran de la littérature?

Le prince Albert de Broglie, alors âgé de quarante ans, fils d'un parlementaire illustre, avait été promis, dès sa jeunesse, aux honneurs politiques et littéraires (1). Il ne pouvait, sous un régime adverse, ambitionner que les der- niers. Après de brillants débuts dans la Revue des Deux Mondes, en 1848, il devint le colla- borateur assidu du Correspondant. Son His- toire de VÉglise et de l'Empire romain au IVe siècle et ses études sur Julien l'Apostat et Théodose le Grand lui avaient assigné une place honorable parmi les écrivains catholiques de l'école de Montalembert. Le prince Albert de Broglie avait montré, dans ces ouvrages, un esprit élevé et des tendances libérales, glorieux apanage de sa famille. C'était au fauteuil du Père Lacordaire, un de ses maîtres littéraires,

(1) Broglie (Jacques-Victor-Albert de), à Paris le i3 juin 182 1 . On sait que depuis les honneurs politiques ne lui ont pas manqué.

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qu'il aspirait, non sans de grandes chances de réussite.

Le comte Louis de Carné (i), Breton de vieille souche, avait, jusqu'en 1848, suivi la car- rière diplomatique. Dès lors, il s'était adonné aux études historiques, qui avaient, au temps de sa vie publique, charmé ses loisirs. Ses Vues sur l'Histoire contemporaine, son livre Du gouvernement représentatif en France et en Angleterre, ses Etudes sur les fondateurs de limité française, le rattachaient à l'école reli- gieuse de Montalembert et à Técole politique de Guizot.

Tels étaient les compétiteurs aux deux fau- teuils vacants, quand le secrétaire perpétuel de l'Académie, le vénérable Villemain, reçut une lettre signée Charles Baudelaire, par laquelle ce littérateur posait sa candidature. Quel sou- rire de dédain et de pitié dut alors animer la face malicieuse du secrétaire! Et lorsqu'il com-

(1) Carné-Marcein (Louis-Marie, comte de), à Quimper le 17 février 1804, succéda à Biot le 23 avril i863, et mourut le 1 1 février 1876. Il a été remplacé par M. Charles Blanc.

muniqua à ses collègues cette lettre inattendue, chacun de croire à une mystification. Quel était cet audacieux qui prétendait ajouter son nom obscur à cette liste déjà trop longue de noms célèbres et honorés? La plupart des aca- démiciens ne le connaissaient point. D'autres disaient que c'était un jeune homme, un pré- tendu poète, un original sans talent, un écri- vain condamné pour outrage à la morale publi- que. Suffisait-il donc, pour prétendre à la palme, d'avoir été cité dans le cabinet d'un juge d'instruction et tancé vertement par le magistrat ? Pouvait-on passer des brasseries du quartier latin jusques sous la coupole de l'Institut? Que dirait le buste de Royer- Collard ? Le classique Viennet leva les yeux au ciel en murmurant le mot de romantique, qui, pour lui, résumait toutes les audaces et toutes les ignominies. Seul, Sainte-Beuve con- naissait le nouveau candidat, mais il n'était pas moins surpris que ses collègues de cette folle tentative. Bref, la lettre de Baudelaire

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alla augmenter, dans les cartons des archives de l'Académie, le volumineux dossier des can- didatures mort-nées.

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CHARLES BAUDELAIRE

Charles-Pierre Baudelaire, à Paris, rue Hautefeuille, le 21 avril 1821, était fils d'un professeur de l'Université, ancien ami de Ca- banis et de Condorcet. Il était jeune encore lorsqu'il perdit son père, et il fut destiné à la carrière commerciale. Son génie naturel l'en- traînait vers la littérature. Pour le détourner de cette voie funeste, autant que pour lui donner le goût et la pratique du commerce, sa famille l'envoya visiter les mers de l'Inde, l'île Mau-

rice, l'île Bourbon et Madagascar (1). De ce long voyage, Baudelaire revint poète, et ses vers témoignèrent des visions merveilleuses que la nature des tropiques, les constellations inconnues aux Européens et l'étrange beauté des femmes de couleur avaient imprimées dans son esprit. Il avait alors vingt et un ans et pou- vait jouir de sa liberté et de sa fortune. Il abandonna le commerce et ses avantages, et se livra sans réserve aux lettres. En 1843, il alla se loger, quai d'Anjou, en l'hôtel Pimodan, auquel le séjour de Théophile Gautier a donné une célébrité nouvelle. Là, dans un appartement exigu, situé sous les combles, il rassemblait ses amis, étonnés des bizarreries de son langage etde ses opinions, qui étaient en parfaite harmonie, d'ailleurs, avec son mobilier et son costume. Sa chambre à coucher, qui lui servait de cabi- net de travail, était tapissée sur les murs et au plafond d'un papier rouge et noir, et éclairée

(1) Cf. la notice que Théophile Gautier a consacrée à Charles Baudelaire, en tête de l'édition des Fleurs du Mal, publiée chez Michel Lévy, 1869, in-12.

par une seule fenêtre, « dont les carreaux, jusqu'aux pénultièmes inclusivement, étaient dépolis, afin de ne voir que le ciel, » disait-il (1). C'est qu'il composa la plupart des poésies qu'il publia plus tard.

Baudelaire s'adonna bientôt à la critique artistique. Il rendit compte des Salons de 1845 et de 1846. Il loua Eugène Delacroix et atta- qua Horace Vernet et Ary Scheffer. Il aimait le grand David et fut un des premiers à re- mettre en lumière les petits maîtres de la Ré- volution : Fragonard, Carie Vernet, De Bu- court (2).

En même temps, il collaborait au Corsaire- Satan, revue littéraire qui a servi aux débuts de Murger, de Champfleury, de Théodore de Banville, d'Edouard Plouvier, de Charles de la Rounat, d'Alexandre Weill, etc. C'est alors qu'il se lia intimement a/ec Banville, Champ- fleury et Asselineau.

(1) Cf. Charles Baudelaire, sa vie et son œuvre, par Charles Asselineau; Paris, A. Lemerre, 1869, in-12, p. 5 à 8.

(2) «., p 16 à 22.

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En 1848, Baudelaire fut chargé d'aller diri- riger à Dijon un journal gouvernemental. L'entreprise avorta, car le journal de Baude- laire, dès le second numéro, devint un journal d'opposition.

En 1849, Théophile Gautier rencontra Bau- delaire, à l'hôtel Pimodan, chez le peintre Fernand Boissard, dans un grand salon Louis XIV, avaient lieu les séances du fameux club des Haschichiens (1). De cette sympathie et cette amitié qui unirent toujours le maître et le disciple.

Baudelaire publia, en i85o, quelques poésies dans le Magasin des familles, mais une pas- sion nouvelle le saisit tout entier. Il lut les contes d'Edgar Poç et en fut enthousiasmé. Il résolut aussitôt de faire connaître aux lettrés du vieux monde le génie fantastique qu'avait enfanté le nouveau. Tour à tour, il publia des œuvres séparées de Poe, puis une étude sur Edgar Poe, sa Vie et ses Œuvres, et enfin en

(O V. notice de Théophile Gautier sur Baudelaire.

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i855, une traduction des Contes, dans le Pays. Cette traduction, faite avec amour, avait toute la saveur d'une oeuvre originale; en France, elle fut accueillie favorablement; en Angleterre, elle valut à Baudelaire les éloges les plus flat- teurs et une juste réputation (i).

Baudelaire cherchait avec ardeur des ren- seignements sur Poë : rien de ce qui intéressait son héros ne lui était indifférent. Il désirait avoir de Poë le portrait le plus parfait et le plus véritable. La lettre suivante en fait foi :

« Monsieur, me dire qu'on aime si bien Edgar Poë, c'est m'adresser la plus douce des flatteries, puisque c'est me dire qu'on me ressem- ble. Je vous réponds donc avec empressement.

« Je crois que vous avez eu tort d'acheter les morceaux en question. Je prépare depuis longtemps une belle édition dans laquelle je ne mettrai pas le livre de philosophie, Eurêka, lequel doit paraître dans la collection Lévy, à 3 francs; et dans cette édition je mettrai les

(i) Charles Baudelaire, par Ch. Asselineau, p. et suiv.

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morceaux inédits. D'ailleurs, je vous avais averti qu'ils étaient fort mal imprimés, par- ticulièrement VAnge du Bi\arre, non-seu- lement l'orthographe figurative, volontaire- ment absurde, n'a pas été suivie, mais encore ont été sautés des lignes entières et des mots, ce qui rend les phrases inintelligibles. Il y a aussi des fautes dans la Genèse d'un Poëme.

« Si je réussis, comme j'ai tout lieu de l'es- pérer, à monter cette affaire, nous nous y met- trons Thiver prochain ; cela fera probablement un grand in-8° de 800 pages.

« Il y aura deux portraits, l'un, qui est en tête de l'édition posthume des oeuvres de Poë (chez Redfield , New-York) , reproduction d'une peinture qui était chez Grisevold; ce Grisevold est l'auteur américain chargé de mettre en ordre les papiers de Poë', et qui non- seulement s'est si mal acquitté de sa tâche, mais encore a diffamé son ami défunt en tête de l'édition; l'autre, qui orne l'édition grand

s=<à* 76 "&& in-8° illustrée des poésies, édition de Londres. Mes collections ne sont pas à Paris, je ne me souviens plus du nom de l'éditeur.

« Il y a d'autres éditions et aussi d'autres portraits; mais ils ne sont jamais que la reproduction plus ou moins altérée de ces deux portraits types.

« Si je réussis à faire mon entreprise, je les ferai reproduire avec un soin parfait. L'un (édition américaine) représente Poë avec la physionomie connue du gentleman : pas de moustaches, des favoris; le col de la chemise relevé. Une prodigieuse distinction. L'autre (édition des poésies, de Londres) est fait d1après une épreuve daguerrienne. Ici, il est à la française : moustaches, pas de favoris, col rabattu. Dans les deux, un front énorme en largeur comme en hauteur ; Pair très- pensif, avec une bouche souriante. Malgré l'immense force masculine du haut de la tête, c'est, en somme, une figure très-féminine. Les yeux sont vastes, très-beaux et très-rêveurs.

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Je crois qu'il sera utile de donner les deux.

« Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de mes sentiments les plus distingués,

Cette lettre fut adressée, le i3 juillet 1860, à « monsieur Alfred Guichon, 54, rue de Lis- bonne, à Paris. »

Encouragé par l'accueil bienveillant que le public lettré avait fait aux traductions des Contes de Poe, Baudelaire, sollicité par ses amis, se décida à publier ses poésies, dont il avait, en i85o, montré à Asselineau le manu- scrit, magnifiquement copié par un calligraphe et relié en deux volumes, dorés sur tranche.

Dès 1 855, il avait adopté le titre de Fleurs du Mal, sous lequel il fit imprimer son recueil de poésies. Son ami, A. Poulet-Malassis, esprit fin et délicat, fut l'éditeur de ce livre, qui parut en 1857. Les Fleurs du Mal excitèrent l'ad- miration chez les uns, la colère chez les autres.

Plusieurs pièces furent dénoncées comme at- tentatoires à la morale publique et déférées au parquet. Baudelaire, à qui les situations étran- ges ne déplaisaient pas, accueillit, sans trop de chagrin, les bruits de poursuite. « Vous savez que je suis cité en police correctionnelle? » disait-il dans tous les cafés littéraires. Les petits journaux répandirent la nouvelle, et il n'est pas impossible que tout ce bruit ait hâté la vigi- lance du parquet. Le juge d'instruction de- manda entre autres choses au poète ce qu'il entendait par les magistrats curieux. Il y a, en effet, dans une des pièces les plus remarquables des Fleurs du Mal, des strophes à une belle femme assassinée et dont la tête repose dans une coupe « comme une renoncule. » Le poète s'écrie :

« Loin du monde railleur, loin de la foule impure,

« Loin des magistrats curieux, « Dors en paix, dors en paix, étrange créature,

« Dans ton tombeau rmstérieux. »

Baudelaire affirma que le crime, qu'il avait voulu dérober à la justice, était d'une nature

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totalement idéale, et le juge d'instruction, qui était un galant homme et un homme d'esprit, se tint satisfait sur ce point et traita l'homme de lettres avec courtoisie.

