| î Librairie JACQUES LECHEVALIER 12,Rue de Tournon ANNALES DR LINSTIEUReRSSEEUR ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR (JOURNAL DE MICROBIOLOGIE) FONDÉES SOUS LE PATRONAGE DE M. PASTEUR ET PUBLIÉES PAR M. E DUCLAUX PROFESSEUR A LA SORBONNE DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR Assisté d'un Comité de rédaction composé de MM. CHAMBERLAND, chef de service à l’Institut Pasteur; D: GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine; METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur ; NOCARD, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort : Dr ROUX, sous-directeur de l’Institut Pasteur; D: VAILLARD, professeur au Val-de-Grâce,. TOME ONZIÈME 1897 AVEC VINGT-DEUX PLANCHES PARIS MASSON ET Ci, EDITEURS LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN run Ar {ime ANNÉE JANVIER 1897 No 1. ” ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR RECHERCHES PHYSIOLOGIQUES SUR UNE MOISISSURE NOUVELLE * L'EUROTIOPSIS CGAYONI Par M. J. LABORDE Travail fait au Laboratoire de Microbiologie de M. Gayon, L à la Faculté des Sciences de Bordeaux. # » r + 2 LL: 0 Q . L'étude des phénomènes d’ordrethimique et physiologiques produits par la vie des êtres microscopiques acquiert tous les jours une importance plus considérable, depuis qüe-Pasteur a montré que la nutrition des infiniment petits est soumise aux mêmes exigences et aux mêmes lois que celle des êtres supé- rieurs. ‘ Les phénomènes physico-chimiques dont le protoplasma des cellules est le siège nous sont encore peu connus, car nous ne les observons guère qu’à l'extérieur de la cellule, dans le milieu anfbiant. Il en est pourtant qui permettent de pénétrer assez avant dans le mécanisme de la nutrition intracellulaire. Ainsi, .par exemple, les actions des diastases. On connaît un nombre important de ces transformations diastasiques : mais le peu qu'on sait sur elles est épars dans la littérature scientifique et résulle de travaux faits avec des organismes très divers. J'ai eu occasion de rencontrer une mucédinée qui présente à elle seule comme une sorte de synthèse: soit comme agent producteur de diastase, soit commme agent transforma- teur de la matièreælimentaire, elle jouit d’aptitudes très diverses. . 1 « LE + 2 2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Elle m'a paru, étudiée à ce point de vue, devoir fournir un {ype intéressant. Elle a été rencontrée sur de l’empois d’amidon abandonné à lui-même, où sa présence se manifeste par des taches de couleur rouge sang plus ou moins pourprée, pouvant être considérées, au premier aspect, comme produitespar le micrococcus prodigiosus. Mais, à l'examen microscopique, on découvre un mycélium coloré en rouge, sillonnant en tous sens la masse de l’empois, lui-même coloré par le pigment sécrété par ce mycélium. A un âge plus.avancé, ces taches portent un très léger feutrage aérien constitué par des organes de reproduction. On est donc en présence d'une moisissure; je l'ai isolée, et j'aientrepris son tude au point de vue physiologique. ,. Elle a été envoyée à M. Costantin qui a bien voulu en faire l'étude botanique, et qui, dans la note qu'il a publiée ‘, a proposé de lui donner le nom d'Euroliopsis Gayoni, genre nouveau d'AscomycèteS, espèce nouvelle, qui se développe en général sous sa forme parfaite, comportant des périthèces et des conidies. ; PREMIÈRE PARTIE à Alimentation générale de la plante. x Ï. — MILIEUX DE CULTURE. L'Eurotiopsis Gayoni peut se développer sur la plupart des milieux naturels où l'on voit apparaitre les moisissures vulgaires : penicillium, aspergillus, mucors, ete.; cependant il est assez rare. Ses fonctions physiologiques le mettent, en effet, dans un état d'infériorité marquée dans la lutte pour l'existence qui se produit Loujours entre divers champignons tombant dans un même milieu de culture. On peut cependant le cultiver : facilement. : Quand on remplace le sucre candi du liquide Raulin par le sucre interverti, et que ce liquide est réparti sur le fond d’un orand matras Duclaux#ermé par un tampon d’ouate peu serré, 1. Eurotiopsis, nouveau genre d’Ascomycètes, (Bulletin de la Société botanique de France.) j # EUROTIOPSIS GAYONI. 3 sous une épaisseur de quelques millimètres seulement, on a, après stérilisation, un milieu qui, maintenu à la température 7 28, remplit les conditions physiques que j'ai reconnues être convenables à un développement vigoureux de l'Eurotiopsis. Le sucre est épuisé complètement en cinq ou six jours, et le poids de récolte obtenu, dans ces conditions, avec 200 c. ce. de liquide contenant 10 grammes de sucre interverti, est constant et égal à 3 gr. 5, d'où un rendement de 35 0/0 du sucre consommé, soit en moyenne, 5,8 0/0 #par jour, rendement qui est sensiblement plus élevé que celui qu’a obtenu M. Raulin dans le même temps, pour l Aspergillus niger, dans les conditions qu'il a indiquées !, et qui est de 30,5 0/0, en calculant en sucre interverti le poids de saccharogse utilisé. Par conséquent, le liquide Raulin permet d'obtenir, avec l’Eurotiopsis, une végétation suffisamment intense pour l’étude de son alimentation hydrocarbonée. Cependant on peut se demander si. en modifiant convenablement l’aliment azoté, on n’arriverait pas à élever davantage le rendement: c’est ce que nous allons examiner maintenant. IT, — ALIMENTATION AZOTÉE. L’azote peut être mis à la disposition des moisissures sous la forme inorganique ou organique; dans le premier cas, on peut distinguer deux formes de combinaisons assimilables, l'azote nitrique et l'azote ammoniacal; dans le second entrent un grand nombre de composés qui peuvent fournir de l'azote aux champignons, mais les plus intéressants sont les matières albuminoïdes. Dans les expériences faites pour étudier la valeur nutritive des divers compasés azotés minéraux ou organiques qui vont être énumérés plus loin, les liquides de culture avaient la com- position générale suivante : PRET NOR SR Re AR TR Ts 200 c. « SUOLEMIODIeN VE EILeS neU PPE AnE L 10gr, 00 ADR TRS ANR TT NS DT NO PIRE OT CR Osr, 20 VE PR SC VS PL PE PRE PEETIS Ogr, 50 1. Etudes chimiques sur la véSétation. Recherches sur le développement d’une mucédinée dans un milieu artificiel. (Annales des Sciences naturelles, 1869.) 4 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Tartrate neutrende-potasse Aer Tone Ogr, 15 Phosphale dé mmaspésie: [2.524 a Osr, 20 ACTE SU UR QUE AR ENST ALES | Mere res gr, 02 Sulfate de fer et sulfate de zine.............. We traces. Silicate de. DOIASSCS RL 4e CU ARNMERNERTE : Les conditions physiques de culture ont été indiquées ci-des- sus pour la culture sur liquide Raulin en sucre interverti, faite en mème temps et servant de témoin. Le tableau suivant indique : 1° la durée de la culture ; 2° le poids de la récolte séchée à 100° ; 3° le rendement moyen par jour; #° l'acidité, au moment de la récolte, du liquide de cul- ture ramené à son volume primitif de 200 c. c. avec les eaux de lavage de la moisissure. DURÉE POIDS REN- ACIDITÉ MATIÈRES AZOTÉES me des DEMENT Re en jours.| récoltes. [par jour [par litre. gr. gr. A HEPeMOIN Le re Tuner ee 6 9.90 5.8 210 D Nitrate d'ammoniaque. 5 9.06 5.9 1.88 s = Nitrate de soude ou de potasse..…. 11 3.40 3.1 0.3 2 < Tartrate d'ammoniaque ..........: si RE 3.408 3.4 4.95 22 | Phosphate RE A 12 3.02 255 »RNT A6 2\nSulfate RENE NE MT es 19 2,80 27 5.95 n AChlorhydrate MER Eee 16 240 AT 4.12 Eau dé levure Fermer Te S >,90 4.9 2,85 él ASDATASINER Re rte 8 3.60 4.5 0.84 SR ASIN. RE Ie pe Ne ess 9 3.95 4.4 ED) Z | CDTEN RE RSR RAR EN EUR. 9 3.76 4.2 2.47 5 UT RER Er RU et A DNS 9 3.64 4.98 0.45 © COTÉES dois RNA a 9 9.00 4.0 2.62 & | BIDTINE ARE SEE PNR RE 40 3.60 3.6 2.40 © PÉDIONO AARRN AE Pa AR arc er ot 12 3.10 Bol 2.40 < Albumineide Sans me er ee 14 3.60 2.6 2.62 Albuminerde LœuteeE rene 14 3.00 2.1 2,55 | | RS AE ES D SE | Les chiffres de la quatrième colonne du tableau établissent entre les divers aliments azotés des différences bien plus impor- tantes que ceux de la 3°: ils montrent que la plante préfère de beaucoup le nitrate d'ammoniaqueé à toute autre forme de combi- naison de l’azote. Il est difficile de savoir si l'azote nitrique con- vrent mieux que l'azote ammoniacal d’après les résultats ob- tenus avec les nitrates de potasse ou de soude et le tartrate d’ammoniaque. Pour les autres sels ammoniacaux, l’infériorité du rendement s'explique par les variations survenues dans l’a- cidité du liquide de culture. EUROTIOPSIS GAYONI. 5 Cette acidité élait, au moment de l’ensemencement, de 2 gr. 6 par litre environ (exprimée en acide Lartrique) pour tous les liquides, sauf pour le témoin et le liquide au phosphate d'ammoniaque, pour lesquels l'acidité correspondait à 3 gr. 0 et 5 gr. 2 d'acide tartrique, dosée avec la phénol- phtaléine comme indicateur. Avec ces données, si on examine les chiffres de la cinquième colonne du tableau, on voit que l'acidité a augmenté considérablement avec les sels ammonacaux, tandis qu'elle a diminué, plus ou moins, avec les ni- trates. Il est évident que, pour assimiler l’ammoniaque, la plante a décom- posé le sel et mis l'acide en liberté; et, suivant la nature et la quantité de cet acide, la végétation était plus ou moins entravée. C'est pour cêtte raison quon a été conduit à réduire à 0,05 0/0 la quantité d'azote mise à la disposition de la plante, de façon à éviter une trop forte proportion d° acide mis en liberté. Avec la dose de 0,1 0/0, en effet, on a vu l'acidité s'élever à Plus de 6 grammes par litre pour le sulfate et le chlorhydrate, tandis que le poids de plante produite était plus faible (2 gr. 5 au lieu de 2,8), bien que la quantité d’azote assimilé fût plus grande. Il restait encore une forte proportion de sucre non utilisé, même après un contact prolongé du liquide avecla moisissure. Avec le phosphate d'’ammoniaque, à la dose de 0,1 0/0 d'azote, le dévelop- pement devenait presque impossible, car l'acidité initiale, due à ce sel, était voisine de celle qui arrête le développement de la plante lorsqu'elle le décompose. . L'augmentation de l'acidité se produit très rapidement au commence- ment de la végétation ; c'est donc à ce moment que l'assimilation de l'azote paraît être maximum, et l’on peut remarquer, d'après les résultats obtenus avec les sels ammoniacaux, que la quantité d'azote nécessaire pour faire développer un certain poids de plante n'est pas toujours la même. Si on laisse vieillir la plante dans le milieu qui lui a donné naissance, la réaction acide de ce milieu peut devenir alcaline, et, avec les nitrates à bases fixes, le liquide contient une quantité de carbonates alcalins assez grande pour donner une éffervescence manifeste avec les acides. Pour l’azote organique, certains chiffres de la 3° colonne sont assez supérieurs à celui du témoin; ils devraient subir tous une petite correction qui éliminerait l'influence de la matière azotée utilisée comme source de carbone. Mais pratiquement il est impossible de connaïîtge ce terme de correction (le poids de plante oblenu sur un milieu constitué par les éléments miné- raux et la matière azotée seule étant nul ou ne dépassant pas les erreurs d'expérience), sauf pour l’eau de levure qui con- tient des matières hydrocarbonées avec les matières azotées; aussi cette correction a-t-elle été faite dans ce cas seulement. Le rendement est plus élevé pour d'eau de levure que pour 6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. toutes les autres sources d’azote organique, peut-être parce que l'azote qu’elle contient, ayant déjà fait partie d’un protoplasma de constitution chimique analogue, est encore très apte à con- stituer celui de la plante. La résistance à l'assimilation augmente lentement et régu- lièrement, depuis la caséine qui convient le mieux, jusqu'aux albu- mines de l’œuf et du sang qui sent particulièrement difficiles à consommer par la moisissure ; elle n’établit pas de différences bien importantes entre certaines matières albuminoïdes et l’as- paragine ou l’urée qui se rapprochent plutôt des Sels ammonia- caux par leur composition chimique. La faiblesse du rendement obtenu avec la peptone est assez remarquable ; il semble en effet que la peptone aurait dû fournir l'azote plus rapidement que la fibrine. En somme, l’expéfience qui précède montre que l’Eurotiopsis peut emprunter l’azote à un assez grand nombre de sources mi- nérales et organiques, en donnant un rendement final au moins égal à celui que l’on obtient avec l’Aspergillus niger vivant sur son milieu type, dans les conditions indiquées par M. Raulin. Mais si on calcule le rendement moyen par jour de culture, on trouve que, de toutes ces sources azotées de la plante, le nitrate d’ammoniaque est celle qui donne le chiffre le plus élevé. LIT. — ALIMENTATION HYDROCARBONÉE. Dans l’étude de l'alimentation hydrocarbonée de l’Eurotiopsis, on constitue, avec chaque aliment, un milieu de culture dont on connaît déjà la composition minérale et azotée, et qui pré- sente, en général, les conditions physiques suivantes : On aura 800 c. c. de liquide formant une couche de 2 centi- mètres environ sur le fond d'un grand matras Duclaux, main- tenu à l’étuve à 30 ou 32°, le col du matras étant fermé par un bouchon portant un tube à entonnoir garni d’ouate, et un siphon permettant de faire des prises de liquide, ou bien de renouveler l'atmosphère intérieure par aspiration à l’aide de la trompe à eau. Les milieux de culture seront toujours stérilisés avant d’être ensemencés, et renfermeront en général unepropor- tion de 5 0/0 de l'aliment hydrocarboné. Amidon. — Avec cette proportion d’amidon, on obtient un EUROTIOPSIS GAYONT. 1 empois pre$que solide donnant naissance, après ensemen- cement, à une sorte de pellicule lisse sémblable à une mem- brane de parchemin qu'on aurait placée sur l’empois. La liqué- faction et la combustion de l’empois sont peu actives, ear 1l faut plus d’un mois pour faire disparaître à peu près complètement l’amidon. Cette forme du déveleppement de la plante est assez anor- male : elle indique un certain état de gène que l’on peut faire disparaître en diminuant de moilié l’acidité du milieu de culture. La végétation est alors beaucoup plus vigoureuse : elle comporte des tubes aériens formant un feutrage de plus en plus épais: L'empois est liquéfié et brûlé plus rapidement, mais, dans les deux cas, on ne constate la présence dans le liquide que de très petites quanlilés de sucre réducteur et de dextrine, 0,2 à 0,3 0/0 au maximum. Le pouvoir comburant est donc voisin du pouvoir saccharifiant. La saccharification est'due à une action diasta- sique, manifestable en dehors de la vie de la plante, avec son liquide de culture et son liquide cellulaire, dans les conditions suivantes : É lo A 75e. c. de liquide de culture, on a ajouté 25 c. c. d'empois d’amidon à 10 0/0 et 1 c. c. d'une solution alcoolique de thymol au 1/10. 20 A 10 gr. de la moisissure fraîche (correspondant à 2 gr. environ de matière sèche) triturés finement dans un*mortier avec du sable, on a ajouté 100 c. €. d'empois d'amidon à 4 0/0 et 1 c. c. de thymol. Deux mélanges identiques ont été chauffés à 1000 pour servir de témoins; le tout a été mis ensuite à l’étuve à 500 pendant 36 heures. L’analÿse des liquides a donné ensuite les résultats suivants : Rotation Glucose. . Dextrine. Rotation observée. 0/0 0/0 calculée. " - div, sacch. ci gr. div. sacch. lo Liquide de cullure... + 45 [572 0.33 AA) 2 Liquide cellulaire... + M5 82 50 LOUE "2150 3 L'action diastasique, très énergique dans ces deux cas, ne s’élait pas produite dans les témoins. Les résultats de l’ana- lyse ont été calculés dans l'hypothèse d’un mélange de glucose et de dextrine comme produits de la réaction, hypothèse qui est vérifiée par la concordance entre la rotation caleulée et la rota: üon: observée. - ) ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. M. Duclaux a montré que l'Aspergillus niger, arrivé à matu- rilé, peut utiliser l’amidon cru comme aliment; il le transforme d'abord en glucose qui est ensuite brülé avec formation intéri- maire d'acide oxalique, absolument comme l’amidon gélatineux. L'Eurotiopsis jouit de la même propriété, sauf la production d'acide oxalique que l’on ne retrouve dans aucun cas. Il est difficile de savoir s’il peut utiliser l’amidon cru au moment de la germination des spores, à cause de la difficulté de stériliser Je milieu en conservant intact le grain d'amidon. Dextrine. — Avec la dextrine, on a un milieu de culture liquide dans lequel on peut suivre avec facilité les transfor- mations de la matière hydrocarbonée pendant qu'elle est consommée par la plante. La végétation est très prospère: la couche de moisissure qui se forme est plus ou moins teintée de jaune orangé, ondulée, avec un aspect cotonneux qui tient à un feutrage épais d'organes de reproduction. LA des prises successives faites dans le liquide de culture a donné les chiffres suivants : Rotation Glucose. Dextrine. Rotation observée. 0/0 0/0 calculée. div. sacch. gr. gr. div. sacch. Liquide primitif........ + 405 traces. 5.30 106.0 ARCS Fe run rte Mr + 64 1.31 3.00 66.2 AE. MAS Pise + 38 2.90 447 31.40 DO ne UE nee Lis + {4 1.30 0.40 14.3 La provision de glucose formé est ici bien plus importante qu'avec l'empois d’amidon, et elle est évidemment le produit d’une action diastasique, qui s'exerce aussi bien sur l’empois d'amidon que sur la.dextrine dans les Conditions indiquées ci-dessus; le sucre formé est toujours du glucose. Maltose. — On admet généralement que le ne n’est assimilé par une cellule vivante qu’à la condition d’être préala- blement transformé en glucose à l’aide d’une diastase produite par cette cellule. Des expériences nombreuses ont été faites avec les liquides de l’organisme ; certains d’entre eux ontla propriété de dédoubler le maltose en glucose, propriété indiquée d’une façon très nette EUROTIOPSIS GAYONT. 9 pour le sañg et pour l'urine par M. Dubourg ‘. La même propriété, _reconnueauxcellules delAspergillus niger et du Penicillium glaucum par M. Bourquelot ?, paraît appartenir aussi à lalevure de bière, d'après les expériences de ce savant et celles plus récentes de M. Fischer *. . «+ Quand on alimente l'Eurotiopsis avec du maltose, et qu'on suit la disparition du sucre dans le liquide de culture, on trouve que le maltose est constamment seul depuis le commencement ‘jusque vers la fin de sa consommation. A ce moment, l'analyse parait indiquer qu'une petite proportion de glucose est mélangée au maltose. Ce résultat étant insuffisant pour démontrer que le maltose est dédoublé en glucose avant d’être assimilé par la plante, on a fait l'expérience suivante : On a pris deux cultures parallèles sur maltose, et on les a arrêtées la {re lorsqu'il restait encore le 1/3 de la proportion initiale du sucre, la 2e après sa disparition complète. On a cherché ensuite pour toutes les deux, toutes choses égales d’ailleurs, suivant la méthode employée précédemment, quelle était l'importance de l’action diastasique sur le maltose que pouvaient pro- duire le liquide de culture et le liquide cellulaire de la plante, On a obtenu les résultats suivants : : Maltose dédoublé 0/0 Wrliquiderde-culture- 2707 0.14 G DER RE TES liquide cellulaire." 27; 1.34 Éiquiderderculture. 27.0 1.22 Culture n° 2 } L EURE | Liquide-cellalaire”. : 2. 1.56 Le dédoublement a été presque nul dans le premier de ces liquides, tandis qu'il a été très important dans tous les autres. Il existe donc dans les cellules de la plante, depuis le début du dé- veloppement jusqu’à la fin, une diastase qui dédouble le maltose en glucose, et qui, dans les conditions de culture que l’on connait, ne se diffuse en quantité sensible dans le liquide nutritif que lorsque l'aliment hydrocarboné commence à faire défaut. Ce fait est tout à fait analogue à celui qui a été mis en lumière par 4. Recherches sur l’amylase de l'urine. (Thëse pour le doctorat és sciences, Paris, 1889.) 2. Remarques sur les ferments solubles sécrétés par lAspergillus niger et le Penicillium glaucum. (Société de biologie 1895.) ? 3. Einfluss des Configurations auf die Wirkung der Enzyme. (Ber d. d, chem Gesellschaft, XXNII, 1894.) 10 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. M. Fernbach! pour l’Aspergillus niger vivant sur le saécharose. La diffusion diastasique, qui n’a lieu qu’à partir d'un âge assez avancé de la plante, paraît être un phénomène de désassi- milation sur lequelnous reviendrons plus tard, et qui est influencé probablement par plusieurs causes, pour d'Eurotiopsis comme pour l’Aspergillus niger. . C'est peut-être à l’une de ces causes qu'il faut rapporter les résultats de l'expérience suivante, où nous allons voir qu’on peut constater, d’une façon très nette, le dédoublement du maltose dans leliquide de culture de l’Eurotiopsis. On a fait pousser la moisissure sur un liquide de culture renfermant un mélange de maltose et de glucose en proportions à peu près égales, contenu dans un matras plus petit que d’hahitude, où l'épaisseur de la couche de liquide était plus que doublée, et dans lequel on faisait arriver l'air en quan- tité plus ménagée que précédemment ; la température étant celle du labora- toire, de 20 à 250. Dans ces nouvelles conditions, la plante a mis deux fois plus de temps pour faire disparaître le sucre, et les prises succes- sives faites dans le liquide ont donné les résultats suivants : Maltose 0/0 Glucose 0/0 gr. or. Hide permit MERE Pr 3.80 3.01 LOPTOSS ARE CR UE CR 2.46 3.00 DOMÉSS AL RS EE er de 1.97 3.94 DATOSS AI AR PES nee M CRE 0.10 2.21 Le maltose semble donc disparaître plus vite que le glucose, et la quantité de ce dernier sucre qui existe dans le liquide à un moment donné, est supérieure à la quantité initiale introduite ; cela ne peut se produire que sile maltose est transformé en glu- cose. - Avec le maltose seul, dans les mêmes Conditions physiques, les résultats sont bien moins nets. Cultivée dans les conditions ordinaires sur le mélange de maltose et de glucose, la plante fait disparaitre les deux sucres parallèlement, ou bien le glucose est consommé plus vite, et le maltose disparaît ensuite comme s'il avait été seul. 1. Recherches sur la sucrase. (Thèse pour le doctorat ès sciences. Paris: 1890.) ra EUROTIOPSIS GAYONT. 1 En somme tous les résultats qui précèdent permettent de confirmer l’opinion généralement admise,, que le maltose n’est pas directement assimilable par un être vivant. Sucre interverti. — Le sucre interverti esten général un aliment de prédilection pour les moisissures, et nous avons déjà vu qu'il convient à l'Eurotiopsis. Cependant, les conditions physiques de la culture étant les mêmes que pour les aliments employés ci- dessus, la végétation n’est jamais bien prospère. Malgré une aéra- tion énergique, le sucre disparaît beaucoup plus par fermentation que par combustion TE comme.le montrent les résultats c1- dessous : DATES Sucre réduct. : Alcool en vol, Sucre fermenté. Sucre brülé. 0/0 0/0 0/0 0/0 or. À C.c. gr. gr. 29 mai... 4.80 0.0 0.00 0.00 30 — .;. 2.18 0.8 1528 0.74 4 juin... traces. 2.0 3.20 1.60 15 — ,., 0,00 150 » » Le sucre disparu par combustion complète n’est donc que le 1/3 du sucre total consommé; l'alcool produit disparaît à son tour lorsque le sucre fait défaut. Ici le rendement n’est envivon que le 1/3 du chiffre 35 0/0, obtenu dans les cultures où le liquide était étalé sous une épais- seur de quelques millimètres et maintenu à la température de 28° au maximum. Plus on s’écarte de ces conditions physiques, en augmentant l'épaisseur du liquide et principalement la tem- pérature, plus la plante tend à substituer la fermentation à la combustion complète du sucre, qui finit par devenirle phénomène accessoire, surtout si l’aération est insuffisante. À la température de 25° environ, mème avec une touche un peu épaisse de liquide, l'Eurotiopsis a peu de tendance à la fer- mentation, car le sucre peut disparaître rapidement sans que la quantité d'alcool produit dépasse 6,2 0/0. Dans ces nouvelles conditions, où le phénomène d’assimilation de l'aliment est simple, on peut chercher à savoir de quelle manière est attaqué le mélange de glucose et de lévulose constituant le sucre inter- verti. Dans une expérience où l’on a doublé la proportion ordi- naire de sucre pour mieux suivre l” action, les prises faites dans le liquide ont fourni les chiffres suivants : æ 12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Rotation Sucreréduct, Glucose. Lévulose. DATES observée. 0/0 0/0 0/0 div. sacch. gr. gr. gr. 16 Juillet. Liquide primitif, 19.0 10.00 4.96 5.04 Ne —. MO OSIRR LEE 16,0 Ted 2,30 3.18 20e A Te 14,9 4,35 AASIO 2.69 DT —" 3e = 6 RS 43.5 2,60 0.65 4195 à DONNE = Nes ie 44.0 4.40 0.07 1433 On voit que le glucose disparait plus vite que le lévulose ; l'Eurotiopsis est donc capable d'exercer une combustion élective du sucre interverti. Cette préférence pour le glucose est assez constante lorsqu'il y a combustion complète, mais nous verrons qu'elle peut devenir nulle ou changer de signe lorsque le sucre fermente en même temps. Glucose. — Le glucose seul a un peu moins de tendance à subir la fermentation alcoolique que le sucre interverti. Lévulose. — Avec le lévulose, la végétation est très vigou- reuse ; il disparaît par combustion complète et aussi rapidement que le sucre interverti; il n’y a que très peu d’alcool produit même dans le cas d'un manque relatif d'oxygène. Si l'on compare l’action, sur la végétation de l'Eurotiopsis, du elucose et dulévulose prisisolément, il semble que, lorsqu'ils sont mélangés dans le sucre interverti, la végétation doive bénéficier de l’influence du lévulose ; il n’en est rien, comme on l’a vu; ce mélange hétérogène exerce sur le développement de la plante une action propre. Saccharose. — Quand on stérilise le liquide Raulin par l’ébul- lition, on n'a plus alors du sucre cristallisable seul en solution, puisqu'il est interverti en partie par l’acide tartrique libre. Avec un liquide contenant 1 gr. 6 de sucre réducteur et 3 gr. 23 de sucre cristallisable pour 100 c. e., la végétation s’est produite tout d’abord dans des conditions normales. Des ilots assez vigoureux se sont formés en surface, avec tendance à la couvrir entièrement de mycélium. Pendant ce temps, le sucre réducteur diminuait et disparaissait; la quantité initiale de sucre cristallisable diminuait aussi, mais en quantité de plus en plus faible pendant un temps donné“ La vie de la plante semblait donc s’arrêter; et, en effet, la végétation restait à peu près stationnaire. La cause qui produisait l’interversion et facilitait l’assi- milation par la moisissure diminuait donc de plus en plus; elle EUROTIOPSIS GAYONI. 13 n'était autre que l'acidité du liquide, qui devient de plus en plus faible pendant que la plante vieillit dans le milieu où elle est née. Si on prend un liquide Raulin qui ne contient que la moitié de la quantité normale d’acide tartrique, il arrive un moment où cette acidité devient nulle, mais le sucre cristallisable n’en con- tinue pas moins à disparaitre très lentement; l’interversion se fait alors uniquement dans l’intérieur des cellules, grâce à l’aci- dité du protoplasma. En effet, bien que le liquide de culture soit neutre ou même légèrement alcalin, une infusion de la moisis- sure bien lavée est toujours acide; cette acidité parait provenir principalement de l’acide -succinique. Les expériences précédentes permettent de croire à une absence presque complète de production de sucrase par l’Ewro- liopsis, mais ne démontre pas ce fait d’une manière complète ; les suivantes permettent de mieux l’affirmer, Si dans.de l’eau de levure neutre on introduit du saccha- rose, on a un liquide qui peut être stérilisé et conservé long- temps à l’étuve sans que l’interversion du sucre soit sensible. Le développement du champignon semé dans ce liquide n'a pas dépassé celui qu'il a atteint dans l’eau de levure seule. Au bout de plusieurs mois qu'a duré l’expérience, on n’a obtenu qu'un peu de mycélium immergé ; le sucre est resté un corps inerte pour la plante qui n’a pu, comme dans les expériences précé- dentes, se procurer d’abord les moyens de l’intervertir en dehors d’une production de sucrase. Au bout de cette période de temps, assez longue pour rendre l’expérience concluante,.on a ajouté au liquide une solution de sucrase d’Aspergillus niger stérilisée à froid. Immédiatement après, la végétation a pris un développe- ment normal et tout le sucre a disparu par combustion et fer- mentation, après interversion par la diastase étrangère. On a fait une expérience analogue et on a obtenu des résultats iden- tiques avec un liquide artificiel contenant par litre : Sete Cris LA IISA ble 7. 2... 1.028 am STE 2 DOgr Datrnte d'MRONIAQUE ner Ses 2 Phésphale de polasses. 2H. sn ERA in 1 Sulfate de magnésie Il fallait tenir compte, dans la composition de ce dernier liquide, d’un fait déjà signalé et qui aurait pu induire en erreur. 14 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Si on avait remplacé le nitrate d’ammoniaque par un autre sel ammoniacal, tel quede sulfate, le chlorhydrate ou le tartrate, qui sont décomposés pour fournir l’azote à la plante, l’acide mis en liberté aurait pu jouer le rôle de sucrase. C’est ce qui ressort de l'expérience suivante où le liquide était le même que ci-dessus, sauf que le sulfate d’ammoniaque remplaçait le nitrate. La végétation très difficile au début prit, à un moment donné,* un développement assez rapide qui permit par la suite d'obtenir les résultals suivants : Sucreréduct. Sucre cristall. Acidité en SO#H2 DATES | : 0/0 p. litre. gr. gr. OT. DANS amer e traces. 4,50 traces. SE RER EE 3.00 1.00 1.00 DANS Eat AE 210 0:22 1.70 BATIR MPa 1.10 0.00 4:90 HAN RS te 0.60 0.00 < 41.96 On voit que la proportion d'acide mis en liberté était parfai- tement suffisante pour intervertir le sucre qui a été consommé par combustion et fermentation; il s’est produit 1,5 0/0 d'alcool. En remplaçant le sulfate par le tartrate d'ammoniaque, les résultats sont du même genre, mais avec des différences dépen- dant de la nature du sel employé et del’acide mis en liberté. En résumé, les expériences qui précèdent démontrentsuffisam- ment que ce n’est pas à la faveur d’une action diastasique que le saccharose devient assimilable pour l’Ewrotiopsis, mais qu'il peut èlre consommé lentement, gràce à sa facile interversion par l’aci- dité des liquides de culture ou simplement par celle du liquide cellulaire du champignon. On peut, d’ailleurs, vérifier directe- ment que ni le liquide de culture ni le liquide cellulaire ne peu- vent exercer une action diastasique sur le sucre de canne, en pro- cédant comme on l'a fait précédemment pour mettre en évidence une action de ce genre. Lactose. — Ensemencé sur le liquide Raulin au lactose dans les conditions physiques indiquées plus haut, l’Euwrotiopsis ne donne jamäis qu'un développement très faible. On n’obtient au bout d’un mois qu’un voile de mycélium immergé à la surface du liquide, avec quelques tubes aériens peu nombreux. Au bout de ce temps, on constate cependant la disparition de 5 grammes de sucre par litre, EUROTIOPSIS GAYONL. 15 En s’en tenant àte résultat, on serait presque en droit de con- sidérer le lactose comme ne‘pouvant servir au développement de la jeune plante; mais en employant un volume de liquide tel que l'épaisseur de la couche soit de quelques millimètres seulement, on constate que les germes se développent beaucoup plus facile- ment, Au bout d'un mois, on oblient une couche de moisissure assez vigoureuse, sous laquelle on peut introduire un liquide neuf, où l’on constate la disparition rapide du lactose pendant que le champignon se développe abondamment. On obtient le même résultat pour une plus grande épaisseur de liquide de culture, en employant, pour constituer ce liquide, au lieu d'eau pure, une infusion organique, telle que: eau de levure, bouillon Liebig, solution de peptone à 5 grammes par litre. 11 ne faudrait pas cependant attribuer à ces matières orga- niques un rôle plus important que celui qu'elles ont réellement, et croire, par exemple, qu’il consiste à fournir à la jeune plante des aliments plus faciles à utiliser que le lactose, et par suite à l’amener à un état de développement tel qu'elle puisse assimiler facilement.le sucre. On peut, en effet, sans cette addition, obtenir un développe- ment aussi rapide et une végétation plus prospère au début, en réduisant simplement l'acidité du liquide de culture de 25,3 à 1 gramme par litre. Dans ces conditions, la culture arrive à son maximum, etle sucre a complètement disparu dans un mois envi- ron, tandis que, dans les conditions précédentes, ce temps était entièrement*nécessaire pour que la plante commençât à exercer une combustion plus active “du lactose, après une période de vie très pénible. Si on relève, au contraire, l'acidité du liquide de culture, ou "si on remplace l’acide tartrique par l'acide sulfurique à la dose de 0,5 par litre seulement, le développement est insigniliant dans le premier cas, et les spores ne germent même pas dans le second. On voit, par conséquent, que l'assimilation plus où moins facile du lactose par l’Eurotiopsis est liée à l'acidité du milieu de culture ; d’ailleurs les changements dans les conditions physiques ou chimiques que nous venons de voir être favorables à une assi- milation plus facile, avaient tous pour résultat de faire diminuer l'acidité naturelle du liquide dans un temps plus ou moins court. 16 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR En effet, dans le cas de la culture en mince épañsseur, on constate qu'au moment où la consommation du sucre devient maximum, après une longue période de vie difficile pour la plante, l'acidité du liquide a baissé de plus d'un gramme par litre. On sait que cela tient à des phénomènes de désassimi- lation de l'aliment azoté qui prennent ici une importance très grande, vu la longueur du temps. En couche épaisse, par contre, l'acidité n'a baissé que de quelques décigrammes dans le même temps, et cela se comprend, car la végétation était plus difficile et le volume de liquide 4 fois plus grand (S00cc au lieu de 200). Comme le premier développement ne dépend que de la sur- face libre qui est la même, il aurait fallu, au minimum, #4 mois pour que l'acidité eût baissé de la même quantité. Dansle cas des matières organiques azotées ajoutées au lactose, l'acidité, du liquide baisse plus rapidement, parce qu'il se produit une quantité d'ammoniaque plus grande dans le même temps. Au cours de la combustion du lactose, on constate que le sucre qui reste dans le liquide de culture est toujours du lactose pur; par conséquent, ce sucre parait être consommé par l'Euro- tiopsis comme par l'Aspergillus niger adulte:, sans dédoublement préalable en glucose et galactose, au moins dans le liquide nutrilif*. Cependant, par analogie avec les autres saccharoses, on n’admet pas généralement qu'il soit directement assimilable, et récemment, M. Fischer (1. c.), à l’aide des moyens qu'il emploie pour caractériser les sucres, paraît avoir réussi à mon- trer ce dédoublement par une levure de lactose. On n’a pu, toutefois, jusqu’à présent, constater, par les moyens ordinaires, la transformation du lactose par une dias- tase correspondante, la lactase, produite par les champignons microscopiques. Je vais essayer de montrer qu’on peut y pat- venir avec l’Eurotiopsis. : 10 Après disparition complète du sucre dans une cullure disposée comme il a été dit plus haut, on a soutiré, par le siphon du vase de culture, une partie du liquide, pour le faire passer dans un matras Pasteur stérilisé, dans lequel on a ajouté ensuite une solution concentrée et stérilisée de lactose pur, de façon à avoir environ 2 0/0 de sucre. Puis on a introduit la moitié de ce mélange dans un second matras Pasteur que l'on a porté à l’ébullition pour servir de témoin. 4. Nutrition intracellulaire (Annales de l'Institut Pasteur, 889,1: mémoire). 2. L'emploi du polarimètre et de la liqueur de Fehling est d’ailleurs un moyen assez insuffisant pour constater la présence du lactose interverti dans une solution de lactose, en raison de ce fait que, dans l’interversion du lactose, le pouvoir rotatoire et le pouvoir réducteur augmentent en même temps ; à moins qu'on n'ait un liquide témoin ou læ rotation et la réduction n’ont pas varié. EUROTIOPSIS GAYONI. 17 2 La moisissure, triturée avec du sable, a été mise à digérer, pendant quelques heures, à une douce température, dans de l’eau thymolisée; puis, après filtration, le liquide a été additionné de 2 °/, de lactose et divisé en deux parties dont l’une, portée à 1000, servait de témoin. Ces quatre essais, maintenus à la température de 500 pendant 48 heu- res, sont resfés stériles et ont donné les résultats suivants: Rotation Réduction Lactose Lactose non - observée, glucose 0/0. interverti 0/0, interverti 0/0. div. sacc. er, , one or, Liquide No 1 de 1245 41,95 1.44 0.73 Fémointr sr. 11.0 1.56 G.00 2.28 ” Liquide NES RE 1279 2,02 2102 0.00 Témoin.r:... 10.0 1.49 0.00 2.07 Il est facile de voir que dans les liquides n° 4 et no 2, le lactose a éte dédoublé, “tandis qu'il est resté intact dans les témoins. Les résultats de l'analyse ont été parfaitement vérifiés par l'expérience suivante : . On a ensemencé avec une levure de vin pure, d'espèce unique et ne faisant pas fermenter le lactose, le reste des liquides analysés (pour les deux derniers of a d’abord chassé le thymol), stéré- lisés préalablement, et on les a mis à l’étuve à 30°. Une fermentation assez active s’est développée dans les matras n° 1 et n° 2, et au bout de trois jours, elle était terminée; le liquide s'était éclairei et contenait un dépôt assez abondant de levure, Dans les témoins, au contraire, la levure s'était à peine développée, il n’y en avait qu'un dépôt insignifiant; la rotation et la réduction n'avaient pas sensiblement varié, tandis : que les liquides n° 1 et n° 2 ont fourni les chiffres suivants : Rotation Réduction Lactose Alcool. observée. glucose 0/0, restant 0,0, 0/0 div. sace. gr. gr. Ci à Liquide No 1. 3 0.46 0.67 0.7 Liquide No 2... 0 0.00 0.00 1,0 Par conséquent, les résultats précédents, complétés par ces derniers, établissent, sans aucun doute que le liquide de culture et le liquide cellulaire de l’Eurotiopsis sont capables d'exercer une action diastasique sur le lactose, le dédeublant en glucose et galactose, action sans laquelle ce saccharose ne saurait être assimilé par la plante. 19 18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. L'influence de l'acidité sur cette action diastasique apparaît dans les résultats suivants, obtenus en faisant agir, avec des doses d’acide tartrique variables, le même volume du liquide de culture employé ci-dessus sur des quantités égales de lactose, pendant 48 heures à 50°, Acide tartrique, par litre..... Osr,00 Osr,50 Ogsr,75 1sr,00 2sr,00 Lactose dédoublé p. 100 ce. c. traces.. 0,65 1,44 O0 , 81 0,00 D'après ces chiffres, la réaction est favorisée par ure cer- taine dose d’acide, voisine de 0:75, au-dessous et au-dessus de laquelle la transformation du lactose décroît très rapidement. L'influence de l'acidité se fait donc sentir d’une manière toute différente et absolument inverse dans l'assimilation du saccharose et du lactose par l'Eurotiopsis. Tandis que le premier n’est assimilé que grâce à la présence de l'acide, le second, au contraire, n’est assimilé qu’à la faveur d’une action diastasique qui est très sensible aux variations de l'acidité. Quand l’accrois- sement de la moisissure était très faible, c’est que l'acidité était trop-élevée, qu’elle paralysait presqte complètement l’action diastasique de la plante et rendait par suite l'assimilation du sucre très difficile; aussi, en diminuant l’acidité, a-t-on vu ia végétation devenir plus intense. On voit par l'étude des propriétés de l’Eurotiopsis vis-à-vis de ces deux derniers saccharoses, combien il faut être prudent avant de conclure qu’un sucre, qui n’esl pas directement assi- milable, est ou n’est pas un aliment pour une cellule vivante déterminée, et par suite que la cellule exerce ou n’exerce pas une action diastasique sur cet aliment. Lactose interverti. — Le mélange du glucose et de galactose qui constitue cette matière sucrée, convient parfaitement à la vie de l’Eurotiopsis, car il fournit une végétation très vigou- reuse. L'analyse des prises successives faites dans le liquide de culture montre que la rotation et la réduction correspondent loujours très sensiblement à du lactose interverti ; il n'y a donc pas de préférence bien nette pour l’un des termes du mélange, et par suite pas de combustion élective. Il n’y a pas non plus de tendance à la fermentation alcoolique aussi prononcée qu'avec le glucose seul, si la plante à une quantité d'air suffisante à sa disposition. EUROTIJOPSIS GAYONI. 19 Galactose. — Employé seul, ce sucre paraît èlre un peu plus résistant que le mélange précédent, surtout pour le mycélium provenant des conidies. Si on ensemence des périthèces seuls, la végétation 6st plus actiye. Tréhalose. — L'Eurotiopsis se développe bien aux dépens du tréhalose, surtout si on diminue un peu l'acidité ordinaire du milieu nutritif. Au cours de ce développement, on constata une production de sucre réducteur, indice d’une propriété dias- tasique. , ” En effet, le liquide de culture et le liquide cellulaire de la moisissure sont capables de provoquer le dédoublement du tré- halose en, glucose ; il y a donc production de tréhaluse, et Île tréhalose n’est pas directement consommé par la plante. Glucosides. —Les glucosides étudiés ont été l’amygdaline, la coniférine et la salicine. L’Æurotiopsis pousse presque aussi bien avec les deux premiers qu'avec le, glucose: le troisième n’est consommé que par le champignon adulte. La coniférine, qui est peu soluble à la température ordinaire, cristallise par refroi- dissement après stérilisation duæliquide de culture ; pendant le développement de la moisissure, elle est redissoute très rapide- ment, et l’on constate une production assezabondante de glucose, Ce sucre est produit aussi, mais en plus petite quantité, avec Les deux autres glucosides. Les autres produits du dédoublement de ces corps paraissent brûlés en mème temps que le glucose. On réussit à montrer dans les trois cas que le dédoublement est le fait d’une action diastasique, analogue à celle que produit l'émulsine ou synaptase, diastase des amandes amères. Alcools. — C’est principalement dans. son action sur ses matières hydrocarbonées que l’Eurotiopsis se ‘distingue des autres moisissures de sa famille. Les alcools sont ene général des-corps impropres à constituer de jeunes tissus, mais, pour l’'Eurotiopsis, il y a de nombreuses exceptions, comme nous allons le voir. . Alcool éthylique. — C’est l'alcool que nous avons vu se pro- duire aux dépens des sucres dans certaines conditions d’exis- tence de la moisissure ; il sert ensuite à son entrelien et à son accroissement ; il peutaussi servir au développement des spores quand sa proportion n'est pas trop élevée. Dans le mieu minéral du liquide Raulin contenant # à 5 0/0 &* 20 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. d'alcool, les spores surnageantes donnent de petits îlots parfai- tement circulaires qui s’élargissent en rayonnant, tandis que les spores noyées donnent un mycélium immergé qui finit par garnir les vides de la surface du liquide. La couche très ‘abondante de moisissure, qui se produit ainsi, est toujours très irrégulière; au centre des îlots primitifs le thalle est très dense et l’épaisseur souvent considérable, car elle peut dépasser un centimètre. L'alcool disparaît sous forme de matière organique, d’eau et d'acide carbonique, sans aucun produit intermédiaire tel que l'acide acétique ou lacide oxalique, et avec une rapidité com- parable à celle des sucres, lorsque la végétation a franchi la période du début, où la résistance de l’aliment est plus grande. Chose singulière, 1l paraît être brülé beaucoup plus facilement lorsqueda moisissure s’est développée dans ces dernières con- ditions que lorsqu'elle a produit elle-même l'alcool, avec le sucre interverli par exemple; cela doit tenir*probablement à une différence d'organisation. À part les ferments spéciaux de l'alcool, qui sont, d’ailleurs, à un degré bien inférieur de Péchelle des êtres vivañts, l'Eurotiopsis est, je crois, le seul exemple que l’oh connaisse pour lequel l'alcool, qui est un aliment très ré- sistant pour toutes les cellules jeunes, est assimilé au moment de la germination des spores. k M. Duclaux a montré que si l'alcool est funeste à l’Aspergillus niger en voie de germination, la plante adulte en supporte 6 à 8 0/0 et le brûle. Avec l’Eurotiopsis on peut aller jusqu’à 10 0/0, et même, si on submerge la moisissure"dans un liquide qui en contient 8 0/0, elle continue à pousser en émettant des tubes aériens, et à s’en nourrir. . Autres alcools monoatomiques. — Parmi les autres alcools, l'alcool méthylique bien pur permet seul un développement des spores et disparaît très lentement. Les alcools ,propylique, butylique, amylique ne donnent rien, même en petite propor- tion, mais n’ont pas d'action toxique sur les spores ensemencées. Ces alcools sont tous brülés en petite quantité par une moi- sissure adulte. Glycérine. — La glycérine est un aliment un peu inférieur à l'alcool vinique; la végétation est moins rapide au début, surtout si les périthèces sont en petit nombre, et le thalle formé par la suitesparaît moins vigoureux. La combustion de la EUROTIOPSIS GAYONI, 21 glycérine ne s'accompagne d'aucun corps intermédiaire, Mannite.— La mannite est tout à fait comparable au lévu- lose pour la rapidité du développement du jeune champignon et pour l'intensité de la végétation. La couche de moisissure est épaisse, d'aspect moelleux et de couleur rosée. La mannite parait directement assimilable par lEurotiopsis; absolument comme pour l'Aspergillus niger et le Penicillium glaucum à l'état adulte; le pouvoir rotatoire du liquide de culture ne change pas, et on n’y trouve que de la mannite pendant toute la durée de la combustion, qui peut fournir un peu d'acide oxalique comme produit intermédiaire'. Avec l'Eurotiopsis, cet acide ne se forme jamais. “Autres alcools polyatomiques. — Les essais, qui n’ont êté faits que sur de petiles quantités, vu la rareté de ces produits, ont montré que le glycol paraît tenir le milieu entre l'alcool ordi- naire et la glycérine ; l’érythrite se place plus près de la glycé- rine, tandis que la duleite et l'isodulcite sont totalement impro- pres au développement de la plante. Acides organiques. — Ensemencées sur le liquide Raulin sans sucre, les spores de l’Eurotiopsis germent à la faveur des ré- serves qu'elles contiennent, mais il n’y a pas d’accroissement possible pour la petite touffe de mycélium. La plante adulte ne consomme pas davantage l'acide tartrique. Avec l’acide citrique, on obtient le même résultat. L’acide oxalique est brülé par la plante adulte seulement, et encore difficilement. A la proportion de 5°/,, l'acide lactique et l'acide succinique permettent parfaitement la germination des Spores, qui forment des îlots au début comme avec l'alcool. La couche de moisissure devient assez vigoureuse, et fait disparaître l'acide rapidement. Dans une expérience sur l’acide lactique inactif, où l’on a arrêté l’action lors que les 4/5 de la quantité initiale avaient été brûlés, on a recônnu que celui qui restait était encore inactif sur la lumière polarisée ; par conséquent il n'avait pas été dédoublé en acides droit et gauche par la moisissure. L'acide malique ñe peut pas être employé à une dose aussi élevée que les deux précédents; la proportion maxima est de 2 0/0, et il ne fournit jamais qu'une végétation languissante. En * ce sens, il se rapproche beaucoup de l'acide tartrique, et l’on 1. M. Ducraux. Nutrition intra-cellulaire. L 99 5 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. voit que la plante éprouve des difficultés de plus en plus grandes pour assimiler la molécule d’acide à mesure qu’elle se com- plique. Parmi les principaux acides gras volatils, il n’y en a aucun qui permette la germination des spores, mais ils peuvent être consommés par un mycélium déjà développé si la proportion ne dépasse pas 1 0/0 pour l'acide formique, 2 0/0 pour les acides acétique et propionique, 0,8 0/0 pour Facide butyrique, et 0,5 0/0 seulement pour l'acide valérianique. A ces doses, ils exercent même une action marquée sur Ja plante. Avec la méthode de M. Duclaux' pour la détermination et le dosage des acides volatils, on peut savoir, dans le cas d’un mélange de deux acides, quel et celui qui est brûlé le premier. On a fait des mélanges à des doses supportables : 1° d'acide formique et d'acide acétique; 20 d'acide acétique et d'acide propionique; 3° d'acide propio- nique et d'acide butyrique: 4° d’acide butyrique et d’acide valé- rianique, et on les a mis en contact avec la moisissure jusqu'à ce que l’acidité füt réduite au 1/3 ou au 1/4. On a trouvé ainsi que la résistance des acides volatils à la combustion s'élève en même temps que leur poids moléculaire, comme pour les acides fixes. Gomme arabique. — La gomme arabique peut servir à la nutrition de la plante sadulte seulement; on a vu, pour une solution à 10 0/0, la rotation tomber de — 17° à — 13° au bout d'un mois environ, et on a constaté la formation de traces de sucre réducteur. Inuline. — L'inuline est exclue complètement de l’alimen- tauon de l'Eurotiopsis, qui ne peut exercer, à aucune période de son existence, l’action diastasique capable de transformer cet hydrate de carbone en lévulose, pour le rendre assimilable. Matières grasses. — On obtient la germination des spores de l'Euroliopsis et leur développement complet quand on les sème dans un milieu constitué par une solution minérale nutri- tive porlant à sa surface une couche d'huile ou de beurre filtré. Le corps gras subit une action énergique qui se traduit par une formation,abondante d'acide carbonique et un changement no- table de son état physique. Le beurre, de liquide qu’il était à la 1Hpéiure de l’étuve, devient solide et prend la consistance de la cire à la température ordinaire; l'huile finit par pouvoir se * 1. Recherches sur les vins (Ann. de Ch, et de Phys., 3 série t. IT, 1894). Li EUROTIOPSIS GAYONTE. } 23 figer à celte dernière température, en prenant l'aspect et la consistanæee du beurre figé après fusion. Le dosage des acides gras fixes dans l'huile et dans le beurre, avant et après l’action de#la moisissure, donne dans chaque cas des nombres très différents, indiqués ci-dessous : ACIDES GRAS FIXES — « Avant - Après 0/0 0/0 Beurre 25.158 See 89.50 96.50 , Hailé 6: 22ap Mrs) 47 06 96.25 IV. — VALEUR ALIMENTAIRE COMPARATIVE DE QUELQUES ALIMENTS HYDROCARBONÉS. Les aliments hydrocarbonés de l’Eurotiopsis élant conous, nous allons chercher, pour les plus importants d’entre eux, quelle est leur valeur alimentaire comparative pour cette plante, c’est-à-dire leur influence sur le rendement des récoltes. En faisant des cultures dans les conditions physiques et chi- miques reconnues les meilleures, on a obtenu les résultats con- signés dans le tableau suivant qui indique : 1° la durée de lacul- ture ; 2° le poids des récoltes séchées à 100°; 3° lerendementmoyen journalier de ces récoltes pour 100 gr. de l'aliment consommé. La semence était consliluée par des périthèces seulement, et le moment de la récolte était celui où il ne restait plus que des traces de l’aliment hydrocarboné dans le liquide de culture. RE DURÉE POLE RENDEMENT ALIMENTS HYDROCARBONES. de la culture moyen : ; des récoltes. 4 en jours. 0/0. Amidon 20 - Dextrine 20 Maltose Galactose Mannite Alcool MNCARARGE, RASE 2e PÉCR US Acide succinique RS Memélhetiquer..n 1. 22/06. 0.4 av Æ O2 Re RO O7 ES O0 > bn de] 9. D 3. 2° P] 3. a 2. 2 2 4. a LO RO = © bo RO . 24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. On voit que les chiffres de la deuxième colonne du tableau varient beaucoup plus que ceux de la troisième, par suite les rendements moyens journaliers établissent entre les différents aliments des différences beaucoup plus sensibles que celles qui ressortent des rendements bruts exprimés par les chiffres de la troisième colonne. Les rendements moyens les plus élevés et les plus con- stants sont fournis par les sucres directement assimilables, parmi lesquels le lactose interverti et le galactose sont un peu infé-" rieurs aux autres comme valeur alimentaire; au second rang se placent l'alcool, les sucres indirectement assimilables et les acides organiques; enfin, vient le groupe comprenant l’amidon, ladex- trine et la glycérine. Pour l’amidon et la dextrine, les rendements peuvent paraître anormaux, étant donnée la facilité assez grande avec laquelle ils sont saccharifiés par la plante. Mais on sait que leur constitution chimique est loin d’être homogène, qu'il y a amidon et amidon comme il y a dextrine et dextrine. Les parties les moins résistantes à l’action diastasique de la plante sont brülées les premières, landis que les plus réfractaires ne le sont qu'en dernier lieu et ne disparaissent que très lentement. La plante ne trouve donc plus à un moment donné que des aliments médio- cres; elle attaque alors ses réserves, formées au début, etles con- somme d'autant plus que les aliments convenables font plus vite défaut dans le liquide de culture. A la période d'accroissement du début à donc succédé une période d’autophagie et de désassi- milation plus ou moins importante. La glycérine présente à l’assimilation par la moisissure une résistance spécifique qui se traduit d’abord, comme on sait, par une gène du premier développement. A la température maximum de 280, on a trouvé un rendement moyen voisin de 6 0/0 avec le sucre interverti, tandis qu'actuellement, à la tempé- rature de 320, il atteint à peine 5 0/0; la différence ne peut s'expliquer que par une respiration plus active de la plante à cette dernière température. En somme le rendement de l’Eurotiopsis est peu différent de celui que l’on obtient avec l’Aspergillus niger dans les conditions indiquées par M. Raulin; mais le rendement de cette dernière plante peut être considérablement relevé si la culture est faite dans des conditions physiques analogues à celles qui ont été employées pour l'Eurotiopsis, c'est-à-dire avec 200 c. c. de liquide Raulin contenant 9r,5 de sucre candi, étalé en couche mince sur le fond EUROTIOPSIS GAYONTI. 25 d'un grand matras Duclaux dont l'ouverture est complètement libre à l'accès de l'air. La récolte, faite peu de temps après la disparition du sucre, au bout de trois jours environ, donne un poids de plante sèche égal à 42r,6, d'où un rendement moyen de 15,3 0/0, c'est-à-dire triple du rendement ordinaire. Si on compare maintenant ce dernier chiffre avec le meilleur rendement de l'Eurotiopsis qui est voisin de 6 0/0, on trouve‘que l'Aspergillus niger se développe environ 2,5 fois plus vite que l'Euwrotiopsis. En laissant de côté la question de temps employé à consom- mer un poids déterminé d’aliment, et ne considérant que le ren- dement final, on voit qu'avec l'Euroliopsis, nourri au moyen de l'alcool, le rendement est presque égal à celui que fournit l’As- pergillus niger dans des conditions analogues de culture, 44 au lieu de 46 0/0. De plus, si on prend trois types d'aliments qui ont donné des résultats bien tranchés, le glucose, l’alcool et l’acide succinique, il est facile de calculer la quantité d'oxygène nécessaire pour brûler complètement un poids déterminé de chacun d'eux, 10 grammes par exemple. On trouve 105,6 pour le glucose, 20 grammes pour l'alcool et 9%',5 pour l'acide succinique; et si on compare ces chiffres à ceux des poids desfrécoltes fournies par ces mêmes aliments, savoir : 2‘,9 pour le glucose, 4#,4 pour l'alcool et 2,5 pour l'acide succinique, la relation est évidente. Le poids de plante est d'autant plus élevé qu’il faut plus d’oxy- gène pour brûler entièrement uu poids égal des types d'aliments de constitution moléculaire homogène. V. — FONCTION DIASTASIGÈNE DE LA PLANTE. Nous avons constaté, en étudiant l’alimentation hydrocar- bonée de l’Eurotiopsis, que cette moisissure peutexercer les actions diastasiques nécessaires pour rendre assimilables l’amidon, la dextrine, le maltose, le lactose, le tréhalose et certains glucosides. En d’autres termes, et pour employer le langage courant, on peut dire que l’Euroliopsis produit de l’amylase, de la maltase, de la lactase, de la tréhalase et de l’émulsine. Il était intéressant de rechercher, pour tousles aliments avec lesquels on peut obtenir un développement important de la plante, quelles sont les diastases élaborées. Cette recherche a montré que, dans tous les cas, à la fin du développement, le liquide de LI à 26 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. : culture et les cellules de la moisissure paraissent contenir ces diverses diastases. En présence de ce fait, une autre question se posait alors naturellement : quelle ést l'influence de l'aliment sur la quantité des diverses diastases produites par la plante; autrement dit, quelle est, pour les diverses substances qui peuvent subir une action diastasique dé la partde l'Eurotiopsis, la quantité de matière transformée, toutes choses égales d’ailleurs, par la culture obtenue avec chaque aliment considéré ? Cette question est très vaste, si on admet que chaque diastase est une substance chimique possédant une individualité propre; aussi, sans abandonner encore complètement cette hypothèse, pour ne pas être entraîné trop loin, on considérera seulement l’action diastasique produite par l’amylase, parce qu’elle est la plus apte à mettre en relief les faits qui vont suivre. Pour apprécier, des quantités d’amylase, il fallait commencer par rechercher un procédé de dosage de son action; celui que j'ai employé, bien qu'il ne comporte pas la précision du procédé indiqué par M. Fernbach ‘ pour la sucrase, m’a cependant donné ici des résultats suffisants. Les meilleures conditions d’acidité et de température du . milieu étant connues et déterminées comme on le verra plus loin, on faisait agir sur 1#,5 d’amidon de blé, à l’état d’empois, des volumes de liquide diastasifère, ou des poids de moisissure fine- ment triturée tels, que la quantité d’amidon transformé en 48 heures fut environ les 2/3 de la quantité mise en expérience. Les essais ont été répétés avec toutes les cultures qui ont servi à constituer le tableau de la page 23, et l’on a trouvé ainsi que la quantité d’amylase produite par la moisissure ayant consommé un poids déterminé d’un aliment donné, dépend de la nature de cet aliment. Cependant la fonction est loin d’être simple, car elle com- * porte deux facteurs au moins, le poids ,de la plante, et l'état physiologique de son développement, le premier étant lui-même fonction du second. Il est facile de montrer l'influence de ce second facteur en recherchant, par la même méthode que ci-dessus, les quantités d’amylase produites, dans des cultures: parallèles sur le même 1. Recherches sur la sucrase. (Ces Annales, 1889.) EUROTIOPSIS GAYONLI. 27 aliment, à des époques successives de la vie de la plante. On treuve lesrésultats suivants avec la mannite, qui se prête très bien à cette expérience par ce qu'elle ne réduit pas la liqueur de Fehling. rê GLUGOSE PRODUIT PAR AGE POIDS GLUCOSE ER de la culture. de plante sèche. RS total. ; le liquide. les cellules. ù Jours. an cdictian tie d le augmente à mesure que l’aliment hydrocarboné diminue, pour atteindre un maximum non pas au moment où cet D nm vient d’être épuisé, mais bien quelque temps après : la quantité produite disparait ensuite plus lentement qu’elle n’a augmenté. Ce maximum ne corres- pond donc pas au maximum du poids des cellules ; il est plutôt en relation avec les phénomènes physiologiques de désassimi- lation qui entraînent la disparition des réserves de la plante sous l'influence de l’inanition. C’est sous cette influence encore que l’on observe le passage dans le liquide de culture d’une plus grande quantité de produits de désassimilation, auxquels parais- sent intimement liées les propriétés diastasiques de ce liquide. On a déjà vu, à propos de la nutrition au moyen du maltose, et les résultats ci-dessus le montrent encore, que la marche de la diffusion diastasique chez l’Eurotiopsis est analogue à celle qui a été indiquée par M. Fernbach chez l’Aspergillus niger. Mais pour ce dernier, le maximum de la production diastasique est atteint alors qu'il est arrivé au tiers seulement de son poids total. H y a done, avec l’Eurotiopsis, une différence qui peut tenir à ce que fa fonction diastasigène n’est pas la même pour les deux cham- pignons, et aussi à ce que l’Aspergillus niger étant un producteur de diastases beaucoup plus puissant que l’Eurotiopsis, il est plus difficile, avec le premier qu'avec le second, de meltre en relief de petites différences comme celles que nous venons de constater. RE 28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les variations de la fonction diastasigène de la plante ne sont pas particulières à l’amylase; c’est un fait général pour toutes les diastases que peut produire la moisissure, quelle que soit la nature de l’aliment consommé. Si on étudie maintenant l'influence de l'alimentation azotée sur la production d’amylase par l’Eurotiopsis, on trouve qu'il n'y a pas de différences bien sensibles lorsqu'il emprunte lazote aux diverses sources reconnues les meilleures pour son déve- loppement; les nitrates alcalins, par exemple, sont tout à fait comparables, à ce point de vue, aux matières albuminoïdes. Avec le sulfate ou le chlorhydrate d’ammoniaque, au contraire, la production d'amylase est presque nulle; peut-être est-elle détruite par les acides minéraux mis en liberté. VI. — ÉTUDE SPÉCIALE DE L'ACTION DIASTASIQUE DE LA PLANTE SUR L'AMIDON ET LE MALTOSE. So I. — Parmi toutes les actions diastasiques que peut exercer une culture d'Eurotiopsis, et dont le nombre est indépendant de l'aliment hydrocarboné, nous choisirons celles qui sont relatives à l’amidon et au maltose pour les étudier d’une façon spéciale. Il a été établiqueles produits de la saccharification de l’amidon sont de la dextrine et du glucose, et que le maltose subit le dédoublement ordinaire en glucose ; cette double propriété étant commune, comme on sait, à d’autres moisissures, telles que l’Aspergillus niger, le Penicillium glaucum, YAspergillus orizcæ. Pour expliquer la différence qui existe dans la saccharification de l’empois d'amidon par l’amylase du malt qui donne de la dextrine et du maltose, et la saccharification de l’empois par l’amylase des moisissures, on admet, dans ce dernier cas, que les liquides actifs contiennent un mélange de deux diastases, une amylase analogue à celle du malt, et une maltase. Cette dernière transformant le maltose en glucose au fur et à mesure de sa production, on ne peut saisir la présence du maltose à aucun moment de la réaction. M. Atkinson‘, en étudiant l’As- pergillus orizæ, a cru saisir la formation intermédiaire de mal- tose : mais ses résultats, manquant complètement de précision, ne fournissant aucune preuve, satisfaisante. ? 4, Arrixson. Sur la diastase du Küdji (Moniteur 'scientifique, t. XXIV, 1882) + » EUROTIOPSIS GAYONL., 2) Donc, jusqu'à présent, ces actions diastasiques ont été très peu étudiées; les idées plus ou moins admises qui ont cours sont basées principalement sur l'hypothèse de l’individualité des diastases. Je vais essayer de démontrer que la manière de voir la plus en rapport avec les faits consiste à admettre, au moins pour les trois moisissures que j'ai étudiées, l’Aspergilus niger, le Penicillium glaucum et V'Eurotiopsis Gayoni, la production d’une diastase unique capable de saccharifier l’amidon en donnant de la dextrine et du glucose, sans passer par le (erme intermédiaire maltose, et capable en même temps d’hydrolyser ce maltose, produit de d'action d’une diastase différente et unique en son genre, l'amylase du malt. En faisant agir des volumes égaux d'une même solution diastasifère, respectivement sur 2 grammes d’amidon à l’état d'empois ou de maltose, les conditions physiques et chimiques étant les mêmes dans les deux cas, on trouve, en répétant la mème série d'expériences avec les 3 moisissures, les résultats du tableau suivant : oo DURÉES ASPERGILLUS NIGER PENICILLIUM GLAUCUM —— — TER Amidon Maltose Amidon Maltose EUROTIOPSIS GAYONI A ———— Amidon Maltose en HEURES [saccharéfii| dédoublé |[saccharifié| dédoublé |saccharifié| déloublé Osr57 15120 0:59 0.68 1.34 0.70 1.02 0,93 . La quantité de maltose dédoublé pendant un certain temps de la réaction est donc toujours de beaucoup inférieure à la quan- tité d’amidon saccharilié. Il suit de là que l’on«devrait pouvoir saisir assez facilement la présence du maltose pendant la saccharification de l’empois, et, comme cela n’est possible dans aucune condition, il faut choisirentre les deux hypothèses sui- vantes : la mallase n’existe pas et l’on n’a qu’une seule dias- tase qui a éprouvé plus de difficulté à dédoubler le maltose qu’à saccharifier l’amidon ; ou bien cette maltase a éprouvé elle-même plus de difficulté pour dédoubler le maltose apporté en provision de l'extérieur, qu'elle n’en éprouve pour dédoubler le maltose, 30 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. en quelque sorte à l'étal naissant, qui résultait de l’action de Pamylase. Cette dernière hypothèse, quoique peu probable, : mérite cependant d’être contrôlée. On a fait pour cela l'expérience suivante qui comporte trois essais: On fait agir dans les mêmes conditions : 10 De l’extralt de malt sur de l'empois d'amidon à 2 0/0; 20 la même quantité d'extrait de malt, addi- tionnée d'un certain volume de liquide diastasifère d'Aspergillus niger, sur la même quantité d'empois d'amidon ; 30 le même volume de liquide dias- tasifère seul sur la même quantité d'empois d'amidon. ’ La quanlité d’extrait de malt et le volume du liquide diasta- sifère étant convenablement choisis, on a obtenu les résultats suivants à la température de 60°. NUMÉROS ROTATION RÉDUCTION MALTOSE GLUCOSE DEXTRINE des essais. saccharim. glucose 0/0. APRÈS 15 MINUTES or. 1.78 1.48 0.00 9 DE 95 APRÈS 30 MINUTES 1.08 118 1.39 199 1,08 0.00 APRÈS 60 MINUTES 1.26 ri traces 0,00 if 0.46 A l'examen de ces chiffres, on voit que si, dans le liquide n° 2, il y avait eu une maltase très active dédoublant le maltose à mesure qu’il prenait naissance, la quantité de glucose formée après quinze minutes devrait correspondre sensiblement au mal- tose produit par l’amylase du malt. Or il n’en est rien, cette quantité de glucose est même très inférieure à celle qu'a donnée” le liquide n°3, justement à cause de la résistance du maltose au dédoublement. Les chiffres obtenus au bout de 30 et 60 minutes montrent encore mieux cette résistance, car il se produit beau- coup moins de "glucose dans le n° 2 que dans le n° 3, EUROTIOPSIS GAYONI, 31 Avec le Penicillium glaucum, on obtient des résultats tout à fait analogues; mais, avec l’Eurotiopsis, on ne peut avoir un li- quide diastasifère aussi énergique qu'avec les plantes précé- dentes ; cependant les chiffres de l’expérience suivante, quoique différents, sont tont aussi probants que ceux de tout à l’heure. La proportion d’amidon a.été réduite à 1,5 0/0 dans tous les liquides, et, pour avoir une différence appréciable entre le n° 1 et le n° 2, on a prolongé la durée de la réaction pendant 2 heures. NUMÉROS ROTATION RÉDUCTION MALTOSE GLUCOSE DEXTRINE des essais. saccharim glucose 0/0. 0/0. | 0/0, La quantité de glucose formé dans le n° 2 est encore beau- * coup plus faible que dans le n° 3, alors qu’on aurait dû avoir l'inverse si la maltase avait existé. Par conséquent, la seconde hypothèse que nous avions faite n’est vérifiée dans aucun des trois cas, et la première parait. devoir subsister seule. , En somme, on est donc autorisé à voir daus l’action, sur lem- pois d’amidon et sur le maltose, des liquides diastasifères prove- nant de chacune des trois moisissures étudiées, le fait d’ure diastase unique, d'une amylase spéciale que je désignerai sous le nom d’amylomaltase, et dont on connaît le rôle chimique. II. — On peut se demander maintenant si les propriétés de l'amylomaltase de l’Aspergillus nigèr, du Penicillium glaucum et de l'Eurotiopsis Gayoni ne présentent pas certains caractères diffé- rentiels ? à { » Les liquides diastasifères employés avaient été obtenus en laissant séjourner, pendant un temps convenable, de l'eau distillée légèrement aci- + dulée par l’acidé tartrique et stérilisée, sous le thalle des moisissures obte- nues dans des cultures pures. Dans les expériences qui vont suivre, pour avoir des résultats autant que possible comparables entre eux dans les trois cas, on a déterminé par des essais préliminaires les conditions dans 32 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. lesquelles on devait se placer quant au rapport entre la quantité de liquide diastasifère et la quantité d'amidon ou de maltose, et quant à la durée de la réaction. Examinons d’abord, de plus près*qu’on ne l’a fait jusquà présent, l'allure de la transformation de l’empois d’amidon pour les trois liquides diastasifères. On les a faitagir sur de l’empois à 2 0/0 dans les meilleures conditions d’acidité et de tempéra- ture déterminées plus loin, et l’on a fait des prises successives dans chaque liquide à des temps de plus en plus éloignés du commencement de l’action. PROVENANCE DURÉE ROTATION GLUCOSE DEXTRINE des liquides diostasifères. en heures F saccharim. 0/0. 0/0. gr or. | 12 APS 153 0.56 Aspergillus niger....... 48 14.0 4.61 0.51 l 96 14.0 1,66 0.30 | \ 42 1225 AA 0,31 Penicillium glaucum.... 48 12.0 1.61 0.21 ( 96 12.0 1.72 0.18 F ( 42 7.0 0.80 0.16 Eurotiopsis Gayoni ..... LS 9.0 1.61 0.06 | 96 9.3 1.92 0.00 Pour l’Aspergillus niger et le Penicillium glaucum, le pouvoir rotatoire du liquide, après avoir atteint un maximum au bout d’un certain temps de la réaction, décroît ensuite lentement. Pour l'Eurotiopsis Gayoni, au contraire, le maximum n’a lieu que lorsque la saccharification est terminée. On voit aussi que le rapport entre le glucose et la dextrine est variable dans les trois cas pour une même quantité de glucose produite. Par consé- quent, bien que l’action diastasique conserve une allure géné- rale qui est la même pour les trois moisissures, elle présente des particularités dépendant de l’origine de l’amylomaltase. Avec le maltose qui est un corps homogène, le dédoublement ne présente pas de différences sensibles dans les trois cas ; c’est ce qu'indique suffisamment le tableau de la page 29. L'étude de l'influence de quelques agents physiques et chi- miques sur les propriétés de l’amylomaltase, va montrer qu'il existe d’autres différences entre les trois liquides diastasifères. EUROTIOPSIS GAYONI. 33 Influence de lu température. — Les expériences ont élé faites . entre 35° et 70° avec une différence de 5° entre chaque essai ; et l’on a vu que : 1° la température optima de l’action diffère pour chaque moisissure ; elle est de 60° pour l’Aspergillus niger, de 45° pour le Penicillium glaucum, et de 50° pour lPEurotiopsis Gayoni; 2° la température oplima est la même pour l’amidon et le maltose. On a complété ces résultats en déterminant le point où les liquides diastasifères perdent complètement leurs propriétés diastasiques. [l est voisin de 70° au maximum pour le Penicillium glaucum. et de 75° pour l'Eurotiopsis, tandis que pour l’Aspergillus niger le liquide diastasifère, porté à cette dernière température pendant une minute, puis ramené ensuite à 60°, peut agir encore sur l'empois d’amidon, et beaucoup moins sur le maltose. Toute activité est définitivement détruite à 80° au plus. Influence de l'acidité. — L'ivfluence de l'acidité due à l’acide tartrique se résume par les propositions suivantes : 1° pour des quantités faibles d'amylomaltase, la dose maximum d'acide tar- trique que peut supporter son action pour être favorisée sans ètre gènée est de 0:",5 par litre dans les trois cas; 2° l’action sur l’amidon el sur le maltose est influencée exactement de la même manière ; 3° pour l’Eurotiopsis, celte action, en liquide neutre, paraît être beaucoup plus faible que pour les deux autres moi- sissures. Influence de la nature de l'acide. — Certains acides organi- ques, tels que l’acide acélique ou l’acide succinique, favorisent un peu plus que l'acide tartrique l’action diastasique de l’amylo- maltase, tandis que l’acide oxalique produit l'effet contraire ; les: différences sont légèrement accentuées pour l’Aspergillus niger et le Penicillium glaucum. Les acides minéraux sont supportés à des doses cinq fois plus faibles que les acides organiques ; l'acide nitrique est moins funeste que l’acide sulfurique, qui l’est lui- même moins que l'acide chlorhydrique. En résumé, on voit par cette élude sommaire, qu'à côté de caractères communs, il existe des divergences notables dans les propriétés de l’amylomaltase issue de chacune des trois moi- sissures considérées. On est donc autorisé à concevoir l'existence de trois amylomaltases de nature différente, de même que, d’après les recherches de M. Fernbach', on doit admettre que la 1. Recherches sur la sucrase (Annales de l’Institut Pasteur, 1890). 3 34 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sucrase de l’Aspergillus diffère de la sucrase des levures, entre lesquelles il y a encore des différences à ce point de vue. VII. — RÉSERVES HYDROCARBONÉES DE LA PLANTE. Chez la levure de bière l’existence d’une réserve hydrocar- bonée a été prouvée parles travaux de Pasteur, quil’a signalée pour la première fois, et par ceux de MM. Béchamp*, Nœgeli’, Schutzenberger et Destrem ‘. M. Errera * a affirmé le premier qu’elle était surtout constituée par du glycogène, et cela a été confirmé par M. Laurent. M. Bourquelot ‘ a trouvé, depuis, que les cellules de l’Aspergillus niger, comme celles de beaucoup d’autres champignons, peuvent contenir du tréhalose qui dispa- raît pendant la fructification. Chez l'Eurotiopsis, l'existence et la nature glycogénique de ses réserves hydrocarbonées, constituées aux dépens des divers hydrates de carbone étudiés précédemment, peuvent être faci- lement démontrées. Prenons une moisissure jeune, au moment où elle va achever d’'épuiser son liquide de culture, constitué de préférence avec un corps ne réduisant pas la liqueur de Fehling, tel que la mannite, la glycérine ou l'acide sueci- nique, et triturons-la dans un mortier avec du sable, de façon à former une pâte homogène. Cette pâte, traitée par l’eau bouillante, donne une infusion trouble, qui, déféquée au sous-acétate de plomb, est limpide, mais reste légè- rement opalescente. Le liquide, dans certains cas, réduit la liqueur de Febling d’une façon très nette, ce qui prouve qu'il y avait très probable- ment dans les cellules de la plante une, matière sucrée ; on y reviendra tout à l'heure. Ordinairement l’infusion de la moisissure ne réduit pas la liqueur de Fehling, mais, examinée au polarimèire, elle a tou- jours une-rotation droite ; dans un essai, j'ai trouvé + 4. 5 d. s. 4. Mémoire sur la fermentation alcoolique (Ann. de ch. et de phys., t. LXVINT, 1859). 2. Sur la cause de la fermentation alcoolique par la levure de bière (Compt. rend., t. LXXIV, 1872). 3. Sitzunsber. der X. Bayer. Akad. der Wiss., NIII, 1878 “ 4. Sur la composition de la levure de bière (Compt. rend. t. LXXX VIII, 1874). 5. L’Epiplasme des Ascomycètes et le glycogène des Végétaux. Bruxelles, 1882. 6. Ces Annales, 1889. 7. Sur l’époque de l’apparition du tréhalose dans les champignons (Jour. de pharm. et de ch., 5e série, t. XX VII). EUROTIOPSIS GAYONT. 39 Traité ensuite à l’ébullition pendant 5 minutes avec 2 0/0 d'HCI, ce liquide, ramené à son volume primitif, n'avait plus qu'une rotation de + 2 d.s. et contenait 0£",5 0/0 de sucre réducteur qui paraissait être du glucose. Parmi les corps quiavaient}pu fournir ce sucre, le plus facile à caractériser par ses réactions qualita; tives, c’est le glycogène ; le liquide d'infusion, en effet, prend une teinte rouge brun très foncée avec quelques gouttes d’une solu- tion diode, et la couleur disparaît à chaud pour reparaître à froid. Au lieu d'employer l'acide chlorhydrique pour transformer les corps de réserve en sucre réducteur, on peut utiliser l'action diastasique que peut produire le liquide cellulaire de la plante, en portant simplement à l’étuve à 50° la moisissure triturée, et délayée avec de l’eau thymolisée légèrement acidulée avec de l'acide tartrique. C’est ainsi que dans un cas, le liquide, après le séjour à l’étuve, avait une rotation de + 3 d. s. et une réduc- tion correspondant à 0,55 AU de glucose, L'action diastasique qui s'exerce ainsi sur la réserve hydro- carbonée de la plante est évidemment celle qui préside à la dispa- rition de la même réserve lorsque le liquide de culture est épuisé, mais les produits qu’elle engendre restent à l'intérieur des cellules ou sont utilisés à mesure qu'ils prennent naissance; aussi, pour la mettre en évidence, ila fallu diminuer la vitalité des cellules, ou l’éteindre complètement par la trituration ou la pré- sence d’un antiseptique. Lorsque l'air vient à manquer dans une culture florissante d'Eurotiopsis nourri avec des aliments, autres que les sucres, les réserves hydrocarbonées augmentent ; c’est dans ce cas que l'on peut trouver, à l’intérieur des cellules, un Sucre réducteur, lorsque le liquide de culture étant près d’être épuisé, la moisis- sure commence à attaquer ses réserves. » . Si on veut expliquer maintenant comment, malgré les pro priétés diastasiques du liquide cellulaire, la plante peut former des réserves hydrocarbonées et ne les utiliser qu'à un moment donné, il faut avoir recours à l'hypothèse généralement admise, que le protoplasma des cellules, chargées spécialement d'emma- gasiner ces matériaux de réserve, ne devient capable de pro- duire une action diastasique sur eux que dans certaines condi- tions physiologiques. 36 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. VIII. — DÉGÉNÉRESCENCE CELLULOSIQUE ET GRASSE DE LA PLANTE. Dans des conditions d'existence particulières, l'enveloppe extérieure et le protoplasma des cellules de l'Ewrotiopsis peuvent devenir le siège de phénomènes dont il va être question. Dans un but un peu différent de celui qui a été atteint, on avait constitué, en juillet 189%, un liquide de ‘culture avec de l'eau de levure acidulée par l'acide sulfurique à 2 grammes par litre, et contenant 4 0/0 d'alcool environ ; après stérilisation on l’avait ensemencé avec l’Eurotiopsis. Une végétation très pénible, surtout au début, s'était développée et avait progressé très lentement en faisant disparaître l'alcool. A trois ou quatre reprises, espacées d'une façon assez irrégulière, on avait renouvelé la provision d'alcool en soutirant le liquide de culture, l'additionnant de nouveau de 3 à 4 0/0 d'alcool et le faisant repasser ensuite, après stérilisation, sous la moisissure. Chaque fois la plante, flétrie par le manque d'aliments, reprenait un peu de vigueur et formait de nouveaux tissus. En décembre 1895, c’est-à-dire au bout d’un an et demi environ, la culture a été examinée et a donné des résultats qui, en partie du moins, n’ont pas encore été signalés. Le liquide, dont l'acidité n’avait pas sensiblement varié, était un peu visqueux, presque filant ; traité par une solution d’iode, il donnait une coloration d'un bleu franc, très intense, dispa- raissant à chaud pour reparaître à froid. La moisissure “était gélatineuse au toucher, les tubes mycéliens étaient comme entourés d'une gaine de matière visqueuse, colorable en bleu par l’iode et soluble dans Feau chaude. En traitant Le liquide de culture et l’infusion de la moisissure par l'alcool fort, on a obtenu un précipité blanc, d’aspect dextri- niforme, qui, lavé à l’alcool et séché, avait tout à fait l’aspect de la dextrine précipitée dans les mêmes conditions. Cette matière était colorable en bleu par l’iode, et soluble dans l’eau en don- nant une liqueur opalescente; elle ne réduisait pas la liqueur de. Fehling, mais était saccharifiable par les acides en donnant du glucose. La solution aqueuse indiquait assez nettement un pou- voir rotaloire droit, difficile à déterminer exactement, égal à 500 environ. , Cette matière paraît être un produit de régression de la cellulose de la moisissure, devenue soluble sous l’influence de EUROTIOPSIS GAYONT. 37 l'acide sulfurique du milieu de culture, et ce qui tend à le faire croire encore, c’est que celle cellulose soluble, maintenue quel- que temps à l’étuve à 100°, devient en grande partie insoluble. Pendant que se produisait celte régression, de l'enveloppe : tellulosique des cellules, ieur protoplasma. était le siège d’un phénomène analogue à la dégénérescence grasse de la levure étudiée par M. Duclaux'; mais ce dernier champignon était seul, jusqu'à présent, reconnu capable de la subir. Toutefois, il paraît se produire beaucoup plus rapidement chez l’Eurotiopsis que chez la levure, car dans l’espace de temps que j'ai indiqué, il s'était formé une proportion de matière grasse égale à 29,8 0/0 de moiï- sissure séchée à 100, tandis que pour la levure ce chiffre n’a été atteint qu'après un temps dix fois plus long. £ Cette proportion de 30 0/0 de matière grasse est bien supé- rieure à la quantité ordinaire, 4 0/0 au maximum, que renferme la plante nourrie avec du sucre interverti : cependant il faut admettre que, même dans les conditions de vie normale, ce der- nier chiffre n’est pas constant, car la moisissure développée sur l'alcool renferme une quantité double, soit 8 0/0, de matière grasse. . De sorte que, dans les conditions indiquées ci-dessus, où le champignon a consommé une quantité d'alcool environ quatre fois plus grande pour produire un poids de plante sensiblement le mème que dans la vie normale, la proportion exagérée de malière grasse que contenaient les cellules pouvait bien être due simplement à une accumulation d’un produit normal de la nutrition intra-cellulaire, au lieu d'être un produit pathologique. DEUXIÈME PARTIE Action de la plante sur les matières fermentescibles pendant la vie gênée. Nous avons vu précédemment que l'Euroliopsis, en con- sommant certains sucres fermentescibles, peut donner assez facilement de l’alcoo! dans les milieux où les autres moisissures 1. Nutrition intra-cellulaire (Ann. de l'Institut Pasteur, 1889, 2 mémoire). 38 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. n’en produisent jamais. Nous considérerons maintenant le cas où la moisissure est obligée de vivre avec la quantité minimum d'oxygène, et nous étudierons son action sur les diverses matières directement ou andirectement fermentescibles qui entrent dans son alimentation. , . Sucre interverti. — Lorsqu'on ensemence un matras Pasteur aux trois quarts plein d'un liquide nutritif contenant du sucre interverti, par exemple de l’eau de levure ou du bôuillon Liebig sucrés, du moût de raisin, etc., il se produit au fond du matras un mycélium immergé qui ne tarde pas à remplacer l'oxygène dissous par de l'acide carbonique, et qui, pour peu qu'on dé- range la fiole, est bientôt entrainé à la surface par de grosses bulles gazeuses. En agitant souventle matras, on arrive à main- tenir la moisissure à l’état de mycélium spumeux et gonflé de bulles d'acide carbonique, en tout Semblable à un mycélium de mucor cullivé dans les mêmes conditions. Il faut dire cependant que la végétation a toujours une ten- dance à devenir aérienne ; si on reste plusieurs jours sans agiter . le matras, on voitimmédiatement apparaître des tubes aériens formant une couche blanche à la surface du mycélium. La proportion d'alcool que l’on peut obtenir dans ces con- ditions est assez importante, puisqu'elle dépasse souvent 8 0/0, et correspond à 14 0/0 environ de sucre disparu au bout d’un temps variable, mais qui ne dépasse guère ün mois et demi; le pouvoir ferment, qui est le rapport du poids du sucre décomposé au poids de plante produite, varie alors de 20 à 30. Bien que l’action de l’Eurotiopsis sur le sucre soit comparable à celle des levures alcooliques, ce champignon ne peut en aucun cas produire la fermentation avec un manque aussi complet d’air que ces dernières. Ensemencé dans un liquide convenable dont la surface est couverte d'une couche d'huile pour empêcher les échanges gazeux avec l'atmosphère extérieure, le développement est presque nulet il n’y a pas de dégagement gazeux. Si la plante, développée au contact de l'air, est ensuite submergée, et que, pour empècher l'accès de l'air, on ferme le vase avec un tube de dégagement plongeant sous le mercure, dès que l'oxygène a disparu dans l'atmosphère emprisonnée, on ne voit plus se former de bulles d'acide carbonique autour du mycélium. Dans ces conditions d'existence, la plante ne trouve donc EUROTIOPSIS GAYONI. 39 pas, dans la décomposition du sucre, une somme d'énergie suffi- sante pour sa vie active, puisqu'il faut nécessairement une cer- taine quantité d'oxygène libre venant de l'extérieur. Pendant cette vie gènée, l’Eurotiopsis ne subit dans aucun cas un changement morphologique important analogue à celui que l’on connaît pour les mucors. En suivant, à l’aide du saccharimètre et de la liqueur de Fehling, la marche d’une fermentation de sucre interverti, on obtient les chiffres suivants : ROTATION GLUCOSE LÉVULOSE RÉ a DATES RAPPORT 5 saccharim.. 0/0. — a. 0/0, — b. 29 mai. Liquide primitif. 27 — Aer Essai 29 — derjuin. 3e 6 — L'examen de ces chiffres montre que le lévulose disparait plus vite que le glucose; il y a donc fermentation élective, et l'élection est l'inverse de celle que nous avons constatée pour la combustion du mème mélange sucré. Rien n’est plus contingent, en effet, que cette propriété élec- live qui varie avec la plus grande facilité suivant les conditions physiologiques du développement de la plante. Glucose et lévulose seuls. — On ne constate pas de différence bien sensible entre le glucose et le lévulose fermentant isolément et parallèlement. Lactose interverti. — Avec ce mélange sucré, onsa une fer- mentation un peu plus difficile qu’avec les sucres précédents ; elle s'arrête lorsque la proportion d'alcool atteint 4 à 5 0/0. En sui- vant le procès de cette fermentation, on trouve qu'il ne parait pas y avoir de préférence pour l’un des sucres, pas plus qu'iln y en a lorsqu'ils disparaissent par combustion complète, et cepen- dant l’un des sucres est plus résistant que l’autre. Galactose. — Le galactose seul, en effet, fermente bien plus difficilement que lorsqu'il est mélangé au glucose; la production d'alcool s’arrête à 2 ou 3 0/0, encore faut-il que la vie de la plante soit partiellement aérienne. 40 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Maltose. — Quand on veut faire fermenter le maltose par l’Eu- rotiopsis, il faut prendre une couche florissante de moisissures, remplacer le liquide épuisé par un liquide neuf, et agiter le vase de culture au moins une fois par jour pour mouiller la surface. extérieure de la couche de moisissure et la submerger le plus possible. Le sucre disparaît alors rapidement et presque uni- quement par fermentation. En matras Pasteur, la proportion d’alcool ne dépasse guère 1 à 2 0/0 avec un développement partiellement aérien. Comme dans la vie largement aérienne, la présence du glu- cose favorise considérablement le dédoublement du maltose, car un mélange des deux sucres à proportions égales fermente en entier comme s'il n’y avait que du glucose. La fermentation du maltose est encore facilitée par un mélange de dex- trine qui subit elle-même la fermentation après transformation en glucose. La dextrine seule fermente même beaucoup mieux que le maltose seul, en laissant cependant un résidu très difficile à attaquer; on peut obtenir une proportion d'alcool voisine de 5 0/0. Le moût de bière, constitué essentiel- lement par un mélange de maltose et de dextrine, fermente encore mieux que ce même mélange fait artificiellement, et la quantité d'alcool que l’on oblient est très supérieure à celle que donne la levure de bière, justement à cause de la fermentation de la dextrine. Ainsi, un moût de bière qui contenait 65 grammes de sucre réducteur calculé en maltose, et 96 grammes de glucose après saccharification par HCI, a donné, en fermentant avec l’Euroliopsis, 4,6 0/0 d'alcool, tandis qu'avec une levure basse, on en a obtenu 3,4 0/0 seulement !. Lactose. — Si on submerge sous une solution de lactose une couche florissante de moisissures développée sur ce sucre, on voit se produire, assez lentement, 2 à 3 0/0 d'alcool, sans qu’on puisse saisir un dédoublement du lactose. En matras Pasteur, la résistance de ce sucre à la fermentation est encore plus grande que celle du maltose. Il Les produits principaux de la fermentation alcoolique pro- duite par l'Eurotiopsis sont les mêmes que ceux fournis par les levures, c’est-à-dire l'alcool éthylique, l'acide carbonique, la 1. Résultats analogues à ceux obtenus par MM. Gayon et Dubourg avec le mucor alternans (Ann. de la science agronomique française et étrangère, t. 1, 1887). EUROTIOPSIS GAYONT. 41 glycérine et l'acide succinique. Quant aux quantités de chacun desces corps que l’on obtient, les moyennes d’un très grand nombre d'essais sont les suivantes pour 100 grammes de sucre interverti décomposé : MECS RASE RE PA PRE EL SAP ” - 46.4 FOUT CAL DODIQUE 01 A Die Re Ein In. 44.4 AIATE) SHCCHLIQUE NME LE SA re Me nes en ee 2-0 GyCELIE 2 ann CPR AN EE RACE 1.8 9%.9 Si on ajoute maintenant à ce total le poids de plante produite qui varie de 4 à 5 0/0, on voit que l'on approche très près du sucre décomposé. En comparant ces chiffres à ceux que Pasteur a obtenus avec la levure de bière, qui sont les suivants : NAN TR RES ee fe RENE PT ER ER 48.0 NemletcarbOnIqUeL Es mere QUE. ae ST 46.8 (ISERE M NE EN RER RE OR 3.2 ACTES CCE NS A Ne dsl ET UT 0.6 Céllulose et autres matières. ....1.::.....1::.. 122 100.4 On voit qu'il y a des différences notables: la quantité de sucre qui fournit l'acide carbonique et l'alcool est plus faible dans le premier cas que dans le second, tandis que celle qui donne la glycérine et l'acide succinique est à peiue plus impor- tante ; toutefois le rapport des poids respectifs de ces deux der- niers corps est très différent. Il y a donc une quantité plus grande de sucre employé à former de la matière organisée avec V’Eurotiopsis qu'avec la levure, comme l’indiquent les poids dif- férents des cellules vivantes produites. | + Ces différences prouvent encore une fois ce qui a été dit par Pasteur ‘, qué l'équation d'un phénomène chimique d'ordre vilal, comme la fermentation alcoolique, doit être essentielle- ment variable avec la nature de l'organisme qui le produit. | CONCLUSIONS Comme beaucoup de moisissures de sa famille, telles que l’Aspergillus miger ou le Penicillium glaucum, V'Eurotiopsis Gayoni 1. Etudes sur la bière, Paris, 4875. 42 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. La se cultive sur des milieux artificiels ; la composition minérale du liquide Raulin lui convient très bien, ainsi que sa composition azotée, laquelle s’est montrée supérieure à toutes les autres sources d'azote minéral ou organique qui cn été essayées. Sa nutrition hydrocarbonée, comparée à celle de l’Aspergillus niger qui est la mieux connue, présente des différences notables. Certäins corps, tels que l’alcool éthylique, la glycérine, la man- nite, le lactose, qui ne sont des aliments pour l'Aspergillus niger que lorsqu'il est arrivé à l’état adulte, sont parfaitement utilisés par l’Eurotiopsis au moment de la germination des spores. Par contre, le saccharose, qui convient particulièrement à l'Asper- gillus niger, et l’inuline, sont complètement exclus de l’alimen- tation de l’£Eurotiopsis. En étudiant la valeur alimentaire comparative des divers aliments de celte plante, on a vu que ce sont les sucres directe- ment assimilables qui fournissent, par jour, le rendement moyen maximum, un peu supérieur à celui que l’on obtient avec l’Asper- gillus niger cultivé dans les conditions indiquées par Raulin. Les aliments indirectement assimilables utilisés par l'Euro- liopsis ne sont consommés qu'après avoir subi une transforma- tion diastasique analogue à celles qu'ils subissent de la part des autres cellules vivantes susceptibles de se nourrir des mêmes aliments. La connaissance de ce fait important et des produits de ces transformations physiologiques est donc confirmée une fois de plus pour la plupart des aliments considérés; pour le lactose, son dédoublement préalable en glucose et galactose par une action diastasique qui le rend assimilable par une moisis- sure, se trouve démontré ici pour la première fois avec certitude. D'une manière générale, quel que soit l’aliment hydrocarboné qui lui a donné naissance, on peut manifester, en dehors de la vie de la plante, avec son liquide de culture ou son liquide cellu- laire, toutes les actions diastasiques qu’elle exerce en se dévelop- pant aux dépens de ses aliments hydrocarbonés indirectement assimilables. Ce qui est vrai pour l'Eurotiopsis s'applique très probablement de mème à beaucoup d’autres champignons infé- rieurs. Si l’on considère la grande variété des transformations dias- tasiques que les moisissures peuvent produire, il est bien diffi- cile d'admettre que la présence d’une substance spéciale, d’une 8 EUROTIOPSIS GAYONI. 43 diastase possédant une individualité propre, est la cause de chacune de ces transformations. Pour concilier cette hypothèse avec les faits déjà connus, d'abord ceux établis par M. Fernbach pour la sucrase et ceux que j'ai indiqués pour l’amylomallase, il faudrait qu'une même diastase présentàt une double physionomie : la première dépen- dant de‘la nature de l'aliment à transformer, la seconde dépen- dant de Ja variété de la plante qui la produit. Or, ce ne sont pas là les caractères d’un corps chimiquement défini. On ne s'explique pas bien non plus, dans cette hypothèse, qu'une mème transformation diastasique soit influencée d’une façon différente parles agents physiques ou chimiques, et qu’elle présente un caractère spécial à ce point de vue, pour chaque plante d’où elle dérive. Dans la nutrition hydrocarbonée de l'Eurotiopsis, comparée à celle de l’Aspergillus niger, on lrouve encore une différence assez importante. Avec ce dernier champignon, lorsque l'oxygène de Pair fait défaut, on voit apparaître l'acide oxalique ‘ comme preduit intérimaire de la combustion, tandis qu'avec l’Eurotiopsis on ne le retrouve jamais. Mais, dans ces conditions, la nutrition hydrocarbonée de celui-ci subit une déviation qui se traduit par la fermentation alcoolique du sucre. En exagérant les conditions où sa vie est gènée par la tempé- rature et le manque d'oxygène, la plante arrive à produire des quantités d'alcool supérieures à celles que l’on obtient avec les levures de mucor ou de certains saccharomyces, sans que sa constitution morphologique subisse une transformation impor- tante. à L'Eurotiopsis est donc un trait d'union plus parfait que les autres champignons connus entre les moisissures qui sont de purs agents de combustion et les levures dont le rôle principal est de produire la fermentation alcoolique du sucre. Le caractère ferment chez l'Eurotiopsis est d’ailleurs d’une élasticité remar- quable, car il peut varier facilement de 1 à 10. 1. M. Duclaux, Loc. cit. FIXATION DE L'AZOTE LIBRE PAR LE BACILLE DES NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES Pan M. MAZÉ (Travail du Laboratoire de chimie agricole à, l’Institut Pasteur.) La fixation de l'azote libre par les légumineuses portant des nodosités sur leurs racines n’est plus contestée nulle part: le point sur lequel les savants ne sont pas encore d'accord, c'est sur le mécanisme de celte fixation. L’explication serait bien simple si le bacille des nodosités était capable d'emprunter à l'atmosphère de l’azote gazeux. Mais toutes les tentatives faites pour démon- trer l'existence de cette propriété sont restées à peu près stériles. Elles n’ont abouti qu'à démontrer la fixation de quantités d'azote très minimes, dépassant de très peu, dans les cas les plus favo- rables, les limites des erreurs d'expérience. De sorte qu'en désespoir de cause on s’est arrêté à cette explication vague que la fixation d'azote résulte d’une symbiose de la plante et de la bactérie. Ce mot symbiose est un mot abstrait qu'on met à la place des notions concrètes que la science ne possède pas. S'il a par lui- même une signification, il ne peut vouloir dire autre chose que ceci : si on fournit à la bactérie, en quantité et en qualité, tout ce que la plante lui donne, cette bactérie devra se comporter en. cultures artificielles comme elle le fait sur la plante, et si c’est elle qui fixe l'azote, elle devra aussi fixer ce gaz dans un matras où on la cultive. C’est au moins à cette conception que m'a conduit la Revue critique que M. Duclaux a publiée dans ces Annales (1894, p. 728), et dâns laquelle il mettait en regard du travail négatif nécessaire pour l’organisation de l'azote gazeux, les travaux positifs fournis parcerlaines matières alimentaires que le microbe fixateur d'azote était obligé de consommer. Il n'y avait, pour mettre cette idée en œuvre, qu'à chercher, dans les documents MICROBES DES NODOSITÉS, 15 publiés, quels étaient les besoins alimentaires du bacille des nodosités. En réfléchissant à ce sujet, il m'a paru qu’on avait fait erreur au sujetde l'alimentation en azote de ce bacille. Sous prétexte qu'il est capable d’assimiler cet azote sur les racines de la plante, on ne le lui a d'ordinaire fourni qu’à l’état gazeux dans la cul- ture artificielle, ou encore à l’état de ne ammoniacaux ou d’asparagine. Pourquoi le contrarier lorsqu'on veut l’interroger sur ses fonctions physiologiques ? Dans la plante, il trouve une malière albumiuoïde toute faite dès l'origine, et il suffit qu'il puisse contribuer à l’augmenter. neue à ce point de vue, on pouvait essayer de le cultiver en présence d'une matière albuminoïde, de légumine de préférence, et de voir si le poids total d'azote combiné dans la culture estplus grand à la fin qu’au commencement. S'il fixe de l’azote, il doit, conformément aux résultats de M. Winogradsky, et aux idées développées par M. Duclaux, dé- truire de la matière hydrocarbonée. | Il est difficile de savoir celle que lui fournit la plante; mais on peut, dans les cultures artificielles, se contenter du saccharose, dont Frank, Laurent, Beyerinck ont constaté l’action bienfai- sante. Ils l’ont seulement employé un peu timidement, les premiers à la dose de 1 0/0, M. Beyerinck à la dose de 2 0/0 dans ses derniers essais. [l semble qu'on puisse augmenter ces doses,si la destruction d'une certaine quantité de sucre est la rançon de l’organisation d’une certaine quantité d’azote. * Enfin l'oxygène semble non moins nécessaire pendant la durée de la culture. La bactérie des nodosités en trouve constamment dans le sol, et sa forme rameuse, la forme ramifiée, aplatie, striée des nodosités semble attester ce besoin d'oxygène. Ceci conduisait à essayer des cultures en surface sur des mi- lieux solides, et j'ai par ce moyen obtenu en effet, comme on va le voir, en quatre jours, à la température de la chambre au mois de juillet, des cultures d'une richesse incomparable. L’é- paisseur du dépôt muqueux dans les tubes verticaux à gélose inclinée atteint 1,5 à 2 c. c. en 8 jours. Le bouillon dont je me suis servi provenait d’une infusion à 100° de haricots blancs pendant une demi-heure. J'évitais de pousser jusqu’à la cuisson, pour que la fécule ne se répandit pas 46 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. dans le liquide. Ce bouillon contenait ehñviron 5 dix- milièmes d'azote. On y ajoutait 2 0/0 de saccharose, 1 0/0 de chlorure de sodium et des 4races de bicarbonate de soude. 1 Le bouillon précédent, solidifié par l'addition de 150/0 de gélose, est réparti en couches très minces sur le fond plat de orands vases, de 20 à 22 cm. de diamètre. - L’épaisseur de la gélose varie de 0 à 4 millimètres, car le fond est généralement un peu convexe en dedans. Ces vases, bien connus des bactériologistes, sont munis d’un goulot verticalde 2 à 3 centimètres de diamètre, ayecétranglement; une petite tubulure latérale, horizontale, placée à 1 centimètre environau-dessus dufond, permetdefaire passersurles culturesun courant d'air continu; j’espérais par ce moyen parvenir à exalter lPactivité du microbe, en satisfaisant largement à ses besoins d'oxygène. Plusieurs vases, rendus solidaires les uns des autres par des tubes de caoutchouc, étaient placés sur un même courant d'air produit par un aspirateur d’une capacité de 11 litres. Il est bien évident qu'ilfallait prendre la précaution de purger cet air de toute trace d'azote combiné; dans .ce but, on lui fai- sait traverser: 1° Un tube de verre peu fusible, rempli de tournure de cuivre sur une longueur de 30 cm. à peu près, et modérément chauffé au-dessous du rouge sombre de façon à ne pas produire un appauvrissement sensible de l'air en oxygène; comme les nitrales se trouvent sous forme de poussières cristallines dans l’atmosphère, on en interceptait la plus grande partie par une longue bourre d'amiante placée en avant du cuivre; ° 20 Un tube à ponce sulfurique destiné à absorber Lammonia- que libre, qui est le composé azoté le plus important de l’atmo- sphère, surtout de celle des laboratoires où on fume et où il s’en forme constamment pendant la combustion du gaz; 3° Un barboteur à eau qui avait pour but de saturer l’air de vapeur d’eau, afin d'éviter la moindre évaporation dans les vases de culture. Le dernier de ces vases était en communication directe avec l'aspirateur. Celui-ci était réglé de facon à débiter 20 litres par 24 heures, sans compter le renouvellement plus rapide de l'atmosphère des cultures qui se pratiquait tous les matins, afin de la débarrasser des produits gazeux de la respiration * MICROBES DES NODOSITÉS. 47 accumulés pendant la dernière partie de la nuit, à la faveur d’une circulation troplente causée par une diminution de pression dans l’aspirateur: Cette précaution se justifiait également par l'absorption sensible d'oxygène provoquée par un contact trop prolongé de l'air avec le cuivre chauffé. Je dois noter aussi la façon dont je faisais l’ensemencement des vases, car il n’est pas facile de recouvrir une si grande sur- face de gélose d’une couche uniforme de germes si l on ne veut pas y AO AuTRe une quantité sensible d’eau; j'ai obtenu un résultat très satisfaisant à l’aide d'une pipette à étranglement munie d'une effilure aussi fine que possible, et dont l’extrémité était tordue en demi-tour de spire ; c'était en somme un petit pulvérisateur; la pression néceSsaire était fournie par une poire en caoutchouc; en imprimant à la pipette un mouvement de rotation, on recouvrait la surface de la gélose d’un nuage de gouttelettes liquides ; l’'ensemencement pouvait se faire de cette façon par,la tubulure horizontale, ce qui permettait d'éviter toute chance de contamination. Expérience I. — Le 2 juillet, trois vases ont été ensemencés ; le 4, la surface de la gélose était recouverte d'une couche régulière de microbes, à surface glacée caractéristique ; au bout de quatre jours, le mucus était déjà très abondant; le développement, à la température de la chambre oscillant entre 20 et 25°, se faisait très vite. Après dix jours, la surface de la gélose était recouverte d’une couche de mucosilé dont l'épaisseur était remarquable ; le cou- rant d’air semblait exercer sur le développement du bacille une influence très favorable. A partir du 12° jour, l'aspect ne change plus ; l'expérience est arrêtée le 47 juillet; elle avait duré 15 jours, la culture examinée au microscope se montre pure: le mucus est peu visqueux, mais d'une consistance épaisse ; les bâtonnets sont courts, gros, et se colorent difficilement, même par la fuchsine; les cultures ne montrent pas de jeunes bacilles bien colorés; les matières nutritives du milieu devaient ètre bien épuisées. Pour vérifiér la pureté des cultures, j'ai ensemencé quelques tubes de gélose afin d'examiner les organismes jeunes; trois jours après, ces tubes présentaient l'aspect caractéristique des cultures ; le microscope montrait des bâtonnets irréguliers, avec une extrémité légèrement renflée. . Ge vu 48 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les dosages de l’azote avant et après l’expérience ont été faits par le procédé Kjeldahl, la masse liquéfiée était aspirée dans des ampoules de verre à paroï très mince, tarées d'avance, d’une contenance de 7 à 8 €. e.; on les remplissait à 1/2 c. c: près, puis on en fermait les deux extrémités à la lampe: pesées à nouveau, on les introduisait dans les ballons où devait se faire lattaque par l'acide sulfurique; l'ampoule présentait toujours du côté du goulot la bulle d’air emprisonnée; on la brisait en appli- quant sur cette bulle l'extrémité d’un agitateur eñ verre, rougie à la flamme. Puis on évaporait à quelques gouttes au bain de sable, à une température inférieure à 100° ; Le petit volume de liquide restant élait reporté sur les parois du baMon par agitation, et s’évaporait presque en totalité pendant le refroidissement du ballon; l’at- taque se faisait ensprésence d’une goutte de mercure; l’acide sulfurique employé avait été vérifié par une opération à blanc. Voici les résultats fournis par l'analyse, pour la première expérience; ils ne sont pas l'expression d’une moyenne dé plusieurs analyses ; mais bien les chiffres de plusieurs opérations concordantes. Azote initial dans les trois vases.............. Gamer Azote final, frais SRE Mer Re 10209 CAINSD A ZONE CE CC A0mgrs Rapport de l’azote gagné à l'azote initial = 2/3 environ. Il eût été très intéressant de déterminer par l’analyse la quantité de sucre consommé; mais j'ai craint de saccharifier une partie de la gélose par Bron de, l'acide employé pour intervertir le saccharose; en supposant que tout le sucre a été transformé, soit 3 gr. 75, le rapport de l'azote gagné au sucre détruit est = — 0,013,à peu près. 907: Ce rapport évalué ainsi un peu prématurément nous servira plus loin, lorsque de nouvelles expériences nous permettrontde le considérer comme à peu près rigoureux, c’est-à-dire, lorsque nous nous serons convaincus que, dans la durée de l'expérience, tout le sucre introduit a été consommé. Expérience II. — Dans le cours de l'expérience précédente, je me suis demandé s’il ne.s’était pas produit une déperdition MICROBES DES NODOSITÉS. 19 d'azote sous forme d’ammoniaque entraînée par le courant d’air, Les cultures du bacille des légumineuses dans du bouillon de haricot exhalent une forte odeur, qui n’est pas sans analogie avec celle que dégagent les fromages à pâte molle (brie et ca- menbert). Je connaissais depuis longtemps cette odeur; mais, dans ces cultures en grande surface et à circuiation d'air, elle élait devenue tellement pénétrante que des doutes me vinrent sur sa nature, Y avait-il de l’'ammoniaque dans les gaz recueillis dans l’aspi- rateur? L'hypothèse n’a rien d’invraisemblable; un grand nombre de microbes aérobies transforment les matières albumi- noïdes en ammoniaque. Le bacille des légumineuses pouvait à la rigueur en faire tout autant. Cette observation exigeait l'interposition d’un barboteur à acide sulfurique entre le der- nier vase de culture et l’aspirateur. Une deuxième expérience fut donc mise en train avec cette seule modification, le 25 juillet; le 26, le développement est manifeste ; il marche activement, ‘comme dans la première expérience; la quantité de mucosité formée est également sur- prenante; le 9 août, on a mis fin à l'expérience, elle a duré 15 jours. L'analyse du liquide du barboteur n’a pas donné de traces d’ammoniaque ; ce résultat était d’ailleurs à prévoir, car l'odeur du gaz sortant de la culture n’était pas sensiblement modifiée par l'acide sulfurique; cette analyse a constitué en somme une vérification nouvelle des réactifs et des appareils. La quantité de gélose répartie dans deux vases était de 175 gr. 238; l’analyse a fourni : AATE nine INSEE AR ST Dr 70mgr7 AZ OLGA AE RE ne Re ie EE AASN 2 ATOTEUGAGNES MEN. RER 47mgr5 Azote initial 70,7 1. | Sucrerinitial. 2 3.504/%4. + 50 Azote gagné 41,5 45 ; as U —° = 5 —= 0,015 à peu près. Sucre consommé 3.904,7 A PES Azote gagné 41,5 2 FÉES VIT ON. Azote initial 101 3 Le rapport de l’azote initial au sucre consommé n'est vrai que sous la réserve indiquée précédemment. Cet inconvénient, 4 50 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. inhérent à la gélose, joint à celui qui résuite de l'emploi d’am- poules de verre pour effectuer les pesées, constituaient un défaut de méthode et une difficulté de manipulation qu'il fallait éviter. Les milieux liquides, seuls, peuvent permettre de les tourner, car il ne fallait pas songer à la gélatine. 2 Les milieux liquides, je l'ai dit, ne m’avaient pas fourni, dans mes essais avec des tubes ordinaires, des résultats compa- rables à ceux que j'avais obtenus avec de la gélose; le dépôt formé lentement au fond des tubes, dans un liquide dont l'épaisseur variait de 4 à 5 c.e., semblait inerte; on aurait ditun dépôt de matière amorphe ; cependant j'ai vu dans la suite qu'en prenant la précaution de ne jamais agiter les tubes, on obtient des résultats identiques à ceux que je vais exposer dans l'expérience suivanté. Pendant que la plus grande partie dés microbes tombe au fond des tubes, quelques-uns se maintiennent à la sur- face et se disposent en cercle contre la paroi, dans cette partie du liquide qui s’élève par capillarité le long du verre; ils s’y multiplient et forment peuà peu une membrane continue qui recouvre toute la surface du bouillon; il faut attendre au moins quinze jours pour obtenir cette membrane ; mais la plus petite secousse la submerge; elle se disloque et tombe peu à peu au fond, pour ne plus se reformer; lorsqu'elle se maintient à la surface, elle s’épaissit rapidement et forme une sorte de bou- chon à surface luisante, régulière ; le liquide sous-jacent devient visqueux, épais, peu coulani; il reste cependant hyalin, trans- parent; quelques rares flocons presque imperceptibles s'ÿ main- tiennent en suspension. D'où provient cette viscosité du liquide ? Évidemment d’une élaboration particulière au bacille des légu: mineuses,et non de l’action d’une diastase quelconque surlesucre du bouillon, car le liquide qui surnage le dépôt formé au fond des tubes dans les cultures dépourvues de membrane reste fluide ettrès coulant. On ne peut attribuer ces résultatst qu'à une aération plus ou moins parfaite. M. Laurent: du reste, avait déjà préconisé l'emploi de couches minces de liquide, 3 ou 4 millimètres tout au plus; il avait vu qu’en prenant cette précaution on favorisait le dévelop- pement du bacille. Mais pour se mettre à l’abri de l'azote com- biné de l'air, il recommande d’effiler les tubulures du récipient 4, Ces Annales, 1892. MICROBES DES NODOSITÉS. 51 de culture ; c'était une précaution nuisible, car dans ces condi- tions, l'aération se faisait mal ; mais cet inconvénient n'existait plus dans les expérieuces que j'allais tenter, car j'avais adopté la disposition qui m'avait déjà donné des résultats si encoura- geants: seul le barboteur à acide sulfurique, dont la présence était inutile, avait été supprimé. Expérience IL. — Le 7 août, deux vases reçoivent chacun 50 c.c. de bouillon de haricot additionné des substances sui- vantes : Dès le premier jour le liquide se trouble; puis le 2° et le 3° jour, il se forme un dépôt qui constitue bientôt une membrane, adhérant légèrement au fond; le 5° jour, la mucosité est telle- ment épaisse dans les parties les moins profondes du liquide, qu’elle forme un bourrelet visiblement plus élevé que le niveau du liquide ; ce bourrelet n’obéit pas aux mouvements imprimés au vase ; il gagne les parties les plus profondes qui se gélati- nisent peu à peu pour se figer à leur tour vers le 13° jour; le 15° jour toute la masse est presque solide: elle coule pénible- ment, lorsqu'on incline les vases ; son aspect, d’un blanc grisâtre, rappelle celui de la vaseline ; la surface est régulière, glacée. Le 23 août 1896, on met fin à l'expérience; la culture se diffuse facilement dans l’eau; aucune trace de membrane ne subsiste après une légère agitation. Les résultats de l’analyse pour les deux vases réunis sont les suivants : AZOLOANITIALRRE ARRET | RER Ur PE RER 29mgr 4 AzOte Dale rer er M RON ALES Te 415008 AZODEL GAGNÉ ER PI TION ER 23mgr Rapport de l'azote gagné à l'azote initial : 99 £ br 4 29 4 ’ an oi y D2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Rapport de l'azote initial au sucre initial : r Rapport de l’azote gagné au sucre initial. O Dans l’espace de 16 jours, tout le sucre avait été consommé ; nul doute que dans les cultures sur milieu solide, le même résul- tat était atteint lorsqu'on a mis fin à l'expérience ; nous pouvons done maintenant considérer les rapports établis comme tout à fait rigoureux. CONCLUSIONS Les résultats précédents réalisent d'un bout à l’autre les espérances que j'avais formulées a priori. Les bacilles des légu- mineuses placés dans un milieu convenable qui rappelle d'aussi près que possible les conditions naturelles qu'ils trouvent dans les nodosités, se développent d’une façon surprenante et rem- phssent leur fonction si importante de la fixation de l’azote libre de l'atmosphère. Le symbiose n'est plus nécessaire pour expliquer la fixation de l'azote libre de l'atmosphère par le microbe des nodosités; cetle propriété lui appartient en propre, indépendamment de l'influence exercée par la plante. Il ne nait point du concours de ces deux êtres une force nouvelle dont l’action est nécessaire pour faire entrer l’azote libre dans les composés organiques ou organisés, el l'hypothèse adoptée jusqu'ici pour expliquer le mécanisme de la symbiose, exposée avec tant de netteté par M. Duclaux (loc. cit.), reste entière et reçoit la consécration de l'expérience. La plante héberge unètre et lui fournit les hydra- tes de carbone el l’azote organique dont il se nourrit; il y puise en même temps l'énergie nécessaire pour fixer l’azote libre qu'il doit mettre, comme le dit M. Nobbe, sous une forme assimilable pour le végétal. Les insuccès auxquels on a été conduit jusqu'ici dans les nombreux essais que l’on à tentés dans cette voie, sont dus prin- MICROBES DES NODOSITÉS. D3 cipalement à un défaut de méthode et à une évaluation trop superlficielle de l'énergie nécessaire pour permettre au bacille des nodosités de faire entrer l'azote atmosphérique dans une combi- naison endothermique. Placer cet organisme dans un milieu privé d'azote combiné revient à l’obliger à se nourrir aux dé- de l’azote atmosphérique ; c’est lui demander un surcroît de tra- vail qu’il n’est pas capable de fournir. I! faut avant tout qu’il assure son existence et qu’il se multi- plie aux dépens d’une réserve toute préparée, tout comme la plante vit aux dépens des ressources accumulées dans les cotylé- dons en attendant qu'elle ait formé les organes qui lui permet- trons de prendre ses aliments dans lesol et dans l'air. Les jeunes cellules une fois formées, se paieront le luxe d’un travail facultatif, à condition qu’ellès trouvent dans les milieux de culiure un excès d’hydrate de carbone qui fournira de l’éner- gie pour faire la synthèse des composés quaternaires. On voit que la dose de sucre ne peut guère tomber au-des- sous de 2 0/0, car les expérimentateurs qui ont opéré avec des milieux renfermant 1 0/0 de sucre seulement, n’ont pas constaté d’enrichissement sensible en azote. L'accès facile de l’air exerce également une influence très favorable sur la fixation de l'azote, et cela se comprend, car la rapidité de la combustion du sucre est en relation avec la quan- tité d'oxygène fourni aux cultures. (est parce qu’il n’a pas rem- pli cette condition d'aération que M. Beyerinck n'a observé qu'une fixation trop faible pour être affirmatif. Nous reviendrons plus tard sur le rôle de l'air. Pour le moment, il nous reste à présenter quelques observa- tions sur les rapports que nous avons établis entre l’azote gagné elle sucre initial fourni aux cultures. Dans l'expérience If+ce rapport est un peu inférieur à 1 0/0; si les mêmes conditions étaient réalisées dans la plante, celle-ci devrait fournir au bacille un poids d’hydrate de carbone 100 fois plus grand que le poids de l'azote total qui fait partie de ses tissus à la fin de son développement ; autrement dit, la plante devra fournir au bacille 100 grammes d’amidon pour recevoir en échange 1 gramme d'azote: Une plante peut-elle suffire à ce travail ? Cette question reste sans réponse, en ce qui concerne les légumineuses; car nous D4 ANNALES DE LINSTITUT PASTEUR. n'avons aucun moyen d'évaluer l'énergie disparue, par la com- bustion des hydrates de carbone, qu’en tablant sur l’un des rap- ports que nous avons établis ; ce serait une façon bien grossière de trouver la quantité d'hydrate de carbone que la plante doit produire, etnon celle qu’elle peut produire. Mais nous pouvons procéder par comparaison avec la betterave à sucre, pour laquelle les éléments de notre rapport sont connus. Une bonne betterave à sucre renferme en moyenne 1,40 0/0 de matières azotées solu- bles et insolubles: et 14 0/0 de saccharose. On sait qu’on peut passer de l’azote total à la protéine brute en multipliant le chiffre fourni par l’analyse par le facteur 6,25. Faisons ici l'opération inverse ; elle est loin d’être rigoureuse ; mais nous opérons sur des moyennes ; nous obtenons ainsi pour l'azote total de la bet- terave 0,224 0/0. | Le rapport de l’azote total au sucre est donc: 0,224 D = 0.016 Ce chiffre est un peu supérieur à celui qui nous a été fourni par l’expérience II; mais il y a des betteraves dans lesquelles le sucre atteint 18 à 20 0/0 du poids de la racine. On voit donc que la betterave pourrait facilement emprunter son azote à l'atmosphère pendant sa seconde année si, comme dans les légumineuses, une cause étrangère venait transformer dans ce sens toute l’énergie qu'elle peut accumuler. Les légumineuses ne possèdent pas d'autre réserve d'hydrates de carbone que celle qui se trouve dans les graines; mais elles sont particulièrement riches en azote, et maintenant nous pou- vons affirmer qu’elles peuvent, aussibien que labetteravesucrière, emprunter aux radiations solaires l'énergie nécessaire pour fabri- quer, par l'intermédiaire des bacilles, toute la matière azotée qui entre dans leurs tissus : le rapport de la surface foliaire au poids total de la plante dans le trèfle ou la luzerne par exemple, est certainement tout aussi élevé que celui que fournit la bette- rave ; la durée de végétation des légumineuses est en outre plus longue que celle de la betterave: la température minima à laquelle cette végétation se manifeste est encore en faveur des lécumineuses. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU BACILLE TYPHIQUE Par MM, P. REMLINGER Er G. SCHNEIDER MÉDECINS AIDES-MAJORS (Travail du laboratoire de bactériologie du Val-de-Grâce). Le bacille typhique existe-t-il dans la nature, en dehors de l’homme malade et des produits qui en émanent? Cette question n’est pas dénuée d’intérêt au point de vue de l’étiologie générale de la fièvre typhoïde. | La dothiénentérie n’est assurément pas une maladie dont la cause parasitaire s’entretient uniquement par passages à travers l'organisme humain. Par son ubiquité, sa fréquence, sa perma- nence dans les centres urbains de tous les pays, et divers attributs épidémiologiques, elle se rapproche plutôt de certaines affec- tions, également ubiquitaires et communes (pneumonie, diphté- rie, etc.) dont le germe, sans doute dispersé dans les milieux ambiants, habite souvent l’une ou l’autre de nos cavités natu- relles. Aussi a-t-on pensé que l'agent de la fièvre typhoïde devait être plus répandu dans la nature qu'on ne le suppose d'habitude et que même, à l'instar du pneumocoque, du strepto- coque, du bacille diphtéritique, etc., il pouvait exister dans les cavités digestives de l’homme sain. Cette hypothèse, émise par le professeur Kelsch dans ses cours et ses écrits, développée dans son enseignement par le professeur Vaillard, leur a paru seule propre à interpréter d’une manière rationnelle l'ensemble des faits épidémiologiques. Il importait donc de la vérifier, car de sa confirmation peut dériver quelque éclaircissement sur les points encore obscurs de l’étiologie. Rechercher le bacille typhique dans les milieux extérieurs ou les cavités naturelles de l’homme sain était naguère une 96 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. x tâche malaisée, sinon vouée à un échec presque certain. La dif- ficulté principale résultait de la coexistence habituelle du bacille d'Eberth et du bacterium coli dans les matières examinées, et de l'impossibilité presque absolue de séparer ces deux microbes avec la technique et les milieux proposés. Cependant Lüsener ‘, en utilisant la gélatine additionnée de 3 à 5 dix-millièmes d'acide phénique, avait rencontré dans l’in- testin d’un porc, dans un échantillon de terre, dans les matières fécales d’un homme sain, enfin dans l’eau de son laboratoire, un bacille qu'il ne pouvait différencier du bacille typhique. En pré- sence de ces faits, il reconnaissait la nécessité d’une enquête plus générale et plus approfondie. Dans un récent mémoire *, Elsner à fait connaître un procédé simple et efficace pour l'isolement du bacile typhique des produits où il se trouve mélangé à des bactéries diverses, y compris le coli-bacille. Appliqué par son auteur et divers bacté- riologistes (Lazarus, Brieger, Chantemesse) à l'étude des selles des typhoïdiques, le procédé d’Elsner donnait des succès presque constants. Un progrès notable était dès lors réalisé. Munis de cette technique, nous avons, sur les conseils et sous la direction de M. le professeur Vaillard, entrepris de recher- cher l'existence du bacille typhique dans différents milieux extérieurs, les eaux, le sol et aussi Le tube digestif de sujets non atteints de fièvre typhoïde. Avant de mentionner les résultats obtenus, nous indiquerons sur quels fondements ils s'appuient. Il Le milieu d'Elsner se compose d'un mélange, en propor- tions définies, de macération de pomme de terre, de gélatine et d’iodure de potassium. Sa réaction doit être légèrement acide. D’après Elsner, le coli-bacille et le bacille d'Eberth s'y déve- loppent à l'exclusion des autres germes, avec des caractères très différents qui permettent de distinguer facilement leurs colonies respectives, Les colonies du bacille typhique sont petites, trans- 4. Lôsener. Arbeien aus der kaïserlichen Gesundheitsamte, 1895. 2, ELsner. Untersuchungen über electives Wachsthum der bacterium-Coli Arten und des Typhusbacillus und dessen diagnost. Verwerthbarkeit, Zeitschr. f. Hyg , 1896. Ù UBIQUITÉ DU BACILLE TYPHIQUE. DT parentes, à peine visibles, celles du bacterium coli sont au contraire plus grandes et opaques ; les premières n'apparaissent que vers le quatrième jour, les secondes, plus hâtives, dès le deuxième. Les qualités attribuées par Elsner à la gélatine iodurée ne sont pas aussi absolues qu'il l'estime dans son mémoire. Diver- ses bactéries autres que le B. coli et le bacille d'Eberth s’y déve- loppent et le liquéfient, comme l'ont déjà signalé MM. G. Roux, Rodet, et Grimbert. D'autre part, les caractères des colonies coli- bacillaires ou Eberthiques ne sont pas toujours aussi différen- ciés qu'Elsner l’a décrit. Certaines colonies punctiformes, trans- parentes, sont constituées par une variété de coli, voire même des coceus ; par contre, des colonies opaques peuvent offrir dans les cultures tous les caractères du bacille typhique. Elsner ‘ a düreconnaître, d’ailleurs, que son milieu n’avait aucune propriété spécifique pour la différenciation du bacterium coli et du bacille d'Eberth. Ces réserves faites, il n’en reste pas moins que l’em- ploi de la gélatine iodurée est un excellent moyen de recherche si, n'accordant à l'aspect macroscopique des colonies qu’une importance relative, on s'attache à étudier indistinctement toutes celles qui se développent à la surface d’une plaque, à l'exception, bien entendu, des espèces liquéfiantes : c’est en procédant de la sorte qu'on utilisera le mieux les avantages du procédé ?. De la diagnose du bacille typhique. — Dans l'imposibilité ac- tuelle de reproduire expérimentalement chez l'animal la fièvre typhoïde de l’homme, la diagnose du bacille typhique repose sur un ensemble de caractères dont la réunion est nécessaire pour conclure à une identification légitime. Lüsener, a basé son diagnostic sur les caractères suivants : 1° Aspect caractéristique des cultures sur gélatine. ; 2° Vive mobilité des bacilles et variations de forme dans des milieux de culture favorables : 1. Congrès de médecine interne de Berlin, 1896. 2. En raison de leur extrème petitesse, les colonies formées par le bacille typhique sont souvent difficiles à prélever pour les ensemencements. La prise en est facilitée par l'emploi d’une très petite curette métallique qui enlève le bloc de gélatine sur lequel reposela colonie choisie. Les colonies ainsi transportées dans le bouillon pour l'étude ultérieure donnent parfois naissance à des cultures mélangées. L'isolement des espèces est facile par un nouvel emploi du milieu d’Elsner. 58 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 3° Grand nombre de cils ; 4° Non coloration par le procédé de Gram ; 5° Culture, sans dégagement de gaz, dans des milieux ad- ditionnés de sucre de raisin, de lait ou de canne: 6° Culture dans le lait, sans coagulation ; 1° Absence d’indol dans les cultures ; 8° Réaction acide des cultures dans le petit-lait (le degré d’acidité ne doit pas dépasser 3 0/0 si l’on emploie la solution nor- male de soude à 1/10 ); J’Identité de développement sur une pomme de terre dont une des moitiés est ensemencée avec un bacille d'Eberth éprouvé, et l’autre avec le bacille étudié; 10° Culture tardive dans la solution normale de Maasse ‘ ad- ditionnée de glycérine; 11° Action pathogène. À ces caractères d'ordre courant, et que nous avons invaria- blement recherchés. il convient d’en ajouter d’autres : 1° l’inap- Utude à se développer sur un milieu de culture où le bacille typhique a déjà vécu (Chantemesse et Widal ?), 2 et surtont, le mode d’action du sérum des animaux immunisés contre le bacille typhique (action agglutinante sur les cultures, action préventive contre l'infection). Ï. ACTION AGGLUTINANTE DU SÉRUM. Les modifications que subissentles cultures du bacille d'Eherth lorsqu'on les additionne d’une petite quantité de sérum antity- phique, ont été données, depuis le travail de Gruber et Durham, comme un moyen de distinction de ce microbe ; leur importance a acquis plus de notoriété depuis que Widal a appliqué au dia- gnostic de la dothiénentérie les propriétés agglutinantes du sérum des sujets atteints de cette affection. : , Cette réaction de l’agglutination a été surtout recherchée au moyen du sérum d’un cheval immunisé contre le bacille typhique par M. le D'Chantemesse*. Chaque épreuve portait simultanément sur les cultures du 1. Asparagine, acide malique, chlorure de sodium, etc. 2. Archives de Physiologie, 1881. 3. Ce sérum, très actif, déterminait, à très faible dose, une agglutination rapide et remarquable des cultures du bacille typhique. UBIQUITÉ DU BABILLE TYPHIQUE. 59 bacille à étudier, celles d’un bacille d'Eberth authentique et du bacterium coli, toutes faites dans le même milieu et placées dans des conditions identiques. Ces différentes cultures étaient addi- tionnées d’une dose égale du même sérum : deux gouttes pour 6 à 8 ©. c. d'une culture de 2% heures. L’addition de sérum était faite soit dans une culture de quarante-huit heures, soit dans le bouillon avant l’ensemencement. Etaient seules considérées comme susceptibles d'identification avec le bacille typhique les cultures qui, présentant tous les autres caractères requis, réagis- saient exactement comme lui sous l'influence du sérum employé. En outre, du jour ou M. Widal' eut fait connaître l'action egglutinante du sérum des typhoïdiques, l'épreuve était simulta- nément faite, dans les conditions indiquées, avec le sérum d’un typhoïdique et le sérum provenant du cheval immunisé. Dans ce cas, il était constant de voir que les cultures étudiées réagis- saient d'une manière conforme : tantôt nettement agglutinées par les deux sérums, tantôt également indifférentes à l’un et à l’autre. Quelle valeur convient-il d'attribuer à cette épreuve? Diverses observations tendent à établir que des microbes diffé- rents peuvent être agglutinés par le même sérum. Max Gruber et Durham * signalent quele bacillus enteridis de Gærtner, microbe faisant fermenter la lactose, est agglutiné par un sérum typhique concentré; d’où cette conclusion que si les résultats négatifs de la réaction ont une valeur diagnostique réelle, il n’en est plus de mème des résultats positifs. D'après Rodet”, le sérum antityphi- que agglutine les cultures du coli-bacille. Petruschky : rencontre dans les selles des typhoïdiques une bactérie (B. fæcalis alcali- genes) que le sérum agglutine, mais qui se distingue essentiel- lement du bacille d'Eberth par l’alcalinitéde ses cultures. Bordet * remarque que le sérum du cheval neuf, mélangé à une émulsion de vibrions cholériques, de bacilles dutétanos, du bacille typhique et du bacterium coli, produit énergiquement la réunion en amas de ces microbes. Enfin Gilbert et Fournier , puis Achard et Ben- 1. 26 juin 1896. — Société Méd. Hôpitaux. . Max Gruger Er Durxam. — Münch. medic. Wochenschrift, 31 mars 1896. . Société de Biologie, 25 juillet, 1896: . Centralbratt fur Bacteriologie, février 1896. . Annales de l'Institut Pasteur, juillet 1896. . Bull, Acad. de médecine, 20 octobre 1896. © O7 = co N9 60 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. saude mentionnent que lebacille de la psittacose,ou maladie des perruches infectieuses, estagglutiné par le sérum typhique. Ainsi un sérum banal agit sur des bactéries nettement différenciées, et des microbes différents sont actionnés par un même sérum spé- cilique.! Ces faits montrent évidemment que l’action d’un sérum ne se limite pas exclusivement à un microbe déterminé ; mais, s'ils paraissent denature à subordonuer l'importance de l'épreuve, ils ne l'infirment cependant pas. Un sérum agglutine des cultures différentes dans des conditions particulières, et cesse d’agir si ces conditions sont modifiées. Ainsi Gruber et Durham ont soin de faire remarquer que sile B. enteridis est agglutiné par une quantité relativement considérable de sérum, il ne l’est plus lorsqu'on fait agir une dose minima, qui impressionne toujours le bacille ty- phique. Widal et Sicard spécifient le même fait au sujet du bacille de la psitlacose ; aussi établissent-ils * que dans l'emploi du sérum pour Je diagnostic microbiologique, l'essentiel n’est pas de rechercher les conditions dans lesquelles un même sérum agelutine deux microbes d'espèces voisines, mais bien les cir- constances dans lesquelles l’agglutination diffère et peut servir au diagnostic dilférentiel. Ce moyen est fourni, comme l’indi- quent ces auteurs, par l’emploi de la dose minima de sérum qui suffit pour actionner nettement le bacille typhique, et, dans ce cas, on doit reconnaitre que, jusqu'ici, l'épreuve du sérum fournit un excellent procédé de différenciation. C’est cette dose minima qui atoujours été utilisée dans nos recherches. L'épreuve de l’action agglulinante du sérum acquiert plus de valeur encore lorsqu'elle s'ajoute à la suivante, dont l'impor- tance paraîtra plus décisive. IT. — ACTION PRÉVENTIVE DU SÉRUM D'UN CHEVAL IMMUNISÉ. Le sérum d’un cheval immunisé contre le bacille typhique préserve contre l'infection par ce microbe; cette action est réel- lement spéciale et paraît n’appartenir jusqu'ici à aucun autre sérum. Si donc un bacille présentant tous les caractères morpho- logiques et biologiques du bacille d'Eberth, doué en outre de propriétés pathogènes pour les animaux, devient inoffensif pour 1. Soc. méd. Hôpit., 27 novembre 1596. 2, Société de Biologie, 28 novembre 1896, UBIQUITÉ DU BACILLE TYPHIQUE. G1 eux lorsqu'on leur injecte préalablement une faible dose de sérum antityphique, il doit être permis de trouver dans ce fait une preuve quasi décisive en faveur de la nature éberthienne du microbe envisagé. La diagnose a toujours été terminée par cette épreuve, du moins pour les bacilles doués de propriétés pathogènes, car tous ne la possèdent pas. Cette épreuve était faite avec le sérum pro- venant d'un cheval immunisé, dont une faible dose (1/4, 1/8 de c.c., préservaitsürementlescobayes contrel'injectionintra-périto- néale de 2 c. c. d’une culture en bouillon de bacille typhique extrait de la rate. L'expérience portait simultanément sur trois animaux : 1° le témoin ; 2° un cobaye traité par un c. c. de sérum de cheval neuf; 3° un cobaye traité par 1/2, un 1/# ou 1/8 de c. c. de sérum antityphique. Tous étaient éprouvés par l'injection intra-périlo- néale de2 c. c. de la culture du bacille à l'étude. De ces animaux devait seul survivre celui qui avait reçu le sérum antutyphique. C'est seulement après avoir réuni cet ensemble de caractères utilisables dans l’état actuel de nos connaissances que nous nous sommes crus autorisés à conclure l'identité d’un bacille avec le bacille d'Eberth. IL I. — LE BACILLE TYPHIQUE DANS LES EAUX POTABLES. Les recherches ont porté sur trente-sept échantillons d’eau (puits, source, rivière) recueillis soit en temps d’épidémie, soit en l’absence de toute manifestation typhoïdique : neuf d’entre eux renfermaient un bacille présentant tous les caractères du bacille typhique. Deux échantillons provenaient de villes où la fièvre typhoïde régnait au moment du prélèvement (Meaux, Saint-Omer). La présence du bacille d'Eberth ne fut, dans ces deux cas, que tran- sitoire; de nouveaux échantillons, recueillis un mois plus tard, alors que la fièvre typhoïde avait disparu, ne contenaient plus le bacille typhique. Six autres étaient envoyés de villes (Châteaudun, Dijon) où la fièvre typhoïde avait sévi quelque temps auparavant, mais n'existait plus épidémiquement aux divers moments, assez espacés 62 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. les uns des autres, où les échantillons d’eau furent prélevés. Ces deux faits méritent quelques détails. A. Eau de Chäleaudun.— Une épidémie de fièvre typhoïde se manifeste pendant l'hiver de 1895-1896 dans la population civile et surtout dans la population nullaire de Chàteaudun. Les deux groupes font usage de la même eau. Un premier examen de l’eau consommée est pratiqué le 21 janvier par le procédé des milieux phéniqués. La présence du bacille typhique n'est pas constatée. Une deuxième analyse est effectuée le 15 mars par la méthode d’Elsner ; elle permet de déceler l'existence d’une bactérie rigoureusement identique au bacille typhique. Troisième analyse le 10 mai. Constatation du bacille typhique. Quatrième analyse le 15 juin. Constatation du bacille typhique. Or, dès le début de mars, l'épidémie avait pris fin, et, aux périodes ultérieures, la maladie ne se manifestait plus que par des cas rares et isolés. B. Eau de Dijon. — Pendant l'hiver de 1895-1896, épidémie de fièvre typhoïide commune à la population civile et militaire. Les deux groupes consomment la même eau. Divers examens de l'eau pratiquée en 1895 et au début de 1896 par le procédé des milieux phéniqués restent négatifs au point de vue de l'existence du bacille typhique. Les échantillons analysés paraissent si peu riches en germes qu'ils peuvent être classés dans la catégorie des eaux pures. En avril 1896, à an moment où la fièvre typhoïde semble ne plus exister dans la ville, nee de l’eau par la méthode d'Elsner y démontre la pré- sence d'une bactérie identique au bacille d'Eberth. Même constatation en mai et en juin, périodes où, semble-t-il, la dothié- nentérie avait cessé d’être observée dans les deux groupes de!a population. Les examens ultérieurs DÉRAUES en juillet, août et septembre ont été négatifs. Dans les deux premiers faits cités (Meaux, Saint-Omer), le bacille typhique est trouvé dans l’eau de boisson au moment où la dothiénentérie règne ; il disparaît avec celle-ci : la coïncidence n'a rien de surprenant. Dans les deux autres (Châteaudun, Dijon), le bacille typhique n’est pas rencontré pendant l’évolu- tion épidémique (on ne peut conclure à son absence, vu l’imper- fection des méthodes d'analyse), mais il se trouve et se maintient dans l'eau distribuée pendant les trois mois qui suivent la ces- sation de Ja maladie. Ainsi le bacille typhique existe dans une eau régulièrement consommée sans que la fièvre typhoïde se produise parmi les groupes qui l'utilisent; la circonstance parai- tra, à bon droit, singulière. Il importe de mentionner que cette _UBIQUITÉ DU BACILLE TYPHIQUE. 63 bactérie était trouvée dans une eau que l’analyse chimique et la très faible teneur en germes conduisaient à considérer comme très pure. II. — LE BACILLE TYPHIQUE DANS LE SOL. Treize échantillons de terre et de poussière, provenant d’en- droits différents, ont été examinés. Sept fois, l'analyse a permis d'isoler un bacille présentant tous les caractères du bacille d’'Eberth : | : 1° Dans les matériaux de déblai d’une cour de caserne (Vitré) où s'élaient produits quelques cas de dothiénentérie; 2° Dans les poussières recueillies sur le plancher du labora- toire de bactériologie du Val-de-Gràce; 3° Dans l’entrevous d’une chambre de caserne (Cahors), en l'absence de toute manifestation typhoïdique ; 4° Dans quatre échantillons de terre, soit superficielle, soit profonde (un mètre), recueillis dans les cours et jardins du Val- de-Gràce. De ces bacilles, trois étaient pathogènes pour les animaux. III. — Le Bacizze D'EBRETH DANS LE TUBE DIGESTIF DE L'HOMME NON ATTEINT DE FIÈVRE TYPHOÏDE. Nos recherches ont porté sur les matières fécales de dix sujets traités à l'hôpital pour des affections qui n'avaient rien de com- mun avec la fièvre typhoïde: chez cinq d’entre eux l'examen a révélé l’existence d’un bacille absolument identique au bacille d'Eberth, savoir : | a) Dans un cas de leucémie à évolution fébrile avec diarrhée intermittente. Les selles liquides, examinées à quinze jours d’in- tervalle, ont donné chaque fois un résultat positif. L'examen de la salive a été, par contre, négatif. b) Dans un cas de tuberculose aiguë, sans lésions intestinales. (Observation rapportée par M. le professeur agrégé Lemoine à la Société médieale des Hôpitaux !). c) Chez un sujet atteint de troubles intestinaux prémonitoires d'une dysenterie aiguë. 1. Société Médic. des hôpitaux, 31 juillet 1896. . 64 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, d) Enfin chez deux paludéens chroniques, ne présentant pas de symptômes intestinaux. Aucun de ces malades n'avait eu la dothiénentérie à une époque antérieure. Des cinq bacilles extraits des matières fécales, quatre étaient pathogènes pour le cobaye. L'injection préventive du sérum antityphique préservait les animaux contre l'infection. IV Indépendamment des bacilles précédents, nous avons maintes fois rencontré dans les eaux, le sol, et l'intestin de l'homme, des bactéries qui présentent avec le bacille d'Éberth la plus grande ressemblance, mais s’en distinguent par l'absence de propriétés pathogènes pour les animaux, et l'indifférence à l’égard du sérum spécifique ; ce sérum n’agglutine pas leur culture. Afin de ne rien préjuger, nous les mentionnons à part, sans toutefois mettre en doute leur étroite parenté avec l’agent patho- sène de la fièvre typhoïde. Les caractères de forme, de culture, de biologie sont identiques de part et d’autre; les différences portent uniquement sur la virulence et la manière de réagir à l'égard du sérum. Mais la virulence est un attribut contingent, susceptible d'augmentation ou de disparition, que l’on développe ou supprime presque à volonté, et dont la signification, en l'espèce, n’a rien d’absolu. Quant à l'insensibilité de ces bactéries vis-à- vis d’un sérum donné, elle ne fournit pas de base plus légitime à une différenciation radicale. Admettre avec certains savants que le résultat négatif d'une épreuve par le sérum suffit à tran- cher la nature d’une bactérie qui, par ailleurs, se superpose au bacille typique, serait quelque peu exagéré si on se réfère à l’histoire bien connue du vibrion cholérique. Tous les vibrions étudiés en ces dernières années ne se sont pas montrés égaux devant le sérum de Pfeiffer, et, cependant, il s’agissait bien de vibrions nettement cholérigènes, capables de provoquer le cho- léra typique chez l’homme et chez l'animal. C’est que l'espèce vibrionienne comporte des variétés multiples, offrant toutes un air de famille, sous la diversité des traits individuels; le sérum obtenu par l’immunisation d’un animal contre telle variété peut n'être pas complètement efficace contre la variété voisine. Il est UBIQUITÉ DU BACILLE TYPHIQUE. 65 dès lors loisible de supposer que des faits du même ordre se reproduisent à propos du bacille typhique. L'espèce bacille d'Eberth comprend peut-être des variétés plus ou moins nom- breuses, qui ne réagissent pas semblablement sous l'influence du sérum d'un animal immunisé contre une variété déterminée. La croyance à l’invariabilité des types chez les microbes pathogènes est aujourd’hui quelque peu ébranlée par des faits multiples ; la question de races, issues peut-être d’une souche commune, mais différenciées ensuite, par des vicissitudes incon- nues, acquiert une importance que l’on ne saurait méconnaîitre. Pourquoi cette notion, reconnue vraie pour certaines bactéries pathogènes, ne s’appliquerait-elle pas au bacille typhique? Nous inclinons à croire que les bacilles non pathogènes et indifférents au sérum qui ont été rencontrés dans les eaux, le sol, etc. ne sont en définitive que des variétés du bacille typhique : du moins la parenté est évidente, si l'identité n’est pas absolue. Cette diver- sité possible dans le type fondamental servira peut-être à expli- quer les modalités variables de l'infection typhique, que l’on commence à entrevoir. Si l'interprétation des faits qui viennent d’être relatés est exacte, il en résultera la notion suivante. Le bacille typhique est répandu dans la nature*en dehors de l’homme malade; il se ren- contre dans les eaux potables, le sol, le tube digestif des sujets non atteints de fièvre typhoïde, et, sans doute, fait normalement partie de la flore microbienne des milieux qui nous entourent. Cette notion n’est en rien subversive des données acquises sur l'étiologie cénérale de la fièvre typhoïde, elle sert au contraire à la mieux concevoir et permet de comprendre bien des faits qui, sans ce secours, resteraient inexpliqués. Les observations de tous les jours, recueillies surtout dans les milieux ruraux, ont mis en relief la part de la contagion dans la formation et l'extension de certains foyers épidémiques: leur valeur subsiste. Les recherches modernes ont démontré le rôle primordial des eaux impures dans le développement et la propagation de la maladie: la solidité des preuves défie toute contestation. Mais ils’en faut que tous les cas relèvent de la con- tagion ou de l’ingestion d’eau souillée par les déjections des typhoïsants. Maintes fois, la maladie éclate chez des sujets ou sur des groupes déprimés par la fatigue, le surmenage, les pri- A) | L { 66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. vations, etc., ou bien après l’ingestion d’äliments avariés, sans qu’il soit possible d’incriminer à l’origine la contagion ou l'usage d’une eau notoirement contaminée. Et même dans les cas où l’eau potable paraît être le plus justement en cause, il est souvent impossible d'établir comment et par où une souillure fécale a pu lui arriver. Ces faits se concevront plus aisément avec la notion de la banalité du germe typhique, qui admet sa dispersion dans les milieux ambiants et sa présence éventuelle dans nos cavités naturelles. Une eau réputée pure peut le véhiculer. Aïnsi intro- duit dans l’organisme, il y vivra inoffensif jusqu’au jour où une circonstance déprimante, une aide fortuite, résultant peut-être d’une association microbienne, lui ouvrira carrière. Cette banalité du germe typhique, sa présence plus ou moins fréquente dans les cavités naturelles, soulèvera la question des conditions propres à favoriser éventuellement son action patho- gène. Sur ce point, on ne peut émettre que des hypothèses. Mais en présence du rôle indéniable des eaux impures dans la genèse de la maladie, on doit se demander si leur mode d’action n’est pas diversifié, les unes véhiculant le germe typhique, les autres transportant certaines bactéries qui, peut-être, favorisent la pul- lulation du bacille déjà présent dans le tube digestif. Cette conception n’est point faite pour diminuer l'importance des eaux potables dans l’étiologie de la fièvre typhoïde. CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DES ANGINES À FAUSSES MEMBRANES LES ANGINES À BACILLE DE FRIEDLANDER PAR | M. CHARLES NICOLLE M. A. HÉBERT Chef du laboratoire de bactériologie de l'Ecole Préparateur du laboratoire. de Médecine de Rouen. Depuis le mois de novembre 1894, un service public de diagnostic des affections pseudo-membraneuses, organisé par nous, fonctionne au laboratoire de bactériologie de l'Ecole de médecine de Rouen. Nous y avons pratiqué en deux ans plus de seize cents examens de fausses membranes. Ces examens ont tous été faits par l’ensemencement en tubes de sérum coagulé; toutes les fois que cela a été possible, nous avons pratiqué en même temps l’examen direct des fausses membranes. Dans huit cas, nous avons obtenu sur sérum coagulé des colonies de bacilles de Friedlænder, six fois à l’état de pureté, deux fois associé au bacille diphtérique. Nous parlerons seule- ment en terminant de ces deux derniers cas dont un seul a pu être suivi. Sur les six cas de la première catégorie, cinq ont été étudiés complètement par nous. Ils nous ont permis de recon- naître l’existence d’une forme particulière d’angines à fausses membranes non décrite jusqu’à ce jour. A la description clinique de cette affection, nous joignons dans cette note les quelques renseignements que nous a fournis une étude bactériologique complète des divers échantillons de bacilles de Friedlænder isolés de ces angines. MM. les DS Gargam et Delabost ont droit à nos remer- ciements pour les renseignements cliniques qu'ils ont bien voulu nous fournir, ou nous mettre à même de recueillir dans trois de ces Cas. 68 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, Il ÉTUDE CLINIQUE DES ANGINES A BACILLE DE FRIEDLÆNDER 1° Symptômes. — Nous donnons à la fin de cet articie un bref résumé des observations que nous avons recueillies ‘. En dehors des cinq cas observés par nous, un seul, croyons-nous, a été signalé jusqu'à ce jour; il est dû au D' Max Stooss (Annales suisses des Sciences médicales, 1895, série IT, livre 1). C’est avec ces six observations que nous allons essayer d’esquisser Faspect clinique des angines à bacilles de Friedlænder. Lesangines àbacilles de Friedlænder paraissentpouvoirrevêtir deux formes, l’une chronique qui nous paraît assez nette, l’autre subaiguë ou aiguë, qui l’est certainement bien moins. La forme chronique est la plus fréquente. Quaire de nos obser- vations appartiennent à cette forme. Elle se caractérise objecti- vement par les symptômes suivants : Sur les amÿgdales ordinairement, quelquefois sur les piliers, ou la paroi pharyngée, se voient de petits points blanc nacré ou jaunâtres, mamelonnés, de À à 5 millimètres de large. Leur bord est net: leur nombre variable ; il est rare qu'ils forment par leur union une fausse membrane d’étendue un peu importante. Ces petits points sont très adhérents à la muqueuse; lorsqu'on tente de les enlever, on ne parvient généralement qu’à en déta- cher les parties superticielles : il faut employer la curette pour les avoir entièrement. La muqueuse sous-jacente est villeuse, saignante. Les fausses membranes détachées se reproduisent avec une certaine rapidité. Elles ne se désagrègent nullement dans l’eau : le terme de fausses membranes peut donc leur être légitimement appliqué. $ Aucun symptôme général n’accompagne ces lésions. Comme signes fonctionnels locaux, le plus souvent on ne note rien; tout au plus, dans certains cas, observe-t-on un léger chatouillement ou une faible sensation de gêne pharyngée. La durée de l’affection est particulièrement longue dans cette forme. Elle s’est prolongée pendant plusieurs mois dans les cas que nous avons suivis; 1l est probable qu’elle peut durer davau- tage. 1. Pour tous les détails cliniques consulter la thèse de M. Hébert, Paris, 1896, sur les angines à bacilles de Friedlænder. ANGINES A BACILLE DE FRIEDLÆNDER. 69 La forme aiguë ou subaiquë est bien moins nette. Nous ne pos- sédons pour la décrire que deux observations, l’une, celle de Max Stooss, tout à fait incomplète; l’autre, qui nous est person- nelle et qui ne lui est point comparable. | Les symptômes locaux paraissent identiques à ceux de la forme chronique ; il u’existe point non plus de symptômes géné- raux. Dans l'observation de Max Stooss, les fausses membranes eurent une durée de trois jours ; dans la nôtre, elles se prolon- gèrent un mois, et il y eut de plus un érythème généralisé qui ne lit, peut-être, que coïncider avec l’angine. 2° Diagnostic clinique. — On comprend facilement que le diagnostic clinique d'une affection aussi rare ne soit guère aisé. Il à été fait néanmoins par M. le D'Gargam, auquel nous devons la connaissance de deux de ces cas, lorsque le hasard le mit en présence de la- seconde de ces malades. Et, de fait, ce diagnostic nous paraît possible, du moins dans la forme chronique : la per-. sistance des fausses membranes, leur adhérence aux parties profondes, coïncidant avec l’absence de tout symptôme général ou fonctionnel, devront toujours y faire penser. Le diagnostic bactériologique donnera seul évidemment une certitude. L’angine à bacille de Friedlænder sera plus souvent méconnue que confondue. Nous avons vu, dans la plupart des cas observés par nous, le diagnostic se poser entre elles et les angines à fausses membranes autres, diphtériques ou non. Cependant il n’existe guère d’analogie entre ces affections. Mais la présence d’une fausse membrane alarme toujours à juste raison le médecin, même en l’absence de symptômes généraux. Parmi les maladies chroniques de la gorge, deux seulement nous paraissent pouvoir être confondues avec les angines à bacille de Friedlænder, ce sont les amygdalites folliculaires et l'affection décrite sous le nom de pharyngomycose lepto- thrixique:. Les amygdalites folliculaires sont facilés à reconnaitre : il n'existe point de fausses membranes; les cryptes de la glande con- tiennent une substance caséeuse que la pression en fait sortir. La pharyngomycose leptothrixique est une affection mal connue au point de vue clinique, comme au point de vue étiolo- gique. Cliniquement elle ressemble beaucoup aux angines à 4 - En particulier Thèse Colin, 1894, Paris, 70 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. bacille de Friedlænder, et il nous paraît impossible d’en faire le diagnostic ; bactériologiquement elle serait due au développe- ment du leptothrix buccalis. Les auteurs qui l'ont étudiée à ce point de vue ont noté dans l’exsudat la présence de cet orga- nisme, dont ils ont fait la cause de la maladie. Le leptothrix buc- calis étant un hôte normal de la bouche, et sa présence étant de règle dans toutes les fausses membranes, quelle qu’en soit la cause, il est difficile d'admettre comme prouvé qu’il est l'agent spécilique de cette affection. D'ailleurs, l'étude bactériologique de la pharyngomycose n’a été faite jusqu'ici que d’une façon très incomplète; on s’est borné simplement à faire des examens de frotlis et jamais il n’a été fait de cultures. Nous pensons, pour notre part, que, si des ensemencements sur sérum coagulé étaient pratiqués, un certain nombre des cas de pharyngomycose tout au moins rentrerait dans la classe des angines à bacille de Friedlænder. Il y a là, en tout cas, un point intéressant, que de nouvelles recherches ne peuvent manquer d’éclaireir. 3° Diagnostic bactériologique. — L'examen bactériologique, avons-nous dit, donne seul un diagnostic certain. On peut, si l’on veut, pratiquer l’examen direct des fausses membranes. Dans ce cas, on emploiera successivement une méthode de colo- ration simple etla méthode de Gram. On reconnaîtra; dans l’im- mense majorité des cas, le bacille de Friedlænder à ses caractères morphologiques, sa capsule, sa non coloration par la méthode de Gram. Mais il arrive souvent que ce microbe n’est point en nombre prédominant dans le frottis : d’autres microorganismes d'importance secondaire ou nulle, des cocci divers, des leptothrix surtout, peuvent être, par contre, très abondants. IL sera donc utile de faire un ensemencement. En pratique, nous recommandons d’avoir recours d'emblée à ce procédé et de négliger l'examen direct. Le meilleur milieu de culture pour le diagnostic rapide est le sérum coagulé. On fera donc purement et simplement un ensemencement sur ce milieu, aujourd'hui d'un emploi courant pour le diagnostic de la diphtérie. En quinze à vingt heures on obtiendra, s'il s’agit d'une angine à bacilles de Friedlænder, des colonies assez grosses, arrondies, grisâtres, visqueuses, faciles à reconnaître à l'œil nu, et qu’un examen microscopique montrera constituées par LL ANGINES A BACILLE DE FRIEDLÆNDER. 71 le bacille de Friedlænder. Généralement, il ne pousse sur sérum dans ces cas, en dehors des colonies de ce microorganisme, que de rares colonies de cocci, colonies qu’on rencontre constam- ment dans toutes les angines. Dans un cas, nous avons trouvé un pneumocoque nou yirulent pour la souris. Nous avons pratiqué dans deux cas, après inclusion dans la paraffine, des coupes de fausses membranes. Nous nous sommes rendus compte de la disposition des éléments divers dont elle est composée. Superficiellement, on trouve disposés sans ordre des débris cellulaires (épithélium ou globules blancs), de la fibrine en grains, des bacilles de Friedlænder et des paquets de lepto- thrix ; plus profondément la fibrine est disposée sous la forme d’amas d’où partent des filaments anastomosés déterminant par leur union la formation de petites loges que remplissaient des bacilles de Friedlænder. La muqueuse congestionnée se montre en dessous. 4° Angines à bacilles diphtériques et de Friedlzænder associés. — Nous n’avons noté que deux cas d’association de ces deux micro- organismes, et l’un d'eux n’a pu être suivi. Dans le seul cas étudié, l'angine a été des plus bénignes, sans symptômes généraux pour ainsi dire. L'apparition des fausses membranes a été précédée par un œdème considérable de la luette et des amygdales. Les fausses membranes sont restées limitées à ces organes, sans tendance à l’extension; la malade, il est vrai, a été . traitée par le sérum dès le début de l'affection. Les fausses membranes ont mis plusieurs jours à disparaître, et ne l’ont fait que peu à peu. (Voir l'observation à la fin de l’article.) On ne peut lirer aucune conclusion générale d’une observa- ton isolée, nous nous contenterons de noter simplement deux faits qui ont élé remarqués dans ce cas et qui se rencontrent dans les angines à bacilles de Friedlænder pur : la bénignité extrème et la persistance des fausses membranes. IL ÉTUDE BACTÉRIOLOGIQUE DES BACILLES DE FRIEDLÆNDER ISOLÉS DE CES ANGINES 1° Procédé d'isolement. — Pour obtenir à l’état de pureté les divers échantillons de bacilles de Friedlænder trouvés par nous 12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. dans les angines, nous ‘avons eu recours à l’inoculation à Ja souris blanche. Une trace de culture sur sérum coagulé, inoculée à cet animal, a toujours amené sa mort en dix-huit à soixante heures. Le sarg du cœur recueilli purement et aussilôt que possible après la mort nous a donné généralement des colonies pures. Nous n'avons jamais négligé cependant de faire l'isolement sur plaque de gélatine, en diluant dans ce milieu une trace de sang provenant de la souris. Ces précautions ne sont point inutiles, car, sans doute à cause de la viscosité de sa capsule, le bacille de Friedlænder est plus difficile à isoler que les autres microbes. Nous appellerons F1, F2, F3, F4, F5, F6, les six échantillons isolés par nous, l'indice de la lettre F indiquant le numéro de l'observation clinique. 2 Caractères morphologiques. — Les six échantillons de Friedlænder se sont montrés morphologiquement très analogues à ceux décrits jusqu'à ce jour par les auteurs, en particulier par M. Grimbert ’. Nous leur avons reconnu les caractères classiques, absence de coloration par la méthode de Gram, polymorphisme, immobilité, absence de spores. Le polymorphisme des espèces étudiées par nous a toujours été très grand dans les cultures; à côté des formes courtes cocco-bacillaires, nous avons trouvé des formes longues, même des formes filamenteuses dans tous les cas, sauf F6. Dans le % sang de la souris, le polymorphisme fait défaut, il n'existe que des formes courtes. De mème que M. Grimbert, nous avons vu très neltement la capsule sur tous les milieux de culture. 30 Cultures. — Les caractères de culture sont sensiblement ceux décrits par les auteurs : En bouillon de viande, en 24 heures, trouble léger et voile vis- queux, surtout marqué sur les bords du tube auquel il est adhé- rent, donnant ainsi l'image "d'un anneau qui, au bout de quel- ques jours, tombe au fond. La culture devient: visqueuse à la longue. 1. GrimsenT, Annales de l'Institut Pasteur, 25 novembre 4895, Société de bio- logie, 13 mars 1895; Annales de V'Institut Pasteur, 95 décembre 1596. LA ANGINHS A BACILLE DE FRIEDLÆNDER. 73 * Engélatine par piqüre, culture en clou typique, pas de liqué- faction. Sur gélose, lrainée épaisse, visqueuse. * Sur sérum coagulé, culture identique à celle sur gélose, mais plus abondante encore; au bout de 2 à 3 jours la culture coule presque entièrement au fond du tube. Sur pomme de terre, culture abondante, épaisse, avec dégage- ment de bulles (sauf F6). Sur carotte, culture ‘abondante avec bulles pour F4 et F5, abondante sans bulles pour F6, peu abondante et sans bulles pour les autres échantillons. Dans le lait, culture dans tôus les cas. Coagulation par F3 en 6 jours, par F1 en 8 jours, par F2 en 12 jours. Pas de coagu- lation, même en un mois et malgré trois passages successifs par F4, F5 et F6. En solution de peptone. Pas d'iudol même au bout d’un mois. 4 Fermentation des sucres. — M. Grimbert a le premier bien étudié les fermentations des divers sucres produiles par le bacille de Friedlænder. Pour faire cette étude, il s’est servi du es suivant : Sucre fermentestible.s 742 22.490 3 grammes. Beptone Seche rs ne OR 2 — TURN TX 2 ti TS INR LE NE ARE AIS AE 100 — Garbonate desrnRaux EPA EE C q.s. Il à divisé, au point de vue des fermentations, les divers échantillons de bacille de Friedlænder étudiés jusqu'à ce jour en trois groupes. Dans le premier groupe est rangé l'unique échantillon étudié par Frankland. Cet échantillon fait fermenter la glucose, l’ara- binose, la raffinose, la dulcite, la dextrine, la mannite, la maltose, la saccharose, la galactose et la lactose; est sans action sur la glycérine, la AE et l’érythrite. Le second groupe comprend deux échantillens isolés des eaux par M. Grimbert. Ils font fermenter les mêmes sucres que les échantillons du premier groupe et de plus la glycérine: I duleite et l’érythrite ne sont point attaquées. Dans le troisieme groupe M. Grimbert fait rentrer les bacilles . 7 - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de Friedlænder qui font fermenter tous les sucres y compris fa. dulcite, à l'exception de l’érythrite. — Ce groupe comprend un échantillon provenant de l’Institut Pasteur, étudié par M. Grim- bert, et deux échantillons isolés par lui des eaux. M. Grimbert ne s’est point contenté dans ses expériences de noter s’il y avait fermentation ou non, il a aussi recherché quelles étaient les substances Dee par ces fermentations, acides et alcool. Nous n’avons pu, pour notre part, faire des recherches aussi complèles; nous nous sommes bornés à faire des cultures dans le milieu de M. Grimbert et parallèlement dans ce‘milieu légère- ment modifié en remplaçant le carbonate de chaux par le tour- nesol. Le dégagement de gaz et la coloration rouge* du ‘bouillon nous ont montré s’il y avait fermentation ou non. Le tableau ci-joint donne le résultat de nos expériences. Le temps indiqué correspond non au début de la fermentation; mais au moment où celle-ci est en pleine activité. O indique l’absence de fermentation. En consultant ce tableau, on verra que les six échantillons de Friedlænder isolés par nous des ängines peuvent être rangés en deux catégories. Un seul échantillon F6 appartient au 1° groupe de M. Grim- bert. Il est sans action sur la glycérine, la dulcite et l’érythrite. Les cinq autres font fermenter la glycérine, mais n’attaquent ni la dulcite, ni l’érythrite; ils doivent rentrer dans le second groupe de M. Grimbert. Comme particularités intéressantes, nous noterons la lenteur mise par l’échantillon F2 à faire fer- menter la saccharose ; cinq essais ont été faits successivement, et, dans les cinq, la fermentation ne s'est montrée active qu'au dixième jour. La fermentation de la glycérine et celle de la lactose ont demandé des temps variables. Il n'y a point parallé- lismé absolu entre le temps nécessité pour la fermentation de la lactose et’ celui que demande la coagulation du lait : tous les échantillons ont, en fin de compte, fait fermenter la lactose, et la moilié d’entre eux n’a point coagulé le lait, même après trois passages. ‘(uonen$eo9) qe ELLE qi A1q nn | “ayopn( ue | oum99 11) | ‘25079€"f ; 2S0184998S | ‘esOuyJeU - auH)X9( aJIUUCY as0Joe[e9 2SOUIGEAY ‘aso2nf") st er | | ÉCHANTILLONS DE B, DE — _— » F—) — (] (l 6] [à 76 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 5° Virulence. — Pour la souris. — L'inoculation sous-cutanée d'une trace de culture sur sérum coagulé a amené dans tous les cas la mort avec abcès à pus filant, crémeux au point d'inocula- tion, hypertrophie de la rate et généralisation du bacille dans les organes. La mort est venue en un temps variable : 18 heures (F6), 20 heures (F1), 23 heures (F2), 26 heures (F5), 36 heures (F4), 60 heures {F3). Pour. le cobaye. — L'inoculation a été faite sous la peau; l centimètre cube de culture en bouillon de 24 heures a été inoculé à 5 cobayes. Dans trois cas, il y a eu abcès au, point d'inoculaiion, s'ouvrant au quatrième jour, donnant issue à un pus épais, filant, riche en bacilles de Friedlænder. Deux des cobayes ayant présenté ces abcès, ceux correspondant aux bacilles F4 et F5 ont guéri; un seul, celui qui avait reçu la cul- ture F3, est mort en 10 jours avec des lésions de broncho-pneu- monie, de pleurésie pyo-hémorragique, et de la congestion des capsules surrénales, son sang et la pulpe des divers organes contenaient en abondance le bacille de Friedlænder. Les cobayes ayant reçu les cultures F1 et F2 n’ont présenté qu’une induration locale légère et sans durée. La culture F6 n'a pomt été expérimentée. Pour le lapin. — L’inoculation a été faite dans la veine mar- ginale de l'oreille; 2 centimètres cubes de culture en bouillon de 24 heures ont été injectés à 5 lapins. Trois des lapins, ceux qui avaient reçu les cultures F4, F5, et F2, moururent respectivement en 6 heures, 10 heures et 4 jours 1/2. A leur autopsie, on trouve une légère hypertrophie de la rate, un épanchement pleural et péritonéal peu abondant et le bacille de Friedlænder généralisé dans tous les ‘organes. Nous n'avons point noté l’hypertrophie des capsules surrénales décrites dans ces cas par M. Roger. La culture F6 n’a pas été expérimentée. 6° Essai de reproduction des fausses membranes. — Nous avons fait plusieurs tentatives pour reproduire des fausses membranes chez les animaux avec des cultures purés de bacilles de Fried- lænder. Nos expériences ont porté sur le lapin, le cobaye et le pigeon; elles ont donné des résultats inconstants. Tandis que par scarificalion de la peau de l'oreille et par excoriation de la ” , » te ANGINES A, BACILLE DE FRIEDLÆNDER. 71 . muqueuse conjonctivale chez le lapin, de la muqueuse vulvaire chez le cobaye, nous n'avons rien obtenu, l’excoriation de la muqueuse vulvaire de la lapine nous a donné dans un cas de la tuméfaction des grandes lèvres, et un exsudat blanc qui eut une durée de cinq jours. Cet exsudat contenait le bacille de Friedlæn- der en abondance. Chez le pigeon, en excoriant la muqueuse du plancher .de la bouche et du pharynx, nous avons obtenu untrès léger exsudat qui dura 3 jours, mais dans lequel il ne nous fut point possible de déceler la présence du bacille de Friedlænder. Ces essais devront évidemment être repris. Les résultats non concordants auxquels ils nous ont conduits n’ont rien qui doive surprendre: tout le monde sait combien il est difficile de + produire expérimentalement des fausses membranes avec des cuitures pures, qu'il s'agisse du bacille de Friedlænder, du bacille diphtérique, ou du streptocoque. . Il RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS CLINIQUES lo Angines à bacille de Friedlænder pur. OBSERYATION [. — Jeune fille de 20 ans. Examinée le 2 décembre 1895, par M. le Dr Gargam, pour un enrouement léger. A l'examen de la goïge on constate sur les amygdales et sur le pilier postérieur droit de petits points blancs, de 3 à 6 millimètres de diamètre, très adhérents. Aucun symptôme général. Le 4 décembre lPenrouement a disparu, la gofge est dans le même état. Les jours suivants, il y a augmentation d’é- tendue de l’exsudat. La malad2:, revue en mai 1896, était exactement dans le mème état. En septembre seulement elle a été guérie par les cautérisations au galvano- cautère. L'examen bactériologique, fait en décembre et en mai, donna sur sérum coagulé des colonies abondantes de bacille de Friedlænder et de rares colonies de coceci. OBsERVATION [l. — Fillette de 9 ans, vue par M. le Dr Delabost, le 12 jan- vier 1896. Elle présente sur les deux amygdales un léger exsudat gris jaunètre, très adhérent, mais dont il est facile de désagréger les couches superficielles. Aucun symptôme général ou fonctionnel. En juillet 1896 la malade est dans le même état. Trois examens bactériologiques, faits en janvier et juillet, ont donné sur sérum des colonies abondantes de bacille de Friedlænder et de rares colo- nies de cocci ; à l'examen direct : leptothrix nombreux. 78 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. OBsERVATION III. — Jeune homme de 29 ans, vu par nous le 7 juin: aucun symptôme général ou fonctionnel. La gorge, examinée par hasard, montre quelques points blancs identiques à ceux décrits dans l'observation I, sur les amygdales et les piliers postérieurs. A l'examen bactériologique : nombreuses colonies de bacille de Friedlænder sur sérum et quelques colonies de pneumocoque, non virulent pour la souris blanche. OBsErvarION IV. — Femme de 35 ans, vue par le Dr Gargam et l’un de nous. L’affection a débuté par une éruption d’aphtes le 7 juillet. On constate encore, à l'examen pratiqué alors, de petites ulcérations de la langue et de la face interne des joues. Les amygdales sont grosses, couvertes de points blanc nacré, très adhérents, à bords nets, s’enfonçant dans les eryptes amygdaliennes, faciles à désagréger dans leurs parties superficielles. Il existe des points semblables sur le pilier gauche et sur la paroi posté- rieure du pharynx. Pas de phénomènes généraux, sauf au début, au moment de la poussée aphteuse. Le 20 juillet, jour où nous la voyons, l’état de la gorge est stationnaire. A l'examen bactériologique, colonies abondantes de bacille de Fried- lænder et rares colonies de cocci, sur sérum, leptothrix nombreux sur les frottis. OBsERVATION V.— Jeune fille de 16 ans, du service du Dr Ballay (hospice général), examinée par nous le 15 mars 1896. Elle a présenté, il y a 15 jours, une céphalalgie légère avec insomnie et courbature. Actuellement il n’existe pas de phéñomènes généraux. La gorge est examinée par hasard. Les amygdales sont hypertrophiées, les cryptes profondes sont couvertes de fausses membranes adhérentes. Le 19 mars survient un érythème généra- lisé, formé de plaques non saillantes, prédominant aux membres, épargnant la face et les mains. L’érythème eut une durée de 10 jours, l’état de la gorge resta stationnaire. Le 10 avril il n’y avait aucun changement local. L'enfant revue en septembre était guérie de son angine. L'examen bactériologique fait en mars montra la présence sur sérum de colonies nombreuses de bacille de Friedlænder et de rares colonies de cocci. c Au mois de septembre l’ensemencement donna un résultat négatif. OBsERVATION V bis. — (Max Stooss, loco cit.) Femme de 30 ans, vue le 4 février 1893, pour une affection pharyngée datant de 8 jours. Pas de signes généraux. Dépôt blanc jaunâtre sur l’amygdale droite, s'étendant un peu sur le pilier correspondant, plaque de moindre importance sur l’amygdale gauche. L’angine guérit en 3 jours. L'examen bactériologique, direct montra la présence de bacille de Friedlænder, de cocci et de leptothrix. Les ensemencements faits sur gélose donnèrent lieu au développement de colonies nombreuses de bacille de Friedlænder, de quelques colonies de cocci, et de rares colonies de streptocoques. La culture du bacille de Friedlænder, inoculée à une souris, amena sa mort en 3 jours avec abcès au point d’inoculation, hypertrophie de la rate et présence du microbe dans tous les organes. ANGINES A'BACILLE DE FRIEDLÆNDER. 79 20 Angine à bacille diphtérique et bacille de Friedlænder associés. OBSERVATION VI. — Jeune femme, 22 ans, sujette aux angines dans l'enfance et ayant de grosses amygdales. Le 16 novembre 1856 au soir, frissons et malaise général peu intense. Le lendemain mal de gorge léger; apparition d’un point blanc sur l’amygdale gauche. Ls 18 au matin la luette est extrêmement œdématiée, mais sans fausses membranes, les deux amygdales présentent des points blancs non confluents qui paraissent d'épaisseur très faible et sans grande adhérence aux parties profondes, la température n’atteint pas 380. L’ense- mencement sur sérum coagulé fait la veille ayant donné des colonies de bacille diphtérique et de bacille de Friedlænder, 20 c. c. sont inoculés. Le soir la température est à 580,4, le pouls à 112; il n’y a point d'albumine, la douleur à la déglutition est vive. Le 19, la luette est envahie par deux plaques blanches occupant les bords et se réunissant au sommet de l'organe; les fausses membranes ont plutôt diminué un peu sur l'amygdale gauche, elles sont plus confluentes à droite. Partout elles sont adhérentes, et la muqueuse saigne au moindre attouchement : la température ne dépasse pas 370,5, le pouls 90. Le 20, diminution de l’æœdème de la luette, état stationnaire des fausses mem- branes, le mal de gorge est moindre, pas de phénomènes généraux. Les jours suivants l'état local fut stationnaire, les fausses membranes diminuèrent peu à peu d'étendue, abandonnant successivement l’amygdale gauche, la droite et la luette; la douleur de gorge s’atténua, il n’y eut aueun symptôme général. Durant toute la durée de l’angine, il y eut conservation de l'appétit. Le 24 novembre seulement les fausses membranes disparurent, Après la guérison de l’angine, le bacille diphtérique et le bacille de, Friedlænder persistèrent dans la gorge jusqu’au 7 décembre; à cette date les ensemencements sur sérum coagulé ne donnèrent plus lieu au développement de colonies de ces deux microbes. Rouen, décembre 1896.. NOTE SUR UX ÉCHANTILLON DE BACILLE DE FRIEDLÆENDER ISOLÉ DE LA VASE DE LA SEINE Par MM. C. NICOLLE er A. HÉBERT. Le hasard nous a fait rencontrer dans un échantillon de vase de la Seine (Grand-Couronne) une variété de bacille de Fried- lænder qu’il est peut-être intéressant de rapprocher des spéci- mens isolés par nous des angines, et de ceux étudiés par M. Grimbert. Au point de vue morphologique, ce microbe est identique aux variétés précédemment décrites; cependant il est un peu moins polymorphe et ne présente point de formes filamenteuses. En bouillon, gélatine, gélose, sérum coagulé, caractères ordinaires. Sur pomme de terre, développement abondant et dégagement de bulles de gaz; sur carotte, développement faible sans fermentation. Le lait cultive bien, la coagulation com- mence au 8° jour. Pas d’indol. En 24 heures, dans le milieu de M. Grimbert, la fermentation des sucres suivants est déjà très active : glucose, arabinose, galactose, maltose, mannite, raffinose, saccharose, lactose et glycérine; la dextrine fermente un peu plus tardivement. La dulcite et l’érythrite ne sont point attaquées. Cet échantillon rentre donc, au point de vue des fermenta- tions, dans la seconde classe de M. Grimbert, il se rapproche par ces caractères des cinq premiers échantillons isolés par nous des angines. Il s’en distingue parce qu’il est inoffensif pour la souris adulte; 2 ce. c. d’une culture de 24 heures en bouillon inoculés sous la peau ne lui donnent point le moindre malaise. Par contre, une souris de quelques jours inoculée, est morte en 48 heures avec les lésions classiques (abcès local et générali- sation du microbe). Rouen, décembre 1896. © SUR LA PESTE BUBONIQUE (SÉRO-THÉRAPIE) Par Le D' A. YERSIN Médecin de première classe des colonies, Directeur de l'Institat Pasteur de Nha-Trang (Annam). La peste bubonique a disparu de l'Europe, mais elle sévit encore dans certains pays de l'Asie, notamment en Chine, où depuis l’année 1871 elle s’est installée dans le Yunam. Chaque année, du mois de mars au mois de juillet, elle fait de nombreuses victimes dans cette province. L'épidémie est annoncée par une maladie des rats qui sortent par bandes, courent affolés dans les maisons et meurent en grand nombre. Après les rats les ani- maux domestiques sont alteints, puis les hommes ‘. En 1882, la peste se montra à Pakhoï, mais elle restait inconnue à Canton. Elle y apparut pour la première fois en mars 1894. Sans doute, elle venait de Pakhoï d’où elle n’avait jamais complètement dis- paru. Des familles de Canton émigrées à Hong-Kong apportèrent la maladie. C’est pendant l'épidémie de Hong-Kong que j'entrepris, sur la peste, des recherches bactériologiques dont les résultats ont été publiés dans ces Annales en septembre 1894 *. Rappelons-les brièvement : chez les malades de la peste, on trouve constam- ment un microbe spécifique, très abondant dans les bubons. Dans les cas graves, il passe dans le sang, et à l’autopsie on le rencontre dans les ganglions lymphatiques, dans le foie et dans la rate. Ce microbe, qu'il est facile de mettre en évidence en colorant la pulpe du bubon par les couleurs basiques d’aniline, apparaît, au microscope, sous la forme d’un bacille court à bouts arrondis, se teignant plus fortement aux extrémités. C'est un cocco-bacille qui se décolore par le procédé de Gram. IL cultive 1. Relation de M. Rocher, rapportée par le D' Louis Pichon. Un voyage au Yunam: Paris A893. 2. Comptes rendus Acad. des Se., juñlet 1894, 82 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. facilement sur la gélose et dans le bouillon alcalin, où il se dis- pose en chapelets de courts bacilles. . Le microbe existe non seulement chez l’homme atteint de peste, mais aussi chez les rats qui meurent en si grand nombre au début de l'épidémie. Souvent, ces animaux pestiférés présentent de gros ganglions, véritables bubons remplis de bacilles spécifiques. Avec les cultures pures, provenant de peste humaine, il est facile de reproduire la maladie sur le rat et sur la souris en les inoculant au moyen d’une piqûre. L'animal infecté meurt en 40-60 heures; les ganglions de la région inoculée sont très augmentés de volume et entourés d'un tissu œædématié; ceux des autres régions sont tuméfiés et renferment des bacilles en abondance, ainsi que la rate et le foie. Un rat prend encore la maladie si on lui fait ingérer une culture du bacille de la peste, il peut alors contaminer d’autres rats sains placés dans la même cage. Voici qu’en partant d’une culture pure, nous faisons naître une épidémie qui ne diffère des épidé- mies spontanées que parce qu'elle reste limitée à une cage au lieu de s'étendre à toute une cité. Au moment des épidémies de peste, et même après que la maladie a disparu, on trouve, dans le sol des localités infectées, un microbe exactement semblable à celui de la peste, mais moins virulent que celui retiré des bubons. Ce microbe se conserve dans la terre, et on conçoit que les rats puissent se contaminer si les circonstances sont favorables. C'est ainsi que se réveillent les épidémies. Avec une prescience surprenante, M. Pasteur, dans son célèbre mémoire sur l’atté- nuation des virus et leur retour à la virulence, écrivait à propos de l'apparition spontanée de la peste à Benghazi en 1856 et en 1858 : « Supposons, guidés comme nous le sommes par tous les faits que nous connaissons aujourd'hui, que la peste, maladie virulente propre à certains pays, ait des germes de longue durée. Dans tous ces pays, son virus atténué doit exister, prêt à reprendre sa forme active quand des conditions de climat, de famine, de misère s’y montrent de nouveau ‘. » L'expérience a confirmé entièrement les idées de M. Pasteur. Cette étiologie nous explique pourquoi la peste sévit avec tant d'intensité dans les pays comme la Chine, où les familles A. Pasreur, CHAMBERLAND et Roux. Académie des Sciences. Févr. 1881. + SUR LA PESTE BUBONIQUE. 83 vivent entassées, sur un sol souillé de détritus de toute sorte, visité par les rats’. La peste, qui est d’abord une maladie du rat*, devient bientôt une maladie de l'homme. Il n’est pas dérai- sonnable de penser qu'une bonne mesure prophylactique contre la peste serait la destruction des rats. J’ai vu aussi à Hong-Kong que les mouches peuvent transporter le virus, et j'ai pu donner la peste à des cobayes: en leur injectant un peu d’eau stérilisée dans laquelle j'avais broyé des mouches trouvées mortes au laboratoire. L'homme prend la maladie comme les animaux, soit par des plaies de la peau, soit par le tube digestif. Le bacille de la peste a été signalé dans les déjections, et d’ailleurs les symptômes d'entérite ne sont pas rares chez les pestiférés. Parfois, les malades n’ont aucune glande apparente, mais à l’autopsie on découvre une tuméfaction des ganglions mésentériques qui constüuent des bubons internes *. Tous ces détails sont impor- tants à connaître si on veut se rendre compte de la façon dont la maladie se répand, et prendre les mesures propres à l'arrêter. Après avoir observé la peste à Hong-Kong en 1894, je rentrai à Paris pour faire, à Linstitut Pasteur, une étude plus détaillée du bacille, et surtout pour essayer d'immuniser des animaux. Sous la direction de M. Roux, MM. Calmette et Borrel avaient déjà entrepris l’immunisation des lapins et des cobayes: le terrain était donc préparé. L'injection d’une culture récente de peste (nn quart de culture sur gélose) sous la peau d’un cheval provoque une tumé- faction considérable, accompagnée d’une fièvre violente pendant 4. Pans son rapport sur l'épidémie de Canton en 1894, le D' Rennie, médecin des douanes chinoises, fait remarquer que parmi les Cantonais habitant des bateaux sur le fleuve, il n’y a pas eu de malades, si ce n’est ceux qui ont été apportés de la terre. Beaucoup de gens aisés ayant observé le fait ont quitté leurs maisons pour venir habiter dans les bateaux. 9. Dans le même rapport, le D' Rennie raconte que le seul gardien de la porte de l'Ouest à Canton fit ramasser 22,000 rats crevés qu’il enterra en dehors de la ville. 3. Le Dr Wilm, de la Marine allemande, chargé de faire des recherches sur la peste de Hong-Kong, durant l'épidémie de 1895, a trouvé le bacille de la peste dans les crachats de 11 pestiférés sur 12 examinés qui présentaient des signes de bronchite. Deux fois il l’a rencontré dans l'enduit de la langue. Chez 15 malades qui avaient des symptômes d’entérite, sans bubons apparents, le bacille existait dans les selles. Le Dr Wilm signale que, pendant le cours de ses expériences, deux singes et quatre cochons d’Inde moururent de peste spontanée, sans avoir * èté inoculés expérimentalement. (D° Wim, Æapport sur la peste. Hong-Kong, 20 mai 1596.) : 84 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 48 à 60 heures ; puis, le gonflement diminue et se précise pour aboutir à un abcès. Afin d'éviter la suppuration, l’inoculation a été faite dans les veines, en prenant toutes les précaulions pour éviter les embolies. Déjà, 4 à 6 heures après l'injection, la température atteint 40° et s'élève parfois à 41° 5. Le cheval est abattu, frissonnant. La fièvre se maintient pendant plusieurs jours, elle baisse graduellement sans qu’on remarque aucune tuméfaction ganglionnaire. Les injections sont répélées avec des doses plus Pts. mais à intervalles assez éloignés, afin que. l'animal se rétablisse complètement après chacune d’elles. Sou-" vent, en effet, il survient des gonflements articulaires, des synovites qui ne suppurent point, mais amènent des boiteries douloureuses. Pendant l'immunisation, les chevaux maigrissent beaucoup, et il faut bien se garder de trop précipiter les inocu- lations. Ils réagissent à chacune d'elles, si la dose est assez forte mais la durée de la réaction devient de plus en plus courte. Le premier cheval, ainsi immunisé, fut saigné 3 semaines après la dernière injection, et son sérum fut essayé sur des souris. Ces petits rongeurs meurent toujours lorsqu'on leur inocule le bacille virulent de la peste, et en faisant,des passages de souris à souris on entretient un virus très actif. Les souris qui recevaient 1/10 de c. c. du sérum de cheval immunisé ne de- venaient point malades quand, 12 heures après, elles étaient infectées avec de la peste. Ce sérum était donc préventif. Nous avions constaté, avant de commencer l’immunisation, que le sérum de notre cheyal et aussi celui d’autres animaux neufs, lapins, cobayes, n'avait aucune action préventive. Pour guérir les souris, déjà inoculées de la peste depuis 12 heures, il fallait employer un c. c. à un c. c. et demi de sérum. Les petits rongeurs traités avec ces doses guérissaient constam- ment, tandis que les témoins mouraient. Le sérum avait donc des propriétés curatives manifestes. Ces premières expériences de séro-thérapie ont été publiées dans ces Annales en juillet 1895", elles étaient assez encourageantes pour être poursuivies, et elles faisaient espérer que la séro-thérapie pourrait être appliquée à l'homme pestiféré. Aussi, à mon retour en Indo-Chine, grâce au concours de 1. La peste bubonique, par MM. YERsIN, CALMETTE et BORREL. - SUR LA PESTE BUBONIQUE. 85 M. le Gouverneur général et du Ministère des Colonies*, j'ins- tallaià Nha-Trang (Annam), à proximité des régions où la peste sévit le plus, un laboraioire pour la préparation des virus, et des écuries pour loger les chevaux immunisés. Cette installation constitue l'Institut Pasteur de Nha-Trang. Elle était loin d’être terminée lorsque la peste se réveilla à Hong-Kong en janvier 1896. A cette époque, malgré que M. Pesas, vétérinaire militaire attaché à l'Institut de Nha-Trang, et moi, nous ayons fait toute la diligence possible, nous n'avions aucun animal suffisamment immunisé. Je dus attendre jusqu'au 10 juin pour me rendre à Hong-Kong muni de quelques, flacons de sérum fourni par une des juments de Nha-Trang. Cette petite quantité de sérum ne m'aurail pas permis d'entreprendre des expériences décisives, lorsque je reçus de l'Institut Pasteur de Paris 80 flacons de sérum anti-pesteux provenant du cheval immunisé qu'on y en- tretenait. Le 20 juin, il n'y avait plus de peste à l'hôpital de Kennedy- town : les 3 ou # décès survenant chaque jour à Hong-Kong avaient tous lieu dans des maisons chinoises où assurément, mon sérum et moi aurions été mal accueillis. Je me rendis à Canton : l'épidémie y était à sa fin ; d’ailleurs, malgré l’appui empressé du consul de France, M. Flayelle, il paraissait bien difficile d'essayer le sérum sur quelque Chinois pestiféré, car la population-de Canton passe pour la plus turbulente de la Chine et la plus hostile aux étrangers. Un hasard heureux me fit ren- contrer le malade cherché et dans des conditions inespérées pour une tentative thérapeutique. Au cours d’une visite que je lui faisais, Mgr Chausse, évêque de la Mission catholique, me demanda si je connaissais un remède contre la peste. — Nous en aurions bien besoin, ajouta-t-il, car un jeune Chinois de la mission est gravement atteint de cette maladie. — J'ai un remède, répondis-je à l'évêque, je de crois excel- lent, mais je ne l’ai jamais essayé sur un malade. Mgr Chausse, qui considérait le jeune Chinois comme perdu, me conduisit près de lui et me donna toute facilité d’ex- périmenter le sérum, prenant sur lui toutes les responsabilités - 1. Je dois ici mes remerciements particuliers à M. le D: Treille, inspecteur général du Service de santé des Colonies, pour l'appui qu'il n’a cessé de me donner. 86 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. si la tentative ne réussissait pas. Voici l’observation de ce premier cas de peste traité par le sérum : î Tsé, jeune Chinois de 18 ans, élève du séminaire et y remplis- sant les fonctions d’infirmier, était mal à l'aise depuis quelques jours (faligue, maux de tête), lorsque le 26 juin, à 10 heures du matin, il se plaint d’une vive douleur à l’aine droite; à midi, la fièvre se déclare subitement et le malade doit s’aliter. Mgr Chausse me conduit près de lui à 3 heures de l’après-midi. Le jeune Chinois est sommolent, il ne peut se tenir debout sans vertige, il éprouve une lassitude extrême, la fièvre est forte, la langué chargée. Dans l’aine droite existe un empâtement très douloureux au tou- cher. Nous avons bien devantnous un cas de peste confirmé, et la violence des premiers symptômes peut le faire classer parmi les cas graves. À 5 heures (6 heures après le début dela maladie), je pratique une injection de 10 c. c. de sérum. À ce moment, le malade a des vomissements et du délire, signes très alarmants et qui montrent la marche rapide desl'infection. À 6 heures et à 9 heures du soir, nouvelles injections de 10 c. c. chacune. De 9 heures à minuit, aucun changement dans l’état du malade qui reste somnolent, s'agiteet se plaint souvent. La fièvre est toujours très forte et il y a un peu de diarrhée. A partir de minuit, le malade devient plus calme, et, à 6 heures du matin, au moment où le Père directeur vient prendre des nouvelles du pestiféré, celui-ci se réveille et dit qu’il se sent guéri. La fièvre, en effet, est complètement tombée, la lassitude et les autres symptômes graves ont disparu; la région de l’aine n’est plus douloureuse au toucher et l’'empâtement presque effacé. La guérison est si rapide que si plusieurs personnes autorisées n’avaient, comme moi, vu le patient la veille, j'en arriverais presque à douter d’avoir traité un véritable cas de peste. On comprendra que cette nuit'passée près de mon premier pestiféré ait été pour moi pleine d’anxiété. Mais, au matin, lorsque avec le jour parut le succès, tout fut oublié, même la fatigue. 30 c. c. de sérum avaient suffi à guérir, avec une rapidité surprenante, un cas de peste grave. Cependant, ce sérum n'était pas très actif, il venait d’une jument de Nha-Trang, et il n’en “ . fallait pas moins de un quinzième à un vingtième de c. c. pour SUR LA PESTE BUBONIQUE. 87 préserver une souris de 20 grammes contre une dose de culture mortelle en 24-364; si bien que je fus surpris, tout le premier, d'un succès si facile. A tout prix je devais me procurer d’autres pestiférés. Je restai encore deux jours à Canton, pour suivre mon malade : la convalescence s’affirmait, les forces revenaient avec l'appétit et je pus partir pleinement rassuré, en laissant au Consulat de France une seringue et quelques flacons de sérum, pour le cas où de nouveaux malades seraient observés au Sémi- naire. Ce sérum ne tarda pas à être employé; et je citerai textuel-- lement ce que Mgr Chausse écrivait à M. Flayelle : « M. Yersin est un médecin prévoyant. En guérissant le jeune séminariste, il a montré la valeur de son remède; en nous laissant une seringue et quelques flacons de sérum, il nous a épargné beaucoup d’ennuis. Deux nouveaux cas se sont décla- rés dans la même maison; l’un, dimanche, l’autre hier lundi. On ainjecté la liqueuret aujourd’hui les deux élèves sont sur pied, les bubons ne sont plus douloureux, la fièvre est à peu près tombée. » Le 1* juillet, je me dirigeai sur Amoy où, d’après les journaux, la peste faisaitencore de nombreuses victimes. Amoy est une ville de deux cents à trois cent mille habitants, dont le port est fréquenté par de nombreux vapeurs venant surtout de de Singapoore, de Manille, de Shanghaï et de Hong-Kong. La peste a été importée de cette dernière ville, l’année dernière, et depuis lors elle a régné à Amoy presque sans interruption, avec une accalmie pendant les mois d'hiver où les cas étaient rares. La population européenne (Anglais, Allemands, Américains) habite dans une île rocailleuse séparée de la ville chinoise par la rade, elle a été épargnée. Dans la ville chinoise existe un hôpital créé par le concours philantropique des Européens et des Chinois d’Amoy. Un médecin anglais visite souvent cet établis- sement, quiest d'ailleurs dirigé et servi par des médecins chinois. C'est dans un pavillon abandonné de cet hôpital que je pus m'installer afin d’être plus à la portée des patients. La popula- tion d'Amoy est beaucoup moins hostile aux Européens que celle de Canton, et ne refuse pas les soins des médecins étrangers si mal vus des Cantonais. C’est ce qui explique qu’en dix jours jai soigné 23 cas de peste. Presque tous ces pestiférés ont été traités dans des maisons chinoises. Du matin au soir, on venait 88 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR me chercher pour voir de nouveaux malades, et on arrêtait ma chaise à porteurs, dans la rue, pour me faire entrer dans quelque : maison dont un habitant venait d’être atteint par le mal. De ces pestiférés, traités par la séro-thérapie, deux sont morts et vingt et un ont guéri. Les deux qui ont succombé étaient arrivés au 5° jour de la maladie quand le traitement a été entrepris; l’un est mort 5 heures et l’autre 24 heures après la première injection de sérum. Voici le résumé des résultats obtenus à Amoy. 6 pestiférés étaient au premier jour de la maladie; la guéri- son a été obtenue chez tous en 12 à 24 heures, sans suppuration du bubon, par l'injection de 20 c. c. à 30 c. c. de sérum. 6 étaient au deuxième jour. La guérison a été plus lente et pour l’obtenir j'ai dû injecter de 30 à 50 c. c. de sérum : elle était complèle en 3 à 4 jours, sans suppuration du bubon. 4 étaient au 3° jour; la fièvre a persisté 1 à 2 jours après le début des injections; la guérison a été plus lente et les bubons ont suppuré dans deux cas (sérum injecté de 40 c. c. à 60 c. e.). 3 étaient au 4° jour; ils ont guéri en 5 à 6 jours, un seul bubon a suppuré (sérum injecté de 20 c. c. à 50 c. c.). 4 étaient au 5° jour; deux sont morts dont l'état était désespéré au moment du traitement, les deux autres ont guéri (sérum injecté de 60 c. ce. à 90 c. c.). Ces 23 maiades comprenaient : 6 jeunes garçons, 3 jeunes filles, 8 hommes, 4 femmes, 1 vieillard homme, 1 vieillard femme. | Jusqu'à présent, 26 pestiférés ont été traités par le sérum (3 à Canton, 23 à Amoy): ils ont fourni deux morts, soit une mor- talité de 7,6 0/0. | Vingt-six cas, c’est peu assurément pour établir qu'un remède est spécifique et efficace : j'en conviens facilement et je suis le premier à déclarer qu'il faut de nouvelles expériences. Mais, si l'on considère que la peste est la plus meurtrière des maladies humaines, on -conviendra que nos 26 observations prennent une valeur singulière. Tous ceux qui ont observé la peste estiment que la mortalité qu'elle cause n’est pas inférieure à 80 0/0, et comme de plus les patients que j'ai traités offraient pour la plupart des symptômes alarmants, il n'est guère à craindres que les résultats obtenus soient démentis dans la suite. SUR LA PESTE BUBONIQUE. 89 En général, la peste n’est pas une maladie qui dure; la mort survient souvent en 3 à 4 jours : il faut donc se hâler d'intervenir. Elle est d'autant plus facile à guérir que le sérum est injecté plus tôt. On est vraiment étonné de voir se dissiper, en quelques heures, les symptômes les plus alarmants, lorsque le sérum est donné dans les deux premiers jours de la maladie. Les bubons se résolvent pour ainsi dire à vue d'œil. Si l’intervention est plus.tardive, il faut davantage de sérum et on ne parvient pas toujours à éviter la suppuration des bubons, mais celle-ci, au lieu de se prolonger, cemme dans le cas où la peste guérit spon- tanément, se tarit en quelques jours. Une preuve de l'efficacité du sérum, c’est le rétablissement complet et rapide des personnes traitées, tandis que, d'ordinaire, la convalescence est longue et pénible même pour les patients atteints de peste bénigne. Le sérum est impuissant lorsque la maladie est trop avancée. Dès que le pouls et la respiration deviennent irréguliers, que le cœur s’affaiblit, l'empoisonnement est trop avancé et le sérum ne peut rien. . Le sérum empioyé à Amoy m'avait été envoyé de l'Ins- titut Pasteur de Paris, ii était préventif x la dose de 1/10 de c. C., pour “une souris de 20 grammes. Il avait été expédié d’abord à Nha-Trang, d'où je.l’avais transporté à Hong-Kong, puis à Canton, puis à Amoy. Malgré tous ces voyages perdant la saison chaude, il avait conservé ses propriétés curatives. C'est là un fait intéressant, qui démontre que le sérum anti-pesteux pourra être expédié au loin I va sans dire que les sérums qui nous ontservi étaient bien loin de posséder toute l’activité qu'on peut obtenir. Ils étaient même très faibles, si on les compare aux sérums anti-diphtérique et anti-tétanique : il faut donc s’efforcer d'en préparer de beau- coup plus actifs qui agiront mieux encore et à plus faible dose. D'ailleurs, dans bien des cas, j'ai donné plus de sérum qu'il n'élait nécessaire, et j'ai pratiqué des injections à des convales- cents dans le seul but de précipiter une guérison déjà assurée. Les patients se sont plaints, quelquefois, de douleurs assez vives au point d'injection, mais celles-ci se dissipaient prompte- ment, et aucun accident de quelque importance ne peut être attri- bué au sérum. Le diagnostic bactériologique n’a pas été fait dans Lous les 90 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. cas traités. Je n'avais pas le loisir d’ensemencer des tubes de gélose et de regarder au microscope; cependant, j'ai constaté le bacille spécifique dans plusieurs bubons. La peste est une maladie assez facile à reconnaître, pour que celte omission enlève beaucoup de leur valeur aux observations que j'ai rapportées. Le sérum anti-pesteux a-t-il des propriétés anti-toxiques, ou est-il seulement efficace contre le microbe? La réponse à cette question suppose la connaissance de la toxine de la peste. Celle- ei existe, j'ai pu la retirer des cultures, etje me propose d’en faire plus tard l'étude ; mais, actuellement, la peste est trop menaçante pour songer à autre chose qu'à préparer du sérum, sans pénétrer le mécanisme de son action. Jusqu'ici, le sérum anti-pesteux n’a été employé que dans le cas de maladie confirmée. D’après ce qui a été observé chez les animaux, il doit être plus efficace encore pour prévenir la peste que pour la guérir. Il est donc tout indiqué, lorsqu'un cas de peste a éclaté dans une maison, d’injecter préventivement du sérum à toutes les personnes exposées à la contagion. Je pense que c'est la mesure ia plus efficace contre la diffusion de la maladie. Combien de temps durerait l’immunité ainsi conférée? Des expé- riences en train surles animaux l’établiront. Mais je me promets bien d'essayer ces injections préventives lorsque je serai muni d'une assez grande quantité de sérum pour entreprendre une nouvelle campagne. APPENDICE | ; Je donne ici un court résumé des vingt-trois cas de peste traités à Amoy. Cas N0 1. — Jo, 21 ans, pris le 7 juillet à midi. Accablement, fièvre, vertiges. Petit bubon très douloureux à la région erurale droite, — A sept heures du soir, injection de 20 c. e. sérum de Nha-Trang et 20 c. c. sérum de Paris. 8 juillet. — 8 h. du matin : fièvre disparue, bubon presque dissipé, plus du tout douloureux. Les piqûres de sérum font encore mal. 9 juillet. — Plus de trace du bubon, le malade mange avec appétit et reprend rapidement ses forces. Cas N0 11. — Chinois âgé de 32 ans, malade depuis 2 jours, gros bubon crural à droite, très douloureux au toucher, fièvre, pouls : 120 à la minute. Accablement, somnolence. A 3 h. 30, le 6 juillet, injection de 60 €. c. sérum de Paris. SUR LA PESTE BUBONIQUE, 91 7 juillet. — 6 heures du matin. La nuit a été bonne, peau moite, pouls 94. Bubon bien limité, encore douloureux. Injection de 40 c. c. de sérum. 8 juillet. — Le malade va de mieux en mieux. Plus de fièvre, plus d'ac- cablement. Le bubon est encore douloureux et contient du pus. Cas N0 ur. — Sin Ouah, garçon de 10 ans, malade depuis 3 jours. Bubon crural gauche, douloureux, forte fièvre. 8 juillet. — À 9 heures du soir injection de 20 c. e. sérum'de Paris. 9 juillet. — Grande amélioration, plus de fièvre, plus de céphalalgie, le - bubon n'est plus douloureux, l'enfant est gai et éveillé. Ses parents lui donnent beaucoup à manger. A dix heures la fièvre reprend assez forte, In- jection de 10 c. c. sérum. A trois heures du soir, langue saburrale, gar- gouillements dans le ventre qui est douloureux. Je pense à une fièvre typhoïde. Je fais prendre de l'huile de ricin. 10 juillet. — Fièvre continue, le ventre est douloureux, gargouillenents. A 2 heures du soir, injection de 20 ce. c. de sérum Nha-Trang. Le bubon n'est plus douloureux et a beaucoup diminué. 11 juillet. — La maladie ressemble de plus en plus à une fièvre typhoïde: prise de naphtol et de magnésie. 12 juillet. — Bubon totalement disparu. La fièvre typhoïde suitsa marche normale. Cas N9 1V. — Femme chinoise, 54 ans, est malade depuis 3 jours. 8 juillet. — Gros bubon crural gauche, fièvre, abattement. Injection. A LL 2 heures du soir de 40 c.c. sérum de Paris. 10 juillet. — Plus de fièvre, bubon limité, moins douloureux. : A1 juillet. — Bubon très réduit. Etat général satisfaisant. 12 juillet. — Bubon disparu. Bon état général. Cas N0 v. — Femme chinoise âgée de 35 ans, malade depuis 2 jours. 8 juillet. — Forte fièvre, abattement, céphalalgie, bubon crural droit à 10 heures du matin, injection 40 c. c. sérum de Paris; 6 heures du soir, mieux notable, fièvre tombée, moins de faiblesse; bubon moins douloureux. 10 juillet. — Ni fièvre, ni abattement, bubon presque disparu, encore un peu de faiblesse, sans quoi la guérison serait complète. Cas N0 vi, — Yong, femme chinoise, #5 ans, malade depuis 2 jours. 8 juillet. — Bubon axillaire gauche très douloureux, forte fièvre, pouls 130, vomissements, accablement. A 8 heures du soir, injection 40 ec. c. sérum de Paris. . , 9 juillet. — 6 heures du matin, fièvre diminuée, pouls, 96; plus de cépha- lalgie, bubon encore douloureux. Injection de 60 c. c.sérum de Paris. 10 juillet. — Fièvre disparue ainsi que l'abattement. Bubon bien limité, douloureux encore, va suppurer. 12 juillet. — Petit accès de fièvre. Injection de 35 e. € de sérum. A guéri. Cas N0 vis. — Koun, garçon chinois, àgé de 10 ans, malade depuis un jour. 8 juillet. — Bubon crural gauche, très douloureux, forte fièvre. A 10 heures du soir, injection de 30 c. c. sérum de Paris. 9 juillet. — Bubon moins douloureux, fièvre encore forte, céphalalgie, pouls 130, tête brûlante, yeux injectés. A 10 heures*du matin, injection de 20 c. c. desérum Paris. 92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 10 juillet. — Plus de fièvre, plus de bubon, guérison complète, encore un peu de faiblesse. Cas N0 VII. — Théou, garçon chinois de 18 ans, malade depuis un jour. Sjuillet, — Forte fièvre, bubon crural gauche, très douloureux. A 10 heures du soir, injection de 30 c. c. de sérum de Paris, 9 juillet. — Plus de fièvre, bubon diminué, moins douloureux. 10 juillet. — Guérison complète. Cas N°0 1x. — Chinois de 19 ans, malade depuis 4 jours. 6 juillet. — 10 heures du soir, bubon crural gauche très douloureux, fièvre intense, pouls 160, délire, vomissements. Le malade est moribond. Injection de 69 c. c. sérum de Nha-Traug. Mort à 2 heures du matin. Cas N0 x. — Tihi-Chin, Chinois de 18 ans, arrivé au 5e jour de la maladie, 8 juillet. — Gros bubon crural droit très douloureux, fièvre intense, pouls 159, faible intermittent, état général très mauvais. Injection de 40 c. c. sérum de Paris. 9 juillet. — T heures du matin. Pas d'amélioration, intoxication pro- fonde, injection de 50 c. c. de sérum de Paris. 8 heures du soir. Etat déses- péré, délire, 180 pulsations, je renonce à continuer le traitement. Mort dans la nuit. Cas 0 xt. — Zia-Diou, fillette de 15 ans, malade depuis 3 jours, l’état s’est beaucoup aggravé depuis hier. 9 juillet. — Bubon crural gauche. Fièvre, hébétude, langue saburrale, mal de tête. Injection de 20 c. c. sérum de Paris à 8 heures du soir. 10 juillet. — Plus de fièvre. Bubon presque disparu, non douloureux. Cas N0 x11. — Thü, garçon de 13 ans. Malade d'aujourd'hui, 10 juillet. — Bubon crural gauche, fièvre intense, mal de tête. Injection, à 4 heures du soir, de 20 c. c. de sérum de Paris. 11 juillet. — Le bubon a disparu. Plus de fièvre. Cas N0 xuI. — Tchiou, jeune homme de 17 ans, malade depuis 4 jours. 10 juillet. — Fièvre intense, langue saburrale, prostration, diarrhée. Pas de bubon visible. À 6 heures du soir, injection de 50 c. c. de sérum de Paris. 1 juillet. — La langue est moins chargée, la fièvre esttombée, l’accable- ment moindre. 12 juillet. — Injection de 20 c. c. sérum de Paris, pour achever de dis- siper la fièvre. 13 juillet. — Amélioration si grande que le malade peut être considéré comme guéri. Cas N0 xIV, — Leng, Chinois de 26 ans, en traitement à l'hôpital pour un abcès dans le dos, il y contracté la peste. 10 juillet. — Bubon crural droit très douloureux, forte fièvre, lassitude, Injection de 40c. c. de sérum de Paris. 6 heures du soir, grande amélioration. A1 juillet. — Bubon et fièvre ont disparu. Cas N0 xv. — Pou, fillette de 15 ans. Malade depuis le 11 juillet. 12 juillet. — Etat comateux, insensibilité, yeux larmoyants, forte fièvre, pouls 140. Bubon crural à gauche, volumineux; à 10 heures du matin, injection de 50 c. ce. sérûm de Paris; 6 heures du soir. moins de torpeur, pouls 136, injection de 15 c. c. sérum de Paris. SUR LA PESTE BUBONIQUE. : 93 43 juillet. — 8 heures du matin. Grande amélioration, la malade a toute sa connaissance, fièvre encore forte, pouls 130. Bubon moins douloureux et moins volumineux. ’ 14 juillet. — Le mieux s'accentue, et la jeune fille guérit complètement, Cas N0 xvi. — Déou, femme de 2,9 ans; malade depuis 2 jours. 12 juillet. — Forte fièvre, vomissements, bubon crural droit, encore peu volumineux, il a apparu le 11 juillet. Lassitude extrême, toux. A 11 h. 30 du malin, injection de 50 c. c. sérum de Paris. 13 juillet. — Le bubon et la fièvre ont disparu. Cas No xvir. — Eu, femme de 38 ans. Malade depuis hier. 12 juillet. Fièvre, lassitude, bubon crural droit très douloureux. A53heures du soir, injection de 50 c. c. de sérum de Paris. 13 juillet. — Plus de fièvre. Bubon presque disparu. Cas N9 xvirr. — Pine, vieux Chinois de 72 ans, malade depuis le malin. 12 juillet. — Fièvre, bubon crural gauche très douloureux. À 7 heures du soir, injection de 50 c. c. de sérum de Paris. 13 juillet. — Plus de fièvre. Bubon presque disparu. Cas N9 x1Ix. — Siouah, Chinois de 17 ans. Malade depuis hier, 12 juillet. — Cas très grave: fièvre intense, vomissements, état comaleux. Bubon crural droit ; à 8 h,30 injection de 50 c. c. sérum de Paris, 13 juillet. — 8 heures ; amélioration très notable. Le malade a repris toute sa connaissance ; la fièvre est encore forte, le pouls est à 130. Le bubon est diminué, mais encore douloureux. Injection de 40 c. c. de sérum de Paris. , Des nouvelles quim'ont été envoyées de ce malade annoncent qu'il à par- faitement guéri. Cas N9 xx. — Jisah, Chinois de 26 ans. Malade depuis le 11 juillet au soir. 12 juillet. — Fièvre, céphalalgie, courbature, faiblesse, pas de bubon. A 11 heures du soir, injection de 35 c. €. de sérum de Paris. = 13 juillet. — Le malade se dit guéri, plus de fièvre ni de courbature, Cas N9 xx1. — Pouinzo, Chinois de 28 ans. Malade depuis le 12 juillet au soir. 13 juillet. — Fièvre intense ; bubon axillaire droit. A 9 heures du matin, injection de 30 c.c. de sérum de Paris. Guérison en 2 jours. Cas N0 xx1r. -— Sien-di, Chinois de 20 ans. Malade depuis 3 jours. 13 juillet. — Fièvre intense, bubon crural droit. Injection de 30 c. e. de sérum de Paris. A guéri avec suppuration du bubon. Cas"N9 xx. — Thou, garçon de 12 ans. Malade depuis le 12 juillet. 13 juillet. — Forte fièvre. Bubon crural droit. À 9 heures du malin, injection de 20 c. c. de sérum de Paris. Guérison complète en 2 jours. J'avais épuisé ma provision de sérum, et pour échapper aux sollicitations des parents de malades pour lesquels je ne pouvais plus rien, ie quittai Amoy, laissant quelques-uns de mes patients en convalescence ; tous guérirent comme j'en fus informé plus tard, LETTRE DE M. L£ D° DE CHRISTMAS à Monsieur le Rédacteur en chef des ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR Dans le si intéressant travail de MM. Calmetteet Deléarde sur l’abrine et le venin des serpents, paru dernièrement dans les Annales, ces auteurs attribuent la découverte du principe actif du jéquirity à MM. Kobert et Hiller (note, page 687). Ceci est une erreur. Cette substance si curieuse que nous avons nommée jéquiritine et que M. Ebrlich plus tard a baptisée abrine ‘, a été étudiée et isolée pour la première fois en 1883 par M. Salomonsen et moi, et notre travail (Die Aetiologie der Jequirity Ophthalmie, Fortschritte der Medicin., février 1884) a paru justement dans le même numéro du journal où M. Neisser, après s’être élevé contre la prétention de M. Sattler d'avoir découvert une nou- velle maladie infectieuse, rend compte des essais infructueux * dé différents auteurs (Hilger, Giesman) pour isoler une sub- slance active des graines de jéquirity. Indépeadamment de nous et vers la même époque à paru une commuuication de MM. Bruylants et Veuneman (Bull. de l'Ac. de méd. de Belgique, 3° série, t. X VITE, p. 1) dans laquelle ces auteurs annoncent avoir isolé des graines une substance phlogogène, qui est sans doute identique à la nôtre. Si je me permets de rappeler ces publications déjà lointaines sur la jéquiritine, ce n’est pas seulement pour soulever une question de priorité de peu d'importance, mais parce que notre étude sur l’éliolouie de l’ophtalmie jéquiritique, ainsi qu'un autre travail paru la même année?, tous les deux si complète- ment oubliés aujourd'hui, renferment quelques faits de nature à intéresser les savants que ces questions occupent. C'est ainsi que nous avons indiqué la manière de se procurer la jéqui- ritine en état de pureté relative, en la précipitant par l'alcool des solutions aqueuses ou glycérineuses. Pour obtenir des solutions d'une grande stabilité, nous avons indiqué un procédé — l’ex- 4. Deutsche med. Wochenschr., 1891, nos 32 et 44. 2, Ueber Pseudoinfection bei Frœsche, Fortschr. der Med., 188#. SUR LA JÉQUIRITINE 95 trait glycérineux des graines broyées — permettant d'obtenir une solution facile à doser et inaltérable. Je possède des solutions glycérineuses qui, vieilles de deux ans, ne semblent rien avoir perdu de leur activité. Nous avions également attiré l'attention sur ce fait assez important et encore peu connu, que les solutions de jéquirity ne se laissaient pas filtrer sur la porcelaine, qui retient la lotalité de la substance active, même si on filtre de grandes quantités de liquide. J’ai voulu me rendre compte si les choses se passent encore aujourd'hui comme il y a quatorze ans, et voici le résultat non équivoque de l’expé- rience. Dix grammes de graines de jéquirity décortiquées et grossiè- rement broyées sont infusés pendant une demi-heure avec 200 grammes d’eau, et filtrés sur une petite bougie Chamberland neuve. Un centimèlre cube du liquide filtré est injecté sous la peau d’une souris, et plusieurs gouttes sont instillées dans la conjonctive d’un lapin. Comme contrôle, on. injecte 1 c. ce. de l'infusion non filtrée sous la peau d’une autre souris, et on applique une goutte non filtrée sur la conjonctive d'un lapin. 24 heures après,la souris de contrôle est trouvée morte: l'œil du lapin est le siège d'une ophtalmie jéquiritique caractéristique, tandis que le liquide filtré n’a produit aucune trace de con- jouctivite et n’a en aucune façon affecté la souris qui, malgré la forte dose reçue, est encore en bonne santé. Dans notre seconde publication (Pseudo-infection chez la grenouille), nous avons décrit “un curieux état de cachexie chez la grenouille intoxiquée par de petites doses de jéquirity, et dans lequel la résistance du batracien envers les invasions bactériennes est à un tel point diminuée, qu’il suffit de lui inoculer une quantité minime d’un microbe quelconque, non pathogène, pour voir celui-ci se déve- lopper en masse dans le sang, la lymphe et les organes. simulant ainsi ung véritable maladie infectieuse. Pour finir, je voudrais diren mot sur l'application du jéqui- rity à la thérapeutique humaine. MM. Calmette et Deléarde conseillent en cas de trachome l'application sur la conjonctive de l’infusion de jéquirity, suivie d’une injection sous-cutanée de sérum antiabrique. Cette ingénieuse méthode, qui dans les labo- ratoires peut donner d'excellents résultats, ne sera peut-être pas d’une application très facile dans la pratique médicale. Je a 96 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. conseillerai plutôt de se servir de solutions glycérineuses, dont la toxicité est diminuée par un chauffage gradué. Il n’est en * effet pas tout à fait exact, comme tous les auteurs le disent, que la toxicité de la jéquiritine est anéantie par un chauffage à 65°. Pour que celte température abolisse le principe actif des graines, il faut la prolonger pendant 30 à 40 minutes. Si le chauffage dure moins-longtemps, la toxicité subit seulement une diminu- tion, et il est possible de chauffer un instant «les solutions jusqu’à 90° avant de voir disparaître complètement leur toxicité. A cette température, une goutte d’infusion injeclée sous la peau d’une souris la tue encore, mais cette même dose, instillée dans la conjonctive du lapin, ne produit plus qu'une légère conjonc- tivite, qui guérit en quelques jours. En chauffant les solutions de 65° à 90°, on oblient donc une jéquiritine de plus en plus affaiblie et, chose importante, les solutions conservent leur degré de toxicité pendant des années. L’injection intraveineuse et graduée de ces solutions affaiblies constitue un excellent moyen pour l’immunisation des animaux de laboratoire, et ilserait facile, il me semble, de trouver pour l'application thérapeutique du jéquirity le degré d’affaiblissement juste nécessaire pour obtenir l'effet thérapeutique désiré tout en évitant les effets désastreux de panophtalmie, que les oculistes ont eu si souvent à enregis- -- trer en appliquant les infusions fraîches sur la conjonctive humaine. Veuillez agréer, etc. à D' F. px Curisrmas, : Paris, 7 janvier 1897. . + Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie Charaire et Ce, “stone TALATS et R0SS L7 6 # À FE ] ; | 4 fs K Hem yats Den tarre, * . % + D x2 CO | e Annales de l'Institut Pasteur Annales de l'Institut Pasteur AGE RÉRRCY) FE 4ime ANNÉE FÉVRIER 1897 No 19 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR CONTRIBUTION À L'ÉTUDE EXPÉRINENTALE DES MYOCARDITES LÉSIONS DU MYOCARDE DANS L'INTOXICATION AIGUE PAR LA TOXINE DIPHTÉRIQUE PAR MM. J. MOLLARD er CL. REGAUD,. (Travail du laboratoire d’Anatomie générale de la Faculté de médecine de Lyon, directeur M. le professeur Renaut.) CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES Nous avons entrepris une série de recherches expérimentales dans le but d'étudier ia pathogénie des lésions cardiaques caté- gorisées en clinique humaine sous Le nom de myocardites ‘. Il est hors de doute, en effet, qu’il s’agit là d’une question très obscure, et qui ne semble pas pouvoir être résolue par l'étude histologique des cœurs de provenance humaine fournis par des autopsies. Chez l'homme, d’une part, la pathogénie des lésions est rarement simple; d'autre part, même au cas où elle le serait, il est très difficile de suivre les diverses phases du processus anatomo-pathologique. Par la méthodeexpérimentale, au contraire, on peut détermi- ner à volonté des lésions aiguës et chroniques ; on peut sacrifier les animaux en expérience à une date déterminée et arrèter les 1. Nous employons le mot »7yocardile dans le sens très général de lésions du myocarde. 7 98. + ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. progrès des lésions. Il est ainsi possible de voir comment elles débutent et comment elles évoluent. Nous reconnaissons que c’est là une œuvre longue et difficile; nous nous hâtons de dire que nous sommes encore loin de l'avoir achevée. Mais l'expéri- mentation est, croyons-nous, la seule manière de résoudre le problème que nous posons. Une autre raison qui n’a pas peu contribué à obseurcir la question des myocardites, c’est la préoccupation, évidente chez la plupart des auteurs, de faire intervenir, dans l'appréciation des faits observés par eux, les doctrines de linflammation. Or les problèmes soulevés par l’étude des myocardites aiguës et chro- niques sont susceptibies d’être résolus en dehors de toute idée doctrinale préconçue. L'étude d’une série d’infections et d’intoxi- cations expérimentales aiguës permettra de reconnaître le rôle du tissu conjonctif, des vaisseaux, des leucocytes, de la fibre musculaire dans l'édification des lésions complexes, sans qu'il soit nécessaire de poursuivre indéfiniment des discussions stériles sur leur nature dégénérative ou inflammatoire. 1l en est de même pour les myocardites chroniques. Les lésions du myocarde, parenchymateuses ou interstitielles, sont-elles alors chroniques d'emblée, ou bien au contraire procèdent-elles dans un grand grand nombre de cas de lésions aiguës? Et, dans cette dernière hypothèse, comment se fait le passage de l’état aigu à l’état chronique? Faut-il accuser avec les uns l'extension des lésions artérielles, ou avec les autres les progrès de la sclérose primitive du tissu conjonctif? Uette sclérose elle-même, généralement considérée comme la lésion fondamentale de ce qu'on appelle la myocardite chronique, comment se constitue-t-elle? Le tissu conjonctif devient-il, dans certaines conditions, un agent d'at- taque, au point d’étoufler les éléments nobles dont il est chargé d'assurer la nutrition ? Ou bien sont-ce ces éléments nobles qui souffrent et dégénèrent en premier lieu, el la sclérose du tissu conjonctif n’arrive-t-elle que secondairement pour combler les vides résultant de la disparition des fibres musculaires dégé- nérées et résorbées? Voilà tout autant de problèmes pour les- quels nous n’avons trouvé de solutions satisfaisantes ni dans les travaux antérieurs, ni dans les nombreuses observations per- sonnelles que nous avons faites sur des myocardes humains. Ces ‘solutions, à notre avis, doivent être demandées à la médecine MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 99 expérimentale qui, déterminant de propos délibéré, et par des procédés variés mais toujours simples, des lésions du muscle - cardiaque, nous permettra d'analyser minutieusement ces lésions et de les étudier à toutes les phases de leur développement. Après diverses tentatives infructueuses, nous avons choisi Jintoxication par les cultures filtrées du bacille diphtérique. Les raisons de ce choix ont été les suivantes : La diphtérie est une cause de lésions du myocarde bien connue en pathologie humaine, et l’on sait que c’est par l’inter- médiaire de sa toxine qu’elle détermine des lésions viscérales. Toutefois, chez l'homme, la fréquence des infections secondaires introduit un élément complexe dans l'appréciation des lésions. Expérimentalement, il est possible de se mettre à l'abri de cette cause d'erreur, et de distinguer les lésions qui peuvent être pro- duites par des agents aussi différents qu’un poison soluble et des microorganismes. En second lieu, la toxine diphtérique est un poison à la fois extrèmement actif et très facile à manier. Suivant qu’on l’em- ploie pure ou diluée, à dose forte ou moyenne, comme nous l'indiquerons dans l'exposé de notre technique, on peut tuer les animaux en 24 heures, ou leur donner une maladie que l’on sait devoir être mortelle, mais avec une survie variable. Avec une dose faible, on ne détermine qu’un trouble passager dans la santé, et on peut ainsi renouveler la même intoxication un cer- tain nombre de fois. Enfin, dernier avantage, grâce à l'emploi du sérum antidiphtérique, on peut arrêter l’évolution de la maia- die expérimentale. On fait une intoxication grave qui, d’après les faits antérieurement observés, devrait faire mourir le sujet en 10 à 15 jours. Lorsque l'animal est suffisamment malade pour qu'il y ait tout lieu de supposer qu’il est déjà atteint de lésions viscérales notables, on le guérit par l’antitoxine. Il est permis de croire que l’on pourra par ce procédé déterminer des lésions cardiaques graves, intervenir à temps pour qu'elles ne soient pas fatalement mortelles, et voir ultérieurement comment elles se réparent, ou bien dans quel sens et sous quelle forme elles continuent à évoluer. Avant d'exposer les résultats de nos recherches personnelles, nous allons rappeler brièvement les travaux expérimentaux qui ont précédé le nôtre. 