''>-,:^' .--rî'-^ ^Mt- V. -^ :w' AMUSEMENT PHILOSOPHIQUE SUR LE LANGAGE DES BESTES // 7 "A GENEVE; CiiezPiii^RE Gosse & Compagmaî t^ PHILOSOPHIQUE SUR LE LANGAGE DES BESTES. A Mad. C. U E vous êies féduiTar.îe , Mad.... & que vous connoif- fez bien tout l'empire que vous avez fur moi ! Il ne m'ell écha- pé qu'une fois de dire dans un de nos entretiens Philofophiques , que je croyoi^ que les Bêtes parloient & s'enren- doient fort bien entr'elles. Tout autre que vous auroit écouté ce propos comme un de ces difcours que l'on bazarde fans preu- ve, &: fans autre dsfTein que d'égayer la converfation. Mais vous me connoiiîez , dites- vous ; & quoique la propoTidon t\t tout l'air d'une plaifanterie , il vous plaîc d'alfurer que je ne i'ai point avancée au A 1 - Amusement hazard : vous voulez que je la traire fé- rieufemenr , de que je vous rende compte des raifons qui m'ont perfuadc. Je ne içais û dans toute autre circonflance je pour- rois me réfoudre à vous obéir, quelque envie que j'aye de vous plaire -, car vous fçavez que je n'ai guéres le loifir de me didraire par des diifertations amufantes. Kecreufen^ent rpe vcriqjjepfin à la campa- gne. J'ai lailîc à la ville lufqu'^u /bu venir des occupations peu divertiirantes , donc vous me plaignez quelquefois. 11 me fem- ble que je régne ici fur toute la nature, dans un fciour délicieux & un cercle-d'a- muiemens dont la variété prévient le dé- goût, & que je partage avec une fociété charmante. A ce feul trait vous devine- rez aifément que je fuis à C Puifquc pour rendre les p'aifirs plus vifs , il faut, difent les Maîtres de volupté > en inter- rompre la continuité par quelque occupa- tion legcre ; que puis- je faire de mieux , que deYatisfaire votre curiofîté? L'amour propre, comme vous voyez, fe retrouve par- tout, & j'aurai moins de mérite que de plaifir à vous obcïr. Mais nous ne comptons point enfemble, 6c pourvu que vous' foyez contente de mon travail , je m'imagine que vous me pardonnerez fans peine d'y avoir cherché mon propre amu- Vous me demandez donc fi je crois fërieufement que les Bêtes parlent. Oiii , Ivlad je crois très - ferieufement que les Bêtes parlent Se s'entendent entr'elles tout auiTi-bien que nous , de quelquefois Philosophi Q,ur. 5 mieux. Votre curilîoté n'eft-elle pas fatis- faire? Non, vous voulez fçavoir cruelles font mes raifons. Ce fccond point n'eft pas il facile à réfoudre. Si fé:ois avec vous en converfation familière, je vous dirois que la raifon qui me perfuade que les Bê- tes parlent , c'cfl que M. R parle. Vous ne manqueriez pas d'ajouter Mad. d'H. & cette bouffonnerie nous feroit peut- être rire y mais quand on écrie il faur ref- pecter Tes Ledeurs. Je ne vous dirai pas non plus qu'autrefois" le Serpent eut avec Eve une converfarion fui vie , de que l'A- neffe de Balaam a parlé. Il feroit encore plus inutile de vous raporter la fable des Chevaux d'Achille. Vous me répondriez que de ces événemens les uns font furna- turels , les autres fabuleux, qui par con- féquent ne prouvent rien dans Tordre de Ja nature. Je vous enrens. Cherchons donc dans la nature même les preuves de mon opinion. N'attendez cependant cas de moi des découvertes merveilleufes. Vous ferez peut-être toute étonnée de voir que vous croyez déjà vous-même tout ce que je penfe fur cela, de que je ne ferai que vous déveloper des idées & un fenti- ment confus que vous n'avez pas allez aprofondi. Mais il faut établir quelques préliminaires, &c je crains que l'accefToire ne foit aufîi long que le principal , ce qui elt une faute capitale contre les régies d'une compofîtion exacte. Mais qu'impor- te , pourvu que le tout vous amufe ! Les Bêtes ont- elles de la connoiffance } Si elles connoiflfeni, elles parlent. Mais comment A 1 4 Amusement parlent -elles? -Voilà les trois points de cette efpéce de dilîerration. I. . T>e la connoijjance des Bêtes, LEs Bêtes ont- elle*; de la connoiffan- ce ? Je fuis perfuadé que fur cette queiliion vous n'hefîterez feulement pas. Defccttes aura beau vous dire que les Bêtes font des machines, qu'on peut ex- pliquer toutes leurs actions par les loix de la mxhanique , qu'avant lui, ^ dès le rems de ûint Auguitin, quelques Philo- sophes ont eu à peu prés la même idée; Vous avez une chienne que vous aimez, ^c dont vous croyez être aimée , je défie tous les Carcéfiens du monde de vous per- fuad-r que votre chienne n'efl; qu'une machine. Comprertz , je vous prie, le ridicule qui en rélukeroit pour tout ce que nous fomme^ qui aimons des chevaux, des chiens, de- oiTeaux. Reprercntcz-vous un homme qui aimeroit fa montre com- îne on aime un chien , & qui la ca- lefTeroir, parce qu'il s'en croiroir aime au point que quand elle marque m'di & une heure, il fe oerfuaderoit que c'ell par un fentiment Q*amitié pour lui , &: avec con- noifîànce de caufe qu'elle fait fes mouve- mtns. Voilâ précifcment, fî l'opinion de D^fcartes étoit vraie, quelle feroit la fo- lie de tous ceux qui croycnt que leurs PhILOSOPHI Q.ITE. ^ Ç chiens leur font attachés & les aiment avec connoifTance, ôc ce qu'on apelle fen- timenr. J'avoue que fi le ryftême de Defcartes étoit apuyé fur des preuves foHdes, cette conféquence ne fuiïiroit pas pour le réfa- tcr. Il faudroit plaindre les hon:imes d'être livrés à une illufion ii grofTiére ; mais le | vrai demeure toujours vrai , quoiqu'en puifle fouffrir notre am-our propre. H?u- reufement le rentiment de ce Philofophe n'efl fondé que fur de fimples polîibilités. Dieu, dit-il j a pu faire les Bêces de (im- pies machines. Il n'eft pas impolfible qu^il l'ait fait. Je puis expliquer toutes leurs adiions par les loix de la méchanique. Il y a même quelques-unes de ces a de Tamour & de la hainf. Je conclus au/Ii-tôt qu'un chien a dans lui-même un principe de cor-noiflan- ce & de fentiment, quel qu'il foit. Qucl- ^u'eâbrc que je ùKo, ipour me periuad&t Fhil o s o phiqj;te. 7 que ce n'eft qu'une machine , Sc quand tous les PhiloTophes de l'Univers encre- prendroienc de m'en convaincre, je me i^ns entraîné par une periualion intime , par je ne fçais quelle force intérieure à croire le contraire ; &: c'eft ce lentimen^ qui s'opofcra éternel liment dans les hom- mes à l'opinion de DcTc^rtes. Aulfi eft-il vraifemblable que ce Philofophe, qui avoic un génie fi lupérieur , n'a adopté un (yC- tême fi peu conforme à nos idées que comme un jeu d'efprit, Se dans la feule viië de contredire les Périparériciens , à qui il avoir déclaré la guerre, 6c dont en eftet le fentiment fur la conriciirance des Bêtes n'tft pas foutenable. Ces Meriieurs qui, fuivant les princi- pes obfcurs de leur PhiIoi^:^phie intelligi'- ble , donnoienc à des corps une formée fubilantielie , matérielle, diltinguée de la matière, &c qui étoit dans eux le princi- pe de toutes leurs opérations , n'avoien: garde de refufer aux Beres une femblabh forme. Comme ils avolioient d'ailleurs que les Bêtes fentoienc, connoilfoient &C agilfoitnt avec connoiflànce cc icntin-ienr, ils leur auroicnc volontiers donné une ame fpirituelle comme à l'homm.e ; mais hs principes-de la Religion Chrétisnre ne le perm^ettoient pas. En effet > n les Bêtes avoient une ame rpirituelle , kur nme f&- toit donc immortelle Se libre i elles fe- roient capables de mériter ou de déméri- rer , dignes de récom.penfe ou de châti- ment : U l^ur faudro't un Paradis Se un Enfer > les Bêtes fcLoieni donc une efc^éce s A M V s T. U TV 7 d'Hommes , ou les Hommes une efpéce de Bêtes , toutes conicquences infoucena- bies dans les principes de la Religion. Les Péripatéticiens , ainfî contraints de fe borner à leur forme rubilaniielle maté- rielie,pQur éviter un inconvénient, re- tomboient dans un autre , car ils étoient . coniéquemment forcés de dire que^ cette iform,- fubibniielle étoit dans les Bêtes le 'ipri->cipe de leur comoiOance &: de leurs /adlions: fenîimentabrurdejS'ilen fût jamais /dans les principes établis delà Philosophie ^ ôc d- la Reliiîion. Car nous ne connoifFons dans h Philofophie établie que deux fubf- tances : Tune penfante , untante , connoi/^ fante & raifonnante, cti\ refprit. L'autre étendue, diviiible , rrrobite , poavanc oc- cafîonner des fentimens èc des connoifTan- ces par l'union de l'-Tpritavec elle, mais abfblument i-^capnble d- fenrir elle-même êi de connoîrre \ c^fl la maiiére. De- là [on aperç it d'un co ip d*œil toutes les jconrradiclions qui fuive^nt néceflairement I de l'opiiion dr-s Péripatéticiens: une for- iine fubflantielle qui n'cfl ni efprit , ni matière, quelque chofe qui connoïr & qui r\'ç(i point cfprir : une forme fubliantielle ôc matéri lie qui n'eff point matière, &C enfin d.^s f.ntimens & as conno'(îances matérielles -, principe ex* ornement dange- reux , dont les l'^crédu^es pourvoient s'ar- mer pour combattre la fpirituahté de no- tre ame. N' ft - ii pas étonnant qu'une opinion û monftrueuCe ait (î lonc-tems régné dafis le^ Hco'es Chrétic nnes ? Qiieiques Phiiûfophes ont prdiendu U. Philos oPHi qjj ï. ^ Yoâiïûçr. Poiirquoi, difent-iis , ne recon- noïcre dans l'Univers que deux fubdances, l'efprit (?^ k matière? D:eu n'a-t'il pas pu créer une liibftance mitoyenne enrre / KineôsT l'autre, intérieure à r«.'rprit & fu- \ . périeure à la matière , incapable de raifon- ) 'f^ ner , mais capable de fentir ^ de connoî- ! ^re^ En effet, on feroic d'abord tenté de ; le croire, ôc vous peut-être toute la pre- / miére;raais ne vous y fiez pas, Mad..., vous reromberiez tout à îa fois dans Tin- certitude du fentiment de Defcartes , ôC dans robfcurité de l'opinion Péripatéticien- ne. Car i°.Ce fyftême n'eft qu\ine pure fu- pofition fans preuve &c uns fondement. z**. Quelle idée peut-on fe former d'une- \ fubftance qui n ell ni efprit ni matière ? Il \ eft évident que" par raport à nous qui ne^ connoifTons que l'un ou l'autre, une fubf- tance mitoyenne eft unechimérc, un être de raifon donrt ncr.is n'avons ni idée, ni fentiment. Eh ! que fçavons-noui; fî ce qui n'eft 5 par raporr à nous , qu'une chimè- re, ne i'eft point en effirt en foi , d<: dans h nature mSme? S'il l'efl: en foi , Deu n'a pas pu le créer, parce qu'il ne peut pas faire un être de raifon. Or qu'eft-ce qui nous ccîaircira un doute fi légitime > Un ancien Auteur , dont les ouvrages font recueillis parmi ceux des Saints Pères , Firmien Laélance, s'expliquoit plus fran- cÏÏêment. IT prétendoit que Dieu avoiti donné l'ufage de la raifon à tout ce qui ref- 1 pire i mais aux Bêtes feulement pour con- \ ferver leur vie , fans aucun devoir de Re- ligion , aux hommes pour acquérir l'im- r ■ fo Amusement j mortalité & un bonheur éternel par la I pratique d'un culte religieux. Quelle idée! ; /ans doute Firmi.n ne voyoit pas que fu- jpofer une am.^ raJbnnable Ôc par confé- iquent f^'irituelle , Tans aucun devoir de ; Religion , c'était faper par les fbndemens h loi narurellj &c tonce Religion, dégra- der l'ame rpirrtuelle , dw'truire l'immorta- 'li:é qu'elle a de fa naruie, de nous rapro- ! cher des Bêtes en voulant les raprocher de nous. Je ne fais , comme vous voyez , qu'ef- fleurer les Tyllêmes , dans la crainte que j-'ai de vous ennuyer par des raifonnemens détaillés. Mais voilà pourtant tout ce que Ja Philofophie nous aprend fur la con- noifîance des Bêtes. Que Terprit humain eft borné, direz -vous , que fes lumières font courtes, que fes ténèbres font pro- fondes! Cela fait trembler. Nous fçavons que nous eriflons éc que nous penfons. Nous voyons des faits : nous connoiifons. l'exiitence de mille chofes : mais dès qu'on nous demande le comment &c le pour- quoi, nous nous égarons dans de frivoles conjectures, dans de faufîes fupofitions , nous nous étourdi (Tons de mille vains rai- fonnemens, qui , loin de nous éclairer , ne fervent communément qu'à écoufFer le peu de lumière que le fens commun nous avoit donné. Nous ne nous comprenons pas nous - même , comment pourrions- nous comprendre la nature des Bêtes ôc de tout ce qui efl: hors de nous? Faites une chofe, croyez- moi , allez- vous-en aux Indes , à la Chine ou au Ja- Phi LO s O PHIQJT E. TT pon, Se Jà vous trouverez des Philofo- phes Payens, Dciftes ou Athées , qui rai- \ {bnneront fînon avec plus de lumières , \ 4ujiioins avec plus de liberté. L'un vous l dira queTés'Dieux ont créé diverfes efpé- \ ces d'efprits , l.