Toutefois, Baudelaire dut comparaître de- vant le tribunal de la police correctionnelle, qui ordonna la suppression des pièces dénoncées. Baudelaire, tout en protestant contre cette décision, accepta sans peine la célébrité qu'une affaire de ce genre lui avait naturellement atti- rée. Successivement, il publia le Salon de i85 g, une notice sur Théophile Gautier, le poète im- peccable, auquel il avait dédié ses Fleurs du Mal, les Caricaturistes français et étrangers, les Poèmes en prose, des études sur Constantin Guys et sur Eugène Delacroix, et les Paradis artificiels. De plus, sa traduction d'Edgar Poë paraissait en volumes.

Il avait alors quarante ans. Son visage glabre, son front poli et ravagé, sa bouche contractée, sa toilette correcte mais singulière, concouraient à lui donner cet air de dan-

dysme satanique qu'il affectionnait beaucoup. Il se plaisait à étouffer sa réputation de vrai poète sous une sorte de célébrité beaucoup moins enviable. Il voulait, avant tout, effrayer et surprendre le bourgeois. « Avez- vous mangé de la cervelle de petit enfant ? disait-il un jour à un honnête fonctionnaire. Mangez-en. Cela ressemble à des cerneaux et c'est excellent. » Une autre fois, dans la salle commune d'un restaurant fréquenté par des provinciaux, il commença, à haute voix, un récit en ces ter- mes : « Après avoir assassiné mon pauvre père... » Il réussit et eut de son vivant même sa légende. C'est ainsi qu'un journaliste ra- conta, sur la foi d'un petit poème en prose tout à fait allégorique, que M. Baudelaire fai- sait monter les vitriers dans sa chambre, pour avoir ensuite le plaisir de les culbuter du haut en bas de l'escalier a"\ec leur fragile mar- chandise.

C'est après s'être fait, avec beaucoup de soin et d'efforts, la réputation de manger les petits

enfants, que Baudelaire présenta sa candida- ture à l'Académie, ses livres étaient tout à fait inconnus. Fort du suffrage de ses maîtres et de ses pairs, et peu soucieux du jugement des bourgeois, il se croyait digne de faire partie de l'Académie des littérateurs, et sol- licitait le fauteuil de Scribe. Quoi de plus simple à ses yeux? Et cependant cette démar- che, que l'Académie ne prit pas au sérieux, fut unanimement blâmée par la presse. Les amis du candidat l'accusèrent de sacrifier sa dignité, de faire alliance avec les Philistins; ses ennemis le traitèrent de présomptueux, de fou, d'impertinent; les indifférents mentionnè- rent à peine son nom parmi les compétiteurs. A vrai dire, quelque sympathie, quelque admi- ration qu'on ait pour le talent poétique de Bau- delaire, il faut reconnaître que nul n'était moins propre à réunir les suffrages de l'Aca- démie, qui ne pardonne pas aisément d'avoir eu maille à partir avec la police correctionnelle. Avant tout, l'Académie exige de ceux qui la

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sollicitent d'avoir respecté dans leurs œuvres la morale et de posséder cette tenue décente qu'ont les gens bien élevés. Il faut être de bonne compagnie; les titres littéraires viennent en- suite. Eh bien ! avoir écrit les Fleurs du Mal, dont le titre, à lui seul, appelait sur le livre la réprobation des gens bien pensants, avoir été considéré par les magistrats de son pays comme un auteur immoral, et oser se pré- senter à T Académie, quelle illusion, ou plutôt quelle impertinence!

Baudelaire, peu ému des critiques de la presse, commença ses visites : il fut bien ac- cueilli par Lamartine et par M. de Sacy, traité avec hauteur et dédain par Villemain et par Viennet. Ce dernier lui adressa cette phrase restée fameuse : « Il n'y a que cinq genres, monsieur! la tragédie, la comédie, la poésie épique, la satire... et lu poésie fugitive, qui comprend la fable, j'excelle! (1) »

Il avait pourtant un ami à l'Académie.

(1) L'Amateur d'autographes, 202, p. 144.

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Sainte-Beuve, vieillissant, se sentait un faible pour les jeunes écrivains qui, tels que Feydeau, les frères de Goncourt, Flaubert et Baudelaire, lui semblaient pleins de nouveauté et de cu- riosité. Il aimait se rajeunir avec eux, et les propos vifs ne lui déplaisaient pas. Baudelaire avait dîné plusieurs fois dans la petite maison de la rue du Mont-Parnasse, et sa conversation fine et rare avait vivement intéressé le vieux cri- tique, toujours en éveil. Mais Sainte-Beuve, dont l'autorité était considérable dans le public lettré, n'avait pas d'influence à l'Académie, il n'allait plus guère. Il ne pouvait rien, de ce côté, pour ses jeunes amis. Il avait un sens trop juste des choses pour ne pas désapprouver la tentative de Baudelaire.

Toutefois, Baudelaire s'obstina, et on vit le moins traditionnel des écrivains poursuivre l'accomplissement des formalités traditionnel- les. Il continua ses visites. Il songea à Alfred de Vigny, dont le suffrage, qui était celui d'un poète, devait lui être particulièrement précieux.

^*© 84 ■^^s> L'auteur des Fleurs du Mal n'avait peut-être pas une admiration spéciale pour l'auteur d'Éloa, qu'il devait trouver un peu trop pur. Cette nuance est utile marquer au moment les deux poètes entrent en relations. Vigny était alors malade dans son appartement de la rue des Écuries-d'Artois, et le candidat, crai- gnant d'être importun, adressa la lettre sui- vante à l'illustre académicien : « Monsieur,

« Pendant de bien nombreuses années, j'ai désiré vous être présenté, comme à un de nos plus chers maîtres. Ma candidature à l'Acadé- mie française me fournissait un prétexte pour me présenter moi-même chez vous dans ces derniers jours. Seulement j'ai appris votre état de souffrance, et j'ai cru devoir m'abstenir, par discrétion. Hier, cependant, M. Patin m'a dit que vous éprouviez une amélioration sensible, et alors je me suis décidé à venir vous fatiguer quelques minutes de ma personne.

« Je vous en prie vivement, congédiez-moi,

tout de suite et sans cérémonie, si vous crai- gnez qu'une visite, si brève qu'elle soit, ne vous fatigue, fût-ce celle d'un de vos plus fer- vents et dévoués admirateurs.

« CH. BAUDELAIRE. »

La réponse de Vigny fut favorable : Baude- laire se rendit chez le maître, qui l'accueillit avec sa bonté accoutumée. Vigny, depuis long- temps souffrant, ne connaissait que de nom l'auteur des Fleurs du Mal et ses œuvres. Il lui demanda donc de lui envoyer ses livres, afin de pouvoir juger du mérite du candidat. Baudelaire accéda à ce légitime désir, et il accompagna l'envoi de ses productions de la lettre suivante, écrite sous l'émotion de sa récente visite :

« Monsieur,

« Je suis rentré chez moi tout étourdi de votre bonté, et comme je tiens vivement à être connu de vous, je vous envoie quelque chose de plus que ce que vous m'avez demandé.

« Dans les deux brochures (Richard Wag-

@^ 86 --^g:

ner, Théophile Gautier), vous trouverez quel- ques pages qui vous plairont.

« Voici les Paradis, auxquels j'ai la fai- blesse d'attribuer quelque importance. La pre- mière partie est entièrement de moi. La seconde est l'analyse du livre de de Quincey, auquel j'ai ajouté par-ci par-là quelques idées qui me sont personnelles; mais avec une grande mo- destie.

« Voici les Fleurs, le dernier exemplaire sur bon papier. La vérité est qu'il vous était des- tiné depuis très-longtemps. Tous les anciens poèmes sont remaniés. Tous les nouveaux, je les marque au crayon à la table des matières. Le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu'on reconnaisse qu'il n'est pas un pur album et qu'il a un commencement et une fin. Tous les poèmes nouveaux ont été faits pour être adaptés à un cadre singulier que j'avais choisi.

« J'ajoute un vieux numéro de revue et vous trouverez un commencement de tentative nouvelle, qui peut-être vous intéressera. Jules

<3<^ 87 ^*g;

Janin et Sainte-Beuve y ont trouvé quelque ragoût. Quant aux articles sur les beaux-arts et la littérature, je n'en ai pas un seul sous la main.

« Si je peux dénicher un exemplaire de la vieille édition des Fleurs, je vous l'enverrai.

« Enfin, voici les poésies de Poë. Je ne vous recommande rien; tout est également intéres- sant. Ne me rendez pas ce volume; je possède un second exemplaire.

« Monsieur, je vous remercie de nouveau pour la manière charmante dont vous m'avez accueilli. Quelque grande que fût l'idée que je m'étais faite de vous, je ne m'y attendais pas. Vous êtes une preuve nouvelle qu'un vaste talent implique toujours une grande bonté et une exquise indulgence.

« CHARLES BAUDELAIRE.

« 22, rue d'Amsterdam. » Cette dernière lettre a être écrite vers le milieu de décembre 186 r. Baudelaire jouait sérieusement son rôle de candidat. Il conti- nuait ses visites et faisait agir ses amis, témoin

^^, 88 "^g;

ce billet au crayon qu'il adressa, vers cette époque, à son ami Charles Asselineau : « Mon cher ami,

« Tâchez de savoir, non pas si je peux met- tre Emile Augier de mon bord (je crois cela impossible), mais si je puis me présenter chez lui avec sécurité, c'est-à-dire sans me manquer à moi-même.

« Est-il lié avec Ponsard ?

« Croyez-vous que je pourrais, sans indis- crétion et avec chances, prier Janin de dire quelques mots de mon affaire ?. « Tout à vous,

« C. B., 22, rue d'Amsterdam. »

« Vous savez qu'il (Augier) a changé d'a- dresse. »

On sait qu'Emile Augier, un des maîtres de l'école du bon sens, avait été peu ménagé par Baudelaire et ses amis, mais c'était Ponsard qui avait été l'objet des railleries les plus amè- res et les plus assidues. Boileau et Racine ne se moquèrent pas d'un meilleur cœur de la

0*^,. 89 -*®*g;

perruque de Chapelain. Aussi voit-on Baude- laire demander avec quelque effroi si l'auteur d'Agnès de Mêranie est lié avec l'auteur de la Cigu'ê. Et «îjuand on songe que Ponsard et Augier étaient, comme poètes, beaucoup plus voisins du candidat que les autres académi- ciens, on voit dans quelle entreprise chimé- rique s'était jeté cet homme extraordinaire. Si paradoxal qu'il fût, il éprouva quelque découragement. Toutefois, cette incroyable aventure fut inopinément soutenue par un académicien, dans le Constitutionnel. Un arti- cle de Sainte-Beuve, publié le 20 janvier 1862, et consacré à un examen des divers candidats, traitait Baudelaire sérieusement, avec sympa- thie, avec estime, et le grand critique semblait choisir Baudelaire pour son candidat, sans se faire, d'ailleurs, aucune illusion sur le résultat du vote. Il parla avec politesse de tous les con- currents, réserva Baudelaire pour la bonne bouche et lui consacra les lignes suivantes, qui n'ont rien de banal :

