AE montent : À es EC RS PA Re re pre QT se sf 8 Li PUE 4 à. b ANNALES ÿ | DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE du département DE MAINE ET LOIRE Se ANNÉE. — 1865 ANGERS IMPRIMERIE DE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU Chaussée Saint-Pierre, 13 1865 | | D x) 2 > “6 | D ANNALES LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE du département DE MAINE-ET-LOIRE. ANNALES DE LA SOCIÈTÉ EINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET LOIRE, BU Année. LANCERS, Colner & Lachele, Imprimeurs, 18 60. SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET-LOIRE Fondée en 1859, BUREAU. MM. Soranp (Aimé de), président. Lacnèse (Adolphe), vice-président. Mamie (Pompée), secrétaire général. Farçe (Emile), secrétaire. ANpré (Jules), vice-secrétaire. Conrapes (Edmond, baron de), archiviste-trésorier. COMMISSION D'ADMINISTRATION. MM. Lacnèse (Adolphe). Moxrreuiz (Jules, comte de). COMMISSION DE RÉDACTION !. MM. LevarcaanD (Albert). Vincezor (l'abbé). 1 Les membres du bureau font également partie des Commissions d’administra- tion et de rédaction. , MEMBRES TITULAIRES. MM. Axpiaxé (Aimé d’), ancien officier. Anni@xé (Aimé d’), lieutenant de louveterie. ANDIGNÉ DE Mayneur (comte d’), maire du Lion-d’Angers. Anpré (Jules), rédacteur de l’Union de l'Ouest. Baracé (Raoul de). Barassé (E.), imprimeur-libraire. Bezceuvre (Paul). Béraunière (comte de la). Bain (Frédéric), préparateur des cours d’histoire naturelle et de physique à l'École d'enseignement supérieur. Bravier (Aimé), ingénieur des mines. Boissar» (Arthur vicomte de). Bouruonr (Louis comte de). Bricuer (Paul), avocat. BrossarD DE Corgieny, ingénieur des mines des départements de Maine-et-Loire et de la Vendée. Cæexer (l'abbé), chanoine titulaire du chapitre de Saint- Maurice d'Angers. Caenvau (Auguste), juge au tribunal civil de première ins- tance d'Angers. Corszn (Ernest, comte de). ConrTanes (Edmond, baron de). CosniEr (Léon), directeur de la Bibliothèque populaire d'Angers. Cumonr (Vte Arthur de), rédact. en chef de l’Union de l'Ouest et de l’Ami du Peuple. Decocxe, directeur du cabinet d'histoire naturelle. Derxomez, avocat. Dezy, notaire honoraire. Desué ne lusce (Ludovic), membre de plusieurs Sociétés savantes. III MM. Dezanneau, docteur en médecine, professeur à l’École secon- daire de médecine d'Angers. Dopowr, chef d’escadrons. EsPRoNNIÈRE (René de l’). Facës, directeur des mines de Chalonnes. Farce (Emile), docteur en médecine, directeur de l’École d'enseignement supérieur. Farcy (Louis de), membre de plusieurs Sociétés savantes. GAIGNARD DE LA RENLOUE (Charles), maire de Marcé. GirauD (Charles), agronome. Gouezez, conducteur des ponts-et-chaussées à Belle-Ile en mer. Guérin DE Couzé (Lucien). Guérin (Paul). Guiccer (l’abbé), chanoïne honoraire, aumônier des dames de l’Oratoire. Guizcory (aîné), président honoraire de la Société industrielle d’Angers,membre de plusieurs Sociétés savantes. Gunoyseau (Isidore), manufacturier. Houpax (Eugène d’), membre de plusieurs Sociétés savantes. JouserT (Achille), manufacturier. Lacaèse (Adolphe), docteur en médecine, président de la Société de médecine d'Angers. Lacnèse (Paul), imprimeur-libraire. LAREVELLIÈRE (Ossian), membre deplusieurs Sociétéssavantes. LanpReau (baron du). Las Cases (comte de), membre du Corps législatif. LewarcHaN», conservateur-adjoint de la Bibliothèque de la ville d'Angers. Leroy (André), horticulteur, membre de plusieurs Sociétés savantes. Lorioz DE Barny, notaire, IV MM. Maire, docteur en médecine. MM. Mérivier, premier président de la Cour impériale d’Angers. Mure pe Buzecer (Gustave de). Mreuzce (Léon de), ingénieur civil. Mowrreuz (Jules, comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Pavie (Victor), membre de plusieurs Sociétés savantes. PrrasrRe (Gustave), avocat. Préauzx (marquis de). Rocaesouer (François de). Romans (baron de). Rowans (Fernand de). Samnr-GEnys (marquis de). Sarmwaun (Edmond, comte de). SELLE (Raymond de la). Sozaxn (Aimé de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Socanp (Théobald de), conseiller à la Cour impériale d'Angers. Taoun (Urbain), maire de la Meignanne. Tourioice (Gustave), lépidoptériste et taxidermiste. Touran (Athanase). VinceLot (l’abbé), chanoine honoraire, aumônier de la pension Saint-Julien d'Angers. MEMBRES TITULAIRES NON RÉSIDANTS. Acxar», docteur en médecine, à Thouarcé. Arcxiac (vicomte d’), professeur au Muséum d'histoire natu- relle de Paris. ARONDEAU, inspecteur de l’Académie de Rennes. AuserT, juge de paix à Châteaugontier. v MM. Aymarp (Auguste), archiviste du département de la Haute- Loire. Barzcer (H. de), maire de Saint-Germain et Mons. Barzzy, auteur de la Faune de la Savoie. Bécaawp (A.), professeur à la Faculté de médecine de Mont- pellier. Berçer (Eug.), chef du personnel au Ministère de l’intérieur. BernarD pu Porr, agronome à Miré. BescuereLce (Emile), rédacteur à la division du personnel, au Ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux : publics. BLrancæarn (Émile), membre de l’Institut, professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Bosrerre, directeur de l’École d'enseignement supérieur de Nantes. Boni, directeur de l’École d’agriculture de Rennes. Boucaer DE CRÈvEcœŒuR, de Perthes, correspondant ce l’Institut. | BourGrois (l'abbé), professeur de philosophie au collége de Pont-Levoy. Bourcuin (L.-A.), ancien président de la Société philoma- tique de Paris, président de la Société protectrice des ani- maux. Bovreizce, conservateur du cabinet d'histoire naturelle de Grenoble, membre de plusieurs Sociétés savantes. Briau, docteur en médecine, bibliothécaire de l’Académie de médecine. BronGniarr (Adolphe), professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Carrcaup (Frédéric), directeur du cabinet d'histoire natu- relle de Nantes. CEsBron-Lavau, agronome à Cholet. Cessac (Pierre de), directeur du Muséum d'histoire naturelle de Paris. VI MM. Caevreuz, membre de l’Institut. Coca (Augustin), membre de l’Institut. Corrkau, juge à Auxerre. Courrirzer (jeune), directeur du cabinet d'archéologie et d'histoire naturelle de la ville de Saumur. Crocarp (de), à Milon. Dauerée, professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Davousr (l'abbé), curé-doyen de Brulon. Desrais (Auguste), docteur en médecine, à Morannes. Deupon, naturaliste à Saint-Gilles-sur-Vie, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. Decaisne, membre de l’Institut, professeur de culture au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Deraunay, administrateur de la maison centrale de Cler- mont (Seine-et-Oise). Derone, président de la Société dunkerquoise. DE LA GENEVRAYE, chimiste. Drouer (Henri), conseiller de préfecture à Dijon. S. E. Drouyx DE Lauys, membre de l’Institut, président _ de la Société d’acclimatation. Duwas (Jules), pharmacien à Limoges. Duxériz (Auguste), professeur au Muséum d'histoire natu- relle de Paris. Duseiexeur, de Brest, membre de plusieurs Sociétés savantes. Duvaz (Raoul), avocat général près la Cour impériale de Bordeaux. Duvar-Jouve, inspecteur d’Académie à Strasbourg. Exon, pharmacien à Cholet. . Fieuier (Louis), auteur de l’Année scientifique. Fcourens, membre de l’Académie française et de l’Académie des sciences. Fovuquer, docteur en médecine, membre de plusieurs Socié- tés savantes, à Vannes. FromenTeL (de), sous-intendant militaire, à Cray. VII MM. Gazrerr (comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Gazces (René), sous-intendant militaire, à Vannes. Gazrrzn (prince Augustin), membre de plusieurs Sociétés savantes. Gen, pharmacien, à Metz. Grorrroy Sawr-Hicaie, directeur du jardin d’acclimatation. Gras (Albin), docteur en médecine, à Grenoble. Guérancer (Edouard), géologue au Mans. Guérn-Mennevizce, directeur de la Revue zoologique. Guicueor, aide-naturaliste au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Guizou, administrateur de la caisse d'épargne de Cholet. Ham (Victor), directeur au ministère des cultes. Héserr, professeur de géologie à la Faculté de Paris. Héricourr (comte d’), secrétaire perpétuel de l'Académie d'Arras. Hour (E.), inspecteur général honoraire des Haras. Hour, directeur des serres du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Jorpan, botaniste, à Lyon. Juuen (Th.), ancien magistrat, à Reims, président de l’Aca- démie de Reims. Lauwgerr (Paul), docteur en médecine. Lamore-Baracé (comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. LaTeRRADE, directeur de la Société linnéenne de Bordeaux. Lewercrer, sous-bibliothécaire au Muséum d'histoire natu- relle de Paris. LessassieR, pharmacien à Durtal. Lesvize (de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Lsce pu Dréneur (Arthur de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Lasce ou Dréneur (G. de), membre de plusieurs Sociétés savantes. VII MM. Loncuemar (de), ancien officier d'état-major. Lucas (Hippolyte), professeur d’entomologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris. LeresouLcer (A.), doyen de la Faculté des sciences de Stras- bourg. Macxé (l'abbé), professeur d’histoire naturelle à l'institution de Sainte-Marie-de-Pincherray, à la Ferté-Macé (Orne). Mazacurni, recteur de la Faculté des sciences de Rennes. Marcanp (Léon), docteur en médecine, aide-naturaliste à la Faculté de médecine de Paris. Mavupuyr, ancien conservateur du Cabinet d'histoire natu- relle de Poitiers. Meszrer, docteur en médecine, à Saint-Georges-sur-Loire. Mrcuecer, membre de l’Institut. MowrsEan, professeur au lycée de Toulouse. Moroaues (baron de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Mouus (Charles des), président perpétuel de la Société lin- néenne de Bordeaux: Napaup DE Burron, magistrat. Neumann (Louis), directeur des serres à fougères et à orchi- dées du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Norsertr-Boxarous, professeur à la faculté d'Aix. Prin, chef des cultures du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Pape, naturaliste (Basses-P yrénées). Pape, directeur du jardin botanique de la marine à Saint- Mandrier près Toulon. Pairouse, docteur en médecine, à Rennes, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. PrapaL, naturaliste, à Nantes. QuarrEerFAGEs (de), membre de l’Institut, professeur au Mu- séum d'histoire naturelle de Paris. Rasouin, docteur en médecine, à Saint-Florent-le-Vieil. Rozanp, ingénieur civil, à la Ferté-sous-Jouarre. MM. S. A. MM. S. À. IX Rexé Taicrannier, président de la Société des Écoles chré- tiennes de Paris. Sacc (docteur), délégué de la Société d’acclimatation de Paris, à Barcelone (Espagne). SAINT-RENÉ TAILLANDIER, professeur à la Faculté des lettres de Paris. SERVEAUX (E.), chef du premier bureau au ministère de l’ins- truction publique. Sicarn (D'}, président du comité d’aquiculture de Marseille. SouBEIRAN (Léon), licencié ès-sciences naturelles, professeur à l’École de pharmacie de Paris, secrétaire de la Société d’acclimatation. Taszé, notaire honoraire, à Vannes. Tomas, naturaliste, à Nantes. TrourzzarD (Charles), bañquier, à Saumur. Turrez, docteur en médecine, délégué de la Société d’accli- matation, à Toulon. Vienner, membre de l’Académie française. Vienxor (T.-C.), chef du bureau de statistique au ministère des affaires étrangères. MEMBRES ÉTRANGERS. AUTRICHE. le prince de Schwarzenberg, président de la Société d’agri- culture de la Bohême. BELGIQUE. Brun (Pierre), docteur en droit à Louvain. ScHram, directeur du jardin des plantes de Bruxelles. ITALIE. Lancia p1 Broco (Federigo), grand chancelier de l’Université de Palerme. PRUSSE. S. le prince Maximilien de Wied. ” WU te rl ip" EE DES POISSONS VÉNÉNEUX Il existe de nombreux exemples d’empoisonnement dus à l’em- ploi alimentaire de certains poissons. Depuis longtemps, on a cher- ché à s'expliquer comment ces animaux peuvent acquérir des qua- lités vénéneuses. CAUSES DE L'ACTION TOXIQUE DE LA.CHAIR DES POISSONS. I. — Il est évident que la nature des eaux où ils vivent doit exer- cer une grande influence sur les qualités de leur chair. A. — Les eaux où l’on fait rouir des plantes textiles, où se décom- poseni les cadavres, toutes celles, en un mot, qui sont corrompues par des matières en putréfaction, peuvent bien certainement rendre impropres à l'alimentation les poissons qui les habitent : tellesfurent les eaux de la Loire, en 1794, après les noyades de Nantes; aussi, la police dut-elle alors interdire non-seulement de boire l’eau du fleuve, mais encore d'y pêcher. 1 Ce travail est le résumé de l’une des leçons de mon cours d’ichthyologie de 1865 au Muséum d'histoire naturelle. Elle a servi de complément aux détails dans les- quels je suis entré en parlant de l'emploi du poisson comme aliment. Il ne peut être question ici, à peine est-il nécessaire de le dire, que de poissons qui agissent sur les voies digestives à la manière d’une substance toxique, car on ne connaît pas de poissons venimeux. Aucun, parmi ceux dont les nageoires ou les opercules portent des épines ou des aiguillons, n’introduit un venin dans les tis- sus à l’aide de ces armes très-redoutables, il est vrai, par la profondeur et la gra- vité des blessures qu’elles peuvent faire ; mais elles ne sont pas, comme les cro- chets des serpents ou l’aiguillon soit des scorpions, soit des abeilles, des instru- ments d'inoculation, attendu qu’il n’y a jamais de glande à venin. VU. 1 2 B. — Une autre altération des eaux est aussi redoutable : c’est celle qui provient de leur mélange avec les résidus de certaines usines. II. — Les harengs salés et les harengs fumés déterminent quel- quefois des accidents, quand l’emploi des procédés de conservation remonte à une époque trop éloignée. On a vu des poissons marinés occasionner des troubles digestifs assez graves, dus à une mauvaise préparation. D'ailleurs, la plupart des accidents dont il s’agit dans des cas analogues pourraient être rapprochés des singuliers effets dus à une idiosyncrasie, c’est-a-dire à une disposition particulière de l'estomac par suite de laquelle cer- teins aliments, qui sont généralement de digestion facile, deviennent, pour quelques personnes, une sorle de poison. III. — On a émis la supposition que les qualités malfaisantes de divers poissons dépendent de leur mode d'alimentation. Ainsi, Munier, dans une Lettre à Sonnerat (Journal de physique, 1774, t. IL, p. 129), dit qu à Bourbon et à Maurice, de décembre à mars et même jusqu’à avril, on s’abstient de manger les Scares qu'il nomme Vieille et Perroquel, mais sur la détermination précise des- quels on reste indécis, comme Valenciennes le fait observer (Cuv. et Val., Hist. poiss., 1. XIV, p. 237 et 238). On les craint alors, parce que, pendant le temps du travail de reproduction du corail, ils mangent en grande quantité, dit Munier, les animaux qui construi- sent ces polypiers. La causticité des sucs de la proie est, selon Munier, l’unique cause ‘ des phénomènes de l'intoxication. Commerson, dans ses manuscrils, dit, en parlant du Catau-bleue nommé Scarus capitaneus Cuv. et Val. (t. XIV, p. 230), que l'espèce, commeses congénères, ronge les coraux et que, en conséquence, on ne l'estime point à l'Ile-de-France et à Bourbon, et qu'on l'y tient même pour suspecte. M. Dussumier, dans les catalogues manuscrits qui accompa- gnaieni les poissons rapporlés par lui de la mer des Indes, a noté (Valenciennes, Histoire des poissons, t. XIV, p. 252), que les ha- bilanls de Bombay se défient d'un autre Scare (Scarus harid), parce que sa chair est répulée dangereuse quand il se nourrit de COTaUx. Cerlains Annelides des mers du nord, jusqu'ici mal déterminés, sont quelquefois assez abondants pour donner à l’eau une coloration 3 rouge. Ils sont mangés parles Harengs el considérés comme pouvant rendre leur chair nuisible (Cuv. et Val., Hist. poiss., 1. XX, p. 71). On trouve, dans le Traité des pêches de Duhamel (2e partie, sec- tion II, p. 549) des renseignements fournis par Barbotieau sur la Sardine des Antilles (Harengula humeralis Cuv. et Val.). Elle incom- mode, dit-il, occasionne des fièvres et même, souvent, donne la mort, quand elle a été prise sur les fonds cuivrés ou quand elle a mangé des Brûlants qu'on nomme Galères (zoophytes du genre Phy- sale). Il importe de noler, comme observation contradictoire, que Lherminier, qui a longtemps habité la Guadeloupe, l’a vue vénéneuse en tout temps, et à ce point, qu’elle peut faire périr en quelques mi- nutes. Le poisson nommé à Nice Courpata, et dont Risso a fait le type du genre Tétragonure, ne doit pas être mangé. Ce naturaliste a éprouvé, par les accidents les plus graves, combien sa chair est malsaine. Ses effets pernicieux, dit-il (Ichth. de Nice, p. 350), paraissent provenir | de ce qu'il se nourrit d’une espèce de Méduse commune dans la Mé- diterranée, appartenant au genre Stephanomia, el qui a une âcrelé et une causticité extrêmes. Valenciennes fait observer avec raison, combien il est remarquable que la membrane interne du tube diges- tif du poisson puisse être mise, sans inconvénient, en contact avec une substance si caustique dont les qualités pernicieuses ne sont point détruiles par ce contact puisqu'elles se communiquent, mais sans danger pour l'animal, à ses propres organes. Dans bien des cas, l’intoxication semble donc pouvoir être altri- buée au genre de nourriture dont les poissons font usage. On ne doit cependant pas la considérer comme exclusivement due à cette cause. Il y a, en effet, des espèces vénéneuses là où ne se trouvent point de polypes; d'ailleurs, celles qu’on pêche autour des îles comme Marie- Galante, qui son! entourées par ces zoophytes agrégés, ne sont pas plus dangereuses que d’autres. De plus, si quelques poissons portent, comme on dit, une odeur de corail, ce n’est pas toujours parce qu'ils en ont mangé, mais seulement parce qu'ils ont vécu dans les mêmes eaux. | Enfin, je ne dois pas omettre de rappeler des expériences failes par Moreau de Jonnès dans le but de s’éclairer sur ce sujet. Il mit des aplysies, des étoiles de mer, des méduses el des portions de polypiers dans un bassin occupé par les espèces de poissons qui sont regardées 4 comme pouvant devenir vénéneuses ; il constata que cette proie leur répugnail fort et que même, au bout d’un long temps, quoiqu'ils n’eussent pas d'autre aliment, ils l’avaient laissée intacte. M. Moreau de Jonnès les obligea alors de manger une quantité assez considé- rable de la substance âcre de ces animaux en la mélangeant avec des pâtes farineuses de manière à la déguiser; ainsi nourris à leur insu par ce qui les rebultait auparavant, ils ne causèrent néanmoins aucun accident lorsqu'on les eut servis sur la table !. Parmi les substances dont on suppose que les poissons tirent leurs propriétés malfaisantes, parce qu'ils s’en nourrissent, les fruits du Mancenillier (Æypomane Mancenilla, Linn.), sont, dans l'opinion populaire, considérés aux Antilles comme très-redoutables ; mais, ainsi que M. Moreau de Jonnès le fait remarquer dans le mémoire cilé (p. 19-26), les poissons mangenl-ils ces fruits? Quelque soin qu'il ait mis à chercher dans leurs organes digeslifs, durant son séjour à la Martinique, les noyaux des fruits de cette euphorbiacée, dont les loges monospermiques sont si remarquables par leurs petites apophyses aiguës et tranchantes, jamais il n’en a trouvé. Comment, d’ailleurs, en raison de l’abondance de ces fruits entraînés à la mer dont les plages sont souvent couvertes de mancenilliers, le nombre des accidents dus à l'emploi des produits de la pêche ne seraient-ils pas très-fréquents ? IV. — Dans certains pays, on jelte dans les eaux des plantes très- meurtrières pour rendre la pêche plus abondante et plus rapide. Les poissons venant mourir en foule à la surface sont pris sans difficulté et en nombre considérable, dans un espace de temps très-court. Plusieurs de ces procédés de pêche doivent êlre sévèrement interdits, parce qu’ils peuvent rendre les poissons véritablement vénéneux. Les fruits du Cocculus suberosus ou de plusieurs arbrisseaux du même genre confondus sous le nom vulgaire de Coque du Levant, sont surlout employés dans ce but. Les Indiens les broient et les Ÿ 1 Peut-on attribuer les qualités vénéneuses de certains poissons des Antilles à l'usage qu'ils font comme aliment du Cailleu-Tassard (Meletia thrissa Val.) qui y est très-abondant et qu’on redoute beaucoup? Ferguson (On the poisonous fishes of the Caribbes islunds in : Transact. roy. Soc. Edimburgh, 1821, t. IX, p. 76) sou- tient cette thèse. Là où cette Mélette abonde, les accidents, dit-il, sont plus fré- quents et ils sont presque inconnns, au contraire, sur les points de la mer des Antilles où elle est rare. 5) mélangent avec une espèce de crabe et en forment des bols de la grosseur d'une cerise dont les animaux s'emparent avec avidité. L'effet est très-prompl. M. P.-F.-G. Boullay qui, en 1818, a publié une dissertation sur l'histoire naturelle et chimique de la Coque du Levant, a fait connaître plusieurs receltes usitées en Europe, et dont cette substance est la base. Les poissons, pris avec le secours de ces sorles d’appâls, se puiréfient très-aisément et, s'ils ne sont pas préparés et cuits sur-le- champ, ils peuvent devenir vénéneux comme l'ont démontré des expériences de Goupil de Nemours sur des animaux auxquels il fit manger de la chair de poissons empoisonnés avec celle subs- tance (Bullet. fac. de méd. de Paris ei de la Société établie dans son sein, t. I, 1807, p. 143). Je dois faire observer qu'il peut cependant rester quelque incer- titude sur la réalité des accidents atlribués à leur emploi comme aliment, car l'usage de la Coque du Levant est fréquent dans l'Inde pour rendre plus fructueuses les pêches dont les produits sont livrés à la consommation. Un autre exemple de l’innocuité des poissons soumis à l'influence de certains végétaux toxiques est fourni par M. de Castelnau (Voyage dans les parties centr. de l'Amér. du Sud, 1855; Paris, p. VI-vVIn). Une pêche extrêmement abondante ayant été faite sur un grand lac voisin du Rio Sarayacu, dans les missions de l’'Ucayale, dont les poissons avaient élé empoisonnés avec les tiges du Barbasco ou bois à bracelet (Jacquinia armillaris, Linn.), ceux-ci subirent rapidement l’action mortelle de la plante, mais furent mangés sans inconvénient et même les naturels burent impunément de l’eau. du lac !. 1 M. Mouchoa fils (Journ. de med. prat. de Bordeaux, 2 série, 1840, t. XII, p. 152), a donné deux listes de végétaux reconnus comme usités pour l’enivre- ment des poissons. Elles ont été reproduites par MM. A. Chevallier et Duchesne (Mém. sur les empoisonnements par les huîtres... et par certains poissons, p. 59. Ann. d'hyg., et méd. lég., 1851, t. XLV). 10 Végétaux nuisibles pour l’homme, surtout si l’on ne prend pas la précaution de bien vider et nettoyer les poissons avant de les faire cuire : 4. Cocculus subero- sus, Decand., Coque du Levant, fruits.—2. Delphinium staphisagria, Linn., Staphi- saigre, semences. — 3. Delphin. Requienii, Decand., semences. — 4. Hydnocarpus inebrians, Nah]., fruit. — 5. Menispermum lacunosum, Lemark, fruit. — 6. Taxus baccata, Linn., Pulls. — 7. Veratrum sabadilla, Retzius, Cévadille, capsules. 20 Végétaux non dangereux pour l’homme : 1. Barringtonia speciosa, Rum- 6 V. — Parmi les causes de l’insalubrité de plusieurs espèces, il faut peut-être compter, comme exerçant une certaine influence sur leurs qualités, l'âge et, par suite, la taille des animaux, car les plus vénéneux peuvent ordinairement être soumis aux apprêts culinaires lorsqu'ils sont encore jeunes. L’exactitude de cette assertiqn, qui semble un peu singulière, est confirmée par ce fait qu'il n'est défendu, à la Havane, de vendre sur le marché la Fausse Carangue (Caranx fallax, Cuv. Val), que si elle pèse plus d’un kilogramme. À l'île de la Trinidad, m'a dit M. le docteur J. Court, qui y a longtemps pratiqué la médecine, la Bécune ou Sphyrène peut être mangée sans inconvénient si elle a encore une petite taille. Il en est de même, ajoute-t-il, de tous les poissons réputés vénéneux : lorsqu'ils n’ont pas atteint leurs dimensions normales, il n’y a rien à en redou- ter. Les habitants de Haïli ont la même opinion relativement à un Mérou (Serranus rupestris, Cuv. Val.) dit, vulgairement, Grande gueule, et désigné sous le nom anglais de Aock-fish. Il peut arriver jusqu’à la longueur de 0,80 ; mais quand il a cette taille, on le craint parce qu’il est souvent vénéneux (Nole manuscr. de Plée in : Cuv. Val., Hist. Poiss., t. IX, pag. 440), et Thomas (de Salisbury), Traité méd. prat., trad. H. Cloquet, t. IL p. 648, dit que, pour les pêcheurs, les sujets d’une grosseur plus qu'ordinaire sont très-suspects. VI. — Suivant la saison, des propriétés nuisibles semblent se développer. Ainsi, aux îles Loyally, comme M. Jouan, capitaine de frégate, l’a fait observer dans une note qu'il a publiée sur ces îles (Mém. de la Soc. impér. des sc. natur. de Cherbourg, t. XVIID), plusieurs espèces, de même qu'à la Nouvelle-Calédonie, sont dangereuses au phius, Butonica speciosa, Lam., Amandes mangées par les matelots chinois sous le nom de bonnets carrés. — 2. Calophyllum inophyllum, Lam., donne le baume de Calaba avec lequel on enivre les poissons. — 3. Cerbera ahouai, Lam., bois. — 4. Daphne fœtida, Lam., semences. — 5. Euphorbia cotinifolia, Linn., toute la plante. —6. Galeqa sericea, Thunb., racine. —T. Galega toticaria, Sw., feuilles. 8. Lepidium piscidium, Forster, feuilles et semences.—9. Paullinia pinnata, Linn., semences. — 10. Paullinia triternata, Linn., Serjania lethalis, Saint-Hilaire, Liane à persil, Timbo au Brésil, feuilles. — 11. Phyllanthus brasiliensis, Lam., Phyll. conami, Wild., Bois à enivrer, rameaux chargés de feuilles et racines contuses. — 12. Phyllanthus virosus Rosburgh, rameaux chargés de feuilles et pilés.— 13. Pis- cidiacarthaginensis, Linn., rameaux et feuillage ëcrusés.—14. Potalia amara, Aublet, tiges et feuilles. —15. Robinia nicou, Aublet, ou Rob. scandens, Wilden, sarments verts et mis en paquets pour battre l’eau et engourdir les poissons. 7 point de causer la mort, selon l'époque à laquelle on les pêche. Il arrive souvent, dit-il, que des naturels s’empoisonnent avec des poissons dont ils avaient mangé sans inconvénient à d’autres moments de l’année. Beaucoup de poissons des Antilles, tels que le Mérou petit-nègre (Serranus nigriculus, Cuv. Val.) et plusieurs autres, doivent être laissés de côté pendant certains mois, de même qu’on cesse de man- ger les huîtres au temps de leur reproduction. C'est, au reste, dans la saison du frai qu’on voit devenir toxiques des espèces qui, hors de ce temps, ne présentent aucun danger. Le Congre, ou anguille de mer, par exempte, peut donner la dyssenterie au moment de la ponte (Risso, Zchth. de Nice, pag. 93). On sait, d'ailleurs, que les œufs du Brochet, du Barbeau, de la Lote de rivière, sont des purgatifs très-énergiques. Aussi, plus d’une fois, ces poissons pêchés durant la ponte ont-ils donné lieu à des accidents quand on n'avait pas eu le soin de les débarrasser com- plétement des organes de la génération et de leurs produits. Le docteur Franque a publié une observation curieuse relative aux effels éprouvés par quatre personnes qui avaient mangé des œufs de barbeau, tandis que d’autres s’en étant abstenues, mais ayant pris leur part de la chair du même poisson ne ressentirent aucun mal (Journ. für kinderkrankheiten, et Gaz. méd., 1859, p. 526). VII. — Aux différentes causes déjà énumérées, il faut joindre, comme tenant une place importante dans l’étiologie de l’intoxication, l’altération des tissus, et, en particulier, de la chair. Comment, en effet, expliquer les résultats quelquefois si graves que déterminent diverses espèces quand ils ne peuvent êlre attribués ni au mode d’a- limentation ni aux propriétés toxiques des appâts, ni aux change- ments dus soit à l’âge soit à la saison où elles sont pêchées ? Tantôt, il n’y a rien à en craindre ; tantôt, au contraire, elles sont extrêmement redoutables. Ainsi, la bécune des Antilles (Sphyræna becuna, Lacép.), qui est très-savoureuse, se mange avec défiance, il est vrai, parce qu'elle devient souvent vénéneuse ; mais, quand la racine des dents n’est pas noire, selon la remarque de M. Poey (Cuv. Val., Hist. Poiss., 1. IE, p. 341), ou quand une cuiller ou une pièce de monnaie d’ar- 8 gent placée dans le vase où l'on fait cuire le poisson ne noircit pas, on use, sans crainte, de sa chair !. N faut ranger dans la même catégorie la grosse Sphyrène (Sphy- rœna baracuda, Cuv., Val.) quelquefois nommée Esox baracudu à cause de sa ressemblance avec le brochet, {ant pour sa forme géné- rale que pour la saveur de sa chair. Elle est très-souvent toxique, ce dont on s'assure par les mêmes moyens que pour la Bécune etaussi par l’amertume du foie. On croit, aux Antilles, qu’elle le devient par suile de son mode d'alimentation. Cependant, d’après des observations manuscrites de Plée, reproduites par Cuvier (Hist. Poiss., t. III, p. 346), « sa pro- priété vénéneuse tiendrait à un état particulier de l'individu qui pa- raîl se présenter dans diverses saisons. » — « Si, en la coupant, il ne s'écoule point une sorte d'eau blanche ou de sanie qui est un signe certain de maladie, » on la mange en toute sécurité. « Quand la Bécune a été salée, ajoute Plée, elle ne cause jamais aucun accident. À Sainte-Croix, par exemple, on est dans l'usage de ne la manger que le lendemain du jour où on l'a soumise à l'ac- tion du sel. » M. le docteur Guyon, inspecteur du service de santé des armées, qui a séjourné à la Marlinique, a exprimé une opinion conforme à celle de Plée dans un mémoire manuscrit qu'il a bien voulu me confier et dont les comptes rendus, Ac. sc. 1856, t. XLIT, p. 340, n'ont donné qu’un extrait relatif aux symptômes de l'intoxication. Sui- vant lui, elle est due à un commencement d’altération de la chair des poissons. La rapidité avec laquelle une modification particulière des tissus, qui n’esl pas une putréfaction, peut se produire, surlout dans les pays chauds, et différentes espèces, sous cerlaines influences dont la na- ture nous est inconnue, y étant sans doute plus exposées que d'au- tres, on comprend qu’elles soient si souvent funestes. A l'appui de son opinion à laquelle je me conforme, parce qu’elle me semble parfaitement exacte, M. Guyon rappelle les fails suivants : ‘Ilne faut pas, dit Thomas (loc. cit. p. 648), avoir une entière confiance dans ce moyen de constatation. Il ajoute que l’on expérimente d’une façor plus sûre en donnant à un canard, à un chat ou à un chien les intestins du poisson qui peut être mangé avec assurance si, au bout d'une heure ou deux, aucun accident ne se ma- nifeste chez les animaux. 9 1° Les Maquereaux pris à Sainte-Hélène sont, au dire de Quarrier, constamment vénéneux si on les garde une nuit; ils ne le sont pas quand on les prépare le jour même de la pêche; 2 les habitants des Antilles disent que la Bonite doit être apprêtée pour la tableau sortir de l'eau! ; 3°les Chinois veulent que le Tetraodon ocellatus, un de leurs meilleurs poissons, soit vidé et mangé dès qu'il est pris? ; 4 les empoisonnements ont lieu presque exclusivement dans les pays où la température ést élevée et surtout durant les plus fortes chaleurs de l’année, c’est à dire lorsque la décomposition est le plus rapide; 5° enfin c’est à un phénomène de cet ordre qu'est dû le chan- gement de couleur de la cuiller d'argent plongée dans le vase où s'opère la cuisson, car le sulfure d'argent noir se forme parce qu’il y a dégagement d'hydrogène sulfuré, indice certain d'une altération des tissus. VIIL.— Peut-être y a-t-il, quelquefois, chez les poissons nuisibles, un état de maladie qui en altère les qualités naturelles. IX. — Je passe sous silence le rôle attribué aux bancs de coupe- rose de certains fonds marins. On peut voir, dans le mémoire pré- cédemment cité de M. Moreau de Jonnès (p. 14-19), des remarques très-justes tendant à démontrer l'impossibilité d'accepter les hypo- thèses émises sur ce sujet. Il convient, en définitive, de ne pas adopter une explication unique des phénomènes observés, en rejelant toutes celles qui ont été : 1 On a souvent reconnu qu’il est nécessaire de ne pas tarder à manger ce pois- son ; mais un exemple remarquable des dangers auxquels on s'expose en n’agissant pas ainsi se trouve dans un mémoire de M. Morvan de Lanuilis (Journ. de chim. méd., pharm., toxicol., rédigé par A. Chevallier, 4e série, t. IL, p. 719, 1857) qui y mentionne les accidents survenus chez cinq personnes qui, après avoir fait usage sans inconvénients, sur la corvette la Corneline, à Ténériffe, de Bonites achetées immédiatement après la pêche, furent, durant une heure ou deux, três-incommo- dées après le déjeuner du lendemain où l’on servit les Bonites de la veille réser- vées pour ce repas. M. Guyon a été témoin, à la Martinique, en 1822, d'un em- poisonnement non mortel, mais ayant donné lieu, pendant plusieurs heures, à des troubles dans la santé très-graves chez tous les soldats d’une même compagnie. Le repas, qui avait eu lieu à trois heures du soir, s'était composé de Bonites achetées dans l'après-midi de la veille, et l’on devait supposer qu’elles avaient été pêchées le matin. Les trente heures environ écoulées depuis leur sortie de la mer avaient donc suffi pour modifier d’une façon fâcheuse la chair de ces poissons. 2 Selon Forster, ce poisson est mangé comme substance toxique par les Japonais qui veulent se donner la mort, 10 proposées. Nous avons vu, en effet, qu’on peut en admettre plu- sieurs. En outre, contrairement à ce que l'on dit parfois, l’action toxique n'est pas due à un poison d'une nature particulière, sui generis. Il n’y a pas de poisson ichthyque !. Énumération des poissons vénéneux. — 1° Il n’en est certainement pas de plus redoutable que le Clupe, connu sous le nom de Caïlleu- tassard dans les colonies françaises, aux Antilles, et sous celui de Yellow-bill sprat dans les colonies françaises de ces mêmes îles (Meletta thrissa, Valenc.). J'en ai déjà parlé à l’occasion de l’opi- nion émise par Ferguson (voyez plus haut), que les poissons de- viennent toxiques uniquement lorsqu'ils ont mangé des Cailleu- tassards. En faisant la part de l’exagération, il est permis cependant de considérer l'intoxication de la chair de diverses espèces comme due à l’action dangereuse que peut produire cette Mélette qui est vénéneuse à un degré presque incroyable, au rapport de Rob. Tho- mas (de Salisbury) qui a pratiqué la médecine aux colonies. Dans plusieurs cas, dit-il, ce poisson a fait périr lindividu dans l'espace d’une demi-heure, au milieu de convulsions épouvantables (Nouv. traité de méd. prat., trad. par Hipp. Cloquet, t. Il, p. 641). Une mort cerlaine et prompte, dit-il (p.642), suit un repas où l’on a mangé de ce poisson ?. 2 Une autre Mélette propre aux mers dé l'Inde (Meletta venenosa, Val.) est presque aussi redoutable. C’est probablement à la même espèce qu'il faut rapporter ce que M. le capitaine Jouan m'a dit dans une lettre de 1861, datée de Port de France (Nouvelle-Calédonie) où 1 C’est sous ce titre que Hipp. Cloquet, dans le Dictionn. des sc. nat. en 60 vol., t. XXII, p. 550 et suiv., a traité le sujet qui nous occupe ; mais il s’est servi de cette expression pour désigner les effets toxiques provoqués par l'emploi alimen- taire de différentes espèces, sans les rattacher à des propriétés vénéneuses spé- ciales de leur chair. 2 Serait-il vrai, comme les pêcheurs nègres de la Guadeloupe l'ont affirmé à W. Ferguson (On poisoneus fish. of the Curibbes islandsin : Trans. roy. Soc. Edim., 4821, t. IX, p. 69) que le Cailleu--Tassard n’est jamais vénéneux dans la baie de la Basse-Terre, même à l’époque où il offre les plus grands daugers quand il est pèché hors de la baie, à petite distance, et avec d’autres Clupes qui ne causent point d'accidents ? 11 les Sardines, comme on les appelle vulgairement, sont toujours véné- neuses !. | 3° En 1853, M. le docteur Pappe (Synopsis of the edible fishes of the Cape of good hope, p. 7 et suiv.) appelait l'attention sur la gravité des accidents causés par l'emploi alimentaire de la chair d’un Tétraodon, qu'il rapporte à l'espèce dite T. Honkenyi, Bloch. Cet animal, dit M. Pappe, est la terreur des pêcheurs et des habitants du cap de Bonne-Espérance. On cite plusieurs cas de mort survenus dans la colonie. Ainsi, à une époque déjà assez éloignée, du temps de la guerre, quand Muizenburg et ses environs étaient occupés par les troupes anglaises, quelques soldats périrent pour avoir eu l'impru- dence de manger de ce poisson. En 1856, un mousse d’un bâtiment de commerce danois; en août 1845, deux marins appartenant à l'é- quipage d’un navire hollandais qui était alors à l'ancre dans la baie de Simon, et en 1846, l’un des hommes de la corvette française l'Oise, subirent le même sort. En raison de la fréquence de ces empoisonnements, le docteur Pappe s’élonne, avec raison, que le gouvernement, dans le but de les prévenir, ne melle pas au nombre des règlements du port l’inter- diclion absolue de l’usage d’une espèce si redoutable. 4° En 1858, M. Fonssagrives, médecin en chef de la marine et ac- tuellement professeur à la faculté de médecine de Montpellier, a complété, à l’aide de documents fournis par le docteur Praeger, les indications données sur les poissons toxicophores dans son Traité d'hygiène navale; il appelle, d’une manière toute particulière, l’atten- tion sur les caractères extérieurs du Tetraodon tacheté (Geneion maculatum, Bibron.) La fréquence des accidents est telle, dit-il (Bulles. 1 Des accidents affreux et soudains, me dit-il dans une autre lettre, arrivés au commencement de l’occupation de la Nouvelle-Calédonie, ont rendu suspects beau- coup de poissons de ces parages. Leurs dangereuses propriétés proviennent, selon lui, de ce qu'ils se nourrissent de méduses et de polypes, et, en particulier, du co- rail à l’époque de sa floraison. Les phénomènes d'intoxication les plus graves, car trois hommes succombèrent, avaient été précédemment observés. à Port-Balade (Nouv.-Calédonie), en 1852, chez des marins de l’équipage de la corvette le Catinat, par suite de l'usage ali- mentaire de la Melette vénéneuse. Des détails très-précis ont été donnés sur ce sujet par M. Lacroïx, chirurgien-major de la corvette. (Revue coloniale, 2% série, mars 1856, p. 257-265.) 12 Acad. méd., t. XXII, p. 1059), que les bâtiments qui mouillent au Cap en sont avertis, par les soins de l’autorité locale. Ainsi se trouve satisfait le vœu du docteur Pappe et que je viens de rappeler, relativement aux mesures administratives dont il regrettait l'absence dans la colonie. Aux faits déjà cités, le docteur Praeger en joint un autre. Il s’agit de deux matelots du brick néerlandais, le Postillon, qui succombè- rent en 1845, et l'un d'eux n'avait mangé que le foie du poisson. D’autres Tetraodons produisent sans doute quelquefois des effets semblables. Il en est un à la Nouvelle-Calédonie non désigné spéci- fiquement, qui peut en délerminer de très-redoutables, car M, le capitaine de frégale Jouan (loc. cit., p. 8) a vu cinq grammes de la chair de ce Tetraodon amener la mort d’un porc au milieu d’affreuses convulsions, 5° Un poisson de la même famille, mais dont chaque mâchoire, contrairement à ce qui se voit chez le Tetraodon, ne porle qu'une grande pièce dentaire, le Diodon orbiculaire, ou poisson armé, peut faire périr ceux qui en mangent, comme M. Moreau de Jonnès l’a vu à la Martinique où deux morts, l’une immédiate, l’autre après deux mois de souffrances, eurent lieu à la suite d’un repas pris en commun par deux personnes qui avaient fait usage du Diodon. Ge et 7e. Il faut encore citer, comme espèces redoutables de l’ordre des Plectognathes, plusieurs Balistes, en parliculier, l’espèce dite la Vieille (Balistes vetula B1., BI.)et le Coffre cornu (Ostracion cornutus). 8°, 90, 10°, 11° et 120. Après la Bécune (Sphyræna becuna Lacép., Cuv.et Val., Hist. poiss., t. III, p. 340) et la grosse Sphyrène (Sp. baracuda Cuv. et Val., {. IT, p. 343), je dois indiquer aussi la fausse Carangue (Caranx fallax Cuv. et Val., t. IX, p. 95); leScare, nommé à l’île Maurice Catau-bleue (Scarus capitaneus Cuv. el Val.,t. XIV, p. 228, pl. 403) et le Lachnolène, dit Lachnolænus caninus (Cuv. el Val., t. XIIE, p. 288). C'est à quelques-unes de ces espèces que doivent être attribués les accidents dont on trouve le récit dans un journal du 23 no- vembre 1855. Un navire baleinier américain, parti de Boston en mars 1854, pour se rendre dans l'océan Pacifique, s'arrêta, afin de faire de l’eau, aux îles de Juan-Fernandez, situées à près de 700 kilomètres du Chili dont elles dépendent. Durant quelques heures de loisir, les hommes 13 de l'équipage se livrèrent à la pêche, et le soir, lorsqu'on leva l’ancre, on avait pris plus de 200 kilogrammes de poisson. Parmi beaucoup d'espèces, on remarquait, est-il dit, celles que les marins nomment vulgairement la Carangue, le Capitaine, la Vieille, elc. On en fit cuire la plus grande partie pour le souper de l’équipage à qui les offi- ciers firent distribuer une ration de rack. Quelques heures à peine s’élaient écoulées après ce repas, lorsque quarante-deux hommes, sur cinquante-sept qui formaient l'équipage du navire, furent tout à coup pris de verliges, d’éblouissements, de douleurs d’entrailles, de nausées, de vomissements répétés. Les dou- leurs inlestinales devinrent intermitientes et furent suivies d’abat- tement, puis d'un élat de coma qui se lermina, après onze heures de souffrances alroces, par la mort, pour trente-quatre des marins, malgré tous les secours et les soins qui leur furent donnés. Le réta- blissement des huit autres hommes se fit lentement, et il fut accom- pagné de douleurs partielles et brûlantes aux membres, de desqua- malion de la peau et de dépilalion, de paralysie d’une partie du corps, el, chez quelques-uns, de tous les membres pendant un temps plus ou moins long: huit jours et demi chez les uns, cinq chez les autres. Évidemment, les différences étaient dues et à la qualité des aliments qui avaient été pris et à la constitulion des individus. Des quinze hommes restés valides, quatre n’éprouvèrent que de fortes coliques avec crampes d’estomac et suivies d'une dyssenterie dont la durée ne dépassa pas deux à trois jours. Le repas du soir du capitaine, du second, du médecin et de quel- ques aulres officiers était déjà achevé, lorsque la cloche appela l'équipage au souper, et une réserve de la pêche avait élé faite pour leur déjeuner du lendemain ; c’est à celte circonstance qu'ils durent leur salut. 15°-16° J'ai déjà fait connaîlre les graves inconvénients qui peu- vent résuller de l'introduction dans les voies digeslives de la chair de la Bonile (Thynnus pelamys) quand elle n’est pas servie presque immédiatement après sa sorlie de l’eau. Ce Scombre n’est pas le seul dunt il soit nécessaire d'user avec prudence. Ainsi, le Tassard gua- rapucu (Cybium caballa, Cuv. el Val., L. VILLE, p. 188) est signalé par Plée comme étant quelquefois vénéneux. Ferguson (On poisonous fish Caribbes islands, in Trans. roy. Soc. Edimb., 1821, L. IX, p. 66) a donné le récit d’un empoisonnement survenu à Saint-Domingue 14 dans la maison du quartier-maître général où tout le monde avait pris sa part d’un bel individu de celle espèce, Chacun fut atteint avec une gravité qui était en rapport avec la quantité qu’il en avait eue. Le cuisinier nègre mourut et la femme du quarlier-maître dont le re- pas s'était presque exclusivement composé de cet aliment, ressenti, durant plusieurs mois, les effets du poison. L'espèce de Carangue, dite Caranx Plumieri, Cuv. et Val:, Hist. poiss., L. IX, p. 65, très-analogue au Maquereau pour la saveur, et qu'il ne faut pas confondre avec la fausse Carangue (Caranx fallax) don j'ai déjà parlé comme devant toujours être rejelée de l’alimen- talion, devient quelquefois nuisible. On s’en aperçoit à la rougeur des os ; alors, au rapport du voyageur naturaliste Lherminier, on s’en sert, tant l’action toxique est violente, comme d’appât empoisonné pour les rats. Il n’est pas jusqu'au Thon (Zhynnus vulgaris), si recherché à cause des excellentes qualités de sa chair dans tous les ports de la Médilerranée, dont la vente ne doive être exactement sur- veillée, car on a eu de iristes exemples d'accidents éprouvés par ceux qui en ont mangé trop longlemps après la pêche. M. de Martens, dans le récit de son Voyage à Venise, t. II, p. 432 et 433, a fait connaître les sages mesures administralives prescrivant, dans cette ville, de ne pas vendre le Thon au-delà des vingt-quatre heures qui suivent sa sorlie de la mer. | 17° et 180 Parmi les Clupes, l’Anchoiïs de la mer des Indes nommé Engraulis bælama Cuy. et Val., ou Anchois de Forskal, originaire de la mer des Indes comme la Melelte vénéneuse des mêmes eaux, et précédemment citée, n'est pas moins à craindre que cette dernière, quand on néglige, en le préparant, d’arracher la têle et les intestins. M. Dussumier, dans son Catalogue, dit qu’un seul de ces Anchois peut faire mourir un homme. A cette liste de poissons vénéneux, on pourrait cerlainement ajouter d’autres espèces, mais il en est dont la détermination scientifique reste trop incertaine pour qu’elles puissent - être mentionnées avec utilité. ACCIDENTS QUE CAUSE L'USAGE DES POISSONS VÉNÉNEUX. Les détails qui précèdent font connaître quelques-uns des symp- tômes de l’intoxication. Leur identité, dans tous les cas, est remar- quable. Plusieurs, il est vrai, surtout ceux qui caractérisent le mieux la gravilé des troubles fonctionnels, peuvent manquer lorsque l'is- 15 sue ne doit pas être fatale; mais ces troubles, variables dans leur in- tensité, sont constamment les mêmes. * On observe d’abord des étourdissements; il y a obscurcissement de la vue et vertige. De l'anxiété précordiale se joint promptement à ces premières manifestations, ainsi qu’un sentiment de pesanteur et de chaleur à l'estomac et dans tout l’abdomen. En même temps, le pouls se ralentit et se concentre ; bientôt le malade devient telle- ment chancelant qu'il! doit prendre la position horizontale. C’est alors que commencent à se montrer les signes de l’urticaire si habituelle dans les empoisonnements par les moules et dont le caractère essen- tiel réside dans l'apparition, sur la figure et sur différents poinis du corps, de nombreuses élevures, sortes de plaques rouges ou blan- châtres de forme irrégulière, de dimensions variables, pareilles aux ampoules produites par la piqûre des orties et entourées par une au- réole érythémateuse d'un rouge presque cramoisi. La paume des mains et la plante des pieds sont surtout le siége du sentiment d'ardeur concomitant de l’éruption. Il est accompagné, comme Thomas (de Salisbury) l’a constaté (Traité méd. prat., trad. H. Cloquet, t. II, p. 643) d’un picotement aux mains quand elles sont plongées dans l'eau; signe certain, dit-il, de la nature réelle de la maladie. La sensation de fourmillement a été le symptôme culminant d'un empoisonnement observé par M. Gasquet, et dont M. le docteur Roux, de Brignoles, fils, a rendu compte à la Sociélé impériale de . médecine de Marseille en la faisant précéder de considérations sur les poissons vénéneux (Bullet. des trav. de cette Société, 1860, p. 97-116 !). « La paume des mains et la plante des pieds, dit M. Gas- quet, ont élé le siége de douleurs comparées à des piqûres d’aiguilles rougies au feu. Ce fourmillement, qui ne s'accompagne d'aucune rougeur, d'aucun gonflement, donne aux sept hommes qui subirent les effets toxiques, une agitalion continuelle ; ils ne peuvent demeu- rer en place ; le toucher et la marche déterminent des souffrances aigües arrachant des cris aux malades. » Ces sensations, quoique bien moins intenses, ont persisté à ce point que les matelots, déjà dans un état satisfaisant et rendus à leur service, les éprouvaient encore. Plus lard, elles firent place à une singulière perversion de la sensibilité : 1 Ce poisson était un Percoïde qui est resté indéterminé. 