-s uns plus parfaits , tels / que les génies bons ôc mauvais i Iqs autres / moins parfaits qui font les hommes , dc d'autres beaucoup plus imparfaits qui font les Bêtes. L'autre vous foutiendra que la didinclion de refprit &C de la matière eft~ une diftintflion chimérique qu'on ne fçauroit démontrer : qu'il ne ^voit aucun inconvénient à croire qu'il n'y a qu'une feule fubltance que vous apelierez du nom our elles - mè.ii-s? Non. Abfolumenc étrangères à la fociécé humaine, elles ne peuvent y entrer que pour rurilicé ou l'a- mufemenc. Eh '. Qi^e nous importe que ce ibit un diable ou une autre efpéce qui nous ferve &: qui nous amufe: Cette idée me réjouit loin de me révolter i l'admire avec reconnoiffance la bonté du Créateur de m'avoir donné tant de petits diables pour me Tervir &c pour m'amufer. Si 1 on me dit que ces pauvres diables font con- damnés à fouff'ir des tourmens éternels, j'adore les Jugemens de Dieu ; mais je n'ai aucune part à certe terrible Sentence , j'en abandonne l'exécution 2u Souverain Juge, 6c je ne lailfe pas de vivre avec mes pecits diables comme je vis avec une infinité de pcrfonaes dont la Religion m'aprend qu'il y en aura un grand nom- bre de damnés. Mais guérir un préjugé iji^^ft pas raffaire d'un momen: , c'ed l'oa- y r àT^rtîirt em V Se de la réHéxion. Permet- tez - moi donc de palier légèrement fur cette d:ixiculté pour vous faire uneobfer- vation im.portance. Perfuadés que nous fommss que les Bêtes ont du Tentiment : à qui de nous n'eli-il pas arrivé mille fois de les plain- dre des maux exceffifs aufquels la plu- part d'enrr'cUes font expofées , de qu'el- les foufirent réellement: Que les chevaux font à pl&indre , difons-nous, à la vue d'un cheval qu'un impitoyable charretier accable de coups î Q.u'un chien que l'on 12 Amusement drefîe à la chalfe efl: miférable ! Qae le fort des Bêtes qui vivent dans les bois ert tfiftc! ContinLieilement elles efTuyent tou- tes les injures de l'air; toujours agitées de la crainte de devenir la proye des chafTeurs, ou d'un animal plus féroce ^ obligées de chercher fans ceilc avec beau- coup de fatigue une légère Se infipide nourriture, fouffrant foiivent une faim cruelle ; Se fuiettes d'ailleurs aux maladies ôc à la mort. Que les hommes foient af- fujétis à toutes les miféres qui les acca- blent , la Religion nous en aprend la rai- fon y c'efl qu'ils naifîcnt pécheurs. Mais quels crimes ont commis les Betes pour naître fujettes à des maux û cruels? A ces derniers mots notre Docteur fie une il furieufe gnmace en le frapant le genou , que la Compagnie ne pue s'em- pêcher d'en rire. Je vois, Monfieur, lui dit l'Auteur, en lui adrefîant la parole, je vois ce qui vous fait peine. Vous croyez que la réflexion que je viens de faire , combat ce que vous apellez en Théologie , l'état de pure nature ; vous vous trompés. Je reconnois comme vous qu'in- dépendamment d'aucun péché Dieu pou- voir créer l'homme ( à plus forte raifori les Bêtes) fujet à toutes les mi fêtes qui font la fuite naturelle de fa conftitution. Mais ces maux que nous fouffirons font-ils rels en eifet qu'ils auroient été dans l'é- tat de pure nature? Non. Vous êtes obli- gées de convenir qu'ils font beaucoup plus grands, Se plufieurs Théologiens propofent, même après S. Auguftin , cet- Philosophi QJT E. 2^ excès de miféres comme une preuve de l'exiftance d'un péché originel. Que de- vons-nous donc penfer de^l'excès envoya- ble des mifcres que fouiirrcnt ies B-ies j miféres beaucoup plus grandes que celles des Homm:-s ? Ceft dans touc aucrj lyl- tême un myllére incomprcheniijle , au lieu que dans le fcntimenr que je propofe rien de plus aifé à comprendre. Les ef- prits rebelles méritent un chaiimenc en- core plus rigoureux ; trop heureux que leur iupiice fuit différé, hn un mot, la bonté de Dieu e(t jullifiée. L'Homme lui-même elt juflifié. Car quel droit au- roit-il de donner la mort Tans néceiîité ôc fouvent par pur divertiirement à des millions de Bêtes , Ci Dieu ne l'avoit au- torifé? ÔC un Dieu bon Se jufle auroit-il -pû donner ce droit à l'Homme > puif- qu'après tout les Bêces font aulTi fenfibies que nous-mênjes à la douleur &: à la mort, fi ce n'etoit autant de coupables vidiimes de la vengeance Divine? Mais écoutés , continua t il , quelque choie de plus fort, ôc de plus intércf- fant. Les Bêtes font naru-ellem-nt extrê- mement vicieufts. On fçait bien qu'elles ne pèchent point, parce'qa'elUs ne font pas libres j mais il n'y manque q'-;e cette condition. Les Bêtes carnaciéres de les oifeaux de proye font cruels. Beaucoup d'inféétes de la'même efpéce fe dévorent les uns les aucres. Les chats font perfides Se ingrats. Les ilnges font mal f^i fans. Les chiens font envieux. Toutes font jaloufes de vindicatives à l'excès y fans a4 A T>I u s E M E N T ^-'arler de beaucoup d'autres vices que Dous leur connoifibns -, &c en mcme- tems qu'elles naiiicnt li vicieufes; elles n'ont, difons - nousj ni la liberté, ni aucuci recours pour réhfter au penchant qui les entrCiine. tlles font , comme oa dit dans 1 Ecole , nécefliuccs à faire le mal , à troubler l'ordre général , à commettre tout ce qu'il y a dans la nature de plus contraire à l'idée que nous avons de Té- quité naturelle, & aux principes de la vertu. Quels monftres dans un monde orii^inairement créé pour y faire régner l'ordre & la juftice ! C'eft ce qui en partie perfuadi autrefois aux Manichéens qu'il devoir y avoir deux principes des cho- fes , l'un bon , d'autre mauvais , de que les Bêtes n'ctoient pas l'ouvrage du boa principe, hrreur monftrueufe , mais com- ment après tout fe pcrfiader que les Bê- tes ibient forties des mains du Créateur avec des qualités h étranges. Si l'Homme eft auiîi mxhant &c auiîi corrompu qu'il l'eflj c'eft qu2 par Ton péché il a lui- même perverti Theureux naturel que Di^u lui avoir donné en le formant. Il f^uc donc dire de deux chofes l'une, ou que Dieu a pris plailir a former les Bêtes aufii vicieufes qu'elles font, ôc à nous donner dans elles des modèles de tout ce qu'n y a de plus honteux , ou qu'elles ont com- me l'Homme un péché d'origine qui a perverti leur première nature. La première de ces proportions fart une extrême peine à penfer, & eft for- melleaient contraire à riccitute-Saime, qui P H I L O s O P:î I QJLf E. If qui viic que tout ce qui forcit des mains de Dieu a la création du monde et oit bon de même fort bon. Car fi les Bètes écoienc telles alors qu'elles font aujourd'hui , com-. ment pouvoir - on dire qu'elles fuiienc bonnes ^ fort bo-mei ? où eft le bien qu'ua iinge loit li malfaifant, qu'un chien foie /] envieux , qu'un chat foie fi perfide ! Auifi pluiieurs Aureurs ont- ils prérenduL que les Bères éroient avant le péché de rhomme, diircrenres de ce qu'elles fonc aujourd'hui , &: eue c'efl: pour punie l'Homme que D'eu les a rendues fi mé- chantes-, mais ce fentiment n'eft qu'une pure fupolition dont il n'y a pas le moin- dre veftige dans l'Ecriture - Sainte > c'elt une mauvaife défaite pour éluder une dif- ficulté réelle. Cela même ne fe pourroic dire tout au plus que des Bèces avec kf- quelles l'homme a une cfpéce de com- merce , &: nullement des oifeaux , des poifTons , des infectes qui n'ont aucun raport à lui. Il faut donc recourir à la féconde propoliiion , 6c dire que la na- ture des Betes a été coirime celle de l'Homme, corrompue par^quelque péché d'origine '.autre fupofîtion qui n'a aucun fondement , ^ qui choque également la raifon &: la Religion dans tous les (yÇ- têmes que Ton a fuivis jufqu'à prefent fut l'amc des Bète^^. Quel parti prendre? Ad- m^etrez mon fyfcemej tout eft expliqué. Les âmes des'Bîrces font des efprits re- br-lles qui fe font rendus couoables en- vers Dieu. Ce péché dans les Bèces n'ed point un péché d'origine 3 c'ell: un péchç i(^ Amusement pcrfonnel qui a corrompu & perverti leur nature dans toute fa iiibflance. De-ià tous les vices ôc toute la corruption que nous leur voyous lans cependant qu'elles pèchent de nouveau, parce que Dieu en les réprouvant fans retour, les a en mcme- lems dépouillées- de leur liberté. Il me relte, ajoura l'Auteur , à vous fa- tisfaire fur deux queflions que vous me ferez Tans doute : comment les diables font unis au corps des Bctcs , &c ce qu'ils devienr:enr à la mort. Pour répondre à la première qucftion , il faudroit connoîrre le myltére de l'union de norre ame 6c de notre corps , 5c c'efl: ce qu'aucun Philofo- phe ne comrrendra jamais. Contentons- nous donc de dire que comme l'Homme eft une ame &c un corps organifé unis en- semble, ainfi chaque Bête eft: un diable uni à un corps organifé j Se comme un Homme n'a pas deux âmes , les Bcres n'ont aufîi chacune qu'un Diable. Cek elt f\ vrai que Jefus - Chrifl: ayant un jour chafTé plulieurs Démors, de ceux-ci lui ayant demandé permifllon d'entrer dans un troupeau de pourccrux qui paiiToient près de la mer , Jefus Chrift le leur per- mit, 6v ils y enrrere)-!t ; maisqu'ariiva-t"'ii? Chaque pourceau ayant déjà fo\^ diable , il y eut bataille , &c tout le troupeau fe noya dans la mer. Cette union fupofée rien ne doit plus nous étonner dans les Bêtes ; ellts doi- vent connoîrre de fentir comme nous connoiflbns 6c comme nous fentons, & à en juger parce qui fe pafle dans nous , Pk I L O SO TH I a.UE. 27 elles doivent être comme nous }â!oufes , colères , pcrrîcies , ingrates , inierreffées. Elles doivent être trifles ou gayes félon les événemens ou leur difpofîtion prefen- te: elles doivent avoir de l'airour &c ds Ja haine, dél^.rer de multir'lier leur erpé- ee , aimer leurs petits & les élever, ^tn un mot elles doivent faire tout ce qu'el- les foit, Se qui nous paroît lî incompré- henlîble lorfqu'on ne leur donne point une ame fbirituelle. Il elt pourtant im- portant d'obferver que comme c'eit pour avoir abufe de^leur raifon & de leurs lu- mières . que les tfprits rebelles ont mé- rité d'être ainfi dégradés, Dieu a voulu les hum'lier par leur raifon même , en les ailuiériflant à des organes i\ groîlîé- res, qu'elle cft extrêmement infirieure à celle des Hommes : de-la vient que nous jugeons bien quelquefois que les Bec^s font quelque raifonnement i mais nous avons tout lieu de croire qu'elles ne font jamais , comme nous , pliiiieurs raifonne- mens fui vis Se réflcchis, parce que leurs organes fe refufent à des mouvemens fi déliés. C'cii ce qui en fait des automa- tes qui n'agilfrnt le plus fouvent que par machine, quoiqu'avec connoifTance , ôC voild pour un efprit le comble de l'hu- miliation. Il n'en efl: pas ain/î de leurs fenfaiions. Car les Efprits rebelles n'ont pas péché par les fcns. Ils n'en avoient point : d'ailleurs, les fens font to'jjours des organes matériels Se des inrerprétes groffier^s. Leur uf:ige quelque parfait qu'il pui/Te être eft toujours humiliant pour C 1 a5 A M IT s E M E N T un démon qui étoit créé pour ccre an pur elprir, ^ par conféquent pour connoî- ire ôc fentir d'une manière beaucoup plus parfaire. Voilà pourquoi Dieu n'a pas donné aux Bêtes des fcns plus groffiers que les nôtres. Les tfprits qui 'les ani- ment Ibnt aHez punis d'être afTujétis à des fens matériels. Il femble même que Dieu , ibit pour nous humilier nous-mêmes , ibit ^pour faire admirer la variété de fes proûuclions , ait voulu donner à quel- c}ues Bêtes des organes , de fenfations beaucoup plus déhcats que les nôtresr \ Les oifeaux de proye , par exemple , ont 1 l'œil Cl perçant , le chien a l'odorat fi fin , ! l'araignée a le toucher iî fubtil, qu'aucun hornme ne les égn-e en ce point. L'extrême peîitcùe d'uii nombre irfîni de Bêtes (c Cil tou'ours TAuteur qui par- le ) poutroit faire illusion aux perlbnnes qui n'ont point aifcz réfléchi fur la. na- ture des chofes. Comment, dira- t'en , fe perfuader qu'un diable foie logé dans une mouche , une puce , une miite ? Mais quoi! n'y fera-t'il pas aufîi-bien logé que dans un cheval ou un boeuf? Un" efpric n'ayant abfolum^ent aucune étendue n'e- xige point pour être uni à un corps j que ce corps foit plus ou moins étendu. lia plus petite quantité de matière lui fuff.t, pourvu qu'elle foit organifée, 8c il n'y en a pas de fi petite qui ne puifle l'être. Dieu auroit pu faire les hommes ^uili petits que les plus petits pucerons ; s'il i'âvoit fait, nos âmes ne s'en eftime- roienc pas moins , Ôc ne fe croiroient pas P'h I l o s o phi qjj e. 29 moins bien logées. C'cil: qu'il n'y a point dans Je monde de grandeur abfolue. Une puce n'eft en elle - même ni grande ni pecice. Hlle n'eil petite que par raporr à nous qui fomnies infiniment plus grands ^ & elle efl grande par raporc à une infi- nité d'autres Beccs qui font un million de fois plus petites. Tout cela prouve que l'ignorance feule &: de faux préju- gés peuvent nous faire mettre enrre içs Eêtes quelque diilinclion de préférence fondée fur leur grandeur ou leur peti- teife. 