« On s'est demandé d'abord si M. Baude- laire, en se présentant, voulait faire une niche à l'Académie, et une épigramme, s'il ne pré- tendait point l'avertir par qu'il était bien temps qu'elle songeât à s'adjoindre ce poè'te et cet écrivain si distingué et si habile dans tous les genres de diction, Théophile Gautier, son maître. On a eu à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire à plus d'un membre de l'Académie qui ignorait totalement son exis- tence. Il n'est pas si aisé qu'on le croirait de prouver à des académiciens politiques et hom- mes d'État comme quoi il y a, dans les Fleurs du Mal, des pièces très-remarquables vraiment pour le talent et pour l'art; de leur expliquer que, dans les petits poëmes en prose de l'auteur, le Vieux Saltimbanque et les Veuves sont deux bijoux, et qu'en somme, M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité d'une langue de terre, réputée inhabitable, et par delà les confins du romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais coquet

et mystérieux, on lit de l'Edgar Poë, Ton récite des sonnets exquis, l'on s'enivre avec le haschich pour en raisonner après, l'on prend de l'opium et mille drogues abomina- bles dans des tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque fait en marqueterie, d'une originalité concertée et composite, qui depuis quelque temps attire les regards à la pointe extrême du Kamtschaska romantique, j'ap- pelle cela la folie de Baudelaire. L'auteur est content d'avoir fait quelque chose d'impossible, on ne croyait pas que personne pût aller. Est-ce à dire, maintenant et quand on a tout expliqué de son mieux à de respectables con- frères un peu étonnés, que toutes ces curiosités, ces ragoûts et ces raffinements leur semblent des titres pour l'Académie, et l'auteur lui- même a-t-il pu sérieusement se le persua- der ? Ce qui est certain, c'est que Baudelaire gagne à être vu, que l'on s'attendait à voir entrer un homme étrange, excentrique, on se trouve en présence d'un candidat poli,

respectueux, exemplaire, d'un gentil garçon, fin de langage et tout à fait classique dans les formes (1). »

Cet article ne modifiait pas le fond des choses, mais il prêtait un appui public à Bau- delaire, qui reprit courage. Et, comme si son idée n'était pas encore assez étrange, extraor- dinaire, bizarre, il la modifia. Il renonça au fauteuil de Scribe et brigua celui du Père Lacordaire! Il se hâta de faire part sérieuse- ment à Sainte-Beuve et à Alfred de Vigny de cette prodigieuse imagination. La lettre qu'il écrivit à ce dernier, le 26 janvier 1862, est d'une gravité exemplaire : « Monsieur,

« Je suis bien persuadé que vous ne m'avez pas cru capable d'oublier un instant votre admirable accueil, ni la permission que vous m'avez donnée de compter sur vos conseils. Dans la fin de décembre et au commencement de ce mois, j'ai fait quelques efforts inutiles

1) Nouveaux lundis, t. I, p. 397.

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pour trouver quelques-uns de ces messieurs que je tenais vivement à voir, MM. Sandeau, de Sacy, Ponsard, Saint-Marc Girardin, Le- gouvé. Puis, je me suis senti repris par mes névralgies périodiques [mes seuls titres auprès de M. Viennet)\ puis par une grosse douleur morale, une de celles qui ne veulent pas être dites (comme disent les Anglais); puis par un accident physique; puis, enfin, par l'impérieuse nécessité de travailler. En voilà plus qu'il n'en faut pour expliquer le découragement dans une tentative aussi paradoxale que la mienne. Cependant je vais m'y remettre activement. Je possède maintenant un nombre suffisant d'exemplaires de mon petit bagage littéraire pour en faire quelques hommages.

'< Je consacrerai tout le commencement de février à mes visites.

« Tout bien considéré, je ne suis pas fâché d'avoir tant lambiné; cela m'a permis de réflé- chir sur une foule de choses que je ne connais- sais guère.

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« Avant de prendre une décision définitive, j'ai voulu avoir votre avis. Selon votre réponse, j'écrirai, avant mercredi, une lettre à M. Ville- main, destinée à être communiquée à MM. de l'Académie.

« Cette lettre, d'une forme un peu aban- donnée, comme peut l'être celle d'un novice, dira en substance que, à défaut d'une res- semblance complète entre les ouvrages du défunt et ceux du candidat, l'enthousiasme du dernier me parait une raison suffisante d'option, dans le cas de deux fauteuils va- cants ;

« Que, d'après cette théorie, le candidat le plus parfait qu'on puisse supposer devrait s'abstenir, s'il ne trouvait pas dans la vie et les ouvrages du défunt autre chose que des motifs d'admiration raisonnée, c est-à-dire la sympathie et l'enthousiasme;

« Que, le père Lacordaire excitant en moi cette sympathie, non-seulement par la valeur des choses qu'il a dites, mais aussi par la

®^S^ 95 "^xg5

beauté dont il les a revêtues, et se présentant à l'imagination non-seulement avec le carac- tère chrétien, mais aussi avec la couleur romantique (j'arrangerai cela autrement),^ prie M. Villemain d'instruire ses collègues que fopte pour le fauteuil du père Lacor- daire.

« Par ce moyen, il me semble que je gagne quelques jours de plus; que je pourrai peut- être, me trouvant seul en face de M. de Broglie, puisque Philarète Chasles se retire, obtenir quelques voix hommes de lettres.

« Et enfin, le sentiment et l'instinct me persuadent qu'il faut toujours se conduire uto- piquement, c'est-à-dire comme si on était sûr d'être élu, quand même on est certain de ne pas l'être.

« La première fois que je parlai de mon projet à Sainte-Beuve, il me dit, en riant : « C'est fort bien, je reconnais votre caractère ; votre tentative ne m'étonne pas; je parierais que, pour compléter votre audace, vous allez

opter pour le fauteuil de Lacordaire. » En vérité , c'était mon intention ; mais cette plaisanterie me déconcerta, et je craignis de paraître trop excentrique, surtout aux yeux des gens qui ne me connaissent pas du tout.

« Si je voulais pousser ma démonstration de la nécessité de sympathie jusqu'à l'extrême rigueur, je composerais une étude critique et biographique sur le père Lacordaire, et je la ferais imprimer au moment de la réception du candidat; mais c'est une gageure de prodi- gue, et il suffit qu'il y ait dans ce projet un peu d'impertinence pour que je le repousse.

« Je ne prendrai pas de décision avant d'avoir reçu votre avis. Je dois vous dire que j'ai écrit une lettre à peu près analogue à mon excellent ami Sainte-Beuve, et que j'attends également une réponse de lui.

« J'ai été sérieusement malade, mais, ab- straction faite de la santé , de la paresse, du travail et de plusieurs autres considéra- tions, j'éprouvais un certain embarras à me

retrouver devant vous, après vous avoir en- voyé mes livres.

« Songez, monsieur, à ce que peuvent être, pour nous autres littérateurs de quarante ans, ceux qui ont instruit, amusé, charmé notre jeunesse, nos maîtres, enfin !

« Vous n'avez peut-être pas deviné la raison pour laquelle je vous ai adressé un petit jour- nal contenant quelques vers de moi : c'était simplement à cause d'un sonnet sur un certain coucher de soleil, j'avais essayé d'exprimer ma piété !

« Parlez-moi sans façon, je vous en prie, car, dans des matières dont j'ai si peu l'expé- rience, il n'y aurait pas de honte pour moi à mal raisonner.

« Je vous prie d'agréer, monsieur, une fois de plus, l'expression de ma gratitude et de ma sympathie toute dévouée.

« CHARLES BAUDELAIRE

« 22, rue d'Amsterdam. « Dimanche, 26 janvier 62. »

Les réponses ne se firent pas attendre, témoignage nouveau de l'estime réelle que ces deux grands écrivains professaient pour le candidat. Sainte-Beuve, qui venait d'écrire l'article reproduit plus haut, dissuada Bau- delaire de cette antithèse Lacordaire, qui cho- querait l'Académie, et il exprima son opinion avec la malice et la brusquerie qui faisaient le fond de son caractère :

« Ce 26 janvier 1862. « Mon cher enfant,

« Je suis charmé de votre remercîment; j'en étais même un peu inquiet, je vous l'avoue, car, en chatouillant, on n'est jamais sûr de ne pas trop gratter. Je ne vous conseille pas de poser par une lettre cette antithèse Lacordaire. Je crois qu'il vaudrait mieux laisser les choses comme elles sont, sans plus écrire. Mais ce choix exprès du père LacordaL e, le catholique-roman- tique, paraît excessif et choquant, ce que votre bon goût de candidat ne veut pas faire (1). »

(1) Correspondance de Sainte-Beuve, 1. 1, p. 282.

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Certes, Baudelaire avait du goût, mais il aimait, sinon choquer son monde, du moins le surprendre et l'étonner. Et, à cet égard, Van- tithese Lacordaire était un coup de maître.

Alfred de Vigny, dont l'esprit grave et triste n'était nullement ouvert à la plaisanterie, prit au sérieux la nouvelle fantaisie de Baudelaire et lui écrivit la lettre suivante (i) :

« Lundi, 27 janvier 1862.

« Depuis le 3o décembre, Monsieur, j'ai été très-souffrant et presque toujours au lit.

« je vous ai lu et relu, et j'ai besoin de vous dire combien de ces Fleurs sont pour moi des Fleurs du Bien et me charment (2). Combien aussi je vous trouve injuste envers ce bouquet souvent si délicieusement parfumé de printan- nières odeurs, pour lui avoir imposé ce titre indigne de lui, et combien je vous en veux de l'avoir empoisonné par je ne sais quelles éma-

(1) Cette lettre a été publiée pour la première fois, en 1870, par M. Charles Asselineau dans Y Amateur d'autographes, 202, p. 143. Je la reproduis ici d'après la minute d'Alfred de Vigny.

(2) Cf. lettre de Sainte-Beuve sur les Fleurs du Mal aux Pièces justificatives, VII.

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«

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nations du cimetière d'Hamlet. Si votre santé vous permet de venir voir comment je m'y prends pour cacher les blessures de la mienne, venez mercredi, 2g, à 4 heures. Vous saurez, vous verrez, vous toucherez comment je vous ai lu; mais ce que vous ne saurez pas, c'est avec quel plaisir je lis à d'autres, à des poètes, les véritables beautés de vos vers encore trop peu appréciés et trop légèrement jugés.

« Vous m'aviez dit que votre lettre officielle- ment académique était envoyée; c'était, à mes yeux, une faute, et je vous l'ai dit, mais elle était irréparable. Je me résignais à vous voir égaré dans le labyrinthe. A présent que vous m'écrivez que ce n'est qu'un projet, je vous con- seille de ne pas écrire un mot qui ait pour but de vous faire inscrire comme candidat à aucun des fauteuils vacants.

« J'aurai le temps de vous en dire les raisons très-sérieuses, et vous les comprendrez. On se méprend presque toujours sur soi. Sans vous connaître encore, il me semble qu'en beaucoup

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de choses, vous ne vous prenez pas assez au sérieux vous-même.

« Ne jetez pas ainsi au hazard votre nom, votre rare talent, vos actions, vos lettres et vos propos ; et surtout venite ad me.

Baudelaire avait du moins réussi, puisqu'il amenait deux académiciens des plus illustres à raisonner tout au long sur son étonnante fan- taisie. Cependant, le jeudi 6 février 1862, les académiciens se réunirent pour élire un succes- seur à Scribe. Jamais on n'avait vu une si grande quantité de candidats. La lutte fut longue; il n'y eut pas moins de treize tours de scru- tin (1). MM. Camille Doucet et Autran obtin- rent au dernier tour chacun douze voix, mais sans réunir la majorité absolue , trois voix

(1) Cf. Journal des Débats du 7 février 1862 et le numéro vin des Pièces justificatives.

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s'étant portées sur M. Cuvillier-Fleury et une sur M. Octave Feuillet. L'Académie, fatiguée de ces votes inutiles, renvoya l'élection à deux mois.