16 ils ne se rendaient pas parfailement compte de la résistance du sol, ni des qualités physiques des objets qu'ils tenaient dans la main ; il leur fallait, pour arriver à un résultat certain, des pressions, des attouchements répétés. Le principe toxique avait donc produit, selon la remarque de M. Gasquet, une sorle de sidération du système ner- veux. La sensibilité tactile ne revint qu’au bout d'un mois. L’'urlicaire se produit aussi à la surface de la membrane muqueuse buccale. Souvent, il y a des douleurs dans les membres et parlicu- lièrement dans les articulations où se remarque un gonflement quelquefois assez considérable. Quand l’empoisonnement ne doit point avoir des suiles graves, des vomissements peu répétés débarrassent les voies digestives d’où les selles entraînent des déjections liquides d’une odeur le plus sou- vent félide. Au contraire, l'existence est presque toujours sérieuse- ment compromise, s’ilsurvient de très-fréquentes garde-robes accom- pagnées de lénesme et de violentes douleurs d'entrailles et d'émission involontaire des urines. Néanmoins, ces symptômes ne sont pas toujours précurseurs de la mort, même lorsqu'ils ont offert beaucoup de gravité pendant plusieurs heures. L'élat convulsif est une très- fâcheuse complication, et, pendant sa durée, la vie peut finir rapidement ; ou bien, au contraire, comme j'en ai signalé un cas si remarquable où trente-quatre hommes sur quarante-deux périrent, c'est au milieu d’un assoupissement profond, d'un coma que les malades succombent. Au nombre des phénomènes observés, il faut placer celui que Thomas signale el qui s’est produit sur lui-même. Ayant éprouvé les effets dangereux de la chair du poisson nommé Rock-fish (Ser- ranus rupestris), il se colora complétement en jaune comme dans l'ictère, et son urine, ainsi que le liquide de la transpiration prirent la même teinte. Chez un ou deux malades qu’il mentionne, la surface tégumentaire avait une couleur semblable. Quand le rétablissement a lieu, il est accompagné d’une desqua- mation de la peau dont l’épiderme se détache et parfois d’une chule des cheveux, des poils et même des ongles. Toujours, d’ailleurs, il se fail longtemps attendre, car la constitution reçoit une lrès-forle secousse dont les effets se font sentir pendant des années el ne dis- paraissent que peu à peu. Il est nécessaire de voyager dans les pays froids, selou l'indication de Thomas qui usa, pour lui-même, de ce ln ni 17 moyen de guérison dont il obtint du succès, mais au bout de plu- sieurs années seulement. TRAITEMENT. Dans les cas d’empoisonnement par le poisson, il y a deux indi- cations à remplir : 1° provoquer, le plus promptement possible, l’é- vacualion de la substance toxique ; 2° combattre, ou au moins pallier les effets qu’elle peut produire. Les vomilifs servent à débarrasser l'estomac qu'il convient de sou- mettre à une sorle de lavage par l'emploi des boissons délayantes. Il faul également, quand la constitution le permet, agir sur le tube digestif au moyen de l'huile de ricin ou du calomel. Tel est le traite- men local à opposer aux accidents dont l'intensité doit guider la conduite du médecin. Le traitement général, doit consister principalement dans l’adminis- lralion des excilants généraux, tels que le thé et surtout le café, et des alcooliques. Il y à de nombreux exemples des bons résultats que ces derniers peuveni donner : j'en citerai un seul. Il s’agit d’un em- poisonnement par l'usage d’un Baliste de l'espèce dite Bal. vetula. Vingt personnes furent atteintes, à l'exception d’un vieillard qui buvait ordinairement, à son repas, du rhum au lieu de vin. Les préparalions opiacées deviennent utiles si, malgré l'usage des évacuants, les voinissements et les selles persistent. Elles le sont surtout quand il survient des convulsions et alors, comme Thomas (loc. cit., p. 646) le conseille, on doit les prescrire à des doses assez considérables. Il ajoute que, pour diminuer la chaleur, ainsi que la sécheresse de la peau, de légères doses d'ipécacuanha sont données avec avaulage lorsque l'irritation de l'estomac a cessé. Après la disparition des accidents, les toniques sont indispen- sables. AUG. DUMÉRIL, Professeur äu Muséum d’histoire nalurelle. vu. 9 OBSERVATIONS SUR QUELQUES PLANTES DINPARUES DE NOTRE NOL En lisant, avec tonte l'attention qu'il mérite, l'ouvrage du doc- teur Fuster, sur les changements survenus dans le climat de la France, ouvrage publié il y a une vingtaine d'années, j'ai vu que quelques notes, que j'avais faites en m'occupant de botanique, pou- vaient venir prendre place à côté des observations très-remarquables qu'il a consignées. Ainsi, pour citer seulement ce qui a rapport aux plantes, il dit qu’au xvri° siècle la Picardie, la Normandie, la Bre- tagne, abandonnèrent la culture de la vigne , que les vins des envi- rons de Paris perdirent aussi tout leur crédit, que le Midi éprouva le même effet, que l’oranger, le citronnier, le limonier ne résistèrent plus en plein air, que la canne à sucre ne prospéra plus en Provence et que l'olivier rétrograda vers la mer. On n’a pas nié ces faits, mais on a objecté pour les réfuter que ces cultures, à cetie époque, étaient plutôt curieuses que profitables à l’agriculture, que lorsqu'on a pu les faire dans de meilleures condilions et dans d’autres contrées on les a abandonnées comme étant plus onéreuses que rémunératrices, etc. Cependant, le docteur Fuster cite une grande quantité de chartes qui donnaient à des abbayes, au vi siècle, des vignes dans des loca- 19 lilés où on ne peut plus les cultiver maintenant. Enfin il cile l’an- tique cérémonie de la bénédiction des raisins pratiquée, autrefois, dans les monastères de Saint-Germain, de Saint-Denis, de Saint- Corneille de Compiègne, dans la Normandie, dans la Bretagne, etc., où il est dit : « A la fêle de la Trausfiguralion, le 6 août, du raisin nouveau sera placé dans une coupe d'argent, présenté à l'autel et bénit ; il sera partagé entre les tables et servi à chaque frère en com- mençant par les prieurs ; les serviteurs en auront leur part. » Puis il ajoute : « Les vendanges de ces vignes avaient lieu au mois de sep- tembre. » Plusieurs chartes indiquent également le mois de septembre comme le mois des vendanges. Où trouverait-on maintenant, dans ces parlies de la France, même dans celles qui ont conservé la cul- ture de la vigne, un cépage qui pourrait remplir les conditions établies dans ces coutumes qui datent du x1° siècle? La température moyenne s’est donc abaissée puisque le raisin, qu'une chaleur long- temps soutenue peut seule faire mürir, ne pourrait plus maintenant nous donner les mêmes résullats, si ce n’est dans les années excep- lionnelles. L'ouvrage du docteur Fuster n’a certainement pas besoin d'appui, car les preuves abondent pour soutenir ce qu'il veut démontrer. Cependant je pense que les quelques observations suivantes peuvent bien venir s'ajouter à celles qu'il a si bien su grouper. Tous ceux qui se sont occupés de botanique savent que lorsqu'on remue des terres reslées inculles ou abandonnées depuis longues années, on voit quelquefois surgir des plantes qui n'existent plus dans les lieux où on les voit reparaître. C’est sur quelques-unes de ces plantes que je désire attirer un moment l'attention. Lorsqu'un fait est consigné, il reste s’il a quelque mérite, mais s’il n’atleint pas le but qu'on s’élait proposé il disparaît el subit le sort qu'il aurail eu si on ne s'en était pas occupé ; il est donc toujours bon de dire ce qu'on a vu, il peut en résulter du bien, et rarement du mal. Lorsqu'on a construit, à Saumur, le pont Napoléon, on a relié son extrémilé nord avec la route de Nantes à Paris par une levée de plus d’un kilomètre de longueur, faite avec des terres prises à pied- d'œuvre. L'année suivante tous les talus de celle levée se sont cou- verts de Nicandra physaloïdes dont on pouvait compter les pieds par centaines daus toute l'étendue; les graines ne venaient donc pas d'un seul point. Cette plante, comme on sait, n’est pas originaire de 20 France, et nous a été apportée de l'Amérique avec les Datura Stra- monium et Talula qu’on trouve dans les mêmes localités. Ne serait-il pas naturel de supposer que, jouissant des mêmes propriétés médi- cales que ces deux dernières espèces, elle aura d'abord été cultivée comme elles, que comme elles elle se sera acclimalée, l'extrême abondance de ses graines le prouverait, mais que plus délicate elle aura disparu la première comme le fera peut-être bientôt le Datura Tatula, déjà beaucoup plus rare que le Stramonium? Au bout de deux ou trois ans celte plante avait disparu de nouveau, et depuis cette époque on n’a pas revu un seul pied de cette belle solanée. La seule localité où on a rencontré le Centaurea solsticialis, est le Puy-Notre-Dame, mais toujours sur des terres nouvellement remuées. Il n’y croît donc plus spontanément comme autrefois, ses nombreuses graines enfouies en sont la preuve. En faisant des fouilles dans le cimetière de Bourgueil, et en faisant également les travaux pour la gare du Port-Boulet, on a vu surgir le Milium scabrum qu'on ne connaissait pas dans nos contrées. Depuis cette époque, il est vrai, cette espèce s’est reproduile chaque année, mais en quantité très-restreinte. Dans les herborisalions de Merlet de la Boulaie, on indique l’Hy- pecoum procumbens dans la commune de Varroins, près Saumur. Dans l'intention de trouver celte espèce inconnue chez nous, j'ai parcouru non-seulement toute celte commune, mais les communes environnanies de Chacé, Saint-Cyr, Brézé, elc., sans la rencontrer et sans même y voir la seconde espèce, l'Hypecoum pendulum, qu’on ne trouve maintenant que plus au sud dans les communes des Ulmes el du Puy-Notre-Dame. Il y a quelques années, dans la commune de Saint-Cyr, une de celles que je viens de citer et que j'habite quel- quefois, je voulais agrandir un jardin, et pour cela je fis démolir un mur presque en ruine, que, dans ma jeunesse, j'avais loujours vu dans cet élat et auquel, sans exagération, on pouvail assigner deux cents ans d’exislence el peul-être beaucoup plus. Après avoir fait enlever les pierres qui le composaient, je fis meltre la terre de démolition sur des massifs de fleurs ; l’année suivante, ces massifs étaient couverts d'Hypecoum pendulum que je n'ai jaruais rencontré dans celle contrée, comme je viens de le dire. Désirant conserver celle plante qui avait parfailement grainé, je fis légèrement bécher la terre à l'automne; l’année suivante il en reparul à peine une dou- 21 zaine de pieds; au bout de deux ans lout avait disparu el rien ne s’est montré depuis. Cette plante ne peut donc plus vivre dans des localités où elle élait assez abondante pour remplir de ses graines tout le terrain. Pourquoi l'Hypecoum procumbens n’aurait-il pas existé dans la commune de Varrains, où l'indiquait Merlet de la Boulaie, ou plutôt Dupelit- Thouars qui était, comme on sait, un botaniste assez distingué pour ne pas confondre ces deux espèces ? Pour préserver notre ville des inondations , on vient de l’entourer, du côté du sud, d’une levée faite avec les terres forles et compactes de nos prairies ; rien de nouveau n’est apparu sur ces terres nouvel- lement remuées: les inondations fréquentes de ces prairies ont bien pu détruire les graines qui se seraient conservées sans cette condition. Mais pour qu’on puisse marcher plus facilement sur celte terre argileuse, on a recouvert sa surface d'ure couche de sable provenant des dépôls sénoniens du coteau sur lequel est assis le château de Saumur. Je viens de récolter, ces jours-ci, sur ces sables, le Phalaris minor, plante méridionale qu'on ne retrouve plus dans nos contrées qu’à l'embouchure de la Loire, où la tem- pérature adoucie par le voisinage de la mer lui permet encore de végéler el de se reproduire. Que conclure de ces fails, auxquels beaucoup d’autres pourront encore venir s'ajouter et servir à refaire la flore disparue de notre pays, si ce n’est que des causes parliculières ont dû agir sur la nature de certaines planles et les ont empêchées de se reproduire dans le sol qu’elles avaient primitivement choisi? Parmi ces causes en est-il de plus puissante que la rigueur de la température? Com- bien de plantes disparaîtraient encore par les gelées du prinlemps sans des conditions particulières qui les préservenli? Je n’en cilerai qu’un exemple. Le Limodorum abortivum est une plante commune dans le Midi et rare dans nos contrées; eh bien, j'ai vu plusieurs fois, dans les années dont le printemps élait très-froid, toutes les jeunes pousses de cette plante complétement détruites, et, dans ces années, ne pas rencontrer, au mois de juin, une seule tige fleurie. Si celte plante vivace, au lieu d’être préservée de la destruclion par ses puissantes et profondes racines, avait élé une plante annuelle, elle aurail depuis longtemps disparu des rares localités où on la rencontre encore maintenant. Il est donc permis de croire, en ajoutant ces quelques observations, 22 à celles réunies avec tant de savoir par M. le docteur Fuster, que l'abaissement de la température a dû être la cause principale de la disparition ou de l'éloignement de bien des plantes qui ont vécu jadis sur notre sol, que la terre se refroidissant sans cesse, mais d’une manière inappréciable pour nous, tous les êtres créés devront peut- être disparaître successivement ou marcher vers les régions tropi- cales où les derniers viendront s'anéantir. Saumur, 7 septembre 1865. COURTILLER. LA PALÉONTOLOGIE DU TERRAIN PRIMAIRE La première apparition de la vie sur la terre est un sujet qui à toujours vivement préoccupé les naturalistes. Ceux qui, sans s’arrêé- ter aux faits connus, élaient le mieux pénétrés de l'importance de celle question, et de la difficullé de la résoudre, n'avaient point ac- ceplé les dénominations négatives ou posilives de roches azoïques, de terrain paléozoïque, de faune primordiale, elc., parce qu'elles enga- geaient l’avenir en préjugeant des solulions non justifiées encore. L'absence supposée de restes d'animaux dans des couches, quelque anciennes qu’elles paraissent, la date absolue de celles dans les- quelles on en avait trouvé, enfin un premier développement de l'organisme, qui aurait produil des annélides, des crustacés, des mollusques (brachiopodes, pléropodes, gastéropodes etcéphalopodes), des vryozoaires, des crinoïdes, étaient des assertions qu'on ne pou- vait accepter sans réserve et qu'il élait permis de regarder comme prémalurées. En effet, des observations récentes sont venues donner raison aux géologues quiavaienl résisté à cetentraînement. Elles ont fait remon- ter dans le passé, jusqu’à une époque qui n’était pas mêuie soupçon 24 née, l'existence d'animaux, aussi éloignés peut-être de ceux qu'on avait cru jusque-là les premiers, que ceux-ci le sont à leur tour des animaux qui peuplent aujourd’hui la terre. Celte découverte a doublé ainsi pour nous l'immensilé des temps depuis lesquelsles phénomènes biologiques se produisent à la surface du globe, et nous devons, à cause de sa grande importance, faire voir comment on y a élé amené, les circonstances qui l'ont accompagnée el avec quels soins elle a été constatée. Les roches primaires du nord de l’Amérique, constituant les mon tagnes de la rive gauche du Saint-Laurent et d'Adirondacke, dans l'État de New-York, sont des masses crislallines, stralifiées, quart- zeuses et alumineuses, divisées en deux groupes dont le plus élevé recouvre l’inférieur d’une manière discordante, et dont l’ensemble est désigné, par les géologues du pays, sous le nom de système lau- rentien. Leur épaisseur totale n’a pas moins de 10,000 mètres et peut avoir beaucoup plus. . Au-dessus, lorsqu'on se dirige vers l'O., vient une série de roches quartzeuses, schisteuses, calcaires, dioritiques avec des conglomé- rats, dont la puissance est évaluée par M. Murray à 5,500 mètres, et que l'on a appelée système huronien. Celte série, dans laquelle on n'a point encore rencontré de fossiles, correspond au système cambrien de l'Europe et forme pour nous la base du terrain de transilion. Or, les couches horizontales de la partie inférieure du système si- lurien de l’ouest du Canada, celles que l’on avait cru jusqu'à présent renfermer les plus anciennes traces de corps organisés, reposent sur les strates redressés de ce système huronien ou cambrien, lequel surmonte à son tour transgressivement les tranches du groupe lau- rentien inférieur ou primaire, car on ne connaît pas encore ses re- lations stratigraphiques avec le plus récent. De sorte que l'épaisseur tolale de ces diverses roches, supposées jusqu'alors dépourvues de fossiles, surpasse probablement de beaucoup celle de toules les cou- ches réunies qui se sont déposées depuis le commencement de l’é- poque de transition jusqu’à nos jours. ; Néanmoins on reconnaît que les actions chimiques et mécaniques, qui ont depuis concouru à la formation des roches sédimentaires, existaient déjà car des blocs el des cailloux roulés de roches antérieures s'y observent aussi bien que des roches schisleuses, arénacées et calcaires. Dans les deux groupes laurentiens on trouve des calcaires 25 \ assez développés pour constituer des étages indépendants, el [rois au moins appartiennent à l'inférieur ; il pourrait d’ailleurs y en avoir un plus grand nombre puisque sa base esl inconnue. La coupe donnée par M. Logan, directeur général du Geological Survey du Canada, montre la disposilion de ces assises sur uñe étendue de 33 kilomètres. L'existence d'êtres organisés dans ces roches primaires siratifiées, avait été soupçonnée par M. Sterry-Hunt?, le savant minéralogiste du Geological Survey, à cause de la présence du graphite, de grandes couches de minerai de fer et de sulfures métalliques. D’autres preu- ves déduites de la structure de certains échantillons trouvés en 1858 par J.-M. Mac Culloch, dans des calcaires cristallins du grand Calumet, sur la rivière Otlawa, suggérèrent la même idée à M. Logan, mais ce ne fut que plusieurs années après que M. J.-W. Dawson, sou- meltant à l'observation microscopique des plaques minces d'un calcaire employé comme marbre, constata leur véritable origine or- ganique. Dans ces roches, la serpenline avait remplacé la matière animale et rempli le vide de la matière calcaire, laquelle montrait, dans quelques parties, des caractères organiques bien prononcés, sem- blables à ceux des rhizopodes, croissant en larges plaques sessiles, comme les Polytrema et les Carpenteria acluels, maïs avec une siruc- ture qui rappelait plutôt celle des Calçarina el des Nummulites. Le savant micrographe américain désigna ces fossiles sous le nom d’Eo- Z00n, Comme annonçant l'aurore du règne animal. Les parois calcaires des cavités n’ont-pas été sensiblement modi- fiées, mais les vides qu’occupait la matière animale ou sarcode ont été remplis par des silicales, injectés non-seulement dans les loges, les cellules el les canaux cloisonnaires, mais encore dans tous les vides du système tubulaire qui constilue la lame principale du test des rhizopodes élicostègues, el l'ont ainsi conservé avec une grande perfection, comme on s’en assure en enlevant la malière calcaire 1 Quarter. Journ. geol. soc. of London, vol. XXL, p. 45, 1864, no de février 1865. ? Quarter. Journ. geol. soc. of London, vol. XV, p. 493, 1858. — Voyez aussi J.-J. Bigsby, On the laurentian, formution, etc., Geol. Magazine, n°° 4 et 5, 1864. ® Canadian naturalist and geologist, 1859, p. 49. — Geology of Canada, p. 49, 1863. * Quarter. Journ. geol. soc. of London, vol. XXI, p. 51, pl. 6 et 7, 1865, 26 par uu acide. Les subslances minérales qui, outre la serpentine, ont concouru au moulage , sont le pyroxène blanc, la loganite et la py- rallolite ou rensselœærite. Lorsqu’après le moulage le carbonate de chaux a élé remplacé par la dolomie, la structure organique a dis- paru. ‘ Les échantillons de roches fossilifères de Granville proviennent de la première assise calcaire du groupe laurentien inférieur, mais on ne sait pas encore s’il y en a dans les deux autres situés au-dessous, ni dans les calcaires discordants du groupe supérieur. De même, les relations des couches de Burgess el du grand Calumet avec l’assise de Granville restent à établir. | Cetle dernière, d’une épaisseur de 459 mètres, peut êlre divisée en {rois par de puissantes couches de gneiss, el c’est vers sa base que les corps fossiles ont été trouvés. Celle partie inférieure est com- posée de masses irrégulières de pyroxène blanc, cristallin, dont quelques-unes ont 20 mètres de long sur 4 ou 5 de large , entassées confusément el laissant entre elles des cavités de toutes les dimen- sions. Celle couche de pyroxène fragmentaire a 60 mètres d’épais- seur, et les interstices sont remplis de serpentine et de carbonate de chaux. En général, chaque masse de pyroxène est revêlue d’un en- duil ou feuillet serpentineux, vert foncé, de 4 à 12 centimètres d’é- paisseur, qui allerne ensuite avec des lils minces de carbonate de chaux, sur une épaisseur à peu près égale. Ces plaques calcaires sont le gisement originaire des fossiles dont nous venons de parler. Le caraclère général de la roche, dit M. Logan, est celui d'un grand récif de rhizopodes, dont les masses pyroxéniques représentleraient la parlie la plus ancienne, brisée, démantelée, et ayant offert des conditions favorables à un nouveau développement d'animaux mi- croscopiques ; ceux de la partie calcaréo-serpentineuse qui, brisée à son tour, a laissé ça et là des portions intactes, indiquent encore la forme générale de l'encroûtement organique. Ce qui distingue sur- tout les récifs formés par ces, anciens rhizopodes de ceux des poly- piers plus récents, c’est que l’on trouve toujours dans ces derniers une mullilude d’aütres débris organiques, tandis que dans les pre- miers on n’aperçoil avec cerlilude que les restes des animaux qui les ont élevés. Le remplissage des cavités ou le remplacement du sarcode (sub- slance animale gélatineuse constituant les rhizopodes) par des sub- 27 stances minérales en dissolution, s’est fait, dit M. S. Hunt, comme dans les bois silicifiés. C'est par ce procédé que le pyroxène blanc, la serpentine vert pâle, et une substance alumino-magnésienne qu'il désigne sous le nom de loganite, ont opéré le moulage. Dans le der- nier cas, celui des échantillons de Burgess, le carbonate de chaux du test a été changé en dolomie, mais dans tous les autres il est demeuré intact. Déjà l’auteur avait avancé que ces minéraux silicatés s'étaient for- més non par un métamorphisme subséquent dans des roches situées à de grandes profondeurs, mais par des réactions à la surface même de la terre, et il avait démontré cette même action du silicate dans les divers terrains. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c’est qu'elle se manifeste encore pour les rhizopodes des mers actuelles, comme dans ceux de l’Océan primitif que peuplaient les Eozoons. Nous avons déjà dit en effet que, le long des côtes des États-Unis, le fond de la mer était rempli de moules glauconieux de coquilles mi- croscopiques vivantes. Ce silicate se formerait alors dans la vase où la silice dissoute se trouverait en contact avec l’oxyde dé fer rendu soluble par la matière organique; el le silicate qui en résulle réem- plit les cavités de ces pelils corps!. Ce n’est sans doute pas un des résullats les moins intéressants de ces recherches, que de trouver à l’origine des choses ces actions chi- miques s’exerçant sur des produits organiques exactement comme de nos jours, précisément aussi sur des corps d'une structure par- failement comparabie, et apparlenant, dans l’un et dans l’autre cas, aux Lypes les plus inférieurs de la série zoologique. Quant à l'étude parliculière de ces fossiles, elle a été faite avec infiniment de soin d’abord par M. J.-W. Dawson, de Montréal, el les résultals ont été pleinement confirmés ensuite par M. Carpen- ter, le micographe de l’Europe le plus habile dans ce genre de re- cherches. Des lames {rès-minces, laillées dans ces masses minérales et pla- cées sous le microscope, présentent des lils alternants de calcaire et de serpenline ou de pyroxène. Ces deux dernières substances n'af- feclent aucune structure organique ; la première au contraire, en ! Introduction à wn cours de paléontologie stratigraphique, vol. IL, p. 376, 1864. 28 présente une qui ne peut êlre attribuée ni à la cristallisation ni à une origine concrétionnée. L’Eozoon canadense, ainsi que le nomme l’auteur, est, comme on peut en juger d’après la portion restaurée donnée par M. Carpenter, un corps de forme élargie, massif, sessile ou en cylindres irréguliers, s’accroissant par l’addilion de lames successives à la surface, pré- sentant à l’intérieur des loges grandes, déprimées, irrégulières, avec de nombreuses expansions arrondies. Ces loges sont séparées par des parois d'épaisseur variable, traversées elles-mêmes par des ca- naux distribués çà et là. Dans les parties les plus épaisses de ces parois se montrent des faisceaux de tubes ramifiés (échantillons de Granville et du Calumet). | Quelques échantillons seulement avaient offert à M. Dawson les tubes parallèles des Nummulites; mais M. Carpenter a reconnu, que cette structure était constante dans toute l'étendue des parois qui limitent directement les loges el qu’elle était même plus distincte que dans les rhizopodes élicoslègues de l'époque tertiaire, par exemple, où les tubulures ayant élé remplies par du carbonate de chaux, rendent la struclure de la lame spirale plus homogène. Par- fois des fibres et des granules de substances charbonneuses semblent indiquer l'existence d'algues marines et, à la surface altérée des micaschistes, des perforations arrondies ont l'aspect de celles que produisent les Scolithes ou vers arénicoles. Malgré la fréquence et la grande extension des Eozoons, on doit penser, indépendamment des preuves apportées par l'examen des calcaires eux-mêmes, que les eaux de ces temps reculés étaient peuplées aussi d'organismes animaux el végétaux plus petits encore, . contribuant à leur alimentalion. Ces formes si inférieures du règne animal acquéraient dans leurs dimensions et leur complexité un développement qui ne semble pas avoir élé dépassé ni même atteint dans les âges subséquents. Or, celle prédominance primitive des rhizopodes s'accorde avec l’un des résultats les plus imgorlants qu'ait révélés l’élude altentive des êlres organisés, la loi de l'apparition successive de lypes organiques de plus en plus élevés, ou mieux de leur importance graduelle en rapport avec une organisation de plus en plus compliquée. Ces grands prolozoaires devaient donc êlre les types dominant des animaux des premières mers, et ils nous prou- } 29 vent ainsi que ces roches cristallines doivent renfermer les plus an- ciens produits de la vie. On sait en outre que, dans chaque série animale, la tendance au polymorphisme est la plus grande chez les types les plus inférieurs; la variété des formes y est plutôt la règle que l'exception. C’est ainsi que les Nubéculaires de nos jours, assez semblables à des éponges, et l’un des lypes les plus simples des rhizopodes, se présentent avec une telle variélé d’aspecls qu’il serait impossible de les classer d’a- près le mode de groupement de leurs diverses parties. Il était donc naturel de penser que les premiers animaux apparaissant dans les eaux seraient non-seulement des rhizopodes, mais encore les plus inférieurs de cetle classe, c’est-à-dire les plus polymorphes. Partoul où le test non fibreux ou tubuleux se développe el sépare celui qui constitue les parois direcles des loges, on remarque qu'il est coloré d’une teinte brun-jaunâire, semblable à celle qu'on observe dans les Polystomelles et les Calcarines actuelles, lorsqu'il y a des restes de la matière sarcodique. On peut donc croire que la substance minérale infiltrée dans les Eozoons, doit sa coloration à un résidu de la matière animale elle-même qui nous serait ainsi parvenue à travers un nombre incalculable de siècles. Il en résulte- rait aussi cette auire conséquence que les actions métamorphiques auraient été réellement bien faibles dans ces roches où souvent la structure du test est beaucoup mieux conservée que dans les Num- muliles et autres rhizopodes tertiaires. | Il n'y a de nos jours aucun lype organique dont es Eozoons se rapprochent davantage que de ceux dont nous parlons. Tous, en effet, s’accroissent normalement par ia gemmalion continue de nouveaux segments provenant de ceux déjà formés, et les formes actuelles montrent une si grande variélé dans l'extension que peut prendre ce mode d'accroissement, que les dimensions el les carac- tères des Eozoons ne peuvent être une objection sérieuse contre leurs rapports supposés ; le Cycloclypeus, par exemple, affecle une disposition discoïde de 6 à 7 centimètres de diamètre, et le nombre des segments dus à la gemmalion conlinue, est de plusieurs mil- liers. Les Réceptaculites que nous trouvons dans les couches silu- riennes du même pays, sont encore de gigantesques Orbitolites de 30 centimètres de diamètre, et si l'on supposait que leur accroisse- ment se fit comme chez les Orbiloïdes, à la fois en hauteur et en 30 largeur, on aurait des masses aussi grandes que celles des Eozoons. Mais déjà ces fossiles ont été reconnus dans les roches anciennes de ce côté de l'Atlantique, tels que les marbres serpentineux de Tyrée, dans la partie occidentale de l'Écosse, ceux de Jona (île de Skye) et ceux de Connemara, connus sous le nom de vert d'Irlande. M. Carpenter ! n'hésite pas à placer ces derniers sur le même ho- rizon, mais lors même que l'opinion exprimée récemment par sir R. Murchison ?, qui les rapporte à la période silurienne, serait hors de toule contestation, cela prouverait seulement que les Eozoons ont eu une très-longue durée, ce que leur organisation permeltait de prévoir. Ainsi, dans les mers les plus reculées, ces rhizopodes, relalive- ment gigantesques, contribuaient autant à la formation des assises calcaires que l'ont fait depuis et le font encore sous nos yeux les po- lypiers, les radiaires et ies mollusques avec les autres coquilles mi- croscopiques. Pendant cette époque, la plus reculée de la vie sur le globe qu'il nous ait encore élé permis d'étudier, régnaient donc les êtres les plus inférieurs de la création, ceux chez lesquels, comme a pu le dire M. Carpenter *, les fonctions vitales s’accomplissent sans appareil spécial, dont une petile portion de malière gélatineuse, d'apparence homogène, se montre sous des formes plus multiples el plus changeantes que le Protée de la fable, qui prennent leur nourriture sans avoir de membres, l’avalent sans orifice buccal, la digèrent sans estomac, s’approprient et s’assimilent les malières nutrilives sans vaisseaux absorbantis ou système circulatoire, meu- vent leurs diverses parlies sans avoir de muscles, sentent peut-être sans avoir de nerfs, se propagent sans appareil de génération et construisent une enveloppe solide dont la syinétrie et la complexité ne sont surpassées par aucun animal pourvu d’un test calcaire. Enfin, il ne nous est pas possible de concevoir un être vivant d'une organisation plus simple et.ayant cependant laissé après lui une trace plus durable. N'est-ce pas aussi un curieux sujet de réflexions et d'intérêt géo- ! The intellectuul observer, mai 1865, p. 298. 2? Geological Magazine, avril 1865. 3 Introduction to the study of the foraminifera, préface, p. VII, 1862. 31 logique que les relations de ces premiers rudiments de la vie avec les organismes analogues qui peuplent aujourd’hui nos mers, aient pu être déterminées par la comparaison de parties solides que cou- vrirait la plus pelile tête d’épingle ! Cette découverte, due à l'application judicieuse du microscope, n'est sans doute qu’un premier pas fait dans une voie nouvelle, nous révélant tout un monde organique non soupçonné, qui a vécu à une époque dont l'éloignement dans le temps nous reporle bien au delà de ce que notre imagination pouvait concevoir, et cela avec non moins de certitude que l’astronome peut, à l’aide de l'analyse spectrale, déterminer la constitution physique et chimique des corps dont l'éloignement dans l'espace est au delà de toute apprécia- tion numérique. Vicomte D'ARCHIAC. CATALOGUE DES VOMERS DE LA COLLECTION DU MUSÉE DE PARIS AVERTISSEMENT. Le présent calalogue est consacré uniquement à donner la des- criplion des espèces de poissons du genre des vomers, qui se trouvent actuellement dans la collection ichthyologique du musée de Paris, et que nous considérons loutes comme nouvelles, excepté pourtant le Vomer de Brown, connu depuis longtemps déjà des ichthyolo- gistes. | Nous saisissons l’occasion que nous offre la publicalion de ce tra- vail pour adresser ici {ous nos remerciements à M. le professeur Aug. Duméril, à l’obligeance duquel nous devons de faire connaître les poissons qui font le sujet de cette notice. Le Vomer de Brown, considéré comme une espèce de zée par Mitchill, à cause de quelques rapporls d’analogie qui existent entre eux, à, dans l'élévation de son front, un caractère qui le rapproche bien plus des Argyréioses (Argyreyosus, Lacép.) que des Gals (Galli- chlys, Cuv.). Il s'éloigne pourtant des uns et des autres par quelques particularités assez scnsibles pour que Cuvier le premier ait cru de- voir le séparer des espèces auxquelles Linné l'avait d'abord associé, pour en former un genre à part, désigné par le nom sous lequel nous 33 le faisons connaître ici, et qui a élé depuis adoplé par tous les ichthyologisles. Le trail le plus saillant du genre des Vomers, celui qui lui à fait donner le nom qu'il porte aujourd'hui, consiste dans la crête de son front, très-élevée, en forme de carène et courbée en arc convexe. Il a la même forme très-comprimée et très-élevée des diffé- rents sous-genres de Vomers, les mêmes écailles excessivement peliles et à peine visibles sous un épiderme fin et saliné; mais les rayons de la seconde dorsale et ceux de l’anale sont sans filaments déliés, ainsi que les ventrales, qui son fort petites. Les épines de la première dorsale sonl courtes; les premières unies en nageoire par une membrane, el les suivantes au contraire libres et isolées. La bouche est peu fendue, à peine protractile el n’a que quelques peli- les dents en velours extrêmement fin. Dans ce singulier genre, la ligne latérale est formée d’écailles uniformément petiles et lisses, si ce n’est cependant vers la queue, où elles sont relevées d’une ca- rène forl peu prononcée el non cuirassée de pièces ou de lames écailleuses, carénées, souvent même épineuses, el qui caractérisent la division des caraux parmi les scombéroïdes de Cuvier el de Valenciennes. Cette famille des scombéroïdes se compose de genres qui ont assez peu d’analogie entre eux, et qui pour la plupart ont été séparés de celte famille par quelques auteurs, qui les considèrent, avec juste raison, comme devant former des groupes distincts et isolés. Le grand genre Vomer, généralement rapporté aux scombéroïdes, en a néanmoins été reliré par certains Zoologisies, qui en font, les uns, une sous-famille parmi les scombéroïdes, et les autres qui le réunissent à d’autres sous-familles, ou même à des familles fort dif- férentes les unes des autres. Dans la classification proposée par La- treille (Fam. Régn. anim., p.133), le genre Vomer fait parlie de la famille des voméridés, dont nous adoptons ici la division, alor même qu'elle n’est pas constituée pour nous telle qu’elle a été éta- blie par l’auteur que nous venons de nommer, et dans laquelle il inscrit le Tetragonurus, qui n’est pas très-certainement le même que le Tetragonurus Cuverü de Bisso!, ni même le Tetragonurus simplez de Lowe?; les Selene argentea et quadrangularis de Lacé- 1 Ichth. Nice, pag. 347, pl. x, F 21. ? Proc. zoo. soc., 1833, pag. 148. VIIL. 3 34 pède!, l’Argyreyosus vomer de Lacépède et le Vomer Browni de Cuvier et Valenciennes; mais que dans notre manière de voir, nous formons des genres appelés Scyre, Bléphare, Gal. Argyréiose, Vomer, qui est le type, et Hynnis. FAMILLE DES VOMÉRIDÉS, Lar., Guicx. Scomberoedei, in part., Cuv. Rég. anim., 11° édit., Lome 11, p. 196, et Cuv. Val. Aist. Poiss., tome VIII, pag. 1; Müll. Berl. Abhand (1844), pag. 201; Owen Lect. on Compar. Anat. Vert., tome I, pag. 49. Carangidæ, in part., Günth. Poiss. Brit. Mus., tome IT, pag. 417, Scombridæ-vomerini, Bonap., Tab. class. Poiss. Leptosoma-microdontæ, in part., CG. Dum, Ichth. anall., pag. 348. Pour donner une idée plus nette de la famille des Voméridés, telle que nous la comprenons, nous rappellerons les traits qui se repro- duisent dans toutes les espèce qui la composent, et que l’on recon- naît plus aisément à leur port tout particulier, à l'extrême compres- sion el à l’élévalion de leur corps, à leur crête frontale également très-élevée, tranchante et plus ou moins convexe suivant les genres : ensemble de caractères qui éloigne ces singuliers poissons des scom- béroïdes, à la suite desquels nous les plaçons, à cause de leur corps couvert de pelites écailles, et de leurs nombreux cœcums ou appen- dices pyloriques réunis en masse globuleuse. Tous les auteurs qui ont écrit depuis Mitchill jusqu’à nos jours sur le genre Vomer, n’ont admis encore qu’une seule espèce, le Vomer de Brown, que ce naturaliste le premier a fait connaître (Trans. Lilé. et Phil. soc. New-York, lom. I, pag. 384, pl. 1, fig. 9), comme une espèce à pari sous le nom de Zeus setapinnis. Pour nous, nous élevons le nombre des espèces actuellement connues dans le genre Vomer à quatorze, dont treize de plus que celle ad- mise par les ichthyologistes, comme on va le voir dans le travail que 1 Les Selena argentea, Lacép. (Hist. Poiss., tom. IV, pag. 563, pl. 1x, fig. 2), et quadranguluris, ejusd. (loc. cit.), tom. IV, pag. 564, sont : la première l’argy- reyosus vomer, ejusd. (loc cit.), tom. IV, pag. 568, et la seconde, le chœtodon faber de Broussonet (Ichth., pag. 17, pl. x1), le même que l’Ephippus faber de Cuvier et Valenciennes (Hist. Poiss., tom. Vil, pag. 113). 39 nous présentons ici, d’après l’étude toute particulière que nous avons faile des individus mêmes de ce genre qui ont servi aux recherches du professeur Valenciennes et qu’il indique dans l'Histoire natu- relle des poissons (tome XI, pag. 189) sous le nom commun de Vomer Brownii, et aussi de ceux que ce savant ichlhyologisle ne connaissait pas lors de son travail sur le genre qui nous occupe, et qui ont été rapportés par divers voyageurs au musée de Paris. Nous les admettons comme autant d'espèces distinctes les unes des autres, malgré la grande ressemblance qu’elles ont entre elles, bien que les nuances de forme ou de quelques autres trails de leur organisation extérieure, peu sensibles, il est vrai, et même souvent plus faciles à saisir qu’à exprimer par des mots, rendent toutefois, pour nous, la séparation nécessaire de ces espèces, auxquelles irès-probable- ment viendront s'en joindre d’aulres restées inconnues jusqu'alors aux naturalisles. On peut pour faciliter l'étude des différentes espèces que nous ad- meltons dans le genre des Vomers, les diviser en trois groupes ou tribus , d’après leur forme générale : un premier, qui comprend les espèces dont le corps est allongé; un second, qui réunit celles qui, comme dans le premier groupe, offrent cette forme allongée, mais à un degré bien moindre, ou, en terme plus précis, les espèces dont le corps est oblong; et un troisième, qui renferme les espèces dont le corps est court et parfois presque arrondi. PREMIER GROUPE. Espèces à corps plus long que haut, et dont la hauteur est à la longueur comme huit est à vingt. A ce groupe se rapporte : LE VOMER DU SÉNÉGAL, Vomer Senegalensis, Guich. Ce qui caractérise surtout ce Vomer, le seul de ce groupe que nous connaissons encore, c’est la forme allongée de son corps, compara- livement à celui d'aucune autre espèce de son genre, et qui repré- sente un ovale allongé. Sa plus grande élévation au milieu du corps se trouve comprise deux fois et demie dans la longueur totale. Sa tête est plus haute que longue, et a en largeur le quart de sa propre hauteur. L’œil est placé au-dessus de la ligne moyenne du corps ; 36 son diamètre est du sixième de la hauteur de la tête. Son profil est oblique, et la crête du crâne peu élevée et épaisse. Le milieu du ven- tre et celui du dos ne forment pas d’angles saillants. La première dorsale est très-faible et basse, comme dans toules les espèces du genre auquel ce poisson appartient. Le devant de la seconde dorsale, bien qu’un peu élevé, ne forme pas de pointe saillante. La pectorale est en longue faux, et égale trois fois et demie la longueur totale. Les ventrales sont fort petiles. La couleur de ce poisson est, en dessus, d’une teinte plombée, nuancée de violet, et en dessous, d’un jaune argenté. Toutes les nageoires sont d’un jaune uniforme, la caudale exceplée, qui est poiutillée de noir. Celte espèce de Vomer se trouve au Sénégal, ainsi que l'indique le nom spécifique que nous lui consacrons. L'individu sur lequel nous avons établi cette espèce fait partie de la collection du musée de Paris. Sa longueur est de trente-huit cen- limètres. DEUXIÈME GROUPE. Espèces à corps un peu plus long que haut, et dont la hauteur est à la longueur comme huit est à seize. A ce groupe appartiennent : Le VOMER DE BROWN. Vomer Brownii. Val., Guich. — Syn. Vomer Brownii, Cuv. Val., Hist. Poiss., tom. IX, pag. 189, pl. 256. Le corps du Vomer de Brown est de forme ovale oblongue, comme tronqué en avant et rétréci en arrière. Sa hauteur au milieu est un peu plus de deux fois dans la longueur entière de l'animal. Sa tête, deux fois aussi haute que longue, est comprise cinq fois dans la longueur totale. Dans cette espèce, l'œil est situé au milieu de la hauteur de la tête; il est de moyenne grandeur : son diamètre est un peu plus du tiers de la longueur de la tête, dont le profil est un peu convexe en avant des yeux. Le front est élevé et tranchant. Les nageoires ont la mênie forme que dans l'espèce précédente. Les pectorales sont en faux pointue aussi, et font le tiers de la lon- gueur du poisson. La couleur générale de ce poisson ne semble pas différer de celle de l’espèce précédente, ou Vomer du Sénégal ; elle est plombée et 37 irisée de violet vers le dos : le reste du corps est d’un jaune argenté. Les nageoires ont une teinte jaune uniforme. Tel est le mode de coloration que nous a offert le Vomer dont nous venons de donner la description. Nous le rapportons au poisson que Milchill (Trans. Litt. el Phil. Soc. New-York, tom. I, pag. 284, pl. 1, fig. 9), a décrit comme une espèce à part sous le nom de Zeus setapinnis, lequel est devenu pour Cuvier et Valenciennes (Hist. Poiss., tom. IX, pag. 189, pl. 256, leur espèce du Vomer de Brown, nom que nous lui conservons nous-même, el que ces auteurs ont établi en l’honneur du botaniste anglais de ce nom, qui le premier l’avait désignée (Hist. nat. Jam., pag. 455) par l’épithète spéciale de Rhomboidea, conime nous l’avons dit déjà plus haut. Quant à la figure donnée par M. Girard, sous le nom de Vomer setapinnis !, le même que le Vomer Browni, nous ne sommes pas très-certain qu'elle représente l’espèce dont nous parlons actuelle- ment. Le seul individu, long de vingl-et-un centimètres, que nous rap- portons à l'espèce de ce nom, vient de New-York. Il fait parlie depuis longtemps de la riche collection ichthyologique du musée de Paris. LE VOMER DE GORÉE. Vomer Goreensis, Guich. — Syn. Vomer Brownii, Cuv. Val., Hist. Poiss., tome IX, pag. 189, pl. 256. L'espèce à laquelle nous affectons le nom de Gorée ressemble beaucoup au Vomer de Brown pour la forme générale, la hauteur du corps, celle de la tête, la concavilé du profil en avant des yeux, et l'élévation du front en forme de crête; elle en a aussi la courbure du dos et du ventre, la configuration des nageoires et tous les autres caractères; mais elle en diffère néanmoins par son profil un peu plus vertical ou plus droit, et elle a d’ailleurs l'œil plus grand et placé plus haut sur la joue. Ses pectorales sont aussi un peu plus longues, de moitié de la longueur du corps, non compris la queue, dont les lobes sont de inême plus étroits que dans l'espèce que nous lui comparons. -Un gris bleuâtre, obscurei par une couleur violacée règne sur le dos, tandis qu'une teinte argentée esl répandue sur toutes les autres parlies du corps de l’animal. Le Vomer de Gorée a pour patrie l'Afrique septentrionale. Le 4 United States and mexican Boundury servey, Fish., pag. 24, pl. x1, fig. 8. 38 musée de Paris possède deux individus de Gorée. Le plus grand est à peine long de dix-huit centimètres. LE VomEr pu PÉROU. Vomer Peruvianus, Guich. —- Syn. Vomer Brownii, Cuv. Val., Hist. Poiss., tom. IX, pag. 189, pl. 256. Par son ne général, celle espèce ressemble beaucoup aux Vomers de Brown et de Gorée, qui viennent d'être décrits précédem - ment, si ce n'est pourtant qu’elle nous paraît avoir l'œil un peu plus petit comparalivement, et a la ligne de profil de la tête un peu moins verlicale ou un peu plus oblique. Son corps a aussi un peu moins d'élévalion proportionnelle à sa partie antérieure, et un amincissement plus rapide vers la queue. Le Vomer du Pérou, tout décoloré qu'il est, montre encore une teinte plombée, nuancée de violet sur le dos, et les traces d’une cou- leur argentée sur le reste du corps. Ce poisson se trouve au Pérou. L’exemplaire qui a élé adressé de Paita au musée de Paris est long de seize centimètres environ. TROISIÈME GROUPE. Espèces à corps presque aussi haut que long, et dont la hauteur est à la longueur comme huit est à douze. Dans ce groupe se trouvent rangés : Le VOMER DE SAINTE-MARTHE. Vomer Sanctæ-Marthæ, Guich. L'espèce que nous proposons de faire connaître ici, est, comme toutes celles qui vont suivre, remarquable par un corps plus court el plus élevé que celui des quatre Vomers dont nous venons de par- ler précédemment. Ce corps, en effet, a presque autant de hauteur que de longueur. Le tête est le double plus haute que longue. Le profil esl coupé presque carrément. La crête du front fail une assez forle saillie, à cause de la concavité qui existe au-devant des yeux, situés au milieu de la hauteur de la têle; ils sont grands, et leur dia- mètre fail le tiers de la longueur de cette même partie du corps. La ligne du dos, depuis la crête frontale j jusqu’à la seconde dorsale, est droile; elle descend ensuile en arc légèrement convexe jusqu'à la queue. La ligne du ventre descend obliquement en avant, en fai- sant un angle assez saillant au-devant de l’anale, d'où elle remonte obliquement vers la queue; il résulte de là que la circonférence du 39 corps est plutôt un peu rhomboïdale qu'ovale. La seconde dorsale ne s’allonge point en pointe; elle est seulement un peu plus haute de l'avant. L'anale a encore un peu moins de saillie à sa partie an- térieure. La pectorale, en longue faux, est comprise trois fois dans la longueur entière du poisson. La caudale est fourchue. Le musée de Paris ne possède qu’un individu de cette espèce de Vomer, dont la couleur est d’un bleu violet en-dessus, et d’une teinie argentée, nuancée de jaune plus ou moins foncé en des- sous. Cet exemplaire provient de Sainte-Marthe (Colombie). Il a trente- deux centimètres de longueur. LE VOMER DE LA COLOMBIE. Vomer Columbiensis, Guich. Le Vomer dont il s’agit ici, est un poisson très-semblable au pré- cédent, sous le rapport de la forme presque aussi haute que longue. Néanmoins, son corps nous paraît être un peu plus élevé à propor- tion. Outre cette différence, il se distingue encore de ce dernier en ce qu'il a le profil de la tête un peu plus oblique ou un peu moins droit, et l'œil un peu plus petit. Ses pectorales aussi ont une lon- gueur relative plus grande; leur forme est de même en longue faux. Le syslème de coloration de cette espèce est le même que celui du Vomer que nous avons nommé de Sainte-Marthe. Comme chez ce dernier, en effet, la teinte générale est, vers la région dorsale, d'un bleu violet, qui se change par degré en un argenté doré sur le reste du corps. Le seul exemplaire de ce poisson que nous ayons pu encore ob- server fait partie de la collection du musée de Paris, qui l’a reçu de Sainte-Marthe (Colombie). La longueur est de vingt-six centi- mètres. Le VOMER DE LA MARTINIQUE. Vomer Martinicensis, Guich. — Syn. Vomer Browni, Cuv. Val., Hist. Poiss.,t. IX, p. 189, pl. 256. Nous rapporlons au groupe des Vomers à corps presque aussi haut que long une espèce que certaines de ses analogies porle- raient à comprendre avec les Vomers que nous avons nommés de Sainte-Marthe et de la Colombie, sous une même dénomination spé- ciale; il y a néanmoins chez le Vomer dont nous parlons actuelle- ment des caractères assez marqués pour motiver une distinction spécifique, sous le nom sous lequel nous le faisons paraître ici. 40 Ce poisson, en effet, a dans sa conformation générale les plus grands rapports avec les deux espèces que nous venons de nommer. Son corps, un peu plus court que chez le Vomer de Sainte-Marthe, l'est cependant moins que chez le Vomer de la Colombie : il est par conséquent un peu moins allongé que dans ces deux derniers. Sa plus grande hauteur n’est comprise que deux fois dans la longueur entière du poisson. Son profil est aussi un peu moins droit, moins concave au chanfrein, un peu moins saillant aussi au vertex, et son œil plus petit encore que dans les deux espèces que nous lui com- parons, et notamment que dans le Vomer de Sainte- Marthe ; son dia- mètre est du sixième de la longueur de la tête, laquelle est le double plus haute que longue. Sa pectorale, en forme de longue faux, égale le tiers de la longueur totale. Sa pointe formée par les rayons de la seconde dorsale est assez aiguë. Un bleu violet colore loute la partie supérieure du corps, tandis que l’inférieure est argentée, teinte de jaunâtre. Le Vomer qui a servi de modèle à celte description n’est encore représenté au musée de Paris que par un seul sujet, provenant de la contrée américaine dont il porte le nom. Sa longueur est de trente centimètres. LE VOMER DE SAINT-DOMINGUE. Vomer Dominicensis. Guich. — Syn. Vomer Brownii, Cuv. Val., Hist. Poiss., 1.1X,p. 189, planch. 256. Le Vomer que nous nommons de Saint-Domingue, est un poisson de la division des espèces à corps presque aussi haut que long, et même très-voisin, par son ensemble général, des deux Vomers que nous venons de décrire précédemment. Ses formes sont semblables, : si ce n’est cependant que son corps est sensiblement plus court et plus rhomboïdal dans sa forme. La ligne de son dos en arrière et celle de son ventre sont à peu près convexes. Il se reconnaît encore à ce que le profil de la tête est plus droit et moins coneave au chan- frein. Son œil est plus grand que dans le Vomer de la Colombie, et par conséquent plus petit à proportion que celui du Vomer de la Mar- tinique. Son diamètre fait le sixième de la hauteur de la têle, qui est deux fois plus haute que longue. La pectorale est plus longue que ne l'est celle des deux espèces précédentes, et du tiers de la lon- gueur entière. La seconde dorsale et l'anale sont sans pointe en avant. La couleur du poisson qui a servi de modèle à cette descri plion est 41 plombée, glacée de violet sur le dos et argentée sur les autres par- lies du corps. Le musée de Paris ne possède encore qu'un seul exemplaire du Vomer de Saint-Domingue, recueilli dans ce pays, comme lin- dique sa dénomination spécifique. Il a treize centimètres de lon- gueur. LE VOMER DE LA NOUVELLE-ORLÉANS. Vomer Novæ-Boracensis , Guich. Le corps de ce Vomer est proportionnellement un peu plus court que celui des autres espèces du groupe auquel nous le rapporlons, el dont nous venons de parler précédemment. Sa hauteur, aux pec- lorales, est comprise un peu plus de deux fois et demie dans la lon- gueur entière du poisson : la têle y entre pour quatre fois. Son œil est plus petit, son profil moins convexe au chanfrein, et ses pecto- rales beaucoup plus petites que celles des autres espèces dont il est voisin. Elles sont coupées en faux, et du quart de la longueur lo- tale. La courbe de son dos et celle de son ventre soni comme dans l'espèce qui précède, le Vomer de Saint-Domingue. Les premiers rayons de la seconde dorsale el ceux de l’anale surpassent à peine les autres en longueur. La couleur de ce poisson est entièrement argentée, glacée de bleu vers le dos. Cette espèce a été recueillie à la Nouvelle-Orléans, ainsi que l'in- dique le nom spécifique que nous lui imposons, comme on le voit, du reste, pour toutes les espèces du genre qui nous occupe, une seule exceplée, le Vomer de Brown. Le musée de Paris en renferme plusieurs exemplaires à peine longs de neuf centimètres. LE VOMER DE SAINT-PIERRE. Vomer Sancti-Petri, Guich. Cette espèce ressemble presque en tout point aux précédentes, et notamment au Vomer de la Nouvelle-Orléans ; néanmoins, son corps est un peu plus court que dans ce dernier relativement à ses dimensions el par conséquent plus haut, sa hauleur étant seule- ment deux fois dans sa longueur. Sa têle est le double plus haute que longue : elle est deux fois et demie dans la longueur entière du poissou. Son œil est aussi un peu plus grand proportionnellement : il fait le liers de la longueur de la tête. Son profil est également un 42 peu plus oblique, et la concavilé au devant des yeux peut-être moins sensible encore. La couleur générale de ce poisson est argentée, teinte de plombée ou de bleuâtre vers le dos. Cette espèce, que nous n’avons pu rapporter à aucune de celles que nous faisons connaître dans ce travail, habite la Martinique, d'où elle a été adressée de Saint-Pierre au musée de Paris. Les in- dividus que nous décrivons ont sept centimètres de longueur. LE VOMER DU GABON. Vomer Gabonensis, Guich. La forme générale de ce poisson est un peu plus oblongue que celle des espèces que nous venons de décrire dans le groupe des Vo- mers à corps presque aussi haut que long. Son corps, en effet, a un peu moins de hauteur proportionnelle que dans aucune autre des précédentes, sa hauteur n'’élant que deux fois à peine dans la lon- gueur entière du poisson, et la longueur de la tête n’y est pas quatre fois. Son profil est assez oblique, et fait une sinuosilé très-peu ren- trante au-devant des yeux, qui sont assez grands relativement aux dimensions du poisson. Leur diamètre est contenu cinq fois dans la longueur de la tête. La ligne de son dos, comme dans loules les au- tres espèces du genre, suit une direction droite depuis la crête fron- tale jusque vers la seconde dorsale, où elle s’arrondit en are légère- ment convexe en arrière. Celle du ventre est plus convexe que la supérieure, et remonte rapidement jusque vers la queue. Les pre- miers rayons de la second dorsale et ceux de l’anale font, surtout à la première de ces deux nageoires, un peu la pointe. La pectorale est en forme de faux ; sa longueur est un peu plus de trois fois dans celle du poisson tout entier. La couleur du Vomer du Gabon n’est pas la même que celle des autres espèces comprises dans le genre : elle est uniformément d'une teinte dorée, plus foncée sur le dos que sur les autres parlies du corps. Ce Vomer a été trouvé au Gabon. Le seul spécimen que renferme le musée de Paris est à peine long de sept centimètres. Nous terminons la description des espèces de cette division ou tribu des Vomers à corps presque aussi haut que long, par celles qui diffèrent le plus des précédentes, sans s'éloigner toutefois du type générique, et qui se font plus particulièrement remarquer par la forme presque circulaire ou arrondie de leur corps. 43 LE VOomER pu BRÉSIL. Vomer Brasiliensis Guich. — Syn. Vomer Brownii. Cuv. Val., Hist. Poiss., t. IX, p. 189, pl. 256. L'espèce que nous décrivons ici, a, comme les Vomers de Cayenne et de Cuba, dont nous allons parler plus loin, le corps de forme pres- que arrondie; il est à peine plus long que haut, et a sa hauteur deux fois environ dans la longueur entière. Le profil presque oblique de la tête ne fait aucune concavité apparente au-devant des yeux. Ceux- ci sont assez grands comparativement : leur diamètre fait le quart de la hauteur de la tête, dont ils occupent le milieu. La ligne du dos, comme dans tous les autres Vomers, est rectiligne, du sommet de la tête au commencement de la seconde dorsale ; elle devient en- suite assez convexe en arrière. Celle du ventre, irès-convexe, monlie régulièrement en arc très-peu convexe jusque vers l'extrémité postérieure. Les premiers rayons de la dorsale s’allongent un peu en pointe; ceux de l’anale ne se prolongent pas. Les pectorales font le quart de la longueur du poisson : elles ont un peu la forme d’une lame de faux. Tout le corps de ce Vomer est d’un jaune argenté, à l'exception de la région dorsale, qui offre une teinte bleue ou violacée. * Cette espèce se trouve au Brésil, d’où elle a été adressée au musée de Paris. Les invididus qui ont servi de modèle à notre descriplion ne dé- passent pas six centimèlres. Nous croyons devoir rapporter à l'espèce actuelle, un petit Vomer du Texas, offert par l’Institution Smithsonienne au musée de Paris, et dans lequel M. Girard a cru retrouver son Vomer Setapinnis, ou notre Vomer Brown. LE VOMER DE CAYENNE. Vomer Cayennensis, Guich. Nous rapprochons de l’espèce que nous venons de décrire, un Vomer qui en paraît voisin, et qui lui ressemble, en effet, par la forme générale presque arrondie de son corps. La courbure de son dos et celle de son ventre sont les mêmes, ainsi que la configuration de ses nageoires. Il en est cependant dislinet parce qu'il a le ventre un peu plus saillant, ce qui fait que son corps est un peu plus élevé ; d’ailleurs, il a l'œil plus grand relativement. Le profil de sa tête est beaucoup moins oblique, un peu plus concave au chanfrein, en sorle que la crête frontale est plus saillante et plus élevée. La hau- teur du corps de ce poisson esl à peine une fois et demie dans la 44 longueur totale, tandis que dans le Vomer que nous lui comparons elle est deux fois environ dans la longueur de l’animal. Toul le corps du poisson présente une couleur jaune argenté, changeant en une teinte bleuâtre ou violacée vers la région dorsale, avec une pelile tache bien prononcée, ronde et noire de chaque côté du corps, au milieu de la seconde dorsale, qui est caractéristique dans ce poisson, et dont on ne voit aucune trace dans les autres es- pèces de ce genre. Ce Vomer se irouve à Cayenne, seule contrée américaine jusqu'à présent encore d’où le musée de Paris l’a reçu : les deux spécimens que nous en possédons ont une longueur de six centimètres. LE VOuER DE CuBA. Vomer Cubæ, Guich. — Syn. Vomer Brownü, Cuv. Val., Hist. Poiss., 1. IX, p.189, pl. 256. L'espèce actuelle, longtemps confondue, comme plusieurs de ses analogues, avec le Vomer de Brown, par Valenciennes, offre la plus grande similitude de forme avec les Vomers du Brésil et de Cayenne. Elle est parmi ces derniers celle qui a la plus grande élé- vation du corps à la région pectorale, ce qui tient à ce que le ventre est plus saillant ; il est par conséquent un peu plus court: aussi la hauteur du tronc est-elle un peu plus grande, et un peu moins, d’une fois dans la longueur entière du poisson. La tête est plus haute que longue, et esi deux fois dans celte longueur. Son profil, sans sinuosité ou concavité apparente au-devant des yeux , est plus oblique que dans l'espèce précédente, le Vomer de Cayenne, mais moins que dans le Vomer du Brésil. Son œil est un peu plus grand à proportion que dans les deux espèces que nous lui oppo- sons. Elle a aussi la ligne du dos un peu plus convexe en arrière ; celle du ventre a sa plus grande saillie au -devant des pectorales, et remonte ensuite rapidement jusque vers la base de la queue. Les nageoires ont à peu près la même forme en lame de faux que dans les deux Vomers qui précèdent. Ce Vomer est un très-petit poisson, de couleur d'argent , et teinte de bleu ou de violet à sa partie supérieure. La Havane est le pays de celte espèce, dont le musée de Paris ne possède encore qu'un seul sujet, à peine long de quatre centi- mères. GUICHENOT , Aide-naturaliste au Muséum d'histoire naturelle de Paris, membre correspondant de la Société impériale des sciences naturelles de Cherbourg. NOTE SUR LES PERLES MARINES ET D'EAU DOUCE: Parmi les matières précieuses dont l'art du joaillier tire parti pour réaliser ses séduisantes créations, la perle occupe à bon droit un des premiers rangs. Les reflets d’une blancheur mate et irisée qui font miroiter doucement ses contours arrondis, contrastent agréablement avec les feux étincelants répercutés par les facettes prismatiques des pierreries proprement dites. On songe avec élonnement que cetle merveilleuse substance, égale en rareté et en valeur au rubis et à l'émeraude, est le produit d’une sécrétion animale, et qu’elle pro- vient de divers mollusques. dont les uns se pêchent dans les mers tropicales et dont les autres habilent les côtes et les rivières de l'Europe. On sait en effet que les perles se trouvent soit disséminées dans ! Les éléments de ce travail, basé sur les ouvrages généraux de MM. Milne- Edwards et Chenu, sont tirés surtout des observations de MM. Moquin-Tandon et J. Cloquet sur les perles des bivalves d’eau douce (Bulletin de la société d’Accli- matation t. V., 1856), de l’Essai du docteur Phipson sur les animaux domestiques d'ordre inférieur (Bruxelles, 1857), de la seconde traduction anglaise de l'Histoire des Inventions de Beckmann (Londres, 1846) et des Contributions Lo natural his- tory, du docteur Esdaile (Édimbourg, 1865). 