11 n'elt pas par conféquent plus difficile de croire qu'un diable foit uni au corps d'une mouche qu'à celui d'ua éléphant 5 &c c'tfl en fffzz pour un efpric une chofe fort indifférente. Pour ce qui efl , ajoura l'Auteur , de la féconde queilion fur ce que deviennent les Démens après la mort des Bêtes il dl encore fort aife d'y fatisfaire. Pyth.-^gore erfî-ignoit autrefois, &: encore aujour- d'nui auelques Phîiofophes Indiens croyenc la Mctempfycorc , c'clt à - dire , qu'au moment de notre mort nos âmes pûiTcnt dans un corps, foit d'Homme, /bit de Bête pour recommencer une nouvelle vie , êc toujours ainlî fuccelTivemcnt jufqu'à la nn des fîécles. Ce ryftême qui cfl infou^ tenable par raport aux Hommes, Se qui eft d'ailleurs profv;rit par la Reli.u^'on > convient admirabement bifn aux B:-:es dans le fyftême que je viens de propofer s ^ ne choque ni la Religion , ni la raifon. Les Dcmons deflinés de Dieu à être des Bëtes > fur vivent nécelîairement a leur C } ^© A M U SEMENT corps , Se csileroient de remplir leur der- tinarion, fi lorfque leur premier corps ell détruit, ils ne pafToient aufli-tôt dans un autre pour recommencera vivre fous une autre forme. Ainfi tel démon après avoir été chat ou chèvre, elt contraint de paf- fer dans l'embryon d'un oi(eau,d'un poif- fon 5 d'un papillon pour les animer. Heu- reux ceux qui rencontrent bien : comme beaucoup d'oillaux, de chevaux ôc de chiens ; &i malheur a ceux qui deviennent Botes de charge ou gibier de Chaifeur. C'eft une efpcce de loterie où vraiTem- blabiemenc les diables n'ont pas le choix des lots. On pourroit croire pourtant qu'ils ne changent jamais defpéce , Se que le dia- ble qui a été cheval redevient toujours cheval i mais ce Tentiment Ibuunroit une grande difficulté. Car comme hs elpéces de Bètes 5 augmentent Se diminuent Ibu- vent fur la terre, il s'enfuivroit ou -qu'il y auroit quelquefois trop peu de diables pour fournir une efpéce , ou qu'il y en auroit de refte qui demeureroient en re- lais fans occupation , ce qui n'eft pas vraifemblable ; au lieu qu'en admettant une métempfycofe générale on prévient toutes les difficultés. Toutes les efpéces de Bêtes produifent prefque toujours beaucoup plus d'œufs ou d'emibryons qu^il^n'en faut pour les perpétuer dans la même quantité. Ainfî les diables que Dieu a deftinés à les ani- iner , ne manquent jamais d'emploi ni de iDgcmcDC. Car û une efpéce vient à man* pHirosoPHi Qjj E. ; ^ quer ou à diminuer conlidcrablemeiit , i:^ peuvenc palier dans les œufs d'une autres 6c là muUipiicr. C'elt ce qui fait quel- quefois ces prodigieufes nuées de faute- tcreiles &: ces armées innombrables de chenilles qui défolent nos Campagnes & nos Jardins. On cherche dans le froid, dans le chaud ; dans les pluyes, ou dans les vents, la caufe de ces étonnantes mul- tiplications j Se la vraye raifon , c'eft que dans l'année où' elles arrivent ou dans la précédente il a péri une quantité extraor- dinaire de Bètes fauves , d'oifeaux ou de poifîbns av^c tous leurs œufs , de forte que les diables qui les animcient , ont été contraints de fe jetter promptement dans la première efpéce qu'ils ont trouvée pré- • parée à les recevoir, & qui avoir pour ainii dire , des maifons à louer. Enfin, vous voyez, conclut l'Auteurj que plus on aprofondit ce fyfteme, plus en y découvre de ces traits de vraid-m- blance qui frapcnt t< qui perfuadent.- C'efl une fource d'obfervations finguliéres qui fatisfont la curiofité. j'en trouve . les fondemens dans la Religion même La raifon m'en donne les preuves les plus vraifcmblables & les ^préjugés n'y -opofenc que des difficultés frivo'.es. Peut- on fe refufer à un fyilême lî plaulible £-C £ bien apuyé de toutes parts? Je ne fçais Mad ce que vous perr- ferez d'un fyflême ii nouveau âc ii fingi> lieri mais je vous dirai que par fa fîngu- lar.té même il fit afiez de plaifir à toute UCompagniç» Quelques- uns ne le prkeDt: 2 2 Amusement eue peur un jeu a'ciprit Oc une plaiûn- tcrie inccnieulc : d'autres le regardèrent comme un fyltême fort bon' à croire fé- ri ufemenr. Pour moi, comme vous fça- vez que je iuis extrêmement Pyrrhonîen en iiiatiére de Tyilêmc , je me contentai de donner à l'Auteur les aplaudiHImens que la policefle exige en pareil cas, fans m'expliqucr ouvertement. La vérité elt que je ne fçavois qu'en penfer, & que je ne le içais pas encore. Car je vois d'une part que le fyflême repond fort bien à toures les dirîicutés, &z qu'il feroit afiez difficie de le convaincre de faux. Mais d'un autre côté je ne lui vois pas de^ fon- demens ûifez folidcs pour opérer une vraye perluafion \ fc comme il touche d'ai leurs à des objets de Religion , je croîs quil feroit téméraire de l'aJopter fa^ns i'aveu du moins tacite des Doéteurs. Notre Abbé ne fut pas fi réf:^rvéquc moi. Il revint à la charge , ôc l'Auteur le tailla parler aifez long- rems, après quoi il fe mit en devoir de lui répondre. Sur cela: on me propofa de jouer. Les deux difpu- lans fe retirèrent dans un coin de la falle pour continuer leur difpute Ôc je n en- tendis pas leurs raifons. Mais je m'aperçois que voilà déjà beau- coup d'écritu'-e fans que j'aye ercoie die un mot de la principale quellion que vous- m'avez faite fur le langage des Bête^. Fi- nifTons donc cette première difcufTion, 8c reprenons nos propofitions. 11 eft certain que les Bctes ont de la connoiffance que!— qu'en foie le principe. Cdï un fait fi gé- pHriOSOPHI Q^U E. ? î îiéraîement avoué de to'js les hommes , quç j'ai moins fongé à le prouver qu'à vous amufer par rexpofuion que je vous ai faire des divers fentimens. examinons donc à prefent il elles pailenc» IL De la nécejfité d'un langage entre hs Bêtes. PRouvons-en d'abord la pofTibilité.Dans i'ufaLre ordinairejce qu'on apelle parler, c'eft ie faire entendre par une luire de mots articuléSjparlefquels les hommes fontcon- venus d'exprimer telle idée ou tel fentiment ; ëc la coile(ft:ion totale de ces mors faic ce que nous apelons une langue, qui eft différente chez les Peuples difFcrens. Il Cil certain que fî les Bètes parlent, ce n'eft point par le moyen d'une femblable langue. Ma'S ne peut -on point, fans ce fccours, fe fairv^ bien entendre è-c parler véritablement :- C'ell de quoi on ne fçau- roit douttr. Les Anges {e parlent , &C n'ont point rorg:'.ne de h voix» Laif- fons-lâ le lurnatureî. Tout parle dans nous quand nous voulons. Ne parioiis- nous pas tous les jours par un regard , prir un mouvement de la tête par un. gefte , par le moindre figne r Imaginez- vous , Mad un peuple de muets. Croyez - vous qu'ils ne fe feroien: pas entendre les uns aux autres , & que pri- vés de l'ufage de nos mots & de nos phrales , ils n'y fupléroient pas par des cris par des geftcs, des regards 6c des mi- ?4 Amusement ncs ? Pour moi, jz fuis perfuadé qu'ils vi- vroicnc fort bien en iociéc^ comme nous y & qu'après que les premiers auroient , avec quelque peine, établi les lignes ôc les expre/Iions fenlibles , ils les^apren- droiem aifémcnt à leur^s enfans: que ceux- ci fe perfecftionneroicnt de plus en plus dans cette manière de s'exprimer, & for- meroient peu à peu , non pas une lan- gue, m.ais un langage très - net de aufîi jnceiiigible pour eux que ncs langues ie font pour nous. Nous avons fur cela des exemples fi éconnans qu'il n'efl: pas per- mis d'en douter : de j'irai û l'on veut juf- qu'à fbutenir que la même idée pouvant être exprimée de diverfes manières , il pourroit y avoir dans un tel langage du choix dans les expre/îions, de l'énergie, de rèloquence, du limple Ôc du £guré , peut-être même du précieux, Sans doute il y auroit aufîi quelquefois de l'obrcur &c de l'équivoque; mais où n'y ena-t'il pas } Apiiquons donc cet exemple aux Bêres. Elles n'ont point de langues j mais pourquoi n'auroient-elles pas un langage? 11 eft évident que la chofe eft pollible : examinons fî elle eft ncce/Taire. Toutes les Bêtes ont de la connoiffance, il faut en convenir, &c nous ne voyons pas que l'Auteur de la nature ait pu leur donner cette connoilTance pour d'autres fins que de les rendre capables de pourvoir à leurs befoins , à leur confervation , atout ce qui leur eft propre & convenable dans leur condition ôc la fotme de vie qu'il leur a prefcrit. Ajoutons à ce principe que beaa- Ph I I-O s Ô P H IQJ7 E. :5c coup d'efpece de Bc:es font faites pour vivre en focietc , comme à la Tour de Babel , fe re- tirera pour vivre féparémenc : plus de Ib- ciété. L'inftinct , dira t'on, ne peut-il pas fu- plt\r au langage ? Deux Caftors lé ren- contrent ôc Ce joignent enfemble , parce que leur inltindl les porte à le mettre en Société. Un troifîéme &i puis un quatrié- iTie , pluf.eurs ainiî de fiiit.^ viennent grof- iir la tioupe. Vuilà la fociété formée. Le même inflincl les porte à aller chercher du boisl êc de la terre pour bâtir leurs cabanes, comme les Oi féaux vont cher- cher ce qui leur eft néceifaire pour faire leur nid. S'iU iemblent partager entr'eux les travaux 5 c'cft que les uns voyant les autres aporter la terre , vont à leur tour chercher du bois;& lorfqu'ih voyent pa- reillement qu'une partie travaille a apii- quer le mortier , ils s'cmployent , pour ne pas demeurer oififs, à mettre le bois en œuvre. Il ne faut , ce femble, pour tout cela , que l'ceil de l'inflinct. Si l'on voit des f.ntinelles pjfées fur les avenues, c'efi que dans une troupe il y a toujours quelqu'un plus timide ou plus prudent, qui rend utiles aux autres les précautions qu'il prend pour lui-même. L'ob'edion eft fpécieufe i mais il faut Taprofondir.Qu'eft ce que l'inftird ? Cell un fcntiment non réfléchi dont le princi- pe eft inconnu , un defir aveugle, un goût indèiibérç , un mouvement machinal de Philo so PH 1 QJJ F. ^9 notre ame , qui nous porte à faire quel- que chofe fans fçâvoir pourquoi. Ce ien^ riment , s'il y en a , eil couimunémenc fi envelopé dans les hommes , qu'il de- meure fans efîet. On prétend feul:m^nc que dans quelques-uns il produit des effets fort iinguliers. Il efl merveilleux , dit- on , dans les Bêtes , & c'efl: par lui qu'on explique tout ce qu'elles font de plus ad- mirable. Ilien en effet de plus commode. Mais jufqu'à quand les hommes pren- dronc-ils des mots pour des chofes ! i°- Ce que nous apellons inftincl eft quelque chofe de fort obfcur de d'ir.connu en foi. 1^. Q_îelles preuves a-t'on que les Bèies ayent plus d'inllincl: que les Hommes ? On a porté la prévention fur ce pr^inc jufqu'à croire que l'inftinvfl dans les Bites eft préférable à la raifon des hommes. Mais fur quel fondement dégrade - t'oa ainfi la raifon humaine pour faire honneur à i'inftindt des Bêtes? On voit, ii eft vrai, ks Oifeaux faire leur nid avec beaucoup d'adreffe. On voit quelques Animaux fe purger par les fecours de quelques herbes qu'ils vont chercher. Les Moineaux fe purgent auffi de purgent leurs petits avec des Araignées