Cette séance fut un avertissement pour Bau- delaire, dont le nom ne fut même pas pro- noncé. Trois jours après, Sainte-Beuve appuya de nouveau sur les raisons qu'il avait déjà expo- sées à son jeune ami :

« Ce 9 février 1862. « Cher ami, « Je suis bien muet avec vous, c'est que je suis bien bavard avec le public.

« Je vous ai dit, raisonnablement, qu'il n'y avait rien à faire selon moi. Votre candidature n'a pas été mal prise par le public; on a été assez bien et même fort bien dans la presse. « Laissez l'Académie pour ce qu'elle est, plus surprise que choquée, et ne la choquez pas en revenant à la charge au sujet d'un mort comme Lacordaire. Vous êtes un homme de mesure et vous devez sentir cela. »

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Cette fois, Baudelaire, dont la position était intenable, battit en retraite. Il déféra aux sages conseils qui lui étaient donnés, et il écrivit au secrétaire perpétuel de l'Aca- démie une lettre de désistement, conçue dans des termes si modestes et si polis, que sa lec- ture fut accueillie avec sympathie par les aca- démiciens. Sainte-Beuve en avertit aussitôt le poète par ce billet du i5 février 1862 : « Ce i5 février 1862. « Mon cher ami,

« Votre lettre a été lue avant-hier ; votre désis- tement n'a pas déplu ; mais, quand on a lu votre dernière phrase de remercîment, conçue en ter- mes si modestes et si polis, on a dit tout haut : Très-bien ! Ainsi vous avez laissé de vous une bonne impression : n'est-ce donc rien ?

« Tout à vous. »

Ainsi, cette affaire de candidature, qui tour- nait à la mystification, fut inopinément dénouée par un acte de courtoisie. Tout est bien qui finit bien.

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Baudelaire se piquait de politesse et, de toutes ses prétentions, celle au bon ton n'était pas la plus déplacée. Il se montra attentif, empressé, délicat, dans sa correspondance avec Alfred de Vigny. Une lettre, qu'il lui adressa pendant la période de compétition, ne sent pas trop le can- didat. Pourtant cette épître, accompagnant Par- ticle de Sainte-Beuve, pouvait prêter, sans trop d'indiscrétion, à des développements person- nels. Cette lettre, qu'on va lire, présente, dans son aspect même, une particularité qui n'est pas insignifiante. Elle est coupée et comme hachée d'alinéas très-courts. Beaucoup de mots y sont soulignés (1). Or, les médecins aliénis- tes ont remarqué que, dans la première phase des affections mentales, le malade ne peut écrire sans éprouver le besoin de mettre les mots en vedette, de les détacher et de les souligner. Il y a donc comme un premier indice, bien léger encore, du trouble cérébral qui devait bientôt

(1) Cette observation s'applique aussi à la lettre du 26 janvier 1862, Baudelaire développa son antithèse Lacordaire. Des phrases entières y sont soulignées.

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perturber définitivement la rare intelligence de Charles Baudelaire. Je reproduis cette lettre :

«. Monsieur,

« Voici le terrible article Sainte-Beuve , le manifeste.

« Voici, en outre, deux sixains d'excellentes ballades de Th. de Banville, qui certainement vous intéresseront.

« Je puis bien, sans honte, mettre des son- nets dans le Boulevard, puisqu'un poète tel que Banville veut bien m'y tenir com- pagnie.

« Tous les effroyables compliments dont vous avez bien voulu accabler mes vers me donnent à craindre pour mes élucubrations en prose. Mais vous m'avez donné la soif de votre sympathie.

« On s'oublie si bien à côté de vous, Mon- sieur, que j'ai négligé hier de vous parler de la bonne aie et de la mauvaise aie. Puisque vous voulez essayer de ce régime, défiez-vous comme

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de la peste (ce n'est point exagérer ; j'en ai été malade] de toute bouteille portant l'étiquette Harris. C'est un affreux empoisonneur.

« Bien qu'Allsopp et Bass soient de bons fabricants (Bass surtout), il faut bien se défier de même de leurs étiquettes, parce qu'il doit exister des contrefacteurs. Le plus raisonnable est de vous adresser à Fun des deux endroits honnêtes que je vais vous indiquer et de prendre leur aie de confiance.

« Rue de Rivoli, presque auprès de la place de la Concorde, un nommé Gough, qui tient un bureau de locations d'appartements, et vend en même temps des vins espagnols et des bières avec des liqueurs anglaises.

« Pais, à deux pas de chez moi, sans doute au 26, rue d'Amsterdam, à la taverne Saint- Austin. Il ne faut pas la confondre avec une autre taverne qui la précède et qui est tenue par des Allemands; bière et porter y sont excellents et à bon marché.

« Je crois que Gough vend aussi de très-

o*^. 107 •"§>© vieille aie, outre ses aies ordinaires, mais elle est d'une force extrême.

« Vous ne trouverez pas mauvais, n'est-ce pas ? que je m'ingère dans ces petits détails qui intéressent votre hygiène et que je vous fasse part de mon expérience parisienne.

« Votre bien dévoué et bien reconnaissant,

« CHARLES BAUDELAIRE. »

« Il m'est, pour le moment, impossible de retrouver le Corbeau avec la méthode de com- position qui lui sert de commentaire. »

Il parait, d'après cette lettre, que Baudelaire joignit au numéro du Constitutionnel un nu- méro d'un journal plus obscur, le Boulevard, fondé par Carjat et ouvert aux poètes de la nouvelle école. Théodore de Banville, qui de- venait un maître, donna en effet à cette feuille littéraire de jolies ballades, publiées depuis en volume et mises en musique par M. Cresson- nois. Ces petits présents de Baudelaire mar- quaient une déférence que l'auteur d'Éloa s'était attirée par son âge, par sa gloire un peu effacée

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mais pure, et aussi par l'accueil courtois qu'il avait fait aux premiers envois de l'auteur des Fleurs du Mal. Baudelaire, perspicace et soup- çonneux, ne devait pas se croire tout à fait compris par le poète chaste et vieilli. Ces Fleurs du Mal, qui seraient mieux appelées des Fleurs du Bien, n'étaient en somme qu'un madrigal un peu fade. Parler de la sorte, était-ce vrai- ment louer le plus satanique des poètes ? En tous cas les compliments de Vigny étaient, quoi qu'en dît Baudelaire, plus doux qu'ef- froyables.

Après quelques cérémonies, Baudelaire (le lecteur l'a vu) chevauche son dada et le voilà parti à travers les champs de la gastronomie. Il passe toutes les bières en revue, et disserte sur l'aie et le porter avec une science longue- ment acquise dans ces brasseries il avait usé son talent et sa vie. Il ne s'en tint pas à ces considérations et envoya un autre jour à l'académicien malade un second billet culi- naire :

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« Monsieur,

« Je vous ai vu souffrir, et j'y pense souvent. Un de mes amis, dont V estomac est dans un état fort triste, m'a dit que Guerre, le pâtis- sier anglais, dont la maison fait le coin de la rue Castiglione et de la rue de Rivoli, fait des gelées de viande combinées avec un vin très- chaud, Madère ou Xérès sans doute, que les estomacs les plus désolés digèrent facilement et avec plaisir! C'est une espèce de confiture de viande au vin, plus substantielle et nourris- sante qu'un repas composé.

« J'ai présumé que ce document méritait de vous être transmis.

« Votre bien dévoué

« CHARLES BAUDELAIRE. »

Nous sommes touchés de voir le charitable Baudelaire préconiser à son ancien en poésie les gelées combinées avec un vin très-chaud, mais, en songeant que Vigny était alors affecté d'un cancer à l'estomac, on peut trouver quelque affectation à ce luxe d'hygiène. L'abbé

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Grisel, dont parle Voltaire, était du moins plus logique

De prêcher l'abstinence à qui ne peut manger.

Baudelaire était coutumier du fait. N'avait- il pas envoyé, deux ans auparavant, du pain d'épices à son maître Sainte-Beuve (i) ?

Les goûts gastronomiques étaient invétérés chez Baudelaire, qui réagissait par des théories culinaires contre les affectations éthérées des poètes de i83o. Sa Fanfarlo, publiée dès 1847 dans le bulletin de la Société des gens de let- tres, contient une théorie très-explicite du « système d'alimentation nécessaire aux na- tures d'élite. » On y parle avec mépris de viandes niaises et de poissons fades; on y vante le bataillon lourd et serré des Bourgogne; on y exalte les viandes qui saignent et les vins qui charrient l'ivresse; il y est dit que la truffe,

(1) Ce fait résulte de la lettre suivante, écrite, le 3 juillet 1860, par Sainte-Beuve à Baudelaire :

« J'ai goûté le pain d'épice à l'angélique. J'y ai reconnu votre bonne grâce et votre gâterie habituelle ; vous êtes un friand et vous m'avez traité comme tel. Hélas! je suis peut-être un peu plus glouton que vous ne me croyez. » {Correspondance de Sainte-Beuve, t. I, p. 256.)

cette végétation sourde et mystérieuse de Gybèle, fait la distinction du monde ancien et du moderne. Enfin, on conclut par la nécessité d'appeler toute la pharmacie de la nature au secours de la cuisine.

On dîne entre académiciens, mais on disserte peu sur les mets. La science culinaire n'est pas un titre aux yeux des quarante. Ni Grimod de la Reynière, ni Brillât-Savarin, ni cet illustre écrivain-pâtissier, qui considérait la pâtisserie comme une des branches principales de l'ar- chitecture, ni ce pieux maître queux qui dédia son livre à la sainte Vierge, ni même Alexan- dre Dumas, auteur du Grand dictionnaire de cuisine, ne furent accueillis par les académi- ciens, qui estiment, dit-on, un dîner entre gens d'esprit, mais qui veulent laisser à leur maître d'hôtel un genre de gloire et d'immortalité.

Le fauteuil de Scribe resta vacant (i), comme

(ij Le 3 avril 1S62 eut lieu la nouvelle élection : MM. Cuvillier- Fleury, Autran et Léon Halevy ayant retiré leur candidature, MM. Camille Doucet et Octave Feuillet restèrent seuls en présence. C'est le second qui fut élu par 21 voix contre 10 données à son com- pétiteur. (Cf. Journal des Débats du 4 avril 1862.)

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nous l'avons vu ; il n'en fut pas de même de celui du Père Lacordaire. Le 20 février 1862, le prince Albert de Broglie fut élu, au premier tour de scrutin, en remplacement de i'illustre dominicain dont Baudelaire se flattait de pro- noncer l'éloge (1).

L'année suivante, le 17 septembre 1 863, Alfred de Vigny, drapé avec une affectation bienséante dans son manteau militaire, mourut avec ce stoïcisme tranquille qui lui avait inspiré les magnifiques vers de la Mort du loup :

A voir le peu qu'on est sur terre et ce qu'on laisse, Seul le silence est grand : tout le reste est faiblesse.

Baudelaire ne renouvela pas sa tentative académique. L'effort qu'il avait tenté et que j'ai suivi avec l'attention minutieuse que mérite le travail singulier d'une rare intelligence, témoigne déjà, il faut le reconnaître, d'une tension et d'un trouble dans les facultés intel- lectuelles. L'étrange candidat était, en effet, prédisposé à une affection qui frappe trop sou-

(1) Le prince de Broglie, seul candidat, obtint 22 voix. Il y eut sept billets blancs. (Cf. Journal des Débats du 21 février 1862.)

vent les gens de lettres, dont le cerveau est surmené. Il mourut à Paris, le 3i août 1867, des suites d'une hémiplégie, qui avait détruit en lui tout moyen d'expression, sans abolir sa faculté de comprendre. Un pareil état comporte une quantité de tortures qu'il est à peine pos- sible d'imaginer. Je puis citer un petit fait qui caractérise bien la longue agonie du poète.

