NA CE PARC re ; me De Tex rs ke, LT D ANNALES LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DE MAINE ET LOIRE 12° ANNÉE. — 1870 pa — ANGERS IMPRIMERIE DE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU 1870 He DE à RU ANNALES DE - LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DE MAINE-ET-LOIRE . ANNALES DE LA BOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE ET LOIRE, ANGERS, P. Lachèse, Belleuvre & Dolbeau Imprimeurs SOCIÈTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET-LOIRE Fondée en 1852. BUREAU MM. Sozano (Aimé de), président. Lacnèse (Adolphe), vice-président. Masize (Pompée), secrétaire général. Farce (Émile), secrétaire. AnpRé (Jules), vice-secrétaire. Conrapss (Edmond, vicomte de), archiviste-trésorier. Il MEMBRES TITULAIRES. MM. Agranam (Tancrède), peintre aqua-fortiste. AnDicxé (Aimé d’), ancien officier. AxDiGé (Aimé d’), lieutenant de louveterie. ANDIGNÉ DE Mayneur (comte d’), maire du Lion-d’Angers. Anpré (Jules), rédacteur de l’Union de l'Ouest. Baracé (Raoul de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Bezreuvre (Paul), membre de plusieurs Sociétés savantes, BérRAUDIÈRE (comte de la). Berçer (Eugène), membre du Corps législatif. Brecawski (Henri), membre de plusieurs Sociétés savantes. Bravier (Aimé), ingénieur des mines. Bopaïre (l’abbé), chanoine honoraire, aumônier du Lycée d'Angers. Borssarp (Arthur, vicomte de). Bourmonr (Louis, comte de). Bricaer (Paul), avocat. BrossarD DE CorBiGny, ingénieur des mines des départements de Maine-et-Loire et de la Vendée, professeur de chimie à l’école d'enseignement supérieur. CHampPreL (René de). CHARNIèRES (Ernest, comte de). Cuexer (l'abbé), chanoine titulaire du chapitre de Saint- Maurice d'Angers. Caenvau (Auguste), juge au tribunal civil de première ins- tance d'Angers. Corsun (Ernest, comte de). Conrapes (Edmond, vicomte de). Cosnier (Léon), directeur de la Bibliothèque populaire d'Angers. Cumoxr (Vte Arthur de), directeur de l’Union de l'Ouest et de /’Amt du peuple. Decocus, directeur du cabinet d'histoire naturelle. DELHoMEL, avocat, maire de Bécon. III MM. Dezy, notaire honoraire. Desmé ne lusce (Ludovic), membre de plusieurs Sociétés savantes. Dezanneau, docteur en médecine, professeur à l’École secon- _ daire de médecine d'Angers. Durowr, chef d’escadrons en retraite. EsPronnière (René de l'). Farce (Emile), docteur en médecine, professeur à l’école secondaire de médecine, directeur de l’École d’enseigne- ment supérieur. Farcy (Louis de), membre de plusieurs Sociétés savantes, directeur du musée diocésain. GaïcnarD DE LA RenLouE (Charles), maire de Marcé. Gaurrer (Alexandre, vicomte de), maire de Lué. Giraup (Charles), agronome. Guérin pe Caouzé (Lucien). Guérin (Paul). Guizzer (l'abbé), ancien professeur de sciences naturelles et physiques, chanoine honoraire, curé de Saint-Pierre- Montlimart. Guircory (aîné), membre de la Société impériale et centrale d'agriculture et de plusieurs autres Sociétés savantes. Gunoyseau (Isidore), manufacturier. Hrkox (Charles), juge d'instruction près le tribunal civil. Houpan (Eugène d’), membre de plusieurs Sociétés savantes. Jouserr (Achille), manufacturier. Lacaèse (Adolphe), docteur en médecine, président de la Société impériale d'agriculture, sciences et arts d'Angers. Lacaèse (Paul), imprimeur-libraire. Larevezuière (Ossian) membre de plusieurs Sociétés savantes. Lanpreau (Gaston, baron du). Las Cases (comte de), chambellan honoraire de l'Empereur. Le Gris (Léon). Lemarcæann, conservateur-adjoint de la Bibliothèque de la ville d'Angers. MM. MM. IV Leroy (André), horticulteur, membre de plusieurs Sociétés savantes. Lorioz De BArny, notaire. Masizce, docteur en médecine, membre de plusieurs Sociétés savantes. Mérnivier, premier président de la Cour impériale d'Angers. Muze pe Buzecer (Gustave de). Mreuzze (Léon de), ingénieur civil. Moxrreuis (Jules, comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Monrrieux (René), maire de la ville d'Angers. ParaGe-Farran (Frédéric), docteur en droit, adjoint au maire d'Angers, membre du Conseil général de Maine et Loire. Pavie (Victor), membre de plusieurs Sociétés savantes. Pirasrre (Gustave), avocat. PréauLzx (marquis de). Rocuesouer (François, vicomte de). Romans (baron de). Romans (Fernand, baron de). SAPINAUD (Edmond, comte de). SELLE (vicomte Raymond de la). SoLAND (Aimé de), membre de plusieurs Sociétés savantes. SoLanD (Théobald de), conseiller à la Cour impériale d'Angers. Tourcoër-TréANA (comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Tourroce (Gustave), lépidoptériste et taxidermiste. Touran (Athanase). Vincecor (l’abbé), chanoine honoraire, aumônier de la pension Saint-Julien d'Angers. MEMBRES TITULAIRES NON RÉSIDANTS. Acxarp, docteur en médecine, à Thouarcé. ALPHAND, ingénieur en chef des squares et promenades de la ville de Paris. V MM. Aronpeau, inspecteur de l’Académie de Rennes. Auserr, juge de paix à Laval. Aymarp (Aug.), archiviste du département de la Haute-Loire. Barccer (Henri de), maire de Saint-Germain et Mons. Baron, docteur en médecine, président de la Société Linnéenne de Paris, professeur à la faculté de médecine et à l’école centrale de Paris, directeur de /’ Adansonia. Barzzv, auteur de la Faune de la Savoie. Barraz, rédacteur du Journal d'agriculture. Becxawp (A.), professeur à la Faculté de médecine de Mont- pellier. Bervarp pu Porr, agronome à Miré. Berr (Paul), docteur en médecine, professeur de physiologie à la faculté des sciences de Paris. Bescaerezze (Emile), rédacteur à la division du personnel, au Ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics. Bcancæarp (Émile), membre de l’Institut, professeur-admi- nistrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Borrerre, directeur de l'École d'enseignement supérieur de Nantes. Bouregois (l'abbé), professeur de philosophie au collége de Pont-Levoy. Boureuin (L.-A.), ancien magistrat, président honoraire des Sociétés philotechnique et protectrice des animaux. Boureizce, conservateur du cabinet d'histoire naturelle de Grenoble, membre de plusieurs Sociétés savantes. Brrau, docteur en médecine, bibliothécaire de l’Académie de médecine. Broncniartr (Adolphe), membre de l’Institut, professeur- administrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Bureau, botaniste, membre de plusieurs Sociétés savantes. CarzcauD (Frédéric), directeur du cabinet d'histoire natu- relle de Nantes. Caron, instituteur à Saumur. Cessron-Lavau, agronome à Cholet. Cessac (Pierre de), membre de plusieurs Sociétés savantes. VI MM. Caevreur, membre de l’Institut, directeur du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Coca (Augustin), membre de l’Institut. Copier, docteur en médecine, membre de plusieurs Sociétés savantes, auteur des Champignons de France. Coste, membre de l’Institut, professeur au Collége de France. Cortear, juge au tribunal de première instance d'Auxerre. Covrrnizer (jeune), directeur de la bibliothèque municipale, du Musée d'archéologie, du cabinet d'histoire naturelle et du jardin des plantes de la ville de Saumur. CrocHarp (Armand de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Davsrée, membre de l’Institut, ingénieur en chef des mines, professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Decarosse, membre de l'Institut, professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Davecouis, membre de plusieurs Sociétés savantes. Desrais (Auguste), docteur en médecine, à Morannes. Decnow, naturaliste à Saint-Gilles-sur-Vie, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. Decaisxe, membre de l’Institut, professeur de culture au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Decaunay, administrateur de la maison centrale de Clermont (Seine-et-Oise). Durertre, curé de Saint-Cyr-en-Bourg (Maine-et-Loire). Drouer (Henri), conseiller de préfecture à Dijon. Drouyx ne Lauys, membre de l’Institut, président de la Société d’acclimatation. Dumériz (Auguste), membre de l’Institut, professeur-admi- nistrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris, vice- président de la Société d’acclimatation. Durressis, répétiteur de génie rural à l’École Impériale de Grignon. Durieu DE MAISONNEUVE, directeur du jardin des plantes de Bordeaux. Duseicexeur, de Brest, membre de plusieurs Sociétés savantes. VII MM. Duvas (Raoul), avocat général près la Cour impériale de Rouen. Duvaz-Jouve, inspecteur d'Académie à Montpellier. Enwars (Auguste Milne), aide naturaliste au Muséum d’his- toire naturelle de Paris. Enow, pharmacien à Cholet. Facès, dirécteur des mines de Chalonnes. Fieurer (Louis), auteur de l’Année scientifique. Fou (marquis de), commandant du port de Bayonne. Fouquer, docteur en médecine, membre de plusieurs Socié- tés savantes, à Vannes. FRroMENTEL (de), sous-intendant militaire, à Cray. Gacserr (comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Gazes (René), sous-intendant militaire, à Vannes. Gazirzn (prince), membre de plusieurs Sociétés savantes. Gayor (Eugène), membre de la Société centrale d'agriculture. GEan , pharmacien à Metz. Georrroy Sawr-Hinaire, directeur du jardin d’acclimatation de Paris. Gervais (Paul), professeur - administrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Goper (Paul), imprimeur à Saumur. Gouezez, conducteur des ponts-et-chaussées à Belle-Isle- en-mer. Gras (Albin), docteur en médecine à Grenoble. Guérancer (Édouard), géologue au Mans. Guérn-Ménevizce, directeur de la Revue zoologique. Guicmenor, aide-naturaliste de zoologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris. ù GuizLou, administrateur de la caisse d'épargne de Cholet. . Hawrzce (Victor), directeur au ministère des cultes. Héperr, professeur de géologie à la Faculté de Paris. Hericourr (comte d’'), secrétaire perpétuel de l’Académie d'Arras. Here , rédacteur en chef de l’Aorficulteur français. VIII MM. Hesse, commissaire-adjoint de la marine, en retraite. Hire, ingénieur civil, membre de plusieurs Sociétés savantes, Hovuez (E.), inspecteur général des haras. Hovurer, directeur des serres du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Jorpan , botaniste à Lyon. Juzren (Th.), président de l’Académie de Reims. Lacaze-Durater , professeur-administrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. LawserT (Paul), docteur en médecine. Lawore-Baracé (comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. LATERRADE, directeur de la Société linnéenne de Bordeaux. LecarT, chirurgien en chef au Palais, (Belle-Isle-en-mer). Le Correur, président de la Société linnéenne du Nord de la France. Lescuyer, naturaliste, à Saint-Dizier. Lessassier, pharmacien à Durtal. Lesvicze (de), membre de plusieurs Société savantes. Lisce pu Dréneur (Arthur de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Liece pu Dréneur (G. de), membre de plusieurs Sociétés savantes. | Louver, ministre de l’Agriculture et du Commerce. Loneuemar (de), ancien officier d'état-major. Lucas (Hippolyte), aide-naturaliste d’entomologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris, secrétaire de la Société d’en- tomologie. Macxé (l’abbé), professeur d'histoire naturelle à l’institution de Sainte-Marie-de-Pincherray, à la Ferté-Macé (Orne). Maraçcurni, recteur de l’académie de Rennes. Marcaanp (Léon), docteur en médecine, aide-naturaliste à la Faculté de médecine de Paris. PER Martins (Charles), directeur du jardin botanique de Mont- pellier. Maupuyr, ancien conservateur du Cabinet d'histoire natu- relle de Poitiers. IX MM. Meunier (Victor), rédacteur en chef du Cosmos. Meunier (Stanislas), aide naturaliste (géologie), au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Micaezer, membre de l’Institut. Morz, professeur au Conservatoire des arts et métiers. MoxtsEan, professeur au lycée de Toulouse. Morocues(baron de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Mouzus (Charles des), président perpétuel de la Société lin- néenne de Bordeaux. Muzsanr, président de la Société linnéenne de Lyon, biblio- thécaire de la ville de Lyon. Napaur pe Burrow, substitut du procureur général près la Cour impériale de Rennes. NauniN, membre de l’Institut, aide-naturaliste au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Neumann (Louis), directeur des serres à fougères et à orchi- dées du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Norsert-Bonarous, professeur à la Faculté d’Aïx. Per, chef des cultures du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Pape, directeur du jardin botanique de la marine à Saint- Mandier, près Toulon. Pairouse, docteur en médecine, président de la Société de médecine de Rennes, membre de plusieurs Sociétés sa- vantes. Prapaz, naturaliste, à Nantes. Quarreraces (de), membre de l’Institut, professeur-admi- nistrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Rapou, docteur en médecine, à Saint-Florent-le-Vieil. Roran», ingénieur civil, à la Ferté-sous-Jouarre. Sacc, docteur en médecine, délégué de la Société d’acclima- tation de Paris, à Barcelone (Espagne). SainT-RENÉ TarzLanDiER, secrétaire général au Ministère de l’Instruction publique. ServeAUx (E.), chef de bureau au Ministère de l’instruction publique, membre de plusieurs Sociétés savantes. X MM. Sevwes (de), docteur en médecine, agrégé à la Faculté de Paris. Sicar, docteur en médecine, président du comité d’agri- culture de Marseille. Sicorière (de la), avocat à Alençon. Sougerran (Léon), licencié ès-sciences naturelles, secrétaire de la Société d’acclimatation. Tasré , notaire honoraire à Vannes. Taowas , naturaliste à Nantes. Turrez, docteur en médecine, délégué de la Société d’accli- matation, à Toulon. Vaizzanr (le maréchal), membre de l’Institut. Viexxor (T.-C.), sous-directeur des archives au ministère des affaires étrangères. MEMBRES ÉTRANGERS. ANGLETERRE. MM. Bexraan, président de la Société linnéenne de Londres. Lorr (Harry Bucland), membre des Sociétés royales d’agri- eulture et d’horticulture de Londres. Murcuison (sir Roderick), géologue à Londres. Owen (Richard), directeur du British Museum à Londres, associé étranger de l’Institut. AUTRICHE. Frauenrezn (G. Von), secrétaire de la Société zoologique de Vienne. Fexzr, directeur du jardin botanique de Vienne. S. A. le prince de ScawarzengerG, président de la Société d'agriculture de la Bohême. Senoner, géologue à Vienne. SxoriTz , botaniste à Vienne. BAVIÈRE. Siesozn (C. Th. Von), professeur de zoologie à Munich. XI BELGIQUE. MM. Benepex (Van), professeur de zoologie, à Louvain. Brux (Pierre), docteur en droit à Louvain. ScHRAM, directeur du jardin des plantes de Bruxelles. Sezys-LoncHamps (de), naturaliste à Liége. BRÉSIL. Nerro (Ladislaü), directeur du jardin des plantes de Rio- Janeiro. DANEMARCK. Lance (John), botaniste, à Copenhague. STEENSTRUP, professeur de zoologie à Copenhague. Vauz, directeur du jardin botanique à Copenhague. ECOSSE. Bazrour (J. H.), président de la Société botanique d’Edim- bourg. ESPAGNE. AGuiLarD Y VELA, secrétaire de l'Académie des sciences de Madrid. Riparpa (comte de), inspecteur général de l’agriculture, à Madrid. ETATS ROMAINS. CAVALIER: SAN BertoLo, président de l’Académie de Rome. Poxzr, professeur de géologie à Rome. L4 ETATS-UNIS. Torrey, botaniste à New-Yorck. Henry, secrétaire del’institution smithsonienneà Washington. Le Contre (John), secrétaire de l’Académie des sciences naturelles de Philadelphie. : GRÈCE. Lanperer, chimiste, à Athènes. LinpermaYeR, président de la Société des sciences naturelles d'Athènes. XII HOLLAN DE. MM. Bzerker , zoologiste à la Haye. Oupemas, professeur de botanique à Amsterdam. IRLANDE. Arcmer (William), secrétaire de la Société botanique de Dublin. ITALIE. CazBo-Crorra (comte François), à Venise. Lancia Duc DE Brozo (Federigo), grand chancelier de l’Uni- versité de Palerme. POLOGNE. Hergica, médecin militaire à Cracovie. PORTUGAL. Barsosa pu Bocace, directeur du Musée de Lisbonne. ANTONIO DE CARVALHO. Coezmo (J. M. Latino), secrétaire de l’Académie de Lisbonne. PRUSSE. Braun (Alexandre), directeur du jardin botanique de Berlin. S. À. S. le prince de Sazu-REIFFERSCMEID-Dyc. Sœcmuw6, secrétaire de la Société de géologie de Berlin. Wizmoski (de), chanoine de la cathédrale de Trèves. RUSSIE. Borowski, gouverneur provincial, à Moscou. Branpr, membre de l’Académie des sciences de Saint-Péters- bourg. Bouwniaxorski, vice-président de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. Fiscuer DE Wazoaeim, président de la Société des natura- listes de Moscou. Hezmerren, membre de l’Académie des sciences de Saint- Pétersbourg. Touesvcuer, membre de l’Académie ASE sciences de Gaint- Pétersbourg. XIII SARDAIGNE. MM. Mano (Joseph, baron), président du Sénat. SUÉÈÉDE. Anpersson (N. J.), membre de l’Académie de Stockholm. Tepenius , botaniste à Stockholm. SUISSE. Canpoze (Alphonse de), professeur à Genève. Dusy pe STeicer, botaniste à Genève. STIZENBERGER , botaniste à Constance. TURQUIE. Savrer-PAcHA, ancien ambassadeur de la Sublime Porte à Paris. “à LES NOMS DES OISEAUX EXPLIQUÉS PAR LEURS MŒURS OÙ . ESSAIS ÉTYMOLOGIQUES SUR L'ORNITHOLOGIE (Suite.) ORDRE DES ÉCHASSIERS TROISIÈME FAMILLE. — LONGIROSTRES. La troisième famille des Échassiers est désignée, dans la Faune de Maine-et-Loire, par l’épithète de Longirostres (lonqum « long » rostrum « bec »). Sous cette dénomination assez caractéristique sont groupés un nombre considérable d'oiseaux, auxquels la Provi- dence a donné un bec long, grêle, arqué en totalité ou en partie, ou même entièrement droit, dans quelques espèces. J'ai dit que l’é- pithète «longirostre » me paraît être seulement assez caractéristique, parce qu’elle pourrait convenir aux Cultrirostres, pourvus aussi d’un bec long, mais fort, tranchant et ordinairement aigu et conique; c’est pour cette raison que je voudrais, comme plusieurs natura- listes, donner à cette famille le nom de Tenuirostres,— tenue, «menu, faible, » rostrum « bec », oiseaux dont le bec est effilé et faible. La XIL. 1 ES: ER différence essentielle, qui existe dans la forme du bec des oiseaux de ces deux familles, indique évidemment que leur genre de nourriture ne doit pas être le même. Les Longirostres, comme les Cultrirostres, fréquentent les bords vaseux des fleuves, des mers, des étangs, mais c’est pour rechercher une proie beaucoup plus petite que les seconds, proie composée de vermisseaux, d'insectes et de petits mollusques. Chaque espèce a recu de Dieu les armes nécessaires pour accomplir la mission qui lui a été confiée, et nous trouverons, en déroulant le tableau sommaire des mœurs des oiseaux de cette famille, des preuves incontestables de la sagesse de la Providence divine. Dans cette Étude, nous constaterons encore et même très-souvent le combat persévérant des oiseaux contre les insectes aquatiques, combat que j'ai signalé bien des fois, pour démontrer l'utilité, la nécessité de protéger les oiseaux et de travailler à multiplier leurs services, en combattant les préjugés dont ils sont les victimes et dont les conséquences compromettent les véritables intérêts de l’homme et les lois de l’harmonie générale. > IBis Nom ou FALcINELLE. — ÎBis FALCINELLUS. L'ibis noir est un bel oiseau qui visite, d’une manière assez irré- gulière, notre département; plusieurs sujets y ont été tués à diflé- rentes époques et font partie des collections particulières ou de celles des musées. Son plumage à reflets et à teintes métalliques varie selon les époques de l’année, et cette variation explique les épithètes qui ont été données à cet échassier : quelques auteurs ont cru le dé- terminer d’une manière exacte en l'appelant ibis noër ; d’autres, au contraire, l'ont nommé « ibis vert, viridis, » et enfin ibis couleur de feu, «igneus. » Ces dénominations si différentes peuvent s’expli- quer non-seulement par les modifications que subit le plumage de cet oiseau, selon les époques de l’année, mais surtout par celles qui sont la conséquence de l’âge. L’épithète falcinellus, « falcinelle, » dérive de falx, falcis «faux, faucille » et indique que le bec de l’ibis est arqué, en forme de faux, de faucille. Les Arabes appellent cet oiseau mengel, abou PP PATES mengel « la faucille, le père-la-faucille, » dénomination beaucoup plus expressive que le mot falcinelle. Les ornithologistes affirment généralement qu’ils ne comprennent pas le motif de la forme donnée par Dieu au bec de ces oiseaux. Cette forme existant, elle doit néces- sairement avoir une raison d’être, car tout dans la nature étant l’œuvre d’un Dieu souverainement intelligent et sage, ne peut être attribué à une erreur ou à un caprice. Sans préjuger d’une manière positive cette question, il me semble que la forme arquée donnée au bec des ibis, des courlis, etc., doit faciliter beaucoup le travail de ces oiseaux, qui cherchent leur nourriture dans des terrains vaseux, en décrivant autour d’eux des lignes circulaires. Enfin, la courbure très-prononcée de leur long bec ne les force pas à avoir la tête tou- jours penchée jusqu’à terre et dans une position pénible et fatigante. Avec la forme de leur bec, ces oiseaux peuvent donc décrire plus facilement la même courbe que suit le bras des hommes con- damnés à briser le lin ou le chanvre ou même les mottes de terre. Si le modeste travail que je poursuis, depuis longues années, avait revêtu le caractère d’une Faune, la description méthodique et scien- tifique du bec de chaque espèce d’oiseau aurait pu révéler, d’une manière bien sensible, le plan de la Providence. Cette observation me rappelle un souvenir que je crois devoir consigner ici, à l’appui de l'opinion que je viens d’émettre. Dans la Nouvelle-Zélande se trouve un oiseau étudié récemment, et auquel les savants ont donné le nom d’apteryx, a « sans » et pteron « aile. » Cet oïseau, dont la taille varie entre celle d’une grosse poule et celle d’une petite oïe, n’a que des ailes rudimentaires et presque nulles, terminées par un ongle fort etarqué, et formées de petites barbes effilées et d’une cou- leur de brun ferrugineux. Des auteurs le classent parmi les nullipennes , nulla « aucune » et penna «plume, aile. » Par ce caractère, l’apteryx se rapproche des autruches, des casoars ; par ses pieds, il paraît appartenir aux galli- nacés, et la forme de son bec semble devoir le ranger parmi les jongirostres. Ce bec est perforé, dans toute sa longueur, de deux tuyaux , commencant aux narines pour finir à l’extrémité de la mandibule supérieure, où se trouve un orifice, organe très-subtil TR. de l’odorat. La forme si insolite du bec de cet oiseau révèle donc la sagesse du Créateur. L’apteryx se tient, pendant le jour, dans les endroits les plus sombres des forêts de la Nouvelle-Zélande ou dans les hautes herbes touffues des prairies marécageuses. Les indigènes nomment cet oiseau Aëvi, expression qui représente son eri et qui prouve que l’onomotapée joue, surtout chez les sauvages, un grand rôle dans la composition des noms. Les Nouveaux-Zélandais, assez friands de la chair de l'apteryx et plus désireux encore de se pro-. curer les quelques plumes de cet oiseau qui servent à orner le cos- tume de leurs chefs, aimaient autrefois à poursuivre le kiwi avec des chiens dressés à cette chasse; aujourd’hui, ils y ont renoncé, du moins en grande partie, à cause de la fatigue excessive que leur causait cet exercice. L’apteryx dissimule tellement sa présence, il court avec une si grande rapidité quand il est découvert, se défend avec une telle énergie au moyen de ses pieds contre les chiens, que la chasse de cet oiseau impose des courses très-pénibles sans procurer des résultats bien satisfaisants. Le kiwi ne sortant pas, pendant le jour, de la re- traite ténébreuse qu'il prépare lui-même entre les racines chevelues des arbres des forêts presque impraticables de la Nouvelle-Zélande, ne peut chercher sa nourriture que lorsque la nuit est complétement venue ; et encore choisit-il le moment où les ténèbres sont le plus épaisses. Dès lors, il semble qu’il devrait être doué, comme les chouettes et les rapaces nocturnes, d’une vue qui servit à le diriger dans ses courses, pendant les nuits sombres. Il n’en est rien : le kiwi est doté de deux petits yeux, impuissants à lui venir en aïde pour trouver et distinguer les longs vers qui composent sa nourri- ture, et qui séjournent dans les terrains marécageux et les vases bourbeuses des prairies de la Nouvelle-Zélande. Mais la conforma- tion de son bec, conformation qui au premier coup d’œil paraît si bizarre, supplée à l'impuissance de sa vue ; 1l promène, en tous sens, son long bec dans la vase bourbeuse, et l’excessive finesse de l’odorat, dont le siége est à l’extrémité de cet organe, l’avertit de la présence des vers qui doivent composer sa nourriture. Ainsi se révèle un nouveau trait de sagesse de la providence de Dieu. Mes SE Des études récentes ont servi à distinguer trois espèces ou trois variétés de l’apteryx, qui toutes ne se trouvent que dans les forêts de la Nouvelle-Zélande. J’abandonne le kiwi et je reviens à l’ibis; là, je me trouveen pré- sence d’une sérieuse difficulté étymologique. Quelle est la racine du motibis ? À cette question, le Dictionnaire de M. Littrérépond : «Ibis, nom français de l’oiseau sacré des Egyptiens, vient du mot latin ibis, qui dérive lui-même du grec 1r1s, dont la racine appartient à la langue égyptienne. » Une telle réponse est loin d’être une solution ; elle laisse subsister la difficulté dans toute sa force, et je me vois condamné à essayer de parcourir une route parsemée d'obstacles. Pour en triompher plus facilement et parvenir au but que je me propose, je vais dérouler en partie le tableau des fables qui se rat- tachent au souvenir de l’ibis ; puis, je constaterai les habitudes réelles de cet oiseau, et j'espère ainsi arriver à émettre une hypothèse en harmonie avec la véritable donnée de la science ornithologique. Voici d’abord l'opinion de Belon sur les ibis : « Les Egyptiens ont eu l’ibis en grande vénération pour ce qu’il les délivre des serpents. Car où 1l en trouve il les mange, et s’il en est saoul, il ne les laisse en vie. Les Egyptiens, qui estoyent plus cérémonieux que tous les autres hommes, sentants que tels oyseaux leur faisoyent proufit en leur mangeant les serpents, les auoyent en vénération, non seulement en leur vie, mais aussi après leur mort; parquoy afin qu’ils ne fussent priuez de sepulture les faisoyent con- fire en diuerses manières » (Belon, liv. IV, page 200). Cette opinion était basée sur les textes d'Hérodote, de Pline, etc., et sur l’histoire entière des Egyptiens. «Or, j'entrepris, dit Hérodote, d'aller en une marche prochaine de la ville Buto, ayant entendu qu’il y avait des serpents volants. Arrivé que je fus, je vis os et échines de serpents, tant qu’il n’est possible plus : car ils y sont à tas, plus çi, moins là ; mais en géneral beaucoup. Le lieu se comporte ainsi : une saillie étrécie de montagnes vous jette en une campagne fort grande, attenant d’une autre qui est de l'Egypte. Le bruit com- mun tient que par là, sur le printemps, les serpents volants volent d'Arabie en Egypte, et que, en droit ce pas, les ibis leur viennent ja A au devant, qui non-seulement les gardent de passer mais davantage les tuent et défont. À cette cause, les Arabes honorent grande- ment les bis et les Egyptiens aussi. » (Hist. d’Hérodote, traduc- tion de Pierre Saliat, vol. in-8, chez Henri Plon, 1864, page 147.) Après un texte aussi positif, l’erreur de Belon et des autres natu- ralistes ou historiens paraît très-excusable. De plus la narration d’Hérodote se fortifie encore par la vénération dont les Egyptiens entouraient les 1bis. Tout homme qui tuait même involontairement un de ces oiseaux était puni de mort. Les Livres Saints constatent aussi que Dieu avait défendu aux Israélites de manger les ibis. (Lev. ch. xiv, 13-17.) « Quiconque tuait ibis, encore qu'il ne le pensät faire, la loy par nécessité le condamnait à mourir. Et pour entendre la raison, fault sçauoir qu’il mange les serpents d'Egypte.» (Belon, liv. IV, page 200.) Un grand nombre d’ibis étaient élevés et nourris dans les temples, et pouvaient en sortir pour se promener dans les rues et y recevoir des témoignages de sympathie superstitieuse. Les Egyptiens pen- saient que les plumes des ibis avaient la proprieté de frapper de stupeur et même de mort les serpents, les crocodiles !! Cicéron, Pline, etc., s’unissent à Hérodote pour affirmer que les Egyptiens invoquaient religieusement les ibis à l’arrivée des serpents, et adressaient à ces oiseaux des supplications pieuses et pressantes pour les appeler à leur secours contre ces ennemis ailés qui, selon toute vraisemblance, n’étaient que des nuées de sauterelles. Les prêtres Egyptiens conservaient aussi dans de grandes volières un certain nombre d’ibis qu'ils faisaient parader dans les céré- monies extérieures du culte de la déesse Ibis, figurée sur tous les monuments religieux et à laquelle cet oiseau était consacré. On la représentait par de petites statuettes, que l’on trouve en grande quantité dans les fouilles pratiquées sous les anciens temples égyptiens. L’historien Josèphe (Livre des Antiquités, 2, chap. x) prétend que Moïse allant en guerre contre les Ethiopiens aurait emporté dans des cages de papyrus un grand nombre d’ibis pour faire la guerre aux serpents. Savigny, dans son Histoire naturelle et mytho- ON Fr logique de l’ibis, pense que Moïse était simplement suivi par des cathartes, qui d'ordinaire accompagnent les armées pour dévorer les cadavres. Les prêtres d'Hermopolis prétendaient que l’ibis pourrait bien être immortel, et pour Le prouver ils montrérent à Appien un de ces oiseaux qui, selon eux, était si vieux, qu’il ne pouvait plus mou- rir! Cette hypothèse se trouvait en contradiction avec une autre opinion des mêmes prêtres, qui aflirmaient que les ibis étaient telle- ment attachés au sol de l'Egypte, que si on les en éloignait, ces oiseaux succombaient immédiatement, victimes de leur douleur et de leurs regrets profonds. Malheureusement l'opinion des prêtres d'Hermopolis se trouve combattue par la grande quantité de momies d’ibis qui prouvent que ces oiseaux étaient sujets à la mort comme de simples mortels, et qu'après leur vie, les Egyptiens leur rendaient les mêmes honneurs qu’aux hommes dont l'existence avait été utile à la patrie. Les ibis étaient embaumés et renfermés dans des vases en terre cuite et de forme oblongue. On trouve un grand nombre de ces vases dans les puits de la plaine de Saccara, appelés Puuts des oiseaux. Non-seulement les Egyptiens embau- maient les ibis, mais ils préparaient même les œufs de ces oiseaux et les confiaient ensuite aux vases renfermant les oiseaux sacrés. M. Servaux, chef du bureau des travaux historiques au Ministère de l'instruction publique, s’est procuré plusieurs de ces œufs parfai- tement conservés, et en a offert quelques-uns à M. Gerbe, savant auteur de l’Ornthologie européenne. Un des motifs qui peuvent expliquer la vénération des Egyptiens pour Les ibis, c’est que ce peuple était convaincu que les dieux devaient prendre la figure de l’ibis, toutes les fois qu'ils voulaient se mani- fester aux hommes, et que c’est sous cette forme que Mercure avait appris aux mortels les arts et les sciences, et qu’il s’était caché lors- . que les dieux avaient été forcés de quitter l’Olympe après l’escalade des Titans. Aussi Cambyse se servit-il de cette croyance supers- titieuse pour prendre Peluse. Il mit un grand nombre d’ibis entre son armée et les Egyptiens, et ceux-ci ne voulurent pas lancer leurs flèches sur les Perses, de peur de tuer ou de blesser quelques-uns de leurs dieux. er 8 fs La vénération des Egyptiens pour l’ibis sacré s’étendait aussi à l'ibis noir. Les momies de ces deux oiseaux se trouvent confondues dans les vastes catacombes de Memphis, et leurs figures s’harmo- nisent sur tous les monuments et dans les hiéroglyphes. Il résulte donc évidemment des textes que J'ai cités, des détails que je viens d’énumérer, que les ibis étaient chez les Egyptiens l’objet d’un véritable culte fondé sur la reconnaissance motivée par les prétendus services que ces oiseaux rendaient au pays en le pur- geant des serpents et des reptiles de toute espèce. Cette opinion s’est perpétuée jusqu’à nos jours, et G. Cuvier s'exprime ainsi : « Quoi- que l’ibis ne paraisse pas être de taille à lutter contre les serpents, cette raison ne peut tenir contre des preuves positives, telles que des descriptions, des figures, des momies. » Enfin ce savant ajoute qu’ila «trouvé dans une momie d’ibis, des débris non encore digérés de peau et d’écailles de serpents. » (Annales du Muséum, chap. xx, page 132.) Aussi en présence de telles autorités, ne suis-je pas étonné qu'un savant linguiste, auquel je m'étais adressé par l'entremise de lun de mes amis, afin de connaître la racine égyptienne du mot ibis, ait cru trouver dans cette dénomination l’idée de dévorer et de dévorer beaucoup; de sorte que, selon ce savant, le mot ibis eut signifié l’oiseau dévoreur par excellence, dans le sens qu’il mangeait beaucoup et qu’en mangeant ainsi il rendait d'immenses services au pays qu’il purgeait de reptiles dangereux. Malgré tant d’autorités nombreuses et savantes, je ne puis ac- cepter l’étymologie du mot ibis dans le sens que je viens d'indiquer, parce qu’elle me paraît reposer sur des renseignements compléte- ment dénués de vérité. Je vais exposer les mœurs positives de l’ibis, et J'espère y trouver la racine égyptienne du nom donné à cet oiseau. G. Cuvier eût dù, pour juger sérieusement cette question, dégager son intelligence de tous les souvenirs chimériques de l’antiquité. La première condition pour que l'Ibis püt dévorer en Egypte des ser- penis, et surtout des serpents aiïlés, c’est que cet oiseau füt armé pour soutenir cette lutte d’une manière victorieuse, et qu’il y eût, en Egypte, des serpents aïlés. Or l’ibis n’est nullement armé, quant aux pieds et quant aujbec, pour se livrer à un pareil combat; de plus, le Pur AE temps où cet oiseau arrive en Egypte indique qu'il a une tout autre mission que celle qu’on lui a prêtée ; enfin, les débris de serpents et d’écailles trouvés dans une momie ne seraient pour moi qu’un nou- veau témoignage de la croyance erronée des Egyptiens. Voici maintenant le résumé des observations fournies par la véritable science ornithologique. L’ibis sacré et l’ibis noir vivent de petits coquillages fluviatiles, de sangsues, de vers, d'insectes et de débris de végétaux aquatiques. Dès lors, ils fréquentent de préférence à tout autre lieu celui où ils trouvent une nourriture plus facile et plus abondante. Or, chaque année, le Nil en couvrant de ses eaux, d’une manière régulière, la plus grande partie de l'Égypte pour y répandre la fécondité et l’abondance, entraïnait dans son cours des quantités considérables d’insectes, de vers de toute espèce; qu’il jetait sur ses rives ou qu'il faisait sortir de terre, à mesure que linondation se répandait au loin. C’est à'ce moment que les ibis apparaissaient ; ils précédaient la crue du Nil de quelques jours, ou plutôt ils en sui- vaient les développements. Pour les Egyptiens, ces oiseaux étaient des messagers annonçant une bonne nouvelle, celle de la crue du Nil, principe et véritable cause de la richesse de l'Egypte, et plus la crue devait être considérable et apporter avec elle de vers, d’insectes, plus les ibis se montraient en grand nombre. Ces oiseaux étaient donc pour les Egyptiens ce que sont pour nous, à un autre point de vue, les gracieuses hirondelles, d’aimables messagères dont on salue l’arrivée et dont on regrette le départ. Dans la Basse-Egypte, les habitants appellent libis Apou-Hannès « Père de Jean, » parce que cet oiseau apparaît aux environs de la Saint-Jean, pour s’en éloigner vers le mois de janvier. Or l’inondation se produit dans le mois de juin pour finir vers la fin de décembre. Il y a donc une relation entre le séjour de libis et l’inondation du Nil, et de plus, on peut parfaitement expliquer pourquoi ces oiseaux restaient quelque temps en Egypte après la retraite des eaux. Les ibis précédaient et accom- pagnaient les flots envahisseurs du Nil ; ils s’arrêtaient, lorsque la crue suspendait son cours, puis ils suivaient la marche des eaux et ré- coltaient sur les terres abandonnées par le fleuve des myriades d’in- PEN NE sectes qu'y avait déposés la crue, et dont la présence eût pu com- promettre la récolte en dévorant les semences que l’on confiait à la terre aussitôt que les eaux s'étaient retirées. C’est pourquoi Forcel- lini a pu dire: « Auxilium sacræ veniunt cultoribus 1bes, les ibis sacrés viennent en aide aux laboureurs. » Il est facile d’ad- mettre que les ibis devaient rester en Egypte quelque temps après la rentrée des eaux dans leur lit ordinaire, et que ce séjour devait se prolonger tant que les terrains détrempés par l’inondation et couverts d’une vase épaisse et molle pouvaient fournir aux ibis une nourriture facile et abondante. Quand le soleil brülant de l'Egypte venait dessécher les bords du Nil et le limon qui y était déposé, les ibis disparaissaient, de même que les hirondelles nous abandonnent avec la saison qui leur procure les nuées d’insectes ailés composant leur nourriture. D’après cette connaissance des mœurs de libis, j'étais porté à croire que le nom donné à cet oiseau par les Egyptiens devait signifier oiseau de bon auqure, le messager, l’envoyé por- teur de bonnes nouvelles, l'oiseau de passage par excellence, et que la racine de ce nom pourrait bien être le mot hébreu Æber, d’où est venu Jberes, Ibérie, et signifiant « passage. » Dès lors, l’ibis serait «l’oiseau qui passe » et dont le passage annonce la fertilité et l’abon- dance. C’est pour cela que, dans les hiéroglyphes, la figure de libis ne signifiait pas dévorer, mais représentait la fertilité et l’abon- dance. Pour pouvoir appuyer mon hypothèse sur une véritable autorité, je l'ai soumise à M. le vicomte de Rougé, directeur du Musée égyptien. Ce savant a bien voulu me venir en aide, en m’é- crivant la lettre que je transcris ici : « L’ibis sacré a pour nous, dans l'écriture hiéroglyphique, le mot DIE AE Heb. Je ne vois rien qui puisse rapprocher ce nom des idées de dévorer, manger ; mais on peut facilement trouver une analogie entre ce nom et les verbes de mouvement qui signifient passer au neutre et envoyer à l'actif; car le radical [1] a -Heb à AREUT UNSS ces deux sens. On ajoute alors la jambe en marche pour compléter le groupe et en fixer la signification. Ainsi le mot 7 il N Heb se prête très-bien à vos conjectures. « Paris, 5 juin 1869.» Je crois done, sans être trop téméraire, pouvoir, en m’appuyant sur l'autorité de M. le vicomte de Rougé et sur les véritables mœurs de l’ibis, émettre l'opinion que le nom donné à cet oiseau signifiait le passager, le messager porteur de bonnes nouvelles, l'envoyé par excellence. Puis les Egyptiens, ayant remarqué que la crue du Nil coïncidait toujours avec l’arrivée de l’ibis et qu’elle cessait après le départ de cet oiseau, lui ont attribué cette crue, et c’est alors que les ibis sont devenus l’objet d’une vénération superstitieuse. Vic- times d’une croyance erronée, les Egytiens, comme beaucoup d’autres peuples, prenaient l'effet pour la cause; de même encore, dans beaucoup de localités, l'apparition de l’effraie est regardée comme une cause de mort, tandis que la présence de ce rapace noc- turne est simplement motivée par l’'émanation des miasmes que ré- pandent les corps des malades qui commencent à se décomposer. Je termine cette dissertation, peut-être déjà trop longue, par quelques détails sur le caractère de l’ibis. Cet oiseau, nommé par les anciens courlis noir, est d’un caractère peu farouche, aimant à vivre et à nicher en société; il marche pas à pas et très-gravement, comme sil voulait, dans ses investigations, ne laisser échapper aucune proie. Avec ses pattes, l’ibis remue la terre et cherche à lui communiquer un petit frémissement qui détermine les vers à sortir de leur retraite, et c’est alors qu’il saisit avec beaucoup d’adresse les insectes, à mesure qu’ils se présentent à la surface du sol. Quand l'ibis se trouve au milieu d’un terrain boueux, comme le limon déposé par le Nil, il se sert de son bec, long de 14 à 15 centimètres, pour remuer cette boue en imprimant à son bec un mouvement de rotation rapide. Les auteurs anciens avaient cru trouver dans le plumage de l'ibis et dans la forme de son bec arqué quelque rapport avec les — D phases de la lune. Quand on poursuit l’ibis falcinelle, il ne s’éloigne guère et se remise près du point de départ. Quelquefois il se perche, mais assez rarement. Cet oiseau vole très-haut, le cou en avant et les jambes tendues en arrière pour établir un contrepoids; dans son vol, il pousse quelquefois des cris rauques. Le mâle est beaucoup plus gros que la femelle. Les 1bis ne sont plus maintenant entourés d’un culte superstitieux. Les Arabes et les Egyptiens en prennent beau- coup au filet, pendant l’automne, au moment où le Nil rentre dans son lit ordinaire ; on trouve de ces oïseaux sur les marchés de la Haute-Egypte, et jusqu’à ce moment-ci l’autopsie de ces ibis n’a pu fournir aucune preuve à l’appui de la narration chimérique d’'Hé- rodote. M. Savigny, qui a combattu avec une grande énergie l'opinion des anciens auteurs et celle de G. Cuvier, a fait l’autopsie de plus de vingt ibis, sans trouver dans leur estomac la moindre apparence d’écailles ou de débris de serpents et surtout de serpents ailés, in- connus en Egypte. La chair de libis, après l’inondation, lorsque cet oiseau a trouvé une nourriture abondante daus le limon bourbeux du Nil, est assez estimée. L’ibis noir niche en colonies nombreuses dans les roseaux ; la fe- melle pond, dans un nid composé de quelques débris de roseaux, quatre ou cinq œufs, sur la couleur desquels se sont trompés MM. De- gland et Nordmann : ces œufs présentent une très-belle couleur, d’un bleu uniforme et un peu velouté; leur grand diamètre varie de 0,056 à 0",058, et le petit de 0,038 à 0",040. L’erreur de MM. Degland et Nordmann était d'autant plus facile à commettre, que les œufs de l’ibis sacré sont d’une couleur blanche striée de quelques taches et le plus souvent de petits filets d’un brun noirâtre. Quelques-uns de ceux que j'ai reçus n’avaient aucune tache, mais la couleur de la coquille était d’un blanc jaunâtre. Ces œufs se rapprochent de ceux de la spatule blanche, et quoiqu’ils aient des dimensions plus petites et qu’ils soient plus effilés aux ex- trémités, ils sont assez souvent, dans les relations commerciales, confondus avec ceux de cet oiseau. Je connais plusieurs jeunes col- lectionneurs qui ont été, à cet égard, victimes de leur inexpérience. Ar — Courts CENDRÉ. —- NUMENIUS ARQUATA. Aux différents noms de cet échassier pourront, sans beaucoup de difficultés, se rattacher ses mœurs et les nuances de son plumage. Les courlis se distinguent des ibis par leur face emplumée, par deux doigts plus courts et plus robustes et, surtout, par la couleur de leurs plumes. Le courlis doit son nom au cri courrili, cour-lis. L’épithète cendré indique quelles sont les nuances de son plu- mage composé de plusieurs teintes de la même couleur grise, plus ou moins foncée, et qui s’harmonisent d’une manière assez agréable. La dénomination savante MNumenius représente, sous une autre forme, la même idée que l'adjectif arguata, signifiant arqué, fiqure d'arc et indiquant la forme du bec du courlis. Numenius est dérivé de nouménia, « nouvelle lune; » (composé de nos, « nouvelle, » et mäné, « lune. »). Ce mot exprime ainsi, d’une manière originale, mais bien vraie, la figure du bec de cet oiseau se rapprochant de la nouvelle lune, à cause de la forme de son bec en croissant. Les Grecs désignaient cet échassier sous le nom d'ELorius, dont la racine est ELos, signifiant « marais, eau MA dormante, » et dès lors ELorivs était un oïseau vivant dans les ma- rais et les eaux dormantes. « Elorius, dit Aristote, avis est apud . mare victitans, le courlis est un oiseau se nourrissant sur les rivages de la mer. » Les Grecs modernes appellent le courlis MacriNarTr, l'oiseau « au long nez. » Les Allemands le nomment Brachvogel, Revenvogel, Vetter- Windrogel, « oiseau des jachères, de pluie, d'orage, de vent, » d’après les circonstances qui accompagnent son apparition dans leur pays. Nouvelle preuve que les noms donnés aux oiseaux ne sont pas vides de sens. Les courlis se servent de leur bec, trois fois plus long que leur tête, pour ébranler la terre et se procurer les vers qui composent leur nourriture. Ils imitent en cela les pêcheurs, qui communiquent à la terre un ébranlement sac- cadé pour faire sortir de leurs retraites les lombrics, qui doivent servir d’appâts à leurs lignes. A la commotion imprimée par le bec du courlis, les vers apparaissent à la surface de la terre comme lorsqu'ils sont troublés dans leurs demeures souterraines par le pas- sage des taupes Les courlis sont assez nombreux sur les bords de la Loire ; ils par- courent très-lentement et avec une démarche grave tous les contours des grèves, afin qu'aucune proie ne se dérobe à leurs investigations. Un jour que, dans ma jeunesse, j’étudiais les marches et les contre- marches de deux courlis cendrés, sur les bords d’une longue grève située près l’île Denis, à Saumur, je cédai à la tentation de tirer un coup de fusil sur l’un de ces échassiers. Le courlis blessé grièvement se livra à des efforts impuissants pour reprendre son vol; pendant ce temps-là, son compagnon de voyage se soutenait en l’air au-dessus de lui en poussant de petits cris, et semblait, en le frappant de ses ailes, chercher à lui venir en aïde pour fuir la rive inhospitalière ; le blessé parvint avec ce secours à exécuter une série de petits bonds et à gagner ainsi le cours de la Loire, sans être abandonné par son congénère, qui voltigea au-dessus de lui jusqu’au moment où un employé de l’octroi vint avec son bateau se saisir de la victime pour me la remettre ensuite. Selon toute probabilité, ces deux courlis étaient unis par les liens de l’hymen qui, pour eux, ne devaient être rompus que par la mort ou par la nécessité. CA Le Lorsqu’on les poursuit, les courlis courent très-vite et très-long- temps avant de prendre leur essor. Ils comptent avec raison sur leur agilité, qui est très-remarquable, ainsi que la grâce qu’ils déploient dans leur fuite. Le courlis cendré a les pieds bruns, tandis que le courlis corlieu les a verdâtres. IL niche sur les plages et dans les endroits maréca- geux. et pond quatre ou cinq œufs très-gros et très-ventrus, d’un jaune un peu verdâtre et sale. Ces œufs sont parsemés de taches ir- régulières qui varient du gris au noir. Le grand diamètre est de 0",060 à 0",064, et le petit de 0,048 à 0,052. Les jeunes courlis peuvent se suflire à eux-mêmes, et dès qu'ils sont éclos, ils ne recoi- vent aucun soin de leurs parents. Leur nourriture se compose de limacons, de vers, de lombrics et de petits mollusques. « Les courlis paissent dedans les prairies humides des achées, qu’ils tuent avec le bec hors de terre, comme aussi mangent toute manière de vermine. » (Bezon, p. 204-205.) D’après la relation de plusieurs officiers de marine, la chair du courlis cendré, très-estimée dans certaines contrées, serait même regardée à Terre-Neuve comme un mets royal ou impérial. Cependant généralement elle est peu appréciée en Europe, parce qu’elle conserve un goût trop prononcé de maré- Courts CORLIEU. — NUMENIUS PHÆOPUS. La notice consacrée à cet échassier sera courte; ses mœurs dif- fèrent peu de celles du précédent, et deux des noms qui lui sont donnés ont déjà été expliqués. L’épithète corlieu est encore une onomatopée représentant le eri particulier à ce courlis. « Il a gaigné son nom de son cri, car en volant, il prononce : corlieu. » (BELox.) L’adjectif phæopus retrace un des caractères qui distinguent le corlieu de ses congénères. Cette dénomination est composée de PHAÔN, PHAÔNOS « brillant, » et pous, popos « pied, » et indique que le corlieu a les pieds d’une couleur plus brillante, plus pro- noncée que ceux du cendré; ses pieds sont en eflet verdâtres ou plutôt plombés. Le corlieu vit dans les endroïts marécageux et sur 10 — le bord des rivières ; il se nourrit de petits mollusques, de vers, etc. Son nid est confié aux prairies humides ou aux bords marécageux des cours d’eau. La femelle pond quatre ou cinq œufs, plus petits et surtout plus allongés que ceux du précédent. Leur couleur, d’un olivâtre sombre, est parsemée de taches noirâtres et d’un brun foncé. Ces taches sont beaucoup plus multipliées vers le gros bout que sur le reste de la coquille. Le grand diamètre varie de 0",058 à 0",060, et le petit de 0°,046 à 0,048. Courlis corlieu. L’extrémité du long bec du corlieu est pourvue de nerfs d’une grande sensibilité qui lui permettent de sentir sa proie lors- qu’il fouille dans les terrains boueux. Ces échassiers vivent en petites bandes; lorsqu'ils sont poursuivis, ils s’élèvent en l'air en poussant de grands cris, ettourbillonnent en rond au-dessus de la tête du chasseur, sans toutefois se laisser approcher facilement. Dans cette espèce, le père et et la mère témoignent une grande sollicitude pour leurs petits; quand ceux-ci sont découverts, leurs parents viennent à leur secours en voltigeant autour de la tête de leurs en nemis, en les enlacant de cercles qu’ils décrivent avec une très- grande rapidité et qu’ils accompagnent de cris répétés, confus et assourdissants, Quant aux petits, ils présentent alors un spectacle curieux : ils se sauvent le plus vite possible, et dans leur course in- Es Ÿ 7 RE habile, se culbutent, se renversent les uns sur les autres; on dirait des enfants inexpérimentés montés sur des échasses et marquant chacun de leurs pas par une chute, Puis, lorsqu'ils sont tombés, ponr échapper à la vue de leurs ennemis, ils cachent leur tête dans les trous qui se trouvent sur leur passage, un peu comme l’autruche enfonçant sa tête dans le sable du désert pour se dérober à la vue de ceux qui la poursuivent. BÉCASSE ORDINAIRE. — SCOLOPAX RUSTICOLA. Le nom attribué à cet oiseau a eu pour but de représenter la forme du bec qui en est le caractère le plus significatif. La tête de la bé- casse lui donne une physionomie toute particulière ; ronde et d’une grosseur presque démesurée, placée sur un corps auquel elle ne semble pas unie par le cou, elle est dotée de deux yeux proémi- nants et très-développés, et enfin elle porte un bec double de la lon- gueur de cette tête. Le mot bécasse est donc formé de bec et de l’an- cien français acée ou asée, d’où l’on a formé hache, qui dérive du vieux latin accia, lui même dérivé du grec axINé, « la hache. » Tous ces mots semblent avoir pour racine première le sanscrit as, signifiant « pénétrer »; c’est donc la forme du bec de la bécasse, XII, 2 AR = forme si remarquable et que nous allons étudier, qui a déterminé les savants à lui donner le nom sous lequel elle est connue. C’est le même motif qui l’a fait appeler par les Latins sco/opax, expression dérivant du grec scoropax et dont la racine est scoops « pieu dont on perce la terre. » Je copie textuellement un passage de M. H. de la Blanchère, et j'y trouve de nouveau une preuve bien évidente de l’infinie sagesse de la providence de Dieu. « L’organe le plus remarquable de la bécasse est son bec. Cet admirable instrument est tout à la fois un doigt, un nez et un bec. Plus long que la tête de l'oiseau, il est droit ou légèrement infléchi vers la terre, cylindrique dans sa plus grande étendue, mais renflé à son extrémité qui est molle et couverte d’une multitude de petites cavités que l’on a comparées, avec raison, à celles qui recouvrent le nez d’un chien. La mandibule supérieure porte, en outre, une rainure plus ou moins marquée de chaque côté et partant des na- rines. « La structure de ce bec a cela de remarquable que, outre lesnerfs olfactifs qui le parcourent dans toute sa longueur et se réunissent à son extrémité — ce qui m'a fait dire que c'était un nez, — il est muni d’une paire de muscles destinés à un mécanisme tout particu- lier — ce qui m'a fait dire que ce bec était un doigt. — Car au moyen de ces muscles, quand la bécasse a enfoncé son long bec dans la vase ou dans la terre molle pour y saisir l’insecte ou le ver que son bec-nez lui a fait sentir et qu’elle ne manque jamais, l’extré- mité seule de cet organe a la faculté de s’entr'ouvrir pour saisir sa proie. Après quoi, une fois le bec soustrait à l'extrémité de la terre, il s'ouvre tout à son aise pour engloutir, d’un mouvement insen- sible de succion, le butin qu'avait saisi son extrémité. « Quel merveilleux organisme ! Il paraît prouvé que les petits creux semés à l’extrémité du bec, ordinairement humides pendant la vie — mais se desséchant et disparaissant après la mort — sont le siége d’un odorat d’une finesse dont nous ne pouvons avoir une idée. En effet, aidé par lui, l'oiseau découvre à une profondeur assez grande dans la vase ou dans la terre mouillée, la senteur d’un petit ver ou drag 2. d’une larve d’insecte. Prodigieux ! Et en dedans du bec voyons cette langue à pointe aiguë, longue, sans doute préhensible, et en- laçant, comme une pince intelligente, les vers que l’extrémité des mandibules vient de saisir. » Cette belle description due à la plume savante de M. H. de la Blanchère, et qui montre d’une manière si évidente l'attention de la providence de Dieu se révélant dans les plus petits détails de l’or- ganisme des oiseaux, rend encore plus sensibles et plus vraies les remarques que J'ai faites à l’occasion des mœurs de l’apteryx. Elle démontre aussi combien les ornithologistes ont eu raison de cher- cher dans le bec de la bécasse le caractère qui devait servir à déter- miner cet oiseau. L’épithète rusticola, employée par le plus grand nombre des au- teurs pour désigner la bécasse ordinaire, pourrait être la réunion de rushcè «en campagnard. » et colere «habiter, » et signifier « oiseau qui se tient à la campagne, ou bien une expression irrégulièrement for- mée du verbe rusticor « demeurer à la campagne. » Mais cette expli- cation ne me semble pas la véritable. Rusticola a été employé pour rusticula qu’on trouve dans les anciens traités d’ornithologie ; dès lors rusticula' serait simplement un adjectif ajouté à gallina sous entendu et signifierait alors « poule champêtre, poule sauvage. » Cette interprétation serait fondée sur les formes de la bécasse, qui se rapprochent de celles des petites poules. Forcellini a inscrit dans son Dictionnaire ces mots de Columelle : « Rusticula id est gallina rustica ; la bécasse, c’est-à-dire la poule rustique. » Rusticula n’est du reste qu’un diminutif de rustica. De plus, Belon (liv.V, pag. 272), dit : « les Grecs la nomment xrLor- niTA, C'est-à-dire poule de bois. Gaza fuyuant son vulgaire grec, lui fait un nom latin à son plaisir, la nommant gallinago. » Pour compléter cette notice, il me reste à parcourir plus en détail les mœurs si intéressantes de la bécasse, dont la physionomie paraît stupide, mais qui nous révélera des prodiges de sublime dévouement et de tendresse maternelle. La bécasse habite les hautes montagnes boisées de l’Europe, d’où elle descend dès que le froid se fait sentir, c’est-à-dire vers le mois d'octobre ou de novembre ; elle entreprend = 90 = alors isolément des voyages longs et réguliers qui s'étendent du pôle à l’équateur. Ur vieux dicton populaire dit : « À la Saint-Denis Bécasses en tous pays. » C'est-à-dire le 9 du mois d'octobre. Dans leurs voyages, ces échas- siers sont assez souvent forcés par la lassitude de s’abattre sur les navires où ils deviennent la proie des matelots. Quelquefois empor- tés par la violence des vents, ils viennent, dans certaines contrées, se briser la tête contre les verres des phares aux gardiens desquels ils procurent de véritables ressources. Quand le froid est très-intense, les bécasses se cantonnent près des sources chaudes. Dans les condi- tions ordinaires, les bécasses ne volent pendant le jour que quand on les y force. Par sa couleur, par ses habitudes, la bécasse se rap- proche des oiseaux semi-nocturnes. Elle ne voit bien que lorsque le crépuscule lui vient en aide : c’est ce qui explique sa sortie des bois quand les ténèbres commencent à se répandre sur la terre. Ses organes visuels et proéminents sont admirablement conformés pour la concentration des rayons confus du crépuscule. Cest alors qu’elle parcourt les terres nouvellement labourées, et qu’elle se di- rige avec une grande rapidité vers les lieux humides où elle trouve facilement sa nourriture ordinaire. Quand elle est cantonnée dans les forêts, elle tourne et retourne avec une grande adresse les feuilles tombées à terre, et les soumet à un examen minutieux pour captu- rer les insectes et les vers qui étaient cachés sous ces feuilles. Cet oiseau est le seul avec le hérou-blongios, dans l'Ordre des Échassiers, dont le tarse soit emplumé, ce qui indique qu’il n’est pas destiné à pénétrer dans lesrivières, mais seulement dans les terrains humides, et à vivre sur les bords des petits cours d’eau. Là il se nourrit de vers, d'insectes, de limacons, etc. Dans les terres molles, la bécasse extrait avec une grande habileté, au moyen de son bec qui lui sert de sonde, les vers qui y sont cachés. La bécasse court très-vite pendant le jour, et ne vole d’elle-même que lorsque la nuit est venue : quand on la force à s'envoler, elle AN" NE s'élève en l’air en décrivant des zig-zags, puis s’abat dans les clai- rières pour se réfugier plus loin sous les cepées, et se tapir à terre sur des feuilles desséchées avec la couleur desquelles s’harmonisent les teintes de son plumage. Dans cette position elle laisse le chas- seur passer près d’elle sans faire le moindre mouvement. Lorsqu’elle est blessée, elle se dérobe assez souvent à la poursuite du chasseur par une série de stratagèmes. Quand la bécasse se pose à terre; elle étale souvent sa queue comme si elle faisait la roue ; c’est un moyen bien simple de dimi- nuer la secousse que lui ferait ressentir l'interruption subite de son vol. Dès lors que la bécasse vit ordinairement dans les bois et qu’elle s’y reproduit, elle devrait être classée parmi les oiseaux des forêts ; mais ce qui s’oppose à une telle classification, c’est que cet échas- sier ne se perche jamais. La bécasse niche à terre, dans un petit en- foncement naturel, recouvert de feuilles sèches et quelquefois de brins d'herbes, et le plus souvent près des tas de fagots qui se trouvent dispersés dans les grands bois ou dans les taillis. La fe- melle pond de trois à cinq œufs très-ventrus, d’une couleur jaune sale, parsemés de taches rousses et cendrées ; leur grand diamètre est de 0,040 à Om,044, et leur petit de 0",024 à 0m,026. L'encyclopédie d’histoire naturelle du D' Chenu (Oiseaux, 6e par- tie, pag. 204), relate les assertions d’un ornithologiste qui affirme « avoir trouvé un nid de bécasse dont la femelle ne pouvait consen- tir à s'éloigner du berceau de sa future famille et qui s’aplatissait sur ses œufs toutes les fois qu’il s’approchait. Il ajoute avoir vu sou- vent le mâle couché près de sa compagne, les deux oiseaux appuyant leurs becs sur le dos l’un de l’autre. » Un certain nombre de ces nids ont été trouvés en Anjou ; j’ai reçu plusieurs fois des œufs de bécasse, que M. le comte Walsh de Ser- rant et d’autres propriétaires avaient eu la bienveillance de m’en- voyer. Si les nids de ces bécasses ne sont pas capturés plus souvent, si même on a douté longtemps que cet oiseau se reproduisit en An- jou, c’est que sa ponte a lieu de très-bonne heure, en février ou en mars, lorsque les fagots ne sont pas encore enlevés des forêts. 7) LE Quand on pénètre dans ces forêts pour recueillir le bois, les petites bécasses ont déjà quitté leur berceau. Cependant quelques natura - listes prétendent que la bécasse fait plusieurs pontes chaque année, et ils fondent leur opinion sur ce que l’on trouve dans certaines lo- calités des nids de ces oiseaux jusque dans le mois d’août. Ces der- nières couvées pourraient être celles des oiseaux dont les premières n’auraient pas réussi, et sous ce rapport la bécasse rentrerait dans la règle générale. Nous venons de constater que la bécasse niche dans les forêts, dans les taillis, et que d’un autre côté elle quitte chaque fois ces forêts, ces taillis pour aller, plus ou moins loin, chercher sa nour- riture dans les lieux humides ou près des petits cours d’eau. Dès lors se présente une sérieuse et très-grave difficulté : comment cet oiseau pourra-t-il procurer à ses petits une nourriture abondante, s’il est condamné à multiplier des courses très-longues et par consé- quent très-fatigantes pour apporter un grand nombre de fois des vers, des insectes capturés à des distances considérables? Il a donc fallu que la bécasse fût douée d’un instinct qui lui permit de résoudre ce problème. Dieu n’a pas manqué à son œuvre, et il a inspiré à cet oiseau un véritable dévouement pour ses petits. Chaque soir donc, le père et la mère de la jeune famille vont à la recherche d’un lieu offrant de grandes ressources en insectes et en vers de toute espèce; puis quand ils ont trouvé cette mine féconde, ils reviennent ra- pidement près de leurs petits et commencent aussitôt le déménage- ment de la jeune famille ; le père et la mère se mettent à l’œuvre et transportent leurs petits près des ressources découvertes; là, ils peuvent leur procurer une nourriture abondante sans s’exposer à des courses multipliées et très-pénibles. Puis quand le véritable re- pas de la journée est terminé, les parents transportent une seconde fois leur progéniture dans leur berceau. Le transfert de la jeune fa- mille est un fait certain, dont la nécessité s’explique par l’impossi- bilité où se trouveraient les bécasses de nourrir leurs petits, s’il n’avait pas lieu. Comment s’exécute-t-il? Là est la difficulté. Les anciens auteurs prétendaient que la bécasse se servait de son bec pour emporter ses petits; ce moyen est peu admissible. D’autres jm = ont affirmé avec pas plus de raison qu'elle les emportait sur son dos. Des naturalistes ont affirmé avoir vu des mères transporter leurs petits avec le secours de leurs pattes, et enfin d’autres ont cons- taté que la bécasse opérait le déménagement de la jeune famille en serrant les oisillons entre sa gorge et son bec. Le père et la mère ont recours aux mêmes moyens pour éloigner, pendant le jour, leur jeune famille du danger qui la menace. Dans le cours de l’année, la bécasse est muette, si ce n’est au moment où l’hymen se contracte entre le mâle et la femelle. Les bécasses font alors entendre, en se poursuivant dans l'air et en décrivant lentement des cercles con- centriques qui se_croisent et s’enlacent d’une manière continue, un cri que l’on peut représenter d’une manière bien imparfaite par ce mot : crrrôu, crrrûu.