ou d'autres Infecles. Les Pigeons ôc beaucoup d'Oifeaux mangenc du gravier pour faciliter leur digeftion. Ce fonr > dit • on , les Cicognes qui ont apris à l'Homme l'ufage des clyftéres. Voi- là à peu près les effcis les plus merveil- leux que l'on raconte de l'inftind: préten- du des Bêres -, car il ne faut pas croire beaucoup de fables que l'on débite fur D JL 4^ A M t; s f M E N T cette matière i & je ne vois point dans tout cela de quoi fe recrier. :,"". Mais puif- que nous fommes forcés de donner d^ la connoiffance aux Bétes , pourquoi leur donner un inftincfl inutile? Pourquoi at- tribuer à cet inftinifi inconnu ce qui peut n'être que le fimpie eiîèt de leur con'ioif- fance \ &c puilque c'eft effcùtivement la connoiffance qui fait faire à l'Homme de flrnblables opérations > pourquoi n'en fe- loit elle pas aulFi le principe dans les Bê- tes ? N\ft ce pas-là ce qu on. ape'le mul- tiplier les êtres fans néceiîiré , & cherchée à mettre de l'obrcurité dans une chofe toute fîmple & fort claire d'elle - même B Pour moi je fuis perfuadé que ce que nous croyons que les Bêtes font par un inftind: particulier, elles le font comme nous pac un effet de leur connoilfance ôi avec con- noifîance. je ferois même trente de croire que ce^que nous apcllons inftincl:, n'efl q'i'un être de raifon , un nom vuide de réulité , un refte de Philofophie Péripaté- ticienne, Mais s'il faut en admettre un, ;e ne croirai jamais que les Bêtes en foient mieux pourvues que les Hommes, tandis qu'en ne m'alléguera pour le prouver, que des faits que je puis expliquer par la fim- ple connoifTince i 6c fî cet inltincl: ne fuf- £: pas à l'Homme pour le conduire , il doit fuiïire encote moins aux Bêtes. Je reprens donc mon exemple de moa railbnnemenr. Si ce n'eil: pas par un inf- i nél particulier que les Caftors font leurs pefts établifîèmens avec tant de concert, c*efl donc par un effet de leur connoiflance. Philosophique. 41 O' j'ai prouvé par la fupoliùon d'un peuple absolument muet que la connoifîance , lans une communication réciproque par un langage fenlible & connu , ne fuffic pas pour'entretenir la fociété , ni pour exccucer une entreprife qui demande de Tunion & du concert. Concluons donc que puifque la nature, qui agit toujours avec tant de fagelfe , a fait les Caitors pour vivre en fociété, elle leur en a don- né tous les moyens néce(faires , & par conféquent la faculté de parler, quel que foit bur langage, puifque fans ce fecours il efi- im.-^orfible qu'aucune fociété puifTe fubru1:er,&: comme la nature ûiit par-touc les mêmes !oix ; apliquons ce raifonncmenc aux abeilles , aux fourmis Se à toutes les efpéces de Bêtes qui vivent en fociéié; dc voild déjà une partie fort confidérable des Bêtes pourvues de la faculté de parler. Mais peut -on d re la même chofe des Bêtes qui ne vivent pas en fociété r Tcb font la plupart des Qjiadrupédes , les Oi- feaux , les Poilfons, les Reptiles , 6c c'effc fans contredit le plus grand nombre, je ne fçais, Mad. . . . fi vous apercevez les conféquences du premier pas que je viens de bazarder. Car s'il y a quelque Bêces qui parlent, il faut qu'elles parlent tou- tes. Si les Caftors & les Perroqu:rs ont un langage, il faut que FHuîrre & le Lima- çon ayent le leur. Me voilà engagé , pour ainfi dire , dans un déhlé dangereux, dont les plus forts préjugés gardent toutes les ifTuës. Mais dans le Pays des fyllêmes, • <:oraiiie ailleurs, il n'y a fouvent que le 41 A :.î r s E M E N T premier pas qui coikc J'ai prouve , ce me fcmble , avec afTez de vraircnib'ance que les Bêtes qui vivoient en fociccé de- voienc nécefîauement avoir un langage. 11 faut étendre la propofirion à toutes les autres efpéces de Bëtes. Pourquoi en eiFct h nature auroit-ellc refufé aux uns un privilège qu'elle auroit accordé aux autres î Rien ne feroit plus contraire à l'uniformité qu'elle aff'ccle dans toutes Tes produélions. Je fçais que^ la nature aufîî avare dans le fuperflu , qu'el- le e(t prodiî^ue dans le nécefîaire , ne fait rien fans néceiîité. Mais n'eft-ce pas une r.ccefîîté que deux Bctes aiîbciées enfcm- ble pour former un ménage 5c une fa- mille, deux Oifeaux, par exemple, s'en- tendent de puilTent s'exprimer mutuelle- ment leurs ientimens & leurs penfées ! AlTociésdeux perfonjies abfolument muet- tes, je défie que l'union fubiîfte , fi elles n'ont aucun moyen de convenir enTem- bit de leurs faits Se de s'exprimer leurs befoins : deux Moineaux fans aucune ef- péce de langage , feront dans la même impolTibilité de vivre enfemble , & ion verra dans leur petit ménage tous les in- convéniens de la fociété muette , dont j'ai parlé. En un mot , la néceiîké d'un lan- gage entre un mari &c une^ femme pour vivre en ménage y e(t la même que pour une fociété. Il ne (eroic pas impofTîble que la natu- te eût fait quelques Animaux pour vivre dans une folirude abfoluë , &C qu'en con- fêquencc die leur eût darmé les deux fe- Phi Lo S0PHIQJ7E. 4^ xes pour pouvoir Te multiplier eux - mc- mes , comme les plantes , fans le fecours d'un accouplement, èc différemment des Limaçons & des Vers de terre, qui, quoi- qu'ils ayent les deux fexes , n'en peuvent faire ufage qu'en s'accoupiant ; en fupo- fant qu'il y. aie daivs l'Univers des Bêtes de cette efpéce» je conviendrai fans peine que fi la nature leur avoir donné la fa- culté de parler , elle leur auroit fait un prefent inutile ; mais dès que deux Bëtes ont habituellement beibin Tun de l'autre > dès qu'elles forment entr'elles une fociété durable , il faut néceffairement qu'elles fe parlent. Comment concevoir que deux Moineaux dans la ferveur de lei'rs amours , ou dans les foins que leur donne l'éduca- tion de leurs petits , n'ayent pas mille chofes à fe dire î Ce feroit ici le lieu d'é- gayer la matière par des détails intéref- fans ; mais je ne veux pas qu'un ouvrage Philofophique dégénère en plaifanterie. Je ne m'attache , comme vous \ oyez , qu'à des rair>ns folides , de je fcutiens qu'il efb imipc/nble dans l'ordre de la nature qu'uQ- Moineau qui aime fa femme n'ait pas pour fe faire écouter un langage plein d'expref- fîon &c de tcndreffe. 11 faut qu'il la gron- de lorfqu'eile fait la coquette j il faut qu'il menace les galans qui viennent la cajoler y il faut qu'il puiffe l'entendre lorfqu'eile l'apelle ', il faut tandis qu'elle couve afÏÏ- duément fes œufs qu'il puiiTe pourvoir à iJes befoins , 6c diltinguer û c'eft de la^ îiourriture qu'elle demande, ou quelques plumes pour réparer fon nid , dc pour toiUL cela il faut un langage. ^4 Amusement Beaucoup de Bctes , dira-t'on , n'ont point 5 comme les oifeaux , de ménage ccabli &: permanent. Car pour le dire en paffant , les oifeaux font le modèle de la conltance &c de la fîdcliré conjugale. Je le fçais, &c le nombre même en eft très- grand. Tels font les Chiens , les Chevaux , les Béres fauves, 6c Drefque tous les Q^ia- drupédes , les PoUfons «S: les Reptiles. Mais i'inlifterai toujours fur un principe avoue de reconnu pour certain. La nature efl trop femblabie à elle- même dans les produirions d'un même genre , pour avoir mis entre les Bêtes une différence auffi efîentielle que feroir celle de parler ou de ne parler p?.s.C'ei1: par ce principe que quoi- qu'on ne connoifiè qu'a peine la fem^nce du corail, des champignons, des truirès,. du noftoch, de la fougère, nous ne laif- fons pas d'être perfuadés que ces plantes viennent de graine^ parce que c'eit la fa- çon dont la nature produit toutes tes au- tres. Concluons donc que li la nature a donné aux Bêtes qui vivent en fociété ÔC" en ménage, la faculté de parler , elle a, fans douce, fait le même avantage à tou- tes les autres Bêtes. Car il ne s'agit point ici d'une de ces différences accidentelles que la nature fe plaît à diverfifîer dans les difîcrentes efpéces d'un même genre. Il n'y a peut-être pas dans le monde entier deux vifages qui fe reiîemblent parfaite- ment ; mais enfin tous les hommes onr un vifage. On voit dans les différentes efpéces d'Animaux des différences encore plus grandes y les uns ont des ailes , les. P FT I L O s O P H I QLJT l ne lailfcnt pas d'avoir entr'eux^ dans chaque efpéce , un certaia commerce &: une forte de fociété. Tels font les Quadrupèdes , les PoifTons , les Reptiles , les Oifeaux mêmes indépen- damment de leur ménage > comme les Etourneaux , les Perdrix , les Corbeaux , les Canards, les Poules. Or de quoi fer- viroit aux Bêres de rechercher ainiî la fociété les unes des autre*; > fi ce n'étoiî pour s'enrt'aider , & profiter réciproque- ment de leurs connoi/Tances , de leurs dé- couvertes &■ de tous les difcours qu'elles peuvent fe prêter ,■ 6c comment le pour- roient-elles faire h elles ne s'entendent pas ks unes les autres? Tous les raifonne- mjns que j'ai faits pour prouver que les Bêtes qui vivent en corps de fociété doi- vent avoir un langage , retrouve ici leur 4<^ AMUSÏ>rENT place Se toute leur fotce. Il ne peut y avoir de di^-crcnce que du plus au moins, & il l'on en juge par les faits , vraifembla- blement il n'y en a aucune. Les Loups, pat exemple, chaflent avec beaucoup d'adrefTc, & concertent enfem- bîe des rufes de guerre. LTn homme pafTant dans une Campagne, apeiçut un loup, qui fembloit guetter un troupeau de mou- ton'^. Il en avertit le berger , de lui confeii- la de le faire pourfuivre par Tes chiens. Je m'en garderai bien , lui répondit le ber- ger. Ce loup, que vous voyez, n'eft-là que pour détourner mon attention , 8c un autre loup , qui efl cax:hé de l'autre côté , n'attend que le moment où je lâcherai mes chiens fur celui-ci pour m'enlever une brebis. Le pafiant ayant voulu vérifier le fait , s*engagea à payer la brebis , &c la chofe arriva comme le berger l'avoir pré- vijë. Une rufe fi bien concertée ne fupo- fe-c'eUe pas évidemment que les deux loups font convenus enfemble, l'un de fe mon- trer , l'autre de fe cacher -, ôr commenc peut -on convenir ainli enfemble fans fe parler ? Un moineau trouvant à fa bienféance un nid qu'une hirondelle venoit de conf- truire , s'en empara. L'hirondelle voyant chez elle l'ufurpateur , apella du fecours pour le chafler. Mille hirondelles arri- vent â rire d'aile & attaquent le^moineau r mais celui-ci couvert de tous côtés, &: ne prefentant que fon gros bec par la petite entrée du nid , étoit*" invulnérable , Se fai- foit repentir les plus habiles qui ofoienc P H I tO s O P H I QJJ E,^ 47 s'en aprocher. Après un quarc-d'heure de combat, routes les hirondelles difparu- icnt. Le Moineau fe croyoït vainqueur, 6^ les rpeciateurs jugcrent qu'elles aban- donnoient l'entreprife. Point du tout. Un moment après on les voit revenir à la charge, Se chacune s étant pourvue d'un peu de cette terre détcempée dont elles font leur nid , elles tondirent toutes en- femble fur le Moineau, ôc le claquemu. xérent dans le nid , afin qu'il y pérît , puif- qu'clles n'avoient pu l'en chalfer. Croyez- vous , Madame que les hirondelles ayenr pu orner & concerter ce delîein toutes enfemble fans ie parler ' On raconte des chofes admirables des Singes lorfquils vont à la picorée. Une troupe de foldats qui va au fourage dans le voilinage de l'ennemi , ne marche pas avec plus d'ordre & de précaution. Je j3ourrois vous raporter mille autres traits îemblables ; m.ais il faudroit faire un vo- lume , 6c je ne veux qu'apuyer miOn rai- fonnement. On s'eft toujours fervijufqu'à prcfent de ces exemples pour prouver que les Bêtes ont de la connoitîance j &c on a eu raifon , parce qu'en cn'Qt on ne peut pas concevoir que les Bêtes puiflent, fans connoi£^ince , faire des actions fî iîngu- liéres *, mais il eft évident qu'on n'a pas été aflèz loin, &c qu'il faut conclure de plus que les Bêtes parlent, puifqu'il pa- roît éî^alement impoflible qu'elles le puif- fent faire fans parler. ït remarquez, s'il vous plaît , Mad. . . . qu'il ne s'aeit pas ici d'une opinion ou d'un ryftême fondé fur 4"8 Amusement de^ conjedlures ou des explications vrai- iemblabKs, ma ^ d'un raironpemcnt apuyé fur des