100 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. HISTORIQUE Les expériences faites spécialement dans le but de provoquer des lésions de myocarde, et celles poursuivies dans un but diffé- rent, mais au cours desquelles on a pu constater des altérations diverses du muscle cardiaque, sont déjà nombreuses. Toutefois ilfautreconnaître quela plupart d’entreelles n’ontapporté aucune contribution importante à l'étude des processus histologiques. On trouvera dans le consciencieux travail de Comba (11) quel- ques renseignements sur les lésions myocardiques expérimen- tales observées accessoirement par Ribbert (1), Bonome (2), au cours de l'infection par le staphylocoque, et par Mircoli (3) après inoculation de streptocoque. Les faits de Rodet (4) et de Lanne- longue et Achard (5) au cours d’expériences sur l’ostéomyélite; ceux de Kostiurine et Krainsky (8) concernant l’action de la tuber- culine, ceux de Welch et Flexner (9), relatifs à la toxine diphté- rique, constituent des observations isolées : on pourrait en réunir beaucoup d’autres. La communication de Charrin (6) au Congrès international de Berlin (1890), sur les myocardites expérimentales, est plus importante. Parmi les myocardes malades présentés par l’auteur, s’en touvait un provenant d’un lapin intoxiqué par les produits du bacille pyocyanique qui, après évaporation dans le vide, à froid, sont insolubles dans l'alcool. L'animal avait succombé au bout de quelques semaines, en asystolie, avec une congestion extrême dans les poumons, le foie et les reins. Depuis cette communication, Charrin (7) est revenu à plu- sieurs reprises sur l'influence des toxines microbiennes sur le myocarde, mais sans donner, croyons-nous, de nouvelles des- criptions histologiques. Le travail de Hesse (10) date de 1892. Dans le myocarde d’un lapin infecté avec le bacille de la diphtérie, il a trouvé une dégé- nérescence granuleuse plus ou moins intense des cellules mus- culaires. Au voisinage des noyaux, qui étaient de forme el d’as- pect normaux, s’observaient quelquefois des vacuoles dans le protoplasma cellulaire. Le tissu conjonctif interstitiel était en majeure partie normal. En cinq points seulement, on pouvait constater de petits amas de cellules rondes autour des vaisseaux distendus par le sang. MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 101 Nous avions déjà commencé nos expériences personnelles et obtenu des résultats positifs depuis plusieurs mois lorsque nous avons eu connaissance du travail de Comba (11). Ce travail récent (1894) est de beaucoup le plus remarquable de ceux qui ont paru jusqu’à ce jour, en raison de la rigueur et du nombre élevé des expériences, de la précision des détails histologiques, de la comparaison rigoureuse établie par l’auteur entre les lésions du cœur dans la diphtérie expérimentale et la myocar- dite diphtérique ou même les myocardites infectieuses en géné- ral observées chez l’homme, enfin en raison des conclusions importantes auxquelles il arrive. Ces conclusions sont les sui- vantes : « 4° Les altérations expérimentales du myocarde du lapin produites par le bacille de Lüffler sontles mêmes que celles qu’on obtient avec les cultures filtrées de ce même microorga- nisme ; 2° les lésions intéressent soit la cellule musculaire, soit le tissu conjonctif interstitiel et les vaisseaux; elles sont cepen- dant beaucoup plus constantes et plus intenses dans la cellule musculaire; 3 il n’y a aucun rapport direct entre l'intensité des altérations des éléments contractiles et l'intensité des alté- rations du tissu conjonctif interstitiel; 4° les lésions du myocarde dans la diphtérie expérimentale sont analogues à celles déjà décrites chez l’homme dans la diphtérie et les autres mala- dies infectieuses; 5° mes expériences confirment le fait déjà noté par Schemm et Romberg chez l’homme : c’est que les métamor- phoses de la cellule musculaire cardiaque dans la diphtérie ne dépendent pas de l'hyperthermie, mais sont dues à l’action directe du poison diphtérique sur les éléments contractiles. » Tedeschi (12) s’est placé à un point de vue plus restreint. Dans son travail, fait en 1892, il a cherché seulement à reproduire expérimentalement la dissociation segmentaire. A la suite de la section ou de la névrite irritative expérimen- tale du nerf pneumogastrique, Eichhorst (13) en 1877, Was- silief (14) en 1881, Arthaud et Butte (15) en 1892 ont constaté des lésions du myocarde qui leur permirent d’affirmer l’action tro- phique de ce nerf sur le cœur. Le travail de Fantino (16), sur le même sujet, paru en 1888, présente un grand intérêt au point de vue de la pathogénie des myocardites, bien qu’il ait passé ina- perçu. L'auteur a réussi à déterminer des lésions des fibres car- diaques et des foyers de sclérose par la section unilatérale du 102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pneumogastrique chez le lapin et le cobaye. On ne constate rien de semblable après la section des rameaux cardiaques du grand sympathique. L'auteur admet que le pneumogastrique renferme . des fibres trophiques pour le myocarde. T'out récemment (1896), Weber et Blind (17) ont injecté direc- tement dans le myocarde d’un lapin, une première fois 1 gramme d'alcool absolu, puis trois fois successives, dans l’espace de six semaines environ, 1 gramme d'essence de térébenthine. Il nous est impossible de reproduire ici la longue description histolo- gique donnée par les auteurs. « En résumé, concluent-ils, l’ob- servation de cette myocardite expérimentale nous montre qu'entre les lésions dites interstitielles et les altérations du parenchyme musculaire, la prépondérance revient à ces dernières. L'appel leucocytaire, l'hyperhémie vasculaire sont des altérations mani- festement d'ordre secondaire. C’est à peine si l’on peut noter une modification importante du tissu conjonctif. Tout au con- traire plaide en faveur d’une lésion primitive de la fibre muscu- laire causée par l'injection irritanie. » TECHNIQUE EXPÉRIMENTALE. — PHÉNOMÈNES OBSERVÉS CHEZ LES ANIMAUX. —— TECHNIQUE HISTOLOGIQUE La toxine dont nous nous sommes servis nous a été obligeam- ment donnée par M. L. Martin, de l'Institut Pasteur. Elle pro- vient de la filtration sur bougie Chamberland de cultures de bacilles de Lœffler en bouillon de veau peptonisé. Aussitôt après sa fabrication, elle a été enfermée dans des tubes qui ont été scellés à la lampe et conservés dans l’obscurité. D’après la moyenne de nos expériences, l’activité de cette toxine pour le chien peut s'exprimer en disant que 0,05 c. c. par kilogramme tuent l'animal en 8 jours. Le pouvoir toxique s’est conservé sans changements depuis plus de 18 mois. Nous n'avons pas cru devoir injecter aux animaux de cultures vivantes. D'ailleurs les expériences de Comba montrent que les lésions du myocarde produites par l’inoculation de cultures com- plètes du bacille de Læffler sont identiques à celles que l’on déter- mine au moyen des cultures filtrées. Nous n’avons jamais inoculé à nos animaux de la toxine non diluée, parce que l’on ne peut pas apprécier avec une exactitude MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 103 suffisante la dose injectée. Nous nous sommes servis de dilu- tions au 1/10, au 1/20 ou au 1/40, rigoureusement titrées, récem- ment préparées et aseptiques, dans l’eau distillée ou la solution physiologique de sel marin. Les inoculations ont été faites soit dans le tissu cellulaire sous-cutané (chiens, cobayes), soit dans une veine (lapins). Suivant que nous avons voulu faire des lésions aiguës, subaiguës ou chroniques, nous avons procédé différemment ; tantôt nous avons injecté en une seule fois une dose relative- ment grande de poison, tantôt nous avons pratiqué des inocula- tions successives faibles. Plusieurs fois, au lieu de laisser la maladie évoluer spontanément, nous avons tenté de guérir les animaux ou de prolonger leur existence en faisant intervenir le sérum antidiphtérique de Roux. Nous laissons volontairement de côté tout ce qui, dans nos expériences, a trait à la production de lésions chroniques; nous pensons consacrer prochainement à cette question un nouveau mémoire. Disons seulement ici, à cause de la portée possible de notre observation en pathologie humaine, que le traitement des animaux par le sérum antidiphtérique, s'il arrête l’évolution de la maladie lorsqu'il est institué à temps, nous a plusieurs fois paru accélérer la terminaison fatale lorsque nous l’avons em- ployé chez des animaux très malades. Jamais les injections intra-veineuses n’ont donné de réaction locale ; par contre, l'inoculation sous-cutanée détermine toujours l'apparition d’une tuméfaction locale, dure et douloureuse, avec parfois eschare de la peau et ulcération consécutive à la chute de cette eschare. Chez les animaux qui guérissent, cette lésion locale laisse une cicatrice rétractile probablement indélébile. H peut arriver que la plaie cutanée, d’ailleurs inconstante, soit le point de départ d’une infection secondaire. Mais même dans ces cas, par la méthode des cultures, Comba n’a jamais pu déceler de microbes dans le muscle cardiaque. D'ailleurs, que la tuméfaction cutanée soit ou ne soit pas ulcérée, les lésions cardiaques sont les mêmes. La survie est dans une certaine mesure proportionnelle à la dose injectée, mais la résistance individuelle des animaux joue un rôle considérable. On obtient généralement à volonté des sur- vies de 3 à 15 jours, mais 1l est très difficile d'obtenir des survies 104 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. un peu plus longues, de 20 à 30 jours par exemple. Les animaux meurent vers le 15°-17° jour ou résistent indéfiniment. Il n’y a donc pas d'intermédiaires entre une survie très limitée et Ja guérison apparente. Nous serons brefs au sujet des symptômes présentés par les animaux, car cette étude a déjà été très bien faite par les auteurs qui ont étudié la diphtérie expérimentale. En intoxiquant les animaux par le poison diphtérique, on détermine une maladie générale au cours de laquelle la plupart des appareils organiques sont atteints simultanément ou successivement. Notons seule- ment une dépression neuro-musculaire intense, un amaigrisse- ment rapide, l’albuminurie, les troubles digestifs, tous symp- tômes qui ne manquent jamais. Plusieurs fois nous avons observé des paralysies. Les troubles cardiaques, qui nous intéressaient particulièrement, existent, mais, n'étant pas prédominants, ils sont perdus au milieu des autres, symptômes et n'attirent pas l’attention. Nous avons observé de la tachycardie et de l’assourdissement des bruits du cœur. Il paraît certain que l’affaiblissement du myocarde entre pour une part dans les causes de la mort. Nous n'avons jamais observé une véritable myocardite diphtérique aiguë ou subaiguë au sens clinique du mot; et d’ailleurs on peut faire la même remarque à propos de la plupart des localisations myocardiques observées en pathologie humaine au cours des maladies aiguës. Cette réserve n’enlève rien de son intérêt à l'étude des lésions du myocarde, car notre but est d'étudier la manière dont ce dernier se comporte au cours des intoxications microbiennes; et les lésions myocardiques, qu’elles existent seules, ou qu’elles coexistent avec d’autres lésions viscérales, évoluent histologi- quement sans doute d’une façon autonome. Les autopsies des animaux ont été faites en général peu d'heures après la mort. Les pièces, prélevées toujours en divers points du cœur, ont été fixées par le bichlorure de mercure en solution aqueuse concentrée, l'alcool fort, le liquide de Müller, l'acide osmique ou les mélanges chromo-osmiques. Les coupes ont été faites après inclusion des pièces dans la gomme ou dans la paraffine. L’inclusion par la paraffine et l'usage du microtome mécanique permettent d'obtenir des coupes MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 105 très minces et très étendues où l’on peut étudier facilement à la fois la topographie et les détails les plus fins des lésions. Il est certain que la méthode d’inclusion dans la paraffine ne respecte pas toujours parfaitement bien certains détails de fine structure ; mais, outre que l’on peut réduire au minimum les altérations dues à la paraffine en faisant de cette dernière un emploi judi- cieux, on a toujours la ressource de comparer entre elles, comme nous l'avons fait, les préparations obtenues à grand’peine en coupant les pièces à la main avec celles que l’on obtient si faci- lement au microtome mécanique. D'ailleurs la paraffine est sans action nuisible appréciable sur les pièces solidement fixées par le sublimé et surtout les mélanges chromo-osmiques. Les colorations ont été faites avec l’hématéine et l’éosine, ou bien le carmin aluné. Si l’on veut étudier les fines lésions de la fibre cardiaque, les modifications des noyaux, et surtout apprécier exactement la nature des éléments cellulaires et non cellulaires épanchés dans le tissu conjonctif intermusculaire du cœur, il est absolument indispensable d'employer une technique rigoureuse. Une fixation solide, des coupes fines, des colorations suffisamment intenses et précises sont tout à fait nécessaires. Nous avons pu constater souvent que des coupes un peu épaisses, colorées au picro-car- minate et montées dans la glycérine, si elles sont bonnes pour la topographie des lésions scléreuses, ne valent rien pour l'étude analytique des altérations cellulaires. L’insuffisance de la tech- nique histologique employée maintenant encore en anatomie pathologique humaine est sans doute une des causes importantes de l'obscurité et des contradictions qui règnent sur la question des myocardites. Résultats de nos recherches anatomo-pathologiques. I LÉSIONS MACROSCOPIQUES Jamais nous n'avons observé d’épanchement péricardique. Assez souvent le péricarde viscéral, surtout au niveau des oreillettes, présente des ecchymoses. Le cœur des chiens qui ont succombé à l’intoxication diph- 106 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. térique est en général de consistance normale. Il ne se produit pas de dilatation notable des cavités cardiaques. Presque toujours on trouve sur l’endocarde, en divers endroits, des ecchymoses tantôt punctiformes, tantôt en nappes plus ou moins étendues. On voit aussi des hémorrhagies dans l’intérieur du myocarde. La répartition de ces hémorrhagies est très varia- ble; elles sont plus fréquentes dans le cœur gauche, princi- palement au milieu des piliers mitraux et dans Ja zone muscu- laire sous-endocardique. Les ruptures vasculaires qui sont la cause immédiate de ces ecchymoses peuvent se faire pendant l’agonie; on peut les observer chez des chiens sains tués par piqûre du bulbe, et nous n’attribuons à cette lésion qu’une minime importance. Cependant on rencontre parfois à l'examen microscopique des foyers hémorrhagiques non pas agoniques, mais plus anciens, autant que l’on peut en juger par la destruction plus ou moins avancée des globules rouges extravasés. Il est certain que l’in- toxication diphtérique, par les lésions vasculaires qu’elle déter- mine, prédispose aux hémorrhagies. D'ailleurs on trouve de semblables hémorrhagies ailleurs que dans le cœur, et plusieurs fois nous avons observé à l’autopsie de grandes hémorrhagies gastro-intestinales, pleuro-pulmonaires, etc. Il s’agit là de faits très bien connus en pathologie humaine et en pathologie expé- rimentale. Le bord libre des valvules auriculo-ventriculaires est parfois gonflé, ou présente de petites granulations roses. Cette endocar- dite valvulaire est surtout fréquente sur la mitrale. Sur les chiens, nous avons toujours trouvé l’endartère aor- tique normale‘. La coloration du myocarde est presque toujours modifiée. On trouve des zones pâles alternant avec des zones rouges; : 1. Chez un lapin (lapin IV) qui a succombé après plusieurs intoxications successives par la toxine diphtérique et qui a survécu 5 mois, l’endartère aortique était uniformément rugueuse, opaline, craquelée à la vue et au toucher. Il n’y avait pas d’athérome à proprement parler. Jamais, sur une quantité considérable de lapins sacrifiés pour les besoins divers du Jaboratoire, nous n’avons rencontré une semblable lésion. Chez ce même animal, l'examen microscopique du myo- carde a montré de grosses lésions de la fibre musculaire, et un peu d'hyperplasie conjonctive commençante. Voilà donc un cas, d’ailleurs complexe, car, outre les lésions chroniques résultant des premières inoculations,"le myocarde montrait des lésions aiguës datant de la dernière, mais un cas dans lequel il s’est produit une lésion indubitablement chronique de l'aorte, MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 107 souvent il existe des points jaunes qui, comme le montre l’exa- men histologique, correspondent à des territoires très malades ou à des foyers de désintégration. Cet aspect bigarré du muscle cardiaque ne manque pour ainsi dire jamais; il peut résulter de la présence de territoires anémiés alternant avec des territoires hyperhémiés. Ainsi donc, dans les cas aigus ou subaigus, hémorrhagies endocardiques, péricardiques, myocardiques, —rougeur et gon- flement des valvules, — aspect bigarré du myocarde, telles sont les seules lésions que révèle l'examen macroscopique. On rencontre, bien entendu, à l’autopsie des animaux, d’autres lésions viscérales : épanchements séro-sanguinolents dans les plèvres et le péritoine (cobayes), atélectasie et œdème des poumons, lésions de la substance corticale des reins, etc. La rate n’est jamais augmentée de volume. En résumé, de même que les symptômes cardiaques ne sont qu'une partie du tableau clinique présenté par les animaux, de même les lésions du cœur constatées à l’autopsie ne sont pas isolées. D'ailleurs l’aspect macroscopique du myocarde ne peut pas faire préjuger des lésions importantes constatables au microscope; ce sont ces dernières que nous devons maintenant étudier en détail. Il LÉSIONS MICROSCOPIQUES Les observations que nous avons complétement terminées au point de vue histologique se rapportent à 18 animaux : 10 chiens, 5 lapins et 3 cobayes. Etant donnée la constance des résultats obtenus, nous n'avons pas jugé utile de multiplier davantage nos expériences. Les lésions sont fondamentalement les mêmes dans les trois espèces animales choisies; mais à tous égards le chien convient cependant mieux pour de telles recherches, et c'est en général à lui, sauf mention contraire, que nous rappor- terons notre description. Dans tous les cas que nous avons observés, dans des condi- tions d’expérimentation précises et variées, nous avons cons- tamment trouvé des lésions de la fibre cardiaque. Quelquefois elles existent seules, mais ordinairement elles sont accompa- 108 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. gnées d’un degré variable de leucocylose interstitielle. Lorsque la survie a été courte, à la suile d’une intoxication intense, les lésions sont diffuses; au contraire, lorsque l’animal a survécu au delà d’une dizaine de jours, on trouve en outre des terri- toires plus ou moins étendus où les altérations de la fibre mus- culaire aussi bien que la leucocytose interstitielle sont à leur summum; nous désignons ces endroits très malades par l'ex- pression de foyers de désintégration. Enfin, dans presque tous les cas, il existe des lésions des vaisseaux. Les modifications que présente le myocarde portent donc sur l'élément musculaire, sur les espaces conjonctifs et sur les vaisseaux. Il est extrêmement probable que si nos moyens actuels d’inves- tigation nous permettaient de saisir les diverses modalités objectives des nerfs, on trouverait ces derniers altérés. Nous ne sommes malheureusement pas en état, par nos recherches per- sonnelles du moins, d'aborder ce dernier chapitre de la patho- logie du myocarde. Le cœur d’un animal qui a succombé à l'intoxication diphtérique est donc lésé dans toutes ses parties constituantes : nous étudierons ces lésions dans l’ordre indiqué précédemment. A. — Lésions de la fibre musculaire. La fibre musculaire, avons-nous dit, est constamment lésée chez les animaux morts d'intoxication diphtérique. Cette cons- tance des lésions musculaires est tout à fait remarquable. Il s’en faut de beaucoup qu’elles répondent toutes au même type. Sur un même cœur on peut observer une série d'aspects anormaux de la fibre très différents les uns des autres. Ges divers états pathologiques sont-ils indépendants les uns des autres, ou bien succèdent-ils les uns aux autres? L'agent nocif frappe-t-il la cellule musculaire de diverses manières, créant des lésions sans rapport de filiation entre elles, ou bien les multiples aspects que l’on observe sont-ils les étapes successives d’un même pro- cessus? Ce problème très important n’est pas facile à élucider, et ce n’est qu'après l'étude détaillée des lésions que nous pourrons l’aborder. Nous sommes donc obligés d'adopter une classification provisoire. Nous sommes surtout tenus de définir les aspects observés par des expressions ne préjugeant en rien MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 109 de leur mécanisme de production, tout en rappelant aussi exac- tement que possible leurs caractères objectifs. C'est là une règle à laquelle les auteurs ne se sont en général pas astreints, et nombre d'expressions usitées pour désigner des lésions ont le tort de rappeler une théorie, voire une simple hypothèse:. Les premières modifications objectives de la fibre cardiaque paraissent être des altérations de la striation transversale de la substance contractile. L'état granuleux est la plus fréquente et sans doute la première en date de ces modifications. Cet état consiste dans un désordre plus ou moins marqué, remplaçant l’ordre de succession régulier des éléments contractiles dans la longueur et dans la largeur de la fibre. La cellule musculaire est remplie de fines granulations opa- ques, colorées à peu près comme les éléments contractiles nor- maux. À un fort grossissement la striation est reconnaissable, et il est facile de voir que les granulations qui remplissent la fibre sont bien les disques épais et les disques minces qui ont seulement perdu leur ordonnance régulière. L'état granuleux paraît donc résulter de la discordance des cylindres primitifs voisins et d’une succession irrégulière de disques dans un même cylindre*®. Sur les fibres coupées transversalement, les champs de Cohnheim sont bien distincts et la lésion ne se voit pas. L'état granuleux est presque constamment observé, parfois sur toutes ou sur presque toutes les fibres cardiaques, parfois sur un petit nombre. On le rencontre à toutes les périodes ; lorsque l’intoxication est intense et la mort rapide, c’est presque la seule Jésion. Souvent, au contraire, 1l en existe d’autres en même temps Il s’agit là vraisemblablement d'une altération initiale, légère, susceptible de guérir. 1. Les divers aspects de la fibre musculaire malade que nous décrivons ici ont été observés pour la plupart par les auteurs qui ont écrit sur les myocardites parenchymateuses. Si nous voulions indiquer ici l'histoire de chacune de ces lésions en particulier, faire la critique des observations, et discuter les interpré- tations qu’on en a données, il serait nécessaire d’allonger beaucoup notre mémoire. Nous nous bornerons donc à exposer nos observations et l'interprétation que nous croyons devoir leur donner, réservant pour un travail ultérieur la revue géné- rale qu'il nous est impossible de faire ici. 2. Cette lésion est analogue à l’état moiré décrit par M. le prof. Rexaur. (Traité d'histologie pratique, t. 1, p. 768, 1893.) 110 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. La disparition complète de la striation transversale, avec conser- vation relative de la striation longitudinale, s’observe souvent, C’est sans doute un stade plus avancé que l’état granuleux. Les disques épais sont de moins en moins distincts ; ils semblent se gonfler, et le cylindre primitif prend une apparence lisse et homogène. Il y a par contre des états anormaux de la fibre musculaire caractérisés par l’eragération de la striation transversale. Quelquefois la fibre prend un aspect grillagé. La striation longitudinale est conservée, mais la fibre est divisée transver- salement par des stries généralement fines, plus écartées les unes des autres que les lignes normales de la striation en tra- vers. L’entrecroisement des lignes longitudinales et des lignes transversales donne à la fibre muscuiaire un aspect quadrillé, une ressemblance avec un réseau, un grillage à mailles carrées régulières. Nous pensons que cet aspect singulier est dû à la disparition ou à l’absence de coloration des disques épais, les disques minces persistants pouvant être d’ailleurs normalement ou anormalement écartés les uns des autres. On admet généralement que les seuls éléments contractiles de la striation sont les disques épais, et que les disques minces jouent le rôle de pièces de charpente. On peut alors supposer que les premiers sont plus vulnérables que les seconds, et peu- vent dans certains cas disparaître seuls. Dans un muscle strié ordinaire, envahi par un fibrome à évolution rapide, l’un de nous a observé de la façon la plus nelte cette différence de résistance entre les disques minces et épais”. L'état grillagé se rencontre principalement chez le lapin, moins fréquemment chez le chien, où il est du reste un peu moins net. On doit rapprocher de l’état grillagé l’aspect présenté par la fibre musculaire dans le dessin n° 7. Sur une petite parte de sa longueur, la fibre musculaire est claire ; sur un fond homo- gène et peu coloré se détachent des stries transversales irrégu- lières comme direction et non équidistantes. Cet aspect est assez rare. 1. Oz. ReGaun, Arch. de méd. exp. et d'anat. path., 1896, p. 58, pl. 1, fig. 5. Du fibrome musculaire dissociant à évolution maligne. MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 111 Avec notre maître, M. le professeur Renaut, nous désignons sous le nom d’atrophie hyperplasmique, où mieux d’hyperplasmie, un état particulier de la fibre cardiaque, caractérisé par la dimi- nution absolue ou relative du nombre des cylindres contractiles et l'augmentation du protoplasma. Cette lésion est. particulièrement évidente sur les fibres musculaires coupées en travers. Les cylindres contractiles ont une section ronde, carrée, ou plus ordinairement reclangulaire avec un grand diamètre dirigé dans le sens radial; ils ne sont presque jamais au contact les uns des autres sur une fibre car- diaque normale. La cellule cardiaque renferme, même à l’état sain, une quantité de cytoplasme relativement plus grande qu'une fibre musculaire ordinaire. Mais cette disposition est susceptible de s’exagérer beaucoup dans certains cas pathologiques *. Les travées protoplasmiques interfibrillaires s’élargissent, les cylin- dres contractiles se raréfient. Cet état peut résulter théoriquement soit du gonflement du protoplasma, qui écarte les cylindres, soit de la disparition des cylindres eux-mêmes. Les deux causes sont sans doute souvent réunies, mais on peut contester la possibilité du gonflement simple du protoplasma, tandis que la disparition des cylindres contractiles est incontestable : il peut arriver en eflet qu'une fibre sectionnée en travers ne contienne plus que cinq ou six petits champs représentant les cylindres primitifs. Ces cylindres primitifs, formés eux-mêmes de fibrilles élé- mentaires, sont fréquemment diminués de volume. Le protoplasma des fibres hyperplasmiées peut être absolu- ment sain ou être creusé de vacuoles. Une partie plus ou moins considérable de la fibre peut être devenue homogène. Sur les fibres cardiaques vues en long, l’hyperplasmie se traduit par l’exagération de la striation longitudinale, ou bien, si la lésion est très avancée, par l'augmentation du fuseau proto- plasmique normal périnucléaire. Quelquefois même la fibre vue en long paraît tubulée, revètue d’une mince écorce contrac- tile. D'ailleurs, sur les cœurs dont il s’agit ici, nous n'avons jamais vu ce stade extrème de la lésion. L’hyperplasmie se rencontre surtout chez les animaux qui 1. Lépixe ET MozLar, Amch. de méd. exp., 1891. Sur une espèce particulière de myocardite parenchymateuse. 112 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ont eu une survie longue; elle était très marquée chez des lapins qui ont succombé après 5 mois, après 1 mois et demi; nous l'avons vue plus rarement et beaucoup moins nettement chez des chiens morts après 10 à 15 jours de maladie. Les cylindres primitifs restants présentaient alors des altérations de la striation transversale. Il importe du reste d’être très prudent dans l'appréciation de cette lésion. Il existe en effet à l’état normal, sous l’endocarde du lapin en particulier, une zone étroite où les fibres cardiaques conservent chez l'adulte leur aspect embryonnaire. Leurs cylin- dres primitifs, très peu nombreux, forment une mince écorce périphérique, comme dans les cellules dites de Purkinje. C’est là une cause d'erreur contre laquelle il faut se mettre en garde. La signification de l’hyperplasmie pathologique est assez délicate à établir. La disparition réelle des cylindres primitifs ne nous semble pas contestabie. Il est probable que cette lésion peut succéder à l’état granuleux dans quelques cas. Mais nous sommes portés à la considérer presque toujours comme une lésion chronique de la fibre, comme un stade intermédiaire entre la phase de destruction de la substance contractile et la restitutio ad integrum. La friabilité des cylindres primitifs se traduit quelquefois par leur dislocation et l’égrènement de leurs éléments consti- tuants à l’extérieur de la fibre. Dans lous les états pathologiques de la fibre que nous venons de passer en revue, la strialion, quoique altérée, était néanmoins reconnaissable. Parfois au contraire elle a disparu : la fibre car- diaque prend alors un aspect homogène. Dans quelques cas on distingue encore sur les coupes transversales de vagues champs, de Cohnheim ; mais souvent on ne voit plus aucune trace de la structure normale de la substance contractile. La fibre muscu- laire devenue homogène est opaque, réfringente ; elle prend plus fortement les matières colorantes. Cette lésion est très nettement visible aussi bien sur les coupes transversales que sur les coupes longitudinales. Elle frappe les fibres très irrégulièrement, par places ; à côté d’une fibre homogène, on en voit une série d’autres qui ne le sont pas. MYOCARDITE DIPHTÉIIQUE. 113 Fait remarquable, toutes les cellules d'une même fibre ne sont pas frappées. ni même toutes les parties d’une même cellule. Sur une fibre cardiaque vue en long, on trouve plusieurs bandes homogènes étroites (fig. 7); sur une coupe transversale, on ne voit parfois que la moitié ou le quart seulement de la largeur de” la fibre qui soit intéressé par la lésion (fig. 5, «). Très souvent, au niveau du point devenu homogène, la fibre est gonflée, augmentée de diamètre, mais c’est là un fait inconstant. Cette lésion, très disséminée dans le myocarde, est précoce. On la rencontre chez des animaux qui ont succombé peu d'heu- res après l’inoculation. Dans les cas subaigus, il est probable qu'elle peut se constituer lentement. On la trouve chez des chiens qui ont succombé en une à deux semaines, Dans les foyers de désintégration elle est constante ; elle semble précéder de peu la destruction définitive de la cellule musculaire. Quelle est la cause de l’état homogène de la fibre cardiaque ? On pourrait penser à une coagulation en masse de la fibre, mais ce n’est là qu’une hypothèse, ou même qu'une simple compa- raison inexacte. Les agents physiques et chimiques (chaleur, réactifs fixateurs) qui coagulent la fibre cardiaque conservent à la substance contractile sa striation, Il ne saurait donc s'agir là d'une coagulation pure et simple. Nous pensons que la subs- tance contractile est devenue diffluente, qu’elle a diffusé en se mélangeant plus ou moins au protoplasma. Nous ferions volon- tiers de cette lésion un degré avancé de la disparition de la substance contractile figurée, disparition dont l’état granuleux et l’abolition de la striation transversale avec ses différentes modalités ne seraient que les premières étapes. Quoi qu’il en soit de son mécanisme, l'état homogène de la fibre est une altération sans doute grave ; elle semble aboutir à brève échéance à la vacuolisation et à l’exsudation sarcodique. En même temps que les fibres cardiaques sont atteintes dans leur substance contractile, on observe, quand on.les examine suivant leur longueur, d'importantes modifications dans leur continuité. Lorsqu'on examine avec attention et à un fort grossissement une fibre cardiaque normale, en la suivant sur une certaine lon- gueur, on n'arrive pas à distinguer d’une façon nette les points 8 114 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de contact des cellules musculaires voisines ; les traits de ciment sont absolument invisibles. Sur le myocarde des chiens morts d'intoxication diphtérique il en est parfois ainsi. Mais dans un grand nombre de cas, au contraire, il se produit une séparation des cellules qui constituent la fibre cardiaque, et l’on assiste à toutes les phases du processus, depuis l’apparition insolite de traits de ciment élargis jusqu'à la dislocation complète des segments de Weismaun. Le premier indice d’une dissociation seygmentaire commençante paraît être l'apparition de traits incolores, sinueux, correspon- dant manifestement aux surfaces de contact des cellules succes- sives. Avec Browicz ‘, nous ne croyons pas qu'on doive attribuer la visibilité des traits de ciment intercellulaires à une disposition normale comme l’a prétendu Przewoski?, car elle manque sur le myocarde sain. A un stade plus avancé, les lignes de séparation élargies se voient même à un faible grossissement : la fibre est d’ores et déjà segmentée. Finalement, la lésion aboutirait à la dislocation des segments de Weismann complètement séparés. Toutefois nous n’avons pas observé ce dernier stade chez nos animaux : c’est celui que l’on trouve dans le cœur des malades atteints de dissociation segmen- taire essentielle (Renaut et Mollard) *. Quelquefois, en même temps que de la dissociation véritable, on observe de la cassure des libres en un point quelconque de leur trajet. Signalons en passant l’état sinueux des fibres cardiaques, qui ondulent ou décrivent des zigzags. Cet aspect microscopique bizarre se traduit à l’œil nu par une moire spéciale de la surface de coupe. Nous ignorons son mécanisme de production. Les lésions que nous venons de passer en revue portent par- ticulièrement surla substance contractile de la fibre : celles dont nous allons maintenant nous occuper atteignent les parties fon- 1. Browicz, Arch. f. path. Anat. B d. 134, 1893. Ueber die Bedeutung der Verän« derungen der Kittsubstanz der Muskelzellbalken des Herzmuskels. 2. Przewoskr, Gazela lekarska, 1893 no 24. 3. J. Mozrarp Th. Lyon 1889. — De la myocardite segmentaire essentielle, etc. MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 115 damentales de la cellule, c’est-à-dire le cytoplasme et le noyau. Nous désignons sous le nom de vacuolisation un état particu- culier, caractérisé par la présence, dans l'intérieur de la fibre ou sur ses bords, d’excavations remplies d’une substance ne prenant pas les matières colorantes. Les vacuoles sont de dimensions variables, tantôt à peine visibles, tantôt aussi étendues que la fibre elle-même. Elles sont uniques ou multiples. Dans ce dernier cas, elles peuvent confluer entre elles et prendre l'aspect de bulles entées les unes sur les autres. Elles rappellent alors l'image bien connue de certainescellules glandulaires remplies de boules de mucigène séparées par de minces travées protoplasmiques (fig. 4). Les contours des vacuoles sont arrondis. Tantôt ellés sont situées dans l'épaisseur de la fibre, tantôt au contraire elles siègent sur les bords (fig. 3. 4). Souvent mème la vacuole paraît extracellulaire : la marge de la fibre est simplement échancrée; on voit une boule claire limitée par un contour très fin : cette beule prend naissance dans la fibre elle-mème et se développe en dehors d’elle. Sur les coupes transversales, la lésion est absolument évi- dente. Sur les coupes longitudinales, elle l’est un peu moins; les vacuoles se moutrent comme des zones plus claires sur un fond coloré ; elles ont souvent très manifestement papes de bulles ou de vésicules (fig. 6). Les vacuoles apparaissent, soit dans des fibres à striation lon- gitudinale conservée, soit dans les fibres devenues plus ou moins homogènes. Dans le premier cas, elles sont centrales, comme taillées à l’emporte-pièce ; elles refoulent les cylindres primitifs. Dans le second cas; elles sont ordinairement périphé- riques ou même en partie extracellulaires, avec des contours un peu moins tranchés. L'existence ou l'absence des cylindres pri- mitifs individualisés a donc une influence manifeste sur les moda- lités de la vacuolisation. Les vacuoles sont parfois disséminées irrégulièrement dans le myocarde ; lorsqu'il existe des foyers de désintégration, on eu trouve toujours sur les fibres très malades, et elles sont alors surtout périphériques. Elles sont en relation intime avec l’exsu- dation sarcodique, et résultent probablement du départ du plasma musculaire, L'époque de leur apparition est très variable. On en voit un 116 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. petit nombre dans les cas suraigus, beaucoup plus dans les cas aigus et subaigus. Bien que plusieurs auteurs les aient prises pour des boules graisseuses, il est très facile de les en distinguer, car les vacuoles ne se colorent jamais par aucun réactif, et en particulier pas par Pacide osmique, même faiblement. Il s’agit là évidemment de cavités creusées aux dépens de la cellule musculaire, et conte- nant un liquide clair peu albumineux. Dans les points où les fibres musculaires sont très altérées, au niveau des foyers de désintégration, on rencontre, dans les espaces conjonctifs du myocarde, une substance homogène qui les remplit en se moulant exactement sur le contour des fibres mus- culaires et, des capillaires sanguins. On dirait que cette subs- tance, d’ abord fluide et infiltrant les fentes conjonctives à la mauière d’une masse gélatineuse, a été ensuite figée. Elle forme un réseau de travées de grosseur variable, anastomosées régulhè- rement. Les mailles de ce réseau renferment les fibres muscu- laires et les vaisseaux. Cette substance est d'autant plus abon- dante qu'on se rapproche du centre du foyer, là où les cellules sont le plus malades. Vers la périphérie, les travées vont en s’a- mincissant et se terminent en pointes entre les fibres muscu- laires (fig.+2). On rencontre cette substance particulière dans les zones où les fibres cardiaques sont le plus altérées, et d'autant plus abondamment, en règle générale, que les lésions muscuiaires sont plus avancées. Mais quelquefois la substance homogène diffuse loin de son lieu d’origine, dans les fentes de Henle les plus larges, et on la trouve alors au voisinage de fibres presque saines, mais à distance de ces dernières. Il n'y a pas contact intime entre les fibres musculaires et la substance homogène. Tantôt un mince anneau incolore sert de ligne de démarcation, tantôt des boules claires ou vacuoles sont intercalées entre les fibres et la substance interstitielle. Cette substance se colore aussi fortement que les fibres mus- culaires homogènes par le carmin ou l'hématéine. Il n’est pas possible de confondre avec du tissu conjonctif celte substance albuminoïde particulière épanchée dans les inter- stices des fibres musculaires. En effet, elle est amorphe, exacte- MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 114 ment moulée sur les parois des espaces qu'elle remplit; elle n’a nullement les réactions de la substance fondamentale conjonctive, elle est dépourvue d'éléments cellulaires qui lui soient propres. D'où vient-elle donc ? Sa présence parmi les fibres cardiaques les plus altérées, vacuolées, manifestement en voie de destruction ; son apparence et ses réactions colorantes, qui la rapprochent de la myosine, permettent d'affirmer son origine musculaire : c’est le plasma musculaire qui à diffusé en dehors de la fibre, dans les fentes conjonctives, sous forme de boules sarcodiques qui, d’abord isolées, deviennent confluentes. C’est, en un mot, un exsudat sarcohque. Cette dernière lésion annonce la destruction définitive de la cellule cardiaque; en effet, en suivant ce que deviennent les fibres musculaires dans les foyers de désintégration, on les voit diminuer de volume et disparaître peu à peu complètement. Pendant ce processus, il peut se former dans l'intérieur des fibres musculaires de très fines granulations graisseuses, nette- ment reconnaissables à la couleur noire que leur donue l'acide osmique. Ces granulations, toutes égales entre elles et réguliè- rement espacées, correspondent peut-être à des disques épais qu auraient subi n situ la transformation graisseuse (Renaut). Nous ne savons rien de précis sur la fréquence relative de la transformation granulo-graisseuse, car, parmi les pièces que nous avons recueillies à l’autopsie de nos chiens, beaucoup n'ont pas été fixées par les mélanges osmiques. Il nous reste à faire l'étude des modifications subies par les noyaux musculaires. Nous ne pensons pas qu'ils augmentent de nombre pendant ce processus; nous n'avons jamais observé de figures cinétiques; néanmoins notre opinion sur ce point n'est pas encore définitive. Très souvent les noyaux sont manifeste- ment altérés ; ils sont ‘boursouflés, vésiculeux, prennent mal la matière colorante. Ils paraissent subir proportionnellement aux autres parties de la cellule l'influence de l'intoxication. Maintenant que nous avons exposé analyliquement les divers aspects pathologiques des fibres musculaires, il nous reste à les classer, à établir la généalogie des lésions, à présenter synthé- tiquement le processus destructif dont nous avons étudié les phases successives. 118 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le cyloplasme et le noyau sont les seules parties de la cel- * lule musculaire qui possèdent les propriétés fondamentales dont l’ensemble constitue la vie cellulaire; la substance contractile n'est qu'un produit d'élaboration du protoplasma. Au début de son évolution embryologique, la cellule qui doit devenir muscu- laire ne possède pas de cylindres contractiles; ceux-ci apparais- sent un à un à la périphérie de l’élément, qui devient alors un myoblaste. Or, la cellule musculaire adulte, qui a édifié elle- même son appareil contractile, est aussi capable de le détruire !. Lorsqu'elle subit l'influence d’un agent nuisible tel que la toxine diphtérique, la substance contractile ne joue qu'un rôle passif : elle est allérée dans sa structure, et résorbée de le pro- toplasma comme un instrument hors d'usage. : Les troubles de la striation, c’est-à-dire, par ordre chronolo- gique, l’état granuleux, la disparition de la striation transversale, puis la fusion des cylindres primitifs, fusion qui donne lieu à l’état homogène, ces troubles de la striation, nous l'avons vu, sont les premières lésions appréciables. La segmentation des cellules, cardiaques est un phénomène contemporain de ces lésions, et qui, comme elles, ne trahit que le mauvais état de la substance contractile, et non pas la mort de la cellule. L'hyperplasmie pathologique, qui rappelle si étroitement l'apparence des cellules musculaires embryonnaires, n’est que le résultat de la résorption par le protoplasma des cylindres contractiles malades. Si le processus ne dépasse pas ce degré, et si l’action toxique n'est pas trop brutale, on ne voit pas d’autres lésions. Il est probable qu’alors la fibre musculaire peut guérir et régénérer sa substance contractile. La régression pure et simple de la cellule cardiaque peut aboutir au retour à l’état indifférent : l'élément, débarrassé de tous ses cylindres contractiles, devient une cellule fusiforme à noyau vivement coloré, décrite dans les myocardites humaines sous le nom de myoblaste, et que nous avons plusieurs fois ren- contrée au cours de nos recherches expérimentales. Il y aurait donc symétrie parfaite entre les deux phases d'évolution progres- 1. M. Metchnikoff a montré que les muscles de la queue des têtards de batra- ciens anoures disparaissent par une sorte d’autophagocytose, les noyaux muscu- laires devenant le centre de formation de cellules indifférentes, après la résorption de la substance contractile (Ann. de l'Inst. Pasteur, 1893). MYOGARDITE DIPHTÉRIQUE. 119 sive normale et d'évolution régressive pathologique de la cellule musculaire cardiaque. Les deux termes extrèmes de cette vie cellulaire seraient le myoblaste, cellule primitivement indiffé- rente chez l'embryon, redevenue indifférente par l’action mé- nagée de la toxine diphtérique. Si au contraire l’action toxique s’exerce plus brutalement, ou bien si elle est plus prolongée, le protoplasma présente des lésions graves. La vacuolisation et l’exsudation sarcodique sont deux phases du même processus qui consiste dans law diffusion hors de la cellule du plasma musculaire mort. Ce sont là vérita- blement des lésions en rapport avec la mort de la cellule. Nous verrons ultérieurement ce que deviennent ces débris. B. — Lésions des vaisseaux. Les lésions vasculaires sont constantes ; elles portent sur les artères, les veines et les capillaires. L’endartère n’est que rarement intéressée. Parfois cependant elle est épaissie, ou bien les cellules endothéliales sont aug- mentées de nombre. La tunique externe est assez souvent infiltrée d'une quantité insolite de leucocytes. Les faisceaux conjonctifs ne présentent pas de modifications. La tunique moyenne présente des lésions importantes. Très souvent, même dans les cas tout à fait aigus, les fibres lisses sont homogènes, difficiles à distinguer les unes des autres. Dans les cas subaigus on voit se produire des vacuoles qui sont ou bien intracellulaires, ou bien, et plus souvent, extracellulaires. Les leucocytes pénètrent alors dans la tunique moyenne, et on peut les y trouver en assez grande abondance. Lorsque la maladie a été chronique, les fibres lisses artérielles sont vitreuses, très transparentes; elles semblent ne plus contenir de substance contractile. . En résumé les lésions artérielles observées par nous intéres- sent presque exclusivement la tunique moyenne. La fibre mus- eulaire lisse paraît aussi sensible que la fibre striée vis-à-vis du poison diphtérique. Nous pensons que les lésions artérielles et musculaires sont simultanées. Nous avons d’ailleurs attiré l’at- tention sur ce point particulier ‘. 4. Mozcaro Er Recaun, Société de Biologie. Déc. 1895. 120 ANNALES DE L'INSTITUT BASTEUR. Deux ou trois fois, nous avons constaté la thrombose de petiles artères. La thrombose veineuse est beaucoup plus fré- quente, surtout chez les animaux morts en 13-17 jours. Très souvent, les vaisseaux capillaires sont dilalés, surtout au niveau des foyers de désintégration. . Plusieurs fois, là où un territoire étendu du myocarde se trouvait atteint de lésions brutales, nous avors vu un épaissis- sement considérable de la paroi des artérioles, des veinules et des capillaires. La paroi ainsi épaissie était tout à fait homo- gène. Nous ne sommes pas en mesure d'indiquer la nature de cette léstan. Les hémorrhagies interstitieiles sont fréquentes; elles sur- viennent ordinairement dans les points du myocarde les plus altérés. Les globules rouges extravasés sont intacts ou en voie de destruction. Parfois, le sang contenu dans les vaisseaux est lui-même altéré; les globules rouges peuvent être fondus en une masse homogène, jaunâtre, avec des festons marginaux dus à des boules sarcodiques. De pareilles lésions, incompatibles avec la circulation dans le point considéré, pourraient être attribuées à des altérations post mortem si, dans le mème cœur, on ne trouvait du sang bien fixé. Cette dernière considération nous porte à attribuer ces lésions massives des vaisseaux à une action directement locale de la toxine, et non pas à une altération générale du sang. En résumé, les lésions vasculaires sont constantes; elles paraissent importantes, mais ne commandent pas, à ce quil nous à semblé, la distribution des lésions musculaires. C. — Modifications des espaces conjonchifs du myocarde. L'étude de l'exsudation sarcodique nous a déjà fait assister à la participation indirecte des espaces conjonctifs à la lésion parenchymateuse : les autres modifications que nous allons étudier moatrent bien que le tissu conjonctif n’est guère que le théâtre du processus pathologique. Il est fréquent de trouver les fentes de Henle élargies, distendues par la transsudation séreuse, par l’œdème qui succède vraisemblablement aux troubles de la circulaticn cardiaque. IL esttrès habituel d'observer, en même temps que l’æœdème des " MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 121 travées conjonctives principales, un resserrement singulier des fentes plus étroites qui séparent les fibres cardiaques dans un même faisceau secondaire. Ainsi donc, condensation des fibres dans les faisceaux secondaires, écartement des faisceaux secon- daires les uns des autres. Beaucoup plus importante est l'infiltration fibrineuse des espaces conjonctifs. Cette véritable lésion se rencontre dans les cas subaigus, lorsque la survie a été de 12 à 18 jours, dans les points du myocarde où les fibres musculaires et les vaisseaux présentent le maximum de lésions. La fibrine se montre sous la forme de très fines trabécules, faiblement colorables, formant un réseau délicat à mailles étroites et irrégulières. Des leucocytes et des globules rouges sont fréquemment englobés dans ce eoa- gulum. Parfois, la disposition réticulaire de la fibrine est rem- placée par des granulations irrégulières, qui semblent résulter d'un commencement de résorption de l'exsudat. Ordinairement, l’exsudat fibrineux se rencontre dans les mêmes points que l’exsudat sarcodique ; il est intimement lié aux altérations vascu- laires et aux hémorrhagies. . ‘A l'état normal, les espaces intermusculaires du myocarde sont occupés par un treillis extrêmement Jàche de tissu conjonctit très délicat, et par des cellules fixes étoilées dont les fins pro- longements, dirigés dans tous les sens, sont difficilement visibles. Au niveau des travées conjonctives plus importantes qui divisent le myocarde, le tissu conjonctif lâche se densifie; les cellules fixes tendent à s’ordonner par rapport aux faisceaux conjonctifs plus volumineux; ces travées se raccordent aux ‘plans fibreux du périearde et de l’endocarde, ainsi qu'aux gaines adventices des vaisseaux. Sur les myocardes pathologiques de chiens intoxiqués par la toxine diphtérique, les grosses travées, les plans fibreux, les gaines adventices ne montrent aucune autre modification que la leucocytose et lhémorrhagie, quand elles existent, Les éléments du tissu conjonctif lâche sont plus ou moins modifiés par la leucocytose et les exsudats étrangers, mais jamais nous n'avons vu la moindre hyperplasie conjonctive. Nous sommes convaincus que les auteurs qui parlent de la néoformation de substance fondamentale figurée de tissu con- jonctif dans des cas semblables ont été induits en erreur par les exsudats divers et des préparalions insuffisamment analytiques. 122 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les cellules fixes sont reconnaissables et ne semblent pas augmentées de nombre; mais ce dernier point n’est pas absolu- ment sûr. Notre opinion au sujet du rôle du tissu conjonctif dans le pro- cessus que nous étudions concorde avec ce que l’on connaît, en Anatomie générale, de l’histogénèse et de l’évolution de ce tissu. L'hyperleucocytose est la modification la plus importante du milieu vasculo-conjonctif. On doit distinguer une hyperleucocytose vasculaire et une hyperleucocytose interstitielle, elle-même diffuse ou nodulaire. L'hyperleucocytose intravasculaire est un phénomène du début, suivant à quelques heures d'intervalle le moment de linoculation. Les capillaires sanguins contiennent une propor- tion cousidérable de leucocytes presque tous mononucléaires, tandis que les interstices conjonctifs n'en renferment qu'un nombre insignifiant. Et pourtant, même à ce stade précoce, les fibres musculaires sontdéjà malades ; beaucoup sont granuleuses, homogènes, vacuolées. Cela démontre bien que les lésions de la fibre musculaire sont primitives, antérieures à toute leucocy- tose interstitielle. | À un stade un peu plus avancé, les leucocytes apparaissent en grand nombre dans les interstices conjonctifs du myocarde et se répandent partout uniformément Cette hyperleucocytose interstitielle diffuse est-elle provoquée par les lésions déjà existantes et généralisées de la fibre musculaire, ou bien n’est- elle que la conséquence mécanique de l'hyperleucocytose vascu- laire, une sorte d'équilibre tendant à s'établir, au point de vue de la richesse en leucocytes, dans les divers départements du milieu intérieur? C’est ce que nous ne pouvons dire. Quoi qu'il en soit, l’hyperleucocytose du début de la diphtérie toxique expérimentale n’est pas un fait insolite. Elle a été, en particulier, bien décrite par M. Gabritchewsky 1, sous la direction de M. Metchnikoff. Pour M. Gabritchewsky, la leuco- cytose est constante et'précoce dans l’intoxication diphtérique expérimentale, et d'autant plus prononcée que la maladie est plus grave. 4. G. GasrircHewsxy. Le rôle des leucocytes dans l'infection diphtérique. Ann. de l’Inst. Pasteur. Octobre 1894. MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 1923 Lorsqu'on examine des myocardes de chiens morts en 13 à 17 jours, on est frappé par la répartition remarquable des leuco- cytes. La leucocytose diffuse existe encore, ou bien a disparu: mais il s’est produit des accumulations de leucocytes précisé- ment dans les points où les lésions parenchymateuses sont le plus intenses. Un petit groupe de fibres cardiaques sont-elles devenues homogènes ou vacuolées? Immédiatement elles servent de point de ralliement à des leucocytes qui se disposent autour d'elles en plus ou moins grand nombre. Ces leucocytes sont mononucléaires ou polynucléaires; leur noyau s’étire en longs filaments, et on les voit cheminer, pour ainsi dire, appli- qués à la surface des fibres musculaires. Mais c’est surtout dans les foyers hnportants de désintégra- tion que les leucocytes abôndent. Ces foyers sont constitués par des fibres musculaires très malades, homogènes, vacuolées, en voie d'exsudation sarcodique. Entre elles s'étendent des flaques irrégulières de cette matière analogue à de la myosine, infiltrant les espaces conjonctifs, produit de la diffluence du plasma mus- culaire. Au milieu de ces flaques sont des capillaires sanguins dilatés,.et de très nombreux leucocytes polynucléaires et surtout mononucléaires. Ces leucocytes sont immergés dans l’exsudat musculaire ; autour de leur corps cellulaire se trouve une vacuole incolore relativement vaste. Dans cette vacuole, il se passe vraisemblablement des actes digestifs. On sait que les leucocytes sont capables de sécréter des principes chimiques qui peuvent agir à distance sur les matériaux résorbables. Nous avons rarement vu les leucocytes pénétrer dans l'inté- rieur des fibres musculaires, même très malades. Les foyers de désintégration, composés exclusivement de débris de fibres musculaires et de leucocytes, nous apparaissent donc comme de véritables foyers de phagocytose, en donnant au mot phagocytose son sens le plus large. En tous cas, nous nous refusons absolument à les considérer comme des foyers d’hyper- plasie conjonctive, le tissu conjonctif en étant à peu près com- plètement absent. Dans le plus grand nombre de nos observations, lorsque linoculation toxique a été unique, les leucocytes interstitiels mono ou polynueléaires sont normaux, et ils semblent accomplir leur tâche sans aucune particularité remarquable. Mais il n'en , 19 124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. est plus de même lorsque l'animal a été soumis à plusieurs ino- culations suffisamment distantes. (Chiens VI, VID). On est alors surpris de l’énorme quantité de leucocytes contenus dans les foyers ; l'hyperleucocytose est telle que ces foyers ressemblent à de petits abcès microscopiques. Si on examine alors dans les meilleures conditions, et au moyen de l'objectif à immer- sion, la structure de ces leucocytes, on voit qu’ils appartien- nent pour la plupart au type mononucléaire, et que beaucoup d’entre eux, le plus grand nombre peut-être, sont eux-mêmes en voie de destruction. Le noyau des moins altérés est vésicu- leux; au lieu d’être coloré d’une façon homogène et intense, comme celui des leucocytes normaux, il est au contraire très pâle, homogène, muni d’une membrane nette fortement colorée; d’autres sont à peine visibles; et l’on trouve dans le même champ du microscope tous les intermédiaires entre le leuco- cyte sain et le leucocyte presque méconnaissable. Il se fait donc au niveau de ces foyers une vraie leucocylolyse. Nous expliquons ce fait remarquable, avec M. Gabritchewsky, par l’altération nécrobiotique des leucocytes de la première poussée, altération produite par la deuxième inoculation. Comme les cellules musculaires, les leucocytes sont sensibles au poison diphtérique; ceux qui sont extravasés, plongés au milieu des exsudats, subissent l'influence du poison, ils meurent et se désagrègent. Mais la deuxième inoculation provoque aussi une poussée leucocytaire; les nouveaux leucocytes envahissent à leur tour les foyers de désintégration, et ce sont eux qui apparaissent sains sur les préparations. Cette interprétation est justifiée par ce fait que nous n'avons observé cette particularité que dans les cas de deux inoculations successives. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES Il ressort en résumé de ce qui précède que la toxine diphté- rique détermine chez tous les animaux qui succombent à son inoculation sous-cutanée ou intra-veineuse des lésions plus ou moins marquées du myocarde, Ces lésions sont constantes, mais assez variées, soit chez les individus différents, soit dans le même myocarde. Toutefois, ce qui est remarquablement uniforme, MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 125 malgré les variétés de détails, c’est leur siège dans la fibre mus- culaire cardiaque. Ces altérations parenchymateuses sont sou- vent les seules que l’on constate: elles sont toujours les premières en date; elles apparaissent bien avant toute modification du milieu conjonctif; elle restent jusqu’à la fin prédominantes. Ces : “lésions sont variées et irrégulièrement réparties. Quelles sont les lois qui président à à la distribution des lésions dans le même myocarde, et même dans les divers points d’une mème fibre musculaire? On peut admettre.« priork que ce sont les vaisseaux ou les nerfs qui règlent la répartition des lésions, les premiers en amenant l’agent nocif qui les altère eux-mêmes, les seconds, si l'on admet leur influence trophique sur les fibres cardiaques. Mais il nous est pour le moment impossible de pénétrer plus avant dans le mécanisme intime des lésions. Quant aux modifications du milieu conjonctf, nous avons établi par des observations précises et minulieusement suivies dans l’ordre chronologique des faits, qu’elles sont secondaires aux lésions musculaires. Nous avons montré que le tissu con- jonctif n’est que lesthéâtre d’actions auxquelles ses éléments propres ne prennent pas de part. Les fameuses cellules embryon- naires des auteurs, aussi vagues dans leur nature que dansleurs fonctions, si l’on se borne à lire les descriptions de maint ana- tomo-pathologistes, ne sont autre chose que des leucocytes. Dans nos myocardes malades, il n'y a donc en présence que des fibres musculaires d’un côté, des leucocytes de l’autre. Abstraction faite de la poussée initiale de leucocytose diffuse, sur laquelle nous nous sommes suflisamment expliqués, les leucocytes sont appelés dans les interstices de myocarde par les lésions muscu- laires préexistantes. Ils remplissent là leur rôle habituel bien connu qui consiste à réparer peut-être les lésions, et à coup sûr à déblayer le terrain des détritus morts et inutiles: Quant au sort ultérieur de ces diverses lésions, au cas où l'animal intoxiqué survit, nous ne voulons émettre aucune opi- nion définitive. Nous avons vu, nous aussi, les myoblastes des auteurs, mais nous ignorons si ce sont des éléments voués à une destruction complète ou bien de jeunes cellules musculaires en voie de régénération. Nous allons continuer l'étude des foyers de désintégration chez les animaux qui guérissent, et, jusqu’à plus ample informé, 126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nous croyons que ces foyers sont destinés à devenir des plaques de sclérose cicatricielle ‘. CONCLUSIONS 40. — L'intoxication diphtérique expérimentale détermine constamment des lésions du myocarde. 20, — La fibre musculaire est atteinte, parfois exclusivement, dans tous les cas primitivement. Les lésions débutent par la substance contractile (troubles de la striation) ; — plus tard elles atteignent le noyau et le cyto- plasme (vacuolisation, exsudation sarcodique, etc.); — elles peuvent aboutir à la destruction complète de la substance mus- culaire. 30. — Les lésions des vaisseaux du myocarde sont très fré- quentes. La tunique musculeuse des artérioles est particulière- ment atteinte; les altérations de la fibre musculaire lisse sont comparables à celles de la fibre cardiaque dont elles sont contemporaines. 49. — Dans les cas aigus et subaigus (survie maxima 17 jours) on ne constate aucune hyperplasie des éléments propres du üssu conjonctif. 5°. — La seule modification importante du milieu conjonctif consiste dans la leucocytose. La leucocytose interstitielle diffuse paraît n'être qu'une modalité de* la leucocytose généralisée constante dans la diphtérie. La leucocytose interstitielle nodulaire est en rapport avec les foyers de désintégration musculaire. La lésion musculaire + primitive provoque la leucocytose. Les leucocytes résorbent les débris musculaires, et particulièrement les exsudats sarcodiques. Les foyers de désintégration sont des foyers de phagocytose. 4. Il nous resterait à comparer les lésions expérimentales que nous venons d'étudier avec celles que l’on rencontre dans la myocardite diphtérique humaine. Nous pensons qu’une telle étude sortirait quelque peu du cadre de ce mémoire ; et nous nous contenterons pour le moment d'exprimer l'opinion que les deux ordres de lésions sont identiques. 127 nl [VA ARDITE DIPHTERIQU al 4 MYyYO( ‘sayqou SO[[9119 J18 SUOIS9T “aso7{009naf 2p seq “oruse|d -J0d{y ‘eueSowuoq 819 ‘xnonuess }0)4 SOI Se] S2N0} 8p XNONMIS 729 29A8 2JUOJJ 2p SOJU8J S0P JUOUBNTOSSOM *OUW97 STELU 2]IOU 9][{n07 2p1820 TU *UOT}P[NIOUL P quiod ne uorer29]f 008 x} ‘‘uormnutwIq O x ‘How e[Y C8 xÿ ‘‘'nq9p 08 ‘d ‘g/1 sanof #y o1aanS ‘auIX0] 9P Z'vv0) op uoroalat ones } ‘aSNAuI2A 9SOŒUOAIU], *saiajie sep euuaÂou onbiany e[ ep saonbeur s91] SUO1S97 *aso74009n0f op seq ‘sa1qy sep xnoqnpuo Jej9 ‘uorjejuouwuges ‘onuserdiodAg ‘uoresiponora 9419 -o[ ‘ouosououy 789 ‘xnopnueis Je] 2pARo -Opu9 | Su0s sajueuimopaid suors9] *sopejeu snd Sa[ Soiqy Sop ano} -n8 91989] 0504009097 ‘uOr}e}uatu SEA] "saaqy sop oxou J9odse ‘xnofpnuess 3e) *SOITB[N9SNUL SOI Sp 6919891 19 SOQUILU9SSIP SUO0IS97 *S18B110 9] -segnbieu, son S9|[2119)18 SUOIS9"] "sa[[914 -NSIAUI So1S81OUOTF] *S219) -I18 S9P 591999 SUOIS97 ee EE ‘1n09 np XNU9SSIBA Sp LYIA ‘2S07K909n0[ op suq ‘Wap *S911R[N9SNU SUOIS9I xne ofpopuisd effet) -sJoqut 050149090097 ‘syouofuoo SHIVASH $9P LVL “uoreasequisop op s49407 ep seq ‘uonedetmuser ‘sojonova sonb -jenb ‘eus8owog j8je ‘xnonueis 7814 *S2QUILUPSSIP SUOIS97 ‘oqeu -1JSQAUI OI EMIOWOTF] -sonbipavorod -Sn08 9 sonbipat20p -u9-Sn0S S9S0U 297 “soçd c'nu Sa18@HIOU9 TJ *2p1820p u9 [ SNOS SasOWA 90 “uoreañgquisgp 0p S19Â0,T *uorJst| -on9vA ‘ou930tu08}9 ‘Xne]nuris 18) “xXneJ} = said so suep sognbaru sn[d Anoonveq sreuu ‘sogsi[eiou9s Suoisg] *O11B[N2snu o4(1} vf °p SHNAÜIdONSOHDIN SNOISYT SNOLLVAUWEHSHO *sonbrp 1820pu9 sosou{y00 *SANI[LE 2WOIQUTEP 20BI} SUES ‘[Ol9)IE onbrpeydo - orqouiq Du0I) np OWSHAQUY D *sonbrdoosoroeu SKOISAT ‘uol} -B[N9OUI,[ 9p UP -U9[ 9[ S9P 919)91qNS 1 Z.nq9p ne sploq ‘gly sanof G otaïu ‘OuIX0} 9P &'a0 op uoroofur ones } 008 YF ‘‘uorpnurui(f &_ OF ‘JO BI Y O0S‘XTF JURA Splo4 *Sanol G etAInS ‘auIX0} 9P G‘oo0 op uorpelut epnos } OS£ + ‘‘UOrJNUIUI(] 089 x9 ‘‘‘MOU 8] V « 48 ‘‘JUBAB SPIOY “z/y sanol € otaxnc ‘AuIX07 9P G'uoû op uorpelut ones } ‘UOT}E[ATOU p "uor} jurod ne uore199/f}|-BIN9OUI, & ‘IN OF ‘d *SOIQUIeU *SAnO( #y 21AINS SAP S9A1P187 SOISA [BIC “UHOUQ ‘WOSSIISTEUVY *SA9AIP SLNINANIIASNAN SA AVAIAVEL *auIXO] 9P G'uv0 op uorpofut ones J RS A ne 0 ‘Sprod op seouoopi( CJORTUS YANIXOL 44 4S00 en LOL CL (0) "A uerqo nn AI um °°° °"TII 0er) C1 0e *SUOI/BAJOS([O sep SOYINNAN ‘INSTITUT PASTEUR. ANNALES DE L 128 ‘Sues np. 19 S919]18 S9P SUOIS9T *S0[[2H19J18 SUOIS9T *sa2ÂOy xne 29811890] 29S07A909n97T ‘uorexBoquisep ep s49Â04 ‘019 ‘uoHesI[OmO8A ‘ou9S0mOu veo ‘onuserdiodÂg ‘xnexqu Self -Id so] suep ojueurwuopoid oJ1epno -SQLU 141} €[ 2P SO[{PIPPISUOO SUOIS9 I9P Ab LE ” “uoreisoquis -gp ep SieÂoy xne 29SI[P20[ 2S0J4909n97] “uoreasoquisep 9p s12Â0,] ‘sonbipoores siepnsxq “uorest[on2ea ‘ou98 -OWOU 7879 ‘xXnapnuvis 78)9 ‘2I1B[N) -SUU 91qIf E[ 2P SE[UIYPISUO9 SUOIS9T] ‘sa[o1i -1JSIJUL S2188L10 9 ‘saatepriduo sop *SO[{RIPIS urpeÂy Je 9yuos 3e) -U09 Sa[[9119)1E SUOIS9T *sasna} -euAqouored suois -2[ xXue eppouuorpaod -o4d 459 2s074909n0[e7 “uor9alat 0% € ap SIO] ‘SINn9)0AS TU sa{ooona| sap Suo1s97 °S19Â07 sep NU9AIU ne ojuepuoqe aofjoi] -ljSJequr 2S07Â909n97 ‘uoijer8oquisop 2p s12Â04 “enbipiesopus-snos 2407 E[ SUCP SUOISP[ Sep eoUeUTWOparq . *S91qU Sp esnossiesS-opnueis 99U995910 0990 (] °xXnoutuquy 39 sonbipoores syepnsx *UOI}P}USUIS PI] ‘HoOneSI[OnN2BA ‘eu980LUO }eJ9 ‘XN2 -navais 389 ‘aruserdiodây ‘sorremno -SNLU S91QI} SP S?[{PIYPISUOD SUOIS9'T *SA[ŒRI9PIS f-U09 SO[[0M9 Ie SUOIS9] “And) np XNE9SSIEA SOp LVJIA ‘elqy E[ 9p SuOIsa| xne opapesed eso1s0oonoT (4)'uorl -29{ut 0% 8j 2p Si ‘sa1Â209n2[s2p SuOIS9T *S19Â07 Sp nvo4 -Iu ne ‘2f[a1}l}S1equt es014009n9[ ewou *syouofuo2 SHIYdSA SP IV IA *S91q1 SP 2[8]0} UO1J2NAJS8P 29AU uOIBISQAUIS9p ep xN21quou S12Â0J ‘syuepuoqe sonbrpoores syepnsx'f ‘So[onobA ‘Sel 879 ‘ougsou -ou 78j9 ‘XN9[NueIS }2J9 ‘UOEJUOU -$os : e1qy e[ 2p s09sI[BIQu98 sUOIS9T 2PAVIOPU,[ SOS 79 XNPAJLUI SAOIFId So[ SUPP SUOIS9[ S2P 2OULUIUOPAIX ER D DL EE A 2 SOEERSE “aIP[noSNU 9141} ET 9P ‘sonbip -IRI0pU2 S2sowÂU094 “aies -1q nod un eparooiyy ‘XNO\ 9p WNA9S 0] aed JIpIe) Jueueyeil ‘82Su9} -UL[ SOIUU9I SuOISÿ] “ape, pPU9,[ ep anosuoy “DUBBI 2PABIOÂN “28n0x eprdsnori] ‘sanbipie,0p -u93-Sn0S S2S0W 4994 ‘941881 2pIE20ÂN RE EEE -sanbrdoosoïoetu SNOISA1 D D 2 EDR *SI9AIP SINANANOIMSNAH 0G6 x7 WOW E[ E SPIOq ‘sanol gp o1AInS *‘aUIXO} 9P CZ F' 000 ep uorofut ojnes j|'''JIIX ue) *SAnO[ £F 91AANS ‘AUIX0} 2p GZF' 000 ap uorpaofur o[nes } °t'°JIX voiq)) *z/y sanol #7 otAanSG ‘(aagrwaad ef saide sanol %) GZF'o0 08 ‘Cat 0 of ‘suoroolur ÿ|: “ITA uru) SL9 4p ‘‘UOnuiLuI( 16 xg ‘‘‘**""saady GLG xg ‘‘JUBAP SPl0q -z/y sanol gp etAMmS “eagrueud efsoude sanol y) CZO'‘ow0 oë *GLO'200 of ‘suoroolut & MT AQUBIN) ga mm RS ‘SUO1AJOS{O sap SOHINAN ‘spiod op saouaoiq ‘aIAINS ANIXOL 44 4S04 SHAÜIdONSOHIIN SNOISYT (INNS) SROLLVAUASHO SAC AVAIUHVEL ARDITE DIPHTERIQUE, 129 MYOC ‘onbruoigo ejaoy “opavorigd “onbrparo 9[ ANS S9Sn9}IE] Sa, ‘2AISS99X9 *soroque sop |-mod-0Âwopue esn] “ouioug otwse|duodApy ‘enberp ‘oies [uorjeroeure ‘ajue} so[quagpisu02 SuOIS97|-JIP 2S049/S 0p ANqY(|-TE0 91 EI 8P so[quiopisu09 suots9"1|-14 ‘nou so anon |-sis19d . uoyetsaqutsop ep s18Â07 S}1j04 ‘xneÂou sop uorje191[V ‘apip20pU9, SN0S JnoJANns ‘SOIIBINO -SQUU S91Q S2P S2[{UIQPISUOD SUOISO'T ‘S19407 sap nraAIU ne 9807209097 ‘S2[[019)18 SUOIS9] ‘au9sou0q eo ‘xnepnueis J8J9 ‘uOens El] op o8e[ru8 eo ‘soonbaeu s9xy uor] -8s1[ono8A Jo onusepduodAiy ‘exteino -S QUI 9141 E[ 9P SO[RIPPISUO9 SUOIS9'] ‘sapejeu snjd SO[ Sa1{y S0p In0jne egubueut 9s07{009n97 SERRE. ‘uoreraqquisgp op s19404 ‘S[PUSIOQUL SJEPNSXA ‘9,9 ‘Sa[ON9PA ‘au93owoq 3819 ‘Xne] -nuei8 3eJ9 ‘ornuserdradAq ‘sarrepno -SQLu S91q1] Sp S2[{RI9PISU09 SUO1S97 *xnoyy op onbrx -g1qdiprque wn)9s 8] ‘salq -BIDPISUOD Sa[[ol} -SI9JUI Sa12eHIOUOT] *‘souioug sonbip -1020pue S9s0wÂ99"] *s19407 xne 291117 950}{000n97 A 0 ER “axtepnosnut 94141} ‘In09 np *syqouofuo *sanbidoosotoeuu *SIDAIP XNPOSSIEA S9p ef °p SH9VASA S9P LYJ SNOISYT SINANANOTAS NAN EVIA SHNÜIdONSOHOIN SNOISAT (ons) SNOLLVAUASHO SA AVAIAHVL ‘SIOUI G OTAINS ‘euIX0} op sosnou ennutunq[y|-12a81qut suoroalut # 06€ x0 ‘‘uornurwui( 056 x3 ‘*‘MOU BI Y OF6 43 ‘‘FUBAB SPIOY ‘sanol 0j otAInS ‘pr ‘(soude sanol c) 0 *G70'290 0] ‘sasnau -bA8Jqut suoroolut % GYY 10.‘ “SOUOAPI 082 17 LOUE} CE ZGL 4% ‘‘AUPAB SPI04 *sanoi g erAïnG ‘280p eugu ‘(soude "[G) 0% *euIX0} 0P CZ0'000 0} *sasneou -18ABIJut suoroolut % ‘sanol FF 8taans ‘aUIX0] 2P GZF 000 ded jipavy juomuopeuy op uornoefur ajnes } *sptod ep Soououapi( *AIAING ANIXOL 4Q 4S0Q …. DAT urde "III de LR) | uide ‘SUOIAI9SO sop SOUINAN (er) ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 130 ‘e[qiey os0]{009n97 *29s -I[8Jou98 92so}{soono Il } ‘298 ‘|-resou98 oso]{000n97 ‘as074909n97 ‘s18Â07 sep nesaIu ne ,50)À909n97] ‘Sappemgie SuolsoT| (;) as049108 ep 1nq9q Rd ms ‘inc np AE AD a SC | ‘syqouolfaoo XNB9SSIBA Sop LVL SHIVASA Sep LVIA ‘saçono -8A ‘ou9souou Jej ‘xnepnueis 10]9 ‘extepnosnu o1qy ®[ ep Suois9] ——————————_—_—_——_—_— - = ‘Xnanuls }e}9 ‘Sa[ON9eA ‘ou95ouOu 3839 ‘lle[Nhosnu oJqi} 8] ep UOIS97] ——_—_—_—_—_—_—_—————pZpZpE ‘xn8Âou Sp SUOIS2] ‘UOrequeu -Se1} ‘sojonoea sonbjanb ‘xnapnuers 8J9 ‘eXIe[nosnu 9144 B[ 2P SUOIS9] ns € ‘279 ‘se[onoea ‘oruse[d -J6dÀq ‘oremosnu o1q1 e[op suoiso] Se PT ‘uoreasaquisep op s1040 4 “032 ‘enuserdaodÂ}} *alle[nosnu e1qy e[ op SNOIS41 ‘sonbidoosorseuwu SNOISAT ‘aanoriesod oyed eun,p 2A1p48} 81SÂ[EIEX "SI9AIp SINANANOIASNAU | (11) SNOILVAMASHO SA AVAISVL GEO x0 (AE (Une * ON urtuI(] ‘sad LyG x0 ‘‘JUVAB SpIO4 ‘SeAinou F} 21AING ‘auIx0} 9p C(‘s0 ‘eguemno -Sn0s uorj2o{ut ajnes } 0O0F x0 y 0 ‘‘*:""-soady C x0 ‘‘Ju8AB SPIO ‘Sainoy 76 21AANG ‘auIX0} ) ‘ogue}no :‘uOrnurui(] 9p -snos uoroofur ones } GYQ x0 Spiod op oj104 08# 30 0. ‘soady CSG x0 ‘‘JUBAB SPIO ‘SOAN8u (Y 2IAINS ‘auIX0} 0p &0‘s00 9p oguejno -snos uorj2ofur ojnes J *sano[ 9y 21AIMS ‘sosnou -I9ABIJUI suorpofut € *sanof 9 oraïng ‘ouIx0} ep sesnou -2ARJquI suorpoofur € nd ‘Spiod ep saooueuapi( ‘TAING ANIXOL 44 4S04 °“JIIX 2Â8q0n ‘"JILA 24eq09 : ‘‘’[A 24eq09 ‘‘‘'JA uide ... LA uide co GES ‘SUOT}PAI9SGO sap SOHANNN MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE, 131 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE Pathologie expérimentale du myocarde. 1. Russerr. Fortschr. d. Med. 1886. Ueber experimentelle Myo-und En- docarditis. 2. Boxomg. Giornale della R. Acad. di med., Torino, 1866. Contributo allo studio degli staphylococci pyogeni. 3. MiRCOLI. Arch. per le scienze med. 1889. Sulle alterazione acute del miocardio per stimoli semplici e specifici. 4. Roner. Rev. de chirurgie, 1885. D. LANNELONGUE ET AcHarDp. Annales de l'Institut Pasteur, 1891. 6. CHarRix. Congres international de Berlin, 1890. — Sem. méd., 1890, .Myocardites expérimentales. ; 7. Cxarrin. Leçons de pathogénie appliquée. Paris, 1897, et Soc. de#Bio- logie, 1896. 8. KosriuRINE, KRAINsky. Vratch, 2-3, 1891, cités par Charrin, in Traite de pathologie générale, de Bouchard. T. Il, p. 168. 9. Wecca et FLEXNER, John Hopkins hospital Bulletin, n°9 15, 1891. — The histological changes in experimental diphteria. — — John Hopkins hospital Bulletin, 1892, n0 20. — The histological lesions produced by the toxalbumens of diphteria. 40. B. Hesse. Jahrb. für Kinderheilkunde, 1892, Bd. 36, S. 19. — Beitrage zur pathol. anat. der Diphterieherzens. — Entgegnung auf die Bemerkungen u. s. w. [bid'S. 397. 11. ComBa. Lo Sperimentale, 1894, XVIII, p. 255. Sulle alterazioni del cuore nella difterite sperimentale. 42. Tengscni. Arch. f. Pathol. Anal. u. Phys. u. f. klin. Med., 1892. CXXVIIL S. 186, Ueber die Fragmentation des Myocardiums. 13. Ercunorsr. Berlin, 1877. — Die trophischen Beziehungen der Nervi vagi zum Herzmuskel. 44. Wassiierr. Zeitschrift f. klin. Med. 1881. Beitrage zur Frage uber die trophischen Beziehungen des Nervus vagus zum Herzmuskel. 45. ARTHAUD ET BuTTE. Paris, 1892. Du nerf pneumogastrique. 16. Faro. Centralblatt für die med. Wissensschaften, 1888. — Anal. in Revue de Hayem, 1889. T. 33, p.453. Ueber die Veranderungen des Myocar- diums in Folge von Durchschneidung der Nervi extracardiaci. 417. Weger er Buino. Rev. de méd. 1896, p. 705. Pathogénie des myocar- ” dites. | 132 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. EXPLICATION DES PLANCHES [ ET Il Fig. 1. — Coupe transversale du cœur. Chien XIII (survie 13 jours). Foyers de désintégration. — Au centre, espace assez étendu où les fibres musculaires ont presque complètement disparu. On trouve encore quelques blocs musculaires reconnaissables. Les fibres musculaires sont remplacées par un exsudat réticulé* dans les mailles de ce réticulum sont des leucocytes et des noyaux musculaires. Nombreux capillaires sanguins dilatés. Les fibres musculaires qui entourent le foyer tendent à devenir homogènes. Image projetée avec Oc. 2, Obj. 5 de Nachet. Fig. 2. — Coupe transversale du cœur. Chien VI (survie 16 jours 1/2). . Exsudat sarcodique. Les interstices conjonctifs sont occupés par une sub- stance homogène et amorphe, coagulée et rétractée par la fixation, dans. Jaquelle sont plongés des leucocytes. Les fibres musculaires tendent à devenir homogènes. Les noyaux des leucocytes sont vésiculeux. Leitz. Obj.1/12 à imm. hom. Oc. 3. tube 160mm, . Fig. 3. — Coupe transversale du cœur. Chien VI (survie 16 jours 1/2). Les fibres musculaires tendent à devenir homogènes; quelques-unes le sont tout à fait. Plusieurs sont vacuolées. Une fibre homogène (a) a vacuolé * à sa périphérie. Dans les espaces intermusculaires, on voit un exsudat fila- menteux, dont la formation par boules sarcodiques est en plusieurs points très nette (b, b). Dans l’exsudat se voient de nombreux leucocytes. Nachet, Obj. 9 à imm. homog. Oc. 1, tube 160mm, Fig. 4° — Coupe transversale du cœur. Chien VI (survie 16 jours 1/2). Fibre presque totalement vacuolée. Les vacuoles sont confluentes, séparées par de minces travées de protoplasma. La fibre rappelle par son aspect les cellules à mucus. Autour de cette fibre, on en voit d’autres qui tendent à devenir homogènes. Nachet. Obj. à imm. homog. Oc. 3. tube 160mm, Fig. 5. — Coupe transversale du cœur. Chien XIII (survie 13 jours). Plusieurs fibres sont presque absolument homogènes, d'autres le sont à un moindre degré, d’autres pas du tout. Une fibre (a) n’est trouble et homo- gène que partiellement. Dans la partie où les cylindres contractiles ont con- servé leur individualité, on voit plusieurs petites vacuoles. — Deux capillaires (b, b) contiennent une substance homogène. Début d’exsudation sarcodique en plusieurs points. Nachet. Obj. 9 à iram. hom. Oc. 9, tube 160mm, ' MYOCARDITE DIPHTÉRIQUE. 133 Fig. 6. — Fibre cardiaque vue en long. — Chien [ (survie 14 jours). Au milieu de la fibre, on voit une série de vacuoles confluentes axiales. La striation est conservée. — Autour de la fibre, nombreux leucocytes plongés au sein d'une substance granuleuse et filamenteuse. Leitz. Obj. 1/12 imm. hom. Oc. compensateur n° 12 de Zeiss, tube 6Omm, : Fig. 7. — Fibres cardiaques vues en long. Chien VI (survie 16 jours 1/2). Une de ces fibres montre sur une certaine longueur de l’exagération de la striation transversale, due à la persistance des disques minces écartés (4). Partout ailleurs la striation transversale a complètement disparu. — En de nombreux points, les fibres sont devenues homogènes et plus fortement colo- rées. — En (b) capillaire sanguin avec de nombreux leucocytes (les glob. rouges ont été détruits par la fixation à l'alcool). En (c) fibre en voie de désintégration. Entre les fibres, on voit une substance réticulée qui semble être de la fibrine. Leitz. Obj. 1/12. à imm. hom. Oc. 3. LA LA SÉBORRHÉE GRASSE ET LA PELADE Par R. SABOURAUD. PREMIÈRE PARTIE La Séborrhée grasse et son microbe Le mot de séhorrhée a reçu des dermatologistes vingt défini- tions dissemblables, correspondant chacune à une conception théorique différente. Je le prendrai ici dans son sens étymolo- gique le plus strict, qui signifie « flux de sébum », et le mot de sébum n’a qu'une signification : c’est le liquide sécrété par les glandes sébacées de la peau. Ainsi défini, lemot de séborrhée correspond à un état morbide tout à fait caractéristique, dont le tableau clinique est facile à préciser, et il a une expression microbienne constante. C’est ce que nous allons démontrer. L'intérêt de cette étude est considérable. Toutes !es infections de la peau sont mal connues ; éclairer l’une d’elles, c’est jeter du jour sur toutes les autres. En outre, la plupart des infections cutanées graves ne pénètrent la peau qu’à la faveur d’une infec- tion chronique antérieure, même bénigne. Celle que nous allons envisager est le substratum nécessaire de l’acné et de la furon- culose chroniques, de certains épithéliomas, de certaines formes d’eczéma séborrhéique, enfin elle offre avec notre pelade com- mune les rapports les plus étroits. On voit quelle importance présente un tel état microbien, ne fût-ce que pour pouvoir étudier, ensuite, sans les confondre avec lui, les infections secon- daires auxquelles il ouvre le chemin. EXPOSÉ SYMPTOMATIQUE. — La séborrhée grasse des régions glabres n’a que deux symptômes : 1° Une surproduction du sébum normal, que le râclage de la peau avec une curelte ou une simple lame de verre peut démontrer ; , Annales de l'Institut Pasteur. _" —_——— 1 ; n : 3 nm 3 ù CET DA no We 4 Pyrel RUN Sr Annales de l'Insutut Pasteur P' RAS Es Rx = SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 135 2 L'augmentation du diamètre normal des pores sébacés, qui deviênnent visibles à un examen attentif à l’œil nu. Sur les régions pilaires, particulièrement au cuir chevelu, cette affection s'accompagne toujours d’un troisième symptôme qui devient évident toutes les fois que l’exsudation sébacée est abondante ; 3° C'est une dépilation diffuse, paroxystique comme l’exsudation sébacve elle-même, et qui devient & la longue-définitive. La séborrhée grasse est une affection cutanée, bénigne ton jours, plus fréquente et plus marquée dans l’adolescence. Sous sa forme la plus simple, elle est localisée au visage, au nez, au sillon naso-génien. Elle a des formes plus étendues, où toutes les régions pilaires sont prises; et enfin des formes presque généralisées où tout le tégument présente un aspect huileux. L'eau glisse sur lui et ne le mouille pas. La séborrhée grasse est un état morbide monomorphe, qui n’a pas d’autres symptômes que ceux-là. Mais sur elle, nombre d'infections secondaires peuvent survenir." Aussi dois-je nom- mément écarter de son tableau symptomatique celles qui s’ad- joignent à elle le plus fréquemment, qui la recouvrent et qui l'ont jusqu'ici fait méconnaitre. Au cuir chevelu, fréquemment, sur là séborrhée grasse se greffent des infections secondaires créant des épidermites des- quamatives : Pityriasis capitis. Par elle-même la séborrhée grasse n’est aucunement desquamante. Au visage, sur une séborrhée grasse chronique, presque toujours on obserse de l’Acné polymorphe : acné indurée, pustu- leuse, etc... Ces éléments ne font pas partie de l’entité morbide que je décris. La séborrhée grasse est leur substratum néces- saire, mais ils viennent s’y superposer. La séborrhée grasse a une lésion clinique élémentaire unique, dont le siège est le canal d’excrétion des glandes sébacées. Déjà, à l'œil nu, leur orifice paraît distendu, ce qui donne au tégument un aspect grossier. Mais, de plus, l'expression lente et continue de la peau aux points malades en fait sortir par fous les pores sébacés des cylindres de graisse de tous calibres, les uns assez gros, les autres imperceptibles. A la loupe il est facile de se * rendre compte que tous les orifices sébacés, sans exception, participent peu ou beaucoup au même processus. C’est l’effusion 136 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. permanente de ce sébum qui donne à la maladie son principal et premier caractère. ’ Telle est, et telle est seulement, la séborrhée grasse, que .caractérise au point de vue objectif le simple aspect huileux du tégument, au point de vue de la lésion élémentaire un cylindre de sébum occupant les pores sébacés, et au point de vue évolutif la chute du poil occupant l’orifice malade. EXAMEN MICROBIEN EXTEMPORANÉ. — Après expression d’une peau séborrhéique, si ï’on en pratique le râclage, on obtiendra une exsudation huileuse facile à écraser ou à frotter sur des lames de verre. On en dissoudra les graisses par un lavage à ’éther, on colorera au violet gentiane, cinq minutes, on déco- lorera, par la solution iodo-iodurée de Gram au _ l'alcool et l'huile d’aniline. En quelque siège ‘que l’exsudat séborrhéique soit recueilli, ces préparations montreront des myriades d'une espèce microbienne unique, qui est un très fin bacille. À ma connaissance, aucune infection cutanée ne présente son microbe causal*aussi pur et aussi abondant. MORPHOLOGIE ET COLORATION DU MICRO-BACILLE DE LA SÉBORRHÉE GRASSE. — Le bacille de la séborrhée grasse, en ses formes, jeunes, est punctiforme et presque semblable à un coccus, ayant, après coloration par le Gram, un peu moins d’un # de longueur; les formes adultes ont un y de long sur 1/2 » de diamètre. Les formes sigmoïdes sont de courtes chaînes, toujours rares dans l’exsudat. Elles peuvent atteindre à la longueur du bacille tuberculeux. La coloration de ce microbe est facile, mais il retient médio- crement la matière colorante quelle qu’elle soit. Toutes les couleurs d’aniline le colorent très bien. Leur action sur lui, cependant, est différente, parce que ce bacille possède une enveloppe épaisse qui tantôt se colore et tantôt ne se colore pas. Coloré par la thionine, il perd un tiers des dimensions que le violet gentiane lui donne. L'action du violet gentiane accuse au contraire l'enveloppe bacillaire et colore mal le proto- plasma. Quoi qu’il en soit, pour mettre ce microbe en évidence, dans la matière d’un raclage extemporané, tous les colorants micro- biens peuvent être employés : bleu de Læffler et de Kühne, bleu polychrome d'Unna, thionine phéniquée, fuchsine. La meilleure + 4 SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 137 méthode reste le Gram-Weigert, avec différenciation des éléments histologiques par le carmin. LOCALISATION DES COLONIES MICROBIENNES DANS LA PEAU SÉBORRHÉIQUE. — La localisation des colonies, bacillaires dans la peau est ex- trèmement spéciale et partout identique. Onsait que la glande sébacée est toujours l’annexe d’un poil danslefollicule duquel elle vients'aboucher obliquement. Cet abou- chement s’opère à l’union du 1/3 et des 2/3 inférieurs du follicule pilaire. C’est dans le 1/3 supérieur du follicule, entre la surface cutanée d’une partetl’abouchement de la glande dans le follicule, d'autre part, que siègent les colonies microbiennes de la sébor- rhée grasse. En ce point, le doigt de gant épidermique qui cons- ütue le follicule est renflé en une dilatation ampullaire. Sa paroi épithéliale est aplatie et atrophiée. Dans cette ampoule, le poil est repoussé excentriquement par un cocon de lamelles cornées et de sébum. Dans ce cocon est enkystée la colonie bacillaire. Sur des coupes verticales (PI. IT, fig. 1), on peut voir le centre de cé cocon, creusé de logettes anfractueuses irrégulières, remplies par du sébum et par des amas microbiens tellement compacts, que, sur des coupes fines, ils interceptent encore la lumière. Ces petits kystes microbiens présentent quelque variété dans leur forme, leurs dimensions, le nombre de leurs logettes, leur disposition régulière, irrégulière ou mème spiralée. Queiques cocons sont ouverts au dehors par une sorte de cheminée, la plupart sont clos. Tous contiennent, rigoureusement pure de tout microbe étranger, une colonie compacte du microbacille de ia séborrhée grasse. Dans la lésion, comme dans l’exsudat, la forme du microbe est variable suivant son âge et son siège. En haut et jusqu’au milieu du cocon, les bacilles sont très petits et séparés par uni- tés. Au contraire, au fond du cocon, et le long de ses parois, on trouve souvent des pelotons de bacilles sigmoïdes et incurvés, disposés en petites chaînes et en petits fagots, suivant la disposi- tion si commune au bacille de Koch. Ce cocon microbien de la séborrhée, c’est le cylindre gras que l'expression de la peau fait sortir. Les petits ont un milli- mètre de hauteur sur 2/10 de millimètre environ de largeur. Sur le visage et sur le corps, ils peuvent atteindre à des dimen- sions énormes. Sur le cuir chevelu, au contraire, ils gardent tou- * 138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. jours des proportions plus restreintes. Mais leur structure reste partout identique. J LES INFECTIONS SECONDAIRES DE LA SÉBORRHÉE GRASSE DU WMISAGE. COMÉ- DON. ACNÉ POLYMORPHE. FURONCULOSE À RÉPÉTITION. — La séborrhée grasse, chronique, généralisée du visage, peut indéfiniment garder sans altération sa physionomie propre : elle peut durer ainsi autant que lindividu lui-même. Mais le plus sou- vent, entre les milliers de kystes microbiens qui la consti- tuent, quelques-uns grandissent et deviennent monstrueux. Ce sont eux que l’on désigne sous le nom de comédons. Ces éléments sont toujours infiltrés d'infections secondaires diverses. Suivant celle qui prédomine et grandit naît alors l’un ou l’autre des élé- ments polymorphes réunis en clinique sous le nom d’Acné. L'acnéest donc constituée par les infections secondaires du comédon, et le comédon n'est qu'un cocon séborrhéique monstrueux et dégénéré. Le comédon. — Tout le monde connaît, pour l'avoir vu sur le visage des gens à peau grasse, ce cylindre gras à tête noire, que l'expression fait sourdre de la peau, et dont l'aspect vermiforme à donné lieu à un proverbe populaire. Ce n’est qu'un cocon séborrhéique énorme, avec des enveloppes cornées plus épaisses, dont les logettes intérieures, plus nombreuses et plus grosses, renferment des agglomérations colossales de micro-bacilles. (BL. HT, fig 2). Par rapportaux innombrables coconss éborrhéiques que chaque pore de la peau contient autour de lui, le comédon est une ville entourée de hameaux. Son centre est toujours une énorme colonie pure du microbe de la séborrhée (PI. IIE, fig 3). Mais son sommet et ses enveloppes extérieures sont toujours criblés d'infections secondaires diverses, car dans tout comédon la dégénérescence et la destruction commencent. Le comédon est donc l'expression anatomique «et microbienne la plus haute de la séborrhée grasse, mais c’est aussi sa forme ultime et déjà dégénérée. Comme l’a très bien vu Unna. c’est enfin le point de départ nécessaire des infections secondes qui font l'acné poly- morphe. Et l'acné sera polymorphe parce que les infections qui la causent seront, ici et là, différentes et variables. Acné polymorphe. — Dans le sommet et le manteau exté- rieur du comédon, on peut rencontrer accidentellement une dizaine d'espèces microbiennes différentes, parmi lesquelles deux sont constantes : | SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 139 Ce sont le bacille-bouteille de Unna, découvert par Malassez en 1875, et qui paraît n'avoir aucune valeur pathogène; et un coceus blanc, hôte habituel de la peau, qui se distingue du staphylocoque blanc en ce qu'il préfère les milieux acides aux milieux neutres, et en ce que ses cultures exhalent une odeur intense d'acide butyrique. Ce dernier microbe paraît, dans l'acné polymorphe, causer les nodules inflammatoires intradermiques (acné indurée) qui aboutissent ou non à la formation d’un petit abçès (acné suppurée), mais qui peuvent demeurer sur place pendant des mois sans changements. En dehors des trois formes précédentes : acné comédon, acné indurée, acné suppurée, le cocon séborrhéique peut encore se transformer en un kyste contenant un magma blanchâtre d'une forte odeur butyrique, semblable comme consistance à de la pulpe d'oignon. On y trouve 1° un bacille aérobie à cultures grises, fétides, liquéfiant la gélatine en plateau ; 2° un deuxième bacille de culture plus difficile, auquel les colorants donnent la forme de granulations en chapelets ; 3° le coceus blanc déjà nommé; 4° des spirilles incultivables. Je n’insisterai pas sur la description de ces espèces micro- biennes diverses. Leur simple énumération suffit à montrer com- bien sont multiples les infections cutanées greffées sur ‘le comé- don, et ce chapitre de l'acné polymorphe n’est qu'accessoire en ce travail. Peut-être l’étude monographique de l'acné au point de vue microbien aüraitelle quelque intérêt. J'en verrais bien davantage à l'étude cellulaire des suppurations acnéiques. On rencontre, en ces minuscules abcès intradermiques d’uneévolutionsilente, tous les types possibles de cellules migratrices et de leurs transfor- mations. J’altire sur ce point l'attention de ceux que la physio- logie cellulaire intéresse d’une facon spéciale. Acné furonculeuse à répétition. — Un seul type des suppura- tions acnéiques présente ici un intérêt particulier, parce qu'il offre à l’histologiste un schéma complet de toutes les infections secondaires du comédon et de la genèse de l’acné. C’est la furon- culose du nez, des joues, du front et du cou, qui, chez certains séborrhéiques, devient une maladie à répétitions insupportable. Ici, c'est le staphylocoque doré qui est en cause. Comme 140 ‘ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pour toute infection secondaire de la séborrhée, son point de départ est le cocon de microbacilles, l’utricule séborrhéique et plus particulièrement un point latéral de son enveloppe. Entre deux lamelles cornées de cette enveloppe, une colonie de staphy- locoques s’est insinuée. Elle est minime, globuleuse, large de 20-30 &, formée d’une centaine de cocci à peine, ag A en peloton. Son infection est signalée par les phénomènes locaux du furoncle. Au point de vue anatomique, c’estune diapédèse intense. Dans un rayon d’un millimètre environ les cellules migratrices s’agglomèrent et sont tuées sur place : c’est le bourbillon. Il s’élimine d’une seule pièce, emportant avec lui le cocon sébor- rhéique enclavé. Des coupes sériées, verticales, y montrent : 1° le cocon de microbacilles intact, annexé latéralement au bourbillon ; 2° le bourbillon, masse fibrineuse, compacte, enser- rant les noyaux effilés et déchiquetés des cellules mortes; 9° exactement en son centre, la toute pétite colonie de staphy- locoques, qui ne fait pas la centième partie du bourbillon auquel elle a donné lieu. Rien n’est plus curieux et plus démons- tratif que de telles coupes. Elles symbolisent toutesles infections secondaires de la séborrhée, qui font l'entité disparate connue cliniquement sous le nom d’Acné polymorphe. LES INFECTIONS SECONDAIRES DE LA SÉBORRHÉE GRASSE DU CUIR CHEVELU. — Les hôtes microbiens des régions pilaires ne sont pas tous ceux de la peau glabre ; l'acné polymorphe n'existe pas au cuir chevelu. Mais d’autres infections secondaires peuvent venir se superposer à l'infection séborrhéique primitive; *ce sont elles particulièrement qui créent les épidermites desquamatives, con- nues vulgairement sous le nom de pellicules et cliniquement dénommées Pityriasis capitis. Ces infections peuvent d’ailleurs exister seules (Pityriasis sec) ou se superposer à la séborrhée grasse (séborrhée squameuse grasse). Ges infections sont extrème- ment multiples et mal étudiées. La plus fréquente est celle, déjà mentionnée dans les infections secondaires du comédon, du coceus blanc dont les cultures exhalent une odeur fétide d'acide butyrique. Pas plus que pour l’acné polymorphe du visage, je n’insisterai sur la flore du Pityriasis capitis. Ici et là, ce sont des infections secondaires, accessoires en mon sujet. Il doit suflire de les séparer nettement de l'entité morbide que j'étudie. SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE, 141 TERMINAISON DE LA SÉBOBRHÉE GRASSE DU CUIR CHEVELU. LA CALVITIE SÉBORRHÉIQUE. — Un phénomène consécutif à la séborrhée grasse en toutes régions, mais indifférent partout ailleurs, prend au cuir chevelu un intérêt pratique et théorique primordial : c’est la dépilation. Quand un cocon séborrhéique se développe dans l’orifice d’un follicule, le cheveu de ce follicule meurt, et l'examen micros- copique le montre normal en sa partie la plus âgée, atrophié dans sa partie la plus jeune (absence des cellules médullaires, diminution du pigment). Sa racine, terminée par un bulbe plein, traduit l'arrêt fonctionnel complet de sa papille généra- trice. La dépilation ainsi produite est, comme la séborrhée grasse, prédominante au vertex. Elle est ordinairement lente, diffuse comme l'infection séborrhéique, et procédant comme elle par pa- roxysmes. Certaines poussées de séborrhéesontpresqueaiguës, et les cheveux s’éclaircissent en quelques semaines. La brosse en fait tomber par centaines. Le plus souvent les choses vont plus lentement, la dépilation met des années à s’accomplir. Mais, que l'infection du cuir chevelu soit rapide ou lente, qu’elle soit ou non recouverte par des infections secondaires, elle aboutit normalement à la calvitie progressive, irrémédiable une fois constituée. Par quel«mécanisme se produit cette dépilation ? L'hypothèse d’un poison microbien soluble agissant sur la papille pilaire est certainement plausible, mais plus facile à énoncer qu’à démontrer. Anatomiquement, la formation du cocon séborrhéique dans l’ori- fice pilaire a pour suite constante l'hypertrophie progressive de la glande sébacée. Un afflux leucocytaire se produit autour de la papille du poil qui s’atrophie peu à peu et meurt. La papille et le poil se régénèrent et meurent successivement plusieurs fois, chaque fois après une réinoculation séborrhéique nouvelle. Chaque fois aussi le poil se régénère moins parfaitement. Il finit par ne plus être représenté que par un follet microscopique. A ce moment, l’hypertrophie de la glande est énorme, et le derme de toute la région est atrophié el aminci. La calvitie est alors com- plète, et sur le tégument dénudé l'infection séborrhéique arrive même à disparaitre sans que le cheveu puisse repousser. Les chauves ne deviennent chauves que par ce mécanisme. C’est là 442 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ” notre calvitie vulgaire, que les auteurs appellent ou spontanée, essentielle, arthritique, car ces adjectifs dans la langue médicale désignent seulement les causes qu’on ignore. Cette atrophie pilaire peut paraître un bien minime résultat pour une infection microbienne chronique qui dure des années. Son étude minutieuse est cependant nécessaire. Car cephénomène de la dépilation séborrhéique présente un extrème intérêt quand on le rapproche d’un processus similaire, infiniment plus rapide et plus grave que nous étudierons plus loin : l’alopécie de la pe- lade. CLASSIFICATION ERRONÉE DES FAITS PRÉCÉDENTS DANS LA DERMATO- LOGIE ACTUELLE. — Telle que je viens de la décrire, la séborrhée grasse n’a pas d'histoire. Contrairement à la description syn- thétique que j'en fais ici, ondistingue empiriquement: | 4° Au cuir chevelu d’abord, une séborrhée sèche (?), bien mieux nommée autrefois pityriasis capilis. Nous avons vu que cette maladie n’a rien de commun avec celle que je décris ; 20 0n distingue ensuite une*séborrhée squameuse grasse, qui est tout simplement la superposition du pityriasis capitis précédent à la séborrhée grasse dont je parle ; 3° Au visage, la séborrhée généralisée qui précède l'acné n’est pas rattachée à la séborrhée du cuir chevelu, bien qu'elle lui soit pleinement identique. On n’en décrit que le comé- don ; s 49° Mais le comédonetses infections secondaires forment dans la nomenclature adoptée le grand chapitre de l’Acné, totalement distinct des séborrhées grasses, dont ces lésions dérivent cepen- dant en ligne directe. Une telle classification est détestable. Elle réunit des élé- ments disparates, et elle en disjoint d'inséparables. C’est pour l'avoir trop facilement adoptée que M. Unna et ses élèves ont pu observer avant moi plusieurs des faits qui précèdent, sans pouvoir en faire aucunement la synthèse que je présente :. Avec son élève Hodara, M. Unna a vu et décrit la bactériologie du comédon, d’une façon scrupuleusement exacte et précise. Mais d'après la nomenclature,le comédon étant l'élément premier et fondamental de l’acné, le micro-bacille du comédon ne pou- 4. M. Unna croit que le phénomène de « la séborrhée » est produit par un trouble fonctionne] des glandes sudoripares. . SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 144 vait se présenter à lui que comme « lebacille de l’Acné », nom sous lequel il l’a décrit '. * D'autrepart, M.Uanaa vudansla séborrhée grasse du cuir che- velule même micro-bacille. Mais commel’acné n’existe pas au cuir chevelu, Unna ne pouvait pasidentifier ce bacille de la séborrhée à celui du comédon, et il ne les a pas décrits comme identiques. Si, dans la séborrhée grasse du cuir chevelu, Unna et Hodara eussent découvert le cocon séborrhéique, peut-être l’eussent-ils rapproché du comédon qu'ils connaissaient. Si d'autre part, dans la séborrhée du visage, ils n'avaient pas, de parti pris, strictement limité leurs recherches au seul comédon, s'ils avaient, à la face, examiné les pores de toute la région voisine, 1is ne seraient pas passé à côté de l'infection cutanée générale dans laquelle les comédons et les éléments d’acné polymorphe ne sont que des accidents locaux ou, comme on dit en clinique, de simples épiphénomènes. Pour faire cette synthèse, du reste, 1l aurait encore manqué à l'École de Hambourg un point d'appui nécessaire, qui est la cul- ture. Unna, Engmaun et Hodara ont obtenu une fois, pensent-ils, la culture du « bacille de l’Acné ». Mais ils n’en ont pas obtenu de cultures filles. M. Unna non plus n’a pas cultivé son « fin bacille de la séborrhée ». Nous allons voir maintenant comment on peut obtenir ce dernier et concluant élément de preuve qui manque encore à notre synthèse précédente. Cette synthèse peut être ainsi formulée : au-dessous des épidermites grasses du cuir che- velu, comme au-dessous de l’acné polymorphe du corps et dû visage, existe un substratum commun, unique, nécessaire et qui peut exister seul : c’est la Séborrhée grasse du visage, du corps et du cuir chevelu, dont la lésion unique et constante est le cocon séborrhéique inclus dans les orifices sébacéo-pilaires, habitat du micro-bacille de la Séborrhée. Cuzrures. — Presque tous les microbes de la peau deman- dent des milieux de culture très acides, et fortement azotés. L’adjonction de glycérine (2 0/0), celle d’un tiers d'urine à l’eau du milieu sont souvent utiles. Cette proportion d’urine repré- sente grossièrement la nature et la proportion des sels de la sueur humaine. De toutes ces conditions, l'acidité est la seule rigoureusement nécessaire. 4. MENaEM Honara. Sur le diagnostic bactériglogique de l'Acné. (Journal des maladies cutanées et syphilitiques. Septembre 1894, p. 516.) 144 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. * Pour cultiver le microbacille de la séborrhée, on se servira de la gélose suivante : Peptone:.. tirs MER RRE nt 20 grammes. Glycérine: th re SRB RE NERTS 20 — Acide acétique cristallisable........... » gouttes. Bauer OR ee Re CEE 1,000 grammes. GÉIOSE AS EURE RENS RER TA SE LRS 13 — Avec ce milieu, l'obtention du microbacille de la séborrhée du visage est presque facile. Après un lavage à l’éther de la région, on racle la peau en la déprimant fortement avec le plat d’une eureite ou le tranchant d’une lame de verre, pour faire saillir les cocons séborrhéiques au-devant du raclage. Le sébum ainsi recueilli est ensemencé par frottis. Sur trois ou quatre tubes, on obtient, au milieu de colonies étrangères, une ou deux colonies pures d'emblée. Elles devien- nent visibles du troisième au quatrième jour (à 35°) et prennent peu à peu une forme conique acuminée, qui peut en 15 jours arriver à une saillie de 2 millimètres. Leur couleur, qui est d’un blanc sale sur milieux non glycé- rinés, prend au contraire sur milieu glycériné une couleur rose brique extrèmement particulière, et qui la reud vitereconnaissable. Quand on part de la séborrhée du cuir chevelu ou du comédon, la culture du même microbacille peut vraiment être considérée comme très difficile. Toujours le-coccus blanc butyrique, men- tionné comme la plus constante des infections séborrhéiques secondaires, couvre le frotlis ou les parcelles d'ensemencement, sans en excepter une seule, et quelque précaution que l’on prenne pour l’éviter. Que l’on garde cependant ces cultures souillées, après 8 ou 10 jours on distinguera au centre de chaque colonie du coccus blanc une acumination rose centrale qui est la colonie du micro-bacille. Elle se développe de plus en plus visiblement après 15 jours et 3 semaines. La séparation de ces deux microbes a longuement mis en défaut toutes les méthodes de séparation que je connais. En laissant vieillir entre deux lames stériles la matière d’ensemencement pendant deux mois, on a quelque chance d’obtenir d'emblée une ou deux cultures pures sur une trentaine, le coccus blanc mou- rant bien avant le micro-bacille. Ce pro cédé est recommandable, SÉBORRIÉE GRASSE ET PÉLADE. 145 pour le comédon particulièrement. Un deuxième procédé con- siste à laisser vieillir la culture double du coccus blanc et du microbacille ; après un mois, le microbacille reste seul vivant. Mais ce sont là des procédés de séparation d’une durée intermi- nable et de ce fait peu pratiques. Le problème est rendu encore plus difficile parce que le premier ensemencement doit être par- cellaire et parce que tous les premiers réensemencements du microbacille doivent être faits par transplantation et insertion sur la gélose d’une parcelle notable de la culture mère, ce qui enlève toutes les chances. de purification du simple frottis. En cherchant de toutes façons à séparer de ce coccus blanc butyrique le microbacille de la séborrhée, j'ai mis la main sur une méthode technique dont la généralité me semble dépasser de beaucoup les applications que j'en ai faites. Cette méthode est l’utilisation de géloses vaccinées. Je ne m’en suis encore servi que pour aider la séparation des associations microbiennes constantes. Les GéLOsES VacINÉES. — On peut vacciner une gélose contre cer- lains microbes en cultivant au préalable ces microbes dans le bouillon méme dont on fera ensuite avec la gélose un milieu solide. Ce prin- cipe n'est pas vrai pour tous les microbes, à beaucoup près, ni même également vrai pour tous ceux auxquels il s’applique. De plus, il me semble recouvrir des faits différents : certains microbes vaccinent vraiment leur milieu, même après une culture brève. D’autres simplement l’épuisent. Ainsi font la plupart des sapro- phytes ou des demi-saprophytes de la peau. Ils vaccinent très mal une gélose; ils l’appauvrissent. Or, ils l'appauvrissent pour les autres presque autant que pour eux-mêmes. Mais il ne paraît pas en être ainsi pour certains microbes spécifiques. On peut faire avec plusieurs des microbes de la peau des géloses vraiment électives contre eux-mêmes. Je vois très bien l'appropriation de cette méthode à des sujets étrangers au mien, et par exemple à la différenciation d'espèces patho- gènes dont l'unité ou la pluralité sont en discussion aujour- d’hui. Avec une espèce microbienne donnée, on arrive facilement, d’ailleurs, à faire des géloses de vaccination différente, et j'ai telle gélose qui permettait fort bien la réimplantation massive d'une culture antérieure et qui, néanmoins, ne laisse pas germer 10 146 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. les semences de même espèce quand leur ensemencement est parcimonieux. Cette méthode peut se réclamer de bien des fails antérieurs déjà connus. Jene la signale donc pas comme nouvelle; je ne la signale pas davantage comme universelle, bien au contraire. Mais, quoique délicate, elle est maniable, modifiable indéfi- niment. D'autres verront peut-être à l’approprier au but spécial de leurs recherches. En ce qui concerne le sujet auquel je l’ai appliqué, un bouil- lon acide de la formule donnée plus haut est cultivé pendant 12 jours avec le coccus blanc butyrique. On le reprend, on l’ad- dilionne de gélose dans la proportion habituelle, et c’est sur la gélose ainsi vaccinée qu’on pratique l’ensemencement parcellaire d’une séborrhée. Les cultures ne donneront pour ainsi dire plus de colonies du coccus blanc, et elles donneront, assez abondantes et isolées d'emblée, les colonies du microbacille. Ce procédé n'a permis d'arriver à des cultures très rapides du microbe de la séborrhée. Il n’est cependant pas sans reproche. Le milieu vac- ciné sur lequel on a pratiqué l’ensemencement a laissé croître à peu près exclusivement le microbacille, mais il n'a pas tué le coccus. Or, comme les réensemencements doivent être d'abord parcellaires, il arrive de voir réapparaître, dans les cultures filles, des colonies de cocci que la culture mère n'avait pas montrées. L'incertitude de ce procédé m'a conduit à étudier plus atten- tivement que je ne l'avais fait d’abord la pasteurisation de la semence, préalablement à la culture, pour GENS de tuer le coccus blane sans tuer le microbacille. PASTEURISATION DE LA SEMENCE SÉBORRHÉIQUE. — D'abord le pro- blème semble insoluble par ce moyen, car les deux germes meurent parallèlement. Une pasteurisation rapide à 70° les tue tous les deux ensemble. Mais il n’en est pas de même d'une pasteurisation ralentie. Une chaleur de 65-67° prolongée 10 heures tue le coccus blanc et respecte le micro-bacille, Si bien qu'après 6 jours ona des cultures pures d'emblée et recon- naissables, suffisantes à tout ensemencement ultérieur. Ces résultats rapides, il était nécessaire de les obtenir et de les obtenir par plusieurs moyens, car, nous le verrons tout à l'heure, le microbacille revêt peut-être des virulences très ditfé- rentes. Il fallait donc pouvoir contrôler chez lui ces diflérences, SEBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 147 quedes cultures troplentes et trop prolongées eussent amoindries. CARACTÈRES DE CULTURE DU MICROBACILLE DE LA SÉBORRHÉE. — La culture du microbacille se présente, sur gélose, comme un cône saillant de deux millimètres de hauteur, assez mamelonnaire et irrégulier. Cette culture cesse de grandir quand elle atteint 3 à 4 millimètres de diamètre. Jusque-là son accroissement périphérique se fait par un ourlet blanc, plat d'abord, qui devient ensuite progressivement rose brique comme le reste de la cul- ture. Cette colonie n’adhère aucunement au milieu. Avec la baguette de platine on la fait glisser facilement d’un seul bloc. Pour tous les réensemencements, sur tous milieux liquides ou solides, il faut prendre une parcelle visible de la culture mère, si l’on ne veut pas d'échec. Sur une gélose, il faut insérer cette parcelle, et non pas seulement la déposer à la surface. De même, en milieu liquide, il faut écraser la semence en quantité notable dans le bouillon. En milieu liquide de la formule donnée plus haut, la culture bien ensemencée pousse très vite. Elle se traduit par un trouble intense du bouillon. Ce trouble se dépose en une boue grisâtre. Après quinze jours, le milieu estcomplètement décoloré, limpide, et le dépôt amassé au fond. A partir de ce moment, la culture se continue lentement sur les parois mêmes du verre, sous la forme d’un dépôt adhérent à bords frangés. Cette culture dure plusieurs mois. Le retour d’une culture en milieu liquide sur une gélose est un peu difficile. On sème abondamment à la pipette. On laisse le dépôt microbien se faire au fond du tube. Il faut alors retirer à la pipelte le liquide resté en excès et renverser lente- ment le dépôt sur la gélose. Après quelques jours, des traînées de culture se produisent là où le dépôt s’est arrêté. La température optima de la culture est 35°. Elle pousse encore à 39°, mais moins belle. Son développement ne commence qu’à 30°: par conséquent, ces cultures ne peuvent être faites sur gélatine. En culture, le microbacille garde ses caractères, mais les formes adultes sigmoïdes sont un peu plus fréquentes dans la culture que dans la lésion. Il est immobile. Ses cultures meurent à 70°, comme la semence dans le sébum. Il ne paraît donc pas former de spores. 148 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. En suivant les techniques que nous venons d'indiquer, on extraira pareillement le microbacille séborrhéique de la séborrhée du visage, des comédons, de la séborrhée du cuir chevelu et de celle du corps. Les cultures les plus difficiles sont toujours celles du cuir chevelu et celles des comédons. Pour celles-là, la pasteu- risation préalable de la semence est rigoureusement nécessaire. Dans la séborrhée du corps et du visage, sans acné concomitante, l'antisepsie locale avant le raclage suffit. Rappelons, pour ceux qui ne voudraient pas étudier les variations possibles de virulence de ce microbe, que des cultures impures, après un mois, redonneront des cultures pures. INocuLaTions. — Avec Les techniques actuelles, les inoculations ne sont pas et ne peuvent pas être probantes. Comme toutes les inoculations de microbes cutanées, elles se heurtent à des diffi- cultés sans nombre : aussi en parlerai-je à peine, non pas que je les écarte de mes recherches, mais parce que je n’en pourrais pour le moment rien dire d’utile. Hormis le staphylocoque doré de l’impetigo et du furoncle, et le streptocoque de l’ecthyma, microbes dont la présence sur la peau estrare et accidentelle, et dont l'inoculation y donne lieu à des lésions définies, tous les hôtes microbiens de la peau humaine se montrent, pour tous les animaux de laboratoire, d’une virulence quasi nulle et inappréciable. C’est après 3-5 mois, par exemple, que l’inoculation au lapin, dans la veine marginale de l'oreille, de 10 c. c. d’une culture jeune de staphylocoque blanc butyrique donne quelques abcès métastatiques d'évolution froide. Et entre les microbes habituels de la peau humaine, celui-là est encore l’un des plus virulents. En effet, ces microbes spécialisés à des lésions épidermiques, habitués à un milieu acide et peut-être atténués par lui, quand on les inocule dans les humeurs neutres ou alcalines d’un animal, ne donnent pas lieu à des lésions générales. Et, d’autre part, la peau des animaux se prèle moins encore que leurs humeurs à l’expérimentation. Elle ne ressemble que de très loin à la peau humaine. Ses divers organes sont homologues à ceux de la peau humaine, ils ne leur sont nullement similaires, d’où la difficulté de déterminer à volonté chez l’animal le type exact d’une lésion microbienne du tégument humain. On l’a bien vu pour le lupus. Il faut de même s’attendre à rencontrer des microbes, même SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 149 très spécifiques sur la peau de l’homme, et agissant expressément sur tel ou tel de ses éléments par des toxines qu'aucun moyen actuel ne saura démontrer, en raison de leur action minime ou de leur spécialisation. La meilleure preuve « priori qu’on puisse donner de la dif- ficulté de l’expérimentation est fournie par l’examen de la ilore microbienne cutanée du cobaye ou du lapin. À l'état normal, celte flore est restreinte et entièrement différente de celle de l’homme. Si l'on provoque par graltage simple une épidermite traumatique chez le cobaye, on y trouvera de tout autres micro- bes que dans les épidermites humaines. Le passage sur l'animal des microbes de la peau humaine est donc l’un des problèmes les plus ardus et les plus pressants qui se posent devant la dermatologie expérimentale. Ce sont de nouvelles méthodes à chercher, à créer, pour laquelle les métho- des déjà connues ne donneront que de pauvres secours. Et c'est pourquoi, au début de ce travail, j'ai pu avancer que le microbacille de la séborrhée, hôte unique et innombrable de ses lésions, en était l'expression microbienne constante, sans pou- voir démontrer cependant qu'il en est {a cause, puisque je n'ai pu avec lui reproduire, à volonté, le type de la maladie dans laquelle on le rencontre. DEUXIÈME PARTIE La Pelade commune (Alopecia areata). Entre les faits qui précèdent et ceux qui vont suivre, la cli- uique ne verra d'abord aucune relation. L'aspect extérieur de la pelade ne rappelle en rien celui de la séborrhée grasse. Seule l'étude minutieuse des deux maladies, l’étude de leurs symptômes et de leurs lésions élémentaires démontre la similitude de leur mécanisme. Au point de vue microbien, l'identité de ces deux maladies est absolue. Essentiellement, la pelade est constituée par des taches rondes, alopéciques, qui naissent sur une région pilaire par la chute circonscrite des poils qui la recouvraient. Une plaque alopécique peut naître et demeurer solitaire, guérir spontané- 150 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ment et se recouvrir de cheveux en six semaines. En d'autres cas les plaques se multiplient, la pelade se généralise, elle peut ne respecter aucun poil du corps et durer autant que la vie. Cette maladie présente donc toutes les variétés possibles d’évo- lution et de gravité. Même après guérison apparente complète, les rechutes et les récidives sont de règle, même à plusieurs années de distance. Cette aflection, insignifiante au même titre que la séborrhée grasse, en ce qu’elle ne s’accompagne d'aucun trouble fonctionnel quelconque, n'en est pas moins au point de vue social d’une extrême gravité, en raison de sa durée, de ses récidives, et de l'opinion publique qui la considère comme extrêmement contagieuse. Cliniquement, la tache peladique passe par trois stades sue- cessifs : stade d’augment, caractérisé par la déglabration pro- gressive ; stade stationnaire de déglabration constituée ; stade de repousse des cheveux nouveaux. Ces deux dernières périodes n’importent pas à une étude étiologique, car elles ne sont, histologiquement, que la réparation lente de lésions anté- rieurement nées‘. Le premier stade, celui pendant lequel les lésions se constituent, est le seul qui montre la maladie en acti- vité, le seul par conséquent qui puisse permettre son étude étiologique. Il présente deux ordres de phénomènes : d’abord les altérations histologiques du poil qui tombe et leur nature. En second lieu, les phénomènes beaucoup moins visibles dont le tégument est le siège pendant la dépilation active de la pelade. LES ALTÉRATIONS PILAIRES DANS LA PELADE. — À la surface de la plaque peladique, les cheveux disparaissent rapidement, les uns par chute brusque et totale, les autres par une suite de: méta- morphoses régressives aboutissant à leur mort. Ce phénomène est de progression excentrique. Quand le centre de la plaque est chauve, la déglabration se continue à son pourtour suivant une bande circulaire de quelques millimètres de large. Le mécanisme de cette déglabration a, depuis un siècle, intrigué tous les dermatologistes. La comparaison pourtant bien grossière de la pelade et des teignes tondantes, uniquement appuyée sur la forme circulaire commune à ces lésions comme à beaucoup de maladies parasitaires de la peau, a longtemps 1. SasourAuD, Sur les origines de la pelade. Annales de Dermatologie. Mars, avril, mai, juin 1896. : SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 151 imposé à l'esprit l’idée d’un parasitisme direct du cheveu, ayant pour terme sa destruction. Cependant le cheveu ne se fait pas lui-même, il est ie produit d’une papille épidermique différenciée ; or, dans la pelade, après la chute du poil, souvent des mois s'écoulent avant qu'il ne soit remplacé; ceci implique une maladie de la papille pilaire dont la fonction est suspendue. Pareillement, l'examen microscopique du cheveu tombé décèle des altérations qu'aucun parasitisme direct ne peut expli- quer. Le cheveu de la pelade montre en ses parties inférieures, les dernières nées, la disparition de son pigment et de ses cel- lules médullaires en même temps que la diminution rapide de son diamètre. Or la papille pilaire fait de toutes pièces le cheveu tel qu'il restera : follet sans pigment ni moelle, ou poil adulte pourvu de cellules médullaires et de pigment. Les altérations d’atrophie simple du cheveu peladique témoignent donc, comme les lésions du poil mort de la séborrhée, d’une atrophie fonction- nelle de la papille pilaire. Cette atrophie complète, le poil meurt. Tant que cette atro- phie persistera, le poil ne sera pas remplacé, et la plaque pela- dique demeurera chauve. Il n'y a donc aucune ressemblance entre le mécanisme de la pelade, où le cheveu cesse d'exister, et le mécanisme des teignes tondantes, où le cheveu, perpétuellement créé par la papille, est envahi par le parasite au fur et à mesure de sa formation. Inversement, et quelle que soit la cause originelle de la pelade, il y a une absolue identité entre le mécanisme de sa dépilation et celui de la calvitie séborrhéique. Dans l’une comme dans l’autre maladie, il s’agit d’une lésion tégumentaire, d’une atrophie de la papille, dont l’atrophie et la mort du poil ne sont que la conséquence et la révélation extérieure. A l'œil nu, la forme des cheveux atrophiés de la pelade diffère très légèrement de celle des cheveux morts de la séborrhée. En effet, si dans les deux processus morbides la papille pilaire malade fait un cheveu de plus en plus grèle, dans la séborrhée ce phénomène se produit lentement, soit sur des générations successives de cheveux, ou bien, durant des mois, sur une grande longueur d’un même cheveu, tandis que dans la pelade cette atrophie est extrèmement rapide, en sorte que le cheveu montre sur une longueur de moins d’un centimètre sa transfor- 152 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. mation régressive de cheveu adulte en follet et la mort même de ce follet. La différence de forme du cheveu de la pelade et du cheveu de la séborrhée traduit seulement la rapidité plus ou moins grande de l’atrophie papillaire qui la détermine. Essentiellement donc, le processus de dépilation dans la pelade et dans la séborrhée est identique, mais il y a entre les deux maladies des différences de temps, de lieu et de degré. Dans la séborrhée la dépilation est chronique, incomplète, diffuse, en un siège électif toujours le même (vertex). Dans la pelade l’alopécie est aiguë, complète, localisée et de siège quel- conque. LÉSIONS TÉGUMENTAIRES. IDENTITÉ MICROBIENNE DE LA PELADE ET DE LA SÉBORRHÉE GRASSE. — Une plaque peladique est une infection locate aiguë de séborrhée grasse. Pour le prouver, il faut surprendre une plaque peladique à son tout premier début, alors que sa dégla- bration est à peine commencée, ei l’enlever chirurgicalement. Les coupes verticales sériées montreront que, sur Ja plaque malade, tous les follicules pilaires, sans en excepter un seul, sont infectés par le micro bacille de la séborrhée, tandis qu'autour de a surface malade le cuir chevelu est sain et les follicules non nfectés. Lorsqu'on a pu examiner la succession complète des coupes sériées d’une semblable pièce, on est renseigné sur toutes Îles particularités de l'infection peladique, car on aura rencontré au centre des cocons séborrhéiques déjà vieux. en voie d'expulsion hors du follicule; plus loin ure colonie compacte de micro ba- cilles occupant un follicule déjà privé de cheveu; d’autres colo- nies entourant complètement un cheveu en voie d’atrophie. Sur le bord actif de la plaque, les derniers follicules microbiens ne présentent encore qu'un envahissement à peine commencé, un simple revêtement de micro bacilles entre le cheveu et la paroi folliculaire. Plus loin enfin, hors de la plaque, les cheveux sont sains et stériles. Tel est, en effet, le mode d’envahissement excentrique de la maladie. L'infection fait tache d'huile. Autour du premier folli- cule envahi tous les autres sont contaminés un par un. Et sur la petite plaque peladique biopsiée on peut suivre d’un follicule à l’autre, d’une colonie microbienne à sa voisine, le progrès de l’envahissement. À mesure que Ja plaque grandit, le foyer d’in- SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 153 fection microbien se cantunne à la lisière seule de la plaque, car les colonies microbiennes disparaissent de son centre déglabré. En effet, dès que le poil est tombé (laissant la colonie en place), la papille pilaire, avant de mourir, sécrète un bouchon informe de cellules et de pigment qui vient soulever d'une pièce et expulser du follicule le cocon microbien qui l'oceupait. Ce phé- nomène est facile à surprendre sur les coupes du centre d’une plaque peladique déjà grande. L'infection dans la plaque pela- dique est donc extrèmement aiguë et complète, mais extrême- ment passagère, et d'ordinaire l'infection ne se renouvelle pas dans un follicule déja évacué. Sur une plaque de [pelade aiguë, l'infection précède et accompagne la dépilation, mais elle ne lui survit guère. Dès qu'une plaque peladique est chauve et qu’elle cesse de grandir, l'infection de sa surface disparait. Mais tant que des poils tombent autour d'une plaque, la biopsie et tout auire moyen d'examen montreront à leur pied l'infection séborrhéique active. La peau de cette bordure, écra- sée entre deux ongles, laissera sourdre en ce point, par les ori- fices pilaires, uu mince filament gras, c'estlacolonie microbienne. Et ce phénomène est limité aux points envahissants de la plaque. Quelques millimètres plus loin, ou à côté, le phénomène cesse de se produire. Tels sont, largement résumés, les faits que m'ont appris les coupes sériées de 32 pièces de pelade prélevées sur le vivant à tous les stades de la maladie, et qui me permettent d'affirmer que la dépilation d’une plaque de pelade est toujours consécu- tive à une infection généralisée de tous ses follicules pilaires par le micro bacille séborrhéique. et par ce bacille seul; et cela non seulement chez des séborrhéiques antérieurs, mais sur tout malade quelconque. Les faits que j’avance peuvent être démontrés de la facon la plus précise au moyen de la lechuique suivante. On épile la bordure d’une petite plaque malade et une assez large région autour d'elle, puis on frictionne toute cette surface une ou deux fois avec de l'acide acétique pur. Une croûte se forme et, quand elle se détache de la peau, elle enlève appendus à elle tous les cocons séborrhéiques de la région. Ces cocons visibles à l'œil nu sur la face profonde de la croûte dessinent au milieu de cette eroûle la forme et la dimension de la plaque malade. On y voit 154 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. leur répartition et leur nombre. Leur nombre est toujours consi- dérable. Quand la tache peladique est petite, alors les cocons microbiens sont également répartis sur elle, mais quand la surface peladique est grande, alors les cocons sont accumulés sur une zone d'un centimètre à son pourtour, aux points précis où la maladie progresse, où la dépilation se fait actuellement. Rien n’est plus démonstratif qu’un diagramme semblable. Il donne à l'œil nu le plan microbien de la lésion. Les coupes verticales de cette croûte (pl. IV, fig. 2) montrent la parité des cocons micro- biens de la séborrhée et de la pelade, et la similitude de leur microbe. Les cultures viennent confirmer l'identité des deux maladies. Ces cultures s’obtiennent par les mêmes procédés que nous avons longuement étudiés plus haut. Elles sont sem- blables. On expliquera comme on le pourra, dans la suite, les difté- rences de mœurs de la séborrhée et de la pelade. On démontrera uécessaire à la naissance de la pelade l’inoculation d’un germe plus virulent que le bacille séborrhéique ordinaire, ou inverse- ment le renforcement de virulence d’un germe séborrhéique sur place. Cette question est prématurée. Trancher entre la contagion nécessaire et l’autogénèse de la pelade est encore impossible aujourd’hui expérimentalement, et nous ne pouvons que nous cantonner strictement daus les faits expérimentaux. Ils sont ce que je viens de les dire. Depuis 1895, où je les ai constatés pour la première fois, ils ont été vérifiés, non seulement par la biopsie, mais par l'examen extemporané de centaines de cas, et depuis six mois par la culture. Que le malade soit ou non un séborrhéique au préalable, qu'il présente une première plaque ou une centième récidive, que celte plaque siège au cuir chevelu ou partout ailleurs, ces faits demeurent vrais et, pourvu que la plaque soit en extension actuelle, démontrables. LES PELADES CHRONIQUES ET LES PELADES TOTALES (DÉCALVANTES). — Dans la pelade aiguë, la rapidité de l’envahissement microbien, sa profondeur (pl. IV, fig. 3), l'envahissement de tous les follicules sans exception, expliquent la rapidité de la déglabration. Le peu de durée ordinaire de cette infection justifie la guérison prompte et quelquefois spontanée des plaques ordinaires de SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 153 pelade aiguë. Celle brève durée de l'infection explique même ce symptôme négatif: que la séborrhée — le flux de sébum — est peu intense à la surface d’une plaque peladique jeune, et limité seulement à sa période de formation et d’envahissement. Enfin même, cette expulsion constante des utricules peladiques, quand la déglabration est constituée, justifie pleinement l'apparition de plaques peladiques nouvelles, quelques semaines après Île début de la première, chose fréquente. Mais ce que ce méca- risme n’expliquerait aucunement, c’est la persistance indéfinie ‘de certaines plaques peladiques atones, et de la pelade totale (décalvante) le plus souvent incurable. Dans ces cas d’ailleurs, la tête se recouvre d’un enduit gras permanent, d’une abondance considérable, qui trahit la perma- nence de la cause morbide. Dans ces cas, en effet, l'infection microbienne est devenue chronique ; le raclage, l'examen extemporané, la biopsie (pl. IV, fig. 6) en font foi-pareillement, et aussi la culture. Rien ne peut donner une idée de l'abondance microbienne de telles lésions. Chaque follicule montre des bacilles par milliards. Et leurs colonies remplissent par masses énormes les anfractuosités des follicules atrophiés et contournés qui existent encore. ï HiSTOLOGIE GOMPARÉE DE LA SÉBORRHÉE ET DE LA PELADE. — L’his- tologie de la pelade m'a occupé une année entière, je l’ai relevée phase par phase à toutes les périodes de la maladie. Et je l'ai décrite comme spéciale à la pelade'. Ce n’est que plus tard, après m'être donné toutes preuves microbiennes de l'identité causaie de la séborrhée et de la pelade, que j’eus l’idée de comparer aux lésions de la pelade les lésions de la séborrhée. Tout ce que j'avais décrit dans la pelade s’appliquait à la séborrhée de point en point, et sans qu'il y ait un changement à faire à l’une ou à l’autre description. Après tous les faits qui précèdent, cette preuve a posteriori pouvait être annoncée d'avance : cependant elle vient prêter à mes conclusions un appui d'une valeur sin- gulière, et c’est pourquoi je la présente ici, comme elle s’est présentée à moi, la dernière. Histologiquement, aucune des lésions du tégument ne peut distinguer la pelade de la séborrhée. Atrophie de la papille pilaire, perversion de sa fonction pigmentaire, achromie de la 4. Sagouraun, Annales de Dermatologie. Mars, avril, mai, juin 1896. 156 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. couche malpighienne de la peau, formation, autour des vaisseaux du derme et de la papille, de fourreaux cellulaires constitués par des lymphocytes et des Mastzellen sans aucune cellule phago- cylaire ; ce sont là toutes les lésions de la pelade aiguë, à peine plus marquées que dans la séborrhée aiguë diffuse. Dans la pelade chronique, les lésions cellulaires perdent de l'importance. Ce sont les lésions topographiques qui en pren- nent (pl. IV, fig. 6). Les follicules atrophiés se rejoignent par bouquets. On y trouve des follets microscopiques contournés. Les glandes sébacées sont devenues colossales ; elles ont de 5-10 fois leur volume normal. Le derme est amincei, presque scléreux, l'épiderme est dépigmenté. Ces lésions si manifestes que la figure 6 représente pourront sembler bien spéciales. Et en effet. Mais ce sont précisément les lésions de notre calvitie vulgaire, dite arthritique, essentielle où spontanée ! Entre la calvitie des chauves et la pelade décalvante totale, rien, aucun détail de structure si petit qu'il soit, ne peut per- meltre au microscope un diagnostic différentiel. Entre autres pièces, j'ai des coupes provenant de la pelade décalvante d’un enfant de 10 ans. J'ai pareillement des coupes du cuir chevelu d'un vieillard chauve de 72 ans. Dans l’une et l'autre toutes les lésions précédentes se retrouvent en leur intégralité — es lésions. et le microbe. Ainsi se complète l’histoire de la séborrhée grasse que nous avons tracée tout à l'heure. On peut juger maintenant de l’im- portance de cette entité morbide dans l’ensemble des maladies cutanées, el les termes dans lesquels nous l’avons présentée d’abord sont justifiés. Taérapeurique. — Tout ce qui précède conduit à une théra- peulique rationnelle. Depuis longtemps les dermatologistes ont observé que l'irritation entretenue artificiellement à la surface d'une plaque peladique constituée était le seul moyen de hâter la repousse de cheveux nouveaux. À ce moment, en effet, aucun microbe ne demeure plus sur la lésion, l’'irritalion qui hâte la diapédèse, la répurgation cellulaire et la mobilisation des pro- duits microbiens demeure actuellement le seul recours. Mais contre les pelades envahissantes et les pelades chroniques, tant que l’examen démontre la présence du microbacille, il y a une tout autre conduite à tenir et que l'expérience confirme pleine- SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE. 157 ment. Un seul traitement agit alors sur la pelade pour l’enrayer, prévenir les plaques secondes et les récidives, c’est le traitement de la séborrhée. Contre la séborrhée grasse trois ou quatre agents thérapeu- tiques ont une valeur : le soufre, l'huile de cade, lichthyol et la résorcine. Le soufre est de beaucoup le plus actif. Les meilleurs véhicules du soufre sont les plus pénétrants. Ce sont les corps gras, miscibles aux graisses. INocuLarions. — Je ne veux aucunement parler ici de l’expé- rimentation animale comparée de microbacille de la pelade et de celui de la séborrhée. Ces expériences sont commencées depuis 6 mois à peine. La disparité de la peau humaine et de la peau animale, la différence essentielle de leur flore bactérienne normale sont de gros obstacles à l’implantation microbienne directe. D'autre part, l’inoculation d'un milieu de culture acide dans les humeurs neutres ou alcalines d’un animal amène des résultats propres, indépendants de l’action du microbe ou de ses produits. Comment d'ailleurs reproduire identique, en agissant de dedans en dehors, une lésion essentiellement épidermique et locale qui ne se produit spontanément que de dehors en dedans. Ce chapitre demande donc une série de recherches spéciales, dès à présent commencées. J'espère avoir à revenir plus tard sur leurs résultats ‘. L'expérimentation animale n’appuyant pas encore l'identité causale de la séborrhée grasse et de la pelade, on pourra se demander quel argument décisif, en dehors des faits précédents, me permel d’énoncer un rapprochement que l'opinion médicale de ce jour n’a pas prévu et ne ratiliera pas sans conteste. Cet argument est unique, mais il peut en remplacer d’autres : c'est la répétition innombrable des mèmes faits dans le même ordre. Entre deux phénomènes, quand un rapport de consécution s’observe identique en-des milliers d'observations successives, au point qu’on puisse annoncer d'avance à coup sûr, après le premier, que le second s’ensuivra, une succession de faits si obligatoire impose l'idée de causalité du premier phénomène pour le suivant. Cette idée paraît moins valable à l'esprit de 1. Dés à présent pourtant, je peux annoncer que j'ai obtenu sur le mouton, le cobaye et le lapin, avec des cultures du microbe de la pelade, les aires alopeé- ciques caractéristiques de la maladie. 158 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. celui qui l'entend seulement énoncer. A l'esprit de celui qui a vu, elle s'impose avec les caractères de l’évidente certitude. Ainsi, et pour terminer, la séborrhée grasse et la pelade seraient essentiellement identiques. Aïnsi la plaque peladique ne serait qu'une attaque de séborrhée aiquë circinée, et inversement les chauves ne deviendraient chauves que par un processus diffus de pelade chronique. J'entends bien tout ce que cette opinion aura d’anarchique et de monstrueux pour les dermatologistes, et je pense qu’elle rencontrera chez eux de l’incrédulité. Mais l'identité du furoncle et de l’ostéomyélite en a rencontré aussi. Tout fait nouveau en rencontre. CONCLUSIONS I. — Ce travail définit la Séborrhée grasse de l'homme, son tableau clinique, son évolution, sa lésion et son microbe. En ce qui concerne la clinique, cette étude rassemble des matériaux déjà mis en œuvre maintes fois par la dermatologie, mais encore aujourd’hui dispersés à tort en trois ou quatre de ses chapitres. La lésion élémentaire de la séborrhée était inconnue, son microbe étudié sous un faux nom n'avait été ni cultivé ni rapporté à l'entité morbide à laquelle il appartient. Sur tous ces points, les faits que j’apporte sont précis et, autant qu'il semble, indiscutables. IE. — La Pelade commune (Alopecia areata) est liée intimement à la séborrhée grasse. Toute plaque peladique, avant que sa dépilation ne commence, et tant qu’elle dure, est le siège d'une infection séborrhéique intense, pure, localisée à sa surface, Dans la pelade chronique, l'infection des follicules demeure per- manente : {4 pelade aiquë est une séborrhée aiquë locale ; la pelade décalvante, une séborrhée chronique généralisée. III. — Cette étude fournit la définition de la pelade. Elle précise étroitement le problème de ses origines, mais elle n’en précise que les termes sans en donner la solution. Le même parasite crée deux maladies cliniquement distinctes. Par quel mécanisme fait-il l’une ou l’autre? La séborrhée grasse et la SÉBORRHÉE GRASSE ET PELADE, 159 pelade se ressemblent étroitement; elles ne sont pas identiques. L'expérimentation a montré pourquoi elles se ressemblent. Il faut maintenant qu’elle établisse pourquoi elles diffèrent. EXPLICATION DES PLANCHES III ET IV PLanonE I. — Fig. 1. Séborrhée grasse du cuir chevelu. — Follicule pilaire normal montrant en son tiers supérieur le cocon de matière cornée qui con- tient des amas de bacilles séborrhéiques. Gross. : 180 diamètres. Color. : _picro-carmin, violet gentiane. Fig.6. Comédon de la séborrhée grasse du visage (Acné comédon). — Coupe verticale montrant la disposition des colonies bacillaires dans ses cavités. Gross. : 150 diamètres. Color. : Picro-carmin. Gram-Weiïgert. Fig. 3. Un point de la figure précédente très amplifie. Leitz, obj. immers. 4/12, ocul. 5. | Praxcme IV. — Fig. 1. Pelade. (Alopecia areata). — Le follicule pilaire occupé par une colonie enkystée de micro-bacilles. Gross. : 80 diamètres, Color. : thionine phéniquée. Fig. 2. Coupe verticale de la croûte artificiellement provoquée à la sur- face d'une plaque peladique envahissante. Nombreux cocons de microbacilles enclavés dans la croûte. De a à b, bordure envahissante de la plaque pela- dique. De b à c, partie centrale de la plaque, les colonies séborrhéiques y sont déja moins nombreuses. Près de c, débris pilaires expulsés. — Gross. : 80 diam. Color. : picro-carmin ; Gram-Weigert. Fig. 3. Coupe verticale de la croûte provoquée à la surface d’une plaque de pelade envahissante. Une colonie microbienne de la bordure de Ja plaque. Gross. : 250 diam. Color. : Bleu polychrôme d'Unna. Fig. 4. Extrémité supérieure el, fig. 5, extrémité inférieure de la figure précédente très amplifiée. L’extrémilé supérieure y montre le microbacille par unités. L’extrémité inférieure les montre en chaînes courtes. — Immers. 1/12, ocul. 5. | Fig. 6. Coupe verticale du cuir chevelu atteint de pelade décalvante totale. Lésions identiques à celles de la calvitie vulgaire. Agglomération d'un groupe de follicûles pilaires atrophiés. Hypertrophie des glandes sébacées. Dans le follicule central, énorme colonie de microbacilles. Gross. : 80 diam. Color. : thionine phéniquée. ACTION ANTITOXIQUE DE L'HYPOSULFITE DE SOUDE VIS-A-VIS DES DINITRILES NORMAUX PAR M. J.-F. HEYMANS ET M. Pauz MASOIN (Résumé fait par les auteurs d’un mémoire paru dans les Mémoires couronnés de l’Académie de médecine de Belgique, 1896, et dans les Archives de Phar- macodynamie, 1896, vol, 11.) {((Travail du laboratoire de thérapeutique de l’Université de Gand) Parmi la série des dinitriles normaux, dont la formule générale est CN — (CH,), — CN, les quatre premiers termes sont connus aujourd'hui; ce sont : le cyanogène ou nitrile oxalique CN — CN, le nitrile malonique CN — CH, — CN, le nitrile succinique ON — CH, — CH, — CN, et le nitrile pyrotartrique CN — CH, — CH, — CH, — CN. Tandis que les cyanures sont solides, que l'acide cyanhydrique est un liquide qui bout à 26°, le cyanogène, dont le poids moléculaire est 52, constitue un gaz qui devient liquide à — 25° seulement; à 0° et à la pression de 760 millimètres, un litre de (CN), pèse 2er,33; il se dissout dans l’eau distillée dans le rapport de 4 1/2 volumes de gaz pour 1 volume d’eau. Les solutions aqueuses, saturées ou non de cyanogène, se modifient rapidement; la tension considérable du gaz dissous fait qu'une partie se volatilise facilement; en outre, le cyanogène dissous, comme le cyanogène gazeux, se polymérise sous la moindre influence, se transformant en paracyanogène (C,N,),, et se décompose en des produits variés. Le nitrile malonique, CN — CH, — CN, dont le poids moléculaire est 66, constitue un corps solide, blanc, cristallin, qui fond à 29-300 1. Le promoteur de nos recherches sur la toxicité des dinitriles est notre cher et distingué maitre, M. le professeur L. Henrv, de Louvain, qui obtint le premier le nitrile malonique et le nitrile pyrotartrique normal, les mit aussitôt à notre disposition et nous assista de ses conseils dans tous les points qui touchent à la chimie. DINITRILES ET HYPOSULFITE DE SOUDE. 161 et bout à 218-219. Le nitrile malonique pur n’a pas d'odeur ; facile- ment soluble dans l'alcool et l’éther, il se dissout également dans l'eau, dans le rapport d'au moins 4 à 40; la solution la plus con- centrée dont nous ayons fait usage est de 66 0/00. Les solutions + aqueuses, incolores d'abord, jaunissent ensuite, surtout sous l’in- fluence de la lumière, probablement par suite d'une polymérisation. Le nitrile succinique (de même que le’ nitrile malonique et le cyanogène solidifié) constitue un corps solide, semblable à de la glace; il fond à 51-52 et bout à 265°; soluble dans l’eau dans le rapport de 10 à 15 0/0, ses solutions ne s’altèrent pas. Le nitrile pyrotartrique normal est un liquide incolore, d’une densité de 0,961; il bout à 275°; une partie se dissout dans 9 à 10 parties d’eau; les solutions les plus concentrées que nous ayons employées sont à 8 0/0. Afin d'éviter le volume trop considérable, du liquide à injecter, nous avons, à l’occasion, administré le nitrile liquide en nature, celui-ci n'étant pas irritant, pas plus que les deux précédents. Avant d'étudier l’action antitoxique de l’hyposulfite vis-à-vis de ces composés, disons, quelques mots de la toxicité de ceux-ci. La toxicité que nous avons ici en vue est celle exercée par les dinitriles après leur pénétration dans le courant circulatoire et résultant de leur action générale sur l'organisme. Le seul moyen qui nous permette actuellement de mesurer cette action toxique générale consiste à déterminer à quelle dose un poison diminue les fonctions animales au point de rendre la vie impossible. Comme les dinitriles possèdent une constitution moléculaire homologue, il était à prévoir, ce que d’ailleurs lexpérience est venu confirmer, que leur action toxique est « homologue », et, sinon iden- tique, du moins semblable, ne différant peut-être que quantitative- ment, comme on l'a affirmé pour le cyanogène et l’acide cyanhy- drique. En tout cas, les dinitriles possèdent une action toxique comparable, et dès lors, la dose mortelle de chacun d’entre eux constitue, plus que pour d’autres poisons disparates, la mesure de leur toxicité relative. Cette «toxicité a été déterminée chez des représentants de trois classes de vertébrés : les batraciens, les mammifères et les oiseaux ; elle est mesurée par la dose mortelle, évaluée en milligrammes par kilogramme d’animal et se trouve résumée dans le tableau suivant. 11 ; : Nitrile Nitrile Nitrile ESPECE ANIMALE Cyanogène. malonique. succinique. pyrotartrique. Grenouille Mere remuer 45 95 | 1000 3000 Lapin: Ce ReET 13 6 36 18 CRHICNPEEERE ES ERP Ce tableau montre que la toxicité d’un même dinitrile varie considé- rablement d’une espèce animale à une autre, et que cette variation n’est pas la même pour tous les dinitriles. La molécule de chacun des quatre dinitriles renferme deux fois le groupement CN qui en est la partie essentiellement toxique, et cepen- dant, la toxicité est loin d’être en rapport avec le poids moléculaire. Si nous réduisons les doses du tableau précédent d’après les poids molé- culaires respectifs, en prenant pour unité la dose du dinitrile le plus toxique pour chaque espèce animale, nous obtenons les chiffres qui expriment la toxicité moléculaire relative des quatre dinitriles. NOMBRE N Nitrile Nitrile Nitrile Cyanogène. de molécules isotoxiques de malonique. succinique. pyrotartrique. Pour erenouIlIe "00e I 1.66 “14 27 —— AADIORE APE EC ENSE 2° 1 6) 2 Chien Er APP ETC I C'est-à-dire : pour la grenouille, 1 molécule de cyanogène est iso- toxique à 1,66 molécule de nitrile malonique, à 44 molécules de nitrile succinique, à 37 molécules de nitrile pyrotartrique. Pour le lapin, 1 molécule de nitrile malonique est isotoxique à 8 molécules de cyanogène, 5 molécules de nitrile succinique, 2 molécules de nitrile pyrotartrique. DINITRILES ET HYPOSULFITE DE SOUDE. 163 Pour le chien, { molécule de nitrile malonique est isotoxique à 2,9 molécules de cyanogène, à 19 molécules de nitrile suceinique, à 5.3 moléculesde nitrile pyrotartrique. Enfin, pour le pigeon, 1 molécule de cyanogène est isotoxique à molécules denitrile malonique, \ 480 molécules de nitrile succinique, 80 molécules de nitrile pyrotartrique. = 2 =] 02 Les symptômes de l’intoxication par les dinitriles présentent un caractère familial; ils éclatent avec la plus grande rapidité pour le cya- nogène (soit en moins d'une minute après l’injection hypodermique), plus lentement pour le nitrile malonique (en moyenne après 10-15 minutes, même après injection intraveineuse), plus lentement encore pour les nitriles succinique et pyrotartrique. Même après injec- tion intravasculaire d’une dose franchement mortelle de ces deux der- piers, les phénomènes:.d’intoxication n'apparaissent qu'après 1 à plusieurs heures, et la mort ne survient parfois qu'après plusieurs jours. Ce sont des poisons dont l’action offre une période latente pro- longée, l'intoxication ne survient qu’à une époque éloignée: ils se rap- prochent de ce chef des toxines. De ces différents composés, c’est le nitrile malonique qui a particu- lièrement fixé notre attention. L'intoxication par le nitrile malonique comprend chez le lapin deux périodes; la première est essentiellement caractérisée par une accélération de la respiration, une amplitude considérable des mouvements respiratoires en même temps que par une vaso-dilatation auriculaire intense, maximale ; la seconde période est caractérisée par un ralentissement respiratoire, un abaissement de la pression sanguine, de la pâleur auriculaire et un état paralytique. Les différents symptômes que nous venons de: citer, auxquels il faut joindre l'étude de la circulation, de la température, des échanges res- piratoires, des modifications urinaires, etc., font l'objet de longues recherches pour lesquelles nous renvoyons au mémoire original. Un'point qui mérite cependant une attention plus spéciale est le mode d'action du nitrile malonique. Pour agir, le nitrile malonique ne se transforme ni en amide, ni en malonate d’ammoniaque : la toxicité considérablement moindre de ces produits ainsi que les caractères de l'intoxication démontrent cette manière de voir. Peut-être la molécule de nitrile malonique se combine-t-elle par addition à la substance vivante: d’ailleurs la combinaison par addition dd —N =C—CH,—C=N— (l'azote étant pentavalent) n’exclut pas la décomposition et la mise en liberté de CN ou de CNS. Il se pourrait également que le nitrile malo- 164 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nique se décompose au préalable, mettant enliberté une ou deux fois le groupement CN qui est le véritable facteur toxique. On comprend dans ces conditions pourquoi son action est comparable à celle du cyanogène et du cyanure de votassium; mais alors aussi, de même qu’il l'a été constaté pour cette dernière substance (Lang), du sulfocyanure doit apparaitre dans les urines. De fait, après l'administration des dini- triles, l'urine offre manifestement les réactions caractéristiques du sul- focyanure. C’est sur le fait de la transformation physiologique du groupe- ment toxique CN en CNS, qui est dépourvu de toxicité, qu'est basée Paction antitoxique de l’hyposulfite de soude Na,S,O, vis-à-vis des dinitriles et principalement vis-à-vis du nitrile malonique. Lang! a récemment démontré que l’hyposulfite possède vis-à-vis du cyanure de potassium une action antitoxique préventive? ; nos expériences prouvent que cette action antitoxique de l’hyposulfite vis-à-vis des dinitriles et particulièrement vis-à-vis du nitrile malonique est à la fois préventive et curative. IL. (Action préventive). — Lapin de 2160 grammes. 5 h. 5 m. : 25 c.c. de Na,S,0, à 5 0/0 en injection hypodermique. 5 h.35 m.:1,9 c.c. de nitrile malonique à 1 0/0, soit 5mg,4 par kilo- gramme (dose inférieure à la dose mortelle). 6 h. 29 m. : Jusqu'à présent, aucun symptôme d'intoxication n'est ap- paru. ; 6 h. 30 m. : 5 c.c. de nitrile malonique à 1 0/0, soit {18 milligrammes par kilogramme (dose trois fois mortelle). 7h. 40 m. : Jusqu'à présent, absolument normal. Lendemain matin, absolument normal. IL. (Action curative). — Lapin de 3064 grammes. 5 h. 52 m. : 4 c.c. de nitrile malonique à 5 0/, en injection hypoder- mique, à droite, soit donc 16m8,3 par kilogramme (dose près de trois fois mortelle). ° 5 h. 53 m. : 1 c.c. d'hyposulfite à 5 0/oen injection hypodermique, à gauche. 6 h. 30 m. : Jusqu'à présent, absolument normal; à partir de ce mo- ment la respiration s'accélère, les vaisseaux de l'oreille se dilatent. 6 h. 40 m. : Parésie. 4.Lanc. Archiv f. experim. Path.u. Pharm., 1895, Bd. XXXVI, p. 75. 2, Dans un récent mémoire nous démontrons que l'action curative de l’hypo- sulfite de soude vis-à-vis du cyanure de potassium est nulle. (Voir Archives de Pharmacodynamie, vol. IT, fasc. 3). DINITRILES ET HYPOSULFITE DE SOUDE. 165 Gh. 45 m.: Paralysie; couché sur le flanc: respiration très dys- pnéique. G h. 52 m.: Légères convulsions, cris ; l’animal est mourant. 6 h. 55 m. * Injection intraveineuse de 1 c.c. d’hyposulfite à 5 0/0. 6 h. 58-59 m. : Respiration plus rapide et plus facile. 7 h. : Se remet sur le ventre, mais est encore parésié. 7 h.3 m. : Essaie de sauter. Th. 6 m.:Saute un peu, mais les mouvements sont encore incoor- donnés. 7 h. 12 m. : Saute, mais encore dificilement ; se remet graduellement 7 h. 30 m. : Peut être considéré comme normal. LT. — Lapin de T10 grammes. . 41 h. 43 m. : Injection intraveineuse, dans la veine marginale, de 1 €. c. de nitrile malonique à 1 0/0, soit 14 milligrammes par kilogramme, soit au moins deux fois la ‘dose mortelle. {1 h. 47 m. : Respiration s'accélère, vaso-dilatation, l'animal se couche sur le ventre. {1 h. 50 m. : Couché sur le flanc. A1 h. 52 m. : à c.c. d’hyposulfite à 5 0/0, par la sonde stomacale. {14 h. 53 m. : Vaso-dilatation persistante, dyspnée. 12 h. : Réflexes cornéen et patellaire disparus; respiration très dysp- néique ; congestion auriculaire presque nulle. 12 h. 2 m. : Ouvre la bouche à diverses reprises, petits cris. 12 h. 4 m. : Léger réflexe cornéen, pas de réflexe patellaire. 12 h. 8 m. : Amélioration ; meut déjà les pattes; pas de vaso- dilata- ton. 12 h. 14 m. : S’est redressé spontanément ; couché sur le ventre 42 h. 27 m. : Attitude normale sur pattes. 12 h. 30 m. : Commence à se déplacer spontanément. 12 h. 35 m. : Saute ; est presque normal. { h. : Absolument normal ; se met à manger. Partant de l'hypothèse que cette action antitoxique de l'hyposul- fite est essentiellement de nature GAS qu’elle est exercée par le groupement NaS de la molécule SC SU et que par consé- quent il devait y avoir un rapport simple entre les actions toxique ei antitoxique des deux substances et leur poids moléculaire respectif, nous avons, dans toutes les expériences qui suivent, employé des solu- tions moléculaires au millième. * La solution moléculaire de nitrile malonique renferme 66 °/,, de nitrile: la solution d’hyposulfite de soude renferme 158 °/,, d’hyposul- fite anhydre ou 248 °/,, d’hyposulfite cristallisé. d'action antitoxique de l'hyposulfite vis-à-vis du nitrile malonique est'elle exercée par l’hyposulfite en nature, ou bien celui-ci déter- 166 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. mine-t-il dans l’organisme une modification telle que ce dernier devient réfractaire à l’action toxique du nitrile malonique, qu'il s’éta- blit une sorte d’immunité qui persiste après la disparition de lhypo- sulfite de l’organisme animal ? Pour élucider cette première question, nous avons administré à des séries de lapins des doses croissantes d’hyposulfite jusqu’à la dose mortelle, puis, à des intervalles plus ou moinsrapprochés du moment d'injection de l’hyposulfite, une dose sûrement mortelle de nitrile malonique. Nous avons ainsi trouvé que, pour le lapin, l’état réfrac- taire disparaît complètement, en moyenne, pour 2 c.c. d'hyposulfite à 158 °/5 après deux heures trente minutes; pour 12 c.c., après sept heures; pour 20 c.c. après onze heures; pour 30 c.c., après dix-sept heures; pour 40 c.c., après dix-neuf heures; pour 50 c.c., après vingt-quatre heures. L'état réfractaire ou d'immunisation déterminé par l'injection hypodermique de l’hyposulfite de soude persiste ainsi d'autant plus longtemps que la dose d’hyposulfite administrée a été plus plus élevée. Mais l'élimination de l’hyposulfite en nature ou sa transformation en un composé inactif au point de vue antitoxique doit demander égale- ment d'autant plus de temps que la dose d’hyposulfite a été plus considérable. De fait, on observe que l’urine sécrétée après l’injection de l’hyposulfite renferme de l’hyposullite en nature, et cela en quan- tité d’autant plus notable que la dose administrée a été plus grande. Lorsque l’état réfractaire a cessé d’exister, on ne peut plus déceler la présence d’hyposulfite dans ie liquide urinaire. gs L'action antitoxique de l’hyposullite est donc indissolublement liée à la présence de l’hyposulfite en nature au sein de l’organisme. Après avoir déterminé ainsi la durée de l'état réfractaire pour des doses croissantes d’hyposulfite, nous avons envisagé la question sui- vante : Si l’on injeete à quelques secondes d'intervalle une dose mortelle de nitrile malonique dans le flanc droit (1 c.c. de la solution molécu- laire), quelle dose d’hyposulfite de soude faut-it injecter dans la région symétrique du côté gauche pour prévenir l'apparition de tout phé- nomène d'intoxication ? Les résultats des expériences résumées dans le tableau suivant ap- portent la solution de cette question. DINITRILES ET HYPOSULFITE DE SOUDE, 167 Solutia ; ne SCT Solution nn. CE moléculaire 1 — Survie. de nitril moléculaire ea grammes. emitrile | LME LE malonique: | d hyposulfite. NUMÉRO. Le. c. 4e. €. * + après Ol24m, 0ù45m L Oh50m, An Pour 1c-.0: de la solution moléculaire de nitrile malonique, ce qui correspond en moyenne, pour les animaux ci-dessus, à une dose quatre à cinq fois mortelle, il suffit donc d’injecter simultanément 14,2 c. ce. à 4,5 c. ec. de la solution moléculaire d'hyposulfite ; l’action antitoxique de la molécule de l’hyposulfite de soude vis-à-vis de l’action toxique de la molécule de nitrile malonique est donc dans le rapport det- #%où1:5: Toutefois, il existe une limite supérieure à la dose de nitrile malo- nique qui peut être administrée impunément en association avec l'hyposulfite. Pour déterminer cette limite, il suffit d'élever progressi- vement la dose de la solution moléculaire de nitrile malonique en administrant simultanément 1,5 fois la dose moléculaire d’hyposulfite. On trouve ainsi qu'à partir d'environ 55 milligrammes de nitrile malonique par kilogramme d'animal, l’hyposulfite administré à la dose indiquée ne prévient plus, nous ne disons pas l'intoxication par le nitrile malonique, mais l’empoisonnement, la mort de lanimal. On ne réussit pas mieux en élevant la dose de la solution moléculaire d’hyposulfite. En résumé, de l’exposé qui précède, il résulte que l'hyposulfite de soude possède une action antitoxique préventive vis-à-vis de l’action toxique du nitrile malonique, et cela jusqu’à la limite de 55 milli- grammes par kilogramme, soit jusqu’à concurrence d’enyiron neuf à dix fois la dose mortelle. L’hyposulfite de soude exerce-t illégalement une action antitoxique ë 168 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. curative vis-à-vis de l’action toxique du nitrile malonique ? Peut-il non seulement prévenir l'intoxication, non seulement empêcher celle-ci de devenir plus intense, mais encore faire disparaître les symptômes qui existent ? A cette question, l’expérience répond nettement par l’affirmative, ainsi que le prouve le lapin n° II (V. plus haut), et nous pourrions citer d’autres faits analogues. D'une manière générale, quelle que soit la dose de nitrile malonique administrée, pourvu qu'elle ne dépasse pas neuf fois la dose mortelle, quel que soit le mode d'administration, par voie stomacale, hypodermique ou intra-veineuse, quelles que soient la durée et l'intensité de l'intoxi- cation, pourvu que la respiration persiste encore quelques minutes après l'administration de l’hyposulfite de soude, on peut, à l’aide d’une dose ade- quate d'hyposulfite, sauver la vie de l'animal, faire disparaître comme par enchantement, dans l'intervalle de cinq à dix minutes, les symptômes respiratoires, circulatoires et nerveux de l’intoxication. L’hyposulfite de soude est donc l’antidote ou l’antitoxique pré- ventif et curatif du nitrile malonique. C’est la première fois, croyons-nous, que lPexistence d’un antidote physiologique vrai, dans le sens entier du mot, à la fois préventif et curatif, est démontrée. | Depuis longtemps, on connaît des contre-poisons (acides contre les bases et inversement), on a découvert des antagonistes au sens restreint du mot (physostigmine et atropine), on a signalé des médi- cations symptomatiques dans divers empoisonnements. L'action antitoxique de l’hyposulfite vis-à-vis du nitrile malonique ne peut être comparée qu'à l’action des antitoxines sur les toxines microbiennes ; le sérum antidiphtérique, comme d’autres sérums, possède en effet une action préventive et peut-être curative vis-à-vis de la toxine agissante. Avant de serrer de plus près le problème de l’action antitoxique de l’hyposulfite, relevons que cette antitoxine inorganique, d’origine minérale, présente de commun avec l’antitoxine organique d’origine animale ou bactérienne de ne pas être toxique par elle-même : l'hypo- sulfite en effet est supporté à la dose de 4 grammes par kilogramme. Ainsi que nos expériences le confirment, il est aussi inoffensif que les sels alcalins neutres ; le nitrile malonique, comme les toxines, est seul un poison. Nous avons démontré plus haut que lors de l'administration simul- tanée des deux solutions moléculaires (nitrile malonique et hyposulfite), il faut, pour prévenir tout insuccès, injecter ce dernier dans le rapport de 4 à 1, 2 ou 1,5. Ce rapport montre que, dans cette condition expé- rimentale, moins de 1,5 molécule d’hyposulfite suffit pour neu- L2 DINITRILES ET HYPOSULFITE DE' SOUDE. 169 traliser l’action toxique de 4 molécule de nitrile malonique ; une molé- cule d'hyposulfite ne peut céder qu'un groupement NaS, donc ne peut neutraliser qu’un seul groupement CN de CN — CH, — CN. Mais nous avons démontré également, d’une part, que l’action toxique de CN — CH, — CN n'apparaît qu'après un certain nombre de minutes, tempsexigé pour le transport, pour l'absorption intime du nitrile malonique, peut-être, et surtout, pour la formation d’une quan- tité toxique de CN; d'autre part, qu'après l'injection d’hyposulfite, l’action antitoxique de celui-ci Mn dan après un certain temps par suite de son élimination, soit, pour 2 c. c. de la solution moléculaire d'hyposulfite, après deux à Le heures. Comme l’hyposulfite et le nitrile malonique, en se rencontrant comme tels au sein de lorga- nisme, ne réagissent pas en totalité l’un sur l’autre, une fraction d'hyposulfite s’éliminera comme telle avec les urines pendant la période prétoxique, et même pendant la période d'intoxication; cette fraction n'aura pu développer son action antitoxique. Cette déduction se trouve pleinement confirmée par l expérience di- recte:sinousinjectonsàäunlapin { c.c. dela solution moléculairedenitrile malonique et si, au lieu d’injecter une dose unique d’hyposulfite, nous administrons celui-ci en doses fractionnées de cinq en cinq minutes, par exemple, et ainsi de suite, nous parvenons facilement à prévenir tout phénomène d'intoxication à l'aide d’un volume de la solution moléculaire d'hyposulfite égal au volume de la solution moléculaire de nitrile malonique injecté. Pour sauver la vie de l’animal, il faut et il suffit d'injecter à peu, près le même volume de solution moléculaire d’hyposulfite que de nitrile malonique : par conséquent le même nombre de molécules, moins le volume (donc le nombre de molécules exprimé par la dose mortelle de 6 milligrammes par kilogramme) de la dose supportée par l’organisme. Nous pouvons donc dire d’une façon catégorique qu’une molécule d’hyposulfite neutralise exactement le pouvoir toxique d’une molécule de nitrile malonique. Or, comme une molécule d’'hyposulfite ne peut donner qu’un radical NaS, la molécule de nitrile malonique n’est toxique que par un seul de ses radicaux CN. La dose mortelle de nitrile malonique com- parée à celle de l'acide cyanhydrique (HCN), le pouvoir antitoxique de l’hyposulfite vis-à-vis du nilrile malonique sont donc d’accord pour démontrer que le nitrile malonique n'agit que par, un seul de ses groupements CN. D’après des expériences analogues sur le chien et le rat blane, il: résulte que chez ces animaux comme chez le lapin, l’hyposulfite de soude possède vis-à-vis du nitrile malonique une action antitorique + 170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. préventive et curative qui s'exerce de molécule à molécule. Cette action antitorique se manifeste d'une manière absolument constante et uniforme depuis les plus faibles doses jusqu'à une dose limite supérieure plusieurs fois mortelle, qui est de 55 milligrammes par kilogramme de chien, soit une dose neuf fois mortelle, de 112 milligrammes par kilogramme de rat blanc, soit une dose quatorze fois mortelle *. Par conséquent, pour tous les animaux, il existe une dose de nitrile malonique au-dessus de laquelle la mort survient inévita- blement. Pourquoi? Une remarque fondamentale doit nous*guider dans la recherche de la solution de ce problème, À savoir, qu'aucun des lapins qui meurent après administration du nitrile malonique à dose très élevée et d’une dose antitoxique suffisante d’hyposulfite ne présente l'évolution caractéristique de l’intoxication par le nitrile malonique seul. Le lapin injecté avec une dose supérieure à 55 milligrammes par kilogramme et avec une dose suffisante d'hyposulfite reste normals pendant des heures entières, et placé avec des lapins normaux, non injectés, ne peut en être distingué. Au bout de plusieurs heures, il commence à présenter un état d'hyperexcitabilité qui s'accroît pro- gressivement jusqu’au moment où, sous la moindre excitation ou . Spontanément, éclate un accès incoercible de mouvements propulsifs. Si l’animal est hors de sa cage, il se lance subitement en avant dans une course vertigineuse, comme un lapin normal ne la présente Jamais; puis, après avoir franchi 5 à 10 mètres, il tombe sur le flanc ; frappé d'un accès convulsif, — mouvements cloniques d’abord, toni- ques ensuite, — il offre pendant plusieurs secondes un état tétanique identique au tétanos strychnique. Ou il meurt au cours de l’accès, ouil tombe en un état de paralysie dont il se relève rapidement, d'ordinaire après quelques minutes, pour rentrer dans l’état d'anxiété primitif. La respiration et le cœur sont accélérés pendant cet état d'hyperexcitabi- lité, mais d’après un type très différent de celui présenté au cours de l'intoxication simple par le nitrile‘malonique. Bientôt de nouveaux accès surgissent et, après un ou plusieurs jours, l'animal succombe généralement au cours de l’un d’eux. 1. Une expérience classique pour démontrer l’action antitoxique préventive et curative de l’hyposulfite de soude vis-à-vis du nitrile malonique consiste à prendre trois lapins (chiens, rats ou souris) auxquels on injecte par voie hypodermique ou intra-veineuse une dose 1-9 fois mortelle de nitrile malonique, soit 6 à 55 milligrammes par kilogramme; le premier lapin sert de témoin, le deuxième reçoit immédiatement 5 c. c., par exemple, d’une solution d’hyposulfite de soude à 10 0/0 ; le troisième reçoit cette même dose lorsque le nitrile a développé la plénitude de son action, soit à la période de paralysie complète. Le premier meurt, le deuxième demeure normal, et le troisième redevient normal après 10-20 minutes en moyenne. DINITRILES ET HYPOSULFITE DE SOUDE, | 171 De même, chez le chien et le rat, l'intoxication par les doses élevées de nitrile malonique associé à l’hyposulfite s'écarte par certains symptômes de l’intoxication par le nitrile malonique seul, Les symptômes d'intoxication du nitrile malonique seul, comme ceux déterminés par le sulfocyanure seul et l’hyposullite seul, compa- rés à ceux qui surviennent après les doses maximales de nitrile malo- nique et d’hyposulfite, nous amènent à conclure que les symptômes qui apparaissent dans ce dernier cas ne sont déterminés par aucune de ces substances en particulier, ni par l’ensemble de ces substances. Ainsi que nous l’avons vu, c’est l'organisme vivant qui décompose le nitrile malonique; nous pouvons nous figurer que cette action de décomposition exercée par la substance vivante devient loxique et mortelle à partir d’une dose supérieure de nitrile malonique, Il se peut également que le groupement — CH, — CN résultant de la scission de CN — CH, — CN ait un pouvoir tôxique supérieur à CH ; — CN. Comme l’action toxique des dinitriles supérieurs et celle des mononitriles supérieurs est assez analogue à celle manifestée par la dose mortelle du mélange de nitrile malonique et d’hyposulfite, on pourrait, dans cette action mortelle, attribuer une part prépondérante au groupement CH , --- ON. Mais l’action antitoxique de l'hyposulfite vis-à-vis du cya- nogène (CN) , paraît démontrer qu’il n’en est rien, ainsi que nous le verrons plus loin. Les expériences qui suivent démontrent que l’hyposullite est éga- lement efficace contre l’empoisonnement par les nitriles oxalique (cyanogène), succinique et pyrotartrique. Seulement, les conditions d'administration de l’antidote, la durée et la puissance de son action sont différentes. : CYANOGÈNE ET HYPOSULFITE " Dans les quatre expériences du tableau suivant, des quantités crois- santes de la solution moléculaire d’hyposulfite furent injectées dans la veine marginale, et cela trois minutes avant l'administration hypoder- mique de la dose mortelle de cyanogène, calculée à raison de 13 milli- grammes par kilogramme. Les quatre animaux survivent; en consé- quence, la moindre quantité d’hyposulfite suffit pour prévenir la mort; mais les phénomènes d'intoxication sont d’autant plus prononcés et # plus persistants que la dose d’hyposulfite est moindre.fCe n’est que pour la dose de 4 c.c. de la solution moléculaire, administrée trois mi- nutes avant le cyanogène, qu'aucun symptôme n'apparaît. 472 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. & a Poids Cyanogène Hyposulfite | & + È ER OBSERVATIONS, 5 en grammes. | en milligr. en C.C. Z Se EDR EEE || CREME LR DIET APE EM RAD 1 650 8.50 0.03 — | Phénomènes d’intoxicat. graves. Convulsions. 2 850 10.07 0.665 — | Accélération respiratoire. b) 1450 14.6 0.1 — id. 4 92320 30.0 1.0 — | Aucun symptôme d’in- toxication. SI DO LI A D ID D DO D I 2 D I SERRES | Mais à mesure qu’on élève la dose mortelle de cyanogène et que celle-ci est administrée à un moment plus voisin de l'administration de l’hyposulfite, la dose d’hyposulfite nécessaire pour prévenir lintoxi- cation devient plus grande. Ainsi, dans les expériences suivantes, l'hyposulfiteétait encore injecté dans la veine marginale, mais seulement une demi-minute avant l'injection hypodermique de cyanogène. © Sade Æ Poids Cyanogène Hyposulfite | & + # RENE OBSERVATIONS. 5 en grammes. | en milligr. en c.c. RAS Z | TPE | ERRSED RSS CODRSEMRES ne CREME LT AR PRIE EE SR ARTE CEE | 1 1490 | 22.425 0.7 | — |Intoxication grave. n | 4 4 ; . 2 1070 21.425 0.5 — | Intoxication moyenne. 8 2200 54.4 4.0 — Id. 4 2380 49.9 4.5 — | Intoxication légère. > 27120 d4. 4 2.0 | — | Intoxication nulle. 2 L'injection hypodermique d'une dose de une à deux fois mortelle de cyanogène exige donc, pour que l’intoxication n’apparaisse pas, l'injection préalable dans la veine de 2 c. c. de la solution moléculaire d’hyposulfite. Cette dose devient absolument insuffisante lorsque son administration a lieu après celle du cyanogène, comme le démontre l'exemple suivant : x Lapin de 2850 grammes. 7 h. 14 m.: Injection hypodermique de 57 milligrammes de (CN 2. 7 h. 16 m.: L'animal tombe ; quelques secousses convulsives. ! DINITRILES ET HYPOSULFITE DE SOUDE. 173 7 h. 47 m. à 7 h. 18 m. : Injection intraveineuse de 2 c.c. d'hypo- sulfite à 158 0/00. 7 h. 23 m. : Respiration s'arrête; mort. Pour prévenir l’intoxication si rapide par des doses plusieurs fois mortelles de cyanogène, il faut, comme pour lacide cyanhydrique, administrer des doses très massives d’hyposulfite. A cette condition seulement, on peut dépasser impunément la dose mortelle et, d’après nos expériences, l’élever jusqu’à une dose quatre à cinq fois mortelle. Quelle que soit la dose d'hyposulfite, le moment et le mode de son administration, à partir d'environ 60 milligrammes de cyanogène par kilogramme, il devient impossible de prévenir la mort de l’animal. L'hyposulfite développe la plénitude de son action antitoxique lors- qu’il arrive dans le sang et dans les éléments tissulaires avant le cyano- gène; car une fois que ce poison, administré à dose plusieurs fois mortelle, a pénétré dans la profondeur de l’organisme sans se trouver aussitôt en face du contre-poison, il agit avec une telle célérité et une telle puissance, que la mort survient fréquemment, malgré l'injection intra-veineuse de hautes doses d’hyposulfite. L'action antitoxique curative de l’hyposulfite, vis-à-vis de l’action toxique du cyanogène, tout en étant réelle, se manifeste donc dans des limites bien plus étroites que vis-à-vis de l’action toxique du nitrile malonique. Ainsi que nous l'avons déjà vu antérieurement, il existe une dose limite supérieure de nitrile malonique, à partir de laquelle Phyposul- fite n'empêche plus la mort de l’animal; les expériences ci-dessus montrent qu'il en est de même pour le cyanogène ; nous savons d’autre part, par le mémoire de Lang, que le même fait se présente pour le cyanure de potassium; enfin nous verrons tantôt que l’hyposulfite se comporte encore de la même manière vis-à-vis des nitriles succinique et pyrotartrique. Puisque ladoselimite supérieureexiste pour CN — CN et HON comme pour CN-CH.-CN, CN-(CH,).,-CN, et CN-(CH,),-CN, on ne peut invoquer, pour expliquersaraison d’être, la présence dans la moléculedes dinitriles d’un groupement toxique, soit, par exemple, d'un radical hydrocarbure suc lequel l’hyposulfite n’agirait pas. Le problème est donc circonscrit; il suffit de savoir pourquoi le groupement CN de CN-CN, ou de HCN, ou de CN-CH,-CN, etc., n’est neutralisé dans son action toxique par l’hyposulfite que jusqu à une certaine limite supérieure. L’hyposulfite injecté et le sulfocyanure formé n’étant pas toxiques à ces doses, il faut rechercher la cause de l’intoxication et de la mort dans le processus de désintoxication lui-même. Or, nous avons vu que la substance vivante y joue un rôle d’intermédiaire qui pourrait être 174 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. comparé, à celui de l’acide sulfurique dans la transformation de Palcool en éther : c’est ce rèle d’intermédiaire qui nous paraît lui devenir fatal, la substante vivante ne se reconstituant pas intégralement ainsi que le fait quasi indéfiniment l'acide sulfurique. NITRILE SUCCINIQUE ET HYPOSUERETE Citons d’abord une expérience qui montre que l'hypesulfite fait dis- paraître les symptômes d'empoisonnement par ce dinitrile. Lapin de 603 grammes. 9 h. 20 m. : 1 c.c. de nitrile succinique à 80 0/60 en injection hypoder- mique, — soit 1433 milligrammes par kilogramme, dose presque quatre fois mortelle, la dose mortelle étant de 36 milligrammes par kilogramme. 10h. : Parésie commence. 10 h. 35 m. : Couché sur le flanc, respiration lente. 10 h. 40 m. : 2 c.c. de la solution moléculaire d'hyposulfite en injection intraveineuse. La respiration et la motilité s’améliorent bientôt. 10 h. 50 m. : Se redresse. 10 h. 57 m. : Se déplace, mais il existe encore de la parésie qui dispa- rait peu à peu. De 12 h. à 6 h. : Normal. Lendemain matin : Trouvé mort. En opérant comme nous l’avons fait ci-dessus, nous avons observé que l’hyposulfite administré en même temps que le nitrile succinique exerce un pouvoir antitoxique à raison de trois molécules d'hyposulfite pour une molécule de nitrile succinique ; en réalité, ce pouvoir anti- toxique est probablement plus élevé, ainsi que le démontre l'expérience précédente. Mais, pour le préciser, il faudrait administrer jour et nuit des doses minimes d’hyposulfite, au fur et à mesure que des phéno- mènes toxiques surgissent. Nous avons aussi déterminé approximativement la limite supérieure du pouvoir antitoxique de l’hyposulfite vis-à-vis dunitrile succinique ; comme pour le nitrile malonique, elle est d’environ dix fois la dose mortelle. NITRILE PYROTARTRIQUE ET HYPOSULFITE Ainsi qu’on pouvait le prévoir d’après les résultats précédents, l'hyposulfite possède également une action antitoxique vis-à-vis du nitrile pyrotartrique. Ainsi, dans les trois expériences suivantes, l’injec- tion intra-veineuse de petites doses d’hyposulfite fait disparaître les symptômes d'intoxication, lors même que les doses sont insuffisantes pour empêcher l’intoxication de réapparaître et de déterminer ulté- rieurement la mort de l'animal. DINITRILES ET HYPOSULFIFE DE SOUDE. 475 I. — Lapin de ANT grammes. 2 h. 54 m. : Injection hypodermique de 1,4 c.c. de nitrile pyrotartrique à 80 0/00 (la solution moléculaire serait de 94 0/60, quantité qui ne se dissout pas dans l’eau à la température ordinaire), soit 100 milligrammes par kilo- gramme, dose cinq à six fois mortelle. 3h. 45 m. : Tombe sur le flanc; cris. Injection hypodermique de0,5 e.c. de la solution moléculaire d'hyposulfite : peu à peu l'animal se remet. 4 h.40 m. : Encore légère parésie. Injection robes de 0.5 c.c. d’ Te) > h. 20 m. : Encore de la parésie. Injection hypodermique de 0,5 c.c. d’hyposulfite. 8 h. : Aspect presque normal. Lendemain matin : Trouvé mort. Lapin de 1335 grammes. 2 h. 53 m. : Injection hypodermique de 4,6 c.c. de nitrile pyrotartrique à 80 0/60, soit 100 milligrammes par kilogramme, dose cinq à six fois mor- telle. | 4h. 45 m. : Tombe sur ie flanc, accès convulsifs. Injection hypodermique de 0,5 c.c. d’hyposulfite. 5 h. 4 m. : Il persiste encore de la parésie. Injection hypodermique de 0,5 c.c. d'hyposulfite. 8 h. Aspect normal. Le lendemain et les jours suivants, également aspect normal. Lapin de 697 grammes. 41 h. 06 m. : Injection intraveineuse de 4,8 c.c. de nitrile pyrotartrique au 80 0/00, soit 205 milligrammes par kilogramme d’animal, dose onze à douze fois mortelle. 41 h. 20 m. : Paralysie. 11 h. 21 m. : Injection intraveineuse de 2 c.c. de la solution moléculaire d'hyposulfite. 12 h. 10 m. : Presque normal. * 2h. 30 m. : Respiration dyspnéique ; peu mobile. 2 h. 50 m. : Parésie marquée. Injection intraveineuse de 1 c.c. d'hyposulfite. 2 h. 51 m.: Tombe et reste sur le flanc. 2 h. 53 m. : Se redresse sur le ventre; l’amélioration s'accentue de plus en plus. 3 h. 15 m. : Quasi normal. 6 h. : Toujours normal, Lendemain matin : Trouvé mort. 176 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Si l'on élève la dose d'hyposulfite de manière que l’organisme ren- ferme l’antitoxique aussi longtemps que le poison, on prévient facile- ment et d’une manière complète l’intoxication. Les expériences suivantes démontrent ce fait en même temps qu'elles délimitent la puissance antitoxique de l’hyposulfite vis-à-vis du mitrile pyrotartrique. Les six lapins du tableau ci-dessous ont reçu chacun, d’une part, 2 grammes de là solution moléculaire d’hyposulfite par kilogramme dans le flanc droit, et d'autre part, dans le flanc gauche, des doses croissantes de nitrile pyrotartrique variant de 100 à 350 milligrammes par kilogramme, et cela à une minute d'intervalle, le nitrile d’abord, l’hyposulfite ensuite. Nitrile £ Hyposulfite. | pyrotartrique OBSERVATIONS. par kilog. Poids en grammes. CE EE milligr. 100 Intoxication nulle. 1450 » 200 » 250 Mort pendant la nuit,s8 à 18 heures après l’inject. 300 Id. 350 Mort entre le 3° et le 4e jour. Les injections furent faites à midi; jusqu'à huit heures du soir, aucun symptôme marqué d'intoxication n'avait apparu chez aucun des six lapins ; le lendemain et les jours suivants, les lapins 1, 2, 3 ne pré- sentaient absolument rien d’anormal ; 4 et 5 furent trouvés morts le lendemain matin; 6 était malade et fut trouvé mort le matin du qua- trième jour. Dans un prochain travail, nous démontrerons que tous les compo- sés sulfurés, cédant facilement leur soufre, possèdent vis-à-vis des nitriles la même action antitoxique; nous y examinerous aussi #n vitro l’action de ces différents contre-poisons sur les nitriles. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie E. Charaire. = ON. wy 22 à Aime ANNÉE MARS 1897 Ne 3. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DU SÉRUM ANTISTREPTOCOUCIQUE Par Le D' JULES BORDET Préparateur à l’Institut Pasteur. (Travail du laboratoire de M. Metchnikoff). Avec la planche V. I INFECTION STREPTOCOCCIQUE S I. — INFECTION STREPTOCOCCIQUE CHEZ LE COBAYE. Il est indispensable, avant d'aborder l’étude du sérum anti- streptococcique et de ses propriétés, d’avoir présents à l’esprit les principaux caractères de l'infection streptococcique, et de connaître les armes dont le streptocoque dispose pour se multi- plier dans l’orgauisme. Nous dirons en conséquence quelques mots des caractères présentés par le microbe que nous avons . employé dans nos expériences, et nous décrirons brièvement les traits généraux de l’affection qu’il détermine. Le streptocoque dont nous nous sommes servi dans la majo- rité des cas est celui dont M. Marmorek a exalté la virulence à l’aide des procédés décrits dans ces Annales (juillet 1895). M. Marmorek a bien voulu, pendant toute la durée de ces recherches, mettre son microbe et son sérum à notre disposi- tion, et nous lui en exprimons notre reconnaissance. Les lecteurs de ces Annales savent que le streptocoque dont 12 178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. il s’agit est doué d’une virulence extrême; il tue les lapins à la dose d’une fraction de millionième de centimètre cube; la dose minima mortelle peut descendre jusqu’à un milliardième de centimètre cube. Un milieu très propre à la conservation de la virulence, et au développement abondant du microorganisme, est un mélange de bouillon peptonisé et de liquide d’ascite humain dont M. Mar- morek a donné la formule, et que nous avons régulièrement em- ployé. | Le microbe y pousse très rapidement et y conserve, même après une série de cultures successives, toutes ses qualités patho- gènes. L’affection déterminée par ce streptocoque varie, sinon dans ses traits généraux, du moins dans certains caractères importants, suivant l'espèce inoculée. Il faut inoculer, pour tuer le cobaye, des doses de beaucoup supérieures à celles quisuffisentpourtuer le lapin. La dose minima mortelle capable, si on l’injecte dans le péritoine d’un cobaye de taille moyenne, de provoquer l'infection généralisée et la mort de l’animal est en général de 2/10 de c.c. Voici ce qu’on observe lorsqu'on pratique, dans la cavité péritonéale d’un cobaye neuf, l'injection d’une dose semblable. On sait qu’il est possible de sui- vre très exactement le processus de l'infection péritonéale : il suffit de faire à différents intervalles une prise d’exsudat à l’aide d'un tube bien effilé dont ôn pique le ventre de l’animal. Dose mortelle. — Dans les moments qui suivent l'introduc- tion de la culture, on constate que le liquide péritonéal est devenu plus ou moins limpide, et ne renferme plus qu’un petit nombre de cellules. C’est là la période de phagolyse', qui succède régulière- ment à l'introduction des cultures dans la cavité péritonéale, ainsi que l’a montré M. Metchnikoff. Les leucocytes qui peuplaient l'exsudat, et qui en général consistent en cellules mononucléaires auxquelles sont mêlés quelques globules éosinophiles vrais et de rares amphophiles, ne restent plus disséminés dans l’exsudat, soit qu ils se détruisent en partie, comme l'indique M. Metchnikofi, 1. Ce phénomène de phagolyse est peu marqué si l’on n’injecte qu’une petite quantité (2/10 de centimètre cube par exemple) de culture; mais devient plus accusé si le volume du liquide injecté est plus grand et atteint 1/2 ou 1 c. c. - SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE, 179 soit qu'ils se déposent en majorité sur les parois péritonéales, comme l’admet M. Durham. Cette période de phagolyse, en général brève, surtout si la quantité de liquide introduit n’est pas considérable, est suivie de l’apparition des leucocytes phagocytes mononucléaires et polynucléaires. Ces derniers surtout apparaissent dans les pre- mières heures de l'infection, s’accroissent rapidement en nombre, de façon à former bientôt la grande majorité des cellules éparses dans l’exsudat. Les premiers polynucléaires qui arrivent ainsi sur le champ de bataille (une heure après l'injection par exemple) englobent quelques streptocoques; on constate bientôt une phagocytose étendue à une portion notable des microbes introduits. Les mononucléaires peuvent aussi en absorber, en quantité parfois considérable. Mais il est, parmi les microbes injectés, certains individus qui ne sont pas englobés. Ils sont d’ailleurs en petit nombre, si l’on a employé la dose minima mortelle, et restent disséminés dans le liquide, au milieu des cellules de plus en plus nombreuses. Bientôt le nombre de phagocytes devient de plus en plus considérable; les cellules sont alors infiniment plus nombreuses qu'il ne le faudrait pour englober la totalité des streptocoques présents. Cependant il reste toujours quelques microbes libres et bientôt ces microbes se multiplient. Ils ont ce caractère par- ticulier qu'ils se sont entourés d’une auréole que le bleu de Kühne colore en rose violacé pâle, et qu'ils ne possédaient pas dans la culture injectée. Ils donnent, au bout de deux ou trois heures en général, naissance à de nouveaux individus, auréolés comme eux, doués comme eux de la propriété de se dérober à l’englobement, et qui se présentent sous forme de diplocoques ou de chaïnettes courtes. Le nombre de ces nouveaux microbes devient, au bout de 6 à 7 heures en moyenne, tout à fait consi- dérable. On se trouve alors en présence d’un exsudat très riche à la fois en cellules et'en]microbes. Mais l'immense majorité des phagocytes sont vides et ne peuvent capturer le microorganisme. Nous avons démontré, dans un article précédent’, que ces leuco- 1. Contribution à l’étude des sérums préventifs, Annales de la Société de médecine de Bruxelles, 4895, et Recherches sur la phagocytose, Ann. Pasteur, février 1896. 180 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. cytes ne sont point paralysés, qu'ils sont au contraire bien mobiles, plus mobiles même que d'habitude, et qu'ils ont con- servé entièrement la faculté d’absorber des microbes bien pha- gocytables, tels que le bacille de la diphtérie ou le proteus vul- garis. En effet, si dans un exsudat ainsi constitué, on injecte une culture de proteus ou de bacille diphtérique, les leucocytes s'emparent très rapidement des nouveaux microbes injectés, tout en continuant comme auparavant àrefuserles streptocoques: les cellules font, très strictement, un choix entre les deux espèces de microbes. Les streptocoques sécrètent donc une substance qui, sans empêcher l’afflux de leucocytes dans la cavité, suffit à impressionner défavorablement les phagocytes en contact avec eux, et à les empêcher d'accomplir leur fonction protectrice d’englobement. On peut dire qu'ils exercent, sur les phagocytes, une influence chimiotaxique négative. Leur nombre s'accroît sans cesse, jusqu’à devenir énorme, et au bout de 45 à 20 heures en moyenne, le cobaye meurt avec le tableau d’une péritonite puru- lente, accompagnée de la pénétration des microbes dans le sang du cœur. Les leucocytes gardent très longtemps la faculté d’en- glober les microbes étrangers que l’on peut mettre en contact avec eux. Quant aux streptocoques, ils sont bien colorés, de forme régulière, entourés de l’auréole, et ne présentent à aucun stade aucun signe quelconque de dégénérescence. Dose non mortelle. — Si, au lieu d’injecter dans le péritoine d'un cobaye la dose minima mortelle, on inocule une quantité plus petite, 1/10 de centimètre cube par exemple, la phagocytose se fait assez rapidement d'une manière complète. Les streptocoques, trop peu nombreux, sont englobés sans avoir eu le temps de s'adapter au milieu et d'acquérir leur intense pouvoir de répul- sion vis-à-vis des leucocytes. Certains d’entre eux, il est vrai, résistent et se maintiennent libres plus longtemps que les autres. Mais comme leur nombre est tout à fait infime vis-à-vis de la quantité des cellules en pré- sence, ils finissent par rencontrer des leucocytes plus vigoureux auxquels ils cèdent. L’ensemble des streptocoques injectés est dès lors entièrement contenu dans les cellules. Le cobaye guérit alors sans trouble ultérieur. Nous avons fait remarquer que les streptocoques capables de SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 181 se dérober à l'atteinte des leucocytes du cobaye sont entourés d'une auréole qui prend une coloration particulière. Remar- quons, en outre, que dans les expériences où l’on injecte une dose de streptocoques inférieure à la dose mortelle, les microbes les plus résistants, ceux qui sont les derniers à se laisser englober, sont aussi, d'une manière générale, ceux qui présentent l'auréole la plus accusée et la plus colorable. Condition nécessaire à la production de l'affection mortelle. — faut donc, pour que les streptocoques injectés dans le péritoine produisent chez le cobaye une affection mortelle, que la con- dition suivante soit satisfaite : au moment où la phagocytose commence à s’opérer par les leucocytes encore peu nombreux, les streptocoques doivent être en quantité suffisante pour que certains d’entre eux, les mieux doués sans doute au point de vue de la virulence, puissent rester encore quelque temps en dehors des cellules, s'accoutument à la composition chimique de l’exsu- dat, et acquièrent à un haut degré la faculté de rester libres, eux et leurs descendants, au milieu de leucocytes devenus dans la suite très nombreux. Il suit.de là que si nous introduisons une dose mortelle de streptocoques, non plus dans un péritoine normal, où les cellules sont de prime abord assez rares, peu aptes à la phagocytose, mais dans un péritoine très riche en cellules vigoureuses, en phagocytes actifs, capables d'opérer rapidement l’englobement, les microbes ne disposeront point du temps nécessaire à leur adaptation et à l’accroissement de leur résistance. C’est en effet ce qui arrive. On peut injecter dans le péritoine d'un cobaye neuf une quantité de streptocoques' égale au moins au double de la dose minima mortelle, si l'on a le soin, au préalable, d'accroître considé- rablement, par une injection de bouillon peptonisé, le nombre des phagocytes actifs présents dans la cavité. Nous n’insistons pas davantage en ce moment sur cette expérience, car nous aurons à la reprendre, lorsque nous comparerons le lapin et le cobaye au point de vue de la sensibilité de ces deux animaux à l'égard du streptocoque. Lorsqu'on a injecté dans le péritoine d’un cobaye une quan- 1. Cette quantité n’est naturellement pas illimitée, Si l’on atteint 11/2à2c. c. la phagocytose ne se fait plus complètement, même chez un cobaye préparé: 182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tité de culture virulente voisine de la dose minima mortelle, on peut généralement formuler le pronostic en se fondant sur la présence ou l'absence, en dehors des cellules, des streptocoques auréolés. Si lon trouve, quatre heures par exemple après l'injection, que l’exsudat, devenu à ce moment très riche en leucocytes, renferme une quantité même faible de streptocoques auréolés extracellulaires, le sort de l’animal paraîtra fort com- promis. Si le nombre de ces microbes est tout à fait infime, si on ne les trouve que difficilement sur la préparation, il peut se faire, et ce cas est fréquent, qu'ils finissent par devenir la proie de phagocytes exceptionnellement actifs. Mais si leur nombre est quelque peu notable, on peut être assuré qu'ils se multiplie- ront bientôt saus entraves. L'issue de la péritonite streptococcique se dessine ainsi au bout d’un temps relativement court, et l'importance du confht entre les cellules et les microbes se dessine dans les premiers moments. Mécanisme de la guérison. — Nous voyons donc, et c’est par là que nous résumerons ce qui a trait à l’évolution de la périto- nite streptococcique chez Le cobaye, que la guérison de l’animal est fonction de la phagocytose (fig. 1, pl. V). L'existence chez les microbes de l'influence chimiotaxique négative, qui exclut l’accomplissement de la phagocytose, exclut aussi la guérison. De plus, puisque les streptocoques, qui, dans les premières heures, ont pu se dérober à l'atteinte des phagocytes, se multi- plient ensuite régulièrement en dehors des cellules sans pré- senter, soit des dégénérescences dansla forme, soit dela diminution dans la colorabilité, soit de l’affaiblissement dans la virulence, rien ne nous autorise à supposer qu'il puisse y avoir, dans les cas où les animaux résistent, d'autres facteurs de quérison à invoquer que la phagocytose : c’est le seul que l'observation nous révèle. Ajoutons ici, et c’est un fait sur lequel nous reviendrons plus loin, que les streptocoques virulents englobés par les phagocytes de cobaye ont été absorbés sans avoir au préalable perdu leur activité. Une trace d’exsudat péritonéal de cobaye, ne renfermant pas de streptocoques libres, mais contenant des leucocytes ayant englobé des streptocoques depuis 4 heures au moins, tue par injection sous-cutanée le lapin neuf en moins de 24 heures. SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE, 183 * UE : Nous avons dit plus haut que si l’on injecte à un cobaye une quantité de streptocoques telle que ces microbes puissent être en totalité englobés par les phagocytes, l'animal guérit sans trouble ultérieur. Généralement, en effet, quand la phagocytose s'est opérée complètement, l'animal est définitivement hors de danger, et continue à vivre; au bout de deux à trois jours l’exsu- dat ne contient plus de microbes vivants. Mais dans des cas qui, hâtons-nous de le dire, sont rares, l’animal, après avoir sur- vécu plusieurs jours sans présenter de microbes libres dans son exsudat péritonéal, et après s'être rétabli en apparence, redevient malade et subit une nouvelle infection streptococcique. On trouve alors dans l’exsudat péritonéal des streptocoques qui affectent des formes souvent bizarres. Parfois ils se présentent sous forme de chaînes assez courtes, dont les grains ont des diamètres inégaux; parfois aussi on trouve des chaînes d’une longueur extraordinaire, entourées d’une auréole très nette et fort accusée (fig. 2), et dont l’aspect diffère beaucoup de celui que le streptocoque affecte ordinaire- ment. Chez certaines de ces chaînes, la substance chromogène est distribuée, comme c’est le cas habituel pour le streptocoque, en une suite de granules à peu près réguliers. Mais d’autres de ces chaînes, en général plus grosses, ont une répartition de la matière chromogène plus confuse, et présentent par intervalles des dilatations ampullaires obscurément cloisonnées et peu colorées. Nous le répétons, ces cas de récidive mortelle chez des cobaäyes en apparence guéris ne se produisent que rarement et à certaines époques. Il est probable que la culture injectée doit posséder, pour que ces réinfections tardives s’observent, des qualités de résistance spéciale dont elle n’est pas toujours douée. Il faut, pour produ're chez le cobaye, par la voie sous cuta- née, une infection muxtelle, des doses fortes (1/2 ou 2 c. c.). $ IL. — INFECTION STREPTOCOCCIQUE CHEZ LE LAPIN, Une dose voisine de 2/10 de centimètre cube, nous venons de le voir, représente pour le cobaye nenf la quantité minima de microbes provoquant la péritonite mortelle. Cette même 184 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. quantité, inoculée dans la cavité péritonéale d’un lapin neuf, est infiniment supérieure à celle qui suffit à amener la mort de l'animal. Le streptocoque trouve, dans le liquide assez limpide, contenant quelques leucocytes, que renferme la cavité périto- néale, un milieu de culture extrêmement favorable. Les strepto- coques injectés y restent épars, s’entourent bientôt (au bout d'une demi-heure environ) d’une auréole qu'ils ne possédaient pas dans la culture. On se rend compte de ce que la production de cette auréole est due bien réellement à une activité sécré- toire des microorganismes, car sa teinte change au fur et à mesure que l'infection fait des progrès. Elle se présente, peu de temps après l’inoculation, comme une zone assez nettement délimitée, non colorable par le bleu de Kühne, et apparaissant par conséquent en blanc sur le fond légèrement bleuâtre de la préparation. Plus tard (1 1/2 à 2 heures après l'injection) elle commence, sous l’action de ce réactif colo- rant, à se teindre en rose violacé pâle; cette teinte devient, jusqu’à une certaine limite, plus foncée dans la suite. Les streptocoques que l’on a injectés sont capables de s’en- tourer de cette auréole; mais cette dernière est plus nette et plus colorée chez les coceus de nouvelle formation qui ont pris nais- sance au sein de l’exsudat. Les leucocytes ne tardent pas à affluer dans le péritoine qui a reçu la culture destreptocoques. Ils s’y présententau bout d'une heure ou deux, sous forme de mononucléaires et d’une majorité de polynucléaires. Mais ces‘leucocytes n’absorbent qu'une quan- tité très restreinte des microbes injectés. Ceux-ci se développent sans entraves, et leur nombre devient bientôt considérable. L’afflux des leucocytes, bien que notable, n’est jamais, même plusieurs heures après l’inoculation, assez abondant pour donner à l’exsudat un aspect purulent. Au moment où les microbes deviennent très nombreux, les leucocytes n’augmentent plus sensiblement en nombre. Ce moment, ilest vrai, n’est pas très éloigné de la terminaison de la maladie, car cette dernière évolue avec une très grande rapidité. Un lapin ayant reçu 1/10 de centimètre cube de culture dans le péritoine meurt en général au bout de 8 à 10 heures, très rarement près de douze. C'est de 4 à 6 heures en moyenne après l'injection que l’on voit le plus de leucocytes, LL SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 183 L’exsudat subit, dans les moments quiprécèdent la mort, des changements remarquables dans son aspect. Deux heures avant la mort, il n’est point coloré et offre seulement un trouble blanc plus ou moins marqué, dû à la présence des leucocytes. Plus tard, quand la mort va survenir, la teinte de l’exsudat devient rouge. À l’autopsie, on trouve que l’exsudat n’est plus qu’un sérum rougeàtre, où l’hémoglobine a diffusé, et qui tient en suspension des globules rouges assez nombreux, et pour la plupart désagrégés. Dans ce liquide flottent encore des leucocytes parfois d'aspect intact, parfois dégénérés et n'ayant plus de limites protoplasmiques nettes. De plus, il est fréquent de voir les leucocytes, assez abondants auparavant, se déposer en amas sur les parois du péritoine, et notamment sur le grand épiploon. L'exsudat change donc, dans la période ultime, notablement de composition, et est alors un milieu délétère pour les globules blancs et pour les hématies. Deux heures avant la mort, quand l’exsudat n’est pas encore coloré, les leucocytes en suspension dans le liquide et qui refusent d’englober le streptocoque peuvent encore s'emparer des microbes différents qu’on leur offre (bacille diphtérique, par exemple). Mais la phagocytose, dans ces cas, n’est pas aussi énergique que celie qui apparaît chez le cobaye dans les mêmes conditions. — Dans l'injection streptococcique péritonéale, le cobaye possède d’ailleurs toujours un exsudat plus richement leucocytaire que celui du lapin. L'infection générale, la pénétration des streptocoques dans le sang apparaissent rapidement chez le lapin à la suite de l’inocu- lation intrapéritonéale. | Dès que les microbes peuplant l'exsudat commencent à devenir très nombreux, c'est-à-dire au bout de 4-5 heures, par- fois moins, après l’inoculation de 1/10 de centimètre cube, le sang se laisse envahir par les streptocoques. La culture du microbe s'y fait avec une intensité très grande, aussi grande même que dans le péritoine. Trois heures avant la mort, les microbes sont encore diffi- ciles à trouver dans les préparations de sang. Une heure plus tard, ils y sont déjà nombreux, et leur proportion suit dès lors une progression très rapide. En règle générale, le lapin neuf injecté de streptocoques, soit 186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. dans le péritoine, soit dans n'importe quelle autre région, meurt en présentant une culture extrêmement abondante dans le sang. Au moment de la mort, l'examen du sang trahit des altérations manifestes des globules rouges. Ceux-ci ont presque entière- ment disparu. Le cœur d’un lapin autopsié immédiatement après la mort, contient un caillot assez volumineux, rouge clair, imbibé d'un sérum où l’hémoglobine s’est largement diffusée. Si l’on cherche, en malaxant ce caillot dans une petite quantité de sérum, à en faire sortir les globules rouges, on obtient un liquide où l’on ne trouve plus que des débris de ces éléments, et qui, étendu sur lames et coloré par l’éosine, ne montre plus de contours cellulaires distincts. On y trouve quelques globules blancs plus ou moins altérés, et souvent quelques cellules endo- théliales. Ces altérations si graves, incompatibles avec la vie, sont bien entendu tout à fait tardives et apparaissent nettement pendant l’agonie seulement. Elles n'existent pas quand, pour une cause quelconque, l'animal meurt avec un nombre relative- ment restreint de streptocoques dans le sang. Quand elles se produisent, on trouve aussi à l’autopsie un exsudat rouge dans le péricarde, la plèvre ; cet exsudat est sem- blable à celui que présente le péritoine au moment de la mort. Les altérations tardives de l’exsudat péritonéal (apparition de globules rouges désagrégés et d’hémoglobine diffusée) sont corrélatives des altérations sanguines, et n’apparaissent point sans elles. Les animaux injectés de streptocoques sous la peau meurent avec les mêmes caractères et toujours rapidement. Si l’on injecte les streptocoques dans la veine de l'oreille d'un lapin neuf, on constate que le microbe pousse dans le sang sans éprouver aucune résistance. Si l’on injecte 1/10 de centimètre cube par exemple, une goutte de sang, recueillie immédiatement après et étalée sur AA. n'y fournit que de rares colonies ; 3 heures après l'in- jection, les colonies obtenues par l’ensemencement d’une goutte de sang sont déjà très nombreuses. Au bout de 7 heures, le sang donne, sur gélose, des colonies confluentes de streptocoques. Dans le sang, comme dans l’ex- sudat péritonéal, la culture ne subit donc aucun retard. SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 187 Il est facile de reconnaître, d’après ce qui précède, que le streptocoque de M. Marmorek doit son extrème virulence pour le lapin, non seulement à la grande rapidité de son développe- ment dans les liquides organiques, mais surtout à la propriété qu'il possède de ne point se laisser englober facilement par les leucocytes. Il exerce sur les cellules du lapin une chimiotaxie négative, et cette action répulsive appartient non seulement aux streptocoques qui se sont adaptés aux liquides organiques ou qui y ont pris naissance, #4is aussi aux microbes tels qu'ils se pré- sentent dans les cultures. En effet, si l’on injecte un demi-centimètre cube de culture dans le péritoine, riche en leucocytes, d’un lapin ayant reçu la veille, dans la mème région, une injection de bouillon pepto- nisé (6 c. c.), on constate que la très grande majorité des mi- crobes restent libres et s’entourent bientôt d’une auréole. Et cependant, dans cesconditions, la quantité de microbes injectée est très faible, relafivement au nombre considérabie des phagocytes. De plus, on sait que les phagocytes qui peuplent l’exsudat après une injection de bouillon sont très actifs, et manifestent vis-à-vis de microbes variés une puissance phagocytaire très remarquable. La phagocytose, dans l'expérience que nous indiquons, n’est cependant pas entièrement absente : il y a toujours quelques coccus qui deviennent là proie des cellules. Si l’on diminue beaucoup la dose des microbes inoculés, si l’on injecte par exemple 1/10 de centimètre cube dans un péritoine de lapin très riche en leucocytes, la proportion de microbes englobés s'élève notablement, relativement à celle des coccus qui se maintien- nent libres ; ce fait indique, semble-t-il, qu'il existe dans l’exsu- dat quelques cellules particulièrement actives qui parviennent toujours à absorber un certain nombre de microbes. Mais si faible que soit la dose inoculée, il reste cependant de très rares microbes libres, et leur multiplication ne tarde pas à s’opérer. Le traitement préalable par l'injection intrapéritonéale de bouil- lon, qui a pour but d'augmenter beaucoup le nombre de phago- cytes actifs dans l’exsudat, ne suffit pas à préserver le lapin contre l’inoculation de streptocoques, même quand ceux-ci se trouvent en nombre très minime, relativement à celui des pha- gocytes. 188 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Cette influence chimiotaxique est le propre des streptocoques provenant d’une culture jeune ; elle se manifeste au plus haut degré chez les microbes en voie de multiplication active. On constate aisément que les streptocoques provenant d'une cul- ture âgée de trois ou quatre jours ont beaucoup perdu de leur puissance répulsive. Si dans le péritoine d’un lapin injecté de bouillon la veille, on inocule une quantité même grande de ces streptocoques (plusieurs c. c.), on voit que la phagocytose s'exerce avec activité, et en général sur la très grande majorité des microbes; la même culture, lorsqu'elle était âgée de vingt- quatre heures seulement, se dérobait à l’englobement. Cepen- dant l'apparition dans l’exsudat de microbes de nouvelle forma- tion se fait au bout d’un temps variable, et l'animal meurt. La partie liquide des cultures (jeunes ou âgées de quelques jours et pratiquées dans le milieu nutritif usuel, mélange de liquide d’ascite et de bouillon) ne paraît pas renfermer, en quan- lité sensible tout au moins, de substance empéchant la phagocytose. Chez un cobaye préparé par du bouillon, les streptocoques injectés dans le péritoine sont rapidement englobés, en tout ou en partie suivant la dose injectée. Ils le sont aussi, et dans les mêmes proportions, si, en même temps que les microbes, on injecte 3 c. c. de filtrat d’une culture âgée de 24 heures. L'in- Îluence chimiotaxique négative est donc une propriétéappartenant individuellement aux streptocoques à l'état de vie active. Insis- tons encore sur la relation de co-existence qui existe entre l'influence chimiotaxique négative des microbes et la présence de l’auréole ; celle-ci peut se développer chez les microbes, non seulement dans le péritoine, mais aussi sous la peau, dans le sang, dans l’humeur aqueuse. Qualités de résistance du streptocoque. — Cette propriété de repousser les leucocytes, si précieuse pour le streptocoque, n’est point la seule que ce microorganisme mette en œuvre pour subsister dans les tissus des animaux. Nous avons déjà vu plus haut que, chez les cobayes, une récidive mortelle peut succéder à un stade de guérison apparente se maintenant pendant plusieurs jours. L'arrêt momentané de l'infection, la guérison apparente étaient dues à l'intervention d’une phagocytose complète, à la SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 189 disparition des microbes libres. De tels cas, rares à la vérité chez les cobayes, nous indiquent que certains streptocoques peuvent manifester une très grande résistance, rester en vie à l’intérieur même des phagocytes, reprendre des forces et fournir au bout de quelques jours une culture nouvelle qui cause la mort de l'animal. Ces faits de pullulation tardive du streptocoque après un stade souvent prolongé d’une guérison en apparence complète, se rencontre souvent chez les lapins jouissant, grâce à l’adminis- tralion d’une certaine dose de sérum, d’une immunité relative, et auxquels on a injecté le streptocoque. L'expérience suivante montrera que, chez de semblables lapins, le streptocoque peut persister dans les phagocytes, en état de vie latente, pour repul- luler après un long intervalle. Un lapin reçoit dans le péritoine une de 6 c. c. de bouillon peptonisé. On lui administre en outre 3 c. c. de sérum antistreptococcique sous la peau. Le lendemain on lui inocule dans le péritoine, où les leucocytes sont devenus très abondants, 6c. c. d’une culture âgée de trois jours. De telles cultures sont, ainsi que nous l’indiquions plus haut, beaucoup plus phago- cytables que les cultures jeunes. L'examen de l’exsudat, extrait deux à trois heures après l'injection, ne décèle pas de microbes libres ; les coccus sont devenus la proie des cellules. L'animal ayant reçu du sérum résiste : les animaux injectés de la même façon, mais qui n'ont point reçu de sérum, meurent en général au bout de 24 heures. Le lendemain l’exsudat renferme encore beaucoup de leucocytes, dont quelques-uns contiennent des streptocoques plus ou moins altérés ; il n’y a pas de microbes libres. Il n’y en a pas davantage le jour suivant. On peut donc admettre que les microbes ont été englobés jusqu’au dernier. Néanmoins l'animal, qui reste bien portant plusieurs jours, suc- combe au bout d’une semaine à une infection streptococcique généralisée. Ces cas de repullulation tardive du streptocoque se rencontrent assez fréquemment dans le cours des expériences ; ils s’observent chezles animaux qui ont reçu une dose trop faible de sérum, ou une quantité trop considérable de microbes, quelle que soit d’ailleurs la partie du corps où l’on ait injecté ces der- niers. Dans ces conditions, la mort tardive peut ne survenir qu’au 190 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR bout de quinze jours, ou même (exceptionnellement) de trois semaines. | En résumé, le streptocoque virulent possède deux qualités qui le rendent, pour lelapin surtout, exceptionnellement dange- reux ; il repousse les leucocytes, et peut persister longtemps dans un organisme en apparence guéri. $ TTL. — COMPARAISON ENTRE LE LAPIN ET LE COBAYE AU POINT DE VUE DE L'INFECTION STREPTOCOCCIQUE. Nous avons maintenant à rapprocher le tableau de l'infection streptococcique chez le cobaye et celui que la même infection présente chez le lapin ; nous devons en effet comprendre pour- quoi le premier de ces animaux résiste à l'invasion par le streptocoque beaucoup mieux que le second. Nous avons indiqué déjà, dans un mémoire précédent, que les sérums de ces animaux neufs, lapin et cobaye, sont des milieux de culture très favorables pour ce microbe, et qui ne manifestent vis-à-vis de lui aucun pouvoir bactéricide. Nous venons de faire remarquer, en outre, que les strepto- coques poussent bien et rapidement dans l’exsudat péritonéal des cobayes infectés; la seule condition nécessaire à leur déve- loppement régulier, c'est qu’ils restent libres dans le liquide, c'est qu'ils se dérobent, grâce à leur influence chimiotaxique négative, aux atteintes des phagocytes. Le cobaye n’est donc point supérieur au lapin par la propriété antiseptique de ses humeurs. Mais il existe entre les phagocytes des deux animaux une différence frappante : les ieucocytes du cobaye sont beaucoup moins sensibles que ceux des lapins à l'action répulsive manifestée par le streptocoque. Une quantité de streptocoques égale à 1/2 c.e. de culture jeune, ou même davantage, est en général englobée rapidement lorsqu'on l’injecte dans le péritoine, riche en leuco- cytes, d’un cobaye ayant reçu la veille, dans la même région, une injection préalable de bouillon. Chez un lapin préparé de la même facon, et auquel on injecte la même quantité de strepto- coques, l’englobement est fort limité et le développement extra- cellulaire s'opère bientôt avec activité. Cette différence dans la sensibilité leucocytaire nous explique . SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 191 très clairement les différences dans l’évolution de la maladie mortelle chez l’un et l'autre de ces deux animaux. L'exsudat chez le cobaye inoculé d’une dose mortelle est tou- jours plus riche en leucocytes; chez le lapin, on n’observe pas, à l’autopsie, le tableau de la péritonite purulente, qui se rencontre régulièrement chez le cobaye infecté. L’exsudat d’un cobaye mort à la suite de l'injection intrapéritonéale renferme presque tou- jours, à côté d’un grand nombre de leucocytes, une quantité énorme de streptocoques. Mais le sang en renferme toujours beaucoup moins que celui d’un lapin injecté dans les mêmes conditions. On sait, sans qu'il soit nécessaire d’insister davan- tage, que plus l’appareil phagocytaire est actif vis-à-vis du microbe donné, plus difficile est l’invasion du sang par ce microbe. Aussi ne constate-t-on point, à l’autopsie du cobaye, ces profondes altérations du sang (destruction des hématies) que l’on trouve dans le sang des lapins comme conséquence de la pullulation extrèmement abondante du streptocoque. Les cas de réinfection streptococcique tardive après un stade de guérison en apparence complète, rares chez les cobayes neufs, sont au contraire fréqueuts chez Les lapins qui ont reçu une dose assez faible de sérum leur conférant une immunité relative. Quelle est la raison de cette nouvelle inégalité? Parmi les leucocytes qui ont englobé des microbes, il en est toujours un certain nombre qui meurent avant d’avoir pu détruire les parasites qu’ils contenaient; on conçoit ainsi que des micro- bes encore presque intacts puissent être remis en liberté. Or ces microbes ont beaucoup plus de chance d’être englobés à nouveau chez le cobaye que chez les lapins, car les leucocytes du cobaye se comportent, vis-à-vis du streptocoque, comme des phagocytes plus actifs. — On pourrait supposer aussi que les leucocytesidu cobaye possèdent, à l'égard du streptocoque, un plus grand pouvoir bactéricide que les mêmes cellules chez le lapin. Ceci nous amène à considérer quelles sont les altérations subies par les streptocoques capturés par les cellules, chez les deux organismes que nous étudions. Chez l'un comme chez l’autre, on peut voir que les leucocytes font subir aux microbes englobés, à certains d’entre eux tout au moins, des altérations régressives. Quand les streptocoques ont séjourné pendant quelques heures dans le protoplasme phagocytaire, certains d’entre eux Le 192 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. absorbent les couleurs acides de préférence aux couleurs basiques; par la double coloration à l’éosine et au bleu de méthylène, ces microbes ainsi altérés se colorent parfois en rouge plus ou moins vif. Ce phénomène se retrouve chez le lapin comme chez le cobaye. Chez ce dernier, ‘ces altérations se constatent plus faci- lement, en raison de la fréquence et de l'étendue plus marquées de la phagocytose. Il LE SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE Dans son article paru en juillet 1895 dans ces Annales, M. Marmorek a indiqué par quels procédés il obtient son sérum et quelles sont les méthodes mises en œuvre dans l’immunisa- tion des animaux contre le streptocoque. Nous ne nous appesantirons pas sur ces points. Disons seu- lement que le sérum que nous avons habituellement employé provenait d'animaux en cours d'immunisation depuis un an environ. L'un d'eux, dont le sérum était remarquablement actif, avait subi 23 injections de culture très virulente (âgée de 24 heures). La quantité totale de culture injectée pendant ce temps était de 3,800 c. c. L'activité préventive de ces sérums est des plus manifestes. Injectés aulapin avantl’inoculation des microbes, ils permettent à l'animal de supporter des doses qui représentent des multiples très élevés de la dose mortelle minima. Cependant les quantités de microbes que l’on peut, sans amener la mort, injecter aux animaux immunisés par le sérum, varient beaucoup suivant la région de l’organisme où l’on pra- tique cette inoculation. Les animaux qui ont reçu du sérum tolè- rent beaucoup moins bien les injections intra-péritonéales de streptocoques, que les inoculations sous-cutanées. Les inocu- lations intra-veineuses, intra-oculaires sont aussi plus dange- reuses, même pour les animaux qui ont reçu un sérum fort actif. Il faut donc, lorsqu'on détermine la valeur préventive d'un sérum, avoir soin d'indiquer quelle est la porte d'entrée choisie pour l’inoculation du virus. Nous aurons souvent l’occasion d'indiquer quelles ont été, SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 193 dans nos expériences, les doses de sérum et de microbes employés. Consignons toutefois immédiatement quelques chiffres, extraits de notre cahier de notes, et relatifs à l’introduction du virus par voie sous-cnlanée chez les animaux auxquels on a conféré l'immunité passive. Un lapin qui a reçu 10 c. c. de sérum sous la peau supporte le lendemain sans trouble une injection sous-cutanée de 1/2 c. c. de virus. Letémoin qui reçoit1/10.000 de centimètre cube meurt en 3 heures. Le lapin traité survit définitivement : il a supporté, dans cette expérience, une quantité de; streptocoques égale ou supérieure à 5,000 fois la dose mortelle. _ Une dosede sérum très faible, égale à 5centigrammes, protège le lapin contre 1/1,000 de centimètre cube de la culture virulente, le témoin meurt et n’a reçu pourtant qu'une dose cent fois plus faible de culture, 1/100,000 de centimètre cube. Nous indiquons ces chiffres, non pas parce que nous les avons obtenus à la suite d’une mensuration, systématiquement faite, de la puissance préventive du sérum, mais parce qu'ils se sont présentés à nous, pendant nos expériences, d’une façon courante ‘. Quand on emploie le sérum préventif à doses convenables, comme dansles cas que nous venonsde citer,ilprotège les lapins d’une façon définitive contre l'inoculation des streptocoques. A doses trop faibles relativement àla quantité de microbes injectés, il peut donner aux animaux, soit une simple survie sur les témoins, soit une véritable guérison apparente, se prolongeant parfois beaucoup en dehors de toute manifestation morbide, et à laquelle succède une réinfection brusque par le virus strepto- coccique. : Ces trois cas devront être considérés plus loin. Pour le 4. M. Petruschky, dans deux articles publiés récemment (Zeitschrift für Hygiene) conclut de ses expériences que le sérum de M. Marmorek ne préserve en aucune façon les lapins contre l'infection streptococcique. Les lapins traités ne présentent même, d’après cet auteur, aucune survie sur les témoins. Il est tout à fait évident que M. Petruschky opérait avec un sérum avarié pour une cause quelconque. L'efficacité du sérum de M. Marmorek se démontre en effet par l’expérimentation la plus élémentaire. Par conséquent les expériences et les conclusions de M.Petruschky ne nous arrèteront pas plus longtemps, car elles ne peuvent, en aucun cas, concerner le sérum antistreptococcique tel qu’on l’obtient à l’Institut Pasteur. 13 194 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. moment, nous parlerons brièvement de l’action in vitro du sérum sur les microbes. $ [. — ACTION DU SÉRUM CIN VITRO ». Le sérum préventif de M. Marmorek est du sérum de cheval immunisé. Il ne manifeste vis-à-vis du streptocoque aucun pouvoir bactéricide. Les microbes qu’on y ensemence n'y poussent pas très rapidement ni très abondamment, mais le sérum de cheval neuf ne se distingue pas à cet égard de celui qui provient des chevaux immunisés. Mélangé au sérum frais de lapin neuf, qui est pour le strep- tocoque un milieu de culture très favorable, le sérum préventif n'empêche pas le développement du microbe. Si on ensemence une trace de streptocoque, d'une part dans un mélange de 1,5 c. c. de sérum lapin neuf et de 0,5 c. c. de sérum préventif, d’autre part dans une mixture, en proportions semblables, de sérum de lapin et de sérum de cheval neufs, la multiplication se fait dans les deux liquides avec une intensité égale. Les streptocoques qui se développaient dans les deux milieux présentent cependant quelques particularités qui méritent d'être notées. Dans le mélange sérum de lapin neuf-sérum de cheval neuf, comme dans le mélange sérum de lapin neuf-sérum de cheval immunisé, la croissance s'établit rapidement, si l’on a ense- mencé au moyen d’une culture bien jeune. Au bout de trois heures, dans l’une et l’autre mixture, on constate déjà une multiplication très évidente, et sensiblement égale dans les deux tubes. Seulement, dans le tube contenant les deux sérums neufs, les grains de streptocoques sont disposés en chaînes courtes et nombreuses; dans l’autre tube, où se trouve le sérum préventif, ils forment des chaînes très notablement plus longues, en même temps plus rares, et qui sont souvent très con- tournées. Il y a là une différence dans l’arrangement des coccus, le nombre total des coccus étant à très peu près le même dans les deux milieux. Au bout de 5 heures 1/2, les cultures gardent, tout aussi accen- tués, les caractères que nous venons d'indiquer. Plus tard ({9heures après l’ensemencement) les chaines deviennent plus longues dans les tubes renfermant les sérums neufs, de sorte que le contraste relatif aux dimensions des chaînettes devient _ SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 195 moins frappant. Pas plus qu'auparavant, on ne constate de différence dans la richesse des cultures. — Nous n'avons donc pu déceler, pas plus que MM. Denys et Marchand', chez le sérum antistreptococcique de cheval, d'influence retardant le développement des streptocoques ensemencés. La mème expérience, faite sur un streptocoque moins viru- lent (tuant le lapin à la dose de 1/4 de €. c. par injection intra- veineuse) nous a fourni des résultats semblables ; toutefois, pour ce microbe, la différence dans la iongueur des chaînes était beaucoup moins accusée. L'injection, à un lapin neuf, de 10 c. c. de sérum préventif bien actif, ne confère point de pouvoir bactéricide au sérum de cet animal. Le sérum extrait 24 heures après l'injection est un milieu de culture aussi approprié que celui que fournit le sang avant l'introduction du sérum. Tous deux permettent une pullulation rapide et intense du microorganisme. Le sérum antistreptococcique présente, mais à un faible degré, la propriété agglutinative. Nous avons montré en 1895 qu'une trace de sérum bien préventif contre le vibrion cholé-. rique, introduite dans un liquide (solution de NaCI à 0,60 0/0, par exemple) contenant en suspension des vibrions, provoque en très peu de temps l’immobilisation de ces microbes, et qu'en même temps, ces vibrions immobilisés se réunissent en amas bien définis, qui ponctuent de petits points blanchâtres le liquide devenu clair. C'était là une conséquence constante de la pré- sence du sérum préventif. L'année suivante, MM. Gruber et Durham constatèrent le même fait, en opérant non seulement sur les vibrions, mais aussi sur le b. typhique, le b. coli, qui présentent aussi l’agglomération lorsqu'on les met au contact des sérums spécifiques. L’agglutination produite sur le streptocoque par le sérum préventif, bien que généralement nette, n’est jamais fort accusée ; il faut, pour la faire apparaître, des quantités de sérum consi- dérables (un tiers au moins du volume de la culture liquide). Elle ne porte pas sur l’ensemble des chaïînettes ; certaines d’entre elles restant isolées. Les cultures de streptocoque faites dans le sérum préventif, ou dans des liquides qui en renferment une 4. Denys et MarcHaxn, Immunité conférée au lapin par l'injection de sérum antistreptococcique de cheval. Bull. Académie royale de Belgique, 1896. D 196 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. forte dose (parties égales de bouillon et de sérum de cheva, par exemple), ne présentent qu’à un faible degré la réunion en amas : parfois même on ne constate rien de semblable. — On peut, en résumé, se convaincre de ce fait, que le sérum préventif n’exerce sur le streptocoque aucune altération profonde. La végétabilité du microbe n’est pas sensiblement diminuée, sa morphologie reste la même, sauf quelques variations dans la longueur des chainettes. Même le pouvoir agglutinatif, que les recherches récentes reconnaissent à de nombreux sérums, n'est, dans le sérum anti- streptococcique, développé qu'à un faible degré. Il faut se demander si ce sérum préventif, dont l’action sur la morphologie et le développement du streptocoque est si peu accusée, ne possède point, sur la virulence du microbe, d'influence affaiblissante. Les cultures de. streptocoque obtenues dans un mélange à parties égales de sérum préventif et de bouillon peptonisé (on ne peut guère obtenir de bonnes cultures dans le sérum de cheval pur), gardent une virulence très grande. On peut s’en assurer en préparant d’une part une telle culture, d’autre part une culture du même streptocoque dans un mélange sem- blablement constitué, de bouillon peptonisé et de sérum de cheval neuf. Les liquides, fortement troubles au bout de 24 heures de séjour à l’étuve, sont filtrés sur papier. Il reste sur les filtres une quantité suffisante de microbes que l’on peut laver à l’aide d’eau physiologique pour les débarrasser du sérum dont ils sont imbibés. On recueille à l’aide de pinceaux stérilisés une trace de ces microbes qu'on délaie dans quelques ©. ©. d’eau physiologique. On obtient ainsi deux émulsions, très légèrement et, autant que possible, également troubles ; l’une contient les microbes cultivés en présence du sérum neuf, l’autre, les streptocoques développés au contact du sérum pré- ventif. Ces liquides, bien que pauvres en microbes, sonttous deux extrêmement virulents ; 1/200 de centimètre cube de l’un ou de l’autre, tue le lapin neuf en moins de 24 heures. Il n’y a aucune atténuation constatable. | D'ailleurs, la culture entière, contenant le sérum préventif et les microbes, est elle-même très dangereuse pour les lapins, et les tue sans qu’on constate de retard sur les témoins, également en moins de 24 heures. SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 197 On pourrait s'étonner de ce dernier résultat. On pouvait s'attendre à ce que les lapins auxquels on injecte la culture totale, bénéficient de la présence du sérum dans le liquide injecté, et résistent à l’envahissement des streptocoques que ce liquide contient. Mais il faut remarquer que la culture dont nous parlons renferme un nombre considérable de microbes. Or l'expérience montre qu’une dose de sérum égale à 1 c. c. par exemple, ne peut préserver les animaux que contre une dose de microbes très notablement inférieure à celle qui se développe dans un €. c. additionné d'un volume égal de bouillon. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que la culture soit virulente, car elle contient trop de microbes relativement à sa teneur en sérum. L'expérience que nous venons de relater ‘ nous montre sim- plement que les microbes ensemencés dans le sérum préventif n'ont point subi d'influence déprimante capable de produire une atténuation de virulence transmissible aux générations micro- biennes nouvelles. Démontre-t-elle que le sérum préventif, injecté dans un organisme qu'on infecte ultérieurement, y est totalement impuissant à exercer sur le streptocoque inoculé une action affaiblissante quelconque? Nullement, car on peut conce- voir qu'un sérum, incapable de modifier les microbes 2% vitro, + par sa propre énergie, puisse, dans les tissus, agir directement sur eux, grâce à l'influence additionnelle ou combinée de facteurs adjavants fournis par l'organisme. Ne voyons-nous pas le choléra-sérum, par exemple, être incapable, quand il a été conservé longtemps ou qu'il a été chauffé, de produire in vitro la transformation granuleuse du vibrion, et pouvoir néanmoins, lorsqu'on l'injecte dans l'organisme, y rendre possible l’appari- tion de cette modification chez les vibrions inoculés ? Nous formulons dès à présent ces réserves, simplement parce qu'elles paraissent à priori justifiées, sans nous préoccuper pour le moment de savoir si elles sont ou non commandées par les résultats expérimentaux. 4. Cette expérience est la reproduction d'expériences semblables de MM. Met- chnikoff (1892), Issaeff, Sanarelli (1893), pratiquées sur les microbes du hog- choléra, de la pneumonie, et le vibrion avicide. 198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les liquides que nous avons examinés jusqu'ici, sérum de lapin neuf, sérum préventif pur ou mélangé à du bouillon, à du sérum de lapin, n’exercent pas sur le streptocoque d'action bac- téricide. Il est un liquide organique qui manifeste au contraire, sur ce microbe, une action bactéricide évidente. C’est la séro- sité que l’on peut séparer par centrifugation d’un exsudat riche en globules blancs. Le streptocoque pousse très difficilement dans cette humeur; lorsqu'on l’y ensemence, même en quantité assez forte, il s’y fait, ainsi que MM. Denys et Leclef l'ont déjà noté, une destruction active de microorganismes‘. On peut en- semencer dans cette sérosité une goutte de culture jeune et abondante, sans qu'il y ait développement; le lendemain le liquide est au contraire stérile. La sérosité perd son pouvoir bactéricide quand elle a été chauffée pendant quelques minutes à 60°. Le streptocoque y pousse alors en formant des chaînettes assez longues, à grains fins. La partie liquide d’un exsudat riche en leucocytes étant bactéricide in vitro, on doit se demander si elle l’est au même degré dans l’organisme. L'expérience répond par la négative. Lorsqu'on injecte des streptocoques dans un péritoine delapin où les leucocytes sont très abondants, on voit que les microbes non englobés se développent très bien. Si on retire alors un peu d’exsudat, lorsque les streptocoques ne sont pas encore très nombreux, et qu’on porte cet exsudat à l’étuve, on voit que la culture s’y arrête bientôt; parfois il y a stérilisation (au bout d’un ou deux jours), parfois aussi le microbe parvient à repousser, mais après un arrêt de près de 24 heures. Les expériences faites in vitro à l'aide d’exsudats leuco- cytaires ne doivent donc être acceptées en général qu'avec beau- coup de réserves, car elles ne concordent pas nécessairement avec des expériences analogues, mais faites avec le concours de l'organisme vivant. 7 4. Dexys et Leccer, Sur l'immunité du lapin vacciné contre le streptocoque. La Cellule, 1895. SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE,. 199 S IE. — ACTION DU SÉRUM DANS L'ORGANISME. INJECTION INTRAPÉRI- TONÉALE. Abordons maintenant l'étude des phénomènes qui se passent dans l'organisme, chez les lapins injectés préventivement de sérum et auxquels on injecte le streptocoque. Nous envisage- rons d'abord le cas où le sérum ayant été injecté sous la peau, le virus est inoculé 24 heures après, dans la cavité péritonéale. L'étude de la lutte entre les cellules et le virus dans la cavité péritonéale est en effet particulièrement instructive, et voici en quelques mots pourquoi. Il est très facile de suivre pas à pas l'étude de ce genre d’in- fection ; il suffit d'extraire à différents intervalles, au moyen d’un tube effilé, un peu d’exsudat péritonéal. Cet exsudat représente un milieu homogène, c’est-à-dire qu il offre, dans toute l'étendue de la cavité, une constitution identique pour ce qui a trait au nombre, à la qualité, à l’aspect des cellules et des microbes. Dans un exsudat sous-cutané, au contraire, on trouve souvent que des points différents, même s’ils sont rapprochés, fournissent des exsudats différant, soit par la quantité de liquide, soit par le nombre ou la manière d’être des cellules ou du virus. Ilest possible, avant d’injecter les microbes, de produire arti- ficiellement des variations dans le nombre des cellules éparses dans l’exsudat péritonéal. On peut, par une simple injection de bouillon, faire intervenir de la sorte, dès le début de l'infection, un nombre très grand de phagocytes actifs. C’est là pour l’étude une ressource souvent importante, et que nous avons fréquem- ment mise à profit. Toutefois il faut connaître, pour la compréhension des phé- nomènes signalant l'infection péritonéale chez les vaccinés par le sérum, une notion importante que fournit une expérience consistant à injecter du streptocoque dans les veines d’un lapin neuf, d’une part, d'un lapin injecté préalablement de sérum, de l’autre. Le streptocoque virulent, inoculé dans le sang d’un lapin neuf, à la dose de 1/10 ou 1/4 de c.cpar exemple, s’y déve- loppe beaucoup, de façon à y former en 7 ou 8 heures une cul- ture abondante; le sang ensemencé à ce moment sur gélose donne des colonies confluentes. Si l’on injecte les mêmes doses 200 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. dans le sang d’un lapin qui a reçu du sérum sous la peau, le développement est enrayé. Immédiatement après l'injection, une goutte de sang prise à une région quelconque du corps et portée sur gélose y donne naissance à quelques colonies. Plus tard, 5-7 heures après, ou le jour suivant, le sang contient du streptocoque en permanence, mais le nombre des microbes n’y augmente presque pas. Néanmoins, le lapin succombe après 2, 3, 4 jours; mais le sang à l'autopsie est toujours beaucoup plus pauvre en microbes que celui d’un lapin mort sans avoir reçu de sérum. On trouve, il est vrai, des microbes en nombre plus grand dans le foie, la rate, la moelle des os, et surtout le poumon; cer- tains d’entre eux y sont libres, d’autres sont englobés par les leucocytes. Insistons à ce propos sur cette règle générale : les lapins injectés de sérum, et qui, la dose de micrôbes étant trop grande, n'ont sur les témoins qu’une survie de 2,3 jours, ne présentent jamais, dans le sang du cœur, autant de microbes que les témoins. Le contraste est tout à fait accusé, quelle que soit la région où l’on a injecté les microbes. Dans les cas seulement où les lapins ont été momentanément guéris, et contractent, au bout d’un temps prolongé, une récidive mortelle, la culture dans le sang peut-être presque égale à celle qu'offre le sang d’ur lapin mort sans avoir reçu de sérum. Or, l'infection péritonéale chez les lapins neufs s'accompagne d’une pénétration rapide du microbe dans le sang; la pullulation qui s'y fait bientôt doit être envisagée, tant elle est intense, comme la cause immédiate de la mort; ce n’est pas la péritonite qui tue les lapins neufs, c’est l'infection du sang. Dès lors, si la croissance des microbes dans le sang est rendue chez le vacciné beaucoup plus difficile, l’évolution de l'infection péritonéale pourra se prolonger ‘sans amener de septicémie, beaucoup plus longtemps chez l'animal injecté de sérum que chez le témoin. Telle est la notion qui pour le moment nous importe. A. Cultures jeunes. — Comment se comportent les strepto- coques virulents, provenant d’une culture jeune (24 heures), lorsqu'on les injecte dans le péritoine riche en leucocytes d’un lapin qui a reçu la veille 10 ce. c. de sérum sous la peau, et 6 c. c. PL SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 201 de bouillon peptonisé dans la cavité péritonéale? Il y a deux cas, nettement tranchés, à considérer : 1° La quantité de microbes injectés est très faible, inférieure à 1/2 c. c. de culture {ces chiffres ne sont naturellement pas tout à fait invariables). Arrètons-nous par exemple à 1/10 de centimètre cube. Faisons remarquer qu'avec ces doses, la quantité de microbes qu'on trouve dans le péritoine est très restreinte relativement au nombre de cellules. ILest même parfois difficile de les retrouversur les préparations. Dans ces conditions, le virus est assez rapidement, et, autant qu'on peut l’affirmer, complètement englobé. Au bout d’une heure ou deux par exemple, on ne trouve aucun microbe libre; la coloration par le carmin boracique et la méthode de Gram, fait voir qu'ils sont devenus : ia proie des cellules. La conséquence de ce fait, c'est qu'il ne se produit dans ces conditions aucun développement extracellulaire de microbes, et l'animal quérit. Chez le témoin sur lequel on a également pratiqué l'injection intra-péritonéale de bouillon, mais qui n’est pas soumis à l'influence protectrice du sérum, on constate aussi, d’une facon générale, lorsqu'on emploie ces petites doses, une phagocytose très notable, qui même porte sur la grande majorité des microbes injectés : ce n’est qu'exceptionnellement que l’on trouve sur les préparations des microbes libres. Néanmoins la multiplication se fait, et bientôt, au bout de 3, 4 heures, on se trouve en présence de nombreux coccus possédant une influence chimiotaxique négative intense. L’ani- mal meurt, en général, au bout d’une douzaine d’heures, avec les symptômes ordinaires qu'offre l'injection chez les neufs, et sur lesquels nous avons insisté précédemment. 