…. C'est ce cri qui a déterminé à nommer croule la chasse que l’on fait aux bécasses à cette époque de l’année. Le chasseur caché dans les taillis situés près des terres humides, pourra tirer les bécasses qui tournoïent au-dessus de sa tête, et multiplier ses coups jusqu’à ce que les victimes soient tombées sous son plomb meurtrier. A cette époque, le sentiment qui anime les bécasses les fait triompher de toute crainte, même de celle de la mort. Dans le temps de leur migration, on rencontre quelquefois des troupes nombreuses de bécasses dans la même localité ; cependant elles ne voyagent pas par bandes, elles s’envolent isolément, et elles arrivent les unes après les autres dans les localités qui leur offrent le plus de ressources. On a remarqué souvent une très- grande différence de taille dans les bécasses, ce qui a déterminé plusieurs naturalistes à en reconnaitre deux ou trois espèces. Cette distinction n’est pas fondée; mais on constate dans ces oiseaux, comme dans beaucoup d’autres, des variétés, des races, dont les: différences dépendent de l’âge des individus et surtout des localités qu’ils habitent; car ces localités, par la nourriture plus ou moins abondante qu’elles procurent, par les variations mêmes d’un climat plus ou moins rigoureux, peuvent et doivent exercer une grande influence sur le développement des proportions de l’oiseau et même sur certaines nuances de son plumage. La bécasse s’apprivoise fa- SSP" cilement. Voici un passage cité dans l'Encyclopédie d'histoire na- turelle du D' Chenu (Oiseaux, 6° partie, pag. 207), « À ombre d’un pin et de quelques arbrisseaux coule à Saint-[ldefonse, en Espagne, une fontaine qui entretient constamment l’humidité du sol ; on y apporte le terreau frais le plus riche en vers qui s’enfoncent et se cachent en vain ; la bécasse les découvre, soit à quelque ébranle- ment léger, peut-être à son odorat; elle enfonce son bec dans la terre jusqu’à la narine et le retire toujours emportant un ver qu’elle déploie dans toute sa longueur en relevant le bec, et qu’elle avale petit à petit par un mouvement presqne insensible. » En tout temps elle a été un metstrès-recherché par les gastronomes qui ont eu re- cours à toutes les inventions de l’art culinaire pour augmenter en- core le parfum ou la délicatesse de ce gibier. Voici ce que disait Belon, il y a plus de trois siècles : « C’est à bon droit qu’en la cui- sant tout ce qu’on réserve de meilleur pour lui faire la saulse est ce qu’on jecte ès autres oyseaux, scauoir est, ses excrements avec les trippes » (liv. V, pag. 273). Donc du temps du savant médecin et ornithologiste du Mans, les gastronomes appréciaient à un point de vue exceptionnel la bécasse et la sau/se dont on l’accompagnait. De nos jours, les disciples de saint Hubert qui se piquent de gastrono- mie, préparent la tête de la bécasse avec une sauwlse que moi profane j'aurais pu manger, même le Vendredi-Saint, sans être exposé à faire autre chose qu’un véritable sacrifice et une sérieuse mortification. On fend la tête de la bécasse dans la longueur du crâne; puis, quand la cervelle est à jour, on sépare les deux parties de la boite osseuse, l’on se munit d’une chandelle de swf que l’on fait fondre de manière à ce que le suif brülant se mêle à la cervelle et remplisse entièrement le crâne. On referme le tout et l’on promène avec dé- licatesse la tête de la bécasse sur la flamme d’une bougie en la tour- nant entre ses doigts, de manière à ce que le bec de l’oiseau fasse l'office d’une broche de rôtissoire. Enfin, quand l’exécutant pense que la cervelle et le suif se sont harmonisés de manière à ne faire qu’un seul tout, on subdivise rapidement ce mets délicieux et l’on sert chaud! Malheur alors au convive inexpérimenté qui aurait l'audace de ne pas trouver exquise la tête de la bécasse ainsi pré- PACUT LV parée, il serait bafoué et avec raison, car il prouverait que depuis Belon le goût culinaire aurait rétrogradé ! D’après un texte de Martial, il paraît que chez les Romains les bécasses étaient plus communes et moins chères que les perdrix. « Rustica sim, an perdix, quid refert, si sapor idem est? Carior est perdix : sic sapit illa magis. » « Que je sois bécasse ou perdrix, qu'importe, si je suis un mets aussi friand ? « La perdrix est plus chère, voilà ce qui la rend plus délicate. » (Martial, liv. XIIL, épig. 76.) . BÉCASSINE ORDINAIRE. — SCOLOPAX GALLINAGO. Les mots Bécasse, Scolopax ayant été expliqués dans la notice précédente, et les mœurs des bécassines se rapprochant beaucoup de celles de leur congénère, je n’aurai que quelques lignes à ajouter pour compléter les détails que réclame la tâche que je me suis im- posée. La dénomination bécassine étant un diminutif indique évidem- ment que l’oiseau qu’elle représente est plus petit que la bécasse ; elle en diffère non-seulement par sa taille, mais encore par son tarse beaucoup plus élevé et par le bas des jambes qui est dénudé au- dessus de l'articulation tibiale. Ce caractère indique que les bécas- sines sont destinées beaucoup plus que les bécasses à pénétrer dans les petits cours d’eau et à circuler dans les prairies humides. Aussi la bécassine ne fréquente-t-elle pas les taillis et les bois, et se tient elle toujours sur les bords des étangs marécageux ou des prairies situées près des rivières. Les bécassines ne vivent pas ordinairement en société ; le besoin seul les réunit; leurs formes sont plus élancées et plus gracieuses que celles de la bécasse. La bécassine niche à terre dans un petit enfoncement garni de quelques feuilles ou de quelques filaments de plantes, à l’abri d’une touffe d'herbes ou d’un buisson. La femelle dépose dans ce nid grossièrement préparé quatre ou cinq œufs piri- formes ou ventrus. Leur couleur d’un brun roussâtre foncé est par- semé de taches noïirâtres, plus nombreuses ordinairement vers le gros bout, et reliées entre elles par des traits noirs disséminés en zig- 2e zag. Le grand diamètre varie de 0m,038 à 0",040, et le petit de 0",028 à 0",030. Le mâle seul se perche et, pendant que la femelle couve ses œufs, s'élève en l’air à une hauteur considérable pour redescendre avec la rapidité de la balle et s’arrèter au-dessus du ber- ceau de la future famille en déployant ses ailes qui lui servent de parachute. Pendant ces évolutions aériennes, il répéte un chant, du reste assez monotone, et sous ce rapport il est le seul chanteur de l’ordre des Échassiers. En dehors du chant que la bécassine aime à redire au moment de la nidification, elle fait entendre un petit siffle- ment quand elle s'envole. Puis elle répète une espèce de bêlement plaintif qui l’a fait nommer par les paysans, dans quelques contrées, chèvre céleste, chèvre volante. Comme toutes les autres bécassines, elle vole contre le vent. Quant à la délicatesse de sa chair, Toussenel la proclame, avec l’accent d’une profonde conviction, le premier rôti du monde! L'expression gallinago, qui sert à désigner la bécassine ordinaire, me semble être un diminutif de galhna, et signifier « petite poule, » ou être un composé de gallina « poule, » et ago «faire, imiter la poule. » Cette double interprétation pourrait s'appuyer sur le passage cité précédemment, dans lequel Belon dit que les Grecs désignent la bécasse sous le nom de « poule de bois, » dès lors la bécassine serait la petite poule. Je transcris ici quelques détails intéressants que me transmet l’un de mes anciens élèves, M. Henri Bry, actuellement contrôleur des contributions directes du canton de Chalonnes : « Pendant mon séjour à Mâcon, en 1858, je fus invité, dans les premiers jours de septembre, à une partie de chasse à courre dans la montagne (la montagne par opposition à la Bresse, la plaine). En parcourant les monts et les vaux, je fus surpris de voir se lever, sous mes pieds, des bécassines qui par leur plumage me parurent être en jeune âge. Naturellement ce fait singulier me fit demander des explications. J'appris que, vers le mois de mai, les bécassines s’établissent dans les courbes situées près des sources d’eau chaude. Ces oiseaux pro- fitent d’un pas de vache voisin des rigoles destinées à dessécher la prairie; là elles assemblent quelques brins d'herbe et y font leur A EE couvée. Quant au mot courbe, il signitie le lieu où finit la pente de la montagne et où commence la vallée. M. Richard, percepteur, qui comme moi s’est livré dans sa jeunesse à des courses ornitholo- giques, m'a dit avoir trouvé dans le Limousin deux nids de bécas- sines dans des conditions identiques à celles que je viens de décrire. J'avais fait le projet de retourner au mois de maï suivant vers les lieux où je pensais trouver un trésor ; mais l’homme propose et Dieu dispose. Au mois d'octobre 1858, on m’appelait en Anjou. » BÉCASSINE DOUBLE. — SCOLOPAX MAJOR. Cette bécassine doit aux dimensions de sa taille les adjectifs qui, en français et en latin, servent à la caractériser. Ses formes sont moins gracieuses que celles de la précédente. Beaucoup plus rare dans nos contrées que la bécassine ordinaire, elle se plait à habiter dans les vastes marais de la Pologne et de la Russie, et cependant elle préfère les bords des eaux vives à ceux des eaux stagnantes. On la trouve en assez grand nombre dans certaines parties de la Sibérie. Quand le froid se fait sentir d’une manière intense dans ces contrées désolées par les rigueurs de l'hiver, la double bécassine entreprend des voyages dans les pays méridionaux, et visite même l'Algérie. Ordinairement elle accomplit ses pérégrinations seule, et quelquefois en petites bandes. Quand on la force à s'envoler, elle part sans pousser aucun cri. La femelle pond trois ou quatre œufs dans un nid composé de quelques brins de petits joncs et qu’elleétablit dans les marécages de la Sibérie et dans ceux du nord de l’Allemagne. Ces œufs d’un roux clair et quelquefois verdâtre sont parsemés de taches et de points noirs. Leur grand diamètre est de 0",040 à 0",042, et le petit de 0,030 à 0",032. Les véritables œufs de la double bécassine sont très-difficiles à se procurer, et leur prix, assez élevé, l’est beaucoup plus que celui des œufs de tous les oiseaux de cette famille. Ils ont donné lieu à des fraudes commerciales. Ceux de la bécassine ordinaire varient tellement de forme et de grosseur qu’ils peuvent servir à tromper les ovologistes inexpérimentés. Ce qui peut encourager encore cette fraude, c’est que le prix de vingt de ces œufs n’égale pas celui d’un seul œuf de la bécassine double. 08 — BÉCASSINE SOURDE. — SCOLOPAX GALLINULA. Je retrouve ici l’idée énoncée déjà dans les notices précédentes, et l’épithète gallinula « petite poule, » exprime toujours, d’après une racine qui se divérsifie, le même point de vue sous lequel les bécas- sines ont été envisagées. Cette bécassine, plus petite que ses congé- nères, est assez répandue dans notre département, qu’elle traverse en automne et au printemps. Elle aime à se cacher dans les herbes des prairies humides et sur les bords des cours d’eau. Là, elle se nourrit de vers, d'insectes aquatiques qu’elle capture avec beaucoup d’adresse. Elle doit l’épithète de sourde à une habitude qui la carac- térise bien. Cette bécassine se laisse approcher de si près, qu’elle ne part que sous les pieds du chasseur ou des chiens qui l’accom- pagnent ; dès lors, elle a paru être sourde, c’est-à-dire ne pas en- tendre le bruit qui aurait dû lui révéler le danger qui la menaçait. Quand elle part, son vol est plus régulier que celui de la bécasse et des autres espèces de bécassines, il est moins formé de crochets en zig-zag. Cet échassier se reproduit en Sibérie et mème dans quel- ques régions tempérées de l’Europe. La femelle choisit de vastes marécages et y établit son nid composé de quelques petits jones et de débris de plantes aquatiques; elle y dépose quatre ou cinq œufs assez ventrus, d’un brun olivâtre ou d’un brun jaunâtre, parsemés de taches d’un cendré noirâtre et de points de même couleur qui assez souvent forment, par leur réunion vers le gros bout, une calotte noire. Leur grand diamètre varie de 0,032 à 0",034, et le petit de 0",023 à 0",025. Ces œufs sont très-difficiles à se procurer, et la fraude que j'ai déjà signalée précédemment se reproduit, hélas ! souvent à leur sujet. La bécassine sourde pourrait aussi être appelée muette, car elle ne pousse aucun cri quand elle s’envole. Sa chair est considérée comme très-délicate, et pour quelques gastronomes, elle disputerait même la palme à la bécassine ordinaire. BARGE A QUEUE NOIRE. — LIMOSA MELANURA. Les barges sont des oiseaux tristes, timides, aimant à se tenir cachés dans les roseaux et dans les hautes herbes des endroits maré- A (1 SES cageux. Elles vivent de vers, de larves, d'insectes aquatiques qu’elles capturent en fouillant dans tous les sens, avec leur long bec, les boues et les sables vaseux. Ce long bec est mou, flexible, par- couru dans toute sa longueur par des rainures profondes qui con- tribuent à développer en lui une grande délicatesse de tact, et vient en aide à l'oiseau pour lui faire trouver sa proie. Les différents noms qui ont été donnés à la barge rappellent d’une manière très-caractéristique son habitude principale et une variété de son plumage. Barge est la traduction d’un mot de basse latinité, bargia, barga, pris dans le même sens que barca, qui ainsi que le précédent dérive du grec Bars, signifiant « canot, » et d’où l’on a fait barque. Dans l’ancien français, une barge était une petite barque, etsur les bords de la Loire, barge signifie encore une barque à voile carrée qui sert à la pêche. « Anne de Boulen fut arrêtée dans sa barge, lorsqu'elle revenait de Greenwich. » (LARREv.) « Comme un vilain, on le fait charrier, « On le met en barge marinier. » (Le Songe creux.) La barge était donc un petit bateau pénétrant là où les vaisseaux ne pouvaient naviguer : « Barca est que cuncta navium commercia ad litus portat, la barge ou la barque est une espèce de canot qui sert à transporter au rivage le chargement des navires. » (Isi., liv. XIX, ch. r.) Ce bateau recevait aussi les soldats qui voulaient faire une descente sur le territoire ennemi, et qui se trouvaient forcés de quitter les navires pour gagner le rivage au moyen de barques plates et pouvant pénétrer même dans les vases des bords de la mer. Pourquoi alors a-t-on nommé barge l'oiseau que nous étudions ? Le motif de cette dénomination me parait facile à donner. Les na- turalistes, et plus encore les marins, ont vu un trait de ressemblance entre les barques pénétrant, stationnant dans les vases profondes du rivage de la mer et des embouchures des rivières, et les oiseaux qui y fixaient leur séjour habituel, et ils ont désigné par un seul nom et les barques et les oiseaux. Quant au mot /mosa, il rappelle la LENS même idée et la rend plus sensible encore, car il dérive de Æmus, signifiant « boue, fange, limon, » et convenant dès lors parfaite ment à l'oiseau qui cherche et trouve sa nourriture dans les vases des rivages de la mer, ce qui la fait appeler par les marins « la bé- casse de mer. » Enfin, pour compléter et rendre encore plus sen- sible le rapport qui existe entre les barges et le nom des lieux qu’elles habitent, il est convenable d’ajouter que le mot barge signi- fiait aussi, dans l’ancien français, la fosse destinée à recevoir l’eau des gouttières et dès lors à contenir un terrain boueux détrempé par la pluie. Quant à l'adjectif melanura, il représente la même idée que les mots « à queue noire; » il est composé de MELAS, MELAINA «noire, » et oura « queue. » Le vol de la barge est rapide, sa voix percante, criarde, glapissante. Dans cette espèce, le mâle est plus petit que la femelle, et tous les deux, ils sont soumis à différentes mues. La barge niche dans les joncs et dans les hautes herbes des prairies humides ; la femelle pond ordinairement quatre œufs piri- formes, de couleur olive un peu foncée ; ils sont parsemés de taches d’un brun pâle et toujours plus nombreuses et plus foncées vers le gros bout. Quelques-unes de ces taches semblent être effacées et se confondre avec les nuances de la coquille. Le grand diamètre est de 0m,054 à 0",062, et le petit de 0",036 à 0",040 ; les dimensions que je viens d'indiquer prouvent que ces œufs varient beaucoup, et cette variation donne souvent lieu à bien des fraudes. BARGE ROUSSE. — LIiMOSA RUFA. Cette barge, plus petite que la précédente, s’en distingue encore par les nuances de son plumage, nuances caractérisées par les deux épithètes rousse et rufa exprimant la même idée. Ses habitudes sont celles de sa congénère; comme elle aussi, elle visite les climats tempérés, quand l’hiver fait sentir ses rigueurs dans les régions qu’elle habite ordinairement. Le plumage de cet échassier est sou mis, chaque année, à deux mues. Le plumage des mäles se revêt au printemps d’une nuance de roux très-prononcée ; celui des femelles subit cette modification beaucoup plus tard. Ce sont ces variations, se renouvelant plusieurs fois chaque année et à des époques diffé- se Oil rentes, selon les sexes, qui ont donné lieu à des erreurs multipliées. C’est ainsi qu’une troisième espèce de barge a été admise, puis rejetée, admise de nouveau et enfin rejetée décidément par tous les naturalistes. Il a été constaté que la troisième barge n'était que la femelle de la barge à queue noire revêtue de sa livrée d'été. Cette espèce fictive avait été appelée la Barge de Meyer, Limosa Meyeri ; elle avait été dédiée par Temminck au savant Hermann de Meyer, né en 1801 à Francfort-sur-le-Mein, et qui se livra particulièrement à l'étude de la géologie et de la paléontologie. La barge rousse se reproduit dans les contrées septentrionales de l’Europe et dans quelques parties de la Hollande et de l'Angleterre ; elle établit son nid dans les endroits les plus marécageux et y dépose quatre œufs piriformes moins allongés que ceux de l'espèce précé- dente. Leur couleur est roussâtre et parsemée de taches d’un roux plus foncé et même d’un brun noir ; elles sont plus multipliées vers le gros bout. Le grand diamètre est de 0m,054 à 0m,060, et Le petit de 0m,035 à 0m,036. BÉCASSEAU COCORLI. — TRINGA SUBARQUATA. eE SR SNS 2 Aux barges succède, dans la Faune de Maine-et-Loire, le groupe des bécasseaux, dont le nom indique, entre les oiseaux qu’il repré- sente et la bécasse, certaines analogies en même temps que des dimensions plus petites. En effet, tous les oiseaux réunis sous le nom de bécasseau, sont généralement de petite taille ; ils s’éloignent des RU bécasses par un bec moins dilaté et sans sillon médian à l'extrémité, par des ailes plus étroites ; ils diffèrent des Chevalièrs et des Barges par des jambes moins élevées et surtout par l’absence des palmes aux doigts. Les bécasseaux aiment à parcourir les sables qui bor- dent les mers, à visiter les flaques d’eau, les prairies humides et les terrains marécageux. Leur bec qui est mou et flexible dans toute son étendue, même à la pointe, annonce qu’ils sont destinés à ne chercher leur nourriture que dans l’eau, dans les vases ou dans les terres et les sables détrempés, et non dans les terrains durs et dessechés. Leur nourriture se compose de vers mous, d’insectes aquatiques et de petits mollusques; pour capturer leur proie 1ls pénétrent dans l’eau jusqu'au genou, en élevant les ailes. Les bécas- seaux parcourent les sables avec une très-grande rapidité, et leur course est très-gracieuse ; souvent aussi ils suivent le mouvement des flots, et recueillent les vers que la mer laisse à découvert, quand elle rentre dans son sein. Lorsque ces ressources leur manquent, les bécasseaux poursuivent les mouches , les insectes terrestres, les petits scarabées ; mais cette nourriture n’est pour eux qu’accidentelle. Ces oiseaux vivent ordinairement en sociétés plus ou moins nom- breuses ; souvent même ils se mêlent aux troupes de petits pluviers et de chevaliers. Leur vol est très-bizarre, il ressemble à celui des bandes d’étourneaux ; c’est une série de lignes brisées, sans qu’on puisse comprendre le motif de ces zig-zags, ni deviner si le vol va continuer ou être interrompu. Ces détails nous éloignent de la ques- tion étymologique et je les continuerais même bien volontiers, imi- tant en cela l’élève qui diffère le plus possible d'aborder une ques- tion difficile qu’il doit traiter. Mais enfin il faut se résigner. Les bécasseaux sont désignés par tous les ornithologistes sous le nom de {ringiens ou tringinés, dont la racine est #ringa. Dans les glossaires anciens et nouveaux je lis #’#rga, « nom latin du bécas- seau et principalement du combattant. » Je suis donc condamné à chercher un rapport entre l’expression #inga et les mœurs des bécasseaux, et surtout de celle du combattant. Une double tâche m'est imposée ; je vais essayer de remplir immédiatement la pre- mière partie, et je remettrai la seconde à l’article du bécasseau com- AREA LE battant. Le mot trnga étant écrit dans les anciens auteurs #ryngas, indique que la racine primitive de cette expression latine doit se trouver dans la langue grecque. Pendant toute l’année, lorsqu’ils cou- rent ou s’envolent, les bécasseaux poussent des cris aigus, stridents ; mais ces cris constituent une harmonie formidable au moment de la nidification. À cette époque, les bécasseaux donnent, sur les rivages de la mer ou des vastes marais, des concerts capables de fatiguer même les oreilles les plus blindées ; leur nom pourrait donc, sous ce rapport représenter, indiquer leur cri désagréable et dériver du grec TRIZÔ, TRISSO, signifiant « crier d’une manière fatigante. » Je n'ai pour appuyer celte hypothèse qu’un texte d’Aristote, « érygon dicitur etiam avis quædam solo hoc nomine nota quæ ex turturum genere fuisse videtur, ita dicta a stridore quæ edit. » — « On ap- pelle aussi érygon un certain oiseau, connu seulement sous ce nom, et qui parait être du genre des tourterelles ; on le nomme ainsi du eri strident qu’il pousse. » La racine grecque est rr1zÔ, rrissÔ, crier. Est-ce à ce cri, qui s'entend de très-loin et que les bécasseaux font entendre en s’élevant assez haut dans les airs et quelquefois même perpendiculairement, que ces oiseaux doivent leur nom vulgaire, alouettes de mer ? Lorsque je rédigerai la notice du Combattant, je soumettrai à l’ap- préciation de mes lecteurs une autre hypothèse, et je m'y croirai d’au- tant plus autorisé, que le mot #ringa désigne d’une manière spéciale le combattant, et que ce n’est que par extension que cette expression a été appliquée à tous les bécasseaux. Quant à l’épithète subarquata ajoutée à {ringa, elle est composée de sub « au-dessous » et arquata « courbé en forme d’arc, » et indique que le bec du bécasseau cocorli est sensiblement recourbé à sa pointe et en dessous, et qu’il a la forme d’un arc. Le nom vulgaire cocorh est je crois une onoma- topée, représentant d’une manière incomplète le cri de cet échassier. Le bécasseau cocorli traverse notre département à l’époque de ses migrations, Car, comme tous ses congénères, il se livre aux grands voyages. Il habite les rivages des mers du Nord, et c’est dans les régions arctiques, sur le bord des eaux qu'il se reproduit. La femelle pond trois ou quatre œufs d’un gris jaunâtre ou verdâtre, XUI. 3 SN parsemés de points ou de taches d’un brun qui varie du roux au noir. Le grand diamètre est de 0m,036 à 0m,038, et le petit de 0m,024 à 0m,026. Dans cette espèce, comme dans toutes celles des autres bécasseaux, dès que les petits sont sortis de la coquille, ils courent et peuvent se suffire à eux-mêmes. C’est pour cette raison que les œufs des oiseaux qui n’ont pas de nid proprement dit, sont beaucoup plus gros que ceux des autres espèces, afin que le petit, naissant plus fort, puisse se livrer immédiatement, après sa naissance, à des courses nécessaires pour se dérober aux poursuites de ses ennemis , ennemis d’autant plus nombreux que la privation d’un nid caché ou fortifié livrerait les petits sans défense à toutes les attaques. BÉCASSEAU BRUNETTE. — TRINGA VARIABILIS. Les mœurs des différentes espèces de bécasseaux s’harmonisant entre elles, je n’aurai à traiter que la question étymologique, car les habitudes décrites précédemment peuvent s'appliquer dans leur ensemble aux bécasseaux qu’il nous reste à étudier. L’épithète brunette, servant à désigner le bécasseau qui nous occupe, indique la couleur de l’ensemble de son plumage ; « elle est formée du mot brun, dérivant lui-même ‘d’une ancienne expression scandinave, bruni, signifiant « incendie, feu, ce qui est noirci par le feu. » (Littré.) On retrouve dans le Chaldéen et dans le Celtique la même racine et la même idée ; du chaldéen wr on a formé en latin wrere « brûler, etc. » et du celtique br dérive « briller, brûler, brassier, brunir, brun. » DRE Quant à l'adjectif variabilis, il peut s’appliquer très-exactement aux œufs, au plumage et même aux proportions de ce bécasseau. Les nuances du plumage du bécasseau brunette se modifient, selon les saisons et même selon les sexes, de telle manière que ces varia- tions ont donné lieu à beaucoup de distinctions, qui ne reposaient pas sur les données de la véritable science ornithologique. De plus, cette espèce renferme des sujets dont les proportions sont très-diffé- rentes; c’est ce qui a déterminé plusieurs auteurs à nommer bécas- seau de Schinz, tringa Schinzüi, une variété du bécasseau brunette qui parait être une race plus petite et non une espèce véritablement différente de l’autre. Le pays de prédilection du bécasseau brunette est le nord de l’Europe; cependant il habite la Suisse et même il s'y reproduit, ce qui lui a mérité le nom d’alpina, « bécasseau des Alpes. » Pendant l'hiver, cet échassier émigre dans le midi de l’Europe et jusque dans l'Afrique septentrionale. Le bécasseau brunette niche sur les bords des lacs, sur les montagnes élevées. La femelle pond quatre ou cinq œufs un peu piriformes ; leur couleur est verdâtre, ils sont parsemés de taches et de points d’un brun noir ou d’un gris roux ; les nuances de ces œufs varient beaucoup, ainsi que leurs dimensions. Le grand diamètre est de 0m,032 à 0m,035, et le petit de 0",022 à 0",025. Quelquefois ce bécasseau est désigné sous le nom de bécasseau à collier, à cause des taches brunes qui se dé- roulent sur la couleur blanchâtre de son cou. BÉCASSEAU TEMMIA. — TRINGA TEMMINCKII. Ce bécasseau, qui est désigné quelquefois sous le nom de pusilla « petit » est, avec le bécasseau échasses, le plus petit de tous les oi- seaux de ce groupe qui habitent l’Europe. Le temmia doit son nom à l’ornithologiste hollandais, célèbre par ses ouvrages d'histoire na- turelle et aussi pour la critique spirituelle que Toussenel s’est plu à faire de toutes les classifications formulées par Temminck. Ce bé- casseau habite l'Angleterre, la Hollande, l'Allemagne ; il traverse la France, au printemps et en automne. Il se nourrit de vers et même de petits coquillages ; pour les saisir, il pénètre dans l’eau jusqu’aux ailes, qu’il tient élevées au-dessus de sa surface, et dans cette posi- Le DE tion il se livre à une course rapide. Quand il s’est emparé d’une petite coquille, il élève la tête et secoue sa proie avec une grande adresse pour en faire tomber l’eau qui s’y est introduite et pouvoir ensuite la manger plus facilement. Le temmia vit en petites bandes, et le soir, il parcourt avec une grande vitesse et en poussant de petits cris les bords des rivières ou des marais jusqu’à ce qu’il ait trouvé un lieu favorable pour y passer la nuit. Il y a quelques années, j'étais dans les marais de la Baumette, avec M. Mangeon, l’ancien maitre de chapelle de la cathédrale ; le froid se faisait déjà vivement sentir, c'était vers la fin du mois de novembre, et la nuit commen- cait à nous envelopper de ses ténèbres. Nous poussions notre frêle embarcation à travers les roseaux et les longues herbes des bords de la Maine pour regagner le rivage, lorsque nous remarquâmes une petite troupe de cinq échassiers qui tourbillonnait non loin de nous et dont le vol en zig-zag et très-rapide nous parut assez cu- rieux. Nous suspendimes notre manœuvre pour jouir des évolutions de ces oiseaux; ces évolutions se continuèrent assez longtemps en décrivant une série de lignes brisées que nous ne pouvions expli- quer et dans lesquelles ces bécasseaux se tenaient le plus près pos- sible les uns des autres. Cependant, ces échassiers se maintenaient toujours à une assez grande distance de nous, enfin ils s’en rappro- chèrent un instant; M. Mangeon en profita pour tirer un coup de fusil qni abattit deux victimes. L’une d’elles tomba dans les herbes et ne put être retrouvée à cause des ténèbres de la nuit, l’autre fait maintenant partie de la collection du musée d’Angers. Le bé- casseau temmia ne se reproduit que dans les contrées boréales de notre continent et principalement dans la Laponie. C’est par erreur que le vénérable doyen des études ornithologiques en Anjou, M. Millet de la Turtaudière, a dit dans sa Faune, que le temmia dépose ses œufs sur les grèves de la Loire ; il a confondu les œufs de ce bécasseau, qu’il n’avait pas étudiés, avec ceux du petit pluvier à collier. Le prix très-élevé des œufs du temmia suflirait pour dé- montrer l'erreur de M. Millet; car les œufs qu’il attribue à ce bé- casseau sont très-communs sur les sables de notre beau fleuve, et c’est par centaines que je les ai trouvés. La femelle du bécasseau nn temmia pond trois ou quatre œufs de couleur olivâtre ou noirâtre, parsemés de taches et de points d’un brun roux où même d’un noir assez prononcé. Leur grand diamètre est de 0°,026 à 0",028, et le petit de 0m,018 à 0",020. Dans les différents envois qui m'ont été faits de la Laponie et des autres contrées du nord de l'Europe, j'ai remarqué de grandes variations dans les nuances et dans les dimensions des œufs du bécasseau temmia; variations qui peuvent servir à les confondre facilement avec les œufs des autres espèces de petits bécasseaux. Bécasseau PETIT ou ÉcraAssEs. — TRINGA MINUTA. Ce bécasseau a les mêmes habitudes que le précédent, avec lequel il peut être assez facilement confondu ; cependant ses proportions sont encore un peu plus petites ; c’est ce qui justifie l’épithète mu nuta «petit. » Quant à la dénomination échasses, elle est motivée par la dénudation de ses jambes et par la longueur de ses tarses, qui sont un peu plus élevés que ceux du temmia. Il semble dès lors, à cause de sa petite taille, être monté sur des jambes de bois, sur des échasses. Ainsi que la plupart de ses congénères, le hécasseau petit habite les contrées septentrionales de l’Europe et de PAsie, qu'il abandonne pendant la saison rigoureuse de l'hiver pour se livrer à de grandes migrations. Il se reproduit dans les vastes maré- cages de la Sibérie du Nord ; ses œufs, au nombre de trois ou quatre, sont d’un jaune verdâtre et quelquefois noirâtre, parsemés de taches et de points d’un brun roux variant jusqu’au noir. Leur grand dia- mètre est de 0",027 à 0,029, et le petit de 0",019 à 0020. Ces œufs sont encore beaucoup plus rares que ceux du temmia, dont ils se rapprochent par la forme et par les nuances de la coquille. BÉCASSEAU CANUT OU MAUBÈCHE. — TRINGA CINEREA. Le bécasseau #aubèche est le plus gros des oiseaux de son genre, mais il est loin d’en être le premier par son intelligence. Cet échas- sier semble courir au devant du danger, sans le craindre et mème sans le soupconner. Il se jette aveuglément dans tous les piéges ; Hi (fo «= aussi d'innombrables bécasseaux sont-ils capturés sur toutes les plages des mers où ils abordent, pour se reposer, dans leurs migra- tions lointaines. Il suffit d’un maubèche pour attirer dans les piéges, mème les moins déguisés, des bandes considérables de ces oiseaux. Le nom de maubèche, sous lequel ce bécasseau est ordinai- rement désigné, parait composé d’un vieux mot francais, mau, pour mal, mauvais, et de bèche., transformation de bec. Mau- bêche signifierait alors «mauvais bec, » et, dans un sens figuré, « mauvaise langue ou langue inutile, impuissante. » Dans le pre- Bécasseau canut ou maubêche. mier sens, Mmaubèche indiquerait que cet échassier serait moins bien doté que ses congénères et que son bec serait plus court; significa- tion qui se justifierait, puisque le bec du bécasseau maubèche est à peine aussi long que sa tête. Dans le deuxième sens, il indique- rait, ce qui est vrai, que cet oiseau ne se sert pas de sa langue, puisque, contrairement à l’habitude des autres bécasseaux, il ne jette de cri que très-rarement, lorsqu'il court ou lorsqu'il vole. Quant à l’épithète canut, je pense pouvoir l'appliquer au bécasseau mau- bèche dans le sens où Littré l’emploie pour les ouvriers de Lyon. Se- lon ce savant membre de l’Institut, le nom de canut donné à l’ouvrier — (39 en soie, pourrait venir de cannetle ; or cannette est un diminutif de canne, dérivant du latin canna et du grec KANNA, KANNË « jone, roseau. » Si le nom donné à l’ouvrier se justifiait parce qu’il se sert de roseaux pour se livrer à son travail, ne pourait-il pas se justifier, à plus forte raison, quand il désigne un oiseau qui vit dans les en- droits marécageux, dans les terrains plantés de roseaux? De plus, le maubèche, non-seulement cherche sa nourriture dans les terrains couverts de longues herbes et de roseaux, mais encore il y établit son nid, composé lui-même de quelques débris de ces plantes. La femelle pond quatre ou cinq œufs ventrus, d’un gris verdâtre un peu roux, et parsemés de taches et de points d’un brun noir plus ou moins foncé. Leur grand diamètre varie de 0",036 à 0",040, et le petit de 0",028 à 0",030. Le maubèche habite ordinairement les terrains marécageux du cercle arctique, qu’il abandonne quand le froid devient trop intense. L’adjectif cènerea «cendré » représente les nuances de l’ensemble du plumage du maubèche, composé de blanc rayé de noir et de brun. D’après cette dernière explication, on pourrait peut-être prendre canut dans un sens différent de celui que j'ai indiqué et faire dé- river cette expression du vieux mot français canu ou chanu, em- ployé autrefois pour désigner l’homme qui avait des cheveux blancs ou gris semés de blanc, et alors canut et cinerea auraient la même signification, et le mot français ne serait plus qu’une traduction vieillie du latin, BÉCASSEAU VIOLET, — TRINGA MARITIMA. La première question à résoudre au sujet de ce bécasseau, dont la notice étymologique est très- facile, est celle-ci : cet échassier visite- t-il notre département? Doit-on lui concéder le droit de passage ? Des naturalistes, des chasseurs, ont constaté sa présence en Anjou ; je lui donne dès lors d’autant plus volontiers le droit de cité qu’il est bien difficile d'admettre que, dans ces troupes innombrables de bé- casseaux de toute espèce qui entreprennent régulièrement de lointains voyages, 1l ne s’en trouve pas quelques-uns de ceux qui se dirigent OP (RS ordinairement vers d’autres contrées. Les circonstances dépendant de la rigueur du froid, de la violence, de la direction du vent, ne doivent-elles pas modifier quelquefois l'itinéraire habituel de ces troupes voyageuses ? De plus, si j’admets facilement que le bécasseau violet visite notre département, c’est que les noms sous lesquels il est désigné n’augmenteront pas sérieusement mon labeur. L’épithète violet retrace l’ensemble des nuances de son plumage. Quant à l'adjectif maritima, « maritime, » il indique que ce bécasseau, plus encore que ses congénères, fréquente les bords de la mer. Il aime mnt Bécasseau violet. effectivement à parcourir les sables des rivages et les bords boueux des cours d’eau; mais on le trouve rarement dans les eaux sta- gnantes des marais. Il vit de frai de poisson, d’insectes et de petits coquillages. Quand il est poursuivi, il se blottit à terre et ne part souvent que sous les pieds du chasseur. Dans ses migrations il voyage seul ou par couple, mais rarement en troupes nombreuses. Ce bécasseau se reproduit dans les contrées les plus voisines du pôle Nord. La femelle dépose, sur le sable des rivages, trois ou quatre œufs allongés et un peu piriformes, d’une couleur gris-olivâtre, striés de taches de dimensions très-variées. Ces taches d’un roux ou A — d’un noir pâle sont entremêlées de petits points noirs d’une nuance beaucoup plus foncée. Assez souvent ces taches forment une calotte vers le gros bout. Le grand diamètre est de 0m,035 à 0m,037, et le petit de 0,023 à 0m,025. BÉCASSEAU COMBATTANT, — TRINGA PUGNAX. ALESESTRA.. NZ Le (Z x TEE LION RE —— Le bécasseau dont je vais décrire les nuances sert de trait d’union entre les #ringiens et les chevaliers; même par l’ensemble de ses habitudes il semblerait appartenir plutôt aux seconds qu'aux pre- miers, et cependant il est le véritable type des bécasseaux, puisque le nom de #ringa lui a été donné d’une manière toute spéciale, et qu'il n’a été appliqué aux autres bécasseaux que par extension. C’est donc dans les mœurs du combattant, que nous devons trouver les notions nécessaires pour découvrir la véritable étymologie du mot éringa; étymologie que nous avons déjà essayé d'indiquer. Dans cette espèce les mâles sont beaucoup plus nombreux que les femelles, et lorsque le moment de contracter l’hymen approche, les femelles se procurent le malin plaisir de n’accepter pour s’unir à ne CNE elles que les preux vainqueurs de leurs concurrents. À cette époque de l’année chaque mâle « commence par se cravater le col d’une fraise resplendissante dont les dentelles débordent sur sa poitrine, envahissent peu à peu les épaules, la tête et finissent par couvrir tout le devant du corps d’une housse mobile, inquiète, animée, frissonnante. C’est la cotte de mailles du nouveau chevalier, c’est son armure de corps. » (Toussenel, Ornithclogie passionnelle, ire partie, 3° édition, page 411.) Quant à la couleur de cette armure, non-seulement elle se diversifie dans chaque individu, mais encore chaque année, de sorte que l’on ne peut rencontrer deux combattants dont le bouclier soit revêtu des mêmes nuances. Lorsque l’armure est complète , les combats commencent avec un entrain véri- tablement chevaleresque. Pendant que les mäles se disputent l'avantage de pouvoir trouver des compagnes, celles-ci, réunies en troupes assez nombreuses, assistent aux tournois dont elles doivent être la récompense, et excitent par de petits cris l’ardeur des batail- leurs. Quand l’un d’eux est vaincu, il prend la fuite pour cacher la honte de sa défaite ; il suffit alors qu’il rencontre dans sa course une femelle dont les cris semblent lui jeter un défi ironique, pour qu’il revienne sur ses pas et recommence, avec une énergie nouvelle et presque sauvage, un combat dont la conséquence sera encore sou- vent un second revers. Ces combats individuels se continuent pen- dant plusieurs semaines, et ils sont suivis et entremêlés de batailles rangées, dans lesquelles un certain nombre de combattants s’unissent pour attaquer une troupe d’adversaires plus heureux qu’eux dans les luttes particulières. Ces batailles ont lieu assez régulièrement, un peu comme les exercices du camp de Châlons, le matin et le soir; ce sont les deux moments de la journée les plus favorables, où les troupes peuvent se livrer à des évolutions longues et pé- nibles. Les bécasseaux combattants s’avancent donc en colonne serrée, les uns contre les autres, chacun développant sa collerette, son armure le plus possible, afin d’en dérouler toutes les nuances brillantes aux regards des femelles, et pour présenter un bouclier plus étendu aux coups de son adversaire. Quand la lutte com- mence, chaque combattant tend la tête en avant pour que son bec M9 — blesse ou tienne à distance son congénère ; et pour effrayer encore davantage son compétiteur, il dresse les plumes de sa tête en forme de huppe, développe ses yeux le plus qu’il lui est pos- sible, et se donne la physionomie d’un chef de tribu sauvage. Après des passes et des contre-passes, selon les règles d’une véri- table stratégie, la mêlée générale finit toujours par la retraite de lun des deux bataillons qui laisse sur le champ de combat plusieurs estropiés. Quand le nombre de ces derniers est devenu assez con- sidérable, l’équilibre se rétablit entre les sexes, et alors les hymens se contractent, pendant que les vaincus promènent leurs regrets et leur honte sur les rivages solitaires. Les détails que je viens de donner suffisent surabondamment pour justifier les épithètes pugnax, « combattant, » données à ce bécasseau, et semblent indiquer la vé- ritable étymologie du mot #ringa. Dans le dictionnaire d'Alexandre, on trouve TRYNGAS, nom d’un oiseau, «le vanneau peut-être?» Or, ce mot paraît avoir une analogie très-grande avec THRIGOS et THRINKOS « chaperon, mantelet de rempart » et rariGkoô «entourer d’une for- tification. » Dès lors le mot #ringa, employé d’abord pour désigner d’une manière spéciale le combattant, indiquerait que ce combat- tant porte dans les combats une espèce de mantelet, de rempart, qu'il estentouré d’une apparence de fortification, de blindage, et signi- fierait en quelque sorte «/e blindé, le cuirassé.» Accepté dans ce sens, le mot éringa exprimerait une idée très-caractéristique et très-vraie. Après le temps de la nidification, le combattant conserve un peu de son humeur guerroyante, et cette humeur est partagée par les femelles, et pour quelques vers, pour quelques insectes, pour la possession d’une partie de plage ou d’une flaque d’eau, des com- bats se multiplient et deviennent même sérieux, surtout s’il y a des spectateurs dont la présence excite l’amour-propre des adver- saires. Tringa alors ne serait-il pas un mot dévrivé de érico, verbe de basse latinité signifiant « chicaner, quereller ? » Quelques au- teurs ont donné à cet échassier une épithète qui, sous une autre forme, représente la même idée; ils le nomment phi/omachus, de PHILEÔ J'aime » et MAKHÉ « combat. » Le combattant ne conserve sa collerette, sur laquelle se dessine les figures et les couleurs les 2 NE AE: plus variées, que pendant trois à quatre mois de l’année; quand la saison de la nidification est passée, le mâle revêt un plumage peu brillant et semblable à celui de la femelle. C’est peut-être à cause de ce changement complet de plumage, que l’on attribue aux femelles l'humeur guerroyante des mäles, car les deux sexes ne peuvent alors être distingués. C’est encore cette modification profonde dans la livrée du combattant, qui a donné lieu à beaucoup d’erreurs et à des distinctions d’espèces qui n'existaient pas. Ce bécasseau traverse chaque année notre département, et quelques couples ont niché dans les marais de l’Authion, près Beaufort. Peut-être étaient-ce des estro- piés qui, après les combats dans lesquels ils avaient été blessés, s'étaient vus condamnés à ne pas suivre leurs congénères dans leurs longues migrations. La femelle dépose sur quelques débris de jones ou d’herbes, dans les terrains marécageux, quatre ou cinq œufs ventrus et un peu piriformes, d’un gris verdâtre ou jaunâtre ; ils sont parsemés de taches d’un brun variant du roux au noir ; les dimensions et les nuances de ces œufs sont très-différentes. Le grand diamètre est de 0m,046 à 0m,044, et le petit de 0m,030 à 0m,033. Le bécasseau combattant se laisse approcher très-facile- ment, et souvent il ne part, comme la bécassine sourde, que sous les pieds du chasseur. Il aime à se tenir appuyé sur un tarse, et quand il veut changer de place, il s’avance en sautant à cloche-pied. Sur les rivages des mers, les marins lui ont donné le nom de paon de mer, expression qui est peu exacte, car la collerette seule de ce bécasseau est revêtue de couleurs brillantes pendant quelques mois de l’année, et jamais sa queue ne porte les ornements de l’oiseau consacré à Junon. Cette expression ne pourrait se justifier que dans le sens d’orqueilleux, et sous ce rapport elle aurait une grande vé- rité. Grâce au concours intelligent et persévérant de M. Deloche, habile conservateur du musée, la collection ornithologique d'Angers renferme une des plus bellès et des plus riches collections de com- battants en livrée de noces. Elle se compose de trente sujets, dont les armures sont entièrement différentes, et qui varient du noir au blanc et du gris au rouge. | —415— CHEVALIER ARLEQUIN. — TOTANUS FUSCUS. En commencant à expliquer les noms des oiseaux groupés sous la dénomination de chevalier, je me trouve en face de nouvelles difficultés étymologiques, dont la solution, si elle peut être plausible, ne sera pas sans intérêt et servira à combattre un certain nombre de croyances erronées. Le principal caractère qui sépare les Cheva- liers des Bécasseaux proprement dits, est la solidité de leur bec, qui leur permet de vivre et de chercher leur nourriture dans lesterrains secs. La nourriture de ces oiseaux varie selon les espèces; ils vivent de vers, d'insectes, de frai de poisson, de mollusques, de petits crustacés, quelquefois de poissons et même d’algues. Leur vue est très-percante, ils apercoivent à des distances considérables les plus petits insectes ; ils manifestent une patience soutenue pour attendre leurs victimes. Leurs tarses très-élevés constituent leur deuxième caractère distinctif et leur permettent de s’avancer dans l’eau à une certaine profondeur; puis, quand ils ont capturé quelque proie, ils annoncent leur succès par un mouvement de queue et par un petit cri de satisfaction qui attire leurs congénères et les engage à venir partager leur découverte. C’est à ce dernier caractère, c’est-à dire à la hauteur de leurs tarses que ces oiseaux doivent leur nom, ainsi qu’à leur allure libre, dégagée, et à leur course rapide. Voici le texte de Belon : « Les Français voyant un oysillon haut encruché dessus ses jambes quasi comme étant à cheval, l'ont nommé chevalier. Il est très-bien muny de bonnes plumes qui est cause qu’il a moindre charnure qu'il ne paraît. Cette petite corpulence montée sur si hautes échasses chemine gaiment et court moult légèrement. » (Liv. IV, pag. 207.) Chevalier est donc synonyme de Cavalier, et cavalier dé- rive de capazcès ç cheval, » qui lui-même vient du latin caballus et se lie au sanscrit tchpaala, signifiant « rapide.» Dès lors, le mot chevalier, employé pour désigner les oiseaux qui nous occupent, est une expression très- juste rappelant l’idée et de leurs longs tarses qui paraissent donner à ces échassiers la hauteur d’un cavalier assis sur — 46, — son cheval, et en même temps l’idée de leur course aussi rapide que celle des chevaux. Pourquoi at-on donné à la première espèce de chevalier le sur- nom d’arlequin ? Avant d'entrer dans la discussion de l’étymologie de ce nom, je dois dire que le chevalier qu’il désigne est déterminé dans la langue latine par l'adjectif fuscus, signifiant «brun, noirci, » et servant à faire connaître les nuances du plumage de cet échassier. La racine du mot arlequin devra donc, probablement, renfermer quelque analogie avec cette idée de « brun, de noire par le feu. » D’après Ménage, arlequin dérive de l'italien arlechino. Cet auteur pense que des comédiens italiens étant venus en France, sous Henri IL, et l’un d’eux ayant visité M. Harlay de Chauvalon, fut appelé harlequino, d’après l’usage qui donne le nom des maîtres aux valets. Je laisse bien volontiers à Ménage le bénéfice d’une pareille étymologie, et pour ne pas trop m’exposer à de nouveaux avertisse- ments, je préviens mes lecteurs que je ne la leur donne que sous toutes réserves. Quant à l’étymologie qui suit, je la salue de tout cœur ! qu’elle soit la bienvenue! D’après Genin, « hellequin, herle- quin, arlequin n’est autre que l’alichino de l'Enfer de Dante, ou le cable, diable assez connu pour devenir un personnage de théâtre. » (Varations du langage français, p. 460 et suivantes.) L'opinion de Genin vient se fortifier encore de l'autorité de A. de Chevalet. Voici ce que je lis dans l’Origine et la Formation de la langue française (2° édit., tom. I, pag. 405). « Hellequin, fantôme fameux au moyen âge. Îl passait pour un démon malfaisant, con- duisant à sa suite une légion d’autres démons que l’on appelait la mesnie Hellequin, la famille de Hellequin. Hellequin signifie éty- mologiquement fils de l'enfer, du tudesque elle, hella, hello «enfer » et de kind, kint « fils, enfant, » Dans le nouveau Recueil des Contes, ete.; publié par M. Jubinal (tom. I, pag. 284), on lit cette piquante description de l’avocat : «Avocats portent grand dommage, « Pourquoi mettent leur âme en gage « Lor langue est pleine de venin : « C'est la mesnie Hellekin. EVER « Avec eux portaient deux bières « Où il avait gens trop avable « Pour chanter la chanson au diable; Q Il ï avoit un grand jaiant « Qui aloit trop forment braïant, « Vestu de ert et de bon boissequin; « Je crois que c’estoit Hellequin, « Et tuit li autre sa maisnie « Qui le suivent toute enraigie. » (Roman de Fauvel, cité par M. P. Paris dans les Mémoires de la bibliothèque du roi, t. I, p. 325). « On appelait miltes hellequinni la mesnie d’'Hellequin », mesnie . en vieux français signifie famille. Le cimetière d’Arles où furent enterrés des martyrs et où se livra un si grand combat était consi - déré au moyen âge comme étant très souvent visité par la mesnie d'Hellequin; les tombeaux s’ouvraient, la terre se soulevait, etc. Ces lieux étaient censés visités et bouleversés par des Aellequins ou par des diables. Pierre de Blois compare certains ecclésiastiques vaniteux aux fantômes de la mesnie hellequin, ombres formées de vent et d’un peu de nocturne vapeur. (Opp. 22, col. 2.) Le mot mesnie dérive du vieux latin mansionata, formé de mansio « maison. » « Et sur ce, je supplie Notre-Seigneur de vous donner et à vostre mesnie toute consolation. » (Marg. Lettre 129). Il me paraît suffisamment démontré, par les citations précédentes, qu’il serait inutile de multiplier encore, que les expressions arle- quin, hellequin ont la même signification, et que toutes les deux elles représentent des diables, des fils de diables. I] me reste à dire pourquoi le chevalier, dont je rédige la notice, a été surnommé ar/e- quin où hellequin, et quel trait de ressemblance peut exister entre cet échassier et le diable et la mesnie du diable. Toutes les espèces de chevaliers émigrent en troupes considé- rables, soit qu’ils quittent leurs plages de prédilection pour aller visiter des climats plus doux pendant les rigueurs de l'hiver, soit qu'ils retournent dans les contrées où doivent au printemps se con- ae. tracter leurs hymens. Chaque espèce forme une bande à part et semble obéir à un chef. Quand, pendant les nuits sombres plusieurs de ces bandes, com- posées de bien des milliers d'individus, viennent à se rencontrer, il en résulte une mêlée épouvantable, dans laquelle tous les rangs sont rompus et les espèces confondues. Pour pouvoir retrouver ses con- génères et rentrer dans ses bataillons respectifs, chaque chevalier pousse des cris qui vont toujours crescendo et constituent un véri- table charivari infernal ; on dirait toute la mesnie d’Helle- quin se livrant à la rage d’un combat d’enfer. Dans le mois de février 1857, une de ces mêlées eut lieu, pendant la nuit, au dessus de la ville d'Angers, et plusieurs personnes furent ré- veillées en sursaut et crurent à une émeute dont les clameurs confuses allaient se perdre dans les airs. M. le docteur Dumont vint le lendemain me demander quelques renseignements sur le va- carme aérien dont il n’avait pu connaître la cause. Plusieurs che- valiers blessés et recueillis dans les prairies et dans les marais de la Baumette furent apportés à M. Deloche, conservateur du Musée ; ils prouvaient que le choc entre les différentes troupes de chevaliers avait été terrible, et qu’ils s'étaient frappés d’esfoc et de taille. Ces luttes aériennes sont connues dans tous les pays, depuis bien des siècles, et ont donné lieu à beaucoup de légendes ; aussi est-ce à tort que le vénérable M. Millet, dans sa Faune, semble attribuer ces croyances seulement aux personnes crédules de l’Anjou ; voici ce passage (t. II, p.299): «C’est dans ce cri répété par chaque individu de ces différentes troupes, que les personnes crédules de l’Anjouont cru reconnaître une chasse toute particulière qui s'effectue dans les airs et à laquelle ils ont donné le nom de Chasse Hennequin, en lui attribuant des choses aussi merveilleuses qu’absurdes, mais surtout pour certaines espèces dont la voix forte et éclatante, en imitant, quoique imparfaitement, l’aboiement du chien, ne leur laisse aucun doute sur leur croyance. » Une espèce de chevalier, que nous étudie- rons plus tard, est surnommé l’aboyeur ; dès lors sa voix a pu dans cette circonstance être considérée comme celle des chiens de la mesnie du diable. Il me paraît donc assez naturel que, puisque la sn JE) aus croyance populaire attribuait la lutte que je viens de décrire à la famille Hellequin, les naturalistes se servissent de ce nom pour dé- signer un des principaux auteurs de ce vacarme infernal, et qu'ils nommassent arlequin ou hellequin le premier membre du groupe des chevaliers ; ce nom lui convenait d’autant mieux que c’est le chevalier dont le plumage est le plus sombre et même d’un brun enfumé, surtout lorsqu'il est revêtu de sa livrée d’été. Le Magasin pittoresque (année 1853, page 252) a raconté, sous le titre de Traditions des Vosges, une légende sur la Mesnie d'Helle- quin, regardée dans ce pays comme étant le présage de grands malheurs. Pour compléter ma tâche étymologique, en ce qui concerne le chevalier arlequin, il me faudrait indiquer la racine du mot totanus. sous lequel il est désigné dans la langue des savants. Cette ra- cine, quelle est-elle ? Je l'ignore et je ne puis formuler à ce sujet que de simples hypothèses. Dans tous les glossaires de haute et de basse latinité, on lit : «{otanus, » nom latin du chevalier. Cette ré- ponse est loin d’être satisfaisante, Je pense que totanus, de récente latinité, a été formé de l’italien /ofano, mot qui sert à désigner dans cette langue les oiseaux d’eau. Cette dernière expression serait-elle dérivée par corruption de £osto signifiant « vite, prompt, rapide, » et ayant alors le même sens que chevalier ? La terminaison du mot ofanus semblerait indiquer l’habitat, et dès lors cette expression, comme beaucoup de celles employées pour caractériser les oiseaux, rappellerait la localité où les chevaliers ont été étudiés, ou bien celle où on les trouve en grand nombre. Or, Totana étant une ville d'Espagne de la province de Murcie, l’ex- pression éotanus semblerait indiquer que les chevaliers sont assez multipliés dans cette contrée. Je laisse à d’autres la solution de ce problème, et je termine par quelques détails sur les mœurs et sur la nidification du chevalier arlequin. Cet échassier, comme tous ses congénères, paraît tou jours inquiet quand il parcourt les rivages de la mer ou les bords des cours d’eau; il s’arrête à la moindre apparence de danger, et, comme le célèbre chevalier espagnol, il n’est brave que quand il n’y XII. 4 DS pe a pas de péril. Lorsque, sous l’impression de la crainte, il se dispose à prendre son vol, il s’y prépare par un mouvement saccadé et suc cessif, et imprime à tout son corps un balancement en avant et en arrière. Afin de n’être point surpris par ses ennemis, le chevalier arlequin confie à des sentinelles vigilantes le soin d’avertir ses congénères de l'approche du danger. Cette fonction est remplie avec une très- grande exactitude, et dès qu’il y a même une simple apparence de péril, un cri très-accentué se fait entendre, et toute la troupe cherche son salut dans une fuite précipitée, en rasant la surface du sol et de l’eau et en s’élevant ensuite, avec la rapidité d’un éclair, pour disparaître dans les airs. Le chevalier arlequin vit d'insectes aquatiques, de petits lima- çons, ete. Il paraît se complaire à marcher et à courir dans l’eau, en s’y plongeant jusqu’au ventre. Il peut facilement être réduit en captivité, et, dans les jardins, il capture avec une grande adresse toute espèce de vers et d'insectes. Sa chair est très-appréciée des gastronomes. Le chevalier arlequin se reproduit dans les vastes marécages du nord de l’Europe. La femelle pond de trois à cinq œufs. M. Gerbe, dans sa savante Ornithologie européenne, où il s’est plu avec tant de soin et d’exactitude à décrire les œufs de tous les oiseaux et à in- diquer les dimensions et les nuances de leur coquille, avoue que les œufs du chevalier arlequin lui sont inconnus. Plus heureux que M. Gerbe, j'ai reçu une vingtaine de ces œufs, dans les différents envois qui m'ont été faits par des naturalistes allemands, et je puis dès lors combler cette lacune. La couleur de la coquille est d’un jaune olivätre plus ou moins foncé et souvent un peu verdâtre ; elle est parsemée dans toute sa superficie de taches d’un brun roux ou noirâtre ; les unes sont d’une nuance très-prononcée; lesautres, d’une nuance beaucoup plus pâle, paraissent être, en quelque sorte, une seconde couche de la cou- leur de la coquille, couche plus accentuée que la première. Ces œufs sont piriformes ; leur grand diamètre varie de 0",042 à 0m,045, et le petit de 0,030 à 0m,032. | = ON CHEVALIER GAMBETTE. — TOTANUS CALIDRIS. L'ensemble des mœurs du chevalier ayant été décrit précédem- ment, je me bornerai, dans les notices consacrées à chaque espèce, à relater les détails particuliers qui s’harmonisent avec les dénomi- nations servant à les représenter. L'expression vulgaire gambelte dérive d’un vieux mot français signifiant /ambes, et indique que cet échassier, selon la naïve re- marque de Belon, «est un oysillon haut encruché dessus ses iambes. » Quant à l'adjectif ca%dris, le même auteur ajoute en parlant du chevalier gambette : « Il est blanc par dessous le ventre, cendré par la teste et par dessus le col, grieulé dessous les œlles et la queuë. Ceste est la raison pourquoy il nous a semblé que c’est luy qu’A- ristote a nommé caldris, car au troisième chapitre du huitiesme livre des Animaux, il dit : Quin etiam cahdris cui cinereus color disünctus variè. » (Belon, liv. IV, pag. 207.) Cet auteur se trompe; le chevalier gambette est différent du chevalier gris. L’épithète caZi- dris dérive du grec cHaux « petite pierre, petit caillou, » et indique que le chevalier auquel elle est donnée fréquente les sables des ri- vages plus souvent que ne le font la plupart de ses congénères. D'un caractère peu farouche, le gambette aime la société de ses semblables, et il ne trouve jamais une nourriture un peu abondante sans inviter par un cri très-accentué ses congénères à venir s’as- socier à son festin. L’invitation est toujours acceptée, et l’on voit le nombre des convives s’augmenter rapidement, sans qu’il y ait des luttes, comme parmi beaucoup d’autres espèces d'oiseaux. Le: chevalier gambette préfère les eaux salées aux cours des fleuves, préférence que vient encore justifier sa dénomination calidris, car les flots de la mer se déroulent ordinairement sur d'immenses plages de sable et de gravier. Cet échassier niche dans les prairies marécageuses. Ses œufs, au nombre de quatre ou de cinq, sont ventrus. Leur couleur, d’un roux clair et d’un jaune verdâtre, est parsemée de taches noirâtres ou NO brunes plus ou moins foncées. Le grand diamètreest de 0",047 à 0",049, et le petit de 0",031 à 0,033. Une des habitudes du chevalier gambette, qu’il partage du reste avec un grand nombre d'oiseaux d’eau, est de boire souvent, d’ai- mer à se baigner et surtout à se laver très fréquemment les pieds et les jambes. Le soin de propreté est, pour le gambette comme pour ses congénères, un moyen puissant de conserver son agilité, 1l débarrasse ainsi ses pieds et ses tarses de la vase et de tout ce qui prurrait entraver sa course, en rendant ses jambes plus pesantes. CHEVALIER CUL-BLANC. — TOTANUS OCHROPUS, Le nom vulgaire donné à ce chevalier se justifie par les nuances des plumes de sa queue. Celle-ci est coupée carrément et marquée de trois ou quatre bandes transversales, noirâtres, sur ses pennes intermédiaires, Ces bandes diminuent en nombre et en largeur jusqu’à la penne la plus externe qui se trouve souvent toute blanche. Quant à l'adjectif ochropus, il indique d’une manière peu exacte la couleur des pieds de cet échassier. Il est composé de ocHRos « pâle, jaune pâle » et pous « pied; » cependant la vé- ritable couleur des pieds de ce chevalier est d’un cendré verdâtre. Le cul-blanc est très-répandu dans notre département ; il vit isolé ou par petites troupes de deux à trois individus. On le rencontre sur le bord des marais, des fossés, des étangs entourés de bois. il est très-défiant, et s'envole dès qu’il aperçoit au loin le moindre danger. Il jette alors un petit cri très-aigu, et décrit, en s’élevant dans les airs, des zigzags accompagnés pendant quelque temps de ces mêmes cris qui se rapprochent de ceux de l’hirondelle. Je l'ai vu souvent plonger dans l’eau des marais, pour saisir les petits ver- misseaux, en élevant les ailes au-dessus de l’eau et en les agitant avec un frémissement accompagné de cris de satisfaction. Plusieurs savants allemands ont constaté que cette espèce niche dans les vieux nids de merle, ete. Malgré cette autorité, il est gé- néralement admis que le eul-blanc dépose ses œufs à terre, au mi- lieu des herbes touffues, ou sous un épais buisson au bord de l’eau, Li — ou enfin parmi les pierres ou sur le sable des rivages solitaires. Ce nid est parfaitement dissimulé, car il a échappé jusqu’à ce moment-ci aux recherches des ornithologistes angevins; et cependant le chevalier cul-blanc niche en Anjou; on y rencontre de temps en temps, vers la fin de juin, des couvées qui accompagnent leurs parents, surtout lé matin et le soir. Dès qu’un ennemi apparaît au loin, le père ou la mère de la jeune famille pousse un cri très- aigu, et alors tous les petits se tapissent parmi les pierres, les sables ou les herbes, pendant que les chevaliers volant au-dessus de la tête de l’ennemi, cherchent à l’étourdir et à le fatiguer par leurs cris. Les œufs, au nombre de trois à cinq, sont piriformes, d’un gris rous- sâtre parsemé de petits points roux ou brunâtres. Quelquefois des taches brunes ou noirâtres se réunissent pour former une espèce de calotte. Le grand diamètre est de 0,036 à 0m,038, et le petit de 0",026 à 0",028. Dans quelques contrées la chair de ce chevalier est assez estimée ; cependant en général elle est peu recherchée, à cause de l'odeur forte dont elle est imprégnée. CHEVALIER PERLE. — TOTANUS MACULARIA. Cette espèce appartient à l'Amérique septentrionale ; ce n’est done que par accident qu’elle manifeste sa présence en Europe. CDR Toutefois quelques naturalistes affirment qu’elle se reproduit en Italie sur les rives du P6. Plusieurs ornithologistes angevins ayant constaté le passage du chevalier perlé dans notre département, je lui concède d’autant plus volontiers le droit de cité, que ses dénomina- tions ne viennent pas augmenter beaucoup mon travail étymo- logique. Les adjectifs perlé et macularia représentent la même idée, ils indiquent que le plumage de cet oïseau est couvert de toutes parts de taches symétriques ; le mot grivelé, sous lequel il est désigné assez souvent, rend la même pensée, d’une manière encore plus sensible. Ce chevalier n'offre aucune habitude particulière dans l’ensemble de ses mœurs; il niche dans les terrains marécageux de l'Amérique du Nord. Ses œufs, au nombre de trois à cinq, sont jaunâtres et même quelquefois un peu verdâtres, striés de points et de taches variant du cendré au noir. Le grand diamètre est de 0m,032 à 0m,034, et le petit de 0", 022 à 0",024. CHEVALIER GUIGNETTE. — TOTANUS HYPOLEUCOS. Le Guignette est le plus petit de tous les chevaliers qui visitent notre département. Il se plaît à parcourir le bord des grèves de la Loire, et à capturer dans sa course rapide les insectes et les vermis- seaux qui se trouvent dans le limon déposé sur le sable par les flots du fleuve. Quand il s'envole, et surtout le soir, 1l fait entendre un cri plaintif et répété. Il balance sa queue comme le font les berge- ronnettes, et lorsqu’il est blessé, il plonge très-bien pour échapper au chasseur et au chien qui le poursuivent. Le chevalier guignette est d’une grande défiance ; ilne peut être approché que par surprise. Bien des fois, dans ma jeunesse, je l’ai chassé, et je n’ai pu le tirer qu'en dissimulant, avec beaucoup de soin, ma présence. Pendant l’automne, il est très-gras, et sa chair est délicate. Chaque année, le chevalier guignette se reproduit en assez grand nombre dans notre département ; dès le mois d'août, on rencontre, sur les grèves de la Loire et le long des petits cours d’eau, des troupes de guignettes, SN composées du père, de la mère et de leur jeune famille. Mais jusqu’à ce moment-ci aucun naturaliste n’a pu, à ma connaissance, décou- vrir un nid de ce chevalier. Bien des fois j’ai passé des journées en- tières à surveiller les courses des guignettes au moment de la nidi- fication, sans avoir pu obtenir aucun résultat favorable. Je voyais le père et la mère aller, revenir sans cesse, pénétrer dans des mon- ceaux de pierres sur les bords des ruisseaux, s’enfoncer d’un air inquiet dans des touffes d’herbes protégées par des arbrisseaux plantés au-dessus du cours de l’eau; je m’avançais en silence, je cherchais avec un soin minutieux, et je ne découvrais rien. Le père et la mère semblaient me surveiller, épiaient toutes mes démarches, et par les mouvements plus répétés de leur queue, m’indiquaient leur inquiétude et la proximité du berceau de leur jeune famille, et ce- pendant mes efforts étaient vains. Une seule fois j'ai trouvé, à un