Baudelaire, alors paralysé et aphasique, ne donnant plus aucun signe d'intelligence, reçut, dans la maison de santé il était gardé, la visite de deux personnes. Une d'elles se mit à converser, sans tenir compte de la présence du malade, et parla de Sainte-Beuve avec mal- veillance. Baudelaire essaya vainement de lui exprimer son mécontentement. L'impuissance le rendit furieux et il tenta de frapper de son bâton de paralytique l'homme qui l'avait blessé dans son affection et dans sa sympathie.

Claude Bernard peint avec puissance, dans une de ses magnifiques leçons sur le curare, les effroyables tortures de l'homme qui, atteint

par une goutte du poison indien, assiste, dans la plénitude de son intelligence, à son anéantissement total. Cette suprême angoisse dure quelques minutes; l'hémiplégique l'é- prouve pendant des mois et des mois. Baude- laire a assez payé ses affectations de vice, ses recherches de célébrité malsaine, son goût tout littéraire des méchancetés et des crimes; son œuvre nous reste; elle est belle jusque dans ses parties gâtées ; elle abonde en vers délicats ou magnifiques; elle témoigne d'une parfaite probité littéraire. C'est l'œuvre d'un poète exquis, profond, auquel personne ne peut être comparé. Admirons la beauté livide des Fleurs du Mal, sachant qu'il n'y a pas de beau absolu, et qu'en art comme dans la vie la santé par- faite est une vaine entité.

Ce serait une injustice et une erreur de conclure de ces épisodes académiques et de

beaucoup d'autres, plus connus, que l'Académie française, comme on l'a dit plus spirituellement qu'exactement, accueille dans son sein beaucoup d'hommes célèbres, même des littérateurs. Depuis i634 jusqu'à nos jours, la liste des aca- démiciens présente un tableau assez complet de la littérature française, et, parmi les maîtres, si les omissions sont parfois éclatantes, du moins ne sont-elles pas nombreuses. Il ne faut pas oublier que l'Académie est une réunion de gens de bonne compagnie, cultivant, aimant ou protégeant les belles-lettres. Elle n'est pas et n'a jamais été étrangère à l'esprit de parti, à la coterie ; mais quelle société ne mérite un pareil reproche ? Elle a souvent fait faire antichambre à des hommes d'une renommée éclatante, tandis qu'elle accueillait du premier coup des person- nalités de moindre valeur. L'Académie n'est pas bruyante et fuit volontiers l'éclat ; aussi n'admet-elle que tardivement les penseurs et les novateurs. Ceux-ci, d'ailleurs, ne la courtisent guère, quand ils n'affectent pas pour elle du

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dédain. En somme, au dix-neuvième siècle, la plupart de ceux qui ont cultivé les lettres ont fait partie de l'Académie. Les chefs de l'école romantique, sauf Balzac et Gautier, y ont été admis. Telle qu'elle est encore aujourd'hui, l'Académie française est la première société littéraire du monde.

PIECES JUSTIFICATIVES

PIEGES JUSTIFICATIVES

I. LETTRE SUR LES MACHABEES

Cette lettre du baron Guiraud fut adressée le 3o juin 1822 au ministre de la maison du Roi, à l'occasion de la représentation à l'Odéon de la tragédie des Machabées : « Monseigneur,

« Puisque les grandes occupations de votre Excel- lence ne me permettent pas de l'entretenir, je viens lui faire part d'une des principales observations que j'avais à lui communiquer.

« On m'a remis, de l'administration, une note d'excé- dant de billets donnés aux deux premières représen- tations. Cette note, déduction faite de plusieurs erreurs, doit être réduite à 1000 fr. environ; ce qui fait sup- poser que j'ai donné, à chacune de ces deux représen-

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tations, i5o billets de plus que je ne le devais. J'avoue qu'en comparant cette modique quantité de billets donne's à celle qu'on donne à tous les théâtres pour soutenir un ouvrage nouveau, je suis peut-être fâché de ne pas l'avoir dépassée encore, dans mon intérêt et par conséquent dans ceux du théâtre. Mais mon caractère répugne à tous les genres de charlatanerie, et j'ai cédé le moins que j'ai pu à un usage devenu une nécessité. Je me trouvais, d'ailleurs, dans une posi- tion particulière.

« Je savais que mon sujet était repoussé par tout le parti libéral, qui n'est pas sans influence au parterre de l'Odéon, et qu'il était d'une haute importance pour moi d'opposer à une malveillance prononcée d'avance une masse d'amis capable de la contenir. L'expérience prouva, à la première représentation, que je ne m'étais pas trompé. A la seconde il fallait réparer les fautes commises par les acteurs à la première et imposer en quelque sorte au public avec quelques modifications une situation dramatique qu'il avait hautement repous- sée. Cent cinquante billets distribués sur une salle si vaste n'étaient pas de trop pour cela. Une fois que le succès a été établi, au lieu de donner un excédant de billets, je n'ai pas même fait usage de ceux que j'ai le droit de donner ; et, à la représentation d'hier 29, sur 24 billets de droits je ne crois pas en avoir donné 10.

« Ce que j'ai fait, Monseigneur, aux deux premières

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représentations, a donc e'té une chose indispensable et l'administration, au lieu de m'en blâmer, doit m'en remercier, puisque en assurant mon succès j'ai assuré ses recettes. Et, comme je n'ai qu'un dixième sur elle, elle tire de ce que j'ai l'ait dix fois plus d'avantage que moi. Remarquez d'ailleurs, Monseigneur, que rien n'a été perdu, puisqu'aucun billet payant n'a été refusé et qu'il y avait encore de la place dans la salle.

« J'ajouterai à toutes ces observations qui me parais- sent si justes une dernière, qui a bien son importance. C'est que le premier théâtre français, pour assurer le succès de pièces que le gouvernement ne doit pas trop approuver, use bien plus largement que moi des moyens que j'ai employés ; que plus de 800 billets sont donnés chaque jour pour Régulus; et qu'enfin il ne serait peut-être pas convenable de présenter à un public hostile une pièce religieuse sans la soutenir un peu par quelques-uns des avantages que les autres employent si libéralement pour les ouvrages que protège leur parti.

« Toutes ces considérations me font espérer que votre Excellence m'accordera sans difficulté la demande que je lui fais d'annuller la note d'excédent qui m'a été remise. S'il en était autrement, il y aurait vrai- ment trop de désavantage à composer des ouvrages qui renferment de saines doctrines et à les faire jouer à l'Odéon. Je n'en ferais jamais dans un autre

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sens parce que ma conscience me le défendrait, mais j'aimerais mieux ne plus en faire du tout. Mais comme la justice de votre Excellence et la protection qu'elle accorde aux lettres me sont bien connues, j'ose compter sur une décision prompte et favorable, et c'est dans cet espoir que j'ai l'honneur d'être avec respect « de votre Excellence, « le très-humble et très-obéissant serviteur.

« A. DE GUIRAUD.

« Ce 3o juin 1822. » « rue Saint-Honoré, 341. » Cette lettre de Guiraud nous initie à tous les mystères d'une première représentation. Rien ne manque au tableau : la distribution des billets de faveur aux amis qui doivent protéger la pièce contre les cabales du parti libéral, la lutte, la victoire, à la seconde représentation seulement, et enfin la note des frais présentée à l'auteur. N'est-ce pas une comédie plus amusante que la tragédie qui en fut l'objet ?

II. JUGEMENT DE VIGNY SUR GUIRAUD

Le baron Guiraud mourut le 24 février 1847. Alfred de Vigny fut très-affiigé de la perte de ce fidèle ami qui l'avait si vaillamment porté à l'Académie ; il

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écrivit à ce sujet les lignes suivantes qu'a révélées la publication du Journal d'un poète (p. 212) :

« Guiraud. Sa mort, presque subite, a beaucoup attristé l'Académie. J'ai particulièrement été fort affligé de ne pouvoir siéger près de lui, comme je me l'étais promis et comme il s'en réjouissait avec moi. Une opération, maladroitement faite par un chirurgien, l'a tué.

« C'était un homme qui tenait de l'écureuil par sa vivacité, et il semblait toujours tourner dans sa cage. Ses cheveux rouges, son parler vif, gascon, pétulant, embrouillé, lui donnaient l'air d'avoir moins d'esprit qu'il n'en avait en effet, parce qu'il perdait la tête dans la discussion et s'emportait à tout moment hors des rails de la conversation. Mais très-sensible, très-bon, très-spirituel, doué d'un sens poétique très-élevé : c'est une perte très-grande pour le pays et pour le corps. »

III. VISITE DE VIGNY A RO YE R-COLLARD

Voici le récit de cette singulière visite, tel qu'on le trouve dans le Journal d'un poète (Paris, Michel Lévy, 1867, in-12, p. 1 83 et suiv.) :

« Dimanche, 3o janvier 1842. En descendant de

voiture, j'ai fait porter ma carte de visite à M. Royer- Collard par une femme qui était seule dans l'anti- chambre. Presque à l'instant est venu un pauvre vieillard, rouge au nez et au menton, la tête chargée d'une vieille perruque noire, et enveloppé de la robe de chambre de Géronte, avec la serviette au col du léga- taireuniversel. Voici mot pour mot notre conversation :

(Il était debout et appuyé à demi contre le mur).

« r.-c. Monsieur, je vous demande bien pardon, mais je suis en affaire, et ne puis avoir l'honneur de vous recevoir; j'ai mon médecin.

« a. de v. Monsieur, dites-moi un jour je puisse vous trouver seul, et je reviendrai.

« r.-c. Monsieur, si c'est seulement la visite obli- gée, je la tiens comme faite.

« a. de v. Et moi, Monsieur, comme reçue, si vous voulez ; mais j'aurais été bien aise de savoir votre opinion sur ma candidature.

« r.-c. Mon opinion est que vous n'avez pas de chances... (Avec un certain air qu'il veut rendre iro- nique et insolent) Chances ! N'est-ce pas comme cela qu'on parle à présent?

« a. de v. Je ne sais pas comment on parle à pré- sent: je sais seulement comment je parle et comment vous parlez dans ce moment-ci.

« r.-c. D'ailleurs, j'aurais besoin de savoir de vous- même quels sont vos ouvrages.

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« a. de v. Vous ne le saurez jamais de moi-même, si vous ne le savez déjà par la voix publique. Ne vous est-il jamais arrivé de lire les journaux?

« r.-c. Jamais.

« a. de v. Et, comme vous n'allez jamais au théâtre, les pièces jouées un an ou deux ans de suite aux Français et les livres imprimés à sept ou huit éditions vous sont également inconnus ?

« r.-c. Oui, Monsieur; je ne lis rien de ce qui s'écrit depuis trente ans; je l'ai déjà dit à un autre. (Il voulait parler de Victor Hugo.)

« a. de v. (en prenant son manteau pour sortir et le jetant négligemment sur son épaule). Dès lors, Monsieur, comment pouvez-vous donner votre voix, si ce n'est d'après l'opinion d'un autre?

« r.-c. (interdit et s'enveloppant dans sa robe de malade imaginaire). Je la donne, je la donne.... Je vais aux élections ; je ne peux pas vous dire com- ment je la donne, mais je la donne enfin.

« a. de v. L'Académie doit être surprise qu'on donne sa voix sur des œuvres qu'on n'a pas lues.

« r.-c. Oh! l'Académie, elle est bonne personne, elle, très-bonne, très-bonne. Je l'ai déjà dit à d'autres, je suis dans un âge l'on ne lit plus, mais l'on relit les anciens ouvrages.

« a. de v. Puisque vous ne lisez pas, vous écri- vez sans doute beaucoup ?

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« r.-c. Je n'écris pas non plus, je relis.

« a. de v. J'en suis fâché; je pourrais vous lire.

« r.-c. Je relis, je relis.