2° Les choses se passent d’une manière bien différente si, an lieu d’inoculer seulement une quantité très petite, voisine de 1/10 de centimètre cube, on atteint une dose égale à 1/2 c. c. ou légèrement supérieure. Dans ces conditions, l’englobement qui s'opère dans les 1. Faisons remarquer que lorsqu'on injecté 1/2 c. c. de culture dans un péritoine préparé par le bouillon, la quantité de streptocoques présents dans les premiers moments, au sein de l’exsudat, est encore très faible relativement au nombre des cellules. Et néanmoins la reproduction s’opère et, ainsi qu’on le verra plus loin, l'animal n’est sauvé que par une phagocytose tardive. MM. Denys et Leclef (La Cellule, 1895) préparent un mélange én vitro de sérum de lapin neuf, de leucocytes de lapin neuf et de sérum préventif. Ils y ense- 202 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. premières heures n'est que partiel. On trouve, comme dans l'expérience précédente, des streptocoques englobés par des cel- lules sans doute remarquablement vigoureuses. Mais la quan- tité injectée étant plus grande, beaucoup de streptocoques restent libres et bientôt se développent. Pour ces doses, on ne trouve pas de différence notable, dans l’étendue de la phagocytose, entre le lapin traité par le sérum et le lapin neuf. Les streptocoques se multiplient donc beaucoup, sans qu’il y ait sur la croissance d'influence retardatrice bien constatable. Les microbes sont pour- vus d’une auréole. 8 ou 10 heures après l'injection, alors que le témoin se rapproche du moment de la mort, les streptocoques pullulent chez le vacciné au milieu des leucocytes. Cependant l'animal résiste, et l’on constate pourtant que les microbes sont toujours extrêmement nombreux et que la phagocytose reste nulle ou extrêmement restreinte. Cependant l’exsudat change d’aspect. Il devient lentement de plus en plus épais, presque blanc, et semble se concentrer; sa teneur en Jleucocytes devient extrêmement forte. La situation se prolonge ainsi pendant un temps plus ou moinslong. Soudain, lorsque l’exsudat, devenu épais, à acquis l'apparence d'un pus homo- gène et blanc, 20 heures, par exemple, après l'injection, on constate l'apparition subite de lu phagocytose. Très rapidement alors, en quelques heures (trois ou quatre, parfois moins encore), la totalité des streptocoques qui fourmillaient hors des cellules est tou- jours capturée par les phagocytes. La grande majorité des cellules contiennent des microbes, et souvent en quantité extraordinaire. L’englobement, lorsqu'il a été complet, est suivi de la guérison, soit définitive, soit temporaire; si la quantité de microbes a été trop grande, on peut assister, même lorsque l’englobement a été complet, à une rechute qui survient deux ou trois jours après, ou davantage. Ba phagocytose tardive peut aussi n’être qu’incomplète, si le virus s’est développé trop abondamment. Le lapin ne jouit que mencent du streptocoque, et constatent que les microbes subissent, dans leurs cultures, un arrêt très marqué, dû à une phagocytose abondante dès le début, tandis que le streptocoqu? pousse rapidement dans une mixture de sérum et de leucocytes de lapin neuf, sans sérum préventif. Dans ces conditions, nous n’avons pu obtenir les mêmes résultats. Nous constatons, au début, une certaine phago- cytose dansles tubes additionnés ou dépourvus de sérum préventif. Ultérieurement, le développement se faisait dans les deux mélanges. SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE, 203 d'une simple survie. La condition essentielle à la guérison est toujours l'accomplissement complet de l'englobement. Conditions nécessaires à l'apparition de la phagocytose tardive. — La phagocytose tardive est susceptible de se produire chez les animaux qui ont reçu une quantité de sérum suffisante ; elle s’observe chez les animaux qui ont reçu du sérum sous la peau ou dans le péritoine même. C’est chez le lapin préparé par le bouillon (et qui est ainsi devenu plus résistant à l'égard de l’infec- tion péritonéale) qu’elle s’observe le plus commodément. Dans ces conditions, on peut l'obtenir en injectant même de grandes quantités de microbes, mélangés à une quantité relativement restreinte de sérum (exemple : à un lapin qui a reçu la veille 6 c. c. de bouillon dans le péritoine, on injecte le lendemain 1 c. c. de bouillon additionné de 5 c. ce. de sérum; phagocytose tardive et complète au bout de 25 heures environ). La phagocytose lardive peut se produire aussi chez les ani- maux qui ont reçu du sérum sous la peau, et qui n’ont pas subi la préparation du péritoine. Mais dans ces conditions, il faut diminuer beaucoup la dose des microbes injectés. Chez les lapins vaccinés par le sérum, mais qui n’ont reçu aucune injec- tion intrapéritonéale préalable, et qui possèdent, on le sait, un exsudat limpide et pauvre en phagocytes, l’inoculation de strepto- coques dans la cavité est dangereuse, beaucoup plus que l’ino- culation sous-cutanée, et d'autant plus dangereuse que la culture employée est jeune et capable d’une prolifération très rapide. Les streptocoques inoculés trouvent, même chez le vacciné, dans lexsudat limpide, un milieu de culture extrêmement approprié ‘; lorsque les leucocytes arrivent ultérieurement en grand nombre, ce qui demande toujours un certain temps, ils se trouvent déjà en présence d’un nombre de microbes très considérable. Chez les lapins immunisés par le sérum, et dans le péritoine desquels la phagocytose tardive doit survenir, le nombre des phag ocytes s'accroît peu à peu de façon à devenir considérable. Mais, dans les premières heures, cet afflux ne paraît pas plus marqué que celui qu'on observe chez les lapins neufs. 1. Nous n'avons jamais constaté, après avoir injecté dans le péritoine d’un lapin traité une petite dose de streptocoques, de disparition de microbes ana- logue à celle que MM. Denys et Leclef ont vu survenir après l'inoculation de streptocoques dans la plèvre de lapins vaccinés. 204 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. L'injection dans le péritoine de liquide de culture filtré provo- que chez les lapins neufs comme chez les lapins traités, un afflux très abondant de leucocytes, sans qu'il y ait de différences sen- sibles. L'’injection de cultures âgées d’une semaine, faite dans le sérum de lapin neuf, et où les microbes sont morts ou affai- blis, donne lieu aux mêmes observations. B. Cultures âgées. — Le danger que présente l'injection des cultures jeunes réside en partie dans l’extrême rapidité de la multiplication qui s'opère avant l’arrivée des phagocytes. Si l’on emploie des streptocoques dont l’activité reproductrice ne se réveille qu'après un certain nombre d'heures, la phagocytose tardive se produit beaucoup plus facilement, même si le sérum estinjecté après les microbes. Nous résumons rapidement l’une des expériences faites à ce sujet. Deux lapins entièrement neufs, qui n’ont reçu ni sérum ni bouillon dans le péritoine, reçoivent une injection intrapéri- tonéale de 8 c. c. d’une culture (ascite-bouillon) âgée de 4 jours. Six heures après, on constate que les phagocytes sont devenus très nombreux et que les microbes injectés sont englobés (les streptocoques âgés sont, comme nous l’avons vu plus haut, facilement phagocytés). Mais la croissance ne s’est pas encore faite, et l’on ne voit pas de microbes libres. À ce moment l’un des lapins reçoit 3 c. c. de sérum préventif dans le péritoine, et 5 c. c. sous la peau. L'autre lapin, à qui on n’injecte pas de sérum, ne meurt d’in- fection généralisée qu'au bout de 18 heures ; cela tient au retard avec lequel la croissance s’est faite. Le lapin injecté de sérum présente dans le péritoine, 24 heures après le commencement de l'expérience, des microbes très nombreux, extracellulaires, épars au milieu de leucocytes forts abondants. La croissance a donc pu s’opérer. Mais, quelques heures plus tard, la crise pha- gocytaire se déclare, et brusquement la totalité des microbes libres est englobée. Dans cette expérience, la croissance extracellulaire s’est elfectuée, et a été suivie d'un englobement tardif. Mais le sérum avait été administré notablement après l’inoculation micro- bienne. Si l’on injecte le sérum préventivement, la veille, on constate généralement, quand on se sert de cultures âgées, un El SERUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 205 englobement général auquel ne succède pas l'apparition de microbes extracellulaires. Chez le lapin neuf, l’englobement se fait aussi, et l’on ne voit pas d’invasion pendant un nombre d'heures souvent assez grand ; le streptocoque reste à l’état latent. Mais il se réveille bientôt ; et de nouveaux coccus se développent et envahissent l’exsudat. Proviennent-ils de très rares streptocoques restés libres, malgré l'étendue constatée de la phagocytose? Dérivent-ils de microbes d'abord englobés et qui ont résisté aux phagocytes? Les deux alternatives sont possibles ; l’on a vu antérieurement que les streptocoques peuvent rester en vie très longtemps dans un organisme, après avoir élé capturés par les cellules. Les lapins traités par le sérum peuvent donc résister à l'administration de quantités très genes de culture âgée de quelques jours ‘. Tels sont, dans leurs traits généraux, les phénomènes qui ont cours chez les lapins vaccinés par le sérum, auxquels on a inoculé le streptocoque par voie péritonéale. Il nous reste à reprendre maintenant avec quelques détails l’observation de la phagocytose tardive. S LIL. — PHAGOCYTOSE TARDIVE OU CRISE PHAGOCYTAIRE. La crise phagocytaire s’observe facilement dans le péritoine de lapins traités par le sérum; elle succède brusquement à un développement extracellulaire et généralement fort abondant de microbes ; elle ne se produit dans l’exsudat que quand celui- ci est devenu épais et d'aspect purulent; elle s'obtient, toutes choses égales d’ailleurs, plus rapidement et plus sûrement chez les lapins préparés par le bouillon que chez ceux dont le péri- toine est normal au moment de l'injection. En effet, grâce à la préparation, les conditions que doit présenter l’exsudat (abon- dance extrême des leucocytes) pour permettre la crise phagocy- taire, sont plus aisément réalisées. La crise phagocytaire peut être complète ou incomplète, et 1. L'activité de ces cultures ägées de quelques jours dépend beaucoup, natu- rellement dela qualité du milieu de culture. Quand le milieu de culture est meilleur que de coutume, les streptocoques y restent, si l’on nous permet cette expression, jeunes plus longtemps ; ils conservent mieux la propriété de pousser très rapi- dement sur un terrain nouveau. 206 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. le moment précis de son apparition varie avec la gravité du cas. — Lorsqu'elle est incomplète, ou même seulement trop tardive, l'animal ne présente qu’une survie. Fréquemment on la voit se produire au bout d’une vingtaine d'heures; elle est souvent plus tardive si elle ne doit pas devenir totale. Si le nombre des microbes développés est trop considérable, ou la dose de sérum trop faible, l’animal peut mourir avant l’ac- complissement total de la phagocytose; le nombre des microbes libres est alors souvent restreint au moment de la mort. La mort peut survenir aussi après une phagocytose partielle, à laquelle succède une repullulation des nouveaux streptocoques qui s'adaptent et finissent par envahir de nouveau l’exsudat. C’est un tel cas de phagocytose tardive el partielle que nous allons tout d’abord considérer en détail : Un lapin qui a recu la veille 6 c. c. de bouillon dans le péritoine est injecté le lende- main, dans la même région, par 1 c. c. de culture de streptocoque jeune, additionnée de 5 c. c. de sérum préventif '. Suivant l’as- pect des microbes et des cellules, on peut diviser les processus infectieux en quatre stades. Le stade ou stade de développement libre. — Après l’injection, un très petit nombre seulement de micrches sont englobés par les cellules pourtant très nombreuses. Le développement se fait avec une extrème activité. Une préparation faite 10 h. 1/2 après l'injection, montre l'absence totale de phagocytose ; les leucocytes sont très nombreux. Les microbes sont normaux, extrêmement nom- breux, de volume ordinaire, bien colorés, en courtes chaînettes ou diplocoques. 2° stade, ou stade de phagocytose incomplète. — 22 heures après l'injection, le nombre des microbes n'est pas considérablement supérieur à ce qu’il était après dix heures, et la phagocytose est restée incomplète, bien que les leucocytes soient très nombreux et que l’exsudat soit devenu moins fluide. Mais l'aspect des microbes épars dans le liquide n’est pas resté identique à lui-même. Les microbes sont, en général, devenusnotablement plus petits, etse colorent‘par lebleu en une teinte plus pâle. On trouve aussi un grandnombre de diplocoques extrèmement petits (fig. 4). On trouve aussi de courtes chaï- 4.Le témoin injecté de 1/10 de centimètre cube de culture et de 5 c. c. sérum de cheval neuf, meurt en 11 heures avec les altérations habituelles aux lapins neufs. LA SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 207 nettes, à grains petits, parfois très comprimés et inégalement espacés, souvent aussi inégalement colorés. On peut même trou- ver parfois, mais c'est plus rare, des chainettes peu distinctes dont quelques grains seulement ont pris la couleur. Cependant on trouve encore, disséminés dans l’exsudat, des chainettes bien colorées, normales, à grains arrondis, d’un volume égal ou parfois même supérieur aux dimensions habituelles. Il existe un contraste net entre ces formes normales ou très voisines des formes habituelles, et les microbes à caractères particuliers que nous avons mentionnés quelque lignes. plus haut. Les streptocoques, au lieu de présenter comme auparavant un aspect à peu près uniforme, offrent des variétés distinctes. 3° stade, ou stade phagocytaire. — On constate, six heures plus tard (donc 28 heures après l'injection de streplocoques) que la phagocytose s’est faite d’une façon très étendue. L'exsudat est devenu progressivement de plus en plus épais ; il contient un nombre énorme de leucocytes, des polynucléaires, des cellules mononucléaires de taille variable. On remarque immédiatement que les mononucléaires, et particulièrement les grands macrophages ont surpassé très notablement, comme énergie phagocytaire, les leucocytes microphages. Beaucoup de ceux-ci sont vides, tandis que les cellules à noyau unique ont englobé des quantités considérables de microbes. Par la colo- ration au bleu de Kühne, on constate que les microbes englobés appartiennent en général à la catégorie des microbes petits, pré- sentant la teinte pâle et les particularités que nous signalions tout à l'heure. Aussi, en raison de leur petitesse, de leur faible colora- bilité, est-il souvent malaisé de les distinguer, au sein des phago- cytes, lorsqu'on colore par le bleu. Cette remarque est justifiée pour tous les cas de phagocytose tardive (partielle ou totale) ; quelques cellules, il est vrai, contiennent des coccus d’aspect normal et aisés à distinguer dans les cellules ; mais la grande majorité sont indiqués dans les cellules par de petits points bleus peu distincts. Aussi, pour que les préparations montrent la phago- cytose d’une façon plus saisissante, faut-il colorer par le carmin boracique et le Gram. Par cette méthode, les microbes englobés se teignent encore très bien ‘. 4. La coloration des microbes par le violet de gentiane (avec application ultérieure du liquide de Gram et de la décoloration par l'alcool et l’essence de 208 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Quant aux chaînes d'aspect normal que nous signalions, on ne les trouve que fort rarement dans les cellules. Elles restent extracellulaires, et tandis que la proportion des microbes altérés a diminué beaucoup, en dehors des cellules, par suite de l’en- globement, leur nombre, au contraire, s’est légèrement accru. 4e stade postphagocytaire, ou stade de réinfection. — On retrouve, sur les préparations de l’exsudat extrait 34 heures après l’inoculation, encore quelques petits microbes, qui n’ont pu être tous englobés. Mais tandis qu’ils sont maintenant en nombre relativement restreint, la quantité des chaînettes bien colorées, plus-volumi- neuses, normales, a notablement augmenté (fig. 5). La propor- tion des deux variétés des streptocoques extracellulaires a changé au profit de cette dernière forme, qui s’est multipliée. De nou- veaux streptocoques ont donc pu se former, par mulüplication des microbes d'apparence normale qui ont pu résister à l’en- globement. L'animal meurt peu de temps après, une quarantaine d'heures après l’inoculation. Il y a de rares streptocoques dans le sang ; ce sont de courtes chaînettes, d'apparence normale, comme c’est le cas général pour les streptocoques trouvés, après la mort, dans le sang des lapins qui ont reçu du sérum. Le type que nous venons de décrire, que présente l'infection péritonéale signalée par une phagocytose partielle, n’est natu- rellement pas immuable. Il y a des variations dans la durée des stades’, dans la proportion relative, avant la phagocytose, des microbes ordinaires et de ceux dont l’aspect a changé. Parfois lanimal épuisé meurt avec une phagocytose seule- girofle) n’est toutefois pas entièrement satisfaisante. Elle teint les microbes d'une manière brutale et ne fait pas apparaitre les différences que les streptocoques présentent entre eux. Pour les révéler et pour mettre en relief, avec netteté, les détails dans l’aspect des microbes, il faut une coloration plus fine, que le bleu phéniqué réalise. 1. La phagocytose partielle peut n’apparaître qu'au bout. d’un temps très long. C’est ainsi que dans un cas nous avons vu une phagocytose tout à fait partielle ne survenir qu’au bout d’un temps très long, près de 48 heures. Et cependant l’exsudat de l’animal était devenu, au bout d’une dizaine d’heures, fort riche en leucocytes, et dans la suite purulent. De tels cas témoignent de la persistance extrême avec laquelle la réaction chimiotaxique négative du miecrobe peut se maintenir. SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 209 ment débutante, et qui ne porte que sur une petite partie des microbes présents dans l’exsudat. Mais ce qui s’observe constamment, ce sont les particularités d'aspect que présentent les microbes au moment où la phago- cytose s'exerce; c'est l’état spécial de faible colorabilité, de petitesse où l’on trouve la grande majorité d’entre eux lorsqu'ils vont être englobés en masse par les phagocytes (état révélé par la coloration au bleu de méthylène). Ce qui se retrouve encore, c'est la supériorité plus ou moins tranchée (et marquée surtout au début de l’englobement) au point de vue de l’activité phago- cylaire, des mononucléaires sur les microphages. Ce qui se constate régulièrement aussi, c’est la relation entre la consis- tance de l’exsudat et l'apparition de la phagocytose. On trouve souvent, dans les exsudats très riches en leuco- cytes et en microbes, avant que la phagocytose partielle ne s'opère, des points où les cellules sont réunies en amas plus ou moins compacts ; ces leucocytes présentent souvent des altéra- tions ; les protoplasmes nesontplasnettement délimités, sont par- fois confluents ; on remarque aussique l’amas estenveloppé d'une couche d'aspect glaireux, absorbant un peu le bleu ; l'apparence est celle d’une couche mucilagineuse, dont l’origine est en rela- tion avec la désagrégation cellulaire. Or on trouve dans cette couche, très fréquemment, un nombre très grand de strepto- coques, petits, mal colorables, présentant le plus nettement les caractères des streptocoques anormaux, qui semblent s’être développés là et avoir été retenus par la consistance moins fluide de l’exsudat à ce niveau. | Retiré du corps, l’exsudat, qui subit une coagulation où les leucocytes meurent, est nettement bactéricide. B. Phagocytose tardive et complète. — Elle est précédée des mêmes stades que la phagocytose incomplète. Elle exige que le nombre des microbes ne soit pas trop grand, d'une façon abso- lue, et que l’animal ne soit pas trop épuisé. La période prépha- socytaire se caractérise comme pour la phagocytose incomplète, mais elle est moins longue. Quand l'animal survit, on trouve, pendant les jours qui suivent, une diminution progressive dans le nombre des microbes encore vivants dans les phagocytes ; on rencontre, à l'intérieur de ceux-ci, des microbes désagrégés. L'activité phagocytaire, non seulement des mononucléaires, 14 210 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. mais aussi des polynucléaires, est très grande dans la phago- cytose complète. Les macrophages ne se bornent pas à englober des streptocoques pour leur propre compte, ils englobent aussi des polynucléaires plus ou moins dégénérés, et qui antérieure- ment s'étaient emparés de microbes. Pour le streptocoque pré- cisément, ce fait a été mis en relief par M. Metchnikoff dans son étude déjà ancienne sur la phagocytose dans l’érysipèle. Il y a des transitions entre la phagocytose tardive et la pha- gocytose d'emblée. Cette dernière, nous l’avons vu, est celle qu'on observe chez les lapins immunisés par le sérum et pré- parés par le bouillon, lorsqu'on leur injecte dans le péritoine une quantité très petite de streptocoques. Sans être, bien entendu, absolument instantanée, elle suffit dans ces cas à empêcher toute reproduction extracellulaire du streptocoque. Or, on peul observer des cas où la crise phagocytaire, bien que tardive, survient assez vite pour que le développement du microbe ne soit pas exubérant; c’est ainsi que nous l'avons observée 10 heures seulement après l’inoculation. De tels cas établissent le lien entre les deux formes de la phagocytose, et l’on peut admettre assez logiquement que si les leucocytes de lapins pré- parés et inoculés de doses faibles (après injection de sérum) peuvent capturer assez rapidement la totalité des parasites, c’est en vertu d’un mécanisme identique à celui qui préside à l’accom- plissement de la phagocytose tardive. On peut, nous l’avons vu, obtenir la phagocytose tardive en injectant dans un péritoine de lapin, où les leucocytes sont devenus abondants à la suite d’une injection de bouillon (c’est là une condition facilitant l'apparition de la crise phagocytaire), un mélange de sérum préventif et de culture streptococcique jeune. On doit se demander à ce propos si l’accomplissement de l’englobement tardif est favorisé ou accéléré lorsque les microbes et le sérum injectés ont été, au préalable, en contact pendant quelques heures, ou si les phénomènes phagocytaires sont aussi marqués, aussi précoces, lorsqu'on injecte séparément, dans le péritoine, des doses respectivement semblables de microbes et de sérum, sans avoir auparavant mélangé la culture et le liquide préventif. Prenons deux lapins, de taille à peu près égale, qui ont reçu la veille, dans le péritoine, chacun 6 c. c. de bouillon peptonisé. SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 211 Injectons au lapin A, dans le péritoine très riche en leuco- cytes, # c. c. de sérum préventif; injectons au lapin B, dans la même région devenue également très riche en leucocytes, 4 c. c. de sérum de cheval (premières injections). Nous avons eu soin de préparer, quelques heures auparavant, 2 mélanges, constitués l’un par # c. c. de sérum préventif et 1/2 c. c. de culture jeune de streptocoque, l’autre par 4 c. c. de sérum neuf (de cheval) et 1/2 c. c. de la même culture’. Les tubes sont placés à la tem- pérature ordinaire. Soit après un temps assez court (1/2 heure à 3/4 d'heure), soit à un moment plus éloigné (7, 8 heures ou davan- tage) de celui où l’on a pratiqué la première injection, nous injectons, toujours dans les péritoines riches en cellules, les deux mélanges. Le lapin A, qui a reçu d’abord le sérum pré- ventif, est injecté en ce moment du mélange contenant le sérum neuf. Le lapin B, qui a subi l'injection de sérum neuf, reçoit maintenant le mélange renfermant le sérum préventif. Les deux lapins, en somme, reçoivent donc, dans la même région, les mêmes quantités de microbes et de sérum; mais ils diffèrent en ce que l’un reçoit isolément les deux éléments, tandis que l’autre les reçoit en mélange. Or, c’est le lapin B, celui qui reçoit à la fois le sérum pré- ventif et les microbes laissés préalablement en mutuel contact, qui présente à la fois la survie la plus longue et la phagocytose la plus complète, la plus précoce. Les deux lapins ne présentent qu'une survie, car on à intentionnellement, pour faire ressortir mieux les différences, injecté une quantité de microbes forte relativement à la dose de sérum. Corrélativement à la précocité plus grande de la phagocytose, le développement total des strep- tocoques chez le lapin B est manifestement plus restreint ; les microbes présentent plus nettement, avant la phagocytose, les particularités indiquées. Cette expérience que nous avons, comme on le pense bien, répétée à plusieurs reprises, donne régulièrement ce résultat. Elle donne lieu aussi à des observations semblables, si l’on opère non plus sur des lapins préparés par le bouillon, mais sur des animaux à péritoine normal. I faut remarquer néanmoins que les différences que peu 1. Ces doses ont varié dans les diverses expériences de ce genre que nous avons exécutées. 212 ANNALES ,DE L'INSTITUT PASTEUR. vent présenter entre eux deux lapins traités comme nous venons de le voir ne sont que des différences de degré. Chez les deux lapins, la phagocytose dans ces conditions est lardive; elle appa- raît seulement plus facilement chez l’un que chez l’autre. Mais au début de l'expérience, pendant les premières heures, les phénomènes sont semblables et la pullulation microbienne s'opère activement. Le contact préalable entre le microbe et le sérum, ?n vitro, peut donc favoriser la réaction curatrice, mais le sérum n’imprime pas au microbe, malgré le contact prolongé, de modification capable de se manifester rapidement après l'injection dans l'organisme. $ IV. — INOCULATION, CHEZ LES LAPINS TRAITÉS PAR LE SÉRUM, DU STREPTOCOQUE PAR VOIE SANGUINE, INTRA-OCULAIRE, SOUS-CUTANÉE. Nous avons vu que le streptocoque, inoculé à la dose de 1/10 à 1/4 de c. c. dans les veines d'animaux vaccinés par le sérum, ne s’y multiplie pas ou n’y prolifère que très peu. Il s’y maintient cependant, et d’ailleurs l’animal meurt au bout de deux à quatre jours. On trouve alors, à l’autopsie, des microbes encore assez rares dans le sang, plus nombreux dans le foie, la rate, la moelle des os et surtout le poumon. Il est difficile, étant donné que le nombre des microbes injectés est petit, de les retrouver au microscope. Mais il est tout à fait probable qu’ils sont capturés par les leucocytes du sang, car le sérum des animaux traités par le sérum préventif ne présente aucune propriété bactéricide pouvant expliquer l’obsta- cle apporté à la culture dans le liquide circulant. On sait d’ail- leurs que les petites quantités de streptocoques inoculées dans une région riche en leucocytes (péritoine préparé) y sont englo- bées assez rapidement, et que la culture est dès lors empêchée. De plus, à l’autopsie des lapins morts, on trouve fréquemment, dans les organes internes (poumons, rate), des leucocytes, des mononucléaires en particulier, qui contiennent de nombreux streptocoques. L'inoculation sous-cutanée est celle qui est le plus sûrement tolérée par les animaux qui ont reçu du sérum. Il ne se produit pas d’œdème au point d'inoculation (sauf pour les inoculations pratiquées à l'oreille), ce quirend l’étude assez difficile. Les mi- SÉRUM ANTISTREPTOCOCCIQUE. 213 crobes ne passent pas dans le sang, et probablement les cellules des canalicules lymphatiques des ganglions jouent un rôle m- portant dans la défense. Nous avons à compléter beaucoup nos recherches à cet égard. MM. Denys et Leclef ont établi, particu- lièrement en étudiant les effets des inoculations pratiquées sous la peau de l'oreille, que limmunité est due à la phagocytose. L'inoculation dans l'humeur aqueuse est dangereuse. Une trace de streptocoques introduite à ce niveau s’y cultive abon- damment. L'afflux des leucocytes est lent, n'apparaît notable- ment qu'après 24 heures, et ne suffit pas à la protection prolon- sée de l’organisme. Ultérieurement, des chainettes de strepto- coques, bien colorées et auréolées, persistent à l’état libre, parmi les leucocytes dont plusieurs contiennent des microbes, et l'in- fection généralisée finit par s’opérer ; le sérum injecté était pourtant bien actif, car il protège, à la mème dose, le lapin contre une inoculation sous-cutanée de 1/4 de c. c. de culture jeune très virulente. EXPLICATION DE LA PLANCHE V Fig. 1.— Liquide péritonéal du cobaye préparé avec du bouillon et ino- culé avec 0,5 c. c. de culture de streptocoque. Phagocytose. Zeiss. Oc. 3. Obj. 1/18. - Fig. 2. — Liquide péritonéal du cobaye neuf, injecté avee 0,5 ce. c. de culture de 2 jours. Oc. 2. Obj. 1/18. Fig. 3.— Stade de la phagocytoseincomplète chezle lapin. Oc. 2. Obj. 1/18. Fig. 4. — Deuxième période. Apparition de petits streptocoques. Oc. 3. Obj. 1/18. Fig. 5. — Quatrième période. Stade postphagocytaire. SUR LE VENIN DES SERPENTS ET SUR L'EMPLOI DU SÉRUM ANTIVENIMEUX DANS LA THÉRAPEUTIQUE DES MORSURES VENIMEUSES CHEZ L'HOMME ET CHEZ LES ANIMAUX QUATRIÈME MÉMOIRE Par A. CALMETTE Directeur de l'Institut Pasteur de Lille Dans une série de mémoires parus dans ces Annales depuis 1892‘, j'ai exposé mes recherches sur le venin des serpents, et j'ai fait connaître une nouvelle méthode de sérothérapie des morsures venimeuses, dont l’emploi commence à se généraliser partout, en Europe et aux Colonies. Depuis plus d’un an, l’Institut Pasteur de Lille prépare et distribue, dans tous les pays intéressés, de grandes quantités de sérum antivenimeux. Ce sérum est obtenu à l’aide de chevaux immunisés contre les venins les plus actifs, el son efficacité est aujourd'hui affirmée par un grand nombre d'expériences qui ont été faites soit par des physiologistes sur des animaux, soit par des médecins sur l’homme. > Au mois de juillet 1896, une commission s’est réunie dans les laboratoires du Royal Collegeof Physicians (L.) and Surgeons(E.), à Londres, en vuede vérifier expérimentalement, en ma présence, les faits que j'avais annoncés, et dans le but de proposer l’adop- tion d’une méthode qui permit de calculer d’une manière uni- forme et précise la valeur antitoxique des sérums antivenimeux. La présente note a pour objet de faire connaître aux lecteurs de ces Annales les conclusions de cette commission, les expé- riences sur l’homme qui ont été faites dans ces derniers temps, et les résultats de quelques recherches récentes que j'ai pu effectuer sur ce même sujet. 1. Ces Annales, 1892, 1894, 1895, 1896. VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX, 215 Il EXPÉRIENCES FAITES SUR LES ANIMAUX DEVANT LA COMMISSION ANGLAISE A LONDRES À. — Expériences de vaccination avant l'injection du venin. Le 29 juillet 1896, à 9 heures du matin, dans le laboratoire du D' Woodhead, à « Examination Hall », j'ai injecté préventi- vement à six lapins, pesant de 1,450 à 1,770 grammes, 3 c. c. de sérum antivenimeux dans la veine marginale de l'oreille. A 2 heures de l’après-midi, devant la commission, ces six lapins ont reçu, en même temps que deux lapins témoins pesant respectivement 1,340 et 1,275 grammes, une dose de venin cal- culée pour tuer sûrement en vingt minutes, par voie intraveineuse. Les deux lapins témoins ont succombé, l’un en 16 minutes, autre en 17 minutes. Les six lapins vaccinés ont résisté et n’ont pas éprouvé le moindre malaise apparent. B. — Erpériences de quérison après l'injection du venin. Huit lapins d'une seconde série ont reçu simultanément, par voie sous-cutanée, la mème dose de venin calculée pour tuer sûrement en deux heures. À deux de ces lapins, n° 1 et 2, on injecte, une demi-heure après le venin, 3 c. c. de sérum dans la veine marginale de l'oreille. | À deux autres, n° 3 et 4, on injecte, une heure après le venin, 3 c. c. de sérum. Deux autres, n° 5 et 6, devaient être traités une heure et demie après l’inoculation du venin. Au moment où on allaitles injecter, l’un d'eux expire avant d’avoir reçu du sérum. L'autre, quoique très malade, est traité sous toutes réserves par l'injection intra- veineuse de 5 c. c. de sérum. Il ne tarde pas à se rétablir com- plètement. Les deux derniers lapins, n°® 7 et 8, non traités, devaient servir de témoins : ils succombent, l’un en 1 h. 40, l’autre en 4 h. 45. Ces expériences ont montré à la commission, de la façon la plus évidente, que l’immunité contre le venin au moyen du sérum antivenimeux pouvait être conférée aux animaux très rapide- 216 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ment et très sûrement. Elles ont affirmé l'efficacité du sérum. J'ai montré ensuite qu'il était possible d’immuniser instan- tanément les animaux en leur injectant le sérum dans les veines, et que la rapidité d’action du sérum sur les cellules de l’orga- nisme était beaucoup plus grande que celle du venin sur ces mêmes cellules. Pour faire cette démonstration, j'ai injecté à un lapin, par voie intraveineuse, 3 c. c. de sérum antivenimeux. Quinze mi- nutes après, ce lapin a reçu dans la veine de l'oreille, du côté opposé à celle qui avait reçu le sérum, une dose de venin mortelle en 20 minutes pour le témoin. Ce lapin n’a pas été malade. Un deuxième lapin a reçu, toujours par voie intraveineuse, d’abord la dose de venin mortelle en vingt minutes; puis, deux minutes après celle-ci, je lui ai injecté 3 c. c. de sérum antiveni- meux dans la veine de l’autre oreille. Il est également resté très bien portant. Donc, le sérum antivenimeux insensibilise les cellules à l'égard du venin aussitôt qu'il entre en contact avec celles-c1, et, même lorsque le venin est déjà dans la circulation, le sérum est encore capable d'empêcher la mort. « Tous les animaux vaccinés ou traités par le sérum sont restés en bonne santé au laboratoire du D' Woodhead. Le veuin utilisé pour ces expériences était un mélange à parties égales de venin de cobra capel et de venin de bungarus cœruleus, envoyés de l’Inde par M. Hankin. Sur la proposition du professeur Pye-Smith, président, du professeur Ray-Lankester et du D' Woodhead, tous les membres de la commission et les savants qui assistaient à cette Séance en ont approuvé le procès-verbal en y ajoutant ceci : « Les résultats obtenus dans teutes ces expériences sont tout à fait impressionnants et prouvent avec évidence que le traitement des morsures venimeuses par le sérum, toutes les fois qu’on pourra l’employer dans un délai suffisamment court après la morsure, doit considérablement diminuer le pourcen- tage de la mortalité qui frappe actuellement les mordus. Nous recommandons avec insistance la généralisation de l'emploi de cette méthode, à la fois chez les hommes et chez les animaux ‘». 4. Les membres présents du « Royal College » étaient les professeurs Michael #. ra Et t à VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 217 Il OBSERVATIONS Depuis qu'il nous a été possible d'approvisionner de sérum antivenimeux les pays où les reptiles sont particulièrement redoutés, nous avons prié les personnes qui en ont fait usage de vouloir bien nous adresser le résultat de leurs essais. Un assez grand nombre d'observations nous sont déjà parvenues, et toutes nous accusent des résultats excellents. Il n’en estmalheu- reusement que quelques-unes qui aient la valeur de véritables expériences, parce qu'on a pu savoir exactement à quelle espèce de serpent on avait affaire. Pour la plupart, le serpent n’avait pas été tué et avait disparu. Nous nous trouvons ici en face de la même objection que l’on a longtemps faite aux vaccinations contre la rage : dans beaucoup de cas, le chien mordeur est un chien errant qu’on n'a pas pu observer; on n’est donc pas sûr qu'il soil bien réellement enragé. On n'est pas sûr non plus que toutes les personnes mordues par des reptiles?et traitées par le sérum aient été bien réellement en danger de mort. Nous pourrions objecter que les serpents non venimeux ne mordent jamais ou presque jamais, et fuient l’homme sans se défendre. Nous préférons cependant, pour rester sur le terrain le plus rigoureusement scientifique, ne tenir aucun compte des observations dans lesquelles la nature du serpent mordeur n’a pas été exactement déterminée. Voici les plus intéressantes : OBsERvATION [. — Morsure de naja tripudians (Indo-chine). Dr Lépinay. Le 16 janvier 1896, un lot de najas tripudians destinés à l'Institut Pasteur de Lille arrive au laboratoire bactériologique de Saïgon. Un garçon du laboratoire, Van Tanh, qui avait un peu l'habitude de manier ces reptiles, ouvre imprudemment l'une des caisses, et est mordu très gravement à l’index de la main droite, à la première et à la deuxième phalange. Les crochets du naja se sont implantés vigoureusement dans les chairs. Presque aussitôt, insensibilité complète et engourdissement de la main Foster, Ray-Lankester, Pye-Smith, Lauder Brunton, Kanthack, P. Carmody, Liveing, Rose Bradford, Washbourn, A. Stradling, F.-W. Mott, Buckmaster, Slater, Starling, Durham, Macfadyean et les membres du comité des laboratoires de « Examination Hall ». 218 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. et de l'avant-bras droit. La main et le poignet s'œdématient. Des contrac- tures du bras commencent à se manifester. Une heure après l'accident, on pratique une injection de 12 c. €. de sérum antivenimeux, sous la peau du ventre. Dans la soirée, le blessé accuse toujours de l'insensibilité de la main et des douleurs assez vives dans le bras et le creux de l’aisselle. Il a quelques nausées. Pendant la nuit, les douleurs se calment. Le lendemain, l’état général est bon. Tous les symptômes d'intoxication ont disparu. Le gonflement a beaucoup diminué ; la sensibilité est revenue; il reste seulement un peu de raideur dans l'articulation du poignet. Les deux jours suivants, la convalescence s'établit sans incident et le blessé reprend son service. Une femme indigène, mordue au marché de Bac-Lien par un naja faisant partie du même lot, mourut deux heures après, sans avoir pu recevoir aucun secours. Ogs. IL. — Bungarus cæruleus. — (Surgon-Capt. Jay Gould, Nogwong, Inde.) Le 12 juin (896, comme je me rendais au mess, M. Hodgkinson, du 5e régiment de cavalerie du Bengale, vint au galop vers moi pour m'informer qu’un de ses hommes avait été mordu au pied par un serpent. Fort heureu- sement, M. Hodgkinson était sur les lieux et avait eu l'idée de placer une ligature sur la jambe, juste au-dessus du genou. Dix minutes après, j’arrivai et j'injectai aussitôt 20 c. c. de sérum antive- nimeux de Calmette sous la peau du ventre, puis j'injectai dans la plaie quelques centimètres cubes d’une solution d'hypochlorite de chaux à 1 p. 60. Le blessé avait été mordu sur la face dorsale du pied gauche, entre le second et le troisième orteil. L’empreinte des crochets était parfaitement visible et il s'échappait un peu de sang des plaies. Aussitôt l'injection faite, j'enlevai la ligature. Deux heures après, il y avait de l’hypothermie, le pouls était plein et lent. Au bout de douze heures, le patient était parfaitement guéri et pouvait marcher. Le serpent mordeur était un Bungarus cæruleus de grande taille, mesu- rant 28 pouces. Il a été assommé par les hommes qui se trouvaient à côté du blessé et on me l’a apporté mort. Ogs. IT, — Bothrops lanceolatus. (D' Gries, Fort-de-France, Martinique.) Le 21 juin 1896, un jeune noir, venant d’être mordu au pied par un Bothrops lanceolatus de grande taille, est amené à l'hôpital de Fort-de- France. Le membre est tout jenflé et engourdi. Environ deux heures après l’accident, je pratique une injection de 10 ce. de sérum au ventre, et j'injecte dans la morsure et autour de celle-ci quel- ques centimètres cubes d'hypochlorite de chaux. Le malade ne reste pas à l'hôpital. On l’emmène dans sa famille qui le livre aux panseurs indigènes. Je le revois dix jours après : il était très bien guéri. Son entourage m'a VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 219 dit avoir remarqué que la guérison était survenue beaucoup plus rapide- ment qu'on ne pouvait l’espérer avec une morsure aussi grave, et sans les accidents consécutifs habituels. Ogs. IV. — Naja noir de Guinée {Dr Maclaud, Konakry, Guinée). Le 12 juin 1896, on apporte à l'hôpital de Konakry, à 7 h. et demie du soir, le tirailleur Demba, qui venait d'être mordu par un serpent. Cet homme, employé à la boulangerie, emmagasinait du bois à brûler, lorsqu'il res- sentit une douleur extrêmement vive au pied gauche; en même temps, à la lueur de son falot, il vit s'enfuir un serpent d'asséz grande taille qu'il put tuer, et qui était un serpent cracheur (naja noir). Demba est un homme remarquablement vigoureux et plein d'énergie. Bien qu'il se soit à peine écoulé une demi-heure depuis l’accident, et que le membre ait été serré avec une ligature solide, des symptômes alarmants se manifestent, et l'état général s'aggrave rapidement. Le blessé, qui pendant le trajet avait conservé sa connaissance et son sang-froid, tombe peu à peu dans unétat voisin de la stupeur, d’où mes questions réussissent avec peine à l’arracher. Le corps tout entier est baigné d’une sueur froide. La température est au-dessous de la normale, autant que j'en puis juger à la main. Le pouls petit, filiforme, est à 140; ïl ya de l'irrégularité du cœur, Respiration embarrassée; vomissements alimentaires et bilieux. Par intervalles, le sujet est réveillé par des spasmes et des douleurs atroces dans le membre blessé, qui est le siège d’un æœdème considérable au- dessus comme au-dessous de la ligature; tendance à l’asphyxie. Au niveau de la malléole externe gauche, on aperçoit, séparées de 2 cent. 1/2 environ, deux plaies d’inoculation. Leur écartement semble indiquer que le reptile a mordu à deux reprises. Le fait est d’ailleurs con- firmé le lendemain par les dires du blessé. > A défaut d'hypochlorite de chaux, je lave les plaies avec du permanga- nate de potasse au centième, puis j'injecte une dose de sérum antivenimeux dans le tissu cellulaire sous-cutané du flane gauche. En raison de l'intensité des accidents, de la multiplicité des morsures sur la peau nue et de la taille du serpent, je fais deux autres injections de sérum, une de 3 €. c., puis une de 2 c. c. Pendant toute la nuit, le malade reste assoupi. Le lendemain matin, les accidents généraux avaient complètement disparu. Le soir, 24 heures après l'accident, il ne reste plus que de l’'empâtement. Deux jours plus tard, Demba reprenait son service, Os. V. — Bungarus cœæruleus (Surgeon-major Rennie, A. M. S. Meerut, Inde) t. Le 21 septembre 1896, à 6 h. 30 du soir, un jeune Indou, âgé de {1 ans, rapportait de l’eau d’une fontaine et, en se retournant, marcha sur un 4. British med. Journal, 21 mars 1896. 220 ‘ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. serpent qui le mordit au pied droit. Le pied était absolument nu. Deux hommes qui étaient avec lui virent le serpent et le reconnurent pour un krait (Bungarus cæruleus), le plus terrible des reptiles indiens. Ils ne purent malheureusement pas le tuer et il disparut dans l'herbe. Trois minutes à peine s'étaient écoulées lorsque je vis le blessé, dont les compagnons avaient pris soin de ligaturer la jambe avec un morceau d’étoffe. L'empreinte des deux crochets du reptile ainsi que celle des petites dents de sa mâchoire étaient parfaitement nettes sur la face interne du pied droit. Comme c'était l'heure de notre réunion au club, cinq médecins me rejoi- gnirent en un instant, J'injectai tout de suite 8 c.c. de sérum antivenimeux de Calmette dans le tissu cellulaire abdominal. En même temps, le Surgeon- major Birtlava les plaies avec une solution de permanganate de potasse, et injecta une petite quantité de la solution dans le trajet; après quoi celles-ci furent pansées soigneusement. L'enfant fut mis en observation et surveillé étroitement pendant la soirée, mais il n'éprouva aucun symptôme alarmant : il court aujourd'hui comme s'il n'avait jamais rien eu. Mes propres observations ne me laissent aucun doute sur ce fait que le serpent mordeur était bien un bungarus cæruleus, car les morsures de ce serpent sont tout à fait caractéristiques: ces caractères ont été reconnus aussi par les cinq médecins qui ont vu le blessé avec moi et qui ont tous une expérience de plusieurs années de ce pays. Il n’y a pour moi aucun doute que les morsures de ce serpent, produites dans les mêmes conditions que pour le cas ci-dessus décrit, sont nécessairement mortelles. Ogs. VI. — Naja haje (Professeurs H. P. Keatinge et A. Ruffer, Le Caire) 1. La nommée Hamida, âgée de 13 ans, étant occupée à cueillir du coton, le 7 octobre 1896, à Ghizeh, près du Caire, dans une localité qui a la répu- tation d’être infectée de cobras égyptiens (naja haje), fut mordu à l’avant- bras gauche par un gros reptile de couleur jaunâtre, qui mesurait 3 pieds de long. Elle appela au secours. Son frère et d’autres personnes qui travail- laient avec elle accoururent. Elle fut amenée par la police à l'hôpital à sept heures du soir, dans un état de collapsus complet. Elle était presque froide, les yeux convulsés, le pouls insensible. L’avant-bras avait été pansé avec un linge malpropre, et le bras tout entier était recouvert d'une épaisse couche de boue du Nil (remède favori des indigènes). À 6 centimètres environ au-dessus du poignet, on voyait nettement deux trous pénétrant profondément dans l'épaisseur des tissus, et qui correspondaient évidem- ment aux crochets du reptile. A 7h.30, le Dr Keatingeet le Dr Ruffer examinent la malade dont la situa- tion semble absolument désespérée. L’insensibilité est complète : il n'y a plus de réflexes, et les pupilles, modérément dilatées, ne réagissent presque plus à l'impression lumineuse. 1. British med. Journal, 2 janvier 1897. VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 294 Le D' Ruffer injecte, avec les précautions antiseptiques habituelles, 20 c. c. de sérum antivenimeux de Calmette sous la peau du ventre. L'enfant pousse un gémissement pendant l'injection, mais n'accuse ensuile aucune douleur. On ne peut lui faire absorber ni nourriture ni alcool. A {1 heures du soir, l’état s'améliore manifestement, bien qu'il soit encore précaire. Le pouls est à 140. La chaleur revient, et la malade répond aux questions qu'on lui pose. On lui injecte de nouveau 10 c.c. de sérum antivenimeux dans le flanc. Elle s'endort pendant le reste de la nuit et urine quatre fois dans son lit. Le 8 octobre, à 8 heures du matin, elle parait hors de danger. Elle absorbe un œuf battu dans du lait avec un peu d'alcool. Pendant toute la journée, elle reste assoupie. Le 3 et le 10, l’état conti- nue à s'améliorer et la torpeur disparait peu à peu. Les plaies produites par la morsure sont tendues et douloureuses. Il se forme manifestement du pus dans leur profondeur. Le Dr Kayyat, assistant, fait une incision. Il s'était formé un phlegmon, probablement par suite de la pénétration de particules de boue du Nil dans les tissus. La convalescence s'établit. L'enfant sort guérie le 26 octobre. Les suites de l'injection de sérum ont été nulles : il ne s’est produit ni éruption ni douleur articulaires. Le Dr Jornes, conservateur du musée zoologique du Caire, qui collec- tionne depuis longtemps tous les reptiles égyptiens, estime que, bien que le serpent mordeur n'ait pas été apporté, la morsure dont cette enfant a été victime est bien produite par un naja haje. Cette espèce de serpents est très commune à Ghizeh, et, à en juger par la gravité des symptômes que nous avons observés, la mort serait certainement survenue si la petite Hamida n'avait pu recevoir des secours. Encore ceux-ci ont-ils été très tardifs, car, d’après les renseignement recueillis, l'accident a dû survenir au moins trois ou quatre heures avant l'entrée à l'hôpital. » O8s. VII. — Bothrops lanceolatus (Dr Gries, à Fort-de-France, Martinique). Le 25 nov. 1896, au fort Desaix, vers 7 heures du matin, le fusilier disciplinaire G., âgé de 23 ans, fut mordu par un serpent daus les circon- stances suivantes : Un de ses camarades venait de capturer le reptile, et le maintenait la tête sur le sol au moyen d’une fourche en bois appliquée sur le cou. G... lui passa un nœud coulant autour du cou, mais son camarade ayant reliré trop tôt la fourche, le serpent eut le temps de s'élancer et de mordre G... au pouce gauche. Accroupi au moment de la morsure, il se releva vivement, entraïi- nant avec lui le serpent qui resta quelques instants suspendu au doigt par ses crochets, et ne làcha prise qu'après avoir reçu de sa victime un coup de poing sur la tête. G... courut aussitôt chez un de ses officiers, le lieutenant L..., où il prit un canif et se fit une incision, peu profonde d'ailleurs, au niveau de l’une des piqûres qui laissait sourdre un peu de sang, puis il pratiqua la succion de la plaie à trois ou quatre reprises. Il allait s'amputer le doigt lorsque survint 222 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'officier qui l'en empêcha, lui appliqua une ligature serrée à la racine du pouce, et le dirigea sur l'hôpital, où il arriva à pied et tout essoufflé, dix à douze minutes après l'accident. Le Dr Hazard, sans perdre de temps, le couche sur une table et examine rapidement la région lésée. Les piqûres siègent à la face dorsale du pouce gauche, l'une, à peu près au niveau de l'articulation interphalangienne ; l'autre à 13 ou 14 millimètres plus bas, près du bord de la matrice de l’ongle. Leur trajet a une direction de haut en bas et de dehors en dedans. Le Dr Hazard! procède immédiatement à l'injection, sous la peau du flanc gauche, de 10 c.c. de sérum antivenimeux (expédié de Lille le 14 septembre et reçu le 6 octobre 1896), puis lave le pouce avec la solution d'hypochlorite de chaux au 1/60, et injecte dans le trajet et autour des morsures à ©. ©. de la même solution: puis le lien stricteur est enlevé. A mon arrivée à l'hôpital, quelques instants après, jugeant le cas grave, je fis faire une nouvelle injection de sérum (10 ce. c. ) dans le flanc droit. Le blessé dit avoir éprouvé, immédiatement après la morsure, une insensibilité complète du membre, remontant jusqu'à mi-hauteur du bras ; le membre, ajoute-t-il, était lourd et comme endormi; l’incision qu'il a pratiquée sur l'une des morsures et les injections d'hypochloriten'’ont provo- qué aucune douleur ; celles qui ont été pratiquées à la racine du doigt lui ont donné la sensation de simple contact. G... est alors couché dans la salle commune, on lui donne du café, une tasse toutes les heures. Vers 9 heures du matin, il accuse d’assez vifs élan- cements dans le membre. A 11 heures du matin, le membre est encore engourdi, mais la sensibilité revient peu à peu. Sudation abondante. Le 26 nov., le membre a recouvré toute sa sensibilité. Aucun phé- nomène inflammatoire; pas d’adénopathie axillaire. On renouvelle le panse- ment. Le 29 nov., le blessé se trouve tout à fait bien. L'état général et l’état local restent aussi satisfaisants que possible; aucune complication. L’injection de sérum n'a pas laissé de traces loca- lement. Le blessé sort sur sa demande le 5 décembre. Le serpent, apporté mort à l'hôpital une heure après sa capture, est un gros trigonocéphale (Bothrops lanceolatus) de 1m,47 de longueur; le dos est gris noirâtre, la face ventrale jaune, la distance des deux crochets est de Om,015 environ. Les glandes à venin sont volumineuses, ce qui laisse suppo- ser qu’elles contiennent encore une grande quantité de venin; mais, à la coupe, on constate que leurs parois sont très épaisses, rougeûtres, et que leur contenu se réduit pour les deux glandes à une quantité très minime de venin, dont le poids est de Ogr,95 !; il est donc légitime de penser que le 2 4. Normalement les deux glandes d’un bothrops de taille moyenne contien- nent de 1:r,50 à 2 grammes de venin liquide. J'en ai même reçu à Lille un ma- gnifique spécimen dont les deux glandes, exprimées après ablation, renfermaient 3 220 milligrammes de venin liquide, qui m'ont fourni un résidu se£ pesant 4er, 0151! VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 223 serpent avait inoculé une grande partie de son venin sous la peau de sa victime. On voit par ces quelques exemples que, même dans les cas où l'intervention a été tardive, le traitement a toujours été très efficace. Les symptômes de l’envenimation ont cédé très vite, et l'emploi du sérum, même à haute dose, n’a jamais produit le moindre accident. Ces observations montrent aussi que le sérum s'est montré parfaitement efficace contre des venins d'origines très diffé- rentes : bungarus cœruleus, de l'Inde; naja tripudians, de l’Indo- Chine; naja haje, d'Égypte; naja noir, de la côte occidentale d'Afrique; bothrops lanceolatus, de l'Amérique centrale. On peut donc en conclure qu'il y a urgence à diffuser l’em- ploi de ce nouveau mode de traitement dans tous les pays où les serpents venimeux sont redoutables, particulièrement dans l'Inde anglaise où, d'après les statistiques officielles des services sanitaires, plus de 22,000 personnes et environ 60,000 têtes de bétail succombent chaque année aux suites de morsures de reptiles. En Europe mème, surtout en Italie, en Autriche et dans cer- tains départements du centre et du midi de la France, où les vipères sont communes et amènent tous les ans quelques cas de mort, l’usage du sérum antivenimeux pourrait épargner bien des vies humaines. LIT TRAITEMENT DES MORSURES ET PIQURES VENIMEUSES Nous avous vu plus haut que, dans certains pays, les ser- pents venimeux font un grand nombre de victimes parmi les animaux domestiques : chevaux, bœufs, moutons et chiens. Ces derniers surtout sont particulièrement éprouvés lorsqu'ils chassent dans les hautes herbes ou les broussailles. Presque toujours ils sont mordus aux narines ou aux lèvres et, dans la plupart des cas, ils succombent à ces morsures. Les chas- seurs et les bergers gagneraient donc à se servir du sérum antivenimeux. J'en apporte une preuve en relatant l'observation suivante que je dois à M. le D' Maclaud, de la Guinée française. 224 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. D y a quelques jours (juillet 1896), un des chiens courants du Gouver- neur de Konakry fut mordu à l'oreille par un naja noir (serpent cracheur). Pareil accident était arrivé l’année dernière, et l’animal était mort le cin- quième jour. Dans le cas présent, des phénomènes graves s'étaient déjà manifestés : abattement, convulsions, gonflement extrème de toute la tête et de la partie antérieure du tronc. Je lui injectai une dose de sérum en trois points différents : flanc, eou, et tissu cellulaire de l'oreille blessée. L'amélioration fut presque immédiate, Le lendemain, l'animal retrouva l'appétit, et, deux jours plus tard, était complètement guéri. J'ai publié dans ces Annales (avril 1895) les expériences qui m'avaient conduit à proposer l'emploi du sérum antivenimeux pour le traitement des piqüres venimeuses produites par les SCOrpIons. De nombreux essais sur les animaux ont montré, depuis cette époque, à divers observateurs, que ma proposition était justi- fiée. Il est bien certain, toutefois, que les venins des arachnides ne sont pas identiques aux venins de serpents, car les symptômes qu'ils produisent ne sont pas tout à fait les mêmes, et 1ls pré- sentent une réaction acide, alors que le venin de serpents est neutre ou légèrement alcalin. L'envenimation par le venin des scorpions occasionne en premier lieu une vive douleur; puis un œdème considérable survient, qui s'accompagne bientôt d'insensibilité. Enfin appa- raissent des phénomènes de paralysie bulbo-médullaire. Chez les souris, avant que la paralysie se manifeste, on observe une période de convulsions épileptoïdes. Le mélange de venin de scorpions avec le sérum antiveni- meux est absolument inoffensif pour la souris. On peut mème vacciner ces petits animaux en leur injectant préventivement quelques dixièmes de c. c. de sérum antivenimeux. Il y a donc lieu de recommander lemploi de ce sérum chez l’homme dans les cas graves de piqûre par des scorpions. On doit y recourir d'autant plus volontiers que son usage n’expose à aucun inconvénient. VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 12 Qt IV MESURE DU POUVOIR ANTITOXIQUE DU SÉRUM ANTIVENIMEUX J'ai exposé dans mes précédents mémoires la marche à sui- vre pour immuniser les animaux contre le venin, et j'ai montré qu'on pouvait obtenir, avec le cheval, des quantités considé- rables de sérum antivenimeux très actif. Je ne reviendrai pas sur ces faits aujourd'hui établis. Je veux insister seulement sur la nécessité de mesurer avec précision le degré d’activité des sérums dont les médecins sont appelés à faire usage, et dont les gouvernements peuvent autori- ser l'emploi. En ce qui concerne les sérums antidiphtérique et antitétanique, l'entente est à peu près faite entre les divers laboratoires pour l'adoption d'unités conventionnelles. Presque partout on calcule l’activité d’un sérum soit d’après la méthode de Behring, soit d’après celle de Roux. On sait que la première consiste à mesu- rer la quantité de sérum nécessaire pour détruire ?n vitro la toxi- cilé d’une dose dix fois mortelle de toxine; tandis que la seconde repose sur la détermination de la quantité de sérnm nécessaire pour immuniser un gramme d’animai vivant contre une dose sûrement mortelle de poison. Avec le sérum antivenimeux, aucune de ces méthodes n’est applicable, et voici pourquoi : 1° La sensibilité des divers animaux à l'égard d’un même venin est très variable; 2° La toxicité du venin change avec l'espèce du serpent qui l'a fourni et, pour un même serpent, avec le moment où il a été récolté ; 3° La quantité de sérum antivenimeux à injecter aux animaux pour les immuniser est en raison inverse de leur résistance. C'est ainsi qu'il faut environ douze fois plus de sérum pour immu- niser un cobaye de 500 grammes contre une dose minima mor- telle de venin, que pour immuniser un lapin de 2 kilogrammes. Je suppose qu’un expérimentateur, pourvu d’un sérum anti- venimeux d'une activité très grande, préventif au 200,000€ par exemple, pour le lapin (c'est-à-dire dont 9 c. c. 1 suffit à pré- server 2 kilogrammes de lapin), en injecte 10 c. c. à une poule, 15 296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. etveuille ensuite inoculer àcette même poule toute la quantité de venin qu’un cobra ou un bothrops peutcracher dans une morsure. Il arriverait presque sûrement que cette poule succomberait, parce que la poule est un animal extrèmement sensible au venin, et que, pour l’immuniser contre des doses aussi formidables de poison, il faut lui inoculer des quantités de sérum environ dix fois supérieures à celles qui seraient capables d’immuniser un cheval. Pour mesurer avec une précision suffisante le pouvoir anti- toxique des sérums antivenimeux, il faut donc tenir compte, non seulement du mode d’action des venins, qui est très différent de celui des toxines microbiennes, mais encore de la sensibilité res- pective des animaux en même temps que de leur poids. Au mois de juillet 1896, la commission du « Royal College of Physicians (L.) and Surgeons (E.) » a donnésonapprobation àla méthode de contrôle que j'ai proposée. Cette méthode consiste : 4° À déterminer, pour un venin quelconque pesé à l’état sec et redissous dans l’eau stérile, la dose sûrement mortelle en 45-20 minutes pour le lapin, par injection dans la veine marginale de l'oreille. Cette dose est naturellement très variable suivant l’ori- gine du venin. Elle oscille entre 0%, 5 (Bungarus cœruleus) et 6 milligrammes (vipère péliade de France) ‘ ; 2° À injecter préventivement à une série de trois lapins, à, b, €, toujours par voie intraveineuse, des quantités croissantes de sérum antivenimeux, 1/2, 1, 2, 3 c. c. par exemple. Le sérum devant conférer instantanément l’immunité à ces animaux, comme nous l'avons dit dans un précédent chapitre, on peut leur inoculer, un quart d'heure après, dans la veine margi- nale de l’autre oreille, la dose de venin calculée pour tuer en 15-20 minutes les lapins témoins. Si 1 c. c., de sérum suffit à préserver un lapin de 2 kilo- grammes contre l'unité toxique de venin, nous dirons que le 1, Ces chiffres n’ont rien d’absolu : ils peuvent différer dans le rapport de 1 à 4 suivant l'âge du serpent et suivant le moment de la récolte. Ils doivent donc être déterminés de nouveau pour chaque échantillon de venin; aussi trouvons- nous avantage à employer, pour cette épreuve, des échantillons de plusieurs venins d'origines diverses mélangés ensemble. Nous préférons pratiquer l’inoculation du venin par voie intraveineuse, parce que, dans ces conditions, le venin tue toujours dans le même temps, et l’on n’a pas à tenir compte des différences dans la rapidité d'absorption ou dans l’iné- gale résistance des animaux, comme il arrive pour les injections sous-cutanées. VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 227 sérum expérimenté renferme 2.000 wnüités antivenimeuses par c. c., soit 20,000 par dose de 10 €. ec. Par cette méthode qui, grâce à sa simplicité, peut être em- * ployée par tous les physiologistes, même éloignés d’un labora- toire, 1l est très facile d'éprouver en moins d’une heure la valeur exacte de plusieurs échantillons de sérum. . Si on le préfère, on peut injecter le sérum après le venin, au lieu de l'injecter préventivement. Le résultat et les calculs sont les mêmes, à condition que le sérum soit injecté par voie intravei- neuse 10 minutes, au plus, après l'injection intraveineuse de la dose de venin mortelle en 15 à 20 minutes. A l'Institut Pasteur de Lille, nous ne livrons et n’acceptons, comme propres à l'usage thérapeutique, que les sérums dont la valeur antitoxique est d’au moins 1,000 unités par c. c., soit 10,000 par dose de 10 c. ce. Pour les pays chauds nous nelivrons plus actuellement que des sérums dont l’activité dépasse 40,000 unités antivenimeuses par dose de 10 cent. cubes, et nous espérons que cette activité pourra encore être augmentée dans de notables proportions. Après l'épreuve de chaque saignée, le sérum est réparti aseptiquement dans des flacons plombés portantle timbre de l’Ins- titut, avec la date de fabrication. Grâce aux précautions prises il se conserve indéfiniment, sans addition d'acide phénique ‘. On peut doncl'injecter aux personnes mordues par des reptiles ou aux animaux,mêème par voie intraveineuse pour produire ins- tantanément l’immunité, sans avoir à redouter le moindre acci- dent, car il n’est nullement toxique. y DURÉE DE L'IMMUNITÉ PRODUITE PAR LES VENINS ET PAR LES SÉRUMS. — TRANSMISSION HÉRÉDITAIRE DE CETTE IMMUNITÉ. J'ai conservé dans mon laboratoire plusieurs séries de lapins et de cobayes vaccinés contre le venin, en vue de rechercher la 1. M. Hankin, d’Agra (Inde Anglaise), a bien voulu nous retourner, pour nous permettre de vérifier leur état de conservation, des doses de sérum que nous lui avions envoyées depuis un an. Ces doses, qui avaient séjourné pendant toute une saison chaude aux Indes, et qui avaient circulé deux fois sans précautions spéciales dansles malles-poste des paquebots, ctaient absolument intactes, et leur pouvoir antitoxique a été trouvé exactement le même qu’au moment de leur expédition. 228 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. durée de l’immunité produite chez eux par l’accoutumance à des doses plus ou moins fortes de poison. J'ai constaté ainsi que l’état réfractaire se maintient d’aulant plus longtemps que l'animal est vacciné contre une plus forte dose de venin. Un lapin qui supportait 60 milligrammes de venin de cobra en une seule injection (dose capable de donner la mort à 120 la- pins non vaccinés) est resté depuis 8 mois sans recevoir de venin. Il est encore insensible à l'injection intraveineuse d’une quantité de venin capable de tuer trois lapins en 20 minutes. La durée de l'immunité est d'autant plu: longue que l'animal est vacciné contre une plus forte quantité de venin. Ainsi les cobayes qui supportent seulement la dose minima mortelle perdent celte immunitéen moins d’un mois. Les lapins la gardent plus longtemps, mais, dans mes expériences, elle n’a pas dépassé deux mois. L'immunité conférée par le sérum est très fugace. Elle dure seulement de 2 à 4 jours, suivant la quantité de sérum qu'ont reçue les animaux. Une dose de 20 c. c. d’un sérum représen- tant 20,000 unités antivenimeuses ne préserve un lapin que pen- dant sept jours contre l'injection intraveineuse de la quantité de venin capable de tuer les lapins neufs en 15 ou 20 minutes. En répétant les injections de sérum à des lapins tous les jours pendant deux semaines, on peut les rendre réfractaires pendant un temps plus long. Ils ne perdent alors l’immunité qu'au bout de 20 à 25 jours. On ne parvient donc jamais, quelle que soit la quantité de sérum injectée préventivement aux animaux, à leur donner une résistance comparable, pour la durée, à celle produite par l’ac- coutumance à des doses progressivement croissantes de venin. L'immunité que confère le sérum est extrèmement énergique et rapide, mais elle disparaît en un très court espace de temps. J’ai constaté que les petits de femelles fortement immunisées contre le venin restaient réfractaires jusqu’à l’âge de deux mois environ, à des doses capables de tuer des cobayes adultes. Voici, à cet égard, quelques expériences : Deux cobayes femelles vaccinées, qui supportent en une seule injection une dose 80 fois mortelle de venin de cobra, sont couvertes par un mâle non VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 229 vacciné. Pendant la gestation, ces femelles ne reçoivent aucune inoculation de venin. Elles mettent bas le 14 mai et le 29 mai 1896. Les petits, au nombre de cinq, allaités par leurs mères qui ne reçoivent pas de venin, ne subissent eux-mêmes aucune injection depuis leur naissance. A l'âge de deux semaines, l'un d'entre eux est éprouvé par une dose de venin mortelle pour les cobayes adultes de 500 grammes environ. Il résiste. Les quatre autres sont éprouvés successivement de deux en deux semaines. Le dernier survivant, inoculé deux mois après sa naissance, succombe seul, Tous les autres ont résisté. Une troisième femelle, non vaccinee, est couverte par un mâle vacciné de la même série que les deux femelles précédentes. Elle met bas deux petits le 6 septembre 1896. L'un de ces petits est éprouvé à l’âge de deux semaines avec la dose minima de venin mortelle en douze heures pour les adultes. Il succombe en 45 minutes. L'autre est éprouvé à l’âge de six semaines. Il succombe égale- ment. Done, l’immunité conférée à leur progéniture par les cobayes femelles hypervaccinées contre le venin, dure environ deux mois. Cette immunité n’est transmise héréditairement que par les cobayes femelles, ainsi que M. Vaillard l'avait déjà établi pour les toxines microbiennes dans un travail paru dans ces Annales. Les mâles vaccinés ne transmettent pas leur état réfractaire à leurs rejetons issus de femelles non vaccinées *. VI DISCUSSION DE L'IDENTITÉ DES DIVERS VENINS DE SERPENTS Lorsque j'ai annoncé (Société de biologie, 10 février 1894) que, si on injecte à des animaux neufs une petite quantité de sérum d'un animal vacciné contre le venin de cobra, ce sérum est capable d'empècherlesintoxications par d’autres venins d'origines diverses, tels que celui de vipère péliade de France ou le cerastes d'Egypte, mon assertion a été contestée par quelques savants. Cunningham surtout s'élevait avec vigueur contre cette 4. Sur l’hérédité de l’immunité acquise, février 1896. 2. J'ai observé exactement les mêmes faits avec des cobayes femelles vaccinées contre une toxine végétale, l'abrine du Jéquirity. L’immunité héréditaire contre l’abrine est toutefois beaucoup plus persistante que celle contre les venins. Je conserve actuellement des séries de cobayes nés depuis plus de cinq mois de femelles hypervaccinées ; ils sont encore réfractaires à l'inoculation de doses dix fois mortelles d’abrine, 230 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. conception de l'identité de nature des divers venins : 1l s’ap- puyait sur de nombreuses expériences faites par lui aux Indes avec le cobra capel, le bungare et le daboïa Russelii, espèce de vipère très redoutée sur les bords du Gange. ; Il avait constaté, après Fayrer, que les symptômes de l’enve- nimation différaient beaucoup chez les animaux mordus par l’un ou par l’autre de ces reptiles, et que le venin des colubridés, comme le cobra capel ou le bungare, ne provoquait pas du tout. les mêmes effets que celui des vipéridés comme le daboïa. Le venin de cobra capel produisait localement des œdèmes plus étendus, et la mort survenait presque toujours sans ces hématuries et sans ces hémorrhagies intenges qui caractérisent l’'empoisonnement par le venin des vipéridés. Pour répondre aux objections de Cunningham, j'ai étudié comparativement les venins du cobra capel, dunaja haje (colubri- dés), du pseudechis d'Australie et du crotale (vipéridés). Ilest incontestable que les effets locaux des venins de cobra capel et de naja haje sont identiques, mais qu'ils ne res- semblent pas, en apparence, à ceux produits par l'injection du venin de pseudechis ou de crotale. Ces derniers, lorsqu'on les injecte à des doses calculées pour tuer lentement les animaux, produisent presque toujours des hémorrhagies rénales, alors que ces hémorrhagies ne s’observent jamais avec le venin des colubridés. Mais si on chauffe à 70° pendant 15 minutes ces venins de pseudechis ou de crotale, dissous dans l’eau salée physiologique ou dans l’eau phéniquée à 5 0/00, on constate qu'ils perdent la faculté de produire des hémorrhagies, tout en conservant leur toxicité parfaitement intacte. Les symptômes que manifestent les venins de vipéridés chaulffés sont alors exactement les mêmes que ceux des colu- bridés non soumis au chauffage. D'autre part, si on inocule, à un animal faiblement vacciné contre le venin de cobra capel, une dose un peu forte de venin de vipéridé fraîchement extrait des glandes du reptile, il succombe le plus souvent, quoique beaucoup plus tardivement que les témoins. Mais, si cette même inoculation est faite à un animal capable de supporter une dose dix fois mortelle de venin de cobra, il n'en souffre aucunement, et le sérum d’un animal vacciné En VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 231 contre le venin de cobra seul est parfaitement préventif et théra- peutique vis-à-vis d'un venin de vipéridé quelconque. On constate seulement que les effets locaux de ce dernier venin sont plus persistants, et qu’il produit presque toujours des suppurations étendues. J'ai constaté ces faits un grand nombre de fois, et j'ai pu acquérir la certitude que les venins de diverses origines ne pré- sentent de différences entre eux que par cette propriété hémor- ragipare que le chauffage fait disparaître très facilement, ‘et qui paraît tout à fait spéciale aux venins de vipéridés. Aucun venin de colubridé ne la possède. Après chauffage à 70° et séparation par filtration des albumines coagulées à cette température, il y a identité entre les effets locaux et généraux de tous les venins. VII DISCUSSIONS SUR LA NATURE DE LA SUBSTANCE TOXIQUE DES VENINS Au cours de ces derniers temps, plusieurs expérimentateurs se sont efforcés de déterminer la nature de la substance toxique des venins. Des études fortintéressantes et bien conduites ont été récemment publiées sur ce sujet par M. C.-J. Martin, de Sydney. Ce physiologiste a montré (Royal Society of N. S. Wales, 5 août 1896) que le venin du pseudechis d'Australie content deux albu- moses toxiques: l’une précipitée par la chaleur à 82, non dialysable; l’autre, dialysable, non précipitable par la chaleur. La première seule produit la destruction des globules rouges et les hémorrhagies, tandis que la seconde est un poison des cel- lules nerveuses. Ces résultats concordent absolument avec la manière de voir que j'ai exposée plus haut et dans mes précédentes publications sur ce même sujet. | J'ai essayé, en éliminant les diverses albumines non toxiques et les sels contenus dans le venin, de séparer la substance toxique. J'y ai réussi dans une certaine mesure par le procédé suivant : Jai fait dissoudre dans 100 ec. c. d’eau stérile 1 gramme de venin de cobra séché dans le vide et fraîchement préparé. Après filtration sur papier stérilisé, cette solution de venin » 232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. est enfermée dans un matras qu’on scelle à la lampe et qu’on chauffe au bain-marie à -L 75° pendant 30 minutes. 24 heures après, nouveau chauffage de 15 minutes à H 80. Filtration sur papier. Les albumines coagulées sont ee par le filtre. Le liquide clair recueilli est versé dans un tube dialyseur stérile en parchemin, et placé dans un courant d'eau distillé pendant 24 heures, pour éliminer les sels. Ce qui reste dans le tube est évaporé dans le vide, sous une cloche à acide sulfurique. Le résidu ainsi obtenu est amorphe. Il pèse 42 milligrammes et offre l’aspect d’une poussière brun foncé. On le reprend par 42 c. c. d'eau stérile pour étudier ses réactions et ses propriétés physiologiques. Ce venin, débarrassé d’albumine et des sels, donne la réac- tion dubiuret. [fournit un léger précipité avecle réactif de Millon. La solution ne se trouble pas par la chaleur, el ne donne pas la réaction orange des æantho-protéines. Inoculé aux Pa il tue 2 kilogr. d'animal en vingt minutes, à la dose de 0"#",01 en injection intraveineuse, alors qu'il faut Ow:,6 du même venin sec normal pour donner la mort dans le même temps. Cette substance, que l’on peut considérer comme renfermant la presque totalité des matières actives du venin, est donc extrè- mement toxique. Elle présente seulement quelques-unes des réactions des albumines. Les albumines du venin, coagulées par la chaleur, retenues par filtration sur papier, puis lavées à l’eau stérile, ne retiennent aucun principe toxique. On peut inoculer à un lapin tout le coagulum produit par À gramme de venin, sans occasionner la mort. Le venin désalbuminé par la chaleur n’est ui retenu ni modifié par le passage à travers la bougie Chamberland. M. Marmier a constaté, de son côté, qu'il ne s’atténue aucu- nement si on le soumet à l’action des courants électriques à haute fréquence, suivant le dispositif usité par MM. d’Arsonval et Charrin dans leurs expériences sur les toxines’. Au contraire, les courants continus le détruisent rapidement, par suite de la formation électrolytique de petites quantités d'hypochlorites dans la liqueur. 4, Marmier, Les Toxines et l’Electricité. Ces Annales, 1896. VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 233 M. Phisalix (Société de biologie, 29 février 1896), répélant avec le venin les expériences que MM. d’Arsonval et Charrin avaient faites avec la toxine diphtérique, conceluait au contraire que les courants à haute fréquence atténuent le venin ; mais, depuis le travail de Marmier, il n’a pas confirmé cette assertion. Dans une note plus récente (Comptes rendus de l'Académie des sciences, 15 juin 1896), le même expérimentateur annonçait également qu'il était possible de séparer mécaniquement dans le venin, par la filtration sur porcelaine, les matières vaccinaates des matières toxiques. En inoculant à des animaux de petites quantités de solution de venin de vipère filtrée au Chamberland, ct correspondant à. des doses de venin non filtré trois ou quatre fois mortelles, il observait que, non seulement le venin filtré ne tuait pas, mais que les animaux qui l'avaient reçu se trouvaient vacecinés contre une dose de venin normal capable de tuer les cobayes neufs en 5 à 6 heures. En répélant ces expériences, j'ai constaté que ce phénomène de rétention des matières toxiques du venin par le filtre de porcelaine était plus apparent que réel. Si on filtre à travers une bougie Chamberland une solution mème diluée à 1 pour 5,000 de venin normal, on trouve qu’effectivement le liquide qui passe à travers la bougie est très peu toxique. Il faut 5 parties de ce liquide pour tuer un cobaye, contre 1 de lasolution non fillrée. Mais si l’on prend soin de désalbuminer le venin par la cha- leur (chauffage de 20 minutes à 72°, puis filtration sur papier), on constate que le venin passe intégralement à travers la bougie. Le liquide filtré possède, à très peu de chose près, la même toxicité que le liquide non filtré. Le fait annoncé par M. Phisalix provenait donc de ce qu'il filtrait un liquide albumineux : l’albumine obstruant en grande partie les pores de la porcelaine, constituait à la surface de celle-ci une vérilable membrane dialysante. MM. Phisalix et Bertrand, s'appuyant surtout sur leurs expériences d'atténuation du venin de vipère par la chaleur (Société de Biologie, 10 février 1894), proposent toujours d'admet- tre qu'il existe dans le venin deux sortes de substances, les unes toxiques, que la chaleur supprimerait, les autres vaccinantes, qui seraient, au contraire, respectées par le chau“age. J'ai combattu l'opinion de ces expérimentateurs parce que, V S 34 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. L dans mes expériences qui ont porté sur une très grande variété de venins d'origines différentes, je n'en ai jamais rencontré un seul dout la toxicité fût détruite en si peu de temps par le chauffage à 70°. ” M. Phisalix a expliqué depuis, dans une revue récente!, que les venins de toutes les vipères ne présentent pas cette suscepti- bilité à l'égard de la chaleur ; que celle-ci agit surtout sur le venin des vipères du Jura, alors que le venin des vipères du Puy-de-Dôme ne peut pas être transformé par le chauffage en Qéchidno-vaccin » . Nos divergences de vues s’effacent devant cette constatation, mais je ne pense pas qu'on puisse interpréter l’action de la cha- leur dans le même sens que ce savant, et qu’on soit en droit de supposer dans les venins l'existence de deux sortes de substances aussi facilement dissociables, les unes toxiques, les autres vaccinantes. Voici, à cet égard, les arguments et les expériences que je crois devoir opposer à mon savant contradicteur : Inoculons à une série de quatre cobayes, 4, b, c, d, pesant de 300 à 400 grammes, une dose de venin de cobra égale aux deux tiers de la dose minima mortelle, soit Omg,03 de notre solution d’épreuve. Tous ces coba yes restent en bonne santé. Au lieu de présenter de l'hypo- thermie après l'inoculation, ils ont une légère ascension de température de 00,5 à 10, qui dure environ 24 heures. Trois jours après, les quatre cobayes reçoivent sous la peau une dose de Om£,05 de venin, mortelle en moins de 12 heures pour les témoins de même poids. Ils sont un peu malades, restent près de 24 heures sans manger, pais se rétablissent. La première injection de venin, insuffisante pour leur donner la mort, les avait donc vaccinés contre la dose minima mortelle. A une autre série de quatre cobayes, inoculons cette même dose minima mortelle de Omsr,05, mais après avoir soumis le venin à un chauffage de 30 minutes à 850. Nous constatons alors que les cobayes restent en bonne santé. Leur température s'élève pendant quelques heures, exactement comme dans le cas des cobayes précédents qui avaient reçu une dose de venin chauffé insuffisante pour donner la mort. Trois jours après, injectons à deux d'entre eux Omsr,05 de venin non chauffé. Ils résistent. Les deux autres reçoivent Omgr,2 de venin chauffé, dose quatre fois plus considérable que celle qu'ils avaient reçue précédemment. Ils succombent en deux heures. 1. Revue générale des sciences: Etat actuel de nos connaissances sur les venins, 29 février 1896 (page 188). VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 239 Done, le venin chauffé est encore torique. Sa toxicité est seulement diminuée par le chauffage, et si on inocule aux ani- maux une dose de venin chauffé correspondant, comme quantité, à la dose minima mortelle de venin non chauffé, on les vaccine dans les mêmes conditions que si on leur inoculait une dose de venin normal insuffisante pour donner la mort. J'ai répété ces expériences avec du venin de vipère de France, et j'ai constaté que le venin de vipère que j'avais à ma disposi- tion, quoiqu'il fût notablement plus altérable par la chaleur que le venin de cobra, tuait encore en deux heures les cobayes, après une demi-heure de chauffage à + 80°, à la dose de 5 milligram- mes, alors que, sans chauffage, la dose capable de donner la mort dans le même temps était de 1 milligramme. J'ai expérimenté sur des doses de venin de vipère mortelles en deux heures environ, parce que les résultats qu’on obtient ainsi sont plus nettement comparables entre eux. On ne ren- contre jamais de cobayes qui résistent à cette dose, tandis qu'il s’en trouve parfois qui se rétablissent après l’inoculation de quantités de venin mortelles en six à douze heures seulement. J'ai constaté qu'il existe des différences assez considérables entre les divers venins au point de vue de leur sensibilité à la chaleur. Les venins les plus résistants sont aussi les plus actifs : celui du cobra capel et celui de pseudechis d'Australie ne s’atté- nuent sensiblement qu'à partir de 80°, et ils ne perdent leur toxi- cité que lorsqu'on les chauffe 1 heure à 100. Le venin de vipère péliade de France et celui de crotale sont moins résistants. La nature du dissolvant joue un très grand rôle dans l’appré- ciation de cette résistance. Les venins secs que j’ai fait dissoudre dans l’eau phéniquée à 5 p. 1000 sont beaucoup plus rapidement modifiés que ceux dissous dans l'eau salée phystologique ou dans l’eau glycérinée à 10 p. 100. En résumé, la chaleur modifie tous les venins à des températures variables, en diminuant graduellement leur toxicité. Le chauffage ne transforme pas les venins en vaccins. Lorsqu'on inocule aux animaux des venins chauffés à des doses voisines de celles des venins normaux qui donnent lt mort, on vaccine dans les mêmes conditions qu'en inoculant aux animaux des doses non mortelles de venin normal. 236 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. VIIL CONCLUSIONS GÉNÉRALES Les documents qui précèdent, et les notions développées dans les mémoires que j'ai publiés antérieurement sur cette question des venins, permettent de fixer, d’une manière définitive, les bases du traitement scientifique et précis des morsures venimeuses chez l'homme et chez les animaux domestiques. Ce traitement comporte, en premier lieu, l'injection, à l’homme ou à l'animal mordu, d'une ou plusieurs doses de sérum antivenimeux. Une dose de 10 ©. &., représentant au moins 20,000 unités antivenimeuses, suffit dans la plupart des cas. Néanmoins, lorsque le serpent mordeur sera supposé appartenir à l’une des espèces réputées les plus dangereuses dans les pays chauds, ou lorsque l'intervention sera très tardive, on devra, par prudence, en injecter deux ou même trois doses simultané- ment. L'injection, dans les cas ordinaires, sera faite sous la peau de l'abdomen, dans le flanc droit ou gauche, avec les précautions antiseptiques d'usage. Lorsque les phénomènes d'intoxication seront déjà mani- festes, et qu'il conviendra d'agir promptement pour éviter la mort, on pratiquera l'injection par voie intraveineuse, dans la veine du pli du coude ou dans toute autre veine superficielle. Le sérum est efficace pour prévenir l’intoxication par tous les venins, quelle que soit l'espèce du serpent mordeur. Il est également efficace à l'égard du venin des scorpions. Lorsqu'un animal domestique (cheval, bœuf, mouton, chien, etc.) aura été mordu par un serpent ou piqué par un scorpion, même si des symplômes d'intoxication grave se sont déjà manifeslés, on pourra presque toujours empêcher la mort en pratiquant à cet animal, sous la peau du ventre ou de l’enco- lure, l'injection d’une dose de sérum anti-venimeux. Le traitement par le sérum n’entraine aucune contre-indica- tion à l'emploi des moyens capables de détruire le venin restant dans les plaies, ou de limiter son absorption. Il sera toujours utile de pratiquer la ligature du membre mordu, au-dessus des plaies, pour gêner la circulation veineuse superficielle, et on VENINS ET SÉRUM ANTIVENIMEUX. 237 devra, dans tous les cas, laver très soigneusement les morsures soit avec une solution d'acide chromique à 1 p. 100, soit, ce qui est préférable, avec une solution récente d'hypochlorite de chaux à 1 gr. p. 60 d’eau bouillie, ou avec une solution de chlo- rure d’or à 1 p. 100. Ces deux dernières substances sont les plus efficaces pour détruire sur place le venin qui n'aurait pas encore été absorbé. Il est inutile de pratiquer des caulérisations avec.un fer rouge ou avec un agent chimique quelconque. On se bornera à effectuer un bon pansement antiseptique, et à réveiller la sensi- bilité du malade, si elle est déjà atteinte, par quelques frictions modérées. Les excitants du système nerveux, café, none elc;, sont plus nuisibles qu'utiles. A la suite de l'injection du sérum, l’état des malades s’amé- liore très rapidement, en quelques heures, sans qu'on ait à redouter aucun accident conséculif. Lorsque ce nouveau traitement sérothérapique des morsures venimeuses sera généralisé, il n’est pas douteux que des milliers d'existences humaines pourront être épargnées, et l’agriculture qui, principalement dans les pays chauds, éprouve chaque année de nombreuses pertes en animaux domestiques, du fait des rep- tiles, devra en retirer un bénéfice encore plus considérable. Nora : Je prie instamment les personnes qui résident dans les pays où les serpents venimeux abondent, de vouloir bien m'envoyer, à l’Institut Pasteur de Lille (Nord, - France), soit des spécimens de ces reptiles vivants, soit la plus grande quantité possible de venin extrait de leurs glandes et desséché. Pour extraire le venin des glandes de serpents morts, si l’on n’a pas le temps de pratiquer l’ablation de celles-ci et de les exprimer dans un verre de montre, voici comment il convient d'opérer : on place entre les mâchoi- res du serpent un verre de montre ou une soucoupe que l'on tient horizon- tale de la main gauche. Avec le pouce et l'index de la main droite, on comprime fortement les deux côtés de la mâchoire supérieure du reptile, d’arrière en avant, à partir du cou jusqu'aux narines. Le venin s'échappe alors par les crochets et tombe dans le verre de montre On n'a plus qu’à laisser sécher le liquide ainsi recueilli, soit à l'air libre, soit sous une feuille de papier pour éviter les poussières, En quelques heures, le venin est sec et présente l'aspect de petites masses écailleuses jaunes. Il peut se conserver longtemps en cet état. On réunit les récoltes ainsi effec- tuées dans une petite bouteille qu'on bouche avec soin à la cire, et on les expédie très facilement par la poste. RÉPONSE À M. METCHNIKOFF Par M. Le D' G. GABRITCHEVSKY Dans le numéro 11 des Annales de 1896, M. Metchnikoff a publié quelques remarques critiques, à propos de mon article sur la fièvre récurrente, paru dans le même numéro. Il com- mence par abdiquer toute responsabilité dans mon travail, au début duquel il m'a donné quelques notions générales sur la pathogénie de la fièvre récurrente, notions ne touchant pas à la sérothérapie de cette maladie. Si j'ai fait mention du nom de M. Metchnikoff, il ne s’ensuit pas que le lecteur puisse, pour cette raison, lui attribuer mes opinions; par conséquent, la crainte exprimée par M. Metchnikoff, pour sa part de respon- sabilité, est au moins exagérée. M. Metchuikoff accepte comme prouvé le fait essentiel de mon travail, et notamment le pouvoir bactéricide du sang apyré- tique des malades vis-à-vis des spirilles hors de l'organisme, mais il n'accepte pas la plupart de mes conclusions, tirées de l'étude de ces mêmes propriétés du sang. Il déclare tout d’abord que les propriétés bactéricides du sang, telles qu’elles se sont manifestées dans mes recherches, sont extrêémement variables, ce qui, selon lui, empêche de leur reconnaître, dans la pathologie de la fièvre récurrente, le rôle que je crois devoir leur attribuer. Mais bien que la propriété bactéricide du sang soit sujette à des variations sensibles, 1l n'y à pas moyen de méconnaître une certaine régularité dans ces variations, régularité en rapport direct avec les différentes phases de la maladie, et qui m'a donné l’idée du rôle essentiel des substances bactéricides pendant la fièvre récurrente. Cette corrélation est assez bien établie et démontrée par mes recher- ches cliniques et expérimentales pour que je n’aie pas à insister davantage sur ce phénomène fondamental dans la pathologie de la fièvre récurrente. M. Metchnikoff ne présente pas d’ar- RÉPONSE A M. METCHNIKOFF. 239 guments qui puissent s'opposer aux conclusions ci-dessus, car, des chiffres qu’il mentionne, les uns ne font que confirmer mes conclusions, après examen attentif, les autres ne se rapportent qu'à des variations du pouvoir bactéricide. qui dépendent, non pas des époques de la maladie, mais de la température à laquelle on observe les préparations hors de l'organisme. M. Metchnikolf croit trouver une contradiction dans les résultats de mes recherches. Il fait observer que, suivant les tableaux VI et IX de mon article ‘, les propriétés bactéricides du sang sont à peu près égales à 37° et à la température ordi- naire, tandis que mes autres observations sur la durée de la survie des spirilles prouveraient le contraire. Il me parait qu'en ceci M. Metchnikoff ne tient pas compte de la remarque que j'ai faite à la page 634 de mon article : à savoir que j’at- tribue uniformément une survie d’une heure aux spirilles, qui périssent parfois au bout de quelques minutes dans le sang apyrétique à la température de l'étuve, parce que mes obser- vations, dans cette série d'expériences, n’ont été faites qu’au bout de ce laps de temps. Cette remarque s'applique justement aux expériences citées dans le tableau IX, expériences au moyen desquelles je ne tenais qu’à démontrer le fait de la rapidité de la destruction des spirilles dans le sang apyrétique, compara- tivement à cette mème rapidité dans le sang normal ou pyré- tique, sans vouloir parler de l’influence que peuvent y apporter les différentes températures. La corrélation entre la durée plus ou moins longue de la survie des spirilles et la différence des températures a été étudiée par moi dans une autre série d’ex- périences. Ce qui vient d’être dit me paraît prouver clairement que mes expériences citées dans les tableaux VI et IX de mon travail (texte russe et français) ne peuvent nullement contre- dire les résultats de mes recherches. La survie des spirilles, à la température de la chambre, est plus longue qu’à celle de l'étuve, c’est un fait qui résulte nettement de mes expériences ; mais il n’est pas probant, à ce qu'il paraît, pour M. Metchnikoff, parce qu'il a trouvé une seule exception à cette règle : il cite un eas où la survie des spirilles dans le même sang, à la tempéra- 1. Les chiffres du tableau VI, dont fait mention M. Metchnikoff, se trouvent dans le tableau VI du texte russe et non dans celui de mon article, publié dans ces Annales. 240 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ture de 37°, était 118 heures et, à celle de la chambre, pas plus de 47 heures'. Chacun sait pourtant qu'il est toujours possible d'obtenir des exceptions au cours de toute une série d’expé- riences sur des organismes vivants, sans que ce fait empêche d'en tirer des conclusions. Après avoir accepté le fait du pouvoir bactéricide du sang apyrétique, M. Metchnikoff oppose néanmoins le résultat négatif qu'a donné son unique expérience pratiquée sur un singe aux résultats positifs de toutes mes observations ; il ne semble donc pas tout à fait convaincu de la présence des subs- tances bactéricides dans Je sang apyrétique. Parlant de mes recherches sur Ja formation locale des subs- tances bacléricides sous l'influence de l'infection par des spi- rilles, M. Metchnikoff remarque que, quant à la durée plus ou moins longue de survie des spirilles dans les exsudats divers, relirés après l'injection des liquides avec ou sans spirilles, cette différence de durée est trop peu prononcée dans mes expérien- ces pour qu'on puisse tirer des conclusions solides. À ce propos, il cite une expérience où la différence en question s'exprime par les chiffres 32 et 22; mais il ne tient pas compte d'une autre expérience où la différence devient beaucoup plus pro- noncée, comme le prouvent les chiffres : 28 et 2. Quant à la façon dont ces dernières expériences furent faites, j'admels volontiers qu’elles eussent été plus convain- cantes, si dans l'expérience de contrôle j'avais ajouté du sang normal à la solution de chlorure de sodium. Une expérience analogue, faite après la publication de mon premier article, et répondant par la manière dont elle a été faite à toutes les exi- gences de la rigueur scientifique, a donné les mêmes résultats, avec une différence de la survie desspirilles de 91 et de 50 heures. M. Metchnikoff me rappelle quelques recherches qui auto- risent à croire que la constatation des propriétés bactéricides du sang, hors de l'organisme, ne suffit pas pour admettre les mêmes propriétés dans l'organisme même. Il va sans dire que toutes ces recherches m'étaient très bien connues, mais, à la suite des travaux de M. R. Pfeiffer, il ne peut plus y avoir de doute sur la destruction extracellulaire des virus dans l’orga- 4. Ilest à remarquer que le sang du malade provenait dans ce cas d’une fausse crise. RÉPONSE A M. METCIHNIKOFF. M nisme sous l'influence des substances bactéricides spécifiques. Ces travaux ont autorisé M. R. Pfeiffer à supposer que ces mêmes substances bactéricides jouent un rôle déterminant dans la pathogénie des accès de la fièvre récurrente. Mes recherches cliniques et expérimentales ne font que confirmer cette suppo- sition de M. R. Pfeiffer. Afin de réfuter moninterprétation au sujet de la façon dont les spirilles sont détruits dans l'organisme à la période de la crise, M. Metchnikoff mentionne les propriétés bactéricides du sang du lapin et du rat blanc vis-à-vis de la bactéridie charbonneuse : mais ces indications de M. Metchnikoff ne peuvent nullement servir de critérium du rôle des substances bactéricides spéci- fiques qui se forment sous l'influence de l'infection, et qui sont beaucoup plus actives que les substances bactéricides préexis- tantes dans le sang normal. Aussi, m’appuyant sur les recherches de M. R. Pfeiffer et les miennes, je me crois en droit d'affirmer que les substances bactéricides du sang, constatées par moi dans la fièvre récurrente, se manifestent, comme les autres substances bactéricides spécifiques, non seulement in vitro, mais aussi dans l'organisme, où les conditions de température ne font que renforcer leur action. Quant aux modifications que les spirilles subissent dans les vaisseaux sanguins, les observations faites par M. Metchnikoff en 1887 sur un singe ne démentent nullement celles de M. Ma- mourovsky, car les formes en chapelets, que prennent les spi- rilles modifiés, n'apparaissent qu’au moyen de la coloration spéciale empioyée par M. Mamourovsky. J’ai pu observer moi- même les formes des spirilles en question, mais je n’ai pas cru devoir insister sur mes observations personnelles à ce sujet, trouvant celles de M. Mamourovsky suflisantes. M. Metchnikoff affirme que les spirilles conservent non seu- lement leur aspect normal, mais aussi toute leur mobilité pen- dant toute la période de l'accès, jusqu'au moment de leur disparition du sang des malades, A cette affirmation de M. Metchnikoff, je peux opposer les recherches de M. Weigert et les miennes. Ce savant constata, le fait est connu, que la mobi- lité des spirilles change en force et en caractère vers la fin de l'accès. Mes recherches multiples à ce sujet me permettent de conclure que plus la crise est proche, plus le nombre des spi- 16 242 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. rilles immobiles et morts augmente dans les préparations. M. Metchnikoff me critique non seulement pour ce que j'ai fait, mais il me reproche en outre de n'avoir pas fait tout ce que, selon lui, j'aurais dû faire. Est-il bien nécessaire de dire qu’en publiant mon article, je ne pouvais pas avoir la prétention de le donner pour un Traité complet de la fièvre récurrente ? Je n’ai pas touché, dans cet article, à beaucoup de questions que j'ai l'intention de soumettré; avec le temps, à des recherches spé- ciales ; ainsi entre autres à la question de l’origine des substances bactéricides pendant la fièvre récurrente". Pour répondre à l’objection de M. Metchnikoff sur le nombre trop restreint de mes expériences sur des singes, je ne puis que lui rappeler la difficulté qu’on rencontre, en Russie, à conserver les singes en bon état. D'ailleurs, M. Metchnikoff aurait bien pu se rappeler que je dis moi-même (page 648), qu’une seule expé- rience de sérothérapie ne saurait certainement résoudre la question, à moins d'être simultanément confirmée par toutes les autres données du travail. Il ne serait pas difficile d'arriver à nier les résultats de tout travail, quelque complet qu'il soit, si l’on voulait considérer chaque observation séparée comme un fait insignifiant par lui-même, ne permettant pas de tirer des conclusions, et si l'on arrivait à ne plus tenir compte de l’en- semble de toutes les données des observations faites au courant du travail. M. Metchnikoff note ensuite d'une manière trop absolue l’in- suffisance, selon lui, de données expérimentales sur la formation des substances bactéricides dans l’organisme des animaux natu- rellement réfractaires vis-à-vis de l'infection par les spirilles. Ceci équivaut à une négation sans aucun fondement de mes recherches sur les différents animaux, qui ont pour‘ert eu des résultats parfaitement déterminés ?. 1. Les recherches de M. le Dr N. Pawloff, faites sous ma direction, ont donné des résultats qui indiquent le lien probable de la leucocytose avec la crise des accès. Ainsi, le nombre des leucocytes du sang des malades qui était de 18,000 — moyenne de 13 observations — avant la crise (avant la transpiration), était de 23,000 pendant la crise — moyenne de 9 observations — et enfin de 17,000 pendant l’apyrexie — moyenne de 11 observations. 9. La formation des substances bactéricides peut être considérée comme analogue à la formation de substances antitoxiques spécifiques dans l'organisme des animaux réfractaires à la toxine elle-même. Ainsi dans le cas où la pré- sence de l’antitoxine tétanique se manifeste dans le sang de la poule à la suite de l'introduction dans son organisme de la toxine tétanique. RÉPONSE A M. METCHNIKOFF. 243 Dans la traduction de mon article du russe en français, jai laissé passer une erreur qui, en effet, a pu donner lien à une interprétation inexacte de mes idées sur la présence des spores chez des spirilles d'Obermeier. Je parle ici de la ligne suivante du texte russe : « On ne peut nier l'existence des formes stables ou des germes chez les spirilles. « Cette phrase a été tra- duite ainsi : « L'existence des germes est indiscutable. » Ne pas nier une chose ou bien la croire indiscutable est certainement différent. M. Metchnikoff avait donc raison de critiquer l'erreur qui s'était glissée dans le texte de la traduction. Les résultats négatifs des recherches de M. Metchnikoff au sujet de la présence des spores chez les spirilles ne peuvent pourtant pas non plus résoudre cette question, les cultures pures des spirilles n'étant pas encore obtenues — cultures au moyen desquelles il serait plus aisé de résoudre cette question si discutée de la biologie des spirilles. En terminant sa critique, M. Metchnikoff fait mention de ses recherches, ainsi que de celles de M. Soudakewitch, où il est démontré que ce n’est que dans la rate qu'on observe les spirilles englobés par les phagocytes, ce qui prouverait l'absence des substances bactéricides dans le sang, car si les spirilles avaient péri dans le courant sanguin, ils devraient être présents (comme tous les autres corps inertes) dans le foie et la moelle des os, ce qui n’a pas été observé. Cette localisation exclusive des spi- rilles dans la rate ne prouve rien contre la présence des sub- stances bactéricides dans le sang pendant la crise. Les recherches de M. Wyssokowitch ont démontré que, dans la plupart des cas, c’est dans la rate que se déposent les spores des moisissures et de plusieurs bactéries saprophytes et pathogènes introduites dans le sang. Ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’elles se trouvent plus nombreuses dans le foie. Par conséquent il est naturel d'admettre que, grâce à la forte accumulation des spirilles dans la rate, ils ne doivent disparaître de cet organe qu'après un certain temps d’une durée plus lon- gue, ce qui fait aussi qu'ils y sont plus faciles à démontrer. L'expérience faite par M. Metchnikoff, sur un singe qu'il infectait avec un peu de substance de la rate d’un autre singe qui venait de supporter un accès de fièvre récurrente, n’est pas assez convaincante pour démontrer l’absence des subtances 244 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. bactéricides. La rechute de cette maladie pouvant survenir chez les singes, quelle conclusion peut-on tirer de cette expérience, quand le fait même de la guérison complète du singe n’a pas pu être prouvé? En supposant même l'existence des spirilles vivants dans la rate immédiatement après la guérison complète, on ne voit pas de cause pour nier le rôle de substances bactéri- cides, dont l’action nocive plus ou moins prompte sur des spirilles dépend de la quantité de ces sublances, ainsi que du nombre des spirilles présents dans la rate. Cette expérience citée par M. Metchnikoff m'est certainement connue, de même que nombre d’autres expériences, mais je n'en parie pas dans mon travail, trouvant qu’elles n’ont pas de rapport immédiat avec l'étude des substances bactéricides du sang, et concernent plus particulièrement la phagocytose. Après tout ce qui vient d’être dit, je me crois en droit d’affir- mer que toutes les remarques de M. Metchnikoff à propos de mon travail ne sont pas assez convaincantes pour m'en faire changer les conclusions. Je suis heureux de pouvoir ajouter encore que, m'appuyant sur mes recherches sur les substances bactéricides spécifiques présentes pendantlafièvrerécurrente, j'ai pu appliquer avec succès le sérodiagnostic ‘ et la sérothérapie de cette maladie. Sur 40 cas de fièvre récurrente, observés par M. le D' Loewenthal, Pappli- cation de la sérothérapie a donné 50 0/0 de guérisons complètes à la suite des injections (pendant la première apyrexie) du sérum d'un cheval préparé par des injections intraveineuses de sang contenant des spirilles d'Obermeier. Nos travaux détaillés sur le sérodiagnostic et sur la sérothé- pie de la fièvre récurrente vont paraître dans peu de temps. 1. La constatation des propriétés bactéricides spécifiques du sang pendant l’apyrexie permet de faire un diagnostie sûr de la fièvre récurrente. Erñarum. — Dans mon premier article (ces Annales, 1896, p. 638, ligne 16), lire 6 1/2 au lieu de 4 1/2. RÉPONSE A LA NOTE PRÉCÉDENTE Par Ec. METCHNIKOPFF, M. Gabritchevsky (ces Annales, 1896, p. 630) a observé que les spirilles de la fièvre récurrente, maintenus dans du sérum sanguin extrait à des malades en voie de guérison, meurent beaucoup plus vite que dans du sérum normal ou du sérum retiré pendant la période fébrile. Il a vu que, dans ce sérum spi- rillicide, «les spirilles minces, homogènes etflexibles, deviennent renflés, granuleux, peu spiralés et subissent en peu de temps une destruction complète » (p. 636). De ses observations, faites avec du sérum et des spirilles en dehors de l’organisme, M. G... a conclu que les mêmes phéno- mènes de destruction se produisent pendant la guérison, dans l'organisme vivant, et que le plasma sanguin, au moment de la crise, renferme une substance spirillicide. Comme il a été démontré à maintes reprises’ que l’action microbicide des humeurs et des cellules qui se manifeste in vitro est souvent essentiellement différente des phénomènes qui se passent dans l'organisme même, je me suis senti obligé (voir ma note dans ces Annales, 1896, p. 654) de demander à M. G... des arguments plus probants en faveur de sa conclusion, qui se trouve en désaccord avec mes propres recherches sur la fièvre récurrente. Si la destruction dans l'organisme est [a même qu’in vitro, pourquoi donc M. G... n’a-t-il pas observé aussi, dans le sang des personnes en voie de guérison, ces spirilles renflés, granu- leux et en voie de désintégration ? Il est vrai qu’il dit à présent avoir pu confirmer l'observation de M. Mamourovsky sur la trans- formation en « chapelets » des spirilles dans le sang vivant. Or, ces chapelets se distinguent bien des formes renflées et en 1, Comme exemple des plus frappants je puis citer le cas de l’exsudat des cobayes charbonneux qui, en dehors de l'organisme, peut détruire toutes les bactéridies, et qui est absolument impuissant dans l'organisme (voir Semaine médicale, 1892, p. 469). J'ai signalé aussi (ces Annales, 1890), que la phagocytose qu’on observe in vitro ne correspond pas nécessairement au même phénomène dans l’organisme. 246 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. voie de destruction qu'on observe lors de la mort des spirilles in vitro. D'après M. Mamourovsky‘, un certain nombre de ces microbes, dix à vingt heures avant la crise, se colorent par la fuchsine anilinée de telle façon qu'entre les points colorés appa- raissent de petits espaces clairs. Mais ni M. Mamourovsky, ni M. G...nesignalent même pas que ces spirilles particuliers soient immobiles. | Après avoir découvert la destruction extracellulaire des vibrions cholériques dans le péritoine, M. R. Pfeiffer * à émis celte supposition que les petits granules qu’on trouve dans le sang avant la crise de la fièvre récurrente « peuvent être des pro- duits de destruction des spirilles, atteints par les substances bacté- ricides spécifiques, dégagées pendant la crise».M. G... n’a pu con- firmer cette hypothèse. Dans les préparations du sang à la période de disparition des spirilles, on n’observe rien de comparable aux transformations profondes, observées par M. G... in vitro, ou sup- posées par M. Pfeiffer. D’un autre côté, l'examen des spirilles qu'on trouve dans l'organisme des singes, guéris de la fièvre récurrente, montre, dans l’intérieur des phagocytes, des spi- rilles ayant parfaitement conservé leur forme et leur colorabi- lité normales. Dans ces conditions on peut suivre la destruction définitive de ces microbes, mais sans renflements, ni transfor- mation en granules. Sur les photographies données par M. Sou- dakewitch (ces Annales, 1891, pl. XVIL, fig. 1, 2), on voit dans l'intérieur des leucocytes plusieurs spirilles, dont les circonvo- lutions sont multiples comme à l’état normal, et non effacées comme dans les spirilles modifiés de M. Mamourovsky. Dans ces conditions, il est bien légitime de se demander si la destruction des spirilles, observée par M. G... in vitro, se retrouve réellement dans le sang vivant, et si sa théorie de la substance spirillicide dissoute dans le plasma sanguin est bien fondée. Voilà pourquoi je me suis cru autorisé à dire dans ma note : &« M. G... oublie les recherches si nombreuses qui ont démontré que les phénomènes bactéricides du sang extravascu- laire ne suffisent pas pour admettre la mème propriété bactéri- cide du sang vivant (par exemple la destruction des bactéridies dans le sang des rats et des lapins, ete.). » 4. Medicinskoye Obosrénie, 189%, n° 20. 2, Deutsche med. Woch., 1896, n° 8. RÉPONSE A M. GABRITCHEVSKY. 247 M. G..., dans sa réponse (p. 241), pense qu'il ne s’agit que de la propriété bactéricide du sang du rat et du lapin vis-à-vis de la bactéridie, et il ajoute : « Mais ces indications de M. M... ne peuvent nullement servir de critérium du rôle des substances bactéricides spécifiques qui se forment sous l'influence de l'infec- tion, et qui sont beaucoup plus actives que les substances bacté- ricides préexistantes dans le sang normal. » Il ressort de ce pas- sage que M.G... ne sait pas que l’action bactéricide si intense du sérum des animaux vaccinés contre le Vibrio Metchnikowi ne se manifeste pas dans l'organisme de ces animaux, fait démontré en 1891 (ces Annales, 1891, p. 469), et qui a fait le sujet de ma communication au Congrès d'hygiène à Londres. M. G... ne sait pas non plus que ce fait, oùils’agit d'une action bactéricide spé- cilique très intense, née sous l'influence de la vaccination, a été retrouvé aussi par M. Mesnil et moi-même {ces Annales, 1896, p. 349; 1895, p. 433) chez le vibrion cholérique, introduit sous la peau d'animaux vaccinés. Jusqu'à quel point il faut être prudent, dans l'application des résultats, obtenus in vitro, aux phénomènes qui se passent dans l'organisme, c'est ce que démontrent entre autres les faits rapportés dans ce même numéro des Annales par MM. Bordet et Salimbeni. Le premier de ces observateurs a constaté que le streptocoque est rapidement détruit dans l’exsudat péritonéal, retiré de l'organisme ; tandis que dans l’animal ce microbe reste vivant et occasionne la mort de son hôte. M. Salimbeni a établi que l’agglutination des microbes, qui se fait si rapidement in vitro, sous l'influence des humeurs, ne se produit pas dans l'organisme vivant. | Beaucoup de ces différences, si paradoxales au premier. abord, s'expliquent par la destruction des leucocytes en dehors de l'organisme ; ceux-ci laissent in vitro échapper leurs substances bactéricides, renfermées à l’état vivant dans le contenu cellulaire. M. G... s'appuie dans ses conclusions sur les recherches de M. Pfeiffer sur la destruction extraceliulaire des bactéries dans l’exsudat péritonéal des animaux. Mais M. G... ne tient pas compte du fait, exposé dans un de mes mémoires (ces Annales, 1895), que celte destruction extracellulaire ne s’observe que dans des conditions particulières, où les microbes sont brusquement introduits dans un milieu renfermant 248 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. des leucocytes avariés (en stade de phagolyse). Les sub- stances bactéricides s’échappent de ces cellules lésées et agissent sur les microbes. Aussitôt que la phagolyse s'arrête, la destruction extracellulaire cesse aussi, et les microbes devien- nent la proie des phagocytes. Pour pouvoir utiliser les observations du phénomène de Pfeiffer, M. G... aurait dû démontrer que des conditions analo- gues se retrouvent dans la fièvre récurrente. En réalité, elles sont justement opposées. La destruction extracellulaire dans le péritoine s'observe au moment de la plus grande pénurie de leucocytes. La destruction des spirilles pendant la crise se fait à une période où d’après les données que vient de commu- niquer M. G... dans sa réponse (note 1, 242p.), le nombre des leucocytes est notablement accru. Le phénomène de Pfeiffer s’observe seulement au début de la rencontre des microbes avec l'organisme, la destruction critique des spirilles dans la fièvre — à la fin de cette rencontre. Tout cela justifie suffisamment ma critique des conclusions de M. G... sur la pathogénie de la fièvre récurrente. Ses obser- vations ne prouvent nullement la présence d’une substance bac- téricide dans le plasma sanguin. Les faits connus sur la leuco- cytose dans la fièvre récurrente peuvent au contraire expliquer l’action bactéricide du sang critique en dehors de l'organisme. Comme cela a été bien démontré dans un grand nombre d’exem- ples, la substance bactéricide se trouve dans le contenu des leucocytes. Plus il y a de ces cellules, plus le sang ou le sérum correspondant seront bactéricides. On peut donc formuler celte hypothèse que la destruction extracellulaire des spirilles x vitro se fait par la substance échappée des leucocytes, avariés en dehors de l’organisme, et non pas par une substance dissoute dans le plasma sanguin. Cette hypothèse repose sur un grand nombre de faits précis, et concilie tous les faits observés par divers auteurs, entre autres par M. G... lui-même. J'ai déjà remarqué, dars ma première note, que les observa- tions de M. G... contredisent sa conception de l’action de la substance bactéricide du plasma dans la guérison et l’immunité. En effet, tandis que le singe de M. G..., avec une propriété bac- téricide du sang à peine marquée (1,5 ou 6,4 d’après M. G...), oppose une résistance absolue aux spirilles, le sang de son RÉPONSE A M. GABRITCHEVSKY, 249 malade pendant la première apyrexie, c’est-à-dire dans la période d'incubation d'un nouvel accès fébrile, manifeste un pouvoir bactéricide beaucoup plus considérable (55). Dans un cas de M. G... le coefficient tombe de 50, 48 heures avant le 3° accès, à | au commencement de cet accès, « c'est-à-dire au moment de l'apparition des spirilles », et M. G... ajoute : «Il est clair que chaque nouvel accès ne survient qu'avec la disparition presque complète des propriétés bactéricides du sang. » (Annales, 1896, p- 637.) Mais il est clair surtout que les spirilles vivants se trou- vent dans l’organisme pendant toute la période d’incubation, et que par conséquent 48 heures avant l'accès, malgré le coefficient bactéricide de 50, le sang est incapable de tuer les spirilles vivants, qui ne sont encore pas assez nombreux pour envahir toute la circulation. Des contradictions de ce genre se retrouvent à chaque page dans le mémoire de M. G... Elles ne peuvent être aussi levées à l’aide de cette hypothèse des spores sur laquelle M. G... revient aujourd'hui. M. G... pense que cette question des spores pe pourra être résolue que lorsqu'on obtiendra des cultures du spirille sur des milieux nutritifs artificiels. Mais alors il n’a pas le droit d'admettre leur existence dès à présent, et surtout il ne doit pas perdre de vue que, dans la pathogénie des rechutes, la question intéressante est de savoir s’il existe des spores dans l'organisme même et non pas en dehors de lui. Or, j'ai démontré que, dans l'organisme des singes au moins, les spores ne se produisent pas, et c’est là le point essentiel. Cette absence des spores, ainsi quela présence, dans la rate des singes guéris, des spirilles vivants et virulents!, réfutent la théorie de M. G..., et se concillent au contraire très bien avec l'hypothèse que la substance spirillicide du sérum provient des leucocytes avariés in vitro. Cette hypothèse explique aussi très facilement pour- quoi l'organisme dont le sérum est dépourvu d'action bactéricide peut résister aux spirilles, tandis qu’un autre, riche en substance spirillicide, peut facilement contracter la maladie spirillienne. 1. Dans mon travail sur la fièvre récurrente ( Virchow’s Arch., 1887) j'ai démontré que l’émulsion de la rate apyrétique donne la fièvre récurrente à un singe neuf. M. G... m'objecte qu'il s'agissait dans cette expérience peut-être d’une rechute et non d’une fièvre nouvelle. Mais les guenons, avec lesquelles j'ai expérimenté, n’ont jamais de rechutes. L'exemple d’une rechute observé par M. G... s'applique à un cynocéphale, singe très différent de ceux que j'avais employés. 250 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR Comme argument je n’ai qu’à invoquer un grand nombre de faits analogues bien établis dans la science. J'ai insisté surtout sur le point essentiel du travail de M. G... Je n’ai pas besoin de m'étendre longuement sur la critique de ses quelques expériences sur l’immunité naturelle. M. G... com- pare, dans sa réponse, la formation de la substance bactéricide dans l’organisme des animaux naturellement réfractaires avec la formation des antitoxines chez les animaux résistants (p. ex. l’antitoxine tétanique dans le sang de la poule). M. G... ne tient pas compte de ceci que, d'après lui, la substance spirillicide se développe déjà 10 minutes après l’injection des spirilles, fait qui ne se rencontre jamais avec les antitoxines. Chez les poules il faut des semaines pour la production de l’antitoxine tétanique. M. G... cite, à la fin de sa «réponse», des faits de sérothérapie et de sérodiagnostic dela fièvre récurrente comme argument en faveur de ses opinions sur les substances bactéricides. M. G... ne donne aucun renseignement précis sur ce chapitre, mais je peux d’autant plus me dispenser d'en parler que ces questions sont tout à fait différentes du problème qui nous préoccupe. Dans ce même numéro des Annales, on peut lire le mémoire de M. Bordet sur la prévention de la streptococcie par le sérum, sans que la propriété bactéricide y intervienne d’une façon quel- conque. A la fin de sa réplique, M. G... déclare que mes arguments ne l’ont pas convaincu. Ce n’est pas pour le convaincre que j'ai publié ma critique. Je l'ai fait uniquement avec la pensée d’être utile à ceux qui sont mieux placés que moi' pour étudier la fièvre récurrente, et qui désirent être renseignés sur les points délicats de l'étude de cette maladie. C’est dans ce seul but que j'ai pris la plume. J’ai pensé que l’opinion de quelqu'un qui s’est occupé de la fièvre récurrente, et qui a fait aussi beaucoup de recherches sur les propriétés bactéricides de l'organisme, ne serait pas indifférente à ceux qui s'intéressent à ces études, La chose est faite, et je ne pense pas qu'il y ait lieu pour moi d'intervenir plus iongtemps dans ce débat. 1. M. Loukianoff, directeur de l’Institut de méd. exp. à Saint-Pétersbourg, m'a envoyé à Paris des sangsues qui avaient absorbé du sang de malades atteints de la fièvre récurrente. M. ilgré l’arrivée très rapide de ces animaux, les spirilles ont été trouvés morts et incapables de donner la maladie aux singes. Je n'ai done pas pu faire une nouvelle étude des ARONIÉE d'adresse ici tous mes remercie- ments à M. Loukianoff, CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA PEXSIOLOGE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE Par M. LOUIS COBBETT M. A., M. B. CAMB., F. R. GC. S. ENGL., JOHN LUCGAS WALKER STUDENT OF PATHOLOGY (Travail du laboratoire de pathologie de Cambridge.) Les expériences qui suivent ont été commencées en 1894 pour faciliter la préparation de la toxine diphtérique dont je me servais pour immuniser des chevaux. On éprouvait alors, à pré- parer une toxine de force constante, des difficultés sur lesquelles les savants n'étaient pas d'accord, et sur lesquelles j'avais voulu me faire une opinion personnelle. Depuis, le sujet a été étudié, et la préparation de toxines puissantes est devenue facile. L'utilité pratique de mes recherches est donc en grande partie escomptée. J'espère pourtant qu'on trouvera qu'elles peuvent encore être utiles, et ajoutent quelque chose à la physiologie du bacille diphtérique. I. — Mesure de l'acidité ou de l’alcalinité des cultures ou milieux de culture. Disons tout de suite que les chiffres qu’on trouvera dans ce travail, pour mesurer l'acidité ou l’alcalinité, sontles nombres de centimètres cubes d’une solution normale d'acide ou d’alcali amenant à la neutralité, pour l’indicateur employé, un litre de la liqueur. Avec ces liquides complexes, le mot #eutralité n'a qu’un sens relatif, et dépend de l'indicateur mis en œuvre. J’ai trouvé mes bouillons de peptone alcalins à la teinture de tournesol, et acides à la phénolphtaléine ‘. De même le sérum d’un cheval 1, Cf. G. W. Fuzcer, Journal of Am. Publie Health assoc:., Concord., oct. 1895. 252 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. où la lymphe du canal thoracique d’un chien. Ces différences tiennent en partie à la présence, dans ces liquides. du phosphate bibasique de soude, alcalin au tournesol, et neutre à la phénol- phtaléiue, mais il doit y avoir d’autres corps jouissant de la même propriété, car le sérum du sang ne contient que peu de phosphates et présente les mêmes phénomènes. Je mon- trerai tout à l'heure qu'il en est de même pour uu ou plusieurs produits du bacille de la diphtérie. Ayant à faire choix d’un indicateur, je me suis arrêté, après plusieurs essais, à la phénolphtaléine et au tournesol. Pour la première, on ajoute à { c. c. du liquide à étudier, 20 ce. c. d’eau distillée, 0,3 à 0,5 c. c. de la solution alcoolique de phénol- phtaléine, et on fait bouillir. Pais on ajoute avec une burette Ja solution centinormale d’acide ou d’alcali jusqu’à virage. Le virage de la teinture de tournesol étant graduel, il a fallu, pour arriver à de la précision, prendre un détour et se donner un terme de comparaison. On prépare une série de tubes contenant une solution étendue de tournesol. Puis on ajoute, par tâtonnement, à la liqueur à étudier, assez de la solution centinormale d'acide ou d’alcali, pour que quelques gouttes de celte liqueur saturée, ajoutées après ébullition dans l’un des tubes de tournesol, n’en changent pas la teinte, ce qu'il est facile de voir par comparaison avec les autres tubes de la série. La solution de tournesol employée était neutre et aussi bien débarrassée que possible de ses sels par la dialyse, suivant les recommandations de K. May'. On la diluait dans l’eau pour l'usage, on la faisait bouillir pour chasser l'acide carbonique, et on y ajoutait quelques gouttes d'acide très dilué pour en ramener la teinte à celle d’une solution type, qu'on avait enfermée en tubes scellés pour la conserver. On arrive, avec ces précautions, à estimer l'acidité ou l’alca- linité à 1 c. c. près de la solution normale d'acide ou d’aleali par litre, lorsqu'on opère sur des cultures en bouillon. Quand l'acidité ou l’alcalinité deviennent très grandes, la méthode perd de sa sensibilité. Mais, en somme, j'ai trouvé que le tournesol, employé dans ces conditions, était un meilleur indicateur que la phénolphtaléine, dont le virage est graduel, et dépend trop. 1. Maly's Jahresbericht, 1865, p. 463. PHYSIOLOGIE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE. 253 de la température du liquide, de sorte qu'il n’est pas le mème à chaud et à froid. Ce que je demandais à cette étude, c'était s'il y avait une relation entre la production de toxine et l’acidité ou l’alcalinité de la culture, mesurées avec les deux indicateurs en question. Mes résultats sur ce point peuvent être brièvement résumés. Les cultures devenues alcalines au tournesol étaient devenues aussi moins acides, et même parfois alcalines à la phénolphta- léine. Mais le changement mesuré au tournesol était toujours plus grand que le changement mesuré à la phénolphtaléine, Une moyenne de 20 observations sur des cultures d'âges variés me donne une augmentation d'alcalinité de 20,3 au tournesol, et une diminution d’acidité de 10,8 à la phénolphtaléine. D'un autre côté, les cultures devenues moins alcalines ou acides au tournesol devenaient toujours plus acides à la phénol- phtaléine; mais, dans ce cas, le changement indiqué par ce dernier réactif était toujours plus grand que par le premier. La moyenne de 18 observations me donne de même un chan- gement vers l'acidité de 14,8 pour le tournesol, et de 18,3 pour la phtaléine. Ces résultats indiquent la formation d'un corps qui, ou bien est alcalin au tournesol, et neutre à la phtaléine; ou bien est acide à la phtaléine et neutre au tournesol; ou bien ces deux corps se forment à la fois. Il est difficile, dans l'état actuel de nos connaissances au sujet de la composition des phosphates du bouillon, de savoir ce qui se passe. Je ne tirerai pour ice moment de ces faits qu’une conclusion pratique. La production de toxine paraît liée à l'augmentation d’alcalinité de la culture, et comme la marge des nombres donnés par le tournesol était plus grande dans ce cas qu'avec la phtaléine, je me suis décidé à me servir de ce réactif, qui est en outre, nous l’avons vu, plus délicat que l’autre. Le bouillon dont je me suis servi était du bouillon de cœur de bœuf, conservé comme l'indique M. Spronck, jusqu’à com- mencement de décomposition. On faisait alors une infusion à laquelle on ajoutait 2 0/0 de peptone de Witte, 0,5 0/0 de sel marin, etassez de soude (à moins que je n'indique le contraire), pour que l’alcalinité soit de 5 à 6 c. c. par litre. Les cultures du bacille diphtérique dans ce bouillon ne devenaient jamais acides ; 254 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. elles subissaient, pourtant, une petite diminution d’alcalinité et, lorsqu'on les gélatinisait et qu'on y cultivait le B. coli, il y avait une petite quantité de gaz produit. Il y avait donc, sûrement, un peu de sucre dans le bouillon, mais en quantités très faibles. IL — Degré d'alcalinité du milieu de culture compatible avec la croissance du B. diphtérique. Les expériences, sur ce point, ont été faites de la façon suivante : Dans une série de tubes, on mettait des doses variables d’une solution normale de soude, et on ajoutait ensuite assez de bouillon neutre pour que chaque tube contienne 5 c. c. de liquide. Les doses d’alcali introduites correspondaient à des alcalinités de 10, 20, 30, 40, 50 et 60: après stérilisation, on titrait de nou- veau et on constatait qu'il n’y avait eu aucune variation sen- sible dans l’alcalinité; on ensemencait ensuite comme à l’or- dinaire. Dans une autre série d'expériences, la soude était rem- placée par les produits alcalins du microbe lui-même, recueillis par distillation. Dans les deux cas, le résultat a été le même: culture facile jusqu’à l’alcalinité 30, culture retardée pour l'alca- linité 40. Pas de culture pour les alcalinités supérieures. II. — Degré d'acidité du milieu de culture compatible avec la croissance du B. diphtérique. Les expériences ont été faites comme celles qui précèdent, sauf que les acidités produites étaient effectivement de 2,5; 5; 7,5; 40: 12,5; 45; 17,5; 20. Dans une première série (A), l'acidité était produite par l'acide sulfurique; dans une seconde (B), par l'acide chlorhydrique; dans la série (C) on avait acidulé avec le produit filtré d’une ancienne culture du bacille diphté- rique en bouillon glucosé, qui avait atteint une acidité de 23, et qu'on avait ajoutée au bouillon neuf après l'avoir évaporée à environ moilié de son volume. Dans tous les tubes stérilisés, on ensemençait ensuite le bacille diphtérique. Voici les résultats : PHYSIOLOGIE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE. 299 B Acidités. TE AL, —— PRET ne — - ( l 2 2 DEAR Culture. Culture. Culture. Culture. Culture. DOTE Id. Id. Id. Id. Id. 7.5.... Pasdecult. Ret. de cult. Ret. de cult. Ret. decult. Ret. de cult, 100 Id. Trac. de cult, Id. ld, Id, 42:35... ld. Pas de cult. Pas de cult. Id, Pas de cult, IDE Id. Id, Id, Pas de cult, Id. APS Id. Id. Id. Id. Id. 20 0-2: Id. Id. Id. :46l Id. Une acidité de 5 n’empèche donc pas la culture. Entre 5 et 12,5, il y a retard et parfois arrêt. Au-dessus, il y a arrêt. J'ai cherché d’où vient l'effet variable des acidités de 5 à 12,5. Sur une gélatine dont l'acidité est comprise entre 5 et 7,5, le bacille croît uniquement à la surface ou dans son voisinage immédiat. La vie très aérobie permet donc un développement là où la vie moins aérobie le rendrait impossible. Je revien- drai sur ce point ; je remarque seulement, pour maintenant, que, pour certains degrés d’acidité, la culture n’est possible que lorsque le microbe reste à la surface. Lorsque l'acidité est au-dessus de 7,5, la culture superfi- cielle sur gélatine est impossible; et, néanmoins, on a eu des cultures dans un bouillon dont l'acidité atteignait 12,5. Mais, alors, j'ai toujours vu que la culture commençait sur un point de la couche liquide qui grimpe le long des parois du vase ; c’est de là qu’elle descendait sur le bouillon, qu'elle alcalinisait peu à peu. Une fois, le hasard ayant disloqué une de ces cultures en voile, les microbes sont tombés au fond et le liquide est resté acide. On peut donc admettre que la semence prélevée sur un milieu alcalin apporte avec elle assez d’alcali pour pouvoir neutraliser l'acide de la membrane très mince de liquide qui tapisse la paroi, et que c’est ainsi que la culture s'étend de proche en proche. En faveur de cette idée, je puis ajouter que, lorsque la semence a été prise dans des cultures acides, il n’y a jamais eu culture, alors même qu’on ensemençait soigneusement sur la paroi mouillée au-dessus du liquide. Cette explication a aussi pour elle les résultats d'expériences sur des gélatines acides, rendues concaves à la façon des tubes d’Esmarch. Avec des acidités de 5, 1l y avait culture à la surface 256 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. età 3 millim. au-dessous, le reste de la gélatine étant inaltéré. Avec des acidités de 7,5, la culture était étroitement limitée à la surface ; avec une acidité de 10, il n’y avait qu'une colonie sur la surface, pendant qu'il y avait multiplication abondante sur la membrane de gélatine restée adhérente aux parois du tube. Seulement, ces colonies se développaient très lentement. La croissance ou l'arrêt des cultures dans des bouillons dont l'acidité dépasse 5 dépend donc de la situation occupée par la semence, et des hasards qui peuvent la déranger. IV. — Influence du glucose sur la réaction des cultures du B. diphtérique. Roux et Yersin ont montré, en 1888 ‘, que les cultures du bacille diphtériqueen bouillon alcalin deviennent acides pendant quelques jours, puis redeviennent alcalines, pourvu que l'air ait un facile accès. On sait maintenant que ces variations ne sont pas cons- tantes, et dépendent beaucoup de la quantité de sucre présent dans le milieu de culture. Behring * avait vu que certains bacilles, qui donnent des acides en présence du sucre, n’en don- nent plus en son absence, Théobald Smith, qui a beaucoup étudié ce sujet ?, a trouvé de son côté que, sur 44 échantillons de bouillon examinés, 11 seulement étaient exempts de sucre. La teneur des autres variait entre une trace et 0,3 0/0. Dans ces bouillons où le sucre manquait, ou était en proportions mini- mes, il n’a jamais observé de production d'acide par les microbes qui acidifient les solutions sucrées, tandis que ces microbes rendaient acides les bouillons contenant plus d’une trace de sucre, et l'acidité était temporaire ou permanente suivant la quantité de sucre présent. Tout cela est d'accord avec ce qu’on sait sur le mécanisme général de transformation des matières sucrées. M. Spronck a récemment insisté sur la présence du sucre dans la viande, et a rendu aux bactériologistes le service de leur apprendre que 4. Ces Annales, t. II, p. 633. 2. Zeitschr. {. Hyg., 1893, p. 641. 3. The Wilder quarter century Book. Ref. dans Centralbl. f. Bakt u. Parasit., t XIV, 4893, et XVIII, 1895. 4. Ces Annales, 1895, p. 758. PHYSIOLOGIE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE, 257 ce sucre disparaît dans la viande conservée jusqu'à commen- cement de putréfaction ; le bouillon fait avec cette viande ne devient jamais acide. Park et Williams : ont étudié des cultures de bacille diphté- rique dans des bouillons faits avec 14 différents morceaux de bœuf. Deux seulement donnaient des cultures qui devenaient acides d’une façon permanente. Les autres donnaient rapide- ment une {oxine puissante. | Depuis la publication de Spronck, j'ai toujours fait mes bouillons par sa méthode, et, en les alcalinisant à 5 ou 6 c. c. par litre, je ne les ai jamais vus devenir acides au tournesol sous l'influence du bacille diphtérique. Ils subissaient pourtant les premiers jours une petite diminution de l’alcalinité, et, en y ajoutant de la gélatine, et en y ensemençant le B. coli, il y avait toujours un peu de gaz, mème lorsque la viande était devenue putride avant d'être mise en œuvre. Comme, dans les mêmes conditions, la gélatine peptone ne donne pas de gaz, on voit qu'un commencement de putréfaction ne suffit pas toujours à faire disparaître tout le sucre de la viande. Spronck a montré aussi que l'addition de 0,15 0/0 de glu- cose à du bouillon de viande vieille lui permet de devenir acide d'abord, alcalin ensuite, sous l'influence du bacille de la diphtérie, tandis qu'avec 0,2 0/0, les cultures sont acides d’une façon permanente. J'ai fait sur le même sujet un nombre con- sidérable d'observations qui ne sont pas absolument concor- dantes, parce que les variations d’acidité ou d’alcalinité ne dépendent sans doute pas uniquement des ‘quantités de sucre présent, mais aussi d’autres circonstances, telles que la nature de la matière azotée ou albuminoïde apportée par le bouillon, ou encore l'agitation communiquée aux cultures au moment des prises d'essai. Dans leur ensemble, elles sont d'accord avec les résultats de Spronck et d’autres savants. L’acidité est tempo- raire pour de faibles doses de sucre, permanente pour des doses fortes. La plus forte alcalinité trouvée a été de 36, etle maximum tombe souvent au voisinage de 30, après 20 et 25 jours. J'ai vu, dans d’autres expériences, qu'en suivant plus longtemps la culture, l’alcalinité diminuait à nouveau, sans doute par évapo- 1. Journal of exp. medecine. New-York, 1896. 17 258 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ration. Nous avons vu, au $ Il, qu'une alcalinité de 40 n'arrête pas la culture, mais la rend seulement plus lente. Ce ne sont donc pas sans doute les produits alcalins formés qui arrêtent la culture de la bactérie : il doit y avoir autre chose. La plus forte acidité a été de 22, chiffre qu'il ne faut pas attribuer à la bactérie seule, car nous avons vu que sa culture s’arrête pour des acidités comprises entre 5 et 12,5. J'ai vu en effet que cette forte acidité provenait d’une concentration de la culture par évaporation dans l’étuve. Quand l'acidité n’est pas assez forte pour arrêter la culture, il est clair que celle-ci devient toujours alcaline. Il en résulte que le degré le plus élevé d’acidité transitoire marque la limite supérieure d’acide compatible avec la culture. Dans mes expé- riences, ce degré est de 13, chiffre qui est assez d'accord avec ceux qu'ont fournis les expériences du $ IEL. Quant aux irrégularités dans la marche de ces expériences, elles paraissent inévitables quand on songe que les produits acides et alcalins sont formés simultanément, et que la réaction varie suivant ceux qui l’emportent. Théobald Smith (4. €.) a montré que les produits acides se forment en présence et en l'absence de l'air, et en quantités qui n’ont que peu de relations avec le degré de multiplication du bacille. Il a vu aussi que les produits alcalins se forment en proportion du développement du microbe. Dans le cas du bacille diphtérique, le développement est beaucoup plus abondant à la surface qu'ailleurs. De là résulte que tout ce qui déplace lacouche superficielle gène sa croissance et empêche la formation d'alcali, pendant que la formation d'acide se fait comme auparavant. L'agitation ou le repos peu- vent donc suffire à rendre la même culture acide ou alcaline. Cette déduction a été vérifiée par l'expérience. Deux cultures dans du bouillon contenant 2 0/0 de peptone ont été ensemen- cées et placées à l’étuve : une a été laissée en repos, et est deve- nue temporairement acide(5), puis, peu après, alcaline. La seconde, agitée doucement mais d’une façon continue, a atteint un plus haut degré d’acidité (9) et est restée acide. De la glycérine et du lactose, ajoutés à du bouillon sans sucre, ont donné des produits acides sous l'influence du bacille de la diphtérie, et d’autres hydrates de carbone doivent agir de même. (Th. Smith.) PHYSIOLOGIE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE. 259 Contrairement à ce qui arrive pour le B. coli et d'autres mi- crobes, le bacille de la dipthérie n’est pas détruit par lacide qu'il forme dans les cultures en présence du glucose. Des cultu- . res acides m'ont fourni, après plusieurs mois, des bacilles encore vivants. V. — Période à laquelle les cultures du bacille diphtérique sont le plus toxiques. De récentes observations ont montré que les cultures de ce bacille sont toxiques beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait autre- fois. Spronck a obtenu des toxines puissantes après 13 jours de culture, et Aronssohn après 8 jours. Park et Williams (/. c.) ont trouvé des quantités appréciables de toxine après 4 heures et très grandes après 24 heures. Le maximum était atteint en 4 à 7 jours. Ce maximum persiste quelques jours et diminue ensuile rapidement, surlout quand un courant d’air passe dans le matras. Kossel ‘ a obtenu en deux jours une forte toxicité, qui a atteint son maximum en 5 jours, et a commencé à dimi- nuer après dix. J'ai rassemblé mes résultats sur ce sujet dans le tableau qui suit, qui montre la loxicité de 3 cultures à différents âges. Ces cultures étaient faites en bouillon où il n’y avait que des traces de sucre musculaire, el où on avait ajouté assez de soude pour amener une alcalinité de 6 c. c. par litre. Les cultures se fai- saient en surface dans de larges matras à fond plat. Les cullures 2 et 3 différaient de la culture n° 1 en ce qu'elles étaient parcourues par un courant d'air, et faites en présence de 0,15 0/0 de glucose. Pour éprouver la toxicité, on prélevait de temps en temps, avec une pipette stérilisée, une petite quantité de liquide qu'on filtrait à travers une petite bougie de porcelaine. Une portion était injectée le plus tôt pos- sible ; une autre conservée en tubes scellés pour une nouvelle étude. L'expérience a porté sur des cobayes dont le tableau donne le poids. A côté, on trouve la dose inoculée par kilo- gramme d'animal. | 1. Centralbl, f. Bañt., t. XIX, n° 95. 260 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. EXP. I. — BOUILLON SANS SUCRE, NON AËRÉ Poids Dose s du cobaye. inoculée, pores: Ap. 3 jours, alcalinité 15.. 270 0.2 Mort en 27 heures. 290 0.15 Mort en moins de 48 heures. 290 0.1 Mort en 5 jours. 240 0.05 Nécrose; se rétablit. Ap. 8 jours, alcalinité 24.. 310 0.1 Mort en 42 heures. 235 0.075 Mort en moins de 66 heures. 570 0,05 Nécrose; se rétablit. 210 0.025 Léger œdème; se rétablit. Ap. 43 jours, alcalinité 35. 300 0.2 Mort en 27 heures. 290 0.1 Mort en 27 heures. 250 0.075 Mort en moins de 48 heures. 250 0.05 * Mort en 54 heures. EXP. II — BOUILLON AVEC 0.15 0/0 DE GLUCOSE, AÉRÉ Poids Dose ; du cobaye. inoculée. Résoilets: Ap. 8 jours, alcalinité 25. 390 0.164 Mort en moins de 48 heures. 290 0.1 Mort en moins de 48 heures. 397 0.05 Mort en moins de 120 heures. Ap. 45 jours, alcalinité 30. 325 0.1 Mort en moins de 66 heures. 290 0.05 Nécrose. Mort en 3 semaines, EXP. III. — BOUILLON AVEC 0.15 0/0 DE GLUCOSE, NON AËRÉ Ap. 8 jours, alcalinité 4... 280 3.0 Mort en moins de 48 heures. 320 A0 Mort en moins de 74 heures. 315 1.0 Mort en moins de 96 heures. La culture I, faite dans les conditions qui passent pour être les plus favorables à la production de la toxine, était, comme on voit, bien toxique au bout de 3 jours. En 8 jours, sa toxicité avait plus que doublé, et avait encore augmenté au bout de 15 jours. L'influence du courant d’air ne ressort pas clairement de la comparaison des expériences IL et IL. Les différences d’alcali- nité et de toxicité sont trop grandes pour être attribuées à l’in- fluence de l’air. 11 a dû y avoir quelque dérangement dans la pellicule superficielle de la culture IL. La toxicité des cultures I et IF, qui était pratiquement la même après 8 jours, était très différente après 13 Jours, ayant augmenté dans un cas et diminué dans l’autre. Cette diminu- tion dans la culture aérée est d’accord avec l'observation, déjà mentionnée, de Park et Williams, et peut être attribuée soit à PHYSIOLOGIE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE. 261 une plus rapide oxydation de la toxine, sait à la perte de quelque poison volatil. Ces expériences s'accordent avec celles de Spronck, d’Aron- sohn, de Park et Williams, de Kossel, pour prouver que les cultures, dans des conditions favorables, peuvent devenir toxi- ques les tout premiers jours, et atteindre leur maximum à la fin de la première ou de la seconde semaine. Lorsque les cir- conslances sont moins favorables, soit que le bouillon contienne un peu de sucre musculaire, soit particulièrement quand il y a quelque cause de dislocation, la toxicité se produit plus tard. Tel parait avoir été le cas dans les expériences de Roux et Yersin, où le bouillon contenait un peu de sucre. VI. — Relation entre l'alcalinité et la toxicité des cultures de bacille diphtérique à différentes époques. Roux et Yersin ont vu que ces cultures étaient peu toxiques aussi longtemps qu'elles restaient acides. Mais comme ils ont montré aussi que des cultures, très toxiques à l’état alcalin, devenaient inoffensives quand on les saturait avec de l’acide lactique ou tartrique, et reprenaient leur activité quand on les rendait à nouveau alcalines, on peut se demander si, dans les cultures acides, la toxine présente n’est pas masquée. Il y avait un moyen de le voir. C'était de les rendre alcalines et de les injecter. Une expérience comparative faite dans ces conditions, sur des cochons d'Inde, avec de fortes quantités de la même culture acide et alcalinisée, m'a montré que l'alcalinisation n’amenait aucune différence. L’innocuité des cultures acides ne tient donc pas à ce que la toxine y est masquée par la pré- sence d’un acide. Une exception existe pourtant à cette règle à l'égard des cul- tures qui ne restent acides qu’un court intervalle de temps, et qui sont sur le point de redevenir alcalines, car Park et Wil- liams y ont trouvé des quantités appréciables de toxine. L'appa- rition de la toxine précède donc de très peu ou accompagne l'apparition de l’alcalinité. Les tracés qui suivent permettent de comparer l’alcalinité et le pouvoir toxique de deux cultures à différentes époques. Les abscissessontdes jours, lesordonnées figurent l’alcalinité évaluée à 262 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la façon ordinaire, et latoxicité représentée par le poids d’ani- mal que peut tuer, en 48 heures, 1 c. ce. de la culture filtrée. Zoxcile caliseile èo /2 ours PRES CE CERN TONI LIN TENTE SCT SO TI TONTIT RTS ELISA, On voit que l’alcalinité et la toxicité s’accompagnent pendant les neuf premiers jours, et que l’alcalinité peut presque servir de mesure à la toxicité, si bien que, dans les essais, la mesure de l’alcalinité peut renseigner sur le choix de la dose à injecter à un animal. Il est à peine nécessaire de dire que ce n’est pas la substance alsaline qui est la toxine : celle-ci est détruite par un chauffage de vingt minutes à 100° (Roux et Yersin), ce qui ne change rien à l’alcalinité. On peut, du reste, séparer par distillation la sub- stance alcaline, et s'assurer qu’elle est sans action sur le cobaye. Il semble pourtant que toxique et alcali marchent de pair, etque quand le parallélisme cesse, c’est qu'il y a destruction (oxyda- tion) de la toxine. VITI.— Conclusions. Le baciile diphtérique peut pousser dans des milieux acides ou alcalins. Les limites d’alcalinité compatibles avec la culture PHYSIOLOGIE DU BACILLE DIPHTERIQUE, 263 sont de 40 à 50 ©. c. d'alcalinormal par litre; les limites d’acidité sout de 6 à 13 c. ec. d'acide normal par litre. Pour des milieux liquides dont l'acidité est comprise entre Get 13, la culture n’est possible que lorsque la semence arrive dans la pellicule superficielle de liquide qui grimpe le long des parois du vase. Les cultures en bouillon alcalin ne deviennent pas acides, à moins qu'il n'y ait du sucre, d’autres hydrates de carbone ou de de la glycérine. Le degré d’acidité atteint dépend de la quantité de glucose présente, et aussi de l'intégrité de la pellicule qui, une fois disloquée, est gènée dans la formation des produits alca- lins. Lorsqu'il y a 0,2 à 0,4 0/0 de glucose présent, dans un bouillon dont l’alcalinité initiale est de 5 à 6, Pacidité peut monter entre 5 et 13. La culture peut alors continuer et deve- nir à nouveau alcaline. Mais la plus légère agitation suffit alors à arrêter sa croissance, et à la rendre acide d’une façon perma- nente. La présence de 0,45 0/0 de glucose et même plus, dans un bouillon de culture dont l’alealinité estde 5 à 6, le rend acide d'une façon permanente. Le passage d’un courant d'air à la surface des cultures s’est montré sans influence sur la formation des produits alcalins ou de la toxine. Les cultures faites dans de bonnes conditions deviennent vite toxiques, et atteignent leur maximum en une huitaine de jours. Les cultures dont le développement n’a pas été arrèté parune excessive formation d'acide demeurent toujours alcalines. Le maximum d’alcalinité observé a été de 36. La marche du développement de la toxine est à peu près parallèle à celle des produits alcalins, au début de la culture. L'alcalinité peut done servir à apprécier la toxicité. Vers le mi- lieu de la seconde semaine, le pouvoir toxique peut diminuer et l’alcalinité augmenter. Puis l’alcalinité diminue à son tour. Les produits alcalins peuvent être séparés par distillation, et n’ont aucune action sur le cobaye. Pour une rapide production de toxine, il est très important que les cultures soient dans un parfait repos, surtout lorsque le bouillon contient plus que des traces de glucose. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'AMYLOMYCES ROUXII DE LA LEVURE CHINOISE ET DES MOISISSURES FERMENTS DE L'AMIDON Par M. J. SANGUINETI Licencié ès sciences, préparateur à l’Institut Pasteur de Lille et à la Faculté des Sciences. (Travail fait au laboratoire des fermentations de l’Institut Pasteur de Lille.) On connait actuellement un certain nombre de moisissures qui possèdent le pouvoir de saccharifier et de faire fermenter l'empois d’amidon. La plus anciennement étudiée est l’aspergillus orizæ qu'em- ploient les Japonais pour la fabrication de leur saké ou bière de riz. Ahlburg, puis Atkinson’ et plus récemment Takamine* ont publié d'importants travaux à son sujet. M. Gayon, en 1887, a étudié * le mucor alternans dont l'énergie saccharifiante est moindre que celle de l'A. orizæ, mais dont le pouvoir ferment est plus considérable. D’autres moisissures, appartenant à peu près toutes au groupe des mucors, el qui présentent, à des degrés divers, les mêmes propriétés, ont été également signalées. Tels sont : les mucors circinelloïdes et spinosus (Gavon); l’'amylomyces Rouxii, de la le- vure chinoise (Calmette); le chlamydomucor orizæ, de Prinsen Geerligs; l’aspergillus Wentii, du soja javanais. La dernière en date, l'Eurotiopsis Gayoni, a fait l'objet d’une étude publiée dans ces Annales par M. Laborde. (Janvier 1897.) Quelques-unes de ces mucédinées sont employées dans les industries de fermentation. On utilise, par exemple, à Java le chlamydomucor orizæ pour la fabrication de l’alcool de mélasses, 4. Moniteur scientifique, 1882, t. XXIV, p. 7. 2. Brevet n° 241323 du 11 septembre 1894. 3. Annales de la science agronomique française et étrangère, t, I, 4887. MOISISSURES FERMENTS DE L'AMIDON, 265 et l'A. Wentii pour la préparation d’un condiment spécial, le soja, dont la base est constituée par une sorte de haricot. Au Japon, l'A. ori2œ sert à préparer un ferment particulier, le kôji, que les Japonais emploient pour saccharifier le riz cuit, qu'ils font fermenter ensuite avec la levure, pour en obtenir le salé. La quantité d'alcool qu’on obtient dans cette préparation est très faible par rapport à celle de l’amidon mis en œuvre. D'après les nombres indiqués par Atkinson dans son travail, la proportion d'alcool est à peine de 50 0/0 de la quantité qu’on devrait obtenir pratiquement. Nous insisterons plus loin sur les causes de ce déficit; disons cependant que, dans nos expériences de laboratoire, la perte a été de 40 0/0, malgré toutes les précautions prises en vue de la diminuer le plus possible. M. Takamine a proposé et fait breveter en 1894 l'emploi industriel du ôji ou de l'A. orizæ en Europe, pour la sacchari- fication des grains en brasserie, distillerie, fabrique de levures. L'usage de cette moisissure n’a pas réalisé les espérances conçues par son promoteur, et on a dû l’abandonner pour les raisons suivantes : (a) Les propriétés comburantes de FA. orizæ sont tellement énergiques qu’il détruit beaucoup trop vite une grande partie du sucre formé aux dépens de l’amidon; le rendement obtenu par la saccharification des grains est, par suite, très insuffisant. (b) L’A. orizæ peptonise avec une grande énergie les albu- mines végétales et dépouille rapidement les drèches de presque toute leur teneur en azote. Il en résulte que celles-ci perdent toute valeur alimentaire. Au Japon, où la matière première et la main-d'œuvre sont à irès bas prix, et où le malt d'orge et l’acide sulfurique coûtent très cher, l'emploi du kôji pour la fabrication de l’alcool est rela- tivement rémunérateur. En Europe, les conditions sont très diffé- rentes, et l’utilisation de cette moisissure ne présenterait que des inconvénients. En 1892, dans ces Annales, le D' Calmette, alors directeur de l'Institut bactériologique de Saïgon, a décrit une autre mucé- dinée que les Annamites, les Cambodgiens et les Chinois em- ploient pour la fabrication des vins et alcools de riz. II l’a appelée 266 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Amylomyces Rouxii. M. Costantin a bien voulu la déterminer au point de vue botanique, et a reconnu qu’elle devait être rangée dans le groupe des mucors. Sur les conseils de M. Calmette, nous avons repris à l’In- stitut Pasteur de Lille l'étude de cette plante, dont les caractères biologiques seuls avaient pu être nettement déterminés. L'intérêt qu’elle présente par ses propriétés saccharifiantes et fermentalives est beaucoup plus grand que celui des autres moisissures que nous avons cilées jusqu'ici, parce qu'elle est douée d’un pouvoir comburant relativement faible. On pouvait, par suile, supposer que, à cause de la facilité avec laquelle elle se cullive sur les milieux même très pauvres en azote, elle pré- senterait quelques avantages permettant, sinon de l’employer dans nos pays pour la fabrication de l'alcool de grains, du moins de l'utiliser pour l'exploitation des vinasses de distillerie et de fabriques de levure. Nous avons constaté en effet que l’amylomyces se développe avec une grande vigueur dans les vinasses et que, dans ce milieu, il saccharifie et fait fermenter, et permet par suite de récupérer les quantités d'amidon et autres substances hydrocarbonées non utilisées par la levure pour la production de lalcool. Dans le présent travail, nous nous sommes proposé tout d'abord de faire une étude comparative des trois moisissures dont le pouvoir ferment et le pouvoir saccharifiant sont le plus considérables : L'aspergillus orizæ du kôji, le mucor alternans et l'amylomyces Rouxi. L'aspergillus orizæ dont nous nous sommes servi provenait de semences envoyées du Japon à M. Calmette par M. le D' Harmand, ministre plénipotentiaire de France à Tokio. Ces semences sont parvenues sous deux formes : 1° A l’élat de poudre, constituée par des spores de couleur brun foncé, mélangées d’une assez grande quantité de limaille de fer ; 2° À l’état de ji sec. Sous cette forme, l’A. orizæ est con- servé en mycélium à fa surface de grains de r1z décortiqué. Nous avons isolé par la méthode des plaques de Pétri, sur moût de touraillon et de glucose gélatiné, plusieurs colonies provenant soit de kôji sec, soit des spores. Nous nous sommes MOISISSURES FERMENTS DE L’AMIDON. 267 assuré qu'elles présentaient bien les caractères de l’A. orizæ et, pour nos expériences, nous avons choisi une plante dérivée d'une colonie unique. Nous avons fait de même pour le mucor alternans dont nous devions la culture d'origine à l’obligeance de M. Gayon. Quant à l’'amylomyces, nous avions à notre disposition les spécimens rapportés d'Indo-Chine en 1893 par M. Calmette et entretenus depuis par ses soins *. Les trois mucédinées ont été cullivées dans les mêmes con- ditions de température à l’étuve à 30° et dans les milieux sui- vanls : 1° Eau de levure stérilisée à 120°, reconnue exempte de sucrase, additionnée d’amidon, de dextrine, de saccharose ; 20 Moût de brasserie ; 3° Moût de distillerie de grains; 4° Vinasses de distillerie de grains. L'action de chaque plante sur les principaux hydrates de carbone a élé éludiée en choisissant comme milieu minéral et azolé l’eau de levure. Nous avons reconnu en effet que ce liquide convient très bien au développement de chacune d'elles, tandis que d’autres milieux artificiels, le liquide Raulin par exemple, leur était très inégalement propice. L’A. orizæ et le mucor alter- nans y croissent avec assez de vigueur, mais l'amylomyces n’y végète que très péniblement. Nous n’avons pas étudié l’action de ces trois moisissures sur le glucose parce que celte action a été déterminée déjà par des travaux antérieurs et qu’elle ne présente aucun intérêt pratique industriel. EXPÉRIENCES AVEC L'EAU DE LEVURE 19 Amidon.— Desballons de 1,500 c. c. de capacité, renfermant chacun 15 grammes d’amidon et 500 c. c. d'eau de levure, ont été chauffés au bain-marie bouillant pendant une demi-heure, pour commencer la transformation de l’amidon en empois, puis portés à l’autoclave à 120° pendant le même temps. Après refroidissement, on a ensemencé 2 ballons avec 1. Voir pour l’étude biologique de l'amylomyces, ces Annales, 1892, p. 604. 268 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'A. orizæ, 2 avec le mucor alternans, 2 avec l’amylomyces : un septième ballon était conservé comme témoin. L'analyse a été faite après 10 jours d’étuve à 30°. Chaque jour, matin et soir, les ballons étaient agités pour empêcher les plantes de former des spores aériennes. Pour chaque moisissure, on a noté: 1° Le poids de plante après essorage, lavage à l’eau distillée et dessiccation à basse température ; 20 L'extrait sec à 100°; 3° L’'acidité totale calculée en acide sulfurique: &o L'alcool, à l’alcoomètre et au compte-gouttes de M. Du- claux ; 5 Le sucre réducteur par la liqueur Fehling (méthode de Soxhlet) ; 6e La déviation polarimétrique; 7° Le pouvoir réducteur total après saccharification par HCI; 8° La perte en alcool, ou différence entre l’alcool obtenu et celui qu'on devrait obtenir pratiquement d’après les nombres de M. Pasteur. Les nombres sont des grammes. Le tableau ci-après donne les résultats obtenus. EAU DE LEVURE ET AMIDON Mucor Témoin. A. orizæ. Amylomyces. alternans. CRE CRDOREERNEE CÉNMEMRREENEEENE EE CMNEMMNNNENNNURE GEAR é gre gr. gr. gr Poidsidé plante APP EEE CRETE » 2.081 0.667 2,080 Extraltisec à 1002 PRPRPAEPEPEEEE 19,00 5.20 6.27 4.50 Acidité totale en SO#H2.......... 0.127 0.070 0.980 0.660 AlcooMen puIds. 70e ae » ST 1.58 3.96 Sucre réducteur (en glucose) ..… » 1.30 traces traces Sucre réducteur total après sac- charification par HC1.......... 16.67 2,95 2,99 3.7 Perte en alcool pour 0/0 d'amidon. » 40 0/0 46 0/0 95.7 0/0 Des chiffres indiqués par ce tableau, nous pouvons tirer les conclusions suivantes : MOISISSURES FERMENTS DE L'AMIDON. 269 Dans le mélange d’eau de levure et d'empois d'amidon, l’A. orizæ donne moins d'alcool que l'amylomyces, mais il en donne plus que le mucor alternans. I laisse moins de sucre réducteur total. L'amylomyces développe moins d’acidité que les deux autres moisissures. Il donne plus de sucre, plus d'alcool, avec une perte bien plus faible en alcool. 2° Dextrine. — Nous avons étudié l’action de l'A. orizæ, du mucor alternans et de l’amylomyces sur la dextrine, en opérant exactement dans les mêmes conditions que celles qui ont été décrites ci-dessus pour l’amidon. Chaque ballon de 500 c. c. d’eau de levure contenait 15 grammes de dextrine reconnue exempte de sucre réducteur. L'analyse effectuée après 10 jours de fermentation nous a donné les chiffres suivants : EAU DE LEVURE ET DEXTRINE Mucor Témoin. A. orizæ, Amylomyces. alternans 1. A CEMESOIRE een ONE ARR" : gr. gr. gr. gr. Pordsde plante res mener » 1.666 0.793 1.071 BxÉTATE SEC AUOT 20.00 6.48 8.28 9.56 Acidité totale en SO‘H2......... 0.147 6.363 0.176 0.392 Rlcooken poids." 2.4: » 1.43 3.12 2.75 Sucre réducteur (en glucose)... 195 traces 0.43 0.42 Sucre réducteur total après sac- charification par HCI ......... 48.51 4.95 4.54 6.50 Perte en alcool pour 0/0 de dex- (ENT LEE NS PTE ) 48 0/0 30 0/0 30 0/0 Dans l'eau de levure dextrinée, c’est le mucor alternans qui donne la plus forte quantité d'alcool, et cependant il donne un développement de plante beaucoup moins abondant que Pamylo- myces et l'A. orizæ. La perte en alcool est la même pour le mucor alternans et lamylomyces. — L'amylomyces attaque la dex- 1. Les nombres que nous avons trouvés pour le mucor alternans concordent exactement avec ceux indiqués dans le mémoire de MM. Gayon et Dubourg sur la fermentation alcoolique de la dextrine et de lamidon par les mucors. 270 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. trine avec moins d'énergie que l'A. orizæ et le mucor aliernans. 3° Saccharose. — M. Gayon ayant montré que le mucor alter- nans ne secrèle pas de sucrase et ne fait pas fermenter le saccha- rose, nos expériences avec cet hydrate de carbone ont porté exclusivement sur l’A. orizæ et l'amylomyces. 506 c. c. d’eau de levure ont été additionnés de 10 0/0 de saccharose. Déjà, trois jours après l’ensemencement, nous constalions que les ballons contenant l’A. orizæ seuls étaient entrés en fermen- tation. L'amylomyces se développait péniblement, comme dans l’eau de levure, sans addition d'aliments bydrocarbonés. Au bout de 10 jours, Panalyse du liquide fermenté par l'A. orizæ a donné les résultats suivants : EAU DE LEVURE ET SACCHAROSE Témoin. Poids de plante Extrait sec à 100° Acidité totale en SO*H?2 Alcool en poids ....... DaDo eco Re 20.60 95 glucose. Sucre réducteur (en glucose)... 21202 “e lévul .06 lévulose. SaCCharOSe Are ÉE-re -e 5.6 néant, Déviation polarimétrique oÛ — 29,2 Perte exprimée en alcool L’A. orizæ a complètement interverti le saccharose, car on n’en a plus retrouvé aucune trace dans le liquide restant. Une faible partie de l’alcool formé a été brûlée par la plante, car la fermentation a duré trop peu de temps. L'étude des acides volatils effectuée d’après la méthode de M. Duclaux nous a donné une courbe indiquant que nous avions affaire à un mélange d’acide formique et d’acide acétique. Les sucres réducteurs restant dans le liquide sont un mélange de glucose et de lévulose, avec prédominance de ce dernier. Le lévulose présente donc une résistance très grande à l’action fer- MOISISSURES FERMENTS DE L’AMIDON. 271 mentative de l'A. orizæ. C'est là un fait intéressant; on sait déjà que ce sucre est difficilement transformé par les levures (Dubrun- faut, Bourquelot, Gayon et Dubourg) et même par les microbes (B.orthobutylicus de Grimbert). L'amylomyces, dans l’eau de levure sucrée, ne produit aucune fermentation; il ne sécrète pas de sucrase et laisse intact le saccharose. Pour nous assurer de ce fait, nous avons effectué les expé- riences suivantes : 1° Dans un cristallisoir à recouvrement contenant 500 c. c. d'eau sucrée à 1 0/0 stérile, nous introduisons une plante entière bien développée et débarrassée de toute trace de sucre réducteur par des lavages répétés à l’eau stérile. Nous laissons la plante en contact pendant 24 heures à la température de 28°. L'analyse indique que le saccharose est resté intact ; 2° Une deuxième expérience exécutée dans les mêmes condi- tions que la précédente, mais avec une durée de contact de 48 heures, donne le même résultat. Nous pouvons donc conclure que l’amylomyces, comme le mucor aliernans, ne sécrète pas de sucrase et ne fait pas fer- menter le saccharose. EXPÉRIENCES AVEC LES MOUTS DE BRASSERIE ET DE DISTILLERIE DE GRAINS Les aliments hydrocarbonés entrant dans la composition des moûts de brasserie et de distillerie de grains sont à peu près les mêmes. Nous avons jugé utile de les employer simultanément pour la culture de nos trois moisissures, à cause de leur impor- tance dans les industries de la région du Nord. Ces moûts renfer- ment un mélange de maltose et de dextrine avec une très faible proportion d'amidon soluble *. Les expériences ont porté sur un litre de moût. La marche de la fermentation a été identique pour les trois séries d’expé- riences. Les plantes se sont abondamment développées et une agitation répétée régulièrement 2 fois par jour suffisait à peine, pour l'A. orizæ, à empècher la formation de spores aériennes. 14. Le moût de distillerie de grains que nous avons employé provenait d’une usine où l’on travaille le seigle et le mais par le malt vert. 272 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Nous avons attendu, pour faire l'analyse des moûts, que la végétation ait complètement cessé, soit 2 mois pour l'A.orizæ et un mois pour le mucor alternans et l’'amylomyces. Les résultats obtenus sont consignés dans le tableau ci-après. Les nombres expriment toujours des grammes. MOUT DE BRASSERIE ET DE DISTILLERIE DE GRAINS AMYLOMYCES distillerie. MUCOR ALTÉRNANS distillerie. | brasserie. brasserie, distillerie. ORIZÆ As brasserie. (maltose) = = D E=) n T TÉMOIN brasserie. (maltose) Sucre réducteur (en glucose)... Perteren alcool eee Acidité totale en SO“H2..,,, AICOOIMENN POIs... .... DexUCIN ER re eee Poids de plante..,...... MOISISSURES FERMENTS DE L'AMIDON, 273 Nous voyons que c'est l’amylomyces qui fournit le plus d'alcool et qui donne les pertes les plus faibles. Nous lui retrou- vons ici les mêmes avantages qu'il présentait déjà dans l’eau de levure amidonnée el dextrinée. Le mucor alternans vienten seconde ligne pour les propriétés fermentatives. Quant à l'A. orizæ, dont la végétation est extraordinairement riche, nous constatons qu'il épuise à peu près complètementson milieu de cullure, mais son pouvoir comburant est si énergique qu'il détruit, au fur et à mesure, la plus grande partie de l’alcool formé. Après fermentation, la teneur des moûts en dextrine est très faible avec les trois moisissures. Il est à remarquer que le mucor alternans fait disparaître presque totalement cet hydrate de car- bone. M. Gayon avait déjà observé le même phénomène. Dans les expériences où nous n’avions fourni à ce mucor que de la dextrine comme substance fermentescible, il n’en avait pourtant pas été de mème : nous devons donc supposer que celte moisissure, trouvant dans les deux moûts une plus grande pro- portion de matières assimilables, sécrète plus de dextrinase et, par suite, attaque plus complètement la dextrine. Il est intéressant d'observer que, dans le moût de distillerie, la quantité de dextrine restante est proportionnellement plus grande que dans le moût de brasserie. Nous expliquons cette différence par ce fait que le moût de distillerie présente une acidité plus forte qui gène l’action de la dextrinase. En étudiant l’action de l’Eurotiopsis Gayoni sur le moût de bière, M. Laborde' a trouvé que cette mucédinée peut fournir jusqu'à 4,6 0/0 d'alcool en laissant un résidu de 0,5 0/0 de matières saccharifiables, L’Eurotiopsis se comporte donc dans ce milieu à peu près comme le #ucor alternans. EXPÉRIENCES AVEC LA VINASSE DE DISTILLERIE DE GRAINS Après avoir étudié l’action des trois moisissures sur l’amidon, la dextrine et les moûts industriels, il nous a paru intéressant de les cultiver parallèlement sur la vinasse de distillerie, qui 1. LasoroEe, Thèse de doctorat ès sciences, Paris, 1896, 13 274 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pl n’est autre chose que le résidu de l’action de la levure alcoolique sur ces moûts. Les chiffres que nous avons trouvés prouvent que cette étude présentait un intérêt pratique très considérable. Particulièrement en ce qui concerne l'amylomyces, nous avons constaté que, par la culture de cette plante, on peut extraire des vinasses une quantité d'alcool qui, après déduction des frais de récupération, laisse au distillateur un bénéfice important. De plus, le liquide dans lequel l’amylomyces a végété possède, à très peu près, la même valeur agricole. La vinasse que nous avons employée provenait d'une distil- lerie où les grains (maïs et seigle) sont travaillés par le malt vert. Son acidité totale exprimée en acide sulfurique variait entre 3 et 4 grammes par litre. Pour permettre le développement de nos moisissures, nous la ramenions de 0#',5 à À gramme par litre au maximum, avant stérilisation, au moyen d’un lait de chaux. Dans ces conditions, les plantes y végétaient parfaitement. Le tableau ci-dessous indique les résultats que nous avons obtenus après un mois de culture, temps nécessaire pour que les plantes cessent de se développer. VINASSE DE DISTILLERIE DE GRAINS Mucor Témoin. A. orizæ. Amylomyces. | alternans. gr. gr. gr. gr Poids de plantes tr » 4.465 3.730 1.393 Extrait sec a HIDE Peer ..| 33.46 15.48 16.80 20.80 Acidité totale en SO*H2. ........ 1.166 0.200 0.300 0.840 Alépolen poids. re » traces 2.66 1.58 Sucre réducteur (en glucose)... 3.39 traces traces traces Sucre réducteur total après sac- charification par HCI.......... 16.65 2.49 2.50 5.00 AZOteMHutale. 1%. 11. Loc 0.620 0.300 0.415 0.487 A ie MOISISSURES FERMENTS DE L'AMIDON. 275 La vinasse constituant un milieu très pauvre en substances nutritives, l'A. orizæ y brûle au fur et à mesure tout l’alcool auquel il donne naissance, et fait disparaître la plus grande proportion d'azote. L'amylomyces laisse moins d'alcool, mais plus d'azote et d'hydrates-de carbone non transformés que le mucor alternans. L'acidité totale a diminué dans les trois cas. Or, dans toutes nos expériences précédentes, il y avait toujours augmentation. Nous expliquerons ce fait en faisant remarquer que la pau- vreté du milieu oblige les moisissures, pour se développer, à utiliser toutes les substances capables de servir à leur nutrition, y compris l’alcool et les acides organiques qui s’y trouvent. Il n'en était pas de même quand elles avaient à leur disposition une grande réserve de matières hydrocarbonées : les acides formés pendant la fermentation restaient intacts et étaient retrouvés à l’analyse. Si, au lieu de prolonger la culture pendant un mois, nous laissons l’amylomyces se développer dans la vinasse pendant un temps moins long, on constate que la quantité d'alcool formé est autrement importante que celle obtenue précédemment. Déjà, après 6 jours, nous pouvons récupérer 12 c. c. d’alcool par litre de vinasse. Après 10 jours, la quantité d'alcool commence à diminuer : la plante le brûle faute d’autres aliments. Des expériences eflectuées industriellement dans la fabrique de levüres de M. A. Collette, à Seclin (Nord), en opérant sur des cuves de 300 hectolitres de vinasse, ont donné sensiblement le même rendement en alcool qu’au laboratoire, après six jours de fermentation. Nous donnons ci-dessous l’analyse d’une vinasse après ce temps de fermentation par l’amylomyces, afin de pouvoir com- parer avec les résultats indiqués précédemment. 276 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. VINASSE DE DISTILLERIE DE GRAINS Témoin. Amylomyces. | A Poids de plante... re ARR ERREUR es 1600 Extrait sec/à:100 M2 Re ee nee 43.56 22,80 Acidité totale en SOfH2 AN CR EAN RUE 1.360 1.180 AÏCOOL En POS. Re et he ee ce » 9,51 Sucre réducteur (en glucose)... 10 4.81 1.54 Sucre réducteur total après saccharification fe UE D oe dond Sua0 0e 0 oo tis 000 MBTLONEE 21.27 4.80 AZote:total 2 PAU ERA RE AE Le 0.673 0.487 CONCLUSIONS En résumé, l'étude comparative que nous avons faite de l'aspergillus orizæ du kôji, du mucor alternans de M. Gayon, et de l'amylomyces Rouæiü de la levure chinoise, nous amène à conclure : 1° Que ces trois mucédinées possèdent un pouvoir sacchari- fiant très énergique. Celui de l’A. orizæ est le plus intense, l'amylomyces vient en deuxième ligne, puis le mucor alternans : 2° Que l’amylomyces, dans tous les milieux étudiés, est celle des trois moisissures ferments de l’amidon qui, dans le même temps, laisse le plus d'hydrates de carbone non transformés, parce que son pouvoir comburant est beaucoup moindre ; 3° Que l’amylomyces a un pouvoir ferment plus considérable que les deux autres et que, grâce à ses propriétés comburantes beaucoup plus faibles, il est seul susceptible d’être utilisé prati- quement dans l’industrie, soit pour la fermentation directe des matières amylacées, soit pour l’utilisation des vinasses de distillerie. C’est pourquoi nous avons jugé utile d'entreprendre une étude plus complète de cette moisissure. Nous en publierons les résultats prochainement. RECHERCHES SUR L'IMMUNITÉ DANS LE CHOLERA PREMIER MÉMOIRE SUR L’AGGLUTINATION Par LE D' A, TAURELLI SALIMBENI (Travail des laboratoires de MM. Metchnikoff et Roux.) I Dans un mémoire inséré dans ces Annales (juin 1895), M. Bordet avait montré que lorsqu'on mélange in vitro une quantité suflisante de sérum préventif à une émulsion de vibrions, ceux-ci s'immobilisent et se réunissent en amas flottants dans le liquide. Tout en reconnaissant à M. Bordet le mérite d’avoir le pre- mier observé ce phénomène, M. Gruber, dans une série d'articles parus l’année dernière, lui reproche de ne pas en avoir saisi la portée. En collaboration avec M. Durham, il répète cette expé- rience dont il fait une description minulieuse et très exacte, et constate en outre que le bacille d'Éberth et le bactérium coli, mis in vitro en présence de leurs sérums préventifs, se compor- tent comme le vibrion cholérique. Pour lui, ce phénomène, qu’i! appelle agglutination, est dû à des substances spécifiques, les agglutinines, qui se rencontrent dans le sérum des animaux vaccinés ; et, se basant sur la spécificité de ces substances, il propose l’agglutination comme moyen de diagnostic des micro- bes mentionnés ci-dessus. Nous ne voulons pas discuter ici les objections élevées sur ce point par M. Bordet et M. Pfeiffer; ce qui nous intéresse surtout, c’est d’une part l'interprétation donnée par Gruber à l'agglutination, et d'autre part les déductions qu'il en tire pour expliquer le mécanisme de l’immunité active et passive. Ce savant admet que, sous l'influence des substances aggluti- 278 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nantes contenues dans les sérums immunisants, la membrane des microbes gonfle et devient visqueuse; ce qui permet à ceux-ci de s’immobiliser et de se réunir en amas. Il constate encore que la destruction des microbes soit in vitro, soit dans le corps des animaux activement ou passivement immunisés, est produite par l’action combinée des agglutinines et des alexines ; la substance agglutinante, en modifiant la mem- brane, permettrait la pénétration du corps des bactéries par les alexines, auxquelles seules incomberait en définitive la destruc- tion des mibrobes. M. Pfeiffer! et M. Bordet” ont objecté que l’examen, à l’état frais el dans les préparations colorées, des microbes agglutinés, ne permet de relever aucun changement ni dans leur forme ni dans leur réaction vis-à-vis des matières colorantes, et que par suite cette prétendue modification de la surface microbienne reste tout à fait hypothétique. M. Gruber, d’ailleurs, n’a publié aucune expérience démon- trant d’une façon nette le fait fondamental qu'il affirme, savoir que cette réaction, siévidente in vitro, se produit également dans l'organisme des animaux vaccinés. Au cours de nos recherches concernant la question de l’im- munité, recherches que nous poursuivons depuis quelque temps, nous n'avons rien observé qui justifie l’assertion de M. Gruber ; au contraire, certains faits nous ont paru de nature à l'in- firmer. En étudiant ce que deviennent les vibrions cholériques injectés sousla peau d'un cheval fortement immunisé,nous avions pu constater en effet que le phénomène de l’agglutination ne se produisait pas dans les tissus, et apparaissait postérieurement plus ou moins vite, quelquefois mème sous les yeux de l’ob- servateur, dans les gouttes suspendues préparées avec les diffé- rentes prises d'exsudat. Cette première observation nous a conduit à instituer une série d'expériences sur la production du phénomène de l’agglu- Unation dans l'organisme des animaux activement ou passive- ment immunisés. 4. Deutsche med. Woch., avril 1896. 2, Ces Annales, avril 1896. SUR L'IMMUNITÉ DANS LE CHOLÉRA, 279 IL Notre expérience fondamentale a été faite sur un cheval for- tement immunisé, qui depuis neuf mois avait reçu 67 cultures sur gélose des vibrions vivants très virulents de la Prusse orientale, et qui à ce moment donnait un sérum capable, à la dose de 1/15 de milligramme, de préserver un cobaye contre l'injection intrapéritonéale d’une dose de vibrions sûrement mortelle pour les cobayes témoins : 1/20 de milligramme de ce sérum suffisait pour amener au bout d’une heure, in vitro, l’ag- glutination complète de 1/10 de culture de 24 heures de vibrions sur gélose, diluée dans 1 c. c. d’eau physiologique stérile. L'addition, à la même quantité d'émulsion, de 1/50 de milligramme seulement, provoquait le dépôt complet en 24 heures. | Après avoir injecté une cullure de vibrions sous la peau de ce cheval, si, au bout de cinq minutes, on retire avec un tube effilé une goutte d’exsudat et si on a soin de l’examiner sans aucun retard en goutte suspendue, on constate que beaucoup de vibrions sont déjà immobilisés, les autres demeurant encore bien mobiles, sans qu’il y ait aucune réunion en amas. Mais très rapidement le nombre des vibrions mobiles diminue, et on les voit se réunir en petits amas, comprenant des vibrions mo- biles et des vibrions incomplètement immobilisés qui impriment à l’amas un mouvement d’oscillation et de rotation en masse. Peu à peu ces petits amas s’accollent entre eux et, après quel- ques minutes (2-6), il n'existe plus guère que de gros amas bien nets, flottant dans le liquide devenu clair, où quelques rares vibrions apparaissent encore bien mobiles. On pourrait objecter que la durée de cinq minutes, pendant laquelle les vibrions se sont trouvés en présence de la sub- stance agglutirante dans l'organisme animal, ne suffit pas pour provoquer l’agglutination, et qu'il faut encore, pour obtenir le phénomène, le temps qui s'écoule entre la prise de l’exsudat et la réunion en amas dans la goutte suspendue. Mais si, au mo- ment où cette agglulination est complète dans la première goutte, on fait une nouvelle prise d'exsudat qu'on examine également en goutte suspendue, on constate que les choses se passent exactement comme dans l'examen précédent : les vi- 280 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. brions, en partie mobiles, en partie immobiles au début, se réunissent en amas de la même façon et dans le même laps de temps que pour la première goutte suspendue. Les examens praliqués postérieurement au bout de 15, 30, 50 minutes, et tant qu’on trouve des vibrions libres dans l’ex- sudal, non seulement ne montrent pas d’agglutination préexis- tante, mais même ce phénomène met un temps d'autant plus long à apparaître in vitro que l’exsudat renferme moins de vi- brions mobiles. Ainsi, avec les exsudats retirés plusieurs heures après l'injection, et dans lesquels presque tous les vibrions sont immobilisés, nous n'avons obtenu l’agglutination qu'après les avoir fait séjourner quelques heures à l’étuve à 37°. Et cepen- dant une trace du même exsudat provoque instantanément l’ag- glutination, si on la mélange in vitro à une émulsion, dans l’eau physiologique, de vibrions provenant d'une culture de 24 heures sur gélose. Si, en même lemps que les examens en goutte suspendue que nous venons de décrire, on fait des préparations colorées, en ayant soin d’étaler et de dessécher l'exsudat très rapidement après l'avoir retiré de l'organisme, on constate que, dans ces pré- parations, les microbes ne se montrent nullement réunis en amas. Nous avons répété cette expérience sur une chèvre immu- nisée depuis onze mois par des injections sous-cutanées de cul- tures de vibrions vivants, qui nous donne actuellement un sé- rum préventif contre la péritonite vibrionienne des cobayes à la dose de 2 milligr., et qui est capable d’agglutiner dans l’espace d'une heure 1/10 de culture sur gélose de vibrions émulsionnés dans 1 c. c. d’eau physiologique. Les résultats obtenus avec cette chèvre sont identiques à ceux que nous avait donnés le cheval; c’est pourquoi nous nous dispensons de les rapporter en détail. Ces deux expériences nous autorisent à conclure que le phé- nomène de l'agglutination ne se produit pas dans le tissu sous-cu- tané chez le cheval et la chèvre immunisés contre le vibrion cholérique. SUR L'IMMUNITÉ DANS LE CHOLERA. 281 III Pour compléter notre étude en vue d'en tirer des conclusions générales sur ce phénomène, qui forme la base de la nouvelle théorie de l’immunité contre les vibrions formulée par M. Gru- ber, il était nécessaire de l’étudier dans le péritoine et sous la peau des cobayes, animaux qui ont été généralement employés pour étudier le mécanisme de l’immunité contre les vibrions. Nous nous sommes servi, pour les expériences sur l’immu- nité active, d'une série de cobayes hypervaccinés contre le vibrion de la Prusse orientale. Ces cohayes, en voie de vaccina- tion depuis 8 mois, donnaient un sérum capable de préserver, à la dose de 4 milligrammes, un cobaye contre l'injection intra- péritonéale d’une dose mortelle de vibrions vivants. Pour obtenir en une heure l’agglutination complète de 1/10 de culture sur gélose de 24 heures, il suffisait d’y ajouter 05",0025 de ce sérum. Le vibrion de la Prusse orientale employé dans ces expé- riences possédaitune virulence telle, qu’à la dose de 1/40 de cul- ture de 24 heures sur gélose, il amenait sûrement la mort d’un cobaye de taille moyenne (250-300 grammes) au bout de 16 à 18 heures. Nous avons injecté chaque fois, soit sous la peau, soit dans le péritoine, 1/10 de culture. Pour l'immunité passive, nous avonstoujours évité d'injecter le mélange des vibrions et de sérum, parce que, dans ce cas, la réunion en amas, tout en opérant aussi vite que possible, peut se produire avant l'injection en dehors de l'organisme. Nousinjections la veille, sous la peau des cobayes qui devaient nous servir pour l'expérience, 2 c. c. de sérum préventif du cheval très fortement immunisé dont nous avons parlé au début de ce travail, et le lendemain, avant d’injecter les vibrions, nous avons toujours recherché si le sang et la lymphe péritonéale des cobayes préparés ainsi que nous venons de le décrire étaient capables de provoquer l’agelutination. Il est toujours très facile de retirer, au moyen d'un tube effilé, une goutte de lymphe du péritoine ; d'autre part la goutte de sang était prise à la palte de l’animal, et diluée dans quatre gouttes d’eau physiologique stérile. Toujours nous avons con- staté qu'une trace de cette lymphè ou de ce mélange de sang et 282 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. d’eau physiologique élait capable de déterminer presque instan- tanément l’immobilisation et la réunion en amas des vibrions provenant de la même culture qui devait servir à l'expérience. Nous croyons inutile de décrire ce que deviennent les vibrions dans la cavité péritonéale des cobayes activement ou passive- ment immunisés. Cette description a été faite maintes fois par es auteurs qui se sont occupés de la question. Il est intéressant de constater que leur attention n’a jamais été attirée par la réunion en amas indiquée par M. Gruber comme le premier phénomène qui s’observe quand on injecte une émulsion de vibrions dans le péritoine d’un animal immunisé. Si l’on retire, deux minutes après l'injection, le liquide périto- néal d’un cobaye activement ou passivement immunisé, on cons- tate que les microbes, tout en conservant leur forme vibrionienne, sont immobilisés pour la plupart, mais ils se présentent parfaite- ment libres et isolés. Dans la goutte suspendue préparée avec ce liquide, on peut assister à la formation des amas qui commence aussitôt, et quiest complète au bout de 2 à 3 minutes tout au plus. Après 5 à 10 minutes, la plus grande partie des vibrions con- tenus dans le liquide péritonéal est transformée en granules (phénomène de Pfeiffer) : mais les granules et les rares vibrions qui conservent encore leur forme et en partie leurs mouvements se présentent parfaitement libres. Il faut même remarquer que l’agglutination presque instan- tanée, qu'on peut voir se produire dans la première goutte d’exsudat retirée au bout de deux minutes, devient de moins en moins évidente et s'effectue plus lentement au fur et à mesure que le phénomène de Pfeiffer est plus complet. Au bout d’une demi-heure, les leucocytes mononucléaires et polynucléaires se trouvent déjà en assez grand nombre: ils sont remplis de microbes et souvent même entourés par eux. Parfois on trouve des leucocytes réunis en amas et entourés d’une couche glaireuse très riche en microbes. C’est seulement dans ces masses leucocytaires qu'on trouve quelques petits amas de granules”. Quelque temps après (1 h. — 1h. 1/2), l'exsudat péritonéal ne renferme que quelques boules et de rares leucocytes. 1. Ueber activ und passiv Immunität gegen Cholera. Separat-abdruck aus d. Wiener Klin. Wochens., n° 11, p. 17. 2, METcHNIKOrF, ces Annales, juin 1895. SUR L'IMMUNITÉ DANS LE CHOLÉRA. 283 A ce moment, on pouvait supposer que les microbes encore libres avaient fini par se réunir en amas et se déposer sur la paroi du péritoine et sur les anses intestinales, de même qu'ils se réunissent en amas et tombent au fond du tube à essais dans l'expérience in vitro. Mais si on sacrifie les cobayes et si on exa- mine de près ce qui s’est passé, il est très facile de se convaincre qu'il n’en est pas ainsi. Les microbes sont en effet collés au péritoine, et on peut très bien les étudier en faisant des préparations avec l’épiploon étalé sur des lames. Si l’on fait surl’épiploon fixé à l'alcool la recherche de la fibrine avec la méthode de Weigert, il est facile de se con- vaincre que, dans la cavité péritonéale, il y a un processus de coagulation de l’exsudat, et que les microbes ont été entraînés par le coagulum qui s’est formé. M. Durham, d’ailleurs, avait déjà signalé cette coagulation". Les vibrions injectés sous la peau des cobayes activement ou passivement immunisés ne présentent pas non plus, dans l’æœdème sous-cutané, la réunion en amas. M. Mesnil, qui a très soigneusement étudié la destruction de vibrions sous la peau des animaux vaccinés, tout en admettant qu'on peut constater une formation d’amas dans l’æœdème sous- cutané, surtout dans les premières heures qui suivent l'injection, conclut « qu'il n’y a rien de comparable comme intensité aux phénomènes qui se passent în vitro » : et même ce savant avait observé que « dans l’exsudat mis en goutte suspendue, il ya augmentation notable du nombre et de la grosseur des amas*. » Nous pouvons donc conclure que le phénomène de l'agqlutina- ion ne se produit pas quand on injecte des vibrions cholériques sous la peau et dans le péritoine d'animaux activement où passivement im- munises. IV Ayant constaté d'une part que le phénomène de l’agglutina- tion, qu'on peut produire in vitro en ajoutant des doses infinité- simales de sérum (1/20 de milligr. et même moins) à 1/10 de cul- ture de vibrions sur gélose diluée dans 1 c. c. d’eau physiologique 1. Donna. On à special action of the serum of highly immunised animals. 2. Ces Annales, juillet 1896. 284 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ne se produit pas quand on injecte la même quantité de microbes sous la peau ou dans le péritoine des animaux activement ou passivement immunisés, et d'autre part ayant aussi constaté que les microbes restés libres se réunissent en amas avec la plus grande rapidité quand ils sont retirés du corps de l’animal, nous avons été conduit à supposer que peut-être la présence de Pair était une condition nécessaire ou tout au moins favorable à Ja production de ce phénomène, et nous avons recherché si, en mélangeant in vitro et dans le vide du sérum préventif à une émulsion de vibrions, l’agglutination se produirait de la même façon, c’est-à-dire aussi rapidement et avec la même intensité. Nous nous sommes servi pour cette expérience dans le vide des tubes bien connus à double branche et à double effilure, dans lesquels il est très facile d'introduire par les effilures, en aspirant, d'un côté l’émulsion de microbe, de l’autre le sérum, pour les mélanger après avoir fait le vide. Deux culiures sur gélose de 24 heures sont diluées dans 20 c. c. d’eau physiologique stérile, et une fois bien mélangées de façon à avoir une émulsion parfaitement homogène, nous introduisons dans six tubes à double branche, étiquetés 1, 2, 3, 4, 5,6, 1 c. c. d'émulsion dans une branche, et dansl’autre 1/2 c. c. d'eau physiologiquetenant en dissolution pour le n°1 :0s",0001, et pour les n°% 2, 3, 4, 5, 6, respectivement 08,001, 0s',002, 02,005, 0:",01, 05,02 de sérum ; puis nous faisons le vide. Dans six tubes à essais ordinaires, éliquetés de la même façon 1’, 2’, 3, 4, 5',6, pris comme témoins, nousintroduisons la même quantité d'émulsion de vibrions, et, comme pour les six tubes à double branche, nous mélangions au n° 1, 0f",0001, et aux autres 2’, 3’, 4, 5’, 6 respectivement O0s",001, 0s',002, 08,005, 0,01, 02,02 de sérum en dissolution dans 1/2 c. c. d’eau physiologique. En même temps que nous faisons l'ex- périence pour les six tubes témoins, nous opérons le mélange dansles six tubes à double branche, et nous observons ce qui suit. Pour les tubes 6 et 6’, contenant 0,02 de sérum mélangés à l’émulsion de vibrions, la réaction est sensiblement la même : à peine dans le tube 6 le phénomène de l’agglutination a-t-il un léger retard, et le liquide, pendant la première heure, reste trouble, tandis que, dans le tube 6’ resté au contact de Fair, la réaction est complète au bout d’une demi-heure. SUR L'IMMUNITÉ DANS LE CHOLÉRA. 285 Dans les tubes 4, 3, 2, 1 où le vide a été fait, aucun change- ment apparent ne se produit. À peine si dans les tubes 5 et k, au bout de 24 heures, le liquide s’éclaireit-il un peu, mais jamais on n'observe la formation des flocons. / Les tubes 1 et 2 restent constamment troubles. Dans les tubes au contact de l'air, on observe l’agglutina- lion ordinaire. | Ces expériences ontété maintes fois répétées, et les résultats ont été toujours identiques. Dans une autre expérience, reprenant les tubes 1, 2, 3, 4, dans lesquels aucun changement ne se produit, nous laissons pénétrer l'air librement une heure et demie à deux heures après le commencement de l'expérience, et nous examinons les modifications qui ont pu survenir chez les vibrions restés pen- dant ce laps de temps au contact des substances agglutinantes dans le vide. Dans des gouttes suspendues préparées et portées aussi rapidement que possible sous le microscope, nous constatons que les vibrions sont encore bien mobiles et libres. Mais, au bout de 15 à 30 minutes, suivant la quantité de sérum qui avait agi sur les vibrions, l’immobilisation et l’agglutination sont com- plètes. Quant aux mélanges restés dans les tubes dans lesquels on vient de faire rentrer l'air, la réunion en amas s'opère plus lentement que dans les tubes témoins, et la clarification du liquide n’est complète qu'au bout de 4 — 5 heures. De l’ensemble des recherches que nous venons d’exposer nous ne déduirons qu’une seule conciusion : L'agglutination, tout au moins pour les vibrions cholériques, est un phénomène qui se produit exclusivement en dehors de l'organisme. Les dernières expériences démontrent que des conditions spéciales peuvent influencer la production de ce phénomène in vitro. Dans notre cas, nous avons constalé qu'une dose 100 fois supérieure à celle capable de déterminer l’agglutination com- plète; au bout d’une heure, de 1/10 de culture de vibrions de 286 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 94 heures sur gélose diluée dans 1 c. c. 1/2 d'eau physiolo- gique, n'est pas suffisante pour agir sur la mème quantité de microbes quand on opère dans le vide. Mais, d'autre part, pour des doses supérieures, la réaction dans le vide se produit sensiblement de la même façon que dans les tubes témoins. En présence de ces résultats, il est absolument impossible de tirer des conclusions définitives. Les moyens d'investigation employés jusqu'à présent n'ont rien donné qui puisse nous renseigner sur le mécanisme intime de cette réaction. S'agit-il d’un phénomène d'ordre purement physique, comme M. Bordet est porté à admettre, ou. au contraire, comme M. Gruber le prétend, de la manifestation d'un changement profond qui, sous l'influence de certaines substances renfermées dans le sérum des animaux immunisés, se produit dans le pro- toplasma des corps de microbes? L'hypothèse émise par M. Bordet avec la plus grande réserve n'est pas suffisamment prouvée; des considérations d'ordres morphologique et biologique s'opposent à la théorie de M. Gruber. Nous nous proposons de revenir sur celte question fort intéressante dans un prochain article, aussitôt que nous aurons complété une série d'expériences que nous poursuivons en ce moment. Pendant nos recherches, nous avons été constamment guidé et conseillé par M. Metchnikoff et M. Roux. Que nos chers maitres reçoivent ici l'expression de notre très vive reconnais- sance. REVUES ET ANALYSES E. Bucuaxer. Fermentation alcoolique sans globules de levure. Berichte d. d. chem. Gesells., t. XXX, 1897, p. 117. Voilà bien longtemps que la science rôde autour d’une diastase alcoolique, c’est-à-dire d’une substance capable de transformer, en dehors du globule de levure, le sucre en alcool et en acide carbonique. Traube l'avait acceptée comme hypothèse en 1858. CI. Bernard l'avait cherchée dans les grains de raisin. M. Berthelot avait admis son exis- tence. Il semble que M. E. Buchner l’ait trouvée dans la levure. Comme elle n’exsude pas naturellement en dehors du globule et n’existe pas dans le liquide de macération de la levure, il faut, pour l’obtenir, com- mencer par broyer et rompre les parois cellulaires en broyant avec de la terre d’infusoires. Après quoi on soumet à la presse hydraulique. On obtient ainsi un liquide qui est une sorte de dissolution du proto- plasma, et qui, mélangé à une solution sucrée un peu concentrée, de 20 à 40 0/0, y donne au bout de quelques minutes des bulles gazeuses qui finissent par former de la mousse, et qui sont de l’acide carboni- que; en même temps de l'alcool apparaît dans la liqueur, sans qu'on y trouve de levure ou d’autres cellulles microbiennes. Le mémoire où sont indiqués ces premiers résultats a été évidem- ment écrit très vite, et pour prendre date. Il réclame de nombreux éclaircissements. Mais, tel qu’il est, il semble probant, et est un événe- ment considérable dans l’histoire de la science. Pendant longtemps on a cru que les diastases n'étaient capables de produire que des phéno- mènes d’hydrolisation, auxquels on peut rattacher le dédoublement des matières grasses étudié récemment par M. Hanriot. Puis sont venues les diastases hydrogénantes de M. de Rey Pailhade, puis les diastases oxydantes de Bertrand. La diastase alcoolique de M. E. Buchner continue la série, et a ceci de nouveau qu'elle rompt non seulement une chaîne en apparence homogène d’atomes de carbone, mais encore y détermine des groupements nouveaux. Cette action complexe n'était pas, comme le pense M. E. Buchner, en dehors des ressources actuelles de la chi- mie, car je l’avais réalisée à l’abri de l’air par l’action des alcalis sur le sucre au soleil; mais c’est la première fois qu’on la voit réalisée comme un phénomène diastasique. Là est l'intérêt capital du mémoire de M. Buchner, qui ouvre une voie féconde. Dx. 288 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. INSTITUT PASTEUR STATISTIQUE DU TRAITEMENT PRÉVENTIF DE LA RAGE OCTOBRE, NOVEMBRE ET DÉCEMBRE 1896 | Morsures à la tête simples. ..0|0e + 5 |” s ar | ”|3 | 6 et à la figure multiples... .| » » | 9 »| 3 Cautérisations efficaces à . . à à: .. . RE ER ER EME ED MO TE — INCIACOCES A RSR EE RU 210 1) Al os) Eee Pas de CAULERSANOR ENNEMI ENREN D) À » | 49 è ES ca » : SIMPIES CENT »| 4 » |64) »|&4! Morsures aux mains nn EE A 1721 « 461110 ï 20\47 Cuulerisahons el RCACes NERO 7] 1050 12) SE 1 » »| » | » ne ARE NCACES CANON [1 | » | 46] » | » 122] » | » Pas de cuutérisation. . . . . ... . .. 10! » | » | 641» | » [25 » 15 Morsures aux mem- simples. . . . .| » 6 9 |” 31) 57 |” 16/29 bres et au tronc multiples... .| »| 3 » [26| »|13\ Cautérisations efficaces "Em une >| 1» 102 | » | »l» |» = inefficaces ne Leds Ne ete 9! » » 28| » » 15| » » Pas de cautérisahion. . VIN 7|.» | » | 99" » 11» M2 00 Fabius idéchires. ROME ON ARR 7 400 00e US 92H Re MOrSUTESONU MAD MES UNE EN Ce 2 oo 98 lt 1e > ANT RIRE Morsures multiples en divers points du GOTDS RER CC CC »| » » » 1 »1 515 Gauterisahonsieffiouces een IS Sn ON ES » »[» |» an INETNCUCES RCE Ne » | 2. 2e 1 A0 1 ND) Pus UeCANlÉMSALON EE PIC EEE DD SA RM LS » D OO CAES se à 80 dovcooses D) 0e RE 5 EN Dr » | > |» MOTSUTES AIN UN EEE ET DIE DES TN NS » | »|» |» Mot Français et Algériens. . 31/35 164485 81 7 Etrangers Et 4 | 21) 6 A B C ET 1 mm | TOTALIGÉNERAL MEN CRETE 307 EEZEZEZ————— —_—————…— Les animaux mordeurs ont été: chats, 38 fois, vaches, { fois ; chiens, 268 fois. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie E: Charaire, Aime ANNÉE AVRIL 1897 N° 4. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR RECHERCHES SUR L'INFECTION DANS LA VACCINE ET LA VARIOLE Par M. Pauz SALMON, INTERNE DES HOPITAUX DE PARIS (Travail du laboratoire du Professeur Metchnikoff.) Dans un travail publié en 1892, etintitulé : Recherches sur la pathogénie et l'étiologie de l'infection dans la vaccine et la variole, Guarnieri inocule le liquide des pustules sur la cornée du lapin, d'où production d'une tumeur épithéliale caractéristique. Sur des coupes microscopiques, il constate la présence d’un agent infectieux, dont il étudie avec grand soin la morphologie, les mouvements, le mode de reproduction, et il conclut ainsi : l'agent spécifique de la vaccine et de la variole est un être mono- cellulaire, un protozoaire parasite, probablement de la classe des sporozvaires de Leuckart. Avant Guarnieri, nous devons citer les recherches de Renaut, de Lyon (1881), Van der Loœff, Hlava, et L. Pfeiffer (1887). Les mêmes figures avaient été vues dans d’autres lésions de l'épiderme (varicelle, herpès zoster...) et interprétées comme des parasites. Guarnieri a eu le mérite, en imaginant de prendre comme réactif la cornée, de choisir un organe qui répond à l’inoculation de la vaccine et de la variole avec une précision absolue. Il est alors possible d'étudier, heure par heure, les phases primor- 49 290. | ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. diales du processus pathologique, et de suivre pas à pas l’évo- lution des formes parasitaires ‘. Depuis la publication de l’auteur italien, on retrouve, dans plusieurs mémoires basés sur le procédé de Guarnieri, la des- cription de protozoaires parasites (Monti, Jackson Clarke, Sicherer, Ogata, et tout récemment Kourloff). En particulier, dans le laboratoire de Bütschli, dont on connaît la compétence sur la question des protozoaires, E. Pfeiffer a confirmé et complété, dans un travail important, les fails déjà observés. Nos recherches sur ce sujet se divisent naturellement en trois chapitres. D — LE Parasire. Le vaccin ?, introduit avec une lancette à la surface de la cornée du lapin, produit une tumeur épithéliale, infectieuse, inoculable en série *, à évolution réglée, mathématique. Au bout de 24 heures, la piqûre ou la strie d’ensemencement est légèrement saillante. Au bout de 48 heures, la saillie s’accuse, pour devenir visible à l'œil nu les 3° et 4° jours. A ce moment, les cellules de l’épithélium ont subi la transformation vacuo- laire, présentent l'aspect des tissus végétaux, suivant la com- paraison de Leloir. Il suffit alors, du 4° au 5° jour, soit d'une pression avec le doigt, soit d'un mouvement brusque des pau- pières du lapin, pour rompre la vésicule, et avoir un ulcère de la cornée. La forme circulaire de la vésicule qui succède à la piqüre 4. Le procédé employé dans les recherches du laboratoire explique l’histoire du parasite de la vaccine: dans une première période (examen à l’état frais), on constate la présence de grains réfringents ; dans une deuxième période (cultures sur divers milieux), on croit à des bactéries, en particulier à des micro- coccus ; dans une troisième période (méthode des coupes colorées après fixa- tion), on note l’existence de protozoaires. Et de ces derniers travaux les auteurs concluent : le parasite de la vaccine et de la variole n'est pas une bactérie. 2. Nous nous sommes servi soit de la sérosité des pustules du bras chez un enfant, soit de l'excellente pulpe vaccinale glycérinée, datant de plusieurs mois, que MM. Chambon et Saint-Yves Ménard ont mise à notre disposition. Nous avons obtenu des résultats analogues avec du pus variolique. 9. Avec la vésicule vaccinale de la cornée d’un premier lapin, nous avons inoculé avec succès la cornée d’un second lapin. E. Pfeiffer a été plus loin et a reproduit une pustule caractéristique sur la génisse, avec la cornée d'un deuxième lapin. D'autre part, Straus et Chambon {Société de biologie, 1890) ont donné l'immu- nité à un veau, par insertion de la vaccine sur la cornée. PLU Annales de l’Institut Pasteur PT Rainer are eg 2 Pre LR Di j : h gr 2” ‘à or € , 12 V' Roussel lith. À = Salmon de PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE. 294: vaccinale, l'épaississement épithélial de la strie d’inoculation, sont nettement visibles à l'éclairage oblique, et mieux encore à un examen sous l’eau. On peut constater, aussi bien à l'œil nu qu'au microscope, le moment où débute la lésion vaccinale. Ce début ne coïncide nullement avec les dates données par les auteurs qui ont étudié la vaccine dans l’épiderme, dates qui varient du reste avec cha- que espèce animale, et, chez un même animal, avec le siège de la pustule (cornée, peau ou muqueuse). Gräce à la transpa- rence de la cornée, la lésion peut être prise sur le fait, quelques heures après l’inoculation. Dès la 20° heure, les coupes de la cornée du lapin présentent un aspect caractéristique, tandis que nous n’avons pu étudier les pustules développées sur les mu- queuses du lapin que le 3° jour. Ces phénomènes, qui suivent de près l’inoculation, correspondent, au point de vue chronolo- gique, à la période dite silencieuse ou période d’incubation, à la phase prééruptive et, pour préciser, à la phase prévésicu- leuse. La cornée vaccinée ne présente pas les signes d’une in- flammation vasculaire sanguine, ou phase congestive. Morphologie du parasite. — Sur des coupes fixées avec le liquide de Flemming et colorées, on voit, à un faible grossisse- ment, dans les cellules épithéliales, un certain nombre de cor- puscules, remarquables tant par l'intensité de leur coloration que par leur réfringence. Ges pelits organes se détachent nette- ment, entourés qu “ls sont par une large auréole claire. Il est facile de retrouver ces corpuscules brillants et réfringents dans les cellules de la cornée vaccinée, examinées à l'état frais. En général, ce sont des corps sphériques. Mais, à côté de formes arrondies ou ovales, il en est qui dessinent des crois- sants, ou bien des formes de levure ‘, ou présentent un aspect absolument irrégulier (formes amiboïdes). ons ne saurions mieux comparer les formes contournées qu'à des noyaux de Meucocy tes polynucléaires : noyaux étranglés en sablier ou allon- gés, noyaux arrondis ou en forme de raquette. Le volume de ces corps est non moins variable. A côté de rares corpuscules presque aussi volumineux que le noyau de la cellule épithéliale, il en est qui ne sont visibles qu’ à un très fort grossissement. . Buist a classé le parasite de la vaccine dans les blastomveètes ou levures. 292 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Quel est le contenu du corpuscule ? Le parasite de la vaccine ne contient pas de noyau. Rarement, nous avons rencontré une tache foncée au centre du corpuscule, ressemblant au noyar: décrit par Guarnieri. Au contraire, la vésicule centrale, bril- lante, dessinée par E. Pfeiffer, est facile à voir. et probablement résulte d’un artifice d'éclairage. Coloration. — Le parasite absorbe et conserve les matières colorantes, carmin, hématoxyline, couleurs d’aniline., avec une extrème facilité. On voit, sur des coupes, les corpuscules se teinter rapidement (absence de membrane d’enveloppe), avant les autres éléments de la cornée. Après emploi des agents décolorants, alcool absolu, Gram, essence de girofle, acides dilués, les corpuscules pälissent lentement, après les autres éléments de la cornée. Le parasite est un corps hyperchromatique. Grâce à cette affinité pour les matières colorantes, les corpuscules frappent l'œil de l’observateur. Leur couleur foncée, vraiment élective, presque noire avec la thionine, le violet de gentiane, l'héma- toxyline, pourpre foncé avec la safranine, contraste avec la teinte claire des tissus cornéens, et, à première vue, donne bien l'impression de corps étrangers, parasilaires. A côté de ces masses de chromatine homogène (petits corpus- cules), il existe de gros éléments, hypochromatiques, granuleux et irrégulièrement colorés. Mode de reproduction. — Comme l’a fort bien remarqué Guar- nieri, le plus souvent c’est un phénomène de division directe. « La multiplication du parasite a lieu sans aucun doute par scission, ainsi que, plusieurs fois, j'ai pu l’observer directement au microscope, dans les préparations de lymphe extraite de pustules vaccinales ou varioleuses tenues sur la platine chauf- fante. » (Guarnieri.) Sur nos préparations fixées et colorées, le corpuscule s’allonge, s’étrangle en forme de sablier, de levure, et donne naissance à deux êtres égaux ou inégaux, souvent unis par un mince filament de chromatine. E. Pfeiffer admet seulement le stade de division directe. Guarnieri admet deux autres modes de multiplication. Il a des- siné des figures de karyokinèse «indiquant la participation du noyau du parasite ». Nous n’avons jamais observé de figures semblables. PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE. 293 Troisième mode de reproduction, par sporulation. Guar- nieri a vu des granulations, des spores, dans des corps sphéri- ques. Nous avons constaté avec une netteté indiscutable la pré- sence de ces corpuscules contenant des grains plus foncés. J. Clarke décrit des organes contenant des spores à la périphérie. Guarnieri dessine des figures de rosace, des éléments radiés imitant la disposition des pétales de la marguerite, des corps muriformes, et l’auteur italien rapproche ces figures « des fails de sporulation des plasmodies dans la malaria ». Mobilité. — De même que Van der Lœæff, L. Pfeiffer, Monti, Ernest Pfeiffer, Guarnieri a décrit avec grand soin les change- meutls de forme et les mouvements de translation du parasite. « En observant avec une lentille à immersion homogène, les petits corps apparaissent composés d’une substance d’un blanc opaque, avec reflets jaunâtres, des formes les plus variées, avec des saillies à angles émoussés, qui, dans une période de temps variable pour chaque cas, changent de configuration et se dépla- cent très lentement. Les saillies peuvent être multiples et alors le petit corps apparaît épineux. Le phénomène des mouvements du petit corps peut être observé pendant longtemps (même pen- dant cinq heures) avec une intensité diverse... » Nous avonscherché à contrôler ces faits en nous plaçant dans les mêmes conditions que ces observateurs. Examinant à une température de 37°, en chambre humide, les cellules de la cor- née vaccinée, nous avons constaté seulement des mouvements browniens des petits grains brillants, sans allération de leur forme et de leurs contours. Evolution dans les cellules. — Le parasite a une évolution en cercle. Sur les coupes de la cornée, on constate que, du 1° au 4° jour, les corpuscules gagnent du terrain suivant une direction transversale. Cette progression en surface, dans le sens centri- fuge, se fait avec régularité, pour cesser brusquement à la limite de la tumeur. Il résulte de ce mode d'accroissement une consé- quence intéressante : la forme circulaire de la vésicule vaccinale. Et comme dans la cornée il n'existe pas de vaisseaux sanguins, les théories anatomiques qui expliquent le contour arrondi de la pus- tule variolique ou vaccinale en faisant intervenir l'élément vascu- laire (action des toxines contenues dans le sang, embolies bacté- riennes des vaisseaux capillaires) nous semblent erronées, d'au- 294 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. -tant plus que la pustule variolique contient l'agent de contagion - à l’état de culture intra-épidermique. Sur les coupes, l’aspect topographique est caractéristique. La tumeur épithéliale fait saillie au-dessus du plan de surface de la cornée. Dans les cellules hypertrophiées, et nous ajoute- rons dans chaque cellule, on retrouve des grains parasitaires, brillants, foncés, entourés d’un anneau clair. De plus, si chaque cellule contient un ou plusieurs corpuscules étrangers, on ne voit presque jamais, pas plus sur des sections que par les pro- cédés de dissociation, le parasite situé, soit dans l'interstice -intercellulaire, soit à cheval sur deux cellules épithéliales. Evolution dans la cellule. — La présence du corps étranger dans l’épithélium semble entraîner à sa suite deux conséquences : peut-être l’hypertrophie cellulaire, et d'autre part la formation d’une vacuole. Tandis que dans le noyau de la cellule épithé- liale, le contour sphérique, le dessin des filaments chromatiques, le nombre et le volume des nucléoles, l'intensité des réactions colorantes, tout indique que le noyau reste normal, à l’état de repos, — dans le protoplasme, le corpuscule parasitaire s’entoure d’une auréole claire, qui s’agrandit, et finit par détruire complè- tement la substance proloplasmique. L'existence de cette auréole claire, à extension progressive, a frappé les observateurs. Renaut (de Lyon) attribue au parasite un rôle mécanique dans la formation d’une cavité qui va bientôt se remplir de liquide. Avec Wagner, Wyss, Leloir décrit avec soin « l’altération cavitaire » des cellules, et Guarnieri, interpré- tant le rôle du corpuscule, « qui semble se nourrir aux dépens du protoplasme, qui semble le corroder », l'appelle Cytoryctes Daccinæ où variolæ. A côté des corpuscules entourés de protoplasme, :l en est, parasites paranucléaires, qui sont situés au voisinage du noyau déformé. Le noyau présente en ce cas une sorte d’excavation où se niche le parasite, el quelquefois trois ou quatre encoches correspondent à la présence de trois ou quatre corpuscules. En réalité, le noyau n'est pas corrodé, mais simplement déprimé, ainsi qu'on peut le constater sur des coupes un peu épaisses. Dans ce cas, où le grain chromalique est voisin du noyau de la cellule épithéliale, la vacuole péri-parasitaire se continue PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE,. 295 avec l’espace clair cireumnucléaire, « le noyau se décolle du protoplasma ». (Leloir.) Le liquide circumnucléaire communique avec le liquide vacuolaire. La vacuole est absolument claire, et semble remplie d'un liquide séreux que l’on ne peut colorer. Prédilection pour la cellule épithéliale. — On peut affirmer comme une loi, ce fait, formulé par Guarnieri : « le cytoryctes est un parasite endocellulaire », de mème que le germe présumé du cancer est l’hôte de la cellule épithéliale ‘, comme le parasite malarique habite dans le globule rouge, comme la coccidie du lapin se loge dans la cellule épithéliale des canaux biliaires et de l'intestin. Mais nos expériences ne sont pas suffisantes pour nous per- mettre de dire : le parasite de la vaccine est un parasite endo- cellulaire qui ne peut vivre que dans la cellule épithéliale, et non dans le tissu cellulaire, le derme de la peau, la lymphe, le sang. Sauf chez le cheval, la vaccine semble ne pouvoir se généraliser. Il est un fait de pathologie générale qu'il nous semble inté- ressant de constater. Tandis que pour la plupart des bactéries connues l’inoculation épidermique est souvent négative, le germe de la vaccine a, au contraire, une affinité, une prédilec- tion pour les épithéliums de la peau et de la cornée. En voici la preuve : du pus de pustule variolique fraichement recueilli nous est adressé de Marseille par l’obligeance du D' d’Astros. Nous l'inoculons à ja cornée et à la paupière de deux lâpins. La réaction locale est pour ainsi dire nulle; il n'y a ni conjoncti- vite, ni phénomènes de kératite inflammatoire, et l'infection variolique poursuit régulièrement son cours. Classification du parasite. — Ce chapitre ressort surtout de la bibliographie. Nous noterons seulement l'embarras des auteurs pour donner une famille à cet être vivant. — Van der Loeff le range dans les rhizopodes, famille des amibes ou des protéides; Guarnieri, dans les sporozoaires, et tout récemment, en fait 4. Nous signalerons simplement les analogies fort intéressantes qui rappro- chent les figures décrites dans le cancer et la vaccine : analogies de siège endo- cellulaire et paranucléaire, analogie de réaction épithéliale, hypertrophie, vacuole, mêmes variations de morphologie et de métachromatie. 296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. un protozoaire sarcodique ; Ogata en fait une grégarine, dans le groupe des polycystides, et notamment dans le genre Clepsy- driana : Ernest Pfeiffer hésite entre les protozoaires et les blastomycètes; L. Pfeiffer, dans une revue générale des travaux - parus de 1887 à l’année 1896, ne peut conclure s’il s’agit de blastomycètes, ou de champignons, ou de sporozoaires, et dans ce dernier cas, L. Pfeiffer compare le parasite vaccinal aux Acystoporidies de Labbé. Nous pouvons grouper maintenant les divers caractères du parasite : contours arrondis, réfringence, existence d’un point central (?), affinités colorantes particulières et métachromatie, modes divers de reproduction, mobilité, évolution réglée, loca- lisation spéciale dans la cellule, d'où réaction, tumeur épithé- liale ; lésion du protoplasme et formation d’une vacuole péri- corpusculaire, tous ces faits plaident fortement en faveur de l’existence d’un être vivant. Guarnieri et ses partisans vont plus loin : ce corpuscule spécial, vivant, que l’on retrouve tou- jours, sans exception, après inoculation de la vaccine, est le parasite de la vaccine. Et ils ajoutent ceci comme preuve capitale. Les figures parasitaires observées dans la vaccine ne se retrouvent dans aucune autre affection. Pour le démontrer, E. Pfeiffer a fait des expériences de contrôle (glycérine, huile de crolon, acide osmique, nitrate d'argent et piqüres avec une lancette simplement stérilisée). De notre côté, nous avons cautérisé la cornée avec de la cantharide, et surlout nous avons inoculé le liquide recueilli sur des malades atteints d'affections bulleuses : zona, herpès post-pneumonique. Nous n'avons pu retrouver de figures comparables à celles de la vaccine. Une seule infection, la syphilis, a permis à Jackson Clarke, à E. Pfeilfer, de constater dans la cornée du cobaye des figures analogues. Nous avons répété celte expérience sans succès. Les résultats obtenus par J. Clarke, s'ils étaient constants, auraient un réel intérêt pour le diagnostic clinique de lasyphilis. Nos inoculations de varicelle à la cornée du lapin ont tou- jours été négalives. On peut en conclure que le procédé de Guar- nieri est applicable à la clinique, pour le diagnostic desalfections qui simulent la variole. L’inoculation à la cornée du lapin ou du pigeon tranche la question en moins de 24 heures, tandis que PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE. 297 l'inoculation à la génisse demande trois jours pour donner un résultat positif. E. Pfeiffer ajoute une dernière preuve : l'origine du parasite de la vaccine ne correspond à aucune lésion anatomique. ET] rejette successivement l'hypothèse des globules rouges, des noyaux- dégénérés, des centrosomes, des ae ou de la fragmenta- tion de ces leucocytes. 11. — VALEUR ET INTERPRÉTATION DE LA THÉORIE PARASITAIRE (PROTOZOAIRES). Tous ces faits concernant la biologie du prétendu para- site, nous les avons controlés ou constatés. Quelle est leur valeur ? Et faut-il conclure en faveur des protozoaires ? Nous ne le pensons pas. Certes, les faits observés par Guarnieri sont exacts, mais l'interprétation mérile d’être discutée. A première vue, sur une coupe de cornée inoculée, on a l'illusion de figures parasitaires, pour deux raisons : une raison visuelle, aspect caractéristique des grains colorés; une raison due à la réflexion : on ne devine pas quelle pourrait être la nature de ces corpuscules, en dehors d’une origine parasitaire. Si l’on examine à un fort grossissement les corps endocel- lulaires, on note une infinie variété de formes : les unes, con- tournées, déchiquetées, en anse, en croissant... formes remar- quables par leur irrégularité, — les autres, au contraire, à con- tour régulier, sphérique en général. Les différences de volume ne sont pas moins frappantes. Nous n'avons nullement constaté un rapport entre la grandeur du corps inclus et son âge, ou le moment de sa pénétration dans la cellule, fait admis par Guarnieri, Sicherer et E. Pfeiffer. On trouve, aussi bien à la périphérie qu’au centre du foyer patho- logique, des corpuscules qui atteignent presque le volume du noyau épithélial, d’autres qui ont la dimension de fins coccus, et entre ces deux types extrêmes tous les intermédiaires. Ce n’est pas là le fait des parasites connus. Mème chez les coccidies, l’aspect irrégulier, amiboïde, s'explique par l'histoire du développement, Et les autres phases de la vie des coccidies sont remarquables par l’aspecl quasi géométrique de leurs figures. 298 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Nous glissons sur les différences énormes, absence de nucléole et de membrane d’enveloppe, mode de reproduction par division directe... qui séparent le cytoryctes vaccinæ du groupe des protozoaires. Nombre d'espèces animales possèdent une certaine réceptivité pour la vaccine. Au contraire, l’étude des coccidies démontre que « ce sont des parasites très délicats, dont chaque espèce n’est capable de vivre que dans une seule espèce de cellules d’une seule espèce animale ». (Metchnikoff.) Un argument de second rang peut être invoqué : il y a désaccord entre le petit nombre des corps réfringents constatés dans une goutte de virus vaccinal, et l’extrême facilité d’inocu- lation. Avec une goutte de vaccin contenant quelques grains brillants, nous faisons 13 piqûres à la cornée d'un lapin, et nous obtenons 13 succcès, 13 vésicules. La solution du problème nous a été donnée par l'étude de l’action des colorants. Sauf quelques corpuscules, les formes parasitaires ne sont que des amas de chromatine, chromatine condensée qui a toutes les réactions comme intensité, comme électivité, de la substance des nucléoles, et encore mieux les réactions des noyaux des leucocytes polynucléaires. Nous ajoutons à notre paragraphe précédent (coloration du parasite) les renseignements suivants sur les phénomènes de métachromatie. PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE. 299 : A ee : AO © CELLULE EPITHELIALE 5 NE 5 € Protoplasina. Noyau. Nucléole, = =) $ = Mélange de Biondi. ne | Rose. Rose. Rouge. Vert. Vert. Rouge de Magenta’... ... | Le: { Bleu. Rose. Rouge. Rouge. Roug>. Bleu d’aniline . fi | | Safranine .. -] Vivlet. Vio!et. Rouge. Rouge Rouge. | Violet de genliane. RTE ) k Safranine.. D | Violet de gentiane........... { Jaune. Violet. Violet Rouge. Rouge. CAN TERRE PLUS SN TO RER PRE EE l ; ÿ- R : Tee Jaune. Rose. Rouge. touge. Rouge. Alcool picrique ..............) Safranine AT REIN ) Ù Bleu. Bleu. Bleu ou rouge. Rouge. Rouge. Bleu de méthylène......... 2) Thionine À : |c3 (Rose. Bleu. Bleu. Viol t. Violet. li TTL APRES A ER) [ie ; Vert de méthyle : L Te: { Jaune. Vert clair. | Vert foncé. | Vert foncé. | Vert foncé. Orange: nr épars £) | | [l Vert de méthyle..., . ...) | 4 . » Rose. Violet. Violet. Vert. Vert. Éosine ou fuchsine acide...) Ces réactions colorantes différentielles varient naturellement suivant le procédé employé (méthode des surcolorations, des décolorations successives ou combinées); ces réactions n'ont pas une valeur absolue. Maiselles présentent une valeur relative très importante, et il suffit de jeter un coup d'œil sur le tableau précédent pour constater une identité d’affinités colorantes entre trois ordres d'éléments : le nucléole quelquefois, le corpuscule parasitaire et les leucocytes migrateurs toujours. 