46 l'épaisseur du manteau de ces mollusques, ou dans le tissu même de leurs organes, soit adhérentes à la face interne des valves dn coquil- lage, sous l’aspect de protubérances plus ou moinssaillantes. Les vraies perles sont celles qui son libres; elles varient ordinairement en di- mension depuis la grosseur d’un grain de millet, jusqu’à celle d’un pois. Leur forme est globuleuse, ovoïde, quelquefois analogue à une poire, ou bien étranglée vers le milieu ; celles qui sont biscornues ou munies d’une pelite queue sont appelées baroques dans le commerce. Elles sont tantôt solitaires, tantôt doubles ou réunies plusieurs en- semble : les plus recherchées sont les plus bianches et les plus bril- lanles, mais il y en a de blanchâtres, de grisâätres ou enfumées, de Jaunâtres, de rosées, de verdâtres, de violacées et même de noirâtres. Lorsqu'on casse les perles, on reconnaît qu’elles sont formées de plusieurs couches concentriques de matière nacrée, plus ou moins épaisses, disposées, selon l'expression de Réaumur, comme les peaux d’un oignon ; au centre se trouve une pelite cavité ou un corps solide, qui est parfois un grain de sable. La surface extérieure, rarement ru- gueuse ou boursouflée, est généralement lisse. Examinée au micros- cope, elle présente une mullitude de fines dentelures formées par les bords des lamelles superposées de la matière nacrée, ce sont ces den- telures qui, en réfléchissant sous des angles divers d'incidence les rayons lumineux, produisent, par le jeu délicat des interférences, les effels de chatoiement opalin qui caractérisent la nacre. Ces appa- rences purement optiques sont tellement indépendantes de la nature chimique, qu’il suffit de faire prendre l'empreinte de la surface à une substance plastique convenable, telle que la cire à cacheter, un alliage fusible ou simplement du plomb, pour voir reparaître le même phénomène. Beaucoup de personnes ignorent qu’on peut enlever au besoin la couche extérieure lorsque, par une cause quelconque, elle a perdu son éclat. Des perles de belle grandeur, et d'une régularilé parfaile, mais que leur nuance peu satisfaisante avail fait tomber à bas prix, on! relrouvé leur valeur à la suite de cette dénu- dalion, qui pratiquée par une main habile, avait mis au jour une cou- che plus profonde, et ayant tout le lustre requis. Cette observation est due à un juge compétent, sir Alexandre Johnston, président, pen- dant plusieurs années, du conseil royal de l'île de Ceylan, la patrie par excellence des plus belles perles, dites orientales. Les perles de Ceylan, comme celles que l’on récolte dans le golfe 47 Persique, sur les côtes de l’Arabie Heureuse el sur celles du Japon, proviennent de l’Aronde perlière ou Pintadine mère-perle (Meleagrina margarilifera), mieux connue sous le nom d'huître perlière, bien qu'elle se rapproche davantage des moules et de plusieurs genres analogues qui, de même que ce mollusque, secrètent des filaments d’une soie flexible appelée byssus, à l’aide desquels ce coquillage s'attache aux corps voisins. Les voyageurs ont souvent décrit les pénibles opérations de la pêche des perles dans golfe de Manaar, à l'ile de Ceylan, où existe de temps immémorial la pêcherie la plus célèbre et la plus produc- tive. Les Pintadines forment des bancs disséminés au fond de la mer à une certaine distance du rivage, sur des rochers où elles se fixent par leurs byssus. Le plus considérable de ces bancs occupe un es- pace de vingt milles, vis à vis de Condatchy, à environ douze milles de Manaar. A l'ouverture de la saison les barques se rassemblent dans la baie de Condatchy. Vers dix heures du soir, un coup de ca- non donne le signal du départ pour les bancs, la pêche commence le malin suivant, à la pointe du jour, et dure jusqu’à midi, heure à la- quelle un second coup de canon rappelle les pêcheurs à terre pour y décharger leur récolte et se préparer à repartir le soir. Chaque bateau est monté d'un patron et de vingt hommes, dont moitié rament et re- montent les dix autres, qui plongent tour-à-tour, cinq à la fois, afin de ménager leurs forces en se reposant alternativement. Lorsqu'il veut descendre en mer, le plongeur prend dans le bateau une corde altachée au bordage et dont l’autre extrémité porte une grosse pierre; il saisit cette corde entre les orteils du pied droit et se laisse entraîner par le poids de la pierre, en tenant de la main droite une autre corde qui doit lui servir pour indiquer aux matelots restés sur le bateau qu’il faut le remonter. Il descend en se bouchant les narines avec la main gauche, et, arrivé au fond, il se hâte de remplir de coquillages un filet en forme de sac attaché à son pied gauche. Quand le besoin de respirer devient trop impérieux il se débarrasse de la pierre et tire la seconde corde destinée à avertir ses compagnons, qui le hâlent aus- sitôt à bord. La pierre est ensuite ramenée pour être employée à une nouvelle descente. Un bon plongeur peut ramasser d’un coup une centaine de pintadines, et il plonge quarante ou cinquante fois dans sa matinée. Les meilleurs pêcheurs sont, dit-on, ceux de Colang sur la côte de Malabar. 48 Accoutumés à ce rude mélier depuis l'enfance, les Indiens peuvent descendre à une profondeur de cinq à six brasses, el rester sous l'eau pendant un intervalle qui varie de deux à six minutes. L’effort est si douloureux qu'on a vu ces pauvres gens, remonlés dans la barque, rendre le sang par le nez, par la bouche et les oreilles. Ils ont aussi à redouter les requins, el pour se préserver de la voracité de ces squales ils ont recours aux talismans el aux exorcismes des devins de leur casie, plutôt qu’à des moyens plus sûrs de défense. Souvent lorsqu'il arrive quelque accident, la pêche est entièrement suspendue jusqu’à nouvel ordre. Les pintadines sont déposées sur la plage, sur des nalles entou- rées de palissades; chaque marchand ayant son enclos parliculier. Elles y restent jusqu’à ce que les animaux soient morts, el n'offrent plus d'obstacle à l'ouverture des coquilles ; on sépare alors les mol- lusques, qu’on examine avec soin, et qu'on fait parfois bouillir, pour mieux dégager les perles cachées dans l’intérieur du corps où sont les lobes du manteau. On choisit les valves auxquelles d’autres per- les sont adhérentes, ou bien qui, par leur dimension, leur épaisseur et leur éclat, paraissent les plus propres à fournir la nacre du com- merce. Après ce triage, le resle est abandonné sur place, el ces amoncellements considérables de chairs pourries répandent pendant quelque temps des exhalaisons dangereuses pour les habhants des environs. Les perles sont perforées et enfilées dans le pays même; les ouvriers indigènes, qui exécutent ce lravail avec une adresse el une rapidilé remarquables, détachen! aussi des valves les perles adhé- rentes à leurs parois; ils emploient, pour les nettoyer, les arrondir el les polir, une poudre obtenue en écrasant des perles sans valeur. La pêche commence au mois de février, et dure jusqu'aux premiers jours d’avril. Avant de l'ouvrir, le gouvernement fait reconnaître la richesse des bancs, el, lorsqu'ils sont en état d’être exploités, il les met à l'enchère, à moins qu’il ne juge plus avantageux de faire la pêche pour son comple et d'en vendre le produit. En 1798, la pêche de Ceylan a élé évaluée à 4,800,000 francs; mais le gouverne- ment hollandais ayant laissé trop épuiser les bancs, ceux-ci don- nèrent beaucoup moins dans la suile, et le revenu qu'on en tire aujourd’hui est moins élevé. On jugera de la destruction que peut opérer une exploilalion excessive par les chiffres suivants : la récolle 49 d'un bateau de vingt hommes, dont dix plongeurs, peut s'élever à 33,000 pintadines par jour; en 1861, les bancs de Tinevelly four- nirent 15,874,500 de ces coquillages, produisant un revenu d’un demi-million de francs (20,000 livres sterling), tandis qu’en 1863, ces mêmes bancs furent trouvés en si mauvais état, qu'aucune pêche n’y fut tentée. | Afin de régler celte industrie, et ne pas dépouiller tous les bancs à la fois, on les a divisés en portions distincies, qu’on exploite suc- cessivement ; ce qui laisse aux mollusques le temps de grossir et de se reproduire. On estime qu'il leur faut sept années pour atteindre la taille convenable. Les pintadines sont exposées aux ravages d'une espèce de modiole, appelée sourum dans la langue du pays; les jeu- nes coquillages sont souvent aussi détruits sur une vaste étendue par la violence des courants marins, qui couvrent de sable les in- terstices des rochers où ils s’abritent. Inspiré par l'exemple du gou- vernement français, qui s’est occupé avec tant de sollicitude de repeupler les bancs d’huîtres comestibles, menacés de ruine par une pêche illimitée, le gouvernement de l'Inde a songé à appliquer le même procédé de reproduction arlificielle à la pintadine. Le doc- teur Kelaart, chargé des études à faire, a constaté que cette espèce se prêlerait parfaitement à toutes les manipulations. Ce mollusque aurait, selon lui, la vie plus dure qu'aucun autre bivalve à sa con- naissance ; il peut habiter l’eau saumâtre et des endroits assez peu profonds pour qu’il s’y trouve exposé chaque jour à l’air et au soleil pendant deux ou trois heures. Les recherches du docteur Kelaart ont prouvé également que la pintadine peut détacher son byssus à son gré; d'où l’on a conclu qu'il serait possible de l'enlever de ses roches natales pour l'installer dans les mers de l'Europe. Quant à sa multiplication dans l'Inde même, c’est un fait déjà acquis à la science. Le capitaine Phipps, inspecteur des pêcheries de Tinivelly, persuadé que des pépinières pour les jeunes pintadines étaient le seul moyen, d'assurer une récolle rémunérative, a réussi à en établir sur un banc dans la rade de Tuticorin. Outre les localités indiquées plus haut, la pêche des perles se pralique en Amérique, dans le golfe du Mexique, dans le golfe de Panama, sur la côte de Cumana ; celles qui viennent de la côte est de Californie et de l’île de Taïli sont jusqu’à présent assez rares dans le commerce, et n’ont ni la régularité ni l'éclat des perles d'Orient. VIIL. 4 50 On trouve des perles exceptionnellement dans d’autres mollusques marins. Toutes les coquilles dont l’intérieur est nacré peuvent en contenir. Les patelles, les haliotides et les moules communes en ren- ferment quelquefois. Le docteur Esdaile en possède trois, provenant d’une huîlre servie à table à Edimbourg. Le professeur Beckmann dit avoir eu plusieurs perles retirées par son frère d’huîlres comes- tibles pêchées à Colchester sur la côte d'Angleterre. Il cite un savant contemporain, Bohadsch, qui, dans son livre sur les animaux ma- rins (Dresde, 1761, in-4°, p. 39), parle de perles rencontrées sous le manteau d’un lièvre marin (aplysia); et le naturaliste français Audouin fait mention d’une perle trouvée dans l’intérieur du muscle transverse d’un solen. Parmi les mollusques d’eau douce, les perles sont fournies surtout en France; par la Mulette surnommée perlière (Unio margaritifer). On en relire encore, selon MM. Cloquet et Moquin-Tandon, des Aulettes dites sinueuse (Unio sinualus), littorale (Unio rhomboïdeus), épaisse (Unio crassus), enflée (Unio tumidus), et de la Mulette des peintres (Unio MU Le Rhin, la Loire et quelques autres de nos rivières offrent une mulette beaucoup plus grande que l'espèce commune; elle est remarquable par la beauté de la nacre qui revêt l'intérieur de sa coquille, et l'on en a reliré des perles assez estimées. On en rencontre aussi dans l’Anodonte, ou moule des étangs, mais plus rarement. M. Moquin-Tandon a découvert, dans une Anodonta cygnea , des environs de Toulouse, quatre pelites perles à peu près rondes, mesurant de { millimètre et demi à un demi-millimètre de diamètre. Le docteur Baudon a vu des perles d’Anodonte qui avaient jusqu’à trois millimètres et demi de diamètre. En Allemagne, en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, l'Unio margaritifer donne des produits beaucoup plus remarquables. On assure que ce furent les perles anglaises qui poussèrent Jules César à renouveler son invasion de la Grande-Bretagne. Le vainqueur de la Gaule devait s’y connaître, s’il est vrai qu'il fit présent à Servilie, sœur de Calon et mère de Brulus, d’une perle d'Orient qui avait coûlé onze cent mille francs. Elles sont connues aujourd'hui sous le nom de perles de Conway, d'après une rivière du pays de Galles, où l'Unio se rencontre en remontant vers la source; tandis que l'embouchure de la même rivière nourrit une ane commune (Mytilus edulis), qui donne aussi des perles, mais de peu de valeur. 51 Celles de l'Unio margarilifer sont au contraire extraordinairement belles, et par conséquent très-recherchées. Le docteur Phipson dit en avoir vu des échantillons superbes, égalant presque la perle d'Orient. On pêche aussi la Mulette à perles dans la rivière Irt, en Angleterre. Il est bizarre de voir énumérer les perles comme un objet impor- tant de commerce en Ecosse. Rien n'est plus vrai cependant, et il est question de ce commerce dès le 1v° siècle de notre ère. Les perles écossaises qu'avait réunies le roi Alexandre If qui ré- gnait dans ce pays au commencement du xne siècle (1107-1124), étaient renommées dans loute l'Europe pour leur beauté et leur gros- seur. Entre les années 1761 el 1764, les perles des rivières Tay et Isla expédiées à Londres étaient évaluées à 10,000 livres sterling (250,000 fr. en supposant que la valeur de l'argent n'ait pa séprouvé de modification). Encore de nos jours, on a payé jusqu’à 40 livres sterling (1,000 francs), une seule perle d'Écosse, et on ajoute que la reine Victoria et d’autres hauts personnages achètent volontiers des perles provenant du Tay et du Don. Aussi un bijoutier d'Edimbourg, M. Unger, est-il cité par le docteur Esdaile comme s’efforçant d’en- courager la propagation de la Mulette à perles dans les rivières de l'Ecosse. Plusieurs rivières du nord de l'Irlande fournissent aussi des perles d’eau douce , souvent de grande valeur. La Mulette perlière, que le docteur Phipson dit avoir trouvée plus d’une fois renfermant des perles dans la Senne, aux environs de Bru- xelles, exisie aussi dans les sources et les ruisseaux des bois de la Bavière et des montagnes appelées Fichtelgebirge ou monts des Sa- pins, sur le haut Mein. Sans valoir la perle des mers tropicales, la perle d'Allemagne est assez estimée des bijoutiers, et comme le dit M. Phipson, la riche collection de perles bavaroises qu’on vit figurer en 1855 à l'exposition de Munich, prouvait que la culture et la pro- pagalion de l'Unio margaritifer serait susceptible de devenir un jour la source d'une industrie imporlante. Le docteur Von Hesseling, de Munich, avait été chargé par le roi de Bavière d'entreprendre une étude minulieuse de ce coquillage, afin de connaître à fond son mode d'existence, les facilités qu'il offrirait au transport el sa reproduction artificielle, ainsi que les moyens les plus efficaces de développer sa sécrétion perlière. Nous ignorons le résullat de ces recherches. 52 L’Unio margaritifer exisle aussi dans les rivières de la Suède, et c'est en soumettant ce mollusque à des expériences dont il fit toujours mystère, que le célèbre Linné crut avoir découvert une méthode pour produire des perles à volonté. D’après Beckmann, cet illustre savant, qui était médecin du roi de Suède, proposa en 1761 de céder au gou- vernement son secret pour être rendu public: son offre ne paraît pas avoir élé acceptée, el un négociant de Goltembourg nommé Bagge, lui acheta sa recelle pour cinq cents ducats. A la mort de Bagge en 1780, ses héritiers mirent aux enchères le papier cacheté contenant la méthode en question, dont on ne voit pas que leur auteur ait tiré grand bénéfice, Un biographe de Linné assure que ce manuscrit élait passé dans les mains du docleur J.-E. Smith à Londres (voir la Vie de Linné, par Slæver, t. I, p. 860). Beckmann ajoule que le grand naturaliste lui fit voir, un jour qu’ils examinaient ensemble sa collection de coquilles, une pelite boîte remplie de perles, en lui di- sant qu'il les avait fabriquées par son art, et que, malgré leur dimen- sion, il ne lui avait fallu que cinq ans pour arriver à ce résullat. Ces perles étaient placées auprès de l’Unio margaritifer, et le fils de Linné, quilui-même ignoraille fameux secret, apprit à Beckmannque les expériences de son père n'avaient jamais été leulées sur d’autres espèces, bien que le professeur de Gættingue eût entendu Linné af- firmer que son procédé élail applicable à toutes. Au reste ce dernier semble l'avoir dévoilé dès 1746 dans un passage de la sixième édi- tion de son Système de la nature, publié cette année, à une époque où il n’y allachait sans doute pas la même importance. Dans ce texle, il définit la perle, une excroissance produite à l’intérieur de la co- quille, lorsque l'extérieur a été perforé. Beckmann dit encore qu'il signala ce passage à Linné, qui parut mécontent, et fit tourner la conversalion sur un autre sujet. Nous avons tenu à emprunter ces détails à ce narrateur, qui fut l'ami intime du botaniste suédois, parce que le même épisode a été rapporté ailieurs plus ou moins inexactement: Selon M. Esdaile, on conserve au musée de Hunter à Edimbourg, des perles produites par une perforalion de ce genre, pratiquée dans la coquille d’un mollusque. Il résulterait de ces indications que Linné n'aurait fait que renou- veler un moyen des anciens, et qui est mentionné dans la Vie d'Apollonius de Tyane, par Philostrate, éditée par Oléarius , sayant 33 allemand, en 1709. D’après ce rhéteur, les habitants des bords de la mer Rouge ne plongeaient à la recherche des coquillages qu'après avoir répandu de l'huile sur l’eau, pour en rendre la surface plus unie et plus transparente; ils savaient forcer ces mollusques à entr'ouvrir leurs valves, et les piquaient avec un instrument pointu ; après quoi, ils recevaient l'humeur sortant de l'animal dans un vase en fer percé de petits trous, où ce liquide se solidifiait en perles. Il y a dans ce récit des erreurs évidentes qu'il faut mettre sur le compte de l’igno- rance en histoire naturelle de l’auteur grec, ou de son traducteur, mais il s'y trouve un fond de vérité qui est corroboré par ce que l’on sait des procédés analogues employés de nos jours par les Chinois. Fabricius assure er effet avoir vu en la possession de sir Joseph Banks, à Londres, des Cames de grande taille, rapportés de la Chine, et dans lesquelles étaient insérés des fragments de fil de fer incrustés de na- cre, comme si le mollusque, gêné et blessé par le contact du métal, l'eût revêtu de cette enveloppe qui en émoussait la pointe. Le Musée Britannique offre d’autres spécimens de même provenance, où le corps étranger n'est autre qu'un fragment de nacre commune taillé en forme de bouton, et que l'animal a également transformé en perle par le même procédé de sécrétion protectrice. MM. Moquin-Tandon et Cloquet citent des exemples encore plus curieux de l'industrie chi- noise en pareille malière. [ls décrivent deux valves d’Anodonte ache- tées en Chine par le docteur Barthe, et venant des eaux saumâtres de la rivière de Ning-po. De ces deux valves, qui appartenaient à deux mol- lusques différents, la première ne renfermait pas moins de 29 perles, du volume d’un petit pois, adhérant à sa nacre, les unes par a moi- tié de leur surface, les autres par un peu moins, le plus grand nom- bre à une faible distance et réunies par un petit filet de nacre, comme le sont par un fil les grains écartés d’un collier. La seconde mon- trait à sa face interne douze camées ou médaillons, tous semblables, ayant 2 centimètres de grand diamètre sur 1,25 de petit, avec une saillie de 1 millimètre, et représentant chacun une figure grotesque de Chinois assis. Les savants membres dela Société d’acclimatation ont constaté que les perles de la première valve renfermaient un noyau formé d’un fragment de coquille grossièrement arrondi, et quelelien de nacre qui les unissait recouvrait un petit fil ; Llandis que les ca- més de l’autre valve avaient pour noyau une mince lame en alliage d'étain et de plomb en relief d'un côté, en creux de l’autre, sur laquelle 54 la nacre s'était exactement moulée. M. Barthe a vu d’autres coquil- lages de la même espèce avec des reliefs figurant des serpents, des arbres, des guirlandes. Le commandant de Maisonneuve aurait même vu un dragon ailé mesurant trois centimètres de longueur dans une coquille qui n’en avait pas six. MM. Cloquet et Moquin - Tandon font connaître d’après les renseignements de MM. Barthe et Maison- neuve, le procédé très-simple que les Chinois appliquent aux ano- dontes. Ce moyen ne peut donner que des perles adhérentes ou des camées. Pour obtenir des perles libres, il faudrait réussir à introduire les petits corps étrangers, destinés à en provoquer la sécrétion, dans le corps même de l’animal, des grains de sable, par exemple ; mais la difficulté serait d'empêcher l'expulsion de ces objets parasites. Ces messieurs se proposaient d’entréprendre à cel égard des expériences qui paraissent n'avoir pas eu de suite. Nous savons toutefois, par leur travail, que le docteur Adolphe de Barreau a tenté de nombreux essais en 1849, sur l'Unio margaritifer, dans le torrent du Viaur près de Rodez, soit en piquant les valves, soit en incisant le manteau. Sur plus de cent individus, deux ou trois seulement présentèrent des dépôts nacrés à la surface de la coquille, mais irréguliers et peu saillants. M. Moquin-Tandon a, de son côté, essayé de mutiler Ja-valve d’un certain nombre d'Unio littoralis, qu'il jeta ensuite dans le ruisseau du Touch, près de Toulouse ; il n’en obtint que quelques nodosités , mais pas une véritable perle. Aujourd’hui que la culture des huîtres, des moules comestibles à fait de tels progrès, il semble qu'il n’y ait pas plus de difficulté à en agir de même avec les espèces perlières. Si ces mollusques peuvent déjà, dans leur, état naturel, produire des perles non sans valeur, il est permis d'espérer que par la reproduction artificielle on arriverait à des résultats plus remarquables, en attendant que l’acclimatation enrichisse nos eaux des belles espèces de l’Asie et de. l'Amérique. C’est dans cette voie, plutôt que dans celle ouverte par Linné, que le succès serait réservé aux futurs expérimentateurs. x T.-C. VIENNOT, Chef de bureau au ministére des affaires étrangéres. ÉTUDES ORNITHOLOGIQUES Messieurs, Pour répondre au bienveillant désir que m'a manifesté notre hono- rable Président, je délache aujourd’hui, de la continuation à mes Essais Étymologiques, une courte étude sur le Martin-Pêcheur, qui, dans la faune de Maine-et-Loire, compose à lui seul la famille des Syndactyles. Mais avant d'aborder ce sujet spécial, je crois nécessaire de pré- senter ici quelques observations générales et d'expliquer comment je n’ai pu accomplir cet acle de sympathique obéissance qu'après avoir lutté intérieurement contre certaines appréhensions dont je vous ferai juges. Ces appréhensions se fondaient sur les expressions du rapport im- primé dans le dernier numéro des Annales de notre Société. S'il est vrai que les conclusions de ce rapport aient été approuvées par la Société, n’était-il pas contraire au respect que l’on doit à un juge- ment, prononcé d'une manière aussi solennelle, de venir proposer à l'insertion de vos nouvelles Annales une étude reposant, comme celles qui l'ont précédée, sur une méthode erronée et non exempte de danger? Pouvais-je être assez téméraire pour vouloir, même d’une manière indirecte, braver la sentence de mes juges et faire peser sur la Société linnéenne une responsabilité que je dois assumer tout en- tière sur moi seul, puisqu'elle est jugée compromettante? Arrêlé par celte considération grave et par des raisons de délicatesse que vous saurez apprécier,je ne pouvais me rendre à l'invitation si gracieuse et si pressante de M. Aimé de Soland. D'un autre côté, il m'en coûtait 56 de résister toujours aux sollicitations de notre honorable président, si désireux de recueillir quelques travaux sur l'histoire naturelle de notre Anjou, pour une œuvre à laquelle il consacre tous ses soins avec tant de bonne volonté et de persévérance. J'ai donc étudié, d’une manière plus sérieuse encore que par le passé, les motifs sur lesquels s'appuient les conclusions du rapport, afin de décider en connais- sance de cause si je ne pourrais pas, ou changer ma méthode, ou, sans trop vous compromettre, abriter cette nouvelle étude sous votre sauvegarde scientifique. Je vous soumets en toute simplicité le résultat de mes investiga- tions; elles ont contribué à dissiper mes appréhensions : puissent- elles diminuer les vôtres. On m’a reproché de n'avoir pas suivi la méthode de M. Littré, la seule vraie, qui, selon les expressions du rapporteur, consiste « à suivre le mot dans toutes ses transformations, en remontant les siècles, à travers les livres imprimés, les manuscrits ou les chartes, » par où « l’on essaie d'arriver ainsi jusqu’à la langue-mère. » J'ai lu et relu avec attention, dans le dictionnaire du savant membre de l’Institut, tousles articles concernant l’ornithologie. J'y ai cherché, mais en vain, ce parfum de l’idiome primitif, si exalté dans le rapport. M. Liltré s'arrête, dans ses étymologies, au latin, au grec, et s'appuie sur les langues vivantes, sans remonter à travers les siècles jusqu’à la langue-mère. Si sa méthode, me suis-je dit, est la seule vraie, pour- quoi ne la suit-il pas ? S'il la délaisse, est-ce parce qu'il la trouve impraticable ou trop difficile, et dès lors pourquoi serait-elle imposée aux autres? Sa méthode est la meilleure incontestablement, mais, en étymologie comme en bien d'autres choses, le meilleur est sou- vent l'ennemi du bien, dès lors surtout qu’il n’est pas réalisable. Si celle méthode de M. Littré élait toujours pratique, pourquoi le rapport n’a-t-il pas choisi dans l'ouvrage de ce savant professeur quelques unes des élymologies qui concernent l'ornithologie et ne les at-il pas opposées à celles que j'avais données comme certaines ? Le choix était facile. Loin de là, on a opposé, en fait d’ornithologie, la racine du mot abricot, expliquée par le P. Labbe, à celle de la même expression développée par M. Littré, et l'on a conclu des fautes du premier et des lumières du second que ma méthode était fausse. Il me semble que le P. Labbe n’était pas en question, que la lutte n’était pas entre lui et M. Littré, ni même entre ce dernier et moi, car je n'ai jamais 57 eu Ja témérité de vouloir entrer en comparaison avec cet illustre savant. Mon infériorité est trop évidente pour m'arrêter un seul instant à une pensée qui m’eût semblé trop téméraire pour n'être pas coupable. Toutefois, dans ce cas, ce n’est pas avec M. Littré que le P. Labbe devait entrer en parallèle ; car l’article sur lequel s’ap- puie le rapporteur est emprunté à ce bon Ménage auquel le nouveau Dictionnaire fait souvent de nombreux emprunts. Je ne parle que des articles traitant de l’ornithologie. Bien plus, dans Ménage, l’ar- ticle concernant le mot abricot est beaucoup plus complet que celui du dictionnaire de M. Littré et on y retrouve, à l’occasion du mot amande, le parfum de l’idiome primitif que M. Litiré a cru devoir, lui, ne pas prodiguer ici plus qu'ailleurs, afin, sans doule, d’en ménager la découverte à la sagacité de quelques lecteurs privilégiés. D'où je conclus que, si je devais être jugé par la citation insérée dans Île rapport, l'honneur de la sentence doit revenir à Ménage et non à M. Littré. J'arrête ici ces quelques considérations déjà trop longues dans les- quelles j'ai cru devoir entrer pour essayer de diminuer ef ma res- ponsabilité et la vôtre, si toutefois vous jugez à propos d'insérer ce pelit travail dans vos Annales. Je résume ma pensée en quelques lignes. Je ne*puis suivre la méthode indiquée, parce qu'elle esi au- dessus de mes forces, car j'ignore complétement la langue-mère sur laquelle il faudrait fonder les élymologies en les cherchant à travers la suite des siècles et des chartes. Dès lors renoncez à votre travail, m'objectera-t-on, puisqu'il manque de base solide et qu'il préconise une méthode fausse et dangereuse. Je pourrais répondre à celte sen- tence par l'expression d’une conviction toute contraire et bien pro- fonde, par les encouragements que j'ai reçus en grand nombre de la part de naturalistes, mais je préfère la combattre par l'autorité de M. Liltré lui-même, et montrer que la nécessité de la méthode de cet auteur est détruite par son propre exemple. J'eusse désiré prendre pour preuve le mot Martin-Pêcheur, mais cette expression n'ayant pas encore paru dans les livraisons de M. Littré, je copie l’article Colombe, servant à désigner dans la Faune de Maine-et-Loire le genre qui suit la famille du Martin-Pêcheur. « Colombe, du latin columba, columbus ; grec x6vu6oc, plongeur, par une confusion des oiseaux plougeurs el des pigeons. L'ancien fran- çais disait colomb au masculin pour pigeon. » 58 Tel est l’arlicle élymologique du dictionnaire de M. Littré. Ce savant, qui sait la langue-mère, a donc cru pouvoir donner des ély- mologies sans avoir recours à l'idiome primitif. Pourquoi alors vouloir transformer en loi pour les autres une méthode dont son auteur s’est affranchi lui-même? Quaud j'étudierai les colombes, j'espère pouvoir prouver que la confusion indiquée par M. Littré, comme existant entre les pigeons et les oiseaux plongeurs, peut très-bien se justifier. J'ajoute une seconde citation qui trouve ici sa place naturelle. Car c’est l’article de M. Littré concernant le mot Alcyon, dénomination scientifique du Martin-Pécheur ; je copie textuellement : « Alcyon, étymologie äxvwv, de 4x, la mer et de xwy, qui fait ses « petits, parce que l’Alcyon fait son nid sur la mer. M. Benfey, Il, « 165, rattache la dernière partie du mot à xwv, chien. » De cette citation, deux remarques découlent très-évidemment. La première c’est que M. Littré s’est arrêté au grec pour donner l'éty- mologie d’alcyon, lorsqu'il aurait pu, avec la profonde connaissance qu'il a dela langue-mère, s'appuyer sur l'autorité de celle-ci. Car les sa- vants affirment que xwv, enfanter, a pour racine le mot Æuh, de l’idiome primitif, signifiant force, puissance, faculté de produire. Pourquoi M. Littré ne l’a-1-il pas indiqué? A-t-il pensé avec raison que ce serait, en multipliant cet étalage de science, éloigner les lecteurs sans ajouter une nouvelle idée à celle exprimée par les mots grecs ? La deuxième remarque est que M. Littré croit pouvoir, sans com- promettre son autorité, indiquer des étymologies du même mot en- tièrement différentes, et des racines qui certainement sont loin de rendre une pensée identique. De ces différentes citations que je pourrais mulliplier facilement, il me semble résulter : 10 Que la méthode que l’on attribue au Père Labbe, et qui se fonde sur une seule étymologie, diffère essentiellement de la mienne. Dans le texte indiqué par l’auteur du rapport, le Père Labbe appuie l’étymologie du mot abricot sur une affirmation absolue, tandis que je procède en développant mes étymologies ornithologiques avec la plus grande réserve, sous forme d’hypothèses et comme renseigne- ments. 2 Que l'exemple de M. Littré, indiquant comme pouvant être la 59 racine d’'A/cyon, le mot xew, enfanter ou l'expression xuv, chien, prouve que, sans s’écarter beaucoup de la méthode de ce savant, on peut exposer des hypothèses très-différentes sur les racines du même substanlif, laissant à la sagacilé du lecteur la liberté de choi- sir et de prononcer son jugement après avoir entendu en quelque sorte les différentes parties. Rassuré par ces considérations, je crois donc pouvoir, sans être trop téméraire, continuer mes études ornithologiques et suivre la même méthode que précédemment, non toutefois sans essayer de la rendre encore plus précise et plus sûre, en profitant, autant que faire se pourra, des conseils qui m'ont élé adressés. FAMILLE DES SYNDACTYLES. L'ordre des Passereaux se termine par la famille des Syndactyles, qui comprend en Anjou une seule espèce, celle du Martin-Pêcheur. L'expression syndactyle peint admirablement l'oiseau auquel elle s'applique. Syndactyle dérive de deux mots grecs cb, avec, et äéuruos, doigt, et signifie : doigts unis entre eux. Le Passereau qui forme celte famille a quatre doigts soudés deux à deux, deux en avant et deux en arrière, caractère qui l’assi- mile aux Pics dont il se rapproche par sa queue courte, sa lête grosse et son bec très-fort. Cette disposition des doigts permet au Martin-Pêcheur de se percher très-facilement et lui vient puis- samment en aide pour accomplir le rôle auquel l’a assujetti la Pro- vidence. MARTIN-PÉCHEUR. Alcyon. — Alcedo ispida. Je n’entrerai dans aucun détail en ce qui concerne le mot Martin. Il a été déjà expliqué plusieurs fois assez longuement pour qu'il ne soit plus nécessaire de s’y arrêter. Il suffit de parcourir lés fables de notre inimitable Lafontaine pour constater que très-souvent Martin est synonyme de Maitre; dès lors Martin-Pécheur signifie Maitre- Pécheur, oiseau qui excelle à saisir le poisson. Cette dénomination convient bien au Passereau qu’elle désigne. Le Martin-Pécheur ha- bite les bords des rivières, des étangs, des marais et surtout les cours 60 d'eau ombragés par des osiers ou de vieux arbres penchés sur les flots. Là, il se pose à l'ombre d’une branche touffue, sur quelque morceau de bois dénudé qui lui sert d'observatoire. L'œil fixé sur les eaux, il attend avec une excessive palience que des poissons pas- sent au-dessous de lui, et dès qu'il les aperçoit, il se précipite rapide- ment sur sa proie qu'il capture avec une grande adresse et qu'il mange ordinairement sur quelque pierre du rivage. Sa conforma- tion le sert d'une manière merveilleuse pour cette pêche. La longueur de son bec, les larges dimensions de sa tête, la petitesse de son corps et de sa queue, la forme arrondie de ses ailes, tout con- court à assurer au Martin - Pêécheur une grande facilité pour plonger. Cependant pour accroître encore celte puissance, il fait un bond en s’élevant un peu dans l'air afin d'imprimer à son corps une plus forte impulsion, imilant en cela l’action de nos jeunes élèves lorsqu'ils s'exercent, selon leur langage peu poétique mais expressif, à piquer une lêle dans l'eau. Quand sa persévérance n’est pas couronnée de succès et que les poissons ne circulent pas au-dessous de son observatoire, le Martin- Pêcheur fait entendre un cri assez vif et plaintif, puis il prend son vol en rasant l’eau sur la surface de laquelle il semble tracer un sillon. Si dans ce vol il aperçoit quelques poissons, il s'arrête, reste suspendu dans l'air à la même place en agilant les ailes comme le faucon qui semble vouloir étourdir sa victime, puis il plonge tout à coup sur la proie qu'il a choisie et il est très-rare qu’elle échappe à son rapide bec. Quelquefois, sans plonger, il répète de dis- tance en distance ce moment d'arrêt dans l'air et ce frémissement d’ailes. Cette évolution est alors pour lui un simple moyen de se li- vrer au-dessus de l’eau à un vérilable système d'observations. Quand cette position paraît le fatiguer , il se laisse tomber perpendiculaire- ment jusqu’à la surface de l'eau, pour continuer ensuite son vol pa- rallèlement à la rivière. _ Ces détails suffisent pour prouver que ce Passereau mérite le nom qui lui a été donné. 11 me reste à expliquer les motifs qui l'ont fait appeler Alcyon. Ce mot est composé de äx, mer, et x5av, enfanter, et signifie alors : oiseau qui Se reproduit sur la mer. Celte dénomination est fondée sur la mythologie. Alcyone, fille d'Éole, attristée de l'absence pro- longée de son mari, qui était allé consulter l’oracle de Claros, se 6 promenait triste et solitaire sur les bords de la mer, espérant aper- cevoir dans le lointain le navire qui portait celui qu’elle aimait ten- drement. Mais les flots irrités roulèrent à ses pieds le cadavre du malheureux Céix, victime d’un naufrage. Alcyone se précipita sur ce corps inanimé , le couvrit de ses baisers, cherchant, mais bien inutilement, à lui rendre la chaleur el la vie. Les dieux, témoins de ses regrels si vifs et étonnés des sentiments de sympathie qui unis- saient l’homme et la femme, sentiments très-rares à ce qu'il paraît, même dans cet âge d'or, ne voulurent pas séparer Alcyone ‘de son cher Céix, et les changèrent tous deux en oiseaux qui portèrent le nom d’Alcyons. Ils firent plus ; afin d’éterniser le souvenir dela paix et du calme qui régnait dans le ménage des deux époux, et de nous donner une leçon, hélas ! trop souvent inulile, ils décidèrent que les flols de la mer resteraient calmes pendant quatorze jours, terme le plus long, à ce qu’il paraît, d’un calme parfait, même avec le se- cours des dieux! Ils commençaient sept jours avant le solstice d'hiver et se prolongeaient sept jours après. Le fait avait paru assez rare et assez extraordinaire pour que pendant les jours alcyoniens les procès fussent suspendus. C’est à celte époque que les Alcyons confiaient leurs nids à la mer et qu'Éole, dieu des vents, et père d’Alcyone, veillait à ce qu'aucun souffle ne vint même rider la sur- face de l'onde. Plutarque, qui était parfois doué d'une excessive bonhomie , affirme avoir été témoin du calme de la mer et du travail des alcyons. Selon lui, ces oiseaux composaient à terre une espèce de radeau très-bien construit sutr lequel reposait un nid hermétiquement fermé, un peu comme une chaloupe pontée, puis quand le travail élait terminé, le père et la mère lançaient cet esquif sur la mer et l'y abandonnaient ou l’en retiraient selon qu’ils reconnaissaient qu’il pouvait ou non affronter sans danger le contact de l'onde. Dans son admiration pour le labeur des alcyons, le bon Plutarque a oublié de nous dire de quel côlé se trouvait l'ouverture que les deux époux avaient dû ménager pour que la femelle pût entrer dans ce pelit chef-d'œuvre de patience sans cependant donner passage aux flots de la mer. Enfin, comme les jours alcyoniens ne dépassaient pas une quinzaine, el qu'après eux revenaient les orages, les tempêtes et souvent les naufrages, il fallait que l'harmonie régnât non-seulement dans chaque ménage, mais encore entre tous les ménages. Tous les nids devaient être prêts le même jour, et toutes les dames alcyones 62 disposées à pondre aussi le même jouret le même nombre d'œufs. Que les temps sont changés ! Il est très-probable que c’est la difficulté de maintenir dans un état persévérant celle magnifique harmonie qui a fatigué la patience de Dieu (je ne parle bien entendu que des alcyons), car de nosjoursles choses se passent d’une manière beaucoup moins . poétique : les alcyons choisissent un trou de rat d’eau dont l'entrée est dissimulée par les racines ou les branches d’un vieux saule; si l'orifice est trop grand, ils le diminuent en le fermant en partie avec de la terre délayée. Ensuite ils travaillent à rendre plus commode le fond de celte retraile qui doit servir de demeure à la mère et à ses petits. Par les soins du mâle et de la femelle l'extrémité de ce réduit devient un vérilable carrefour ayant quelquefois plusieurs issues venant aboulir à l'entrée principale. C’est dans ce carrefour que la femelle dépose de cinq à sept œufs ronds et d’un blanc lustré, ressem- blant à de pelites billes d'ivoire, et dont le diamètre varie de 0,018 à 0,022, et le petit de 0,016 à 0,018. Ordinairement ils reposent sur une couche de petites arètes de poissons, entièrement broyées afin qu’elles soient plus molles. Des naturalistes ont prétendu que les œufs reposaient sur la terre nue et que les arètes provenaient des poissons que les Martins-Pêcheurs apportaient à leurs petits. Cette opinion peut être discutée, car ayant trouvé moi-même des arêtes, dès le premier jour de la ponte, il me semble qu’elles ne peuvent être les débris de la nourriture des petits qui n'’existaient pas encore. Peut-êlre pourrait-on cependant justifier la première opinion en admettant que ces débris provenaient de la nourriture que le mâle apporte à la femelle. Dans les pays où les écrevisses sont abondantes, le Martin-Pêcheur s'établit souvent pour se reproduire dans les ex- cavations que ces cruslacés ont creusées. Quelques savants ont donné au mot alcyon une élymologie diffé- rente de celle que je viens de développer. Ils font dériver alcyon de &x, mer, et x6wv, chien, et ce mot signifierait littéralement chien de mer. Dans ce sens il ne pourrait s'appliquer au Martin-Pêcheur, mais au goëland et encore il ne pourrait être pris que par compa- raison. Quand les ténèbres de la nuit commencent à s'étendre sur la mer et que l'orage se prépare, les goëélands font entendre un cri si- nistre, précurseur de la tempête, assez semblable à l’aboiement des chiens pendant la nuit, quand surtout ils sont sous l'empire de la crainte. Alcyon pourrait donc être ainsi traduit, « oiseau dont le cri 63 sur la mer ressemble à l'aboiement d’un chien. » Ce qui pourrait for- tifier celle interprétation , c'est que le mot alcyon désigne moins le Martin-Pêcheur que les mouettes et les hirondelles de mer, et même d'après Buffon, le Petrel, oiseau de tempête. Le chien étant l’em- blème de la fidélité, l’alcyon lui aurait-il été aussi comparé sous ce point de vue? Ma tâche s'avance et cependant il me reste à expliquer Alcedo et Ispida, noms scientifiques donnés au Marlin-Pêcheur. D'après Court de Gébelin, alcedo aurait la même racine qu'alcyon et serait formé de äk, mer, et xw, enfanter. Les anciens disaient indifféremment &\kÜwv, el &xidwv. De la première de ces deux expressions on a formé évidemment alcyon, et de la seconde, alcedo. Si l’on n’admet pas l’au- lorité de l’auteur cité précédemment, peut-être pourrait-on accepler pour élymologie &, mer, et xiôos, gloire, el Alcedo signifierait « oiseau . quiest la gloire de la mer, » sinon exclusivement par son plumage beau- coup plus brillant que celui de tous ceux qui visitent les rivages de l'Océan, du moins par tousles égards fabuleux dont sa nidification était entourée. De plus, des'idées superstitieuses s’attachaient dans tous les pays non-seulement au Martin-Pêcheur vivant, mais même à sa dépouille. Son corps desséché, suspendu à un fil par le bec, servait selon l'opinion populaire, de boussole, la mandibule supérieure du bec se tournant toujours vers l'étoile polaire ; il tenait lieu de baro- mètre ou plutôt d'hygromètre indiquant les variations de l’atmo- sphère. Enfin, placé dans les meubles, sa présence éloignait les tei- gnes et élait comme un puissant véliver. Malgré les progrès des lumières, ces idées fausses, du moins dans leur généralité, sont encore répandues dans les pays sauvages comme dans les régions civilisées. Enfin j'arrive au mot ispida que l’on doit écrire hispida. Dans son acception ordinaire, il peint exactement une des habitudes du Marlin-Pêcheur, quand cet oiseau est en sentinelle pour attendre les poissons ; il élève à cerlains moments les plumes de sa tête qui re- présentent alors une huppe dontles différentes parties ne seraient pas bien unies entre elles. Je pense que c'est un motif d’impatience qui détermine ce mouvement particulier des plumes. Le Martin-Pêcheur doit éprouver alors le même sentiment que ressent un pêcheur passionné quand un vent violent vient troubler la surface de l'eau, un bateau ou quelque voyageur occasionner du bruit et le priver ainsi 64 de la proie dont il cherchait à deviner l’approche et dont il calculait la caplure plus ou moins probable. Puis c'est un ventre affamé qui n’admet pas sans une vive expression de mécontentement le jeûne prolongé auquel on le condamne malgré lui. Du reste, celte habitude est bien plus caractérisée encore chez quelques espèces de Martins-Pêcheurs, car plusieurs ont été dési- gnées par l’épithète cristata, huppé. Mais si le Marlin-Pêcheur mérite le nom ispida hérissé, quand il craint de voir s'échapper l’objet de son attente, il le justifie encore bien davantage quand le chasseur le saisit avec la main, après l’avoir blessé. Dans cette circonstance, toutes les plumes de la tête du Martin-Pécheur sont véritablement hérissées, et il exprime ainsi par le seul moyen que lui laisse son ennemi, toute l’indignation que lui cause la perte de sa liberté. Comme tous ceux qui se livrent avec persévérance à la pêche et à la chasse (il s’agit toujours des oiseaux) le Martin-Pêcheur est excessivement jaloux. Pour lui, comme pour les grands et les petils seigneurs de nos jours, il y a une pêche sévè- rement réservée. Les limites de sa Champagne s’éloignent et se rappro- chent selon les circonstances. Aucun ami, aucun parent même n'est admis à se livrer au doux plaisir de caplurer du poisson dans l’ar- rondissement que s’est choisi un couple de Martins-Pêcheurs. Si un imprudent s’avenlure à dépasser les limites réglementaires, le mâle ou la femelle qui l’aperçoit dresse ses plumes sur sa têle, un peu comme un Péruvien, et se lance sur l'audacieux violateur du terri- toire gardé et le poursuit de son vol et de ses cris jusqu’à ce qu’il ait gagné une autre champagne dans laquelle le même accueil lui est réservé. Plusieurs fois, en voyant cette poursuite et ces cris, J'é- tais porté à l’attribuer à quelque trouble dans le ménage, mais il n’en était rien, car les alcyons tiennent à faire exception à la règle, assez générale, si l'on en croit l’histoire de tous les temps. Quand l'un des deux époux se trouve impuissant à faire respecter l’arron- dissement de pêche, l’autre lui vient en aide; c’est ce qui explique le vol et les cris de trois et même de quatre Martins-Pêcheurs rasant ensemble la surface de l'onde. Celte jalouse vigilance de l’Alcyon augmente encore quand il élève ses petits auxquels il se plaît à procurer une nourriture abon- dante et choisie. Il leur apprend à pêcher, à plonger, à dissimuler leur présence sous les branches touffues et les racines épaisses; il 65 ne les abandonne que lorsqu'une longue expérience l’a convaincu qu'ils peuvent se suffire à eux-mêmes. Pendant un temps assez considérable, chaque soir, les parents ramènent leur jeune famille coucher dans le trou qui les a vus naître, afin de pouvoir veiller sur eux avec plus de facilité. Comme maintenant les Martins-Pêcheurs ne sont plus soumis à la règle des jours alcyoniens, ils se livrent aux soins d'une nou- velle couvée qu’ils entoureront, comme la première, d’une patiente et altentive sollicitude, lorsque leurs petits se seront éloignés d’eux. J'ai pu certifier bien des fois l’exaclilude des détails que je viens de donner sur les mœurs des Martins-Pêcheurs, lorsque je parcou- rais avec mes jeunes amis, Daniel Métivier, Eugène Lelong, Guil- laume Bodinier ét Louis Manceau, toutes les sinuosités du cours du Loir et de la Sarthe. Voici la traduction d’une partie du texte de Plutarque auquel j'ai fait allusion plus haut : « Mais nous appelons l'abeille sage, et la célébrons comme celle qui produit le doux miel, en flattant ainsi la doulceur d'iceluy miel qui nous agrée et nous chatouille sur la langue, et cependant nous laissons derrière la sapience et l’artifice des autres animaux tant en l’enfantement de leurs petits qu’en la nourrilure d'iceulx. Comme tout premièrement l'oiseau de mer que l’on nomme Alcyone, laquellé se sentant pleine, compose son nid, amassant les arestes du poisson que l’on appelle anguille de mer, et les entrelassant l’une parmy l’autre et lissant en long les unes avec les autres, en forme ronde et longue comme est un verueu de pescheur, et l’aiant bien diligemment lié et forlifié par la liaison et fermeté de ces arestes, elle le va exposer au battement du flot de la mer, afin qu'estant battu tant bellement et pressé, la tissure de la superficie en soit plus dure et plus solide, comme il le fait, car il devient si ferme, que l’on ne le sauroit fendre avec fer ny avec pierre, et qui est encore plus esmerveillable, l'ouverture et embou- chure äudit nid est si proporlionneement composée à la mesure du corps de l’Alcyone que nul autre, ny plus grand, ny plus pelit oiseau n'y peult entrer, non pas la mer même, comme l’on dit, ni lä moindre chose du monde. » (Chapitre de l'Amour et charité naturelle des pères et mères envers leurs enfants. — Traduction d’Amyot. In-fol., pag. 101.) VII. 6) 66 QUATRIÈME ORDRE. — PASSERIGALLES. Nous avons fini, non sans un rude labeur, de parcourir l’ordre des Passereaux avec ses familles si mullipliées et ses genres si dif- férents de mœurs, de plumage et de proportions. Nous abordons le quatrième Ordre qui ne comprend pour l’Aujou qu'une seule famille et quatre espèces. Cet Ordre est désigné par M. Millet, dans sa Faune de Maine et Loire, sous le nom de Passerigalles, expression adoptée par un très-pelit nombre de naluralisies, et qui me semble cepen- dant assez exacle. Elle signifie oiseaux qui participent des mœurs des Passereaux et de celles des Gallinacés (Passer -gallus) ; dénomina- tion d'autant plus juste qu'elle s'applique à des espèces que les ornithologistes ont placées tour à tour dans l’ordre des Passereaux ou dans celui des Gallinacés. Ces savants nous semblent avoir raison, si, avec eux, nous considérons ces oiseaux sous deux points de vue différents. Les Passerigalles se rapprochent des Passereaux par leurs migrations continuelles, et sous ce rapport, ils peuvent êlre consi- dérés comme des Passereaux par excellence. D'un autre côlé, leurs mœurs, leur genre de nourriture, la facilité avec laquelle ils se pré- tent à la domeslicilé, les fait classer parmi les Gallinacés. Le mot Passerigalles est donc heureux, puisqu'il est un trait d'union qui relie les deux opinions. Peut-être serait-ce ici le moment d'in- diquer en quelques lignes quelle est l’élymologie présumée du mot gallus, et d'insinuer, sans s’y arrêter toutefois, un nouveau rappro- chement entre l’alouelte et le coq. Celui-ci a été regardé comme la souche priruilive, le vrai type, le souverain des oiseaux de basse- cour , c’est lui qui leur a donné son nom. Or, l'expression gallus, d'où l'on a formé le mot Gallinacé, dérive, selon les érudits, du sanscrit Gal, signifiant sonum edere, canere, produire un son, et dès lors gallus est l'oiseau non-seulement qui produit un son et qui chante, mais dont le son, le chant, sont remarquables. C’est de la même racine que l’antique idiome de l’Armorique avait, selon toute proba- bilité, emprunté le substantifKez signifiant voix et bruit. En désignant le Coq sous le nom de Gallus, les anciens avaient évidemment été frap- pés non pas de l'agrément de la voix de cet oiseau, mais de sa puissance 67 et surtont de son chant matinal qui était un véritable service rendu aux habitants des campagnes. La voix du Coq était le réveille-matin toujours régulier placé près &e la chaumière du villageois par la main providentielle de Dieu. Il méritait donc à ce titre de donner son nom à la nombreuse famille désignée sous l'appellation de Gallinacés. FAMILLE DES COLOMBINS. L'expression colombin est provençale, elle dérive très-probable- menti de l'italien colombina, qui lui-même a dû avoir pour primitif le latin columba , colombe. Quelle est maintenant la racine de columba? Quelques étymologistes pensent que c’est xéluuéos qui, en grec, signifie plongeur. M. Littré dit que columba vient de xévuéoc, plongeur, « par une confusion des oiseaux plongeurs et des pigeons. » Il me semble que la phrase du savant auteur eût dû être plus expli- cile pour que l’on pût connaître sa véritable pensée. Quoi qu'il en soit du sens de celte explication incomplète, je vais essayer, en fai- sant bien connaître les habitudes des colombins, d'exposer com- ment je comprends l'expression xéuu6os employée pour désigner les Colombes. Celte famille, qui ne renferme pour l'Anjou que quatre espèces; en contient dans la classification générale plusieurs centaines qui varient de plumages et de proportions; quelques-unes atlei- gnent les dimensions des poules, d'autres ne sont pas plus grosses qu'un moineau. Certaines espèces revêlent les plus brillantes cou- leurs et toutes ont des formes gracieuses. En Amérique, et sur- lout dans les îles de la Sonde et l'Australie, les colombins sont très-multipliés ; leurs bandes, d’après le récit véridique des natura- listes et des voyageurs, composées de centaines de milliers d’indi- vidus, obscurcissent le ciel quand elles accomplissent des migra- tions devenues indispensables par la nécessité de trouver chaque jour une nourriture suffisante. Il est évident que des quantités si prodigieuses de colombins doivent exercer de véritables ravages dans les contrées où ils s'arrêtent, et absorber en quelques jours les ressources des pays qu'ils visitent. Aussi sont-ils contraints de se livrer à des migrations incessantes. C’est cette habitude qui a fait nommer une des colombes de l'Amérique, colombe voyageuse, columba migratoria. Quand ces troupes incalculables de colombins 68 séjournent pendant quelque temps dans les forêts, bientôt, selon le récit d’Audubon, plusieurs kilomètres carrés se couvrent d’une épaisse couche de guano. Ce fait, attesté par le savant naturaliste, expliquerait la formation de ces quantités considérables d'engrais que l'Amérique fournit à l'Europe. Pour diminuer les ravages exercés par les colombins, les habi- tants de cerlaines contrées de l'Amérique, et en particulier ceux de l'Ohio, du Kentucky, etc., pénètrent, au moment de la nidification, vers le mois de mai, dans les immenses forêts où ces oiseaux se re- produisent, et ils emportent dans leurs chariots une grande quantité de pelits barils qu'ils remplissent de la graisse fondue des myriades . de pigeonneaux saisis sur leurs nids, et c’est avec celte graisse qu’ils prépareront pendant une année entière les aliments destinés à leurs familles. Dans le cours de ces excursions qui durent deux ou trois semaines, les habilans se font accompagner par de nom- breux troupeaux de porcs. Ceux-ci se nourrissent des restes des pigeons dont on a fait fondre la graisse. On estime à plusieurs cen- taines de mille, les nids qui sont capturés chaque année, sur les bords de l'Ohio. C'est dans les forêls vierges de ces contrées que l’on peut étudier d’une manière plus complète les mœurs des colom- bins; c’est là qu'ils s’abandonnent à tous les jeux folâtres d’une gaielé primitive. C'est là encore, qu'au sein de l'air, ils font tous les exercices auxquels se livrent dans les eaux les plus habiles plon- geurs. Ces évolutions, si gracieuses ct si variées; paraissent être dans la nature des colombins; leur vol rapide, qui ne le cède qu’à celui du faucon et de l’hirondelle, facilite encore les dispositions de leur caractère. Celle facilité de vol n'avait pas échappé au roi-pro- phète; aussi se plaît-il à y faire allusion dans le Psaume LI : « Quis dabit mihi pennas sicut columbæ ? et volabo et requiescam. » « Qui est-ce qui me donnera des ailes de colombes? et je prendrai mon vol et je trouverai mon repos. » Ainsi, d’après David, les ailes de la colombe sont très-puissantes, puisqu'elles peuvent s'élever jusqu’à Dieu. Quoique l'esclavage ait enlevé aux colombins captifs une parlie de leur entrain naturel, nous retrouvons cependant, même parmi les espèces domestiques, quelques restes des habitudes des colombins à l’état d'indépendance. Aussi ces habitudes ont-elles paru assez caractéristiques pour que l’on nommât quelques-unes de ces espèces : le culbuleur, le tourneur, le plongeur, etc. 69 Le mot Colombe, pris dans le sens de plongeur, aurait donc une signification juste, dès lors qu'il s’appliquerail au mouvement de l'oiseau dans l’air, et sous ce rapport il n’y aurait aucune confusion. Les anciens avaient su tirer un véritable profit de la rapidité du vol de la colombe en dressant cet oiseau à remplir les fonclions de messager fidèle. Dans l'Orient, et surtout dans l'Arabie, la Syrie et l'Égypte, on se servait autrefois des pigeons pour porter des billets dans des pays éloignés. Les missives élaient placées sous les ailes des pigeons qui rapporlaient la réponse à ceux qui les avaient en- voyés. De nos jours encore, le Grand-Mogol fait nourrir en beau- coup d'endroits, des pigeons qui servent à porter les lellres d’une extrémité de ses États à l’autre, surtout quand une grande rapidité est nécessaire. Tavernier affirme « que de son temps le consul d’Alexandrelte envoyait tous les jours, par un pigeon, des nouvelles à Alep, en cinq heures, quoique ces villes fussent éloignées de trois journées de cheval. » Les caravanes qui traversent l'Arabie se ser- vent du minislère des pigeons pour avertir de leur marche les chefs arabes avec lesquels elles sont en relations amicales, et réclamer leur concours et leur protection. Les pigeons s’acquiltent avec une grande fidélité et une excessive promptitude des missions qui leur sont confiées, mais ils meltent encore une plus grande rapidité à revenir au lieu où ils ont élé nourris et où ils ont laissé leurs nids, et dès lors à rapporter la réponse atlendue. — Pour avoir une idée assez précise du vol des pigeons dans les circonstances ordi- naires , il suffit de savoir que des observateurs sérieux ont constaté que les ramiers employaient moins de dix minules à traverser le détroit de Gibraltar, large de plus de vingt kilomètres, et faisaient dès lors une lieue en deux minutes. PIGEON RAMIER. —- COLUMBA PALUMBUS. Le mot colombe ayant été expliqué, il me reste à essayer d'indi- quer l'élymologie des mots pigeon, ramier et palumbus, lâche assez difficile. Quelques oiseaux sont appelés dégorgeurs, parce que, dans ces espèces, le père et la mère plongent leur bec dans celui de leurs petits pour y dégorger les graines qu'ils ont triturées et préparées 70 avec un soin tout particulier. Les pigeons appartiennent à cette classe, mais ils ont un procédé spécial pour nourrir et élever leurs petits : ce sont ces derniers qui plongent leur bec dans celui de leurs parents; en l’agitant dans tous les sens, ils frappent ainsi contre les parois intérieures du bec du père ou de la mère et déler- minent une espèce d'irrilation qui fait l'effet d’un vomitif. À chaque fois que l'opération a lieu, la nourriture, broyée et réduite en une sorte de bouillie, sort de l'estomac des parents pour passer dans celui des petits. Ceux-ci font alors entendre un cri tout particulier qu’ils accompagnent d’un mouvement demi-circulaire de léur corps et d'un frémissement de leurs ailes. D'après les anciens auteurs, le pigeon devrait son nom à celte action spéciale; il dériverait alors de pipio, qui signifie faire entendre un pelit cri réitéré. On lit dans les anciens glossaires : « pipiones, les pigeonneaux, ainsi appelés du verbe pipire, formé par imilation de la voix des oiseaux qui n’ont encore que le duvet. » Pipiones sunt pulli columbarum et est nomen formatum a proprio sono animalis. (Mathæus Silvalicus.) Et enfin, PrPIO, resonare, clamare, accipitrum est vel pullorum colum- barum , unde hic pipio, pullus columbarum. (Jean de la Porte.) J'admets d'autant plus volontiers l’aulorité de ces auteurs, qu'il est évident qu’un très-grand nombre de noms donnés aux oiseaux ont été formés par onomatopée. Dans les temps reculés où il a fallu distin- guer les oiseaux et tous les animaux par une expression qui les représentât d'une manière sensible, il fut très-naturel de choisir un nom que fournissait la nature, comme était, par exemple, l’imita- tion de leur voix et de leur chant. L’épithète ramier a certainement pour principe le mot rameau, ramus, d'où on a formé rameus, ramarius. Dans le moyen âge, ramier signifiait rameau, feuillée, etc. Segnet tant Ja via per los ramiers Que trabet à un fuc dos charboniers. 