mètre au-dessus d’un ruisseau, une coupe aplatie reposant sur les racines d’un arbrisseau touffu, dont les branches en retombant pro- tégeaient ce nid et lui servaient de marquise. Ce nid était formé de quelques débris d’herbes et de plantes marécageuses, et par sa forme ne ressemblait à aucun de ceux que j'avais trouvés. La présence de deux guignettes, que je surveillais depuis longtemps, et dont la course inquiète m’avait attiré dans cette espèce de lagune, me fit croire que ce nid était le fruit de leur travail. La femelle pond quatre ou cinq œufs un peu piriformes, d’un jaune sale clair, strié de points, de taches variant du rouge brun au gris cendré et au brun noir. Le grand diamètre est de 0",034 à 0",036, et le petit de 0,024 à 0",026. Après la nidification, chaque couvée forme une petite société jusqu’au printemps suivant. L’épithète Aypoleucos est formée de deux mots grecs, Hypo « en dessous, » et LEuros « blane, » et indique que le dessous de l'aile est blanc, caractère que l’on constate facilement lorsque ce chevalier s'envole. Quant à la dénomination vulgaire, elle m’a paru aussi difficile à expliquer que le nid de ce chevalier à trouver dans notre département. J’avais même renoncé à ce rude labeur, lorsqu'une circonstance heureuse est venue à mon aide. Plusieurs ouvrages d’ornithologie constatant que le chevalier guiynette se reproduit en CR 2 grand nombre daus le marais de Guignes, près Calais, il m’a * semblé que je pouvais trouver dans cet habitat les principes de la dénomination donnée à cet échassier. En Suisse, il est appelé S2f- jeasson, à cause de son cri quelquefois modulé, mais qui le plus souvent ressemble à un gémissement aigu. CHEVALIER ABOYEUR. — ToTANUS GLOTTIS. Ce chevalier domine tous ses congénères par les dimensions de sa taille et surtout par sa voix formidable, dont le son imite assez bien l’aboiement d’un petit chien. C’est mème cette particularité très remarquable qui a pu justifier jusqu’à un certain point les croyances énoncées se rattachant à la chasse-hellequin; car, dans ces luttes aériennes, les chevaliers aboyeurs semblaient remplacer les chiens dans la mesnie ou la famille des diables, L'expression glottis re- présente la même idée et dérive de erôrris, dont la racine @rLôTrA ou GLÔssA, signifie « idiome, langue, » et d'où a été formé éLôssos «bavard, babillard. » Ce chevalier, d’un naturel très-sau- vage, vit et se reproduit dans le nord de l’Europe et de l'Asie ; 1l se nourrit d'insectes, de vers, de petites coquilles et même de poissons qui nagent à la surface de l’eau. La femelle pond, dans les terrains marécageux, quatre ou cinq œufs, un peu allongés et dont la cou-— leur varie du jaune assez foncé au gris et au verdâtre; ils sont par- semés de taches rousses ou d’un brun noir. Le grand diamètre est de 0",050 à 0",052, et le petit de 0",032 à 0*,034. Le chevalier aboyeur se livre à de longues migrations en visitant les différentes contrées de l’Europe et de l’Asie. CHEVALIER SYLVAIN, — TOTANUS GLAREOLA. Ce chevalier, que j'ai inscrit dans la Faune de Maine-et-Loire, est souvent confondu avec le chevalier cul-blane, dont il diffère par une taille un peu plus petite, par la teinte plus foncée des parties supérieures de son corps, par la base de la queue, et enfin par les sus-caudales qui ne sont pas blanches. Les deux épithètes qui — 71e servent à le désigner indiquent quelles sont les habitudes caracté- ristiques de cet oiseau. L’adjectif sylvain, dérivé de sylva, «bois, forêt, » fait connaître que cet échassier parcourt les bois, les bruyères, pour y capturer des insectes, des vermisseaux. C’est pour cette raison qu’il est appelé vulgairement chevalier des bois. De plus, contrairement aux habitudes de ses congénères, il niche quelquefois dans les bruyères et même dans les arbres des forêts, dans de vieux nids abandonnés. Le plus souvent la femelle dépose dans les marais. sur une couche formée de quelques herbes aquatiques, quatre ou cinq œufs piriformes etun peu ventrus. La coquille, d’un jaune verdâtre ou roux, est parsemée de taches et de points variant du roux foncé au brun noir. Le grand diamètre est de 0",036 à 0,038, et le petit de 0",028 à 0",030. Ces œufs offrent de nombreuses et de belles variétés. Le deuxième adjectif gl/areola, formé de glarea «gravier, gros sable, » indique que le chevalier sylvain ne se tient pas que dans les forêts et les bruyères, mais qu’il parcourt aussi, et même le plus souvent, les rives des fleuves et les sables de la mer. Ce chevalier court avec une grande rapidité et avec une grande élé- gance ; il vit ordinairement en petites troupes, dont tous les indi- vidus s’envolent en même temps, lorsqu'un danger se présente, et vont se reposer plus loin sans se séparer dans cette remise. Pendant leur vol, ils font entendre un petit eri ressemblant à un coup de sifflet modulé et agréable qui leur a fait donner par les chasseurs le nom vulgaire, Ramage. Dans quelques traités d’ornithologie, ce chevalier est désigné sous Les noms sy/vestris « de forêt, » et palustris «de marais, » expressions qui représentent presque les mêmes idées que les mots sylvain et glareola. Tourne-PiERRE A COLLIER. — WTREPSILAS COLLARIS. Pour terminer la longue série de la famille des Longirostres, il ne me reste plus qu’à étudier deux échassiers qui forment deux genres assez différents entre eux, et qui se distinguent facilement du groupe précédent. Le premier est le éourne-pierre à collier ; les dénomina- tions vulgaires et savantes données à cet oiseau représentent, d’une OLA manière très-caractéristique, ses habitudes. Srrepsilas dérive de STREPSIS, «action de tourner, » dont la racine est srRÉPHÔ, «tourner, et LAS poétique pour LaAs, « pierre, rocher ; » collaris signifie « collier d'attache. » Le fourne-pierre court avec une très-grande rapidité, et retourne avec une adresse remarquable les pierres, les galets qu’il rencontre sur son passage. Pour remuer, retourner ces pierres et ces galets, il se sert de la partie plane et retroussée de son bec qui fait l'effet de levier naturel. Sous les pierres assez grosses qu’il renverse avec une excessive habileté, il découvre et saisit des vers, des insectes et une grande quantité de petites coquilles bivalves. C’est à cette habitude que l’on doit attribuer non-seulement ses dénominations ordinaires, mais aussi l'épithète interpres, épithète beaucoup trop philosophique pour pouvoir être comprise facile- ment. Le mot enterpres signifie interprète, «qui traduit, » et dans un sens plus relevé, celui qui découvre des choses obs- cures, inconnues, cachées à l'intelligence des autres. C’est ainsi que, dans la langue latine, l’astronome qui suit dans les cieux la marche des astres échappant aux regards du vulgaire, qui découvre des planètes nouvelles, est appelé inferpres cœli, «l'interprète du ciel.» Je suis donc porté à croire que l’épithète énterpres, donnée au tourne-pierre, doit être prise dans un sens moins relevé, et qu’elle signifie seulement « l'oiseau qui découvre, qui manifeste une nour- riture cachée aux regards des autres oiseaux. » Le tourne-pierre, comme presque tous les échassiers, habite communément les contrées du Nord, dont les immenses plages ma- ritimes lui offre un vaste champ de bataille et des ressources sans cesse renouvelées par le mouvement des flots de la mer. Il émigre vers les régions tempérées, pendant les froids rigoureux de l’hiver. Chaque année, il manifeste son passage en Anjou. Cet oiseau est d’un caractère doux et familier ; il se prive facilement et pourrait rendre de grands services dans les jardins, en poursuivant les insectes qui se cachent sous les pierres. La femelle pond sur le sable, dans un petit creux qu’elle prépare parmi les gros graviers, trois ou quatre œufs presque ronds, d’un gris verdâtre ou jaunâtre, striés de points et de taches d’un gris plus 60 Lu foncé ou presque noir. Quelquefois on remarque des traits qui se développent en zig-zag, entre les taches. Le grand diamètre de ces œufs est de 0",040 à 0,042, et le petit de 0",030 à 0",032. L’EcHAssE A MANTEAU NOIR, — HiMANTOPUS MELANOPTERUS. Les noms vulgaires de l’Échasse se comprennent facilement ; ils in- diquent que les tarses de cet oiseau sont très-élevés. Les expressions scientifiques représentent les mêmes idées. Æimantopus est formé de HIMAS, HIMANTOS « lanière » et pous, PoDos « pied, » et signifie « oiseau dont les pieds semblent liés avec des lanières, » comme les échasses le sont aux jambes de ceux qui s’en servent. Melanop- terus est composé de MÉLAS, MÉLANOS, «noir, » et de PTÉRON «aile. » Les aïles de l’échasse étant d’un noir foncé, le recouvrent par là même d’un manteau notr. Les lonss tarses de cet oiseau sont d’une si grande faiblesse qu’ils ne lui permettent guère que de marcher dans des vases détrempées; sur terre, il est peu solide sur ses bases. Si sa marche est un peu chancelante, son vol est très-rapide, et pour en accélérer encore la rapidité, l'échasse jette en arrière ses longues jambes, suppléant à la queue, qui manque presque entiè- rement ; elles font dès lors équilibre au cou et à la tête. Le bec de l’échasse est très-faible et recourbé vers le milieu, et c’est avec son secours que cet oiseau capture, dans des vases détrempées, les vers, les insectes, les petits mollusques qui constituent sa nourriture. Quand plusieurs de ces échassiers sont réunis, ils se placent sur 00 une même ligne et s’avancent de front et du même pas, afin de pouvoir se livrer à une investigation complète, et s’aider mutuelle- ment pour ne laisser échapper aucune proie. L’échasse niche ordinairement dans les vastes marais de la Russie et de la Hongrie, mais, chaque année, quelques couples se repro- duisent dans les autres contrées de l’Europe. M. Courtiller, fonda- teur du Musée de Saumur, a recu une femelle tuée sur son nid dans les marais de la Dive et moi-même, j'ai obtenu des œufs recueillis dans cette localité. Le nid de l’échasse est composé d’herbes et de débris de petits joncs; il renferme trois ou quatre œufs très- gros et un peu piriformes; leur couleur, variant du brun jaunäire au verdâtre, est parsemée de larges taches d’un gris ou d’un noir foncé et de points de même nuance, Le grand diamètre est de 0®,045 à 0",047, et le petit de 0",032 à 0",034. Ces œufs offrent de nombreuses variétés. Pendant que la femelle se livre au travail de l’incubation, le mâle reste en sentinelle non loin de la couveuse, et fait entendre un cri accentué à l'apparence du moindre danger. Aussitôt le couple s'envole en répétant un eri prolongé, pour se reposer plus loin, en manifestant un vif sentiment de crainte, et tromper ainsi les ennemis en les attirant loin du berceau de la jeune famille. Les échasses nichent souvent en colonies assez nombreuses. FAMILLE DES PTÉRODACTYLES. Dans la Faune de Maine-et-Loire, la quatrième famille des Échas- siers est celle des Prérodactyles. Cette famille ne comprend qu’un genre et une seule espèce. Le mot ptérodactyle est composé de prÉRoN « aile, » et DACryLos « doigt, » et signifie oiseau à doigts ailés. Pour comprendre le sens d’une pareille expression, il suffit d’étudier la forme excep- tionnelle des doigts de l’oiseau qui compose cette famille. L’avocette a trois doigts réunis par une membrane échancrée dans le milieu. Le pouce, qui est presque nul, est très-élevé de terre et ne peu OR servir pour la marche. Le doigt médian est lié aux deux autres par des membranes incomplètes qui font, en quelque sorte, des deux doigts externes, deux ailes manœuvrant autour d’un centre. AVOCETTE A NUQUE NOIRE. — AVOCETTA RECURVIROSTRA. Quelle est l’étymologie du mot avocette ? Je commence cette no- tice par une question dont je laisse la solution aux savants. Je n’ai pu entrevoir même imparfaitement les éléments d’une réponse plausible. M. Littré, dans son Dictionnaire, dit que avocette dérive de l'italien avocetta. Il me restait donc à chercher dans les naturalistes italiens la véritable racine du mot avocetta. Or, voici ce que je lis dans Aldrovande {liv. XIX, pag. 114) : Avis hæc apud Italos avocetta vocatur nescio qué ratione; « cet oiseau est appelé en Italie avocetta, j'ignore quel est le motif de cette déno- mination. » Le savant naturaliste bolonais avouant qu’il ignore la racine du mot consacré par sa langue maternelle, je pourrais sans trop d’hu- milité faire de même et passer outre. J’ose cependant émettre cette hypothèse : le mot avocetta ne dériverait-il pas du verbe avocare, signifiant détourner ? Les expressions à nuque notre indiquent que les plumes du sommet et du derrière de la tête de l’avocette sont d’une couleur noire et semblent représenter une espèce de calotte oblongue, se déroulant depuis le bec jusqu’à la base du cou de cet échassier. Quant à l'adjectif recuroirostra, 11 indique le caractère distinctif de cet oiseau et représente la forme de son bec, forme si singulière qu'au premier coup d'œil, on a peine à le comprendre ; (D — recurvirostra est composé de recurvum, « retroussé, » et rostrum, «bec. » Le bec de l’avocette est beaucoup plus long que sa tête, très-grèle, flexible , ressemblant à de la baleine, déprimé, sillonné en dessus et en dessous, retroussé et se rétrécissant insensiblement jusqu’à la pointe, qui est très-mince. Cette conformation du bec de l’échasse démontre qu’elle est destinée à ne se nourrir que d’aliments très-mous et n’offrant au- cune résistance. Afin de pouvoir les recueillir plus facilement, les tarses de cet oiseau sont presque tranchants en avant, et séparent ainsi les vases dans lesquelles l’avocette cherche et trouve sa nour- riture. La disposition de ses pieds facilite ses courses dans les terres détrempées par les eaux, sans avoir toutefois les inconvénients des pieds entièrement palmés qui rendraient sa marche beaucoup plus pesante, à cause du dépôt de boue qui s’attacherait naturellement sur les membranes reliant les doigts dans toute leur longueur. Enfin l’avocette nage facilement quand la profondeur de la vase est trop considérable pour qu’elle puisse y circuler. Afin de saisir sa proie, l'avocette fauche en quelque sorte la boue avec son bec; lorsqu'elle a saisi une proie très-molle et très-petite, elle l'avale facilement ; quand cette proie est assez grosse pour résister à la faiblesse de son bec, elle lance en l’air cette proie et la recoit ensuite dans son bec avec une grande habileté. Souvent on aperçoit l’avocette chercher sa nourriture au milieu des flocons d’écume de la mer, que la structure de son bec lui permet de sonder dans tous les sens sans aucune ré- sistance. Quoique d’un caractère très-doux et aimant la société de ses congénères, cet oiseau est très-défiant et se laisse difficilement approcher. Cette excessive défiance est le seul moyen qu’ait l’avocette d'échapper au danger. Elle est dépourvue des ressources de la plu- part des autres échassiers ; son bec est impuissant à la défendre, sa course et son vol sont peu rapides. Peut-être son nom dériverait-il d’avocare, advocare ; 11 signifierait alors oiseau qui détourne du dangerses congénères, en les appelant dès qu’un péril même éloigné se présente? — L’avocette est très-commune sur les bords de la mer Noire; là elle niche par petites colonies, ainsi que dans un grand nombre de contrées de l’Europe. PAST" La femelle dépose sur le sable ou dans les herbes deux ou trois œufs très-piriformes, d’un gris clair ou jaunâtre ou même noirâtre. La coquille est parsemée de taches, de traits, de points irréguliers d’une nuance noirâtre représentant plusieurs couches superposées plus ou moins foncées. Le grand diamètre est de 0m,048 à 0",052, et le petit de 0"032 à 0",034. FAMILLE DES MACRODACTYLES. L'Ordre des Échassiers se termine par la famille des Macrodac- tyles, renfermant un certain nombre d’espèces qui s’harmonisent bien entre elles. L’expression macrodactyles est formée de marros, «long» et de pacryLos, « doigt. » Elle indique que les oiseaux dé- signés par ce mot sont pourvus de doigts très-longs. Là , nous re- trouvons encore une preuve sensible de la Providence divine. Les macrodactyles sont destinés à vivre dans les marais, au milieu des herbes et des joncs, à poursuivre sur les feuilles des plantes aquati- ques les insectes de toute espèce qui y pullulent, à les capturer même quand ils circulent sur la surface de l’eau ou quand ils pénè- trent dans son sein ; dès lors, Dieu a donné à ces échassiers de très- longs doigts qui leur permettent de courir sur les feuilles et sur les plantes aquatiques en procurant à leurs pieds une base très-large et aussi très-solide. Plus ces oiseaux déplacent, par les grandes di- mensions de leurs doigts, une masse considérable d’eau, plus ils peuvent se soutenir facilement à la surface, sans enfoncer. Enfin ceux qui séjournent d’une manière plus continue sur l’eau ont les pieds lobés, ce qui leur permet de nager facilement. Un des caractères les plus saillants des macrodactyles est de vivre solitaires et de se tenir cachés au milieu des herbes et des roseaux. Dans leur vol, ils ne jettent pas leurs jambes en arrière comme le font la plupart des échassiers; mais ils les laissent tomber perpen- diculairement. Le nombre d’œufs que pondent les macrodactyles est généralement beaucoup plus considérable que celui des espèces précédentes. (I LE RaLe D'EAU. — RALLUS AQUATICUS. Dans le langage vulgaire, le mot rd/e désigne le bruit que les mo- ribonds font entendre en respirant, et qui est produit par le passage de l'air à travers les mucosités accumulées dans le larynx et dans la trachée-artère, Ce cri, toujours si pénible et si déchirant pour le cœur des parents, des amis entourant le lit d’agonie des personnes qui leur sont chères, a beaucoup de rapport avec le cri fatigant du râle; c’est à lui que cet oiseau doit son nom qui, dès lors, est une onomatopée. Diez, d’après Buffon, y voit le verbe rdler, à cause du cri de cet oiseau, et Scheler cite à l’appui de cette opinion, que le râle est dit en provençal ronfle, du verbe ron/la « ronfler », et en allemand wiesenschnarcher, « le ronfleur des prés ». A la notice du râle de genêt, nous retrouverons un nom très-caractéris— tique représentant aussi le cri de rappel de cet échassier. L’adjectif aquaticus, «aquatique, » indique que le ràle auquel il a été donné, vit principalement sur l’eau, ou près de l’eau. Ce ràle, comme ses congénères, a le corps comprimé, la poitrine étroite, les jambes fort musculeuses, un plumage serré et court. Dieu l’a constitué de manière à pouvoir remplir la mission qui lui a été confiée. Le ràle pent séparer avec une grande rapidité les herbes les plus pressées, se glisser entre elles ; son sternum comprimé fait en quelque sorte l'office de con, et prépare au reste du corps un passage facile. Les muscles des jambes de cet oiseau lui permettent NO — une Course non-seulement rapide, mais encore très-soutenue, C’est à cet avantage que l’on doit l’origine de l’adage populaire : « Cou- rir comme un rêle. » Craintif et solitaire, le râle d’eau est presque crépusculaire ; pendant la journée, il se tient caché dans les herbes des marécages; ce n’est que le soir qu'il se livre volontiers à des pérégrinations lointaines. Quand il est poursuivi, il court très-long- temps sur les plantes aquatiques avant de prendre son essor ; et, avant même de se résoudre à recourir au vol, il grimpe sur les arbustes pour s’y cacher et échapper ainsi aux chiens et aux chasseurs. Le räle d’eau vit de petits mollusques, de limacons, de vers, d'insectes et de graines de plantes aquatiques. Non-seulement cet oiseau visite chaque année notre département, mais il s’y reproduit. IL niche parmi les jones et les roseaux, sur des filaments de plantes dessé- chées. La femelle pond de six à dix œufs un peu oblongs, d’un blanc légèrement jaunâtre ou laiteux, quelquefois même d’un verdâtre très-pâle; la coquille est parsemée de taches et de points violacés ou d'un rouge noiïrâtre. J'en possède quelques-uns dont l’une des extrémités est recouverte, d’une manière irrégulière, de larges taches foncées. Les nuances et les dimensions de ces œufs varient beaucoup. Le grand diamètre est de 0",036 à 0",039, et le petit de 0",025 à 0°,027. Les véritables œufs du râle d’eau sont assez difficiles à se procurer; on les confond très-souvent avec ceux du râle de genêt, dont ils diffèrent par la nuance toujours plus jaune de la coquille et par les taches et les points beaucoup moins nombreux et réguliers, enfin, par les dimensions, qni sont un peu plus petites. GALLINULE OU POULE D'EAU. — GALLINULA CHLOROPUS. La première dénomination ga/linule exprime à peu près la même idée que la seconde; elle est un diminutif de galina « poule, » et signifie dès lors « petite poule. » L’adjectif chloropus est formé de cHLÔROS, «vert, » et de pous, PoDos, « pied » et indique que la poule d’eau a les pieds verts. Cependant cette belle couleur, qui recouvre les pieds de la gallinule en remontant jusqu'aux genoux, n’existe que pendant le temps de la nidification. A cette même époque, une XII. 5 LOUER jarretière d’un rouge brillant se déroule autour de l'articulation du genou, et la plaque qui se dilate sur le front de l'oiseau revêt la mème couleur. Quand le temps de l’hymen est passé, toutes ces vives couleurs disparaissent, et la gallinule reprend son vêtement de deuil et sa livrée noirâtre. C’est la jarretière d’un rouge orangé que la poule d’eau revêt chaque année, au moment des noces, qui avait engagé Toussenel à réclamer pour cet oiseau le nom d’armullaire, d’armilla, « petit cercle, bracelet, et ornement des bras, » et par ex- tension, jarretière. Cet auteur pensait que la dénomination armul- laire serait beaucoup plus juste que celle de poule d’eau, puisque la gallinule a peu de ressemblance avec la poule. D’un caractère très- craintif, la poule d’eau dissimule sa présence en se cachant dans les roseaux et les jones touffus et dans les broussailles qui encadrent les bords des étangs et des marais. Quand elle est découverte, elle court assez longtemps sur les feuilles de nénuphar avant de se dé- cider à voler. Son vol est cependant plus facile et plus soutenu que celui des râles. Pour se dérober à la poursuite des chasseurs, elle plonge facilement, et reste ensuite assez longtemps cachée dans l’eau en ne laissant apercevoir que sa tête à la surface de l’eau. Elle grimpe aussi, avec beaucoup d’agilité, sur les arbrisseaux situés sur les bords des marais, et y reste tranquille jusqu’à ce que le danger soit passé. Quand elle se eroït en sûreté, la gallinule se promène avec beaucoup de grâce et de légèreté sur les feuilles et sur les plantes des marais en relevant à chaque pas sa queue à demi étalée; elle passe et repasse bien des fois dans les mêmes endroits, parais- sant toujours trouver une proie échappée à ses premières investiga- tions. Elle se nourrit d'insectes, d'herbes et de graines de plantes aquatiques. La poule d’eau se reproduit en très-grand nombre dans toutes les localités de l’Anjou. Son nid est formé de feuilles et de plantes des étangs; il représente une coupe assez large et un peu profonde. J’ai trouvé dans l’étang Saint-Nicolas quelques nids re- couverts d’une espèce de tonnelle qui dérobait la mère et les œufs aux regards de leurs ennemis. Ce perfectionnement est attribué par les gens de la campagne aux vieilles femelles instruites par l’expé- rience à veiller sur leur progéniture. La poule d’eau trahit fréquem- NOT ment sa demeure ou son nid par un cri bref, très-sonore et métal- lique, qu’elle fait entendre quand l'approche du danger l’engage à changer de place. Le nid contient de six à dix œufs d’un roux jau- nâtre ou d’un jaune d’ocre foncé, parsemés de taches et surtout de points bruns ou d’un gris noirâtre ou violacé. On peut en enlevant les œufs, sans défaire le nid, obtenir une seconde et même une troi- sième ponte. Dans ce cas, le nombre des œufs diminue à chaque ponte, et les nuances de la coquille et des taches deviennent de plus en plus foncées. Les dimensions de ces œufs varient beaucoup. Or- dinairement le grand diamètre est de 0",040 à 0",046, et le petit de 0m,028 à 0",032. Chaque année la poule d’eau aime à établir son nid à peu près dans les mêmes endroits; elle paraît se choisir de véritables cantonnements, Sa chair est peu estimée, même pendant l’automne. RALE DE GENËT. — RALLUS CREX. Ce râle est distinct de son congenère par le plumage, par la forme du bec et par les dimensions des doigts qui sont moins longs et in- diquent dès lors que cet oiseau ne doit pas avoir les mêmes habi- tudes, ni habiter les mêmes lieux que le râle d’eau. 11 fréquente les prairies, les bruyères, les taillis humides et les terrains plantés de genêts, ainsi que le bord des eaux. Il se nourrit d'insectes, de ver- misseaux, de semences de genêt, et c’est à cette habitude, ainsi qu'aux lieux qu’il parcourt, qu’il doit son nom vulgaire. Quant à l’expres- sion crex, C’est une onomatopée représentant d’une manière bien NE exacte le cri: crek, crek, crek, qu’il répète pendant le jouret pendant la nuit, huit, dix et douze fois de suite, en paraissant l’accentuer de plus en plus. Le mâle semble prendre plaisir à suivre les chas- seurs ou les voyageurs en répétant son cri, pour le suspendre pendant quelque temps et le recommencer plus tard dans un nouvel endroit bien éloigné du premier. C’est dans ces circonstances qu’il court avec cette rapidité devenue proverbiale. Il décrit alors une série de courbes qui s’enlacent et se déroulent de mille manières, et finissent par lasser l’ardeur des chiens les plus vigoureux et des chasseurs les plus intrépides. Quelques auteurs l’appellent Ra/lus Pratensis « Râle des prés. » Cette dénomination est plus exacte que celle de Râle de genêt, parce qu’elle représente mieux la vie ordi- naire de cet oiseau, qui fixe son séjour dans les prairies humides. Il se reproduit en très grande quantité en Anjou, et surtout dans les vastes prairies qui s'étendent depuis Angers jusqu’à Ecoufllant et Briollay. Le plus grand nombre des.couvées ne réussit pas, parce que les faucheurs commencent leur travail avant que les petits ne soient éclos ou assez grands pour échapper à leurs ennemis quand l’herbe est coupée. Pendant de longues année, l’un de mes anciens élèves, M. Poulain, instituteur à Écoufflant, a eu la bienveillance de faire recueillir, par les faucheurs, lesœufstrouvés dans les nids sur lesquels l'instrument avait passé, et c’est par centaines et par milliers que ces œufs m'étaient apportés, surtout lorsque la Maine, en débordant sur les prairies, avait retardé pour les räles le moment favorable d'établir leurs nids. Chacun de ceux-ci contient de six à dix œufs, d’un gris jaunâtre ou verdâtre ou même violacé ; leur coquille est parsemée de taches ou de points roux ou d’un gris foncé. Les nuances et les dimensions offrent de très-nombreuses variétés. Le grand diamètre est de 0,035 à 0,040, et le petit de 0,025 à 0",030. J'en possède dans ma collection quelques-uns qui n’ont que 0,020 de longueur et 0,015 de diamètre. Quand les petits sortent de la coquille qui les tenait captifs, il portent une livrée toute dif- férente de celle de leurs parents; ils sont revêtus d’un duvet noir foncé. Le râle de gènet entreprend de très-longs voyages, dans lesquels il s'associe aux cailles ; c’est pour cette raison que les Grecs — 69 = l’appelaient Ortygometra, «conducteur ou plutôt mère des cailles, » de orryes « caïlle » et de mèrËR « mère. » La chair de cet oiseau est très-appréciée en automne par les gastronomes. Un passage de Belon prouve que de son temps on reconnaissait à ce gibier un mérite que le savant ornithologiste et médecin relate ainsi dans son style naïf : « Le râle est bien renommé es festins de noz côtrées ; car estant de goust un peu sauvage, 1l irrite l’appetit pour mieux se saouller de boire. » (Liv. IV, pag. 113.) GALLINULE MAROUETTE. — GALLINULA Porzana. La Marouette est un des plus gracieux oiseaux de l’Europe : elle se rapproche beaucoup plus du râle que de la poule d’eau, c’est pour cette raison que plusieurs naturalistes l’appellent le rd/e perlé, expression représentant les différentes nuances de son plumage qui s’harmonisent très-agréablement. Cet oiseau vit dans les marais et dans les prairies humides ; il court avec une agilité remarquable sur les feuilles de nénuphar et sur les plantes aquatiques. Dans le mois de juin 1869, lorsque je fouillais les vastes marais de la Baumette avec mes confrères, M. l’abbé Simon et M. l'abbé Péhu, pour décou- vrir des nids de Sterne épouvantail (Sterna nigra), nous apercümes tout à coup un couple de marouettes sortir d’une toufle de petits roseaux ; elles couraient devant nous à quelques pas, s’arrêtant quand nous nous arrêtions, pour continuer ensuite leur course selon lim- pulsion que nous donnions à notre embarcation. Pendant plus d’un quart d’heure, ces deux jolis oiseaux nous accompagnèrent en nous précédant toujours à une petite distance, puis ils disparurent entre les roseaux, lorsqu'ils pensèrent que le danger qui menagait leur jeune famille était passé. Selon toute probabilité, les petits de ce couple étaient cachés, comme je l'ai constaté d’autres fois, sous les larges feuilles de nénuphar, et les parents suivaient tous nos mouvements ou plutôt les précédaient lentement pour nous éloigner des objets de leur tendresse et tromper notre recherche en nous dirigeant vers un côté opposé. Non-seulement la marouette vit dans les marécages, mais elle s’y reproduit et forme avec des herbes entrelacées une coupe Le peu profonde et mobile, Cette coupe n’étant pas fixée, comme celle de la gallinule d’eau, à des roseaux ou à des joncs, peut suivre les différentes variations du niveau de l’eau et s’élever ou descendre avec la crue. Elle n’a pas l'inconvénient d’être submergée, à moins qu’une véritable inondation ne vienne entraîner au loin le berceau de la jeune famille. Dans les crues subites de la Maine, quelques nids de marouette ont été charriés sur les prairies des environs d'Angers, et les œufs, recueillis dans la boue lorsque la rivière rentra dans son lit ordinaire, me furent envoyés par quelques-uns de mes anciens élèves. Ces œufs sont ordinairement au nombre de huit à dix ; leur forme est allongée, et leur couleur, d’un jaune clair et sale et assez souvent noirâtre, est parsemée de taches cendrées d’une nuance plus ou moins foncée et quelquefois même d’un brun très-accentué. Le grand diamètre est de 0m,033 à 0",035, et le petit de 0",022 à 0,024. La marouette fait ordinairement deux couvées par an; le nombre d'œufs de la seconde est moins considérable que celui de la première. Cet oiseau, qui est muet pendant une grande partie de l’année, fait entendre pendant la nidification un cri saccadé que l'on peut représenter par wwf, wuif, et qui est répété d’une voix perçante, non-seulement par une marouette, mais par toutes celles qui se trouvent dans le même marécage. Quand l’une d’elles a com- mencé à faire entendre ce cri, toutes les autres s’empressent à l’envi les unes des autres de se mêler à cette espèce de babil, ressemblant plus à un charivari qu’à un concert. Les détails que je viens de donner sur les mœurs de la marouette, qui se plaît, comme d’autres de ses congénères, à se plonger dans l’eau, à ne laisser à la surface que sa tête, et à y séjourner assez longtemps pour échapper à la poursuite de ses ennemis, ces détails m'ont éloigné beaucoup de la question étymologique on plutôt en ont préparé la réponse. J'ai fouillé bien des glossaires ; aucun ne m’ayant indiqué même indi- rectement la racine du mot marouette, je erois pouvoir, en m’ap- puyant sur les habitudes de cet oiseau, émettre l’hypothèse que cette dénomination à été formée de la vieille expression marots, signifiant autrefois « marécage, marais et même mer, » et qui a été le principe du verbe maroïer, « diriger, gouverner un vaisseau sur 7 OS mer. » Dès lors marouette signifierait « oiseau qui habite, qui vit, qui navigue dans les marais, » sens parfaitement justifié par les habitudes de l’échassier qu’il désigne. C’est je crois le motif qui a déterminé plusieurs naturalistes à faire du mot marouette une expression générique s’appliquant aux différentes espèces d'oiseaux vivant de la même manière dans les marais; ils les ont ainsi dési- gnés : marouelte ballon, marouette poussin, ete. Quant à l’adjectif porzana, il n’est que le mot italien porzana servant aux gens de Bologne à désigner la marouette qui se trouve en très-grande quantité dans les marais situés aux environs de cette ville. GaLLINULE Poussin. — GaALLINULA Pusizra. Ici les recherches étymologiques sont faciles : poussin et pusilla expriment la même idée et indiquent que cette gallinule est d’une petite taille. Elles sembleraient mème faire soupconner que cet échassier est le plus petit du genre auquel il appartient. C’est je crois le motif réel qui lui a fait donner l’épithète de poussin. Mais depuis l’époque à laquelle cet oiseau a été décrit, une autre espèce a été découverte, et les proportions en sont un peu plus petites que celles de la gallinule que nous étudions; le mot pusi{la ne doit donc plus être pris dans son sens rigoureux. Malgré la petitesse de sa taille, le poussin est peut-être le plus intrépide et le plus infati- gable coureur de tous les oiseaux de l’Europe. Ses mœurs sont celles de la marouette : il aime à se cacher dans les roseaux; mais quand il est découvert, il court avec une rapidité excessive, décritune quantité AUS de lignes qui s’enlacent et se déroulent tour à tour, puis, par une série de courbes, il s'éloigne et se rapproche ensuite du point de départ ; grâce à tous ses stratagèmes, il dépiste et fatigue les chiens les plus exercés et les plus vigoureux. Aussi a-t-il recu des chasseurs un nom très-caractéristique : Le crève-chiens. Quand le poussin redoute d’être atteint dans sa course rapide, il se jette à l’eau, plonge, ou grimpe sur un buisson: ou sur une touffe épaisse de roseaux, et immobile dans cette nouvelle position, il laisse tranquillement passer, près de lui, chiens et chasseurs. Le poussin choisit une petite élé- vation au milieu des marécages, et c’est sur cette élévation qu'il établit son nid composé de feuilles et de tiges de plantes aquatiques entrelacées. Dans mes nombreuses courses ornithologiques je n’ai trouvé qu’un seul nid de cet oiseau. Il était placé dans une toufle de petits jones situés au milieu d’une des flagues d’eau qui parsèment les anciennes landes de Bécon. La femelle pond de six à dix œufs d’un jaune olivâtre, avec quelques petits points ou de légères taches brunes représentant une nuance un peu plus foncée que celle de l’ensemble de la coquille. Ces taches, ces points sont beaucoup moins accentués que dans les œufs des espèces précédentes. Très souvent même ils sont à peine visibles. Le grand diamètre de ces œufs varie de 0",026 à 0,028, et le petit de 0",020 à 0°,022. GaALLINULE BAILLON. — GALLINULA BAILLONI. La Gallinule Baillon a deux centimètres de moins que la précé- dente ; elle porte le nom d’Emmanuel Baillon, l'ami de Buflon, mort à Abbeville en 1803. Ce savant naturaliste a préparé le plus grand nombre des oiseaux de mer et de rivière qui composent la collection du Muséum de Paris. C’est lui qui le premier a déterminé la gallinule à laquelle est consacrée cette courte notice, et a indiqué les différences qui la séparent de ses congénères. Vieillot a cru devoir consacrer ce souvenir en donnant à cet échassier le nom de l'ornithologiste d’Abbeville. Le baïllon a les mêmes habitudes que le poussin avec lequel il vit en très-bonne harmonie ; comme lui, 1l a recours à une course très-rapide et à une série de stratagèmes TAN ue, intelligents pour échapper à ses ennemis. Cet oiseau niche près de l’eau dans les endroïts marécageux ; la femelle dépose, dans un nid formé de plantes entrelacées, de six à dix œufs ayant la forme d’une olive et presque la couleur de ce fruit. La nuance de la coquille, d’un roux olivâtre pâle, est parsemée de taches et de points presque Gallinule Baillon. imperceptibles formant une seconde couche un peu plus foncée. Le grand diamètre est de 0,025 à 0,027, et le petit de 0,018 à 0",020. Ces œufs sont faciles à confondre avec ceux de l'espèce précé- dente ; cependant leur nuance est toujours plus pâle, leurs dimen— sions un peu plus petites. La chair du baïllon, comme celle du poussin, est très-estimée en automne. Fourque Macroure ou Jonezre, Jupeze. — Furica ATrA. Ma tâche étymologique était bien facile dans les deux dernières notices ; il n’en sera pas de même dans celle consacrée à la Foulque Macroule, et ici je retrouverai bien des incertitudes ; heureux si je puis en dissiper quelques-unes ! Je commence par relater les prin- cipales habitudes de la foulque, appelée souvent la grosse poule d'eau. Cet oiseau se nourrit d'insectes, de coquillages, de vers, de végétaux aquatiques et même de petits poissons. Il séjourne dans les étangs, dans les marais parsemés de jones, de roseaux et de plantes touffues. La foulque se cache encore plus que la poule d’eau, et il est très-difficile de l’apercevoir, si ce n’est au moment où elle LES ie s’envole en poussant un cri qui trahit sa présence. Elle niche en très-grande quantité dans notre département. Pour répondre à l'invitation pressante de M. Aimé d’Andigné Le Gris, je m’étais rendu au château de la Grifferaye, dans le mois de juin 1866, accom- pagné du cher frère Victorin, directeur de la pension Saint-Julien, et de mes jeunes amis Daniel Métivier, Eugène Lelong, Guillaume Bodinier et Louis Manceau. La caravane était au complet, et par suite une excursion sérieuse était préparée et destinée à fouiller des marais importants. M. d’Andigné nous reçut avec une bienveillance paternelle et nous offrit une hospitalité véritablement patriarcale. Après un repas où la gaieté ordinaire des convives était encore vivifiée par les espérances du lendemain, chacun se retira dans sa chambre pour se préparer à soutenir les labeurs d’une course loin- taine. Dès le lever du jour, tout le monde était à son poste, et bientôt chacun prenait place dans un véhicule qui nous emportait rapidement vers le but de nos désirs; M. d’Andigné nous accompagnait, désirant diriger lui-même tous les détails du voyage. Après deux heures d’une course rapide, nous descendimes de voiture et nous commen- câmes à sonder, dans la commune de la Chapelle-Saint-Laud , les bords d’un étang encadré de landes et de hoïs taillis dont le sol était sillonné intérieurement par de nombreux trous de blaireaux. Le garde de M. Gouin du Bois-Grollier, propriétaire de l’étang, détache un léger bateau ; l’un de mes jeunes amis, Daniel Métivier, s’y lance avec moi, et nous parcourons, en tous sens, les sinuosités de l'étang. De distance en distance apparaissaient de petits monticules, dont la base avait de 40 à 50 centimètres de diamètre, et le sommet de 20 à 30 centimètres de largeur. Le sommet de ces différents monticules était généralement arrondi, couvert d’une touffe épaisse d’herbes, et s’élevant de 15 à 20 centimètres au-dessus de la surface de l’eau. Sur presque tous ces monticules nous trouvâmes un nid de foulque contenant, selon l'habitude, de six à douze œufs. Je signale cette circonstance parce que c’est la seule fois que j’aie rencontré les nids de la foulque dans de pareilles conditions. Après une visite faite au propriétaire du domaine, nous remontons en voiture et nous nous dirigeons rapidement vers l’étang de Singé, but principal de notre 7/0 excursion. Arrivés sur les bords de cette immense pièce d’eau, nous fimes un repas très-confortable, grâce à la prévoyance de M. d’An- digné qui avait confié à notre véhicule des provisions de toute sorte. La joie des convives était cependant un peu tempérée par la crainte de ne pouvoir fouiller l’étang, car aucun bateau n’apparaissait sur le rivage. Après des recherches assez longues, le garde fut trouvé, et il nous offrit la seule embarcation dont il püt disposer. C'était une noyette, c’est-à-dire un moyen déguisé de faciliter la noyade. Elle était oblongue, mesurant un mètre 30 centimètres de longueur et 40 centimètres de largeur ; l’eau y pénétrait par plusieurs trous. Après quelques hésitations, le feu sacré de la science triompha de toute crainte, et l’équipage s'embarqua. Il était composé de l’intré- pide Guillaume Bodinier et d’un pilote. Nous nous arrimons en entrelaçant et en doublant nos jambes, puis nous nous asseyons dans une position diflicile à dépeindre. Nous ramons avec nos mains, ayant eu soin de nous munir d’une perche destinée à empêcher, dans les graves circonstances, notre esquif de chavirer. Le sort en est jeté, et nous voguons vers une touffe de roseaux où nous capturons un très-beau nid de grèhe castagneux. Ce premier succès enflamme notre courage et soutient notre confiance. Réunissant alors tous nos efforts, nous atteignons bientôt un magnifique bouquet de grands joncs au-dessus desquels se jouaient des sternes épouvantails, et qui retentissait du chant si accentué de la fauvette rousserolle. A peine avions-nous franchi la première enceinte des jones, que nous aper- cevons un vaste et magnifique nid de foulque. Ce berceau, composé de couches superposées de plantes aquatiques, avait de grandes dimensions. Sur ses bords se tenaient deux petites foulques écloses depuis quelques instants seulement ; leur belle tête, couverte d’un duvet rouge éclatant, tranchait sur le reste du plumage d’un noir profond et parsemé autour du cou de quelques brins d’un duvet blanc. Elles étaient encore tout humides du liquide de la coquille qu’elles venaient de briser. Près d’elles se débattait une jeune sœur ou un jeune frère retenu encore captif dans la moitié de la coquille de sa prison. Les deux jeunes foulques debout sur les bords de leur berceau, comme des marins sur l’avant de leur navire à l'approche Mu TR d’un danger, suivaient avec une grande anxiété les manœuvres de notre équipage. Malheureusement ces manœuvres étaient contra- riées par les touffes épaisses des roseaux et par l’eau qui pénétrait dans notre embarcation. Pleins d’espérance, nous saluions de nos voix, de nos mains, le terme désiré de notre entreprise, mais ce terme semblait s’éloigner de plus en plus. Nous luttons avec une nouvelle énergie; encore quelques efforts et nous pourrons saisir les deux foulques, mais au moment même où nous tendions les bras, les deux jeunes oiseaux plongent et disparaissent sous les larges feuilles de nénuphar. Pendant plus de vingt minutes nous les pour- suivons, frappant avec notre perche les feuilles qui leur servent d’abri. Les foulques paraissent et disparaissent tour à tour, nageant et plongeant selon que le réclame leur salut. L’équipage suait, était rendu et prêt à s’avouer vaincu , lorsque cédant à un entrain sublime, la moitié de l'équipage se penche trop rapidement sur les bords de l’esquif, glisse dans le marais, et, grâce à un bain de pieds un peu forcé, rapporte d’une manière triomphante les foulques captives. Pour faire contrepoids au choc produit par la secousse de mon équipage, je m'étais couché sur la noyette en me cramponnant des deux côtés aux roseaux. M. d’Andigné, les dames et les jeunes personnes qui s'étaient jointes à lui pour suivre les péripéties de cette excursion nautique, crurent que l’équipage, le pilote et même le navire, tout avait fait naufrage. Mais quelques instants après, nous sortions de la touffe de roseaux, avec des chants de victoire, ramant de toutes nos forces vers le rivage. Le vent était violent et froid, et il fallait se hâter de réchauffer l’équipage et le pilote. Pendant cet épisode, un autre se déroulait sur les bords de l'étang. Notre jeune ami Daniel Métivier, brülant du désir de s’asso- cier et à nos recherches et à nos dangers, avait obtenu du garde la concession de ses hautes bottes de marais. Avec une ardeur plus courageuse que prudente il avait introduit ses pieds, ses cuisses, dans cette chaussure formidable, et comme un preux des temps anu- ques, sans craindre le danger, il s’était avancé dans l’eau pour en explorer le contour. Malheureusement la force ne répondit pas à son courage ; l’une des bottes, s’enfonçant dans une couche épaisse PU; ES de vase, ne put être retirée ; la jambe sortit de son enveloppe peu flexible et l’intrépide explorateur, perdant l'équilibre, fut condamné à quitter momentanément la position verticale pour subir l’horizontale et regagner le rivage dans un état plus compromis encore que celui de mon équipage. Pour combattre la sensation communiquée par le contact de l’eau, les naufragés et leurs compagnons firent une petite libation de vin généreux, s’enveloppèrent de couvertures de voyage et regagnèrent par une course très-rapide le castel de M. d’Andigné, où l’on fit disparaître toutes les traces laissées par les épisodes de ce drame. Le lendemain nous rentrions à Angers, emportant les deux foulques qui, enfermées dans un mouchoir, vécurent encore deux jours après avoir supporté les fatigues du siége qu’elles avaient subi avec tant de courage. Elles font maintenant partie de ma petite collection d'oiseaux, qui sont presque tous des souvenirs de mes excursions ornithologiques. Ah! si mon honorable ami, si l'irréconciliable adversaire de mes clients privilégiés nous eût accompagnés dans cette excursion, comme dans beaucoup d’autres, il eùt pu constater que nous consacrions quelques instants de nos bonnes années à étudier l’ornithologie en plein soleil et non pas seulement dans la lecture des livres de tout âge! Le nid de la foulque est ordinairement composé de jones et de roseaux desséchés et entassés de manière à former une large coupe aplatie, assez élevée au-dessus de la surface de l’eau. La femelle y monte et en descend par deux pentes inclinées qui se corres- pondent de chaque côté. Non loin de ce nid se trouve assez souvent une autre coupe beaucoup moins considérable, qui sert de lieu de repos au mâle, et lui permet de veiller sur le berceau de sa jeune famille. Ces deux coupes peuvent s'élever et s’abaisser selon la va- rialion de la crue, parce qu’elles ne sont pas fixées aux roseaux, mais seulement enclavées dans les touffes des plantes aquatiques. Les œufs, au nombre de six à douze, sont oblongs, roussâtres et parsemés de points d’un brun noir dont les nuances sont plus ou moins foncées. Souvent la coquille de ces œufs revêt la couleur du café au lait. Le grand diamètre est de 0",054 à 0",058, et le petit de 0",034 à 0,037, Comme je l'ai raconté, les foulques plongent et — nagent dès qu’elles sont sorties de la coquille. Je reviens aux éty- mologies. Foulque n’est que la traduction de fulica, employé par Virgile, et de fulix, que je trouve dans les œuvres de Cicéron. Ces deux expressions ont pour racine fuligo, fuliginis « vapeur noire, suie de cheminée. » Elles représentent parfaitement la couleur du plumage de la foulque, appelée vulgairement Diable de mer. Cette dernière dénomination peut me venir en aide pour comprendre le mot jodelle. Autrefois on nommait /odelet un bouffon ou tout autre acteur qui faisait rire par ses sottises ; on disait de quelqu’un de niais : «C’est le jodelet de la compagnie. » Dans ce sens, jodelet se rapprocherait d’arlequin et dès lors de diable, comme je l’ai dé- montré dans la notice sur le chevalier arlequin. Cette hypothèse se trouverait fortifiée encore par le mot judelle, employé comme équi- valent de jodelle, et le remplaçant dans la plupart des anciens auteurs. Or jodelle a pour principe judée, nom du bitume, de l’espèce d’as- phalte qui surnage à la surface des eaux de la mer Morte. Entre cette substance noire poussée dans tous les sens par le mouvement des flots et par l’action des vents et la foulque noire, « atra », na- geant sur les eaux, le rapport me paraît assez sensible, Enfin, dans beaucoup de localités, elle est désignée par le mot Morelle, dérivant de more, « homme noir. » Quant à l’expression macroule, elle n’est qu'une ancienne forme de macreuse, composée de macer, «maigre » et d’anas « canard ». A l’article de la véritable macreuse, je don- nerai des détails pour expliquer lusage de l'Eglise, permettant de manger les macreuses pendant le carême et les autres jours con- sacrés à l’abstinence, par la raison que ces oiseaux étaient réputés « maigres », à cause du goût de marécage et de poisson que conservait leur chair, naturellement peu succulente, surtout à l’époque du printemps, et dès lors pendant le carème. Vers la fin de. l’automne, la chair de la foulque devient un peu plus mangeable parce que la nourriture de cet oiseau est alors presque exclusivement végétale. Scheler prétend que les mots #acroule, macreuse, ont la même origine que maquereau, dérivant de macula, « tache ». Cette étymologie pourrait se justifier si elle s’appliquait à la marouette, « râle tacheté »; mais elle n’est nullement justifiée par le plumage LONDRES de la jodelle, qui est d’un noir de suie uniforme. Toussenel propose d'appeler la foulque alhirostre, de album « blanc » et rostrum « bec », ou galearostrum, de galea, « casque, » et rostrum, «bec, » parce que cet oiseau se fait remarquer par une protubérance cornée d’une belle couleur blanche, qui remonte du bec sur la partie frontale et la recouvre comme d’un casque. Les pieds de la jodelle sont lobés et festonnés; ils indiquent que cet oiseau est le trait d'union naturel entre les macrodactyles et les palmipèdes propre- ment dits. PHALAROPE PLATYRHYNQUE. — PHALAROPUS PLATYRHYNCHUS. L'Ordre des Echassiers se terminera dans ce modeste travail par le Phalarope platyrhynque. Cet oiseau vient-il en Anjou‘? Doit-il être classé parmi les macrodactyles ? Double question qu'il est sage d’élucider avant d’aborder la discussion étymologique. Le phalarope est un charmant petit échassier habitant les régions polaires, se nourrissant d'insectes et de petits mollusques, qu’il capture avec une grande adresse sur les rivages des mers ou à la surface des flots. Revètu d’un plumage fourni et d’un duvet épais, comme tous les oiseaux qui cherchent leur nourriture à la surface de l’eau, il parait plus facilement nager que courir. Chaque année la tempête léloigne des contrées qu’il habite ordinairement, et en transporte des troupes nombreuses sur les différents rivages des mers Sa pré- sence en Anjou est donc possible, et puisqu'elle est affirmée par plusieurs de nos collègues linnéens, je l’admets sur l’autorité de er leur témoignage. Quant à la place qu’il doit occuper dans la classi- fication, la diversité des opinions est tellement grande, que je puis inscrire le phalarope après la foulque, sans trop m'écarter de la vérité. Beaucoup d’auteurs appellent cet oiseau PAalaropus fuli- carius, et indiquent par là-même le rapport qu’ils reconnaissent exister entre la foulque et le phalarope. Comme la macroule, il a les pieds festonnés, mais avec une différence qui est indiquée par le nom phalaropus, composé de pHALARoN « harnais » et de pous «pied, » et signifiant pied harnaché, à cause de la forme retombante des festons de chaque côté des doigts. Ces doigts antérieurs sont garnis à leur base d’un repli membraneux qui occupe la longueur de la première phalange et se continue de chaque côté du doigt en suivant une bordure qui se termine à l’ongle. Les savants ont cru saisir une ressemblance entre cette membrane et un harnais qui, comme cette membrane, se développe et se replie selon les circons- tances, ou plutôt avec les housses qui retombent en festonnant autour des flanes de l’animal qu’elles recouvrent. La racine pourrait être com- posée de PHazaros «brillant » et Pous « pied », et indiquer l'élégance des festons des pieds du phalarope. Quant à l’épithète platyrhynque, elle dérive de PLaTys « large » et de rayncuos « bec, » et fait con- naître que cet échassier a un bec d’une largeur assez considérable pour la taille de l'oiseau. Le phalarope se reproduit dans le nord de la Sibérie et au Groenland ; il niche sur les bords déserts des grands lacs. La femelle pond trois ou quatre œufs roussâtres ou jaunâtres, dont la coquille est parsemée de taches, de points d’un brun noirâtre plus ou moins foncé. Le grand diamètre est de 0m,028 à 0",030, et le petit de 0,019 à 0",021. Le phalarope est un nageurinfatigable etun intrépide plongeur ; 1l capture avec une grande habileté les insectes ailés qui voltigent au-dessus des flots, que cet échassier parcourt dans tous les sens en décrivant une série de lignes qui s’enlacent et se déroulent tour à tour. * L'abbé Vincezor ? Chanoiïne honoraire, aumônier du pensionnat Saint-Julien, . Officier de l'instruction publique. : ÉTUDE SUR LE DROSOPIYLLUN LUSITANICUN La plante dont j'entreprends l'étude, le Drosophyllum lusitanicum Lux, est remarquable à plus d’un titre : d’abord, par son organisation, dont bien des détails ont été incomplétement étudiés ou même interprétés d’une façon qui ne me paraît pas devoir être acceptée sans con- trôle ; en second lieu, par les affinités multiples qu’elle présente et par les questions de taxonomie qu’elle soulève : enfin, par la singularité de sa distribution à la surface du globe, le Drosophyllum lusitanicum étant une plante à aire géographique très-peu étendue, considérée long- temps comme n'’appartenant qu'à une portion res- trente de la péninsule ibérique, et ne s'étant d’ailleurs XII. 6 2190 rencontrée depuis lors, que dans des régions très-voisines. J'examinerai successivement les trois côtés de la question que je me suis proposé de traiter. I. ORGANISATION. IT. AFFINITÉS (COMPRENANT L'ÉLISTORIQUE, PUIS LA Discussion DES CARACTÈRES ). IL. DisrrIBUTION GÉOGRAPHIQUE (ÏÉNUMÉRATION DES EXEN- PLAIRES CONNUS ). ions Le Drosophyllum lusitanicum est un petit arbuste dont la hau- teur moyenne est d’un pied ; sa tige n’atteint même pas la moitié de cette hauteur dans sa partie ligneuse, alors que la plante croît sur des rochers arides. Lorsque cette tige ne se ramifie pas, elle présente en petit tout à fait l'apparence de celle d’un palmier. Elle porte en effet un grand nombre de saillies brunâtres, inégales, squamiformes, imbriquées, qui ue représentent autre chose que les bases persistantes des feuilles tombées. Aïlleurs, le tronc est ramilfié et se partage en un petit nombre de branches divergentes qui naissent souvent à peu près à la même hauteur. La partie ligneuse de la plante ressemble alors à un petit candélabre à trois ou quatre branches, rarement davantage. Au centre de ces branches se trouve parfois un reste du sommet, presque complétement détruit, de la tige principale. Celle-ci a un bois très-dur, à tissu très-serré, de couleur brunâtre, entourant une moelle peu considérable, de con- sistance spongieuse. Plus haut, dans la portion de la tige qui répond à la végétation de l’année, la consistance devient herbacée et la couleur verdätre. Les axes deviennent alors ce qu’on appelle géné- ralement des hampes. Les feuilles y sont très-nombreuses et très- distantes les unes des autres, passant graduellement à l’état de bractées. Ici, l’état de la surface est totalement différent de ce qu’on observait dans les vieilles tiges ligneuses. L’épiderme porte deux ordres d’organes qui se distinguent, même à l’œil nu, les uns des autres. Les premiers sont des glandes capitées et stipitées, dont les saïllies rendent la tige rugueuse au toucher ; les autres sont des taches un peu proéminentes et de coloration brunätre. Il suflira d'indiquer sur les jeunes tiges l’existence de ces deux sortes de Hell 2 corps, que nous retrouverons bien mieux développés sur les feuilles et que nous étudierons là avec quelques détails. Au niveau des hampes herbacées, la moelle est plus abondante que dans les tiges ligneuses. Il est rare qu’elle fasse défaut au centre de l’axe, et que celui-ci devienne légèrement fistuleux. Les feuilles du Drosophyllum sont alternes, sessiles, sans stipules, souvent nombreuses et rapprochées les unes des autres dans les endroïts où, à une tige ou à une branche ancienne, devenue ligneuse et chargée de cicatrices desséchées, succède brusquement un rameau de l’année, encore tout à fait herbacé, Au premier abord, ces feuilles ressemblent tout à fait à celles des Monocotylédones ; ce sont de longues lanières ensiformes, linéaires, dont le sommet très-étiré est enroulé en spirale ou en crosse. En déployant la feuille adulte, on voit qu’elle est repliée sur elle-même dans toute sa longueur, de manière à former dès sa base une gouttière à concavité supérieure ; il en est de même dans toute l’étendue de l'organe, qui rappelle encore par là ce qu’on trouve dans un grand nombre de Monocotylédones. Souvent l’inflexion des bords est telle qu’on n’aperçoit plus rien à l’extérieur de la face supérieure du limbe. Par la nervation, celui-ci s’écarte encore de ce qu'on observe dans les Dicotylédones en général. On y remarque d’abord trois grandes nervures longitudinales : la médiane, qui est la plus épaisse de toutes et qui s’étend d’un bout à l’autre du limbe, en faisant saillie sur les deux faces ; cette nervure devient tout à fait ligneuse avec l’âge. Puis, deux nervures marginales, parallèles à la première et qui sont aussi étendues dans presque toute la longueur du limbe ; au sommet seulement, elles s’atténuent beaucoup et finissent même par disparaître. Il semblerait donc qu’on eût, dans le Drosophyllum, une véritable feuille recti- nerviée, avec trois nervures seulement. Il n’en est rien pour l’ob- servateur attentif. En examinant de près les deux bandes étroites du limbe qui sont interposées aux trois nervures décrites, on aper- çoit des nervures secondaires très-grêles, plus ou moins obliques, qui relient entre elles les nervures longitudinales. Par là, ces feuilles se rapprochent donc de la nervation des feuilles des Dicotylédones ; = ND — et, si pauvre que soit le réseau de leurs nervures secondaires, elles servent de passage entre les deux modes de nervation qui sont l'apanage général, mais non exclusif, des deux grands embran- chements du Règne végétal. Comme celles d’un grand nombre de Droséracées, les feuilles du Drosophyllum sont chargées de glandes auxquelles nous avons déjà fait allusion. Les unes sont des plaques sessiles, arrondies ou elliptiques ; elles ne nous occuperont pas longtemps. Les autres sont stipitées et méritent toute notre attention. Elles se composent d'une tige grèle rectiligne, longue de quelques millimètres au plus, et d’une tête à peu près globuleuse, molle, enduite à l’âge adulte d’un liquide visqueux. Leur ensemble rappelle bien la forme d’une petite épingle, enfoncée dans le limbe foliaire dans une portion voisine de la pointe. La distribution de ces glandes capitées à la surface des feuilles obéit à certaines lois, Il est vrai que, d’une manière générale, on peut en rencontrer sur un point quelconque de la surface épider- mique; mais aussi, elles sont beaucoup plus nombreuses sur la face inférieure que sur la face supérieure. Il y a même une époque où 1l n’y en a pas une seule sur la surface supérieure, alors que l’inférieure en est chargée ; c’est ce que nous avons observé en suivant le développement des jeunes feuilles, comme nous le dirons tout à l’heure. Plus tard, les glandes stipitées peuvent bien se montrer également sur la face supérieure du limbhe, près de sa base, mais toujours en petite quantité et avec de bien moindres dimen- sions. Lorsque la feuille adulte a les bords repliés en dessus, comme nous l’avons établi, toute sa surface parait chargée de glandes ; mais c'est qu’alors on n’apercoit en réalité, comme dans les Zris, que l’épiderme inférieur de la feuille. L’épiderme supé- rieur, occupant la concavité de la gouttière, ne porte que des plaques glanduleuses sessiles, sans glandes stipitées, ou avec un petit nombre de ces organes, dont quelques-uns sont incompléte- ment développés et n’ont que la tige sans dilatation terminale. Nous avons réussi à faire germer dans une serre des graines de Drosophyllum, récoltées en Portugal par l’habile inspecteur du Le. jardin de Coïmbre, M. E. Goeze. Ces graines, après avoir passé une partie de l’été dans une serre chaude, n’ont levé qu’au mois de janvier ; il est vrai que la température de la serre était toujours élevée. Mais je ne serais pas étonné que ce füt là, dans son pays natal, l’époque de la germination normale de cette plante. Combien j'ai observé d'exemples d’espèces européennes qui, quoi qu’on fit, et à quelque époque qu’on les semät, germaient toujours à un moment déterminé, et seulement avec un très-faible écart, dü sans doute aux circonstances artificielles dans lesquelles avaient été placées les semences! J'espère que les botanistes portugais voudront bien vérifier ce fait pour le Drosophyllum. La germination pré- sente quelques faits intéressants à constater. La graine, gonflée et ramollie, est crevée à son extrémité aiguë par la radicule qui vient poindre au dehors et qui s’allonge rapidement. Sur la surface de ce cône étiré naïssent de petites racines latérales. Bientôt, à la suite du corps radiculaire sortent aussi des enveloppes séminales la base de la tige et celle des cotylédons. Ceux-ci ont une sorte de pétiole, concave du côté qui regarde la tige. Leur surface d’in- sertion est très-large. Bientôt ils s’allongent et deviennent plus ou moins arqués ; mais leur véritable limbe reste dans la graine, sous forme d’une lame plus ou moins amincie, d’un tissu mou qui absorbe graduellement tous les sucs contenus dans l’albumen ramolli; la germination est donc hypogée pour les cotylédons. Bientôt ils sont assez longs pour que le sommet de la tigelle et ja gemmule puissent se dégager de l’intérieur de la graine et venir se dresser au-dessus du sol. Les deux premières feuilles (après les cotylédons) se voient alors nettement. Ce sont deux petites lanières opposées, insérées en face l’une de l’autre, exactement au même niveau, comme les cotylédons. Tandis qüe, par leur portion infé- rieure, elles demeurent étroitement appliquées l’une contre l’autre, cachant ainsi le bourgeon qui est placé entre elles, leur portion su- périeure se réfléchit, puis se révolute en forme de crosse. La tigelle, avec ses feuilles verdoyantes, rappelle alors la forme d’une fourche ou d’un Ÿ à branches enroulées en dehors. Bientôt la surface des feuilles devient un peu rugueuse. Gà et là, en dessous seulement, — 87 — des petits mamelons proéminent sur l’épiderme ; ce sont les pre- miers rudiments des glandes capitées. Nous allons pouvoir les étudier au point de vue histologique, et nous nous rendrons ainsi compte d’un des points les plus intéressants de l’histoire naturelle du Drosophyllum. Ces saïllies ne dépendent pas seulement de l’épiderme. Ses cel- lules aplaties et incolores se soulèvent graduellement pour les former, il est vrai, mais avec elles, le parenchyme sous-jacent dont les utricules sont gorgées de chorophylle. Puis, des nervures qui parcourent la feuille et qui sont de nature fibro-vasculaire, on voit se détacher des portions de faisceaux qui occupent le centre de la portion verte du mamelon et qui se dirigent vers son sommet. Ces mamelons se comportent done absolument comme de jeunes lobes foliaires dans lesquels se développe l'élément fibro-vasculaire. Celui-ci est bientôt caractérisé, vers la base du mamelon, par la présence de vaisseaux spiralés, surmontés de cellules allongées qui, elles-mêmes, présentent sur leur paroi une spiricule analogue. Les trachées qui occuperont le centre de la tige de la glande finis- sent done par des cellules spiralées au-dessous de la dilatation terminale. Celle-ci est de nature cellulaire. Les utricules qui la composent se cloisonnent, se dédoublent et forment bientôt une masse arrondie autour de laquelle elles se disposent avec une assez grande régularité. Ces cellules deviendront plus tard les agents secréteurs d’un liquide visqueux qui suintera au travers de leur paroi. Pendant que ces modifications se produisent dans les glandes capitées de la surface de la feuille, l'extrémité de cet organe présente aussi des particularités remarquables. Son extrême sommet n’est pas uniquement formé des cellules spiralées qui, placées bout à bout, terminent les trachées. Les faisceaux fibro-vasculaires longitudi- naux n'arrivent pas Jusqu'à cette extrémité molle, assez