300 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. III. — NATURE DU PSEUDO-PARASITE. Des faits exposés dans le chapitre précédent, nous pouvons conclure : l°il ne s’agit pas d’un parasite ; 2° ce pseudo-parasite n’est autre chose qu'une boule de chromatine plus ou moins condensée et de forme quelconque. Quelle. est l'origine de cette production endo-cellulaire? Procédant par exclusion, nous discuterons successivement deux points : la tache colorée se forme à l’intérieur de la cellule épithéliale, la tache colorée est un corps étranger, de provenance extra-épithéliale. Un certain nombre d'auteurs ont tenté d'expliquer la nature anatomique des corps inelus dans la cellule. R. Blanchard se refuse à les considérer comme des amibes. Selon Unna, les prétendue protozoaires de Pfeiffer ne sont autre chose que des cellules épithéliales gonflées, globuleuses ? Coporaso, Léoni font du cytoryctes des fragments de noyaux endocellulaires frappés de nécrose. Ferroni et Massari ont fait des expériences de contrôle et des coupes de la cornée (cautérisations avec l'acide osmique,etc., inoculation du virus vaccinal). Ces auleurs pensent « à des phénomènes karyolytiques, semblables à ceux décrits récem- ment par Müller, et qui sont peut-être en rapport avec les cen- trosomes et l’archiplasma. » Ils pensent aux cellules migratrices, mais constatent « une inégalité entre la quantité de leucocytes qui pénètrent dans la cornée, spécialement dans l’inflammation due au pus vaccinal, et le grand ombre des corpuscules », et ils concluent : | « Nous avons la conviction que nous nous trouvons en pré- sence d’altérations pathologiques intéressantes, plutôt que de parasites, et nous croyons que les corps décrits ci-dessus sont pour la plus grande partie dérivés du noyau de la cellule épithéliale, et que peut-être, seulement dans peu de cas, ils dérivent aussi des leucocytes. » Nous n'avons pas constaté les réactions colorantes qui rap- pellent soit la dégénérescence hyaline du protoplasma, soit une altération analogue, colloïde ou muqueuse. Au contraire, l'existence de centrosomes, de sphères attrac- tives, dans le protoplasma de la cellule, noyaux accessoires qui PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE. 301 se réveilleraient sous l'influence d'une excitalion morbide. constitue une hypothèse très discutable. Cependant, le corpus- cule central du centrosome, les figures radiées qui entourent la sphère attractive, sont difficiles à constater, et ne ressemblent par aucun caractère aux gros corpuscules de la vaccine. Le noyau de la cellule épithéliale, contrairement à l’idée de Ferroni et Massari, n'explique pas la provenance des boules chromatiques. On ne peut croire, ni à la fragmentation, à la dégénérescence chromatolytique du noyau, ni à des productions émanées de noyaux bourgeonnants. Le noyau, nous l’avons dit, reste absolument intact et indifférent, côle à côte avec le cor- puscule de la vaccine, qui ne l’envahit jamais. Un moment, la théorie nucléaire (noyaux bourgeonnants nous avait semblé répondre à la réalité des faits. Le corpuscule hypercoloré est toujours un satellite du noyau : c'est un corps paranucléaire. Ce corpuscule semble naître dans la cellule, et il nous a été presque impossible de le rencontrer dans les espaces intercellulaires. D'autre part, la constatation des phénomènes de karyokinèse, uniquement en dehors de la lésion vaccinale, nous faisait penser à des phénomènes de division directe, d'une ami- tose ébauchée, incomplète. Si l’on dissocie et fixe en même temps l’épithélium d'une cornée vaccinée, avec une solution d'acide osmique à 1/1000, on constate après coloration que les noyaux sont gonilés, en forme de feuille de trèfle, de brioche, d’amibes, que ces excrois- sances poussent des prolongements terminés en boule. Ces boules se détachent et constituent des masses isolées de chro- maline. | En réalité, notre technique était défectueuse. Après emploi d'un dissociant fixateur plus fidèle (vapeurs d’iode suivies de l'immersion dans l'alcool au 1/3 de Ranvier), dissociant qui permet de conserver intacts le contour arrondi du noyau et les figures des filaments chromatiques, nous avons conslaté l’indé- pendance absolue du corpuscule chromatique. Ce procédé fort délicat de dissociation nous a permis de voir des figures iden- tiques à celles étudiées par le procédé des coupes après montage en paraffine. | Le pseudo-parasite n’est pas une formation endogène; il a donc forcément une origine extra-cellulaire, extra-épithéliale, et 302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la petite masse de chromatine ne peut avoir qu'une origine : les cel- lules migratrices. Le plus souvent, le tissu lamellaire qui borde la tumeur vac- cinale ne présente rien d’insolite. Dans les dessins annexés aux mémoires de Guarnieri, de Sicherer, et dans le livre de Flügge, ce tissu lamellaire ne contient que quelques cellules fixes gon- flées. Nous avons pu surprendre sur le fait cette phase*extrème- ment courte, où les leucocytes polynucléaires s'apprêtent à envahir l’épithélium. Dans le tissu conjonctif, on constate les signes indiscutables d’un appel phagocytaire, remarquable par le petit nombre des cellules migratrices attirées par le foyer infecté, disposées en couronne au seuil de la lésion vaccinale. Sur une même coupe de cornée qui a reçu plusieurs piqüres, on constate d’autres tumeurs où les leucocytes ont déjà pénétré, laissant le tissu conjonctif cornéen en apparence intact, et dépourvu de la présence des cellules migratrices. Dans l'épithélium, les leucocytes transformés sont absolu- ment méconnaissables. Dans le tissu lamellaire de la cornée, il est plus aisé de diagnostiquer la présence des cellules migra- trices. Ces éléments mobiles, surpris dans leur marche, ressem- blent à des amibes et prennent des variétés de figure infinies : à côté de noyaux allongés, contournés en anse, ou en voie de division directe, on voit de petites sphères réfringentes de nucléine qui ne rappellent nullement les détails de structure des leucocytes polynucléaires. Les noyaux des cellules leucocytaires correspondent aux corpuscules de la vaccine : ils présentent les mêmes variétés de forme, les mêmes affinités colorantes, les mêmes phénomènes de mélachromatie. Il y a identité de nature entre ces deux éléments : leucocytes et grains de vaccine. Du reste, on peut retrouver, englobés dans la cellule épithé- liale, des leucocytes polynucléaires caractéristiques. Mais leur recherche est fort délicate, en raison de la rareté des cellules: migratrices restées intactes. Au lieu de prendre comme réactif la cornée d'un mammifère, on peut inoculer la cornée du pigeon et de la poule. La pustule vaccinale présente alors les phénomènes intéressants d'un appel phagocytaire plus actif. Déjà, chez le pigeon, on observe à l’œil PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE. 303 nu, en moins de 24 heures, une saillie très nette, opalescente, blanchâtre, indice de la présence des leucocytes (tandis que la vésicule du lapin reste toujours claire et translucide). Chez la poule, la vaccine inoculée semble avorter; mais, si l’on ne se contente pas de l'examen à l'œil nu, on constate sur des coupes microscopiques, à la 25° heure par exemple, l'existence d’une tumeur vaccinale contenant des pseudo-parasites hyperchroma- tiques. Chez ces deux espèces, pigeon et poule, on voit un certain nombre de petites cellules migratrices ailirées au pourtour du point d’inoculation. On peut suivre les transformations succes- sives de ces cellules claires, granuleuses, mobiles, en gouttes foncées, homogènes, de chromatine. Chez ces oiseaux comme chez le lapin, l'irritation des tissus est très modérée, à peine appréciable. [l n’y a, après inoculation du virus vaccinal ou variolique, ni photophobie, ni conjonctivite, ni phénomènes de kératite. Nous devons ajouter que, chez la poule etle pigeon, le processus n’aboutit pas à l’ulcération. Nous n'insisterons pas sur le rôle joué par les cellules fixes de la cornée, sur la part qui leur revient dans la formation des cellules mobiles. Il nous resterait à expliquer la transformation des leucocytes polynucléaires en petites masses, en boules chromatiquesisolées dans les cellules de la cornée du lapin. Nous n'avons aucune donnée sur ce sujet. Avec une rapidité extrême qui empêche de saisir la transformation sur le fait, le leucocyte polynucléaire semble éclater, se réduire, subir une véritable chromatolyse. Il ne reste plus qu'une poussière chromatique à grains plus ou moins épais, dont l’origine serait impossible à préciser si l’on n'avait pour se guider la constatation de toutes les formes inter- médiaires, dans le tissu celluleux et dans le tissu épithélial. De même, nous nous abstiendrons de toute hypothèse sur les procédés de défense de la cellule épithéliale envahie, sur la vitalité ou la dégénérescence du corps hyperchromatique, sur le rôle du corps étranger intra-cellulaire dans la production de la vacuole et la résorption du protoplasma. De même, nous ne tirerons aucune conclusion sur le siège précis de l’agent virulent de la vaceine. La constatation de l'agent indicateur de l'infection, la cellule migratrice, au voisi- 304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nage du noyau épithélial, ne nous permet d'affirmer aucun fait certain sur la présence du parasite, soit dans le noyau, soit dans la vacuole, soit dans l’intérieur même de la cellule migratrice. Nous connaissons maintenant les transformations possibles des leucocytes, nous nous expliquons facilement la mobilité du pseudo-parasile, véritable cellule migratrice, les figures de levures, d'amibes, de croissant, de division directe, répétant exactement les formes du noyau des leucocytes polynucléaires. L'observation des grains de la vaccine nous ramène à un simple problème de réaction cellulaire, vraiment spéciale sinon spécifique, à un chapitre particulier de l’inflammation. Dès le début de la vaccine, quelques heures après l’inocula- tion, la lésion locale présente des allures caractéristiques tandis que les cellules migratrices, en petit nombre, se préparent à pénétrer dans le foyer épithélial, les cellules de l'épithélium constituent une véritable tumeur. Cette réaction épithéliale d’une part, la faiblesse numérique des facteurs phagocytaires d’autre part, ces deux éléments expliquent la conservation de l’épithé- lium pendant les premiers jours de l'infection vaccinale. Dans une deuxième phase, les cellules migratrices se mon- trent brusquement-émiettées, fragmentées, dans l’intérieur de la tumeur. L'aspect de la lésion à cette période est frappant. Dans chaque cellule épithéliale se trouve inclus un débris de leucocyte, sous forme d’une masse de chromatine qui rend son origine méconnaissable. La vacuole péri-leucocytaire ajoute à la difficulté du diagnostic. Ce grain de nucléine, parasite de la cel- lule, simule le parasite de la vaccine. La troisième phase appartient à l'histoire de la vésiculation, et finit par la chute de l’épithélium cornéen, le 5° jour seule- ment. Ce travail a été exécuté dans le laboratoire du professeur Metchnikoff. C’est avec plaisir que nous offrons à notre maître nos meilleurs remerciements. PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE,. 305 BIBLIOGRAPHIE Rexaur. Nouvelles recherches anatomiques sur la prépustulation et la pustulalion varioliques. (Annales de dermatologie et de syphiligraphie, 1881, p. 9et 10.) SO Hzava. Note sur les microorganismes dans la variole. (Centralbl f. Bakter. 1887.) Van DER Loerr. Weekblad van het Nederl. Geneskunde. 1886. Van per Lorrr. Ueber Proteiden in dem animalischen Impfungsstoffe. (Monatshefte für praktische Dermatologie. 1887. Avec une figure.) Van DER Logrr. Ueber Proteiden oder Amôben bei Variola vera.(Monatsh. für pr. Dermat. 15 mai 1887. Avec deux figures.) L. PreirFer. Ein neuer Parasit des Pockenprocesses aus der Classe der Sporozoa (Leuckart) (Monatshefte f. praktische Dermatologie. Mai 1887.) Avec deux lithographies. L. Pretrrer. Ueber Parasiten in Blascheninhalt von Varicella. (Monatsh. für pr. Dermat. 1887.) Avec une lithographie. L. Pretrrer. Weitere Untersuchungen u.s. w. (Correspondenz-blatter des allgem. arztlichen Vereins von Thüringen. 1887 NrIl) L. Pretrrer. Die Protozoen als Krankheïtserreger. lena 1891. Pages 184 à 187. Avec plusieurs figures. G. Guarnter!. Ricerche sulla patogenesi ed las dell’ infezione vacci- nica e vaiolosa. (Archivio per le scienze mediche. 1892.) Avec figures. E. Ferront et G. Massari. Sulla pretesa scoperta del Guarnieri, riguardo la infezione vaccinica e vaiolosa.(Riforma medica. 1893.) GuarnierI. (Archives ilaliennes de biologie 1893). Uxxa. Die Histopathologie der Hautkrankheïten. 4 vol. in-8. Berlin, Hirschwald, 1894. L. Preirrer. Zur Kenniniss des Variola parasiten und seiner biolo- gischen Varietaten, (Handbuch der speciellen Therapie innerer Krankheiten. Penzold et Stintzing. Bd p. 218. Iena 1894.) Prana G. P. et GaLzi-VALERIO. Sulla morfologia dei parassiti del variola umanäa. Nota preventiva. (Riforma medica.1894. Nr 126.) Leoni. Sur les agents spécifiques et pathogènes du vaccin. (Revue d'hy- giene et de police. Paris 1894, p. 692.) Eexsr Preirrer. Ueber die Züchtung des Vaccineerregers in dem Cor- neaepithel des Kaninchens, Merschweinchens und Kalbes. (Centralblatt fur Bakteriologie. 27 déc. 1895.) Avec figures. Massaxorr OGara. Ueber die Sporozoa (Gregarinen) der Vaccinelymphe und deren Bedeutung für die Krankheit (Commumication à la Faculté de médecine impériale japonaise de Tokio. 1895.) BLaxcHaRD. Article Amibes dans Traité de pathologie générale de Bou- chard et Roger. 20 306 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 3. J. CLarke. A note on variola and vaccine. (Transactions of the patho- logical sociely of London. 1895). J. CLarke. Einige Beobachtungen über die Morphologie der Sporozoen von Variola, sowie über die Pathologie der Syphilis. (Centralbl. f. Bakt. 1895.) Avec une lithographie. Ÿ. Sicuerer. Beitrag zur Kenntnis des Variola Parasiten. (Münchener med Wochenschr. 1895. N° 34. p. 793.) Avec figure. Guarnieri. Sur les parasites de la variole et du vaccin. (Arch. ilal. de Biol. XXIIe, 1895.) | Mori. Sur l'étiologie de la variole et sur les localisations du virus varioleux. (Archives ital. de Biol. XXIIe, 1895.) ImMERMANN. Article Variola. (Specielle pathologie und Therapie, de Noth- nagel. 1895.) KourLore. (Archives russes de bactériologie. 1895, t. XL.) FLucce. Die Mikroorganismen. 1896. Avec une figure. Mne Ercracueer. Agent spécifique du vaccin. (Médecine moderne, 10 oct. 1896.) L. Preirer. Die neueren, seit 1887 vorgenommenen Versuche zur Rein- züchtung des Vaccinecontagiums. (Zeitschrift für Hygiene. 1896.) Avec figures. VepeLer. Christiania. Vaccineprotozoen. (Mag. [. Læyer. 1896. Nr. 5.) RexaurT. Traité d’histologie pratique. Tome Ile. Les épithéliums. Figure de la page 41. Voir aussi Biologische Abtheilung d. Arztl. Vereins, Hambourg. (Munch. med. woch. 2 février 1897.) EXPLICATION DE LA PLANCHE Cellules épithéliales de la cornée d’un lapin, cornée inoculée avec de la vaccine depuis 42 heures. — Fixation avec le liquide de Flemming. Fi. 1. — Cellule épithéliale type contenant un unique corpuscule. - - Le corpuscule, réfringent, hyperchromatique, est muni d’un point central foncé, et entouré d'une auréole claire. Cette auréole communique avec l'anneau clair qui entoure le noyau épithélial. F16. 2. — Une cellule épithéliale contenant 2 corpuscules égaux, séparés par le noyau épithélial. F16. 3. — 2 corpuscules séparés par une mince ligne de division. FiG. 4. — Groupe de cellules épithéliales où l’on voit se succéder les phrases de reproduction par scission du pseudo-parasite : « corpuseule unique, allongé; b corpuscule étranglé en son milieu; c, c, deux corpuscules encore reliés par un filament d'union; d, deux corpuscules égaux et indé- pendants. PARASITES DE LA VACCINE ET DE LA VARIOLE. 307 FiG. 5. — Une même cellule contient plusieurs corpuscules de volume inégal, FiG. 6. — Deux corpuscules de forme différente; l’un d’eux, en forme de brioche, rappelle la figure du noyau amiboiïde d'un leucocyte. Fi6. 7. — Forme en levure du corpuscule. FiG. 8. — Le corpuscule, allongé et bilobé, représente une portion du noyau d'un leucocyte polynucléaire. FiG. 9, — 3 formes variées de corpuscules : b, figure de croissant; c, figure de massue. Fig. 10. — &, taches chromatiques d’inégal volume; b, €, poussière chro- matique et dégénérescence chromatolytique des corpuscules intra-cellulaires. Fic: 11. — Coupe de la cornée inoculée : 4 cellule plate hypertrophiée. On remarquera le petit nombre des cellules migratrices attirées par la lésion épithéliale, leucocytes polynucléaires, b b; c, ce, leucocytes représentés par de petites boules de chromatine réfringente; d, e, f, leucocytes intacts, entiers, ayant pénétré dans la couche épithéliale de la cornée ; 4, g, cellules épithé- liales contenant le pseudo-parasite. SUR LA PHAGOLYSE DANS LA CAVITÉ PÉRITONÉALE PAR M. ze D' G. PIERALLINI, ASSISTANT DE LA CLINIQUE MÉDICALE DE FLORENCE (Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) Si on injecte dans le péritoine d’un cobaye neuf 3 c. c. d'une émulsion de culture de choléra, additionnée de sérum préventif, les microbes présentent le phénomène de Pfeiffer, et M. Metchni- koff a observé en outre que, peu de minutes après l'injection, le liquide péritonéal devient plus transparent et finit par l'être tout à fait, à la suite de la disparition des leucocytes. Cet état de choses dure d’une demi-heure à une heure ; puis les leucocytes réappa- raissent et l’exsudat redevient peu à peu normal, ou subit des changements sur lesquels j'aurai à revenir plus tard. A ce phénomène, M. Metchnikoff a donné le nom de « Pha- solyse », parce que il était persuadé, comme il le dit, que les leucocytes se dissolvaient en partie dans le liquide, et en partie, réunis en amas, enveloppés « par une couche glaireuse », s’accolaient aux parois abdominales et aux divers organes. M. Durham! s’est élevé contre celte manière de voir, et, appelant leucopénie le phénomène que M. Metchnikoff attribue à la phagolyse, il repousse les conclusions de ce savant et celles de MM. Kanthack et Hardy, pour deux raisons : 1° On peut retrouver les cellules blanches, même dans l'état leucopénique; 2° En injectant même des substances inertes dans le péritoine, elles disparaissent en grande partie et dans le même laps de temps que les cellules. Ce désaccord entre M. Metchnikoff et M. Durham a été le 1. Communication à la section de physiologie et de pathologie de l'Association britannique de Liverpool. 23 septembre 1896. V. aussi The mechanism of reaction to pÉrtOREN infection, dans Journal of Pathology and Bacteriology, mars 1897, p. 958. PHAGOLYSE DANS LA CAVITÉ PÉRITONÉALE. 309 point de départ d’une série de recherches que j'ai entreprises sur le conseil et sous la direction de M. Metchaikoff. Je lui en exprime ici mes sentiments de profonde reconnaissance; je remercie aussi M. Bordet, préparateur de M. Metchnikoff et tout le personnel de l'Institut Pasteur pour leurs conseils et leur amabilité. Quelles sont les substances qui, injectées dans la cavité pé- ritonéale du cobaye, peuvent faire disparaître les leucocytes de l'exsudat, et produire la période de phagolyse ou de leucopénie ? D'après un grand nombre d’injections faites avec des liquides différents, je dois conclure qu’un liquide, quel qu'il soit, injecté en quantité suffisante (3 c. c. à peu près) est capable de produire le phénomène; seule, la solution physiologique de sel marin s'est montrée généralement moins aclive, et m'a donné une diminution du nombre des cellules, mais jamais une dispari- ion complète. Tous les autres liquides (eau, eau distillée, bouil- lon, solution de peptone, émulsion de cultures, etc.), injectés à la température ambiante (10-12°) ont eu le même pouvoir. J’ai alors injecté les mêmes liquides réchauffés à 38°, 390. Dans ces conditions, la leucopénie était beaucoup moindre; il faut pour- tant noter que lorsque je me servais d’émulsions de cultures, bien que je les portasse à la même température que les autres liquides, j'avais toujours une manifeste et intense diminution de cellules après introduction dans le péritoine. D'un côté donc, la solution physiologique de sel marin in- jectée, même à température basse, ne produit pas le phénomène avec l'intensité des autres liquides, et d'autre part, pour les émulsions de cultures, l'augmentation de température ne suffit pas à en diminuer l’action. On peut donc en conclure que la température et la nature du liquide enirent en jeu dans le mé- canisme et la production du phénomène. Quelle que soit la nature et la température du liquide injecté, le fait observé par M. Metchnikolf, c’est-à-dire la réunion en amas des leucocytes, dans les premiers instants qui suivent l'injection du liquide dans le péritoine, ce fait, dis-je, est toujours constant. Il est évident que ces amas disparaissent du liquide et vont adhérer aux parois péritonéales et aux organes y con- tenus, lorsque l’on trouve l’exsudat transparent, tandis que lorsque le liquide est plus chaud, le phénomène est atténué: les 310 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. amas de leucocytes flottent alors dans l’exsudat, et on les voit presque à l'œil nu. | Ces amas de leucocytes accolés sont emportés, je crois, par les courants intrapéritonéaux. Le péristaltisme intestinal contribue certainement à produire ces courants, et ce péristal- tisme est augmenté après l'injection des liquides; plus ces cou- rants seront intenses, plus ces amas cellulaires seront em- portés facilement. Un liquide qui a à peu près la même température que le corps de l’animal auquel il est injecté provoque moins le péri- stalüsme qu'un liquide froid, et c’est pour cela, je crois, que l’on peut avoir les différences que j'ai déjà exposées. De plus, le froid à une action vaso-constrictive : ne peut-il pas retarder la résorption du liquide et en faciliter l’action? J'ai essayé des numérations des cellules avant et après les injections, pour avoir un critérium comparatif de l’action des différents liquides. Chacuu sait combien ces numérations sont sujettes à l'erreur, et combien on peut en critiquer les résultats. Voulant établir une moyenne du contenu normal en leucocytes du liquide péritonéal, j'ai obtenu des chiffres peu concordants (12,000-20,000-25,000 par m. m. ce.) et ceci indépendamment de l'état de jeûne ou de digestion. Pendant la période de phagolvse, les leucocytes sont très rares ou en amas, et la numération de- vient alors plus que jamais difficile et inexacte. Je ne donnerai par conséquent pas d’autres chiffres : je crois qu’en se servant toujours d’une même quantité de liquide, quantité toujours facile à évaluer, et qu’en employant de petits grossissements, on peut mieux apprécier, par Comparaison, la variation quantitative du contenu cellulaire du liquide. C’est le moyen qui m'a le mieux réussi. Qu’'advient-il des leucocytes qui disparaissent du liquide péritonéal? Quelle est l'influence directe qu'ils subissent par l'injection du liquide? M. Metchnikoff dit que « cette hypoleucocytose peut être en- visagée comme une véritable phagolyse ». Et à cela, M. Durham objecte qu'il « n° y a pas destruction des leucocytes; on a sim- plement dépôt des cellules sur la paroi péritonéale et sur les organes contenus dans celte cavité; ces cellules se comportent de même que les substances inertes (encre de Chine, etc.). » PHAGOLYSE DANS LA CAVITÉ PÉRITONÉALE. 311 M. Durham n'a pas pensé à examiner l’état et la vitalité des leucocytes dans cette expérience, et c’est ce que j'ai essayé de faire : j'ai sacrifié les animaux un quart d'heure après l'injection, alors quele liquide abdominal étaitcomplètement transparent; j’ai recueilli délicatement sur une lame les leucocytes déposés sur les masses inteslinales et surtout sur le grand épiploon. Ces leucocytes, examinés en goutte suspendue, étaient complètement immobiles. Toutefois, mis à l’étuve pendant deux heures, ils recouvraient leurs mouvements. Leur immobilité était-elle due à l'injection? La chose est diffcile à dire, parce que si l’on sacrifie un animal neuf et si on retire l’exsudat par la même méthode, les leucocytes sont aussi immobiles et ne reprennent leurs mouvements qu'après un séjour d'une heure à l’étuve. Si on ajoute aux leucocytes une petite quantité de culture de diphtérie ou de l'encre de Chine, on peut voir, deux heures après, que non seulement ils reprennent leurs mouvements, mais qu’ils sont de plus aptes à la phago- cytose. Pour me rendre compte des phénomènes qui se passent dans l'organisme, j'injectai de l'encre de Chine, du vermillon, et des émulsions de cultures avec le liquide même dont je me servais pour produire le phagolyse. Avec des substances colorantes, on est tout de suite frappé par le phénomène noté par M. Durham. Après un quart d'heure, sur le grand épiploon tout enroulé sur lui-même, on voit qu'il s'est déposé la plus grande partie de la matière injectée. En ce point, si on recueille les leucocytes, on peut voir, à l’état frais ou en préparations colorées, qu’en réalité il s’est produitun certain degré de phagocytose. Dans deux cas où j'avais injecté une culture de choléra avec du sérum préventif dans le liquide abdominal (un quart d'heure après), il était resté des lymphocytes et beaucoup de vibrions intacts, tandis que dans l’exsudat enlevé directement du grand épiploon, on trouvait des leucocytes en train de remplir leur rôle phagocytaire, et les vibrions, à l'intérieur et à l’entour des cellules, avaient tous subi le phénomène de Pfeiffer. Évidemment les leucocytes avaient si vite disparu du liquide, ils s'étaient si rapidement amassés sur le grand épiploon, que les microorganismes, demeurés libres dans l'exsudat, n'avaient pas subi l'influence du sérum préventif, 312 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tandis que là où les leucocytes se trouvaient amassés, le phé- nomène s'était produit avec la plus grande intensité. Pour mieux juger de la chose, on peut fairé des préparations de tout le grand épiploon; celui-ci peut être étendu sur deux lames, fixé avec du sublimé et coloré. De cette façon, on peut voir à un faible grossissement les amas cellulaires, leur dispo- sition sur la membrane et leurs rapports avec la substance injectée. On voit alors ceci: les leucocytes et l'encre de Chine sont réunis en amas ; les amas ne sont pas disposés sur toute la surface du grand épiploon (parce que celui-ci se présente en général replié sur lui-même), mais sur une ligne qui correspond à sa surface de contact avec le liquide abdominal. Les amas des cellules, aussi bien que les amas d'encre, paraissent entourés d'une couche glaireuse, qui semble en faire un tout compact. Beaucoup de leucocytes contiennent des granules noirs, mais non tous, et souvent l’on voit, à côté d’amas de grains noirs, des leucocytes restés vides; on a,en somme, une phagocy- tose incomplète. Sion colore ensuite la préparation par la méthode de Wei- gert, pour mettre en évidence la fibrine, on voit que les amas sont traversés dans tous les sens par de fins tractus fibrineux, qui forment comme un reticulum où sont emprisonnés les grains noirs et les cellules. Le fait de la formation de fibrine indique certainement qu'une destruction cellulaire a suivi l’injection. D'autre part, il est évident que beaucoup des leucocytes recueiilis, pendant la période de leucopénie, ne sont pas nor- maux ; quelques-uns sont comme augmentés de volume et moins facilement colorables ; d’autres sont comme déchiquetés, comme s'ils étaient plus fragiles que de coutume. Cet aspect des leucocytes et la formation de fibrine m'amènent à cette con- clusion qu’à la suite d'injection intra-péritonéale de liquide, on doit avoir une destruction partielle des leucocytes pendant la période de leucopénie. Tout ce que je viens de dire constitue ce que l’on peut obser- ver pendant une période de temps voisine de l'injection ; mais l'on sait déjà qu'il se produit ensuite, quelquefois, un autre phénomène non moins intéressant : c’est l’afflux énorme de leu- cocytes (surtout des leucocytes polynucléaires) et de cellules éosinophiles. | PHAGOLYSE DANS LA CAVITÉ PÉRITONÉALE. 313 Ces éléments, ainsi que l’a vu M. Durham, commencent à envahir l'exsudat à la fin de la phagolyse; ils émigrent des capillaires du mésentère, qui en sont vile gorgés, el leur nombre alteint le maximum 18 à 24 heures à peu près après l'injection. M. Issaeff a étudié chez les animaux ainsi « préparés » la résistance aux infections péritonéales, et a démontré qu’en réa- lité elle était supérieure à la normale. Il se servit, pour pro- duire cet afflux, de bouillon peptonisé et de solution de sérum physiologique. Étant donnés les résultats de M. Issaeff sur l'influence de cette préparation de l’animal contre l'infection, on comprend comment le phénomène pourrait avoir son application pratique, et quel intérêt il y a à déterminer les conditions dans lesquelles cet appel des leucocytes se produit le plus favorablement. Le bouillon peptonisé a été la première substance et la plus usitée pour préparer les animaux ; mais il est facile d'observer combien ce moyen est peu sûr. Le bouillon ordinaire de culture, fraîchement préparé, est assez bon en général, mais il suffit, par exemple, qu'il soit un peu vieux pour ne plus donner les mêmes résultats. J’ai donc recherché d’autres substances pour rempla- cer le bouillon. J’ai commencé par essayer l’eau distillée et sté- rilisée, et je n’obtins aucun résultat. J'ajoutai à cette eau du sel marin (à 0,65 0/0), en stérilisant le tout, et cela suffit pour obtenir une hyperleucocytose très intense ; j’eus ainsi des ani- maux mieux préparés qu'avec le bouillon, et constamment. On aurait pu aitribuer le fait à quelque impureté du sel marin, mais avec NaCI, KCI, LiCI chimiquement purs, dissous dans l’eau dans les mêmes proportions, j’eus les mêmes résultats (en injec- tant toujours Jes 3 c.c. habituels de solution). Donc, dans ce cas, toute substance organique était certainement exclue, et la solu- tion saline seule avait amené la réaction péritonéale. L’afflux maximum se produisait, comme je l'ai dit plus haut, après 20 heures; après 24 heures commençait la diminution, qui allait toujours en s’accentuant, et vers le troisième jour l’exsu- dat pouvait être considéré comme normal. J'ai répélé les expériences de la phagolyse chez les animaux ainsi préparés pour avoir un terme de comparaison avec les ani- maux non préparés. 314 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Procédant en tout de la même facon et retirant l’exsudat un quart d'heure après l’injection, on n’a jamais, chez les animaux préparés, une diminution de leucocytes aussi exagérée que chez les animaux qui ne le sont pas; toutefois, si l'on tient compte du nombre plus grand de cellules qui se trouvent dans le liquide chez les premiers, il est certain que l’on a une diminution pro- portionnelle. L'examen du grand épiploon entier peut le démontrer. En effet, aussi dans ces cas, on trouve sur le grand épiploon, replié sur lui-même, des amas des leucocytes agglomérés, comme l’on trouve des amas de corpuscules noirs, ou de microbes (selon ce que l'on a iujecté). A l'examen microscopique, on trouve toujours une phagocytose extraordinaire, beaucoup plus intense que chez les animaux non préparés. Si l'on a injecté par exemple une même quantité d'encre de Chine, on trouve rarement, sur le grand épiploon de l'animal préparé, des grandes masses libres de grains noirs à côté de leucocytes vides; ici presque toute la substance noire est à l’intérieur des cellules. Les leucocytes et la substance colorée sont ici plus uniformé- ment disséminées sur la surface du grand épiploon, la distribu- tion en masses enveloppées d'uue couche glaireuse manque ou est beaucoup moins accentuée, tandis que cette distribu- tion était caractéristique des autres préparations. De même, en employant la méthode de Weigert, on constate que la fibrine est beaucoup moins abondante. Outre l’augmentalion de la phagocytose, l'ensemble de ces particularités démontre que, dans le cas présent, les leucocytes ont été moins altérés par l'injection ; cela explique pleinement les résultats de M. Issaetf à propos de la résistance à l'infection. La comparaison de ces préparations avec celles de la pre- mière série met encore mieux en relief les caractères d’altéra- tion leucocytaire que j'avais d’abord observés, et je conclus que, chez les animaux préparés, la résistance des cellules est certainement plus forte: c'est ainsi que l’on peut réaliser une phagocytose beau- coup plus intense, et une destruction de leucocytes infiniment plus petite, à la suite de l'injection de liquides différents. ECHERCEHES SUR LA MARCHE DE L'IMMENISATION ACTIVE CONTRE LA DIPHTÉRIE par Carz Juz. SALOMONSEN er THonvazp MADSEN (Laboratoire de bactériologie médicale de l'Université de Copenhague.) En 1891, Ehrlich à le premier indiqué une méthode pour apprécier en nombres exacts le degré d’immunité; peu après, il démontra que, par l'allaitement, les anliloxines peuvent passer de la mère au nourrisson. En 1892, s'appuyant sur ces deux bases, il fit, en collaboration avec M. Brieger', une série de recherches sur la marche de l'im- munisation chez une chèvre vaccinée contre le tétanos. La chèvre, traitée pendant quelque temps par des doses croissantes de toxine, fut injectée avec 75 c. c. de bouillon tétanique très virulent, et, dans le cours des sept semaines qui suivirent, on contrôla le pouvoir immunisant du lait tous les deux jours ou chaque jour. Les dosages furent faits d'après la méthode des mulüples, en injectant à des souris 0,2 c. c. de lait, et, au boul de 24 heures, du poison tétanique à dose variable. En procédant ainsi, Ebrlich et Brieger réussirent à prouver que, dans les 24 heures qui suivent immédiatement l'injection, le pouvoir antilétanique du lait tombe de 4,000 à 1,000, puis se met à remonter pendant les deux jours suivants, pour atteindre en dix-sept jours un maximum de 9,000 ; après quoi, durant les treize jours qui suivent, ce pouvoir baisse jusqu’à 4,000, point auquel 1l reste assez longtemps stationnaire, s’y maintenant jus- qu'au relèvement produit par une nouvelle injection. Ehrlich et Brieger désignent ce phénomène sous le nom de marche ondula- loire de l’immunisation. D'après eux, l'explication la plus plau- sible de la chute est que le virus tétanique neutralise ou détrait de quelque manière l’antitoxine du sang, et que la hausse est 4. Earuica und Briecer. Beitrage zur Kentniss der Milch immunisirter Thiere, (Zeitsch. f. Hygiene, XII, 1893.) 316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. due à une surproduction de cette substance, surproduction par laquelle l'organisme cherche à couvrir sa perle, comme on le voit si souvent en biologie. Durant les jours qui suivent, l'équi- libre se rétablit. Les deux auteurs font remarquer que leurs recherches ont aussi de l’importance pour la prompte fabrication d’un sérum très actif. En effet, si, au bout de dix-sept jours, on renouvelle l'injection de tétanotoxine, on aura les meilleures chances de renforcer le pouvoir antitétanique du sang. Depuis qu'EhrlichetBriegerontcommuniquéleurs recherches sur Ja marche de J'immunisation, personne, à notre connaissance, n’a publié une pareille série d'expériences soit sur le tétanos, soit sur d’autres maladies infectieuses. Et pourtant, en pour- suivant sur le même animal et assez longtemps de telles séries de mensurations exactes du pouvoir immuüisant, on obtiendrait sans doute des renseignements précieux sur plus d’un point obscur de la doctrine de l’immunité, et sur le meilleur mode de préparation rationnelle des divers sérums thérapeutiques. Nous avons tenté la mème voie qu'Ehrlich et Brieger pour fournir notre contingent à la connaissance de la marche de l’immuni- sation active vis-à-vis de la diphtérie. L'animal servant à nos expériences était une jument qui pesait 665 kilos; le pouvoir de la toxine diphtérique employée (culture en bouillon filtrée) était tel qu’à la dose de 0,1 c. c. elle tuait en moins de 48 heures un cobaye de 500 grammes. On commença par une dose de 1 c. c. et on continua par doses crois- santes' jusqu’au 119 jour; alors le total des injections sous- cutanées de toxine atteignait 3,540 c. c. : la dernière dose fut de 1,000 c. e. *. La jument se montra pleine et, pour éviter un avor- tement comme nous en avons observé chez des chèvres em- ployées pour des expériences analogues sur l’immunisation contre la tuberculose, nous avons cessé les injections pour ne les reprendre qu'après la parturition ; celle-ci eut lieu le 154° jour après le début de l’immunisation. Une saignée d'essai pratiquée le 135° jour fit constater que le sérum de la jument contenait 1. Voir tableau I. 2. Pour les petites doses, on employa des cultures en bouillon, stérilisées au filtre Chamberland; pour les doses plus fortes, on se servit d’une toxine en solu- tion plus concentrée (10 à 20 fois) et préparée en précipitant les cultures en bouillon à l’aide de sulfate d’ammoniaque et dissolvant dans une solution de chlorure de sodium à 10/0. Toutefois, dans ce qui suit, les doses sont indiquées comme culture au bouillon filtrées et ayant le pouvoir désigné dans le texte. IMMUNISATION CONTRE LA DIPHTERIE. 317 150 unités d'immunisation par centimètre cube ; mais le 23° Jour après la parturition l’on trouva que le pouvoir était tombé à 45, tandis que le pouvoir antidiphtérique du lait se tenait entre 1/2 et 3/4, le sang du nourrisson donnant 9°. On reprit donc les injectious en augmentant la dose de toxine de 100 à 1,000 c. e., et la jument ayant de la sorte reçu une nouvelle quantité de 2,400 c. c., ce qui porte le total à environ 8 litres de toxine diphtérique, nous commençämes nos mensuralions le 242° jour après le début de l’immunisation. Le lait fut recueilli chaque jour à la même heure et avec la plus grande propreté possible dans les flacons stérilisés qu'on maintenait sur la glace. Le sang fut tiré soit de la veine jugulaire, soit, par simple ponction à la lancette, d’une veine hypodermique. Nous poses pour nos mensurations [a méthode indiquée par Ebrlich en 1894°. D'après notre expérience, c’est la plus pré cise et la plus rapide de toutes celles pratiquées jusqu'ici, et celle qui exige le moindre nombre de cobayes et les plus jeunes *. Comme on le sait, le but de cette méthode est de déterminer quelle est la quantité minima de sérum suffisante pour neutraliser complètement les effets d’une dose de toxine diphtérique égale à la dose dix fois mortelle pour un cobaye de 250 grammes. Comme cette méthode semble être employée d’une manière un peu différente dans les divers laboratoires, nous ajouterons que nos injections du mélange ont toujours eu lieu à la dose de 4 c. c. sous la peau du côté gauche de la paroi abdominale ; que le cobaye employé pesait 250 grammes et subissait le contrôle durant les quatre jours qui suivaient l inoculation. La toxine était regardée comme complètement neutralisée quand l’état sanitaire 1. Dans un travail ultérieur, nous nous occuperons plus en détail de la baisse du pouvoir antidiphtérique du sérum observée souvent chez les chevaux immunisés. 2, Le nourrisson continua de téter sa mère; peu à peu la sécrétion du lait décrut notablement. Le 78 jour après la parturition, on mesura de nouveau le pouvoir antidiphtérique du sang du poulain et on trouva une valeur entre 4 et 5, le sang de la mère donnant alors 120, son lait 5/5. 3. Enrcica u. WassErMaxN. Ueber die Gewinnung der Diphterie-Antitoxine aus Blutserum u. Milch immunisirter Thiere. (Zeëitsch. f. Hygiene, 1894, XVIII, 239.) 4. Dans un ouvrage de Th. Mapsex : Æecherches expérimentales sur la torine diphtérique, Copenhague, 1896 (dont partie est reproduite en traduction dans le Zeitschrift f. Hygiene, 1897. Ueber Messungen der Stärke des antidifterischen Serums), on trouvera in ertenso une critique donnant la valeur des diverses mé- thodes de mensuration appliquées au pouvoir du sérum antidiphtérique. 318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. général des animaux restait bon, que leur poids augmentait et qu’au bout des quatre jours, 1ls ne présentaient aucun signe d’in- filtration sur le point injecté, soit qu’elle n’eût pas eu lieu du tout, soit qu’elle eût tout à fait disparu avant l'expiration dudit terme. Des expériences comparatives ont fait constater l'identité de nos unités d'immunisation et de celles du « contrôle d’état » des Allemands. Quant au pouvoir antidiphtérique du sang, on tâcha de le déterminer avec une exactitude de 5 unités d’immunisation par centimètre cube; celui du lait le fut à 1/8 de cette unité. Bes fortes oscillations du pouvoir antidiphtérique qui se manifestent dans l’immuuisation active rendaient impossible de déterminer au préalable le pouvoir du sérum le plus convenable pour le premier essal. Or, c'est justement en pareille circonstance que la méthode Ebrlich est d'une grande valeur par sa rapidité. En général, dès la fin du premier ou du second jour, on peut voir quelle direction il faut donner aux essais qui suivront et, tant le lait que le sang, bien conservés sur la glace, se maintien- nent assez longtemps sans altération pour qu'on puisse établir le degré exact du pouvoir antitoxique. Nous avons fait nos efforts pour éliminer toutes les sources d'erreur autres que celle qui provient, sans qu'ou puisse l'éviter, des divergences purement individuelles des animaux d’expé- riences. Autant que possible, nous n'avons employé que des animaux élevés par nous-mêmes, et veillé à ce que tous fussent alimentés d’une manière identique et vécussent dans des condi- tions tout à fait pareilles. Dans le cas où nous avons dû acheter des animaux ailleurs, nous eûmes soin de les acclimater avant de les faire servir à nos expériences. Comme on l’a dit, la mé- thode est excellente, et nous pouvons nous ranger d'emblée à l'avis d'Érlich et Wassermann sur les garanties qu’elle présente. A litre d'exemple, on citeraici(Tab. [IT) les mensurations effec- tuées le troisième jour de l'expérience sur le pouvoir antidiphté- rique du lait; les tableaux Ilet Il bis pourront donner une idée de la manière dont le cobaye réagit sur les différents mélanges. O signifie pas d'infiltration, et :# infiltration. Le résultat de la série complète des mensurations se présente sous une forme graphique dans la planche ci-contre. Le tracé relatif au lait est en traits pleins, l’autre correspondant au sang 319 ÉRIE. TRE LA DIPAT CON IMMUNISATION è | ë È R | | À À 190 | Se) Les | 0 À Je | | + È $- FS À | Le Ÿ | 180 |- LL UT er nee Ja RS À AE ne Re QE = ARE Ne | | _$- role | VE Es ess La 1 ; At Es à x Re Re 160 À | “AA a bee El EAN En LÈ 2 STAR PE I EE CA BE Es ARR" Eee PE ER PE af IK : 5 ? . À | on | PE ei] A Er _n | / | raie à | Dl{L_L_ A se Ste HET tr & PRE er) ù sn $ Fe FE œsrret 4 Ë 110 | Il [ae | | . F À bee ao PAST ENS 90 1 [Eee \. sl JL À Je I Î (alle | d d 7) | mie | \ | LOTRRES JE | Sa Er LE + — SIRET veille es] vien Sn += < Je + 3 mure rl 2e ler lie | EE + — - : t les =) + — : + BIEN DA 60 | : fe Et TT À T = = L_— re | 1 + PAIE Se | VRoussel 2 ES brsstesehesshe/ oër: lard diphtért du lar£. pee) 27, 320 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. est en traits discontinus. Les jours d'expériences ont été pris pour abscisses, les degrés du pouvoir antidiphtérique, pour or- données. Les ordonnées du lait sont reproduites à une échelle 200 fois plus grande que celle du sang. 1° En commençant par considérer les rapports du lait, nous trouvons que son pouvoir antidiphtérique subit, immédiatement . après la première injection de toxine, une chute très forte. Dès le lendemain de l'injection de 1000 c. c. de toxine, le pouvoir tombe à 4/8; le troisième jour, il a baissé jusqu'à 2/8 pour se relever du troisième au neuvième jour et atteindre 7/8. Le dixième jour encore, le lait garde ce même pouvoir; mais le tr'ei- zième jour, il est tombé à 5/8 et se maintient à ce point, sans altération, du treizième au vingt-deuxième jour; alors une forte saignée suscite une modification de l'état. Done, chez le cheval immunisé contre la diphtérie, vous retrouvons, après l’injection de toxine, la marche ondulatoire observée par KÉhrlich et Brieger chez la chèvre immunisée contre le tétanos, savoir la chute sou- daine et la hausse rapide suivie d'une nouvelle baisse jusqu’à ce que le lait s'arrête à un certain degré de pouvoir. Abstraction faite des dates, puisque Le pouvoir atteignit son maximum le neuvième ou dixième jour dans les expériences antidiphtéri- métriques sur le cheval, et le dix-septième ou dix-huitième jour dans les expériences antitétanométriques sur les chèvres, la concordance est complète. La marche ondulatoire se reproduit (voir la planche) tant après l’une qu'après l’autre des injections de toxine qui suivirent, bien qu'avec certaines dissemblances sur lesquelles nous reviendrons plus tard. 2° Un examen plus précis des relations entre les pouvoirs antidiphtériques respectifs du sang et du lait offre un grand intérêt sous divers rapports. Tant que notre ignorance sera com- plète sur les lieu et mode de formation de l’antitoxine dans l'animal immunisé, sur l'aptitude de tous les tissus du corps à produire celte substance, ou sur le privilège de certaines espèces de cellules particulières et déterminées, nous ne saurions pré- tendre que les relations entre le pouvoir antidiphtérique du sang 4. La relation entre les pouvoirs antidiphtériques du sang et du lait durant la période d'essai est indiquée exactement par le nombre 1/194, état de choses qui a persisté sans modification pendant les #3 jours qu’a duré l'expérience, tel qu'il résulte des chiffres cités page 321. Les mensurations faites antérieurement, 23 jours après la parturition, ont fait trouver un rapport différent, savoir 4/90. IMMUNISATION CONTRE LA DIPHTÉRIE. 321 et celui du lait restent constantes durant la marche de l’immu- nisation. Des expériences en grand sur cette question sont im- praticables sur des animaux de petite taille, et c'est à peine si les chèvres s’y prêtent. Par contre, le cheval se prête à une pareille série d'expériences : aussi avons-nous profité de l'occasion pour expérimenter sur notre jument poulinière. En tout, nous avons fait dix-neuf déterminations du pouvoir que manifestent simul- tanément le sang et le lait ; mais, à cause de quelques accidents, il nous faut en défalquer la détermination du pouvoir du lait faite le premier jour d'expériences. Malheureusement il manque une détermination du pouvoir du sang afférente au troisième jour, parce que, n’élant pas préparés à une hausse si rapide, nous remimes la saignée au quatrième jour. Voici le résultat des mensurations : les nombres indiquent les unités d'immunisation par centimètre cube. JOUR LAIT SANG JOUR LAIT SANG | l 6/8 120 26 4/8 100 2 4/8 » 28 4/8 100 3 2/8 » 30 4/8 » 4 D/8 115 32 4/8 100 D 5/8 » 33 3/8 70 4 6/8 120 34 9/16 65 9 7/8 » 39 5/16 » 10 7/8 470 30 9/16 70 13 d/8 120 37 3/8 » 16 D/8 120 39 4/8 115 19 D/8 120 A D/8 115 22 )/8 120 42 D/8 » 23 4/8 100 43 D/8 120 25 3/8 85 322 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Un regard sur la courbe produira aussitôt l'impression d’une concordance tout à fait extraordinaire entre les hausses et les baisses du pouvoir antidiphtérique du sang et du lait. Ces deux liquides se côtoient, soit que les variations du pouvoir proviennent de l'injection de toxine (1° au 13° jour et 32° au 41° jour), soit qu'elles aient pour cause la saignée (22° au 26° jour). Les pério- des intermédiaires (13° au 22° jour, 26° au 32° jour) ne présen- tent non plus aucun déplacement des relations entre lesdits degrés du pouvoir. La fidélité de cette impression se justifie aussi par l'étude des nombres des dix-huit observations pré- sentées. Or, en songeant qu'ici l’on a affaire à deux substances dont la nature nous est tout à fait inconnue (toxine et antitoxine diphtériques) et dont le dosage ne peut être pratiqué qu’à l’aide d’une réaction physiologique sur un animal d'une espèce déter- minée, on se sent à l'abri du reproche de témérité si l'on admet que les petits écarts sont dus aux erreurs d'expériences inévita- bles, et qu’en réalité le rapport entre les pouvoirs antidiphtériques respectifs du sang et du lait a été absolument le même à n'1m- porte quel moment des quarante-trois jours durant lesquels ces déterminations furent faites. Si l’on prend en considération les relations décrites ici, savoir que le pouvoir antidiphtérique du sang était environ 200 fois plus fort que celui du lait; que ce rapport se maintint constant durant une si longue partie de la période de lactation ; que le lait cepiait exactement les oscillations du sang tant faibles que fortes, soit qu’elles fussent causées par l'injection de toxine ou par la saignée; alors on trouve extrêmement invraisemblable que les cellules des glandes mammaires participent en des proportions assez saillantes à la formation de l’antitoxine. Le plus probable sera d'admettre que la substance antidiphtérique toute faite est trausmise du sérum au lait, et lorsque, dans son remarquable Aperçu critique des théories cellulaires de l’immanité:, Metchni- koff, cherchant à expliquer pourquoi le pouvoir antitoxique du lait est relativement considérable, argue de son exubérance en cellules et détritus de cellules, et veut trouver dans cette propor- tion un point d'appui pour la doctrine de l’origine cellulaire des 27 1. Lugarsca und Osrerrac. Ergebnisse d. allg. Aetiologie, 1896, p. 337. IMMUNISATION CONTRE LA DIPHTÉRIE. 323 antiloxines, cela ne nous paraît pas assez fondé, vu les résultats ci-dessus communiqués ; 3° Comme nous l'avons déjà fait remarquer, la marche ondu- latoire fut constatée après chacune des trois injections de toxine pratiquées respectivement les 1°", le 32° etle 43° jours. Mais, bien que dans ces trois cas la quantité de virus fût tout à fait la même, l'effet ne fut aucunement identique. Après la première injection, la chute fut très considérable’, et la hausse qui suivit eut lieu en proportion, {de 120 à 170); après la seconde injection, la chute fut moindre (de 100 à 65) et la hausse le fut également( de 100 à 120); enfin la chute fut encore plus faible après la troisième injection qu'après la deuxième (de 120 à 105); dans la hausse qui vint après, le pouvoir monte jusqu’à 1435. C’est à peine si, dans l’état actuel, plein de lacunes, de nos connaissances sur le mode de production des antitoxines et sur ce qu’elles deviennent dans l'organisme, il est possible d'interpréter d’une manière saisfaisante les relations décrites. En ce qui concerne les diverses phases de la marche ondulatoire, c’est tout d’abord la chute rapide succédant immédiatement à l’injection de toxine, qui réclame une explication. En effet, il est évident que l’antagonisme existant entre les deux substances, toxine et antlitoxine, se manifeste d'une tout autre manière dans le sang du cheval vivaut que dans le mélange in vitro. Prenons, par exemple, les nombres trouvés après la seconde injection : nous y verrons une chute de 100 à 65 unités d'immunisation par c. c. Ce fort abaissement est dû à l'injection d’un litre de toxine qui contient 38,461 fois la dose minima (0, 026 c. c.) sûrement mortelle pour un cobaye de 250 grammes; or, le 32° jour, le pouvoir antidiphtérique du sang de cheval était 100 ; par conséquent environ 3,8 c.c. de sang de cheval suffisaient à neutraliser complètement l’action de la quan- tüité de toxine injectée. Le cheval pesait 665 kilos, et comme la masse de son sang peut en conséquence s’estimer à 51 litres, le pouvoir antidiphté- rique du sang n'aurait pas dù, si l’addition de toxine avait eu lieu in vitro, baisser de plus de1/13,000, tandis qu'après l'injection dans le sang, ce pouvoir baissa de plus de 1/3. 1. Conformément à ce qu’on a communiqué plus haut, nous sommes d'avis qu’on peut prendre pour point de départ le fait que la chute du pouvoir du sang a été, même le troisième jour d'expériences, proportionnelle à celle du pouvoir du lait. 324 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. A priori, il n’y a absolument rien qui empêche d'admettre que la toxine diphtérique exerce une tout autre action sur l’antitoxi- ne du sang en circulation dans l'individu vivant que sur le sang extrait et sans vie. Vu la concordance des recherches faites par Roux et Vaillard, Buchner, Wassermann, Calmette et autres, on doit aussi regarder comme établi qu'en tout cas, certaines toxi- neset antitoxines ne s'entre-détruisent pas par le mélange in vitro; mais cela n'empêche pas que, in vivo, il puisse y avoir saturation ou destruction de l’antitoxine après l’injection de la toxine, ainsi que l’admettent Ehrlich et Brieger. Cependant leur hypothèse est contredite par les effets très différents des trois injections. On employa pour la seconde injec- tion exactement la même toxine que pour la première et à dose strictement identique. Si, dans la première injection, la quantité totale de toxine fut introduite en un seul point de la peau, tandis que la seconde fois on la répartit sur trois points *, il ne saurait en résulter une différence appréciable; la saignée pratiquée onze jours avant, et à la suite de laquelle l'équilibre antitoxique s'était rétabli depuis déjà six jours, n’y est sans doute non plus pour rien. 1. C'était dans le but de prévenir la formation des abcès qui se produisent relativement avec fréquence après une forte injection de toxine précipitée. Onze abcès faisant suite à l'injection de toxine concentrée (voir page 316, note au bas) ont subi un examen bactériologique. Le pus a été examiné au microscope et de plus cultivé, tant aérobiquement qu'anaérobiquement, dans du bouillon et dans de la gélose nutritive Dans trois cas, le pus contenait des micrococci, et dans deux cas de gros bâtonnets trop peu nombreux pour empêcher de révoquer for- tement en doute leur importance pyogène. Dans six des onge cas, le pus était stérile. La toxine employée pour ces six expériences avait été stérilisée dans quatre cas par le toluol, dans deux cas par simple filtration Chamberland. En aucun cas, les abcès causés par la toxine ne firent constater une élévation de la température du cheval : mais, du reste, ces ancès différaient beaucoup d'aspect clinique. Tels d’entre eux eurent une période aiguë : à peine au cinquième ou sixième jour après l'injection, ils donnèrent signe l'une large fluctuation et cau- sèrent une nécrose cutanée restreinte. D’autres eurent un cours trainant et ne furent ouverts que trente ou quarante-six jours après l'injection. Une seule fois, le pus fut filant et glaireux, tandis que le plus souvent il était épais et floconneux, parfois même grumeleux..Une fois évacués, les abcès se cicatrisèrent généralement très vite. Trois fois on a déterminé les pouvoirs antidiphtériques simultanés du sang et du sédiment cellulaire du pus. Voici les résultats. UNITÉS D'IMMUNISATION PAR C. C. DANSE. 0: ee EE UE 25 40 50 BUS ss... us UOTE EE OMS 25 Comparer les expériences faites dans le même sens sur le tétanos par Rouxet Vaillard, Annales de l'Institut Pasteur, NH, 1893, p. 82. IMMUNISATION CONTRE LA DIPHTÉRIE. 329 On ne peut pas non plus voir dans la circonstance qu'avant la première injection, le sang du cheval avait un pouvoir de 120, avant la deuxième injection un pouvoir de 100, une explication admissible de la différence entre les deux chutes s'il était ques- lion de saturation ou de destruction. L’explication la plus natu- relle de la différence de réaction du cheval aux deux injections est qu'au 32° jour, l'animal avait absorbé 1 litre de toxine de plus qu’au 1° jour : qu’en d’autres termes, il avait plus de résis- tance à la toxine lors de la seconde injection qu’à la première. Cette hypothèse conduirait peut-être à expliquer la forte chute du pouvoir antidiphtérique après l'injection de toxine. Nous avons déjà fait ressortir plus haut notre ignorance pour ainsi dire complète sur le mode de production de l’anlitoxine et sur ce qu’elle devient dans l’organisme. Le pouvoir spécifique des antiloxines et la hausse que l'accroissement des doses de toxine fait subir au pouvoir antitoxique du sang, firent natu- rellement surgir aussitôt l'opinion qu'il y avait là une transfor- malion directe de la substance ‘toxique, sous l'influence de certaines espèces de cellules déterminées ou peut-être de toutes les cellules de l’organisme intoxiqué. Les célèbres expériences de Roux et Vaillard sur l’antitoxine du télanos devaient cepen- dant faire prendre à la pensée une autre direction. [ls consta- lèrent qu'en quelques jours on pouvait, en répétant les saignées, enlever à un lapin immunisé contre le tétanos une quantité de sang égale à la masse totale du sang de l'animal, et que pourtant le pouvoir anlitoxique du sang ne baissait pas notablement. Si la poursuite de ces recherches permettait de généraliser lesdits résultals, on pourrait concevoir ainsi le changement produit dans l’organisme par l'intoxicalion : les cellules influencées par la toxine subiraient une modification durable et acquerraient la propriété de sécréter une nouvelle substance jusqu'alors étran- gère à l'organisme, savoir : l’antitoxine. L'organisme se trouve- rait ainsi doté d’une nouvelle fonction sécrétoire. En procédant plus loin dans ce cercle d'idées et admettant que l'organisme d’un cheval activement immunisé soit le foyer d’une production et d’une destruction incessantes de la substance antidiphtérique, la chute rapide qui suit les injections de toxine pourrait être regardée comme la manifestalion d’une intoxication des cellules qui produisent l’antitoxine, ces cellules s’accoulumant au poison 326 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. et, par là, se trouvant de nouveau moins entravées dans leurs fonctions de sécrétion à chaque nouvelle inoculation. Toutefois la justesse de cette hypothèse ne peut être contrôlée qu'à l’aide de documents d'expérience bien plus abondants que les nôtres. 4° Dans ce qui précède, nous nous en sommes tenus principale- ment à comparer entre elles les réactions qui suivent la première et la seconde injections de toxine. Si l’on y joint la troisième, on voit de plus en plus sauter aux yeux la décroissance d'action de cette même dose de toxine. Mais on verra que l'effet de cette troi- sième injection n’est pas absolument comparable à celui des pre- mière et deuxième injections. Ces deux-c1 furent pratiquées à un moment où le sang du cheval était arrivé à l'équilibre antitorique, c’est-à-dire où son pouvoir antidiphtérique s'était maintenu sans altération durant une suite de jours, tandis que la troisième injection fut faite à un moment où le pouvoir antidiphtérique du sang prenait de l'accroissement ou venait d'atteindre son point culminant dans la période de surcompensation (Ehrlica et Brieger). Mais aussi le but de cette troisième injection était autre que celui des précédentes : nous l’entreprimes pour essayer s'il serait possible de pousser très haut la propriété immunisante du sang en injectant une forte quantité de toxine le jour où le sang avait atteint son maximum de pouvoir antidiphtérique après l'injection précédente de toxine. Ce procédé avait donné à Ebrlich et Brieger de bons résultats dans leurs expériences pour immuniser des chèvres contre le tétanos. Comme le montre la courbe, la chute du pouvoir du lait après la première injection fut très raide : ce pouvoir ne resta qu’un jour à 2/8, d’où 1lremonta vivement pour atteindre 7/8, son point le plus élevé, au bout de six jours, c'est-à- dire Le neuvième ou dixième jour après l'inoculation. Après la seconde injection, la chute du pouvoir du lait fut aussi, il est vrai, fortbrusque ; mais ce pouvoir se maintintdurantles troisjours sui- vanis à son maximum 5/16, après quoi il remonta à 5/8 dans l'espace de cinq jours, soit le neuvième jour après l'injection. Il y demeura stationnaire durant trois jours, du dixième au douzième jour. Comme, après l’examen provisoire des cobayes inoculés les 39°, 41° et 42° jours, nous étions fondé à supposer que le pouvoir du sang avait atteint son point culminant, nous fimes une nouvelle injection de toxine le 43° jour, c’est-à-dire le douzième jour après la dernière injection. Le résultat fut qu'après une très IMMUNISATION CONTRE LA DIPHTÉRIE. 327 faible baisse (de 120 à 105) qui dura quatre jours, on constata un accroissement relativement faible atteignant 135, et ce degré du pouvoir fut atteint dir Jours après l'injection de toxine. Ce qui saute immédiatement aux yeux ici, c'est qu'à côté des dis- semblances qu'on a fait ressortir entre les trois périodes de réaction qui suivirent les injections, l’on trouve certains points où la concordance est bonne. Dans les trois cas, la hausse mit cinq à six jours pour passer du plus bas au plus haut degré de l'échelle du pouvoir antidiphtérique, et dans ces trois cas le maximum fut atteint le neuvième ou dixième jour après l'injection. Dorénavant, le mieux sera de choisir, pour saigner le cheval, le dixième jour après l'injection, quand on voudra lui soutirer un sérum aussi puissant que possible et, le cas échéant, il faudra aussi choisir le dixième jour après la dernière injec- tion de toxine pour lui faire une nouvelle injection dans le but de pousser le pouvoir à son extrême hauteur. Avons-nous ici affaire à une particularité individuelle du cheval examiné, ou bien le maximum du pouvoir antitoxique est-il en général atteint le dixième jour chez les chevaux activement immunisés contre la diphtérie ? C’est ce que nous ne pouvons pas décider, car nous ne disposons pas de séries d'observations analogues pour d’autres chevaux à la même phase de l’immunisation. Si de pareilles séries présentaient ce geure de relations, ce serait beaucoup de gagné pour la pratique de la fabrication du sérum. 328 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. DOSES DE TOXINE EMPLOYÉES POUR L'IMMUNISATION ACTIVE DU CHEVAL a DOSES DOSES J REMA S ne de toxine. HÉRQUES Dour de toxine. AALENNUUSE { 1Nce. 154 Parturition 6 Il Les Saignée d'essai : 177 45 unités 12 3 | d'immu nitalion par cc 184 100 cc. : 15 b) 188 200 29 10 195 400 2/1 20 205 700 36 25 2118 800 41 )0 223 600 AD 75 À 239 600 0 100 242 |1.000 Somme : 7.940 cc. 57 150 à 79 9» 9 Saignée d'essai : m | 250 242 es gl 450 d’immunisation far CC 92 600 104 800 419 |1.000 Somme : 3.540 cc. 135 Saignée d'essai : 150 unités d’immunisation par cc. ————ZpZEZEZEZEZEZEZEZEZE ER , LA DIPHTERIE. 329 a A À IMMUNISATION CONTRI TABLEAU II. — APERÇU DES EXPÉRIENCES SUR LES COBAYES BAL T UNITÉS d'immunisation Pa EC 12/8 10/8 9/8 3/8 5/16 2/8 xt à ES ») 10113116 | 19 | 22 | 23 | 25 | 26 | 28 | 30 | 32 | 33 | 34 » )) )) )) )) ») )) )) )) )) )) )) )) ») ») ») )) » )) ») )) )) » )) )) )) »)) )) )) ») )) )) )) )) )) )) )) )) )) ) )) )) )) )) )) )) )) je ») )) ») )) ») ») ») )) )) )) )) O J )) £ ») D] ») ») ») ») )) ») O ») » ») ») ») » )) D NOMION MONO » | 3% & | » 39 H01 O1 )) )) )) )) )) )) )) )) )) )) )) )) )) )) ») ») A 4 % signifie infiltration; O signifie pas d'infiltration. La série horizontale des chiffres indique les jours d’expériences. STITUT PASTEUR IN ALES DE L’ ANN 330 SUITE DU TABLEAU II OO Ÿ O000000O 28 | 32 | 33 ») » Où HE IMMUNISATION CNTRE LA DIPHTÉRIE. 391 TABLEAU IIE. — MENSURATIONS DU POUVOIR ANTIDIPHTÉRIQUE DU LAIT LE TROISIÈME JOUR APRÈS L'INJECTION DE LA TOXINE. DORCRE À poiDS POIDS | Mason en les jours INFILTRATION REMARQUES par €. €. grammes. | d’expériences. 295 nulle 299 nulle 2/8 270 vivant 290 nulle 300 nulle RTE 2" DÉTENTE 5 Re | 270 faible 260 faible 3/8 270 vivant 280 presque disparue 300 presque disparue 260 faible 260 faible 4/8 270 vivant 270 faible 250 faible 250 faible 260 forte 3, 8 268 vivant 270 forte 250 forte 245 forte 230 . forte 6,8 250 vivant MÉTIODE DE COLORATION À ELA FOIS SIMPLE ET CONTRASTANTE DES MICROBES Par M. CLAUDIUS, MÉDECIN 4 COPENHAGUE. L’addition d'une solution aqueuse d'acide picrique à une solution aqueuse de violet de méthyle donne un précipité bleu indigo. La substance colorante ainsi obtenue à d’autres propriétés que le violet de méthyle : elle est insoluble dans l’eau ettrès soluble dans l'alcool, le chloroforme, l’aniline et l'essence de girofle; elle n’a que peu d’affinité pour les noyaux cellulaires et autres éléments des tissus, tandis que son affinité pour certains microorganismes est extraordinairement grande. Cet état de choses sert de base au procédé de coloration qu'on va décrire. Par ce procédé, les microorganismes se colo- rent en bleu indigo foncé, qui contraste bien avec la couleur jaune des noyaux et des autres éléments histologiques. Voici les réactifs à employer : 1. Solution aqueuse de violet de méthyle ‘ à 1 0/0. 2. Solution à moitié saturée d’acide picrique dans l'eau distillée ({ volume de solution saturée + 1 vol. d’eau). 3. Chloroforme. 4. Essence de girofle. A.— Coloration sur lamelles. Sécher, flamber, colorer dans la solution de violet de méthyle pendant une minute, laver à l’eau, étancher au papier filtre, passer à la solution d'acide picrique durant une minute, laver à l’eau et étancher au papier filtre, laver au chloroforme tant qu'il y a décoloration ; il est préférable de faire cette lotion 1, Dans mes expériences, j'ai employé le violet de méthyle 6 B extra (Merck, Darmetadf.) NOUVELLE MÉTHODE DE COLORATION. 339 en vase clos, par exemple dans une petite fiole à large goulot et bouchon de verre; grâce à cette précaution, l’on peut se con« tenter d’une très petite dose de chloroforme. Sécher, monter dans le baume du Canada. Si l’on ne désire pas conserver la préparation, la décolo- ration au chloroforme peut être remplacée par l’application d'une goutte d'essence de girofle sur la lamelle ; cette goutte ne tarde pas à se colorer en bleu; on l’absorbe avec un papier filtre et cette opération se répète au besoin; la décoloration étant complète, on peut examiner la préparation dans une goutte d'essence de girofle. B. — Coloration des coupes. Les coupes doivent être aussi minces que possible et préfé- rablement collées sur la lamelle. Colorer durant deux minutes avec la solution de violet de méthyle ; laver à l’eau et étancher au papier filtre: passer à la solution d'acide picrique peudant deux minutes ; laver à l’eau, puis étancher avec soin et à diverses reprises au papier filtre; faire tomber sur la coupe une goutte d'essence de girofle, qu’on enlève en pressant avec un papier filtre, quand la goutte a pris une teinte bleu foncé; alors verser encore de l'essence de girofle sur la préparation, étancher de nouveau avec le papier filtre et continuer de la sorte jusqu à ce que la préparation ait passé au jaune ; passer au xylol, monter dans le baume du Canada. On n’a besoin d’aucun déshydratant spécial si l’on procède comme il a été indiqué: mais tient-on à en employer un, on le peut aussi: l'alcool ne saurait servir, car non seulement il enlève l’acide picrique, mais encore il décolore légèrement cer- taines bactéries, qui autrement gardent bien la couleur. L'aniline, au contraire, n’affecte pas la coloration des bac- téries, mais enlève l’acide picrique; son emploi force donc à renoncer au contraste des couleurs. Quant au chloroforme, on peut s’en servir sans que ni la coloration des bactéries ni le contraste des couleurs en souffrent. On peut ajouter que le procédé en question est compatible 334 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. avec une teinture préalable des noyaux, telle que la coloration par le carminu au lithium. C. — Résultats. Parmi les 26 espèces de bactéries auxquelles j'ai appliqué la méthode, les 17 suivantes se colorent : 1. Staphylococcus pyogenes albus et aureus. 2. Streptococcus pyogenes. 3. Pneumococcus Fraenkelii. 4. Bacillus diphtheriæ. 5. Bacillus anthracis. 6. Bacillus erysipelatis suis. 1. Nocardia farcinica (farcin du bœuf). S. Micrococcus tetragonus. 9. Bacillus tetani. 10. Bacillus lepræ (prend bien la couleur, mais se décolore peu à peu si on le conserve dans le baume du Canada). 11. Bacillus tuberculoseos hominis (prend mal Ja couleur). 12. Bacillus tuberculoseos avium (difficile à colorer). 13. Bacillus megatherium. 14. Bacillus septicæmiæ muris. 15. Bacillus Chauvæi (charbon symptomatique). 16. Bacillus œdematis maligni (vibrion septique de Pasteur). 17. Bacillus nekroseos (Bang). De ces espèces de bactéries, une seule, le Bacillus nekro- seos, exige des précautions quand on décolore par l'essence de girofle ; si elle agit trop longtemps, les bactéries elles-mêmes perdent leur couleur. Le microscope permet de contrôler la décoloration, et on lave au xylol, aussitôt que le degré voulu est atteint. En prenaut ces précautions on peut obtenir de belles pré- parations. Voici les 9 espèces qui ne se colorent pas : . Bacillus typhi. . Bacillus coli communis. . Spirillum choleræ asiaticæ. . Spirillum Metschnikowi. . Pneumobacillus Friedlænderi. . Gonococcus Neisseri. . Bacillus cyanigenus. . Bacillus prodigiosus. 9. Bacillus pyocyaneus. CD RO 1 OO CE à © © NOUVELLE MÉTHODE DE COLORATION. 339 Si à la solution de violet de méthyle on ajoute un mordant tel que l’aniline ou l'acide carbolique, le résultat reste le mème ; en outre, l'eau d’aniline rend très instable la solution colorante, tandis que la solution dans l’eau pure se conserve fort bien. On voit d’abord que le traitement par le violet de méthyle et l'acide picrique donne une coloration isolée aux mêmes bactéries qui prennent le Gram. Si, comme le font généra- lement les manuels, on regarde le Bacillus Chauvæi et le Bacillus œdematis maligni comme refusant de prendre la couleur quand on les traite par la méthode Gram, c’est un peu à tort: le faitest que parfois on réussit à colorer ces deux espèces de bactéries par le procédé Gram, tandis que d’autres fois on échoue. La méthode du violet de méthyle et de l’acide picrique assure toujours à ces deux microbes une bonne coloration. En ce qui concerne le Bacillus nekroseos, il échappe à la méthode Gram ; aussi le traitement de cette bactérie par ie violet de méthyle et l'acide picrique a-t-il une certaine valeur diagnostique. LES VACCINATIONS ANTIRABIQUES À L'INSTETUT PASTEUR EN 1596 Par HENRI POTTEVIN [l Pendant l’année 1896, 1,308 personnes ont subi le traitement antirabique à l’Institut Pasteur: 4 sont mortes de la rage, la mortalité a donc été de 0,3 0/0. Dans le tableau suivant, ces chiffres ont été rapprochés de ceux fournis par les statistiques des années précédentes. Années. Personnes traitées. Morts. Mortalité 0/0. 1856 2.671 25 0,94 1887 1.770 14 0,79 1888 1.622 9 0,99 1889 1.830 # 0,38 1890 1.540 b) 0,32 1891 1.559 4 0,25 1892 1.790 4 0,22 1893 1.648 6 0,36 1894 1.387 7l 0,50 1595 1.520 > 0,33 1896 1.308 4 0,30 Il Les personnes traitées à l’Institut Pasteur sont divisées en trois catégories correspondant aux tableaux suivants : Tagceau A. — La rage de l'animal mordeur a été expérimen- talement constatée par le développement de la rage chez des animaux inoculés avec son bulbe. MABLEAU DB. — La rage de l'animal mordeur a été constatée par examen vétérinaire. Tagzeau C. — L'animal mordeur est suspect de rage. Nous donnons ci-dessous la répartition, entre ces catégories, des personnes traitées en 1896. VACCINATIONS ANTIRABIQUES EN 1896. 337 MORSURES MORSURES MORSURES é ; É TOTAUX à la tête. aux mains. aux membres. De. = 7 TER a a 2 A 2 © À . À ORNE | | SNS MIRNIN EN Se ne = = æ = = El = = E = El S Z © 2 s © = a © = s ° ea ARS. Le |.S 'ENMENPERNEMIENTE 2 = C1 Le Tableau A......| 42 0 |0,0 58|. 0 (] 361 4 12,84|| 106| 4 |L Tableau B...... 60 0 10,0 #30! 0 0 || 2541 1 |0,4 741] 4 10,13 Tableau C2 33 4 10,3 || 209/ 0 0 || 2131 4 10,47|| 455 2 |0,44 Tours 105 1 10,95] 703| 0 | 0 || 500| 3 10,6 |1.308| % |0,30! Les tableaux suivants, qui contiennent les résultats acquis depuis l’origine des vaccinations, montrent que Ja gravité des morsures varie suivant leur siège, et que la mortalité est encore inférieure à 1 0/0 pour les personnes mordues par des animaux sûrement enragés. Personnes traitées. Morts. Mortalité 0/0. Morsures à la tête. . .. 1.608 21 1,36 Morsures aux imäins.... 40.254 49 0,47 Morsures aux membres. 6.783 20 0,29 Totaux 2e. 18.645 90 0,48 Personnes traitées. Morts. Mortalité 0/0. Bahia ASE en: Le 2,130 19 0.69 TAB De Mere 11.629 6 0,48 Pableana(sr ess : 4.286 15 0,35 Totaux. -2..: 18.645 Le00 0.48 Les nombres contenus dans les tableaux qui précèdent sont ceux que l’on oblient en ne faisant figurer ni au nombre des morts ni au nombre des personnes traitées celles qui ont suc- combé à la rage, mais chez qui les premiers symptômes rabiques se sont manifeslés moins de quinze jours après la dernière ino- culation. Il est évident que l'effet des inoculations préventives n'est pas instantané ; il faut, pour que l’immunité soit acquise, qu'un cerlain temps se soit écoulé depuis la fin du traitement, tout comme dans le cas de la vaccination jennérienne et dans celui des inoculations préventives contre le charbon. 22 338 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. L'incubation de la rage est de 15 jours environ chez le chien quand on pratique l’inoculation intracrânienne ; il y a donclieu de penser que chez les personnes qui manifestent des symptômes de rage dans les quinze jours qui suivent la vaccination, le virus avait commencé son action avant la fin du traitement, qui n'a pu avoir toute son efficacité. Nous indiquons ci-dessous les résultatsobtenus en comptant toutes les personnes prises de rage après la fin du traitement, même celles chez qui les premiers symptômes ont apparu lejour même de la dernière inoculation. Personnes ir alé ESP EN MEN AU 18.695 MOLESS ASE CORRE AE Eee pa OS à PNR 140 0.74 Il arrive que quelques malades qui se présentent trop tardi- vement à l’Institut Pasteur sont pris de rage avant la fin du traitement. Le nombre des cas de ce genre s'élevait àtrente pour l’ensemble des six premières années des vaccinations (de 1887 à 1892 inclus), ilest de six seulement pour l’ensemble des quatre dernières ; cette diminution est due à ce que la création d’insti- tuts antirabiques dans les pays étrangers a permis de traiter sur place des malades qui arrivaient à Paris plusieurs jours, sou- vent plusieurs semaines après avoir été mordus. III Au point de vue de leur nationalité, les 18,645 personnes traitées à l'Institut Pasteur depuis sa fondation se répartissent de la facon suivante : Allemanne eme 44 Indes Anglaises..... 95 Angleterre er ner 870 Maroc re es PEER 2 Autriche Fr PPT enr JARPRP Or UuSAl ESA SET 333 Belgique Presse 429 ROUMANIE A0 D3 Brésil. PRE REA 13 RUSSIE PE RRERRe 194 Egypte. PEER EE 45 Serbie. 2% ACER ! Espagne, TPREPR PP 353 SUISSE LEE SCT 82 Etats-Unis 7e 33 Turquie ESS RRT 31 Grèce... RER 175 Bulgarie Pere { Hollande. ! 251860 87 MONACO RARE RU 2 falie.:;. 21... 00 159 soit 3,096 étrangers et 15,549 Français. L'existence de nombreux instituts antirabiques à l'étranger fait qu'on ne peut tirer des nombres qui précèdent aucune con- VACCINATIONS ANTIRABIQUES EN 1896. 399 clusion au sujet de la fréquence relavive des cas de rage dans les différents pays ; pour la France, au contraire, il est naturel de penser que le nombre des personnes traitées à l’Institut Pasteur est proportionnel au nombre des cas de rage existant chez les animaux, el la répartition de ces cas dans les différentes régions peut fournir d'utiles indications sur les départements dans les- quels les règlements de police sanitaire devront être appliqués avec une rigueur particulière. Le tableau suivant contient dans la première colonne le nombre des mordus envoyés à l’Institut Pasteur par chaque département pendant l’année 1896; dans la seconde, le nombre des mordus par 100,000 habitants pendant l’ensemble des dix dernières années. DÉPARTEMENTS = 100 Aisne. Allier... Alpes (Basses-,.| ( | Alpes (Hautes-). Alpes-Maritimes. Ardèche. Ardennes. Ariège. .... 1 Aube . Aude ... Aveyron... 1139: B.-du-Rhône. Calvados ... Cantal Charente... Charente-Infér... Corrèze. Corse nee 4 Côte-d'Or...... Côtes-du-Nord.. DÉPARTEMENTS|£ 33||Creuse . Dordogne .. 2 Doubs . Drôme | 22||Eure.... . Eure-et-Loir... [Finistère IE Gard... 5[25||Garonne (Haute-). |: Gers. . S|63!|Gironde. Hérault. 2||[lle-et-Vilaine. . . Indre-et-Loire. 45! [Indre |[sère... .. Jura eee Loire-Inférieure. . :| Loiret. 9!ILot-et-Garonne... o| Lozère. 2252207 20//Maine-et Loire. 3|[Manche ..... .. ÿ| Marne . 53| Marne (Haute-).. 7||Mayenne.…. #4 |IMeurthe-et-Moslle 29||Meuse... 2|/INièvre...... ||[Orne... | 2||Pas-de-Calais |DÉPARTEMENTS| & Morbihan. . Nord .. Oise. Puy-de-Dôme... 2||Pyrénées(Basses-)| 68 56||Pyrénées(Hautes-)! 12/5 Loire (Haute-)...12 4||P yrénées-Orient.. Rhône ||DÉPARTEMENTSK Saône (Haute-)..| 2| Saône-et-Loire... 23|[Sarthe [Savoie ... Rhin (Haut-)... | Savoie (Haute-)..| SEMÉ RE g| Seine-et-Marne... s||Seine-Inférieure..| 35/26 i|ISeine-et-Oise.... | Sèvres (Deux-).…..l Somme ..... 2|/Tarn-et-Garonne...| 34|| Var... 3||Vaucluse..... Vendée. Nrennemaree et. | Vienne (Haute-).… 340 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Pour rendre plus saisissante la différence qui existe, au point de vue des cas de rage, entre les diverses régions de la France, nous avons reporté sur une carte les données du tableau : Laissés en blanc : 16 départements ayant envoyé moins de 40 mordu Rayés horizontalement : 27 départements ayant envo} m 10 mord t de 20. F verticalement 22 D 20 — 50. R dans] — plus de 50 [NL + : { # ÿ | a Nous n'avons pas compris dans notrenomenclature les dépar- tements de l'Algérie et la Tunisie, qui fournissaient autrefois un contingent considérable de mordus, mais qui n’en envoient plus depuis la création des Instituts antirabiques d'Alger et de Tunis. Un certain nombre de départements français envoient mainte- nant leurs mordus à l’Institut de Lille et à celui de Marseille. VACCINATIONS ANTIRABIQUES EN 1896. 341 Pour eux (Nord, Pas-de-Calais, Bouches-du-Rhône, Gard, Var, Vaucluse, Savoie, Haute-Savoie, Alpes-Maritimes, Basses-Alpes, Hautes-Alpes), les nombres du tableau correspondent en réa- lité aux personnes traitées jusqu’en 1893 inclusivement. Depuis cette époque, ils n’ont pour ainsi dire plus envoyé de malades à Paris. Si on compare notre carte à celles qui ont déjà été publiées dans ces Annales, on voit que ce sont toujours les mêmes régions qui fournissent le plus de mordus. Dans certains départements cependant, grâce aux mesures énergiques prises par l’adminis- tration, le nombre de cas de rage a considérablement diminué; dans d’autres, au contraire, il est en progression continue, ainsi que le montre le tableau ci-dessous, qui contient le nombre des mordus envoyés par quelques départements pendant les quatre dernières années. 1893 1894 1895 1896 MOIPe RE Me) 46 3) 13 14 diminution. AT) NDS RS ARTE RER 32 45 152 135 augmentation. Pyrénées (Basses-) y! 10 20 68 id. Pyrénées (Hautes-).... 4 4 6 12 id, bandes #7 reur uv 7 14 24 37 id. MIFOBUB SNL IE Et 4 16 22 D2 id. CHAR Ds EC l 0 6 18 id. Charente-Inférieure.... il 2 20 13 id, Si on excepte Paris et les départements voisins qui s’infectent à son contact, on voit que c'est la partie sud de la France qui a le fâcheux privilège de contenir le plus de mordus et de payer le plus cher sa désobéissance aux lois de police sanitaire. À peu d’exceplions près, chaque département a la quantité de chiens enragés qu'il mérite. REVUES ET ANALYSES A. Voces. — Etudes critiques et recherches expérimentales sur les microbes de la septicémie hémorrhagique et sur les maladies qu'ils produisent. (Zeitschrift für Hygiene, XXL, 2, page 149.) Dans ce travail fait à l'Institut für Infektionskrankheiten, à Berlin, Voges cherche à décider entre l'identification et la différenciation des principaux bacilles du groupe de la septicémie hémorrhagique. Il n'arrive pas à une solution définitive, mais incline fortement à admettre la première alternative. Après un court exposé des travaux de Lôüffler et de Schütz, l’au- teur met en parallèle les trois formes morbides de la pneumoentérite des porcs (forme cutanée, forme pulmonaire et forme intestinale) avec les infections à streptocoques chez l'homme (érysipèle et phlegmon- entérite, pneumonie à streptocoques) où des maladies, diverses au point de vue clinique, sont dues à un seul et même microbe. Il iden- tifie de prime abord les microbes de Lôüffler-Schütz (deutsche Schverne- seuche), de Cornil et Chantemesse (pneumoentérite), dela swine fever ou swine plaque des Anglais, du og cholera de Billings et de la sine plague de Salmon et Smith. Voges cite, d’après les recherches de Frosch, les propriétés morphologiques de microbes du hog cholera et de la swine plaque de Salmon; il se refuse à admettre la plupart des caractères différentiels indiqués par les auteurs et les considère comme des variations qu’on peut observer chez une seule et même espèce microbienne. Ainsi, d'après ses expériences, la différence d'intensité dans le développement dépend avant tout du mode de préparation des milieux de culture. On admet généralement que le bacille de la swine plaque pousse mal sur gélose, tandis que la culture du bacille du hog cholera est abondante: cette différence, très marquée sur la gélose ordinaire, est à peu près nulle si la gélose a été préparée avec de la viande de bœuf très fraîche. Il en est de même pour les cultures sur pomme de terre et en bouillon. Voges s’occupe plus longuement d’un autre facteur invoqué par les dualistes, de la virulence. Il fait remarquer à ce sujet la prédisposition de certaines races porcines à la pneumoentérite. Le porc de race allemande prend la maladie beaucoup plus difficilement que le cochon anglais; cette pré- disposition serait due à un affaiblissement du canal digestif résultant REVUES ET ANALYSES. 343 de la suralimentation de la race anglaise. De nos jours, on ne veut plus d'animaux dont l'élevage dure longtemps. Autre fait intéressant : plus on s’éloigne de la race primitive, issue du sanglier, plus la forme intestinale de la pneumoentérite prédomine et plus la forme pulmo- naire devient rare. La sélection artificielle opérée par l’homme pour arriver à un gain plus rapide ne vaut donc pas la sélection naturelle. Voges attribue les différences dans les symptômes morbides à une différence de virulence et se sert, à l’encontre de beaucoup d’auteurs qui l'ont précédé, de cultures très virulentes. Par passages successifs, il a réussi à obtenir des cultures du bacille de Lüffler-Schütz tuant des cobayes de 2 à 300 grammes en 3 à 4 heures en injection intrapérito- néale à la dose de 1/10 de milligramme de culture jeune sur gélose. Un cent millionième de centimètre cube (1/100,000,000 c. ce.) de lexsudat péritonéal d’un cobaye ne renfermant que 3 à 6 microbes, suffit à tuer un animal neuf en 20 heures. L’auteur à pu constater qu'une culture arrivée au maximum de virulence pour une espèce animale, le cobaye par exemple, n’a pas la même action maxima pour une deuxième espèce animale, telle que la poule, mais qu'il suffit de quelques passages pour l'obtenir. La différence de virulence d’un microbe pour divers animaux, considérée comme un caractère distinctif important, cesse de l'être ; une seule et même culture peut acquérir une virulence maxima pour diverses espèces simultanément. Nous avions déjà insisté sur la même question dans notre travail, et fait remarquer que des cultures d’un même microbe produisent des lésions et des symptômes variables suivant qu’elles sont plus ou moins actives, et qu'une seule et même culture est capable d’occasionner une réaction différente, selon que l’animal en expérience est neuf, insuffisamment immunisé ou bien vacciné. Dans le premier cas, on observe, chez le lapin, après injection sous-cutanée avec un bacille de la swine plague très virulent, une infection générale suivie de mort rapide: très peu d’æœdème au point d'injection: dans le second cas (animal insuffisam- ment vacciné), il y a formation d’un abcès étendu au point d'injection, accompagné parfois de foyers pulmonaires, et mort au bout de quelques jours; chez les lapins vaccinés il se forme un petit abcès, qui reste bien délimité. Voges a entrepris une série d'expériences d'infection par injection de cultures ; les divers animaux ne sont pas également sensibles à l'injection intrapéritonéale et à l'infection par voie buccale. La poule, qui mourait après injection intrapéritonéale de 1 cent millionième de centimètre cube d’exsudat renfermant le bacille du choléra des poules, supportait un demi-centimètre cube du même liquide introduit per 1. Ces Annales, février 1895. 344 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. os : le cobaye résiste à 1 c.c., tandis que le lapin et le pigeon meurent en 20 heures après injection de 0,5 et de 0,2 c. c. Par contre, une poule à qui on avait fait avaler 0,5 c.c. de liquide péritonéal de cobaye contenant le bacille de la pneumoentérite meurt en 5 jours avec bacilles dans le sang du cœur. Cette expérience prouve l’infectio- sité du bacille de la pneumoentérite des porcs pour la poule. Le seul caractère distinctif à faire valoir serait la mobilité du bacille du hog cholera. Voges ne veut pas mettre en doute cette pro- priété constatée par divers auteurs, mais il fait remarquer qu'on a constaté des variétés immobiles, et que souvent les deux microbes ont été trouvés au cours d’une épidémie simultanément chez le même animal. Sans se prononcer définitivement pour l'unification, l’auteur considère que les différences indiquées ne sont pas suffisantes pour considérer les bacilles du og cholera et de la swine plague comme deux classes de microbes. Le microbe de l’épizootie du gibier (Wiéldseuche), décrit par Kitt, paraît être identique à celui de la pneumoentérite de Lüffler-Schütz ; on observe également trois formes cliniques de la maladie (cutanée, pulmonaire, intestinale), et tout porte à admettre l'identité étiolo- gique. Il en serait de même pour le bacille de la septicémie des lapins de Gaffky. Le microbe de lépizootie des furets (Fretchenseuche) est mobile. L’agent spécifique du choléra des poules et des affections analogues observées chez divers oiseaux par Karlinsky, Klein, Cornil, Toupet, etc., ne présente pas non plus de différences morphologiques avec le microbe de la pneumoentérite. Seule la mobilité permet de diviser les principaux microbes de la septicémie hémorrhagique en deux classes. Sont immobiles les microbes de : Lôüffler-Schütz (deutsche Schweineseuche), swine plaque (Salmon), hogcholera(Billings), pneumoentérite (Cornil et Chantemesse), septicémie des lapins (Koch, Gaffky), septicémie spontanée du lapin, épizootie du gibier, du buffle (Oreste, Armanni), choléra des poules, des canards et autres oiseaux. Sont immobiles les microbes suivants: hog cholera (Salmon et Smith), swine plaque (Billings), swine pest (Selander), siwvine fever et grouse disease (Klein), pneumoentérite(Rietsch et Jobert), Schweinepest (Deupser) et épizootie des furets (Fretchen- seuche). Dans la deuxième partie de son travail, Voges relate les expériences qu'il a entreprises avec les microbes de Lôüffler-Schütz, du choléra des poules, de l’épizootie du gibier, de la septicémie du lapin, du hog cholera et de la sine plague (Salmon) dans le but d'arriver à résoudre la question au moyen de l’immunisation, du sérodiagnostic. Il s’est toujours servi de cultures sur gélose maintenues pendant vingtà REVUES ET ANALYSES. 345 vingt-quatre heures à l’étuve à 55°, et injectées en suspension dans de pe- tites quantités de solution physiologique de sel de cuisine. Les diverses cultures employées avaient une virulence telle que de très petites quantités (pointe d'un fil de platine), injectées dans le péritoine, tuaient les souris et les lapins en 24 heures; la dose mortelle pour le cobaye était de 2 milligrammes au début, et la mort ne survenait qu’en 26 à 40 heures; par passages successifs, Voges parvint à tuer le cobaye avec des doses minima en 4 à 6 heures. La quantité de toxine mortelle correspondait en moyenne à 8 milligrammes de culture stérilisée; l’auteur se croit autorisé à admettre que cette dose, obtenue sur gélose ou sur sérum en 18 à 24 heures, se forme en un temps 3 à 4 fois moindre dans le corps de l’animal; cette hypothèse n’est pas démontrée, à notre avis, car elle ne tient pas compte du facteur « microbe ». Voges étudie ensuite l’action de la toxine des microbes en question; il constate que les cultures stérilisées sont beaucoup plus actives lorsqu'elles contiennent les cellules microbiennes que lorsqu'elles sont filtrées ; plus la culture est jeune, moins elle renferme de toxine. Le pouvoir toxique est le mieux conservé dans les cultures traitées au chloroforme, à l’acide phénique ou au tricrésol; le chauffage à 50 ou 60° ou une ébullition de 10 minutes de durée au plus fournis- sent également de bons résultats. Le toluol est moins sûr et l’alcool absolu à une action destructive très marquée sur la toxine. L'auteur cherche à élucider le mécanisme de l’immunité; il examine d'abord Paction du sérum d’animaux neufs. 0,1 c. c. de sérum de cobaye non traité, injecté dans le péritoine 24 heures avant la culture virulente, suffit à immuniser un cobaye de 200 grammes contre une dose mille fois supérieure à la dose mortelle minima du bacille de Lüffler-Schütz; le sérum de lapin a aussi une action préventive très prononcée. Les examens microscopiques du liquide péritonéal n'ont pas décelé une phagocytose marquée; l’auteur en conclut que ce facteur ne jouerait pas un rôle prépondérant dans le mécanisme de l’immunité, pas plus que les alexines, l’action bactéricide ne se manifestant pas n vitro. En injectant simultanément sérum et culture, le pouvoir pré- ventif est nul. Le sérum de cobaye neuf injecté préventivement n'a qu'un très faible pouvoir antitoxique; le sérum d’autres animaux agit un peu plus nettement. Ce n’est qu'après avoir relaté ces expériences préliminaires que Voges étudie l’action du sérum d'animaux vaccinés. Il a procédé à limmunisation de lapins et de cobayes au moyen d’injections sous- cutanées de toxine; cette méthode, qui occasionne la formation d’abcès 946 ( ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. et assez souvent la mort par cachexie, ne lui a pas fourni de bons résultats. Il n’a pas pu constater d’accoutumance à la toxine, ce qui concorde avec nos propres résultats, et a remarqué qu’au contraire les lapins et les cobayes déjà traités élaient plus sensibles à la toxine que les lapins neufs. L'immunité contre le virus ne repose donc pas sur une vaccination contre la toxine (Giftfestiqung). Les cobayes ainsi immunisésrésistaientà une dose de culture virulente de 6 milligrammes, voisine de la dose mortelle minima de toxine (8 mgr) ; malgré des injec- tions réitérées, l’auteur ne parvint pas à augmenter la résistance au delà de cette limite. L’examen microscopique du liquide péritonéal d'animaux vaccinés ayant reçu une injection de culture virutente a fourni des résultats analogues à celui des cobayes immunisés avec du sérum normal. Les microbes injectés dans le péritoine se retrouvent dans les cultures jusqu’à 48 heures après l’injection, tandis qu’au bout de trois jours, il n’y a plus de développement de colonies sur pla- ques. Les expériences entreprises avec le sérum d'animaux vaccinés injecté préventivement à des cobayes neufs n’ont pas fourni de meil- leurs résultats que les injections de sérum de cobaye normal; il n’y à pas non plus d’action bactéricide in vitro. La méthode de Pfeiffer ne peut donc pas être employée comme moyen de diagnostic différentiel entre les divers microbes. Voges ne peut pas admettre la présence d’agents bactéricides spécifiques dans le sang d'animaux vaccinés. Il a essayé d’immuniser divers animaux, cobayes, lapins, poules, pigeons, et seul le sérum d'un mouton ayant reçu de grandes quantités de culture stérilisée s’est montré actif. Décrivons brièvement cette série d'expériences. L'auteur se sert du sérum d’un mouton immunisé contre le bacille de la pneumoentérite au moyen de grandes quantités (jusqu’à 3 grammes par injection) de culture sur gélose stérilisée. Les animaux témoins reçoivent du sérum d’un mouton traité précédemment avec des cultures du bacille de l’influenza. Chez tous les cobayes, l’injection de sérum est faite 2% heures avant linjection de la culture; la quantité de sérum injectée pour chaque série est de 1,0; 0,1 : 0,01 et 0,001 c. c. ; la dose de culture introduite est de 4 milligrammes. Des six cobayes témoins, un seul résiste, celui qui avait reçu 4 c.c. de sérum; des cobayes traités avec le sérum du mouton immu- nisé, un seul périt avec un retard de 2% heures environ ; c’est celui qui n'avait reçu que 1/1000 de c. c.; les cinq autres restent en vie. Voilà, ce nous semble, une action préventive manifeste? L'auteur ne veut pas tenir compte de ces expériences, parce que la culture employée était trop peu virulente, et qu’une deuxième série entreprise avec un microbe beaucoup plus actif ne fournit pas d’aussi bons REVUES ET ANALYSES. : 347 résultats. Cet argument n'est pas valable, à notre avis, pas plus que le manque d'action préventive contre l'injection de toxine. L'auteur a pu se convaincre, comme nous, que les résultats positifs de sérumthérapie sont difficiles à obtenir et exigent beaucoup d’ani- maux. Le fait, déjà cité dans notre travail, qu’un sérum immunise contre des injections de cultures peu virulentes, mais ne préserve pas contre des microbes plus actifs, permet de supposer qu’en augmen- tant l’immunité des animaux fournisseurs de sérum, on obtiendra une action préventive plus manifeste. Dans tous les cas, il faut attendre les résultats ultérieurs avant d'admettre, avec l’auteur,.que le sérum d'animaux immunisés contre la pneumoentérite n’a aucune action spéei- fique. Voges prétend, en outre, que la durée d’immunisation des animaux traités est très limitée; quatre cobayes ayant résisté à l’injection d'une culture virulente, faite quinze jours après la dernière injection de toxine, moururent cinq à six semaines plus tard à la suite d’une deuxième injection d’épreuve. Nos résultats sont un peu différents ; nous avons constaté à plusieurs reprises, et nous l’avons fait remar- quer dans notre travail (/. c.), que des animaux vaccinés résistaient à l'injection d'une dose mortelle de culture virulente deux mois après la dernière injection de toxine; nous avons observé depuis chez un lapin vacciné que cette immunité durait plus d’une année. La quantité de toxine injectée et le nombre des injections paraissent jouer un certain rôle. Chez des cobayes vaccinés contre le vibrion cholérique, une dose de culture du bacille de la pneumoentérite trois fois mortelle pour les témoins a été bien supportée; il fallut, pour tuer les animaux, de plus grandes quantités de toxine. Après ces recherches laborieuses, Voges en arrive à la conclusion que les méthodes actuellement connues ne suffisent pas à résoudre la question de l'identité ou de la différenciation des divers microbes du groupe de la septicémie hémorrhagique: il considère cependant qu’au point de vue pratique et surtout dans le but d’arriver à de bonnes mesures prophylactiques, il est préférable d’admettre l'identité. Ii va même jusqu’à formuler l’ubiquité du dit bacille qui serait le plus sou- vent privé de virulence. L'auteur termine en espérant que des travaux ultérieurs parviendront à élucider toutes ces questions difficiles. SILBERSCHMIDT. 348 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. W.L. Higre. — La fermentation fractionnée du sucre de canne avec des levures pures. Journal of the federated institutes of brewing, mai 1895.) L'annonce faite par M. Buchner d’une diastase transformant le sucre en alcool et en acide carbonique a mis en éveil sur ce point l’esprit des savants. Les uns acceptent pleinement cette découverte et même en tirent des conséquences extrêmes en prétendant qu’elle renverse la doctrine de Pasteur sur les fermentations. La doctrine de Pasteur sera renversée le jour où on réalisera la fermentation alcooli- que par voie purement chimique et en dehors de toute action vitale. Mais tant qu'il faudra de la levure pour produire de la diastase alcoo- lique, la théorie de Pasteur peut dire ce qu’aurait dit le maître lui- même : Voilà une action vitale de plus qui s'exerce par un mécanisme chimique! D’autres savants, sans révoquer en doute une découverte aussi nettement annoncée, font remarquer qu’elle soulève bien des problè- mes auxquels elle ne donne pas encore de solution, et dont quelques- uns en élargissent le cadre au delà de toutes proportions. A côté de la production d'alcool dans la fermentation alcoolique, disent-ils, il y a formation de glycérine et d’acide succinique. On peut trouver une formule qui fasse dériver ces corps d’un dédoublement du sucre : LC HEOH— 6 CH°0° EG C/H° 0: Mais cette formule de dédoublement, qui pourrait correspondre à l’action d’une diastase, ne représente rien de réel, car la glycérine et l'acide succinique ne sont pas produits à poids atomiques égaux. Il y a plus de la première que du second. Dès lors, il faut admettre que les deux actions sont séparées. Or celle qui donne la glycérine est facile à écrire : 7 CS'206 + 6 H°0 — 12 CHSO5 + 6 CO: et on voit qu'elle correspond à l’action d’une diastase hydratante comme l'amylase, et productrice d’acide carbonique comme la diastase alcoolique. Mais pour l'acide succinique il en est autrement. On ne peut le faire dériver du sucre que par la formule suivante : 7 CSH'?06 —E 6 CO — 12 C‘H°0* + 6 H°0 et une diastase qui décomposerait l'acide carbonique et en ferait entrer le carbone dans un composé organique serait une découverte dont l’importance dépasserait encore celle de M. Buchner. REVUES ET ANALYSES. 349 Tout ceci est dans l'hypothèse où la formation de glycérine et d'acide succinique résulterait aussi d'actions diastasiques. S'il n'en est pas ainsi, il faudrait faire une place à part à ces deux corps et les considérer comme plus protoplasmiques que l'alcool, comme des pro- duits plus intérieurs de la vie de la cellule, ce qui serait encore un fait bien curieux. Si on revient, pour échapper à cette conséquence, à l'hypothèse de diastases, il faut alors en accepter pour toutes les fer- mentations, ce qui en augmente prodigieusement le nombre, et alors on doit expliquer aussi pourquoi la diastase glycérique et la diastase succinique dans la levure fonctionnent de façon à produire à peu près constamment les mêmes proportions de ces deux corps. Je sais bien que des différences ont été relevées par Mach et Portele (Kompendium von de Bary, ete., V), par Thylmann et Hilger (Archi. f. Hyq., VID), par Rau (id., XIV), par Effront (Comptes-rendus, 1896). Mais elles laissent subsister une certaine moyenne qu'il est surprenant de voir résulter de l’action indépendante de deux diastases différentes. Cela n'est pas tout. Celle qui agit sur le sucre n’est pas moins mysté- rieuse. Le saccharose, interverti par la sucrase, devient de la glucose et de la lévulose. La diastase alcoolique de Buchner agit-elle de la même façon sur ces deux sucres de pouvoirs rotatoires différents ? Avec les idées que nous a données Fischer sur les diastases, cela est déjà sur- prenant. Mais cela le devient encore plus quand on entre dans le détail. La transformalion de la glucose et de la lévulose en alcool n’est pas un phénomène simple. Les expériences de Kjeldahl (Meddelelser Carlsberg, 1881), de Bourquelot (J. pharm. et chim.{[5], 7), C. etJ. O'Sul- livan (J. chem. soc. Trans., 1890 et 1892), Thompson (Trans. Lab. club, 2.63) montrent que la glucose et la lévulose ne fermentent pas avec la même vitesse. . Les récentes expériences de M. Iiepe montrent que les inégalités sont beaucoup plus grandes qu'on ne l'a cru tant qu’on à opéré sur des mélanges de levure, et que des levures pures présentent sous ce point de vue des différences très marquées. Or c'est ce caractère /ndi- viduel de l’action de chaque race de levure sur le sucre qui est difficile à interpréter quand on fait intervenir une diastase, dont l’action, d’or- dre chimique, est par là même d'ordre général. Comment la puissance de cette diastase peut-elle être individualisée au degré que nous mon- trent les expériences de M. Hiepe ? Ce savant a soumis à son étude » levures de bières danoises, pro- venant de la collection de M. Jürgensen ; 2 levures de bières anglai- ses, les Saccharomyces Pastorianus E, IE, et ITf, les S. ellipsoïdeus LetIl, le S. eriquus de M. Jürgensen. Après les avoir rajeunies dans du mout de bière. il les faisait arriver dans une solution de sucre candi dans de 9390 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. l'eau de levure. 5 minutes après leur introduction, il prélevait un premier échantillon et renouvelait ces prises toutes les 24 heures, jusqu'à la fin de la fermentation. Dans chacun de ces échantillons, il déterminait, par les procédés usuels: 1° la quantité de sucre de canne interverti ; 2° la quantité totale de matière solide fermentée ; 30 la quantité totale de dextrose fermentée ; 4° la quantité totale de lévulose fermentée. Pour l’inversion, les diverses levures étudiées présentent déjà des différences énormes. En 5 minutes, l’une des levures a interverti 1,95 0/0 du sucre, une autre 58,85 0/0. Le temps de l'interversion complète a été de 2% heures ou même moins pour 2 levures, de 11 jours pour le $. exiquus. Ceci n'a pas le droit de nous surprendre. Nous savons qu'il y a des levures qui ne laissent se produire aucune trace d'interversion dans le milieu sucré dans lequel elles vivent, et chez laquelle ce phé- nomène ne se produit, comme chez le monilia candida, qu’à l'intérieur de la cellule. La diastase inversive est plus ou moins diffusible, et ce n’est pas elle qui nous intéresse ici. Je ne l'ai visée que pour montrer que sa fonction est indépendante de celle de la diastase alcoolique, car d’après les nombres de M. Iiepe, une levure, type Saaz, intervertis- sait tout le sucre en 24 heures et le faisait fermenter en 10 jours, tandis que le S. ellipsoideus 1, qui mettait 48 heures à intervertir la solution, la faisait fermenter en 9 jours. Venons-en maintenant à la fermentation. Dans tous les cas, sauf avec le S. eriquus, il y avait à la fois de la dextrose et de la lévulose fermentés au bout de 24 heures, la plus petite proportion de dextrose étant 1,27 0/0, la plus forte de 22,88 0/0. Les deux levures qui ont donné ces différences extrêmes étaient pourtant toutes deux du type Saaz, qui est considéré comme un type de levures faibles. Quant à la lévulose, la plus petite quantité fermentée en 24 heures était de 0,19 0/0; la plus grande de 14,04 0/0, et par les mêmes levures que celles qui avaient donné les proportions extrêmes de dextrose fermentée. La fermentation de la dextrose commence donc en même temps que l'autre, mais elle va pius vite, atteint en moyenne son maximum d'activité le second jour et décroît ensuite lentement. La fermentation de la lévulose est d’abord plus lente, n’atteint son maximum en moyenne que dans la 4° journée. Jusqu'à ce moment, les quantités de lévulose: fermentée par jour sont inférieures aux quantités de dextrose. Mais ensuite, elles dépassent les quantités de dextrose, si bien que parties en même temps, les deux fermentations finissent aussi en même temps. Tout cela, bien entendu, avec de larges variations indivi- duelles d’une race à l’autre, REVUES ET ANALYSES. 301 Voilà évidemment une complexité d'action qui n’exclut pas l’action d'une diastase ou de deux diastases, l’une faisant fermenter la dextrose, l’autre la lévulose, mais qui, dans l’un comme dans l’autre cas, sou- lève des problèmes intéressants. S'il y à une diastase unique, elle agit sûrement d’une façon différente sur les deux sucres dérivés du sac- charose, et alors il reste à comprendre comment son action se renverse pendant leur marche. S'il y en a deux, il faut en admettre autant que de sucres. De tous côtés, les questions surgissent et les savants se frottent les mains. En passant, M. Iliepe soulève une question inté- ressante. On sait que Mitscherlich a découvert le pouvoir inversif des macérations de levure, que M. Berthelot à retiré de ce liquide de macération, en le précipitant par l'alcool, une substance douée du pouvoir inversif, et que, depuis, ces découvertes ont été vérifiées et utilisées bien souvent. J. 0°’ Sullivan (/. c.) a pourtant conelu de ses expériences qu’un simpie lavage de la levure à l’eau n’y dissout pas de sucrase, et qu'on n’en trouve dans le liquide filtré que s’il a passé de la levure au travers du filtre. Il en conclut que l’œuvre d'inversion est essentiellement intérieure à la cellule, que le saccharose doit y pénétrer avant de ressortir à l’état de sucre interverti. Il semble difficile que tous les savants qui se sont occupés de ce sujet n’aient pas su filtrer leurs liqueurs. Du reste, Kjeldabhl à trouvé qu'un liquide de lavage bien lavé avait aussi un pouvoir inversif. En revanche, Hiepe trouve des résultats contraires, et identiques par conséquent à ceux d’O? Sullivan. Il est bien probable que ces contradictions tiennent à des différences dans la nature des levures étudiées. Il peut y en avoir laissant se dialyser leur sucrase, comme il ÿ en à qui la retiennent, comme il ÿ en à aussi qui, ressemblant en cela au monilia candida, ne laissent même pas se dialyser, sans doute parce qu’elles l’utilisent de suite, le sucre interverti à l'intérieur de la cellule. Tout le monde peut donc avoir raison. | Dx. 392 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ERRATA I. Dans l’article de M. le D' Salimbeni, sur l’agglutination, paru dans le dernier numéro des Annales de l'Institut Pasteur, toute une phrase a été omise : elle doit être intercalée entre la page 284 et 285. Cette phrase est la suivaute : Les lubes 5” et 5 présentent déjà des différences appréciables. Dans le tube 5”, l’agglutination de microbes et l’éclaircissement du liquide, au bout de 30 à 40 minutes, sont déjà terminés, alors que dans le tube 5 les flocons commencent à peine à se former : la clarification com- plète du liquide dans ce dernier tube n’est complète qu’au bout de 24 heures. IL. Dans l’article de M. Sanguineti, numéro du 25 mars 1897 : Page 270, ligne 6, au lieu de 500, lire 1000. NE AT 0 80 8e M0 2 TE ON + PAS 68 0e ARR RE MC 0016070 ———_—_—_—2—2—c ee Le Gérant : G. Masson. A PT 0 «0 eu Cv AO Sceaux. — Imprimerie E. Charaire. Aime ANNÉE MAI 1897 N° 5. ANNALES L'INSTITUT PASTEUR ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC SUR LA RÉACTION AGGLUTINANTE CHEZ LES TYPHIQUES PAR M. F. WIDAL ET M. A. SICARD Professeur agrégé à la Faculté Interne des hôpitaux de médecine de Paris, de Paris. Médecin des Hôpitaux Le 26 juin dernier’, l’un de nous a proposé à la Société médicale des hôpitaux de Paris une méthode permettant de faire le diagnostic de la fièvre typhoïde, en cherchant simple- ment comment le sérum, voire même une goutte du sang d’un malade, agit sur une culture en bouillon de bacille d'Eberth. Ce procédé de sérodiagnostie, suivant la dénomination que nous avons proposée, a été rapidement essayé et confirmé par les bactériologistes de tous les pays, et les cliniciens ont reconnu les services que la nouvelle méthode pouvait rendre pour le diagnostic souvent si épineux de la dothiénentérie. L'étude de la réaction agglutinante ne nous a pas fourni seulement une méthode pratique: eile nous apporte au lit du malade une preuve nouvelle et éclatante de la spécificité du bacille d'Eberth; elle nous permet d'éclairer quelques points encore obscurs de l’histoire de la fièvre typhoïde et n’est pas sans jeter quelque lumière sur le problème encore si complexe de l'infection et de l’immunité. L'étude comparative de la réaction agglutinante pendant l'infection et pendant l’immunité ne pouvait guère se faire, en 1. F. Wipaz, Sérodiagnostic de la fièvre typhoide. Société médicale des Hôpi- taux, 26 juin 1896, et Congrès de Nancy, 6 août 1896. 23 304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. effet, avec les maladies aiguës expérimentales. Chezles animaux en expérience, la limite de ces deux périodes est souvent difficile à déterminer. La fièvre typhoïde humaine, par contre, en raison de sa longue durée, de son cycle précis, se prête mieux que toute autre maladie à cette étude comparative durant la période fébrile et durant la période de convalescence. Avant d'exposer l’ensemble de nos recherches sur ce sujet, rappelons les travaux de ceux qui ont les premiers constaté et étudié la réaction agglutinante fournie par le sérum des animaux immunisés. HISTORIQUE En 1889, MM. Charrin et Roger‘ ont, les premiers, con- staté le développement en amas du bacille pyocyanique, dans le sérum pur d'animaux immunisés contre l'infection due à ce microbe. Deux ans plus tard, en 1891, M. Metchnikoff ? étudia métho- diquement la question et fit des constatations analogues, pour ce qui concerne le Vibrio Metchnikovi et le pneumocoque. N'ayant plus constaté le même phénomène avec le sérum des animaux immunisés contre la pneumo-entérite des pores, M. Metchnikoff n’osa lui attribuer aucune portée générale. En 1893, M. Issaeff *, dans un travail fait à l’Institut Pas- teur, confirme pour le pneumocoque ce que M. Metchnikoff avait vu en 1891. Plus tard, MM. Issaeff ‘ et Ivanoff firent sem- blable constatation pour le vibrion d’Ivanoff. Jusque-là, on n’avait essayé in vitro que l’action des sérums purs des vaccinés. La voie était bonne, mais le procédé ne pouvait conduire à une méthode sûre pour la pratique. Les sérums normaux employés à l’état pur agglutinent parfois les microbes ensemencés. Cette agglutination, lorsqu'elle existe, est toujours moins marquée qu'avec le sérum des vaccinés, mais la différence, dans la pratique, pourrait être difficile à apprécier. C’est, du moins, la conclusion à laquelle nous sommes arrivés, après avoir ensemencé le bacille d’Eberth dans un grand nombre de sérums d'individus non typhiques. 1. CHarriN er Rocer, Comptes rendus, 1889, t. CIX, p. 710. 2. Mercanikorr, Annales de l'Institut Pasteur, 1891, p. 473, 474. 3. Issagrr, Annales de l'Institut Pasteur, 1893, p. 269. 4. Issagrr Er Ivanorr, Zeitschrift für Hygiene, 1894, p. 122. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 355 D'autre part, les sérums normaux ou les sérums des typhoï- diques, employés à l’état de pureté, sont parfois suffisamment bactéricides pour empêcher tout développement des bacilles d'Eberth ensemencés. En 1894, Pfeiffer fit connaître le phénomène qui porte son nom. Voici en quoi consiste ce phénomène. Si l’on injecte, dans le péritoine d’un cobaye solidement immunisé, des vibrions cholériques délayés dans du bouillon, ou si l’on injecte dans le péritoine d’un animal neuf une culture délayée de vibrions cholériques, et, en même temps, une petite dose de sérum préventif; dans l’un et l’autre cas, on voit, au bout d’un temps très court, une heure au maximum, un grand nombre de vibrions subir une modification des plus intéres- santes. Ils sont presque tous immobilisés; la plupart d’entre eux ont perdu leur forme bacillaire et se sont transformés en granules arrondis. On sait le parti que Pfeiffer tira de ce phénomène pour l’ex- plication de la théorie de l’immunité et pour le diagnostic des vibrions cholériques. Pour Pfeiffer, on pouvait considérer, comme vibrions de nature sûrement cholérique, tous les microbes ressemblant aux vibrions de Koch par leurs différents caractères et se transformant en granules lorsqu'on les injecte, en même temps que du choléra-sérum, dans le péritoine d’ur cobaye neuf. En 1896, Pfeiffer et Kolle‘ ont essayé de répéter l’expé- rience avec le bacille d'Eberth et le sérum antityphique. Ils ont recherché ce qu'ils appellent {a réaction d’immunité, en inoculant dans le péritoine des cobayes une émulsion de bacilles d'Eberth additionnée d’une petite dose de sérum d'hommes convalescents de fièvre typhoïde. Ils ont constaté, dans ces con- ditions, l’immobilisation et la transformation des bacilles en gra- nules, mais d'une facon inconstante, et non pas, disent-ils, avec cette régularité qui ne fait jamais défaut lorsqu'on opère avec le vibrion et le sérum cholérique. Nous avonsinjecté, en ces derniers temps, à des cobayes, une émulsion de bacilles d'Eberth addi- tionnée de sérum d'individus non pas convalescents, mais atteints de fièvre typhoïde, pourvoir si nous ne pouvions trouver 1.Preirrer ET KOLLE, Ueber die specifische Immunitätsreaction der Typhusbacil- len. (Zeitschrift für Hygiene, 1896, vol. XXI, n° 2, p. 203.) 306 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. ainsi un nouveau procédé de sérodiagnostic doublant, pour ainsi dire, le premier. Mais nos résultats ont été irréguliers et souvent difficiles à apprécier. De sorte qu’en ne se plaçant même qu’au point de vue technique (car nous n’en sommes pas encore à l'examen de l’idée théorique qui est la base du sérodiagnostic), sinousn'avions d'autre procédé à mettre en usage que larecherche du phénomène de Pfeiffer, le sérodiagnostic de la fièvre typhoïde n’exislerait pas. Le progrès devait être dans la recherche de l'influence que les sérums pouvaient avoir in vitro sur les microbes. M. Metchnikoff remit la question dans son véritable chemin, en montrant, à nouveau, les métamorphoses que les vibrions pouvaient subir in vitro, et M. Bordet', préparateur à l'Institut Pasteur, a eu le mérite de montrer que si un sérum neuf, ne provenant pas d’un animal immunisé, pouvait parfois produire in vitro la transformation de certains vibrions, comme le fait le sérum des vaccinés, il suffisait, pour parer à cette cause d'erreur, de diluer les sérums dans une solution salée. Dans ces conditions, les sérums cholériques produisent seuls sur les vibrions des transformations visibles au microscope et à l'œil nu. La question était dès lors résolue au point de vue technique. Durham, dans une communication faite à la Société royale de Londres, le 3 janvier 1896, résume des travaux faits en com- mun avec Gruber, précise les règles à suivre, etmontre comment, en suivant le procédé indiqué par Bordet, au moyen des sérums dilués provenant d'animaux immunisés contre le choléra ou l'infection typhique, on peut faire rapidement, à l'œil nu et au microscope, la différenciation des diverses espèces de vibrions ou celles des bacilles typhiques et des colibacilles. Gruber?, seul ou en collaboration avec Durham, revient sur la question en différents mémoires, et étudie minutieusement le phénomène. Pfeiffer et Kolle *, reprenant la question à leur tour, voient les transformations que les sérums des animaux immu- 1. Bonnet, Annales de l'Institut Pasteur, 1895, p. 492. 2. Gru8er, Active und passive Immunität gegen Choléra und Typhus, etc. ( Wäe- ner Klinische Wochenschrift, 1896, nes 11 et 12, p. 183 et 201.) Gruger Et Dunuam, Eine neue Methode zur raschen Erkennung der Choleravibrio und der Typhusbacillus. (Wunchener medicinische Wochenschrift, 31 mars 1896, p. 285.) 3. PFEIFFER ET Koire, Zur differential Diagnose der Typhusbac. vermittelst Serums der gegen Typhus immunisirten Thiere. (Deutsche medicinische Wochenschrift, 19 mars 1896, p. 185.) ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 357 nisés peuvent faire subir in vitro aux bacilles typhiques comme au vibrion cholérique, lorsqu'on ensemence l’un ou l’autre de ces microbes dans un bouillon vierge, additionné, au préalable, de sérum typhique ou de sérum cholérique. La différenciation des microbes d’espèces voisines par l’action des sérums spécifiques allait se faire de la façon la plus simple, et se pratiquer avec la facilité d’une réaction chimique. La réaction agglutinante et la réaction de Pfeiffer sont deux phénomènes complètement différents. C’est à tort que M. Gruber a soutenu qu'ils étaient sous la dépendance l’un de l’autre. Le phénomène de Pfeiffer se produit avec le concours d'un organisme vivant. Il consiste en une véritable bactériolyse des microbes injectés dans le corps du cobaye, en même temps que le sérum immunisaleur. Les microbes ne sont pas agglomérés, s'ils ne l'ont pas été au préalable par leur contact avec le sérum in vitro : ils sont transformés en granules et, suivant la comparaison de C. Fränkel, sont dissous dans l’organisme comme un morceau de sucre est dissous dans l’eau. Pfeiffer et Kolle ont démontré d’une façon indiscutable que l’action agglutinante et l’action lysogène n'avaient rien de com- mun, et M. Salimbeni a prouvé récemment que l’agelutination du vibrion cholérique, loin de se produire dans les humeurs, au sein de l'organisme des vaccinés, n'apparaissait que lorsque les humeurs étaient mises au contact de l'air, à la façon de la coagulation du sang qui se produit à la sortie des vaisseaux. Le gonflement de la membrane d'enveloppe des microbes apparaissant sous l'influence de la substance agglutinante, gon- flement qui leur permettrait de s'immobiliser, de se réunir en amas et de subir ensuite la bactériolyse, est une pure hypothèse due à M. Gruber. Le fait n’a jamais été constaté par Pfeiffer, Bordet, Salimbeni, ni par nous-mèmes. L'action agglutinante est donc indépendante de l'action lysogène, comme elle est indépendante, nous le verrons, de l'action bactéricide exercée par les sérums sur les microbes ÿ ciro. Les diverses qualités acquises par un sérum ne sont pas nécessairement liées les unes aux autres. Le terme, « action paralysante », dû à M. Pfeiffer et employé récemment encore par M. Kolle, exprime incomplètement le phé- nomène. Nous verrons, d'autre part, que la formation des amas 308 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. se produit avec les bacilles morts comme avec les bacilles vivants, et, dans ce cas, nous comprenons mal comment la paralysie pourrait frapper des corps privés de vie. Le mot agglutination, proposé par M. Gruber, est plus approprié ; il exprime la partie essentielle du phénomène. Dans toute la suite des travaux que nous avons énumérés, il n’est jamais question que de la recherche d'une réaction d’im- munité (Immunitätsreaction). Depuis le jour où l’on a com- mencé à étudier l’action des sérums d’immunisés sur les microbes, depuis 1889 jusqu'en 1896, durant ces sept années d'activité expérimentale, il n’est pas un mémoire, il n’est pas même une phrase d’un mémoire où, à notre connaissance, il soit fait seule- ment allusion à la possibilité de trouver une réaction de la période d'infection avec le sérum d'individus étant à la période de début, ou même à la période d'état, d’une maladie comme la fièvre typhoïde:. L'idée que le sérum des typhoïdiques, au cours et même au début de la maladie, possède déjà des propriétés spécifiques, celle, par exemple, d’agglutiner in vitro, en certaines proportions, une culture de bacilles d'Eberth, est absolument personnelle à l’un de nous, qui, déjà en 1892, dans un Mémoire des Annales de l’Institut Pasteur, avait montré, avec M. Chantemesse, que non seulement le sérum des convalescents, comme l'avait vu M. Stern, mais que le sérum des malades atteints de fièvre typhoïde, encore en période fébrile, avant même la défervescence, pouvait déjà avoir acquis des propriétés spéciales et être pré- ventif pour les animaux. Le fait, confirmé d’abord par M. Stern, l’a été récemment encore par M. Kolle. Le 26 juin dernier‘ en 1. Un article récent de M. Gruber (Münchener medicinische Wochenschrift, 27 avril et # mai 1897, p. 435 et 4117), que je viens de lire, lorsque ce travail était déjà sous presse, me force à revenir brièvement sur cet historique et à établir nettement la part qui revient à chacun dans l’étude de la réaction agglutinante et dans la conception du sérodiagnostic. L'agglutination par le sérum pur des immunisés, constatée, comme nous l’avons montré plus haut, dès 1889, n’est devenue applicable, comme procédé technique, que du jour où M. Bordet en 1895 a nettement indiqué l’action immo- bilisante et agglomérante des sérums dilués. Six mois plus tard, MM. Gruber et Durham ont repris avec grand soin cette étude de la réaction par sérums dilués de Bordet, ont eu le mérite de la vulgari- ser et de l'appliquer avec quelques sages restrictions à la différenciation des vibrions et à celle du bacille d’Eberth et des bacilles d’espèce voisine. La seule idée originale de M. Gruber est d’avoir essayé de baser sur la réaction agglutinante une théorie nouvelle de l’immunité. Tous les faits publiés en ces derniers mois concordent à montrer l’inexactitude de la conception théorique de ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 329 rapportant nos premiers cas de sérodiagnostic positif, nous don- nions la preuve que la réaction agglutinante est bien déjà une réaction de la période d'infection. Comme nous l’avions prévu M. Gruber. Pour ma part, j'ai toujours considéré la réaction agglutinante comme étant déjà, chez l'homme, une réaction de la période d’infection. C’est là une simple constatation de fait, qui ne comporte pas de théorie. Je m'étais demandé à un moment si cette réaction, appréciable dans la période d'infection, n’était pas déjà, dans une certaine mesure, une réaction de défense; mais j'avais pris bien soin de montrer qu'aucun fait ne le prouvait encore, ce que je répète à nouveau, et j'ajoutais que si la réaction agglutinante était une réaction de défense, elle ne pourrait l’être que pendant l’infection et non pendant l’immu- nité. Nous avions déjà montré, en effet, avec M. Sicard, que la réaction aggluti- nante s’atténuait souvent au début de la convalescence, c’est-à-dire au moment où l’immunité est le plus solide, et nous avons montré de plus qu’à la veille d’une rechute, le pouvoir agglutinatif pouvait être plus élevéqu'’il ne l'avait été pendant toute la durée de la première attaque. Dès 1892, nous avons vu avec M. Chantemesse que le sérum des individus encore en période d'état de fièvre typhoïde pouvait déjà présenter des qualités préventives. Cette idée que le sérum des typhiques possédait déjà des qualités spéciales pendant l'infection, idée que M. Gruber n’avait pas, est celle qui m’a conduit à la conception du sérodiagnostic. Je ne vois pas en quoi ce fait peut montrer que la réaction agglutinante est bien une réaction d’immunité. D'abord, la propriété agglutinante dans un sérum est complètement indépendante de la propriété préventive, et ensuite il est de notion vulgaire aujourd’hui qu’un sérum peut présenter des qualités préventives sans que l'individu qui le porte ait acquis l'immunité. D'ailleurs, la question n’est pas là. Dans les écrits de M. Gruber, et ce sont les écrits seuls qni peuvent compter en matière d'historique scientifique, pas un mot n'indique qu'il ait seulement soupçonné la possibilité de constater la réaction agglutinante pendant la période d'infection. Et comment M. Gruber aurait-il pu la soupçonner, lui qui ne cessait de soutenir que la réaction agglutinante n'apparaissait que dans le sérum des animaux immunisés et qui, au mois d’avril 1896, au Congrès de Wiesbaden, demandait aux cliniciens de rechercher la réaction agglutinante chez les hommes ayant eu autrefois la fièvre typhoïde et le choléra (welche Typhus und Cholera überstanden haben), et ne songeait même pas à émettre l'hypothèse que la réaction agglutinante pourrait peut-être se trouver pendant le cours de la. maladie. M. Gruber n’a donc pas à s'étonner que son appel n’ait pas trouvé d’écho. Il importait peu aux cliniciens de chercher, pour servir sa théorie, comment la réaction agglutinante se comportait chez les anciens cholériques ou chez les anciens typhiqués. Pour arriver à la conception du sérodiagnostic, j’ai dû pré- cisément commencer par me débarrasser de l’idée erronée que la réaction agglu- tinante était une réaction d’im munité, idée qui empêchait de saisir la significa- tion pratique du phénomène. Le premier mémoire sorti du laboratoire de M. Gruber, où il soit question de réaction agglutinante pendant l'infection, a êté publié par M. Grünbaum dans le n° de The Lancet du 19 septembre 1896. À cette époque, Ja question du séro- diagnostic de la fièvre typhoïde était jugée depuis longtemps. Elle avait été portée devant l’Académie de médecine de Paris par mon maitre M. Dieulafoy, plus de deux mois auparavant; elle avait été à l’ordre du jour de la Société médicale des hôpitaux, pendant tout le mois de juillet, et à l’ordre du jour du Congrès de Nancy, au mois d'août. M. Grünbaum est donc ‘venu donner une confirmation tardive de ma méthode de sérodiagnostic à une époque où quelques centaines d’observa- tions de contrôle avaient déjà été publiées en Europe et en Amérique. En résumé, évitons toute ambiguïté dans cette question d’historique et ne con- 360 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. dès notre première communication, la méthode sera appli- cable dans une certaine mesure à quelques autres infections, au choléra notamment. MM. Achard et Bensaude l’ont démontré dès le mois de septembre de l’année dernière pour cette der- nière maladie. M. Wright vient d'étudier le sérodiagnostic de la fièvre de Malte. Le sérodiagnostic de la morve est en ce moment à l’étude en Angleterre, et celui de la peste est à l'étude dans l'Inde. PROCÉDÉS POUR METTRE EN ÉVIDENCE LA RÉACTION AGGLUTINANTE AVEC LE SÉRUM OU LE SANG FRAIS Dès sa première communication, l'un de nous a montré que divers procédés lents ou rapides pouvaient être employés pour déceler la réaction agglutinante chez les typhiques, que cette réaction pouvait être mise en évidence non seulement avec le sérum frais, mais encore avec le sang frais total, ou avec le sérum desséché. Commencons done par exposer ces procédés, et par montrer en quoi consiste l’agglutination des bacilles typhiques, sous l'influence du sérum des malades. Un premier procédélent consiste à mélanger en certaines pro- portions lesérum à du bouillon, àensemencerle tout avec dubacille d'Eberth, à mettre à l’étuve à 37° et à chercher ainsi, à l'œil nu et au microscope, comment le sérum impressionne les bacilles à l'étatnaissant. Sil on mélangele sérum d’un typhique à du bouillon, dans la proportion de 1 pour 40, par exemple, voici ce que l’on observe. Durant les premières heures, la culture paraït mal se développer; le sérum ajouté semble exercer une action retarda- fondons pas la conception du sérodiagnostic avec la découverte du procédé techni- que qui permet de déceler la réaction agglutinante. Le fait d’avoir constaté l’immobilisation et la formation en amas des microbes sous l'influence des sérums dilués des animaux immunisés n'appartient pas à M. Gruber, qui le tient de M. Bordet. Il reste à M. Gruber d’avoir, avec M. Durham, employé le sérum dilué des immunisés pour la différenciation des microbes d’espèces voisines. Quant à la conception du sérodiagnostic, j’en ai assumé le 26 juin 1896 toute la responsabilité. Cette responsabilité m'a été laissée jusqu'ici et je la conserve pleine et entière. Si la méthode de séro-diagnostic avait été démontrée fausse et trompeuse, qui donc aurait été assez injuste pour songer seulement à faire par- tager à M. Gruber le poids de mon erreur? On n’aurait eu qu’à admirer avec quelle sagacité cet auteur avait montré que la réaction agglutinante n'était qu’une réac- tion d’immunité, et avec quelle sagesse il s'était gardé d’en conseiller la recherche pendant l'infection. WipAL. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 361 trice sur la germination des bacilles, ella durée de ce retard varie suivant le sérum employé. On se rend compte facilement de ce fait, en comparant la culture en bouillon additionnée de sérum à des cultures témoins faites en bouillon simple. Au bout d’un temps variant entre 4 et 7 heures, quelques grumeaux appa- raissent, et, en 12 ou 24 heures, le tube a pris uu aspect tout à fait caractéristique ; les microbes se sont amassés au fond du tube pour y former un précipité de petits flocons blanchâtres, et laissent le bouillon presque complètement clair. Par agita- tion, ces flocons n'arrivent pas à se dissoudre complètement; ils laissent toujours un précipité nageant dans le liquide sous forme d’une très fine poussière. L'aspect n’est pas toujours aussi caractéristique. Le bouillon, au lieu de rester clair, peut se troubler dans toute son étendue, mais un examenattentif montre que le trouble n’est pas homo- gène, qu'il ne se présente pas avec cet aspect moiré particulier aux cultures de bacilles d’Eberth, et, en regardant le tube sousun certain angle d'incidence, on voit que le trouble apparent est dà seulement à un précipité fait d’une très fine poussière, dont chaque grain, comme le microscope le montre, n’est qu’une agglomération de microbes. Parfois les couches supérieures du tube ont un aspect boueux et même parfois moiré ; un dépôt grumeleux s’est pourtant encore formé au fond, et, par l'agitation, on fait tourbillonner dans toute la hauteur du liquide une fine poussière, voire même de petites pellicules insolubles. L'aspect du tube peut varier, d’ailleurs, suivant le moment où on l’examine, comme l’a vu Breuer ! et comme nous avons pu le constater nous-mêmes. Il est bon d'examiner le liquide d'heure en heure, pour saisir les variations de son aspect; on remarque alors qu'après quelques heures de culture à l’étuve, le bouillon est resté clair, les microbes s'étant agglutinés au fond du tube sous forme de grumeaux blanchâtres. Si, après 18 ou 24 heures, on examine le tube à nouveau, le liquide peut s’être troublé au-dessus du précipité. On dirait que les premiers microbes formés ont accaparé toute la substance agglutinante,et que les ba- cilles développés par la suite ont pu se développer en toute liberté. 4. Brever, Zur Widal’schen Serudiagnostik. (Berliner Klinische Wochenschrift, 4896, me 47 et 48.) 362 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. En résumé, rien n'est plus saisissant pour l’œil que le phé- nomène de la clarification du bouillon, avec agglomération des amas bacillaires au fond du tube. La nature de ces amas doit toujours être reconnue par l'examen microscopique. Pour être caractéristique, le phénomène doit être observé dans toute sa pureté. Si le bouillon se trouble au-dessus du précipité, le phé- nomène peut être confondu à l’œil nu avec les pseudo-réactions que l’on observe parfois après addition de sérum non typhique, et qui apparaissent même, en quelques cas, dans de simples cultures en bouillon, sans que l’on puisse en saisir la raison. Un second procédé lent consiste à ajouter le sérum typhique dans une culture en bouillon déjà formée et âgée de un ou deux jours. Le mélange est laissé à la température de la chambre ou placé à l’étuve à 37°. Si le sérum est doué d’une forte puissance agglutinative, déjà après quelques heures on peut voir la culture perdre son trouble uniforme, devenir grumeleuse et finir par se clarifier complètement, par précipitation au fond du tube des amas bacillaires. Si le sérum est moins actif, un précipité plus ou moins abondant se dépose au fond du tube, la culture devient boueuse, parfois même granuleuse dans toute sa hauteur, mais n'arrive pas à clarification. L'examen microscopique est tou- jours nécessaire pour confirmer le diagnostic fait à l'œil nu. La méthode lente exige l’usage d’un sang recueilli dans des conditions de pureté absolue. La prise dans la veine peut seule donner une certitude à peu près complète. Pour cette opération, l'emploi d’une seringue est inutile. M. Bensaude a montré qu’il suffisait d'employer l'aiguille de la seringue à injection de sérum, et d'adopter à son pavillon un tube en caoutchouc souple de quelques centimètres de longueur. Ce petit appareil, toujours facile à confectionner, se stérilise facilement. On pique la veine, on conduit l'extrémité libre du morceau de caoutchouc dans la partie supérieure d’un tube stérilisé où le sang s'écoule goutte à goutte. Le procédé extemporané le plus simple, le plus rapide, est aussi le plus sensible, pourvu qu’on ne se départisse pas des règles que nous aurons tout à l’heure à formuler. Il n’est pas besoin, pour son usage, d’avoir recours à la ponc- ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC, 363 tion aseptique de la veine. Il suffit de piquer avec la pointe d’une lancette la pulpe d’un doigt que l’on a préalablement lavé anti- septiquement, puis desséché. On fait pendre la main du malade hors du lit, de façon à ce qu’elle occupe une position déclive, on exprime le doigt par massage depuis la racine jusqu'au voisinage de la piqüre, et l’on recueille quelques gouttes dans un tube de verre. On attend la séparation du sérum et du caillot qui, parfois, commence à se produire au bout de quelques minutes. Si cette séparation tarde à s'établir, il suffit, pour la hâter, de décoller avec une pointe stérilisée le caillot adhérent aux parois du tube. Rien n'est donc plus simple que de recueillir du sang qui doit être examiné par Je procédé extemporané. Un praticien peut toujours avoir à sa disposition un tube de verre, qu’il passe à la flamme d’une lampe à alcool, un bouchon qu'il fait bouillir, et envoyer en toute sécurité dans un laboratoire, pour être examiné par le procédé extemporané, le sang recueilli après lavage antiseptique du doigt. Le sérum doit toujours être recueilli aussi purement que possible, mais si des fautes d’asepsie ont été commises, il peut se conserver plusieurs jours à la température de la chambre, même impur, sans que le résultat de l’examen extemporané puisse être troublé. Nous verrons dans un des cha- pitres suivants que, même dans ces conditions, le pouvoir agglu- tinatif reste presque invariable. Le sang peut donc être adressé à un bactériologiste, pour le sérodiagnostic, aussi facilement qu'un crachat de tuberculeux pour la recherche du bacille. Le choix de la culture à employer pour la réaction demande plus de précautions que n’en réclame la prise du sang. On doit, bien entendu, être assuré avant tout de la pureté de la cul- ture, dont il faut avoir soin toujours de faire une préparation témoin avant l’addition du sérum. Les cultures typhiques déve- loppées à l’étuve présentent parfois, en effet, des pseudo-amas, spontanément formés. L'emploi d'une culture jeune en bouillon, âgée de 24 heures, permet le plus souvent d'éviter ces faux amas, comme l'ont montré MM. Nicolle et Halipré, et comme nous l’avons constaté nous-mêmes; mais il est des cas où, sans qu'on puisse en saisir la raison, ces faux amas se forment même dans une culture jeune. Le seul moyen d’éviter l'erreur, nous ne saurions trop le répéter, est de ne pas se départir de la règle 364 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de toujours examiner entre lame et lamelle une goutte de la culture, au inoment même où on va l’additionner du sérum à étudier. Bien plus, pour faire la préparation d’épreuve, il ne'faut jamais négliger de prendre une des quelques gouttes mêmes qui vont être immédiatement additionnées de sérum. Si l’on ne prend pas celte précaution, il peut arriver qu'une prise faite avec une pipelte au milieu d’un tube de bouillon typhique ne donne que des bacilles mobiles ; qu’une prise faite dans le même tube à la surface, — où il se forme quelquefois un petit voile membra- neux, — ou bien faite au fond de ce tube — où se déposent parfois des grumeaux — donne, au contraire, des pseudo-amas. Un observateur non prévenu sur ces détails de technique pourrait faciiement commettre une erreur et croire trouver la réaction agglutinante là où elle n'existe pas. Si l’on ne néglige jamais de faire la préparation témoin, on peut à la rigueur utiliser une culture en bouillon viaille de quelques jours et même de quelques semaines. On trouve, en eltet, fréquemment des tubes qui, mis eu culture depuis silong- temps, ne présentent pas de pseudo-amas, surtout si la prise est faile au milieu de la colonne liquide, et si la culture s'est déve- loppée à la température de la chambre. Avec le temps, le bouillon s'éclaircit, les bacilles se déposent tous au fond du tube, mais libres et non groupés en amas; il suffit d’agiter la culture pour. voir les bacilles s'élever en tourbillons et troubler uniformément le liquide. Lorsque, pour le sérodiagnostic, on fait usage d’une culture vivante, l'emploi d’une culture jeune est toujours préférable. On peut délayer dans du bouillon vierge une culture de bacilles typhiques sur gélose, ajouter à cette émulsion le sérum suspect et rechercher la réaction au microscope et à l'œil nu. La préparation de l'émulsion demande un eertain temps. Il est bon de filtrer sur papier la culture délayée avant d’ajouter le sérum; il ne faut jamais négliger de faire une préparation témoin pour voir s'il ne reste pas au préalable quelques grumeaux ayant résisté à la dissociation d’abord et à la filtration ensuite. Nous préférons l'emploi des cultures jeunes dans du bouillon, qui sout d’un emploi plus facile et qui nous ont semblé donner des résultats plus égaux. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 365 La réaction agglutinante apparaît nettement avec le sang total. Si dans une éprouvette ou un verre de montre contenant dix gouttes d’une culture en bouillon de bacilles d'Eberth, on laisse tomber une goutte de sang, on obtient le phénomène, aussi bien que par l’addilion d’une gôutte de sérum. Avant d'examiner au microscope, il faut attendre que les globules rouges se soient déposés au fond du vase, et les quelques glo- bules qui restent toujours sur la préparation rendent la mise au point plus facile. Ce procédé est le plus simple, parce que, avec uve seule goutte du sang d’un malade, il permet de constater la réaction sans même que l’on s'occupe de la séparation du caillot et du sérum. En pratique, il perd de sa simplicité apparente, puisqu'on est obligé de se transporter auprès du malade avec la culture qui doit recevoir la goutte de son sang. Il est vrai qu'aujourd'hui la possibilité d'employer des cultures mortes rend cette pratique plus facile. Mais on ne peut ainsi mesurer le pou- voir agglutinatif, et actuellement cette mensuration ne doit pas être négligée dans la pratique du sérodiagnostic, Il nous reste à montrer comment la réaction agglutinante se caractérise au microscope. Si à dix gouttes d’une culture jeuue de bacilles d'Eberth dans du bouillon, on ajoute une goutte du sérum d’un typhique, et si l’on place une goutte du mélange entre lame etlamelle, voici ce que l’on observe. On aperçoit, en géné- ral immédiatement, des amas de bacilles agglutinés les uns aux autres, et entre ces amas, des bacilles libres et mobiles plus ou moins nombreux. On peut, dans ce cas, porter un diagnostic pour ainsi dire instantané. Si la préparation est agitée de nom- breux mouvements browniens, on a toutintérêt à la revoir, après l'avoir laissée reposer pendant un quart d'heure ou une demi- heure. On saisit mieux ainsi la formation desamas, surtoutlorsque le pouvoir agglutinatif est peu intense. On assiste d'abord, dans ce cas, à la simple formation des centres agglutinatifs. Les bacilles se rapprochent en îlots, mais ils ne sont pas encore tassés. Ils se fondent ensuite, par pression réciproque, et ne sont plus 1s0- lables pour l'œil au centre de l’amas. Lorsque le pouvoir agelu- tinatif est intense, les bacilles forment d'emblée, par leur réu- nion, des îlots compacts à la périphérie comme au centre. La préparalion, pour être caractéristique, doit présenter des amas nombreux, confluents, parsemant tous les points de la prépara- 366 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tion à la facon des îlots d’un archipel; cet aspect ne trompe pas quiconque a vu une fois une agglutination véritable. Dans quelques cas, les espaces qui séparent les amas s’éclair- cissent, si bien qu’au bout d’une heure ou deux, l’on ne voit plus guère que des îlots d’agglutination. Souvent les bacilles isolés restent encore nombreux et plus ou moins mobiles, alors même que le pouvoir agglutinatif est intense; on dirait, là encore, que les bacilles réunis en amas ont accaparé presque toute la substance agglutinante. La forme des amas, le nombre des bacilles restés isolés et mobiles peut varier d’une préparation à l’autre, alors même que ces préparations ont été faites au même moment avec des gouttes provenant du même mélange de sérum et de culture. Lorsque nous étudierons lamensuration du pouvoir agglutinatif, nous verrons, en effet, que l’agglutination entre lame et lamelle est aidée par la dessiccation et par une sorte d'action physique variant suivant l'épaisseur de la goutte interpusée. Nous verrons que la formation des agglutinats est moins rapide, dans une préparation laissée à la chambre humide, ou dans une goutte déposée en lame creuse. Le processus d’immobilisation et le processus d’aggloméra- tion que l’on voit s'établir sur la même préparation présentent dans leurs rapports des variations qui n’obéissent à aucune règle. Les deux processus semblent bien constituer un seul et même phénomène. Nous n’avons jamais constaté sous l'influence d’un sérum agglutinatif le gonflement de la membrane d’enveioppe des microbes décrit par M. Gruber. RÉACTION AGGLUTINANTE AVEC LE SANG DESSÉCHÉ Dès notre première communication sur le sérodiagnostic, nous avons montré qu'un sérum typhique pouvait conserver ses propriétés agglutinatives, après quatre mois de dessicca- ton. Plus tard, dans un travail spécial, nous avons comparé l’ac- tion agglutinante du sang ou du sérum desséché. Nous avons constaté que le sang desséché sur diverses substances, particu - ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC, 367 lièrement sur des fragments d’éponge, après dilution dans la proportion de { pour 12 ou de 1 pour 15 environ, agglutinait le bacille d'Eberth, mais moins activement que le faisait le sang ou le sérum liquide. Voici comment nous opérions : nous impré- gnions de petits fragments d’éponges avec 4 ou 5 gouttes de sang que nous laissions dessécher, nous imbibions d’abord les petits morceaux d’éponges pendant une demi-heure avec 10 ou 15 gouttes de bouillon simple, puis une goutte du mélange était ensuile versée dans 5 gouttes de culture de bacilles d’Eberth dans du bouillon :. MM. Johnston* et Taggart * ont vu récemment que la per- sistance de la propriété agglutinante du sang, établie par nous, pouvait être utilisée en hygiène publique. Ces auteurs, daus un très grand nombre de cas, ont retrouvé la réaction agglutinante avec des gouttes de sang desséchées sur papier, qu'ils se faisaient envoyer à leur laboratoire, de diverses régions du Canada. Le sang desséché sur papier se laisse en effet facilement diluer, comme l'ont constaté ces expérimentateurs. Le conseil d'hygiène du Canada a, sous leur direction, orga- nisé un service public de sérodiagnostic par le sang desséché. Voici la technique qui nous paraît la meilleure à suivre. Après piqure du doigt, on laisse tomber quelques grosses gouttes de sang sur une feuille de papier, à intervalles espacés ; on laisse ces gouttes se dessécher complètement à l'air, pendant six heures environ. Pour la recherche de la réaction, on découpe exacte- ment avec des ciseaux une rondelle de sang desséché; puis dans un godet en verre de montre, contenant deux gouttes d'eau, on place une de ces rondelles, de façon à ce que la face recouverte par la goutte de sang soit tournée vers le fond. Avec une baguette de verre, on agite pendant quelques minutes la rondelle de papier en la comprimant contre les parois du godet, jusqu'à ce que le sang desséché ait été complètement dissous dans les deux gouttes d’eau, que l’on mélange alors à huit gouttes de culture du bouillon de bacille d’'Eberth. Dans un travail récent *, MM. Johnston et Taggart ont montré 4. Wipaz Er Sicaro, Recherche de la réaction agglutinante dans le sang et le sérum desséchés des typhiques et dans la sérosité des vésicatoires. (Soc. Médic. des Hôpit. 31 juil. 1896). — Sérodiagnostic par le sang desséché, au point de vue de la médecine légale et de l'hygiène publique (Soc. de Biol., 9 janv. 1897). 2. Jouxsrow, New-York medical journal, 31 octobre 1896. 3. Jounsron Er TaGçarr, British medical, 5 décembre 1896, p. 629. 368 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. que des pseudo-réactions s’observaient plus facilement avec le sang desséché qu'avec le sérum. On peut saisir de la sorte la réaction à ses débuts, comme l'ont constaté Johnson et Taggart, et comme nous avons pu nous en convaincre récemment en étudiant comparativement le sérum liquéfié etle sang desséché de plusieurs malades. On peut encore saisir cette réaction chez d'anciens typhiques dont le pouvoir agelutinatif est devenu très faible. Rien ne vaut l'usage du sérum liquide qui permet la mensu- ration facile du pouvoir agelutinatif; mais le sang desséché sur papier peut à la rigueur suflire pour assurer un diagnostic à distance. Au point de vue pratique, cette propriété qu'a le sang desséché sur diverses substances de conserver son pouvoir agglutinatif, propriété que nous avons été les premiers à mettre en évidence, peut donc être exploitée dans certaines conditions par l'hygiène publique et la médecine légale. M. Pfühl‘, M. Pick?, M. Van Ordt*, ont obtenu récemment de bons résultats en pratiquant le sérodiagnostic avec le sang desséché. N'est-il pas intéressant de constater qu'avec une goutte de sang desséché on peut, dans le temps et dans l’espace, établir l'existence d’une fièvre typhoïde présente ou passée? Nos expériences nous ont montré que la réaction aggluti- nante était plus ou moins facile à mettre en évidence, suivant la nature de la substance sur laquelle ie sang s'était desséché. Pour ne prendre qu’un exemple, le sang desséché sur un linge ou sur un papier buvard révèle moins bien ses qualités ageluti- natives que s’il a été desséché sur du papier glacé. Pour une épreuve de médecine légale, si l’on présume que les traces de sang trouvées proviennent d’une victime disparue et ayant eu autrefois la fièvre typhoïde, on ne pourra que rechercher si la réaction agglutinante existe ou n'existe pas. Si l'on présume, par contre, que les traces de sang proviennent d'une victime existant encore ou d’un inculpé, voici la technique qui, croyons-nous, serait la plus précise. On commence par établir aussi exactement que possible depuis combien de temps, 4. E. Peuut, Eine Vereinfachung des Verfahrens zur Serodiagnostik des Typhus. Centralblatt fur Bacteriologie, 1897, S. XXE, ne 2, p. 52. 2. F. Pick, Wiener Alinische Wochensçhrift, 1897, n° 4, p. 82. 3. Van OnpT, Muünchener medicinische Wochenschrift, 1897, n° 13, p- 327. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 369 sur quelles substances, dans quelles conditions et dans quelle atmosphère lesang s’est 'desséché, puis on dissout les taches san- guines et on les additionne de culture de bacilles d’'Eberth. On recherche ensuite avec l’'hémoglobinimètre, suivant la technique indiquée par W. Johnston, jusqu à quelle teinte il faut pousser la dilution pour obtenir encore l’agglutination. On fait ensuite des- sécher quelques gouttes de sang frais de la personne suspecte sur la même substance; on les abandonne pendant le même temps, dans les mêmes conditions et autant que possible dans la même atmosphère, pour obtenir les mêmes réductions de l’hémoglo- bine. On diluera ensuite et on recherchera si la dilution sanguine, qui donne la réaction à la limite, présente à peu près le même titre que celle précédemment expérimentée. On n’oubliera jamais que ce procédé de mensuration avec le sang desséché n’est qu'approximaltif, et que le pouvoir agglutinatif peut varier très rapidement chez un individu récemment convalescent de fièvre typhoïde. LA RÉACTION AGGLUTINANTE SUR LES BACILLES MORTS Le fait que des bacilles morts peuvent conserver la propriété de se laisser agglutiner par un sérum spécifique est, au point de vue théorique, un des points les plus curieux de l’histoire de la réaction agglutinante. Déjà M. Bordet avait vu que des vibrions cholériques tués par les vapeurs de chloroforme peuvent encore présenter le phénomène de l’agglomération, et nous avons montré que des bacilles typhiques tués par la chaleur ou par l’action d’une substance antiseptique restaient agglutinables *. Depuis quelques mois, nous avons poursuivi des recherches pour voir s’il n'y avait pas là un fait utilisable pour la pratique. Nous avons soumis des cultures de bacilles typhiques à l'action de divers agents physiques et chimiques, et nous sommes arrivés aux conclusions suivantes. Si l’on expose pendant une demi-heure des cultures de bacilles typhiques en bouillon à la température de 100 ou 70 degrés, on constate que les bacilles morts ont perdu en partie la propriété 4. WipaL ET Sicaro, Bulletin de l'Académie de médecine, 29 septembre 1896, et Société de Biologie, 30 janvier 1897. LES 24 370 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de se laisser agglutiner. Si l’on emploie un sérum suffisamment puissant, la réaction se produit encore, mais les amas mettent plus de temps à se former; ils sont moins volumineux, plus tas- sés que lorsqu'on fait usage des bacilles vivants. Avant l’addition de tout sérum, la culture ainsi chauffée contient le plus souvent de petits pseudo-amas formés d'éléments que l’on peut toujours séparer par l'agitation du tube. On sait que les bacilles typhiques sont détruits après une exposition de à minutes à la température de 56 degrés. Si l’on expose un tube de culture pendant une demi-heure ou trois quarts d'heure entre 57 degrés et 60 degrés, on voit que les mi- crobes ont conservé toute leur sensibilité à l’action du sérum, et que les amas formés ressemblent de tous points à ceux obtenus avec des bacilles vivants. Certains agents antiseptiques, en tuant les bacilles, brutali- sent moins lep rotoplasma que la chaleur, et laissent Les cadavres microbiens très sensibles à l'action du sérum. Le formol nous à paru, au point de vue pratique, l'agent le plusutilisable, supérieur mème auxess ences, qui souvent donnent spontanément des pseudo-amas avant l'addition de tout sérum. Si à 150 gouttes d’une culture typhique, vieille de un à deux jours, formée uniquement d'éléments séparés et mobiles, et ne présentant pas de pseudo-amas préalables, on ajoute une goutte de formol du commerce, les bacilles sont tués, mais restent comme embaumés, fixés dans l’état ou l’antiseptique les a surpris, et pendant des semaines conservent presque intégralement toute leur sensibilité à la réaction agglutinante. Nous avons maintenu dans une armoire de notre laboratoire, pendant trois et quatre semaines, des tubes de culture de bacilles typhiques ainsi additionnés de formol, et bouchés au-dessus de l’ouate avec uncapuchon de caoutchouc. Divers sérums typhiques essayés exerçaient un pouvoir agglutinatifqui, après mensuration exacte, semontrait sensiblement égal sur les bacilles ainsi traités et sur les bacilles provenant de cultures vivantes et jeunes. Bien plus, trois tubes de culture ainsi soumis à l’action du formol ont été conservés de la mème façon pendant cinq mois. Deux d’entre eux contenaient des bacilles qui, morts depuis si long- temps, se laissaient aussi facilement agglutiner que les bacilles jeunes et vivants. Dans les cultures conservées, les bacilles ETUDE SUR LE SERODIAGNOSTIC, 371 finissent par se déposer tous au fond du tube. Il suffit d’agiter pour voir le bouillon se troubler uniformément. Les cultures ainsi additionnées d’un antiseptique ont encore l'avantage d'offrir une grande résistance à la contamination. M. Van de Velde! a obtenu des résultats pleinement confir- matifs des nôtres, en soumettant des cultures soit à l’action de la chaleur, soit à l’action de divers antiseptiques. On peut donc conserver dans un laboratoire des cultures traitées au formol, comme on conserve un réactif chimique. On peut toujours, avec elles, obtenir un résultat immédiat. Si l’on est en présence d’un cas à réaction agglutinante faible et douteuse, on attendra la contre-épreuve que fournira le lendemain une culture vivante et rajeunie. Les bacilles morts gardent une sensibilité fixe, toujours la même, etse prêtent très bien aux mensurations du pouvoir agglu- tinatif du sérum d’un même malade étudié pendant plusieurs semaines. Le phénomène de l'agglutination n’est donc pas une réaction vitale de la part des microbes agglomérés ; il paraît être plutôt le résultat d’une réaction passive de la part de leur substance protoplasmique ?. LA RÉACTION AGGLUTINANTE DANS LES DIVERSES HUMEURS DE L'ÉCONOMIE Le sang, comme nous l’avons établi en divers mémoires, est l'humeur de l’économie qui possède au maximum le pouvoir d’agglutiner ; il est comme la réserve des substances aggluti- nantes; il en est peut-être le générateur. Des mesures précises 4, Van DE VELpe, Influence de la chaleur, des sels, des métaux lourds et d’autres antiseptiques sur les cultures de bacilles typhiques employées dans le sérodirgnostic de la fièvre typhoïde. — Académie de Médecine de Belgique, 27 mars 14897. — Semaine Médicale, 1897, n° 15, p. 114. 2. Dans une note récente, M. R. Kraus (Ueber specifische Niederschläge in Filtraten der Cholera und Typhusculturen mit Cholera und Typhusserum), Gesellschaft der Aerzste in Wien, 30 avril 1897), rapporte qu’en ajoutant des sérums spécifiques typhiques et cholériques à des cultures filtrées de bacilles d’Eberth ou de vibrions, il a constaté un trouble du mélange après un séjour à l'étuve à 37°, et parfois un dépôt finement floconneux après 24 heures. Le dépôt cholé- rique examiné chimiquement lui a donné la réaction des corps albuminoïdes et des peptones. Nous n'avons pas encore eu le temps de répéter les expériences de M. Kraus. : 372 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nous ont montré récemment que son plasma avait un pouvoir agglutinatif un peu plus élevé que le sérum. Nous en verrons un peu plus loin la raison. Les diverses membranes de l'organisme laissent diffuser plus ou moins aisément la matière agglutinante contenue dans le plasma sanguin. Si nous connaissons mal encore les conditions anatomiques ou physiologiques qui règlent cette transsudation, nous pou- vons au moins constater la présence de la propriété agglutinante dans les diverses humeurs de l'organisme, et comparer leur puis- sance agglomérante à celle du sérum sanguin. Dans l'urine ‘, comme nous l'avons montré les premiers, la réaction ne se fait que d'une façon inconstante; elle apparaît et disparaît d'un jour à l’autre, presque d’une heure à l’autre, sans qu'on puisse saisir la raison de ces variations. Le pouvoir agglu- tinatif de l'urine est toujours très faible. Des recherches pour- suivies par M. Nobécourt et l’un de nous ont montré que ce pouvoir dépassait rarement 1 p. 10, alors même que le pouvoir agglutinatif du sérum sanguin était très marqué et atteignait 4 p. 7.000. Chez une chèvre, dont le sérum sanguin possédait un pouvoir agglutinatif de 4 p. 8,000, l'urine ne donnait aucune réaction, même après mélange à parties égales avec une culture. Par contre, chez un homme dont le sérum n’agglutinait qu’à 1 p. 700, nous avons vu l'urine acquérir par intervalles un pouvoir agglutinatif de 1 p. 10. La réaction agglutinante s’observe toujours très intense dans la sérosité des vésicatoires, mais il s’agit ici du plasma sanguin presque en nature, filtrant artificiellement à travers les parois des capillaires. MM. Achard et Bensaude, puis MM. Thiercelin et Lenoble, ont obtenu une réaction très marquée avec le lait de nourrices atteintes de fièvre typhoïde. Nous avons, de notre côté, obtenu sembiable résultat avec le lait ou le colostrum de lapines, et le lait d’une chèvre inoculée avec le bacille d'Eberth. Le pou- voir agglulinatif du sérum de cet animal était de 1 p. 6,000; le pouvoir de son lait mesuré le même jour n’était que 1 p. 400°. La comparaison de ces deux chiffres nous montre qu’une partie 4. Wipa, Soc. Médic. des Hôpitaux, 1896, p. 655. 2. WipaL ET SICARD, Société médicale des hôpitaux, 15 janvier 1897. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 373 seulement de la substance agglutinante du sérum sangain est entraînée avec la sécrétion lactée. M. Mossé a retrouvé la réaction avec le colostrum humain. Avec le liquide d'œdème et avec la sérosité du pus d’un âne fortement immunisé, nous avons obtenu une agglutination puissante. Nous avons encore obtenu la réaction avec les sérosités péri- cardique, péritonéale et pleurale. Dans un cas, le pouvoir agglu- tinatif du sérum sans uin était de 1 p. 350 ; celui de la sérosité péricardique était de 1 p. 60. Nous avons vu la bile humaine donner la réaction une fois sur deux. Nous n'avons eu que des résultats négatifs, deux fois avec le liquide des vésicules séminales, et trois fois avec le liquide céphalo-rachidien. Négatifs aussi ont été nos examens avec la salive totale, comme l'avaient déjà constaté MM. Achard et Bensaude, ou avec les salives sous-maxillaire ou parotidienne recueillie à la sortie du canal glandulaire. Avec les larmes et l'humeur aqueuse, nous avons pu produire le phénomène agglutinatif. Ce fait mérite toute notre attention. Les larmes constituent une humeur toujours facile à recueillir. Dans l'angle interne de l’œil, au niveau du cul-de-sac lacrymal, on peut constamment, avec une pipette fine et à extrémité émoussée, en aspirer une goutte suffisante pour un examen extemporané. D'autre part, il suffit de faire respirer au malade des vapeurs d’ammoniaque ou de menthol, pour obtenir une sécrétion abondante. Mais on doit distinguer la sécrétion natu- relle de la sécrétion provoquée, toutes deux se comportant diffé- remment vis-à-vis du bacille. En effet, nous avons examiné, à ce double point de vue, les larmes de 14 typhiques, dont 10 étaient à la période d'état, et dont 3 étaient convalescents depuis trente à quarante-cinq jours; le dernier était guéri depuis sept ans d’une fièvre typhoïde grave. Tous avaient un sang donnant nettement la réaction. Nous avons pu constater que si le phéno- mène manquait totalement dans la sécrétion lacrymale naturelle de quatre de nos malades, même lorsqu'on poussait le mélange à 3 et 4 gouttes pour 10, il existait chez les dix autres typhiques : chez six d’entre eux à 1 goutte pour 10; chez trois, à 2 gouttes pour 10; chez un autre, seulement à 3 gouttes 1. Wipar Er Sicarn, Presse Kédicale, 6 mars 1897, p. cr, observ. xvIn. 374 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pour 40. Par contre, la sécrétion provoquée faisait disparaître la réaction chez onze d’entre eux; chez les trois autres, elle per- sistait, quoique atténuée. Chez un âne et chez cinq lapins immu- nisés, la sécrétion lacrymale donnait une réaction des plus nettes; chez deux lapins, il est vrai, elle n'apparaissait qu'après mé- lange de deux gouttes de sécrétion pour 10 de culture. Les larmes de cinq personnes n'ayant jamais eu la fièvre typhoïde, et de trois lapins normaux, ne nous ont jamais donné ce phéno- mène. L’humeur aqueuse recueillie à l’autopsie de trois typhiques ne nous à fourni que des résultats négatifs. Par contre, cinq fois sur neuf, l’humeur aqueuse de lapins immunisés donnait le phénomène à une goutte pour dix, et dans 2 cas seulement, il était nécessaire d’ajouter 2 gouttes à 40 de culture pour obtenir la réaction. L’humeur aqueuse de trois lapins normaux restait sans action sur le bacille d'Eberth. Nous pouvons donc, presque à volonté, faire disparaître la propriété agglutinante d’une humeur comme les larmes en exci- tant son excrétion, c’est-à-dire en modiliant brusquement sa constitution et en changeant les conditions de sa diffusion. M. Ménétrier a, dans un cas, constaté l'absence de la réaction dans l’épanchement pleural d’un typhique. La présence de la réaction dans une humeur pathologique, comme celle d’un épanchement aigu de la plèvre, est subordonnée à l'intensité du pouvoir agglu- tinatif du sérum sanguin. Cette recherche n’a pu être faite dans le cas de M. Ménétrier. La plus ou moins grande activité avec laquelle le liquide exsude des vaisseaux pour se collecter dans la séreuse, l’état des tissus qui forment membrane dialysante, sont autant de causes qui peuvent modifier le plasma épanché, aider ou empêcher le passage de la substance agglutinante. Dans le cas de M. Ménétrier, l’exsudat pleural, qui ne donnait pas la réaction agglutinante, donna en revanche des cultures de bacilles typhiques à l’état de pureté. M. Paul Courmont‘ a pensé que la présence de bacilles d'Eberth suffisait à enlever au liquide pleural son pouvoir agglutinant. Il rapporte, d'autre part, qu'ayant cultivé du bacille d'Eberth dans du sérum typhique, il : 1. Pauz Courmonr, Disparition in vitro du pouvoir agglutinant des hu- meurs des typhiques, lorsqu'on y cultive le bacille d'Eberth. (Société de Biologie, 20 mars 1895.) ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 375 a vu au bout de quelques jours le pouvoir agglutinatif de cette humeur diminuer considérablement où même complètement disparaître par le fait de la végétation du bacille. Les mensuralions du pouvoir agglutinatif des diverses humeurs recueillies à l’autopsie des typhiques, ont montré encore à M. Courmont que dans le sang se trouve, comme nous l'avons établi, la quantité maxima de substance agglutinante. Dans ses expériences comparatives faites avec le sang provenant des diverses parties du corps, M. Courmont' a vu que les plus faibles proportions des substances agglutinantes se retrouvent dans le foie, la rate, les ganglions mésentériques, c’est-à-dire dans les organes infectés par le bacille d'Eberth, qui par sa seule pré- sence ou par ses toxines détruirait, d’après lui, la matière agglu- tinante. Ce sont là des observations pleines d'intérêt, mais dont nous devons nous garder de tirer des conclusions absolues. L'expérience suivante va nous le prouver *. Nous avons conservé pendant quinze mois dans un flacon le pus d’un âne fortement immunisé. Ce pus, examiné immédiate- ment après sa prise, fourmillait de bacilles d’Eberth; le liquide s'était rapidement séparé en deux parties, l’une constituée par les globules qui avaient gagné le fond du vase, et l’autre par le sé- rum qui surnageait. Le sérum du pus, recueilli après quinze mois, avait encore un pouvoir agglutinatif de 4 p. 13,000. Le sérum sanguin du même animal, recueilli en même temps que le pus et conservé pendant quinze mois, avait un pouvoiragglutinatif d'une intensilé presque analogue ; il mesurait 1 p. 14,000. Les bacilles, par leur présence, n’avaient donc pas altéré sensiblement le pouvoir agglutinatif du pus avec lequel ils avaient été en contact pendant si longtemps. La réaction agglutinante peut passer de la mère au fœtus, comme nous l'avons vu les premiers, mais ce passage est inconstant et en général incomplet. M. Etienne * a rapporté l'histoire d'une femme atteinte, au cours d'une grossesse, d’une fièvre typhoïde grave, qui provo- qua l’avortement. Le sang de celte malade donnait très nette- 1. Pauz Courmoxr, Répartition de la substance agglutinante chez les typhi- ques. (Société de Biologie, 19 février et 20 mars 1897.) 2. Wipar Er Sicar», Soc. méd. des Hôpitaux, 15 janvier 1897, et Presse médi- cale, 6 mars 1897. 3. ÉTIENNE, Presse médicale, 12 septembre 1896, p. 465. 376 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ment la réaction agglutinante : le sang du fœtus ne la donnait pas. Nous avons montré que ce fait ne devait pas être géné- ralisé. Nous avons, en effet, retrouvé la propriété agglutinative, au moment de la nâissance, dans le sang du cœur des petits d’une lapine, inoculée depuis six jours. Le pouvoir agglutinant était, il est vrai, moins marqué chez les nouveau-nés que chez la mère. MM. Mossé et Daunic ‘ ont observé récemment la réaction agglutinante chez un nouveau-né dont la mère avait été atteinte de fièvre typhoïde au 6° mois de sa grossesse. Le pouvoir agglutinatif était moindre chez l'enfant que chez la mère. Ces faits ont une portée générale que l’on ne saurait mécon- naître. Îls nous montrent qu'une qualité acquise par l'organisme maternel au cours de l'infection peut être transmise héréditaire- ment par la mère à sa descendance. RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LA NATURE DE LA SUBSTANCE AGGLUTINANTE ET SUR SA FIXATION SUR LES SUBSTANCES ALBUMINOIDES La substance agglutinante est déjà en solution dans le sang circulant. Un liquide, comme l'æœdème, très pauvre en leucocytes, ou même des liquides privés de leucocytes, comme les larmes ou l'humeur aqueuse, peuvent posséder, nous l'avons montré, laréac- tion agglutinante.Le plasma diffusé au sein de l'organisme, séparé des éléments figurés du sang, contient donc en partie la subs- tance agglutinante. Cette substance, comme M. Salimbeni? vient de le montrer pour le vibrion cholérique, ne semble révéler son action agglomérante sur les microbes qu’en dehors de l’orga- nisme. D’après les expériences de ce savant, la présence de l'air est tout au moins favorable à la production de ce phéno- mène. Les leucocytes, en dehors des vaisseaux, ne semblent pas capables de sécréter de substance agglutinante, comme paraît le prouver l'expérience suivante * : 4. Mossé Er Davunic, Société médicale des hôpitaux. mars 1897. 2. SALIMBENI, Recherches sur l’immunité dans le choléra. — Sur l’agglutina tion. — (Annales de l'Institut Pasteur, 25 mars 1897. p. 277.) 3. WivaL ET SicaRD, Recherches sur la nature de la substance agglutinante, ete. (Bulletin de l’Académie de médecine, 29 septembre 1896.) ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 377 Si, dans un tube de collodion stérilisé, on reçoit quelques c. ©. de sang sur 1.5 p. 1,000 d'oxalate de potasse, la coa- gulation ne se produit pas. Les globules rouges se déposent rapidement au fond du tube et sont surmontés d’une petite couche de globules blancs ; le plasma surnage au-dessus de ce dépôt. Enlevons avec une pipette tout ce que nous pouvons de ce liquide; puis, au-dessous de la couche de globules blancs, pratiquons une ligature de facon à les laisser emprisonnés avec la plus petite quantité possible de globules rouges et de plasma. Abandonnons à lui-même pendant 24 ou 48 heures le mé- lange ainsi isolé au-dessus de la ligature. Comparons alors, d'une part, le pouvoir agglutinatif de la petite quantité de plasma laissée en contact prolongé avec les leucocytes, et, d'autre part, celui du plasma prélevé auparavant, nous verrons que ce pouvoir est sensiblement égal. MM. Achard et Bensaude 1 sont arrivés en même temps que nous, par une autre voie, aux mêmes résultats. Ces expérimen- tateurs retenaient en grande partie les leucocytes en filtrant sur un tampon de ouate le sang mélangé à de l'extrait de sangsue. Ces expériences nous démontrent que les leucocytes en de- hors de l'organisme ne dégagent pas de substance agglutinante, comme ils dégagent du fibrinferment, mais rien ne nous prouve que cette substance déjà dissoute dans le plasma n'a pas été abandonnée dans le sang circulant parles leucocytes. Nous avons montré? qu’en faisant filtrer de l’urine au travers d’une bougie de porcelaine, on lui faisait perdre son faible pou- voir agglutinatif, si elle le possédait au préalable. MM. Achard et Bensaude ont confirmé le fait pour le lait. Si l’on filtre une humeur, comme la sérosité péricardique, on peut encore reproduire le phénomène avec le produit de filtration, mais le pouvoir agglutinatif reste diminué. Si le sérum ou les humeurs perdent ainsi totalement ou en partie leur pouvoir agglutinatif en passant par la bougie, il est naturel d'en chercher la cause première dans les substances retenues par le filtre. Or, de toutes les parties constitutives des humeurs, les matières albuminoïdes sont les mieux arrêtées 1. Acxarp Er BEeNsauDe, Comples rendus de l'Académie des Sciences, t. EXXIIL p. 303. 2. Wivau Er Sicarp, Soc. Medic. des Hôpit. 1896, p. 653. 378 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. au passage. M. Duclaux a montré en effet que le lait perd la plus grande partie de sa caséine dans les mailles de la bougie Cham- berland. Nous avons appris, d'autre part, que dans les humeurs pauvres en malières albuminoïdes, telles que le liquide céphalo- rachidien et la salive, la réaction manquait. Il était donclégitime de chercher quel rôle devaient jouer les substances albumi- noïdes, dans la rétention de la matière agglutinante. Si l’on sature le sérum sanguin d'un typhique de sulfate de magnésie, on obtient un précipité de matière albuminoïde dite globuline ‘. Le liquide filtré a perdu son pouvoir agglutinatif que la globuline a conservé. Une solution de cette globuline dans de l’eau distillée donne une réaction des plus nettes. Si l'on emploie un sérum doué d'un puissant pouvoir agglutinauf, le liquide filtré après précipitation possède encore la propriété d'agglomérer ; toute la substance active n'a pas été retenue cette fois au-dessus du filtre avec la globuline. Voyons maintenantles résultats obtenus en précipitant succes- sivement les albuminoïdes, non plus du sérum, mais du plasma en oxalatant le sang à sa sortie du vaisseau. Si l'on additionne le plasma de 15 pour 100 de son poids de chlorure de sodium, on précipite le fibrinogène. Dissolvons ce précipité dans l’eau distillée. La solution de fibrinogène ainsi obtenue agglutine le bacille d'Eberth. Le plasma débarrassé de son fibrinogène agglutine encore. Traitons-le à nouveau par le sulfate de magnésie à saturation; filtrons et nous constaterons, comme tout à l'heure pour le sérum, que souvent le liquide filtré, ne contenant plus que la sérine, a perdu son action agglutinative, qu'il a abandonnée à la globuline restée sur le papier. Si le plasma est doué d'un fort pouvoir agglutinatif, le der- nier liquide filtré peut donner encore le phénomène de l’agglo- mération. Le sérum d’un typhique obtenu par formation naturelle du caillot possède, nous l’avons vu, un pouvoir agglutinatif plus faible que le plasma sanguin du même malade obtenu en faisant agir l’oxalate ou l'extrait de sangsue sur le sang à la sortie du 4. Rappelons, comme l'enseigne M. Duclaux, que la constitution de ces matières albuminoïdes est encore mal connue, et que, pour les différencier, nous n’avons jusqu'ici que l’action banale des sels alcalins ou alcalino-terreux qui condensent ces substances en grumeaux plutôt qu'ils ne les précipitent chimi- quement. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 379 vaisseau. La différence est facile à mettre en évidence quand le pouvoir aggelutinatif est faible. Aïnsi, chez un malade dont le sérum mesurait 1 p. 40, le plasma avait un pouvoir de 1 p. 60. La fibrine qui forme la trame du caillot retient sans doute en se coagulant une partie de la substance agglutinante. Les substances albuminoïdes du sérum sanguin ne sont pas seules à retenir le pouvoir agglutinatif. Nous avons obtenu des résultats comparables, en opérant avec le lait d’une chèvre puis- samment immunisée. La caséine ou les substances albuminoïdes successivement précipitées retenaient à leur profit, en totalité en en partie, la substance agglutinante. Ces faits’ nous prouvent que les substances albuminoïdes précipitées deleurssolutions retiennentlasubstanceagglutinante, comme elles retiennent une teinture et l’abandonnent à nouveau dans leur solution. Les antitoxines sont, on le sait, fixées de la même facon sur les précipités. La substance agglutinante est-elle de nature albuminoïde, ou est-elle entraînée dans les humeurs à la faveur de substances albuminoïdes en solution ? Quelques expériences tentées pour résoudre cette double question nous ont donné les résultats suivants. En dialysant des sérums et du lait de pouvoir agglu- tinatif différent, nous avons vu le liquide inférieur acquérir très tardivement la propriété agglutinative. Cette propriété n’a jamais apparu que lorsque les matières albuminoïdes avaient commencé déjà à traverser la membrane. Par contre, en opé- rant avec certains sérums et surtout avec du lait, nous avons, dans le liquide inférieur, constaté la présence de substances albuminoïdes déjà dialysées, alors que la propriété agglutinante n’était pas encore décelable dans ce liquide. : Chez les malades dont le sérum possède un pouvoir agglu- tinatif intense, l'urine, quoique albumineuse, ne donne pas tou- jours la réaction agglutinante, comme l'ont déjà constaté MM. Achard et Bensaude. D'autre part, chez des malades convalescents de fièvre typhoïde, nous avons vu, à certains jours, une réaction légère apparaître dans l'urine, qui ne contenait pourtant pas trace d’albumine. En résumé, nos expériences de dialyse portant sur des 1. Toutes ces expériences sont consignées en détail dans notre mémoire présenté à l’Académie de Médecine le 29 septembre 1896. 380 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. humeurs puissamment agglutinatives ne nous ont jamais permis d'obtenir la réaction agglutinante, avec un liquide ne contenant pas de matière albuminoïde ; par contre, elles nous ont permis de séparer des corps albuminoïdes qui n’abandon- naient pas à leur solution de matière agglutinante. Nos recherches sur l’urine nous ont montré qu’un typhique dont le sérum était agglutinatif pouvait éliminer des matières albuminoïdes, non chargées de substance agglutinante; elles montrent également que la substance agglutinante d’un typhique peut s’éliminer sans avoir besoin du véhicule des substances albuminoïdes dissoutes. Ce sont là les seules conclusions que nous pouvons tirer pour le moment. La substance agglutinante est douée d’une très grande résis- tance. Nous avons conservé pendant plusieurs mois, à l’état de pureté, des sérums typhiques, dont le pouvoir agglutinatif restait sensiblement égal. M. Achard a vu que l’exposition d’un sérum au grand soleil n’altérait pas la propriété agglutinante. Les impuretés développées dans le sérum ne lui enlèvent pas ses qualités agglutinantes. Un sérum d’âne immaunisé a été con- servé pendant quatorze mois dans notre laboratoire, dans un état d’impureté tel qu’une couche épaisse de moisissures s’était développée à la surface du liquide. Après ce long temps. le pou- voir agglutinatif de ce sérum était encore de 1 pour 16,000. Un sérum typhique humain, qui, dès sa formation, avait un pouvoir agelutinatif de 1 pour 12,000, a été conservé pendant trois mois. Après ce temps, sa surface était également recouverte de moi- sissure, et pourtant le pouvoir agglutinatif était resté le même. La substance agglutinative résiste à une température relati- vement élevée. MM. Nicolle et Halipré ‘, puis M. Hayem* ont montré qu'une exposition à 60° n’enlevait pas au sérum ses propriélés agelomérantes. | Le lait, liquide qui ue coagule pas à la chaleur, se prête mieux que le sérum à l'étude de l’action exercée par les hautes températures sur le pouvoir agglutinatif. Le lait d'une chèvre 1. Nicoue er Hazipré, Sérodiagnostic de la fièvre typhoïde. (Presse médicale, 25 juillet 1896, p. 354.) 9, Hayew, Sur la persistance de la propriété agglutinante du sérum des typhiques après chauffage à 5370-59, Soc. médic. des Hôpitaux, 8 janvier 1897. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC, 381 inoculée depuis trois semaines avec du bacille d'Eberth avait un pouvoir agglutinatif qui commençait à diminuer progressivement à partir de 66° et se perdait après dix minutes de séjour à 75°. Ce lait fut examiné de nouveau après que l’animal eut été sou- mis pendant quatre mois à des inoculations successives. Le pouvoir agglutinatif de ce lait était alors augmenté et s'élevait à 1 pour 400. Après dix minutes de séjour à 75°, son pouvoir agglutinatif était alors très atténué, mais non complètement perdu. Par contre, ce lait chauffé à 80°, puis mélangé à parties égales avec une culture de bacilles d’Eberth, ne déterminait pas la moindre agelutination, même après plusieures heures de contact ‘. Des expériences récentes entreprises avec des sérums à pou- voir agglutinatif peu marqué, oscillant entre 4 pour 20 et 4 pour 50, nous ont montré qu'après une heure d'exposition aux tem- pératures de 57° ou de 58°, ce faible pouvoir subissait parfois une légère diminution. Si l’on filtre à la bougie une culture de coli-bacilles vieille de trois jours et si l’on ensemence jensuite le produit de filtration avec du bacille d'Eberth, la culture se fait lentement et maigre- ment à l’étuve. Les bacilles ainsi développés, en présence d’une toxine étrangère, se laissent pourtant agglutiner encore par un sérum typhique. Si l’on ajoute une culture déjà formée de bacilles typhiques à une culture de coli-bacilles, et si on additionne le tout de quelques gouttes de sérum typhique, les bacilles d'Eberth sont retrouvés au milieu du mélange par le sérum qui les agglutine. Cette propriété peut servir à la rigueur à dépister, dans un milieu liquide, ie bacille d'Eberth récemment mélangé au coli-bacille. . La propriété agglutinative est loin d’être nécessairement liée aux autres qualités acquises par un sérum au cours de l'infection ou de l’immunité. Nous avons vu, dans le chapitre que nous avons consacré à l'historique, que la propriété agglutinante doit être dissociée de la propriété lysogène. De mème, la propriété agglutinante doit être dissociée de la propriété bactéricide. Si l’on ensemence le bacille d'Eberth dans le sérum pur de typhiques, tantôt, comme 1. Wipaz ET Sicarp, Bulletin de l’Académie de médecine, 29 septembre 1896, et Société médicale des Hôpitaux, 15 janvier 1897. 3 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nous l’avons montré‘, il ne se développe pas dans l'humeur qui est bactéricide; tantôt, au contraire, il se développe en laissant le liquide clair et en déterminant la formation d’amas qui se précipitent au fond du tube. Nous avons conservé ainsi pendant deux mois et demi, à la température et à la lumière de notre laboratoire, deux sérums de typhiques à Ja période ’état et un sérum de convalescent ayant fourni de semblables amas après ensemencement de bacilles d’Eberth, dont la culture avait élé d’abord mise en train pendant quelques jours à l’étuve à 37°. Ces microbes, après ce long séjour dans le sérum, avaient conservé toute leur vitalité, comme nous l’a prouvé leur ensemencement dans le bouillon. Dans un même sérum, la propriété agglutinante peut être dissociée de la propriété atténuante. La virulence du bacille d'Eberth est souvent si faible et si peu fixe, qu'il est délicat de rechercher ce que devient cette virulence dans un sérum où le bacille est agglutiné. On peut, par contre, procéder par compa- raison avec ce qui se passe pour des espèces microbiennes très virulentes. M. Issaëff, dans un mémoire fait sous ladirection de M. Metch- nikoff, a montré que les cultures de pneumocoques, fortement agglutinés dans le sérum des animaux vaccinés, conservent leur propriété virulente, facile à mettre en évidence si on filtre {es microbes en les lavant à l’eau physiologique pour les débarrasser autant que possible du sérum thérapeutique dans lequel ils se sont développés, ou si, d’autre part, on réensemence les microbes en bouillon simple. La culture fille ainsi obtenue est beaucoup plus virulente que la culture mère faite en sérum thérapeutique. Or, si l’atténuation du microbe s'était faite réellement sous l’in- fluence du sérum, le pneumocoque atténué, étant réensemencé dans un nouveau milieu nutritif, devrait produire une génération également peu virulente. C’est le contraire que l’on observe. L'analyse expérimentale nous permet donc de saisir dans le sérum des infectés ou des immunisés quelques qualités spéciales ; en se perfeclionnant, elle permettra, sans doute, d'en saisir d'autres encore. Les propriétés bactéricide, atténuante, préven- tive, agglutinalive, qui semblent souvent marcher de pair, 1, Wipaz ET Sicarp, La réaction agglulinante chez les typhiques, comparée pendant l'infection et pendant l’immunité. Presse Médicale, 23 décembre 1896. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 383 parce qu’elles dérivent de la même cause, peuvent jouir entre elles d’une indépendance relative. Les faits que nous venons de rapporter résument l’état de nos connaissances sur cette curieuse propriété agglutinante, et nous montrent surtout le mystère qui entoure encore sa nature et son origine. LA RÉACTION AGGLUTINANTE SUR LES ÉCHANTILLONS DE DIVERSE PROVENANCE. Il était naturel de chercher si les sérums typhiques n’im- pressionnaient pas différemment les divers échantillons de bacilles d'Eberth. Durham ‘, après avoir essayé l’action d’un sérum provenant d'un animal immunisé contre l'infection typhique sur 19 échan- tillons de bacilles d’Eberth, provenant de pays divers, de Vienne, de Tubingen, de Londres ou de ses environs, nous dit qu'il n’a constaté que des différences tout à fait insignifiantes, portant seulement sur le temps que l’agglutination mettait à se former. MM. Achard et Bensaude disent n’avoir observé avec divers échantillons que des différences légères. M. Van de Velde dit avoir constaté des différences apprécia- bles dans la sensibilité à la réaction agglutinante de divers échantillons de bacille de la fièvre typhoïde. M. Kolle*, qui n’a pratiqué le sérodiagnostic que dans deux cas, a cru pouvoir appliquer aux bacilles typhiques les constatations faites par M. Pfeiffer et par lui-même sur les vibrions cholériques. Il a soutenu que des bacilles atténués par une longue végétation sur un milieu nutritif artificiel étaient beaucoup plus influençables par un sérum typhique que les bacilles virulents. M. Kolle ne s'explique pas sur le degré de cette virulence, toujours si précaire pour les échantillons de bacilles typhiques utilisés dans les laboratoires, qu’en tout cas, on n'aurait guère à s’en préoccuper dans la pratique du séro- diagnostic. 1. Durnam, Journal of pathology and bacteriology. Juillet 1896, p. 35. 2. Kozce, Deutsche medicinische Wochenschrift, 1896, p. 152. 384 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. MM. W. Johnston et Taggart aboutissent à une conclusion opposée. Pour eux,les microbes entretenus dans leur vitalité par une transplantation quotidienne de milieux en milieux exposés à la température de 37°, ont une sensibilité beaucoup plus grande à l’action agglatinante que les cultures rarement renouvelées et laissées pendant un mois à la température de la chambre. Aussi ces auteurs, pour éviter des pseudo-réactions, proposent-ils pour la pratique l'emploi de ces cultures atténuées par ce long repos. M. Stern’, qui a comparé ses cultures à plusieurs de nos échantillons, leur a trouvé une sensibilité à peu près égale aux nôtres. Un échantillon envoyé par M. du Mesnil de Rochemont lui a paru plus agglutinable. Depuis le début de nos recherches sur le sérodiagnostic, nous avons de notre côté essayé la sensibilité d'échantillons de provenances les plus diverses. Nous avons essayé vingt-six échantillons européens ou exotiques. Grâce à l’obligeance de M. Dupaquier, de la Nouvelle-Orléans, nous n’avons pu opérer en particulier avec des échantillons de la Louisiane, du Mary- land, du Canada. Nous avons employé des bacilles retirés frai- chement de la rate du vivant ou du cadavre, ou transplantés depuis un temps plus ou moins long dans les laboratoires, ayant séjourné sur milieux solides ou milieux liquides. L'un deux, pendant plusieurs mois, fut transplanté presque quotidienne- ment en bouillon. Un autre, par contre, fut réensemencé après avoir été enfermé pendant cinq ans et demi en culture liquide dans une pipette close, à l'abri de Vair et de la lumière. Nous avons essayé ces divers échantillons avec des sérums doués de pouvoirs agglutinatifs très différents. Dans nos études compa- ratives, nous avons utilisé surtout des sérums de convalescents, doués de pouvoir agglutinatif peu intense, variant entre 1 p. 20 et 1 p. 50. Les mensurations sont ainsi plus aisées et l’on n’a pas besoin d’avoir recours aux dilutions successives. Nous avons non seulement comparé simultanément l’action d’un même sérum sur divers échantillons, mais nous avons comparé encore pendant plusieurs semaines l’action d’une même provision de sérum sur des cultures d’âge différent d’un même échantillon. Après bien des recherches, nous avons constaté à nouveau, 4. STERN, Perl. Xlin. Woch. 1897, ne 11. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 385 comme nous l’avions déjà vu', que, si certains échantiilons sem- blaient se laisser parfois agglutiner un peu plus facilement par divers sérums, cette supériorité d'action d’un échantillon donné n'était pas constante. On peut la voir souvent fléchir suivant le sérum éprouvé. C’est là un point sur lequel nous ne saurions trop insister. Inversement, on rencontre parfois un sérum qui agglutine un peu plus rapidement un échanuüllon qui jusque-là avait paru un peu moins sensible que les voisins. Pour ne prendre qu’un exemple, nous avons, 1l y a quelques mois, recherché, sur le conseil de M. Roux, l’action du sérum de trois typhiques sur des échantillons de bacilles provenant de ces mala- des mêmes. La réaction agglutinante se produisit dans les trois cas; mais, dans deux d’entre eux, la réaction a toujours paru un peu moins intense sur l'échantillon provenant du malade que sur d’autres échantillons d'origines les plus diverses. Jusqu’à présent. nous n'avons jamais observé que de faibles différences. L'écart, lorsqu'il existe, est toujours très minime. Un sérum qui agglutine des échantillons à 1 p. 40, en agglutinera un autre par exception 1 p. 35 ou 1 p. 30. Un sérum normal, qui à { p. » ne donne aucune trace d’agglutination avec divers échantillons, en trouvera par hasard un qu’il impressionnera pour cette proportion. La mensuration du pouvoir agglutinatif, faite suivant les règles que nous indiquerons, nous permet de nous mettre au-dessus de ces nuances. Les vingt-six échantillons que nous possédons dans notre laboratoire, recueillis à des époques différentes et dans des régions diverses, peuvent tous sans distinction servir au séro- diagnostic, et nous ne saurions vraiment donner la préférence à aucun d'entre eux. M. C. Fränkel est arrivé récemment à des conclusions identiques. __ Cette égalité presque complète des divers échantillons de bacilles d'Éberth vis-à-vis de la réaction agglutinante n'est pas un des points les moins intéressants de l’histoire de ce microbe. Elle nous prouve une fois de plus qu'il est peu de germes aussi rigoureusement spécifiques et dont les échantillons soient aussi constamment semblables à eux-mêmes. 4. Wioaz Er Sicarp, Presse médicale, ? décembre 1896. 386 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. LA SPÉCIFICITÉ DE LA RÉACTION AGGLUTINANTE On sait que MM. Gruber et Durham ont proposé d'utiliser l’action in vitro du sérum d’un animal immunisé contre l’infec- tion typhique pour différencier le bacille d'Eberth du coli-bacille. M. Durham a vu qu’un sérum typhique, obtenu expérimentale- ment chez le cobaye, était sans action sur dix échantillons de coli-bacilles. Maïs le bacille d’Eberth est-il le seul microbe agglu- tinable par un sérum typhique? D'autre part, le bacille d'Eberth ne peut-il être agglutiné par un sérum non typhique? Ce sont là autant de questions intéressantes à résoudre, pour poser les règles de la technique à suivre dans la différenciation des microbes d'espèces voisines par les sérums spécifiques et dans la pratique du sérodiagnostic. La première question a été posée par M. Gruber ‘, qui aren- contré par exception un échantillon du bacillus enteritidis de Gærtner qui, faisant fermenter la lactose, était cependant agglu- tiné par un sérum typhique concentré. Mais M. Gruber s’em- presse d’ajouter qu’en selution diluée, ce même sérum avait une différence d'action marquée sur les deux microbes, et plus loin l’auteur ajoute encore en note que dans des cas semblables, si l’on cherche les proportions à employer, on obtiendra peut-être un procédé de différenciation certain. MM. Gilbert et Fournier® ont étudié l’action de sérums typhiques sur le bacille de la psittacose, ou microbe des perruches infectieuses. Ce bacille, découvert par M. Nocard, est doué d’une virulence extrême; il ne fait pas fermenter la lactose, mais ne repousse pas sur cultures grattées de bacilles typhiques : il représente un typeintermédiaire entre le coli-bacille et le bacille d’Eberth. Il se laisse agglutiner par le sérum typhique, mais moins bien que le bacille typhique, comme MM. Gilbert et Fournier l’ont constaté les premiers. MM. Achard et Bensaude ayant pensé pour cette raison que la réaction aggelutinante était une cause d'incertitude pour le diagnostic des deux bacilles, nous avons essayé de fixer les 4. M. GRuger, « Eine neue Methode zur raschen Erkennung des Cholera- vibrio und des Typhusbacillus ». Münchener medicinische Wochenschrift, 31 mars 1896, p. 285. 2. GiserT Er Fournier, Acad, de médecine, 20 oct. 1896. "2 LS ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 387 x règles de technique à employer pour distinguer les deux mi- crobes par laction d’un sérum typhique. Lorsque l’on veut essayer de différencier par la réaction des sérums deux microbes d'espèces voisines, il faut avant tout rechercher méthodiquement s’il est des conditions dans les- quelles un même sérum semble donner pour les deux espèces une réaction agglutinante commune, et s’il est des conditions au contraire où le même sérum présente une action tellement diffé- rente sur les deux microbes qu’elle puisse être exploitée pour le diagnostic bactériologique. Dire qu'un même sérum agglutine ou n’agglutine pas deux microbes d'espèces voisines est pour la pratique une expression incomplète. L'agglutination a ses règles; la proportion de sérum à mélanger au bouillon, le pro- cédé à employer pour mettre en présence le sérum et les mi- crobes à examiner, sont autant de facteurs importants à préciser et variant suivant les microbes à différencier. Si l’on mélange le sérum d'un homme atteint de fièvre typhoïde à une culture jeune en bouillon de bacilles d’Eberth, dans la proportion de 1 pour 10, presque instantanément, comme nous l'avons montré ailleurs, se forment des amas typiques, visibles au microscope. Si l’on mélange dans la même proportion Je même sérum typhique à une culture jeune de bacilles de la psittacose, on voit également se former des amas microbiens. Si l’on regarde de près, on saisit des différences entre les deux modes d’agglutination. Les amas formés avec les microbes de la psittacose sont souvent plus petits, plus resserrés; les éléments en sont moins distincts, les bacilles restés libres sont en géné- ral plus nombreux; mais, ce ne sont là encore parfois que des nuances. Si l’on porte la proportion du mélange à 1 goutte de sérum pour 20, 50 ou 40 gouttes de culture, on voit que les amas for- més par le bacille de la psittacose deviennent de moins en moins nombreux, à mesure que la dilution est plus étendue. Souvent sur une préparation faite avec une dilution, à 1/20, à 1/30 ou à 1/40, on ne trouve plus d’amas, alors qu’une dilution de même proportion faite avec le même sérum et une culture de bacille typhique en montre encore de très nets. On obtient les mêmes résultats alors même que l’on fait usage du sérum d’äâne ou de chèvre, puissamment immunisés. 3388 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ainsi le sérum d’un même typhique, mélangé dans la propor- tion de 1 pour 10 d’une culture en activité de bacille de la psittacose ou de bacille d'Eberth, agglutine les deux microbes, mais différemment, et, par la méthode des dilutions successives, un bactériologiste arrive déjà à les distinguer l’un de l’autre. Si l’on varie le procédé technique et si, au lieu de faire agir le sérum sur des bacilles déjà développés, on le fait agir sur des bacilles naissants, la différence devient éclatante et plus n'est besoin d'appréciation minutieuse pour distinguer les deux microbes. Ajoutons différents sérums typhiques humains ou expérimen- taux à des tubes de bouillon vierge, faits en double, dans la pro- portion de 1 pour 20, 1 pour 40, 1 pour 60, 1 pour 80. Ensemen- çons les uns avec une trace de bacille typhique, les autres avec une trace de baciile de la psittacose, et plaçons-les à l’étuve à 31 degrés. Si nous examinons Ces tubes après quatre à cinq heures, déjà du premier coup d'œil nous distinguons ceux ensemencés avec le bacille de la psittacose, qui présentent un trouble parfait, de ceux ensemencés avec le bacille typhique, qui sont clairs, transparents, et dont le fond est parsemé de flocons blanchâtres. La différence augmentera durant les heures suivantes et sera des plus marquées après quinze à vingt heures. Si l’on examine au microscope une goutte d’un bouillon ainsi ensemencé avec le bacille typhique, on voit, sur la prépa- ration, de gros amas typiques de bacilles d’'Eberth, disposés en ilots d’archipel, séparés par de grands espaces vides où l’on ne voit en général qu'un nombre restreint d'éléments isolés et immobilisés pour la plupart. Si, au contraire, on examine une goutte d'un bouillon ensemencé avec le bacille de la psittacose, l'aspect au microscope est tout autre. On trouve encore quelques amas plus ou moins volumineux; mais ils sont perdus au milieu du grand nombre de bacilles restés isolés et ayant conservé pour la plupart leur mobilité. Ajoutons qu'une culture de psittacose, faite dans les mêmes conditions après addition de sérum d'hommes non atteints de fièvre typhoïde, présente également au microscope les mêmes rares amas microbiens. Fixons à 1 pour 40 ou à 4 pour 60 la proportion d'un sérum typhique humain à ajouter à un bouillon vierge, avant l’ense- ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 389 mencement avec le bacille de la psittacose, et par ce procédé le bacille typhique se distinguera aussi nettement du bacille de la psiltacose qu'il se distingue du coli-bacille. Le sérum normal de certains animaux agglutine partielle- ment le bacille d’'Eberth, ainsi que le coli-bacille et diverses autres bactéries. M. Bordet avait constaté une agglutination légère du bacille d'Eberth avec le sérum de cheval et d’âne normal. Le sérum normal du chien possède souvent la même propriété; celui du lapin la possède parfois également. Des mensurations faites avee du sérum de cheval, d’âne ou de lapin normal, nous ont montré, dans quelques cas, un pouvoir agglutinatif oscillant entre 1 p. 30 et 1 p. 50. Le sérum du cobaye normal n'est pas agglutinatif, comme l'avait déjà vu Gruber. C’est tout à fait par exception que nous l'avons vu produire une agglutination minime et retardée dans la proportion de 1 p. à. Tous les sérums humains typhiques ou non typhiques exer- cent, comme nous l’avons montré ainsi que M. Courmont, une action agglutinante légère et spéciale sur les cultures en bouillon de coli-bacilles, après mélange fait dans la proportion de 1 p. 10. Le sérum normal de l’homme est, en général, dénué de pou- voir agglutinatif pour le bacille d’'Eberth. Il ne se prête que rare- ment à la formation instantanée d’amas véritables, même après dilution dans la proportion de 1 p. 5. Nous n’avons vu qu'excep- tionnellement un sérum normal dilué dans la proportion de 1 p. 10, amener la formation de centres agglutinatifs. Jamais après une demi-heure, les amas n'étaient assez confluents et, condensés pour permettre de poser un sérodiagnostic, en sui- vant les règles que nous avons formulées. La réaction agglutinante acquise n'est-elle, suivant l’hypo- thèse de C. Fränkel:, que l’exagération de cette réaction aggluti- nante légère exercée normalement par certains sérums sur diverses bactéries ? Ces deux réactions naturelles et acquises sont-elles au contraire de nature complètement différente? Ce sont là des questions que nos expériences ne nous ont pas permis encore de résoudre, Nous avons vu, tout à l'heure, qu’un sérum typhique impres- sionnait différemment le bacille d’Eberth ou le bacille de la 1. C. FRAENKEL, Ueber das Werth der Widal'schen Probe, Deutsche med. Woch, 4897, n° 3. 390 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. psittacose développé en sa présence. Ce fait nous a fourni un procédé de différenciation des plus tranchés pour le diagnostic des deux microbes, et loin de toucher à la spécificité de la réac- tion agglutinante, il semble être pour elle un argument nouveau. Il suffit de s'entendre sur le sens du mot. Lorsque, sous l'influence d’une infection, le sérum d’un animal devient agglutinant pour le microbe infectant, cette action agglutinante ainsi acquise, ou exagérée, si elle man- quait à ce sérum quelques jours auparavant, est spécifique pour ce microbe, dans l’acception rigoureuse du mot, comme est spécifique l’immunité acquise. Le microbe inoculé a impres- sionné de telle façon le sérum de l’animal injecté que ce sérum, mis en présence d’un microbe de même espèce, reconnaît ce microbe et témoigne de sa spécificité par la réaction aggluti- tinante. Par contre, il reste en général sans action sur les microbes d'espèce éloignée. | Bien plus, le sérum est tellement marqué au sceau du microbe infectant. que mis en présence d'espèces voisines, appar- tenant au même groupe familial, il trahit leur communauté de race par une réaction agglutinante qui semble parfois presque proportionnelle à leur degré de parenté. Si, dans un autre ordre d'idées, passant de la théorie à la pra- tique, le bactériologiste, pour les besoins de la technique, cherche à employer la réaction agglutinante d’un sérum spéei- fique pour le diagnostic microbiologique, il doit savoir que l’action agglutinante de ce sérum n’est pas rigoureusement limitée au microbe infectant, qu’elle peut s’exercer, mais à des degrés différents, sur les espèces voisines. Son rôle n’est donc pas de rechercher seulement les conditions dans lesquelles un même sérum agglutine d’une façon à peu près identique deux microbes d'espèces voisines, mais surtout de rechercher les con- ditions dans lesquelles l’agglutination diffère et peut fournir un procédé de diagnostic. ÉPOQUE D’'APPARITION ET DE DISPARITION DE LA RÉACTION AGGLUTINANTE CHEZ L'HOMME Les faits jusqu'ici publiés nous montrent qu'on peut, dans un grand nombre de cas, compter sur la réaction agglutinante, ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 391 à partir du septième jour de la maladie. Le phénomène peut par- fois apparaître plus tard, mais souvent par contre il peut être décelé beaucoup plus tôt. Dans six cas, nous l’avons constaté dès le cinquième jour; M. Thiroloix, M. Catrin ont noté la réaction au quatrième jour. M. Chantemesse, MM. Villiès et Battle, M. Lyman-Creene, MM. Achard et Bensaude l’ont observé au quatrième et au troisième jour; M. Zabolotny du troisième au cinquième jour; MM. Johnston et Taggart au deuxième jour ; M. C. Fränkel l’a enfin constatée chez un malade atteint de forte fièvre depuis deux jours seulement. Chez certains sujets, la réaction agglutinante peut s’observer plus tardivement. Chez deux malades, nous ne l’avons obtenue qu'au huitième jour; chez un autre au dixième jour; chez un autre au vingt-deuxième jour. M. Stern a obtenu un résultat négatif à la fin de la deuxième semaine, et positif à un examen répété deux jours après. M. Kolle, dans un cas, n'a trouvé la réaction qu’au seizième jour et dans un autre cas au dix-septième _jour; M. Pick, chez un malade, ne l’a constaté qu'au trente- quatrième jour. M. Breuer dans un cas, MM. Thoinot et Cavasse dans un autre, ne l’ont trouvée qu'au cours d’une rechute; M. Achard dans un cas ne l’a constatée que dans les premiers jours de la conva- lescence, etc. C’est en raison de cette possibilité d’une réaction retardée que l’un de nous, au Congrès de Nancy, disait déjà qu'un résultat négalif, obtenu avec le sérum d’un malade suspect, ne fournit qu'une probabilité contre le diagnostic de fièvre typhoïde, et ajoutait que la probabilité est d'autant plus grande que l'examen est pratiqué à une époque plus avancée de la maladie. La précocité de la réaction n’est pas en rapport avec l'intensité de l'infection. M. Chantemesse rappelait récemment encore que ce n’est pas dans les cas les plus graves qu'elle se manifestait le plus tôt, et il rapportait l'histoire d’un enfant de quinze ans, dont le sérum agglutinait déjà au troisième jour de l'infection, et dont la maladie fut pourtant bénigne. Lorsqu'on inocule des cobayes dans le tissu cellulaire avec 1 c. c. d'une culture en bouillon de bacilles d'Eberth, âgée de 24 heures, on voit, en général, la réaction apparaître après trois 392 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. jours, comme l'ont signalé MM. Achard et Bensaude; mais dans certains cas, sans qu’on puisse en saisir la raison, elle est retardée, et il nous est arrivé de ne pas encore la trouver au cinquième jour. Dans un cas, 60 heures après l’inoculation, le pouvoir aggelu- tinant était, au moment de son apparition, de 1 pour 15 ; DE il s'est élevé progressivement à 1 pour 500. Si on injecte une culture tuée par une exposition de trois quarts d'heure à 60 degrés, il faut double dose et cinq jours d'attente en général pour que la réaction apparaisse. Lorsqu'on injecte des cultures stérilisées par l’ébullition, il faut attendre plus longtemps et inoculer parfois des doses de 10 et 12 ce. c. pour voir apparaître le phénomène. On observe d'ailleurs dans sa date d'apparition des variations quelquefois considérables, suivant l'animal inoculé. En injectant à un cobaye, par doses fractionnées, une culture stérilisée à la bougie de porcelaine, mais n’ayant pas subi l’ac- tion de la chaleur, il nous a fallu attendre l’inoculation succes- sive de 8 c. c., pour voir apparaître la réaction après huit jours . M. Chantemesse? a vu apparaître, chez un mouton, la réaction agglutinante cinq jours après l'injection d’une petite quantité de toxine soluble dans les veines. En inoculant dans le tissu cellulaire d’un cobaye de 410 grammes, et dans le péritoine d’un cobaye de 415 grammes, dix gouttes du sérum d’un âne, dont le pouvoir agglutinatif était de 1 pour 30,000, nous avons vu apparaître la réaction dans le sérum au bout d'une demi heure. Le pouvoir agglu- tinalif était alors de 1 pour 10. Ce pouvoir, mesuré de 2 heures en 2 heures, atteignit son maximum au bout de 10 heures. Il était pour le premier cobaye, à ce moment, de ! pour 180, et pour le second, de 1 pour 250. Ce pouvoir, mesuré les jours suivants, s’abaissa rapidement à 1 pour 80, 1 pour 50, 1 pour 10, et dix jours après l’inoculation, le sérum n'était plus aggluti- natif. M. Bordet, injectant à un cobaye de 360 grammes 1 c. c. de sérum cholérique préventif bien actif, avait déjà trouvé que le sérum de cet animal, 24 heures après l’inoculation, agglutinait 1.F. Wina, Bulletin de la Société médicale des Hôpitaux, 16 octobre 1896, p.703. 2. CHANTEMESSE, Bulletin de la Société médicale des Hôpitaux, 2 avril 1897. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 393 déjà le bacille cholérique. Le sérum de l’animal à cette date était toutefois moins actif que le choléra-sérum injecté la veille. M. Bordet, évaluant à 30 c. c. la quantité de sang du cobaye en expérience, conclut que les choses se sont passées comme si l’on avail simplement dilué 1 c. c. de sérum dans 30 c. c. d’un liquide. Si l'on songe que l’agglutination acquise par les cobayes après inoculation du bacille d'Eberth peut persister pendant de longs mois, comme l’a montré M. Gruber et comme nous avons pu le constater ensuite sur le lapin:, on voit que nos expériences montrent toute la différence qui sépare l'agglutination passive- ment acquise de l’agglutination activement acquise par injection de cultures microbiennes. Il en est de l’agglutination passive comme de l’immunité passive : elle s’installe vite, mais ne tient pas. Des expériences, que nous poursuivons, nous ont montré qu'on pouvait obtenir, chez un même animal, un sérum doué de propriétés agglutinatives à la fois pour le bacille typhique et pour le vibrion cholérique. Cette superposition de double réaction peut s’obtenir soit par injection simultanée d’un mélange de culture typhique et cholérique, soit par inoculations successives de ces cultures. L'inoculation de la seconde culture peut être faite alors mème que le sérum de l'animal en expé- rience a déjà acquis la réaction agglutinante vis-à-vis de la première. Nous avons pu constater ces faits pour quatre espèces de vibrions cholériques : Paris 1884, Prusse orientale, Cons- tantinople, Massaouah. Des recherches sur la puissance agglu- tinative d'un même sérum vis-à-vis des deux microbes, nous ont montré déjà que la réaction typhique était plus précoce et plus intense que la réaction cholérique. Nous donnerons ultérieurement le rapport exact de ces deux réactions super- posées. On peut, par inoculations répétées, obtenir chez un animal un pouvoir agglutinatif très intense. Un âne que nous avons inoculé ainsi depuis neuf mois, possède actuellement un pou- voir agglutinatif de { pour 43,000. 4. Un lapin inoculé au mois de juillet 1896 avec 1 ce. c. de culture typhique, possédait encore la réaction au mois de janvier 1897, c’est-à-dire après six mois, mais l’avait complètement perdue après neuf mois. 394 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Dans les premières semaines ou dans les premiers mois de la convalescence, la réaction agglutinante, chez l'homme, s'atté- nue le plus souvent et dans quelques cas disparaît même com- plètement. Nous avons rapporté dans un mémoire précédent* que, chez deux malades, nous avions pu assister à la disparition complète du phénomène ; l’un était au dix-huitième, l’autre au vingt-qua- trième jour de la défervescence. Les courbes de mensuration données au chapitre suivant nous montrent, dans plusieurs observations minutieusement suivies, la marche stationnaire de la réaction durant les pre- miers mois de la convalescence. Dans les autres observations, nous assistons, au contraire, au décroissement progressif du pou- voir agglutinatif. M. Lemoine, M. Achard et Bensaude, dans un cas de fièvre typhoïde de courte durée, n’ont plus obtenu de réaction dix jours après le début de l’apyrexie. Breuer a confirmé nos résultats et a vu chez deux malades le pouvoir agglutinatif disparaître au dix-septième jour et au vingt-cinquième jour de laconvalescence. MM. Thiercelin et Lenoble n’ont plus retrouvé la réaction vingt jours après la fin d'unerechute.M. Courmont asuivichez unenfant la disparition progressive de la séroréaction, disparition qui était complète au bout de deux mois. Chez trois enfants qui avaient été soignés pour des fièvres typhoïdes légères, M. C. Frankel n’a pas trouvé de réaction après quelques jours de convalescence. Chez un malade, Eug. Fraenkel* n’a pu constater le phéno- mène après vingt-huit jours d’apyrexie. La possibilité de cette disparition rapide nous prouve une fois de plus que la réaction agglutinante est bien avant tout une réaction de la période d'infection. La persistance très fréquente du phénomène pendant les pre- miers mois qui suivent la défervescence, permet, dans quelques cas, la possibilité d’un diagnostic rétrospectif. Chez deux malades du D' Blanquinque * (de Laon), l'examen 1. WipaL ET SicarD, echerche sur les propritétés agglutinatives et bactéricides du sérum des convalescents de fièvre typhoïde. (Acad. de méd., 29 sept. 1896.) 2. Euc. Fraëxkez, Zur Widal’schen serumreaction. Munchener medic. Woehens- chrift, 4897, n° 5. 3. BLANQUINQUE, Académie de médecine, 26 janvier 1896, et Gazette hebdoma- daire de Médecine et de Chirurgie, 4 février 1897, p. 109. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 395 du sérum fait pendant la convalescence permit seul d'affirmer que ces sujets avaient été atteints de fièvre typhoïde et non de psittacose, comme on l'avait supposé. M. Paul Courmont, chez un malade atteint de névrites mul- tiples, à la suite d’une prétendue dysenterie, dont il était con- valescent depuis un mois et demi, a pu, grâce à la séroréaction, établir que ce malade était en réalité convalescent de fièvre typhoïde. M. Achard a montré récemment comment la séroréaction lui a permis dans un cas de reconnaître l’origine typhique d’une ostéomyélite, chez un malade guéri de son infection aiguë depuis un an. Depuis nos premiers travaux sur le sérodiagnostic, nous avons à diverses reprises recherché la réaction agglutinante chez des sujets guéris de la fièvre typhoïde. Notre dernière sta- tistique portait sur vingt-deux sujets guéris de la fièvre typhoïde depuis un an au moins et vingt-six ans au plus. Chez trois d’entre eux seulement, guéris l'un depuis trois ans, l’autre depuis sept ans, l’autre enfin depuis neuf ans, nous avons obtenu une réaction instantanée et des plus marquées, après mélange d’une goutte de sérum pour dix de culture. Tous trois avaient souffert d’une fièvre typhoïde grave prolongée et à rechute. Le sérum de celui guéri depuis sept ans (l’un de nous) agglutinait encore fortement les bacilles à l’état naissant dans la proportion de une goutte pour 450 de bouillon. Chez trois per- sonnes guéries depuis dix-huit mois, deux ans et trois ans, les deux premières d’une fièvre typhoïde de gravité moyenne, la troisième d’une fièvre typhoïde grave et prolongée, nous avons constaté encore une réaction légère. Notre statistique actuelle porte sur quarante cas. Dans onze d’entre eux, nous avons trouvé une agglutination forte ou légère. Chez un sujet guéri depuis huit ans, le pouvoir agglutinatif était encore de 1 pour 1,800. II était de 1 pour 30 chez un sujet guéri depuis 26 ans. de 1 pour 40 chez un sujet guéri depuis neuf ans, de 1 pour 30 chez un autre sujet guéri également depuis neuf ans, de 1 pour 10 chez un sujet guéri depuis six ans. Lorsque la réaction agglutinante persiste chez des personnes guéries depuis plusieurs années, son pouvoir, mesuré à quelques jours ou quelques semaines d'intervalle, ne semble pas subir 396 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. d'oscillations semblables à celles que l’on observe pendant l'infection. C’est du moins la conclusion à laquelle nous sommes arrivés après avoir mesuré à plusieurs reprises le pouvoir de deux personnes guéries depuis huit et neuf ans. Ces faits nous montrent avec quels soins il faut, pour éviter une erreur de sérodiagnostic, établir l’anamnèse d’un individu suspect de dothiénentérie dont le sang donne la réaction aggluti- nante. Il ne faut pas seulementrechercher dans les souvenirs des malades ou de leur entourage une fièvre typhoïde avérée, mais aussi la fièvre dite muqueuse et l'embarras gastrique fébrile. Les statistiques de médecins de l’armée, celles de M. Lemoine, de M. Catrin, de MM. Battle et Villès nous ont montré que le sérodiagnostic seul pouvait, dans certains cas, permettre de distinguer la typhoïdette de l'embarras gastrique. Nous avons observé des faits semblables. M. Dupaquier vient de montrer les services rendus par la méthode pour la distincuüon souvent si difficile des fièvres continues de la Louisiane. La réaction agglutinante peut s’observer dans les formes frustes évoluant sans fièvre et sans symptôme de fièvre typhoïde. M. Bondet‘ vient d’en rapporter une observation. Chez sa malade, on avait pensé à la dothiénentérie, parce qu'elle s'était beaucoup fatiguée à soigner ses trois enfants, atteints de fièvre typhoïde; elle n'avait eu qu’un peu de céphalalgie, et quelques symptômes généraux, et n'avait cessé de se surmener. Malgré l’apyrexie complète et l'absence de signes classiques, on fit trois fois le sérodiagnostic, qui fut constamment très positif. En raison des signes stéthoscopiques, on ne crut alors qu’à une péricardite à bacille d’Eberth; au bout de six jours, on permit à la malade de manger ; elle fut prise le soir même de péritonite par perforation. A l’autopsie, on constata des ulcérations intestinales typiques. La liste serait longue à dresser de tous les cas anormaux de fièvre typhoïde, ainsi décelés par le sérodiagnostic. Une infection typhique légère ou anormale peut ne pas avoir été reconnue dans le passé d’un malade présentant des symptômes suspects, et l’on conçoit que, par exception, le sérodiagnostic puisse porter injustement le poids d’une ancienne erreur de diagnostic commise par la clinique. M. C. Frankel et M. Stern ont avec raison insisté également sur ce point, 4. Bonper, Soc. nationale de médecine de Lyon, 15 fév. 1897. "1 ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 397 LA MENSURATION DU POUVOIR AGGLUTINATIF Nous avons montré, dans les chapitres précédents, par quels procédés on peut mettre facilement et rapidement en évidence la réaction agglutinante du sérum de typhiques. Nous avons établi récemment que l’on pouvait faire plus encore que constater la réaction, et que l’on pouvait mesurer la puissance aggluti- native d’un sérum suspect‘. Il était donc naturel de chercher si cette mensuration faite aux diverses périodes de la maladie ne nous permettrait pas de tirer des déductions intéressantes pour la pratique ou pour la théorie. Nous avons, depuis quelques mois, suivi l’observation de trente-trois malades atteints de fièvre typhoïde, et, chaque fois que nous avons pu le faire, nous avons mesuré à diverses reprises le pouvoir agglutinatif de leur sérum pendant la maladie, la rechute ou la convalescence. Avant de relater ces observations et de comparer les chiffres ainsi obtenus, commençons par étudier les règles à suivre pour l'étude du pouvoir agglutinatif. Nous avions d’abord proposé le procédé suivant de mensura- tion. On prépare une série de tubes stériles contenant 1, 2, 3, 4, 5 c. c., etc., de bouillon. On ajoute à chacun d’eux une goutte du sérum à examiner, on ensemence avec une trace de culture, et l’on examine après quelques heures de séjour à l'étuve à 37°. Si le tube contenant 3 c. c. par exemple est clarifié et laisse déposer des amas bacillaires sous forme de flocons ou de gru- meaux, et si celui contenant 4 c. c. est trouble, on peut en conclure que la clarification s'exerce entre 1 pour 60 et 1 pour 80. Chez les typhiques à la période d’état, la limite de clarification du sérum atteint souvent 1 pour 100, et dépasse parfois ce chiffre. Nous avons montré, dans un chapitre précédent, qu'il fallait examiner le tube fréquemment dans les premières heures qui suivent l’ensemencement, pour ne pas manquer dans certains cas d'observer la clarification. Nous avons montré également que la limite de clarification était loin de correspondre à la limite du pouvoir agglutinatif. Si 1. Wipaz ET Sicarp, Acad. de méd. 29 sept. 1896. — Société de Biologie, 29 fév. 1897, et Presse médicale, 6 mars 1897. 398 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l’on emploie des solutions plus étendues de bouillon et de sérum , on obtient des cultures troubles, boueuses et même moirées, donnant un léger dépôt qui, par agitation, se résout en petites poussières flottant dans le liquide, mais n’arrive pas à se dis- soudre complètement. L'examen microscopique montre encore dans de tels tubes la présence d'amas caractéristiques. Bien plus, l'expérience nous a montré que les bacilles déjà formés dans une culture en bouillon âgée de vingt-quatre ou quarante-huit heures sont un peu plus sensibles à l’action du sérum que les bacilles impressionnés à l’état naissant. Si les chiffres de mensuration obtenus par M. Stern ‘ dans sa première slatistique ont été supérieurs à ceux obtenus par nous, c'est parce que cet auteur faisait agir ses sérums sur des bacilles déjà formés. Les chiffres des deux statistiques n'étaient pas comparables, puisqu'ils avaient été obtenus par des méthodes différentes. Le procédé extemporané, qui avait permis à M. Stern de constater chez un malade un pouvoir agglutinatif de 1 pour 1,000, chez un autre malade un pouvoir de 1 pour 2,000, et qu'avait employé également MM. Shéridan Delépine ? nous ayant paru depuis le plus sensible et le pius rapide pour les mensura- tions, c'est lui que nous avons adopté. Voici la technique que nous proposons : Lorsque l’on étudie pendant plusieurs semaines le pou- voir agglutinatif chez le même malade, on doit autant que pos- sible se servir d’un bouillon de même provenance, réparti à l'avance en différents tubes que l’on ensemence au fur et à mesure des besoins. Il faut de plus, pour chaque examen, employer toujours des cultures ayant passé le même temps à l'étuve à 37°, soit vingt-quatre, soit quarante-huit heures, par exemple. On opère ainsi avec des éléments aussi comparables que possible. On commence par pratiquer Île sérodiagnostic par notre procédé ordinaire, en mélangeant 1 goutte de séru m à 10 gouttes d’une culture jeune; une goutte de ce mélange déposée entre lame et lamelle est examinée au microscope. Ce premier examen sert de guide et permet, avec un peu d’habitude, de voir approximativement si ce pouvoir est faible, moyen ou intense, et peut éviter bien des tâtonnements. 4. R. Srer, Centralblatt für innere Medicin, 1896, no 49. 2, SneriDAN DELÉPINE, On the « serodiagnosis ». The Lancet, 5 décembre et 12 décembre 1896. ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 399 Supposons que le pouvoir agglutinatif nous ait semblé faible ou moyen. Pour le mesurer, nous commencerons par faire deux dilutions du sérum et de la culture jeune, l’une à 1 pour 50, et l’autre à 1 pour 100. Les gouttes mélangées doivent naturellement être aussi égales que possible. Si une préparation microscopique, faite avec le tube con- tenant une solution à 1 pour 50, ne présente, après un quart d’heure ou une demi-heure, aucune tendance à l’agglutination, on fait des dilulions progressives à 1 pour 40, 1 pour 30, 1 pour 20. Si, au contraire, la solution à 4 pour 50 donne des amas au microscope, et si la dilution à 1 pour 100 n’en donne pas, on fait de nouvelles dilutions à 1 pour 60 et à 1 pour 80, pour saisir la limite du pouvoir agglutinatif qui doit se trouver comprise entre 1 pour 50 et 1 pour 100. Si la dilution à 1 pour 100 donne des amas, on fait de nouvelles dilutions à 1 pour 150 et à 1 pour 200, etc., et l’on poursuit jusqu'à ce qu'on ait obtenu une dilution qui ne donne pas de centres agglutinatifs sur une préparation faite depuis deux heures. L’agelutination est facilitée par une sorte d’action physique dans la goutte du mélange, ainsi maintenue entre lame et lamelle. Si le pouvoir agelutinatif est très intense, on a tout avantage à le mesurer en opérant par dilutions successives. Supposens un sérum possédant un pouvoir agglutinatif dépassant 1 pour 1,000; pour le mesurer, on ajoutera d’abord 1 goutte de ce sérum à 99 gouttes de bouillon vierge. Si l’on mélange une goutte de cette dilution à 1/100 à 9, 11, 14 gouttes de culture jeune, et si l’on examine successive- ment au microscope chacun de ces lrois mélanges, on pourra voir si le pouvoir agglutinatif du sérum à l'étude s'exerce entre 4 pour 1,000 et 1 pour 1,500. Aucun appareil spécial n’est nécessaire; l'usage de la pipette graduée de l’hématimètre est mème inutile. Il faut avant tout opérer avec des gouttes de sérum et de culture, aussi égales que possible. On commence par préparer des tubes de verre de 20 à 25 centimètres de longueur ; on les bouche avec de l’ouate à leurs deux extrémités, et on les stéri- lise. On étire ces tubes par leur milieu et on les laisse refroidir. 400 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Lorsqu'on veut mesurer un pouvoir agglutinatif, on brise le milieu de l’effilure de l'un des tubes ainsi préparés, et l’on a deux pipettes jumelles, dont les extrémités sont de calibre sensiblement égal. Quelques gouttes de sang recueillies au bout du doigt suffi- sent pour mesurer le pouvoir agglutinatif; il est inutile de puiser le sang aseptiquement dans la veine. Nous avons vu précédemment qu'un sérum, même impur, pouvait garder presque intégralement pendant plusieurs mois sa propriété agglutinante, et l’on conçoit que, dans la pratique, un sérum puisse être conservé pendant plusieurs jours, sans que son pouvoir agglutinatif soit diminué. L'expérience suivante prouvera avec quelle facilité le sang dont on veut mesurer le pouvoir agglutinatif peut être transmis à distance. Nous avons recueilli le sang de deux typhiques dans des tubes propres mais non stérilisés, et nous en avons mesuré le pouvoir agglutinatif. Ces tubes, fermés ensuite avec des bouchons propres mais non bouillis, ont été envoyés de Paris à Marseille à un de nos confrères qui nous renvoya la boîte à Paris sans l’ouvrir. Ce trajet d’aller et retour ne dura pas moins de cinq jours. Le sérum avait été très fortement coloré après ce long ballottement au contact du caïllot, mais le pouvoir agolutinatif était sensiblement égal à ce qu'il était au départ. Cet exemple nous montre donc qu'un praticien peut envoyer en toute sécurité dans un laboratoire du sang pris au bout du doigt et recueilli dans un tube de verre fermé avec un bouchon de liège propre. Ce sang peut servir non seulement au sérodiagnostic, mais à la mensuration du pouvoir agglutinatif. La limite exacte du pouvoir agglutinatif est parfois assez délicate à fixer. Il faut toujours s’arrèêter au moment où l’on ne trouve plus de centres agglutinatifs assez nets, pour ne laisser aucun doute dans l'esprit. Nous avions proposé de laisser reposer la préparation pendant une ou deux heures. M. Stern a choisi la période de deux heures; nous l’acceptons volon- tiers, mais il est inutile de compliquer la technique en lais- sant cette préparation pendant deux heures à l’étuve à 37, comme le veut cet auteur. Si, à partir du moment où l'on ne constate plus de centres agglutinatifs, on poursuit encore la dilution, on peut encore observer une influence exercée sur ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 401 les bacilles par le sérum. Ces bacilles ont (tendance à se rappro- cher, mais ils ne s’accolent plus; ils ont perdu une partie de leur mobilité, mais le phénomène n'est plus assez net pour ètre enregistré. Ainsi un sérum dont la limite du pouvoir agglu- linatif était de 1 pour 7,000 exerçait encore une influence sur les bacilles à 1 pour 8,000, à 1 pour 9,000 et à 1 pour 10,000, mais n'arrivait plus à les agglutiner; le dernier terme de cette influence était une sorte de sidération des microbes. Nous avons souvent fait la constatalion suivante. Un tube contenant une dilution faible de sérum dans une culture en bouillon est laissé pendant 24 heures à l'étuve, à 37°. Après ce temps, on ne voit pas d’agglutination appréciable à l'œil nu. On place une goutte entre lame et lamelle, et on ne voit que des bacilles mobiles. Au bout de quelques minutes, on commence à voir des centres agglutinatifs et, au bout d’un quart d'heure, d’une demi-heure ou d’une heure, des amas nets se sont formés dans cette préparation. Ainsi, le sérum peut êlre en contact pendant 24 heures à l’étuve à 37° avec des bacilles flottant dans une épaisse couche de liquide sans produire d’agglu- lination, et il suffit de placer une goutte du mélange en mince couche, étalée entre lame et lamelle, pour voir apparaître des agelomérats jusque-là absents. L’agelutination est donc bien facilitée par une sorte d’action physique, au contact de la lame et de la lamelle ; elle est facilitée encore par la dessiccation qui s’opère au niveau des bords de cette lamelle. Si l’on met à la chambre humide la préparation qui vient d’être faite, l’agglutination met beaucoup plus de temps à apparaître ; il suffit de placer, après quelques heures, la prépara- on à l’air libre pour hâter la formation des amas. On comprend donc qu’à l’examen de diverses gouttes du même mélange, on puisse observer des différences dans le temps de l'agglutination, suivant que la goutte interposée entre lame et lamelle est plus ou moins épaisse, suivant que cette lame et cette lamelle s’appliquent plus ou moins exactement, c’est-à-dire sui- vant que l’évaporation est plus ou moins rapide. Si le parallélisme des deux surfaces de verre n’est pas exact, il arrive qu'en certains points de la préparation les bacilles paraissent plus rares, moins mobiles. Si l’on cherche ce que sont devenus les autres microbes, on les retrouve en parcourant la 26 402 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. préparation sur d'autres points, surtout au niveau des bords de la lamelle ou autour des bulles d'air s’il en existe. C'est également en ces points que l’on retrouve parfois le plus d’amas. Lorsqu'on examine une goutte pendante en lame creuse, on est à l'abri des variations dues à la dessiccation, mais c’est encore sur les bords de la goutte que l'on voit d’abord les amas se grouper, là où les microbes entrent en contact plus étroit avec la lamelle. La préparation d’une série de lames creuses rend plus longue et plus compliquée la mensuration du pouvoir agglu- tinatif. Les faits que nous venons de rapporter nous expliquent pour- quoi deux gouttes puisées dans le même mélange de culture et de sérum, et placées chacune séparément entre lame et lamelle, peuvent parfois présenter de légères différences dans le temps de l'agglutination et dans l’ordination des amas. Si l'on n'était prévenu, on pourrait croire, dans certains cas, que les prépara- tions ont été faites avec des mélanges différenis. Sur des pré- parations au repos depuis deux heures, ces écarts deviennent presque insensibles. Ces faits nous enseignent enfin que, dans la mensuration du pouvoir agglutinalif, comme dans la pratique du sérodiaguoslic, il ne faut pas se perdre dans l'appréciation des nuances; on ne doit jamais rester sur une hésitation; il ne faut jamais s'arrêter, au contraire, qu'à la constatation de phénomènes assez nets et assez calégoriques pour ne prêler à aucun doute dans leur apprécialion. | Les règles de technique étant posées, voyons les enseigne- ments fournis par l’étude comparée du pouvoir agglutinatif chez les typhiques. Ce pouvoir présente des variations très grandes suivant les sujets, et suivant les périodes de la maladie où on le recherche. Nos observations peuvent être classées en cinq séries distinctes, suivant que le pouvoir agglutinatif a été très faible, c’est-à-dire inférieur à 1 p. 100 ; faible, c'est-à-dire oscillant entre 1 p. 100 et 4 p.200; moyen, c’est-à-dire oscillant entre 1 p. 200 et 1 p. 500; intense, c'est-à-dire oscillant entre 1 p. 500 et # p. 2,000; très intense, dépassant 1 p. 2,000. Éludions ces observations ainsi groupées, en mettant le ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 408 résumé de l'histoire clinique en regard de l'intensité du pou- voir agglutinalif !. LE — Cas À POUVOIR AGGLUTINATIF TRÈS FAIBLE, INFÉRIEUR A À Pour 100. Oss. I. — Fièvre typhoïde légère, sans symptômes de gra- vité, ni phénomènes d'intoxication. Défervescence complète le 23° jour. Pouvoir agglutinatif faible. Mesures du pouvoir agglutinatif. en Pmme a mAlAQiB ET A. LU ne dore res l pour 30 aProueTelan older Ne Pete MAnrecersreu 1 — 40 4e jour de la défervescence ( 26e jour de la maladie), 4 — 40 atjOouR, de da ;défeBYeSCANCE: 2, deu rue 26 rue 4 — 2 Os. IL. — Fièvre typhoïde très bénigne, du type abortif. Quinze jours de durée. Le pouvoir agglutinatif mesuré seule- ment pendant la convalescence était très faible. Mesures du pouvoir agglutinatif. ous de lapypexte se Li SR LE Rec ee ae Pot 1 pour 80 AT QUur de PAYNE eue ve cher end evoe 1 — 20 Oss. IL. — Fièvre typhoïde légère, sans aucun symptôme de gravité, chez une femme enceinte. La grossesse continue son évolution. Un érysipèle survient le 25° jour de la maladie, au moment où la température était en décroissance. La malade envoyée à ce moment à l'hôpital des contagieux est perdue de vue. Le pouvoir agglutinatif s’est montré léger, et n’a pas été modifié par l'apparition d'un érysipèle. Mesures du pouvoir agglutinatif. Mirourderidiualadie #25" ...n........,:15207008 . { pour 80 AD Te I RARE... ue... 2,00 4 — 60 25e jour de la maladie (4er jour de l’érysipèle)........ 4 — 50 29e jour de la maladie (5e jour de l’érysipèle)........ 4 — 50 4. Un certain nombre de ces observations ont déjà été publiées le 6 mars 1897 dans la Presse médicale; mais beaucoup d’entre elles ont été complétées par l'étude du pouvoir agglutinatif poursuivie pendant la convalescence, 40% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Os. IV. — Fièvre typhoïde très grave, de longue durée, chez une jeune femme de 24 ans. Phénomènes d'intoxication pro- GE |65 Si e Le] js Fa: A 33134135 371388139140 41/42/43 |46 145146 |47148189150151/5215315#)155156|57|58|59 |60 [61 (62 |G d'une forme kO° 392 35° 812 grave, toxique et Observation IV. fonde, otite suppurée, ter- minaison par La mort. Cette femme, à l'entrée à l'hôpital, était au 33° jour de sa maladie. La tempéra- ture, au dire de sa famille, serait déjà tombée quelques jours avant l'entrée à l’'hô- pital, puis serait remontée brusquement. Mort le 65° jour. Tout l'intérêt de cette observalion est dans la courbe du pouvoir agglu- ünauf, comme le démontre le tracé ci-joint. A l'entrée de la malade, malgré l'in- tensité et la longue durée de l’intoxicalion, le pouvoir agglutinalif est faible et seulement de 1 pour 50. Malgré la continualion de l'infection, ce pouvoir va diminuer jusqu à 1 pour 10 et 1 pour ÿ, oscillant entre ces deux chiffres d’un jour à l’autre pendant 3 semai- nes, et va s’abaisser à tel point que, certains jours, 1l faut laisser reposer la pré- paration, pendant une ou deux heures, après mélange à 1 pour 5, pour assister à la formalion des amas. Cette observalion nous montre donc, au cours prolongée, un pouvoir agglu- ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC. 405 tinatif faible, diminuant à mesure que l'infection progresse, el variable d'un jour à l’autre. IE. — Cas À POUVOIR AGGLUTINATIF FAIBLE, DE À pour 100 À 1 pour 200 Nous commençons par donner trois observations dans les- quelles le pouvoir agglutinatif n’a pu être mesuré que pendant la rechute. Oss. V. — Fièvre typhoïde, de moyenne intensité, chez un jeune homme de 24 ans. Première attaque de 28 jours de durée. Après 11 jours d'apyrexie, rechute de 42 jours de durée. Abcès sous-cutanés multiples, pendant toute cette rechute. Le pus ne contient que des staphylocoques dorés. Taux du pouvoir agglutinatif. mesuré seulement pendant la rechute. HOUR latrechulemee ne ER ES -cltpourdo sUwoundeld rechute. ea SR DL ADO de LA FECRUTE re ere eee riamen is L — 60 He jour de’l'apyréxie définies ire 1 — 259 En résumé, après celte longue période d'infection (80 jours), le pouvoir agglutinatif du sérum de ce malade était faible, et, durant la rechute, il était tombé de 1 pour 150 à 1 pour 50, malgré la persistance de la fièvre; puis il est remonté à la fin de la maladie. Oss. VI. — Fièvre typhoïde, de moyenne intensité. Évolu- tion en 37 jours, sans phénomènes d'intoxication et sans complications. Rechute tardive, de 5 jours de durée, survenue après 30 jours d’apyrexie. Le pouvoir agglutinatif, mesuré seulement pendant la rechute, n'était que moyennement élevé. : Mesures du pouvoir agglutinatf. ler jour de la rechute (69e jour de la maladie)...... { pour 180 5° jour de la rechute (73e jour de la maladie)...... { — 200 12% jour de la rechute (80e jour de la maladie)...... 