« a. de v. Mais vous ne savez pas s'il n'y a pas des ouvrages modernes bons à relire, ayant pris cette coutume de ne rien lire.

« r.-c. (assez mal à Taise). Oh! c'est possible, Monsieur, c'est vraiment très-possible.

« a. de v. (marchant vers la porte et mettant son manteau). Monsieur, il fait assez froid dans votre antichambre pour que je ne veuille pas vous y retenir longtemps; j'ai peu l'habitude de cette chambre-là.

« r.-c. Monsieur, je vous fais mes excuses de vous y recevoir.

« a. de v. N'importe, Monsieur, c'est une fois pour toutes. Vous n'attendez pas, je pense, que je vous fasse connaître mes œuvres : vous les découvrirez dans votre quartier ou en Russie, dans les traductions russes ou allemandes, sans que je vous dise : « Mes enfants sont charmants », comme le hibou de La Fontaine.

(Ici Alfred de Vigny ouvre la porte, Royer-Collard le suivant toujours.)

« r.-c. (pour revenir sur ses paroles). Eh! mais je crois qu'il y aura deux élections.

« a. de v. Monsieur, je n'en sais absolument rien.

« r.-c. Si vous ne le savez pas, comment le saurais-je?

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« a. de v. Parce que vous êtes de l'Académie et que je n'en suis pas; je sais seulement que je me pré- sente au fauteuil de M. Frayssinous.

« r.-c. Et quelles autres personnes?

« a. de v. Je n'en sais rien, Monsieur, et ne dois pas le savoir.

(Ici il lui tourne le dos, remet son chapeau et sort sans le saluer , tandis que Royer-Collard reste tenant la porte et disant : « Monsieur, j'ai bien l'honneur de vous saluer. »)

IV. ARTICLE DE LA REVUE DES DEUX MONDES

« La bibliothèque Charpentier vient de s'enrichir des œuvres complètes de M. Alfred de Vigny. On ne peut douter que cette publication ne trouve bon accueil chez les nombreux amis de ce talent délicat et fin. Nous ne reviendrons pas sur des oeuvres que nous avons souvent appréciées ; pourtant, à une époque le sentiment de l'art sérieux tend à s'altérer et à se perdre, il n'est pas inutile peut-être de signaler encore une fois les qualités communes aux productions trop rares de M. de Vigny : l'élévation soutenue delà pensée et la sévère pureté du style. C'est jeudi prochain

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que l'Académie française doit nommer les successeurs aux sièges laissés vacants par la mort de MM. Frays- sinous et Duval. On sait que M. de Vigny est au nombre des candidats pour la succession de l'évêque d'Hermo- polis. Il a prévenu l'Académie que, dans le cas il ne serait point nommé au fauteuil de M. Frayssinous, il se reporterait candidat pour celui de M. Duval. On s'étonnerait à bon droit qu'une de ces deux successions ne fût point offerte par l'Académie française à l'auteur de Cinq-Mars et de Stello. »

V. HISTORIQUE DU ROMANTISME PAR VIGNY

« Depuis peu d'années la paix régnait avec la restau- ration. Tout semblait pour longtemps immobile. Il se trouva quelques hommes très-jeunes alors, épars, in- connus l'un à l'autre, qui méditaient une poésie nou- velle. — Chacun d'eux, dans le silence, avait senti sa mission dans son cœur. Aucun d'eux ne sortit de sa retraite que son oeuvre ne fût déjà formée. Lorsqu'ils se virent mutuellement, ils marchèrent l'un vers l'autre, se reconnurent pour frères et se donnèrent la main. Ils se parlèrent, s'étonnèrent d'avoir senti, dans les mêmes temps, le même besoin d'innovation et de

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l'avoir conçu dans des inventions et des formes totale- ment diverses. Ils se confièrent leurs idées d'abord, puis leurs sentiments et (comment s'en e'tonnerait-on?) éprouvèrent l'un pour l'autre une amitié qui dure encore aujourd'hui. Ensuite chacun se retira et suivit sa destinée. Depuis ces jours de calme, ils n'ont cessé d'alterner leurs écrits ou leurs chants. Sépare's par le cours même de la vie et ses diversions imprévues, s'ils se rencontraient, c'était pour s'encourager, par un mot, à la lutte éternelle des idées contre l'indifférence et contre l'esprit fatal de retardement qui engourdit les plus ardentes nations dans les temps il ne se trouve personne qui leur donne une salutaire secousse. Leurs œuvres se multiplièrent. Dans ce champ libre nouvellement conquis, chacun prit la voie l'appe- lait l'idéal qu'il poursuivait et qu'il voyait marcher devant lui. Soit que les uns aient donné leurs soins au coloris et à la forme pittoresque, aux nouveautés et au renouvellement du rhythme, soit que d'autres, épris à la fois des détails savants de l'élocution et des formes du dessin le plus pur, aient aimé par-dessus tout à renfermer dans leurs compositions l'examen des ques- tions sociales et des doctrines psychologiques et spiri- tualistes, il n'en est pas moins vrai que, tout en conser- vant leur physionomie particulière et leur caractère individuel, ils marchèrent tous du même pas, vers le même but, et que leur rénovation fut complète sur tous

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les points. Le nom qui lui fut donné était depuis longtemps français et puisé dans les origines de notre langue romane; il avait toujours exprimé le sentiment mélancolique produit dans l'âme par les aspects de la nature et des grandes ruines, par la majesté des horizons et les bruits indéfinissables des belles soli- tudes.

« La poésie épique, lyrique, élégiaque, le théâtre, le roman reprirent une nouvelle vie et entrèrent dans des voies, la France n'avait pas encore posé le pied. Le style qui s'affaissait fut raffermi. Tous les genres d'écrits se transformèrent, toutes les armures furent retrempées; il n'est pas jusqu'à l'histoire, et même la chaire sacrée, qui n'aient reçu et gardé cette em- preinte.

« Les arts ont ressenti profondément cette commo- tion électrique. L'architecture, la sculpture, se sont émues et ont frémi sous des formes neuves ; la peinture s'est colorée d'une autre lumière; la musique, sous ce souffle ardent, a fait entendre des harmonies plus larges et plus puissantes.

« A ces marques certaines le pays a reconnu et pro- clamé par ses sympathies l'avènement d'une école nouvelle. En effet, dans les œuvres de l'art, tout ce qui passionne aujourd'hui la nation a puisé la vie à ses sources. Il est arrivé que ceux qui semblaient combattre l'innovation prenaient involontairement sa marche, et

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lors même que des réactions ont été tentées, elles n'ont eu quelque succès qu'à la condition d'emprunter les plus essentielles de ses formes. Il appartient à l'histoire des lettres de constater la formation et l'influence des grandes écoles. Il serait ingrat de les nier, injuste et presque coupable de s'efforcer d'en effacer la trace ; car, ainsi que les couches du globe sont les monu- ments de la nature et marquent ses époques de for- mation successive, de même et aussi clairement dans la vie intellectuelle de l'humanité, les grandes écoles de poésie et de philosophie ont marqué les degrés de ce que j'oserai appeler : l'échelle continue des idées. Votre sagesse, Messieurs, a su ne point se laisser éblouir et entraîner tout d'abord par les applaudisse- ments et les transports publics, et elle a voulu attendre que le temps les eût prolongés et confirmés. Mais aussi, sans tenir compte des vaines attaques, des déno- minations puériles, des critiques violentes, et considé- rant sans doute que les excommunications littéraires ne sont pas toutes infaillibles, vous avez reçu lentement et à de longs intervalles les hommes qui, les pre- miers, avaient ouvert les écluses à des eaux régénéra- trices. »

C2=^ 1 J 2 -"^g! VI. ARTICLE DE SAINTE-BEUVE

« M. de Vigny avait provoqué cette sorte d'explica- tion en indiquant expressément lui-même (je ne veux pas dire en accusant) la lenteur qui ne permettait à l'Académie de se recruter parmi les générations nou- velles qu'à de longs intervalles. Et ici, il me semble qu'il n'a pas rendu entière justice à l'Académie. Depuis, en effet, que l'ancienne barrière a été forcée par l'en- trée décisive de M. Victor Hugo, je ne vois pas que le groupe des écrivains plus ou moins novateurs ait tant à se plaindre, et, pour ne citer que les derniers élus, qu'est-ce donc que M. de Rémusat, M. Vitet, M. Méri- mée, sinon des représentants eux-mêmes, et des plus distingués, de ces générations auxquelles M. de Vigny ne les croit point étrangers sans doute? Ce n'est donc plus à de grands intervalles, mais en sorte coup sur coup, que l'Académie leur a ouvert ses rangs.

«Elle est tout à fait hors de cause, et on n'en saurait faire qu'une question de préséance entre eux. »

VII. LETTRE DE SAINTE-BEUVE

Il est intéressant de rapprocher de la lettre de Vigny celle de Sainte-Beuve à Baudelaire sur le même

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sujet. Tout ce que l'auteur de Joseph Delorme dit à l'auteur des Fleurs du Mal est d'un goût parfait.

Je donne, d'après l'original qui est entre les mains de M. Bovet, cette lettre qui, d'ailleurs, n'est pas inédite. Elle figure dans la Correspondance publiée par M. C. Lévy :

« Mon cher ami, « Ce 20.

« J'ai reçu votre joli volume, et j'ai à vous remercier d'abord des mots aimables dont vous l'avez accompa- gné ; vous m'avez depuis longtemps accoutumé à vos bons et fidèles sentimens à mon égard. Je connaissais quelques-uns de vos vers pour les avoir lus dans divers recueils ; réunis, ils font un tout autre effet. Vous dire que cet effet général est triste ne saurait vous étonner ; c'est ce que vous avez voulu. Vous dire que [vous] n'avez reculé, en rassemblant vos fleurs, devant aucune sorte d'image et de couleur, si effrayante et affligeante qu'elle fût, vous le savez mieux que moi ; c'est ce que vous avez voulu encore. Vous êtes bien un poète de l'école de l'art, et il y aurait à l'occasion de ce livre, si l'on parlait entre soi, beaucoup de remarques à faire. Vous êtes, vous aussi, de ceux qui cherchent de la poésie partout ; et comme, avant vous, d'autres l'avaient cherchée dans des régions tout ouvertes et toutes diffé- rentes, comme on vous avait peu laissé d'espace, comme les champs terrestres et célestes étaient à peu près tous moissonnés et que, depuis trente ans et plus,

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les lyriques, sous toutes les formes, sont à l'œuvre, venu si tard et le dernier, vous vous êtes dit, j'imagine : « Eh! bien, j'en trouverai encore de la poésie, et j'en « trouverai nul ne s'était avisé de la cueillir et « de l'exprimer. » Et vous avez pris l'enfer, vous vous êtes fait diable, vous avez voulu arracher leurs secrets aux démons de la nuit. En faisant cela avec subtilité, avec raffinement, avec un talent curieux et un abandon quasi précieux d'expression, en perlant le détail, en pétrarquisant sur l'horrible, vous avez l'air de vous être joué ; vous avez pourtant souffert, vous vous êtes rongé à promener vos ennuis, vos cauchemars, vos tortures morales ; vous avez beaucoup souffrir, mon cher enfant. Cette tristesse particulière, qui ressort de vos pages et je reconnais le dernier symptôme d'une génération malade dont les aînés nous sont très- connus, est aussi ce qui vous sera compté.