semblable, comme tissu, à l’extrémité d’une jeune radicelle, L’épiderme y devient bientôt assez distinct; les cellules plus profondes se multi- plient et grandissent ; leur ensemble forme un gros bouton, une sorte de iète, ordinairement teintée en rose pâle, à cause du contenu 2 BB de ces cellules. Cette masse terminale est donc de même nature que les têtes des glandes de la surface. Son volume est plus consi- dérable, il est vrai; mais je crois pouvoir dire que le lobe terminal de la feuille se comporte, dans son évolution histologique, comme les lobes latéraux que représentent les poils capités. Les auteurs ne sont pas d’accord sur l’inflorescence du Droso- phyllum ; toutefois la plupart écrivent que ses fleurs sont disposées en corymbes. Si le corymbe est une grappe à axes de deux géné- rations, ceux de la seconde étant inégaux et portant toutes les fleurs à peu près à la même hauteur, telle n’est point la véritable disposi- tion des parties dans notre plante. Voici en effet comment les choses s’y passent , ce qu’il est surtout facile de voir quand on observe ces groupes floraux un peu jeunes. Ce que nous avons appelé la hampe, porte encore des feuilles, plus courtes et plus éloignées les unes des autres que celles qui se trouvent vers la base. Ces feuilles dégénèrent graduellement en bractées. Quant à la hampe elle- mème, elle se termine par une fleur, fleur qui s’épanouit la pre- mière, qui est la plus âgée de toutes. Donc l’axe principal de l’inflorescence est ici parfaitement terminé. Maintenant, quelques- unes des bractées que porte, sous la fleur qui le termine, cet axe principal, ont dans leur aisselle un axe secondaire ; et ces axes de deuxième génération sont alternes, comme les bractées elles-mêmes, et placés à des niveaux assez éloignés. C’est par là que linflores- cence rappelle un corymbe. Comme d’ailleurs les axes secondaires sont souvent peu inégaux, les fleurs peuvent fort bien ne pas arriver au même niveau ; cela n’arrive que dans un certain nombre d’in- florescences. D'ailleurs les axes secondaires portent aussi plusieurs bractées, Dans l’aisselle de la plupart, aucun organe ne se déve- loppe. Mais une ou deux d’entre elles ont, au contraire, un petit axe tertiaire dans leur aisselle; et ce petit axe, s’élevant parfois bien plus haut que le sommet de l’axe secondaire, se termine aussi par une fleur de troisième génération. On voit cà et là des axes de quatrième génération, terminés par un bouton. Je ne sais si les choses vont plus loin dans la nature, vers la fin de la belle saison. Mais ce que nous pouvons hardiment conclure de ce qui vient PRE CEE d’être observé, c’est que l'inflorescence est centrifuge dans le Drosophyllum, et que chacun de ses axes, de quelque génération qu’il soit, se termine par une fleur. Si donc les axes secondaires et tertiaires ne naissaient pas alternativement, les uns loin des autres, et s’ils ne présentaient pas ces inégalités de longueur que nous avons indiquées, l’inflorescence apparaïtrait tout à fait comme une cyme à trois ou quatre degrés de végétation. Le réceptacle floral du Drosophyllum est convexe; il a la forme d’un cône surbaïssé et porte successivement, de bas en haut, le calice, la corolle, l’androcée et le gynécée; ce dernier est donc supère, libre; et l'insertion de l’androcée et du périanthe est nettement hypogyne. Le type floral est normalement quinaire ; on observe toutefois çà et là le nombre 4 dans les verticilles floraux extérieurs, et, comme nous le verrons plus loin, les nombres 3 et 4 dans les éléments constituants du gynécée. Les sépales sont libres ou unis dans une très-faible étendue à la base. Ils sont disposés dans le bouton en préfloraison quinconciale, et tous sont égaux entre eux, ou un peu inégaux ; les plus extérieurs c’est à dire les sépales 1 et 2, étant dans ce cas un peu plus courts que les autres. Ils sont, ou presque triangulaires avec des sommets un peu arrondis, ou ovales- oblonss, aigus au sommet ; leurs bords sont finement glanduleux et parsemés, aussi bien que leur face extérieure, de ces mêmes poils glanduleux, capités, que nous avons déjà signalés et étudiés avec détail sur les jeunes branches et sur les feuilles. Les pétales sont alternes avec les sépales, libres, égaux entre eux, obovales-oblongs, à peine atténués à leur base sessile, et arrondis, obtus ou coupés presque droit ou émarginés au sommet. La corolle qu’ils consti- tuent par leur réunion est régulière, il est vrai; mais chacun des pétales n’est pas toujours exactement symétrique ; le bord recouvert d’un pétale ne présente pastoujours parfaitement lamême courbure que l’autre bord, qui se trouve recouvert dans la préfloraison ; et ce défaut de symétrie entre les deux moitiés d’un même pétale, se retrouve dans les nervures de son limbe. Le phénomène est en rapport avec le mode de préfloraison de la corolle, qu’il faut étudier, par consé- quent, avant d’aller plus loin. La préfloraison peut être tordue ; nous DE MON l’avons constaté plusieurs fois; chaque pétale est recouvert par un bord, recouvrant par l’autre. Dans ce cas, la courbe du bord recou- vrant est plus prononcée que celle du bord enveloppé. C’est surtout à la base des pétales adultes qu’on peut constater cette insymétrie ; elle est peu prononcée, il est vrai, à cet âge dans le Drosophyllum, et elle disparait même à peu près complétement un peu plus haut dans les boutons très-jeunes. Elle est bien plus manifeste vers l'onglet, et elle apparaît là telle qu’on l’observe dans un grand nombre de corolles tordues de plantes appartenant aux groupes des Apocynées, des Linées, des Oxalidées, etc. On sait que, dans ces familles, non-seule- ment la forme, mais encore la couleur et l’épaisseur des bords peuvent varier suivant qu’ils sont enveloppés ou enveloppants. Les P/umeria, les Oxalis à pétales jaunes et rougeâtres, et bien d’autres plantes pourraient nous en fournir des exemples multipliés. Si cette insy- métrie avait à peu près complétement disparu à l’âge adulte, dans les longs pétales du Drosophyllum, on la retrouverait encore dans la disposition des nervures. Cette disposition mérite donc d’être étudiée. Plusieurs nervures partent de la base des pétales en divergeant très-légèrement; elles ne se séparent les unes des autres que suivant des angles d’une dizaine à une quinzaine de degrés, sans qu’on puisse distinguer une nervure principale et des nervures secon- daires. Bientôt chacune de ces nervures se bifurque suivant un angle également très-aigu. Les divisions se ramifient ainsi de bas en haut, d’une façon très-inégale et toujours suivant des angles très-peu ouverts. Vers le sommet du pétale, la disposition régulière- ment dichotomique a toujours disparu. Vers les bords, l’irrégularité est plus grande encore ; les divisions des nervures s’inclinent plus d’un côté que de l’autre. Et cela est si marqué dans la portion inférieure de certains pétales tordus, que le bord recouvrant peut ne recevoir encore aucune nervure dans une certaine étendue, ou ren recevoir que très-peu et de très-délicates. Ce bord apparaît alors plus transparent, plus pâle, plus mince que l’autre bord; et c’est ici que se révèle toujours l’insymétrie si difficile quelquefois à constater dans le Drosophyllum par la comparaison des courbures des deux bords. ni Dans les fleurs où la préfloraison de la corolle était ainsi tordue, nous avons vu que le sens de la torsion était de gauche à droite ; mais nous ne saurions affirmer qu’il en soit toujours ainsi. Peut- être que, dans des fleurs qui répondraient à un autre côté de l’axe que celles que nous avons pu examiner à un âge suffisamment jeune, le sens de la torsion serait différent. Nous n’indiquons cette possibilité que pour faire comprendre combien il peut y avoir d’inconvénients à déterminer sur un seul, ou sur un petit nombre de boutons, le sens de cette torsion des corolles, puis surtout à dis- tinguer des genres d’après ce caractère, comme nous l’avons vu faire récemment dans certaines familles naturelles. Il arrive, en effet, qu’une fleur placée d’un côté de la tige, présente un enroulement en sens contraire de celle qui est située de l’autre côté; et cette différence est surtout fréquente dans les plantes à feuilles opposées, comme les Apocynées, Gentianées, etc. De la préfloraison tordue à la préfloraison imbriquée, il n’y a qu’une nuance. Qu’un des pétales dont l’un des bords est recouvert et l’autre recouvrant, se déplace pendant son accroissement, de façon à porter en dehors du pétale voisin le bord que celui-ci devait re- couvrir; ou inversement, que le bord destiné à être enveloppant, passe en dedans du pétale voisin; et la préfloraison deviendra vexillaire ou cochléaire, de tordue qu’elle aurait dû être. Ge fait qui se produit quelquefois dans les Linées, très-rarement dans les Malvacées, très-fréquemment au contraire dans les Caryophyllées, se présente çà et là dans le Drosophyllum ; 1 se produit non-seule- ment pour une seule, mais à peu près aussi souvent pour deux des folioles de la corolle. Il en résulte que tous les modes d’imbrica- tion peuvent ici s’observer, même la préfloraison quinconciale qui est normale dans le calice. L’androcée est hypogyne, et il est ordinairement diplostémoné ; dans ce cas, cinq étamines plus grandes sont superposées aux sé- pales, et cinq autres, plus courtes, aux pétales. Ces dernières sont ordinairement adhérentes dans une faible étendue de leur filet aux pétales qui leur correspondent. D'ailleurs les filets sont libres, grèles ; ils supportent chacun une = (9 anthère biloculaire, introrse, attachée un peu au-dessous de sa base, sur le sommetun peu aminci du filet, et déhiscente par deux fentes longitudinales qui se rapprochent souvent des bords de l’anthère. Ce qu'il y a de plus remarquable, dans certaines fleurs du Droso- phyllum, c’est que l’androcée y possède plus de dix étamines; on en a compté jusqu'à vingt, dit-on. Nous n’avons jamais pu observer ce nombre; mais celui de quinze étamines se présente plus fré- quemment. Comment sont alors disposées ces quinze étamines ? Cinq d’en- tre elles étant superposées aux sépales, et cinq autres, aux pétales, comme dans les fleurs décandres, les cinq dernières ne sont exacte- ment en face, ni des cinq premières, ni des cinq autres. En d’autres termes, il n’y a pas trois verticilles d’étamines, lors- que celles-ci sont au nombre de quinze; etil est possible, par consé- quent, qu’il n’y ait pas quatre verticilles, dans tous les cas où il existe vingt étamines. Ceci nous donne à penser que, dans les fleurs où le nombre d’étamines dépasse dix, il y a, non pas multiplica- tion des verticilles, mais bien division, dédoublement latéral de certaines pièces de l’androcée, comme il arrive dans beaucoup de groupes voisins, ceux des Malvacées, des Linées, des Oxalidées, des Géraniacées, etc., plantes dont la fleur a d’ailleurs tant de ressem- blance, par son périanthe principalement, avec celle des Drosophyl- lum. I n’est guère possible, sur des fleurs sèches et adultes, de dé- terminer exactement la situation des étamines autres que celles qui sont nettement superposées aux pièces du périanthe; mais il suffit que la superposition de cinq des pièces de l’androcée aux sépales ou aux pétales n’existe pas, pour nous faire supposer que les faits de dédoublement dont parle M. Dickson, et dont d’autres auteurs ont donné tant d'exemples dans des plantes d'organisation analogue, se produisent ici pendant l’évolution de la fleur, alors que celle-ci possède plus de dix étamines. Mais il est bien évident que l’étude organogénique pourrait seule faire connaître quelle est dans ces cas la véritable symétrie de l’androcée. Le gynécée, libre et supère, se compose d’un avaire ovoïdo-co- nique, surmonté d’un style à un nombre variable de branches. Le Jr gap. plus souvent on en trouve cinq, superposées aux pétales et indi- quant sans doute combien de feuilles carpellaires entrent dans la composition du gynécée ; mais assez souvent aussi il n’y en a que quatre ou même trois. A cet égard, le Drosophullum est compa- rable aux Linées, autrefois toutes réunies dans le grand genre Linum. Les pistils à cinq branches stylaires répondent à ceux de la plupart des véritables Lins; ceux à quatre branches rappellent celui de la Radiole, et le nombre trois est, comme l’on sait, celui qui appartient au genre Reinwardtia, ailleurs si voisin, à tous égards, des Linum proprement dits. Dans le jeune âge, les branches du style se dressent verticalement, rapprochées en fais- ceau, maïs sans aucune adhérence entre elies, sur le sommet du cône que représente l’ovaire. Mais vers l’époque de l’anthèse, les branches commencent à s’étaler horizontalement et même à des- cendre de dedans en dehors, dans une petite étendue voisine de leur base. Il en résulte qu’elles forment à ce niveau une sorte de petites étoiles à trois, quatre ou cinq branches, dont le sommet de Vovaire est comme coiffé; après quoi elles se relèvent en diver- geant et conservent partout la même épaisseur jusqu’à la dilatation que présente brusquement leur sommet. C'est une sorte de tête un peu aplatie, ou de bouton à contour circulaire ou un peu réni- forme, avec une légère échancrure intérieure, tout chargé sur les bords et en dessus de papilles épaisses, sécrétant une substance vis- queuse et gluante dont toute la surface stigmatique est bientôt re- couverte. Aussi n’est-il pas étonnant que les grains de pollen s’y attachent en très-grande abondance. L’ovaire n’a qu’une seule loge. À sa base, l’axe floral lui-même pénètre dans son intérieur et s’élève un peu en forme de cône sur- baissé pour former un placenta central libre, comparable à celui d’un grand nombre de Primulacées par sa situation, mais beaucoup plus déprimé. Toute la surface placentaire donne insertion à un nombre infini, mais très-variable, d’ovules anatropes et supportés par un funicule grêle. Suivant la longueur et la direction de ce funicule, les ovules affectent des directions très-variables. Quelques-uns sont à peu près transversaux d’abord ; mais ils deviennent bientôt tous Oo ascendants. Ce sont ceux qui se rapprochent le plus du sommet du placenta qui ont les plus longs funicules. Les ovules supérieurs sont quelquefois même tout à fait verticaux. Le fruit est accompagné du calice persistant et assez étroitement appliqué contre sa portion inférieure. Il est à peu près de forme co- nique, sec et presque membraneux à son entière maturité. Îl s'ouvre du sommet à la base en un certain nombre de panneaux aigus, cinq le plus ordinairement, ou quatre, trois (nombre rela- tivement fort rare). Ces panneaux sont donc en même nombre que les feuilles carpellaires, et lorsqu'on en compte cinq, ils sont super- posés aux sépales. Les fentes verticales qui les séparent les uns des autres descendent jusque vers le milieu de leur hauteur, souvent plus bas, quelquefois même jusqu’au voisinage de leur base. Le fruit se trouve donc béant par sa partie supérieure, avec un orifice à bords dressés, non réfléchis. Les graines ne se séparent qu’après un certain temps de leur placenta. Celui-ci est bien plus surbaissé encore que dans la fleur; c’est un plateau brunâtre, à surface su- périeure presque horizontale. Mais de cette surface s’élève un assez grand nombre de funicules, rigides, rectilignes, de consistance presque ligneuse, de couleur brunâtre; chacun porte une graine à son sommet. La direction des graines est un peu variable, comme celle des ovules. La plupart cependant sont ascendantes ou dressées. Elles n’ont pas été jusqu’à présent décrites d’une façon complète et avec une entière exactitude. Comme forme générale, ce sont à peu près des cônes renversés au sommet desquels répondent le hile et le micropyle; elles sont done anatropes, comme les ovules. La base du cône n’est pas tout à fait plane; son centre est occupé par une petite saïllie qui répond à l’axe de la région chalazique. Quant à la surface convexe du cône que représente la graine, elle est par- tagée assez nettement en deux régions par une sorte d’anneau lé- gèrement proéminent, dont le contour est parallèle à celui de la base même du cône et qui sépare extérieurement un petit cône formé par la portion supérieure du plus grand, c’est-à-dire la portion de la graine voisine du hile et du micropyle. Pour nous servir d’une com- He paraison vulgaire, qu’on suppose qu’on a, sur les deux tiers de la hauteur d’un pain de sucre, à partir de sa base, entouré sa surface convexe d’un cordon peu saillant formant une circonférence paral- lèle à celle de la base. Tout ce qui dans la graine est compris entre les deux circonférences répond à la région du périsperme ; tout ce qui est en dessus de la plus petite, entre elle et le sommet, | répond à la région de l'embryon. Nous savons donc d’avance ce que nous observerons en péné- trant dans l’intérieur de la graine. Nous distinguerons d’abord ses deux téguments : l’extérieur testacé, d’un brun noirâtre, ru- gueux , irrégulièrement et finement réticulé à sa surface ; l’inté- rieur mince, membraneux, translucide. Dans toute la portion de la cavité séminale qui est du côté de la base du cône, se trouve un albumen charnu, abondant ; dans l’autre portion est renfermé l'embryon. Une petite quantité de l’albumen qui se prolonge dans ce compartiment, forme à l’embryon une enveloppe de plus, peu épaisse, peu consistante, charnue comme le reste du périsperme. Dégagé de cette tunique , l'embryon apparaît sous forme d’un petit sabot (turbiné) dont le sommet légèrement aigu, répond àla radicule et regarde du côté du micropyie. Tout le reste est formé extérieu— rement de deux gros cotylédons, plan-convexes, assez analogues de forme à ceux des Nymphæa. Ils vont en épaississant, en s’élargissant et en s’épanouissant de la base a1 sommet. Celui-ci est obtus, coupé presque droit. Dans la plupart des graines, en écartant les cotylédons l’un de Pautre on aperçoit la gemmule qui est de forme conique et qui présente au moins deux folioles distinctes à son sommet. Avec la tigelle qui est fort courte et la radicule qui a la forme d’un cône à base su- périeure, la plantule débarrassée de ses cotylédons représente assez exactement une masse fusiforme trapue. sien IT Nous allons maintenant présenter l'historique du Drosophyllum lusitanicum. Les nombreux auteurs que nous avons compulsés et dont les travaux sont analysés dans ce travail prouveront aux lecteurs de cette étude, nous l’espérons du moins, combien nous avons mis de soin à rechercher tout ce qui pouvait avoir de l’intérêt pour le sujet que nous nous sommes proposé de traiter aussi com- plétement que possible. L'auteur le plus ancien qui se soit occupé du Drosophyllum lusitanicum, ou du moins celui auquel nous avons remonté le plus haut, est l’anglais Gabriel Grisley, dans le préambule de son Viridarium lusitanicum (Lisbonne, 1661). Suivant l’usage des botanistes de ce temps , Grisley donne à la plante que nous étudions un nom qui se termine en oides ; ainsi il la désigne sous le nom de Chameæleontioides. Linné, dans son Phi- losophia botanica”, a plaisanté les botanistes qui employaient une pareille terminologie : il les appelle des Botanicoides. L'ouvrage de Gabriel Grisley , composé de quarante feuilles, se trouve dans la bibliothèque des De Candolle. Ray a inséré ce travail dans son S#rpium europearum Silloge. ! Linnæi Philosophia botanica, p. 161 (ed. 4) : « Nomina generica in oîdes desinentia e foro Botanico releganda sunt. » C'est dans le même volume, p. 394, dans le Critica botanica, que se trouve ce passage : « Audivi dudum cum risu a philosophis et medicis objici oides istud, ut « quam primum viderint librum Botanicum, licet Botanices parum gnari, «ausi fuerint certare, se dignum judicium in autorem daturos; evolverunt « modo indicem, et si observarint plura nomina in oûdes ab autore confecta, « mox enunciarunt eum non esse Botanicum, sed Botanicoidem. » LE 9 = En 1700, Tournefort fit paraître son immortel ouvrage intitulé : Institutiones Rei herbarie. Dans ce traité, nous trouvons notre plante décrite sous le nom de Ros sois (Rosée du soleil), nom beaucoup plus harmonieux que celui de Chameæleontioides. Tour- nefort trouve que le Ros solis du Portugal a les feuilles de la petite Asphodèle : Ros solis lusitanicus, foliis Asphodeli minoris. Un auteur anglais, Salisbury, n’adoptant pas la synonymie des naturalistes qui l’avaient précédé, a décrit notre plante sous le nom de Ladrosia. Léonard Plukenet, dans son PAytographia (1691), a publié un dessin très-exact du Ros so/is lusitanicus. Au bas de la planche qui reproduit cette jolie fleur on lit : « Ros solis lusitanicus maximus, foliis Asphodeli minoris doctoris « Tourneforti. Chamæleontioides Grisley, in Epist. dedicat. ad « Viridar. lusit. ; munere D. Courtière accipimus. » Aiünsi, comme on le voit, Plukenet adoptant le nom choisi par Tournefort, cite la synonymie de Grisley et nous apprend que l’é- chantillon qui lui a servi de modèle pour faire la gravure du Ros sols lui a été envoyé par le D' Courtière. L’écossais Robert Morison*, dans un grand ouvrage intitulé : Plantarum historie universalis Oxoniensis, I, p. 620, s’est occupé du genre Ros solis et de l’espèce portugaise : ! Après avoir reçu au combat d’Aberdeen une blessure qui ne lui permit pas de servir la cause de l’infortuné Charles Ier d'Angleterre, Morison se ré- fugia dans Paris, puis, ayant entendu parler de la célébrité de la faculté de Médecine d'Angers, il y vint, en 1648, prendre ses grades. Lorsque Morison se présenta devant la docte faculté afin de consigner sur les registres sa déclaration relative aux droits de Bourse, c’est-à-dire ce qu’on appelle aujourd’hui les inscriptions, les docteurs régents furent tellement émus au récit que Morison leur fit de ses misères et des privations endurées par le noble écossais, depuis le jour où vaincu, il avait déposé les armes, gagné la France et était arrivé à Angers, qu’ils résolurent de l’exempter de la contribution pécuniaire ; mais Morison fier comme un homme de sa race ne voulut rien accepter et, ainsi que tous les autres étudiants, il s’engagea par écrit sur le livre des contre-lettres des externes, à verser les droits de Bourse exigés pour prendre les grades en médecine et recevoir le doctorat. XII. 1 PORN TOUS « Ros solis recentiorum quibusdem 8pocov quod quamvis diu sol « fervidibus æstate eam illustret, tamen folia semper rore et hu- « miditate madent dicitur. « In paludibus putridis inter muscum nascens reperitur. » Passant ensuite au Ros solis lusitanicus, Morison ajoute : « Ros solis lusitanicus, foliis Asphodeli minoris Tournefortni, « El. bot. « Chameæleontioides Grisley , folia habet dodrentem longa « Asphodelina supina parte sulcata et rorelle in modum pilosa ac « prona parte convexa, flores caulium summitatibus insidentes, aliis « hujus familiæ majores sunt. « Rara hæc planta a cl. Tournefortio in Lusitania collecta et «cum DD. Sherardo communicata est cujus in collectaneis cum « pluribus aliis rarissimis observavimus. » Il résulte de ce passage que ce fut Tournefort qui, le premier en France, étudia le Drosophyllum qu’il avait recueilli dans ses voyages en Portugal, et que ce fut d’après des échantillons qui lui furent communiqués par Sherard que Morison put faire ses observations sur cette plante qu’il considère comme très-rare. Linné changea le nom de Ros sols en celui de Drosera. Dans le Species plantarum, 1753, Sp. 403, la plante est ainsi décrite : « Drosera lusitanica; scapis radicatis; foliis subulatis subtus « COnvexis. » Les fleurs quinaires jaunes à épi latéral sur une hampe nue, les capsules uniloculaires, à cinq valves, les feuilles roselées, pé- tiolées et entièrement hérissées de poils glanduleux, d’un brun rouge, qui sont les principaux caractères du genre Drosera, por- tèrent Linné à faire un Drosera, de la plante portugaise. Vicat, dans sa Matière médicale tirée de Haller (Æistoria stirpium indigenarum Helvetiæ), ne donne aucune description des diverses espèces de Ros sols ; il s'exprime en général sur elles, ot = « Ces espèces sont, dit-il, âcres au point d’ulcérer la peau et « d'attaquer les dents. Outre cela, les Ros so/is sont un poison pour «les moutons, à qui ils gâtent le foie et le poumon en leur causant « une toux qui les fait périr insensiblement. L'esprit de vin en « retire une teinture amère. Leigh dit que ces plantes fournissent «une huile volatile. «Bonfigli dit que la teinture qu’on en prépare est sudorifique, « et qu’elle est un remède spécifique pour la plique. « Siegesbeck la dit bonne pour les maladies catarrhales, et « Chomel dit que l’herbe est utile dans les maladies des poumons. « Nicolaus lui attribue la qualité diurétique. Dans le nord de « l'Allemagne et en Suède, on se sert du Ros sois pour faire cailler « le lait, qu'ils appellent alors Tattiolk. Les Suédois se servent du «lait de chèvre (la saveur de cette dernière espèce a une acidité «agréable et un peu ferrugineuse). » Haller et Vicat, qui écrivaient, l’un en 1768, et l’autre en 1776, ont-ils connu notre plante et lui assignent-ils les mêmes propriétés qu’à tous les Ros sois? Le Ros solis lusitanicus était-il pour eux la Rorelle, l’herbe aux goutteux, le Sa/sirora, le Sponsa Soli Ta, ic. IX, n. 2? Nous l’ignorons; et ces deux auteurs ne sont pas assez explicites pour que nous puissions prendre une conclusion. Du reste, ils écrivaient après Linné, qui avait changé le nom de Ros sols en celui de Drosera. Le savant botaniste portugais Brotero (Flora lusitanica, X, 215, Sperqula, 1804)ne voit dans le Drosophyllum ni Chamæleontioides, ni Ros sols ; il le considère comme une Spergule aux feuilles teintées de rose et lui donne pour adjectif qualificatif celui de drose- rioides. Laïssons parler Brotero, qui, après une courte description du Sperqula droserioides, indique les localités où il l’a observé, et décrit ensuite les caractères qui l’ont déterminé à faire une Spergule d’une plante queses devanciers dans la science avaient classée dans un autre genre. — 100 — € SPERGULA DROSERIOIDES. «S. radice caulescenti ; caulibus superne ramosis ; foliis subu- « latis, carinatis, apice spiraliter tortis, pilosis, pilis rorido-glandu- « losis ; seminibus pedicellatis. « Lusit. Herva Pinheira orvalhada. « Drosera lusitanica L. « Chameæleontioides Grisr., Vir. lusit., n. 325. « Sperqula rorida, lusitana Grisl., Vir. lusit., n. 1354. « Hab. in sabulosis aridis trans Tagum circa Seixal et Arrentella, «circa Torres Vedras, Monte junto, Chao de Macdas, Redinha etalibi «in collibus picis ex Olisipone usque Aveiro ad quinque leucas ab « Oceani littoribus. « F1. æstate ; perenne et quasi suffrutex. «Rapix perennis ramosa, superne crassitudine pennæ anserinæ, « sensim quotannis extus terram sese erigens, seu duas ad qua- « tuor uncias caulescens, foliis emortuis superne cincta : 1bi nova «folia, quasi ut in Palmis progerminant, quæ radicalium vices «gerunt, cum ad terram nulla, nisi a seminis germinatione anno « primo Caulis in ætate plantæ tenera unicus, postea duo tres qua- «tuorve ex apice radicis caulescentis, semipedales aut paulo al- « tiores, teretes, paucifolii, erecti, superne ramosi, ramis alternis, «erectis, unifloris, inferioribus sæpe altioribus, omnibus, uti caulis, « pilosis, pilis apice capitato-glandulosis, succumque glutinosum «exsudantibus. Folia radicalia, et quæ in apice radicis caulescen- «ts, in orbem congesta, erectiuscula, caule paulo breviora, subu- « lata, carinata, supra planiuseula, apice spiraliter retorta, ad oras «præsertim piloso-glandulosa : caulina similia, alterna, sursum « versus caulis apicem sensim breviora. Flores quatuor ad septem, «caulem et ramos terminantes. Calyx pentaphyllus, foliolis ovato- «lanceolatis, acuminatis intus glabris, extus et ad oras piloso- « glandulosis, corolla brevioribus. Corollæ petala lutea, obovata. « Stamina constanter decem. Pistilla quinque Capsula calyce fere du- « plo longior, glabra, unilocularis, quinquevalvis, valvis ovato-lan- «ceolatis. Semina conica, unam lineam longa, nigricantia, basi — 101 — « lata subconcava, ibique in medio umbilicata, decem ad duodecim, «nonnulla abortientia, omnia in fundo capsulæ singulaque pedicello « parvo imposita. Integumenta duo membranacea. Albumen semini « conforme, sordide albidum, cartilagineum, apice, ubi embryo, «excavatum. Embryo inversus, minutus, albus, conicus, in apice « angusto et excavato albuminis sedens. Cotyledones obovatæ, «erassæ, hinc ad plumulam subconcavæ, inde convexæ. Plumala « conica, alba, apice bifida, cotyledonibus dimidio brevior ; radicula « brevissima, acutiuscula, Planta, carpologice considerata, sui « generis ; fructus enim nec Droseræ nec Sperqulæ : loco tamen « habitationis sabuloso et arido, caule ramoso et foliato, numero- «que staminum propenso potiori jure Sperqulis quam Droseris « eam associandam esse, maxime in tyronum commoditatem « credidi. « Succus glandularum papyrum colore saturate purpureo « tingit. » Cette observation relative au suc des glandes du Drosophyllum, qui a la propriété de teindre le papier en couleur pourpre, est due à Brotero; nous n’avons trouvé la mention de ce fait dans aucun autre auteur. L'opinion de Brotero, considérant le Ros solis comme une Spergule ne fut généralement pas admise. Bientôt parurent d’autres botanistes qui lui donnèrent une autre place dans la classification. Cependant, comme on a pu le voir en lisant attentivement la description donnée par Brotero, ce n’était pas par pur caprice que ce botaniste avait rangé notre plante, dans la famille des Caryophyllées ; il ne l’avait fait qu'après de longues observations ; il avait remarqué dans les caractères généraux qui constituent la famille des Caryophyllées, une grande analogie avec ceux de la plante qu’il a si minutieuse- ment décrite, tels que : feuilles entières, tiges noueuses et articu- laires, calice à 4 et 5 dents ou à 4 et 5 sépales, pétales onguiculés, androcée diplostémone, 2-3 styles, capsules déhiscentes au sommet, placenta axile, graines nombreuses, embryon involuté, albu- — 102 — miné, etc. Tout à l'heure nous allons présenter les arguments d’un autre maître de la science qui détruisent ceux de Brotero. Nous voici arrivé à Link, qui, dans le Journal de Schrader, Neues Journal für die Botanik herausgegeben v. professor Schrader, 1806, p. 1, 53, a créé le genre Drosophyllum, aujourd’hui adopté par les botanistes. Nous allons suivre la savante discussion de Link, qui mérite être consignée dans cette étude, car c’est à Link qu’on doit la meilleure description du Drosophyllum lusitanicum ; description qui a servi de guide à tous les autres botanistes qui se sont occupés après lui de cette Droséracée. « Drosopayziun (Drosera lusitanica Linn.), novum genus, des- «criptum a H. F. Link, professore Rostochiensi. « Drosera lusitanica Linnæi tot notis a Droseræ genere discrepat, «ut nullo modo cum eo conjungere possit. Taceo stamina decem « quorum jam mentionem fecit Linnæus; staminum enim numerus « aut denarius aut quinarius, levissimi sane momenti nota est. « Fructus vero constantes offert characteres; capsula papyracea «est, unilocularis, ad medium fere quinquevalvis; semina nullo «modo parietibus, ut in Drosera, sed creberrimis funiculis sper- « maticis in centro capsulæ fundo aflixa. Nec ad eumdem ordinem « naturalem pertinet, sed ad Caryophylleas quarum plurimæ se- « mina eodem modo inserta habent. « Linæus in Speciebus plantarum hæc verba addit : « Generis Droseræ speciem esset negat Rajus, stamina huic « decem constantia observavit Alstroemer adeoque Oxalis diceretur, «si flores essent umbellati et foliorum proprietas non detineret «cum capsula uniloculari. « Oxalidis genus capsulæ structura longe a nostra planta differre «ex supra dictis satis patet, unde vero sumserit vir celeberrimus, « Rajum dixisse plantam non esse generis Droseræ, nullo modo «invenire potui. Rajus in Swppl. ad Historiam plantar., p. 551, « ubi de Drosophyllo loquitur hæc subjungit : « ad hunc locum non — 103 — « pertinet cum Roris sols flos proprie pentapetalos sit, non penta- « petaloides. » « Cum vero Drosera lusitanica corollam habeat pentapetalam, « patet, Rajum nil dicere voluisse nisi plantam loco congruo omi- « sisse, hic vero loco incongruo inseruisse. «Clarissimus Brotero, professor Conimbricensis, cum quo jam «olim de hac stirpe nobis sermo fuit, in litteris ad me datis ait, se « Droseram lusitanicam ad Spergulæ genus referendam esse pu- «tare. Non negandum est huic generi proximam esse. At Spergula « habet semina margine membranaceo cincta et embryonem spi- «ralem absque albumine; hinc Sperqulam strictam aliasque a «Spergula sejungenda et cum Sagina, quamquam obstet staminum «numerus combinanda senseo. À Sagina vero capsulis non ad basin « usque dehiscentibus et sporophoro (ita voco receptaculum semi- «num) brevissimo vix ullo differt Drosophyllum, ut taceam « habitum longe discrepantem. « Semina quidem nonnisi cassa, quod maxime dolemus, vidimus ; «et rarius semina maturat planta, sed potius radicibus propagatur ; « quantum vero hariolari licuit, embryo non periphericus est, uti «in plerisque Caryophylleis, sed centralis aut dorsalis, character «igitur essentialis hie erit. » Link, comme les botanistes qui l’ont précédé, ne semble pas s’être beaucoup préoccupé de la graine ; aussi des caractères essentiels à la plante, ont-ils échappé à son investigation. Nous croyons que ce botaniste s’est trompé en disant que la graine mürit mal et que la plante se reproduit plutôt par les racines. Le Drosophyllum, placé dans un terrain qui lui est propre, fruc- tifie bien et donne des semences qui se reproduisent facilement. Link a minutieusement étudié le Drosophyllum, comme on peui le voir par la description suivante tirée du travail de cet auteur. € DROSOPHYLLUM. « Cazyx pentaphyllus. Petala 5, integra. Stamina 10. «Sryzi 5. Capsula unilocularis ad medium quinque valvis, — 104 — « papyracea. Semina in centro capsulæ fundo funiculis longis «allixæ. Drosophyllum lusitanicum. « Caunex (Rhizoma Ehrharti) simplex sæpe pedalis, lignosus, «cortice nigricante, fibrillis radicans. « CauLIs e caudice unus, rarius 2 et plures erectus, superne ra- « mis paucis, pedalis, subangulatus glandulis fungiformibus stipi- « tatis obtectus, succum viscosum secernentibus. « For caudicina conferta, uti inferiora caulina sessilia, linearia, «3 unc. ad pedem longa, vix 2 lin. lata, longissime acuminata, «supra planiuscula, subtus convexa : superiora deliquescentia; «omnia undique glandulis, uti caulis, tecta; juniora circinata. « InrcoresceNnTIA centrifolia pauciflora. « PeniceLui a ; unc. 4 unc. longi, arrecti; bracteæ plures alternæ « lanceolatæ, 4-6 lin. longæ, lin. latæ. « Cazvx pentaphyllus; phylla ovalia, 5 lin. longa, 2-3 lin. lata, «acuta, glandulosa uti caulis. « PeraALa 5, cuneiformia; ungues a lamina non separati, inter «se approximati; tota unciam longa, superne, ubi latissima, 7 lin. « lata, otundata, integra et integerrima, sulphurea, lineis fuscen- « tibus. « STAMINA 10, corolla multo minora, quinque paullo majora; fila- « menta filiformia basi planiuscula, receptaculo inserta; antheræ « incumbentes, oblongæ, polline flavo. & PisriLza 5 epigyna staminum minorum magnitudine; styli « filiformes ; stigma capitatum, flocculosum. « CapsuLA calyce duplo major, conica, obtusa, papyracea, unilo- « cularis, ad medium quinquevalvis. « SEmmaA plurima (ad 20-30) funiculis 1-2 lin. longis funde in «centro capsulæ aflixa, oblonga, rotundata, planiuscula, medio « subcarinata. » Auguste Saint-Hilaire (Mémoires du Muséum, 1815, II, p. 124, famille des Caryophyllées), a, dans une remarquable étude sur — 105 — le placenta libre, résumé les diverses opinions émises sur le Drosophyllum lusitanicum, comme on peut en juger par ce pas- sage : « On avait attribué au genre Drosera un placenta libre et «central, mais Gærtner, ainsi que MM. Aubert du Petit-Thouars «et Jules Tristan, ont très-bien observé que plusieurs espèces de « ce genre, entr'autres nos Drosera longifolia et rotundifolia L., « avaient comme les violettes leurs semences placées au milieu « des trois valves d’une capsule uniloculaire. « Bien différent de ces plantes, le Drosera lusitanica L. s’en « distingue par sa tige feuillée, par ses dix étamines, sa capsule «s’ouvrant en cinq valves seulement jusqu’à moitié, et surtout «enfin par la présence d’un axe central auquel les semences «sont attachées. Je me suis assuré que les parois de la capsule «ne portaient pas les graines et sans avoir vu l’axe central je «n’en suis pas moins convaincu de son existence, car elle est « suffisamment indiquée par la description de M. Link, insérée « dans le journal de Schrader (2ter Theil, 2ter Band 5 51) et « M. de Tristan dit d’une manière positive, qu’un placenta ana- « logue à celui des Caryophyllées occupe le milieu du fruit (Ann. «Mus., XVIIE p. 40). Tant de caractères ‘ distincts autorisent « certainement à séparer le Drosera lusitanica des autres Ros solis, «et le genre Drosophyllum * de Link, ne saurait manquer d’être « adopté. Mais je ne puis croire, avec ce célèbre physiologiste, que «son nouveau genre doive être réuni aux Caryophyllées; un «caractère isolé, quel qu’en soit l'importance, ne suffira jamais 1 M. Link dit qu’il existe dans la capsule des cloisons incomplètes. Je ne les ai point apercçues. 2 Necker avait déjà formé aux dépens du Drosera de Linné (Elem. bot., pag. 460), un genre Esera auquel il attribue des feuilles sur la tige et une capsule s’ouvrant au sommet en cinq valves et il ne dit pas à quelle espèce ce genre doit être rapporté, mais il est clair que ce n’est point au Drosera lusitanica L., puisque celui-ci a dix étamines et que l’Esera en a cinq. L’exis- tence d’une tige feuillée dans l’Esera me fait croire que Necker avait en vue le D. cistoides L., qui alors aurait une capsule à cinq valves, comme le — 106 — « pour rapprocher un genre d’une famille extrèmement naturelle ; « et si l'existence d’un axe central établit quelques rapports entre «les Caryophyllées ei le Drosophyllum , combien ne s’en éloigne- « t-il pas par ses feuilles alternes, par leur enroulement, par les «glandes nombreuses qui couvrent toute la plante et enfin par sa «physionomie qui ne se retrouve plus guère que dans le genre « Drosera! Au reste, M. Link n'aurait peut-être pas songé à ce « rapprochement singulier, s’il eùt connu la structure des semences. «Je vais en décrire les différentes parties telles que jai eu l’hon- « neur de les faire voir à M. de Jussieu. Les graines du Droso- «phyllum sont grosses, noires, pyriformes et je présume que le « point d’attache est à extrémité du bout le plus petit. Elles n’ont « point d’arille, leur tégument propre est crustacé. Un grand pé- « risperme charnu les remplit presqu'entièrement ; et tout à fait à «sa base, c’est-à-dire que le bout étroit de la graine est un em- «bryon très-petit, parfaitement conique, simplement appliqué «contre le périsperme, mais point entouré par lui. Les cotylédons « qui forment la base du cône embryonal sont épais et tronqués à « leur extrémité, seule partie de l'embryon qui soit en contact avec «le périsperme. La radicule très-courte forme le sommet du cône «et aboutit au point de la semence que je prends pour Pombilic. « Cette organisation générale fort rare, ct qui ne se retrouve dans « aucune graine caryophyllée achève d’éloigner le Drosophyllum de «cette famille. Mais si l’on ajoute à la ressemblance de physio- «nomie une semence qui intérieurement est organisée chez les « Drosera absolument comme dans le Drosophyllum, on jugera «sans doute que, malgré la différence, à la vérité fort remar- D. lusitanica L. Ce caractère et celui des feuilles sur la tige me feraient penser que ces deux plantes, malgré la différence qui existe dans le nombre des étamines, peuvent être congénères, et je crois que l’on fera bien d’exa- miner avec détail le D. cistoides L. Il me parait vraisemblable que Linné a fait sa description du Drosera d’après cette dernière espèce , car il indique avec cinq étamines une capsule à cinq valves. A la vérité, Gærtner en attribue trois ou cinq à la capsule de nos Drosera indigènes, mais il est clair que par respect pour Linné, il a voulu accorder la description du botaniste suédois avec ce qu'il avait vu lui-même. — 107 — « quable, que présentent les placentas, on doit laisser ces deux « genres l’un à côté de l’autre. Quelques particularités que j’ai ob- « servées dans la graine du Drosera, mal décrite par Gærtner, et « qui sont indépendantes de sa structure intérieure, m’aideront « peut-être à découvrir ou à confirmer les véritables affinités des « deux genres dont il s’agit; mais, pour ne pas trop m’éloigner de « mon sujet, je me réserve de traiter ailleurs ce point de bota- «nique. » Auguste Saint-Hilaire a su saisir tout ce qui avait échappé aux autres botanistes et n’a pas oublié les caractères de la graine. Son étude sur le sujet qui nous intéresse est la plus complète de celles publiées à l’époque où écrivait ce professeur de la Faculté des sciences de Paris ; mais depuis, d’autres observations out été pro- duites, et la science n’a pas encore dit son dernier mot. Dans le Dictionnaire de Levrault (Dictionnaire des sciences natu- relles, Paris, 1819), nous trouvons bien peu de renseignements sur notre plante. Voici seulement ce qu’on y lit : (DROSÈRE DE PORTUGAL. « Drosera lusitanica L., Species, 403. » Salisbury appelle ce même genre Ladrosia lusitanica. Nous lisons dans le Prodromus de De Candolle cette courte des- cription : « Sepala et petala 5 unguibus approximata Stam. 10. Styli 5, «filiformes. Capsula-5, valvis ad medium valvulis introflexis fere « 5-locularis. « In collibus arenisque Lusitaniæ. Caulis fruticosus; folia linearia « integra glandulis stipitatis obsita. Panicula corymbosa; flores « ampli sulphureï. » Bory de Saint-Vincent (Dichonnatre classique d'histoire natu- relle, 1824) a, dans ses longues excursions, retrouvé en Anda- lousie, ainsi qu’à Ténérifie, dit:1l, le Drosophyllum lusitanicum. — 108 — Etienne Endlicher, dans son Genera plantarum, se contente d’une courte description du Drosophyllum lusitanicum , sans citer une seule localité (ce que ne comporte pas le cadre de son ouvrage). Voici la description d’Endlicher (1836) : « Suffrutex lusitanicus pedalis, pilis glandulosis viscidus ; foliis « confertim alternis linearibus acuminatis glanduloso-ciliatis, ver- « natione circinatis ; fforibus terminalibus, corymbosis. » M. Meissner, Genera Plantarum vascularium, secundum ordines naturales digesta, 1836-1843 (gen. 22), décrit ainsi le Drosophyllum lusitanicum : « Styli 5. Capsula valvarum marginibus introflexis fere 5-locu- « laris. Stamina 10. Folia linearia glandulifera. Lusitania. » Steudel, dans le Nomenclator botanicus , donne la synonymie du Drosophyllum: Drosorayzium Link, Spr. 1727, Dec. 1320, fam. Capparideæ , Spr. — Droseraceæ, Dec., Lusitanicum Spr. +, Lusitania. S. 1. D. 1. Drosera lusitanica Linn. Spergula droseroïides Brot. Le Dictionnaire d’histoire naturelle, publié en 1844, sous la di- rection de d'Orbigny, répète à peu près ce que les autres auteurs ont écrit relativement au Drosophyllum lusitanicum; il n’y a rien d’original dans l’article sur cette plante inséré dans ce dictionnaire. C’est une faible et très-écourtée compilation de tout ce qui a été écrit sur le Drosophyllum lusitanicum. S1 nous citons ce passage c’est que nous ne voulons rien omettre de ce qui a été dit sur la plante qui fait l’objet de notre étude. « DROSOPHYLLUM, ôpocos, rosée, gvhov, feuille. » « Croît dans la Péninsule ibérique, et dit-on, dans les Canaries, à « Ténériffe. «Cest un petit arbrisseau, haut à peine de 30 à 35 centim. «et couvert de poils stipités glanduleux et visqueux, à feuilles — 109 — « serrées alternes, linéaires, acuminées, ciliées, glanduleuses, dont « la vernation est circinée, comme dans les Drosera, à fleurs d’un « jaune pâle, très-arandes et disposées en corymbes. » Tout ceci n’apprend pas grand’chose. En 1846, Lindley (Vegetable Kingdom, p. 433), s'occupe de Vhabitat du Drosophyllum lusitanicum ; 11 Vindique comme crois- sant sur les collines sablonneuses du Portugal. M. Planchon, dans son Étude sur les Droséracées, publiée dans les Annales des sciences naturelles (série 3, IX, 79), cite l’herbier de Hooker à Kew, dans lequel il a pu étudier le Drosophyllum lusita- nicum. Cette plante, dit M. Planchon (p. 104), habite le Maroc, l’Estra- madure, le royaume de Grenade, près Cadix. Le savant et regretté Payer, de l’Institut ‘, dans ses lecons sur les Familles naturelles des plantes, a fait une famille des Droso- phyllées: (CX. — FAMILLE DES DROSOPHYLLÉES. «$ 54. — Cette petite famille se compose de deux genres seule « ment, les Drosophyllum et les Dionæa. « Les Drosophyllum ont les fleurs régulières et hermaphrodites. ! Payer, en mourant, a légué tous ses papiers scientifiques au D' Henri Baillon, professeur à la Faculté de médecine et à l'École centrale, directeur de la belle École botanique médicale créée par lui en face du Muséum d'histoire naturelle, et classée d'après un système des plus ingénieux, président de la Société linnéenne de Paris, rédacteur de l’Adansonia, membre de la Société linnéenne de Maine-et-Loire, etc. Payer ne pouvait confier en meilleures mains ses trésors scientifiques. Le D* Baiïllon est un des hommes éminents de notre époque. Son Histoire des plantes, qu'il poursuit avec une activité sans pareille, est le plus bel ouvrage et le plus complet qui, jusqu’à ce jour, ait été écrit sur la botanique. C'est une œuvre sans précédent dans la science. Tous ceux qui ont suivi le remarquable cours de M. Baillon à la Faculté de médecine de Paris, auront constaté, comme nous l'avons fait, combien l’en- seignement de ce maître est supérieur à tous autres et surtout combien il sait rendre à ses nombreux auditeurs la science agréable et facile. — 110 — « Leur calice a cinq sépales en préfloraison quinconciale dans le «bouton, et leur corolle, cinq pétales dont la préfloraison est con- « tournée. Les étamines sont au nombre de dix; elles sont libres «entre elles jusqu’à la base, et disposées sur deux verticilles su- « perposés, l’un au calice, l’autre à la corolle. Les anthères, fixées « par la base dé leur dos sur leurs filets, sont biloculaires, introrses, «et s’ouvrent par deux fentes longitudinales. Le pistil se compose « d’un ovaire supère, surmonté de cinq styles superposés aux pé- « tales, et dont les extrémités, renflées en boule, sont recouvertes « de papilles stigmatiques. Cet ovaire est uniloculaire, et au fond de « sa cavité, on remarque un gros placenta basilaire central sur lequel « sont dressés un grand nombre d’ovules anatropes dont le micro- « pyle est inférieur et externe. Le fruit est une capsule qui s'ouvre «en cinq valves superposées aux pétales, et les graines contiennent «sous leurs téguments un albumen charnu , à la base duquel se «trouve un très-petit embryon. Ce sont des plantes à tige frutes- « cente, à feuilles alternes, simples et sansstipules. On n’en connaît « qu’une espèce, le Drosophyllum lusilanicum, qui croît sur les « collines sablonneuses du Portugal, et qui a été retrouvée en An- « dalousie et à Ténériffe. » Cette description, remarquable par sa lucidité, nous permettra, quand nous allons étudier les affinités, de discuter les motifs qui ont engagé Payer a faire une famille des Drosophyllées. MM. Bentham et J.-D. Hooker (Genera plantarum, 1865) donnent peu de chose concernant le Drosophyllum lusitanicum. Nous ne trouvons dans leur ouvrage que ces lignes : « Species Hispaniæ, Lusitaniæ et Mauritaniæ incola. DC., « Prodr., 320. » Enfin, l'ouvrage le plus récent où nous avons trouvé des ren- seignements sur le Drosophyllum lusitanicum est le Botanical Ma- gazine, pl. 5796. « Plante, dit le rédacteur de ce journal anglais, «sous-ligneuse, d’Espagne et de Portugal, très-curieuse par les « nombreux poils glanduleux qui couvrent toute la plante, et jolie — 111 — « par ses fleurs jaunes, larges de 3 à 4 centim., et disposées en « corymbe au sommet de la tige. Cette tige est haute de 30 à 40 c., «et les feuilles très-longues sont étroites. » Nous avons trouvé cette traduction du texte anglais dans l’Horti- culteur français, page 764, Revue des journaux étrangers. L'article est signé A. de Talou. Nous avons l’espérance que le Drosophyllum lusitanicum ne restera plus une plante seulement connue des naturalistes. Cette charmante Droséracée sera dans peu généralement livrée à la cul- ture et fera l’ornement des jardins des vrais amateurs de botani- que appliquée, qui aiment les belles et agréables fleurs. Nous aurions pu peut-être présenter plus succinctement l’histo- rique du Drosophyllum. Mais nous avons tenu à donner en entier les descriptions publiées par les maîtres de la science, afin de montrer que les observations que nous consignons sont bien nôtres, et qu’elles ont essentiellement un caractère d’originalité. Elles nous permettent d’ailleurs d'appuyer sur une base solide les considérations que nous devons maintenant présenter sur les rapports naturels du végétal que nous étudions. Les affinités du Drosophyllum sont d’abord les mêmes que celles des Droséracées, parmi lesquelles la plupart des botanistes l’ont placé. N'oublions donc pas que les Droséracées ont été rapprochées à la fois des Violariées, des Polygalées, des Tamariscinées, des Cistinées , des Frankéniacées, des Parnassiées, des Saxifragées, des Hypéricinées, des Berbéridées et même des Ericinées. Bartling et Endlicher les ont classées dans leur groupe des Pariétales ; M. J.-G. Agardh est le seul, je pense, qui les rapproche des Népenthées : « Droseraceæ sunt Nepentheæ superiores, nempe « hermaphroditæ, verticillis tepalorum 2 distinctis pentameris, « habitu et staminibus invicem liberis distincte. » Mais en même temps, il les regarde aussi comme bien voisines des Saxifragées par l’inflorescence, la fleur, le gynécée, les glandes dont sont chargés la piupart des organes, et même par les fruits et les enve- loppes séminales. Il est vrai que la placentation est souvent pariétale avec un ovaire uniloculaire, aussi bien parmi les Droséracées que — 112 — dans un grand nombre de Saxifragées. Maïs on n’a pas, que je sache, observé parmi ces dernières, une placentation centrale et basilaire, analogue à celle que nous venons de rencontrer dans le Drosophyllum. Ce point ne paraît point à M. Agardh d’une valeur bien considérable, car il dit encore (Theor. System. plant., 86) : « Præcipuam ansam conjunctionis familiarum quas parietales « vocant, in ipsa placentationis parietalis positam putarem. » Il ajoute : « Quam parvi vero momenti revera sit hœc non pauca monstrant «exempla Cistinearum, Hypericinearum, Bixacearum, quæ pla- «centas in centro obvias et ita centrales nominandas offerunt, «îta quoque Byblis inter Droseraceas placenta pingitur central, « Dionæa basali. » Le Drosophyllum est précisément dans le même cas que les Dionœæa ; son placenta est basilaire. C’est pour cela que Payer qui, dans ses Leçons sur les familles naturelles des plantes, a accordé tant d'importance pour la classification à l’organisation du gynécée et au caractère de la placentation , a dù ranger, comme nous l'avons vu, le Drosophyllum assez loin des Droséracées, dans la division des familles à placenta central libre (p. 91), tandis que les Droséracées appartiennent au groupe des plantes à placentas pariétaux. Un semblable mode de classification est sans doute un Système, et l’auteur ne l’ignorait pas. Mais on doit reconnaître avec lui qu'il en est incontestablement de même pour toutes les classifications qui se décernent complaisamment, depuis un demi- siècle, le titre de naturelles, et que, système pour système, celui- là est certainement le plus commode et le moins trompeur, qui repose sur la structure du gynécée et sur les rapports de ses difté- rentes parties. Il y a toujours des cas particuliers où ce système- là, comme tous les autres, néglige ou brise forcément des affinités naturelles. Mais dans la pratique, ceux-là seuls pourront dire si les caractères du gynécée sont utiles à la classification, qui sont arrêtés dans la détermination de presque toutes les plantes diclines dont ils n’ont pas eu à leur disposition la fleur femelle, ou du moins le pistil, on les ovules dans leur position naturelle. Les — 113 — Drosophyllum et les Dionæa , c’est-à-dire le petit groupe des Dro- sophyllées, pent bien n’être pas considéré comme une familie dis- tincte, mais il.peut constituer, à notre avis, dans la famille des Droséracées, uñe section remarquable par la placentation basilaire. C’est ce que nous acçorderons , nous fondant pour cela sur l’ob- servation des différences de placentation que l’on rencontre dans d’autres groupes naturels, comme les Philésiées, et les Berbéridées, par exemple. | Là, nous voyons les Roxburgha, d’une part, et les Leontice, de l’autre, posséder un placenta central basilaire, tandis que celui des Lapageria ou des Epimedium est nettement pariétal; sans qu’il nous paraisse indispensable, pour ce seul motif, de faire quatre familles, là où la plupart des auteurs n’en admettent que deux. Mais si nous concédons ce point aux botanistes qui n’accordent pas à la placentation une valeur absolue pour la classification , nous re leur demandons en retour qu'une chose, c’est d’accepter les conséquences qu’entraine la logique, quant à la véritable signiti- cation morphologique des différentes variétés de placentation qui s’observent dans le Règne végétal. Si la placentation basilaire est de même nature, comme on s’ac- corde à le reconnaître, que la placentation centrale-libre, le pla- centa basilaire est d’origine axile ; c’est un prolongement de l’axe floral, moins élevé, plus déprimé que le placenta conique, eylin- drique ou renflé en boule, qui s’observe dans les Primulacées, les Santalacées, les Avicenniées, etc.; mais c’est toujours le même axe qui supporte les ovules. Si le placenta basilaire des Polygo- nacées, des Arroches, des Roxburghia, des Leontice, des Dro- sophyllum enfiu, est un axe aplati, surbaissé, à contour circulaire très-régulier, peut-on logiquement lui accorder une autre nature, alors que son contour cesse d’être tout à fait circulaire, et que, s’allongeant un peu sur ses bords, dans un sens ou dans l’autre, il devient un peu ovale ou elliptique ? Dans le Leontice Leontopeta- lum, par exemple, le placenta basilaire est un plateau circulaire qui supporte quelques ovules ascendants. Dans certains Berberis, le placenta est le même comme silualion; mais sa forme west pas XII. 8 — 114 — exactement circulaire. Du côté où les bords de la feuille carpellaire viennent se rejoindre, le placenta s’allonge et s’élève un peu. D'ailleurs les ovules ont la même insertion que dans les Leontice, et une couple d’entre eux seulement sont insérés sur le bec saïllant du placenta, un peu plus haut que les autres ovules. Peut-on admettre que la placentation soit d’une certaine nature pour une portion de ces ovules, et d’une autre nature pour les autres ? Dans d’autres Berberis, tous les ovules sont rejetés du côté de cette saillie unilatérale du placenta ; la placentation est devenue tout à fait pa- riétale. Mais peut-on admettre que la placentation soit morpholo- giquement différente de celle qui était basilaire en partie et déjà en même temps en partie pariétale? De même, dans les Berbéridées à placenta pariétal linéaire s’élevant très-haut sur les parties du gynécée, comme les Epimedium, le placenta est aussi de nature axile ; et, comme conséquence, il y a dans les plantes que nous étudions tous les intermédiaires entre les placentas basilaires du Drosophyllum et les placentas pariétaux du Drosera ; et la nature morphologique de tous ces placentas doit être considérée comme identique. IT Afin de savoir d’une facon complète tout ce qui se rattachait au Drosophyllum, nous avons compulsé le magnitique herbier du Muséum de Paris, déposé dans la galerie botanique. Cet herbier qui contient ceux des Tournefort, des Jussieu, des Vaillant, etc., a été pour nous une mine fertile que nous avons fouillée avec soin. C’est ainsi que nous aÿons pu connaître un certain nombre de localités ou croît notre intéressante Droséracée. Les étiquettes placées au bas de chaque échantillon nous ont fourni des renseignements d’autant plus précieux qu’elles vien- — 115 — nent de la main même des botanistes qui avaient récolté cette plante. Nous allons done, par ordre de date, donner les notes que nous avons recueillies dans l’Herbier général pendant le temps que nous avons passé aux galeries botaniques du Muséum, aux mois de novembre et décembre 1869’. HERBIER DE TOURNEFORT. Tournefort ne cite aucune localité. C’est lui probablement qui fit connaître le Drosophyllum aux Jussieu. Sur l'étiquette placée au bas des échantillons récoltés par ce maitre, on ne trouve que cette courte description : Ros solis lusitanicus, foliis Asphodeli minoris. HerBier DE JUssIEU. Antoine de Jussieu est le premier qui fournit des indications sur les lieux où croît la plante. Ros solis lusitanicus, Viridar. lusitanicum. Ros solis lusitanicus, foliis Asphodeli minoris. /nstitutiones Reï herbarie. Prope Aldeam Gallegam sub pinis, februario 1717. HErBIER DE VAILLANT. Très-probablement, Vaillant n’avait pas trouvé lui-même cette plante, et comme Tournefort, il ne cite aucune localité. Nous serions donc portés à croire que Vaillant n’a décrit le Ros sols que d’après Tournefort. Les échantillons des herbiers Jussieu et Vail- lant paraissent provenir de Tournefort. Ros solis lusitanicus , foliis Asphodeli minoris. Institutiones Rei herbariæ, 245. 1 Nous ne pouvons trop remercier MM. Hérincq et Poisson, attachés au Muséum de Paris, de la complaisance qu’ils ont mise à faciliter nos recherches dans l’herbier. Mais c’est surtout et avant tout au savant docteur Baïllon que nos remer- ciements doivent s'adresser ; grâce à ce maître de la science, nous avons, croyons-nous, pu mener à bien un labeur qui était loin d’être exempt de difficultés. — 116 — Chameæleontioides Grisley, Vir. lusit. epist. dedie. Goudot, en 1898, a fait don au Muséum de plusieurs échantil- lons du Drosophyllum lusitanicum, rapportés par lui de Tanger ; nous copions l'étiquette mise au bas de la plante : Drosera lusitanica. Drosophyllum lusitanicum Link. Tanger, Gibel-Kibir. M. Goudot, 1828. Drosera lusitanica. Gibel Kibir, ou montagne élevée. Circa Tanger. Goudot. L’herbier de Schousboe, dispersé aujourd’hui, mais dont des types se trouvent actuellement en partie dans les collections du Muséum, possédait le Drosophyllum, comme on en peut juger par cette note placée au bas des échantillons récoltés par ce botaniste : Drosophyllum lusitanicum Link. Drosera lusitanica L. (Schousboe.) Haud infrequeus in monte Djebel-Kebir, prope Tanger. Locis petrosis inter frutices, junio 1831. L’herbier du Muséum de Paris fournit encore deux précieux renseignements sur les lieux où croît le Drosophyllum. Ainsi, en 1836, puis en 1840 et 1841, le docteur Teilleux rapporta de ses voyages d'Algérie et d’Espagne, le Drosophyllum lusitanicum, comme nous pouvons en juger d’après l’étiquette placée au bas des échantillons récoltés par ce savant docteur. Hergier pu Muséuu pe Paris. Mai 1836, prés humides, Algérie. Voyage en Espagne de M. le docteur Teilleux, 1840-1841, n. 38. 1 En 1841, M. le docteur Teilleux avait recu une mission scientifique du gouvernement français pour l'Espagne et le Portugal, il s’'embarqua à Mar- seille pour Barcelonne avec un professeur de dessin d'Angers, M. Hawke. — 117 — Un naturaliste distingué, M. le docteur Guillemin, auteur des Archives de Botanique, a fait don à l’herbier de plusieurs échan- tillons du Drosophyllum. Hers. Di GUILLEMIN. Drosophyllum lusitanicum Link. Mauritania. Goudot, 1828. Willkomm nous donne de bonnes indications sur le Drosophyl- lum; ce botaniste avait visilé l'Espagne en 1845. H. M. Waizikomm. Iter hispanicum. Drosophyllum lusitanicum Link. PI. exsicc., n. 603. Hab. in glareosis arenariis aridis montium prope oppidum San Roque occidentem versus sitorum. Altitudo 2000. Legi die 8 mensis april. 1845. Le botaniste Bourgeau, dans ses herborisations faites en Espagne dans l’année 1849, a rapporté de ce pays le Drosophyllum lusita- nicum. Voici ce que nous avons lu au bas des échantillons de M. Bour- geau, déposés au Muséum de Paris. E. Bourgeau, plantes d’Espagne, 1849. 64. Drosophyllum lusitanicum Link. - Rochers arides au Picacho de Alcala de los Gazules. Abondant surtout à Pena-Blanca. F1., 21 avril. Fr., 2 juin. M. Welwitsch nous a rapporté de son voyage de Portugal le — 118 — Drosophyllum, comme nous l'avons constaté sur les échantillons provenant de ses herborisations dans ce pays. Welwitsch. Iter lusitanicum , à Drosophyllum lusitanicum N° 51. In Transtagenæ pinetis prope Coina, maio 1851. L. Dufour, ce botaniste qui jusqu’à l’extrèême vieillesse n’a cessé de s’oceuper des plantes‘, a aussi vu sur les lieux notre jolie fleur; voici ce que nous avons constaté dans l’herbier du Muséum. Drosophyllum lusitanicum. — Cadix. M. Dufour. Saizmann a aussi récolté la plante à Tanger « ?n ericetis tingitanis ». — Herb. du Mus. M. Boissier nous apprend que, dans son voyage en Espagne, il l’a observée dans le royaume de Grenade, à Cadix, à Tarifa et à Algésiras. Le D' Leman la trouvée à Gibraltar. Depuis Tournefort jusqu’à nos jours, nous avons pu, sur l’her- pier général du Muséum d'histoire naturelle de Paris, étudier assez complétement l’aire géographique peu étendue du Drosophyllum lusitanicum. En terminant, nous dirons que le travail que nous venons d’ac- complir, a été pour nous l’objet constant des observations les plus intéressantes; aussi regrettons-nous vivement de ne point connaître ce riche pays de Portugal déjà exploré par tant d'illustrations botaniques, et qui a donné naissance à Brotero. 