1 — 120 Os. VIT. — Fièvre typhoïde, chez un jeune homme. La première attaque, de moyenne intensité, caractérisée surtout par une céphalée intense, dure 32 jours. 26 jours d'apyrexie. Rechute de 26 jours de durée. Pas de délire, pas d’abattement, 406 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ni stupeur; le malade conserve toute sa connaissance, comme pendant la première attaque. La température s'élève pendant plusieurs jours à 40°. Le pouvoir agglutinatif, mesuré seule- SA 2 AA AAAPEE RTE / agglulral. 180 9. ‘ 40° rQ S Q Se ue & N èe SES S S 9 à & æ S Cr ES IS SS TT Ga CS i Jo“ jour de défervescerce KI] È 18" jour de défervescence \Îs LE “your de defervescerce SR] $ Observat on VIII. ment pendant l'infection, est peu intense, surtout eu égard au temps qu'a duré cette infection. Mesures du pouvoir agglutinatif. ÿe jour de la rechute (62e jour du début):........... 1 pour 100 10e jour de la rechute (67e jour du début).......:..:. 4 — 100 16e jour de la rechute (73e jour du début)............ 1 — ‘80 26e jour de la rechute (83e jour du début)............ L — 150 Jours de SSSR NRRRRN-SARANRRRR él lé go nn ÉERETER EE BÉRARET HE RH he , BE Sins aies f\ ÿ ui LACZ NCA HE A ON En {| 7 | 1) À LT TEA ie HE | MORE la rraladi Pouvoir: PA RaIE É 50 S] [TT] CHETITN E SNS NS Observation. X. premiers jours de la convalescence; il était tombé à 1 pour 5 le 40° jour et disparut le 52° jour de la défervescence. 408 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR Oss. XI. — Fièvre typhoïde de moyenne intensité chez un homme de 34 ans. Mort le 12° jour de la défervescence par sup- puration rénale à bacilles d'Eberth et à coli-bacille. cpsqu Nsfie pie Ts [io [eo] eu fee fes [eu fes [2e [27128 /20 0 EE ss RER: Eu En 2 2 el A IE M CEE [ae] ejemietete| a] [17 fra == — EE = EE rie Ériee mel pensez AT SBSÈSE my res TETE CLIS TIR AR | COR Le C8 ER ES Rd eee] EEE Observation XI Le pouvoir agglutinatif, qui était relativement peu élevé, 4 pour 200 dans les derniers jours de la période fébrile, était tombé à 1 pour 150 la veille de la mort. Remarquons que l’ensemencement du pus méningé nous a donné des cultures de bacilles se décolorant par le Gram. L’en- semencement en bouillon lactosé en déterminait la fermentation, mais l’action d’un sérum typhique provoquait une agglutination CODDOOUODNNNN at bel | | | 1] | [es Observation XII, des plus nettes. Sans la réaction agglutinante, on n'aurait vu sans doute que le coli-bacille ne le pus de celte localisation méningée, où le bacille d'Eberth aurail passé inaperçu. Le ÉTUDE SUR LE SÉRODIAGNOSTIC 409 bacille a’Eberth fut retrouvé à l’état de pureté dans la rate. O8s. XIT. — Fièvre typhoïde hypertoxique chez une femme alcoolique de trente ans. Hémorragies inteslinales. Mort en adynamie le 20° jour, sans complication. Malgré la recrudes- La Observation XIV, cence des phénomènes d'intoxication, le pouvoir agglutinatif qui, le 9% jour, était de 1 pour 200, tombe à 1 pour 60 le 18° jour et reste à ce taux le 20° jour, quelques heures avant la mort. C’est là le point intéressant de cette observation, LATE EEE EEE EEE LUE agp te LÉELELECLLL EL CET een = ÉÉLLERECELLEE. FE == MARSSSUSR See po ER EE A ARR BDD BB A EU EE EHARÉRRARRCARE RE d RENTE RE ANS EE Ses 1 NA mu Se = HAS AIS 2 ÉRREREEEERERE EEE HS EEE SA = mn EE RS VIS ÉRtœRE DE CHE Va En ÉRÉÉÉERSEE sl FÉES he Eee 37° E2=S ses ? En S IS Sn FFE PURINS BRDRE HSE J6° HE HS [8 1$] Observation XV, Os. XIII. — Fièvre typhoïde, légère, abortive, chez une jeune fille. La fièvre n'avait duré que quelques jours. Le pou- voir agglutinatif du sérum, mesuré une fois seulement pendant la convalescence, était de 1 pour 200. 410 ‘ ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ET nee el IL, — Cas 4 Pouvoir AGGLu- ME DER T D ol ee TINATIF MOYEN, DE À p. 200 Are POU0PS RAT TP INOL ir ZI À 1 P. 500. Os. XIV. — Fièvre ty- phoïde de moyenne inten- sité, mais d'assez longue durée, sept semaines envi- ron, évoluant chez une femme de 25 ans, sans grands phénomènes d’in- toxication. Symptômes clas- siques el complets dès le début. Hémorragies intes- linales répétées, mais peu abondantes, au cours du OT troisième septénaire. Vers le 15° jour de la maladie, apparition de crises très Es +18 DOUDOSOATON(] 9p An OL xt 9 al$ o < | Re ji jui } +—| 28129130|31132133134%135136137138139|40| 41142148 |Lh|4S154 |GI 6% 1 5 = al ? L4 - douloureuses, localisées aux 2 L r . RunnI £ membres inférieurs, avec ss [4 CTI ? troubles vaso-moteurset an- (Le) LL je © . , . . “ ARE goisse précordiale, crises 1A + r si | s’atténuant et dans leur |fré- # oi UT quence et dans leur inten- Bus sité, pour disparaître vers le 30° jour. La courbe ther- mique n'a jamais été très (telle 1 élevée; la défervescence, I lente et progressive, est complète au 43° jour de la maladie, et la convalescence est complètement assurée le 47° jour. Le pouvoir agglutinatif, qui était de 1 p. 250 le 9° HRARCATE jour,s’estabaissé lentement, 8 mais progressivement. pen- dant le cours de la maladie. autres jours à la température ambiante. Les bourrelets des diverses colo- nies se sont augmentés à la surface jusqu’au point de se confondre, tout en diminuant leur épaisseur respective. PLANCHE X Préparations microscopiques du bac. ictéroide. Fig. 4. — Culture de 24 heures en bouillon-lactose 2 0/0. Fig. 2. — Culture de 24 heures sur gélose. Fig. 3. — Culture de 24 heures en bouillon de viande peptonisée. Fig. 4. — La même culture après 19 jours (formes d'involution). Fig. 5. — Exsudation péritonéale d’un cobaye mort par infection géné- rale, 6 jours après l'injection péritonéale d'une bouillon-culture, Fig. 6. — Cils vibratils du bac ictéroide (culture sur gélose; coloration par la méthode Nicolle-Morax). PLANCHE XI Colonies typiques, originaies du bacille ictéroide, développées sur cultures en plaques de gélatine. Fig. 1 à 7. — Colonies typiques, normales, développées à la température de 480 — 200 C. Fig. 8, 40. — Variétés jeunes, quelque peu atypiques, mais fréquentes, des mêmes colonies. Fig. 11. — Variété adulte très fréquente. Fig. 12. — Variété réniforme à l’état adulte. Fig. 13 à 16. — Diverses colonies restées stationnaires à différentes pha- ses de développement. Pléomorphisme présenté par 3 variées du bac. coli communis. A. 1re variété de colibacille isolée sur gélatine, du contenu intestinal d'un sujet mort de fièvre jaune (culture de 48 heures). Fig. « : Aspect des colonies de 48 heures, provenant de la même variété À et développées sur deux plaques différentes (1 et II), ensemencées en même temps. Fig. b: Aspect des colonies de 5 jours, id., sur les mêmes plaques. Fig. c: Aspect des colonies de 15 jours, td., id. SUR LA FIÈVRE JAUNE. 513 B. 2e variété de colibacille isolée comme ci-dessus (cultures de 48 heures). Fig. a: Aspect des colonies de 48 heures, provenant de la même variété B el développées sur deux plaques différentes (I et Il), ensemencées en mème temps. Fig. b : Aspect des colonies de 5 jours, #d., dans les mêmes plaques. Fig. c : Aspect des colonies de 15 jours, id., td. C. 3e variété de colibacille isolée comme ci-dessus (culture de 48 heures). Fig. a: Aspect des colonies de 48 heures, provenant de la même variété C, et développées sur deux plaques différentes (I et Il) ensemencées en même temps. Fig. b: Aspect des colonies de 5 jours, id., dans les mêmes plaques. Fig. c : Aspect des colonies de 15 jours, #d., td. PLANCHE XII Coloration des bacilles ictéroides dans les tissus humains. (Viscères de l'obs. IT.) Fig. 4. — Foie humain exposé pendant 12 heures dans l'étuve à 370 et coloré par la méthode Nicolle (500 diam. Zeiss, Oc. comp. 4, Obj.2,0mm.) Fig. 2. — La même préparation observée à 1,000 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 8, Obj. 2,0mm.) Fig. 3. — La même préparation observée à 2,250 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 18, Obj. 2,0mm.) Fig. 4. — Rein humain à 1,200 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 12, Obj.2,5mm,) Fig. 5. — Rate humaine à 800 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 8, Obj. 2,5mm.) PLANCHE XIII Coloration des bacilles ictéroides dans les tissus de lapins. Fig. 1. — Foie d'un lapin mort en cinq jours par injection sous-cutanée. Coloration avec la méthode Nicolle, à 750 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 6, Obj. 2,0mm,) Fig. 2. — La même préparation, à 1,800 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 18, Obj. 2,5mm ) Fig. 3.— Rate du même lapin, à 1,000 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 8, Obj. 2,0mm.) Fig. 4. — Rein du même lapin, à 750 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 6, Ob)j, ap. 3,Onn ,) Fig. 5, 6, 7. — Cellules pleines de bacilles ictéroïdes, rencontrées dans l'exsudalion péritonéale d’un cobaye mort après 5 jours, à la suite d'une injection sous-cutanée. L'exsudation ne contenait aucun microbe libre. Fig. 8. — Préparation en strie de la pulpe splénique d'un lapin mort en 45 heures, à la suite d’une injection endoveineuse, Ce genre de préparation, surtout si elles sont colorées avec le violet de 9 o 514 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. gentiane, se prête parfaitement pour la démonstration des espaces clairs dans les microbes développés dans l'organisme animal. Fig. 9. — Culture de 24 heures en bouillon lactosé, pratiquée directe- ment avec le sang d'un malade de fièvre jaune (Obs. Il), où le bac. ictéroide se trouvait à l’état de pureté. Tous les microbes présentent des formes d’involution très précises. PLANCHE XIV Altérations, dégénérations produites par le bacille ictéroïde dans les divers tissus. (Fixation dans le liquide de Flemming, coloration à la safranine, décolo- ration à l’acide picrique.) ! Fig. 1. — Foie humain (observ. II) à 750 diamètres. (Zeiss, Oc. e. 12, Obj. a 4,0mm.) Fig. 2.— Foie d'un lapin, mort après 5 jours, à la suite d’une injection sous-cutanée, à 750 diamètres. (Zeiss, Oc. e. 12, Obj. a. 4,0mm.) Fig. 3. — Foie de chien, mort par infection intraveineuse, à 175 dia- mètres. (Koritska, Oc. 3, Obj. 5.) Fig. 4. — La mème préparation à 750 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 12, Obj. a. 4,0mm.) Fig. 5. — Rein du même chien à 1,200 diamètres. (Zeiss, Oc. c. 19, Obj. a. 2,5mm.) Fig. 6. — Dégénérescence muqueuse, desquamation épithéliale et grave infiltration hémorragique dans la couche superficielle de la muqueuse gastrique, sur un chien mort après 24 heures, par injection endoveineuse : 1000 diamètres. (Zeiss, Oc. e. 8, Obj. a. 2,0mm.) PLANCHE XV Fig. 1, — Foie complètement dégénéré en graisse appartenant au singe de l’Expérience If, mort après 7 jours de maladie. (Grandeur natlu- relle.) Fig. 2. — Etat de la muqueuse gastrique dans l'infection amarile des chiens (gastrite hématogène). Fig. 3. — Etat de la muqueuse intestinale dans l'infection amarile des chiens (entérite hématogène). EXTRAIT D'UN MÉMOIRE INTITULÉ : RECHERCHES EXPÉRIMENTALES ET ANATOMIQUES SUR LA FIÈVRE JAUNE Par M. ce D' W. HAVELBURG., pe Rio-DE-JANEIRo : .…. L'idée de chercher le germe spécifique de la fièvre jaune dans le contenu de l’estomac et des intestins, s'impose naturelle- ment; ia fièvre jaune commence par des symptômes gastriques ; cet état de l'estomac et des intestins persiste pendant toute la maladie. ; Mais cette étude de la flore stomacale me semblait si difficile que j'ai essayé de la tourner en faisant des ensemencements des organes les pius attaqués, même de ceux qui ne m’avaient rien donné au point de vue anatomique. Les premiers ensemen- cements, sur gélatine, de la substance du foie, du rein, de la rate, des glandes du mésentère, des parois de la vésicale biliaire, du sang, de la bile, sontrestés stériles, surtout dans les premiers cas examinés. Ce n’est qu'en continuant que j'ai vu apparaître à l’état sporadique, tantôt dans un organe, tantôt dans l’autre, et toujours très disséminées, des colonies d’un microbe que j'ai retrouvé aussi, lorsque je me suis mis à étudier le contenu de l’estomac et des intestins, et le fameux vomilo preto qui 1. En même temps que le mémoire précédent, de M. le D: Sanarelli, arrivait aux Annales un autre mémoire sur le même sujet de M. le D: Havelburg. Ce der- nier travail a paru depuis, #r extenso, dans le Berliner klinische Wochensschrift. Nous ne le publions donc pas. Nous en insérons seulement un extrait. Après avoir fait l'anatomie pathologique de la fièvre jaune, M. Havelburg aborde la bactério- logie et expose les faits qu’on trouvera dans le texte. MM. Havelburg et Sanarelli ont envoyé à l’Institut Pasteur des cultures de leurs bacilles, qui, à première vue, semblent différents. On en fait, en ce moment, une comparaison plus attentive. Il faut attendre qu’elle soit terminée, et aussi le complément de preuves qu’annonce M. Sanarelli pour son prochain mémoire, avant de prendre parti dans la question. Nous commençons aujourd’hui la publi- cation des pièces. IN? DAL"R: 916 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. donne à celte maladie son caractère spécial. Je retrouvais ce microbe avec une certaine constance dans tous les cas, et dans les cas graves, il était presque le seul habitant du contenu san- guin de l'estomac. De plus, il se montrait pathogène pour le cobaye. Ce fait m'a donné l’idée de l’isoler par passage sur cet ani- mal, et du premier coup celte tentative m'a donné un bon résultal. À partir de ce moment, mes recherches ont pris une allure toute nouvelle, et une sécurité qui leur avait manqué jusque-là. Avant de les exposer, je parlerai d’une question importante que m'a suggérée M. le D' Roux. En l'absence d’un microorga- nisme dans les organes et dans les liquides, peut-on trouver une substance toxique circulant dans le corps qui puisse produire les manifestations de la maladie ? Après quelques essais infructueux dans diverses directions, j'ai retiré, avec une seringue stérilisée, du sang d’une veine du bras, préparé comme pour une saignée, et j'ai immédiatement injecté ce sang dans la cavité péritonéale d'un cobaye. Des expériences antérieures m'ont appris que ces animaux supportent des quantités relativement grandes de sang humain. 10 c. c. de sang pris chez un individu gravement malade et qui mourut le lendemain, ont produit chez l’animal un état de malaise qui avait disparu le lendemain; une petite élévation de température de 38°,7 à 39°,7 a persisté pendant quelques jours. En 5 jours, l’animal avait perdu 60 grammes de son poids, mais il se rétablit ensuite. Avec un autre malade, également gra- vement atteint, j'ai répété cette expérience avec le mème succès. Ces faits ne parlent pas en faveur d’une efficacité spéciale d’une substance toxique qui existerait dans la fièvre jaune. J’ai alors songé que pour mettre un cobaye pesant 500 grammes dans les mêmes conditions, relativement au sang injecté, que l’est un malade vis-à-vis de son sang, on doit lui injecter, plus ou moins, 35 grammes de sang du malade. J'ai répété mes expériences quand le malade était mourant et j'ai injecté à un cobaye pesant 535 grammes 30 grammes de sang. La température ini- tiale de l'animal était 38°,7 : elle s’éleva jusqu'à 39°,9, se conserva à cette hauteur pendant 2 jours. Le 4° jour, la température tomba à 37°,1 et l'animal mourut. Cette expérience a été répétée SUR LA FIÈVRE JAUNE. 547 avec 4 malades fortement atteints, dont le pronostic était dou- teux. Les cobayes ont résolu la question, non seulement de l'existence d’un poison, mais encore de l'intensité de la maladie, Tous les 4 animaux sont devenus malades : deux d’entre eux sont morts, ainsi que les personnes dont elles ont reçu le sang; les deux autres malades échappèrent ainsi que les cobayes injectés. L'existence d’une substance toxique dans la fièvre jaune est donc hors de doute. L'expérience la plus importante, qui est le point de départ de toutes mes autres recherches est la suivante : Quand on injecte sous la peau d'un cobaye À à 2 c. c. du contenu de l'estomac d'un individu mort de fièvre jaune, l'animal meurt infailhiblement, et nous trouvons dans son sang, en culture pure, le microorganisme que 3e crois pouvoir considérer comme étant spécifique. Ce fait a été vérifié 21 fois dans tous les cas que j'ai examinés en 1896, sans avoir eu aucun résultat négatif. Dans 10 autopsies complètes, le diagnostic de fièvre jaune était incontestable; dans les autres autopsies partielles, j'ai fait l'examen bactériologique du contenu de l'estomac, et en même temps j'ai vérifié macroscopiquement et microscopiquement les altérations propres à la maladie. Deux expériences de contrôle consistant en une injection hypodermique de la même quantité du contenu de l'estomac d'individus morts d’une autre maladie, ont donné un résultat négatif : les cobayes sont restés vivants. Lorsqu'il s’agit de fièvre jaune, le cobaye meurt après l'in- jection, et le résultat est le même que le contenu de lestomac soit sanguin, ou catarrho-bilieux, ce qui m’est arrivé deux fois. La mort survient seulement de 8 à 24 heures après; dans un cas qui était aussi cliniquement bien grave, j'ai vu un cobaye pesant environ 400 grammes mourir 5 heures après une injection hypo- dermique de 1 c. c., et malgré ce court espace de temps l’exis- tence des bacilles dans le sang du cœur était abondante. La voie la plus simple pour obtenir une culture pure du germe pathogène est l'injection hypodermique des cobayes. Ce microorganisme est un bacille petit et extrèmement mince dont la longueur est environ de 1x et dont la largeur varie entre 0,3 à 0,5. C’est un bâtonnet droit, généralement isolé, mais souvent par paires. Il ne donne de filaments dans aucun des divers milieux de ‘culture. Les deux pôles du BAS ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. bacille sont plus brillants,et cette propriété, qui rappelle un peu le bacille du choléra des poules, le fait ressembler à un diplococ- cus. Dans des cultures fraîches et récentes, la moitié des microor- ganismes présente cette forme, qui est plus fréquente quand le bacille est plus virulent. Il se colcre très facilement avec toutes les couleurs d’aniline basique, mais se décolore facilement par l'alcool absolu et par les acides. Il n'accepte pas la coloration de Gram; avec des solutions faibles, on peut réussir à le colorer dis- tinctement, sinon, le bacille apparaît comme un bâtonnet. J'ai cru d’abord le bacille mobile. Je n’ai pas réussi à colorer des cils par la méthode de Læffler. Mais, comme ses mouvements persistent dans les solutions antiseptiques et après 3 heures de séjour à 65°, il ne s’agit, avec lui, que de mouvement brownien. Je n’ai jamais vu de signe de formation de spores. Sur une plaque de gélatine, le bacille croît déjà au bout de 24 heures bien visiblement comme un point blanc, qui grandit encore pendant 24 ou 48 heures. La gélatine n’est pas liquéfiée. Les colonies soit petites, soit grandes, montrent un disque jau- nâtre finement granulé avec un bord finement dentelé. La ponction dans la gélatine fait croître en profondeur le microorganisme comme un fil fin, formé de grains blancs; à la surface ils s'étendent comme une coupole épaisse, blanche, ayant la forme d’une tête de clou. À la surface de la gélose, il se forme, quand l’ensemence- ment est peu copieux, des disques ronds et gris blancs, qui peu- vent rester isolés ou se confondre. Quand on sème en stries sur gélose, on voit grandir des masses d’un gris blanc, qui, partant des points semés, s'étendent sur les côtés, mais la croissance est un peu limitée. Le bouillon commun se trouble rapidement. Après 24 heures, on trouve déjà un dépôt nuageux gris, qui se condense bientôt, lorsqu'on l’agite. Le dépôt n'est jamais très considérable. La surface du bouillon reste claire; c'est seulement dans des cultures vieilles qu'il se forme une couche mince et fragile, qui se précipite lorsqu'on agite le liquide, en laissant une couche plus ou moins adhérente sur les parois du verre. Les cultures en bouillon ont toujours une odeur désagréable et conservent toujours une réaction alcaline. Les bouillons sucrés fermentent rapidement. Dans la gélose, SUR LA FIÈVRE JAUNE. 519 qui contient soit du sucre de lait, soit de la glycose, on observe aussi la formation de gaz. Au bout de 12 heures, le lait est caillé. Sur la pomme de terre, la culture est relativement modérée, et elle se couvre d’une couche grise. Dans le sérum sanguin, le microorganisme ne croît pas d'une façon caractéristique; le sérum se trouble et il se forme un dépôt; sur le sérum coagulé, se développe une couche mince et grise. La production d'indol est toujours très intense ; il y a égale- ment une considérable production d’acide sulfhydrique. Les microorganismes croissent aussi dans des milieux de culture acides, même très acides. La gélose avec le tournesol n’est pas décolorée, mais elle l’est quand elle contient du sucre. Le microorganisme est anaérobie facultatif. En l'absence de l’airet dans de l'hydrogène, sa culture est magnifique, et il m'a paru avoir plus de virulence, comme on l’observe pour quel- ques autres microorganismes L'infection dn cobaye est possible hypodermiquement et par ja voie intra-abdominable. Si 1 centimètre cube d’une culture en bouillon, administrée hypodermiquement, suffit pour tuer : l'animal en 24 heures, 0,2 centimètres cubes produiront cet effet, administrés par la voie intra-abdominale. On peut graduel- lement produire la mort plus vite, avec des doses plus grandes. De petites doses prolongent la durée de la maladie, et l'animal maigrit beaucoup. Quelques-uns échappent et se rétablis- sent... .… Quelle que soit la marche de la maladie, ou lente ou rapide, que l'injection soit faite avec le contenu de l’estomac ou avec la culture de mon microorganisme, on trouve toujours ce micro- organisme en culture pure dans le sang du cœur de l'animal. La souris a également la même réceptivité; il suffit d'environ 0,1 c. c. de la culture en bouillon injecté dans la cavité périto- néale, pour produire la mort en 6 heures. Après une injection hypodermique de 0,25 c. c., elle meurt au bout de 24 heures. Les rats sont un peu différents. J’en ai trouvé quelques-uns qui n'ont pas réagi, ni avec une injection hypodermique, ni intra-abdominale. Cependant la plupart ont une certaine disposi- 520 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tion pour réagir à l'injection du contenu de l'estomac et aussi de mes cultures. La poule a une immunité parfaite. On peut lui injecter soit le contenu de l'estomac ou la culture, sous la peau ou dans la cavité abdominale, sans qu’elle montre aucune altération dans son état. Le chien m’a présenté quelques propriétés remarquables. Si on lui injecte du contenu de l’estomac sous la peau, il présente des symptômes légers d'infection, qui se manifestent par un état d'anxiété, manque d’appétit, etc. Après 24 heures le chien est rétabli, et, au lieu de l'injection, se forme un abcès, quelques jours après. Après une injection de ma culture, le chien présente les mêmes perturbations, mais il ne se forme pas d’abcès. Je n’ai pas injecté le contenu de l’estomac dans l’abdomen du chien, mais en injectant 5 ©. c. de ma culture dans la cavité périto- néale, des symptômes morbides, généraux et incertains se manifestent; ils durent environ 2 jours; en injectant 10 c. c. dans un chien pesant 10 kilos, il meurt avec les symptômes d’une intoxication. Si l'injection de la culture à un chien n’a donné aucune réaction appréciable, et si celle du contenu de l'estomac n’a produit qu'un abcès, et si on fait de nouveau une injection plus forte, le chien réagit un peu, mais ne meurt pas. Je crois que l’on doit considérer ce fait comme le signe d'un commence- ment d’immunisation. L'année dernière, j'ai augmenté de telle façon l’immunisation d’un chien que l'injection de son sérum m'a permis de sauver des cobayes qui avaient été injectés par mes cultures, tandis que des animaux de contrôle mouraient. A cette époque, mes travaux n'étaient encore assez bien fondés et je ne cite ce fait qu'en passant; je me propose de le re- prendre. | Le bacille dont je parle tend à perdre rapidement la viru- lence et en même temps à changer de forme, ce qui est une espèce de dégénérescence. La culture virulente montre en grande quantité des bacilles bipolaires ils se transforment en bâtonnets uniformes, et, dans des cultures vieilles, ces bâtonnets deviennent plus longs; en même temps leur virulence est extrèmement diminuée. Quand on fait le passage de ces cultures par des animaux, on réussit à augmenter à nouveau SUR LA FIÈVRE JAUNE d21 la toxicité du bacille, et si on continue ces passages, ils dégé- nèrent une autre fois. sr Dans mes expériences antérieures et dans celles de cette année, j'ai vérifié au sujet de la toxicité du bacille les résultats suivants : Quand on filtre une culture du bouillon de quelques jours, et qu'on injecte le liquide filtré, même en grande quan- tité, à un cobaye, l'animal reste vivant. Lorsqu'il y a eu des erreurs d'expérience, quelques microorganismes peuvent passer à travers le filtre et amènent la mort de l'animal, mais il n'y a pas de substance toxique. J'ai prévenu cet inconvénient, en laissant passer le liquide filtré par trois filtres de Pukal; j'ai fait en même temps des cultures du liquide filtré et injecté. L’expé- rience n'avait de valeur que lorsque les cultures restaient stériles. Le résultat est que la substance toxique du bacille ne se diffuse pas dans le liquide et reste inhérente à son propre corps. Un autre fait important est le suivant : Quand un bouillon virulent reste pendant 3 heures à une température d'environ 65°, les bacilles meurent. On peut injecter impunément même des grandes quantités. Ce fait prouve naturellement que la substance toxique du bacille se détruit relativement très facilement. De cet exposé je conclus que la fièvre jaune est une maladie dont l'agent spécifique toxique entre dans l'estomac où il se développe ainsi que dans les intestins : ce n'est qu'exceptionnellement que de là il envahit les autres organes, et en petit nombre. Dans l'estomac et dans le tube intestinal, il se forme une substance toxique, proba- blement par dissolution du corps du bacille par les sues diges- tifs. La résorption de ce poison amène les altérations graves de la maladie et éventuellement la mort; tout cela est analogue avec ce qui se passe dans le choléra asiatique. Cette analogie permet de comprendre l’action du bacille toxi- que, injecté dans le corps de l'animal et transporté par la lymphe dans le système sanguin; elle s'étend jusqu’à l'explication des résultats de l’ingestion stomacale, qui, pour aucune de ces deux maladies, ne sont les mêmes que ceux de l’inoculation intrapérito- néale ousous-cutanée. Je n’ai pas négligé de faire des expériences d'infection par l'estomac. On peut faire avaler au cobaye, pour ne parler que de cet animal, de grandes quantités du contenu de l'estomac de cadavres de fièvre jaune ; que Pestomac soitneutra- lisé ou non, l'animal ne réagit pas. Il en est de même pour les 522 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR cultures. Quand j'avais lésé un peu l’æsophage ou les parois de l'estomac, les animaux moururent, mais alors il s'agissait d'une infection par le sang, car on y trouvait les bacilles. J'espère que l'avenir résoudra cette question, comme Nicati et Rietsch, et Koch lui-même. l’ont résolue relativement au choléra. J'ai été longtemps préoccupé de différencier mon bacille de celui du côlon. Quandmon bacille est très virulent, il présente en grand nombre la forme bipolaire ; le bacillus coli se comporte d’une facon contraire. Le coli-bacille est très mobile, le mien est probablement immobile; le premier croît en plaques lisses sur la gélatine; l’autre, en forme de têtes d’épingles. Le bacille du côlon se développe, sur la pomme de terre, en abondance, avec une couleurbrunâtre ; le mien croîtmodérément et a une couleur grise. Sans doute le bacillus coli existe aussi dans l’estomac, mais il siège surtout dans les parties inférieures de l’intestin, où 1l se développe parfaitement; et il n’existe jamais dans l'estomac en aussi grande quantité que celui que nous avons décrit. Il n'est pas aussi virulent et ne tue pas aussi rapidement que le mien. Le bacille que j'ai décrit appartient pourtant au. groupe des bacilles du côlon et de celui du typhus; il sert de transition entre ceux-ci et les bacilles de la septicémie hémorragique, avec lesquelles il a aussi quelques points de ressemblance, et cette conclusion m'a bien satisfait, car le cadre clinique de la fièvre jaune ressemble beaucoup à celni des maladies produites par des bacilles de ce groupe. UNE NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX Avec Néphrite & Urocystite (Bactériurie) consécutives. Par M. THOMASSEN Professeur à l'École vétérinaire d'Utrecht. En Hollande, comme dans tous les pays, les pertes dues aux maladies infectieuses des veaux sont toujours considérables. Souvent il s’agit de maladies infectieuses connues; dans d’autres cas, le praticien doit combaitre un ennemi absolument ignoré. Parmi les premières, nous citerons d’abord, comme la plus répandue, la dysenteria alba, dont nous connaissons, grâce aux recherches de Jensen, la cause spécifique’. Le diagnostic de cette maladie ne présente aucune difficulté, même pour le praticien le moins expérimenté. Nous possédons déjà des descriptions assez exactes de ses symptômes, datant du siècle précédent. Elle fait sa première apparition 24-48 heures après la naissance du sujet, et se caractérise surtout par l’expulsion fréquente d’excréments liquides généralement de couleur pâle. Les lésions les plus importantes se voient dans la caillette et l'intestin grêle. Jensen a obtenu un bacille ovoïde par la culture du sang, des glandes lymphatiques, de la rate, du foie et des poumons. Admi- nistré avec du lait aux jeunes veaux, ce bacille provoque une dysenterie aux suites de laquelle les animaux succombent après un ou deux jours. Injecté sous la peau, la bacille ne provoque pas toujours la mort du veau. D’après Jensen, l'injection intra- veineuse est souvent sans conséquences. Jensen considère le microbe en question comme identique au bacillus coli communis, dont il possède toutes les qualités. Il le considère comme un parasite facultatif, qui acquiert des qualités pathogènes seulement dans certaines circonstances. Les inoculations du coli cultivé dans l'intestin des veaux non malades restent sans effet. Les cobayes, lapins et souris supportent 1. Monatshefte für Thierheilkunde, 1892. D24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, même les inoculations sous-cutanées de cultures du bacille pathogène. Porté dans la cavité abdominale du cobaye, ce der- nier provoque une péritonite séro-fibrineuse ordinairement mortelle. En second lieu, nous mentionnerons la Pleuropneumonie septique, décrite dans tous ses détails par le D' Poëls en 1886. Il constata la présence de la bactérie spécifique de cette maladie dans le sang et dans l’exsudat de la plèvre et du péricarde, dans les poumons et la plupart des organes internes. Elle à beaucoup de rapports avec les microbes dela « Septicémie deslapins », dela « Wildseuche » et de la « Schweineseuche », et tue les souris, lapins, cobayes, veaux et même les génisses. Suivant Poëls, elle provoque chez le porc une maladie qui se rapproche de la Schwei- neseuche. Elle est considérée aussi comme un parasite facultatif. Le syndrome, dans lequel les symptômes émanant de la pleuropneumonie tiennent une place prépondérante, est très caractéristique, et le diagnostic des plus faciles, par l'examen stéthoscopique des organes thoraciques. Jensen décrit une Septicémie maligne du veau‘ qu’il observe souvent à l’état enzootique au Danemarck, dont le microbe spécifique, uvre bactérie ovoide, est analogue à celui de la pleuro- pneumonie septique. La maladie en question se distingue toute- fois de la dernière par une marche plus aiguë et par l'absence de lésions pulmonaires. Le microbe en question se distingue de ceux du Choléra des Poules, de la « Rindeseuche » et de la « Schweineseuche » par ses qualités pathogènes pour la souris, le lapin, etc... qui succombent de 10 à 48 heures après l'inocula- tion, et deceluide la « Pleuropneumonie septique » par sa moindre virulence pour le porc. Les veaux succombent avec une fièvre intense, de 12 à 24 heures après avoir montré les premiers symp- tômes morbides. Par un changement d'étable, les animaux non atteints échappent à la maladie. Il est plus que probable que cette forme de septicémie fait également, de temps en temps, des ravages parmi les veaux en Hollande. Terminons par la citation de la Polyarthrite des jeunes veaux, maladie moins meurtrière queles précédentes et plus bénigne que le mal congénère chez le poulain. 1. Monatshefte für Thierheilkunde, 1890. NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX. 229 Au printemps des années 1896 et 97, nous avons eu l’ocea- sion d'étudier, dans les environs d'Utrecht, une maladie du veau jusque-là inconnue et des plus meurtrières. Cette maladie sévit aussi dans d’autres contrées de la Hollande. Nous croyons devoir publier les résullats de nos recherches, quoiqu'elles ne soient pas entièrement achevées, pour attirer l'attention des praticiens sur cette maladie infectieuse, afin d'arriver plutôt, grâce à leur concours, à des résultats pratiques au sujet de la pathogénie et de la prophylaxie de la maladie. Au mois de mars 1896, un cultivateur des environs d’Utrecht amena successivement à la clinique de l’école une dizaine de veaux malades. En moins d’un mois, il en avait déjà perdu cinq des suites de la même maladie. Symptômes. — Comme les symptômes étaient à peu près identiques chez tous les malades, nous nous contenterons d'en donner une description générale, en signalant en passant les différences observées chez quelques malades. Les animaux montraient les premiers symptômes de la maladie ordinairement vers le cinquième ou huitième jour après la naissance, exceptionnellement vers l’âge de 4 ou 5 semaines. Ils étaient moins vifs et moins alertes, restaient presque con- stamment couchés, la tète étendue sur le sol ou repliée sur les parois thoraciques ; forcés de se lever, ils s’étiraient en inflé- chissant le dos et les reins. Le muffle était sec et les respirations s’élevaient de 50 à 120 à la minute. Le pouls était petit et les pulsations atteignaient le nombre de 100 à 150. [a température oscillait pendant toute la durée de la maladie entre 40° et 41° C. et plus. Quelques animaux faisaient entendre une toux sèche et furte. Quoique l'appétit füt diminué, la plupart des malades continuaient à prendre 1 litre 1/2, 2 litres de lait et, cela, deux fois par jour. En général, les selles étaient de consistance et de couleur normales; dans deux cas seulement, elles portaient pendant un jour des stries de sang, et dans un cas on pouvait constater de la diarrhée, qui cependant n’avait aucune analogie avec celle de la dysenterie. L’urine était évacuée souvent en petites quantités ; elle était trouble, mais rien ne décelait, au premier aspect, la présence d'hématies. Seulement, après ébullition avec la lessive de potasse 926 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. (Heller), un précipité rouge se formait; elle renfermait en outre une grande quantité d’albumine, des cylindres épithéliaux et des microbes, qui n’avaient pas, tout d’abord, attiré notre attention, et sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir. Les résultats de l’exploration du thorax permettaient d’ex- clure toute affection des organes respiratoires et, par conséquent, en premier lieu, la pleuropneumonie septique. Parfois lesmalades, dans les cas les plus graves, montraient des complications céré- brales, se dénotant par des spasmes cloniques (accès épilepti- formes) et toniques (opisthotonos et trismus), qui vers la fin dégénéraient en paralysie générale. Marche. — La maladie durait de 5 à 6 jours en général, et se terminait par la mort. Parfois on croyait constater une amélio- ration, surtoutle matin. Les animaux étaient plus gais, restaient plus longtemps debout et se déplacaient plus facilement. La tem- rature dépassait toutefois toujours 40° et le pouls n'avait pas moins de 100 pulsations à la minute. Le dernier jour, les animaux refusaient de se lever; ils avaient les extrémités froides et faisaient entendre à chaque expiration une plainte. Un des veaux fut, avec le consentement du propriétaire, immédiatement abattu après son arrivée, afin d'arriver le plus tôt possible par l’autopsie au diagnostic de la maladie. Le tableau suivant donne un aperçu complet de la température, du pouls et de la respiration de deux malades pendant tout le cours de la maladie. Chez les autres animaux, les anomalies étaient à peu près identiques. I. Temp. Pouls Resp. II. Temp. Pouls Resp. 16 mars 40,3 — 120 — 100 AA mars 40,9 — 100 —:60 D — 40,6 — 120 — 110 12 — Al — 140 — 90 17 — ANT = AU) D — MA,0 — — — — po. 402 204200 066 pl, AÛT ERRPENROR ne, ADN MEURT pe, ANNEES 18 — 399 — 1410 — 72 143 — 40,2 — 144 — 102 » — 40,4 — 108 — 72 D» — NS » — 40,7 — 120 — 90 >» — 10,6 — 148 -. 120 19 — 10,5 — 120 — 90 » — 409 — — — — NU) 108 NTM SD NAS AD 2 AUS ) 40,9 410 —- 90 » — A40,8 » — 40,4 — 115 — 80 14 — 39,6 — 126 — 92 20 — 40,2 — 100 — 60 » — 396 — — — — » ENS | 00 MÉSNNEC NET 39e | 494 en D — 40,4 — 110 — 50 SL STAR | ds Le NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX. 527 Les premiers malades ont été traités tous sans succès de la manière suivante : Thérapie. — Convaincu dès le début que nous avions affaire à une maladie infectieuse, il est fait usage de différents antisep- tiques, qui furent appliqués par voie hypodermique ou intra- veineuse, afin de les faire parvenir sous leur forme première dans le torrent circulatoire. Chez le premier malade, l'acide phénique fat administré par voie hypodermique à la dose de 10 grammes d’une solution à 2 0/0, Un autre fut traité par l’eucalyptol 4 : 10 d'huile d'olive, dont 5 grammes furent injectés à la fois. Aucun de ces remèdes ne put enrayer la maladie dans sa marche. Dans un autre cas, l’esprit-de-vin camphré fut administré. Ensuite, les préparations d’iode, comme le trichlorure d’iode 1 : 1,000, à des doses allant jusqu’à 80 grammes de solution par jour; la solution de Lugol (4 d'iode, 2 Lo. potassium, 100 parties d’eau), à la dose de 10 grammes par voie intra-veineuse, le tout sans le moindre résultat. Un veau fut traité avec succès chez le propriétaire par l’acide phénique administré par voie digestive. Un autre guérit même après un traitement par l’eau-de-vie de genièvre ordinaire. Ajoutons toutefois que le propriétaire seul avait constaté la maladie dans le dernier cas. En 1897, un traitement par les voies digestives a donné de meilleurs résultats. Nous avons administré : acide phénique, 1 gramme; alcool, 30 grammes, eau de chaux, 300 grammes; et huile de menthe, 3 grammes répétés jusqu’à trois fois par jour. En cas de diarrhée, lavements de créoline à 2 0/0. LÉsioNs nÉcRoPSIQUES. — Dans toutes les autopsies, les lésions trouvées étaient à peu près identiques, de sorte qu'une descrip- tion générale peut suffire. Après l'ouverture du thorax, les pou- mons se montraient affaissés et la plèvre ne présentait aucune anomalie. Sur la coupe des poumons, aucune trace d’inflamma- tion. Le cœur renfermait du sang non coagulé. L'endocarde était couvert de nombreuses ecchymoses, surtout aux valvules atrio- ventriculaires. Le tissu sous-séreux était infiltré d’un liquide séreux. Les ganglions bronchiques étaient hypertrophiés et ramollis, et sur la coupe ils se montraient parsemés d'hémorragies capillaires. 228 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les ganglions lymphatiques cervicaux étaient également tumé- liés. Chez quelques animaux, une sérosité claire, couleur d'ambre, s’'échappait de l’abdomen. La séreuse intestinale portait de nom- breuses ecchymoses en forme de petites taches rouges. La rate était très volumineuse chez tous les animaux; parfois elle avait cinq à six fois le volume normal et atteignait le poids d'environ 500 grammes’. La capsule de la rate était lisse, lui- sante et de couleur violacée. La pulpe de la rate était gorgée de sang, ramollie à ce point qu'elle s'échappait après la section, et de couleur de chocolat ou rouge foncé. Parfois la rate était bosselée. Dans les préparations microscopiques de la pulpe de cet organe, se rencontraient des bacilles en grand nombre, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir. Chez tous les animaux, les reins présentaient les symptômes d'une néphrite parenchymateuse hémorragique. Ils étaient de cou- leur rouge brunâtre ou foncée, et la capsule se laissait facilement enlever. Sur la coupe, la couleur était parfois d’un rouge homo- gène qui, dans quelques cas, se limitait à la substance méduliaire. La vessie renfermait une urine trouble contenant une masse d'albumine, des cylindres, de l’épithélium pavimenteux surtout, et nombre de bacilles que nous avons pu cultiver. La muqueuse de la vessie était de couleur rouge brun uniforme, ou colorée en striées, ou tachetée. Même les urétères avaient cette coloration. Les ganglions du mésentère étaient hypertrophiés, succulents et parsemés sur la coupe de taches hémorragiques. La muqueuse de la caillette montrait également, surtout sur les plis, des taches ecchymotiques foncées. On les rencontrait également en petit nombre sur la muqueuse de l'intestin grêle. Les plaques de Peyer élaient souvent tuméliées. Le foie était de consistance normale; parfois il renfermait beaucoup de sang et des extravasats, et était de couleur bleuâtre. Dans d’autres cas, il était pâle, probablement par suite d'une dégénérescence parenchymateuse. Dans le système nerveux central, aucune lésion ne s’est révélée à un examen macroscopique, ni dans les méninges ni dans la substance nerveuse. Chez les animaux ayant montré des symptômes nerveux pendant la vie, nous avons constaté les !. A l’état normal, cet organe pèse de 70 à 80 grammes chez les jeunes veaux, NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX. 229 lésions d'une méningite avec un exsudat trouble à la partie basilaire surtout, renfermant un grand nombre de bacilles. La substance cérébrale était infiltrée, et par suite ramollie. Le cœur est rempli de sang noir non coagulé. L'examen microscopique de différents organes, durcis et co- lorés dans une solution de sublimé corrosif à 40 0/0, aïcool 70e, eau, alun-cochenille, eau, alcool, etc., les lésions suivantes se sont révélées : Les reins montrant les lésions les plus caractéristiques méri- tent d’abord notre attention. On pouvait constater une forte hypé- rémie à ce point que tous les capillaires étaient gorgés de sang. Les autres allérations accusaient une néphrite parenchymateuse et interstitielle : les espaces intertubulaires, remplis de leucocytes, refoulaient et isolaient les tubes urinifères. Entre les tubuli contorti surtout, une grande quantité d’exsu- dat fut rencontrée. Dans certains tubes, l’épithélium était com- plètement nécrosé. Dans d’autres, la lumière était bouchée par suite de la tuméfaction de l’épithélium. Dans les capsules de Bowman, l’épithélium était également affecté. Dans quelques elomérules, on trouvait des vestiges d’hémorragies. La muqueuse vésicale avait perdu en grande partie sa couche épithéliale et montrait en outre des extravasats et les traces d'une cystite. | En général, le foie n’accusait aucune altération; parfois des hémorragies et une dégénérescence parenchymateuse. Dans les ganglions lymphatiques, on trouvait une hyperplasie cellulaire et des extravasats. La muqueuse intestinale n’accusait que des hémorragies. Le myocarde était normal, malgré la couleur pâle qu'il révé- lait à l'examen macroscopique. Dans les coupes des reins et des ganglions lymphatiques colorées par le bleu de méthylène phéniqué et décolorées dans l'alcool à 50 0/0, la présence de bacilles se révélait. EXAMEN BACTÉRIOLOGIQUE Convaincu, dès le début, du caractère infectieux de lamaladie, nous avons tenté d'isoler et de cultiver le microorganisme spéei- fique. 930 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Dans ce but, nous avons pris chez les premiers malades : 10 Du sang de la veine saphène; 20 Du liquide de la cavité abdominale. Les liquides ont été prélevés avec la pipette Pasteur en observant toutes les précautions aseptiques nécessaires, et portés dans la gélatine, pour être placés en plaques dans l’étuve à une température de 20° C. Dès le deuxième jour, de petites colonies grisätres, tant soit peu luisantes, se montrent sur la gélatine qu’elles ne liquéfient pas; sur les plaques contenant la sérosité de l'abdomen se voient, à côté des premières, de plus grandes colonies, qui liquéfient la gélatine et qui sont formées par des grands bacilles, qu'on peut tenir pour des saprophytes. Les autres, qui se rencon- trent dans toutes ies plaques, sont formées par des bâtonnets à extrémités arrondies, réunis souvent deux à deux. Le même jour, des cultures ont été faites en bouillon avec de la matière prise avec les soins nécessaires, de la rate et du foie du veau abattu dont il est fait mention. Après deux jours de séjour à l’étuve, le bacille précité est trouvé à l’état pur dans tous les tubes. On pouvait donc admettre que ces cultures du même bacille, provenant de différentes sources, renfermaient le microorga- nisme spécifique ayant provoqué la maladie en question. Avant d'aborder l'étude des qualités morphologiques et biolo- giques du bacille, nous avons étudié préalablement ses qualités pathogènes pour différentes espèces animales, parmi lesquelles le veau doit nous intéresser en premier lieu. EXPÉRIENCES SUR LES ANIMAUX A. Veaux. [. — Le 19 mars, un fort veau, âgé de cinq jours, fut inoculé sous la peau, derrière l'épaule gauche, avec une culture en bouillon, deuxième génération; avant l'injection, l’animal avait une température moyenne de 380,5, el se montrait bien portant sous tous les rapports. Déjà le premier jour, le thermomètre monte à 390,4, pour revenir le jour après à 38°,6. Le deuxième jour, la respiration devient fréquente et plaintive. L'animal reste couché et on a NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX. D31 de la peine à le faire lever. Les mouvements, surtout du train postérieur sont raides et mème pénibles. A la place de l'injec- tion, on découvre un fort œdème chaud et sensible, et la couleur de la peau est cyanotique. Les deux premiers jours, l'appétit restait normal, et Le troi- sième jour, il était considérablement diminué; les fèces avaient toujours un aspect normal, et l’urine, qui était trouble et ren- fermait beaucoup d'albumine et des bacilles, était fréquemment évacuée. Peu à peu, l’état s’aggravait, comme l'indique le tableau suivant : Temp. Puls. Resp. Temp. 19 mars matin 38,3 — — 922 mars 8h. 40,5 » — soir 39,4 — = » — 42 h. 40,6 20 — 8 h. 38,6 — ete 6 h. 40,6 5 — Ah. 439410 — — » —= 40 h. 40,8 et D — 1h. 39,2 — 100 respirations. = 10 h. 39,4 a 21 — & h. 40,3 38 64 DE 42 h. 40,5 - 100 64 D — k h. 40,6 112 60 D. — 40 h. 40,6 96 62 Dans la nuit du 22 au 23 mars, le quatrième jour après l’ino- culation, l’animal succombait. Le dernier jour. il restait con- stamment couché et refusait de se lever. Autopsie. Sur le cadavre, on rencontre les lésions suivantes : à la place de l'injection, une forte infiltration de la peau et du tissu sous-cutané. Les muscles adjacents sont pàles et dégénérés : le tissu intermusculaire est œdémateux et hémorragique. Dans la cavité thoracique et surtout dans l’abdomen, on rencontre une grande quantité d’un liquide séro-fibrineux couleur d’ambre, renfermant des bacilles. Les poumons ne présentaient aucune anomalie. La rate était volumineuse et la pulpe molle et de couleur foncée. Le foie avait une couleur cyanotique. Les ganglions lym- phatiques, surtout ceux du mésentère, étaient hyperplasiés, mous et rouges sur la coupe. La muqueuse de la caillette montrait, surtout aux plis, des taches ecchymotiques, qui fai- saient défaut dans les autres parties de l'estomac. 532 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. Les reins trahissaient les lésions d’une néphrite parenchyma- teuse hémorragique, ce qui s’est confirmé par l'examen microsco- pique. L'urine renfermait des bacilles, des cylindres et des amas épithéliaux. La muqueuse de la vessie et les urétères avaient une couleur noirâtre. Sur l’endocarde, surtout à la valvule tricuspide, de nom breuses ecchymoses. 1. — Un deuxième veau de cinq jours, fort et vigoureux, est inoculé le 25 mars, avec 1 c. c. d’une culture en bouillon (3° génération), dans le tissu sous-cutané derrière l’épaule droite. Après trois heures, la température s'était déjà élevée de 380,1 à 390,1, pour revenir le lendemain matin à 38°,8. Depuis, elle s'élevait régulièrement, comme nous voyons par le tableau ci- joint. La M ao au niveau de l'injection était chaude et très sensible, plus même que chez le premier veau. L'animal était moins gai et la respiration gagnait en fréquence lorsqu'on le forçait à se lever. Les mouvements de ses membres posté- rieurs surtout étaient raides. On remarquait en outre, comme chezles premiers malades, cet allongement typique. L’appétit persistait jusqu’au dernier jour, à ce point même que le malade prenait chaque fois, et cela deux fois par jour, 1 1/2 litre de lait. Dans l'après-diner du 4° jour, il se plaignait, à chaque expiration. Vers le soir, il succombait. Le thermomètre avait accusé : 25 mars 38,30 38,50 39,10 — 26 — 38,80 39,40 39,60 39,7 27 — 40,50 40,70 40,90 40,9 28 — 4100 4,4 &ldo — D 0 LOT A0 Co Pulsations en moyenne 100 à 120. Respirations : 40 à 50 à dater du deuxième jour. Lésions nécropsiques. Les lésions de la rate, desreins, de la ves- sie, des ganglions lymphatiques, de la muqueuse de la caillette et de l DURE étaient identiques à celles trouvées chez les pre- miers veaux. Le foie avait une couleur jaune pâle. IT. — Le troisième veau, moins fort que les premiers, atleint d'une légère diarrhée, fut inoculé le 21 avril avec une culture en NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX. 533 bouillon d'environ 2 e. e., derrière l'épaule gauche, où se mon- trait déjà le lendemain une tumeur chaude et douloureuse. L'animal restait beaucoup en position décubitale, gémissait souvent, et la respiration devint très fréquente. Jusqu'au dernier jour, il prit chaque fois un litre de lait. Le 27, il succombait. La température se comportait comme suit : 92 avril matin 38,20 38.4 38,9 386 1NIFI SN 23 — — 30,9) OS OM O0 30226799 5009975 24 — — 38,5 38,8. 38,9 So 2 0001 He Ne 382 (28620 DU SET CAE) NES 38,6 39,0 39,3 ‘39.5 396 39,7 27 — — 38,2 — —— — — — Autopsie faite immédiatement après la mort. La rate, le foie, l'endocarde, les reins, la muqueuse vésicale et les gan- glions portaient les mêmes lésions que dans les cas précé- dents. L'’urine renfermait de nombreux bacilles, de l'albumine, des cylindres et de l’épithélium. Quoique l'animal eût toussé beaucoup, avant et après l’inoculation, les poumons ne révé- laient aucune lésion. IV. — Le29 avril, 100c. €. d’une culture en bouillon datant du 27 mars furent administrés par voie digestive à un veau. L'animal n’avait subi aucune préparation, c'est-à-dire que le suc gastrique n'avait pas été neutralisé. Le lendemain, aucune anomalie ne fut constatée. A dater du 1° mai, l'animal devint plus soporeux et ne consommait plus que la moitié du lait des jours précédents. Dans les selles, on remarquait quelques stries de sang qui, après deux jours, avaient disparu. Le malade restait presque constamment couché et, forcé de se lever, il s’allongeait. La respiration, qui d’abord était fréquente, montrait les deux derniers jours le phémonène de Cheyne-Stoke, probablement à la suite de complications urémiques. L'’urine était évacuée en petite quantité. Elle était trouble, renfermait de l’albumine et des bacilles en masse. La température était moins élevée le matin que vers le soir. 30 avril 38,40 38,3 39,1 == 2 1 mai 39,1 39.4 40,3 40,4 — 2 — 39,8 40,0 40,2 40,4 40,5 2 — 39,5 398 40,1 40,2 40,0 4 — 39,8 39,9 40,0 40,2 2, D — 39,8 39,6 39,9 40,1 40,3 6 — 39,9 40,2 40,1 40,1 M 34 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le 6 mai, l'animal a succombé, de sorte que la maladie a eu une marche plus lente qu'après l'infection par voie sous- cutanée. Les lésions de la rate, de l’endocarde, de la muqueuse intes- tinale et des ganglions concordent parfaitement avec les cas précédents. Les reins tuméfiés avaient sur la coupe une couleur rouge homogène, de sorte qu'on ne pouvait distinguer la sub- stance corticale de la partie médullaire. La substance cérébrale et les méninges ne trahissaient aucune lésion macroscopique. La substance médullaire des os longs, ainsi que les diploés des os plats, étaient fortement congestionnés. V, — Au mois de mars 1897, nous avons infecté un veau par voie sous-cutanée avec une culture de bacilles conservés depuis le mois de juin 1896, et portés de temps en temps dans un autre milieu de culture. Quoique les bacilles avaient perdu leur viru- lence à ce point qu'ils ne tuaient plus le cobaye et le lapin, la réaction se dénotait déjà chez le veau aès le 1° jour par une élévation de température jusqu’à 40°, 1. L'animal a succombé le 5° jour. A l’autopsie, quelques lésions faisaient défaut, entre autres l’augmentation de volume de la rate, les ecchymoses sur la muqueuse vésicale et la présence des bacilles dans l'urine, tant pendant la vie qu'après la mort. Le sang du cœur droit renfermait des bacilles dont nous avons fait des cultures pures. Ces quelques expériences prouvent à l'évidence que le veau, même âgé de quelques jours, a une grande réceptivité et peut être infecté"par voie hypodermique et par voie digestive. Une autre question qui se pose est celle de savoir si les bovidés d’un âge plus avancé peuvent être infectés. Nous avons pu la résoudre, pour un animal de 3 mois, dans un sens positif. Sur cette ques- tion, nous reviendrons à propos de la pathogénèse. B. Chien. D'abord nous avons administré à un chien la rate d’un veau mort des suites de la maladie. Quatre chiens ont été inoculés par dose hypodermique, avec des cultures fraîches en bouillon. Chez un autre animal, une culture d'environ 4 c. c. a été injectée dans la cavité thoracique. Aucun de ces animaux n'a montré la moindre réaction, de sorte que nous pouvons considérer cette "ITR NA NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX. 939 espèce comme douée d’une immunité parfaite contre le bacille en question. C. Cheval. Le cheval se montre également réfractaire. Ni une réaction loca:e ni des symptômes généraux n’ont pu être constatés après inoculation hypodermique d’une quantité de 5 c. c. de culture en bouillon. D. Lapin. Le 21 mars, un lapin fut inoculé sous la peau avec une culture de 2 jours. L'animal devint moins gai, perdit l’appétit et mai- grit à vue d'œil. À la place de l'injection, la peau devint dure et subit une espèce de momification. Le 22 mars, l’animal succombait. Dans l'urine, nous avons rencontré peu de bacilles et beaucoup d'albumine. Les reins portaient les traces d’une inflammation hémorragique ; la substance médullaire était surtout fortement injectée. La rate avait gagné en volume, et la pulpe était fortement ramollie. La muqueuse du gros intestin surtout renfermait des ecchymoses qui faisaient défaut sur l’endocarde. Les ganglions étaient hypertrophiés et sur la cuisse on constatait des traces d'hémorragies. Le deuxième lapin, inoculé le 1% mai avec 1 c. c. d’une culture en bouillon provenant du troisième veau infecté, suc- combait le 9 mai. Comme dans le cas précédent, l'amaigrissement était considérable. A l’autopsie, la néphrite prédominait. L'urine contenait des bacilles. Un troisième lapin, qui avait vécu avec les deux premiers dans la même cage sans être infecté, fut inoculé dans la chambre antérieure de l'œil. Une ophtalmie se déclarait bientôt, et par suite de l’opacité de la cornée, les lésions à l’intérieur ne se laissaient pas contrôler. Quoique l’animal se fut montré pendant quelques jours moins gai et qu'il eût maigri, son appétit était après quinze jours normal, et 1l regagnait son embonpoint. Dans la chambre antérieure, nous trouvions un exsudat purulent. E. Souris. Deux souris blanches furent inoculées dans le tissu sous- cutané du dos avec une culture en bouillon au moyen d’une pipette. Le lendemain, les animaux restaient blottis, les yeux 330 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. férmés, dans un coin, et les pois horripilés. L’appétit faisait complètement défaut et la respiration était fréquente. Deux jours après, leur état s’est considérablement amélioré et l'appétit est revenu. Toutefois, la première a succombé le 14 juin, quatre jours après l'inoculation. La rate avait considérablement augmenté de volume. Elle avait une couleur foncée et renfermait des bacilles en masse. Du sang pris dans le cœur droit, nous avons fait des cultures pures dans la gélatine en plaques de la bactérie en question. La seconde souris a vécu jusqu’au 24 juin. La rate était également hypertrophiée, à ce point que son volume dépassait 5 fois au moins le volume normal. Et de la rate et du sang, des eultures pures ont été faites. F. Rat blanc. Un rat blanc inoculé le 27 juin mourut seulement le 24 juil- let, n'ayant montré pour tout symptôme qu'une diarrhée profuse les derniers jours. Malheureusement, nous n'avons pu examiner lé cadavre. G. Cobayes. Les cobayes inocu!és dans le tissu‘sous-cutané se montraient le lendemain tristes, sans appétit, et accusaient une certaine faiblesse dans le train postérieur, qui progressait jusqu'à une paralysie complète. Vers le troisième ou quatrième jour, les animaux succombaient. L’urine ainsi que le sang renfermaient des bacilles. Les reins portaient les traces d'une inflammation parenchymateuse intense. La rate était hypertraphiée, et la pulpe liquide et noirâtre. Les ganglions étaient tuméfiés. PROPRIÉTÉS MORPHOLOGIQUES ET BIOLOGIQUES DU BACILLE Il s’agit d’un court bâlonnet à extrémilés arrondies, ressem- blant au bacille de la fièvre typhoïde de l'homme, ou, si l’on veut, au bacterium coli commune. Des deux variétés, il se distingue, en dehors de ses qualités pathogènes, sous différents rapports, comme nous allons voir. La bactérie en question se colore facilement par les couleurs d’aniline, et se décolore lorsqu'on la traite par la méthode de Gram. NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX. 037 Elle se cultive dans les différents milieux, même à la tempé- rature de la chambre. En cultures sur pläques de gélatine, apparaissent d’abord des colonies à la surface, et d’autres plus petites dans l’intérieur de la gélatine. Les premières sont de couleur gris blanchâtre, luisantes et tant soil peu nacrées; les petites sont un peu jaunâtres. Elles sont granuleuses et, vues à un faible grossissement, elles présen- tent une forme radiaire, qui est assez constante. Les bords des cultures superficielles ne sont pas lobés, mais parfaitement réguliers. La gélatine n’est pas liquéfiée. En piqüre dans ua tube de gélatine, il se forme dans le canal de fines granulations brun jaunâtre, accolées les unes aux autres. A la surface, la croissance est plus abondante. Ici se forme une pellicule nacrée, qui s’étend peu à peu et s’épaissit aux environs de la piqüre, de sorte qu’elle s'élève considérablement au-dessus du niveau. Après trois semaines environ, la couche supérieure de la gélatine devient, jusqu’à certaine profondeur, opaque et laiteuse. La culture à la surface devient peu à peu moins ELU rente, trouble, et ses bords sont parfois sinueux. Sur gélose, la végétation est plus abondante que sur la géla- tine; en strie se forme une culture blanche sale, tant soit peu transparente, à bords réguliers, qui, peu à peu, devient plus épaisse et d'aspect crémeux. La végétation s’élargit de haut en bas. Sur pomme de terre, le bacille se développe d’une façon spéciale. Après un séjour de quelques jours dans l’étuve, à une tempéra- ture de 37°, la culture n’est presque pas visible à un examen microscopique. La surface de la pomme de terre paraît simple- ment humide, surtout au milieu et jamais jusqu’au bord. Exa- minée au microscope, la partie humide paraît couverte de bacilles. Ceci prouve encore que la culture invisible de Gaffky n’est pas exclusivement une qualité caractéristique du bacille typhique. En bouillon simple et peptonisé, la culture se fail très rapide- ment; en quelques heures, le bouillon est uniformément trouble,et la surface se recouvre d’un voile qui s’épaissit très vite et devient blanc, visqueux et adhérent à la paroi; l’agitation dissocie aisé- ment ce voile dont les lambeaux s'accumulent au fond du tube. D38 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le bouillon ne trahit jamais une odeur désagréable (fétide), même après des semaines. Plusieurs flacons de lait stérilisé furent inoculés en partie avec une culture d’un mois, d’autres avec une culture, 2° géné- ralion, datant de deux jours seulement. Après un séjour de trois semaines à l'étuve, à une température de 37°, on ne pouvait constater aucune trace de coagulation. Comme preuve que le bacille s’était suffisamment développé dans le lait, nous avons inoculé, avec ce lait, de la gélatine en plaques, sur laquelle apparaissaient en deux jours de nombreuses colonies qui ont été contrôlées au microscope. Ensemencé en stries sur la gélose du Wurtz (lactose et tour- nesol) le bacille pousse abondamment, sans provoquer de chan- gement dans la couleur violet améthyste du milieu. Il en est de même pour les cultures faites sur gélose lactosée, additionnée de rubine acide et neutralisée par le carbonate de soude, mème après 8 jours de séjour à l’étuve. Dans le bouillon avec 10 0/0 de glucose dans les tubes en forme de U d’Einhom, se développait, après un séjour de quelques jours à l’étuve à une température de 37°, une minime quantité de CO*. Dans le sommet du tube fermé, on pouvait constater une petite bulle de gaz. Dans la courbure du tube s’était déposée une riche culture en forme d’un précipité blanchâtre et floconneux. Le bouillon avait une réaction très légèrement acide. Dans le bouillon peptonisé et salé à 1 0/0 renfermant des cul- tures de quelques jours, la réaction de l’indol ne donnait qu'une faible coloration en rouge à la surface. Pour contrôler le degré de mobilité du bacille, une goutte pen- dante d'une culture en bouillon a été examinée au microscope. Quelques bacillesne montraient qu’une faible oscillation; d’autres avaient un mouvement actif tournant et culbutant, et passaient rapidement à travers le champ visuel. Des différents caractères énumérés, il résulte que le bacille en question tient sa place entre le bacille typhique, dont il se rapproche beaucoup, et le bacillus coli communis, dont il diffère sous bien des rapports, surtout par sa grande virulence pour différentes espèces animales, virulence que ne possèdent pas en général les coli-bacilles, mème ceux qui sont pathogènes, comme celui trouvé par Jensen dans la dysenterie des veaux, lequel ne NOUVELLE SEPTICÉMIE DES VEAUX. D39 tue pas le lapin, le cobaye, la souris, et parfois même pas le veau. Notre bacille se distingue encore du coli par les caractères ci-après : 1° sa grande mobilité ; 2° l'apparence de sa culture sur pomme de terre; 3° son développement moins rapide sur gélatine; 4° sa production presque nulle en indol et en acide carbonique ; 5° son impuissance à faire fermenter le lactose et à coaguler le lait, même après plusieurs semaines de séjour à l’étuve; 6° l'absence d'odeur fétide de ses cultures en bouillon peptone ou sur gélatine. Sous tous ces rapports, il se rapproche bien plutôt du bacille d'Éberth. Aussi avons-nous cru intéressant de rechercher comment il se comporterait au point de vue de la réaction agglutinante, en présence du sérum typhique. MM. Nocard et Widal ont bien voulu se charger de cette étude ; en voici le résumé : Le bacille de la bactériémie des veaux se laisse agglutiner par les sérums typhiques, mais tout autrement que ne le fait le bacille d'Éberth. Si l’on opère sur une culture âgée de 24 heures, il faut prélever une petite quantité de cette culture au centre de la colonne liquide, de façon à éviter de prendre soit des grumeaux du fond du tube, soit des fragments du voile de la surface, grumeaux ou voiles pouvant être confondus avec les amas dus à l’action agglutinante du sérum. Si, à la culture ainsi obtenue, on ajoute du sérum typhique, on voit l’agglutination se produire, mais il faut employer une dose de sérum bien plus forte que pour les cultures de bacille d'Éberth. Par exemple, un sérum qui agglutine l'Éberth, dans la proportion de 1 pour 100, n’agglutine le bacille des veaux que dans la proportion de 1 pour 40 ou pour 50; encore les amas bacillaires sont-ils plus petits, les éléments plus serrés et moins distincts. On obtient des résultats analogues en opérant avec des sérums d'homme ayant un pouvoir agglutinaiif, à l'égard du bacille d'Éberth, de 1 pour 400, 1 pour 500, 1 pour 2,000, et avec un sérum d'âne immunisé dont le pouvoir est de 1 pour 30,000. Si l’on fait agir le sérum sur des bacilles naissants, la diffé- brA © »40 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. rence apparaît très nette au bout de quelques heures : deux tubes de bouillon vierge, additionné de sérum typhique dans la proportion de 1 pour 40, sont ensemencés, l’un avec une trace de bacille d'Éberth, l’autre avec une trace de bacille du veau. et mis à l’étuve à 37°. Après 4 ou 5 heures d’étuve, le tube d'Éberth est resté clair; des amas se sont assemblés au fond du tube que l'agitation dissémine dans toute la hauteur du liquide sous forme de flocons blanchâtres. Au contraire, le tube ense- mencé avec le bacille du veau est déjà troublé légèrement dans toute sa hauteur ;'quelques rares grumeaux se sont déposés, et un très léger voile s’est formé à la surface; après 15 à 20 heures, le voile s’est épaissi, le trouble du liquide s’est accru et les gru- meaux sont plus abondants au fond du tube. Au microscope, la culture du bacille d'Éberth montre les amas ordinaires; celle du bacille du veau donne des amas plus petits, plus anguleux, formés de véritables strepto-bacilles enchevêtrés; cette apparence de streplo-bacilles ne se voit pas dans le bouillon ordinaire; entre les amas, on voit beaucoup de bacilles disposés en chaînettes et groupés sans former de vrais amas. Après 2 ou 3 jours d’étuve, l'aspect des cultures s’est modifié eu sens inverse; la culture d'Éberth qui, après quelques heures, apparaissait claire malgré les nombreux amas de bacilles accu- mulés au fond du tube, se trouble à nouveau; au contraire, la culture du bacille du veau s’est clarifiée entre le dépôt de gru- meaux bacillaires accumulés au fond du tube et le voile épais qui s’est formé à la surface. En résumé, le sérum typhique agglutine nettement le bacille de la bactériémie du veau; mais il l’agelutine autrement et moins puissamment qu'il ne le fait pour le bacille d'Éberth; le mode d’agglutination est si différent qu’il pourrait, à lui seul, suffire pour établir le diagnostic différentiel. Néanmoins, cette étude fournit un argument de plus en faveur de la parenté des deux microbes. Resterait à traiter de la pathogenèse et de la prophylaxie de la maladie. Ce sera l’objet d’un travail ultérieur. SUR LA RICHESSE DU LAIT EN ÉLÉMENTS MINÉRAUX ET EN PHOSPHATES TERREUX | Par M. L. VAuwpin. D'après le Dictionnaire de Wurtz (t. I, p. 194), la quantité moyenne des cendres laissées par la calcination est pour le lait de vache de 3 grammes à 9 grammes par litre, la moyenne générale étant de 4 grammes. Ces variations considérables sont indiquées d’après les analyses de Schwartz, Filhol et Jolly, Haidlen, Boussingault, Simon, etc... Il semblerait donc, d’après ces données, que les matières minérales du lait sont éminem- ment variables dans leurs proportions. D’autres chimistes, Marchand à Fécamp, Wanklyn à Lon- dres, Méhu à Paris, ont au contraire constaté (Ménu, Chimie médicale, 2 édit., p. 169) que les cendres du lait de vache varient dans des limites peu étendues; d’après eux, la propor- tion par litre est de 7 à 8 grammes. C'est aussi à ce résultat qu'est arrivé M. Duclaux avec du lait ipE ent de vaches du Cantal ; il a trouvé les chiffres suivants : 74,50, 74", 80, 74.60, 8 gr., 18,50. (Le Lait, p. 186 el suivantes.) Cette constance dans Le poids des cendres des laits authentiques qu’il a examinés, le fait insister ailleurs (Annales de l’Institut Pasteur, 1892, p. 15) sur la nécessité de doser exactement les matières Dee dans la.recherche des falsifications du lait. Les divergences entre les auteurs que nous venons de citer doivent tenir à plusieurs causes de mode opératoire suivi, race, ou même régime alimentaire différent, état maladif de Re mal, etc. Pour apprécier la valeur de ces influences, j'ai effectué le dosage des cendres et des phosphates terreux dans un certain nombre d'échantillons de lait authentique de diverses prove- nances; j'ai résumé ces analyses dans le tableau ci-dessous. D42 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ANALYSES DE LAITS DE VACHE DE PROVENANCES DIVERSES (Dosage des éléments minéraux et des phosphates terreux.) PROVENANCE DU LAIT ÉPOQUE DES ANALYSES ÉLÉMENTS minéraux par litre. terreux par litre. Nourriture des animaux. OBSERVATIONS PHOSPHATES | | Orge cuite, son, tourteau. .80 | Février. | ©2 | Arachides, paille, bettera- | ! .15 | Mars. Mème vache. | Seigle vert Nourriture verte M 12 à 45 litres par jour. Juin. Même vache. ( \ ai. \ Id. L 3. Id. Id. Env. de Fécamp.Vach. de rac. norm. Chaumont (Haute-Marne). Pä- turage ; 3. Septembre. 12 à 14 lit. par Jour. Lens (Pas-de-Calais). Bettera- ves et paille : M Janvier. 18 à 20 litres par jour. Janvier. Février. Hambourg ; sE Janvier. Alexandrie (Egypte).......... ; , Mars. Lait riche en matiè- res protéiques. Extrait par litre : 142,98, Septembre. Octobre. 6 à 8 litres par! jour. | | | Janvier. Mars. LAITS ANORMAUX | 18 | Fécamp. Nourriture verte....| 8.60 | » » | Novembre. Vache pleine, dernières traites. Id. Tourteaux, bettera- | Vaches intoxiquées par des| tourteaux envahis par des moisissures (Aspergillus). Les matières minérales ont été obtenues en évaporant 10 c. c. de lait dans une capsule de platine et en incinérant le résidu SUR LA RICHESSE DU LAIT. D43 sur la flamme d’un bec de Bunsen. Il est essentiel, si l’on ne veut pas s'exposer à volatiliser les chlorures, que la température ne soit pas portée trop haut; pour cela, on règle la flamme de facon qu’elle ne touche pas la capsule, et on déplace celle-ci de temps en temps quand le charbon a disparu dans les parties les plus chauffées. Ainsi obtenues, les cendres sont blanches, légères, non adhérentes à la capsule; on les pèse et on les dissout ensuite facilement dans un acide très dilué. Cette solu- tion est placée dans un verre conique et précipitée par l’ammo- niaque; au bout de 24 heures, quand les phosphates se sont rassemblés, on filtre le liquide surnageant, et on lave le précipité à plusieurs reprises avec de l’eau ammoniacale avant de le recueillir. On voit que, quelle que soit son origine, le lait de vache normal renferme une proportion d'éléments minéraux habituel- lement comprise entre et 7 et 8 grammes par litre; la race de l'animal, sa production lactée journalière, la nature du sol et la température du pays dans lequel il vit, n’ont à cel égard qu'une influence médiocre. Le tableau ci-dessus nous fournit en outre d’autres rensei- gnements. Les premières analyses semblent indiquer qu'une vache nourrie à l’étable avec une ration alimentaire où les graines dominent donne un lait plus riche en cendres et en phosphates que lorsque cette même vache recoit une nourri- ture verte. Les analyses du lait d'un autre animal nourri au pâturage (5-6-7) nous montrent que l’individualité joue un rôle au moins aussi important que l'alimentation, et, en effet. deux chiffres trouvés sont égaux ou supérieurs à ceux des ana- lyses 1 et 2. D’autres éléments du lait subissent-ils des variations paral- lèles à celles des matières minérales? Cette question est intéres- sante à examiner en Ce qui concerne les matières protéiques; on sait, en effet, que le lait d’autres ruminants, celui de la brebis, par exemple, contient une proportion plus élevée de caséine, et il en est de même des cegdres. La comparaison des chiffres sui- vants empruntés à l’ouvrage de M. Duclaux (Le Lait, p. 186 et suivantes) : | Il III I\ V Matières protéiques par litre — 32.7 38 » 39 » 39.7 41.5 — minérales _ = F0 7.8 8 » RO TS 544 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ne nous donne à cet égard que des indications incertaines. Quelques-uns des échantillons de lait que j'ai examinés ont fait l’objet d’une analyse complète que je rapporte ici : LAITS NORMAUX LAITS ANORMAUX —— Te — No 5 No 9 No 18 No 19 BOULE ACT AU NE ANT 30.20 31.50 32.80 5.80 Sucre de lité tr ie ee d0.85 50.10 28.44 46.20 Matières proléiques 36.30 41.60 52.16 4%. » Centres SARETR AIR PR ee ARR 8.10 1.60 8.060 8.50 Phosphatesiterreux #0 4.08 3.70 » » » » EX TL AT ITE PERANREE CE EN 130.45 130.80 129, » 104.50 I n'y a donc pas une proportionnalité constante entre la richesse d’un lait normal en matières protéiques et sa teneur en cendres; on constate bien, quand le lait devient anormal pour des causes diverses, que la caséine a augmenté en même temps que les éléments minéraux, mais on ne saurait tirer de là des conclusions s'appliquant au lait ordinaire. Il est extrêmement probable que là encore l’individualité joue un rôle prépondérant, ce qui nous explique les différences observées. En résumé : 1° Le lait de vache normal, quel que soitle pays de produc- tion, la race de l’animal, son alimentation, sa sécrétion journa- lière, etc. renferme une quantité de cendres peu variable com- prise habituellement entre 7 el 8 grammes par litre; dont 3*,3 à 4 grammes de phosphates terreux (phosphates de chaux, de manganèse et de fer précipitables par l'ammoniaque); 2° Les causes des faibles variations observées sont, par ordre d'importance, l’individualité et l’alimentation ; 3° Certaines influences normales ou pathologiques, en modi- liant la nature du lait, déterminent une augmentation des cen- dres et des matières protéiques. Cetf8 augmentation n’est pas parallèle d’une façon constante dans:les laits normaux. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie E. Charaire. Annales de l'Institut Pasteur VE à + —»" D A 2)" PI. XVII Annales de l'Institut Pasteur V Roussel th. ce J Coccidium oviforme. Coccidium proprium. Împ. À Lafontane & As, Paris. Aime ANNÉE JUILLET 1897 N° G. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR L'ÉVOLUTION DES SPOROZOAIRES DU GENRE COCCIDIUM Par LE Dr P.-L. SIMOND Médecin de 1r elasse des Colonies. (Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) Évolution du Coccidium oviforme. SE. Hisrorique. — Le plus anciennement connu des Coccidium est celui qui fut découvert dans le foie du lapin par Hake en 1839; Leuckhart lui appliqua le premier le nom de coccidie, et appela Coccidium oviforme Vespèce rencontrée chez le lapin. Balbiani, étudiant l’évolution intracellulaire et le développement exogène du parasite, montra que chacune des quatre spores renfermées dans le kyste contient deux germes ou sporozoites. I semblait que l’histoire du Coccidium oviforme ft dès lors complète, et que les caractères de sa reproduction par un kyste sporulé exogène suflisaient à marquer définitivement sa place dans la classification. Cependant un point demeurait inexpliqué, la disproportion apparente entre le nombre de kystes formés dans les cellules épithéliales et celui des germes ingérés par l'animal porteur de parasites. Cette remarque, faite depuis long- temps en dehors de toute expérience, n’a pas reçu d'explication satisfaisante avant les travaux de R. Pfeiffer et de Podwissotzky. En 1892, R. Pfeiffer (19) rencontra, dans le foie et l'intestin ETS D) 546 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. des animaux malades, des formes de reproduction particulières consistant dans la division du plasma de la coccidie en corps falciformes au sein même de la cellule hôte, sans intermédiaire de kyste n1 de spores, par le processus antérieurement connu chez les Eimeria el Karyophagus, qu'il étaitcensé caractériser. R. Pfeiffer fonda sur cette découverte la théorie du dimorphisme, d’après laquelle le Coccidium du lapin possède deux cycles évolutifs, l'un endogène asporulé, qui détermine la pullulation dans les tissus de l'hôte, l’autre exogène sporulé, qui permet la contagion aux autres animaux et assure la conservation de l'espèce. F. Le Dantec (14) compare ces deux modes de reproduction aux deux sortes de spores du Puccinia graminis. Podwissotzky (20), reprenant l'étude du développement du Coccidium oviforme dans les canaux biliaires, a retrouvé les formes endogènes décrites par R. Pfeiffer, et signalé en outre des stades, qu'il considère comme des formes à microsporozoïtes, où les germes sont en très grand nombre, avec un volume ne dépassant pas celui d’une bactérie ordinaire. La théorie du dimorphisme paraissait résoudre d’une facon satisfaisante le problème de la multiplication du parasite dans l'organisme de son hôte et de la longue durée de la maladie. Aussi L. Pfeiffer a-t-il émis l'hypothèse que ce double cycle devait être général dans tout le groupe des Coccmies. Tous les naturalistes n’ont pas accepté cette manière de voir, et, parmi les spécialistes de la question, Aimé Schneider (23) et Labbé (12) se sont élevés très vivement contre la théorie de R. Pfeiffer. A. Schneider a opposé divers arguments, sans indiquer quel mécanisme pourrait expliquer, en dehors de cette théorie, la pullulation des coccidies dans les tissus. Labbé nie le dimor- phisme de R. Pfeiffer, tout en admettant, dans certains cas d'’in- fection suraiguë, un processus de multiplication très différent, qui consisterait en une ou deux bipartitions successives de la coccidie dans la cellule où elle évolue. Le reproche le plus grave adressé à la théorie du dimor- phisme est de reposer seulement sur cette observation qu’il y a coexistence chez le lapin de deux formes de reproduction, les- quelles pourraient aussi bien appartenir à des parasites diffé- rents, ainsi que Labbé dit l'avoir constaté chez les oiseaux. Il nous a paru intéressant d’essayer de résoudre cette question ÉVOLUTION DES COCCIDIES. BAT controversée du dimorphisme évolutif des Coccidium, dont lim- portance dépasse celle d’un litige concernant un point théorique d'histoire naturelle, puisque nombre d’épizooties et diverses maladies humaines relèvent de parasites appartenant au même groupe ou à un groupe voisin de SrorozoaRes. Au cours de nos recherches, qui ont porté plus spécialement sur le Coccidium ovt- forme, le Karyophagus salamandreæ et le Coccidium proprium, nous avons observé des faits nouveaux qui nous ont permis de rame- ner au genre Coccidium le parasite de la salamandre, et d'établir sur des bases plus solides la parenté, affirmée par Metchnikoff, en 1887 (16), entre le microbe du paludisme et le groupe des coccidies. S If. EXxPÉRIENCES DÉMONTRANT LE DIMORPHISME ÉVOLUTIF DU COCCIDIUM OVIFORME. — On sait que l'infection du lapin a lieu par ingestion de kystes sporulés du Coccidium oviforme*, mélangés à sa nourriture : ces kystes el leurs spores s'ouvrent dans Île tube digestif, et l’on admet que chacun des sporozoïtes, mis en liberté, pénètre, par un processus encore Inconnu, dans une cellule épithéliale pour y accomplir son évolution. Chacun des kystes ingérés, contenant huit sporozoïtes, doit donner naissance à huit coccidies. Il était nécessaire de vérifier tout d’abord et d'établir scientifiquement le pien fondé de l’opi- nion d’après laquelle il y a disproportion entre le nombre des kystes ingérés et celui des kystes de nouvelle formation. A cet effet, nous avons isolé un jeune lapin, après nous être assuré qu'il était indemne de coccidiose, et nous lui avons fait ingérer un nombre de kystes mürs qu’un calcul approximatif a permis d'évaluer au chiffre de 3,500. Pendant toute la durée de l’expé- rience, l'animal a recu une nourriture stérilisée afin d’écarter toute chance d'infection étrangère. Au 8° jour après l’ingestion des coccidies, les déjections contenaient des kystes en quantité énorme : en diluant dans # c. c. d’eau distillée, { gramme de déjections, et faisant ensuite sous le microscope la numération des kystes contenus en moyenne dans une goutte de cette émul- sion, nous avons calculé qu'il existait plus d’un millier de coccidies par centigramme de déjection; c’est dire qu'on peut compter par millions les kystes émis en un jour par le petit 1. Nous désignons sous ce nom aussi bien le C. oviforme que le C. perforans des auteurs. 048 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. lapin, proportion qui.s’est maintenue jusqu'à la mort, survenue quelques jours après. Il résulte de cette expérience qu'il se pro- duit effectivement dans l’organisme du lapin malade une multi- plication des coccidies, et qu'on ne saurait imputer à des réinfec- tions journalières la quantité de kystes émis ainsi que la persis- tance fort longue de leur formation. Les chiffres que nous avons obtenus montrent en outre l'insuffisance de la bipartition, même deux fois répétée, pour expliquer le phénomène; c’est en effet à des centaines de milliers qu’on doitestimer la quantité de kystes provenant de chaque coccidie ingérée. Labbé (11) avait primiti- vement admis ce mode de multiplication seulement pour les cas d'infection aiguë et rapidement mortelle ‘ ; or 1l est facile de montrer que la multiplication se produit dans les cas de cocei- diose chronique auxquels les animaux résistent. Si l’on isole un lapin adulte bien portant, quoique atteint de coccidiose, ce qui est le cas ordinaire, et qu'on le maintienne dans des condi- tions telles qu'il ne puisse subir d'infection nouvelle, on constate que la production de kystes dure plusieurs mois, au cours des- quels l’animal en expulse des millions. Nous avons vérifié que l’éclosion des coccidies sporulées ingérées par l'animal a lieu en moins de cinq jours, et que l’évolution intracellulaire du parasite pour atteindre le stade enkysté ne dépasse pas dix jours; par suite, les kystes émis au bout d’un mois d'isolement ne peuvent procéder par génération directe de ceux, quel que fût leur nom- bre, ingérés avant le début de l'expérience. fl y a eu multiphica- tion certaine du parasite daus les Lissus. Ce premier point acquis, nous avons fait, en vue de démon- trer le dimorphisme du Coccidium oviforme, l'expérience suivante. Une lapine pleine, indemne de coccidiose, comme nous nous en sommes assuré par l'examen préalable des déjections, a été isolée et a mis bas cinq petits. Ünze jours après leur naissance, ces jeunes lapins ont été séparés de leur mère, placés isolément dans des récipients stériles au laboratoire, et nourris avec du lait stérilisé. L'un d'eux a absorbé, mélangés au lait, des kystes mürs de Coccidium oviforme en grande quantité, et pendant trois jours conséculifs, afin de déterminer une infection intense. 1. Dans un travail récent (12), le mème auteur élargit cette manière de voir et altirme que la biparlilion peut s'opèérer un grand nombre de fois successivement. Celte conception de la multiplication du parasite est en désaccord avec nos observations. ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 549 Au bout de huit jours, cet animal devient malade et ses dé- jecuons renferment des kystes nombreux de Coccidium. Son état va s'ageravant, avec les symptômes ordinaires de la coccidiose mortelle. Le onzième jour, il présente un flux diarrhéique où pullulent les coccidies, il éprouve des convulsions et, comme il est moribond, nous le sacrifions. Aucun des quatre lapins témoins ne montra de symptômes semblables ; l’un fut sacrifié le huitième jour, un autre le neu- vième, un autre le dixième et enfin le dernier le douzième jour. Leurs déjeclions, journellement examinées, n'avaient à aucun moment contenu des kystes; l’autopsie ne montra chez aucun d'eux, ni dans l’épithélium intestinal, ni dans celui des canaux biliaires, la présence ni de formes endogènes ni de formes enkystées de coccidies. L’autopsie du petit lapin infecté, pratiquée immédiatement après la mort, révéla une coccidiose intense limitée à l’intestin ; les plaques déterminées par la pullulation des parasites se présentaient confluentes, surtout dans le premier tiers de l’intes- tin grêle. L'examen, à l’état frais, de cette portion du tube digestif montre les cellules épithéliales contenant des coccidies à tous les degrés de développement. La plupart sont en voie d'accroissement et constituent une sphère granuleuse pourvue d’un gros noyau central réfringent ; elles ont la coloration verdâtre commune chez les coccidies. Un grand nombre de parasites sont près de s’en kyster, comme l'indiauent leur volume et leur forme ovale, ou sont déjà enkystés. Beaucoup moins abondantes que les précé- dentes, se rencontrent des formes de reproduction asporulée, identiques la plupart à celles décrites par R. Pfeiffer (19) et pour lesquelles Labbé à créé le genre Pfeifferia *. Si l’on considère ces formes, arrivées à leur parfait dévelop- pement dans la cellule hôte, on voit qu'elles ont un volume assez variable, souvent inférieur à celui d’un kyste, et qu'elles sont constituées par un amas de germes ou corps falciformes. La cel- lule hôte, vide de son contenu, forme à cet amas dépourvu de membrane propre une coque qui lui sert d’enveloppe protectrice. A l'ordinaire, l’'amas comprend une vingtaine de corps falei- formes ; toutefois nous en avons observé qui renfermaient jusqu’à 4. Lapeé, (. À. Ac. se. Paris, tome 119, 4894. p. 527-539, 550 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. cinquante germes et plus. Tantôt ceux-ci sont rangés symétrique- ment par rapport à l'axe de la coccidie, qui représente alors assez bien une orange pelée; tantôt, surtout s'ils sont très nombreux, ils sont disposés sans ordre apparent. Chaque corps falciforme constitueun vermicule nucléé qui, dans les formes en orange pelée, atteint la longueur de leur diamètre et se courbe en arc, tandis qu'il se montre plus court et presque rectiligne dans les formes qui en renferment un grand nombre. Souvent on rencontre ces corps de reproduction asporulée à des stades moins avancés, qui montrent la coccidie segmentée en un nombre variable de petites sphères claires, pourvues chacune d’un noyau réfringent, et dont chacune va devenir un corps falciforme. À côté des formes que nous venons de décrire, il en est d’au- tres appartenant aussi au cycle asporulé (PI. xvu, fig. 11-14), difficiles à reconnaître à l’état frais si l’on n’est pas prévenu. Ce sont des corps volumineux, généralement plus grands que toutes les autres formes du parasite, nus comme les précédents à l'intérieur d’une cellule hôte, constitués par une masse non eranuleuse de protoplasma dépourvue de noyau central, et qui présente à sa surface une infinité de grains réfringents plus ou moins allongés en bâtonnets. Nous devrons revenir sur ces diverses formes intracellulaires en décrivant la double évolution du Coccidium oviforme telle qu’elle ressort de l'étude des coupes pratiquées sur l'intestin des jeunes lapins infectés expérimentalement. Pour obienir les préparations qui ont servi à cette étude, nous avons employé la double coloration à la safranine et au picro-indigo-carmin. Cette méthode, qui a servi à Podwissotzky pour l'étude de la cocci- diose du foie des lapins, donne des préparations d’une grande netteté avec des différenciations très délicates. Nos pièces élaient fixées avec le Jiquide de Flemming, solution forte. Les plus jeunes formes de coccidies rencontrées dans les cellules épithéliales constituent une petite sphère protoplasmique dépourvue de membrane, d'aspect hyalin, plus claire près du centre, où l’on voit un gros globule + se qui constitue le nucléole (Karyosome des auteurs ; PL. xvn, fig. 1). Un peu plus tard, l'aire claire centrale s’accuse et se limite davantage, de manière à représenter un véritable noyau qui demeurera incolo- rab'e à l'exception de son nucléole. Très souvent, dès les pre- ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 551 miers stades, on observe, à côté du nucléole sphérique, un second corps chromatique, qui se distingue par une forme en croissant dont la concavité embrasse le nucléole sphérique (PI. xvn, fig. 2). Au lieu de l'apparition du croissant chromatique, on peut, vers cette même période de début, observer la division du nucléole; en ce cas, on voit dans l’aire nucléaire deux nucléoles semblables et égaux, d'abord rapprochés et unis par des filaments chromatli- ques qui, plus tard, s’individualisent et ne tardent pas eux- mêmes à subir une division nouvelle (PI. xvn, fig. 9 et 10). Ces deux stades de début, apparition d’un nucléole en crois- sant d’une part, division du noyau d'autre part, marquent l'ori- gine des deux modes différents d'évolution de la coccidie, dont le premier aboutira à la reproduction par le kyste exogène spo- rulé, l’autre à la reproduction endogène intracellulaire sans inter- médiaire de spotes, par division directe du parasite en un cer- tain nombre de germes. On peut suivre dans les préparations l'un et l’autre développement, et retrouver la succession ininter- rompue des stades propres à chacun. Il règne, jusqu’à présent, une certaine confusion dans les termes employés pour distinguer la reproduction par les spores anciennement connues, qui ont fait donner au groupe le nom de Sporozoaires, de celle par division directe d’une coccidie à l'intérieur de la cellule hôte. Afin d'apporter plus de clarté dans notre exposition, nous adoptons provisoirement pour cette der- nière le nom de reproduction asporulée, par opposition à celle qui a lieu au moyen d’une spore résistante, et à laquelle nous conservons le qualificalif de sporulée. Dans le même but, nous appellerons mérozoïre le germe issu de la division directe d'une forme de reproduction asporulée, par opposition au SPOROZOÏTE, terme qui nous servira à désigner le germe provenant d’une spore. Nous le répétons, nous n’avons en vue ici que la clarté du discours, et nous pensons qu'il y a lieu d'attendre que lhis- toire des coccidies soit mieux fixée pour reviser définitivement et la terminologie et la classification. S IL. Cycue sporué. — En règle générale, {4 présence du nucléole secondaire en croissant dans le noyau d'une jeune coccidie caractérise le début du cycle sporulé. En même temps que lui, apparaissent parfois dans l'aire nucléaire quelques minuscules grains chromatiques qui peuvent se retrouver à divers moments 552 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de l'évolution coccidienne. Quant au nucléole en croissant, il per- siste pendant la première période de cette évolution et disparait, en général, bien avant que le parasite ait atteint son complet développement. Le processus de cette disparition paraît con- sister en une fusion de ce conps avec le nucléole sphérique. (PI. xvu, fig. 2-4). Nous examinerons plus loin quelle interpré- tation il convient de donñer à ce phénomène. Au stade qui suit l’apparition du croissant, on commence à rencontrer des granules chromatiques dispersés dans tout le cytoplasma, d’abord en petit nombre, bientôt plus abondants, avec une tendance à gagner la zone périphérique. Au fur et à mesure que la coccidie grandit, ces grains, non seulement augmentent en nombre, mais aussi leur volume s'accroît; ils se nourrissent aux dépens du plasma qui les environne jusqu'à acquérir un volume égal, ou même supérieur, à celui du nucléole sphérique central (PI. xvu, fig. 4 et 5). Quand la coccidie est près d'atteindre ou a atteint son maximum de volume, elle apparaît comme une sphère bourrée de granules chromatiques régulièrement arrondis, de plus en plus serrés et volumineux à mesure qu'on les considère plus rapprochés de la périphérie. Cette abondance de granulations peut empêcher parfois de distinguer le noyau. On rencontre, mais exceptionnellement, une disposition particulière des gra- nules chromatiques à ce stade; ils sont groupés en amas dis- tincts disposés d’une facon à peu près symétrique par rapport au noyau. Dans les préparations fixées et colorées par le procédé que nous avons indiqué, les granules plastiques non chromatiques ne paraissent pas. Il faut, pour les mettre en évidence, employer d’autres colorations ; on voit alors qu'ils remplissent les inter- stices existant entre les granules plastiques; par suite, la masse protoplasmique qui entoure le noyau se montre entièrement conslituée par des granulations. À partir du stade où elle commence à former des granula- tions chromatiques, la coccidie a son noyau bien délimité, pourvu d'une membrane délicate. Le nucléole sphérique en occupe le centre, ayant, pendant un certain temps, à côté et irès rapproché de lui, le corps chromatique en croissant. | Lorsque le parasite a acquis tout son développement, il se ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 553 produit d’une façon régulière un arrangement très remarquable des granules chromatiques, arrangement non sans rapport avec la formation des membranes d’enveloppe qui vont constituer à la coccidie une paroi kystique. Jusqu'à présent, ces granules étaient dispersés dans tout le cytoplasma, se montrant toutefois progressivement plus abondants et plus gros à mesure qu'ils étaient plus proches de la périphérie. Au stade qui précède immédiatement l’enkystement, cette disposition se modifie : les granulations se tassent vers la périphérie en une, deux ou trois rangées régulières, très serrées, dont la ou les deux plus externes comprennent exclusivement les gros granules chromatiques. Par suite de ce tässement, une grande aire claire apparaît autour du noyau (PI. xvn, fig. 5) dans laquelle se voient seulement les plus petits grains safranophiles. En poussant plus ou moins loin la décoloration, on constate que les granules chromatiques sont plus ou moins fortement safranophiles, et que tous, ou presque tous ceux d’une même rangée, manifestent au même degré leur pouvoir de fixation vis-à-vis de la safranine. Ce stade d’arrangement des granules chromaliques en cou- ches périphériques régulières suit de près la disparition du nucléole satellile en croissant: quelquefois il coïncide avec elle; rarement ce corps persiste, jusqu'à l’enkystement. La coccidie prend aussitôt après la forme ovoïde qui va caractériser sa phase kystique; il est exceptionnel qu'elle conserve la forme sphérique pour s’enkyster. Le premier indice de la for- mation des membranes consiste dans le resserrement en divers points des granulations chromatiques de la rangée la plus externe; on les voit s’accoler les unes aux autres par petits groupes, et perdre ensuite leur forme sphérique pour s’aplatir comme par écrasement vers leur pôle externe (PI. xvu, fig. 7). Un peu plus tard, une membrane est visible et montre pen- dant un certain temps, appliquées à sa face interne, des plaques irrégulières, disséminées, de substance chromatique paraissant provenir des granules chromatiques déformés; on observe le même phénomène pendant la formation de la deuxièmemembrane. Enfin, ce processus achevé, on distingue une paroi formée de deux membranes fortement chromatiques qui fixent la safranine. A l'intérieur du kyste, les granulations ont généralement dimi- nué de nombre et de volume, et ont perdu en partie leur affinité 594 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pour la safranine. Le noyau renferme toujours son nucléole sphérique qui semble parfois moins volumineux qu'avant l’en kystement. Au bout de peu de temps, la paroi cesse d’être colo- rable par la safranine; on voit alors Paire nucléaire s’infiltrer de graisse, et des granules graisseux apparaître dans le protoplasma (PI. xvu, fig. 8). Le processus semble indiquer le début de la contraction de la masse granuleuse qui se transforme en une sphère, de volume égal à la moitié environ de celui du kyste tout entier, baignée dans un liquide transparent. A ce stade, le globe granuleux qui montre à l’état frais ses granules tassés autour du noyau est infiltré de graisse, de telle sorte qu'après fixation par un liquide contenant de l’acide osmique, il appa- raît le plus souvent comme une masse noire dont on ne peut distinguer les éléments. C’est ce stade qui représente l’état par- fait du kyste, état qu'il doit acquérir dans le corps de l'hôte pour pouvoir, une fois évacué, mürir dans le milieu extérieur. La phase de l’évolution du Coccidium oviforme en kyste qui aboutit à la sporulation, avec ou sans reliquat de segmentation, est trop bien connue pour que nous ayons à nous en occuper. Le kyste dont nous venons d'indiquer la formation présente souvent une sorte d'amineissement de la membrane à l’un des pôles, qui donne l'illusion. d’un micropyle. Nous avons pu nous convaincre que cette apparence résulte d’une ouverture réelle existant au pôle de la membrane externe et contre laquelle s’applique en la bouchant la membrane interne dépour- vue de tout orifice (PI. xvnr, fig. 18). C’est là un point faible de la paroi kystique, dont le rôle paraît être de faciliter la sortie des spores. SEV. Cyece aAsroruLé. — L'évolution quiaboutitàla reproduction asporuléese caractérise le plus souvent de très bonne heure par la division du nucléole primitif en deux nucléoles égaux, et sem- blables de formes, qui se divisent à leur tour de telle façon que, dès les stades rapprochés du début, on ne retrouve ni noyau ni nucléole centraux, mais seulement un nombre peu considérable de granules chromatiques sphériques, qui sont les nucléoles pro- venant de la division du noyau primitif, dispersés dans le plasma. Cette division du noyau primitif et des noyaux qui en dérivent peut se continuer plus ou moins longtemps, et fournir un nombre de noyaux définitifs extrêmement variable, D’ordinaire ce “31 POÈTE ee ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 555 nombre, assez restreint, est compris entre 20 et 50, ou même réduit à 8 ou 10. Dans d'autres cas la division est poussée si loin que les nucléoles formés apparaissent dans le plasma comme une poussière de grains chromatiques. Le stade auquel aboutit cette extrême multiplication diffère d’une façon profonde, comme nous le verrons plus loin, de celui qui comporte un nombre limité de noyaux de nouvelle formation. L'une des raisons de l'inégalité du pouvoir de multiplication dévolu au noyau chez les différents individus est probablement en rapport avec les conditions de nutrition de la coccidie : on observe en effet une relation constante, sinon très précise, entre le volume qu'elle atteintet le nombre de divisions fournies par son noyau. Nous admettons qu'il existe d’autres raisons plus énergiques se rattachant aux qualités propres du noyau, et peut- être au nombre de générations asporulées qui ont précédé celle que l’on considère. Quoi qu'il en soit, le fait que la division peut s'arrêter à divers stades est important, parce qu’il détermine le nombre de germes que comprendra le corps reproducteur aspo- rulé. A. — Dansle cas de la production d’un nombre restreint de noyaux secondaires (8 à 50), aussitôt la division arrêtée, chacun d'eux devient un centre d'attraction du protoplasma, quise divise, ainsi sollicité, en autant de petites masses qu'il y a de noyaux dans la cellule coccidienne. Chaque petite masse se dispose en une sphérule dont un nucléole occupe le centre (PL. xvu, fig. 13); bientôt elle s’allonge en ovoïde, puis ses extrémités s’effilent, et le mérozoïle est constitué. Ce mérozoïte représente un vermi- cule fusiforme, courbé en arc le plus souvent, et pourvu d’un petit noyau rond, central, déjà visible à l’état frais. Le nucléole de.ce noyau apparaît, dans les préparations fixées, constitué par un certain nombre de minuscules grains de chromatine dispo- sés à peu près circulairement. Nous n'avons fait aucune recherche sur la constitution et la division du noyau des Coccidium et nos procédés de fixation ne nous ont pas permis de distinguer les figures achromatiques de la karyokinèse. Nous l'admettons par analogie avec ce qui se passe chez d’autres sporozoaires, le Monocystis par exemple, où elle a été démontrée par Henuneguy (8). B. — Des coccidies, dans lesquelles le noyau primitif s’est 556 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. divisé d'une manière presque indéfinie, aboutissent à un stade différent de celui que nous venons d'étudier. En ce cas, l’accrois- sement du parasite continue jusqu'à ce que son volume ait dépassé celui des formes asporulées ordinaires et des formes enkystées; les nucléoles, très nombreux et d'un volume n'’excé- dant pas celui d’un coccus, se présentent avec une forme sphé- rique répandus dans le eytoplasma (PI. xvn, fig. 15). Au moment où cesse leur division, ils se portent à la périphérie de la coccidie, et commencent à subir un allongement qui les fait ressembler d’abord à des fuseaux, puis à des bâtonnets (fig. 16) et enfin à des cils, effilés à leur extrémité libre, et obtus à l’autre, qui adhère à la masse protoplasmique (fig. 17). Celle-ci leur four- nit une petite quantité de protoplasma qui leur forme une gaine mince. À la fin du processus, le parasite représente une masse centrale entourée d’une véritable chevelure dont chaque élé- ment, mesurant 5 à 9 g, resssemble à un petit mérozoïte pourvu d’un noyau très allongé et proportionnellement très volumineux. Nous discuterons plus loin la signification de ce stade remarquable. {Voir page 568.) Quel que soit, de ces deux termes, celui auquel doit aboutir le cycle asporulé, on n’observe pas, pendant son évolution, la production abondante de granules chromatiques qui caractérise l’évolution du cycle enkysté. Ce serait une nouvelle raison d'admettre que ces granules, ainsi que nous avons cru le recon- naître, jouent un rôle important dans la formation du kyste. Existe-t-il d’autres modes de division de la coccidie dans le cycle asporulé? Nous ne saurions l’affirmer. Souvent nous avons rencontré des images de parasites dans une même cellule qui pourraient provenir de la bipartition affirmée par Labbé, mais il nous a été impossible de retrouver les stades où cette bipartition s’'accompliraît. Dans bien des cas, chez le lapin atteint d'infection intense, on voit nettement plusieurs coccidies jeunes dans une mème cellule, où chacune a pénétré individuellement; si l’on rencontre dans une autre cellule des coccidies plus âgées, accolées les unes aux autres, on n'est pas en droit de croire qu'elles proviennent d'une bipartition, plutôt que de Ja pénétration indi- viduelle à l'état jeune. Le fait d’une bipartition unique parait nécessaire pour expliquer les coccidies géminées, et Balbiani l’a soutenu pour certains cas particuliers ; 1l n'a rien de surprenant ÉVOLUTION DES COCCIDIES. D)1 chez des êtres doués d’une si prodigieuse plasticité. Quant à la bipartition indéfiniment répétée admise par Labbé, elle ne con- corde pas avec l'observation. On devrait trouver communément en ce cas plus de deux coccidies dans une cellule et c’est au contraire l'exception, au moins chez les espèces que nous avons éludiées. Notons, pour terminer ce qui à trail à la reproduction aspo- rulée, combien la variété des moyens mis en œuvre dans ce cycle contraste avec la régularité et l’unité qui règnent dans le cycle sporulé. S V. DéGÉNÉRESCENCE DE LA CELLULE HOTE. — La cellule dont un Coccidium a fait son hôtellerie subit, dans tous les cas, une série de modifications qui amènent sa dégénérescence et sa des- trucliou finale. Dès la pénétration du sporozoïte, le noyau de la cellule se relire à la périphérie et ne tarde pas à présenter des signes d’altération. C’est d’abord sa forme qui se modifie, le bord le plus proche du parasite se creuse en arc, et cette dispo- sition s’accentue progressivement. Bientôt le noyau représente un croissant qui va s’amincissant de plus en plus. On ne saurait mieux comparer cette déformation qu'aux phases de la lune en voie de décroissance. En mème temps, il se produit des modifica- tions importantes dans la substance nucléaire, le karyoplasma devient plus dense et plus fortement colorable, tandis que les nucléoles diminuent de volume, perdent leur colorabilité et finissent par disparaitre. A la fin de l’évolution du parasite, le noyau n’est plus représenté que par une ligne arquée fortement colorable, avec quelques rares grains chromatiques. Pendant que le noyau subit cette dégénérescence, le cylo- plasma disparaît, et la caverne qu'il offre à la coccidie s'agrandit en raison directe de l'augmentation du volume de celle-ci. La cellule hôte tout entière se réduit peu à peu à une coque plus ou moins épaisse. Dans les préparations colorées, elle apparaît comme une bague dont le noyau forme le chaton, et dont l’épais- seur est en raison inverse du volume du parasite qu’elle circons- crit. Au terme de l’évolution intracellulaire de la coccidie, la cellule hôte n’est plus qu'une enveloppe mince, distendue et prète à se rompre. Récemment, Labbé (12) à assimilé les phénomènes qui s’ac- 08 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. complissent dans la cellule où une coccidie élit domicile à ceux produits par une symbiose; il appelle cytosymbiose le parasitisme intracellulaire des coccidies, et considère celles-ci comme jouant le rôle d’organoïdes vis-à-vis des cellules parasitées. Nous ne sau- rions adopter cette manière de voir. Le terme de symbiose a en zoologie une signification précise, il s’applique à des êtres qui tirent de mutuels bénéfices de leur association ; or, quelle que soit la coccidie envisagée, on constate que sa présence dans une cellule amène progressivement et fatalement la désorganisation et la mort de celle-ci. La vie intracellulaire d’un sporozoaire constitue un exemple typique de parasitisme. Il Évolution du Coccidium (Karyophagus) Salamandræ. $ L. RECHERCHE ET ÉVOLUTION D'UN CYCLE SPORULÉ. — Après avoir reconnu et démontré expérimentalement la réalité du dimorphisme évolutif en ce qui concerne le Coccidium oviforme, il y a lieu de se demander si cette théorie est applicable aux autres coccidies du même genre, etmême à celles jusqu’à présent considérées comme formant des genres distincts plus ou moins éloignés. Un certain nombre de naturalistes sont déjà entrés dans cette voie, etont apportédes faits qui confirment l’idée du dimorphisme évolutif étendu à tout le groupe des coccidies. Mingazzini (18) a reconnu des formes asporulées chez le Ælossia octoplana : Schuberg (24) a décrit des kystes sporulés chez l’Eimeria falci- formis, dont on connaissait seulement la reproduction Asporulée. J. Clarcke (2) a observé chez le Xlossia de la limace grise un cycle asporulé. Tout récemment Léger (15) a reconnu le dimor- phisme chez un certain nombre de coccidies des arthropodes, notamment des Eimeria. Bien que ces divers travaux ne s’ap- puient pas sur des preuves expérimentales, ils constituent un argument en faveur de la généralité du dimorphisme. Nos recherches en ce sens ont eu pour objet une coccidie dont le classement a, jusqu’à ce jour, fort embarrassé les natu- ralistes, le Karyophagus salamandre. FÉTRR ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 559 En 1888, Heidenhain découvrait, dans les noyaux des cel- lules de l’épithélium intestinal des salamandres, un parasite appartenant au groupe des coccidies, dont il fait une courte description. Après lui Steinhaus (27) reprend l'étude du même parasite au- quel il donne le nom de Xaryophagus salamandre ‘, et insiste sur deux caractères intéressants de cette coccidie, l'habitat intranu- cléaire et la reproduction par des corps asporulés, endogènes, en forme de barillet ou d'orange pelée, comme ceux rencontrés plus tard chez le lapin par R. Pfeiffer (19). Avec ces. auteurs, on à admis jusqu'à présent que cette forme de reproduction était la seule du Xaryophagus et suffisait à assurer sa pérennité. Quand on étudie ces corps reproducteurs ou mérozoïtes isolés, au point de vue de leur résistance hors de la cellule hôte, on voit qu'ils sont d’une grande fragilité. Il suffit de les aban- donner pendant quelques heures à l’air ou dans l’eau, hors du corps de l'animal, pour amener leur mort. Mème pour les ren- contrer en bon état, soit dansles noyaux, soit libres dans l'intestin, il est indispensable de pratiquer l’autonsie très rapidement après avoir sacrifié la salamandre; peu d'heures après la mort, en effet, ils se résolvent en granulations d'apparence graisseuse et disparaissent. L'infection coccidienne atteint l’épithélium intes- tinal au voisinage de l'estomac, et s’arrête plus ou moins au- dessus du renfiement terminal de l'intestin dans lequel s’accu- mulent les déjections; or les amas en barillets de mérozoiïles libres ou intranucléaires se rencontrent seulement dans la portion d'intestin malade, et n'arrivent pas jusqu’à la poche rectale ; du moins, s'ils y arrivent exceplionnellement, ils y sont rapidement détruits par la putréfaction des excréments. Sur de nombreuses salamandres, nous avons pratiqué des examens répétés du contenu rectal, sans jamais y rencontrer ces formes asporulées ni des mérozoïtes libres. Au contraire, les barillets se retrouvaient constamment chez ces animaux dans les parties plus élevées du tube intestinal. On chercherait donc vainement les corps à mérozoïtes ou des mérozoïtes libres dans les déjections expulsées par lasalamandre. Cette constatation suffit à montrer tout d’abord la fausseté de 1. Une espèce nouvelle de Xaryophagus a été trouvée par Labbé chez les grenouilles. 260 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'hypothèse, généralement reçue, qui fait de ces formes le moyen de dissémination du Karyophagus. Nous avons été conduit par cette observation à admettre chez cette espèce une forme de résistance analogue à celle des Coccidium et à la rechercher. Parmi les nombreux corps sphériques vivants qu’on peut rencontrer dans le contenu intestinal des salamandres, dont un grand nombre représentent des spores de champignons, et dout certains appartiennent aux infusoires répandus dans le tube digestif, il en est un que des examens minutieux révèlent constant chez les animaux parasités par le Karyophagus. C'est un corps arrondi ou ovalaire, constitué par une enveloppe à double contour, renfermant un contenu granuleux qui remplit entièrement sa cavité (PI. xvi, fig. 5). Au centre de la sphère existe un noyau volumineux, réfringent, que les granula- tions ne permettent pas toujours de distinguer avec les forts grossissements ; 1l faut alors, pour le mettre en évidence, avoir recours à un objectif faible. Ce corps a généralement une colo- ration verdàtre, 1] présente des dimensions un peu différentes chez une mème salamandre, et cette différence s’accentue d’un animal à un autre : chez certaines salamandres, son diamètre mesure de 18 à 25, chez d’autres il varie entre 20 et 30 y. L’épaisseur de sa paroi atteint 1 & où 1 w 1/2*. C'est là la forme de résistance du Karyophagus, comme le montre l'étude de son évolution au dedans et au dehors de l’organisme *. Si l’on suit un de ces kystes placé dans l’eau en goutte sus- pendue, à la température ordinaire, on constate au bout de peu de temps, 24 ou 48 heures, que son contenu subit une rétraction aboutissant à la constitution d’une sphère granuleuse plus petite, tangente le plus souvent en un point dela paroi, et baignée par un liquide transparent, Cette sphère, au centre de laquelle per- siste le noyau, ne possède pas de membrane, et, à son maximum de contraction, représente à peu près les 2/3 du volume du kyste. (PI. xvi, fig. 6.) Vers le quatrième jour, on peut quelquefois lui 1. Dans le contenu intestinal, le kyste montre fréquemment des rugosités de sa surface que nous avons cru d’abord appartenir à sa paroi propre; ce ne sont en réalité que des débris de la cellule épithéliale à l’intérieur de laquelle il s’est formé. 2. Nous avons retrouvé cette forme enkystée, à côté de la forme asporulée, chez des Salamandra maculata provenant de Vienne (Autriche), de Berlin, de Stuttsgard et de Bretagne, ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 564 distinguer une ligne de partage méridienne qui se creuse en un sillon de plus en plus accentué. À un moment donné, on voit que les deux moitiés, de forme à peu près hémisphérique, sont entièrement séparées et contiennent chacune un noyau (PI. xvr, fig. 7); un processus semblable amène la division de chacun des hémisphères, de telle sorte qu'entre le cinquième et le septième Jour on trouve le contenu du kyste transformé en quatre petites masses granuleuses nucléées qui sont les sporoblastes. (PI. xvi, fig. 8). Les grauulations, au cours de ces divers stades, ont manifesté une activité qui se traduit par des modifications faciles à observer. Assez grosses, arrondies et peu réfringentes quand elles remplissaient le kyste, elles ont acquis, au stade de rétrac- üon, une réfringence plus grande et une forme moins régulière, jusqu'à simuler de petits cristaux; enfin, après la division, les petites sphères filles apparaissent formées de granules arrondis, fins, très serrés et peu réfringents. Un peu plus tard, chacun de ces quatre sporoblastes acquiert une forme régulièrement sphérique ou ovalaire, et sécrète une enveloppe délicate, à l’intérieur de laquelle les granulations se résorbent bientôt en partie jusqu'à constituer un tiers seulement du contenu, Ce phénomène accompagne la division du noyau du sporoblaste et l'organisation de deux corpuscules réfringents, les germes ou sporozoïtes, à côté desquels persiste le petit amas de granules non utilisés qui est un reliquat de différenciation. Chaque sporozoïte représente un petit vermicule court, réfrin- gent, dont une extrémité est obtuse et renflée, l’autre effilée ; les deux sporozoïtes sont en général placés côte à côte dans le même sens et embrassent dans leur concavilé le reliquat granuleux. A ce moment la spore est constituée et le kyste arrivé au terme de son développement exogène: ce stade est atteint en général du dixième au douzième jour. (PI. xvi, fig. 9, 10, 11). La durée de la conservation des kystes en milieu bumide est fort longue : nous avons constaté qu’elle dépasse six mois ; tou- tefois la spore est souvent mise en liberté avant ce terme, par rupture spontanée du kyste, dont la paroï se ramollit peu à peu, perd sa rigidité, et, de sphérique, passe à la forme grossièrement tétraédrique qui moule le groupement des quatre spores (PI. xvi, fig. 10). Il est facile de se rendre compte que lé kyste dont nous venons d'exposer l’évolution exogène est bien la forme sporulée 200 962 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. du Xaryophagus, car on retrouve dans les noyaux épithéliaux de l'intestin des salamandres toute la série des stades qui aboutissent à cette forme, concurremment avec ceux dont le terme est uü corps reproducteur asporulé‘. Nous avons suivi cette double évolution du Aaryophagus par des examens à l’état frais et sur des préparations fixées au liquide de Flemming et colorées à la safranine. Au stade le plus jeune observé dans les noyaux, la coccidie se compose, comme le Coccidium oviforme, d’une sphère hyaline au centre de laquelle est un nucléole chromatique sphérique (PL xv1. fig. 2 et 12). Cette sphère grandit aux dépens de la subs- tance du noyau hôte, et acquiert bientôt des granulations; son noyau, représenté au début par un simple granule chromatique, devient vésiculeux et comprend une aire non colorable limitée par une membrane, avec le nucléole chromatique sphéri- que au centre. Au lieu de demeurer unique, ce noyau peut se diviser, soit de bonne heure, soit à un stade un peu avancé. De même que chez le Coccidium oviforme, c’est là le processusle moins ordinaire, et qui aboutit aux stades de la reproduction asporulée. Dans la grande majorité des cas, l'accroissement continue sans division du noyau, et l’évolution marche alors vers l’enkystement. A un moment donné, la totalité ou à peu près du noyau de la cellule épithéliale a été consommée par le parasite: il ne reste plus de cet élémentque la membrane distendue. Les stades jeunes montrent dans le cytoplasme des granules chromatiques de petite dimension, généralement peu abondants jusqu'à une période avancée du développement. En même temps, à côté d'eux, des granulations plastiques plus volumineuses apparaissent, qui ne fixent pas les colorants nucléaires; enfin des granules grais- seux se montrent à peu près au milieu de l’évolution sporulée, et ieur nombre augmente jusqu'après lenkystement du parasite. Ils sont dans le kyste en abondance et d’un volume tel qu’ils peuvent gèner l'observation des autres éléments (PI. xvi. fig. 13 et 14). Notons que la présence de ces gra- nules graisseux, avant l’enkystement, n'est pas absolument cons- tante. Arrivée à la période ultime du développement intranu- cléaire, la coccidie s’enkyste par sécrétion d’une double mem- 1. Ainsi que Drüner l’a signalé, l’évolution du Xaryophagus Salamandre ne s’accomplit pas toujours dans le noyau de la cellule épithéliale. Quelquefois la majorité des parasites se rencontrent entre le noyau et le plateau des cellules. ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 563 brane d’enveloppe qui lui fait une paroi solide: elle tombe ensuite dans la lumière de l'intestin après destruction de la cel- lule hôte. L'existence du cycle sporulé que nous venons de décrire nous oblige à supprimer le genre Karyophagus pour le faire rentrer dans le genre Coccidium. S IT. Over asporuzé. — Les choses ne se passent pas ainsi quand le développement du Coccidium salamandræ suit le cycle asporulé (PI. xvr. fig. 15 à 20,21 à 29). Comme nous l’avons indiqué plus haut, il y a, dans ce cas, division le plus souvent précoce du noyau en deux noyaux filles qui subissent à leur tourla bipartition, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il existe dans le plasma 16 à 24 noyaux autour desquels ce plasma se distribue de manière à for- mer autant de pelits globules nucléés (PL. xvr. fig. 18 et 24-25), Chaque globule s’allonge en un vermicule qui acquiert presque toujours la longueur du diamètre de la coccidie et prend une forme en croissant (fig. 19 et 26). Finalement, le parasite est transformé en un amas de mérozoïtes rangés symétriquement par rapport à l'axe comme les douves d’un barillet ou les tranches d’une orange (fig. 19 et 26). On voit en général à l’un des pôles de ce corps un petit reliquat de segmentation granuleux (fig. 19). Les auteurs sont d'accord pour refuser à cette forme asporulée du Coccidium salamandræ une membrane d’enveloppe. C'est en effet la membrane du noyau de la cellule hôte ou, comme pour le Coccidium oviforme, la membrane de cette cellule elle- même qui lui constitue une coque protectrice jusqu’après la formation des mérozoïtes qu'elle laisse échapper en se rompant*. Lorsqu'on provoque cette rupture par pression, l’amas nu des corps falciformes est mis en liberté, et ne montre plus le reliquat demeuré attaché aux lambeaux de l’enveloppe. Nous nous expliquons par cette circonstance que Steinhaus ait nié l’exis- tence de ce reliquat, dont l'importance d’ailleurs nous semble minime, et qui n'est peut-être pas d’une constance absolue. Steinhaus a beaucoup insisté sur un phénomène de segmen- talion que présenteraient parfois simultanément les mérozoïtes, et qui aboutit à la formation de deux barillets accolés par une extrémité. Nous n'avons pu observer ce phénomène, probable- ment parce qu'il n’est commun que pendant une période 1. À ce point de vue, le C. Salamandræ se comporte comme les autres Coccidium, et il n’y a pas lieu d'établir une distinction tranchée entre les formes Karyophagqus, Eimeria et Pfeifferia, comme le fait Labbé (10 et 12). 504 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. A déterminée de la coccidiose. Il est à rapprocher de celui rencon- tré par J. Clarcke, (2, pl. 31, fig. 6 c), chez les mérozoïtes de la forme de reproduction asporulée des Klossia de la limace grise. On doit, pensons-nous, le considérer comme une manifestation inconstante de cette remarquable plasticité des coccidies que révèle l'histoire de leur développement. Ce double barillet a sa place auprès des corps à micromérozoïtes dont nous allons donner plus loin la description. En général, ie barillet apparaît composé de mérozoïtes immobiles; il n'en est cependant pas toujours ainsi. Nous avons vu quelquefois les mérozoïtes se séparer les uns des autres et présenter, outre la flexion, des mouvements nettement amiboïdes, raccourcissement, allonge- ment, production d’étranglements et de renflements, enfin pro- gression en avant ou en arrière sans changementde forme percep- tible pendant qu’elles’accomplit. Ces mouvements cessenttrès vite après qu’on a sacrifié la salamandre. Nous iüclinons à considérer ces corps à mérozoiïtes mobiles, qui existent également chez les autres Coccidium,commel’élatde maturité parfaite du corps en ba- rilletimmobile, plutôtque comme une forme asporulée différente. A côté de la forme asporulée classique en barillet, contenant 15 à20 mérozoïtes ou moins, on observe, mais plus d’une manière constante, des corps renfermant un plus grand nombre de germes, et qu'on peut considérer comme des corps à microméro- zoïtes. L'une de ces formes diffère des barillets par le nombre plus considérable de mérozoïtes, qui peut aller jusqu’à 50environ: ceux-ci sout plus effilés que les mérozoïtes ordinaires, plus mobi- les et nucléés comme eux. Nous les avons vus se mouvoir dans la cavité intranucléaire, et arriver à percer la membrane pour s’en échapper; leurs mouvements étaient limités, lents, et consistaient en une flexion en arc suivie de redressement (PI. xvr fig. 27 et 28). Aussi peu fréquemment, nous avons rencontré des corps assez volumineux composés de mérozoïtes courts, épais, disposés en rangées irrégulières, imbriqués de façon à remplir la cavité du noyau, mesurant seulement la moitié ou le tiers de la longueur ordinaire, nueléés et immobiles (fig. 21). Il n’est pas Impossible que ces corps à micromérozoîïtes trapus soient un stade de la forme précédente à mérozoïtes minces et mobiles. Le stade qui précède lasegmentation enmicromérozoïtes est une coccidie volumineuse, à granulations fines et serrées. ÉVOLUTION DÉS COCCIDIES. 565 III Stade pseudo-flagellé mobile de l’évolution des coccidies. $ Le. STADE A PSEUDO-FLAGELLES CHEZ LE COCCIDIUM SALAMANDRE. — Il existe, dans le cycle asporulé du Coccidium Salamandræ, une autre forme de division intracellulaire du parasite qui présente une importance morpholcgique de premier ordre, en raison de ses affinités avec un stade analogue observé chez d’autres sporozoaires et en particulier chez la coccidie du paludisme. Metchnikoff (17) observa le premier cette forme en 1890, et fut frappé de son &nalogie avec le « corps à flagelles » de Laveran et les Polymitus de Danilewsky. Nous l'avons recherchée d’après les indications de Metchnikoff, et il nous a fallu sa- crifier un grand nambre de salamandres pour la retrouver, car elle n’est pas constante pendant la durée de l'infection, et paraît se présenter en abondance seulement à des périodes détermi- nées. A l’état frais, ce corps attire l’attention par sa mobilité : on distingue dans ‘le noyau d’une cellule épithéliale une coccidie dont la surface est agitée par un tourbillonnement des granula- tions qui rappelle une ébullition. Un examen attentif montre que le centre de ce corps est une grosse sphère transparente antour de laquelle se meuvent, l’entraînant parfois dans un mouvement de rotation, des corps vermiculaires en forme de flageiles, qui lui sont adhérents par une extrémité; ces flagelles impriment le mouvement aux granulations du protoplasma ambiant et les font tourbillonner avec eux. Si l’on surprend la coccidie au début de ce stade mobile, les flagelles paraissent d’abord assez courts ; sous l'œil de l'observateur, ils s’allongent et finalement ils se détachent les uns après les autres de la sphère claire, ia refoulent souvent à une extrémité de la cavité nucléaire, et continuent à se mouvoiractivement. Quand la mem- brane du noyau ou de la cellule hôte qui leur forme une enveloppe se rompt, leur mouvement persiste au dehors. Dans l’humeur aqueuse, qui constitue un milieu de choix pour l'examen à l’état 566 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. frais des coccidies, nous avons vu le mouvement de ces flagelles se conserver pendant quatre heures. Le stade qui précède l'apparition du mouvement montre que la coccidie a massé toutes ses granulations à la périphérie, où elles constituent une couche serrée entourant la masse claire centrale du plasma, partie qui deviendra la sphère de reliquat, et qui ne possède ni noyau, ni granulations. Les granuiations périphériques sont de grosseur variée, souvent allongées et piri- formes (PI. xvi, fig. 32). On voit, dans les préparations colorées, que les flagelles sont constitués par un filament de chromatine autour duquel est disposée une mince couche de protoplasma. Toute la chro- matine du parasite a été utilisée pour constituer les fouets qui forment l’axe du flagelle, et il nereste ni nucléoles ni grains chro- matiques dans le reliquat sphérique transparent (PI. xvr. fig. 38). Si l’on considère la coccidie à des stades un peu antérieurs, on voit qu’elle diffère des autres formes asporulées en voie de développement, seulement en ce que les granulations, ou plus exactement les nucléoles, sont plus nombreux et massés à la périphérie, au lieu d'être répandus dans le protoplasma (PL. xvi, fig. 36 et 37); d'autre part, les flagelles diffèrent des mérozoïtes ordinaires par la forme allongée en fouetdu nucléole, la plus grande proportion de chromatine qui entre dans sa con- stitution, et par leur mobilité extrème. Le nom de flagelles, que leur a valu l’analogie avec les éléments du corps mobile de Laveran qui ont reçu ce nom, esttout à fait impropre si l’on considère leur constitution et leur réelle indépendance de la sphère centrale. Ils restent accolés à celle-ci pendant le temps nécessaire pour leur permettre de s'organiser en utilisant le protoplasma cortical de la coccidie; dès qu'ils ont acquis leur longueur, qu'ils se sont distribués, pour s’en revêtir, tout ce pro- toplasma périphérique par lequel ils adhéraient à la sphère non granuleuse, ils se détachent natureilement de cette masse rési- duelle centrale et continuent leur évolution librement. Nous proposons d'appliquer à ces pseudo-flagelles, enraison du grand noyau chromatique qui les caractérise, le nom de Chromatozoïtes. Nous adoptons ce termesous les mêmes réserves que nous avons formulées à propos des dénominations de cycle asporulé et de mérozoîtes. rai AC LS +2 uen) 4 PPMOR TU MN INIST der v « TE D 4 Ds ENST re, DRM TTL ES CA ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 567 L'évolution des corps à chromatozoïtes avant le stade mobile nous semble différer fortpeu de celle des corps en barillet : division du noyau au début de l'existence intranucléaire, puis division successive des noyaux secondaires jusqu’à ce qu'il en existe un grand nombre; enfin, etc’est là le stade où la différence se mani- feste, transport de ces noyaux à la périphérie, dans la couche externe du protoplasma, qui doit seule prendre part à l’organi- sation des chromatozoïtes. Le stade mobile que nous venons de décrire s’observe excep- tionnellement. Metchnikoff l’a constaté une première fois au printemps de 1896; instruit par lai de son existence, nous l'avons vainement cherché pendant six mois chez un grand nombre de salamandres parasitées. Voici les conditions dans lesquelles nous l'avons rencontré : un certain nombre de salamandres conservées longtemps au laboratoire ont présenté au bout de quelques mois fa guérison spontanée de la Coccidiose. Nous avons voulu les utiliser pour obtenir expérimentalement leur réinfection au moyen du kyste sporulé que nous avons montré être la forme de résistance du Karyophagus, et répéter au sujet du dimorphisme chez cette Coccidie l’expérience qui nous a réussi avec le Coccidium oviforme. Une salamandre qui a reçu des kystes mürs a montré au bout de quelques jours, dans ses déjections, une quantité considérable de kystes de nouvelle for- malion ; nous l’avons alors sacrifiée et autopsiée. L’épithélium . intestinal contenait des Coccidium à tous les stades de l’un et l'autre cycle évolutif, particulièrement de nombreux barillets et des corps à chromatozoïtes. Si l’on compare les résultats de cette autopsie avec ceux des examens pratiqués sur des salamandres conservées longtemps au laboratoire, et dont la coccidiose remonte à quelques mois, on constate que chez ces dernières les barillets sont peu abon- dants, et l’on ne trouve pas de formes mobiles à chromato- zoiles. Une conclusion découle de cette comparaison, c’est que les corps à micromérozoïtes et les corps à chromatozoïtes sont des stades de début de la coccidiose, qu'ils appartiennent surtout aux premières générations asporulées de l'existence intracellu- laire du Coccidium Salamandræ. W ne paraît pas impossible que les mêmes formes puissent se rencontrer à toutes les périodes 568 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de l'infection, mais ce serait alors en nombre assez restreint pour que leur constatation soit très difficile, sinon impossible. $ IE. STADE A PSEUDO-FLAGELLES CHEZ LE COCCIDIUM OVIFORME ET LE COCCIDIUM PROPRIUM. — Il était naturel de penser que ce stade remarquable de corps pseudo-flagellé n’est pas spécial au Cocci- diumn salamandræ: nous l'avons retrouvé chez les Coccidies du lapin et des tritons. | En exposant l’évolution du cycle asporulé du Coccidium ovi- forme, nous avons décrit une forme endogène volumineuse, dont les nombreux noyaux se disposent à la périphérie, et dont les nucléoles s’allongent ensuite en bâlonnets, puis en fouets (PL. xvrr. fig. 15 à 17). C’est là assurément le même stade pseudo-flagellé que nous avons vu mobile à l’état frais dans l’épithélium intes- tinal de la salamandre. Nous n’avonspu jusqu’à présent l’observer, pour le Coccidium oviforme, que dans les coupes fixées. [s’y pré- sente avec la forme d’une sphère protoplasmique non granuleuse, entièrement dépourvue de chromatine, à la surface de laquelle adhèrent une multitude de flagelles constitués par un axe de chromatine qu'enveloppe une fine gaine protoplasmique. Ces chromatozoïte sont une forme diversement courbe, et éntourent comme une chevelure la sphère de reliquat. L’analogie de forme et d2 constitution de ce corps avec le stade mobile du Coccidium salamandræ sur les préparations fixées est telle qu’il est impossible de refuser la même mobilité aux chromatozoïtes du Coccidium oviforme, et de leur attribuer une signification différente. Chez le Coccidium proprium, dont A. Schneider a décrit deux variétés, parasites des trilons, nous avons rencontré le stade pseudo-flagellé avec tous les caractères qu'il nous a pré- sentés chezle Coccidium salamandræ. Wen diffère par un volume un peu plus considérable du corps entier et la longueur un peu plus grande des chromatozoïtes, qui mesurent chez lui 7 à 10 & au lieu de 6 à 8 chez le Coccidium salamandræ*. Le phénomène de la mobilité à l’état frais et la succession des stades de l’évolution 1. Cette différence, ainsi que celle tirée des kystes, montre que les deux espè- ces C. Salamandræ et C. proprium sont bien distinctes. Aaryophagus Sala- mandre wa done pas pour forme sporulée C. proprium, Corame on avait pu le supposer a priori. Ms D ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 569 dans les préparations fixées apparaissent identiques. Il nous suffit done pour celui-ci de renvoyer à la description du corps pseudo-flagellé du Coccidium salamandræ et aux figures 19 à 27 de la planche xvn. Toutes les formes représentées par ces figures proviennent d’un même triton de l'espèce Molge vulgaris. (Triton læniatus, Triton punctatus). Avec les Coccidium enkystés provenant de son intestin, nous avons reproduit l'infection chez d’autres Molge de même espèce. N'ayant pu, faute de sujets, réaliser cette infection chez des animaux nés au laboratoire, et qui en ce cas présenteraient les mêmes rigoureuses garanties d'absence de toute infection préalable que les jeunes lapins qui nous ont servi a élablir la preuve expérimentale du dimorphisme évolutif du Coccidium oviforme, nous nous sommes procuré un assez grand nombre de tritons que nous avons conservés, isolés les uns des autres, et chez lesquels une série d'examens des déjections nous a montré l'absence de coccidiose. Ceux qui, dans ce groupe, ont subi l'infection, ont présenté à la fois des formes endogènes asporulées et des formes enkystées: au contraire ceux servant de témoins ne montraient à l’autopsie aucune forme de coccidies'. Une série d'expériences nous a démontré que chez le Triton aussi bien que chez la Salamandre, les formes asporulées des Coccidium sont fragiles, incapables de résister aux agents extérieurs, qu’elles meurent très peu d'heures après l’autopsie de l'animal infecté, qu'elles disparaissent rapi- dement, probablement digérées, dans l’estomac d’un triton si on les y introduit, et qu’on ne peut arriver par ce procédé à réaliser une infection. Labbé, (12, page 635) déclare avoir, au moyen de ces formes asporulées qu'il appelle Pfeifferia, obtenu des infec- tions expérimentales reproduisant uniquement les mêmes Pfaifferia dans l’épithélium intestinal, sans donner lieu à aucune formalion enkystée. Comme il ne décrit pas le procédé qu’il a employé, nous ne saurions actuellement discuter ses résultats. De même que nous avons admis la généralité du dimor- phisme chez les Coccidium après sa démonstration expérimen- tale pour trois espèces vers lesquelles le hasard seul a dirigé nos études, de même, nous croyons, l’ayant rencontré chez ces 1. L’infection expérimentale, au moyen des formes enkystées, des tritons et des salamandres, réussit très irrégulièrement. Elle exige des conditions de récep- tivité de la part de l'hôte que nous n'avons pu encore déterminer. CT. | NT SR ENENENE x PPMARUE 2 48e F ph # è 570 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR trois mêmes espèces, les seules où nous ayons eu encore l’occa- sion de le rechercher, que le stade à chromatozoïtes est une forme normale de l’évolution chez tous les Cocciium. I se pourrait même qu'il existât plus ou moins modifié chez tous les sporozoaïres. S IIT. ANALOGIES DU STADE A CHROMATOZOITES AVEC LES CORPS A FLAGELLES DE LAVERAN ET LES POLYMITUS DE DANILEWSKY. — On connaît jusqu’à présent trois espèces de sporozoaires où des formes comparables s’observent : la Grégarine géante du homard (Porospora gigantea) étudiée par Van Beneden‘ (1), les Polymitus de Danilewsky (3) et l’hématozoaire de Eaveran (13). Un point qui mérite d'être signalé est la ressemblance du stade, décrit et des- siné par Danilewsky (3), qui précède l’excapsulation chez le Polymitus, avec le stade qui précède immédiatement celui de la manifestation de la mobilité chez le Coccidium salamandræ. Sa- kharoff a constaté que l'axe des flagelles des Polymitus est formé de chromatine, et que ces prolongements ne peuvent être envi- sagés comme des flagelles véritables. Laveran (13), Metchnikoff (17), Soulié, pre le corps flagellé du paludisme comme une forme bien vivante, et A comme un stade de dégénérescence. Cette théorie de la dégénérescence, imaginée par les savants italiens Grassi, Feletti, Celli, San Felice, puis défendue par Sakharoff et Labbé (10), a pu trouver un semblant de valeur dans le fait que les flagelles détachés meurent au bout de peu de temps, mais il ne faut pas perdre de vue que les coccidies, sous leurs formes parasitaires non enkystées, ne peuvent subsister longtemps en dehors du tissu vivant. Le laps de temps nécessaire à l'apparition des flagelles après la sortie, hors du vaisseau, de la goutte de sang paludique destinée à l'examen est un autre argument invoqué en faveur de la dégénérescence : nous pensons que les flagelles du paludisme prêts à se mettre en mouvement, ou déjà en mouvement dans le globule, sont empêchés par l'enveloppe globulaire de mani- fester leur présence jusqu'à ce que cette enveloppe ait cédé ; comme elle s’altère très vite hors de l'organisme, tous les corps à flagelles mürs s’échappent et apparaissent après quelques 1. Les savants (A Schneider, Léger) qui ont étudié, postérieurement à Ed. van Beneden, l’évolution de cette grégarine n’ont pas retrouvé ce stade, et ils ont raison de dire que la spore ne doit pas en être le point de départ. Cela ne prouve pas pourtant que ce stade n'existe pas. ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 571 minutes, et pour ainsi dire tous à la fois dans la préparation. Cette interprétation est entièrement conforme aux faits décrits par Danilewsky concernant l’excapsulation des Polymitus chez les oiseaux. S IV. Rôre névoru aux curomarozoïres. — Divers auteurs paraissent avoir eu sous les yeux le stade à chromatozoïtes que nous avons décrit: Podwyssotzky a rencontré chez le Cocci- dium oviforme diverses étapes de son développement et les a considérées comme des formes de reproduction à microspo- rozoïtes. Il semble, d'après les figures de son mémoire (12) (pl. 13, fig. 125.), que ce soit le stade à chromatozoïtes du Cocci- dum proprium que Labbé considère comme une forme à micro- sporozoïtes du Pfeifferia tritonis, et le même stade mobile chez Klossiä Eberthi qu'il décrit comme une forme monstrueuse à pseudosporozoîïtes ‘. Certaines figures de Jackson Clarcke repré- sentent probablement le corps à chromatozoïtes de la Ælossia des limaces grises (pl. 3, fig. 7). L'interprétation la plus géné- rale venue à l'esprit de ceux qui ont observé des chromatozoites est celle de microsporozoïtes. Pourtant Schuberg et Labbé*, (12, p. 622) ont pensé à une conjugaison entre leurs microspo- 4. Voir fig. 8, p. 613, et fig. 9 et 10, p. 614. Schneider interprétait ce stade comme une forme cadavérique. 2. M. Labbé, dans une note présentée le 12 juin à la Société de Biologie (voir C. R. p. 569), déclare : 1° Que ce stade à chromatozoïtes n’est pas autre chose que le stade à micro: sporozoïtes qu'il a décrit chez sa « P/feifferia » du Triton (forme asporulée du Coccidium proprium A. Schn.); mais que M. Simond a mal décrit et mal coloré ces sporozoiïtes; 2 Que ce stade n’a rien à voir avec le « corps à flagelles » de Laveran chez l'Hématozoaire du paludisme. En l'absence de M. Simond, j'ai répondu à M. Labbé à la séance du 19 juin (voir C. R. p. 595). Dans les lignes du texte qui renvoient à la présente note, M. Simond fait l'historique de la question, et reconnait lui-même que son stade à chromatozoiïtes correspond au stade à microsporozoites de la Pf. tritonis de Labbé. Mais ce qu’il a le droit d'affirmer, c’est qu'il est le premier à avoir vu la généralité et l'importance de ce stade. Ses chromatozoïtes sont bien colorés dans les nombreuses préparations que j'ai examinées,et il a puainsi mettre en évidence les caractères si particuliers de ces cellules reproductives, avec leur noyau formé d’un énorme filament chro- matique; ils rappellent tout à fait des spermatozoïdes et ils en ont l’extrême mobilité. Pour tout esprit non prévenu, la comparaison des figures de Simond et de celles de Sakharoff (21, pl. xv fig. 15-18) pour le « corps à flagelles » des héma- tozoaires des oiseaux s'impose. Et ainsi se trouve confirmée cette idée que j'ai émise dès 1887 que l’hématozoaire du paludisme, très voisin de celui des oiseaux, esl une coccidie. EL. MEercanikorr. 972 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. chromatozoïtes) et leurs macrosporozoïtes (nos mérozoïtes), sans apporter aucun fait précis corroborant leur manière de voir. Nous devons présenter avec certaines réserves, et provisoi- rement comme une probabilité, l'opinion qui résulte chez nous de l'étude des chromatozoïtes, touchant leur signification. Il n’est pas admissible de supposer que la coccidie trouve dans ce stade un moyen de locomotion qui lui permettrait de se trans- porter entière en un autre point du tissu, car, à suivre l’évolution de ce corps mobile, on voit jusqu’à l'évidence que seuls les chro- matozoïtes, une fois l’enveloppe rompue, pourront sortir de la cavité iutracellulaire par suite de leur séparation d’avec la sphère de reliquat. Il n’est pas douteux non plus que la rupture de l’en- veloppe ne soit produite régulièrement par les mouvements si vifs des chromatozoïtes, et, en effet, on les retrouve libres dans la lumière de l'intestin. Quant à la sphère centrale, une fois aban- donnée par ceux-ci, elle ne représente plus qu'un résidu pro- toplasmique analogue aux reliquats rencontrés dans d’autres formes de division; dépouillée de toute sa chromatine, elle ne saurait désormais jouer aucun rôle. Nous avons été frappé de rencontrer chez le chromatozoïte deux caractères essentiels, grande proportion de chromatine et extrême agilité, dont la réunion est d’une manière générale caractéristique de l'élément sexuel mâle chez les êtres vivants. En voyant les chromatozoïtes se mouvoir hors des cellules, on est saisi par l’analogie qu'ils présentent avec des spermatozoïdes. Nous avons donc envisagé l'hypothèse d'une différenciation sexuelle chez les Coccidium, et dirigé de ce côté nos investiga- tions. S'il existe dans le cycle des Coccidium une conjugaison où le chromatozoïte joue le rôle de gamète mâle, il est à supposer que c’est un mérozoïte des formes de reproduction asporulée qui subit la fécondation par conjugaison avecle chromatozoïte. Nous n'avons pu jusqu’à présent surprendre cette conjugaison à l’état frais, mais nous avons observé dans nos préparations des figures qui sout très suggestives à cet égard. Chez les sala- mandres et les tritons, porteurs de parasites, on voit fréquem- ment, dans la cellule ou sur le plateau de la cellule épithéliale de l'intestin, des corps dont l'aspect est celui d’une très jeune coc- ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 573 cidie, pourvue d’un nucléole central, qui vient de perdre sa forme de mérozoïte pour devenir sphérique; dans bien des cas, ces jeunes Coccidium ont une partie de leur contour occupée par un corps chromatique, tantôt en forme de cordon, tantôt étalé et comme fusionné avec le plasma à sa surface, tantôt inclus à l’in- térieur du plasma où il apparaît comme un second nucléole plus volumineux que le nueléole normal. Ce corps rappelle dans bien des cas un chromatozoïte. C’est surtout chez le Coccidium oviforme que les apparences d’une conjugaison s’accusent davantage. Nous avons indiqué, en décrivant le cycle asporulé de ce Gocci- dium, la présence constante dès le début de ce cycle, à côté du nucléole sphérique central du parasite, d’un corps énigma- tique en croissant, formé de chromatine, et qui paraît à un stade plus avancé se fusionner complètement avec le nucléole vrai. (PI. xvu, fig. 2-4). L’analogie de forme et de volume de ce corps avec un chromatozoïte est assez nette pour donner un caractère de vraisemblance très grand à notre hypothèse d’une conjugaison. L'absence de ce corps en croissant dans les formes jeunes du cycle asporulé est encore un argument en sa faveur : en effet, par analogie avec la succession de formes agames et de formes sexuées chez d’autres êtres, il est logique de penser que la conjugaison chez les Coccidium est le prélude du cycle sporulé, et que les séries de générations endogènes par mé- rozoïtes sont une forme de parthénogénèse. Dans l’état actuel de nos connaissances, l'hypothèse d’une conjugaison chez tous les sporozoaires s'impose : cette conju- gaison a été rencontrée chez quelques-uns, où elle est très impar- faitement connue, et a pu être considérée parfois comme un simple accolement sans aucune portée sexuelle. Cependant, Wol- ters (28) paraît avoir établi définitivement que chez le Monocystis elle est caractérisée par la fusion des éléments nucléaires. Labbé (10) a signalé un phénomène du même genre pour le Dre- panidium des grenouilles et l'Hemogregarina du lézard. À propos de ces deux espèces, nous devons noter que l'identité des formes très mobiles avec celles qu'on rencontre immobiles dans les globules sanguins n’est point démontrée, et qu'il y aurait intérêt à rechercher si les premières, douées d’une motilité surpre- nante, ne constituent pas des éléments mâles analogues aux chromatozoïtes. Dans un groupe d'êtres aussi homogène que 074 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. celui des sporozoaires, il est difficile de penser qu'un phéno- mène aussi important que la conjugaison existe à l’état isolé. Nous poursuivons actuellement, sur un certain nombre de coc- cidies, nos recherches dans cette voie. IV Conclusions. D’après les faits que nous avons exposés concernant l’évolu- tion des Coccidium, on pourrait être tenté d'admettre non plus un dimorphisme, mais un polymorphisme évolutif pour les coc- cidies. Il faut considérer cependant que toutes les formes de division asporulée sont morphologiquement voisines et consli- tuent des modalités d’un même processus évolutif. Il n’y a réellement pour les Coccidium que deux modes de reproduction, l'un asporulé, l’autre sporulé; le premier jouit d'un polymor- phisme en rapport avec des conditions particulières, tandis que le second présente dans son cycle évolutif, et dans la forme de résistance qui est son dernier stade, des caractères de fixité qui font de lui le mode essentiel et typique de la reproduztion. Loin d'admettre l’opinion de Labbé (12), lequel identifie le segment de la coccidie qui va devenir un mérozoïte dans le cycle asporulé au sporoblaste formé dans un kyste, et assimile Île mérozoïte issu d’une segmentalion intracellulaire à la spore, nous pensons que les deux modes sont morphologiquement et physiologiquement distincts. On pourrait comparer cette pro- priété des Coccidium de fournir des générations asporulées à celle de se reproduire un grand nombre de fois par scissiparité, entre deux conjugaisons, que manifestent certains Ciliés, ou encore à la segmentation qui permet à un bacille de pulluler indépen- damment de la formation d’endospores, comme cela a lieu pour le charbon par exemple. Le Coccidium possède ainsi un moyen de multiplication temporaire rapide, en rapport avec des condi- tions de vitalité propre et de milieu, qui finit par s’épuiser. A ce moment, pour assurer la perpétuité de l'espèce, le parasite doit aboutir à une forme de résistance, la spore, et très probablement la production de cette spore exige un acte sexuel. Le polymorphisme du cycle évolutif nous permet de penser ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 575 que l’histoire de la plupart des coccidies, jusqu’à présent carac- térisées par un seul mode de reproduction, est à modifier ainsi que leur classification. Nous avons montré que les genres Karyophagus et Pfeifferix appartenaient au genre Coccidium. Les Eimeria doivent se ranger également dans des genres pourvus de spores durables, comme Léger (15) l’a observé pour diverses espèces. ‘étude de l’évolution des Coccidium oviforme, C. proprium, C. salamandre, nous amène à formuler une conception nouvelle des êtres appartenant au groupe des coccidies : leur caractère le plus saillant est cette faculté de multiplication par mérozoites, pendant la vie intra-cellulaire, en vertu de laquelle l'individu issu d’une forme sporulée est doué d’une énergie reproductrice qui lui permet d'adopter les moyens les plus avantageux pour se multiplier. Cette propriété se continue chez un nombre de géné- rations fort variable, par suite de conditions multipies qui nous échappent, mais elle va progressivement en s’affaiblissant jusqu’au moment où l'organisme est incapable d’une nouvelle division directe. Il paraît devoir alors subir la conjugaison pour aboutir à la formation de spores, condition du rajeunissement de l'espèce. La sporulation est le terme obligé de toutes les générations asporulées. Van Tieghem considère comme individu, dans le règne végétal, seulement l'individu spécifique, c’est-à-dire d’après F. Houssay (9) « toute la masse matérielle allant de l’œuf à œuf, agglomérée ou fragmentée, simple ou rameuse, dont les rameaux sont semblables entre eux ou différenciés ». N'y a-t-il pas lieu d'appliquer ici cette définition que F. Houssay estime convenir également aux êtres du règne animal? Dans le cas des Cocci- dium, toutes les formes asporulées qui se succèdent allant d’une spore mère à une spore fille, celte dernière comprise, consti- tueraient non plus une série de générations et un grand nombre d'individus, mais un seul individu et une seule génération. C’est à une fragmentation plus ou moins répétée, non à une repro- duction, que correspondrait le cycle asporulé; la reproduction vraie, celle qui perpétue l'espèce, se réduirait à la sporulation, probablement précédée d’une conjugaison. Suivant l'expression de F. Houssay, «il n'y a plus alternance de générations, mais seulement individu formé de fragments polymorphes, dont l’un 976 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ou dont quelques-uns seulement sont capables de différencier des éléments sexuels ». Les faits nouveaux que nous avons observés jettent une vive clarté dans l'histoire naturelle du parasite de la fièvre palu- déenne découvert par Laveran : Metchnikoff (16) a montré le premier les affinités de cet hématozoaire avec le groupe des coc- cidies; tous les faits observés au cours de nos recherches vien- nent à l'appui de ses assertions. Le stade mobile des Coccidium en particulier donne l'explication la plus rationnelle de l'existence des corps à flagelles du paludisme et des Polymitus des oiseaux. Ce sont, selon toute probabilité, les mêmes stades chez les hématozoaires, et nous devons ici, comme chez les Coccidium, admettre la possibilité d'une conjugaison nécessaire pour la production d’une forme de résistance. D'autre part, le polymor- phisme du cycle asporulé pendant la vie parasitaire du Coccidium donne la clef du polymorphisme rencontré chez les hémato- zoaires de Laveran et de Danilewsky, polymorphisme qui a fait admettre par certains savants une multiplicité fort improbable d'espèces ou de genres *. Enfin cette étude des Coccidium apporte un nouvel appui à l'opinion professée par Metchnikoff et R. Pfeiffer que le miasme de la fièvre palustre doit être une forme de résistance sporulée analogue à celle des Coccidium. Notre excellent maître, M. le professeur Metchnikoff, nous a été, pendant le cours de ces recherches, non seulement un guide sûr, mais aussi un précieux collaborateur. Nous lui adressons ici le témoignage de notre vive gratitude. 4. Tels sont les genres Ææmamaeba et Laverania Grassi et Felleti, pour le parasite malarique, et les Proteosoma et Halteridium Labbé, pour Phématozoaire de lalouette. Paris, 18 mai 1897. EXPLICATION DES PLANCHES PLANCHE XVI Cycle Sporulé du Coccidium salamandre. Fig. 1. — Jeune stade accolé au noyau de la cellule, ne contenant pas encore de granulations, mais seulement un nucléole central. (État frais.) Fig.2 et 3. — Stades plus avancés, granuleux, à l'intérieur du noyau de la cellule hôte. (Etat frais.) Fig. 4. — Stade enkysté dans le noyau de la cellule. (État frais.) Fig. 5. — Le même stade enkysté libre, tel qu'on le rencontre dans l'intestin. (État frais.) Fig. 6. — Rétraction de la masse granuleuse du kyste placé en chambre humide; 3e jour. (État frais.) Fig. 7. — Division de la masse granuleuse en deux perties pourvues chacune d'un noyau; 3e jour. (État frais.) Fig. 8. — Division de la masse granuleuse en quatre sporoblastes ; ce stade suit de très près celui de la figure 7. (État frais). Fig. 9. — Kyste renfermant quatre spores mûres dontune est en dessous du plan mis au point; 42 jour. (État frais.) Fig. 10. — Kyste mûr depuis longtemps : la paroi ramollie se moule sur les quatre spores, dont une est au-dessous du plan mis au point. (État frais.) Fig. 11. — «. spore mûre hors du kyste; b, sporozoïte. (Etat frais.) Fig. 12. 43 et 14. — Stades correspondant a une des figures 2, 3, 4, dans une préparation fixée au liquide de Flemming et colorée à la safra- nine. On voit, dans les figures 13 et 14, les granules graisseux mélangés aux granules chromatiques; les granules plastiques n'apparaissent pas, parce qu'ils ont subi la décoloration. Cycle asporulé du Coccidium salamandre. Fig. 15. — Même stade au début que celui de la figure {, dans le noyau. (État frais.) Fig. 16 et 17. — Stade montrant la division du noyau en deux, puis en quatre. (État frais.) Fig. 18. — Stade qui précède la formation des mérozoïtes; la cavité formée par la membrane du noyau hôte renferme un certain nombre de petites sphères nucléées qui vont devenir des mérozoites. (État frais). Fig. 19. — Parasite divisé en un certain nombre de mérozoïites disposts en barillet dans la cavité du noyau hôte. On distingue un reliquat de seg- mentation ». (État frais.) 37 D78 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Fig. 20. — Deux mérozoiïtes libres dont on distingue le noyau. (État frais.) Fig. 21, 22, 23, 24, 25. — Stades correspondant à ceux des figures 15, 16, 17 et 18. On voit qu'à un certain moment de la période de division nucléaire, le nucléole, d’abord massif, se fragmente en un nombre limité de petits grains nucléaires disposés circulairement dans le noyau du futur mérozoite. (Coloration à la safranine.) Fig. 26. — Parasite divisé en mérozoites et sorti de la cellule hôte. Le noyau du mérozoite renferme, comme au stade précédent, un certain nombre de nucléoles placés en cercle. (Coloration à la safranine.) Fig. 27. — Parasite divisé en un très grand nombre de mérozoites plus petits que ceux ordinaires, et doués d’une mobilité restreinte. L'un d'eux a crevé l'enveloppe formée par la membrane de la cellule hôte, pour sortir. Cette forme à micromérozoïtes est rare. Fig. 28. — Un mérozoïte provenant du stade représenté par la figure 27, et représenté avec les diverses formes qu'il prend successivement à l’état libre. Fig. 29. — Autre forme de division asporulée qui est peut-être le stade antérieur à la précédente, et peut être considérée comme un corps à mi- cromérozoites. Cycle asporulé du Coccidium salamandræ aboutissant au corps à chromatozoites. Fig. 30. — Stade où le parasite renferme un petit nombre de noyaux secondaires en voie de division. (État frais.) Fig. 31. — Stade plus avancé; la division des noyaux est terminée et ceux-ci se sont portés à la périphérie du parasite. (État frais.) Fig. 32. — Stade qui précède immédiatement la formation des chroma- tozoïites, vue en coupe optique. (État frais.) Fig. 33. — Stade mobile au début de la manifestation des mouvements des chromatozoïtes dans la cavité formée par la membrane du noyau hôte. (État frais.) Fig. 34. — Corps à chromatozoïtes en partie détachés et mobiles dans la cavité. C'est le même parasite que dans la figure 33, vu 40 minutes plus tard. Fig. 35. — Corps à chromatozoïtes mis en liberté par rupture de la cel- lule qui le contenait, rupture déterminée par compression. Fig. 36,37, 38. — Stades correspondant à ceux des figures 31, 32 et 34, dans une préparation colorée à la safranine et au picro-indigo-carmin. PLANCHE XVIT Cycle sporulé du Coccidium oviforme. Fig. 1. — Jeune stade dans la cellule épithéliale. Fig. 2. — Jeune stade dans la cellule épithéliale montrant, près du nucléole sphérique, le corps chromatique en croissant. Fig. 3. — Stade plus avancé où ont apparu les granulations chroma- tiques. ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 579 Fig. 4. — Stade où les granulations chromatiques sont devenues plus abondantes. C’est à ce moment que le nucléole en croissant disparaît en se fusionnant avec le nucléole sphérique. Le noyau de la cellule hôte et celte cellule manifestent une dégénérescence avancée. Fig.5. — Stade d’arrangement et de tassement des granules chroma- tiques à la périphérie avant l’enkystement. Fig. 6. — Stade où le parasite a pris la forme ovale, indiquant qu'il est prêt à s'enkyster. Fig. 7. — Stade montrant la déformation et la fusion des granules chromatiques périphériques au moment où se constitue la membrane kys- tique. Fig. 8. — Stade qui suit l'enkystement; apparition de globules graisseux autour du noyau de la coccidie. Fig. 18. — Kyste mûr de coccidium oviforme montrant la constitution du misropyle : a, kyste normal; b, kyste écrasé, les deux membranes d’enveloppe ont été séparées par l'écrasement, et l’on voit l'ouverture micropylaire qui existe seulement pour la membrane externe. Cycle asporulé du Coccidium oviforme. Fig 9. et 10. — Très jeune stade où se fait la division initiale du noyau de la coccidie. Fig. 11 et 12. — Stades plus âgés montrant la continuation du processus de division du noyau de la coccidie. Fig. 13. —- Constitution des sphères nucléées qui vont devenir les méro- zoïtes. Le parasite, ainsi divisé, est représenté renfermé dans l'enveloppe que lui constitue la cellule hôte réduite à une membrane; on reconnaît encore le noyau dégénéré de cette cellule sous forme d'un croissant linéaire. Fig. 14. — Parasite complètement divisé en mérozoites. On n'a pas représenté l'enveloppe que lui forme la cellule hôte dégénérée et qui diffère pas de celle figurée au stade précédent. (Etat frais.) Cycle endogène du corps à chromatozoïtes. Fig. 15. — Stade montrant la continuation du processus de division nucléaire indiqué par les figures 9, 10, 11 et 12. Fig. 16. — Stade où le parasite a atteint son plus grand développement : la divison nucléaire est arrêtée et les noyaux s’allongent en bâtonnets après s'être portés à la périphérie du corps protoplasmique. Fig. 17. — État parfait du corps à chromatozoites, ceux-ci sont disposés à la surface d’un volumineux reliquat. Cycle du corps à chromatozoiles du Coccidium proprium. Fig. 19 et 20, — Aspect en coupe optique et en surface du stade qui précède celui des pseudo-flagelles. (Etat frais.) Fig. 21, — Stade pseudo-flagellé mobile avant la séparation des chro- matozoïtes d'avec le corps de reliquat. (État frais.) Fig. 22,23, 24, 25, 26. — Succession des stades qui précèdent la forma- tion des chromatozoïites. (Coloration à la safranine.) 280 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Fig. 27. — Corps à pseudo-flagelles, observé dans l'intérieur de la cel- lule-hôte. (Safranine.) Fig. 28. — Forme ordinaire de reproduction asporulée chez le Coccidium proprium. Fig. 29.— Kyste mûr du Coccidium proprium montrant les quatre spores et le reliquat de segmentation pourvu d’une vacuole. Ce kyste et toutes les formes représentées par les figures 10 à 29 proviennent de l'intestin d'un même individu de l'espèce Molge vulgaris. INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 1. E. VAN BENEDEN. — Recherches sur l'évolution des grégarines. Bull. Ac. roy. de Belgique, 2e série, t. 31, 1871, et Quart. Journ. of Microsc. Sc. vol. XI, 1871, p. 242. 2, J. CLARKE. — Observations on various sporozoa. Quart. Journ.of micr. science. Vol. XXXVII, p. 287-303, pl. 30, 33. 3. DANILEWSKI. — Parasitologie comparée du sang. Kharkoff, 1889. 4. — — Leucocytozoaires des oiseaux. Ann. Inst. Past. IV, 1890 p. 427-432, pl. 7 A. 5. — — Maladie aiguë des oiseaux. 1bid., 4, 1890, p. 753-760. 6. — — Microbiose malarique. Fbid., 5, 1891. p. 759-783, pl.19. 7. Druxer. — Beiträge sur Kenntniss der Kern und Zellendegeneration und ihrer Ursache. Jenaische Zeitschr. XXIIT, 1894. 8. HexneGuy. Formation des spores chez la grégarine du lombric. Ann. de micrographie. 1, 1888-89, p. 97-108, pl. 1. 9. Houssay. — Le Rappel ontogénétique d’une métamorphose chez les vertébrés. Anat. Anxeiger, XUI, nos 1 et 2, 1897. 10. LaBBé, — Recherches sur les parasites endoglob. du sang. Archi. zool. expérim. 3e série, tome If, 1894, p. 1-10, pl. 55-259. 11. — — Les Coccidies des oiseaux. C. R. Ac. Sciences. Vol. 116, 1893, p. 1300-1303. 12. : — — Recherches zoologiques, cytologiques et biologiques sur les coccidies. Archives zo0l. expérim. et générale. 3e série, t. IV, 1896, p. 517-653, pl. 12-18. 43. Laverax. — Nature parasitaire des accidents de l’impaludisme, p. 46. Paris, 4881. — Societé médicale des hôpitaux, 28 avril 1882. — Revue scien- tifique, 29 avril 1882. 14, Le Danrec. Les Sporozoaires. Encycl. des Aide-memoire Léauté. Paris, 1895. 15. Lécer. — Le Cycle évolutif des coccidies chez les arthropodes. €. R, Soc. Biologie. 1er mai 1897, p. 382-385, et C. R. Ac. Ac. Sciences, t. CXXIN. 1897, p. 966-969, 1. Nous ne citons que les mémoires dont nous avons parlé dans notre travail. On trouvera, dans le dernier travail de M. Labbé, une bibliographie très com- plète des coccidies. ÉVOLUTION DES COCCIDIES. 581 16. Mercanikorr. — Centr. f. Bakt. 1, 1887, p. 624. (Analyse). Le — — Carcinomes et coccidies. Revue générale des sciences. IT, 1892, p. 629-635. 48. MixGazzixt. — Contributo alla conoscenza degli sporozoi. Mem. lab. anat. normale Roma. UK, p. 31-85, pl. 1-3. 19. R. Preirrer. — Beiträge zur Protozoenforschung. I. Die Coccidienkran- heit der Kaninchen. Berlin, 1892, 20. Popwyssogvky. — Zur Entwicklungsgeschichte des Coccidium ovi- forme als Zellschmarotsers. Biblioth. medica, Abthl. DA 21. SAKHAROFF, — Hématozoaires des oiseaux. Ann. de l'Institut Pasteur. VII, 1893, p. SO1-812, pl. 15. 22. À. Scaxeiner. — Coccidies nouvelles ou peu connues, Tablettes zool. I. 1886. 23. — — Le Cycle évolutif des coccidies. Tabl. 3ool. IT. 1992. 24. ScauBerG. — Ueber Coccidien der Mausedarmes. Sitsber. d. Wurz- ‘ burg. 18 mars 1892. 25. SIMOND. — Dimorphisme évolutif de la coccidie appelée Karyophaqus salamandræ Steinhaus. C. R. Soc. Biologie 12, déc. 1896. 26. — — Formes de reproduction asporulée dans le genre Cocei- dium. C. R. Soc. Biologie, Ler mai 1897, p. 425-428. 27. STEINHAUS. — Karyophagus salamandræ. Virchow’s Archiv. T. CXIV 1S88, p. 176-180, pl. V. 28. WoztEers. — Die Conjugation und Sporenbildung bei Gregarinen. Arch. f. mikr. Anat. Vol. XXXVII, 1891, p. 99. RECHERCHES SUR LACGLUTINATION DU BACILLUS TYPHOSUS PAR DES SUBSTANCES CHIMIQUES Par E. MALVOZ (Institut d'anatomie pathologique et de bactériologie de l’Université de Liège.) On ne peut guère examiner sous le microscope de phéno- mène plus curieux que celui de l’agglutination de certains microbes par les sérums spécifiques. Que l’on prenne, par exemple, une émulsion de bacilles typhiques ou cholériques, que l’on y ajoute une trace de sérum provenant d'un animal fortement immunisé contre le typhus ou le choléra, et l’on sera frappé des modifications considérables qui s’accomplissent dans la prépa- ration. Les bacilles qui, avant l'addition du sérum, étaient d'une mobilité extrème, bien séparés les uns des autres, s’arrêtent presque tous. Bientôt, on les voit se rapprocher, comme par une attraction mystérieuse, et peu à peu ils se groupent en amas de plus en plus considérables : ils s’'agglutinent, et la préparation ne contient plus, après un certain temps, que des flocons nageant dans le liquide, formés de bacilles agelomérés. Ce phénomène, découvert et étudié par Charrin et Roger, Metschnikoff, Bordet, Gruber et Durham, Pfeiffer, etc., a recu, on le sait, d'importantes applications cliniques : son existence, démontrée par Widal dans le sang des typhisés, est devenue la base du séro-diagnostic de la fièvre typhoïde. Chose étrange, malgré d'innombrables travaux publiés dans ces derniers temps sur la séro-diagnose, on ne sait pour ainsi dire rien du mécanisme intime du phénomène. Pourquoi, par exemple, un sérum actif n’agglutine-t-il bien que des baailles déterminés, à l'exclusion d’autres espèces microbiennes, même AGGLUTINATION DU BACILLE TYPHIQUE. D83 très voisines ? Bien que la plupart des questions soulevées par le phénomène de l’agglutination n'aient pas encore reçu de réponse, on a déjà voulu tirer des conclusions générales sur son existence, et en faire la base d’une théorie de l’immunité. De telles théories seront évidemment prématurées aussi longtemps que les obscurités qui entourent l’étude du phénomène ne seront pas éclaircies. Il nous à paru qu'on ferait avancer la question en recher- chant quelles sont les principales substances chimiques qui sont capables de produire in vitro, tout comme le sérum spéci- fique, l’agglutination du bacillus typhosus, et dans quelles con- ditions cette agglutination se produit; de plus, le phénomène lui-mème n'est-il pas, au même titre que le typhus-sérum, applicable au diagnostic du bacille d'Eberth-Gaffky ? Cette question des substances chimiques capables de provo- quer l’agglutination semble avoir été fort peu étudiée. A notre connaissance, seuls Blachstein‘ et Engels * ont fait quelques recherches sur ce sujet. Ils ont étudié l’action agglutinante dela chrysoïdine, substance colorante diazoïque, sur le bacille cho- lérique. Tandis que Blachstein soutient que seul le vrai bacille cholérique est agglutiné par cette substance, à l'exclusion des autres vibrions voisins du choléra, Engels affirme que la chrysoïdine n’a pas d'action spécialement élective sur le bacille virgule spécifique. Pour nous placer dans des conditions toujours comparables, nous avons pris, dans tous nos essais, des cultures fraîches sur gélose., ayantséjourné quelques heures à 37°. Le bacille typhique provenait de la rate d’un cadavre. On délave une anse de la culture dans 1 c. c. d’eau distillée : on obtient ainsi une émulsion ne présentant au microscope que des bacilles bien mobiles, nettement isolés et nullement agglutinés. On s'assure, d’ailleurs, à chaque expérience, que l’émulsion ne présente pas spontanément d’amas microbiens. Nous avons tout d’abord constaté que le typhus-sérum, pro- venant soit d’un vrai typhique, soit d’une chèvre fortement immuuisée, produisait, à la dose d’une goutte pour 1 c. c. d’é- mulsion de bacilles typhiques, de beaux amas caractéristiques. 4. Munchener medicinische Wochenschrift, n°s 44 et 45, 1896. 2. Centralblatt für Bakteriologie, n° 3, vol. 21, 1897. DS4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Nous avons ensuile ajouté à nos bacilles émulsionnés les substances chimiques les plus variées. Nous n'avons été nulle- ment surpris de constater qu'uu bon nombre de substances, jouissant de propriétés coagulantes, agglutinaient plus ou moins fortement les bacilles typhiques, tout comme le typhus-sérum. En tête de ces substances, nous plaçons la formaline (aldéhyde formique à 40 0/0 dans l’eau), le sublimé corrosif, l'eau oxygénée, l'alcool fort. La concentration des milieux en présence joue naturellement un très grand rôle. Pour la formaline, on ne voit apparaître d’amas bien nets, semblables à ceux que provoque dans l’émulsion le typhus- sérum, que si l’on ajoute, pour 1 c. c. d'émulsion, 1 c. c. de formaline. Le sublimé agglutine fortement le bacille typhique déjà à la dose de 0,7 p. 1,000 ; c’est-à-dire qu’en déposant une anse de cette solution sur ie porte-objet, et l’additionnant d'une anse d’émul- sion typhique, on assiste de suite à la formation de beaux amas. Ceux-ci sont de plus en plus volumineux, au fur et à mesure que l’on augmente la concentration du réactif. Une anse d alcool fort, d’eau oxygénée, mélangée à une anse d’émulsion typhique, provoque aussi la formation de beaux amas microbiens. L'agelutination provoquée par ces réactifs est tellement nette qu'elle nous sert d'expérience de cours, quand nous voulons montrer l’aspect que prennent les bacilles typhiques réunis en amas, lorsque nous n'avons pas de typhus-sérum à notre dispo- sition. Mais ces divers réactifs ont une actioncoagulante prononcée el leur propriété d'agglutiner les bacilles n’a, semble-t-il, rien de bien surprenant; de plus, le phénomène exige pour se produire d'assez fortes concentrations des réactifs. Quelle différence, à ce point de vue, avec le typhus-sérum! N’existe-t-il donc pas des substances chimiques produisant, comme ce dernier, le phéno- mène à des doses excluant l'hypothèse de la production d’une simple coagulation? Nous avons essayé d’abord la chrysoïdine qui, d’après Blachstein, agglutine le bacille cholérique. Nos émulsions typhiques n’ont pas présenté d’agglutination nette aux concentralions variées de chrysoïdine que nous avons AGGLUTINATION DU BACILLE TYPHIQUE. DS) employées ‘. Nous avons alors eu recours à d’autres corps, et nous avons choisi ceux qui présentent des groupements molécu- laires plus ou moins voisins de la chrysoïdine, tels que l’induline, la nigrosine, la safranine, la vésuvine?. L'induline et la nigro- sine n'ont pas produit l’agglutination. Mais la safranine et la vésuvine représentent deux substances qui, méme à très faible concentration, provoquent au sein d’une émulsion de bacilles typhiques la formation d’amas très caractéristiques. En prenant une anse d’une solution de safranine ou de vésu- vine à { p. 1,000, eten l’ajoutant à une anse d’émulsion typhique, on voit bientôt, sous le microscope, l'immobilisation des bacilles et leur réunion en amas, d'autant plus reconnaissables que les microbes sont légèrement teintés en rose et en brun. Même en poussant plus loin la dilution, on obtient encore l’agglutination. Si, par exemple; on ajoute à 1 c. c. d'émulsion typhique 3 gouttes de safranine ou de vésuvine à 1 pour 1,000, on voit déjà des amas apparaître dans les préparations. Le sang de bien des typhiques ne se comporte pas autrement. Nous sommes donc en possession de substances qui, même très diluées, provoquentfacilement des amas debacilles typhiques, comparables à ceux du typhus-sérum. A l'inverse de la formaline, du sublimé, de l’alcool, ete., les acides minéraux n’agglutinent pas le bacille typhique, qu'ils soient employés dilués ou concentrés. On voit bien, dans les expériences, les bacilles devenir de plus en plus petits au fur et à mesure que l’on emploie un acide plus concentré, mais les microbes ne s’agglutinent pas. L’acide phénique, l’acide lactique, le chloroforme ne provo- quent pas, non pius, d’amas microbiens. L’acide salicylique agglutine, mais les amas ne sont formés que d’un petit nombre de microbes. Le permanganate de potas- sium, en solution concentrée dans l’eau, ajouté à l’émulsion typhique, rassemble les bacilles en îlots dans lesquels ils sont beaucoup moins serrés qu'après l’action des substances vérita- blement agglutinantes. 1. La chrysoïdine est une matière colorante jaune brunâtre, vendue par Merck, à Darmstadt. Elle a pour formule : C5 H5— N—N— Ci H3 (N H?}? (diamidobenzol) . : Le —N—cC6 3 () 2\2 2. La formule de la vésuvine est : C° Ht Re N Sa D80 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. La soude caustique, l’ammoniaque ne donnent pas d'amas bacillaires sil’émulsion de microbes est faite dans l’eau distillée. Mais si, au lieu d’eau distillée, on emploie une eau alimentaire quelque peu dure, l’addition de soude ou d’ammoniaque à l'é- mulsion agglutine fortement les microbes. Ce phénomène est sans doute en rapport avec la précipitation du carbonate de chaux formée aux dépens du bicarbonate soluble. Cette simple expérience montre combien le phénomène de l’agglutination dépend de circonstances en apparence peu importantes. Il serait désirable de voir les bactériologistes se mettre d'accord sur le choix d'un milieu toujours le même, de composition simple, pour l'étude du séro-diagnostic de la fièvre typhoïde. Rien n'est variable comme la composition d’un bouillon de culture, et peut-être faut-il expliquer par cette variété des bouillons em- ployés, bien des divergences notées d’un auteur à l’autre dans les constatations faites sur le sang des typhisés. Soumise à l’ébullition, puis refroidie, l’émulsion typhique agglutine encore bien par la formaline. Salimbeni' tend à faire jouer un grand rôle à l’action de l'oxygène dans la production du phénomène de l’agglutination par les sérums spécifiques. M. Lambotte a fait ici quelques expérienees qui n'ont pas donné les mêmes résultats que ceux de Salimbeni. Il est vrai que la technique employée n'était pas la même. M. Lambotte s’est servi d’une chambre à gaz porte-objet de Ranvier. On dé- pose au centre de la plaque une goutte d'émulsion typhique. On introduit dans la rainure soit un peu de typhus-sérum dilué, soit de la formaline. On recouvre d’une lamelle lutée à la vaseline. On arrive facilement à éviter le mélange des réactifs et des bacilles. On s’assure d’abord sous le microscope que ceux-ci sont bien isolés et bien mobiles. On fait passer pendant longtemps un courant de gaz inerte (gaz d'éclairage, hydrogène). Quand tout l’air est chassé, on opère le mélange en secouant la plaque, et on constate que l’agglutination des bacilles est toutaussi nette que dans une préparation ordinaire. On peut donner facilement à un sérum normal non aggluti- nant le pouvoir de provoquer la formation d'amas bacillaires dans une émulsion typhique: en d’autres termes, on peut trans- 1. Annales de l'Institut Pasteur. Mars 1897. AGGLUTINATION DU BACILLE TYPHIQUE. "587 former artificiellement du sérum normal en typhus-sérum, tout au moins au point de vue de l’agglutination. Pour cela, nous avions pris du sérum de bœuf, dont nous avons de grandes quantités à notre disposition. Ce sérum de bœuf, comme nous nous en sommes assuré, n’agglutinait pas à la dose de 1 de sérum pour 10 d’émulsion typhique. Mais si on ajoute à 9 c. c. de ce sérum pur, 1 c. c. de solution de safranine à 1 0/00 (cette addition ne provoque pas d’altération visible du sérum), on obtient ainsi un sérum dont une goutte provoque facilement la formation d’amas bacillaires dans 20 gouttes d’émulsion typhi- que. Et pourtant la safranine est là dans un état de dilution très considérable. À ce degré de dilution, la safranine seule, non additionnée de sérum, ne provoque pas l’agglutination des microbes typhiques. Ÿ aurait-il dans le sang des lyphiques et des animaux, soumis à l'influence du bacille typhique, quelque produit de désassimi- lation, d'une constitution moléculaire plus ou moins voisine de celle de la safranine, de la vésuvine, etc.? Ce produit existe- rait-il seulement dans les organismes influencés par le bacille typhique, ou bien, présent normalement dans le sang, se forme- rait-il en plus grande quantité chez les typhisés? Ce sont là des questions que nous ne pouvons pas résoudre pour le moment. Nos essais provoqueront peut-être des recher- ches dans cette voie. Nous signalerons, en passant, ce fait que la diazo-réaction d'Ehrlich, si souvent observée dans l'urine des typhiques, est due à la décomposition d’amines de la série aro- matique par l’acide nitreux, avec formation de corps diazoïques colorés. Le sang des typhiques contient done, semble-t-il, des corps à molécule compliquée et facilement décomposable en dérivés diazoïques. Or, la vésuvine, qui agglutine si bien à très faible dose le bacille typhique, estun corps azoïque. Ces données inciteront peut-être quelqu'un à chercher dans cette direction la véritable nature de la substance agglutinante du sang des typhiques. * # Le fait de l’agglutination du bacille typhique par des réactifs chimiques présente, par lui-même, et à divers points de vue, un grand intérêt. Mais cet intérêt grandit encore si on étudie com- D88 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ment se comportent, vis-à-vis de ces réactifs, d’autres microbes plus ou moins voisins du bacille typhique. On sait que l’on a fait, de l'emploi du typhus-sérum ou du choléra-sérum, la base d’un procédé de diagnostic des bacilles typhiques et cholériques. Le bacille typhique, par exemple, est facilement agglutiné par le typhus-sérum dilué : traités par le même sérum, les coli-bacilles ne se rassemblent pas en amas. Si donc on se trouve er présence de microbes difficiles à iden- üfier, soit comme bacilles typhiques, soit comme coli-bacilles, on n’a qu’à les soumettre à l’action dutyphus-sérum convenablement dilué. Si l'on observe la formation d’amas bacillaires, on a affaire au bacille typhique; l’absence d’amas prouve qu'il ne s’agit pas de ce microbe. Eh bien, on constate des différences aussi importantes dans l’action de la formaline, du sublimé, de l’eau oxygénée, de la safranine, etc., sur les émulsions de bacilles typhiques et de coli-bacilles. Nous avons dit déjà que, pour éviter la complication des phé- nomènes qui se produisent quand on emploie, pour l'étude de l’agelutination par du sérum ou des réactifs, des cultures en bouillon ou en eau-peptone, nous prenions toujours des émul- sions dans l’eau distillée de bacilles recueillis sur gélose. Si on fait ainsi des émulsions de bacilles typhiques et de coli-bacilles, pris sur cultures de mème âge, et que l’on ajoute de la formaline, de l’eau oxygénée, dans les proportions déjà indiquées, on observe nettement l’agglutination du bacille typhique et l’ab- sence de ce phénomène pour le coli-bacille. La différence est particulièrement nette avec la formaline. Tandis que l’addi- tion des parties égale d'émulsion typhique et de formaline est suivie de la formation d’amas de baciiles agglutinés, les coli- bacilles immobilisés restent isolés dans les préparations. La différence d'une émulsion à l’autre est même visible à l’œil nu : l’émulsion typhique est transformée en un liquide rempli de flocons blanchâtres. Le phénomène est tellement net qu'il peut servir comme méthode de diagnostic. C'était devenu, à un moment donné, une des distractions du laboratoire, que de faire faire par les visiteurs un grand nombre d’émulsions de bacilles typhiques et de coli-bacilles, et de reconnaître à l'œil nu, rien qu’au moyen de la formaline, quelle était la nature du TETE CRE AGGLUTINATION DU BACILLE TYPHIQUE. D89 microbe contenu dans le tube à essai qu’ils vous présentaient. La safranine à 1 pour 1,000 ajoutée à 4 c. ce. d'émulsion typhique, donne déjà des amas à la dose de 1! pour 10 d'émul- sion ; le coli-bacille n’est pas agglutiné dans ces conditions, pas plus que si on prend de la safranine à 1 pour 100. Le sérum additionné de safranine, comme il a été indiqué, se comporte vis-à-vis des émulsions de bacilles typhiques et de coli-bacilles comme le typhus-sérum dilué. On prend 20 gouttes d'émulsion typhique et d'émulsion de coli-bacilles; on ajoute à chaque tube 2 gouttes de sérum de bœuf additionné de safranine à 1 pour 1000 (9 de sérum + 1 de la solution de safranine). Des amas bacil- laires très nets se forment dans les cultures typhiques ; on n’en voit pas, ou à peine quelques bacilles groupés par deux ou trois, dans l’émulsion de microbes du côlon. On doit se demander si ces différences si nettes d’un microbe à l’autre ne sont pas dues à la présence, dans l’émulsion de ba- cilles du côlon, de substances telles que des substances ammonia- cales formant des. combinaisons avec l’aldéhyde formique, ete. Il est clair que la même objection peut être faite au procédé du diagnostic par le typhus-sérum. avec d'autant plus de raisons que très souvent cette recherche s'effectue, non pas au moyen de bacilles émulsionnés dans l’eau distillée, mais de cultures en bouillon renfermant tous les produits, tels qu'ammoniaques, amines, etc., fabriqués par les bacilles. Néanmoins, dans le but de rendre les essais aussi comparables que possible, nous avons cherché à débarrasser complètement les bacilles typhiques et les coli-bacilles des substances solubles de la culture. Dans ce but, nous avons fait passer, à travers de petites bougies Cham- berland reliées à la trompe, des cultures typhiques et des cultures de bacilles du côlon en bouillon de viande. Nous avons ensuite lavé les dépôts à grande eau (eau distillée) jusqu’à ce qu'on n’obtienne plus de réaction par le réactif de Nessler. En raclant ensuite la surface de la bougie et en délayant dans l'eau distillée, on produit des émulsions riches en bacilles. Mais ceux-ci sont ou très peu mobiles, ou même complètement immobiles : la recherche des cils est devenue infructueuse, De plus, on n’observe plus, avec lémulsion typhique, la pro- duction d’amas si remarquable que l’on obtenait au moyen de la formaline, du sublimé, de la safranine, etc. Le typhus-sérum 590 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. lui-même n’agglutine pour ainsi dire plus ces bacilles lavés. Coli-bacilles et bacilles typhiques, ainsi traités, se compor- tent donc sensiblement de la même façon. Les grands lavages subis par les microbes ont sans doute pour effet de les dépouil- ler de l'enveloppe ciliée qui entoure le corps bacillaire, et cette enveloppe est peut-être le siège des réactions chimiques qui s'accomplissent dans le phénomène de l’agglutination. Quoi qu'il en soit, la méthode de diagnostic que nous propo- sons, employée de la façon indiquée, nous paraît susceptible d'applications pratiques. MM. Lambotte et Bossart ont fait, à notre laboratoire, un grand nombre de recherches basées sur ce procédé et au moyen des microbes les plus variés. Les résultats seront publiés prochainement. La méthode est déja employée couramment ici pour le diagnostic des colonies microbiennes que fournit l’eau de boisson. RECHERCHES SUR LA TOXINE TÉTANIQUE Par LE Dr À, MARIE (Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) Les bactériologistes qui ont voulu chercher ce que devient la toxine tétanique dans l’organisme des animaux réceplifs sont loin d’être d'accord entre eux. Tandis que Bruschettini' ne peut arriver à retrouver le poison dans le foie, Pestana * déclare que cet organe retient la toxine plus que le poumon, la rate et les reins. Il ajoute qu’elle ne s’élimine pas d’une façon appréciable par les urines. Brunner *, au contraire, en injectant des urines ou de la salive d’un animal tétanique, provoque chez le cobaye des convulsions spécifiques. Enfin Knorr ‘ étudie la présence du poison dans le sang. D'autre part, Blumenthal * prétend avoir observé des accidents tétaniques, sans incubation, chez des souris auxquelles il avait injecté des macérations d'organes morts du tétanos. Cet auteur semblait avoir ainsi confirmé les assertions de MM. Courmont et Doyon sur la substance directement tétani- sante, élaborée aux dépens de l'orgänisme par la toxine tétanique. Il était donc intéressant de reprendre l’étude de ce sujet. Il est d’abord un fait qui domine toute la question. Injectons sous Ja peau d’un lapin la dose minima de toxine lui donnant à coup sûr un tétanos mortel; si nous voulons obtenir le même résultat chez un second lapin de même poids, mais en l'inoculant 1. Riforma medica, 1890, octobre, n. 225. 2. Semaine médicale, 189,1, 1: juillet. 3. Experimentelle und klinische Studien über Tetanus p. 23. Conrad Brunner. Tübingen. 1894. 4. Knorr. Experimentelle Untersuchungen über die Grenzen der Heilungsmü- glichkeit des Tetanus durch Tetanus Heilserum. 5. Weitere Beitrag zür Kenntniss des Tetannsgiftes. Zeitschrift für klinische Medicin, 1897, p. 324. 992 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. directement dans la veine, il nous faudra employer une dose 7 ou 8 fois plus forte de la même toxine. C'est que, dans le premier cas, la totalité de la toxine n'a pas été absorbée par les capillaires sanguins ; une partie a suivi le trajet des filets nerveux et atteint directement la moelle épi- nière. Dans le deuxième cas, la toxine charriée par le torrent circulatoire a partiellement subi des transformations au contact des plasmas cellulaires. L'expérience suivante prouve que le poison tétanique est susceptible de suivre la voie nerveuse. On injecte dans le sciatique gauche d’un lapin 2 gouttes d’une solution, dans 1 c. c. d’eau, de 5 milligr. d’une toxine solide, qui tue une souris de 12 grammes à la dose de un mil- lionième de milligramme. Pour cela, le nerf a été découvert sur une étendue de plusieurs centimètres, et isolé des téguments sous-jacents par un pont de papier Chardin. Après l'injection, l'endroit de la piqûre est collodionné et la plaie est recousue. 20 heures après l'inoculation, le lapin présente une légère roideur, et le surlendemain une paralysie avec contracture en extension de la patte opérée. Au 4° jour le tétanos est généralisé et l’animal meurt. On peut aussi faire l'expérience inverse : on résèque chez un lapin le 2° nerf cervical le plus près possible de son émergence. Quand la plaie est complètement cicatrisée, on injecte, dans un des muscles de la patte paralysée, la dose minima de toxine qui donne le tétanos à un témoin de même poids. L'animal opéré ne prend pas la maladie. Une fois introduite dans le sang, que devient la toxine téla- nique? Expérimentons avec le sang, les organes, leurs sécrétions. 19 Sang. — On retrouve la toxine tétanique dans le sang, pen- dant un temps variable après l'injection; cette durée est évidem- ment fonction de plusieurs conditions : quantité de toxine injectée, puissance de cette toxine, quantité de sang inoculé à la souris, enfin mode de l'injection au lapin. Inoculons dans la veine de plusieurs lapins de 1,800 grammes 10e. c. d’une toxine liquide, donnant à la souris un tétanos mortel à la dose de un cent-millième de c. c., puis prenons du sang dans la carotide à des époques de plus en plus éloignées de l'heure de RECHERCHES SUR LA TOXINE TÉTANIQUE 993 l'inoculation. Nous pourrons ainsi donner le tétanos à des souris en leur inoculant 1 c.c. de sang défibriné pris au lapin dans les 17 heures qui suivront son injection. Au delà de ce temps, on ne retrouve plus de traces de toxine, sensibles pour la souris, dans 1 c. c. de sang. Inoculons au contraire 3 c. c. de la même toxine sous la peau d’un lapin de même poids. Plus de 25 heures après l’injection, le sang carotidien se montrera tétanique pour la souris à la dose de 1 ce. c. C’est que, dans ce mode d’inoculation, le tissu cellulaire agit à la façon d’une éponge, distribuant au sang des capillaires très lentement et pendant longtemps la toxine qu’on iui a donnée. Knorr ‘ a pu ainsi la retrouver dans le sang jusqu’à la mort. Le poison tétanique inoculé directement dans le liquide sanguin en disparaît donc assez rapidement; les souris auxquelles on injecte le sang des lapins en expérience prennent un tétanos de plus en plus tardif et de moins en moins fort *. On injecte dans la veine d’un lapin de 1,780 grammes 10 mm. c. d'une toxine active au dix-millième de mm. c. pour la souris. Deux heures après, on inocule des souris avec des quantités variables de son sang défibriné. Or, seules deviennent tétaniques les souris qui ont reçu au moins 3/4 de c. c. de sang, tandis qu'une formule, facile à déterminer, donnait un millième de c. c. comme quantité minima de sang devant tétaniser une souris, si le liquide sanguin avait conservé la quantité totale de la toxine injectée. Le poison tétanique existe donc dans le sérum sanguin. 2° Organes. — Nous ne passerons pas en revue tousles résultats contradictoires des expérimentateurs qui ont recherché la toxine dans les organes des animaux tétaniques. Car, outre que ces auteurs n'indiquent pas l’activité du poison tétanique injecté, ils omettent un point important. En effet, d’après ce que nous venons de voir, la toxine circule dans le sang plusieurs heures après l’injection. Il faut donc attendre que ce laps de temps soit écoulé avant de recher- 4. Knorr., loc. cit. 2. Contrairement à ce qu’on a dit généralement, la période d’incubation du tétanos est essentiellement variable et dépend, en particulier, de la quantité et de l’activité du poison tétanique. Un lapin, qui reçoit dans la veine 1/2 mm. d’une toxine active au millionième, aura un tétanos généralisé au 4 jour, tandis que 100 mm, de la même toxine donneront un tétanos, mortel en 12 heures. 35 594 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. cher la toxine dans les organes, sans quoi on la retrouvera dans tous et à coup sûr. La saignée de l’animal est insuffisante ; poussée aussi loin que possible, et suivie du lavage des organes, elle v laisse assez de sang pour que le poison tétanique puisse y être décelé. D'autre part, plus la dose de toxine injectée est considérable, ou, ce qui revient au même, plus la toxine est active, et plus longtemps elle sera décelable dans le sang. Aussi, dans toutes nos recherches, avons-nous saigné les lapins aussi complètement que possible, et inoculé des souris avec leur sang pour être bien certains que la toxine n’y était plus apparente. L'organe était coupé en petits fragments et broyé avec du sable stérilisé dans un mortier, puis dilué dans la moindre quantité possible d’eau physiologique. On injectait ainsi à chaque souris jusqu’à 2 et 3 c. c. d’une véritable purée de cellules. Dans ces conditions, même en injectant aux lapins des doses de toxine dix à vingt fois plus fortes qu’il n’était nécessaire pour les tétaniser, jamais et dans aucun organe nous n’avons retrouvé trace de toxine, et cela, aussi bien dans les organes enlevés avant l’apparition des symptômes que dans ceux qui étaient enlevés pendant l’acmé des accidents tétaniques. Pas une souris n’a présenté de symptômes se rattachant au tétanos. On constatait parfois un peu de roideur de la patte inoculée, mais elle disparaissait assez rapidement; jamais de contractures généralisées ni de convulsions cloniques. Voici quelques expériences : Deux lapins de 2,400 gr. reçoivent chacun dans la veine auriculaire 10 c. c. d’une toxine active au dix-millième de c. €. ; 18 heures après l’injection, on saigne un des lapins; son sang inoculé à des souris ne leur donne pas le tétanos. L’encéphale, la moelle épinière, les muscles de la cuisse, le rein, le foie sont broyés et injectés à des souris qui demeurent bien portantes par la suite. Le témoin a un tétanos généralisé 60 heures après l'inoculation, et meurt au 3° jour. Un lapin de 2,500 grammes reçoit dans la veine 20 c. c. d’une toxine active au dix-millième de c. c. A la 48° heure, tétanos complet. On le saigne, et on injecte son sang, les testicules, la moelle épinière, l’encéphale à des souris. Elles ne présentent aucun symptôme tétanique. On injecte dans la veine d’un lapin de 2,000 gr. 30 mm. d'une RECHERCHES SUR LA TOXINE TÉTANIQUE 095 toxine solide, active au millionième de milligramme, 20 heures après, trismus, roideur de la nuque, convulsions cloniques. On le saigne et on inocule de son sérum, les testicules et la rate à 3 souris: les poumons, le foie, la moelle épinière, l’encéphale à 4 petits cobayes. Or la souris qui a reçu le sérum prend un tétanos très léger, ce qui montre qu'après 20 heures cette dose énorme de toxine (30 mm.) laisse encore des traces dans le sang. Des animaux injectés avec les organes, pas un ne présenta les jours suivants le moindre symptôme tétanique. Un lapin de 2 kilogrammes reçoit dans la veine 50 milli- grammes de la même toxine solide, 15 heures après, tétanos complet; on le saigne. Cerveau, moelle, foie sont injectés à 3 cobayes. La’ rate et 3 c. c. de son sérum sont inoculés à 2 souris. Or, 3 jours après on constate ceci : le cobaye qui a reçu le foie a une légère roideur des 2 pattes inoculées. La souris injectée avec la rate a un tétanos assez marqué, de mème que la souris qui a reçu le sérum; cette dernière meurt même du tétanos. Les autres cobayes (moelle et cerveau), qui ont reçu la macération des organes les moins vasculaires, n’offrent au contraire aucun symptôme tétanique. On peut donc conclure que cette expérience, en apparence contradictoire aux précé- dentes, les confirme au contraire, puisque si le foie et la rate ont donné un tétanos passager, c'est que ces glandes très vascu- laires renfermaient encore du sang malgré la saignée et le lavage. De même, la moelle osseuse, les capsules surrénales, les ovaires, injectés avec les mêmes précautions, n’ont jamais pro- voqué aucun symptôme tétanique. Nous n'avons pas davantage retrouvé la toxine dans la sécré- lion des organes. Un lapin de 2,400 grammes reçoit dans la veine T c. c. d’une toxine active au cent-millième dec. ce. Lesexcréments sont recueil- lis à partir de cemoment. 48 heures après, tétanos du train posté- rieur. On vide de son contenu l'utérus, donton racle la muqueuse ; le produit est délayé dans l’eau, filtré au papier puis à la bougie. Les 20 c. c. qu’on recueille sont injectés sous la patte d'un cobaye de 500 grammes, qui ne présenta aucun symptôme de tétanos. 296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. On sonde la vessie d’un lapin tétanisé par 8 milligrammes d’une toxine, active au millionième de milligramme, et on injecte 10 c. c. de ses urines sous la peau des deux pattes postérieures d'un cobaye de petite taille. Rien de particulier. 20 milligrammes d'urine provenant d’un lapin inoculé avec 50 milligrammes de la même toxine sont injectées sous la peau d’un cobaye. Il reste en bonne santé. Donc, nous ne sommes jamais parvenus à retrouver la toxine dans les tissus des organes ni dans leurs sécrétions. Le sang la charrie au contact des plasmas cellulaires, lesquels contractent des combinaisons avec elle et le transforment ainsi. On sait que MM. Courmont et Doyon prétendent avoir sur- pris la nature de ces combinaisons en injectant à des grenouilles des muscles, de l’urine d'animaux tétaniques, en transfusant du sang de chien tétanique dans les veines d’un chien normal. Les animaux ainsi opérés manifestaient émmédiatement, et sans période d’incubation, les symptômes d’un tétanos qui se généra- lisait quelquefois. Ces auteurs édifièrent sur ces expériences une théorie du tétanos : le ferment, sécrété par le bacille du Nicolaïer, ne serait pas toxique par lui-même, mais il élaborerait, aux dépens des cellules de l'organisme, une substance directement tétanisante, comparable par ses effets à la strychnine. Pour ce qui est des urines, nous avons dit plus haut qu'in- jectées à des cobayes, animaux plus sensibles que la grenouille au poison tétanique, les urines, recueillies chez un lapin en plein tétanos, ne provoquèrent jamais de symptômes tétaniques, ni immédiats, ni ultérieurs ?. D'autre part, 20 c. c. de sang pris sur un chien atteint de convulsions tétaniques, sont inoculés à un petit cobaye; aucun des troubles subits, signalés par M. Courmont, ne se manifeste, et cependant il s’agit d’un animal incomparablement plus apte que le chien à prendre le tétanos. Ce résultat était à prévoir, car maintes fois il nous est arrivé d’injecter à des souris du sang de lapin en plein tétanos sans observer rien de semblable à ce que décrit cet auteur : hyperexcitabilité, roideur intermittente des 1. Annales de la Société de Biol., 1893, p. 294, 617 et 714. 2, M. Jacob, dans un article récent, déclare n’avoir jamais retrouvé la toxine tétanique dans les urines du malade. (Deut. Med. Woch, 1897, 17 juin.) EA RECHERCHES SUR LA TOXINE TÉTANIQUE 397 membres, secousses musculaires, accidents disparaissant après quelques heures, et d’ailleurs insuffisants pour qu'on soit auto- risé à y reconnaître des manifestations tétaniques. Enfin nous avons tenu à répéter l’expérience de M. Courmont et Dovyon relative aux extraits secs du tissu musculaire tétanisé. Or, toujours nous avons obtenu les mêmes résultats avec des muscles d'animal non tétanique ; dans les deux cas les grenouilles ou les souris sont pareillement prises de phénomènes de para- plégie, sans contracture nette, avec ou sans coma, sans qu’il s'agisse absolument en rien de phénomènes tétaniques. Dans leurs notes sur le tétanos sans incubation, MM. Cour- mont et Doyon citent, comme preuve à l’appui de leur théorie, ce fait que la grenouille est réfractaire en hiver aux produits du bacille de Nicolgïer, tandis qu'aux températures de l'été (28 et 30°) l'animal devient tétanique après une incubation de six à huit jours. Il faut remarquer combien ce fait est difficile à expliquer, si on admet une action directe du ferment soluble sur la fibre nerveuse, comme origine de la contracture. La substance directement tétanisante « exige pour se former des conditions favorables de température. Ainsi s'explique l’im- munité de la grenouille en hiver vis-à-vis du ferment bacillaire ». Or cette immunité passagère de la grenouille, généralement admise, n’est pas un fait exact. Il est inutile de soumettre la grenouille à une température supérieure à 30° (Courmont et Doyon, Babès ‘) pour leur donner le télanos, après injection ou de toxine ou de bacilles de Nico- laïer. Durant tout l'hiver qui vient de s’écouler, nous avons pu tétaniser des grenouilles sans élever la température de leur eau, laquelle ne cesse d’osciller entre 13 et 18 centigrades. Les grenouilles qui prennent le plus facilement la maladie sont les grises (Rana temporaria); cependant, en augmentant la dose de la toxine, on parvient à donner Île tétanos aux vertes. (Rana esculenta). Chez les premières il suffit d’injecter un demi- milligramme d’une toxine active au cent-milllème et même au dix-millième pour provoquer un tétanos typique. Il débute après une période d’incubation très variable, sui- vant la dose et la température ambiante : avec 1/2 mg., les premiers signes apparaissent entre le 18° et le 25° jour pour une 4. Annales de l'Institut de Bact. de Bucarest. Nol. V, p. 348. 598 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. température voisine de 15°, tandis que 6 milligrammes donnent le tétanos au bout de 9 à 15 jours. La maladie évolue en un temps toujours long (10 à 45 jours) en présentant les symptômes bien connus. Blumenthal, dans ces derniers temps, est revenu sur le tétanos sans incubation; mais il procède d’une toute autre façon que MM. Courmont et Doyon. Il divise un petit fragment des organes des malades morts du tétanos; des morceaux de moelle épinière, par exemple, sont triturés, puis dilués dans 95 ce. c d’eau chloroformée, additionnée de 0%, O1 de NaCl et de 2 gouttes d’une solution à 10 0/0 de carbonate de soude. On ajoute encore 1 c. c de chloroforme au mélange, qui est mis à l’étuve à 39° pendant 24 heures, après quoi on filtre à travers un linge fin. En inoculant à des souris le produit de la filtration de moelle, foie, utérus, traités de la sorte, Blumenthal provoque instanta- nément et sans période d'incubation des symptômes qu'il rattache au tétanos, el consistant en légère exagération des réflexes, paraplégie. convulsions eloniques, grande fréquence des mouve- mentsrespiratoires. La mort survientrapidement en 24, 17 heures ou même quelques minutes. D’autres fois les symptômes ne se manifestent qu'au 3° jour. L'auteur en conclut que la subs- tance qui donne le tétanos sans incubation ne se laisse pas facile- ment extraire des cellules, et que plus fréquents sont les cas où existe une période latente. Nous avons essayé de reproduire les expériences de Blu- menthal : mais les troubles produits ne sont rien moins que tétaniques : de plus, ou obtient identiquement les mêmes symp- tômes en traitant par le procédé indiqué des organes normaux. N'ayant pas à notre disposition de viscères de malades morts du tétanos, nous avons expérimenté sur des animaux de labora- toire. La moelle épinière, les testicules, la rate, le foie et les reins d'un lapin, rendu tétanique par 5 milligrammes d’une toxine active au millionième de mg., sont traités par le procédé décrit ci-dessus : de même façon sont traités les organes d’un lapin normal, et les produits filtrés des uns et des autres sont injectés à deux séries de souris. RECHERCHES SUR LA TOXINE TÉTANIQUE 299 Presque aussitôt l'injection faite, on note chez les souris des deux séries des symptômes identiques : difficulté de la marche, paralysie des deux pattes postérieures, accélération des mouve- ments respiratoires; en pinçant la patte ou la queue, on déter- mine des secousses convulsives: contraction passagères en extension d'une ou des deux pattes de derrière. Les souris meu- rent à des époques variables, le lendemain ou après 48 heures. Il s’agit, dans ces expériences, de troubles produits par des agents de décomposition cellulaire qui se forment dans les tissus exposés à l’étuve après la mort, et nullement de tétanos vrai. CONCLUSIONS. 1° La toxine tétanique, injectée aux animaux, demeure un temps variable dans leur sang : 20 Ce temps écoulé, l’'inoculation des organes et des sécrétions glandulaires ne provoque aucun trouble, ni tétanique, ni autre ; la toxine ne s'y retrouve pas, au moins avec ses propriétés tétanisantes connues : 3 Les extraits des organes des animaux tétaniques, préparés soit par le procédé de MM. Courmont et Doyon, soit par celui de M. Blumenthal, provoquent, quand on l'inocule, des troubles immédiats qui n’ont rien à voir avec les symptômes ordinaires du tétaros ; 4° On n’est plus en droit d'invoquer, à l'appui de la théorie de l’école de Lyon, l’immunité transitoire de la grenouille, qui peut en effet contracter le tétanos dans les mêmes conditions de température extérieure que d’autres animaux de laboratoire, COMBUSTION BIOLOGIQUE DU PROPYLGLYCOL Par M. A. PÉRÉ Pharmacien-major de 1e classe. (Travail du laboratoire de chimie biologique de la Sorbonne, à l'Institut Pasteur.) Dans un précédent mémoire’, j'ai montré que les sucres représentent le premier terme de la combustion des alcools polya- tomiques naturels, par certains microbes aérobies. Avant d’abou- tir aux corps brülés, la mannite est d’abord transformée en des hexoses douées du pouvoir rotatoire, et la glycérine en une triose lévogyre. Sur ces données, j'avais émis l'hypothèse que les alcools polyatomiques autrement constitués que les alcools naturels, tel le propylelycol dont la molécule renferme un seul groupement alcoolique primaire, pourraient aussi engendrer des corps aldé- hydiques optiquement actifs, et qui, construits sur le même sque- lette que l’alcool générateur, différeraient par leur constitution chimique des aldoses naturelles. Comme il est facile de s’en rendre compte, le point de vue auquel je me suis placé dans cette étude du propylglycol diffère essentiellement de celui qui suscita les belles recherches de M. Le Bel. L'objectif visé par ce savant était d'appuyer d’une preuve nouvelle sa théorie du carbone asymétrique, et par conséquent de démontrer que le propylglycol, par cela mème que sa molé- cule est dissymétrique, est susceptible de revêtir plusieurs formes stéréo-isomériques capables d'agir sur le plan de polari- sation. Il ensemença donc divers microorganismes, moisis- sures et bactéries, dans des solutions de sels ammoniacaux additionnées de propylglycol : après plusieurs mois, 1l retira des liquides de culture du propylglycol qui faisait tourner vers la 4 Ces Annales, août 1896. COMBUSTION BIOLOGIQUE DU PROPYLGLYCOL 601 gauche le plan de polarisation. La preuve était faite : l'inactivité optique du propylglycol se montrait liée à la constitution racé- mique de sa molécule. Le propylglycol est un corps compensé. Pour nous il importe peu, au fond, que le résidu de propyi- glycol non brülé possède ou ne possède pas le pouvoir rotatoire ; et si nous avons à nous arrêter sur ce point, ce sera uniquement pour y chercher des indices et des arguments à l’aide desquels nous chercherons à remonter vers l'origine des faits : mais le point capital est de suivre dans son mouvement de combustion le propylglycol qui disparaît, et d'observer si la formation d’un corps aldéhydique optiquement actif et correspondant au propyl- glycol ne marquerait pas le premier stade de cette combustion. Réduit à ces limites, le problème est assez simple ; par le fait, j'ai retrouvé dans les liquides de culture une aldéhyde dextrogyre, qui par hydrogénation régénère le propylglycol. Mais ilse com- plique un peu si nous essayons de l’élargir par la recherche de la signification biologique des résultats obtenus. Il faut considérer en effet que le propylglycol, qui est inactif, ne saurait aboutir par oxydation chimique à des aldéhydes douées du pouvoir rotatoire. Aussi la découverte de cette aldéhyde dextrogyre, que j'appellerai Propylaldol, par oxydation biologi- que, pose-t-elle devant nous les questions suivantes : Comment retrouvons-nous une aldéhyde dextrogyre là où les oxydants chimiques ne produiraient que des corps inactifs ? Pourquoi ce propylaldoln'est-il pas compensé au mème titre que le propylglycol générateur ? Par quel mécanisme a-t-il pris naissance? Peut-être la solution de ces questions .jetterait-elle quelque lumière sur les phénomènes intimes de la vie cellulaire. M. Le Bel cultiva ses microorganismes dans des solutions de sels ammoniacaux additionnées de propylglycol purifié. Je n'ai malheureusement pu réussir à obtenir des cultures dans de telles conditions, avec les bactéries dont je parlais dans mon dernier mémoire, Tyrothrir tenuis, Bacillus subtilis et Bac. mesen- lericus vulgatus, soit que ces microbes ne puissent attaquer le propylglycoi lorsque celui-ci représente la source unique 602 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR: de carbone dans le liquide de culture, soit que le propylglycol mis à l'épreuve ne fût pas suffisamment purifié ou que Île mélange de sels employé ne fût pas des plus favorables au déve loppement des bactéries. Mais il est facile de constater l’attaque du propylglycol lorsqu'on vient à substituer le bouillon de viande à la solution de sels ammoniacaux. Si nous ensemençons le Tyrothrix tenuis dans du bouillon‘ renfermant 4 à 5 0/0 de propylglycol, il se forme bientôt, à la température de 35°, un voile épais qui surnage le liquide limpide. Après 10 jours ou 15 jours d’incubation, ces liquides, préalable- ment additionnés d'acide citrique, fournissent par distillation une liqueur fortement réductrice. Versons 1 c. c. de cette liqueur dans un tube renfermant 1 c. c. de solution cupro-sodique, nous verrons se former immédiatement, même à froid, au niveau de séparation des deux liquides, un anneau jaune d’où se détachent des particules d'oxyde de cuivre quise déposent, et la réduction se poursuit jusqu’à complète décoloration. Avec la liqueur de Fehling étendue de 3 ou 4 parties d’eau, le trouble n’apparaît, à froid, qu'après quelques minutes, et la réduction complète s'effectue en 2 ou 3 heures. La solution ammoniacale de nitrate d'argent est réduite à chaud, ainsi que les solutions alcalines d’iodure mercurique, à froid. Toutes ces réactions témoignent de la formation, aux dépens du propylglycol, d'un corpsaldéhydique puissamment réducteur; mais de même queles solutions de glycérose et des autres aldoses, celles de cette aldéhyde ne colorent pas les solutions acides de fuchsine décolorées par l'acide sulfureux. Afin de séparer cette aldéhyde du propylglycol qui peut rester dans les liquides de culture, je distillais lentement ceux-ci à 100° dans un appareil muni du tube déflegmateur de Le Bel, et pour 100 c.'e., je recevais seulement 20 ec. c. de produit. Dans ces conditions, le propylglycol reste en entier dans l’appareil, tandis que le produit recueilli est riche en aldéhyde. Ce produit est toujours dextrogyre. Dans les diverses observations que j'ai faites, l’angle de déviation variait de + 6° à + 10, au tube de 2 déci mètres. ; Ayant réuni 100 c. c. de liquide provenant dela distillation, 4. Une partie de viande de bœuf, pour 2 p. d'eau, COMBUSTION BIOLOGIQUE DU PROPYLGLYCOL 603 dans les conditions ci-dessus mentionnées, du contenu de 5 bal- lons renfermant chacun 100 c. c. de liquide de culture à 5 0/0 de propylglycol, chacun de ces ballons ayant fourni 20 e. ec. de produit, j'ai traité celte solution réductrice et dextrogyre, 4 = + 8, par l’amalgame de sodium à 2 0/0, en conservant au mélange une réaction légèrement alcaline. Lorsque tout pouvoir réducteur a disparu, le liquide est neutralisé par l'acide chlorhydrique, puis distillé au tube défleg- mateur : les premières parties du produit distillé renferment en petite quantité de l'alcool isopropylique reconnu à la plupart de ses caractères, probablement mêlé de traces d’alcool allylique. Le résidu de la distillation, soit environ 20 c. c., est complè- tement évaporé sous le dessiccateur, et ce nouveau résidu traité par l'alcool anhydre. La solution alcoolique laisse par évapora- tion spontanée 0,47 d'un liquide sirupeux présentant les caractères du propylelycol et dont la solution est dextrogyre : a — + 14° au tube de 2 décimètres. Comme on le voit, notre corps aldéhydique correspond au propylglycol ; sa constitution chimique et sa structure molécu- laire en font un intermédiaire entre cet alcool et l’un des acides éthylidénolactiques actifs. De plus nous pouvons le rapprocher avec intérêt de l’acétylcarbinol de M. Perkin, lequel représente- rail sa cétose ; les deux isomères présenteraient ainsi les rela- tions de la glycérose aldéhydique avec la dioxyacétone, où du dextrose avec le lévulose. CH3 — CHOH — CHO CH3 — CO — CH?O0H Propylaldol Acétylcarbinol Enfin, ce propylaldol peut être considéré comme l'homologue inférieur de l’aldol de Wurtz, lequel correspond au butylglycol et renferme aussi un atome de carbone asymétrique. Il Nous nous expliquons facilement la formation des aldoses optiquement actives par combustion biologique des alcools polyatomiques eux-mêmes doués du pouvoir rotatoire, tels quo 60% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la mannite, attendu que les oxydations chimiques produiraient les mêmes effets. Nous comprenons aussi la formation du pro- pylglycol gauche par combustion biologique du propylglycol racémique, en vertu de la propriété que possède le protoplasma cellulaire, qui est dissymétrique, d'établir un choix entre deux stéréo-isomères. Mais, dans le cas qui nous occupe, le méca- nisme de la formation du propylglycol droit par combustion bio- logique du propylglycol compensé ne se présente pas à l’esprit avec la même précision. Les conjectures que nous pourrions faire, & priori, sur les actions mises en œuvre, tendraient à faire intervenir à la fois une réaction d’oxydation et un phénomène d'élection : ou bien le propylglycol serait préalablement dédoublé, comme dans l'expérience de M. Le Bel, et celui des deux isomères actifs qui subirait la combustion donnerait à titre intérimaire l’aldéhyde qui lui correspond; ou bien, le propylglycol serait brûlé égale- ment par les deux côlés de sa molécule, pour engendrer un pro- pylaldol compensé qui se dédoublerait dans le protoplasma cellulaire, l’aldéhyde lévogyre étant brûlée plus facilement que son isomère droit : c’est-à-dire que l'oxydation serait accom- pagnée ou du dédoublement de l'alcool générateur, ou du dédou- blement de l’aldéhvde formée. Nous voici donc conduits à rechercher si le propylglycol est dédoublé, comme dans l'expérience de M. Le Bel. J’ensemence le Tyrothrix tenuis ré d’une culture sur du bouillon de viande âgée de huit jours dans le liquide stérilisé suivant : Borilon dé viande neutre At 200 c. c. PTOPYIC IPC OIE PRR AT E 8 gr. Après 30 jours d'incubation à 35°, le liquide est concentré à 100 ©. c. par distillation au déflegmateur, puis chauffé un :nstant avec un excès de chaux dans le but de détruire l’aldéhyde qui reste. Le mélange est évaporé à sec sous le dessiccateur, le résidu est repris par 20 c. c. d'alcool absolu, et ce liquide addi- tionné de 20 c. c. d’éther. Après 24 heures de repos, j'ai filtré, doucement évaporé pour chasser l’éther, puis chauffé dans un courant d’air à 50°, et enfin desséché sur l'acide sulfurique. Il reste du propylglycol qui donne au polarimètre : COMBUSTION BIOLOGIQUE DU PROPYLGLYCOL 605 BARS a Edo, l = 2 déc:, Vire [aln-— + 20 29/ A l'inverse de ce qui s’est passé dans l'expérience de M. Le Bel, c'est le propylglycol gauche qui est brûlé, et son isomère dextrogyre se retrouve dans le liquide de culture. Ce résultat est extrêmement intéressant au point de vue chimique: il nous fait connaîlre avec certitude la 2° forme active du propylglycol, et ainsi sont connus les trois isomères prévus par la théorie; au point de vue biologique, il soulève la question de savoir si le choix différent établi entre les deux isomères, d'un côté par les microbes de M. Le Bel, et d’un autre côté par le Tyrothrir tenuis, exprimerait une propriété spécifique de ces microbes, où s'il tiendrait plutôt à la différence dans la qualité de l'azote alimentaire, M. Le Bel ayant donné de l'azote minéral à ses microbes, tandis que le Tyrothrix tenus vivait d'azote orga- nique. C’est donc le propylglycol lévogyre qui subit la combustion, d’où il semble que le propylaldol droit est issu de ce propyl- glycol. Mais il importe de nous arrèter ici un instant pour remarquer combien curieux serait un tel processus. Comme je l'ai indiqué un peu plus haut, ie propylaldol droit régénère le propylglycol droit par hydrogénation, et par conséquent lui correspond; ilen découle nécessairement que la formation du propylaldol droit retrouvé dans les liquides de cullure aux dépens du propylglycol gauche, qui a disparu de ces liquides, impliquerait, en outre d’une oxydation, une transposition des radicaux monovalents H et OH autour du carbone asymétrique. Une telle interprétation n’est pas de celles qui s'imposent sans l'appui de documents décisifs ; et comme documents de cet ordre nous voyons uniquement, dans ce cas particulier, à faire la preuve que, seul, le propylglycol gauche entre en réaction. Il est possible, en effet, que le choix entre les deux propyl- glycols isomériques soit moins absolu que semble le montrer l'expérience précédente ; il n’est pas contraire à la vraisemblance ni aux précédents que les deux isomères entrent tous les deux en combustion, mais avec une vitesse inégale. C'est ce que j'ai cherché à vérilier dans l'épreuve qui suit : J'ensemence dans cinq ballons, contenant chacun 100 c. c. 606 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de bouillon et 5 gr. de propylglycol purifié, le Pyrothrix tenuis tiré d’une culture sur le même liquide ägée de huit jours : les cinq ballons étaient tenus à l’étuve à 35°, et je dosais par imter- valles le propylglycol qui restait dans ces ballons, à l’aide du procédé décrit plus haut. 1° Après 20 jours d’étuve : Propylglycol restant : 2,15; consommé 57 0/0 p—2%rA5 a = +44: M—200c.c,1—=20 déc" cp ose 2° Après 30 jours : Propylglycol restant : 4,855; consommé 62,90 0/0 — 1,855, — +48 VW — 20. t., 1 —2 déc. son 24e! P » 3° Après 40 jours : Propylglycol restant : 1,705; consommé 65,90 0/0 = 1,105, 1& — + 48020 cel déc ion = ant 4° Après 60 jours : Propylglycol restant : 1,446; consommé 71,08 0/0 p— 1,446, « — + 45, V— 20 c. c., 1 —2 déc. ; [e]n = + 50 6 À A partir de ce moment, le liquide de culture brunit et prend une réaction ammoniacale très marquée; puis, après quelques jours, la membrane de microbes se flétrit, se déchire et tombe au fond du vase. 5° Après 80 jours d’étuve : Propylglycol restant : 1,420; consommé 71,60 0/0 p'=4 4204 — LAN —=2Uc.c 12 déc cn =#" 0089 Cherchons à présent la signification de ces données. Nous constatons, après 20 jours de culture, que plus de 50 0/0 du pro- pylglycol a disparu, c’est-à-dire que déjà l’alcool dextrogyre est entré en réaction en même temps que son isomère. Nous consta- tons ensuite que le pouvoir rotatoire du propylglycol restant s'élève dans chacune des expériences à mesure que diminue sa quantité, c’est-à-dire qu'il reste encore du propylglycol lévogyre. Enfin le ponvoir rotatoire devient fixe, ainsi que la quantité de propylelycol, le microbe ayant alors porté exclusivement son action sur les éléments nutritifs du bouillon de viande. COMBUSTION BIOLOGIQUE DU PROPYLGLYCOL 607 Et voici comment tous ces faits peuvent se traduire : du commencement à la fin de l'expérience, les deux isomères parti- cipent concurremment au mouvement de combustion, le glycol lévogyre plus rapidement que le glycol dextrogyre; mais l'attaque de ce dernier cesse lorsque le premier a complètement ou presque complètement disparu, comme si le propylglycol droit était par lui-même incapable d'entrer en réaction et s’y trouvait purement entrainé par l’attaque de son isomère gauche. Il s'ensuit qu'il doit se former à chaque instant et en proportions différentes deux propylaldols isomériques, correspondant aux deux propylglycols générateurs, aldéhydes elles-mêmes atteintes par la combustion intracellulaire, l’isomère gauche étant plus rapidement brülé que le droit, que nous retrouvons dans le liquide de cultute. Nous saisissons dès lors le mécanisme de la formation du propylaldol droit en partant du propylglycol racémique : aucune action n'intervient que nous n'ayons déjà vue à l’œuvre, puisque tout se résume en deux combustions électives portant, la pre- mière sur le mélange des deux alcools isomériques, la deuxième sur le mélange des deux aldéhydes isomériques qui procèdent de ces alcools. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que l'arrêt subit dans l'attaque du propylglycol, au moment où son pouvoir rotatoire est égal à 5°, permet de regarder ce chiffre comme représentant avec une certaine approximation le pouvoir rotatoire moléculaire du propylglycol actif. Pour confirmer dans une certaine mesure ce qui à trait dans ces expériences à la détermination du pouvoir rotatoire, j'ai repris le mélange des résidus de propylglycol restant dans les cultures aux diverses époques, et j'en ai retiré le propylglycol pur dont j'ai pesé un poids déterminé : De SD C0, Vi 2DICA CE [æ]n "290045! L'on pourrait demander si l’aldéhyde droite se trouve dans les liquides de culture à l’état de pureté, c’est-à-dire sans aucun mélange avec son isomère. La question est délicate; cependant le pouvoir rotatoire du propylglycol obtenu par hydrogénation de ce propylaldol pourra peut-être nous fournir un renseigne- ment. p = 0,47. à = + 14, V — 20 c. c., 1 = 2 déc.; [o]p — + 49 58/ 608 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ce pouvoir rotatoire se rapproche sensiblement, comme on le voit, du pouvoir rotatoire maximum de nos résidus de propyl- glycol : il semble donc qu'il ne reste pas sensiblement de propylaldol gauche, mélangé au propylaldol droit. En résumé, l'étude biologique du Tyrothrix tenuis nous a mis sur la voie de quelques faits intéressants. Outre qu’elle nous a fait connaître le propylglycol et le propylaldol sous leur forme dextrogyre, elle nous a permis aussi de mettre en lumière un processus curieux mis en œuvre par les êtres vivants pour aboutir aux corps optiquement actifs en partant des corps com- pensés. Remarquons que par un côté la cellules’est ici comportée à la manière des agents chimiques, oxydant les deux alcools isomériques et formant deux aldéhydes isomériques. Là où apparaît le caractère spécifique de l'être vivant, c'est dans le choix relatif que le protoplasma dissymétrique a établi entre les deux isomères alcooliques ou aldéhydiques. Peut-être trouverai-je là un repère pour poursuivre l'étude du mécanisme de la combustion biologique des corps ternaires, ébauchée dans un premier mémoire, et en particulier l’étude des procédés employés par ces microbes pour former une glycérose lévogyre en partant de la glycérine symétrique. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie E. Charaire. {ime ANNÉE AOÛT 1897 N° 7. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR CONTRIBUTION A L'ÉTUDE GONOCOQUE ET DE SA TOXINE L'étude microbiologique du gonocoque semble être restée un peu stationnaire depuis quelques années, et nos connaissances du chimisme de ce microbe sont loin d’avoir fait les mêmes progrès que celles de la plupart des autres formes pathogènes. Pourtant le gonocoque méritait autant par la fréquence des affec- tions qu'il occasionne, que par les complications pathologiques souvent graves, dont il est la cause première, une attention toute spéciale de la part des microbiologistes. Si donc tant de ques- tions concernant sa biologie, et notamment celles quise rattachent à sa toxine, sont restées obscures, c’est sans doute à cause des difficultés de culture de ce microorganisme délicat, qui ne se plait que dans certains milieux spéciaux, et dont la vie très courte, même dans les milieux qui lui conviennent, ainsi que son extrême sensibilité envers les changements de température, rendent difficiles les cultures en série. Sans entrer dans l'historique détaillé du gonocoque !, il suffit 4. On trouve un aperçuhistorique et une bibliographie très complètesur le gono- coque dans la monographie de M. Marcel Sée : Le Gonocoque. Paris, 1896. 