faics lenlibks & palpables. Jedis des /ans ienlîbles , tels que ceux que je viens de raporter, & mille autres fembla- bles en toux genre. Lntrez dans un bois où il y a des Geais. Le premier qui vous aperçoit donne l'allarme à route Ja trou- pe ,* & le bruir ne finit point que vous ne îbyez forti , ou que votre prefence ne les ail chafKs. Les Pies, les Merles &: pref- que tous les oifeaux en font, autant. Q_j'ua Chat paroilîè fur un toîr ou dans un jar- din , le premier'Moineau qui le découvre, fait précirémenr ce que fait parmi nous une fentin lie qui aperçoit l'ennemi. Il avertit par fes cris tous fes camarades ^cC femble imiter le bruit d'un tambour quî bat au champ. Voyez un Coq auprès d'une Poule, un Pigeon auprès d'une fe- melle qu'il follxire , un] Chat à la fuite d'une Chatte, leurs difcours ne ûnilTznt point. Je ne iinirois point moi-même li je voulois épuifer les détails, ôc je veux ce- pendant mettre des bornes à ce petit Ou- vrage. Je ne veux plus ajourer qu'une ré- flexion*'im.portante, qui JFait , félon moi, une efpéce de démonflration. Nous par- lons tous les jours aux Bêtes, 5c elles nous entendent fort bien. Le Berger fe tait^n- tendre de fe N'outons, les Vaches enten- dent tout ce que leur dit une petite pay- fane , nous parlons aux Chevaux , aux Chiens, aux Oifeaux, de ils nous enten- dent. Les Bêtes nous parlent aulH à leur tcmr, ôc nous les-encendons. Corn- Phi L o s oi> H I c^TTE. 4^ Combien plus cioivenc-eiies fe faire en- tendre de leurs iemb.ables ! Car nous ne pouvons avoir, par raporc àeiies, qu'une langue étrangère, 6^ li la nature les a fai^ tes capables a'enccndre une langue étran- gère , comment leur auroit-elle refui'j la taculcé d'entendre & de parler une langue naturelle? Vorre Chienne , par exemple > a beaucoup d'efpric, vous vous entrete- nez tout le long du jour avec elle, vous l'entendez de elle vous entend : mais foye^ fûre que lorfqu'il vient un Chien la 'ca- joler , elle l'entend beaucoup mieux en- core, ôc fe fait mieux entendre. Convenez donc, Mad.... que les Bê- tes parlent , &C qu'il elt fort raifonnable de le croire , puifque la raif ^n , les loix de la nature , les faits dc i'expcrience concourent à le prouver avec alîèz d'évi- dence pour fixer fur cela notre incertitu- de. Je ne fçais pourtant pas fi je vous aurai perfuadée ; car ;e ne connois rien au moride de fi difficile que de perkiader à quelqu'un un fentiment qu'il n'a pas pui- fé lui-même dans Tes propres lumières, à moins qu'il ne Ratte Ton amour propre. Mais vous avoii^rez du moins que mon opinion eft afTs^z bien fondée pour trou- ver place entre les divers fyftêmes qpî occupent le loifîr des Philofoph'^s. Un autre aveu que j'exige de vous (?c qui me fera beaucoup dI'js cher, c'efî: q-e vous devez être fatisfaite de ma complaifance', de pour ne vo'is rien laifîer à defirer de ce côté la, je \a's traiter encore le troifième point qui me reite à examiner. £ ^o Amusement ■ — — ■ ——il— I I I. ^ Du Lngage des Bêtes. P Retendez -vGus 5 Mad. . . . parce que je luis pcrfuadé que les Bêtes parler; t i que je vous explique leur langage , & que je vous donne le dictionnaire de leur langage? Je voi.««; avolie que la chofe me paroîc aiTez difficile, 6c que je ne fçais trop comment m'y prendre. Je vais re- iTionter au principe; de de-là, en fuivant Jes diverfes réflexions que le fujet me fournira , je ferai , pour éclaircir la ma- liére , tout ce que vous pouvez raiibnna- blcment exiger de moi. Mais ne vous at- tendez qu'a des obfervations générales : les détails feroieni une vraie boufî-bnnerie. Pourquoi la nature a- t'elle donné aux Bêtes la faculté de parler? C'cft unique- ment peur exprimer enir'elies leurs de(^rs ^ leurs (éntJmens , aiin de pouvoir Taris- faire par ce moyen à leurs befoins & à cour ce qui efl: réccflaire pour leur con- {ervaiion. Je fçais que le lareage en gé- néral a encore un autre objet, qui "eft d'exprimer les idées, les connoiiîances , les réflexions , les raifonnemens. Mais quelque lyrtêrT^e que l'oîi fuive fur la con- noiflarce desBêteS, fut-ce le fyflême des diables qui leur donne une ame fpiriruei- le 6c capable de raifbnner, il efl: certain que la naiure m leur a donné de connoif- Phi L o s 0 i>H icIjth. ^t Tance que ce qui leur ed utile ou néccf- faire pour la confervation de l'efpccf^ dÇ de chaque individu. Poinr d'idées abltrai- tes par coniequent , point de raifonne- mens Mctaphyllques , point de recherches curieules iur tous les objets qui les envi- ronnent , point d'autre /cience que celle de fe bien porter, de fe bien conferver , d'évirer tout ce qui leur nuit ^ & de fe procurer du bien. Aufïi n'en a - t'on ja- mais vu haranguer en public , ni difputcr des cauTes Se de leurs efîks. Elles ne con- noiiîent que la vie animale. De CQZic réflexion il en fuit une autre. C'eft qu'en même - tems que la nature a donné fî peu d'étendue à la connoi/rrnce des Bêtes , elle a néceffairement aulfi bor- né à proportion leurs d:iîrs , leurs paf- lîons , Se par conféquent leurs befoi-^s. Car ce font nos dehrs qui font nos he- foins , &c cç(ï la connoitlance qui proiuiî: nos def;r<;. Sçavoir , qu'on peut erre heu- reux ôc le délirer , c'eft une même chofe dans'le cœur de l'homme. Avant le péché Tes yeux étoient fermes à tous les biens humains & fenfibles, il ne les defîroit pas. Le péché lui ouvrit les yeux , &C il les de- fîra pour Ton malheur. Heureux le fage qui fçait contenir ll-s délits dans les bor- nes que la Religion Se la raifon leur pref- ctivent? Trêve de m.orale, me direz-vous, venons au fait. La gloire, la grandeur , les tichefTes, la réputation , le fafte Sc le luxe font des roms inconnus aux Bêtes , Se q'-e vous ne trouverez pas dans le dictionnaire de leur £ 2, l Amusement angue. Elles ne fçavcnt exprimer qilfe leurs defirs, 8c leurs defirs font bornés à ce qui ell purement nécefîàire pour leur confervation. Ecoutez parler un Chien. 11^ ne fe plaindra pas de ce que fa niche h'eft point dorée , ni de ce qu'on ne le fert pas dans un plat d'argent. 11 ne vous demandera pas le droit de commander à tous les chiens de la maifon. Tout ce qu'il vous demandera ceft un peu de nourri- nire pour fub/ifler. Si vous le menacez» il lâchera de vous fléchir. Si vous le bif- fez feul, il témoignera par Tes cris , Ton deferpoir Ôc la crainte qu'il a d'être aban- donné fans retour. Si vous le menez a la promenade, il vous remerciera avec mille expre/Ilons dejoyc. S'il voit quelque objet qui l'effraye, il vous le dira par Tes geftes 6c Ces aboyemens En un mot, parlez-lui de boire, de manger, de dormir, de courir, de folâtrer , de fe défendre contre un ennemi, & de défendre en vous Ton pro- tedteur Se Ton unique apui, il vous enten- dra parfaitement , de vous répondra fort bien , parce que tout cela tend à fa con- fervation , pour laquelle feule la nature lui a donné la faculté d'entendre &■ de fe faire entendre , c'eft-à-dire, de parler; mais ne trairez point avec lui de Phiio- fophie ni de Morale , car ce feroit lui par- ler une langue étrangère, dont il ignore abfo'ument toutes les exprefïions. Ses.con- noi (lances &c fes befoins ne vont pas juf- ques-li. Amenez-lui enfuite une Chienne. La connoilîance fera bien-tôt faite , de la converfation commencée. Mais ne croyez P H 1 L O s O P ITIQJJ E. <;^ pas qu'il perde le teins à faire des com- plimens à la belle fur A beauté , fur fa. taille, Ton efprir, fa nailTance & fa jcu- nelîe. Tous ces avantages font pour lui autant d'idées inconnues qu'il ne fçauroit entendre ni exprimer. La feule chofe qui le louche alors, c'cfl: le defir de multi- plier Ton cTpcce , ou du moins d'en pren- dre les moyens. Celt uniquement fur ce point que roule toute la ci^nverfition. Ma's quelle vivacité n'y voit- on pas? Tout parle dans une Bête amoureule co^Tm.e dans l'Homme le plus paiTionné. Tout cyprime fa pafîion , Tes geiles > fa voix, tou<; (es mouvement. Ce princfpe nous fournit une première obfervation fur le langage des Betes', c'eil ce qu'il ed fort borné, puifqa'ii r.e s'étend pas au-delà des b:foins de la vie. Mais il ne faut pourtant pas nous faire ilkilicn fur ce point. A bien prendre ia chofe, le langage des Bêtes ne nous paroit fi borné qje par raporr au nôcre qui eft peut-être rrop diffus. Tout borné qu'il eil , jl fuf- ûz aux Bêtes, 6c le furplus leur feroit inu- tile. Ne feroit-il pas à fouhaiter du moins- i cerrains égards , que le nô re fût moins abondant &c mo-ns prolixe ? Les hommiCS' font naturelk-m tTT gra^d^^ parleurs , oC fi j'o'bis le dire, bavards. Ils n'ont jimais affez de mots pour exprimer to''tce qu'ils veulent dire. Peu c:^nt:ns des idées am- ples , ils aiment à les- diiféquer , pour ainfi dire, en foûlivifions : ils femblenL quelquefois vouloir faire Tanatom^e d'une iiée ou d'urr fentiaient, co:i"ime un ChS» y 4 Amusement rurgien fcroi: ceiie de ia tête. Autant de mo'ts nouveaux par confquent qu'il faut créet j &: quels mots! Des mots vuides , des fens obfcurs , équivoques , plus pro- pres à fjïre naïtte des dilputes qu'à éclai- rer refprit. Quel abus d'ailleurs les Hommes ne font-ils pas de la facilité de parler que la nature leur a donnée i Que d'erreurs &C de menfonges font le fujet ordinaire de ros convenations ! Que d'extravagances 6c de bagatelles ! Que de médi Tances & de mauvais propos ! Si les Bétes nous entendoient converfer , jafer , mentir , médire, extravaguer, auroient- elles lieu de nous envier l'ufage que nous faifcns de la parole î Elles n'ont pas nos avanta- ges j mais elles n'ont pas nos défauts. El- les parlent peu , mais elles ne parlent ja- mais qu'a propos & avec connoilîance de cauie. Elles difent toujours vrai ôc ne trempent jamais, non pasmêmicen amour. N'eft - ce pas à leuf to'ir un avantage qu'elles ont fur nous ? Elles font à cet égard à peu près dans le cas des Païfans de nos campagnes , des Nègres de des 5auvages de l'Amérique. Je ferois même tenté d*en faire des Philolophcs, 6c d'en comparer du moins beaucoup d'efpéces à Diogène vivant dans une petite bara- que > content du pur néce/îàire , fuyant le commerce des hommes , ôc ne parlant que par néceiîiîé.. Tel eft un de ces gros Chats barbus & bien fourrés, que vous voyez tranquille dans un coin , digérant à loi lit > doimant il bon lui fembls , fe P K I L O s O P n I QJJ E. ^ v' donnant quelquefois le pb.ilir de la chaî- ne, jolii/fant d'ailleurs pailiblement de la vie, fans le raertre en peine des événe- mms qui nous agitent , fans le fatiguer refprit par mille r'ehcxions inutiles, fc peu curieux de communiquer aux autres fes pcnfées. Il ne faut, a la vérité, qu'une Chatte qui vienne à paroître pour déran- ger toute fa Pliilofophie -, mais nos Phi- lophes font- ils plus fages dans Toccafion ; Il faut pouttant nous tenir au vrai. Je ne veux ni vous féduire , ni m'ébloiiir moi-même par des raifonnemens moins foîides que fpécieux. Les Bètes en général parlent peu. Il y en a même de il taci- turnes > qu'elles ne difent pas quarre mots dans un jour. Tels font , entre celles que nous connoiifor.s le plus , les Anes , les Chevaux , les Bœufs , les xMoutons Se la pl^Lipart des Quadrupèdes. La raifon en eft toute fimp;e. C'eft que la nature n'a donné à ces animaux qu'une nourriture fi légère &c ii aifée à digérer , qu'il faut qu'ils la renouvellent (ans ceife pour pré- venir la faim , ce qui occupe tout leur Joilîr. Mais en récompcnfe vous m'avoue- rez qu'il y a des Bêtes qui ne déparient point. Tels font entr'aurres les Oifeaux 3 ôc ce que je vous prie de bien remarquer , ■c'eft que ce font les femelles qui parient Je moins. Comme le langage des Oifeaux -elt pour ainfî dire , le m.ieux articulé ÔC le plus Tenfible pour nous. Prenons - le pour exemple. Vous pourrez juger par lui du langage des autres Bêtes , en y rr:etrant les diilërences qu'on remarque ai- fdmcnt dans chaque efpéce^ t^ A M U s E ^r E N T Les Oifciiux chantent, dit- on , c'efl unô erreur. Les Oileaux parient ôz ne chantent point. Ce aue nous prenons pour un chant