1 M. Dufour est mort en 1868, âgé de 86 ans. C'était un vieillard aimable qui cherchait autant qu'il lui était possible à venir en aide aux jeunes natu- ralistes. LE Latt4 Rue UOTE, Drosophy Üum lusttanium . mp. A. Salmon, Paris. DE — 119 — EXPLICATION DES FIGURES. Fig. 1. Plante en germination (12 diam.). Par l'extrémité aiguë de la graine est sortie la plantule. Les cotylédons sont renfermés sous les téguments sémi- naux, sauf leurs pétioles recourbés. D’entre leurs bases s’élève la tigelle, por- tant à son sommet un bourgeon et, au dehors de lui, deux feuilles opposées, révolutées. Fig. 2. Sommet d’une très-jeune feuille (30 diam.), terminée par une glande et déjà pourvue sur sa face inférieure de trois jeunes lobes, en forme de glandes stipitées. On voit par transparence des faisceaux fibro-vascutaires , émanés de ceux du limbe, se rendre dans ces lobes glanduliformes. Fig. 3. Un jeune poil capité (lobe glanduliforme), grossi (35 diam.). On voit son extrémité renflée en tête, et la tige dans laquelle on distingue par transpa- rence, du centre à la circonférence : des trachées, du parenchyme, et des cel. lules épidermiques incolores. Fig. 4. Fleur épanouie (2 diam.). Fig. 5. Fleur, coupe longitudinale (3 diam. 1/2). Le gynécée n'était ici formé que de trois feuilles carpellaires ; aussi ne voit-on, sur la coupe longitu- dinale, que deux branches stylaires dont une fendue suivant sa longueur. C’est le sommet de l’axe floral qui, dilaté en placenta, porte les ovules. Fig. 6. Fleur dont on a coupé le périanthe (3 diam. 1/2). [ci le gynécée était construit sur le type quinaire; le style a cinq branches, terminées par une boule stigmatifère. Fig. 7. Graine, coupe longitudinale (25 diam.). Sous les téguments on voit une cavité inférieure, en forme de cône tronqué, qui loge l'albumen. Plus haut et séparée de la précédente par une saillie circulaire, visible en dehors de la graine, se trouve une autre cavité conique qui loge l'embryon et, autour de lui, une couche très-mince d’albumen. Fig. 8. Embryon isolé (50 diam.). Les cotylédons sont écartés et l’on voit entre eux les deux feuilles qui viennent plus haut et qui sont opposées, appli- quées étroitement l’une contre l’autre et formant une gemmule conique. UN MODESTE AQUARIUM Toutes les personnes qui ont pu visiter l’année dernière l’exposi- tion maritime du Havre ont été émerveillées à la vue des magnifi- ques aquariums qui en ornaient le jardin. Dans les bassins extérieurs on avait réuni des phoques, des crocodiles, d’énormes tortues ma- rines; à l’intérieur de nombreux poissons, surtout des poissons plats, aux yeux d’émeraudes entourées d’un cercle d’or, de hideux poulpes aux longs bras armés de sucoirs, des hydres, des actinies qui ressemblent à des fleurs, des serpules aux panaches élégants, des crabes, des homards, etc., etc. Toutes ces merveilles devaient nécessairement attirer une foule de curieux par la nouveauté du spectacle, et servir d'instruction à ceux qui sont assez heureux pour avoir le goût de l’histoire naturelle. Mais la grosseur des objets, leur forme bizarre qui frappe la multitude, n’est pas toujours, pour le naturaliste, une cause de prédilection, car sous un plus petit vo- lume, et dans des conditions bien plus modestes, on peut se pro- curer de semblables jouissances et bien des sujets d’études aussi in- téressants. Une simple caisse vitrée.de 40 à 50 centim. de côté, quelques coups de filet donnés dans les herbes qui bordent nos petites ri- vières et dans l’eau boueuse des fossés qui les entourent, suffisent pour avoir des choses aussi curieuses que les gros animaux exposés à grands frais dans ces splendides aquariums. Plus les objets sont — 121 — petits, plus ils tendent à s’éloigner des formes que nous avons cons- tamment sous les yeux et plus ils excitent notre intérêt et souvent notre étonnement. Lorsque l’eau boueuse, réunie dans votre aquarium, se sera dé- posée et aura repris toute sa transparence , vous serez étonné d'y trouver réunis un aussi grand nombre d'animaux appartenant à des classes si différentes : parmi les reptiles, vous aurez des tri- tons à la marche calme et réfléchie, nageant seulement par le mouvement de leur queue qui leur sert d’aviron, sans em- ployer leurs pattes toujours serrées contre leur corps. Ils viennent se poser avec la légèreté de l'oiseau au milieu des racines ou sur les tiges des plantes, que vous aurez eu soin de conserver dans l’eau, pour surprendre les insectes imprudents qui passent à leur portée. De temps en temps on les voit s’élancer de leur place, toucher la surface du liquide, renouveler leur provision d’air en rendant d’a- bord celui qui a servi à leur respiration, qui se trouve épuisé d’oxi- gène, puis se laisser lentement retomber pour aller reprendre leur position première. Dans la classe des poissons, vous trouverez les épinoches, ce charmant petit animal à l’œil vif, au corps armé de formidables épines et dont les nageoires, toujours en mouvement, ressemblent plutôt à une tige rigide en vibration qu’à un organe de locomo- tion. Il m'est arrivé une fois d’avoir pu les observer construisant leur nid avec des débris de plantes aquatiques et des filaments de conferves, et cela avec autant d’adresse que les oiseaux les plus in- telligents. Les crustacés y seront représentés par des gammarus fluviatilis ou chevrettes d'eau douce aux allures vives et rapides, et par une autre charmante espèce, l’hippolite de Desmarets, aussi gracieux, aussi léger, aussi transparent que les palemons ou crevettes des bords de la mer et orné de petits points verdâtres qui servent, presque seuls, à le faire apercevoir. On pourra y rencontrer aussi un genre d'insectes qu'on sera peut- être bien loin d’y soupconner, une araignée aquatique qui non-seu- lement tend ses fils au milieu des plantes submergées, mais y Mer Le construit encore un logement rempli d’air pour pouvoir s’établir au fond de l’eau et surveiller sa toile, véritable cloche à plongeur dont elle peut se dire le premier auteur (tout ce que nous inventons n’existe-t-1l pas dans la nature? notre seul mérite est de trouver) ; c’est l’argyronète qui, lorsqu'elle traverse l’eau, ressemble plutôt à un globe argenté qu’à un être animé, effet dù à ce que les poils fins et serrés qui recouvrent tout son corps retiennent à sa surface l’air qui l'enveloppe d’une couche brillante et lui permet de respirer un certain temps dans quelque lieu qu’elle se trouve. Elle se sert aussi de cette organisation pour remplir sa cloche en faisant sortir avec ses pattes l’air qui l’entoure et qui va se réunir à la partie supé- rieure de son habitation, moyen qu’elle renouvelle jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment pleine. Parmi les coltoptères, la famille des hydrocanthares sera né cessairement la plus nombreuse. Les genres cybister, ditiscus, hy- daticus, colymbetes, etc., se feront remarquer par leurs longues pattes de derrière formant deux rames puissantes agissant simulta- nément, ce qui leur donne une grande force de natation, tandis que les haliplus, les cnemidotns, l’hyphidrus aux reflets de cuivre rouge, les hydroporus, etc., qui ne font que remuer leurs pattes comme dans la marche n’ont qu’une allure très-incertaine. Tous les hydrocanthares peuvent vivre hors de l’eau et sont pourvus d’ailes pour se transporter d’un ruisseau ou d’un étang dans un autre. En s’enfoncant dans l’eau ils emportent sous leurs élitres une petite provision d’air qui se trouve en contact avec leurs trachées cachées sous leurs ailes, mais au bout d’un certain temps, lorsque cet air est vicié par l'absorption du principe vivifiant , on les voit sortir du sable ou de dessous les pierres où ils s'étaient réfugiés, s’élever en dé- crivant une spirale, puis se renverser, placer l'extrémité de leur corps à la surface, soulever leurs élitres pour y faire pénétrer l'air nouveau et replonger entraînant à leur suite une bulle d’air comme provision supplémentaire. Les hydrocanthares remplacent au fond de l’eau les insectes carnassiers qui habitent sur la terre. Aussitôt qu’un animal aquatique languit ou vient à périr, on les voit arriver de tous côtés à la curée et en s’en disputant les débris ils le font So — promptement disparaître. L’eau peut donc comme l’air transmettre les émanations des corps et lés porter aux organes, encore inconnus, de l’odorat chez les insectes. On peut encore observer parmi les autres coléoptères habitant les eaux les hydrophiles. Ces insectes nagent peu, sont herbivores et se promènent sur les plantes aqua- tiques le corps enveloppé d’une mince couche d’air retenue aussi par les poils qui le recouvrent. Les hemiptères ont aussi leurs représentants dans les eaux. On voit les corixa, les naucoris traverser, avec la rapidité de l’hiron- delle, l’espace dans lequel ils sont renfermés ; le curieux notonecte, nageant toujours sur le dos, qui muni de ses deux longues rames, ressemble à une barque légère parcourant avec vitesse la surface intérieure de l’eau. Il y saisit avec ses autres pattes, toujours dis- posées à cet effet, les insectes que le vent ou le hasard fait tomber au milieu des plantes qui surnagent, tandis qu’au fond de l’aqua- rium se traînent lentement sur leurs grandes jambes, dont les deux premières terminées en forme de crochet, servent à arrêter les in sectes dont ils font leur nourriture, les longues ranatres et les nepas au corps large, aplati et couleur de boue. Chez les névroptères beaucoup de larves sont aquatiques. En première ligne, on doit citer celles des libellules qui, pour s’appro- prier l’air contenu dans l’eau, ont à l’extrémité du corps un vaste réservoir où sont les organes de la respiration et dans lequel l’eau entre et sort à chaque instant par un mouvement de dilatation et de contraction lent et régulier ; mais lorsque la larve veut se trans- porter rapidement d’un point à un autre, elle chasse avec force l’eau qu'il contient, ce qui lui sert de propulseur comme fait le tube des poulpes et de tous les céphalopodes, moyen particulier de locomo- tion. Les larves des phryganes seront également nombreuses : on les voit traînant avec peine les étuis qu’elles ont formés, suivant les espèces, soit avec des débris de plantes, soit avec des petites co— quilles, soit avec des grains de sable, le tout lié par des fils de soie, pour se mettre à l’abri des insectes carnassiers et des poissons très- friands de leur chair. Je pourrais citer dans d’autres familles bien d’autres espèces aussi — 124 — curieuses : des larves de diptères, des chenilles de papillons, des vers de différentes formes, et même de gros acarus rouges qui res- semblent à des perles vivantes du plus beau corail. Enfin paraït la classe des mollusques. Avec les gastéropodes, on aura les lymnées à la tête et aux cornes de bœuf venant lécher le verre et faisant agir leur langue de bas en haut, tandis que les physes dont la bouche est également fendue verticalement, le font en rapprochant leurs lèvres horizontalement, et les timides palu- dines, au museau allongé, en léchant de haut en bas. Les planorbes qui rappellent par leur forme extérieure les ammonites disparues depuis bien longtemps, et qu’on ne retrouve plus qu’à l’état fossile, viennent aussi paître sur le verre les petites algues qui s’y déve- loppent. On les voit quelquefois sortir en grande partie de leur co- quille, leur corps tout noir bien opposé à celui des blondes lymnées, pour faire leur toilette en la débarrassant des plantes qui se fixent à sa surface et lui rendre ainsi tout son brillant et sa légèreté. IL est curieux de voir ces mollusques, quoique d’un certain volume, ainsi que les grosses lymnées, se promener sur les radicules flottantes les plus fines des plantes sans les faire fléchir et y ramper comme sur un corps parfaitement solide. Je ne parlerai pas, parmi les mollusques acéphales, des anodon- tes ni des mulettes, coquilles qui par leur grosseur bouleverseraient tout notre petit établissement; mais on peut y observer les jolies cyclades et surtout les dressena polymorpha fixés sur les pierres ou sur les vieilles coquilles au moyen d’un byssus comme les moules sur les rochers, et qui, pour n’être pas obligés d’attendre du hasard une nourriture souvent incertaine, entr’ouvrent légèrement les deux valves de leur coquille, font sortir deux petits tubes d’un beau blanc, bordés d’une élégante frange noire, ressemblant plutôt à deux fleurs qu’à une production animale, et par un mouvement qui leur est particulier font entrer par un des tubes l’eau qui ressort par l’autre, arrêtant au passage tout ce qui peut servir à les nourrir. Quelquefois quand, par une température élevée et par un temps orageux, la pression atmosphérique vient à diminuer et par conséquent à faciliter le dégagement des gaz contenus dans l’eau, il semble — 125 — qu'il y ait fête dans l'aquarium; et comme on voit par une belle matinée de printemps chaque feuille se garnir à son extrémité d’une gouttelette liquide, là chaque feuille, chaque fêtu, chaque pierre se couvre de petites bulles brillantes, véritable rosée d’air qui semble apporter la joie et le bonheur. Les feuilles des myriophyllums se transforment alors en autant de girandoles garnies de leurs globes lumineux; celles des callitriches laissent échapper aussi parfois de leur extrémité une suite non interrompue de fines bulles d’air qui, en s’élevant, grossissent en raison de la pression qui diminue et semblent vouloir imiter les jets d’eau de nos jardins. Enfin pour compléter l'illusion, lorsque des bulles placées sur de légers fétus deviennent assez grosses pour vaincre la résistance qui les retient au fond, on les voit s’élancer comme de véritables aérostats empor- tant avec eux leur nacelle qui ne tarde pas à descendre tout aon- teuse, aussitôt qu’arrivé à la surface le ballon crève et s’évanouit au contact de l’air. On voit par ce rapide et très-incomplet exposé , combien d’obser- vations curieuses peuvent se faire dans un bien petit espace et peu- vent nous intéresser si on ne tient pas compte de la petitesse relative des choses. Mais daus l’étude de la nature petitesse et grandeur n’existent pas. CoURTILLER. SUR LE VOUACAPOU DE LA GUYANE. Si l’on pouvait douter de l’étroite affinité des Connaracées et des Légumineuses, il suflirait pour l’admettre d'examiner la plante dont Aublet (Guian., Suppl., 9, t. 373) a fait le type de son genre Vouacapoua. Assez répandu dans nos collections, le V. guianensis s’y trouve partout réuni aux Connaracées, avec les noms de Rourea, de Connarus ou d’'Omphalobium. X] fait partie de l’herbier portu- gais autrefois rapporté de Lisbonne par Geoffroy-Saint-Hilaire. M. Mélinon l’a recueilli sur les bords du Maroni, en 1852 (n. 37). M. Spruce (n. 2011) l’a également trouvé, la mème année, sur le Rio-Negro, près de Saint-Gabriel de Cachoeïra. On ne l’a guère étudié cependant, le croyant, d’après son port, son feuillage, la taille et la disposition de ses fleurs, construit absolument comme les Connarus, etne supposant pas qu’on doive rencontrer de telles ana- logies dans un type relégué, par tous les auteurs modernes, dans le genre Andira de Lamarek. Aublet n’a vu du Vouacapou que le feuillage et le fruit ; et c’est probablement à cause des caractères qu’il attribue à ce dernier, c’est-à-dire un péricarpe d’abord plus ou moins charnu et mono- — 127 — sperme, que le Vouacapoua a été privé de son autonomie générique pour être assimilé aux Andira. C’est A.-L. de Jussieu qui paraît avoir le premier (Gen., 363) consacré cette confusion, en se fondant sans doute sur la synonymie donnée par Aublet lui-même. Mais rien ne prouve que l’Angelin racemosa de Plumier, et l’Andira Tbairiba de Marcgraf et de Pison, soit la même plante que le Voua- capoua americana d’'Aublet. M. Bentham (Gen., 851) donne le Vouacapoua comme synonyme du Lumbricidia, à l'exemple d’'End- licher (Gen., n. 6726 b.), et, d'autre part, il décrit (in Journ. Linn. Soc., IV, Suppl., 119, n. 2), le Lumbricidia legatis de Vel!oz0 (FT. Jlum., NIL, t. 105), sous le nom d’Andira stipulacea ; mais je ne vois pas sur quoi l’on peut se fonder pour admettre que le Voua- capoua aït les grandes stipules persistantes des Lumbricidia, leur corolle papilionacée, leur androcée diadelphe et leur ovaire plurio- vulé. Aublet n’a pas en effet connu la fleur du Vouacapoua ; il n’a eu à sa disposition que la plante en feuilles et en fruits, quoique, dit-il, il l’ait rencontrée dans bien des endroits de la Guyane. La figure qu’il donne du fruit est d’une grande exactitude ; elle repré- sente un péricarpe pyriforme, dont le sommet est surmonté d’une petite saillie conique, et dont la surface est plus ou moins rugueuse. Comme consistance, ce péricarpe finit par devenir tout à fait sec, et il s'ouvre suivant sa longueur, à la manière d’un follicule. Ce carac- tère est très-nettement indiqué sur la planche 373 de l'ouvrage d'Aublet. La graine unique, que laisse alors échapper le fruit, est ovoïde, glabre et lisse à sa surface, et renferme, sous des téguments peu épais, un gros embryon charnu, à cotylédons plans-convexes et à radicule supère. Rien ne paraît comparable dans cette organisa tion à ce qu’on observe dans les fruits du genre Andira, caractérisés ainsi, entre autres auteurs, par MM. Bentham et J. Hooker (Gen., 550) : « Lequmen drupaceum indehiscens, endocarpio lignoso (v. tenui ?).» Les fruits des vrais Andira sont en effet des drupes, à noyau plus ou moins épais et ligneux et constamment indéhiscent, si l’on s’en rapporte aux descriptions de tous les botanistes. Il est probable que si l’on ne connaît pas jusqu'ici l’organisation réelle des fleurs du Vouacapou, c’est que les échantillons qui font — 128 — partie de nos herbiers se trouvent toujours rangés, comme nous l'avons dit, parmi les Connaracées. Les fleurs du Vouacapou, outre leurs petites dimensions, ont en effet la forme régulière de celles des Connarus et des Rourea, et elles ent aussi tout à fait leur aspect ex- térieur, le même duvet court et de couleur de rouille qu’on observe sur leur périanthe et sur leur pédicelle. Mais l’analyse nous montre des différences notables entre la constitution de ces fleurs et celles des Connaracées. Ces différences sont relatives d’abord à l’insertion du périanthe et des étamines ; insertion qui tient, ici comme tou jours, à la forme particulière du réceptacle. Dans les Connaracées, le réceptacle floral est souvent convexe, en forme de cône surbaissé ou de tête à peu près plane en dessus ; il est rare que cette tête se change en une cupule large et très-peu profonde ; de sorte que lPin- sertion de l’androcée et du périanthe est le plus souvent hypogy- nique, mais qu’elle peut devenir légèrement périgynique. Dans le Vouacapousa, le réceptacle devient tellement profond, au contraire, que la périgynie y est aussi accentuée que dans la plupart des Légu- mineuses, et que le gynécée, inséré au fond de la poche réceptacu- laire, s’y trouve complétement enfoui ; il n’y a que le sommet du style qui ordinairement dépasse un peu la base du calice et de la corolle. Quant à la forme de cette poche réceptaculaire, elle est à peu près celle d’un cône renversé, et toute sa face intérieure est tapissée d’un disque dont le bord s’épaissit un peu et se partage en dix crénelures peu prononcées au niveau du pied des étamines. C’est aussi à ce niveau que s’insèrent les pièces du périanthe qui sont toutes libres entre elles. Ce sont : cinq sépales, égaux entre eux, dis- posés dans le bouton en préfloraison imbriquée, souvent quincon- ciale, et cinq pétales un peu plus longs que les sépales, un peu atténués à leur base, imbriqués dans le bouton et formant en somme une corolle parfaitement régulière. Les étamines sont disposées sur deux verticilles pentamères et superposées, cinq aux sépales, et cinq aux pétales ; chacune d’elles est formée d’un filet libre, dilaté à sa base, atténué en pointe à son sommet, et d’une anthère biloculaire, introrse, dont les deux loges s’écartent plus ou moins l’une de l’autre dans leur portion inférieure, et s'ouvrent chacune par une — 129 — ente longitudinale. Le gynécée, libre, inséré tout au fond du récep- tacle, se compose d’un ovaire uniloculaire, uniovulé, atténué supé- rieurement en un style grèle et légèrement arqué vers son sommet. Celui-ci s’inchine plus ou moins du côté du placenta et présente une dépression plus ou moins profonde, une sorte de petit puits, dont l'ouverture circulaire est garnie d’une collerette de papilles en forme de cils. Le fruit est exactement tel que l’a décrit et représenté Au- blet, avec l'extrémité inférieure parfois un peu plus longuement atténuée. Nous savons encore, par la description d’Aublet, que le Vouaca- pou est un grand arbre, très-rameux à sa partie supérieure, à branches dressées, puis déclinées, chargées de feuilles alternes, composées-imparipennées. Les folioles sontovales, allongées, aiguës, ou plus ou moins acuminées, à base arrondie et à pétiolule court et peu épais. Les fleurs sont très-nombreuses, formant, au bout de certains rameaux, ce qu’on appelle des panicules, c’est-à-dire ici des grappes fort ramifiées de grappes plus petites, elles-mêmes for- mées de petites cymes. Tous ces caractères nous étant maintenant connus, nous pouvons donner une description complète de la plante qu’Aublet n’a qu'imparfaitement décrite. VOUACAPOUA AMERICANA, (Auz., Guian., Suppl., 10, t. 373 (excel. syn. Prum., Marcer., Pis. ?).— Andiræ spec. Lawr, Dict., I, 17 et Auctt. pler. (nec L.). Arbor pulchra ; trunco (60-pedali, ex Avez.) ad sammitatem ramosissimo ; ramis erectis et declinatis, undique sparsis; ramulis foliosis (ex eod.); innovationibus inflorescentiisque junioribus tomento brevi ferrugineo indutis. Folia alterna, imparipinnata ; foliolis lateralibus 2-4-jugis oppositis, breviter (4-10 mill.) petiolu- tatis, ovato v. oblongo-acutis (ad 15 cent. longis, 4 cent. latis), apice acuminatis, basi rotundatis ; integerrimis membranaceis v. subcoriaceis glabris, supra lucidis lævibus, subtus paulo pallidio- ribus, penninerviis venosis ; petiolo basi incrassato, intus inter foliola 2 inferiora v. infra glandulifero ; stipulis aut 0, aut minimis XII. 9 — 130 — cadueissimis (et inde haud visis). Flores parvuli crebri in paniculam, scilicet racemum valde ramosum compositum terminalem dispositi. Receptaculum floris valde concavum hemisphærico-turbinatum obconicumve, intus disco tenui superne leviter incrassato obscure 10-crenato vestitum, extus cum calyce dense ferragineo-velutinum. Sepala 5, æqualia, imbricata. Petala 5, æqualia, cum calyce et androcæo inserta, valde perigyna, sepalis paulo longiora, basi angustata subspathulata, apice obtusata, parce pubescentia, imbri- cata. Stamina 10, quorum 5 oppositipetala breviora ; filamentis liberis, basi dilatatis, ad apicem subulatis ; antheræ introrsæ subsa- gittatæ ; loculis 2 pendulis, basi remotiusculis linearibus, longitudine dehiscentibus ; connectivo dorso subglanduloso fuscato loculis longi- tudine æquali. Germen centrale imo receptaculo insertum liberum minutum breviter stipitatum ; apice in stylum brevem leviter incurvum v. subrectum breviter tubulosum attenuato ; stigmate cirea ostium tubuli ciliolato, Ovulum 1, anatropum descendens ; micropyle extrorsum supera. Fructus inæquali-obovatus (7 cent. long., 3 cent. lat.), basi longe attenuatus, ad apicem plus mimus rotundatus ; summo apice conoïdeo plus minus prominulo; pericarpio crasso, demum sicco, extus verrucoso, longitudine sulcato, follicu- latim dehiscente. Semen inæquali-ovatum ; testa extus glaberrima ; embryonis valde carnosi exalbuminosi radicula supera. — Crescit in Brasilia boreali, verisimiliter in ditione paraensi, unde in herb. ulyssip., nunc paris., olim allatum. In regione eadem legit, anno 1852, cl. Spruce, ad S. Gabriel de Cachoeïra, prope Rio negro (exs., n. 2011). Oritur et in Guiana gallica, ubi legerunt olim Awblet (herb. Juss.) et nuper cl. Mélinon (exs., 1852, n. 37), sec. fl. Maroni (in herb. Expos. colon. gallic.). Si nous voulons actuellement, à l’aide de ces caractères, déter- miner les affinités naturelles du Vouacapou, il est d’abord facile de voir que les Papilionacées n’ont aucun rapport avec un type à corolle complétement régulière, comme celui qui nous occupe, et qu’il n’y a pas non plus de ressemblance entre les étamines parfaitement libres de ce dernier et l’androcée diadelphe des Dalbergiées. D’ail- leurs la préfloraison de la corolle n’est pas vexillaire ; le Vouaca- — 131 — poua appartient par conséquent au groupe des Cæsalpiniées, Parmi celles-e1, le Vouacapou est comparable aux Sclérolobiées dont les feuilles sont simplement imparipinnées. Puis, parmi les Sclérolo- biées, 1l y a un genre, récemment décrit par M. Bentham et nommé Batesia par M. Spruce, et dont l’analogie avec le Vouacapoua est si grande, que peut-être même un jour viendra où le Batesia ne formera plus qu’une section du genre Vouacapoua. Les différences entre les deux types sont en effet minimes. Les feuilles, l’inflores- cence, le périanthe, l’androcée sont identiques dans les deux genres. Mais le Batesia erythrosperma a sous l'ovaire un petit renflement analogue à un disque, qui entoure obliquement le sommet du support ovarien ; les ovules sont au nombre de deux au moins, et le fruit renferme au moins deux graines, comme celui qu'a représenté M. Bentham dans la planche 37 du XX V° volume des ransactions de la Société Linnéenne de Londres. Mais ces caractères différen- tiels ne sont pas en général considérés comme suffisants pour placer dans des genres distincts deux plantes de la famille des Légumi- neuses, et peut-être, un jour, le Batesia prendra le nom de Vouacapoua erythrosperma. Le genre d’Aublet serait alors formé de deux espèces et pourrait être subdivisé en deux sections. Le bois du Vouacapoua est un des meilleurs de ceux de la Guyane, pour les constructions, l’ébénisterie, les usages domestiques et industriels. Son aubier est peu épais, d’un jaune plus ou moins päle; et son cœur, dur et solide, présente une teinte brune- rougeâtre, noircissant ultérieurement. Il est parsemé de petites taches päles, souvent blanchâtres, qui, sur la coupe transversale, sont disposées en cercles concentriques très-nombreux. Ces taches deviennent allongées sur la coupe longitudinale ; elles peuvent former des dessins «en épis de blé. » Sur les coupes obliques à l'axe, elles représentent des marbrures hachées, simulant les mou- chetures des ailes de certains Gallinacés ; d’où les noms de Bois d'épi de blé et de Partridge-wood, qu’à Paris et à Londres le Vouacapou partage avec quelques autres bois de commerce. H. Baron. SUR LA PIERRE MÉTÉORIQUE TOMBÉE A ANGERS EN 1822. Le 3 juin 1822, vers huit heures du soir, la ville d’Angers fut témoin du phénomène imposant de lumière et de bruit dont s’ac- compagne avec la constance la plus remarquable l’arrivée sur la terre des pierres météoriques. Une pierre d’origine extra-terrestre fut recueillie dans le faubourg Gauvin près l’hôtel de la Tête-Noire. J'ai pu en étudier un échantillon que le Muséum d'histoire natu- relle de Paris doit à M. Paulmier, adjoint au maire d'Angers. La collection du Muséum renferme de petits éclats de la mème chute et on y voit aussi un assez beau fragment donné par l’Académie des sciences, sans indication de provenance et qui est identique avec les précédents. Comme toutes les météorites la pierre d'Angers est recouverte sur toute sa surface externe d’une mince couche vitrifiée. Cette croute extérieure tranche par sa couleur noire avec la nuance tout à fait blanche que présente la cassure de la roche météorique. Cette roche, et c’est là le point sur lequel j’insisterai, est iden- tique, sous quelque rapport qu’on la considère, avec celle qui cons- titue entre autres les météorites de Lucé (1768), de Mauerkirschen — 133 — (1768), de Politz-Gera (1819), de Allahabad(1802), de Motta dei Conti (1868), de Sauguis-Saint-Etienne (1868), etc., etc. Je la désigne sous le nom univoque de Lucéite qui dispense des périphrases.et on peut la caractériser de la manière suivante : La lucéite est une roche blanche, très-finement grenue, àpre au toucher, éminemment cristalline. Sa densité, d’après les mesures les plus récentes faites sur des pierres appartenant à douze chutes dif- férentes, est égale à 3,43. Jusqu’à présent son analyse minéralogique n’a pas été faite d’une manière satisfaisante. Toutefois on y reconnait la présence de mi- néraux péridotiques, de minéraux pyroxéniques, de fer nickelé, de sulfure de fer et de nickel (troïlite), de phosphure double de fer et de nickel (schreibersite), etc., etc. Son analyse élémentaire a été faite avec beaucoup de soin dans diverses circonstances et on a obtenu des résultats toujours très-peu différents les uns des autres. Voici par exemple les nombres que j'ai obtenus dans l’examen de la lucéite tombée le 12 septembre 1868 à Sauguis-Saint-Étienne (Basses-Pyrénées). La susbtance réduite en poussière, abandonne à l’aimant 8,05 pour 100 de son poids de fer nickelé renfermant : Per ER SR NUE O Nickel 20700 Ni 0149 FE ce qui correspond à peu près à 5 pour 100 de nickel. La proportion du sulfure s'élève à 3,044 pour 100. Quant à la matière lithoïde qui représente comme on voit 88,906 pour 100 du poids total, l'acide chlorhydrique la sépare en : Matière attaquable. . . . . . . 65,556 Matière inattaquable . . . . . . 23,350 88,906 — 134 — Voici séparément l’analyse de ces deux parties . Partie attaquable : Oxygène. Silice. :. =2 822, SRE D 075 16,45 Magnésiénrs. Lomme 1308856077 71348 Protoxyde-de fer. ‘44426 1000 L 2,021 0,44 pee Petasses ssuob 6 Lienelièqos 0,406 ne je Souden ut SAN Er re trace » 65,909 Paxtie inattaquable: Oxygène. Re UE de TO 7,79 MaenÉcies ut AE 5,802 2,26 Protoxyde de fer . . . 2,001 0,44 : | 2,848 NET de Ronan EtS Pere Re 0,500 0,14 \ POIASSRENE de cherie 0,048 0,008 ATGETE.. M 7. 0,604 Sesquioxyde de fer . Sesquioxyde de chrôme . 0,042 23,571 Les faits acquis récemment dans l’étude chimique des météorites autorisent à affirmer que la météorite d'Angers soumise à l’analyse donnerait des résultats sensiblement identiques. De même que si l’on dit d’une certaine roche terrestre que c’est un phyllade, on est fixé sur sa nature sans en faire une étude complète ; de même en disant de la pierre d'Angers qu’elle est formée de lucéite on donne à l'instant l’idée la plus nette sur ses caractères chimiques, physi- ques et minéralogiques. Un fait sur lequel je veux appeler tout spécialement l'attention parce qu’il a échappé à toutes les personnes qui se sont oceupées de l'étude des météorites et qu’il est de nature à fournir les documents les plus décisifs, quant à l’origine de ces corps, c’est que la lucéite n’exisle pas seulement dans les pierres, d’ailleurs nombreuses, dont ARS — elle constitue la substance exclusive. Je l’ai retrouvée en frag- ments empatés dans différentes météorites bréchiformes telles que Les pierres de Saint-Mesmin (Aube, 1866), Cangas de Onis (Asturies, 1866) et Assam (Indes, 1846). En examinant ces météorites on y constate aisément, ce que con- firme d’ailleurs une étude plus attentive, la présence de fragments de lucéite, empatés dars une roche de couleur sombre. La conséquence de ce fait, analogue à plusieurs autres que j'ai eu l’occasion de constater est évidemment qu’à une époque passée la lucéite dont la pierre d'Angers est un échantillon si caractérisé, était en relation stratigraphique avec la roche bréchiforme que re- présente dans nos collections la météorite de Saint-Mesmin et les masses analogues. D'un autre côté j'ai observé d’autres météorites bréchiformes telles que celles de Canellas (Espagne, 1861), de Gutersloh (Westphalie, 1857) et de la Baffe (Vosges, 1822), qui dans la même pâte foncée que les précédentes renferment des fragments d’une roche grisâtre, oolithique toute différente de la précédente. IL est clair que ces deux séries de météorites bréchiformes proviennent de masses formées dans les mêmes milieux puisqu’elles ont un élément litho- logique commun et il résulte de là que les pierres du type de Canel- las ont été en relation stratigraphique avec des masses du lucéite, bien que cette roche n’y soit pas représentée. Mais ce n’est pas tout: la roche oolithique des météorites de Canellas, de Gutersloh et de la Baffe constitue à elle seule certaines masses dont les plus connues sont tombées à Montréjeau (Haute- Garonne, 1859), à Pegu (Indes, 1857) et à Muddoor (Indes, 1865), et je la désigne sons le nom de Montréjite. Évidemment nous devons admettre que cette montréjite a été en relation stratigraphique avec la lucéite, car autrement nous ne pour- rions comprendre la présence de ces deux roches en fragments anguleux dans une pâte foncée identique. Voici donc en résumé quatre types bien distinets de météorites représentés par les pierres d'Angers, de Saint-Mesmin, de Canellas et de Montréjeau dont nous somme autorisés à dire qu’ils ont été — 136 — en relation stratigraphique et tout le monde conviendra qu’un fait de ce genre est de nature à éclairer d’un nouveau jour la question si peu connue encore de l’origine des météorites. En effet cette communauté de gisement que nous reconnaissons à différentes masses extra-terrestres différentes, jointe à l’existence de filons météoriques que j'ai fait connaitre dans un mémoire publié l’année dernière, montrent que les météorites dérivent d’ur ou de plusieurs astres où elles étaient en relation stratigraphique et qui ont été démolis. Quant à la cause de la démolition, je la vois dans le fait même du développement normal des corps sidéraux. On admet que ceux-ci, originairement à l’état de nébuleuses, passent successivement par des états dont le soleil, la terre et la lune marquent trois termes parti- culièrement caractérisés et qui sont dus an progrès ininterrompu du refroidissement de la matière cosmique. Or, en admettant, ce qui est certain, que ce refroidissement ne soit pas arrivé à son dernier degré sur notre satellite, nous devons nous attendre à voir les astres pré- senter après l’état de lune un état tout différent. Suivant moi c’est l’état de météorites. En effet, les astres tendent d’eux-mèmes à se briser. Nous en avons la preuve autour de nous dans les failles que la terre nous montre de toutes parts. Au fur et à mesure de leur for- mation, ces fractures sont ressoudées par l'injection de la matière fondue interne : cette matière les remplit et constitue suivant le cas, les dykes, les typhons, les culots, etc., si fréquents dans tant de régions. Mais, admettons que pour une raison ou pour une autre ce ciment vienne à manquer; il est clair que le travail moléculaire qui a déter- miné les failles, les élargira peu à peu, en formera de nouvelles et finalement divisera le globe en une infinité de fragments de nature et de grosseur variées. Or, sur un globe constitué comme la terre, le ciment manquerait à partir du moment où la masse interne se- rait complétement solidifiée. La lune sans être encore arrivée tout à fait à ce point y entre évi- demment et le phénomène de rupture commence à s’y manifester Le NT par les rainures, crevasses gigantesques dont sa surface est sillonnée. Mais supposons que la terre ait eu autrefois un satellite beaucoup plus petit que la lune, et qui pouvait d’ailleurs graviter autour de celle-ci, ce satellite serait aujourd’hui complétement brisé. Une fois le globe réduit en fragments, ceux-ci, par suite de deux causes agissant inégalement sur eux, ont glissé les uns contre les autres et se sont concassés suivant leurs surfaces de moindre cohésion. Il n’appartiendrait qu'aux géomètres de résoudre dans sa géné- ralité le problème de la destinée ultérieure de ces fragments. Re- tournant donc à l’observation du phénomène auquel ce travail est consacré, je constate que considéré dans la totalité de ses manifes- tations, ce phénomène présente deux circonstances conduisant à admettre que les matériaux de l’astre dont les météoritées pro- viennent se sont, après la rupture de l’astre, distribués le long de l'orbite précédemment décrite par celui-ci et que de plus ils se sont tirés d’après leur densité en couches concentrées au foyer d’attrac- tion, dès lors entourés d’anneaux séparés d’une manière plus ou moins nette. Les circonstances dont il s’agit sont : 1° l'absence de périodicité dans la chute des météorites, et 2° l’ordre de succession des types de roches tombées sur le globe, ordre de succession conforme à l’ordre de superposition que ces types ont dû affecter sur l’astre démoli. Il paraît certain en effet que les fers météoriques sont tombés anciennement en très-grand nombre tandis que leur chute est aujourd’hui un événement extrêmement peu fréquent. On aura une idée de la rareté actuelle des chutes de fer quand j'aurai rappelé que depuis cent dix-huit ans on n’en a observé que quatre en Europe qui est la partie du monde où le phénomène a le moins de chance de passer inaperçu ; or pendant le même laps de temps, le nombre des chutes de pierres observées dans la même contrée et dont plusieurs ont fourni des milliers ‘échantillons , s'élève au moins à cent soixante-quatorze. IL est vrai qu'on pourrait inférer de là que les fers météoriques sont simplement plus rares dans l’espace céleste que ne le sont les pierres, ce qui est d’ailleurs possible. Mais non-seulement les chutes de fer ont été dans le passé beaucoup plus fréquentes qu’elles ne sont aujourd’hui, mais elles ont été en même temps beaucoup plus fré- quentes que ne l’étaient alors les chutes de pierres elles-mêmes. Ainsi comprise l’origine des météorites cesse de témoigner comme on l’a dit quelquefois, d'un certain désordre dans la nature, et ap- parait comme l’une des phases normales de la grande évolution si- dérale. Stanislas Meunier. LE LÉPIDOSIREN ET LE PROTOPTÈRE APPARTIENNENT À LA CLASSE DES POISSONS OU ILS SONT LES TYPES DE LA SOUS-CLASSE DES DIPNÉS!. On doit la première connaissance de ces animaux au naturaliste Natterer qui, durant son séjour au Brésil, put s’en procurer deux exemplaires qu’il rapporta au musée de Vienne. En septembre 1836, M. Fitzinger communiqua aux zoologistes assemblés en congrès à Jéna les premières observations auxquelles avait donné lieu un examen rapide dont il conclut que, malgré la ressemblance avec les poissons anguilliformes, il avait sousles yeux des Reptiles. En conséquence, voulant indiquer leur analogie avec les Batraciens urodèles à ouvertures branchiales persistantes et par- ! Mon but n'est pas de présenter ici, sous une forme méthodique, comme je l’ai fait dans le tome II de mon Hist. natur. des Poissons, p. 427-457, tous les caractères des singuliers animaux dont il s’agit. On en trouve l'énoncé sommaire dans un travail que renferme ce volume des Annales de la Soc. Linn. de Maine-et-Loire, et où je traite de Z« Vessie natatoire des Ganoides et des Dipnés. L'objet spécial de ma Note est de montrer, en passant en revue les diverses opinions émises par les zoologistes, la convenance du rang généralement as- signé aujourd'hui aux deux seules espèces connues du groupe des Dipnés (Lepidosü'en paradoæa et Protopterus annectens). — 140 — üculièrement avec l’'Amphiume, il leur donna le nom de Lepidosiren paradoxa (Isis, 1837, p. 379). Peu de temps après, en 1837 (Ann. Wien. Mus., t. IL, p. 165- 170), Natterer soutint la même opinion qu’il exprima par le titre même de sa dissertation intitulée : Lepidosiren paradoxa, neu Gat- tung aus der Fam. Fischahnlichen Reptilien. Induit en erreur, dit-il, par l’aspect général , il avait d’abord rapporté à la classe des poissons ces animaux dont la vraie place dans la série zoologique fut pour lui mise hors de doute, ajoute-t-il, quand il eut connaissance des observations de M. Fitzinger dont son travail renferme un exposé. Rien, cependant, ne s’y rencontre qui soit de nature à justifier pleinement l’assertion de Natterer. En 1840, M. Th. Bischoff ayant obtenu, du musée de Vienne, l’autorisation de faire une anatomie complète de l’un des deux exemplaires rapportés par Natterer, publia la dissertation à laquelle je renverrai bien souvent (Lepidosiren paradoxa. Anatomisch untersucht und beschrieben, T pl., et trad. franc., Ann. sc. nat. Zool., 2° série, t. XIV, p. 116-159, 5 pl.). Dans ces remarques finales, il dit, avec raison, ne connaitre aucun animal qui rapproche autant les deux classes des Reptiles et des Poissons et qui établisse, sous tous les rapports, une transition aussi complète de l’une à l’autre. Il exprime cependant, d’une facon formelle, la persuasion où il est que le Lepidosiren doit prendre rang parmi les Batraciens. Passant alors en revue les principaux carac- tères qui, selon lui, démontrent l'exactitude de son opinion, il attache d’abord trop d’importauce à la comparaison à faire entre les grandes écailles du Lépidosiren si analogues à celles des poissons cycloïdes, et les petites pièces squameuses des Cécilies. Il signale ensuite comme le rapprochant des poissons : 1° La présence de laligne latérale et des canaux muqueux donton ne trouve destraces chez aucun Repiilé ; 2° l’état d’imperfection de la tige rachidienne formée par la corde dorsale autour de laquelle se fixent, de même que chez les Clysostomes, les pièces qui, sans le concours des corps de ver- tèbres également absents ici, constituent une sorte de colonne vertébrale; 3° le mode ;d’union, par continuité immédiate, comme chez les Estur- — 141 — geons, entre la corde dorsale et le crâne dans la base duquel elle pénètre sous forme de cône ; 4° l'existence de pièces operculaires; 5° labsence de tout conduit auditif externe et d’osselets ; 6° la présence des cartilages nasaux et labiaux, Quant à la double ouverture des narines qui fait communiquer la portion de la cavité buccale située derrière les lèvres, avec l’exté- rieur, M. Bischoff reconnaît que si la disposition anatomique est semblable à celle qu’on trouve chez le Protée et la Sirène, il ne faut cependant pas la considérer comme constituant une exception uni- que dans la classe des Poissons. Guvier, en effet (Hist. Poiss., t. I, p. 412), signale la ressemblance avec ces mêmes Batraciens que présentent certains Congres étrangers, où « l'ouverture postérieure des narines donne sous la lèvre. » Ainsi, la ter- minaison en cul-de-sac des cavités nasales, tout en étant un des carac- tères les plus essentiellement distinctifs des poissons, n’est cependant pas, comme on l’a dit, celui qui, seul, doive fixer le rang à assigner aux animaux où il se rencontre (voy. plus loin, l’opinion de M. R. Owen à cet égard). Cest là, selon la remarque de M. Bischoff, un caractère de transition. [l en est de même, ajoute-t-il, pour les membres qui sont plus analogues à ceux des Poissons qu’à ceux des Amphi- biens , sans offrir une ressemblance parfaite ni avec les uns ni avec les autres. Je dois faire observer que des appendices formés par des segments placés bout à bout comme dans les rayons mous des nageoires des Mala- coptérygiens , et munis , chez l'espèce africaine, d’une série de rayons accessoires, rappelant ceux qu’on voit sur les épines dorsales des Polyptères, sont de vrais rudiments de nageoires, et ne peuvent point êlre assimilés aux appendices même les plus simples des Reptiles. Les recherches anatomiques de M. Bischoff amenèrent, dès 1843, M. Fitzinger à modifier sa première opinion et à déclarer ( Syst. Rept., Fasc. I, Amblyglossæ, p. 34, note) que le Lepidosiren est réellement le type d’une famille particulière de poissons. Cest au mélange de caractères propres les uns aux Reptiles, les autres aux poissons, qu'est due, pour le dire en passant, la classifi- — 142 — cation proposée par M. M'Donnell. Ne trouvant pas quelques-uns de ces caractères suffisants pour exclure complétement le Lépido- siren soit du premier groupe, soit du second, il l’a considéré comme formant une classe en quelque sorte intermédiaire, qui les unit l’une à l’autre. (Descr. Lepidos. annectens : The natur. lust. review [nov. 1859], 1860, t. VIT, p. 108.) M. J. Reay Greene (On the mutual relations of the Gold-blooded Vertebrata : Proc. Linn. Soc. [juin 1860], t. V, 1861, p. 221— 224) va beaucoup plus loin. Enumérant d’abord tout ce qui, dans l’organisation du Lépidosiren, établit ses affinités avec les poissons, il signale ensuite celles qui semblent le rattacher aux Batraciens. De cet exposé, il conclut à l'impossibilité de distinguer l’une de l’autre, sinon d’une facon artificielle, les deux classes auxquelles l’animal paraît appartenir, et il accepte le nom de Anallantoïdes pour celle qui devrait comprendre les Reptiles et les Poissons. La même opinion avait déjà été émise en 1858, par M. Owen, dans des Leçons de paléontologie , dont on trouve un sommaire avec quelques dé- veloppements, in : Ann. and Magaz. nat. hist. 3% ser., t. I, 1858, p. 317-390. Il y nomme Hémaciymes ous les vertébrés à température variable réunis en un seul groupe dans lequel, entre les Lépidostés et les Polypières d'une part, qui sont de vrais Poissons, et les Labyrintho- dontes d’autre part, qui sont des Batraciens, viennent se placer, comme intermédiaires, le Lépidosiren , qui a surtout les caractères ichthyologi- ques, et l’Archegosaurus, les caractères reptiliens. Ce dernier conduit, des poissons proprement dits, vers le type des Labyrinthodontes, et le Lépidosiren vers le type des Batraciens pérennibranches. Ils montrent tous les deux, dit M. Owen, p. 320, combien est artificielle la séparation entre les deux prétendues classes des Reptiles et des Poissons, mais na- turelle, au contraire, la classe des Hémacrymes comprenant, dans un seul groupe bien défini, tous les vertébrés à température non constante. La fusion indiquée ici, M. R. Owen l’a adoptée dans la classi- fication exposée in : Anat. of vertebr., 1866, t. I, p. 9-18, où 1l se sert du nom de Hæmatocrya. Des vues analogues sur la convenance de considérer les ani- maux dont il s’agit comme constituant une grande tribu sont ex- primées par M. Brandt (Bemerk. ueber die Classif. Kalthlütiq. — 113 — Ruckenmarkthere : Mém. Ac. se. St-Pétersb., 1865, t. IX, p. 29, tirage à part). Il propose, pour les désigner, la dénomination de Hœmatopsichra. Revenant maintenant aux vues de M. Bischoff, je dois ajouter qu’il se prononce, en ce qui concerne l'appareil de la respiration, d’une facon très-nette et formelle. Les sacs à air constituant des poumons, car ils en ont plus la structure que la vessie natatoire des Lépidostés et des Amies en raison de la multiplicité des cellules et de leur plus abondante vascularisation, il voit, dans une telle dis- position anatomique et dans le peu de développement des branchies, un motif péremptoire de placer le Lépidosiren parmi les Batraciens. C'est également à cause de la structure et du rôle comparatif des organes de la respiration soit aquatique soit aérienne, que M. Vogt, dans sa traduction du mémoire de J. Müller sur la classification des poissons (Ann. sc. natur. Lool. 3e série, 1845, t. IV, p. 31, note 3), et que Duvernoy ont rangé les Lépidosiréniens, parmi les Batra- ciens. Îls y représentent, suivant ce dernier, une famille particu- lière, celle des Zchthyoptères ou Ichthyo-Batraciens (Lecons sur Phist. nat. des corps organisés 3° et 4e fase, : Rev. zool., 1847-51, p. 55-69 et 130 du tirage à part). Selon M. Hogg (Exist. branchiæ young Cæciliæ and modificat..…. classif. Amphib. : Ann. and Mag. nat. hist. 1841, t. VIL, p. 359 et 362), ils y sont le type de la tribu des Fimbribrancha et de la famille des Amphibichthydæ où se trouve, comme genre unique, le Lépidosiren qu’il nomme Amphi- bichthys. Négligeant les caractères les plus essentiels fournis par le sque- lette et qui ne peuvent laisser aucune incertitude, comme je le montre plus loin, sur la nécessité de placer le Lépidosiren hors de la classe des reptiles, M. Melville, pour prouver qu’ils doivent leur être assimilés, s’est attaché, au contraire, à des détails relatifs à la composition du crâne qui, loin d’être sans importance, il est vrai, sont cependant d’un ordre secondaire. J’en dois dire autant de la position des narines et des particularités offertes par les organes de la respiration et de la circulation sur lesquels il s’appuie égale- ment (On the Lepidos. : Report 17 meeting brit. assoc. advancem. se MEE — se., 1847 [1848], Trans. Sect., p. 78). Dans une note annexée au travail de M. M'Donnell (Nat. hist. review, 1860, p. 110-112), il présente de nouvelles observations en faveur de son opinion. M. Gray (Proc. zool. Soc., 1856, p. 344), adopte la même ma- nière de voir, car le Lépidosiren lui paraît, dit-il, se rapprocher beaucoup plus des Batraciens que des Poissons, mais former évi- demment, parmi les premiers, un groupe à part. Tous les naturalistes sont d'accord sur l’anomalie singulière que présentent ces animaux en raison du double mode suivant lequel s’accomplissent les phénomènes respiratoires. Il y a quelque diver- gence seulement sur le degré d'énergie de leur action. Mais si l’on tient compte de l'indispensable nécessité de l’accommodation des _organes respiratoires à un double genre de vie, on comprend que, forcément aérien pendant la saison sèche, et aquatique hors ce temps, l'animal se trouve, par sa structure même, dans des condi- tions convenables pour supporter, sans inconvénients, un si notable changement d'état. A l’occasion des poumons, il est à peine nécessaire d’ajouter qu'il n’y a pas d'intérêt aujourd’hui comme en 1840, c’est-à-dire avant les recher- ches de J. Müller sur les vessies natatoires celluleuses, de rappeler une particularité qui paraissait alors à M. Milne-Edwards (Note sur le Lépi- dosiren [avec le concours de Bibron] : Ann. sc. nat. Lool., 2e série, t. XIV, p. 161) n’avoir pas « frappé les zoologistes. » Elle est relative à la situation, anormale chez les poissons, de l’ouverture du conduit pneuma- tophore ou plutôt de la trachée-artère non à la face dorsale de l’œso- phage, mais sur la face opposée. Chez l Érythrin, en effet, elle se montre à la face latérale, et à l’inférieure, chez le Polyptère. Cette ouverture n’est pas une véritable glotie, car elle est membra- neuse, sans cartilage, contrairement à ce qu'on remarque chez tous les Reptiles et tous les Batraciens. Quand on examine le cœur et les vaisseaux chargés d’y amener et d’en emporter le sang, on trouve, dans l'appareil de la cireula- tion cardiaque, et dans le jeu de son mécanisme, des dissemblances en rapport avec les particularités offertes par les organes où s’ac- complit l’hématose, et on ne peut y méconnaître de profondes mo- difications aux caractères anatomiques propres aux poissons. — 145 — Suflisent-elles, avec celles dont je viens de présenter une rapide énumération, pour que les Dipnés n’entrent pas dans la même classe que ces derniers ? Tel n’est point l'avis de la plupart des zoologistes. M. R. Owen, le premier, a appelé l'attention sur ce point. Il a étudié le Lépidosiren africain (Protopière) appartenant au même groupe et différant du type de l’Amérique du Sud par des caractères spécifiques et génériques. Pour lui, le principal argument se tire de la structure des narines qui, selon sa manière de voir, ne sont point en communication avec la bouche, car il considère la forme des fosses nasales en cul-de-sac comme le seul caractère essentiellement distinctif des poissons. Le Lépidosiren, dit-il (Descr. Lepidos. annectens, Trans. Linn. soc. avril 1839, t. XVIIL, 1838-41, p. 352), est un poisson, non point par ses branchies, ses sacs à air, sa valvule contournée en spirale dans l’intestin, le défaut d’ossification du squelette, la disposition des organes génilaux, la structure des membres, des organes de la vue et de l’ouïe, mais sim- plement par ses narines. Par conséquent, en analysant la valeur de cha- cun des traits essentiels de l’organisation, on arrive, ajoute-t-il, à ce résultat tout à fait inattendu que le reptile n’est pas caractérisé par ses poumons, ni le poisson par ses branchies, et que la seule différence dis- tinctive, qui ne souffre point d'exception, se trouve dans l’organe de l’odorat. Il est, sans contredit, intéressant de voir, par cette citation, com- ment l’anatomiste anglais apprécie l'importance relative des or- ganes au point de vue de la détermination rigoureuse de la place qu’un animal doit occuper dans la série zoologique ; mais son as- sertion relative aux narines a été combattue, en 1845, par M. Hyrtl (Lepidos. parad. : Abhandi. bôhm Gesellsch. Wissensch. t. TL, X, p. 657). M. Owen, d’ailleurs, n’a-t-1l pas, lui-même, réuni assez de te- moignages en faveur de l’opinion si juste qu’il a émise, quand il énumère ainsi les caractères ichthyques de son Lépidosiren et qui sont également ceux de l’espèce de l'Amérique du Sud : Des écailles cyloïdes, des conduits muqueux sous-cutanés, des sortes de nageoires formées chacune par un rayon composé de segments arti- XIL. 10 — 146 — culés bout à bout: une tige rachidienne gélatino-cartilagineuse unie au crâne par toute la surface de los occipito-basilaire et non par deux con- dyles, des épines surmontant les neurapophyses et les hæmapophyses, un appareil cperculaire, l’arc scapulaire suspendu au crâne, une valvule spiroïde dans l'intestin, le rectum situé au-devant de la vessie urinaire, le cœur à deux cavités [l'oreillette n’ayant qu'une cloison incomplète], plusieurs paires d’arcs branchiaux avec des branchies cachées, un organe de l’ouïe simple, consistant en un labyrinthe logé dans un cartilage et pourvu de volumineuses otolithes. N'est-ce pas là, disons-le, avec M. Owen, une accumulation de preuves que le Lépidosiren est un poisson, et, par leur ensemble, ne l’emportent-elles pas de beaucoup sur l'argument tiré de la trans- formation de la vessie natatoire en poumons où se fait une respira- tion aérienne? Encore, le rôle physiologique mérite-t-il presque seul d’être mentionné, puisque la cellulosité des sacs à air se trouve, mais moins développée, il est vrai, chez d’autres poissons. Ne sait- on pas, enfin, comme M. Milne Edwards le fait observer (Lec. phys. et anat. comp., t. WU, p. 366, note), « que la présence ou l’absence de poumons ne peut plus, aujourd’hui, être considérée comme un caractère absolu pour séparer entre elles les deux classes de verté- brés anallantoïdiens : les batraciens et les poissons. » J. Müller, en rendant compte dans la revue annuelle de ses Ar- chives, 1840, du Mémoire de M. R. Owen publié alors par extraits (Proceed. Linn. Soc. ; 1839, p. 27-32, trad. franc. : Ann. sc. nat. Zool. 2° série, 1839, t. XI, p. 371-378), et de celui de M. Bischoff, se rangea à l’opinion de l’anatomiste anglais, p. CLXXXI, à cause de la position de l’orifice urogénital derrière celui du rectum, et de l’ostéogénésie de la tige centrale du squelette, tout le reste, dit-il, n'ayant qu’une importance secondaire. Dans son travail intitulé : Ueber den Bau.... Gan. und naturl. Syst. Fische : Wiegm. Arch., 1645, p. 118, trad. fr. Vogt : Ann. sc. rat., Lool. 3° série, 1845, t. IV, p. 31, il di : « Les seuls poissons qui se rapprochent décidément des Reptiles, sont ceux qui ont des branchies et des poumons joints à des narines perforées. Les Lépidosirens sont aux poissons, ce que les Protéides sont aux Am- phibiens. » — 147 — En 1841, Oken (sis, p. 467) et, en 1845, M. Hyrtl, dans sa dis- sertation sur le : epidos. paradoxa, s'appuient particulièrement, l’un et l’autre, sur les caractères fournis par le système osseux, pour considérer l'animal comme un poisson. En 1843, M. Agassiz se prononça dans le même sens (RecA. poiss. foss., t. Il, partie IT, p. 46). M. W. Peters, en reprenant avec grand soin l’étude anatomique de l'espèce africaine (Müll. Arch., 1845, p. 1-14, pl. 1-3), a conclu comme les naturalistes dont je viens de parler. La structure de la colonne vertébrale, la présence des rayons aux na- geoires, des cartilages nasaux et labiaux, de pièces operculaires, d’une ligne latérale, de canaux muqueux, d’une valvule spirale dans l'intestin, la situation de la vessie derrière le rectum, la simplification de l’organe de louïe, le petit nombre des nerfs cérébraux et la suspension de la cein- ture scapulaire au crâne : tels sont les caractères sur lesquels il se fonde pour admettre le Pro- toptère dans la classe des poissons. Je les énumère, parce qu'ils complètent, avec tous ceux que j'ai énoncés jusqu'ici, l’ensemble des preuves qui me paraissent ne pouvoir laisser aucun doute sur le classement à adopter et qui est, aujourd’hui, généralement admis. C’est la même opinion que mon père avait exprimée en 1854 (Erpétol. génér., t. IX, p. 208-213) où, tout en traitant du Lépi- dosiren sous forme d’appendice, il le reconnaît pour un véritable poisson. | M. Edw. Newman (Proc. Linn. Soc., 1856, p. 73) a appelé Pat- tention : 1° Sur la ressemblance des étroites ouvertures ext. de la cavité bran- chiale avec celles des Anguilliformes ; 2° sur l’analogie que présentent, suivant lui, les deux petites dents de devant du Lépidos. et les deux dents antér. d’un poisson de nos côtes (Echiodon Drummondii, W. Thomps.) représentées par Yarrell (Brit. Fish., 3 ® éd., t. I, p. 88); 3° sur la dis- posit. des nageoires. Il trouve là, avec raison, des motifs pour se ranger à la manière de voir de M. R. Owen, puis il termine sa courte notice par une — 148 — conclusion que nous n’avons point à discuter ici. Elle porte sur la nécessité de ne plus admettre la séparation établie entre les poissons osseux et les cartilagineux. M. Mine Edwards (Lec. physiol. et anat. comp , t. M, 1857, p. 365, note 4), bien qu’il dise que la question des affinités zoolo- giques n’est pas encore complétement résolue, ajoute cependant : «les arguments en faveur de la nature ichthyologique de ce singu- lier animal semblent prévaloir. » Telle est également la thèse soutenue, en 1861, par M. Carleer (Exam. des princip. classificat., p. 215-222). M. Brandt a fourni de bons arguments en faveur de ce mode de classement (Bemerk. über die Classif..…. : Mém. Ac. sc. St Pétersb., 1865, t. IX). Sans les reprendre ici, j’en citerai un qui ne doit point être omis. Par la structure de leurs organes de la locomotion, dit-il, et il parle des nageoires impaires, comme des nageoires paires, les poissons peuvent être distingués des autres animaux vertébrés avec autant de raison que les oiseaux qui, par leurs ailes, s’éloignent des Mammifères, des Reptiles et des Batraciens (p. 28). L’admission des Dipnés parmi les poissons une fois acceptée par tous les motifs que je viens d’énumérer, quel rang convient-il de leur y assigner ? Représentent-ils un groupe particulier et indépen- dant de tout autre, ou bien, au contraire, doit-on les considérer comme se rattachant à l'une des grandes divisions de la classe ? Il ÿy a trente ans, lorsque M. R. Owen, le premier, donna des preuves de la prédominance des caractères ichthyologiques (Proc. Linn. Soc., 1838, trad. fr. Ann. sc. nat., Zool., 2° série, t. XI, p. 371 et suiv.), la réunion en un groupe particulier des poissons nommés aujourd’hui Ganoïdes, n’avait pas encore été proposée. On ne considérait pas non plus, dès cette époque, la classe des poissons comme formée par plusieurs sous-classes. Déjà, cependant, le Lé- pidosiren était, pour lui, le type d’une famille spéciale intermédiaire aux Plagiostomes et aux Malacoptérygiens abdominaux dits Sau- roïdes (Polyptères et Lépidostés). Il soutint la même opinion l’année suivante (Trans. Lin. Soc., t. XVII). — 149 — En 1866, dans le plus récent exposé de sa classification des Hæmatocrya, il les range à la fin de la 3e sous-classe, après les Plagiostomes, et comme ordre de transition, avant la 4° qui commence par les Ganocé- phales, où est compris l’Archegosaurus, et se continue par les Batraciens. En 1844, J. Müller a élevé les Dipnés au rang de sous-classe in - tercalée entre les Téléostiens qui forment la tête de la classe et les Ganoïdes. Pour le prince Ch. Bonaparte, ils forment également une sous- classe, celle des Pneumobranchii à la suite des Elasmobranches et avant les Ganoïdes qu’il nomme Epibranchi. Doivent-ils, en effet, être séparés de ces derniers ? Telle est opinion de la plupart des zoologistes de l’époque ac- tuelle. Au contraire, ce sont des Ganoïdes, selon M. Gill (Proceed. Acad. nat. sc., Philad., 1861, p. 19 et 21), et selon M. Brandt (Bericht über ersten Theil meiner Beitr. zur Kenniniss Entwickelungst. ga- noid Fischformen (Mél. biolog. trés du Bull. Acad. sc. St-Péters- bourg, 1865, t. X, p. 139). Si l’on compare les caractères des Ganoïdes et ceux des Dipnés, on trouve sans doute des ressemblances assez frappantes et qui in- diquent précisément la convenance de leur classement dans deux groupes très-voisins l’un de l’autre, mais aussi des différences très- notables. Ainsi, la transformation de la vessie natatoire en véritables or- ganes pulmonaires entraînant les modifications les plus notables dans le mode suivant lequel la circulation s’accomplit, la structure du cœur et du bulbe artériel, celle du crâne, la disposition des na- rines, la conformation des nageoires paires, l’armure toute spéciale des mächoires rappelant celle des Holocéphales ou Chimères cons- tituent un ensemble de caractères absolument propres aux Dipnés et qui motivent le rang distinct qu’on s'accorde généralement à leur assigner dans la classe des poissons. AuG. Duménir. DE LA VESSIE NATATOIRE DES GANOIDES ET DES DIPNÉS Le réservoir à air offre des caractères anatomiques fort remar- quables chez plusieurs poissons de la sous-classe des Ganoïdes, et il acquiert une grande importance, au point de vue de la physiologie, comme organe de la respiration, chez les Lépidosiréniens où pois- sons Dipnés. Il m'a donc semblé qu’il ne serait pas sans quelque intérêt peut-être de tronver réuni dans un même cadre et sous une forme abrégée tout ce qui concerne la structure et les fonctions de la vessie natatoire chez ces divers poissons. En conséquence, j'ai repris, en le résumant, ce qui se rapporte à ce sujet dans divers chapitres du deuxième volume de mon Histoire naturelle des Poissons dont la publication coïncide presque avec celle de la présente note. I. GANOIDES. Sans vouloir entrer dans des détails qui seraient inutiles ici, je rappelle que les caractères anatomiques des Ganoïdes sont tirés de certaines particularités très-notables de l’organisation, et que les poissons chez lesquels on les a observées forment, en raison même de leurs analogies de structure, un groupe composé de familles — 151 — qu'on n'avait pas encore réunies avant l'époque où M. Agassiz d’abord , puis J. Müller, ont appelé l'attention sur la convenance d’un rapprochement admis aujourd’hui par presque tous les z0olo- gistes. Ils considèrent donc comme formant la sous-cLasse pes GanoïLes les familles suivantes qui ont, les unes, un squelette cartilagineux, les autres, un squelette osseux. Ordre I. CHONDROSTÉS ou CHONDRICHTHES Fam. 1. Séurioniens ou Acipensérides (Esturgeons). 2. Spatulariées (Polyodontes). Ordre EI. OSTICHTHES. Fam. 3. Lepidostés. 4. Polyptères. 5. Amues. Les caractères essentiels des Ganoïdes peuvent être exprimés dans les termes suivants : Poissons à squelette cartilagineux ou osseux, à bulbe artériel entouré de fibres musculaires et muni de plusieurs séries de valvules ; à nerfs optiques non croisés et ne passant pas librement l’un au-dessus de l’autre, mais réunis en un chiasma ; à branchies libres recouvertes par un opercule ; à valvule intestinale spiroïde ; à organes génitaux communiquant avec ceux qui reçoivent l'urine à sa sortie des reins ; à vessie natatoire simple ou celluleuse, pourvue d’un conduit aérophore ; à catopes situés à la région abdo- minale. | A ces caractères propres à tous les Ganoïdes, il convient de joindre les suivants : Téguments tantôt recouverts de squammes osseuses quelquefois brillantes comme si elles étaient protégées par une couche d’émail, ou d’écailles ordinaires ; tantôt nus; queue le plus souvent hétéro- cerque; nageoires protégées, chez un certain nombre, par des fulcres. Voici quels sont les traits distinctifs de la première famille, celle — 152 — des Sturioniens, Esturgeons ou Acipensérides (Sturiones) : Poissons à forme de Squale ; à queue hétérocerque ; corps revêtu de seutelles épineuses de forme et de grandeur variables, plus ou moins protégé par des écussons osseux disposés en rangées régulières qui sont presque toujours au nombre de cinq; bouclier sus-céphalique cons- titué par des plaques osseuses; bouche complétement privée de dents, protractile, placée au-dessous du museau qui, souvent, est prolongé en pointe, et porte, à sa face inférieure, deux paires de longs barbillons ; deux branchies accessoires (branchie opercu- laire et branchie de l’évent ou branchiole) ; pancréas glandulaire ; vessie natatoire grande et simple, communiquant avec la portion cardiaque de l’estomac par son conduit aérophore ; rangée unique de fulcres aux nageoires. La vessie natatoire des Esturgeons est un grand sac simple et al- longé. À sa région antérieure, elle s’ouvre, à la paroi dorsale de l'estomac, par un canal aérophore large, court, à peine distinct de la vessie elle-même. Craigie (on the anatom. peculiarities of the Sturgeon | Ac. sturio] in : Mem. Werner. Soc. for 1826-31, t. VI, 1832, pl. IX, fig. 2) a représenté l’orifice de la vessie et a bien dé- crit la disposition de l’anneau musculaire qu’on y remarque et celle de sa frange papillaire qui n’est visible, à cause de sa direction, que dans l’intérieur de la vessie. C’est une sorte de sphincter destiné sans doute à s’opposer à la pénétration des aliments dans le sac à air, et à faciliter ou à empècher soit l’entrée, soit la sortie des guz. On voit aussi l’ouverture de communication sur la pl. XIV du mé- moire d’Alessandrini (Descriptio pancreatis, etc. in : Novi Comment. Instit. Bononiens., 1836, t. Il). Berlak (Symbola ad anat. ves. nat. pisc., 1834), a décrit, p. 26, et montré, fig. 13, l’organe d’a- près l’Acip. sturio, avec le large tube à air. La vessie natatoire constitue une sorte d’appendice du tube di- gestif. Elle en a les fibres musculaires non striées qui, dans le lieu où elle communique avec l’estomac, sont plus nombreuses et y forment le sphincter dont je viens de parler. La membrane péritonéale, qui fournit l'enveloppe extérieure, a, quelquefois, une teinte noirâtre. — 153 — La couche interne ou membrane muqueuse, beaucoup plus épaisse que les deux précédentes, constitue le tissu propre de ler- gane. Bien qu’elle participe de la nature des membranes muqueuses par son épithelium, elle offre cependant les caractères d'un tissu fi- breux. Elle a un aspect satiné ; elle est épaisse, et l'examen micros- copique démontre qu’elle est formée par de petites fibres ayant la forme soit d’aiguilles, soit de fuseaux. À sa surface intérieure, elle est revêtue, chez les Acip. Naccarn et Nardoï, par un épithelium à cils vibratiles, suivant la remarque de M. Leydig (Anat.