39 610 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. de rappeler que ses premières cultures pures ont été obtenues par Bumim par simple ensemencement de pus blennorrhagique sur le sérum humain, et que l'isolement des germes contenus dans le pus a été réalisé en 1893 par Wertheim, qui employait un mélange de gélose et de sérum humain tenu liquide à 40° et coulé sur plaque. Depuis, le milieu de Wertheim a été modifié par différents auteurs. On a essayé de substituer au sérum humain, difficile à préparer, d’autres milieux comme l'urine albumineuse, l’albumine de l’œuf, le sérum de différents ani- maux, etc. Dans ces dernières années, l'emploi du sérum d'ascite ou le liquide pleurétique chez l'homme mélangé avec la gélose ont donné de très bons résultats, et aujourd'hui tous les auteurs sont d'accord sur ce point, que le gonocoque ne peut vivre que dans un milieu qui renferme de l’albumine, sans qu’on semble ajouter grande importance à la nature de l’albumine employée. Cette question est pourtant de premier ordre, et il est fa- cile de se rendre compte que le gonocoque, loin de se plaire dans tous les sérums ou liquides albumineux de différente provenance, ne pousse d’une manière satisfaisante que dans certains milieux albuminés. C’est ainsi que la culture dans l'urine humaine pathologique renfermant de 2 à 5 0/0 d’albu- mine et mélangée avec la gélose, m'a toujours donné des résul- tats négatifs. Ce milieu proposé par Finger, et qui. entre les mains d’autres expérimentateurs, a déjà donné de mauvais résultats, doit donc être définitivement écarté. L'’albumine de l'œuf, les sérums de différents animaux sont également de très mauvais milieux de cultures. Contrairement à ce qui a été dit, je trouve que les sérums de cheval et de bœuf ne peuvent nulle- ment remplacer les sérums humain. Surtout lepremier qui est un milieu plus que médiocre, sur lequel je n’ai jamais obtenu une culture appréciable. Le sérum de bœuf est meilleur, mais les cultures y sont maigres et meurent très vite. Je trouve par contre que le sérum de lapin est un milieu ex- cellent pour le gonocoque; les cultures y sont d’une vigueur et d’une abondance égales à celles obtenues sur sérum humain. Les liquides albumineux de provenance humaine forment tous d'excellents milieux de culture. Le sérum de sang, le liquide d’ascite ou pleurétique mélangés avec la gélose peptonisée dans la proportion de un pour deux, donnent des cultures abondantes. LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 611 Celui qui semble le mieux se prêter à ces cultures est le liquide d'ascite, facile à obtenir en grande quantité, et qui se laisse facilement stériliser, car il supporte sans coaguler un chauffage plus élevé que le sérum du sang. Il forme avec la gélose un mélange d’une limpidité parfaite, sur lequel le développement de la culture ensemencée en strie, et placée dans le thermos- tat à 35°, se fait abondamment dans les 24 heures suivantes. La survie des cultures sur la plupart de ces milieux n’est que de courte durée, et la gélose-ascite spécialement ne permet plus le repiquage de la culture après trois ou quatre jours. Passé ce délai, les germes sont morts. Il faut donc avoir soin de réense- mencer toutes les 48 heures, si on désire continuer la culture. Cet inconvénient m'a fait rechercher d’autres milieux plus favorables à la vie du gonocoque, et après avoir essayé nombre de combinaisons, dont l’énumération est superflue, vu le maigre résultat qu'elles m'ont donné, j'ai fini par trouver dans le sérum pur et coagulé du lapin un milieu, sur lequel non seule- ment il se développe abondamment, comme il vient d'être dit, mais où il reste vivant trois à quatre semaines et quelquefois jusqu’à deux mois après son ensemencement, et cela malgré le dessèchement complet du sérum, qui à cette époque ne formait plus qu’une couche dure, adhérente au tube. Malheureusement, le sérum du lapin est difficile à obtenir en grande quantité. En saignant à blanc un lapin adulte, on récolte tout au plus une centaine de centimètres cubes de sang, qui donnent environ 60 ec. c. de sérum. Distribué en tubes de petit diamètre et coagulé, ce sérum permet sans doute de faire un certain nombre de cultures, mais la quantité est tout à fait insuf- fisante s’il s’agit d'obtenir de grandes cultures en milieu liquide pour l'étude des toxines ou pour l'immunisation des animaux. Dans ce dernier cas, la seule substance albumineuse qui semble iudiquée est le liquide d’ascite qui, mélangé avec le bouillon peptonisé dans la proportion de une partie pour trois de bouil- lon peptonisé, forme une solution nutritive excellente. La pep- tone à la proportion de un pour cent augmente de beaucoup la valeur nutritive du milieu. Elle semble même plus indispen- sable que le bouillon, car le bouillon-ascite sans peptone ne donne que de maigres cultures, tandis qu'on obtient un très beau développement dans une solution de peptone-ascite sans 612 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. bouillon. Mais la toxicité de ces dernières cultures m’a semblé diminuée : aussi j'ai toujours préparé les milieux de culture avec le bouillon de veau ordinaire ou avec l'extrait de viande de Liebig (0,5 grammes pour un litre d’eau). L'utlité de la glucose dans la composition de milieu nutritif aété discutée. Quelques auteurs ont observé que le gonocoque se plaît dansles milieux sucrés : d’autres au contraire (M. Stein- schneider) la croient sans utilité ou l’ont vu entraver le dévelop- pement. Je trouve comme résultat de nombreux essais, que la glucose à très petite dose augmente la valeur nutritive du milieu. Mais il ne faut pas dépasser un pour mille, sous peine de voir le développement s'arrêter. Dans le milieu sucré liquide, le gono- coque change un peu d'aspect. Chaque germe devient légèrement gonfié et semble plus gros que dans les cultures non sucrées. Quand la culture est achevée, la couche de gonocoques qu’on trouve toujours au fond est devenue très adhérente aux parois du ballon, tandis que sa consistance dans les cultures sans sucre est plus visqueuse et peu adhérente. Dans les milieux sucrés à un pour mille, le gonocoque vit aux dépens de la glucose, car au fur et à mesure du développement la proportion de sucre diminue dans le liquide, et à la fin on n’en trouve plus la moindre trace, ni avec la liqueur cupro-potassique ni en faisant l'épreuve par fermentation. Une preuve que la glucose a été utilisée par le gonocoque se trouve dans ce fait, que le milieu de culture à la fin du développement a changé de réaction. D’alcalin qu’il était au début, il est devenu légèrement acide, et cet acide est certainement formé au dépens du sucre, car les milieux non sucrés gardent, le développement achevé, la réaction alcaline du début. La réaction du milieu de culture doit être légèrement alca- line. Quelques savants ont cru observer un développement plus riche sur milieu acide, et entre autres MM. Finger, Ghon et Schlagenhauffer, qui ont constaté que le sérum de bœuf acidifié avec le phosphate acide de soude donnait de meilleures cultures que le sérum alcalin. Cette observation est juste, le gonocoque pousse en effet mieux sur le sérum de bœuf acidilié, mais ce serait une erreur de conclure de ce milieu spécial à l’opportu- nilé des milieux acides, sur lesquels le gonocoque se développe mal. LE GONOCOQUE ET SA TOXINE, 613 Dans le milieu liquide, dont la composition vient d’être don- née, on obtient une culture abondante du gonocoque, si on a soin d'ensemencer avec des germes provenant d’une culture fraiche, eten tenant les ballons à une température de 36°. Le dé- veloppement est alors rapide et caractéristique. Déjà après 12 heures le liquide est légèrement trouble, et il s’est formé une légère couche de gonocoques, qui couvre tout le fond du vase: Les germes semblent, les deux ou trois premiers jours, se déve- lopper surtout dans la profondeur du liquide, mais, passé ce dé- lai, la poussée prend un nouvel essor, et le développement à la surface du liquide devient plus abondant. Les gonocoques forment alors un léger voile blanchâtre et crémeux : le liquide se trouble fortement, et la couche, qui couvre le fond, augmente d'épaisseur à I suite du développement des germes, qui de la surface tombent au fond. Le voile ne forme jamais de pellicule sur le liquide, il est de consistance visqueuse, et de sa surface des- cendent de longs filaments flottant dans le liquide et se collant aux parois du vase. Sept à huit jours après l’ensemencement, la poussée est finie, le liquide s’éclaircit, le voile sur la surface dis- paraît en tombant au fond, etl’ensemencement dans un nouveau milieureste stérile, Enexaminant la couche blanchâtre, visqueuse et épaisse, quicouvre le fond du ballon, auquel elle adhère assez pour ne pas se laisser enlever même en agitant le liq'iide forte- ment, on la trouve composée de gonocoques, dont une païtie ne se colore déjà que faiblement par suite de la prompte dégénéra- tion de ce microbe; ils sont collés ensemble et forment de larges amas, qui ue se laissent plus séparer. Pour obtenir les premières cultures pures de gonocoques, isolés du pus blennorrhagique, je me suis servi d'un procédé aussi facile que rapide, et qui consiste à étaler une gouttelette de ce pus sur la surface du sérum de lapin coagulé, qui est placé aussitôt que possible après r'ensemencement dans l’étuve à 36°. Si la blennorrhagie est récente et si le pus renferme beaucoup de gonocoques, il suffit souvent de douze heures de séjour dans l'étuve pour voir la surface du sérum se couvrir de petites colo- nies transparentes. Ce microbe, qui semble avoir une affinité toute spéciale pour le sérum de lapin, s’y développe plus vite que les autres microorganismes qui se trouvent souvent dans le pus blennorrhagique, et il devient très facile, en repiquant dans un 614 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nouveau tube une colonie isolée, d'obtenir dès ce second ense- mencement une culture parfaitement pure et abondante de go- nocoques. Ce procédé me semble avoir de réels avantages sur le procédé de Wertheim, généralement employé, et qui consiste dans l'emploi du sérum gélose, tenu en état liquide et coulé sur plaques après le mélange avec une goutte de pus. Quelquefois on obtient dans ce milieu de bonnes colonies de gonocoques, qui sont alors faciles à repiquer à l’état de pureté, mais très souvent le résultat est négatif, soit que les germes ne soient pas assez vivaces pour se développer, sait que la gélose liquéfiée ait été trop chaude, soit que d’autres germes, qui se développent sur la gé- lose avec une rapidité autrement grande que celle du gonocoque, aient tout envahi avant que celui-ci ait pu se manifester. En en- semençant le pus sur le sérum de lapin comme il vient d’être dit, on peut souyent suivre le développement d’une colonie dès son commencement dans les leucocytes du pus. En examinant au microscope, d'heure en heure, de petites parcelles du pus blen- norrhagique étalé sur la surface du sérum, on voit augmenter le nombre des gonocoques dans le protoplasme du leucocyte. Bientôt celui-ci éclate, et la colonie s’étale en poussant des ra- mifications. Les débris cellulaires disparaissent assez vite, et après 2 heures ils sont tout envahis par les colonies, qui grandissent rapidement. Depuis que je me suis servi du sérum de lapin comme milieu de culture, l'isolation du gonocoque m'a réussi dans la plupart des cas de blennorrhagie fraiche, que j'ai examinés. C’est ainsi que dans une série de dix blennorrhagies uréthrales chezl’homme, datant de trois à quinze jours, j'ai pu le cultiveræet l’isoler en culture pure dans huit cas‘. Il va sans dire qu’il ne faut pas procéder à l’ensemencement du pus sans avoir pris la précaution de laver l’orifice de l’urèthre avec une solution antiseptique. L’'ensemencement se fait facilement avec l’anse de platine qui cueille la gouttelette de pus sans toucher à la muqueuse 1. La recherche du gonocoque dans l’uréthrite chronique, ainsi que dans les différentes affections qu’il peut occasionner, n’entre pas dans le cadre de ce tra- vail. Il est probable que l'emploi du sérum de lapin coagulé facilitera sa recher- che autant que dans la blennorrhagie aiguë. Je tiens à cette occasion à exprimer ma reconnaissance à M, le Docteur Bal- zer, médecin des hopitaux, pour la libéralité avec laquelle il m’a ouvert son ser- vice à l'hôpital Ricord, LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 615 uréthrale. Il faut également avoir soin de bien étaler sur la sur- face coagulée et de placer les tubes ensemencés dans l’étuve dans le plus bref délai possible, sous peine de voir tout déve- loppement s’arrêter. L'aspect des cultures de gonocoque sur milieu solide a étési souvent donné el si bien décrit par Bumm, Wertheim, Finger, Heiman et autres, qu’une nouvelle description n’ajouterait rien de nouveau à ce qui est déjà connu, et je me contenterai d’at- tirer l’attention sur quelques caractères distinctifs, qui permet- tent de conclure avec certitude que la culture obtenue est bien celle du gonocoque. Ces caractères varient un peu selon le milieu. Sur le sérum de lapin, les colonies restent plus petites que sur l’ascite-gélose. Elles sont diaphanes, de contour arrondi mais irrégulier, le point central plus élevé. Elles restent isolées ou confluentes, selon l'humidité du milieu. Leur consistance vis- queuse est assez caractéristique; en les touchant avec le fil de platine, elles adhèrent au métal et se laissent tirer. Cette visco- sité est très prononcée au fond du tube, où les gonocoques for- ment une masse flottante, qui se laisse enlever en entier. Sur gélose-ascite, les colonies, grâce à la transparence du milieu, paraissent plus grisàtres, elles ont plus de tendance à confluer, et leur viscosité est moins prononcée. Il a été dit souvent que l'aspect du gonocoque sous Je micro- scope et en préparation colorée n’offrait rien de particulier qui le distinguàt des autres microcoques. Pourtant, il existe des signes distinctifs, qui permettent à un œil exercé de reconnaître de suite les gonocoques dans la préparation. Ainsi la distribu- tion des germes dans une gouttelette de culture étalée et dessè- chée sur la lamelle est différente de celle des microcoques ordi- naires. Les gonocoques se trouvent ou réunis par deux ou quatre, ou en petits amas irréguliers et ramifiés, tandis que la plupart des microcoques connus, quand on les délaye sur la lamelle, sont distribués régulièrement sur le verre après dessè- chement. Ceci tient à la couche visqueuse qui entoure les gono- coques et qui les empêche de se délayer. Ce qui frappe surtout en regardant une préparation de gonocoques étalée sur lamelle et colorée avec une couleur d’aniline, c’est l'aspect irrégulier des germes. Au lieu d'être arrondis régulièrement comme les autres microcoques, ils ont des contours inégaux, présentant 616 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. souvent la forme de cubes aux coins arrondis. La grosseur des grains est très inégale; beaucoup se colorent mal et présentent déjà, dans les cultures âgées de 24 heures, des formes de dégéné- rescence bien décrites par M. Wertheim. On peut dire que la forme classique du gonocoque, en grain de café, qu’on rencontre toujours dans le pus, est celle qu’on trouve le moins souvent dans les cultures. Au développement et à l'aspect caractéristique des cultures, s’ajoutent, comme signes distinctifs, la décoloration du gono- coque par le procédé de Gram, l'impossibilité de le cultiver sur les milieux non albuminés. et son extrême délicatesse envers les variations de température, qui empêche tout développement au-dessus de 380,5 et au-dessous de 32°. Il est tué dans l’espace de quelques heures, si la température descend au-dessous de 15°. Il semble incontestable actuellement qu'un microbe réunis- sant les caractères qui viennent d’être énumérés ne soit le germe spécifique de la blennorrhagie. Pour que la certitude soit absolue, on'a exigé la production de la maladie chez l'homme par inoculation de la culture. Je n’ai pas voulu, pour vérifier la pureté de mes cultures, employer ce procédé un peu hasardé et répugnant, tant par la rature de l'affection que par la difficulté qu'il y à à limiter sa durée et son extension. Cette preuve m'a semblé d'autant plus superflue, que la toxine gonococcique peut provoquer à elle seule, sans la présence de germes vivants, une inflammation caractéristique et aiguë de l’urèthre humain. Car si on la dépose en petite quantité sur la muqueuse uréthrale, elle produit au bout de peu de temps un écoulement purulent, ressemblant en tous points à une véritable blennorrhagie, mais qui a cet avantage sur celle produite par le gonocoque vivant, qu'elle est limitée aux parties de l’urèthre atteintes par la toxine, et que sa durée n'excède pas quelques jours. Cette réaction caractéristique est très suffisante pour permettre de juger de l'authenticité des cultures. IT On sait que toutes les tentatives d’inoculation de gonocoques sur les animaux n’ont donné que des résultats négatifs. L'intro- duction du pus dans l’urèthre ou dans le sac conjonctival du LE GONOCOQUE ET SA TOXINE, 617 lapin, du chien, du cobaye, l'injection dans les articulations, dans le tissu sous-cutané ou dans le péritoine, w’est jamais suivie d’une pullulation des germes injectés, si bien qu’on est en droit de conclure que le gonocoque n’est pathogène que pour l’homme. Les expériences de M. Heller', qui dit avoir obtenu le développement du gonocoque dans le sac conjonctival du lapin nouveau-né, n'ont pas été confirmées, et mes propres essais dans ce sens ne m'ont donné que des résultats négatifs, ainsi que tous mes autres essais pour obtenir le développement du gonocoque dans l'organisme animal. C'est ainsi que la culture en sac de collodion dans la cavité péritonéale du lapin, procédé qui pour d’autres microorganismes donne de si bons résultats quant à l'augmentation de la virulence *, reste inefficace pour le gonocoque. Il se développe bien dans le sac rempli de bouillon albuminé, mais, inoculé dans le péritoine ou dans l'œil, il ne pullule plus et meurt aussi vite qu'auparavant. D'autres essais consistant en inoculations de cultures fraîches dans les tissus déjà altérés par une injection d'acide lactique, d'une infusion de jéquirity ou par un badigeonnage au gaïacol, ont également échoué. Malgré ces précautions, qui avaient pour but de paralyser Les phagocytes ou de créer des œdèmes artifi- ciels permettant le développement des germes à l’abri des influences cellulaires, il n’a pas été possible d'obtenir une pul- lulation appréciable. L'explication de ce manque de virulence se trouve en partie dans la sensibilité de ce microbe envers la température des ani- maux d'expérience, qui chez le lapin approche ou dépasse 39° et chez le cobaye 389,5. Mais il faut sans doute aussi la chercher dans l'impossibilité pour le gonocoque de vivre dans les humeurs vivantes ou fraichement extraites de l'organisme. Il ne se déve- loppe pas dans.le liquide péritonéal frais du lapin, même à la température de 36°, ni dans l'humeur aqueuse de l'œil, ni dans l’æœdème sous-cutané produit par une injection de jéquiritine, ni dans le sang frais, et pourtant ces humeurs chauffées et coagu- lées deviennent d'excellents milieux de culture. 1. Société de médecine interne de Berlin, 4896. 2. Voir : Toxine et antitoxine cholériques par MM. Mercuxiorr, Roux et SALIMBENI. Ces Annales, vol. X, 1896. 618 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Mais si les animaux de laboratoire sont de mauvais terrains pourle développement des germes inoculés, ceux-ci n'y meurent pourtant pas aussi vite qu’on pourrait le supposer. Car en injec- tant 1 ou 2 ©. c. d’une culture fraîche en milieu liquide dans le système veineux du lapin, on obtient des cultures en en- semençant le sang sur gélose-ascite après 24 et quelquefois 48 heures. De même en faisant l'inoculation d’une goutte de culture fraîche dans la chambre antérieure de l'œil du lapin. Dans l'exsudat séro-purulent, qui se forme à la suite de cette injection, beaucoup de germes restent vivants après 24 heures, et après 48 heures on voit encore quelques colonies se développer. Le gonocoque n'est donc pas englobé très vite par les phagocytes, nitué dans les humeurs de l'organisme, mais il meurt principalement parce qu’il ne trouve pas dans le milieu animal vivant les conditions nécessaires pour sa vie. Nous ignorons encore en quoi consistent ces conditions particulières, ainsi que les propriétés spécifiques des muqueuses humaines qui en font un terrain si propice pour ce microbe, mais les différences de terrain doivent être importantes, puisqu'il paraît jusqu'ici impossible d'obtenir une adaptation du gonocoque au nouveau milieu. Les cultures provenant de germes ayant survécu 48 heures dans le sang ou l'humeur aqueuse du lapin n’ont pas acquis une plus grande vitalité. Inoculées à leur tour, elles ne laissent en survie que quelques germes, et une telle série d’inoculations ne m'a pas donné de cultures dont la virulence fût sensiblement augmentée. Nos connaissances sur les produits toxiques du gonocoque sont actuellement à peu près nulles, et se bornent à quelques ex- périences peu concluantes ou négatives, comme celle de Finger qui a essayé d'extraire par l’ébullition une toxine du corps des gonocoques. L’extrait toxique préparée par MM. Hugouneng et Airoud, et dont l'analyse chimique a été essayée par M. Gautier, ne peut nous intéresser ici, car le microbe avec lequel ces savants ont travaillé n’était certainement pas le gonocoque. Ce manque complet de données sur la toxicité du gonocoque s'explique probablement par la &ifliculté des cultures en milieu liquide, car le résultat de certaines inoculations devait faire prévoir que si le gonocoque n’est pas pathogène pour les ani- maux, il n’est pourtant pas tout à fait dépourvu d'action sur eux. LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 619 C'est ainsi que Steinschneïider avait observé, après Risso, que linoculation d’une culture sur gélose ou sur sérum dans la chambre antérieure de l'œil du lapin produit une irritation de la conjonctive et une exsudation fibrineuse dans la chambre. Il est vrai que cette inflammation ne se produisait que s’il inoculait, en même temps que les gonocoques, un peu de la gélose ou du sérum dans lequel la culture se trouvait, et le résultat de l'injection était négatif, si elle était faile avec les gonocoques seuls, sans leur milieu. Les expériences de Finger, Ghon et Schlagenhaulffer ont montré que l'injection d’une culture de gono- coques dans l'articulation du genon, chez le chien ou le lapin, produit une inflammation assez notable avec gonflement, rou- geur et chaleur du tissu périarticulaire, inflammation qui ne peut être due aux gonocoques vivants injectés, car ceux-ci dis- paraissent peu d'heures après l'injection. Elle doit donc être attribuée aux produits irritants qui se trouvent dans le liquide injecté ou dans la substance même des gonocoques. Mais, comme il vient d’être dit, les elforts de ces auteurs pour isoler une telle substance ont été infructueux, ainsi que les essais d’in- jection intraveineuse de cultures en milieu liquide, qui ne sem- blent avoir donné aucun résultat appréciable. Malgré ces résultats négatifs, il est certain que le gonocoque renferme et qu’il sécrète, dans le milieu nutritif où il. se déve- loppe, des produits toxiques qui, sans avoir le pouvoir toxique de beaucoup d’autres microbes pathogènes, produisent sur les ani- maux des phénomènes d'intoxication et d’inflammation très appréciables, pouvant occasionner la mort immédiate ou à la suite d’une cachexie lente. Mais pour rendre manifeste ce pouvoir toxique du gonocoque, il ne suffit pas de se servir de la maigre culture d’un tube de gélose-ascite, il faut employer les vigoureuses cultures obtenues dans le milieu nutritif dont la composition vient d’être donnée, et lui laisser le temps d'obtenir son plein développement, c’est-à-dire 10 à 12 jours à 35°-36o. Voyons d’abord comment agit une telle culture injectée dans le tissu sous-cutané d'un lapin de poids moyen et à une dose assez forte, c’est-à-dire de 10 à 20 c. ce. Vingt-quatre heures après injection on ne trouve à l'endroit inoculé qu’un peu d'œdème qui, les jours suivants, peut se résorber si la dose injectée n'a pas dépassée 10 c. c., mais qui augmente au contraire si la dose a 620 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, été plus forte, en formant, les jours suivants, une tuméfaction assez considérable, dure au toucher, très douloureuse. L'endroit est le siège d’une inflammation qui se manifeste par un alfflux leucocytaire, avec formation de pus épais en petite quantité, et plus tard par une rétraction cicatricielle des téguments, qui est très longue à disparaître et qui reste sensible pendant un mois ou plus après l'injection. L'endroit injecté devient quel- quefois le point de départ de vastes abcès dont l’origine est à chercher dans une infection secondaire, car ils se produisent malgré les précautions d’antisepsie les plus minutieuses, et quoique la pureté du liquide injecté soit hors de doute. Ces abcès s’observent surtout quand l'animal est cachectisé à la suite de plusieurs injections successives. Ils n’ont aucune tendance à guérir spontanément: ils peuvent souvent former des collections purulentes de dimensions différentes et quelquefois dépasser la grosseur d’un œuf d’oie. Les abcès, je le répète, ne sont pas provoqués directement par l'injection sous-cutanée de la culture gonococcique, mais les substances toxiques contenues dans la culture semblent diminuer la résistance du tissu et le prédisposer aux infections secondaires. L'examen microscopique du pus de ces abcès, montre ordinaire- ment un diplocoque, qui sur la gélose forme des colonies blan- ches, arrondies, d'un développement assez restreint. Quelque- fois j'y ai trouvé un bâtonnet court et fin, poussant également sur ja gélose ordinaire. Je n’ai jamais observé ces abcès chez d’autres animaux que le lapin, ni chez le cobaye, très réfractaire à la gonotoxine, ni chez la chèvre, qui au contraire est très sensible à ce poison. Si l'injection sous-cutanée est faite sur des lapins très jeunes (un mois à six semaines), on la voit suivie de phénomènes d’inflammation plus prononcés que chez les animaux adultes. Ici on observe, à la suite de l'infiltration leucocytaire, décrite tout à l'heure, une véritable fonte purulente du tissu et la for- mation de petits abcès bien circonscrits, de la grosseur d'une noiselte ou plus grands. Ces abcès ne peuvent être confondus avec les abcès d’origine secondaire, dont il vient d’être question. Ils sont bien le résultat immédiat de l'influence phlogogène de la toxine gonococcique et se produisent en dehors de toute inva- sion microbienne. Leur contenu est formé de pus épais et par- LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 621 faitement stérile. Ils n’ont aucune tendance à se répandre, et ils disparaissent lentement à la suite d’une résorption du contenu, sans aucune lésion des téguments. Si les phénomènes locaux qui suivent l'injection sous-cutanée sont appréciables, ia réaction générale est aussi manifeste, et montre bien que le lapin subit une intoxication, dont la gravité est proportionnée aux doses injectées, et qui se manifeste par une fièvre intense et une perte de poids considérable. Si la quan- tité injectée dans le tissu sous-cutané est de 15 à 20 c. c. d’une culture vigoureuse âgée de 8 à 10 jours, l'animal est manifeste- ment malade. Il reste blotti dans un coin de la cage, refusant loute nourriture : la température prise 12 à 20 heures après l'injection monte à 40° 2 ou 40°5. Cette élévation de température n'est que passagère. Souvent elle estsuivie d'un abaissement au- dessous de la normale, et elle peut descendre à 36° ou 37°, mais presque toujours elle disparaît après 48 à 72 heures ‘. La perte de poids atteint, dans les premières 24 heures, ne à 200 grammes pour un lapin du poids moyen (2 kilos à 2 k. 1/2). Les jours suivants, le poids diminue encore d’une centaine 5 sgrammes, et l'animal ne regagne le poids perdu qu'après 10 à 15 jours. Si la dose injectée est plus forte, si on la répète à court intervalle, ou si, au lieu d’injecter la culture entière, on injecte les toxines concentrées selon le procédé indiqué plus loin, on peut produire chez les animaux injectés un état de cachexie se manifestant par un amaigrissement considérable (la perte de poids peut aller dans quelques jours jusqu’à un cinquième du poids total). Les lapins ne se remettent que très lentement, et meurent souvent dans un état de dépérissement complet. L'autopsie dans ces cas ne montre aucune lésion apparente des organes. Le principal phénomène est une anémie prononcée, avec diminution considé- rable du nombre des globules rouges. Si, au lieu du tissu sous-cutané, on introduit la culture de gonocoque dans le système veineux, en injectant 1 à 2 c. c. dans {. La tempéralure normale du lapin est de 890 à 39,5. C’est du moins le résultat auquei je suis arrivé après de nombreuses mensurations sur des lapins en bonne santé. Mais il importe d'introduire le thermomètre très haut dans le rectum (5 centimètres au moins). De l'anus jusqu’à cette hauteur, la température varie de un degré à un degré demi. Il est facile de s’en rendre compte avec un thermomètre sans arrêt. 622 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la veine marginale de l’oreille du lapin, les mêmes phénomènes de fièvre et de perte de poids se reproduisent, mais avec une plus grande intensité. La fièvre monte dans les 24 heures suivantes à 400,5-419, et la perte de poids peut atteindre 250 à 300 grammes pour un lapin pesant 2 kilos. La diminution de poids continue pendant 3 à # jours, la réaction fébrile disparaît 2 ou 3 jours après l'injection. Si on augmente la dose injectée ou si le liquide injecté ren- ferme une très grande quantité de gonocoques, on voit souvent l'animal succomber dans un laps de temps assez court. L’autopsie dans ces cas montre une forte hypérémie pulmo- naire, qui probablement est la cause immédiate de la mort. Dans d’autres cas, non suivis de mort, on observe, à la suite d'une forte injection, des phénomènes de collapsus suivis d’un abaissement considérable de la température, C’est ainsi que j'ai vu, chez un lapin qui avait reçu 5 c. c. d’une toxine concentrée dans la veine de l'oreille, la température baisser à 29°. Ce n’est que 24 heures après qu’elle remontait à 36°, et elle restait encore trois jours au-dessous de la normale. Ce lapin, qui pesait 2,500 grammes au moment de l'injection, avait perdu 500 grammes, c’est-à-dire un cinquième de son poids, dans les trois premiers jours. Il se remettait dans la suite très bien de son intoxication, ce qui est rare. Ordinairement la mort arrive dans les 48 heures qui suivent l’injection de ces fortes doses. La perte de poids à la suite de l’injection intraveineuse de toxine est caractéristique et mérite une étude détaillée, car nous verrons dans la suite que la connaissance de son évolution est indispensable pour se rendre compte du degré d’immunité conférée aux animaux, et elle servira de mesure pour la valeur anlitoxique du sérum des animaux immunisés. Cette perte de poids, évaluée sur une cinquantaine d'animaux d'expériences, varie entre 200 et 350 grammes pour des lapins de grandeur moyenne (2,000 à 2,500 gr.) à qui on injecte 2c. c. de cullure par kilogramme. La presque totalité de la perte est atteinte dans les premières 48 heures qui suivent l’injection : elle est due en partie à une diarrhée profuse, qu’on observe loujours, et elle est augmentée parle manque complet d’appétit de l’animal, qui reste 48 heures ou plus longtemps après l’injec- Uon sans toucher à sa nourriture. La perte augmente les LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 623 premiers 5 à 6 jours ; ensuite le poids reste stationnaire quelques jours pour se relever peu à peu. Quelquefois elle se relève assez subitement pour s'approcher du poids initial, mais la perte après l'injection d’une bonne toxine ne sera pas regagnée avant 10 à 12 jours. Le tracé I indique la courbe du poids : 4, chez un lapin ayant recu 2 c. c. de toxine par kilo dans la veine; b indique NN Le] S S & 8 o NES à ÿ à È ù le développemeut de la cachexie chez un lapin ayant reçu une émulsion de gonocoques dans leur milieu de culture, la dose injectée est la totalité des gonocoques dans une culture de 400 c. c. de bouillon-ascite âgée de 10 jours: c est la courbe de poids d’un lapin de contrôle ayant reçu 5 c. c. de bouillon-ascite non ensemencé dans la veine. Les expériences de contrôle avec injection intra-veineuse du même milieu de culture stérile ne produisent jamais de réaction semblable, Même une dose de 10c. c. de bouillon-ascite injectés dans la veine ne produit que des phénomènes de suffocation légère et passagère. La température n’est que peu influencée (0°,5) et la perte de poids ne dépasse pas 50 grammes, regagnés dans les 24 heures suivantes. 624 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. L'existence d’une toxine dans les cultures de gonocoques est donc hors de doute, et nous venons de voir qu’elle se manifeste par des phénomènes d'intoxication et de cachexie ainsi que par des effets phlogogènes indubitables. Nous allons voir que les effets locaux de la toxine dans les organes sont également faciles à mettre en évidence ; mais, avant d'entrer dans les détails de ces expériences, il serait bon d'étudier de plus près les pro- priétés chimiques de cette toxine, ainsi que le procédé qui permet de se la procurer sous une forme concentrée et facile à conserver. La première question qui se présente est celle de savoir si la toxine se trouve confinée aux corps même des gonocoques, ou si elle est dissoute dans le milieu de culture. Pour la résoudre, il suffit de filtrer une culture agée de 10 à 15 jours, soit à travers du papier, soit sur une couche de tale. Il est facile d'obtenir un liquide exempt de gonocoques, car ceux-ci, grâce à leur visco- sité, ne traversent pas le tale ni le papier, et la culture est réelle- ment débarrassée des germes, sans quil y ait lieu de recourir, pour obtenir ce résultat, à une filtration sur filtre en porcelaine, très lente à cause de l’albumine dissoute, et qui expose à la rétention d’une partie ou de la totalité de la toxine. L'injection de la solution filtrée dans le système veineux pro- duit à peu près les mêmes phénomènes que laculture non filtrée. A la dose de 2 ©. c. par kilogramme d’animal, on observe la même perte de poids considerable et difficilement regagnée, qui vient d’être décrite. La fièvre est un peu moins forte et l'animal se rétablit peut-être un peu plus vite, mais la différence n’est pas considérable. De même si l’on injecte les gonocoques sans leur milieu de culture : l'expérience est facile à réaliser, quand les germes forment une couche très adhérente au fond du vase. Il suffit alors de transvaser la partie liquide et d’émul- sionner les gonocoques dans de l’eau stérile. On observera à la suite de cette injection la même perte de poids qu'avec le liquide filtré : son intensité est peut-être un peu plus grande, mais en somme le résultat est le même. Il est néanmoins probable que la plus grande partie dela toxine se trouve à l’origine dans les corps même des gonocoques, d’où elle diffuse dans le liquide au fur - et à mesure de la mort de ceux-ci, car, les premiers jours de la culture, le liquide filtré n’est que peu toxique, tandis que la couche de gonocoques déjà formée est très toxique. Les gonoco- LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 625 ques morts gardent également une partie de la toxine, car si on injecte les gonocoques d’une culture vieille de 15 jours et dans laquelle tous les germes sont morts, on observe une intoxication aiguë et une cachexie grave, qui ordinairement finit par la mort de l'animal, arrivé à un degré d'amaigrissement et d’émaciation considérable (voir le tracé 1). Le chauffage de la culture n’abolit pas les effets toxiques, à condition de ne point dépasser le point de coagulation de l’albu- mine dissoute dans le liquide. On peut le chauffer entre 50° et 10° sans observer une diminution appréciable des propriétés toxiques du liquide. La toxine gonococcique se laisse précipiter de la culture par l’alcool fort. En précipitant l’albumine dissoute dans la cul- ture, la toxine est englobée et précipitée en même temps. Il est facile de se convaincre de ce fait, car l'injection intraveineuse du liquide filtré après la précipitation et après évaporation de l'alcool reste sans aucun effet sur les animaux, tandis que l’al- bumine précipitée conserve toutes les propriétés toxiques et phlo- gogènes du liquide originel. Pour préparer une solution concentrée et stable de la toxine, j'ai eu recours à l'emploi de la glycérine. La culture est éva- porée au bain-marie à 50° avec un dixième de glycérine. Une telle solution est très toxique pour les lapins. A la dose d’un cen- timètre cube mélangé d’eau et injecté dans la veine, elle produit sur un lapin de 2 à 3 kilosles mêmes phénomènes d'intoxication qu'une forte dose de la culture mère, et, injectée dans le tissu sous-cutané, elle occasionne une vive irritation. La solution glycérineuse conserve très longtemps ses propriétés toxiques. Des solutions conservées à l’abri de la lumière depuis 6 moisne, semblent avoir rien perdu de leur virulence. A l’autopsie des animaux morts à la suite d'injection de cette toxine concentrée, on ne constate pas d’altérations bien appré- ciables des organes. On observe surtout de l’œdème des reins, qui sont grossis, de consistance un peu molle : la rate n’est pas augmentée de volume, et le foie ne montre rien d’anormal. Dans le péritoine, on trouve du liquide séreux, clair, en plus grande quantité qu’à l’ordinaire. Les poumons sont rouges, congestionnés, mais de consistance normale et renfermant par- tout de l'air. 40 626 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, Silagonotoxinenesemblepasoccasionnerdesaltérations orga- niques très appréciables dans l’intoxication générale, le résultat est tout autre si, au lieu de l’introduire dans la circulation san- guine, on la fait agir localement, soit sur les séreuses, soit dans la chambre antérieure de l'œil. Pour rendre manifestes dans ces endroits les propriétés éminemment phiogogènes de cette toxine, voici comment il faut procéder. Prenons une culture âgée de 10 jours et précipitons-la avec trois fois son volume d'alcool à 90°. Après filtration sur un filtre stérile, le précipité est enlevé du filtre, émulsionné dans un peu d’eau stérile, et chauffé doucement au bain-marie jusqu’à éva- poration des dernières traces d'alcool. Si, de cette émulsion, on introduit une ou deux gouttes dans la chambre antérieure de l’œil du lapin, on observe des phénomènes d’inflammation d’une grande violence, qui se manifestent avec une rapidité remar- quable. Une demi-heure après l'introduction, la conjonctive est le siège d’un œdème considérable, qui persiste plusieurs jours, et qui est suivi d'une forte inflammation de la muqueuse, qui est rouge, gonflée, et qui couvre complètement la sclérotique. Cette inflammation donne lieu, dans la suite, à une vascularisation progressive qui finit par couvrir une partie de la cornée avec un fin réseau capillaire qui peut persister plu- sieurs mois après l'injection. Dans les douze heures qui suivent l'introduction des gonocoques dans l'œil, on constate la forma- tion de pus dans la chambre antérieure. La cornée devient trouble, l'iris est décoloré, injecté, couvert de masses fibrino- purulentes, et il se forme un véritable hypopyon. Souvent ïl se produit une ulcération des bords de la cornée, avec prolapsus du corps ciliaire à travers la cornée dont le tissu, à cet endroit, a subi une véritable fonte purulente. Cette ulcération a ceci de particulier, qu’elle ne se produit pas à l’endroit même de la cornée où la toxine a été introduite, et qui, par conséquent, a été lésé, mais à un endroit éloigné qui, ordinairement, est situé à la base de l'iris et au bord extérieur. La situation de l’ulcère à cheval sur la cornée et la sclérotique s'explique probablement par l'entraînement de la toxine injectée par le courant lympha- tique sur son passage de l’espace de Fontana au plexus veineux. Quoi qu’il en soit, ce phénomène montre à l'évidence les pro- priétés pyogènes remarquables de cette toxine. LA GONOCOQUE ET SA TOXINE. 627 L'inflammation oculaire, qui vient d’être décrite, est bien due à l'effet phlogogène de la gonotoxine. Les gonocoques introduits étaient tous morts et l’ensemencement de l’humeur aqueuse ou du pus ne donne jamais lieu à aucun développement. La meilleure preuve qu'il s’agit d’un effet toxique et non d’une infection secondaire, c’est que la violence de l’inflammation ocu- laire est subordonnée à la quantité de toxine injectée, car une très faible dose ne produit qu’une faible inflammation. Aussi l'introduction de la toxine dans la chambre antérieure demande certaines précautions de la part de l'opérateur, sous peine de voir l'expérience échouer. C’est ainsi qu'il faut éviter de blesser le cristallin en introduisant l'aiguille. Cet accident, qui compli- querait fâcheusement l'expérience, est évité en employant une canule mousse, qu'on introduit à travers une petite incision latérale. La plus grande difficulté consiste à éviter la sortie par l'incision de la substance injectée, car la contraction oculaire occasionnée par la sortie de l'humeur aqueuse par l’incision cornéenne peut faire sortir toute la toxine injectée qui, en consé- quence, n’a pas le temps d’agir. C'est sans doute ce qui est arrivé à plusieurs expérimenta- teurs qui n'ont observé aucune inflammation à la suite d’injec- tion du gonocoque dans l'œil. Pour éviter cet accident, on peut, au lieu d'injecter une goutte de l’'émulsion toxique, l’évaporer à sec sur un verre de montre, et introduire un petit fragment de la substance desséchée à travers une petite incision latérale de la cornée. Le fragment introduit se désagrège avec grande facilité et produit en peu de temps son effet phlogogène. L'œil de la chèvre est au moins aussi sensible que celui du lapin pour la gonotoxine. L'introduction d’une petite quantité de toxine est suivie chez cet animal d’une inflammation violente. La conjonctive s’injecte et gonfle, la cornée se trouble, il se forme un hypopyon et une vascularisation conjonctivale inflam- matoire, qui couvre la moitié de la cornée. Le rétablissement demande plusieurs mois, etlaisse toujours des traces persistantes de l’inflammation, sous forme d’opacité cornéenne et de rétrac- tion cicatricielle de la conjonctive. Si, au lieu d'injecter la toxine dans la chambre même, on la fait pénétrer dans le tissu interlamellaire cornéen sans perforer la cornée, ce qui est facile si on se sert d’une aiguille fine, on 628 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. di observe également une réaction inflammatoire violente de l'œil. Malgré la petite quantité introduite (une goutte environ), l’œ- dème conjonctival ainsi que la sécrétion purulente est considé- rable, la cornée se trouble, et il se forme du pus dans la chambre. Le résultat est aussi bien obtenu avec les gonocoques vivants qu'avec les toxines, et j'avais un moment espéré par ce moyen obtenir un développement des germes dans le tissu cornéen, tant cette inflammation ressemble à une véritable infection. Mais ni l’ensemencement ni l'examen microscopique de la cor- née 24 heures après ne permettait de retrouver les gonocoques : il s’agit bien là d’une inflammation purement toxique produite par les germes morts et leurs toxines. Appliquée sur les séreuses, lagonotoxine manifeste ces mêmes propriétés phlogogènes et suppuratives. L'endroit le mieux choisi pour étudier ce phénomène est la plèvre du lapin. Voici comment cette expérience doit être conduite. Faisons une émul- sion dans l’eau de la toxine précipitée de la culture avec l’alcool, et laissons le peu d’alcool qui est resté adhérent à l'albumine précipitée s’évaporer au bain-marie à 40°. De cette émulsion, il suffit d’injecter quelques gouttes dans la plèvre pour observer une forte réaction inflammatoire, dont la violence est propor- tionnée à la quantité de toxine injectée. Il est facile d'introduire l'aiguille de la seringue dans l’espace pleural sans blesser le poumon, si on l'introduit autant que possible parallèlement à une côte. Du reste on sent très bien si la pointe de l’aiguille se meut librement ou si elle est engagée dans le tissu pulmonaire. Si la quantité de toxine est considérable, la santé de l’animal est altérée par cette injection. La respiration est saccadée, la température monte de 40° à 41°, l'animal maigrit et meurt ca- chectique, ou finit par se rétablir dans l’espace de 10 ou 15 jours. Si on le tue par saignée 24 ou 48 heures après l’injection, on constate à l’autopsie que la plèvre est le siège d’une forte inflam- : mation se manifestant par un exsudat purulent considérable, remplissant tout l’espace intercostal, et dont la quantité peut atteindre 10 ec. c. Entre les deux plèvres il y a de nombreuses adhérences, et la surface de la plèvre est couverte dans sa plus grande étendue de pus épais et jaune, assez adhérent à la séreuse, et ressemblant à des fausses membranes. La séreuse elle-même est enflammée et injectée, et sa surface est rugueuse. ‘LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 629 L'examen microscopique négatif du pus, ainsi que l’ensemence- ment sur milieu solide, montre la stérilité absolue de l’exsudat et prouve qu'il ne s'agit ici que de l’effet phlogogène de la gono- toxine. L'injection dans la plèvre d’une quantité égale d’albumine d’ascite non ensemencée de gonocoques et précipitée par l'alcool ne produit jamais d'effet semblable. Si la quantité dépasse 1 à 2 c.c., elle produit une pleurésie légère avec augmentation de la sérosité pleurale qui renferme de nombreux leucocytes ; mais on n'observe pas la formation de véritable pus, et la violence des phénomènes inflammatoires n’approche pas de celle produite par la culture de gonocoque. Les effets pyosènes de la gonotoxine sur les séreuses et dans l'œil devaient faire supposer qu’elle ne serait pas dépourvue de toute action, appliquée sur les muqueuses. Pourtant on ne trouve chez les auteurs aucune mention d’une inflammation quelconque occasionnée par l'introduction de grandes quantités de gonocoques dans l’urèthre des animaux d'expérience ou sur la conjonctive. Non seulement on n’a observé aucun développe- ment des germes introduits, mais leur présence ne semble avoir occasionné aucun trouble irritatif. Mes essais ont tous donné des résultats aussi négatifs, soit que la gonotoxine fût introduite dans l’urèthre du Japin ou du cobaye, soit qu’on l’appliquât dans le sac conjonctival. Dans ce dernier endroit il donne lieu à une sécrétion larmoyante et une faible injection de la muqueuse conjonctivale, mais je n'ai jamais pu obtenir une véritable in- flammation, même en introduisant de fortes quantités de toxine dans la conjonctive, fermée après l'introduction par un point de suture pour éviter Ja sortie de la substance inoculée. Tout autre est le résultat si on applique la toxine dans l’urèthre humain. Cette muqueuse est influencée avec une rapi- dité extraordinaire par la gonotoxine, qui y produit une sécrétion purulente remarquable par son acuité et la vitesse avec laquelle elle se développe. L'observation suivante donnera mieux que toute description une idée de ce curieux effet de l’application d’une toxine sur une muqueuse saine. M. A.T., étudiant en médecine, n’a jamais eu de blennor- rhagie. Il n’a actuellement aucune trace d'écoulement ou d’irri- 630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR: tation de l’urèthre. L’urine est claire, sans sédiment, acide. Le 23 mai 1896, on lui injecte dans l’urèthre, à l’aide d’un tube en verre introduit à trois centimètres de profondeur et adapté à une seringue, environ À c. ©. d’une émulsion de toxine pré- parée en précipitant par l'alcool, comme il a été dit plus haut, la totalité de l’albumine dans une culture vigoureuse de gono- coques en bouillon-ascite, vieille de dix jours. Après filtration, le précipité, qui renferme la totalité de la toxine, est émulsionné dans 5 c. c. d'eau et placé dans l’étuve à 40° jusqu’à complète disparition de l’alcool adhérent à l’albumine. L'injection n’occa- sionne aucune douleur. Les masses injectées sont laissées en contact avec la muqueuse pendant quelques minutes. Deux heures après l'injection, M. T. ressent un léger picote- ment et un peu de brülure au méat. Deux heures plus tard (quatre heures après l'injection) on fait sortir, en comprimant l’urèthre, une grosse goutte de pus jaune de consistance épaisse. Examiné au microscope, le pus se montre composé de leucocytes mono ou polynucléaires et ilrenferme de nombreux microorga- nismes de différentes formes, surtout des microcoques enzooglæa se colorant très bien parle violet de gentiane et ne se décolo- rant pas après traitement par l’iode. On n'’apercçoit pas de gono- coques. L'urine émise à ce moment est trouble, elle tient en suspension un gros nuage de pus et de mucus, absolument semblable à l'urine d’une véritable blennorrhagie. L'émission est accompagnée de douleurs cuisantes et brülantes plus fortes à la fin qu'au commencement. Dans le courant de la journée, il est facile de faire sortir de l’urèthre, à un intervalle d’une à deux heures, une goutte de pus, pareille à celle décrite, mais renfer- mant beaucoup moins de microorganismes. La miction est toujours accompagnée de sensations de cuisson. Le lendemain matin, le méat est collé : en écartant les lèvres on fait sortir une goutte de liquide séro-purulent, moins épais que celui de la veille. L'urine émise le matin est encore trouble. Dans la journée, la secrétion diminue et en urinant la sensation de cuis- son disparaît. Les jours suivants tout rentre dans l’ordre, on ne trouve que le matin, en comprimant l’urèthre, une gouttelette de muco-pus, qui disparaît dans quatre à cinq jours. Après ce laps de temps il ne reste plus rien de l’irritation uréthrale. Cette inflammation blennorrhagique est intéressante à plu- LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 631 sieurs points de vue, et son étude pourra éciairer certains côtés de la véritable blennorrhagie. Il est facile de se con- vaincre qu'elle est due uniquement aux toxines, qui se trouvent formées tant dans le milieu de culture albumineux que dans les corps mêmes des gonocoques morts. Il est évident qu’il ne peut ici être question d'un effet irritatif de gonocoques vivants. Je m'étais auparavant convaincu de la mort des germes par de nombreux essais, qui tous avaient démontré que le faible nombre de gonocoques qui quelquefois restent vivants dans une culture vieille de dix jours, étaient tous tués par le traitement par l'alcool fort. Du reste l'examen microscopique du pus n’a jamais montré la présence de gonocoques, et la courte durée de l’inflammation ainsi que son acuité exclut toute idée d’une infection microbienne. On peut qualifier d’extraordinaire la vitesse avec laquelle la muqueuse uréthrale réagit à l'application de la toxine. Il vient d’être dit, dans l’ex périence relatée, que déjà 4 heures après l'injection on peut faire sortir une grosse goutte de pus; mais dans d’autres essais, qui avaient pour but de fixer le moment où la première trace de l’inflammation se fait sentir, j'ai pu me convaincre que l’irritation uréthrale devient visibie déjà une heure après l'injection et quelquefois même moins. Si, ce délai passé, on introduit une fine pipette dans l'urèthre, on peut recueillir une petite quantité de liquide renfermant déjà de nombreux leucocytes. L'examen minutieux de la première 632 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sécrétion montre en outre que la toxine commence par attaquer la couche épithéliale composée de cellules cylindriques, qui tapis- sent l’urèthre, car on trouve dans la première goutte une quan- tité considérable de ces cellules. Un peu plus tard ce sont les leucocytes qui dominent, et on ne distingue plus les cellules cylindriques (voyez les figures 1 et 2). Ce fait confirme l’observation de Bumm et celle de Finger, que les gonocoques commencent par attaquer la couche épithé- liale tant dans l’urèthre que dans la conjonctive, avant que l'émigration leucocytaire s’aperçoive. Sile début de cette irritation due à la gonotoxine ressembleen tous points à une véritable blennorrhagie, sa fin lui ressemble aussi. On voit la sécrétion, de purulente qu’elle était au com- mencement, devenir plus liquide et transparente. Le pus diminue et le liquide est à la fin presque clair. Mais la sécrétion ne s'arrête pas brusquement; comme dans la véritable blennor- rhagie elle traîne et disparaît relativement longtemps après que toute trace de l’inflammation a disparu. Je n'ai jamais essayé d'injecter de fortes quantités de toxines, et l'inflammation observée a toujours eu un caractère bénin et de courte durée, mais je ne doute pas que l'application de fortes doses dans l’'urèthre humain ne puisse produire des phénomènes de violente inflammation et de plus longue durée. L'urèthre n’est nullement immunisé par une seule ou plusieurs injections de toxine. J’ai fait l'application de la toxine sur le même urèthre jusqu’à cinq fois, avec environ un mois d'intervalle, sans observer la moindre diminution dans les phénomènes d’irritation, ce qui s'accorde parfaitement avec nos notions sur la fréquence des récidives de l’uréthrite aiguë. L'inflammatien a toujours suivi la même marche, et on observe les mêmes phénomènes d’acuité d'irritation et de suppuration la première comme la dernière fois. Comme je l'ai dit dans l'introduction de cet article, la réaction de la muqueuse uréthrale humaine envers la gonotoxine peut servir de moyen de diagnostic en cas de doute sur l’authenti- cité des cultures. Les expériences forcément restreintes que j'ai pu faire pour me rendre compte si d’autres microorganismes possèdent une telle propriété phlogogène sur l’urèthre m'ont toutes donné des résultats négatifs. Ces essais ont été faits avec LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 633 le staphylocoque doré, un microcoque isolé d’une uréthrite aiguë, et qui pousse en formant des colonies blanches assez petites sur la gélose et la gélatine, qu’il ne liquéfie pas, et un diplocoque, isolé d’un abcès sous-cutané chez le lapin, où on le trouve souvent, et qui est pyogène pour cet animal. Les cul- tures stérilisées de ces microcoques, traitées par l'alcool et introduites dans l’urèthre humain, n’ont jamais donné lieu à la moindre inflammation ou suppuration. Je erois done pouvoir considérer cette réaction inflammatoire comme étant particulière au gonocoque. La facilité avec laquelle elle se produit et l’in- flammation si bénigne à laquelle elle donne lieu pourra faciliter à l’avenir la recherche de ce microbe. IL Si, parle terme immunisation, on comprend généralement l’état de résistance qui permet à l'organisme d’anéantir le germe pathogène, ce terme évidemment change de signification quand il s’agit d’un microbe non pathogène, et il ne doit être appliqué que pour indiquer le degré d'accoutumance de l’animal d’expé- rience envers les produits toxiques du microbe, et dans l'espèce envers la gonotoxine. Mais pour évaluer ce degré de résistance et pour rechercher si l’organisme animal est capable d’éla- borer un contre-poison, il fallait auparavant une étude détaillée des phénomènes toxiques auxquels ce poison donne lieu, puisqu'on n'avait pas la ressource du développement franc et régulier de la maladie se manifestant par une série de faits cli- niques, faciles à enregistrer. Nous venons de voir que l’intoxication gonococcique produit un empoisonnement général de l’organisme, qui se manifeste par une perte de poids très sensible et par des phénomènes d'inflammation et de suppuration faciles à obtenir, si la toxine estappliquée dans certains organes (l’œil et la plèvre). Nous avons également vu que l'injection de toxine n’est suivie que d’une élévation de température assez faible et de courte durée, et que les doses fortes produisent au contraire un abaissement consi- 634 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. dérable de la température. Il ne faut donc pas compter sur la fièvre pour nous donner des indices bien précis sur le degré d’accoutumance. La perte de poids, si elle est régulière, pourra au contraire nous servir d'indice. La réaction inflammatoire serait également un excellent indice, si la même dose de poison n’était pas très variable dans ses effets selon l'endroit inoculé, et le degré d’inflammation ne pourra servir d'indice qu’au cas où l’immunisation, poussée à un très haut degré, ferait dispa- raître la réaction leucocytaire. Quant au phénomène de la diminution de poids, il a toujours donné des résultats précis, faciles à enregistrer et à comparer entre eux. Il ressort en somme de mes expériences que l’immunisation des animaux contre les fortes doses de poison est difficile à obtenir. Le lapin, qui, avec la chèvre, a servi pour ces essais, s’habitue facilement à des doses de 5 à 10 ec. c. de toxine dans le tissu sous-cutané. Ces doses donnent des diminutions de poidsde 100 grammes environ, regagnés assez vite, et si l'injection est répétée assez souvent, elle finit par ne plus produire de réaction. Mais si la dose est augmentée à 20 ou 30 c.c., injectés en une fois, l’animal perd de 5 à 300 grammes de poids, et ne se rétablit qu'assez lentement, c’est-à-dire après une dizaine de jours de malaise. La production si fréquente d’abcès dans le tissu sous- cutané rend l’immunisation du lapin très difficile. Ces abcès, dont la guérison est excessivement lente, se produisent très fréquemment quand on augmente la dose de toxine, et malgré qu’on ait habitué l'animal par de fréquentes injections de petites doses. Ils épuisent les animaux et rendent par cela même illu- soire tout contrôle de l'effet de la toxine. Leur chronicité est aussi un grand obstacle pour une immunisation efficace. La chèvre se prête mieux à ces essais d'immunisation. Chez cette bête, très sensible à l'action de la toxine, les injections sous-cutanées n’ont jamais donné lieu à la formation d’'abcès semblables à ceux des lapins. Il se forme, quand la dose est forte, des empâtements suivis de petites nodosités, qui dispa- raissent assez facilement, sans jamais aboutir à la formation d’abcès, malgré de très nombreuses et fortes injections. Mais la sensibilité des chèvres envers la gonotoxine est grande, et l'ac- coutumance ne s'obtient que lentement. Quoique à l'heure actuelle deux de ces bêtes aient reçu depuis 12 mois une dose LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 635 totale de 3,000 c. c. de toxine, elles réagissent encore à l’injec- tion de 100 à 150 c. c. de culture par une perte de poids de 2 kilos à 2 k. 1/2 (leur poids est de 34 à 36 kilos.) Cette perte n'est actuellement regagnée que 8 à 10 jours après l'injection, et il est nécessaire de mettre ce laps de temps entre chaque injec- tion sous peine de voir dépérir les animaux. Si l'injection sous-cutanée ne donne que lentement une im- munisation appréciable envers les fortes doses de toxine, l’in- jection intraveineuse par contre permet d'obtenir une immuni- sation rapide et très manifeste, mais contre des doses qui restent forcément faibles. Nous avons vu que la toxine introduite di- rectement dans le sang produit une réaction violente, et qu’elle occasionne la mort des animaux (lapins), dès qu'elle dépasse 2à3c. e. par kilogramme d'animal. Si la dose est moindre, l'animal résiste après avoir été gravement atteint, et après une perte de poids de 2 à 400 grammes, il se remet dans le délai de 8 à 12 jours. Si, après ce rétablissement, on renouvelle l'injection, on observe que la perte de poids est moins sensible que la pre- mière fois. Le rétablissement arrive plus promptement, et les injections suivantes n’occasionnent que des phénomènes d’intoxi- cation de plus en plus faibles, et dont le degré d'intensité se mesure sur la balance avec une régularité parfaite, comme il res- sort du tableau ci-joint (tracé Il), qui donne le changement de poids d’un lapin ayant reçu à chaque inoculation 2,5 c. c. de toxine dans le système sanguin. La perte de poids, qui à la première injection était de 400 grammes environ et qui n’a été regagnée qu'au bout de 10 jours, n’était, à la seconde, que de 200 grammes, regagnés en 7 jours, et elle va toujours en diminuant jusqu’à la dixième injection où elle est à peine visible. Mais l’accoutumance n'est vraiment parfaite dans ce cas que pour la dose de 1 c. c. par kilo; dès qu’on l’augmente, on voit les oscillations reprendre, quoique moins fortes, et ce lapin en apparence immunisé ne l'était que faiblement, car il réagissait contre une injection sous-cutanée de 20 c.c. par une perte de poids presque aussi forte que celle d’un lapin neuf. Son sérum ne possédait non plus à cette époque aucun pouvoir antitoxique appréciable. Le sérum des chèvres a été essayé au point de vue de son pouvoir antitoxique après une année d'injection de doses crois- santes de toxine, et après que les bêtes avaient recu chacune ‘II SOUIL, . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. : EE 27 4 77 . 2% EAEN EE DGA tel A1 ep SI 22|0 cyr o 22270 =) | À se Fee UE à EHERE IR | Pammeae | over SNsE en “Eco rsns sets ssRme y VIA CPE Oo — | — PETER \/ 3.200 :c: + c#1de toxine. Les injec- tions étaient espa- cées deMnBramMe jours selon l'état de santé des ani- maux, et les doses, faibles au commen- cement, avaient étésuccessivement augmentées Jus- qu’à atteindre 150 à 200 grammes. Ces doses provo- quaient, comme il vient d’être dit, des chutes de poids très sensibles, allant presque à 2kilos dansleshuit jours quisuivaient l'injection. La sai- gnée, de 3 à 400 grammes, était faite 15 jours après la dernière injec- tion, époque à laquelle l’animal était rétabli de l’in- toxication. La valeur antitoxique du sérum semble très diminuée tant que l’animal est encoresous lecoup de l’intoxication. Ceci ressort du moins du résultat de deux saignées LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 637 faites en pleine intoxication, et dont le sérum s’est montré ineffi- cace'. Par contre le sérum des chèvres immunisées dans les con- ditions indiquées tout à l’heure, et rétablies de l’intoxication, pos- sède des propriétés antitoxiques manifestes. Le sérum a été essayé sur leslapins en injections sous-cutanées ou dans la veine, en même temps ou quelques heures avant une injection de toxine. Dans ces cas on constate facilement que l’antitoxine prévient la forte chute de poids qui a toujours lieu après une injection de toxine. [ours 1\2f51#l5lel7|alollsrele [el RARE RIRE Ko & LI à à Ÿ À LT] ne Tracé III. Le fait ressort de la courbe ci-jointe (tracé III) représentant le poids de deux lapins qui ont reçu chacun 3 c. c. de toxine dans la veine, le n° 1 quatre heures après une injection de 3 c. c. d’antitoxine. On voit que la chute chez celui-ci est insignifiante (50 grammes) et regagnée dans les 24 heures suivantes, tandis qu’elle est de 250 grammes chez le lapin de contrôle, qui n’a pas encore regagné son poids initial 17 jours après. Il est assez difficile de fixer la valeur proportionnelle anti- toxique du sérum, parce qu'il est impossible de fixer la dose léthale de la gonotoxine en injection hypodermique, et parce 4. Cette observation concorde avec le fait constaté par MM. Salomonsen et Madsen (Recherches sur la marche de l’immunisation active contre la diphtérie. Ces Annales, 1897, n° 4), que la valeur antitoxique du sérum antidiphtérique diminue considérablement après chaque injection de toxine. 638 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. qu’il faut toujours tenir compte, dans les injections intravei- neuses, des perturbations produites sur l’organisme par l’intro- duction de doses massives de liquide dans le système sanguin. Mais une série d'expériences sur des animaux adultes pesant en- viron 2,500 grammes m'a donné les résultats suivants, qui per- mettent une évaluation relative. La dose léthale moyenne de toxine en injections intraveineuses est de 5 6. c. pour les ani- maux de cette taille. En leur injectant 2 c. c. d’antitoxine, non seulement on n’observe pas de mort, mais la chute de poids se tient entre 50 et 100 grammes, regagnés dans les 24 à 48 heures suivantes. Si on descend à des doses inférieures d’antitoxine, les résultats deviennent moins nets, et les oscillations reprennent comme chez les animaux de contrôle. La force antitoxique de ce sérum est donc encore assez faible. Il est permis d'espérer qu’elle pourra être augmentée dans l'avenir en continuant l’immunisation intensive des animaux. Ce n’est pas seulement la perte de poids qui est influencée par le sérum antitoxique. Aussi l'effet phlogogène de la toxine est manifestement enrayé par une injection de sérum faite en même temps que l'application de la toxine. IL est facile de se rendre compte de ce fait si on injecte quelques ce. c. d’antitoxine dans la veine en même temps qu'on introduit un petit fragment de toxine desséchée dans la chambre antérieure de l'œil du lapin. Au lieu de la violente inflammation purulente que cette application produit toujours, et qui a été décrite dans les pages précédentes, on n’observe alors qu'une faible inflam- mation due à la lésion oculaire, mais il ne se forme ni trouble oculaire, ni hypopyon, ni l’œdème considérable et persistant de la conjonctive. De même dans la pleurésie produite’ par la gonotoxine. L'injection sous-cutanée ou intraveineuse du sérum antitoxique neutralise l'effet phlogogène de la toxine. A l’autopsie on ne trouve dans ce cas qu’un peu de liquide louche dans la plèvre, mais aucune trace de la forte suppuration avec formation de pus épais qui suit toujours l'injection de la gonotoxine dans cet endroit. Ces résultats autorisent-ils des essais de thérapeutique hu- maine avec le sérum antitoxique? Il me paraît peu probable qu’actuellement ce sérum possède une force anlitoxique suffisante LE GONOCOQUE ET SA TOXINE. 639 pour pouvoir enrayer une infection gonorrhoïque chez l'homme, à moins de l’employer à des doses considérables, et je n'ai pas encore voulu en faire l'essai. Mais il est très possible que la valeur antitoxique du sérum pourra s’accroître avec des doses plus intensives de toxine, et dans ce cas se montrer efficace pour arrêter la marche envahissante de la blennorhagie, même localisée à l’urèthre. Il est également possible que le sérum antigonococcique pourra exercer une influence favorable sur l'infection généralisée, en arrêtant les inflammations articulaires ou autres, auxquelles cette maladie donne lieu. Siles suppurations chroniques à la suite d’une invasion gonococcique sont dues plutôt à la toxine de ce microbe déposée dans les tissus qu'à une pullulation continue des germes — et les expériences sur les animaux relatées dans ce travail rendent très probable cette explication — on peut également espérer que l'antitoxine se montrera efficace pour neutraliser l'effet des produits toxiques, et qu’elle pourra hâter la guérison des arthrites, salpingites et autres inflammations de nature gonococcique, dont la chronicité jusqu'ici semble résister à tout l'arsenal thérapeutique. LE PALUDISME AU SÉNÉGAL Par Le Dr E. MARCHOUX Médecin des Colonies, chargé de mission au Sénégal. Avec la planche XVIIL. INTRODUCTION La colonie française du Sénégal est comprise entre le 12° et le 16° de latitude N. Elle confine au nord au pays des Maures Trarzas dont elle est séparée par le fleuve Sénégal. Au sud, elle est limitée par la Guinée portugaise ; à l’est, elleest limitrophe du Soudan français. La Gambie anglaise forme une enclave dans ce vasteterritoire et le partage en deux parties : l’une, située au sud, est constituée par le bassin de la Casamance; l’autre, au nord, est la région des villes les plus importantes ; c'est celle qui nous intéresse particulièrement. L’aridité de cette région, déboisée, sablonneuse et desséchée, imprime au climat un caractère particulier. L'année s’y partage en deux saisons très tranchées : l’une, du mois de novempre au mois de juillet, est la saison sèche; l’autre, de la mi-juillet à la fin d'octobre, est la saison des pluies. Celles-ci, quoique très rares et peu abondantes ‘, suffisent à donner au pays pendant trois mois le cachet des régions intertropicales. La terre chauffée pendant huit mois par un soleil ardent, sans une goutte d’eau pour la rafraichir, desséchée encore à certains jours par le vent brûlant du désert, ne forme plus à la fin de juin qu’une croûte dure et sèche, à la surface de laquelle ne subsiste aucun végétal de petite taille. Brusquement, en quelques jours, elle subit une métamorphose complète et se couvre, mais pour peu de temps, d’un épais tapis de verdure. Pendant la saison sèche, le pays est parfaitement sain. Bien que la population européenne y soit assez nombreuse, les hôpitaux sont presque vides. Les premières pluies amènent les premiers malades ; pendant 4 mois, les hôpitaux sont trop petits, etles médecins suffisent à peine à leur tâche. C’est la même affec- 4.11 tombe de 0w,25 à 0»,95 d’eau par an, suivant les années. de Menus ln | | “ei HS cs ns Annales de | Insütul Pasteur PI. XNIIL. Ce Q ô 6 k 72 “ 9 1£ 11 2 13 14 Sa « O û © | @] . n _ de 18 13 20 1 34 4 31 AXE LR: « TEE RS y vista if D Marchoux, del. D 7 Æ ya) ec 17 fOUSSE!, II LE PALUDISME AU SÉNÉGAL. 641 tion qui frappe tout le monde, c'estla fièvre paludéenne. Très rares sont ceux qui, pendant ces 4 mois, échappent à son atteinte. Mais dès qu'arrive le mois de décembre, on ne rencontre plus que des formes chroniques de l'affection palustre chez des gens incomplètement guéris. A part quelques cas de fièvre typhoïde constatés à Saint-Louis et qui tiennent à la mauvaise qualité de l’eau de boisson, c’est le paludisme qui a amené à l'hôpital presque tous les malades que j'ai observés pendant une année entière. Dans toute la région des Tropiques, le paludisme est certai- nement le principal ennemi de l'Européen; c’est lui qui oppose à la colonisation une barrière presque infranchissable. Si nous avons dans la quinine un remède remarquable pour en combattre les accidents, nous sommes absolument désarmés au point de vue prophylactique. Nous ne savons pas comment on le contracte, nous ignorons les moyens de l’éviter. Ilest donc de la plus haute importance, pour un pays qui, comme la France, possède un immense empire colonial dans la région où il sévit, de savoir comment il se transmet. C’est du jour où l’Européen saura se préserver de ses atteintes que datera la véritable conquête de la zone intertropicale par la race blanche. CARACTÈRES CLINIQUES DU PALUDISME Au Sénégal et peut-être dans toute l'étendue de la zone intertropicale, le paludisme aigu semble impossible à confondre avec une autre affection. Une observation attentive d’une année entière, exercée sur tous les malades qui ont passé par les hôpitaux, m'en a convaincu. La maladie est toujours si semblable à elle-même qu'on peut en donner une description schématique qui s’applique bien à tous les cas. Pendant les deux ou trois premiers jours, elle ne provoque qu'un malaise, de la fatigue, un peu de lourdeur de tête qui va s’accusant de plus en plus. Le malade a de légers accès qui ne l'inquiètent pas et qui souvent passent mème inaperçus. Mais, vers le 3° jour, la température est assez élevée et les troubles gastriques assez intenses pour que le malade consulte le méde- ein. À ce moment, lethermomètre atteint en général de 39 à 400 4 642 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Le lendemain, la durée de l’apyrexie est très courte et, à peine éteinte, la fièvre se rallume. A partir de ce jour, la température ne revient plus à la normale; les accès se rapprochent encore, deviennent subintrants, et il s'établit une fièvre continue ou du moins rémittente. Celle-ci évolue avec fracas : les vomissements sont la règle, l’ictère est fréquent ; le malade esttrès abattu, souvent il délire, il est constamment menacé d’un accès perni- cieux. Sous l'influence du traitement, ces phénomènes inquiétants ne tardent guère à céder; les accès s’espacent, redeviennent intermiltents et, au bout de trois ou quatre jours, le malade est revenu à la santé. On pourrait alors croire la maladie terminée, le germe dis- paru. Mais du 12° au 14° jour, les mêmes accidents reparaissent et cèdent au traitement, comme la première fois, pour recom- mencer encore 12 ou 14 jours plus tard. Après quelques rechutes successives, celles-ci deviennent plus fréquentes, elles commencent à se montrer du 6° au 10° jour, puis à des intervalles encore plus courts, et il s'établit alors ces formes chroniques du paludisme si difficiles à guérir. Les accès éclatent à des époques irrégulières et il devient presque impossible d'en prévoir le retour. Les malades sont profondé- ment anémiés, le teint est cireux, la faiblesse est très grande. La rate qui, pendant la période aiguë, a rarement augmenté de volume, occupe une notable partie de l’hypochondre gauche. Le foie déborde un peu les fausses côtes. Évidemment, cette marche ne s'applique pas intégralement à tous les cas. Tous les malades ne deviennent pas cachectiques ; la résistance individuelle et le traitement interviennent pour modilier les accidents. La période d’invasion peut être plus ou moins pénible; pour les uns, c’est déjà de lafièvre; pour les autres, quoique le microscope démontre la présence de i’héma- tozoaire dans le sang, la santé est encore parfaite. Quelques malades, en particulier ceux qui ont déjà fait un long séjour aux colonies et qui, par de nombreuses atteintes antérieures, ont acquis une sorte d’immunité, n’ont qu’une fièvre nettement intermittente avec des accès quotidiens et même tierces. Certaines personnes ne présentent que le premier stade sans rechute; d'autres guérissent après deux ou trois retours à néon D: LE PALUDISME AU SÉNÉGAL 643 l'état aigu. C'est le plus petit nombre chez qui la maladie arrive jusqu’à l’état chronique. La gravité des symptômes varie aussi avec chaque individu. Les vomissements peuvent être assez nombreux et assez persis- tants pour qu'on soit obligé d'intervenir. La diarrhée n’est pas rare et, deux fois dans des accès graves, j'ai vu se produire un flux hémorragique qui, d’ailleurs, a disparu sanslaisser de traces quand la température est revenue à la normale. Il arrive quelquefois que les malades se plaignent d’une sen- sation de pesanteur dans les hypochondres, ou encore accusent de violentes coliques au pourtour de la région ombilicale. La céphalée est d'ordinaire très pénible; le délire est fré- quent pendant la période d’hyperthermie, quelquefois 1l peut être assez grave pour qu'il soit nécessaire de surveiller le malade de très près. Mais la complication la plus fréquente est la congestion pul- monaire, qui peut être assez intense pour masquer la véritable cause de la maladie. Il est arrivé plusieurs fois que des malades ont été envoyés à l'hôpital pour broncho-pneumonie qui, à l’exa- men microscopique d’une goutte de sang, ont été reconnus pour des paludéens. Un phénomène qui ne manque presque jamais, c'est la pré: sence d’albumine dans les urines. M. le pharmacien de 2° classe des colonies Duval a bien voulu se charger d'examiner systéma- tiquement les urines d’un certain nombre de malades (40). Sauf chez un seul, qui n’avait point à la vérité d'accès, mais qui était porteur de corps en croissant nombreux, l’albumine a été ren- contrée chez tous. Mais elle n'apparaît que rarement pendant la fièvre. C'est le lendemain ou les jours qui suivent qu'on l’ob- serve. Elle se montre plus tôt quand il y en a beaucoup et per- siste plus longtemps. La quantité d’albumine est fréquem- ment en rapport avec la gravité de l'accès, mais pas toujours, On voit des fièvres intenses qui ne provoquent que des tra- ces d’albumine, tandis qu'après des atteintes légères, elle est quelquefois très abondante; il y a là encore une question individuelle. Le tableau suivant résume les observations de M. Duval. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Se: . ‘XN9JquOU JuesSI0J9 u9o sd109 ‘OIAQI 9P Seq ‘sn]d }9 00ÿ juioy}e e aanjedo dus} 7 Eh DNA | li G 9 Y (a s | y & (0) «( «€ « « ] G } & & l ‘OuIUNnq{e,] 2P gJuJsu09 & uo sjonbsor quepuod sinol 9p a1quoN ‘ourtunqie,| naedde sjonbsor sgide SAnoOf 9p o41quionN *‘SOULUIBX9 SE9 9p 91qU0 N « « 6 6 | "*'t:°:* dnoonvog « l A &T "’e[qeJou 9}u En ‘2972)SU09 ETES le 7 auUTUNnq[e,p JyquenŸ ; ÿ 11 c] 1 (( « « ] e) plie ete ee CCI] 9J[NN | t (a I LE PALUDISME AU SÉNÉGAL 645 BIOLOGIE DU PARASITE 347 malades ont donné lieu à 478 observations. Le diagnos- tic de malaria a toujours été porté au microscope et l’examen du sang a constamment révélé la présence du parasite spécifique, en quantité plus ou moins grande suivant la gravité de l'accès et le moment de l'observation. Au moment où la fièvre éclate, les hématozoaires sont en général assez rares pour qu'il soit nécessaire de les chercher avec soin; il peut mème arriver qu’on n’en rencontre point si l’œil n’est pas bien exercé à ce genre de recherche ; 1l convien- dra alors, avant de se prononcer, de prélever du sang un peu plus tard, à la fin de l'accès, par exemple. À ce moment, ils sont quelquefois si nombreux qu’on en voit cinq, six et plus dans un même champ, et qu'un seul globule peut en contenir 2, 3 et même 4. Les examens à l’état frais sont extrêmement difficiles, à cause de la petitesse du parasite et de sa transparence, qui ne per- mettent pas de le distinguer du globule non coloré. Le pigment ne peut servir de point de repère, car son absence est la règle. Sur les préparations colorées à l’éosine et au bleu de méthy- lène, surtout quand on a fait agir le colorant longtemps, beau- coup de formes très jeunes passent inaperçues, parce que la sub- stance nucléaire dont elles se composent en majeure partie prend les couleurs acides et l’éosine en particulier. Une teinture qui m'a donné des résultats incomparablement supérieurs à toutes les autres, c’est la thionine phéniquée de Nicolle, légèrement modifiée. Voici la formule à employer : Solution saturée de thionine dans l’acool à 500 ... 20 c.c. Hapheniquée-d 20/0 ,.,..:1.4.00.... pepe 100 c.c. Cette solution n'est pas immédiatement bonne, il est néces- saire de la laisser vieillir pendant quelques jours. Il faut atten- dre qu’il se forme un composé phéniqué de thionine, ou phé- nate de thionine, M. Borrel, par un procédé qu'il publiera prochainement, prépare cette substance, qui peut être employée immédiatement et qui donne d’excellents résultats. 646 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Après avoir étendu le sang en couche mince sur une lame, l'avoir séché, puis fixé rapidement à l’alcool-éther, on le colore pendant quelques secondes à peine. On lave et on sèche au papier buvard. On a ainsi très rapidement une préparation sur laquelle le parasite se présente dans toutes ses phases avec une netteté extraordinaire. On peut encore augmenter le contraste en traitant rapidement le frottis coloré par l'alcool absolu, qui donne au globule une teinte verte, pendant que la partie chro- matique du parasite reste colorée en rouge. C'est au milieu de l'accès que commencent à se montrer les formes jeunes. L'hématozoaire apparaît comme une tache blanche, très réfringente, circulaire ou ovale, limitée tout au plus par une ligne violette très déliée (fig. 1, pl. X VIHD). Avec un peu d'habitude, il est impossible de le confondre avec les vacuoles que produit quel- quefois la dessiccation dans le plasma des globules. Celles-ci ne possèdent jamais des contours aussi nets et aussi tranchés ; elles n’ont jamais cette réfringence particulière qui fait immé- diatement apercevoir l'hématozoaire sur son globule. A cette période en effet, le parasite ne semble pas être intraglobulaire. Peu à peu cette ligne colorée qui limite l’amibe s’accuse, vers la fin de l’accès elle est très nette (fig. 2). Ace moment, en un point de la périphérie apparaît un prolongement très fin, d'abord assez court, et finissant par atteindre une dimension au moins égale au diamètre du parasite (fig. 3). Ce prolongement, qui semble au début n'être composé que de la couche colorable repliée sur elle-même, est un véritable pseudopode qui permet à l’amibe de pénétrer dans le globule. En effet, à la racine de ce pseudopode, on distingue souvent la paroi globulaire, sous laquelle il plonge, qui empiète sur le disque réfringent. Un peu plus tard, le prolongement disparaît, mais en même temps s'éteint cet éclat particulier du parasite qui semble recouvert par l'hématie (fig. 4). Il arrive quelquefois de rencontrer une amibe dont une partie est incluse à l’intérieur pendant que l’autre est encore dehors. Dans certains cas, la coccidie, au lieu d’un prolongement, en pousse deux qui ont sans doute le même objet. À partir de ce moment, l’hématozoaire évolue dans le globule qui ne paraît pas très altéré par sa présence. A l'intérieur de LE PALUDISME AU SÉNEGAL. 647 cette ligne colorée qui représente le cytoplasma, se montre net- tement un grain chromatique, le nucléole, qui jusqu'alors pas- sait inaperçu. La substance incolorable constitue le noyau. Le parasite ressemble assez bien à une bague avec son chaton qui est représenté par le nucléole. Quelquefois, au lieu d’un seul nucléole, on observe, aux deux pôles de l'hématozoaire, deux grains chromatiques (lig. 5). Sont-ils le résultat d’une division précoce du nucléole ? On peut, en effet, trouver les stades intermédiaires. Certaines figures montrent ces deux grains accolés, d’autres les font voir plus ou moins éloignés. Ces deux granules de chromatine sont-ils, au contraire, le signe d’une conjugaison, et ces figures intermédiaires indiquent- elles un rapprochement plutôt qu'un éloignement des deux grains ? Il m'est, à l'heure actuelle, impossible de prendre parti entre ces deux interprétations. Cependant je pencherais plus volontiers pour la dernière, qui serait d'accord avec l'opinion récemment émise par mon collègue et ami le D' Simond dans son important mémoire sur les coccidies ‘. En effet, si on avait affaire, comme le veut Ziemann ?, à une segmentation de la chromatine, on devrait suivre l'existence ultérieure de ces deux granulations. Or, dans les stades plus âgés de la coccidie, on ne trouve plus qu’un seul nucléole (fig. 6). En face de celui-ci, à l’autre pôle, le cytoplasma se développe et finit par acquérir des dimensions considérables par rapport au noyau. 1l paraît alors formé d’une sorte de réseau circon- scrivant de petits espaces vacuolaires (fig. 7, 8, 9, 10, 11). Le nucléole subit des transformations parallèles à ce déve- loppement du cytoplasma. Il se détache graduellement de la paroi et gagne le centre du noyau où il se divise en deux, puis en quatre granulations qui restent unies et prennent une forme annu- laire. Cet anneau nucléolaire grandit, par division des grains déjà formés, et finit par atteindre l'anneau cytoplasmique. Les nu- cléoles jeunes gagnent la périphérie, et le cytoplasma, qui perd graduellement la faculté de se colorer, passe vraisembla- blement au centre. Il reste alors un corps annulaire dont la 1. Ces Annales. Juillet 1897, 2. Centralblatt für Bakteriologie, Bd XXI. — N° 17-18. 648 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. limite externe est très accusée, pendant que, du côté interne, se forme une teinte dégradée jusqu’au centre, qui est à nouveau très réfringent, comme si l’hématozoaire se rapprochait de la paroi globulaire (fig. 12). A cet état, le parasite a atteint la phase voisine de celle de la reproduction. Il disparaît alors de la circulation générale et s’amasse dans les fins capillaires où on le retrouve dans les cas d’accès perni- cieux. Là, l'hématozoaire se divise et forme des rosettes de 8 à 12 segments (fig. 13, 14). Puis les jeunes coccidies se détachent, vont à nouveau se fixer sur les globules et rentrent dans le torrent circulatoire. On voit quelquefois des globules nouvellement infectés sur lesquels se trouvent deux ou trois éléments encore accolés (fig. 15). Ce sont des portions de rosaces qui se sont détachées en bloc. Pour se diviser, le nucléole ne gagne pas toujours la partie centrale du noyau, il arrive tout aussi bien que cette segmenta- tion se fasse à la périphérie. Mais elle aboutit toujours au même résultat, c’est-à-dire au gros corps réfringent. | En général, le parasite parcourt tout son cycle évolutif sans fabri- quer de pigment. Mais il arrive parfois que certains hématozoaires renferment un petit nombre de très fines granulations pigmen- taires, au moment de l'accroissement du cytoplasma. Dans cer- tains accès, toutes les amibes en contenaient. Le cycle ne diffère pas alors de celui qui a été décrit par Marchiafava et Bignami' pour la fièvre estivo-automnale de Rome. Il est d’ailleurs représenté dans la planche (fig. 16 à 24). Le développement de l'hématozoaire de Laveran marche parallèlement à la fièvre. L'accès éclate au moment où la seg- mentation commence, soit que le parasite laisse échapper un produit toxique quelconque, soit plutôt que l'encombrement des capillaires cérébraux influence directement et mécaniquement les centres thermiques. Pendant toute la période où la coccidie grandit et passe à l’état adulte, la température reste normale. Les corps sphériques, ovalaires ou en croissants dérivent les uns des autres. Au douzième jour, après une première infection, on les voit apparaître dans la circulation. Ils sont le premier 1. Sulle febbri malariche estivo-autunnali. Estratto dal Bolletino della R. Acca- demia Medica di Roma, Anno XVIII, fasc. V, 1892. LE PALUDISME AU SÉNÉGAL. 649 signe d’une rechute prochaine. Quand, à cette époque, on exa- mine avec attention et patience le sang des paludéens, on trouve quelquefois des corps volumineux, amiboïdes, chargés de pig- ment, qui ne diffèrent en rien par l’aspect extérieur des para- sites de la fièvre tierce. Mais au lieu de former des rosaces, ces corps deviennent sphériques, leur pigment s’amasse en une sorte de halo central (fig. 34,35), etils possèdent alors vis-à-vis des ma- tières colorantes les mêmes réactions que les coccidies amiboïdes mûres, C'est-à-dire qu'ils prennent une teinte dégradée de la périphérie au centre. Ils se contractent alors latéralement, deviennent ovales, puis se transforment progressivement en croissants. Ces deux derniers stades peuvent manquer, comme dans les fièvres à marche lente, type tierce ou type quarte où, en général, on ne trouve que des corps sphériques, qui, d’ail- leurs, jouent le même rôle. Au contraire, dans les fièvres du Sénégal, c’est cette dernière forme qui ne se rencontre pas tou- jours dans la circulation périphérique. Les corps ovalaires ou eu croissant sont constants à partir du douzième jour. Dès la première rechute, on peut en voir; il faut cependant les chercher avec soin. Ils sont déjà dans la circulation quand on n'y ren- contre encore aucune autre forme parasitaire. Leur présence ne provoque aucune élévation de température; le malade qui les porte n’accuse aucun malaise. C’est ja raison qui les fait, à ce moment, passer inaperçus. Cette constance si grande à l’époque où réapparaît l'infection porte à croire qu’on a affaire, ainsi que depuis longtemps déjà M. Laveran l’a dit', à des coccidies en- kystées susceptibles d’un développement ultérieur, qui n’est pas étranger à l’apparition, dans la circulation générale, du parasite malarien amiboïde. , En général, au début de la maladie, les corps en croissant, sous l'influence du traitement, disparaissent en même temps que l'hématozoaire thermogène. Mais ils servent encore d’avant- coureurs à la deuxième rechute, etils sont en plus grand nombre. Ils disparaissent encore, mais avec plus de lenteur, pour se montrer une troisième fois et ainsi de suite. Quand le palu- disme devient chronique, ils peuvent être alors extrèmement 1. A. Laveran, De la nature des corps en croissant du sang paludéen. Soc. biol., 26 novembre 1892. 650 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. nombreux et résister longtemps au traitement le mieux appro- prié. Je n'ai jamais pu observer de membrane d’enveloppe. J’ai vu seulement tout autour du corps ovalaire un liséré qui se teint en rouge par l’éosine et qui appartient au globule dans lequel le parasite est contenu. Jamais, en effet, un corps ovalaire ou un corps en croissant n’est libre dans les vaisseaux, quoi qu’il y paraisse (fig. 36). Le corps sphérique a encore autour de lui une notable quan- tité d'hémoglobine. Sa forme lui permet d’épouser celle du glo- bule qu’on distingue très nettement. En devenant ovale, il déforme le globule de plus en plus, jusqu'au moment où, pour prendre la forme de croissant, il a notablement augmenté ses dimensions dans un sens. Le globule est distendu par cet allon- gement ; l’hémoglobine qui n’a pas été consommée reste amassée en couche mince autour du parasite ; le stroma du globule moins déformable est rejeté progressivement du côté que n’occupe pas le corps en croissant, c’est-à-dire à sa partie concave (fig. 37). On le reconnaît très nettement dans certaines préparations, il a déjà été maintes fois signalé, comme une ligne sous-tendant l’arc du croissant. ACCÈS PERNICIEUX J'ai pu voir trois cas d'accès pernicieux suivis de mort. Tous les trois étaient des accès comateux. Voici brièvement rapportées les observations : Ce qui est particulièrement remarquable, c’est la soudaineté avec laquelle éclatent les accidents graves que rien ne fait pré- voir. L'un, P., après deux accès de fièvre assez bénins, qu'il traite par des doses faibles de quinine, tombe dans le coma. Apporté à l'hôpital à midi, il y meurt dans la nuit sans avoir repris con- naissance. Le traitement quininé par injections sous-cutanées n'a donné aucun résultat. Le sang contenait en petit nombre des hématozoaires avec quelques grains très fins de pigment, disséminés dans le protoplasma. Le 2°, K., entre à l'hôpital pour fièvre le 7 septembre; il était malade à l'infirmerie depuis 4 jours et avait pris 1 gr. 50 de quinine en trois fois. Le 8 au matin, la température est normale. LE PALUDISME AU SÉNÉGAL. 651 A 11 heures, la fièvre repart et le malade tombe dans le coma. La température à midi atteint 41°, 5, à deux heures elle baisse un peu, puis remonte à 41° où elle se maintient jusqu’à la mort qui survient le 9 à midi. 2 gr. 75 de quinine ont été administrés par injections. Le sang circulant ne renfermait qu’un petit nombre d’héma- tozoaires. Le 3°, D., disciplinaire, était malade depuis 5 jours et refusait de prendre de la quinine. Il est apporté à l’hôpital le 9 octobre. Il a du hoquet, il est somnolent, mais répond aux questions qu'on lui pose. Le pouls est petit, 1l y a de la parésie de la vessie. Pendant la nuit, l’état s'aggrave et le lendemain matin le malade est dans le coma. Il meurt à 2 heures. Il a reçu 1 gr. 50 de bromhydrate de quinine en injection. Le nombre des hémato- zoaires dans le sang circulant est plutôt faible. A l’autopsie, on note ‘chez le n° 1 une teinte ardoisée de la substance grise. Tous les trois avaient une augmentation légère du volume du foie et de la rate. Celle-ci avait le caractère nette- ment paludéen. Le cerveau, le foie, la rate et ies reins ont été examinés après fixation au sublimé saturé et coloration par la thionine, le rouge de Magenta ou l'hématéine. Cerveau. — On est frappé tout d’abord de la grande quantité de parasites contenus dans les capillaires. Chez le n° 4 en parti- culier, chaque globule contient un hématozoaire. Celui-ci ne diffère point de ceux qui ont été déjà décrits dans les accès per- nicieux par Laveran ', Marchiafava et Celli*, Guarnieri ?, Bignami, etc. C’est une amibe qui renferme en général du pigment chez le n° 1, qui en contient rarement chez les n° 2 et 3. Dans tous les cas, ces parasites sont voisins du moment de la segmentation, le pigment, chez ceux qui en contiennent, est rassemblé comme il l’est quand l’organisme se divise. Quelques- uns forment des rosetltes de 8 à 12 segments (fig. 42). Chez le n° 3 on trouve relativement peu d’hématozoaires dans les capillaires cérébraux. 1. A. Lavera, Nature parasitaire des accidents de l'impaludisme, Paris, 1881, et Traité des fièvres palustres, Paris, 1884. 2. MarcuraraAva ET CELut, Arch. ilal. de Biologie, t. NII, fasc. IF, 1889. 3. GuarNieri, Atti della R. Accad. med. di Roma, 1887. 652 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. Les hémorrhagies punctiformes, signalées par Guarnieri, Bignami ‘, A. Monti ?, sont nombreuses. Foie. — Dans cet organe, la phagocytose est très intense. Les cellules de Kuplffer, comme l’a déjà montré M. Metchnikoff *, en 1887, contiennent un grand nombre de globules rouges chargés de parasites (fig. #1). Ceux-ci sontencore parfaitement colorables dans le n° 1, ils apparaissent dans le globule décoloré comme au sein de la vacuole. Chez les deux autres, ils sont presque tous détruits, il ne reste plus dans les cellules que de nombreux grains de pigment. Chez tous les trois, les capillaires biliaires sont chargés de pigment ferrugineux. Rate. — Dans les trois cas, la rate est le siège d’une phago- cytose intense. Les grandes cellules de la pulpe ont absorbé les parasites en même temps que les globules qui les contiennent. Comme dans le foie, la destruction des parasites est très intense chez le n° 3, moindre chez le n° 2, presque nulle chez le n° 1 où les parasites sont excessivement nombreux. Là encore, les héma- tozoaires sont en voie de division. Les leucocytes polynucléaires ne prennent pas part à la destruction qui est réservée aux macro- phages. La cellule remplie de parasites n’est point altérée, contrairement à ce qu'a cru voir Bastianelli (fig. 38). Elle peut même digérer un très grand nombre de sporozoaires sans en être gènée, comme le prouvent les figures 39, 40, qui représentent des macrophages bourrés de pigment et cependant en voie de karyokinèse. Reins. — Le rein, dans la fièvre paludéenne, est presque tou- jours malade, comme en témoigne la présence si fréquente de l'albumine dans l'urine; dans l'accès pernicieux, il est le siège de désordres graves. Il y a une desquamation épithéliale considé- rable. Les canaux urinifères renferment des cylindres hyalins, notamment chez le n° 3; il est vrai qu'on y observe aussi des iraces de néphrite interstilielle. Les glomérules sont souvent lésés. Les canaux sont fréquemment remplis de globules san- guins. Chez 3, certains glomérules sont complètement détruits ; on ne trouve, dans la capsule de Bowmann dépourvue d’épithé- 1. Bicxamr, Atti della R. Accad. med. di Roma, 1890. 2, À. Moxri, Bolletino della societa medico-chir. di Pavia, 12 juillet 1895. 3. Mgrennikorr, Æusskaia Medizina, n° 12, 1887. 4. BasriANELLI, Bolletino della R. Accad., med. di Roma, Anno XVIII, fase. V, 2e LE PALUDISME AU SÉNÉGAL. 653 lium et dans les canaux qui en partent, qu’une hémorrhagie con- sidérable. En somme, les lésions qui ont entraîné la mort siégeaient dans le cerveau et dans les reins. Le n° 3 a succombé, quoique presque tous les hématozoaires aient été absorbés et détruits par les phagocytes. Je signale en passant que, dans les pièces d’autopsie prove- nant de 2 cas de fièvre bilieuse hémoglobinurique, se trouvait une grande quantité de pigment mélanique. Cependant, sur 9 cas qui se sont produits au Sénégal pendant mon séjour, l’héma- tozoaire n’a été trouvé dans le sang qu'une seule fois chez un militaire soigné à Saint-Louis par le D' Clouard'. J'aurai du reste l’occasion de revenir sur ce sujet dans un travail ultérieur. TRAITEMENT ET PROPHYLAXIE J'ai pu facilement constater, dans le traitement du palu- disme sous toutes ses formes, la spécificité si remarquable de la quinine, dont les effets ont été quelquefois contestés par certains auteurs. La constance des résultats obtenus dans tous les cas où l'hématozoaire a été rencontré permet de penser que les insuccès de la quinine doivent être attribués à des diagnos- tics errcnés. Dans la région intertropicale où le paludisme est si fréquent, on est un peu porté à considérer toutes les affections fébriles comme des manifestations plus ou moins anormales de la malaria. C’est alors que lemicroscopeest utile et qu'il devient d’un grand secours pour porter le diagnostic. C’est ainsi qu'à Saint-Louis, j'ai pu démontrer aisément que certaines fièvres appelées typho-malariennes, ou encore fièvres rémittentes, et soi- gnées jusqu'alors par les sels de quinquina, n'avaient rien de commun avec la malaria, mais qu’elles étaient, purement et simplement, des fièvres typhoïdes. Dans quatre cas, dont trois formaient la queue d'une épidémie qui venait de finir, j'ai pu facilement isoler le bacille d'Eberth. On peut donc poser en principe que toute fièvre continue qui ne cède pas rapidement à la quinine n’est pas de la malaria. 1. Je tiens à remercier ici mon ami le D: Clouard dans le service duquel presque toutes mes observations ont été faites, et qui a été pour moi plus qu’un collègue obligeant, un véritable collaborateur. 654 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les formesaiguës sont en effet les plus sensibles au médicament. Presque toujours, la température revient à la normale en trois ou quatre jours, et les parasites disparaissent de la circulation quand on administre 1 gramme de sulfate de quinine par jour. Ainsi que Golgi l’a fait remarquer, le parasite de la malaria n’est pas constamment accessible à la quinine. Tant que dure son existence intracellulaire, il ne paraît pas souffrir du médicament. C’est au moment où les rosaces se rompent et où les jeunes coccidies mises en liberté sont encore accolées au globule qui doit leur servir d'hôte, qu’on peut intervenir acti- vement. [l y a donc avantage à donner le médicament soit à la fin de l’apyrexie, au moment où l’hématozoaire approche de sa maturité, soit au début de l’accès. Malheureusement, il arrive fréquemment dans ce dernier cas que le remède est rejeté dans un vomissement. Mais il reste toujours la voie sous-cutanée par laquelle on peut intervenir à tout moment. Bien rarement on arrive à supprimer la fièvre au premier accès. Ce succès rapide ne s’observe que dans des cas particu- liers : quand on traite le malade tout à fait au début de l’infec- tion ou de la réinfection. Dès qu’il ÿ a eu quelques générations de parasites, il ne faut pas s'attendre à un résultat aussi brillant. Une dose de quinine ne protège point contre l’accès suivant quand il y a dans le sang, comme dans les fièvres continues du Sénégal, des coccidies de tout âge. Il n’y en a jamais qu’une partie d’atteintes et les autres arrivent à maturité. Très souvent le dernier accès se prolonge, la température s’élève plus lente- ment el descend de même, il dure 36 ou 48 heures et tout estfini. D'autres fois, il se produit malgré la quinine deux et même trois accès, mais ils vont en diminuant graduellement d'intensité, et le troisième n’est jamais marqué que par une oscillation ther- mométrique insignifiante. Tant qu’il v a de la fièvre, on voit des hématozoaires ; dès que la température est revenue à la normale, on n’en trouve plus. La fièvre continue paludéenne cède donc en trois jours, en sénéral, quand on administre quotidiennement 1 gramme de sulfate de quinine. Une dose plus faible donne des résultats moins bons, ec souvent ne fait qu'atténuer la maladie sans la supprimer. Si, après la cessation de la fièvre, on supprime le médica- LE PALUDISME AU SÉNÉGAL. 633 ment, larechute se produit du 12° au 14° jour dansles conditions qui ont été déjà décrites. Mais si, au lieu de cesser letraitement, on le continue pendant toute la période d’apyrexie, les choses se passent différemment. Les hématozoaires apparaissent à la date où ils doivent se mon- trer ; mais, dès le début, ils se trouvent aux prises avec le médi- cament et ils disparaissent avant d’avoir pu provoquer la fièvre. Ceci est la règle. Mais il peut arriver que des formes de résis- tance persistent encore si le médicament est supprimé au 13° ou au 14° jour, et donnent ensuite naissance à de nouvelles formes amiboïdes. Il convient donc de garder les malades à l'hôpital 15 jours au minimum, et de leur faire prendre pendant tout ce temps une dose journalière de 1 gramme de sulfate de quinine. Il vaut mieux donner le médicament tous les jours que de le suspendre après la première atteinte pour le reprendre à lap- proche de la rechute; car on n’est jamais sûr d'intervenir à temps et d'empêcher à nouveau la production de formes de résistance, susceptibles d'évoluer plus tard. Dans le paludisme chronique, l’action de la quinine est aussi remarquable, mais moins rapide. Dans ce cas, on a affaire à des formes de résistance qui évoluent très lentement, puisqu'on peut trouver des croissants dans le sang périphérique pendant des semaines entières. Il en résulte que, pour obtenir une guérison complète, il faut continuer le traitement très longtemps sans interruption. Ce mode d’action de la quinine explique l’effet prophylac- tique du médicament. On a souvent parlé des bons effets de !a quinine préventive, et les observations dans lesquelles cet alca- loïde a manifesté son action sont nombreuses. Je ne sache pas cependant que l’expérience ait jamais été rigoureusement faite. M. le Dr Grimaud, médecin de 2? classe de la Marine, attaché au service des troupes à Dakar pendant l’hivernage 1896, a bien voulu se charger de faire faire et de surveiller l'expérience sui- vante. Les hommes habitant le rez-de-chaussée des casernes de l'infanterie de marine étaient au nombre de 124. 50 ont été sou- mis au régime de la quinine préventive ; T4 ont servi de témoins. Pour plus de rigueur, les militaires traités n’ont pas été choisis dans ure même salle ni dars un même bâtiment : ils ont été 656 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pris un peu partout au milieu de leurs camarades. Du 1‘ octobre au 15 novembre, ils ont pris tous les deux jours 25 centigrammes de sulfate de quinine en solution dans 100 grammes de vin blanc. Ils défilaient chaque matin par moitié, à l’appel de leur nom, et prenaient la quinine sous l'œil du médecin. Il y a eu pendant ce temps 56 cas de fièvre chez les 74 hom- mes non traités, soit 76 0/0. Chez ceux qui ont suivi le traite- ment préventif, il s’est produit 17 cas, soit 34 0/0. La différence est sensible, mais le résultat n'est pas parfait. Cette dose de 25 centigrammes tous les deux jours est sans doute trop faible. Il faudrait augmenter la quantité donnée et faire pren- dre cette même dose journellement, plutôt que 50 centigrammes tous les deux jours, étant donné ce que nous savons déjà de l’action de la quinine. Il est à croire que le médicament n’agit pas réellement d’une façon préventive, mais bien plutôt en intervenant dès que se produit l’infection et que les hématozoaires sont encore trop peu nombreux pour provoquer la fièvre. Le fait suivant vient à l'appui de cette manière de voir. En 1889, au mois de juin, la compagnie de débarquement du croi- seur L'Aréthuse, composée de 70 hommes environ, était envoyée à Porto-Novo (Dahomey), où elle passait huit jours. Pendant tout ce temps, les hommes furent soumis au régime de la qui- nine préventive, ce traitement fut suspendu dès le retour à bord. Le médecin m'écrivit que huit jours plus tard il y avait 100 0/0 de fièvre sur les hommes de la compagnie de débarquement, le reste de l'équipage étant indemne. Dans ce cas, les hommes sont rentrés à bord porteurs du germe, probablement de la spore durable inconnue, qui exige pour se développer une période de deux semaines environ. La quinine prise à terre n’a produit aucur effet sur cette forme du parasite, mais elle ne serait peut- être pas restée sans action si on avait continué à l’administrer à bord. Il résulte, en effet, des observations que j'ai pu faire au Séné- gal, que la fièvre paludéenne n'’éclate jamais avant 14 jours. Les troupes ne sont pas relevées à date fixe et en masse, mais par petites portions et tout ie long de l’année. Chaque courrier apporte un petit contingent, même pendant la mauvaise saison. Parmi ces nouveaux venus, un certain nombre contractent LE PALUDISME AU SÉNÉGAL. 657 la malaria. Aucun d'eux n’a été pris le 14° jour. 7 ont été ma- lades du 14° au 16e jour. UNITÉ DE L' HÉMATOZOAIRE DU PALUDISME La forme d'hématozoaire qui produit au Sénégal la fièvre paludéenne aiguë a déjà été signalée sur d’autres points de la côte d’ LES Ziemannt l’a vu au Cameroun, Duggan* à Sierra Leone. L'un et l’autre le considèrent comme identique à celui qui a été observé par Marchiafava et Bignami dans la fièvre estivo-automnale. La seule différence qu'il soit possible d'y re- connaître, c’est que, dans le parasite de Rome, la production du pigment est la règle, tandis que dans celui de la côte occidentale d'Afrique, c’est l'exception. Comme il n’y a là qu'une question de plus ou de moins, rien ne permet, en effet, de les distinguer. Marchiafava, Celli, Bignami, et les auteurs italiens en général, Mannaberg* avec eux, distinguent deux espèces dans les parasites à petite forme, l’une dont l’évolution se produit en 24 heures, l’autre dont les rosaces n’apparaissent qu’au bout de 48 heures. Sont-ce là des raisons suffisantes pour justifier cette division? Je ne le crois pas. Le parasite du Sénégal, en effet, n'a aucune règle absolument fixe pour la durée de son évolution complète. Tantôt il exige 48 heures: j'ai vu des fièvres tierces parfaitement nettes dans lesquelles le parasite rencontré ne différait en rien de celui qui aété décrit pour la fièvre quotidienne et rémittente. Il y a d’autres cas dans lesquels une première rechute affecte le type quotidien ou continu, et où la deuxième prend le type franche- ment tierce, sans que le parasite qu’on rencontre dans le sang ait changé de caractère. Certaines fièvres commencent même par être tierces, puis deviennent quotidiennes et, les accès se rapprochant encore, subcontinues. Comme chaque élévation de température correspond à une génération nouvelle, il s'ensuit qu’au moment où la fièvre devient continue, il se trouve constamment des hématozoaires en voie dedivision. Tous n’ont doncpasévolué danslemêmetempssoitque 4. ZEMaANN, Cent. für Bakt. Bd XX, n° 48, 19 nov. 1896. 2. Duccan, Soc. roy. de méd. et de chir. de Londres, 23 mars 1897. The Lancet, 3. MANNABERG, Die Malaria Parasiten. Wien, 1893. 42 658 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l’évolution ait été retardée chez les uns, précipitée chez les autres. Évidemment, suivant les conditions dans lesquelles se trouve chaque parasite, il exige pour se reproduire plus ou moins de temps. Il se passe ici un phénomène semblable à celui qu’on observe chez les bactéries qui poussent d’autant plus vite qu’elles se trouvent dans un milieu plus favorable. Quand intervient le traitement par la quinine, on voit quel- quefois, quand le sel est donné à dose faible, les accès s’écarter ànouveau, la fièvre continue devenirrémittente, puis quotidienne, puis tierce. Le médicament, en agissant sur les jeunes coccidies, a eu un rôle régularisateur, soit en tuant un certain nombre de parasites, soit en les immobilisant pour un certain temps. [n'y a donc aucune règlefixe pour limiter la durée d'évolution du parasite au Sénégal. Marchiafava et Bignami, au sujet de la fièvre tierce maligne de Rome, reconnaissent le même fait. Ils signalent ce manque d’uniformité dans les accès, cette tendance qu'ils ont à se rapprocher et à constituer une fièvre subcontinue. L'hématozoaire des fièvres estivo-automnales semble pourtant avoir plus de fixité dans la durée de son cycle évolutif que celui du Sénégal. Cela tient à ce que ce dernier possède une activité plus considérable et qu'il vit sur des organismes rendus moins résistants par le climat. En ce qui concerne la taille, l’hématozoaire du Sénégal est plus petit encore que celui de Rome (pendant l’hivernage on peut en rencontrer qui n’ont pas plus de 1 y), il en atteint les dimensions vers le mois de novembre où la fièvre devient plus bénigne ; il la dépasse un peu plus tard et devient même tout à fait semblable à celui des fièvres printanières pendant la saison fraîche (fig. 25 à 33). Comme je l’ai dit au commencement de ce travail, le climat du Sénégal, pendant une saison de l’année, est franchement tropical; pendant l’autre, il se rapproche de celui des régions tempérées. Durant toute la saison sèche, on ne constate aucune infection récente, tous les malades qu’on observe sont des gens chez lesquels la malaria est devenue chronique. En même temps que finit l’époque où éclôtle paludisme, commence pour l’Euro- péen une période de bien-être, et son organisme fatigué se remet progressivement. Le parasite doit donc s’armer pour une lutte plus active; il LE PALUDISME AU SÉNÉGAL. 639 augmente de volume et finit par atteindre celui qui caractérise les hématozoaires des fièvres tierces et quartes. L'observation suivante permet de constater cette transformation. X... a fait en 1895 un séjour de 5 mois au Sénégal, pendant lesquels il a contracté la fièvre paludéenne. Il a eu deux séries d'accès en novembre, à la suite desquels il a guéri. Envoyé de Dakar à Conakry (Guinée française), il resté 9 mois dans cette dernière résidence. Pendant l’hivernage 1896, il est repris par la fièvre et a de fréquents accès. Revenu le 3 décembre de la même année, 1l tombe malade le 6 et est envoyé le 7 à l'hôpital. A ce moment, il est porteur d’hématozoaires pelits, clairs, réfringents, qui ne diffèrent en rien de ceux qu’on observe pendant l’hivernage. Il prend 1 gramme de sulfate de quinine en poudre. Le lendemain, nouvel accès très léger, avec des parasites petits et réfringents; on observe quelques formes plus volumi- neuses pigmentées. Pas de quinine. Le 9, les hématozoaires sont très pigmentés, très volumineux, en tout semblables aux parasites de la fièvre tierce (Golgi). Le 10, on voit quelques corps en rosace, il y a uu accès de fièvre presque insignifiant. Toujours pas de quinine. A partir de cette date, la maladie a évolué d'elle-même vers la guérison sans traitement. La température prise trois fois par jour n’a pas dépassé 37°, 8. Le malade était encore porteur de formes volumineuses le 31 décembre, mais en très petit nombre ; il ne ressentait aucun malaise; au contraire. son état général s’améliorait tous les jours. La résistance individuelle est es le facteur impor- tant dans cette transformation. Plus l'hématozoaire rencontre d'obstacles, plus il augmente de dimensions. Voilà pourquoi on le rencontre à cette saison de l’année où les conditions clima- tériques sont meilleures. On l’observe aussi plus fréquemment chez des personnes qui ont eu déjà des atteintes antérieures dont elles ont guéri, et qui ont acquis une plus grande résistance au paludisme. Pendant l'hivernage, au moment où les Européens malades sont tous porteurs de la forme à évolution rapide, les mulâtres du Sénégal, qui n’ont jamais quitté le pays, présentent, au contraire, dans le sang la forme volumineuse. Et cela, tout 060 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. simplement parce qu'ils ont acquis petit à petit une immunité relative, car les gens de couleur qui ont été élevés en Europe offrent à leur arrivée dans le pays une aussi grande sensibilité que l'Européen et sont susceptibles de contracter la malaria sous la même forme que lui. Quand des convalescents quittent la zone intertropicale et reviennent en Europe avec du paludisme chronique, c’est encore l’hématozoaire volumineux qu’on trouve dans leur sang. M. Laveran, qui a maintes fois examiné le sang de semblables paludéens, a toujours vu cette forme du parasite. Il me semble donc juste d'admettre que l’hématozoaire du paludisme est unique, mais que, suivant la résistance du milieu où il se développe, il est susceptible de se modifier dans sa forme. En terminant, je tiens à remercier ici mon vénéré maître, M. le professeur Metchnikoff, dont les savants conseils m'ont été si précieux. J'adresse aussi mes remerciements à M. Laveran, qui a bien voulu s'intéresser à ce travail et mettre à ma dispo- sition sa connaissance si profonde du sujet. CONCLUSIONS On ne contracte le paludisme au Sénégal que pendant la saison des pluies. Le paludisme aigu y a des caractères si constants qu’il est impossible de le confondre cliniquement avec une autre maladie. Le parasite qu'on rencontre dans le sang accomplit, en général, son cycle entier sans produire de pigment. Il ne forme de rosaces que dans les fins capillaires. Dans les accès pernicieux, comateux, ce sont les hémorragies céré- brales punctiformes et les lésions rénales qui paraissent entraîner la mort. La quinine guérit très vite le paludisme aigu, mais il est nécessaire de la continuer sans interruption pendant 15 jours au moins, pour éviter toute rechute. Son emploi, à titre prophy- lactique, est très judicieux. Dans ce cas, il convient de donner 25 centigrammes de sulfate par jour. Le paludisme est causé, sous les tropiques comme en Europe, par un hématozoaire unique. Le parasite découvert par Laveran est très pléomorphe. LE PALUDISME AU SÉNÉGAL. 664 EXPLICATION DE LA PLANCHE XVII Fig. 4 à 14. — Évolution sans pigment du parasite de la fièvre continue. Coloration à la thionine. Stiassnie Oc. 2, ob]. = . Fig. 4. — Parasite très jeune, s'aperçoit comme un disque réfringent sur le globule coloré. Fig. 2.— Le cytoplasma commence à se dessiner comme une ligne entourant le noyau. Fig. 3. — Hématozoaire avec un pseudopode qui lui permet de pénétrer dans l'hématie. Fig. 4. — Le parasite est intracellulaire, le pseudopode d'entrée est en haut presque rétracté, la couleur de l’hématie masque la substance nu- cléaire réfringente. Fig. 5. — Hématozoaire à 2 grains chromatiques; l'un des côtés du cyto- plasma est plus accusé que l’autre ; peut-être ces deux arcs colorés appar- tiennent-ils à deux parasites conjugués. Fig. 6,7, 8. — Le nucléole du parasite s’accuse, le cytoplasma se développe. Fig. 9, 10, 11. — Le nucléole se divise. Fig. 12. — Gros corps réfringent à contours granuleux. Fig. 143, 14. — Rosaces qu’on trouve seulement dans les fins capillaires. Fig. 43. — Trois segments d'une rosace qui se sont détachés en bloc et se sont fixés réunis sur une hématie. Fig. 46 à 24. — Évolution du parasite avec de très fines granulations pig- mentaires, comme on le trouve dans certains cas, à la fin de la saison des pluies. Fig. 25 à 33. — Cycle évolutif de l'hématozoaire qu’on rencontre chez les Eu- ropéens seulement pendant la saison fraiche, et qu'on voit même pen- dant la saison pluvieuse chez les mulâtres. Fig. 34 à 37. — Évolution du corps en croissant dans l'hématie, dont les contours sont visibles même dans les fig. 36 et 37. Fig. 38. — Macrophage de la rate d'un homme mort d'accès pernicieux, comateux ; il a absorbé un grand nombre de parasites, ainsi qu’en témoi- gne l'abondance du pigment qu'il contient. — Le noyau est parfaite- ment conservé. Fig. 39 et 40. — Macrophages de la rate contenant beaucoup de pigment et même des parasites non altérés (fig. 40), et dont cependant le noyau est en voie de karyokinèse. Fig. 41. — Coupe du foie d’un homme mort d'accès pernicieux comateux. a, Cellules de Kupffer qui ont englobédes hématies parasitées; p, héma- 662 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ties qui ont perdu la faculté de se colorer et qui contiennent un para- site autour duquel elles forment un halo clair ; p', hématies et parasites englobés qui, les uns et les autres, ne prennent plus la couleur; s, pig- ment ferrugineux très abondant dans les capillaires biliaires; n, noyau des cellules. Fig. 42. — Un capillaire cérébral rempli d'hématies parasitées dont un cer- tain nombre ne se colorent plus. Un des parasites est au stade de rosace, les autres ont leur pigment rassemblé comme il arrive quand les héma- tozoaires se préparent à la division. RECHERCHES SUR LA PESTE BUBONIQUE PAR M. WyssoKowIrz ET M. Le Dr ZABoLOTNY Professeur d'anatomie pathologique à l’Université de Kieff de Kieff, MEMBRES DE LA MISSION RUSSE A BoMBaAv. La mission Russe a passé trois mois à Bombay pour étudier la peste; bien que ses recherches soient loin d’être terminées, elles ont cependant fourni quelques résultats que nous résumons ici. Notre laboratoire a d’abord été installé au Consulat de France, obligeamment mis à notre disposition par M. Pilinsky. Les matériaux nécessaires à nos études ont été puisés dans les hôpitaux de Charni-road et de Grand-road. Plus tard notre labo- ratoire fut transféré à ce dernier hôpital. Nous avons fait en tout 27 autopsies, 24 à Grand-road, 2 à Charni-road et 1 à Parel. Si nous y ajoutons les autopsies pra- tiquéés par la mission autrichienne dont nous avons suivi les travaux jusqu’au jour de notre installation, nous comptons en tout 34 examens cadavériques. 24 seulement ont porté sur des pestiférés (17 à Grand-road et 7 appartenant à la mission autri- chienne), les autres sujets avaient succombé à d’autres maladies telles que phtisie, dysenterie, pneumonie franche, etc. Sur les cadavres de nos 24 pestiférés, nous avons relevé dix fois des bubons inguinaux (7 du côté gauche, 2 du côté droit, et un cas avec bubon bi-latéral). Quatre fois les bubons étaient axillaires, 2 à gauche, 2 à droite; l’un d’eux élait accompagné d'une pneumonie pesteuse métastatique. Chez quatre autres sujets les bubons siégeaient au cou, et étaient compliqués une fois de parolidite et une fois de pneumonie. Chez 6 pestiférés nous 664 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR avons constaté de la pneumonie pesteuse primitive, et une fois il existait en même temps des nodules nécrotiques dans le foie. Dans tous les cas où il y avait un bubon, les autres glandes lymphatiques se trouvaient aussi augmentées de volume, mais le bubon primaire, formé de plusieurs ganglions réunis en paquet, se distinguait des autres atteints consécutivement, par sa gros- seur, par l’œdème du tissu conjonctif périphérique, par sa teinte gris jaune ou rouge foncé, per son aspect marmoréen et sa con- sistance ramollie, et surtout par le nombre énorme de bactéries spécifiques qu’il contient. Aucune autre glande, aucun autre organe n’en renferme autant que le bubon primaire. Les coupes montrent que l’augmentation du volume est due plutôt à la quan- tité des bactéries qu’à une hyperplasie du tissu lui-même. La rate contient aussi des bacilles en assez grande quaritité. Les autres glandes lymphatiques tuméfiées ne sont guère plus riches en bactéries que le sang lui-même. = Après avoir fait cette constatation de la prépondérance des bactéries dans les bubons primaires, il n'était pas difficile de reconnaître l’existence de la pneumonie pesteuse primitive. Quand on trouve des quantités énormes de bactéries uni- quement dans les parties malades des poumons et dans les glandes bronchiques qui sont tuméfiées, on ne peut douter de l'existence de la pneumonie primaire. Dans nos deux cas où des bubons périphériques étaient accom- pagnés de pneumonie spécifique, il y avait aussi une grande quantité de bactéries dans les poumons et les glandes bronchi- ques. Mais, la position périphérique des nodules pneumoniques et l'existence de thrombus dans les veines voisines des bubons expliquaient très clairement la production secondaire de ces pneumonies. De même, dans le cas de pneumonies pesteuses, primaires ou secondaires, on trouve de grandes quantités de bactéries pesteuses, soit en cultures pures, soit mélangées à des diplo- coques de Talamon Fraenkel ou à des streptocoques. La différence entre les pneumonies pesteuses et les autres pneumonies est caractérisée par des infiltrations noduliformes et par un aspect muqueux des foyers de pneumonie. Cliniquement elles se distinguent parfois par une absence complète de toux et de crachats. RECHERCHES SUR LA PESTE BUBONIQUE. 665 La pneumonie pesteuse doit être classée comme broncho- pneumonie; dans les cas prolongés, il y a une tendance à la confluence de plusieurs foyers de pneumonie, mais on trouve toujours entre ceux-ci des parties de poumons aérées. Nous n'avons jamais observé de pneumonie occupant tout un lobe du poumon, comme cela se produit dans la pneumonie fibrineuse. Dans les petites bronches, et dans les bronches moyennes, la muqueuse était rouge et couverte de mucosités grisâtres et fluides, quelquefois sanguinolentes et mélangées d’air. Dans la gorge et dans la trachée, la muqueuse est presque saine. Dans la plèvre on remarquait presque toujours, et aussi d’ailleurs dans les cas de peste non pneumonique, de nom- breuses hémorragies punctiformes. Des complications que l’on trouve souvent sont des hémorragies de l’estomac et du gros intestin. Les glandes mésentériques étaient toujours tuméfiées, mais ne présentaient pas l'aspect de bubons primaires, et ne contenaient pas de grandes quantités de bacilles de la peste. Dans quelques cas, au lieu d’hémorragies, nous avons remarqué des ulcères superficiels, et une fois deux profonds ulcères du cœæcum. Dans ce cas nous avons également remarqué la modi- fication caractéristique du foie, qui présentait de nombreux petits nodules grisätres de nécrose, accompagnés de l’augmen- tation du volume de cet organe. Nous n’avons pu reconnaître que deux formes de la peste: 1° La peste avec bubons (des membres ou du cou) ; 2° La peste sans bubons extérieurs sous forme de pneumonie pesteuse primaire. Dans aucun cas nous n'avons trouvé d'infection primaire par l’estomac ou par les intestins, aussi bien en faisant les autopsies que dans nos recherches cliniques. Les affections des intestins présentaient toujours le caractère de troubles secon- daires, à la suite d'intoxication ou de septicémie pesteuse qui, elle-même, est toujours secondaire. En faisant les autopsies, il était difficile de reconnaître par quelles voies le virus avait pénétré soit dans les glandes, soit dans les poumons. Presque dans tous les cas on ne trouvait ni lésions locales de la peau, nimodifications des vaisseaux lymphati- ques (lymphangites). Et cependant, on devait supposer la péné- 666 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tration du virus par la peau: il était nécessaire de prouver cette proposition. Nous avons trouvé des arguments en sa faveur dans les expériences faites sur les singes. Eu effet, des expériences préliminaires sur les singes nous ont montré que ces animaux sont très sensibles au virus de la peste. Quand on introduit chez des singes un peu de culture de peste sous la peau du bras, on observe, un ou deux jours après l'inoculation, que la température s'élève jusqu'à 40°,5 ou 41°,5 centigrades (la température normale étant de 38°,5 C.), qu'il se forme un bubon axillaire correspondant, et de l’œdème au point d'introduction du virus. Les singes ainsi inoculés mouraient après 4 ou 5 jours de maladie et présentaient toutes les modifications caractéristiques qui se produisent chez l’homme. Dans le bubon primaire, on trouvait une énorme quantité de bacilles; on en trouvait éga- lement, mais en moins grande quantité, dans la rate et aussi dans le sang, beaucoup plus cependant que chez l’homme ou chez la souris. D'après nos expériences, nous sommes persuadés que les singes prennent toujours la peste après qu’on les a infectés. Nous avons fait quelques expériences avec des doses très mi- nimes de bacilles, au moyen d’une simple piqüre faite avec une épingle chargée de virus. Tous les singes (5) infectés-de cette façon à la paume de la main sont morts, après 3 à 7 jours, avec des bubons et tousles autres symptômes de la peste, mais dans ce Cas on n'observait, ni pendant le cours de la maladie, ni à l’autopsie, aucune altération sensible à la place de l'introduction du virus, à la paume de la main. Chez un singe infecté au pied dans les mêmes conditions, par une piqüre d’épingle, la mort n’est survenue qu'après un temps plus long (10 jours) avec des bubons inguinaux et rétro- péritonéaux très manifestes, absolument comme chez l’homme, mais toujours sans lésions locales au point d’inoculation. Les résultats de ces expériences sont très intéressants parce qu'ils ne laissent pas de doute sur ce point que, chez l'homme, l'infection par la peau peut se développer sans qu’il y ait aucune lésion apparente au point d'introduction du virus. Après avoir terminé ces expériences, nous avons pensé que, sur les singes, on pourrait mieux étudier que sur d’autres ani- RECHERCHES SUR LA PESTE BUBONIQUE, 667 maux, l'influence du traitement par le sérum et l'efficacité des inoculations préventives. Nos expériences dans cette direction et pour lesquelles nous avons employé 96 singes nous ont démontré que : 1° Le sérum de Yersin peut guérirles singes malades lorsque le traitement a été commencé presque deux jours après l'infection sous-cutanée,et lorsque les symptômes de la peste sont déjà très manifestes, élévation de température, bubons, ete. ; 2° Le traitement par le sérum n’est plus efficace lorsqu'il est commencé trop tard, c'est-à-dire 24 heures avant la mort des singes qui servent de contrôle ; 3° La quantité indispensable de sérum pour obtenir la guérison des singes n'est pas très grande; en moyenne, il suffit d'injecter 20 c. c. de sérum actif au 1/10; 4° Si la quantité de sérum injectée est trop faible, ou si le traitement est entrepris trop tard, on peut parfois obtenir la guéri- son, mais quelquefois cette guérison n’est qu'apparente : il peut se produire une rechute, qui cause La mort des animaux après 15 ou 17 jours: 5° L'immunité donnée par linoculation préventive de 10 c. c. du sérum de Yersin ou de 5 c. c. de la lymphe de Haffkine, ne dure pas au delà de 10 ou 14 jours: 6° L'immunité résultant de l’inoculation préventive, faite avec des cultures sur gélose chauffées à 60° centigrades, ne se produit pas avant sept jours, mais cette immunité se prolonge pendant plus longtemps. Un singe inoculé par ce procédé, et infecté 21 jours après l’inoculation, ne montra aucun symptôme de peste ; | | 1° Quand on injecte une grande quantité de cultures chauf- fées, l'animal s’affaiblit et est susceptible d’attraper la peste; 8° On peut infecter les singes par les voies respiratoires, en introduisant la culture de peste dans la trachée au moyen d'une sonde pendant la narcose chloroformique. Ils meurent après 2 ou 4 jours, en présentant les signes de la pneumonie typique ; 9 Dans ces cas de pneumonie expérimentale, on ne trouve dans le sang et dans la rate que de petites quantités de bacilles, tandis qu’il en existe de grandes quantités dans les parties du poumon qui sont affectées, ainsi que dans les glandes bron- 668 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. chiques : on remarque également ce phénomène chez l'homme; 10° Les singes sont très susceptibles d’être infectés par des lésions de la bouche: au contraire, nous avons pu in- troduire au moyen d’un tube en gomme des cultures dans l’es- tomac d’un singe endormi, sans obtenir aucun résultat ; 11° Les espèces de singes sur lesquels nous avons expéri- menté à Bombay diffèrent un peu quant à leur sensibilité à la peste. Le singe macaque à longue queue meurt en 4 ou 5 jours après l'infection ; le singe macaque à courte queue et le singe noir à longue queue périssent plus rapidement, en 2 jours 1/2ou 3 jours. Le sérum préparé à l’Institut de médecine expérimentale de Saint-Pétersbourg nous a donné le même résultat. Dans les cas où les singes mouraient après une maladie pro- longée, les bubons s’amollissaientet les bacilles dégénéraient. Chez les hommes, nous avons aussi quelquefois observé que, dans les bubons qui se transformaient en abcès, on ne trouvait plus ni bacilles de la peste ni d’autres bactéries, mais un pus sans microbes. Bientôtaprès notre arrivée à Bombay, nous avons constaté que le sang des hommes convalescents de la peste avait la propriété d'agglutiner les bacilles spécifiques. Ce pouvoir agglutinant ne se manifeste qu'au bout du 7"° jour de la maladie, augmente pendant les 2e, 3me, 4me semaines, et diminue ensuite progres- sivement. Le sang des malades morts pendant la période aigüe et celui des malades morts pendant la première semaine ne possède pas cette propriété. En ce qui concerne le traitement des malades par le sérum de Yersin, nous devons dire que dans plusieurs cas nous avons été à même d'observer les effets intéressants et frappants de l’action de ce sérum. Après l'injection la température s’abaisse, la som- nolence ou le délire disparaissent, le malade retrouve le bien- être. En général, les résultats n’ont pas été aussi bons que nous l’aurions désiré; ils ont cependant réduit la mortalité à 40 0/0 sur les malades traités. Nos expériences nous ont pourtant montré que le sérum a une efficacité qui n’est pas douteuse. Cette mortalité encore élevée s'explique par des causes suivantes : RECHERCHES SUR LA PESTE BUBONIQUE 669 D'abord les malades n’entrent que très tard dans les hôpitaux, trois, quatre ou cinq jours après que la maladie est déclarée. Ensuite, nous ignorons quelle sera la durée de la maladie, qui n’a pas la même intensité dans chaque cas. Des malades meurent en 24 heures, d’autres survivent pendant 24 jours. La troisième cause est que les hommes montrent des degrés très variés de sensibilité à l’infection. Celle-ci est plus uniforme chez les singes. Dans les cas de pneumonie pesteuse, c’est souvent la présence d'autres bactéries, pneumocoques et streptocoques, qui explique la difficulté d'obtenir la guérison par le sérum. Nous espérons obtenir de meilleurs résultats avec le sérum antitoxique que le D' Roux vient de préparer, celui qui a été employé jusqu'ici est plus préventif qu’antitoxique. Quand mème un remède n’aurait sauvé que quelques vies, cela serait suffisant pour le faire remarquer et encourager à l’étudier. En réalité, le sérum de Yersin a sauvé un grand nombre d’existences et nous devons très chaleureusement recommander cette méthode de traitement. Le sérum reste d’ailleurs jusqu'ici l'unique remède à employer dans le traitement de la peste. Erratum. — Dans l’article de M. Peré, page 604 de ce volume, ligne 7, lire propylaldol au lieu de propylglycol, mot avec lequel la phrase a encore un sens qui n’est pas le sens voulu. UN NOT SUR L'HISTOIRE DU SÉRO-DIAGNOSTIC Par ALBERT S. GRUNBAUÜM, mm. A., M. 0. (CANTAB). D’après les remarques faites par M. le professeur Widalsur l'histoire du séro-diagnostic dans le numéro de mai des Annales de l'Institut Pasteur, 11 semble que ce savant s’est mépris sur la part qui en revient à M. le professeur Gruber et à moi-même. Afin d'éviter un malentendu, qu’il nous soit permis de remettre les choses à leur place. Sans doute M. le professeur Widal ne s’est pas rappelé que les deux premières observations faites par moi sur le sang des typhiques sont antérieures de trois mois ‘ à sa première publi- cation sur le même sujet. Selon lui, je compterais ? parmi ceux qui ont répondu à son appel du 26 juin 1896, et par conséquent ses lecteurs pourraient supposer que mon travail a été entrepris à son instigation, ce qui n'en ferait qu'une confirmation * pure et simple de ses propres recherches. Pourtant, ce travail a été fait indépendamment du sien, sinon avant. Ce que je désire savoir, c’ests’il a fait un séro-diagnosticantérieurement au 14 mars 1896. Au moment du congrès de Wiesbaden d’avril 1896, M. le professeur Gruber connaissait mes expériences et la possibilité du sérodiagnostic, et s’il s’est abstenu d’en donner des indica- tions plus précises que celles qu'il a faites, c’est qu’il attendait que je fusse à même de baser mes résultats sur des observations plus nombreuses. Il arrive trop fréquemment qu’une note ne paraisse que deux mois après être sortie de la plume de l’auteur ‘, et je n’insiste point pour excuser le retard apporté à la publication de la mienne. Pour montrer que mon idée et ma découverte furent absolu- ment indépendantes, j'ai toujours pensé et je pence encore que la réaction agglutinante est une réaction d’immunité. J'ai été amené à l’idée du séro-diagnostic par l'observation que cette réaction se produisait chezles animaux environ trois jours après le commencement du procès d'immunisation. De son côté, M. le | 1 - l4 et 29 mars 1896. Vide Lancet, 28 nov. 1896, p. 1559 et Munch. med. Woch. Re MA de l'Institut Pasteur, 1897, p. 428. 3. Zbid., p. 359. 4. Mon article a été écrit vers le milieu du mois de juillet 1896, juste au mo- ment où j'allais quitter Vienne pour me rendre en Suisse. HISTOIRE DU SÉRO-DIAGNOSTIC. 671 professeur Widal jugeait impossible d'arriver à l’idée du séro- diagnostic sans avoir préalablement rejeté l’idée que la réac- tion était une réaction d'immunité, et après avoir admis que la réaction était une réaction d'infection . J'insiste enfin sur ce point, que jamais et nulle part je n’ai réclamé de priorité de publication, je n'ai même jamais soulevé la question de priorité. En écrivant ma première communication j'ai cité l'ouvrage de M. le professeur Widal en tant que j'ai pu en prendre connaissance. Je désire cependant faire ressortir que j'ai émis la même idée indépendamment de lui et que j'ai mis en avant quelques points qu’il a confirmés dans la suite. À PROPOS DE LA NOTE CI-DESSUS DE M. GRUNBAUM Par M. F. WipaL. Puisque, avecraison, M. Grünbaum ne fait aucune revendica- tion de priorité, la question est facile à juger. La découverte d'un fait scientifique appartient, en effet, à celui qui le premier l’a publié et l’a livré sous sa responsabilité au contrôle et à la critique d'autrui, comme je l'ai fait pour le séro-diagnostic de la fièvre typhoïde, le 26 juin 1896. Trois mois plus tard, le 19 septembre, M. Grünbaum a rapporté quelques cas de séro-diagnostic dans la fièvre typhoïde. A cette époque, un grand nombre de bactérioiogistes avaient eu le temps déjà de publier en Europe ou en Amérique, dans les recueils les plus divers, un ensemble de quelques centaines d'observations confir- mant la méthode que j'avais proposée. Les faits rapportés par M. Grünbaum pouvaient donc n'être considérés que comme une confirmation nouvelle. Deux mois plus tard, le 28 novembre, ce savant disait que ses deux premières observations remontaient au mois de mars: ce fait ne pouvait intéresser l'historique de la question, puisque rien n'avait été publié par M. Grünbaum avant les dates que nous venons d'indiquer. Je n'avais donc pas à me rappeler, ni à oublier des faits rapportés quelques mois après mes premières publications. 1. Lancet, 14 nov. 1896, p. 1372, et la Presse médicale, 22 décembre 1896, p. 679. 672 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR Ce que M. Grünbaum oublie, c'est que M. Gruber, loin de donner au congrès de Wiesbaden la moindre indication pour le séro-diagnostic, s’est même gardé d'émettre l'hypothèse que la réaction agglutinante pourrait se trouver pendant la maladie. Dans ses écrits, et ce sont les écrits seuls qui peuvent compter en matière d'historique scientifique, pas un mot ne montrait que cet auteur soupçonnât seulement la possibilité du séro-diagnostic de la fièvre typhoïde. Il soutenait que la réaction agglutinante n'apparaissait chez les animaux qu’avec l’immunité et ne dispa- raissait qu'avec elle; il ajoutait que des expériences poursuivies dans son Institut montraient déjà qu'il devait en être chez l’homme comme chez l'animal. Comme corollaire naturel de cette théorie, il demandait simplement aux cliniciens de recher- cher la réaction agglutinante chez les hommes ayant eu autrefois la fièvre typhoïde ou le choléra; je répète que, pour arriver à la conception du séro-diagnostic, j'ai dù commencer par me débar- rasser de cette idée erronée, que la réaction agglutinante n'était qu'une réaction d'immunité. J'ai soutenu que le phénomène de l’agglutination était déjà une réaction de la période d'infection. C’est là, comme je l'ai toujours dit, une,simple constatation de fait quine comporte pas de théorie. Ce fait reçoit chaque jour sa confirmation; s’il n'était pas exact, le sérodiagnostic n’'existerait pas. Depuis 1892, depuis le jour où j'ai montré avec M. Chante- messe que le sang des typhoïdiques, encore en période fébrile, possédait déjà des qualités spécifiques, je cherchais à exploiter ces qualités au profit de la clinique ; c’est cette idée qui m'a conduit au sérodiagnostic. En résumé, il n’est pas d'histoire plus claire que celle du séro-diagnostic de la fièvre typhoïde ; elle repose sur des dates et sur des textes aussi précis que possible, et je m'excuse d’être obligé, devant l’insistance de M. Grünbaum, de revenir sur des faits aujourd’hui bien connus et qui n’ont vraiment plus d'intérêt pour le public médical. Le Gérant : G. Masson. Sceaux — Imprimerie E. Charaeire. 1ime ANNÉE SEPTEMBRE 1897 No 8. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR ÉTIOLOGIE ET PATHOGÉNIE DE LA FIÈVRE JAUNE Par LE Dr J. SANARELLI Directeur de l'Institut d'Hygiène expérimentale de Montévidéot, SECOND MÉMOIRE Les symptômes, les lésions et la bactériologie de la fièvre jaune, aussi bien chez l’homme que chez les animaux, font pré- sumer l'existence d’un poison spécifique produit par le bacille ictéroïde et capable de provoquer, à lui seul, tout le tableau mor- bide que nous avons déjà décrit. En outre, le petit nombre des bacilles rencontrés chez les malades et la violence des symptômes qu'on provoque chez les chiens, tout de suite après l'injection intraveineuse de cultures relativement peu abondantes, font supposer que ce poison doit être très énergique. Il était donc intéressant d'étudier son action dans l'organisme animal. Pour ces recherches, je me suis toujours servi de cultures de 15-20 jours, filtrées à travers la bougie Chamberland, et faites dans du bouillo n ordinaire de viande peptonisé. La toxine ainsi préparée a été ensuite essayée chez le cobaye, le lapin, le chien, la chèvre, l’âne et le cheval. Je réserve pour un mémoire spécial les essais relatifs à l’homme. 1. Ce mémoire a été reçu en juin 4897, x. p.11, R. 43 674 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Il L'INTOXICATION CHEZ LES COBAYES ET LES LAPINS. Ces animaux ne constituent pas un bon terrain pour l'étude dela toxine; les résultats obtenus avec eux, après l’injection sous- cutanée ou intraveineuse de cultures filtrées, ne sont pas con- cluants. Les cobayes meurent dans les 24 heures, si les doses injectées sont très élevées : 15-20 ce. c. Les doses plus faibles de 2-5-10 c. c. ne déterminent qu'une diminution progressive de poids, qui s'accentue pendant 10-12 jours, après lesquels, en général, les animaux se rétablissent en reprenant leur poids primitif. Si, au lieu d'employer les cultures filtrées, on emploie les cultures stérilisées à l’éther, le pouvoir toxique est beaucoup plus élevé; une dose de 1 c. c., injectée sous la peau, fait dimi- nuer de 15 à 20 grammes, en 24 heures, le poids d’un cobaye de 300 grammes, mais cet elfetest passager. Pour tuer les cobayes de 300 grammes, il faut au moins 10 c. c. injectés en une seule fois : la mort arrive alors après 10, 20 ou 30 jours. Les lésions qu’on trouve à l’autopsie, aussi bien après une intoxication aiguë qu'après une intoxication chronique, n’offrent aucun intérêt. Dans les cas aigus, ce sont des phénomènes con- gestifs généraux; dans les cas chroniques, c'est le tableau de la cachexie. Chez les lapins, la résistance est un peu moindre. La meilleure voie pour produire l’intoxication est la voie intraveineuse. Les doses de 2-5 c. c. de culture filtrée restent sans effet; mais, à partir de 10 c. c., les lapins d’un kilogramme meurent régulièrement en 7-8 jours, sans présenter cependant aucun phénomène qui puisse nous intéresser. Il L'INTOXICATION CHEZ LE CHIEN La toxine reproduit dans ces animaux les mêmes symptômes etles mêmes lésions que le virus. Iei encore, la quantité de toxine capable de rendre malade ou de tuer un chien est extrè- mement variable. Elle est toujours considérable, et ses effets ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. PL. XVIII. b res ———…— _ us = - —…— _ — : mn art Pr. XIX. 4 ANNALES DE L'INSTITUr PASTEUR. ! 7 una … -badit su Zoe fn À ue. État CHARTE HAN FIMAUNT (A 0) Œ d ?p onbiuusys 2q1n07 € 7 FER 1, PACE ETEN 0272 La Le 1 J1VLN3HIU3dX3 3NNVE 3HA311 div|v|v 11S/8181S1T|0 JIVININIVIdXI INAUT 1UAJIA (ouzouvf 2p 01) .2p 7p19S OpaDlD) AJ ‘SA 59] sdb. ounvl ana 2p j21400 SD un.p anbiousay2s anbiwisyz 2q4n07) E 4 . th F LS | 2P ON] 2p 279090N] DENT EN \ |! JITIUNIVN NAT HA 4T 2 Sudv,q) ‘2p1{D4 sou 292 “AD D ounvl 940 “20 2p Japiotu sv) oÏP 222 onbrwusy, 241707 y ‘SU HER 1113BALVN ANAYT 3UA3IA LOIRE a) (ZZZ 840) AN 4 2p onbiuuayy 2qun07 LS 6 SU 06 oÛŸ +—— JIVININIHIdX3 JNAYT 3UA3I 7 7 L A 0 > _ ES < > . .… * ! 7e = et .. L , à LL N LLLLP ALL \ L s Cd \ LA N À È e _\ . | s / e . " / & L t / LP Lu LL 2] \ Tru .«, | e . . À : À ….… * | 1 { « PL Î # . | , + La L ( | e L Ed ° | : Fes L € - tous Î : ed . e . L CT pe : “ ‘ C4 .. ., , ° re . . L . ea \ | / rassure, Cl - s / “ous / .… FL . PARC dd orogretten, ve : ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. SUR LA FIÈVRE JAUNE. 675 diffèrent suivant qu’on l’injecte sous la peau ou directement dans les veines. L'injection sous-cutanée, même aux doses de 5-10 c. c., pro- duit des tuméfactions locales énormes, dont la résorption est lente, et, d'autre part, elle est absolument incapable, même en erande quantité, de déterminer chez le chien l’apparition des symptômes caractéristiques de la fièvre jaune. Il est probable qu’il se fait, au point d'injection, un processus inflammatoire ou nécrotique excessivement rapide, qui empêche ou entrave beau- coup la diffusion de la toxine dans l’organisme. Le même fait s’observe chez d’autres animaux et même chez l'homme. Si, au lieu des cultures simplement filtrées, on inocule sous la peau des cultures stérilisées à l’éther, les phénomènes locaux sont bien plus graves et plus accentués; mais, en dehors de la fièvre, qui peut durer quelques jours, et d’un malaise facile à expliquer par la grande tuméfaction et la forte douleur locale qui l'accompagne généralement, on n’observe jamais de phéno- mènes intéressants. Il semble que la toxine inoculée sous la peau soit presque neutralisée, digérée et anéantie par l’énorme quantité de leuco- cyles qui se groupent immédiatement autour du point d'inocu- lation, arrivant bien souvent à former de gros amas puru- lents, qui avec le temps ulcèrent la peau et s'ouvrent au de- hors. Mème si l’on répète plusieurs jours de suite les inoculations sous-cutanées de fortes doses, on n'arrive jamais à provoquer le vomissement, la gastro-entérite, la photophobie, etc., qui se produisent si facilement par les injections intraveineuses du virus, et qui peuvent aussi, comme nous le verrons, se repro- duire par les injections intraveineuses des toxines. Ce qu'on peut observer à la longue, chez les chiens qui ont reeu pendant longtemps la toxine par voie sous-cutanée, c’est une diminution du poids du corps, un coryza opiniätre accom- pagné d’un abondant catarrhe de la muqueuse nasale, et une tuméfaction diffuse et douloureuse de tout le tissu sous-cutané, autour du point d'injection. Les injections intra-veineuses peuvent être facilement faites par l’une quelconque des veines qu'on voit à la face interne des cuisses. Une dose de 24-40 c. c. est suffisante pour provoquer 676 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. immédiatement les phénomènes les plus graves chez un chien du poids de 3 à 4 kilogrammes. | En effet, aussitôt après l'injection, l’animal ne présente rien de particulier; mais, 10-14 minutes après, ilest pris d'un frisson général ininterrompu; bientôt des évacuations diarrhéiques ap- paraissent, accompagnées d’une sécrétion lacrymale; enfin le vomissement entre en scène, impétueux et conlinuel, alimen- taire d'abord, muqueux ensuite, de telle sorte qu’en peu de temps l'animal évacue totalement son contenu gastrique, et on observe des hématuries précoces. Si la dose a été modérée, le chien se rétablit assez vite de cette violente attaque, qu’on peut comparer à un empoisonne- ment produit par un vomitif énergique; mais si la quantité de toxine est forte (150-200 c. c.) ou si elle est répétée les jours suivants, en l’augmentant progressivement, le chien finit par succomber, en présentant les mêmes lésions anatomiques que nous avons décrites comme étant produites par le virus vi- vant. Ces lésions sont habituellement les suivantes : fhorax avec exsudat séreux parfois abondant (60-100 c. c.) constitué en graude partie par un liquide transparent, de couleur rouge- vin (hémoglobinique); dégénérescence graisseuse du myocarde. — Abdomen : foie desséché, avec de grosses taches de couleur jaunâtre, que l'examen microscopique montre constituées de cellules hépatiques complètement dégénérées en graisse, et d'innombrables gouttes de graisse libres; rate d'aspect nor- mal ; les reins présentent les signes de la néphrite parenchyma- teuse aiguë; la vessie est contractée et contient quelques gouttes d'urine albumineuse ou hématurique. — La muqueuse gastrique a une teinte brunâtre, et son contenu, comme celui du canal in- teslinal, est constitué par du liquide couleur café. Le résultat de l'examen bactériologique est aussi intéressant. IL est rare que le sang et les viscères des chiens qui meurent d'intoxication, surtout si celle-ci a duré quelques jours, se mon- trent stériles. Presque toujours, on obtient des cultures très abondantes de streptocoques, plus rarement de colibacilles ou de Staphylocoques dorés. On constate en un mot une analogie com- plèle avec ce que nous avons signalé chez l’homme. Dans un prochain chapitre, nous nous occuperons du méca- SUR LA FIÈVRE JAUNE. 677 nisme de ces infections secondaires, siintéressantes au point de vue clinique et au point de vue bactériologique. L'INTOXICATION CHEZ LE CHAT, LA CHÈVRE, L'ANE ET LE CHEVAL Le chat est très résistant à l’action du virus, de même qu’à celle de la toxine ictéroïde. On peut lui injecter des doses vraiment formidables, aussi bien de l’un que de l’autre, sans obtenir d’autre résultat qu'une diminution de poids plus ou moins accentuée, suivie d’un pro- cessus inflammatoire au point d'injection. Cet animal doit donc être considéré comme le plus réfrac- laire parmi ceux que j'ai eu l’occasion d’expérimenter jusqu'ici. En ce qui regarde la chèvre, l'âne et le cheval, mes recher- ches n’ont pas été faites d’une manière systématique, mais j'ai pu étudier l’action du poison amaril chez eux pendant les essais multiples de vaccination que je pratique depuis longtemps, et qui ont été suivis parfois de la mort de ces animaux. La chèvre est très sensible au virus de même qu’à la toxine amarile. Nous avons vu que depetites doses de virus suffisent pour tuer une grande chèvre adulte. Par rapport à la toxine, il est impossible d'établir une mesure fixe. J'ai vu quelquefois de petits chevreaux tolérer plusieurs jours de suite des doses très fortes (15-20 c. c.) de toxine, sans pré- senter autre chose qu'un amaigrissement passager, tandis que des chèvres adultes et en excellent état de santé ont succombé après l'injection sous-culanée de pelites doses fractionnées. Voici, par exemple, le résultat intéressant d’une de ces intoxi- calions chez la chèvre, suivie de mort. Chévre adulte n° 2; kg. 20. Le 2 et le 5 août 1896, elle fut inoculée sous la peau avec 1 c.c. de ceul- ture filtrée. Elle présenta localement une lègère tuméfaction avec endoloris- sement manifeste de la région; le 8 août elle reçut 2 autres c. ec. ; le 11 du même mois, 3 c.c.: le 13 et le 17, 5 autres c.c.; enfin le 19 et le 21, 41 e.c.; elle avait donc reçu en 18 jours, 37 c.c. de culture filtrée. Mais le jour même de la dernière injection elle tombe malade et imeurt pendant la nuit. Le résultat de l’autopsie fut le suivant : Thorax : 500 c.c. d’exsudat séreux, transparent, sans leucocytes, de couleur rouge-vin, dans 678 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. les deux cavités pleurales : cet exsudat contient 2,70 0/00 d'urée, c'est-à-dir°® la même quantité que dans le sang des animaux néphrotomisés. Etudié au point de vue biologique, eu l’ajoutant dans la proportion de 1 : 5 à un bouil- lon-culture frais de bag. ictéroïide, il produit en 4 h. 30 l’immobilisation et l’agglutination de tous les microbes. Le foie présentait, au microscope, l'aspect de la noix muscade; les prépa- rations, faites par dilacération dans l’acide osmique, démontrérent une dégénérescence graisseuse complète de toutes les cellules hépatiques. Les lésions de l'organe fixé dans le liquide de Flemming sont identiques à celles qui se trouvent indiquées dans une des planches qui accompagnent le pré- sent Mémoire. La rale était de volume normal, mais moins compacte et résistante qu'à l'ordinaire. Les reins étaient atteints d’un processus inflam- matoire tellement intense qu’à la surface de la coupe on ne distinguait plus la partie corticale de la partie médullaire, sinon qu'elle présentait une cou- leur lie de vin; les préparations à frais dans l'acide osmique révélèrent aussi la présence dans le rein d’une certaine quantité de gouttes de graisse. Les coupes pratiquées sur des morceaux fixés dans le liquide de Flemming révèlent, comme lésion fondamentale et très diffuse, une nécrose de l'épithé- lium des canalicules urinaires, à cause de laquelle cet épithélium parait trouble, granuleux, sous forme de mottes, et ses cellules privées de noyaux ou avec des noyaux incapables de se colorer. La vessie, fortement contractée, présentait plusieurs taches ecchymotiques et contenait environ 10 c.c. d'un liquide couleur rouge-sang. L'examen microscopique démontra l'absence complète de globules rouges, mais l'examen à l'hémomètre de Fleischl donna un contenu d'hémoglobine égale à 30 0/0. Les intestins se trouvaient en grande partie congestionnés, hyperhémiés el ecchymotiques. Le poids du cadavre était de kg. 15,371; la diminution dans les 18 jours avait donc éte de kg. 4,630. Les recherches bactériologiques furent négatives. En résumé donc, nous pouvons conclure que chez la chèvre la (oxine ictéroïde reproduit exactement, à l’exception du vomito. les mêmes altérations que nous avons déjà signalées chez le chien et chez l’homme. Il faut surtout remarquer chez la chèvre la grande tendance à l’hématolyse (exsudats hémoglobiniques, hémoglobinurie) et l'extrême sensibilité du rein à la toxine. La mort de l'animal est donc due en grande partie aux profondes lésions du rein; la quantité considérable d’urée qu’on trouve dans les humeurs de l'organisme témoigne en faveur d’une intoxication urémique. Je n’ai expérimenté que sur un seul âne. Il s'agissait d'une vigoureuse ânesse créole qui fournissait de grandes quantités de lait. SUR LA FIÈVRE JAUNE. 679 Le 26 décembre 1896, on lui inocula sous la peau 5 c.c. de toxine filtrée. Le lendemain, une large tuméfaction douloureuse parut au point d'injection. Après deux jours, quelques gouttes de sang commencèrent à couler des têtins des mamelles gonflées, et l'animal se montra triste, abatlu et inappétent. La température rectale avait monté de 3802-3806" à 400, Le 2 jan- vier1897,latempératureétant devenue normale, l'ânesse fut inoculée denou- veau avec 10 c.e. de toxine. La tuméfaction se renouvela au point d'injection et le lait commença à disparaître des mamelles. Le 5 du même mois, nouvelle inoculation de 15 c.c. de culture filtrée, et, le 8, nouvelle injection sous- cutanée de 5 c.e. de culture en bouillon, stérilisée avec de l'éther. La dispa- rition du lait devint alors complète, et les tuméfactions localisées au point d'injection se manifestèrent avec une intensité relative. L Le 12 janvier, à 3 h. s., après avoir par conséquent reçu en tout 30 c.c. de culture filtrée et 5 c.c. de culture stérilisée avec de l’éther, la bête fut inoculée par voie intra-veineuse avec 10 c.c. de culture en bouillon, stéri- lisée avec de l'éther. Aussitôt après l'injection, l'animal éprouva de la dyspnée qui disparut bientôt; mais, pendant la nuit, il mit bas un petit embryon, long d'environ 8 centimètres, et mourut vers la pointe du jour. Les résultats de l’autopsie, faite le matin de bonne heure, furent les sui- vants : Thorax : exsudat séro-hémorragique dans les deux cavités pleurales. -— Abdomen : foieun peu dégénéré en graisse; l'examen microscopique à frais, avec de l’acide osmique, montre les cellules hépatiques remplies de petites granulations graisseuses; la rate est de volume normal, mais flasque et friable; les reins présentent les signes d’une néphrite aiguë diffuse, très grave; la vessie est contractée et contient une petite quantité d'urine, de couleur rouge, et où l'examen microscopique démontre la présence d'une énorme quantité de leucocytes, de globules rouges et de cellules épithéliales ; le chauffage en détermine la coagulation en bloc, comme s'il s'agissait d’albumine pure. La cavité péritonéale contient une abondante quantité de sérosité limpide, mais colorée en rose. La muqueuse de l'estomac et des intestins se trouve par places considérablement congestionnée. L'analyse chimique du sang y révèle 1,29 0/00 d'urée. Le résultat bactériologique fut le suivant : le sang, la rate et les reins se montrèrent stériles, mais le foie contenait une certaine quantité de coliba- cilles et de staphylocoques dorés, et l'urine présentait une très grande quantité de staphylocoques blancs et dorés, mêlés à trois autres espèces microbiennes indéterminées. Par conséquent, le même mécanisme pathogénique habituel se renouvelle chez l'âne : processus inflammatoire et dégéné- ratif du foie et des reins ; lésion des muqueuses ; phénomènes hémorragipares dans les parenchymes, les cavités séreuses, les muqueuses, les organes glandulaires (mamelles), et enfin le tableau final dominé par Los tien SEÉTHUNE et l'invasion des microbes dans l’organisme. - 680 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Passows enfin aux effets de la toxine chez le cheval. Nous serons très bref sur ce point, parce que, ces animaux élant destinés à la production d’un sérum spécifique, nous nous occuperons ailleurs des effets produits sur eux parles inoculations de toxine ictéroïde. Le cheval est extraordinairement sensible, même à l'injection de petites quantités de toxine. L'injection sous-cutanée, même de petites doses de culture filtrée (5-10 c.c.), détermine toujours une forte tuméfaction locale, suivie de fièvre, qui dure 12-24 heures, Cette tuméfaction est excessivement douloureuse et lente à disparaître. Lorsque l'injection est plus abondante, ou qu’au lieu d'injecter des cultures filtrées, on injecte des cultures stérilisées avec de l’éther, qui sont beaucoup plus actives, la tuméfaction produite devient volumineuse et est constamment suivie de l'apparition de vastes œdèmes sous-culanés, qui s'étendent dans les parties déclives du ventre, atteignent les membres, et finissent parfois par gêner pendant plusieurs jours les mouvements. Presque toujours, à la surface de la peau anormalement dis- tendue, apparaissent des ulcérations sanguinolentes qui suppu- rent et qui guérissent difficilement. Ces œdèmes, de même que les tuméfactions qui se produisent au point même d'injection, ne disparaissent qu'après plusieurs jours, durant lesquels les animaux présentent très souvent une fièvre presque continue. Les injections intraveineuses sont mieux tolérées, mais elles ont de graves inconvénients. Après chaque injection, l'animal présente régulièrement un fort accès de dyspnée, et est atteint d'un tremblement général qui l’oblige à se coucher. La fièvre apparaît, et l'animal reste un peu abattu pendant quelques heures. Mais, le lendemain, la température revient à l’état normal, etil n’y a d'ordinaire aucun incident à déplorer. Pendant mes expériences, cependant, j'ai perdu quelques chevaux, dont un appartenant à la race créole, qui résiste bien moins que la métisse aux toxines en général et aux toxines diphtérique et amarilligène en particulier. L'autopsie très sommaire de ce cheval créole, qui avait eu avant la mort quelques rares entérorragies, montra une forte SUR LA FIÈVRE JAUNE. 681 tuméfaction de la rate, une légère dégénérescence du foie, la néphrite, l’albuminurie et quelques signes d’entérite. Jen'ai pas cru nécessaire d’insister davantage sur ces recherches, qui ne donnent autre chose que la reproduction plus ou moins atlénuée des lésions que nous avons déjà étudiées avec le virus. Ce qui appelle l'attention avant tout, c’est la façon différente dontle poison ictéroïde se comporte suivant qu’on l’in- jeete sous la peau ou directement dans le sang. On voit se répéter chez l’homme, d'une manière encore plus _évidente, ce caractère imposant des phénomènes locaux, que nous avons déjà signalé, surtout chez le chien et le cheval. La toxine amarile est donc un poison cellulaire extraordinai- rement actif, comparable seulement, par quelques points, à la toxine diphtérique. Son contact avec les éléments de l'organisme animal, surtout dans les espèces élevées, détermine en effet, comme celui de la toxine diphtérique, une violente irritation, suivie de processus régressifs qui finissent toujours par la nécrose et la dégénéres- cence graisseuse du protoplasma. Ceciexplique la génèse de cette stéalose diffuse, qui caracté- rise d’une manière si constante la fièvre jaune de l’homme et des animaux supérieurs. Ceci explique aussi pourquoi les injections sous-cutanées du poison déterminent des phénomènes généraux bien moins intenses que ceux qu’on provoque avec la même dose injectée dans les veines. Il est très probable que les propriétés extraordinairement irritantes du poison sont un obstacle indirect à son absorption rapide par l'organisme, à cause des graves désordres circulatoires et nutritifs qu’il détermine dans les tissus avec lesquels il se met en contact. Il est probable aussi qu'une bonne partie du poison s'épuise dans les processus nécrotiques qu'il provoque dans ses premières voies de diffusion. On peut établir aussi que les phénomènes les plus saillants de la fièvre jaune : le vomito-negro et l'entérorragie, ne sont nulle- ment dus à l’action du virus spécifique qui existerait dans la cavité intestinale, mais qu'ils se produisent en vertu des éner- giques propriétés inflammatoires, dégénératives, hémorragipares et émétiques du poison spécifique et circulant dans le sang. 682 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Il s'agit donc d’une véritable gastro-entérite hématogène. Les propriétés dégénératives atteignent le maximum de leur action spécifique sur la cellule hépatique. Après le foie, un autre organe est atteint précocement dans la fièvre jaune de tous les animaux supérieurs et surtout de l’homme, c’est le rein. En effet, l'albuminurie est un des signes les plus précoces de l'amarilisme, et la néphrite parenchymateuse, révélée par l’anurie qui annonce presque infailliblement le terme fatal de la maladie, indique le début de cette intoxication urémique que nous avons également reproduite systématiquement, avec de petites doses de toxine, chez les animaux supérieurs et chez l'homme. Il est en effet très probable que la cause immédiate de la mort, dans la plupart des cas de fièvre jaune, est précisément l'insuffisance rénale, qui favorise la rétention dans le sang des substances extractives, normalement éliminées avec les urines, et qui sont, comme on le sait, très nuisibles à l’organisme. Les quantités d’urée, qui sont de beaucoup supérieures à celles qu'on rencontre normalement dans le sang (0 gr. 189 0/00 d'après Gréhant‘) sont encore un signe de cette intoxication. Comme la symptomatologie de l'intoxication urémique présente beaucoup d’analogies avec le tableau clinique de la fièvre jaune (céphalalgie, délire, dyspnée, vomito, stomatite, diarrhée, etc.), et que, d'autre part, le rein est un des premiers organes invariablement attaqués par la toxine ictéroïde, il est très difficile d'établir, « priori, quels sont, dans la seconde période de la maladie, les symptômes dus à l'insuffisance rénale et ceux produits par le poison amarilique. Il est très probable, cependant, qu'une bonne partie de la symptomatologie amarile est produite plutôt par l'insuffisance rénale que par le poison spécifique. En effet, nous avons vu que chez les petits rongeurs, où l'insuffisance rénale n’a jamais lieu, la maladie expérimentale se développe cycliquement comme chez l'homme, mais sans repro- duire un seul des multiplessymptômes cliniques quiaccompagnent la fièvre jaune des animaux supérieurs, où la lésion du rein constitue un phénomène des plus précoces. {. La quantité la plus élevée observée par le même auteur dans ses expériences de néphrotomie a été celle de 2 gr. 76 0/00, quantité inférieure à celle que nous avons trouvée plusieurs fois, dans nos expériences, chez les animaux supérieurs et chez l’homme. SUR LA FIÈVRE JAUNE. 683 IV LES INFECTIONS MIXTES DANS LA FIÈVRE JAUNE Nous avons vu que, dans presque tous les cas de fièvre jaune, l'invasion de certaines espèces microbiennes est si rapide et si imposante, même pendant la vie, qu’on doit se demander comment se comporte le buc.ictéroïde en présence de cesnouveaux hôtes, qui se multiplient si librement dans son domaine primitif. De l’ensemble des observations et des recherches, contenues dans mes deux mémoires, il résulte qu’on peut établir trois types bactériologiques différents de la fièvre jaune chez l'homme. Le premier type est celui qui se reproduit exactement et constamment dans nos expériences de laboratoire, surtout chez les cobayes, les lapins et parfois chez le singe. Le bac. ictéroïde, après s'être cantonné dans un viscère, pour y produire, pendant la période cyclique classique, son poison spécifique, se multi- plie tout à coup vers la fin de cette période, et envahit tout l'organisme, seul ou accompagné de quelque autre microbe, et tue le patient. Le second lype est représenté par ces cas où le cadavre pré- sente l'aspect d’une septicémie pure ou d’une infection mixte générale, avec disparition (?) ou extrème rareté du bacille spéei- fique, comme si les infections secondaires avaient précédé le moment où se produisent sa multiplication et sa diffusion dans l'organisme. Cette conception serait en effet d'accord avec les résultats bactériologiques du troisième type, dans lequel l’organisme est presque stérile, et la mort peut ètre considérée comme étant due plutôt à l'insuffisance rénale. Mais l’on doit se demander si l'irruption des microbes étrangers dans le sang et la formation consécutive des subs- tances toxiques spécifiques, ne pourraient pas suffire à elles seules pour déterminer la disparition totale ou partielle du bac. icléroïde, en atténuant son pouvoir végétatif ou en le tuant direc- tement. Nous avons en effet vu plus d’une fois que le bac. ictéroïde, à peine isolé, surtout s’il se trouve en petit nombre et mélé à 684 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. d’autres espèces microbiennes, éprouve d’abord de grandes diffi- cultés pour se développer dans le bouillon peptonisé simple. Il était donc intéresssant d’éludier les rapports réciproques entre ce bacille et les microbes des infections secondaires chez l’homme et chez les animaux supérieurs : colibacille, streptocoque, staphylocoque doré et proteus vulgaris. On peut distinguer, conventionnellement, deux formes d’an- tagonisme entre les diverses espèces microbiennes : un «ntago- nisme vital, qui se révèle quand une espèce ne peut vivre ou prospérer là où vit et prospère une autre, et un antagonisme chimique, qui se manifeste quand une espèce ne peut vivre ou prospérer là où a vécu et prospéré une autre. Ces deux formes de manifestations de l’antagonisme micro- bien ne sont pas dues à une même cause, car un germe qui ne peut ni vivre ni prospérer là où vivent d’autres microbes, peut très bien prospérer dans leurs cultures stérilisées ‘. Nous allons voir que les expériences in vitro rendent néces- saire une pareille distinction. Pour étudier l’antagonisme chimique, j'ai procédé de Ja manière suivante : après avoir fait développer pendant trois jours à l’étuve, sur de la gélose solidifiée obliquement, les cultures des microbes à expérimenter, j'ai liquéfié de nouveau le milieu nutritif, en le stérilisant en mème temps, et en le resolidifiant ensuite. J'ai ensuite cultivé les diverses espèces sur ces nou- veaux milieux en faisant une série complète de combinaisons. Le résultat d'ensemble de ces recherches est résumé sommai- rement dans le tableau suivant. Le nombre des + indique l’in- tensité des cultures développées. ET ENSUITE RESOLIDIFIÉES, DES MICROBES SUIVANTS : STAPILYLOCOQUE DORÉ | BAC. ICTÉROIDE COLI-BACILLE PROTEUS VULGARIS Staphylocoque doré. | + + — + + + Bac. ictéroïde...... + + + + + + + Colibacille . ........ NE == + SE 4 Proteus vulgaris... | + — "traces TE 1. Voir : De Graxa. Ueber das Verhalten, etc. (Zeilschr. für Hygiene, 1892, VI, p. 207 et suiv.) SUR LA FIÈVRE JAUNE. 685 On voit que les produits solubles du bucille ictéroïde sont ceux qui empêchent le moins le développement de tous les autres microbes, tandis que ceux du proteus vulgaris semblent être les plus toxiques et les plus nuisibles. Ce dernier et le staphylocoque doré se développent en effet très bien là où se sont développés tous les autres et, surtout, là où s’est développé le bac. ictéroïde. Celui-ci, au contraire, est incapable de vivre là où existent des produits solubles des staphylocoques, des colibacilles et des proteus. Il s'ensuit de lout cela qu'en face des différents microbes que nous avons examinés, le bac. ictéroïde se trouve toujours dans des conditions biologiques de résistance absolument inférieures. Il est donc possible qu’une des causes qui rendent difficile à isoler le microbe spécifique des cadavres d'individus morts de fièvre jaune, soit précisément l’énergique action bactéricide des produits toxiques élaborés dans l'organisme lui-même par les autres microbes, agents d'infections secondaires. Comme beaucoup de malades de fièvre jaune succombent réellement tout d’un coup par septicémie à streptocoques, à coliba- cilles, ete., la multiplication rapide de ces microbes doit inonder l'organisme d’une quantité de produits toxiques, suffisante pour tuer ou atténuer les quelques microbes spécifiques situés dans quelque viscère, et qui ne sont pas encore parvenus à leur période de multiplication active. Quant à l’autre forme d’antagonisme, l’antagonisme vital, 1l est facile de le mettre en évidence, soit en cultivant en même temps deux ou plusieurs espèces microbiennes dans un même milieu nutrilif, soit en les ensemençant en croix sur une plaque de gélose déjà solidifiée, La première méthode n’est facile à appliquer qu'entre deux microbes morphologiquement très différents l'un de l’autre, comme par exemple, entre le streptocoque et le bac. ictéroïde. En ce qui regarde la manière de se comporter de ces deux microbes, mes recherches ?x vitro ont donné les résultats sui- vants : 1° sur les tubes de gélose stérilisés et resolidifiés, après y avoir cultivé pendant sept jours le bac. ictéroïde, le streptocoque se développe bien plus rapidement et plus abondamment que sur des tubes neufs de gélose ensemencés pour contrôle; 2° en cul- üvant ensemble, dans un mème tube de bouillon lactosé, le bac. 686 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ictéroïde et le streptocoque, ce dernier s’y développe en plus grande abondance et forme des chaînes extraordinairement plus longues que celles qu'on observe dans les tubes de bouillon. lactosé, ensemencés pour contrôle, comme ci-dessus; 3° en ensemençant le bac. ictéroïde dans de vieilles cultures de streplo- coque (4, 6, 13 jours), en bouillon lactosé non stérilisé, et dans lequelles les chaînettes sont complètement déposées au fond et laissent au liquide sa transparence, le bacille ne s’y développe pas du tout, et n’allère en rien cette transparence ; 4° en ense- mençantle streptocoque dans de vieilles cultures (de 11 jours). non stérilisées, de bouillon lactosé, où s'est développé le bac. ictéroïde, le streptocoque s'y développe rapidement et abondam- ment en formant des filaments d’une longueur extraordinaire ; »° en cultivant ensemble le bac. ictéroïde etle streptocoque dans du bouillon simple peptonisé, où ce dernier croît bien plus diffiei- lement que dans les bouillons sucrés, le bac. ictéroïde s’y déve- loppe en plus grande abondance, en prenant le dessus sur Île streplocoque. On en déduit comme conclusion : 1° que lorque les condi- tions de développement sont égales, le streptocoque prend tou- jours le dessus sur le bac. ictéroïde : 2° que le streptocoque peut se bien développer là où s’est développé le bac. ictéroïde, tandis que le contraire a lieu pour ce dernier. Mais un antagonisme vital, plus développé encore que celui du s{reptocoque, est celui du staphylocoque doré avec le bac. icté- roïde. Pour le démontrer d’une manière évidente, il suffit de faire deux en semencements en croix, en strie, sur une plaque de gélose, avec le fil de platine trempé successivement dans une culture en bouillon des deux microbes. Quelle que soit la manière dont l’ensemencement a été elfec- tué, le staphylocoque doré se propage et envahit systématiquement la ligne d’ensemencement du bac. ictéroïide, de telle sorte qu'après 21 heures, la plaque de gélose, au lieu de présenter deux stries perpendiculaires, l’une jaune et l’autre gris irisé, présente une croix complètement jaune. J'ai essayé de faire les ensemencements en croix, en mettant 24 heures entre l’un et l'autre, ou en faisant les ensemencements dans un ordre inverse, mais j'ai toujours obtenu les mêmes SUR LA FIÈVRE JAUNE. 687 résultats : lorsque le staphylocoque doré arrive à s’unir avec une culture de b. ictéroide, il l'envahit totalement et la supprime presque sous son développement luxuriant; cette dernière espèce au contraire, à mesure que sa ligne de prolifération s'approche de celle du staphylocoque, présente un développement de plus en plus limité et chétif. Il existe donc entre le b. ictéroïde et le staphylocoque doré un antagonisme vilal très prononcé, à l'avantage complet du second. Après le staphylocoque et 1e streptocoque, j'ai voulu voir com- ment le colibacille se comporte vis-à-vis du b. ictéroïde. Il est superflu de rappeler que le colibacille ne présente aucun antagonisme avec le staphylocoque doré : les deux espèces peuvent se développer parallèlement, pêle-mêle et indépendamment, aussi bien dans les cultures en bouillon que dans les ensemen- cements faits en croix à la surface des plaques de gélose. Mais entre Le b. ictéroïde et le colibacille se révèle un antago- nisme manifeste, quoique moindre que celui déjà signalé entre le staphylocoque et le b. ictéroïde. En effet, en ensemençant en croix sur les plaques de gélose le b. ictéroïde et le colibacille, on obtient toujours trois bras occupés par le dernier et ## seul bras occupé par le premier. On reconnaît parfaitement, même sans recourir aux trans- ports dans le bouillon lactosé (lesquels décident toujours rapi- dement un doute quelconque), les bras occupés par le cohibacille, parce qu'ils sont plus larges, plus découpés et plus abondants que ceux occupés par le b. ictéroïde. Tout cela explique suffisamment les résultats négatifs de la recherche du b. ictéroïde sur le cadavre, mais ne nous dit pas pourquoi les invasions secondaires sont si constantes dans la fièvre jaune. C'est un point sur lequel mes essais n'ont donné aucune lumière. Nous avons vu pourtant que, avec le cobaye et le lapin, quelle que soit la durée de la maladie, le bac. ictéroïde se rencontre à l’état de pureté absolue dans le cadavre. Chez le chien, la chèvre et le singe, au contraire, on trouve fréquemment le bacille spécifique mêlé au sreplocoque, au colibacille où au staphylocoque. * Enfin, dans une de mes expériences sur l’homme, l'injection du poison amaril a été capable de déterminer la présence du coli- 688 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. bacille dans les reins. Or, la seule distinction fondamentale entre les lésions anatomiques dans ces divers cas est la lésion hépatique. En effet, dans la cellule hépatique de la chèvre, du chien, du singe et de l’homme, le poison amaril détermine une profonde lésion dégénérative, tandis qu'il n’exerce presque pas d'action hépatique chez les petits rongeurs. C’est peut-être pourquoi, chez les premiers, l'infection secondaire spontanée est fréquente, et, à cause de cela, le cours de la maladie est subordonné à d’autres facteurs, tandis que chez les seconds, l'infection secondaire ne se fait point, et la maladie y accomplit régulièrement son cycle évolutif. La lésion spécifique de la cellule hépatique serait alors la cause principale des invasions microbiennes secondaires cons- tantes, dans une maladie caractérisée par les profonds processus dégénératifs du principal organe de la défense, principalement contre les invasions des microbes intestinaux. V LA FIÈVRE JAUNE A BORD DES NAVIRES La propagation maritime de la fièvre jaune est désormais un fait solidement établi. La manière dont cette maladie se comporte à bord des navires diffère de celle du choléra, en ce que ce dernier, une fois introduit à bord, éclate en frappant rapidement tous ceux qu'il doit, dirait-on, frapper. Mais, cela fait, les vibrions cholé- riques semblent ne pas rencontrer, dans les conditions ordi- naires du milieu nautique, un terrain bien favorable à leur existence. et si de bonnes mesures de désinfection interviennent, la maladie s'éteint. La fièvre jaune, au contraire, une fois installée à bord d’un navire, s'y maintient longuement, surtout dans la cale, les magasins, les marchandises, dans tout endroit fermé et étroit. C’est, en effet, une notion courante que les navires vieux et usés sont les plus faciles à infecter, et les plus impropres au service des pays où la fièvre jaune est endémique. Les auteurs qui s'occupent d'hygiène navale considèrent comme type de SUR LA FIÈVRE JAUNE. | 689 bâtiment à fièvre jaune les navires insuffisamment aérés, munis d'ouvertures trop étroites, où stagne en haut de l'air vicié, au fond de l'humidité fétide. | Humidité, chaleur, obscurité et manque d’aération semblent donc les coefficients les plus propres pour la conservation du bac. ictéroïde. Mais ils n’ont rien de spécial pour ce microbe, et il faut chercher ailleurs. Un fait, que j'ai souvent observé, m'a mis sur la voie d’une explication. J’ai vu, à diverses reprises, que de la gélatine, même largement ensemencée avec du bac. ictéroïde, restait stérile, alors que des géloses, ensemencées simultanément, se peu- plaient. Mais si une moisissure y pénétrait avec le temps, et y développait son mycélium, autour de celui-ci apparaissait im- médiatement, dans la gélatine, une couronne de petites colc- nies punctiformes, appartenant au bac. ictéroïde. À mesure que la moisissure croît, ces colonies deviennent de plus en plus nombreuses, et la zone qu’elles occupent s'étend rapidement autour du buisson formé par la moisissure. Après quelques jours, les plaques présentent un aspect extré- mement curieux. Autour de chaque moisissure les colonies du bac. ictéroïde constituent une espèce de constellation, d'autant plus nombreuses qu’elles se trouvent plus près du siège occupé par la moisissure. Ce rayon d'influence de la moisissure est plus ou moins étendu, suivant sa nature et l’espace qu’elle occupe, mais il est toujours parfaitement régulier. Cette propriété favorisante des moisissures pour le bacille ictéroïde peut aussi être démontrée expérimentalement, en ensemençant directementlesspores d’une moisissure quelconque au milieu d’une plaque de gélatine, ensemencée précédemment avec des microbes ictéroïdes, mais restée depuis longtemps tout à fait stérile. J'ai vérifié le fait avec six espèces que j'ai accidentellement isolées au laboratoire, et qui se sont montrées, bien qu'à un degré différent, également capables de favoriser la reviviscence et la multiplication des microbes ictéroïdes. Cet étrange phénomène de parasilisme est peut-être la cause principale de l’acclimatation facile de la fièvre jaune à bord des navires. La légendaire chaleur humide et le manque de ventila- tion seraient alors des conditions directement favorables au déve- 44 690 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. loppement des moisissures, etindirectement favorables à la vitalité des bacilles ictéroïdes. Ce phénomène de commensalisme, analogue à celui que M. Metchnikoff a déjà signalé depuis longtemps pour le vibrion cholérique, explique aussi beaucoup d’autres observations pra- tiques bien connues, que nous fournit l’histoire épidémiologique de la fièvre jaune, et sur lesquelles je crois inutile de m'’étendre davantage. VI RÉSISTANCE DU BACILLE ICTÉROIDE AUX AGENTS PHYSICO-CHIMIQUES NATURELS Dans le but de compléter nos connaissances sur la biologie d’un microbe contre lequel on devra désormais établir, sur des bases scientifiques, une défense active dans toutes les localités infestées par la fièvre jaune, j'ai cru utile d’y ajouter quelques recherches relatives à sa résistance à la chaleur, à la dessiccation, à la lumière et à l’eau de mer. Une grande partie de ces re- cherches a été exécutée par monexcellentpréparateur M. IL. Puppo, avec toute l’habileté qui le distingue. A). Résistance du bacille ictéroïde à la chaleur humide. — La méthode suivie est celle qui est employée dans tous les labora- toires; elle consiste à chauffer au bain-marie depetits tubes de verre mince contenant des bouillons-cultures du bacille ictéroïde. Les résultats obtenus sont résumés dans le tableau suivant : RÉSULTATS DES CULTURES FAITES APRÈS L'ACTION DURÉE DE L'ACTION DES TEMPÉRATURES SUIVANTES ! DE LA CHALEUR 500 550 600 650 Re 2 RE MR RE 0 a ES 0 (contrôle) - 4 4 minute at 2, 3 minutes = ee | +HHH+LEEE Rene | | | . SUR LA FIÈVRE JAUNE. 691 Ceci démontre que l’agent spécifique de la fièvre jaune, comme ceux de la diphtérie, de la morve, du typhus, du choléra, etc., résiste peu à l’action de la chaleur humide. En effet, la tempé- rature relativement peu élevée de 60° le tue en quelques instants, et celle de 65° le tue immédiatement. B). Résistance du bacille ictéroïde à la chaleur sèche. — Gette série de recherches a été exécutée avec des fils de soie trempés dans des bouillons-cultures, puis desséchés dans l’étuve à 37°, et enfin soumis à la chaleur sèche dans une stérilisatrice ordi- naire à l’air chaud. L’extraction de chaque fil de soie de l’étuve, à mesure que la chaleur augmentait lentement de 5 en 5 degrés, était effectuée de manière à ne pas arrêter ni abaisser sensiblement la tempéra- ture de l'appareil. Les résultats des ensemencements, confirmés à plusieurs reprises, ont démontré que le bacille ictéroïide, exposé à la chaleur sèche, meurt seulement entre 120° et 1250 C. Il faut 1 heure et 10 minutes pour le tuer à la température de 100°. C). Résistance du bacille ictéroïde à la dessiccation. — Ces recherches présentent un grand intérêt épidémiologique, dont il est superflu d'indiquer la cause. Dans les pays à fièvre jaune, on cite souvent des cas de con- tagion survenus chez des individus qui étaient venus vivre dans un milieu où, plusieurs mois auparavant, avait succombé un malade de typhus ictéroïde. Ces expériences ont été pratiquées, d'ordinaire, avec des fils de soie exposés, dans une boîte de Petri stérilisée, à la tem- pérature de l’étuve et à celle de l'air ambiant. Les ensemencements avec des fils exposés à la dessiccation, à la température de 37°,5, commencèrent à se montrer stériles après 37-35 jours. Après 40 jours, 8 fils sur 20 devinrent stériles. Après 50 jours, tous les fils étaient complètement stériles. Les ensemencements avec des fils desséchés dans l’étuve à 31° pendant 24 heures, et exposés ensuite à la tempé- rature variable extérieure, sont toujours restés positifs, même après 164 jours (du 23 octobre 1896 jusqu’aujourd’hui 12 mars 1897). Ceci nous autorise à croire que la dessiccation spontanée à la 692 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. température d'ordinaire laisse au bacille ictéroïde une vitalité extrémement considérable. D). Résistance du bacille ictéroïde à l’action de la lumière solaire directe. — L'action de la lumière solaire directe sur le bacille ictéroïde, cultivé sur des milieux solides et liquides, a donné des résultats toujours inconstants, bien que, dans tous les cas, il y ait eu une stérilisation plus ou moins rapide des cultures. L'in- constance des résultats tient à l’inconstance inévitable des con- ditions de l’expérience. Je puis pourtant dire qu’en opérant sur des fils de soie desséchés au préalable à 37°, et exposés ensuite au soleil, la mort survient en été en un peu plus de 7 heures, la température oscillant au voisinage de 28°. E.) — Résistance du bacille ictéroïde dans de l’eau de mer. — Quand on prend pour cette étude de l’eau de mer naturelle, avec sa population de microbes variés, les conditions de l’expé- rience sont si mal précisées, et les conclusions à en tirer deviennent si incertaines, que j'ai préféré essayer comment se comporte le bacille ictéroïde dans l’eau de mer stérilisée à la chaleur, ou filtrée avec la bougie Chamberland, en la considérant ainsi seulement au point de vue nutritif. Les eaux étudiées furent : celle du Rio de la Plata, prise dans le port de Montevidéo, et celle de la mer, prise dans le port de Rio-Janeiro. La différence de composition chimique est, comme on le comprend, considérable entre les deux eaux. L'eau du Rio de la Plata, près de Montevidéo, est un mélange d’eau douce et d’eau salée. En effet, tandis que l’eau de mer pure à Rio-Janeiro contenait 29, 25 0/00 de NaCI, celle du Rio de la Plata, à l’époque où commencèrent mes expériences, n'en contenait que 5, 67 0/00. | L'eau du port de Montevidéo n’est guère riche en microbes, bien qu’elle reçoive les eaux de rebut de toute la ville : elle n’en contient qu'un minimum de 200 et un maximum de 720 par c. c. Dans cette eau du Rio de la Plata. stérilisée, le bacille ictéroïde vivait encore au bout de 90 jours, quand j'ai dû interrompre ma recherche. Dans cette même eau, filtrée et répartie en trois matras, j'obtins le résultat suivant : Le matras n°1 devint stérile au bout de 37 jours, le n° 2 au bout de 78 jours, le n° 3 au bout de 71 jours. SUR LA FIÈVRE JAUNE. 693 Dans l'eau du port de Rio, filtrée ou non filtrée, le bacille ictéroide peut vivre longtemps : je l'ai constamment trouvé jusqu'au 50° jour. Cette remarquable vitalité du bacille ictéroide dans l’eau de mer, en considérant celle-ci, bien entendu, comme un milieu absolument passif, doit être prise en sérieuse considération dans toutes les questions d'hygiène publique où doit entrer, à un titre quelconque, l’eau de mer. NRE RÉSUMÉ GÉNÉRAL SUR LE PROCESSUS MORBIDE ET SUR L'ÉPIDÉMIOLOGIE DE LA FIÈVRE JAUNE Les résultats de ce second mémoire complètent et confirment, d'une manière définitive, tout ce que nous avons exposé dans le premier, à propos de l’étiologie et de la pathogénie de la fièvre jaune. La valeur de ces résultats est basée principalement sur ce que, en inoculant à différents animaux les produits toxiques du bacille ictéroïde, on obtient les mêmes symptômes et les mêmes lésions anatomiques que nous avons décrites précédemment, comme dus aux microbes vivants. Cela démontre une fois de plus que le tableau de la maladie, aussi bien chez l’homme que chez les animaux, est dû à un pro- cessus éminemment toxique, provoqué par la substance active fabriquée par le bacille ictéroïde et à laquelle nous avons donné le nom générique de poison amaril. Le poison amaril a une action peu marquée et peu caracté- ristique chez les animaux qui, en face du virus vivant, se mon- trent aussi doués d’une réaction peu spécifique : tels sont les pelits rongeurs. Mais, lorsqu'on l’inocule dans l'organisme de l’animal réactif par excellence, le chien, on y provoque tous les symptômes et toutes les lésions anatomiques que nous avons déjà signalés après l'emploi du virus, et qui se retrouvent dans l'infection humaine. L'intoxication amarile du chien reproduit non seulement la symplomatologie et les lésions spécifiques de la fièvre jauné, 694 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. mais détermine l'insuffisance rénale et favorise l'apparition des infections secondaires caractéristiques, de la part d'espèces microbiennes bien connues (streptocoque, staphylocoque, colibacille), en complétant ainsi, avec les résultats chimiques et bactériolo- giques, la reproduction exacte de tout ce que nous avons signalé dans la fièvre jaune chez l’homme :. L'étude de l'intoxication amarile chez la chèvre a mis en évi- dence, d’une façon vraiment surprenante, l’énergique pouvoir hémolytique du poison ictéroïde, en nous donnant enfin une explication plausible de ces suffusions bleuâtres, ardoisées ou rouges brunes, qu'on constate si fréquemment dans le tissu cellulaire sous-cutané des malades et des cadavres de fièvre jaune. | Il est très probable, surtout dans le cas où l’on ne parvient pas à obtenir la réaction des pigments biliaires dans le sang et l'urine, quelapigmentationjaune paille caractéristique de la peau, qui apparaît après la disparition de ces suffusions et, fort souvent, plusieurs heures après la mort, est simplement due à un pro- cessus ultérieur d’oxydation de la substance colorante du sang restée pour imprégner les tissus. Il s'agirait, dans ces cas, d’un ictère hématique, où plutôt hémoglobinique, comme celui qu’on observe très communément dans les cas de destruction globu- jaire exagérée, accompagnée d'insuflisance hépatique (empoi- sonnement par l’oxyde de carbone, par l'hydrogène arsenié, par l’acétylphénylhydrazine, etc.) La néphrite et l’intoxication urémique consécutives dans l’intoxicationictéroïde de la chèvre, ne font que confirmer l’action spécifique de ce poison sur le parenchyme rénal, qui est, après le parenchyme hépatique, celui qui se trouve toujours le plus gravement atteint. L’extrème sensibilité de l’âne pour la toxine spécifique nous a permis d'assister à la manifestation de trois phéno- 1. Quelques expériences, faites pendant la rédaction de ce mémoire, m'ont révélé une méthode aussi simple que sûre, pour déterminer chez les chiens une rapide et intense dégénérescence graisseuse du foie. Cette méthode consiste à injecter, à travers les parois abdominales, directement dans le tissu hépatique, une portion de culture sur gélose, diluée dans quelques c. c. de bouillon. En tuant lanimal au bout de 3-4 jours, on trouve la plus grande partie du foie atteinte de stéatose semblable à celle du phosphore. Les préparations microsco- piques, à frais, traitées ou non avec de l’acide osmique, montrent un véritable mélange de grosses gouttes de graisse et de cellules hépatiques complètement dégénérées. SUR LA FIÈVRE JAUNE. 693 mènes importants : d'eux d’entre eux, l’hématurie et les infections secondaires, sont assez connus et fréquents, mais l'autre; la mastorrhagie, n'avait encore été décrit par aucun auteur, et il représente indubitablement la plus haute manifes- tation des propriétés hémorragipares de l’amarilisme. Quant aux expériences sur les chevaux, on peut dire que, pour le moment, elles n’ont servi qu’à démontrer l'extrême sensibilité de ces animaux envers la toxine ictéroïde, surtout lorsqu'elle est inoculée par voie sous-cutanée. Tous les phénomènes symptomatiques, toutes les altérations fonctionnelles, toutes les lésions anatomiques de la fièvre jaune, ne sont que la conséquence d’une action éminemment sléatogène, émétique et hémolytique des substances toxiques, fabri- quées par le bac. ictéroïde. C’est peut-être par ses symptômes généraux, par ses mani- festations ataxo-adynamiques caractéristiques, par sa tendance aux hémorragies, par l’ictère, etc., que la fièvre jaune a été aussi comparée à l’empoisonnement par le venin de certains serpents. On ne peut donc plus considérer, comme on l’a fait jusqu'ici, les organes digestifs comme le siège central et la porte d’'en- trée du bacille spécifique. Mais alors, il devient difficile de savoir comment ce bacille peut envahir l'organisme. Dans les pays à fièvre jaune, on n’a pas encore recueilli de documents assez démonstratifs pour établir la transmission hydrique. Au contraire, il existe une série imposante de faits qui déposeraient décidément en faveur de la transmission atmo- sphérique. Le seul exemple toujours cité par les auteurs, l’atténuation de la fièvre jaune à Vera Cruz depuis que la ville a été pourvue d’une bonne eau potable, ne peut avoir qu'une valeur tout à fait relative, comme toutes les affirmations de ce genre. La tendance à attribuer l'amélioration sanitaire vérifiée dans une ville à la réalisation d’une seule mesure hygiénique est trop exclusive, car il s’agit presque toujours d’un ensemble d’autres améliorations hygiéniques, qui forcément ont dû la précéder ou l'accompagner. D'ailleurs, la remarquable résistance vis-à-vis de la 696 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. dessiccation dans l’air et du séjour dans l’eau, possédée par le bacille ictéroïde, nous autorise à admettre la diffusion du virus amaril aussi bien par l'air que par l'eau. En outre, l’expérimentation chez les animaux démontre la possibilité de la contagion par les voies respiratoires. Au point de vue du mécanisme de la contagion par la voie hydrique, c’est un fait désormais hors de doute que l’épithélium des voies digestives, lorsqu'il est intact, ne laisse en général passer aueune espèce de germes pathogènes. Mais il faut se rappeler que dans les pays à fièvre jaune, les plus légers troubles des fonctions digestives (abus de boissons alcooliques et glacées, indigestions, abus de fruits, etc.,) surtout chez les nouveaux arrivés, constituent, comme les causes dé- pressives en général, tout autant de « recettes » pour déterminer immédiatement l'entrée en seène de la terrible maladie. in outre, il ne faut pas oublier que les nouveaux arrivés dans les pays tropicaux sont sujets à un léger processus catar- rhal des voies biliaires, lequel, lié à l’inévitable surmenage du foie qui l'accompagne, pourrait aussi faciliter au bac. ictéroïde, arrivé, n'importe comment, à l'intestin, son développement dans un point quelconque de l'organe hépatique. A présent que nous connaissons bien les effets formidables de la toxine, nous pouvons comprendre facilement comment son producteur doit trouver, sans trop de peine, le moyen de résister et de se pro- pager dans n'importe quel organe, où il réussit à pénétrer, avec ou sans autres causes adjuvantes. Rien de plus facile, en effet, que la pénétration du bac. icté- roide jusqu’à l'intestin, du moment qu'il fait déjà partie de la flore microbienne des localités à fièvre jaune. | L’extrême tendance aux lésions de l’organe hépatique repré- senterait donc, dans les pays chauds, non seulement une des conditions les plus facilement prédisposantes à l’amarilisme, mais, une fois celui-ci établi, serait la cause principale de ces infections secondaires qui donnent une physionomie, parfois si étrangement coufuse, aux résultats bactériologiques de la fièvre jaune, et qui contribuent certainement d’une manière considé- rable à augmenter la mortalité épouvantable de cette maladie. Mais il existe un autre phénomène biologique curieux, qui acquiert une valeur immense dans l’épidémiologie de la fièvre SUR LA FIÈVRE JAUNE. 697 jaune. Il s’agit de cette étrange symbiose que nous avons signalée entre le bac. ictéroïide et les moisissures. Ces dernières se sont révélées comme les protectrices natu- relles de l’agent spécifique de la fièvre jaune, car c’est seule- ment grâce à leur intervention que ce dernier peut trouver la force de vivre et de se multiplier, là où l’impropriété du milieu nutritif ou l’action défavorable de températures dysgénésiques lui rendraient l'existence tout à fait impossible. L'intervention de ce facteur, si insignifiant en apparence, constitue peut-être la cause principale de l’acclimatation de la fièvre jaune dans certaines localités. Nous savons, en effet, qu'une des conditions considérées comme indispensables au développement de la fièvre jaune, c’est-à-dire l'humidité, représente, conjointement avec la cha- leur, l'élément le plus propice au développement des moisis- sures. C’est surtout au manque de ventilation et à l’état hygro- métrique excessif de l'atmosphère qu'on attribue l’insalubrité de Rio-Janeiro. Pendant la grande épidémie de fièvre jaune de 1872 à Monte- vidéo, les personnes attaquées avec une préférence inexplicable étaient celles qui habitaient les maisons orientées vers le nord de la ville. Or, aussi bien les maisons que le côté des rues orienté vers le nord se distinguent effectivement à Montevidéo par leur humidité vraiment exceptionnelle. Il est donc probable que le facteur humidité, soit à bord des navires, soit sur les côtes et à l’intérieur des pays, représente le coefficient principal d’un phénomène biologique, plutôt que celte influence météorologique banale, dont le rôle se trouve toujours identique dans l’étiologie de presque toutes les mala- dies épidémiques. D'un autre côté, la remarquable résistance présentée par le bac. ictéroïide contre le facteur principal de la désinfection natu- relle, c'est-à-dire la dessiccation, et sa grande longévité dans l'eau de mer, expliquent suffisamment l’acclimatation facile du typhus ictéroïde et sa persistance opiniâtre dans les localités maritimes infectées par la présence de son agent spécifique. 698 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. EXPLICATION DES PLANCHES PLANCHE XVIII bis ALTÉRATIONS DÉGÉNÉRATIVES DU FOIE ET DES REINS, DANS L'EMPOISONNEMENT ICTÉROIDE ET DANS L'EMPOISONNEMENT PHOSPHORIQUE Fi. 1. — Foie de la chèvre n° 2, morte en 18 jours, après l'injection de 37 e. c. de toxine ictéroïde : 750 diamètres (Zeiss Oc. c. 6. Obj. a. 2, 0 mm). Fixation dans le liquide de Flemming et coloration avec la safranine-acide picrique. Fig. 2. — Rein de la même chèvre (même grossissement et même pré- paration). F1. 3. — Rein de chien mort en 2 jours par empoisonnement phospho- rique (même grossissement et même préparation). Fig. 4. — Foie du même chien (idem). Fi. 5. — Suc hépatique d’un malade de fièvre jaune expérimentale traité avec la toxine ictéroïde, extrait le 14 novembre, au moyen d’une ponction exploratrice, et conservé pendant 12 heures dans une préparalion avec de l'acide osmique (même grossissement). PLANCHE XIX TRACÉS THERMOGRAPHIQUES DE LA FIÈVRE JAUNE HUMAINE NATURELLE ET EXPÉRIMENTALE FiG. 4. — Courbe fébrile d'un premier cas de fièvre jaune expérimentale. FiG. 2. — Courbe fébrile schématique d’un cas mortel de fièvre jaune (d'après les Drs F. Fajardo et C. Selid, de Rio-Janeiro). Fic. 3. — Courbe fébrile d'un second cas. Fi. 4. — Courbe fébrile d'un cas de fièvre jaune à marche très rapide (d’après le Dr Naegeli de Rio-Janeiro). Fig. 5. — Courbe fébrile d’un troisième cas. PLANCHE XX FiG. 4. — Streptocoques cultivés dans une vieille culture de bacille icté- roide. On observe les streptocoques développés en très longues chaînes, entourant les formes involutives caractéristiques du bacille ictéroide. Fi. 2. — Le même streptocoque cultivé dans une culture pure en bouillon lactosé. F6. 3. — Une plaque de gélatine où se manifeste nettement l'action protectrice des moisissures sur le développement des colonies ictéroïdes. Sur la culture de gélatine, où avait été ensemencée depuis plusieurs semaines, mais sans résultat, une abondante quantité de bacilles ictéroïdes, quatre moisissures sont tombées de l'atmosphère et, autour d'elles, les colonies ictéroïdes ont commencé à paraître en grand nombre. BASES PIEYSIQUES DU TRAITEMENT ANTIPARASITAIRE DES PLATES Par M. Le D' M. J. PREOBAJENSKY (de St-Pétersbourg). Les chirurgiens de tous les temps se sont préoccupés de la guérison des plaies, et ont tâché de l'obtenir par des voies bien diverses. Pour ne parler que de notre siècle, nous avons vu se succéder les méthodes de la dessiccation, de l'irrigation continue, du drainage; puis vers 1850 ont fait leur apparition les compres- ses continues, la charpie, les cérats, etc. Ces méthodes donnaient des résultats tantôt bons, le plus souvent mauvais. C’est le pan- sement Listérien, inspiré par les travaux de Pasteur, qui a le premier amené une diminution notable et sûre de la mortalité. Ce pansement a lui-même été abandonné. A l’antisepsie a suc- cédé l’asepsie qui, pratiquement, est évidemment un progrès. Mais, théoriquement, ses bons effets s'expliquent difficilement. D'après Kousnetzoff!, il n’y a guère que 15 0/0 des plaies bien traitées par la méthode aseptique qui soient stériles : les 85 0/0 restantes sont souillées par des microorganismes, souvent par des microbes pathogènes. Pourquoi se ferment-elles par pre- mière intention, sans complication locale ni générale, alors même qu'elles résident dans les régions les plus redoutées des cavités abdominale et articulaires, dans les viscères et dans les centres nerveux? Pourquoi les fautes inévitables commises pen- dant l'opération, par le chirurgien et ses aides, n’ont-elles pas plus souvent des suites funestes ? C’est qu’en dehors de l’action chimique exercée sur les bacté- ries par les substances antiseptisantes, il faut tenir compte d’autres facteurs qui concourent au succès, et auxquels on ne donne pas l'attention qu'ils méritent : ce sont tous ceux qui 1. Traitement antiseptique des plaies, Dissertation, 1894. 700 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR... s'opposent à la pénétration des microbes, provenant de l’exsudat de la plaie et du pansement, dans l’organisme du malade. Il est facile de voir, en effet, que n!1 l’antisepsie, n1 l’asepsie, ne sont une sûre protection contre la présence des microbes sur les surfaces vives de la plaie. Les expériences de Schlange!, de Zeidler * ont montré que les objets de pansement les mieux pré- parés ne sont pas désinfectants ; celles de Miquel et Redard * que l’eau phéniquée à 5 0/0 ne désinfecte que très lentement les instruments souillés de pus, et Schimmelbusch ‘ se demande avec raison d'où vient l'efficacité de nos pratiques les plus per- fectionnées. Bossowsky*, dans la clinique de Mikuliez, a examiné l’exsudat de 50 plaies, traitées à l’acide phénique et à la gaze iodoformée, et n’en a trouvé que 1/5 de stériles, et Bloch a fait des constatations analogues. D'autre part, les antiseptiques, qui se montrent si peu efficaces, peuvent parfois devenir dangereux pour les malades, comme on l’a souvent vu, et on comprend le courant qui a entraîné les chirurgiens du côté de l’asepsie. L’aseptisation, c’est-à-dire la stérilisation complète de tout ce qui est linge, appareils ou instruments, est encore facile. Mais celle du malade l’est beaucoup moins. Je ne compte pas celle du chirurgien et des aides. Quand on songe que toutes les cavités de l'organisme sont habitées, que les microbes sont partout, dans l'air, l'eau et sur les solides, il est difficile de croire qu'on évite leur intervention, malgré toutes les précautions prises. En fait, tous ceux qui ont étudié les plaies au point de vue bactériolo- gique (Budinger ° dans la clinique de Billroth, Mironoff dans la clinique de Fritsch, Lange et Plach * dans la clinique de Kocher) trouvent « qu'aucune méthode de pansement ne peut prévenir la pénétration des microbes dans une plaie ». Quand on songe à la facilité avec laquelle les plaies se ferment après la résection d’une mâchoire, sur la langue, dans la bouche, où les microbes pullulent sans qu’il soit possible de les éliminer, on ne trouve 1. Ucber sterile Verbandstoffe. Verhandl. d. deutsch. Gesellsch. f. Chir., 1887, XVI congrès. 2. Examen bactériologique des objets de pansement, Gaz. des Hôpitaux, 1892. 3. Revue de chirurgie, 1888. 4. Archiv f. Klin. Chirurgie, t. 42, 1891. 5. Wien. med. Wochenschr., 1887. 6. Wien. Klin. Wochenschr., 1892, nos 22, 24 et 25. 1. Centralb. f. Chir., 1892, n° 42, 8. Archiv. f. Klin. Chirurgie, 1892, €. 44, LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 701 rien à répondre aux apôtres du pansement sale, qui montrent à leurs auditeurs des opérés guéris sans aucune complication, malgré les fautes les plus graves contre les règles de l’antisepsie et de l’asepsie. Il doit donc y avoir autre chose, agissant avec eux, mais en dehors d’eux; et c’est ici que nous retrouvons les facteurs étran- gers dont je parlais plus haut. Je les divise en facteurs exté- rieurs, agissant en dehors de l’organisme (objets de pansement et milieu ambiant), et en facteurs internes, qui sont ou bien biologiques (modifications qualitatives des tissus de la plaie), ou bien chimiques (composition du sang ou de la lymphe), ou bien physiques (pression dans les vaisseaux et les espaces inter- cellulaires, phénomènes d’osmose). C'est à la surface de la plaie que ces facteurs entrent en con- cours ou en lutte, et favorisent ou empêchent l'absorption soit des microbes, soit des produits nocifs ou toxiques formés dans l’exsudat. J'ai déjà étudié en 1890 quelques-uns de ces fac- teurs ‘. Je résumerai brièvement mes résultats, en leur donnant une forme différente, d'accord avec la terminologie employée dans ces Annales *?. Quand un corps poreux est mis en contact avec un liquide, il s’en laisse mouiller s’il y a entre eux de l'adhésion moléculaire ; s'il est mouillé, il se laisse imbiber avec une vitesse qui dépend, toutes choses égales d’ailleurs, de sa perméabilité, c'est-à-dire de la dimension de ses pores ou espaces lacunaires. La quan- tité totale de liquide qu’il peut absorber, ou sa capacité d'absorp- hon, est un autre phénomène qui ne dépend que du rapport du vide au plein dans le corps poreux. Toutes ces propriétés ne marchent pas de pair dans les matériaux de pansement. Ainsi l’ouate ordinaire ne se laisse pas mouiller, tandis que l’ouate hydrophile, la charpie s’imbibent très facilement : ces substances ontenoutre une vitesse d'absorption très grande, et s’imbibent très vite, tandis quela tourbe s'imbibe lentement. Enfin, en ce qui concerne la capacité d'absorption, le chanvre n’absorbe que de 2 à 20 0/0 d'eau, tandis que la charpie. la gaze, la ouate en absorbent de 186 à 312 0/0 de leur poids. La nature du liquide joue aussi 1. Propriétés physiques du pansement. Dissertalion, 1890. 2. Voir surtout les Revues criliques de M. Duclaux sur la filtration des eaux potables. 102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. naturellement un rôle, et la quantité de sang absorbé est toujours moindre que la quantité d’eau absorbée pour tous les matériaux de pansement. A ces facteurs, il faut encore ajouter l’hygroscopicité des matériaux de pansement, qui dépend de la température de l’air et de l’état hygrométrique, l’élasticité qui permet l'existence entre les mailles d'un volume d’air assez notable, que de fortes compressions peuvent diminuer, mais n’amènent guère au-des- sous de 80 0/0 du volume total, et on aura une idée des prin- cipaux facteurs qui entrent en jeu dans l’action physique du pansement sur les liquides de la plaie. | Pour montrer d’abord l'influence de ces facteurs dans un cas relativement simple, supposons un tampon d’ouate ou de gaze plongeant par sa partie inférieure dans une collection liquide et abandonné à l'évaporation par sa partie supérieure. S'il s’agit d’aspirer le liquide, le tampon agira d'autant mieux qu'il s’im- bibera plus vite, que le liquide y circulera mieux et qu’il évapo- rera plus activement. Cette évaporation, pour un état hygromé- trique et une température donnée, se fera d'autant mieux que les lacunes aquifères auront une plus graude surface exposée à J’air : c’est la 1 gaze qui se comporte le mieux sous Ce rapport. Mettons à cheval sur les bords d’un vase rempli d’eau un petit écheveau de charpie ou un mince rouleau de gaze, dont le bord libre à l’extérieur est au-dessous du niveau du liquide. L’eau montera par capillarité dans le corps poreux, il s’é- tablira un siphon et des gouttes viendront perler et tomber à l’ex- térieur. Mettons surle trajet du fil un petit fragment de bleu d’ani- line soluble dans l’eau ; la partie au delà du fragment dans le sens du mouvement se teindra seule en bleu. Relevons l'extrémité libre du fil au-dessus du niveau du liquide. Si la vitesse d’éva- poration est suffisante et si le courant de bas en haut qu’elle produit dans le fil a une vitesse supérieure à celle que prendraient LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 703 en sens inverse, les couches bleuies par suite de la diffusion et de leur augmentation de densité, tout se passera comme dans le cas du siphon. Si, au contraire, l’évaporation est gênée, soit que l'air soit saturé de vapeur d’eau, soit qu'on entoure de papier verni où d'un autre protective quelconque l'extrémité non plongée du fil, soit qu’on mette le tout sous une cloche, les couches (fig. 1) bleues voyagent en sens inverse, et le liquide du verre finit par se teinter. Avec la ouate hydrophile qui s’imbibe bien, mais évapore mal, les résultats seront tout autres, et pour ne colorer que la partie au delà du fragment de matière colorante, il faudra éche- veler un peu le bout libre pour augmenter la sur- face d’évaporation (fig. 2). On pourra encore, et le fait est intéressant, activer l’évaporation en saupoudrant l'extrémité libre de substances pul- vérulentes, quise mouillent au contact de la ouate mouillée sileur adhésion moléculaire pour l’eau est plus grande que celle de la ouate, et qui ajou- tent leur évaporation à celle de leur substratum. On peut employer pour cela les poudres antisep- tiques usuelles, insolubles dans l’eau, iodoforme, Fig! 2! charbon, sous-nitrate de bismuth, etc. Compliquons maintenant le phénomène en y introduisant, au départ de l’eau, une action osmotique. De petits sacs de par- chemin remplis d’un liquide colorant, de bleu d’aniline par exemple, laissent se diffuser ce bleu à l'extérieur quand on les plonge dans l’eau. Au col de ce sac, adaptons des mèches for- mées avec divers matériaux de pansement. Suivant que la vitesse d’évaporation sur la mèche com- pensera ou ne compensera pas le courant d’exosmose, l’eau qui baigne ce sac restera incolore ou bleuira. Il est bien entendu que l’'évaporation peut être remplacée par un jeu de siphon, comme dans le premier cas (fig. 3). La nature et la position du pansement, les conditions exté- rieures d'humidité et de température peuvent donc avoir une 704 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. influence sur le sens et la vitesse du courant qui peut drainer les liquides-d'une plaie, et empêcher les absorptions que ne venue rait pas d'amener la stagnation. Ces mêmes courants osmotiques peuvent servir à drainer des cavités closes. Prenons un bal- lon à trois tubulures dont deux (fig. 4) sont fermées par de la ouate. Mettons dans ce ballon de l’alcool saturé de carbonate de potasse et coloré en bleu. Puis plongeons le tout dans l’eau distillée, de façon qu'une des tubulures latérales soit plongée et que l’autre fasse siphon, ou bien sorte de l’eau et porte une toufle de ouate plongeant dans l’alcool co- loré. L'eau diffuse dans l’alcool se réunit à la partie infé- rieure en couche limpide, parce qu’elle a dissous le carbonate de potasse. L'alcool monte dans le ballon, pour s’évaporer au travers de l’autre bouchon de ouate et disparaître complète- ment. On peut faire la même expérience en remplaçant l’alcool par une solution saturée de sulfate de cuivre. Si la vitesse de siphonnement ou d’évaporation par la tubulure libre est suffi- sante, l’eau dans laquelle plonge le ballon ne contient, même après des semaines, aucune trace de ce sel. Il Toutes ces indications expérimentales sur les facteurs physi- ques des pansements doivent être contrôlées par des expériences sur les animaux. Celles que j’ai faites peuvent être divisées en quatre catégories : 4) influence des pansements sur l'absorption à la surface des plaies; b) influence des substances pulvérulentes ; c) influence des solutions aqueuses, désinfectantes et alcalines, de la glycérine, de l'huile ; d) influence du milieu ambiant. À. — Influence des conditions du pansement. — Les substan- ces dont j'ai étudié l’absorption sont la strychnine et la ricine à l’état pulvérulent ou en solution aqueuse, le sang décomposé à l'air, des cultures de charbon, de microbes pyogènes et du streptocoque de Marmorek. Strychnine. — J'ai choisi la strychnine à cause de la netteté de LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 705 sa réaction sur l'organisme (exagération des reflexes, tremble- ments létaniques), et la souris blanche à cause de sa sensibilité vis-à-vis de ce poison. Les plaies que je faisais sur cet animal élaient ou bien superficielles (abrasion, au moyen d’un rasoir, de la couche épidermique), ou bien plus profondes (section de la peau jusqu'à la couche cellulaire sous-cutanée ou jusqu’à la couche musculaire), ou bien je pratiquais des trajets en séton dans lesquels je mettais des tampons de gaze saupoudrés de strychnine ou imbibés de solutions de strychnine en grand excès (il faut 02,05 de strychnine pour luer une souris). Les résultats de mes expériences, au nombre de 150 environ, m'ont montré que si le pansement réalise des conditions d'absorption el d'évaporation suffisantes, cela seul suffit à empêcher la pénétration des substances toxiques dans l'organisme’. Si on supprime, par exemple, l'évaporalion, l'animal meurt. La forme et la direction de la plaie ont dès lors une importance qu'on devine, en favo- risant plus ou moins le drainage des liquides. : Ricine. Comme exemple de toxalbumine, j'ai pris la ricine, dont le cobaye est un bon réactif. La plaie était saupoudrée avec celte substance et humectée avec une solution de 1 centigramme de ricine dans de l’eau contenant 10 0/0 de sel marin. La dose de cette solution, mortelle pour le cobaye, est de 0,75 ce. ce. Les plaies produites l’étaient comme pour la strychnine. J'ai fait à ce sujet 44 expériences. Un premier groupe d'essais, faits en saupoudrant la plaie d'abrine, m'a montré que les plaies les plus superficielles sont aussi les plus dangereuses. Il faut que la plaie ne soit nt trop sèche ni trop humide. Il est bon d'activer l’exsudation par des excilants, et favoriser l’évaporation par des pansements lâches et des substances en poudre. Quand l'air est très sec, le pansement peut être sans inconvénient un peu plus humide que lorsque l'air est chargé de vapeurs. Sur la couche de gaze humide, ne cédant presque plus rien de son humidité au papier buvard, on mettra une couche de gaze sèche. Les conditions nécessaires pour 1.11 va sans dire que tous les résultats que je signale dans ce travail sont r'ée/s, c’est-à-dire ont été obtenus, avec plus où moins de netteté, dans les expériences qui les visaient. Mais il va sans dire aussi qu'il ne sont pas constants, el qu'il y à des cas où ces protections physiques sont insuffisantes, Je ne propose pas de remplacer le pansement chimique par le pansement physique. Je me contente d'appeler l'attention sur les conditions physiques du pansement qui peuvent aider ou entraver Son action chimique ou biologique, 45 106 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sauver l’animal sonlici assez étroites, car l'absorption de la ricine est trop rapide, mais, en les réalisant, on peut /aisser impunément la poudre d'abrine sur la plaie jusqu'à complète quérison. Quandlaplaie est un séton d’un demi-centimètre de longueur pratiqué dans le tissu sous-cutané et traversé par une bande de gaze imprégnée de ricine, 1l n'y aucun symptôme d'intoxication. Au contraire, la ricine en poudre introduite sous la peau tue rapi- dement l'animal. B. — Influence des substances pulvérulentes. — Des lésions cuta- nées superficielles chez des animaux ontété recouvertes de poudre de café, de charbon, de craie, de magrésie, de tale, d'iodoforme, et ensuite saupoudrées de strychnine; ou bien on a fait l'inverse, mis la strychnine d'abord et les poudres ensuite. Dans les deux cas, l'animal a d'ordinaire survécu, tandis qu'il périssait quand on mettait la strychnine seule. L'effet est évidemment dû à l'absorption et à l’évaporation produite par les poudres, bien plus qu’à leurs propriétés antiseptiques, nulles chez la plu- part d'entre elles. On voit pourquoi l'emploi de ces poudres absorbantes est si fréquent en chirurgie. C. — Influence des liquides et lotions antiseptiques. — Nous avons vu plus haut que la puissance bactéricide des liquides antiseptiques est à peu près nulle dans les conditions ordinaires de leur emploi. D'où vient donc qu’on a si souvent recours à eux ? Pour le savoir, je pratique des lésions superficielles ou profondes sur le dos de souris blanches, je lave la plaie avec le liquide antisep- tique à l'étude, et je saupoudre ensuite la surface avec de la strychnine. J'ai ainsi expérimenté l'acide phénique à 5 0/0, le sublimé à 1 0/0, le chlorure de zinc à 5 0/0, la glycérine, l'huile, l'alcool, l’éther et l’eau. Avec l’acide phénique et le sublimé, l’exsudat augmente, et, s'il reste stagnant, ia strychaine est absorbée, et l'animal meurt. Si, aux premiers symptômes d'intoxication, on applique un panse- ment absorbant, onréussit souvent à sauver les animaux. Si, après avoir strychniné la plaie, on fait le même pansement, et si on le recouvre seulement d'un protective, les phénomènes d'intoxication apparaissent, el puis la mort. Ainsi s'expliquent les cas d'intoxi- cation observés autrefois, quand l'usage du protectiveétaitgénéral. D'une manière générale, quand l'exsudat augmente, alors que l'ab- sorplion et l'évaporation par le pansement sont génés ou font défaut, on LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 107 crée des conditions favorables à l'absorption des substances toxiques par la peau. Les résultats sont les mêmes avec l'alcool, qui, pourtant, diminue, au lieu de l’augmenter, l’exsudat de la plaie; avec la slycérine, qui empèche la plaie de se dessécher. Des plaies imbi- bées de ces substances n’absorbent pas la strychnine lorsque le pansement est évaporant. Par contre, quand on voudra amener une absorplion, de teinture d’iode, par exemple, il faudra couvrir le pansement d'un tissu imperméable quelconque. L'huile, insoluble dans l’eau, se comporte différemment sui- vant que l'absorption est antérieure ou postérieure au lavage à l'huile : avant, la poudre de strychnine amène l’intoxication; après, elle est inoffensive. Dans les deux cas, la couche d'hu.le fait barrière jusqu'au moment où elle est absorbée par le panse- ment. À ce point de vue, la graisse, moins fluide, peut exercer plus longtemps, suivantles cas, ses effets nuisibles ou protecteurs. D. — Influence des matières putrides. — Ces expériences, au nombre de 50, ont été faites sur des chiens, dans la salle de dissection, avec du sang putride, avec l’aide des garcons d’am- phithéâtre.c’est-à-dire dans des conditionséminemmentseptiques. Dans cemilieuinfesté, nous avons commencé par faire des sections dela peau jusqu’à lacouche cellulaire, de 15 à 20 centimètres de lon- gueur, qui, sous l'influence de pansements appropriés, mais non anliseptiques, sesont fermées par premièreintention, sans qu’au- cune des sutures ait suppuré, et sans aucune rougeur ni tuméfac- tion des bords de la plaie. D'autres plaies granuleuses, provenant de l'enlèvement de la peau avec sa couche cellulaire, étaient cou- vertes d’un pansement à gaze, recouvert d'une couche d’ouate ordinaire, le tout maintenu par une bande de gaze. Tous les jours on plongeait un bout de la gaze recouvrant la plaie dans de l’eau distillée, qui s'élevait par capillarité, et était siphonnée par une autre bande de gaze. La plaie est restée propre et sans suppurer. C’est ainsi que de nombreuses plaies non asepliques sont physiquement protégées par le pansement absorbant qui les recouvre. Mais si, sans rien changer aux autres conditions, je recouvrais les plaies de mes chiens avec de la ouate ordinaire, la suppuralion apparaissait. Pour mes expériences d’absorplion des matières putrides, je me suis servi d’un sang altéré à l'air qui, injecté dans une veine, 108 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. {uaitun chien en 12 heures. Des incisions de 15 à 20 centimètres, faites dans la peau jusqu’à la couche cellulaire, lavées à l’eau et recouvertes ensuile de sang septique, ou couvertes d’une gaze trempée dans le sang septique, ont guéri par première intention, sans fièvre ni suppuralion, sous un simple pansement à la gaze humide, bien comprimée. Même résultat pour des plaies prove- nant de l’amputalion de lambeaux cutanés. D'autres chiens, portant les mêmes lésions, traitées par de la ouate non dégraissée et recouvertes d’un protective, ont été le siège d'une suppuration avec fièvre (41° et plus) et l'animal serait mort s’il n’avait déchiré le pansement et léché la plaie. E. — Influencedes cultures de charbon. — Pour compléter cette étude, j'ai fait une centaine d'expériences sur des cobayes sur lesquels je produisais les mmèmes lésions cutanées que plus haut, en arrosant la plaie avec des cultures en bouillon du bacille charbonneux : ceux de mes cobayes que je traitais par des panse- ments non absorbants succombèrent le second ou le troisième jour. Les autres ne succombaient que da sixième au huitième jour, bien que le pansement n’ait jamais été renouvelé. Tous ces faits mettent en évidence, si je ne me trompe, l’in- tervention des qualités physiques du pansement dans le phéno- mène de la guérison. Il est bien entendu que les chances d’absorp- tion du toxique ou des microbes sont bien plus grandes au mo- ment où l'opération vient d'être faite, quand les vaisseaux san- guins ou lymphatiques ouverts offrent des voies de pénétration facile. A ce point de vue, il est utile, dès l’origine, de bien déterger la plais, et avec des substances qui provoquent des coagulations du sang ou de la Ilymphe, et non avec des substances alcalines, du savon, qui arrêtent ou empêchent cette coagulation. On devine aussi que, l’évaporation par le pansement étant un facteur important de la guérison, il importe de la maintenir, soil en renouvelant le pansement lorsqu'il s’est sali, soit en évi- tant les liquides non volatils comme la elycérine. L'eau en trop grande abondance sur la plaie est aussi un obstacle, parce qu'elle dilue l’exsudat et change la direction des courants osmotiques. J'insiste particulièrement sur ce fait et je conseille, dans les inflammations purulentes du péritoine et d’autres cavités, d’en- lever l'exsudat au moyen de serviettes de gaze fortement compri- mées ou de mèches de gaze qu’on distribuera partout, dans tous LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 709 les culs-de-sac, afin d'assurer l'écoulement du pus. On donnera aussi au malade la position la plus favorable à l'écoulement du contenu abdominal. La règle générale est d'assurer létablis- sement d'un courant osmotique du malade à l'extérieur. Les résultats satisfaisants obtenus par M. Trojanoff, de Saint-Péters- bourg, dans le traitement des péritonites purulentes et dans un cas de périlonite par perforation, confirment très heureusement les résultats de mes expériences sur les animaux. E.— Streptocoque de Marmorek.