n'eit que leur lantrage naturel. La Pie, le Geai, le Corbeau , la Chouette, le Ca- nard chanrent-ilsî Ce qui nous fait croi- re qu'ils chantent, ce font les' accens ds leur voix. C'eft ain(î que les Hottantots , dans l'Afrique, feTDblent gloufîer ccmme le Coq d'inde , quoique ce l'oit l'accent naturel de leur langue , de qu'il y a des peuples qui nous paroifîent chanter ea parlant. Les Oitèaux chantent fî l'on veut dans le même fens ; mais ils ne chantent point pour chanter , comme non»; nous imaginons. S'ils chnntent, ce n'eft que pour parler i & il efl afTez plaifant qu'il y aie ainfi dans le monde un peuple il nombreux qui ne parle qu'en mufique ou en chant; Mais que difent - ils enfin ces oifeaux ? Il faudrait le demander âApoi- lonius de Thïane , qtii fe vantoit d enten- due leur langage. Pour moi qui ne Tnis pas devin , je ne puis vous donner que des conjectures vraifemblables. Prenons potir exemple la Pie qui efllî caufcuie. Il efl aue d'obfetver que Tes dif- cours ou Tes chants font variés. Tantôt elle abaiife ou élevé le ton , tantôt clTe preffe ou ralientit la mefure, tantôt elle prolonge ou abrège fon caquet. Ce font évidemment autant de pbrafes diffërerr- res. Or , en fuivant le principe que j'ai établi , que les connoifTances . les difirs » les bcfoins des Bêtes, & par conféquenc kuts expreiSons {ont bornces à ce qui di' Phfl o s O P HI QJJ E. S7 «tile oa nécefraire pour leur confcrvation, il me fembie qu'il n'y a rien de plus aifé que d'encendre d'abord en général le lens de ces diifërences phrafes \ 6c ne prenez, poinc ceci pour une plaifanterie, c'elt la pure vérité , ou du moins touc ce que je connois de plus aprochant. Car dès qu'u- ne Pic ne peut parler q-ie pour exprimer ce qui lui cft utile ou nécetraire , toutes les fois qu'elle parle , obfervez dans quel- le circonftance elle fe trouve par raport à fes belbins. Voyez enfuite ce que vous di- riez vous-même en pareille circonftance, c'eft-la précilémenc ce qu'elle dit. Nielle parle > par exemple , en mangeant avec beaucoup d'apétit , il n'eft pàs douteux que ce qu'elle dit alors c'eft ce que vous diriez vous - m.ême en pareilie occalîon r »o Voilà qui eil: bon , voilà qui me fait du J5 bien, c Si vous lui prefentez quelque chofe de mauvais , elle ne manque pas de dire comme vous diriez vous-même : ?3 Cela me déplaît , cela ne vaut rien pour 2j moi. ce Placez- vous en un mot dans les diverses circonftances, ou peut-êrre quel- qu'un qui ne connoîr & qui ne fçait ex- primer que fes befoins , &z vous trouve- rez dans vos propres difcours l'interpré- tation de ce que dit une Pie dans les mê- mes circonftances. -^ Il n'y a plus rien ici 5j à manger , allons ailleurs. Où allez- vous , >^ ma compagne ? Je m'en vais , fuivez-moi. " Venez vice, accourez. Voici de bonnes "chofes. Où êtes-vous ? Me voici. Ne >•» m'entendez - vous pas? Vous mangez *= tout , je vous battrai. Ahi , ahi. Vous î8 A Tvf U s E M E N T ' » me faites mal. Qui e(t-ce qui arrive-Ià? *^j'ai peur, gare, gare. Ailarme , allar- >» me. CacIiDns-nous, fauvons-nous. ^^ Je pourrols , comme vous voyez , allonger ce dictionnaire de beaucoup de phrales femblables , fur-tour en y ajoutant toutes les expre/Tions dictées par l'amour, la ja- Jouiie, la douleur 3c la joie. Mais n'elU ce pas beaucoup d'avoii ofé vous en don- ner «n échantillon } A propos de la joïe, permerrez-moi de faire une petite digreiîlon. Sçavez - vous bien que nos anciens Philofophes ont pré- tendu que les Bêtes ne rient point , oC que le rire efl une propriété e/î'entielle de l'Homme, exclusivement aux Bêtes. .Mais n'eft-ce pas encore-là une vieille erreur y & n'eft-il pas évident que les Bêtes rienc très - bien à leur manière , ôc -tout aulîî- bien que l'Homme ? Voyez deux jeunes Chiens folâtrer cnfemble dans une cam- prgne , fe furprendre l'un l'autre , fe faire des niches & de fauffes peurs. Tout cela fe peut- il faire fans rire? Eit-il donc ef- fcntiel au rire qui fe fafTe comme dans l'Homme par un mouvement des lèvres &: de la bouche, avec un fon de voix con- vul/îf ? Le rire n'efi: qu'une expreiîion de joïe 3 cS: cette expreffion cd néceifaire- ment différente dans les divcrfes eCpéccs à animaux. L'Homme rit à fa manière, Sc le Chien rie à la iîenne. Qifimporte que ce fcic par un éclat de voix , ou par un £mp]e mouvement dçs oreilles ou de la queue , ou quelqu'aurre expre/îion fem- blable ? C'eft toujours rire. Quel parti Ph I L OSOPHIQJUT. ^^ allez - vous prendre , Mad ? Sufpen- dez , je vous prie un iTiomeni: votre déci- (îon. Je fuis de l'avis des anciens Philo- ibphes , Se en voici la raifon. Le rire eft une exprefiion de plaifir de de loïe, mais tout plaifir Ôc toute joie ne produit pas le rire. La feule joye qui prod lit le rire, cft celle qui efl: accompagnée^ de furprife, ôc qui naît en nous à la vue iubite de quelque airortiffement bizarre de deux idées ou de deux chofes incompatibles , comme d'un Magiftrat habillé en Arle- quin , ou d'un mal à-droit qui veut faire le capable. Cela cft fi vrai, que la mê- me chofe qui nous fait rire dans des cir- conftances ordinaires , celFe de nous pa- roîrre rifible dans d'autres circonftances. Nous rions d'un homme qui pour foa plailir ou par vanité , entreprenant ds lautcr un fbfîé plein d'eau , tombe au milieu i mais que ce même accident arri- ve a un autre homme qui fuit un enne- mi armé , loin d'en rire nous en fommes afFiigés-, il faut par conféquent , pour êtrs capable de rire , pouvoir comparer en- fcmble deux idées &c en apercevoir l'in- compatibilité. Or , c'eft ce que les Bèrcs ne fçauroient faire, parce qu'elles n'ont que des connoifTances dM-gctes. Elles o-t des fentimens d-- farisficlion , de plaifîr &: de jo'ïe , de la plupart les expriment très-diftinétement , miis elles ne peu- vent point avoir cette ioï'e quiraïtdc ré- flexion ou de comparai fon. Donc Ic^ Bê- tes ne rient jamais , Se les anciens Philo- fophes ont eu raifon. Revenons à nos Oifeaux. Co Amusement On peut m'objecter que les Oifeaux répètent toujours la même chofe , de pac conféqucnt ne varient pomt leurs phralcs comme je le prétends. A cela je réponds qu'outre les différences qu'il e(l aifé de remarquer dans le parler des Oiieaux , de vïteire ou de lenicur , de haut &c de bas, de longueur & de brièvetés il y en a vrai-lemblabkment beaucoup d'autres que nous n'apercevons pas , faute d'en- tendre leur langage , mais que les Oifeaux entr'eux remarquent fort bien. Diftin- guons-nous leur pbyhonomie ! A peine nous doutons-nous qu'ils en ayent de dif- férentes i rien n'eft cependant plus cer- tain 3 de ils ne s'y trompent point. J'ai vu une hirondelle porter à manger à lix ou fept petits rangés à la file fur une ai- guille de cadran. Les petits avoient beau changer de place , la mère ne fe mépre- noit jamais en donnant à manger deux fois de fuite au même , <5c elle n'en oublioic aucun. Que dans un troupeau de cent Agneaux une Brebis entende bêler leiîen, elle le reconnoît aufli-tôt (Secourt le cher- cher. Deux Moineaux fe reconnoifîent entre mille au fon de la voix, je pour- rois alléguer cent faits pareils, pour prou- ver que tous les Animaux ont dans leur commerce entr'eux une finefle de difcer- nement qui nous échape j 6c qui leur fait remarquer entr'eux des différences qui font abfolument imperceptibles pour noîis. Si donc beaucoup d'Oiieaux nous paroif- fent chanter toujours la même chanlbn , comme le Moineau, le Pinfon^ le Serin, ne PH IL O s O P H I QJTE. 6l ne concluons pas qu'ils diicnt toujours la même choie Croyons plutôt que c'jft un eèec du peu de £ efTe de nos oreilles par raport à un langige qui nous ell torale- ment et anger Ôc inconnu. Qu^ni nous difo "(S , chxjje's ce mzt'm , ^ je fuis arrivé ce mutin. : nous dillinguons ces deux m.xtini paf- la prononciation : mais la diiîërencc efl. Il feniijle pour un étranger, qu'il ne Tajerçoit prefque pas. La langue Chi- noife eil pleine de femb labiés différences que les étrangers ont toures les peines d\i monde à fjntir & à faire fentir. Je m'i- magine qu'un Homme né fourd qui en- tendroit pour la première fois parler les Hommes entr'eux , Te perfuaderoit auffi , ne connoilTant ni voyelle. , ni mots, ni fyllables , qu'ils diroicnt toujours la mê- me chofe. Tel efl le jugement que nous portons du ramage dcs Oifeaux. Je ne veux pourtant point abufer de cette Réflexion pour foutenir qu'un Rof- fîgnol dans le printems varie autant fvS difcours qu'il varie Çovi chant, ou qu'un Serin dans fa cage, dit autanc de phrafes diff'érentes qu'il répète de fois fa chanfon. Non. Je fuis au contraire perCuadé que les Oiieaux font babillards & amis des répétitions. Il ell même néceifaire qu'ils le foient, & en voici la raifon. Pour dire, je 'VOUS aime, nous avons cent phrare:> lyno- nimes , cent expreiTions différentes , ^ il n'Y a point de Thème que nous ne puilîions, comme on dit, faire en deux façons. Ceft un effet de la fupériorité de nos connoifTancçs, de la multiplicité dç €i Amusement nos idées, &: pour ainfî dire, de la Toa- çkiTc & de i ctenonë de notre efpric qui enTibralle pluficurs objets enfemble , ÔC qui aperçoit leurs raports réciproques. 11 n*en eft pas ainfi des Bcres. La nature a donné à leurs connoiffances des bornes fî étroites , qu'elles ne peuvent envifaeer qu'un obje^ à la fois \ &i comme elles Tenvifagent toujours fnnpiemert dc delà même manière, elles n'ont au/Ti commu- Tiément qu'une leule façon d'exprimer leurs connciiîances ou leurs fentiniens. Cette remarque eft importante pour con- roïtre plus à fond le langage des Bêtes. Is-on-feuleoTent il eft borne ^ comme j'ai ciéjadir, aux feuls objets qui interreJcnt leur confervaticn, mais il e!l encore bor- né par lui-même, en ce qu'il n'a com- munément qu'une feule expreiîlon pour chaq'.;e objet , Se c'efi 1? la caufe de leurs répétitions fréquentes s car comme il tiï naturel que les Bêtes infiftent toujours fur le même objet , jufquM ce que leur deiir foit fatisfait , ou qu'il foit dctourné par un objet plus preffant» de comme elles n'ont qu'une feule façon de s'e>primer fur cha- que objet , il eft nécefiaire qu'elles répè- tent toujours la même exprcfllon , & que cette répétition dure aulîi long-tems que l'objet les occupe. C'cft ainfi'qu'un chien qui aboyé la nuit pour quelque bruit qu'il a entendu , ne fait évidemment eue répéter toujours la même phrafe : y^ Prenés garde. J'entends du bruit qui >» nrinquiéte i ou je vois quelqu'un dont t5 je rae défie ^ ^ qu'il h répétera toti- Phil OSO P HlQj; !. f? fours jufqu'i ce que fa crainte Toit paiTée. Cefl ainii qu'un Pinfon amoureux ré- pète fans celle à fa femelle la n:iême ex- prci'îîon de Ton amour &c de (a tendreiîc-, Ôc ne lui dira vingt fois de fuite que la nicaie phrafe : >î je vous aime ; e vous ai- » me j ^■» ou quelqu'autres équivalentes. Mais dans d'autre's circonftarices comme dans celles de la colère, dz de la jalou- iîe , de la fatisfaclion ou de la douleur, nous voyons que ce Chien Se ce Pinfon employent beaucoup d'autres phraf^s dif- férentes, ou 11 nous n'en apercevons pas lés diff-ercnces, c'cîl: uniquement, ou la faute de nos organes , ou le peu de con- noiflance que nous avons de leurs ac- cens dii-férens. Il ed donc vrai , pour revenir aux Oi- féaux que nous avons pris pour exemple, que la plupart répètent beaucoup. Il ne fuffit pas même de dire la plupart , tous font dans le même cas, &: fî le Pvo:TignoI paroît moins fe répéter, cen'eftque parce que fa phrafe ell; plus longue, & la dif- férence de Tes accens plus marquée. Mais il n'eft pas moins certain qu'ils ont des phrafes difrërentes pour les diiférens fen- timens qu'ils veulent exprimer, èc que cette répétition ne vient que de ce que d'une part ils infiitent long-tems fur un même objet , ôc que de l'autre ils n'ont pour chaque objet qu'une feule exprcf- îîon. H(t-ce un défaut dans leur langage? Je veux bien le croire i mais comparés encore 5. (î vous voulez, ce prétendu dé-, faut à l'avaDtagc prétendu de nos am- F 2 ^4 A ^f U s ï M E N T p''f?catirns, de nos métaphores, de nos hypcrbcics, de nos phralls enrortillées , te vous trouverez dans les Oiîcaux tou- jours du fîmple ôc du vrai, Se dans le langage humain beaucoup de verbiage dC de menforges outrés. Vous ne pouvez pas du moins refufer à la fïmplicité de leur langage un avan- tage que le nôtre n'a pas/Ctfl que dans chaque efpéce il eft uniforme de toujours Je n.