-histolog. Untersuch. Fische... 1853, $ 33, p. 29). Il est probable que lorsqu'on examinera l'intérieur de la vessie natatoire d’autres Acipensérides avant les altérations très-promptement produites par la mort, on trouvera une sem- blable disposition dans la vessie natatoire d’autres espèces du même groupe. Aussi, peut-être pourrait-on considérer le caractère tiré de ce fait comme propre aux Ganoïdes, puisqu'on ne voit rien de semblable dans le reste de la classe des poissons. Dès l’arrivée du conduit pneumatique dans l'estomac, l’épithelium vibratile cesse, car il n’y a, dans le tube digestif, que l’épithelium à cylindres. La vessie natatoire des Sturioniens est un objet important de commerce à cause de l’ichthyocolle qu’elle fournit. On estime sur- tout celle du Sterlet qui est la meilleure, dit Pallas (Voyages, tr. Îr. t. I, p. 247). Après avoir bien lavé l’organe , on le retourne, puis on le fait sécher. On détache alors facilement la membrane in- terne, la seule qu’on utilise, qui est d’un blanc argenté et comme satinée. Après un court séjour dans un lieu humide, on peut la rouler et la faconner en forme de serpent ou de cœur. Ainsi mode- lées, les vessies sont pendues à l’ombre afin qu’elles perdent toute leur humidité. (Pallas, Voy., t. IE, p. 129.) La vessie natatoire du béliouga (Acip. huso) est coupée, dans le sens de la longueur, en bandes qu’on étend sur de grandes pièces d’écorce d’arbre et qu’on fait sécher un peu au soleil. Le feuillet in- terne étant détaché, on le roule, et les cylindres ainsi formés sont foulés dans un tonneau où ils restent pendant un jour ; puis on les coupe par bandes larges, mais courtes. Une vessie fournit vingt- — 154 — quatre de ces bandes qui sont ensuite pliées en triangle. (Id., &d. t. I, p. 455.) La préparation de l’ichthyocolle, que la Russie exporte en quan- tités considérables, n’a presque pas varié depuis la fin du siècle dernier (1768-1774), époque des Voyages de Pallas dans plusieurs provinces de l'empire de Russie et dans l’Asie septentrionale. On la recoit sous la forme de fewilles, c’est celle qui a été coupée en bandes courtes et larges, ou en /yre , dénomination par laquelle on désigne la forme en cœur donnée, dit Pallas, aux vessies roulées en cylindres. La Russie, quoique fournissant la meilleure ichthyocolle, ne pourrait livrer toute celle dont l’industrie fait usage. On en prépare de très- grandes quantités sur les côtes de l’Inde avec la vessie natatoire de diffé- rents poissons, mais particulièrement de Siluroïdes. En 1839 (Ann. of. nat. hist. by Jardine, t. IIT), M. Cantor (on the product. isinglass from ind. fish., p. 399) et M. M'Cleland (On isingl. Polynemus sele, p. 401 ; puis en 1843 (Journ. nat. hist., Calcutta, t. III), MM. Forbes, Royle, M'Cleland et O’Reiley (p. 76, 157, 287 et 289), ont fourni de nombreux renseignements sur la préparation et le commerce de cette marchandise. Dans l’Amérique du Sud, au Brésil et à la Guyane, la vessie natatoire de divers Siluroïdes confondus sous la dénomination commune de Machoirans, fournit une colle qui est un produit industriel important. La vessie des Otolithes et autres Sciènes des États-Unis sert au même usage. Ce n’est pas seulement cet organe qu’on emploie : les Lapons utilisent, dans le même but, la peau de la Perche, et Lacépède (Hist. Poiss., t. I, p. 430, t. IV, p. 409) appelle l’attention « sur la facilité avec laquelle on peut convertir en excellente colle, non-seulement la vessie natatoire, mais toutes les membranes de tous les poissons tant de mer que d’eau douce. » Déjà, en 1744, Klein (Missus, IV, p. 15) avait rappelé l’opinion émise par différents naturalistes sur l’emploi qu’on peut faire de la peau ou de la chair de plusieurs poissons pour en obtenir de l’ichthyocolle. La deuxième famille des Ganoïdes est celle des Polyodontidés ou Spatulaires, ainsi caractérisée : poissons très-analogues, par leur conformation générale, aux Acipenséridés, mais à museau fort prolongé, à bords membraneux, renfermant, dans leur épaisseur, de nombreux osselets cutanés, stelliformes, offrant la configuration ME — soit d’une longne spatule plate, arrondie et plus ou moins élargie à son extrémité, soit d’une épée en pyramide triangulaire à sa base, mais aplatie dans le reste de son étendue; corps sans grands écussons, mais non dépourvu de petites scutelles qui donnent peu de rudesse à la peau; point de barbillons; bouche très-grande en forme de croissant, placée au-dessous du museau, non protractile, garnie de nombreuses et très-petites dents supportées par la mem- brane muqueuse buccale, et placées, les unes, à la mâchoire supé- rieure et à l’inférieure; les autres, sur les pièces palatines et l’os hyoïde; des évents munis d’une branchie accessoire ou branchiole ; mais pas de branchie operculaire; membrane de l’opercule prolon- gée en pointe, et à laquelle servent de supports, non-seulement l’o- pereule divisé en plusieurs branches comme un éventail, mais une pièce osseuse qui représente les rayons branchiostéges ; vessie na- tatoire assez grande et simple, communiquant avec la portion car - diaque de l’estomac. Cette dernière offrant la plus grande ressem- blance avec celle des Esturgeons, aucun détail n’est à ajouter. Les Lépidostéidés qui forment la troisième famille des Ganoïdes, mais la première de ceux à squelette osseux, sont des poissons à forme de Brochets, à nageoire caudale terminée, en arrière, par un bord oblique, à dorsale très-reculée opposée à l’anale; le corps est entièrement revêtu par des rangées régulières d’écailles osseuses à surface émaillée ; les vertèbres sont articulés par facettes et têtes glénoïdales ; la face se continue en un museau large et médiocrement saillant ou allongé, étroit, effilé, toujours armé de dents très-nom- breuses, coniques, assez longues, fort acérées et entremêlées à des dents plus petites, les unes disposées en séries comme les grandes et les autres donnant aux surfaces qu’elles recouvrent l'aspect d’une râpe; 1ls ont une valvule intestinale tout à fait rudimentaire; le bord antérieur des nageoires porte une double rangée de fulcres : il y a deux branchies accessoires (branchie operculaire et branchiole) ; pas d’évents ; les appendires pyloriques sont très-nombreux ; enfin, la vessie natatoire est celluleuse, et communique avec lœsophage par une fente longitudinale de la paroï supérieure de ce conduit. Nous trouvons, dans la famille des Lépidostéidés, un exemple — 156 — d’une structure rare : la surface interne de la vessie natatoire est, comme je viens de le dire, divisée en cellules; mais on a attaché à ce fait une trop grande importance, quand on a voulu comparer l’or- gane à une cavité pulmonaire, Elle est très-longue et s'étend de l’œæsophage jusque vers l’extré- trémité postérieure du corps. En avant, elle est légèrement bifur- quée et offre deux petits prolongements terminés en cul-de-sae, mais dans tout le reste de son étendue, elle représente une poche allongée, simple à l'extérieur. Chez le Lépidosté spatule, M. Valentin l’a vue également un peu bifurquée à son extrémité postérieure. (Ueber Organis. Trabecuiæ carneæ Schwimblase L. spat.in Repertor., 1840, p. 394). Il y a quelques différences spécifiques, inutiles à énu- mérer. Comme chez les autres poissons, elle est située au-dessous de la colonne vertébrale et au-dessus de l'intestin. Sur toute l’étendue de la face supérieure se trouve une bandelette tendineuse médiane, Quand on ouvre l’œsophage pour chercher son mode de com- munication avec la vessie natatoire, on rencontre à la région tout à fait antérieure de cette portion du canal digestif, immédiatement derrière les ospharyngiens supérieurs , et à sa face dorsale, une petite fente, longue de 0m,007 chez un Lepid. osseus dont la vessie natatoire étudiée par Van der Hoeven avait 0m,21 (Ueber die zellige Schwimblase Lepidost. : in Müller. Archiv., 1841, p. 222, pl. X, fig. 4). Cet orifice æsophagien est une gofte conduisant à une par- tie membraneuse qui, à son origine, paraît être cartilagineuse et se continue jusque dans la vessie dont elle établit ainsi la com- munication avec le tube digestif. La glotte æsophagienne est bordée par deux saillies triangulaires assez fortes qui ressemblent beaucoup à des cartilages aryténoïdes (Van der Hæœven, :d., pl. X, fig. 6), mais ne contiennent cependant pas de tissu cartilagineux. Pour les bien voir, comme le fait observer le professeur de Leyde, il faut détacher une portion de la membrane externe de l’œsophage dans l'épaisseur de laquelle ils sont contenus, car lorsqu'une prépara- on n’a pas été faite, on n’aperçoit que la partie inférieure de ces — 157 — sortes d’aryténoïdes derrière une petite bandelette transversale (/d., fig. 6). La face interne porte des cellules ou cavités arrondies visibles à l'extérieur à travers les parois, en plusieurs endroits où l’organe rappelle l'apparence que présentent les poumons des grenouilles et des couleuvres. En incisant la vessie dans toute sa longueur, on voit bien les cellules dans chacune desquelles il y a un réseau fin de cellules pariétales. Van der Hoeven a compté vingt-deux grandes cellules environ de chaque côté, et M. Valentin trente-et-une d’un côté, trente-trois de l’autre. En même temps que l’incision met à nu cette structure, elle permet de constater la présence de trabécules musculaires très-analogues à ceux du cœur. M. Valentin les a bien décrits (Voc. cit., p. 392), et, en 1841, Van der Hoeven les a égale- ment étudiés avec soin. Les trabécules sont des faisceaux charnus, à fibres striées en travers, ayant à leurs deux extrémités des fibres tendineuses fixées à la paroi interne de la vessie. Selon J. Müller (Sur les Gan. et sur la classif. des poiss. in : Ann. sc. nat., trad. Vogt, 3° série, t. IV, p- 34), les grandes vacuoles ou cellules ne sont pas formées, comme les anatomistes que je viens de citer l’ont supposé, par les muscles. « C’est plutôt la structure des parois des cellules, dit-il, qui motive la disposition des trames musculaires. Celles-ci, placées entre les cellules, finissent complétement à une certaine limite, et les aires intermédiaires n’ont plus de couches musculaires sur leurs mailles. On peut très-bien observer cette terminaison des faisceaux muscu laires sur les trames qui en sont couvertes. L'existence des vessies natatoires celluleuses, sans trames musculeuses, dans d’autres poissons, démontre aussi la vérité de ce que nous avancons. Telles sont la vessie des Erythrinus, celle de quelques Siluroïdes et de l’'Amia calva. » En définitive, que les grandes cellules aient ou non pour parois les faisceaux charnus, on ne peut méconnaïtre dans la structure de l'organe une disposition très-favorable pour la diminution de son volume, lorsque le poisson veut en chasser l’air qui y est contenu, puisque toutes les vacuoles de la surface interne communiquent spot entre elles. La ligne tendineuse médiane supérieure formant le point d'appui principal des trabécules charnus, et un rétrécissement de la vessie, comme M. Valentin le fait observer, devant se pro- duire de la face ventrale vers la face dorsale, on peut conclure, la glotte æsophagienne, d’ailleurs, n’ayant point de sphincter, que la contraction simultanée de tous les éléments de cet appareil muscu- laire produit nécessairement une évacuation instantanée du ré- ser voir. De la disposition qui vient d’être décrite, résulte une grande res- semblance des cellules de la vessie natatoire avec les cellules pul- monaires parlétales. Les mailles du réseau ont, presque toutes, les mêmes dimensions, mais sont fort petites. Elles sont, dit M. Hyrtl (Ueber die Schwim- blase Lepid. osseus in : Sitzunysber. Akad Wissensch, Wien, 1852, t. VIII, p. 71), revètues d’un epithelium pavimenteux qui recouvre les faisceaux musculaires et les fibres tendineuses. Des injections heureuses poussées jusque dans les dernières divi- sions des vaisseaux ont permis à cet anatomiste de constater que le système vasculaire n’est nullement celui d’un organe respiratoire. Les artères de la vessie, en effet, naissent, en grand nombre, de toute la longueur de l’aorte ventrale, et les veines versent leur sang noir dans celles des reins : il ne se produit donc pas de phénomènes d’hématose dans cet organe. Si donc il n’y a point de relation directe avec la fonction de la respiration, faudrait-il en conclure qu’elle n’admet point dans sa cavité de l’air venant de l’extérieur ? Les opinions à cet égard sont divisées relativement aux Ganoïdes. M. Hyril (Ueber die Schwim- blase Lepid. osseus, loc. cit., p. 72) dit que, dans le travail dont la note ici mentionnée est un résumé, il a présenté des remarques propres à faire considérer, sinon comme impossible, du moins comme fort improbable la déglutition de l'air, différant ainsi de manière de voir, dit-il, avec M. Rich. Owen. Celui-ci, dans sa der- nière édition (On the anat. of vertebrates, 1866, t. I, p. 496), où se trouve la confirmation des vues émises par lui dans la prémière en 1846 (Lect. comparat. anat. and phys. vertebr. animals, t.T, — 159 — p. 274-277), note que, chez les poissons à conduit aérophore petit et à ouverture oblique tel qu’on le trouve dans les Ostichthes (Carpe, Anguille, elc.), il ne sert que comme une sorte de soupape de sûreté destinée, en certaines circonstances, à laisser échapper les gaz du réservoir. Il n’en est pas de même, ajoute-t-il, pour les espèces d’une organisation plus élevée qui ont un conduit court et Jarge, c’est-à-dire chez les Ganoïdes et les Lépidosiren, qui ne sont pas dans l'impossibilité de faire entrer de l'air dans la vessie. Cette dernière opinion est celle que M. Poey soutient, parce que, dit-il, la glotte œsophagienne peut livrer passage à l’air extérieur (Memor. sobra la hist. nat. isla Cuba, 1851, t. [, Mem. XXIV, 8 7, p. 278), et que le sang de la vessie peut en recevoir de l'oxy- gène (/d., p. 438, $ 3). L’organe, suivant lui, constituerait, par conséquent, un second appareil respiratoire. Il a fait une observation qu’il considère comme confirmative de sa sup- position (Observ. on differ. points nat. hist. Cuba with reference to the ichth. Unit. States in : Ann. Lycœum nat. hist. N. York, t. VI, 1858, p. 136). « Un Lépidosté placé dans un bassin rempli d’eau y restait en repos tout le jour. La respiration branchiale s’effectuait par un mouvement continuel et à peine visible de la mâchoire inférieure et par un déplace- ment un peu plus apparent des opercules ; quarante mouvements respiratoires pouvaient être comptés par minute; huit fois environ ou douze fois par minute, il venait, à la surface, avaler de Pair, et retournait aussitôt au fond du bassin. Une seconde après, une demi-douzaine de bulles d'air, dont quelques-unes assez grandes, s’échappaient par les ouies. L’air séjourne une seconde ou quelquefois une seconde et demie dans la vessie, et ce temps est probablement suffisant pour l'absorption de l'air, en vue du rôle qu’il est destiné à jouer, et pour son rejet. » L'observation de M. Poey semble se rattacher à une particularité signa- lée par M. Agassiz. En étudiant les Lépidostés vivants (Proceed. Boston Soc. nat. hist., 1856, t. VI, p. 48), il a été étonné de la quantité consi- dérable d’air qui s'échappe de leur bouche, mais il n’est point parvenu à savoir, d'une façon satisfaisante, de quelle source proviennent les bulles de gaz qu’on voit s’attacher aux branchies. Elles sont, dit-il, en nombre trop considérable pour qu’on puisse attribuer leur sortie aux mouvements de déglutition que ces animaux accomplissent sans doute quand ils montent, ce qui a lieu de temps en temps, à la surface de l’eau, où ils — 160 — semblent avaler de l’air. On ne peut pas non plus, ajoute-t-il, supposer une sécrétion gazeuse opérée par les branchies elles-mêmes. Déjà, en 1834, M. Agassiz (Proc. zool. Soc., Lond., t. Il, p.119), en donnant quelques détails relatifs aux Lépidostés, avait appelé l'attention sur l’appui que le mode de communication de la vessie natatoire avec le pharynx apporte à la supposition d’une analogie à établir chez certains poissons entre la poche à air et de véritables poumons. Il y est revenu, dans ses Rech. sur les poiss. foss., t. IT, 2° partie, p. 6. Cette analogie, rejetée par M. Valentin (/oc. cit., p. 396), est ancienne dans la science. Ce n’est pas à 1795 seule- ment, époque où Fischer écrivit sa dissertation (Versueh ueber die Schwimblase Fische\, qu'il faut en faire remonter l’origine. Si, en effet, ce physiologiste l’a émise p. 69, $ 9, comme M. Lereboulet l'a rappelé en la lui attribuant (Anat. comp. appar. resprrat., 1838, p. 92 et 94), déjà elle se trouvait exprimée par Hulin (Duha- mel, Traité des pêches, t. IL, p. 168). Ce dernier avait même été précédé par Rondelet et par Viridet (voy. Fr. Delaroche, Obs. sur la vess. aér. des poiss. : Ann. du Mus., t. XIV, p. 260). La quatrième famille est celle des Po/yptéridés qui est la deuxième des Ganoïdes osseux. Ce sont des poissons à corps comprimé ou cylindrique, entièrement revètus d’écailles osseuses à surface émaillée; à nag. caudale, arrondie, entourant le bout de la queue, et dont l’anale est fort rapprochée. Les pectorales ont un pédicule charnu ou écailleux, et les ventrales sont très-reculées ou nulles ; la dorsale décomposée simule une série de nageoires soutenues chacune par une forte épine qui porte des rayons articulés attachés à sa face postérieure. Les fulcres manquent aux nageoires. La tête est courte, plate et large ; les mâchoires non prolongées, portent un rang de dents coniques derrière lesquelles il y a des dents en ràpe. Les évents sont couverts par une soupape osseuse ; les branchies accessoires, soit branchies opereulaires, soit branchioles, font défaut; les rayons branchiostèges sont remplacés par une paire de larges plaques osseuses situées entre les branches de la mâchoire inférieure ; l’ap- — 161 — pendice pylorique est unique ou double ; une valvule spiroïde par- court l'intestin. La vessie natatoire a deux lobes inégaux, réunis en avant dans une cavité commune lrès-courte, qui s'ouvre à la face ventrale de l’œsophage par une fente longitudinale. Ces dernières indications, relatives à la vessie natatoire, méritent d’être examinées avec quelques détails. Beaucoup plus simple dans la structure que chezles Lépidostéidés, puisqu'elle n’a point de cellules, et analogue, par conséquent, à celle des Polyodontidés et des Acipenséridés, elle offre cependant chez les Polyptéridés, des particularités fort intéressantes à étudier. 1° Elle consiste en deux sacs cylindriques et d'inégale longueur. 2° Les lobes se réunissent dans une cavité commune très-courte, dont la communication avec l’œsophage a lieu à la face ventrale de ce conduit par une fente longitudinale, sorte de glotte munie d’un muscle constricteur. La position exceptionnelle de l’ouverture de la vessie natatoire dans les organes digestifs a été indiquée d’abord par J. Müller (Ueber Lungen und Schwimbl. in : Archiv. für Anat., 1841, p. 224)’. Les Lépidosiréniens nous offrent un second exemple de la même disposition anatomique ; mais si, chez ces derniers, il faut admettre que les poches à air jouent un rôle dans l’acte de la respiration, il n’en est pas ainsi chez les Polyptères, car le système circulatoire de la vessie n’est pas celui des appareils destinés à faire subir au sang les phénomènes de l’hématose. J. Müller a eu soin de le faire remarquer. « Ces organes, dit-il (Sur les Ganoides et la classificat. des Poiss. in : Ann. sc. nat. Zool., 1845, 3° série, t. IV, p. 35, trad. par Vogt, d’après le Mém. contenu dans les Archiv. für Naturgesch., 1845, p. 122), ne peuvent être considérés comme des 1 I1 ne faut pas perdre de vue la conclusion tirée de ce fait par J. Müller et de l'observation consignée dans la même lettre à Van der Hoveen, sur le singulier mode d’abouchement de la vessie natatoire chez les Erythrins où elle s'ouvre à la face latérale de l’œsophage. « La communication avec la face dorsale de ce conduit, bien qu'elle soit presque constante, ne constitue donc pas, dit-il, un des caractères essentiels des poissons. » XII, 41 — 162 — poumons, car ils recoivent du sang artériel, de même que toutes les autres parties du corps. Leur artère est une branche de la dernière veine branchiale (veine artérieuse ou veine efférente), qui se sépare au milieu du tronc pour se porter vers le sac aérien de son côté. Les veines de la vessie natatoire se réunissent, comme les autres veines du corps, à la veine hépatique. » La disposition du système vasculaire est donc la même que chez les Lépidostéidés. Pour l’anatomiste, comme M. Milne-Edwards le fait observer (Lec. physiol. et anat., t. NM, p. 368), les vessies natatoires des Polyptères sont donc évidemment les homologues ou représentants organiques des poumons ; mais pour le physiologiste, elles ont perdu les caractères essentiels de l’organe spécial de la respiration aérienne. Les parois des lobes sont formées par une couche musculaire à fibres striées et par une membrane muqueuse à plis très-fins, peu saillants, fort serrés les uns contre les autres, parallèles et longitu- dinaux. Leydig (Histolog. Bemerk. Polypt. Bichr in : Zeitschrift für Wissensch. Zool., Sieb. und Kôllk., 1854, t. V, p. 64) y a constaté la présence d’un epithelium à cils vibratiles. C’est une analogie avec les Acipenséridés. Elle porte à considérer une sem-— blable structure de la face interne de la vessie natatoire comme l’un des caractères généraux des Ganoïdes. L'absence de cellules, et, par suite, des petits faisceaux muscu- laires décrits sous le nom de trabécules, est la preuve, comme comme M. Valentin le fait observer (Ueber die Organisat. Trabe- culæ carneæ Schwimblase in : Repertor. für Anat., 1840, p. 394), que la disposition celluleuse de la paroi interne n’est point un ca- ractère commun à tous les poissons de la sous-classe. La cinquième famille, celle des Amiadés, comprend des Ga- noïdes osseux offrant dans leur aspect général quelque ressemblance avec les Ophicéphales ; le corps est allongé, un peu comprimé, couvert d’écailles imbriquées, assez grandes, à bord postérieur ar- rondi, et couvertes de stries radiées; la tête, de forme cubique, légèrement voùtée en dessus, a un revêtement cutané mince et sans écailles, et ses faces supérieure et latérale rugueuses et comme — 163 — striées ; les os situés derrière l'orbite couvrent, en grande partie, la joue ; la dorsale, unique et très-longue, atteint presque la caudale, qui est arrondie"; l’anale s’insère à peu près au milieu de l’inter- valle compris entre cette nageoire et les ventrales ; sur les mächoires, sont implantées des dents pointues, de médiocre longueur, formant un seul rang derrière lequel en règne un second qui précède les dents vomériennes et palatines, disposées en quatre petits groupes ; au delà de celles-ci, se trouvent des dents en râpe, ainsi qu’à la mà- choire inférieure où elles sont derrière le rang des dents antér. ; il y a des dents pharyngiennes supér., et à l'extrémité de la por- tion moyenne de l’hyoïde, deux plaques osseuses garnies de dents ; entre les branches de la mâchoire inférieure et occupant presque tout leur écartement, est logé un os médian, plane, beaucoup plus long que large, adhérant à la peau ; la chambre respiratoire manque d’évents, de branchies operculaires et de branchioles : elle a dix à douze rayons branchiostéges ; on n’y rencontre ni appendices pylo- riques, ni valvule spiroïde dans l'intestin ; la vessie natatoire est cel- luleuse. Les dimensions de cette dernière sont assez considérables. C’est un sac membraneux divisé en deux courts prolongements antérieurs, situé au-dessous du rachis et des reins, au-dessus du tube intestinal. Cuvier (Règne anim., 1° éd., 1817, t. IL, p. 181) paraît être le premier qui ait signalé la structure celluleuse de cet organe que rend évidente son insufflation par l’œsophage. Valenciennes (Hise. Porss., t. XIX, pl. 578) et Franque (Ant. Am., fig. 4) l'ont repré- sentée. L’apparence de cet organe est celle d’un poumon de serpent à parois celluleuses dans sa région antérieure et lisse au contraire vers son autre extrémité où les vacuoles finissent, après être devenues de plus en plus grandes, par disparaître tout à fait. Les cellules d’un côté de l’organe ne communiquent pas avec celles du côlé opposé, parce que surla ligne médiane, adhérente à la paroi supérieure ? Elle ne diffère en quelque sorte point, par son apparence extérieure, de la caudale des poissons osseux ordinaires; son hétérocercie cependant très-pro- noncée n'est visible que sur le squelette. — 164 — de l’œsophage, il y a une bride fibreuse de laquelle partent les trabécules qui forment les parois des cellules. Entre la tunique propre de la vessie et son enveloppe péritonéale, se répandent des fibres musculaires provenant de l’œsophage ; examinées au microscope, comme M. Franque l’a d’abord constaté, elles sont, ainsi que tous les muscles de la vie animale, striées en travers. Le genre de vie de l’Amie qui, durant les sécheresses de l'été, reste enfouie dans la vase, pourrait porter à croire que cette vessie natatoire celluleuse joue, comme chez les Lépidosiréniens, le rôle d’un organe de respiration aérienne, mais l’étude de son système vasculaire a prouvé à M. Franque linexactitude d’une semblable supposition. Ici, en effet, la disposition anatomique est semblable à celle qu’on trouve chez les Lépidostés (voy. plus haut), et chez les Erythrins (J. Müller, Ueber Lungen und Schwimblase : Archiv Anal., 1841, p. 225). Par l’insufflation de l'artère de la vessie natatoire de l’Amie, et par son injection à l’aide du mercure, M. Franque s’est assuré qu'elle naît d’une veine branchiale, c’est-à-dire d’une veine artérieuse ou, en d’autres termes, d’un vaisseau efférent des branchies et contenant du sang arté- rialisé. En outre, il a vu les veines de l'organe s’ouvrir dans les veines qui ramènent au cœur le sang des différentes parties du corps. Sur la fig. 4, il a représenté la préparation qui démontre nettement les relations que je viens d'indiquer entre l'artère de la vessie natatoire et le système vasculaire à sang rouge. La communication avec l’œsophage a lieu vers le commencement de ce conduit et à sa paroi postérieure par une sorte de glotte con- sistant en une ouverture un peu oblongue, à bords légèrement renflés. Ce n’est donc pas par son mode de communication avec la première portion du tube digestif, que la vessie natatoire offre des analogies avec les organes pulmonaires, mais par sa structure celluleuse, et cependant chez les Amies, comme chez les Polyptères, il ne peut point y avoir assimilation au point de vue de la physiologie. — 165 — II. DIPNÉS :. Caracrères. — Poissons anguilliformes, à squelette en partie osseux, en partie cartilagineux, dont la colonne dorsale non ossifiée et non divisée en vertèbres, se réunit, sans interruption, au crâne ; nageoires impaires non séparées, et entourant la queue dont l’extré- mité est pointue ; pectorales et ventrales en forme de stylet, très- éloignées les unes des autres; écailles cycloïdes ; cloaque non médian, mais ouvert sur le côté de la ligne du milieu de l’abdomen ; narines doubles, situées en dessous et dont les postérieures débou- chent en arrière, d’une facon peu apparente, vers le bord postérieur de la lèvre supérieure ; mâchoires sans véritables dents, à proémi- nences revètues d’émail; ouverture branchiale extérieure unique de chaque côté et étroite ; appareil operculaire incomplet ; arcs branchïaux non tous pourvus de branchies; ligne latérale apparente ; canaux muqueux bien développés sur la tête; Intestin à valvule spiroïde ; cœur à ventricule unique, dont le bulbe artériel est par- couru par deux replis longitudinaux saillants, à oreillette divisée par une cloison musculaire en réseau et incomplète en deux cavités : celle de droite recoit le sang veineux du corps, la gauche le sang en retour de la vessie natatoire celluleuse qui joue le rôle de poumon et s'ouvre à la face ventrale de l’œsophage derrière une pièce carti- lagineuse ; lobe optique simple; nerfs optiques réunis en un chiasma ; extrémité antérieure et libre des oviductes en entonnoir. 1 Dans le tome II de mon Histoire natur. des Poissons, j'ai exposé avec tout le soin que le sujet mérite les arguments invoqués en faveur du classe- ment des Dipnés, c'est-à-dire du Lepidosiren paradoxa de l'Amérique du Sud et du Protopterus annectens des eaux douces de l'Afrique, sait parmi les Pois- sons, soit parmi les Batraciens. La discussion ne peut pas être reproduite ici, mais je dois dire que tout prouve la justesse de l’opinion des zoologistes qui considèrent les animaux singuliers dont il s’agit comme appartenant à la classe des poissons. — Voyez dans le présent volume des Annales de la Société Linnéenne de Maine-et-Loire la note que j'y ai insérée sous le titre : Le Lépi- dosiren et le Protoptére appartiennent à la classe des Poissons où ils sont les types de la sous-classe des Dipnés. — 166 — Une des plus intéressantes particularités de l’histoire des animaux que cette sous-classe renferme, est relative au mode de respiration aérienne, dont ils jouissent en même temps que de la respiration aquatique et qui a, pour siége, la vessie natatoire celluleuse physio- logiquement transformée en organe pulmonaire. A la face inférieure de l’œsophage, comme chez les Polyptéridés, s’ouvre, sur la ligne médiane, ou un peu en dehors de cette ligne, le canal aérophore de la vessie natatoire ou plutôt la trachée-artère par un petit orifice longitudinal vers l'extrémité postérieure d’une pièce cartilagineuse que l’on peut, avec M. Richard Owen, nommer cartilage thyroïde rudimentaire, ou bien avec M. Bischoff, épi- glotte. C’est une sorte de glotte (Bischoff, pl. V, fig. 1, pl. 8, fig. 1, E, F, trad. franc. ; Hyrtl, pl. IL, fig. 1, / ; R. Owen, pl. 26, fig. 1,e, /.). La fermeté du cartilage explique comment de l'air chassé des cavités où il est contenu peut, en s’échappant à travers l’ouver- ture de l’œsophage, produire des sons. Je les ai entendus à plusieurs reprises et ils n’ont point échappé aux observateurs qui ont eu à leur disposition des Protoptères vivants. La trachée-artère est courte, et, très près du point où elle traverse la paroi du conduit œsophagien, elle se dilate en une sorte de sac membraneux, communiquant par deux larges ouvertures latérales, avec les poumons. Divisés à leur région antérieure en petits lobes dont le nombre et la forme n’ont rien de constant, ces organes offrent, à leur intérieur, une cellulosité plus abondante en avant que vers l’extrémité opposée. Comme la vessie natatoire des Lépi- dostés, ils rappellent l’apparence des poumons des serpents (R. Owen, pl. 26, fig. 1 et 2 ; Bischoff, pl. V, fig. 6, pl. 9, fig. 2, trad. franc. ; Hyrtl, pl. II, fig. 1 et 2). Leur couleur est un indice de l’abondante vascularisation dont ils sont le siége. Au point de vue physiologique, on ne peut pas comparer les sacs à air des Lépidosiréniens à ceux des Polyptéridés. Chez ceux-ci, nous l’avons vu, ils constituent une véritable vessie natatoire double et non, comme chez les premiers, des organes destinés à fournir de l’oxygène au sang qui les parcourt. Au point de vue anatomique — 167 — cependant, et M, R. Owen (Compar. anat. Vertebr., 1866, t. 1, p. 499) a insisté sur ce détail, il y a homologie. Ainsi, chez les uns et chez les autres, pour ne parler que des poches à air, 1° elles sont doubles, et en rapport avec une courte et large trachée-artère qui s’ouvre à la face ventrale de l’æsophage, mais elles ne sont point celluleuses chez les Polyptères. 2° Leurs artères naissent des branches dorsales de vaisseaux qui, après avoir suivi le trajet des arcs bran- chiaux, vont former l'aorte. Chez les Polyptères, tous les arcs portent des branchies et, par conséquent, la totalité des vaisseaux, au sortir de ces arcs, contient uniquement du sang artérialisé, mais chez les Dipnés, il n’y a pas de branchies sur les deux ares auxquels appartiennent les denx troncs aortiques dont la rénnion, après qu’ils ont contourné les arcs branchiaux, produit, en partie, l’artère pulmonaire, le sang de ces deux troncs est donc encore veineux. Il se mélange néanmoins de sang artériel, car l'artère pulmonaire ne provient pas directement et uniquement des deux troncs aortiques des deuxième et troisième arcs branchiaux sans branchies, mais en réalité, elle est fournie par la racine de l’aorte dans le point où ces deux vaisseaux s’anastomosent avec les trois derniers, pour former cette racine aortique. L’artère de la vessie natatoire des Polyptères charrie du sang oxygéné et celle des poumons du Lépidosté porte du sang qui doit être révivifié quoiqu'il soit incomplétement veineux, mais l’analogie n’en existe pas moins dans la disposition anatomique des organes. Nul doute ne peut rester sur le fait curieux de la présence de branchies et de poumons, et de leur usage simultané ou alternatif pendant toute la durée de la vie chez les Dipnés”. ! On ne saurait méconnaître ici, au point de vue physiologique, une ana- logie entre ces animaux et les Batraciens, dit Pérennibranches (Protée, Sirène, Ménobranche, Axolotls). Sous une autre forme, puisque les branchies consistent, chez ceux-ci, en des houppes membraneuses et vasculaires saïl- lantes au dehors, ils sont organisés pour une respiration aquatique malgré la coexistence des poumons. Peut-être, il est vrai, est-ce pour ces derniers un élat transitoire, comme les observations que j'ai faites à la ménagerie des Reptiles du Muséum d'histoire naturelle en 1865 semblent l'établir relative- ment aux Axololis qui, en perdant leurs branchies, ont subi des changements — 168 — Mais je ferai observer que la respiration branchiale et la respira- tion pulmonaire sont assez imparfaites, et des doutes ont été émis sur l'énergie d’action soit des poumons, soit des branchies. Quoi qu’il en soit, la respiration aérienne suffit seule à entretenir la vie quand l’animal enveloppé dans son cocon est enfoui sous le sol, tandis que la respiration aquatique reprend son activité et contribue principalement à l’hématose au moment du retour des eaux sur les fonds desséchés. Il est donc intéressant de fixer son attention, sur une si remarquable accommodation des appareils respi- ratoires aux diverses circonstances de la vie des Dipnés. On ne doit cependant pas perdre de vue qu’ils ne sont pas les seuls qui pos- sèdent un organe accessoire pour la respiration aérienne ". Aïnsi, le Saccobranchius singio a des poches à air indépendantes de la vessie natatoire. Elles peuvent être comparées physiologiquement à des poumons, puisqu'elles reçoivent du sang de la dernière division analogues à ceux des autres Batraciens urodèles et se sont transformés en Amblystomes (Nouv. Arch. du Mus., t. 1, p. 265-292, pl..10 et Ann. sc. nat. Zool., série V, t. VIL, p. 229-254, avec figures). Si de semblables métamor- phoses venaient à être constatées chez le Protée, le Ménobranche ou la Si- rène, le groupe des Batraciens pérennibranches devrait être rayé des cadres de la zoologie. En raison de la disposition plus compliquée des branchies des Lépidosiréniens et de la simultanéité constante d'action des deux appareils respiratoires, il n'y a pas lieu de supposer, ce qui d’ailleurs n’a jamais été vu, que l’un des modes suivant lesquels l’hématose s’accomplit vienne à sub- sister seul par suite de la disparition de l'autre. Je dois, au reste, en terminant cette note, rappeler que, chez le Dipné africain dit Protopterus annectens ou anguilliformis, on voit, à l'angle supérieur de la fente des ouïes, trois filaments peu prolongés qui sont des branchies externes et transitoires, mais plus longtemps persistantes que les branchies des évents des Plagiostomes, et que celles des ouvertures operculaires récem- ment observées chez le Polypterus Lapradei par M. Steindachner. -1 J'ai été témoin, à la ménagerie des reptiles du Muséum d'histoire natu- relle, de l’enfouissement des Protoptères et de la formation, par eux, d’un cocon aux dépens d’une très-abondante sécrétion muqueuse. A l’état de li- berté, ils passent une partie de l’année dans cette retraite construite sous le sol au moment où, par suite des grandes chaleurs, il va se dessécher, et qu'ils abandonnent durant la saison des pluies (C. rendus Ac. des sc., 1866, t. LXIL, p. 97, et Hist. nat. Poiss., t. IL, p. 428-430). — 169 — de l'artère branchiale; mais elles sont plutôt une dépendance des branchies, suivant la remarque de M. R. Owen (Compar. anat. Vertebr. 1866, t. I, p. 488), qu'elles ne sont les homologues, au point de vue antomique, des poumons ou de la vessie natatoire qui, d’ailleurs, ne fait point défaut à ce singulier Siluroïde. Auc. Duméru. L A - PÊCHE DU HARENG Connu de tous les peuples, qui habitent les bords de l'Océan depuis la mer Glaciale jusque sur nos côtes, le hareng est un des poissons les plus intéressants au double point de vue de son abon- dance dans la nature, qui en fait une richesse commerciale, et des particularités, que présente son histoire. Les dimensions du hareng sont assez variables suivant les régions, où on le pêche; c’est ainsi que le hareng d’hiver de Norvège mesure souvent jusqu’à 35 centimètres de longueur, que celui des fjords est plus petit que celui de la pleine mer, que le poisson recueilli dans la mer du Nord par les Hollandais mesure 37 à 38 pouces néerlandais, tandis que celui qui se pêche plus au midi et sur les côtes de France ne dépasse pas 17 pouces. Cette différence dans la taille avait fait supposer qu'il existait, dans ces diverses régions, des espèces diffé rentes de hareng, mais E. Geoffroy Saint-Hilaire a combattu cette opinion, émise par des pêcheurs aussi bien que par des naturalistes, et a attribué cette diversité à là différence de l'alimentation, opinion qui a été confirmée depuis par des observations précises. Le hareng se montre partout dans les parties septentrionales de l'Océan et se pêche rarement au-dessous de la Rochelle. Bien qu’en — 171 — aient dit quelques auteurs, tels que Belon, il n’existe pas dans la Méditerranée, et n’a été connu ni des Grecs ni des Romains. Abon- dant dans l'Océan boréal, les baies du Groenland, de la Laponie, de la Russie, sur les côtes de la Norvège, du Danemark, il pénètre jusque dans la Baltique, dans le Zuyderzée, et se montre dans la Manche pour cesser d’apparaître au delà de la Bretagne. On le trouve quelquefois dans des eaux peu salées, telles que celles du golfe de Bothnie dans la Baltique ; quelquefois même on a pu le prendre dans des rivières, l’Oder, la Seine‘. On cite en particulier le fait, en 1695, d’un banc de harengs, qui fut jeté par le flot dans la Tamise et qui, continuant sa marche, arriva jusqu'aux environs de Londres, en si grande abondance qu’on put en recueillir des milliers avec des seaux. Mais, quoi qu’il en soit, on ne peut considérer le hareng comme remontant habituellement les rivières. Il n’est peut-être pas d'animal sur lequel on ait émis plus de fables, et cela en raison de l'importance qu’a pris sa pêche chez divers peuples. On a dit, entre autres, que le hareng périt immé- diatement au sortir de l’eau et par conséquent ne peut être rejeté à la mer : As dead as a herring, disent les Anglais et cette expres- sion populaire paraît avoir acquis une notoriété scientifique, depuis que Lacépède s’est évertué à trouver la cause de cette mort si prompte dans la grandeur de l’ouverture des ouïes. Mais Neucrantz, Sagard, Noël de la Morinière, Valenciennes et d’autres observateurs, qui ont étudié le hareng sur place, ont constaté, à plusieurs reprises, que ce poisson arrive vivant sur le pont des bateaux et fait encore des sauts dans les mannes, plusieurs heures après y avoir été déposé. Etait-il donc besoin de faire de si grands efforts d'imagination pour s’expliquer la mort rapide du hareng, qui s'était emmaillé et qui, par conséquent, ne pouvait plus mouvoir ses opereules de facon à renouveler l’eau nécessaire à sa respiration ! D’autres veulent que le hareng ne se nourrisse que d’eau pure, ! On en à pris aux environs de Pont-de-l'Arche, mais tous avaient déjà jeté leurs œufs, ce qui les différencie des aloses. Valenciennes remarque d’ailleurs qu'il faut accepter ces faits avec la plus grande circonspection, car on a donné quelquefois le nom de hareng à des espèces toute différentes. — 172 — parce que sa digestion se faisant très-rapidement, et l'observation du contenu de ses intestins ayant été faite très-superficiellement, on trouve souvent son canal alimentaire presque vide. Des observations, faites dans ces dernières années et parmi lesquelles nous signalerons celles de M. Boeck fils, chargé d’une mission par le gouvernement Norvégien pour l'étude du hareng, ont démontré d’une manière péremptoire que le hareng se nourrit de petits crustacés micros- copiques et d'animaux inférieurs. Une de ces espèces de crustacés, qui abonde sur les côtes de Norvège, a même recu du danois Fabricius le nom de Haringkreeft (écrevisse à hareng). Stoem a dit que le hareng est tellement avide de cette proie qu’il la pour- suit partout, où elle est portée par les vents ou les courants. Une autre preuve que les harengs ne se nourrissent pas d’eau claire seulement, c’est l'obligation où se trouvent les pêcheurs du hareng d'été (Somimersild) sur les côtes de Norvège, de ne retirer de leurs enceintes de filets, le poisson qu’au bout de trois jours, pour lui donner le temps de digérer les Sa/pas et crustacés dont il a fait sa proie, et qui, sans cette précaution, détermineraient la détérioration très-rapide du hareng. Quelques pêcheurs aflirment que le hareng a une voix, de même qu'un certain nombre d’autres espèces de poissons, et les Anglais ont même un mot pour exprimer par onomatopée ce cri ; ils disent Squeak. Les variations de couleur du hareng ont donné lieu aussi à un grand nombre de fables et aux suppositions les plus absurdes, Cest ainsi que les historiens du xvi‘ siècle racontent l’apparition d’une sorte particulière de hareng, qui fut considérée comme un signe de la colère céleste, et qui fut, dit-on, la cause de la disparition du hareng commun des côtes de Suède. Le 21 novembre 1587, on prit en Norvège deux harengs, qui portaient profondément imprimés sur leurs flancs des caractères gothiques ; ils furent portés à Copenhague et, sept jours après leur capture, présentés au roi Frédéric IT, qui les soumit à l’étude des savants les plus illustres de son royaume. Ceux-ci prédirent, d’après l'inscription, que les Danois pêcheraient, par la suite des temps, moins — 173 — de harengs que les autres peuples. Mécontent de cette réponse, le roi fit consulter les savants de l'Allemagne. Un mathématicien francais établi à Copenhague publia, à ce sujet, un gros volume ; un autre savant écrivit un non moins volumineux ouvrage pour prouver que ces poissons prédisaient la prochaine destruction de l’Europe entière. Cette prédiction se reproduisit, en 1622, lorsque Heglin, professeur de théologie à Zurich, donna une explication de V'Apocalypse dans ses rapports avec les signes trouvés sur un hareng, pêché sur les côtes de la Poméranie et qui ressemblait aux fameux harengs de Copenhague. Ce n’est pas d’ailleurs que, jusqu’à ces derniers temps, les savants n’aient enrichi l’histoire du hareng d’histoires fabuleuses, et Cuvier lui-même a contribué, pour sa part, à la propagation d’idées erronées, particulièrement en ce qui touche les problématiques voyages effectués par ce poisson. D’après leurs affirmations, qui reposent sur des dires de pêcheurs, le hareng aurait pour patrie les régions glacées du pôle et ne serait pour nos mers qu’un poisson de passage, que le manque de nourriture ou le besoin d’une région plus tempérée amènerait annuellement dans nos parages. Des glaces du Nord il partirait, chaque année, une immense multitude de harengs qui se partageraient immédiatement en deux bancs; l’un se dirige vers l’Ouest et peuple directement les côtes de l'Amérique du Nord; l’autre va vers le sud et gagne l’Europe. Cette seconde bande arrive, au commencement du printemps, vers les côtes de l’Islande, et perd déjà une partie de ses bataillons qui vont peupler les côtes du Groenland ; mais la médiane partie double l'Islande et vient en avant des Shetlands, où elle se partage en trois grands groupes ; l’aile gauche passe devant la côte de Norvège, et va peupler les mers à l'Orient et au Nord de l'Allemagne ; l’aile droite va vers les Hébrides et le Nord de l'Irlande, tandis que le centre, non moins fourni, va visiter les Orcades, les côtes d'Écosse et envoie ses derniers bataillons dans la Manche où ils peuplent les deux rivages. Les naturalistes, qui admettent ainsi que le hareng opère chaque année des migra- tions, ont décrit avec soin et figuré sur leurs cartes les plus petites troupes de cette grande armée de poissons, — 174 — Blochk, Noël de la Morinière et Valenciennes ont opposé à ce sys- tème attrayant des objections irréfragables, et prouvé que jamais on n’a vu les bandes de harengs revenir vers leur soi-disant contrée natale, que le hareng quitterait sa première résidence, juste an moment où les mers du Nord sont peuplées de myriades d’animal- cules microscopiques, qui lui fourniraient une nourriture convenable. Peut-on admettre que la terreur, que leur inspireraient leurs enne- mis, fasse fuir ces bandes jusqu’à plusieurs centaines de milles? com- mentexpliquer que la faim et la crainte fassent émigrer seulement les bharengs adultes, et n’aient aucune influence sur les jeunes? Enfin, si le hareng vient du pôle, comment concevoir qu’il apparaisse souvent dans les contrées méridionales, avant d’avoir été vu sur les côtes septentrionales ? Aujourd’hui on ne croit plus à ces migrations, on pense géné- ralement que le hareng, ainsi que plusieurs autres poissons, se retire dans les vallées profondes de la mer, là où la température et la pression ne varient, pour ainsi dire, pas, et dont les plus violents orages ne troublent pas la tranquillité. Il ne quitte ces retraites impé- nétrables que poussé par le besoin de la reproduction et cherche alors à gagner des eaux moins profondes et plus claires, qui soient plus facilement échauffées par le soleil. Cette tendance se fait sentir, en même temps, sur tous les harengs adultes, et permet d'expliquer de la manière la plus simple leur apparition subite, en grandes masses, dans une contrée, où il n'était pas possible d’en trouver un seul le jour précédent. Du reste, cette opinion se trouve confirmée, par l’aflirmation d’anciens pêcheurs, qui pensent qu’avec des filets, assez profondément descendus dans la mer, ils pourraient en tout temps, recueillir autant de harengs que pendant la saison. Notons cepen- dant que, dans l'opinion de quelques autres, les harengs seraient tellement accumulés au fond des mers, que les filets passeraient dessus, sans rien prendre. Les observations de M. Boeck fils, chargé d’une mission spéciale par le gouvernement norvégien, tendent à démontrer que le hareng n'est pas migrateur. En effet, chaque localité possède son espèce particulière, ce qui ne peut s'expliquer, si on admet encore la — 175 — réalité du long voyage opéré, chaque année, du nord vers les régions tempérées. D’après M. Boeck, le hareng vit dans les vallées pro- fondes sous-marines, entre le 47e et le 67e degré de latitude, qu'il quitte, pour se rapprocher des côtes, quand le besoin de frayer le pousse, et vers lesquelles il redescend ensuite. Dans ce déplacement, il ne s’éloigne guère de plus de 7 milles norvégiens (11 kilom. 1/2) de la côte, et laisse échapper ses œufs par 10 à 150 brasses de profondeur‘. Un peu plus tard, il se fait une seconde apparition du poisson, que les naturalistes écossais rapportaient à une seconde saison d'amour, mais dans laquelle il est plus simple de ne voir que le besoin de se réconforter ; car ces harengs de seconde pêche ont leurs organes génitaux vides. Lorsque les harengs se mettent en mouvement, le nombre en est si prodigieusement grand, que les appréciations les plus modérées paraissent fabuleuses. Les anciennes Sagas scandinaves donnent, à ce sujet, des indications très-curieuses et Olaüs Magnus va jusqu’à dire qu’on a vu une fois les harengs arriver en masses si serrées, qu’un bâton, jeté au milieu, restait debout. En 1781, le hareng abon- dait tellement à Ruscoë, près de Gothemburg, qu’on le prenait à la main ; en 1774, un pêcheur de la Fife prit, en une fois, plus de 50,000 harengs ; on rapporte qu’une barque de Fécamp faillit cha- virer par le poids du poisson, qui se trouvait dans les filets: les pêcheurs ne durent leur salut qu’à ce qu’ils perdirent une partie de leurs filets et laissèrent à l’abandon les trois quarts de la pêche : ils n’en conservèrent pas moins 200,000 harengs. Quand des bandes pareilles arrivent dans un golfe, il n’est pas rare que les premiers rangs soient poussés vers le bord par ceux qui les suivent et viennent s’échouer sur le rivage, mélangés avec d’autres poissons plus gros, tels que des pleuronectes, que la masse a entraînés avec elle. Ce que nous venons de dire ne permet guère de comprendre comment le hareng poursuivi sans relâche par des milliers d’ennemis voraces, qui le suivent de tous côtés, et objet depuis de longues années d’une pêche dévastatrice faite par l’homme, qui n’a pas 1 On trouve surtout les œufs par cent brasses, — 176 — manqué de joindre ses efforts à ceux de ces nombreux agents de destruction, n’a pas disparu, ne paraît même pas avoir diminué de nombre. Ce fait ne peut s’expliquer que par une prodigieuse fécon- dité : on sait en effet que les femelles du hareng du nord renferment 60,000 œufs et elles sont plus nombreuses que les mâles, 7 pour 3 environ. Au moment de la fraye, elles laissent échapper une immense quantité d'œufs, tout en faisant des mouvements brusques et violents, qui détachent une grande quantité d’écailles, qui viennent à la surface former une couche argentée. En même temps la mer se recouvre de graïssin, sorte de matière grasse, odorante, nauséa- bonde, que quelques pêcheurs considèrent comme un produit d’ex- crétion des laitances, tandis que d’autres pensent qu’il est dù à l'huile, qui s'échappe du corps des harengs, dilacérés par des pois- sons voraces. Après une incubation, dont le temps n’est pas encore bien fixé, mais qui paraît pouvoir être évalué à 3 ou 4 semaines, naissent des jeunes (Nonnats, poisson blanc des Hollandais), qui passent leur première Jeunesse sur les côtes, sur les bas fonds et ne vont que plus tard gagner les profondeurs de la mer, pour ne plus les quitter jusqu’au moment, où ils seront poussés à leur tour par le besoin de la reproduction. L'histoire des peuples, qui se sont occupés de la pêche du hareng, montre que l’origine de cette industrie remonte aux temps les plus reculés. En France, la pêche du hareng était déjà connue au xt siècle : on trouve en effet, dans les Chartes de l’abbaye de Sainte-Catherine, près Rouen, en 4090, la mention du hareng. D'autre part, on cite une charte de Guillaume le Conquérant qui mentionne la pèche du hareng, faite au Nord, en juillet, par les dragueurs dieppois ; et, en 1141, une corporation de marchands par bateaux, obtint le privi- lége de prélever cent pièces sur chaque bateau, chargé de harengs salés. En 1170, l’abbaye d'Eu acquit le droit d'acheter chaque 1 Valenciennes évalue, en moyenne, le nombre des œufs de 21,000 à 36,000, suivant les individus, année, en toute franchise de droit, 20,000 harengs frais ou salés, tandis que Simon, abbé de St-Bertin, recevait du pape Alexandre IE, celui de prélever le dixième du produit des pêches de hareng, faites sur toute l’étendue des côtes du Calaisis. Ces prérogatives, mal acceptées des pêcheurs, furent cause de querelles avec l'abbé, qui prétendait faire entrer la mer dans son domaine, et durent être modifiées plus tard pour ramener la concorde. Au xiv° siècle, Dieppe et Rouen furent les entrepôts du hareng salé, importé des mers du Nord, et le distribuèrent par toute la France et même jusque dans le Levant. Plus tard, plusieurs autres places maritimes s’adonnèrent sérieusement à la pêche du hareng et, en 1789, Fécamp possédait déjà 50 bateaux de pêche. Durant les guerres de la République et de l’Empire, la pêche du hareng fut entièrement nulle, mais, depuis cette époque, elle s’est relevée peu à peu, a pris un accroissement notable et aujourd’hui les meilleures barques de pèche sont celles des Français. Les villes de Dieppe et de Boulogne-sur-Mer sont maintenant les deux localités, où cette pêche a la plus grande importance. Dès le xim° siècle, les villes maritimes de la Hollande possédaient le droit de pêcher le hareng sur une certaine étendue des côtes de la Scanie, droit qui leur avait été concédé par les rois de Danemarck et de Suède. Les pêcheries ont contribué, pour une large part, à la prospérité des villes Hanséatiques. En 1742, Eric VI tenta bien d'arrêter cet état de choses, mais les villes alliées ayant pris les armes, et ayant fait entrer leurs troupes dans Copenhague, il fut obligé de revenir sur ses prétentions. Un peu plus tard, en 1768, Waldimir IV ne fut pas plus heureux, et fut contraint de confirmer tous les priviléges des villes Hanséatiques. Jusqu'au milieu du xve siècle, les côtes de la Scanie furent le point central des pêcheries scandinaves, mais, à cette époque, le poisson disparut des côtes danoïses, pour se montrer sur celles de Norvège et de Suède ; les pêcheurs y suivirent le poisson et la ville de Bohus devint le centre des pêcheries et fut visitée par de nom- breux bâtiments allemands, anglais, écossais, ete, qui venaient y chercher le poisson préparé. En 1588, le poisson commenca à XIL. 42 — 178 — diminuer de plus en plus, de telle sorte que, dans les premières années du xvu° siècle, on ne trouvait plus trace de ce passé florissant. Malgré les efforts de Gustave-Adolphe, de Christine de Suède et de Charles IX, les pêcheries suédoïises languirent jusqu’au milieu du xvine siècle. En 1746, le hareng apparut, de nouveau, en bandes nombreuses dans le fjord de Bôhnsland, et le zèle pour la pêche se réveilla, excité d’ailleurs par les encouragements du Gouvernement : en 1759, on prit, dans cette localité, plus de 200,000 tonnes de poisson. À partir de 1763, époque où on emprunta aux Hollandais leurs procédés de préparation, le hareng suédois put rivaliser avec le poisson hollandais et Gothemburg devint le centre de ce commerce. En 1775, ce petit port exporta 94,594 tonneaux, contenant chacun 1,200 harengs, et ce chiffre fut porté, en 17814, à 130,649 tonneaux. Ce fut là l’époque la plus florissante des pêcheries de hareng de Suède. Dans les dernières années du xvin‘ siècle, les bancs de harengs furent moins nombreux, et arrivèrent plus tard et moins réguliè- rement sur les côtes de Suède. En 1789, le produit des pêcheries suffisait à peine aux besoins locaux, aussi l'exportation fut-elle prohibée et dès 1800, le hareng d'Écosse fut importé dans un pays qui, antérieurement, approvisionnait toute l’Europe et même les Antilles. Ce fâcheux état s’est prolongé, et bien que, depuis quelques années, 1l y ait amélioration, la pêche du hareng suédois n’a pas encore retrouvé sa prospérité passée. Mais il est un fait important dans l’histoire des pêcheries de Suède, c’est la fabrication si impor- tante de l'huile de hareng, dont le baron Cahman dota son pays, et que nous étudierons un peu plus tard avec tout le soin qu’elle com- porte. L'histoire de la pêche du hareng sur les côtes de la Scandinavie démontre quelle source de richesses peuvent y trouver les divers états. Dès le 1x° siècle, elle était une des causes les plus puissantes de la prospérité du pays et on n’a guère cessé de l’exploiter active- ment, depuis cette époque, bien que ce poisson ait, à diverses reprises, interrompu ses visites régulières sur les côtes. Le hareng, irès-abondant dans la première moitié du xvi siècle dans les envi- rons de Bergen, paraît avoir quitté ces parages vers 1567. Au — 179 — xvue siècle, on le croit revenu et cependant de 1650 à 1654, la pêche est nulle. D’après toute vraisemblance, la pêche n’a pas recom- mencé avant 1699 ou 1700 ; à partir de cette époque jusqu’en 1784, elle fut inégale, mais toujours fructueuse : en 1784 elle s’arrète et disparaît, pour ne se rouvrir qu'en 1808. Mais, depuis ce moment elle s’est continuée, sans interruption aucune jusqu’à nos jours‘. IL est remarquable que le poisson ne se montre pas toujours en abondance dans les mêmes parages : c’est ainsi que, bien que la côte de Norvège la plus fréquentée par le hareng d’hiver, soit située entre le cap Lindesneæs et le cap Stat, de 58° au 62°, 10” de latitude, ce poisson ne s’est montré en abondance de 1736 à 1755, que dans le Moldefjord et même jusqu’à Christiansund. De 1808 à 1835, il affectionna, par-dessus tout, les environs de Bergen; pendant les 30 années qui suivirent, il parut les abandonner ; mais il semble vouloir y revenir aujourd’hui. De 1830 à 1839, il favorisa excep- tionnellement les parages de Flekkefjord et de Farsund, et en 1840 ceux d’Egersund ; mais il n’a pas été rencontré depuis, au sud de Jœderen. Dans les vingt dernières années, on l’a principalement trouvé de Karmô à Selbofjord, au sud de Bergen et de Bremanger au Fensfjord, au nord de Bergen (Hermann Baars). Les Norvégiens distinguent deux harengs, le hareng d'hiver (Vaarsild), qui se pèche du 15 janvier au 15 mars, entre Stavanger et Aalesund et surtout dans les parages de Karmô, où il arrive pour- suivi par de nombreuses troupes de cétacés tels que le Nord-Caper (Balæna Glaciahs), ou par des Kabljau (Gadus Morrhua), Harrvkat (Chimæra monstrosa), ete. Ce poisson est toujours alors rempli d'œufs et de laitance, ou comme disent les Norvégiens S/osild (plein) : on le pêche au moyen de filets dérivants. Le hareng d'été (Sommersild) se pêche du 15 mai à la fin de décembre entre Stavanger et Nord-Cape, mais les localités, qu’il visite, varient presque chaque année par une cause qu’on n’a pu encore préciser. Îl ne commence à être bon que vers le mois de juin, est excellent en juillet et août, puis il maigrit en septembre. En 1 Hermann Baars. Les pêcheries de la Norvège, 1866. — 150 — novembre et décembre il offre déjà quelques œufs et de la laitance. On le prend presque exclusivement aux filets de barrage, et il faut avoir soin de ne relever les filets, qu’au bout de trois jours, pour donner aux harengs le temps de digérer les crustacés et Sa/pa, con- tenus dans leur estomac. Les pêcheurs norvégiens font une distinc- tion entre le hareng de mer et le hareng des fjords; le premier, plus estimé, est d’une taille plus considérable, large et court; sa tête est petite, son ventre volumineux et chargé de graisse, tandis que le second est maigre, plus étroit, moins chargé de matières grasses : il est très difficile de se procurer le hareng de mer sans mélange. De toutes les contrées européennes , la Grande-Bretagne possède les chartes les plus anciennes et les plus authentiques relatives à la pêche du hareng. Il en est fait mention, dès 709, dans les pièces relatives aux impôts et aux revenus de l’abbaye d’Evesham : on trouve, dans les chartes anglaises des xr° et xn° siècles, mention des harengs salés et du nombre de poissons que doit contenir chaque tonne, et tout prouve qu’à cette époque l’industrie de la pêche du hareng était très-florissante ; mais, vers 1429, les Anglais commen- cèrent à abandonner la pêche pour acheter le poisson aux pêcheurs étrangers et particulièrement aux Hollandais, qui venaient poursuivre le hareng jusque sur les côtes d'Écosse. La prohibition de ces achats par Jacques Ier n’eut d'autre résultat que d’anéantir la pêche d'Écosse, et d'arrêter un débouché important pourles Hollandais. Ce n’est que vers le milieu du xvur siècle que, pour enlever aux Hollandais et aux Espagnols le monopole de la pêche du hareng sur les côtes britanniques, les rois d'Angleterre favorisèrent, de toutes manières, l'établissement de puissantes sociétés, destinées à relever les pêcheries nationales : malgré les avantages les plus grands, malgré lappui des plus hauts personnages, ces sociétés succombèrent toutes, et ne servirent guère qu’à annihiler toute l’industrie particulière, surtout en Écosse, et de toutes pañts s’élevèrent de vives protestations contre leur monopole. Aussi quand, au commencement decesiècle, l’Angle- terre chercha à donner de nouveaux développements, à la pêche du hareng, prenant en considération les enseignements du passé, donna- t-elle ses encouragements aux particuliers et bientôt les conséquences — 181 — les plus heureuses se firent sentir de cette réglementation, puisque, dès 1826, sur le marché de Hambourg, on donnait la préférence au hareng d'Écosse sur celui de Hollande. A cette époque la flotte de pêche comptait 10,363 bateaux, montés par 44,598 marins. En 1835, il fut préparé en Écosse, 402,000 tonnes de harengs, et si, l’année suivante, la quantité diminua presque de moitié, on ne peut attribuer qu'à une de ces disparitions subites du poisson, comme celles déjà remarquées autrefois sur les côtes du Danemarck et de la Norvège. Quoi qu’il en soit, la Grande-Bretagne tira un immense revenu de ses pêcheries de harengs et tient aujourd’hui, dans cette industrie, la tête des nations de pêche. La Hollande cependant s’occupe également avec succès de la pêche du hareng. L'origine de la pêche n’a pas pu être déterminée d’une manière bien précise, mais elle est cependant très-ancienne. Les Belges qui, aux x£ et xr' siècles, avaient déjà de grands armements organisés dans ce but, durent à cette industrie une grande partie du bien être, qui régnait alors dans les Flandres ; mais peu à peu l'art de prendre le hareng pénétra en Zélande, dont quelques habitants, au xu° siècle, allaient seuls chercher le poisson jusque sur les côtes de Suède et de Norvège, tandis qu’une partie des Zélandais en recueillait à l’état de hareng frais (pan häring), sur les côtes mêmes de la province. Dès 1344, le commerce du hareng recevait la protection la plus grande des princes du pays, et tirait presque tous ses approvisionnements des côtes. Cette pêche se pratiquait au moyen de bateaux (Buis) et de grands filets, encore usités de nos jours ; elle donnait d’abondants produits, mais ce n’est qu’à partir de 1416, quand Guillaume Beukelsz ! eut découvert le meilleur procédé de préparation et de conservation du hareng, que la pêche de ce poisson a commencé à prendre l'essor, qui a élevé la Hollande au premier rang des nations. La découverte d’un simple pêcheur a eu 1 J.