— J'ai fait avec ce streptocoque très virulent, que je dois à M. Marmorek, #5 expériences que je résumerai très brièvement. Elles étaient faites en général en pro- duisant, au moyen d'un bistouri, un trajet en sélon, sous la peau d'un lapin, de { centimètre de longueur sur 1,5 centimètre de large, el en y passant une bande de gaze qu'on nouaït en dehor*, sans autre traitement. a) 30 février. Gaze trempée dans une cullure de streplocoque. Quatre lapins : deux, laissés dans une cage qu'on rend aussi humide que possible, iweurent; deux autres laissés à l'air très see montrent un peu d'irritation au voisinage de la plaie. b) 4 mai. Gaze sèche ; on inocule ensuile beaucoup d'une cullure très viru- lente. Mort en 24 heures. c) 7 mai. Gaze sèche; on inocule peu à peu la culture, et à mesure que la gaze l'absorbe, aucun effet. d) 15 mai. Gaze sèche; deux lapins fraités comme en c résistent. Deux autres, où les bords de la plaie sont saupoudrés de poudre de charbon qui amène la formation rapide d’une croûle imperméable, meurent en 24 et 48 heures. L'air élait très sec; état hygrométrique : 400.1 e) 21 mai. Gaze légèrement humide, imprégnée ensuite de culture : quatre lapins ont résisté. f) 23 mai. Bande de gaze trempée dans la culture puis fortement comprimée : deux lapins ont survécu. g) 6 juin. Comme en/, Pour deux lapins, la culture était en milieu acide : ils meurent. Pour deux autres, la culture était alcaline : ils résistent. Atmosphère humide. E. H. — 820. h) 8 juin. Comme en g. On comprime les bandes acides et alcalines entre du papier buvard: huit lapins survivent. i) 12 juin. Commeen 4. Les bandes desséchéesentredes feuilles de papier buvard sont en outre laissées une demi-heure sur la table. Quatre lapins opérés : tous ont survécu. J)13 juin. Comme en k. Bandes Hussées 2% heures à l'air. Quatre lapins : tous ont survécu. Quand l'air est très humide, il faut douc éviter l'emploi de 710 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. pansements humides qui n'évaporent plus. Quand l'air est très sec et que les bords de la plaie se dessèchent, ik n’y a pas draï- nage et l'absorption est encore facile. Les conditions les plus favorables pour l’opéré sont donc les condilions moyennes de températureetd'humidité. J’aitrouvé des résultats du même ordre en étudiant absorption de la ricine en poudre ou en dissolution, ou bien de cultures acides de Bact. coli commune très virulentes, mises à ma disposilion par M. Radziewski. Mème résultat encore pour les plaies produites par le thermocautère Paquelin. Là encore, l'intoxicalion se fait aussi bien quand on applique un pansement trop humide, l'air élant déjà très humide, que lorsqu'on porte la culture dans la plaie sans appliquer de suite un pansement absorbant. Ç J'ai fait une expérience en pinçant un lambeau de peau au moyen d'une pince de Mohr ou d'une ligature. Le bourrelet est ensuile excisé, et on arrose la plaie avec une culture de strepto- coque de Marmorek, sans meltre de pansement. Sur cinq ani- maux ainsi {railés, un seul est mort, dont la ligature s'était relàchée. IN] Les résultats qui précèdent posent une question qu'il faut maintenant résoudre. Pourquoi les microbes se sont-ils com- portés autrement que les toxines, qui, portées par une bande de gaze sous la peau des animaux, ne sont pas absorbées ou du moins ne tuent pas les animaux ? Les expériences qui suivent donnent une réponse suffisante à cette question. Elles se résument en ceci, que des bactéries peu- vent remonter beaucoup plus rapide- ment un couravten vertu de leur rapi- dité de multiplication, que des subs- lances solubles ou des toxines en vertu de leur diffusibilité. Un ballon A (fig. 5) rempli d'un li- qui destérile qui s'écoule lentement en B au travers d’un tampon d’ouate reste limpide, tandis que le liquide écoulé se peuple et se trouble en B, et les choses durent ainsi presque jusqu’à la fin de l'écoulement, LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. Van Remplissons de gaze un entonnoir (fig. 6) dont le col plonge dans un flacon contenant une couche de bouillon. Mettons des tampons de ouate à l'ouverture du facon, et stérilisons le tout à l'au- toclave. Infectons alors avec du colibacille la gaze devenue hu- mide par aspiration capillaire et abandonnons le tout à l’évapora- tion à l’air sec. Le bouillon sera aspiré peu à peu et restera stérile jusqu'aux dernières gouttes. Dans un air humide, à l’éluve, sous une cloche, il se troublera au contraire Fig. 6. bientôt parce qu'alors la vitesse de propagation des bactéries du haut en bas dépassera” la vitesse d'ascension du liquide de bas en haut. Mème résultat en remplaçant la gaze de l’entonnoir par une bandelette en- tourant un lube de verre. On voit bien là l'influence de l’humi- dité de l'air sur la puissance de pérétration des bactéries dans les cavités profondes, et on devine pourquoi les blessés souffrent quand l'air est chargé de vapeur ou quand l’encom- brement, la mauvaise saison gênent ou empêchent l'évapo- ration. Les blessés qui se trouvent dans des locaux humides, bas ou mal ventilés, sont par cela seul plus prédisposés à contracter des maladies infectieuses. Dans les expériences qui précèdent, il est nécessaire de laisser l'air pénétrer librement dans le flacon pour remplacer le bouillon qui s'évapore, sans quoi il s’y établirait une dépression qui gè- nerait ou empècherait l'ascension capillaire et favoriserait l'invasion microbienne. De même, surtout dans les plaies profondes et cavitaires, 1l faut mettre non pas seulement de la gaze, mais un drain qui permette à l'air de rentrer et aux liquides exsudés de sortir. Ces liquides peuvent être appelés de- hors non pas seulément par l'évaporation, mais par un jeu de siphon, et alors la position du bout libre de la mèche de 112 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. drainage a de l'importance. Unissons deux flacons A et B (fig. 7) avec une bande de gaze de cinq à six fils recouverte d’une couche d’ouate non absorbante. Mettons en A du bouillon et stérilisons le tout: établissons ensuite entre A et B une diffé- rence de niveau qui favorise le siphonnement. Aussitôt que quelques gouttes de bouillon ont passé en B, infectons-les avec du coli-bacille. Tant qu'une différence de niveau per- mettra la circulation de À en B, le liquide de À ne se peuplera pas. Il se peuplera en 24 heures si les liquides sont au même niveau. On peut, sans rien chan- ger au résultat (fig. 8), réunir les 2 flacons par un tube de verre que traverse la mèche de gaze ou même seulement un fil. On peut aussi faire déboucher la branche libre du siphon dans un vase ouvert où le liquide se peuple tout seul. Le fil, s’il est de soie, doit être bien dégraissé. S'il est gras ou s'il s'obstrue par évaporation, il ne siphonne plus, et les microbes, le remon- tant en sens inverse, viennent peupler le liquide du flacon A. Voiei maintenant une expérience plus complexe. Quatre fla- cons (fig. 9) contiennent du bouillon stérile qui peut s’écouler par des fils, dans un même vase, et sont munis de tubes. En A, ce tube est libre; en B, il est bouché au bas par de la ouate non absorbante ; en C, par de la gaze ; en D,1l est fermé par un tube de caoutchouc serré par une pince. Le vase extérieur étant infecté par du coli-bacille, À et G restent stériles, B et D se troublent dès que le niveau de l’eau est le mème dans les flacons et dans le tube. On voit l'importance qu'ilyanon seulement àabsorberlesliqui- des exsudés, mais encore à assurer leur libresortie parabsorpuon, évaporation, ou siphonnement capillaire quand on peut établir ce siphonnement. Dans ce dernier cas, l'humidité de l'air ne joue plus un rôle aussi important que lorsque l’évaporation est mise en jeu. Le liquide s'écoule en vertu des lois de la pesanteur. L'humidité pourrait peut-être cependant accélérer la multiplication des bac- téries en sens inverse du courant. Pour le savoir, je répète les expériences qui précèdent dans diverses conditions. A Pair ordi- naire, le bouillon du flacon A est resté stérile pendant trois mois, jusqu’à sa disparilion. A l’étuve, au bout d'un mois, le flacon A LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 113 élait encore stérile, mais le liquide en B était desséché et l'écou- lement s’est arrêté. En recouvrant alors les flacons avec une cloche, la pénétration des microbes a eu lieu et le & flacon s'est peuplé en 24 heures. En mettant dès le commencement de l'expérience les 2 flacons sous une cloche, le flacon A est resté stérile pen- dant 50 jours. Enfin, dans une chambre humide, le trouble en A s’est produit au bout de 40 jours. Ceci confirme ce que nous avions dit plus haut au sujet de l'influence défavorable d’un air stagnant ou humide. On peut de même montrer par l'expérience l’iufluence de la position à donner au malade. Deuxflacons AetB(fig.10)sontmis en communicalion avec C par des fils stérilisés ; unissons de même C avec un vase D dans lequelnous semons du coli-bacille. Tant que la sur- face en D sera inférieure à la surface en C, Gue s’in- $, fectera pas. ElevonsD en D, : el Csepeupleraen2#heures. Arrètons alors le courant de B vers C en bouchant ce tube avec un caoutchouc: en 24 ou 48 heures, B se troublera. Faisons une ligature sur le tube qui réunit C à À, elle arrétera le courant capillaire mais non Îles bactéries, et À se peuplera à son tour. Bien que celte expérience n'ait pas été contrôlée sur des ani- maux, elle nous explique cependant suffisamment le mécanisme des cystites et des pyélonéphrites ascendantes dans les cas de rétré- à W V RQUSSEL. ! cissement de l’urètre. car les trois flacons et le tube inférieur for- ment un ensemble comparable aux voiesurinaires. On voit le rôle que peut jouer la position du canal de l’urètre dans la production 114 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. des cystites, quand on emploie des cathéters à demeure. Il suffira souvent pour les éviter de tenir tout simplement le bout inférieur du cathéter au-dessous du niveau de la vessie. La vessie est heureusement désinfectée par l'urine incessamment renouvelée. Enfin, une dernière série d'expériences permet de se rendre compte des différences apportées par les qualités physiques du pansement sur le mode de décomposition des liquides organiques. Dans une série de verres contenant du sang défibriné, meltons des matériaux de pansement divers (gaze, charpie, ouale, etc.), nous verrons que la ouate sépare plus sévèrement les éléments anatomiques, que la gaze ou la charpie absorbent tout et laissent tout passer. Celles-ci peuvent vider une cavité où la ouate laisse- rait des éléments figurés du sang pouvant subir la décomposition. De même un fragment de caillot enveloppé de gaze se desséchera en abandonnant au tissu toutes ses parties liquides. Dans de la ouate ordinaire, il se couvrira d’un voile bactérien et se décom- posera. Toutes ces expériences mettent en évidence l'influence des conditions physiques du pansement. Je crois que ce côté de la question avaitbesoin d’être misen lumière, etquel’antisepsieétant inefficace, l’asepsie absolue irréalisable, les conditions physiques du pansement doivent devenir un élément essentiel du traitement des plaies. D’ores et déjà, elles expliquent les contradictions appa- rentes qui existent entre les observations cliniques et les recher- ches bactériologiques, de même que les résultats si divers four- nis par l'étude de l'absorption par les plaies. NY Nous allons voir que si les divers expérimentateurs sont arri- vés à des résultats discordants, c’est qu'ils ont d'ordinaire dirigé uniquement leur attention du côté de la plaie et de l'organisme malade, en laissant de côté tout ce qui était la physique du pan- sement : sa forme, sa densité, sa pénétrabilité par l’eau, etc. Roux, Bonnet‘, Demarquay, qui ont conclu à l'absorption par les plaies granuleuses, ne faisaient aucun pansement sur les surfaces qu'ils avaient saupoudrées de substances toxiques en poudre ou en 1. De l'absorption et des effets généraux de l’iode, 1852. LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 715 onguent (strychnine, arsenic,iodure de potassium). Billroth! a vu dans ses premiers essais que les plaies granuleuses pouvaient absorber mème les matières colorantes. Un peu plus tard, il fut frappé de voir se guérir sans complication des plaies granuleuses couvertes de chiffons sales, et crut qu'elles présentaient des conditions défavorables à l'absorption. Pour déterminer ces conditions, il a fait des essais sur des chiens, sur le dos desquels il produisaitdes plaies. Quandelles étaient devenues granuleuses, il les pansait avec de la charpie trempée préalablement dans un liquide infect, dont l'inoculation sous-cutanée chez un chien provoquait une inflammation très vive et mème la mort de l'animal. A son grand élonnement, les plaies ainsi traitées se guérissaient sans troubles, et il conclut que l'absorption y élait empéchée par l'état muqueux des granulalions et l'absence des lymphatiques. C'était oublier ses premières conclusions et se contredire. Mais, en réalité, la contradiction est apparente et lient à ce que la charpie, bien que sale, avait encore une puis- sance d'absorption et d'évaporalion suffisante pour maintenir un courant vers l'extérieur. Hack * a distingué plus tardentre les plaies granuleuses non lésées qui ne seraient pas absorbantes et les plaies lésées qui le seraient, mais la fragilité du tissu granuleux rendcette distinction bien arbitraire. C'est du côté du pansement qu'il fallait regarder. Il s’étonne, par exemple, de voir la pilocarpine agir plus rapide- mentet plus fortement en pommade ou en solution aqueuse qu’en solution alcoolique. C'est que le courant osmotique va de l’eau à l'alcool, et agissait pour empècher l’absorption. Il s’élonne aussi de voir les plaies granuleuses, traitées par la méthode de Lister, absorber toutes les substances avec lesquelles il les mettait er contact, et attribuait ce fait à l'acide phénique. Il trouve en effet que des plaics granuleuses, traitées dès le début par des substances indifférentes, et peu absorbantes à ce moment, acquiè- rent, sous l'influence de compresses phéniquées à 4-5 0/0, la mème puissance d'absorption que les plaies traitées dès le début par la méthode de Lister. Mais il ne cherche pas à expli- quer ce phénomène. J'ai vu que l’acide phénique donne à l'eau la propriété de tra- 4. Archiv. f. klèn. Chair. 1S65. 2, Deutsche Zeitschr. f. Chir., t. 12. 716 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. verser facilement des matériaux non dégraissés, comme la ouate ordinaire. I peut donc entrer, en dissolvantles graisses, en con- taet plus intime avec les Lissus et augmenter les exsudats par son action irritante. Gürny a confirmé les résultats de Hack sur les effets d’ab- sorplion produits par le pansement phéniqué. Ilest donc er con- tradiction avec Billroth. Mais cela tient à ce que Billroth lais- sait l’évaporation se faire, tandis que Hack et Gürny recouvraient le pansement avec le protectire qui empèche du supprime léva- poration. Plus tard, Wolff * a montré que les plaies granuleuses absor- bent non seulement les liquides, mais les matières colorantes (outremer, cinabre) insolubles, appliquées en émulsion. Par contre, Klein * trouve que les tissus granuleux opposent une bar- rière infranchissable aux microorganismes. Mais il opérait sur des plaies ouvertes à l'air libre. | En 4887, Galline a fait sur l'absorption des alcaloïdes en solu- lion aqueuse ou en poudre, des expériences qui ne lui ont donné des résultats concordants et positifs que lorsqu'il empêchaitl'é- vaporation de se produire, en arrosant, pendant des temps qui ont varié de 2 heures à 5 heures 1/2, la plaie avec le liquideen ex- périénce. Les résultats contradictoires et parfois étonnants obte- nus par Dmitrieff ‘* tiennent aussi à ce que ce savant n’a jamais fait attention à l'influence du mode de pansement. On pourrait éclairer de la même manière les résultats contra- dictoires obtenus par Schimmelbusch®, Colin’, Schaniawski”, dans les essais d'infection parles plaies fraiches. On sait que lab- sorption se fait très vile par ces plaies. Si on veut l'empêcher, il faut appliquer le pansement de suite, et non pas quelques minutes après l'infection. 1. Ein Beitrag zu den Untersuch. ub. d. Resorptionsfähige Granul. Dissert. inaug., 1879. 2. Verhandl. d. d. Gesell. f. Ghir., NII: congrès. s. Revue de médecine 1884 (russe). 4. Sur l'absorption par les surfaces granuleuses. (Dissertation, en russe, 1887.) 5. Sur l'absorption par les plaies granuleuses et cautérisées. Dissert. Saint- Pétersbourge, 1891. 6. Uber Infection der Wunden. Verhandl. d. d. Gesells. f. Chir., XXTIEe con- grès. Berlin, 1894. 1. Bull. del Ac. de médecine. 8. Sur la désinfection des plaies fraiches. Journal de méd. militaire. LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 114 Les expériences de Messner: montrent bien linflaence du mode de pansement et de son degré d'humidité. Des tampons imbibés d’une culture de streptocoque sontlaissés 18 heures dans des plaies faites à des lapins. Après quoi, ces plaies étaient lavées avec une solution physiologique de sel marin, et pansées avec un tissu sec aseptique, Chez d'autres lapins, la plaie était lavée avec de l’eau phéniquée à 3 0/0 ou avec du lysol, remplie ensuite avec de la gaze humide, et recouverte d'un pansement antiseptique humide. Tous ces derniers lapins traités antiseptiquement ont survécu, sauf un, tandis que les premiers sont morts de phleg- mons progressifs, en 8 à 14 jours, sauf un. De plus, leur pus élait virulent, tandis que le pus des autres ne provoquait qu'une réaction locale. De cela, Messner conclut à l'utilité de la désinfec- tion à l'acide phénique. Il ne soupconne pas que la différence de ses résullats provenait des différences dans les conditions phy- siques de ses pansements. Hackel”, s'inspirant de mes recherches, arecommencé les ex- périences de Messner, en appliquantcomparativement des panse- ments tantôt secs, tantôt humides. Il arrive à conclure que «dans la supouration lente et le phlegmon progressif, l'intensité et la durée de l'affection ne sont pas sensiblement modifiées par le trai- tement antiseptique etaseplique... Quand la cultureest virulente, tous les lapins succombent, quel que soit le traitement local ». Mais il aurait vu des différences dans le pansement sec ou humide s'il avait appliqué ce pansement aussitôt après l'infection. Reichel* a recommencé avec de tout autres résultats les expé- riences de Messner. En remplissant de gaze les plaies des lapins « aseptiques » qui avaient presque tous péri chez Messner, il a obtenu des résultats excellents. « La désinfection, dit-il, n’a aueun rôle : l'essentiel, c’est la transformation du foyer fermé en foyer ouvert. » Ce qui est vraiment essentiel, ce sont les condi- tions physiques du pansement qui permettent le drainage et l'é- vaporation. En résumé, tous les expérimentateurs ontcommis l'erreur de ne regarder que du côté de la plaie ou des malades, en négligeant tout ce qui, dans le mode de pansement, peut modifier la direc- 4. Exper. Studien ub. d. Wunderbehandlung. Verhandl, d.d. Gesell. f. Chr, XII congrès. Berlin, 1894. 2. Deutsche med. Wochen., 1896, n° 8. 3. Archiv. f. Klin. Chir., 1895, t. 19. 118 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tion ou l'intensité des courants d’osmose ou de capillarité. Si Lis- ter a fait faire un pas énorme à la chirurgie, ce n’est pas par son protective, dont l'abandon a été un progrès, mais en propageant l'emploi de la gaze pour les pansements, les antiseptiques en solution aqueuse, et le drainage des plaies. La gaze est le tissu le plus absorbant et le plus évaporateur. Les corps gras qui ser- vaient d’excipients aux autiseptiques gènent l'absorption sous le pansement. Pirogoff avait bien vu l’effet nuisible des huiles et des graisses, et leur préférait les irrigations à l’eau. Maïs en les faisant trop abondantes et trop continues, il neutralisait l'effet des pansements et de l’'évaporation. Si on a obtenu de si beaux résultats dars le pansement des plaies de guerre en 1878, pendant la guerre russo-lurque, à un moment où on ignorait presque l’antisepsieetl'asepsie, c'est qu'ons’yservait de pansements absor- bants (gaze, ouate hydrophile, etc.) et qu’on n'y faisait pas de lavages par suite du manque d’eau. En outre, l'atmosphère était sèche, et non saturée de vapeur d’eau comme à Sébastopol. Quant au drainage, notre pansement moderne est une réunion de drains. Les 139 ovariotomies, faites sans aucune mort par Lawson-Tait, qui n’emploie jamaisles antiseptiques, opère dans les salles de malades, lave les plaies à l'eau de rivière non stéri- lisée, mais se sert des pansements modernes, montrent bien Île rôle important de nos matériaux de pansement dans les succès de la chirurgie moderne. La méthode de traitement des plaies « sous un protecuf humide », proposée par Schède en 1886, ne contredit pas notre manière de voir, car il résulte de mes expériences que ce tissu de soie, qu’on applique exactement sur la plaie, est extrémement absorbant et laisse filtrer les exsudats et le sang dans la ouate qui le recouvre. CONCLUSIONS 1. Nos méthodes modernes de traitement des plaies (antisepsie el asepsie) ne possèdent nullement jes qualités bactéricides qu'on leur attribue, car on obtient d'aussi bons résullats en faisant les infractions les plus graves contre ces méthodes. Ces méthodes, basées sur des données théoriques mais non expérimentales, ont engendré des conflits entre les observations cliniques et les recherches bactériologiques. LE PANSEMENT AU POINT DE VUE PHYSIQUE. 719 2. Il existe des conditions dans lesquelles les plaies (fraiches ou grannleuses) n’absorbent ni les substances chimiques (prove- nant du pansemeni) ni les bactéries etleurs produits (microbes pyogènes, de l'érisvpèle, streptocoque, du charbon, etc.) L'expé- rience a démontré que ces conditions résident dans les proprié- tés physiques du pansement et du milieu ambiant, qui sont les armes les plus sûres et les plus importantes dans la lutte contre les microorganismes. Les succès brillants de la chirurgie moderne dans le traitement des plaies sont en grande partie dus à l'application rationnelle de ces propriétés physiques de nos pansements. Qu'il nous soit permis de remercier ici en terminant M. le professeur Duclaux pour l’'empressement avec lequel il à bien voulu mettre à notre disposition les moyens d'investigation si précieux de l'Institut Pasteur. ACTION DES LEVURES DE BIÈRE SUR LE LAIT Par M. E. BOULLANGER (Travail du Laboratoire des fermentations, à l’Institut agronomique.) Les travaux de M. P. Lindner ‘ au sujet de la culture des levures en surface sur une couche de gélatine nutrilive, ont montré que certaines levures, avec le temps, pouvaient arriver à liquéfier la gélatine. Il y a des espèces incapables de produire celte liquéfaction; d’autres, au contraire, comme l'Endoblasto- derma liquefaciens, Va produisent au bout de quelques jours. En étudiant diverses levures de bière, j'avais remarqué égale- ment ce fait : Landis qu'avec une levure de bière de Frohberg, la gélatine se trouvait liquéliée au bout de deux mois, avec les levures Neunkirchen‘ou Lœwenbräu, il n’y avait qu'un très lé- ger ramollissement au bout de six mois, et malgré les chaleurs de l’été?. On sait, d'un autre côté, que, mises en présence du lait, cer- taines levures paraissent s'attaquer plus fortement à la caséine qu'au lactose : elles la coagulent, puis redissolvent le coagulum à l’aide d'une diastase agissant comme la caséase de M. Duclaux. Mais ce phénomène a élé peu étudié jusqu'ici. Il y aurait in- térêt à le scruler de plus près, et à voir si des levures pures, ensemencées dans du lait stérilisé, n’arriveraient pas, à la longue, à digérer une partie de la caséine en la transformant en caséine soluble, et cela à un degré d'autant plus élevé que leur pouvoir liquéfiant vis-à-vis de la gélatine était plus grand. J'ai commencé par me procurer du lait aussi pur que possi- ble, que j'ai privé à peu près complètement de matière grasse. Celle précaution était indispensable pour éviter des oxydations lentes, qui auraient pu, à la longue, venir fausser les résultats. Après stérilisation à l’autoclave, les ballons de lait écrémé ont élé ensemencés avec huitlevures de bière que j'avais déjà étu- 1. Mikroskopische Betriebskontrolle in den Gürungsgewerben. 2. Annales de l'Institut Pasteur, oct. 1896. ACTION DES LEVURES DE BIÈRE SUR LE LAIT. 721 diées au point de vue de leur action sur la gélatine de tourail- lons, et qui possédaient sous ce rapport des différences notables. Pendant les trois premiers mois, l'aspect des ballons s’est peu modifié, puis certains d’entre eux ont commencé à devenir plus jaunes; la couleur a passé peu à peu à celle du pain d'épice, et au bout d’un an, le lait avait pris l'aspect d’un bouillon concen- tré, ressemblant à un lait transformé par le Tyrothrix tenuis. D'autres ballons ne s'étaient que très peu modifiés. Après quatorze mois, j'ai noté l'aspect de ces laits, et j'en ai fait l’étude microscopique et chimique. Voici tout d’abord les résultats relatifs à l'aspect général des ballons. Les deux levures Frohberg et Meurant, qui liquéfient la gélatine au bout de deux mois, ont donné des liquides carac- téristiques ; il s'était formé, au bout de cinq à SiX MOIS, UN COAgU- lum qui s’est redissous peu à peu pour laisser un liquide presque limpide, ayant la couleur du bouillon de viande. Au fond du vase était un dépôt assez abondant de levure. Au microscope, la le- vure de Frohberg paraissait cependant affaiblie : au contraire, la levure Meurant était bien développée et semblait avoir peu souffert dans ce milieu. Les levures 48, Riga X, Bruxelles et Weïhenstephan, ont donné des liquides d’un jaune tirant sur le brun avec un léger coagulum au fond du ballon. Les levures y étaient assez bien dé- veloppées; on remarquait cependant un plus grand nombre de globules en voie de destruction. Enfin, avec les levures Lœwenbräu et Neunkirchen, l'aspect des ballons avait assez peu changé. Les liquides de ces deux levures étaient cependant un peu jaunâtres, tandis que le té- moin était resté blanc. Le développement des levures était nor- mal. J'ai naturellement vérifié la pureté de toutes ces cultures, et je me suis de plus assuré que c’étaient bien les levures ense- mencées qui s'étaient développées dans mes essais. Je n’ai nulle part constaté la formation de spores. L'analyse chimique de ces ballons a été faite par les procé- dés indiqués par M. Duclaux dans son ouvrage sur le lait. L’ad- dition d’eau au liquide, pour le ramener à un volume déterminé, aurait pu modifier les proportions relatives de caséine soluble et de caséine insoluble. : 46 722 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Aussi, je me suis contenté de mesurer le volume du lait res- tant pour chaque levure ; l'analyse a eu lieu sur ce liquide non étendu, et j'ai tout ramené à la même dilution en multipliant les résultats par le rapport du volume final au volume initial intro- duit. L'évaporation était d’ailleurs à peu près la même partout. Une partie du liquide a été soumise à une filtration à travers une bougie de porcelaine. Dans le liquide filtré, j'ai déterminé le sucre de lait, les cendres et le résidu sec : par différence, j'ai obtenu la caséine en solution. D'autre part, j'ai fait le dosage du résidu sec et des cendres dans le liquide non filtré, et, en négligeant la quantité très faible de matière grasse restée dans le liquide, j'en ai déduit la caséine totale, le lactose étant connu par l'opération précédente. J'ai enfin dosé dans tous mes essais l’'ammoniaque combinée au moyen de la magnésie calcinée ; mais je me suis assuré aupa- ravant que dans ces liquides très altérables, la magnésie n'agis- sait sur aucune matière azotée pour la transformer en ammonia- que. À cet effet, j'ai fait en double, pour deux essais, le dosage par la magnésie, et le dosage en déplaçant l’ammoniaque par le carbonate de soude, et en distillant dans le vide à une tempé- rature maxima de 35°, d’après le procédé employé par MM. Muntz et Rousseaux pour le dosage de l’ammoniaque dans les vins. Les différences entre les deux dosages ont été négli- geables. Voici les résultats fournis par l'analyse. J’ai placé, en regard de chaque levure, le temps qu’elle met à liquéfier la gélatine, pour rendre la comparaison plus facile. Frohberg. Meurant. | Veihenstephan. Læœwenbrau, Neunkirchen. PI.de 6 - | Bruxelles | 48 Copenhague o2 = Durée de liquéfaction, en mois ... | Lactose en gr., par litre |Caséine en solution, par litre — en suspension, — — totale. =) ae Mat. min. en solution, par litre. = en suspension. — : Ammoniaque en cgr., par litre... œ © — co. 9 € ©O à 19 à OO © — Ë ë CD æÆ& O0 9 & © OÙ = © ACTION DES LEVURES DE BIÈRE SUR LE LAIT. 123 Ce qu'on voit tout de suite dans ce tableau, quand on com- pare la variation dans la proportion dé lactose à celle de la caséine totale, c’est que la première est plus petite que la seconde. Encore celle du lactose est un peu douteuse, parce que la fin de la réaction sur la liqueur de Fehling n’est pas facile à apprécier avec ces liquides chargés de peptones. Il se produit des teintes vertes qui gènent. On peut pourtant assurer que le lactose est atteint partout, mais il l’est en plus faibles proportions que la caséine totale. Avant de passer dans le protoplasme de la cellule pour y subir l’action vitale, cette caséine doit être solubilisée. Nous trouvons en effet, avec toutes ces levures, que le chiffre de la caséine en solution est partout plus grand qu'avec le témoin. Les deux plus actives sous ce rapport, les levures Frohberg et Meurant, sont aussi, on le voit sur le tableau, celles qui liquéfient le plus rapidement la gélatine. Les deux moins actives, les deux dernières, sont aussi celles pour lesquelles la liquéfaction a apparu le plus tard, et, d’une manière générale, pour toutes ces levures, la quantité de caséine solubilisée est à peu près en rapport avec le temps nécessaire pour la liquéfaction de la gélatine. Une fois arrivée dans la cellule, la caséine y sert aux actes nutritifs, et une portion est dégradée, en passant par une série de termes mal connus, dont les extrêmes sont les sels ammo- niacaux et l’acide carbonique. Dans l'impossibilité de doser les termes intermédiaires, on peut chercher une mesure de l’action nutritive dans la quantité d’ammoniaque existant à l'état de sels ammoniacaux. Un coup d’œil jeté sur le tableau montre que l'ordre des levures, d’après la quantité d'ammoniaque formée, n’est pas le même que d’après les quantités de caséine solu- bilisée. Certaines levures ont dissous beaucoup de caséine en don- nant peu d’ammoniaque, comme la levure Frohberg par exemple; d’autres, au contraire, comme la levure Loewenbrau, ont dissous peu de caséine et donné beaucoup d’ammoniaque. L'ordre n’est pas non plus le même quand on range les levures, d’un côté suivant la quantité d'ammoniaque produite; de l’autre, suivant la quantité totale de caséine détruite. C’est que toutes ces actions sont indépendantes, bien qu'étant toutes des actions de nutrition. 724 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Elles existent partout, mais mélangées en quantités inégales. Ainsi, avec la levure Frohberg par exemple, il y a eu beaucoup de caséine dissoute, mais la levure n’a pas agi énergiquement sur cette caséine soluble ; la dégradation n’a pas été poussée très loin, il y a peu de différence entre la caséine totale du témoin et la caséine restante actuelle, et l'ammoniaque s'est formée en petite quantité. Au contraire, prenons maintenant la levure Loewenbrüu : elle a dissous peu de caséine, mais cette petite quantité de caséine soluble a été très énergiquement attaquée et transformée. Nous trouvons donc dans les tableaux un exemple de levure qui dissout beaucoup de caséine et la transforme énergiquement (Meurant), un exemple de levure qui dissout aussi beaucoup de caséine, mais l'attaque très peu (Frohberg) ; une autre levure (Loewenbrau) rend soluble peu de caséine, mais la transforme beaucoup, et enfin la levure Neunkirchen solubilise peu de caséine, et l'attaque également peu. On peut douc la trouver dans tous les cas possibles. Nous trouvons des conclusions analogues au sujet de la colo- ration plus ou moins brune que prend le liquide : il semblerait que le lait doit être d’autant plus coloré que l’action de la levure sur la caséine a été plus profonde. Mais cependant, dans nos essais, certains liquides étaient fortement colorés, tandis que la transformation de la caséine était assez peu avancée : d’autres étaient jaunâtres, et la caséine y était pourtant très dégradée. C’est que sous l’action de l’alcali produit, il se forme bien des produits ulmiques qui communiquent au liquide une coloration brune ; mais dans le cours de la transformation, ces produits ulmiques peuvent eux-mêmes être modifiés et passer à l'état de produits incolores. Il ne faut donc pas se baser sur la colo- ration pour juger de l'énergie de l’action de la levure. Les chiffres que j'ai donnés pour la caséine ne peuvent évi- demment pas être très exacts. Le dosage de la caséine totale, déjà difficile dans le lait ordinaire, devenait ici impossible par suite de la présence des sels ammoniacaux, et de celle de la levure que l’on comprenait forcément dans le résidu sec. Il était mal- heureusement impossible de recueillir cette levure et de la peser. Cette étude aurait sans doute aussi servi à expliquer les varia- tions dans le poids des matières minérales en suspension eten ACTION DES LEVURES DE BIÈRE SUR LE LAIT. 125 solution, car la levure produite immobilise et par conséquent fait passer à l'état de sels insolubles une partie des sels solubles. De plus, les sels ammoniacaux formés étaient volatilisés; on retranchait donc du résidu see, pour avoir la caséine par diffé- rence, un poids de cendres inférieur au poids réel, erreur qui rejaillissait sur la caséine pour donner un chiffre trop fort. La présence de la levure dans le résidu sec donnait d’ailleurs une erreur dans le même sens. Les chiffres trouvés pour la caséine sont donc en réalité un peu trop forts, et cela d’autant plus qu'il y avait plus d'ammoniaque formée. Malgré tout, dans ces liquides où il y a beaucoup d'ammoniaque, la proportion de caséine totale reste toujours inférieure à celle que nous trouvons dans les laits où il s’est formé peu d’ammoniaque, et il est donc cer- tain que l'énergie dans l'attaque de la caséine est d'autant plus grande qu'il y a plus d’ammoniaque produite. En résumé, nous voyons que cette action des levures de bière sur le lait est un phénomène complexe ; à côté de la dissolution d'une partie de la caséine et de la formation de cellules vivantes, il y a destruction de cette caséine à un degré plus ou moins avancé suivant la levure. Le procès de transformation est le même que celui qui se produit avec certains microbes, actifs producteurs de caséase. Mais avec ces espèces, la transformation suit une marche rapide, tandis qu'avec les levures, elle demande en général des mois pour se produire. Cependant le mécanisme de l’action reste au fond le mème, et la différence ne porte que sur le temps qui est nécessaire pour produire le phénomène. REVUES ET ANALYSES L'ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION DE LA LEUCOCYTOSE (Extrait de la conférence faite à l’Institut Pasteur le 26 juin 1897.) Les cliniciens ont remarqué depuis longtemps que le nombre de leucocytes dépasse souvent le chiffre normal ; quelquefois, mais plus rarement, il lui est inférieur. Dans le premier cas on dit qu'il y à hyperleucocytose, dans le se- cond, hypoleucocytose. À quoi sont dues ces variations? La clinique jusqu'ici ne nous à pas donné une réponse nette et précise, et cela, croyons-nous, pour des raisons bien simples : l’homme malade, surtout lorsqu'il fait une longue maladie, comme une fièvre typhoïde, par exemple, est un mauvais sujet d'expériences; d’abord, on ne peut pas examiner chez luile sang aussi souvent qu'il lefaudrait, puis la maladie n’évolue jamais avec la netteté d’une expérience de laboratoire : une infection secondaire venant se greffer sur la première, les médicaments employés et, d’une façon générale, le traitement subi, influencent certainement les résultats des recherches. C’est pourquoi l’on a eu l’idée de s'adresser à la méthode expéri- mentale. Nous ne ferons pas l'historique de la question, qui a toute une litté. rature; une monographie très complète sur la leucocytose a été pu- bliée par Rieder en 1892 ; notre but est d'exposer l’état actuel de la question, et de résumer les principaux travaux qui ont paru depuis 1892 jusqu’à nos jours. Il existe beaucoup de substances, comme l’albumose, la nucléine, différents extraits organiques, qui, injectées à l’animal, produisent dés modifications dans le nombre des globules blancs du sang. REVUES ET ANALYSES. 727 De nombreuses expériences ont été faites avec ces substances dans differents laboratoires, mais comme les conditions dans lesquelles se sont placés les expérimentateurs étaient différentes, on s'explique l’exis- tence simultanée de plusieurs théories sur la leucocytose. Nous allons passer en revue quatre théories les plus connues — celle de Rühmer et Buchner, de Lüwit, de Schultz et de Jacob; nous dirons à la fin deux mots de la théorie de M, Metchnikoff. Commençons par la théorie de Schultz qui est la plus faible de toutes. En se basant sur ses expériences avec des cultures et des protéines microbiennes, Schultz arrive à cette conclusion originale que le nombre total des leucolytes reste invariable; il ne serait nullement diminué dans lhypoleucocytose ; si toutefois on constate, sous l'influence de certaines substances, tantôt une diminution, tantôt une augmentation des leucocytes, cela serait dû simplement à leur répartition inégale dans les vaisseaux sanguins. Dans l’hypoleucocytose, d’après Schultz, les vaisseaux périphériques sont pauvres en leucocytes, mais, en revanche, ceux du centre en de- viennent d'autant plus riches, et réciproquement. L’hyperleucocytose se caractérise, toujours d’après cet auteur, par l'abondance de leuco- cytes dans les vaisseaux périphériques et leur pauvreté dans les vais- seaux profonds. Cette théorie de Schultz à été impitoyablement renversée par M. Jacob. Celui-ci a répété les expériences de Schultz, seulement il a pris certaines précautions opératoires que Schultz avait négligées. En premier lieu, Jacob a eu soin de défendre ses animaux du re- froidissement pendant toute la durée de l'opération, qui était quelque- fois longue et laborieuse, comme bien on pense, puisqu'il fallait aller à la recherche des vaisseaux profondément situés; cette précaution est importante, car on sait depuis longtemps que le froid modifie notable- ment le nombre de leucocytes. En second lieu, Jacob comptait les globules sur l’animal vivant et non après la mort de l’animal, comme le faisait Schultz, ce qui n’est pas du tout la même chose ; enfin, Schultz mérite encore le reproche d’avoir pratiqué sur le même animal, dans un espace de temps très court, toute une série de numérations, ce qui amenait forcément des pertes de sang considérables; or, nous savons fort bien que des hé- morrhagies sont toujours à redouter dans ces opérations. Elles faussent les résultats en montrant un chiffre supérieur à celui qui existe réelle- ment. Etant donné ces fautes opératoires, il n’est pas étonnant que la théo- rie de Schultz sur la constance du nombre total de leucocytes n’ait pu être confirmée. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. =1 to @ Un point intéressant a été cependant mis en lumière par ces re- cherches, c’est que les leucocytes ne sont pas également répartis dans tous les vaisseaux, c’est-à-dire que les vaisseaux périphériques sont plus riches en leucocytes que les vaisseaux profonds; mais celte iné- galité reste toujours égale à elle-même ; les proportions du contenu leucocytaire entre différents vaisseaux sont les mêmes dans l’hypo- leucocytose et dans l'hyperleucocytose ; de là à conclure que l’hyper- leucocytose des vaisseaux périphériques est synchrone à l’hypoleuco- cytose des vaisseaux profonds, et vice versa, il y a loin. Passons à la théorie de Rühmer et Buchner. Ces auteurs provo- quaient l’hyperleucocytose en injectant aux lapins des protéines microbiennes. Pour eux, ces protéines une fois arrivées dans le sang agissent directement sur les leucocytes en provoquant chez eux une prolifération intense — d’où hyperleucocytose. Les nouveaux leucocytes qui apparaissent dans le sang pendant l’hyperleucocytose seraient donc des leucocytes jeunes, nouvellement formés. Cette manière de voir nous semble être trop exclusive, et voici pour- quoi. Quand on examine les globules blancs dans l'hyperleucocytose ou l'hypoleucocytose au point de vue qualitatif, on est frappé de ce fait que dans l’hypoleucocytose ce sont les lymphocytes qui prédominent, tandis que par contre dans l’hyperleucocytose on voit surtout les poly- nucléaires et extrêmement peu de lymphocytes. Quoique la question de l’origine des polynucléaires ne soit pas encore résolue, nous ne pou- vons pas nous faire à l’idée que ces polynucléaires dérivent, comme un stade adulte, des leucocytes qui viennent de naître, comme cela résulte de la théorie de Rühmer et Buchner. Nous admettons volontiers que, dans l’hyperleucocytose, il y a des éléments nouveaux, c’est-à-dire nouvellement formés, mais ceux-ci ne représentent que la minorité; quant à la plus grande partie des poly- nucléaires, ils viennent directement des organes hématopoiétiques d’où ils sont attirés par les protéines introduites dans le sang et exerçant une action chimiotactique sur les leucocytes. Au reste, nous reviendrons encore sur cette chimiotaxie ; si nous venons d’en parler, c’est seulement pour mettre plus en relief la con- ception de Rühmer sur l'hyperleucocytose. Nous devons nous occuper maintenant de la théorie de Lowit, qui a eu un retentissement considérable ; d'abord, parce qu’elle a été édi- fiée sur des expériences très nombreuses, puis parce qu’elle a donné naissance à des nouvelles recherches dans cette voie. Dans toutes ses expériences faites avec des substances de nature différente, Lowit a remarqué que toujours l’hyperleucocytose est pré- cédée d'un stade d’hypoleucocytose, et le point capital de sa théorie REVUES ET ANALYSES. 729 peut être résumé ainsi : lorsqu'on introduit dans le sang d’un animal des substances comme celles qu’il a employées (hémialbumose, pro- téines bactériennes, peptone, acide nucléique et autres), on détermine une destruction de globules blancs; cette destruction, qu'il appelle leucolyse, est la cause de l’hypoleucocytose, ou, pour mieux dire, se traduit par l’hypoleucocytose qui apparait après l'injection. Mais cette phase ne dure pas longtemps : de nouveaux leucocytes viennent remplacer les globules disparus; ils viennent encore en plus grand nombre qu’il n’y en avait auparavant — d’où la seconde phase, l'hy- perleucocytose ; ces deux phases élant intimement liées l'une à l’autre par leur origine unique, l’hynerleucocytose, n'ayant pas de raison d’être, cela va de soi, sans hypoleucocylose, c’est-à-dire sans destruction préalable des leucocytes. Quant à l’action chimiotactique, Lowit la repousse catégorique- ment par la simple raison que sa théorie n’en a guère besoin. Cette théorie, qui semble donner si peu de place à l'hypothèse, se- rait très séduisante si on pouvait démontrer sa réalité, mais ce n'est pas le cas, comme nous allons le voir. Que l’hypoleucocytose précède l’hyperleucocytose dans les condi- tions normales d’expérimentation, cela n'est pas douteux pour nous ; avant d’avoir connaissance du mémoire de Lowit, nous avions pu ob- server les mêmes phénomènes dans des expériences que nous avons entreprises, sous la direction de M. Metchnikoff, avec des substances de nature minérale ; mais cela n'exclut pas la possibilité de trouver des conditions où l’on puisse réaliser une hyperleucocytose, même considérable, sans que l’'hypoleucocytose la précède le moins du monde, ainsi que parait l'avoir fait Jacob. Ce fait, dès qu'il sera confirmé, sera très préjudiciable à la théorie de Lowit; pour le moment, nous n’y in- sistons pas outre mesure, bien que Jacob attribue à ce fait une impor- tance considérable ; nous croyons qu’on peut encore discuter sur la valeur des chiffres qu'il cite à l’appui desonassertion. Ce qu'ilimporte surtout de savoir, en attendant, c’est si la base de la théorie, la leuco- lyse, est un phénomène réel. Or, jusqu'ici, la question de la leucolyse n’est pas encore tranchée; on n’en possède pas des preuves positives (nous ne parlons pas de leu- colyse à la suite d'injections sous-cutanées); par contre, les preuves négatives, qui ont, bien entendu, une moindre valeur, ne manquent pas. En voici un exemple : Plusieurs expérimentateurs ont constaté, dans ces Annales même, (Borrel et Werigo) que, pendant l’hypoleucocytose qui suit immédia- tement l'injection, on trouve un nombre considérable de leucocytes dans les capillaires des poumons. Si lhypoleucocytose n’était qu’une 130 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. destruction pure et simple des leucocytes, on aurait dù observer une diminution des globules aussi dans les poumons, organe le plus voisin du cœur, et c’est précisément le contraire qui a été constaté. Ce fait a été confirmé par Tchistowitch, Jacob, Morse et plusieurs autres obser- vateurs. Morse, par exemple, sacrifiant les animaux tantôt dans l’hypo- leucocytose, tantôt dans l’hyperleucocytose, voyait toujours que les capillaires des poumons étaient bourrés de leucocytes, ce qui ne serait pas arrivé si les globules blancs subissaient une véritable leucolyse. Cependant, les partisans de la théorie de Lowit ne se tiennent pas pour battus, Lowit et Richter ont publié, l’année dernière, une série de travaux dans lesquels ils s'efforcent d'apporter des preuves en fa veur de la leu- colyse. Ils affirment que chaque fois que survient une hypoleucocytose, l'alcalinité du sang devient très prononcée; elle reste, par contre, nor- male ou même inférieure à la normale pendant l’hyperleucocytose. Lowit et Richter ont voulu rattacher l’alcalinité exagérée du sang pendant l’hypoleucocytose au phénomène de la destruction des leu- cocytes qui en serait la cause. Ce travail a soulevé, dans les Fortschritte der Medizin, une très vive polémique qui n'a pas beaucoup éclairei la question. Il y a quelque temps, Caro, de Berlin, a repris l'étude sur l’alcali- nité du sang en rapport avec la leucocytose; et il arrive à cette con- clusion que l’alcalinité du sang, étant un phénomène peu stable, dont le mécanisme est à peine connu, ne peut pas être envisagée comme la cause directe de l’hypoleucocytose. A propos de la leucolyse de Lowit, il faut mentionner une autre preuve, négative aussi, qui est due à Kühnau. Cet auteur à remarqué entre autres que l'hypoleucocytose, surve- nue subitement, est suivie, quelque temps après, d’une sécrétion exa- gérée d’urates. Cette coïncidence semblerait, de prime abord, plaider en faveur de la destruction des leucocytes pendant l'hypoleucocytose et leur élimination consécutive sous forme d’urates ; or il n’en est rien. Lorsque Kühnau s’est servi de l’extrait organique avec lequel tra- vaillait Jacob dans ses études de leucocytose expérimentale, il vit qu'après l'hypoleucocytose primitive, celle qui suit l’injection, le taux d'urates n’a point augmenté ; survint l’hyperleucocytose — les urates se maintinrent au même chiffre ; et ce n’est que trois jours après le point culminant de l’hyperleucocytose, que les urates sont devenus plus abondants. Donc, l’hypoleucocytose reste sans influence sur les urates ef ne peut pas, par conséquent, être attribuée à une destruc- tion des leucocytes. Par contre, on peut s'expliquer facilement l’augmentation des REVUES ET ANALYSES. 131 urates dans le cas cité et voici de quelle façon : les leucocytes qui ont accouru pour débarrasser le sang de la substance injectée avaient déjà accompli leur rôle au troisième jour de l’hyperleucocytose, et, n'étant alors plus utiles à l’organisme, ils ont été éliminés en grand nombre, ce qui a amené une hypersécrétion uratique. Nous ne pouvons passer sous silence l'expérience très simple de M. Tchistowitch qui mélangea du sang avec une solution de peptone à 1 p.100 (solution qui est capable de provoquer une hypoleucocytose) et examina le mélange sous le microscope ; jamais il n’a observé dans ce cas la moindre destruction des leucocytes. De toutes les expériences que nous venons de rapporter semble découler la conclusion suivante : s’il est possible que la leucolyse ait lieu dans l’hypoleucocytose, ce n’est très probablement pas elle qui joue le rôle primordial dans ce phénomène. Ainsi nous sommes arrivés petit à petit par voie d'exclusion à la théorie qui s’impose à l’esprit, théorie qui fait intervenir les proprié- tés chimiotactiques des leucocytes. Nous ne ferons pas ici le procès de la chimiotaxie qui est bien appuyée sur des expériences connues de tout le monde. Voyons seule- ment comment va se présenter la leucocytose à la lumière du chimio- taxisme. Lorsqu'on injecte à un animal une substance capable de provoquer la leucocytose, il s’établit d'abord une chimiotaxie négative ; elle se traduit par la fuite des leucocytes qui vont se cacher dans les capillaires de différents organes, notamment des poumons et du foie. A côté de ces leucocytes, il y en a peut-être d’autres qui subissent une leucolyse. Dès que la chimiotaxie devient positive, les leucocytes accourent en grand nombre, surtout des organes hématopoiétiques; où ils préexistaient à l’état adulte et n’attendaient que le signal du départ pour se précipiter dans le torrent circulaire. Quel est le sens de ce mouvement? nous allons le voir dans un instant. Cette théorie chimiotactique, qui répond à la totalité des faits connus et acquis par des expériences irréprochables, a de nombreux partisans. Parmi ceux-ci, le désaccord ne commence que lorsqu'il s’agit de pénétrer plus profondément dans la nature intime du phénomène, et de donner à l’hyperleucocytose une interprétation biologique, Du reste, le désaccord consiste en ceci, que les uns ne cherchent pas à l’interpréter, tandis que les autres, les partisans de la phagocytose, affirment que linterprétation n’est pas à chercher, tellement elle est évidente. Une opinion très voisine de la conception phagocytaire a étéémise 132 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. tout récemment par Jacob à propos de ses expériences, que nous nous faisons un plaisir de résumer. Bien qu’il ne professe pas de tendresse pour la phagocytose, ses expériences se sont montrées lui être très favorables. Jacob se propose d’étudier l'influence de l’état leucocytaire dusang sur la marche de l'infection : celle-ci a été produite par le pneumoco- que et le bacille de la septicémie des souris ; quant à la leucocytose, il la provoquait par l’albumose. Pour voir s'il existe un rapport entre l’évolution de la maladie et le nombre des leucocytes présents dans le sang, il injectait les bacilles indiqués à différentes phases de la leucocytose, et voici ce qu'il a observé : Chaque fois que l'animal subissait l’injection quand il se trouvait dans le stade d’hypoleucocytose, il périssait fatalement dans tous les cas et dans un espace de temps plus court que les témoins. Par contre, l’évolution de la maladie était très favorable quand l'animal recevait l'injection pendant le stade croissant de l’hyperleu- cocytose : pas un seul animal n’est mort, bien que la dose fût mortelle pour les témoins, et une moitié des animaux n’a présenté que des symptômes morbides tout à fait insignifiants. Les animaux qui avaient reçu l'injection pendant le stade décrois- sant de l’hyperleucocytose. lorsque celle-ci tendait à se rapprocher du chiffre normal, ont péri, mais plus tard que le témoin. Quand l'injection des bactéries avait lieu un quart d’heure après celle de l’albumose, c’est-à-dire au moment où les leucocytes commen- çaient à affluer dans le sang, la marche de la maladie était plus favo- rable que chez le témoin. Tout autre était le résullat quand l’albumose a été injectée un quart d’heure après les bactéries : tous les animaux succombèrent sans que la maladie fût en quoi que ce soit atténuée, comme cela a été constaté dans le cas précédent. Ces expériences nous semblent tellement significatives qu’il sem- ble impossible de vouloir altribuer aux globules blancs un rôle autre que celui de protecteurs de l’organisme, de phagocytes, en un mot. Voyons comment Jacob les interprète. Il dit tout d’abord qu’il faut chercher la signification des leucocytes dans l’ordre des phénomènes chimiques, mais quelques lignes plus loin il leur attribue uv rôle qui n’a rien à voir avec la chimie, comme nous allons le voir. Il pense que dans les organes hématopoiétiques il existe, à côté des leucocytes, des substances particulières qui y sont accumulées, et dont le rôle est très important, parce que ce sont elles qui prennent une part active dans les processus morbides. REVUES ET ANALYSES. 133 Que sont ces substances, quelle est leur nature, d'où viennent- elles, se trouvent-elles déjà dans l'intérieur des leucocytes pendant que ces derniers ne sont pas encore lancés dans le sang ? Jacob avoue n’en savoir rien et nous le croyons volontiers. Il veut que ces substances, qui ont pour résidence ordinaire les organes hématopoiéliques, soient transportées dans le torrent cir- culatoire par les leucocytes chaque fois que ces derniers s'y trouvent attirés en raison de leurs propriétés chimiotactiques ; dès que ces substances arrivent dans le sang, elles quittent les leucocytes, et c'est dès ce moment qu'elles entrent en fonctions : devenues libres, ces sub- stances se portent sur les endroits menacés pour engager une lutte avec les bactéries ou bien avec leurs produits. Telle est la théorie de Jacob sur la leucocytose, la dernière théorie qui ait été émise sur le sujet. et qui doit être rapprochée de celle de Buchner sur les alexines. Nous ne nous arrèterons pas à cette théorie des alexines, vu qu'elle ne touche pas directement à notre sujet ; nous dirons seulement encore deux mots sur la théorie de Jacob. D'après celle-ci. les leucocytes jouent un rôle tout à fait secondaire; c’est un rôle de voiture que Jacob leur attribue ; le rôle primordial, celui de médecin de l’organisme. est échu à des substances inconnues. Or, il semble’ étrange que le médecin subordonne l’accomplisse- ment de ses devoirs à l’état de sa voiture ; car, lorsque les leucocytes, en raison de leur chimiotaxie négative, restent enfermées dans l’inté- rieur des organes, les substances de Jacob sont réduites à une impuis- sance très fâcheuse pour l'organisme, puisqu'elles ne peuvent se dé- placer sans le concours bienveillant des leucocytes. Nous avons insisté un peu longuement sur la théorie de Jacob pour deux raisons : premièrement, parce que son auteur a publié déjà beau- coup de travaux sur la leucocytose ; deuxièmement, parce qu’en exa- minant de près sa théorie. on ne tarde pas à s’apercevoir que cette ‘théorie, avec cette lulte des substances toxiques et médicamenteuses, n’est en somme qu'une tentative mal réussie, il est vrai, de se rappro- cher des idées de M. Metchnikoff, et, par cela même, fait mieux ressor- tir tout le bien-fondé de la théorie-mère, la théorie phagocytaire. De sorte que Jacob nous dispense d'insister davantage sur ce fait par lequel nous avons voulu terminer la première partie de cette Re- vue, à savoir que la seule conception qui soit en harmonie parfaite avec tous les faits établis etsatisfasse complètement l'esprit est la con- ception phagocytaire de la leucocytose. 134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. IL Jusqu'ici nous avons étudié comment les leucocytes se comportent vis-à-vis des microbes ou autres substances non solubles, lorsque celles-ci viennent envahir l'organisme. Nous allons nous occuper main- tenant, d’une façon très sommaire, de la question peut-être encore plus importante, à savoir : les leucocytes réagissent-ils vis-à-vis des substances solubles et, s’ils réagissent, de quelle façon ? Déjà, dans le premier mémoire de M. Metchnikoff sur la phagocy- tose qui a paru il y a 13 ans, on constate une indication des plus nettes sur l'existence de toxines, mais à cette époque les rapports intimes entre les toxines et les éléments phagocytaires n’ont pas été établis. Cette question devint urgente quand on reprit plus tard l'étude des toxines, et qu’on apprit leur rôle dans les maladies infectieuses. Les recherches dans cette voie, à peine commencées, sont d'autant plus difficiles que la nature des toxines est peu connue. Les méthodes d'étude employées pour la phagocytose ne sont pas de mise ici : quand on injecte à un animal des corps bactériens, on peut les suivre, pour ainsi dire, pas à pas; il en est tout autrement - avec les toxines : dès que la solution à injecter quitte la seringue, elle est perdue pour l'observateur à tout jamais; le microscope, Jjus- qu’à nouvel ordre, n’est guère capable d’en révéler la présence. Cependant si la lutte contre les substances toxiques solubles se fait par le même mécanisme que contre les substances non solubles, on peut se contenter, en attendant des nouvelles méthodes, de suivre sous le microscope une des parties belligérantes, celle qui est accessible à nos yeux, c’est-à-dire, les leucocytes ; et d’après les manœuvres que vont exécuter les leucocytes, on pourra se faire une idée, approxima- tiveilest vrai, du rôle qu'ils jouent non seulement dans les phéno- mènes d'infection, mais encore dans ceux d'intoxication. Dans cet ordre d’idées méritent une mention toute particulière les travaux très intéressants faits dans le laboratoire de Kobert à Dorpat. Après avoir injecté à différents animaux une préparation de fer soluble, ne précipitant pas dans les milieux alcalins, les élèves de Kobert cherchaient à retrouver le fer dans les différents tissus de l’or- ganisme ; et, chose remarquable, ils ont constaté que la plus grande partie du fer se trouvait accumulée dans les diverses catégories des phagocytes, notamment dans les leucocytes, les cellules endothéliales du foie et les cellules de la pulpe sphérique; par contre, les cellules qui sont dépourvues de fonctions phagocytaires, comme par exemple, les leucocytes basophiles de Ebrlich, ne se chargent que très peu de fer : les polynucléaires et les grands mononucléaires en sont remplis. REVUES ET ANALYSES. 139 Les auteurs n’ont pas étudié la question au point de vue de la leu- cocytose ; c’est une lacune qu’il serait désirable de combler, Un ancien élève de M. Metchnikof, M. Chatenay, a étudié dans sa thèse la réaction des leucocytes vis-à-vis de certaines toxines végétales et animales telles que abrine, ricine, toxines diphtérique et téta- nique, et le venin des serpents. Dans ces intoxications, il a pu constater une grande analogie avec ce qui se passe dans les infections bactériennes. Il a pu voir que non seulement il y a intervention active des leucocytes, mais cette inter- vention est jusqu’à un certain degré mesurée : elle est pour ainsi dire proportionnée au danger que court l’animal ; ainsi l’afflux des leuco- cytes est d'autant plus prononcé que le danger de mortest plus grand. Mais le travail de Chatenay était passible d'une ncRe que Buchner avait formulée depuis 1891. En se basant sur les expériences qu'il a faites en collaboration avec Bühmer et Lange, Buchner arrive à cette conclusion générale que la chi- miolaxie des leucocytes est un fait incontestable, mais elle ne peut être provoquée que par des bactéries mortes dont le contenu serait dissous dans le liquide ambiant; en d’autres termes, la sensibilité chimio- tactique n’a lieu que lorsque les leucocytes sont mis en présence des substances protéiques : or, les toxines avec lesquelles travaillait Cha- tenay contiennent des substances protéiques et son travail viendrait par conséquent confirmer la conclusion de Buchner, alors que cette conclusion est de nature à porter une atteinte assez sérieuse à la doc- trine phagocytaire. Si nous avons bien compris la pensée de Buchner, il voulait dire que les leucocytes, par eux-mêmes, ne sont pas capables de donner lieu à une chimiotaxie positive; comme celle-ci n'apparaît qu’en présence des corps protéiques, force est d'en conclure que si ces corps manquaient dans un milieu donné, les leucocytes ne pourraient jamais y êlre attirés positivement. En d’autres termes : point d’hyper- leucocytose sans protéines. Il s’agit là d'une question de principe qu'il fallait élucider. Pour se mettre à l’abri de cette objection de Buchner, et prouver en même temps que la sensibilité chimiotaxique, positive aussi bien que négative, estune propriété inhérente aux leucocytes, et n’a rien à avoir avec la préexistence des protéines, M. Metchnikoff a eu l'idée d'étudier les réactions des leucocytes vis-à-vis d’une substance solu- ble à laquelle on ne pourrait pas reprocher de contenir de protéines. Il s'est arrêté à l’acide arsénieux. Cette substance présentait en plus un autre avantage, c'est de posséder à l’encontre des toxines et venins une physionomie chimique bien définie ; on pouvait donc espérer résoudre avec cette substance, 736 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. qui se prête si bien à l'analyse chimique, plusieurs questions ayant irait aux intoxications en général. Ce travail, qui paraîtra prochainement dans ces Annales, n’est pas encore terminé, mais les résultats obtenus jusqu'ici projettent déjà une lumière suffisante sur la nature de la leucocytose. Pour le moment, nous nous bornerons de dire que la conception de Buchner sur la chimiotaxie et ses rapports inévitables avec les protéines qui en seraient Îles conditions sine qua non, ne tient pas debout devant ces faits. Nous avons établi de la façon la plus nette que les leucocytes réagissent vis-à-vis de l'acide arsénieux, absolument comme vis-à-vis de n’importe quelle substance protéique de Buchner. Mais, pourra nous objecter Buchner, en injectant de l'acide arsé- nieux, vous avez provoqué une hypoleucocytose; eh bien, qui sait si, pendant cette hypoleucocylose. il ne se produisit pas une destruction cellulaire, laquelle destruction, par les matières protéiques mises en liberté, a déterminé une hyperleucocytose ? Bien que cette objection de Buchner puisse être attaquée sur plusieurs points, nous ne le ferons pas, mais au contraire, nous accepterons sa manière de voir. Mais qu'est-ce qui en résulte ? Nous avons injecté de l’acide arsé- nieux,une chimiotaxie a eu lieu ; mais c’est là tout ce que nous voulons démontrer. Peu nous importe, pour le moment, quelle en était la cause première; le fait essentiel, c’est qu’elle a eu lieu, bien que nous n’ayons mis en présence des leucocytes ni bactéries mortes, ni substances pro- téiques, facteurs sans lesquels, d’après Buchner, une chimiotaxie positive ne peut guère exister. Donc ce ne sont pasles protéines bactériennes. niles bactéries mortes qu'il faut incriminer, toutes les fois qu'on se trouve en présence d’une hyperleucoytose ou chimiotaxie positive, mais c’est dans la pro- priété des leucocytes eux-mêmes qu'il faut chercher la clef du phénomène. De sorte que la principale thèse de Buchner perd toute sa valeur et sa défaite doit être mise à l'actif déjà considérable de la doctrine phagocytaire. En nous réservant de revenir sur celte question avec beaucoup plus de détails, dans un mémoire spécial, disons, pour nous résumer, que la leucocytose doit être considérée comme un moyen de défense dans la conception la plus large du mot; c’est un phénomène biolo- gique général qui s’étend sur toutes les influences nocives de l’écono- mie, sous quelques formes qu'elles se présentent, solide ou liquide. BESREDKA. SUR LA PESTE BUBONIQUE Communication de M. Metchnikoff au Congrès de Moscou. (Août 1897.) MESDAMES ET MESSIEURS, Il n’y à pas encore bien longtemps que nous regardions la peste comme une maladie pour ainsi dire éteinte, ne présentant plus guère qu'un intérêt historique. Sa soudaine apparition à Hong-Kong et dans l'Inde, où elle vient de se montrer aussi meurtrière que naguère, en a fait encore une fois une actualité. Aussi ai-je accepté la mission qui m’a été confiée par l’Institut Pas- teur de vous présenter le récit des recherches entreprises pour étu- dier et combattre la peste bubonique. J'ai pensé que ce rapport pour- rait intéresser les membres des sections, réunis dans une des séances générales, et que je pourrais ainsireconnaitre l'honneur que m'a fait le Comité d'organisation de ce congrès en m'invitant à prendre la paroie. Plusieurs personnes de notre Institut ont pris part à ces études sur la peste, mais ce sont surtout MM. Yersin et Roux qui s’y sont attachés. Lorsqu'en 1894 la peste éclata à Canton et à Hong-Kong, le gou- vernement français et l’Institut Pasteur, soucieux de l’intérêt des colonies de l’Indo-Chine, prièrent Yersin dese rendre dans les endroits envahis par le fléau. Arrivé à Hong-Kong en juillet 1894, peu de jours après Kitasato, bactériologiste japonais, Yersin, après des recherches laborieuses, effectuées dans des conditions particulièrement difficiles, découvrit le microbe pesteux. Indépendamment de lui, Kitasato arri- vait au même résultat. Le savant japonais s’est borné à communiquer quelques notes préliminaires sur ce sujet, tandis que Yersin en a pour- suivi étude avec persévérance; c’est donc à lui que nous devons le meilleur de nos connaissances actuelles sur la peste. Le microbe pesteux a été pressenti depuis longtemps, mais la preuve de son existence ne pouvait être donnée qu'après les grands progrès réalisés par les travaux de Pasteur, suivis de ceux de Koch, et de leurs écoles. Muni de toutes les ressources de la science moderne, Yersin à démontré que la peste bubonique est l’œuvre d’un petit #7 138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. microbe qui revêt la forme d’un minuscule bâtonnet, souvent étran- glé dans son milieu, et dont l'aspect peut se comparer à une navette de tisserand. Seulement cette navette est quelques milliards de fois plus grand que le bacille pesteux. Le microbe pesteux, ou Coccobacillus pestis, comme on le désigne dans le langage scientifique, pullule dans les bubons et se retrouve dans les crachats, l’urine et les déjections des malades. C’est par ces diverses voies qu’il passe dans le milieu extérieur pour répandre le mal. Il à été retrouvé aussi dans le sang et les organes internes des pestiférés, rate, foie, ganglions lymphatiques, etc. Outre sa forme ordinaire, le bacille pesteux présente souvent celle de bactéries presque sphériques, ou bien encore celle de chai- neltes plus ou moins longues. Facilement colorable par les couleurs d’aniline basiques, il ne retient pas la coloration par le procédé de Gram. Vous vous étonnerez peut-être que ce microbe, qui a à son actif la mort de millions d'hommes, soit considéré par les spécialistes comme un être chétif et délicat. En effet, il faut beaucoup de soin pour le conserver à l'état vivant et nuisible, car très multiples sont les causes qui le tuent ou le rendent inoffensif. Yersin et Kitasato ont réussi à le cultiver en dehors de l’organisme dans des milieux artificiels divers, comme le bouillon, la gélatine (qui n’est jamais liquéfiée par ce microbe) ou la gélose, mais on constate facilement que le bacille pesteux se développe dans ces conditions beaucoup moins bien que la grande majorité des microbes pathogènes et non pathogènes. Lorsque, après avoir ensemencé, on trouve le lendemain une abondante récolte, on peut être sùr de l’immixtion d’un germe étranger qui a étouffé et compromis le développement du bacille pesteux. Les cultures de ce microbe, maigres et peu abondantes, périssent au bout d’un temps variable, mais relativement court, si on les aban- donne à elles-mêmes. Pour être conservées, elles doivent êlre souvent réensemencées sur des milieux nutritifs et à l’abri d’autres espèces microbiennes. Le bacille de la peste est pathogène non seulement pour l’homme, mais aussi pour un grand nombre d'animaux, notamment pour les mammifères les plus divers. Les oiseaux sont en général peu ou pas du tout sensibles à son action : ils ont par contre leur propre peste qui est le choléra des poules, maladie qui sévit dans les basses-cours et est produite par une autre espèce de coccobacille, très voisin de celui de la peste humaine. Mais, tandis que le microbe du choléra des poules tue les animaux pour lesquels il est virulent, dans l’espace de quelques heures, provoquant une maladie des plus foudroyantes qui existent dansla nature, celui de la peste bubonique, même inoculé aux SUR LA PESTE BUBONIQUE. 139 espèces les plus sensibles, demande une série d’heures et même sou- vent plusieurs jours pour amener la mort. Les rongeurs, notamment les souris, les rats, les cobayes et les lapins sont particulièrement aptes à contracter la peste. Les travaux de Yersin ont même établi que les épidémies des souris et des rats qu’on a souvent observées comme des avant-courriers de la peste humaine, sont provoquées par le même cocobacille pesteux. En passant par le corps de ces ani- maux, le microbe, qui en général s’atténue avec une grande facilité, conserve et même augmente sa virulence. C’est ainsi qu’une race inoffensive va se transformer en peu de temps en une variété meur- trière pour l'homme. Malgré ce renforcement, le bacille de la peste n acquiert jamais la rapidité d'action du bacille du choléra des poules. Ce fait indique que le premier rencontre toujours une certaine résis- tance de la part de l'organisme, tandis que le second envahit l'animal sans la moindre opposition. Déjà les anciens auteurs avaient remarqué que la formation de bubons chez l’homme atteint de peste est un signe de la réaction de l'organisme contre la cause de la maladie. En effet, dans les cas les plus foudroyants, on n’observe pas de bubons, ou bien les ganglions sont peu développés. Chez les animaux inoculés avec le bacille pesteux, on voit les bubons se développer beaucoup lorsque la maladie se pro- longe plus longtemps que d'habitude. Quelquefois ces ganglions sont très gros chez les rats et les autres rongeurs, chez lesquels le microbe, inoculé sous la peau, produit une maladie à évolution ralentie, D'après les recherches très intéressantes exécutées par la commission russe, à Bombay, une simple piqüre, faite à des singes avec une aiguille chargée de cocobaccilles pesteux, provoque une peste généralisée, en beaucoup de points comparable à la maladie classique de l'homme. Dans le voisinage du point inoculé, il se développe un bubon plus ou moins gros, dans lequel, comme chez l’homme, le microbe pullule en grande abondance. La maladie se généralise et le singe meurt au bout de plusieurs (2 à 7) jours. La formation de bubons, c’est-à-dire le gonflement de ganglions lymphaliques, constitue en effet une des manifestations de défense de l'organisme contre l'invasion du petit coccobacille. Ce microbe, une fois arrivé dans les tissus, y rencontre toute une armée de cellules qui opposent une résistance plus ou moins efficace à l’envahisseur., Dans cette armée, on distingue une cavalerie légère, composée d’une quantité d'éléments connus sous le nom de globules blancs polynu- 1. « Lorsque le venin est déjà entièrement mêlé avec les humeurs, et qu'il vient à corrompre la masse du sang, la nature cherche à se débarrasser de la matière de la maladie par des dépôts aux glandes externes. » CHances DE MERTENS. Traité de la peste, 1784, p. 84. 740 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. cléés, et une grosse cavalerie, constituée par de grandes cellules mononucléées, ou macrophages, qui se produisent précisément dans les ganglions lymphatiques. Il s'engage ainsi une lutte entre le microbe et l'organisme, lutte dont les péripéties retentissent sur l’état général des malades. En premier lieu, les microbes, entrés en petit nombre, sont mis en échec par des cellules défensives. Ce sont les macrophages qui les saisissent et apportent un certain arrêt à leur développement. Quand l’organisme sort vainqueur de cette lutte, c’est que les microbes ont trouvé la mort dans l'intérieur des macrophages. Mais dans les cas si nombreux où la maladie prend le dessus, les microbes s'adaptent à vivre dans l’intérieur des macrophages, s’échappent au dehors, pénètrent dans la lymphe et le sang et, envahissant le corps entier, amènent la mort. Dans ces cas, l’orga- nisme a beau envoyer sur le champ de bataille une grande masse de globules polynucléés. Incapables d'arrêter le microbe renforcé par la lutte qu’il a soutenue, ces cellules se rapprochent de l’envahisseur, mais ne lui sont pas un obstacle. L'arme terrible avec laquelle le microbe intervient dans sa lulte triomphale, c’est le poison qu’il produit, Accumulée dans le corps du bacille, cette torine pesteuse est sécrétée en dehors, dans les tissus et les liquides de l'organisme. C’est elle qui provoque la fièvre si intense dans la peste, qui provoque le gonflement des ganglions lymphatiques, et qui empêche les cellules défensives de saisir et de détruire l’ennemi. Dès le début des recherches modernes sur le microbe de la peste, on a fait beaucoup d'essais, pour isoler la toxine pesteuse du bacille qui l’a produite. On a établi d'abord que le corps de ce microbe est très toxique par lui-même et par conséquent on a taché d’obtenir le poison, en traitant les bacilles pesteux par des alcalis (Yersin, Lustig et Galeotti}, ou en l’extrayant par la glycérine (Gabritchewsky). M. Roux a réalisé un véritable progrès en démontrant la possibi- lité de préparer la toxine pesteuse dans les cultures en milieux li- quides. Dans son procédé, la condition essentielle est d’avoir comme point de départ un microbe pesteux très virulent. Pour atteindre ce but, M. Roux introduit le coccobacille dans l'organisme, en cmpêchant les cellules défensives de gèner son développement. Pour cela il l’en- ferme dans de petits sacs de collodion qu'il place dans le péritoine des lapins. Les microbes se développent librement dans les humeurs qui ont passé à travers la paroi du sac, et en peu de temps acquièrent une virulence très grande. Cette race renforcée est ensuite ensemencée dans un bouillon de cul- ture qui doit renfermer un peu (1/2 0/0) de gélatine. Au bout de quel- ques jours, le liquide de culture devient si riche en toxine que, débar- rassé des corps microbiens par filtration à travers la bougie Chamber- SUR LA PESTE BUBONIQUE. 741 land, il tue en peu de temps les animaux de laboratoire. On a encore une toxine plus active en laissant macérer les corps microbiens dans le liquide de cullure recouvert d’une couche de toluol. Lorsque les bacilles sont morts, ils tombent au fond du vase, et le bouillon de culture, devenu clair, est précipité par le sulfate d’ammoniaque. On obtient ainsi une poudre qui renferme la toxine et peut être facile- ment conservée. Son activité est telle que 1/4 de milligramme suffit pour tuer une souris en quelques heures, et 4 centigrammes pour tuer un lapin. M. Roux a constaté que, parmi les rongeurs qu'on emploie dans les laboratoires, c’est le cobaye qui est le moins sensible à la toxine pesteuse. Cette substance est en général peu stable, de sorte que le chauffage à 70° suffit déjà pour en détruire une partie notable. L'histoire naturelle du bacille pesteux, malgré une quantité de faits précieux et bien établis qui la concerne, est encore loin d’être complète. Nous ignorons notamment les condilions dans les- quelles le bacille se conserve dans la nature pendant de longues pé- riodes. Depuis les travaux de Kitasato sur la grande sensibilité du bacille pesteux vis-à-vis de la dessiccation, de l’insolation et des anti- septiques, on admet généralement que ce microbe ne peut se conserver en dehors de l'organisme que pendant un temps relativement très court, et encore en perdant la majeure partie de sa virulence. Ces faits n’expliquent pas suffisament certaines observations épidé- miologiques, d’après lesquelles la peste serait communiquée par des effets conservés pendant longtemps à l'état sec, ou encore par des marchandisesexpédiéesàlonguedistance. Ense basant sur ces données, on est amené à supposer l'existence d’une forme de résistance du ba- cilie pesteux qui, jusqu’à présent, n'a pas été rencontrée. Bien que les connaissances actuelles sur le coccobacille de la peste humaine soient encore incomplètes, les faits acquis présentent néanmoins une grande importance. Dès que l’Institut Pasteur eut recu les premières cultures du bacille pesteux, expédiées de Hong-Kong par Yersin en 1894, il chercha à en lirer parti. Sous la direction de Roux, Calmette et Borrel ont commencé à vac- ciner des petits animaux de laboratoire, tels que lapins, cobayes et autres, dans le but d'établir les meilleures méthodes d'immunisation contre la peste. Bientôt Yersin, de retour à Paris, s’associa à eux pour mener à bien ce travail. Ce n'est pas sans peine que les observateurs que je viens de nom- mer ont réussi à vacciner des rongeurs à l’aide de cultures stérilisées. Ils ont dû procéder avec beaucoup de ménagements, mais au bout de quelques mois de recherches leurs efforts ont été couronnés de succès. Ils ont établi que non seulement on peut vacciner sûrement les 142 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. petits animaux contre des doses mortelles de virus pesteux, mais ils ont constaté aussi que le sang de ces rongeurs vaccinés est capable de conférer l’immunité à d'autres individus. Après celte découverte, on pouvait songer à appliquer la sérothérapie à la peste, comme Behring l'avait fait pour la diphtérie. On s’est donc mis immédiatement à immu- niser un cheval, en lui injectant des cultures vivantes du bacille pes- teux dans les veines. Chaque injection provoquait une réaction vio- lente ; après que le cheval était rétabli, il recevait une nouvelle dose de bacilles. Lesérumsanguin de cet animal s’est montré assez actif pour prévenir la peste chez les petits animaux de laboratoire, et était même capable de guérir des souris 12 heures après l’inoculation virulente. C'est avec le sérum de ce cheval que Yersin essaya de guérir la peste humaine, pendant l'épidémie à Canton et à Amoy dans l'été de 1896. Yersin y ajouta encore quelques flacons de sérum d’une jument, immu- nisée par le même procédé dans son laboratoire de Nha-Trang dans P’Annam ‘. Le premier cas traité élait celui d’un jeune Chinois, élève sémina- riste à Canton, qui fut sauvé, avec 30 c. c. de sérum, d’une attaque de peste très grave. Le sérum provenait de Nha-Trang et était actif à 1/20 de c. c. pour préserver une souris contre une dose mortelle de bacilles pesteux. Encouragé par ce résultat, et comme la peste à Canton était pres- que terminée, Yersin sc rendit à Amoy où il trouva moyen, avec la petite quantité de sérum qu'il avait à sa disposition, de traiter 23 nou- veaux Cas de peste. Le résultat dépassa toute prévision, car 2 seule- ment des malades moururent, tandis que 21 pestiférés, dont plusieurs présentaient des cas très graves, guérirent. En tout sur 26 malades, traités en 1896 à Canton et à Amoy, on n'a eu que deux morts, ce qui donne une mortalité inespérée de 7,6 0/0. En présence de résultats aussi importants, on résolut d’immuniser un certain nombre de chevaux à Nha-Trang. D'ailleurs la peste mena- çait de s'étendre en Asie, et il fallait se préparer pour expérimenter le sérum dans une nouvelle épidémie. Celle-ci apparut même plus tôt qu'on ne pensait; en effet, la peste se développa d’une façon très intense dansl’Inde Anglaise dans l'été de 1896, notamment à Bombay, et comme celte ville est en communication continue avec l’Europe, on avait bien le droit de redouter l'importation du germe pesteux sur notre conti- nent. Au mois de septembre, il se produisit en effet (rois cas de peste dans la Tamise, sur des bateaux arrivés de Bombay; ils purent être facilement isolés et ne donnèrent lieu à aucune extension épidé- mique. L’inquiélude générale qui se manifesla partout en Europe, surtout 1. Yersin, Ann. de l'Inst. Past., 1896, p. S1. SUR LA PESTE BUBONIQUE. 743 dans les endroits le plus directement menacés, comme la Perse, la Turquie, la Russie et certains points de l'Europe occidentale (sans par- ler du danger qui se présentait pour beaucoup de pays asiatiques), imposait des mesures rapides. C'est pour cela que, indépendamment de l'installation de Yersin à Nha-Trang pour la préparation du sérum antipesteux, M. Roux établit dans le même but une écurie de 25 chevaux à Garches, aux environs de Paris. On se trouva alors en présence d’une question pratique très grave. Tant qu'il ne s'était agi que d’immuniser un seul cheval, logé dans une écurie facilement stérilisable de l’Institut Pasteur, sous la surveillance permanente du personnel, on avait pu luiinjecter des cultures vivantes du bacille pesteux, sans crainte du moindre accident. Les choses étaient bien différentes du moment qu’il fallait traiter un grand nombre de chevaux dans des conditions d’isolement et de garantie moins sûres. Voilà pourquoi M. Roux s’astreignit à n’immuniser les animaux de Garches qu'avec des cultures stérilisées par la chaleur ou bien avec des toxines préparées dans des milieux artificiels. Comme les pre- mières observations de sérothérapie pesteuse chez l'homme donnaient à penser que des sérums relativement faibles pouvaient amener la gué- rison, la mesure de prudence que je viens de mentionner semblait tout indiquée. Or, il est à noter que la première campagne de 1896 a donné des résultats au-dessus de toute attente, tandis que celle de 1897 en a fourni de bien inférieurs. Après un court séjour à Paris dansl’hiverde l’année courante, M. Yer- sin s’est rendu d’abord à Nha-Trang, d’où il a dû, pressé par l’exten- sion et l’aggravation considérable de la peste dans l'Inde, se diriger presque immédiatement sur Bombay. Il emportaitune provision de sé- rum, dont les meilleures portions étaient actives seulement à 1/10 de c. c. pour préserver une souris du bacille pesteux; les autres ne l’étaient qu'à des doses de 1/4et même de 1/2 c. ec. Ce sérum provenait des chevaux de son laboratoire de Nha-Trang, immunisés en partie avec des cultures virulentes, injectées dans la veine, en partie avec des cultures atténuées, introduites sous la peau. Ces animaux étaientimmu- nisés depuis trop peu de temps et leur sérum était beaucoup moins actif que ceux qui avaient été employés en Chin° en 1896. Les résultats de cette différence se sont fait bientôt sentir. Sur un total de 141 pesti- férés, traités à Bombay et à Cutch-Mandvi, la mortalité a été de 49 0/0. Pour se rendre compte de la valeur de ces résultats, il ne faut pas se contenter de considérer ces chiffres en bloc. La première série de 51 cas, traités par Yersin pendant le mois de mars à Bombay, a donné une mortalité de 33 0/0, tandis que la deuxième série de 19 cas, trai- tés en avril, a présenté une mortalité plus que double, 72 0/0. Gelte différence si étonnante s'explique très facilement. La première série 744 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. des malades avait reçu du sérum apporté par Yersin. Sans être encore très actif, ce sérum provenait cependant de chevaux immunisés par injections intraveineuses de cultures virulentes. La seconde série des malades reçut du sérum beaucoup moins actif, expédié à la hâte de Nha-Trang à Bombay dans des conditions toutes particulières : peu de jours après le départ de Yersin pour Bombay, le vétérinaire chargé de l'immunisation des chevaux fut enlevé brusquement par un accès de fièvre pernicieuse. Dès lors le laboratoire était désemparé; il ne put faire qu'un envoi de sérum très médiocre qui servit, faute d'autre, à traiter la seconde série des pestiférés. Les mauvais résultats, donnés par ce sérum, sont intéressants à comparer avec ceux de la première série. Dans celle-ci la mortalité a élé de 33 0/0 au lieu de 72 0/0 dans la seconde, ce qui prouve incontestablement l’effel curatif du premier lot de sérum apporté par Yersin. La troisième série, composée de 13 malades, avait été injectée avec du sérum préparé à Garches et actif à 1/10 c. c. Elle a donné une mortalité de 38 0/0, voisine de celle relevée dans la première série avec le sérum de Yersin, mais bien supérieure encore à celle de 7 0/0, obtenue en Chine. 58 nouveaux cas de peste, traités à Cutch-Mandvi avec un lot de sérum de Garches, ont fourni une mortalité de 58 0/0. Ei cependant l'observation précise des faits a bien montré à Yersin que le sérum a été souvent d'une efficacité indiscutable. Ainsi dans un cas très grave, d'une femme Parsi, enceinte au 4° mois, et prise de peste violente, accompagnée d’une fièvre intense (40,6), compliquée de vomissements et d’un état général inquiétant, l'injection de 110 c. ce. de sérum {actif à 1/10 de c. c. et provenant d’un cheval immunisé avec des bacilles virulents) a amené la guérison définitive. Chaque injection de sérum amenait une amélioration bien visible. Ce cas est d'autant plus remarquable que le traitement n’avait été commencé que le 3° jour de la maladie. L’analyse des séries de cas traités par divers sérums, ainsi que lob- servation des malades soumis à la sérothérapie, démontrent neltement le rôle curatif de cette méthode. Car la mortalité totale, de 49 0/0, doit être considérée comme un véritable progrès dans le traitement de la peste. Quelques médecins affirment que souvent la mortalité de cette maladie dans les hôpitaux ne dépasse pas 50 0/0, bien que l'on n'ait pas employé de sérum. Cette opinion est basée sur des données erro- nées. Les malades dans les hôpitaux se présentent dans des conditions bien particulières. Les Indous n’entrent pas volontiers à l'hôpital; il faut les y amener de force. C’est ainsi que dans l’Inde un corps spécial de police visitait les habitations et conduisait aux hôpitaux toutes les personnes qui paraissaient aiteintes. On ne recrute pas ainsi que des SUR LA PESTE BUBONIQUE. 745 pestiférés, mais aussi ceux qui souffrent de maladies fébriles, banales. M. Wyssokowitch a constaté que des malades admis comme atteints de peste étaient des tuberculeux, des dysentériques, ou même des pneumo- niques ordinaires. Sià cette circonstance on Joint cetteautre que les hôpi- taux reçoiventhbeaucoup de malades de la peste, arrivés déjà aux 4° et de jours, c'est-à-dire à l’époque où ils vont entrer en convalescence, on comprendra pourquoi la mortalité dans certains hôpitaux ne dépasse pas 50 0/0. M. Yersin a utilisé le loisir que lui faisait le manque de sérum pour dresser une statistique des cas de peste entrés à l'hôpital du Cutch-Mandvi du 27 avril au 15 mai. Sur 685 pestiférés, 549 sont morts, soit 80 0/0. C’est donc ce chiffre qui représente la mortalité réelle de la peste dans les hôpitaux. Eh bien, si on le com- pare à celui de 49 0/0, observé chez des malades traités par la séro- thérapie, la différence mesure le bénéfice dû au sérum. Il est ici de près de moitié, malgré que les sérums employés n’aient pas été suffisam- ment actifs. D'ailleurs, ils ont été donnés parfois tardivement, dans des cas si avancés que véritablement la guérison n’était plus possible. Ces résultats, tout imparfaits qu’ils soient, montrent cependant l'efficacité du sérumantipesleux, ce qui. d’ailleurs, n’étonnera aucun de ceux qui ont vu de leurs propres yeux l'action du sérum antipesteux dans la maladie expérimentale des animaux. En dehors du rôle curatif du sérum antipesteux, il était très important de se faire une opinion précisesur sa valeur comme moyen de prévenir la peste chez des personnes exposées à contracter la maladie. M. Yersin a mis beaucoup de soin à étudier cette question. Il a fait en somme plus de 500 injections préventives chez des indi- vidus vivant en plein foyer pesteux et ici, malgré le faible pouvoir thé- rapeulique de ses sérums, les résultats ont été très favorables. Il est toujours difficile de juger d’une façon bien précise du rôle protecteur du sérum: cependant ce rôle a été souvent si marqué qu’on ne peut le mettre en doute, Ainsi deux des médecins de la mission autrichienne, injectés préventivement par le sérum de Yersin, se sont blessés à une autopsie; le lendemainils avaient, à l’aisselle du côté lésé, un petit ganglion douloureux qui a disparu en 24 heures. La même observation a été faite par Yersin pour un des médecins de la mission russe. Dans une famille Parsi, 4 personnes meurent de la peste, 4 aulres malades de la peste sont guéris par le sérum. Le reste de la famille est vacciné par le sérum et l'épidémie s'arrête dans cette maison dès ce moment. Le fait suivant, communiqué par M. Yersin dans sa lettre du 2 avril à M. Roux, est encore plus significatif: « Dans une famille européenne, 746 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. un domestique meurt de la peste. La petite fille est prise, je la soigne et elle guérit. J’inocule préventivement le père, la mère et 4 domesli- ques. Aucun de ces derniers ne prend la peste, tandis que sur > domestiques, restant non inoculés, 4 prennent la peste et en meurent les jours suivants. » Comme dans les autres maladies, la diphtérie par exemple, l’im- munité, conférée par les sérums anlipesteux, est en général peu durable. Sur plus de 500 personnes, traitées préventivement par M. Yersin, il n’a observé que à cas de peste, sur lesquels deux se sont terminés par la mort. La peste a éclaté 12, 20 et 42 jours après l’injec- tion prophylactique, ce qui concorde bien avec nos connaissances générales sur ce sujet, et ce qui prouve que dans certains cas les inocu- lations doivent être répétées tous les 10 ou 15 jours. Dans deux autres cas, la peste s'est déclarée si vite après les injections de sérum, qu'il faut plutôt admettre que les personnes se trouvaient déjà dans la période d’incubation de la maladie, et que les doses beaucoup trop faibles de sérum (5 et 10 c. c.) ont été impuissantes pour arrêter l’éclo- sion de celle-ci. D'après les dernières nouvelles de Cutch-Mandvi, communiquées par M. Simond, « parmi 400 vaccinés, il ne s'est produit depuis 10 à 20 jours aucun cas de peste ». Dans un village où la maladie fait tou- jours des victimes, les 2/3 de la population masculine ont été vaccinés. « Aucun de ceux-ci n'a été atteint, tandis que plusieurs cas ont eu lieu parmi les non vaccinés. » IL est évident que les sérums peu actifs, comme ceux qui ont été employés pendant la campagne des Indes, sont destinés à rendre des services comme moyen préventif plutôl que comme remède contre la pesle. L'efficacité des sérums, expédiés à grande distance, de Paris et de Nja-Trang, dans l'Inde, a pu être démontrée non seulement par les résultats du traitement préventif et curatif chez l’homme, mais aussi par les expériences sur les animaux. Celles-ci ont été faites par les membres de la mission russe à Bombay, qui ont entrepris une série de recherches très importantes sur l’action des sérums antipesteux chez des singes, très sensibles à la peste. Il résulte du rapport publié par M. Wyssokowitch, que le sérum est capable non seulement de pré- server les singes contre la peste mortelle, mais aussi de les guérir, lorsqu'on l’injecte 24 et même 48 heures après l’inoculation du virus, c'est-à-dire à une période où les symptômes de la peste sont déjà bien manifestes. Ces résultats, confirmés par les savants de la mission allemande, sont très démonstratifs, surtout parce qu'ils ont été obtenus dans des conditions d’expérimentation bien précises. SUR LA PESTE BUBONIQUE. 747 Les sérums, employés dans l’Inde par Yersin, sont donc en général efficaces contre la peste, mais ils ne l’ont pas été assez pour suffire à tous les besoins auxquels ils avaient été destinés. Pour retirer de cette leçon tout l'avantage qu’elle présente, il nous faut entrer quelque peu dans l'examen des sérums en général. Trop souvent on considère ces liquides comme des substances définies et toujours semblables à elles-mêmes. Or, il n’en n’est pas ainsi enréalité. Il y a sérums et sérums. Les uns agissent exclusivement contre le microbe pathogène d’une facon directe ou médiate. Ce sont les sérums antünfectieux. D'autres sérums agissent contre le poison et sont par conséquent antitoriques. Souvent les deux propriétés sont réunies, mais souvent aussi elles sont plus ou moins nettement séparées. On conçoit facilement que pour préserver contre une maladie, c'est-à-dire pour empêcher le développement du microbe pathogène dans l'organisme, pour étouffer dès le début le producteur du poison, un sérum n’a pas besoin d’être muni d’une propriété antitoxique bien marquée. Au contraire, lorsqu'il s’agit de guérir une maladie déjà déclarée, quand l'organisme souffre de l'effet du poison sécrété, il faut, aulant que possible, supprimer l'intoxication produite et il faut en même temps arrêter le microbe dans sa fonction funeste. Des recherches, dirigées par M. Roux pour élucider cette question importante, lui ont révélé ce fait imprévu que tous les sérums anti- pesteux préparés par n'importe quelle méthode sont loujours des sérums antitoxiques. Seulement cette propriété antitoxique est plus ou moins développée, selon la façon dont le sérum a été préparé. Ainsi les sérums, obtenus au moyen de cullures du bacille pesteux sur gélose, injeétées à l’état vivant dans les veines des chevaux, sont beaucoup plus antitoxiques que les sérums préparés avec des bacilles morts. Les sérums, obtenus à l’aide de toxines actives, sont beaucoup plus antitoxiques que ceux préparés avec les toxines altérées par la chaleur ou par des procédés chimiques (toxoïdes d'Ehrlich). De là il résulte toute une série d'enseignements précieux, qui doivent être constamment pris en considération. En principe, la sérothérapie antipesteuse doit êlre considérée comme une question résolue, mais dans la pratique il faut tâcher d'obtenir des sérums beaucoup plus actifs que ceux qui ont été employés jusqu'à présentet surtout beaucoup plusantitoxiques que ceux qui ont été utilisés dans la campagne de l'Inde de l’année courante. Le cheval, fournisseur du sérum qui a donné en Chine de si bril- lants succès, avait été préparé pendant une année entière. Les animaux qui ont donné le sérum employé dans l'Inde étaient en immunisation depuis trois mois à peine. C’est encore là une circonstance dont il faut tenir compte, quand on compare les résultats des deux campagnes. 748 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, Dans le désir de découvrir comment agit le sérum antipesteux, M. Zabolotny, membre de la mission russe à Bombay, a fait des obser- vations d’un grand intérêt sur des singes. Il a constaté que, sous l'influence du remède, il se produit rapidement un afflux considé- rable de globules blancs dans des foyers infectés par le coccobacille pesteux, et que ces cellules protectrices saisissent avec une avidité étonnante une quantité énorme de microbes. Ce fait a pu être confirmé pour les rongeurs, où l'influence du sérum se traduit également par un englobement total des bacilles pesteux par les globules blancs. Et ce ne sont pas seulement les cellules macro- phages qui saisissent les microbes, mais aussi et surtout les globules polynucléaires très nombreux. Il est très facile de démontrer que cette voracité des cellules protectrices s'exerce vis-à-vis des bacilles bien vivants : une goutte de l’exsudat, renfermant les deux partis combat- tants, placée dans des conditions avantageuses pour le microbe et funeste pour les cellules, ne tarde pas à se peupler de bacilles nom- breux qui se développent d'abord dans l'intérieur des globules. Comme il a été démontré que tous les sérums anti pesteux sont plus ou moins antitoxiques, on pourrait supposer que la destruction de la toxine pesteuse est indispensable pour que les cellules puissent dévorer et détruire les microbes. Eh bien, lorsqu’au lieu du sérum spécifique on injecte à des animaux du bouillon, qui n'exerce aucune action antitoxique, on observe également un englobement considérable des microbes par les cellules protectrices. Cet englobement aura pour conséquence la destruction d’un grand nombre de bacilles pesteux et une résistance des animaux plus ou moins efficace et prolongée. Les substances qui agissent favorablement sur l'organisme dans sa lutte contre la peste augmentent l’activité des cellules protectrices. Les sérums antipesteux, comme moyen de prévention et de guéri- son, ont en leur faveur cette circonstance importante que leur admi- nistration dans l’organisme est exempte de tout danger tant soit peu sérieux. Yersin a bien observé quelques cas d’urlicaire ou d’autres éruptions à la suite de ses injections, comme cela se voit aussi dans d’autres exemples de sérothérapie. Mais ces troubles sont trop légers pour faire hésiter dans l’emploi des sérums. Il n’en est pas ainsi pour une autre méthode d’immunisation qui a été tentée contre la peste. Avant la découverte de la sérothérapie, la vaccination, telle qu’elle avait été inventée et introduite par Pasteur et ses collaborateurs Roux et Chamberland, consistait dans l'injection, dans l’organisme qu’on voulait protéger, des microbes atténués. Plus tard on y joignit encore la vaccination par des microbes tués par la chaleur ou un procédé chimique quelcouque. Ces méthodes ont donné des résultats merveil- SUR LA PESTE BUBONIQUE. 149 leux dans la prévention des épizooties et dans la prophylaxie de la rage chez l'homme. L'application de cette méthode à la prévention des maladies dont les microbes se distinguent par une toxicité considérable rencontre de graves inconvénients. L'introduction dans l’organisme des bacilles pesleux quoique morts, mais toxiques, amène bien une immunité assez durable et efficace, mais elle produit aussi des troubles graves qui peuvent amener des résultats fâcheux. Ceux qui ont observé les effets des cultures toxiques du bacille pesteux sur les chevaux le savent bien. Si au contraire on se contente d’injecter des cultures pesteuses dont la toxine est déjà fortement altérée, on évite à l'organisme l'effet nuisible du poison, mais d’un autre côté on diminue la durée de la vaccination. Ces considérations s'appliquent à la méthode des vaccina- tions antipesteuses, pratiquée par Haffkine dans l’Inde et essayée par M. Kolle et quelques autres médecins allemands. Moins inoffensive que la méthode des sérums, d’après les expériences de la mission russe, elle ne donne pas une immunité de plus longue durée. Dans cet exposé de l’état actuel de la question, j'ai tâché de vous présenter les deux faces de la médaille. Essayons maintenant de faire le bilan des données acquises. La microbiologie de la peste humaine est encore loin d'être complètement élucidée, mais cela n'empêche pas qu’elle rend déjà des services précieux dans la lutte contre ce fléau. L'histoire des épidémies antérieures montre que le mal a puse répandre grâce au manque de précaulions vis-à-vis de cas où on était dans l’impossibilité de faire un diagnostic précis de la peste. Ainsi, parexemplela dernière épidémie de peste, qui a sévi à Moscou, en 1771, avec une intensité effroyable, s'était développée à la suite des hésita- tions qu'éprouvèrent les médecins à reconnaître les premiers cas. Tandis que les uns se prononçaient dans le sens affirmatif, d'autres, notamment le physicien de la ville, autorité officielle, Rinder affirmait que les cas suspects étaient une simple fièvre putride, qu'on ne devait pas confondre avec la peste. Dans ce cas, comme dans tant d’autres, l’optimisme a eu des con- séquences incalculables, Le public est toujours tenté de faire des reproches aux médecins, sans tenir compte de l'incertitude dans laquelle les met souvent l’élat de la science contemporaine. Beaucoup d’entre nous se souviesnent d’un cas tout opposé, où c’est le pessi- misme médical qui a amené des résultats fâcheux. Lors de l'épidémie de Vetlianka en 1878-79, les médecins des diverses localités veillaient avec une attention particulière sur les maladies accompagnées du gonflement des ganglions. On sait que souvent la vraie peste, surtout au début d’une épidémie, peut revêtir une forme bénigne et pour- tant être très dangereuse au point de vue de la santé générale. Guidé 150 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. par ces considérations, un elinicien immortel, dont le nom est cher à tous ceux qui prennent au cœur les intérêts de la médecine en Russie, feu M. Botkine diagnostiqua la peste à Saint-Pétersbourg chez le con- cierge Naoume Prokofief, devenu célèbre. On a présenté à la mémoire l'impression immense produite par cette révélation et ses conséquences morales et matérielles. Ici encore on a voulu incriminer le médecin, sans prendre en considération l’état de la médecine. Eh bien, grâce à la découverte du microbe pesteux, de tels cas ne peuvent plus se renouveler. Sauf de rares exceptions, le diagnostic bactériologique et très précis de la peste humaine est chose facile pour qui est bien au courant des méthodes microbiologiques. Dans les cas graves comme dans les cas bénins, on peut trouver le coccobacille pesteux et le distinguer sûrement de tout autre microbe. Le diagnostic bactériologique est donc destiné à rendre des ser vi- ces considérables dans la lutte contre la peste. La prévention par le sérum antipesteux doit être également con- sidérée comme un fait bien acquis et prêt à être utilisé dans une foule de circonstances. La nécessité de répéter plusieurs fois les injections prophylactiques ne peut être sérieusement mise en compte, en présence de tous les avantages de cette méthode. On pense souvent que cette prévention par le sérum doit être étendue à une masse de personnes à la fois. C’est une erreur. Il n'y a que les gens qui sont en danger permanent de contracter ou de répandre la peste qui doivent être soumis au traitement prophylacti- que. Ainsi les personnes qui arrivent d’un endroit contaminé dans un pays indemne devraient être obligatoirement vaccinées par le sérum. De celle façon on empêcherait l'importation de la maladie, ce qui rendrait tout à fait inutile d'injecter le sérum à un grand nombre de gens. L'efficacité de cette méthode, jointe à la facilité avec laquelle elle peut être réalisée, plaident pour son emploi dans la pratique. Sa supériorité deviendra surtout très manifeste, dès qu’on la comparera avec les mesures qu'on prend généralement contre la peste, et qui consistent en toute sorle de procédés vexatoires, qui gènent le com- merce et qui engendrent plus d'inconvénients que d’avantages. La guérison de la peste déclarée présente sûrement plus de diffi- cultés que le diagnostic ou la prophylaxie de la maladie. Il faut pour cela des sérums plus actifs que ceux qui ont été essayés jusqu’à pré- sent. Mais, une fois bien démontrée, c’est-à-dire la possibilité de guérir la peste avec des sérums, le reste n’est qu’affaire de temps, de science et de patience. On à cru souvent que certaines maladies sont par elles-mèmes destinées à disparaître, et que par conséquent il est inutile d'en cher- cher le remède. On citait notamment la peste et la lèpre. Les faits SUR LA PESTE BUBONIQUE. 151 récents ont bien prouvé l’inanité de ces espérances. Les difficultés immenses qu'on rencontre avec la lèpre qui, loin de disparaître, s'étend au contraire dans des proportions inquiétantes, mettent encore plus en relief tous les bienfaits que la science a pu réaliser dans sa lutte contre la peste humaine. Detoutes les maladies, la peste est celle qui a laissé le plus de traces dans l’histoire. Voilà pourquoi il serait peut-être intéressant d'examiner les résultats acquis dans la lutte contre ce fléau au point de vue des grands problèmes qui, depuis longtemps, préoccupent l'humanité. Ces résultats peuvent mesurer le progrès réalisé par le genre humain. Autrefois, on attribuait la peste à la colère divine qu’on tâchait d’apai- ser par des lustrations et des sacrifices. On tuait des hommes sur des autels pour diminuer la mortalité par la peste. Plus tard on est descendu de ces sphères surnaturelles pour cher- cher la cause de la peste dans l'influence des corps célestes. L’appa- rition d'une comète ou un autre phénomène astronomique frappant l'attention, suffisaient à expliquer l'épidémie. Plus tard encore on a cherché la cause de la peste sur notre planète, et c'est à des tremble- ments de terre ou à des inondations qu’on attribuait le mal. A ces hypothèses obscures et sans fondement, la science moderne a substitué la notion tangible et lumineuse de l'agent vivant, du mi- crobe spécifique, seule cause de la maladie. Grâce à celte notion fon- damentale, on a pu trouver le moyen de prévenir et de guérir la peste, et c’est en dernier lieu le microbe pesteux lui-même qui fournit le remède. Une fois de plus le génie humain a su tirer le bien du mal! Cette histoire de la peste ne montre-t-elle pas la puissance de la méthode expérimentale et les bienfaits de la science exacte? A l’en- contre de ceux qui proclament la faillite de la science, comme le fai- sait ici même l'écrivain de génie que nous admirons tous, ou l'éminent critique français qui déclarait que « la science a perdu son prestige », et que « pour longtemps encore elle a perdu la partie », nous sommes en droit de proclamer que dans cette question de la peste, si importante pour l'humanité entière, c’est bien la science, et la science seule, qui a gagné la partie. Mais, nous dit-on, la question principale qui agite l’humanité n’est pas du tout la conservation du corps, mais bien la loi morale qui doit régler la vie humaine. Et on prétend que la science n'a pas qualité pour dire son mot dans ce domaine. Ou plutôt on pense souvent que la science ne peut donner que de mauvais conseils. Ainsi M. Brunetière a dit que « si nous demandions au darwinisme des leçons de conduite, il ne nous en donnerait que d’abominables ». La grande loi des êtres vivants étant la lutte pour l’existence et la victoire du plus fort, on en a conclu que la science enseigne la destruction 152 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. des faibles et par conséquent prêche l’immoralité. C’est un malentendu, duquel sont responsables non seulement les personnes étrangères à la science, mais aussi de véritables savants. La sélection naturelle ou la survivance des plus forts dans la lutte a été réellement proclamée par quelques savants comme règle de conduite envers les hommes. Ainsi on a reproché à la médecine de conserver des êtres faibles et partant d’intervertir la loi de la sélection naturelle. Häckel a même baptisé du nom de « sélection médicale » cette immixtion nuisible de l’art de guérir. Mais on a oublié que la sélection naturelle qui a créé les espèces cède ses droits lorsqu'il s’agit d’affaires humaines. On l’aide dans ce qu'elle fait de bon. On la contrarie quand elle se montre inclémente. Dans sa lutte contre la peste, l'humanité a assisté à un exemple de sélection naturelle des plus saisissants qu’il y ait jamais eus. Au xiv° siècle, un quart de la population européenne a été englouti dans cette lutte pour l'existence, tandis qu’une population notable a résisté, grâce à la protection naturelle de l'organisme. Mais il n’était pas possible de se contenter du progrès par la sélection natu- relle et la science a dû intervenir d’une façon plus efficace. Pour en donner un autre exemple d’un ordre plus concret, ne savons-nous pas que la sélection naturelle élimine les organes inutiles ou nuisibles ; iln’est pas douteux qu’elle tend ainsi à supprimer l’appen- dice iléo-cæcal, qui si souvent compromet la santé et la vie de tant d'individus. Mais la sélection naturelle ne produit ses effets qu'à lon- gue échéance, et la science chirurgicale n’a pas hésité à interve- nir pour enlever l’organe nuisible, d’une façon plus rapide et plus sûre. Le génie humain qui intervient pour modifier l’organisation de l’homme doit agir de même dans les questions de la vie morale, et ceci souvent à l'encontre des lois de la sélection naturelle. Voilà pourquoi il n’y a pas à craindre que la vraie science « ne donne que des leçons abominables » de conduite, et pourquoi la « sélection médicale », agis- sant à l'encontre de la sélection naturelle, n’est point redoutahle pour humanité. De même que, pour satisfaire ses sentiments esthétiques, l'homme n'hésite pas à violer les lois de la nature pour créer des races de fleurs stériles et étiolées, de même aussi, pour satisfaire ses sentiments moraux, il ne doit pas hésiter à conserver les faibles, au risque de violer ainsi les lois de la sélection naturelie. La science n’a pas failli à sa mission et à ses tradilions de générosité. Il faut donc la laisser poursuivre sans entraves sa marche progressive. mo Le Gérant : G. Masson. ———————————.————————— Sceaux, — Imprimerie E, Charaire, qime ANNÉE OCTOBRE 1897 No 9. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR BIMMUMITÉ ET LA SÉROTHÉRAPIE CONTRE LA RIÈVRE JAUNE Par LE D' J. SANARELLI Directeur de l’Institut d'Hygiène expérimentale à l’Université de Montévidéo. TROISIÈME MÉMOIRE Ï LE SÉRUM DES CADAVRES ET DES CONVALESCENTS DE FIÈVRE JAUNE L'intérêt de l'étude biologique du sérum de sang dans les maladies infectieuses réside non seulement dans les relations qu'il peut présenter avec la doctrine de limmunité, mais aussi dans l’aide qu'il est à même de prêter, pour le diagnostic, dans la pratique médicale. | C'est à cause de cela que j'ai aussi étudié cette question, mettant toujours à profit l’abondant matériel recueilli au lazaret de l’île de Florès et à l'hôpital Saint-Sébaslien de Rio Janeiro. Sérum du cadavre. — La plupart de mes autopsies ayant été pratiquées immédiatement ou peu de temps après la mort, j’ai souvent trouvé que le sang du cœur n’était pas encore coagulé, et pouvait être aspiré en quantité abondante dans Îles pipettes. Une fois la coagulation survenue dans celles-ct, il était facile d’en extraire le sérum, en introduisant la pointe d’une pipette stérilisée à travers le bouchon de ouate. Le sérum ainsi obtenu ne présente pas toujours le même aspect: parfois transparent et clair comme le sérum normal, il est d’autres fois légèrement rougi par l'hémoglobine dissoute ou 48 194 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. légèrement jaunâtre à cause de la présence des pigments. — J'ai souvent observé que le sérum jaunâtre prenait une teinte vert olivâtre, après une exposition d’un jour à la lumière; ce fait parle indiscutablement en faveur de la présence de la biliver- dine. Dans quelques cas enfin, la coagulation survient en bloc sans séparation du sérum, ou bien elle ne se fait pas du tout, le sang restant parfaitement et constamment fluide dans l’intérieur des pipettes. Le sérum du sang des cadavres produit nettement, dans les cultures 2x vitro du bacille ictéroïde, le phénomène de l’aggluti- nation, mais l'intensité de cette réaction est assez variable. Inoculé aux animaux, il ne présente aucun pouvoir préventif envers le bacille spécifique. Le sérum (transsudé), retiré pur de la cavité du péricarde, a toujours un pouvoir agglutinant plus faible que celui du sérum séparé du sang par coagulation; parfois mème ce pouvoir manque complètement. Sérum des convalescents. — J'ai pu obtenir une bonne quantité de sérum, en pratiquant une abondante saignée à un convales- cent de l'hôpital Saint-Sébastien de Rio Janeiro. Cet homme, nommé Manuel Sol, Espagnol, de 40 ans, entré à l'hôpital le 7 juin, bien qu'il fût malade déjà depuis 4 jours, était guéri le 9 du même mois, après sept jours de maladie carac- térisée surtout par d’abondants vomito negro. Le 20 du même mois, il présentait encore une teinte iclé- rique générale assez marquée. Une saignée de près de 150 c. c. me permit d'obtenir, après 24 heures, une bonne quantité de sérum, couleur vert émeraude, limpide et transparent. — Ce sérum provoqua très lentement l’agglutination, mais ne montra, chez les animaux, qu'une faible action préventive envers le bacille ictéroïde. L’injection simultanée du sérum et du virus n'arrivait pas à sauver les cobayes de la mort, mais on évitait celle-ci dans [a plupart des cas si l'injection du sérum était pratiquée 24 heures avant celle du virus, et à la dose minima de2 c. c. Dans ce sérum, le bacille ictéroïde a de la peine à se multi- plier, mais reste vivant longtemps. Je dirai une fois pour toutes que j’ai expérimenté, sur le bacille SUR LA FIÈVRE JAUNE. 755 ictéroïde, du sérum humain obtenu de plusieurs individus nor- maux ou convalescents de maladies autres que la fièvre jaune, et que ces sérums n'ont jamais montré chez les animaux, même à très forte dose, la plus légère action préventive ou curative. Au point de vue du phénomène de l’agglutination, on doit cependant signaler les observations suivantes : le sérum anti- diphtérique préparé dans mon Institut produit très rapidement l’agglutination du B. ictéroïde; le sérum antityphique produit le mème phénomène, mais partiellement; le sérum anticolique, de même que le sérum normal de l’homme et de plusieurs autres animaux, ne le produisent pas. Il L'IMMUNISATION DES ANIMAUX CONTRE LA FIÈVRE JAUNE EXPÉRIMENTALE La fièvre jaune humaine, une fois la guérison survenue, laisse le patient, au moins pour quelque temps, bien vacciné contre une attaque ultérieure; il était donc naturel de supposer qu'on pourrait aussi obtenir artificiellement l’état vaccinal chez les animaux. Après plusieurs essais, pratiqués suivant les principales méthodes d’immunisation appliquées jusqu'aujourd’hui, j’ai dû renoncer aux lapins, à cause de leur excessive sensibilité. — Ces animaux, en effet, peuvent tolérer pendant longtemps l’injec- tion de doses relalivement élevées de culture filtrée ou stérilisée à l’éther ou au formol (la température de 100° C. altère les pro- priétés de la toxine amarile), mais succombent infailliblement à l'injection consécutive du virus vivant, même à dose très faible. Pour des raisons à peu près analogues, j’ai dû aussi abandon- ner la chèvre et le mouton; en effet, ces animaux sont doués d'une réceptivité extraordinaire à l’action du virus, et présentent en outre une sensibilité si exagérée du foie et du rein, que sou- vent, pendant le traitement, la néphrite survient, accompagnée d'insuffisance rénale et de dégénérescence graisseuse du foie. Mes expériences d'immunisation se sont donc bornées aux cobayes, aux chiens et aux chevaux. A. — Vaccination des cobayes. — A l'inverse de ce qui arrive 756 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pour plusieurs autres maladies, dans lesquelles le cobaye repré- sente l'animal de choix pour obtenir une immunisation rapide et solide, sa vaccination contre la fièvre jaune exige un travail difficile et minutieux. La méthode la meilleure, et qui a surtout l’avantage d'éviter une grande perte d'animaux, consiste à employer d’abord, et pendant quelques semaines, des petites doses de culture filtrée, ou bien les exsudats pleural ou péritonéal d’une chèvre morte par intoxication amarile, et conservés stériles moyennant quel- ques gouttes d'aldéhyde formique. Après un mois environ de ce traitement, en prenant soigneu- sement tous les jours le poids de l’animal, on parvient à obtenir une certaine accoutumance générale à la toxine amarile, et on peut par suite, quelques jours après la dernière injection, prati- quer l’inoculation d’une faible quantité de virus (0,1 c. c.); cette dose, ainsi qu'il résulte de mes recherches précédentes, doit être considérée comme presque sûrement mortelle. Cette première inoculation de virus pratiquée, il faut attendre au moins 20 ou 30 jours, car, dans toute cette période de temps, l'animal peut mourir d’un jour à l’autre. Si l’on a cependant le soin de suivre attentivement les oscil- lations présentées par le poids du corps de l'animal, qui habi- tuellement diminue sensiblement dans les premiers jours, on arrive à être presque sûr de la disparition du danger, lorsqu'on constate que le poids du corps est revenu à la normale. Une fois terminés les effets de la première inoculation de virus, on peuten pratiquerimmédiatementune seconde en élevant un peu la dose (0,5 c. c.) En agissadt ainsi et en surveillant soigneusement la diminu- tion du poids du corps, on peut toujours apprécier l’opportunité d’une injection ultérieure, de même que sa dose. De nouvelles injections de virus doivent être absolument évilées, tant que l'animal n’a pas repris son poids primitif. Malgré cela, les vaccinations, même les plus lentes et les mieux conduites, produisent chez les cobayes une mortalité assez élevée. în réalité, c'est seulement après 6 ou 7 mois qu’on peut avoir un cobaye bien vacciné contre le bacille de la fièvre jaune. J'ai actuellement plusieurs cobayes qui ont reçu à plusieurs SUR LA FIÈVRE JAUNE. 757 reprises l'injection sous-cutanée de 2 c. c. de culture virulente, dose qui tue infailliblement en 7 ou 8 jours. On doit cependant observer que, malgré une vaccination aussi solide contre le virus, les cobayes restent encore assez sensibles à sa toxine et que, par conséquent, lorsqu'on injecte en une seule fois la forte dose de 2 c. c., on doit toujours attendre au moins un mois avant de la répéter. A cette vaccination-ci, comme à toutes celles des animaux contre la fièvre jaune, on peut appliquer, mieux que dans toutes les autres maladies expérimentales connues jusqu'ici, l’avertisse- ment suivant : en allant lentement, on gagne du temps. Si l’on se rappelle qu'une bonne vaccination d'un cobaye contre ie choléra, la fièvre typhoïde, etc., ne demande guère plus de 2 ou 3 mois, on voit de suite la difficulté d’une vaccina- tion contre la fièvre jaune, qui exige, comme nous l’avons vu, au moins 6 ou 7 mois d'un travail assidu et délicat. B. — Vaccination des chiens. — Le chien peut être immunisé, contre la dose mortelle minima de Bac. ictéroïde, bien plus rapi- dement que le cobaye. Eu effet, il suffit de pratiquer pendant près de deux mois, à intervalles relativement courts, une série d'injections sous- cutanées d’abord, intra-veineuses ensuite, de cultures filtrées et stérilisées simplement avec de l'éther, pour pouvoir procéder à l'injection du virus. Celui-ci est toujours représenté par une culture en bouillon datant de 24 heures; il doit être injecté d’abord dans le tissu sous-cutané. Bien que ce procédé, comme je l’ai déjà signalé, provoque toujours des infiltrations qui peuvent donner lieu à de vastes collections purulentes, je considère ce traitement comme indis- pensable avant de passer aux injections intra-veineuses, Ces injections intra-veineuses peuvent être pratiquées dans une quelconque des nombreuses veines superficielles du corps ; il est cependant préférable d'éviter autant que possible les veines du cou, car elles doivent servir aux saignées ultérieures. Habituellement, lorsqu'on commence à pratiquer les injec- tions intra-veineuses, les chiens se montrent extraordinairement sensibles. Le vomissement surtout survient presque sans excep- tion,et, après la première injection, les animaux restent abattus 158 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. et fébricitants pendant plusieurs jours. Peu à peu cependant, l’accoutumance à des doses toujours croissantes de culture virulente s'établit de mieux en mieux, et le chien arrive à tolé- rer, au bout de 7 à 8 mois, des quantités plusieurs fois mortelles du virus amaril. Il faut cependant faire remarquer que, malgré leur tolérance indiscutable envers le virus, les chiens, même solidement vacci- nés, ne s’habituent jamais totalement aux doses élevées de toxine ; en effet, tout de suite après l'injection intra-veineuse, surtout lorsqu'elle est pratiquée avec une culture en bouillon, le vomissement survient toujours, et l'animal reste pendant quel- ques heures très abattu. Il est donc plus utile, quoique moins commode, de remplacer les cultures en bouillon par des cultures sur gélose, étendues d’eau stérilisée. C. — Vaccination des chevaux. — Si l'on veut utiliser les pro- priétés préventives et curatives du sérum des animaux vaccinés, pour la prophylaxie et le traitement de la fièvre jaune humaine, il est clair qu'il faut s'adresser aux animaux de grande taille. Le bœuf et le cheval se présentent alors en première ligne. Le bœuf a sur le cheval l’avantage de tolérer les injections sous-cutanées de cultures ictéroïdes sans jamais présenter ces énormes tuméfactions, accompagnées de longues réactions fébriles et suivies d’ulcérations, qui constituent la règle chez le cheval, et rendent impossible sa vaccination par voie sous-cuta- née. Mais, en dehors de la plus grande difficulté technique, le bœuf présente l'inconvénient de ne pouvoir tolérer, sans de graves désordres, les injections intra-veineuses de toxine ou de virus stérilisé. En général, ces injections intra-veineuses sont mal tolérées, même par le cheval, et exigent un ensemble de précautions que suggèrent seules une longue habitude et l'expérience. Pour vacciner un cheval contre la fièvre jaune, on procède de la façon suivante : Après avoir choisi un bon animal, jeune et de race métisse (les chevaux créoles doivent être rejetés, étant trop sensibles à l’action de la Loxine), on le soumet d’abord aux injections sous- cutanées de petites doses ( 5 à 10 c. c.) de culture filtrée. Ces injections sont habituellement suivies d’élévation de la SUR LA FIÈVRE JAUNE. 159 température, qui peut parfois durer plusieurs jours. Une fois terminée cette première période, qu’on pourrait presque consi- dérer comme une période préparatoire, on doit abandonner les injections sous-cutanées, parce qu'en produisant une fièvre presque continue et des ulcérations qui guérissent difficilement, elles amènent un amaigrissement remarquable de l’animal. Les injections intra-veineuses (dans la jugulaire externe) doivent être commencées par de petites doses de culture filtrée ; elles sont bien tolérées, en général, et ne provoquent qu’une légère élévation de température, dont la durée est de quelques heures. Si l’on commence à augmenter la dose, ou si l’on remplace les cultures simplement filtrées par des cultures stérilisées à l’éther, dont l’activité est plus grande, l’animal est pris d’un malaise général assez grave pour mettre souvent sa vie en danger. Habituellement, tout de suite après chaque injection, le cheval ressent les effets généraux du poison amaril ; il se tient à peine debout, est pris d’un tremblement général et est enfin obligé de se coucher par terre en proie à des accès de dyspnée, souvent très intenses, et qui peuvent parfois provoquer la mort. Cette première période de profond malaise finie, survient la fièvre; elle ne manque jamais, dure près de 12 heures, et est accompagnée d'inappétence, de tristesse et de faiblesse générale. C'est à cause de cela que les injections ne peuvent être répétées qu'à de longs intervalles et en se guidant chaque fois sur l’état de l’animal. Je dois encore faire une autre observation, très importante au point de vue de la technique de la vaccination du cheval. On doit éviter soigneusement de pratiquer l'injection hors de la veine. On provoque alors des œdèmes tellement étendus et profonds sur les côtés du cou, que non seulement ils rendent impossible, pour quelques semaines, toute injection intra-vei- neuse ultérieure et amènent un état fébrile très dangereux, mais finissent par se propager aux parties déclives du thorax, en envahissant parfois les membres antérieurs, et mettant ainsi le cheval dans l'impossibilité de remuer. Après deux mois de traitement au moyen des cultures fil- trées, on peut employer les cultures simplement stérilisées à 760 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l’éther ; c’est seulement 5 ou 6 mois après le début du traitement qu'on peut se hasarder à pratiquer la piemière injection d'une petite quantité de culture vivante. Cette première injection détermine une réaction générale, caractérisée surtout par l’inappétence, l’amaigrissement et la fièvre qui durent entre 8 et 10 jours. Cette période de Lemps finie, on peut répéter l'injection de virus en employant peu à peu de 5 à 10 c. c. de cultures en bouillon, datant de 24 heures. Comme on peut le voir, dans la vaccination des chevaux contre la fièvre jaune, nous sommes loin de la technique facile et des résultats rapides qu'on obtient daus la vaccination anui- diphtérique. Pendant la vaccination des chevaux contre la fièvre jaune, bien d’autres accidents peuvent se produire qui mettent parfois l'existence en sérieux danger. Le bacille ictéroïde doit, en réa- lité, être compté parmi les plus difficiles et surtout les plus lents à produire dans l'organisme l’apparition des principes immu- nisants. En effet, sur les cobayes, c’est seulement après un traitement de plusieurs mois que ces principes commencent à se montrer dans les expériences sérothérapiques, ainsi que nous le verrons plus loin. If] LA SÉROTHÉRAPIE DE LA FIÈVRE JAUNE EXPÉRIMENTALE Il résulte, de ce que nous venons d'exposer sommairement, que l’immunisation des animaux contre l'infection produite par le microbe de la fièvre jaune constitue une tâche non seulement difficile, mais de longue durée. Ceci explique qu’il m'ait fallu un traitement de plusieurs mois pour arriver à retirer des animaux immunisés un sérum doué de propriétés préventives et curatives. En réalité, ces propriétés du sérum, même lorsque l'animal, ayant toléré des doses plusieurs fois mortelles de virus spéci- fique, doit être considéré comme bien vacciné, ne se montrent pas très actives dans les expériences sur les animaux. Il faut pour cela qu'on ait prolongé la vaccination pendant SUR LA FIÈVRE JAUNE. 761 longtemps, et que l'animal ait reçu des quantités élevées de cul- tures virulentes. Je crois donc superflu de rapporter les résultats obtenus avec le sérum retiré des animaux insuffisamment vacciaés. Les animaux hypervaccinés et en état, par conséquent, de fournir un sérum actif ont été les suivants : 19 Sérum de cobayes vaccinés. — Près de 30 cobayes ont survécu à un traitement commencé au mois d'août 1896; cha- cun de ces cobayes avait reçu, à l’époque où 1ls commencèrent à fournir un bon sérum préventif et curatif (11 mars 1897), près de 20 c. c. de culture virulente dans l’espace de 7 mois *. Le sérum de ces animaux, inoculé sous la peau des cobayes neufs 24 heures avant ou 24 heures après l'injection d'une dose de virus qui peut être considérée comme plusieurs fois mor- teile (1 e. c.), suffit à empêcher la mort, qui arrive, comme on le sait, chez les animaux témoins, dans l’espace de 7 à 8 jours. Ce résultat peut être obtenu, même en employant le sérum à la dose de 1 c. c. Les animaux qui donnèrent les premiers succès sérothéra- piques furent 26 cobayes, dont 20 furent traités avec le sérum, et les 6 restants gardés comme témoins; ces derniers succom- bèrent tous, comme d'habitude, entre le 6° et le 12° jour; sur les 20 cobavyes traités, 3 succombèrent entre le 10° et le 16° jour, et les 17 restants se remirent tout à fait, après un amaigrissement progressif dont la durée fut de 14 à 15 jours. 2 Sérum des chiens vaccinés. — Je possède actuellement 3 chiens parfaitement vaccinés; le premier est celui sur lequel j'ai expérimenté pour la première fois, chez les chiens, l’action pathogénique du microbe spécifique de la fièvre jaune. En effet, le 12 août 1896, ce chien, qui pesait 10 kilogr. 200, fut inoculé par voie intra-veineuse avec 10 c. c. d’une culture en bouillon datant de 24 heures. Consécutivement à cette injec- üon, l'animal tomba gravement malade avec tous les symptômes les plus imposants de la fièvre jaune (vomissements, albumi- nurie, ictère, etc.); ces symptômes persistèrent pendant près d'un mois, durant lequel l'animal diminua de 3 kilogr. 400; malgré cela, il se rétablit complètement et fut réservé pour la 1. La dose de virus ordinairement mortelle pour les cobayes comme pour les lapins est de 0,1 €. c. 762 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. vaccination. Le 14 octobre suivant, c'est-à-dire 63 jours après la première injection de virus et 16 jours après le commence- ment de la convalescence, je lui pratique une saignée qui me permet d'obtenir une certaine quantité de sérum lactescent, doué envers Jles animaux d’un pouvoir préventif assez faible. Je crus donc devoir renforcer la vaccination, en pratiquant des injections successives intra-veineuses de culture vivante en bouillon ou sur gélose. Le 3 mai 1897, ce chien, bien qu'il eüt reçu. dans l’espace de 8 mois, près de 300 c. c. de culture virulente, avait cependant atteint le poids de 15 kilogr. On lui pratique donc une saignée de près de 250 gr., qui fournit un sérum doué d’un pouvoir préventif et curatif presque aussi énergique que celui des cobayes hypervaccinés. Si on ajoute quelques traces de ce sérum à une culture fraîche en bouillon de bacille ictéroïde, on provoque en quel- ques minutes, avec la rapidité d’une réaction chimique, le phé- nomène de l’agglutination. Le sérum de ce chien, au commencement (mars 1897), sau- vail en moyenne 8 cobayes sur 10, même lorsque ceux-ci étaient inoculés avec des doses plusieurs fois mortelles du virus. Aujourd'hui (juillet 1897), son activité est notablement augmentée, l'animal ayant reçu, par injection intra-veineuse ou péritonéale, autres 100 c. c. de culture en bouillon et 20 cultures sur gélose. Le sérum ne paraît pas doué de propriétés antiloxiques, puisqu'il n'empêche pas l’amaigrissement marqué qu’on observe les premiers jours après l'injection des cultures microbiennes. On doit plutôt penser qu'il agit comme le sérum des animaux vaccinés contre le bacille typhique, le vibrion aviaire, etc., lequel, comme on le sait, n’agit pas en détruisant la toxine, mais en provoquant directement la destruction du microbe, grâce à l'intervention énergique des cellules de l’organisme. Les deux autres chiens qui, aujourd'hui, fournissent aussi un bon sérum thérapeutique, furent soumis aux vaccinations le 1% septembre 1896; on commença par des injections sous- cutanées de cultures filtrées, puis de cultures stérilisées à l’aldé- hyde formique, et enfin de cultures vivantes; sous-cutanées SUR LA FIÈVRE JAUNE. 763 d’abord, les injections furent faites plus tard par voie intra- veineuse. Le premier de ces chiens pesait au commencement 12 kg. 200; le jour où je pratiquai chez lui la première saignée de 200 c. c. (22 février), il pesait 15 kilog. et avait reçu, en six mois environ de traitement: par voie sous-culanée, 180 c. c. de cultures filtrées, 100 ce. c. de cultures stérilisées à l’aldéhyde formique, et 55 c. c. de cultures vivantes ; par voie intra-veineuse : 360 c. c. de cul- tures en bouillon et plusieurs cultures sur gélose. Le sérum de ce chien, inoculé à la dose de 2 c. c., au moins 24 heures avant le virus, avait une action préventive chez les cobayes; injecté comme moyen curatif, à la dose de 2 ou 3 c. c. deux jours de suite, il réussissait à sauver près de la moitié des _ animaux. Aujourd'hui (juillet), l’activité de ce sérum est remarquable- ment augmentée, l’animal ayant reçu périodiquement des ino- culations de virus vivant, par voie péritonéale ou intra- veineuse. Le second chien pesait au début 18 kg. 100; quand il a été saigné pour la première fois (1° mars 1897), son poids était de 19 kg. 200. Il avait reçu dans le même espace de temps que le précédent : par voie sous-cutanée, 460 c. c. de cultures filtrées, 120 ce. c. de cultures stérilisées au formol et 50 c. c. de cultures vivantes; par voie intra-veineuse 290 c. c. de ces der- nières. ; Le sérum de ce second chien se montra alors assez faible : son action préventive chez les cobayes élait seulement percepuble à la dose de 5 e. c. injeclée deux jours de suite ; son action curalive était presque nulle. Du 1° mars au 1°" juillet, cet animal a reçu successivement, et en tout, l'injection péritonéale de 29 cultures sur gélose et de 70 c. c. de culture en bouillon; mais à partir du commence- ment de ce mois-ci, il a présenté une telle diminution de poids, que nous avons été forcés de remettre la seconde saignée à une époque ultérieure. De ceci on peut déduire que la détermination chez les chiens d'une forte tolérance au virus amaril est lente et difficile; et, d'antre part, que des animaux appartenant à la même espèce réagissent cependant d’une façon fort différente. 164 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. L'efficacité préventive et curative de ce sérum fut toujours essayée chez les cobayes, parce que je ne possède pas encore un sérum assez actif pour pouvoir sauver les lapins, lesquels sont doués d’une sensibilité vraiment exceptionnelle envers le bacille ictéroïde. 3° Sérum des chevaux vaccinés. — Tout ce que nous avons dit plus baut, sur la vaccination des chevaux contre le virus amaril, n’est que le fruit de nos observations personnelles ; je crois donc superflu d’insister sur des détails ultérieurs, relatifs à la méthode à suivre pour conduire à bonne fin une solide vaccination chez ces animaux. Le premier cheval soumis au traitement fut un solide métis, auquel, le 2% juillet 1896, on inocula pour commencer 2 c. c. de culture filtrée, sous la peau. Le 15 septembre suivant, il avait reçu en tout, par voie sous-cutanée, 160 c. c. de toxine filtrée; on commença alors de suite les injections intra-veineuses de cultures stérilisées à l’éther. Le 21 novembre, il avait déjà reçu 2,040 c. c., et le 24 du mème mois, on lui pratique la première injection intra-veineuse de culture vivante. Chaque injection de 10 à 20 c. €. était suivie d’un accès fébrile qui disparaissait habituellement après 24 heures. Le 14 février 1897, après avoir reçu en tout, dans l’espace de près de 7 mois, 760 c. c. de cultures filtrées, 2 litres et 40 c. c. de cultures stérilisées et 240 c. ec. de cultures vivantes, ce cheval mourut subitement, bien que son état général füt excellent et qu'il n’eût jamais été saigné. Le second cheval, qui fournit actuellement un sérum doué d’un bon pouvoir préventif chez les cobayes, fut soumis au trai- tement le 1‘ octobre 1896. Le 3 mai 1897, jour où je lui pratique une première saignée d’uu litre, il avait reçu au total, et toujours par voie intra-vel- neuse : 29 c. c. de cultares filtrées, 2,640 c. c. de cultures stéri- lisées à l’éther, et 35 c. c. de cultures vivantes. Le sérum obtenu par cette saignée fut essayé longuement dans le traitement préventif de l'infection amarile chez les cobayes : il se montra doué d’un pouvoir assez faible. Pour sauver un cobaye après injection d’une dose mortelle SUR LA FIÈVRE JAUNE 765 de virus amaril, il fallait injecter au moins, 24 heures aupara- vant, 5c. ©. de sérum; cette dose devait être considérée comme vraiment excessive. A celle époque, le sérum de ce cheval n’était pas en état, comme celui des cobayes et des chiens, de guérir la maladie une fois celle-ci développée. Il se montrait donc doué d'un pouvoir préventif presque identique à celui du sérum des convalescents, dont nous avons parlé plus haut. Du 3 au 4 mai on continua à pratiquer, tous les 4 ou 5 jours, des injections de culture en bouillon : on arriva ainsi à inoculer en une seule fois 35 c. c. de bouillon-culture. Pendant ce temps l'accoutumance se faisait rapidement, les réactions fébriles consécutives à chaque injection étaient plus faibles et ne duraient guère plus de 12 heures. Le 10 mai on lui pratique la première injection intra- veineuse d’une culture sur gélose ; le 17 du même mois 2 cul- tures, et le 22 et le 29 du même mois 3 cultures chaque fois. Ces dernières doses furent cependant reconnues excessives à cause de la réaction fébrile et du malaise général grave présenté par l’animal après chaque injection ; on admit donc que la dose maximum pour chaque injection devait être limitée à 2 cultures sur gélose et que le nombre d’injections ne devait pas dépasser cinq par mois. Le 31 juin, ce cheval avait recu en tout, dans l’espace de 9 mois, les quantités suivantes du virus : Injection sous-cutanée de culture filtrée, 29Nc0c: — — — stérilisée, Da — — _ intra-veineuse de culture stérilisée. 2,640 — — — — vivante. DD — — - — sur gélose. 19 Le 1* juillet on lui pralique une seconde saignée de 500 grammes, et le sérum fut essayé immédiatement sur les cobayes contre la dose mortelle de cultures virulentes. Ce sérum, injecté 24 heures avant, à la dose de 0,5 c. c., donnait l’immunité : à la dose de 2 c. c. il réussissait à sauver les cobayes déjà malades, même si on l'inoculait 48 heures après. 766 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ces doses sont encore loin de représenter la dernière expres- sion du pouvoir préventif et curatif du sérum anti-amaril, surtout si l’on tient compte de celui des autres sérums préventifs et curalifs, préparés jusqu'à aujourd'hui. Il résulte cependant de ceci qu'une bonne vaccination des animaux contre le bacille de la fièvre jaune est bien plus difficile et demande plus de temps que pour les autres espèces de virus connus. | Tels sont les résultats fournis jusqu'ici par les expériences de laboratoire au point de vue du traitement spécifique de la fièvre jaune. L'action préventive et curative du sérum du cobaye, du chien et du cheval, vaccinés contre le bacille ictéroïde, doit être considérée comme absolument démontrée chez les animaux. Des expériences analogues, pratiquées avec de fortes doses du sérum normal de l’homme et d’autres animaux, de même qu'avec du sérum antitiphthérique, antityphique, anticholé- rique et anlivenimeux (du D' Calmette) n’ont donné aucun résultat au point de vue d’une action spécifique contre le microbe de la fièvre jaune. Il est probable que ce même sérum, qui empêche de mourir un certain nombre d'animaux condamnés à succomber par fièvre jaune expérimentale, sera efficace dans la fièvre jaune spontanée de l’homme ; celle-ci offre, dans ces dernières années, surtout à Rio-Janeiro, un pourcentage de mortalité d'environ 43 0/0 , et se trouve par conséquent dans des conditions bien meilleures pour profiter de l’action curative d’un sérum spécifique. Ce fait ne pourra être vérifié que lorsque le cheval qui est actuellement le plus avancé en traitement * sera assez immunisé pour fournir un sérum encore plus actif, eten quantité suffisante pour permettre d'entreprendre des expériences de sérothérapie chez l’homme malade. Montévidéo, 2% juillet 1897. 1. Ce pourcentage de mortalité dans la fièvre jaune est loin d’être constant; il varie beaucoup suivant les épidémies et suivant les endroits alteints, on a signalé, en effet, des oscillations allant de 13. 0/0 à 96 0/0. 2. Il y a encore dans mon Institut un second cheval et un bœuf, en traitement depuis quelques mois, mais dont le sérum n’a pas encore été essayé chez les animaux. RECHERCHES SUR LA DESTRUCTION DES MICROBES (VIBRION CHOLÉRIQUE ET BACILLE TYPHIQUE) DANS LA CAVITE PÉRITONÉALE DES COBAYEN IMMENMISÉS Par M. MARCEL (GARNIER, interne des Hôpitaux de Paris. On sait en quoi consiste le phénomène de Pfeiffer : si on injecte dans la cavité péritonéale d’un cobaye, immunisé contre la péritonite cholérique, une anse de culture virulente de choléra, on voit les vibrions devenir immobiles, se transformer en boules dans le liquide, puis disparaître; on observe le même phénomène, si dans le péritoine d’un cobaye neuf on injecte une anse de culture cholérique délayée dans du bouillon contenant une dose suffisante de sérum d'animal immunisé contre le choléra ; après un temps plus ou moins long, et qui varie suivant la dose de sérum employé, on ne trouve plus de vibrions dans l’exsudat péritonéal. Si on répète cette expérience de Pfeiffer, et qu'on suive les changements survenus dans l’exsudat, à la fois sur des préparations séchées et colorées, on est frappé du petit nombre de leucocytes que l’on rencontre dans ces prépa- rations : dans les prises faites de 2 à 3 minutes après l'injection, on voit les leucocytes se réunir en amas; plus tard ces amas deviennent de moins en moins nombreux. et dans l’exsudat prélevé 20 à 30 minutes après l'injection, les leucocytes sont si rares qu'il devient difficile d'en découvrir sur la préparation. M. Metchnikoff a attribué cette disparition des leucocytes à une véritable phagolyse : pour cet auteur, les phagocytes sont atteints par le liquide injecté, et se dissolvent partiellement dans l’exsudat, d’où l'hypoleucocytose remarquable que l’on observe alors. M. Piérallini', qui a étudié spécialement ce phénomène, a {. Prérazunr, Annales de l'Instilut Pasteur. 768 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. montré qu'il s’accompagnait de formation de fibrine dans l’exsudat ; il n'y à donc pas seulement dépôt des leucocytes sur la paroi péritonéale, comme le voulait M. Durham, mais une destruction cellulaire partielle. Pour M. Metchnikoff, c'est la phagolyse qui explique le phénomène de Pfeiffer : si dans ce cas les vibrions sont trans- formés en boules en dehors des cellules, c’est que les leucocytes atteints laissent échapper leur contenu dans le liquide péritonéal, et cette transformation se fait dans le liquide par l’action de la substance cellulaire devenue libre; et d’ailleurs le phénomène se termine par l’arrivée des leucocytes qui saisissent les boules ainsi produites et les détruisent dans leur intérieur. Pour démontrer complètement cette théorie, M. Metchnikoff chercha un moyen d'empêcher la phagolyse ; de cette façon, les cellules restant intactes, la destruction des vibrions se ferait par le processus habituel de la phagocytose. Dans ce but, il prépara des cobayes en leur injectant dans la cavité péritonéale 3 c. c. de bouillon peptonisé ordinaire, 24 heures avant l’expérience, et il reconnut qu'il n'avait plus alors l'hypoleucocytose après l’injec- üon du mélange sérum-culture, et que les vibrions étaient saisis parles cellules et transformés en granules dans leur intérieur. Mais ce moyen, qui avait bien réussià M. Metchnikoff, ne donna pas le même succès à d’autres expérimentateurs; malgré l'injection préventive de bouillon, il y avait formation de gra- nules extra-cellulaires ; d’où cette conclusion, que c'est le liquide péritonéal. etnon les leucocytes, qui contient la substance immunisante. Ce sont ces expériences que nous avons reprises; nous avons recherché la raison des résultats dissemblables obtenus par les expérimentaleurs, qui opéraient, semblait-il, dans des conditions -analogues. Puis, ayant reconnu que l'injection préventive de bouillon est un moyen infidèle pour entraver la phagolyse, nous avons recherché si d’autres substances ne donnaient pas un succès plus constant. Nous nous sommes servis dans nos expé- riences de deux microbes différents, le vibrion cholérique et le bacille typhique; ce dernier microbe n’avait pas encore été employé dans les recherches sur les cobayes préparés, et 1l était intéressant de contrôler avec ce bacille les résultats obtenus avec le vibrion cholérique. pr. sf ON * 1 bé. 2,271 ee. < 4. PR PP MH. ts, Lx CR PR ras RTE, « - L ph. L < à 5. ” 6 A 1 AS AE ; » ANNALES DE L'INSTITUT PASTRUR. PSN EME NE 7 LL” AT æ SUR LA DESTRUCTION DES MICROBES. 169 La culture du vibrion cholérique, qui nous a servi, était maintenue virulente par de fréquents passages par le cobaye, et nous l’employions âgée de 20 à 24 heures; nous prenions soit une anse de culture qui était ensuite délayée dans 1 c. c. de bouillon, soit 1/10 de culture, c'est-à-dire 1 c. c. de la culture entière délayée dans 10 c. c. de bouillon ; celte dose correspon- dant dans les deux cas à la dose mortelle. Le sérum que nous avons employé est du sérum de cheval immunisé contre le choléra et dont le titre était de 2 milligrammes. Nous avons d’abord expérimenté avec le bouillon, comme l'avait fait M. Metchnikoff, et voici les résultats que nous avons obtenus. Bouillon. — Nous préparons des cobayes par une injection de 3 c. c. de bouillon peptonisé ordinaire, préparé depuis quinze jours environ, et conservé dans le laboratoire. Le lendemain nous prélevons un échantillon de l’exsudat avant toute nouvelle injection, etnous l'examinons en goutte suspendue; on voit alors sous le microscope toute la goutte occupée par des leucocvytes, bien distincts les uns des autres, également réfringents, donnant l'aspect d’une sorte de mosaïque. Puis nousinjectons le mélange sérum-culture, etnous faisons des prises successives de l’exsudat, Déjà 2 minutes après l'injection, l'aspect de la goutte suspendue a complètement changé ; au lieu de voir les leucocytes égale- ment répartis dans toute la préparation, on trouve des amas leucocytaires nageant dans le liquide, et dans ces amas les leucocytes sont accolés et mème confondus les uns avec les autres ; souvent à côté de ces amas, on voit des masses glai- reuses qui paraissent parfois s'échapper d'un leucocyte dont le pourtour est interrompu en un point. Dans les prises faites 5 et 10 minutes après l'injection, les amas deviennent de moins en moins nombreux; le liquide qui, dans la pipette, avaitun aspect grumeleux devient de plus enplus clair et, après 20 à 30 minutes, il ne contient plus que très peu de leucocytes. Dans ce cas, il y a donc eu véritablement phagolyse, et 4. Cette culture et ce sérum anticholérique nous ont été fournis par M. Salimbeni, que nous remercions ici de son obligeance., 19 710 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'atteinte des cellules est démontrée parleur agglutination, par la mise en liberté des masses glaireuses, et enfin par leur raré- faction progressive ; aussi voit-on beaucoup de vibrions rester en dehors des cellules, et les granules se former dans le liquide; mais ces granules entourent de préférence les masses glaireuses flottant dans le liquide, qui en sont parfois comme chargées. Enfin, si on examine les préparations colorées, on reconnaît qu'il s’est produit un certain degré de phagocytose; en effet, après 4 et surtout après 10 minutes, on constate que beaucoup de leucocytes renferment des vibrions et des granules. Il y a donc eu dans ce cas à la fois formation de granules en dehors des leucocytes, c’est-à-dire phénomène de Pfeiffer, et phagocytose. Il y a eu phénomène de Pfeiffer parce qu'il y a eu phagolyse, et phagocytose parce qu'il y a eu phagolyse incomplète et que beaucoup de leucocytes ont pu englober des vibrions. C’est ce qu'avait obtenu Abel’, qui a vu la destruction typique des vibrions libres se faire, tandis que d’autres étaient pris par des cellules. Nous avons donc affaire ici à un cas mixte, mais il est très important, car c'est celui que l’on obtient le plus fréquem- ment ; il était donc nécessaire de l’étudier de près; de plus il y a association des deux processus de destruction, et les partisans des deux théories (théorie humorale et théorie phagocytaire) peuvent y trouver des arguments. Si maintenant au lieu de bouillon vienx, datant de deux semaines environ, et ayant subi l’action de l’air et de la lumière, on se sert de bouillon fraichement préparé, les résultats vont être différents : prenons du bouillon de culture ordinaire préparé de la même façon que le précédent, avec la même peptone, mais préparé la veille ou le jour même, et injectons les 3 c. c. habi- tuels; le lendemain, l’exsudat avant toute injection est très riche en leucocytes; injectons maintenant le mélange sérum- culture (L c. c.) maintenu pendant quelque temps à l’étuve à 37°; si, # minutes après cette injection, on prélève l’exsudat, il appa- rait épais, trouble, s’étalant mal sur la lamelle comme un crachat; au microscope on le voit formé de très nombreux leucocytes ayant conservé leur forme intacte, et renfermant déjà des boules pour la plupart; après 12 minutes, l'exsudat est 1. Aëgz, Centralblatt für Bakteriologie und Parasitenkunde, 1896, tome XX, p. 761. SUR LA DESTRUCTION DES MICROBES. 171 encore plus épais, les boules intra-cellulaires sont encore plus nombreuses, les vibrions libres sonttrès rares. Ainsi à cemoment la disparition des vibrions est déjà presque complètement elfec- tuée, et celte disparilion s’est faite par un processus de phago- cytose : il n'y a pas eu phagolyse, et par conséquent pas de formation de granules extra-cellulaires. Si on opère simullanément sur deux séries de cobayes, les uns préparés avec du bouillon frais, les autres avec du bouillon ancien, en injectant le mème sérum à la même dose et la même quantité de vibrions, on se rend bien compte de la différence des résultats obtenus : l’exsudat est complètement dissemblable dans les deux cas. et la disparition des vibrions se fait d’une façon différente. Mais il faut toujours préparer plusieurs cobayes à la fois, car même avec du bouillon fraichement préparé et en pre- nant toutes les précautions voulues, on peut avoir un certain degré de phagolyse, et par suite formation de boules extra-cellu- laires. En effet, le bouillon est un moyen infidèle pour préparer les cobayes ; il semble que mème le bouillon frais, qui amène constamment une hyperleucocytose intense après 24 heures, ne donne pas toujours une activité cellulaire suffisante aux leu- cocytes pour résister à la phagolyse. Il nous fallait donc trouver une autre substance dont l’action soit plus certaine. M. Piérallini, étudiantles conditions de la phagolyse, a montré qu'un liquide, quel qu’il soit, injecté dans le péritoine des cobayes, peut produire le phénomène; c’est la solution physiolo- gique de sel marin qui lui a paru la moins active: elle a donné une diminution du nombre des cellules, mais jamais une dispa- rition complète, Ce savant a vu de plus que l'injection de certains liquides amène après la période d’hypoleucocytose un afflux de leucocytes, qui atteint un maximum 20 à 24 heures après l'injection; ce résultat est obtenu constamment avec l’eau salée à 0,65 0/0 et aussi avec le bouillon peptonisé ordinaire, pourvu qu'il soit fraichement préparé. Si maintenant on répète les expériences de phagolyse chez les animaux ainsi préparés, on voit qu’il y a encore diminution de leucocytes après l’injec- tion, diminution moins marquée que chez les animaux non 712 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. préparés, mais proportionnelle toutefois au nombre de cellules que contenait la cavité péritonéale. On voit par les résultats de M. Piérallini combien la phagolyse est un phénomène général, et combien il est difficile de l'entraver. Ajoutons que d’autres conditions influent sur sa production : c'est ainsi qu’elle sera plus complète si la quantité de liquide injecté est plus considé- rable, ou encore si le liquide est employé à la température du laboratoire et non chautfé à 37°, Avant d'essayer l’eau salée, nous avons expérimenté avec quelques autres substances que nous allons passer rapidement en revue. Gélatine. — Nous avons essayé la gélatine ordinaire de cul- ture liquéfiée, à la dose de 2 à 3 c. c.; dans un seul cas, nous eùmes un résultat favorable : le cobaye avait été préparé avec 2 c. c. de gélatine liquéfiée : le lendemain, l’exsudat était très riche en leucocytes, resta épais après l'injection, et 3 minutes après les leucocytes contenaient des vibrions et des boules. Mais, dans les autres expériences, la leucocytose fut moins abon- dante, et les leucocytes se laissèrent dissoudre. De mème aussi, dans une autre série d'expériences où nous injections le sérum anticholérique en même temps que la gélatine, les résultats ne furent pas meilleurs. Nucléine. — Nous avons employé cette substance en solution au 10°, et nous avons injecté 2 à 4 c. c. de cette solution. Dans ce cas nous avons obtenu une leucocytose abondante, mais toujours les leucocytes se dissolvaient en partie, et il y avait à la fois destruction intra et extra cellulaire des vibrions. Les cultures de staphylocoques stérilisées nous ont donné encore de moins bons résultats ; en injectant 2 c. c. d'une culture de 2% heures en bouillon de staphylocoque doré, tué par la cha- leur, nous avons eu le lendemain un exsudat peu riche en leu- cocytes, et où ceux-ci, avant même l'injection des vibrions, étaient réunis en amas; dans ces conditions, comme il était facile de le prévoir, l'injection du mélange sérum-culture fut suivie de phagolyse. La tuberculine à été injectée dans le péritoine à la dose de 1 c. c., soit seule, soit mélangée à 2 c. c. de bouillon. Dans les deux cas, nous avons obtenu une leucocytose assez abondante, SUR LA DESTRUCTION DES MICROBES. 113 mais l'injection du mélange sérum-culture amena encore la phagolyse. Le sérum anticholérique pur (sérum de cheval immunisé), injecté comme seule préparation dans le péritoine de cobayes, a amené le lendemain une leucocytose abondante ; l'injection de vibrions fut suivie d’un certain degré de phagolyse, mais moins marquée que dans les cas précédents ; il y avait alors une pha- gocytose assez marquée. Devant ces résultats, nous avons eu recours à la solution physiologique de sel marin, le liquide qui altère le moins les leuco- cytes de la cavité péritonéale d’après M. Piérallini. Sans varier l'expérience, nous avons employé non seulement l’eau salée à 0,66 0/0, mais aussi une solution à 1 0/0, et nous avons injecté des doses variables, 3 e. c., 5 ce. c.. 10 ec. ce. Dans tous ces cas nos résultats ont été identiques: le lendemain de l'injection nous avions une hyperleucocytose manifeste, comme d’autres substances nous l’avaient déjà donnée. Mais ces leucocytes ne résistent pas complètement à l'injection de la culture; sans doute la diminution du nombre de leucocytes n’était pas consi- dérable, mais il y avait formation d’amas leucocytaires, et un certain degré de phagolyse. Nous avons eu toutefois dans ce cas de belles figures de phagocytose : comme le nombre de leu- cocytes intacts restait suffisant, après 2, 3 et surtout 6 minutes, on voyail nettement des cellules renfermant des vibrions et des boules, et après 10 minutes, il n’y avait presque plus de vibrions libres. On peut donc dire que cette substance vient directement après le bouillon jeune pour préparer les cobayes. Nous avons ensuite répété ces expériences avec le bacille typhique. Nous nous sommes servis d’une culture de bacille typhique de 24 heures sur gélose, virulente au 1/10 de culture, de jeunes cobayes de 200 à 300 grammes, et d'un sérum anti- typhique d'âne que M. le D' Widal a eu l’obligeance de nous fournir. En opérant comme l'indique Pfeiffer avec cette culture el ce sérum, on obtient d’une façon typique le phénomène qu'il a décrit. =T 1 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. S La tuberculine nous à donné le même résultat qu'avec le vibrion cholérique ; un cobaye préparé avec 1 c. c. de tuberculine et20c. c. de bouillon reçut le lendemain 1 c. ec. du mélange de sérum-culture (contenant 0,01 et sérum); nous eûmes alors un cerlain degré de phagolyse, mais aussi des figures de phago- cytose caractéristiques. En préparant nn cobaye avec du sérum antityphique pur, à la dose de 2 c. c., injecté la veille dans la cavité péritonéale, nous eûmes un exsudat assez riche en leucocytes, mais qui se laissèrent détruire en grande partie. En injectant à un cobaye un jour 2 c. c. de sérum antityphique et le surlendemain deux autres C. C., nous eûmes une leucocytose abondante, un englo- bement rapide des bacilles, qui étaient presque complètement disparus après 10 minutes. L'eau salée nous donna des résultats identiques à ceux obtenus avec le vibrion cholérique, c’est-à-dire que les leucocytes très abondants résistaient, mais incomplètement; néanmoins il y avait phagocytose nette déjà après 2 et après 4 minutes ; et ici, comme avec le vibrion cholérique, on voyait dans le leucocyte des bacilles entiers à côté de boules. Enfin nous avons essayé une autre substance, la lécithine. M. Danilewsky ‘ a montré que ce corps a une influence stimu- lante sur les processus de multiplication des éléments cellu- laires, et 1l était logique de penser qu'il aurait une action sem- blable sur les leucocytes. Mais il ne nous a donné que de mauvais résultats. Nous nous sommes servis d’abord d’une émulsion de lécithine dans l’eau, à la dose de 0,25 dans 10 c. c. d’eau, et nous injections 1 c. c. de cette émulsion. Mais la dose était trop forte, et le lendemain et les jours suivants, l’exsudat péritonéal était rempli de débris de lécithine, tandis que les leu- cocyles étaient relativement rares. En nous servant d’une émulsion au millième, et en injectant 2 c. c., nous avons eu le lendemain un exsudat très riche en leucocytes et ne contenant pas de débris de lécithine ; l'injection de sérum antityphique avait été faite la veille sous la peau. Mais l'injection de bacilles en suspension dans le bouillon fut suivie d'une rapide dispari- tion de leucocytes. De même dans une autre expérience où nous 1. Académie des sciences, décembre 1895 et juillet 1896. — Société de biologie, 15 mai 1897. SUR LA DESTRUCTION DES MICROBES. 775 injections 1 c. c. du mélange de lécithine au millièmeet 1 c. c., d'une dilution de sérum en bouillon au 10°; il y eut encore pha- golyse par l'injection des bacilles; ce n’est que 3/4 d'heure après cette injection que les leucocytes reparurent dans l’exsudat et prirent les bacilles en boules restants. Si nous cherchons maintenant à résumer les résultats de nos expériences, nous voyons que seul le bouillon jeune a donné aux leucocytes l’activité suffisante pour résister à la phagolyse, et encore non constamment; l’eau salée est ensuite la substance qui prépare le mieux les cobayes et permet ainsi à la phago- cytose de s’exercer le plus complètement. Il ressort de là quela phagolyse est un fait très général dont il est difficile de se garder ; les leucocvtes sont des cellules très sensibles et sont facilement détruits par une injection de liquide ; on peut arriver aisément à amener un afflux considérable de leucocytes dans la cavité péritonéale, maisil est difficile de les rendre tels qu'ils ne soient pas impressionnés défavorablement par l’arrivée d’un liquide chargé de bacilles. Mais nous pensons que ces expériences n’en contribuent pas moins à jeter quelque lumière sur le mécanisme de l’immunité dans la péritonite cholérique et la péritonite typhique des jeunes cobayes; en eflet, nous avons pu constater que la formation extra-cellulaire des granules était en rapport avec l'intensité de la phagolyse : dans l'expérience de Pfeiffer, tous les leuco- cytes sont atteints, la phagolyse est complète, et toutes les boules se forment dans le liquide ; quand il y a hyperleucocytose, avec phagolyse incomplète, il y a à la fois formation extra-cellulaire de granules et englobement des bacilles avec formation intra- cellulaire de granules; enfin quand il y a hyperleucocytose et que la phagolyse a pu être évitée, il y a très rapidement phago- cytose, englobement des bacilles qui sont transformés en granules dans l’intérieur des leucocytes, puis détruits. Nous tenons, en terminant ce travail, àremercier notre mai- tre, M. Metchnikoff, de l’obligeance avec laquelle 1l nous a prodigué ses excellents conseils, et à lui en exprimer ici notre sincère reconnaissance. 716 ANNALES DE L’INSTITCT PASTEUR. EXPLICATION. DE LA PLANCHE XXI N° 1. Cobaye préparé avec du bouillon neuf; expérience avec le vibrion cholérique ; dose de sérum employe 0,01. Prise faite 12 minutes après l’in- jeclion. No 2. Même expérience. No, 3. Cobaye préparé avec 5 c. c. d’eau salée à 1 0/0 et 1 €. c. de sérum anticholérique. Prise faite après 5 minutes. N° 4. Cobaye préparé avec 10 c. c. d'eau salée à 1 0/0 et 1 c. c. d’une dilution de sérum antityphique en bouillon au 10e. Expérience avec le bouil- lon typhique. Prise faite après 2 minutes. No 5. Cobaye préparé de la même façon. Bacille typhique. Prise faite après #4 minutes. RECHERCHES SUR LE BOUTON D'ALEP Par Les D's M. NICOLLE ET NOURY-BEY Directeur de l'Institut Impérial de Constantinople. Préparateur. I La question du bouton d'Alep est encore très obscure au point de vue bactériologique. Il est cependant à remarquer que presque tous les auteurs qui ont éludié ce sujet, MM. Duclaux, Chantemesse, Heydenreich, Riehl et Paltauf, Leloir, Lousta- lot, ete., ont constamment rencontré des microcoques dans les lésions. Ces microcoques se rapprochaient ou non des sta- phylocoques ou des streptocoques. Dans ces derniers temps, M. Veillon a isolé d’un cas de bouton d'Alep un streptothrix dont il serait tenté de faire l'agent pathogène de l'affection. Pour nous, nous pensons, après l'examen attentif de neuf cas types, que la maladie doit ètre rapportée à un streptocoque spécial, non influencé par le sérum de Marmorek. Nous avons d'abord rencontré cet organisme dans deux cas observés à Constantinopie, grâce à l’obligeance de M. le professeur V. Dü- ring ; puis nous l'avons retrouvé dans sept cas étudiés à Alep mime par l’un de nous. Rappelons en quelques mots les caractères du bouton, tel du moins qu’il se présente aux médecins d'Alep. IT Le bouton est d'une excessive fréquence. Personne n’y échappe parmi les indigènes; les Européens sont moins souvent atteints. L’affection semble contagieuse de l’homme à l’homme ; des personnes d'Alep ont parfois transporté le mal dans des 4. Le Dr Noury-Bey. 178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. régions de l’Asie-Mineure où il était inconnu. Le rôle étiolo- gique des eaux est loin d'être prouvé; par contre, celui des insectes expliquerait bien des faits de contamination. Le bouton est inoculable. Inoculé ou spontané, il confère l’immunité. On n'observe pas de fréquence spéciale suivant les saisons ou Îles années. Aucune affection semblable n’atteint les animaux. La lésion, d'ordinaire unique, siège de préférence à la face et aux parties découvertes. Inoculée, elle a une incubation de 1 semaine à 2 mois. Inoculée ou spontanée, elle s'annonce par une phase d’induration qui dure de 7 à 9 mois. On voit appa- raître une papule du volume d’un gros nodule d’acné, qui acquiert peu à peu l'étendue moyenne d’une pièce de 20 centimes. La papule est indolore et ne s'accompagne pas de changement de couleur de la peau. Elle se recouvre, vers le 3e-5° mois, d’une croûtelle sous laquelle on rencontre une sur- face érodée, saignante. Puis vient la période d’ulcération. La croûte s’épaissit, et s'étend en même temps que l'induration sous-jacente. La lésion peut alors doubler de volume. Il se produit un peu de réaction et, sous la croûte, s'amasse un liquide séro-purulent. Après 3-4 mois, la cicatrisation com- mence: la croûle tombe, le derme exulcéré se dessèche, et finalement il reste une cicatrice indélébile, déprimée, caracté- ristique. L'évolution atteint ordinairement 11-12 mois, rarement moins. On n’observe jamais de complications. L’affection est cependant fâcheuse par sa longue durée et l'aspect souvent très disgracieux des cicatrices qu'elle laisse au visage. Le bouton est généralement unique. Mais on peut en compter quelquefois jusqu’à 10-12; dans ce cas, ils apparaissent, évoluent et guérissent parallèlement. Aucune thérapeutique n'ayant donné de bons résultats, on se borne à respecter la croûte et à appliquer des topiques ano- dins. Tout traitement intempestifaggrave et prolonge l'affection. III Parmi les 9 cas que nous avons observés, 2 se rapportaient à des boutons non suppurés, dont la croûtelle n'avait jamais été touchée ; 7 à des boutons suppurés dont la croûte s’élait soulevée SUR LE BOUTON D’ALEP. 119 spontanément par places. Chez tous les malades, nous avons recueilli les liquides destinés à l’étude bactériologique à travers la croûte préalablement cautérisée et à l’aide d’une pipette. Dans ces liquides (pus ou sang, suivant que la lésion était ou non suppurée), l'examen microscopique a révélé la présence de streptocoques : lanlôt en chaînettes, lantôt en diplocoques, le plus souvent sous les deux aspects réunis, toujours abondants, Parfois d'autres microcoques plus voluminenx (sans nul doute .des staphylocoques), rarement quelques bacilles, accompa- gnaient les streptocoques. Chez les malades n° 1 (lésion non suppurée) et n° 5 (lésion suppurée), nous avons pu exciser de très petits fragments du bouton, et retrouver dans ces fragments le streptocoque en grande abondance, à l’exclusion de toute autre forme micro- bienne. Malheureusement le faible volume de ces pièces ne nous a pas permis d'entreprendre l'étude anatomo-pathologique de l'affection. Les cultures faites avec le sang ou le pus nous ont fourni les résultats suivants : 2 fois le streptocoque mélangé au staphylocoque doré (dans l'un de ces cas il y avait co-existence d’un streptothrix). 2 fois le streptocoque mélangé au staphylocoque citrin, | 3 fois le streptocoque à l'état de pureté. 1 fois le streptocoque mélangé au staphylocoque blane, 1 fois le streptocoque mélangé à un bacille. Ci-joint un tableau résumant nos 9 observations. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR | N° d'ordre. > ©2 = SIGNALEMENT CLINIQUE Enfant de 8 ans. Bouton de 6 mois. Pas de suppuration. La croûtelle n'a ja- mais été touchée. (Alep.) Enfant de,6 ans. Bouton de 6 mois. Pas de suppuration. La croûtelle n’a ja- mais été touchée. (Alep ) EXAMEN | MICROSCOPIQUE Streptocoques dans le sang pris au-dessous de la croûtelle (et dans les coupes). re MICROBES ISOLÉS DU BOUTON (Cultures en strie sur gélose-sérum.) Les cultures fàites avec le sang pris au- dessous de la croûtelle ont donné: 1. Streptocoque (colonies abondantes). 2. Staphylocoque blanc (col. rares). 3. Un streptothrix (col. peu nombreuses). Streplocoques dans le sang pris au dessous de la croûtelle. Homme de 25 ans. Bouton de 8 mois. Suppuration. Croûte soulevée en certains points. (Alep.) Enfant de 10 ans. Bouton de 9 mois. Suppuration. Croûte soulevée en certains points. (Alep.) Femme de 20 ans. Bouton de 8 mois. Suppuration. Croûte soulevée en certains points. (Alep.) Enfants de 7 ane. Bouton de 9 mois. Suppuration. Croûte soulevée en cerlains points. (Alep.) Enfant de 5 ans. Bouton de 8 mois. Suppuraltion. (Alep.) Sireptocoques dans le pus pris au travers| de la croûte. Streptocoques dans le pus pris au travers] de la croûte. des la croûtelle ont donné: Les cultures faites avec le sang pris au-dessous . Streptocoque (colonies abondantes). o! Staphylocoque citrin (col. rares), Les cultures faites avec le pus pris au travers de la croûte ont donné : 1. Streptocoque (colonies abondantes). 2. Staphylocoque doré (col. assez abondantes). Les cultures faites avec le pus pris au travers de la croûte ont donné : 1. Streptocoque (colonies abondantes). . Staphylocoque citrin (col. rares). Strep'ocoques dans le pus pris au travers de la croûte (et dans les coupes). Les cultures faites avec le pus pris au travers de la croûte ont donné: Streptocoque seul (colonies abondantes). Streptocoques dans le pus pris au travers de la croûte. Les cultures faites avec le pus pris au {ravers de la croûte ont donné : 1. Streptocoque (colonies abondantes). 2, Un bacille (colonies rares). Slreptocoques dans le pus pris au travers de la croûte. Les cultures faites avecle pus pris au travers de la croûte ont donné: Streptocoque seul (colonies abondantes). Adulte. Bouton suppuré. Croûte soulevée en certains points. (Constantinople.) Streplocoques dans le pus pris au travers de la croûte. Adulte, Bouton suppuré. Croûte soulevée en Streptocoques dans le pus pris au travers de la croûte. certains points. (Constantinople.) Les cultures faites avec le pus pris au travers de la croûte ont donné : Streptocoque seul (colonies abondantes). Les cultures faites avec le pus pris au travers de la croûte ont donné : 1. Streptocoque (colonies abondantes). 2, Staphylocoque doré (col. rares). SUR LE BOUTON D'ALEP. 781 On ne saurait attribuer un rôle sérieux aux staphylocoques, si répandus à la surface des téguments normaux ou patholo- giques, et qui, d’ailleurs, n’existaient qu’à l’état d'unités dans tous nos tubes d'isolement. Le bacille saprophyte, que nous avons rencontré dans un cas sous forme de rares colonies, et qui se rapproche du bacille orange, n’a évidemment rien à voir non plus avec le bouton d’Alep. Quant au streptothrix, nous y reviendrons en terminant cette note ; 1l est sans rapport avec l'affection. Reste le streptocoque, constant, isolé 3 fois à l’état de pureté complète (dans le cas n° 8, 14 tubes ensemencés n’ont montré que des colonies streptococciques), auquel il nous semble difficile de dénier le rôle d'agent pathogène. BY Ce streptocoque n'offre rien de bien spécial dans ses caractères morphologiques. Ensemencé en bouillon-sérum, il donne des cultures tantôt typiques, tantôt un peu troubles, toujours abon- dantes. Même abondance sur gélatine et gélose. Le lait ense- mencé se coagule en 30 heures environ (caractère constant). La croissance a lieu dans le vide, mais les cultures restent mai- gres. Sur pomme de terre, aucun développement. Inoculé aux animaux, le streptocoque se montre peu viru- lent. Il faut en moyenne 2 c. c. de culture en bouillon-sérum (48 heures à 37°) dans la plèvre pour tuer un lapin de 1,500 gram- mes en une dizaine de jours. La mème dose, injectée dans la plèvre d'un cobaye de 350 grammes, le tue presque toujours plus rapidement, Nous avons pu renforcer cette faible virulence initiale à l’aide de passages par le lapin ou par le cobaye ; mais lentement et difficilement, malgré l'emploi du bouillon-ascite si favorable d'habitude au streptocoque. Dans l'espoir de reproduire l'affection, nous avons inoculé des singes de plusieurs espèces, soit avec le sang (eas n°1 et n°2), soit avec le pus (cas n° 3 et 7), soit avec les cultures (cas n° 1). Ces recherches ont totalement échoué, qu'il s’agit d'inoculations sous-cutanées ou de scarifications. Les animaux ont été natu- rellement suivis pendant de longs mois. Il était indispensable de rechercher si le streptocoque se 182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. montrerait ou non sensible au sérum de Marmorek. Aucun de nos malades n'ayant voulu se soumettre à l’inoculation de ce sérum, que M. le D' Roux avait eu l’obligeance de nous envoyer à cet effet, nous avons dû nous contenter des résultats fournis par l'expérimentation. Les recherches faites avec les streptocoques 1, 2, 3, 5, 6,7 sont consiguées dans le tableau suivant : N° d'ordre des Strept. POIDS des Lapins. —— grammes 1910 1920 4490 1340 1750 1610 1320 4250 1800 1870 4170 1070 4410 1440 1460 1630 1470 4515 1500 1600 1750 Quantité de sérum Mar- morek injecté sous la peau 9% h. avant le strept. centim. cubes = = SO OO © © © © © © 10 10 (Sérum anti- diphtérique). 10 0 Quantité de culture (en bouillon-as- cite) de strep- tocoque inoculée dans la plèvre. (Cult. de 24 h. à 310.) centim. cubes 4 4 1 De & KW EE #& & = à EE Æ & Æ RÉSULTAT. nuit. nuit. nuit. nuit. nuit. nuit. nuit. une nuit. 36 heures. 1$ heures. 60 heures. 72 heures. une nuit. 26 heures. + en + en + en + en + en + en + en + en + en + en + en + en + en + en a résisté. + en 9 jours. + en 5 jours 1/2. a résisté. une une une une une une une a résisté. + en une nuit. + en 8 jours. Comme on peut le voir, les animaux traités préventiment par le sérum sont morts tantôt en même temps que les autres, tantôt auparavant, une fois avec un léger retard. (Strepto- coques 1,2, 4, 5, 7.) Seuls, les lapins inoculés avec le strepto- SUR LE BOUTON D’ALEP. 183 coque n° 6 avaient paru protégés. Mais la même protection ayant été obtenue avec le sérum antidiphtérique, il ne saurait être question d’une réaction spécifique. Nous pensons donc pouvoir conclure que le streptocoque d'Alep, non influencé par le sérum de Marmorek, représente un tvpe spécial. Tous nos échantillons ont d’ailleurs certains caractères communs qui plaident dans le même sens : abon- dance dans les milieux de culture, coagulation du lait, virulence d'ordinaire plus grande pour le cobaye que pour le lapin, résis- tance marquée au renforcement. Y Disons, en terminant, que nous avons comparé le streptothrix isolé par nous avec celui de M. Veillon. Ils diffèrent l’un de l'autre. Notre streptothrix est un organisme chromogène (colo- ration jaune doré des cultures),sans virulence pourles animaux, y compris le singe. Il se développe en moins de 24 heures sur les divers milieux, mème les plus pauvres (infusion de foin par exemple),et n'aurait dù nous échapper dans aucun cas s’il était vraiment l'agent du bouton d'Alep. D'ailleurs, nous ne l'avons pas retrouvé dans les coupes. Il ne s'agit donc que d’un simple saprophyte. Nichan Tach, juillet 1897. NOTE SUR UN BACILLE PATHOGENE POUR L'ULCÈRE DE L'YÉMEN (Ulcère des pays chauds.) Par M. Mrronx CRENDIROPOULO. Médecin sanitaire au Lazaret de Camaran. Depuis cinq ans que je suis attaché au service du lazaret de Camaran, j'ai eu l’occasion d'observer un nombre considérable de plaies de l'Yémen. La fréquence de cette maladie est telle qu’il est rare de rencontrer des gens du pays, surtout de la basse classe, qui n’en gardent pas les cicatrices. Son point de départ est toujours une solution de continuité des téguments ; souvent une piqüre d’insecte. La petite blessure qui va devenir un ulcère prend un aspect particulier ; la peau tout autour devieut livide, se surélève, et l’excoriation se couvre d’une croûte mince, molle, se détachant facilement. Enlevée à cause du prurit ou tombée d'elle-même, celte croûte laisse à découvert une plaie dont les bords sont taillés à pic et le fond couvert d’un magma épais, crémeux, qui en desséchant formera la nouvelle croûte. Petit à petit la plaie grandit, gagne en profondeur, devient le plus souvent circulaire, et prend une couleur rouge brique ou vineux. Quand elle a acquis une certaine dimension, la croûte ne se forme plus: alors, chez les personnes peu soigneuses, sur- viennent les suppurations, les œdèmes, la mauvaise odeur et les vastes décollements; la plaie peut prendre des proportions énormes, comme je l'ai vu chez un individu dont la partie posté- rieure du membre inférieur droit, depuis la malléole externe, jusqu’à la hauteur des lombes du même côté élait littéralement rongée. La durée de la maladie est assez longue : les plaies récentes SUR UN BACILLE PATHOGENE. 785 convenablement soignées guérissent en trois à cinq semaines. Contrairement à l’opinion de plusieurs auteurs, la nature spécifique de l’affection me paraît incontestable. Son aspect caractéristique, sa fréquence aux membres inférieurs chez des gens qui marchent nu-pieds, et aux mains chez ceux qui mani- pulent la terre, plaident assez pour l’origine microbienne. De très robustes macons venus d'Egypte l'ont contractée dès qu'ils eurent commencé leurs travaux : des personnes dont les condi- tions hygiéniques ne laissent rien à désirer, des officiers, des médecins militaires, des membres mêmes de la mission sani- taire en ont été atteints. D'autre part Le Dantec, Petit, Rietsch et Da Bourguet ont trouvé, chacun de son côté, des microbes auxquels ils ont attribué la pathogénie de l’ulcère rond. Parmi plusieurs microbes que j'ai isolés d’un assez grand rombre de plaies de l'Yémen, un seul m'a paru exercer une action patho- gène spécifique, c’est celui qui fera l’objet de la présente note : les autres étaient des simples saprophytesoudes microbes ordi- naires de la suppuration. MorPnoLoGie, BIOLOGIE. — D'une manière générale c'est un pelit bâtonnet isolé, rarement réuni par deux, aux extrémités arrondies, deux à trois fois plus long que large ; il est mobile et présente au milieu un étranglement, apparent surtout dans les cultures jeunes. Je ne l'ai jamais vu sporuler. Il prend très bien les couleurs basiques d’aniline, mais la méthode de Gram et ses dérivés le décolorent. Sur les préparations colorées on rencontre souvent la forme en navette. Dans les milieux liquides, les éléments sont plus volumineux, d’une grendeur inégale, et doués d’un mouvement plus vif. Dans les vieilles cultures, le 5acille a une tendance à former des chaî- nettes, assez longues quelquefois pour occuper tout le champ du microscope, enchevêtrées, légèrement mobiles et nettement articulées. Dans le magma de la plaie, il apparaît plus long et plus grêle qu'à l’ordinaire Cultures, bouillon. — Le bacille de l’Yémen se développe abondamment dans le bouillon ‘ peplonisé, qui commence à se troubler dans les cinq premières heures. Au bout de 24 heures % Nous confectionnons notre bouillon avec le liquide concentré Maggi à 2 0/0. d0 786 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. il est fortement et uniformément trouble ; à sa surface se fait un voile mince, blanc irisé, adhérent aux parois du vase. Quelque- fois le voile peut manquer ou devenir au contraire assez épais, selon des circonstances que nous n'avons pas pu préciser. Abandonné à la température de l’étuve, le bouillon commence le troisième ou quatrième jour à déposer des flocons blancs, mais ce n’est qu'au bout de trois à cinq semaines qu'il s’éclaircit et devient jaune foncé. La culture devient fortement alcaline, et exhale une odeur fétide qui diminue et peut même manquer en répétant les cul- tures. Elle ne donne pas la réaction de l’indol. Lait. — Le lait est coagulé au bout de 36 à 48 heures. Pas de fermentation du lactose. Gélose. — Sur gélose en plaque, le bacille se développe en colonies rondes, surélevées, jaunâtres, demi-transparentes à la lumière directe, et blanc-grisätre à la lumière oblique ; elles sont de différentes grandeurs et peuvent atteindre les dimensions d’un grain de millet. En strie, au bout de 24 heures la semence pullule en un euduit mince, humide, jaunâtre, demi-transparent, qui va en s’épaississant et qui devient blanc-grisâtre, opaque. En outre, il a une tendance à s'étendre vers les parois du verre. Dans les vieilles cultures, le milieu prend une teinte jaune foncée. Gélatine. — En piqûre : au bout de 24 heures loute la surface de la gélatine est liquéfiée ; la liquéfaction descend le long de Ja piqûre en formant un large entonnoir rempli d’un liquide trouble. Le 10° ou 12° jour, presque toute la gélatine est liquéfiée. En plaque : au microscope, les colonies ne présentent rien de carac- téristique ; elles sont circulaires, à contours irréguliers et parais- sent formées de petites granulations jaunâtres. Pomme de terre. — La culture est assez abondante. Au com- mencement, le long de la strie apparaît un trait humide à peine distinct. Puis le trait s’épaissit, jaunit et par endroits devient gri- sâtre. En quatre ou cinq jours la culture s’étend sur toute la surface de la pomme de terre. La température optima est entre 38° et 40°. J'ai vu le bacille se développer assez bien encore à 43°; il est déjà assez gêné à 24°. Le bacille de l’Yémen paraît un aérobie vrai; ensemencé, à l'abri de l'air, à plusieurs reprises par la méthode de Vignal et celle de Wurtz, il n’a pas poussé. SUR UN BACILLE PATHOGÈNE. 787 PROPRIÉTÉS PATHOGÈNES. — Ce microbe est pathogène pour les lapins et les pigeons, les seuls animaux sur lesquels j'ai pu expérimenter. Un c. c. de culture dans le bouillon, injecté sous la peau, tue un lapin de poids moyen en trois ou cinq jours selon sa virulence ; à plus forte raison en injection péritonéale ou intraveineuse. J'ai pourtant vu un lapin de 920 grammes résister à deux injections intraveineuses de 1 c. c. faites dans l'intervalle d'un mois, et un autre de 1150 grammes mourir après avoir reçu dans les veines 5 c. c. de culture à trois reprises dans l’espace de cinq jours. La virulence de ce bacille est donc très variable. Les pigeons ne résistent pas davantage que les lapins. Les lésions internes des animaux morts par le bacille de l’Yémen sont celles de la septicémie, plus ou moins prononcées. Ordinairement les intestins et le péritoine sont sains, à moins que l'animal n’ait succombé à une injection intra-péritonéale; la rate est enflammée, les reins gros, friables, la capsule de Glisson se détache facilement; lefoie présente des ecchymoses plus ou moins fortes, disséminées sur tous les lobes ; les poumons sont toujours hépatisés; j'ai souvent rencontré l’exsudat péricardique, mais jamais la pleurésie. L'animal infecté par une dose mortelle de virus présente de l’inappétence, de la fièvre, et quelquefois de la diarrhée. Avec une dose moindre, 1/3 de c. c. par exemple, les phénomènes locaux prédominent. L'endroit injecté, ordinairement l'oreille, devient le siège d'une inflammation assez intense qui, après 3 ou 4 jours, se circonscrit à l’endroit que l'injection a touché. Là il se forme un abcès en nappe; la peau devient friable, elle se fend toute seule ou se casse par la simple pression, et laisse sourdre une matière blanche, crémeuse, épaisse, tellement épaisse quelquefois qu'elle ressemble à du caséum. A mesure que la peau se fend, elle se sèche et se ratatine; détachée, elle laisse voir une plaie couverte de pus, large, dont les bords irréguliers sont taillés à pic. Cette plaie possède tous les caractères du phagédénisme; la perte de substance est consi- dérable; l'oreille est souvent percée de part en part. La formation de pus est toujours minime. Laissée à elle-même, au bout de 15 à 20 jours elle commence à rétrograder, le fond se couvre de bourgeons charnus facile- 788 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. ment saignants, et petit à petit la cicatrice se forme, cicatrice sou- vent vicieuse. L'association de ce microbe avec le staphylocoque doré, à côté duquel je l'ai presque toujours rencontré, n’a pas pu mal- heureusement faire l'objet d’une étude approfondie. J’ai pourtant lieu de croire que la virulence du bacille de l'Yémen est exaltée en présence du dit microbe, IxocuLarTions. — Voici le résumé de quelques-unes de mes expériences d'inoculation. Injection péritonéale. — Lapin 1220 grammes. — Inoculé dans le péritoine le 19 mai à 5 h. 1/2 soir avec 1. c. ce. de culture de 24 heures en bouillon. Mort dans la nuit. A l’autopsie : ventre météorisé, exsudat péritonéal abondant, épiploon injecté, intestin grêle hyperémié. Tousles viscères sont fortement enflam- més: ni pleurésie ni péricardite. Bacille de l'Yémen dans tousles organes. Injection intraveineuse. — Lapin 1110 grammes. T. R. 39, 2. Inoculé dans la veine de l'oreille avec 1 c. c. de culture de 48 heures en bouillon. Soir, T. R. 410. Mort dans la nuit. À l’autopsie : péritoine, intestins normaux; rate fortement enflammée ; les reins sont gros et présentent quelques ecchymo- ses; foie hyperémié, parendroits grisâtre, plusieurs pointshémor- ragiques sont disséminés sur tous ses lobes; poumons complè- tement hépatisés. Pas de pleurésie : en revanche exsudat péri- cardique sanguinolent et abondant. Bacilles dans tous les organes. | Injections sous-cutanées. Lapin 1010 grammes. T. R. 39°, 5. Inoculé dans la peau le 20 mai au soir avec 1 c. c. de culture de 30 heures en bouillon. — 21 mai : T. R. 41°, 4, diarrhée. Soir : TR. 41°, 8. Mort le matin du 22. A l’autopsie mêmes lésions : l'exsudat péricardique est séreux et peu abondant. Lapin 1150 grammes. T. R. 30°, 2. Inoculé dans le tissu cellu- laire de l'oreille, le 26 mai, à 8 heures matin, avec 1/3 c. c. de cul- ture de 24 heures en bouillon. Soir : T. R. 40°, 5 : l'oreille est œdématiée, enflammée jusqu’à la base. — 29 mai. Une petite plaie s est formée au-dessous du point de l’inoculation : abeès en nappe. — ! juin. La plaie s'agrandit; elle est circulaire, à bords tran- chants, profonde et couverte d’un pus blanc épais; le fond est rouge sombre.— 3 juin. La plaie est grande comme une pièce de SUR UN BACILLE PATHOGÈNE. : 189 1 franc et profonde. — 5 juin. L'oreille est percée de part en part. A la base s’est formée une autre plaie; la peau en se déchirant a laissé sourdre une matière caséeuse très épaisse, un cloaque très vaste s’est formé faisant communiquer les deux plaies. — 26 juin. La plaie de la base est en voie de guérison; l’autre est guérie en laissant un trou de 5 millimètres environ. Lapin 800 grammes. Inoculé le 8 juin dans le tissu de l'oreille avec 1/3 c.c. de culture de #8 heures. — 11 juin. Abcès en nappe, peau friable. — 18 juin. Une grande partie de la peau de l'oreille s’est détachée ; plaie large, profonde, à bords irréguliers, taillés à pic, couverte d'un caséum épais qui, enlevé, laisse voir un fond rouge vineux. 25 bourgeons charnus au fond de la plaie. — 8 juillet. Plaie complètement guérie, cicatrice vicieuse. Conclusions. — En résumé le bacille de l’Vémen esttrès patho- gène pour les animaux, principalement les lapins et les pigeons. Si les lésions internes qu'il produit ne présentent rien de positi- vement caractéristique, les manifestations locales offrent une certaine ressemblance avec l’ulcère des pays chauds. Il est donc permis de croire, au moins pour le pays où nous avons étudié la maladie, que si ce bacille n’est pas le seul agent pathogène, il en est le principal, et que c’est lui qui imprime ce cachet spécial qui fait reconnaitre à première vue l’ulcère de l'Yémen. Camaran, le 30 décembre 1896. SEATISTIQUE DE LA SATION PASTEUR DE TIFLN Relevée par le D' E.-J. FRANTzIus, Ancien assistant au laboratoire de médecine militaire du Caucase. En 1896, la station Pasteur de Tiflis a reçu 230 personnes : il en restait 12 en traitement de l’année précédente. Sur ces 242 malades, 232 sont partis après avoir terminé le traitement, 10 sont restés pour l’année suivante. De ces mordus, 85 appartenaient à la série A des statistiques de l’Institut Pasteur, 53 à la série B, 90 à la série C. En outre 27 individus n'avaient pas été mordus, mais présentaient des égratignures et des piqûres ou avaient été souillées par la mor- sure des animaux enragés. 33 avaient reçu ce qu'on appelle des cautérisations efficaces, 152 des cautérisations inefficaces, et 152 n'avaient pas été cautérisés. Les animaux mordeurs ont été : chiens, 193 fois ; loup, 1 fois; chevaux, 6 fois; chats, 2 fois; âne, 1 fois; D'après leur nationalité, les malades se groupaient de la façon suivante : Russes 110 Allemands 10 Yméré'ins 19 Juifs D Georgiens 18 Perses b) Arméniens 32 Grecs 4 Tartares 5) Tchouvachs 1 Mingréliens D) Ocetins 1 Gouriens 5 Français il Polonais 12 La distribution des morsures pendant l’année a été: prin- temps, 50; été, 85; automne, 55; hiver, 9. Chacun des individus de la série À a subi 40 vaccinations en 6 séries. Les mordus de la série B et de la série GC ont subi 30 vaccinations en 5 séries : chaque série a commencé par de la 0 moelle de 5 jours pour finir par de la moelle d’un jour. Les STATISTIQUE DE LA STATION PASTEUR DE TIFLIS., 791 individus mordus parle loup, ou ceux quiavaientété atteints à la face par d’autres animaux, recevaient en moyenne plus de 40 vaccinations. Les adultes recevaient chacun, 2 fois par jour, 3 ©. ©. d'émulsion, et les enfants d’un an 1,5 ce. c. sous les tégu- ments de l'abdomen. Sont morts de la rage en 1896 : 1° Abraham T... soldat, mordu le 18 février, à la main, entré le 27 février, et mort le 17 mars, après avoir quitté la station le 13, avant d’avoir fini son traitement. 2° Eudoxia N... 3 ans, mordue à la face par un chien, le 28 mai, entrée le 3 juin, et morte le 8 juillet, 19 jours après la lin du traitement. 3° Zinaïdia A... 5 ans, mordue le 21 juillet, à la face, aux mains et au tronc, entrée le 22 juillet, atteinte par les premiers symptômes le 10 août, avant d’avoir fini son traitement, est morte la même nuit. Dans les trois cas, il n’y a eu qu’un cas où la mort soit sur- venue 1 jours après la fin du traitement. La mortalité est donc de 0,45 0/0 en 1896. Nous devons mentionner ici l’histoire d’un chef de station du chemin de fer. La maladie a d’abord été traitée comme hystérie, car le malade niait absolument avoir jamais été mordu par aucun animal. Cependant, pressé de questions, il se souvint avoir été mordu à la poitrine, dix-neuf mois auparavant, par un chien inconnu. Les symptômes caractéristiques de la rage se manifestèrent bientôt et le malade mourut. Il n'avait pas été soumis au traitement. A l’autopsie, hyperémie des méninges et de la muqueusestomacale. L'inoculation du bulbe à deux lapins leur donne la rage. Nous n'avons pas constaté à Tiflis de cas d’incubation plus longue. Le D' Frantzius a fait quelques expériences confirmant l'opinion que le virus rabique ne se transmet pas par la mère à son fœtus. On a constaté aussi à la Station de Tiflis que l’urine des animaux rabiques n’est pas virulente. On a en outre fait des expériences sur l'influence des rayons de Rœntgen sur la virulence de la moelle des lapins de passage, qui diminue un peu à la suite de quelque temps d'exposition à ces rayons ‘. 1. Centralbl. f. Bact. 1897, n° 6 et 7. 792 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Eu 1896, le D' Frantzius a entrepris une série de recherches sur la conservation des moelles rabiques dans la glycérine et l’eau. Elles permettent de conclure que la virulence s’y conserve beaucoup plus longtemps qu'on ne le croyait, d’après les expé- riences de Roux, Nocard, et d’autres savants. Le pus du malade 3, pris le lendemain de la morsure, etcelui du malade 1, pris 9 jours après, ne s’est pas montré virulent. REVUES ET ANALYSES SUR L'ACTION DES DIASTASES REVUE CRITIQUE Il Après avoir longtemps sommeillé, l'étude des diastases est entrée dans une phase d’activité et s'enrichit tous les jours de découvertes nouvelles. On peut déjà en distinguer plusieurs types. Les premières connues, celle, par exemple, qui agit, sur l’amidon pour le liquéfier, celle qui inlervertit le saccharose, etc. sont des diastases hydroly- santes, introduisant une ou plusieurs molécules d’eau H°0 dans une molécule complexe pour la scinder en deux ou plusieurs molécules plus simples. Puis sont venues les diastases hydrogénantes, qui désoxydent la molécule en y introduisant au moins deux atomes d'hydrogène ; puis les diastases orydantes qui font l'inverse. Il ne nous manque plus, dans cet ordre d'idées, que de connaître les diastases déshydratantes, d'action opposée aux diastases hydrolysantes, qui, en enlevant une molécule d’eau entre deux molécules séparées, les soudent en une molécule unique. Nous aurons alors le moyen de faire, en dehors de la cellule, des analyses et des synthèses qui semblaient jusqu'ici l'apanage exclusif de la cellule vivante. Mais nous verrons tout à l'heure que cette espérance est encore lointaine. Buchner semble avoirouvert tout récemment un monde nouveau en nous faisant connaître une diastase qui, à elle seule, dédouble le sucre en alcool et en acide carbonique, c’est-à-dire fait le travail qu'on avait été obligé de demander jusqu'ici à la levure de bière. Nul doute que s’il y aunediastase alcoolique, iln’yaitaussiunediastase lactique, une diastase butyrique, etc., et que le seul rôle des microbes soit de sécréter ces dias- tases qui, convenablement protégées contreleurs agentsde destruction, pourront agir en dehors de la cellule, et donner de véritables fermen- tations en dehors de tout être vivant. La science nous a appris, en outre, à rapprocher de ces diastases un certain nombre de toxines microbiennes, la toxine diphtérique en 194 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. particulier (Roux et Yersin). De ces toxines se rapprochent en outre les venins sécrétés par certains animaux. Leur seule différence apparente avec les diastases microbiennes est que, pour les déceler, il faut des réactifs vivants. Nous ne connaissons la diastase qui intervertit le sucre qu’en la faisant agir sur du saccharose. Nous ne connaissons de même les toxines et les venins que par leurs effets sur certains orga- nismes vivants, et pas sur tous. Sauf cela, les conditions de spécificité sont les mêmes partout, et il n’est pas douteux que les lois de l'action ne soient aussi les mêmes. Je conviens bien volontiers que les toxines microbiennes sont plus intéressantes que les diastases ordinaires. Ce sont des ennemis au lieu d’être des serviteurs. Mais elles sont, par contre, bien moins faciles à étudier, parce que leur réactif est un réactif physiologique au lieu d’être un réactif chimique. Deux échantillons de sucre candi bien pur peuvent être considérés comme identiques. La chimie peut les suivre dans leurs évolutions et dresser le bilan des transformations qu'ils subissent. Deux animaux de la même famille et de la même portée ne sont pas nécessairement identiques, et ne disent en outre qu’une chose quand on les interroge : ils sont malades ou ils meurent, mais il est bien difficile de suivre dans leur intérieur le méca- nisme de la maladie ou de la mort. Et pourtant, il n’est pas douteux que, dans tous les cas, le méca- nisme ne soit chimique. Je sais bien que, dans ces derniers temps, on a voulu, pour expliquer l’action des diastases ou des venins, les revêtir d’un reste de force vitale qui y serait mise en dépôt par l'être, micro- scopique ou non, qui les produit. Mais cela, c’est du pur mysticisme, que la science repousse légitimement de son domaine. La conclusion de ce qui précède, c’est qu'il devient de plus en plus urgent de faire l’étude chimique des diastases dont les réactifs sont chimiques. Si nous étions bien renseignés sur elles, nous aurions sûrement sur les diastases et venins des notions précieuses, et capables d'entrer immédiatement dans la pratique. Malheureusement, rien n’est ardu comme cette étude chimique des diastases. Il nous suffira, pour le démontrer, de passer en revue les quelques notions que nous possédons sur elles, en tâchant de séparer celles auxquelles on peut ajouter foi de celles dont on doit légitime- ment douter. C'est un inventaire qui n’est pas facile, et pour lequel je demande à l’avance l’indulgence du lecteur. Il Dans ce qui va suivre, je prendrai de préférence des exemples concrets, parce qu'ils sont plus faciles à saisir; mais mes raisonne- ments resteront généraux. Voici donc du saccharose mis en présence REVUES ET ANALYSES. 795 de sa diastase, la sucrase, dans les conditions de température et de milieu qui favorisent le plus sa transformation en dextrose et lévulose. Ce sera par exemple à la température de 56° et en milieu convenable- ment acidulé. Ce que l’observation révèle tout de suite et qui n’est pas douteux, c’est que la transformation se ralentit de plus en plus. La quantité de saccharose interverti par minute va en diminuant cons- tamment, et les dernières portions ne disparaissent qu'avec une grande lenteur. Comment expliquer ce phénomène ? Plusieurs interprétations se présentent à l’esprit. On peut d’abord supposer, et c'est ce qu’on à fait en premier lieu, que la sucrase se détruit en agissant. Ainsi font par exemple l’ozone et l’eau oxygénée en exerçant leurs actions oxydantes : ils se décomposent et deviennent inertes. Mais l'expérience semble montrer que la sucrase reste inal- térée, et qu’on peut la retrouver, à la fin de l'opération, avec ses qua- lités et sa puissance originelle. De plus, on devrait, dans cette hypo- thèse, avoir une transformation plus rapide et plus régulièrement décroissante en ajoutant un grand excès de diastase, de façon à ce que la partie qui s’en détruit soit inappréciable sur l'ensemble. Pour des raisons que nous verrons plus tard, il n’est pas facile de suivre très loin cette déduction ; mais dans les limites où l'expérience reste probante, on voit que. si la réaction devient plus rapide, sa marche ne change guère, et les quantités de sucre interverti par minute vont encore en diminuant beaucoup. Il faut donc en conclure que la diastase ne se détruit pas en agis- sant, et, pour le dire tout de suite, cette conclusion a une très grande importance, car voilà une substance qui, après avoir produit un certain effet, peut, convenablement traitée, être mise en état d’en reproduire un autre, tout à fait identique. Théoriquement, elle est douée de l’im- mortalité et, par là, d’une puissance indéfinie; la disproportion de l'effet à la cause, si caractéristique pour les microbes, se retrouve donc dans une de leurs sécrétions. Nous ne sommes pourtant pas là en plein inconnu et en plein merveilleux. Le sucre peut être interverti non seulement par la sucrase, mais aussi par les acides, par exemple par l’acide sulfurique, et, dans ce cas encore, l’acide sulfurique ne se détruit pas théoriquement pendant la réaction : on peut le retrou- ver, prêt à agir de nouveau, quand elle est terminée. La raison profonde de ce fait, c’est que la transformation du saccharose en lévulose et dextrose peut s’accomplir par elle-même, sans emprunter aucune force extérieure, parce qu’elle dégage de la chaleur. Cela ne l’oblige pas à se faire toute seule : une pile de bois ne s’enflamme ‘pas spon- tanément bien qu’elle soit combustible. La diastase ou l’acide sulfu- rique jouent le rôle d'une allumette qui met la combustion en train, 196 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. sans que ce phénomène nouveau qu'elle détermine influence en rien les phénomènes dont elle est elle-même le siège. Mais alors, dira-t-on, s’il y a la même quantité de sucrase au com- mencement et à la fin, pourquoi la réaction se ralentit-elle ? La quantité de saccharose va en diminuant à mesure que l’interversion se poursuit. La diastase a de moins en moins à faire. Pourquoi devient-elle de plus en plus paresseuse ? Est-ce de la fatigue ? ou quelle autre cause intervient? A cette question, MM. O’Sullivan et Tompson ont essayé de donner une réponse dans un mémoire très étudié, inséré en 1890 dans le Journal of the Chemical Society. Is font remarquer que, du moment que la sucrase reste en quantité constante, l’action rentre dans le cadre des actions étudiées par Vernon Harcourt, et dans lesquelles on fait agir une substance À, dont le poids ne varie pas, sur une autre sub- stance B, qui diminue à mesure que dure l’action qu’elle subit. Dans l'espèce, À est la sucrase, B le saccharose, dont la quantité totale diminue de plus en plus. De sorte qu’on peut admettre qu’il se refuse d'autant plus à l’action qu'il est plus dilué, et que la quantité qui s'en intervertit par minute est proportionnelle à la quantité existant dans la liqueur au commencement de cette minute. Ainsi nous opérons par exemple sur une solution contenant 10 grammes de saccharose en présence d’une dose constante de sucrase. Si,dansla première minute.il s’en intervertit1/10,c’est-à-dire 1 gramme, il n’en restera plus que 9 grammes au commencement de la seconde minute, et s’il s’en intervertit encore 1/10, c’est non plus 1 gramme, mais 9 décigrammes qui s’intervertiront pendant la seconde minute, de sorte qu’au commencement de la troisième il en restera 8,1 grammes. Les quantités interverties par minute iront donc en décroissant : 1 gr.; 0,9 gr. ; 0,81 gr. etc. La décroissance est en progression géométrique quand les temps croissent en progression arithmétique. (est ce qu’on appelle en algèbre la loi logarithmique. Si, au contraire, la quantité détruite par minute était indépendante de la dilution du saccharose et était constante, au lieu d’une courbe logarithmique on aurait uneligne droite, et la réaction serait terminée en 10 minutes. Elle dure au contraire indéfiniment dans l’autre hypo- thèse, car chaque minute ne voyant disparaître que 1/10 de la quantité présente, il est clair qu'il en restera toujours. Pratiquement pourtant, la sensibilité de la réaction du saccharose n’est pas indéfinie ; on peut admettre que, quand elle ne donne plus rien, il n’y a plus de saccharose et que l’interversion est terminée. La seconde hypothèse semble donc plus conforme à lexpérience, et, pour la suivre de plus près, il n’y a qu’à déterminer à des intervalles REVUES ET ANALYSES. 197 égaux la quantité de saccharose restante, avec toute la précision dont sont susceptibles les procédés de mesure, et à voir si la courbe qu'on trace en faisant sur du papier quadrillé le diagramme des nombres trouvés est bien une courbe logarithmique. C’est ce qu'ont fait, avec beaucoup de méthode et de soin, MM, 0”? Sullivan et Tompson, et comme la courbe expérimentale coïncidait assez exactement avec la courbe théorique, ils en ont conclu que la loi qui avait donné la courbe théorique est vraie, c'est-à-dire que la quan- tité de saccharose intervertie dans l'unité de temps, par une quantité de sucrase qui reste constante, est proportionnelle au poids de saccha- rose présent dans le liquide au commencement de cet instant. III : Assurément, il n'y a rien de choquant dans cette conception. On peut même, en revenant à notre comparaison de tout à l’heure, se la représenter sous une forme schématique qui la rend plus saisissable. Si les tas de boissec, auxquels l’allumette met le feu, sont très disséminés, le temps nécessaire pour les enflammer ira en augmentant avec leur distance moyenne. L'image pêche pourtant en ce que la diastase et le saccharose sont également disséminés dans la liqueur, et que par conséquent chaque tas de bois a, à côté de lui, son allumette toujours enflammée. Si on veut bien réfléchir un instant, on verra que l’objec- tion n’est pas aussi superficielle qu’elle le paraît, et que l’hypothèse dont sont partis O’Sullivan et Tompson, et qu'ilsont cru vérifier, présente bien certaines difficultés qui la rendent douteuse. D'abord celle-ci. Si l’effet d’une quantité déterminée de diastase diminue à mesure que diminue la quantité de saccharose présente, elle devra augmenter à mesure qu'il y aura plus de saccharose, et des liquides contenant 10, 20, 30, 40 pour cent de saccharose devront, dans la première minute et avec la même quantité de diastase, donner des quantités de sucre interverti croissant comme les nombres 1, 2, 3 et 4. Or, l'expérience n'est pas d’accord avec cette conclusion. Il n’y a, il est vrai, à soulever contre elle aucune objection théorique. La preuve c’est que, dans quelques expériences de M. Fernbach, relatées dans ces Annales (Lt. III, 1889, p. 533), elle se réalise quand on fait l'interversion ‘par des acides étendus : la quantité de sucre interverti augmente, pour une même dose d’acide, proportionnellement à la quantité de sucre présente. Mais elle ne se réalise pas pour la diastase. Il y a, par suite, d’autres forces en action que celles que supposent MM. O’Sullivan et Tompson. On à donc le droit de se demander si la preuve qu'ils fournissent a 7198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la valeur qu'ils lui supposent, et si fa courbe logarithmique qu'ils invoquent comme argument n’est compatible qu’avec la conception qui y a conduit. Or, il n'en est nullement ainsi, comme il est facile de le voir, même sans calcul. La pièce essentielle de leur hypothèse est qu'il y à une force retardatrice, qu'ils attribuent à la diminution dans la quantité de saccharose. On pourrait tout aussi bien attribuer cette force retardatrice à l'augmentation dans la quantité de sucre interverti. Dans les deux hypothèses, cette force retardatrice augmente suivant la même loi, celle de la dilution croissante dans le premier cas, celle de l'augmentation croissante dans la quantité de sucre interverti dans l’autre, et dans les deux cas, nous devons arriver, non pas naturellement à la même courbe logarithmique, mais à une courbe logarithmique. Le calcul permet de préciser cette conclusion. Soit une liqueur où s'intervertit une quantité S de sucre. Soit s ce qu'il en reste au bout d’un temps {, compté à partir du commencement defla réaction. Pen- dant un court intervalle dé, la quantité ds qui s’intervertira sera natu- rellement proportionnelle à dt. Elle sera aussi proportionnelle à s d’après l'hypothèse de MM. O'Sullivan et Tompson. De sorte que si nous appelons 7%» la quantité de sucre qu'intervertirait, dans l’unité de temps, et dans une solution sucrée contenant l'unité de poids de saccharose, la quantité de diastase employée, agissant dans les condi- tions de température et de milieu où fonctionne l'expérience, nous aurons : ds —n.s. dd d'où on tire facilement la courbe de la réaction, vérifiée par MM. O’Sullivan et Tompson S—=Ser SES ie rt 1) qui donne à chaque instant la quantité s desaccharose restant lors- qu'on connaît » et le temps de l'action. Admettons maintenant, comme contre-partie, qu'il y a deux forces actives, l’une qui donnerait par exemple à la réaction un mouvement uniforme et qui dans le temps df donnerait un effet n. dé: l’autre retardatrice, proportionnelle à la quantité de sucre interverti S—s existant à ce moment, et produisant un effet mesuré par p (S—s) dt; l’équation qui nous servira de point de départ sera comme tout à l’heure. — ds —|n—p(s—s)|dé D'où nous tirerons REVUES ET ANALYSES 199 s=S +5 (e-"—1). équation qui donne une courbe tellement semblable à la première que toute vérification expérimentale reste indécise entre elles. On peut même dire que les résultats de O’Sullivan et Tompson sont mieux d'accord avec la seconde qu'avec la première. On aurait trouvé encore une courbe se rapprochant des précédentes en supposant que la première des actions que nous envisagions dans notre seconde hypothèse, et que nous avons supposée proportionnelle au temps, suil la loi voulue par MM. O'Sullivan et Tompson, et a une action décroissante à mesure que diminue la quantité de saccharose. De sorte que nous voilà très embarrassés. Mais nous pouvons nous consoler en nous disant que nous devions l’être. Il ne faut pas demander au calcul de débrouiller un ensemble de forces sur lesquelles nous ne savons rien. Le calcul est une boîte à musique qui ne joue que les airs qu’on lui a confiés. Au lieu de lui demander ce que nous n’y avons pas mis, adressons-nous à l’expérience. IV Celle-ci démontre nettement que les produits de la réaction d’une diastase sont un obstacle qui va sans cesse grandissant. O’Sullivan et Tompson l’avaient du reste constaté eux-mêmes, seulement ils avaient cru pouvoir réduire beaucoup l’action de cette force perturbatrice. En réalité, la grandeur de ce rôle reste encore à préciser. Il se peut qu’elle soit seule active. Il se peut qu’elle se mélan ge en plus ou en moins forte proportion aux forces que nous venons d’envisager. Notre con- clusion est donc que le problème n'est pas résolu. Mais c’est là la pre- mière condition pour qu’on cherche à le résoudre. Remarquons en passant que voilà une nouvelle assimilation à établir entre l’action des diastases et celle des microbes qui, eux aussi, sont gènés par les produits de leur action. Nous en verrons d’autres. Nous verrons que la sensibilité des microbes vis-à-vis des agents extérieurs, si grande qu'elle soit, est encore inférieure à celle des diastases, qui sont des réactifs plus délicats qu'aucun de nos réactifs chimiques. Nous verrons qu'il existe aussi pour les diastases des questions antiseptiques. La vaccination chimique contre les toxi- nes, les venins, se placera à côté de la vaccination microbienne. S'il existe des diastases fermentives dont la sécrétion permet au microbe d'accomplir sa ou ses fonctions spécifiques, ces rapprochements n’ont pas le droit de nous surprendre. Mais alors, c'est la diatase qui passe 800 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. au premier plan, et le microbe retombe au second. En tout état de choses, du reste, le microbe a une force que la diastase ne possède pas : il a la vie, il est plastique et peut s’acclimater. La diastase au contraire est, autant qu’on peut le voir, immobilisée dans son action, car jusqu'ici les diverses diastases ne peuvent point se remplacer les unes les autres. On croyait autrefois qu’il pouvait y avoir de ces süppléances, que la même diastase était capable de liquéfier par exemple l’amidon et d’intervertir le sucre. Cette promiscuité d’action n’est plus admise aujourd'hui. On peut, je crois, considérer comme acquise l’individualité des diverses diaslases. Fischer a mème été plus loin et a cherché à rattacher la structure moléculaire de chaque diastase à la structure moléculaire du corps auquel elle s’attaque. Cest ainsi, dit-il, que chaque serrure a sa clef, dont la forme doit être en rapport avec la structure de la serrure, sans quoi elle n'ouvre pas. Toute théorie est bonne qui fait travailler. Mais, pour discuter l’idée de Fischer, il faudrait connaître individuellement les diverses diastases, et pour cela les avoir isolées et purifiées. C’est un point sur lequel nous ne sommes pas très avancés. J’essaierai de montrer, dans un prochain article, ce qu'il faut penser des tentatives nombreuses faites dans celte direc- tion. DucLAUx. Le Gérant : G. Masson. Sceaux. — Imprimerie E. Chareire. Aime ANNÉE NOVEMBRE 1897 No 40. ANNALES DE L'INSTITUT PAS EEUR RECHERCHES SUR L'INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES Par ÉLIE METCHNIKOFF (Communication faite au Congrès international de Moscou en août 1897.) Après des recherches longues et nombreuses, la science a acquis des connaissances précises sur le sort des microbes dans l’organisme des animaux sensibles ou réfractaires à leur action pathogène. Il est maintenant bien établi, et-accepté par un grand nombre de savants de tous les pays, que le principal obstacle que rencontrent les microbes pathogènes dans l'organisme indemne est une série de cellules amiboïdes qui englobent les parasites, les tuent et les digèrent dans leur intérieur. Tous les autres moyens de défense contre les microbes eux-mêmes ne jouent qu'un rôle tout à fait secondaire. Bien qu'il suffise, pour constater ces faits, de procédés assez simples, tels que l'examen oculaire et la méthode des cultures, il a été bien difficile cependant de lever toutes les objections et tous les scru- pules. Il est beaucoup plus difficile d'aborder et de résoudre une autre question, à savoir quel sort subissent les toxines végétales et animales sous l'influence de l'organisme. Dans cet ordre d'idées, il a été démontré, à la suite d’une grande découverte de Behring et Kitasato, que certaines toxines microbiennes, incor- porées dans l'organisme des mammifères, y amènent la pro- duction d’antitoxines, qui se retrouvent principalement dans le 51 802 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, sérum sanguin. Mais par quel mécanisme l'organisme animal prépare-t-il les antitoxines et quelles sont les lois qui régissent leur production? Cette question n’a pas encore été suffisamment étudiée. Pour l’élucider, je me suis mis, depuis plus de deux ans, à appliquer la méthode comparative à la recherche de l'influence de l'organisme sur les toxines. [l Comment agissent les bactéries et les champignons inférieurs sur les toxines? Le bouillon de culture, renfermant des toxines bactériennes telles que les toxines diphtérique, téta- nique, cholérique et tuberculeuse, aussi bien que de l’abrine ou du venin de serpents, peut être un bon milieu nutritif pour une quantité de bactéries. Lorsque, après un développement prolongé pendant des jours, des semaines et des mois, on débarrasse par filtration les liquides des microbes qu’ils contenaient, on s’as- sure que l'influence de ceux-ci sur les toxines est de nature bien diverse. [l y a des microbes qui renforcent les toxines plutôt qu'ils ne les affaiblissent. Ainsi le bouillon tétanique, dans lequel ont végélé des bacilles coliformes, isolés de l’air, conserve son titre toxique pendant un temps très long. D'un autre côté, les produits de certains organismes unicellulaires augmentent la production toxique de certaines bactéries. Ainsi, par exemple, le vibrion cholérique, développé dans un bouillon de culture qui avait servi d’abord pour la végétation de certaines torulas, fournit une toxine plus active que dans le bouillon de contrôle ordinaire. On comprend facilement que l'influence des microbes sur la pro- duction des toxines, ou bien sur les toxines produites antérieure- ment, présente un grand intérêt dans l'étude des maladies qui évoluent dans des milieux riches en microbes, comme le canal intestinal, le vagin, etc. Bien plus nombreux sont les microbes qui affaiblissent les toxines. Ainsi le bouillon tétanique, dans lequel ont végété pen- dant un certain nombre de jours des bactéries très diverses, très aérobies, comme le groupe du bacillus mesentericus ou du b. sub- tilis, ou anaérobies, comme le baciile du charbon symptomatique, affaiblissent la toxine tétanique d’une façon très notable. Cette INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 803 toxine finit par perdre complètement son pouvoir de produire le tétanos chez les espèces les plus sensibles. La toxine diphtérique, bien plus stable que celle du tétanos, peut être également détruite par certains microbes, comme cela a déjà été remarqué par M. Behring. | Parmi les bactéries détruisant les toxines, la première place est occupée par un bacille du groupe du b. subtilis, isolé de l'estomac humain, qui produit une quantité de spores ovales et se distingue par la sécrétion d’un pigment noir. D’après les expériences de M"° Metchnikoff, cette même bactérie est égale- ment capable de détruire, dans une période de 2 à 4 semaines, des quantités notables d’abrine, toxine végétale beaucoup plus stable que lés toxines bactériennes citées. Les toxines affaiblies ou détruites par les bactéries peuvent quelquefois servir comme vaccins contre la toxine active, mais jamais nous n'avons pu obtenir d’antitoxine en faisant agir les microbes sur les toxines. M. Calmette a étudié l’action, sur le venin des serpents, du bacille à pigment noir que nous lui avons fourni. Ce microbe détruit rapidement le venin, mais ne le transforme jamais en vaccin, ni ne produit d'action vraiment antitoxique (c’est-à-dire manifeste lorsque l’on injecte le mé- lange de la toxine active avec la toxine modifiée par le microbe). On peut donc considérer comme établie la destruction des toxines par certains microbes et l'absence de production antitorique sous l'in- fluence de ceux-ci. L'idée de préparer des antitoxines à l'aide des microbes doit donc être abandonnée. Certains champignons, comme les Isariesetles Sporotrichons, parasites des insectes, qui se culüivent très bien dans les milieux alcalins, et les torulas, isolés du corps humain, fournissent le même résultat que les bactéries. Ici encore, les toxines sont détruites plus ou moins facilement, sans aucune production d'antitoxine. [I L'organisme animal apparaît done seul capable de pro- duire des antitoxines. Mais cette propriété est-elle commune à tous les animaux, ou bien est-elle le privilège des animaux supérieurs? La solution de cette question a été surtout tentée à l’aide de la toxine tétanique injectée à des arthropodes, 804 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. capables de vivre iongtemps à des températures élevées au-dessus de 32°. Les meilleurs résultats ont été obtenusavec des scorpions (Scorpio occitanus )' et des larves de l'Oryctes nasicornis. Ces animaux sont insensibles à des quantités de toxine tétanique et peuvent la garder dans leur organisme pendant des mois. Mais, tandis que chez le scorpion cette toxine est au bout de peu de temps (24 heures ou quelques jours) éliminée du sang et ren- fermée dans le foie, si volumineux, chezla larve de lOryctes elle ne passe pour ainsi dire pas du tout dans Jes organes, et reste localisée dans le sang pendant plusieurs mois. Malgré cette différence dans la façon de se comporter dans l'organisme, la toxine tétanique (qui est éliminée très lentement du corps des arthropodes cités) n’a jamais provoqué dans mes expériences, prolongées pendant 6 mois, la production de l’antitoxine. Si ce résultai négatif est insuffisant pour prouver que les inverté- brés sont en général incapables de produire les antitoxines, il démontre néanmoins d’une façon précise que ces animaux n’acquièrent point la propriété antitoxique dans des condi- tions où les vertébrés supérieurs la produisent d'une façon très marquée. Il ne faut done pas compter sur la possibilité de simplifier le problème des antitoxines à l’aide des invertébrés, auxquels on injecte la toxine dans la cavité générale. La toxine tétanique, absorbée par des sangsues conservées à 32°, reste pendant des semaines dans leur tube digestif, sans perdre complètement son pouvoir tétanigène. III Il résulte de ce qui précède que les invertébrés, chez les- quels la réaction phagocytaire contre les microbes est des plus mani- festes, sont incapables de produire des antitoxines d'une façon tant soit peu marquée. Cette fonction antitoxique doit donc être considérée comme l'apanage des vertébrés. Comme parmi ceux-ci il y a des vertébrés doués d’une température propre et dits à sang chaud, et d’autres qui prennent la température ambiante, ou vertébrés 1. Je dois ces animaux à l'obligeance de M. le professeur de Lacaze-Dathiers, de M. Loir, et surtout de M.Baris, à Chenoua (Algérie). Je leur adresse à tous mes remerciments. INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 805 à sang froid, il fallait tout d’abord savoir si les vertébrés inférieurs sont aussi capables de produire des antitoxines. Cela élail d’au- tant plus indiqué que certains faits paraissaient prouver une liaison intime entre la réaction fébrile et la production des anti- toxines. Des poissons, tels que la carpe, et des amphibies, comme les grenouilles, résistent à de fortes quantités de toxiue télanique à condiion d'être maintenus à basse température. Le même fait a pu être constaté pour l’axolotl. La toxine létanique se conserve dans ces conditions pendant des mois dans le sang de ces animaux, sans perdre la propriété de produire le tétanos chez des mammifères sensibles, comme le cobaye et la souris. Transportés à la température de 30° et au-dessus, les gre- nouilles (comme cela a été démontré par Courmont et Doyon) et les axolotls prennent le tétanos mortel. Tel n’est pas le cas des tortues. Les tortues en général, et la Cistudo lutaria des marais en particulier, supportent des quantités très grandes de toxine tétanique injectée dans le tissu sous-cutané, et ceci à des températures basses ou élevées, à 30° et davantage (à 37°). La toxine passe au bout de peu de temps dans le sang et y reste localisée pendant des mois. L’élimination de cette toxine se fait avec une grande lenteur, de sorte que le sang, retiré après des mois, conserve son pouvoir télanigène, quoique moindre qu'au début. J'ai observé chez des tortues, conservées à l’étuve à 36°, des transsudations abondantes dans le péritoine, dont le liquide, très pauvre en éléments figurés, s’est montré très tétanigène. IL faut admettre par conséquent que la toxine se conserve dans le plasma sanguin et passe avec lui dans le transsudat. Voilà donc un exemple d’un vertébré à sang froid qui est insensible à la toxine tétanique et qui, malgré cela, la conserve à l’état actif dans son organisme pendant des mois, sans la moindre production antitoxique. Les caïmans tout jeunes (Alligator mississipiensis, de 500 gram- mes) se montrent déjà capables de produire l’antitoxine. Résis- tant à des doses notables de toxine télanique (par exemple à une dose d'emblée suffisante pour tuer 6,000 souris), ces ani- maux ne manifestent aucune réaction thermique et conservent 4. Ces caimans m'ont été très gracieusement donnés par M. le professeur L. Vaillant, du Muséum d'histoire naturelle, 806 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. pendant assez longtemps la toxine dans leur sang. Au bout d'un mois et davantage, celui-ci n’est ni tétanigène ni antitoxique; mais après deux mois (58 jours), il s'est montré d’un pouvoir antitoxique incontestable. Voici donc le premier exemple d’une production d’antitoxines que uous rencontrons dans la série animale. Le jeune caïman, animal à sang froid, incapable de manifester une réaction fébrile quelconque et réfractaire à la toxine tétanique, est déjà apte à produire l’antitétanine. Cette propriété est beaucoup plus déve- loppée chez des caïmans plus âgés, longs de À mètre et davan- tage et pesant 5 kilos et plus. Ici le sang devient antitoxique au bout de quelques jours, et même déjà 24 heures après l'injection d’une forte dose de la toxine tétanique (pour un caïman de 4,900 grammes : la quantité suffisante pour donner le tétanos mortel à 600,000 souris), le sang commence à manifester un pou- voir antitétanique incontestable. Huit jours après l'injection, le sang du caïman s’est montré antitoxique déjà à la dose de 0,0005 c. c. Seulement cette propriété antiloxique ne se développe qu'à la condition que les caïmans séjournent à une température au- dessus de 30° (32°-37-). Maintenus à la température de 20°, les caïmans résistent tout aussi bien à la toxine tétanique ; leur sang se débarrasse de cette toxine au bout de quelque temps, mais n’acquiert pas de pouvoir antitoxique même après un mois. Voilà pourquoi, dans mes expériences sur les invertébrés, j'ai dû employer principalement des espèces capables de vivre long- temps au-dessus de 30°. Les crocodiles, qui se sont montrés les meilleurs producteurs de l’antitoxine tétanique, sont également capables de fournir l’antitoxine cholérique, comme j'ai pu le démontrer dans quel- ques expériences exécutées en commun avec M. Salimbeni. Déjà 6 jours après l’injection d'une forte dose de toxine cholé- rique soluble, le sang d’un caïman long d’un peu plus d’un mètre a manifesté une propriété antitoxique très nette. IV Ce sont done les sauropsidés à sang froid qui les premiers accusent une fonction antitoxique incontestable. L'établissement de INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 807 cette propriété n’est accompagné d'aucune réaction thermique de l'organisme, ce qui résulte de toute une série d’expériences dirigées vers ce point. Parmi les sauropsidés à sang chaud, j'ai étudié la poule, chez laquelle M. Vaillard a démontré, en 1894, l’existence de la pro- priété antilétanique du sang, qui se développe après l'injection de fortes doses de toxine. Chaque fois, après l'introduction de la toxine tétanique dans le corps des poules, celles-ci manifestent une hypothermie assez faible et passagère. Jamais je n'ai observé dans ces conditions d'ascension thermique, dont les poules sont cependant capables. Souvent la température reste normale, sans accuser la moindre hypothermie. Mais, à côté de cette absence de toute réaction fébrile, j'ai observé constamment une hyperleucocytose plus ou moins durable après chaque injection de toxine. Comme l’a déjà constaté M. Vaillard, le sang des poules qui ont recu la toxine tétanique reste tétanigène pendant un certain nombre de jours. Lorsqu'on mesure ce pouvoir à l’aide de la méthode quantitative, on constate que toute ou presque toute la toxine tétanique injectée dans le péritoine passe dans le sang, et y reste intacte pendant un nombre variable de jours. En sacrifiant les poules dans cette période, on peut démontrer que leurs viscères ne sont tétanigènes qu'autant qu'ils renferment du sang. Les organes päles, comme les mus- cles, le cerveau et la moelle ne donnent pas le tétanos, tandis que les organes rouges, comme la rate, le foie, les reins, la glande thyroïde et la moelle des os, le produisent tant qu'ils n'ont pas été débarrassés deleur sang. De tous les organes, 1l n°y a que les glandes génitales, ovaires et testicules, qui fixent une certaine quantité de la toxine injectée. Des testicules tout jeunes, ou des œufs ovariens des plus petits etne renfermant encore aucune trace de vitellus jaune, injectés à des souris, leur donnent le tétanos mortel. Ces donnéss se rapportent à des poules, réfractaires au téta- nos, car chez un coq qui, exposé au froid, à été pris d’un tétanos violent et mortel, la toxine tétanique a pu être retrouvée dans la moelle épinière. Chez les poules, insensibles à la toxine tétanique, celle-ci se fixe dans le sang et les glandes sexuelles. Lorsque, pour établir 808 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'endroit précis où celte toxine se localise dans le sang, on me- sure le pouvoir tétanigène du sang entier, comparativement avec celui des exsudats beaucoup plus riches en leucocytes, on arrive à ce résultat que les exsudats renferment plus de toxine tétanique que le sang. Ce fait amène la conclusion que cette toxine, au moins en parle, est absorbée par les leucocytes. 11 existe donc dans l'organisme des poules des cellules, comme les élé- ments sexuels et les leucocytes, qui sont capables de fixer la toxine téta- nique. Le pouvoir tétanigène du sang des poules auxquelles on a fait des injections de toxine diminue de jour en jour, de sorte qu'au bout d’une semaine environ, il perd complètement la pro- priété de donner le tétanos aux mammifères les plus sensibles. Il s’ensuit une période neutre pendant laquelle le sang n’est ni toxique ni antitoxique. Quelques semaines plus tard, le sang commence à manifester un pouvoir aulitétanique faible, mais déjà incontestable. Si, pendant cette période antiloxique, on sacrilie des poules, on trouve que le pouvoir antilétanique estlocalisé dans le sang, comme l'était au début la propriété tétanigène. Les organes pàles ne possèdent aucun pouvoir antitoxique, tandis que celui-ci est manifeste dans les viscères rouges tant qu'ils ne sont pas débarrassés du sang qui les baigne. On constate encore une fois cette exception des glandes génitales, notam- ment des ovaires, qui présentent une action antitétanique indiscutable. Les ovules les plus jeunes, de 2 ou 3 millimètres à peine, injectés à des souris avec des doses mortelles de toxine tétanique, exercent un pouvoir antitoxique des plus nets. Il y a lieu de se demander si ces ovules ont produit l’anti- toxine, ou bien s'ils l’ont empruntée au liquide sanguin. Dansle but de résoudre ce problème, j’injectais à des poules neuves du sérum antitétanique de cheval et, en les sacrifiant, je tâchais de déterminer la localisation de l’antitoxine. Ces expériences m'ont appris que, de tous les organes, seuls les ovaires absorbent l’antitétanine injeclée, tandis que la plus grande partie de celle-ci reste dans le sang. En présence de cette puissance d'absorption par les ovules, il faut admettre que leur antitoxine, qu'on observe chez des poules qui elles-mêmes ont acquis le pouvoir INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 809 autilétanique, est également d’origine sanguine. Du reste, la mensuration comparative de pouvoir antitoxique du sang et des ovules a démontré que le sang renferme beaucoup plus d’antité- lanine que les cellules ovulaires. A la suile des faits dont je viens de donner ce résumé som- maire, on est amené à celle supposition que l'antitoxine est pro- duite dans le sang méme, les organes (sauf les glandes génitales) restant étrangers à la localisation de la toxine et de l'antitoxime téta- niques. Des expériences comparatives sur le sang, le liquide péricar- dique et la lymphe péritonéale des cobayes, bien immunisés contre le tétanos et dont le sang était fortement antitoxique, il résulte que la plus grande partie de J’antitoxine se trouve dans le plasma des humeurs. La question du lieu de production de l'antitoxine, qui est celle de savoir si celle-ci est préparée par les éléments cellu- laires du sang qui absorbent la toxine, constitue le sujet d’un travail particulier, non encore terminé. En résumant les données rapportées dans cette note, nous pouvons formuler les conclusions suivantes : 1. Les plantes inférieures, comme les bactéries et les cham- pignons, peuvent détruire les toxines et les transformer en vaccins, sans jamais produire d’antitoxine ; 2. Les invertébrés ne-sont pas capables de produire l’anti- toxine tétanique en quantité appréciable ; 3. La production des antitoxines débute dans la série animale chez les crocodiles, où cette propriété est plus développée que chez les êtres les plus élevés, comme les mammifères ; 4. Le pouvoir antitoxique ne peut. pas ètre considéré comme lié à une réaction fébrile quelconque: 5. La propriété antitoxique chez la poule réside dans le sang ; 6. Il n’est pas possible d'accepter cette idée que l’immunité nalurelle dépend du pouvoir anlitoxique ; 7. La propriété antitoxique dans le règne animal a une évo- lution beaucoup moins ancienne que la réaction phagocytaire. RECELERCEES SUR LES PROPRIMTES TOXIQUES ET ANTITOXIQUES DE SANG: ET DE LA ILE DES ANGUILLES ET DES VIPÈRES Par LE Dr CO. WEHRMANN, pe Moscou. (Travail du laboratoire de M. le Docteur CALMETTE, à l'Institut Pasteur de Lille.) Les questions concernant les poisons du règne animal ne présentent pas toutes un intérêt pratique immédiat. Le venin des serpents, des scorpions, des tarentules, constitue un danger plus ou moins grave pour les animaux, lorsqu'il est introduit dans le saug ou dans les tissus. L'étude de ces venins s’imposait en premier lieu, et la théra- peutique des morsures venimeuses par le sérum des animaux vaccinés en a été l’heureuse conclusion. Il existe d’autres poisons, très voisins de ceux-ci par leur nature et par leurs effets, qui sont contenus soit dans le sang, soit dans la bile, soit dans des glandes cutanées, comme chez le crapaud. Le sang du hérisson, des serpents, des murénides, est toxique. Introduit dans les tissus, ou mieux encore, dans la cir- culation, il peut déterminer la mort. Absorbé par le tube diges- tif, 1l perd sa toxicité. L'étude de ces poisons, dont quelques-uns appartiennent au groupe de ceux qui peuvent conférer à des organismes étran- gers l'état réfractaire par accoutumance, peut contribuer à une connaissance plus complète des phénomènes de l’immunité. Elle touche également à la question intéressante de la toxicité des sérums. A. Mosso siguala le premier l'existence du poison contenu SANG ET BILE 811 dans le sang des murénides, dont il étudia trois espèces : la murène, lecongre etl’anguille.