ême dans tous les tems de dans tous les pays du monde , au lieu que dans Tef^. éce humaine , non-feulement chaque peuple a fa langue particulière, mais b langue de chaque peuple varie continuel- lement, de au bout d'un certain tems ne fe reffemble plus à elle-même. Un Fran- çois du tem.s de Charleinagne ne nous entendroit pas plus que nous enrendons un iifpagnol ou un Anglois. Le langage des Bétes & des Oifeaux n'eft: point fujec à ces variations incommodes. Les Rolîi- gnols &c les Serins d'aujourd'hui parlent precifément le même langage qu'ils par- loient avant le déluge. Portez- les aux In- des & à la Chine , ils n'y trouveront point une langue étrangères Se dès leur arrivée ils feront en état de converfer avec leurs femblables fans le fecoursd'un interiTrête. Ne feroit il pas à fouhaiter, comme on l'a propofé quelquefois, que ies hommes fur ce modèle établifTent une langue générale qui feroit entendue dans te ut rÙnivcrs ? Remarqués > Mad que cette /im- plicite, ou cette ftérilité du langage des P H I L O s O P H I CJJ t. ^ C^ Eê:es , vous paroïcra encore moins dé- feclueufc , fi vous faites réflexion qu'elle e(t rcmplaccc par des mines, des gefles , de des mouvemens qui font une efpéce de langage crès-i'uelligible , 5c un fuplé-» ment de^l'expredlon vocale. Un Chien, par exemple , n*a pas d expreflion vocale pour demander pardon quand il aperçoit que vous ères en colère contre lui *, mais que fait-il? Il s'hi;milie devant vous, il rampe à vos pieds dans la poilure d'ua fupliant. Il n'a pas de phralc pour dire, ouvrés-moi la porte, m^is il y gratte, &C vous avertit par -là du defir qu'-l a d'en- trer ou de forcir. N.^ font-cj pas li des adlions parlantes? Sans doute, pjifnu'el- les fe font bien entendre. Ce feroit ici le lieu de faire, comme dit le proverbe po- pulaire, des commentaires fur les grina- ces des Singes. Car il n'cft pas dojteux, que il entre ces grimaces il y en a qui ne fof!t que pures grimaces, il y- .n a d'au- tres qui font autant d'exp raflions qui va- lent bien d-s mots èc des paroles. Mais n'efl-ce pas prendre trop d'avari- tage que de citer comme je fais d'une part l'exemple des Oif^aux qui foac en effet grands parleurs , OC de l'autre celui des Chiens de des Singes qui font grands geflicu'areurs, tandis qu'il y a tant d'au* lires efpéces de Betes qui n'ont que très- peu ou point d'expredîons vocales , &C da-s lefquelles nous ne remarquons d'ail- leurs aucun de ces geftes ou de ces ac- tions 'parlantes i Non , je n ai prétendu ^iea djilimuler. Si j'ai cité ces exemples ^ éô Amuse m e n t c'efl ui-.iq-jcmenr parce que ces Bêtes vi- vant au miiiiLi de nous, nous les con- noiifons beaucoup mieux que toutes les ajtres efpcces, 6k: qu'il faut toujours rai- fjnner lut les exemples les plus fcnfibles pour éclAircir des faits moins connus. Alais qu'importe que je cite l'exemple des Cniens ou d.s Chats ? La nature eft conf- tamment uniforme , c'efi: un principe cer- tain , & par copfequcnt tout ce que nous remarquons d'eircric' dans une eîpéce de Bctes , il faut le conclure pour toutes les ai.tre^ j'avoue que les Polifons & les Repti- les prcfer.t :n ici à nos préjUL'és une 2l(~ fez grande difïiculré. Comment conce- voir q. l'une Carpe ne foir pas en effet auA fî mu:-tte qu'on ledit communément *, & quelle efpcce de langage peut - on ima- giner entre deux Cloportes ou deux Four- mis.^ Les Oifeaux chantent, les Chiens aboyent , les I cups hurlent , les Cerfs brament, les Chevaux hannifîent , les Mourons bèlenr. Mais le PcilTon ^ l'm- fefle rampant p^roifient abfoiu ment muets. Il eft vrai que s'il y a quelques efpéces de Bêtes dont le langage eft plus fenfi- b!e . 6w fur lequel j'ai pu bazarder quel- ques conjeclures vraifcmblabks, ce feroit trop exiger de moi que de prétendre que î'exPÎiq^e de la même manière celui des Repaies <^ des Poifil>ns. Car on peut bie.T ptouver qu'i's ont un langage , quel qu'il ibi»- , puifque toutes les autres efpé- ces de Bétes en font pourvues : maiscom- jnent entreprendre de le connoître '6c de Philosophi QJJ E. (f7 le démêler? Les uns vivent dans un élé- ment qui nous eft interdit; les autres nous échapent par leur petiteffe. Gardons -nous cependant fur ce point de nous livrer trop à nos préjugés. D'où fçavons - nous que les PoiiTons n'ont pas autant de peut-être plus d'exprefTions vo- cales que les Oifeaux mêmes : Les uns &■ les autres paroiflent avoir été formés à peu près fur le même modèle. Les uns volent, les autres nattent, mais vo!er dc nager eft une même chofe , l'élément feul eft différent. 11 efl: dit dans la Genèfe que Dieu créa en même - rems du iéin des œufs les Oifeaux & les PoilTons, ce qui a fervi de fondement à quelques Moines pour fe perfuader qu'on pouvoir les jours maigres manger indifféremment des uns êc des autres! Les Poiffbns font pourvus des cinq fens que nou^ voyons dans les Oifeaux 6c dans tous les autres Animaux. Pourquoi n'auroient-ils pas auffi comme eux la faculté de parler? Si nou"^ ne les entendons parler ni cli^nter , c eft peut- être faure l'un organe propre à les en- tendre. L'eau eft remplie &c toute péné- trée d'air que les PoifTons refpirentj pour- quoi n'en pcurroient-ils pas>par le moyen d'un r.ffbrt équivalent à la langue &C au golier , former des vibrations ëc des fons trop délicats, à la vérité, pour nos oreilles, mais qui feroie^t entendus dans chaque efpéce. Obfftvés , s'il vous plaît , que roreiUc de l'Homme eft extrême- ment gro-iiére, & que c'eft Teff^et d'une ptovid'ence néceffaire. Car fi notre oreille rîS Amusement écoit fenlible a^x plus petites vibrations de l'air dans kouzï nous vivons, nous ferions coniinuellemsni étourdis de mil- le bruits confus qui ne nous peraiet- troicnc d'en diftinguer aucun. 11 y a donc ccrtaineiTient dans" l'air beaucoup de Tons que nous n'entendons pas. Tel eft le. bruit que fait un Ver à foye en gru- geant une feuille de mûrier. S'il eft feul o-i s'il n'y en a que cinq ou iix , per- lonne ne les entend; m.ettcs-en une cer- taine quantité dans un cabinet, &z alors, tou^ ces petits bruits ralfemblés à l'unif- fon font très-fenfibles à nos oreilles. Com- bien pFus eft - il pofîlble qu'il y ait dans, l'eau des bruits iniénlibles pour nous , dc. que par ce moy^n les PoilFons parlent fans que nous puiffions les entendre. J'ai- me du moins à me le figurer pour ne rien ôter aux ouvrages de la nature de laper» reclion qu'elle" a coutum.e de leur don« ner) (Se je ne pourrois pcnfer fans quel- que efoéce de chagrin Philofophique qu'elle eût coidamnc à un éternel filence tant de peuples innombrables qui habi- tent les efpaces immenfes des mers &- des riviéres\ Lefilence eft le partage des. morts. La parole donne la vie aux vi- vons mêmef. Ries , h vous voulez, d'une idée il nouvelle , èc plaifmtcs fur les Poif^ fons parlant , comme fans doute on Co. mocqua du premier qui £t mention des Poiffons volans ; mais prenés garde que Tun ne foit auilî vrai q-ue l'autre, & qu'ii n'y aioEdans vos plaifanteries plus de pré- ^^és <îue de laiibns. Poui: moi je ttouve. Prtiosoptît QJJ F. ^9 cette idée fondée en raifonncment &c en vraifemblance y Ôc cela me fuffit pour l'a-- dopter julqa'à ce qn'oa m'ait détrompé par des raifons plus fortes. Les Reptiles &Jes Infectes font préci- fément dans le même cas. Il y a pluheurs efpcces de Reptiles qui ont des exprci^ lions vocales très - f^r.fibles , comme les Serpens , les GrenoUilles , les Crapauds y ôc par conféquent , en raifonnant fur le principe de l'uni formirc de la nature, on eft en droit de fjpofer dans les autres l'équivalent , fans compter le fuplément des mines, des geftes èc des regards. Il n'en eft pas tout-à-fait ainfi des Infectes. Il n'y en a aucune efpéce qui ait une expreiîion vocale proprement dite que nous connoilfons. Car on fçait que le cri du Grillon, le chant de la Cigale, le cri de certains Papillons , le bourdonne- ment d"S Mouches n'eft point ce qu'on apelie un fon de voix > & que c'efi: un bruit caufé par le frémilfcmcnt d'une m:-mbrane-, mais qu'importe r 11 n'cft pas douteux que le cri du Grillon & de la Cigale ne leur ferve à s'apeler pour fe joindre enfemble , & vraifemblablemenc pour s'entretenir. On peut croire que le bourdonnement des Mouches leur fertde même à fe reconnoître dans chaque fo- ciété , foit par l'uniformité Se l'unifibn du ton, foit par des diiKrences impercep- tibles, que nous ne fentons pas : ce qui fait l'équivalent de l'exprefTion vocale, Sc ce qui prouve aufïî combien la nature toujours uniforme dans le général de 7<^ ^A W 17 s E M E N r dans l'ertentiel , fçaic vaiier les moyens^ 6c les détails. Or ce que la nature a fait pour quelques Infecles, elle Ta furemenc fait pour tous. 11 y a j par exemple, une erpéce d'A- raignées qui ont une façon toute particu- lière de le témoigner 'l une à l'autre le delir qu'elles ont de fe raprocher. Il eft vrai que je n'en ai jamais été que témoin auriculaire, mais on m'a aifuré que c'é- toient des Araignées qui faifoient le bruic dont je vais parler. Une Araignée qui veut avoir compagnie frape je ne fçais avec quel inftrumeVit fur le mur^ ou Vur le bois où elle s'eft établie neuf ou dix petits coups à peu prés femblables aux -battemens d'une montre ; mais un peu plus fijrts &: plus ferrés. Après quoi elle at- tend qu'on lui réponde. Si elle n'entend point de réponfe, elle recommence d'in- tervalle en intervalle pendant environ une heure ou deux , reprenant cet exer- cice ik Ce repofant alternativement le jour comme la nuit. Au bout de deux ou trois jours, il dk n'entend rien, elle change de denieure, jufqu'à ce qu'elle ait trouvé quelqu'un qui lui réponde. C'ed une au- tre Araignée qui lui répond préciféraent de la même manière cc comme par écho. Si la propolîtion plaît à celle-ci, la con- verfation s'anime , de les battemens de- viennentplus fréquens. Prëtez-y l'orcilie & vous jugez par le bruit que peu à peu l'une s'aproche de l'autre , &: que les bat- îemens fe joignent, enfin de fi près qu'ils & confondent ks uns dans les autres > Tm L OSOP H I CLU E. 71 fiprès q-joi vous n'entendez plus rien. Tout le refte de l'entrenen Te pafTe apa- remment à voix baifc Je me fuis quelque- fois amufé à faire ainli l'écho d'une Arai- gnée que j'entendois battre ôc dont j'i- mitois le bruir. Elle me rcpondoic fidèle- ment : eile m'attaquoic même quelquefois de conyerfation, ôc j'en ai fouvent donné le plaiiîr à diverfcs perlbnnes à qui je di- fois quec'étoic un efpnt familier. Combien de découvertes femblables ne ferions - nous pas fur les infecles , f\ nos organes étoient affez déliées pour fenric Ôc apercevoir leurs mouvemens èc leurs inines , de pour entendre leurs voix , ou ce qui leur tient lieu de voix :- Oui , je fuis perfjadé que nous trouverions dans les Fourmis, dans les Vers, hs Scara- bées, les Chenilles, les Cloportes, ks Mites, Se en un mot dans tous les infec- tes un langage établi pour leurs befoiîj-s & pour leur'confer,ation j Se comme il y a quelques efpéccs d'Inf ct:s en qui nous remarquons plus d'induftrie 6c de con- noilfance que dans de grands Animaux , il ell à croire que ces "efpécss ont aniîl un langage plus parfait à proportion , quoique toujours borné aux bcfoins de la vie. J'ai vu quelqu'un porrer beaucoup plos ioin fes conjectures , de prétendra qu'avant le péché de l'homme, les B^tes parloienc très - diflinclement entr'elles, de articu- loient une langue que l'homme ente-:doic parfaitement comme elles entendoienr ?.uiH le langage de l'Homme, Il trouvoic 7i A M U s E MENT le fondement de cette conjecture dans la converrat'.on que le Serpent eut avec tvedans le Paradis Tcrrcltre. Si dans ce tems la , difoit-il, les Bèces n'avoien eu d'autre langage que celui qu'elles onc au- jourd'hui , qu.l auroit du être i'étonne- menr d'Eve d'entendre un Serpent lier converlation avec elle, Ôc lui faire des ratroiin:mens fuivis '. J-ugeons-en par Té- tonnement de Balaam iorlqu'il entendit fon Aneiîe lui parler. Frape d^ cette mer- veille, il reconnut fon crime &c obéît â la voye de Dieu. Jugeons-en encore par i'eifet que feroit fur nous un pareil évé- nement. Si tout- à- coup nous voyons un Chien s'alfeoir vis-a-vis de nous , dC nous faire un difcours fuivi &c raifonné, pour nous porter à commettre un cri- me 5 ou même pour nous perfuader quel- que chofe d'indiîî-ërent ; Q^ielle feroic no- tre furprife ? Les cheveux nous dreiîeroient iiir la tête ; nous croirions voir le dia- ble 5 de loin de nous laifîer perfuader , nous aurions horreur de pareils confeils, nous nous en défirions du moins , dc nous irions au plus vite confulter quel- qu'un- Eve cependant ne fit rien de tout cela. Eve qui étoit fi vertueufeSc fi éclai- rée, écouta tranquillement le difcours ar- tificieux du Serpent , difputa contre lui , ôc enfin fe laiifa féduire. Il falloir donc concluoit -il, que le Serpent , & par con- féqiient toutes les autres Bêtes parlaiîènc alors comme les Hommes , ôc que lî elles ne parlent plus auiourd'hui de la même façon, ce foi: un châtiment de Dieu Philosophique. 