« Vous dites quelque part, en marquant le réveil spirituel qui se fait le matin après les nuits mal passées, que lorsque l'aube blanche et vermeille se montre tout à coup, apparaît en compagnie de l'Idéal rongeur, à ce moment, par une sorte d'expiation vengeresse,

« dans la brute assoupk un ange se réveille! »

C'est cet ange que j'invoque en vous et qu'il faut culti- ver. Que si vous l'eussiez fait intervenir un peu plus souvent, en deux ou trois endroits bien distincts, cela eût suffi pour que votre pensée se dégageât, pour que

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tous ces rêves du mal, toutes ces formes obscures et tous ces bizarres entrelacements s'est lasse'e votre fantaisie, parussent dans leur vrai jour, c'est-à-dire à demi dispersés déjà et prêts à s'enfuir devant la lumière. Votre livre alors eût offert comme une tentation de saint Antoine au moment l'aube approche et l'on sent qu'elle va cesser.

« C'est ainsi que je me le figure et que je le com- prends. Il faut le moins qu'on peut se citer en exemple, mais nous aussi, il y a trente ans, nous avons cherche' de la poésie nous avons pu. Bien des champs aussi étaient déjà moissonnés, et les plus beaux lauriers étaient coupés. Je me rappelle dans quelle situation douloureuse d'esprit et d'âme j'ai fait Joseph Delorme, et je suis encore étonné, quand il m'arrive (ce qui m'arrive rarement ) de rouvrir ce petit volume, de ce que j'ai osé y dire, y exprimer. Mais, en obéissant à l'impulsion et au progrès naturel de mes sentiments, j'ai écrit l'année suivante un recueil, bien imparfait encore, mais animé d'une inspiration douce et plus pure, les Consolations, et, grâce à ce simple dévelop- pement en mieux, on m'a à peu près pardonné.

« Laissez-moi vous donner un conseil qui surpren- drait ceux qui ne vous connaissent pas : vous vous défiez trop de la passion, c'est chez vous une théorie. Vous accordez trop à l'esprit, à la combinaison. Laissez-vous faire, ne craignez pas tant de sentir

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comme les autres, n'ayez jamais peur d'être trop commun ; vous aurez toujours assez, dans votre finesse d'expression, de quoi vous distinguer.

« Je ne veux pas non plus paraître plus prude à vos yeux que je ne suis. J'aime plus d'une pièce de votre volume, les Tristesses de la Lune, par exemple, joli sonnet qui semble de quelque poète anglais contem- porain de la jeunesse de Shakspeare. Il n'est pas jusqu'à ces stances à celle qui est trop gaie, qui ne me semblent exquises d'exécution. Pourquoi cette pièce n'est-elle pas en latin ou plutôt en grec et comprise dans la section des Erotica de l'Anthologie} Le savant Brunck l'aurait recueillie dans ses Analecta veterum Poetarum ; le président Bouhier et La Monnoye, c'est- à-dire des hommes d'autorité et de mœurs graves ( castissimœ vitœ mornmque integerrimorum) l'auraient commentée sans honte, et nous y mettrions le signet pour les amateurs, Tange Chlo'ên semel arrogantem...

« Mais, encore une fois, il ne s'agit pas de cela ni de compliments. J'ai plutôt envie de gronder; et si je me promenais avec vous au bord de la mer, le long d'une falaise, sans prétendre à faire le mentor, je tâcherais de vous donner un croc en jambe, mon cher ami, et ■de vous jeter brusquement à l'eau pour que vous, qui savez nager, vous alliez désormais sous le soleil et en plein courant.

« TOUt à VOUS (( SAINTE-BEUVE. »

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VIII. ÉLECTION DE FÉVRIER MDCCCLXII

Voici, d'après le Journal des Débats du 7 février 1862, le résultat des treize scrutins pour l'élection d'un aca- démicien en remplacement de Scribe :

Il y avait 28 membres votants ; la majorité absolue était de 1 5 voix.

ior scrutin : M. Autran, 8; M. Camille Doucet, 7; M. Cuvillier-Fleury 6; M. Mazères, 4; M. Octave Feuillet, 2; M. Geruzez. 1.

20 scrutin : M. Camille Doucet, 11; M. Doucet, 8; M. Cuvillier-Fleury, 7 ; M. Mazères, 1 ; M. Feuillet, 1.

3e scrutin : M. Doucet, 10; M. Autran, 9; M. Cuvillier-Fleury, 7; M. Feuillet, 1 ; M. Ma- zères, 1.

40 scrutin : M. Doucet, 10; M. Autran, 9; M. Cuvillier-Fleury, 8; M. Feuillet, 1.

scrutin : M. Doucet, 11 ; M. Autran, 9; M. Cuvillier-Fleury, 7 ; M. Feuillet, 1.

scrutin : M. Doucet, 11 ; M. Autran, 10; M. Cuvillier-Fleury, 5; M. Feuillet, 1 ; M. Geru- zez, i.]

70 scrutin : M. Doucet, 11 ; M. Autran, 10; M. Cuvillier-Fleury, 6; M. Feuillet, 1.

scrutin : M. Doucet, 12; M. Autran, 9; M. Cuvillier-Fleury, 6: M. Feuillet, 1.

1 3 8 ^x®

scrutin : M. Doucet, ii; M. Autran, io; M. Cuvillier-Fleury, 6 ; M. Feuillet, i.

io° scrutin : M. Doucet, 12 ; M. Autran, 12; M. Cuvillier-Fleury, 3 ; M. Feuillet, 1.

ii° scrutin : M. Doucet, 14; M. Autran, 11 ; M. Cuvillier-Fleury, 3.

12° scrutin : M. Doucet, 14; M. Autran, 12; M. Cuvillier-Fleury, 2.

i3° scrutin : M. Doucet, i3 ; M. Autran, 11 ; M. Cuvillier-Fleury, 4.

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TABLES

TABLES

1. TABLE DES CHAPITRES

Lettre-Préface vt

L'Académie française en 1842 3

Candidature d'Alfred de Vigny 8

Election et discours de réception d'Alfred de Vigny. . 42

Les candidats en 18b 1 59

Charles Baudelaire 70

Pièces justificatives 119

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II. TABLE ANALYTIQUE

ACADÉMIE FRANÇAISE. Son état en 1842, 3 et suiv. Jugement de Guiraud sur elle, i5. Ne donne que la majorité aux hommes de lettres, 25. Les discours de réception, 45. Considération à son sujet, 1 14.

ALLETZ (Edouard). Candidat à l'Académie, 3o.

ANCELOT. Membre de l'Académie en 1842, 4.

ASSELINEAU (Charles). Ami de Baudelaire, 72. Billet de Baudelaire à lui adressé, 88.

AUGIER (Emile). Baudelaire demande à Asselineau s'il doit rendre visite à cet académicien, 88. Peu ménagé par Baudelaire et ses amis, 88.

AUTRAN (Joseph). Candidat à l'Académie, 60. Obtient douze voix pour le fauteuil de Scribe, 10 1.

BALLANCHE (P.-Ant.). Candidat à l'Académie, 14, 16. Est élu en remplacement d'Alexandre Duval, 19.

BANVILLE (Théodore de). Ami de Baudelaire, 72. Écrit dans le Boulevard, 107.

BAOUR-LORMIAN. Membre de l'Académie en 1842,4.— Reçoit la visite de Vigny, 17.

BARANTE (le baron de). Membre de l'Académie en 1842, 6. Reçoit la visite de Vigny, 28.

BAUDELAIRE (Charles). Pose sa candidature au fauteuil de Scribe, 68. Sa biographie, 70 à 80. Fait ses vi- sites académiques, 82. Ami de Sainte-Beuve, 83. Lettre à Vigny, 84. Visite et nouvelle lettre à Vi- gny, 85. Billet à Asselineau, 88. Loué par Sainte- Beuve dans un article, 8g et 90. Veut opter pour le fauteuil du Père Lacordaire et informe de ce projet

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Sainte-Beuve et Vigny, 92. Lettre de Sainte-Beuve à lui adressée, 98. Lettre de Vigny à lui adressée, 99. N'obtient aucune voix dans une élection pour le fau- teuil de Scribe, 102. Lettre de Sainte-Beuve à lui adressée, 102. Se désiste de sa candidature, io3. Ce désistement est accepté avec faveur par l'Académie, io3. Lettres à Vigny, io5, 109. Envoie du pain d'épice à Sainte-Beuve, 110. Est frappé de folie, 112. Lettre de Sainte-Beuve à lui adressée sur les Fleurs du Mal, 1 33.

BELMONTET (Louis). Candidat à l'Académie, 61.

BONJOUR (Casimir). Candidat à l'Académie, 3g.

BOVET (M. Alfred). Possède les originaux des documents publiés dans ce volume, vu.

BRIFAUT (Charles). Membre de l'Académie en 1842, 4.

BROGLIE (Albert de). Candidat à l'Académie, 67. Élu en remplacement du Père Lacordaire, 112.

CAMPENON (Vincent). Membre de l'Académie en 1842, 5. Sa mort, 34. Est remplacé par Saint-Marc Girar- din, 38.

CARJAT (Etienne). Directeur du journal le Boulevard, 107.

CARNÉ (le comte Louis de). Candidat à l'Académie, 68.

CHAMPFLEURY (Jules). Ami de Baudelaire, 72.

CHATEAUBRIAND (le vicomte de). Doyen de TAcadémie en 1842, 3. Reçoit la visite de Vigny, 17.

COUSIN (Victor). Membre de l'Académie en 1842, 5.

CUVILLIER-FLEURY (A.-A.). Examine dans le Journal des Débats les titres académiques de Vigny, 19. Can- didat à l'Académie, 63. Obtient deux voix pour le fauteuil de Scribe, 102.

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DELAVIGXE (Casimir). Membre de l'Académie en 1842, 4.

Reçoit la visite de Vigny, 27. Sa mort, 34. On procède à son remplacement, mais aucun candidat n'ob- tient la majorité, 38. Est remplacé par Sainte- Beuve, 40.

DESCHAMPS (Emile). Candidat à l'Académie, 37, 44.

DOUCET (Camille). Candidat à l'Académie, 61. Obtient

douze voix pour le fauteuil de Scribe, 101. DROZ. Membre de l'Académie en 1842, 6. DUPATY (Emmanuel). Membre de l'Académie en 1842,5. DUPIN aîné. Membre de l'Académie en 1842, 6.

DU VAL (Alexandre). Membre de l'Académie en 1S42, 4. Sa mort, 7. Est remplacé par Ballanche, 19.

EMPIS (Ad. -Dom. -Florent. -Jos.). Candidat à l'Académie, 44.

Collaborateur de Mazères, G4.

ETIENNE. Membre de l'Académie en 1842, 5. Sa mort, 42.

Son éloge par Vigny, 47.

FÉLETZ (l'abbé de). Membre de l'Académie en 1842, 6.

FEUILLET (Octave). Candidat à l'Académie, 65. Obtient une voix pour le fauteuil de Scribe, 102. Élu en rem- placement de Scribe, m.

FLOURENS. Membre de l'Académie en 1842, 6.

FRANCE (M. Anatole). Biographe d'Alfred de Vigny, 8.

FRAYSSINOUS (Denis-Ant.-I.uc). Son fauteuil est va- cant, 7. Est remplacé par le chancelier Pasquier, 19.

GAUTIER (Théophile). Habite l'hôtel Pimodan, 71. Se lie avec Baudelaire, 73.

GERUZEZ (Eugène). Candidat à l'Académie, 63.

GOZLAN (Léon). Candidat à l'Académie, 62.

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GUILLON (l'abbé). Candidat à l'Académie, 16.

GUIRAUD (le baron Alexandre). Membre de l'Académie en 1842, 4. Ami d'Alfred de Vigny, 9. Sa biographie, 10. Lettres de lui à Vigny, 14, 21, 28, 32, 35. Let- tre au ministre sur sa tragédie des Machabées, 1 ig. Sa mort, 122. Jugé par Vigny, 122.

GUIZOT. Membre de l'Académie en 1842, 5. Reçoit la

visite de Vigny, 27. HALEVY (Léon). Candidat à TAcadémie, 66. HUGO (Victor). Membre de TAcadémie en 1842, 5. JAY. Membre de l'Académie en 1842, 6.