(Archivesitaliennes debiologie, 1888.) Il arriva aux conclusions suivantes : Le sérum sanguin des murénides est très toxique lorsqu'on l'introduit par injection sous-cutanée ou intravasculaire. Absorbé par les voies diges- tives, il ne l’est pas, mais sa toxicité apparaît de nouveau s’il est introduit dans l'intestin grèle par ponction à travers les parois abdominales. Chauffé à 100°, il perd sa saveur âcre et brûlante et sa toxi- cité. Desséché et redissous, il conserve sa saveur et son aclion toxique. Le sérum d’anguille ne contient ni sels, ni matières colo- rantes biliaires. La partie toxique du sérum ne se dissout pas dans l’alcool à 90°. Le sérum d’anguille se putréfie tout comme celui des autres poissons. La substance toxique de ce sérum, que Mosso appela l’Zchtyo- toxique, est vraisemblablement une substance albuminoïde. U. Mosso, qui reprit le sujet dans le même journal en 1889, s’occupa exclusivement des propriétés chimiques de ce poison. Il conclut : 1° que l’ichtyotoxique est un corps albuminoïde, pouvant être séparé du sérum par les mêmes procédés qui servent à séparer les sérines du sang; 2° que ce n’est pas un ferment qu'on puisse isoler, ni une matière comparable à la ptyaline. D’après les recherches de cet auteur, l’ichtyotoxique est détruit in vitro par les acides minéraux et organiques, ainsi que par les alcalis et la pepsine. Il est digéré dans l'estomac, et détruit par la chaleur (70°) et par l'alcool à 95°. Il n’est pas dialysable; ce n’est donc ni un acide libre, ni un sel dialysable, ni même une peptone, et en cela il diffère du venin des serpents, duquel Weyr Mitchell et Edward Reichert ont extrait une peptone et une globuline toxique. L'ichtyotoxique ne peut être précipité ni par un courant d'acide carbonique, ni par le sulfate de magnésie, ni par le sul- fate d'ammoniaque. M. Calmette, dans son troisième mémoire sur les venins (ces Annales, 1895, page 233 et suiv.), indique que le sang des ophi- diens venimeux et non venimeux, ainsi que le sang des anguilles qu’il étudia par comparaison, perdent leur toxicité par le chauf- 812 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. fage aux environs de 68°, alors que le venin, à cette température, n’est pas modifié. Il montra également que les symptômes de l'intoxication par le sang de ces animaux ne sont pas les mêmes que ceux produits par les venins, et que, cependant, le sérum antivenimeux confère l’immunité contre le sang d'ophidiens, ainsi que contre le sang d’anguille. Il fit voir enfin qu’on pouvait supprimer la toxicilé du sang de Cobra Capel en injectant à ce reptile, pendant la vie, du sérum antivenimeux et en le sacriliant deux semaines après. L'année suivante, Phisalix (Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1896, n° 26,) reprit l'étude du sérum d’anguille au point de vue de l’immunité. | Il constata, lui aussi, que ce sérum, chauffé à 58° pendant 15 minutes, perdait sa toxicité, et qu'ainsi chaulfé il pouvait conférer en 24 heures l’immunité, non seulement contre Île sérum d’anguille non chaullé, mais encore contre le venin de vipère. Selon cel expérimentateur, le sérum chauffé se compor- terait comme un vaccin, mais ne conférerait, comme les sérums thérapeuliques, qu'une immunité peu durable. Le précipité alcoolique, repris par l’eau, présenterait les mêmes qualités « antitoxiques ». D'après Phisalix, si l'on veut mettre en évidence le pouvoir inununisant du sérum d'anguille, il faut préalablement détruire ses propriétés toxiques. Mais, comme il n’a observé que le pou- voir immunisant, c'est-à-dire préventif du sérum chauffé, on ne voit pas bien qu'il vaitlieu de parler d’antitoxicité. On peut légi- timement croire qu'il subsiste, dans le sérum chauffé, de petites quantités de poison, qui, ayant résisté au chauffage, sont capa- bles de conférer un certain degré d’immunité active. IL est, d’ailleurs, à remarquer que l’auteur lui-même mentionne l'appa- rition de certains symptômes morbides chez les animaux qui ont reçu le sérum chauffé. Dans d’autres articles (Revue scientifique 1897, 2% juillet, 14 août et 11 septembre), Phisalix, en parlant de l’antitoxine que doivent, selon lui, contenir les sérums toxiques, affirme que le sérum des serpents, précipité par l'alcool, séché et repris par l’eau, aurait de meilleures qualités antitoxiques que le sérum chauffé, la chaleur détruisant non seulement la malière toxique, SANG ET BILE 813 mais aussi l’antitoxine, tandis que le précipité alcoolique con- tiendrait l’antitoxine isolée. La solution de ce précipité aurait même une valeur curalive très appréciable à l'égard du venin. | Héricourt et Richet (Comptes rendus de la Sociélé de biologie 1897, n° 3, 29 janvier) s'occupèrent à leur tour du sérum d'anguille. Ils étudièrent son action locale, ainsi que l’appli- cation de la sérothérapie à ce poison. Ils ont fixé la dose mortelle de sérum d’anguille à 0 c. c. 1 par injection intra-veineuse pour un lapin de 2 kilos. Ensuite, ayant immunisé un chien contre une certaine dose de sérum d’anguille, 1ls éprouvèrent la valeur préventive de son sérum sur des cobaÿes. Quant à sa valeur par mélange in vitro, ainsi que curative, ces auteurs n'en parlent pas. Néanmoins, ils concluent à la présence d’une antitoxrine immunisante dans ce sérum. Qu'est-ce que l’antitoxine immunisanle, elen quoi son action diffère-t-elle de celle que produisent, par exemple, de faibles doses du poison lui-même, injectées préalablement et conférant à l'organisme un certain degré d'immunité active ? C'est ce qu'ils ne disent pas. Tout récemment, enfin, Fraser (British Medical Journal, July 17, 1897) a publié un article qui ne concerne pas direcle- ment le sérum d’anguille, mais dans lequelil signale que la bile des serpents et d’autres animaux est antitoxique à l'égard du venin. Non seulement elle neutraliserait ce dernier par mélange in vitro, mais elle contiendrait une substance réellement antitoxique, ayant une certaine valeur curative. L'action de celte substance serait enlravée par l’action des sels et des matières colorantes biliaires, qui sont lexiques. Fraser réussit à séparer de la bile, en la précipilant avec de l'alcool, une petite quantité de matière albumineuse qui possédait une force préventive. Sa valeur curative était bien moindre; pour qu’elle se manifestät, dit-il, il faudrait avoir recours à des doses de 1,600 à 2,000 fois plus fortes que la dose préventive, de sorte que la dose de bile correspondante aurait contenu une quantité mortelle de matières toxiques (solubles dans l'alcool). Pour corroborer ses observations, Fraser mentionne les pratiques médicales des noirs de certains pays, qui administrent 814 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. la bile des serpents dans des cas de morsures très graves !- C’est en nous basant sur ces travaux que nous avons entre- pris une série d'expériences dans le but d'étudier le caractère et les propriétés du sérum d'anguille, l’action des différents sérums thérapeutiques ou normaux à l'égard de ce poison, et aussi l’in- fluence que les biles de bœuf, d'anguille et de vipère peuvent exercer sur les sérums de vipère ou d’anguille et sur le venin des serpents. Nous ne touchons donc qu’au côté physiologique de la ques- tion, renonçant pour le moment à une analyse chimique de ces substances. Il A.) Préparation du sérum d'anguille el épreuve de sa toxicité. — Nous recueillons notre sérum en coupant la tète du poisson et en laissant le sang s’écouler dans un verre stérilisé. Ce sang, dont chaque anguille ne donne que fort peu, est dilué d’un volume égal de sérum artificiel, aussitôt centrifugé et, dès que le caillot s’est formé, le sérum est réparti dans des pipettes stériles. Dans ces conditions on peut très bien conserver le sérum, en le main- tenant dans la glace, pendant deux semaines, ce qui suffit pour faire un certain nombre d'expériences. Au début nous y ajoutions un peu d'essence d’eucalyptus ; mais ce mode de conservation présente un inconvénient. Au bout de deux ou trois jours il se forme un précipité très volu- mineux, et la toxicité du liquide, si on le filtre, baisse considé- rablement; si on ne le fillre pas, on ne peut plus s’en servir pour des injections intra-veineuses, à cause des grumeaux du précipité. Nous avons également dû renoncer à dessécher dans le vide le sérum recueilli, puis à le redissoudre dans l’eau après avoir déterminé le poids du résidu sec. Ge procédé de préparation nous obligeait à filtrer la solution. Or, le filtre retient toujours une certaine quanlité de substances actives, de sorte que la solution ne correspond plus rigoureusement au poids du résidu. 1, M. C. Maglieri à publié dans les Annales d'Igiene sperimentale, vol. vir, 1897, un article sur les propriétés toxiques du sérum d’anguille. Nous n'en avons eu co nnaissance q ue.pendant l'impression du présent travail. SANG ET BILE 815 Nous nous sommes donc décidé à désigner les doses par fractions de c. c. Ce dosage volumétrique a bien, il est vrai, son côté faible. Le sérum d’anguille recueilli à diverses époques de l’année, ou bien d’anguilles de différentes provenances, n’a pas la même valeur toxique. Chaque fois que l’on fait une nouvelle provision de sérum il faut déterminer sa toxicité; celle-ci varie de 0 c.c. 1 à0 c.c. 2 par injection intra-péritonéale pour le cobaye (de 350 à 500 gr.). Nous avions toujours recours aux injections dans le péri- toine. Les injections sous-cutanées, qui provoquent une puis- sante réaction locale, aboutissant presque toujours à une escharre, ne peuvent pas donner un dosage exact du poison. Souvent on voit des animaux survivre à une dose deux fois plus forte que celle qui est mortelle pour d’autres. Il est probable qu’une partie du sérum peut rester inabsorbée dans les tissus nécrosés, grâce à la violence et à la rapidité de la réaction locale. C’est là, d’ailleurs, un phénomène que l’on peut observer avec d’autres poisons, notamment avec l’abrine, si la solution d’abrine est trop concentrée (par exemple à 1 pour 1,000 ou pour 500). Aussi prenions-nous la précaution de toujours diluer le sérum d’anguille avec un volume égal d’eau, même pour les injections intra-péritonéales. Cette précaution est, croyons-nous, également d'urgence pour les injections intra-veineuses, afin d'éviter une phlébite. B.) Immunisation contre le sérum d'anqguille. — XL n’est pas difficile d’immuniser des animaux contre le sérum d’anguille. Il s’agit seulemcit d'avoir un sérum bien préparé, sans gru- meaux. On en injecte des doses croissantes dans les veines, en espaçant suffisamment les injections suivant le poids et l’état de santé des sujets. Pendant les mois de juin et juillet, nous avons immunisé ainsi un lapin de 2 kilos contre une dose de 10 à 12 fois mor- telle. En août l'expérience fut interrompue. En septembre l'animal reçut encore deux doses de 1 c. c. 2 de sérum (la dose mortelle pour un lapin neuf du même poids étant de 0 ce. c. 1 par injection dans la veine). Dix jours plus tard, le sérum de ce lapin fut éprouvé et, comme on le verra plus loin, il présenta des propriétés antitoxiques assez mar quées. 816 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR C.) Toxicité du venin de serpents pour les anguilles. — Les anguilles ne sont pas du tout résistantes au venin (le venin en question étant un mélange des venins de cobra, de bothrops et de crotale, que M. Calmette emploie pour l’immunisation des chevaux qui produisent le sérum antivenimeux.) Une dose de venin mortelle pour un cobaye de 400 à 500 grammes (0 ce. ce. 25 — Üc.c.3 d'une solution à 1 : 1,000) l’est également pour une grosse anguille (de 275 gr.). En injectant aux anguilles du sérum antivenimeux sous la peau, on peut atténuer considérablement la toxicité de leur sang. Par exemple, une anguille de 170 grammes, ayant reçu 5 c. c. de sérum antivenimeux, nous fournit après 24 heures un sérum dont il fallait prendre 0 c. ce. 4 pour tuer un cobaye, tandis que 0 c.c. 2 de sérum d’anguille normale suffit dans les conditions ordinaires. D). Propriétés du sérum d’'anguille chauffé à 58°. — En répétant les expériences déja mentionnées de M. Phisalix sur la valeur du sérum d’anguille chauffé, nous avons constaté qu'il était possible d'obtenir exactement les mêmes résultats avec de très petites doses de sérum non chauffé et dilué dans une grande quantité d'eau. Nous avons cru devoir rechercher dans tous les cas, non seu- lement l’action préventive, mais encore l’action neutralisante (par mélange in vitro) et enfin, si ces deux fonctions se manifes- taient, l’action curative; car la présence d’une action curative et celle de l’action in vitro réunies sont indispensables pour nous donner le droit de parler d'antitoxicité. Il est évident, en effet, que tout poison capable de provoquer l'accoutumance peut, pris en faibles doses, avoir une action préventive à l'égard de la dose mortelle. De mème, tout agent chimique, que ce soit un acide ou un alcali, capable de détruire ou de modifier le poison, aura une action neutralisante par mélange, sans être ni préventif, ni curatif. E). Préparation et toxicité du sérum de vipère. — Les vipères donnent une quantité relativement considérable de sang, que nous recueillons en ouvrant le cœur de l’animal au-dessus d’un verre stérilisé. Ce sang forme un très petit caillot, et il n'est pas nécessaire de le centrifuger. SANG ET BILE. 817 De même que pour le sérum d’anguille, les injections dans le péritoine sont à préférer pour le sérum de vipère. Il semble que ces injections ne produisent pas d'aussi vives douleurs que celles que provoque le sérum d'anguille. Les animaux restent paisibles, deviennent peu à peu somnolents, puis on constate de l’hypo- thermie, et la mort survient précédée d’un état de collapsus complet. Nous avons profité de ce qu’il nous restait une certaine quan- tité de sérum pour refaire une expérience très intéressante de M. Phisalix. 2 c. c. 5 de ce sérum, précipités par l'alcool (12 c. c.) nous fournirent un résidu volumineux. L’ayant rapidement desséché et repris par 3 c. c. de sérum artificiel, nous avons injecté ce liquide à un cobaye qui avait reçu, cinq minutes avant, 0 c. ce. 3 de venin (à 1/1000). L'animal fut à peine malade, tandis qu’un témoin succombait. Un second essai, effectué dans les mêmes conditions, nous a donné un résultat négatif. Nous avons tenté une expérience identique pour nous rendre compte de l’action du sérum d’anguille précipité par l'alcool sur le venin, le sérum de vipère et le sérum d’anguille. Malgré des doses de précipité correspondant à 3 c. c. de sérum, tous nos animaux succombèrent. HI Expériences. — Les lableaux ci-joints montrerout les résultats de nos recherches. Toutes les doses y sont notées en centimètres cubes : les sérums et la bile à l’état de pureté, et le venin dilué à 1/1000. Les injections de sérum d’anguille et de vipère ont toujours été faites dans le péritoine, excepté celles de sérum chauffé mélangé de venin, qui ont été faites sous la peau. = Nous ayons toujours préféré employer des doses qui donnent des résultats nets, et non pas des doses limites qui peuvent laisser dans l’indécision. Nous n'avons pas déterminé les doses mortelles de bile de vipère et d’anguille, les quantités de ces substances dont nous disposions étant insuffisantes. 818 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. TABLEAU N° 1 ACTION DU SÉRUM D'ANGUILLE CHAUFFÉ A D8° ET DU MÊME SÉRUM DILUÉ EN FAIBLES DOSES A L'ÉGARD DU SÉRUM D'ANGUILLE NON CHAUFFÉ. COBAYES DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES SC EE N° |porps Are INJECTION INTERVALLE 92 INJECTION RÉSULTATS 1 | 380 |0,1 sér.anguille. Mort le lendemain. —— | ———__ | —_——_————_—_—_—_—…—…"— | ——_———…—— | ————…—…—…—…—…—…—…—…—.…————— 2 390 |0.1sér.anguille.| mélagéave |4,0 sér. chauffé. [Mort en même t. que le témoin. 3 375 |0,1sér.anguille.|20 minutes.|1,0 sér. chauffé.|Mort en même temps. 340 |1,0 sér. chauffé.| 2 heures. [0,1 sér. anguille. Survie. 415 10,5 sér. chauffé.| 3 jours. [0,1 sér. anguille. Survie. 410 [0,5 sér. anguille dilué 4: 100, | ? heures. |0,1 sér. anguille. Survie. 385 ne Ra 3 jours. |0,1 sér. anguille. Survie. es On voit que le sérum chauffé et le sérum en faibles doses, dilué dans l’eau, se comportent exactement de la même facon à l'égard du sérum d’anguille. L’immunité est acquise déjà 2 heuresaprès l'injection préventive, quand l’animal paraît encore somnolent. Elle dure au moins trois jours. Il n’y a ni action curative, ni même action par mélange in vitro, donc pas d’action antitoxique. SANG ET BILE. TABLEAU 819 No ACTION DU SÉRUM D'ANGUILLE CHAUFFÉ A 58° ET DU MÊME SÉRUM NON CHAUFFÉ MAIS DILUÉ, EN FAIBLES DOSES, A L'ÉGARD DU VENIN. {re INJECTION 0,35 venin. 1,5 sér, ang. ch. 1,5 sér, ang. ch. 1,0 sér. ang. dil. à 1: 100. DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES COBAYES : à (Solulion de venin à 4 : 1000.) — D INTERVALLE 94 heures 2 heures 24 heures 22 INJECTION RÉSULTATS Mort. 0,3 venin Survie, 0,3 venin Mort. 0,3 venin Survie, 0,3 venin. mélangé avec 6 570 0,3 venin 920 minutes 1,5 sûr. ang. ch. 1,5 sér. ang. ch. Le sérum d’anguille chauffé ainsi que les faibles doses de sérum dilué dans l’eau confèrent l’'immunité à l'égard du venin, mais seulement après un certain temps (24 heures). Il n'y à ni neulralisation in vitro, ni action curative, par conséquent pas d’aclion antitorique. 820 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR TABLEAU N° 3 ACTION DU SÉRUM ANTIVENIMEUX SUR LE SÉRUM D’ANGUILLE COBAYES DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES ne. | N° |porps | «Are INJECTION | INTERVALLE 9° INJECTION 340 |0,1sér.anguille. venimeux. D MOD eu re 0,1 sér. anguille. 4,0 sér. anti- venimeux. mélangé ave |0,1 sér. anguille. RÉSULTATS Mort. Survie. Mort. 1,0 sér. anti- 0,1sér.anguille.|15 minutes. : venimeux. É rent élangé 0,1 sér. an uille c mé avec ñ "1 œ . y i x. DClangé avec L 5 sér. anti- 1.4 venimeux. 360 |0,1sér. anguille.|15 minutes. Survie. Mort. Survie. Le sérum antivenimeux est préventif à l'égard du sérum d’anguille. A plus fortes doses, il est neutralisant ## vitro et curatif, donc antitoxique. SANG ET BILE, 821 TABLEAU N° 4 ACTION DU SÉRUM ANTITÉTANIQUE, DU SÉRUM ANTIDIPHTÉRIQUE, DU SÉRUM NORMAL DE CHEVAL, DU SÉRUM NORMAL DE LAPIN ET DU BOUILLON DE VIANDE SUR LE SÉRUM D'ANGUILLE. COBAYES DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES "| No |porps ATeINJECTION | INTERVALLE 2e INJECTION RÉSULTATS = 1 420 10,1 sér. anguille Mort. 390 |1,5sér.antitétan| 24 heures |0,1 sér. anguille. Mort. 400 [0,1 sér. anguille| mélangé avee | 1,5 sér.antitétan. Mort. SRE ON 415 |0,1 sér. anguille| 15 minutes |2,9 sér.antitétan, Mort. ——— 3175 |1,0sér.antidiph.| 1 heure [0,1 sér. anguille. Survie. PER 7 0,1 sér. anguille| mélangé avec |1,0sér.antidipht. Survie. 0,1 sér. anguille| 5 minutes |2,0sér.antidipht. Mort, Le sérum antidiphtérique est actif à titre préventif et par mélange in vitro, mais il n’est pas curatif à l'égard du sérum d'anguille. Le sérum anti-tétanique parait complètement inactif. Le sérum de cheval normal, celui de lapin et le bouillon de viande sont, comme nous l’ont démontré des expériences que nous ne relatons pas, parfaitement inactifs à l'égard du sérum d’anguille. 822 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. TABLEAU N° 5 BILE D’ANGUILLE : SON ACTION A L'ÉGARD DU SÉRUM D'ANGUILLE ET DU VENIN DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES COBAYES (Solution de venin à 1 : 1000) nn LS —— No |porps Âre INJECTION INTERVALLE 9e INJECTION RÉSULTATS 1 450 0,3 venin. Mort. 2 430 |0,1sér.anguille. Mort. © — À ————_—_—_—_—_—_——— ——— | ————_—_— | ——— 3 | 385 |[0,6bileanguille.| 24 heures. |0,1 sér. anguille. Mort. | —————— —— | ——————— | ——— 4 500 |0,3bileanguille.| mélangé ave |0,1 sér. anguille. Mort. 6) 425 |0,6bileanguille.| mélaugéavee |0,1 sér. anguille. Survie. 6 410 |0,1sér.anguille.|10 minutes.|0,8 bile anguille. Mort. 7 390 [0,6bileanguille.| 24 heures. 0,3 venin. Mort. 8 400 0,3 venin mélangé ave [0,3 bile anguille Survie. 9 430 0,3 venin 10 minutes.|0,8 bile anguille. Mort. La bile d’anguille n’a aucun pouvoir préventif ni curatif à l'égard du sérum d’anguille, qu’elle neutralise in vitro seulement à une dose de 0, c. c. 5. A l'égard du venin, son pouvoir neutralisant est deux fois plus fort, mais elle n’a également aucune action préventive ou curative sur ce poison. SANG ET BILE. 82: TABLEAU N° 6 BILE DE BOEUF : SON ACTION SUR LE SÉRUM D'ANGUILLE ET SUR LE VENIN. : DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES CORRE (Solution de venin à 1 : 1,000.) a er nn No |porps | AÂ'°INJECTION INTERVALLE 9e INJECTION RÉSULTATS Malade ; se remet le 390 |1,S bile debœuf. lendemain, ——— 450 |0,1sér.anguille. Mort. 14,5 bile. 24 heures Mort, 0,1 sér. anguille. 380 [0,1 sér. anguille| mélangé avec 0,5 bile, Survie, 400 |0,1 sér. anguille 15 minutes 4,5 bile. Mort. OI — —_—__—_—_—__—_—_—_—_— 420 0,3 venin. Mort. Somnolent; se remet 1,2 bile. 24 heures | mélangé aaec . | 10 minutes. après la bile, Mort 4 heures après le venin 0,6 bile. Survie. 1,5 bile. Mort, La bile de bœuf n’est que peu toxique. Elle semble avoir une action digestive sur le sérum d’anguille et le venin. Les doses éprouvées n'ont ni action préventive, ni action curative, Cette bile ne possède donc pas, à l'égard du venin, de pro- priétés antitoriques aux doses que nous avons employées. 824 ANNALES .DE. L'INSTITUT PASTEUR. TABLEAU N° 7 SÉRUM DE VIPÈRE : SA TOXICITÉ COMPARÉE A CELLE DU SÉRUM D'AN- GUILLE. SON ACTION SUR LE VENIN. ACTION DU SÉRUM D’ANGUILLE CHAUFFÉ ET DILUÉ SUR LE SÉRUM DE VIPÈRE. ACTION PRÉVENTIVE ET CURATIVE DU SÉRUM ANTIVENIMEUX SUR LE SÉRUM DE VIPÈRE, ACCOUTUMANCE. COBAYES 1 | 330 | 0,3 sér. vipère. No lporns| 1Â'° INJECTION | INTERVALLE DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES (Solution de venin à 1 : 1000) on. = RE 2e INJECTION 2 340 | 0,2 sér. vipère. | 24 heures. 3 430 | 0,3 sér. vipère. | 5 minutes. 0,3 venin. 1,5 sér. anti- venimeux. RÉSULTATS Mort en 6 heures. Somnolent. Survie. Survie. 4 420 | 0,3 sér. vipère. | mélangé avec 5 480 | 0,2 sér. vipère. | 24 heures. 1,0 sér. anti- venimeux, 0,1 sér. anguille.| Mort le lendemain. Survie, 1,0 sér. anti- 6 ,05 e 24 heures. 405 venimeux. ere 1,0 sér. anguille RE OES 24 heures. 1 450 chauffé à 58°. . 11,0 sér. anguille 8 42 2 o 924 heures. dilué à 14 : 100. 10 415 0,3 venin. 9 345 | 0,2 sér. vipère. | 24 heures. | 11 430 |0,1sér.anguille. 0,3 sér. vipère. Survie. 0,3 sér. vipère. CRM UE | 0,5 sér. vipère. 0,3 sér. vipère. Survie. Survie. Survie. Mort en 5 heures. Mort en 22 heures. Le sérum de vipère est trois fois moins toxique que le sérum d’auguille. in faibles doses il immunise contre le venin, mais non contre le sérum d’anguille, SANG ET BILE, 825 Ces faibles doses produisent aussi l’accoutumance. Le sérum d’anguille chauffé ou en faibles doses est préventif à l'égard du sérum de vipère. Le sérum antivenimeux est préventif et curatif à l'égard du sérum de vipère. TABLEAU N°8 BILE DE VIPÈRE : SON ACTION SUR LE SÉRUM DE VIPÈRE, SUR LE VENIN, ET SUR LE SÉRUM D'ANGUILLE. COBAYES DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES (Solution de venin à 4 : 1.000.) — T— POIDS 17° INJECTION INTERVALLE 20 INJECTION RÉSULTATS —— Somnolent après la 300 [0,3 bile vipère.| 24 heures. | 0,8 sér. vipère. bile; se remet. Survie. 460 [0,3 bile vipère! mélangé ave | 0,3 sèr. vipère.. Survie, e 410 |0,3 sér. vipère.| 5 minutes. | 0,5 bile vipère. | Mort le lendemain. 5C0 |0,3 sér. vipère. Mort en 24 heures. | | | 450 [0,3 bile vipère.| 24 heures, 0,3 venin. Survie, 0,3 venin mélangé ave | 0,15 bile vipère. Survie, 480 0,3 venin Mort. 390 |0,3 bile vipère,| 24 heures. |0,1 sér. anguille. Survie, 0,1 sér. anguille! mélangé ave | 0,3 bile vipère Survie, | #15 |0,1sér.anguille.| Mort. La bile de vipère, peu toxique, est préventive ‘et neutra- lisante in vitro à l'égard du sérum de vipère, du sérum d’an- guille et du venin. Elle n’est pas curative à l'égard du sérum de vipère. ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. TABLEAU N° 9 ACTION DU SÉRUM D'UN LAPIN IMMUNISÉ CONTRE 1‘°,2 DE SÉRUM D'ANGUILLE A L'ÉGARD DU SÉRUM D'ANGUILLE, DU SÉRUM DE VIPÈRE ET DU VENIN. COBAYES DOSES EN CENTIMÈTRES CUBES (Solution de venin à 1: 1.000) en TT — a No |porps | Are INJECTION |INTERVALLE 9e INJECTION RÉSULTATS 1 42) 0,3 venin. Mort. 2 395 | 0,5 sér. lapin. | 2 heures 0,3 venin. Survie. o 410 0,3 venin. 10 minutes.| 0,5 sér. lapin. Survie. 4 430 |0,3 sér. vipère. Mort. ÿ 400 | 0,5 sér. lapin. | 2 heures. | 0,3 sér. vipère. Survie. 6 450 [0,3 sér. vipère |15 minutes.| 0,5 sér. lapin. Survie. d 455 |0,1sér.anguille. Mort. 8 425 | 0,5 sér. lapin. | 2 heures. |0,1 sér. anguille. Survie. 2 | 9 400 |0,1sér. anguille.| 5 minutes. | 0,5 sér. lapin. Survie. Le sérum de lapin immunisé contre le sérum d’anguilles est préventif et curatif à l’égard du venin, du sérum de vipère et du sérum d’anguille. sitilh. Lhés le id SANG ET BILE, 827 IV CONCLUSIONS À.) Sérum d'anguille. — Le sérum d’anguille tue un cobaye de moyenne taille à la dose de 0 c. c. 1 par injection intrapérito- néale. Il tue un lapin de 2 kilos à la même dose par injection intraveineuse. Chauffé à 58° pendant 15 minutes, il perd la majeure partie de sa toxicité, et agit exactement comme de faibles doses de sérum non chauffé mais dilué dans l’eau. Ce sérum chautfé pro- duit de la somnolence et parfois de l’hypothermie, mais les animaux qui en ont reçu se rétablissent au bout de 2 ou 3 heures. Même avant ce terme, ils ont acquis un certain degré d'immu- nité active contre le sérum d’anguille non chauffé, et cette immunité persiste encore au bout de 3 jours. Le sérum d’anguille chauffé est également préventif à l'égard du sérum de vipère, mais seulement à partir de 20 à 24 heures après l'injection. Il n’a d'action neutralisante et curative à l’égard d’aucun de ces trois poisons. Îl n'est donc pas antitoxique. Le sérum d’anguille précipité par l’alcool et redissous dans l’eau ne présente pas de valeur curative (à la dose de 3 c. c.) à l'égard des trois poisons en question. Les anguilles ne sont pas résistantes au venin des serpents. Une anguille de taille moyenne succombe à l’inoculation d’une dose de venin mortelle pour un cobaye, La toxicité du sang des anguilles est très atténuée par le sérum antivenimeux injecté à ces poissons 24 heures avant la saignée. Le sérum antivenimeux est préventif et, à plus fortes doses, neutralisaut in vitro, et curatif à l'égard du sérum d’anguille. Le sérum antidiphtérique est préventif et actif par mélange in vitro, mais il n’est pas curatif à l'égard du sérum d’anguille. Le sérum antitétanique, le sérum normal de cheval et celui de lapin, ainsi que le bouillon de viande, sont inactifs. Le sérum de lapin immunisé contre le sérum d’anguille est prévenuif et curatf à l'égard du venin, du sérum d’anguille et du sérum de vipère. 828 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. B.) Sérum de vipère. — Le sérum de vipère est à peu près 3 fois moins toxique que celui d’anguille. Injecté préventivement, il confère l'immunité contre le venin, mais non contre le sérum d’anguille. Dans les mêmes conditions, il produit l'accoutumance. Le sérum antivenimeux est préventif et curatif à son égard. Le sérum de vipère, précipité par l'alcool et redissous dans l'eau, a donné une fois sur deux expériences un eilet curalif contre le venin. C.) Action de la bile de bœuf, d'anguille et de vipère sur les sérums toxiques et sur le venin. — La bile de bœuf détruit par mélange in vitro la toxicité du sérum d'anguille et celle du venin, mais nous n'avons pas constaté d'action préventive ou curative. La bile d’anguille neutralise, par mélange in vitro, le venin et le sérum d’anguille. Elle n'a aucun pouvoir préventif ou curatif aux doses que nous avons employées. La bile de vipère a une action préventive et neutralisante in vitro à l'égard du venin, du sérum d’anguille et du sérum de vipère. Nous constatons donc que la bile de bœuf, celle d’anguille et celle de vipère agissent principalement par mélange. Il semble qu'elles possèdent une action digestive. Enfin nous voyons que les sérums des animaux immunisés contre l’un quelconque des poisons que nous avons étudiés sont fréquemment curatifs à l'égard des autres. Ces phénomènes d'action réciproque préventive, neutrali- sante in vitro et curalive, apportent un argument de plus en faveur de la théorie cellulaire de l’immunité. On peut, sans doute, admettre qu'il existe, dans le sang et dans la bile des serpents et des anguilles, certaines substances présentant entre elles et avec le venin des analogies plus ou moins étroites, de sorte qu'elles sont capables de produire une immunité réciproque ; faut-il aussi admettre ces analogies entre le sérum antidiphtérique de cheval et le sérum d’anguilles. Le premier agit sur le secoud in vitro et surtout préventivement. Il faut bien en conclure que la notion de spécificité des toxines et des sérums antitoxiques est loin d'être aussi étroite qu’on l'avait cru jusqu’à ces derniers temps. FIÈVRE TYPHOIDE EXPÉRIMENTALE PAR CONTAMINATION ALIMENTAIRE Par LE D' PauLz REMLINGER, Médecin aide-major (Laboratoire militaire de Bactériologie de Tunis } L'attention a été atlirée récemment sur le danger que pré- sente, au point de vue de la propagation de la fièvre typhoïde, l'épandage des eaux d’égoûtpraliqué directement sur les légumes. A l’occasion de quelques cas de dothiénentérie attribués à ce mode de contagion, nous avons recherché s’il était possible de communiquer la maladie aux animaux en leur faisant ingérer des légumes souillés par le bacille d’Eberth. Ces expériences out porté sur des lapins et des rats. Les résultats obtenus ont été communiqués à la Société de biologie (10 juillet 1897). A la séance suivante, M. le professeur Chantemesse a confirmé la possibilité de la contamination digestive du lapin, et a annoncé que, d’après ses expériences, le singe pouvait également con- tracter la maladie par cette voie, L'intérêt qui s'attache à la fièvre typhoïde expérimentale nous a engagé à rapporter briève- ment nos recherches personnelles. Il Si dans le péritoine ou la plèvre d’un cobaye ou d’un lapin, on injecte une culture de bacille d'Eberth, les résultats obtenus sont dans un rapport étroit avec la virulence du bacille inoculé. Le rapport ne se relrouve pas aussi rigoureux lorsqu'on a recours à la contamination alimentaire. D'autres éléments inter- viennent el paraissent avoir une importance majeure : quantité des bacilles ingérés, répétition des inoculations, prédispositions individuelles. C’est ainsi qu'un bacille fraîchement retiré de la 830 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. rate d'un typhique, ingéré copieusement, plusieurs jours de suite, donne parfois plus sûrement la dothiénentérie qu’un autre bacille dont la virulence a été exaltée à l’aide de passages, mais qui a été ingéré à doses moindres ou moins souvent renouve- lées. D'autre part, l'influence des prédispositions individuelles est rendue manifeste par ce fait que sur un lot d'animaux soumis à la même alimentation contaminée, les uns succombent à la dothiénentérie, d’autres présentent une fièvre passagère, puis guérissent; d’autres enfin ne paraissent nullement incommodés. Or, aucune notion tirée du poids, de l’état général, de l’immu- nité ou de la prédisposition conférées par des inoculations antérieures ne peut donner la raison de ces différences. Les ani- maux jeunes ont cependant paru présenter une réceptivité un peu plus grande. Les tentatives faites avec des doses faibles, ou répétées peu souvent, ayant fourni presque constamment des résultats néga- üfs, le procédé suivant a été exclusivement employé. Après deux ou trois jours de diète, les animaux étaient exclusivement alimentés avec des légumes (fenilles de choux, de salades, etc.) contaminés par l'immersion prolongée dans de l’eau largement additionnée de cultures typhiques. Cette alimentation était poursuivie jusqu’à ce qu'ils présentassent les premiers symptômes de l'infection : mais, dans aucun cas, elle n’était continuée plus de dix jours. Sur huit lapins mis en expérience, quatre n'ont présenté aucun symptôme morbide et leur sérum n’a montré aucune pro- priété agglutinante. Les matières fécales renfermaient de nom- breux bacilles d’Eberth pendant que les animaux étaient soumis aux tentatives d'infection. Ces bacilles disparaissaient dès que l'alimentation normale était reprise. Un cinquième lapin. ayantmangé depuis le 12 mai des légumes contaminés, a présenté à partir du 15 une température supé- rieure à 40° (courbe n° 1). L'ingestion des bacilles d'Eberth a dès lors été suspendue. Pendant huit jours la température à oscillé entre 40,5 et 40,8. Cette fièvre s’accompagnait de somnolence, d'amaigrisseñent, et d'une légère diminution de l’appétit. Mais le 23 mai, la température descendit à la normale et la guérison fut bientôt complète. Le sang de cet animai n’a jamais présenté de propriété agelutinante. 831 INTALE XPÉRIME 1 4 4 VRE TYPHOIDE I x + s FIE Un sixième lapin commence à manger le 30 août des légumes souillés de bacilles d'Eberth. Le 1% septembre au soir, sa tem- BR ANE RS TABEREZE STATE PA CTIYG RNA NY: TON UNE UAX HAT TT EL 46 NTI RZCULLOZUNBENN-3EEBEEBERE Wat PRE Tracé no 1, ture s'élève de 39° à 40°,2 (courbe n° 2). Elle descend à la normale le lendemain. Le lapin continue son alimentation spé- péra TRS ASAUO RATER RANRAMANET MUR ER BRRRRRRRBESCÉCRERERRERRS"4TRRRIE a ARR RRRRNUE ETIITICUAITITITTT] [] | 8 = [ 1 ar UE ES ms ++ Es Æ \ ED A En, BE EX FES HE fe] Es 1 ES = Bal cs pu æŒ = Fi &s L L | AA A Re 5 = - En = = = Fa Lei] Fi 14 FR ÈS ES LS SE | ©] 4 | mit Ha Ce M NZ] [Ni | BR) 1 _ Ê2 . GE - ss Er [A LÉ A] LV} "ÊEs EE EE = te | | _ Es [es] : Tracé no 2. ciale, Bientôt il maigrit, devient apathique, et, à deux reprises différentes, présente une légère élévation de température. A 832 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. partir h 7 septembre, la température forme un plateau entre 20°,5 et 41,5, et on cesse de faire avaler du bacille d'Ebe rth. A ce Re le lapin a perdu 180 gram- mes. Il reste blotti dans un coin de sa cage, indifférent à toute excitation. Il nee À! Es! Ca [A 'æ = IE El (en sl A [= = ei Be uilrfels)els] == EE = Æ (1 Pa A x [ ] [ [+ LA BE Eï ES BE [ | [] É | | ae ne se déplace que CE ELCOTTTI TE CES EEE ] Lol CTTITII TEA hihi sis en ao LORIE on dut donne une Le CHERE CHE HIER on Jui donne une D HOT DER ï TT position incom- | 3 FERA EEE mode, il préfère la Ce DATES LUNA LENAREGENR Ë à [eprdd-pres CDR TT TTTTITITTITITI conserver que de SH SE RRRNERNREnE TE à - os LP Fete) faire le léger effort Eu GÉRÉE TEE Eù : [LS D] BSERER nécessaire POUE en CETTE La om changer. L'appétit Hoi] = est très diminué; CUITINITNTTN + 2 d <] 1 CLIM LAS ARUUEES A son brillant; les Te SHBSPERBEBSRBENE : si yeux sont fermés et laissent écouler un [| aù HET 2UUSSAER ELLE 2 CHR ER LEE EENE ; HT SRASASÈSBRS \EBSTESEEERL peu de liquide pu- | SOON = ML BOLD rulent. Le 15 sep- TT HOTTE STHTTNTE ee sininil AFTARCRABEBAET tembre, apparition d’une diarrhée jau- nâtre. Le séro-diag- nostic donne un ré- sultat positif. Pou- BEEz RAP = ee LE ARBRRESUUUR =" + o voir agglutinant, HT , x | 1/50, Le 18 sep [e RIRE TRE ENT tembre, la diarrhée cesse. Le 19,la tem- pérature descend à L0°et atteinthientôt 39°. Pendant quelques jours, le lapin pré- sente encore de la somnolence et de l’assoupissement, puis il se remet à manger, augmente de poids, et peut être considéré comme guéri. FIÈVRE TYPHOIDE EXPÉRIMENTALE. 833 Le 30 septembre, le séro-diagnostic fournissait encore un résultat positif. Les deux autres lapins ont présenté les symp- tômes typiques d'une dothiénentérie expérimentale, dont les lésions intestinales ont été constatées à l’autopsie. Observation 1. — Lapin âgé de 10 mois — 1,890 grammes, — est alimenté du 12 au 17 mai avec des légumes souillés de cul- tures typhiques. Dès le 20 mai au soir, la température s’éleva à 40 degrés (courbe n° 3) et oscille ensuite jusqu’au 25 entre 400,5 et 409,8. À ce moment, l'appétit est conservé; il n'y a pas de diar- rhée. L'animal est seulement moins vif qu’à l'ordinaire, et pré- sente même une sorte d'état cataleptique un peu spécial. Lorsqu'on le met sur le dos, par exemple, il y reste et ne reprend qu’au bout de quelques instants, et très mollement, une position plus commode. A partir du 25, la température s'élève encore et marque 419,5 à 41°,7 le soir, et de 400,4 à 400,6 le matin. L'animal perd l'appétit et présente une diarrhée ocreuse, jaunâtre. Le poil perd de son luisant. Amaigrissement considérable (1,780 gram- mes le 28 mai). Le 28 mai, un prélèvement de sang est fait asep- tiquement dans la veine marginale de l'oreille. L’ensemencement en bouillon donne un résultat négatif, mais avec le sérum on obtient de la façon la plus nette, vis-à-vis de divers échantillons de bacille d'Eberth, la réaction agglutinative. Dans les premiers jours de juin, l’animal devient de plus en plus apathique; il est blotti tristement dans un coin de sa cage, et ne réagit pas aux excitations. La température baisse un peu et oscille entre 409,2 le malin et 40,8 le soir. Poids le 6 juin : 1.650 grammes. L'animal est sacrifié à cette date, quelques heures probablement avant que sa mort naturelle ne fût survenue. A l’autopsie, congestion vive de l'intestin grêle, qui est rem- pli de matières diarrhéiques jaunes-ocreuses. La congestion est particulièrement vive dans les dernières portions de l'iléon, où les plaques de Peyer sont manifestement hypertrophiées. Quel- ques ulcérations au niveau du cœæcum. La rate est très augmen- tée de volume. Sur froitis de l’organe, on ne constate pas la présence de bacilles, mais l’ensemencement donne une culture pure de bacille d’Eberth. Les ensemencements de sang sont demeurés stériles, mais à l’autopsie comme sur le vivant, le sérum jouissait, vis-à-vis du bacille d'Eberth, des propriétés agelutinantes des plus nettes. 834 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Observation II. — Lapin âgé de 9 mois. P — 1,600 grammes, commence à man- ger le 1° septem- bre des légumes contaminés. Dès les premiers jours, il présente de pe- tites élévations de température rapi- dement suivies d'un retour à Ja normale (courbe n° 4). Le8 septem- bre, la T. se main- tient à 400,5. Appa- rition d’une légère diarrhée. L'animal ne pèse plus que 1,450 grammes. Le 6, la température monte à 41° ets'y maintient. L'ani- mal perd l'appétit; il est blotti dans un coin de sa cage, les poils hérissés, les yeux mi-clos, en proie àune dyspnée assez vive. Il est indifférent à ce qui l'entoure, ne réagil pas à de légers trau- matismes, et con- serve, comme Îles précédents, les po- sitions les plus 1n- commodes. Le sé- LS RATS PTE ERSAILASNELETAENUE SE DE SFR EHE En ET BE : nunnE <ÜD BEGARS E ÉtEn EE D HE RTE CE - CETTE \w Avi [y] E< . nee" Gsfielwfiel mis ielsot er BE ne es VE [{7 \ AE Tracé no 4. QUE Eu [_1 LT ED =2aun| HAE DE L ou - Æ LL TT 1] LH COTT FE HHRTHRERRS CHOCO EDS DERRSRNANRES- | CH LE u DITIR as te a A ro-diagnostic est positif. Puis la diarrhée augmente; l'amai- oerissement fait des progrès. L'animal, le 18 septembre, ne pèse sc de PASS FIÈVRE TYPHOIDE EXPÉRIMENTALE. 839 plus que 1,250 grammes et apparaît tout à fait décharné. Le 19, il est couché dans sa cage, à peu près inerte. La tempéra- ture tombe à 39°, puis à 38°. Mort le 20 septembre, après une agonie de deux jours. A l’autopsie, intégrité des organes thoraciques, l’ensemen- cement du sang du cœur est demeuré stérile. L’intestin grêle est rempli de matières diarrhéiques; il est vivement congestionné au niveau de ses dernières portions; les plaques de Peyer sont hypertrophiées et, au voisinage du cœcum, la muqueuse est ulcérée en divers points et sur de larges surfaces. Les ganglions mésentériques sont tuméfiés. La rate est augmentée de volume et sa substance est molle et diffluente. L’ensemencement de cette pulpe donne une culture pure de Bacille d'Eberth. Le foie et les reins paraissent sains. IT La fièvre typhoïde expérimentale du rat présente avec celle du lapin les plus grandes analogies. Après deux jours de diète, douze rats blancs ont été alimentés exclusivement avec des débris de légumes abondamment souillés de bacilles d'Eberth. Six ont été inoculés du 12 au 17 maï; six autres du 10 au 20 août. Auparavant, de nombreux résultats négatifs avaient été obtenus en faisant ingérer le bacille d’'Eberth à doses trop faibles et répétées un trop petit nombre de fois. Trois animaux sont morts après avoir présenté une symptô- matologie à peu près identique. Entre le 5° et le 10° jour, à dater du commencement de l'infection, on trouvait blotti dans un coin de la cage commune un animal qui la veille encore parais- sait gai et bien portant. Il avait les poils retroussés, les yeux fermés, ne se jetait pas sur la nourriture comme ses camarades et paraissait tout à fait indifférent à leurs ébats. On pouvait le prendre à la main sans qu'il opposàt la moindre résistance. On remarquait alors que ses yeux élaient injectés et laissaient écouler une sanie purulente. Isolé dans une cage spéciale, il demeurait dans un coin, absolument stupide, ne prenait aucune excitations, puis présentait de la diarrhée. Il maigrissait et suc- combait du 6° au 8° jour après une agonie de 24 ou de 48 heures. À l’autopsie, les organes thoraciques n'offraient d’autre 836 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. particularité qu’un peu de congestion des bases pulmonaires. L'intestin grêle était rempli de matières diarrhéiques jaunâtres, el la muqueuse était le siège d'une congestion d’autant plus marquée qu'on se rapprochait davantage du cœcum. Les plaques de Peyer étaient tuméfiées ; quelques-unes étaient en voie d’ulcé- rations. La rate avait deux ou trois fois son volume normal. Le foie et les reins n’ont présenté aucune particularité. L’ensemencement de la pulpe splénique a donné une culture de B. d'Eberth, soit pur, soit associé à du Proteus vulgaris dont la présence s'explique aisément par la longue durée de l’agonie. L'ensemencement du sang du cœur a fourni dans un cas une culture pure de bacille d'Eberth. Deux autres fois, les ense- mencements sont demeurés stériles. Les trois fois, Le sérum du sang prélevé dans l'oreillette droite a exercé vis-à-vis de divers échantillons de bacille d’Eberth une action agglutinante très marquée (1/40 à 1/60). De tous ces faits, il nous semble logique de tirer cette con- clusion qu'il est possible de communiquer au rat et au lapin, par l'alimentation, une affection qui, au point de vue bactério- logique et anatomo-pathologique, présente les plus grandes analogies avec la fièvre typhoïde de l’homme. Il existe à propre- ment parler une fièvre typhoïde expérimentale. CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE L'ALCOOUINNE EXPÉRIMENTAL ET DE SON INFLUENCE SUR L'IMMUNITÉ Par Le D' A. DELÉARDE (Travail du laboratoire de M. le Dr Calmette, à l'Institut Pasteur de Lille.) Parmi les poisons dont l’homme abuse volontiers pour se procurer des sensations agréables, l'alcool, sous ses différentes formes, est, sans contredit, le plus frépandu. La plupart des grands appareils de l’économie subissent son influence. On connait le rôle étiologique de l'alcool dans la formation des cir- rhoses du foie et des néphrites, dans l’altération des fonctions digestives et dans l'éclosion des troubles nerveux d’origine centrale ou périphérique. Les accidents d'intoxication chronique n'apparaissent, en gé- néral, que lentement, etles dégâts causés par l'alcool sont déjà très souvent irréparables lorsqu'ils se manifestent. L’alcoolique peut offrir un état général excellent en apparence, ses fonctions essentielles semblent s’accomplir normalement, et cependant il présente une vulnérabilité extrème à l’égard des maladies infec- tieuses ou toxiques. De nombreux travaux ont déjà montré que, chez lui, les affections microbiennes se manifestent avec des symptômes beaucoup plus alarmants et en général plus graves que lors- qu’elles frappent un organisme sain. Il suffit de prendre pour exemple la pneumonie; cette affection, d'ordinaire bénigne, entraîne un pronostic sombre si elle atteint un alcoolique. Dans ce dernier cas, la marche de la maladie est lente: elle s'accompagne souvent de délire violent auquel succède une période de prostration profonde ou même de coma. Lorsque la guérison survient, on constate très fréquemment la formation de foyers secondaires de suppuration dans le poumon ou dans 838 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. d’autres organes, alors que cette complication se montre à titre tout à fait exceptionnel dans la pneumonie franche. Cette allure particulière de la maladie se rencontre égale- ment chez les alcooliques atteints d’autres infections telles que l'érysipèie, la fièvre typhoïde, etc. C’est à la diminution de ‘résistance de l’organisme, à l’alté- ration de ses principaux moyens de défense contre les germes infectieux, qu'il faut attribuer la marche particulière et la tendance aux complications que les maladies microbiennes présentent chez Îes alcooliques. La méthode expérimentale permet aujourd’hui d’en faire la preuve. En 1896, Abbott, de Philadelphie ‘, montrait que des microbes pathogènes incapables de donner la mort à des animaux sains pouvaient tuer des animaux intoxiqués par l'alcool. Les expé- riences de ce savant ont été faites avec trois microbes, : le strep- tocoque, le staphylocoque et le bactérium coli. Il trouva, dans tous les cas, chez les animaux alcoolisés, des lésions beaucoup plus étendues et plus graves que chez les animaux témoins. Je me suis proposé de reprendre ces expériences en vue de déterminer si, chez les animaux intoxiqués par l'alcool, les virus et les toxines peuvent, comme dans les conditions ordi- naires, conférer l’immunité. Mes recherches ont été faites sur des lapins. Elles ont porté sur trois maladies contre lesquelles il est relativement facile de vacciner solidement les petits animaux de laboratoire : la rage, le tétanos etle charbon. L’alcoolisation des animaux a été produite de ia façon sui- vante : Je faisais ingérer chaque jour, à l’aide d’une sonde œsopha- gienne en gomme, de l'alcool éthylique pur, dilué à 45°, en quan- tité proportionnelle au poids de chaque lapin; 20 c. c. de la solu- tion produisaient l'ivresse chez un lapin de 2 kilogrammes. Le poids moyen des animaux choisis pour l'expérience oscillait entre 1 kilogr. 800 et 2 kilogrammes. Au début du traitement, chaque lapin ingérait tous les jours à jeun de 6 à 8 c. c. d'alcool. Après une courte période d’amai- grissement, les animaux reprenaient leur poids initial ou même À. Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1876, p. 1244. ÉTUDE DE L’ALCOOLISME EXPÉRIMENTAL. 839 le dépassaient. La dose quotidienne d’alcodl était alors portée à 10 c. c. J'ai fait quelques expériences d’aicoolisation avec du genièvre au lieu d'alcool éthylique pur, afin de distinguer la part qui revient dans les boissons alcooliques à l'alcool et aux essences qu'elles peuvent contenir. Mais, sous l'influence de cette liqueur, les animaux maigrissent, se cachectisent d’une façon constante et rapide. Le genièvre employé titrait 35°; la dose capable de produire l'ivresse chez un lapin de 2 kilogrammes était de 10 c. e. C2 Je ne m'arrêterai pas à décrire les lésions rencontrées chez ceux de mes lapins qui ont succombé au cours de l’intoxi- cation alcoolique. J’ai constaté surlout une augmentalion consi- dérable de volume du foie. Cet organe pesait de 80 à 100 grammes, au lieu de 60, poids moyen. Chez plusieurs animaux, la dégéné- rescence graisseuse de la glande hépatique était très manifeste. Un lapin, qui, après avoir absorbé 200 c. c. d'alcool, a succombé avec une vaste ulcération de l'estomac (provoquée peut-être par l’action irritante de la sonde), présentait une dégénérescence graisseuse de tous les organes, foie, reins, cœur et muscles . A. — EXPÉRIENCES SUR LA RAGE. La vaccination des lapins contre la rage est facile à produire : je l'ai obtenue en injectant quotidiennement pendant 13 jours, à mes animaux, une émulsion de moelles âgées de 14 à 2 jours (virus fixe). Pour renforcer l’immunité, chaque lapin a reçu ensuite une inoculation de moelle fraiche. Exp. [. — Lapin vacciné contre la rage du #4 au 17 janvier. A partir du D 2 février jusqu'au 17 mars, ce lapin absorbe 403 c. c. d'alcool à 450. Le 20 mars, il recoit sous la peau { c. c. d'’émulsion de bulbe rabique frais (virus fixe). Il reste parfaitement bien portant, Un lapin témoin inoculé en même temps, sous la peau, avec le même virus, meurt de rage le 3 avril, Exe. II. — Deux lapins sont vaccinés contre la rage du 9 au 23 mars. Le 10 avril, ils reçoivent sous la peau 1 c. ce. de virus frais de passage. Du 1. Plusieurs auteurs ont réalisé avant moi l’hépatite interstitielle alcoolique expérimentale. Je citerai parmi eux : Srrauss et BLoc, Arch. Physiologie, t.H., 4897. — Larrirre, Thèse Paris, 1892. — De Recurer, Bull. Acad. méd. de Belgique, 4892. — Mentexs, Archives de Pharmacodynamie, t. I, 1896. — Ramonp, Presse 9 médicale, N° 32, 1897. — SainGerx, Z'hèse Paris, 1897. — Jorrroy et SERVEAUX, Arch. de Médecine expérimentale, juillet 4897. € 840 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 9 mars, en même temps qu'on commençait à les vacciner, jusqu'au 24 avril, ils ingérent quotidiennement 10 c. c. d’alcool à 450. Chacun d'eux reçoit ainsi un tolal de 430 c. c. d'alcool. L'un meurt de rage le 25 avril; son bulbe est inoculé à un lapin de contrôle qui meurt le5 mai. L'autre succombe également à la rage le 28 avril. Son bulbe est inoculé à un lapin de contrôle qui meurt le 12 mai. Deux lapins témoins vaccinés en même temps que les précédents et non alcoolisés reçoivent le 10 avril 4 c. c. de virus frais de passage. Ils restent en bonne santé. Exp. II. — Un lapin absorbe du 13 février au 16 mars 260 c. c. d’alcool à 450, Du 17 mars au 3 avril il est vacciné contre la rage, et pendant tout le cours de la vaccination on suspend l'alcool. Le 29 avril il reçoit sous la peau Î c. c. de virus de passage. Il reste en bonne santé, Ces trois séries d'expériences montrent : 1° Que les animaux d'abord vaccinés contre la rage, puis alcoolisés, ne perdent pas l’immunilé contre la rage ; 20 Que les animaux alcoolisés au tours de la vaccination n'acquièrent aucune immunité contre la rage; 3° Que les animaux alcoolisés d’abord, puis vaccinés, peuvent acquérir l'immunité contre la rage si l'alcool est supprimé à partir du début de la vaccination. B. — EXxPÉSGIENCES AVEC LE TÉTANOS. J'ai vacciné des lapins contre le tétanos en leur injectant d’abord de la toxine télanique mélangée à des proportions décroissantes de liqueur de Gram, puis de la loxine pure. Après 32 jours ils pouvaient supporter 1/2 c. c. d’une toxine tétanique dont 0,05 ec. ©. tuaient le cobaye en 48 heures. J'ai considéré cette immunité comme suffisante. Exp. [. — Un lapin vacciné du 4 février au 49 mars ingère quotidienne- ment, du 23 mars au 25 mai, 10 €. c. d'alcool, soit un total de 600 c. c. Le 25 mai, il reçoit sous la peau 1/2c.c. de toxine tétanique pure. Le 1er juin, 1l est pris du tétanos et succombe le 4. Un lapin de la même série, vacciné en même temps mais non alcoolisé, et n'ayant pas reçu de {oxine tétanique depuis le 19 mars, résiste à l’inocu- lation de cette dose de 1/2 e. c. de toxine effectuée le 23 mai. Exp, Il. — Deux lapins vaccinés contre le tétanos du 19 mars au 29 avril ingèrent quolidiennement pendant cette même période 10 c. e. d'alcool. dos tdil'iur d'in: 25-223 ÉTUDE DE L'ALCOOLISME EXPÉRIMENTAL. 841 L'un d'eux est pris de tétanos le 14 mai, quatorze jours après la dernière injection de 1/2 c. c. de toxine. L'autre résiste. Un lapin témoin vacciné en même temps que les précédents et non alcoolisé résiste. Exe. II, — Un lapin ingère, du 22 février au 17 mars, 220 c. c. d'alcool à 450. Du 18 mars au 29 avril, on le vaccine contre le létanos et on cesse l'ingestion d'alcool. L'animal qui a reçu la dernière injection de 1/2c. c. de toxine pure Île 29 avril reste bien portant. On peut donc conclure de ces expériences : 1° Que les animaux vaccinés contre le tétanos, puis alcooli- sés, perdent l’immunité contre le Létanos ; 2° Que les animaux vaccinés contre le tétanos et alcoolisés au cours même de la vaccination acquièrent difficilement Pimmu- nité ; 3° Que les animaux d’abord alcoolisés, puis vaccinés, peuvent acquérir l’immunité contre le tétanos, si l’alcool est supprimé à partir du début de la vaccination. C.— EXPÉRIENCES AVEC LE CHARBON BACTÉRIDIEN. La vaccination des lapins contre la bactéridie charbonneuse est difficile à réaliser et demande beaucoup de précautions et de temps. Même en faisant usage au début de très faibles doses de {er vaccin, et en espaçant largement les injections, j'ai perdu plusieurs animaux, et j'ai dû attendre plusieurs semaines pour m'assurer que ceux qui avaient résisté à la deuxième inoculation de 1 c. c. de 2° vaccin restaient en bonne santé. Exp. I. — Je n'ai pas pu réussir à vacciner les lapins que j'alcoolisais en même temps. Quatre de ces animaux sont morts successivement après avoir beaucoup maigri, et au bout de 10 à 12 jours seulement après la dernière injection de 2 c. c. de {er vaccin. Le sang de ces lapins contenait des bacté- ridies charbonneuses. Deux lapins témoins, vaccinés en même temps mais non alcoolisés, ont parfaitement résisté. Exp. Il, — Un lapin, pesant 2,050 grammes, absorbe du 8 février au 15 mars 200 c.c. d'alcool à 450. Le 26 mars il reçoit sous la peau 1/4 c. ce. de fer vaccin charbonneux, dose que supportent bien deux lapins témoins d’un poids sensiblement égal. 842 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. En 4 jours, son poids tombe à 1,850 grammes; puis, le 20 avril, à 1,740 grammes. Le 6 mai il se relève à 2,050 grammes. Le lapin reçoit ce même jour 1/2 c. c. de {er vaccin qu'il supporte. La vaccination s'opère ensuite sans incident et l’animal résiste au 2e vaccin. Les lapins témoins non alcoolisés, vaccinés en même temps, n’ont jamais perdu plus de 150 grammes après les premières injections. Il est donc presque impossible de conférer l’immunité contre la bactéridie charbonneuse aux lapins que l’on vaccine en même temps qu'on les alcoolise. En revanche, les animaux alcoolisés d’abord, puis vaccinés, peuvent acquérir l’immunité lorsqu'on supprime l'alcool dès le début de la vaccination. Toutefois ils maigrissent beaucoup et sont plus malades que les animaux nonalcoolisés que lon vaccine en même temps qu'eux. CONCLUSIONS On voit queles éléments qui entrent en jeu dans la production de l’immunité, quels qu'ils soient (et on pense tout de suite aux leucocytes)', sont influencés surtout quand on fait agir simultané- ment sur l'organisme l’alcool et la toxine ou le microbe. Si on suspend l'alcool, alors même que les symptômes et les lésions de l’intoxication chronique avaient eu le temps de se manifester, l’état réfractaire peut s'établir. Il ne faudrait pas cependant étendre ce fait à toutes les infections ou intoxications qui peuvent frapper les alcooliques. Il est manifeste, par exemple, que, pour ce qui concerne la bactéridie charbonneuse, l'alcoolisme chronique rend la vaccina- tion très difficile, même lorsque l'alcool n’est plus absorbé au cours de celle-ci. Il en est de même probablement pour beaucoup de maladies microbiennes telles que les infections pneumococciques, ou streptococciques, qui exigent pour guérir l'intervention active des cellules phagocytaires. Mais, à côté de ces faits prouvés par l’expérimentation, l'ob- 4. MM. Massart et Bordet, et d’autres expérimentateurs après eux, ont montré depuis longtemps que l'alcool, même très dilué, exerce sur les leucocytes une chimiotaxie négative très énergique. CR Lee LR Ogre ÉTUDE DE L’'ALCOOLISME EXPÉRIMENTAL. 843 servation clinique affirme que les alcooliques présentent une résistance très grande à l'égard de certains poisons comme l'opium, l'arsenic', et qu'ils sont également très peu sensibles au chloroforme et à l’éther, ainsi que tous les chirurgiens l'ont remarqué depuis longtemps. En ce qui concerne l’immunité contre la rage, la clinique est d'accord avec l'expérimentation. Dans tous les Instituts où se pratiquent les vaccinations pastoriennes, on a constaté que, dans la majorité des cas, heureusement très rares, où celles-ci se montrent inefficaces, 1l s'agissait d'individus nettement alcoo- liques. A l’Institut Pasteur de Lille, au cours de cette année même, nous avons eu l'occasion d'observer un de ces cas malheureux dont voici l’histoire : Le nommé P..., mécanicien, âgé de 30 ans, avait été mordu profondément à la main droite par un chien reconnu atteint de rage. Dès le lendemain, il fut envoyé à l'Institut et y subit un traitement complet de 18 jours. Le 25 mai, 38 jours après la fin du traitement, il fut pris de rage et mourut à l’hôpital Saint- Sauveur le 27. Deux lapins inoculés avec son bulbe, par trépanation, suc- combèrent à la rage 18 jours après. Les renseignements recueillis sur P... nous apprirent qu'il élait un alcoolique incorrigibie. Chaque malin, avant de se rendre à son travail, il buvait à jeun plusieurs verres de genièvre. Trois jours avant l'apparition des premiers symptômes de la maladie, il s’étaitenivré, et pendant toute la durée du traitement, il se livrait à ses habitudes d’intempérance quotidienne. Un enfant de 13 ans, mordu à la face le même jour que P... et par le même chien, a suivi le traitement et sa santé est restée parfaite. La conclusion pratique à tirer de tels faits est qu'on doit toujours recommander aux mordus de s'abstenir autant que possible d'alcool pendant la durée du traitement et pendant les semaines qui suivent, jusqu'à ce qu'un délai de huit mois au moins permelte d'espérer que la vaccination a été efficace. Une autre conclusion générale se dégage des expériences 4. Dugois, De l'influence des liquides alcooliques ur l'action des substances loxiques et médicamenteuses, 1876. 844 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. relatées dans cette note à propos de l’immunité contre le tétanos et la bactéridie charbonneuse, c’estque les médecins commettent souvent une faute quand ils administrent à leurs malades de fortes doses d'alcool dans le but de traiter certaines maladies in- fectieuses telles que la pneumonie, ou certaines intoxications telle que celle produite par le venin des serpents. M. Tchistowitch a montré dans ces Annales ‘ que l’évolution régulière de la pneumonie vers la guérison s'accompagne tou- jours d'hyperleucocytose. Il en est de même chez ies animaux qui guérissent à la suite de l’inoculation de doses non mortelles de venin”. On ne saurait donc trop respecter l'intégrité des leu- cocytes en présence de ces infections ou de ces intoxications, et, s'il est juste de reconnaître que de petites doses de bois- sons alcooliques diluées sont indiquées dans certains cas où il est nécessaire de stimuler le système nerveux, il faut se prémunir contre un abus qui peut certainement être pré- judiciable à la mise en œuvre des moyens de défense de l’orga- nisme contre la maladie. 4. Ces Annales, 1890, p. 285. 2. G.CHaTENay, Les réactions leucocytaires vis-à-vis des toxines microbiennes et animales. — Th. Paris, 1894. RECHERCHES BACTÉRIOLOGIQUES SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU PREMIER MÉMOIRE Par Le D' PIERRE ACHALME Chef de clinique de la Faculté de médecine de Paris. Au mois de juillet 1894, j'ai pour la première fois signalé, dans une communicalion à la Société de biologie, l'existence d’un bacille anaérobie, trouvé à l’état d’absolue pureté dans les liquides organiques d’un homme mort de rhumatisme cérébral au quatrième jour d’une deuxième attaque de rhumatisme arti- culaire aigu franc. La rareté des cas de mort dus à cette affec- tion m'’obligea à attendre cinq années la confirmation de mes recherches. Enfin, au mois de novembre 1896, dans une deuxième autopsie due à l’obligeance de mon maitre, M. Troisier, je pus isoler un microorganisme d’une identification facile avec le bacille de 1891. En présence de ce résultat, mon ami M. Thiro- loix, mettant en culture anaérobie le sang de deux rhumatisants du service de M. le professeur Jaccoud, obtint, dès le commence- ment de l’année 1897, un microbe que des cultures parallèles me démontrèrent semblable à celui des cas précédents. Je pus également obtenir des résultats positifs d’un rhumatisant aigu du service de M. André Petit. Enfin M. Papillon, chef de labo- ratoire à l’hôpital Beaujon, obtint, par des cultures anaérobies des liquides provenant d’une autopsie de rhumatisant aigu, un bacille que des inoculations au cobaye lui permirent de consi- dérer comme identique à celui que j'avais décrit. Des recherches nouvelles de M. Thiroloix venant de porter à neuf le nombre des cas posilifs où ce bacille a été recherché et trouvé, et d'autre part MM. Lucatello (de Gènes) et Riva (de Parme), ayant récemment décrit dans cette affection des microbes s’en rappro- chant beaucoup par divers caractères, je voudrais résumer mes observations sur ce bacille. 846 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Mes recherches ont porté sur le cadavre et sur le malade vivant. Le premier groupe de faits est représenté par deux autopsies de rhumatisants articulaires aigus, morts en pleine attaque. Dans le premier cas, le malade présenta du rhumatisme cérébral, la plus caractéristique des complications du rhuma- tisme articulaire aigu. Dans le second cas, la malade put être . observée pendant douze jours dans le service de M. le docteur Troisier, et l'affection se comporta comme le rhumatisme arti- culaire aigu le plus typique. Enfin les lésions valvulaires con- statées à l’autopsie présentaient comme aspect et comme siège les caractères indiscutables de l’endocardite rhumatismale. Ilne s'agissait donc pas chez ces deux malades de pseudo-rhumatismes infectieux, mais bien de l’entité morbide décrite sous le nom de rhumatisme articulaire aigu ou de fièvre rhumatismale. Dans ces deux autopsies, faites dans le délai minimum après ia mort, par une température basse, le bacille que nous décri- vons se trouvait dans le sang du cœur et le liquide péri- cardique en quantité énorme et à l’état de pureté absolue. Dans le second cas, le liquide céphalo-rachidien le contenait également en très grande abondance. Sur des coupes des deux myocardes, on pouvait constater que le tissu musculaire et le tissu sous- péricardique étaient envahis par une infection bacillaire massive. Enfin les valvules contenaient également dans leur épaisseur une quantité considérable de bacilles, mais seulement sur les points présentant les altérations visibles à l’œil nu. Dans les autres organes et spécialement dans la rate, on ne trouvait que peu ou point de bacilles. Tous les ensemencements à l’abri de l'air ont donné des cultures pures; tous les ensemencements aérobies sont restés stériles. Les conditions de température et de rapidité dans lesquelles avaient eu lieu les autopsies, l’extrème abondance du microbe, sa pureté, l'élection des lésions pouvaient suffire à écarter l’idée d’une infection cadavérique ou agonique. Néanmoins, pour plus de süreté, nous avons examiné systématiquement le sang du cœur et le liquide céphalo-rachidien dans un grand nombre d'autopsies de malades morts d’affections diverses, infectieuses où non. Jamais nous n’avons rencontré le bacille trouvé dans nos cas de rhumatismes, mais bien du bactérinm coli et des coccus en petite quantité. SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU. 847 Il semble donc bien que dans ces deux cas, absolument identiques dans tous leurs détails, la maladie et la mort ont été liées au développement dans l'organisme du bacille en question. Ce microbe existe aussi dans le sang du rhumatisant vivant. Dans 6 cas de rhumatisme articulaire bien franc, très fébriles, où il a été recherché, 1l a été trouvé 4 fois à l’état de pureté, 2 fois associé à des microcoques, dans le sang de la veine, recueilli aseptiquement. Îl y est néanmoins peu abondant, etpour le déceler il faut avoir recours aux cultures, pour lesquelles on emploiera de préférence le lait ou un mélange à parties égales de bouillon et de lait. Il est nécessaire d’ensemencer au moins 1 c. c. de sang par tube, de faire très soigneusement le vide, et de mettre à l’étuve à 37°. Le développement est quelquefois assez long et la culture peut ne devenir caractéristique qu'après un séjour à l’étuve de 8 ou 10 jours. Il est également prudent de faire un certain nombre de tubes. CARACTÈRES MORPHOLOGIQUES Aspect général. — Dans les liquides humains recueillis à l’autopsie, ce microbe se présente sous la forme d'un gros bâtonnet, identique par son aspect avec le bacillus anthracis avec lequel il a dû être parfois confondu sur des coupes (cas d’aortite d'Oliver, de myélites de Baumgarten, P. Marie, ete.). — Dans les cultures, sa largeur reste à peu près la même; sa longueur au contraire est extrêmement variable. Très eourt (2 ou 4 fois la largeur) dans les milieux où iltrouve abondamment des substances hydrocarbonées (lait, bouillon sucré, lactosé, glycériné), il est plus long dans le bouillon simple, plus encore dans les sérosités, et devient presque filamenteux dans l’urine humaine et la gélatine peptonisée. Mobilité. — Le bacille ne semble présenter de mouvements que dans les cultures jeunes provenant d’un microbe ayant récemment passé par l'animal vivant. Ces mouvements dispa- raissent rapidement par le refroidissement et le contact de l'air. Ils sont du reste inconstants, lents et nullement comparables à ceux du bacille typhique ou du bactérium coli. Les formes longues, composées de plusieurs bacilles placés bout à bout en formant des angles assez prononcés, progressent en tournant 848 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. à la manière d’un pas de vis. Les formes courtes sont habituel- lement immobiles. Au moment de la sporulation dans les séro- sités, elles présentent néanmoins un mouvement d’oscillation sur place, probablement brownien. Réactifs colorants. — Le bacille du rhumatisme se colore très bien par les couleurs d’aniline et par la méthode de Weiï- sert ou celle de Gram. Sur des lamelles de sérosité, il apparaît entouré d’un halo clair par la coloration au moyen du violet de méthyle aniliné; mais cette apparence de capsule ne s’observe pas avec les autres réactifs. Coloré par la fuchsine, la thionine, et les violets, ii apparaît plus volumineux que si l’on se sert du bleu de méthylène en solution faiblement alcaline. Cette der- nière méthode est pourtant très élective, et c’est à elle que l’on doit donner la préférence pour les recherches dans le sang, ou même dans les tissus si l’on ne veut pas faire de double colo- ration. La solution 1odo-iodurée le colore légèrement en jaune brun, mais jamais en bleu. Les vieilles cultures donnent des colorations inégales. Sporulation. — Elle est assez difficile à obtenir. Elle est nulle sur lait, exceptionnelle sur bouillon, rare dans les cultures sur sérosité. Il faut, pour l’observer, mettre à l’étuve, dans des pipettes bien pleines et scellées au chalumeau, la sérosité patho- logique du cobaye ou du lapin tué par l’inoculation du bacille dans le tissu sous-cutané, ou mieux encore le liquide amnio- tique d’une femelle morte par inoculation. Au bout de deux jours, une des extrémités se renfle légèrement en même temps que s’effile le corps du bacille qui prend la forme d’un battant de cloche. Au troisième ou quatrième jour, le corps bacillaire diminue progressivement de largeur, et la spore, qui est toujours absolument terminale, augmente de réfringence; l'apparence est alors celle d’une courte épingle à grosse tête. Puis, par la disparition complète du corps du microbe, la spore devient libre. Elle est volumineuse, ovoïde, très réfringente et très dif- ficilement colorable. Elle résiste à une ébullition de 3 minutes. Cultures. — La première condition pour obtenir des cultures en partant du corps humain, est l'absence absolue d'oxygène. Une température de 30 à 38° favorise le développement. Au- dessous de 25°, on n'obtient que très difficilement des cultures. Au-dessus de 400, elles sont moins abondantes, et cessent à 430. SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU. 849 Les milieux solides ne peuvent être d’un emploi courant dans la recherche et l'isolement du microbe du rhumatisme. Ense- mencé largement sur gélose en surface à l’abri de l'air, il ne donne lieu qu'à une couche à peine sensible et ne végète abondamment que dans le liquide de condensation. En piqüre, il donne une culture blanchâtre, quelquefois disloquée par des bulles gazeuses dans la profondeur. Nous n'avons jamais observé de ramilications analogues à celles que l’on a signalées dans les cultures de vibrion septique sur ce milieu. Sur pomme de terre, il ne donne lieu à aucun développement appréciable à l'œil nu. La culture sur sérum solidifié donne des résultats analogues à ceux obtenus sur gélose. Sur gélatine à 22, le développement est lent et irrégulier; néanmoins, si l’ense- mencement a été assez abondant, la gélatine est liquéfiée en deux ou trois semaines, tout en conservant presque complète- ment sa limpidité et sans donner de dépôt appréciable. Au microscope seulement, on constate un assez grand nombre de bacilles très longs et d’un aspect régulier. Du reste, cette régu- larité morphologique est beaucoup plus constante sur les milieux solides que sur les milieux liquides. Milieux liquides. — Ces derniers, purgés d’air par une ébul- lition de quelques minutes dans le vide, doivent être employés de préférence. Le bouillon alcalinisé donne facilement de belles cultures. Au bout de 12 heures apparaissent, lorsque l’on agite le tube, des bulles de gaz qui sont le premier signe de dévelop- pement, puis un trouble uniforme avec production d'ondes soyeuses, et enfin après deux ou trois jours se produit au fond du tube un dépôt homogène, blanchâtre et légèrement glaireux. Le bouillon de cheval, légèrement opalescent, donne les meil- leurs résultats ; puis, par ordre : le bouillon humain, le bouillon de bœuf, de veau, de lapin, de cobaye. L’addition de saccha- rose, de glucose, de lactose et de glycérine augmente la récolte. Le lait est un excellent milieu de culture. Après 12 à 15 heures de séjour à l’étuve, il se coagule en masse. Le coagulum est petit, irrégulier, superficiel, et creusé d’alvéoles liées à la pro- duction de bulles gazeuses; il est semblable à celui que donnent les cultures de bacillus lactis aerogenes. se forme un dégage- ment gazeux considérable, constitué par de l'hydrogène et de l'acide carbonique en proportions sensiblement égales, et en D4 890 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. quantité parfois suffisante pour déterminer l’éclatement du tube. Le milieu obtenu par la stérilisation à l’autoclave d’une par- üe de sérum sanguin et deux parties d’eau distillée se coagule par la culture. Le sérum pleural ou ascitique donne lentement des cultures se conservant longtemps. Il se produit de petits flocons de matière albuminoïde coagulée qui forment bientôt un dépôt abondant au fond du tube. La culture est incomparablement plus rapide et plus abondante si l’on ajoute dans chaque tube 1 à 2 gouttes d'acide lactique. Ce fait est important à rapprocher des phénomènes chimiques de la fatigue musculaire qui joue un si grand rôle dans l’étiologie du rhumatisme articulaire aigu. L’urine stérilisée donne des cultures intéressantes. Il se produit en effet une précipitation des urates. Les sels précipités forment une couche homogène, résistante, adhérente au verre. L'urine des arthritiques se prête beaucoup plus facilement à cette culture que celle des tuberculeux ou des scrofuleux. Les milieux végétaux (eau de touraillons, moût de bière, eau de levure) alcalinisés ou non ne donnent aucun résultat. Les solutions pures d’albumine, de peptone, de caséine alca- linisée, d'asparagine, durée, de glycocolle, restent stériles. L’ad- dition de ces substances au bouillon n’augmente pas sensible- ment ses qualités nutrilives. Le salicylate de soude à la dose de 2 gouttes d’une solution au 1/10 pour 10 c. c., soit 1 gramme par litre, suffit pour empê- cher tout développement; cette dose est inférieure à celle qui agit sur la plupart des autres microbes pathogènes. CARACTÈRES BIOLOGIQUES En dehors des gaz hydrogène et acide carbonique, la cul- ture du bacille donne lieu le plus souvent à des produits odo- rants, sauf sur les milieux glycérinés. Dans les autres, l'odeur est assez variable comme nature et comme intensité. En effet, il semble que notre microbe donne naissance à des acides volatils par la fermentation des substances ternaires, et à des corps de la série odorante des amines en se développant aux dépens des substances azotées. La proportion plus ou moins grande de ces SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU. 851 deux ordres de produits est la cause des différences d’odeur des cultures. L’acidité est très rapide et proportionnelle à la quantité des corps hydrocarbonés dans le milieu. Elle tue assez rapidement le microbe, dont la vitalité peut être prolongée par l’adjonc- tion de craie. Cette acidité est due en proportions presque égales à la pro- duction d’un acide fixe et d’un acide volatil. L’acide fixe est l'acide lactique. Les acides volatils sont un mélange d'acide acétique, butyrique et propionique. Notre microbe liquéfie {a gélatine, coagule la caséine et le sérum dilué. Il liquéfie l’'empois d’amidon sans le transformer en sucre réducteur : il fait fermenter le saccharose sans l’intervertir. INOCULATIONS L'inoculation aux animaux produit les effets généraux suivants : vasodilatation des capillaires artériels, obstruction microbienne ou thrombosique des origines lymphatiques, chimio- taxie négative à l'égard des leucocytes, nécrose des éléments différenciés, apparition de nombreuses cellules d'Ehrlich-Weigert (Mastzellen). Ces cellules sont admirablement mises en relief par la coloration au bleu de méthylène de Lôüffler, qui colore leur noyau en bleu pâle, et leur protoplasma granuleux en violet grenat intense. Il résulte de cette lésion élémentaire, dans le tissu celiu- laire, un æœdème à sérosité abondante, quelquefois teintée en rouge par les hématies diapédésées, ne contenant que peu de leucocytes et s’accompagnant d’une nécrose musculaire plus ou moins profonde. Cet œdème peut être infiltré et gélatiniforme, ous'accompagner de décollement formant des poches contenant, chez le cobaye, de 10 à 15 c. ce. de sérosité louche. Dans les séreuses, il donne lieu à des épanchements à marche rapide, par- fois hémorragiques; dans les viscères, à de brusques congestions actives avec œdème. Ces effets sont d'autant plus intenses que l’animal est plus jeune. Les femelles en gestation sont plus sensibles ; chez elles la mort est plus rapide et s'accompagne d’apoplexies placen- taires et d'infection fœtale. 892 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Espèces animales. — Le cobaye est l'animal de choix en raison de la rapidité et de la constance des effets produits. Il meurt en 20 à 36 heures suivant son âge, la quantité inoculée, et la viru- lence de la culture. Par inoculation à la cuisse, on obtient la for- mation d’une poche de sérosité rougeûtre, se prolongeant plus ou moins loin par le décollement des muscles superficiellement nécrosés. Tout le reste du tissu cellulaire sous-cutané est infiltré d’un œdème sanguinolent et gélatiniforme. Le cœur est rempli de caillots noirâtres ne contenant que peu de bacilles; le péricarde est souvent distendu par un liquide séreux transparent. L'inoculation près de la paroi thoracique provoque souvent un épanchement pleural sanguinolent. En faisant l'injection dans le médiastin, la mort est très rapide ; le péricarde est rempli de fausses membranes et le myocarde ramolli. Si l’on se sert pour l’inoculation de sérosité d'œdème à la dose de 1 c. c., la mort survient en 10 heures, sans lésion locale, avec une septicémie massive. Les souris sont relativement moins sensibles que les cobayes. Au-dessous d’un demi-centimètre cube de culture, les inoculations sont généralement inoffensives. Au-dessus, la souris se met en boule immédiatement, se hérisse, et succombe au bout de quelques heures en présentant les mêmes lésions que le co- baye. Les effets pathogènes produits chez Le lapin sont plus irrégu- liers. L’inoculation sous la peau de l'oreille produit un œdème énorme avec chute de l'oreille, qui est froide, molle, et à la moindre incision laisse s’écouler en abondance une sérosité transparente contenant le bacille. Sous la peau de l’abdomen, de faibles doses ne donnent lieu qu'à un œdème passager non suivi d'immunité. De très fortes doses produisent la mort avec des lésions analogues à celles du cobaye. En inoculant de grandes quantités dans la veine de l’oreille, on obtient parfois une sorte de septicémie mortelle en six ou sept jours, avec congestion intense des viscères thoraciques. Plus heureux que nous, en employant directement la sérosité du cobaye, M. Thiroloix a pu produire chez le lapin des lésions pouvant se rapprocher plus objectivement des lésions du rhuma- tisme viscéral humain (endopéricardite, pleurésie). Les grenouilles inoculées meurent en 24 heures avec un SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU. 853 œædème sanguinolent et un peu de nécrose musculaire, consta- table principalement sur les coupes. L'inoculation, même de grandes quantités, au chien est tou- jours restée inoffensive. ASSOCIATIONS Ce bacille s’associe facilement à d’autres microbes et semble favoriser leur pénétration dans l’économie. Quelle que soit la pureté de la culture inoculée, on le retrouve souvent associé à des coccus dans la sérosité des cobayes, même prélevée avant la mort. Le streptocoque est l’agent le plus habituel de ces infections secondaires ; nous l’avons trouvé une fois associé à notre bacille dans le sang d’un rhumatisant qui n’en a pas moins guéri rapi- dement. Ces associations sont d'autant plus fréquentes que la maladie est plus ancienne, ainsi que l’on peut s’en convaincre par la lec- ture des observations IT et VIII. Il semble que le microbe, pur au début, ouvre la porte aux microbes d'infections secondaires qui peuvent ensuite persister seuls au déclin de la maladie, ce qui explique les nombreux cas où ils ont paru être les agents pathogènes du rhumatisme. L'histoire microbienne de l'influenza donne une grande vraisemblance à celte hypothèse. OBSERVATIONS CLINIQUES OBSERVATION I G... (Abel), corroyeur, âgé de 29 ans, entre à l'hôpital de la Pitié, dans le service de M. Troisier, le 21 novembre 1890. C'est un homme de forte constitution, un peu obèse, ne présentant aucune tare héréditaire. Il est père de famille et ne semble pas avoir com- mis d’excès alcooliques habituels. Il a eu, il y a deux ans, une première attaque de rhumatisme articulaire aigu qui l'a retenu deux mois au lit el a guéri sous l'influence du salicylate de soude. Depuis, il s'était toujours bien porté et n'avait, à aucun moment, présenté de symptômes cardiaques. Depuis la veille, à la suite d'une grande fatigue, il a été repris de dou- leurs articulaires généralisées, et au moment où nous le voyons pour la pre- mière fois, le soir du 21 novembre, toutes les grandes articulations sont prises et le malade est immobilisé sur son lit. Le genou et le poignet droit sont un peu plus tuméfiés que les autres jointures. La température atteint 854 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 390,5. Les battements du cœur sont précipités et sourds, mais l'on ne per- çoit ni souffle, ni frottement. Le lendemain matin, les articulations sont moins douloureuses, mais la température est de 400,5. Une éruption miliaire purulente, due au staphy- locoque blanc, couvre son cou et sa nuque. Son état cérébral commence à devenir inquiétant. Ses réponses aux interrogations sont brèves et précises, mais si on le laisse parler, on s’aperçoit vite de l'apparition d'idées déli- rantes, se rapportant principalement à sa famille. Dans l'après-midi, la température continuant à s'élever pour atteindre et dépasser 410, le délire s’accentue de plus en plus et devient violent et impulsif. Le malade ne ressent plus aucune douleur articulaire et veut se lever. Il résiste aux infirmiers en vociférant que l’on en veut à ses jours. On lui met la camisole de force. Malgré cela, l'agitation redouble. Il a pour idée fixe sa mort prochaine, et cherche à éloigner ses enfants auxquels il parle dans son délire. Puis, à d’autres moments, il demande grâce et cher- che à fuir et à briser les liens qui le retiennent. Mais toujours sa voix est nette et incisive, sa phrase correcte et son élocution facile. La nuit vient encore exaspérer ses terreurs, et il meurt à quatre heures du matin. Autopsie. — L’autopsie fut faite dans les meilleures conditions possibles pour les recherches bactériologiques, c’est-à-dire dans le délai minimum après le décès, par une température de plusieurs degrés au-dessous de zéro. A l'ouverture de la cavité thoracique, un fait intéressant frappa tout d'abord notre attention. Alors que tout le reste du cadavre s'était rapidement refroidi, la région cardiaque était le siège d’une élévation de température relativement considérable et que nous avons pu évaluer, à la main, supé- rieure à 400, Il y avait donc en ce point, et seulement en ce point, une fer- mentation probablement microbienne très active, et qui devait certaine- ment remonter au moins aux dernières heures de la vie. L'examen des organes abdominaux n'offrait rien de très intéressant. Le foie, un peu augmenté de volume, contenait une quantité considérable de sang. Néanmoins, ainsi que cela s’observe dans certains cas de foie infec- tieux, cette congestion était inégalement distribuée, et les zones hyperhé- miées, alternant avec les zones anémiques, donnaient à ce viscère un aspect marbré qui s'apercevait déjà à la surface à travers la séreuse péritonéale, mais devenait encore plus net sur des coupes de l'organe. Les reins étaient volumineux, gorgés de sang, principalement au niveau de la substance médullaire, La capsule se détachait très facilement. La rate n’était point très augmentée de volume, mais son parenchyme semblait plus mou et plus friable qu’à l’état normal. L'aspect de l'estomac et de l'intestin, ouverts d'un bout à l’autre, était absolument normal. Rien à signaler non plus du côté de la vessie ni des organes génitaux. L'examen des viscères thoraciques était plus instructif. Les cavités pleurales ne contenaient pas de liquide, mais les deux pou- mons présentaient à leur base une congestion intense qui s’expliquait sura- bondamment par l’état du cœur. SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU. 855 A l'ouverture de la cavité péricardique distendue, il s’écoula près d'un litre d'une sérosité sanguinolente, assez fluide et répandant une odeur aromatique àcre, s’éloignant franchement de l'odeur de putréfaction. Le feuillet pariétal était un peu congestionné; le feuillet viscéral ne présentait pas à l'œil nu de lésions inflammatoires telles que l’on aurait pu s'y attendre en présence d’un épanchement aussi considérable, Nulle part, on ne voyait de coagu- lation fibrineuse, mais plutôt une apparence pâle et comme macérée de la séreuse. ; Le cœur était mou, flasque. Le ventricule gauche, dilaté, était rempli d'un sang noir, dissous, suivant l'expression classique, ayant assez forte- ment imbibé la membrane endocardiaque. Sur une coupe, le myocarde pré- sentait au maximum la coloration feuille morte, et la résistance de son tissu avait beaucoup diminué. Quant à l’endocarde, une fois lavé à grande eau, il apparaît légèrement teinté en rose par la matière colorante du sang; mais il ne présente de lé- sions appréciables qu’au niveau des valvules mitrale et aortique. La valvule mitrale est principalement touchée. Elle apparaît presque noirâtre et considérablement épaissie au point d'atteindre # à 5 millimètres au niveau du bord libre. Cette lésion porte sur les deux valves et s’accentue d’autant plus que l'on s'éloigne de l'insertion valvulaire sur l'anneau fibreux. La surface en est néanmoins lisse et ne rappelle nullement l’altération dé- crite sous le nom d’endocardite verruqueuse. Sur une coupe de la valvule, on voit déjà, à l'œil nu, la raison anatomique de cet épaississement patho- logique. Outre une tuméfaction assez considérable du tissu fibreux, on peut voir, par un examen attentif, que, sur la face supérieure ou auriculaire de la valvule, il s’est déposé une couche fibrineuse homogène, adhérente au tissu sous-jacent, mais pouvant néanmoins s’en détacher par le grattage sous forme d’une pellicule de 2 millimètres environ d'épaisseur. Cette pelli- cule est fortement colorée par le pigment sanguin, au point de trancher par sa couleur noirâtre sur le reste de l’endocarde beaucoup plus faiblement teinté. | Au niveau de l’orifice aortique, on peut noter la même lésion, siégeant sur les deux valvules les plus voisines de la grande valve mitrale. Le dépôt fibrineux s’est produit sur la face inférieure des valvules. Nulle part ailleurs, soit dans le reste de l'endocarde du cœur gauche, soit dans le cœur droit au niveau des appareils valvulaires, on ne peut trou- ver pareil aspect, et l’on ne peut s'empêcher de rapprocher cette localisation du processus que nous venons de décrire macroscopiquement, de la locali- sation habituelle de l’endocardite rhumatismale, qui entraîne après elle des lésions valvulaires chroniques. Le cerveau nous a paru complètement sain. Les méninges n'étaient nullement congestionnées. Le liquide céphalo-rachidien était absolument limpide et transparent. La substance cérébrale présentait sa consistance habituelle, Sur de nombreuses coupes, nous n’y pûmes trouver la moindre altération anatomique. Elle semblait néanmoins légèrement anémiée. Bien qu'au moment de la mort les symptômes articulaires aient totale- ment disparu, nous aurions désiré nous rendre compte de visu des lésions 850 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. dont les articulations du genou et du poignet droits, qui semblaient les plus touchées, pouvaient être le siège. Mais n'ayant pu obtenir cette autorisation, nous dûmes nous contenter de recueillir, par une ponction avec une seringue stérilisée, un peu de liquide synovial du poignet. Examen bactériologique. — Des cultures aérobies et anaérobies furent immédiatement faites avec la sérosité péricardique, le sang du cœur, le liquide céphalo-rachidien, le liquide synovial et la pulpe splénique. Toutes les cultures sur gélose, gélatine ou bouillon, laissées à l’étuve au contact de l'air, restèrent stériles. Parmi les ensemencements faits sur bouillon de bœuf et dans le vide atmosphérique produit par une trompe puissante, la sérosité péricardique et le sang du cœur donnèrent seuls des résultats positifs. Les autres res- tèrent stériles. OBSERVATION II R... Marie, journalière, âgée de 36 ans, entrée le 25 octobre 1896 dans le service de M. Troisier, à l'hopital Beaujon. Aucun antécédent rhumatismal personnel ou héréditaire ; n'a, du reste, jamais été malade. A la suite d’un travail forcé, s’est alitée depuis trois jours chez elle, soit le 22 octobre. A l'entrée ; femme légèrement obèse, facies vultueux; aucun trouble intellectuel. Elle se plaint de douleurs articulaires généralisées. Les coudes et les genoux sont le siège d'un œdème périarticulaire très douloureux. Les battements du cœur précipités, assourdis; pas de souffle. — Un peu de frottement à la base droite. — Albumine dans l'urine, temp. 380,8. Diagnostic. — Rhumatisme articulaire aigu. — Traitement : salicylate de soude, 6 grammes. 26-27 octobre. — Peu de soulagement par le salicylate. — Bruits du cœur lointains. — Arythmie, pas de souffle. — Facies très cyanosé. 28-29-30 octobre. — Température oscillant autour de 40°, État ataxo- adynamique. — Délire nocturne. — Articulations toujours gonflées et dou- loureuses. 2 novembre. — Même état. — Temp. 400,8. — Délire violent; un peu calmé les jours suivants par les lotions vinaigrées. 5-6 novembre. — État ataxo-adynamique de plus en plus prononcé. — Mort dans la nuit du 7 novembre. Examens bactériologiques faits pendant la vie par M. Sicard. — Examen de la gorge les 26 et 28 octobre. — Staphylocoques et streptocoques. Examen du sang. — Ensemencements aérobies sur gélose, bouillon, bouillon lactosé, absolument stériles. à Autopsie. — Le 8 novembre, au terme minimum du délai légal, par une température basse. — Cadavre en bon état de conservation extérieure. À l'ouverture du corps, on constate que la température des viscères tho- raciques est beaucoup plus élevée que le reste du corps, et s'élevait au moins à 380 ou 400. SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU. 857 Péricarde. — Contient environ 500 grammes de liquide de couleur hémor- ragique, homogène, transparent. Les feuillets viscéraux et pariétaux sont légèrement injectés, dépolis, mais sans coagulation fibrineuse. Myocarde. — Complètement ramolli, de teinte feuille morte, friable et légèrement distendu. Les cavités cardiaques contiennent un sang noir, fluide, présentant les caractères classiques du sang dissous. La surface endocar- diaque est fortement imbibée par une coloration rouge qui résiste au lavage. Valvules. — Le bord libre de la valvule mitrale est épaissie et présente en quelques points de petites végétations miliaires. Une des valvules sigmoïdes aortiques est également épaissie et légèrement verruqueuse, Les parties lésées tranchent par leur coloration foncée sur le reste de,l’endocarde, Poumons. — Un peu congestionnés aux bases. La plèvre droite présente en arrière de fausses membranes d'apparence récente. Reins un peu ramol- lis, très congestionnés. Foie marbré. Cerveau normal avec sinus et veines gorgés de sang. Liquide céphalorachidien abondant et un peu trouble. Articulation du genou ouverte. Liquide abondant, filant et transparent. Examen bactériologique, — Dans le liquide péricardique, le sang du cœur et de la veine iliaque, le liquide céphalorachidien, le bacille se montre très abondant et à l’état de pureté absolue, tant sur les lamelles que sur les cul- tures. Le liquide articulaire seul reste stérile. NoTa. — Sauf la diffusion plus grande du bacille, l'identité entre ces deux cas est absolue et nous avons dù abréger le compte rendu de la seconde pour ne pas nous exposer à des redites. OBSERVATION III Jean A..…., 29 ans, ouvrier armurier, entré le 20 février 1897 dans le ser- vice de M. André Petit, salle Rayer, à la Pitié. Lorsque nous le voyons, le malade est depuis dix jours dans le service. Il a été pris le 16 février, à la suite d’un travail fatigant dans un atelier humide, de douleurs généralisées dans toutes les articulations. Il n'avait jamais présenté de maladie antérieure. Le diagnostic de rhumatisme articulaire aigu a élé porté par M. André Petit, dès l'entrée du malade dans le service ; traitement au salicylate. Après 10-jours, les articulations sont encore douloureuses. tuméfiées, principalement celles du coude et du poignet des deux côtés. La température oscille entre 390 et 406. Les bruits du cœur sont assourdis et lointains sans souffle. Examen bactériologique. — Le 3 mars, 3 c. c. de sang sont pris dans la veine eubitale et ensemencés dans 3 tubes de bouillon, dans lesquels le vide est fait à la trompe et qui sont mis à l'étuve. Au bout de huit jours les 3 tubes ont donné des cuitures. Dans l’un, on trouve des cultures pures d’un streptocoque peu virulent; dans les deux autres un mélange de streptocoque et d'un bacille qu’on a pu identifier avec celui des 2 cas précédents. Malgré cette double infection, le malade a guéri rapidement et est sorti de l'hôpital le 15 mars. 858 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. OBSERVATION IV Communication de M. Papillon, chef de laboratoire à l'hôpital Beaujon. Femme de 25 ans environ, morte dans le service de M. Florand, à l'hô- pital Beaujon, au déclin d'une attaque de rhumatisme articulaire aigu remontant à un mois. Pas de péricardite. Myocarde normal, valvule mitrale épaissie et pré- sentant à son bord libre des verrucosités nombreuses de la grosseur d’un grain de chenevis. Le liquide céphalorachidien, mis en culture anaérobie, contient à l'état de pureté un bacille volumineux, prenant la coloration de Gram, et tuant rapidement le cobaye en produisant au point d'inoculation une infiltration de sérosité rougeàtre avec nécrose musculaire. Les ensemencements aérobies sont restés stériles. Les observations suivantes sont dues à l'obligeance de M. Thiroloir. OBSERVATION V F... Georges, âgé de 28 ans, égoutier, entré le 28 novembre dans le ser- vice de M. le professeur Jaccoud. Présente au moment de son entrée le tableau complet du rhumatisme articulaire aigu. Toutes les articulations sont prises, principalement les deux genoux qui sont gonflés et douloureux. Le cœur présente un certain degré d’arythmie sans souffle. Température 590,5. Le 8e jour après son entrée, une prise de sang de 3 c. c., distribuée en 3 tubes de bouillon, a donné des cultures bacillaires absolument pures et qu’il a été facile d'identifier avec les précédentes. Après un séjour de un mois et demi à l'hôpital, et des alternatives d'amé- lioration et d'aggravation dans les manifestations articulaires, le malade est sorti absolument guéri. OBSERVATION VI L... Maria, domestique, 24 ans, entrée le 16 janvier dans le service de M. le professeur Jaccoud à la Pitié. La malade a déjà présenté, il y a trois ans, une attaque de rhumatisme articulaire aigu. L'attaque actuelle remonte à cinq jours. Au moment de l'entrée, les articulations des quatre membres sont tuméfiées et douloureuses. Les battements du cœur sont assourdis, La température est de 400. — Sous l'influence du traitement salycilé, les symptômes s’amendent et la malade sort guérie de l'hôpital après cinq semaines de séjour. Tous les tubes ensemencés avec le sang donnent des cultures bacillaires pures, présentant tous les caractères signalés ci-dessus, OBSERVATION VII Auguste G..., 17 ans, garçon marchand de vin. entré le 6 août 1897, dans le service de M. le professeur Jaccoud à la Pitié. S SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU. 859 Première attaque de rhumatisme articulaire aigu survenue en 1893 et lui ayant laissé un rétrécissement mitral, Le 1er août, après un travail fatigant par une température très chaude, il est pris de fièvre, d'abattement, avec douleurs articulaires. A l'entrée, toutes les grandes articulations sont douloureuses, tuméfiées; la température atteint 390. | Du 8 au 16 août, période apyrétique avec amendement des symptômes sous l'influence du salicylate de soude, puis reprise de la température à 400 avec phénomènes articulaires intenses, péricardite, pleurésie double et congestion pulmonaire très marquée. Sous l'influence du salicylate, les phénomènes s’amendent de nouveau, et le malade sort le 25 septembre, porteur d’une cardiopathie complexe. Le 7 et 17 août, des ensemencements sont faits par M. Thiroloix à l’aide du sang et du liquide pleural. Le bacille donne des cultures pures et abon- dantes sur lait, moins. abondantes sur bouillon. Les ensemencements aérobies restent stériles. OBSERVATION VIIT R... Augustine, 19 ans, sans profession, entrée le 6 septembre à l'hôpital Beaujon dans le service de M. Troisier, suppléé par M. Duflocq. Le 16 septembre, date du prélèvement sanguin pour les cultures, la malade présente tous les caractères d’une attaque de rhumatisme articu- laire aigu généralisé. Le début de cette première atteinte remonte à 15 jours : depuis cette date, l’impotence est absolue, la température a oscillé constamment entre 390,5 et 400,3 malgré le traitement salicylé. Les séreuses péricardique et endocardique semblent intéressées. Les cultures sur lait et sur bouillon ont donné le bacille avec tous ses caractères, mélangé dans tous les tubes à un coccus mal déterminé, mais n'ayant pas de propriétés pathogènes. La malade a guéri rapidement et a quitté l'hôpital dans les premiers jours d'octobre. OBSERVATION IX P... Lucien, 26 ans, entré le 7 octobre dans le service de M. André Petit à la Pitié. Le malade a eu, il y a deux ans, une attaque de rhumatisme articulaire aigu qui lui a laissé une légère lésion mitrale. Cette deuxième attaque a été causée par un surmenage bien caractérisé, Les articulations de tous les membres, mais surtout des supérieurs, sont rouges et douloureuses. Le cœur est légèrement irrégulier, La température oscille autour de 390, Les cultures obtenues par l’ensemencement du sang contiennent le bacille à l'état de pureté. Elles se sont montrées très virulentes, et c'est à l'aide de ces cultures inoculées au lapin que des arthrites généralisées ont pu être reproduites ainsi que des endopéricardites mortelles. GANGRÈNE GAZEUSE SUBAIGUÉË PROVOQUÉE PAR UN BACILLE SPÉCIAL Par M. CHAVIGNY MÉDECIN AIDE-MAJOR DE PREMIÈRE CLASSE {Laboratoire de bactériologie de Constantine.) « Un cavalier du 3"° régiment de chasseurs, ve Paul, tombe avec son cheval pendant une manœuvre au galop, le mem- bre inférieur gauche engagé sous l'animal. Le traumatisme détermine une fracture comminutive du fémur au tiers moyen et une fracture des deux os de la jambe au tiers inférieur. Il n'existe aucune plaie culanée. « On note une disparition des battements de la pédieuse et de la tibiale postérieure pendant les quarante-huit premières beures. « Douze jours après l’accident, débute à la partie inférieure de la jambe une gangrène humide, gazeuse, qui nécessite bientôt la désarticulation du genou. Malgré l'opération, la gangrène continue sa marche ascendante et le malade succombe le 37% jour après l'accident. » Le pus recueilli dans le moignon de ja cuisse, après l’ampu- tation, répand une odeur fétide et contient en abondance un bacille mobile présentant l’ensemble des caractères attribués au bactérium coli. Cultures aérobies. — Les cultures aérobies de ce microbe se distinguent par un fait assez spécial : un dégagement très abondant de gaz qui produit une mousse persistante à la sur- face du bouillon peptonisé et disloque les milieux solides, gélatine et sélose, en une série de fragments dont quelques-uns sont projetés jusqu’au voisinage du bouchon de ouate. Cultures dans le vide. — Cultivé en bouillon et dans le vide, 1. Résumé de l’observation de M. le médecin-major Vignol. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 861 le bacille affecte une forme particulière. Dès la première culture, les bâtonnets se groupent fréquemment par 2 ou par 3, eu chaînes moins mobiles que les bacilles isolés. Dans les cultures suivantes, cette forme, qui était d’abord l'exception, devient la règle : il se fait des chaînes de 6, 8 et 10 éléments. Lorsqu'on cultive de nouveau à l'air le bacille ainsi trans- formé, les formes primitives reparaissent et les bâtonnets se montrent de nouveau isolés les uns des autres. Inoculation aux animaux. — Ce bacille est très pathogène pour différents animaux. Chez la souris et le cobaye, l’inoculation de 1/10 à 1/20 de c. c. de culture détermine la mort en 12 ou 24 heures sans lésion appréciable au point d'inoculation; l’in- testin contient un liquide diarrhéique et félide. Les passages successifs par le cobaye atténuent la virulence du bacille. Chez le lapin, la mort survient en 12 heures à la suite de l'inoculation de quelques gouttes de culture dans une veine de l'oreille. A l’autopsie, l'intestin est fortement congestionné, son contenu est diarrhéique et les plaques de Peyer sont tuméfiées: les passages par le lapin augmentent la virulence du bacille. Le pigeon est absolument réfractaire. Chez le chien, l’inoculation d’un centimètre cube de culture sous la peau du flanc donne naissance à une escharre assez étendue, qui apparaît au bout de trois ou quatre jours, puis s’é- tend peu à peu; sa marche progressive s'arrête vers le 10° jour; un sillon d'élimination se creuse, la partie sphacélée est enfin éliminée, laissant à sa place une cicatrice profonde. De tous les résultats obtenus chez les animaux, cette lésion est celle qui se rapproche le plus des phénomènes morbides observés chez le malade. Dans le pus collecté sous l’escharre se retrouve le bacille inoculé. Les passages par le chien n’augmentent pas la virulence du microbe. En associant aux cultures diverses substances, on délermire chez le chien des lésions plus graves. L’inoculation d'un mélange à parties égales de cultures du microbe coliforme et du staphy- locoque doré, provoque en trois ou quatre jours la formation d’un abcès qui augmente rapidement de volume. Cet abcès a des limites mal définies, la fluctuation y-est obscure, mais on perçoit de la crépitation gazeuse. Bientôt la peau qui recouvre l’abcès se gangrène. Sous l’escharre, le lissu cellulaire est sphacélé 862 GANGRÈNE GAZEUSE SUBAIGUÉ. infiltré de nombreuses bulles de gaz. Le pus, peu abondant, est mélangé de sang el de gaz. La plaie exhale une odeur fétide. Dans le pus, l’examen direct montre la présence du bacille coli- forme et l’on ne retrouve plus de staphylocoques bien nets. Cette association de deux microbes permet donc de reproduire exacte- ment chez l'animal les lésions observées chez l’homme. La dispa- rition du staphylocoque inoculé en même temps que le bacille pouvait faire supposer que le coccus agit bien plus par sa toxine que par lui-même. En effet, l’association d’une culture filtrée du staphylocoque à la culture vivante du bacille détermine à coup sûr la gangrène gazeuse. L'effet de la toxine staphylococcique est encore plus frappant si on l'inocule en même temps qu’un bacille affaibli, incapable de donner par lui-même, chez le chien, la moindre lésion. Ainsi le même chien reçoit sous la peau, en un point, un ©. c. de culture du bacille, sur un autre point un c. c. d’une culture filtrée de staphylocoque et enfin, en un troi- sième point, un C. ©. du mélange des deux. Dans les deux premiers points, on note à peine une très légère induration, tandis qu’au troisième foyer d’inoculation se produit un abcès avec gangrène gazeuse :. Étant donnée l’action que Le staphylocoque doré exerce vis-à- vis de ce bacille au sein des tissus, il y avait lieu de rechercher comment les deux microbes se comportent lorsqu'ils sont mis en présence dans les milieux de culture. Ensemencés simultanément dans un tube de bouillon, les deux microbes se développent également bien. Si dans une boîte de Pétri préparée avec de la gélose, on ensemence ; 1° du staphylocoque doréen strie suivant un des dia- mètres de la boîte ; 2° du bacille suivant un diamètre perpendi- culaire au précédent, la culture du staphylocoque se développe d’une façon uniforme, tandis que la culture du bacille, bien déve- loppée sur les bords de la plaque, est chétive vers le point de croisement avec le staphylocoque, et s'arrête même entièrement à son voisinage immédiat. Le bacille ne se développe pas dans une gélatine où a vécu le staphylocoque. Un tube contenant 10 c. c. d’une culture de staphylocoque vieille de 4 jours et filtrée reçoit 3 c. c. de bouillon peptonisé ; 1. Les résultats ont été les mêmes chez onze chiens inoculés de cette façon. ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. 863 un autre tube contenant 10 c. ec. d’eau stérile reçoit 3 c. ec. de bouillon. Tous deux sont ensuite ensemencés avec le bacille. Le premier tube reste stérile, tandis que le second donne rapide- ment naissance à une végétation abondante. La loxine staphy- lococcique gêne donc la culture du bacille. Cette expérience réussit d'autant mieux que la culture de staphylocoque est plus âgée. De ces expériences, et du résultat des inoculations rapportées plus haut, il ressort donc ce fait, en apparence paradoxal, que le staphylocoque gène, par ses produits solubles, la culture du bacille, tandis que chez l’animal il aide à la production de lésions spéciales (emphysème septique chez le chien). D’autres conditions que l’adjonction de toxine staphylococ- cique peuvent aussi favoriser l’action de ce microbe chez les animaux. Le traumatisme s’exercant dans un point où l'on injecte ensuite une culture non virulente, favorise le développe- ment d'un abcès. L’injection de substances caustiques (solution de potasse, d’ammoniaque, essence de térébenthine) agit de même. Inoculation intra-veineuse chez le chien. — L'inoculation d’une culture virulente dans les veines du chien donne lieu à une réaction fébrile, avec perte de l'appétit et vomissements. Le signe le plus constant est une diarrhée abondante qui dure plus ou moins longtemps suivant la dose injectée. Aucun chien n'est mort à la suite de ces inoculations. Tous se sont rétablis en 8 jours au maximum. Inoculation de cultures filtrées. — Les cultures en bouillon, primitivement alcalines, deviennent acides au 3° et 4° jour, puis sont à nouveau de plus en plus alcalines, à partir du 8° jour. Les cultures filtrées à ce moment contiennent une substance qui provoque chez les animaux les mêmes symptômes que l’ino- culation des cultures vivantes, mais atténués. Les animaux ne réagissent que sous l'influence de doses massives. Le symptôme dominant est, chez toutes les espèces animales, la diarrhée. Des faits cliniques analogues à celui qui fait l’objet de cette note ont été observés par Margarucci et par Chiarri'. Ces au- teurs y ont rencontré un bacille fort semblable sinon identique au précédent. Ils ont cru devoir le rapprocher du bactérium coli. 4. Cararri, Contribution bactériologique à l'étude de l’emphysème septique pro- voqué par le bactérium coli. (Semaine médicale de Prague, 1893, n° 1.) 864 GANGRÈNE GAZEUSE SUBAIGUÉ. Par ses caractères et son action sur les animaux, ce microbe semble plutôt devoir être rapporté au bacille décrit par San Felice sous le nom de Bacillus pseudo-ædematis maligni. Peut-être ce dernier n'est-il qu'un des innombrables paracolibacilles récem- ment décrits. Pourtant le pouvoir de donner naissance à la gan- grène gazeuse et de produire des gaz dans les cultures parait être un caractère essentiel et permanent de ce bacille. Après une longue série de cultures se succédant pendant six : mois, ce bacille n’a cessé de produire des gaz en abondance dans les cultures, et de provoquer la gangrène gazeuse chez le chien lorsqu'on l’injectait associé à des cultures filtrées destaphylocoque ou à des substances caustiques. Le bactérium coli provenant de l'intestin de l'homme etrendu très virulent par une série de passages chez des animaux, puis associé à ces mêmes substances, n’a jamais produit de gangrène gazeuse. Dans le cas du malade dont l'observation a été rapportée, des fractures multiples et une oblitération des vaisseaux avaient préparé le terrain pour l’action des microorganismes. Les mêmes conditions, fractures et oblitérations vasculaires ne suffisent pas pour donner au bactérium coli la propriété de produire la gangrène gazeuse. San Félice a trouvé très fréquemment le bacillus pseudo- ædematis maligni dans les complications présentées par des lapins auxquels il avait fait des fractures exposées. La fré- quence avec laquelle se rencontre ce bacille varie assurément suivant les contrées, car à Constantine nous ne l’avons dans aucun cas observé sur 11 lapins atteints de fracture exposée. CONCLUSION 1° Il existe une gangrène gazeuse à marche subaiguë, diffé- rente par sa cause de la gangrène gazeuse de Maisonneuve. 2° Cette gangrène gazeuse subaiguë peut se produire chez l’homme par auto-infection (en l’absence de toute plaie cutanée). 3° Elle est provoquée par un microbe très voisin du bac- térium coli, et qui paraît être celui que San Félice a décrit sous le nom de bacillus pseudo-ædematis maligni. Le Gérant : G. Masson. Sceaux; — Imprimerie E. Charaire. : | 41m ANNÉE DÉCEMBRE 41897 N° 12. ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE L'IMMUNITE Par M. Le Proresseur SAWTCHENKO (be Kasa), (Travail du laboratoire de M. Metchnikoff, à l’Institut Pasteur.) Il ROLE DES SUBSTANCES BACTÉRICIDES ET DES CELLULES VIVANTES DANS L'IMMUNITÉ CONTRE LE CHARBON Les recherches, publiées par Pfeiffer sur Le rôle des substances bactéricides chez les animaux ayant une immunité active ou passive contre le vibrion cholérique, ont paru d’abord confirmer les notions déjà acquises sur les substances bactéricides et leur rôle dans l’immunité. Gruber et Durham rapprochèrent ensuite le pouvoir aggluti- nant du sérum préventif du pouvoir bactéricide des humeurs des animaux immunisés. D'après eux, le sérum préventif doit cette propriété à une substance (agglutinine) agissant directement sur les membranes microbiennes. Les microbes ainsi modifiés deviennent accessibles à l'influence des phagocytes et des humeurs bactéricides. L'importance des faits énoncés par Pfeiffer, Gruber et Durham, et surtout les conclusions qu’on en a tiré à l'appui des diverses théories de l’immunité, conduisent à se poser la question sui- vante : Observe-t-on chez tous les animaux immunisés, et contre tous les microbes, les phénomènes indiqués par ces savants, ou bien n’y a-t-il qu'une coexistence fortuite entre l'immunité arti- ficielle et les pouvoirs bactéricide et agglutinant ? DD 866 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Pour étudier cette question, nous avons choisi un microbe bien connu : la bactéridie charbonneuse. Pour élucider le rôle des substances bactéricides dans l’immu- nité, nous nous sommes servi, comme animal d'expérience, du rat, dont le sérum, comme l’a démontré Behring, possède un grand pouvoir bactéricide par rapport à la bactéridie. Pour étudier les propriétés agglutinatives du sérum sur la bactéridie, nous avons employé le sérum du cheval et du chien, immunisés contre le charbon. IT SUBSTANCE BACTÉRICIDE ; SON ACTION SUR LES MICROBES IN VITRO ; ADAPTATION DES MICROBES A CETTE SUBSTANCE La communication de Behring sur le pouvoir bactéricide du sérum du rat, pouvoir qui, d’après ce savant, serait la cause de l’immunité du rat contre le charbon, fut suivie de toute une série de travaux qui ont prouvé que les rats sont loin d’être tous réfractaires au charbon, et que les rats dont le sérum est bac- téricide périssent eux-mêmes très facilement du charbon. Les rats dont nous nous sommes servis dans nos expériences succombaient non seulement au charbon virulent, mais même au 2° et au 1°" vaccin, si on inoculait les bactéridies sous la peau. Ces mêmes animaux nous fournirent un sérum extrêmement bactéricide in vitro. Cela provoque naturellement un doute sur l’existence d’un pouvoir bactéricide dans l'organisme. Avant de rechercher les substances bactéricides dans l’orga- nisme même, et d'expliquer le désacord apparent entre la sensi- bilité du rat pour le charbon et le pouvoir bactéricide évident de son sérum, nous avons étudié les propriétés bactéricides de ce dernier in vitro. Les expériences avee le sérum en dehors de l'organisme furent faites dans des tubes à essai à la température de 37, et aussi à la température de la chambre (15-20°). Comme compa- raison, on employait du sérum de cobayes, qui, d’après des expé- RS É CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE L’IMMUNITÉ, 867 riences préalables, n’avait aucun, pouvoir bactéricide, mème pour le 1 vaccin. Si on ajoute à une petite quantité de sérum (1 c. c.) de rat normal une quantité égale d'émulsion d’une culture charbon- neuse (âgée de 20 heures) sur gélose, on peut observer, déjà après 10-15 minufes, à la température de 37°, une modifica- tion des bactéridies : on voit au microscope qu’elles sont deve- nues granuleuses, un peu gonflées, tandis que les bactéridies, mélangées dans les mêmes conditions au sérum du cobaye, sont restées aussi homogènes que dans la culture. Après une heure, l’action du sérum du rat est déjà si intense, que, sur les préparations traitées par le bleu de méthylène, on ne retrouve plus de filaments, mais seulement des granules colorés. Ceux-ci sont parfois disposés en chaïinettes, trace d’an- ciens filaments, mais les granules sont complètement isolés les uns des autres. Après 24 heures, le mélange, qui était trouble au début de l’expérience, devient tout à fait transparent. Ce n’est que rarement qu'on rencontre, à cette époque, des granulations gonflées : les filaments de la bactéridie sont non seulement tués, mais aussi dissous par le sérum. Ainsi se manifeste, au point de vue morphologique, l'effet bactéricide du sérum, quand nous opérons sur une culture viru- lente de bactéridies en filaments ou bien sur une culture aspo- rogène à filaments. Les faits sont quelque peu différents quand nous opérons sur des cultures des 1°" et 2° vaccin, cultures dont nous nous sommes surtout servi pour l'étude des propriétés bactéricides du sérum. C’est pour deux raisons que nous les avons préférées au virus : 1° elles se développent sur gélose en forme de bâtonnets, ce qui permet d’obtenir facilement une émulsion homogène et de les reprendre au point d’inoculation; 2° la constance de leur virulence permet une comparaison quantitative des agents qui agissent sur elles. Dans nos expériences, nous avons toujours employé des cul- tures sur gélose âgées de 16 heures, et en émulsion dans une solution de NaCI à 5 0/00. La quantité de culture employée pour l'expérience peut être dosée avec une assez grande précision si on emploie des tubes à 868 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. essai de même dimension, dans lesquels on dilue le produit du raclage de surfaces égales de cultures sur gélose dans des quantités égales de NaCI — 2 c. c. Les modifications morphologiques des bâtonnets des vaccins charbonneux sous l'influence du sérum bactéricide sont si carac- téristiques, qu’elles permettent de juger du pouvoir bactéricide à l'examen microscopique simple d’une préparation. Si on colore sur lamelle par du bleu de méthylène phéniqué les bâtonnets des vaccins charbonneux en émulsion dans une solution de NaCl à 5 0/00, on les voit homogènes, bien colorés, sans aucune trace de membrane colorée. L'aspect est le même chez les bactéridies, mélangées avec le sérum de cobaye. Les préparations faites avec un mélange des bactéridies etdu sérum du rat présentent déjà, après 45 à 20 minutes (à l’étuve), une différence prononcée avec les préparations de contrôle. Une grande quantité des bâtonnets ne se colore pas du tout en bleu par le bleu de méthylène : ils sont gonflés, arrondis et colorés en rose-violet. D’autres ont la partie centrale bien colorée par le bleu, mais on voit sur la périphérie une membrane gon- flée et colorée en violet. Après 2-3 heures, la majorité des bacté- ridies ne contient plus du tout de substance centrale colorée en bleu, mais prennent une coloration homogène en rose-violet; quelques-unes sont désagrégées en granules violets. D'autres ont leurs membranes fortement gonflées et la substance colorée en bleu presque complètement disparue. On trouve encore de courts bâtonnets avec des restes de substance colorée en bleu, mais avec une membrane violette tellement gonflée, qu'ils ont l'aspect, non plus de bâtonnets, mais de corps ovales ou sphé- riques. Sous l'influence ultérieure du sérum, après 24 heures, le mélange, de trouble qu’il était, devient transparent, et nous ne trouvons au microscope que de rares granules gonflés et colorés en violet, La mort de la bactéridie débute par le gonflement de sa membrane; ensuite c’est lasabstance chromatique qui se dissout, et enfin la membrane elle-même disparaît. On obtient par ensemencement des colonies de moins en moins nombreuses à mesure que ces phénomènes se déroulent. Après 24 heures, quelquefois déjà après 7-10 heures, les ense- RL LT LT ga ol CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITÉ. 869 mencements restent stériles, et alors on voit au microscope que les bâtonnets ne se colorent plus en bleu. Cette description démontre que le processus de la mort des bactéridies introduites dans du sérum de rat, se rapproche beaucoup au point de vue morphologique des modifications décrites par Pfeiffer pour le vibrion cholérique introduit dans le péritoine des cobayves réfractaires au choléra. Afin de définir le degré de puissance bactéricide du sérum, nous avons fait des mélanges d’une émulsion du premier vaccin avec diverses doses de sérum. Nous avons employé dans nos expériences des mélanges préparés avec 2 goultes d’émulsion de culture (on délayait le contenu d’une culture sur gélose dans 2 c. c. de solution de NaCl), ce qui correspond à 1/20 de la culture, et diverses quan- tités de sérum bactéricide. En dosant le sérum bactéricide, nous y ajoutions du sérum de cobaye, non bactéricide, afin d'avoir toujours une quantité égale de liquide dans nos tubes à essai. En ensemençant simultanément une série de sérums bactéri- cides dilués en proportions diverses, on peut définir la quantité minimale du sérum bactéricide nécessaire pour tuer en 24 heures la majorité des bactéridies et pour empêcher la végé- tation de celles non tuées. Voici une des expériences : 870 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. , Quantité Quantité Examen au RÉSULTAT TI" u uar x QUANTITÉ - SRE microscope | de l’ensemencement du sérum du | du sérum du ; n a DE LA CULTURE DU 107 VACCIN. cobaye. rat. . apres sur gé 25e $ 24 heures, 2 gouttes de liquide. 2 — ————— Pas de microbes vivants. 15 gouttes. ÿ gouttes. 3 colonies, Pas de microbes vivants. 17 gouttes. 7 colonies. Peu de bactéridies 20 colonies, vivantes. 19 gouttes. goutte, 1/20 dans 2 gouttes d’émulsion, avec solu- tion de NaCl. La plupart des bactéridies Culture épaisse, vivantes. 20 gouttes. 1/2 goutte. Pas de bactéridies \ Ensemencement 10 gouttes. 10 gouttes. vivantes. 2e L à stérile, Liquide transparent. Cette expérience démontre que le sérum du rat employé tue déjà les bactéridies à la dose de 1 : 20. Dans la majorité des dix expériences faites par nous et ana- logues à celle qui vient d’être citée, le sérum du rat était bacté- ricide à peu près à 4 : 20. Le sérum le moins bactéricide, à 2 : 20, nous fut fourni par un jeune rat (20 grammes). Lacomparaison de l'influence bactéricide du sérum sur le 1t"et le 2° vaccin démontre que le 2° vaccin est moins sensible. Ainsi: tandis que pour tuer 1/20 de culture du 1* vaccin, il suffisait d'un c. c. du mélange à 1 : 20 (une goutte de sérum de rat + 20 gouttes de sérum de cobaye), pour tuer 1/20 de culture du 2° vaccin, il fallait 1 ©. c. du mélange à 8 : 20 (8 parlies du sérum de rat sur 20 parties du sérum de cobaye). C'est surtout dans les expériences avec le sérum chauffé que se manifeste la différence de sensibilité des vaccins à l’influence des propriétés bactéricides. Chauffé pendant une 1/2 heure à 61°, le sérum de rat manifeste encore une influence visiblement CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L’'IMMUNITÉ. 871 bactéricide sur le 1°" vacein, mais ne tue pas du tout les bacté- ridies du 2° vaccin. Les exemples cités prouvent déjà que les substances bactéri- cides agissent chimiquement sur les corps des microbes. De même que les diastases, elles les dissolvent et sont elles- “mêmes détruites par les Lempératures élevées. On voit aussi qu'il doit exister une certaine corrélation entre la quantité des microbes et celle des substances bactéricides nécessaires pour les tuer. Si l’on ajoute peu de substance bactéricide à une quantité donnée de microbes, ils ne seront détruits qu’en partie, les substances bactéricides étant pour ainsi dire fixées par les corps des bactéries tuées, ce qui permet la végétation des autres. En d’autres termes, la substance terne est usée, elle est neu- tralisée par les corps des microbes. Les expériences ont pleinement confirmé celte hypothèse. Voici un exemple : On mélange 3 c. c. de sérum de rat avec 1/2 c. c. d’une émulsion épaisse de virus charbonneux cultivé sur gélose pen- dant 24 heures. Après 12 heures, tous les filaments sont tués et désagrégés en granulations. On ajoute dans le même tube à essai À c. c. d’émulsion d’une culture de 18 heures. Après 10 heures d'exposition à l’étuve, la majorité des bactéridies est tuée, mais il y a encore des filaments bien conservés. On soumet le mélange à l’action de l'appareil centrifuge et l'on décante le liquide transparent. On ajoute à 1 c. c. du liquide 3 gouttes d’émulsion fraîche de la culture du virus sur gélose et, à une autre portion, 3 gouttes d'émulsion du 2° vaccin. Après 7 heures d'exposition à l’étuve, on ne constate aucune action bactéricide. Dans notre expérience, le sérum de rat était un peu dilué par les additions successives de l’émulsion (3 : 1,5). Mais cette dilu- lion n'avait eu aucune influence, car, dans l'expérience de contrôle, où la dilution était la même, le liquide avait conservé tout son pouvoir bactéricide. Nous avons répété ces expériences plusieurs fois, toujours avec le même résultat, La substance bactéricide est consommée en détruisant les microbes, et il existe toujours un certain maximum de 872 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, microbes qui peut être tué par une quantité donnée de sérum. Toutes les expériences citées furent faites avec des cnltures sur gélose et in vitro. Mais en supposant (et cette supposition se trouve confirmée par les expériences exposées dans le3° chapitre) que les substances bactéricides existent dans l'organisme vivant, et en constatant que, malgré cela, les rats succombent au charbon et contiennent des bactéridies dans leur sang, il faut admettre que les bactéridies s’adaptent facilement aux substances bactéricides. Cela est facile à démontrer. Nous avons vu que le 2° vaccin et même le virus sont facile- ment et complètement détruits par le sérum non dilué. Mais si l’on ajoute au sérum de rat une portion double de sérum de cobaye, et si l’on ajoute à ce mélange une quantité suffisante de culture du 2° vaccin sur gélose (1/10 de culture), on constate, après 24 heures, que la majorité des microbes n'est pas tuée et qu’ils commencent à se développer en nouveaux filaments. Si l’on ajoute alors une quantité égale de sérum de rat, la culture continue à se développer, quoique lentement. Si ensuite nous ensemencçons cette culture dans du sérum de rat, non mélangé, non seulement nous n’observons plus d'action bactéricide, mais nous obtenons une culture charbonneuse dans le sérum de rat. Ainsi les microbes s'adaptent facilement aux substances bactéricides. Parallèlement aux expériences avec le sérum de rat, nous en fimes avec celui du cheval, du pigeon et du chien. Ces deux derniers animaux sont, comme on sait, peu sensibles au char- bon. Par contre, le cheval est très sensible à cette maladie. Le sérum de pigeon se montre peu bactéricide, et cela encore à 40-420. Le sérum de chien n’est pas du tout bactéricide, même pour le premier vaccin, et la bactéridie charbonneuse s'y déve- loppe comme dans le sérum de cobaye. Par contre, le sérum de cheval s’est montré très bactéricide pour les vaccins et pour le virus. Les substances bactéricides de ce sérum agissent sur les bactéridies de même que le sérum de rat. Chauflé à 61-62, Île sérum de cheval perd aussi son pouvoir bactéricide. La substance bactéricide de ce sérum se consomme aussi, se neutralise par l'addition d’un excès de microbes et les microbes s'adaptent CONTRIBUTION A L'ETUDE DE L’'IMMUNITÉ. 873 aussi facilement à ces substances bactéricides qu’à !celles du sérum de rat. III SUBSTANCES BACTÉRICIDES DANS L'ORGANISME VIVANT. — LYMPHE SOUS- CUTANÉE. —— PLASMA SANGUIN. — PLASMA PÉRITONÉAL Nous avons dit, au début de cet article, que les rats dont nous nous sommes servis, et qui nous fournissaient un sérum très bactéricide, étaient eux-mêmes tellement sensibles au charbon, qu'ils succombaient même au premier vaccin, injecté sous la peau. La mort survenait entre 3-10 jours. L'inoculation pro- voquait toujours un œdème très fort du tissu cellulaire, s'étendant depuis le point d'inoculation à la patte jusqu’au dos et jusqu’au ventre. Le deuxième vaccin les tuait encore plus vite, en 2-4 jours, en provoquant les mêmes symptômes. Le virus tuait les rats en 36-48 heures. Il a été démontré par toute une série d'observations que le sang des rats morts du charbon contient très peu de microbes comparativement à celui des autres animaux (cobaye, lapin); chez les rats, les bactéridies sont localisées, surtout au point d’inoculation et dans la rate. Les leucocytes sont presque com- plètement absents dans les œdèmes pendant la vie du rat. Les bactéridies y sont enveloppées de membranes distinctes (colora- tion de Kühne) qui se colorent en rose violet. Après l’inoculation du premier vaccin, on trouve parfois des bactéridies qui se comportent comme dans le sérum in vitro, mais la majorité en est normale et présente les membranes décrites. Un tel état des microbes sous la peau peut dépendre, ou bien de leur adaptation rapide aux substances bactéricides, ou bien de l'absence de celles-ci dans la lymphe sous-cutanée. Pour ré- soudre cette question, nous avons étudié le liquide d’un œdème provoqué par l'arrêt de la circulation. Nous avons pu conclure de cette étude que la lymphe n’est pas bactéricide si elle ne contient point de globules sanguins", 4. Pour obtenir le liquide œdémateux, nous faisions une ligature sur les jambes de derrière du rat, aussi haut que possible. Après quelques heures, quand l’ædème devenait apparent (après 7-8 h,), on ponctionnait le rat, en ayant soin 874 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Les bactéridies, même du premier vaccin, mélangées avec une telle Iymphe et exposées à l’étuve, continuent à se développer tout aussi bien que dans le sérum de cobaye. Mais si l’on mélange 10-15 gouttes de cette lymphe avec une goutte de sang du même rat, et si l’on étudie l’action bactéricide, après que la coagulation s’est faite, on voit que les bactéridies du premier vaccin périssent tout aussi bien que dans le sérum de cobaye, additionné d’une même quantité de sérum de rat. Si l’on exprime avec la lymphe de l’œdème un peu de sang, on obtient aussi un liquide bactéricide. Dans les expériences faites sur les animaux, c’est-à-dire en introduisant sous la peau une émulsion de premier vaccin dans le tissu œdémateux, on observe de même des membranes en- veloppant des bactéridies, l'absence d'action bactéricide visible, et une généralisalion de l'infection. L'œdème passif diffère évidemment de l’æœdème actif, et une transfusion de substances bactéricides est possible dans ce der- nier Cas. Pour trancher cette question, nous avons provoqué un œdème actif par l’inoculation d’une émulsion de culture virulente. Déjà après 10-12 heures, il se produit un fort œdème, s’étendant sur le dos et labdomen. En prenant une goutte de lymphe d’un endroit de l’ædème, éloigné du point d'inoculation, on ne trouve que ies bactéridies isolées ou point du tout. C'est dans ces régions de l’æœdème actif que nous injectons une émulsion de bactéridies du 1° vaccin, comme étant très sensibles aux subs- tances bactéricides. En étudiant de temps en temps les bacté- ridies injectées, on voit qu’elles ne périssent pas, mais conti- nuent à se développer de même que dans l’'œdème passif. En prenant plusieurs échantillons au même endroit, nous pouvons trouver des bactéridies tuées sur nos préparations. Cela est dû évidemment à la lésion des vaisseaux sanguins produite par l’introduction du tube effilé sous ia peau, ce qui permet aux substances bactéricides du sang d'agir sur les microbes. On peut toujours obtenir artificiellement des phénomènes bactéri- cides partiels en injectant un peu de sang ou de sérum de rats d'enlever d’abord les ligatures et autant que possible de chasser le sang des pattes par un léger massage. Cette précaution est indispensable, car autrement, en exprimant le liquide œdémateux, nous obtenons aussi du sang. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITÉ. 875 après avoir inoculé sous la peau des bactéridies. Dans ce cas l'infection se développe quand même et le rat succombe. Les expériences de Roux et Metchnikoff ont démontré que les bacté- ridies mélangées antérieurement avec du sérum de rat, et ensuite injectées sous la peau, ne produisent pas d'infection. Nous pouvons conclure de toutes les expériences citées que les substances bactéricides ne transfusent pas à travers les parois vas- culaires dans le liquide ædémateux, du moins pas en quantité assez grande pour produire une action bactéricide appréciable". A la suite de ces expériences, la question se pose de savoir si le plasma sanguin de l’organisme contient la substance bactéri- cide, ou bien s'il n'y en a dans le sérum qu'après la coagulation du sang? On sait qu'il est très facile d'éviter la coagulation du sang en y ajoutant un extrait de têtes de sangsues. Ayant pris le sang de deux ou trois rats (leur sang étant dilué à moitié par une solution de Na CI à 5 0/00 dans laquelle on avait dissous l'extrait de sangsues) nous le soumettions à l’action de l'appareil centrifuge pendant 2-3 heures. , Après cette opération, non seulement les globules rouges, mais aussi les globules blancs sont précipités; les plaques sanguines seules restent en suspension dans la portion supé- rieure du liquide *. Nous divisions le liquide en deux portions, en décantant la partie supérieure, qui ne contenait que peu ou point de leucocytes, dans un récipient séparé de celui qui contenait le reste du plasma avec la couche supérieure des globules rouges (couche très riche en leucocytes). Après avoir gardé le plasma pendant un ou deux jours au froid pour donner à la majorité des leucocytes le temps de se détruire et de rendreieurs substances bactéricides au plasma (s'il y a de ces substances dans les leucocytes), nous étudiâmes com- paralivement l'action bactéricide des deux portions du plasma. 1. A ce qu'il parait, l’absence des substances bactéricides dans la lymphe n’est pas un fait exceptionnel. Ainsi Metchnikoff et Mesnil ont démontré que le phéno- mène de Pfeiffer ne se produisait pas dans le tissu sous-cutané chez les cobayes immunisés contre les vibrions. (Annales de l’Institut Pasteur, 1896.) 2, Nous devons indiquer ici la grande différence dans la quantité des plaques sanguines contenues d'une part, dansle plasma du rat, et, d’autre part, dans celui des cobayes et des chiens Pendant que le plasma de cesderniers esttransparent, celui des rats estopaque par suite de la grande quantité de plaques contenues en suspension et qui, à ce qu'on constate au microscope, ne sont nullement modifiées. 876 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Si l’on ajoute à ce plasma, qui, par lui-même, ne se coagule pas pendant quelques jours, une émulsion de bactéridies, on observe déjà après 2-3 minutes un phénomène à peu près analogue à l’agglutination. Après 20-30 minutes, le plasma commence à secoaguler autour de la masse des microbes aggelutinés. Après 2-3 heures d'expo- sition à l’étuve, on trouve un coagulum compact et séparé du sérum liquide et transparent. Une préparation étalée sur lamelle démontre que les bactéridies du coagulum sont tuées. Dans le liquide plasmique, on trouve par contre, à côté des bactéridies tuées, d’autres vivantes. Pour comparer les propriétés bactéricides du plasma conte- nant des leucocytes avec celles du plasma qui n’en contient pas, il fallait évidemment éliminer la coagulation produite sous l’in- fluence des microbes. On peut empêcher la coagulation du plasma en le chauffant à 55e. Ayant préparé le plasma par le procédé décrit, et l'ayant chauffé à 55°, nous étudiämes ses propriétés bactéricides en employant les méthodes décrites dans le chapitre précédent. I fut constaté que le plasma ainsi préparé est aussi bactéricide que le sérum. De plus, les résultats sont les mêmes, qu'il contienne ou non des leucocytes. On peut tout aussi bien démontrer les propriétés bactéricides extracellulaires dans l'organisme vivant, chez le rat, en intro- duisant les microbes dans la cavité péritonéale. On introduit dans la cavité péritonéale du rat une émulsion de culture sur gélose de la bactéridie charbonneuse virulente. En examinant de temps en temps l’exsudat péritonéal, on remar- que qu'après 1 ou 2 heures (selon la quantité de culture intro- duite) les filaments des bactéridies ont perdu, en grande ma- jorité, la propriété de se colorer par le bleu de méthylène. Ils sont faiblement colorés et granuleux; on voit dans quelques-uns des granulations isolées et colorées en bleu; ces changements sont analogues à ceux que nous avons observés dans le sérum in vitro. Les filaments sont souvent en pelotes et intimement mélan- gés”aux leucocytes de la cavité péritonéale. Les leucocytes contiennent des bâtonnets charbonneux bien colorés. Quelque- CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITÉ, 877 fois les leucocytes sont enfilés par deux ou trois et plus sur des filaments bactéridiens. On aurait pu admettre la destruction extra- cellulaire des bactéridies, vu la faible quantité des leucocytes par rapport à celle des bactéridies introduites dans l'organisme, et vu l’analogie des phénomènes morphologiques de la dégénérescence des bactéridies avec les phénomènes observés in vitro. Mais ce- pendant on ne pouvait complètement réfuter l’objection que les bactéridies, regardées comme mortes, avaient été antérieure- ment détruites par les leucocytes. Et cela d’autant plus qu'après 6 ou 7 heures on trouvait dans la cavité péritonéale du rat une nouvelle génération de bätonnets et de filaments avec des cap- sules bien nettes, le corps du microbe sé colorant facilement, et que, dans cette période, on n’observait que rarement de la pha- gocytose, si bien que le rat finissait par succomber. Pour résoudre cette question, nous nous sommes de nouveau adressé aux vaccins. Geux-ci se cultivent en forme de bâtonnets sur la gélose; les cultures sont homogènes en émulsion et s’éten- dent uniformément dans la cavité péritonéale sans s’agglutiner en masses mélangées aux leucocytes. Si l’on introduit dans la cavité péritonéale du rat un quart de culture du 1° vaccin sur gélose, culture âgée de 24 heures et en forme d’émulsion, on trouve déjà après une demi-heure une quantité de bactéridies mortes dans l’exsudat péritonéal. Ces bà- tonnets présentent une analogie complète avec ceux en voie de destruction in vitro. À côté de bactéridies complètement tuées, on trouve des bâtonnets à membrane fortement gonflée, mais avec un reste de substance prenant la coloration, et des bacté- ridies qui ont résisté à l’action bactéricide de l’exsudat, ce qu’on rencontre aussi au début de l’action du sérum ?n vitro. On peut voir à côté des leucocytes littéralement bourrés de bactéridies. Mais, à cette époque, celles-ci ne présentent aucune modification visible dans l’intérieur du leucocyte; elles se colo- rent bien en bleu, et sont si entassées qu'il ne peut être question du gonflement de leur membrane, comme nous l’avions vu en dehors des cellules. On pourrait plutôt supposer que, grâce à l’entassement, leur destruction dans les leucocytes commencerait par la membrane. Dens cette période nous n'avons jamais trouvé ni dans les cellules polynucléaires, ni dans les macrophages, des bactéridies 878 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. gonflées et colorées en rose violet. En examinant ce même exsudat 4-5 heures après le début de l'expérience, nous avons souvent trouvé, hors des cellules, des bactéridies vivantes se colorant en bleu. Elles avaient toutes subi les modifications décrites plus haut. On trouve dans les leucocytes des bactéri- dies non encore détruites, dont on peut obtenir des cultures sur gélose en faisant des ensemencements suffisants, tandis qu’on ne trouve plus de bactéridies non modifiées hors des cellules. Cette expérience souvent répétée et aboutissant toujours au même résultat nous permet de conclure que dans la cavité périto- néale du rat, les bactéridies sont détruites hors des cellules, sous l'in- fluence bactéricide de l’exsudat, d'une facon tout à fait analogue à celle du sérum in vitro. En suivant d'heure en heure les phénomènes qui se passent dans la cavité péritonéale, on observe que 4-5 heures, quelque- fois plus, après le début de l'expérience, il s’accumule une quan- tité de nouveaux leucocytes dans la cavité péritonéale, où ils étaient absents au début. Mais ces phagocytes, qui englobent les microbes avec tant d'avidité, si on injecte une nouvelle portion d’émulsion du vaccin, — sont par contre tout à fait indifférents aux bactéridies détruites en dehors des cellules. Il est très rare de trouver dans des macrophages des bactéridies colorées en violet; pour la plupart, celles-ci se désagrègent en granules et se dissolvent comme ÿn vitro. Après l'introduction de grandes quantités de cultures du 2° vaccin dans le péritoine, les rats succombent à une infection généralisée. Mais alors, dans les premières heures de l’expé- rience, on trouve toujours une quantité de bactéridies détruites hors des cellules. On en trouve aussi beaucoup dans les leucocytes; mais il y a toujours des bactéridies libres, bien conservées et encapsulées. Après 5-6 heures, au lieu d’une destruction complète hors des cellules, nous trouvons une augmentation de la quantité des bactéridies et un développement en filaments. Ici aussi on observe une affluence des phagocytes polynucléaires dans la cavité périlonéale, mais une absence de phagocytose de leur part comme dans l'infection par une culture virulente. Évidemment les phagocytes des animaux non réfractaires ne peu- nee ut de à ss roms. CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE L'IMMUNITÉ. 879 vent englober les microbes du moment que ceux-ci ont acquis une capsule ; il faut donc regarder le développement de la capsule comme une adaptation défensive des microbes . IV RAPPORT DES SUBSTANCES BACTÉRICIDES AVEC LES LEUCOCYTES ET LES CELLULES ENDOTHÉLIALES, Il a été indiqué plus haut que l'injection d’une émulsion de microbes dans le péritoine provoquait toujours une destruction des leucocytes qui s’y trouvaient. Bordet? démontra que la substance bactéricide contre les vibrions cholériques dépend de la quantité des leucocytes, soit dans le péritoine des cobayes, soit dans le sérum. Antérieurement Metchnikoff* avait démontré que la substance bactéricide était contenue dans le protoplasma des cellules polynucléaires. Ainsi la transformation des vibrions en granules se produit dans les leucocytes des cobayes, même non immunisés, si l'on provoque d’abord une leucocylose dans le péritoine, en y injectant du bouillon. Il était donc naturel de supposer & priori que chez le rat, la substance bactéricide était aussi éliminée dans la cavité péri- tonéale par les leucocytes qui y avaient été détruits. Les expériences suivantes furent faites pour résoudre cette question. Nous provoquions une leucocytose dans la cavité périto- néale du rat en y injectant 2 ou 3 c. c. de bouillon, 24 heures avant l’expérience. Nous comparions la quantité des leucocytes du sang avec celle de J’exsudat péritonéal en même quantité. Nous ajoutions d’une part du sang au sérum de cobaye, milieu indifiérent pour le 1 vaccin ; nous ajoutions d'autre part de l’exsudat péritonéal à la mème quantité de sérum de cobaye. Après avoir gardé au froid ces liquides pendant trois jours, temps nécessaire à la destruction des leucocytes du sang et de l'exsudat, nous comparämes les propriétés bactéricides des deux 4. Cest Metchnikoff qui a le premier énoncé ce point de vue sur la capsule de la bactéridie. Virchow's Arch. 185%. 9, Ann. de L'Institut Pasteur. 1897. 3. Ann. de l'Institut Pasteur. 1896. 880 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. mélanges pour le 1° vaccin, d’après la méthode exposée dans le 2° chapitre. Nous pouvions nous attendre à trouver des propriétés bacté- ricides égales seulement dans le cas où le sang et l’'exsudat auraient contenu la même quantité de leucocytes. Mais nous avons toujours constaté une quantité de leucocytes de 7 à 12 fois plus grande dans l’exsudat (5 expériences). Malgré cela, la quantité de substance bactéricide fut trouvée la même pour des volumes égaux, ou bien elle était plus grande pour le sang que pour l’exsudat. Le résultat de cette expérience coïncide complètement avec les expériences exposées plus haut sur les propriétés bactéri- cides du plasma avec une quantité différente de leucocytes. Il s’ensuit que les leucocytes attirés dans la cavité péritonéale, ne donnent pas les substances bactéricides que nous y trouvons. Si, d'un autre côté, nous examinons la qualité de la leuco- cytose provoquée par l'injection du bouillon, nous constatons facilement que ce sont des cellules polynucléaires que nous avons attirées. On peut donc conclure que les cellules polynu- cléaires, en se détruisant, ne donnent pas les substances bactéricides qu'on trouve dans la cavité péritonéale. En étudiant d'autre part le contenu de la cavité péritonéale avant l'injection du bouillon ou de la culture charbonneuse, nous ne trouvons qu'une quantité insignifiante de cellules poly- nucléaires. Ce sont les grandes cellules mononucléaires qui y prédominent. On trouve rarement encore des cellules d'Ehr- lich. Les cellules mononucléaires subissent évidemment une phagolyse naturelle, car on en trouve fréquemment avec le protoplasma en voie de destruction ou même des noyaux presque privés de protoplasma. Ainsi, si nous regardons les substances bactéricides de la cavité péritonéale comme dérivant des cellules contenues dans cette cavité, c'est aux cellules mononucléaires que nous devons les attribuer. CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DE L'IMMUNITÉ. 881 ; M LES SUBSTANCES BACTÉRICIDES S'ACCUMULENT-ELLES DANS L'IMMUNISATION ARTIFICIELLE ? — IMMUNISATION DES RATS. — PROCÉDÉ DE DÉFENSE DES ANIMAUX IMMUNISÉS CONTRE LE CHARBON. — SENSIBILITÉ DES LEUCOCYTES. Les expériences exposées dans Îles chapitres précédents démontrent avec évidence que l'organisme des animaux possé- dant naturellement les substances bactéricides n’est pas apte à s’en servir comme moyen de défense contre l'infection. Les substances bactéricides ne deviennent efficaces pour la défense de l’organisme que quand nous créons artificiellement des conditions favorables à l’action directe de ces substances sur les microbes. Telles sont, d’une part, les expériences de Metchnikoff et Roux sur l'inoculation sous-cutanée des rats avec du sérum et des bactéridies, et, d’autre part, les miennes sur l'inoculation péritonéale de ces animaux. Les expériences de Pfeiffer avec le vibrion cholérique per- mettent de supposer, & priori, que les propriétés bactéricides du sérum des rats immunisés arüificiellement contre le charbon devraient s’accroitre et que, par suite, elles seraient actives contre l'infection sous-cutanée de l’auimal. D'un autre côté, nos expériences ont démontré que le sérum du chien, animal très peu sensible au charbon, ne possède aucun pouvoir bactéricide. Il faudra donc s'attendre, en se plaçant au point de vue de la théorie humorale de l’immunité, à trouver au sérum du chien immunisé arlificiellement une action directe surles microbes. Nous avons fait des expériences à ce sujet dans les deux directions suivantes : 1° Immunisation du rat contre le charbon et étude de lin- fection des rats immunisés : 20 Immunisation du chien afin d'obtenir un sérum préventif el étude des propriétés de ce sérum. Personne n'avait réussi jusqu'ici à immuniser les rats contre ‘le charbon, et ils finissaient toujours par mourir de l'infection devenue chronique. M. K. Müller n'a réussi à conserver que 6 rats, sur 221 qui )6 882 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. furent inoculés 6 fois préventivement! De plus, dans ce nombre, il y avait 34 rats noirs qui sont, normalement, moins sensibles au charbon. Les tableaux d’expériences de M. Müller: démontrent que les inoculations successives ne rendaient pas les rats plus résis- tants, mais au contraire plus sensibles. Nos animaux succombaient même au premier vaccin injecté sous la peau; il était done de toute nécessité de recourir aux inoculations péritonéales qui, grâce aux substances bactéricides contenues dans le péritoine, permettaient à l’animal de se défendre au moins contre le premier vaccin. Des injections péritonéales successives du premier, du deuxième vaccin, du virus, et enfin du sang de l’animal mort du charbon, nous permirent de rehausser la résistance du rat à tel point, qu'il supportait des inoculations sous-cutanées des cultures les plus virulentes, qui tuaient les témoins en 24- 48 heures. Mais sur 10 rats de la première série, 5 seulement résis- tèrent définitivement. Les autres succombèrent à différentes époques en partie à la cachexie, en partie à l'infection. La faute commise consistait évidemment en un passage trop brusque de l’inoculation des vaccins à celle des cultures viru- lentes, et en un intervalle trop court (5-6 jours) entre les inocu- lations successives. Dans la série suivante les 15 rats furent immunisés ainsi : 1e injection de 1/5 d’une culture sur gélose du premier vaccin. 2e injection après 7 jours d’1/4 de culture — 3 — T7 — 1/2 — — Le — 10 — 1/4 -- deuxième vaccin. pe ee 10 = 44 a sà 6° — 1 — 1/4 —- _ HE on 10 — 1/4 — virulente sur gélose, 8° — 10 — 2 gouttes de sang d’un cobaye, mort du charbon. Tous les animaux immunisés par ce procédé résistèrent. Une fois que le rat à supporté une injection de la culture !. Müller inoculait sous la peau des cultures sur gélose, Il procédait en lais- sant un mois d'intervalle entre les deux premières injections et huit jours entre les suivantes. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITÉ, 883 virulente dans le péritoine, il devient réfractaire contre l’inocu- lation sous-cutanée de la même culture : c’est pourquoi, dix jours après la dernière injection péritonéale, nous avons pu inoculer à tous les animaux 1/20 de culture virulente sur gélose, sans qu'ils y réagissent même par un œdème local, C'est sur les rats devenus réfractaires à la suite d’inocula- tions que nous avons fait nos études du mécanisme par lequel l'organisme se défend contre l’infection. Une expérience comparative d'injection sous-cutanée du virus à un rat immunisé et à un témoin, met en évidence une différence considérable au bout de 3-5 heures ; tandis que chez le témoin il se produit un œdème évident, il n'y en a guère, mème au point d'inoculation, chez le rat immunisé. En même temps, l'examen microscopique de l’exsudat du tissu sous-cutané dévoile une différence très appréciable. Tandis que chez l'animal immunisé antérieurement on trouve à cette époque une quantité de leucocytes au point d'ino- culation et une phagocytose très déterminée, chez le témoin les leucocytes ne se rencontrent que rarement, et parmi eux il y en à peu qui renferment des microbes. Dans la suite de la maladie, après 12-16 heures, les phé- nomènes au point d'inoculation se déroulent dans des direc- tions tout à fait opposées. Chez le témoin l’æœdème se déve- loppe de plus en plus, l’affluence des leucocytes cesse complète- ment; ceux qui avaient apparu dans les premières heures sont en voie de désagrégation, et l’exsudat contient une nouvelle génération de bactéridies, entourées de membranes. Chez le rat immunisé on trouve par contre non pas un exsudat clair, mais un liquide épaiset purulent, rempli de leucocytes. Chez les ani- maux bien immunisés, on trouve même plus de leucocytes qu'il n'en faut pour constituer une forte phagocytose : ainsi presque la moitié des leucocytes ne contient pas de bactéridies, et en même lemps on n’observe point du tout de microbes libres. Encore après 14 heures, on voit des bactéridies englobées par les leucocytes, et l’on peut obtenir une culture etoonie en puisant au point d’inoculation. De plus, les cobayes ou les rats inoculés par une goutte de cet exsudat, qui ne renferme pas de spores CHARDONMEUEESS succom- bent au charbon. 884 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Ce fait confirme l’assertion de Metchnikoff que les bactéridies englobées par les cellules sont non seulement vivantes, mais encore parfaitement virulentes. | Dans des expériences où nous inoculions, en même temps et avec la même culture, un ratimmunisé et réfractaire, un témoin et un troisième rat faiblement immunisé (n’ayant reçu que deux injections du 4% vaccin), le rat bien immunisé survivait toujours, tandis que les deux autres succombaient presque simultanément. Mais, dans les premières heures après l’inocula- tion, on observait chez le rat faiblement immunisé une affluence de leucocytes et une phagocytose. La différence avec ce qui se passait chez le rat réfractaire n’était que quantitative : la leuco- cytose chez le rat faiblement immunisé était moindre, et la pha- gocylose restait incomplète : on trouvait des bactéridies libres, dont la membrane se colorait. Après 24 heures, cet animal avait un œdème presque aussi fort que le témoin, et contenant des quantités de bactéridies libres et de leucocytes en voie de désagrégation. Il est évident que c’est déjà au début de l’immunisation que s'établit la diffé- rence dans la sensibilité des leucocytes envers des microbes, contre lesquels l'organisme s’immunise. Ceci est facile à constater en introduisant, dans le péritoine des rats réfractaires et des témoins, le premier vaccin, qui, comme onsait, ne tue pas la plupart des rats non immunisés, et en examinant comparalivement à certains intervalles l’exsudat péritonéal. On voit alors que la leucocytose s'établit après 15-20 minutes chez l'animal bien immunisé, seulement après 3-4 heures chez le témoin. L'examen à diverses intervalles de l’æœdème des rats immunisés par des injections péritonéales, démontre que, généralement, la leucocytose s'établit dans la cavité péritonéale d'autant plus vite après l'injection des microbes, que l'animal est plus réfractaire. La phagocytose sous-cutanée s'établit si tôt chez les animaux réfractaires, qu'il n’est pas possible de dire s’il existe ou non des substances bactéricides en dehors des cellules ; nous ne trouvons des bactéridies détruites que dans les cellules, et pas de formes dégénérées en dehors, Nous avons donc fait avec les rats réfractaires des expériences beton tale ft cout CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITE. 885 sur le pouvoir bactéricide de la lymphe, en suivant la méthode employée à ce sujet pour les rats immunisés. Ces expériences ont montré que chez les animaux réfractaires; l'ersudal sous-cutané était aussi dépourcu de substances bactéricides que la lymphe des témoins. Le sérum des rats réfractaires est bactéricide au même degré que celui des rats non immunisés : il l’est à la proportion de 20: 1. Nous n'avons donc pas constaté d’accroissement des subs- tances bactéricides dans le sérum à mesure de l'immunisation. Par contre, il existe un accroissement indiscutable des pro- priétés bactéricides de l’exsudat péritonéal des rats vaccinés par injection de cultures dans le péritoine. Nous n'avons pas déterminé le degré relatif du pouvoir bac- téricide hors de l'organisme, parce qu'il est très difficile d'obtenir une quantité suffisante de liquide normal du péritoine. Mais on peut s'en rendre comple par des expériences sur des animaux. Il a été indiqué dans le 2° chapitre que, même chez les rats normaux inoculés par le 2° vaccin, les bactéridies ne sont pas toutes tuées hors de cellules par les substances bactéricides : elles résistent en partie et continuent à se déve- lopper. Si on introduit dans le périloine du rat normal des bactéridies issues d’un animal qui vient de succomber au charbon, on n'observe guère de destruction de ces microbes, Si l’on introduit ces mêmes bactéridies dans le péritoine du rat immunisé, en les puisant dans le sang. d’un cobaye mort de charbon, elles périssent en dehors des cellules tout aussi bien que les bactéridies du 1° vaccin chez le témoin, Nous avons dit que les propriétés bactéricides du sérum des rats immunisés ne s’accroissaient pas et restaient ce qu'elles sont chez les rats non immunisés, Metchnikolf et Roux ont démontré que le sérum bactéricide des rats neufs n'avait aucun pouvoir préventif. Nous avons comparé le pouvoir préventif du sérum des rats immunisés avec celui du sérum des rats non immunisés. Le sérum de ces derniers, injecté sous la peau, 10 heures avant linoculation de la culture, ne modifie nullement le cours de l'infection, et l'animal succombe au charbon en même temps que le témoin, 886 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Par contre, le sérum du rat immunisé, injecté en quantité de 2 c. c. provoquait une leucocytose et une phagocytose au point d'inoculation. Les animaux survivaient 2-4 jours aux témoins. Évidemment la quantité de sérum était insuffisante pour provo- quer une phagocytose, assez efficace pour entraver le progrès de l'infection. Mais ces expériences prouvent que le sérum des animaux à propriétés bactéricides naturelles devient préventif à mesure de l'im- munisalion, sans que ses propriétés bactéricides augmentent. VI ABSENCE DES SUBSTANCES BACTÉRICIDES ET AGGLUTINANTES DANS LE SÉRUM PRÉVENTIF DU CHIEN. —— ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. La conclusion qui vient d'être exposée est complètement confirmée par l'expérience qui nous permet d'obtenir un sérum préventif de chien. Au début de l'expérience, le sérum des chiens que nous vac- cinions, afin d'obtenir du sérum préventif, n'était ni bactéricide, ni préventif. Nous commençämes par leur introduire sous la peau une émulsion de culture du 2° vaccin sur gélose. Après 2 injec- tions faites à un intervalle de 10 jours, nous inoculions une émulsion de culture virulente sur gélose âgée de 24 heures, en quantité d’une 1/2 culture à la fois. Les intervalles entre les injections étaient réglés par la dispa- rition complète au point d’inoculation, non seulement de l’æœdème, mais aussi de toute infiltration. Au début de la vaccination, il faut, pour cela, près de 3 semai- nes ; ensuile l’infiltration disparaît après 10-15 jours. C’est de celle facon que nous avons vacciné un de nos chiens ; un autre fut inoculé les 5 dernières fois par du sang de cobayes (1 c. c.) morts charbonneux. Tandis que les dernières injections d'é- mulsion des cultures sur gélose ne provoquaient pas d'œdème, mais seulement une infillration compacte au point d’inoculation, les injections de sang, provenant d’un passage directsur un autre animal, provoquaient un fort œdème, s'étendant beaucoup au delà du point d’inoculation. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITÉ. 887 Nous avons fait 5 injections pareilles à l’un de nos animaux. Il avait d’abord recu 8 inoculations d’émulsion de culture sur gélose, et ensuite 5 de sang de cobayes charbonneux. Un autre chien fut inoculé 13 fois avec des cultures sur gélose. Le sérum des chiens était à un certain point préventif déjà avant l’inoculation du sang de cobaye. Injecté sous la peau en quantité de 3 ©. c., 24 heures avant l’inoculation du virus, il provoquait une réaction phagocytaire, et les animaux ainsi traités survivaient de 4 à 5 jours aux témoins. Mais, même injecté en quantité de 6-7 c. c., il ne protégeait pas définitivement Les animaux contre le charbon. Après 5 injections de sang charbonneux, le pouvoir préventif du sérum du 1° chiens’accrüt tellement que l'injection de 4 ce. c. de ce sérum, faite 24 heures avant l’inoculation du virus, ren- dait l’animal réfractaire. Après être devenu préventif, le sérum de chien reste aussi peu bactéricide qu'il l'était avant. Donc, l'accumulation des sub- stances bactéricides dans le sérum n'est pas une condition indispensable à l'existence de la propriété préventive. Nous avons fait quelques expériences avec le sérum du chien et du cheval immunisés contrele charbon, afin d’élucider le méca- nisme de l’immunité chez les rats inoculés par ces sérums *. Dans ces expériences, nous avions toujours un témoin de poids plus élevé et un rat possédant une immunité active. En observant, d'heure en heure, ce qui se passe chez les trois rats, on constate que les phénomènes se déroulent sur un même type chez les rats à immunisation active et passive. Au lieu d’ædème au point d'inoculation, on observe une leucocytose, et, après 10-12 heures, une phagocytose complète. En variant les doses de sérum préventif, on peut produire à volonté une affluence plus ou moins grande de phagocytes au point d’inoculation et, en conséquence, ouvrir diverses issues à la maladie; si la quantité de sérum injecté était insuffisante pour préserver définitivement l'animal, on observait néanmoins une phagocytose complète après 24 heures, etles phénomènes se développaient de même que chez les rats ayant une immunité 1. La première portion, obtenue par nous, de sérum de cheval immunisait définitivement les animaux à la dose de 3 c. c:, étant injectée 6-10 heures avant l'inoculation du virus charbonneux, 888 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. active. Mais généralement le second jour, chez les rats immuni- sés activement, on ne trouve plus du tout de bactéridies libres, et même peu de bactéridies englobées dans des cellules de l’exsu- dat purulent; par contre, chez les rats ayant une immunité pas- sive,on observe l'apparition de bactéridies libres,entourées d’une enveloppe (si la quantité de sérum injecté était insuffisante). Les bactéridies libres (si elles apparaissent après avoir été en- glonées par les phagocytes) continuent à se développer de plus en plus, etla quantité de leucocytesdel’exsudatdiminuerelativement. L'animal succombe à une infection généralisée 24-18 heures après l’apparition des bactéridies libres. En d’autres termes, il y a analogie complète avec les phénomènes observés chez les rats ayant une immanisation active et ceux qui n’ont pas reçu d’injections préventives suffisantes dans le péritoine. Admettant la possibilité d’une influence directe du sérum sur les microbes dans l’organisme en cas d’immunité active, nous avons étudié l'influence, sur les bactéridies, de la Iymphe œdématleuse des rats inoculés antérieurement par le sérum. La lymphe du tissu sous-cutané s'est montrée aussi peu bactéri- cide dans l'immunité passive, que la lymphe des animaux immunisès activement. Nous injections à des rats et à des cobayes neufs une goulte d’exsudat provenant de rats qui avaient été bien immunisés (par une dose de 5-6 c.c. de sérum) et présentaient une phagocy- tose complète après 24 heures. Les animaux succombaient au charbon tout aussi bien que leurs témoins, inoculés par l’exsudat des rats charbonneux non immunisés. Les deux exsudats, il est à peine besoin de le dire, ne contenaient pas de spores. Parallèlement au rat immunisé passivement, nous en inocu lions un autre par une plus petite quantité de microbes, qui avaient été exposés à l’étuve pendant une heure à l’influence du sérum préventif du chien. Les rats, inoculés par ce mélange de bactéridies et de sérum préventif, présentaient les mêmes phé- nomènes morbides et succombaient au charbon tout aussi bien que les témoins, inoculés par une culture ordinaire. Seul le rat immunisé par le sérum résistait. Les expériences faites in vitro avec le sérum préventif de chien démontrèrentl’absencenon seulementdessubstancesbactéricides, tes dé mme. “5 CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITÉ. 889 mais aussi des substances agglutinantes dans ce sérum. Si l’on mélange du sérum rormal d’un chien non immunisé avec un volume égal d’émulsion d’une culture de charbon sur gélose, on observe un phénomène analogue à l’agglutination; après quelques minutes d'exposition à l’étuve, en secouant le tube à essai, on voit les filaments se former en amas. Mais, après 2-3 heures, tout le mélange redevient trouble dès qu’on l’agite. De mème /e sérum préventif du chien vacciné ne produit pas l'ag- glutination des bactéridies. Le sérum préventif du cheval produit une agglutination de la culture charbonneuse in vitro; il est aussi bactéricide, comme nous l’avons indiqué. Mais le sérum du cheval non vacciné pro- duit aussi une agglutination. Ces expériences prouvent que le sérum préventif qui provoque une phagocytose, défendant l'organisme contre l'infection, ne doit pas nécessairement contenir des substances agissant direc- tement sur les microbes, soit dans l'organisme, soit #n vitro. Des expériences furent faites avec le sérum d’un chien immu- nisé, sérum qui fut employé le lendemain de la 5° inoculation de sang charbonneux, quand le chien avait encore un fort œdème. En inoculant ce sérum à des animaux, nous obtenions un œdème très appréciable au point d'inoculation. Par contre, le sérum du même chien ne provoquait aucun œdème 20 jours plus tard. La puissance préventive du premier sérum était donc plus faible que celle du second. Nous avons obtenu d’un cheval, une semaine après lui avoir fait la dernière inoculation du charbon, du sérum qui provoquait un œdème au point d'inoculation; son pouvoir préventif était presque nul. Quatre semaines après l’inoculation, ce même cheval fournis- sait un sérum qui ne provoquait plus d’œdème, mais qui était considérablement préventif. Ces expériences permettent de supposer qu'il existe dans l'or- ganisme de animal charbonneur une to.rine, et que c’est elle qui provoque un œdème au point d'inoculation, semblable à lædème des animaux caccinés contre le charbon. En chauffant ce sérum pendant un quart d'heure à 65°, on détruit sa propriété de provoquer un œdème ainsi que sa pro- priélé préventive. Ainsi, en injectant à un rat 5 c. c. de sérum chauffé à 65°, et à un autrela même quantité du mème sérum, mais 890 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. non chaufté, et en inoculant 12 heures après ces deux animaux et un témoin par le charbon, nous obtenions les résultats suivants : le rat inoculé par le sérum non chauffé présentait une phagocy- tose et il guérissait, tandis que les deux autres avaient des œædèmes, pas de phagocytose, et succombaient au charbon. Nous avons dit plus haut que le sérum préventif, obtenu d’un animal qui avait été inoculé pour la dernière fois 2 semaines avant, ne provoquait pas d'œdème, étant injecté à d’autres ani- maux. Évidemment, la substance toxique disparaît peu à peu de l'organisme, ainsi que c’est le cas pour les toxines diphtérique et tétanique dans l'organisme qui leur devient réfractaire. D'un autre côté, l'étude de certaines particularités des phéno- mènes morbides chez les animaux passivement immunisés et inoculés par le charbon, permettent de supposer qu’à mesure de la disparition de la toxine charbonneuse dans l'organisme, 1l s’y produit une accumulation de substances antitoxiques. Nous avons vu qu'un rat, immunisé par une quantité suffi- sante (3-4 c. c.) de sérum préventif, et 12 heures après inoculé du charbon, guérissait en présentant une phagocytose et pas du tout d'œdème au point d’inoculation. On peut expliquer l'absence d’œdème, dans ce cas, en admettant que les bactéridies englobées ne peuvent sécréter leurs toxines hors des cellules. Mais si la quantité de sérum préventif n’avait pas été sufli- sante, les bactéridies continuaient à se développer, malgré la phagocytose passagère, et l'animal finissait par succomber à l’in- fection généralisée, comme nous l’avons décrit plus haut. C’est précisément sur ces animaux, ayant reçu une immuni- sation passive insuffisante et succombant au charbon, que nous avons observé néanmoins une différence très marquée avec des témoins. Chez le rat neuf inoculé du charbon, on observe un ædème énorme, qui s’étale sur le dos et le ventre, bien au-delà du point d'inoculation. Par contre, chez les rats passivement immunisés, mème chez ceux qui présentent un développement extra-cellulaire de bactéridieslibres et qui finissent par succomber, l’æœdème est toujours insignifiant, parfois à peine sensible. Il y a une telle quantité de bactéridies dans cet œdème, que la goutte d’exsudat qu’on y puise est toujours tout à fait trouble, tandis que l’exsudat du témoin est complètement transparent, car il ne contient relativement que peu de microbes. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE PROCENNEN LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA Par M. H. VINCENT Médecin-major de deuxième classe, professeur agrégé au Val-de-Grâce. Tous les observateurs qui ont eu l’occasion d'étudier les modifications histologiques du sang dans le cours de la malaria ont constaté la présence des leucocytes mélanifères : à la suite de la découverte de l’hématozoaire du paludisme, on a pu, natu- rellement, regarder comme un résidu de la digestion du parasite les granulations pigmentaires contenues dans les globules blancs. L'inclusion intra-cellulaire des plasmodies a été, du reste, obser- vée par divers savants (Laveran, Golgi, Bastianelli, Marchiafava et Celli, etc.). Mais les rapports qu’affecte ce phénomène avec les diverses phases des accès palustres n’ont pas encore élé entière- ment déterminés. Le nombre et la nature des éléments leucocytaires offrent, en effet, dans le cours des fièvres paludéennes, des variations importantes. Les modifications quantitatives de ces cellules ont été étudiées, pour la première fois, par M. Kelsch‘. En prati- quant la numération comparée des cellules blanches et des hématies, M. Kelsch a signalé que, une à plusieurs heures, en moyenne, après le début de la fièvre, la proportion relative des leucocytes diminue considérablement. C'est ainsi que, dans un cas de fièvre tierce, une demi-heure après le frisson, qui durait encore, la proportion comparée des globules blancs aux globules rouges était de — ; une heure après elle était descendue à =. Dans un cas de fièvre irrégulière, 40 minutes après le début de l'accès, il y avait 1 globule. blanc pour 872 rouges; 4. A. Kezsca, Nouv. contrib. à l’anat. pathol. des maladies paludéennes endé- miques. Arch. de Physiologie norm. et pathol., 1876, IT, p. #90. 892 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 30 minutes après, 1 pour 904. Le chiffre des globules blanes se réduit donc, en quelques heures, de la moitié ou du tiers de ce qu'il était antérieurement, et il ne se relève que dans les jours qui suivent. Ces travaux ont été confirmés par Dionisi ‘, qui a vu le chiffre des globules blancs descendre même, dans certains cas, à 1 1 1 . Enfin, dans un mémoire important, Bastianelli? a étudié la morphologie des diverses formes de leucocytes que l’on observe dans les accès paludéens irréguliers ou graves. 11 y a augmen- tation des cellules uninucléées et diminution des éléments multi nucléés. L'administration de la quinine provoque une augmen- tation des phagocytes, parallèlement à une diminution des parasites du sang. La fonction phagocytaire appartient prinei- palement, dans le paludisme, d’après Metchnikoft®, aux macro- phages da foie et de la rate, qui peuvent englober des quantités surprenantes d’hématozoaires. J'ai moi-même eu l’occasion d'observer, à Alger, un grand nombre de malades atteints d’impaludisme. L'examen du sang, à diverses périodes de l'accès dans les fièvres régulières, a révélé des variations intéressantes dans le nombre et la nature des leucocytes. Sur ce point, les recherches ont porté plus spéciale- ment sur 12 cas de fièvre intermittente régulière : 8'de fièvre quotidienne, 2 de fièvre quarte, 2 de fièvre tierce. Dans ces divers cas, les examens et les numérations ont été faits sur du sang recueilli à intervalles rapprochés (toutes les 8 à 10 minutes, en moyenne) : {1° peu avant le début de l’accès ; 2 au début et pendant le stade de frisson ; 3° dans la période de chaleur; 4° le lendemain de l'accès. Pour faciliter cés numéra- lions fréquentes et, par là même, assez laborieuses, il a été procédé comme il suit : on préparait de petits tubes de verre fermés avec des bouchons paraffinés, et dans lesquels on versait d'avance 100 gouttes de sérum artificiel d'Hayem. Les pipettes correspondantes, ayant servi à jauger ces gouttes, étaient ensuite utilisées pour la prise du sang. Chaque goutte de sang, recueillie 1. Dronisr, Le variaz. numer. dei glob. bianchi in rapp. coi parassiti d. malaria. Lo Sperimentale, 1891, p. 284. 2, BasrIANELLI, Î leucociti nell’ infez. malar., À. Accad. med. di Roma, V. 1892, 3. Mercaxixorr, Ann. de l'Institut Pasteur, 1887, p. 328. DU PROCESSUS LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA. 893 par piqûre du lobule de l’oreille, aux diverses phases de l'accès de fièvre intermittente, était versée dans un godet et mélangée aussitôt au sérum. La numération comparée des globules blancs et des globules rouges était faite ultérieurement à l’aide du compte globules de Malassez. L'examen du sang, à l’état frais, a toujours été pratiqué concurremment, sans dilution préalable. Voici les résultats fournis par ces examens : OBSERVATION n° 1. — Man..., 21 ans, entré le 9 octobre 1894 à l'hôpital du Dey. Fièvre intermittente quotidienne, 3e récidive. Anémie profonde. Rate hypertrophiée. Les accès apparaissent châque jour vers 11 heures du matin. Le sang est examiné le 11 octobre. RarroRts DES GLOB. 1RK _ GLOBULES GLOBULES : ge HEURE. 1: ROC. D LARGE BLANCS AUX GLOBULES ROUGES, 1 AO PEM AIDE MN rer ante 370. 2.909.000... 3800.72. _— L ie 869 10h35 Le à DS PO EE LES 310.. ) 5 KLOOET CE 10h55 Re ee me eu DU UT0ËS. » : SAUJ0 11b (malaise)... 3799 ) 650... 11805 (horripilations). , 2803.. » LE 230 ENT. 11h09 (violent frisson)... 3904. . » de 1 960 Eee 1 AAA RAR CR 3904 D 10-6002 FE 213 LE 1 1135 (frisson a cessé) 3903 )) 3.100,..... Gi s 104 Au ou 903 » MATOS ER 1 DROLE nr. date osier 802 ,e » 2.900. = L 968 1 ADDGÉ RTR EMA LIT ies 7.0 ec rene 3608 » 6 3.400... [l y a donc eu, dans ce cas, une augmentation subite et tout à fait éphémère des leucocytes qui, de 4,960 au début du premier frisson, ont passé, en quelques minutes, au chiffre de 10,600. Ce n'est pas au début même de l'accès, mais seulement 6 minutes après, que le nombre des leucocytes semble, dans ce cas, avoir atteint son maximum. S'il eût été possible de multiplier davantage les examens, peut-être la leucocytose se serait-elle manifestée un peu plus tôt. Remarquons également combien la multiplication leucocytaire a été brève puisque, 20 minutes après, le nombre des globules blancs était redescendu à son chiffre primitif et même au-dessous de lui. C'est à la fin de l'accès que ce chiffre a atteint son minimum (2,900), de même que c’est au commencement de l'accès qu'il était à son maximum. L'examen du sang de Man..…., à l'état frais, a montré de nombreuses amibes libres, abondantes surtout à la période de grand frisson. On pouvait en compter 2 et même 3 dans certains champs du microscope. Quelques hémocytes petits, non pigmentés. Observation n° 2. — Elle concerne un nommé Pel.…., âgé de 22 ans, qui 894 ANNALES DE L’INSTIFEIUT PASTEUR. contracta pour la première fois la fièvre intermittente au printemps de 1894, et entra à l'hôpital du Dey au mois d'octobre de la même année. C'était un sujet assez vigoureux, quoique un peu anémié, ayant, depuis près d’un mois, des accès quotidiens qui débutaient vers 5 heures de l’après-midi. Sang examiné le 17 octobre. RAPPORTS DES GLOB, : S GLOBULES GLOBULES ds HEURE. T. ROUGES. BLANCS. BLANCERSUS GLOBULES ROUGES. h i 3609 .000.000 à. 800 : 4 SOIT ss en AS 3009... 4,000. : DJAOUUE Er . 689 ED OS APE RER ee 3699.. » ».620 PTE AE ER ES 37° » ».160 : RAD DRE CARE LACS 370 » VSD OZ stèle Q A < , ” 1 4h54 (céphalée et friss. léger) 380 .. » Se #70... == S09 ; : ; a 1 5h (frisson continue)... 39e . » $ D 200 2 — 769 5h 5 id. Ts 3904. » ds 6800622 Se 583 , . Le] A , eu 1 5h12 ifrisson cesse) .... 3904.. » 7e ESVAEERES = — 921 5h28 3.870 CDD Sn M Eee an » » MONDE AR - ; 1034 =. ! 6h » » OO AE = 1378 à Aehe c A , G 1 IS OC CAOEMAAR PRE EE 3606.. 3.828 000.. PET) Te bros 926 Comme dans le cas n° 1, la leucocytose a été très fugace, elle a été cependant moins marquée, puisque le chiffre des globules blanes a monté de 4,970 (chiffre minimum avant l'accès) à 6,860 seulement. Nous ferons ressortir la diminution considérable des leucocytes dans le sang, pendant le stade de chaleur. Elle vient encore à l’appui des recherches de M. Kelsch, Le sang de ce inalade renfermait un petit nombre de formes amiboïdes libres; ce malade avait été traité, à plusieurs reprises, par la qui- nine, avant d'entrer à l'hôpital. Observation n° 3. — Voici un autre cas de fièvre intermittente quoti- dienne, non traitée. Le malade, Level..., âgé de 20 ans, entra au Dey le 22 octobre 1894. Sujet maigre, de constitution un peu au-dessous de la moyenne; rate hypertrophiée, un peu douloureuse. Les accès apparaissaient régulièrement vers 10 heures du matin. RAPPORT DES GLOB. Soc = ;LOBULE ; LOBULES HEURE. T. à ae Ë : Es “ BLANCS XUX SÈSES: HSE GLOBULES ROUGES. : ne RAS “ 1 Gh3OMANN ES CET TEL 92609 .. 3.760.000... JAOOU ES — 988 GLLO MERE 701 » 3,090 ee. 9h52 PR NO Eee D » » ch DAMON me , Ë - Se Il 10hOS (violent frisson)... 3907... » Lu 10,800... au ER ne A 1 LONG RE 1909 » OO. — 668 DU PROCESSUS LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA. 895 £ à ! 10h35 (frisson a cessé)... 100 ., » be D AO Ee DE 1 A eee ne » » e 2 A0 —, 1324 . < £. : I jh SOIT (SUCUrS).......... 3802 » Ac 2000: -,-.. =, 1634 = L FR ; | TOUR TS MANS 2 2-0... 3607 » 2e L820 ru — Ë 7S0 Résumons plus brièvement les résultats donnés par l'examen du sang dans les autres cas de fièvre quotidienne. PROPORTION DES GLOBULES BLANCS AUX GLOBULES ROUGES : — Fa 1 HEURE A 30/ 3 Au DéBuT STADE y A 98 JRES OBSERVATION. CECNRESS EU A | D TADE, 18 À 28 HEURES AVANT L' ACCES, DU FRISSON. DE CHALEUR, APRES. No 4 : Buss., 21 ans, I 1 I 1 1 17 septembre 1891. G4C ET 876 S0 No 5 : Gouj., 20 ane, l 10 l 9 juin 1894. 660 6S0 1240 ; No 6 : Lal., 22 anus, 1 [ 1 1 S octobre 1894 150 ) 1662 1140 No 7 : Rainb., ; l l l l 13 octobre 1894. 620 136 710 1640 No 8 : Rec., 22 ans, I 4 2 » — » — 27 août 1894. Lis S60 Il résulte donc des observations ci-dessus, que d’une manière générale, le chiffre des leucocytes subit, dans l'accès de fièvre régulière, des oscillations remarquables. Il s’élève brusquement, pendant quelques minutes, au début même de l'accès et pendant la période de frisson. Il s’abaisse ensuite, à un degré parfois considérable, soit pendant la période de chaleur ou à la fin de l'accès, soit le lendemain. Lorsque la quinine a été donnée préventivement, le nombre des globules blancs se relève (cas n°% 4 et 8 en particulier) et cette constatation vient confirmer celle qu'avait faite Bastianelli *. Il importe de faire remarquer, cependant, que le dénom- brement des leucocytes ne révèle, dans quelques cas, qu'une augmentation minime de ces éléments cellulaires. Dans le cas n° 5, même, non seulement leur chiffre n’a pas augmenté, mais il parait avoir légèrement diminué pendant la période 9, OQuinine pris préventivement contre l’accès suivant ne pris P 1. Quinine dans la nuit. 9. L0C. CT. ù © 896 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR habituelle de leucocytose, c’est-à-dire au début mème de la fièvre. Peut-être la crise leucocytaire a-t-elle été trop fugace et aura-t-elle échappé à des examens nécessairement un peu espacés ? Cette leucocytose, qui paraît si fréquente au début de l'accès de fièvre, a été observée et signalée par M. Kelsch chez certains malades. (Dans quelques cas où il m'a été possible de faire la numération dès le début de l'accès, il m'a semblé qu'il y avait, à ce moment, une augmentation légère, mais instantanée des leucocytes !». C'est, peut-être, dans les fièvres régulières à accès plus éloignés, telles que la fièvre tierce et la quarte, que ce phéno- mène de leucocytose initiale a été le plus remarquable. Observation n° 9. — X.., détenu aux ateliers de travaux publics, juin 1894. Paludisme ancien; fièvre Lierce, 3e accès. Début des accès vers 9 heures du matin. T — 400,6 en moyenne. A 8 h. 45, le malade éprouve un certain malaise et sent que son accès approche. La numération comparée des globules blancs et des globules 3 = A D a 1 rouges donne, à ce moment, le rapport —. A 9 heures, la proportion est de _. : Le frisson initial apparaît à 9 h. 10. Le sang, prélevé exactement au premier frisson, donne le rapport EE A ce moment, T — 400, 6. Il y a donc eu, dans ce cas, une augmentation subite et considérable des leucocytes, mais elle dure peu. c 1} A 9h. 25, les globules blancs sont aux globules rouges comme —. 140 À 9 à. 45, le rapport n'est plus que de DE ; Le sang renfermait quelques amibes libres, petites, et de nombreux corps en rosace à 9 segments. Observation n° 10. — Troc…., A ans, salle 4, lit 25. Sang examiné le 23 août 1895. 1) minutes avant l'accès, le rapport......,...... MR RO De re ne Chminutes avant Ares ee Ne ie » = H]  DE = - 1 Débutrdetaifeyre ((N==1400 70) ne re eo » == 30kminutestaprésile AépUute MA ANTENNES NT » 17 "heures aprés Re Rec me E Uer UCE EEE » 1. À. Kezscu, loc, cil., p. 514. DU PROCESSUS LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA. 897 Deux cas de fièvre quarte ont élé étudiés au même point de vue. Dans ces deux cas, principalement dans l’un d’eux, le sang a présenté une leucocytose manifeste dès le début de l’accès. G. B j AANOURS IA YAME ACCES NC Less l cn nee ris > = — GARE 030 RUES FRS 1 36 minutes avant l'accès... ......,..., . n 5 042 ns On ina RES 00 0 eue. se 00 » an oJ2 NS ; — 1 POÉOITUÉENIADEBSICEIUI= Cl eee à à ee, 8 ee ee » se 690 2 . 1 LRROUTORTDINAPIER ES e cose-meteldee se eee te des » _— 1130 PORN IADLÉS Rene seen COR: En résumé, dans la fièvre quotidienne régulière, dans la fièvre tierce et dans la fièvre quarte, les examens fréquents du sang permettent de constater le plus souvent, au début mème de l'accès, une leucocytose parfois considérable. Celle-ci s’évanouit rapidement et peut même, tant elle est brève, passer inaperçue. Elle fait place alors à une hypoleucocytose telle que le chiffre des globules blancs peut devenir, dans certains cas, deux ou trois fois moins élevé qu'avant l'accès, el s’abaisser encore le lendemain si le malade n’a pas pris de quinine. Fa multiplication initiale des leucocytes et leur diminution ultérieure sont si caractéristiques qu'il est parfois possible, au simple examen d’une préparation de sang, de déterminer la période à laquelle le sang a été prélevé. Cette leucocytose n'est point un phénomène spécial à la malaria. On sait qu’elle se retrouve dans d’autres maladies infectieuses, la pneumonie par exemple, dans laquelle la courbe leucocytaire suit parallèlement la courbe thermique et s'abaisse au moment de la défervescence (Hayem et Gilbert). Elle existe encore dans le phlegmon, etc. Dans la fièvre intermittente régulière, l'invasion du sang par l'hématozoaire et la multipli- cation des leucocytes semblent donc évoluer pari passu. De même que l'offense, localisée en un point de l'organisme par l'évolution d’un foyer microbien, provoque en ce point l'afflux de leucocytes appelés à combattre lagent parasitaire, ainsi D7 898 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. l'apparition, en proportion anormale, de l’hématozoaire dans le sang éveille au moment de l’accès une sorte d’explosion leuco- cylaire ayant le même objet. Ainsi s'explique l'abondance mo- mentanée des cellules blanches issues de la rate, des ganglions lymphatiques, etc., et déversées subitement dans le torrent cir- culatoire. La constatation de la nature de ces formes leucocy- taires n’est pas indifférente à étudier. Ainsi que nous allons le voir, en effet, ce sont surtout les cellules mononucléaires qui remplissent, dans la malaria, la principale fonction phagocy- taire. + IL Si on compare, au point de vue de la nature des leucocytes, le sang d’un sujet normal et celui d’un paludéen, on constate des différences assez notables. Bastianelli a déjà insisté sur la multiplication des cellules uninucléées et la diminution des leu- cocytes polynucléés dans le sang d’un malade atteint de fièvre pernicieuse comateuse. D’après Ebrlich, Eichhorn, Hayem, les leucocytes à noyau palmé fortement chromophile existent dans le sang normal dans la proportion de 20 à 25 p. 100; les lymphocytes et les cellules éosinophiles, de 5 p.100. Que deviennent ces mêmes éléments dans l’accès de fièvre intermittente ? Au début de l'accès et au moment où se produit la erise leu- cocytaire précédemment signalée, il y a une augmentation notable du chiffre des lymphocytes et, à un degré moindre, de celui des cellules éosinophiles et des grandes cellules uninucléaires (macro- hages). Un peu plus tard, 15 à 60 minutes après, en moyenne O ° Os les lymphocytes demeurent encore beaucoup plus nombreux que normalement; les cellules éosinophiles sont descendues à la normale et les grandes cellules uninucléaires sont devenues très rares. Ce dernier phénomène est vraisemblablement en rapportavec les fonctions phagocytaires spéciales de ces cellules, dans la malaria. Car ce sont principalement ces cellules que l'on rencontre, au début de l'accès, contenant des amibes ou truffées de pigment mélanique. Les glandes lymphatiques, le foie et la rate les arrêtent alors au passage et en débarrassent le sang. Quant aux cellules multinucléaires, leur nombre parait varier faiblement dans d'accès palustre, bien qu'il diminue un di ne DU PROCESSUS LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA. 899 peu. Nous rappellerons que ces cellules ne jouent qu'un rôle phagocytaire restreint dans l’impaludisme (Metchnikoff). Il résulte de là que l'accroissement momentané du chiffre des glo- bules blancs, que nous avons signalé dans le stade de frisson, parait être la conséquence de l’afflux inusité des jeunes cellules ou lymphocytes émigrés de la rate et des ganglions lymphati- ques. La multiplication non douteuse des cellules éosinophiles révèle un travail analogue dans la moelle osseuse, et celle des grands macrophages, dans la rate et le foie. Observation n° 12. — Fièvre intermittente quotidienne. Sang recueilli à minutes après le frisson initial. Proportion normale i | d’après Jolly 1, Cellules polynucléaires......... 56 — 54,90 p. 100 60 p. 100 ByYMmpROCYÉES. «EU AU IN, 7 DA 2120000 290 — Grandes et moy. cell. uninue]l... 14 — 13,72 » — 36,3 » — Cellules éosinophiles ........ da 10 — 9,80 » — LED Observation n° 13. — Fièvre intermittente quotidienne, 3e accès. Sang recueilli au début du frisson et une heure après celui-ci. DÉBUT DE L'ACCÈS 1 HEURE APRÈS (T = 400,4) (T — 400,2) URL Em LE NT Cellules multinucléaires......... 30 — 46.1 p. 100 48: — 545 p.400 Enmaphocytes 2 rte Ke ote,, 9 —1393— DER UE DES Grandes et moy. cell. mononucl, 8 — 12,3 — A M2 Cellules éosinophiles ........... 6— 9,2 — RESTE Per Enfin, dans les fièvres régulières à accès espacés, telles que la quarte, les lymphocytes subissent une augmentation aussi anormale. C’est ce que l’on pourra constater encore dans le cas suivant. Observation n° 14, — Fièvre quarte ancienne, traitée à intervalles régu- liers par la quinine. Le sang renferme de nombreux corps segmentés et quelques amibes petites, à pigment collecté au centre du parasite. Très peu d'hémocytes. Sang prélevé au début de l'accès (399,8) : SE = = Cellules multinucléaires................. 37 = 49,33 p. 100 Prupautalesss Semen Re To die 26 — 34,66 » — Grandes et moy. cell. uninuel .....,..... 9,12 » — Cellules éosinophiles .................:. D » — Dans ce cas, les cellules éosinophiles n'avaient subi qu’une augmentation très faible. 1. Jouzy, Soc. de biol. 23 oct., 1897. 900 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. IX Contrairement à ce qu'on observe dans les infections bacté- riennes, où la fonction phagocytaire appartient principalement aux leucocytes polynucléaires, l’englobement de l'hématozoaire de Laveran appartient presque exclusivement aux cellules à noyau unique (micro et macrophages). Bien que le fait soit rare, et qu'il ait été même nié par M. Metchnikoff', les petits lymphocytes ont aussi la propriété d’absorber le parasite de la malaria (fig. 1, d). Par contre, les cellules éosinophiles parais- sent incapables de remplir les fonctions phagocytaires. Dans la malaria, la pha- gocytose se traduit par la présence, dans les cellules mononucléées, de un ou plu- sieurs grains de pigment fré- quemment entourés d’une auréole claire, et quisont les résidus de la digestion du parasite (fig. 1). Malgré le Fi. 1. — Leucocyles mélanifères et inclusions volume relativement grand parasitaires : 4) Leucocyte ayant englobé cinq héma. des amibes, une même cellule tozoaires dont il ne reste que le pigment entouré . peut en absorber plusieurs d'une auréole claire. Le noyau de la cellule est détruit, sa chromatine s’est diffusée dans le protoplasme “1 e cellulaire; b) Macrophage de la rate ayant englobé (Metchnikoff). On peut quel un croissant; c) Macrophage amibifère; d ete) Mi- quefois en constater jusqu'à crocyte et cellule polynucléaires ayant exception- de À nellement englobé un parasite. 4 ou > dans un même leuco- cyte (fig.1 a). Le protoplasma du parasite est digéré, et son pigment condensé en un bloc sou- vent unique. De toutes les formes que peut présenter l’hématozoaire, c’est la forme amiboïde, libre ou intraglobulaire, qui est la plus acces- sible aux phagocytes. On rencontre plus rarement des corps segmentés dans l’intérieur des globules blancs. Je n’ai jamais observé, dans le sang, de formes en croissant contenues dans un leucocyte. Dans certains cas d'accès perni- cieux, où la pulpe splénique étaitriche en corps en croissant, ces derniers étaient toujours libres. Une fois seulement, l'inclusion d’un corps en croissant a été constatée dans un macrophage de 1. Mercuxiorr, Leg. sur l’Inflammation. p. 136, Paris, 1891. pv Énex y DU PROCESSUS LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA. 901 la rate (fig. 1, b.). Cette forme de parasite semble donc n’exercer aucune influence attractive sur les leucocytes, et cette particu- larité, jointe à la grande résistance des corps falciformes, explique sans doute la ténacité defièvres anciennes où les Lave- rania existent en tout temps dans le sang et dans la rate, sans même provoquer de rupture de l'équilibre thermique. Les cellules phagocytaires de l'hématozoaire ont surtout leur origine dans le foie et la rate. Il en résulte que, lorsque le foyer principal de formation de ces cellules, la rate, se trouve arrêté dans son fonctionnement, on peut voir subitement surve- nir un accès pernicieux que rien ne semblait faire présager. Tel est le cas qui s’est présenté chez l’un de nos malades, et qui offre, à cet égard, un certain intérêt. Ce malade, nommé Nouz..., avait été rapatrié de Madagascar, le 21 août 1895, pour anémie palus- tre. Le sang examiné montrait de très rares amibes et une leuco- cytose assez abondante. Il survint, au bout de quelques jours, une infection colibacillaire dont le sujet finitcependant par guérir. La fièvre avait complètement disparu, l'appétit était revenu, lorsque la guérison fut brusquement interrompue par un accès pernicieux qui emporta le malade en deux heures. A l’autopsie, on trouva, dans la rate, un abcès enkysté qui avait détruit la presque tota- lité du viscère et n’en avait respecté qu'une portion infime, for- tement mélanique, à peine 8 ou 10 grammes. L'examen micros. copique du parenchyme resté sain, montra une quantité prodi- gieuse d'hématozoaires (formesamibiennes elcorpsen croissant); on en comptait plus de 30 par champ du microscope. L’abcès ne contenait que le colibacille. IV L’englobement de l’hématozoaire par les cellules lympha- tiques soulève encore une question. On ne sait point encore, en effet, d’une manière certaine, si l'absorption des plasmodies a lieu après la mort ou l’atténuation de ces parasites, ou bien si les leucocytes ont la propriété de les englober à l’état vivant. M. Laveran a vu, à l'examen direct du sang, des leucocytes qui, accolés à des éléments parasitaires, étaient en train de les absor- ber :. Golgi admet que les leucocytes peuvent englober les héma- tozoaires vivants, en se fondant sur ce que les cellules renferment 1. A. Laverax, Du palud, et de son hématozoaire: Paris, 1891., p. 180. 902 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. parfois des plasmodies arrivées à un complet état de développe- ment ou même sur le point d'effectuer leur segmentation. Mais Golgi paraît se rendre compte du peu de valeur de ses argu- ments, car il ajoute « qu’une telle controverse téléologique ne peutavoir, dans la malaria, aucune solution possible » *. Cette solution peut cependant être fournie. La mobilité de l’hématozoaire, sous sa forme amibienne, et les mouvements extrèmement rapides que présentent, parfois aussi, les granula- tions pigmentaires dans l'intérieur de l’amibe, sont, en effet, des phénomènes caractéristiques de la vie de ces parasites. C’est pourquoi j'ai recherché, en multipliant les examens du sang à l’état frais, si cette double mobilité ne pouvait pas être obser- vée dans les amibes intraleucocytaires. Or, cette constatation a pu être faite, d’une première manière, dans le sang de 3 malades. Il a été rencontré, dans ces 3 cas, une amibe intacte, à contours très nets, et dans laquelle les grains pigmentaires s’agilaient avec une très grande vivacité : le parasite avait été, sans nul doute, récemment englouti (fig. 2). Une des prépa- Pos ai -; ASE. rations montrait, e il ae j:S dans le même champ î sf! Een e b 2 D du microscope, une Fic. 2. — Fièvre intermiltente quarte, tierce et quotidienne ; amibe intraleucocy- trois cellules contenant des amibes vivantes, dont le pigment était taire. à rains de très mobile. ? 8 pigment très mo- biles, et une autre amibe libre, à pigment immobile. Une goutte- lette de bleu de méthylène fut déposée sur le bord de la lamelle; lorsque la matière colorante atteignit l’amibe, on vit apparaître presque aussitôt, sous le microscope, des mouve- ments rapides de son pigment, identiques à ceux de l’amibe intracellulaire voisine. Au bout d’une minute, le leucocyte se laissa pénétrer à son tour par le bleu de méthylène et son noyau devint bleu. Mais la mobilité du pigment de l’une et de l’autre amibe persisla encore, quoique en s’affaiblissant de plus en plus, pendant près de 3 minutes. Puis les parasites se laissèrent colo- rer. Îl n'est peut-être pas invraisemblable d'admettre que les mouvements du pigment, brassé dans le corps du parasite, traduisent un état de souffrance de celui-ci, comme peuvent en 1. Gozer, Loc. cit, et Gaszzeta dei Ospedali, n° 53, 1886. QE. ps seins DU PROCESSUS LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA. 903 causer, artificiellement ou non, la dessiccation, la lumière, l’action digestive des phagocytes, le bleu de méthylène, etc. Dans des circonstances un peu plus spéciales où j'ai tenté de cultiver l'hématozoaire du paludisme, j'ai pu constater une nouvelle preuve de l’englobement du parasite à l’état vivant. Des essais de culture de l’hématozoaire dans le sang même du malade furent faits de la manière suivante. Le sang, retiré asepliquement, élait déposé en couche mince entre une lame et une lamelle stérilisées. Les préparations, lutées à la paraffine, étaient conservées dans une chambre humide, soit à l’étuve à 320, soit à la température du laboratoire. Dans les cas les plus ordinaires, ces préparations, examinées après quelques heures, ne montrent que des leucocytes allérés, granuleux, ou bien renfermant des vacuoles inégales, translucides et arrondies, de teinte légèrement rosée. Les grains pigmentaires des cellules mélanifères, la vacuole qui les entoure, ne sont nullement modifiés. Or, dans un cas de fièvre intermittente quarte ancienne, les préparations, examinées 8 heures après, montraient plusieurs formes amiboiïdes intraleucocytaires dans lesquelles les granula- tions pigmentaires étaient mobiles (fig. 3). Ces mouvements Fic. 3, — Fièvre intermittente quarte ancienne. Préparation de sang conservé à la chambre humide et examiné huit heures après. Trois leucocytes morts renfermant des amibes vivantes, et dont le pigment était mobile. Il ne S’agissait pas de mouve- ment brownien: ceux-ci sont très rapides et ne se produisent que sur des granulations ou des éléments dont les dimensions ne dépassent pas 2 à 4 y, en moyenne. avaient disparu au bout de 11 heures. Il était donc incontestable que les amibes avaient été englobées à l’état vivant. Il est digne de remarque que la préparation, avant sa mise à l'étuve, avait été soigneusement explorée et il n'avait pas été constaté, à ce moment, de parasites intraleucocytaires. Ceux-ci étaient-ils passés inaperçus? Ou bien, s’agissait-il d’amibes qui s'étaient 904 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. développées et agrandies dans le leucocyte lui-même, dans le sang conservé à l’étuve ? S'il ne nous était pas permis de conclure dans le cas qui précède, il n’en a pas été de même à propos des deux cas qui suivent, l’un de fièvre tierce, l’autre de fièvre quarte, dans lesquels il y a eu certainement croissance et développement des amibes dans les giobules blancs. Dans le cas de fièvre intermittente tierce, ancienne, le sang avait élé recueilli au premier frisson ; la température du malade était à ce moment, très élevée : 419,5. Les préparations, faites et 9}30 à Fic. 4 — Fièvre intermittente tierce, ancienne. Essai de culture de l’héma- tozoaire. Préparation de sang conservé dans la chambre humide. Sang examiné vingt-deux heures après la prise. Amibe pigmentée se déplaçant dans un leu- cocyte mort et refoulant par ses mouvements un amas de pigment, résidu d’une autre amibe digérée par le leucocyte. conservées comme il est dit ci-dessus, avaient été minutieuse- ment examinées aussitôt après la prise du sang et n’avaient rien montré d'anormal. Elles renfermaient seulement des corps en rosace assez nombreux,et des amibes petites, libres. Pas de parasite intraleucocytaire, mais seulement quelques leucocytes mélanifères. Ces préparations furent examinées 22 heures après. Or, chose remarquable, un certain nombre de leucocytes qui, au moment de la prise du sang, ne renfermaient que quelques grains de pigment, mais aucun hématozoaire apparent, aucun corps suspect, présentaient, après 22 heures, dans leur intérieur, des cellules sphériques, ovoïdes ou irrégulières, munies de prolon- gements: leurs contours étaient très nets. Leur protoplasme DU PROCESSUS LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA. 905 hyalin tranchait sur le résidu granuleux du leucocyte. Au centre de ces éléments amiboïdes, on voyait un foyer pigmenté disposé parfois en cercle, comme s'il limitait la périphérie d'un noyau (fig. # et 5). Il ne pouvait s'agir ici d’une dégénérescence artificielle du leucocyte, telle que celle dont on vient de parler ci-dessus, car ces formes curieuses différaient entièrement des vacuoles trans- lucides, de volume très inégal, de teinte rose clair, brillantes, dépourvues de pigment, qu'on observe dans les leucocytes morts ou en voie de dessiccation. La meilleure preuve que cette opinion ne pouvait être admise, c’est que ces éléments étaient animés de mouvements amiboïdes. On les voyait, en effet, sous le microscope, se défor- mer, s’allonger en boyau, circuler len- ui a0Ÿ 14 RCE Pan ETES ù tement d'un pôle à PRE Der s al l'autre du leucocyte UT œÿ cocyte lui-même, hi “ayant continué, FINE (ES 148 isa “ss dans la chambre ( a 7 l'ex | à | 2 humide et sous le QU ol * : 8. microscope,àexer- Fic. 6. — Fièvre intermittente quotidienne. Mouvements amiboïdes de plasmodies libres, à la température du laboratoire (190), dans le sang extrait au début de l'accès. En B, mouvements lents du pig- ment contenu dans le noyau. : cer son action pha- gocytaire. Mais cette hypothèse n'était pas admis- sible, attendu que les leucocytes de l'homme ne conservent que pendant très peu de temps leur mobilité propre en dehors des vaisseaux : 2 à 3 heures au plus après la coagulation *; encore ces mouvements n'ont-ils lieu qu'à 390-420, d'après Maurel. Selon Botkine, même, les leucocytes perdent, au bout de 36 mi- autes, leurs mouvements spontanés ‘. Or mes examens ont été pratiqués à la température du laboratoire, 22, 36 et 48 heures après la prise du sang. Les leucocytes étaient donc morts depuis longtemps. Ils n’adhéraient plus, d’ailleurs, aux parois de la 4. Ce même procédé de culture entre lame et lamelle stérilisées m’a permis d'observer la transformation d’un corps en croissant en forme amiboïde, fait déjà vu par Sakharoff. On ne saurait done, et c’est aussi l’avis de M. Laveran, admettre, avec Bignarni et Bastianelli, que les corps en croissant seraient des formes de dégénérescence de l’hématozoaire, incapables de développement progressif. 2. Lapanre-Lacrave, Traité des malad. du sang, p. 27. 3. Maurez, ÆRech. expér. sur les leucocytes, Paris, 1890-91. L. BoTkINE, Generatio metamorphotica quasi spontanae. Bolnitchnoïa Gazeta Botkina, 1895, n° 48 et 49. £ DU PROCESSUS LEUCOCYTAIRE DANS LA MALARIA. 907 lame ou de la lamelle lorsqu'on établissait un léger courant dans la préparation. Il s'agissait, en réalité, d'hématozoaires jeunes qui avaient été primitivement englobés par les leucocytes, dans les vaisseaux du malade, et avaient même peut-être subi un commencement de digestion. Les phagocytes étant morts, le parasite, soustrait à leur influence, s'était développé peu à peu etavait, en moins de 22 heures, atteint intégralement la phase amiboïde. Cette résurrection de l’hématozoaire rappelle le phénomène observé par M. Metchnikoff qui, en portant dans du bouillon nutritif des phagocytes chargés de bactéridies charbonneuses, a vu les bâtonnets grandir dans l’intérieur de la cellule morte. Malgré des essais réitérés, la culture de l’hématozoaire dans le sang du malade n’a abouti qu'aux résultats dont il vient d’être parlé, et il est difficile de s'expliquer quelles raisons per- mettent dans certains cas, empêchent dans d’autres, le dévelop- pement de l’hématozoaire dans les leucocytes morts. L'hémato- zoaire n’a d’ailleurs jamais dépassé le stade amibien; il n'a pas abouti, en particulier, à la forme segmentée ou sporulée. On sait que Danilewsky a décrit, dans le sang des oiseaux, des parasites qu'il assimile entièrement à l’hémocytozoaire de l’homme. Dans le sang du hibou, il existe des formes para- sitaires ayant fait, des cellules lymphatiques, leur habitat nor- mal, pouvant s'y développer et passer au stade de Polimitus et de Laverania à gros noyau. Sans aborder ici la controverse soulevée par Danilewsky, qui admet identité de l’hématozoaire de l’homme et de celui des animaux, nous devons nous demander si les formes intraleucocytaires décrites dans ce travail, et dont quelques unes étaient douées de mouvements amiboïdes pro- pres, ou présentaient une mobilité très vive de leurs grains de pigment, n'étaient autres que des leucocytozoaires semblables à ceux du sang des oiseaux. Cette question mérite d'autant mieux d’être soulevée, que Danilewsky admet, dans la forme prolongée de la malaria chez l’homme, la présence de ces leucocytozoaires. Mais la preuve n’en a pas été donnée entièrement et l’on peut seulement regarder celte hypothèse comme vraisemblable. Quoi qu’il en soit, il ne paraïil pas que les hématozoaires intraleucocytaires que j'ai observés chez l’homme puissent être 1. Daxizewsxy, Arch. russes de Pathol., 1896, n° 1, 908 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. considérés comme des leucocytozoaires véritables. En elfet, ces parasites, mobiles ou non, étaient toujours pourvus de pigment. Or, Sakharoff décrit les leucocytozoaires des oiseaux comme des sphères incolores, légèrement granulées, sans mélanine, de dimen- sion plus grande que celle des hémocytes, et pourvues d’un gros noyau ‘. Ce ne sont pas là les caractères que j’ai constatés chez l’homme, dans les leucocytes amibifères. D’autre part, ces der- niers étaient bien réellement des phagocytes actifs, car, dans un cas (fig. 4), à côté de l’amibe vivante, la même cellule renfer- mait un amas pigmentaire entouré d’une auréole incolore, qui représentait tout ce qui restait de la digestion d’un autre para- site englobé par la cellule dans lesang du malade. 1. SAkHAROFF, Rech. sur les hématoz. des oiseaux, Ann. de l'Institut Pasteur, 1893, n° 12. DE L'ACTION DU SÉRUM PSEUDO-TUBERCULEUX SUR LE BACILLE DE LA PSEUDO-TUBERCULOSE Par LE D' LEDOUX-LEBARD (Laboratoire de M. le professeur Grancher.) Nous avons observé, depuis quelques mois, de nombreux cas spontanés de pseudo-tuberculose du cobaye. Cette maladie présente des formes et des localisations très variées. Le plus souvent, les cobayes qui en sont atteints s'amaigrissent comme les cobayes qui sont affectés de tuberculose de Kocb, et meurent cachectiques, avec des tubercules disséminés dans les organes. Le foie est le siège d’une éruption très abondante de tuber- cules miliaires, et sur la rate on voit souvent faire sailiie à la surface deux ou trois gros tubercules, du volume d'un petit grain de chenevis ou d’un pois, remplis de pus caséeux. Cet aspect des tubercules de la rate, très différent de ce que l’on observe dans la tuberculose de Koch, la saillie plus forte, la cou- leur plus blanche des tubercules du foie, l'existence, sur cet organe, de un ou deux tubercules plus volumineux que tous les autres, font souvent soupçonner la nature de cette tuberculose, que nous avons proposé, dans un travail fait en collaboration avec M. le Professeur Grancher, de dénommer tuberculose de Malassez, pour la distinguer de la tuberculose de Koch et des autres tuberculoses *. L’ensemencement sur gélose des organes et du sang tranche cette question de diagnostic en 24 heures. En cas de pseudo- tuberculose, la surface de la gélose se couvre, au bout de ce 4. Graxcuer Et Lenoux-Lesarn. Recherches sur la tuberculose zoogléique. Arch. de méd. exp. 1 mars 1889. N° 2. — La tuberculose zoogléique (2° mémoire). Arch. de méd. exp. 1* septembre 1890. N° 5. — Infection pseudo-tuberculeuse par les voies digestives, par Lenoux-Leraro. — Arch. de méd. exp. 1891, no 2. 910 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. temps, de colonies nombreuses formées d’un bacille ovoïde, mo- bile, facilement colorable dans les solutions aqueuses de cou- leurs d’aniline, ne gardant pas le Gram, et dont l’inoculation au cobaye amène la mort plus rapidement que ne le fait le bacille de Koch. Ces caractères suffisent pour reconnaître la pseudo-tuber- culose et offrent plus de garantie que l’étude des lésions au moyen des coupes et la coloration souvent très difficile des colonies en zooglées ou sous forme diffuse, qui pullulent dans les organes. La pseudo-tuberculose du lapin est beaucoup plus rare. Nous ne l’avons observée qu’une seule fois, cette année, alors que les cas, chez le cobaye, étaient très nombreux. De plus, le lapin résiste longtemps ou même guérit à la suite d’inoculation, sous la peau, de petites doses de cultures. Nous avons fait choix de cet animal pour étudier l’action du sérum pseudo-tuberculeux sur les cultures du bacille de la pseudo-tuberculose. ee PROPRIÉTÉS AGGLUTINANTES DU SÉRUM DU LAPIN PSEUDO-TUBERCULEUX. En examinant au microscope une goutte du mélange obtenu en diluant une partie de sérum du sang d’un lapin pseudo- tuberculeux, dans neuf parties de bouillon de culture de pseudo- tuberculose, on constate facilement le phénomène de l’aggluli- nation.’ Au bout de 15 à 20 minutes, les bacilles jusque-là disséminés dans le liquide se rassemblent par petits groupes irréguliers. Ces amas naïssants, soit qu’ils se réunissent à d’au- tres semblables, soit que de nouveaux bacilles viennent s’y accoler, grossissent de plus en plus. En mème temps, les espaces qui les séparent s’appauvrissent en microbes. Ceux qu’on y voit encore nagent d’un mouvement moins rapide, et ne tardent pas à être agglutinés, à leur tour, à la surface des amas déjà formés. Bientôt, on ne voit plus, dans la préparation, que des amas irré- guliers de bacilles, séparés par des espaces clairs dans lesquels on trouve difficilement quelques microbes non agglutinés et ayant perdu plus ou moins complètement leur mobilité. On retrouve donc, pour la pseudo-tuberculose, la réaction agglutinante, telle qu'on l’observe dans la fièvre typhoïde, et ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. Pr eXXTIE 2 I ur # Sy: ne "*, Y:. ”. SAR = "LE 1, , dr "x , cs 7 3 an, EN 2. e CU (er, re 1 (y 112 LT" 020 C4 Fe f ù E CR | pa En & U Eye és ” SN # “ (9) ACTION DU SÉRUM PSEUDO-TUBERCULEUX 911 caractérisée essentiellement : 1° par l’agglomération : 2° par la diminution ou la perte de mobilité des bacilles. Pour observer les phénomènes, le procédé qui nous a paru le meilleur est celui de la goutte pendante placée sur lamelle reposant sur une lame creuse. Nous obtenions: facilement du sérum en extrayant quelques centimètres cubes de sang de l’oreille d’un lapin pseudo-tuberculeux, à l’aide d’une seringue stérilisée. Un tube de bouillon ensemencé depuis 24 heures et maintenu à la température de la chambre est suffisamment riche en microbes pour l'étude de la réaction. Les microbes y sont mobiles, disséminés, sans amas notable. Pour préparer des dilu tions de litre connu, nous nous sommes servi de pipettes gra- duées, ou bien nous avons suivi le procédé très simple indiqué par MM. Widal et Sicard ', et qui consiste à étirer des tubes de verre par leur milieu et à briser le milieu de l’effilure, afin d’obte- nir deux pipettes jumelles, de calibre sensiblement égal, qu’on peut utiliser comme compte-gouttes pour le bouillon et le sérum. L’addition directe d'une quantité suffisante de sérum dans un tube de houillon de culture de pseudo-tuberculose estsuivie, en 12 ou 24 heures, d'une clarification du liquide. Le dévelop- pement de la culture est non pas arrêté, mais modifié par la présence du sérum, comme on en juge facilement par comparai- son avec un tube de bouillon de culture de même âge et sans sérum. Ce dernier se trouble uniformément, alors que, dans le premier, la culture ne paraît se développer que dans les couches inférieures du liquide, ou du moins s’y dépose rapidement au lieu de rester en suspension dans le liquide. Mais la forma- tion de grumeaux, d’amas microbiens visibles, n’est pas très nette, et, en définitive, ce procédé macroscopique pour recher- cher la réaction agglutinante, dans la pseudo-tuberculose, n'a pas la sûreté du précédent. Nous avons plusieurs fois comparé l’action du sérum de lapin neuf à celle du sérum de lapin pseudo-tuberculeux, sur les mêmes cultures, en faisant des dilutions au même titre et en nous servant du même procédé d'examen. Ou bien le sérum normal ne modifie pas l'aspect de la culture : les bacilles restent dissé- 4. Etude sur le séro-diagnostic et sur la réaction agglutinante chez les typhi- ques. 4nn. de l’Inst. Pasteur, 1597. N° 5, p. 399, 912 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. minés également dans toutes les parties de la goutte de liquide examinée et ils conservent leur mobilité ; ou bien il se produit des agglomérations de bacilles. Dans le dernier cas, le phéno- mène se distingue de cequ'’ilest avec le sérum pseudo-tuberculeux : Lo Il exige pour se produire une dilution de titre élevé, et cesse de se manifester dans les dilutions étendues, alors que dans les dilutions de titre égal, faites avec le sérum pseudo-tuberculeux, la réaction persiste; 2 l’agglutination est incomplète, et dans les intervalles des amas, le liquide, au lieu de se clarifier, contient encore de nombreux microbes conservant une grande mobilité. Le pouvoir agglutinant du sérum normal est donc incompara- blement moins actif que celui du sérum pseudo-tuberculeux. Le pouvoir agglutinant du sérum d’un lapin inoculé sous la peau, depuis 64 jours, avec une culture de pseudo-tuberculose était comprise entre 100 et 1000, après une heure de contact. La dilution à 4 pour 10 donnait des amas en 15 minutes; la di- lution à 4 pour 100, en 1 heure; la dilution à 1 pour 1000 ne présentait pas d’amas au bout de 12 heures. Nous n'avons pas constaté le phénomène de l’agglomération, dans un cas où nous avons expérimenté avec le sang du cobaye pseudo-tuberculeux, au lieu de nous servir du sang du lapin affecté de la même maladie, comme dans les expériences précé- dentes; dans un autre cas, le sang d'un cobaye pseudo-tuber- culeux depuis sept jours produisait nettement l’agglutination dans la dilution au centième. IL. — Du DÉVELOPPEMENT EN FILAMENTS ET DE LA DISPOSITION EN RÉSEAUX, SOUS L'INFLUENCE DU SÉRUM PSEUDO-TUBERCULEUX. Le sérum du lapin pseudo-tuberculeux, s’il provoque l’agglu- tination des bacilles, n’arrête pas la poussée de la culture. Mais on peut supposer, & priori, qu'il en modifiera le développement. Dans l’évolution normale, les bacilles jeunes se détachent des bacilles générateurs et se répandent dans le milieu de culture. L'action agglutinante doit s'opposer à cette mise en liberté des bacilles nouvellement formés, et, si cette action est capable de s'exercer au début même du travail de segmentation, ce que ’expérience seule peut apprendre, cette segmentation restera ACTION DU SÉRUM PSEUDO-TUBERCULEUX. 913 incomplète et les bacilles se développeront en filaments. Si l’on veut suivre le développement des bacilles dans le mélange de sérum et de bouillon, il faut éliminer autant que possible la formation des amas microbiens. !l faut que les bacilles observés, bien que soumis à l’action agglntinante, restent isolés ou, du moins, ne soient pas masqués par l’entassement de microbes agglutinés. Pour cela, nous faisons une dilution très étendue de ces bacilles, en ensemençant, avec une anse de platine chargée de bouillon de culture de 12-24 heures, un tube de bouillon neuf. Ce bouillon, qui vient d’être ensemencé, est mélangé au sérum que l’on veut essayer dans la proportion qui, pour le bouillon de culture non dilué et le sérum, donne la réaction agglutinante bien nette, et le mélange sert à préparer des gouttes pendantes, au moyen de lames et lamelles soigneusement passées à la flamme. En lutant à la paraffine les bords de la lamelle, les gouttes se conservent assez longtemps pour permettre de suivre, pendant plusieurs jours, le développement des microbes à la température de la chambre. On peut omettre de luter la lamelle, et la faire reposer simplement, par ses bords, sur le porte-objet creux, àla condition de placer la préparation dans la chambre humide. Dans ces goultes maintenues à la température de la chambre, on ne tarde pas à voir, au bout de 6 à 12 heures, des baailles remarquables par leur dimension en longueur. Ils restent isolés, ou bien, s’il y a d'autres bacilles à proximité, ils se soudent à eux en formant des petits amas. L’agglutination se fait parfois avec assez de lenteur pour qu’on puisse en suivre les diverses phases. Le bacille le plus mobile se meut auprès de l'autre en lui présentant une de ses extrémités : il s’en rapproche, le touche, s’en éloigne et après avoir répété un certain nombre de fois ces évolutions, y reste définitivement soudé par une de ses extré- mités, tandis que l’autre extrémité oscille autour du point d'attache d’un mouvement irrégulier. Il résulte de ce mode d'agglutination que, dans ces amas naissants, les bacilles ne sont pas disposés fparallèlement et pour ainsi dire côle à côte, mais forment, par leur réunion, des angles plus ou moins ouverts, en sorte que l’amas est lâche et ajouré de vides séparant les bacilles qui le constituent. Isolés ou ainsi réunis en faibles amas, ces bacilles ne tardent DS 914 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, pas à s’allonger démesurément, en sorte que le nom de bacilles ne leur est plus applicable. Ce sont de véritables filaments dans lesquels les lignes de segmentation sont souvent tardives. Cependant, tôt ou tard, elles apparaissent, indiquant par leurs traces les extrémités des bacilles qu’elles séparent, et, suivant que ces ligues de segmentation sont plus ou moins rapprochées, les filaments se trouvent constitués de bacilles longs ou courts, de bâtonnets ou de grains ovoïdes (fig. 4 à 6, PL. xxn). | De même que nous avons vu les bacilles se souder, sans s’accoler par leurs bords ni se presser les uns contre les autres, de même les filaments, en s’allongeant, se soudent entre eux, à leurs points de croisement, et forment un réseau à mailles irré- gulières, limitées par des chaînes de bacilles (fig. 6). Vue alors à un faible grossissement, la goutte de culture présente, çà et là, de ces amas réticulés séparés des amas voi- sins par des espaces clairs où nagent, en petit nombre, des bacilles ou des filaments restés libres, immobiles ou animés de faibles mouvements. Plus fortement grossis, les amas rappellent, par leur aspect, des filets de pêcheur étalés sur le sol; au centre, il est difficile de distinguer les mailles du filet, à cause de la masse de fils entassés ; à la périphérie, elles deviennent de plus en plus dis- tinctes. Il en est de même pour les réseaux microbiens avec leurs mailles polygonales limitées par des chapelets de bacilles ou de cocci. Ce n’est que par l’examen de cultures en gouttes pendantes que nous avons pu observer les réseaux. Il est difficile de les colorer. Les mouvements imprimés à la préparation altèrent la disposition des filaments ou les tassent en amas opaques. D'autre part, la dessiccation et le passage de la lamelle dans la flamme fixent les microbes; mais la goutte de bouillon et de sérum, en se desséchant, forme un dépôt de matière organique nuisible à la coloration. C’est néanmoins en suivant ce dernier procédé, après avoir absorbé partiellement la goutte de liquide avec du papier buvard et en colorant au brun d’aniline, que nous avons obtenu des préparations passables en quelques endroits et qu'il nous a été possible de photographier. Ces préparations, après avoir été colorées dans la solution aqueuse saturée de brun d’aniline, étaient lavées à l’eau et montées dans ACTION DU SÉRUM PSEUDO-TUBERCULEUX. J15 le mélange à parties égales de solution de brun d’aniline et de glycérine, selon la méthode indiquée par Koch. Le phénomène du développement en filaments et de la dis- position en réseaux est bien particulier au sérum de lapin pseudo-tuberculeux; nous n'avons pu l'obtenir avec le sérum neuf. Il exige, pour se produire, une proportion de sérum égale à celle qui donne la réaction agglutinante bien franche dans le bouillon de culture non dilué. Ces faits n'autorisent pas encore à affirmer que le phénomène soit dû à la même substance qui donne au sérum sa propriété agglulinante, bien que cette pro- priété suflise, comme nous l'avons vu, à donner une explication de ce développement anormal et qu'elle nous ait conduit à en rechercher l'existence. EXPLICATION DE LA PLANCHE XXII I. Colonie de bacilles de la pseudo-tuberculose, développée à la température ordinaire, en 12 heures, dans le mélange : sérum de lapin pseudo-tuberculeux, 1 partie pour 9 de bouillon de culture. 1000 Grt = — II. Une colonie des mêmes bacilles, développée dans le même mélange et au bout de 24 heures, à la température ‘ordinaire. Chaînes de bacilles ovoïdes. : 1000 CR 1 IL. Formation réticulaire, dans un mélange au 10° de sérum de lapin pseudo-tuberculeux et de bouillon de culture de pseudo-tuber- culose, 1000 CL IV et V. Formations réticulaires dans un mélange desérum pseudo- tuberculeux et de bouillon de culture à 1 pour 10, après 30 heures à la température ordinaire. VI. Même préparation. Vue d'ensemble. Grt — 390 + CRUE TABLE DES MATIÈRES Recherches physiologiques sur une moisissure nouvelle, l’'Eurotiopsis Gayoni, par M. J. LaBonpr. . . . . . . ... Fixation de l'azote libre par le bacille des nodosités des légumineuses, par M. Mask. De Contribution à l'étude du bacille te par MM. Hu HINCER EL OCHNEIDER. 2 L'utiote nur NI er Les angines à bacille de Friedlænder, par MM. Cn. Niconn ORHEBERT,. 2: em 0 Reine PEU NRE : Note sur un bacille de Friedlænder me de la vase de la Seine, par MM. Cu. Nicoze et HÉBERT . . . . . . . .. : Sur la peste bubonique, par M. le D' Yersin. . . . . . . .. Lettre de M. le D' pe Carisruas sur le jéquirity. . . . . .. Lésion du myocarde dans l’intoxication aiguë par la toxine diphtérique, par MM. J. Mocranp et CL. ReGaun . La séborrhée grasse et la pelade, par M. Sasouraun. . . .. Action antitoxique de l’hyposulfite de soude vis-à-vis des dinitriles normaux, par MM. J. F. Hevmaxs et P. NEASOIN. 75.21. + ARR UER Contribution à Pétade ei nl nt eo par ME JABORDEr Se RE PET TU à Sur le venin des serpents et l'emploi du sérum antiveni- meux dans la thérapeutique, par M. le D' A. Cacuerre. Réponse à M. Mercaxxorr, par M. le D' G. Gaprirenevsky, Réponse à la note précédente, par M. E. Mercanikorr. . . . Contribution à l’étude de la physiologie du bacille diphté- nique: par M. L: COBBEIT 2 4 4. SEEN Contribution à l’étude de l’Amylomyces Rouxii, de la levure chinoise, et des moisissures ferments de l’amidon, par NT SAN C INT ee 40 ee 25 ft LR ENST Te Fee 264 918 TABLE DES MATIÈRES, Recherches sur l’immunité dans le choléra. Premier mémoire : sur l’agglutination, par M. le D' Sacmsenr. Fermentation be sans obrles de levure par M. E, BUCENER . SN PEER Le LR Pre de : Statistique de ste PASTEUR octobre, novembre ci dé- cembre 1OOC RER Se D RE EE : Recherches sur l'infection dans la vaccine et la variole, par M. P. SaLmon. . . . . : ne cts Le SRE Sur la phagolyse dans la de péritonéale, par M. ia De °G. PERAEUNT ER ER SERRE Recherches sur la marche de l’immunisalion active contre la diphtérie, par MM. C. Saromonsen et T. Mapsen. . . Méthode de coloration à la fois simple et contrastante des microbes, par M. le D: Crauprus . . . . : Les vaccinations antirabiques à à l'Institut Pétett en 1896, par MEL. POTTER ES LEE PEN AT ES RS Études critiques et recherches expérimentales sur les microbes de la septicémie hémorragique et sur les maladies qu'ils produisent par MAT VOErs Re 0 ee RE En La fermentation fractionnée du sucre de canne avec des evurce pures par MEIEPES TS PEN EE ER 5 Étude sur le sérodiagnostie et sur la réaction ag hits chez les typhiques, par MM. F. Wipaz et Sicarp. . . . Étiologie et pathogénie de la fièvre jaune, par M. le DÉSANRRELERS Eee ee : e Extrait d'un mémoire italie ne Un es el anatomiques sur la fièvre jaune, par M. le D' HavezBurc. Sur une nouvelle septicémie des veaux, avec néphrite et urocystite consécutives, par M. THomassex. . . . . . .. Sur la richesse du lait en éléments minéraux sphpAnP ae terreux, par M. L. Vaunn . . . . Re 5 IL io des sporozoaires du genre Cuce Sn par M. le D: P. Simon. . . . à AIRE Recherches sur l a de mi DER nn par ee substances chimiques, par M. le D' E. Marvoz . . . . . Recherches sur la toxine tétanique, par M. le D' A. Mani. Combustion biologique du propylglycol, par M. A. Péré. Contribution à l’étude du gonocoque et de sa toxine, par M. le D'J. ne Curisrmas... . . . . RAT Le paludisme au Sénégal, par M. le pr Men NAME NE TABLE DES MATIÈRES. Recherches sur la peste LAND par MM. Wyssokowicz et ZABGEOMNY 4... :@. Un mot sur l’histoire du Fa de FT par M. Gnüns AUM. A propos de la note LE de M. Grünbaum, par ME NViDaE De. DR RTT 2 Étiologie et pathogénie 1e Fi Fes éme , par M. le Dr J. SANARELLI, Second mémoire, ...,... RE TR Lesbases physiques du ementeithe ca de plaies, par M18 Dr PRÉOBATENSRY. 1. M EEE Action des levures de bière sur le lait, par M. D L'état actuel de la question de la leucocytose, revue critique. . . La peste bubonique, revue critique: : :. .. LR 0" L'immunité et la‘sérothérapie contre la fièvre ns. par M. le D' Saxarerur, troisième mémoire. . . .. de Recherches sur la destruction des oi dans la ie péritonéale des cobayes immunisés, par M. M. Garnier. Recherches sur le bouton d'Alep, par MM. Nicoure et Noury- Note sur un le the bn pour lunes de Ro par M. M. Crexniropouro. . . . ARTE Statistique de la station Pasteur Tite, SR M. le DE Rananes en ou. co PO UNE Sur l'action des diastases, repue critique... Recherches sur l'influence de l’organisme sur les toxines, nan M. 6: MerCeNITOEE: 1.4 Re Re Recherches sur les propriétés toxiques et antitoxiques du sang et de la bile des anguilles et des vipères, par M. le D' WEHRMANN . . .. ‘ FACE Fièvre typhoïde ie he ons “ne taire, par M. Dr P. REuLINGER . . . .. He Re uter à l'étude de l'alcoolisme en et de son influence sur l’immunité, par M. le D' DecéarDe. . Recherches bactériologiques sur le rhumatisme articulaire aigu, premier mémoire, par M. le D' P. Acnaime. . . . Gangrène gazeuse subaiguë provoquée par un bacille spé- CANAL M CHAVIENT 2 01200 A AE ui Contribution à l’étude del immunité, par M. le out DA TIOHIRO NON ee à, 4e lens AE RE CPE de 920 TABLE DES MATIÈRES. Contribution à l'étude du processus leucocytaire dans la malaria, par Mle DEVINGENT CE 891 De l’action du sérum pseudo-tuberculeux sur le bacille de la pseudo-tuberculose, par M. le D' Lepoux-LesarD . . 909 Table: des matières: SRE RARE Pre 917 TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS TRAVAUX ORIGINAUX ACHALME . .. . . . . . . . Recherches bactériologiques sur le rhuma- tisme articulaire aigu . . . . BORDET. : . . : . . . . . . Sérum antistreptococcique. . . BOULLANGER . . . . . . . . Action des levures de bière sur et CALMBTTE (A): . . . . . . . Venin et sérum antivenimeux . CHAVIGNY. . . . . . . . . . Gangrène gazeuse subaiguë. CHRISTMAS (DE) : : : « « «: « Lettre au sujet du jéquirity. . : : .». — Le ginocoqueetsatoxinet CGLAUDIUS. +. . + . . . . …« Méthode de coloration. F COBBETT. . . . . . . . . . . Physiologie du bacille diphtérique . GRENDIVOPOUBO + 0: « ." Ulcère de l'Yémen rer eee DELÉARDE. . . . . . . . . . Étude de l'alcoolisme expérimental. . . , FRANTZIUS + - + .+ . . . . . Statistique de la station Pasteur de Tiflis. GABRITCHEWSKI. . . . . . . Réponse à M. Metchnikoff. . . . . GARNIER . . . . . . . . . . Destruction’ des microbes dans la it DÉTIFONEAlE ER - GRUNBAUM : . . . . . : + . Un mot sur l'histoire du Site uen, HAVELBURG. . . . . . . . . Recherches expérimentales sur la fièvre Jaunes MCCAIN CE ÉcarRreen. 57 - + Voir NICOLE: Heymaxs MU ... . Hyposulfite de soude et dinitriles normaux, EABORDE 5. 2, DLENrOUONSIS GAME Rec a Lepoux-LEBarD . . . . . . Bacille de la pseudo-tuberculose , . . ., MADSEN. . . . . . . . . . . Voir SALOMONSEN. Mazvoz. . ......... Agglutination par des substances chimiques MARGEOUxX . : . . :..», . Le Paludisme au Sénégal. 5, mm MARIE . . . . .. . . . . . Recherches sur la toxine tétanique , . . . MASON 0... 0 Voir HEYMANS: MAzé. . ........... Fixation de l'azote dans les légumineuses. METCHNIKOFF. . . . . . . . Réponse à M. Gabritchewski. . . . . . .. — ........ Influence de l'organisme sur les toxines. . MozLarp et ReGauD . . . Myocarde dans l’intoxication diphtérique , NicoLLe et HEBERT . . . . Les angines à bacille de Friedlændér . ., — — . . .« |. Bacille isolé de la vase de la Séine . . . . 922 TABLE DES MATIÈRES. Nicoce et Noury-Bey . . . Recherches sur le bouton d'Alep . . . . . . 771 PÉRÉ. . ........... Combustion biologique du propylglycol . . 600 PIERALLINI . . . . . . . . . Phagolyse dans la cavité péritonéale. . . 308 POTTEVIN. . . . . . . . . , Les vaccinations en 1896 à l'Institut Pasteur 336 PREOBAJENSKY . . . . . . . Traitement antiparasitaire des plaies. . . 699 REGAUD: 40000 0 Voir MorLARn. REMLINGER et Son Ier. . Étude du bacille typhique . . . ...... 55 A 2 =... « - … Fièvre typhoide expérimentale 2:0529990 SABOURAUD. . . . . . . . . La Séborrhée grasse et la pelade . . . . ._ 434 SALIMBENT. .: + +... à “Sur l'agelutimation 2 7.. 1 RE Tir DAICMONS es ee .. Infection dans la vaccine et ha Ut. 5. 289 SALOMONSEN et Mans N.. Immunisation aclive dans la diphtérie , . 315 SANARELLI. . . . . . . . . Etiologie et pathogénie de la fièvre jaune. 433 — ......... Etiologie et pathologie de la fièvre jaune, 2e mémoire. « . ets M0 =. ee à « so + L'immumité: et la or e de la fièvre JAUNES 4 26 0 om ue dre es Te SANGUINETI . . . . . . . . Comparaison dedivers en de de 264 SAWTCHENKO . . +. . . Etude sur l'immunité . .. . . : 2.000080 SCHNEIDER. . . . . . . . . Voir REMLINGER. DACARD 05 2 0 ea, mac 4 à VOIE WWIDAT. SIMOND . . .. . . .... Évolutiondessporozoaires dugenrecoccidium ne THOMASSEN . . . . . . . . Nouvelle septicémie des veaux. . . . . . 023 VAUDIN. ......... Éléments minéraux et phosphates du lait. : 7 VINCENT... . . s. Leucocytes dans la malaria PA 7 ot WEHRMANN . . ...... Sanget bile des anguilles et des vipères . . 810 WipaL et SicaRD . . . . . Sérodiagnostic et réaction agglutinante . . 353 Nr ess Us Reponse de M GRUNDANN CNE Wysokowrez:"...". ..... . Sur la peste buboniquer. :: . 1770668 VERSINS 4 44 2.0.0 0 Sup la pestebubonique 2. 0527 20708 ZABOLOTNY. . . . . .. . . Voir Wysokowicz. REVUES ET ANALYSES Bucaner (E.). . . . . . . Fermentation alcoolique sans levure . . . . 287 Higpe. . . .. . . . .. . Fermentation fractionnée dusucre de cannes 348 Voges . . . . . . . . . . Microbes de la septicémie hémorragique. . 342 REVUES CRITIQUES BESREDKA. . . . . . . . . L'état actuel de la question dela leucocytose 726 METCENIROFF . 4. . .. La peste bubonique.. 1.27. 0, RH DUcLAUX,. 04. 24000. DSur l'actiontdes das tases eee EE 2 -e TABLE DES MATIÈRES. PLANCHES HORS TEXTE Hanches L'ELTIs Re Mémoire de MM. Mozzarp et REGAUD. . . DLIMO LE INR NE — MER SABOURAUDEE ER 0 AT DRE TEE — MA BORDER MEME 10e d'A: ÉMPE TAN _ MES AMONT EN ER MALE XV — MS SAN AIRE LT lee en le XVIe MIT — MÉSSIMOND ER SR TES ne XVII SL — MÉMAR CHEQUE MMM. © XVIII bis à XX — MS SAN ARE 2... + 506 NN ee. — NÉS GARNIERS 20e ANDRE L'an — M. Lenoux-LEBARD . . . . . . Sceaux, — Imprimerie E. Charaire. 923 97 134 A7 289 433 D4) 640 073 767 909 Le Gérant : G. Masson. PAR RA AO FUN en eg ut ©