11 suivit tout le chemin à travers les fourrés Qu'il trouva à un feu deux charbonniers. (GÉRARD DE RossiLaAN, fol. 47.) Pigeon-Ramier a donc le même sens que « pigeon qui setientsur les branches, sur les rameaux. » Celle expression sert à mettre entre 71 lui et les pigeons domestiques une différence essenlielle. Ces der- niers ne se perchent pas; il en est de même de quelques autres espèces de colombes, même à l’état de liberté. De plus, l'épithèle ramier peut indiquer que ce pigeon non-seulement se perche vo- lontiers sur les branches, mais qu'il y établit aussi son nid, tandis que d’autres espèces domestiques ou sauvages se reproduisent dans des trous. Le pigeon ramier eût pu être appelé rameur ; peu d’oi- seaux ont une vue aussi perçante que lui; on ne peut l’approcher que par surprise ; il aperçoit ses ennemis à une distance très-consi- dérable, et pour éloigner encore le danger, il a soin de placer des sentinelles avancées tout autour des champs dans lesquels s’abat une troupe de ses congénères. Au premier indice de péril, les sen- tinelles donnent un coup d’aile très-violent en prenant leur essor; ce coup d’aile est répété par chaque individu de la troupe, et le chasseur, au dessus duquel volent ces oiseaux, entend un bruit assez semblable à celui que font les aubes d'un bateau à vapeur quand il commence à se mettre en mouvement. Ce bruit est occa- sionné par ces battements d'ailes qui, déplaçant l'air brusque- ment, deviennent aussitôt un signal entendu au loin. On attribue ordinairement au ramier un caractère très-sauvage; celte opinion n'est pas fondée. S’il s'éloigne du danger et s’il l’évile avec lant de soin, c’est que l’excessive portée de sa vue lui révèle de très-loin jusqu’à l'apparence du péril. Pour combattre cette erreur, il suffit de lire les ouvrages des anciens qui constatent que le ramier s'était autrefois facilement plié à la domesticité, et qu'il se reproduisait en captivité, et enfin de voir ce qui se passe chaque jour dans le jardin des Tuileries à Paris. Bien des fois je me suis arrêté à l'ombre des marronniers séculaires pour contempler un spectacle qui se repro- duit tous les jours et aux mêmes heures. Sur la lisière des gazons de la résidence impériale, quelques veufs ou quelques anciens céli- bataires civils et militaires qui ont besoin de chercher dans les êtres de la nature une compensation à une famille qui leur fait défaut, se plaisent à jeter des miettes de pain aux nombreux ramiers qui peu- plent le jardin des Tuileries. Ces oiseaux s’approchent, d'abord avec prudence, de leurs bienfaiteurs, puis quand ils ont constaté que ce sont bien leurs vrais el vieux amis, ils s’enhardissent, voltigent au- tour d'eux, viennent se reposer sur leurs épaules, sur leurs bras, et becqueter le pain dans la poche, dans les mains et même dans la 72 bouche de leurs assidus pourvoyeurs. Je ne connais aucune autre espèce d'oiseau qui, en liberlé, manifeste une aussi grande familia- rité. L'Écrilure-Sainie a donc peint avec une grande vérité les dispositions des colombins lorsqu'elle a dit : « Simplices sicut columbæ, simples et confiants comme les colombes. » La confiance et la sim- plicilé des ramiers viennent d’êlre démontrées. Mais à la simplicité, ces oiseaux joignent une grande prudence qui se manifeste par les précautions qu'ils prennent en plaçant des sentinelles loutes les fois qu'ils se réunissent pour manger ou pour boire, afin d’avertir leurs congénères de l’approche du danger. C’est aussi par le même molif que les bandes de ramiers ne voyagent que le malin ou le soir afin d'éviter plus facilement les serres de l'oiseau de proie qui chasse moins ordinairement à ces heures. D'où vient palombe, palumbus, palumbes ? Je n'ai, sur ce mot, rien trouvé de bien concluant dans toutes mes recherches ; j'abandonne donc à l'appréciation de mes lecteurs la racine qu'’indique Court de Gibelin. Cet auteur prélend que palumbus, elc., a pour principe pal, d’où est venu pala, palæ, qui comme le primilif, signifie branche, arbre élevé, d’où il s’ensuivrait que ramier el palombe auraient un bon degré de parenté. Je ne veux, en aucune façon, dans ce moment-ci surtout, m'y opposer, et je termine cetle étude par quelques petits détails sur les mœurs des pigeons ramiers. Ceux-ci, comme tous les colombins, sont pulvérateurs, c’est-à-dire qu'ils aiment à pulvériser, à réduire en poussière la terre ou le sable en se frottant le ventre contre ces matières, en tournoyant sur eux-mêmes avec un frémis- sement de leurs ailes afin de se débarrasser des insectes qui les dé- vorent. Ainsi que tous les membres de cette nombreuse famille, ils boivent d’un seul trait et enflent leur jabot au moyen de l’eau qu'ils y accumulent et qui leur permet de produire un son particulier 11 pelé roucoulement. Un des savants qui s’est appliqué à trouver dans l’idiome primitif la racine des noms modernes, Kubn, voit dans columba ou pa- lumba la racine sanscrite lamb signifiant cadere, tomber, et dans co où pa une modification du préfixe ava, réduit à va, et qui ren- force le sens de lamb, de sorte que ce nom signifierait « l'oiseau qui s’abat, qui tombe, qui plonge du haut desairs, » Ces hypothèses, très- contestables et très-contestées par de nombreux érudits et pour de graves raisons (voir Adolphe Pictet, t. [, p. 100, ARYAS PRIMITIFS), 73 n'ajoutent pas une grande lumière aux hypothèses qui ne sont pas fondées sur la langue-mère. Le seul avantage qu'elles semblent présenter, c'est de rattacher palumba à la même racine que co- lumba. Enfin, j'ose, mais non sans une juste défiance, indiquer une autre expression sanscrite ayant une relation avec lamb. Je le fais, pour prouver que je travaille à ma conversion vers la véritable mé- thode, autant qu'il m'est donné de le faire ! Le mot Æadumba pour- rait avoir, d'après Kubn, des liaisons avec palumba et dès lors avec columba ; cette expression signifie multitude et dès lors « oiseau qui vole par troupe nombreuse, » désignation très-exacle pour les colom- bins el qui indiquerait sous ce rapport un véritable irait-d’union entre les colombins et les oiseaux plongeurs, tels que les canards, les oies, etc., qui voyagent, surtout dans les régions glacées, par troupes innombrables. Je reviens aux ramiers. Ces oiseaux se reproduisent en Anjou; ils placent leur nid sur la tête des arbres émondés, à l’abri des feuilles de lierre; ce nid est composé de quelques petiles bûchettes peu nom- breuses, à travers lesquelles on peut facilement apercevoir les œufs. Ceux-ci sont au nombre de deux, de forme oblongue et d’une cou- leur blanche. Quand ils sont nouvellement pondus, ils revêlent une teinte rose. Le père et la mère les couvent iour-à-lour : ces œufs, dont le grand diamètre est de 0,038 et le petit de 0®,027, donnent naissance à un mâle et à une femelle, et c’est dès la naissance que se forme une union qui durera autant que la vie des époux. Souvent, pour donner à la femelle le loisir de se reposer, le mâle veut prolon- ger le temps pendant lequel il se dévoue à l’incubation, mais la femelle désirant ne pas manquer à ses devoirs de mère et d’épouse, force à coups d’aile le mâle à lui céder la place : celui-ci s’éloignant à regret, s'élève alors dans les airs et se laisse retomber au-dessus du niden faisant le Saint-Esprit, selon l'expression populaire. Il renou- velle plusieurs fois de suite les mêmes évolutions, et dans cette cir- constance, il juslifie encore la signification du mot colombe (plon- geur). Presque tous les naturalistes affirment que les pigeons ramiers ne font qu’une seule ponte. Je ne partage pas celte opinion. Car, pen- * dant cinq à six mois, on trouve des nids de ramiers : il ne me paraît pas possible que ceux que l’on rencontre dans le mois de septembre el même dans celui d'octobre puissent être attribués à des ramiers qui 74 auraient passé le printemps et l'été sans se reproduire. De plus, si les ramiers ne faisaient qu’une couvée, il serait difficile d'expliquer leur nombre considérable, surtout lorsque leurs nids, peu dissimulés, sont très-facilement découverts. Enfin, les ramiers ont deux espèces d’ennemis, les martes et les corneilles, qui tous les deux recherchent avec avidilé les œufs de ces oiseaux ou même dévorent leurs petits. L'homme vient encore augmenter le nombre déjà trop considé- rable des adversaires des colombins, car presque partout les ramiers, ainsi que tous leurs congénères, sont condamnés à mort à cause des ravages qu'on leur impuüle à tort. En effet, les ramiers ne grattent pasavec leurs pieds, comme les gallinacés, pour déterrer les graines; ils ne se servent pas de leur bec, comme les corbeaux, pour arriver au même résultat : ils se contentent de recueillir les graines qui sont visibles et-que la terre n’a pas recouvertes. Ils vivent aussi de glands et recherchent beaucoup les noix du hêtre qu'on appelle faines, ainsi que toutes les semences sauvages. Il est donc facile de démontrer que les ravages attribués aux colombins sont très-exagérés el qu’en déclarant à ces oiseaux une guerre acharnée on enlève aux fermiers et aux petits cultivateurs une ressource considérable. Cette observa- tion milite surtout en faveur des espèces nombreuses qui, autrefois, étaient élevées dans les colombiers, et que l’on retrouve aujourd’hui en très-grande quantité dans certaines parties de la France. COLOMBE COLOMBIN. — COLUMBA ÆNAS. Cette espèce et la suivante ont avec le pigeon ramier un degré de parenté très-rapproché ; leurs mœurs sont dès lors à peu près sem- blables, car chez les oiseaux les membres d'une même famille ne diffèrent guère de goûts et d’habitudes. Si cette colombe porte l'épi- thète de colombin, c'est que, plus encore que les autres, elle est plon- geuse. Le colombin, en effet, comme tous ses congénères, prend son essor non pas en suivant une ligne droite, mais en plongeant dans l'air; on dirait un maître nageur se précipitant avec confiance au fond d’un fleuve pour remonter ensuite à sa surface et s’y mainte- nir en décrivant des lignes droites, mais capricieuses. Quant à l'ex- pression scientifique œnas, elle est justifiée par la couleur du poitrail du colombin et l’ensemble de son plumage qui paraît bronzé, à reflets mélalliques, avec quelques teintes de rouge vineux. Le colombin a rE) la vue moins perçante que le ramier, ce qui explique pourquoi il devient plus facilement que lui, victime des piéges qui lui sont ten- dus, surtout dans les gorges des montagnes où des bandes innom- brables de colombins restent enlacées dans des pantières. Le colom- bin, ainsi que tous les membres de cette intéressante famille, élève sés petits avec une sollicilude et une tendresse exemplaires. Ainsi, dans le cours de leur vie, les petits ne seront jamais aussi gras que lorsqu'ils étaient confiés aux soins de leurs parents. Le colombin niche ordinairement dans les troncs d'arbres, et c'est cette habitude qui le sépare véritablement du ramier. Les œufs, au nombre de deux, sont blancs, oblongs; ils reposent sur quelques petites bûchettes grossièrement réunies. Le grand diamètre est de 0w,037 et le petit de 0,025. COLOMBE BISET. — LivrA. Cette colombe est regardée par tous les naturalistes comme la souche de tous les pigeons domestiques. La guerre acharnée que lui ont déclarée et les hommes et les oiseaux de proie a rendu cette es- pèce très-rare à l’état de liberté. Les épithètes biset et livia ont la même signification et sont justi- fiées par la couleur du plumage de cet oiseau qui est sombre, brun et.d’un gris ardoisé. Maintenant encore, dans certaines localités de la campagne, on appelle une jeune fille brune une petite bisette. Un autre nom, qui est très-significatif, est celui de pigeon de roche, sous lequel le biset est assez généralement connu. Cette dernière dénomi- nation indique le véritable caractère qui distingue le biset de ses congénères, c'est qu’il niche dans les trous des rochers sur lesquels il aime à se reposer, car, comme les pigeons domestiques dont il est le principe, il ne perche jamais. C'est dans ces trous qu'il réunit quelques débris de petites bûchettes et de paille sur lesquels la femelle pond deux œufs blancs, oblongs et un peu plus renflés que ceux du colombin. Le grand diamètre est de 0,036 et le petit de 0,030. PIGEON TOURTERELLE. — TurTUR. La tourterellé est l’un des plus gracieux oiseaux de notre pays, son vol est encore plus rapide que celui du ramier et comme celui 76 de ce dernier, il est accompagné, surtout au commencement, d’un bruit d'ailes très-prononcé. Toute les fois que la tourterelle se perche, sa queue s'épanouit en éventail et lui donne une physio- nomie très-originale. Cette habitude me semble être le résultat nalurel de l’excessive rapidité du vol de la tourterelle. En effet, ce vol se trouvant interrompu brusquement, lorsqu'elle vient se re- poser sur une branche, le corps de la tourterelle subit une espèce de choc qui imprime à l'oiseau un mouvement de bascule, Ce choc n'aurait pas lieu, si la tourlerelle ralentissait son vol à mesure qu'elle approche du but qu’elle a choisi pour se percher. Les mœurs de cet oiseau sont très-douces. Doué d'une vue très-perçante el d'une excessive prudence, il échappe à ses nombreux ennemis, par la vilesse de son vol el les précautions dont il s'entoure. En effet quand les nichées sont terminées, les tourterelles se réunissent en petites bandes, et lorsque l’une de celles-ci vient se reposer dans un champ pour y recueillir des graines, des insectes et même des sau- terelles, une ou plusieurs sentinelles sont placées à des postes avancés d'où elles s’acquittent parfaitement de leur mission. À peine le chasseur a-1-il fait quelques pas dans le terrain surveillé, que les sentinelles prennent leur essor en l’accompagnant d’un bruit d'ailes assez violent, et bientôt toutes les tourterelles ont suivi leurs gar- diennes ; le bruit qu’elles font entendre dans celle occasion en pre- nant successivement leur essor, ressemble à un véritable feu de file. D'où peut venir donc le mot tourterelle? Scaliger prétend que cet oiseau esl ainsi nommé parce qu'il habite dans les tours. L'étymo- logie n’est pas heureuse et, si Scaliger n'était pas mort depuis long- temps, je craindrais bien qu’au tribunal de mes juges il n'eût pas dans celte circonstance le bénéfice des circonstances atténuantes. Les lourlerelles choisissent pour se reproduire une haie très épaisse, éloignée des passages el des routes fréquentées par les hommes ou la tête émondée des arbres peu élevées; là, sans beaucoup de travail et de recherches, ces oiseaux rassemblent quelques racines ou des petites bûchettes, et c’est sur ce nid peu artistique et peu épais, que la femelle dépose deux œufs blancs, oblongs, dont le grand diamètre est de 0,028 et le petit de 0,022. J'ai trouvé souvent de ces nids dans les haies louffues des îles ou des rives de la Loire; la proximité des champs dans lesquels on cultive le chanvre et le colza, déterminant les tourterelles à se fixer de préférence dans ces localités. Pl Il me souvient d’avoir découvert un de ces nids dans des conditions exceplionnelles , lorsque je sondais avec mes deux jeunes amis, Daniel Métivier et Eugène Lelong, toutes les haies qui se déroulent sur les flancs de la levée de Belle-Poule. Ce nid plus solidement construit que ne le sont ordinairement ceux des tourterelles, avait été confié à un buisson élevé, louffu et formé de ronces très-longues. De larges feuilles de lianes encadraient les bûchettes réunies par les tourterelles el servaient à dérober le nid à la vue des passants et à préserver la couveuse des rayons du soleil et des atteintes de la pluie. Entrelacées avec les ronces, les lianes formaient une enceinte pres- que impénétrable. La pauvre mère eut bien de la peine à sortir de celle espèce de forleresse naturelle, par une petite route sinueuse que le mâle et la femelle avaient dû frayer, non pas sans laisser fixées aux épines des ronces quelques unes de leurs plumes. Je me sentais disposé à respecter un travail aussi remarquable, mais ‘comme le dit le père Lafontaine, le jeune âge est sans pitié; et plus il était difficile d'atteindre le nid, plus on le désirait, car c’est ainsi qu’est formé le cœur des jeunes et des vieux. Après de longs efforts, quelques lambeaux d’habits suspendus aux ronces du buis- son, quelques doigls ensanglantés, nous eûmes la consolation de voir les deux œufs de touricrelle augmenter la récolte de la Journée. Ces détails m'ont éloigné un peu de la recherche de la véritable élymologie du mol tourterelle qui dérive de turturella, diminutif de turtur, formé lui-même du syriaque tor; telle est du moins, sous ce dernier rapport, l'opinion des savants. Je serais {rès-porté à admettre que l’expression turtur a été formée par onomalopée et qu’elle avait pour but de désigner la tourterelle en imitant l'acte le plus carac- téristique des tourterelles, leur roucoulement empreint d’une es- pèce de gémissement qui n'avait pas échappé à l'observation du chantre des campagnes : : Nec tamen interea raucæ, tua cura, palumbes, Nec gemere aeria cessabit turtur ab ulmo. Tandis que les ramiers, tes amours, ne cesseront de roucouler, et la tourterelle de gémir sur les ormes à la cime aérienne. (ViRGILE, Eglog. 1, v. 59.) C'est le même molif qui avait déterminé les Grecs à désigner la lourterelle par le mot rouwyv, qui a pour racine roito, roucouler, 78 Les colombes el surtout les tourterelles avaient été classées parmi les oiseaux purs par la loi mosaïque ; elles élaient offertes à Dieu dans un grand nombre de circonstances, comme des victimes agréables. Cette croyance était-elle fondée sur les mœurs douces et innocentes des colombes? ou n'était-elle pas plutôt la conséquence d’un sou- venir biblique? La colombe en apportant à Noé la branche d'olivier, signe de réconciliation de Dieu avec les hommes, n'’élait-elle pas restée dans la mémoire des anciens peuples, comme une image vivante qui perpétuait l'harmonie du Ciel avec la terre. Nous la re- trouvons sur les bords du Jourdain au baptême de Jésus-Christ, et pendant une longue série de siècles, la colombe suspendue au-dessus de l’autel conservait dans ses flancs, l’Auteur même de la véritable réconciliation de Dieu avec les hommes. Touchant symbole dont la colombe de l'arche n’était qu’une pâle figure. Je termine cette petite étude en relatant une croyance répandue généralement dans les populations d'outre-Rhin. Les Allemands se . plaisent à élever une grande quantité de tourterelles, moins à cause de la douceur de leurs habitudes que par un sentiment de froid égoïsme. Ces peuples sont persuadés que les tourterelles préservent leurs enfants de la terrible maladie de l’épilepsie, en assumant sur elles-mêmes le mal qui menaçait de frapper leurs maîlres. Là encore elles continuent leur ancienne mission, et sont destinées à être sacrifiées pour le salut des autres. Dès lors qu’à tant de titres, la tourterelle est la touchante et suave figure de la charité de Dieu, nous pouvons répéter avec confiance le pieux désir du roi prophète, et redire avec lui : Quis dabit mihi pennas sicut columbæ ? Et volabo et requiescam (Ps. LIV). Qui est- ce qui me donnera des ailes de colombe? Et je prendrai mon vol, et je trouverai mon repos dans le sein de Dieu. L'abbé VINCELOT, Ghanoine honoraire, aumônler à la pension Saint-Julien, LA PÊÉCIHE DE LA SARDINE À une époque où l’on paraît si fier des bienfails de l'instruction et surtout de l'instruction pratique, il est peut-être regrettable que l’on n’ait pas encore pensé à propager dans nos populations marilimes, Ja science de la pisciculture, à laquelle le nom de M. Coste est si intimement lié, qu’on n’en peut parler sans invoquer ses travaux el ses succès. Espérons que notre attente ne sera pas de longue durée et que les expositions de pêche de Boulogne-sur Mer et d'Arcachon, avant-gardes de la grande exposition de la France en 1867, feront comprendre la vérité de ces belles paroles de Sully : « La pêche est l’agriculture de la mer. » Oui, l'agriculture des eaux repose aujourd'hui sur des règles cer- taines, qu'il est nécessaire de propager dans l'intérêt des populations maritimes qui arrachent si péniblement à l'Océan leur pain de cha- que jour. L'agriculture de la mer doit, à l'exemple de celle du sol, avoir ses comices. Le monde des eaux renferme des richesses alimentaires sinon supérieures, du moins égales à celles du monde des airs et de la terre; mais le pêcheur, qui n’explore presque toujours les profon- deurs de l'Océan qu'avec les faibles moyens légués par ses ancêtres, travaille périblement et vit au jour le jour, n'ayant que l'espoir pour sa vie du lendemain, espoir souvent déçu par les maladies qui l'at- teignent et les tempêtes qui bouleversent les eaux où il exerce son industrie. Si vous avez quelquefois visité un port de pêche, il doit vous 80 souvenir d’avoir vu, aux premiers rayons d'un soleil de printemps, toute une population, qu’un hiver rigoureux a rendue malheureuse, relever fièrement la têle el sourire, encore humide du flot de la tempête d'hier, à cette nouvelle saison qui lui permet d’espérer une riche récolte. Les barques s'apprêtent, le chant des nautoniers a remplacé les larmes, et l’oubli des maux passés pousse ces hommes intrépides à affronter de nouveaux dangers. J'aime ce courage, cette confiance dans Celui qui seul peut dire à l'élément liquide : « Tu n'’iras pas plus loin. » Au mois de juin, commence aux Sables-d'Olonne ‘, la pêche de la Sardine (lupea sardina) ?, ce précieux poisson qui alimente et la table du riche et celle du pauvre. En éventrant les merlus, les pois- sonnières ont trouvé des sardines; le marin qui traîne son chalui ÿ a vu « le bijou vivant de la nature, » s’ébattre joyeusement à la sur- face de l'immense empire des eaux, et biéntôt la nouvelle si impa- tiemment attendue a volé de maison en maison. Mille pêcheurs se lèvent instantanément à l'appel malinal des garçonnes#, chargées de tout préparer pour les besoins de chaque jour, et aux premières lueurs de l’aurore, les barques glissent rapidement une à une, sous les efforts de puissants rameurs, et vont sur une seule ligne prendre le vent à la sortie du port. Vous diriez aux premières lueurs du soleil, toute une escadre marchant à la victoire; voiles rouges, voiles blanches, voiles aux dessins divers réjouissent les yeux et instinc- tivement on désire aux braves pêcheurs un prompt et heureux re- tour. Si le poisson rase la terre, ou mouille près du rivage; s’il suit des 1 Les Sables-d'Olonne, petite ville du département de la Vendée, chef-lieu d’ar- rondissement, port de mer autrefois très-commerçant, et aujourd’hui ville de bains renommée. — La population est d'environ 7,000 âmes. ? La pêche de la sardine est faite non-seulement aux Sables-d'Olonne, mais aussi à Saint-Gilles-sur-Vie, petit port de mer de l’arrondissement des Sables- d'Olonne, et d'une population d'énviron 1500 âmes. — Petite ville de bains. $ Grand filet traînant pour pêcher le gros poisson. On l’emploie aux Sables- d'Olonne dans les chaloupes pontées, qui diffèrent beaucoup des chaloupes pour la pêche aux sardines, ces dernières n’étant qu’un grand canot. * La garçonne est la femme ou la fille qui est chargée du soin de la CMbRrE et des filets : elle raccommode les filets, nettoie la chaloupe, réveille les pêcheurs et souvent leur prête l'appui de son dos pour leur aider à monter dans l'embar- cation. 81 courants plus éloignés, il faut le poursuivre et ne s'arrêter que dans les eaux où il veut bien se laisser prendre. Plus de trois cents chaloupes se livrent à cette pêche et sont mon- tées, chacune par un patron, trois ou cinq matelots et deux mousses, formant un effectif de six ou huit hommes. Cinqou six filets de mailles diverses et plusieurs baquets de rogue!, complètent l'armement. Lorsque le banc de sardines a été rencontré, les pêcheurs jettent à l'eau un filet qu'ils traînent ensuite derrière leur chaloupe dirigée à l’aviron, de manière à faire étendre dans la mer les mailles de ce filet et à donner plus ou moins de vitesse à l'engin, tenu droit sur l'eau d’un côté par des liéges. C'est alors que l'œil vigilant du patron suit la sardine, et selon qu’elle passe à droite ou à gauche du piège, par devant ou par derrière, il lance à l'opposé la rogue dont quelques parlies tombent en s’égrénant tandis que d’autres graissent la surface des eaux. Le poisson avide donne têle baissée dans le piége en voulant saisir l’appât et rougit de son sang le filet destructeur, auquel il laisse aussi ses écailles qui viennent miroiter comme des pailleltes d'argent au milieu de la vague. On tire alors rapidemenf le butin dans la chaloupe et, par le tami- sage ?, les sardines sont détachées des mailles qui les retiennent. D'autres filets sont jetés successivement à la mer, et la chaloupe ne reprend le chemin du port que lorsque la pêche est jugée suffisante ou que l'heure de la haute mer est arrivée $. La sardine ne vit qu’un instant, elle meurt presque foudroyée par l’atteinte du filet. Dans les convulsions de son agonie, elle change à chaque moment de couleurs. Ce sont comme autant de pierreries dont les reflets brillent et disparaissent aussitôt. La rentrée dans le port esl triste ou joyeuse, suivant que la pêche a élé mauvaise ou bonne. Les femmes attendent sur la jetée la cha- loupe qui porle ceux qui leur sont chers, et à l’envi elles s'empres- sent de la remorquer pour la mettre à l’abri des vagues et enlever les richesses qu’elle apporte. Les garçonnes prennent les filets et les 1 Rogue, appât provenant des pêcheries de Suède, Norwège et Danemarck. Il est composé d'œufs de poisson. On en fait aussi avec les œufs de maquereau, et cette dernière rogue est supérieure et surtout plus coûteuse. 3 Tamisage, action de secouer le filet en le tenant étendu à 2 ou à 4 personnes. 3 Les ports des Sables-d'Olonne et de Saint-Gilles-sur-Vie ne sont accessibles qu’à la haute mer. VII. 6 82 élendent rapidement sur les quais où elles raccommodent les mailles brisées par les coups de mer ou les efforts du poisson. Cha- que jour amène des travaux semblables. La poissonnerie et les confiseries ! livrent ensuite la pêche au commerce. Une population d'environ 7,000 âmes vit de ce produit pendant six mois, dans la seule ville des Sables-d'Olonne. Chaque chaloupe fournit en moyenne par jour, 8 milliers de sar- dines ; chaque millier se vend 8 à 10 francs. C’esi un total de plu- sieurs millions de francs, que celte industrie jette dans le pays. Mais l’hiver, hélas! fait disparaître l’abondance et amène la tris- tesse et la misère. Les pêcheurs ne connaissent malheureusement d'autre manière de faire que celle de leurs devanciers, et la routine, cette affreuse rouline, leur fait rejeter comme mauvaises les innovations qui leur fourniraient en loute saison l'abondance et la joie. Leur éducation n’esl pas assez développée : ils savent à peinelireet écrire. Par les expositions el surlout par les résultats, ils comprendront qu'il leur est facile d'améliorer leur position, en créant, pour les rudes mois d'hiver, des ressources toujours sous leur main, dans des réservoirs où la moule et tant d'autres coquillages, qu'ils mé- prisent aujourd'hui, leur fourniraient les profits d’un nouveau commerce et le secours d’un aliment déjà éprouvé. E. S. DELIDON. 1 Les confiseries de sardines sont des établissements dans fesquels le poisson est cuit dans l'huile bouillante, et ensuite mis dans des boîtes de fer-blanc, ou cuit à la vapeur d’eau et ensuite mis dans des boîtes aussi de fer-blane, et dans les deux cas, arrosé d'huile pour faire le plein. Les boîtes sont alors soudées, puis soumises à l'épreuve de l’eau bouillante pour savoir si elles sont bien soudées ; après celte épreuve elles sont emballées dans des caisses en bois et livrées au commerce, tant de l’intérieur que de l'extérieur. \ ons. dé nm LES GRANDS NATURALISTES FRANCAIS AU COMMENCEMENT DU XIXe SIÈCLE. CUVIER Il est des hommes dont la supériorité est tellement évidente qu’elle n’est contestée par personue. Dès qu'ils se montrent, ils s'imposent à l’admiralion, semblables à ces fleuves qui, après avoir coulé longtemps dans le sein de la terre, sont grands quand ils paraissent à sa surface. Tel fut Georges Curvier. Il naquit à Montbéliard, le 23 août 1769. Sa famille, originaire du Jura, avait quillé la France à l’époque de la réforme, pour échapper aux persécutions religieuses. Elle s'était établie dans la principauté de Montbéliard, où elle avait fourni plusieurs pasteurs au culte évangélique. Le père de Cuvier avait été capitaine-lieutenant dans un régiment suisse à la solde de la France. Reliré du service, avec une chétive pension el la croix du mérite militaire, il vint habiter Montbéliard où il se maria à l’âge de cinquante ans. Il eut trois fils, dont l'aîné 84 mourut en bas âge. Sa mort affecla vivement la mère qui élait en- ceinte de son second fils. Celui-ci (Georges Cuvier) vint au monde si débile que l'on ne croyail pas qu'il parvint jamais à l'âge d'homme. Les soins de son excellente mère le sauvèrent. Femme d’un grand mérile, elle dirigea la première éducalion de son fils avec une ten- ‘ dresse éclairée. « C’est la mère, a dit Buffon, qui transmet au fils les qualités de l'esprit et du cœur. » L'élève élait digne d’une telle inslilutrice : à l’âge de quatre ans il savait lire, et bientôt il montra pour le dessin un talent remar- quable. À dix ans, il fut placé dans un gymnase (nom que l’on donne en Allemagne aux établissements d'instruction secondaire) ; à quatorze ans et demi, il avait terminé ses éludes classiques. Quelque temps avant sa sorlie du gymnase, il avail fondé une sorte de Société savante parmi ses condisciples. On y lisait des ouvrages de philosophie, d’hisloire naturelle et de voyages. Le mérite de ces ouvrages étail discuté. C’est dans la chambre de Cuvier que ces académiciens imberbes se réunissaient. Il les prési- dait, assis sur le bord de son lit, résumait les débats et prononçail une sorte de jugement. Les parents de Cuvier le deslinaient à la théologie; au moment de quilter le gymnase, il concourut pour une des bourses fondées au séminaire protestant de Tubingue. La malveillance du recteur le fit échouer dans celte épreuve. Chaque fois qu'il rappelait cette cir- constance, Cuvier se félicitail de son échec, qui le força à renoncer à la carrière ecclésiastique. Étant au gymnase, il avait pris goût à l’histoire nalurelle, en feuilletant, à la bibliothèque, un exemplaire de l'Histoire des animaux par Conrad Gesner, ouvrage orné de planches enluminées. Son oncle, ministre protestant dans les environs de Montbéliard, ayant souscrit à l'Histoire naturelle de Buffon, Cuvier prit un grand plaisir à en examiner les figures, et emporta quelques volumes afin d'en copier les gravures. Pour colorier ses dessins, il lui fallut lire les: descriptions. L’attrait qu’il prit à cette lecture lui inspira une vive admiration pour Buffon. Ces copies d’une très-belle exécution, il les donnait à ses camarades, ainsi que des réductions de carles géogra- phiques, qu’il se plaisait à faire. La principauté de Montbéliard dépendait à cette époque du duché 89 de Wurtemberg. Le duc régnant, Charles-Eugène, élève du grand Frédéric, étant venu à Montbéliard en 1784, le jeune Cuvier lui fut présenté. Intéressé par les réponses pleines d’à-propos que le jeune homme fit aux diverses questions qu’il lui adressa, le duc le prit sous sa protection, et le fit entrer, avec une bourse enlière, dans un grand établissement qu’il avait fondé à Stuttgard, sous le nom d’Académie Caroline. C'’élait une sorte d'Université, dotée de cinq facullés , et où, sauf la théologie, on enseignait à peu près toutes les sciences et tous les arts. Plus de quatre cents élèves y étaient reçus. Après s'y être perfectionné pendant deux ans dans ce qu'on appelle les études classiques, c’est-à-dire dans les langues ancien- nes, les mathématiques, la littérature et la philosophie, Cuvier dut choisir une élude spéciale, et il se détermina pour la science de l’ad- ministration et des finances. Cet enseignement spécial comprenait le droit naturel, la géographie, la botanique, la zoologie, la minéra- logie, la chimie, l'hydraulique, l'aménagement des forêts, la tech- nologie, l'économie politique, la science des finances, la pratique de la chancellerie et l'hygiène publique. C'est dans cet enseignement que Cuvier puisa toutes ces connais- sances qui lui furent si utiles dans sa carrière administrative, et qui faisaient l’étonnement de ses collègues au Conseil d'État. Les ouvrages de Linné, devenus promptement classiques, étaient suivis à Stultgard dans l’enseignement des différentes branches de l’histoire naturelle. Cuvier reçut en prix un exemplaire du Systema naturæ. Linné partagea bientôt avec Buffon l'admiration du jeune étudiant. Cette admiralion, Cuvier l’a toujours hautement professée. Pendant les quatre années qu'il passa à l’Académie de Stuttgard, Cuvier se fit un herbier et une collection d'insectes. Ses premières études d'histoire naturelle furent ainsi consacrées à l'entomologie, et il s’en félicitait plus tard. La patience des observations et la déli- catesse des opérations que cette science réclame, le conduisirent à la perfection qu’il atteignit, quand il se mit à étudier la structure interne des autres animaux. Il commença aussi à Stutigard un Journal zoologique et un Jour- nal botanique, sur lesquels il prit l'habitude de consigner les obser- vations d'histoire naturelle qu'il avait occasion de faire, et de figurer les objets qu'il pouvait se procurer. Son premier cahier est daté 86 d'octobre 1786. Les trois suivants furent aussi rédigés à Stuttgard ;' on y trouve les figures d’un grand nombre de plantes et d'environ 800 insectes, avec leur description en latin. A Slntigard, comme à Montbéliard, Cuvier organisa une Société ou Congrès d'histoire naturelle, qui comptait parmi ses membres Pfaff et Hartmann, avec lesquels il entretint plus tard une corres- pondance. Cuvier avait dressé les statuts de cette Société, qui se réunissait une fois par semaine, et il en devint le président. Il y fit de nom- breuses communications sur des sujets de zoologie, de botanique et de minéralogie. Il prit ainsi de bonne heure l’habilude d'exposer ses idées avec clarté et avec méthode. Du reste il se mêlait rarement aux jeux de ses condisciples. Sa passion pour la lecture lui faisait trouver les récréalions trop courtes. Pendant plus d’un mois, il employa une partie de ses nuits à lire, d'un bout à l'autre, le grand dictionnaire historique et crilique de Bayle. Il termina ses études en 1788, et revint dans sa ville natale, où il passa quelques semaines. Sa jeunesse ne permettait pas qu'on lui donnât immédiatement un emploi dans l'administration, et la gêne étroile dans laquelle vivaient ses parents lui fit accepter le modeste emploi de précepleur, dans une riche famille protestante, établie en Norinandie. Le comte d'Héricy, qui appelait Cuvier à diriger l’édu- cation de son fils, habitait le château de Fiquainville situé à trois quarts de lieue de là mer, el à deux lieues de la ville de Fécamp. Ce château élait le rendez-vous de la noblesse des environs, très-nom- breuse et très-riche à cette époque. C’est là que Cuvier prit l'usage du grand monde et ces manières distinguées qui ne furent pas inu- tiles à ses succès au commencement de sa carrière, et qui plus tard convenaient à sa haute fortune. L'élève de Cuvier, que ses parents destinaient à l’état militaire, avait treize ans. Au bout de quatre ans, pour compléter son éducation, Cuvier devait visiter avec lui l'Allemagne, la Suisse et l'Italie. La perspective de ce voyage, que les événements ne permirent pas d'accomplir, charmait Cuvier. L'Inventaire des archives départementales noùs apprend que, pen- dant son séjour en Normandie, Cuvier remplit les modestes fonc- tions de greffier de la petite commune de Bec-au-Cauchois, sur le territoire de laquelle le château de Fiquainville était Situé. Il est probable que le comte d'Héricy était le maire de cette localité. 87 IT. Le séjour d'environ sept années qu’il fit dans la calme retraite de Fiquainville, doit être compté comine un des événemenis les plus heureux de sa vie. Il y fut à l'abri des orages de la Révolution ; et avec son goût déjà prédominant pour l’histoire naturelle, il se trou- vait admirablement placé pour étudier les êtres jusqu'alors les moins connus, les habitants de la mer. Voici comment, dans les dernières années de sa vie, il décrivait la richesse de l'empire des eaux. « Plus des deux tiers de la surface du globe sont couverts par les eaux de la mer; des parties considérables des îles et des continents sont arrosées par des rivières de toutes les grandeurs, ou occupées par des lacs, des élangs, des marais ; et cet empire des eaux, qui sur- passe si fort en étendue celui de la terre sèche, ne lui cède en rien quant au nombre et à la variété des êtres animés qui l'habitent… C’est ici que le règne animal offre les extrêmes de la grandeur et de la petitesse, depuis ces myriades de monades el d’autres espèces qui auraient été éternellement invisibles pour nous, sans le pouvoir merveilleux du microscope, jusqu'à ces baleines et ces cachalols qui surpassent vingt fois les plus grands des quadrupèdes terrestres. C'est là aussi que s’observent le plus de ces grandes combinaisons d'organes auxquelles les naturalistes ont donné le nom de classes ; et même, à vrai dire, elles y ont toutes des représentants; car, jus- que parmi les oiseaux, ces êtres essentiellement aériens, il en est, tels que les manchots, que leur structure attache, pendant leur vie presque entière, aux flots de l'Océan. La classe des mammifères a dans les eaux non seulement les phoques, les morses et les laman- lins qui ne peuvent s'en éloigner, mais tous les cétacés qui ne peuvent en sortir, bien que leur genre de respiration les oblige sans cesse à venir à la surface. Les repliles y sont représentés par des tortues, des crocodiles, des serpents, et surlout par la famille e nlière des batraciens. Beaucoup d'insectes sont aqualiques, même à leur état parfait; et un beaucoup plus grand nombre ne s'élève dans les airs, pour s'y reproduire, qu'après avoir passé dans l’eau, sous l'élat de larve ou de nymphe, une partie bien plus considérable de leur 88 vie. C’est dans les eaux qu’il faut chercher presque tous les mollus- ques, les annélides, les crustacés el les zoophytes, quatre classes qui n’ont en quelque sorle sur la terre que des membres isolés et comme égarés. Aussi les anciens disaient-ils que tout ce qui existe ailleurs se retrouve dans la mer, mais que la mer a beaucoup de choses qui ne sont point ailleurs. » (Introduction à l'histoire des pois- sons.) Voilà donc Cuvier, et pour de longues années, en position d'étu- dier les êtres si nombreux et si variés qui peuplent la mer. Il trouve dans la bibliothèque du château un Pline et un Aristote. « Plus je lis, écrivail-il à son ami Pfaff, les deux ouvrages d'Arislole sur l'histoire naturelle, plus je les admire... Quant au compilateur Pline, c’est à peine si j'ose le ranger parmi les naturalistes; son beau slyle a seul pu faire sa réputation ; mais le style ne fait pas le naluraliste ; il faut en outre une philosophie profonde. » Il 4 trouve aussi un catalogue manuscrit des plantes du Jardin du Roi, où le système de Jussieu est expliqué. Ce sont là les senls livres de science que Cuvier ait à sa disposition, et il n’a pas le secours des collections ; mais c’est un bonheur pour lui ; les ouvrages des autres l’auraient fait entrer dans la voie commune; livré à lui-même, il doit voir par ses yeux, il est forcé de se créer une méthode. Ni ne faillit pas à cette tâche : par ses études sur les mollusques et les zoophytes, à l’histoire naturelle déjà connue il a ajouté une his- toire naturelle toute nouvelle !. Pendant son séjour en Normandie, Cuvier fait un grand nombre de disseclions des animaux dits à sang blanc, principalement des mollusques , animaux difficiles à observer vivants, et qui changent tellement de figure à l'instant de leur mort, qu'ils deviennent pres- que méconnaissables. Leur anatomie, sans laquelle on ne peul rien découvrir touchant leurs véritables rapports, avait à peine élé ébau- chée. Cuvier consigne sur son Journal les opérations délicates aux- quelles il se livre, et sa rare habileté dans l’art du dessin lui permet de reproduire avec une merveilleuse exactilude tous les détails d'une organisation si compliquée. * Suivant Daubenton, on pourrait considérer les mollusques ét les zoophytes comme un règne à part, puisqu'ils diffèrent des autres animaux presqu'autant que des végétaux, abc ol. din 89 Quand il connaît bien tous ces êtres, la difficulté de rapporter aux divisions de Linnéles genres qu'il a sous les yeux, lui fait comprendre pourquoi ce naturaliste a laissé tant d'incertitude et a si souvent varié dans la manière de les classer; et il cherche, dans leur struc- ture interne, les bases d’une réforme qu'il produira plus tard. Il porte également son attention sur la classe des poissons. « Dès 1788, a-t-il dit dans un de ses ouvrages, sur les côles de Normandie, j'ai décrit, disséqué et dessiné de ma main presque tous les poissons de la Manche; et une partie des observations que j'ai faites, à cette époque, m'ont servi pour mon Tableau élémentaire de zoologie et pour mes Leçons d'anatomie comparée. Il étudie aussi la physique et la chimie, sciences qu'il dit lui être aussi chères que l’histoire naturelle, parce qu’elles en sont les prin- cipaux appuis. Il se passionne pour Lavoisier, dont les ouvrages lui sont adressés aussitôt qu'ils paraissent. Il entretient, en langue allemande et en lalin, une correspondance suivie avec ses amis Pfaff et Hartmann, restés à Stuttgard. Cette correspondance est tout à la fois scientifique et politique. Pendant la première année, la botanique y tient autant de place que la zoo- logie ; mais peu à peu la zoologie prend le dessus, dans ses études. Il envoie à ses amis des mémoires sur la réforme qu'il se propose d'introduire dans certains groupes d'insectes et de mollusques, mémoires dont il a soin de se réserver la propriété ; il y joint des dessins anatomiques. Dans la partie politique de sa correspondance, on voit Cuvier suivre avec un vif intérêt les grands événements qui se passent alors. Il se sent déjà Français, et se montre d’abord un chaleureux partisan de la Révolution. « La liberté et l'égalité sont gravées dans le cœur de tout homme éclairé, » dit-il. Ses sentiments sont parta- gés au château. A la fin de l’année 1790, la comtesse d'Héricy, fer- vente palriole, est forcée de renoncer à la société de plusieurs personnes de son rang et de sa famille, qui n’ont pas les mêmes opinions. À mesure que les circonstances deviennent plus graves, Cuvier devient plus réservé : il se promet de suivre un milieu entre les partis « J'aurai toujours devant les yeux le medio tulissimus ibis, » écrit-il à Pfaff en 1791. Les excès révolutionnaires se mulli- pliant, il déclare que « les têtes du peuple français ne sont pas faites pour la liberté, » et il se console en pensant « que pour les 90 honnètes gens, la liberté existe sous toutes les formes de gouverne- ment. » En 1793, il se trouve malheureux de vivre en France. Il partirait pour la Russie, où il est appelé, si sa faible santé et la crainte du climat ne le retenaient. Il avait appris la langue allemande pendant les quatre années qu'il passa à Stuttgard, de manière à la parler et à l'écrire avec la plus grande facilité. Il apprit l'italien et l'anglais, pendant son séjour à Fiquainville; mais il ne parvint jamais à parler cette dernière langue. Au commencement de l’année 1794, un club s'était formé à Val- mont, petite ville voisine du châleau de Fiquainville. Cette société, de politique qu'elle était d’abord, se lransforma bientôt en une sorte de société d'agriculture, et Cuvier en devint le secrétaire. Tessier, que ses articles publiés dans l'Encyclopédie méthodique avaient rendu célèbre, cachait son titre d’abbé, qui l’eût exposé à des persécu- tions, sous l’uniforme militaire de médecin en chef de l'hôpital de Fécamp. Un jour qu'il avait pris la parole au club de Valmont, Cuvier, après la séance, lui dit à voix basse : « Salut à M. l'abbé Tessier. » L'abbé comprend qu'il peut se fier à ce jeune homme, et dès ce moment des relations d'amitié s’établissent entre eux. L’abbé est présenté au château et y est bien accueilli. Cuvier lui communique ses travaux; Tessier les apprécie à leur valeur. Le 10 février 1795, il écrit à M. de Jussieu : « À la vue de ce jeune homme, j'ai éprouvé le ravissement de ce philosophe qui, jeté sur un rivage inconnu, y voit tracées des figures de géométrie. M. Cuvier sait beaucoup. Il démontre avec méthode et clarté. Je doute que vous puissiez trouver mieux pour l’anatomie comparée. C’est une perle digne d'être recueillie par vous. » Il écrit à peu près dans les mêmes termes à Élienne Geoffroy Saint-Hilaire, avec la famille duquel il est lié. Ce dernier, qui venait d'être nommé professeur ‘de zoologie au Muséum, demande que quelques mémoires du nouvel ami de M. Tessier lui soient commu- niqués. C'est après avoir lu ceux qu’on lui envoie qu'il écrit à Cuvier : « Venez à Paris, venez jouer parmi nous le rôle d’un autre Linné, d’un législateur de l’histoire naturelle. » Cet appel si flatteur, et les expressions mêmes dans lesquelles il était fait, répondaient à la pensée intime de Cuvier. Sentant sa 91 force, il s'était déjà dit qu'il serait un réformateur, un législateur. Dès 1790, il écrivait à Hartmann : « Depuis la mort de Linnæus, l'histoire naturelle n’a plus de législateur. Chacun suit son caprice. Or, si celte anarchie dure, la science deviendra un labyrinthe, dont on ne pourra plus sortir. » Dans une autre leltre adressée à Hart- mann le 48 mai 1791. Cuvier insiste sur la nécessité d’élablir une division naturelle des animaux, d’après le degré d'importance des caractères, et il indique une classification qui serait basée sur le plus important de ces caractères, c’est-à-dire sur la mâchoire. « Tout l'organisme d'un animal, dit-il, est en harmonie nécessaire avec sa manière de vivre. La nourriture et la manière d’aller la chercher sont des circonstances capitales de la vie animale. Les organes de la mastication doivent être en rapport avec la nourri- ture, conséquemment avec tout le genre de vie, el conséquemment avec toule l’organisation. » HIT. Ainsi préparé, Cuvier arrive à Paris, en avril 1795. Il a vingt-six ans. Il descend au Muséum d'histoire naturelle, chez Geoffroy Saint-Hilaire, plus jeune que lui de deux ans et demi, qui l’accueille en frère, et s'oublie pour le faire valoir. Vaincu par les instances de son jeune collègue, l’octogénaire Merlrud agrée Cuvier pour adjoint à sa chaire d’analomie comparée, chaire que, vu son grand âge, il lui eût été difficile d'occuper. D'un autre côté, Millin de Grandmai- son, Jussieu et Lamarck s’emploient activement pour le protégé de leur ami Tessier, en sorle que trois mois après son arrivée dans la capitale, Cuvier, en écrivant à Hartmann, fait suivre sa signature des qualifications suivantes : professeur d'hisioire naturelle aux écoles centrales de Paris, membre de la Commission temporaire des arts, adjoint à la chaire d'anatomie comparée au Muséum d'histoire naturelle. Quelques mois plus tard, il aurait pu ajouter à ces titres celui de membre de l'Institut. Il était difficile de faire un chemin plus rapide. Le mérite de Cuvier, quelque grand qu'il fût, ne suffirait pas pour l'expliquer ; mais il était arrivé à Paris au moment où l’on s'occupait à créer les établissements d'instruction publique destinés à remplacer ceux 92 que le règne de la Terreur avait renversés; les membres des an- ciennes compagnies savantes et du corps enseignant étaient, pour la plupart, dispersés dans les provinces et à l'étranger, ou avaient péri dans la tourmente. Un des premiers soins de Cuvier fut d'appeler à Paris son père, âgé de quatre-vingts ans, et son frère Frédéric. C'étaient les seuls parents qui lui reslassent; sa mère avait succombé en 1792. Son père mourut des suites d’une chute, peu de temps après son arrivée à Paris. Bien qu'il fût ainsi pourvu de plusieurs emplois rétribués , la position de Cuvier, sous le rapport pécuniaire, n’était pas brillante. La République mettait peu d’exactilude à payer les traitements de ses fonctionnaires. En 1798, Cuvier écrivait à ce même Hartmann : « Ne vous imaginez pas que Paris soit si fort favorisé. On doit douze mois au Jardin des plantes et à tous les établissements d'instruction publique ; et si nous portons envie aux éléphants, ce n’est pas qu'ils soient mieux payés que nous, mais c'est que, s'ils vivent comme nous à crédit, du moins, ils ne le savent pas, et n’en ont par con- séquent pas le chagrin. Vous savez qu'on a dit des Français qu'ils chantent, quand ils n'ont pas d'argent. Nous autres savants, qui ne sommes pas musiciens, nous faisons de la science, au lieu de chan- ter, et cela revient au même. Cette philosophie française vaut bien celle de Wolf, el même celle de Kant. » En effet, Cuvier fait de la science avec une ardeur toute juvénile. Les mémoires qu’il lit à la Société d'histoire naturelle, et dont quelques-uns ont été composés avec la collaboration de Geoffroy Saint-Hilaire, excitent l'admiration des savants. Bientôt son ensei- gnement au Muséum et à l'École centrale produit une impression plus vive encore. Il ne tarde pas à y joindre des cours d'histoire naturelle qu’il fait, pendant plusieurs années, à l'Athénée !. Sa parole captive donc tout à la fois les savants, la jeunesse studieuse et les gens du monde. s Ce n’est pas seulement la parole du jeune professeur qui charme ! Cet établissement fondé en 1780, sous le nom de Musée, par Pilâtre de Rosier’, fut reconstitué en 1785, après la mort de cet aéronaute, sous le nom de Lycée, et ne prit le nom d’Afhénée qu’en 1803. Laharpe, Ginguené, Lemercier et Brongniart y ont professé en même temps que Cuvier. ET VE 93 tous ceux qui l’écoutent, c'est aussi le talent, que nul n’a possédé au même degré que lui, de figurer à la craie sur le tableau noir les animaux dont il parle : contours, proportions, physionomie même, rien n'y manque. Ces esquisses fugitives donnent la vie à ses démonstrations. Ainsi, dès ses débuts, Cuvier se place au premier rang; et nul, pas même Geoffroy Saint-Hilaire, ne songe à le lui disputer. Une circonstance contribue à concentrer l'intérêt sur lui, c'est sa santé altérée par des travaux de cabinet; à cette époque, il est pâle, maigre, et affecté de celte petite toux sèche, indice d'une disposition imminente à la phthisie pulmonaire : pour prévenir cette toux, pendant ses leçons, il avale à chaque inslant quelques gorgées d’eau sucrée, dont une carafe est toujours placée sur son bureau. La variété de ses occupations, la déclamalion à laquelle il est forcé de se livrer, des habitudes régulières et des exercices d'équitation, ne ardent pas à fortifier cette constitution débile; et, quelques années plus tard, sa voix est devenue pleine et forte, et ses cheveux d’un blond roux ont pris une teinte plus foncée. IV. Je dois m'arrêter sur quelques-uns de ses premiers travaux : Dans un Mémoire sur une nouvelle division des mammifères et sur les principes qui doivent servir de base dans cette sorte de tra- vail, les auteurs (Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire) ont suivi les principes formulés par Anloine-Laureni de Jussieu pour la réparti- tion des plantes en familles naturelles, c'est-à-dire qu'ils ont re- cherché le degré d'importance des organes, pour en déduire les caractères primaires, secondaires el tertiaires , d'après lesquels doit être élablie une bonne classification, Des divers organes d’un animal, les uns consliluent son exis- lence, les autres le mettent en relation avec le monde extérieur. Les premiers sont la généralion qui lui donne la vie, et le mouve- ment réglé de ses fluides qui la maintient : ils fourniront les carac- tères indicateurs de premier ordre. 