-J. Rœpsact, Note sur la découverte de caquer le hareng, faite par Guillaume Beukelsz, pilote de Bierulet en Flandre. (Académie des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles, 1816). Nous devons faire observer que Noel de la Morimière, conteste avec raison la priorité de l'invention de Beukelsz, car des chartes des x1° et x11° siècles prouvent, que dès cette époque, le commerce des harengs salés et paqués était très prospère. — 182 — pour résultat de faire d’un petit peuple une grande nation ! La révo- lution opérée par G. Benkelsz fit tomber en discrédit le hareng, préparé par tout autre procédé et assura aux Hollandais un mono- pole, dont ils surent apprécier l'importance. Aussi, ne serons-nous pas étonnés qu’un monument ait été élevé à ce pêcheur et que Charles V et sa sœur la reine de Hongrie aient rendu un publie hommage à sa mémoire. Encouragés par le succès, les Hollandais multiplièrent leurs comptoirs en Scanie, et allèrent jeter leurs filets jusque sur les fonds d’Varmouth. Inquiétés d’abord par les Anglais, ils conclurent avec ce peuple un traité qui leur permit de continuer librement leur pêche. Leurs nombreuses barques sillonnaient les mers, sous la pro- tection de navires de guerre et le nombre en augmentait, pour ainsi dire, chaque année. Aussi, les Hollandais devinrent-ils les fournis- seurs du monde entier et portèrent-ils lehareng jusque dans les stations du Levant et au Brésil ; mais la concurrence, que leur faisaient les sociétés anglaises, les obstacles que le roi Jacques [° et Charles F* opposèrent à la pêche dans les eaux anglaises, arrêtèrent le progrès de la Hollande. Puis arrivèrent les guerres avec Louis XIV, qui rui- nèrent leursflottes ; puis plustard enfin le développement des pêcheries suédoises, au milieu du xvm° siècle, consomma leur ruine. A partir de cette époque jusqu’au commencement de ce siècle, la Hollande vit se tarir la source abondante, qui avait été l’origine de son bien- être, de sa puissance et de son importance. Aujourd’hui la pêche du hareng a repris un nouvel accroissement, et bien qu’elle soit encore loin de ce qu’elle fut jadis, elle a déjà nne importance notable. Dans les temps anciens, le Hanovre, aujourd’hui prussien, et par- ticulièrement la ville de Embden prenaient une part importante à la pêche du hareng sur les côtes d'Écosse, mais chaque année cette participation est devenue plus faible. En dépit d’une prime de 540 florins (1,150 fr. environ) payée par l'État à chaque bateau de pèche, la flottille hanovrienne:qui en 1824 était composée de 25 bâti- ments, était descendue à 22 en 1830, à 16 en 1835, à 12 en 1840 et à 10 en 1852. La production avait été cette dernière année de 58 last de tonnes (le /ast 414 tonnes). | — 183 — Brème qui s'était adonnée, dans le temps, à cette industrie, ne comptait plus que 10 bâtiments en 1824, et ne paraît plus en pos- séder un seul à l’époque actuelle. La pêche du hareng se fait au moyen de bateaux de toutes sortes, surtout vers les côtes; mais quand elle doit s’effectuer au large, on prend des bâtiments plus forts, dits droqueurs. Ce nom leur vient dn mot doggerboat des Hollandais, qui désigne leurs plus grands bâti- ments de pèche : Duhamel du Monceau prétend que l’origine de ce nom remonte au temps où les bateaux, chargés de harengs qu’ils portaient jusque dans la Méditerranée, et revenaient avec des cargaisons de produits du midi et surtout de drogues. Quelle que soit l’origine de leur nom, les drogueurs, qui ont de 15 à 18 hommes d'équipage, arrivés sur les lieux de pêche mettent en panne, se démà- tent et jettent à la mer leurs filets, qui ont une longueur variable de 80 à 120 mètres, suivant l’état plus ou moins bon de la mer, et qui sont retenus au navire par un cäble d'autant plus court que la mer est plus calme (de 50 brasses à 150 ou 200). On laisse dériver toute la nuit, et à des intervalles variables, quand on suppose que les filets sont suffisamment chargés, on les hâle à bord, à bras d'hommes ou au moyen de cabestans et chaque homme a son occupation spéciale pour retirer les filets, les arrimer en lieu convenable, démailler les poissons, etc. Quand on a fait une pêche suffisante et qu’on est suffisamment rapproché de la côte, on gagne, au jour, le port le plus prochain pour y vendre le poisson qui recoit le nom de poisson de nuit, et qui est le plus estimé. Sinon, on continue la pèche jusqu’à complet chargement et alors il faut caquer les harengs, en leur enlevant les ouïes et les brailler, en les plaçant dans le bateau avec des couches alternatives de sel. Le braillage en vrac a l’inconvénient de donner un poisson moins bien conservé, d’appa- rence moins belle et par conséquent de valeur inférieure. Le hareng entre dans l’alimentation d’un grand nombre de peuples, mais c’est surtout dans le Nord qu’il est estimé. Il fut une époque, où ce poisson était considéré comme un présent, digne d’être offert aux souverains et nous en avons la preuve dans ce fait qu’en 1676, NE le hareng figurait au nombre des objets précieux que Christian [°, de Danemark, apportait au Pape et aux Cardinaux. Le hareng est consommé tantôt frais, tantôt conservé de diverses manières au moyen du sel ou de la fumée et est présenté sous les diverses formes de Aareng blanc paqué, hareng bouffi, hareng demi prêt et hareng saur. Hareng blanc paqué (Salted ou White herring). Ce hareng est caqué, c’est-à-dire qu’on lui enlève les breuilles et les ouïes, en ayant soin de ne pas l’égaver, par une fente trop large, qui lais- serait échapper le laite ou les œufs. On caque. en conservant le bouquet (crown-qui), constitué par l'estomac et l'intestin, ou en le supprimant ; les Anglais, qui enlèvent le bouquet, ont ainsi un poisson d’apparence plus nette, mais les Ecossais, les Hollandais et les Français sont d’avis que sa conservation donne une saveur plus parfaite au hareng. Le hareng peut avoir été caqué en mer ou à terre. Dans le premier cas, dès qu'il est arrivé à terre, on le lave dans de la saumure propre et on l'y laisse séjourner quelques instants ; puis, on l’égoutte dans une auge à fond incliné, metz, et on l’étend par couches dans un baril, le dos en dessous. Ce procédé, qui exige un personnel moindre que le second, donne le produit le plus estimé, car le poisson a été mis dans le sel au sortir même de la mer et a séjourné quelque temps dans la saumure, qui, mise en mouvement par la marche du navire, imprégne plus également le poisson. La préparation à terre du hareng blanc demande un nombreux personnel et ne permet pas le moindre retard, en raison de la rapide détérioration du poisson. Sitôt acheté aux pêcheurs, il est porté en toute hâte aux ateliers, jeté dans les bacs à caquer, et travaillé par des femmes, qui le privent de ses breuilles et de ses ouïes; puis il est brassé par un saleur avec la quantité de sel nécessaire, soit à bras, soit au moyen de pelles particulières. Quand le mélange avec le sel est suflisant, on met le poisson à macérer dans la saumure pen- dant une dizaine de jours ; cette macération se fait, à Boulogne-sur- Mer, dans de vastes cuves en maçonnerie, à Dieppe et à Fécamp — 185 — dans des barils, qui permettent, dit-on, une imprégnation plus uniforme. Quand le hareng est à point, on le lave dans de la sau- mure propre, on légoutte dans une #etz et on l’alite dans un baril comme le hareng caqué en mer. En France, on fait toujours usage de barillages en hêtre, où la paqueuse tasse le poisson au moyen d’un tampon, ce qui déforme moins le poisson et laisse une plus grande quantité de saumure : ce procédé est préféré par les Boulonnais, qui pensent que la saumure assure mieux la conservation. À Fécamp et à Dieppe au contraire, où on comprime le hareng au moyen de presses, on cherche à se débarrasser de la plus grande quantité possible de saumure, car on est persuadé que le poisson se conserve mieux à sec. Îl paraît cependant que la saumure donne une meilleure qualité au poisson et même quelques saleurs expriment le vœu d’une révision de la loi, qui n'autorise pas, aujourd’hui, plus d’un kilog. et demi de saumure par baril. Les Ecossais, dont les harengs paqués sont justement estimés, les expédient en Allemagne, avec de la saumure, dans des barils de 27 impérial gallons (125 litres environ), munis d’une marque gouverne- mentale témoignant de la qualité du contenu et qui n’est donnée qu'avec une extrême rigueur. Les poissons, destinés à Angleterre et à l'Europe, sont alités le dos en dessous, tandis que ceux destinés à l'Ir- lande sont couchés sur le côté". Les barils, qui peuventêtrefaits de tout bois, le sapin excepté, sont le plus ordinairement en mélèze, moins poreux que le hêtre et pouvant impunément rester exposé au soleil ; le bois de chêne n’est presque jamais employé, en raison de son prix élevé. Les Anglais font fort peu de hareng blanc ; ils le conservent dans la saumure, mais leurs produits sont généralement peu appréciés, étant préparés sans aucune règle fixe et n'ayant pas de marque ofli- cielle témoignant de la qualité. Hareng bouffi (Bloater). On détrempe le hareng dans de Peau fraiche, pour le priver de l'excès de sel fourni par la saumure, on ! Les barils, destinés à l'Inde, sont loujours repaques. — 186 — le lave et on l’égoutte pendant cinq à six heures sur les Aanès ', qui servent à le suspendre dans les cheminées, où il doit séjourner environ vingt-quatre heures. Le feu est fait avec deux ou trois morceaux de hêtre, donnant une flamme douce; on l’allume d’abord au fond de la cheminée, puis, huit heures après, on le tire au milieu de la cheminée, puis, huit heures encore plus tard, sur le devant. Lorsque le hareng est assez sec, on met sur la braise des copeaux mouillés, qu’il est essentiel de ne pas laisser flamber, et qui donnent une épaisse fumée; les poissons y restent exposés pendant deux heures, ce qui leur donne une belle couleur dorée (c’est ce qu’on appelle boucaner). On laisse refroïdir et on empaquête. Les Écossais, sitôt le poisson débarqué, le jettent dans une forte saumure, où 1l plonge cinq à six heures, puis ils l’enfilent sur des hanès et le plongent dans l’eau douce. Une fois bien égoutté, le hareng est mis dans les cheminées, où des feux bien clairs ont été préalablement allumés ; cinq à six heures après, on retire le poisson, qui est bien sec et d’excellente qualité, mais ne peut se comparer au bou/fi de France, qui a recu l’action de la fumée. Hareng demi-prêt. W se fait avec du hareng salé, qu’on détrempe pendant dix à vingt heures, puis qu’on laisse quelque temps dans une seconde eau douce; on en retire au moyen de pelles, et on l'enfile sur les Aanès : il reste pendu, pendant plusieurs heures, dans l'atelier ou les cheminées, pour se bien ressuyer. A Boulogne, on met d’abord les rangées les plus hautes, distantes de 5 à 6 mètres du feu, et on descend jusqu'aux plus basses, qui n’en sont éloignées que de deux mètres. Suivant la largeur des cheminées, qui sont, en général, partagées en deux par un encadrement en bois, destiné à supporter une des extrémités des hanèés, on établit de trois à cinq feux de hêtre au fond, puis au milieu, puis sur le devant de l’âtre ; on recommence les feux, chaque jour, de la même manière pendant trois à six jours, d’après le goût des consommateurs et le plus ou moins de durée que l’ôn veut obtenir. De temps à autre, * Les hanès sont de longues baguettes de un mêtre à un mètre trente, sur lesquelles on enlile de douze à quinze poissons. En général, il y a de douze à quinze rangées horizontales dans les cheminées. — 187 — on met sur les foyers un peu de sciure de bois d’orme ou de hêtre, pour boucaner. On retire les poissons au fur et à mesure de leur dessiccation, en continuant les feux jusqu’à ce que les cheminées soient entièrement vides. À Fécamp, on ne remplit pas les cheminées en une seule fois, comme à Boulogne, ce qui fait qu’une moitié du poisson subit une dessiccation deux fois plus longue. On boucane, puis on redonne quelques heures de feu clair, mais ce procédé ne permet pas d'obtenir des poissons aussi bien dorés. Hareng saur (Red herrmg). On opère, non plus dans des chemi- nées, mais de grandes chambres, dites Coresses ou Roussables, qui n'ont que de très petites ouvertures par lesquelles la fumée puisse s'échapper, et qui peuvent contenir de vingt à soixante mille harengs. Le poisson, détrempé dans l’eau douce, puis lavé et égoutté, est pendu dans la coresse, où il subit l’action du feu pendant au moins six Jours (à ce moment, il commence à être saur) : rarement, il y reste plus de douze jours. On comprend, du reste, que nos harengs saurs, presque tous consommés en France, n’ont pas besoin d’une exposition à la fumée aussi prolongée que ceux des Écossais et des Hollandais, destinés à être exportés au loin. Une précaution impor- tante est de ne les embariller que bien secs. Les Dieppois chauffent la coresse pendant cinq à six jours, la laissent alors pendant deux jours sans feu, puis recommencent à chauffer pendant cinq à six jours: procédé qui a la plus grande ana- logie avec celui des Anglais. Les Écossais chauffent avec du bois de chêne sur lequel ils jettent de temps à autre de la sciure de chêne et entretiennent le feu pen- dant dix à douze jours pour le hareng destiné au Royaume-Uni, quatorze à vingt et un jours pour le poisson d'exportation, et un mois pour celui destiné à l’Australie. Ils éteignent leurs feux et laissent refroidir, comme les Français, avant de dépendre leur hareng qui est plus terne que le nôtre ?. ! Ils boucanent tout le temps. ? Le hareng boufli et le hareng saur anglais et écossais sont enfermés dans des caisses de sapin. — 188 — Les saurisseries norvégiennes ne diffèrent pas sensiblement de celles usitées en France. Le Stræmeling, hareng qui, avec la morue, est presque le seul poisson de mer ayant une importance commerciale en Russie, se pêche en abondance dans la Baltique, dans l’eau très peu salée et presque douce du golfe de Finlande et surtout de celui de Bothnie. On le prend l'hiver, à Moudiouga, sous la glace, au moyen de grands carrelets, munis à leur partie médiane d’une poche dans laquelle le poisson s’entasse sans pouvoir en sortir ; à Soroka, on fait usage de sortes de nasses qu’on introduit sous la glace et qui sont maniés à leur partie antérieure de deux longues ailes!. Le Volga nourrit une espèce particulière de hareng {clupea pon- tica, Eich.) auquel les Russes donnaient le nom de poisson enragé, parce qu’il tourne vivement sur lui-même quand il fraie et qu’à cause de cela même on délaissait comme nourriture ; on le recueillait seulement pour en extraire l’huile?, mais, depuis 1854, on en sale de très grandes quantités (50 à 100,000,000 d'individus) qui se consomment dans toute la Russie et même à Moscou et à Saint- Pétersbourg, sous le nom de Aareng d’Astrakan (Darnvilewsky). La Sala Kouchka où Sardelle est très-abondante dans les eaux de la Baltique et sert, ainsi que la Ai/ka ou sardine d’Esthionie (Clupea sprattus) et la Rapiouchka (Coregonus albula) à la nourriture des populations riveraines. Ces poissons recherchent l’eau froide et voyagent par bancs énormes, en suivant la direc- tion imprimée par les vents; c’est à la persistance de ces vents qu'on doit l'abondance de ces poissons dans quelques localités au détriment de certaines autres, où ils manquent complétement. Cette capricieuse disparition du poisson se prolonge quelquefois assez longtemps ; c’est ainsi qu’en 1772, les habitants de la Laponie Russe, qui tiraient presque exclusivement leur nourriture de la ! On le prend aussi en grande abondance sur la côte de Kandaxchxa. ? On en tire annuellement, pendant les trois semaines que la pêche est permise, 100,000 à 250,000 pouds d'huile, selon que la pêche a été plus ou moins abondante, et le poisson plus ou moins gras (Danilewsky). On calcule que mille poissons ne donnent pas plus de 11 kop. d'huile. — 189 — sala kouchka, se virent sur le point d’émigrer par suite de sa dispa- rition des environs de Kola ; mais, cinq ans après, la sala kouchka est apparue en masses tellement compactes qu’au reflux, les poissons, laissés par Le flot, couvraient la plage de leurs cadavres et que les habitants de Kola se virent dans l'obligation, pour éviter la pesti- lence, de les enfouir dans les fosses ouvertes par les ordres de lau- torité. La sala kouchka est un des poissons dont les allures capricieuses ont occasionné les doléances les plus vives de la part des pêcheurs de la Baltique. Aujourd’hui, ils se plaignent de la diminution pro gressive du nombre et de l’étendue des bancs qui étaient, disent-ils, assez abondants, du temps de leurs pères, pour qu'on employät au fumage des terres, la majeure partie des poissons. Cependant, à cette époque, M. Rislev‘ déplorait déjà la disparition de la sa/a kouchha des côtes de Suède et, en 1680, la ville de Revel accorda l’exemption de tout impôt à un de ses bourgeois, à la condition d'importer de Suède toute la quantité de ce poisson nécessaire à l’approvisionnement de la ville. En 17%0, un suédois nommé Bauer prépara pour son propre usage de l'huile de hareng. Un de ses compatriotes, le baron Cahman, vit immédiatement les grands profits, que pouvait donner ce produit, et n’épargna ni peines ni sacrifices pour fixer cette industrie nouvelle dans son pays. Dans les premiers temps, on n’employait que les parties internes du poisson, mais plus tard quand le hareng est devenu moins abondant, on a cherché à recueillir l'huile qui imprégne tout le corps. Depuis 1776, on opère par ce dernier procédé qui a donné des résultats tels qu’en 1783, il existait entre Gothemburg et Sira- mstadt, déjà plus de 200 fabriques, établies sur les rochers de la côte; cette situation si favorable pour l’arrivée du poisson, et pour le rejet des détritus, fut cependant considérée comme ayant été la cause de la disparution des harengs, qui eut lieu à la fin du xvnr' siècle. Bien qu’il paraisse que cette conjecture soit erronée , le gouvernement suédois ne voulut plus tolérer l'existence des fabriques d'huile sur 1 Annales de l'Académie Suédoise pour 1748. — 190 — le rivage même et força les industriels à enfouir dans l’intérieur des terres les résidus de leurs opérations. Par suite la production, qui s'élevait à environ 15,000,000 de kilog., diminua notablement et n'a jamais recouvré son ancienne prospérité. La préparation de l'huile de hareng en Suède est de la plus grande simplicité : on fait cuire le poisson, pendant cinq à six heures, dans de grandes chaudières de cuivre, où on le brasse jusqu’à ce qu'il soit réduit en pâte ; on ajoute de l’eau froide avant d’éteindre Le feu, on laisse reposer le tout pendant deux à trois heures, on décante l'huile, qu’on laisse reposer quelque temps pour permettre le dépôt des matières en suspension, on filtre et on embarille. Les résidus de cette préparation ({raangrom) ont une grande valeur pour l’agricul- ture, et forment un engrais excellent ; il est, du reste facile de le comprendre, quand on songe qu’il est presque exclusivement com- posé de phosphates et de matières azotées, ce qui le rend éminemment propre à servir au développement des végétaux. Les Russes extraient des quantités considérables d’huile d’une espèce de hareng (c/upea pontica, Eich.), en mettant les poissons dans des tonneaux ouverts par le haut, et qui en contiennent un millier environ; ils versent dessus de l’eau bouillante et brassent vigoureusement la masse. Après quelques jours de contact, le poisson entre en décomposition putride et forme une masse demi-liquide, rougeâtre, exhalant une odeur infecte et au-dessusde laquelle surnage l'huile ; on recueille celle-ci au fur et à mesure de sa formation ; quant à la masse putrilagineuse qui se trouve en dessous, on la laisse écouler à terre ou dans quelques ruisseaux, sans en tirer le moindre parti. D' J.-Léon SoureIRaAn. D'UNE MÉTHODE DE CLANSIFICATION POUR LES COQUILLES DE LA FAMILLE DES CHEMNITZIDE. Parmi les coquilles de Gastéropodes, quelques-unes se présentent avec un caractère assez étrange, pour que la première fois qu’elles furent observées, on ait pu penser qu’on avait sous les yeux un cas fortuit d’anomalie dans la facon dont se développait la spire. Mais quand on vit le même écart se reproduire sur un grand nombre d'échantillons d’espèces variées, on dut reconnaître que tel était le mode normal, suivant lequel, le test passait de l’état embryonnaire à la vie réelle. On s’apercut que ce mode d’accroissement, quoique très-irrégulier en apparence, représentait bien positivement une marche naturelle pour les individus de toute une famille. Ce caractère si singulier avait suffi au début pour permettre de réunir autour d’un type, les différents spécimens qui s’en trouvaient pourvus et, par suite le groupement du genre chemnitzia avait pu être opéré. Peu à peu, le nombre des sujets, reliés par ce point bizarre, devint considérable, le champ s’étendait largement, il fallut en venir — 192 — à chercher des lignes de séparation. En s'appuyant sur certaines d’entre elles on parvint, sans peine, à établir plusieurs sous-genres, des auteurs pensèrent même pouvoir ajouter quelques genres au premier. Cependant, les limites assignées aux diverses catégories ne suffirent bientôt plus. De nouveaux spécimens se rencontrèrent en effet, présentant des nuances qui les écartaient très-sen- siblement du cadre tracé pour les divisions déjà établies. Des diffi- cultés réelles se présentèrent pour ranger certaines coquilles apparte- nant évidemment à la même famille, mais d’une catégorie incer- taine, et les cas devinrent de plus en plus embarrassants. Pour éluder les difficultés, on essaya de revenir au point de départ ; se débarrassant de toutes les sections opérées, on tenta de ramener toutes les divisions à un seul groupe, au seul genre chemnitzia. Mais on ne peut prétendre que ce soit là un remède sérieux, ou du moins, si on le regarde comme tel, nous ferons observer qu’il ne peut avoir d'efficacité ni d’une facon générale, ni dans un sens permanent. Son effet, s’il en a, ne saurait être que très-circonscrit, et seulement d’une durée relative, par cela même qu’un pareil pro- cédé a le grand inconvénient de ranger dans un même genre des types qui sont fort éloignés les uns des autres, tant par leurs formes, que par leur ornementation. Il est donc important, pensons-nous, de chercher par quelle autre voie on parviendrait à parer aux in- convénients qui se sont déjà présentés et qui ne peuvent manquer de se multiplier. Quelque peu autorisé que nous soyons, nous avons néanmoins espéré que nos idées sur ce sujet, idées résultant d'observations nombreuses, ou pour mieux dire, qui sont le fruit d’une étude attentive de la question, pourraient être utilement ap- pliquées. Peut-être la méthode de classification que nous a inspiré l'examen d’un nombre très-considérable de sujets de chemnitzide, résoudra-t-elle les difficultés que nous avons entrevues dans l’ave- nir, comme elles nous paraissent le faire pour celles que nous avons rencontrées. Si nous ne réus$issons pas complétement à obtenir ce résultat, on nous tiendra du moins compte de nos efforts pour rendre plus facile le travail de la détermination et du classement des coquilles dont il s’agit. — 193 — Nous allons donc exposer quelle est la méthode que nous avons supposée propre à remédier à ces inconvénients et, afin de mieux faire voir sur quelles bases elle est fondée, nous croyons devoir donner un apercu de la façon dont nous comprenons la question générale des chemnitzidæ. Nous pourrons ainsi mieux faire com- prendre comment nous avons tiré certaines conséquences d’obser- vations faites comme nous l’avons déjà dit sur de très-nombreux spécimens. Au premier coup d’æil, un point extrèmement remarquable se présente. C’est, en quelque sorte, un centre vers lequel, on peut faire rayonner toutes les divisions possibles, toutes les branches du groupe dont nous nous occupons. Ce point qui leur est commun à toutes sans exception, qui, peut donc si aisément les réunir en un- seul faisceau, c’est le caractère vraiment extraordinaire et si com- mode en même temps, détachant nettement la famille des chem- nitzidæ de toutes les autres, tout en servant parfaitement de point de ralliement à ses diversrameaux. Arrèêtons-nous un instant à considérer ce point principal, que nous devons regarder comme essentiel , puisqu'il n’est guère que le propre des chemnitzidæ. Nous lui attri- buerons une importance de premier ordre, sans avoir l’intention de lui faire jouer d’autre rôle que celui dont nous avons parlé plus haut, bien qu’il ne se présente pas toujours dans des conditions exactement identiques, ainsi que nous le ferons voir un peu plus loin. Examinons d’abord en quoi consiste ce point de ralliement pour toute la famille. On peut le définir en disant que le nucleus ou test embryonnaire se détache des tours de spire qui succèdent à ce premier état, par suite d’une déviation, ou plutôt d’un change- ment dans la direction suivant laquelle s’accomplit l'accroissement. En énonçant ainsi ce fait, nous pouvons déduire cette conséquence : que les chemnitzidæ sont des coquilles doubles en quelque sorte, ou du moins des coquilles à deux columelles. Il y a en effet deux axes, car nous préférons réduire la columelle à la ligne mathéma- tique autour de laquelle elle s'enroule, il y a l'axe du nucleus et celui de la seconde partie de la coquille. Ces deux axes font entre XII 13 — 194 — eux un angle variable suivant les espèces. Aïnsi donc, pour for- muler cette conséquence nous dirons : que les coquilles de chemnit- zidæ sont à double axe. Il nous semble qu’une telle définition est une indication précise de la nature du caractère particulier à la famille et qu’il se trouve établi de cette facon en termes plus clairs que ceux dont on s’était servi jusqu’à présent. En effet, on avait pensé, d’abord, qu’en faisant savoir que le sommet de la coquille se trou- vait placé à gauche, cette indication pouvait suffire. On considérait, sans doute, qu’en précisant aïnsi cette position du sommet on fai- sait en même temps connaître l’écart ou la déviation dans la direc- ton du développement, ce second point pouvant être ainsi regardé o mme une suite indispensable du premier. Nous opposerons à cette manière de voir la simple remarque que le sommet n’est pas tou- jours placé à gauche, sur les coquilles de chemnitzide ; qu'il se trouve parfois placé à droite, sur la partie supérieure dans quelques cas, et dans d’autres sur l’inférieure, toujours avec le changement de direction dans la voie d’accroissement, toujours avec le double axe. On a pensé également qu’en appliquant au nucleus la qualifica- tion d’heterostrophe, on exprimerait par là l’étrangeté du caractère qui se présente vers le sommet. Qu’on nous permette encore d’ob- server que cette épithète ne suffit pas non plus. Elle ne répond pas complétement à ce qu’il est nécessaire de faire savoir. Ce mot, hete- rostrophe, signifie bien que les tours du nucleus sont différents des autres ; mais il ne dit pas comment ils le sont : cette différence peut se produire de bien des manières et pourrait être très-ordi- naïre. Ce qu’il importe de faire connaître, c’est la facon toute particulière et vraiment étrange dont elle a lieu, c’est un fait ex- traordinaire. En un mot, ce qu'il faut énoncer clairement, c’est que cette différence consiste en un changement de direction et il nous parait, qu’en disant qu’il y a deux axes distincts pour la même co- quille, nous exprimons bien mieux le fait qu’il est utile de mettre en évidence, que si nous nous bornons à signaler le nucleus comme heterostrophe. Il serait certainement fort intéressant de savoir au point de vue — 195 — physiologique, quels motifs déterminent ce changement dans la direction de l’axe, changement qui s’opère au moment où commence l'existence réelle de Panimal. Si la déviation se produisait d’une façon identique sur tous les sujets, on pourrait sans doute, en étu- diant attentivement l’éclosion et les progrès du test à sa suite, fon- der, au moyen d’observations heureuses, une théorie, ou établir quelqu’hypothèse ayant certaines chances de toucher à la vérité. Mais le changement d’axe se traduit par un angle qui diffère beau- coup suivant les espèces; le plan dans lequel cet angle se trouve placé, n’occupe pas non plus toujours la même position. Il résulte de ces irrégularités une certaine complication qui rend la solution de la question plus difficile. Cependant nous croyons qu’elle peut être élucidée par les moyens dont nous venons de parler. L’angle de déviation est variable, avons-nous dit. Sans vouloir prétendre que son évaluation exacte soit chose nécessaire, nous pensons cependant qu’il sera toujours utile d'indiquer dans quelles limites il se trouve. L’appréciation de ces limites sera constamment aisée ; on pourra en effet, dans toute espèce de cas, reconnaître fa- cilement si cet angle est aigu, approximativement droit, ou enfin s’il est obtus. Ainsi nous pourrons poser comme règle, qu’il sera aigu toutes les fois que lé sommet du nucleus se trouvera en dessous de la suture qui joint son dernier tour de spire au premier tour normal. À peu près droit, quand ce même sommet correspondra au centre du dernier tour du nucleus ou s’en rapprochera. Obtus quand le sommet sera situé au delà et en arrière du centre du dernier tour du nucleus et à plus forte raison quand il en dépassera le con- tour supérieur. Pour préciser, il nous paraît utile d'ajouter à ce qui vient d’être dit, l'explication en quelque sorte graphique ci-après. Supposons un plan passant par l’axe définitif et sur lequel la ligne À B représentera celui-ci : — 196 — Le point À sera le point d’intersection des deux axes; si par ce point, nous menons la ligne C D perpendiculaire à À B, toutes les fois que le sommet ou sa projection sera sur cette ligne C D, il est bien évident que l'angle sera droit. S’il se trouve au contraire lui ou sa projection, en avant de cette ligne (on le voit aisément), l'angle sera aigu et obtus si c’est en arrière. Aux environs de E ou de pour l’angle aigu de F ou de G pour l’angle obtus. Nous ne pensons pas que dans l'application, ce mode d’apprécier puisse présenter. quelque difficulté. En effet, le sommet d’un nucleus étant trouvé, on pourra toujours par la pensée (la coquille étant placée verticale- ment) se représenter la ligne C D qui dans ce cas sera horizontale, déterminer de même la position approchée du centre du dernier tour du nucleus et le supposer joint au sommet. Cette construc- tion fictive donnerait une des quatre lignes À E, À H, À Fou AG. D’après la position qu’elle occuperait par rapport à C D, on jugerait facilement, quelle serait la bonne. Nous croyons qu’il est aussi fort utile de pouvoir préciser sur quelle partie de la coquille il faut aller chercher le sommet du nu- cleus. C'est-à-dire qu’il faut pouvoir indiquer la position du plan dans lequel se trouve l’angle formé par les deux axes. Nous nous servirons pour cela de quatre points de repère fort commodes qui sont les parties supérieures et inférieures de la coquille, sa droite et sa gauche. Les deux premières nous permettent de supposer un plan passant par l’axe et qui leur sera parallèle, les deux secondes de même. Par suite, nous aurons donc deux plans se coupant à angle droit, l’un horizontal, l’autre vertical, et avec leur aide nous pourrons dire exactement comment un sommet se trouve placé, en ajoutant à la détermination de l’angle des axes celle du plan dans lequel il est situé. Nous conviendrons pour cela de le dire : dans le plan vertical supérieur, quand le sommet se trouvera sur la partie supérieure de la coquille, dans le plan vertical inférieur, quand il sera au contraire placé en dessous; dans le plan de droite quand le sommet sera à droite et dans le plan de gauche quand il se trouvera à gauche. Les positions intermédiaires s’indiqueront aussi facilement. Si le — 197 — sommet occupe une position comprise entre le plan vertical supé-— rieur et le plan horizontal à droite, nous indiquerons le plan de l'angle comme étant en même temps, supérieur et à droite, par ces deux mots réunis et il en sera de même pour les trois autres posi- tions intermédiaires. Nous les désignerons done comme il suit : 10 Plan dextro-supérieur. 20 Plan senestro-supérieur. 30 Plan dextro-inférieur. 40 Plan senestro-inférieur. D’après ces conventions, si nous signalons une coquille à deux axes, à angle aigu, plan à gauche, on verra de suite qu’il s’agit d’une coquille de Chemnitzidæ ayant son sommet à gauche et dont les tours de spire normaux remontent en se dirigeant vers le sommet pour arriver à la base. Les deux axes, en effet, font entre eux l'angle ABC, ily a presque renversement complet dans la direction, l'accroissement s’opérant d’abord suivant À B de À en B puisse con- tinuant, après l'écart, de Ben C. DA 271 D Be——— fé ts Si nous disons avoir sous les yeux une coquille à deux axes, à angle droit, plan dextro-supérieur : s Nous traduirons ceci ainsi qu’il suit : Coquille de Chemnitzadæ à sommet correspondant au centre du dernier tour du nucleus et se trouvant entre la partie supérieure et le côté droit. Les deux axes font en effet l'angle droit DE F, l'accroissement s’opère de D en E d’abord, puis se poursuit de E en F. &- << Ey 1 Vs Mais ce n’est point dans ces changements de position du sommet, ni dans la valeur de l’angle des deux axes que nous devons trouver des différences assez essentielles pour qu’elles puissent servir à fractionner la famille. Les nuances qui peuvent résulter de ces va- riations ne pourront guère être utiles que pour caractériser des es- pèces ou simplement des variétés. C’est cependant à la recherche de ces différences caractéristiques que nous devons nous appliquer, car pour obtenir une classification facile, il est nécessaire de pouvoir nettement et rigoureusement séparer les diverses branches qui com- posent la grande réunion des Chemnitzide. Ces points de distinction ne nous manquent pas heureusement, et la méthode que nous allons proposer nous a paru d’autant plus commode qu’elle est basée sur l'existence de signes de démarcation très-sensible et des plus faciles à reconnaître. Tout d’abord, une première division en deux groupes se présente naturellement; la nécessité de l’établir ressort assez clairement de la différence de forme qui existe entre les coquilles de l’un et l’autre groupe. Le premier comprendra, en effet, les coquilles allongées et fort souvent subcylindriqnes, le second les coquilles ventrues et co- niques dont le diamètre aura plus du tiers de leur longueur totale. L'un et l’autre de ces groupes seront de nouveau partagés en deux subdivisions, la première de chacune d’elles comprendra les co- quilles sans plis ou dents à la columelle, les secondes devront, au contraire, se composer de toutes celles qui auront cette partie ornée de plis ou de dents. Ces subdivisions établies, nous les soumettons pour terminer à quatre sections chacune. La première de ces nou- velles catégories sera destinée aux tests lisses, la seconde à ceux pourvus d’une ornementation longitudinale, la troisième à ceux qui possèdent une ornementation spirale et la quatrième sera destinée à renfermer les échantillons ornés d’une double facon , c’est-à-dire dans le sens longitudinal comme dans celui de la spire. C’est done seize catégories bien distinctes et assez franchement séparées les unes des autres, ce qui permet de les établir en genres, que nous proposons pour constituer la famille des Chemnitzide selon son or- ganisation naturelle. Ainsi réunie et cependant démembrée, il nous — 199 — semble qu’il sera facile de rapporter au genre auquel il appartiendra tout sujet qui se présentera. Cette détermination du genre sera ra- pide et ne pourra être sujette à aucun doute et à aucun embarras, conséquemment il ne pourra y avoir aucune erreur, Le caractère de la famille étant d’abord reconnu, on saisira de suite auquel des deux groupes appartient le spécimen, s’il est allongé ou ventru. Ce second point admis, on cherchera si la columelle est simple ou bien si elle est garnie de plis ou dents. Ceci reconnu assurera la position de l'échantillon relativement à la subdivision dans laquelle on devra le faire entrer, enfin la nature lisse du test ou le genre d’ornemen- tation qu’on y remarquera permettra d’assigner en dernier lieu à quelle catégorie de la subdivision, c’est-à-dire à quel genre il faut rapporter l'individu qu'on aura à classer. Le tableau suivant permettra non-seulement d’embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble de cette méthode, mais il servira aussi au travail de la détermination des coquilles de cette famille. 1e* GROUPE. Coquilles allongées subcylindriques. CHEMNITZIDÆ Deux subdivisions. Coquilles à deux axes DEUX GROUPES 2me GROUPE. Coquilles ventrues coniques. Deux subdivisions. 17e SUBDIVISION. Coquilles sans dents ou plis à la colu- melle. 4 catégories. 2me SUBDIVISION. Coquilles avec un ou plusieurs plis ou dentsàlacolumelle. 4 catégories. 32e SUBDIVISION. Coquilles sans dents ou plis à la colu- melle. 4 catégories. Ame SUBDIVISION. Coquilles avec un ou plusieurs plis ou dentsàlacolumelle. 4 catégories. L: CoguillesilisgessS 5,4 , 2226 2. 3. 16. Coquilles à ornementation double. : à ornementation longitudinale. Coquilles à ornementation spirale. . Coq. à ornem. longitudinale et spirale. Coquiles Mie. ss... Coq. à ornementation longitudinale . . Coquilles à ornementation spirale. . Coquilles à ornementation double. . Coquilles lisses . . . . . . . . . Coq. à ornementation longitudinale . Coquilles à ornementation spirale. . Moquleslss. en ES Coq. à ornementation longitudinale . Coquilles à ornementation spirale. . Coquilles à ornementation double, . Genre EULIMELLA. Forbes, Genre CHEMNITZIA. d'Orbigny Genre ACLIS. Loven. Genre DUNKERIA. Carpenter. Genre TURBONILLA. Risso. Genre PARTHENIA. Lowe. Genre JAMINEA. Brown. Genre STYLOPSIS. Adams. Genre OGEANIDA. Genre SALASSIA. Genre ONDINA. Genre MATHILDA. Semper. Genre ODOSTOMIA. Fleming. Genre ELODIA. Genre ODETTA. Genre NOEMIA. — 201 — Un cadre ainsi tracé doit évidemment contenir toutes les repré- sentations des branches diverses qui composent la famille des Chemnitzidæ, car tous les cas susceptibles de se présenter ont été prévus et ont pris place dans le tableau qui précède. Observons que ce tableau, qui résume notre système de classification des Chem- nitzidæ, a été établi d’une facon pour ainsi dire théorique. Nous appuyant sur l'observation de quelques types dont l’examen nous avait conduit à reconnaître les caractères qui ont servi à tracer les principales lignes de démarcation adoptées par nous, nous avons, à la suite de ces premiers points posés tout d’abord, comme des jalons, pour ainsi dire, déduit les autres à titre de conséquences de nos pre- mières constatations. Ce n’est qu'après avoir ainsi dressé par le raison- nement la méthode résumée plus haut, que nous avons cherché si dans la nature nous trouverions toutes les divisions que nous y avions ins- crites. Elles s’y sont en effet toutes rencontrées et cette concordance entre la théorie et l'expérience nous inspire quelque confiance dans le moyen proposé par nous pour élucider une question qui tendait à s’embrouiller chaque jour davantage. Nous avons donc cru pouvoir ériger en genres les seize catégories que nous avons formées et dont nous avons après coup reconnu l'existence en les recherchant parmi les spécimens de Chemnitzta, d'Eulimella, d’Achs, d Odostomia, etc., que nous possédons. Ces noms que nous venons de prononcer , nous les conservons bien entendu en leur laissant la représentation des genres auxquels on les avait attribués. Nous avons même cru devoir nous servir des synonymes et ce n’est qu’après les avoir épuisés que nous avons ajouté certaines dénominations nouvelles au tableau tracé plus haut et qui résume notre méthode. A première vue il semblerait qu’en raison de l'introduction de ce nombre de genres, assez grand, il est vrai, la question a dû se com- pliquer. Il n’en est rien cependant et en considérant avec un peu d'attention les résultats qui sont obtenus par suite d’un tel démem- brement, on verra que le travail de la détermination se trouve, par leur emploi, singulièrement simplifié. Il est certain, en effet, qu’il se trouve tout préparé, et qu’il ne consiste plus qu’en une simple et — 202 — facile application de règles nettement définies. Qu'on le remarque, si nos divisions sont nombreuses , elles sont tellement bien séparées les unes des autres, et cela par des caractères si précis, si nets et si rigoureusement exacts, que jamais il ne pourra y avoir le moindre doute ou le moindre embarras sur la catégorie à laquelle on devra rapporter un sujet. Ce premier point reconnu, c’est-à-dire la consta- tation que la coquille appartient à la famille des Chemnitzidæ une fois établie, un seul coup d’œil suflira pour décider de sa forme, du genre d’ornementation de la columelle, de celui de sa surface exté- rieure enfin , points qui figurent le genre dans lequel il faudra la ranger. Et cela s’exécutera sans aucune des incertitudes qui embar- rassent si souvent aujourd’hui, l’ordre n’existant pas encore dans la dans la famille des Chemnitzidæ dont la constitution était également nécessaire. M L. » Fou. Bayonne, juin 1869. RÉPONSE DE PÉTRARQUE A JEAN DE DONDI CÉLÈBRE MÉDECIN DE PADOUE L'iatrophobie de l’auteur expliquée par son caractère de poëte. (Livre XII, lettre 2°, Rerum senilium.) À Dieu ne plaise que par un enthousiasme irréfléchi nous nous laissions aller au penchant de louer sans mesure un nom assez glorieux, du reste, pour se passer de nos éloges. Quand se montrent les défaillances, le devoir de la critique est de les signaler. Certes, un génie tel que l’auteur du Canzoniere n’a plus besoin d’encens, plus de trois cents éditions de cette œuvre unique en ont consacré l'immortalité. Mais — d’autres plus autorisés l'ont dit avant nous — Pétrarque n'est pas tout entier dans ses poésies ; il fut pendant sa longue existence l'homme ondoyant et divers dont parle Montaigne. On ne chante pas toujours la lyre à la main, sur les sommets de l’Hélicon. La divinité du poëte n’est qu’un rôle qui l’enivre à son heure, la réalité le force bientôt à redescendre sur la terre pour — 204 — redevenir un simple mortel, sujet à l'erreur, aux préjugés, aux préventions, aux colères aveugles, aux passions misérables que la faiblesse humaine explique, sans les justifier. Aussi, dans le cours de ces études d'esthétique morale, aurons-nous souvent l'occasion de faire ressortir les contradictions les plus inatten- dues, telles que l’on en rencontre à chaque page de sa volumi- neuse correspondance, quand l'écrivain est entraîné par l'idée dominante du moment. Dans cette variabilité de pensées, ce qui frappe le plus, c’est qu'à côté d'opinions de vérité souveraine s'entassent des aberrations de jugement, caressées avec complaisance pour leur donner droit de cité. Le paradoxe manié avec une habileté supérieure se heurte contre la logique éloquente du fait. On voit que la plume obéit à une impulsion instinctive venue d’ailleurs et en dehors du sujet. Le raisonnement tient une très-grande place dans ces dissertations à perte de vue; la raison, le bon sens, choses trop communes suivant lui, sont négligés et relégués au second plan. Pétrarque avait horreur des sentiers battus. Dans ses poésies, comme dans ses œuvres en prose, il rechercha l'originalité de la forme, portée jusqu’à la perfection, tout en conservant la vulgarité du fond. Ces lettres étincelantes de beautés de premier ordre, ne sont la plupart du temps que des pastiches. Il possédait à un degré suprême le don de s’assimiler les pensées des autres, pour les revêtir d’une singulière élégance. Sa phrase harmonieuse, plus musicale que correcte peut-être, offre ce caractère particulier de poésie qui accumule les figures, les images, les antithèses. Est-ce une qualité? Est-ce un défaut? C'est au goût à en décider. Toujours est-il que le poëte se révèle par ces brillantes arabesques de style, qui n’appartiennent qu’à lui. Il le savait si bien, le chantre inspiré de l’amour platonique, que sa bile s'échauffait toutes les fois que quelque profane osait, — 205 — d'une parole irrévérencieuse et sacrilége, lui contester son talent poétique : genus érritabile vatum ! Il ne fut jamais si fort estomaqué que lorsqu'en 1351 le pape Clément VI, malade, lui adressa à Vaucluse un jeune clerc pour lui faire part de son état. Pétrarque écrivit au Souverain Pontife une lettre qui nous a été conservée, et dans laquelle il conjure Sa Sainteté de prendre garde au grand nombre de médecins qui l'entourent, et de se rappeler l'épitaphe de l'empereur Adrien : Turba medicorum perü. Cette lettre, rendue publique, souleva un folle général parmi les médecins de la cour d'Avignon; elle devint le point de départ d'une polémique très-vive, dont nous ne possédons qu'une partie, celle que Pétrarque nous a laissée dans quatre livres — quatre livres! — d'invectives, qui certes ne sont pas son chef-d'œuvre. Il débute ainsi : Quisquis es qui jacentem calamum et sopitum, ut ita dixerim, leonem importunis latratibus excitasti, etc. Le poëte — « ce lion endormi qui a jeté sa plume, mais qui se réveille pour répondre à je ne sais quel aboyeur impor- tun, etc. » — le prend d'un peu haut, comme vous voyez! Et quel médecin traite-t-il aussi cavalièrement ? Guy de Chauliac, si l’on en croit l'abbé de Sade, le célèbre Guy de Chauliac-appelé en 1348, à la cour, lors de la fameuse peste noire, pendant laquelle il montra un dévouement héroïque, et qui après avoir été atteint par le fléau, nous en a laissé l’histoire. On ne vit jamais une pareille intempérance de plume entre gens qui n'étaient pas du même métier. Îl fallait que l'amour- propre du poëte eût été bien profondément blessé, pour que la passion s’élevät à un tel paroxysme. On dirait que c'est écrit 1. Mirari omnes, ego autem stomachari, et temeritatem exe - crari..…., etc. (Lib. V, ep. 4°). — 206 — avec l'esprit d'un cuistre et l'encre d’un pédant. Ce serait à ne pas lire, si l’on n’était désireux de tout connaître chez un homme comme Pétrarque. Ce factum ne supporte même pas l'analyse, et je doute qu'il vienne jamais à la pensée de personne d'en entreprendre la traduction : la patience d’un bénédictin n'y pourrait suflire. | Les cinquante-trois chapitres de ce pamphlet contiennent cependant des choses curieuses. Les injures personnelles, les gros mots s’y étalent sans voile, sous le latin qui brave l'honnêteté. On n’y reconnaît plus les exquises délicatesses du chantre de Laure, la morbidezza florentine, mais on y trouve l'érudition. Les citations, plus ou moins à propos, émaillent ce plaidoyer en faveur de la poésie, qui est en même temps un réquisitoire contre la médecine. L'auteur lui-même avait si bien senti l'inconvenance de cette œuvre malsaine, que dans sa lettre dédicatoire à son ami François Nello, prieur des Saints- Apôtres de Florence, il s'exeuse, il se défend comme un coupable pris de remords, d'être descendu dans une pareille arène : « Je vous dédie, écrit-il, quatre livres d'invectives, j'eusse bien préféré vous envoyer autre chose; je ne puis rien vous refuser, d'autant plus qu’ils ont été lancés dans le public. Cette lecture vous fera rire, et vous vous direz : Mon ami sait plus d'un métier, le voilà qui se fait pamphlétaire..…..… Mon adversaire, pénétrant dans le sanctuaire des muses, se met à les insulter, j'ai dû, malgré moi, y répondre. Ce qui me fâche, c'est d'être obligé de faire mon éloge ‘.….. » Plus loin, au dernier chapitre de l'ouvrage, il fait amende ? Quatuor invectivarum libros dicam, an quid aliud ad te misi libentissime negaverimus si vel negare tibi aliquid possem... illi jam in publicum non exissent. Ridebis interlegendo et tacitus dices: ille meus unam amplius quam putabam artem habet; male loqui didicit..…. Jurgator.. Pieriis penetralibus latitantem, conviciis aggressus excivit.… vel invitum.… illud ægrius feram quod et gloriosius aliqua de me loqui... me cogit. — 207 — honorable, il demande pardon au lecteur de ses mouvements d'orgueil et de ses accès de coière en cinquante-trois para- graphes. « La rage de mon contradicteur m'y a forcé, dit-il: » ISte mordacissimus convitiator me coegit. Je ne conseillerai à personne de lire en entier ce libelle diffa- matoire, mais si l’on avait ce courage, on en serait amplement récompensé par la lecture de ce dernier chapitre; c'est admi- rablement bien dit, et l’une des plus belles pages de Pétrarque. On serait tenté de l’approuver d'avoir commis ce délit, puisque l'expiation en a été si magnifique. Un passage de cette confession m'a surtout frappé ‘ : « Lecteur, qui que tu sois, dit-il, je n'ose te prier de lire mes opuscules, je désire que tu fasses une lecture plus digne et plus profitable, mais j'ose dire que si tu compares ce que J'ai écrit dans ma jeunesse, et ce que j'écrirai sans doute encore, avec ce que vient de m’arracher ce violent détracteur, tu n’y trouveras pas des pages aussi virulentes, ni la dixième partie des éloges que je me donne, et des injures dont j'écrase mon adversaire, etc. » On apprend aussi dans ce document, que déjà il avait eu, en ses Jeunes années, maille à partir avec un médecin, mais un adversaire délettante, celui-là, paraît-il, car la querelle s'était engagée à coups d'hexamètres ; quatre de ses épîtres en font foi. Vous croyez peut-être qu'après une contrition aussi parfaite, le doux, le tendre Pétrarque va venir à résipiscence. Détrompez- vous : chaque fois que l'occasion s'en présentera, et elle se présenta souvent, il décochera contre les médecins les traits 1 Lector quisquis es... non audeo te rogare ut mea legas opuscula, altiorem tibi fertilioremque lecturam opto. Sed hoc dicere audeo, si quidquid ab ineunte ætate scripsi, el ut puto scribam, cum ïis conferatur, quæ iste violentus detractor extorsit neque sermo tam fervidus, neque decima vel propriæ lau- dis, vel alienæ infamiæ pars legetur. 208 — les plus acérés de sa critique passionnée... il mourra dans l’impénitence finale ! Quand, vers la fin de sa carrière, Boccace, son bon ami, lui écrivait : Reposez-vous, mon maître, à votre âge le travail altère la santé. Le vieux solitaire d’Arquà se regimbe, et dans l’une des plus belles lettres de la collection, il lance aux suppôts d'Esculape la flèche du Parthe. Ce parti pris de dénigrement injuste avait sa source dans les froissements de la vanité, et peut-être aussi dans une secrète envie mai dissimulée contre des hommes intelligens, instruits, éloquents, ses rivaux en érudition et en savoir, dont lui, qui visait à l’universalité des connaissances humaines, s’arrogeait le monopole, mais qui ne pouvait leur pardonner de n'avoir pour le poëte qu'une admiration modérée. Inde ire. Cette rage d’invectives sans paix ni trève, pendant un demi- siècle, nous ne saurions la caractériser autrement que comme une maladie de l'esprit que nous appellerions volontiers iatro - phobie, si l'on voulait bien nous pardonner ce néologisme. Jamais cette manie chronique ne s’est montrée plus loquace, plus raisonneuse chez Pétrarque, que dans sa correspondance avec son médecin Jean de Dondi, de Padoue. Le poëte toscan avait, comme on sait, des prétentions à toutes les sciences. Quoique dans un passage de sa lettre il avoue n'avoir jamais étudié la médecine, c’est égal, il juge, 1l tranche les questions les plus controversées de l’art de guérir. Sans doute que sur bien des points il a raison lorsqu'il invoque la nature, mais ce n’est pas un critérium infaillible : en la suivant toujours on risque fort de s’égarer. Une dissertation sur ce sujet nous entraînerait trop loin ; nous ne sommes pas professeur, mais un simple dépisteur de vérités que nous gardons pour en faire notre profit. Cette seconde lettre que nous publions a tous les défauts et — 209 — toutes les qualités de la précédente. On voit que la persévérance de son médecin à lui conseiller de changer ses habitudes, l'agace, l'irrite; on le sent aux précautions plus qu'oratoires qu'il prend pour le prévenir qu'il va l'éreinter, et tous les médecins dans sa personne. Il le malmène comme disciple d'Esculape, mais il a des paroles caressantes pour l'ami, et pourtant il ne dépasse pas la mesure ; ses phrases louangeuses ne sont pas une flatterie gratuite à l'adresse de Jean de Dondi, qui était véritablement un savant de mérite. [! appartient à l’histoire de l'Italie du xive siècle. Son père et lui furent, en même temps que médecins, des mathématiciens fort capables. Jean construisit avec une merveilleuse habileté une horloge pour la bibliothèque de Galéas Visconti, seigneur de Pavie; ce chef-d'œuvre de mécanique l’a rendu célèbre et lui a valu le surnom d'Orologio, conservé dans la famille jusqu’en ces derniers temps. Une chose vous frappe, quand vous parcourez la correspon- dance de Pétrarque, c’est le soin qu'il se donne de mettre en relief ses amis. Lui, si amoureux de renommée, si préoccupé de sa gloire posthume, veut entraîner dans son tourbillon toute cette pléiade de beaux et charmants esprits qu'il a connus, aimés, estimés, mais à la condition de rester l'étoile de première grandeur. La postérité s’est montrée bien oublieuse pour certains d’entr'eux; quant à Jean de Dondi, elle a été équitable envers lui: son nom n'avait pas besoin du passe-port que lui délivre son illustre client, pour arriver jusqu’à nous. Nous donnons la traduction de cette lettre, malgré sa longueur et les répétitions que l’on y remarque. Elle offre un grand intérêt par les détails, les épisodes, les hors-d'œuvre dont elle abonde ; elle nous éclaire sur les mœurs et les habitudes des médecins du moyen âge ; non pas que l'on doive accepter tout ce que dit Pétrarque, mais la part de l’exagération faite, 1l reste XII 14 — 210 — une certaine somme de vérités qui peut suflire pour nous former une opinion. Voici cette lettre, traduite pour la première fois en français, ou quelque chose qui y ressemble : «Je vois vos manœuvres, mon camarade, vous êtes descendu dans la lice avec toutes vos forces. Qui ne redouterait un si puissant batailleur, armé de pied en cap, disposant toutes ses troupes avec tant d’habileté ! Je le pressens, vous recherchez la victoire. Platon a dit que les Lacédémoniens avaient l'habitude de combattre pour le seul plaisir de vaincre, je m'aperçois qu’aujourd’hui c’est un usage adopté par tout le monde : nous sommes tous Lacédémoniens à cet égard. Mais, dites-moi, brave guerrier, je vous prie, si c’est par votre propre force ou par ma faiblesse que vous serez vainqueur? Est-ce que vous triompherez et de la vérité et de votre conscience ? Sur mon honneur, je gage — car j'espère que vous aurez cette noble pudeur — que, si vous l’emportez sur votre adversaire par vos discours, vous vous reconnaîtrez vaincu par la vérité dans votre for intérieur. « Bien des motifs me détournent et m’éloignent de cette conférence littéraire, j'allais dire de ce duel. Indépendamment de la vigueur de votre esprit et de votre talent pour la lutte, j’objecterai en pre- mier lieu cette faiblesse d'organes que m'a laissée la maladie, hôte incommode et qui me restera peut-être toujours. Ensuite j'alléguerai mes occupations, non pas seulement ces vieilles, incessantes et quo- tidiennes études qui ne font que s’accroître de jour en jour, comme vous le savez, je suppose, mais aussi des affaires domestiques dont vous ne vous doutez pas. «Je me livre en plein à l’agriculture, à l’architecture, jugez sije suis délivré des prescriptions de la Faculté. Je fais rechercher partout des arbres de toute espèce ; cette contrée, dit-on, est très-propre à ce genre de culture. J’y suis d’autant plus porté que vous n’êtes pas, comme je le craignais, un ennemi mais au contraire un partisan déclaré — 211 — des fruits ; en cela, ainsi qu’en toute autre chose, la modération est utile, bien plus elle est nécessaire, sans elle rien de bon ne se peut faire. Je prierai le céleste agriculteur qu’il plante dans mon âme et qu’il arrose de ses mains; quoique pour le moment mes soins soient dirigés d’un autre côté, je bâtis malgré les rigueurs de la saison. Loin de suspendre ou de ralentir mes travaux, je les accélère pour vous construire une chambre que vous ne trouverez champètre que par le silence et la tranquillité dont vous jouirez. Si vous venez vous y délasser des affaires de la ville, nous causerons en parfait accord de toutes choses, il n’y aura que la question des aliments que nous discuterons à perpétuité. «IL est une troisième raison, elle est majeure celle-là : c’est que je crains de vous fâcher. Cette crainte est aussi sincère que mon amitié est vraie. Je vous dirai ce que je pense en toute liberté. Je blesserai peut-être vos oreilles, je me garderai bien de blesser votre cœur. D'un autre côté, si je me tais, j'appréhende que vous regardiez mon silence comme une marque de mépris; vous ne pouvez le croire. Voyez dans quelle alternative je me trouve. Je voudrais pourtant prendre un #ezz0 termine, afin, s’il se peut, de ne pas tomber dans les extrêmes, et si, le cas échéant, je devais pencher plus d’un côté, je préférerais vous blesser un peu, que d’avoir l’air de vous mé- priser en quoi que ce soit. Les fâcheries entre amis se guérissent par une réciprocité de bienveillance. Le mépris rompt tous les liens de l’amitié, aussi ne doit-il jamais s’y montrer. Les offenses entre amis sont fréquentes , il n’est guère d’amitiés qui en soient exemptes. Sénèque a dit en parlant d’un ami : « Je ne l’aime pas, si j'ai peur de l’offenser. » Je vous blesserai peut-être, mais, autant que possible, d’une façon courtoise. Or, si je veux user dans toute leur plénitude des droits de l’amitié, il me faut ne rien dissimuler, ne rien cacher. Converser ainsi avec vous, comme je le fais avec moi-même, est très-difficile, presque impossible, je le reconnais ; done, tout bien considéré, et tenant compte de la susceptibilité de l'amitié, si je viens à vous blesser, d'avance je vous en fais mes excuses ; confiant dans votre bienveillance, je suis sûr, par antici- pation, que vous me pardonnerez de grand cœur. — 212 — « Mais avant d’entrer en matière, il me faut dire ceci : Je considère en vous deux personnes, l’ami et le médecin. Quant à l’ami, tout en lui m'est sympathique; ses pensées, ses sentiments sont mes sentiments, mes pensées, je les partage incontinent. En amitié je ne comprends pas d’autre manière d’être que de former une seule et même âme. Avec les médecins beaucoup de questions, et des plus importantes, sont en litige depuis longtemps et sans solution. N’allez pas croire que ce débat n’ait point une grande portée; ma vieille expérience et une observation assidue m'ont appris, je le dis en toute assurance, que les effets de cet art répondent très-rarement à leurs promesses. Cela est aussi contraire à la trempe de mon esprit que le poison est contraire à la nature du corps. Si je prends ces précautions oratoires, c’est afin que vous ne soyez pas blessé des traits de ma critique; et si de fait vous êtes une seule et même per- sonne, vous ne pouvez réellement subir de division; cependant par la pensée on admet cette distinction de deux personnes en un seul individu. Ce que cette missive contiendra d’aimable et de pacifique, croyez que c’est à l’adresse de l’ami; si vous y rencontrez quel- ques passages un peu vifs, dites que c’est au médecin qu’ils sont destinés ; ne vous fâchez pas, ne soyez pas surpris, et pensez que ce n’est pas à Jean que je parle, mais au disciple d'Hippocrate. «Maintenant, j'arrive au fait. Je n’espère pas être aussi bref que je le désire, soit parce que ce point a été tant et tant de fois controversé, à satiété et avec mes amis et avec les médecins, soit que par la nature du sujet je ne puisse éviter de froisser vos susceptibilités ; mais une circonstance atténuante, c’est que je voulais être court ; pourtant, je n’ose l’espérer, à cause de l'abondance de la matière et de l’acharnement que vous avez mis à vous faire l’avoeat passionné de la médecine, ce qui est naturel. « Vous avez agi comme la plupart des jeunes gens, en suivant la même carrière que votre père, non par choix, mais par un effet de la destinée. Certes, votre esprit était digne d’occupations plus nobles, en parcourant une voie bien différente. Au lieu de rechercher les remèdes incertains et inefficaces que réclame cette triste, impure et fragile enveloppe corporelle, vous deviez vous attacher à poursuivre — 213 — l'étude des remèdes de l’âme, cette partie immortelle et sublime de notre être. Plüt à Dieu qu'il en eût été ainsi! non pas seulement pour votre gloire et votre salut, mais encore pour la plus grande consolation de ma vie. Maïs laissons cela puisque vous êtes depuis longtemps ce que vous deviez être. Je ne pense pas qu’il y ait lieu désormais de changer de position, quoique nous connaissions d’il- lustres personnages qui, même dans un âge avancé, ont embrassé une nouvelle carrière. Maïs je passe, pour ne pas paraître donner des conseils à un adversaire et l’engager à faire défection en deve- nant transfuge. « Vous avez donc tout d’abord pris les armes en faveur de vos auteurs, que je ne semble pas avoir eu en assez grande vénération — pieux dévouement, en vérité! — et pour corroborer leur autorité par des autorités étrangères, vous me citez comme exemples, Pris- cien et Cicéron, puis Virgile, Homère et d’autres, enfin le dernier Ptolémée. C'est très-juste, car la cause de cet astrologue, aussi bien que celle des médecins, est du ressort de mon tribunal. Je parle de ces professeurs d’astrologie judiciaire qui bien souvent, avec une cupidité, une audace, pour ne pas dire une impudence extrême, lisent dans les astres les destinées humaines ; or, cette charlatanerie est non-seulement contraire à la vraie foi et à notre religion, mais encore aux saines doctrines philosophiques. « Vous vous livrez à une longue dissertation et vous résumez à peu près ainsi votre argumentation : Si j’admets ce que dit Priscien des parties du discours et de leurs corollaires, et Cicéron quand il traite des qualités de l’oraison, Virgile et Homère exposant les fictions poétiques, pourquoi, pour un motif semblable, ne pas avoir confiance dans les médecins quand ils exposent les règles propres à la santé du corps ? Vous citez d’autres écrivains célèbres par leur talent, pour provoquer ma conviction. Ce luxe de preuves extrinsèques, ayant la même conclusion, n’a pas de valeur : la quantité ne fait pas la qualité. « Maintenant, quel parti dois-je prendre ? Je me sais en grand péril, et j'avoue que je garderais volontiers le silence , impos- sible ! avec un homme de votre mérite, et en présence de ce — 214 — passage de Tite-Live votre compatriote, où Hannon, le plus avisé des Carthaginoiïs, s’exprime ainsi : « Si, dit-il, je ne réponds pas à un sénateur, ou à un docteur qui m’interroge, je passerai ou pour un orgueilleux ou pour un lâche ; dans le premier cas, j'ai l’air de mépriser la liberté d’autrui; dans le second, la mienne propre. Il faut donc parler; je me fais un devoir de ne dire que ce que je pense. Souvent le silenceest bon, toujours le mensonge est mauvais. « Qu’y a-t-il donc de commun, je vous le demande, entre les auteurs que vous citez et les médecins ? Pour le grammairien, le sujet, ou, si vous voulez, le but, c’est la convenance méthodique, la syntaxe ; pour le rhéteur, l’ornement du discours ; et, comme ils l’affirment eux-mêmes, l'office de l’orateur est de dire à propos ce qu’il faut pour persuader; or, le moyen de persuader est le discours. En première ligne, voici Priscien et d’autres encore traitant des règles propres à la langue latine ; quoiqu’elle eût pu être constituée autre- ment, elle a néanmoins une forme précise. Au reste, elle a été bien exposée par l’auteur que vous avez nommé, et c’est de cette méthode que nous nous servons; elle fourmille des citations de ceux qui furent les créateurs de la langue, les Caton et les Ennius, comme dit Horace‘, et aussi les Cicéron et les Virgile, et d’autres encore, dont cet idiome reconnaît la paternité tant de fois séculaire. Quand je compare les textes de ces grands écrivains avec les préceptes de Priscien, je ne puis refuser mon approbation à sa grammaire, que je trouve bien faite. Si elle est en quelques points fautive, ce n’est pas lui qu’il convient d’incriminer, mais les écrivains cités plus haut; c’est l’inventeur qui est seul coupable, si coupable il y a; le repro- ducteur d’une faute n’encourt aucun blâme, souvent même il mérite des éloges. Je pense de même à l'égard de Cicéron ; ce sentiment est provoqué en moi par le charme de l'oreille et de l'esprit, car Jamais personne n’eut un style plus harmonieux, plus orné; il ne se peut rien dire de plus entraînant pour persuader. «Maintenant, venons au poëte, que l’on s’habitue à critiquer ; son 1. Cum lingua Catonis et Enni Sermonem patrium dicaverit..