7^ Dieu pour avoir fervi d'organe au dia- ble , &c avoir coarribué au péché ds l'Homme. Cette idée m'a fait rire , 8c Ci elle vous faifoic plailir, je ferois tenté de vous laif- fer l'adopter, d'autant plus que Piatoti dans fa politique a penfé des Bètes quel- que choie de fembiable ; que Jofephe dans Tes antiquités ell: du même lentim'enc 6c que Saint Bafile ( ce qui çii beaucoup plus fort ) dit formellement dans Ton Ho- mélie du Paradis terredre , dont il fait une aiTez belle defcription , qu'il étoic peuplé de Bêtes qi^i i' entendaient entre ellei (^ qui parloient fenfément. Ce font fes pro- pres termes autant qu'il m'en fouvient , car je n'ai point ici de Saint Balîle. Mais vous m'accuferiez peut-être de vouloir zuiVi vous réduire comme le Serpent fé- duifît Eve, li je vous dililmulois ce qu'on doit penfer de cette opinion. Ce n'efl qu'une vaine conjeclure qui n'a d'autre fondement que la fécurité d'Eve en rai- fonnant avec le Serpent, Or ce fonde- ment eft abfolument ruineux. Car avant le péché Eve ne connoifToit ni la crainte ni la défiance. Elle vi: bien fans doute que le Serpent n'cccit que l'organe de quelque puilTance fupérieure. Cela mê- me picqua fa curioficé , d'autant plus qu'é- tant née immortelle & exempte de dou- leur , elle fv^avoit bien qu'elle n'avoir rien à craindre , & fa curiofité la ren- dant encore plus hardie , elle fît l'épreuve fatale de fa foiblelfr. Vous voyez q le je n'aime que le vrai. Mais peirmectés- G 74 A :.î U s E M E N T moi cependant de proficer en part*int du tesrede iaint Bafile, pour autorifer mon fenriment fur le langage àts Bëces. Car /î elles s^ncendoient \n:r'elles dans le Paradis Terreftre , Oc i\ elles parhient fen- ftmmt , c'ed-a-dire, avec connoi/îance , à propos &" conformément a leurs befoins, pourquoi auroient - elles perda ce privi- lège ? "il eft tems de finir ce petit Ouvrage. Je luis fur le point de retourner à Paris, & je veux fc^uil devance mon arrivée , afin que vous ayez le tems de faire vos reflexions pour me les communiquer à mon retour. Mais finirai-je fans vous don- ner un dictionnaire détaillé du langage des Bêtes ? Hélas oui ^ car vous voyez bien que la choie efl impoirible. Autant d'elpéces de Bêtes > autant de dictionnai- res ditferens , il eft vrai que chaque dic- tionnaire kroit fort court : mais ie nom- bre en feroit infini. Pour vous donner celui des Oifeaux , il faudroit pouvoir diitirg-icr 6c pouvoir noter les quarts- 6c demi quarts de ton dont leur langnge ell compofé. Il faudroit pouvoir prêter l'oreille à tout ce qu'ils diiént dans tou- tes les circonftances , ^ c'cft un peuple fi vif 6c h fauvage , qu'il n'elt pas poifible de le fuivre. Le Serin eft plus familier. AufTi pour- rez-vous , avec un peu d'attention , dé- mêler la lîîînification de la plûf^arr de Tes phrafes. QLiand il voit que fa femelle néglige de couver fes œufs , & s'abfente du" nid trop long-tetns ^ écoutés fon diP P HT I L O s O P H I QJT r. ^ 7Y cours, il lui dit fiirement alors qu'il elfc inquiet , qu'il faut qu'elle aille à Czs œufs , qu'il la battra , lî elle ne rentre dans le nid. Lorfque la f-melle obligée de te- nir Tes petits chaudement fous elle y n'a pas le rems d'aller manger, Se que le jiiâle lui dégorge de la nour-inire dans le bec , elle lui témoiîîne fa f.iUùùion par le battement de Tes aîles de par ua petit cri d-lî-crent de tous ks autres, qui doit néceirairement iignificT. » Je fuis M bien aiîe , vous me faires plaiiîr. " Il y a fijr- tout deux circonftances od le Se- rin, ainfi que le Roflignol , le Pin Ton , la Fa^uvette 3c tous les Oifeatix, parie, Gu il vous voulez , chante plus qu'à l'ordinaire. C'eft lorfqu'il apelle ou qu'il follicite une femelle, de tandis qu'elle couve fcs œufs ou its petits. Qj.io'.c!îe, dans ces deux circonPcarices , fa phrafe paroiiîe la même, on peut cependant re- marquer, outre les diterences que nous n'apercevons pas , que dans la première le chant efr plus vif-, plus animé "^^ ac- compagné d'action -, 5: 'que peut - il ligni- fier alors? û ce n'eft: « Venés charmante " femelle qui cherches un mari : Je vous " épouferai , nous ferons ménage enfem- --:' ble. «Dans la féconde circonilance, ie Serin (:<^:; le P.olîi^-nol difeit toute autre chofe. Ce qui les fait chanter alors , c eft le befoin de ra-furer la femelle trop oc- cupée pour fonger à la lureté. Le mari veille pour elle , perché fur une bran- che voiiine, d'où il obfjrve tout ce quî iê pafle pour avertir fa femme , s'il fur- G z 7f> Amusement vient quelque jufte fujet de crainte. S'if ceflbit quclque-tems de chanter, la fe- melle inquiète quitteroit Ton nid. Tandis qu'il chante, elle y refle tranquille i mais croire aue le RofTignol chante alors pour chanter , c'eil un préjugé qui n'a nulle vraifemblance , puifque les Oifeaux n^ont nulle idée de chant , ni aucun fen- timent d harmonie. Quand même on vou- droit croire qu'il chante, il faudroit tou- jours fupofcr qu'il chante ces paroles i je veux dire que Ton chant fîgnific quelque chofei eh 1 que peut-il vouloir exprimer alors, il ce n'efl de dire à fa tl-mme r »= ibyez tranquille, je veille pour vous > y^ vous n'avez rien à craindre , je vous «« avertirai s'il arrive quelque chofe. « Voilà^ce que diient tous les Oifeaux , Sc ce qu'ils répètent tout le jour en pareille circonltance. Le Moineau plus laconi- que dans fon ftyle, le dit en une phrafe fort courte , mais qu'il répète continuel- lement. La phrafe du Pinfon eil un peu plus longue, celle du Serin Teft encore davantage , celle de la Fauvette encore plus, ôc enfin celle du Roflignol efl: la plus longue de routes. Car je ne regar- de toute la fuite de fon chant que com- me une feule phrafe qui n'en dit pas plus que celle du Moineau. Telle efl aufti la phrafe que deux Chats rivaux miaulent en dialogue fur une gouttière. Ce n'eft qu'une longue phrafe répétée , qui expri- ir^e leur jàlouiie & leur colère. Aufîî eft-elle toujours fui vie d'un combat en forme ^ de la défaite de l'un des deux > Philosophi QJJ F. 7T de forte qu'on pourroit les comparer aux Héros d'Homère , qui ne manquoienr ja- mais de le faire l'un à l'autre de longues harangues avant que d'en venir aux coups de main. Voilà infenfiblemenr, Mad. ... un petit détail de didiionnaire- que je vous fais, ÔC qui pourra 5 ii vous voulez, vous fervic de clef pour expliquer du mieux que vous pourrez le langage de toutes les Bêtes. Voulez -vous encore une médiode fore limple ? La voici. Tout le langage des Bctes fe réduit à exprimer les f-^ntimens de leurs pa/fions , & on peut réduire toutes leurs paillons à un petit nombre j ce font*: le piailîr j la douleur, la colère, la crain- te , l'amour, le defîr de manger, le foia de leurs Petits. Si vous voulez donc avoir le diclionnaire du langage des Bêtes, ob- ferv-z-ies dans les circonftances de ces différentes pafîions, 3c comme elles n'ont ccmmunément qu'une exprciîion pour chacune , vous aurez bien -tôt compofé vos dicftionnaires fur le modèle que je vous ai propofé. Enfuite de ces dilfcrens- dictionnaires réunis , vous en ferez un' polyglotte qui contiendra tous les diifé- rens lan^acres des Bêtes. Par exem.ple , cette phrafe : » Je fens de la douleur , «« vous la rendrez de fuite en langage de Chien, de Chat, de Cochon , de Pie, de Merle, 3cc. Le tout bien noté en bécarre & en bémol , 6c je vous réponds que cela fera une leélure des plus comiques. Je p'aifante , comme vous voyez. Il le faut bien. Mais que direz -vous de ma :»S^ A J.f U s E M E N T franchife ? Je vais vous faire un aveu quî rcduic prefqu'à rien tout le langage des Bèces. C'eft qu'il en faut ablblument re- trancher touc ce qui s'apelle phrafe 2c condruclion de grammaire , ians en ex- cepter les plus courtes. Croirez-vous bien , par exemple, que le Roiîignol le plus^ éloquent ne peut pas dire dans Ton langa- ge 5 j'ah?te , je fuis bien aije , je fens du plaijîr. Kien n'cft plus vrai. Toute phrafe où il entre ce qu'on apelle en grammaire pre- mière, féconde ^ troifiéme perfonne, ;>, ijcîis , lui, nous, &: tout autre pronom fem- blable , fans con-ipter les noms qu'on apelle co'lcclifs y relatifs, comparatifs, dcc, il faut les rayer toutes du didionnaire des Bêtes. La raifon en eil toute fîmple , c'efl: que tous ces mots expriment des idées abRraites & métaphyfiques , que les Bê- tes ne fçauroient avoir. Elles n'ont que des connoi^ances direôles , abfoiumenc borncc-s à i'objeL prefcnt dc matériel qui. frape leurs fens, L'Homme inhnimenc fupérieur dans ion. langage, comme dans- fcs idées, ne fçauroit exprimer fans com- pofer fon difcours de termes perfonneh- & relatifs, oui en déterminent le fens &c Taplication. Ceux mêmes qui parlent le plus mal une langue , comvne un Alle- mand qui écorche le François , vous di- ront : mot fouffrir fiéxre , 'vous aimer 'vin. Dans les Bêtes la façon de s'exprimer eft e^ncore beaucoup au- de/Tous de ce jargon , & fî j'ai rendu leurs exprelfions par dçs\ phrafes compofées à notre manière, c'efl: q.iie je ne poiivois pas ks rendre autre- P H 1 lO s O P H I QJ7 E. 7^ ment ; car dans la vérité les Bêtes ne peu- vent 5 pour ainfi dire , exprimer que le nom des p.iflions qu'elles Tentent : elles ne peuvent avoir d'autres expreilîons que celles qui répondent à celles-ci ^ douleur, plailîr, crainte, colère, 6:c» J'en fuis fâché pour l'honneur des Bê- tes ; mais il faut être viai , & le n'ai pas entrepris de leur rien attribuer de plus qje ce que la nature elle-même a jjgé à propos de leur donner. Ne croyez pour- tant pas que tout foit perdu. Car à bien prendre la chofe , qu'importe que les Bê- tes difent une phrafe peribnnrfiée $c com- pofée à notre manière i pourvu qu'elles fe faffent également entendre. Il e(t vrai que votre Chienne ne peut pas vous dire : Je zcus aime ; mais ce qu'elle vous dit , ii2:ni- fîe en eifec qu'elle vous aime , & vous l'entendez fort bien. Que lui faut-il da- vantage, & que pouvez-vous délirer de plus:-' Cela ne revient- il pas au même? Sans doute. Ainfi ne vous décounigcz pas, îvladame &: fi vous avez du tems à perdre, méprifez la chicane que je viens de vous faire, ^ travaillez férieulément à vos dictionnaires. Que vous aurez de plaifir , quand vous ferez devenue allez habile pour converfer avec les Oifeaux , ^ pour entendre tous les fecrets de leur mé- nage ! On ne vous verra plus que dans Its bois , &: le monde s'en prendra peut-être à moi de l'avoir privé d'une fociété auiu aimable que la vôtre. Ad eu. F I N. WILLIAM SALLOCH Fines Bridge Rood Ossining, N.Y. 10562