94 La généralion ne donne qu'une division , celle entre les animaux à mamelles, les seuls vraiment vivipares, et les autres classes uni- quement ovipares ou gemmipares. Le mode de circulation offre des caractères plus nombreux. C’est d’après lui que Linné a élabli ses cinq premières classes. Malheu- reusement, il a rejeté dans la dernière, et confusément, tout ce qui n'avait pu trouver place dans les cinq autres. Quand on a établi les classes, d’après la génération et le mode circulatoire, il faut recourir, pour la détermination des ordres, aux caractères secondaires, c'est-à-dire à ceux qui meltent l'animal en relation avec les autres êtres. Celte relation élant passive pour les organes des sens et active pour ceux de la préhension et de la nutri- tion, ce sont ces derniers qu’il convient d'employer. Ils fournissent des caractères d'égale valeur ; mais comme une partie des organes de la nutrition (l'estomac et les intestins) sont cachés dans l’inté- rieur du corps, on préférera ceux du tact. Ainsi, comme caractères indicateurs, les téguments des doigls passeront avant les dents. Ce principe posé, les auteurs divisent d’abord la classe des mam- mifères en trois embranchemenis : 4° les mammifères marins, qui ont les doigts réunis en nageoires; 2° les mammifères à sabots; 3 les mammifères à ongles. C’est leur division primaire : elle est fondée sur les téguments des doigts. Etablissant ensuite leur division secondaire d’après les dents, du premier embranchement, ils forment deux familles ou ordres : les cétacés, les mammifères amphibies. Le second embranchement four- nil trois ordres : les solipèdes, les ruminants, les pachydermes. Dans le troisième embranchement, les dents servent à élablir trois divi- sions; pour les autres, on revient aux organes du toucher. On obtient ainsi les neuf derniers ordres : les édentés, les tardigrades, les rongeurs; puis les quadrumanes, les cheiroptères, ou chauves- souris, les plantigrades, les vermiformes, les carnivores et les pédi- manes (sarigues et phalangers). La classe des mammifères se Lrouve donc partagée en quatorze ordres que le tableau, placé à la fin du mémoire, dispose ainsi dans un ordre inverse à celui des embranchements : 1° quadrumanes; 2° cheiroptères; 3° plantigrades ; 4° vermiformes; 5° carnivores ; 6° pédimanes ; 7° rongeurs; 8° édenlés; 9° lardigrades; 10° pachy- 95 dermes ; 11° ruminants; 12° solipèdes ; 13e amphibies ; 14° célacés !. Ce mémoire conlient les vrais principes de la méthode naturelle, c'est pourquoi je l'ai analysé avec quelque détail. La rédaction en appartient évidemment à Cuvier; on y retrouve les idées, que quel- ques années auparavant, il avait exposées à ses correspondants Pfaff et Hartmann. On y reconnaît pourlant certaines idées d’analogie propres à Geoffroy Saint-Hilaire. C’est probablement aussi ce der- nier.qui a exigé que l’homme ne figurâl pas dans la nomenclalure. Dans ses autres ouvrages, Cuvier l’a toujours placé en tête de la classe des mammifères ; et il ne pouvait pas faire autrement, puis- qu’il distribuait le règne d’après son organisation. C’est seulement en se plaçant au point de vue philosophique, et en ayant égard aux facultés, que l’on est conduit à placer l’homme en dehors el à une grande distance de l’animalité. L'expression de quadrumanes employée dans le mémoire des deux jeunes auteurs est empruntée à Buffon; celle de cheiroptères à Blu- menbach, et celle de vermiformes à Ray. Les mots solipèdes, édeniés et pachydermes, me paraissent appartenir à Cuvier. On doit reconnaître qu'ils ne sont pas heureux : quadrupède 1 Dans le Tableau élémentaire de l'histoire naturelle des animaux, publié en 1798, Cuvier place en tête de la classe des mammifères, l’homme ; il réunit ensuite les * cheiroptères, les plantigrades, les vermiformes, les carnivores et les pédimanes en un seul ordre qu’il nomme les mammifères carnassiers ; il réunit les tardigrades aux édentés, puis il sépare les éléphants des pachydermes pour en faire un ordre à part. Dans le tome IV des Leçons d'anatomie comparée, publié en 1805, la classe des mammifères est ainsi divisée : l’homme, les quadrumanes, les carnassiers, les ani- maux à bourse, les rongeurs, les édentés, les pachydermes, les ruminants, les solipèdes, les cétacés. Dans le tome I de ces mêmes Leçons, qui avait paru en 1800, il y a des diffé- rences dans cet arrangement : les chauves-souris et les amphibies forment des ordres à part. Dans le Règne animal, les solipèdes sont réunis aux pachydermes, en sorte qu’il n’y a plus que neuf ordres : les bimanes, les quadrumanes, les carnassiers, les marsupiaux, les rongeurs, les édentés, les pachydermes, les ruminants et les cétacés. Comme on le voit, Cuvier a sans cesse remanié cette partie de sa classification ; et, chose remarquable, plus il l’améliore, plus il se rapproche de celle de Linné. La concordance serait presque complète, si Cuvier eût suivi son idée de partager les marsupiaux (animaux à bourse), en deux sous-ordres, dont l’un serait ratta- ché aux carnassiers, l’autre aux rongeurs. 96 signifiant à quatre pieds, el bipède, à deux pieds, solipède devrait signi- fier à un seul pied. Or, tel n’est pas le sens que lui donne Cuvier : il veut seulement exprimer que l'animal a un seul sabot à chaque pied. C’est une mauvaise traduction du mot solidipes (pied sans di- vision) que l’on trouve dans Pline. De même le sens naturel du mot édenté est : qui n’a pas de denis. Dans la langue de Cuvier, il veut seulement dire : qui est privé de dents incisives. Le mot embranchement que nous verrons se reproduire dans la distribution générale du règne, intervient aussi d’une manière sin- gulière dans la langue zoologique. Linné, le nomenclateur par excellence, emprunte toutes ses dénominations à la langue politi- que. Il divise l'emPIRE de la nature en trois ROYAUMES (mot auquel nous avons maladroilement substilué celui de règnes). Chaque royaume est ensuite divisé en CLASSES; chaque classe en ORDRES; chaque ordre en GENRES. Les successeurs de Linné y ont ajouté des FAMILLES et des TRiBus. La convenance de loutes ces expressions est parfaite. : Cuvier part d'un autre point de vue : pour lui, la science est un arbre qui se partage en branches principales. Pour être conséquent, il aurait dû emprunter ses subdivisions à la langue de la botanique. C'est ce qu’il n’a pas fait. Mais le génie impose ses dénominations. Les embranchements resteront, bien qu'ils forment une disparale dans la nomenclature linnéenne, qu'il a conservée. De 1795 à 1797, Cuvier attire l'attention sur les animaux que Linné avait compris sous la dénomination générale de vers (vermes). On sait que ce naturaliste avait parlagé le règne animal en six clas- ses : mammifères, oiseaux, amphibies ou repliles, poissons, insec- tes, el vers; mais il n’avait bien fait connaîlre que les cinq premières classes. Il avait relégué dans la sixième tous les êtres inférieurs encore mal connus. Cette sixième classe, il l'avait ainsi subdivisée : les intestinaux, les mollusques nus, les mollusques à coquille, les lithophytes ou coraux, et les zoophytes. Pour mettre de l’ordre dans cette classe si confuse, Cuvier en retranche d’abord les animaux qui n’ont ni cœur, ni vaisseaux, ni organes respiratoires, animaux dont il forme la classe des zoophytes où rayonnés. Comme Linné, il y réunit les infusoires: mais comme il ne les connaît pas bien, il a soin de dire qu’il faudra placer avec les mollusques ceux chez les- quels on remarquerait un cœur. 97 Ce retranchement opéré, des animaux mous, nus ou à coquille, il fait une autre classe à laquelle il donne le nom de mollusques. Il placé celte classe immédiatement après les poissons et avant les crustacés el les insectes, parce que les mollusques ont un cœur, un système complet de vaisseaux sanguins, un foie et qu'ils respirent par des branchies. Les animaux qui restent en dehors de ces deux classes, c'est-à-dire les sangsues, les vers intestinaux, les lombrics, il en fait une section de la classe des insectes. C'est à cette section que Lamarck a donné le nom d’Annélides !. Les Mémoires dans lesquels Cuvier expose les bases de cette imporlante réforme apportée à la classification linnéenne, principa- lement ceux dans lesquels il traite de Ja structure interne des mol- lusques, sont des modèles de démonstration lucide et de critique sagace. Il fait voir que l’organisation de ces êtres inférieurs n’est ni moins compliquée, ni moins merveilleuse que celle des animaux les plus haut placés dans la série. C’est peut-être dans ces mémoires qu'il a jeté le plus de lumière sur le règne animal. Généralement admirés, dès le moment de leur publication, ils lui ouvrirent les portes de l'Institut, et eussent suffi pour le placer au premier rang des naturalistes. Les planches gravées, d’après les dessins de Cuvier, dont ils sont accompagnés, altestent son talent d'artiste et son habileté dans l’art des préparations anatomiques ? En 1797 et 1798, il publie deux mémoires importants, l’un sur le mode de nulrilion chez les insectes, l’autre sur les sangsues. Dans le premier de ces mémoires, il élablit, par les témoignages de Swam- merdam, de Lyonnel, el ses propres recherches, que le vaisseau dorsal, ou prétendu cœur des insectes, n’est pas un organe circu- latoire. Chez ces animaux, le corps se nourrit par voie de simple imbibition, c'est-à-dire par une absorption immédiale. Le chyle transpire à travers les pores du tube intestinal, et se répand unifor- mément dans toutes les parties du corps, dont chacune aitire et ! Dans un premier mémoire, publié un mois après son arrivée à Paris, de l’u- nique classe des vers de Linné, Cuvier en avait formé quatre : I. Les mollusques. 1. Les vers (intestins, lombrics et sangsues). III. Les échinodermes (astéries et oursins). IV. Les zoophytes. Mais il ne tarda pas à réformer ce premier essai de classification. * Les planches des premiers mémoires que Cuvier publia dans les Annales du Muséum, ont été gravées par lui-même à l’eau forte. VIII. 7 98 s’assimile les portions qui lui conviennent. Le système respiratoire des insectes est en rapport avec la manière dont se fait leur nutri- tion. Comme le fluide nourricier, qui n’a pas de réservoir commun, ne peut aller à la rencontre de l'air, c'est l'air qui, en pénétrant dans les trachées ramifiées à l'infini, va chercher ce fluide pour se combiner avec lui. | Dans le second mémoire, Cuvier établit que la couleur rouge du fluide circulatoire chez la sangsue n’est pas dué au sang qu'elle a absorbé, mais est sa couleur naturelle. Cela n'est pas tout-à-fait exact. Le sang des annélides est bleuâtre, ou verdâtre ou rougeâtre. Quand il présente celte dernière coloration, elle n'est pas due à des globules, comme dans le sang des animaux vertébrés, mais à une malière colorante, distincte du sang. En 1798, il publie le Tableau élémentaire de l'histoire naturelle des animaux, résumé des leçons faites par lui à l’École centrale du Panthéon. Il y donne un premier exemple d’une distribution des animaux, d’après son idée de la subordination des caractères. Cet ouvrage n'est qu’une esquisse du Règne animal, qu'il ne publiera qu’en 1817. v: En 1791, Pfaff avait adressé à Cuvier un manuscrit contenant les leçons d'histoire naturelle failes à l’Académie Caroline de Stuttgard, par le professeur Kielmeyer. On ne peut douter que ce ne soit dans ce manuscrit que Cuvier ait puisé l'idée de poursuivre, dans toute l'étendue de la série animale, l'examen comparatif de chacun des organes, considéré quant à sa structure, à ses fonclions et à ses rapports physiologiques avec les aulres organes. Mais si l'idée phi- losophique du professeur allemand lui a fourni le plan de ses Leçons d'anatomie comparée, on peut dire que Cuvier se l’est appropriée, par la manière supérieure dont il l’a développée. Ces leçons, failes au Muséum et à l'École centrale, Cuvier n’a pas pris le temps de les écrire. Dès 1800, il travaillait à un grand ouvrage d'anatomie comparée ; mais, ne pouvant espérer de le ter- miner avant plusieurs années, il résolut d'en donner une espèce d'abrégé ou de programme, en publiant les notes recueillies à ses 99 cours par deux de ses meilleurs élèves et plus chers amis, M. Cons- tant Duméril et M. Duvernoy. Cuvier rédigea seul la première leçon, et, dans les autres, les généralités philosophiques. Il revit avec soin, et n'hésita pas à reconnaître comme sienne la partie rédigée par M. Duméril, c’est-à-dire les deux premiers volumes, qui paru- rent en 1800. Quant aux trois derniers, qui ne furent publiés qu'en 1805, tout entier à d’autres travaux, il se contenta d’en rédiger quelques idées générales ; pour la suite, il s'en rapporta à M. Duver- noy, dont il ne revit pas la rédaction, se bornant à parcourir les épreuves pendant l'impression. De la première leçon qui contient les considérations préliminaires sur l’économie animale, j'extrais la page suivante, parce qu’elle touche à une question encore de circonstance aujourd'hui, « La vie suppose l'être vivant, comme l’attribut suppose le sujet. Quelque faibles que soient les parties d’un fœtus ou d'une graine, dans les premiers instants où il nous est possible de les apercevoir, ils ont déjà en eux le germe de tous les phénomènes que la vie doit développer par la suite. « Ce qui n’est pas moins constant, c’est qu'il n’est aucun de ces corps qui n'ait fait autrefois partie d'un corps semblable à lui, dont il s'est détaché. Tous ont participé à la vie d'un autre corps, avant” d'exercer par eux-mêmes le mouvement vital, et c'est même par l'effet de la force vitale des corps auxquels ils appartenaient alors, qu'ils se sont développés au point de devenir susceptibles d’une vie isolée ; car, quoique plusieurs espèces aient besoin, pour produire, de l'action particulière de l'accouplement, il en est beaucoup qui . produisent sans cela. Ainsi cet accouplement n’est qu’une circons- lance particulière dans certains cas, qui ne change point la nature essentielle de la génération. « Quelques efforts que l’on ait faits pour produire des corps vivants, ou pour prouver que la nature en produit en certaines cir- constances par d’autres voies, ces efforts ont été vains, ou se sont réduits en dernière analyse à des hypothèses sans preuves. Le mouvement propre aux corps vivants n’a donc réellement son ori- gine que dans celui de leurs parents; c'est d'eux qu'ils ont reçu impulsion vitale : leur naissance n’est qu'une individualisation. En un mot, dans l'état actuel des choses, la vie ne naît que de Ja * vie, et il n'en existe d'autre que celle qui a été transmise de 100 corps vivanis en corps vivanis, par une succession non-inler- rompue. jee « L'origine par génération, l'accroissement par nutrition, la fin par une véritable mort, tels sont les caractères généraux.el com- muns à tous les corps. » Après avoir, dans la première leçon, analysé rapidement les con- ditions de l’économie animale, Cuvier éludie successivement, dans toute la série des animaux qui en sont pourvus, les organes du mouvement, les organes des sens, les organes de la digestion, de la circulation, de la respiration, de la voix, enfin les organes de la génération. Il en montre l'importance relalive dans les diverses classes, il en suit les dégradalions, et termine l’article consacré à chacun d'eux par l'énumération des animaux qui en sont privés. Rapprocher ainsi les faits, en établir les rapports, en former des ensembles, c’est agrandir le domaine de la science. Beaucoup de faits curieux et alors nouveaux sont réunis dans ces Leçons. Cuvier y fait connaître la structure de la voix chez les oiseaux, et il en explique le fonctionnement; il donne le mécanisme des jets d’eau des célacés, et la cause qui prive de la voix ces ani- maux ; il compare les cerveaux des diverses classes, et montre les rapports de leurs formes avec les habitudes et l'intelligence des animaux. Cet ouvrage, auquel on accorde généralement le mérite d’avoir constitué, comme science, l'ANATOMIE COMPARÉE, a eu une seconde édition. En 1828, prévoyant que le grand ouvrage que, depuis près de trente ans, il préparait sur celle science, ne pourrait paraître qu'à une époque encore éloignée, il se décida à publier de nouveau les Leçons d'anatomie comparée, dans lesquelles il se proposait d’uti- liser en partie le résultat de ses recherches. Il en revit le premier volume avec soin; mais la mort ne lui permit pas d'aller plus avant. M. Laurillard, secrétaire de Cuvier, et M. Frédéric Cuvier, neveu, complétèrent ce qui concerne le système nerveux el les organes des sens. M. Duvernoy fit subir à l'œuvre primitive des changements beaucoup plus considérables; il ajouta dix leçons nouvelles aux trente leçons de la première édition. Ces perfectionnements, que les progrès de la science avaient peut-êlre rendus nécessaires, ont donné à l'ouvrage une tout autre physionomie et pour la forme et pour le fond ; mais ce n’est plus l’œuvre de Cuvier. 101 Le premier volume de cette seconde édition ne parut qu'en 1835, c’est-à-dire trois ans après la mort de Cuvier, le huitième et dernier en 1846. Dans le volume qu'il revit lui-même, Cuvier dirige des attaques fort vives contre les idées d'unité organique, émises par Geoffroy Saint-Hilaire, Blainville, Kielmeyer, Oken et même par Duméril. Voici comment il parle de Lamarck, qu’il ne nomme pas, mais qu'il désigne de manière que personne ne peut s’y méprendre : « Des naturalistes plus matériels dans leurs idées , ne se doutant même pas des abstractions philosophiques dont nous venons de par- ler, sont demeurés humbles sectateurs de Maillet !. Voyant que le plus ou le moins d'usage d’un membre en augmente ou en diminue quelquefois la force et le volume, ils se sont imaginé que ces habi- tudes ou des influences extérieures longtemps continuées ont pu changer par degrés les formes des animaux, au point de les faire arriver successivement à toutes celles que montrent aujourd'hui leurs différentes espèces, idée peut-être la plus superficielle et la plus vaine de celles que nous avons déjà eu à réfuter. On y consi- dère en quelque sorte les corps organisés comme une simple masse de pâte ou d'argile, qui se laisserait mouler entre les doigts. Aussi, du moment où ces auteurs ont voulu entrer dans le détail, ils sont tombés dans le ridicule. Quiconque ose avancer que le corps d’un poisson, à force de se tenir au sec, pourrait voir ses écailles se fen- diller, se changer en plumes, et devenir lui-même un oiseau; ou qu'un quadrupède, à force de pénétrer dans des voies étroites, de se passer à la filière, pourrait se changer en un serpent, nc fait autre chose que prouver la plus profonde ignorance de l’anatomie. » Cette critique, vraie au fond, est beaucoup trop dure en la forme. 11 semble que la vieillesse de Lamarck, sa cécité, sa pauvreté si noblement soutenue, et surtout les incontestables services rendus par lui à la science, devaient mériter plus d'égards de la part de son collègue. Le musée d'anatomie comparée, celte immense collection de squelettes d'animaux et de préparations anatomiques que Cuvier et 1 On sait qu’au dix-huitième siêcle, Maillet, reconnaissant que notre globe avait été longtemps couvert par les eaux, en concluait que tous les êtres actuellement existant, l’homme lui-même, provenaient d’animaux marins qui s'étaient graduel- lement modifiés, 102 son frère Frédéric commencèrent dès leur installation au Muséum, et qu'ils poursuivirent avec un zèle qui ne s’est jamais ralenti , est le complément ou plutôt le meilleur commentaire des Leçons. Cuvier disait souvent qu’il ne croyait pas avoir été moins utile à la science par ses collections seules que par tous ses ouvrages. VI. En 1800, Cuvier succéda à Daubenton, dans la chaire que ce patriarche des naturalistes laissait vacante au Collége de France. Cette même année, le général Bonaparte, à son retour d'Égypte, fut nommé vice-président de la classe des sciences physiques et mathé- matiques à l’Institut. Cuvier en était le secrétaire. Le jeune général fut ainsi mis en rapport avec Cuvier, dont il put apprécier la haute capacité. Devenu premier consul, et songeant à reconstituer l’ancienne Université, Bonaparte nomma Cuvier un des six inspecteurs aux- quels il confiait le soin d'établir des Lycées dans trente villes de France. Dès lors la vie du savant va se partager eutre la science ét les fonctions publiques. Cuvier quittait avec regret Paris où il avait non-seulement des admirateurs, mais des amis. Il s'était formé, au commencement de la Révolution, sous le nom de Société philomatique, une réunion de plusieurs jeunes gens, amis des sciences, dont le but était de se mettre au courant des découvertes faites dans les différentes bran- ches des connaissances humaines, et d’en suivre les progrès. Cette Société comptait parmi ses membres, Biot, Laplace, Monge, Ber- thollet, Geoffroy Saint-Hilaire, Savigny, Duméril, de Candolle, Larrey, Mirbel, Foureroy, Brongniart, Prony, Haüy, Lasteyrie. « C'était, a dit de Candolle, une réunion de gaielé, de commérage et d'instruction. » Dans ce cercle d'amis, Cuvier se dépouillait de cette gravité qui formait le fond de son caractère, et que son extérieur reproduisait. « Il était, dit Pfaff, qui vint le visiter à cette époque, le plus gai et le plus aimable compagnon. » Il aimait beaucoup les petits théâtres, particulièrement les Variétés ; et, quand il y avait vu quelque pièce nouvelle, il la racontait à ses confrères, le samedi suivant, jour des séances de la Société philomatique, avec une 103 verve, un entrain et une bouffonnerie qui les faisait tous pâmer de rire. On comprend qu’il ne quittait pas sans regret ce Paris, où il était si bien accueilli, où chaque jour il élait applaudi et entouré d'affection. Dans une lettre écrite en décembre 1802, dans le cours d’une de ses tournées d'inspection, il dit à M. de Candolle : « ... Nos amis ne me rejetteront pas, parce que je me serai plongé, pendant quelque temps, dans le bourbier matériel des emplois sociaux ordi- naires. Je leur demande cette grâce, en faveur de mon tendre atta- chement pour eux. Vous voyez combien je me crois peu digne d’être, comme vous m'appelez, votre chef invisible... Quand on a pu quitter vos jolies assemblées pour faire expliquer vingt fois de suite le Conticuere omnes, intentique ora tenebant ou démontrer autant de fois le théorème de Pythagore, peut-on se vanter d’être auire chose qu’un corps grossier ?.. Un grand prin- cipe est que les esprits doivent toujours se ménager des protections dans le royaume des corps. Les philosophes donnent comme preuve de l'existence de Dieu qu’il n'y a qu’une intelligence supérieure qui ait pu disposer ce bas monde, comme il l’est. Depuis que je vois combien les pelites intelligences y ont d'influence, je suis presque tenté de ne plus croire qu'il ait été fait par une grande. » Il n’y a donc pas lieu de s'étonner si, l'année suivante, Cuvier, nommé secrétaire perpétuel de la classe des sciences à l'Institut, par suite d’un changement que venait de subir celte savante cor- poration, profita de la circonstance pour se démettre de ses fonc- tions d’inspecteur-général. Vers la fin de cette même année 1803, il épousa la veuve de M. Duvaucel, un des vingt-huit fermiers généraux qui, y compris Lavoisier, périrent sur l'échafaud, le 8 mai 1794. M Duvaucel avait peu de fortune; on peut presque dire qu'elle n’apportait en dot à son mari que les quatre enfants qu’elle avait eus de son premier mariage. Cuvier avait alors trente-quatre ans, Me Duvaucel en avait trente. C'était une femme du grand monde, n'ayant rien de la légèreté française, et dont le caractère sérieux convenait à Guvier. De cette union naquirent quatre enfants que Cuvier eut la dou- leur de perdre successivement. Deux moururent en bas âge. Un fils sur lequel il faisait reposer ses espérances , lui fut enlevé à l’âge de sept ans. Le père ne s’en consola jamais, et quand par hasard, chez 104 un de ses amis, il rencontrait un garçon de cet âge, il éprouvait une émotion pénible. Enfin sa fille chérie, Clémentine, douée de toutes les grâces et de toutes les vertus, mourut en 1827, à l’âge de vingt- deux ans, dix jours avant l'époque qui avait élé fixée pour son mariage. Sans l'étude, ces pertes successives eussent jeté une ombre funeste sur l'existence de Cuvier ; maïs il trouvait dans le travail la plus puissante des consolalions. On a souvent cité une des plus belles pages de la préface du Règne animal, écrite le jour même où il avait perdu un de ses enfants. Après avoir montré combien l'étude de l'histoire naturelle donne de justesse et de neltelé à l'esprit par l'habitude qu'elle fait contracter de classer un très-grand nombre d'idées, Cuvier ajoute : « Elle n’est pas moins utile dans la solitude; assez étendue pour suffire à l'esprit le plus vaste, assez variée, assez intéressante pour distraire l’âme la plus agitée, elle console les malheureux, elle calme les haines. Une fois élevé à la contemplation de cette harmonie de Ja nature, irrésistiblement réglée par la Providence, que l’on trouve faibles et petits ces ressorts qu'elle a bien voulu laisser dépendre du libre arbitre des hommes! Que l’on s'étonne de voir tant de beaux génies se consumer si inutilement, pour leur bonheur et pour celui des autres, à la recherche de vaines combinaisons, dont quelques années suffisent pour faire disparaître jusqu'aux traces! « Je l'avoue hautement : ces idées n’ont jamais élé étrangères à mes travaux ; el si j'ai cherché de tous mes moyens à propager cette paisible étude, c’est que, dans mon opinion, elle est plus capable qu'aucune autre d'alimenter ce besoin d'occupation qui a tant con- tribué aux troubles de notre siècle. » VIT. En 1808, Napoléon, ayant créé l’Université impériale, y attacha Cuvier avec le titre de Conseiller à vie, et lui donna mission d'orga- niser les établissements d'instruction publique du royaume d'Italie, de la Hollande, des nouveaux départements de la Basse- Allemagne et des villes anséatiques. Les fortes éludes classiques qu'il avait faites à Montbéliard et à Stuttgard, et l'élévation de ses vues, le rendaient plus propre qu'aucun autre à remplir dignement une si haute mis- 105 sion. Loin de vouloir tout innover, tout assujetlir à nos usages fran- çais, il met un soin extrême à signaler, dans ses rapports, tout ce que les établissements des pays qu’il visite renferment d'utile, tout ce qui, tenant aux mœurs et aux habitudes locales, doit être soi- gneusement conservé, et même ce qu'il serait bon d'introduire chez nous. Il fut singulièrement frappé en Hollande de l’état avancé de l’ins- truction primaire. La première école dans laquelle il entra, était une de celles que la charité publique entretient pour les enfants des familles les plus indigentes, « pour ceux, dit-il, qui en tant d’autres pays seraient réduits à traîner leur misère sur les grands chemins pour y faire le métier de mendiants, en allendant qu'ils aient la force de faire celui de voleurs. » Ces enfants, au nombre de trois cents. étaient réunis dans deux salles vastes, claires et bien aérées. Tous, tenus proprement, venaient se placer, sans bruit, sans désordre, sans impolitesse, et, obéissant à des signes convenus, faisaient tout ce qui leur était commandé, sans que le maître eût besoin de dire une parole. Un maître et deux aides, qu’on eût pris eux-mêmes pour des écoliers, gouvernaient cette multitude d'enfants, sans cris, sans invectives, sans aucune punition corporelle, mais en sachant loujours les intéresser et les tenir en haleine. Des prières et des hymnes chantées en commun, composées exprès pour eux el respirant le sentiment du devoir, don- paient du charme à cette instruction. Cuvier décrit les procédés employés pour l’enseignement : lecture au tableau par groupes, écriture sur l’ardoise, éléments du calcul donnés au moyen de petits cubes, séparés ou réunis par dizaine. Il mentionne également les classes du soir pour les élèves qui, sortis de l’école et déjà pour- vus de métiers, désiraient perfectionner leur instruction. Cuvier crut d’abord que cette école était un exemple unique, un établissement exceptionnel; mais à mesure qu'il parcourut le pays, il revint de cette erreur. Partout il trouva les écoles primaires orga- nisées sur le même modèle; et il apprit que toutes les améliorations qu'il conslatait, avaient élé introduites dans les écoles, vers l’an- née 1784, par une Société particulière, dont la formation était due au zèle d'un homme pieux et humain. Îl exprima le vœu qu'une institution analogue s'établit en France. C’est probablement cette pensée, consignée dans son rapport, qui, 106 en 1815, donna naissance à la Société pour l'instruction élémentaire, dont Cuvier fut un des fondateurs. Le malheur des temps a voulu que chez nous la politique vint s’immiscer dans cette grande ques- tion de l'éducation populaire; mais, depuis cinquante ans qu’elle existe, cette Société n’a cessé de rendre d’incontestables services même aux écoles qui se sont souslraites à son aclion, parce qu’elle les a forcées à perfectionner leurs méthodes et à étendre leur enseignement. est pour réaliser la même pensée, sous une autre forme, que Cuvier fit créer, en 1816, les Comités cantonaux. L'opposition d’une parlie du clergé entrava leur marche pendant la restauration, et ils ne fonctionnèrent d’une manière profitable, qu'après leur réorgani- sation par la loi de 1833. Une réaction aveugle les a supprimés en 1852; mais l'instruction morale et intellectuelle du peuple est un problème revenu à l’ordre du jour chez toutes les nations éclairées de l’Europe ; el tous les bons esprits sentent qu'il est grandement temps d'améliorer un régime dont on s'accorde à reconnaître l’im- perfection. Il faut donc savoir gré à Cuvier des efforts qu'il fit alors « dans l'espoir (comme il l’a dit), qu'un jour l'instruction primaire donnera au peuple les moyens d'exercer pleinement son industrie, sans le dégoûter de son étal ; qu'elle consacrera ses devoirs en les établissant sur la base de la morale; que l'instruction secondaire étendra l’es- prit, sans le rendre faux et présomptueux ; qu’elle préparera réelle- ment la jeunesse aux études spéciales; qu’elle ne laissera jamais éteindre dans la nation cette succession de grands écrivains, qui font un de ses plus beaux titres de gloire ; que l'instruction spéciale donnera à la relizion des ministres dignes d'elle par leurs lumières autant que leurs verlus; à l'État des défenseurs qui joindront à la bravoure naturelle aux Français les connaissances approfondies dont la guerre de terre et de mer ne peut aujourd’hui se passer ; aux tri- bunaux et aux administrations des magistrats inslruits non-seule- ment des lois, mais de la raison des lois el de lout ce qui fait la pros- périté intérieure et extérieure des peuples ; aux citoyens des hommes habiles à employer, au profit de la santé publique et particulière, toutes les ressources des sciences physiques ; qu'il y aura loujours parmi nous de ces génies élevés qui étendent le domaine de l'esprit, qui dévoilent les secrets de la nature et qui retrouvent, dans les 107 monuments antiques, la trace des événements oubliés, ou qui fondent “sur la naturé du cœur humain l’art si important et si difficile de gouverner les hommes. » Cuvier se préoccupait aussi des hautes études. Deux fois président, par intérim, du Conseil d'instruction publique, à la retraite de Royer- Collard et à celle de Corbière, il fit établir, dans les colléges royaux, des chaires d'histoire et de géographie, d'histoire naturelle, de phy- sique, et plus tard de langues vivantes. C’est aussi lui qui réorganisa la Faculté des sciences, et la fit trans- porter de l’ancien collége Duplessis dans les bâtiments de la Sorbonne. On lui doit également l’Agrégation, dans les diverses Facultés, sorte de pépinière pour le haut professorat. Enfin il demanda, plusieurs fois, que l'on créât à Paris une Faculté d'administration, analogue à l'Université Caroline où il avait étudié, et d'où les élèves seraient sortis avec des grades qui les eussent dési- gnés pour les emplois administratifs. Mais, sous le gouvernement parlementaire, ces emplois, brigués par toutes les médiocrités ambi- tieuses, sont plus souvent accordés à la faveur qu'au mérite, et l’on comprend que les ministres n'aient pas été tentés de se dessaisir du droit d'en disposer, puisque c'était pour eux un moyen de se créer une majorité. Tout ce que Cuvier put obtenir, ce fut la fondation d’une chaire de droit administratif, créalion qui ne dura pas long- temps. Cuvier fut nommé membre de l'Académie française en 1818. Dans son discours de réception, il se plaît à marquer l'influence très- directe que l'esprit des sciences a exercée sur notre langue. « Les vers de Corneille, dit-il, bien que trop souvent incorrects, avaient égalé, par la force et le sublime des pensées, ce que les anciens ont de plus grand ; mais on cherchait encore la vraie prose française. Au milieu de tentalives diverses, un homme la découvrit ; ce fut l’auteur des Provinciales. Mais l'auteur des Provinciales, dans son enfance, avait aussi découvert la géométrie, et depuis il l'avait enrichie, ainsi que la physique, des vérilés les plus importantes. Aussi me semble-t-il qu’à ce caractère si parliculier de la prose fran- çaise, à celte netleté, à ces tours si logiques qui ont fait dire que, dans tout ce qui n’est pas clair, dans tout ce qui n’est pas bien rai- sonné, il y a quelque chose qui n’est pas français, on reconnaîtrait, 108 quand on ne le saurait pas d’ailleurs, quel fut le genre d'esprit de l'écrivain qui contribua le plus à la fixer. Cè langage si juste, si suivi, en même temps que si élégant, si fin, respire tellement l'esprit géométrique, que les qualités d'un rare géomètre ne s'expriment pas en d’autres termes. « Mais il ne se fait pas dans le langage d'un peuple un changement si marqué, sans que tous les arts qui emploient le langage n’en subissent plus ou moins la loi. La poésie se soumettra, tôt ou tard, à une partie de ces règles sévères : elle consentira à devenir moins libre, pour acquérir plus de justesse et de clarté, pour acquérir même plus de force ; car, en poésie comme en prose, il n’esl point de force véritable sans clarté et sans justesse. Je ne craindrai donc pas de dire que ce caraclère nouveau de correction et d'élégance qui se montre subitement daas les vers de nos deux poètes classiques, dix ans après les Provinciales, est un effet direct de leur admiration pour Pascal et de leurs liaisons avec ses amis. » VIII. A la fin du dix-huitième siècle, le naturaliste Camper, qui avait formé une collection d'ossements fossiles, a émis l'opinion que les révolutions dont notre globe porte des traces irrécusables, ont fait disparaître de sa surface des races entières d'animaux. Celte idée des races perdues, que Camper n’a pas appuyée sur des faits assez nombreux, semble avoir préoccupé Cuvier, dès le moment où il commence l'étude des restes fossiles organiques. Dans une note qu'il rédige avec Geoffroy Saint-Hilaire, pour le Bulletin philomatique, à la fin de l’année 1795, c’est-à-dire quelques mois après son arrivée à Paris, il constate que le Mammouth, dont on trouve les ossements en Sibérie, quoique très-voisin de l'éléphant d'Asie, en diffère assez pour être es comme une espèce dis- tincte. En mars 1796, à la séance publique d'installation de l'Institut, il lit un mémoire sur les espèces vivantes et les espèces fossiles d'élé- phants, et il annonce que les ossements de ces dernières espèces ont appartenu à des êtres d’un monde antérieur au nôtre et qui ont élé détruits par quelque bouleversement du globe; ceux qui existent M dt de 109 aujourd’hui ont pris leur place, sans en être les descendants, el ils se verront peut-être détruits à leur tour et remplacés par d’autres, dont ils ne seront pas les ancêtres. Trois mois plus tard, il fait à la Société philomalique une com- munication dans laquelle il se propose de rassembler les os fossiles qui ont appartenu à chaque espèce, de recomposer les squelettes de ces espèces, de les comparer avec celles qui existent de nos jours, pour en déterminer les rapports et les différences. Après avoir décrit différentes espèces fossiles des genres mam- mouth, hippopotame, rhinocéros, paresseux, ours, tapir, cerf et bœuf, il conclut : 1° qu’il n’est pas vrai de dire que les animaux du Midi ont autrefois vécu dans le Nord, leurs espèces n'étant pas identiques ; 2 qu’il y a eu, dans différentes contrées, des animaux qui n’y vivent plus aujourd'hui, et qui ne se retrouvent même nulle part dans les pays connus. Il laisse aux géologues à mettre leurs théories d’accord avec les faits. Les ossements que Cuvier avait à sa disposition provenaient des carrières de plâire que l’on exploilait alors à la bulte Montmartre. Il payait un ouvrier intelligent pour les recueillir, à mesure qu'on les mettait à découvert. Ces débris, appartenant à plus de vingt espèces différentes, lui arrivaient pêle-mêle, brisés, mutilés, incomplets. Son embarras fut grand, quand il voulut mettre de l’ordre dans cette confusion, et reconslruire les êtres auxquels les fragments avaient appartenu. Il fallait que chaque os allât relrouver celui auquel il devait tenir. « C'était presque une résurreclion en petit, — a-t-il dit, — el je n'avais pas à ma disposition la trompette loute-puissante ; mais les lois immuables prescrites aux êtres vivants y suppléèrent, et à la voix de l’anatomie comparée, chaque os, chaque partie d'os, reprit sa place. Je n'ai point d'expressions pour peindre le plaisir que J'éprouvais en voyant, à mesure que je découvrais un caractère, toutes les conséquences plus ou moins prévues de ce caractère se développer successivement : les pieds se trouver conformes à ce qu'avaient annoncé les dents, les dents à ce qu'annonçaient les pieds ; les os des jambes, des cuisses, tous ceux qui devaient réunir ces parlies extrêmes, se trouver conformés comme on pouvait le juger d'avance; en un mot, chacune de ces espèces renaître, pour ainsi dire, d'un seul de ses éléments. » 110 Dans son Anatomie comparée, Cuvier avait démontré que, dans l'organisation animale, il y a des conditions qui s'appellent les unes les autres, et qu'il y en a qui s’exeluent. C’est ce principe, c’est-à- dire la corrélation des formes, qui lui permet de reconnaitre une espèce ” d’après quelques-unes de ses parties seulement. Voici comment il expose celte règle : « Tout être organisé forme un ensemble, un sysième unique et clos, dont les parties se correspondent mutuellement et concourent à la même action définilive, par une réaclion réciproque. Aucune de ces parlies ne peut changer sans que les autres changent aussi; par conséquent chacune d'elles, prise séparément, indique et donne toutes les autres. « Ainsi, si les intestins d’un animal soni organisés de manière à ne pouvoir digérer que de la chair, il faut aussi que ses mâchoires soient consiruiles pour dévorer une proie, ses griffes pour la saisir et la déchirer, ses dents pour la couper et la diviser, le système entier de ses organes du mouvement pour la poursuivre et pour l'atteindre , ses organes des sens pour l’apercevoir de loin. Il faut de même que la nature ait placé, dans son cerveau, l'instinct nécessaire pour savoir se cacher et tendre des piéges à ses victimes. Telles seront les conditions générales du régime carnivore. Tout animal destiné. pour ce régime les réunira infailliblement ; car sa race n'aurait pas pu subsister sans elles. « . Les animaux herbivores, n'ayant pas de proie à saisir, et n'ayant d'aulre usage à faire de leurs pieds de devant que de soutenir leur corps, n’ont pas besoin d'une épaule aussi vigoureusement organisée que celle des carnivores. Leur régime exigera des dents à couronne plate, pour broyer les semences et les herbages ; il faudra que celle couronne soit inégale et, pour cet effet, que les parties . d'émail y alterneni avec les parties osseuses. Gelte sorte de couronne nécessitant des mouvements horizontaux pour la triluration, le con- dyle de la mâchoire ne pourra être un gond aussi serré que dans les carnassiers ; il devra être aplati et répondre aussi à une facelte de l’os des tempes plus ou moins aplatie; la fosse temporale qui n’aura qu'un petit muscle à loger sera peu large et peu profonde, etc. Toutes ces choses se déduisent l’une de l’autre. » Comme on le voit, avec un cerlain nombre de fragments, l’ana- 111 tomie comparée peut reconstituer un être fossile; et ce n’est pas seulement la forme et les dimensions de son corps qu’elle nous montre, ce sont aussi les mouvements, le régime, les habitudes et les inslincts de cet être qu’eile permet de déterminer avec certitude. N'est-ce pas là une véritable résurrection ? Une fois entré dans cel ordre de recherches, qu’il poursuivra pen- dant tout le reste de sa vie, possédant dans sa théorie de la corrélation des formes un instrument puissant, et trouvant dans l’observalion un moyen supplémentaire quand sa théorie l’abandonnaiït, Cuvier marcha de découverte en découverte. De toutes parts les savants, répondant à l’appel qu'il leur avait adressé, lui envoyaient des osse- ments fossiles. Il pouvait ainsi mulliplier les comparaisons et vérifier les applications qu'il faisait de sa loi. Il arrivait à des détails propres à étonner. « La moindre facelte d'os, a-t-il dit, la moindre apophyse ont un caractère déterminé, relatif à la classe, à l'ordre, au genre et à l’espèce auxquels elles appartiennent, au point que toutes les fois qu'on a seulement une extrémité d’os bien conservée, on peut, avec de l'application et en s’aidant de l’analogie et de la comparaison effective, délerminer toutes ces choses, aussi sûrement que si l’on possédait l'animal entier !. » Cuvier parvint à déterminer et à classer les restes de plus de cent cinquanle espèces, tant mammifères que quadrupèdes ovipares. « Considérés par rapport aux espèces, plus de quatre-vingt dix de ces animaux étaient inconnus des naturalistes; onze ou douze avaient une ressemblance si absolue avec des espèces connues que l'on ne pouvail guère conserver de doute sur leur identité ; les autres présentaient, avec des espèces connues, beaucoup de traits de res- semblance; mais la comparaison n'avait pu en être faite d’une manière assez scrupuleuse pour lever tous les doutes. » On sail que parmi les animaux fossiles, reconstruits par la science et l’admirable sagacilé du grand naluraliste, plusieurs espèces étaient complétement différentes de celles que nous connaissons. Tels 1 Blainville a prétendu qu'avec un seul os et à plus forte raison avec une seule facette, il est impossible de reconstituer un animal. Cuvier seul, en effet, a pu exé- cuter cette espèce de tour de force. Au surplus, il ne s’est pas toujours montré si affirmatif. Ainsi il dit, en parlant du chéropotame, qu’on ne connaït pas encore ses incisives, ni ses pieds; et 1l y a plusieurs espècés de carnassiers qu'il n’a pu déterminer, faute d’en avoir des portions assez complètes. 112 étaient l’Ichthyosaurus, qui à la têle d’un lézard, mais prolongée en un museau armé de dents coniques et poinlues, joignait un corps long de vingt pieds et des nageoires d’une seule pièce, analogues, pour l'usage comme pour l'organisation, à celles des cétacés : le Plesiosaurus, autre espèce de lézard gigantesque, dont le cou grêle et aussi long que le corps, s'élevait sur le tronc comme pourrait le faire un serpent : le Megalosaurus, qui, avec la forme des lézards, avait un corps de 70 pieds de longueur ; le Ptérodactyle, sorte de lézard volant, de la taille d'une grive et qui porté sur de hautes jambes, avail le cou très-long et le museau armé de dents aigües ; le Mesosaurus, autre saurien de plus de vingt-cinq pieds de long, et dont la queue, haute et plate, formait une large rame verticale ; enfin l’Iguanodon qui atteignait jusqu’à soixante-douze pieds de longueur. Plus lard ont apparu d’autres genres inconnus, mais appartenant à l'ordre des Pachyderines, par conséquent s’éloignant moins des genres actuels ‘tels que le Paleotherium et le Lophiodon qui ressem- blaient à nos tapirs ; l'Anoploterium, qui ne peut se comparer à rien dans la nalure vivante ; l’Anthracotherium, genre intermédiaire entre le Paleotherium el le cochon, elc. ; en tout, près de quarante espèces de pachydermes, de genres entièrement éteints. Enfin à ces genres ont succédé des espèces également éteintes, mais appartenant à des genres connus, comme des mastodontes, des éléphants, des rhinocéros fossiles, accompagnés de chevaux, de plu- sieurs grands ruminants, et de quelques carnassiers. Grâce aux travaux de Cuvier, le sol des environs de Paris, où la plupart de ces genres fossiles ont été trouvés, est devenu le sol clas- sique de la zoologie des temps primitifs. IX. La première édition des Recherches sur les ossements fossiles parut en 1812. C'est un recueil des mémoires insérés successivement dans les annales du Muséum, auxquels Cuvier a cherché à donner quel- que liaison, au moyen d'articles supplémentaires, et qu'il a fait pré- céder d’une introduction. Dans une seconde édilion, publiée de 1821 à 1824, il a mis l’ou- 113 vrage dans un meilleur ordre, el il s’est efforcé, sans y parvenir complétement, de faire disparaître les traces de la manière fragmen- taire dont il l'avait composé. Mais reproduire à la lumière des races entières d'animaux inconnus au monde actuel et ensevelis, depuis des temps incalculables, à de grandes profondeurs ; indiquer leur genre de vie, reconstituer leurs squelettes el en donner des descriptions exactes, ne pouvait suffire à un grand esprit comme Cuvier. Dès ses premières études sur les fossiles, il a compris que cette question touche à l’histoire des révolutions qui ont successivement bouleversé la surface du globe el ont amené la configuralion actuelle de ses mers et de ses conti- nents. « Je laisse, avait-il dit dans sa première communication à la Société philomatique, je laisse aux géologues le soin de mettre leur théorie d'accord avec les fails. » Or, qui pouvait mieux que Cuvier montrer par quels rapports l’histoire des fossiles d'animaux terrestres est liée à la théorie de la terre? Qui avait plus de savoir, plus de pénélration, plus de sagacité pour les déductions à tirer des faits? Qui mieux que lui pouvait mettre à profit cette riche collection, réunie avec tant de peines, de soins et de persévérance? Pour se meltre en état de déterminer avec quelque certitude les rapports des êtres fossiles avec les terrains qui les recèlent, Cuvier sentit le besoin de compléter les connaissances qu'il pouvait avoir en géologie, et il se mit sous la direction de son ami Alexandre Brongniart. Pendant quatre années, les deux savants firent ensemble, presque chaque semaine, des excursions plus ou moins élendues, dans les environs de Paris. Ils déterminèrent minéralogiquement chaque point de la contrée, prirent les profils des carrières, les niveaux des hauteurs, et comparèrent les diverses couches, sous le rapport de leur nature et des fossiles qu'elles renferment. De ces recherches communes résulla l’Essai sur la géologie minéra- logique des environs de Paris, publié par Brongniart en 1810, et que Cuvier a inséré dans la seconde édition de son ouvrage sur les fossiles. Pendant une de leurs courses dans la forêt de Fontainebleau, Cuvier fut frappé d’un trait de lumière, el s’écria qu'il avait trouvé le nœud de l'affaire. Ce qu'il venait de découvrir, c'est qu'il n’y a pas seulement des terrains qui ont été déposés par la mer, il y a aussi des terrains qui se sont formés dans les caux douces. VIII 8 114 «Ces études nouvelles, dit Cuvier, ont démontré de plus en plusque la mer, après avoir longtemps couvert ce pays et y avoir tranquille- ment déposé des couches assez diverses, l’a abandonné aux eaux douces, qui s'y sont étendues en vastes lacs ; que c’est dans ces lacs que se sont formés nos gypses et nos marnes, qui alternent avec eux ou qui les recouvrent immédiatement ; que les animaux particuliers dont les ossements remplissent ces gypses, vivaient sur les bords de ces lacs ou sur leurs îles, nageaient dans leurs eaux et y tombaient à mesure qu'ils mouraient ; qu’à une époque plus récente, la mer a occupé de nouveau son ancien domaine et y a déposé des sables et des marnes mêlés de coquillages ; qu’enfin, après sa dernière retraite, des étangs et des marais ont encore longtemps occupé la surface des hauteurs aussi bien que des vallées, et y ont laissé des couches épaisses de pierres fourmillant de coquilles d’eau douce. » D’après Cuvier, ces irruptions, ces retraites répétées de la mer n'ont pas toutes été lentes, ne se sont pas toutes failes par degrés ; au contraire, la plupart des catastrophes qui les ont amenées ont été subiles: La dernière, celle qui par son double mouvement a inondé et ensuite remis à sec nos continents actuels, il n’en fait pas remonter la date beaucoup au delà de cinq à six mille ans. La vie n’a pas loujours existé sur le globe ; du moment où elle a commencé à y apparaîlre, Cuvier compte quatre populations dis- tincles d'animaux, qui tour à tour ont occupé le sol que nous fou- Jons, et dont les trois premières ont été détruites. C’est une succession de formes en rapport avec la succession des époques géologiques, et une progression graduée vers les formes actuelles. La première de ces populations se composait de mollusques, de rayonnés, de poissons et de grands reptiles marins. La seconde, des pachydermes dont les analogues n'existent plus : les paleotherium, les lophiodons, les anoplotherium, etc. La troisième, des espèces inconnues qui appartiennent à des genres connus ou à des genres très-voisins de ceux que nous con- naissons, comme les mastodontes, les éléphants, les rhinocéros, les hippopotames fossiles, et un certain nombre de carnassiers. Enfin la quatrième population est celle des animaux qui composent notre faune actuelle. « Où donc élait alors le genre humain, se demande Cuvier? Ce dernier, ce plus parfait ouvrage du Créateur existait-il quelque part? Rs 115 Les animaux qui accompagnent maintenant sur le globe et dont il n'y a point de traces parmi ces fossiles, l’enlouraient-ils? Les pays où il vivait avec eux ont-ils été engloulis, lorsque ceux qu'il habite maintenant et dans lesquels une grande inondation avait pu détruire cetle population antérieure, ont été remis à sec? C’est ce que l’étude des fossiles ne nous dit pas. « Ce qui est certain, c’est que nous sommes maintenant au milieu d’une quatrième succession d'animaux terrestres; qu'après l’âge des repliles, après celui des paleotherium, après celui des mastodontes, est venu l’âge où l'espèce humaine, aidée de quelques animaux domestiques, domine et féconde paisiblement la terre. » Toutes ces grandes vues, Cuvier les a émises dans un Discours sur les révolutions de la surface du globe, placé en tête de la seconde édi- tion de ses Recherches sur les ossements fossiles, Ce discours, que l’on peut considérer comme le chef-d'œuvre de Cuvier, a été imprimé à part. Quelques-uns ont loué Cuvier, d’autres l’ont blâmé d’avoir cherché à meltre la science d'accord avec la Genèse. Il ne nous paraît mériter ni ce blâme, ni cet éloge. D’après le récit biblique, aucune race ani- male n’a été détruile par le déluge. Toules ont élé sauvées avec l’homme. Si donc Cuvier s’est efforcé d'établir que la dernière grande révolution du globe ne peut remonter à plus de 5 à 6,000 ans, c'est qu'il le croyait sûrement. Mais, dans son opinion, le déluge n’a pas élé universel. C’est d’une contrée épargnée par la catastrophe que nos races actuelles d'animaux et l’homme lui-même sont venus, de proche en proche, remplacer sur la terre aujourd’hui habilée, les races éleintes qui l'avaient peuplée à des époques antérieures. X. C'est en 1842, en un mémoire inséré dans les annales du Muséum, que Cuvier arrête les bases de sa classification du Règne animal. Avant cette époque, on s’accordait à distinguer les animaux des quaire premières classes (mammifères, oiseaux, repliles, poissons), sous le nom d’ANIMAUX VERTÉBRÉS, qui leur avait été donné par Lamarck, et ceux des classes suivantes sous le nom d’ANIMAUX INVERTÉBRÉS. 116 Le premier de ces noms élail parfailement convenable, puisqu'il s’appliquait à des animaux que réunissait un caractère commun, la verlèbre ; le second ne l'était pas, puisqu'il indiquait seulement un caractère négalif, ce qui n’apprenait rien sur l’organisation des ani- maux privés de vertèbres. Frappé de cet inconvénient, Cuvier y cherche un remède. En comparant dans son ensemble la totalité du règne, il reconnaît qu'il existe quatre formes principales, quatre plans généraux, d’après les- quels tous les animaux semblent avoir été modelés, et dont les divi- sions ultérieures ne sont que des modifications assez légères, fondées sur le développement ou l’addition de quelques parties, mais qui ne changent rien à l’ensemble du plan. Dans chacune de ces formes principales, le système nerveux est le même ; or, comme l'avait dit Virey, le système nerveux est le zoomètre ; ce qui, dans le langage ordinaire, signifie que le système nerveux établit, en quelque sorte, la mesure, le degré de l’anima- lité. C'est donc d’après le système nerveux, invariable dans chaque type, que Cuvier partage le règne animal en qualre provinces ou embranchements. Il termine ainsi ce mémoire remarquable : « Cette nouvelle répar- tition se réduit au fond à ces mots : Les animaux vertébrés tous ensemble, les animaux articulés ous ensemble, forment des groupes, lesquels n'équivalent en importance qu'aux mollusques et aux z00- phytes. » Il ajoute que la facilité, la nettelé qu'un changement si léger en apparence donne aux propositions de l'anatomie comparée, l’engage à adopter cetle nouvelle distribution dans l'ouvrage qu’il prépare sur le règne animal. La première édition de cet ouvrage, le Règne animal distribué d'après son organisation, pour servir de base à l’histoire naturelle des animaux et d'introduction à l’anatomie comparée, a paru en 1817. Les quatre embranchements dans lesquels le règne y est divisé, sont : L Les animaux vertébrés, qui ont un cerveau, une moelle épinière, enveloppés dans le crâne et le canal vertébral; un grand sympa- thique, un cœur, des poumons ou des branchies. Les animaux mollusques, qui n’ont pas de canal vertébral ni de 117 moelle épinière ; mais où le cerveau, placé en travers sur l’œsophage et l’entourant d’un collier, donne des filets nerveux qui se répandent dans le corps et y produisent des ganglions épars. Leur corps, mou par lui-même, mais souvent protégé par des coquilles, n’a point d’articulations ni de membres articulés, et n’est pas toujours symé- trique : ils ont un cœur et quelquefois plusieurs, des branchies ou une cavité pulmonaire. Les animaux articulés, qui n'ont point de canal vertébral ni de moelle épinière, mais où le cervean placé en travers sur l'œsophage donne deux filets qui se rapprochent en dessous pour marcher lon- gitudinalement le long du ventre, se renflant, d'espace en espace, en ganglions d’où partent les nerfs ; leur corps symétrique est toujours divisé en segments transversaux; il y a le plus souvent des membres et même des membres articulés; leurs organes de circulation et de respiration varient, et il y a une classe dont le sang est rouge; la circulation manque même, dans les insectes. Les animaux rayonnés ou z0ophytes, qui n’ont pas de cerveau, ni de moelle épinière, ni de ganglions, et où presque toujours les nerfs manquent évidemment ; leur corps a d'ordinaire des formes rayon- nées; ils manquent de cœur et de circulation complète; le plus souvent même ils n'ont qu'une apparence de vaisseaux; leur res- piration, quand ils ont quelque chose d’approchant, se fait par des moyens différents de celle des autres animaux. Après avoir indiqué cette division générale, Cuvier ajoute : «Il faut observer que si nous énonçons les caractères de ces quatre embranchements, nous n’entendons point leur attribuer une préé- minence de rang absolu. Quoique les vertébrés soient en général plus complétement organisés que les autres, il serait possible que l’on trouvât l’'ammocète inférieur au calmar !; et quoique les ani- maux les plus simples appartiennent à l'embranchement des z00- phytes, nous ne voudrions pas soutenir que l'oursin ou l’holothurie fût de tout point inférieur au ver de terre ou à la sangsue ; encore moins voudrions-nous mettre l’écrevisse au-dessous de l’huître ou au-dessus du calmar. En un mot, il y a une sorte de parallélisme au moins entre l’'embranchement des mollusques et celui des articulés, 1 Les lamproies et les ammocètes sont d’une organisation tellement simple, que Cuvier les considérait comme un passage des poissons aux vers articulés. 