…. (Ars poetica, v. 56.) — 215 — rôle n’est pas de feindre, c’est-à-dire de mentir, comme certains ignorants se l’imaginent, autrement les muses courraient les rues ; on rencontrerait partout des poëtes dans les carrefours ; certes l’es- pèce en a toujours été fort rare, moins encore que celle des ora- teurs. Eh bien! leur métier est de créer des fictions, c’est-à-dire d'inventer, d’embellir et de recouvrir de couleurs artificielles la vérité des choses dans l’ordre physique. supernaturel, etc., en l’enveloppant du voile d’une agréable fiction ; et ce voile une fois enlevé, la vérité brille d’un vif éclat; son charme est d’autant plus grand quand on l’a trouvée, que sa recherche a été plus difficile. En effet, qui ne sait que, mieux que tous les autres, Homère et Virgile ont composé des vers d’une suprême élégance? Continuons et faites provision de patience. « L'objet de la médecine, sije ne m’abuse, est la santé, et non l’or- nement du discours. L'office du médecin, je suppose, n’est pas de pérorer, mais de guérir. Comment Hippocrate et les autres guéris- saient-ils ? Nous n’en savons rien, à moins que nous ne soyons obligés de nous en rapporter à Galien, son disciple, qui peut-être se vante beaucoup. Croirions-nous qu’Esculape a ressuscité Hip- polyte ? Ce dieu a-t-il conféré aux médecins le don de résurrection ? Au prophète royal qui interroge, de répondre. Au reste, quant à nos opinions sur les anciens, en raison de la distance des lieux et du temps, l'imagination peut se aonner carrière. Pour les médecins nos contemporains et nos compatriotes, il me sera bien permis d'affirmer que j'en connais quelques-uns de diserts, j'en excepte les Arabes imposteurs ; pour les autres, la politesse m'oblige de n’en rien dire. Je ne sais vraiment par quelle fatalité ou par quel choix coupable ils apprennent toutes choses mieux que ce qu’ils devraient uniquement pratiquer. Je suis certain que nul plus que vous n’ap- précie leur habileté à guérir les maladies de l’espèce humaine, que personne n’est plus compétent pour faire leur procès; car l'ignorance est plus odieuse à celui qui sait qu’à tout autre. Si je n’avais pas de ! Numquid quid dormit non adjiciet ut resurgat Tu autem Domine, miserere mei, et ressuscita me. (Ps, xL, v. 9-11). — 216 — vous une semblable opinion, je ne vous aimerais ni vous estimerais autant. Et cependant vous vous taisez, moins par générosité que par prudence, afin de ne pas vous mettre mal avec vos confrères. C’est à vous surtout qu’incombe le devoir, pour la défense de la justice, d’assumer sur vous bravement, non-seulement les haïines du petit nombre, mais encore les inimitiés de tout l’univers, par vos critiques, vos incriminations et vos clameurs. Dites-leur : « Pourquoi tromper le genre humain? Pourquoi, abusant de la crédulité et de l'ignorance des malheureux, vendez-vous de funestes mensonges pour des vérités ? Tout homicide est puni, personne n’a droit à l'impunité, seuls vous recevez d’injustes récompenses. » Qu'il serait beau, qu'il serait digne un pareil langage dans votre bouche ! Mais vous craignez les ressentiments. Si les autres méde- cins restent muets, c’est par appréhension ou par ignorance. Je suis seul à crier! On ne m’écoute pas, le monde est sourd, les habiles évitent les querelles. On dit que je suis suspect, comme s’il s'agissait du consulat, de la préture, de mon patrimoine, d’injures reçues ou de débats littéraires, ou enfin de toute autre chose, comme s’il n’était pas question de la vérité seule. Ainsi, docteur silencieux, moi seul je m’enroue, tandis que les autres s’endorment, ou plutôt ils sont complices ou hypocrites. Pendant ce temps une erreur capitale jette de profondes racines, trouvant un sol fertile, cultivée par la sottise populaire, engraissée par l'antique licence, affriolée par de sûres et grasses rémunérations, loin de redouler une répression. « Pour moi, qu’ai-je à craindre en m’adressant à cœur ouvert à un ami, à un médecin ? Lorsque j'entends d’une part les discours des médecins et que de l’autre je vois leurs actes, il me revient sou- vent en mémoire ce que dit Cicéron au livre de la Rhétorique : « Il est facile de parler de l’art, mais il est difficile d’agir selon ses règles. » Jamais vérité n’a été plus évidente, appliquée à l'art médical. En paroles ils guérissent, par leurs manœuvres ils tuent. Leurs actes sont ainsi en opposition flagrante avec leurs discours ; et, chose abominable ! ils n’en obtiennent pas moins la confiance du public, soit qu’ils parlent, soit qu’ils agissent. Dans le cours de — 217 — votre dissertation, vous dites : « La médecine, le premier des arts, est très-sûre !. » C’est un barbarisme, au moins un léger solécisme, grammairien, je vous prends en défaut. L’oreille, quelque peu offensée, accuse l’orateur ou le poëte. « Le médecin tue et n’est point poursuivi ; il ne lui suffit pas de tuer , il faut encore qu’il accuse : ainsi, c’est le jeùne qui a fait mourir celui-ci ; c’est le jeûne qui a fait périr de consomption celui- là ; l’un a succombé pour avoir mangé des fruits, cet autre pour avoir bu de l’eau. Personne ne meurt sans que ce ne soit absolu ment de sa faute; personne ne guérit sans que tout l'honneur n’en revienne au médecin *. Vous savez que ce n’est pas pour mon plaisir que Je parle ainsi; ces choses, ni agréables ni gaies, sont néan- moins vraies. Je connais l'inconvénient qu'il y a à déblatérer contre les médecins devant un médecin, un docteur distingué, illustre, contre des médicastres vulgaires et obscurs. Je w’en serais bien gardé si je ne savais qu’en s’élevant au dessus de la foule il s’est acquis une réputation méritée. Je suis certain d’ailleurs que la bassesse de la multitude ne fait souvent que rehausser la gloire d’un seul. Je n’ignore point à qui je parle et de quoi je parle : je suis venu sciemment me jeter dans ce guépier. J’ai émis des opi- nions dures à entendre, difficiles à digérer, mais utiles. Je n’appar- tiens à aucune secte; j’aime la vérité, cherchant non des théories, mais les choses telles qu’ellessont. Certes je ne me rappelle pas avoir jamais rien dit contre la médecine, si tant est qu’il y ait une méde- cine ; mais contre ceux qui se font appeler médecins, je me suis déchaîné beaucoup et bien souvent, et, Dieu m'en est témoin, ce fut contre mon gré. Contraint et forcé par les circonstances, j'aurais désiré tenir un autre langage, avoir une opinion différente, cela m’eût été bien plus agréable, on le comprend sans peine. D’abord il n’est pas, que je sache, une classe de gens instruits où je compte des amis en plus grand nombre. Mais l’amitié doit céder à la vérité. Ensuite, dans mon propre intérêt, car ne suis-je pas un homme fragile 1 Medicina præcipuum artium tutissima est. ? Nemo sine gravi sua culpa moritur; nemo sine medici magna laude sanatur. — 218 — et mortel, et si je n’ai pas le privilége de l’immortalité du corps, certes ne suis-je pas désireux de posséder la santé? la santé, dont j’aurais besoin maintenant, et que souvent, pendant ces dernières années, j'eusse perdue si javais suivi les bons conseils des méde- cins. Mais comme la gêne était souvent présente, les remèdes étaient toujours absents, non pas les brillantes promesses et les paroles de consolation. Comme si javais eu besoin, pour consolation, d’un philosophe moraliste, et non d’un médecin ! Or, n’est-il pas du devoir d’un homme de l’art de prodiguer des secours efficaces, plutôt que des discours étudiés et sans fin? La médecine a-t-elle jamais rendu éloquent, ou l’éloquence a-t-elle jamais guéri qui que ce soit ? Ce n’est pas sans raison qu’un poëte, confident de la nature, a dit — et cette réflexion me revient souvent en pensée, dans la dis- cussion présente — que l’art est uni à la médecine. De notre temps elle n’est pas seulement bavarde, mais braïllarde. Pour moi, dans le cours de mes maladies, j'ai obtenu toujours du verbiage tant et plus, et rien autre chose. Pourtant je m’en suis tiré jus- qu’à ce jour. Comment ? Parce que mon heure n’était pas venue. J'aurais à ce sujet mille révélations à faire, que je passe soussilence, de peur qu’une plaisanterie ne dégénère en satire. «Vous devez voir maintenant, je pense, que si j'accepte la gram- maire d’après Priscien, l’art oratoire d’après Cicéron, la poétique d’après Homère et Virgile, je ne me crois pas obligé d’aceueillir la médecine de vos médecins. N’allez pas, comme dans votre réponse, me taxer d’extravagance et de présomption, car j'ai la conviction que tout médecin sans parti pris, s’il a des sentiments élevés, lors- qu’il sera livré à lui-même dans le silence de son cabinet, les portes bien closes, se prendra à réfléchir sur ce sujet, quelque pénible qu’il soit. Peut-être extérieurement ne fera-t-il pas de concessions; mais intérieurement, à moins qu'il ne veuille se tromper lui-même, il confessera la vérité, se rappelant combien de fois ses espérances et celles des autres ont été fallacieuses, combien de fois il a été la dupe de ses propres artifices. Des expériences réitérées, en plus d’un cas, m'ont amené là, guidé par les plus grands maîtres. Vous savez sans doute ce que le savant Pline l’Ancien a écrit sur votre compte, et ce — 219 — que Caton le Censeur, le plus sage des Romains, a prédit si long- temps d'avance , à savoir que vous viendriez de la Grèce en Italie. Je n’ai pas besoin d’insister, vous connaissez très-bien l’histoire. «J'ai répondu à toute la première partie de votre lettre, et à toutes les questions que vous m’avez longuement posées. Mais, avant de passer outre, je crains d’être soupçonné d’avoir dit quelque chose qui puisse donner prise à ceux qui se plaisent à tendre des piéges par des artifices de langage, en supposant que j'ai mis en doute l'existence de la médecine. Assurément si cette science n’existait pas, elle n’eùt pas été mentionnée par tant et de si grands génies. Pour moi, je ne puis nier qu'il y a une médecine et qu’elle est une chose considérable. D'après l’Écriture, elle a été créée par Dieu ; et, d’après les livres profanes, consacrée par les dieux immor- tels, qui l’ont inventée, Esculape est le fils d’Apollon. Je crois que si le genre humain disparaissait de la surface de la terre, la médecine et les autres arts n’en existeraient pas moins virtuellement. Mais ces arts, pris d’une manière abstraite, c’est-à-dire comme émanation de Dieu seulement, à quel usage seraient-ils destinés, soit pour la guérison du corps, soit pour la cure et l’ornement de l’âme? Il ne suffit pas qu’il y ait des arts pour l'utilité de l’homme, encore faut-il que celui-ci les connaisse. Comment les médecins connaissent-ils la médecine ? « Prètez-moi un moment d'attention. « Ce n’est pas moi qui parle, mon ami, ce sont les faits. « Quand — sans s’occuper des accidents funestes survenus dans des maladies légères — nous voyons les médecins eux-mêmes agir de telle sorte, qu’il est permis de se demander si ce qu’on appelle la médecine, n'importe l'opinion qu’en puisse avoir le monde, est autre chose qu’un certain art de tromper, imaginé pour le grand dommage et péril de l’humanité, dans le but d’enrichir quelques personnes et d'en mettre en danger beaucoup d’autres; ou bien encore d'admettre qu’elle est un art véritable et fait pour être utile, mais nullement compris par nos docteurs — compris, si vous voulez, mais absolument inapplicable aux constitutions humaines, dont la diversité est mystérieuse et infinie —; eh bien! quel autre résultat — 220 — peut-on attendre lorsque de mille remèdes un seul n’est pas efficace ? Beaucoup servent et souvent desservent’. Jusqu'ici j’ai parlé de ceux qui se parent, hélas ! du noble et vrai rom de la physique. Quant aux autres que l’on appelle chirurgiens et qu’ils affublent par mépris du nom de manœuvres, j'ai expérimenté sur moi et sur d’autres leurs remèdes qui sont excellents. J’ai vu souvent de graves blessures ou des ulcères sordides, au moyen des topiques, être promptement guéris ou soulagés ; c’est qu’ils voient ce qu’ils font et peuvent modifier le traitement ; les remèdes aveugles des autres, lorsqu'ils ont pénétré dans la trame de nos tissus, tout est fait; du reste, que puis-je en penser et en dire de plus? Je crois, en fin de compte, que vous voulez que je trouve divin cet art que vous com- blez de vos éloges, et que vous vous évertuez à élever jusqu'aux cieux. Ses prôneurs plutôt que de vanter sa faconde, feraient mieux de montrer ses actes ; les médecins eux-mêmes n’ont pas foien lui, car ils l’acclament de bouche, mais le méprisent 2x petto. Si nous nous demandons quelle certitude il nous reste, à moi comme aux autres, au sujet de cet art, quand nous voyons les médecins n’en avoir aucune, devons-nous penser que sciemment et volontairement ils se nuisent à eux-mêmes; cela est manifestement absurde. Et, puis, je voudrais bien savoir de quelle somme de certitudes notre siècle a hérité? Peut-être aurais-je des anciens une opinion toute différente. « Cette anecdote est-elle vraie ? Je m’en rapporte à ma mémoire. On prétend que le médecin Asclépiade aurait osé dire : Si un homme de l’art, jusqu’à son extrème vieillesse, n’avait pas su se mettre à l'abri de la maladie, il ne lui permettrait pas de s’intituler médecin ; pour mériter ce titre il devrait, pendant toute sa vie, jouir d’une santé parfaite. Quoi qu’il en soit, hasard ou bonne fortune, il tint plus qu’il n’avait promis, car il ne fut jamais malade. Dans un âge très avancé, ayant fait une chute d’un lieu élevé, 1l se tua. « Aujourd’hui, en voyant cà et là des médecins jeunes et robustes devenir malades et mourir, que voulez-vous que j'espère des autres ? 1 Multæ officiunt et sæpe conficiunt. 90 — Un exemple récent vient confirmer mon dire, ils abondent partout. Mon compatriote est mort, lui qui était encore hier plein de vie. 0 versatilité dela fortune ! incertitude, impuissance de l’art médical ! Lui, si riche de science, lui, si fanatique de l’art, qu’ilse eroyaitca- pable de ressusciter les morts! Il rous a été enlevé à l’improviste. C’est de lui que je parlais dans ma première lettre, comme garant de ma bonne constitution ; ila succombé dans toute sa virilité, lui, dont la musculature était plutôt celle d’un taureau que d’un homme. Qu’al- lez-vous répondre ? Qu'il ne connaissait pas la médecine? vous n’ose- riez, car sa réputation et la vérité vous donneraient un démenti. N'est-ce pas plutôt que la médecine ne guérit pas les maladies, ou qu’il méprisait son art que pourtant il pratiquait ? Je dois dire que je l'ai vu souvent manger des figues, des pommes, des cerises, non comme on en use habituellement, mais comme un cheval dévore du foin. En cela, comme en bien d’autres choses, j’ai remarqué que les gens qui étaient en désaccord avec moi en paroles, finissaient par être de mon avis quant au fond. En effet, ils ont bien soin de rejeter ces noires et infernales potions qu’ils sont dans l’usage de présenter aux autres; ce ne serait pas maladroit en définitive, s’ils ne se mon- traient pas si empressés à les faire avaler à leurs malades. Au reste, quelque parti que vous preniez, vous ne pourrez pas me per- suader que l’on doive jusqu’à ce point respecter la médecine, comme si, hors d'elle, il n’y avait pas de salut, quand l’on voit l’un des princes de la science l’abandonner, ou en être abandonné #n extremis. N’admirez-vous pas, savant docteur , ma manière de penser ? Croyez-vous que je sois naturellement assez sot, ou un vieillard assez insensé, ou dépourvu de bon sens pour rejeter un moyen salutaire? Incapable, au milieu de tant d’incertitudes, de démèêler une bribe de vérité, qne ces professeurs en charlatanisme ignorent eux-mêmes, incertain de ce que je dois suivre ou fuir, de ce que je dois craindre, hésitant, troublé, perplexe, une telle situation me fait frissonner, je m’en remets aux préceptes de la nature et à la Providence. Me blâmerez-vous si, arrivé au bord d’un fleuve pro- fond, ne connaissant pas de gué, alors que l’un m'appelle à droite et l’autre à gauche, pendant ce temps-là voyant mes guides se — 222 — noyer, je m'arrète pour construire une barque, un pont, ou tout autre moyen de transport? Me tournerez-vous en dérision, ou plutôt ne m’approuverez-vous pas? Est-ce que ma précaution n’est pas légitime? Mettez-vous en doute que cette vie équivoque ressemble un peu à un torrent, que nos pilotes fassent peu souvent naufrage ? Nos docteurs! peut-on les juger autrement sinon qu’ils trompent les autres de propos délibéré, ou plutôt qu’ils se trompent eux- mêmes, n'ayant pas la conscience de leurs actes, lorsqu'on les voit les mains pleines de trésors médicaux, faire bien moins usage de leurs prescriptions que les gens du monde, ou en être victimes quand ils en usent ? « Pour que j'aie confiance dans les médecins, deux choses sont nécessaires, ni rhétorique, ni incrimination, deux concessions en effet que l’on exigerait en vain. Mais d’abord ils devraient, avant tous les autres, se conformer à leurs ordonnances; ensuite il faudrait que leurs consultations eussent un résultat heureux. Si ces deux conditions manquent, ce sont paroles perdues. Que s’en suivra-t-il , si, pour entraîner ma foi sur ces deux points, je ne suis ni vaincu par l’éloquence, ni touché par les syllogismes ? Si quelque rhéteur, ou quelque dialecticien me pousse un argument cornu, pensez-vous que pour chercher la conclusion logique , je sois obligé de me tâter le front? « Je vous vois d’ici d’un air tranquille lire ces pages ; vous ne pouvez en aucune façon vous en fâcher, c’est un ami qui vous parle en faveur de la vérité qui est votre amie ; et quoique cela soit désagréable à entendre, et quand même ce serait faux , du moment que cela semble très-vrai à celui qui l'écrit, comme je le crois en ce moment, j'ai dù le dire. Ainsi je m’attache aux faits et non aux paroles. « Est-ce que vos amis, quelque préjudiciables à autrui que soient leurs opinions, n’y tiennent pas mordicus, surtout quand elles leur sont profitables, et ne sait-on pas qu’ils sont implacables quand on les combat ? « Ainsi, il y a bien des années déjà, étant en France, une dis- cussion pareille s’éleva entre les médecins du pape, auxquels ob s'étaient joints ceux des cardinaux, et moi; il se dépensa de part et d’autre beaucoup de paroles et beaucoup de papier ; enfin, sortant de la question, ces messieurs en vinrent aux injures ; je nesais plus tout ce que ce que ces ignorants débitèrent contre moi, à la fin ils se mirent à déblatérer contre la poésie. Je me pris à sourire et leur dis que je m’étonnais, qu'ayant à se plaindre de moi, ils s’attaquassent à Virgile qui était bien innocent ; que je m'étais effectivement dans ma jeunesse amusé à composer quelques poésies, mais que depuis longtemps je m'occupais de choses plus sérieuses. Alors ils me demandèrent, tout en courroux, quel était cet art que je pratiquais, qu'ils allaient bien me relancer. « Il était évident que ce n’était pas la vérité qu'ils cherchaïent, mais la vengeance. Pensant à Paulin, évêque de Nola, je leur répondis : « Je n’exerce aucun art, je suis tout simplement jardi- nier.» Je ne pouvais rien dire de plus vrai, aussibien qu’à présent, car je suis tout à fait jardinier ; et voilà que vous blasphémez contre la déesse Pomone, et qu'avec cette discussion vous m’empêchez de greffer mes arbres et de cultiver mes fleurs. « Maintenant, trêve de plaisanteries ; si quelqu'un m'interroge pour savoir quel art je professe, je répondrai, non point comme Pythagore, qui interpellé de mème, disait qu’il n’oserait s'appeler sage, c’est-à-dire savant, dénomination appliquée aux sept pre- miers sages de la Grèce; il fut le premier à se donner le nom de philosophe qui ne signifie pas sage, mais ami de la sagesse. C'était alors un substantif très-modeste , bientôt ensuite il devint un titre d’orgueil; aujourd’hui, c’est une désignation vaniteuse et vide de sens. À ceux qui s’en affublent, amateurs de disputes où s’étalent leur ostentation et leur bouflissure, et non la sagesse, je n’aiqu’une chose à dire. Sans doute, je ne suis pas professeur en cet art, mais je l’aime ; je ne le possède pas, mais je le désire, afin qu’il me rende meilleur. Quiconque voudra en médire, ce ne sera pas contre moi qu’il s’insurgera , ce sera contre la vérité et la vertu. «Suivant l’ordre des matières de votre lettre, je saisis ce passage où, pour me forcer à avoir confiance dans les médecins, vous me dites qu’ils ont beaucoup travaillé. Ce fait, je ne le nie pas, non plus — 224 — que je ne l’admets, j'ignore s’il en est ainsi. Si vous prétendez que tout ce qui est glorieux est laborieux, jy souscris. Si vous retournez la phrase, je m'inscris en faux. Le travail précède toujours la gloire, mais la gloire n’est pas toujours la conséquence du travail. Le marin, le paysan ne travaillent-ils pas plus que le général, le philo- sophe ? Quoique toute gloire suppose un travail, le travail est bien souvent sans gloire. Quant à ce qui suit, j'incline à penser qu’il ne peut y avoir de discussion avec un médecin, je vais plus loin, je l’affirme ; si J'ai bonne mémoire, j'ai dit en commençant, que je ne discutais pas avec un docteur, mais que je plaisantais avec un ami. « Voici que vous m'’attaquez plus vivement et de plus près. Puisque donc je résiste à l’autorité de la médecine, vous me prenez, vous semble-t-il, par mes propres aveux; tenu en échec par vos armes, je suis encore assailli par les miennes. Ainsi sur les monts Gelboë, le roi Saül, ne pouvant obtenir de son écuyer de mourir de sa main, se tua en se jetant sur son épée. Dans la vallée des Théré- bintes, David, après avoir terrassé Goliath, ayant perdu son glaive, s’empara de celui du géant et lui coupa la tête. Ainsi, à Troie, dans cette nuit qui fut la dernière, Corebus, revêtu des armes des ennemis, engagea ses compagnons à imiter son exemple, puis, ainsi armés, ils envoyèrent souper chez Pluton un grand nombre de fils de Danaüs. Veuillez me dire comment à l’aide de mes propres armes vous avez remporté la victoire. Est-ce parce que j'ai reconnu, ce que je ne pouvais nier, quand même je l’eusse voulu, que chaque jour amenait en moi des changements, que l’âge aussi bien que ma nature subissaient des mutations ? Vous en concluez que ma consti- tution changeant, il était nécessaire de changer mon régime de vie. Il faudrait être bien oublieux de sa faiblesse et du tribut que l’on doit à la mort pour n’en pas convenir. Or, j'ai déjà dit que je m'étais conduit en conséquence, et je le répète, afin que vous ne considériez pas cette modification comme de peu d'importance, car pendant toute ma Jeunesse j'étais dans l’habitude de boire à discré- tion de l’eau pure, le matin, à midi, le soir, à toute heure; à pré- sent j'en fais un usage modéré le soir, une fois seulement; ce n’est pas par ordonnance de la Faculté mais de la nature qui sait très- — 225 — bien, si je ne m’abuse, ce qui convient à mon tempérament quel qu'il soit. Et, si aujourd’hui je sentais de l’appétence pour tout ce que j'aimais autrefois, je parle de ce qui est honnête et moral, je m'y abandonnerais, me rappelant cette réflexion de Caton (Tuscu- lanes) : « La nature est le meilleur guide, nous devons la suivre, et lui obéir comme à Dieu’. » Jai obéi à la nature, et je lui obéirai toujours, à moins d’ordre supérieur contraire venant de Dieu, non d'Hippocrate. Que vous dirai-je? Lorsque dans ma jeunesse j’aper- cevais suspendus aux arbres des fruits verts, acides, n’importe, emporté par ma convoitse, Je les volais pour les manger. Aujour- d’hui à peine si je les regarde, et songeant au temps passé, je souris, me disant intérieurement : O versatilité des choses de ce monde! moi qui avais l’habitude de ne manger, toute la journée, que des pommes, des poires, des figues, des pêches, maintenant soit avant, soit après le repas, j'en prends quelque peu, subordonnant mon goût à l'attrait du plaisir. Non pas que je consulte Galien, mais ma nature, qui, tant qu’elle conserve sa rectitude, ne me conseille jamais rien de ce qui peut être nuisible. « Il ressort de tout cela que, à l'instar d’un trait fatal que vous m'auriez décoché, des six articles sur lesquels vous me donnez de si bienveillants conseils, j’en suis persuadé, je me soumets patiem- ment et avec obéissance à en exécuter trois seulement. Soit dit sans vous fâcher, mon grand ami, mon grand docteur, ce n’est pas tant par vos avis ou ceux de tout autre que j’agis ainsi ; car ce n’est pas sans raison que cette transformation se manifeste chez l’homme sur- tout lorsqu’il s’est abandonné aux passions de la jeunesse. Certes, quand les médecins sont d’accord avec cette intime et infaillible con- seillère, je me rends de bon cœur, pour le reste il n’en est plus de même. À l'égard des trois recommandations en litige, pas de traité de paix, je refuse opiniâtrément, et je préfère vivre perpétuelle- ment en guerre avec les médecins plutôt que de subir un pareil joug. ! Naturam optimum ducem, tanquam deum sequimur, eique paremus. XII 15 — 226 — «Comment me priver de bons fruits mûrs, cuits avec du sel? Est- ce parce que cela ne plaît pas à Hippocrate ? «Jai connu des personnes tellement dégoûtées et d’autres assez sobres et délicates qui ne pouvaient supporter ni l'odeur, ni même la vue de certains fruits. «J'ai vu un cardinal de l'Église romaine, vieillard très-consi- déré, avoir une telle aversion pour les coings ‘, que chaque fois qu’il en apercevait un, il éprouvait une sorte d'angoisse, son visage s’1- nondait de sueur, il devenait d’une pâleur livide. Ses domestiques avaient bien soin de n’en pas laisser paraître devant lui. « J'ai vu encore à la cour du pape Clément VI, un jeune homme que des camarades de son âge poursuivaient dans cette vaste demeure, l’un d’eux ayant une rose seule à la main pour s'amuser de lui. Le parfum de cette fleur était si désagréable à ce petit clerc que, s’il n'avait pu s’y dérober autrement, 1l se serait jeté par la fenêtre ou par toute autre issue, au risque de se rompre le cou. Je serais fort en peine de dire pourquoi l’odeur de la rose chez celui- ci, ou celle du coing chez celui-là, produisait une aversion si par- ticulière. Qu’en faut-il conclure? Si ces deux personnes avaient écrit sur la médecine, ils n’eussent pas manqué de proscrire les coings et les roses, exigeant que tout le monde partageät leur sen- timent. Ce sont là, mon ami, des anomalies et des aberrations de la nature qui font que l’on ne peut supporter ce qui plaît véritable- ment à tout le monde. « Il en est d’autres, au contraire, qui recommandent tout ce qu’ils préfèrent, faisant valoir ce qui est de leur goût personnel. Tel était à ma connaissance et à la vôtre, si je ne me trompe, le chanoine Jean de Parme, mon confrère, qui indépendamment de ses autres mérites, jouissait comme médecin, d’une grande réputation, non- seulement dans son pays, mais encore parmi les satrapes de la cour romaine, où il était considéré comme le premier ou l’un des pre- miers médecins, au milieu de cette tourbe grouillante de suppôts 1 L'édition de Venise, de 1503, porte coctanas, petites figues de Smyrne. Celle de Bâle, 1581, donne cotoneas, coings. Nous avons préféré cette dernière version comme plus vraisemblable. — 227 — d’Esculape. Suivant l'habitude de ses confrères, il défendait l’usage de tous les fruits, à l’exception des figues qu’il ne se contentait pas de permettre, mais qu’il prescrivait comme excellentes. Savez-vous pourquoi ? ILétaitincommodé par les autres fruits, tandis que les figues étaient pour lui un délicieux régal. Ilrésulte de là qu’il nous faudra, pour vivre, nous conformer au goût d'autrui. Peut-être me sera-t-il permis d’espérer d’être en communauté d’opinion avec vous sur ce point, et avec Hippocrate sur l’autre, puisque vous ne proscrivez pas les fruits, et que lui, d’après votre assertion, vante l’usage de l’eau. Vous exigez pour ces deux choses la modération, moi aussi, comme en toutes choses, je la recommande et loue, tellement que, sans elle, je prétends que rien de bien ne se peut faire. Alors, sur quoi porte le débat entre nous? Je m'étonne que vous croyiez néces- saire d’insister; m'est avis que déjà, dans ma précédente lettre, jy avais suffisamment répondu, à savoir que l’abus, non l’usage des fruits et de l’eau, devait être prohibé. Nous revenons à notre point de départ, ce que nous aurions dûù éviter, suivant ce vieil axiome : actum agimus, « Nous refaisons. » Eh bien ! ni la hache, ni l’épée, tirées de mon propre arsenal pour me combattre, n’ont effleuré mon bouclier et ma cuirasse. Pour être victorieux, il faut que vous alliez chercher des armes ailleurs et les aiguiser sur d’autres pierres. « Mais voici surgir à la traverse d’autres matières à discussion. Je suis décidé à m’abstenir à perpétuité des trois choses que vous dites devoir m'être nuisibles; vous me demandez pourquoi je n’agis pas de même à l’égard des trois autres, comme si en effet, parceque l’on croit en un point, il était nécessaire de croire en tous les autres. S1 en ce cas je suivais l’avis des médecins, peut-être seriez-vous en droit de me demander d’y obtempérer pour le reste, puisque selon vous, la raison est la même et le consulteur est le même aussi. Mais comme c’est la nature qui me conseille en cette circonstance, je l’ai déjà dit, si vous me demandez pourquoi j'agis autrement dans l’autre cas, je vous réponds : Ne me faites pas une pareille question, adressez-vous à celle qui m'a conseillé jusqu'ici d'accepter les unes et de rejeter les autres. Si par hasard, ce que je ne puis croire, elle m'invitait, par un avis contraire, à renoncer à — 228 — ces trois choses, je m’empresserais d’obéir, me rappelant cette pen- sée mémorable de Cicéron : « Lutter contre la nature, c’est imiter les géants luttant contre les dieux. » « Reste une question que je ne m'attendais guère à voir reparaître ; il faut de nouveau discuter le jeüne ou en plaisanter. J'ai dit dans ma première lettre : « Je peux tout en Celui qui me réconforte. » Vous me répondez d’un ton railleur : « Je ne sais, en tant que médecin , si vous croyez que Dieu peut tout , et que le jeûne , c’est- à-dire la privation absolue de toute nourriture, peut non-seulement conserver à l’homme sa santé, mais encore l'empêcher de mourir. » Vous parlez là d’après la doctrine médicale, selon laquelle vous jugez que le jeùne est incompatible avec ma santé. Voyez donc, mon ami, quelle divergence d’opinion entre nous ! Je puis à peine espérer me bien porter sans l’abstinence. Je pense aussi que rien de bien ne se fait sans l’assistance de la Divinité. Je tiendrais un pareil langage même s’il s'agissait de choses de minime importance, dans le cas présent je ne demande pas que Dieu opère un miracle en ma faveur, ce qui arriverait si je vivais longtemps sans prendre de nourriture, ou si, de quelque manière que ce soit, il me rendait immortel, mais tout simplement je puis jeüner, j'ai toujours jeüné depuis mon en- fance, je jeùnerai tant que je le pourrai, et je le pourrai tant que je vivrai, non d’après les préceptes de la médecine, mais d’accord avec les lois de la nature et suivant mes habitudes ; je ne dirai pas tant que je serai bien portant, car toutes les fois que j'aurai perdu la santé, non-seulement je pourrai jeüner, mais j'y serai forcé. En pareil cas, je ne prends pas d’aliments, la maladie me nourrit, triste chère, je l'avoue. « Vous m’entretenez du jeüne, des fruits, et le reste, comme si j'étais de ces gens dont on dit dans le monde : Ils ne savent s’ils ont assez mangé que lorsqu’ils ont la colique. « Vous vous occupez encore de la pluralité des repas. Je n’igno- rais pas que ce fût une règle non-seulement pour les médecins, mais encore pour tous les viveurs; certes, je ne pouvais croire que c'en fût une aussi pour vous; je le vois maintenant et j’en suis fâché. Dans mon autre lettre je vous ai dit tout ce que je pensais à — 229 — cet égard. Quel que soit le sentiment des médecins, j'ai la conviction que la fréquence des repas n’est ni utile au corps, ni profitable aux bonnes mœurs. Il ne faut pas souvent exciter son palais, ni lutter avec la volupté; toute lutte est aléatoire et décevante. Et, comme dit Cicéron, le jeu est glissant; lui qui dans sa vieillesse avouait son penchant pour la bonne chère. Saint Augustin — je me sers de ses expressions — dit : « L’âme adonnée au plaisir est malheureuse, les préoccupations de la volupté sont un obstacle au salut.» C’est assez, une fois par jour, de donner satisfaction à cette esclave, la bête de somme de l’âme. La plupart des hommes, je le dis avec tristesse, presque tout le monde, emploient tous leurs soins à gorger et à engraisser cet âne rétif et indompté, quand l’âme reste affamée pour la fonction à laquelle elle a été appelée. Tous la regardent comme une étrangère, par ignorance ou par mépris, l’homme n'étant à leurs yeux que matière, quoiqu'il ait été écrit: « L’âme, quelle que soit son essence, n’est pas une substance qui tombe sous nos sens. » Lisez Aristote, il est compétent pour parler de l’âme et en parler en maître, au dire de Cicéron. Mais ni vous, ni lui ne semblez chercher autre chose que la nature de l’âme et ses passions ; vous contentant de définitions, vous la condamnez à l’abstinence, pour concentrer toutes vos attentions sur ce corps caduc et corruptible, noble sujet d'étude, dites-vous, tel en effet que le comprend très-bien quicon- que n’est ni dépourvu de sens, ni oublieux de soi-même. Plüt au ciel que cette étude fût bien dirigée; je n’exigerais rien de plus d’un médecin. Qu'il en soit ainsi ! je le dis aujourd’hui, et je l’ai pro- clamé très-haut et souvent autrefois, plus peut-être qu’il ne convenait à ma tranquillité et à mon loisir, mais pas plus qu’il n’était néces— saire dans l'intérêt de la vérité. « Pour conclusion de ce débat vous allez chercher une compa- raison prise d'objets matériels. Vous dites que pour opérer la coction avec un petit feu, comme dans un estomac sénile, on n’entasse pas d’un seul coup beaucoup de matières, mais peu et successivement, — je suis forcé d'employer la langue médicale, — alors la diges- tion s'effectue; votre objection manque absolument de preuves. À une pareille assertion que répondrai-je ? Vous basez votre prin- — 230 — cipal argument sur mon âge, chose que tout le monde cherche à dissimuler ou à ne pas avouer; nous lisons et nous voyons partout chez le peuple un concert unanime à cacher obstinément ses années, comme si l’on pouvait, à l’aide d’un mensonge, retarder l’instant de la mort; je dis la vérité. Mais ne savez-vous pas que tel est plus vieux à quarante ans que tel autre à soixante ? La vieillesse n’est pas la même, parce que le genre de vie n’est pas le même pour tous. Je pourrais citer des exemples pris dans le commun, je préfère les choisir parmi les personnages illustres. N’avez-vous pas lu que le fils de Scipion l’Africain était un jeune homme frèle et sans vigueur, tandis que, dans le même temps à peu près, Caton l’Ancien et le roi Massinissa, nonagénaire, jouissaient d’une grande énergie, et supportaient les fatigues avec une singulière patience ? Vous supputez mes années sans tenir compte de ma constitution. Quand on veut porter un jugement exempt d'erreur on doit prendre en considération une foule de circonstances, or, dans le cas qui me concerne, je vous en demande pardon, mais je crois que vous faites fausse route. Il n’est pas douteux que vous voulez, que vous désirez la guérison de vos malades. Ce mot de Cicéron est clair : « Les médecins, quand ils ont trouvé la cause du mal, s’imaginent avoir trouvé le remède; » c’est là le point difficile, la pierre d’achop- pement. Qui paralyse l'effet de votre très-obligeante consultation, si ce n’est la prescription pour mon âge de substances échauffantes ? ainsi ce sont mes années que vous traitez, non ma personne, alors que mes souffrances corporelles proviennent d’un excès de chaleur. Ce fait n’a jamais été plus évident qu’en cette présente année, où, sollicité par la nouvelle de ma maladie, et par le vif intérêt que vous me portez, vous avez consenti à franchir nos montagnes, accompagné de ce docteur d’une si remarquable distinction, ce con- frère si sympathique, qui porte le même prénom que vous, dont j'ai fait la connaissance par votre entremise et qui est devenu mon ami. t « Quel n’a pas été votre étonnement lorsque, arrivés près de moi, vous avez vu quelle chaleur s’exhalait de mon corps, à mon âge, chaleur que l’on aurait à peine supposée chez un jeune homme, au — 231 — point que mon lit était tout brülant. Quoique la fièvre et l’assou- pissement se fussent emparés de tout mon être, et que je pusse à peine articuler une parole, j'entendais pourtant vos exclamations de surprise ; Je n'étais nullement étonné, car il n’y avait rien là de nouveau pour moi; l'habitude enlève à toute chose son merveilleux. « Ordinairement l’âge glace et affaiblit, cependant on rencontre des vieillards pleins de feu et de vigueur. « J'ai vu, à Rome, Etienne Colonna, héros que chaque siècle aurait admiré. Il avait près de quatre-vingts ans, lorsque regardant un jour de vigoureux jeunes gens, livrés à des exercices équestres, essayant de manier une lance énorme, que personne jusque-là n'avait réussi, Je ne dis pas à rompre, mais seulement à plier, il se mit à plaisanter ces jeunes gens en leur reprochant leur peu de vigueur. Son fils ainé, brave et fameux chevalier, lui répondit : Il est bien aisé, mon père, quand on est assis à une fenêtre, de juger des coups des jouteurs, et à la mode des vieillards, de louer le passé et de critiquer le présent. Excité par un sentiment de bravoure, Etienne descendit : Est-ce que, s’écrie ce vieux romain, vous vous croyez des hommes? et montant un cheval qui se trouvait à sa portée, 1l l'attaque vivement de l’éperon, et la lance qu'il avait saisie d’une main ferme, il la brise en plusieurs éclats, au grand ébahissement des spectateurs et de son fils surtout. « Pour moi, je n’ai jamais compté parmi les robustes, même lorsque j'étais dans la force de l’âge ; maintenant je suis du rombre des invalides. Jusqu'ici j'étais rangé parmi les bien portants; aujour- d’hui encore que ma santé n’est pas satisfaisante, je ne sens aucune défaillance d’estomac, je voudrais pouvoir en dire autant des autres organes. Présentement, j’affirme avec certitude que je suis sain, et Dieu sait si jamais le boire ou le manger m’eussent été nuisibles, je m'en serais souvenu si cela m'était arrivé une seule fois, et avec le caractère que je me connais, j'aurais renoncé à perpétuité à ce qui m'aurait fait mal. Mais peut-être que cela m’a nui sans l’avoir senti ; c’est possible et le contraire aussi ; je ne le sais pas par ma propre expérience, je n’ai personne qui m'en soit garant. Or, j'entends tous les jours des gens se plaindre et dire : Mon diner me gène, mon — 232 — souper d'hier m’incommode, ce vin m’a dérangé, cette eau m'a pesé; moi, je n’éprouve absolument rien de tout cela, à moins peut-être qu'Avicenne ne sente mieux que moi ma gastrite. Si je le croyais, J'aimerais mieux en vérité n’avoir jamais ni nerfs ni estomac. « Certaines gens s’imaginent être beaux et sont laïids; parce qu’ils ne peuvent voir leur figure, ils se font illusion très-volontiers, le monde les y entretient et ils sont abusés par leur miroir. Quel être assez insoucieux ou assez lymphatique qui ne sente pas son mal, surtout quand il est grave, tel que celui de l’estomac, au dire de ceux qui l’ont éprouvé ? J'ai entendu un homme qui avait perdu un œil, à des plaisants qui lui demandaient comment il se trouvait, répondre : Le médecin dit que je vois, et moi je vois que je ne vois point. Pour ce qui me concerne, je ne croirai jamais celui qui me dira que je suis bien portant, lorsque je souffre, et quand je serai en bonne santé, je n’aurai point foi en celui qui m’assurera que je suis malade. Mon petit fourneau est encore assez solide pour opérer la coction de ce que je lui confie, et davantage encore si c'était nécessaire ; 1l avait plus de capacité autrefois, je ne le conteste pas, je lui accordais plus parce qu’il éprouvait plus de désirs. Depuis longtemps mon appétence pour la plupart des choses est bien diminuée ; je puis dire, comme Caton, j'ai de grandes obligations à la vieillesse qui, ainsi que vous le voyez, m’a rendu bavard au point d'en perdre le boire et le manger. Cependant, alors comme aujour- d’hui, je ne livre à mon estomac que ce qu’il peut supporter, et je lui donne toujours de moins en moins. Et quoique, à cet égard, il n’y ait point de règles fixes, il est certain que telle quantité d’aliments, excessive pour l’un, serait insuffisante pour un autre; vous savez qu’Aristote dans son traité de morale le dit et cite pour exemple l’athlète Milon de Crotone, dont la pitance quotidienne était un bœuf entier, des plus gros et qu’il dévorait seul, le soir, sans être incom- modé. « Mes aliments, quoïqu’un peu trop légers peut-être, suivant l'habitude générale, sont de plus en plus simples et naturels, je m’étudie à diminuer plutôt qu’à augmenter le luxe de ma table ; et — 233 — si J'osais me glorifier avec un ami, mais dans le Seigneur, je pourrais dire que bien souvent, à l’époque de ma virilité, J'ai quitté avec la faim ma table frugale et modeste, aussi bien que celle de mes amis, ou des princes qui m’invitaient à leurs festins ; et jamais, sous le prétexte du jeùne, je ne me suis, le jour même, plus aban- donné à mon appétit, J'avoue que peut-être le lendemain, l’appétit aiguillonné par l’abstinence de la veille, m’engageait à manger davantage. « Les religieux qui pratiquent le jeûne ont, comme ils le disent, deux plats; pour moi, je n’en aï et je n’en ai eu jamais qu’un seul et encore tout simple. « Qui aurait pu croire que je tiendrais d’aussi longs discours à propos de ma nourriture et de mon estomac? Mais je m'adresse à un médecin, il mériterait bien, certes, d’entendre un plus noble langage, et serait bien capable de dire de meilleures choses; je parle avec sincérité parce que je suis d’accord avec la raison, sans vaine jactance, ayant le culte du vrai. En formulant ainsi librement mon opinion, j'ai l’air d’en tirer vanité; je ne voudrais pourtant pas que vous supposassiez que, sous une apparence honnête, j'ai commis un acte répréhensible. « Cependant vous insistez et contre le jene et contre toutes mes allégations, prétendant que je dois faire des concessions aux médecins, surtout en ce qui est conseillé par la nature, puisque le corps humain, constant dans son inconstance, est soumis à des variations passives, ininterrompues. Qui en a jamais douté? Les preuves abondent. Je crois à la nature plutôt qu'aux médecins; je fais mieux que de croire, je suis convaincu. Rappelez-vous ce que je vous écrivais à ce sujet au mois de juillet, je pourrais m’étendre davan- tage encore si ma thèse avait besoin d’autres arguments, mais l'évidence est si manifeste qu’elle saute aux yeux de tout le monde. Quelque pédant réfléchissant à tout cela, mon manuscrit pour ainsi dire à la main, se proclamant déjà vainqueur, et se posant en docteur émérite, n’avouera jamais qu'il n’est qu’un piètre écolier. C’est ainsi que se comportent dans nos rues, sur nos places, partout, nos braillards qui ne savent parler que pour disputer, qui ne peuvent — 234 — discuter parce qu’ils sont trop ignorants, n’ayant pas appris à se taire, ce qui eût beaucoup mieux valu, et le pis de tout cela, cla- baudent, s’irritent et n’ont pas le sens commun. « Vous abusez contre moi du syllogisme : vous me dites; ma constitution ayant changé, soit par l'effet de l’âge, soit par toute autre cause, il faut conséquemment que je modifie mon régime de vie. Je ne le nie pas. Oui, ma nature a subi des mutations par les années et par la maladie, je le reconnais sans difficulté, j’ai fait ma confession à cet égard. Vous agissez avec courtoisie puisque vous ne me jetez pas pédantesquement à la face cet ergo endiablé des universités de Paris et d'Oxford, qui a fait tant de milliers d’imbé- ciles. Qu’en dites-vous? vous n'’ignorez pas, je le sais, cette forme de raisonnement par syllogisme, qui est plus clair que le soleil en plein midi ; je vois bien, je vois très-bien. Mais ne voyez-vous pas aussi que vous faites des efforts superflus pour m’arracher ce que je vous ai concédé volontiers; vous prenez des allures césariennes ; Lucain en parlant du vainqueur de Pharsale dit : « Il dédaigne de suivre le chemin qu’on lui abandonne ‘. » Certes, si vous relisez ma première lettre, et si vous lisez celle-ci, vous verrez que j'ai changé mon régime de vie, principalement en ce qui était indiqué par la nature ; pourquoi donc n’ai-je pas agi de même pour le reste? Je l'ai déjà dit, et souvent provoqué par de semblables questions, j'ai donné une réponse identique ; faites en sorte que la nature soit d’accord avec vous, et je m'y conformerai absolument. Voilà ma réponse pour toute question ultérieure ; lorsque par votre insistance vous voulez prouver que, si en un point, j'ai opéré des changements, je dois aussi en apporter dans l’autre. En parlant ainsi vous admettez une identité parfaite entre des choses plus ou moins utiles ou nui- sibles, quand il y a entr’elles de très-grandes différences. « Voulez-vous maintenant que je vous régale d’un syllogisme montagnard et rustique, à propos de changement de la nature ? J'ai reconnu dès le principe qu'il faut aussi changer sa vie. Or ma nature est changée et par conséquent ma vie est changée aussi. 1 Concessa pudet ire via. (Lucain, Pharsale). — 235 — Vous n’attendez pas de moi que je confonde celui qui obéit avec celle qui commande, c’est-à-dire la nature, comme je le prétends, et non la médecine, selon votre assertion. Or la nature est modifiée en quantité, non en qualité. J’ai joni d’une très-srande chaleur sanguine, elle n’est plus très-grande, mais elle est assez grande encore. L’eau est un élément froid, les fruits sont des substances froides, et suivant l’axiôme médical, les contraires sont guéris par leurs contraires, en conséquence, les choses dont j'ai usé largement autrefois, doivent être employées aujourd’hui avec plus de discrétion, c’est ce que j'ai fait; vous savez le résultat. « Jai remarqué, en lisant votre lettre, que vous sembliez croire que J'avais mis beaucoup d’opiniâtreté dans ma défense de l’eau et des fruits. Il me paraît à moi que les médecins en ont mis bien davantage dans.leur accusation ; j'en suis vraiment fâché parce que c’est sans motif ni raison ; je n’en veux pas d’autre témoin que vous- même. Le fait a été assez discuté ; il n’y a que leur excès qui a été jugé mauvais. En quoi alors l’eau et les fruits sont-ils coupables ? En quoi ont-ils encouru la réprobation des médecins? Qui leur a valu ce discrédit plus qu’injuste ? Ils sont les amis des médecins, ils ne veulent pas les déprécier. C’est très bien, à la condition de ne pas diffamer ce qui ne le mérite pas. On doit aimer ses amis, comme on doit la justice à tout le monde. « Je me demande souvent pourquoi vous portez tant d'intérêt à ces volailles —les faisans—si ce n’estqu’importés des bords du Phase en Colchide, d’où leur est venu leur nom, et transportés en Grèce, dit-on, sur les vaisseaux des Argonautes, leur provenance étrangère leur a donné plus de prix ; les obstacles, en effet, donnent plus de valeur aux choses ; chaque peuple successivement se mit à les esti- mer et à les célébrer; ils devinrent fameux chez les médecins des autres pays et de siècle en siècle. Mais l’amour ne doit pas altérer la vérité, quoiqu'il ne soit pas souvent d'accord avec elle. Quelque délicieux que soient vos chers et bien-aimés faisans, ils sont bons, j'en conviens, si vous en faites excès, ils deviennent nuisibles, non pas eux seulement, mais tout ce qui est excessif est mauvais; ainsi des fruits, de l’eau, et du reste. — 236 — « Parlons de l’eau que vous avez ici plus particulièrement en vue; qu’ajouterai-Jje à ce que J'ai déjà dit? Nous sommes presque du même avis quand nous semblons discuter encore. Je sais que Veau prise en trop grande quantité est malfaisante. Nierez-vous que le vin en excès n’est pas plus nuisible? Incontestablement. L'eau peut quelquefois avoir un effet fâcheux sur le corps; le vin souvent sur l’âme et sur le corps à la fois. Je suis surpris de vous entendre louer la propriété que possède le jus de la treille d'augmenter la cha- leur; je ne voudrais pas que vous fussiez si enthousiaste, je crois qu’il ne m’est nullement nécessaire. Bien des gens, dans des siècles meilleurs que le nôtre, vécurent parfaitement sans vin, ne faisant usage que d’eau pure, aujourd’hui il en est quelques-uns qui agis- sent ainsi. C’est la nature qui a fait l’eau, c’est le palais qui a inventé le vin. Je crois très-bien, habile discuteur, que vous avez, par inadvertance, omis ce passage, feignant de méconnaître l’impor- tance, j’ai presque dit la majesté de l’eau, si on la compare aux mauvais, aux très-mauvais effets du vin qui n’en a que très-peu de bons. Mais, ainsi que je l’ai déclaré, je mettrai de la modération à boire de l’eau, de la modération, oui, de l’abstention absolue, jamais, que lorsque j'aurai cessé de vivre et de prendre ces breuvages ter- restres qui souvent excitent la soif, souvent aussi l’apaisent, ne la suppriment nullement; et s’il m’est donné d’aller au ciel, ce n’est pas du nectar des dieux de la mythologie que je m’abreuverai, mais de l’eau de la fontaine jaillissante de la vie éternelle, dont celui qui en boira n’aura plus désormais soif. En attendant, je me désal- térerai à discrétion à nos sources, j’userai de l’eau, du vin, surtout, modérément, non pas que cette boisson soit utile, mais parce qu’il faut agir ainsi, vivant au milieu d’ivrognes qui ont du vin non du sang dans les veines, autrement on me fuirait comme un être non civilisé. En m'’abstenant de vin et de viande, je ne me pose pas en disciple de Pythagore, mais du Christ. Je ne puis souffrir les méde- eins qui mettent ces deux noms sur la même ligne avec une obsti- nation scandaleuse. Des gens instruits doivent avoir la sagesse, ou tout au moins la pudeur, de ne pas les confondre dans leurs éloges. Ce sont les Arabes, s’il vous plaît, qu’il faut entendre à cet égard. — 237 — «Maintenant donc, je bois et mange comme tout le monde, entrainé par l’usage, je n’en suis ni flatté, ni satisfait. « Avant de finir, un mot, je vous prie, afin que tous vos Arabes ne viennent pas figurer dans les conseils que vous m’adressez ; je hais cette race entière. Je sais que les Grecs d’autrefois étaient des hommes très-spirituels et très-éloquents; on comptait parmi eux beaucoup de philosophes et des poëtes de premier ordre, des ora- teurs, des mathématiciens remarquables. Cette contrée a produit les princes de la science médicale ; quantaux Arabes, vous savez quelle espèce de médecins ils sont. Pour moi, je connais leurs poètes, rien de plus doucereux, de plus amolli, de plus énervé, rien en définitive de plus immoral que leurs productions. Le génie de l’homme, avez- vous dit souvent, a des aptitudes diverses, où brille le talent chez tous ceux qui le cultivent, eh bien ! on me persuadera difficilement qu'il puisse sortir quelque chose de bon de l'Arabie. Et vous, hommes doctes, je ne puis comprendre par quelle aberration de jugement vous prodiguez à ces gens-là de si grands éloges, à mon sens, bien immérités, à tel point que je me souviens d’avoir entendu Jean de Parme, cité plus haut, dire en présence de ses confrères qui l’approuvaient, que, s’il existait un médecin italien égal à Hippo- crate, il pourrait peut-être parler latin, mais il ne pourrait écrire qu’en grec ou en arabe, et s’il le faisait, on le tournerait en ridicule. Cette parole m'a piqué au vif, comme un paquet d’orties, ou plutôt comme un trait acéré, et j'en eusse ressenti une douleur d’autant plus profonde que si je me fusse, par aventure, adonné à ce genre d’études, j'aurais eu la force d'envoyer au diable tous leurs livres. «Je plains maintenant le sort des Italiens, si Jean de Parme a dit vrai, et surtout celui de nos compatriotes, pour lesquels le che- min de la gloire est fermé par une honteuse méfiance. Je saisis au passage ce mot de Labérius : « C’est le public qui fait la réputa- tion. » Après Platon et Aristote qui ont traité les questions de philo- sophie, Varron et Cicéron ont osé écrire sur le même sujet; après Démosthènes, ce maître en éloquence, on compte ce même Cicéron ; après Homère, Virgile n’a pas craint de composer des poèmes, les deux écrivains romains ont égalé ou surpassé leurs devanciers ; après — 238 — Hérodote et Thucydide, Tite-Live et Salluste, comme historiens, les ont laissés bien loin derrière eux ; après Lycurgue, Solon et la Loi des Douze Tables, nos juriconsultes ont recueilli une si ample moisson de lois civiles, au profit de la république romaine, qu’ils sont restés en ces matières supérieurs aux génies de la Grèce ; après les mathé- maticiens hellènes, notre Sévérinus a su tenir hardiment la plume ; après leurs quatre théologiens, ‘quatre des nôtres ont aussi écrit et remporté sur eux la victoire sans rencontrer de contradicteurs ; et après les seuls Arabes il ne sera plus permis d'écrire! En fin de compte, nous avons fréquemment vaincu les Grecs par l’esprit et par la plume, fréquemment nous les avons égalés, bien mieux, si nous nous en rapportons à Cicéron, nous les avons toujours sur- passés en tout ce que nous avons entrepris. Si ce grand homme a dit vrai en établissant entre les Grecs et nous une comparaison à notre avantage, on doit, à fortiori, accepter plus sûrement encore vis-à-vis des autres nations; il n’y aura donc, selon vous, d’excep- tion que pour les Arabes? Honteuse exception! vertige étrange! Génie de l'Italie assoupi ou éteint, je déplore cette situation qui para- lyse ton essor ! « Cette digression, où j'ai épanché mes amertumes et qui me pesait sur le cœur, je vous en fais le dépositaire. J'ai hâte d’en finir, je me suis laissé entraîner trop loin; si vous saviez de combien d’occupations diverses je suis assailli en ce moment, vous en seriez stupéfait ; ne me parlez plus du passé, cessez à l’avenir de m’objecter l'expérience, comme vous le faites en cherchant à me prouver que l’eau, les fruits, le jeüne ont été ou seront la cause de mes maladies. Si vous réussissez à me le prouver, je m’avoue vaincu, levez le doigt, je vous rends les armes. Mais vous ne le prouvez pas comme j'ai prouvé le contraire et vous n’y réussirez jamais, je l'espère ; ce n’est pas tant par des preuves que par ma conviction que je recon— nais l’'innocuité ou plutôt l'utilité de ces trois choses ; maïs je n’ignore pas que leur excès, comme tout excès en général, est et sera nui- sible à tout le monde. En définitive, si, d’après votre sentiment, Hippocrate approuve l’usage de l’eau, et vous êtes pour moi un Hippocrate, si Hippocrate est le plus grand des médecins, vous êtes — 239 — le partisan des fruits. Je dis, je l’ai répété assez souvent pour que je sois compris une bonne fois par tous, que l’excès est blämable. « Il faut en prendre votre parti, la question du jeùne sera tou- jours entre nous un sujet de discorde; soyez bien persuadé que votre silence seul peut mettre fin au débat, ce que vous ferez sans déshonneur. N’est-il pas, en effet, plus honorable d’être vaincu par la vérité que d’être vainqueur par le mensonge, et certes, ma cause est d'autant plus juste qu’elle est plus honnète. « Me voilà donc insensiblement revenu à mon point de départ. Le jeûne est véritablement une chose sainte, utile à l’âme et salutaire au corps, nécessaire, je le dis avec certitude, aux gens studieux et à ceux qui pratiquent la vertu, les devoirs de la religion ou le culte des muses, Il ne s’agit ni des athlètes, ni des ouvriers qui béchent la terre, ou pilent les baïes de Sycione '. Assurément, il ne convient pas à un homme sobre et continent qui tient à conserver pure son enveloppe mortelle, non plus qu’aux personnes livrées aux nobles inspirations de l'esprit, de s’abandonner sans frein et sans mesure aux délices de la table, de partager son temps, en une égale pro- portion, entre ces hautes aspirations de l’intelligence et les plaisirs, et consacrer aux festins les heures si fugitives dérobées aux affaires, à l’éloquence, à la philosophie; cela n’est plus dans nos mœurs; bien au contraire, notre devoir est de n’accorder à la réparation du corps que le superflu de notre temps. En effet, nous sommes sur la terre, non pour que notre corps soit le maitre mais le serviteur de l’âme, et que, comme l’esclave du maître, le corps sache vivre des restes de l’âme et s’en contenter. « Puisque l’occasion s’en présente, je tiens à vous dire ceci : com- bien de fois, croyez-le, j'ai assisté aux réunions chez les princes transalpins et les prélats de la cour romaine, surtout, où la conver- sation roulait sur les mœurs de l'Italie ? J'ai entendu les uns admirer, entre autres choses, les soupers italiens que d’autres critiquaient, quoiqu'ils reconnussent, du reste, leur splendeur et leur magnifi- cence; j'en étais d'autant plus affecté que je sentais parfaitement 1 Les olives, par métonymie, figure poétique. — 240 — que leur critique était juste, et conforme à l’opinion de Platon qui, dans une lettre adressée à Architas de Tarente, blâme les festins et les banquets de l'Italie. 11 m’est facile d’accepter les reproches d’un si grand philosophe. Dans quelle disposition d’esprit et avec quel chagrin, pensez-vous, j'ai pu entendre des barbares se vanter de nous surpasser en sobriété! Je ne puis contester que dans l’ancienne Rome nos vieux ancêtres ne fussent dans l’habitude de diner. Ce vers du poète en est une preuve : « À la tombée du jour, elle est à la piste des banquets”. » Et les médecins discutent sur ce qui est le plus avantageux à l’estomac ! Je les ai vus effectivement en désaccord sur le point de savoir si, à cause des affaires auxquelles les Romains se livraient particulièrement, il était plus convenable de remettre au soir les plaisirs de la table. Il vaut mieux, me sem- ble-t-il, s'abandonner à ses occupations pendant la journée, la nuit est peu propre à l’activité des affaires, elle est plutôt faite pour la réfection du corps et le repos. Aussi je ne réprouve pas le souper quand ii ne vient pas se superposer au diner. Les médecins répan- dent à foison d’étranges idées qui leur paraissent superbes, de con- nivence avec la gourmandise et la sottise, l’une persuadant à l’autre qu’il n’y a rien de pire que le jeüne. Vous êtes stupéfait, et vous dites que vous n’avez jamais prétendu et entendu soutenir que les préceptes médicaux fussent en opposition avec les préceptes divins, ou en contradiction avec la constitution imposée par Dieu. Je suis vraiment étonné qu’un homme tel que vous ignore une chose que les barbiers, les gens du peuple savent très-bien; car on gobe tou- jours ce qui déplaît, quoi qu'on fasse; mais je ne veux pas vous montrer où vous devez chercher ce qui, une fois trouvé, vous con- trarierait ; au reste, si vous cherchez vous trouverez. Évidemment vous êtes, en beaucoup de points, en désaccord avec les prescriptions divines, vous qui regardez le corps comme l’ennemi et le geôlier de l'âme, surtout en ce qui concerne le jeüne. Que l’on aille done maintenant, quel que soit l'effort qu’on tente, extirper une erreur si profondément enracinée. Plût au ciel que je pusse, par mes paroles, 1 Nunc eadem, labente die, convivia quærit. (Vic, Énéide, liv. IV, v. 77). — 241 — vous convertir au jeüne, dont vous essayez de me détourner, et que vous voulussiez bien apprendre la vraie médecine sur ce chapitre! Vous pouvez m'en croire, vous seriez enchanté de votre défaite, car, indépendamment des avantages nombreux, plus ou moins ap- parents, que vous en retireriez pour le corps et pour l’âme, avant qu’une année se soit écoulée, vous verriez de vos propres yeux, votre miroir à la main, un plus vif coloris resplendir sur votre visage. « Je vais donc résumer en peu de mots les trois points, objets de ce débat. Je m’efforcerai de pratiquer la sobriété que je place au centre ; si je devais échouer à droite et à gauche, je préférerais pälir par l’eau que rougir par le vin; j'aimerais mieux être incommodé par les fruits que par la viande; périr exténué par le jeùne, que crever d’indigestion ; au moins mon cadavre ne serait ni souillé, ni déshonoré. « C’est bien assez, trop même, prolonger cette discussion sur un sujet si insolite, si étrange. Je ne m’y serais jamais lancé avec quel- qu'autre que ce füt des disciples d’Esculape, qui ne sont que méde- cins, et pas autre chose ; jamais il ne me serait venu en pensée de descendre dans la lice, à moi, qui, plus que jamais, ai en horreur les disputes et les désaccords. Car qui pourrait voir de sang-froid tout son bien mis au pillage, son unique manteau dérobé et rester nu ? Qui n’entrerait en courroux, ne sentirait la colère s’allumer et ne prendrait les armes? ce que j'ai fait autrefois à guerre ouverte contre les médecins du pape, ainsi que je l’ai rapporté plus haut. « Quant à vous, je n’ai rien à redouter de semblable, vous si riche de science que la médecine n’est qu’un léger accessoire, puisque jadis, dans votre jeunesse, vous vous êtes livré à différents arts, et que, si l’on en croit l'opinion publique, vous aviez plus de succès et vous étiez plus riche qu’en pratiquant la médecine. «Aiïnsi qu’un opulent père de famille, ou un ami, je m’en vais, en toute assurance, m’installer dans un petit coin de terre stérile de votre vaste domaine, je tranche avec la serpe les ronces qui me font obstacle, souhaitant presque que vous n’en soyez plus le proprié- taire, vous qui y restez accroché, empètré, et détourné d’une culture plus heureuse. XII | 16 — 242 — « Quoi qu’il arrive, si vous renouvelez la guerre, vous me trouverez prêt. Souvent on a vu des belligérants, mis en présence et face à face, conclure une trève, puis une paix définitive. Il est peut-être facile, lors même que de part et d’autre les armées se rangent en bataille, d’en venir à un accommodement. Tous deux nous voulons la même chose par des moyens différents, vous, par l’entremise de la méde- cine, moi, par l’assistance de Dieu, à savoir que je puisse passer le reste de ma vie exempt de maladie, pour que mon existence soit plus heureuse et plus longue, si tant est qu’il y ait quelque chose de durée, car en fin de compte, il faut mourir. Adieu. « De ma villa des monts Euganéens, je vous écris avec la fièvre, que pendant ce temps-là j'ai oubliée. xv des calendes de dé- cembre 1370. » Rien dans les écrits de Pétrarque ne nous apprend que la polémique entre le médecin et le client ait continué. Ne nous en plaignons pas trop; toute discussion ultérieure eût été pour nous, lecteurs du xixe siècle, un ennui et une fatigue. Heu- neux, si les pages qui précèdent n'ont pas produit l'effet d'un narcotique sur les esprits peu familiarisés avec des questions traitées d'une manière aussi pédantesque que prolixe. C'était la mode en ce temps de dogmatisme et de doctrinarisme, de tra- duire ses pensées sous la forme d’une thèse en règle. Il faut avouer que le bon goût moderne, tout en rendant justice au mérite, sy prend d’une façon plus attrayante. P. MALE, D. M. P. Secrétaire-général de la Société Linnéenne de Maine-et-Loire. TABLE DES MATIÈRES contenues dans le XII volume DES ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET-LOIRE, Pages Liste des membres de la Société Linnéenne de Maine-et-Loire... ...... I Les Noms des Oiseaux expliqués par leurs mœurs ou Essais étymolo- giques sur l’ornithologie (suite), par M. l'abbé VincELoT............ 4 Étude sur le Drosophyllum lusitanicum, par M. Aimé DE SOLAND. ....... 81 Uaimodeste aquartum,-par MACOURTILÉERS 202.202. Ne NE 120 Sur le Vouacapou de la Guyane, par M. H. BAïLLON ..............,... 126 Sur la pierre météorique tombée à Angers en 1822, par M. Stanislas RER NIE RS Se M dia etais a Ie ee Mie me De name dialans PNR IE 132 Le Lépidosiren et le Protoptère appartiennent à la classe des poissons où ils sont les types de la sous-classe des Dipnés, par M. Aug. Dumérir. 140 De la vessie natatoire des Ganoïdes et des Dipnés, par M. Aug. Dumérir. 150 La pêche du Hareng, par M. le Dr J.-Léon SOUBEIRAN ................ 170 D'une méthode de classification pour les coquilles de la famille des Chemnitzidæ, par M. le Mis L. ne FozIn.......................... 191 Réponse de Pétrarque à Jean de Dondi, célèbre médecin de Padoue, par 203 Mlle DSP EMABIALEs be dits #8 SM ns Aus L AATA SENS ANGERS, IMP. P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU. — 4870. cé. VUE OF INR tr _ P Ang 9 EE Xe > Y 1$ = IC Je