JOURNAL DES DÉBATS. Donne le résultat des scrutins académiques, i3j.

JOUY. Membre de l'Académie en 1842, 4.

LACORDAIRE (le Père). Sa mort, 5g. Baudelaire aspire à le remplacer à l'Académie et exprime sa sympathie pour l'illustre dominicain, g4. Remplacé par le prince Al- bert de Broglie, 112.

LACRETELLE (Charles de). Un des doyens de l'Académie en 1842, 3.

LACROIX (Jules). Candidat à l'Académie, 62.

LAMARTINE (A. de). Membre de TAcadémie en 1842, 5. Cité dans une lettre de Guiraud, 14. Reçoit la visite de Baudelaire, 82.

LEBRUN (P.-Ant.). Membre de TAcadémie en 1842, 4.

LEROY (Onésime). Candidat à TAcadémie, 40.

MARTIN (Aimé). Candidat à TAcadémie, 3g.

MAZÈRES(Ed.). Candidat à TAcadémie, 64.

MÉRIMÉE (Prosper). Pose sa candidature à TAcadémie, 3g.

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Élu membre de l'Académie en remplacement de No- dier, 40.

MIGNET. Membre de l'Académie en 1842, 6.

MOLE (le comte). Membre de TAcadémie en 1842, 6. Ré- pond au discours de réception de Vigny, 5o. Est élu directeur de l'Académie, 54.

NODIER (Charles). Membre de l'Académie en 1842, 6. Sa mort, 3j. Remplacé par Mérimée, 40.

PASQUIER (le duc). Candidat à l'Académie, 16. Est élu en remplacement de Frayssinous, 19. Reçoit la visite de Vigny, 34.

PATIN (H.-Jos.-Guill.). Candidate l'Académie, 16. Jugé par Guiraud, 29. Candidat pour la seconde fois, 3o.

Sa fameuse phrase du chapeau, 3i. Est élu en rem- placement de Roger, 32.

PIMODAN (hôtel). Habité par Théophile Gautier et par

Baudelaire, 71. POE (Edgard). Ses œuvres sont traduites par Baudelaire, y3.

Lettre de Baudelaire sur ses portraits, 74. PONGERVILLE. Membre de l'Académie en 1842, 5. PONSARD (Fr.). Baudelaire demande si cet académicien

est lié avec Augier, 88. Raillé amèrement par Baude- laire et ses amis, 88.

POULET-MALASSIS (Aug.). Éditeur des Fleurs du Mal, 77.

RATISBONNE (M. Louis). Exécuteur testamentaire de Vigny, 8. A publié le Journal d'un poète, d'où sont tirées les pièces justificatives n°« II, p. 122, et III, p. 123.

REVUE DES DEUX MONDES. A pour collaborateur Al- fred de Vigny, 9. Annonce l'élection du chancelier Pasquier et de Ballanche, 20. Annonce l'élection de

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Sainte-Beuve et de Mérimée, 41. Recommande Vigny pour le fauteuil d'Etienne, 43. Apprécie le discours de réception de Vigny, 52. Article sur Vigny, 127.

ROGER (J.-F.). Membre de l'Académie en 1842, 5. —Sa mort, 20. Est remplacé par Patin, 32.

ROYER-COLLARD (P. -P.)- Membre de l'Académie en 1842, 6. Reçoit la visite de Vigny, 17. Récit de la visite que lui fit Vigny, 123.

SACY (Silvestre de). Reçoit la visite de Baudelaire, 82.

SAINT-MARC GIRARDIN. Candidat à l'Académie, 37. Est élu en remplacement de Campenon, 38.

SAINTE-AULAIRE (le comte de). Membre de l'Académie en 1842, 6.

SAINTE-BEUVE (Ch.-Aug.). Candidat à l'Académie, 3o, 37. N'obtient pas la majorité pour remplacer Delavigne, 38. Elu membre de l'Académie en remplacement de C. Delavigne, 40. Apprécie dans la Revue des Deux Mondes le discours de réception de Vigny, 52. Ami de Baudelaire, 83. Consacre un article aux candidats et particulièrement à Baudelaire, 8g et 90. Dissuade Baudelaire de briguer le fauteuil du Père Lacordaire, 98. Ecrit de nouveau à Baudelaire, 102, io3. Reçoit de Baudelaire un présent de pain d'épice, no. Article sur Vigny, i32. Lettre à Baudelaire sur les Fleurs du Mal, i32.

SALVANDY (N. de). Membre de l'Académie en 1842, 6.

SCRIBE (Eugène). Membre de l'Académie en 1842, 5. Sa mort, 5g. Election inutile pour le remplacer, 101. Remplacé par M. Octave Feuillet, ni.

SÉGUR (Philippe de). Membre de l'Académie en 1842, 6.

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SOUMET (Alexandre). Membre de l'Académie en 1842, 4.

Est souffrant, 24. Remplacé par Vitet, 44.

THIERS (Adolphe). Membre de l'Académie en 1842, 6.

Reçoit la visite de Vigny, 18. TISSOT. Membre de l'Académie en 1842, 5.

TOCQUEVILLE (Alexis de). Membre de l'Académie en 1842, 6.

TOURNEUX (M. Maurice). Fournit le portrait reproduit

dans le volume, xn. VATOUT. Candidat à l'Académie, 16, 3o, 37.

VIENNET (P.-Guill.). Membre de l'Académie en 1842, 4.

Reçoit la visite de Baudelaire, 82.

VIGNY (Alfred de). Se présente à l'Académie, 8. Lettre de Guiraud à lui adressée, 14. Fait ses visites, 17. Cuvillier-Fleury examine ses titres, 19. Échoue contre le chancelier Pasquier et Ballanche, 19. Se présente pour remplacer Roger, 21. Lettre de Guiraud à lui adressée, 21. Recommence ses visites, 27. Lettre de Guiraud à lui adressée, 28. Echoue contre Patin, 3i. Lettre de Guiraud à lui adressée, 32. Aspire aux fauteuils de Campenon et de Casimir Delavigne, 34.

Lettre de Guiraud à lui adressée, 35. Echoue contre Saint-Marc Girardin, 38. Échoue contre Sainte- Beuve et Mérimée, 40. Recommandé par la Revue des Deux Mondes pour le fauteuil d'Etienne, 43. Est élu en remplacement d'Etienne, 44. Prononce son discours de réception, 46. Subit une verte réponse du comte Mole, 5o. Refuse d'être présenté au Roi par le comte Mole, 53. Est reçu par Louis-Philippe, 34. Lettres de Baudelaire à lui adressées, 84, 85, 92. Lettre à Baudelaire, 99. Lettres de Baudelaire

à lui adressées, io5, 109. A un cancer à l'estomac, 10g. Sa mort, 112. Fragment de son discours de réception, 125.

VILLEMAIN (Abel). Membre de l'Académie en 1842, 5.— Secrétaire perpétuel, 6. Reçoit la visite de Baude- laire, 82.

VITET (L.). Elu membre de l'Académie en remplacement de Soumet, 44. Élu chancelier de l'Académie, 54.

III. TABLE DES ILLUSTRATIONS

Vue de l'hôtel Pimodan, ancien hôtel de Lauzun, situé quai d'Anjou, 17; au fond, le pont Marie. . vu

Vue de la maison habitée par Alfred de Vigny, rue des Ecuries -d'Artois, 6 xn

Frontispisce représentant une figure allégorique de l'Académie française; elle tient la couronne d'oli- vier et la branche de chêne. Cette figure est inspirée de l'allégorie que Rcettiers composa en 1747, comme un hommage à l'Académie française, avec la légende : non una fronde coronat. Ce n'est pas, il est vrai, la devise officielle de cette Académie, qui n'a pas craint de graver sur son sceau et sur ses jetons l'orgueil- leuse légende : A L'IMMORTALITÉ (voir Histoire de l'Académie française, par Pellisson et d'Olivet, édition Ch. Rivet, p. 56). Bien que Chamfort {Des Académies, Paris, i79i,in-8°, p. 7) ait essayé de jus-

tifier ce téméraire défi jeté aux siècles futurs par des lettrés dont la plupart sont oubliés de leur vivant même, nous avons préféré l'autre devise, plus mo- deste, parce qu'elle a, selon nous, le mérite d'évoquer l'une des plus belles traditions antiques. Non una fronde coronat nous rappelle le mode de couronne- ment usité dans les luttes de l'Agon Capitolinus fondé en l'an 186 par Domitien. Le vainqueur au concours de poésie grecque et latine recevait de la main de l'Empereur une couronne faite de feuilles de chêne et d'olivier, mixta quercus oliva, suivant l'expres- sion de Stace (Silves, V, 3, 23 1). C'était au Capi- tole qu'était distribuée cette récompense, ardemment disputée par les plus grands poètes. L'institution de la couronne capitoline (capitolina quercus, Juvé- nal, VI, 387), survécut à la destruction de l'Empire et eut un haut prestige dans l'Italie du moyen âge. C'est toujours au Capitole qu'un sénateur romain couronnait du double feuillage le plus estimé des poètes, et Boccace, dans la Vie de Dante, raconte quelle gloire ce fut pour l'exilé florentin d'obtenir cette suprême récompense; Pétrarque aussi la reçut en 1341, comme un témoignage de l'admiration de ses contemporains. L'olivier était consacré à Minerve et le chêne à Jupiter. Il nous a semblé que les deux feuillages convenaient bien à l'Académie française, qui a pris pour inspiratrice la déesse de la Sagesse et qui a choisi pour ses réunions le jour réservé au maître des dieux. Il nous a plu de voir cette sou- veraine compagnie perpétuer la noble institution du couronnement capitolin en unissant le chêne et le laurier sur le front de ses élus.

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Vue de l'Institut et du pont des Arts : dans le fond, le pont Neuf et la Cité 3

Vue de la fontaine située au fond de la seconde cour de l'Institut : dans la niche, un buste de Minerve, sculpté par Bosio le fils 7

Signature du baron Guiraud 16

Vue du puits situé dans la troisième cour de l'Institut. 42 Vue de la salle l'Académie tient ses séances publi- ques : au fond, la table du président et de ses asses- seurs; à droite et à gauche, les bancs en hémicycle siègent les académiciens; au centre, le petit bu- reau semi-lunaire auquel vient prendre place tout académicien qui fait une lecture publique. Dans les séances solennelles de réception, le récipiendaire et le directeur qui lui répond ne quittent pas leurs

bancs pour prononcer leurs discours 55

Vue de l'Institut 5g

Vue de la coupole de l'Institut dans l'axe de la rue Mazarine : à droite, la porte qui donne accès à la troi- sième cour du palais 70

Signature de Charles Baudelaire 77

Signature d'Alfred de Vigny 101

Vue de la salle l'Académie française tient ses séances particulières; la table en fera cheval autour de laquelle se groupent les immortels est entourée des quarante fauteuils : au centre, à gauche, on voit le bureau siège le directeur entre le chancelier et le secrétaire perpétuel ; devant ce bureau, la petite table réservée à l'académicien qui fait une communi- cation à ses collègues 116

Médaillon orné de la tête symbolique de lAcadémie

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française; de chaque côté, des guirlandes de chêne

et d'olivier no.

Médaillon représentant, sur une couronne, la chouette, attribut de Minerve ; en légende : Non una fronde coronat i38

Portrait d'Alfred de Vigny 1 53

Les petites vignettes semées dans le texte sont empruntées au symbolisme académique.

ALFRED DE VIGNY

I M P R I M E

CL. MOTTEROZ

PARIS

La Bibliothèque Université d'Ottawa

Echéance

The Library

University of Ottawa

Date due

CE

00393 62 fff b

'

CE PQ 2474 •Z5C4 1879 C02 CHARAVAY, ACC# 1228479

El A. DE VIGNY