118 et les têtes de ces deux colonnes peuvent bien être comparées pour la perfection. » Cette observation de Cuvier était une réponse au reproche qu'on lui faisait d'avoir placé, dans son mémoire de 1812, les mollusques avant les articulés. Mais le reproche était fondé : ce n’est point par les têtes de colonnes, mais par l’ensemble des divers groupes que l'on doit coordonner les êtres. Or, les articulés, pris dans leur en- semble, sont supérieurs aux mollusques considérés aussi dans leur ensemble : ils le sont d’abord par le système nerveux; ils le sont aussi par une organisation plus compliquée et par les instincts. Cuvier lui-même a reconnu que les mollusques sont en général des animaux peu développés, peu susceptibles d'industrie, et qui ne se soutiennent que par leur fécondité et par la ténacité de leur vie. A part celte préférence, qui tenait sans doute à ce que les mol- lusques avaient été l’objet des premières études de Cuvier, on ne peut qu’admirer la vue supérieure qui lui a fait répartir l’ensemble des êtres animés en quatre plans si rigoureusement déterminés. Cette première division opérée, il partage chaque embranchement en classes, d’après le mode de circulation et de respiration. C’est une application des principes qu’il a formulés, dès 1795, dans le mémoire sur une nouvelle division des mammifères, dont j'ai donné l’ana- lyse. ; Le premier embranchement fournit quatre classes : les mammi- fères, les oiseaux, les reptiles, les poissons. Le deuxième en donne six : les céphalopodes, les pléropodes, les gastéropodes, les acéphales, les brachiopodes, les cirrhipodes !. Le troisième embranchement est divisé en quatre classes : les annélides ou vers à sang rouge, les crustacés, les arachnides, les insectes. : Enfin le quatrième donne cinq classes : les échinodermes, les vers 1 Dans son premier mémoire sur les mollusques, Cuvier les divisait en trois classes : les céphalopodes, les gastéropodes et les acéphales; dans le mémoire de 1812 il en établit quatre classes : les céphalopodes, les gastéropodes, les ptéro- podes et les acéphales; puis il en a formé huit classes : les céphalopodes, les gas- téropodes, les acéphales, les ptéropodes, les brachiopodes, les cirrhipodes, les biphores et les ascidies: Dans la deuxième édition du Règne animal, il est revenu à six classes. Comme je l'ai déjà dit, Cuvier a sans cesse remanié sa classifica- tion. H 119 intestinaux, les acaléphes ou orties de mer, les polypes, et les in- fusoires. Pour établir les ordres de chaque classe, Cuvier prend ses carac- tères dans les organes du toucher et de la manducation. Comme on le voit, dans la classification de tout le régne, Le système nerveux détermine les embranchements ;. Le mode de circulation et de respiration fournit les classes ; Les organes du toucher et de la manducation donnent les ordres. Les ordres de la classe des mammifères sont : r les bimanes ou l’homme ; 11 les quadrumanes ; 111 les carnassiers ; 1v les masupiaux ; y les rongeurs; vi les édentés; vi les ruminants; vu les pachy- dermes ; 1x les cétacés. Ceux de la classe des oiseaux sont : 1 les oiseaux de proie; 11 les passereaux ; 111 les grimpeurs ; IV les gallinacés; v les échassiers ; vi les palmipèdes. Pour la classe des repliles, Cuvier adopte la division en quatre ordres, proposée en 1800 par Alexandre Brongniart, savoir : 1 les chéloniens (tortues); 11 les sauriens (crocodiles et lézards); x11 les ophidiens (serpents et couleuvres) ; 1v les batraciens (grenouilles et salamandres). Quant à la classe des poissons, que Linné reconnaissait déjà d’un classement difficile, Cuvier, dans le Règne animal, la partageait en neuf ordres ; mais dans son Aistoire naturelle des poissons, il renonce à cette division, trop compliquée, et il la réduit à trois ordres : 1 les acanthoptéringiens (nageoires épineuses), immense famille qui con- tient plus des deux tiers de loute la classe ; 11 les malacoptéringiens (nageoires molles); 111 les chondroptéringiens ou carlilagineux. Le Règne animal est un de ces ouvrages dont la composition peut se partager. Cuvier, qui aimait à s'entourer de collaborateurs intelli- genls, confia l'entomologie à Latreille, son ami. Tous les savants de l’Europe reconnaissaient en lui un maître dans celte immense partie de l’histoire naturelle. Il ne faudrait pas croire que le Règne animal de Cuvier püût rem- placer Buffon. Rien ne se ressemble moins que la manière des deux naturalistes. Buffan, abondant et fécond, peint la majesté de la nalure dans un langage digne d'elle; ses discours généraux nous 120 font admirer la grandeur des lois auxquelles la création est assu- jettie, et ses descriptions nous montrent les animaux vivant et agissant dans le milieu où la nature les a placés, avec leurs instincts variés, leurs mœurs, leurs amours, leurs ruses, leurs guerres. Au contraire, dans le Règne animal, livre qu'il déclare plutôt fait pour être étudié que pour être lu, Cuvier se borne à indiquer, dans une langue où il s'efforce d'arriver à la plus grande économie de paroles, les caractères distinctifs des animaux. Pour en donner un exemple, je transcris la description du genre Paon, et de l'espèce introduite depuis longtemps dans nos basses- cours. On pourra la comparer à la description de Buffon. LES PAONS. — Pavo Linné. « Ainsi nommés d’après leur cri, ont pour caractère une aigrette ou huppe sur la tête et les couvertures de la queue du mâle plus allongées que les pennes, et pouvant se relever pour faire la roue. Chacun sait combien sont éclatantes les barbes lâches et soyeuses de ces plumes, et les taches, en forme d’yeux, qui en peignent l'extré- milé dans notre PAON DOMESTIQUE (Pavo cristatus Linné), espèce où la tête est ornée d’une aigrelte de plumes redressées et élargies au bout. Ce superbe oiseau, originaire du nord de l'Inde, a été apporté en Europe par Alexandre. Les individus sauvages surpassent encore les domestiques par leur éclat. Le bleu règne sur leur dos et sur leurs ailes, au lieu de mailles vert-doré. Leur queue est encore mieux fournie. » On a souvent reproché aux naturalistes la profusion de mots nou- veaux qu'ils introduisent sans nécessité dans une science dont la. nomenclature est déjà si chargée, et la déplorable manie de boule- verser les genres el les espèces établis par leurs prédécesseurs. Cuvier ne pouvait pas avoir cette sotte vanité. « On remarquera, dil-il, que je n'ai pas employé beaucoup de termes techniques, el que j’ai cherché à rendre mes idées sans tout cel appareil barbare de mots faclices, qui rebutent dans les ouvrages de tant de naturalistes modernes. Il ne me semble pas que ce soin m'ait rien fait perdre en précision et en clarté. 121 « …. J'ai démembré, le moins qu'il m'a été possible, les grands genres de l'illustre réformateur de la science. Toutes les fois que les sous-genres dans lesquels je les divise, n’ont pas dû aller à des fa- milles différentes, je les ai laissées ensemble sous leur ancien nom générique. C'est non-seulement un égard que je devais à la mémoire de Linnœus ; mais c'était aussi une attention nécessaire pour con- server la tradition et l'intelligence nécessaire des naturalisies des différents pays ‘, » On a remarqué que Cuvier, après avoir annoncé qu’il établirait ses classes d’après le mode de circulation et de respiration, a failli à celte règle dès la première application qu'il en a faite, en plaçant les mam- mifères avant les oiseaux, dont la respiration est beaucoup plus ac- tive, par conséquent plus parfaite. La raison qu'il en donne, c’est que les mammifères sont les animaux qui ressemblent le plus à l'homme, et que lui-même fail partie de leur classe. Si, comme Dau- benton et Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier avait mis l’homme en dehors de l’animalité, aurait-il placé les oiseaux avant les mammifères ? On peut en douter. Sauf Buffon, qui a plusieurs fois proclamé la supré- matie de l’oiseau, les naturalistes s'accordent à reconnaître que, pris dans leur ensemble, les mammifères sont supérieurs aux oiseaux ; . mais cette supériorité, ce n’est pas dans le mode de respiration qu'il faut en chercher l'indice. On peut aussi s'étonner que Cuvier ait réuni dans son ordre des pal- mipèdes, la frégate, oiseau de haute mer, dont l'aile est si puissante qu’il vole à des distances immenses de toute terre, el le manchoë, oi- seau incapable de voler, dont l'aile est un simple moignon, garni plutôt d'écailles que de plumes. La palmature des pieds est un carac- tère d’organisalion très-secondaire, qui ne justifie pas un semblable rapprochement. On est également surpris de trouver groupés, dans une même 1 Une seconde édition du Règne animal en 5 volumes fut publiée à Paris, de 1829 à 1831. Les tomes IV et V sont de Latreïlle. M. Guérin-Méneville a publié, comme complément, l’Iconographie du règne ani- “mal de Cuvier, ou représentation, d’après nature, de l’une des espèces les plus re- marquables et souvent non encore figurée de chaque genre d'animaux, 7 volumes grand in-80, de 1830 à 1844. 122 division, des animaux aussi différents que l'éléphant, le cheval et le cochon. Ce ne peut être là qu’un classement provisoire. Enfin, de même que Linné avait composé sa dernière classe d’êlres fort disparates, de même Cuvier a placé dans sa classe des zoophytes les vers intestinaux qui n'ont rien de la forme rayonnée, et les infu- soires qui, pour la plupart, s’en éloignent aussi. Au surplus, la classification est une sorle de toile de Pénélope, qu'il faut reprendre, au moins en quelques-unes de ses parties, plu- sieurs fois dans le cours d'un siècle. Le Règne animal de Cuvier n’en restera pas moins un ouvrage considérable, un répertoire indispen- sable aux naturalistes. La révision critique des espèces anciennes, l'examen des nouvelles, le perfectionnement des genres et des sous- genres, le rétablissement près de leurs congénères des espèces qui avaient été mal placées, attestent la sagacité et la profonde science de Cuvier. Le style, d'une concision remarquable, est un modèle qui mérite d’être suivi dans tous les ouvrages du même genre. En 1828, Cuvier publia, en collaboration avec M. Valenciennes, le premier volume de l'Histoire naturelle des poissons. Il contient une très-savante histoire de l’ichtyologie, depuis son origine jusqu’à nos jours. Cuvier indique, par ordre chronologique, tous les auteurs, poètes et naluralistes, qui s’en sont occupés. Dans les notes, il trace une courte biographie de ces auteurs, avec une indication de leurs principaux ouvrages. Celle première partie du livre a exigé de très- grandes recherches. La seconde partie est destinée à donner une idée générale de la nature et de l'organisation des poissons, de leur sys- ième osseux et musculaire, ainsi que de leurs organes des sens, de nutrition, et de propagation. : Dans le passage suivant, Cuvier a voulu montrer que, jusque dans les derniers détails, l'économie entière des poissons contraste avec celle des oiseaux. Je reproduis d'autant plus volontiers cette page, qu’elle contient un de ces tableaux de la nature peints à la manière de Buffon, et qui sont rares dans les ouvrages de Cuvier. « L’être aérien découvre nettement un horizon immense; son ouie subtile apprécie tous les sons, toutes les intonations; sa voix les reproduit. Si son bec est dur, si son corps a dû être enveloppé d’un duvet qui le préservât du froid des hautes régions qu'il visite, il retrouve dans ses pattes toute la perfection du toucher le plus déli- 123 cat. Il jouit de toutes les douceurs de l’amour conjugal et paternel ; il en remplit les devoirs avec courage; les époux se défendent, défendent leur progéniture ; un art surprenant préside à !a construc- lion de leur demeure; quand le temps est venu, ils y travaillent ensemble et sans relâche; pendant que la mère couve ses œufs avec une constance si admirable, le père, d'amant passionné devenu tendre époux, charme par ses chants les ennuis de sa compagne. Dans l'esclavage même, l'oiseau s'attache à son maîlre, il se soumet à lui et exécute sous ses ordres les actes les plus adroits, les plus délicats : il chasse pour lui, comme le chien, et il revient à sa voix du plus haut des airs; il imite jusqu'à son langage, et ce n'est qu'avec peine qu'on se décide à lui refuser une sorle de raison. « L'habitant des eaux, au contraire, ne s’attache point ; iln’a point de langage, point d'affection ; il ne sait ce que c’est que d’être époux et père, ni que de se préparer un abri. Dans le danger, il se cache sous les rochers de la mer, ou se précipite dans les profondeurs des eaux. Sa vie est silencieuse et monotone ; sa voracité seule l'occupe; et ce n’est que par elle qu'on peut lui enseigner à diriger ses mou- vements par quelques signes venus du dehors. Et, cependant, ces êtres ont été ornés par la nature de tous les genres de beauté : variété dans les formes, élégance dans les proportions, diversité et vivacité des couleurs, rien ne leur manque pour attirer l'attention de l'homme, et il semble que ce soit cette aitention que la nature ait eu, en effet, le dessein d’exciter : l'éclat de tous les métaux, de toutes les pierres précieuses dont ils resplendissent, les couleurs de Piris qui se brisent, se reflètent en bandes, en taches, en lignes ondu- leuses, anguleuses et toujours régulières, symétriques, loujours de nuances admirablement assorties ou contrastées, pour qui avaient- ils reçu ces dons, eux qui ne peuvent au plus que s’entrevoir dans ces profondeurs où la lumière a peine à pénétrer? Et quand ils se verraient, quel genre de plaisir pourraient réveiller en eux de pareils rapports ? » Sept autres volumes de cette histoire ont été publiés du vivant de Cuvier, les quatorze suivants sont dus aux seules recherches de M. Valenciennes, qui abandonna l’entreprise avant de l'avoir con- duite à terme. 124 XL. Cuvier entra à l’Institut, dès l’organisalion de ce corps savant ; il remplit presqu'aussitôt les fonctions de secrétaire de la classe à la- quelle il appartenait, alors qu'elles n'étaient qu’annuelles. Lors- qu’elles devinrent permanentes et bien rétribuées, il se trouva en position de les obtenir sans contestation. Au commencement de 1808, l'Empereur demanda un rapport sur la marche et les progrès des sciences mathématiques et physiques depuis 1789. Ce rapport lui fut présenté le 15 février 1808 par Bou- gainville, président de la classe, Delambre et Cuvier, ses secrétaires perpétuels. Dans la parlie qui lui était assignée, Cuvier trace une esquisse rapide des principaux progrès accomplis dans les sciences naturelles durant cette période. Mais, deux ans plus tard, de ce qui n’élait qu'une esquisse il fit un tableau : le livre qu'il publia en 1810 est un travail considérable, rédigé en grande partie sur des noles que lui avaient remises les plus célèbres de ses confrères : Biot, Laplace, Berthollet, Fourcroy, Brongniart, de Candolle, Haüy, Lamarck et Humbold. Au point de vue littéraire et philosophique, c'esi une œuvre remarquable. Cuvier y indique la voie que devront suivre les recherches ultérieures. Le complément naturel de ce grand travail se trouve dansles ana- lyses de la partie physique des travaux de l'Académie des sciences que, comme secrélaire perpétuel, Cuvier était lenu de rédiger, chaque année. Il est l'historien fidèle et le juste appréciateur des dé- couvertes failes, pendant les trente premières années du siècle !, dans la physique générale, la chimie et la physique proprement dite, la géologie, la botanique, la physiologie et l'anatomie, la zoologie, la médecine et l’agricullure. Il fallait la vaste capacité de Cuvier pour exposer, avec une égale supériorité, des matières si diverses et pour raconter, dans des résumés si clairs et si complets, les événements de la science. ! Depuis 1830, les séances de l’Académie des sciences étant devenues publiques, les résumés du secrétaire perpétuel ont été supprimés. RS 125 A celte histoire des sciences physiques appartiennent aussi les éloges hisloriques des académiciens, qu'il a lus successivement à l'Institut, pendant le cours de sa carrière scientifique. La manière d'écrire de Cuvier convenait parfaitement à l'éloge historique. Son langage élégant, d’une élévation soutenue, mais descendant sans efforts jusqu’à l’enjouement, s’assouplissait à ces détails de science qui se prêtent difficilement aux ornements du style. En racontant simplement la vie de ces hommes célèbres, en exposant, en discu- tant leurs théories, il savait instruire et plaire. Les éloges qu'il prononça de 1800 à 1826 ont élé réunis en trois . volumes, dont la lecture est très-intéressante, On comprend qu’un pareil recueil n’est pas susceptible d'analyse. J'en détacherai seule- ment quelques traits qui me serviront à apprécier certains côtés du caracière de Cuvier. Dans l'éloge de Lacépède, qui avail élé non-seulement professeur au Muséum, mais président du Sénat, grand chancelier de la Légion d'honneur et ministre d'État, Cuvier dit : «M. de Lacépède conduisait des affaires si mullipliées avec une facilité qui étonnait même les plus habiles. Une ou deux heures par jour lui suffisaient pour tout décider et en pleine connaissance de cause. Celle rapidité surprenait le chef du gouvernement lui-même. Un jour, il lui demanda son secret, M. de Lacépède répondit en riant : « C’est que j'emploie la méthode des naturalistes. » Mot qui, sous l'apparence d'une plaisan- terie, a plus de vérité qu'on ne le croirait. Des matières bien classées sont bien près d'êlre approfondies, et la méthode des naturalistes n’est autre que l'habitude de distribuer, dès le premier coup d'œil, toutes les parties d’un sujet, jusqu'aux plus pelits détails, selon leurs rapports essentiels. » Le mot peut aussi s'appliquer à Cuvier, qui eut plus de fonctions à remplir que Lacépède, et qui dans toutes montra une supé- riorilé autrement remarquable que le successeur de Buffon. Voici au surplus ce qu'il avait dit dans la préface du Règne animal : « L’habitude que l'on prend nécessairement, en étudiant l’histoire naturelle, de classer dans son esprit un très-grand nombre d'idées est un des avantages de cette science dont on a le moins parlé, et qui deviendra peut-être le principal, lorsqu'elle aura été générale- ment introduite dans l'éducation commune: on s’exerce par là dans cette parlie de la logique que l’on nomme la méthode... Or, cet art 126 de la méthode, une fois qu’on le possède bien, s'applique, avec un avantage infini, aux études les plus étrangères à l’histoire naturelle. Toute discussion qui suppose un classement de faits, toute recherche qui exige une distribution de matière, se fait d’après les mêmes lois ; et tel jeune homme qui n'avait cru faire de celte science qu'un objet d'amusement, est surpris lui-même, à l'essai de la facilité qu’elle lui a procurée pour débrouiller tous les genres d’affaires. » Envisager la science de ce point de vue, ce n’est pas la montrerparson grand côté, mais ilyalaune utilité pratique qu’il étail bon de signaler. Napoléon avait conféré à Cuvier le titre de chevalier, et Louis XVIII celui de baron. On a dit que Cuvier attachait une certaine impor- tance à ces distinctions. Je suis porté à croire le contraire, par la manière plaisante dont il y fait allusion dans l'éloge de Benjamin Thomson. Comme on reprochait à ce savant d’avoir acceplé avec un grand empressement le titre de comie de Rumford, que lui avait conféré un petit prince allemand, Cuvier l'excuse ainsi : « Nous avons vu, par une expérience récente el faite en grand, que les uns n'étant pas assez philosophes pour refuser les Litres, quand le hasard les leur offre, les autres apparemment l’élant trop pour croire que des titres valent la peine d’être refusés, tout le monde les accepte. Ne con- damnons donc pas M. de Rumford d’avoir fait comme tout le monde, pardonnons même d'avance à ceux qui l’imiteront sur ce point !. » Cuvier termine ainsi l'éloge de Lamarck : « Lorsque les infirmités sans nombre amenées par la vieillesse eurent accru ses besoins, toute son existence se trouva à peu près réduite au modique lrai- tement de sa chaire. Les amis des sciences, altirés par la haute répu- tation que lui avaient valu ses ouvrages de bolanique et de zoologie voyaient ce délaissement avec surprise : il leur semblait qu’un gouvernement protecteur des sciences aurait dû mettre un peu plus de soin à s'informer de la position d'un homme célèbre; mais leur estime redoublait à la vue du courage avec lequel cet illustre vieil- lard supportait les atteintes de la fortune et celles de la nature. » Dans l'éloge de Haüy, le créateur de la cristallographie, Cuvier nous le montre « ramené dans sa vieillesse bien près de ce strict nécessaire dont il avait déjà eu l'expérience... Sans sa nièce et son mari, pauvres eux-mêmes, il serait mort de besoin. » 1 Le comte de Rumford avait épousé la veuve de Lavoisier, 127 Enfin on connaîl ce mot si triste de Latreille, ami et collabora- teur de Cuvier, quand à la mort de Lamarck, il obtint une chaire au Muséum : « On a attendu pour me donner un morceau de pain, que je n’eusse plus de dents. » Mais qui donc pouvait mieux que Cuvier, signaler au gouverne- ment, l’état de gêne de ses collègues au Muséum et à l’Académie des sciences ? Certes, il eût été beau de voir Cuvier, daus sa haute posi- tion, se faire auprès des ministres et au besoin auprès du monarque, l'appui, le défenseur de ces hommes éminents qui, trop fiers pour rien demander eux-mêmes, et n'ayant plus rien à attendre de l’a- venir, luttaient dans leur vieillesse contre les dures nécessités du présent. Si Cuvier n’a rien fait pour eux, était-ce égoisme, dureté de cœur? Non, madame Cuvier élait très charitable et Cuvier applaudissait à sa bienfaisance; lui-même se montrait généreux envers sa famille el ses amis; mais absorbé par ses fonclions politiques, adminis- tratives et académiques, qu’il remplissait toutes avec une scru- puleuse exaclilude, et par ïe temps qu'il consacrait encore à la science, il n'avait pas le loisir de s'informer de la situation de ses confrères moins favorisés de la fortune, situation sur laquelle il ne se renseignait, très-probablement, qu’au moment où il avait à pro- noncer leur éloge. Je dirai peu de chose de la carrière politique de Cuvier, moninten- tion ayant été surtout d'apprécier le savant. En 1843, il fut nommé maître des requêtes au Conseil d'Élat. Il y devint bientôt conseiller et président de section. De 1815 à 1830, il fut souvent chargé de défendre devant les chambres, comme commissaire du roi, les budgets, les lois universitaires, les lois d’or- ganisation départementale et municipale, les lois de la presse, les lois d'élection, entre autres celle qui instituait le double vote. Il eut aussi à soutenir la loi sur le sacrilége. Cuvier était, avant tout, parlisan de l’ordre, ce qui le rendait très-anlipathique aux idées qui pouvaient amener un changement dans la forme du gouvernement. En'1827, il fut nommé censeur de la presse. Il repoussa vivement cette flétrissure. S’il dut jamais regretter d'être entré si avant dans 128 la politique, ce fut assurément le jour où un ministre osa le dési- gner pour remplir un pareil emploi ‘. Cuvier a laissé sur une des phases de sa vie politique une note à laquelle il attachaiït beaucoup d'importance, et que je transceris : « Sous le ministère créé le 26 septembre 1815, j'eus occasion de rendre à la France de grands services que je serais fâché qu'on ne connût point. Royer-Collard me soutint dans tous les adoucissements que nous fimes apporter, dans le Conseil, aux lois de terreur que l'esprit du temps y faisait préparer; mais les dispositions qui ren- dirent celles des cours prévôtales presque inoffensives, ne sont dues qu’à moi. Dans le premier projet, on leur attribuait juridiction non- seulement sur les révoltes et attentals publics et à force ouverte, mais sur les complots tramés en secret; et non seulement sur ceux de ces crimes qui auraient lieu après la loi, mais sur tous, sans distinction d'époque. Je crois n’avoir jamais parlé dans le Conseil avec tant de force. Je réussis, par le bon esprit et le caractère hon- nête du duc de Richelieu, à faire rayer l’article des complots secrels. Restait la rétroactivité... On m'invita à me joindre à ceux de mes collègues qui la défendaient, et je l'aurais dû naturellement, en ma qualité de commissaire du roi, mais je m'y refusai et elle ne passa pas. Les cours prévôlales ont fait assez de mal, telles qu'elles ont été élablies; mais j'ose dire que leurs effets eussent élé incalculables, si je n’eusse fait changer le projet sur ces deux points. » A la fin de l’année 1831, Cuvier devint pair de France, et au mo- ment où il mourut, l'ordonnance qui le nommait président du Conseil d'État était préparée. C’est que là, comme partout, Cuvier s'élait fail remarquer par son intelligence supérieure, par son apti- tude à tout comprendre du premier coup d'œil et à tout exprimer avec clarté, par ses connaissances si variées, el surtout par celle méthode, celle puissance d'analyse, qu'il reconnaissait devoir à la science naturelle. Dans les délibérations, il ne se pressait pas de donner son avis, il écoutait souvent d’un air distrait. « Maïs son tour venait, a dit le baron Pasquier, quand les raisons étaient échangées de part et d'autre, quand les paroles inutiles étaient 1 Le nom de Cuvier figure sur la liste des censeurs, dans le Moniteur du 15 juin 1827. Cuvier envoya aux journaux la copie de son refus; mais la censure étant déjà établie n’en permit pas l'impression, : : - 129 à peu près épuisées. Alors un jour nouveau se levait pour tous les esprits : les faits reprenaient leur place, les idées qui étaient confuses auparavant, se démêlaient, les conséquences en sortaient inévi- tables, et dès qu'il avait cessé de parler, la discussion était terminée.» Quels que soient les services que Cuvier ait pu rendre dans les diverses fonctions qu'il eut à exercer, on ne peut que regrelter son immixtion dans les affaires publiques. Un autre eût pu y tenir sa place, mais dans la science, qui donc pouvait remplacer Cuvier? Il est mort sans avoir commencé la rédaction de ce grand traité d'a- nalomie comparée, don les Leçons et le Règne animal n'étaient sui- vant lui, que l'introduction. Il n'a rien écrit non plus de celte his- toire des sciences qu’il a professée au Collége de France pendant plusieurs années. Une de ses dernières paroles à été celle-ci : « Trois ouvrages importants à mettre au jour! tout était dispose dans ma iêle : il ne me restait plus qu'à écrire. » N'est-ce pas une leçon pour les savanis qui seraient tentés de se laisser détourner de leur carrière, par desfonclions politiques et administratives, tout à fait incompatibles avec les longues et patientes recherches de la science? XIL Suivant Francklin, l'ordre consiste à faire chaque chose en son temps, à avoir une place pour chaque chose el à mettre chaque chose à sa place. Jamais homme ne suivit mieux ce préceple que Cuvier, l'homme d'ordre par excellence. Chaque jour, il se levait vers neuf heures du matin. Il travaillait environ une demi-heure, lisait sa correspondance, et préparait ses papiers pour la journée et pour son travail du soir. Pendaut le déjeuner qui avait lieu à dix heures, il se faisait ap- porter les journaux ; quand il prenait part à la conversation, c’élait sans cesser de parcourir des yeux la feuille qu'il tenait à la main. Après le déjeuner, il donnait audience aux personnes qui dési- raient lui parler, car jamais il ne faisait défendre sa porte. Illes recevait debout et sans les engager à s'asseoir. Quand il avait écoulé el répondu, son silence annonçait à ses visiteurs qu'ils n'avaient plus qu’à se retirer. À onze heures il montait én voiture (car il ne sorlait jamais à VIIL. 9 130 pied), pour se rendre, soit au Conseil d’État, soit au Conseil de l'Uni- versilé. Le lundi, jour de séance à l’Institut, il ne sortait qu'à midi. Il emportait ordinairement des livres dans sa voiture et lisait pen- dant le trajet. Il rentrait vers six heures ou sept heures pour le diner. Les jours où il ne sorlait pas le soir, il se relirait presque aussilôt après, dans son cabinet où il travaillait jusqu’à dix ou onze heures. De onze heures à minuit, étendu sur un canapé, il écoutait une lecture que lui faisait sa femme, sa fille ou mademoiselle Duvaucel. Cette lec- ture, qui le tenait au courant du mouvement litléraire de l’époque, avait en outre l'avantage de calmer l'agitation que les événements de la journée avaient pu lui causer, et de le disposer au sommeil. Le samedi était son jour de réception. Dans la soirée, les savants et les hommes distingués, de Paris, de la provinceet de l'étranger se pressaient dans ses salons. Le dimanche, jour de récréation et de sorlie pour hé autres, était son grand jour de travail et de réclusion. Tout ce qui demandait de la suite ei de l’ensemble, ses discours, ses rapports, ses préfaces, ses éloges, a été écrit ce jour-là. Il avait pour chaque genre de travail, c'est-à-dire suivant que son travail se rapporlait au Conseil d'État, au Conseil de l'Université, aux Académies ou au Muséum, un cabinet particulier, et dans cha- cun de ces cabinets il y avait une bibliothèque, dont on changeait les livres à mesure qu’il changeait l’objet de ses éludes. Au milieu de celui qui était consacré à ses travaux d'histoire naturelle, sur de longues tables se trouvaient disposés d'avance, par les soins de M. Laurillard son secrétaire, les livres, cartes, dessins et préparations anatomiques dont le savant pouvait avoir besoin. Cuvier parcourait des yeux les livres ouverts aux passages qui devaient lui fournir des renseignements uliles, il examinait les préparations, et il écri- vait ou dictait. Lorsqu'il écrivait, c'élait debout, sur un pupitre à la Tronchin, car il était sujet à s'endormir quandil s’asseyait pour écrire; lorsqu'il dictait, il se promenait dans le cabinet, en tenant à la main, soit l’objet qu'il avait à décrire, soit le volume qu'il verail de consulter. Le dimanche, il passait successivement d’un cabinet à un autre. Son esprit se délassait en changeant d'objet. Jamais il ne prenait de notes, et il ne faisait aucun extrait ; sa prodigieuse mémoire y suppléait. Il écrivait comme d'inspiration et 131 sans efforts, et il ne se recopiait pas. Quand il se relisait, il n'ef- façait rien, mais il ajoutait souvent par des renvois mis à la marge. Guvier avait beaucoup de vivacité, et il était sujet à de fréquentes impatiences. « Mais dépêchez-vous donc, » est un mot qu'il répélait souvent à ses domestiques ou aux ouvriers qu’il employait. Il était très-frileux, et portait, presque en toute saison, deux et même trois gilets de flanelle sur la peau. Le 20 avril 1832, il se ren- dit aux obsèques de Laugier, professeur de chimie au Muséum, mort du choléra; mais se sentant pris d’un frisson, il n’alla pas jusqu'à l'église el s'empressa de rentrer chez lui. Il éprouva bientôt un léger mal de gorge ; ce qui ne l'empêcha pas d'ouvrir, le 8 mai suivant, au Collëge de France, après une interruption de quinze années, la troi- sième parlie de son cours sur l’histoire des sciences naturelles. Jamais sa parole n'avait produit plus d'effet sur son auditoire. En terminant sa leçon, el sans doute sous l'impression que déjà le mal produisait sur lui, il exprima le vœu que le temps, sa santé et ses forces lui permissent de mener à terme l’objet de son cours. Le soir du même jour, il ressentit de l’engourdissement dans le bras droit et une certaine difficullé d’avaler. Le lendemain il y avait séance au Conseil d'État ; il sy rendit, mais il rentra plus malade. La paralysie gagnait l’autre bras el le pharynx. Le troisième jour de celte courte maladie, il comprit que sa fin élait proche et il chercha à préparer doucement sa famille à la cruelle séparation. Il fil venir un notaire et lui dicta son testament. Il fit ensuite dresser, par une personne de sa famille, un état des dé- penses qu'il avait faites au Muséum et dont il lui paraissait juste que Mne Cuvier fût indemnisée. Comme on le voit, il conserva jusqu’au dérnier moment le calme et l'esprit d'ordre qui le caractérisaient. À ceux qui s’efforçaient de le rassurer sur sa posilion, il répon- dait : « Je suis anatomisie, je connais mon mal. » Les jambes à leur tour s'étaient engourdies.. Le 13 mai, cinquième Jour de sa maladie, vers lé soir, il dit à son frère : « La tête s'engage. » Son accent, son regard annonçaient assez que cela voulait dire : c’est fini. En effet, quelques instants après, il expirait au milieu de sa famille et de ses amis éplorés. Il avait soixante-trois ans !. ! A l'enterrement de Cuvier qui eut lieu le 15 mai, Sérullas, qui venait d’être 132 Sa succession ne s'élevait pas à plus de cent mille francs, somme minime, eu égard auxtraitements des diverses fonctions qu’il cumu- lait depuis un grand nombre d'années !. Sa bibliothèque fut achelée soixante-douze mille francs par le gou- vernement, et les Chambres votèrent à sa veuve une pension via- gère de six mille francs, à litre de récompense nationale. Voici le portrait qu'a tracé de Cuvier M.de Candolle, un de ses plus anciens amis. . « Cuvier peut êlre justement comparé à Haller, auquel il res- semble autant que la différence des nations et des époques le permet. Tous deux étonnent par leur capacité extraordinaire pour apprendre, connaissant également bien les sciences naturelles et historiques, avides des faits posilifs sur tous les sujets, doués d’une mémoire extraordinaire et d’un esprit d'ordre remarquable, susceptibles d’un grand labeur et doués cependant de beaucoup de facilité. Mais, à côté de ces admirables qualités, on peut remarquer que ni l’un ni l’autre n’a eu l'esprit inventif : ils ont très-bien vu les faits, mais n’ont ja- mais pensé à les lier par une théorie propre à en faire deviner ou découvrir d’autres. Leur caractère avail des rapports, même hors des sciences : l’un et l’autre aimaienl le pouvoir et ont sacrifié au désir d'avancer dans la carrière polilique un temps précieux; l’un et l’autre aimaient la lecture avec passion, même dans les heures que l'on destine communément aux repas el aux relations de famille ; l’un et l’autre avaient une conversation froide et dédaigneuse pour ceux qui ne leur inspiraient pas d'intérêt, piquante et profonde pour ceux qu'ils en jugeaient dignes; enfin l’un et l’autre avaient un cer- tain mépris pour celle classe d’idées qu’on nomme idées libérales el tenaient au parti aristocratique. L’énormité de leurs têtes leur don- nait même une certaine ressemblance physique. » Une statue de marbre a été érigée à Cuvier, dans les galeries du Muséum. Elle est due au ciseau de David d'Angers. Une autre de bronze lui a été élevée à Montbéliard, sa ville natale. BOURGUIN. désigné parles professeurs du Muséum pour occuper la chaire de Laugier, fut pris d’un refroidissement, des suites duquel il mourut, le 24 du même mois. 1 A l’époque où Cuvier se maria, ses traitements réunis lui assuraient déjà un revenu de 16,000 francs; par la suite ils sé sont élevés à plus de 50,000 francs. PROCÈS INTENTÉ CONTRE LE CYNOSURUS ECHINATUS L. COMPTE RENDU Il y aura bientôt un siècle qu’en Lombardie, une pauvre pelite Graminée fut accusée de rendre malades tous les prisonniers et même de causer la mort d’un très-grand nombre d’entre eux. Son procès fut instruit. Les pièces, en langue italienne, en ont été pu- bliées par les ordres de l’impératrice Marie-Thérèse, aux frais de l'Élat, en un très-beau volume d’un luxe tout impérial, sur papier bleu, avec gravures à deux teintes pour vignettes initiales, fleurons des grandes lettres, culs de lampe de chaque pièce, avec portrait de la souveraine, médaille spéciale et enfin planches splendides don- nant avec la plus scrupuleuse exactitude l'analyse des traits du pré- venu, je devrais dire du condamné, aux termes du titre que porle le recueil : « Dissertations sur une Graminée qui, en Lombardie, infeste « le Seigle!. » Un heureux hasard a mis dernièrement entre mes mains ce re- cueil peu connu en France, et je pense qu'après un siècle, on peut 1 Dissertazioni sopra una Gramigna che nella Lombardia infesta la Segule, Milan, 1772, in-4o, de 366 pages. * 134 examiner ce document avec imparlialité et essayer la réhabilitation d'un malheureux qui, Dieu merci, est encore existant. Une préface anonyme remplace l'acte d'accusation du ministère public, et, dans un style pompeusement prolixe dont l'Italie a le secret, expose au début que, l’homme roi de la création et doué de la raison est souvent, dans le choix des aliments qui lui conviennent, moins heureux que la brute, réduite à l'instinct, et que par suite, la plus heureuse de toutes les découvertes est celle de l'usage des céréales pour l'alimentation de l’humaine espèce. Un brillant éloge de la culture des céréales et de toute la législation antique à ce relative conduit à l'éloge de la « glorieuse impératrice Marie-Thé- « rèse, souveraine et mère de la Lombardie, » à l’éloge de ses régle- ments sur l’agricullure, sur les approvisionnements, sur la fabri- cation du pain et enfin à l'éloge « de la générosité avec laquelle elle « a, à ses frais, fait participer ses peuples aux résultats de l'enquête « faile sur une Graminée suspecte, sans autre objet que la grande et « glorieuse intention de les rendre tous des plus heureux. « Il arriva en effet, en 1769, que dans la maison de correclion « établie peu d'années auparavant par la gracieuse impératrice, pour « maintenir la sécurité publique en cette populeuse cité (Milan), on « observa un nombre de malades plus grand qu’à l'ordinaire. La « vigilante prévoyance de ceux qui président avec sagesse à cet « établissement public s’occupa d’en rechercher les causes, et après « long examen, jugeant que la présomption pouvait porter sur les « enveloppes d’une mauvaise pelile graine céréale, qui entre dans « le pain des condamnés et que nous appelons vulgairement Covetta, «il en fut, avec la diligence ordinaire, fait rapport au gouverne- « ment. Alors, à Son Excellence monseigneur le marquis Don Pom- « peo Litta, comme préfet des délégués sur la maison de correction « et comme commissaire général de la guerre et de l'Élat dans la « Lombardie autrichienne, ordre fut donné de faire faire par diverses « personnes compétentes, ,un examen raisonné des enveloppes de «la graine particulièrement suspecle, et comme chacun des « membres de cette commission étendit à son gré ses recherches « au delà des limites littérales de la question, examinsa en détail « cette petite plante, en étudia la graine, en panifia la farine, en « décomposa la peau, il résulta de là cette réunion d'opuscules, « qui, déposés aux pieds du trône de Sa Majesté, après avoir obtenu 135 « l'honneur de son auguste agrément, ont été tous mis en lumière « par ses ordres souverains. » Arrivé là, l’auteur de la préface semble avoir entendu la raison lui dire : cette enquête n'était-elle pas inutile, et n’élait-il pas plus simple de faire voir si le pain des prisonniers était de bonne qualilé, et en tout cas de faire bien vanner, cribler et nettoyer les céréales destinées à y entrer, et d'en enlever aussi toute graine et toute substance étrangère? Et à cette objection pressentie, il répond que le but de cette longue enquête et de sa publication, est d'assurer la santé publique et de servir les intérêts de l’agriculture lombarde, en faisant plus exactement connaître la Covetta dont la répulation était déjà mauvaise. Et dans cette enquêle, comme dans la faveur accordée à sa publication, on doit trouver « de nouvelles preuves du « bonheur des nations soumises au puissant empire autrichien, de « nouveaux molifs d'admirer de plus en plus le vasle et sublime « génie de notre glorieuse Souveraine, laquelle par ses rarissimes et « irès-grandes qualités, nous fait voir avec évidence que l'esprit n’a « pas de sexe et que l'éminente délicatesse des sens de la femme ja « rend plus active et plus pénétrante, quand, dédaignant les vulga- « rilés de l'éducation commune, elle élève son âme et son cœur « aux objets grandioses et dignes de l’immortalité. » C'est beaucoup dire pour l'impression d’un livre. Quoi qu'il en soit, la pauvre petite Covetla, véhémentement soupçonnée, fut accusée en règle d’être l’auteur de tout le mal. On se garda bien de demander, d’une part, si le pain nuisible aux dé- tenus devait à la Covetta seule ses propriétés malfaisantes, et, d'autre pârt, s’il était seul à nuire, et si la malpropreté, le défaut d'aération, l'accumulation des prisonniers et mille autres causes n’y étaient pour rien. On n’osa trop approfondir Des riches fournisseurs, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses ; On cria haro sur la pauvre petite plante, Son existence fut jugée un cas brülable ; Rien que le feu n’était capable D’expier son forfait. El ce ne fut pas la harangue d'un loup, quelque peu clerc, qui s’éleva contre elle, ce furent cinq grands réquisiloires. 136 Le premier, dû à Pietro MoscarTi, « doctor fisico, » professeur royal d’analomie, de chirurgie et d’obslétrique à l’université de Pavie, est intitulé : « Essai sur l'histoire naturelle de l’ALOPEGURUS, vulgairement appelé CovetTTA. » Il s’ouvre par une introduclion au début de laquelle l’auteur dit sans sourciller, que si la Covelta n'’é- tait que les glumes d’une céréale connue et d’un usage approuvé, la question serait vite décidée: mais que comme la Covetta est une plante spéciale et non du seigle dégénéré, il faut en reconnaître le nom et les caractères botaniques, en étudier le grain, la:farine, la peau et les glumes, afin de voir si on peut continuer, suivant l'usage, à l’admettre dans le pain des condamnés. Du pain oùentrait (suivant l'usage), les glumes du seigle et du Cynosurus echinatus ! C'est à n’y pas croire, mais cela est répété vingt fois, et l’on de- mandait presque à Moscali de démontrer les propriétés malfaisantes des glumes de la Covetta et la parfaite innocuilé de celles du seigle ! Un premier paragraphe, orné d'une très-belle planche, est con- sacré à la « description de la Covetta et à la déterminatiou de son « espèce et de son nom botanique. » Moscali n’est pas bolanisie, et lui-même fait connaître que ce n’est qu'après avoir consulté le docteur Franchetli et le chimiste Sangiorgio, auleurs des 4° ef 5° mémoires, qu'il a ramené la Covetla à un Alopecurus de Pline, et au Cynosurus echinatus L.; il affirme qu'elle est bien une espèce propre, el non une dégénérescence d’une céréale, ni une hybride, puisqu'elle est féconde (p. 5-15). « Le grain de la Covelta et ses produits » sont examinés dans le second paragraphe, et de ce long examen et des expériences mulli- pliées dans lesquelles l’auteur compara la farine et le pain de Covetta à la farine et au pain de froment, de seigle et d’ivraie, il conclut «que la farine fine de la Covelta n’a aucune qualité nui- « Sible à la santé, qu'il en est de même du pain fait avec celte farine, « si on a la précaulion de ne pas trop laisser fermenter la pâle, mais « que comme celle farine se trouve toujours mêlée à du son, lequel « produit un pain repoussant, pesant, indigeste et provoquant les « vomissements, il lui paraît jusle et digne de-la souveraine vigi- « lante et bienfaisante, qui, en rendant les Lombards chaque jour « plus heureux, s’ouvre tant de voies à l’immortalilé, d’exclure ce . « malheureux grain de toute fabrication de pain ; ce qui serait d’au- « tant plus salutaire que tolérer qu'on récolle et qu’on pauifie la 4 nes 137 « Covetta, c’est autoriser la récolte et la panification de tous les « grains impurs qui seraient mêlés au pain des condamnés et dis- « simulés sous la couleur brune de la Covetla » (p. 33 et 34). C’est la conclusion d’un honnête homme qui n’a pas le courage de tout dire. Enfin le 3° et dernier paragraphe qui traite « des enveloppes ou glumes de la Covetta, » contient : 1° la description minutieuse de l'arêle et des glumelles, à peu près semblables à celles du seigle (p. 35 et 36); 2° l'exposé des ravages que doivent produire dans les intestins ces corps que ne modifient ni la cuisson, ni l’action de l'estomac (p. 37); 3° la conclusion « qu'il faut exclure du pain des « condamnés les glumes et les arêtes de la Covetta, ainsi que toutes « les autres impuretés des céréales peut-être plus nuisibles encore, « unilamente agli aliri cereali escrementi, forse ancora più perni- « ciosi » (p. 38); 4° enfin la proposition de « composer ce pain d’un « tiers de farine de froment et de deux tiers de seigle nettoyé, di « segale monde, » (p. 38). C'était là le mot important, essentiel, bien qu’il se glisse comme inaperçu dans la phrase; il fallait neltoyer le seigle et le froment de leurs glumes, de leurs arêles et de toutes les substances étrangères; mais le dire ouvertement c'était s’alta- quer aux fournisseurs, administrateurs, directeurs et commis, qui voulaient tout faire retomber sur la Covelta, et l’honnête docteur ne le dit qu’incidemment, mais enfin il le dit. Dans tout ce mé- moire les points essentiels sont noyés et dissimulés sous les détails - Secondaires ; d'immenses tableaux reproduisent les insignifiantes comparaisons faites entre les produits du froment, du seigle, de la Covetta, de l’ivraie, et sur les belles planches qui l’accompaguent, l'amour des détails inuliles va jusqu’à représenter les microscopes, les aréomètres, les cornues, les cloches, les tubes, elc., qui ont servi aux expériences. La seconde dissertation a pour auteur le docteur Michele Rosa, professeur royal de médecine théorique et pratique à l’université de Pavie, et pour titre : « Recherches physiques et économiques sur la « nalure de la COVETTA, ou CYNOSURUS ECHINATUS des botanistes. » Le docteur Rosa n’était pas fort botaniste, car bien qu'il joigne à son travail une excellente figure de la Covelta et qu'il lui conserve le nom de Cynosurus echinatus, il ajoute qu'il n’adopte ce nom que 138 par déférence pour les botanistes qu'il a consultés, et qu’à son avis la Covetta devrait’ être rapportée au Bromus secalinus L.' Il fait ensuite remarquer que « la Covetta diffère de toutes les céréales, « blé, seigle et riz, en ce que les grains de celles-ci se dépouillent « facilement de leurs glumes el restent nus, tandis que celui de la « Covetla demeure toujours couvert de ses enveloppes armées d'une « longue arête » (p. 75). Assurément c’est un inconvénient si on veut employer la Covetla comme céréale ; mais les fournisseurs étant tenus de fournir du froment et du seigle, ils étaient en faute en y laissant la Covetta, dont le grain avec ses glumes s’en va au moindre vannage. Le docteur Rosa fit ses expériences très-en grand et très-consciencieusement ; il fit des pâtes (Lasagnes) avec 2/3 de farine fine de Covetta et 1/3 de farine de froment, en mangea lui et les siens pendant deux jours à grandes doses, et n’en éprouva au- cun mal !; il panifia la même farine et trouva le pain bon. Puis il fit du pain analogue à celui des magasins militaires, avec 2/3 de froment et 1/3 de Covella, farine et son; mal levé et mal cuit, ce pain, mangé chaud à la dose d’une livre, fit mal à un domestiqne et détermina une diarrhée douloureuse; et quatre onces du même pain plus cuit firent encore plus de mal (p. 91). L'auteur dit (rès-for- mellement que les arêtes du froment et du seigle, mêlées au pain, sont plus nuisibles que celles de la Covetta (p. 94), et si la farine pa- nifiée de la Covetlta, peut faire quelque mal, il l’attribue aux pro- priétés funestes que contracte cette farine par une certaine fermen- tation (p. 102) ; attendu que le pain peu fermenté ou excessivement fermenté a toujours paru bon à lui et à ses domestiques (p. 103): « La trop faible fermentalion ne développe pas la vapeur maligne, « la trop forte paraît la dissiper (p. 104); la Covetia panifiée peut « faire mal et le fait réellement, à certains dégrés de fermentation «et de cuisson placés entre le très-peu et le trop » (p. 105). Il ajoute que la Covetta est employée par les paysans pour nourrir la volaille et les porcs qui s'eù trouvent également bien; « sa farine « mêlée à l’eau fait particulièrement dormir et engraisser ces der- « niers » (p. 107); sa conclusion est qu'il faut exclure la Covetta du pain de munition (p. 113). 1 « lo non dico, che quella pasta fosse una rara delicia, ma il fatto è pur vero, « che mangiata due giorni in gran dose nè a me, nè al servitore non fece aicun « male, ne pyre una minima alterazione » p. 90. 139 Le docteur M. Rosa ne se borne pas à l'examen du pain des for- cats et des détenus, il attaque avec un courage merveilleux les abus des fournisseurs du pain militaire aussi mauvais que l’autre !, il montre qu’il y a économie bien entendue à donner de bon pain aux troupes, (p. 432 et 133), et blâme énergiquement l'introduction du seigle dans le pain de munition. Ce mémoire remarquable, très-remarquable même pour l'époque, respectueux mais exempt de tous ces fades compliments qui dépa- rent le précédent, se termine par ces paroles : « Je suis peut-être «sorti de mon sujet en parlant du pain militaire, mais j'ai eu en « vue l'intérêt de l'humanité ; et volontiers les philosophes suivent « un principe dans toutes ses conséquences. Mais dans la main du « phitosophe la vérité demeure stérile; il faut que l'action vivifiante « du pouvoir vienne la féconder. Alors la sueur du savant devient « rosée fécondatrice, les nations se réconfortent et bénissent la main « qui les console (p. 142). » \ La troisième pièce est du docteur Gioanni VIDEMAR « fisico me- dico », el elle est intitulée: « Réponse à cette question : La Covetta qui « entre dans le pain des détenus et des forçats, abstraction faite de ses « principes chimiques et en ne tenant compte que de la rudesse de ses «balles et de l'acuité de ses arêtes, peut-elle porter préjudice à leur « santé ? » Ainsi posée, la question était, ce semble, résolue ; elle ne t'est pas 1 « Que si l’on me demandait quels si grands maux on doit craindre de l’usage « de cette espèce de pain, je répondrais franchement que je ne le sais pas. Pour « le savoir avec certitude, il faudrait avoir suivi munitieusement et de ses yeux « les maladies des militaires et des condamnés, et je n'ai jamais eu occasion de « le pouvoir faire. Mais, quand je considère que, sans être sous les armes et « en campagne, mais en pleine paix et en bons quartiers de garnison, des soldats « jeunes et vigoureux périssent de maladie chaque jour et en grand nombre, et « qu’un nombre bien plus grand encore languissent privés de santé et en proie à « d’interminables infirmités; que leurs maladies sont des diarrhées, des flux de « toutes sortes, de longues irritations de poitrine, des obstructions intestinales «obstinées et presque générales, des pâleurs, des inflammations, des cachexies, « des fièvres putrides périodiques el très-obstinées, puis la gale devenue géné- «_rale et enfin le scorbut et tout cela sur une population saine, non épuisée, « bien tenue et jouissant, pour de la troupe, de certaines commodités de la vie, « je ne puis m'empêcher de soupçonner et de croire que parmi les causes les plus « puissantes de ces maladies, il faut placer au premier rang la qualité du pain « militaire » p. 129 et 130. 140 pour Videmar. Il commence par essayer une justification de l’admi- nistration en exposant « que les anciens faisaient un pain dans « lequel entraient non-seulement le son, mais les balles et les arêtes, «et que les Latins appelaient panis armatus, qu’un semblable pain « est usité dans le nord de l'Europe aux années de stérilité...,; qu'au- « cun auteur ne parle des propriétés malfaisantes de ce pain, et « qu’au contraire un pain très-grossier est favorable à la santé des « lravailleurs, salisfait mieux leur faim, maintient leur corps plus « robuste et les aide à supporter des fatigues auxquelles ils ne résis- « Leraient pas avec un pain plus fin et plus délicat » (p.155 et 156); et, s’il conclut en disant qu’il vaudrait mieux donner aux condam- nés un pain exempt de ces substances non digestibles el de toute graine étrangère, il se hâte d'ajouter que « cependant il lui faudrait «une longue série d'expériences pour se prononcer définitive- « ment. » Mémoire de 18 pages, nul à tous égards. Celui qui le suit, à peine plus long, est au contraire fort bien fail; il s'annonce comme une simple « Lettre sur une question concernant « une Graminée appelée en Lombardie Covelta. » Son auteur, le docteur Francesco FRANCHETTI « fisico medico », débute par réfuter brièvement les opinions ayant cours sur les mé- tamorphoses du seigle en Covetla, du seigle en Bromus, du froment en avoine et en ivraie (p. 175 et 176); puis il expose que les glu- melles du grain de la Covelta sont adhérentes, que la mouture, en les séparant, les brise irrégulièrement, sans en enlever l’arêle, el qu'’enfin les tamis des blutoirs qui servent pour le pain des condam- nés ont les mailles si larges qu'elles laissent passer les glumes de Ja Covelta et leurs arêtes (p. 177); que ces glumes sont trop résistantes pour être broyées par les dents de l’homme, lequel n'est point un ruminant conme les bœufs et les moutons qui font leurs délices de la Covetta (p. 179); que les glumes et les arêtes ne sont point nutri- lives et que leurs aspérités doivent causer de grands ravages dans les intestins. Il aborde alors l’objection à lui faite que dans certaines contrées du nord, comme autrefois à Rome, on fait entrer dans le pain, non-seulement la farine, mais encore le son et les balles, en un mot, l’épi tout entier, et il répond que si cela s’est fait dans de malheureux temps de famine, que si même en Allemagne de pau- rt 141 vres populations, cédant aux {ourinents de la faim, ont mêlé à leur pain des substances terreuses (Mehlerde), il faut prendre en com- passion une si grande misère, et ne pas se permettre d’en inférer que ce fût là un pain salutaire (p. 183); et il conclut à l'exclusion abso- lue de la Covelta et de toute substance analogue du pain des con- damnés. Celte lettre, d’un style concis et austère, résume avec net- teté tout ce qu’il y avait à dire et témoigne en son auteur d un es- prit très-net et d’un cœur très-honnête. Le cinquième et dernier mémoire esl « une dissertation épistolaire : sur la Covetta et le pain de munition »; il est fort long et n’a pas moins de 167 pages, presque la moitié du volume entier. Son auteur. Giannambrogio SANGIORGIO « speciale collegiato ! », était préparé à la question, car l’année précédente il avait fait sur le pain des con- damnés des observations chimiques dont il donne l'analyse dans une longue introduction. Sa dissertation est ensuite divisée en deux par- ties, chacune de trois chapitres. Le premier est consacré à examiner « si le seigle peul se changer en Covetta. » Cette opinion était en ef- fet soutenue parS. E. « il signor conte Carlo de Firmian », ministre plénipotentiaire, et par S. A. « il signor principe di Kaunitz », ainsi que par tous les agriculteurs, marchands et fournisseurs qui affir- maient que la Covelta n'était que du seigle mal venu à maturité dans la partie basse du Milanais. La question de la permanence des types, de l'existence des hybrides et de leur stérilité est traitée sans hésitation, mais avec une regrettable diffusion ; de plus, on regrette de voir l’auteur opposer, comme principal motif de distinction, la pérennité du Cyn. echinatus à la durée annuelle du seigle (p. 219). Le second chapitre, aussi diffus, a pour objet de déterminer « le nom « de la Covetta et sa nature de grain céréale ou sauvage »; il abou- tit à rapporter la Covetta au Cynosurus echinatus L. et à en faire une plante spontanée, non directement nuisible, mais au moins mau- vaise dans le pain, en ce qu’elle n’est pas nutrilive (p. 241). Dans le troisième, l’auteur recherche « d’où vient cette abondance de Covelta « dans les semis de seigle; d’où vient qu'elle rend le seigle stérile; 1 Moscati, dans son mémoire, p. 11, le traite de «dotto chimico» ; et àlap. 363, il est qualifié «maestro in farmacia » ; c'était sans doute un parent du botaniste milanais Paulo Sangiorgio, qui, au commencement de ce siècle (de 1808 à 1812) a publié divers ouvrages de botanique. , 142 « quels sont les moyens de la dislinguer des autres plantes nuisibles « au seigle et enfin de l’exterminer complétement. » Après avoir reconnu qu’elle mürit et répand ses semences avant le seigle (ce qui suffisait pour en expliquer la fréquence), il répète ce qu’il avait déjà dit, p. 219, que « la Covetta est vivace, stolonifère, et que chaque « nœud de la racine peut reproduire la plante entière » (p. 260). [y a là erreur évidente ; et, ce qui est singulier, c’est que l’auteurs’ap- puie de l’autorité de Linné, cite en toutes lettres le mot « perennis » comme se trouvant dans le Sp. pl., I, p. 105, tandis que Linné dans les deux éditions du Species n’a mis précisément aucun signe de du- rée au Cyn. echinatus !. Après une assommante digression de 28 pages sur ce que Pline a pu penser et dire du seigle et de la Covetla, l’auteur découvre que si la Covelta nuit au seigle et le rend stérile, c’est parce qu'elle se nourrit à ses dépens et l’amaigrit. La plante étant vivace, au dire de Sangiorgio, le moyen de la détruire consisle « à en arracher les souches et à les brûler suivant ce pré- « cepte de la divine Sagesse : Colligile primum zizania et alligate ea in « fasciculos ad comburendum » (p. 295); et ce précieux conseil ter- mine cetle insignifiante première partie qui a juste 100 pages. Elle est illustrée de deux planches aussi belles que le texte est fatigant, et représentant, avec de grands délails analytiques, les épillets, les glumelles et la partie supérieure des tiges de la Covetla, mais non la souche ; et comme l’auteur nous dit (p. 237 et 238) qu’il n’a jamais vu lui-même sur pied la plante dont il a reçu beaucoup d’épis, on s'explique qu'il ait pu la dire vivace; à moins que ce ne fût pour les besoins de sa cause. La seconde partie s'ouvre par de pompeuses banalités sur les ali- ments de l’homme, et consacre un premier chapitre à l'examen « du « son et de la farine de munilion. » Sangiorgio nous dit que, s'étant fait apporter du seigle des fournisseurs « che impropriamente si dice « mercantile, et che assai meglio chiamerebbesi sporca et detesta- « bile, il le trouva si rempli de Covelta, qu’on eût dit que réellement « le vrai seigle s'était changé en Covetta; à la Covelta se mélaient « des graines de Lolium, de Vicia, d'Ervum, d'Orobus, de Raphanis- i Il ya bien, il est vrai, en Algérie, un Cynosurus vivace, très semblable à la Coxetta, le Cyn. Balansæ Coss. F1. Aly., p. 130 ; mais, à ma connaissance, tous les floristes italiens continuent à regarder le Cyn. echinatus L. comme annuel. e 143 « trum, d'avoine sauvage et mille autres graines nuisibles » (p. 309). Il'y a des pages honnêles et courageuses dans ce chapitre. Le deuxième traile « du pain de munition » et le Lroisième « de la com- paraison des divers pains. » Il les trouve tous mauvais, et lermine sa longue disserlalion en concluant à la fourniture de pain de meil- leure qualité avec exclusion absolue de la Covetla. Le pain de muni- tion serait fait d’un mélange par moitié de froment el de seigle, « celui des condamnés d’un même mélange de seigle et de grain « ture, avec le son, ce qui serait encore bien au-dessus de leurs mé- « riles » (p. 358). + C’est le dernier mot de cette longue instruction. Quel fut l'arrêt rendu contre l'accusé ? Quelle disposition vint amé- liorer la nourriture des condamnés? C'est, à ma grande surprise, ce que le livre bleu ne nous dit pas. La médaille frappée à celte occa- sion et donnée aux auteurs des dissertations « est gravée au frontis- « pice; elle offre le buste de l’incomparable Marie-Thérèse et au «revers l’image de la Lombardie portant d'une main la corne « d’abondance et de l’autre de beaux épis, avec ces mots en exergue : « purgatis frugibus Insubria, » lesquels « denotano, che la Covetta fut « tratla a rigido sindacalo » (p. 363). Soit ; la Covetta eut à rendre un terrible comple, mais il n’en serait pas moins intéressant de sa- voir quelle douceur apporta au sort des condamnés l’impératrice Marie-Thérèse. Lorsqu'on se rappelle comment, dans les cachots du Spielberg, celle même souveraine faisait traiter le baron de Trenck et lous ces nobles Bohèêmes ou Hongrois dont le crime était de vouloir l’affranchissement de leur patrie et de ne pas trou- ver, comme l’auteur de la préface, que « le plus grand bonheur d’une « nalion élait d’être soumise au puissant empire d'Autriche », on ne peut s'empêcher de se demander si un arrêt intervint, puisque le livre n’en dit rien. * Mais quel qu'ait été cet arrêt, s’il en est intervenu un, demandons- nous après ce long examen des pièces du procès, si la Covetla élait coupable. En fait, elle croissait dans les champs de seigle, dans des champs cultivés, Et n’en avait nul droit, puisqu'il faut parler net. Mais, puisqu'elle était, il fallait pourtant bien qu'elle végétât quelque part; et si des agriculteurs négligents et paresseux n'éloignaient pas 144 de leurs champs cette plante annuelle, il me semble qu’on était aussi mal venu à accuser la pauvre Covella d'y obéir au grand comman- dement : Crescite et mulliplicamini, qu'on le serait d’accuser certains insectes parasites de se multiplier dans certaines chevelures ita- liennes où les propriétaires leur laissent pleine licence de le faire. Et, si des fournisseurs de mauvaise foi livraient du seigle non net- loyé à des administrateurs insouciants ou coupables, fallait-il accu- ser la Covelta, et n’eût-il pas été plus juste de faire publier aux frais des uns et des autres les pièces du procès que de les éditer aux frais du Trésor ? Enfin, si je suis moi-même injuste et trop prévenu en faveur de la Covetla, on me pardonnera, si on daigne se rappeler ma pré- dilection pour les Graminées, les plus innocentes el les meiïlleures des plantes. J. DUVAL-JOUVE. Strasbourg, le 19 mars 1865. VIPÈRES DE FRANCE Vipere ammodyte (Vipera ammodyles ) SUD-EST DE LA FRANCE. Vipêre wQinare (Tipera aspis ). Péliade odinaie (Ras Berus ). ANJOU. : ANJOU. lith Barasse, Angers 0 FAUNE DE MAINE-ET-LOIRE ÉTUDE SUR LES OPHIDIENS L'étude que nous publions sur les Ophidiens de Maine-et-Loire est le résultat de longues observations. Une partie des faits cilés ont été constatés par nous. Quant aux autres, ils émanent d'hommes dont la science et l’expérience ne peu- vent être mises en douie. OPHIDIENS OÙ SERPENTS. Corps couvert d’écailles en-dessus et de plaques sous le ventre et sous la queue, mâchoires dilatables. Cet ordre comprend les couleuvres et les vipères. Les couleuvres ont été chantées par les poètes. Montaigne nous a conservé une chanson caraïbe qu'il trouve digne d'Anacréon et dont voici le refrain ‘ : « Couleuvre, arrête-toi ; arrête-toi, couleuvre, afin que ma sœur 1 Ce premier couplet, c’est le refrain de la chanson. Or j'ay assez de commerce avec la poésie pour juger cecy, que non-seulement il n’y a rien de barbare en ceste imagination, mais qu’elle est tout-à-fait anacréontique (Montaigne, liv. I, ch. XxXx). VIII 10 146 «tire sur le palron de ta peinture la façon et l'ouvrage d'un riche « cordon que je puisse donner à ma mie. « Ainsi soient en tout temps la beauté et {a disposition préférées à « tous les autres serpents. « Couleuvre, arrête-toi. » COLUBRIFORMES, L COLUBER NATRIX, LINNÉ. — NATRIX VULGARIS, LAURENTI. — COULEUVRE A COLLIER. Tropidonotus natrix, Kubhl. Cette couleuvre est cendrée, avec des taches noires le long des flancs et trois taches blanches formant un collier sur la nuque ; ses écailles sont carénées. La queue, conique, est terminée par un pelit ergot droit et corné. Sa taille est de soixante-dix centimètres à un mètre. La cou- leuvre à collier se rencontre parlout, elle porte dans nos campagnes le nom de serpent nageur, de couleuvre des dames. Elle n’est nulle- ment dangereuse; seulement, lorsqu'elle est irritée, elle laisse suin- ter de dessous ses écailles une humeur blanche d’une odeur insup- portable et fort tenace. Les écoliers, dans leurs promenades printanières, font une rude chasse à celle jolie couleuvre : lorsqu'ils peuvent la capturer, ils la cachent, à l'insu du maître, dans leurs pupitres d'élude, et, pendant les récréalions, s’occupent à lui ap- prendre divers exercices d’agilité. J'en ai vu au collége de Beau- préau qui étaient dressées d’une façon surprenante, Au bout d’un an de caplivilé, et quelquefois même avant, la cou- leuvre à collier périt. Cette observation s'applique à tous les Ophi- diens de nos pays. Je n'ai jamais pu en conserver de vivants plus d’une année. Lacépède nous apprend que dans la Sardaigne, on élève ce serpent dans une sorte de domesticité, et qu'il n’est pas insensible aux caresses de ses maîtres; d’ailleurs, dans cette île, on le considère comme un animal de bon augure et on le laisse librement entrer dans les maisons. 147 Aulrefois, les paysans vendéens étaient friands de la chair de couleuvre qu'ils trouvaient très-savoureuse. Aujourd'hui, personne ne l’emploie comme aliment. Dans les notes de la Faculté de médecine d'Angers, on voit qu’au xvr° siècle on ordonnait des bouillons de couleuvres aux personnes atteintes de scrofules et d’affections rhumatismales. Cetle couleuvre nage avec une extrême facilité et grimpe dans les arbres les plus élevés afin de dévorer de jeunes oiseaux dans leurs nids. Sa nourriture consiste encore en des grenouilles, des insectes, des mollusques, des musaraignes, des rals, etc. Jamais elle n’avale qu’une proie vivante. La couleuvre à collier pond de quinze à quarante œufs: elle les dépose dans des trous, sur le bord des eaux, dans des meules de foin et souvent dans les fumiers des fermes. Ces œufs sont ovales, gros comme le doigt et attachés en chapelet les uns aux autres. Ils éclo- sent vers le milieu de l'été. Lorsqu'un cultivateur en découvre, il est intimement persuadé qu'il a trouvé des œufs de coq : il est impossible de dissuader les habitants de nos campagnes que les cogs ne pondent pas des œufs; de plus ils prétendent que tout œuf de cog donne nais- sance à un serpent. J'ai déjà indiqué en Maine-et-Loire une curieuse variélé de la cou- leuvre à collier ; celte variété est très-commune sur nos coteaux de Saint-Nicolas et du Bois de la Haie. Elle est entièrement rousse, avec un rang de taches noires de chaque côté. Son collier est aurore. Jamais elle n’alteint plus de cinquante centimètres de longueur : elle est beaucoup plus élancée que la couleuvre à collier type et vit isolée. IL. COLUBER VIPERINUS, LATREILLE. — COULEUVRE VIPÉRINE. Tropidonotus Viperinus, Schlegel. Sa robe est brune, parsemée de taches noires, jaunes dans leur centre, formant un zigzag le long des côtés. Le ventre est taché d'un damier noir et gris ; les écailles sont carénées, la tête ovale, le corps long, renflé vers le milieu. La taille moyenne de Ja couleuvre vipé- rine est de cinquante centimètres. 148 C'est à sa ressemblance avec la vipère qu’elle doit son nom; elle est commune dans tout le département. L'été, cel ophidien passe de longues heures dans l’eau où il trouve en abondance grenouilles, trilons et poissons, qui sont sa pâture préférée. On croit généralement que la couleuvre vipérine est ovovipare ; cependant, un savant erpétologiste, M. Desvaux, ancien directeur du cabinet d'histoire naturelle d'Angers, a élé témoin d’un fait qui prouverait le contraire. | Ïl avait pris aux environs d'Angers, au commencement du mois ‘de juillet, une couleuvre vipérine qu’il plaça vivante dans une boîte aérée, pendant treize jours : elle pondit un œuf blanc et oblong. Dans l'arrondissement de Baugé habitent deux remarquables va- riétés qui n’ont été jusqu’à ce moment signalées dans aucun ouvrage d'erpélologie. Au mois de juillet 1848, j'ai vu sur la terre de Chaloché, com- . mune de Chaumont, une couleuvre vipérine près de l'étang de la Bruyère. Sa robe était entièrement noire et le ventre vert. Je possède dans mon cabinet cette variété. M. Henry de la Perraudière m’a donné une couleuvre vipérine qu'il ‘ avait prise à Lué. La robe est brune, sans taches, et le ventre oli- vâtre. III. COLUBER VIRIDI-FLAVUS, LACÉPÈDE. — COULEUVRE VERTE ET JAUNE. Zamenis viridi-flavus, Wagler. Cette couleuvre, une des plus belles d'Europe, est jaune en des- sous, {achetée de noir et de jaune en dessus ; elle a lesécailles lisses ; les plaques ventrales ornées à leurs extrémités d’un trait noir. Sa taille varie d’un mètre à un mètre cinquante. Valmont de Bomare prétend que la couleuvre verte et jaune peut s'apprivoiser facilement : il cile une personne qui avait dressé une couleuvre de cette espèce à son commandement et qui lui obéissait ponctuellement : ainsi, elle venait se cacher sous ses vêtements, s’'enrouler autour de son bras, se reposer sur sa poitrine, etc. 149 IV. COLUBER QUADRILINEATUS, LACÉPÈDE. — COLUBER ELAPHIS, SHAW.— COULEUVRE A QUATRE RAIES. Elaphis quadrilineatus, Ch.‘ Bonaparte. Dessous du corps fauve, avec quatre lignes brunes on noirâtres longitudinales : les deux extérieures se prolongent jusqu’au-dessus des yeux, derrière lesquels elles forment une sorte de tache noire al- longée; elles vont ensuite se réunir au-dessus du museau. Le ventre est noirâtre, luisant, semblable à de l'acier poli; les écailles du dos sont carénées ; celles des flancs sont lisses. La couleuvre à quatre raies est la plus grande des couleuvres d'Europe: elle a souvent plus de deux mètres de longueur. La couleuvre verte et jaune et la couleuvre à quatre raies habi- tent-elles l’Anjou !? Je suis à cet égard dans le doute le plus complet. D’après les indi- cations données par la Faune de Maine-et-Loire publiée en 1828, M. Henry de la Perraudière, qui était, comme chacun sait, un erpé- lologisteinfatigable, voulut s'assurer Jui-même si vraiment ces deux ophidiens pouvaient être admis dans notre faune. Pendant plusieurs années, il fit à l'époque de la belle saison de nombreuses courses dans les environs de Saumur, au parc de Verrie, à Saint-Georges-des-Sept-Voies, qui sont les lieux sur lesquels on prétend avoir rencontré ces couleuvres. Malgré ses recherches ac tives, il lui a été impossible de rien découvrir. M. Desvaux m'a dit avoir exploré bien des fois inutilement le haut Anjou dans le but de trouver la couleuvre verte jaune commune dans le Poitou. Si vrai- ment ces couleuvres habitaient le haut Anjou, elles n'auraient pu échapper aux investigations des naturalistes Saumurois. Enfin, pour avoir sur cetle question les renseignements les plus complets, je me suis adressé à notre collègue, M. Auguste Courtiller, 1 Pour suivre la classification adoptée par les zoologistes, nous devrions placer après la description de la couleuvre verte jaune celle de la couleuvre lisse, COLU- BER AUSTRIACUS GMELIN, mais comme nous croyons que ni la couleuvre verte jaune, ni la couleuvre à quatre raies n’habitent l’Anjou, nous avons pensé qu'il valait mieux réunir ce que nous voulions dire à ce sujet sur ces deux ophidiens en un seul cha- pitre, afin de ne pas faire de redites. 150 directeur du cabinet d’hisloire naturelle et du jardin botanique de la ville de Saumur. M. Courtiller a étudié et exploré le Saumurois comme jamais per- sonne ne l’a fait jusqu’à ce moment. Voici un extrait de sa lettre : « Vous me demandez quelques renseignements sur des reptiles de « nos environs : voilà les seules observations que j'aie faites. Je n’ai « rencontré qu'une seule fois une de ces grandes couleuvres, il y a « de ça bien des années : elle avait la tête écrasée, et autant que mes « souvenirs peuvent me servir, c'était la couleuvre verte et jaune ou « la couleuvre à quatre raies. Il me serait difficile de dire laquelle ; « j'inclinerais cependant pour cette dernière : c'était dans les envi- «rons de Marson et de Verrie; elle doit être bien rare, car malgré « les nombreuses courses que j'ai faites dans cet endroit, je ne l'ai « pas rencontrée d’autres fois. » V. COLUBER AUSTRIACUS, GMELIN. — COULEUVRE LISSE. Coronella lœvis seu austriaca, Laur. Robe d’un gris roussâtre très-luisant en dessus avec cinq lignes der- rière les yeux, une bande derrière la tête, et deux rangs de taches brunes alternes le long du dos; tête petite déprimée, triangulaire, corps cylindrique, presque d’égale grosseur dans toute son étendue. Cette couleuvre est très-commune sur les rochers de Saint-Nicolas près Angers. $ Nous avons trouvé dans nos excursions plusieurs variétés de la couleuvre lisse. Au bois de la Haie on en rencontre une à la robe grise en dessus, avec des taches noires en dessous. A Trélazé, sur les buttes formées par l'extraction du schiste ardoi- sier, habite une variété dont la robe est violette en dessus avec des taches rougeâtres en dessous. À Pontigné, j'ai pris une couleuvre lisse ayant la robe rouge- brique, parsemée de taches brunes et le ventre jaune. VI. COLUBER ÆSCULAPIT, SHAW. — COULEUVRE D'ESCULAPE. Elaphis Æsculapii, Dum. et Bibr. La couleuvre d'Esculape : Coluber Æsculapii, Shaw, Jacquin, Lacé- D imrbbi se 151 pède, Coluber flavescens, de Scopoli, a le dessus du corps d'un gris blanc avec une bande lJongiludinale obscure, presque noire sur chaque côté du dos et plus foncée vers le ventre. Les écailles voi- sines des plaques abdominales sont blanches, bordées de noir en dessous, le ventre est blanchâtre, marbré de gris, les écailles du dos sont presque lisses. Cette couleuvre, chose bien extraordinaire, a été confondue avec la couleuvre d’Esculape décrite par Linné et Laurenti; nous ne nous rendons pas compte de cette méprise. La couleuvre de Linné a la tête marquée d’une double bande noire, et un peu plus large que le corps; la queue amincie, obtuse à son extrémité; dos brun avec des bandes transversales el des an- neaux noirs, ventre blanchâire. D'après Merrem, la couleuvre de Linné qui habite l'Amérique, par- viendrait tout au plus à trente centimètres de longueur, tandis que le serpent d'Esculape, commun dans les environs de Bécon, dans l'arrondissement de Saumur, connu des campagnards sous les noms de suchelon, surcheton, sélon !, arrive quelquefois à une croissance d'un mètre cinquante centimètres. Le serpent d’'Esculape de notre pays est bien celui que les anciens ont donné pour atiribut au Dieu de la médecine, et tout porte à croire que le serpent d'Epidaure appartenait à l'espèce qui nous occupe. La couleuvre d'Esculape passe des journées entières immobile, étendue comme si elle était morte le long des talus de fossés, dans les prairies et quelquefois même dans les chemins. Elle resle dans celle attitude, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé sa proie qui consiste en mulots, lézards, grenouilles, crapauds, petits oiseaux, etc. Il m'est arrivé à Bécon d'en rencontrer une ainsi placée dans un chemin creux; ma vue ne la fit pas changer de place, et je n’eus qu’à me baisser pour la prendre et la mettre dans ma boite. Il n'existe en Maine-et-Loire aucun serpent qui soit plus facile 1 M. Toupiolle a pris l'été dernier une couleuvre d'Esculape près les bâtiments de l'hôpital Sainte-Marie; ordinairement on ne la trouve pas aux environs d’Angers. 2 J'ai observé, ainsi que notre collègue Raoul de Baracé, un fait à peu près ana- logue sur un pivert. Le voici tel que je l’ai rapporté dans les bulletins de la Société protectrice des animaux. Un jour de l’été de l’année 1864, je me promenais dans une allée de mon parc, lorsque je vis un pivert se placer à une cinquantaine de pas devant moi, regarder s’il était épié, puis se coucher et faire le mort, étendu 152 à dresser; il y a une dizaine d'années j'avais habitué une couleuvre d'Esculape à traverser une corde raide, à marcher ou à s'arrêter sur un signe que je lui faisais, etc. Au mois de mai 1865, M. Auguste Duméril, professeur de zoologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris, membre de la Société Lin- néenne de Maine-et-Loire, me remit en m'engageant à y répondre, un questionnaire sur les vipères de France, rédigé par lui au nom d’une commission prise parmi les membres de la Société d’acclima- tation ‘. Cette invitation me fut d'autant plus agréable, que depuis longtemps je songeais à mettre en ordre des notes sur les Ophidiens, afin de pouvoir continuer mes études relalives à la faune de Maine- et-Loire. et immobile, la langue tirée démesurément. De temps à autre il la faisait rentrer dans son bec; près de lui, était, dans l’allée, une fourmilière souterraine. Les fourmis, sortant de leurs demeures, croyaient voir dans le pivert un être mort, et s’amoncelaient sur sa langue pour la dévorer ; mais le contraire arrivait : lorsque la langue du pivert était couverte de fourmis, il les avalait. 1] recommença ce ma- nége jusqu’à ce qu’il fût complétement rassasié. Alors il courut vers son nid pour porter la nourriture à ses petits. Je remarquai pendant plusieurs jours la même manœuvre. 1 Cette Commission est composée de Son Exc. Drouyn de Lhuys, de MM. A. Passy, J. Cloquet, Debains, de Chasteignier, Auguste Duméril, Dupuis, Girou de Buza- reingues, Petetin, Reveil, Rufz de Lavison, comte de Sinéty et J.-L. Soubeiran. Voici ce questionnaire : 4. Existe-t-il des vipères dans votre département ? 2. Distinguez-vous une ou plusieurs espèces ? À quels caractères les reconnaissez-vous ? 3. Quelles sont les localités habitées de préférence par chacune de ces vipères ? Les trouve-t-on dans les buissons ou dans les arbres ? Vont-elles à l’eau, les voit-or nager sur les lacs et les étangs ? Pénêtrent-elles quelquefois dans les habitations ? 4. Les rencontre-t-on en toute saison ? Quelles sont celles où on les rencontre le plus fréquemment ? 5. Sont-ce des animaux nocturnes, ou bien les trouve-t-on à certaines heures du jour ? 6. Se retirent-elles pendant l’hiver en grand nombre dans une même retraite et entortillées les unes avec les autres ? 7. Quelle est leur nourriture ? Peut-on les considérer comme des destructeurs d'animaux nuisibles tels qu'in- 155 Déjà dans plusieurs départements, quelques-uns de nos collègues, MM. Lereboullet, professeur à la faculté des sciences de Strasbourg, Mauduyt, ancien conservateur du cabinet d'histoire naturelle de Poi- tiers, Thomas, de Nantes, ont fait parvenir à la commission des ren- seignements très-curieux, comme j'ai pu m'en convaincre, en lisant le rapport d’un de nos associés, M. Léon Soubeiran. J'ai remarqué avec un vif plaisir que les naturalistes cités dans ce rapport, ont signalé des faits particuliers au pays qu'ils habitent : nous ne sau- rions donc trop applaudir à l'initiative qui a été prise par la Société d’acclimatation. C’est seulement, en effet, en provoquant des en- quêtes de ce genre, qu’on arrive à connaître les habitudes, les mœurs d'un grand nombre d’êlres, qui jusqu'à ce moment n'ont élé qu'im- sectes, mollusques, taupes, mulots, rats et autres rongeurs? Mangent-elles des oiseaux ? 8. Ont-elles quelques inconvénients pour les animaux de basse-cour (poules, dindons, etc.)? 9. Blessent-elles les chevaux et les autres animaux qui paissent dans les prés? Résulte-t-il des accidents de ces blessures ? 10. Quels sont les accidents observés chez les chiens ? 11. Quel est, approximativement, le nombre des personnes piquées dans votre département ? 42. Quels sont les accidents déterminés par ces piqüres ? 13. Ces piqûres sont-elles quelquefois mortelles et dans quelle proportion en- viron ? 44. Quand elles ne sont pas mortelles, laissent-elles après elles des lésions et des maladies chroniques? 45.Y a-t-il des conditions de saison, d'âge, de sexe, de tempérament, ou autres, qui influent sur la gravité des accidents ? 46. Les accidents résultant des piqûres faites soit à l’homme, soit aux ani- maux, et qui n’entraînent pas la mort, se dissipent-ils naturellement ou bien * exigent-ils un traitement? 47. Quels sont les traitements en usage dans votre département ? Y en a-t-il un qui soit plus généralement préféré? 18. Quels seraient les moyens les plus convenables à employer pour la destruc- tion de la vipère ? 49. Y a-t-il des animaux réputés pour être ennemis et destructeurs de ce reptile ? Que pensez-vous comme tels des chiens terriers, du hérisson, du cochon et de la cigogne ? 20. Distribue-t-on des primes dans votre département ? Quels en sont les résultats ? La Société d'acclimatation serait désireuse de recevoir des spécimens des diffé- rentes espèces de vipères. 154 parfaitement étudiés et décrits. Il est difficile, je dirai même impos- sible, qu'une faune exacte soit l'œuvre d’un seul. C'est en réunis- sant les efforts communs des hommes de science, qu’on peut obtenir un résultat complet. VIPÉRIENS. Deux espèces de vipères habitent le département de Maine-et- Loire, la vipère ordinaire, Vipera aspis, et la peliade ordinaire, Vipera pelias. Tous les Ophidiens sont désignés par les paysans sous le nom de vlains, de même qu'ils appellent les rats, les souris, les mulots, les musaraignes, les campagnols, verminiers. Le vlain pour eux est un animal malfaisant, auquel ils font une guerre impitoyable; souvent, comme il arrive toujours, l'innocent paie pour le coupable; ainsi chaque fois qu’un campagnard ren- contre sur son chemin une couleuvre, un orvet, reptile paisible s’il en fut, il lui assène un vigoureux coup de bâlon sur les reins, et après l’avoir lué, écrase la tête avec le talon de son sabot. Les vipères sont aussi vulgairement nommées vermines !. Les cultivateurs les rangent en deux classes, l’aspic rouge (Vipera aspis) et la vipère maillée (Vipera pelias). Ces dénominations ont donné à penser à quelques personnes, que les animaux qualifiés de la sorte pourraient bien êlre des espèces nouvelles. C’est ainsi qu’on a cru reconnaître une Vipera rubicunda, dans le mâle du Vipera aspis, dont le ventre est plus rouge que celui de la femelle, une vipère à trois plaques dans la vipère maillée, qui n’est autre que la vipère commune ?. Nous n’entreprendrons point ici de réfuter l'opinion des natu- * Autrefois, les chantres de nos églises étaient accompagnés par un instrument en bois ayant la forme d’un serpent, dont il portait le nom. Les habitants des cam- pagnes appelaient cet instrument Vermine. ? Voici comment l’auteur de la Faunede Maine-et-Loire décrit la vipère à trois plaques, Vipera trilamina : « Sur le milieu de la tête, trois plaques angulaires lisses, rapprochées comme un « triangle, et beaucoup plus grandes que les écailles qui les entourent ; museau « droit, non rebordé ; une bande longitudinale noire, postoculaire, prolongée sur « le cou, mais interrompue vers la jonction de cette partie avec la tête; de larges : 155 ralistes qui croient que la vipère ammodyte habite l’Anjou. La vipère à museau cornu est très-rare en France, elle a été signalée dans le sud-est, mais c’est surlout en Italie, en Grèce, en Espagne, dans les parties chaudes de l'Allemagne, en Algérie, en Dalmatie et en Sicile qu’elle est commune. La vipère aspis, Vipera aspis L., Vipera prester Schegel, se dis- tingue par sa tête plate, son museau tronqué, revêtu d'écailles qui vont toujours en s’élargissant, les écailles qui couvrent l'occiput ét le reste du corps sont carénées. La couleur de la robe n’est pas très-constante, généralement elle est d’un rouge-brique, la bande dorsale noire, la gorge et le dessous de la queue sont tantôt blanchâtres, tantôt jaunâtres, rarement rou- geâtres. Les variétés sont nombreuses, il en est une surtout que j'ai prise longtemps pour une espèce, jusqu’au moment où je l’ai vue accouplée avec la vipère aspic type. Cette variété à la robe d’un jaune pâle, avec des taches oranges, est assez rare; j'ai constaté son habilat à Claye, commune de Mürs. La Vipera pelias, L., Vipera Berus, Merrem, diffère de la Vipera aspis, par son dos couvert de larges zigzags non interrompus, formant des deux côtés une bande dentée ; la tête ovale comprimée sur les côtés et aplatie en dessus, est couverte d’écailles oblongues, carénées, ainsi que le dessus du corps qui est cylindrique. Les bords des mâchoires blanchâtres, sont marqués de petites taches angulaires noirâtres. Le museau terminé par une écaille trapezoïdale est droit et le cou est presque égal à la tête. Quant à la queue en forme de cône, elle « zigzags noirs, formant une bande dentée et non interrompue tout le long du dos. » Le caractère qui ferait discerner cette prétendue espèce des autres n’est pas cons- tant : ainsi j'ai trouvé des vipères ayant les unes deux plaques sur le milieu de la tête, d’autres trois, quelques-unes quatre. Ces observations ont aussi été faites par MM. Armand de Crochard et Henry dela Perraudière. Plusieurs individus de l’espèce qu’on a voulu nommer vipére à trois plaques sont au cabinet d’histoire naturelle d'Angers. L’habileté avec laquelle ils ont été pré- parés permet de les étudier comme s'ils étaient vivants. Parmi les erpétologistes distingués qui ont été à même de les voir, il ne s’en est pas trouvé un qui n’ait déclaré que cette vipère n’était autre que la péliade, il est donc inutile de vouloir créer des espèces que la science ne peut admettre. En dehors de l’aspic et de la péliade, on ne doit pas chercher en Maine-et-Loire d’autres vipères. Du reste, pour l'intelligence de notre texte, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire le dessin du Questionnaire, qui lui-même est extrait des Éléments de zoologie mé- dicale de Moquin-Tandon. 156 finit par une pointe aiguë. L'aspic se rencontre dans toutes les con- trées de l’Anjou, les lieux qu'il préfère sont les côteaux exposés au soleil. La peliade est plus rare, on ne la voit pas dans les terrains calcaires ; ainsi notre bon et savant collègue M. Auguste Courtiller, à qui j'écrivais pour avoir des renseignements sur les vipères du Saumurois, me répondait : « Je n’ai jamais vu dans nos environs que la vipère ordinaire, el les variétés plus ou moins rouge de brique » (c’est-à-dire l’aspic). La peliade préfère avant tout les pays de plaines et le voisinage des ruisseaux; elle aime assez à se plonger dans l'eau, mais elle n'y demeure pas longtemps. Quant à l’aspic, l'horreur que cet animal a de l’eau est vraiment extraordinaire; j'ai fait l'expérience suivante : J'avais pris dans un fagot de sarment un aspic que je jelai dans un large fossé, en un instant il gagna le bord avec une extrême rapidité, tandis qu’au contraire, ayant placé une peliade dans un cours d’eau, elle dis- parut au fond pour échapper sans doute à ma poursuite, car il me fut impossible de la retrouver. Les vipères ue grimpent point dans les buissons ni dans les arbres. J’ai entendu bien des fois les habitants de la vallée des Ponts- de-Gé, m’assurer qu'ils avaient tué au printemps, lorsque l’eau cou- vrail les terres, des aspics sur les têtes des léards. Ceci n’a rien d'étonnant; ces reptiles surpris par les crues se réfugient dans l'intérieur des vieux arbres ou sur les saules pour être à l'abri des inondations. C’est seulement dans ces circonstances qu'on a pu en trouver sur les saulaies des bords de la Loire. Les coteaux de Roche-Noire, commune de Müûrs, et de Soulaines, de Charueau, commune de Saint-Melaine , sont renommés par le grand nombre de vipères auxquelles ils servent de retraile. Sur ces coteaux végélent de pelits buissons d'épines où les fauvettes font leur nid. Jamais à aucune époque de l’année je n’ai vu de vipères, soit sur le sommet, soit dans l’intérieur de ces buissons‘. J'ai posé à plusieurs erpétologistes de l’Anjou cette question : Trouve-t-on des ! Personne n’a plus exploré que moi ces rochers si riches pour le botaniste : c’est sur le versant des coteaux de Roche-Noire que j'ai découvert une localité abondante de l’ANTHERICUM LILIAGO L., Phalangère fleur de lys. Cette charmante liliacée n’est signalée dans la Flore de Bastard qu’à Blaison. L’indication vague 157 vipères dans les buissons, ou dans les arbres? Tous m'ont répondu négativement. Les vipères pénètrent quelquefois dans les habitations; voici comment : au printemps, lorsque les premiers rayons du soleil se font sentir, les vipères commencent à sortir, et choisissent de pré- férence pour se reposer et ressentir les effets de la chaleur, les ja- velles de sarment entassés le long des talus des vignes, ou, dans les forêts, les fagots de bois sec. Elles sont presque toujours sûres d'y capturer des rats, des mulots, qui aiment à pénétrer dans l'intérieur des fascines, pour cacher les provisions qu’ils entassent sans cesse sous elles. Il arrive souvent aux vignerons ou aux bûcherons, lorsqu'ils amoncèlent trop près de leurs maisons leurs barges de bois, de trouver dans leur demeure des vipères qui, cachées dans les fagots, en sortent attirées par la douce flamme du foyer, surtout au mois d'avril, lorsque le temps esi couvert el dur. Les vipères sont très-friandes de lait; nous n’ajoutons aucune foi à ces contes absurdes où l’on dit que les aspics s’attachent aux tetines des vaches pour boire leur lait. Mais ce qui est certain, c'est qu'il arrive fréquemment aux vachères des fermes isolées, surtout voisines des bois, de trouver dans leurs laiteries des vipères noyées dans des pots de lait. Aussi les fermières prévoyantes ont-elles tou- jours soin de tenir leurs vases couverts, par une ardoise ou une luile plate. Nous allons raconter pour répondre à cette queslion : Les vipères pénètrent-elles quelquefois dans les habitations ? une anecdote dont nous garantissons l’authenticité. C'était à cette sombre époque de la guerre de la Vendée, où les soldats de Bonchamp, de Cathelineau, de Lescure, de d'Elbée, de la Rochejacquelein, de Charette, etc., n’avaient plus à combattre des donnée par Bastard ne m’a pas permis, malgré d’actives recherches, de cueillir dans cette commune la plante qui y est indiquée. Le savant docteur Guépin a trouvé l’Anthericum liliago L. dans le vallon de - Vaugiraud, commune de Beaulieu. La phalangère de Roche-Noire diffère de celle de Barré, par son port élevé, ses larges feuilles cannelées et ses fleurs beaucoup plus grandes. J'ai livré cette belle plante à la culture, et l’expérience ne tardera pas à m’apprendre si je puis enri- chir la flore d’une espèce, ou d’une variété nouvelle. 158 troupes placées sous les ordres des Kléber, des Hoche et des Marceau, mais bien des bandes d’assassins laissant sur leur passage la désola- tion et la mort. Les colonnes infernales dont le mot d'ordre était : Passer à la bayonnelte tout brigand sans distinction d'âge ni de sexe, avaient commencé leur œuvre {, tuer les femmes, les enfants, en- lever les animaux de labour, les grains, empoisonner les fontaines, mettre le feu aux fermes; elle était la mission que s'était imposée le chef de ces hordes devenues si tristement célèbres. Un jour un détachement républicain se dirigeant sur la Tessoualle, aperçut une jeune femme qui venait faire l'herbe. Se mettre à sa poursuite, décharger les armes sur elle fut l'affaire d'un instant. Mais par un hasard providentiel, la mélayère put échaper à l’en- nemi et se retirer dans un champ de genêls inaccessible pour tous ceux qui n’en connaissaient pas les inextricables détours. Les sol- dats ayant perdu sa trace, entrèrent dans la ferme, brisèrent les meubles, emmenèrent les bœufs, s'emparèrent des provisions de 1 Voici trois lettres du général Caffin, qui montrent quelle était la manière dont procédaient certains officiers supérieurs d’alors. Nous en avons scrupuleusement respecté l'orthographe : « Le 2 pluvios lan 2°, au commandant de la Tessouaille. « Hiert je tavoit ecrit de tenir ta trouppe pret et que je tauroit rejouint avec ma colonne. « Après avoir fait atention a lordre de marche je doit tenir je n’arriverai que demain a la Tessouaille. « Aujourd’huy employe tout les moyens pour faire evacuer sur Cholet, toute subsistance de quelque nature qu’il soit requerre pour cette effet les officiers mu- nicipaux, et tu fera atention lors que tu mettra le feu au metayrie, bourg, villages de garantir toute les subsistance; comme bled, foins, avoine et toute autre espece de grain sûr ta responsabilité et le 4er of" sous offér, et volontaire qui contre- viendra a cette ordre sera punis suivant la rigueur des loi; tu fera passe au file de la bayonnette tout ce que tu connaïtra brigan ou autre personne suspect. « « Le general de brigade, CAFFIN. » « Le 3 pluviôse l’an Ile de la République à Maulevrier. « Le général Cafiin au républicain Boucret général de brigade à la Tessouale. « Je suis encore à Maulevrier je n’ai encorre pu incendier raporte à la grande quantité de grains et fourages, qui se trouvent dans les métarie et a Maulevrier mains il ya de commissaires arrivé d’hiert au soire qui socupent de l'enlevement hiert j’ai envoyé un détachement au village de Chabroille, pour purger et incen- 159 grains; puis, pour couronner leur œuvre, remplirent la cheminée de fagots, y mirent le feu et se relirèrent. La pauvre Vendéenne vit de sa retraite la flamme s'élever au- dessus de son toit, el les tuiles du faîtage voler dans des tourbillons de fumée. Tout à coup le feu se ralentit, le bois trop vert a cessé d'alimenter l'incendie. La fermière n’entendant plus les cris de ses persécuteurs se hâte de revenir au logis : peu lui importent les ruines de sa demeure, elle n’a qu'une préoccupation, celle de savoir ce qu'est devenue une pauvre créature, un enfant de trois mois qu’elle avait laissé dans son ber. Elle entre, se fraye un passage au milieu du désordre qui règne autour d’elle, ouvre la porte d’un petit cabinet. dier, il en ont fusilliés quélque un, mains il non pu incendier vu que dans toutes les maisons il y avait du grains et fourages. : « Signé CAFFIN. » « Au quartier général à Maulevrier le 4 pluvios lan Ile de la république française une et indivisible. « Le général de brigade Caffin au républicain Boucrét général de brigade. «J'ai reçu hier au soir ta lettre qui mannonce que tu est arrivé à Moulin et moi je suis toujours à Maulevrier. J'en ay prévenu hier le général en chef qui mordonne de retarder pour assurer les subsistances qui sont en cantité. « Je suis assuré daprêt tous les grains qui se trouvent dans toutes les maisons un cent chartes ne sont pas dans le cas de les enlever et que si on incendiait au. paravant l'enlêvemt, ce serait une perte considérable pour la république dont je serais responsabie. « Tu ne pance peut-être pas que Maulevrier les Chambreuilles et Hyzerné dis- tance d’un quart de lieu l’un de l'autre composent plus de quinze cents maisons sans conter les metairies lorsque incendiray je ne veux pas qu'il reste vestiges et je commence ce matin par les eglises et chapelles et les maisons evacquées je fait fusiller ce matin 14 ou 15 femmes. € Gai demandé au commissaire chargé pour lenlevement des subsistances 400 chartes pour accelerer mon operation et gyrai de suite à St Laurent ou est ma destination. « Le general de brigade Signé CAFFIN. » # P.-S. Le commandt de la gendarmerie et des chasseurs envoyeront de suitte eclairer les routte de Vezin, Chemillier et Argenton le Peuple. « Comme les gendarmes connaissent mieux les routte que les chasseurs ile fourniront chacun deux homme et un brigadier , ils yront le plus loin quil leurs sera possible et prandront tous les renseignement sur la marche des brigand, «A leur rentré il viendront en faire leur raport chez le general. « À Maulevrier le 9 pluvios lan 2 de la Republique une et indivisible, « CAFFIN. » 160 Oh! bonheur; elle trouve son fils sain et sauf, dormant du plus doux sommeil. Dans sa joie, elle va se précipiter pour l’embrasser, quand tout à coup elle recule d'horreur. Cinq vipères élaient posées en pelote sur les langes de l’enfant, et semblaient elles aussi sommeiller tranquillement. Comment étaient-elles entrées dans ce réduit, la chose fut facile à expliquer : les vipères étaient dans les fascines lorsqu'on y mil le feu, la chaleur les avait forcées de fuir, et natu- rellement elles s'étaient dirigées dans la partie de la maison où l’in- cendie ne faisait pas de progrès, la porte mal close leur avait offert un passage, et le ber leur servit d’asile. Vite la mère va chercher des pinces et s'approche doucement du berceau pour saisir les reptiles, mais au premier mouvement qu’elle fait une vipère s'éveille, se roule en spirale et lance un sifflement de menace, les autres l’imitent, changent de place et arrivent à la hauteur de la figure du pauvre enfant, qui heureusement est encore endormi. Dans ses angoisses, la mère se rappelle combien les vipères sont avides de lait, elle prend dans un placard un peu de ce liquide, le mel auprès des tisons fumants. En un instant le breuvage est chaud, les vipères n'ont pas bougé, l'enfant dort toujours. Une jatte est posée à terre, la fermière se retire et, le cœur palpilant de crainte, observe à travers les planches disjointes de la porle ce qui va se passer. À l'odeur du lait, les vipères quittent rapidement leur couche et viennent boire dans le vase. Quand elles sont repues, la mère s’avance, s'en empare sans danger et les jette dans le foyer, puis prenant son fils dans ses bras le couvre de baisers. C’est à l'enfant devenu grand (il s'appelait Pineau), qu’on doit connaissance de ce fait. Il s'était fixé sur les bords de la Loire et y exerçait la profession de colporteur. C'était toujours les larmes aux yeux qu'il racontait cet épisode de sa première enfance. Il est difficile de préciser l’époque à laquelle les vipères quittent leur retraile, comme aussi celle à laquelle elles disparaissent ; tout dépend de la température. Ainsi j'ai vu à la fin de janvier, par un beau jour de soleil, deux vipères sur lalisière d’un pré, mais ceci est une exception, généralement c’est à la mi-mars qu'elles commen- cent à paraître, pour rentrer à la mi-oclobre, et quelquefois à la fin de novembre. J'ai tué une peliade le 10 novembre 1864; M. Armand de Crochard a trouvé à Milon une vipère le 2 décembre 1865. Dès les premiers jours de printemps, les vipères viennent sur les ": . 161 collines exposées au levant recevoir la bénigne influence du soleil ; c’est alors qu'elles s’accouplent. Le résultat de cet accouplement est de vivifier douze ou vingt-cinq œufs, à peine aussi gros que ceux des _roïlelels et des mésanges, el qui éclosent dans le ventre de la femelle, où le vipereau roulé sur lui-même alteint la iaille de douze centimètres environ avant de paraître à la lumière, ce qui arrive habituellement daws le cours du quatrième mois qui suit l’accou- plement. Une fois éclos, les vipereaux deviennent complétement étrangers à leur mère, chacun erre de son côté. Les anciens prétendaient qu'au moindre danger la femelle ouvrait la gueule pour donner asile à sa progéniture qui avait hâte de s’engloutir dans ce gouffre vivant; c’est une de ces erreurs grossières qui sont encore accré- ditées dans nos campagnes. Les vipereaux se passent de suile des soins maternels; du reste la mère les abandonne complétement, et J'ai trouvé plusieurs fois dans la forêt de Brissac des bandes de petits vipereaux, n'étant accompagnés ni de père ni de mère, lrainant encore à leur suite les débris de l'œuf qui les renfermait. Sont-ce des animaux nocturnes; ou bien les trouve-t-on à cer- taines heures du jour ? Cette question a été agilée en sens divers; d’après mes remarques, je puis affirmer que dans les grandes cha- leurs, lors des temps d'orage, la peliade court les champs pendant la nuit. Le 16 juin 1865, la veille de celle journée si fatale à cer- laines contrées de l'Anjou!, j'en ai pris une à onze heures de la nuit. Quant à l'aspic, le soleil couché, il rentre et quelque temps qu'il fasse il ne quilte jamais son repaire qu’au lever de l'aurore. On s'est mépris lorsqu'on a prétendu que les fermières de l’Anjou, surtout celles de la Vendée, faisaient l'herbe pour leurs bestiaux dès l'aube du jour. Jamais l'herbe dans les métairies ne se coupe le matin, ct cela pour deux raisons. La première, c'est que le fourrage à ce moment est couvert de resan ? toujeurs très-funeste aux vaches laitières, sur- tout au printemps et à l'automne. La seconde, c'est qu'on est exposé 1 Le 17 juin, sur les trois heures du soir, il tomba une grêle épouvantable pen- dant dix minutes environ sur les communes de Thouarcé, Chavagnes-les-Eaux, Allençon. Les grêlons, gros comme des œufs de pigeons, briserent les vitres des maisons, détrusirent une partie des récoies, surtout celle de la vigne. ? On appelle en Anjou resan la rosée du matin. VII. Al 162 fréquemment, avant le lever du soleil, à rencontrer dans l'herbe la peliade, qui aime dans les temps chauds à humer la rosée, tandis que le soir on récolte de l'herbe sèche, sur laquelle la chaleur a fait senlir son action, et de plus on est sûr de n'êlre pas exposé au dangereux contact des reptiles. La peliade se montre dès que la clarté commence à poindre, l'aspic au contraire ne sort qu'après le lever du soleil. Dans les mois de juillet, d'août, quand la chaleur est intense, l'aspic reste des journées entières couché près de sa demeure; il n'en est pas de même de la peliade très-vagabonde, elle n’est sédentaire qu’à l’é- poque de l’accouplement. L'aspic et la peliade passent l'hiver dans des anfractuosités de rochers, elles s’entortillent souvent de manière à former une masse assez considérable. Plusieurs carriers m'ont dit avoir trouvé pendant les temps froids, époque où ils tirent de la pierre, une aggloméralion de vipères aussi grosse qu’un double déca- litre; c’est seulement pendant la saison rigoureuse qu’on voit les vipères ainsi réunies ; jamais les peliades qui vont un peu à l’eau ne sont entortillées dans les ruisseaux et rivières. El ce récit sur des pêcheurs de la Maine qui auraient lrouvé, pendant une nuit de mai, dans leur seine, une mole de vipères est une fable grotesque !. L’aspic et la peliade ne se nourrissent que d'animaux vivanis, tels que crapauds, grenouilles, campagnols, insectes, lézards, orvets, salamandres, mollusques, taupes, mulols, souris. La peliade re- cherche beaucoup les petits poissons, entre autres le goujon ordinaire (Cyprinus gobio, L.), l'ablette (Linciscus alburnus, Guv.), le véron (Lenciscus phoxinus, Cuv.), la lote commune (Lota vulgaris, Cuw.), l'épinoche (Gasterosteus aculeatus, Linné), l’épinochette d'Europe (Gasterosteus pungilius, Linn.); elle les chasse avec une adresse re- marquable, et profite du moment où ils sont endormis pour s’élancer rapidement sur eux. Les vipères mangent-elles des oiseaux ? Je répondrai oui, mais je’ crois que cela arrive seulement lors- 1 « La môle qu'ils péchèrent ainsi, dit l’auteur de ce conte, était plus grosse « qu'un double décalitre. Les serpents, en touchant terre, s’éparpillèrent et se « mirent à fuir dans toutes les directions, et nos quatre pêcheurs, qui en firent de a même, ne revinrent à leurs filets qu’au lever du soleil, mais tout avait dis- « paru. » Nous ne nous appesantirons pas davantage sur ce passage qui se juge par lui- même. 163 qu'elles sont en diselte d’autre proie. Car je pourrais ciler des loca- lités où les ophidiens vivent à l’époque du printemps. au milieu de nids auxquels ils ne touchent jamais ; dans tous les cas, ce ne sont que les oiseaux qui nichent à terre, qui peuvent avoir à redouter ces reptiles. On m'a cité un jeune unit de Bécon qui, voulant dénicher des merles terriers, fat mordu par une vipère qui se trouvait dans le nid. Une personne digne de foi a vu cette année, sur le territoire d'Érigné, une peliade occupée à dévorer une couvée de Bergeron- nelte printanière (WMotacilla flava, Linn. !): enfin, M. Deloche le directeur de notre musée, en préparant des vipères pour le cabinet d'histoire naturelle, a fait dégorger à l’une d’elles plusieurs petits entièrement nus. Mais, je le répète, ce ne sont pas les oiseaux qui sont les êtres pré- férés par les vipères, et M. Courliller jeune, qui depuis longtemps éludie avec soin les reptiles du Saumurois, n’a jamais pu constater le fait dont nous nous occupons. Plusieurs erpélologistes ont prétendu que la vipère exerçait une aclion magique sur les animaux qu'elle voulait capturer. Ils citent la grenouille, qui d'elle-même va se jeter dans la gueule de la vipère. J'ai examiné avec beaucoup d'attention la manière dont la vipère s’y prenait pour attirer vers elle les batraciens, et voici ce dont j'ai élé témoin. Le 18 août dernier, me promenant sur les bords de l’Aubance, au lieu nommé Gaigné, je vis une peliade couchée sur le sentier. Ce reptile ne donnant aucun signe de vie, je crus qu'il était mort et qu'il avait été placé dans cet endroit par les jeunes garçons, afin d'effrayer les vachères. Mais bientôt je fus détrompé. Au bruit de mes pas l’aninal releva la tête, puis, lorsque je m'arrétai, il reprit sa première allitude. À une distance de six mèlres, je remarquai une grenouille qui s’avançait vers la vipère en faisant de petits bonds de deux décimèlres environ. Chaque bond était précédé d’un coas- 1 La bergeronnette printanière est un oiseau de passage : elle arrive au com- mencement d'avril et repart à la fin de septembre, habite les prairies. Son nid, qu’elle place à terre, est composé extérieurement d'herbes sèches, le fond est garni de bourre. La femelle pond cinq à six œufs grisâtres, couverts de petites taches plus foncées. 164 sement. Lorsque la grenouille fut à portée d’être saisie, la peliade s’élança sur elle et se mit à l’engloulir. Celte opération dura vingt- deux minutes; après la vipère tomba dans un état de prostration complète. Je m'expliquai parfaitement l'attraction de la grenouille vers la vipère : le magnétisme n'y est pour rien. Tout le monde sait comment à l’aide d’un bouchon d'herbe, d’un morceau d’éloffe rouge, etc., on fait sorlir de leur liquide demeure des grenouilles, et surtout, comment on parvient à s’en emparer. Les hatraciens sont peu intelligents, un instinct de curiosité les pousse vers les objets qui leur sont inconnus, et ils agissent à l’é- gard de la vipère comme ils le font en présence de la ligne du pé- cheur. Les vipères ne rendent aucun service à l’agriculture; les rats, mulots, etc., qu'ils mangent, sont en très-petit nombre: aiusi j'ai vu une vipère rester engourdie pendant plus de deux heures, après avoir dévoré une souris. La lenteur de leur digestion ne leur permet guère de détruire un grand nombre de rongeurs, ce sont des ani- maux nuisibles dans toute l’acception du mot, et auxquels il faut faire une guerre impitoyable. Le questionnaire demande si les vipères ont quelques inconvénients pour les animaux de basse cour, tels que poulets et dindons. Les habitants des campagnes élèvent peu de dindons; ce n’est guère que dans les propriétés particulières qu’on trouve ces galli- nacées, et je n’ai pas d'exemples de dindons mordus par des vipères. Il n’en est pas de même à l'égard des poules qui sont très-nom- breuses, surtout dans les grandes fermes : l'habitude qu'on a de les lâcher à travers champs, la récolte enlevée, fournit l’occasion à de fréquents accidents, surtout dans la Vendée! On a remarqué ceci, c'est que presque toutes les poules atteintes de piqûres le sont aux cuisses ; il est très-rare qu'une poule mordue survive à sa blessure. Il arrive quelquefois que les chevaux, les vaches, les bœufs mis au pâlurage, ont à souffrir des vipères. Mais les morsures n’occa- sionnent presque jamais de maladies graves, on a toujours soin de scarifier la plaie et d'y verser quelques gouttes d’alcali volatil, puis de faire boire à l’animal une potion composée d’aristoloche des 1 On appelle Vendée, en Maine-et-Loire, l'arrondissement de Cholet. 165 vignes (Aristolichia clematis, L.), de molène (Verbascum tapsus, L.), de croiselle (Galium cruciatum, Smith.), de viperine ( Echium vulgare, L.), et de potentille (Potentilla reptans, L.). Deux jours après on donne à la bêle un autre médicament composé de vin blane, dans lequel on a délayé de la poudre à mines. Plusieurs mélayers m'ont assuré que lorsque leurs vaches laitières sont mordues, elles refusent le service pendant plus de huit jours. Les animaux le plus souvent piqués sont les chiens. Il est vraiment rare qu'un intrépide chasseur n'ait pas dans l’espace d’une année son chien mordu par des vipères, surlout par l’aspic si commun dans toutes nos haies. Au moment où le chien est piqué, il fait en- tendre un aboïiement plaintif, sa gueule se couvre d'écume jaunâtre, ses jambes tremblent et alors il se roule à terre. Le chasseur expéri- menté a loujours dans sa carnassière le remède au mal. La plaie scarifiée, et quelques gouttes d’ammoniaque suffisent pour remeilre sur pied le chien blessé. Il est même des chasseurs qui se contentent pour tout traitement de faire baigner pendant une heure leurs chiens dans un courant d’eau vive, d'autres d'appliquer sur la partie blessée une compresse composée de deux cuillerées de lait frais, d’un jaune d'œuf, d’une cuillerée de poudre à canon et d'un petit verre d’eau-de-vie. C’est presque toujours au museau ou à la langue que les chiens sont mordus. Guéris, ils conservent un air triste; il y en a même quelques-uns dont les narines enflent pendant plusieurs jours à l’époque du printemps. Les chiens succombent rarement à l’action du venin. J'ai connu un chien qui avait été mordu plus de dix fois : son museau était tout ridé et son corps d’une maigreur extrême. Plusieurs chiens sont devenus aveugles des suites de leurs piqûres ; il en est d’autres qui ont perdu complétement le sens de l’odorat et sont restés par cela même impropres pour la chasse. Les campagnards affirment que tout chien piqué ne peut jamais être alteint de la rage. C’est un fait qu'il nous a été impossible : d’éclaircir, et si nous en parlons, c’est qu'il est mentionné par Gauchi dans sa Bibliothèque des propriétaires ruraux. Le département de Maine-et-Loire se compose de 34 cantons et de 378 communes. D’après les renseignements que nous avons pu recueillir, le nombre des personnes mordues chaque année serait de 166 dix, et on ne peut guère citer que tous les trois ou quatre ans un décès occasionné à la suite de piqûres, encore souvent est-ce par suite de remèdes empiriques. La plupart du temps, ce sont des en- fants qui succombent. Sur vingt blessés, il faut compter quinze femmes ou enfants. C’est en coupant de l'herbe que ces accidents arrivent, Les annales de la Faculté de médecine d'Angers nous fournissent plusieurs exemples de piqûres mortelles !. Nous trouvons dans les actes de l’année 1762 le récit suivant : « Un apothicaire d'Angers avait l'habitude de renfermer dans un grand vase les vipères qu’on lui envoyait pour faire de la thériaque. Il lui arrivait souvent, lorsque les clients affluaient dans son officine, d’en- lever le couvercle qui les retenait captives et de laisser sortir les vi- pères. Celles-ci se montraient lentement, étant un peu engourdies par l’obscurité, L’apothicaire les prenait et les maniait impunément, elles semblaient être apprivoisées et ne lui faisaient aucun mal. Un jour, un campagnard lui apporta une peliade qu'i! tenait avec des pincettes. L’apothicaire, voulant montrer son talent de charmeur, ordonna à celui qui lui présentait le replile, de le lâcher. Le paysan lui fil quelques observations, maisil fallut céder. A peine l’apothicaire avait-il mis la main sur la vipère, que celle-ci, irritée d’avoir été maltraitée, le mordit au pouce. Un médecin, appelé aussitôt, scarifia la piqûre, puis plaça près de la plaie une spatule de fer rougie, afin de tenir les pores ouverts, de rappeler et faire exhaler par là quel- ques parties du venin. Puis, on fit prendre au malade deux dragmes de thériaque dans un demi-verre de vin. Au bout d’un quart d'heure le blessé devint d’une pâleur extrême, son pouls très-faible fut inter- rompu, le corps s’agita de mouvements convulsifs suivis de refroi- 1 Puisque le nom de la Faculté de médecine arrive ici sous notre plume, nous ne pouvons nous empêcher de répondre un mot, à un passage que nous venons de lire dans l'ouvrage d’un médecin homme de lettres (Les médecins au temps de Molière), qui indique Angers parmi les villes de France où la facilité des réceptions était en quelque sorte proverbiale. À celui de nos collègues qui prépare en ce moment l’histoire de la Faculté de médecine d’Angers, nous laisserons le soin de montrer combien cette assertion est fausse. Nous dirons seulement, que nulle fa- culté de province n’eut plus de renommée pour l’excellence de son enseignement, et c’est parce qu’on y examinait sérieusement les candidats, que Diemerbroeck, le célèbre botaniste Morisson et le physicien Denis Papin y vinrent prendre grades et recevoir le bonnet de docteur. 167 dissement, principalement au cou et aux muscles de la lête; des froideurs se manifestèrent au visage, des sueurs se firent sentir, les lèvres devinrent tuméfiées ; alorsle malade éprouva de violentes dou- leurs au nombril suivies de vomissements. On lui donna une potion composée d’eau thériacale el de chardon bénit (Silybum marianum Gœrt. !), puis on appliqua un grand épithème de thériaque sur le cœur et l'estomac. Aucune amélioration ne se produisant, on eut recours à l’orviélan mêlé à de la poudre de thériaque qu'il vomit aussitôt. Le blessé, jusqu'à ce moment, avait toujours été debout, il demanda qu’on le couchât, et les médecins jugèreni nécessaire de lui administrer une dragme de sel volatil de vipères dissous dans les eaux thériacales et de chardon hénit. «Il prit environ le quart de cette potion qu'il vomit avec des flegmes fort visqueuses. On lui fit boire encore une pareille quantité cu même mélange qu'il conserva quelques instants, mais bientôt il rendit ce qui pouvait en être resté dans son estomac, et, parmi ses déjections, toujours des flegmes. «On continua le traitement par lui donner de ce breuvage à mesure qu'il le vomissait, et plusieurs lavements-lui furent administrés afin d'apaiser les douleurs violentes êt obstinées qu'il sentait à l'entour du nombril. « Ses lèvres étaient toujours tuméfiées, son pouls mauvais et les sueurs froides. Gependant, à force de prendre du sel volatil de vi- pères, le vomissement cessa, et il garda la huitième dose qu'il avait bue environ quatre heures après la morsure. « Les symptômes diminuèrent, la froideur commença peu à peu à se retirer et fit place à la chaleur naturelle qui reparut lout entière cinq heures après la blessure. Son pouls revint et fut égal etrobuste, mais un peu ému. « Sur les dix heures du soir, un mieux sensible s'étant opéré, le ma- lade put goûter le repos, et, à son réveil, il but de trois heures en trois heures une boisson composée d’une dragme d’hyacinthe des bois, d’alkermès, de sirop de limon et de quatre onces de chardon 1 Cette plante, apportée d'Orient par les croisés, et qu'on rencontre souvent au pied de nos anciens monastères, passait pour avoir de grandes propriétés médici- nales. Vulgairement appelée le Chardon-Marie, la tradition attribuait les taches blanches de ses feuilles, à des gouttes du lait de la sainte Vierge répandues sur elles. 168 bénit. Puis il respira des cilrons, mangea quelques rouelles sucrées accompagnées d’excellent bouillon. Il rafraîchissait son gosier avec une tisane de scorsonère d'Espagne et-de râclure de corne de cerf dans laquelle entrait un peu de sirop de limon. « Jusqu’alors son doigt n’avait point enflé : pendant la nuit l’inflam- malion se fit sentir et on fut obligé de répandre sur elle de l'huile de scorpions mêlée d’eau de la reine de Hongrie. Mais ce remède n’élant pas assez énergique, on jugea à propos de lui appliquer des fomen- tations faites avec des racines d’angélique sauvage, d’impératoire, de carline, d’aristoloche, de scordium, de centaurée, d’absinthe, de millepertuis et de calament bouillies dans du vin. « Au point du jour, tout le corps du malade était enflé, et il expira au lever du soleil. » Si nous voulions citer dans ce travail tous les exemples de mort occasionnée par les piqûres de vipères, notre liste serait longue. Ainsi, nous trouvons dans les annales de la Facullé de médecine le fait suivant (1763) : « Un paysan occupé à faucher un pré, coupa avec sa faulx un aspic en deux. Le croyant tué, il prit le tronçon où se trouvait la tête pour examiner le replile : celui-ci se retourna vivement et le mor- dit au doigt. Le paysan porta de suite sa main à sa bouche afin de sucer le venin et le sang, mais au bout d’une minute, il tomba sans connaissance, et quand on le releva, il était mort. » Pour parler de faits beaucoup plus récents, nous dirons que M. le docteur Ouvrard, ancien professeur de chirurgie à l’école secondaire de médecine d'Angers, fut un jour appelé près d’une jeune fille qui venait d’être mordue au pied par une vipère pendant qu'elle était occupée à couper de l'herbe. Malgré le traitement énergique appli- qué à la malade, elle succomba le lendemain au milieu d’atroces souffrances. Le docteur Guépin, notre savant et regretté maître, nous a raconté qu'un jour on vint le chercher pour traiter un habitant de la cam- pagne piqué au bras par un aspic. La cautérisation faite de suite au blessé, apporta d’abord dans sa situation un soulagement sensible, mais le lendemain une vive inflammalion se fit sentir, et au bout de trois jours le pauvre cultivateur mourut. M. Courtiller jeune, directeur du cabinet d'histoire naturelle de la ville de Saumur, en nous écrivant en réponse à cerlaines questions 169 que nous lui avions posées sur les Ophidiens, entre autres celle rela- live au cas de mort provenant de la piqûre des vipères, nous répon- dait : . «Il est rare qu'il se passe quelques années sans qu'on signale « quelque accident occasionné par la morsure des vipères : les cas de « mort sont assez rares; cependant, j'ai eu connaissance de plu- « sieurs, il y a deux ans, dans la commune de Varrains. Un vigne- « ron, en béchant sa vigne, s’est jeté sur la jambe une vipère qui, « fortement irrilée, lui a fait deux blessures coup sur coup et dont il « est mort au bout de quelques jours. » M. Deloche, directeur du cabinet d'histoire naturelle d'Angers, a été témoin du fait suivant : une femme ramassant de la mousse dans les bois qui bordent l’élang de Saint-Nicolas, fut mordue par une vipère couchée dans des touffes d'hypnum sylvaticum L. Elle courut rapidement chez un pharmacien chercher remède, et de là se rendit à l'hôpital où elle mourut le lendemain. Le vulgaire pense généralement que le mâle de la vipère fait deux piqûres, et la femelle quatre. Ceite croyance est tellement enracinée parmi les paysans vendéens, qu’il est inutile d'essayer de leur per- suader le contraire. La peliade est moins à redouter que l’aspic; dès qu’elle entend le moindre bruit, elle se met à fuir. L'’aspic, lui, au contraire, est plus aguerri, il semble attendre le danger; l'approche de l’homme l’ef- fraie, et, comme la peliade, il cherche à se cacher à son approche; mais lorsqu'il se trouve en face de lui, il se roule en spirale, puis s’élance sur son ennemi. Je connais une personne qui a élé poursui- vie ainsi l’espace de cinq à six mètres. M. l'abbé Guillet, notre excellent collègue, nous a dit qu'un jour il avait à Combrée rencontré une vipère qui élait tellement irritée qu’elle se tenait en le poursuivant toute droile, ne touchant terre que de l’extrémité de la queue. Les dispositions de l’aspic à se défendre des attaques de l’homme ont donné naissance aux contes les plus ridicules. Ainsi, on a osé imprimer qu’une vipère qui avait été excilée franchissait dans un champ neuf sillons à la fois, afin d'atteindre son perséculeur. Or, en moyenne, un sillon a cinquante centimètres de large, ce qui porte- rait les sauts de la vipère à quatre mètres cinquante. 170 - Quand les piqüres ne sont pas mortelles, laïissent-elles après des lésions et des maladies chroniques ? Pour pouvoir répondre à cette question, j'ai pris sur tous les points de notre province des renseignements. D’après les notes qui m'ont élé envoyées, il paraîtrait que lorsqu'une personne piquée a suivi un bon traitement, il est assez rare qu'elle se ressente de sa blessure. Mais au contraire lorsqu'elle a eu recours à des empiriques, il arrive quelquefois qu’elle éprouve à certaines époques de l’année de vio- lentes douleurs à la partie lésée. M. le docteur Edouard Laroche, ancien professeur à l'École secondaire de médecine d'Angers, nous a communiqué une obser- vation intéressante. Il y a une vingtaine d'années, ce docteur fut appelé auprès d’un cultivateur demeurant aux Justices!, près Angers, qui venait d'être mordu dans un pré, au pied sur une veine, par une vipère. Malgré les soins les plus intelligents donnés au malade, son état s’aggrava au point que le médecin quitla le blessé dans la persuasion qu’il allait succomber. Le lendemain un mieux sensible se fit sentir, et le laboureur put bientôt vaquer à ses travaux, mais pendant très- longtemps, si ce n’est encore, il ressentit dans la jambe une froideur très-vive. A l'observation de M. le docteur Édouard Laroche, nous allons en joindre une autre. Nous la devons à notre vice-président, M. le docteur Adolphe Lachèse, président de la Sociélé de médecine d'Angers. En 1844, un officier de santé nommé Jary, demeurant à Corné, allait à travers champs, par une chaude journée de juillet, visiter ses malades. Il marcha sans y faire altention sur une louffe d’ajoncs nains ? qui cachait un aspic. Le replile irrilé se redressa et mordit M. Jary à la jambe. Celui-ci, voulant tuer l'animal qui venait de le blesser, leva le pied pour le frapper à la tête, malheureusement le coup porta sur la queue et il reçut de la vipère une seconde piqûre. M. le docteur Grégoire Lachèse fut appelé à donner les secours de son art au blessé : bientôt M. Jary put exercer sa profession, mais sans être guéri radicalement, toujours il se ressentit de cet accident. 1 Le village des Justices est ainsi nommé, parce que c'était le heu où s’exécutait autrefois la sentence prononcée contre les gens condamnés à mort. ? Ulex nanus, Smith, . 71 ke M. le docteur Ridard, de Corné, a envoyé à son confrère, M. Adolphe Lachèse, une lettre fort curieuse sur la maladie qui mit fin aux jours de M. Jary. Nous sommes heureux de pouvoir la publier : « M. Jary, mort en 1849, à l'âge de soixante-quatre ans, avait été « Cinq OU six ans auparavant mordu à la jambe gauche par une vi- « père. Après quelques semaines de repos el de soins commandés par « le gonflement du membre et les douleurs, d’abord très-vives, puis « successivement décroissantes, notre confrère put reprendre l’exer- « cice de sa profession, non plus avec la même liberté que précé- « demment, mais, au contraire, en se plaignant parfois d'engourdis- « sement et de douleurs plus ou moins prolongées dans la jambe, la « cuisse, la hanche du côté blessé. Enfin, à la maladie intercurrente « qui détermina la mort, vinrent s'ajouter des douleurs plus violentes « que d'habitude, accompagnées d'un trouble nerveux général, que « M. Lachèse père et moi nous crûmes devoir rapporter à l’action « non épuisée du venin. » J'ai connu, dans le canton de Beaupréan, un métayer qui s'était adressé à des charlalans pour se guérir d’une morsure de vipère ; tous les ans à l’époque du printemps la jambe qui avait été piquée enflait considérablement, el il était obligé pendant plusieurs jours de garder le lit, éprouvant dans toutes les parties de son corps. des douleurs intolérables. Y a-t-il des conditions de saison, d'âge, de sexe, de tempérament, qui influent sur la gravité des accidents ? L'âge et le sexe influent beaucoup sur la gravité des accidents : ainsi il est acquis que les enfanis, les femmes, ies personnes ner- veuses, d'un tempérament débile, les vieillards, sont plus longs à se remettre des suites de leurs blessures que les jeunes gens ou les hommes dans la force de l’âge. Quant aux saisons, il est un fail incontestable, c’est qu’au milieu de l’été, pendant les temps de canicule, les vipères sont dans toute leur vigueur et plus disposées à mordre qu’à l'automne, où elles commencent, avec la fin des beaux jours, à entrer dans un élat de torpeur qui doit durer tout l'hiver. Les accidents résultant des piqüres faites, soit à l’homme, soit aux animaux, el qui n'entraînent pas la mort, se dissipent-ils naturellement ou bien exigent-ils un traitement 2? Il n’est pas d'exemples qu'une personne mordue se soit guérie 172 sans avoir eu recours à un traitement quelconque. Notre persuasion est donc celle-ci, c’est que toute personne piquée par une vipère vivement excitée, pourrait fort bien succomber à l’action du venin, s’il ne lui élait administré aucun secours ou tout au moins êlre en proie à des souffrances vives et longues. A l'appui de l’opinion que nous émettons, nous allons citer un fait qui nous a récemment été communiqué par notre collègue le doc- teur Rabouin, médecin à Saint-Florent-le-Vieil : — Le 27 juin 1865, une jeune fille nommée Françoise Audouin, âgée de vingt-deux ans, domestique à la métairie de ja Baronnière!, commune de la Chapelle-Saint-Florent, était occupée à faner dans une prairie bordée par la rivière d'Evre et un bois de châlaigniers. Cette jeune fille, suivant l'habitude du pays, avait les jambes nues. Tout d'un coup, ressentant une vive douleur vers la malléole interne de la jambe gauche, elle poussa un cri qui fit accourir près d'elle ses compagnons de travail. De suite on s’aperçut que Françoise Audouin venait d'être mordue par une peliade, qui fut aussitôt tuée. Personne n'eut la pensée d’appeler près de la malade un médecin. Quels secours reçut-elle? nous l’ignorons. Toujours est-il que le malaise de la bles- sée augmenta rapidement. Dès les premières heures, elle eut des nausées suivies de vomissements bilieux et de maux de tête insup- portables. Le soir, huit ou dix heures après la piqûre, le gonflement avait gagné de proche en proche, envahissant la totalité du membre attaqué. L'état de la malade devenant très-alarmant, on eut la pensée d'aller chercher au bour: de la Boissière un empirique qui promit d'arrêter le vrin ?. Pour cela, il fit prendre à la jeune fille un breu- vage composé d’une décoction d’herbes (nous ignorons lesquelles *) et se livra à des conjuralions prolongées. ; Le mal marcha rapidement. Dans la matinée du lendemain, la ma- 1 La terre de la Baronnière est l’ancienne propriété du général vendéen Arthus de Bonchamp. Ce fut au château de la Baronnière que les paysans vendéens vin- rent le trouver au mois de mars 1793 pour le prier de se mettre à leur tête. ? Expression vendéenne, c’est-à-dire le venin. 3 Ordinairement les empiriques font prendre aux blessés du vin blanc dans le- quel ils ont fait bouillir de la vipérine (Echium vulgare L.), de la croisette (Galium cruciatum Smith.) et de la potentille (Potentilla reptans). 173 lade fut prise d’une sueur froide, de vertiges et de syncopes. La mort, qui arriva vers six heures du soir (trente heures environ après la piqüre), fut précédée de délire et de quelques convulsions. Depuis quinze années que M. le docteur Rabouin exerce la méde- cine à Saint-Florent-le-Vieil, il a été appelé seulement deux fois pour traiter des hommes piqués par des vipères. Presque tous les animaux se guérissent naturellement, mais après avoir pendant un certain lemps éprouvé un malaise général. Les chevaux, les bœufs, les vaches, se guérissent sans aucun iraile- ment, il en est souvent de même des chiens. Quels sont les traitements en usage dans le département de Maine et- Loire ? Yen a-t-il un qui soit plus généralement préféré ? Voici un des trailements adoptés. Placer une ligature à quelques centimètres au-dessus de la bles- sure, à l’aide d’un mouchoir ou d'une bretelle, d’une jarretière, etc., en ayant soin de serrer médiocrement pour ne pas déterminer trop de douleur et provoquer une inflammation, susceplible d'amener plus tard la gangrène, ensuile faire des scarificalions, couvrir la blessure d'une compresse imbibée d’eau alcaline. Un trailement plus sûr et plus généralement préféré, c’est la cau- térisation. Pour l’opérer, un couteau, un gros clou, une clef, n'importe quel morceau de fer suffit ; il n'est pas nécessaire de chauffer à blanc, seulement rouge cerise. Puis on imbibe la partie blessée d'un liniment composé de jus de citron, d'ammoniaque, d'eau-de-vie, de vin même. Après le pansement le malade est mis au lit et prend une infusion chaude, de thé ou de mélisse, à laquelle on mêle quelques goultes d'ammoniaque afin de provoquer Ja transpiration. Nous avons plusieurs exemples de personnes guéries au moyen de la succion. On connaît en Anjou l’histoire de ce métayer vendéen, qui un jour coupant du bois avec un de ses garçons de ferme, fut mordu à la jambe droite par une vipère. Voulant la tuer, il s’élança sur elle avec sa serpe, mais il eut le malheur de ne pas l’atteindre et reçut une seconde piqûre au bras. Cette dernière fit une telle im- pression sur lui, qu’il tomba évanoui. Aussitôt son domestique après lavoir fait revenir à la vie se mit à sucer les deux plaies, puis, 174 déchirant deux morceaux de sa chemise, les banda et ramena sur ses épaules son maître au logis. Le blessé se tint chaudement au lit pendant plusieurs jours et guérit sans autre soin. Au bout de douze années, le cultivateur dont nous parlons vint à mourir sans laisser d'enfants. Par son testament il donnait à son dévoué valet de charrue, toute la chance de la fermet. On a vu quelquefois des paysans subir de douloureuses opérations afin d'obtenir une guérison radicale.Ainsi, en 18145, un fermier nommé Huet, demeurant au village de Grand-Claye, commune de Müûrs, fai- sait après une chaude matinée de juillet la méridienne? le long d’une haie. Subitement il se réveille, sentant quelque chose de froid sur une de ses cuisses. Mais le mouvement qu'il produisit irrita une vipère, qui s’élait introduite dans l’intérieur de son pantalon et le mordit à la jambe. De suite Huet courut chez lui, prit son rasoir el enleva la partie lésée, banda sa plaie et se mit au lit. Huit jours après cet accident, il reprenait le cours de ses travaux journaliers 5. En mpcoxLrir, la Faculté de médecine d'Angers employait, pour les guérisons des morsures de vipères, un remède appelé la recette Paré. Voilà ce qui avait donné naissance à ce remède : « Lorsque Charles IX était à Montpellier, j'allai, dit Paré, chez un «apothicaire nommé de Farges qui dispensoit alors la {hériaque. Je « le priai de me faire voir les vipères qu'il devoit meltre dans la « composition; il me les fit apporter enfermées dans un vaisseau de « verre où il les gardoit. En ayant pris une pour voir ses dents pla- « cées à la mâchoire supérieure, et couvertes d’une pelile mem- « brane, où elle garde son venin, je fus mordu au bout du doigt « indice, entre l’ongle et la chair. J'y sentis d'abord une douleur « extrême, tant à raison de la sensibilité de la partie, qu’à cause de « la malignilé du venin : je me serrai alors fortement le doigt autour « de la playe afin de faire sorlir le sang et le poison, et empêcher « celui-ci de se répandre dans la masse des humeurs; j'appliquai « ensuite sur la morsure du coton trempé dans une dissolution de * La chance d’une ferme se compose des animaux de labour, des vaches laitières, des charrnes, des charrettes, des pailles, chaumes, engrais, machines à battre, etc. ? Les paysans ne disent pas faire méridienne, mais bien faire marienne. 8 Il y a quelques années, un jeune homme de le an employa le même moyen de guérison, 175 « vieille thériaque faite dans l’eau-de-vie, el je fus guéri dans peu « de jours par ce seul remède. Certains, ajoule Paré, se servent d'ail « pilé, et appliqué sur la blessure ; d’autres d’un cataplasme fait avec « la farine d'orge, les crolles de chèvres, et le vinaigre ; d’autres « enfin lavent la parlie morduc avec le vinaigre, le sel et le miel. « Galois dit, dans son livre de la Thériaque, qu'on peut attirer le « venin de la morsure de la vipère en y appliquant la tête de ce rep- « tile; d’autres y metlent la vipère entière bien pilée. » A celle époque, les médecins d'Angers avaient l'habitude de pan- ser deux fois par jour les plaies faites par les vipères, avec un on- guent composé d’aristoloche, de bryone, de galbanum, de myrrhe, d'huile de laurier et de cire. En 1787, un chirurgien de Thouarcé, près Brissac, M. Jarry, ful mordu par une vipère. Le moyen thérapeutique dont il se servit mérile d’être signalé; le voici tel que le rapporte M. Paulmier, ancien associé de la Société des botanistes chimistes d'Angers. M, Paulmier résidait pendant la belle saison au village du Pelit-Bonnezeaux, près Thouarcé, et fut témoin du fait qu’il raconte : « de suite, M. Jarry « se lia le bras au-dessus de la plaie. Puis, s'emparant du reptile qu’il « avait tué, il lui coupa la tête, fendit un tronçon du corps qu'il ap- « pliqua comme cataplasme sur la morsure, ensuite arracha le cœur « et le fuie de la vipère et les avala. Cela fail, ilse dirigea vers sa « demeure, ordonna qu'on bassinât son lit, se coucha ayant eu la « précaulion de se couvrir plus que d'habitude, sua abondamment, « et guérit en quelques jours. » Comme on vient de le voir, les accidents occasionnés par les mor- sures des vipères sont assez fréquents, les guérisons nombreuses. Mais les docteurs en médecine, les officiers de santé, sont très-rare- ment appelés à irailer les cas dont nous parlons. Je connais un homme de l’art habitant la Vendée, ayant près de quarante années d'exercice, qui n’a jamais eu l’occasion de traiter un malade de ce genre ; et cependant il n’est pas d'années qu'il ne s’en irouve dans sa nombreuse clientèle. C’est toujours au charmeur que l’on s'adresse. Généralement, celui qu’on désigne ainsi exerce le mélier de for- geron. Par exceplion, nous en connaissons un qui est chantre de sa paroisse !. 1 Il existe dans la Vendée une famille dont depuis plus de deux siècles le chef exerce la profession de charmeur. 176 Le forgeron, dans les campagnes, est un personnage important ; c’est, après le maître d'école, la plus forte têle de l'endroit. Il est presque toujours membre du Conseil municipal ; sa voix y est pré- pondérante. C'est à sa forge que les grandes questions se discutent, et, de plus, il se pose en médecin, en vétérinaire : bêtes et gens sont soumis à son pouvoir. Si vous demandez à une personne qui esl allée le consulter pour une morsure de vipère comment elle a été guérie, elle vous répondra invariablement : Le charmeur a regardé ma plaie, a fait un signe de croix dessus, puis, a prononcé quelques mols latins et j'ai été soulagée immédiatement. Voici en réalité comment ces empiriques agissent. Ils disent au blessé : avant que d'opérer il faut que le diable ne nous gêne pas, il est logé dans la plaie, nous allons la brûler pour paralyser son action. Puis, lorsque la cautérisation est terminée, ce qui est le véritable remède, vient le charlatanisme. Le mégeyeur fait sur le mal une croix de la main gauche, récite une prière à saint Amable ! et prononce gravement ces paroles du psaume : Super aspidem et basilicum ambulabis, conculcabis leonem et draconem ?. Les vipères sont plus communes aujourd'hui qu'elles ne l’étaient autrefois, et cela se comprend. Avant la révolution, il était attaché aux fiefs un homme qui exerçait la profession de vipérier. Chaque vipère qu’il prenait était payée par le seigneur trois sols; de plus, il vendail ces reptiles aux apothicaires pour composer de la thériaque. Les vipériers élaient d'une grande adresse pour s'emparer des Ophi- diens sans aucun instrument; ils s’en rendaient maîtres avec les mains, les saisissant au cou lorsqu'elles étaient endormies. L’Anjou fournissail abondamment des vipères non-seulement aux officines de la province, mais encore il en élait expédié une quantité considérable à Paris. Sur diverses parties de notre pays se trouvaient des entrepôts, où les vipériers déposaient le produit de leur chasse * (un des plus connus était celui de Chalonnes, sur les bords de la Loire), et de là elles partaient à destinalion, renfermécs soit vivantes dans des boîtes contenant du son, soit mortes, placées dans des flacons remplis de vif-argent et d’absinthe. Les apothicaires avaient droil 1 Le regard de saint Amable, dit la légende, suffisait pour guérir toutes mor- sures de serpents. ? Psaume xC, verset 13. 177 de refuser toutes celles qui avaient sur leur robe des taches noires. C'était, disaient-ils, un signe indiquant qu'elles élaient mortes de langueur, el par là même impropres à entrer dans la composition du remède célèbre. Le Poitou et l’Anjou étaient sans contredit les deux provinces de France les plus renommées pour les vipères. Lobel nous apprend qu’un apothicaire de Saumur, nommé Pierre Naudin, botaniste distingué, avait trouvé la fritillaire à fleur blanche ! non loin des rochers de Passelourdain, près le village de Saint- Benoît, à un mille de la métropole du Poitou, là, où se prennent les vipères effilées du col et de la queue, les plus estimées pour la thé- riaque ?. Elles balançaient, d'après Lobel, la réputation des vipères des monts Euganéens que l’on préférait à Venise pour la confection de la thériaque *. Au xvrr° siècle, le peuple recherchait comme aliment les vipères qu'il appelait anguilles de haies. En mpccv, le professeur Louis Leméry consacrait à la vipère, dans son traité des aliments, le passage suivant : « Pour employer comme aliment la vipère, il faut séparer sa peau « de ses entrailles, lui couper la queue et la tête non dans la crainte « du venin, mais parce que ces parties sont moins propres à manger, « moins succulentes, plus dures, et moins agréables au goût que les « autres. La vipère non-seulement contient une grande quanlité de « sel volalil, mais encore ce sel surpasse en force et en activilé tous « les sels volalils des autres animaux. C’esi particulièrement à ce sel « qu'on doit attribuer les effets de la chair de vipère. En effet, c’est « lui qui, atténuant les parlies grossières du sang et les poussant au « dehors, ou par la voie des urines, ou par celle de la transpiration, « purifie cette liqueur, la rétablit dans sa première fluidité. « La vipère nourrit peu, apparemment parce qu’elle contient une « quantité fort considérable de parties subtiles et exaltées, qui ren- « dent ses sels peu propres à se condenser dans les vides des parties « solides, et à y acquérir le degré de consistance nécessaire pour « nourrir. On remarque même que quand on use trop fréquemment 1 La fritillaire à fleurs blanches, Fritillaria meleagris L., variété flore albo, croît à la Meignanne, à 12 kilomètres d'Angers. 2 Pena et Lobel, Séirp. adversaria. Londini, 1605. 3 Lobel, Pharmacop. Rondelet correctiôr. Londini, 1605. "à 1 DRE 42 178 « de la chair de vipère, elle échauffe beaucoup et maigrit; parce que « ses sels volatils causent alors dans la masse du sang une agitation « excessive, et alténuent et rarifient si fort les parties balsamiques «et nourricières de celte liqueur, qu’elles demeurent ensuite inca- « pables par leur trop grande subtilité de passer dans la substance « des parties solides pour les nourrir. » Y a-t-il des animaux réputés pour être ennemis et destructeurs de la vipére? Que pensez-vous comme tels des chiens-terriers, du hérisson, du cochon el de la cigogne ? Les chiens terriers ne sont guère plus propres que les autres chiens à chasser les vipères; s’ils se glissent plus facilement dans l'intérieur des haies et buissons, ils n’en sont pas moins mordus et deviennent bientôt incapables de faire la guerre à ces reptiles. Personne ne s’est aperçu jusqu'à ce moment de l’ulilité de cette espèce considérée comme agent destructeur des vipères. Les porcs rendraient plus de services s'ils erraient dans les champs, mais on les tient à juste raison loujours captifs ; car pour quelques vipères qu'ils pourraient tuer, ils bouleverseraient des champs en- licrs de culture. La cigogne blanche (Ciconia alba, Briss.) esl un oiseau de passage périodique : elle paraît en mars et avril, et pendant les mois d'août et de septembre; elle ne s'arrêle presque jamais. Toujours les cigo- gnes marchent en troupes nombreuses, les cris bizarres qu’elles font entendre ont donné naissance à la légende de la fameuse chasse aérienne appelée chasse hannequin, chasse conduite par le diable lui-même, et qui, comme celle à laquelle assista le beau Pecopin, dure cent ans pour recommencer ensuite !. On ne peut donc pas compter dans nos pays les cigognes au nombre des ennemis redoulables des vipères, car, pendant leur pas- sage, elles habitent plus l'air que la terre. Maïs ce qui est certain, c'est que les cigognes, lorsqu'elles peuvent meltre la palte sur une 1 Enfin, mon beau chasseur, te voiià de retour! Tel qui part pour un an, croit partir pour un jour. Tu fis la chasse à l’aigle, au milan, au vautour. Mieux eût valu la faire au doux oiseau d'amour! (Vicror HuGo, Le Rhin, légende du beau Pecopin.) 179 vipère, la dévorent avec avidité. J'ai connu des huttiers qui, dans un de nos grands hivers, ayant blessé une cigogne, la conservèrent pendant cinq années, ne la nourrissant à la belle saison que de cou- leuvres ou de vipères. Le hérisson se nourrit de coulenvres, d'orvets, de vipères, de cra- pauds, de grenouilles, d'insectes, de mollusques, lorsqu'il en ren- contre; mais sa nourriture préférée consiste en pelits mammifères tels que rats, mulots, musaraignes, souris, rats, etc. Le hérisson établit sa demeure dans les trous, aux pieds des vieux arbres, sous la mousse, sous les pierres ; ily reste plongé dans l'obs- curité pendant tout le jour, et ne sort momentanément du repos dans lequel il est comme engourdi, que pour chercher sa proie. Quand il l’a dévorée, il rentre dans son immobilité, et sa vie paraît ainsi se partager pendant le jour entre le sommeil et la recherche de sa nourriture. Très-paresseux de lui-même, il prend les êtres qui se trouvent à sa portée : aussi le nombre des vipères qu’il peut dé- truire ne doit-il pas être bien considérable. L'histoire très-contestée d’un pépiniériste de Lyon, qui, ayant mis dans un lerrain infeslé de ces reptiles quelques hérissons, vit bientôt disparaître ces hôtes im- mondes, ne prouve rien; car, comme le dit fort bien M. Soubeiran dans son rapport, il ne faut pas oublier d'opposer à ce fait l’observa- tion de la cohabitation dans les fossés de Doullens (Somme) des hé- rissons qui y abondent et des vipères qui n’y sont pas rares. A cette judicieuse remarque, j'ajouterai que dans les taillis de Roche-Noire, communes de Mürs et de Soulaines, les vipères sont très-nombreuses, et les hérissons qui habitent les mêmes lieux ne semblent pas exercer une grande destruction parmi ces reptiles. Les paons peuvent être considérés comme destructeurs de vipères. Je connais un riche propriétaire du haut Anjou, qui, à l’aide de ces beaux gallinacés, a entièrement purgé son parc des Ophidiens qui s’y trouvaient en assez grande quantité. Distribue-t-on des primes dans le département ? Quels sont les résultats ? En 1863, le Conseil général de Maine-et-Loire fut invité, par une circulaire du ministre de l’intérieur, à voler une prime destinée à encourager la destruction des vipères. Le rapport du préfet d’alors, M. Bourlor de Rouvre, peu sympa- 180 thique à l'institution de la prime, empêcha le Conseil d’allouer au- cuns fonds pour cet objet. Voici ce rapport : « Par une circulaire en daie du 22 août, qui me parvient à l’ins- lant, Son Excellence le Ministre de l’intérieur m'invite à appeler particulièrement votre sollicitude sur les dangers que présente la multiplication des vipères et sur l'utilité de l'institution d’une prime qui serait allouée pour encourager la destruction de ces dangereux reptiles. « Je me suis depuis longtemps déjà préoccupé de cette question; mais j'ai remarqué que, dans les départements où une prime avait été instituée, le montant de la dépense occasionnée par ce service s’élait élevé bien au-dessus des prévisions du Conseil général. C’est ainsi que dans la Haute-Marne, la prime ayant été fixée à 50 cen- times par tête de vipère détruite, la dépense s’est élevée à 8,700 fr. la première année. « D'un autre côté, il a été constaté, que si on abaissait à 25 cen- times la prime offerte, il se produirait immédiatement une diminu- tion très-notable dans le nombre des animaux présentés. « Le Conseil général ne doit pas se faire d’illusion. S'il vote une prime pour la destruction des vipères, il créera pour le département une nouvelle dépense d’une incontestable utilité, mais qui ne me paraît pas êlre inférieure à 3,000 fr. par an. » | Les primes sont d’une ulilité incontestable, et la meilleure preuve que nous en puissions donner, c’est de ciler l’exemple du proprié- taire de la Véronnière, commune de Soulaines, qui, dans son parc composé de trente hectares, en a détruit par ce moyen près de cinq cents. Les vipères y étaient tellement abondantes, que, dans un es- pace de quatre ares environ, on en a tué quatre-vingt-onze! L'orvet, Anguis fragilis, L., par la soudure des deux branches de la mâchoire inférieure, par la forme de la tête osseuse, par la pré- sence de paupières, et enfin par son orifice auditif, est un Saurien de la famille des Scincoïdiens. Cuvier dans son grand travail sur le règne animal, classe l’orvet dans l’ordre des Ophidiens, mais en établissant une distinction bien tranchée entre lui et les autres Ophi- diens qu'il nomme les vrais serpents. Sans vouloir nous mettre en 181 contradiction avec l'Erpetologie générale de Duméril et de Bibron, où l'orvet esl placé comme dans tous les ouvrages modernes parmi les lézards de la famille des Scincoïdiens, nous avons cependant pensé que les rapports apparents qui existent entre l’orvel et les autres Ophidiens pouvaient nous permettre de comprendre ce rep- tile dans notre travail. ORVET COMMUN. — ANGUIS FRAGILIS, L. L’orvet, que l’on rencontre partout en Europe, et qui habile les parties occidentales de l’Asie, esl un petit animal au corps cylin- _drique, d’une longueur de deux décimètres environ. Sa grosseur est à peu près celle d’une plume de cygne. Son corps est revêlu partout d’écailles lisses, petites, arrondies, luisantes, d’un jaune argenté en dessus, d’une teinte d'acier poli en dessous. Trois filets noirs le long du dos, queue obluse, tête couverte de petites plaques carrées. Nos habitants des campagnes ne désignent jamais ce replile que sous les noms d'Anvrin, d'Anvoie, d'Anveau, d'Orvin, d'Orvet, d’An- vwrouille, d'Aveugle, de Borgne, de Serpent de verre : les yeux presque imperceptibles de l’orvet ont donné à penser aux paysans que l'An- guis fragilis était aveugle, et ils ont à cet égard de superslitieuses croyances, comme on en peut juger par ce dicton : Si Anvrin voyait, Si Sourd ! entendait, Si Bœuf raisonnait, Jamais homme ne vivrait. Le nom vulgaire de l’orvet, serpent de verre, et qui coïncide par- faitement avec sa désignation scientifique, Anguis fragilis L., vient de ce que la queue de ce reptile, plus longue que le reste du corps, se brise avec une extrême facilité. La seule force de contraction lorsque l'animal se raidit, ce qui arrive toujours quand on veut le toucher, suffit pour que la queue se casse, instantanément, en une et même plusieurs parties. L'accident qui arrive à l’orvet lorsqu'on le saisit par la queue n'oc- casionne pour lui qu’un inconvénient passager, le mal finit peu à peu par se réparer. 1 On appelle vulgairement en Anjou Suwrd le triton abdominal, triton abdomi- nalis Latr. 182 Ainsi, j'ai eu en-captivité pendant un an un couple d’orvets. Au moment où je m'en étais emparé, leur queue était venue se briser entre mes mains; au bout de huit mois, je pus constater que l’ap- pendice caudal était parfaitement rétabli, tant chez le mâle que chez la femelle. L’orvetest ovovipare. Il se rencontre dans les bois, sur les coteaux, dans les endroits pierreux. Très-agile, il sait avec beaucoup de pres- tesse éviler le danger. L'époque de la fenaison est très-funeste pour les orvels : on ne saurait croire combien les faucheurs en détruisent à ce moment. Il est impossible de dissuader les habitants des campa- gnes à l'égard de ce reptile, qu'ils regardent comme très-dangereux, et, cependant, l’orvet est un être inoffensif s’il en fuit ; bien plus, il doit être classé parmi les animaux utiles à l’agriculture , car il se nourrit exclusivement de vers de terre, qu'il avale sans les mâcher, d'in- sectes et de mollüsques. Le mâle et la femelle s’éloignent peu l'un de l’autre; toujours ils marchent ensemble, et dès qu’on en rencontre un, il est facile de trouver la trace de son inséparable compagnon. « Les petits qui sortent vivants du corps de la femelle, naissent « bleus en-dessus, — dit l’auteur d’un travail sur les reptiles de Maine- « et-Loire,— avec uneligne dorsale d'un brun noirâtre, qui sebifurque € sur la nuque ; le dessous et les côtés sont de celte dernière couleur, « mais légèrement ardoisée. Avec l’âge, ces différentes teintes se « foncent en dessus et s’affaiblissent en dessous de manière à deve- « nir d'un gris jaunâtre en dessus, avec trois filets noirâtres le long « du dos, et de couleur d'acier poli en dessous; peu à peu ces filets « se changent en diverses séries de points, qui finissent par dispa- « raître entièrement; et enfin, les couleurs des parlies supérieures « et inférieures se changent en un gris à peu près uniforme, légère- « ment teint de roux. » Je crois que ce passage renferme une erreur : ces diverses méla- morphoses n’ont jamais lieu, on a confondu les caractères du mâle avec ceux de la fernelle. * La robe du mâle est rousse avec des filets très-noirs, tandis que celle de la femelle est gris-ardoisé avec des filets bruns. Seulement, l’une et l’autre de ces robes deviennent plus foncées au bout d’une année; après cette époque, elles ne changent plus. C’est par suite d'expériences que je puis présenter ces observalions. J'ai eu en cap- livité des orvets fort jeunes ; et, pendant l’espace d’un printemps à la [ | 183 fin de l’automne, ils se sont entièrement développés sans que j'aie pu m'’apercevoir d'un changement très-nolable dans la couleur de la peau. L'orvet se tient toujours très-près de sa demeure. Il la choisit de manière à pourvoir à sa nourriture sans faire un long chemin. Pour arriver à sa retraite qui est souterraine, il se creuse de pelits conduits inaccessibles à tout autre qu’à lui, et qui lui permettent souvent de se dérober aux attaques de ses ennemis ; il en a beaucoup, sans compter l’homme qui est son plus grand. Les poules, les oies, les ca- nards, les hérissons, les grenouilles, les crapauds, les couleuvres, lui font une guerre acharnée ; lorsqu'ils peuvent le capturer, c'est pour eux un morceau de roi. J'ai examiné-avec la plus grande attention la demeure que se creusent sous terre les orvets. Pendant toute une année, j'ai pu étu- dier les mœurs de ces animaux, ce qui me permet de présenter, je crois, quelques observations utiles pour la science. Ces demeures varient suivant la nature du sol : ainsi, dans les ter- rains schisteux, la terre végélale n’a guère environ que cinquante centimètres d'épaisseur. Généralement, à cette profondeur, le rocher commence à paraître : l'orvet dirige dans ces terrains, jusqu’au roc, les galeries qui conduisent à sa chambre, et irouve moyen, à travers les fissures du schiste, de pénétrer dans une petite excavation où il peut passer l'hiver, à l'abri des intempéries de celte rigoureuse saison. Dans les terrains d’alluvion,.et c’est là qu'on rencontre le plus d’orvets, leurs habitations souterraines sont très-régulières. Au mois de février dernier, j'ai fait bécher avec soin un champ inculte où je savais qu'il y avail des orvets, et voici quel a été le résultat de l’opé- ration. J'ai remarqué à une profondeur d'environ un mètre cinquante centimètres, un ovale de vingt-cinq centimètres de long sur vingt centimètres de large et cinq de profoudeur, dans lequel élait un couple d’orvets entorlillés ensemble, ayant leurs lêtes rapprochées l’une contre l’autre. De cet ovale partaient six conduits de deux centi- mèlres de large, en sens divers, venant aboutir à la surface du sol. Ces conduits, évasés en forme d’entonnoir à leur orifice, ne pou- vaient donner accès qu’à un êlre de la grosseur de l'orvei. Les ori- fices sont en moyenne, distants les uns des aulres d'un mèlre soixante centimètres environ. 184 Bien des fois j'ai vu, lorsque je les effrayais, des orvets rentrer dans un de ces conduits; mais jamais je ne les ai vus sorlir par le même endroit. Toujours ils prennent pour dérouter l'ennemi une autre issue. Ils restent généralementune demi-heure sous terre, avant de se montrer de nouveau à la surface du sol. Très-prudent, l’orvet commence d’abord par allonger à l’orifice du conduit le bout de son museau, puis, peu à peu, le reste du corps paraît, et ce n’est que lorsqu'il est sûr de ne point être inquiété, qu'il s'élance tout d’un bond dans l'herbe. Il m'est arrivé de vouloir saisir un orvet au moment oùil était prêt à quitter sa retraile. Dès qu’il m’aperçut, l’animal se laissa tomber brusquement dans l’intérieur du souterrain, la queue la première, à une profondeur que je ne pus déterminer. Seulement, je remarquai qu'il faisait choir sur son corps, à l’aide de son museau , des parois du conduit, de la terre mouvante, afin qu’on ne püût l’alteindre. C’est dans ce seul cas que l’orvet sort forcément par le lieu où ilest entré, la galerie étant trop étroite pour lui permettre de se retourner sur lui- même, afin de prendre une autre direction. Jamais, dans ces souter- raines habitations, on ne rencontre des groupes d’orvets, commepar exemple cela se voit, dans les anfracluosités de rochers, pour les vi- pères qui s’entortillent et forment souvent des masses considérables. Chaque couple a son souterrain, qui n’est partagé par aucun con- génère. C'est vers le milieu de juillet que l’orvet change de peau. Moins sensible au froid que les autres ophidiens, il ne rentre dans son sou- terrain que lorsque la {erre est gelée. Nous arrêtons ici notre étude sur les Ophidiens de Maine-et-Loire, comptant plus tard, si Dieu nous prêle vie, donner une suile à ce tra- vail. Nous allons donc nous livrer à de nouvelles recherches, à la constatation de nouveaux faits, et notre lâche sera remplie si nous sommes assez heureux pour pouvoir payer une fois encore un faible tribut à la science. AIMÉ DE SOLAND. Angers, 20 mars 1866. RETTES A PECHE AUX CHEV PÉCHE AUX CHEVRETTES. LE TREUILLOT OU RET POUR . LA PÊCHE DES CHEVRETTES A S'GILLES-SUR-VIC.(VENDEE) D . £ Cebiusbouusent et construit ew foune de coue deoib de O"66° de profondeur, il estunoute sux au cercle De 0"80:de Dianèlre. et.ce/ coxcle/ et attache ad pelites o o : à 5 coudes qu le lieuneut hou 1. 0 zoutatemeut . Ce futet sed aux pecheuxs enwBaleau eaux 22 cs D a D N pécheurs & fvmaun suc” Lei ? D roches ._ Ke liège et souvew9 smile aux pécheurs Dans Les rochers, cax/ souvent il fienneut EA ) ù fa code & fa mans. Qu elques = ? uns cepeudaul Le laissent flot- 4] . _ lec auwoL'ea el Le xeluceut à aide Dune perche munie dun = D} aochét .- Le pêcheur en bateau pmroutlle cinq où 41 filets et p - a uel uefois ui plus quaud si, PERLE nombre qu'it veille ei 3 “ Q wetice de lenvps à aulre D; + D, vuquaut de L'un à L'aulre. LÉGENDE re ; U Liège percé et pouvanl couler Le 3 s Librement tout le Louq dc” La € code N°2. Ce fege, fouque 1e Fe) Le filet est lendu flotte su Peau et Le pécheuv L'aviete pa (1220 , 2 1e) Maœud (À) survanl la profou- deux des fonds ; à) GPL 3 ’ 9. Code qu Hieut Le fufet au/ q . fond de Pamer dans uue/posi : how vedicale. B_Nœud qu réuuit Les 3 pelues codes (CCC )quu lieuneut Le cercle du fifet daus une porulow Rouzoutale. 24 , 5) Cercle eM fex Kenaul le” fev ouvel. 4 4 Grade tendue horizontale. mentauw mule Du cexcle de fer ourquel elfe et attachée et sexvaut à oupporter L'appat. [4 « Je ppat 4) 7 G_ Coups dr filet” 1 nl nl 0 _ Morceau de plosub dun poids Jp. - ?. auffoaut poux tenir fe futet au fou? de la men. ————————————……_.——_—…— th Farasse à Anaers. \ WHITE À LEE 7 7 LA PÉCHE AUX CHEVRETTES s A SAINT-GILLES-SUR-VIE (VENDÉE). Au mois de septembre 1864, le Bulletin de la société impériale d’Acclimatation, publiait sur les chevrettes de Saint-Gilles-sur-Vie, une nolice que je lui avais adressée, et j'étais bien loin de croire qu’au sujet de cet article, je devais recevoir les encouragements de per- sonnes plus instruites que moi dans la science de la pisciculture. Je ne disais alors que ce que j'avais vu, observé sur les lieux de pêche eux-mêmes, avec l’aide des braves marins qui se livrent chaque année et depuis leur enfance à celle industrie; depuis j'ai expéri- menté moi-même, non avec les grands moyens que j'aurais voulu employer, mais avec des ressources encore trop faibles pour êlre persuadé d’avoir mené à fin mes études. : A vous monsieur le président de la société Linnéenne de Maine- et-Loire, qui avez su comprendre qu’un encouragement est puis-- sant et peut aider aux découvertes, je m’empresse d'offrir deux dessins qui compléteront ma notice du mois de septembre 1864. Pour les personnes qui n’ont jamais vu pêcher la chevrette, il leur sera facile de se rendre compte par ces croquis de cette pêche importante et curieuse. Les pêcheurs aux rochers et les pêcheurs en bateau, emploient le même filet (le treuillot), dont les dimensions sont toujours les mêmes. La nuit est le plus ordinairement préférée par le pêcheur 186 au rocher; mais le pêcheur en bateau pêche aussi bien pendant la nuit que pendant le jour, et, à l’aide de sa frêle embarcation, il peut exercer en tous lieux son industrie auprès des plages, auprès des rochers. La pêche à pied doit se borner au rocher. Il est curieux de voir entre les rochers, lorsque les eaux sont claires, les chevrettes s’agiter et déchiqueter par soubresauts l'ap- pât du filet; elles viennent et reviennent sans cesse à la charge, jusqu’à ce qu’une espèce d’engourdissement ou plutôt d’enivrement par excès de la nourriture qu’elles ont prise les retient immobiles dans l’intérieur de ce filet, d’où elles ne cherchent à sortir qu’au moment où on le lève. Les chevretles paraissent rechercher les algues des rochers : petites elles s’y attachent, grandes elles y font leur demeure. Sou- levez avec une perche les algues vertes et pendantes, vous verrez tout un essaim de chevrettes sautiller et s'enfuir. C’est une étude pleine d'intérêt, que rend encore plus attrayante le grand spectacle des bords de l'Océan. E. S. DELIDON. TS à COMPTE RENDU DES EXCURSIONS DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE Nos excursions botaniques en 1865, se sont bornées au départe- ment de Maine-et-Loire. Notre sol exploré en tous sens depuis bien des années, ne nous a pas fourni ample moisson pour les plantes phanérogames. Nous n'avons à signaler qu’une variété à petites feuilles du Col- chicum autumnale L., trouvé aux Aïraulx, commune des Ponts-de- Gé; nous avons bien vu assez abondamment le Delphinium Ajacis, L., au milieu d’un champ de blé à la Tremblaye, près la Roche-d'Éri- gné, mais nous avons appris que ce champ était autrefois un jardin, et nul doule pour nous, que la plante en question n’en soit venue. Ilen est de même pour la concombre sauvage Momordica elaterium, L., observée sur des terreaux près le bourg de Müûrs, il est évident que cette plante est aussi échappée d'une culture. La flore française vient de s'enrichir d'une nouvelle plante trouvée dans le département de la Loire-Inférieure, par M. G. de Lisle du Dreneuf, membre de la Société linnéenne de Maine-et-Loire ; nous voulons parler du Coleanthus subtilis. « À la fin de septembre 1863, nous écrit de Nantes M. G. de Lisle, 188 membre de la Société Linnéenne, j'observai pour la première fois cette planlie naine si bien nommée le Coleanthus subtilis, Seidel. « Sa découverte étant récente dans la science, et sa description n’existant, je crois, dans aucune flore française, ce n’est qu’à l’au- tomne suivant que je pus, sur de nouveaux exemplaires en fruits, Ja déterminer ayec l'aide de notre savant ami, M. James Lloyd et d'un autre savant étranger. La Société botanique de France a applaudi à cetle découverte fort curieuse, la plante étant peu connue et nou- velle pour l’Europe occidentale. « Elle vit sur les bords d’un étang formé par lebarrage du Don, petite rivière qui coule dans le schiste. Annuelle, elle ne pousse que lors du retrait des eaux sur les fonds vaseux à l’automne. » Depuis cette découverte, M. l’abbé Ravain, professeur d'histoire naturelle à l'institution de Combrée, a eu l’heureuse fortune de cons- tater l'habitat en Maine-et-Loire de cette rare graminée. Ce natura- liste l’a cueillie à l’automne 1865 en abondance dans l’élang de la Corbinière, commune de Noyant-la-Gravoyère, arrondissement de Segré. Notre récolte cryptogamique a été excellente, c'est une des meil- leures que nous ayons faite, nous n’en donnerons point ici la liste, la réservant pour un travail, qui sera ultérieurement publié dans nos annales. Nous dirons seulement que cette année, nous avons remarqué avec peine le Cladosporium dendriticum de Wallrotb, prendre une extension considérable sur les feuilles de poiriers, et si au printemps prochain ce cryptogame se développe de nouveau dans les mêmes proportions, il est fort à craindre qu’il occasionne sur nos arbres fruitiers à pepin de grands ravages. Un intrépide entomologiste M. Gustave Toupiolle, nous a fait part d'une curieuse caplure, faite par lui cet été dernier, l'Æÿosoma scapricornis. Ce longicorne n'avait encore été trouvé qu’ une seule fois en Maine-et-Loire. En 1858 un de nos collègues, M. Arthur de l'Isle du Dreneuf, dans une excursion qu'il fit à Sèvres avec aussi un membre de notre société, M. Thomas, découvrait une Salamandre aquatique, inconnue jusqu’à ce jour, qu'il dédia au professeur Blasius (de Brunswick). Cetle espèce très-caractérisée a élé rencontrée plusieurs fois cette année en Maine-et-Loire. 189 M. de l'Isle a eu la complaisance de nous envoyer des individus mâles et femelles de ce triton pris dans la Loire-[nférieure, ce qui nous a permis de faire la comparaison avec ceux que nous avions trouvés en Anjou. D’après un examen attentif nous pouvons affirmer que ce nouveau batracien urodèle de France, le {riton Blasii de M. de l'Isle, doit être admis dans notre faune. M. de Joannis a publié dans les mémoires de la société Linnéenne, un article sur un triton qu'il appelle trilon varié, triton variegatus, découvert en Maine-et-Loire par M. l'abbé Ravain, professeur à l'institution libre de Combrée. Je serais porté à croire que ce trilon et le triton Blasi, ne sont qu'une même espèce, mais comme je n’ai point été à même d'ob- server vivant, ou morl le trilon de Combrée; je m’absliens de me prononcer jusqu’à plus ample informé. AIMÉ DE SOLAND. NÉCROLOGIE Au moment où nous nous attendions à recevoir de notre collègue, l'abbé de Lacroix, une lettre nous annonçant qu’il vient de terminer son travail sur les mousses de Maine-et-Loire, nous lisions dans un numéro de la Semaine liturgique de Poitiers la nouvelle de sa mort : « Dimanche, 20 novembre, M. l’abbé Louis Sosthènes Veyron de Lacroix est mort à Châtellerault dans sa quarante-sixième année. « Cet ecclésiastique a été pendant plus de quinze années curé de Saint-Romain dans le doyenné de Leigné-sur-Usseau. Forcé de renoncer au ministère parce que ses forces étaient complétement épuisées, il se rendit utile en remplissant à Poiliers les fonctions d’aumônier des Petites Sœurs des pauvres. Les forces ne répondirent point au courage et l'ancien curé dut résigner les modestes fonctions qu’il remplissait. Reliré depuis quelques mois dans sa famille, il a succombé à une attaque d’apoplexie qui l’a frappé dans l’église Saint- Jacques. ÿ « M. de Lacroix était chanoine honoraire de l’église cathédrale. A la science ecclésiastique il joignait des connaissances étendues en . botanique. Malgré sa modestie si réservée, il avait figuré avec hon- neur dans plusieurs congrès scientifiques de France, et les plus sa- vanis aimaient à le consulter et à l’entretenir : l'agrément de ses relations touchait autant que la richesse de son esprit. » (Semaine liturgique de Poitiers). 191 L'abbé de Lacroix était connu de tous les botanistes français : il était passé maîlre en cryptogamie. Le docteur Guépin, lui aussi, un des maîtres de cette science, ne déterminait jamais une espèce nou- velle pour l’Anjou sans avoir recours aux lumières de son docte ami. Aussi, à la mort de M. Guépin, toutes les observations recueillies pendant celle longue vie de travail, furent-elles remises à l'abbé de Lacroix. Cet ecclésiastique distingué, tenait à cœur de montrer com- bien avaient élé patientes et intelligentes les recherches du savant docteur qui, s’il n’avait pas laissé en manuscrit la seconde partie tant désirée de la Flore de Maine-et-Loire, avait du moins son œuvre en- tière dans des notes éparses qu'il n’eut pas le temps de rédiger. Espérons que les travaux du docteur Guépin et de l’abbé de La- croix, ne resteront point dans l'oubli, et ce serait une heureuse for- tune pour nous, s’il nous élait permis un jour de pouvoir les publier et de payer ainsi un juste tribut, à la mémoire de deux hommes qui ont fait progresser la science et qui tiendront toujours une place dis- tinguée parmi les botanistes français. Voici la liste des principaux mémoires de l’abbé de Lacroix : Développement des appendices filiformes et décoloralion des loges extrêmes dans le genre pestalozzia de (Nt'), et les sporidies de plu- sieurs autres genres de micromycètes ; Influence des verres colorés sur la végétation ; Maladies des raisins, de la poire et de la pomme ; Des Capsella bursa pastoris, Capsella rubella, Capsella rubescens, Capsella gracilis ; De la Bolanique et quelques plantes curieuses aux Eaux-Bonnes (Basses-Pyrénées) ; Nouveaux faits constatés relativement à l’histoire de la Botanique, el à la distribution géographique des plantes de la Vienne, 1857 ; Nouveaux faits botaniques pour servir à l’hisloire des plantes du département de la Vienne. Le Courrier de Saumur, en date du 14 janvier 1866, annonçait une bien triste nouvelle : « Un des plus honorables négociants de notre ville, nous disait « celle feuille, M. Ackerman, ancien président du tribunal de com- « merce, vient de mourir à l’âge de soixante-quinze ans. « M. Ackerman fut à Saumur le créaieur de cette importante in- 192 « dustrie de vins champanisés qui a pris depuis une vingtaine « d'années une si grande extension, et qui est devenue une des « principales branches de commerce de notre pays!. Celte perte sera « vivement senlie par tous ceux qui l'ont connu. « M. Ackerman laisse derrière lui de bien vifs regrels, car personne « mieux que lui, ne savait allier la loyauté de l’homme d’affaires, à « la courtoisie de l’homme du monde. » Aux bien justes éloges que donne à la mémoire de notre regretté confrère le Courrier de Saumur, nous ajouterons que, tout en admi- nistrant avec tant de soins et d'intelligence le vaste établissement dont il était l'âme, M. Ackerman lrouvait encore assez de loisirs pour s'occuper d’études scientifiques. Entomologiste distingué, M. Ackerman a publié dans les Annales de la Société linnéenne plu- sieurs travaux, entr'autres avec M. Auguste Courtiller, une étude sur les libellulidées des environs de Saumur; puis seul, une notice sur le Berosus salmuriensis, coléoptère palpicorne. Le Berosus salmurien- sis est une espèce nouvelle pour la faune, et avant la description qui en a élé donnée dans notre recueil, elle ne figurait sur aucun cata- logue d’entomologie. M. Ackerman a dû laisser beaucoup de notes sur ses excursions, et nous avons l'espoir qu'elles seront utilisées par notre savant collègue, M. Auguste Courtiller. AIMÉ DE SOLAND. 1 La maison Ackerman expédie, chaque année, plus de trois cent mille bouteilles de vin champanisé. TABLE DES MATIÈRES contenues dans le 8 volume DES ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET-LOIRE, Pages. Liste des membres de la Société Linnéenne du département de Maine- HAE SR TR SR EL Do PO TT IAE 1 Des poissons vénéneux, par M. Auguste DUMÉRIL....................... 1 Observations sur quelques plantes disparues de notre sol, par M. COuRTILLER.. 18 Note sur la paléontologie du terrain primaire, par M. le vicomte D’ARCHIAC.. 23 Catalogue des Vomers de la collection du Musée de Paris, par M. GUICHENOT. 32 Note sur les perles marines et d’eau douce, par M. T.-C. VIENNOT........ 45 Études ornithologiques, par M. l'abbé VINCELOT........... ........... 55 La pêche de la Sardine, par M. E-S. DELIDON........................ 19 Les grands Naturalistes français au commencement du xix° siècle (Cuvier), par M. BOURGUIN .......................enesssssseoonseceeue 83 Procès intenté contre le Cynosurus echinatus, L. — Compte rendu, par M CDEVAL JOUVE Se RE RE en ae 133 Faune de Maine-et-Loire. — Étude sur les Ophidiens, par M. Aimé MAS OTAND 0e Se Le etes détails donna nemr een nl sansmiae mes ee «ae 145 La pêche aux chevrettes à Saint-Gilles-sur-Vie (Vendée), par M. E.-S. DÉPRON ER ane en. es Diolute de as ana 185 Compte rendu des excursions de la Société Linnéenne, par M. Aimé DES OEMND AU Aer de sal en ute es amiieente SAR lee eau ons 187 Nécrologie, par M. Aimé DE SOLAND.....................u.e.se. 190 ————@—— ANGERS, IMP. P. LACHÈSE , BELLEUVRE ET DOLBEAU. NET Ÿ Part: te 2 Re ee = È LE = . £ « Re LORIE RCA " ne Re à . £ ‘ ù £ Mrs yes SPP A TS x ge 4 S à x z - ns SE s L